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LES CARNETS METAPHYSIQUES & SPIRITUELS

A propos

La quête de sens
Le passage vers l’impersonnel
L’exploration de l’être

L’intégration à la présence


Carnet n°1
L’innocence bafouée

Récit / 1997 / La quête de sens

Carnet n°2
Le naïf

Fiction / 1998 / La quête de sens

Carnet n°3
Une traversée du monde

Journal / 1999 / La quête de sens

Carnet n°4
Le marionnettiste

Fiction / 2000 / La quête de sens

Carnet n°5
Un Robinson moderne

Récit / 2001 / La quête de sens

Carnet n°6
Une chienne de vie

Fiction jeunesse / 2002/ Hors catégorie

Carnet n°7
Pensées vagabondes

Recueil / 2003 / La quête de sens

Carnet n°8
Le voyage clandestin

Récit jeunesse / 2004 / Hors catégorie

Carnet n°9
Le petit chercheur Livre 1

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°10
Le petit chercheur Livre 2

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°11 
Le petit chercheur Livre 3

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°12
Autoportrait aux visages

Récit / 2005 / La quête de sens

Carnet n°13
Quêteur de sens

Recueil / 2005 / La quête de sens

Carnet n°14
Enchaînements

Récit / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°15
Regards croisés

Pensées et photographies / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°16
Traversée commune Intro

Livre expérimental / 2007 / La quête de sens

Carnet n°17
Traversée commune Livre 1

Récit / 2007 / La quête de sens

Carnet n°18
Traversée commune Livre 2

Fiction / 2007/ La quête de sens

Carnet n°19
Traversée commune Livre 3

Récit & fiction / 2007 / La quête de sens

Carnet n°20
Traversée commune Livre 4

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°21
Traversée commune Livre 5

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°22
Traversée commune Livre 6

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°23
Traversée commune Livre 7

Poésie / 2007 / La quête de sens

Carnet n°24
Traversée commune Livre 8

Pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°25
Traversée commune Livre 9

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°26
Traversée commune Livre 10

Guides & synthèse / 2007 / La quête de sens

Carnet n°27
Au seuil de la mi-saison

Journal / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°28
L'Homme-pagaille

Récit / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°29
Saisons souterraines

Journal poétique / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°30
Au terme de l'exil provisoire

Journal / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°31
Fouille hagarde

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°32
A la croisée des nuits

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°33
Les ailes du monde si lourdes

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°34
Pilori

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°35
Ecorce blanche

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°36
Ascèse du vide

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°37
Journal de rupture

Journal / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°38
Elle et moi – poésies pour elle

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°39
Préliminaires et prémices

Journal / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°40
Sous la cognée du vent

Journal poétique / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°41
Empreintes – corps écrits

Poésie et peintures / 2010 / Hors catégorie

Carnet n°42
Entre la lumière

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°43
Au seuil de l'azur

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°44
Une parole brute

Journal poétique / 2012 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°45
Chemin(s)

Recueil / 2013 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°46
L'être et le rien

Journal / 2013 / L’exploration de l’être

Carnet n°47
Simplement

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°48
Notes du haut et du bas

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°49
Un homme simple et sage

Récit / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°50
Quelques mots

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°51
Journal fragmenté

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°52
Réflexions et confidences

Journal / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°53
Le grand saladier

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°54
Ô mon âme

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°55
Le ciel nu

Recueil / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°56
L'infini en soi 

Recueil / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°57
L'office naturel

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°58
Le nuage, l’arbre et le silence

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°59
Entre nous

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°60
La conscience et l'Existant

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°61
La conscience et l'Existant Intro

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°62
La conscience et l'Existant 1 à 5

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°63
La conscience et l'Existant 6

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°64
La conscience et l'Existant 6 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°65
La conscience et l'Existant 6 (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°66
La conscience et l'Existant 7

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°67
La conscience et l'Existant 7 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°68
La conscience et l'Existant 8 et 9

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°69
La conscience et l'Existant (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°70
Notes sensibles

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°71
Notes du ciel et de la terre

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°72
Fulminations et anecdotes...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°73
L'azur et l'horizon

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°74
Paroles pour soi

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°75
Pensées sur soi, le regard...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°76
Hommes, anges et démons

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°77
La sente étroite...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°78
Le fou des collines...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°79
Intimités et réflexions...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°80
Le gris de l'âme derrière la joie

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°81
Pensées et réflexions pour soi

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°82
La peur du silence

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°83
Des bruits aux oreilles sages

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°84
Un timide retour au monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°85
Passagers du monde...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°86
Au plus proche du silence

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°87
Être en ce monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°88
L'homme-regard

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°89
Passant éphémère

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°90
Sur le chemin des jours

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°91
Dans le sillon des feuilles mortes

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°92
La joie et la lumière

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°93
Inclinaisons et épanchements...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°94
Bribes de portrait(s)...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°95
Petites choses

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°96
La lumière, l’infini, le silence...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°97
Penchants et résidus naturels...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°98
La poésie, la joie, la tristesse...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°99
Le soleil se moque bien...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°100
Si proche du paradis

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°101
Il n’y a de hasardeux chemin

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°102
La fragilité des fleurs

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°103
Visage(s)

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°104
Le monde, le poète et l’animal

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°105
Petit état des lieux de l’être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°106
Lumière, visages et tressaillements

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°107
La lumière encore...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°108
Sur la terre, le soleil déjà

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°109
Et la parole, aussi, est douce...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°110
Une parole, un silence...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°111
Le silence, la parole...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°112
Une vérité, un songe peut-être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°113
Silence et causeries

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°114
Un peu de vie, un peu de monde...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°115
Encore un peu de désespérance

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°116
La tâche du monde, du sage...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°117
Dire ce que nous sommes...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°118
Ce que nous sommes – encore...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°119
Entre les étoiles et la lumière

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°120
Joies et tristesses verticales

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°121
Du bruit, des âmes et du silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°122
Encore un peu de tout...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°123
L’amour et les ténèbres

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°124
Le feu, la cendre et l’infortune

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°125
Le tragique des jours et le silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°126
Mille fois déjà peut-être...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°127
L’âme, les pierres, la chair...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°128
De l’or dans la boue

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°129
Quelques jours et l’éternité

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°130
Vivant comme si...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°131
La tristesse et la mort

Récit / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°132
Ce feu au fond de l’âme

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°133
Visage(s) commun(s)

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°134
Au bord de l'impersonnel

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°135
Aux portes de la nuit et du silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°136
Entre le rêve et l'absence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°137
Nous autres, hier et aujourd'hui

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°138
Parenthèse, le temps d'un retour...

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°139 
Au loin, je vois les hommes...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°140
L'étrange labeur de l'âme

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°141
Aux fenêtres de l'âme

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°142
L'âme du monde

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°143
Le temps, le monde, le silence...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°144
Obstination(s)

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°145
L'âme, la prière et le silence

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°146
Envolées

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°147
Au fond

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°148
Le réel et l'éphémère

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°149
Destin et illusion

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°150
L'époque, les siècles et l'atemporel

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°151
En somme...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°152
Passage(s)

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°153
Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°154
A quoi bon...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°155
Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°156
L'autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°157
La beauté, le silence, le plus simple...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°158
Et, aujourd'hui, tout revient encore...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°159
Tout - de l'autre côté

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°160
Au milieu du monde...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°161
Sourire en silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°162
Nous et les autres - encore

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°163
L'illusion, l'invisible et l'infranchissable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°164
Le monde et le poète - peut-être...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°165
Rejoindre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°166
A regarder le monde

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°167
Alternance et continuité

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°168
Fragments ordinaires

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°169
Reliquats et éclaboussures

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°170
Sur le plus lointain versant...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°171
Au-dehors comme au-dedans

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°172
Matière d'éveil - matière du monde

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°173
Lignes de démarcation

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°174
Jeux d'incomplétude

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°175
Exprimer l'impossible

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°176
De larmes, d'enfance et de fleurs

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°177
Coeur blessé, coeur ouvert, coeur vivant

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°178
Cercles superposés

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°179
Tournants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°180
Le jeu des Dieux et des vivants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°181
Routes, élans et pénétrations

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°182
Elans et miracle

Journal poétique / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°183
D'un temps à l'autre

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°184
Quelque part au-dessus du néant...

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°185
Toujours - quelque chose du monde

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°186
Aube et horizon

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°187
L'épaisseur de la trame

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°188
Dans le même creuset

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°189
Notes journalières

Carnet n°190
Notes de la vacuité

Carnet n°191
Notes journalières

Carnet n°192
Notes de la vacuité

Carnet n°193
Notes journalières

Carnet n°194
Notes de la vacuité

Carnet n°195
Notes journalières

Carnet n°196
Notes de la vacuité

Carnet n°197
Notes journalières

Carnet n°198
Notes de la vacuité

Carnet n°199
Notes journalières

Carnet n°200
Notes de la vacuité

Carnet n°201
Notes journalières

Carnet n°202
Notes de la route

Carnet n°203
Notes journalières

Carnet n°204
Notes de voyage

Carnet n°205
Notes journalières

Carnet n°206
Notes du monde

Carnet n°207
Notes journalières

Carnet n°208
Notes sans titre

Carnet n°209
Notes journalières

Carnet n°210
Notes sans titre

Carnet n°211
Notes journalières

Carnet n°212
Notes sans titre

Carnet n°213
Notes journalières

Carnet n°214
Notes sans titre

Carnet n°215
Notes journalières

Carnet n°216
Notes sans titre

Carnet n°217
Notes journalières

Carnet n°218
Notes sans titre

Carnet n°219
Notes journalières

Carnet n°220
Notes sans titre

Carnet n°221
Notes journalières

Carnet n°222
Notes sans titre

Carnet n°223
Notes journalières

Carnet n°224
Notes sans titre

Carnet n°225

Carnet n°226

Carnet n°227

Carnet n°228

Carnet n°229

Carnet n°230

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Carnet n°261

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Carnet n°263
Au jour le jour

Octobre 2020

Carnet n°264
Au jour le jour

Novembre 2020

Carnet n°265
Au jour le jour

Décembre 2020

Carnet n°266
Au jour le jour

Janvier 2021

Carnet n°267
Au jour le jour

Février 2021

Carnet n°268
Au jour le jour

Mars 2021

Carnet n°269
Au jour le jour

Avril 2021

Carnet n°270
Au jour le jour

Mai 2021

Carnet n°271
Au jour le jour

Juin 2021

Carnet n°272
Au jour le jour

Juillet 2021

Carnet n°273
Au jour le jour

Août 2021

Carnet n°274
Au jour le jour

Septembre 2021

Carnet n°275
Au jour le jour

Octobre 2021

Carnet n°276
Au jour le jour

Novembre 2021

Carnet n°277
Au jour le jour

Décembre 2021

Carnet n°278
Au jour le jour

Janvier 2022

Carnet n°279
Au jour le jour

Février 2022

Carnet n°280
Au jour le jour

Mars 2022

Carnet n°281
Au jour le jour

Avril 2022

Carnet n°282
Au jour le jour

Mai 2022

Carnet n°283
Au jour le jour

Juin 2022

Carnet n°284
Au jour le jour

Juillet 2022

Carnet n°285
Au jour le jour

Août 2022

Carnet n°286
Au jour le jour

Septembre 2022

Carnet n°287
Au jour le jour

Octobre 2022

Carnet n°288
Au jour le jour

Novembre 2022

Carnet n°289
Au jour le jour

Décembre 2022

Carnet n°290
Au jour le jour

Février 2023

Carnet n°291
Au jour le jour

Mars 2023

Carnet n°292
Au jour le jour

Avril 2023

Carnet n°293
Au jour le jour

Mai 2023

Carnet n°294
Au jour le jour

Juin 2023

Carnet n°295
Nomade des bois (part 1)

Juillet 2023

Carnet n°296
Nomade des bois (part 2)

Juillet 2023

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14 novembre 2017

Carnet n°2 Le naïf

Fiction / 1998 / La quête de sens

Dans cette fresque guignolesque de notre monde contemporain, l’auteur nous livre certaines de ses expériences, des instants de vie insignifiants (et tous d’une bien triste réalité) que vous avez-vous-mêmes très certainement subis, contournés ou traversés. Son mérite (mais en a-t-il vraiment ?) ne réside guère dans la générosité accablante de ces pages naïvement acides, mais tient tout entier (même si ça peut nous paraître bancal et bien étrange) dans son acharnement (il est vrai fort velléitaire) à continuer d’aller dans la vie, comme ça, juste pour voir.

 

 

Prologue

Il me l’avait bien dit. J’étais prévenu. Je me rappelle encore le ton de sa voix, l’intonation bizarre qu’il prenait lorsqu’il m’assenait SA phrase : « tu verras quand tu seras grand ». Mon père me l’avait toujours dit, il avait bien dû me la répéter des millions, peut-être des milliards de fois, le problème c’est que j’ai toujours rien vu, pas l’ombre d’une vision.

 

Pourtant je suis grand, j’ai la trentaine bien tassée. J’ai eu des jobs et même une fois presque un vrai travail, comme lui. Aujourd’hui, j’ai quelques cheveux blancs et mes petits soucis. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu avec mon père, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai peine à imaginer que nous avons les mêmes… soucis. Faut dire que j’ai pas encore d’enfant et crois bien que c’est pas de si tôt que j’en aurais, vu que pour l’instant, je suis encore seul, et que vraiment pour rien au monde j’échangerais ma solitude contre une poupée gonflable qui ferait des faux plis en repassant mes chemises. Parce que premièrement, moi, dans les histoires de cul ce que je préfère c’est la tendresse (et allez expliquer ça à une poupée gonflable !), et que deuxièmement, j’aime pas porter des chemises surtout quand elles sont repassées.

 

Dans ma vie, j’ai bien connu quelques trucs, des expériences, des gens et même des filles, mais ça n’a jamais vraiment marché. D’ailleurs, tout le monde le disait, c’était de ma faute si ça ne marchait pas. Mais moi ce que je crois c’est que j’étais un peu trop différent (je peux pas bien vous expliquer, mais ça se sent ces choses-là). Pour eux, c’était moi le coupable, celui qui veut toujours ce qu’il n’a pas et qui embête tout le monde en répétant que ce n’est pas vraiment de sa faute s’il cherche tout le temps des trucs impossibles que personne ne peut lui donner. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que je dirais encore ça, mais en fait j’en sais trop rien. Je crois que je suis comme les autres pour ça : j’arrive pas à donner aux autres ce qu’ils veulent. Faut dire aussi que j’arrive même pas à me donner les trucs que j’ai envie. Et là, je vous parle pas des trucs à acheter, non, ça serait plutôt des trucs qui s’achètent pas, c’est plutôt ça que j’ai envie d’avoir.

 

Mais avant que je vous raconte mon histoire, il faut que vous sachiez une chose : j’ai la tête vide et j’arrive pas à fixer les trucs qui me passent par la tête. Ça vient, je sais même pas comment, ça repart, et là c’est pareil, je sais pas pourquoi. Entre les deux, je sens que ça bouge à l’intérieur, ça remue vachement, ça doit se cogner contre les parois en faisant des échos, et puis quand le dernier écho a disparu, tout disparaît. C’est pourquoi, quand je veux suivre une idée, je suis obligé de remuer très fort à l’intérieur de ma tête, c’est pour retarder le dernier écho. C’est peut-être pour ça que ceux qu’on appelle les fous, ils se balancent tout le temps d’avant en arrière, c’est pour garder leurs idées. Faut pas qu’ils arrêtent de se balancer, sinon ils perdraient leurs idées, et ils deviendraient comme les autres, ceux qui croient qui sont pas fous et qui ont un peu la tête vide, même s’ils ne le savent pas.

 

 

Chapitre premier

Mes plus belles années, je les ai passées dans la tête de mes parents, lorsqu’ils ne m’avaient pas encore conçu et qu’ils avaient tout le loisir de m’affubler de toutes les qualités du monde. Bref lorsqu’ils pouvaient encore s’imaginer mettre au monde un être idéal, beau, gentil et intelligent, un être qu’il y a bien longtemps je ne m’efforce plus de devenir. Ça demanderait vraiment beaucoup trop de travail. Après ces merveilleuses années, ça s’est drôlement gâté. Pendant toute sa grossesse, ma mère a été malade. Des douleurs atroces à vous faire passer l’envie d’avoir des mômes. A peine sorti de la matrice maternelle, j’ai bien senti que déjà elle m’en voulait. Comment pouvait-on souffrir à ce point pour engendrer une chose pareille ? La grossesse avait déjà tué dans l’œuf son embryon d’amour maternel. Après, comment voulez-vous réussir dans la vie avec ce genre d’entrée dans le monde ?

 

Les premières années, ma mère ne me sortait pas ; elle avait déjà honte d’être ma mère, alors pourquoi aller s’en vanter au dehors ? Je suis resté enfermé jusqu’à mes 6 ans, âge où mes parents n’avaient plus le choix, ils devaient me laisser sortir pour aller à l’école. Pour compenser ma bien précoce laideur, ma mère avait décidé de faire de moi un petit singe savant, laid, mais savant. Peut-être avait-elle en tête l’idée un jour de se remettre à travailler (elle avait arrêté son travail pour ma naissance), et je la soupçonne d’avoir eu le projet de monter à mon insu un spectacle de cirque. Ça serait bien là une preuve supplémentaire de l’esprit pragmatico-artistique de ma mère. Oui, ma mère a toujours eu un esprit pragmatico-artistique, partant du principe que l’art devait bien servir à quelque chose. Jusqu’à mes 6 ans, j’ai donc subi les plus atroces tortures préscolaires qu’un enfant puisse subir. A 2 ans, je savais compter l’alphabet, épeler les chiffres et additionner les mots. Ma mère qui n’avait qu’une instruction limitée avait dû commettre quelques ratés dans ses méthodes pédagogiques. Mais peu soucieuse des théories doltoniennes, elle me gavait du peu qu’elle avait elle-même appris, et qui plus est mal appris. J’avais donc forcément beaucoup de mal à ingérer cette bouillie infâme. A 4 ans, je savais l’heure, à l’endroit, à l’envers et même de travers, un peu déboussolé par la cadence de cet apprentissage forcé.

 

Toutes mes journées je les passais dans le parc que mes parents avaient tout exprès acheté pour moi. Mon père qui a toujours été très bricoleur me l’avait personnalisé. Guidé par les directives de ma mère, il avait remplacé les mailles du filet par des barreaux d’acier, recouvert le dessus par une grille métallique, surmontée de fil barbelé. A l’intérieur, il avait fabriqué une petite cage dans laquelle je ne pouvais ni me coucher, ni me tenir debout, ni même m’asseoir, lieu qu’ils avaient prévu en cas de fortes agitations ou d’éventuelles rebellions. Impressionnés par les résultats de certaines méthodes éducatives néo-féodales qu’ils avaient découvertes lors d’un reportage télévisé, ils avaient décidé de mettre à profit et surtout en application les moins traumatisantes d’entre-elles, preuve indéniable que mes parents, loin d’être des bourreaux sanguinaires, étaient des éducateurs sensibles, ouverts et larges d’esprit, parce que ce qu’ils désiraient le plus, c’était de me voir heureux et surtout à leur image. A l’intérieur, ils avaient mis mon nounours, une trentaine de livres d’images et un martinet. Et c’est comme ça entouré de tous mes jouets que mon enfance se déroula. 

 

Chaque jour ma mère surveillait mon apprentissage. Le matin, elle me donnait le programme de ce que je devais apprendre dans la journée, et en début d’après-midi, elle vérifiait si j’avais bien appris mes leçons. Oh ! Pas grand-chose, à peine une dizaine de pages par jour. Elle s’asseyait derrière le bureau qu’elle avait mis près de mon parc, et me faisait répéter, une grande règle en fer à la main, les lignes d’écriture et de calcul qu’elle avait écrites sur le petit tableau noir qu’elle avait pris la peine de fixer au mur, juste derrière son bureau. Souvent après quelques heures, quand elle me sentait réfractaire à tout apprentissage, elle m’enfermait dans ma petite cage pour quelques instants et pour mon bien me disait-elle. Quelques heures ou quelques jours après, elle me libérait, et c’était toujours les larmes aux yeux qu’elle me permettait de réintégrer l’espace moins exigu de mon parc. Elle pleurait en gémissant, en disant qu’elle était trop faible, qu’elle s’apitoyait trop, qu’elle devrait être plus sévère mais qu’elle n’y arrivait pas.

