Carnet n°14 Enchaînements
Récit / 2006 / Hors catégorie
Le jour se lève. Les rayons du soleil caressent le mur. J’ouvre un œil étonné. Et cherche une présence. Et je découvre la place vide. J’agrippe alors les plis de mes doigts tristes. Et je songe à autrefois. A la jeune femme et à sa peau tremblante qui berçait mes nuits. Quand l’aube était radieuse et que je ne pouvais encore deviner que sa présence allait assombrir tous les matins à venir. Je songe à la béance ouverte aujourd’hui refermée. Et à mon cœur emprisonné dans la plaie. Au passage obstrué. Et à l’impossible retour.
Le monde d’avant le jour
Il y a un monde d’avant le jour. Un monde de silhouettes et d’ombres qui glissent sous la surface. Qui rampent et se tordent dans la matière.
*
Je déambule avec emphase, bousculant à mon passage, quelques silhouettes. Guidé par l’orgueil, j’avance à grandes enjambés. Je traverse les boulevards sans un regard pour les ombres et les devantures. La lumière des vitrines éclaire ma marche. Ebloui par mon reflet, je toise mon allure. Et m’enfonce avec insouciance - et le pas assuré - dans la ville.
*
Je ricane. Et me gausse des silhouettes alentour. Sûr de ma destinée, je ridiculise à la ronde et persifle à tout-va. Persuadé d’être prémuni contre tous les rires du monde.
*
Le soir tombe. Je presse le pas, impatient de retrouver mon appartement. Le souvenir de la soirée s’estompe. La soirée fut d’un mortel ennui. Un ennui rageur. Me résignant à demeurer à la frange du cercle pendant quelques heures. Ecarté du centre de l’attention. Relégué à la périphérie. Ouvrant une blessure secrète. Une béance ignorée. Ma faille originelle. A présent, une colère sourde m’étreint. Le sentiment diffus martèle ma marche. Après la fuite du territoire hostile, je quitte la rue, m’engouffre dans mon immeuble. Et retrouve enfin mon refuge.
*
Sur mon lit, je songe à l’ombre surgissante. Le noir pénètre la chambre. Les yeux grands ouverts, je spécule sur l’apparition de l’ombre. Je ressasse son arrivée. Admets - sans évidence - son éternel retour.
*
L’ombre s’étend sur ma silhouette endormie. Et s’enfonce dans ma cuirasse. Me recouvre comme une chape de plomb.
*
Je refuse l’ombre. Néglige les entraves du reflet. N’aspire qu’à me soustraire à l’affrontement en espérant une percée naturelle avec le temps.
*
A 4 ans, devant le tableau noir et l’œil émerveillé de la mère, je déchiffre les exercices qui s’enchaînent. Je m’y livre avec joie. Et application. Et devine sur ma nuque l’attention soutenue. L’approbation silencieuse. Et le sourire fier.
*
A 6 ans, je fuis le monde. Le premier jour d’école, j’échappe à la surveillance de l’institutrice pour courir vers le giron maternel. Et retrouver l’accueil attendri. L’hospitalité du regard sensible à ma singularité. Sentir la douceur des jupes. La chaleur rassurante de la peau. L’étreinte réconfortante. Et l’impunité de la désobéissance.
*
Les noces du sang sont consommées. Scellé le lien indéchiffrable. Genèse du couple inaliénable. Naissance de la folie à délier.
*
Rongé par mon insatiable soif d’apprendre - et mon appétit sans limite - je m’enfonce dans les pages. Trouve refuge et matière à m’extraire dans les livres. Comme une promesse infinie de connaissance.
*
J’apaise ma faim sans rechigner. Je dévore les livres. Parcourant les pages jusqu’à l’épuisement, sous l’œil ravi et admiratif de la mère.
*
Appuyé contre mon chevalet, je décrypte le lien indéchiffrable. Arpente l’entrée du tunnel à venir. Tente une percée. Et devine qu’il me faudra creuser à mains nues. Cette perspective me décourage. J’effleure l’espace vide de la toile. Et me rétracte.
*
O toi, douce coquille
En ta chair je m’enveloppe
Et me recouvre du linceul des années
[Ode à la bien-aimée]
*
Au cours d’une soirée entre amis, je sens à nouveau le centre se desserrer. A la fin du dîner, je me réfugie une nouvelle fois à la périphérie. Tétanisé par l’indifférence de mes anciens complices, je salue la foule anonyme. Et tire ma révérence.
