Carnet n°19 Traversée commune Livre 3 - L'épopée spirituelle
Récit & fiction / 2007 / La quête de sens
La quête de lumière de l’Homme commun. Décontenancé par l’absurdité du monde obscur, accablé par son incontournable voyage à travers les hémisphères, l’Homme commun amorce une douloureuse traversée du désert. Terrifiante traversée à l’issue de laquelle il s’enquiert d’un éclairage sur le monde afin d’échapper à la misère, à l’insignifiance et à la solitude de sa condition. L’Homme commun part en quête de son salut. Et qu’importe la lumière pourvu qu’elle lui offre les promesses d’un sort meilleur.
L’EPOPEE SPIRITUELLE propose deux séries de fragments imbriquées, EBLOUISSEMENT TENEBREUX et ULTIME IMPASSE (la première série étant insérée dans la seconde – comme partie intégrante du récit).
EBLOUISSEMENT TENEBREUX Traversée commune.
La quête de lumière de l’Homme commun. Décontenancé par l’absurdité du monde obscur, accablé par son incontournable voyage à travers les hémisphères, l’Homme commun amorce une douloureuse traversée du désert. Terrifiante traversée à l’issue de laquelle il s’enquiert d’un éclairage sur le monde afin d’échapper à la misère, à l’insignifiance et à la solitude de sa condition. L’Homme commun part en quête de son salut. Et qu’importe la lumière pourvu qu’elle lui offre les promesses d’un sort meilleur.
ULTIME IMPASSE
Traversée singulière.
La quête de lumière de l’Homme singulier. Après ses errances et sa déconcertante traversée des hémisphères, l’Homme singulier est anéanti, incapable de se résigner à l’absurdité et à la désespérance du chemin. Au cœur du néant, il n’entrevoit d’issue qu’à travers la mort. En s’enfonçant dans ses profondeurs, il découvre une lueur inespérée, lointaine et profonde qui le détourne du geste fatal. Ce mince espoir initie ses premiers pas sur le chemin intérieur. Chemin qui lui semble (de toute évidence) la seule issue possible. Au sortir de cette effroyable traversée du néant, l’Homme singulier part en quête de cet espoir lointain (de cette lueur entrevue en ses profondeurs) à la surface du monde. Et cette quête le mène au cœur de l’ultime impasse. Eclairé par une sombre lanterne (découverte en chemin), ses pas le précipitent au cœur de l’obscurité paroxystique où il découvre, après une éprouvante et déstabilisante mise à nu, la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs.
ULTIME IMPASSE
Traversée singulière
(à gauche et à droite)
Brinquebaler à gauche et à droite
au gré de la quête aveuglante guidée par une lumière trompeuse…
Partie 1 AU FOND DU GOUFFRE
Préambule
Tu poses l’esprit aventureux, désespéré. Anéanti. Et tu tournes en rond dans ta chambre.
(3.1)
Halte centrifuge
Tu tournes en rond. Tu tournes en rond toute la nuit. Dans la nuit obscure. Au lever du jour (quand pointe le soleil), tu marques une courte pause. Après quelques heures de sommeil (une éternité sans doute), tu reprends ta marche en criant.
(3.2)
En criant
Je veux sortir du cercle étroit.
(3.3)
Sortie
A défaut de pouvoir sortir du cercle étroit, tu enfiles ta veste. Et tu sors de chez toi.
(3.4)
Errance
Tu marches, dans les rues, comme une âme en peine. Comme une âme errante. Tu erres dans la ville sans âme. Jusqu’au soir. Jusqu’à la tombée de la nuit.
(3.5)
Temps vespéral
A l’heure crépusculaire, tu décides (malgré toi) de poursuivre ton errance.
(3.6)
Poursuite de l’errance
Tu marches jusqu’au bout de la nuit. Tu marches pendant des jours et des jours. Pendant des nuits et des nuits.
(3.7)
Poursuite de l’errance (bis)
Tu poursuis ton périple sur les routes obscures du monde. Tu poursuis ta traversée absurde des tristes contrées. Tu erres pendant des siècles. Pendant des millénaires peut-être. Pendant une éternité sûrement. En quête d’un espoir.
(3.8)
Espoir
Tu espères encore. Oui, tu espères encore.
(3.9)
Espoir désespérant
Tu espères. Sans trouver d’issue à ton espoir. Tu espères en désespoir de cause.
(3.10)
Causes du désespoir
Tu réfléchis. A ton désespoir. Au cours de ta nébuleuse réflexion, tu décèles quelques évidences. L’absurdité du monde. L’affligeante traversée des hémisphères. Le non-sens de ton itinéraire. La fuite de Lhomme. L’absence d’éclaircies et d’éclairage sur le chemin obscur. La grisaille alentour et la noirceur de ton âme.
(3.11)
Poursuite de l’errance (ter)
Tu ne sais que faire. Que penser. Tu poursuis (malgré toi) ton errance. Une nouvelle fois. Marcher pour oublier. Un pas après l’autre. Poursuivre la pénible progression pour te donner l’illusion d’avancer. Cheminer. Avancer sans savoir. Cheminer vers nulle part.
(3.12)
Breaks
Au cours de ton périple, tu fais halte à plusieurs reprises. Pour lever les yeux au ciel. Pour regarder les affligeantes contrées du monde. Et tes tristes paysages intérieurs. Ton environnement familier.
(3.13)
Environnement de l’errance
Autour de toi : ville grise. Au-dessus : ciel gris. En toi : âme grise.
(3.14)
Sombres variations
Gris. Gris, Gris.
(3.15)
Accentuation de l’obscur
De plus en plus gris. Gris. Gris.
(3.16)
Assombrissement
Au fil du chemin, le gris se fonce. Et le gris t’enfonce.
(3.17)
Sombres variations (bis)
Gris foncé. Foncé. De plus en plus foncé. Noir.
(3.18)
Sombres variations (ter)
Noir. Noir. Noir.
(3.19)
Environnement de l’errance (bis)
Autour de toi : nuit noire. Au-dessus : ciel noir. En toi : humeur noire. Sentiment noir. Cœur noir. Idées noires.
(3.20)
Halte
Tu renonces à l’errance mobile. Tu fais halte. Tu marques une pause (définitive). Tu immobilises l’errance. Mais l’errance immobile se poursuit.
(3.21)
Errance immobile
Tu rentres chez toi. Tu te jettes sur ton lit. Tu enfouis la tête sous l’oreiller. A dix mille pieds sous terre.
(3.22)
Variations immobiles
Noir. Noir. Noir.
(3.23)
Errance immobile (bis)
Tu pleures. Tu geins. Tu te lamentes. Tu blâmes l’obscurité du monde. Tu blâmes les hémisphères. Et les ténèbres de ton âme insatisfaite. Tu es au bord du suicide. En pleine crise dépressive (peut-être).
(3.24)
Affaiblissement
Tu restes terré dans l’obscurité de ta chambre des jours entiers. Le cœur enfoui dans les ténèbres. Tu te recroquevilles. Les forces te quittent. Ton élan vital s’amenuise. Tu renonces à geindre. Tu n’as plus la force de geindre. Tu gémis. Un son inaudible. Un long gémissement silencieux. Tu te rétractes. Ta vie s’estompe peu à peu.
(3.25)
Aparté psychologique
Quelques jours plus tard, tu décides, dans un sursaut d’espérance, de consulter le service psychiatrique de ton quartier. Un service psychiatrique dirigé par un psy. médiatique dont la tête orne, depuis des années, la première page des magazines à la mode (tête célèbre qui s’invite aussi, crois-tu te souvenir, sur tous les écrans aux heures cathodiques de grande écoute). Pendant les consultations, tu regardes cet imbécile. Tu remarques son air libre, imparfait et heureux. Capable de se résigner à l’obscurité du monde, à la noirceur des cœurs mais qui cherche (frustré sans doute) la lumière des projecteurs braquée sur son visage satisfait, trop heureux (sans aucun doute) de voiler sa part d’ombre.
(3.26)
Ecœurement
A la fin de chaque séance, tu refermes la porte de son cabinet avec la nausée (au bord du cœur). En entrant dans ta chambre, tu craches sur le sol avec dégoût. L’obscurantisme qui s’abreuve d’artifices lumineux t’écœure, le monde t’écœure, la vie t’écœure. Et ton existence te dégoûte…
(3.27)
Issue médicale
A chaque consultation, cette pensée te donne la nausée. A chaque consultation, tu restes muet. Inerte. Après une dizaine d’entrevues, il diagnostique une dépression. Et décide de t’hospitaliser.
(3.28)
Cachets
Au cours de ton séjour à l’hôpital, on te gave de pilules (de pilules du bonheur). Pilules du bonheur qui t’écœurent. Tu fais mine de les avaler. Et tu les recraches aussitôt la porte refermée.
(3.29)
Fin de l’aparté
Après de longues semaines de traitement, on te laisse ressortir (sans raison apparente).
(3.30)
Retour
Tu rentres chez toi.
(3.31)
Pause contemplative
Avant de retrouver ton logement (un minuscule deux pièces dans un vieil immeuble du centre-ville), tu décides de t’arrêter face au grand fleuve qui longe la grande avenue, à quelques encablures de l’impasse où tu as logé pendant quelques années. Tu t’assois sur un banc. Un vieux banc décati face au grand fleuve éternel. Face au grand fleuve au cours imperturbable.
(3.32)
Fin de pause
Après une longue méditation sur l’absurdité du monde et la désespérance de l’existence, tu reprends ta marche, le cœur vide. Au bord de la nausée.
(3.33)
Dégoût
En fin de matinée. En rentrant chez toi. Toujours la nausée.
(3.34)
Dégoût (bis)
Toute la journée. La nausée. Toujours la nausée.
(3.35)
Première longue nuit des ténèbres
Début de soirée. La nausée. Toujours la nausée. Les mains et le cœur sales. Le cœur inapte au bonheur.
(3.36)
Mauvaise assise
Tu passes la soirée assis dans ton canapé. A contempler le néant alentour. Et ton vide intérieur.
(3.37)
Rage
Après ta triste contemplation, tu lèves un œil fatigué sur ta bibliothèque. Tu saisis un livre (au hasard). Et tu le jettes contre le mur. Tu en saisis un deuxième (dans une colère froide et brûlante) et tu le lances à travers la pièce. Tu en saisis un troisième. Un quatrième. Un cinquième. Tu saisis les livres par poignées et tu les jettes contre le sol. Tu renverses les étagères de ta bibliothèque. Après un combat essoufflant (et acharné) tu tombes à genoux. Face contre terre. De grosses larmes (de grosses larmes de tristesse et de colère) inondent tes joues. Tu empoignes les livres à ta portée et tu en déchires toutes les pages. Les pages volent dans la pièce. Les mots se déchiquètent. Ils redeviennent syllabes, lettres estropiées. Tu détruis tes plus dévoués compagnons. Impuissants à t’aider.