 

C’est vrai, il faut l’admettre, toute mon enfance a été bercée d’amour. Une affection débordante de coups de triques. J’ai reçu une éducation stricte, un rien rigide comme peut l’être un martinet, l’outil éducatif préféré de mes parents. Très tôt, ils ont voulu me bourrer le crâne de leurs sacro-saints principes familiaux ; sacrifices, sens de devoir et amour du travail bien fait. Des principes véhiculés depuis des générations et des générations. Je peux vous dire que quand ils sont arrivés chez moi, ils avaient un sacré goût de poussière. Ça tombait mal, j’étais allergique. Résultat, j’ai pas pu en avaler un seul. Aujourd’hui, je suis plus du tout allergique, mais je peux toujours pas les gober, leurs principes. Ça doit être l’habitude, le principe de ne pas en avoir…

 

Sinon le reste de la journée, une fois mes leçons récitées, je pouvais m’amuser comme je voulais. La plupart du temps, je jouais avec mon nounours. Je lui faisais réciter les leçons que je lui avais données. Je prenais un de mes livres d’images et il devait me raconter l’histoire. Et quand lui aussi il était réfractaire, je lui montrais le martinet, mais ça n’avait pas d’emprise sur lui, alors je lui enlevais sa culotte et je le tapais de toutes mes forces, pour son bien que je lui disais.

 

Le soir quand j’avais pas été puni ou qu’on m’avait pas mis dans ma petite cage, j’avais le droit de sortir de mon parc. Ma mère me mettait près de la fenêtre pour que je regarde dehors. Je regardais les gens en bas qui marchaient dans la rue. Quand je voyais mon père arriver, j’allais l’attendre derrière la porte, et des fois, quand ma mère était de bonne humeur parce que j’avais vraiment bien récité mes leçons, je pouvais même aller l’attendre sur le palier en haut des marches. Mais ça c’est pas arrivé souvent, peut-être 2 ou 3 fois. La plupart du temps ma mère, elle était pas de bonne humeur, et c’était à cause de moi, elle disait parce que j’étais pas un bon fils.

 

Après, on se mettait à table. Ces jours-là, j’étais heureux parce que moi je trouvais que c’était bien d’être réunis comme ça tous les trois. Je préférais ça aux jours où j’étais puni, c’est-à-dire presque tout le temps, et où je devais manger tout seul dans ma cage mon menu « spécial punition » : les restes de la pâté de Toby, notre chien, pour que je devienne plus obéissant, ma mère elle disait. La plupart du temps, mes parents, ils mangeaient sans moi. Je les entendais de mon parc. Mon père, il racontait sa journée et ma mère, elle poussait de gros soupirs comme pour lui dire qu’il racontait toujours la même chose, ce qui était vrai d’ailleurs, je m’en aperçus plus tard. Après ma mère débarrassait la table, je la voyais par la porte entrouverte se diriger vers la cuisine avec les assiettes sales, puis elle faisait la vaisselle, et quand elle avait fini, elle rejoignait mon père devant la télé. Lui, je l’entendais ronfler. Chaque soir, il allumait la télé, et à chaque fois, au bout de 5 minutes, il s’endormait. Ma mère s’asseyait à côté de lui, puis au bout d’un moment, quand il ronflait vraiment trop fort et qu’elle pouvait plus suivre son film tranquillement, elle l’envoyait se coucher. Toujours, elle râlait après lui en lui disant que c’était un bon à rien et qu’elle en avait marre de cette vie. Après, quand elle se retrouvait seule devant la télé, souvent elle pleurait. Elle restait comme ça un long moment. J’entendais ses sanglots par la porte, puis après, avant d’aller se coucher, elle nettoyait partout, elle passait l’aspirateur dans le salon, le balai dans la cuisine, et je l’entendais refaire la vaisselle qu’était déjà propre comme si elle voulait tout nettoyer dans sa vie pour que ça brille comme un sou neuf. Presque tous les soirs c’était pareil. Ils sortaient jamais et jamais personne venait chez nous, sauf une fois par an pour mon anniversaire. 

 

Chaque année, mes parents invitaient toutes leurs connaissances ; mes grands-parents, mes oncles et mes tantes, et même une année y avait les voisins d’en face, ceux qui habitaient le même palier. C’était pour eux une occasion à ne pas manquer, une façon de garder des liens forts et de prouver qu’ils étaient une famille unie, et pour moi de recevoir des cadeaux qui me changeaient un peu des accessoires éducatifs (livres et martinet) dont mes parents me comblaient le reste de l’année. On les recevait toujours un samedi. Chacun trouvait que c’était le jour idéal parce que ça ne perturbait pas leur emploi du temps de la semaine, tous s’accordaient à dire qu’en général le samedi était réservé aux grands évènements ; les anniversaires, les mariages, les grands nettoyages, les sorties parce que tous ils disaient que c’était un jour où ils ne savaient pas quoi faire et qu’ils préféraient sortir même pour des corvées que de rester chez eux à s’emmerder. En général, ils arrivaient tous vers midi. Toute la matinée, ma mère devait rester à la cuisine pour préparer le repas. En même temps, elle devait mettre la table, nettoyer et laver partout, passer la poussière sur tous les meubles parce qu’elle voulait pas qu’on dise que chez elle c’était sale. Elle sortait son « argenterie » et le service de 12 pièces en porcelaine de Limoges que la famille lui avait offert pour son mariage. En le lui offrant, ils avaient dit : « comme ça tu pourras le sortir une fois par an, quand tu nous inviteras ». A l’époque, ils la connaissaient pas encore, mais ils s’étaient pas gourés. Mon père lui il avait pas le temps de l’aider parce qu’après son  PMU et son loto, il devait démonter mon parc pour le ranger à la cave. Mes parents, ils voulaient pas montrer à ma famille leurs méthodes d’éducation, ils voulaient juste montrer le résultat. A chaque fois, j’avais droit à la même histoire, mes parents me disaient avant que tout le monde n’arrive, que je devais faire attention à bien me comporter, que je devais leur faire honneur et montrer à ma famile que mes parents avaient un petit garçon intelligent. Pendant tout l’après-midi, mes parents me posaient des questions et je devais répondre sans hésiter pour épater la galerie. Tout le monde faisait semblant d’être en admiration et ils me complimentaient avec de grands « c’est bien, c’est bien, mon petit », mais ils n’en pensaient pas moins. Et ça mes parents, ils devaient pas vraiment s’en rendre compte, parce que ma mère, qui ne pouvait s’empêcher de rougir de fierté, elle disait toujours en prenant un air modeste : « oh ! ce n’est rien vous savez, il en sait tellement plus, et il apprend avec tant de facilité, comme ça tout seul sans qu’on lui demande rien », et après elle continuait à m’interroger, comme ça l’air de rien.

 

En général, ils arrivaient tous avec un bouquet de fleurs pour ma mère et surtout pour pas arriver les mains vides. Moi selon les années, j’avais droit à une petite voiture, un appareil à bulles, ou à un paquet de 10 ballons - des ballons à gonfler -, et même un jour - je devais avoir 5 ou 6 ans – une de mes tantes, elle m’a donné 30 frs. Et puis elle a ajouté : « je savais pas quoi t’offrir, alors j’ai pensé que comme ça tu pourrais choisir toi-même » et puis elle s’est penchée vers mon oreille et elle m’a dit tout bas : «  30 frs. tu sais c’est beaucoup pour ton âge, en tout cas c’est beaucoup plus que ce que tes parents donnent pour l’anniversaire de Romain qui est déjà grand (Romain, c’est mon cousin et à l’époque, il devait avoir 20 ans) ». C’est comme ça que j’ai appris que les cadeaux quand on les faisait, fallait que ça vienne du cœur. Après on passait à table. Ma mère, elle avait mis les petits plats dans les grands, alors ça durait vachement longtemps à cause des petits chichis que d’habitude jamais on faisait. Ce jour-là, y avait au moins 3 fourchettes, 3 couteaux, des trucs pour les poser quand on avait fini, 4 verres différents, et je parle même pas de la carafe en cristal et du plateau à fromages. Ce qui était le plus marrant, c’est que tout le monde faisait comme s’ils avaient l’habitude de se servir de tous ces trucs, mais moi je voyais bien qu’ils savaient pas, ils se trompaient tout le temps et ils regardaient les autres pour voir s’ils s’en étaient aperçus. Quand mes parents ne me faisaient pas réciter les trucs que j’avais appris pour épater la galerie, ils parlaient des histoires de la famille ou alors des dernières vacances. Mon père sortait les photos (mon père adore la photo), et il faisait passer les albums. Les autres, ils tournaient les pages très vite sans regarder en disant « ah oui, c’était chouette comme coin, et vous avez eu beau temps ? ». Quand ils avaient épuisé le sujet, ils parlaient des prochaines vacances, qu’ils savaient pas très bien, mais qu’ils voulaient un peu changer d’endroit, on leur avait parlé d’un camping à 5 km de celui où ils étaient l’année dernière. Quand on passait au café, en général il était déjà tard. Et tout le monde s’était suffisamment emmerdé comme ça, personne n’avait plus rien à dire, alors ils disaient qu’il était déjà tard et qu’ils voulaient éviter les embouteillages pour rentrer, et qu’ils avaient tous passé une très bonne journée et que vraiment mes parents c’était des gens qui savaient recevoir. Alors tout le monde se disait au revoir, et de faire bien attention pour rentrer (un malheur est si vite arrivé). Après quand tout le monde était parti, ma mère rangeait tout et mon père allait à la cave et il remontait mon parc. Ça prenait toute la soirée, et le lendemain notre vie reprenait son cours.

 

 

Chapitre 2

Afin de m’habituer à la lumière du jour, que je n’avais pour l’instant qu’aperçue par la fenêtre, quelques jours avant ma rentrée au CP, ma mère a décidé de me sortir. Jusque-là je ne connaissais le monde qu’à travers les livres dont elle m’abrutissait à longueur de journée. A quelques jours de la rentrée des classes, je savais déjà lire, écrire et compter. J’avais aussi quelques connaissances de chimie, de géopolitique et de philosophie (comment avait-elle pu me faire ingurgiter ce genre de choses, elle qui n’était même pas foutue de comprendre la différence entre le CO2, Kant et le Lichtenstein ?). La dernière étape préscolaire de son enseignement consistait à me montrer la réalité pour que je puisse la confronter à mes connaissances très théoriques et somme toute très embrouillées. Elle me sortit donc pour la première fois en cette fin d’été. Elle me mit une cagoule, prétextant qu’au dehors, l’air que je ne connaissais pas encore, serait froid et plein de microbes. Il fallait donc que je me protège. Mais moi, je savais bien - et ça je ne l’avais pas appris dans les livres - qu’elle voulait surtout se protéger de ma laideur. Je la suivais donc en laisse à côté de notre chien Toby.

 

Quel choc ! Que le monde me parut vaste à cette époque, infiniment agité et effrayant. Cette première rencontre avec la réalité me fit si peur que depuis je n’ai jamais cessé de la fuir. Caché derrière ma cagoule, j’apercevais les gens, partout la même face terne et morose, le pas rapide, les yeux indifférents, courant dans tous les sens après des trucs qui semblaient leur échapper, puisque jamais ils ne s’arrêtaient, après j’ai appris que ça s’appelaient des occupations. Dès la première seconde, je me sentis agressé par cette foule anonyme, submergé par ce trop-plein d’humains. Derrière chaque visage, je voyais leur rire, je sentais malgré leur apparente indifférence leurs yeux me fixer, dévisager ma laideur cachée. J’avais l’impression que tous me dévisageaient cruellement, que tous s’étaient ligués avec ma mère pour se moquer de moi. D’un coup, je me sentis orphelin, totalement seul, abandonné de tous, le seul être humain parmi des extra-terrestres, livré en pâture aux moqueries et aux railleries muettes de la foule. Je me sentais au centre du spectacle malgré moi. Depuis j’ai peur des hommes et la seule présence de quelques personnes, le moindre groupe me fait si peur que je fais tout pour les éviter. Combien de kilomètres n’ai-je pas déjà faits pour contourner la moindre trace de vie humaine aperçue au bout de la rue ?

 

Lorsque la rentrée des classes arriva, ma mère m’accompagna à l’école. A peine franchi le portail, j’échappai à sa vigilance (pour cette deuxième sortie, elle n’avait pas pris la laisse), et je m’enfuis en courant. Je courai sur la rue, au milieu des voitures et des klaxons, poursuivi par ma mère et deux dames de service de l’école, qui alertées par mes cris stridents vinrent à sa rescousse. Quelques rues plus loin je fus rattrapé. Je reçus une mémorable raclée dont les marques sont encore gravées dans ma tête. Ma mère me décocha une gifle effroyable sur l’oreille. J’entends encore le sifflement de la main fendant l’air avant l’impact. Puis, plus rien, je suis tombé dans les pommes. Aujourd’hui, il me reste juste le souvenir et ce bourdonnement dans l’oreille qui ne m’a plus jamais quitté ; tympan éclaté. Non contente de m’avoir prouvé son amour maternel un peu excessif, elle m’enferma la journée entière dans le cellier, entre la commode à chaussures et la caisse du chat, m’obligeant à rester à genoux sur le carrelage froid et malodorant. « Pour m’en souvenir » avait-elle dit. C’était une punition qu’elle avait certainement lu dans le nouveau manuel pédagogique, qu’elle avait tout exprès acheté pour la rentrée scolaire et mes premiers pas dans le monde : « triques, martinet et ceinturon dans l’apprentissage de la vie en société ou comment inculquer à votre enfant les bonnes manières ». Bref, une façon pour elle d’expérimenter ses théories toutes personnelles sur son cobaye de fils. C’est bien des années plus tard que je compris pourquoi elle m’appelait toujours son petit rat. Ce premier jour d’école fut donc une véritable catastrophe qui inaugura une longue suite de déboires et de mésaventures scolaires, où j’appris très vite à devenir un cancre modèle.

 

A part  l’école, où je m’emmerdais ferme, je restais chez moi, où je m’emmerdais tout autant. On habitait près de Paris, la capitale des con centrés sur eux-mêmes. Nous, on était peut-être cons aussi, mais on habitait pas Paris. Juste en banlieue, mais c’était quand même la ville. Et moi, j’ai jamais aimé la ville. Le mercredi, y avait pas d’école, alors je regardais la télé. J’avais pas le droit d’aller jouer avec les autres sur le béton des trottoirs, ni sur la fausse herbe du stade qu’il y avait près de chez moi. Alors je restais devant la télé pour regarder Ben. C’était un super téléfilm qui racontait les aventures d’un môme qu’était le fils d’un directeur de réserve au Canada. Et son plus grand pote, c’était Ben, un ours qui ne le quittait jamais. Alors moi, tous les mercredis, pour rien au monde j’aurais loupé un épisode. Après dans l’appartement, je jouais à comme dans Ben. Je montais sur l’armoire, après je sautais sur la table du salon, et delà je me pendais au lustre pour atterrir sur le canapé. Moi aussi, j’avais mes aventures. Et toujours j’emmenais Ben avec moi, - c’était le nom de mon nounours. J’avais 10 ans et je rêvais de grands espaces. Sur le balcon, juste en face j’apercevais de grandes montagnes, les hautes tours de ma cité HLM. Dehors, c’était la jungle, avec des tribus drôlement dangereuses ; des grands noirs avec des grands bâtons au bout arrondi et des trucs à l’envers sur la tête, qui n’arrêtaient pas de pousser des cris de ralliement : « yoo , yoo, yoo ». Moi, j’imaginais que c’étaient des terribles guerriers cannibales, et qu’ils voulaient m’attraper pour me faire cuire dans leur grande marmite avant de me manger. Mais j’avais pas peur, j’avais Ben pour me défendre. Et puis j’étais sur le balcon, au 14ème étage, caché derrière les bégonias de ma mère, avec ma tenue de camouflage que j’avais découpée dans les rideaux. J’étais courageux mais pas téméraire, alors je descendais seulement quand toute la tribu était partie. Moi aussi, comme dans Ben, je voulais vivre des aventures pour sauver des animaux. Alors quand je descendais, je construisais de petites barricades pour protéger les fourmis contre les oiseaux et les gosses qui les écrasaient. Moi aussi, avec Ben, mon nounours, on était des héros.

 

Jusqu’à mon entrée en 6ème, toute ma scolarité se déroula tant bien que mal, et pour la plupart des matières, c’était plutôt bien mal. Fort de l’instruction quelque peu confuse que m’avait fait avaler ma mère, je m’ennuyais au fond de la classe, écoutant distraitement les bribes d’un enseignement un peu plus orthodoxe mais non moins ennuyeux. Je complétais ainsi mes connaissances. Plus exactement je tentais de remettre à l’endroit ce qui pouvait encore l’être. Les journées et les années passèrent ainsi, toutes profondément ennuyeuses. Dans la classe, on m’avait attribué la place du fond, près de la fenêtre et du symbolique radiateur, isolé du reste de la classe par 3 rangées de tables. Pour que je puisse dormir en paix sans déranger les autres élèves. La plupart du temps je sombrais dans un état quasi comateux, en maths, en bio et en physique, puis passais à une somnolence agitée pour les cours de géo et de français, pour m’éveiller tout à fait au moment de sortir pour la récréation, annoncée par une sonnerie stridente qui en général me sortait d’un rêve. A l’école, ce que j’ai le plus appris, c’est à rêver, une façon comme une autre d’apprendre la vie, mais comme ce n’est pas une matière notée, je pense pas que ça soit la voie la plus reconnue pour devenir grand. Mais je m’en foutais, notée ou pas notée, moi je trouvais que c’était une matière merveilleuse, où l’on ne s’ennuyait jamais. Comme d’autres peuvent être forts en thèmes, moi j’étais fort en rêves. Faut dire que si j’étais fort, c’est que je travaillais beaucoup, surtout pendant les autres matières. Des rêves merveilleux qui me transportaient très loin, moi le petit cancre à la vie immobile, coincé entre des parents invariablement autoritaires et la monotonie permanente des heures de classe. Les rêves, c’était la plus belle des matières, où j’apprenais tout en même temps, la géo, l’histoire, le français, les sciences. Moi, souvent, j’étais aventurier ou sultan en Asie ou en Afrique, j’aidais les hommes ou les animaux, je construisais des villes, des pays entiers, et plus rien pour moi n’avait de secrets. Tout était facile, si facile à apprendre alors je me disais « qu’ils aillent se faire foutre avec leurs livres et leurs cahiers », et je repartais dans mes rêves, la tête dans mes bras, bien calé près du radiateur.

 

Les autres, je sais pas s’ils rêvaient. En tout cas, ils le faisaient pas pendant les cours. C’était marrant de les voir assis bien droit, l’air sérieux, le crayon à la main et le cahier ouvert devant eux. Quand je ne rêvais pas, mon passe-temps scolaire favori, c’était de les regarder. Pour ça, y a pas meilleure place que tout au fond de la classe près du radiateur. La vue est imprenable. L’observation des autres, ça non plus c’était pas une matière notée, dommage j’aurais eu de drôlement bonnes notes, et peut-être même les encouragements ou les félicitations. J’ai jamais redoublé en primaire, allez donc savoir comment j’ai fait ? Moi, je pense qu’ils laissaient passer tout le monde, moi j’étais pas comme tout le monde, mais je suis passé quand même. Chaque année, dans la classe, y avait 2 ou 3 binocleux qui se ramassaient tout le temps les meilleures notes. Les autres, ils couraient comme des dératés derrière. Mais jamais ils ont pu les rattraper. Les maîtres, ils appelaient ça, l’émulation, ils disaient que c’était vachement important dans une classe parce qu’après dans la vie c’est pareil. Et même si t’es pas bon, tu dois quand même rester dans la course. Mais moi, je m’en foutais de ce qu’ils disaient les maîtres, j’aime pas courir comme ça parce que tout le monde court. Je savais même pas où on allait, j’allais quand même pas y aller en courant. Les autres, y se décourageaient pas, même ceux qu’avaient un point de côté. Ils essayaient de rattraper ceux de devant, y pouvaient toujours courir, je vous le dis moi.