*
Les jours suivants se referment sur ma plaie. La solitude s’intensifie. Le désert enfle. La fraternité se retire. Et l’absence de reflet est criante. Je m’appuie en silence sur le lien. M’encourage des applaudissements passés. M’enchaîne une nouvelle fois à l’écho de mon enfance.
*
Je me balance devant l’abîme. Comme un trapéziste maladroit. Accroché au fil tenace, je sens le nœud se resserrer.
*
Je trace quelques traits sur la toile. Etale la couleur à grands gestes. Recule et agrippe un vieux chiffon pour effacer le souvenir. Et toute percée du mystère. Et me remettre aussitôt à la tâche. Obstiné. Et sans joie.
*
Pétrifié par le souvenir, j’écoute la douce musique de l’enfance. L’harmonie des jours d’antan. Les paroles suaves et les mots d’autrefois. Une larme tombe sur l’acier du pupitre. L’amère mélodie m’arrache un triste sourire. Ravive le sombre souffle du lien.
*
La nuit m’envahit jusqu’à l’outre. Et me déchire. S’acharne dans sa triste besogne. En me laissant l’âme en miettes.
*
Il m’arrive de rêver jusqu’à la simplicité. Une masure au fond des bois. Un lac. Et je songe aussitôt à un Walden de papier qui s’abîme déjà sur l’écorce.
*
Un soir, je quitte mon appartement dans une colère noire. Et je marche toute la nuit comme un funambule sur un fil invisible qui s’entortille dans la ville en guidant mon errance à travers les rues jusqu’à l’aube.
*
Ivre de fatigue, je me jette sur mon lit. Couche monacale qui m’accueille sans tendresse. Sous les reins, je sens le bois dur s’insinuer. Se répandre. Et m’envahir.
*
Comment s’éprendre de la dureté de la matière ?
*
L’étoffe du monde ne m’est pas familière. Sa consistance me terrifie. Je rêve d’un corps tendre et rassurant. D’étreintes limpides et langoureuses. De rencontres transparentes où les âmes tournoieraient dans une ronde sans fin. A l’unisson.
*
Quel recours pour le divorce ? A qui doit-on s’adresser pour se désunir ?
*
De la répudiation de l’Autre naissent les liens de la solitude. Pour faire advenir la réconciliation avec le monde. L’Autre pourra alors quitter l’Un pour l’avec. Et devenir infime partie du monde.
*
La chaleur de son ombre me transperce. Et m’étouffe au dedans.
*
Toute histoire nous consume.
*
Le jour se lève. Les rayons du soleil caressent le mur. J’ouvre un œil étonné. Et cherche une présence. Et je découvre la place vide. J’agrippe alors les plis de mes doigts tristes. Et je songe à autrefois. A la jeune femme et à sa peau tremblante qui berçait mes nuits. Quand l’aube était radieuse et que je ne pouvais encore deviner que sa présence allait assombrir tous les matins à venir. Je songe à la béance ouverte aujourd’hui refermée. Et à mon cœur emprisonné dans la plaie. Au passage obstrué. Et à l’impossible retour.
*
Accoudé à la fenêtre, je scrute l’horizon. Au loin, je vois les arbres courbés par le vent. Oublieux de la destinée de leur cime. Et je songe à mes racines. Pétrifié par mes origines.
*
Je respire longuement les effluves du fleuve. Jette un œil aux flots tranquilles qui s’écoulent vers la mer. Rêve un instant. Me souviens des songes de l’enfance. Naguère, je rêvais. Aujourd’hui, je suis terrifié par la perte du lien.
*
La silhouette d’airain si familière me paralyse. Et la sévérité du regard me glace les sangs. Mes mains hasardent une prière. Et je me ravise aussitôt. Comme brûlé dans ma chair.
*
Seul dans l’appartement, les yeux accrochés sur une toile posée contre le mur, j’attends.
*
De l’autre côté de la rue, je regarde la face bouffie d’un clochard, allongé sur le seuil d’une porte cochère. La tignasse broussailleuse posée sur un carton crasseux. L’humanité en suspens. Face à l’abîme qu’elle reflète au monde, les regards se détournent. La raillerie, la peur et le mépris derrière les visages.