(3.38)
Défaite
Après de longues minutes de combat acharné, tu regardes en pleurant l’affligeant champ de bataille. Des milliers de pages gisent sans vie autour de toi.
(3.39)
Tranchée
Tu passes la nuit enseveli sous les feuilles de tes livres (en guise de couverture). Et tu grelottes jusqu’au petit matin.
(3.40)
Réveil
Tu ouvres un œil avec les premiers rayons de soleil. Tu regardes (avec désarroi) le sol jonché de pages. Comme autant de cadavres. Tu te lèves péniblement. La stature debout t’est insupportable. Tu poses un genou à terre. Comme vaincu. Tu poses à terre ton second genou. Et tu commences à rassembler les feuilles éparpillées. Tu sauves ce qui peut encore l’être. Après plusieurs heures de patiente collecte, tu remarques, épargné au centre de l’étagère centrale de ta bibliothèque ravagée, un minuscule ouvrage. Tu te lèves avec empressement. Pour regarder la couverture. Et tu lis. TRAVERSEE COMMUNE, Aux cœur des ténèbres, l’ultime impasse.
(3.41)
TRAVERSEE COMMUNE
AU CŒUR DES TENEBRES, L’ULTIME IMPASSE
Angoisse absolue
Tu songes avec terreur à l’absurdité de l’existence.
(3.42)
Affliction
Tu te désoles de l’absurdité du monde. Et de la triste résignation des hommes.
(3.43)
Encerclement
Tu blâmes l’idiotie universelle.
(3.44)
Gangrène
Encerclé par la nuit noire, tu assistes, impuissant, à l’obscurcissement de ton cœur. A l’irréversible nécrose de ton âme.
(3.45)
Regard enténébré
Tes œillères noircissent le chemin et les paysages du monde.
(3.46)
Mur de façade
Aveugle aux beautés enfouies du monde, ton ciel gris s’assombrit.
(3.47)
Exacerbation
Tu amplifies (malgré toi) ta solitude métaphysique.
(3.48)
Abandon
Tu te sens seul. Si seul.
(3.49)
Fin ultime
Tu songes avec angoisse à ta finitude.
(3.50)
Unique lueur
Tu condamnes l’obscurité. Et la fuite. Et tu cherches sans espoir un éclairage.
(3.51)
Premières couches
Tu t’enterres à la surface du monde.
(3.52)
Désespérance
Tu t’enfonces sans espoir au fond du tunnel.
(3.53)
Eschatologie personnelle
Tu songes à la fin du monde comme à une délivrance.
(3.54)
Lueur d’espoir (dernier paragraphe de la partie 1)
Tu rêves (malgré toi, en secret et en silence) d’échapper à ton funeste destin.
(3.55)
Sombre interlude diurne
Tu passes la journée au cœur de la nuit. A lire Au cœur des ténèbres, l’ultime impasse. Tu lis et relis les funestes fragments du mystérieux (et mince) ouvrage. Et tu crois comprendre (excepté la dernière phrase qui, pour l’heure, t’échappe totalement). Tu es au bord du gouffre. Entre mort et folie. Tu sens la folie qui guette. Et la mort qui s’approche.
(3.56)
Table rase
Après ta lecture, tu balayes, d’un revers de main, la surface de ta table de travail. Tu ouvres un tiroir. Tu prends une feuille. Et tu écris. Notes de journal (1 à 4).
(3.57)
Reconnaissance (note de journal 1)
Tu reconnais tes errances. Et ta traversée aveugle.
(3.58)
Errance (note de journal 2)
Après tes errances au cœur des mondes obscurs et ta traversée des hémisphères, tu erres le cœur en peine. Tu marches le cœur agonisant.
(3.59)
Lourdeur (note de journal 3)
Tu avances sous la voûte en traînant les pieds.
(3.60)
Espérance désespérée (note de journal 4)
Tu cherches (en vain) une délivrance à ton angoisse métaphysique.
(3.61)
Court répit
A la nuit tombée (comme la veille), tu te couches sur tes feuilles éparpillées. Et tu somnoles quelques heures.
(3.62)
Deuxième longue nuit des ténèbres
Au milieu de la nuit. Tu t’éveilles (sans bruit). Et tu quittes ton logement. Tu franchis d’un pas morne le hall de ton immeuble. Et tu t’enfonces dans la nuit. Tu baguenaudes au gré des pas. Au gré des rues, tu t’égares. Au cours de ton errance, tu découvres un parc désert. Tu y entres et tu t’allonges sur une pelouse clairsemée au pied d’un figuier rabougri.
(3.63)
Reprise de l’errance mobile
Après quelques heures d’errance immobile, tu reprends ta marche. Et tes pas te ramènent (malgré toi) vers le grand fleuve. Tu retrouves ta place sur le banc (le banc sur lequel tu t’étais assis la veille, au cours de l’après-midi). Tu y fais halte quelques instants. Tu regardes les tristes et pâles lumières de la cité des hommes. Tu baisses la tête. Et tu l’enfouis dans tes mains. Tu pleures. Désespéré.
(3.64)
Assèchement
Tu pleures longtemps. De grosses larmes. De grosses larmes qui coulent en silence. Tu pleures pendant une éternité. Tu assèches ton cœur. Et tu fermes les yeux.
(3.65)
Extension
Le temps se dilate. Et tu te lèves (comme en rêve). Et tu poursuis ton chemin (malgré toi).
(3.66)
Boyau
Tu avances. Comme aimanté. Dans un long tuyau. Sombre et étroit. Tu progresses lentement. Avec difficulté. Au bout de quelques pas, tu étouffes. Tu suffoques. Tu te perds. Tu t’acharnes. Tu piétines. Tu marques une pause. Tu marques une pause dans le long conduit. Tu te recroquevilles. Tu n’as plus la force (ni le courage) d’avancer. Tu deviens inerte. Tu attends. Quelques instants. Une éternité.
(3.67)
Emmurement
Le temps se dilate (une nouvelle fois). Le conduit se rétrécie. Devant toi, aucun horizon. Le noir. L’obscurité. Les ténèbres. Dans ta tête, tes pas s’embourbent. Tu t’enfonces. Tu entrevois ton avenir.
(3.68)
Disparition
Ton avenir. Le néant. L’enlisement. Le tunnel sombre qui se rétrécit. Aucun espoir. Nulle échappatoire. Nulle fuite possible. Un désastre. Une seule destination promise. L’enterrement. La fin du monde. Peut-être (enfin) la délivrance.
(3.69)
Resserrement
Au cœur du tuyau. Tu ne peux avancer. Bloqué. Pris au piège. Tu sens la mâchoire d’acier se refermer sur tes tempes. L’étau se resserrer. Lentement. Ce resserrement est un supplice. Tu sens ton cerveau se liquéfier. Il se liquéfie. L’étau se resserre. Un liquide saumâtre coule le long de tes lobes temporaux. Il suinte. Tu le sens dégouliner le long de tes conduits auditifs. Inonder tes tympans. Sortir par les oreilles. Tu laisses, impuissant, l’étau accomplir son œuvre. Il transforme ta tête en jus de cerveau. Tu deviens jus de cerveau. Tu te répands. Tu deviens flaque. Et tu finis par t’évaporer. Tu disparais. Sans trace.
(3.70)
Liens
Tu ouvres les yeux. Et ton regard (toujours aimanté) s’attarde sur l’un des ponts (nombreux en cet endroit) qui enjambent le grand fleuve. Tu te lèves. Et tu marches en direction du pont le plus proche.
(3.71)
Immobilité
Tu t’accoudes à la balustrade. L’œil rivé sur l’horizon.
(3.72)
Engloutissement
Et tu regardes. Devant toi, l’horizon noir. Autour de toi, le paysage noir. Au-dessus de toi, le ciel noir. Derrière toi, le chemin noir. En toi, les sentiments noirs. Et tu sombres.
(3.73)
Noirceur
Devant l’abîme. Le noir.
(3.74)
Noirceur (bis)
Au fond de l’abîme, le vide noir happe ton regard.
(3.75)
Noirceur (ter)
Partout le noir.
(3.76)
Enjambement
Tu enjambes la balustrade du pont sous la lueur blafarde d’un réverbère qui éclaire faiblement la grande avenue (déserte à cette heure tardive). Tu restes suspendu devant l’abîme pendant de longues minutes. Un temps infini. Infiniment long. Une courte éternité.
(3.77)
Suspension
Suspendu au-dessus de l’abîme, tu regardes le ciel noir et ombrageux. Orageux. Il commence à pleuvoir. La pluie s’intensifie. Les gouttes cinglent ton visage. Et (soudain) au cœur de l’orage, tout s’éclaire.
(3.78)
Eclairage
Tout s’éclaire (avec évidence). L’obscurité du monde. Les errances des hémisphères. L’espoir du chemin. Et la lumière du Ciel.
(3.79)
Abandon
D’un revers de main, tu essuies les larmes et les gouttes qui inondent ton visage. Tu es sur le point de lâcher. De te laisser engloutir (à jamais) par l’abîme obscur. Rejoindre les ténèbres.
(3.80)
Rappel
Tu songes (avec tristesse) aux êtres que tu as rencontrés (que tu as aimés). Aux paysages que tu as traversés. A tes longues errances sur les chemins du monde. Tu songes au soleil. A l’astre lumineux qui éclairait médiocrement tes jours. Tu cherches en toi la force et le courage de t’accrocher. De rester vivant. Tu songes à la vallée heureuse. Et à la vallée des larmes. Le courage te manque et tu sens tes forces te lâcher. Tu descends en toi (plus profondément encore). Pour recueillir tes maigres forces. Et ton courage chancelant. Insuffisant à te sauver de ton naufrage. De ton désastre.