 

Du CP au CM2, j’ai donc acquis l’essentiel de mes connaissances scolaires. Pourtant le seul souvenir qu’il me reste aujourd’hui c’est l’atmosphère tiède et ennuyeuse des salles de classes où je traînais ma lassitude d’année en année. Le soir en rentrant à la maison, je ne pouvais cependant pas échapper aux habituels questionnements maternels : « alors qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? ». « Ben à la cantine, on a mangé des sardines, et après y avait des frites ». J’échappais comme je pouvais aux insidieuses questions de ma mère. « Très bien » disait-elle, « mais en classe, qu’est-ce que tu as appris ? ». « Ben des trucs, quoi ! ». Mes réponses pour le moins évasives - mais pas le moins du monde ambigües pour l’esprit retors de ma mère -  me valaient chaque soir une longue série de corvées scolaires. « Très bien » disait-elle, « voyons maintenant ce que tu en as retenu ?! ». Et chaque soir, de longues heures durant,  j’enchaînais les dictées, le calcul, la grammaire, tous les trucs auxquels j’avais échappé la journée. Tous les soirs, entre 17h et 20h, je me farcissais les leçons de ma mère, qui - sans doute - par excès de zèle, suivait à la lettre le programme de l’année en cours dans les manuels qu’elle avait achetés tout exprès, et dont elle s’amusait, semble-t-il avec un malin plaisir, à tapisser les murs de ma chambre. Un décor bien morose pour un gamin de mon espèce, qui chaque nuit en s’endormant, faisait de terribles cauchemars, effrayé par ces monstres qui m’entouraient. Combien de nuits terrifiantes ai-je passées, prostré sous mes couvertures, à crier de toutes mes forces pour qu’ils arrêtent de me torturer. Je me rappelle encore du plus atroce de mes cauchemars d’enfant : c’était à l’école, en classe avec tous les autres, mais en plus y avait ma mère avec tous ses manuels. Ils étaient là, tous ensemble assis en rang d’oignons derrière le bureau du maître, et moi j’étais le seul élève, recroquevillé au fond de la classe. Chacun à leur tour, ils m’interrogeaient : « la capitale du gaz carbonique ? », « le théorème de la Chine ancienne ? », « où prend sa source le complément d’objet direct ? ». J’étais terrifié. Et évidemment aucun son ne sortait de ma bouche. Alors les manuels de ma mère s’approchaient de moi et me lançaient devant tous les autres qui applaudissaient : « cancre, vilain cancre ! » et là ils ajoutaient : « tu n’as pas appris tes leçons, tu connais la sentence, tu es condamné à la pire condamnation : tu seras ignorant. En disant ça, ils s’approchaient tout près de moi, et pour mettre à exécution leur ignoble torture, ils ouvraient la bouche, et au moment où ils allaient mordre dans ma cervelle pour la faire disparaître, je me réveillais en sursaut.

 

Ces années ont vraiment été atroces et effrayamment ennuyeuses. Et pendant très longtemps, elles m’ont poursuivi. Je ne les ai d’ailleurs jamais réellement semées, parfois je me demande même si à certains moments, c’est pas moi qui les suivais. En tout cas quand je suis arrivé au collège, c’est un peu cette impression que j’avais. C’était quand même à cause de ma mère que j’étais entré au collège, et à l’époque, j’étais encore complètement imbibé de ses principes et méthodes de travail, une sorte d’accoutumance malsaine à la rigueur et au travail bien fait que je m’efforçais malgré moi et bien involontairement de prolonger. Et je devins très vite un élève laborieux, consciencieux, trop sérieux et soucieux de bien faire ou de plaire à ses professeurs. Et malgré ces qualités (en tout cas reconnues comme telles par le monde scolaire et parental), je n’ai jamais cessé d’être un cancre modèle, besogneux, plein de bonne volonté pour apprendre, mais irrémédiablement mauvais.

 

 

Chapitre 3

Toute ma vie a été égrainée d’échecs cuisants et d’affronts sans pitié et mes années de collégien n’ont pas échappé à la règle. Les profs, loin de m’encourager, s’acharnaient sur ma pauvre personne. J’étais montré du doigt, cité en exemple à ne pas suivre. Beaucoup prenaient un malin plaisir à déverser sur moi toute leur rancœur, toute leur petite médiocrité et leur propre incapacité à quitter eux-mêmes l’école. Mais je n’étais pas le seul, tous y avaient droit, même si moi j’étais encore moins épargné par la générosité du corps professoral. Du haut de leur estrade et de leur petit Bac +3, ils nous assénaient de terribles sermons sur le pouvoir de la connaissance, en se grandissant avec fierté devant notre ignorance. L’un d’entre eux a suivi toute ma scolarité au collège, c’était une prof de français et de latin-grec. 1,45m, la coupe Jeanne d’Arc encadrant une face sévère, austère à faire peur, posée sur un corps sans forme ni âge, et fagotée comme une collégienne qui rêve d’entrer au couvent. On l’appelait la nonne d’ailleurs. Vieille fille avant l’heure, aigrie par la vie, rendue acariâtre par toutes ses années passées dans les livres et les manuels, une occupation dans laquelle elle avait dû se lancer très jeune par manque d’amour et qui l’avait certainement détournée de plaisirs moins intellectuels. Dans sa vie de tous les jours, ça devait pas être rose, mais avec nous elle se déchaînait. Et quand l’un de nous bégayait un murmure inaudible à une de ses questions vicieuses, elle exultait, savourant sa vengeance avec une délectation à peine voilée. Devant notre silence apeuré, elle bavait, on voyait couler le long de sa petite bouche tordue un mince filet de salive, qu’elle ravalait aussitôt comme si elle ne voulait pas perdre une seule goutte de sa piètre victoire. Ce qu’elle a pu nous faire souffrir, cette putain de pucelle ! Moi, elle m’avait bien sûr pris en grippe, et à chaque cours, j’avais droit à une petite interrogation orale. Et évidemment que cela soit en français ou en latin, mon mutisme me valait à chaque fois 2 heures de colle. Elle prenait mon carnet de correspondance, et inscrivait un petit mot cinglant à l’attention de mes parents. Une année même, j’avais eu tellement d’heures de colle que j’avais eu droit à 3 carnets. Elle était aigrie, mais en tout cas pas avare lorsqu’il s’agissait de déverser sa rancune. 

 

Arrivé au collège, ma mère ne pouvait plus m’aider à faire mes devoirs, ni à apprendre mes leçons (ses possibilités avaient déjà eu quelques difficultés à me suivre jusqu’à la fin du primaire). Elle avait donc, bien malheureuse, dû interrompre ses tortures éducatives, mais les profs du collège avaient pris sa succession avec une telle générosité et un tel engouement, que pour moi ça ne changeait pas grand-chose. Le seul moment où je pouvais souffler un peu, c’était pendant les vacances, où en général, mes parents m’envoyaient en colonie. Ils m’y envoyaient pour m’habituer à la vie en société, pour que j’apprenne à m’intégrer à la collectivité. Eux, ils disaient ça, mais une année, juste avant de partir, j’avais vu dans un tiroir de la commode 2 billets de train aller-retour pour Berk plage, dont les dates de départ et de retour correspondaient étrangement à mon séjour. Apparemment, ceux qui les utiliseraient devaient partir un jour après moi et revenir un jour avant que moi-même je ne revienne. Les colonies de vacances n’avaient apparemment pas été uniquement crées que pour les enfants, en tout cas les parents qui y envoyaient leurs mômes, devaient très bien le savoir.

 

Moi, chaque année, j’avais droit à une destination nouvelle. Sur le catalogue du comité d’entreprise, mes parents choisissaient le séjour le moins cher, le reste c’était le patron de mon père qui payait, enfin les impôts des gens quoi, puisque mon père était fonctionnaire. Je changeais d’endroit chaque année, mais c’était toujours les mêmes têtes que je retrouvais, les mêmes gosses de pauvres ou de parents négligents du comité d’entreprise qui envoyaient leurs gamins avec ceux d’autres organismes. On se retrouvait toujours avec les sales mômes de la DDASS qui passaient leur temps à chercher la bagarre ou à nous cracher à la gueule, et qui nous faisaient subir les pires misères, nous qui étions pour eux des gosses de riches, comme quoi dans la vie, tout est relatif. En général, on partait en car, et les mômes qui passaient par le CE, leurs parents les accompagnaient, alors déjà on partait avec un handicap, parce que les mômes de la DDASS, ils venaient tous seuls, vu qu’ils avaient pas de parents, ou qu’ils étaient en prison. Alors dès le début, ils se foutaient de notre gueule. Eux ils pouvaient jouer aux grands, et quand on arrivait en tenant la main de nos parents, ils disaient qu’on était des sales mômes pourris gâtés et des fils à papa, ce qui était en partie vrai d’ailleurs. Dès le départ, y avait déjà trop de différence entre nous, alors pendant le séjour ça pouvait pas s’arranger, et souvent ça devenait la guerre, y avait le camp des caïds de la DDASS et la tribu des gâtés pourris. Evidemment moi, j’appartenais à aucun des 2 camps. La plupart du temps je me contentais de regarder, parfois j’étais plutôt pour un groupe, et d’autres fois pour l’autre, mais le plus souvent je préférais jouer tout seul. On m’embêtait pas trop vu qu’un jour j’avais mis une raclée à un grand de la DDASS qui m’emmerdait, en fait j’avais pas fait exprès de lui mettre un coup de boule, j’avais si peur que je tremblais vraiment beaucoup, et à un moment j’ai perdu l’équilibre et je suis tombé en avant, et en tombant, ma tête lui a heurté le nez. Ça s’est passé dans ma 2ème colo, et comme on voyait toujours les mêmes d’une année sur l’autre, j’avais acquis comme qui dirait une réputation, et on me cherchait plus trop de noises. C’est dingue, il suffit vraiment de pas grand-chose pour changer une existence, c’est comme ça que j’ai compris qu’on pouvait se bâtir une réputation sur un simple malentendu, après aussi ce genre de quiproquos ça m’est arrivé, mais la réputation, elle a pas été tiré dans le bon sens. 

 

 

Donc, moi en colo, j’étais plutôt peinard. Je pouvais enfin glander comme je voulais, et pour ça je me gênais pas, je passais mon temps à rêvasser, j’avais ni mes parents, ni les profs sur le dos, et j’évitais de frayer de trop près avec les gros bras des 2 gangs. C’est aussi en colo que j’ai découvert les filles et mes premiers émois amoureux, mais je dirais surtout mes premières gamelles en la matière. Ma vie amoureuse commençait, et elle a évidemment très mal commencé, une sorte d’initiation à tout ce que j’allais connaître par la suite, sans compter les séquelles. Je ne me rappelle plus comment elle s’appelait, un prénom bizarre, ça devait être breton, ou basque, je ne sais plus, à moins que ça ne soit espagnol, en tout cas un prénom qui venait de par là. La nuit, tous les garçons allaient dans le dortoir des filles, histoire de profiter des vacances. Et là, il était plus question de bagarre ou de gang, quand il s’agissait de faire des concours de branlette dans le lit des filles. C’était à celui qui changerait le plus de lits dans la même nuit. Moi évidemment je participais pas. Pour la branlette, j’attendais la douche, où nous nous refilions les magazines que les plus courageux d’entre nous osaient acheter à la librairie du village, située en général à une dizaine de kilomètres du centre de vacances. Pour rentabiliser leur courage et renouveler le stock, ils les louaient à la minute, 1fr si je me rappelle bien. Certains, ils avaient pas beaucoup d’argent de poche, et ils pouvaient pas payer plus de 10cts, alors ils étaient obligés de faire vachement vite. En tout cas, si on payait, on avait droit pendant les douches de se laver la quéquette à toute allure devant les photos (c’était un endroit où on pouvait pas se faire piquer par les monos). En général, les pages étaient complètement trempées, et on avait du mal à les tourner tant elles étaient collées, c’est pas croyable comme l’eau de douche devait être poisseuse et collante. Donc moi à part ces petits exercices matinaux, le soir pour le dortoir des filles, c’était quéquette. Alors j’allais dehors pour voir d’autres étoiles, j’avais une grosse lune pour moi tout seul. C’est là que pour la première fois, on s’est parlé avec la bretonne espagnole, elle non plus elle participait pas aux soirées touche pipi, elle devait pas aimer dormir dans des draps mouillés. Vu qu’on était les seuls à bouder ces parties de jambes presque en l’air (ou plutôt à se faire bouder) et qu’on était obligés de sortir pour ne pas déranger les apprentis partouzeurs, quand on se retrouvait dehors, on était bien obligés de rester ensemble. Et au bout de notre 5ème colo ensemble, je me suis approché d’elle pour lui parler : « tiens, toi non plus t’es pas avec les autres ? », « tu me prends pour qui ? » elle me répondit aussitôt. Ça j’aurais pas osé lui dire, mais elle devait pas en penser moins à mon égard puisqu’elle m’a dit : « et toi non plus t’es pas avec eux ? ». Voilà comment est née ma première histoire d’amour. 3 colonies de vacances plus tard, alors qu’on se trouvait encore parqués dehors à attendre la fin de l’orgie (avec les années, les petites virées nocturnes avaient pris un tour un peu plus sérieux, évidemment avec l’âge, on voulait toujours aller plus loin, en un mot, ce qu’on voulait c’était approfondir les choses, pour ne pas dire la chose, la seule qui hante la tête des adolescents, et je me suis rendu compte plus tard, que pour ça et quoi qu’on puisse en dire, les gens sont tous très longtemps de grands adolescents), donc puisque l’on se retrouvait seuls à nouveau, je m’étais dit que ça serait bête de pas en profiter, et je le lui ai dit. Et comme elle devait penser la même chose, puisqu’on était aussi moche l’un que l’autre, que personne ne voulait de nous, et qu’il n’y avait pas d’autres issues, et puis que nous aussi on voulait être comme les autres parce que nous aussi on avait droit à un semblant d’affection, de tendresse et d’amour, et que moi aussi comme tous les garçons, je voulais dire que j’étais plus puceau, on a bien été obligé de se rendre à l’évidence, et de trouver l’autre pas si moche que ça, aussi difficile que cela puisse être. Alors on s’est embrassé. Là, ma première histoire d’amour commençait à devenir sérieuse, mais pour cette année, on en est resté là. Ce n’est que 2 colonies plus tard que notre histoire a connu son apogée, juste avant qu’elle ne finisse et que tout se casse la gueule, un tête-à-queue qu’a mal fini. Ça faisait presque 8 ans qu’on se connaissait, on s’était déjà embrassé une fois, on pouvait vraiment pas en rester là, en tout cas c’est ce que je m’étais dit. Alors quand je lui ai demandé de me faire une petite gâterie, au départ elle est devenue toute rouge, comme si elle avait avalé un truc de travers, mais elle avait encore rien dans la bouche. Au bout de 2 heures, elle était pas encore partie, j’avais donc toutes mes chances, elle était passée par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, moi je pensais que c’était bon signe, comme la preuve qu’elle voulait camoufler son excitation avec une certaine poésie, elle voulait, mais elle n’osait pas, je me suis dit, alors moi ça m’a encouragé, surtout à sortir mon petit sucre d’orge qui commençait vraiment à s’impatienter tout seul dans sa boîte sans même une bouche avide, accueillante et voracement baveuse. Quand je lui ai donné avec délicatesse, en dirigeant sa tête vers la sucrerie que je pensais si convoitée et en la lui maintenant de toutes mes forces en lui disant : « allez t’en meurs d’envie, t’en prives pas, c’est de bon cœur que je te la donne », elle a ouvert la bouche, et l’a avalée sans frémir. Mais la petite salope était gourmande, ça ne lui suffisait pas de sucer, et, j’ai compris - mais bien trop tard - lorsqu’elle a sorti les dents qu’elle voulait aussi croquer. Notre histoire et mon dernier séjour en colonie se sont donc terminés à l’hôpital. Heureusement pour moi, elle avait gardé son appareil dentaire qu’elle mettait la nuit avec un élastique, et ça avait bloqué sa mâchoire lors de sa démonstration d’amour vorace. Je m’en suis tiré avec quelques frayeurs et une trentaine de points de suture dont je garde encore la cicatrice aujourd’hui.

 

Donc très vite, et surtout après ma première histoire d’amour avec la bretonne du pays basque, j’ai compris qu’avec les filles, l’affaire ne serait pas dans le sac. D’ailleurs aujourd’hui, à part quelques accessoires libidinaux ; une collection presque complète de Penthouse et une poupée gonflable décatie, le sac est encore vide. Bref, toute ma vie je n’ai jamais été un foutre de guerre. Faut dire que mon air sérieux, agrémenté de quelques boutons et d’une ignoble paire de binocles, n’a pas toujours été facile à porter. Alors pour compenser, vers l’âge de 16 ans, j’ai tout misé sur l’humour. Mon physique était ingrat, ça je le savais, mais je pensais que le rire me sauverait. Mais j’avais beau apprendre par cœur des livres entiers d’histoires drôles, des manuels de répliques cinglantes et follement amusantes, jamais au cours des rares rencontres que j’avais faites jusque-là, je ne suis arrivé à en placer une. Je devais être trop absorbé par l’effort que je devais déployer pour faire semblant d’écouter les propos au demeurant fort intéressants de mes potentielles fiancées – qui le sont d’ailleurs restées, potentielles. Comment pouvait-on d’ailleurs en placer une entre les frasques torrides de Vanessa Paradis et les malheurs sentimentaux de Sophie Marceau ? « Non, je n’étais pas au courant », semblaient-elles me lancer, en me fusillant du regard. « Mais bon dieu, je ne m’intéressais vraiment à rien » me disaient-elles. Et elles me lâchaient quelques secondes plus tard, m’invitant à suivre avec un peu plus d’attention l’actualité essentielle du moment, en me laissant espérer que le jour où je pourrais parler en connaissance de cause de ces sujets palpitants de la plus haute importance, j’aurais éventuellement la possibilité de m’entretenir avec elles, et donc de les revoir. En partant, presque toutes d’ailleurs me conseillaient, l’œil complice et pour moi inespéré, la lecture d’hebdomadaires en pointe sur le sujet. Alors plein d’impatience et de désir, je me mis en quête des dits-magazines, espérant ainsi augmenter considérablement mes chances de rencontrer l’amour, autrement que dans d’autres sortes de magazines, dont à défaut d’être un lecteur assidu, j’étais un consommateur juteux.

 

Quand je suis arrivé au lycée (preuve indéniable que cela est possible, même pour le dernier des abrutis), j’avais donc ni copine et j’étais toujours sans copain. Après ma brillante scolarité de cancre au collège, mes parents ont décidé de prendre les choses en main, ou plus exactement de me livrer à celles d’une boîte à bac, pour le moins cinglantes et douloureuses, surtout quand elles vous tombaient sur le coin de la gueule. Je n’ai jamais vraiment su comment ils avaient pu me dénicher ce genre d’établissement, eux qui avaient pas un rond et pas vraiment de relations, à part un de mes oncles qui disait travailler dans un ministère, mais quand on reste aussi vague, lui qui aimait tellement se vanter, on peut quand même penser qu’il devait pas travailler dans le cabinet du ministre, mais plutôt dans celui où il allait se soulager la vessie. Quant à mon entrée dans cette usine à gros cons réservée aux petits cons qui voulaient devenir gros, tous bien sûr très bien nés et particulièrement prétentieux, j’ai toujours eu ma petite idée là-dessus, mais j’en ai jamais vraiment été sûr. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’était les visites incessantes de ma mère avec le directeur, pour régler quelques problèmes administratifs, elle disait. Elle y allait au moins une fois par semaine, entre midi et 14h, comme ça, elle disait, qu’ils n’étaient pas dérangés par le téléphone ou l’adjoint du principal qu’allait manger à la cantine, et que comme ça, ils pourraient régler mon dossier plus vite. Je savais bien que tout ce qui est administratif, c’est très long, mais là, ça a duré vachement longtemps, ça a pris les 4 années où j’y suis resté.