*
Lumière éteinte dans le crépuscule naissant. Les yeux tournés vers le ciel barré par un haut plafond blanc. Je suis nu. Et ma main caresse la toison prometteuse allongée à mes côtés.
*
Je me lève. Regarde les sous-vêtements qui jonchent le sol, jetés à la hâte hier soir. Et je me dirige vers la salle de bain. Je m’assois sur le bidet. Ouvre le robinet. Et pleure.
*
Je songe aux mille visages rencontrés dans les rues. Aux figures d’apparat. Aux yeux de bronze. Et aux lèvres pincées. Et partout, le silence. La marche muette des silhouettes. Seul dans un monde de rencontres sans promesse.
*
Nul ami en ces contrées. Et nul espoir en ce monde. Le désarroi est mon seul frère. Traître. Et âpre au combat.
*
Ma plume esquisse la courbure d’une ombre errante. Dessine sous la lampe une longue silhouette familière. Déjà mille fois parcourue. Je désespère. Chaque tentative me précipite dans l’arrière monde. Obstruant tous les passages vers l’horizon.
*
Je fume en silence. Et la fumée recouvre mon œuvre. Le vide prend forme sur la toile. Mais derrière le trait, l’empreinte s’efface. Comme une disparition indélébile.
*
Arcboutée sur la toile, ma main se crispe. Etale la couleur en gestes saccadés. Avec un regain d’ardeur. Comme un ultime sursaut avant la chute probable. Et attendue.
*
Je regarde la toile. Et les traits enrobés de matière. Gratte la substance séchée de mes doigts. Estompe les couleurs. Les efface. Et je sens la fibre se déchirer. Je persiste. Tente d’enlever les couches de non-matière. D’accéder à l’invisible, derrière les traits : la substance originelle. Et à bout de souffle, je renonce et m’effondre sur le plancher.
*
L’expérience du néant me tétanise. Je m’écroule sous la pesanteur de l’hôte.
*
Seul dans l’obscurité. Immobile. A peine un souffle. Presque mort.
*
Je n’ai qu’un rêve : échapper à mon destin terrestre.
*
J’écoute la pluie battante qui frappe à la fenêtre. Et me réfugie dans la matrice du monde. Ma vie ne tient qu’à cet instant de répit. Et de silence.
*
Sisyphe enchaîné à son rocher. Terré dans l’anfractuosité du massif. Un répit de courte durée.
*
Je songe aux milliards d’âmes sans refuge. Condamnées au rocher éternel.
*
Je songe aussi au lien distendu. Et à l’os dépouillé de sa chair.
*
Je revis l’enfance éternelle. Découvre cette blessure creusée dans le sein maternel qui empiète l’espace. Emmure de sa présence. Gorges encombrantes et chimériques qui obstruent la sortie du labyrinthe.
*
Je découvre mes fantômes. Seul dans l’intervalle déserté par les vivants. Face aux spectres qui m’entourent, j’écoute apeuré.
*
L’existence est une lente naissance. Une longue médication peut-être...
*
Je ressasse ma déchéance. L’idée de la mort devient omniprésente.
*
Dans un livre ouvert au hasard, je lis : la liberté n’est pas de mise dans la civilisation humaine. Elle est pourtant le substrat du monde. Et sur ses immondices poussent les fleurs.
*
Je sors précipitamment de mon appartement. Je pousse la porte d’un café. Et m’assois dans l’arrière salle. J’attends la joie. Et je sais qu’elle ne viendra pas. La nuit sera mon seul repaire.
*
Je songe au tableau noir qui terrorisait mon enfance. A mon bourreau sur l’estrade qui interrogeait le parterre au hasard en pointant un doigt sur sa victime. Dans le reflet de la baie vitrée, je découvre mon visage grelottant. Et l’effroi de mon regard. Les silhouettes toujours vivaces de mes fantômes.
*
J’aimerais échapper aux rencontres abusives. Aux épreuves qui blessent, excèdent et nous échappent. Je débarrasse mes étagères des livres qui encombrent et qui mentent. J’efface toutes traces d’appartenance à la civilisation humaine. Je n’aspire qu’à une seule chose : me retrancher du monde.
*
Je décide de quitter la ville. Pour un lieu isolé. Une villégiature solitaire.
*
Je note sur mon carnet : le monde est une patrie étrangère.