(3.81)
Hérault
Tu lèves les yeux au ciel. Prêt à lâcher. A travers les nuages sombres et épais, la lune livide scintille pâlement. Parmi les ombres, une lueur court sur ton visage. Tu t’apprêtes à lâcher lorsqu’un oiseau traverse le ciel et se pose à quelques mètres sur la balustrade. Il émet un son inaudible (couvert par la pluie battante), quelques notes d’un chant imperceptible (que tu crois entendre) avant de reprendre son envol. Et tu le regardes (avec tristesse) disparaître dans le noir du ciel. Tu y vois (malgré toi) un signe. Un message incertain. Un soutien. Un réconfort mystérieux. Une consolation. Une bienveillance de la nuit. Une lueur dans l’obscurité. Un espoir d’envol. Et d’horizons peut-être moins sombres. Et tu éclates en sanglots. Tu mêles tes pleurs aux eaux du fleuve (et de la pluie). Le courage te revient (lentement). Tes forces réapparaissent (peu à peu). Tu agrippes la balustrade. Et tu t’assois sur le muret de pierres qui surplombe le fleuve.
(3.82)
Intuition
Assis sur le parapet, tu médites longuement. Sur ton sort (malheureux). Sur ton (effroyable) infortune. Tu tournes tes yeux à l’intérieur. Tu entrebâilles (timidement) la porte du dedans. Et tu lèves les yeux au ciel pour regarder passer les nuages (de gros nuages noirs, chargés d’orages). Tu les vois disparaître au loin, poussés par le vent. Tu les vois se distendre, s’élargir, se transformer. Et soudain. Une vague intuition. Tu perçois une étonnante similitude entre le ciel et ton esprit. Tes idées tristes et les nuages chargés de pluie.
(3.83)
Au dedans
Au fond de l’obscurité. Derrière la tristesse (l’infinie tristesse), tu perçois une lueur (pâle et lointaine). Un maigre espoir. Tu quittes la balustrade. Et tu décides de reprendre ton chemin. De partir en quête de cet espoir. De cette lumière (entraperçue au loin, au fond de la nuit, derrière les ténèbres).
(3.84)
Remontée
Tu remontes ton col. Et tu prends le chemin du retour.
(3.85)
Retour
Tu rentres chez toi à pas lent. En entrant dans ton appartement, tu te diriges (sans hâte) vers ta table de travail. Et tu relis le dernier fragment d’Au cœur des ténèbres, l’ultime impasse.
(3.86)
Lueur d’espoir (dernier fragment du volume 1)
Tu rêves (malgré toi, en secret et en silence) d’échapper à ton funeste destin.
(3.87)
Compréhension
Et tu crois (enfin) comprendre…
(3.88)
Réflexions
Après ta lecture, tu réfléchis quelques instants. Tu ouvres les pages de ton journal. Et tu écris. Notes de journal (5 et 6).
(3.89)
Progression (note de journal 5)
Etape 1 : au cœur des mondes obscurs.
Etape 2 : tu fuis au cœur des hémisphères.
Etape 3 : Au cœur des hémisphères, sous l’arc-en-ciel illusoire (et trompeur), tu découvres l’effroyable abîme.
Etape 4 : au fond de l’abîme, entre les rives de la mort et de la folie, tu aperçois une faible lueur. A l’intérieur. Au loin.
(3.90)
Espoirs (note de journal 6)
Tu espères quitter l’obscurité du monde. Fuir les hémisphères et éclairer ton chemin. Tu espères échapper aux ténèbres de ton âme insatisfaite. Remplir ton cœur vide. Et avide. Rassasier ton cœur (encore) affamé.
(3.91)
Repos
Et tu t’endors, l’âme fatiguée. En espérant reprendre ta route au réveil.
(3.92)
Poursuite
Le lendemain, à peine levé, tu pars en quête de cette lueur. De cet espoir. De cette lumière lointaine (encore lointaine).
(3.93)
Poursuite (bis)
Et ton voyage se poursuit…
Partie 2 LUMIERE TROMPEUSE
Atermoiements
Pétri de doutes et encore affaibli par ta terrifiante traversée, tu erres quelques temps dans la ville. En proie aux questionnements. Tes pas te mènent (une nouvelle fois) vers ton banc fétiche, l’unique témoin de tes errances, de ton désastre passé… et de ton espoir de sortir du tunnel.
(3.94)
Ignorance insistante
Tu ne sais où chercher. Tu aimerais trouver. Mais tu ne sais où (ni comment) chercher.
(3.95)
Interrogations
Tu fouilles. Tu creuses. Toujours en proie aux questionnements. Tu cherches (en toi). Aucune réponse. Au fond du tunnel, une pâle lueur. Tu lèves les yeux. Et à l’horizon, tu perçois une éclaircie dans le ciel ombragé.
(3.96)
Surgissement
Tu baisses la tête. L’espoir te semble si lointain. Et (soudain) tu entends la question surgir en toi.
(3.97)
Question
Comment s’approcher de l’espoir ? Où aller ? Où chercher ? Fouiller… ? En soi… ? Poursuivre sa marche… ? Jusqu’à l’horizon… ? Que faire ?
(3.98)
Habituelle intuition
Tu décides de suivre ton instinct. Et tes habitudes. De recourir à ton soutien coutumier : les livres.
(3.99)
Nouvelle quête
Tu te lèves. Et tu te précipites au cœur de la ville. A la recherche d’une librairie.
(3.100)
Soutien
Au cœur du quartier des facultés, tu pousses la porte de chaque librairie.
(3.101)
Librairie
Tu compulses (avec avidité) les ouvrages empilés sur les tables, les fascicules rangés dans les bacs. Tu ne sais comment orienter ton choix (tu n’as que l’embarras du choix). Tu parcours tous les rayons. Tu arpentes chaque étagère. Philosophie, psychologie, développement personnel, bien-être, théologie, ésotérisme. Tu feuillettes chaque livre. En les refermant, une bouffée d’espoir (et de curiosité) te submerge.
(3.102)
Richesses
Tu achètes deux demi douzaines d’ouvrages. Et tu rejoins ton appartement la pile de bouquins sous les bras (que tu portes comme un trésor). Comme un coffre renfermant les clés de ta délivrance.
(3.103)
Correspondance
Tu lis tous les ouvrages de A à Z. De la première à la dernière ligne. Tu es surpris. Ils décrivent ta situation. Tes aspirations. Ta lueur. Et ton désir (encore flou) de lumière.
(3.104)
Unique invitation
Tu remarques que tous ces ouvrages te proposent une clé. Et chacun t’invite à chercher la voie.
(3.105)
Nouvel espoir
Tu tournes les pages, le cœur plein d’espérance. Au fil des livres, ton espoir grandit. Comme si la lueur se rapprochait. Au bout du tunnel, tu entrevois l’issue.
(3.106)
Hésitation
Tu interromps ta lecture. Tu marques un temps d’arrêt. Et tu t’interroges.
(3.107)
Interrogation
Tu ne sais quelle voie emprunter.
(3.108)
Dilemme
Tu refermes les livres. Et tu tournes (une nouvelle fois) en rond dans ta chambre. Avec une certitude et une question en tête.
(3.109)
Certitude
Trouver la voie. Ta seule issue est de trouver la voie. Tu n’as guère le choix. Seulement trouver la voie.
(3.110)
Question
Mais quelle voie choisir ?
(3.111)
Seule issue
Décision. Tu décides de répondre à cette question. Et tu pars en quête d’une réponse.
(3.112)
Pérégrinations ouvertes
Pendant plusieurs semaines, tu sillonnes la région. En quête d’une réponse. Tu visites des églises, des temples, des
moquées, des synagogues, des pagodes, des monastères, des abbayes, des cloîtres. Diverses communautés. Tu arpentes tous les chemins du sacré. Aux confins du religieux et de l’ésotérisme. En quête d’ingrédients.
(3.113)
Précisions
Au cours de ton périple, tu rencontres le responsable de chaque communauté. Tu dialogues avec des prêtres, des moines, des gourous, des imâms et quelques anachorètes.
(3.114)
Voix multiples
Au fil des pas, tu multiplies les rencontres. Cisterciens, trappistes, bénédictins, chartreux, soufis, bonzes, moines zen, djaïns, gourous, hindous. Tu pousses la porte de tous les lieux de la voie.
(3.115)
Quêtes tous azimuts
Tu poursuis tes visites. Temples (de tous ordres), chapelles, sanctuaires. Tu participes à des pèlerinages. A des réunions spirituelles. Tu es de toutes les assemblées. Tu explores les allées des foires spirituelles. Tu te renseignes à chaque stand. Tu t’abonnes aux revues des nouvelles spiritualités.
(3.116)
Pratiques diverses
Tu fréquentes les salles de prière, les dojos, les salles de méditation. Tu t’essayes à la méditation transcendantale. Tu écoutes les nouveaux gourous du siècle. Tu lis leurs ouvrages. Tu pratiques le yoga. Tu expérimentes la vision chamanique.
(3.117)
Apprentissages
Tu apprends des bribes d’hébreu et de chaldéen, des rudiments d’arabe et de tibétain et les bases du sanskrit et de l’araméen. Tu cherches (de toute évidence) le langage universel du Divin. Et il t’arrive aussi de rêver de prophètes, de messies et de messes en latin.
(3.118)
Croyance
Bref. Tu crois arpenter l’avant chemin de la voie.
(3.119)
Déversement
Après chaque découverte, tu rentres chez toi, le sac débordant d’ingrédients. Tu les déverses sur la natte qui tapisse le sol de ta chambre. Tu ornes tes murs de crucifix et de Bouddha. Tu te renseignes sur la barmisthva. Tu achètes des ouvrages sur Allah. Tu cherches (toujours) la voie.
(3.120)
Décoration
Tu accroches des icônes aux murs de ton salon. Tu poses des bougies sur tous les meubles de la maison. Tu fais provision de cierges et de bâton d’encens que tu fais brûler toute la nuit.
(3.121)
Déversement (bis)
Après chaque rencontre, tu rentres chez toi, le cœur débordant d’ingrédients. Tu les déverses dans ton carnet posé sur l’autel qui trône au centre de ta chambre.
(3.122)
Notes
Un jour, tu décides de transformer ton carnet de notes en journal de bord. Journal de ton épopée spirituelle. De ta recherche singulière de la voie.
(3.123)
Extrait de journal 1
Nouvelle religion. Longue déambulation dans les rues. Partout des enseignes, des magasins, des réclames. Tu notes que l’hôtel des ventes a remplacé l’autel des églises. Tu es triste que le commerce soit devenu religion.