 

Moi, qui venais d’un petit collège miteux fréquenté par des enfants de banlieusards qui venaient les chercher en R12 (le plus souvent customisée avec béquet arrière, pot d’échappement genre sport et CB), quand j’ai débarqué là, je regrettais presque les petits branleurs casse-couilles de mon ancien bahut. Y avait que des gosses de riches, tous faits sur le même modèle, issus du même moule, nés avec une cuillère en or dans la bouche. Et dire que ma mère avait dû à une époque doubler ses visites chez le directeur pour que je puisse aller à la cantine. Quand pour la première fois j’y suis allé, ma mère m’a accompagné (elle qui avait déjà fait pas mal de démarches, toujours avec le même directeur). J’ai eu le sentiment de débarquer sur une autre planète, comme si j’avais passé mon existence dans une cage dégueulasse de la SPA, et que je débarquais comme ça brusquement sur un tapis persan entouré de caniches distingués, toilettés dernière mode en attendant que ma maîtresse finisse son thé avec ses nouvelles amies en se donnant des airs distingués, ce qui la rendait encore plus vulgaire. Ce premier jour, il ne va pas sans dire que je me sentais donc très à l’aise, sentiment qui dura d’ailleurs pendant ces 4 années, le temps qu’il fallut pour que l’on me donne le Bac.

 

L’absence absolue de points communs ou de centres d’intérêts avec mes nouveaux camarades n’a d’ailleurs pas été étrangère à l’exclusion que j’ai pu subir au sein de l’école, et que tous les élèves se sont empressés d’ailleurs d’exagérer comme pour mieux marquer la différence de milieu. Moi, à cet âge-là (comme à tous les autres d’ailleurs), comme je n’avais pas de petite amie, j’avais beaucoup de temps, et j’avais la chance de ne pas claquer mon argent de poche comme tous les autres qui, en attendant de leur offrir un truc beaucoup plus divertissant, leur offraient le cinéma. C’est pourquoi j’avais pu m’inscrire dans un club d’haltérophilie. Moi je pensais que ça pouvait créer des liens le sport, alors je le leur avais dit, aux élèves de ma classe. Tous sans exception m’ont toisé de très haut, en m’expliquant qu’ils s’en foutaient complètement de mes activités de prolo, que déjà ils étaient assez gentils de m’accepter mais que je ne devais pas les faire chier avec mes histoires et que de toute façon je n’appartiendrai jamais à leur race (chose aujourd’hui qui me rassure), mais qu’à l’époque j’avais eu du mal à avaler. Pour mettre toutes les chances de mon côté, et espérer éventuellement m’intégrer, j’avais décidé de trouver des sujets de conversation qui pourraient nous rapprocher, enfin qui pourraient me rapprocher d’eux. Vu qu’il n’y avait que moi qui voulais faire un effort, c’était à moi de faire le 1er pas, et puis tous les autres aussi, jusqu’au dernier. Dès lors je me suis intéressé à ce qu’ils faisaient. J’allais à la bibliothèque, où je lisais tous les magazines de golf, de polo et d’équitation qui me tombaient sous la main. Evidemment je n’ai jamais pu en faire pour de vrai, mais j’apprenais les règles du jeu et de vie de cette nouvelle société. Les résultats furent maigres, et j’avais beau engager des conversations sur Deauville en racontant ce que  j’avais lu sur les célèbres « planches » ou les menus gastronomiques des « Vapeurs », ça n’a jamais pu faire illusion. Mon acharnement a à peine duré une semaine, après j’ai abandonné et jamais plus on ne s’est parlé. Ça n’avait pas marché avec les petits cons pédants fils-à-papa, il me restait à essayer avec l’autre partie du lycée, les intellos, vous savez, ces types avec une grosse tête sur un tout petit corps ridicule. Là, mon acharnement a duré encore moins longtemps, le temps de m’approcher d’un des groupes et de rester figé comme ça bêtement à quelques mètres d’eux sans pouvoir bouger, complètement stupide à écouter leur discussion où je ne comprenais pas un mot sur deux. Avec eux, ça été encore pire, j’ai jamais pu leur parler. De quoi aurais-je bien pu discuter avec eux ? Ni Schopenhauer, ni la musique contemporaine ne m’intéressaient, et encore moins la chimie analytique. Mon dieu qu’était loin le temps où je pouvais réciter tout de go et simultanément quelques pages de la critique de la raison pure, la formule complexifiée du bicarbonate de soude et l’histoire de la Mésopotamie entre le règne de Ramsès II et l’arrivée au pouvoir de Napoléon.

 

Dans ce lycée où m’avaient enfermé mes parents – pour mon bien, disaient-ils, moi je n’ai rien vu d’autre qu’un bien gros tas de cons et d’emmerdements – perdu entre les petits cons pédants fils-à-papa et les intellos à grosse tête, moi je me demandais ce que je foutais là. Je me rappelle de deux d’entre eux tout particulièrement, parce qu’en les voyant, je trouvais qu’ils représentaient l’emblème de l’établissement, une sorte de symbole bicéphale hypertrophié. Ils étaient toujours fourrés ensemble. Y en a un, j’ai jamais vu un gars qui savait tant de choses pour son âge. 18 dans toutes les matières sauf en sport. Evidemment une grosse tête, ça aide pas pour courir. L’autre, c’était pas vraiment le genre intello, plutôt le genre dandy nonchalant et prétentieux de la race des petits cons pédants fils-à-papa. Je me rappelle encore comme ils marchaient toujours ensemble dans la cour du lycée. Tous les deux, ils avaient la grosse tête, mais pas vraiment pour les mêmes raisons : chez l’un, on sentait qu’il était fier de son intelligence, et l’autre on voyait tout de suite qu’il devait réfléchir avec autre chose qu’avec son cerveau. Et même si je soupçonnais l’un d’avoir autre chose de gros que la tête, à tort ou à raison d’ailleurs, c’était peut-être déjà pas mal pour bien s’entendre. Je sais pas ce qu’ils pouvaient bien se raconter, mais ils avaient l’air de bien se marrer, quand je dis se marrer, je veux dire qu’on pouvait parfois entrevoir l’esquisse d’un sourire, bêtement intelligent chez l’un  et condescendantement distingué chez l’autre. Bref, après mes bien vaines tentatives d’intégration, moi, j’ai jamais pu les saquer ces deux mecs-là, eux pas plus que, d’ailleurs, la horde de grosses têtes… de cons qui les entouraient. Pendant 4 ans (et c’est drôlement long 4 ans), je suis donc resté dans mon coin à essayer d’avoir le Bac. Ce fut chose faîte lorsque l’école négocia avec le rectorat ma réussite à l’examen. Pour sauver la réputation de son établissement (un taux de réussite de 100% au Bac), le directeur, soutenu par une lourde enveloppe de mes parents, avait l’habitude de négocier avec le rectorat le passage de ses ouailles. Mon cas personnel fut évidemment arrangé par le directeur, soutenu par la belle enveloppe… charnelle de ma mère. Vraiment, je pouvais pas dire qu’elle n’avait pas le sens du sacrifice et du devoir maternel, même si je suis sûr qu’elle l’a fait beaucoup plus pour sa réussite que pour la mienne, pour avoir le plaisir de dire que son fils était bachelier, même si elle ne racontait pas que c’était extrêmement lié à son amour des négociations, et qu’un plaisir pouvait en entraîner un autre.

 

 

Chapitre 4

Après mon Bac, j’avais alors une vingtaine d’années, je décidais d’utiliser ce que j’avais appris au lycée pour moi aussi me trouver une copine, et profitais de mon air sérieux pour me donner moi aussi le genre intello. J’avais déjà les lunettes et le physique repoussant, c’était déjà pas mal pour un début, mais pour achever ma panoplie, il me manquait encore quelques accessoires. Et malgré mes fréquentations lycéennes, je savais pas trop lesquels, alors pour le savoir, j’ai décidé d’aller me renseigner. C’est comme ça que je me suis inscrit à l’université. Je m’étais dit, là-bas, je vais en voir beaucoup plus qu’au lycée, de beaucoup plus près, et puis surtout des vrais, après il n’y aura plus qu’à les imiter. J’avais beau eu en côtoyer pendant 4 ans, j’étais toujours resté à distance. Mais le jour où j’ai décidé que moi aussi j’avais envie de voir ce que ça faisait d’avoir une grosse tête – là, je ne vous parle pas de ce qu’il y a dedans, je vous dis juste donner l’impression d’en avoir une grosse – eh bien à partir de ce jour-là, ma vision des grosses têtes subitement changea. Je sais pas pourquoi, mais ça ne dura pas très longtemps. A l’époque, je m’étais même dit que peut-être j’allais les retrouver à l’université, mes deux grosses têtes emblématiques, et que peut-être je m’en ferais des copains, et qu’ils pourraient m’aider à devenir un peu comme eux. J’avais vraiment hâte que les vacances se terminent, et j’attendais avec impatience la rentrée universitaire.

 

Quand, le premier jour, je suis arrivé, j’avais pas dormi de la nuit. Pétri d’angoisse et rongé d’excitation, je n’avais pas réussi à trouver le sommeil. Je n’avais pas osé m’endormir, apeuré comme je l’étais de faire resurgir de vieux démons : mes anciens cauchemars d’enfant. Là-bas, je ne savais pas du tout ce qui m’attendait, et j’avais peur une fois de plus d’être délaissé et de me retrouver seul. Mais ce qui m’effrayait le plus c’était le niveau requis pour suivre les cours, et il faut bien le dire, j’avais pas le niveau. Encore la peur de passer pour ignorant. En plus je n’avais pas pu demander autour de moi comment c’était la fac, mon entourage n’avait pas fréquenté ce genre d’établissement. Inutile selon eux pour bien gagner sa vie. Toujours pragmatiques et toujours pressés de me voir quitter le foyer familial pour me voir voler de mes propres ailes, cet intérêt subi pour les études n’arrangeait ni leurs affaires, ni leurs petites économies chichement gagnées à la sueur du stylo de mon père, gratte-papiers poussiéreux dans une administration non moins poussiéreuse, et qu’ils réservaient pour leurs vieux jours, pour aménager ce qu’ils appelaient leur résidence secondaire – une cage à lapin avec 250m² de terrain qu’ils avaient récemment achetée dans un lotissement neuf entre une usine de retraitement des eaux usées et une décharge à ordures. Je n’arrangeais certes pas leur petit projet tranquille, mais j’avais fait valoir quelques arguments béton contre lesquels ils se sont cassés les dents. D’abord, je n’avais pas choisi n’importe quoi, je m’étais inscrit en faculté d’économie, et je pouvais donc à l’issue de mon diplôme espérer gagner beaucoup d’argent, eh oui, comme ça je pourrais leur rendre leur monnaie de la pièce (en réalité plusieurs dizaines de milliers de francs) pour qu’ils puissent enfin aménager leur villa bourgeoise à leur goût, certainement dans le plus pur style kitch néo-beauf avec les nains de jardins en plastique et tout le batatouin. Ensuite, je trouverais un travail à mi-temps, un job d’étudiant. Je m’étais renseigné, il n’y avait que l’embarras du choix, faire Mickey dans un parc d’attraction à 2,5 francs de l’heure, cascadeur de mobylette dans une boîte qui livrait des pizzas à domicile, et même automate robotisé à la caisse d’une grande surface. Les possibilités de gagner de l’argent pendant ses études étaient si nombreuses. C’était si facile, ils n’avaient pas à s’inquiéter, en travaillant 8 heures par jour, 6 jours sur 7, on pouvait au moins escompter 1500 frs de salaire, sans compter la chance indéniable de se familiariser avec le monde du travail. Bref, au bout de quelques heures et à court d’arguments, moi-même qui n’étais pas très convaincu, je réussis à les convaincre. Mais comment ont-il pu croire un seul instant que j’allais me donner ce mal de chien pour des études dont je n’avais que faire, en courbant l’échine comme un esclave devant un patron autoritaire et acariâtre, farouche partisan de conditions de travail modernement négrières.

 

C’est donc avec une certaine angoisse que le premier jour je me suis dirigé vers la prestigieuse institution, ne sachant pas encore comment j’allais m’y prendre pour tenir mes engagements téméraires et pour le moins hasardeux. A la sortie de la station de métro, ne sachant pas trop vers quel couloir me diriger, je suivis la troupe compacte et hétéroclite de supposés étudiants, lunettes rondes et serviette sous le bras. Mon intuition fut bonne, et nous entrâmes en masse dans l’enceinte universitaire, gardée par 2 vigiles. Eh oui ! Ne rentre pas qui veut, on doit montrer patte blanche, « Eh vous, votre carte d’étudiant ? ». Une véritable forteresse qui protège le bâtiment universitaire, la haute tour de la connaissance dont l’accès, fortement réglementé, a dû en rebuter plus d’un. La connaissance, temple sacré, est un domaine bien gardé, et les laissez-passer sont distribués au compte-gouttes, les places sont rares, donc chères pensais-je. Mes laborieuses années passées dans ce cocon estudiantin m’en persuadèrent bien vite, et la réalité dépassait largement tout ce que je pouvais imaginer à l’époque. Je lui fourrai donc mon petit papier rose sous le nez. Cette première étape franchie, me restait à trouver la salle où avait lieu le premier cours. Je suivis tant bien que mal les pancartes indicatives, forçant de constater que ça commençait plutôt mal pour moi, j’étais déjà en retard, impossible de me diriger dans ce labyrinthe de couloirs. Au bout d’une demi-heure, enfin je me trouvai devant le numéro de la salle, mais ce que j’ignorais c’est qu’il y avait plusieurs portes pour une même salle, et ne trouvant pas à l’intérieur du bâtiment, j’avais décidé de passer par l’extérieur, où j’espérais trouver plus facilement. Donc, j’entrai en poussant la porte doucement, qui - la traître - se mit à grincer d’un bruit de tonnerre. 800 paires d’yeux me fixèrent. La salle que je croyais à dimension humaine, comme au lycée - qui n’a d’ailleurs d’humain que la taille de ses salles - était en réalité un immense amphithéâtre, une espèce d’énorme demi-cercle. J’étais entré par une porte de service destinée aux appariteurs, interdite aux étudiants, tout près de l’estrade professorale et face à la salle. Le prof interrompu en pleine démonstration arrêta ses péroraisons et me décocha du haut de sa docte chaire un regard glacial qui me brisa l’échine. Je restai paralysé, incapable de bouger, incapable de m’enfuir à toutes jambes, ou d’aller m’asseoir. D’ailleurs, d’où j’étais je ne voyais aucune place de libre. J’étais en retard, j’étais entré par un accès strictement réservé - et dans la situation présente pour le moins malvenue, je me faisais remarquer en interrompant le cours, et pour finir les 800 paires d’yeux se mirent à rire, à siffler et à applaudir dans un boucan de tous les diables. Terrorisé, je me mis à gravir les escaliers qui menaient au fond de l’amphi le plus calmement du monde en camouflant autant que je le pouvais mes tremblements convulsifs et trouvai refuge tout en haut. Et soucieux de ne pas faire se lever une trentaine d’étudiants qui barraient le passage pour accéder à la seule place qu’il restait dans la rangée, je m’assis par terre et sortis le plus nonchalamment du monde une feuille et un stylo. Et après cette entrée fracassante, la foule houleuse se calma et le cours reprit. Ma première rencontre avec l’université, mémorable et trébuchante, fut le seul souvenir digne d’intérêt. La suite ne fut guère réjouissante et mon passage dans le monde universitaire, hormis cette anecdote héroïque, absolument pas marquant ni d’ailleurs remarqué.

 

La plupart du temps, je restais dans mon coin, ne me mêlant jamais aux groupes qui d’ailleurs se faisaient et se défaisaient sans que je n’y comprenne rien. J’ignorais tout le monde, et tout le monde m’ignorait m’adaptant ainsi à l’esprit qui régnait dans cette jungle universitaire. Je m’asseyais toujours à la même place, tout au fond près de la porte de sortie, que je m’empressais de franchir les cours terminés. Je faisais comme la plupart des autres étudiants, j’assistais aux cours, enfin ceux où on ne s’emmerdait pas trop, puis je regagnais ma petite piaule sous les toits, coincée entre les chiottes collectives et la salle d’eau commune utilisée par tous les gros dégueulasses du palier. Un matin sur deux, j’allais bosser. J’avais déniché un petit job peinard dans un parc. Mon travail consistait à garder le square réservé aux gamins, interdit aux clébards mais pas aux sales mômes braillards qui traînaient leur mère ou quelque jeune fille au pair que je matais de ma petite guérite. Parfois, lorsque l’une d’elles me plaisait, je me montrais. L’uniforme - obligatoire pour les employés du parc - me donnait un certain prestige, et j’arborais avec une certaine fierté ma casquette et mes boutons dorés. Il atténuait quelque peu la fadeur laide de mon visage et me donnait assez d’assurance pour paraître ainsi en public. J’avançais vers elle en prenant mon air le plus blasé pour expliquer le règlement intérieur ou raconter quelques anecdotes sur l’histoire des lieux. J’espérais ainsi les impressionner par ma rigueur et ma culture, qualités que les femmes recherchent chez les hommes, c’est ce que m’avait affirmé l’une d’entre elles en quittant le square précipitamment avec les enfants qu’elle gardait après une explication peut-être un peu trop démonstrative de ma part, où je lui montrais avec un certain enthousiasme et une excitation à peine voilée - j’avais la main dans la braguette - les bienfaits des rencontres fortuites dans les parcs sur la profondeur des sentiments humains.

 

C’est comme ça, entre les petits boulots et les cours à la fac, que j’ai passé quelques temps. Et puis, un jour, je me suis aperçu que je venais de boucler ma 5ème année. Ça m’est arrivé lorsque je suis sorti du bureau des 3ème cycle, où je venais de m’inscrire en thèse. En passant devant le bureau des étudiants de 1ère année, j’ai pas pu m’empêcher de penser à tout ce qui les attendait, les pauvres, s’ils savaient, ils s’enfuiraient d’ici à grandes enjambées. Mais peut-être, eux ils savaient pourquoi ils étaient là, c’était peut-être bien pour avoir un beau diplôme, qui leur permettrait d’avoir un bon métier, et puis après un gros salaire pour acheter une belle maison, et une grosse voiture pour emmener leur grosse bonne femme et leurs beaux enfants en vacances dans un bel endroit. Après tout, ils pensaient peut-être à ça, et en descendant les escaliers, je me suis dit que regarder toujours tout droit dans la même direction, c’était peut-être plus facile pour savoir où on va. J’y pensais si fort que je me suis cassé la gueule. Quand je suis arrivé à l’hôpital, ils m’ont dit que j’avais les 2 jambes cassées. Mais moi, je me disais que ce n’était rien par rapport à ce que j’avais enduré pendant ces dernières années à la fac. L’ambiance faussement nonchalante et « je-m’en-foutiste » des étudiants qui se faisaient les pires crasses pour réussir (quand tu ratais un cours, tu pouvais toujours leur demander leurs notes, tu pouvais aller chier, sans parler des partiels où chacun cachait sa feuille comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, et là aussi pour obtenir un renseignement, tu pouvais revenir et quand tu n’avais pas révisé, t’avais même le droit de revenir l’année suivante). Sinon à part ça l’ambiance était bonne et la solidarité fonctionnait à plein entre la vente des annales des années précédentes à des prix exorbitants, l’organisation de soirées à thème à chier pour la modique somme de 1000 balles (en gros presque un mois de salaire pour un étudiant moyen) et la vente d’infâmes sandwichs au poulet et aux hormones à 35 balles proposés par tous les syndicats ou groupements estudiantins. Bref un petit univers étriqué et faussement libéral, où la mesquinerie, les clichés et les bons vieux préjugés n’avaient rien à envier aux autres milieux, un cercle restreint pour boutonneux pseudo-intellectuels binocleux qui maniaient les idées aussi creuses que pouvait être pleine leur belle serviette en cuir. Et les étudiants de 1ère année, ils n’ont pas dû échapper à ça. Eux aussi, on a dû leur mettre sur le dos telle ou telle couleur politique parce qu’ils étaient allés faire des photocopies dans tel ou tel groupe ou syndicat, ou tout simplement, s’ils y avaient acheté leur casse-dalle 2 jours de suite. Et puis après tout, c’était plus mon problème, j’avais déjà donné, et pour l’instant, avec mes 2 jambes dans le plâtre, j’étais bien emmerdé, surtout qu’on m’avait dit que maintenant que je préparais mon doctorat, je devais travailler dans un labo de recherche, et qu’il serait bien vu aussi que je donne des cours aux étudiants de 1ère année. Du coup j’ai loupé le rendez-vous qu’on m’avait donné pour l’après-midi même afin de régler mon entrée dans la haute sphère universitaire, ils avaient dit.