*
Les jours passent.
*
L’hiver s’étend à présent sur la plaine. Derrière la vitre, le monde des hommes se voile.
*
Les heures propagent leur ennui. Et leur tristesse. Je contemple les bûches dans la cheminée. Quelques crépitements avant le silence des cendres.
*
La grisaille des jours me hante pendant des semaines. L’absence devient la seule empreinte vivace. Comme une plaie à vif. La neige s’installe avec plus d’ardeur. Et recouvre bientôt tous les bois alentour.
*
Rien que le silence. Et l’âme frigorifiée.
*
Par la fenêtre, je vois un corbeau s’envoler. Et j’y perçois un sombre présage. L’entrée dans le gouffre qui m’a vu naître et où le monde s’est dérobé.
*
Un soir, je surprends mon reflet dans le miroir. Et je regarde l’amant solitaire à la poitrine triste. Et aux yeux ardents. J’éprouve le manque brûlant de l’Autre. Et de sa chaleur.
*
Nu devant le miroir, je soupèse mon regard, jauge ma silhouette. Et j’éteins la lumière. Dans la pénombre, je sens le flasque de la chair se gonfler.
*
Je pose une narine sous mon aisselle. Renifle la détresse. L’odeur de mon existence invécue. Et je détourne la tête, écœuré.
*
La tristesse est ma seule compagne. Dans ses yeux brille une fragrance tyrannique. Comme mon seul amour conjugal.
*
Volets clos. Je m’endors. Me réveille en sursaut. Surpris par la nuit. Je jette un œil à la pendule fixée sur le mur blanc. Et me rendors péniblement. Sans espoir de réveil.
*
Le séjour s’éternise. En vain. L’horizon ne charrie nulle réponse. Mille questions en quête de voix. Et d’atroces nuits d’insomnie. Le seul écho : la parole silencieuse et nocturne. Comme un cauchemar sans fin.
*
Nuit blanche. Absorbé dans la contemplation du plafond. J’arpente les fissures du ciel écaillé. J’imagine le ciel plus haut. Le ciel alentour. La nuit noire qui enveloppe l’univers. Et aux premières heures du jour, je sombre dans le sommeil.
*
Déconcerté par l’amplitude des jours. J’occupe les heures, les yeux rivés sur les collines.
*
Reclus dans mon refuge. J’attends le long et âpre affrontement avec l’infortune que j’abrite depuis l’enfance.
*
Comme Sisyphe écrasé par son rocher, j’attends une délivrance impossible.
*
Une nuit, courbé sur le puits caché au fond du jardin, je jette un œil à l’abîme. Et à la chaîne jetée au fond du gouffre. Et je crie. Et aussitôt les profondeurs me répondent. Un écho incompréhensible et pourtant salvateur. Je souris. Comme s’il m’avait confié le secret des origines et de la chute.
*
Nuit sans sommeil. J’attends la naissance de l’aube. L’œil fixé sur l’horizon, je guette la venue inespérée du soleil.
*
Et aux premiers rayons, je note sur mon carnet : comme au premier matin du monde.
*
Je quitte mon refuge. Le pas encore hésitant mais déjà ragaillardi. En route pour la cité des hommes.
*
Je regarde l’ombre de ma silhouette s’étirer sur le sol. Dans le ciel, le soleil est déjà à l’œuvre.
Fenêtres
Il y a la famille, il y a le monde. Et mon incompréhension d’être parmi eux. Il y a la fenêtre aussi où je m’attarde longuement. Et le ciel à qui je pose mille questions. Et qui ne m’entend pas. Le ciel est si sourd. Pourquoi ne me prête-t-il pas l’oreille ?
*
Dehors, il y a tous ces gens. Qui marchent, qui rient. Seul ou à plusieurs. Je regarde leurs yeux. Et leurs pas. Où vont-ils ? A quoi songent-ils ? Arriverais-je un jour à les comprendre ?
*
Vaut-il mieux connaître les gens que les comprendre ?
*
Et il y a cette solitude que je trompe dans mes pages. Toutes ces feuilles que je n’adresse à personne. Tous ces mots toujours aussi aveugles. Le monde peut-il se voir ?
*
J’allume la radio parfois. Et j’écoute. Les voix familières du poste dont les mots sont choisis avec soin. Les émissions se succèdent. France culture. Qui écoute cette radio ?