(3.124)
Extrait de journal 2
Nouvelle vague. Tu voyages beaucoup. Et tu remarques que la religion matérialiste a déferlé sur l’entière surface du monde. Tu vois les continents submergés. Et les hommes à la dérive. Bientôt noyés par les grandes surfaces…
(3.125)
Echec
En dépit de tes notes (de journal), de tes lectures (innombrables), de tes rencontres (incalculables) et de tes apprentissages (considérables), tu ne découvres aucune porte. Aucune lueur. Aucun espoir. Aucune voie. Et malgré tes insuccès, tu gardes espoir. Et décides de poursuivre tes recherches.
(3.126)
Poursuite
Tu poursuis (donc) ta quête. Tu reprends le tour des librairies. Tu arpentes (une nouvelle fois) tous les rayons du religieux et du sacré. Tu approfondis ta prospection. En fouillant avec obstination. Avec rage. Pour trouver la voie du salut.
(3.127)
Découverte
Après une longue série de recherches infructueuses, tu découvres un jour (enfin) l’Ouvrage. Le saint Livre. Rangé (ou caché peut-être…) derrière une triple rangée d’ouvrages ésotériques chez un obscur libraire.
(3.128)
Description
Description du saint Livre : sorte de Bible mâtinée de Coran, de Torah, de Talmud, d’Upanisads et de Soutra. D’emblée, son titre évocateur te séduit : Guide du Salut.
(3.129)
Compulsion
Tu le parcours avec avidité. Chaque phrase te séduit et t’enthousiasme. Chaque paragraphe est un éclairage. Et chaque chapitre une révélation.
(3.130)
Lueur éclairante
Tu éprouves (pour la première fois) l’étrange sensation d’une éclaircie. Si rare (et si inespérée) depuis que tu arpentes les chemins du monde obscur. Tu sens la lueur (et ton espoir) s’intensifier. Comme si tes pas t’avaient soudain rapproché d’une lampe qui brille dans la nuit.
(3.131)
Engagement officieux
Après ta lecture, tu décides (enthousiasmé) de suivre le chemin proposé (en 10 étapes et 15 préceptes). Tu notes l’adresse (indiquée au dos du saint Livre en lettres rouge et or) de la communauté et du temple les plus proches de ton domicile. Le siège régional de la communauté du Salut. 7 rue du temple à B. Tu plies soigneusement le papier dans ta poche. Et le lendemain, tu te rends à l’adresse indiquée. En transport en commun.
(3.132)
Halte con-temple-hâtive
Après un long trajet en tramway, tu arrives à destination. Tu traverses, d’un pas rapide et allègre, les quartiers populeux (et impies sans doute) de la ville basse. Direction : les quartiers de la ville haute. Au cœur de la ville haute, tu empruntes la route du temple. Edifice majestueux, perché au sommet d’une haute colline (ceinturée par d’autres moins majestueuses en contrebas).
(3.133)
Description extérieure
Première impression. En arrivant, tu remarques derrière les murs (surmontés de hautes grilles) une élégante et prestigieuse bâtisse aux volets clos. En pénétrant dans le bâtiment, tu notes avec surprise le décalage entre la luminosité de l’immense jardin et la pénombre des pièces de la Demeure (appellation de la grande bâtisse donnée par la communauté du Salut).
(3.134)
A l’intérieur
A l’intérieur de la Demeure. Dans la grande pièce du Salut (une des nombreuses salles de cérémonie). Tu te prosternes (comme il convient) en imitant les membres de l’assemblée des fidèles présents avant de te glisser parmi eux. Autour de toi, tu remarques les adeptes. Disciplinés. Obéissants strictement aux ordres judicieux et attentifs du grand Frère des Loges de la Demeure. La tête enrubannée et le foulard leur enserrant leur cou, tu les vois se prosterner avec grand dévouement. Au fond de la salle des cérémonies, sur une haute estrade, les initiés semblent resplendir d’une aura merveilleuse. Les yeux en paix et le cœur serein. Le pas agile et la démarche souple, tu les observes aller et venir, prodiguant conseils avisés et encouragements bienveillants à l’assemblée des fidèles.
(3.135)
Accueil
A l’issue de la longue cérémonie rituelle, les frères de la communauté du Salut t’accueillent à bras ouverts. Comme si le Sauveur même les visitait. Après les formalités d’usage, le frère hôtelier t’invite à le suivre dans l’aile de la Demeure réservée aux non-initiés. A l’aide d’un passe caché dans les replis de sa tunique, il ouvre la porte d’une cellule, te désigne le guide du Salut (le saint Livre de la communauté) posé sur une petite table de bois brut avant de repartir de son petit pas tranquille (en te lançant d’une voix douce et mélodieuse).
- Que la Paix accompagne tes pas sur le chemin du Salut, mon frère !
(3.136)
Bénédiction
Après un rapide coup d’œil au mobilier de la cellule, tu poses ton sac au pied du lit. D’un geste machinal, tu saisis le saint Livre (que tu feuillettes quelques instants d’un air inspiré et précautionneux). Au bout de quelques pages, tu reposes le saint Guide (avec une infinie précaution) pour contempler, à travers l’étroite lucarne de la cellule, l’immense parc de la Demeure. Et tu es aussitôt saisi par un étrange sentiment de calme et de sérénité. Une sensation de quiétude que tu n’avais éprouvée depuis une éternité. Après tes errances (et ton éprouvante traversée du néant), ce lieu paisible et retiré est une vraie bénédiction. Tu vas (enfin) pouvoir te reposer, retrouver les joies de la Communauté des Hommes et le silence du recueillement. Retrouver tes Frères et unir – pourquoi pas ? – vos prières. Et tu te surprends à murmurer.
- Ô Gloire à Toi, Ô sauveur des âmes, Ô Père du Salut !
(3.137)
Séjour
Le soir, à l’issue du repas (pris en silence et en commun dans la grande salle du réfectoire de la Demeure), les frères (de la communauté du Salut) t’invitent à séjourner quelques jours parmi eux. Au cours de ton séjour, tu participes aux rituels, aux cérémonies, aux prières, aux repas, aux réunions. Les frères t’écoutent, te guident, te conseillent. Ils t’accordent un espace en leur sein. Tu te sens entouré, enveloppé, soutenu. A ta place. Tu découvres (pour la première fois) l’attention et l’amour de tes frères humains.
(3.138)
Rencontre décisive
Le dernier jour de ton court séjour, le grand frère majeur du groupe régional, instructeur principal de la voie du Salut et vénérable de la communauté locale te reçoit (en personne). Après une heure d’attente dans une pièce étroite qui jouxte la salle de réception individuelle, le Vénérable t’invite à entrer dans son bureau.
(3.139)
Vénérable frère
Devant le Vénérable, vieillard majestueux et noble mage drapé de sagesse et de savoir (et détenteur des clés du Salut), tu te prosternes (tremblant et intimidé) et tu balbuties :
- Ô mon Père ! Ô mon Frère ! Je ne sais comment vous appeler, Vénérable ! Si vous saviez mon bonheur à vous rencontrer !
Le Vénérable, assis sur son noble trône, un simple tabouret en bois (couleur or et rouge), te sourit (digne et serein). D’un geste, il relève sa tunique et te murmure, d’une voix grave et profonde :
- Soit le bienvenu, Ô mon fils ! Et que la paix accompagne tes pas sur le chemin du Salut !
(3.140)
Fin de séjour
L’entrevue avec le Vénérable te convainc de t’engager chez les frères et sur le chemin du Salut. Et tu retournes chez toi, convaincu. Ainsi s’achève ton premier séjour dans la noble communauté.
(3.141)
Engagement progressif
Au cours des semaines suivantes, tu effectues de nombreuses visites chez les frères de la communauté. Tu t’y rends chaque week-end. Après ton dur labeur hebdomadaire séculier.
(3.142)
Décision
A l’issue de 7 semaines d’incessants allers et retours (entre le temple et ton domicile), tu décides d’entreprendre une longue retraite dans la communauté. Tu prends congé de ton emploi. Tu délaisses ton quotidien familier. Et tu rejoins les frères du Salut.
(3.143)
Intronisation
Le jour de ton intronisation, tu effectues (selon l’expression consacrée par la noble assemblée des frères majeurs) le grand saut dans le Salut. Dans une pièce annexe à la grande salle de cérémonie, tu te prépares à ton ordination.
(3.144)
Préparation
Tu saisies la tondeuse. Et en quelques gestes habiles, tu te rases le crâne. Tu revêts la tunique d’apparat (réservé aux novices). Et tu parades (ainsi) avec un sourire de circonstance devant le grand miroir du couloir (en attendant ton entrée dans la grande salle de cérémonie).
(3.145)
Engagement
La cérémonie se déroule à merveille.
(3.146)
Engagement (bis)
Après ton intronisation, tu renonces solennellement, dans l’anti-chambre de la Demeure, à ton existence et à tes errances passées. Après un sermon (magistral) d’un grand frère majeur, tu fais le serment devant le saint Livre, le guide du Salut, de suivre les préceptes de la communauté. Tu t’engages au renoncement.
(3.147)
Renoncement
Tu renonces à tout (à presque tout). A l’argent. Tu en lègues la totalité à la direction spirituelle de la communauté du Salut. Pour le Salut de la communauté et l’assemblée des fidèles.
(3.148)
Renoncement (bis)
Tu renonces aux plaisirs. A l’amour charnel. Aux biens matériels. Au mal. A la colère. Aux vices.
(3.149)
Renoncement (ter)
Tu renonces à l’obscurité et à l’ignorance. Tu renonces au désir et à tes anciennes amitiés. Tu renonces à presque tout (sauf, bien sûr, à ton salut).
(3.150)
Engagement
Tes renoncements (multiples) ouvrent la porte à ton engagement total dans la voie du Salut.
(3.151)
Rythme quotidien
Tu t’engages sur la voie. Tes journées sont riches et rythmées. Consacrées à ton salut (et à celui de tes frères).
(3.152)
Note
Chaque soir, tu notes sur ton journal les rituels de la journée, ta pratique (assidue) et ta progression sur le chemin.
(3.153)
Relecture
Chaque matin (après avoir récité la prière du Salut), tu relis les notes de ton journal.
(3.154)
Extrait de journal (1)
Troisième précepte : la posture de la prière, récitation perpétuelle…
(3.155)
Extrait de journal (2)
Quatrième précepte : la pratique (assidue et disciplinée) du disciple obéissant…
(3.156)
Extrait de journal (3)
Vertus cardinales : l’amour des frères, de la Terre et des êtres ignorants du Monde. L’Intelligence de la voie du Salut. Et la clairvoyance de l’esprit salutisé.