 

J’y suis allé 15 jours après. J’ai poussé la porte du laboratoire. Sur la porte, il y avait marqué : « interdit au grand public, recherche scientifique ». La directrice du labo m’a reçu dans son immense bureau, rempli de piles de rapports, de dossiers et de livres déchirés et poussiéreux qui montaient jusqu’au plafond et qui menaçaient de s’écrouler à tout moment, preuve supposée (mais par la suite l’hypothèse ne fut pas infirmée) que les bases de la recherche scientifique française étaient mal assurées et archaïques, pour ne pas dire branlantes et dépassées et que bien souvent elle se cachait derrière un amoncellement de concepts et de principes à moitié creux et complètement inutiles, sauf pour épater le béotien. « Alors cher ami, on fait son entrée parmi nous ?, vous verrez nous sommes bien ici ». Je n’ai pas même eu le temps de lui répondre, elle enchaîna : « bon, je n’ai pas trop de temps à vous accorder, voilà, je viens de recevoir un appel d’offre assez urgent du ministère, une étude sur la répercussion de la hausse des cours des fruits dans le Nord Pas de Calais sur la consommation de sirop anti-toux à la fraise vendu en emballage de 3 flacons dans les pharmacies de Lille ». Je ne pus qu’opiner du chef avant qu’elle ne continua : « comme je vous le disais, en ce moment, je suis débordée, la semaine prochaine, j’ai un colloque à Miami, un autre à Oslo, puis j’enchaîne par un séminaire à Rio et une conférence à Copacabana, je n’ai absolument pas le temps pour cette étude, je vous la confie, n’oubliez pas de faire référence aux nouvelles théories sur la dégressivité ambivalente, ni de théoriser le modèle de corrélation à 3 matrices sur les consommables en bouteille, et tout ça évidemment en 350 pages  avec annexes sur mon bureau dans 10 jours, bon… eh bien, monsieur, bienvenue parmi nous ».

 

Juste avant qu’elle ne se replonge dans sa lecture, un rapport interministériel sur le classement des performances des laboratoires de recherche en économie et les nouvelles rémunérations des responsables de centres de recherche en économie appliquée (très appliquée même au point de se demander si on aurait pu remplacer le mot « appliquée» par « laborieuse »), elle eut le temps de me lancer : « ah oui ! J’oubliais, pour les cours de Travaux Dirigés que vous allez donner, vous allez avoir 2 classes de 1ère année, des anciens d’Henry IV et des redoublants qui viennent de Joliot-Curie à Aubervilliers. Vous verrez, ils sont gentils, surtout les premiers, et puis en général ils adorent le cours d’ « Analyse décisionnelle par maximisation du lagrangien en situation d’incertitude et d’équilibre instable », oui, oui, c’est la matière que vous enseignerez ce semestre, bon, monsieur, voilà et encore bienvenue parmi nous ». 

 

10 jours après, je posais sur son bureau mon étude : 3 feuilles annexes comprises, qu’elle n’a d’ailleurs ni lues ni envoyées au ministère. Après je compris que la plupart des rapports subissait le même sort et qu’ils finissaient à peu près tous dans les piles qui décoraient son bureau. Une façon comme une autre de montrer qu’on a de l’importance et de faire croire qu’on travaille beaucoup même si ce qu’on fait ne sert à rien. Tous les chercheurs du labo travaillaient d’arrache-pied, pour la science et l’avenir de l’humanité, qu’ils disaient. Tous étaient spécialisés dans un domaine très pointu, et la plupart cherchait depuis des années et des années, et sortait tous les 10 ou 15 ans un ouvrage sur le sujet, un truc très très spécialisé que 2 ou 3 autres chercheurs pouvaient lire, et que même ils avaient du mal. Après, on rangeait la chose dans une armoire du ministère (si elle arrivait jusque-là), sinon le reste du temps, ils étaient à l’étranger dans des colloques ou dans des séminaires pour faire avancer la science, et puis surtout pour faire un peu de tourisme, et puis comme tout était payé, ça aurait été idiot de pas en profiter.

 

Une fois ma première étude terminée, on m’en donna une deuxième, et comme je voulais m’adapter aux rythmes de travail du labo, à la fin du semestre universitaire, je n’avais écrit que l’introduction, ce qui m’avait quand même demandé 3 mois, oui, juste le temps d’un semestre à l’université (allez savoir pourquoi ils continuent d’appeler ça un semestre, on a vraiment rien à redire de la rigueur scientifique).              

     

Comme je devais potasser la matière que j’allais enseigner en Travaux Dirigés, et que ça me bouffait vraiment du temps, ça tombait drôlement bien. J’avais tout oublié de « l’analyse machin chose… », j’y comprenais plus rien. Alors pour leur expliquer, j’ai eu vachement de mal, surtout les 3 premiers mois. Dès le début je les avais prévenus, que moi aussi j’étais comme eux, que j’y comprenais rien. Le premier jour, ils m’ont pas cru, j’étais quand même le prof, alors forcément je savais tout, je pouvais tout expliquer. Mais après, dès le deuxième cours, ils m’ont tous donné raison, mais ils n’ont pas tous réagi de la même façon. Avec les redoublants qui venaient d’Auber truc, ça s’est vachement bien passé parce qu’ils disaient que c’était la première fois qu’un prof, il disait qu’il savait pas et comme on était un peu pareils eux et moi, tout de suite on a été copains, moi j’avais droit de pas savoir et eux ils avaient droit de m’aider. C’est comme ça qu’on a appris le cours tous ensemble, comme une bande de potes avant un oral devant un vrai prof. Mais avec les autres, ça a été terrible, déjà j’avais pas le look d’un prof (j’avais oublié de prendre un air supérieur et assuré comme les autres chargés de cours), mais en plus je leur montrais que je comprenais pas plus qu’eux, tout un symbole qui tombait. Alors j’allais m’asseoir au fond de la classe et envoyais le plus fort prendre ma place pour faire le cours. Avec eux j’ai pas pu m’en tirer autrement. Mais de toute façon, quand le semestre s’est terminé, la plupart des étudiants des 2 classes, ils l’ont eu leur examen, comme quoi les profs sont pas si indispensables qu’ils veulent bien le laisser croire. Quant à moi, à part l’introduction de ma 2ème étude pour le labo, ma thèse et mes recherches avaient pas avancé d’un pouce. Tous ces cours, ça m’avait bouffé toute mon énergie, et déjà qu’au départ j’en avais pas beaucoup, à la fin je devais friser le – 270° C, le degré 0 de la motivation. Puis, sans même m’en apercevoir, je me suis laissé glisser dans la fainéantise, j’avais envie de rien. Je ne voulais pas travailler, ça je le savais, mais à part ça, je savais pas grand-chose, et surtout pas ce qui avait bien pu me pousser à m’inscrire en thèse. Allez savoir ! C’était peut-être justement l’envie de rien faire, s’inscrire en thèse ou ne rien faire pour moi, c’était la même chose, enfin à dire vrai et pour être tout à fait honnête, c’est effectivement devenu la même chose. En tout et pour tout, j’ai dû y consacrer 3 semaines, et 3 semaines en 3 ans il faut tout de même avouer que c’est peu, très très peu, on pourrait même dire. J’ai donc vécu comme ça 3 ans, sans envie, sans statut, et toujours seul, moitié dans le monde, moitié à côté, ou plutôt un peu – un tout petit peu dans le monde, et beaucoup à côté.

 

 

Chapitre 5

C’est certainement au cours de cette période que je me suis senti le plus malheureux, et comme déjà avant, c’était pas gai, c’est peu dire que je me sentais mal. Pendant de longues nuits, il m’arrivait de pleurer. J’avais beau penser à des choses agréables, rien n’y faisait. Après je me sentais encore plus vide, comme si j’étais seul au monde, sans même mes larmes pour me consoler, comme si je n’existais pour personne, ce qui était bien vrai d’ailleurs. Personne ne me comprenait, ni même n’avait envie de me comprendre. Comment pouvais-je espérer que l’on me comprenne, je ne me comprenais pas moi-même. J’étais complètement désespéré. Il m’arrivait souvent de me parler. Ça me donnait un peu de courage. Je prenais des tons différents, comme si j’avais été entouré de plein de gens qui voulaient m’aider, m’encourager. Mais en fait le seul ami que j’avais, c’était le reflet du miroir qui essayait parfois de me sourire le matin quand je le rencontrais dans la salle de bain. Mais la plupart du temps, j’évitais son regard, triste, malheureux. A cette époque, tout me dégoûtait. Mon visage, laid à faire peur, je le détestais si fort que je ne le voyais plus. A sa place, y avait juste un gros vide. Je voulais devenir transparent, et je crois bien qu’aujourd’hui j’y suis parvenu, et quand je marche dans la rue, j’ai l’impression d’être complétement invisible, je passe complètement inaperçu. Les gens ne me regardent même plus ou alors c’est moi qui ne fais plus attention à eux, à leurs regards méchants. De ça, je suis guéri aujourd’hui, mais avant, pour me soigner, j’avais rien trouvé d’autre que de regarder la télévision. Je passais des journées entières à la regarder. Tout, je regardais vraiment tout et surtout n’importe quoi. Je voulais remplir le vide entre mes deux oreilles, alors je m’en gavais à m’en faire péter la panse. Je suis encore étonné de pas avoir eu une intoxication : indigestion télévisuelle aigüe avec séquelles encéphaliques irréversibles. Dans ma vie, j’ai pas échappé à beaucoup de choses, mais ça, ça m’est passé au-dessus du carafon. A l’époque, je croyais que la télé et la réalité, c’était pareil, alors comme jusque-là j’avais passé mon temps à rêver, je voulais rattraper le temps perdu. Je voulais comprendre les choses et me gaver de réalité. Je pensais qu’avec les programmes qu’ils passaient à la télé, je saurais comment m’y prendre dans la vie. C’est les pubs que je regardais le plus, parce que les films et tout ça c’est pas vraiment la réalité, je le savais bien que c’était inventé. Mais avec les pubs, on pouvait pas se tromper, c’étaient des gens comme tout le monde, enfin pas vraiment comme tout le monde, mais presque. En tout cas, moi je voyais bien que les gens y essayaient d’être comme ceux que je voyais dans la pub, alors après tout, je m’étais dit que moi aussi je pouvais bien copier. Moi aussi, je voulais ma part de bonheur. Mais avant de copier, je voulais vraiment voir de près à quoi ça ressemblait. Alors j’enregistrais toutes les pubs où on voyait des jeunes (comme moi) dynamiques, riches et intelligents (ça, c’était pas comme moi, mais c’est comme je voulais être). Je regardais tout au ralenti pour bien voir comment s’était fait un héros moderne, moi aussi je voulais avoir l’étoffe. J’étais vachement motivé, mais dans mes moments de lucidité, je voyais bien que ça allait être aussi vachement difficile pour moi. On pouvait pas vraiment comparer, eux ils vivaient dans un palace, moi dans une chambre de bonne de 10m². Eux, y étaient beaux et musclés, et moi je regardais ma bedaine naissante, une part de pizza froide à la main. Vraiment, y avait trop de boulot, alors j’éteignais la télé. Et je continuais ma journée allongé sur le lit entre un reste de chips et les tasses de café à moitié vide que je finissais immanquablement, en m’assoupissant le ventre repu, par renverser sur les draps d’une propreté déjà douteuse. Et une fois de plus, je sombrais dans le laisser-aller total, sans retenue.

 

Pour combler mon affectif, j’avais pris l’habitude, comme à peu près tout le monde, d’aller m’astiquer la biroute dans les cabines privées des sex-shops. J’allais m’asseoir derrière la vitre pare-giclure pour regarder une demoiselle (qu’on pouvait choisir à l’entrée sur catalogue) faire son petit numéro rien que pour nous. Si je dis  « nous » c’est parce qu’en général, la demoiselle en question était encerclée par une bonne dizaine de messieurs, isolés dans leur cabine à se donner un petit plaisir fugace, aseptisé et solitaire, mais somme toute collectivement organisé. Pour elle, le spectacle, bien que mollement excitant, devait être follement drôle, de voir tous ces bonhommes s’escrimer comme ça en cœur et en cadence ! Du fast-sex à consommer sur place avec serviette fournie en cas de bavure. Ce type de magasins n’avait pas encore prévu ni la livraison à domicile ni l’option « à emporter », ce qui ne gênait pas de vieux messieurs bien mis (je n’ai pas dit bien montés) ou des cadres à-attaché-case-cravate – que l’on imaginerait plutôt adeptes d’une gastronomie plus raffinée – de venir au comptoir se servir à pleine main. Je les voyais sortir la mine apaisée et déconfite, comme ça l’air de rien et surtout pas l’air d’y toucher en réajustant leur pantalon comme après un bon gueuleton.

 

Mais un jour, j’en ai eu marre de me faire ça tout seul (merde ! pour faire l’amour, faut quand même être deux, enfin… au moins), alors je suis allé aux putes... enfin vous comprenez, ça me chatouillait vers le bas-ventre, quand je dis que ça me chatouillait, je veux dire que ça devenait dur… dur à vivre. Ce jour-là, j’avais envie d’un face-à-face moins cloisonné, mais aussi un peu moins… comment dirais-je… collectif, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. J’ai dû marcher longtemps pour trouver le bon quartier. Il était vraiment tard. C’était la nuit, et il y avait pas beaucoup de monde dans les rues. Quand j’ai vu pas mal de voitures dans la même rue avec que des mecs tout seul à l’intérieur, je me suis dit, c’est bon, j’ai trouvé. Plus je me rapprochais du centre des affaires nocturnes, plus forcément il y avait de monde, et les gars, ils tenaient même leur volant d’une seule main. Là, je pouvais pas me tromper, c’était le bon endroit. Autour de moi, il y avait plein de petites camionnettes avec des filles à l’intérieur, il y en avait de toutes sortes ; des grosses, des maigres, des blondes, des brunes, des vieilles, des jeunes… le seul truc qu’elles avaient en commun, c’était leur camionnette, et qu’elles devaient avoir toutes très chaud. Pour la saison, elles étaient vraiment pas très habillées. J’étais content, j’allais pouvoir choisir celle à qui j’allais fourguer mes 3 gouttes et donner 200 balles. En fait, c’est un peu comme au zoo sauf qu’on n’y va pas pour donner des cacahouètes. Il y avait là toute une faune bigarrée, des animaux de tout poil. Des mecs partout, quand je dis partout, c’était vraiment partout ; dans les camionnettes, devant les camionnettes, dans les voitures près des camionnettes. Que pouvait bien faire tout ce monde à une heure pareille ? C’était pas possible, je pouvais pas croire que tous ces mecs, eux aussi, se faisaient l’amour tout seul. Partout ça attendait ferme, le mégot de gitane au bec ou accoudé à la portière d’une BMW dernier cri. J’aurais jamais cru ça, des mecs de tous les milieux, ça allait vraiment du claudo au bourgeois ventru. Moi qui croyais que ces mecs, ils n’avaient rien en commun, qu’ils avaient pas les mêmes loisirs, bref des centres d’intérêt différents, alors quand j’ai vu ça, je suis tombé sur le cul, un des seuls trucs qui rassemble les hommes. Dans ce genre de commerce, je pensais pas qu’il fallait faire la queue. Mais on pouvait pas y échapper. Fallait prendre son ticket chacun son tour, comme à la boucherie. A l’intérieur, ça abattait fort ! On voyait la camionnette bouger dans tous les sens, le mec devait pas y aller de main morte, il devait réellement lui trancher dans le lard. Il y avait 10 mecs devant moi. Y en a, ils essayaient de mater par la fenêtre de la camionnette. Les rideaux étaient pas bien tirés. Ils avaient pas peur de montrer qu’ils étaient vachement excités. Les autres, ils avaient plutôt l’air gêné. La tête dans les épaules, les mains dans les poches (tiens ?!! c’est vrai ! pourquoi dans les poches ?), on aurait presque cru qu’ils attendaient le bus. Au bout d’une demi-heure (10 mecs en une demi-heure, je vous avais bien dit que c’était de l’abattage), c’est moi qui étais devant la porte de la camionnette. Ça allait être mon tour, enfin. J’avais pas encore vu la fille à l’intérieur. Enfin, à travers les rideaux mal tirés, j’avais pas vu sa tête. J’avais choisi cette camionnette parce que j’avais vu beaucoup de types à côté, et je m’étais dit, vu le monde, ça devait être un bon coup. Quand le mec qui était à l’intérieur est sorti, elle a lancé, en sortant la tête : « au suivant ». C’était un travelo. Du coup, je me suis dégonflé (dans tous les sens du terme), alors je suis rentré chez moi, la queue basse entre les jambes.

 

Certains jours, ceux où j’étais vraiment déprimé, j’allais errer dans le centre commercial qu’il y avait à côté de chez moi. En fait, après mes longues séances d’apprentissage de la réalité par la télévision, j’étais si déprimé que presque chaque jour je déambulais dans la galerie marchande, à la recherche d’une réalité un peu plus réelle ou du moins un peu moins inaccessible, enfin c’est ce que je croyais. Le plus souvent je marchais parmi la foule des badauds, en essayant de les imiter. Je prenais alors une mine réjouie, heureuse pour ne pas trop détonner avec le climat ambiant. J’adoptais un pas lent et un air préoccupé en essayant de m’extasier devant chaque vitrine. Et devant un article particulièrement intéressant, comme mes voisins, je poussais de grands « ah ! oh ! », me demandant bien pourquoi ça les mettait dans un état pareil. Laborieusement, je continuais à les suivre, consciencieusement de magasin en magasin. Je ne suivais jamais trop longtemps les mêmes personnes,  je me serais trop vite fait repéré, alors, au bout de quelques minutes, je changeais de professeur. Mais il fallait croire qu’ils n’avaient pas beaucoup d’imagination, ou alors que leur manuel d’enseignement ne contenait qu’une seule page, j’avais toujours droit à la même leçon. Je lui avais même donnée un titre à cette leçon : comment avoir l’air occupé, en donnant l’impression d’être riche et heureux sans être rien de tout ça ? Moi, la leçon, elle m’intéressait vachement parce que j’étais pauvre, déprimé et que je m’emmerdais à mourir. En soi je pensais que ça, c’était pas grave, mais ce qui m’embêtait drôlement, c’est que ça se voyait vachement. Et je voulais apprendre moi aussi à faire semblant, même si maintenant je sais que tout le monde, tout en faisant semblant, sait parfaitement que les autres, ils font semblant aussi. Mais tout le monde continue quand même à faire semblant. Au bout de quelques heures, j’en avais un peu marre, j’avais fait plusieurs fois le tour de la galerie, en m’arrêtant dans tous les magasins. Au bout de quelques jours seulement, certaines vendeuses qui devaient me reconnaître, me disaient : « bonjour, ça va aujourd’hui ? ». Je répondais tout fier : « oui, oui, aujourd’hui ça va, je me promène ». Mais apparemment, elles disaient ça à pas mal de monde, j’en déduisis que je devais pas être tout seul à faire chaque jour ma petite balade ici. Donc, souvent, vers 18h, je m’arrêtais et j’allais m’installer à la terrasse d’un bistrot qui faisait l’angle de deux allées, le carrefour principal au rez-de-chaussée de la galerie. Après les travaux pratiques, je passais à l’observation et à la théorie. Je commandais en général un demi et un verre d’eau. J’aime pas la bière mais je trouvais que ça faisait plus viril de commander un demi plutôt qu’un sirop de grenadine, et le verre d’eau, c’était parce que j’avais soif. Lorsque ma commande arrivait, je sortais mon petit carnet. Et bien installé, je pouvais parfaire mes connaissances pratiques, l’œil vif et le stylo à la main. Pour l’observation, l’endroit était stratégique et l’heure favorable ; 18h, la sortie des bureaux, les secrétaires et les petits employés qu’allaient dépenser ce qu’ils s’étaient évertués à gagner toute la journée. Cet apprentissage fut vraiment efficace. Et au bout de quelques mois, riche de tous ces enseignements, moi aussi, je savais comment on devait s’habiller pour être original comme tout le monde, dans quel magasin ça faisait bien d’entrer même si on n’achetait rien, comment on devait se pâmer devant la glace en essayant un maillot de bain, et même les sacs de tel ou tel magasin qu’il fallait avoir en main pour faire croire qu’on était allé acheter des trucs chez eux, même si à l’intérieur, y avait que des trucs achetés au supermarché de la galerie. Maintenant que je savais, il n’y avait plus qu’un seul truc à faire, c’était de m’y mettre moi aussi, et plus comme un apprenti maladroit, mais en vrai pro, en consommateur modèle, pressé et exigent, en un mot, devenir moi aussi un homme moderne.