*
J’imagine les auditeurs assis dans une pièce confortable et emplie de livres. Moi, je suis assis par terre. Les pieds sales et les ongles rongés par l’angoisse de ne pas savoir - de ne pas me connaître.
*
J’aimerais être un oiseau. Monter vers le ciel. Traverser les mers. Pourquoi suis-je à cette place ? Et qui l’occupe exactement ?
*
Qui est ce personnage qui se prend pour moi ? Je le connais. Il est fier. Et peu fréquentable. Pourquoi est-il si détestable ?
*
Je lis sans goinfrerie. Des ouvrages écrits par des hommes qui pourraient me ressembler. Mais qui ont su, eux, tracer leur route.
*
La jungle littéraire est-elle plus âpre que la jungle des fauves ?
*
Qui est cette femme que j’aime et que je ne comprends pas ? Terrienne venue d’ailleurs. De lointaines contrées. Au-delà des mers et du passé. Existe-t-il d’autres mondes ?
*
J’écoute mon instinct. Mon intuition est morte. En villégiature peut-être ?
*
Il existe d’autres mondes. Je les sens. Mais je ne peux les explorer. Les deviner tout au plus.
*
Qui être parmi les êtres ? Je déteste me poser cette question. Et je me la pose souvent.
*
Ces pans d’identités qui se délitent. Qui suis-je ? Vieille question insondable…
*
Je me sens parfois si vaste. Et si singulier. D’où viennent ces sentiments ?
*
Relation intense et ambigüe avec elle. Dangereuse. Malsaine peut-être ?
*
Du monde, je ne connais rien. Je croyais le connaître. Me serais-je trompé ?
*
Que reste-t-il quand tout vacille ? La conscience de vaciller ? Et qui vacille ? L’image de soi ? Et qui a conscience de l’image de soi ?
*
J’ai souvent envie d’enfouir ma tête dans la terre. Quel territoire ai-je besoin de protéger ? Et de quel danger voudrais-je me défendre ?
*
Tout vacille. Et le monde continue de tourner. La vie est une ronde dont je suis exclu. Et j’aimerais tant connaître quelques pas de danse.
*
Il y a une nostalgie d’avant-la-relation. Le temps de l’apaisement.
*
Qu’ai-je appris ? Et si je m’étais perdu ? Peut-on apprendre de la perte ? « Oui » semble me dire mon instinct.
*
Il faut prendre une décision : poursuivre ou arrêter cette relation ?
*
Nous nous sommes tant de fois quittés. Une trentaine de fois (et peut-être davantage) en quelques mois.
*
A la vie, à la mort ? Mais qui sommes-nous pour décider ? La réponse doit surgir de la Vie. Et je l’entends à peine. Où se cache-t-elle ?
*
Je croyais avoir franchi un seuil. Celui de l’accueil. Je me suis trompé. Qui a trompé qui ?
*
Ces questions m’obsèdent. Saturent mon mental. Trop encombré déjà.
*
Elle est rentrée comme un tourbillon, comme un rêve dans ma vie. Partira-t-telle de la même façon ? J’en suis persuadé.
*
Ce journal est naïf. Et toutes ces questions révèlent mon ignorance. Comment grandir ?
*
J’ai écrit tant de lignes depuis tant d’années. Qui les a lues ? Quelques yeux compatissants.
*
Suis-je déjà perdu à moi-même ?
*
Qui en nous cherche la vérité ? Dire que je croyais connaître la réponse. Me suis-je donc tant fourvoyé pour ne plus savoir ?
*
Ma chair ne croit plus en son destin. Et ma peau commence à flétrir. Qui es-tu, corps ? Et sauras-tu me découvrir ?
*
Ma vie est sans carte. Et je ne sais vers quels territoires diriger mon existence ?
*
Une conscience sans boussole. Comment ne pas perdre le nord ? Et faire confiance à ses pas ?
*
Mes empreintes n’indiquent aucune direction. Y a-t-il un chemin ?
*
Se creuse en nous, à chaque pas, un lieu vétuste et confiné. Et je l’embellis chaque jour un peu plus … Je creuse mon nid dans ce taudis.
*
Pourquoi s’en aller ? Et pourquoi rester ? Décider n’a jamais été simple pour moi.