(3.157)
Extrait de journal (4)
Prière (7 fois par jour), assis le postérieur face aux forces incroyantes du monde, du cosmos et des ténèbres et le front incliné face à la sainte porte du Salut.
(3.158)
Extrait de journal (5)
Chants, récitations de formules salutaires, incantations, rituels du Salut…
(3.159)
Extrait de journal (6)
Cinquième précepte : les prêches, les sermons de la Demeure, l’amour des frères, la conversion des incroyants et des infidèles…
(3.160)
Période d’apprentissage
Ton séjour se déroule à merveille. Les jours passent. Et tu mets un point d’honneur à appliquer (avec un enthousiasme sans faille) les préceptes de la communauté.
(3.161)
Rigorisme ascétique
Tu pratique le jeûne. Tu fais pénitence. Tu mortifies ta vie. Tu austérises tes jours.
(3.162)
Période d’apprentissage (bis)
Les jours passent. Et tu participes (avec enthousiasme) à toutes les cérémonies.
(3.163)
Période d’apprentissage (ter)
Les jours passent. Et tu t’adonnes sans relâche à une pratique disciplinée.
(3.164)
Exemple
Support pratique. Tu construits dans ta cellule un autel à la gloire du Sauveur. Tu t’agenouilles (7 fois par jour – selon les recommandations du 7ème précepte). Tu pries le Sauveur et la voie du Salut. Tu recouvres ton chemin de prières. Tu t’adonnes à l’obole salutaire.
(3.165)
Période d’apprentissage (quarto)
Les jours passent. Et tu franchis, une à une, les étapes de la voie prônée par la communauté du Salut.
(3.166)
Adepte docile
Disciple discipliné. Adepte de la voie du Salut. Tu encenses la vérité nouvelle du Sauveur. Et tu stigmatises l’ignorance, les mécréants et l’ère séculière de ton temps.
(3.167)
Période d’apprentissage (cinque)
Les jours passent. Et tu assumes (avec joie) toutes les missions confiées par le conseil supérieur des frères majeurs (organe suprême et instance collégiale dirigeante de la communauté).
(3.168)
Mission première (et fondamentale) de la communauté
Le prêche. Et le recrutement de nouveaux fidèles.
(3.169)
Support
Le conseil supérieur pourvoie à satisfaire cette mission fondamentale. A cet égard, il distribue à chaque disciple recruteur une brochure d’information.
(3.170)
Information
Extrait de la plaquette (destinée aux frères recruteurs de la communauté du Salut). Aucun prosélytisme (évidemment). Mission du prêcheur. Convaincre le cœur humain. Brandir la peur et promettre le Salut à venir. Montrer le seul chemin. L’unique porte d’accès au Salut. Ratisser large. Ramasser les feuilles éparpillées (les pauvres créatures incroyantes) dans la cour du monde (selon l’expression consacrée par la communauté).
(3.171)
L’habit du prêcheur
Après une courte période de formation, on t’octroie le privilège de revêtir la panoplie de frère recruteur, fidèle disciple de la vérité du Salut. Et on te pousse sur les chemins du monde.
(3.172)
La route du prêcheur
Pendant de longues semaines, tu arpentes la surface du globe, la mine modeste et rayonnante. A ton passage, tu remarques que les passants font halte. Et te laissent passer (étonnés ou respectueux). D’autres te regardent ébaubis (ou un peu moqueurs). Et tu notes que ta parure, ton accoutrement et ton statut ne laissent personne indifférent. Et au fil des pas, tu te félicites de cette singularité.
(3.173)
Rôle
Au cours de tes (interminables) pérégrinations sur les chemins du monde, tu te surprends à jouer de ta parure. Il t’arrive régulièrement (en marchant dans la foule) de réajuster l’un des pans de ta tunique d’un geste ample et lent (que tu fais durer à plaisir).
(3.174)
Note de journal
Tu éprouves quelque fierté à déambuler ainsi dans les rues avec ta tunique sobre et élégante. Elle prouve (sans conteste et sans doute possible) ton appartenance à une noble congrégation. A la digne communauté du Salut.
(3.175)
Appartenance
Tu chemines sur tous les chemins. Fier d’appartenir à cette nouvelle race de pèlerins.
(3.176)
Rôle (bis)
Tu honores (avec zèle) ton activité de prêcheur. Tu interpelles les passants. Tu distribues des prospectus. Tu sonnes aux portes. Tu participes à des réunions et à des assemblées. A de longues processions. Tu œuvres pour la noble cause du Salut des âmes.
(3.177)
Affichage
Partout, tu brandis les pancartes de ta communauté. Sur tous les chemins. Et dans toutes les contrées.
(3.178)
Pancartes
Sur les pancartes (de ta communauté) figurent une inscription (en lettres rouge et or) : le chemin du Salut. Et une devise : un seul chemin. Le Salut pour chacun.
(3.179)
Affichage (bis)
Tu poursuis ton œuvre de frère prêcheur. Tu annonces la bonne parole. Tu répands la vérité de ton assemblée. Tu rêves de convaincre les athées, les agnostiques, les infidèles, les mécréants. La masse indifférente des non-croyants. Tu rêves de convertir l’humanité. De la rallier à ta cause.
(3.180)
Période d’apprentissage (sei)
Les jours passent. Et tu surmontes les obstacles et les épreuves du chemin (de la noble voie du Salut).
(3.181)
Promotion
Pour encourager tes probantes avancées (et ton spectaculaire dévouement), le grand frère majeur de la communauté nationale t’invite, à l’issue de tes longues semaines passés sur les routes, à participer à un pèlerinage sur les rives du Fleuve lointain.
(3.182)
Epreuve de croyance
Le pèlerinage.
(3.183)
Expérience
Tu pars (donc) en compagnie d’autres frères prêcheurs méritants, sur les bords du Fleuve lointain. Après 49 jours de marche forcenée, tu rejoins la longue procession du pèlerinage.
(3.184)
Nouvelle épreuve
Au cours de ton pèlerinage, la communauté autochtone t’invite à participer à une longue retraite (retraite solitaire) pour mettre à l’épreuve ta foi dans la voie du Salut.
(3.185)
Epreuve de résistance
La retraite.
(3.186)
Havre de paix
Après une ascension de quelques jours, tu découvres (enfin) le lieu de ta retraite. Un temple minuscule et isolé, haut perché sur une montagne enneigée (à quelques lointaines encablures de la communauté locale de la Demeure). Un endroit sacré. Un havre de paix. Une pure merveille pour le repos de l’âme et la quiétude du cœur. Un vrai bonheur. Tu es irrésistiblement attiré. Tu pousses la porte et pénètres dans l’unique salle du temple. Une pièce large et un peu sombre où se tient agenouillé un Sauveur serein et souriant. Une haute statue colorée, placée sur un trône (sans fioriture) tenant dans la main droite un livre et dans la main gauche un bouquet de fleurs (sûrement en signe de bienvenue au retraitant méritant ou au visiteur égaré). D’un geste ample et lent, la statue t’invite à prendre place devant l’autel. Tu t’assois heureux, à ses côtés, sur un petit tapis joliment brodé. Et tu pries assis pendant plusieurs semaines dans ce lieu magique et retiré. Pour la bonne cause : ton Salut.
(3.187)
Retour triomphal
Après ta retraite (et ton pèlerinage), tu reprends le chemin de ta communauté locale. Ton retour est salué par les responsables communautaires et la foule des fidèles du temple avec un enthousiasme débordant. Tes efforts, ta persévérance et ton assiduité sont couronnés de succès. On te nomme (aussitôt) grand frère mineur. Tu prends du galon (et tu exultes en secret). Quelques semaines plus tard, on t’invite à quitter la communauté pour fonder ton propre groupe affilié. Tu jubiles.
(3.188)
Epreuve de consécration
Pour fêter ton départ, les frères majeurs t’invitent dans le sanctuaire des sanctuaires (pour tes fidèles et loyaux services à la noble Cause du Salut et encourager ton indéfectible dévouement).
(3.189)
Reconnaissance
Avant d’entrer dans le cœur vivant de la communauté du Salut où réside la docte assemblée des grands Pères du Salut, tu fais halte sur le parvis du temple (devant le sanctuaire des sanctuaires). Tu remarques la foule des fidèles (tous détiennent, au moins, le grade de frère mineur). Tu les rejoins le cœur primesautier. Tu savoures (en ton for intérieur) d’appartenir aux élus. Tu t’honores de ce privilège. Tu entres avec eux au cœur du temple. Pour écouter le prêche du grand Rédempteur. Figure internationale (et historique) de la grande communauté du Salut.
(3.190)
Le grand sauveur incarné
Description du grand rédempteur. Grand maître du Salut (15ème degré de l’Ordre du Salut). Sage et souriant, toge or et rouge, tunique en soie blanche, kéfir sobre (couleur ocre), sandales à lanières, grand, charismatique (évidemment) et crâne rasé (signe de renoncement aux beautés factices du monde).
(3.191)
Note de journal
Epreuve d’assistance. La bénédiction personnelle du grand rédempteur au cours d’une cérémonie fastueuse et émouvante. Immémorable. Une joie infinie.
(3.192)
Epreuve de célébration
Après la bénédiction du grand Rédempteur, tu participes à la grande célébration du Salut au cours de laquelle tu prêtes serment de rester fidèle (à jamais) aux règles communautaires, aux saints préceptes du saint Livre, aux fidèles et partisans et aux frères mineurs et majeurs des diverses assemblées.
(3.193)
Temple personnel
Avant ton départ, les grands frères majeurs te prodiguent un ultime conseil : devenir ton propre temple. En trouvant un abri au plus profond de ton âme. Cette perspective nouvelle t’ouvre de larges perspectives. Tous t’assurent que tu peux (à présent) considérer le monde comme ta propre demeure. Et après d’interminables (et émouvants) adieux, tu quittes la communauté pour regagner la vie séculière en habit d’initié du Salut.
(3.194)
Relooking
De retour chez toi, tu changes (bien sûr) de garde-robe. Tu remplaces ta tunique par des vêtements civils. Couleurs sobres. Gris, ocre, marron. Mais tu conserves une coupe de cheveux qui exacerbe ton rigorisme.
(3.195)
Noble sentier
En quelques jours, tu redécouvres le monde qui ignore le chemin du Salut. Tu admets (à l’évidence) l’ampleur de ta mission de Salutisation (prêcher le Salut). Tu aimerais tant révéler à chaque homme l’indicible vérité de la voie. Lui prouver l’absolue vérité du chemin du Salut. Lui montrer qu’il se fourvoie sur des sentiers malfaisants et dangereux (terriblement dangereux). Tu aimerais tant sauver l’humanité en perdition en lui montrant le noble sentier qui la mènerait vers des jours meilleurs et un avenir prometteur.