 

Mais j’avais beau me forcer, jamais j’y suis arrivé. Quand je voulais passer à la pratique, à chaque fois je bloquais. Je sais pas, ça devait être psycho-pas génétique du tout ou un truc comme ça, enfin ça venait pas de mes parents pour une fois. Je savais comment faire, mais impossible d’y arriver. Alors je suis retombé dans la déprime, et de nouveau j’ai passé mes journées à rien faire.

 

Ce qui m’a sauvé, c’est quand j’ai vu cette annonce sur le journal. J’étais chez le dentiste, et en attendant mon tour, je feuilletais un magazine que j’avais ramassé au hasard sur la petite table basse. Vous savez, ce genre de magazines qu’on ne lit que chez le dentiste ou chez le médecin en se demandant si c’est la femme de ce dernier qui est abonnée – auquel cas leur conversation le soir à table doit être guignolesque au point de s’interroger sur la compétence réelle du dit professionnel – ou alors s’il les achète tout exprès pour contenter sa clientèle la plus débile, et chose curieuse, comme tout le monde affirme ne lire ce genre de revue que dans les salles d’attente, je vous laisse deviner ce qu’il doit penser de toute sa clientèle.

 

L’annonce était en fin de magazine, c’était un énorme encart sur une page entière qui présentait une association, la NELP, qui aidait les pauvres et qui avait besoin de nouveaux bénévoles. Le lendemain, je suis allé à l’adresse qui était indiquée en bas de la page. J’étais déprimé, je savais pas quoi faire, alors je m’étais dit que de voir encore plus malheureux que moi, ça pourrait que me faire du bien, et puis comme ça je pourrais aussi rencontrer des gens, et peut-être même trouver une copine. Quand j’ai débarqué dans le local, y avait vachement de monde, comme quoi je devais pas être tout seul à m’emmerder. Le responsable nous a présenté ce que faisait la NELP, il nous a dit que l’association « Nous Et Les Pauvres » fournissait des vêtements et de la nourriture aux exclus. Il nous a dit que lui, il était travailleur social et qu’il était responsable du travail des bénévoles, et que notre tâche consistait à organiser la distribution qu’avait lieu 2 fois par mois. Il a même ajouté que c’était pas beaucoup, 2 fois par mois, mais qu’ils avaient pas les moyens de faire plus, et que 15 travailleurs sociaux, tous salariés de la NELP, se démenaient comme ils pouvaient pour mettre en place une distribution mensuelle supplémentaire, et que d’ailleurs pour faire connaître leurs actions, ils consacraient une grosse partie de leur budget à la publicité dans les magazines, parce qu’ils disaient que plus on serait nombreux pour aider les pauvres, plus la NELP serait connue, et plus elle pourrait avoir des subventions par la mairie, surtout depuis que la femme du maire faisait partie du conseil d’administration en qualité de vice-présidente. Pendant 2 heures, il nous a parlé de ça en nous expliquant qu’on était en guerre contre la pauvreté parce que c’était pas tolérable que les gens soient pauvres dans un pays riche, et que lui comme il était payé pour combattre ça, il faisait tout son possible pour trouver de l’argent, parce que pour lui, le nerf de la guerre c’était l’argent et qu’il voulait pas que les pauvres, ils aillent ailleurs pour manger et s’habiller. Les gens, ils disaient qu’ils étaient d’accord avec ça et qu’ils seraient fiers d’être bénévoles à la NELP parce que c’était là où les pauvres, ils venaient le plus, et qu’ils auraient comme ça l’impression d’aider beaucoup de malheureux. Tout le monde voulait partager la misère des exclus et ils disaient qu’ils pouvaient même venir au moins 2 heures par mois, et peut-être même le double mais pas plus, parce qu’eux aussi ils avaient leur vie. Y avait des étudiants, des retraitées ou des femmes au foyer, vraiment plein de gens différents qu’avaient du temps à consacrer aux pauvres. Mais les étudiants, ils disaient qu’ils avaient aussi leurs études (et qu’aujourd’hui, c’était important les études pour avoir un travail et pour pas être pauvre), et puis les retraitées, 3 fois par semaine, elles avaient leur partie de bridge, quant aux femmes au foyer, il fallait bien aussi qu’elles aillent chercher les enfants à l’école, et non c’était vraiment pas possible d’annuler les week-end à Chamonix, parce que vous comprenez, leur mari ne comprendrait pas. Au bout de 3 heures, tout le monde se mit d’accord pour 1 heure par mois, puis on rentra chez nous.

 

3 semaines après, on se retrouva tous, tous les bénévoles, pour la 2ème distribution mensuelle. Les retraitées avaient fait des gâteaux, les mères de famille avaient apporté les vieux costumes de leur mari, et les étudiants avaient apporté leur entrain. Moi, j’avais juste amené mon désœuvrement. La distribution se déroula à merveille, chacun distribuait, en plus de ce qu’il avait apporté, sourires, conseils sur l’existence et encouragements à chaque pauvre qui se présentait. Ils entraient dans le local un par un (pour plus de confidentialité et de convivialité) après avoir fait la queue dehors pendant 4 heures. C’était la volonté du responsable de la NELP, ils disaient comme ça en faisant la queue, déjà ça les occupait une partie de l’après-midi, et puis que ça les gênait pas puisqu’ils avaient l’habitude d’attendre quand ils allaient faire des démarches dans les administrations, et puis aussi que c’était bien pour l’image de la NELP, parce que les gens ils pouvaient voir qu’ils avaient beaucoup de clients. Je suis resté à la NELP 3 semaines, le temps d’une seule distribution et de voir que c’était pas pour moi, d’abord parce que moi, 1 heure par mois, ça me suffisait pas, ça me laissait encore trop de temps pour glander, et puis parce qu’à part les étudiantes hyper-catho et très coincées, y avait que des vieilles ou des déjà-mariées et que ça n’arrangeait pas mes affaires sentimentales, alors j’ai arrêté de m’occuper des pauvres pour m’occuper de ma pauvre vie.

 

 

Chapitre 6

J’ai repris mes activités télévisuelles et ma formation au centre commercial parce que j’avais rien trouvé d’autre à faire. Et puis un jour, j’en ai eu vraiment marre de glander à ne plus savoir quoi faire, alors j’ai décidé de tout plaquer pour aller voir du pays. La veille, j’avais vu à la télé un reportage sur les mecs qui tentaient leur chance aux States, le pays des rêves… toujours déçus. J’avais vachement été impressionné par ce type qui avait commencé là-bas avec 2,5 dollars et qui 3 ans après avait augmenté son capital de 10,5 dollars. Il expliquait que c’était drôlement dur, mais que lui il y croyait, et qu’un jour, lui aussi, il aurait sa chance. Pour l’instant, il dormait encore dans la rue, mais il disait que c’était plus pratique que l’hôtel parce que comme ça à 4h du matin, il était déjà réveillé et qu’il était toujours dans les premiers pour la soupe populaire du matin. Il disait aussi que dormir dans la rue, c’était vachement instructif, et qu’il avait appris des tas de trucs qui pourraient lui servir après, quand il aurait réussi, comme par exemple apprécier un bon lit chaud en hiver. Lui, il disait, il serait pas comme ces types blasés parce que trop riches qui savent même plus apprécier ce qu’ils ont, lui il saurait apprécier. C’est ce genre de trucs qu’il avait appris, des trucs simples mais pas idiots. Y en avait un autre, il avait eu un peu plus de chance, lui aussi il était à New York, mais il avait un boulot et même un logement. Ça avait l’air de bien marcher pour lui, il bossait dans une agence immobilière. Pour l’instant, il était encore en bas de l’échelle, mais ça faisait seulement 12 ans qu’il travaillait là-bas. Lui aussi, il s’accrochait, il était content, il ne bossait que 14h par jour. Mais il disait qu’il n’était pas paresseux, et qu’il allait faire des heures supplémentaires pour avoir de l’avancement parce qu’il voulait trouver un autre appartement, parce que pour l’instant il le partageait avec 6 personnes, un F2 dans le Bronx, ben oui parce qu’il expliquait que dans ce quartier, c’était un peu moins cher, surtout quand on divisait le loyer par 6. Sinon, à part ça, ça lui plaisait. Alors moi, quand j’ai vu ces gars qui avaient l’air bien dans leur peau, avec la pêche et tout, j’ai eu envie aussi de tenter ma chance, parce que ce que j’avais le plus besoin, c’était comme eux d’avoir la tchatche et de me battre pour une petite place au soleil.

 

Le lendemain, à 4h du matin, j’avais nettoyé ma piaule, fait la vaisselle et bouclé mon sac à dos, prêt à partir. J’avais 500 balles en liquide, mon passeport et foi en mon avenir. Je me suis dirigé vers la gare Saint Lazare, point de rassemblement des cars qui partaient pour tous les coins d’Europe. A la dernière minute, je m’étais décidé pour l’Angleterre, moins dangereux, moins cher et au total plus pratique que les States mais tout de même dépaysant.

 

A cette heure-là, le métro était encore fermé, et y avait pas de bus non plus, alors j’y suis allé à pied. 5 heures de marche pour traverser la moitié de Paris avec presque 40 kilo sur le dos. Je suis arrivé vers 9 heures. Moi qui pensais être le seul aventurier, j’ai vite déchanté, le car était plein. Ils avaient tous à peu près mon âge et la même envie d’aller voir du pays, le sac sur l’épaule. Y avait tellement de monde qu’ils ont dû affréter d’autres cars. Mais ça s’est arrangé, et on a tous pu partir. Près de 800 français entassés dans 23 cars. Pour le dépaysement, ça s’engageait mal.

 

On est arrivé en début de soirée. Les 23 cars ont déversé leur cargaison. Et on s’est tous dispersés par petites grappes. Moi, dans ma grappe j’étais tout seul avec mon sac à dos. J’ai dû marcher longtemps avant de trouver un hôtel où il y avait encore une chambre de libre. J’avais bien dû en faire une vingtaine, et tous affichaient complet. A chaque fois, il y avait une pancarte qui annonçait : « no place for young french tourists, but for others we can see ». L’accueil avait au moins le mérite d’annoncer clairement la couleur. Et j’avais été obligé de me rabattre vers le quartier chic pour touristes. Là, y avait pas de pancarte d’accueil, juste les tarifs de la nuit, rien en dessous de 400 balles, ce qui revenait au même pour les jeunes touristes français, juste une façon un peu plus élégante de nous le dire. Avec le voyage, j’avais même plus 100frs en poche. J’allais tout de même pas dormir dans la rue. Je m’apprêtais à aller poser mes guêtres ailleurs quand un liftier, que je n’avais pas vu, s’avança vers moi et me dit : « toi, t’es français, tu viens d’arriver, t’as plus un rond, et tu cherches un coin pour pioncer ». Je ne pus répondre que d’un hochement de tête idiot et surpris, ça se voyait donc tellement. Il m’expliqua qu’ici, il n’y avait que ça des français qui voulaient tenter leur chance, que lui-même était français et était arrivé il y a quelques semaines seulement. Il me dit aussi qu’il y avait peut-être un truc pour moi ici, le matin même un des grooms de l’hôtel, un français, était parti. Il était arrivé la veille, et après 2 heures de boulot avait décidé de retourner en France. Alors j’ai pris mon courage à deux mains, rangé my timidité in the pocket, rassemblé mes quelques notions d’anglais et suis entré, prêt à exposer mon projet professionnel au directeur. Son adjoint me dit qu’il était parti, mais que je pourrais certainement faire l’affaire parce qu’ils acceptaient n’importe qui, et il me fit signer mon contrat d’embauche. C’était pas une place de groom, mais un emploi d’aide commis à la cuisine. Il m’invita à poser mes affaires dans le local du personnel, me tendit mes frusques de travail et me poussa vers les cuisines et mon premier job outre-manche. Ce premier jour, j’ai bossé jusqu’à 2 heures du matin. Quand j’ai eu fini de laver les ustensiles de cuisine, les casseroles et les couverts, le chef cuistot m’a dit que ça irait pour aujourd’hui. Quand je suis sorti des cuisines, l’adjoint m’attendait. Et je ne compris pas tout de suite lorsqu’il me montra du doigt la banquette qui se trouvait dans l’arrière-salle du restaurant. Mais lorsqu’il ferma la porte en disant : « good night », mes maigres notions d’anglais me suffirent. Trop crevé pour protester, je m’y allongeai et m’endormis aussitôt.

 

Je suis resté 2 semaines à laver les chiures que les clients laissaient dans leurs assiettes, juste de quoi pouvoir bouffer. La bouffe réservée au personnel était si dégueulasse qu’il m’arrivait très régulièrement, comme tous là-bas, d’avaler, entre 2 assiettes à laver, les restes d’un client délicat, une façon comme une autre de s’offrir de petits extras et surtout de ne pas mourir de faim. Pour les extras, c’était les seuls qu’on pouvait se payer, le reste de la journée - de 5 heures du mat à 2 heures du matin - on avait pas le temps, et lorsqu’on l’avait, on était si crevé qu’on s’affalait dans le coin de l’hôtel qui nous servait de dortoir, dans l’arrière-cour du restaurant. Heureusement, la direction, fortement encouragée par la législation (sous peine de fermeture de l’établissement) avait la gentillesse de nous octroyer un jour de repos hebdomadaire. Lorsqu’on restait pas la journée entière à essayer de récupérer dans le lit d’une des serveuses (c’est d’ailleurs comme ça que j’ai été dépucelé, un jour de repos collectif aussitôt transformé en une formidable beuverie qui a très vite tourné en une orgie monstre, et comme tout le monde était complètement bourré, personne ne reconnaissait plus personne, c’est comme ça que j’ai pu goûter au double plaisir de l’anonymat et de la chair flasque), donc lorsqu’on était pas en train de se reposer à boire et à baiser, on pouvait visiter la ville. Moi, j’ai jamais quitté le quartier, et ça m’a pas empêché de rencontrer le londonien type ; un  étranger plus ou moins jeune, toujours fauché, complètement exploité, souvent bourré, fort amateur de Guinness et spécialiste de petites culottes toutes nationalités confondues, venu à Londres pour quelques temps (entre 2 jours et 30 piges) avant de partir ailleurs pour voir si la fortune lui serait plus favorable ou tout simplement pour rentrer au pays, et qui restait pourtant là à patauger dans la merde des cuisines et dans la fiente des hôtels à touristes parce qu’il arrivait jamais à amasser plus de 5 pounds par mois pour se payer le voyage. Certains, ils étaient venus à 20 ans, et à 50 balais, ils avaient pas encore de quoi quitter cet eldorado. Il faut dire qu’avec le prix de la pinte de Budwiser et de la boîte de capotes – accessoires indispensables aux 2 activités les plus prisées par la jeunesse internationale londonienne, c’était vachement dur de boucler les fins de mois (surtout qu’on était payé à la semaine), alors pour mettre de côté quelques pennies, fallait pas trop y compter sauf peut-être pour les eunuques membres des Anciens Alcooliques Anonymes.

 

Ça faisait à peine 2 semaines que j’étais arrivé qu’ils m’ont viré avec tout le personnel des cuisines, pour faute professionnelle grave, ils avaient dit. Ce jour-là, on avait eu un groupe de 450 irlandais pour le breakfast, et comme y avait plus d’orangeade et que tous, ils réclamaient leur breuvage pour faire passer leurs haricots blancs à la confiture de groseille, et qu’ils insistaient vachement parce qu’ils avaient payé d’avance, et qu’ils avaient lu sur le menu que ça c’était à volonté, on avait voulu répondre à leur demande par conscience professionnelle et surtout pour qu’ils arrêtent de nous faire chier en nous disant qu’ils voulaient voir le directeur. Ils faisaient vraiment un tapage de tous les diables, alors avec tous les mecs qui travaillaient dans les cuisines on s’est regardé pour savoir ce qu’on allait faire. Quand le directeur, alerté par tout ce tapage, est entré aux cuisines pour demander des explications, on était tous en train de pisser dans les carafes. Une heure après, tout le monde a été viré. Les autres, ils étaient obligés de trouver un autre job, vu qu’ils pouvaient pas rentrer chez eux, parce que pour retourner en Australie, au Brésil ou en Afrique du sud, il fallait quand même en laver un paquet d’assiettes avant de pouvoir se payer le voyage. Moi j’habitais juste à côté, j’étais venu un peu en voisin, alors comme j’avais pas un rond, je suis rentré en stop, sauf pour les derniers kilomètres où j’ai pris le métro.

 

Quand je suis revenu, j’ai glandé 6 mois, le temps de retrouver mes esprits et de faire des démarches pour repartir à l’étranger. Malgré mes déboires, j’y avais pris goût, mais cette fois-ci, je voulais préparer mon départ avec plus de sérieux. Je voulais de l’aventure mais bien programmée, sans mésaventures. J’avais l’idée de mettre à profit ce qu’on avait essayé de m’apprendre à l’université. Et je me mis à la recherche d’un organisme qui serait prêt à m’accueillir, sans savoir vraiment ce que j’avais envie de faire. Tout ce que je savais, c’était que je voulais aider les pauvres, les enfants du 1/3 monde ou les veuves de guerre. J’ai donc envoyé 500 photocopies de mon diplôme qui était censé attester l’authenticité de mes compétences à 500 associations différentes. J’avais trouvé la liste dans un petit guide que j’avais ramassé par terre près de l’Ecole Supérieure du Travail Humanitaire. Je sais pas si c’était un étudiant qui l’avait jeté parce qu’il avait trouvé que les débouchés étaient pas suffisamment rémunérateurs ou si ça faisait partie de la politique de marketing de l’école. Avec mon CV, dans chaque enveloppe j’avais glissé une petite lettre qui expliquait que j’étais vachement motivé pour aider tous les malheureux de la terre, que j’y connaissais rien mais que j’étais un gars plein de bonne volonté. Allez savoir pourquoi, je n’ai reçu qu’une seule réponse, 6 mois après. C’était un tout petit organisme qui avait à peine 1 an d’existence et qui s’occupait d’envoyer des médicaments partout à travers le monde, et il avait besoin de quelqu’un pour l’acheminement du nouveau stock de médicaments. Ça, c’était ce qu’il y avait écrit sur la lettre. Quand je suis allé les voir pour l’entretien, là ils ont présenté les choses un peu différemment. En fait, ça faisait 6 mois qu’ils existaient, ils avaient tout juste 2 cartons de médicaments, et ils savaient pas où les envoyer parce que personne n’en voulait, mais ils avaient quand même besoin de quelqu’un pour s’en occuper parce que, eux, ils avaient pas le temps, ils étaient bénévoles. Et ils pouvaient pas venir à l’O.V.Q.M.F.U.G - O.A.D.S – c’était le sigle de l’association, littéralement ça veut dire « On Va Quand Même Faire Un Geste, On A Des Sous » - plus de 1h30 par mois, à cause de leur boulot, ils disaient. Ils n’ont même pas pris la peine de me questionner, de connaître mes motivations profondes, ni même de savoir si mon profil correspondait au poste proposé (qu’ils n’avait d’ailleurs pas défini). Ils m’ont simplement dit que le ministère de la coopération leur avait donné une grosse enveloppe, qu’ils me paierait 500frs par mois, que j’aurais le statut de volontaire, et que je devais signer là en bas de la feuille. Tu parles d’un statut de volontaire, ils m’auraient presque menacé si j’avais pas signé. Et à la fin, ils ont ajouté que je partais le lendemain et que le président de l’association m’accompagnerait pendant une semaine pour s’assurer que tout se passerait bien, et qu’ils attendaient d’une minute à l’autre un coup de fil du ministère pour connaître la destination. Une fois mon contrat signé, ils m’ont expliqué qu’ils avaient un briefing et qu’ils n’avaient plus de temps à me consacrer, alors je suis rentré chez moi. Dans la soirée, je reçus un coup de fil. C’était le président de l’O.V.Q.M.F.U.G – O.A.D.S. Il m’a annoncé qu’on partait en Mongolie et que  l’avion décollait le lendemain à 5h30. Quand je suis arrivé à l’aéroport, il m’attendait. Sa femme et ses enfants étaient là. J’ai trouvé ça sympa d’être soutenu par sa famille, moi personne ne m’avait accompagné à l’aéroport. Après son coup de fil de la veille, j’avais quand même téléphoné à mes parents pour leur dire que je partais, que j’allais en mission humanitaire en Mongolie. Et eux, ils ont rien trouvé d’autre à me dire que c’est pas en allant aider les petits noirs que j’allais réussir dans la vie, et que de toute façon, ça servait à rien d’aller si loin, y avait déjà beaucoup de misère ici, et qu’eux ils donnaient régulièrement aux orphelins apprentis d’Auteuil, et que c’était déjà beaucoup pour les pauvres même si c’était vrai ça les arrangeait pour les déductions d’impôt, mais que quand même si tout le monde faisait comme eux, ça serait déjà bien. Après ces paroles d’encouragement, j’avais raccroché pour préparer mes affaires. Après, une fois les présentations faites, on est allé faire enregistrer les bagages. Moi je devais rester 6 mois là-bas et j’avais juste mon sac à dos, et j’ai trouvé ça un peu bizarre que lui qui ne restait qu’une semaine fasse enregistrer 5 valises, mais après je me suis dit qu’après tout il avait peut-être amené avec lui une partie du matériel pour la mission. Sa femme et ses enfants nous accompagnèrent jusqu’à la porte d’embarcation, et moi je trouvais ça vraiment touchant d’être soutenu comme ça jusqu’au dernier moment. Mais quand on est monté dans l’avion, sa femme et ses enfants étaient encore là, peut-être avaient-ils eu une dérogation spéciale pour nous accompagner jusqu’à ce que nous décollions. Mais quand ils fermèrent les portes, comme ils étaient encore là, je me suis dit que cette famille était vraiment unie, et nous nous envolâmes tous les 6. L’O.V.Q.M.F.U.G - O.A.D.S avait vraiment bien organisé les choses. On était en 1ère classe, on avait droit au champagne, à la télé, aux petits gâteaux, tout ça offert par la compagnie et apporté par des serveuses vachement jolies et vachement bien habillées. Pendant le voyage, le président m’a expliqué que tout ça, le champagne et les petites attentions, c’était pour notre moral parce qu’après ça risquait d’être drôlement dur. C’était pour notre moral et surtout aussi, il avait ajouté parce que l’enveloppe du ministère avait été plus grosse que prévue et que si on voulait qu’ils continuent à nous payer, il fallait leur montrer qu’on en avait vraiment besoin de tout cet argent, il fallait donc essayer de tout dépenser, mais il a rien dit pour sa femme et ses enfants.