*
Le dilettantisme n’est pas mon fort. Et tout effort me met au supplice. Pourquoi ne pas écouter son pas ?
*
Je conduis un charriot sans bœuf. Alors pourquoi s’éreinter à avancer ? Je resterais toujours le cocher d’un mauvais attelage.
*
L’habitude creuse en nous son fief. Et nous fortifions ses remparts.
*
Une force m’appelle que j’ignore. Où va-t-elle me pousser ?
*
J’aimerais partir pour un ailleurs que j’ignore.
*
Je ne cesse de fuir les instants qu’offre la Vie. Que craindre exactement ?
*
Vers quel gouffre te sens-tu aspiré ?
*
Mon mental est une grotte dont je ne peux pousser les parois. A quand le soleil ?
*
Vivre m’est doux et inconfortable. Une mousse piquante et un peu terne. J’aimerais tant explorer le reste du jardin.
*
Comme un enfant capricieux qui casse ses jouets, je blâme mes camarades qui refusent de prêter les leurs.
*
Y a-t-il un joyau au fond de soi ? J’ai beau m’arracher le regard, je ne perçois qu’un abîme.
*
La solitude est-elle une compagne ? Et serons-nous capables un jour de nous unir ?
*
Le monde a sur moi tant d’attraction que je ne sais où donner de la tête…
*
Je rêverais de monter les marches d’un escalier ouvert sur le ciel. Et je n’ai pour l’heure qu’une corde lisse entre les mains.
Pâtures
Toute parole est un cri que le monde recouvre, étouffe, enterre. L’écho sera ta seule réponse à jamais. Il te faut devenir l’espace pour que s’abolissent les frontières entre le tumulte et la paix. Un espace où pourront se dissoudre la plainte du verbe, l’onde du souffle et la clameur foudroyante du silence et du bruit, née de ton appel.
*
L’angoisse de l’effacement. Dans le regard. Et sur la feuille. Tes empreintes sur le sable recouvertes par la mer. Balayées par les vagues. Quel chemin emprunter pour comprendre la nature de tes traces ?
*
La solution ? Les recouvrir d’un regard. Les amarrer. A un quai. Inquiet. L’inquiétude serait-elle alors ton quai qui engendre les regards ? Voilà peut-être l’explication de tes angoisses ? Alors quoi? Larguer les amarres ? Aller où l’océan te porte… l’os séant. Rester sur place ? Et regarder les vagues ? Embrasser la marée ? Dévoiler la mère dans les vagues ? Et tirer ta casquette de capitaine… sans capituler, tu peux naviguer… fonce vers le brun. Vers l’embrun. Et laisse-toi fouetter le visage. Le sage naîtra de la confrontation aux vagues. Dix vagues ne peuvent rien contre toi. Tu es insubmersible. Malgré tes errances. La mère ne peut t’atteindre. Ni te couler. Elle t’a enfanté. Point, c’est tout. Point sait tout. Interroge-le. Il te dira comment faire sans la mère…
*
Ecrits. Et cri. Pour quoi crier ? Parce que tu as peur? De quoi as-tu peur ? De tout. Et du vide. Vide de quoi ? Vide de rien. Rien s’en va. Rien revient. Rien de rien. Tu n’as à avoir peur de rien. Rien n’est ni méchant ni très bon. Rien est rien. Un peu de vent sur ta silhouette qui te pousse dans les flammes. La flamme des femmes qui t’attise. Et comme une braise, te consume. Prends garde au feu qui t’allume… A toi de choisir ton brasier… et tes cendres…
*
Tes igloos furent tes remparts au blizzard du monde. Et aujourd’hui, tu es prisonnier des glaces. Seul dans la tourmente face au vent. Voilà l’unique passage. Le couloir de la délivrance.
*
Tu es vide sans le regard de la mère qui t’encombre. Tu auras besoin du courage de tes deux mains et de ton cœur qui bat. Rien d’autre pour percer l’armure et affronter le silence de la traversée.
*
Nulle façon de briser la résistance (tes résistances). Sinon te laisser happer.
*
Que faisais-tu, enfant, sous le regard silencieux de ta mère ? Etais-tu sage ? Te montrais-tu impatient d’attirer son œil ? Comment t’y prenais-tu pour combler l’insupportable ?
*
Tu ne peux bâtir sans raser. De la table rase ne pousseront pourtant que des cendres. Des vestiges et des ruines. Des agrégats de poussière à venir.