(3.196)
Au cœur du jardin
Quelques jours plus tard (mandaté par tes nobles Grands frères), tu pars à travers le vaste monde. En quête d’un espace pour créer ton groupe affilié. Tu traverses les paysages avec un sentiment de familiarité comme si tu pérégrinais au cœur de ton propre jardin. Tu t’arrêtes ici et là avec quiétude, avec bonheur, sans méfiance, sans prudence. Ton âme est libre. Tu marches le cœur léger et tranquille. Tu t’offres désormais au monde qui s’est offert à toi. Et tu arpentes les chemins le cœur en paix. Sûr de ta vérité.
(3.197)
Couronnement
Au cours des mois suivants, tu vis l’apogée du prosélyte. Tu bâtis ton temple. Tu recrutes une assemblée de fidèles disciplinés. Et tu œuvres (sans relâche) à la conversion des infidèles et des incroyants.
(3.198)
Paroles incarnées
Chaque jour, du haut de ton estrade, tu t’époumones. Tu vocifères des prêches enflammés et culpabilisants. Tu radicalises ton discours. Tu intégrises (malgré toi) ton amour des créatures du Monde.
(3.199)
Vérités frappantes
A coup de prières solitaires et de prêches endiablés, tu frappes les vérités de la doctrine du Salut pour les enfoncer dans ton crâne. Et tu les assènes dans le crâne des fidèles qui s’inclinent devant tes vérités. Tu étroitises (malgré toi) l’intelligence et hiératises (toujours à ton insu) la voie (les vérités de la voie).
(3.200)
Rencontre déterminante
Après avoir créé ton propre temple, fondé ton groupe affilié, organisé la vie et la voie de tes fidèles, converti un grand nombre d’infidèles et d’incroyants, un jour, au cours de tes déambulations prêchantes, tu rencontres un infidèle récalcitrant. Un mécréant ignare qui prend un malin plaisir à malmener tes certitudes croyantes. Malgré tes convictions inébranlables, ses paroles parviennent à semer un léger trouble. Un doute ténu. A l’issue d’un débat animé, il glisse (à ton insu) dans l’une de tes poches un mince fascicule. Un fascicule anodin (et innocent) qui va bouleverser la poursuite de ton chemin vers le Salut.
(3.201)
Découverte
Après de longues et fructueuses semaines de Salutisation, un soir, tu découvres le fascicule (avec étonnement). Son titre : TRAVERSEE COMMUNE, l’éblouissement, au cœur de l’ultime impasse. Tu l’ouvres. Et tu lis incrédule (et toujours avec étonnement) les fragments suivants :
(3.202)
TRAVERSEE COMMUNE, l’éblouissement, Au cœur de l’ultime impasse
Pansement
Tu cherches une réponse à ton malaise fondamentale. A apaiser ton angoisse métaphysique.
(3.203)
Attente
Tu chemines dans l’espoir d’éclairer l’obscurité du monde. Et la noirceur de ton âme.
(3.204)
Précipice
Arrivé au bord du monde, tu découvres l’abîme.
(3.205)
Vides
Au bord de l’abîme, tu regardes (avec inquiétude) ton reflet. Et l’image du monde. Le néant.
(3.206)
Sous la plèbe
Tu t’enfonces dans l’abîme. Et tu découvres, terrorisé, le monde de l’en-bas.
(3.207)
Désert intérieur
Au fond de l’abîme, tu traverses le néant.
(3.208)
Anéantissements
Au cœur du néant, tu éprouves ton insignifiance et ta vulnérabilité fondamentales. Tu expérimentes le désespoir absolu.
(3.209)
Passage souterrain
Face à l’insoutenable, tu fouilles en toi. Pour trouver la force et le courage de poursuivre ta route.
(3.210)
Galerie intérieure
Tu t’enfonces dans tes profondeurs. Et tu découvres, enfoui au loin, une obscure lueur. Et un abri.
(3.211)
Avant dernière phase
Tu empruntes l’unique accès. La voie intérieure. Tes premiers pas sur l’avant-chemin. Ultime impasse avant les horizons clairs.
(3.212)
Aveuglante précipitation
Tu remontes à la surface du monde en quête de la persistance du halo. Et tu fais halte à la première lumière du chemin.
(3.213)
Borne
Tu optes pour la voie tracée. Tu suis le chemin balisé.
(3.214)
Bévue
Tu empruntes l’unique passage. Du dehors vers le dedans. Tu chemines sur l’exacte voie. Mais de façon inadéquate. Avec ton appétit du dehors. Incapable d’échapper à la méprise commune.
(3.215)
Erreur de perspective
Tu progresses au dedans comme sur les chemins du monde. Avec avidité, désir et esprit de profitabilité.
(3.216)
Tractation
Tu négocies ton salut. Ta posture révèle ton âme de propriétaire céleste.
(3.217)
Rempart
Tu cherches protection. Et tu trouves refuge sous le parapluie du Salut.
(3.218)
Détresse
Tu t’accroches au Salut comme à une bouée lointaine. Pour te sauver des tempêtes passées. Et de ton naufrage à venir.
(3.219)
Occultation
Ignorant tes réalités intérieures, tu endosses des vérités étrangères.
(3.220)
Habillage
Tu habilles ton âme de la parure des initiés.
(3.221)
Piste
Tu suis des traces, marchant dans des empreintes trop larges.
(3.222)
Posture
Tu extériorises l’intériorité.
(3.223)
Désastreux éclairage
Confiant en ta lanterne (et en ton phare), tu éclaires l’obscurité du monde.
(3.224)
Dévoué ignorant
Adepte discipliné de la voie. Fidèle disciple des dogmes, tu n’as foi qu’en tes croyances.
(3.225)
Concentré étendu
Tu crois toucher le centre. Tu concentres ton identité. Tu imagines atteindre l’essentiel. Tu dilates la surface.
(3.226)
Charge gonflée
Tu crois t’alléger et te démunir. Tu t’alourdis. Tu crois éroder les cercles concentriques. Tu boursoufles ton enveloppe.
(3.227)
Sombre enterrement
Tu cherches la lumière. Et tes pas t’enfoncent dans le tunnel.
(3.228)
Ténébreuse lumière
Au fond de l’impasse, tu découvres l’imposture de ton éclairage.
(3.229)
Nuit noire
Tu éteins tes lanternes. Tu abandonnes ton phare. Pour t’enfoncer dans l’obscurité.
(3.230)
Tâtonnement
Tu cherches (maladroitement) la voie d’accès. La porte introuvable.
(3.231)
Ecoute
Au cœur du silence, tu perçois le murmure du Souffle. Et tu entends les bruissements de la terre et la clameur du ciel.
(3.232)
Unique issue (dernier fragment du fascicule)
A l’issue d’une longue traversée, tu découvres, au cœur de la nuit, la porte étroite.
(3.233)
Nouvel éclairage
Toute la nuit, tu arpentes, éclairé à la faible lueur de ta lampe de chevet, les pages du fascicule. Au fil de ta lecture, tu sens vaciller tes certitudes, ton éclairage et ta lumière. Aux aurores, tu songes aux éclats aveuglants et trompeurs des nouvelles lumières. Au petit matin, tu achèves ta lecture et tu ouvres les volets. Et tu regardes les chemins du monde éclairés par le soleil naissant.
(3.234)
Intensification du doute
Après cette nuit (de lecture) harassante, le doute, au cours de la journée, (loin de s’estomper) s’intensifie. A l’issue d’une journée interminable consacrée à quelques cérémonies prêchantes, tu regagnes, en début de soirée (aux heures crépusculaires) ton logement (une cellule somptueuse attenante au temple). Et tu te couches (éreinté). Avant de t’endormir, tu songes à tes certitudes. Au bien fondé des préceptes et des étapes de la voie du Salut. En vain. Le doute est à l’œuvre.
(3.235)
Episode cauchemardesque
Au cours des jours suivants, les doutes te poursuivent. Et tes nuits sont peuplées d’étranges rêves. Habité par de troublantes et lumineuses visions nocturnes.
(3.236)
Note
Au cours de cette (difficile et éprouvante) période, tu notes, chaque matin, quelques bribes de tes rêves sur ton journal.
(3.237)
Note de journal 1
Début de rêve. Tu marches. Tu fuis l’obscur du monde. Et l’absurdité des hémisphères. Tu erres sans but. En quête d’un éclairage. Tu t’enfonces dans un tunnel. Un long tuyau étroit. Un pont. L’abîme. Au bord de l’abîme, (soudain) une lueur. Et une voix qui gronde. Une voix lointaine et inaudible.
(3.238)
Grondement (de la voix)
Au commencement fut le verbe ! Niaiserie ! Au commencement, Il fut, Lui, Le Sauveur, qui n’est pas un verbe, mais un nom. Qu'on se le dise dans les chaumières ! Ou les créatures du Monde vont voir de quel bois Il peut chauffer leur enfer et leur paradis ! Lui, le Sauveur du Cosmos et de la sainte climatologie, inondera la terre et ne subsisteront que les âmes qui s'élèvent ! Assez de la Compassion de la sainte Miséricorde ! Assez de la cloportitude des êtres ! Les créatures du Monde ne sont pas à son image, par sainte Icône, mais à l'image de la larve, paresseuse chrysalide qui tarde à prendre son envol !
(3.239)
Réponse silencieuse
Tu admets ta cloportitude. Et tu réponds à l’appel du Sauveur. A l’envol du Salut.
(3.240)
Réveil
Le lendemain, tu t’éveilles l’âme inquiète. Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors. Et aussitôt, ton rêve se poursuit.
(3.241)
Poursuite du rêve
Tu marches sur la terre, la tête dressée vers le ciel. Tu avances le pas lourd et l’esprit léger. La silhouette tellurique et la démarche aérienne. Tu marches la tête à l'envers. Tu lèves les yeux et contemples la vastitude du ciel. Tu baisses les yeux et regardes la pesanteur de tes pas. Tu avances sous la voûte en traînant les pieds.
(3.242)
Sentiers lumineux
Tu regardes les bouts de tes souliers (usés) et tu décides (soudain) d’emprunter les chemins qui mènent de Rome à Babylone, une route passagère éloignée des sentiers déserts (parsemés d'ornières). En quête d’espoir. D’une lueur. D’une lueur pour éclairer l’obscurité du monde.