 

Quand on est arrivé, y avait une délégation du ministère de la santé qui nous attendait. On est tous monté dans la voiture officielle qu’on avait mis à notre disposition, et on s’est dirigés vers le seul hôtel de la ville, enfin le seul qui pouvait faire diminuer le contenu de l’enveloppe plus vite que les autres. On est tous montés dans nos chambres pour se reposer. Le soir-même, on avait rendez-vous avec le ministre qui nous avait invités pour dîner. On nous avait réservé la seule suite de l’hôtel, celle qui était en général utilisée par les touristes japonais, qui visitaient le pays en quelques heures, et par les hommes d’affaires, pour la plupart des représentants de la firme Mac Donald qui voulait ouvrir un fastfood local spécialisé dans les hamburgers au mouton et le milkshake au lait de jument. Après quelques heures de sieste, on est venu nous chercher pour le dîner. Il avait lieu dans une grande salle du ministère, le ministre avait voulu quelque chose de simple et de convivial. En nous accueillant, il avait dit « à la bonne franquette, comme on dit chez vous ». Puis, il nous a invités à nous asseoir à la grande table qu’ils avaient tout spécialement dressée pour nous et les quelques 450 invités, pour la plupart ses plus proches collaborateurs. Il nous a expliqué que son pays était en pleine reconstruction et qu’il avait besoin de nombreux collaborateurs - tous très qualifiés (on apprit plus tard ce que ça voulait dire) - pour élaborer les plans annuels, bisannuels et quinquennaux de la grande marche en avant qui propulserait son pays parmi les plus grandes nations. A la fin du repas, il nous a dit qu’il était fier de nous accueillir et qu’il ne nous remercierait jamais assez pour le travail efficace qu’on allait faire, qu’on était vraiment courageux de quitter nos familles (le président était venu au dîner sans sa femme et ses enfants, quant à moi, j’ai pas osé lui dire au ministre que mes relations avec ma famille n’étaient pas au plus haut) et que notre aide serait précieuse dans la reconstruction de cette terre d’avenir. A la fin, il a même ajouté qu’il s’en rappellerait quand il serait président, mais ça on a eu du mal à le croire parce qu’après, pendant notre séjour, il était encore que ministre et on l’a pas revu, il devait pas avoir beaucoup de mémoire.

 

Pendant son séjour, je n’ai pas vu beaucoup le président. Il m’a expliqué qu’il avait beaucoup de rendez-vous importants pour organiser la mission. Mais un jour, je l’ai vu par hasard, il faisait la queue avec toute sa famille à un spectacle folklorique, des danses et des chants anciens dans un endroit où il y avait que des touristes japonais. Quand il m’a aperçu, il était un peu gêné, mais il m’a dit qu’il devait s’imprégner de l’ambiance, comprendre les mentalités et tout ça et qu’après ça serait plus simple pour lui de tout bien organiser. Il m’avait juste confié des tâches secondaires parce qu’il m’avait dit que lui, il avait l’habitude et qu’il s’occupait de l’essentiel. Moi, je devais juste trouver un petit appartement (parce que le président il pensait que l’hôtel, ça me couperait trop des réalités du pays), trouver une voiture, aller aux réunions organisées par les sous-fifres du ministre, et téléphoner à tous les hôpitaux du pays pour organiser la distribution des médicaments. Lui, il s’occupait du reste. Avant qu’il retourne en France, il a décidé de survoler le pays en hélicoptère (sans doute son souci des réalités) pour localiser les principaux hôpitaux où moi, quand il serait parti, je devrais aller livrer les médicaments. Et on embarqua tous les 6. Deux jours d’hélico pour voir 2 hôpitaux où on ne se posa même pas (je verrai bien moi-même, il a dit le président), par contre il voulait pas manquer la fête annuelle du cheval qui avait lieu à l’autre bout du pays. On y resta 2 heures, juste le temps d’acheter quelques souvenirs, pour la famille il a dit le président et même sa femme a ajouté : « venir si loin, et pas ramener un petit quelque chose, ça aurait été vraiment bête ».

 

Le lendemain, je les ai accompagnés à l’aéroport. Avant de monter dans l’avion, le président m’a lancé : « allez ! Bonne chance ! », et puis il a ajouté « Ah oui ! J’oubliais » et il m’a tendu une enveloppe - celle du ministère. Quand l’avion a décollé, je l’ai ouverte. A l’intérieur, il restait 5 billets, en monnaie locale, 350 Türigs, 35frs. On était venu à l’aéroport en taxi, et en sortant il m’attendait encore, le président ne l’avait pas payé. Je lui donnai les 300 Türigs qu’il me réclamait et rentrai à pied. L’appartement n’était après tout qu’à une trentaine de bornes. J’étais un peu anxieux d’avoir un budget si réduit, mais j’espérais qu’ils allaient bientôt m’envoyer le reste de l’enveloppe. En arrivant à l’appartement, un télex m’attendait : « désolé, le ministère est revenu sur sa décision, la subvention a été diminuée de moitié, les frais de préparation et d’organisation de votre séjour ont été beaucoup plus importants que prévus, en conséquence la mission est annulée, veuillez recevoir, monsieur, l’expression de notre considération la plus respectueuse. Signé : toute l’équipe de l’O.V.Q.M.F.U G .- O.A.D.S . Le lendemain, je suis allé au marché en bas de chez moi, et refourguais mes 2 cartons de médicaments sur un stand spécialisé dans la revente illégale de produits pharmaceutiques, le plus souvent périmés d’ailleurs, et réussis tant bien que mal à obtenir juste de quoi me payer un billet aller simple sur le transsibérien. Dix jours après, j’étais à Paris. Et à peine débarqué, je suis allé au local de l’O.V.Q.M.F.U.G – O.A.D.S, bien décidé à demander quelques explications. Quand je suis arrivé, y avait plus de local. A la place, il y avait une sandwicherie. Sur la pancarte, on pouvait lire : « spécialiste de la viande de mouton mongol ». Alors, je me suis senti tout con, une fois de plus je m’étais fait berner, et à part l’ironie du sort, j’avais toujours rien vu.

 

 

Chapitre 7

2 semaines après j’étais incorporé. En rentrant, j’avais regardé dans ma boîte aux lettres que je n’avais pas ouverte depuis 3 ans. Comme je connaissais personne qui pouvait m’écrire et que je payais jamais mes factures, je l’ouvrais jamais, mais quand je suis revenu de tous ces voyages, je m’étais dit que peut-être… et au milieu d’une cinquantaine de lettres EDF et de France Telecom, y avait effectivement un courrier du ministère de la défense. En l’ouvrant, je me suis aperçu qu’il avait été posté 2 ans plus tôt. J’avais complètement oublié le service militaire. J’étais parti sans me rappeler qu’il fallait que je remplisse mes obligations. Ça tombait vraiment bien que je sois rentré, sinon j’aurais pu faire de la prison parce que la société et les entreprises, surtout pour trouver un travail, elles veulent qu’on soit dégagé des obligations militaires, mais on peut pas s’en dégager n’importe comment, en tout cas elles aiment pas qu’on s’en dégage comme ça. Et c’est pour me dégager des obligations militaires que je me suis trouvé obligé, comme tout le monde, de faire mon service. Comme si on devait quelque chose à la nation…

 

On m’a affecté au fin fond de la Normandie. Une chance qu’ils avaient dit au bureau du recrutement, un truc pour les planqués, les fils-à-papa qui ont des relations avec des préfets ou des hauts gradés. Moi, mon père, il travaillait dans l’administration, et à part ses collègues de bureau et les engueulades de son chef, il connaissait personne. Des gradés, lui, il en connaissait pas. Il avait même failli se faire virer. C’était plutôt sa situation qui s’était dégradée. Il avait pas intérêt à faire le con, alors de là à demander, les pistons, fallait pas y compter. Dans le train, y avait que des futurs bidasses. L’armée avait réquisitionné un train complet pour ses appelés du contingent, une façon comme une autre de renflouer les caisses de la SNCF et de faire travailler ses fonctionnaires. Ce sont des services qu’ils se rendent entre administrations, ça leur fait croire qu’ils sont indispensables et vachement utiles. C’est l’Etat qui a inventé ce truc-là, c’est pour légitimer les impôts. Quand on est arrivé, ils nous avaient préparé une petite surprise. Juste avant d’aller à la cantine, on devait passer par une petite pièce. Et quand on ressortait, on avait tous la boule à zéro, pour nous mettre dans l’ambiance, il avait dit le sergent-chef. C’est après seulement qu’on avait droit d’ingurgiter notre ration pour le déjeuner. La cuisine militaire devait avoir si bon goût que ce premier jour personne n’y toucha. Mais peut-être était-ce dû aussi à l’émotion de se sentir enfin appartenir à ce corps d’élite dont toute l’efficacité s’était illustrée au cours de son histoire, surtout avec l’épisode de la ligne Maginot. Après cette initiation aux joies gastronomiques militaires, on nous fourguait notre paquetage : un ensemble disparate de vêtements aux couleurs peut-être un peu sobres, mais dont les teintes verdâtres (eux, ils disent kaki) se mariaient toutes très bien ensemble et mettaient en valeur notre nouvelle coupe de cheveux. Il y avait aussi des rangers usées jusqu’à la corde (les miennes en plus étaient trouées) et un magnifique survêtement d’un bleu chatoyant avec de chaque côté un liseré blanc et un liseré rouge du meilleur goût. On nous avait expliqué que maintenant nous n’étions plus autorisés qu’à revêtir ces vêtements qui faisaient la fierté de l’armée française. Le sergent-chef, il nous avait dit que c’était obligatoire, comme ça y avait plus de différence entre nous, y avait plus de riches, plus de pauvres, juste un ramassis de petits cons qui allaient en chier. Après, on nous a montré nos dortoirs, et comment on devait faire nos lits, en carré qu’ils appellent ça. Le sergent-chef, il a ajouté : « comme l’esprit militaire », et moi je pensais en rigolant que le carré, il devait pas être bien large. Je sais pas s’il a deviné, mais tout de suite le sergent-chef il m’a regardé et il a dit : « et toi, branleur, ça t’amuse ce que je raconte ». Alors je lui ai dit : « ben non, m’sieur, pas vraiment, mais je me demandais à quoi ça pouvait servir de faire son lit comme ça parce que… ». Et là, il m’a pas loupé le sergent-chef, j’ai même pas eu le temps de finir ma phrase que déjà il s’était mis à me gueuler dessus en disant que des p’tits cons de mon espèce, il les matait et que de toute façon, j’étais pas là pour réfléchir, que l’armée c’était pas fait pour ça, que lui il était le chef et que je devais fermer ma gueule. Et puis il a continué comme ça pendant au moins un ¼ d’heure en disant que j’étais un anarchiste, un rebelle révolutionnaire antirépublicain et antipatriotique, et que j’allais en chier comme c’est pas permis. Et même si je trouvais qu’il exagérait quand même un peu, c’est surtout ce dernier truc que j’ai le plus retenu. Du coup, j’ai fermé ma gueule et j’essayais comme tous les autres abrutis de ma chambrée de prendre un air captivé quand il a continué à aboyer ses explications. Mon séjour s’annonçait donc sous les meilleures auspices.

 

Le lendemain, on nous a réveillé à 4h30. Entraînement spécial qu’il avait gueulé le sergent-chef en nous foutant la lumière en pleine gueule. Puis il nous avait expliqué le programme de la matinée : « un, vous faîtes vos pieux, deux, vous allez bouffer, trois, vous revenez dans votre piaule, quatre, vous l’astiquez comme si c’était le cul de vot’ mère, je veux pas voir une seule chiure de mouche, cinq, vous mettez votre tenue de combat, six, vous prenez votre sac à dos, sept, en bas y a des pavés, vous remplissez votre sac de 10 pavés, ça fait même pas 60 kilo, huit, on part en balade, 80kms, histoire de se dégourdir les jambes, allez ! branle-bas de combat, bande de p’tits cons ! ». Y en a dans la chambre, ils étaient vachement contents, ils avaient trouvé leur truc ici, comme une famille. L’un d’eux, la veille avant de se coucher, il nous avait dit que lui, fallait pas lui chercher des noises parce que lui, il était fan de Rambo et qu’il connaissait déjà des techniques de combat, que lui il avait des couilles et qu’après son service il voulait s’engager dans la Légion. Tu parles d’un fils-à-papa, ils avaient dû se gourer dans son affectation, mais des mecs comme lui, y en avait plein. Ils m’avaient vraiment raconté n’importe quoi au bureau du recrutement, à moins que tous ces mecs, on les ait mal orientés, une preuve supplémentaire de l’efficacité de notre armée. Y en a d’autres, ils pleuraient. Ils avaient jamais quitté leurs parents, et ils voulaient tous retourner chez eux. Ils disaient qu’ils avaient l’habitude de se faire réveiller par leur mère qui leur apportait le petit déjeuner au lit, qu’ici ils ne pourraient pas jouer avec leur ordinateur et que d’habitude, ils ne faisaient pas de sport. Moi, je voulais pas faire le Rambo dans la Légion et ma mère ne m’avait jamais apporté le p’tit déj au pieu. Une fois de plus, je me sentais différent, paumé au milieu de mecs avec qui j’avais rien à faire et rien à dire, et qui eux, sans exception, se sentaient appartenir à l’une ou l’autre des deux catégories.

 

Mes classes durèrent 5 jours, un temps bien suffisamment long pour apprendre à marcher au pas, à crapahuter dans la merde et normalement à lier des amitiés indéfectibles en glandant pendant les jours de perm. devant une bière à jouer aux cartes. Après ces 5 jours glorieux, je fis mes adieux à mon sergent-chef. J’ai bien senti qu’il était attristé que je m’en aille si vite, il devait tout recommencer à zéro pour trouver une nouvelle tête de turc. Mais je ne me fis guère de souci pour lui, il en trouverait une facilement dans les nouveaux troupeaux de glandus qui se succédaient presque chaque semaine. Je retournai donc à Paris où l’on m’avait affecté, ils m’avaient trouvé un poste de chauffeur dans un hôpital militaire.

 

Le soir je pouvais rentrer chez moi, c’était la seule différence. Sinon je devais encore porter mon costume militaire, et toujours obéir à des petits gradés pour la plupart aussi bêtes que méchants. Mais en plus j’avais le privilège de côtoyer des généraux puisqu’ils m’avaient mis dans le service des chauffeurs d’officiers. Le matin, il fallait qu’on leur dise : « mes respects, mon général ». Moi, j’avais jamais eu beaucoup de respect ni pour l’armée, ni pour ses représentants, si illustres et si gradés soient-ils, et mon simple « bonjour » à peine murmuré et c’est vrai le plus souvent grommelé avait quelque peu surpris pour ne pas dire détonné dans l’atmosphère révérencieuse mais non moins hypocrite des lieux. Puis ils s’y sont habitués. Comme dans tous les services de l’armée (et de toutes les administrations du monde), à part regarder la pendule et compter les heures qu’il restait à faire, la plupart du temps nous ne faisions rien. Faut dire que la solde était pas lourde, et avec une telle indemnité, ils pouvaient pas en plus nous obliger à travailler. On ne faisait rien, mais on était obligé d’être présent parce qu’on sait jamais, ils disaient. La seule chose qu’on devait faire, c’était d’aller chercher notre général chaque matin devant chez lui et de le raccompagner chaque soir en faisant bien attention à ce que la voiture soit parfaitement nickel, propre comme une pièce d’artillerie. Après l’avoir astiquée comme un char d’assaut avant la parade du 14 juillet, lorsque son illustrissime arrivait, on devait lui ouvrir la porte, la lui refermer, mettre sa casquette de chauffeur (un affreux béret vert de gris) et rouler en douceur pour que monseigneur puisse lire confortablement son journal à l’arrière. Moi, on m’avait attribué un gros con galonné, toujours maussade, réputé pour sa mauvaise humeur et son mauvais caractère, bref le modèle type du haut gradé planqué toute la journée derrière son bureau, à jouer à la bataille navale avec son colonel ou à jouer à l’artilleur aguerri avec sa secrétaire, elle-même sergent ou major, spécialiste des missions de terrain et très expérimentée dans les combats de corps-à-corps rapprochés, en particulier pour ceux qui se déroulent sous le bureau. En un seul mot, absolument pas conscient et encore moins reconnaissant de ses privilèges (entre autres celui d’avoir une voiture et un chauffeur à disposition) qu’il devait certainement juger comme absolument normal et tout à fait légitime pour un personnage de son importance. Chaque matin, j’allais donc attendre son illustre personne devant chez lui, encore mal réveillé et souvent de mauvaise humeur, puisque habitant pas loin de chez lui, je devais me lever de bonne heure, traverser Paris en métro, la retraverser en voiture pour revenir l’attendre non loin de chez moi. Au bout d’une semaine, je lui fis part de cette aberration et lui proposai de prendre le métro, ce qui me ferait gagner au moins une heure de sommeil. Abasourdi par cet irrespect outrancier, je fus « muté » le matin-même dans un autre service. Que je ne sorte pas de la voiture pour lui ouvrir la portière, que la voiture ne brille pas (le matin, j’avais jamais le temps), que je me contente d’un grommellement en guise de salut militairement respectueux, tout cela passait encore, mais que je pousse l’irrévérence aussi loin, ça il ne l’a pas admis. « On va vous affecter aux services des archives » me décocha le général en chef, chez qui on m’avait dit d’aller pour m’expliquer. « Votre comportement est indigne de la patrie » me dit-il quand, devant lui, j’ai refusé de saluer le drapeau. « Vous allez voir, seconde classe, vous allez voir ce qu’est l’armée, dorénavant, vous ne rentrerez plus chez vous le soir, ah ! vous refusez d’obéir aux ordres de vos supérieurs, vous leur manifestez un irrespect intolérable, vous allez voir… ! ».