*
Aveuglé par le destin. Et la force de ton désarroi. Tu parcours les heures pour visiter la ronde infernale qui agite tes pas. L’incompréhension toujours au bout de tes semelles.
*
Comme un naufragé sur l’estrade, tu attends le professeur. Inquiet de son retard ou de son absence. Cloué au pupitre des âges.
*
Autorise-toi le droit d’inventaire. Pour établir la liste de tes prix.
*
Si singulier est ton jardin que tu longes les haies de la terrasse. Mais pourquoi toutes ces herbes folles dans les travées ?
*
Il y a un monde d’avant le monde. Un miroir sans face où gît le reflet de la lune. Et rien qu’un enthousiasme fiévreux dans l’espace. Inondé de rien. Et si plein (déjà) de toi-même.
*
Pourquoi diable t’endors-tu au réveil ? Les barbelés sous l’oreiller t’auraient-ils écorché ? Alors pourquoi ces cicatrices sur ta joue ?
*
Mise sur l’orage. Et en un éclair, tu sauras.
*
Tu encombres trop l’abîme pour dénicher l’espace. Amincis tes flancs. Et tu égayeras la balancelle.
*
Quand deviendras-tu le roi des mendiants ? Un peu d’étoiles dans la poussière. Et le firmament naîtra bientôt sur l’asphalte.
*
Il n’est de poète sans voix. Trouve ton souffle pour crier. Et l’appel sera fécond.
*
Vois les sirènes s’approcher. Et abats tes voilures. Nulle entrave n’est nécessaire pour naviguer en tes ports. Le temps des forçats est derrière toi.
*
Plus beau est le reflet, plus vils seront les visages. Prends garde aux éclats du miroir.
*
Les bains de foule te liquéfient. Evapore donc les visages en bulles légères. Jusqu’à la transparence. Et rejoins-les.
*
Heureux l’homme doué d’irraison. A pas décomptés, il s’éloigne. Se promène où va le vent. Avec tous les airs dans la tête.
*
Tu t’accroches comme à une bouée à tout ce qui te submerge. Et tu t’étonnes de sombrer. Marin de tes propres infortunes.
*
En ta besace, mille tonnes qui alourdissent ta marche. Et tu fredonnes, l’allure joyeuse, sur le passé. Avec l’espérance de vents moins violents ?
*
Nul lieu ne te réjouit. Les yeux noirs, le rire jaune et les lèvres pincées. Tu bailles toujours d’ennui et d’indigence.
*
Il y a en toi un oiseau qui rêve de s’envoler et dont les ailes sont fixées aux barreaux. Comment envoler ta cage ?
*
L’être blessé gît derrière tes clôtures. Laisse-le reprendre souffle. Pour les franchir sans impatience ni meurtrissure …
*
A quel horizon te destines-tu ? Les paysages varieront selon les perspectives.
*
Les lambeaux du ciel t’éventrent. Et feront couler ton sang sur la terre. Mais n’aie crainte d’avancer la semelle trempée dans ta lignée.
*
Marche sans bruit dans la cour pour que l’oiseau entende tes pas. Ses ailes sont de bon présage.
*
Au bout du vent, au-delà des flaques s’étend le marais dont les vapeurs t’enivrent. Le chemin est une ivresse. De bout en bout, une fiole en tête.
*
Docile est le doigt pour l’esprit cadenassé. La clé est dans la chair.
*
Tu ne seras pas invité au festin si ton feu n’est pas assez fourni.
*
Gare aux manchots qui courent. Leurs ailes te recouvriront.
*
Sans souffle, nul bec puissant. Rien ne sert de mordre. Tu n’auras que les miettes. Quelques graines peut-être… si le vent tourne…
*
L’amour est fécond pour celui qui en fait son terreau. Sans ratissage, les graines pousseront. A bientôt la récolte. Mais que ramassera le paysan ?
*
Qui pourrait t’aimer davantage que toi-même ?
*
Quand il y aura autant de vide au dedans qu’au dehors alors la frontière disparaîtra.
*
Tu as le choix. Soit remplir le vide (ta béance). Soit te laisser emplir par lui (elle).
*
Habite donc l’espace. Et tu accueilleras en tes terres l’indétrônable souverain qui saura te consoler de toutes les désolations.