(3.243)
Ecoute
Après un long périple, tu fais halte à l’entrée d’un temple. Tu t’assois sur l’étroit parapet qui jouxte l’enceinte sacrée. Et tu écoutes les chants du temple.
(3.244)
Chants du temple
Plongé au cœur de la souffrance, tu écoutes les chants du temple. Tu entends la voix de ceux dont les prières s'élèvent dans le ciel. Tu les écoutes chanter la gloire du chemin. L'hymne à la joie qui demeure. Tu écoutes la douce mélopée des prières. Tu écoutes le sacre de la voie du Salut. Et ton cœur s'attendrit.
(3.245)
Réveil
Le lendemain, tu t’éveilles l’âme adoucie. Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors. Et aussitôt, ton rêve se poursuit.
(3.246)
Murmure
Au cours de la nuit suivante, le Sauveur te souffle (directement) à l’oreille (et un peu aussi dans les trous de nez… pour tes impardonnables errances, manquements et transgressions) : « avance et ne te retourne pas ! Ne te retourne jamais ! Le passé n’est qu’un champ de ruines ! ». Le Sauveur est de sages conseils. Il sait. Et tu ignores. Le Sauveur est ton maître. Il te montre la voie sur le chemin du Salut.
(3.247)
Voix livresque
Sur la voie du salut, tu avances, nimbé de tes certitudes, entouré par les pages de doctes exégèses. Et tu surprends (malgré toi) d’étranges chuchotements derrière les alcôves. Une discussion mystérieuse entre un docteur de la loi (et des règles prescrites) et un infâme incroyant (ou au mieux un disciple ignare et récalcitrant)
(3.248)
Dialogue de sourds
Le docteur de la loi : Que dit Ignace ?
Le novice ignare : Ignace ?
Le docteur de la loi : Ignare que tu es, tu ignores donc Ignace !
Le novice ignare : Ignace ? Non ! Jamais entendu parler !
Le docteur de la loi : Normal ! Il est mort ! Mais comment peux-tu ignorer le testament qu'il nous a laissé !
Le novice ignare : Ahh ???
Le docteur de la loi : Eh bien ! Ecoute ça, ignare ! Voilà ce que dit le père Ignace : "En toute chose, agis comme si tu étais seul sur la voie, et en toute chose, agis comme si le résultat ne dépendait que du Sauveur seul".
Le novice ignare : le Sauveur ? Mais que vient faire le Sauveur dans cette histoire !
Le docteur de la loi : le Sauveur ! Ahhh ! Le Sauveur ! Entends-tu ce qu'il dit de Toi ? Entends-tu ce mécréant ? Pitié pour lui, grand Rédempteur ! Sauveur, m'entends-tu ?
Silence.
Le novice ignare : Tu vois bien ! Il s'en fout, ton Sauveur ! Il n'écoute pas !
Le docteur de la loi : Mais si, mécréant que tu es ! Il m'entend ! Le Sauveur entend tout ! Le Sauveur est partout ! Et il a de grandes oreilles !
Le novice ignare : Oui ! Oui ! Bien sûr ! Deux grandes oreilles et de grandes dents pour croquer les vivants !
Le docteur de la loi : Ne l'écoute pas, Ô Sauveur ! Il ne sait pas ce qu'il dit ! Aie pitié de son âme ! Oeuvre à son Salut !
(3.249)
Réveil
Le lendemain, tu t’éveilles l’âme chavirée. A peine levé, tu te précipites sur ton journal pour écrire quelques notes.
(3.250)
Note de journal 1 (Eblouissement)
Ô miracle du Sauveur !
Et tu vas ivre de l'aveuglante Lumière.
(3.251)
Note de journal 2
(Ombre maléfique)
Ô malfaisante ignorance !
Et tu vas te terrer dans l'ombre de ta tanière.
(3.252)
Temps nocturne
Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors (comme à l’accoutumée). Et aussitôt, ton rêve se poursuit.
(3.253)
Rêve de journal
Tu rêves que tu notes sur ton journal d’étranges assertions.
(3.254)
Etranges assertions
Quelques propos surprenants entendus (en rêve sûrement) dans le sanctuaire d’un temple :
- Le Sauveur arrivera par la porte d'en bas;
- Le Sauveur n'aime boire que dans les verres à pied;
- Le Sauveur éprouve les hommes aux ongles sales;
- Le Sauveur marche sur les mains et Jésus sous l'eau.
(3.255)
Réveil
Le lendemain, tu t’éveilles l’âme vacillante. Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors (comme à ton habitude). Et aussitôt, ton rêve se poursuit.
(3.256)
Poursuite du rêve
Et ainsi de suite…
(3.257)
Réveils
Le lendemain, tu t’éveilles l’âme rassérénée. Le surlendemain, l’âme chancelante. Et le jour suivant, l’âme chavirée.
(3.258)
Bref aparté
Pendant quelques nuits. Tu ne rêves pas.
(3.259)
Reprise du rêve
Quelques nuits plus tard, ton rêve reprend. Et se transforme en cauchemar.
(3.260)
Cauchemar
Le Sauveur est à tes côtés, souffrant avec toi, dans des immondices de souffrance. Il t’aide à gravir cette montagne. Tu crains de n’atteindre le sommet. Tu progresses dans l’espoir de contempler la pureté de la voie du Salut qui surplombe les ordures terrestres. Tu avances. Tu surmontes les épreuves, une à une. Il te relève la tête de toute cette m… qui embourbe tes pas et enlise ton âme. Il appuie de toutes ses forces sur tes pauvres épaules, s’appuie de tout son poids jusqu'à l’écœurement, jusqu'à l'étouffement pour que tu vois l’astre d'espérance, pour qu’il réchauffe tes vieux os recouverts de crasse et dissolve les couches de merde séchées agglomérées sous tes semelles.
(3.261)
Appel
Tu cries. Dans ton rêve, tu cries : Sauve qui peut ! Et le Sauveur t’entend. Heureusement. Pour ton Salut.
(3.262)
Réponse à l’appel
Sur toi, Il fait couler une fontaine. Une douce fontaine à l’eau limpide et généreuse.
(3.263)
Breuvage
Tu penches la tête. Et tu bois. Tu bois de tout ton saoul. Tu bois jusqu'à la nausée. Jusqu'à l'étouffement.
(3.264)
Eau vive
Tu remontes la source (malgré toi). Avec difficulté. Et tu découvres la source. L’origine de la source.
(3.265)
Source intarissable
Tu bois à la source. A Sa source. Et ta soif devient plus vive. Tu bois à Sa source. Et de Ses cascades, Il t’inonde. Tu bois à Sa source. Et sur toi s’écoulent Ses eaux claires. Tu bois à Sa source. Et l'obscurité devient (progressivement) lumière. Tu bois à Sa source. Et tu découvres ta propre fontaine. Et tu aperçois dans le ciel de tes pensées des éclaircies de Vérité.
(3.266)
Courage
Le Sauveur voit tes craintes. Il sent ta peur. L’écho d’une voix (en toi) se manifeste. La voix : que crains-tu sinon de découvrir que tu n'es pas celui que tu penses. Pour qui Le prends-tu ? Crois-tu qu’Il ignore ta couardise ? Que Diable ! Courage ! Prends-lui la main pour descendre ensemble aux Enfers. Et tu ne regretteras pas ton voyage.
(3.267)
Poursuite de la voix
La voix s’éclaircie. Et s’intensifie. Elle te crie : poursuis ta marche. Délaisse la fausse lumière. Eloigne-toi des pâles reflets. Enfonce-toi dans l’obscurité. Arpente la noirceur de ton âme. Et tu trouveras les éclaircies du cœur, l’éclairage de l’esprit. Et derrière la porte étroite, tu découvriras la Lumière.
(3.268)
Réveil
Après le dernier rêve de cette sombre (et troublante) période nocturne, tu t’éveilles, terrifié. Pétrifié par la peur. Terrassé par les doutes. Et horrifié par la noirceur de tes nuits.
(3.269)
Persistance du domaine de la lutte
Au cours des jours suivants, tes doutes s’intensifient.
(3.270)
Précarisation des préceptes
Cette intensification du doute ébranle (bien sûr) tes certitudes.
(3.271)
Regard intègre
Après plusieurs semaines passées à reprendre (un à un) les préceptes de ta communauté et à les répandre avec acharnement (pour oublier - sans doute - tes rêves et tes doutes), un soir, tu finis par t’interroger sur tes réelles avancées sur la voie du Salut. Et en maudissant l’infâme fascicule à l’origine (sans doute) de tes doutes terrifiants et persistants, tu regardes (avec honnêteté) en ton cœur.
(3.272)
Découvertes
Tu regardes en ton cœur. Tu imagines (naïvement) y trouver l’amour (tant prôné par la communauté), et tu y découvres (étonné) l’arrogance (de ta position), le mépris (pour l’ignorance de tes congénères) et la haine (pour les incroyants indifférents et les impies inébranlables). Tu regardes (une nouvelle fois) en ton cœur. Tu imagines (toujours naïvement) y trouver l’intelligence (et la clairvoyance promise pour le salutisé), et tu y découvres (à peine surpris – cette fois-ci) un fatras de préceptes, de croyances, de dogmes, d’assertions béates et sans fondement, un lexique de termes creux et vides de sens. Tu regardes encore en ton cœur, et tu y découvres ton ignorance du véritable chemin du Salut. Tu prends (alors) conscience de l’immobilité de tes pas. De ton recul. Et de ton enlisement dans le factice apparat. De ton rôle pitoyable joué à la face du monde. Et tu baisses la tête, anéanti.
(3.273)
Réapparition du reflet
En baissant la tête, ton regard croise (malencontreusement) ton reflet dans le miroir. Tu regardes ta silhouette. Et tu vois un étranger. L’image d’un être humain déguisé en clown triste et burlesque. Pathétique. Tu te déshabilles. Tu ôtes ton ruban, ta tunique (de cérémonie) et tes sandales. Tu redécouvres ta nudité. Le reflet de ton image passée réapparaît lentement.
(3.274)
Volteface
Tu contemples le reflet de ta nudité pendant de longues minutes avant de te précipiter sur ton journal pour écrire ces quelques notes (impératives).
(3.275)
Notes (impératives) de journal (itinéraire d’un repenti)
Paresse (note de journal 1)
Tu cherchais La Réponse à tes questionnements (métaphysiques). Et tu t’es satisfait (malheureux) de toutes explications cohérentes, peu soucieux de leur ésotérisme et de leur dogmatisme.