 

Ma nouvelle tâche consistait à classer et à ranger de vieux dossiers aux archives, au 5ème sous-sol. On m’avait mis avec tous les réfractaires. On était une bonne vingtaine, courbés toute l’après-midi derrière des piles de dossiers à jouer aux cartes. Il ne va pas sans dire que le travail n’avançait pas beaucoup, et même si on s’y était tous mis, on en aurait eu pour des siècles, tellement y avait de paperasses : toutes les notes interservices de l’armée française depuis 1870. Et quand on sait toutes les conneries qu’ils pouvaient s’envoyer entre les services, je peux vous dire que ça en faisait un tas de conneries à classer, et vraiment ça donnait pas envie de s’y mettre. Le seul moment où on faisait semblant de travailler (après je me suis aperçu que c’est partout la même chose – surtout dans l’administration), c’était quand notre chef, un lieutenant, passait dans la pièce pour vérifier si on bossait. C’était un appelé comme nous - mais qu’avait fait la Préparation Militaire Supérieure - et ça devait certainement lui donner le droit de prendre le même air que sa préparation quand il nous parlait. Parce qu’il avait tout juste son Bac+2, qu’il avait répondu juste pour le test à des questions du genre : « compléter la série suivante ; 1, 3, 5, 7, 9, … », il avait l’impression d’appartenir à l’élite, à la race supérieure des chefs. C’était lui, le matin, qui nous ordonnait de ramasser tous les mégots dans le parc. Il organisait toute la mission qu’on lui avait confiée : nous faire sentir qu’on était des petites merdes. Quand il distribuait les sacs poubelles, moi, je m’asseyais sur un banc et j’allumais un clope, histoire de profiter un peu de l’air matinal avant d’être enfermé aux archives pour jouer à la belote. Ça a pas duré 3 jours, un matin il m’a repéré et m’a envoyé illico au rapport chez le général en chef. « Alors on continue de jouer au rebelle ! » il m’a dit. Et c’est tout ce qu’il a dit. 5 minutes après, je me suis retrouvé au trou, histoire de méditer sur le rôle de l’obéissance dans l’armée. J’ai fait 2 jours de gnouf, et après 3 jours de plus pour faire une dépression. Alors on m’a réformé. Le psychiatre chez qui l’on m’a traîné, il m’a à peine regardé, et il a noté sur une feuille la mention : « P4 », réformé pour raisons de troubles mentaux aggravés en présence de toute autorité. Quand je suis sorti de chez le psy, j’ai éclaté de rire, c’est drôle comme une dépression pouvait en même temps que s’arranger tout arranger. En fait, c’était pas si terrible le service militaire, vraiment ce n’est rien et il suffit surtout de pas grand-chose pour l’éviter, quelques semaines juste de quoi préparer une belle petite dépression. Le soir-même j’étais chez moi, et j’en rigolais encore, j’ai dû prendre des comprimés pour me calmer, j’avais dû avoir une dépression euphorique.

 

 

Chapitre 8

Une fois mon service militaire terminé (enfin presque… oui, je sais, c’est déjà beaucoup trop), j’étais enfin comme tout le monde, je pouvais me mettre à chercher un travail. Et c’est bien sûr au bout d’une vingtaine de mois que je réussis, presque comme tout le monde, à en trouver un (même si « réussir » c’est pas vraiment le terme que j’emploierais, surtout que je cherchais sans vraiment chercher, enfin je cherchais sans avoir vraiment envie de trouver). On m’avait conseillé de m’inscrire à l’ANPE pour montrer à la société que je cherchais bien un boulot, et surtout histoire de toucher quelques subsides de l’Etat, une sorte d’argent de poche pour vieil étudiant pas pressé. J’avais dû fournir une tonne de documents, des justificatifs de tout poil, administratifs, sociaux, économiques, socio-économico-administratifs, enfin bref, la procédure a duré 19 mois, et le 20ème mois, ils me les ont donnés leur 53frs et 56 cts. Mais ça a pas duré un mois puisqu’après je m’étais trouvé du travail, par hasard.

 

Entre temps, pour payer une partie de mon loyer (l’autre partie, 90% était complétée par mes colocataires, j’en ai eu 13 en 19 mois) et pour payer la bouffe (jambon et pâtes achetés chez mon traiteur favori, ED l’épicier), j’ai dû engranger les petits boulots, et je commençais sérieusement à m’y connaître en petits boulots, vu que j’avais fait que ça. A cette époque j’avais pas envie de bosser parce que surtout ça me disait vraiment rien, mais aussi parce que j’avais découvert un truc super, l’art. Et c’est pendant cette période que j’ai voulu faire l’artiste. Je voulais essayer pour voir la vie de bohême. Le matin, je me réveillais vers14-15h. Après un café vite avalé, je me mettais devant mon chevalet en pensant à ce que j’allais bien pouvoir dessiner. Souvent après 3 ou 4 heures de réflexion intense, je traçais sans aucune hésitation un trait admirable, une ligne droite ou une courbe d’un seul coup de pinceau, une manifestation artistique de génie qui sortait comme ça subitement. Après j’arrêtais, j’étais épuisé, et puis je me disais que j’en avais fait suffisamment pour aujourd’hui. Alors j’allais à Montmartre, j’avais bien mérité d’aller boire un coup avec les copains. Enfin, c’était un peu des copains puisque j’allais dans le même café qu’eux, mais j’ai jamais osé aller à leur table. Je me mettais toujours tout seul à la même place, artiste incompris et inconnu même parmi les artistes. C’était comme moi des artistes incompris (même si eux ils se connaissaient les uns et les autres) parce que trop en avance sur notre époque. On était des avant-gardistes, et personne le comprenait. On avait à peu près tous le même style, extrêmement dépouillé, surtout financièrement. Y avait des peintres, des écrivains, des néo-sculpteurs virtuels (eux, ils avait remplacé le marbre par Internet), tout un tas de génies, mais y avait qu’eux qui le savaient.

 

Moi, je voulais devenir un artiste complet et accompli. Alors je faisais de la peinture, de la sculpture, de la photo, du cinéma, de la musique et puis aussi de l’écriture, de l’opéra et de la chorégraphie. Je voulais mélanger le tout et créer un nouveau style – une sorte de réunification harmonico-existentielle du monde et des arts, en un seul mot, donner un souffle nouveau à l’art et au monde contemporains. De longs mois, j’ai travaillé à mon œuvre. Je voulais créer une œuvre unique, symbole unique d’un mouvement artistique unique représenté par un artiste unique, moi en l’occurrence. Pour ressourcer mon inspiration qui parfois s’affaiblissait (à peu près 6 jours et demi sur 7), j’allais voir ce que les autres artistes avaient réalisé. Je passais des journées entières dans les musées, chez les éditeurs, dans les galeries, j’allais à tous les vernissages, bref j’étais partout et surtout sans inspiration. Mais lorsque j’entendais ceux qui avaient réussi à percer (surtout la croûte de connerie du snobisme des acheteurs), ça avait l’air facile, l’important c’était de se faire un nom. Après on pouvait faire de gros pâtés difformes ou de la diarrhée en boîte réalisée en 2 minutes en disant que c’est de l’art philosopho-existentiel parce que vous comprenez, ces taches que vous voyez, c’est l’Homme face à sa destinée métaphysique, et ces grands traits qui les traversent, c’est le progrès de l’humanité qui transperce le cœur du monde. Et j’entendais répondre par l’acheteur émerveillé ou le spéculateur vorace : « je comprends, oui, je vois, je… vous suis. Ah ! cher ami ! Quelle créativité ! Quel talent ! Je comprends que tant de génie vaille si cher » et l’artiste d’un ton très modeste : « non, je vous assure cette œuvre n’a pas de prix, la transcendance du génie humain ne s’attache guère à ce genre de considération…. comment dirais-je… financière, et malgré tout, nous autres artistes avons besoin de manger, comme tout le monde, alors, cher ami, voyez-vous, je vous la concède pour… disons… 500 000 dollars, non, ne me remerciez pas, tout le plaisir est pour moi ».

 

Quand je rentrais dans mon atelier (j’avais mis une planche sur des tréteaux entre le radiateur et le lavabo), j’avançais drôlement. Après 17 mois ½ de recherche d’inspiration, j’avais achevé MON œuvre, l’œuvre absolue, unique : sur le socle que j’avais tout exprès fabriqué pour accueillir la pièce sculturo-photagraphico-musico-littératuro-picturo et par modestie j’en passe, bref sur le piédestal de mon génie, on pouvait voir… rien, il n’y avait rien. Le génie est si simple. Je l’avais appelé : « l’existence humaine », et mon œuvre très symbolique (personne ne le comprit) voulait dévoiler au monde l’image de son absurdité, de son insignifiance, et du vide qu’il représente. Pendant un mois, j’ai parcouru les plus grands galeristes de Paris, tentant de les convaincre de mon génie, de mon talent indéniable (j’avais quand même travaillé près de 2 ans pour trouver cette idée indéniablement révolutionnaire, absolument originale). Puis à force d’incompréhension, je me suis lassé, j’étais comme tous les autres artistes, divinement talentueux, mais incompris de mes contemporains.

 

Le monde ne saura jamais ce qu’il a perdu en fustigeant ma création. Mais moi, à l’époque, j’étais sur le point de perdre mon studio, alors j’ai rangé ma planche et mes tréteaux à la cave, moyennement décidé, mais tellement contraint, de redescendre parmi les hommes pour m’astreindre à essayer de lire les offres d’emploi dans le journal qu’un de mes voisins mettait à la poubelle et que je prenais parfois le matin en ouvrant ma fenêtre, puisque la concierge ne semblait toujours pas décidée à les mettre ailleurs. C’est comme ça, dans les poubelles que j’ai trouvé mon premier vrai travail. C’était même dans un magazine télé. Y avait une annonce, et je leur ai écrit. Je m’étais dit que ça ne coûtait rien d’essayer, juste un timbre et une après-midi d’emmerdements pour écrire ma lettre et trouver les motivations (je pouvais quand même pas leur dire que je voulais bosser juste comme ça, pour voir). Puis, ils m’ont convoqué pour un entretien de motivation, déjà, ça voulait dire qu’ils avaient cru aux trucs que je leur avais écrits (c’est dingue comme on peut faire gober des trucs aux gens). J’ai même trouvé le courage pour y aller. Quand je suis arrivé, toute l’équipe m’attendait : une dizaine de types assis en demi-cercle, vachement impressionnants, mais pas pour moi, j’avais pris 3 Temestat. Je leur ai sorti ma bafouille, l’air ahuri mais apparemment convaincant. Et 3 jours plus tard, j’ai reçu un courrier qui racontait que ma motivation les avait impressionnés et que je faisais l’affaire.

 

C’était un poste d’analyseur-débloqueur de merdes coincées. Le vrai nom, je crois, que c’est chargé de missions, mais avec moi, chargées ou non, elles se sont toutes avérées impossibles. Et on s’y serait mis à plusieurs, on n’y serait pas plus arrivé, comment s’y serait-on pris pour débloquer ces trous du cul coincés, un tas de constipés crottés jusqu’aux yeux ? J’étais chargé d’analyser la merde dans laquelle les mecs qui m’avaient embauché s’étaient fourrés. Et vu qu’ils y étaient jusqu’au cou, ils pouvaient toujours attendre que je les débloque. A l’heure qu’il est, ils doivent encore patauger dedans. Pour m’aider dans ma tâche ingrate d’éboueur à cravate, ils avaient mis à ma disposition quelques ustensiles de nettoyage : un seau en guise de corbeille à papier, 2-3 rames de feuilles et autant de stylos pour que je note ce qu’il y avait à nettoyer, un vieil ordinateur pour que j’organise le plus rationnellement possible mes séances de ménage et quelques autres babioles. Ils avaient oublié de me donner un balai, mais pas l’armoire qui allait avec : pour me montrer leur considération, ils m’avaient attribué un beau bureau, entre la remise et les chiottes, une sorte de remise-débarras qui avant mon arrivée servait de placard à balais, qu’ils avaient quand même pris la peine de débarrasser juste avant que je n’arrive. C’est dans ces conditions idéales que je me mis au travail. Moi, je m’en foutais puisque je comptais pas trop m’éterniser, je voulais juste savoir un peu ce que c’était d’avoir une sorte de vrai travail, avec des vrais horaires très chiants à respecter. Et je voulais aussi un peu tâter un emploi qui demandait, paraît-il, des responsabilités. Je suis même pas resté un an là-bas, c’est vrai, mais j’en ai pas vraiment vu la couleur, moi, de leurs responsabilités, à moins qu’on n’en ait pas vraiment la même définition. Bref, moi, dans ce job, j’y suis un peu entré par hasard, et j’avais surtout l’idée d’en sortir très vite, une fois que j’aurais vu.

 

Le premier jour que je suis arrivé, ils avaient préparé un petit truc, ils appellent ça un pot d’accueil. Ils avaient invité plein de monde, tous les mecs qui les avaient mis dans la merde. Ça fait partie des trucs qu’il faut faire, même si c’était des sacrés cons qu’ils n’aimaient pas, c’est une question d’image et de réputation, ils m’ont expliqué. J’ai pas bien compris, mais j’en suis resté là. Pendant qu’ils se gavaient de cacahouètes et de petits fours, moi, je devais me présenter, leur expliquer ce que j’allais faire, enfin plein de trucs dont ils se foutaient complètement. De toute façon, avec toutes les coupes de champagne qu’il y avait, la plupart était à moitié bourré. J’aurais pu leur dire n’importe quoi, que j’étais le fils d’Elizabeth II, qu’avant de venir ici j’avais fait le maquereau à Manille, et que je venais ici pour créer une filiale européenne, ça n’aurait rien changé. Nos relations d’ailleurs par la suite n’ont pas changé. Ils se foutaient pas mal de ce que je leur disais, mais ça au début je ne le savais pas encore, et j’attribuais cette indifférence à mon égard à la joie qu’ils avaient tous de se retrouver en s’empiffrant comme des porcs. Quand les présentations furent terminées, y avait plus rien à boire, ni à manger, il y avait donc plus de raisons de s’attarder, tous s’en allèrent. Le directeur me dit que pour aujourd’hui, j’en avais suffisamment vu, et que je pouvais rentrer chez moi.

 

Pour voir, ça m’a pris que quelques jours, pour m’en remettre presque 12 mois, et pour m’y habituer j’ai jamais pu. Presque chaque jour, je devais me coltiner des réunions en groupe de travail, des réunions à thèmes et des séances collectives de recherche-action. Pour chercher ils cherchaient, enfin surtout à se donner de l’importance, quant aux actions, à part élaborer des plans et des magouilles foireuses, j’en ai pas vu beaucoup. Le plus drôle dans ce genre de réunion, c’était que tout le monde devait y aller (pour montrer qu’on était là), et qu’à part tergiverser des heures entières sur le choix de la couleur du papier à-en-tête pour les notes de service, on ne faisait rien et tout le monde s’emmerdait à mourir. Mais pour éviter que les autres s’en aperçoivent, il fallait s’occuper, alors on prenait tous en notes ce que les uns et les autres avançaient comme arguments pour le choix de la couleur. Et puis comme en général, à 5 heures de l’après-midi, les débats n’avaient pas abouti, on devait revenir le lendemain pour continuer la négociation. Pour la couleur du papier à-en-tête des notes de service, ça a duré 8 mois.

 

Quand je n’étais pas en réunion interne, j’étais en réunion à l’extérieur. J’avais été désigné pour représenter l’organisme, comme une sorte de porte-parole. Mais j’avais plus l’impression qu’on m’avait mis là comme une plante verte dans un décor de film muet. Ça parlait beaucoup et surtout pour ne rien dire, alors je coupais le son et je pensais à autre chose, surtout au nombre d’heures qu’il me restait avant de rentrer chez moi. Avec cet emploi du temps hyper chargé, évidemment ma mission pour débloquer notre organisme de la merde dans laquelle il s’était et on l’avait fourré pouvait pas avancer très vite. Mon chef de service me dit que ce n’était rien, que j’avais le temps, et que l’important c’était que je participe aux réunions extérieures pour montrer aux partenaires qu’on était bien présent dans la négociation et qu’on pouvait compter sur nous. Comme mon chef était content de moi, j’en profitais pour faire comme tous mes collègues, en faisant comme si j’étais débordé. Lorsqu’on me demandait d’aller à des rendez-vous, je disais que mon agenda était hyper over booké mais que dans 6 mois on pourrait voir.

 

Le midi, on allait tous ensemble dans le même restau pour se délasser un peu après ces dures matinées. Et pour se changer les idées, on parlait un peu du boulot et beaucoup des problèmes qu’on rencontrait dans notre travail. Ou alors des fois, y en a qui racontaient ce qu’ils avaient fait pendant le week-end, ce qui donnait envie aux autres de raconter ce qu’ils feraient le week-end prochain, mais ça c’était seulement quand on avait épuisé les conversations sur le travail. A part ça, eux ils s’entendaient très bien ensemble, et des fois ils s’invitaient le soir avec leur femme, comme ça entre amis. Ils disaient qu’ils pourraient continuer leur conversation du midi et que vraiment ça tombait bien que leur femme ne travaillent pas, comme ça elles pourraient parler des enfants ou des soldes d’été. Moi, je partais pas en week-end, j’avais pas de femme, et je parlais jamais du boulot parce que déjà je trouvais qu’il fallait être à moitié débile pour y consacrer 8 heures par jour (sans compter le transport), alors c’est peut-être pour ça que j’ai jamais été invité.

 

Je sais pas comment j’ai fait pour tenir si longtemps dans ce boulot, c’était peut-être la peur d’avoir mal vu ou peut-être le chèque à la fin du mois. Pour me changer de mon ancien train de vie, ça me changeait de mon ancien train de vie. Déjà, chaque midi, j’allais au restau, et même si je payais avec des tickets restau payés par la boîte, c’était quand même le restau. Et puis surtout j’avais pu acheter plein de nouveaux trucs vachement nécessaires : un sèche-linge, un robot mixeur, et puis surtout une télé couleur avec écran géant qui me permettait de décompenser après le boulot. Ça compensait un peu le fait que j’étais toujours tout seul, sans ami et sans copine. Mais au fil des semaines, j’ai eu de plus en plus de mal à supporter tout ce cirque, le port de la cravate, mes collègues névrosés et bêtement conventionnels et surtout les achats de plus en plus nombreux que je faisais pour essayer de me sentir mieux. J’étais sur le point de tout envoyer chier, mais les évènements m’ont devancé. C’est arrivé pendant une réunion quand mon chef de service m’a dit devant tous mes collègues que je n’avais pas réussi à m’intégrer au groupe, que mon étude n’avançait pas et que ce que je lui avais montré jusqu’à présent était à peine valable pour faire des confettis. Puis il a ajouté que mon comportement et ma tenue vestimentaire s’étaient vraiment dégradés et qu’ils ne savaient pas quoi faire avec moi à part me virer. Evidemment tous mes collègues, tous très courageux, opinèrent du chef en regardant de leurs gros yeux bovins (pardon les vaches !) leurs beaux souliers vernis. A la fin de la réunion quand tout le monde fut sorti, le chef de service s’avança vers moi. J’étais en train de ranger mes affaires… à la poubelle. Il s’approcha tout près et me dit : « allez, mon vieux ! Ce n’est rien, vous savez, personnellement, je ne vous en veux pas et je n’ai même absolument rien à vous reprocher, mais le groupe perdait sa motivation, nos objectifs n’ont pas été tenus ces mois-ci, et comme vous êtes le dernier arrivé et qu’il fallait donner l’exemple, c’est tombé sur vous, que voulez-vous, mon vieux ! C’est la vie ! Mais vous êtes encore jeune, vous avez encore des années devant vous pour comprendre », et puis il a ajouté : « vous verrez, mon vieux, vous verrez… ».

 

 

Epilogue (aussi bref que provisoire)

Depuis que je bosse plus, je continue de vivre, à me lever chaque matin, à manger chaque jour, à me raser de temps en temps, mais j’ai toujours autant de mal à exister. Je sais pas encore ce que je vais bien pouvoir faire, mais je compte bien voir encore quelques trucs, faire encore des choses, comme ça juste pour voir… et quand  j’aurais vu, je vous le ferai savoir…

 

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