(3.276)
Boussole (note de journal 2)
Tu cherchais des guides, des modèles et des réponses pour guider tes pas vers le bonheur, la sagesse et la vérité. Ton mimétisme était le signe d'une grande puérilité et d'une affligeante paresse. Tu t’es mépris sur la quête. Ignorant que nul effort ne peut être épargné à celui qui chemine.
(3.277)
Croyance (note de journal 3)
Tu as eu recours à tous les conseils, à tous les repères et à toutes les indications du monde. Ignorant que tu ne pouvais apprendre à marcher sans devenir ton propre guide.
(3.278)
Réponse (note de journal 4)
Tu avais une certitude. Celle d’avoir trouvé la voie.
(3.279)
Option (note de journal 5)
Tu avais le choix. Soit tu accompagnais le Sauveur, soit tu trouvais ton chemin. Tu reconnais (aujourd’hui) ton manque de discernement. Et ton aveuglante précipitation.
(3.280)
Sélection (note de journal 6)
Après avoir renoncé à ton existence passée, tu t’es entouré de nouveaux amis pour encourager tes pas.
(3.281)
Ostentation (note de journal 7)
Au fil des pas sur la voie, tu prenais des airs inspirés. Et des airs mystérieux. En affichant tes convictions avec ostentation.
(3.282)
Armes inégales (note de journal 8)
Tu honorais les préceptes du Bien. Et révoquais les préceptes du Mal. En utilisant ses armes pour t’en défaire. Tu faisais erreur. Incapable (encore) de dissoudre la dichotomie conceptuelle.
(3.283)
Election (note de journal 9)
Tu avais le sentiment d’appartenir au petit peuple des élus. Croyant que le Sauveur t’avait choisi pour défendre sa cause.
(3.284)
Protection (note de journal 10)
Tu œuvrais (en réalité) à ta protection future. Soucieux d’assurer une place à ton salut (de t’assurer une place au Paradis).
(3.285)
Assurance (note de journal 11)
Tu défendais ton territoire sacré. Sous tes airs de sainteté, tu étais impitoyable avec les ennemis de ta cause. Impatient de convertir la grande armée des indifférents.
(3.286)
Paradoxe (note de journal 12)
Tu ne voyais que la grandeur des âmes et la petitesse (la médiocrité) des hommes…
(3.287)
Malveillance (note de journal 13)
Tu t’évertuais à aimer tes frères. Mais tu les blâmais en secret.
(3.288)
Assauts (note de journal 15)
Tu as ignoré (malheureux) tes boursouflures. Les immondices que ton cœur abritait. Après les avoir reléguées au fond de l’inaccessible cachot, tu as pris soin de jeter les clés de la terrible geôle par dessus les douves. Et tu croyais (naïvement) ton château fort inexpugnable.
(3.289)
Impasse (note de journal 16)
La lumière trompeuse t’a enfoncé au fond du tunnel. Au cœur de l’ultime et sombre impasse.
(3.290)
Coupure (note de journal 17)
Aujourd’hui, tu dois te munir d'un sabre. Pour couper à la racine le mal qui enlise tes pas dans ce bourbier immonde.
(3.291)
Appel (note de journal 18)
Il te faudra (aussi) jeter (aux ordures) ta panoplie de disciple discipliné. Et regarder (avec honnêteté) dans ton cœur. Pour y percevoir les ombres et les lumières. L’intelligence et l’ignorance. Et entendre l’appel de la vérité. Entrevoir le chemin du réel à l’horizon.
(3.292)
Question de cheminement
Après avoir noté (à la hâte) ces fragments, tu refermes ton journal. Et tu t’interroges (à haute voix). Pour faire la synthèse de ton itinéraire.
(3.293)
Synthèse
Tu reconnais (à contre cœur) ton parcours. Tes errances au cœur du monde obscur. Ta traversée des hémisphères. Tu reconnais tes fuites. Tes empreintes parmi les traces des masses transhumantes. Ton désespoir et ton impérieux besoin d’éclairage. Ton recours confiant et commode aux lumières factices. Ton éblouissement. Et ta soif (intarissable) de lumière.
(3.294)
Face au miroir
Tu ranges ton journal (dans le dernier tiroir de la commode située face à ton bureau). Et tu contemples (dépité) la natte où gisent (à présent) tes accessoires salutaires (ruban, tunique (de cérémonie) et sandales), le sombre costume froissé par la vérité du chemin. Par l’impitoyable vérité du réel. Tu saisis (d’un geste las et désespéré) ta triste panoplie, tu ramasses (avec tristesse) l’ensemble de tes attributs (les signes ostentatoires de ton appartenance au cercle restreint des élus du salut) et tu les jettes par la fenêtre avant de jeter un œil (apeuré) au miroir. Tu regardes (une nouvelle fois) ton reflet. Et tu te retrouves. Te re-découvres. Nu, désemparé et vulnérable. Misérable.
(3.295)
Epreuve d’effondrement
Au cours des jours suivants, tu te terres. Tu perds (réellement) de ta superbe. Tu te recroquevilles en te lamentant sur ton triste sort. Tu blâmes ton aveuglement. Les pâles reflets de la trompeuse lumière de ta communauté.
(3.296)
A bout de souffle
Pendant quelques jours, tu es anéanti. Et tu cherches ton souffle. Le Souffle qui te poussera sur le chemin. Et te montrera la voie (le vrai chemin de l’intériorité).
(3.297)
Appel
Immobile et recroquevillé, tu écoutes le Souffle inaudible. Le maigre souffle bruisser en toi, au loin, qui te murmure. Au fil des heures, ton silence s’intensifie. Et tu entends (progressivement) monter les cris du monde, l'appel du transcendant, la clameur du ciel et les bruissements de la terre qui invitent au voyage.
(3.298)
Partie 3 FIN DE NUIT
Poursuite du chemin
Tu laisses advenir le Souffle. L’œuvre du Souffle. Tu tousses. Respiration. Quelques bouffées. Le souffle est à l’œuvre. Tu soupires. Inspiration. Tu respires. Et tu te relèves, le cœur fragile et l’âme meurtrie. Pour reprendre ta route. Poursuivre ton exploration intérieure. Le regard hagard et désencombré. Le regard perdu et plus vif. L’âme (encore) fragile et égarée.
(3.299)
Libre note
Tu te hisses (péniblement) jusqu’à ton bureau. Tu saisis une feuille (une feuille de papier libre) et tu notes : case départ.
(3.300)
Case départ
Tu pars en quête. A ta recherche. Et tu te retrouves. Toujours au même point.
(3.301)
Invasion
Après quelques jours de profonde lassitude, tes démons (tes forces obscures trop longtemps enfouies) ressurgissent. Et tu constates effaré (et pourtant à peine surpris) qu’elles ont retrouvé les clés de leur geôle, ont franchi les remparts, ont accédé au donjon. Et t’ont assiégé. Tu t’avoues vaincu. Et tu les laisses t’envahir.
(3.302)
Prise de contrôle
Tes démons s’installent aux postes de commande. A tous les postes de commande.
(3.303)
Enfer
Tu vis une (courte et intense) période infernale.
(3.304)
Bref épisode
Tu fais surgir (en toi) quelques monstres malfaisants. Soutenu par tes démons - tes fidèles lieutenants (hommes de paille – hommes de main), tu multiplies (en l’espace de quelques semaines) les pires infamies. Colère à outrance, concupiscence effrénée, paresse débordante, fringales dégoulinantes, fierté arrogante, étroite mesquinerie pécuniaire, avidité rampante et démoniaque.
(3.305)
Poursuite de l’intervalle
Tu te laisses submerger par l’obscurité. Tu expérimentes l’obscurité paroxystique.
(3.306)
Poursuite de l’intervalle (bis)
Tu laisses, impuissant, tes monstres et démons guider ton chemin. Trop longtemps brimés, relégués au fond du cachot, ils éclatent en plein jour. Eclaboussent chaque parcelle de ton existence. Ils submergent tes jours, envahissent tes nuits. Tu es devenu leur pantin. Prisonnier désarticulé, tiraillé par leur envahissante présence.
(3.307)
Impossible issue
Tu ne peux imaginer t’enliser davantage dans l’impasse fatale (et infernale).
(3.308)
Traversée des profondeurs
Tu ne peux croire à ton fourvoiement. Par crainte (et par instinct), tu cherches en toi quelques ressources. Pour trouver la force et le courage de traverser cette ultime épreuve (ultime épreuve de l’ultime impasse des mondes obscurs). Tu t’enfonces en toi en déblayant les ruines des jours anciens et les épaves des combats antérieurs. Tu t’enfonces. En te faufilant à travers les cadavres de tes certitudes passées qui jonchent les paysages dévastés de ton esprit. Tu affrontes la puanteur des illusions en putréfaction. Tu enjambes les erreurs et les immondices. Tu traverses des cloaques nauséabonds. Tu t’enfonces dans tes profondeurs.
(3.309)
Hors de question
Tu ne peux imaginer (un seul instant) remonter à la surface du monde. Retrouver l’obscurité (et l’absurdité) du monde, l’aberration des hémisphères. Tu sens l’impérieuse nécessité de t’enfoncer. Plus loin. Plus profond. L’intuition et l’instinct de survie guident tes pas sur ce chemin d’ornières. T’enjoignant de t’enfoncer plus en avant. Plus à l’intérieur. Seule issue à tes innombrables errances passées. Une seule voie possible. Un seul chemin. Une seule direction. S’enfoncer en soi. Nulle autre possibilité. Il te faut pénétrer au cœur de l’abyme. Découvrir sous les couches d’immondices la béance de ton être. Accéder par l’intérieur à la lueur qui t’habite. A la lumière recouverte. Et à découvrir.
(3.310)
Improbable destination
Tu t’enfonces. A l’intérieur. Tu pénètres l’univers clos. Et tu découvres l’infini de l’intériorité. Tu arpentes l’espace en quête de l’improbable porte qui ouvre sur l’horizon prometteur. A la recherche de l’introuvable passage.
(3.311)
Sortie du tunnel
Tu navigues à vue vers le centre. Tu consultes ta boussole. Elle s’affole. Tu paniques. Tu cherches une lumière (une pâle lueur). Et au fil de tes pas (prudents), l’obscurité s’intensifie.
(3.312)
Fin de nuit
Après une longue et pénible traversée, tu découvres (enfin), au cœur de l’obscurité, la porte étroite.
(3.313)
Poursuite
Et tu poursuis ton voyage…