Carnet n°24 Traversée commune Livre 8 - Semelles d'aplomb
Pensées / 2007 / La quête de sens
Réflexions, intuitions, perceptions et expériences ayant trait à la quête existentielle, à la conscience et aux prémices du développement spirituel. Processus réflexif nécessaire (sans doute) pour poser les fondements de toute verticalité.
SEMELLES D’APLOMB
Traversée singulière.
Fragments lourds et denses mêlant réflexions, intuitions, perceptions et expériences ayant trait à la quête existentielle, à la conscience et aux prémices du développement spirituel. Processus réflexif nécessaire (sans doute) pour poser les fondements de toute verticalité.
SEMELLES D’APLOMB
Traversée singulière
(à gauche et à droite)
A gauche et à droite,
Au fil de la pensée et des expériences…
Simples questions
Tu t’interroges. Tu te poses une foule de questions. Et tu es bien en peine d’y répondre. Tu notes quelques-unes de tes interrogations primordiales. Qu’est-ce que la vie ? Qu’y a t-il avant ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’y a-t-il après ? Pourquoi y a-t-il la vie plutôt que rien ? Quel est le sens de l’existence? Le sens de la vie humaine ? Qu’est-ce que la vérité ? Et le bonheur ? Pourquoi le monde peut-il sembler si absurde ? Pourquoi les guerres ? Pourquoi tant d’inégalités entres les hommes ? Pourquoi tant d’inégalités entre les êtres ? Après quoi l’Homme court-t-il ? Quel est le sens de l’histoire ? Le sens de la marche du monde ? Quel est le sens du progrès ? Que cache le désespoir ? Le désespoir a-t-il un sens ? Comment s’en défaire ? Comment l’accepter ? A quoi sert la connaissance ? Pourquoi apprendre ? Comment apprendre ? Qu’est ce qu’un être humain ? Qu’est ce qui le différencie fondamentalement de l’animal ? Pourquoi naître humain plutôt qu’animal ? A quoi sert le sexe ? Instrument de reproduction ? Instrument de plaisir ? Instrument de vérité ? Pourquoi cette violence chez l’Homme ? Pourquoi tant d’égoïsme ? Pourquoi souffrir ? Quel est le sens de la souffrance ? A quoi sert l’art ? Pourquoi créer ? Pourquoi écrire ? Et pourquoi toutes ces questions ?
(8.1)
Série interrogative
Tu t’interroges sur ton ignorance. Qui peut répondre à tes interrogations ?
Qui sait pourquoi les êtres naissent ici plutôt que là? Qui sait pourquoi les êtres deviennent ceci plutôt que cela ? Qui sait pourquoi ils se transforment comme ci plutôt que comme ça ? Qui sait pourquoi ils rencontrent ceux-ci plutôt que ceux-là ? Qui sait pourquoi leurs pas les mènent ici plutôt que là ? Qui sait pourquoi ils nous quittent comme ci plutôt que comme ça ? Qui sait pourquoi ils finissent à cet instant-ci plutôt qu’à cet instant-là? Qui sait le sens de tout cela et de ce qu’il adviendra après tout ça ? Bien malin celui qui te le dira…
(8.2)
Apprentissages
Tu notes 4 apprentissages essentiels pour l’homme commun (le chercheur prosaïque et existentiel) : apprendre à mieux vivre en sa compagnie, apprendre à mieux vivre en compagnie du monde, apprendre à exister au sein du collectif existant et se préparer à la mort.
(8.3)
Apprentissages (suite)
Apprendre à mieux vivre en sa compagnie. Cet apprentissage nécessite, à tes yeux, une curiosité envers soi. Pour apprendre à se connaître. A descendre en soi aussi profondément que possible sans craindre d'atteindre certains recoins nauséabonds. A accepter ses parts d'ombre. Renoncer à une image de soi idéalisée. Et apprendre à s'accepter tel que l'on est.
(8.4)
Apprentissages (suite)
Apprendre à mieux vivre en compagnie du monde. Cet apprentissage nécessite de comprendre, à tes yeux, l’importance du regard qui, seul, donne au monde sa couleur. Comprendre que le monde est à notre image. Comprendre que nous sommes aucunement séparés de lui, que sa diversité et ses paradoxes sont aussi les nôtres. Accepter qu'il nous soit impossible de le transformer. Et accepter qu'il soit (et en soit) ainsi.
(8.5)
Apprentissages (suite)
Apprendre à exister au sein du collectif existant. Cet apprentissage nécessite, à tes yeux, de trouver sa place au sein du monde. Déterminer, en premier lieu, la fonction que nous voulons y exercer et le rôle que nous souhaitons y jouer. Cette démarche nécessite de connaître ses aspirations, les moyens et compétences qui sont nôtres ou à notre disposition (et qui peuvent toujours s'acquérir si elles nous font défaut). Connaître enfin la réalité du monde afin que ses aspirations soient réalisables au sein du système existant.
(8.6)
Apprentissages (suite)
Se préparer à la mort. Cet apprentissage nécessite, à tes yeux, de songer à notre finitude. D'envisager, sans crainte, l'issue qui sera tôt ou tard la nôtre. Apprendre à ne point trop s'attacher à nos possessions et à nos réalisations qu'il nous faudra un jour abandonner.
(8.7)
Instants de grâce
Un matin, tu t'éveilles, l'esprit clair et l'âme tendre, prêt à embrasser le monde de ton regard bienveillant. Par la fenêtre, tu regardes l'envol des oiseaux, les toits de tuiles rouges, le bleu limpide du ciel. Tu écoutes les bruits du monde et mille bruits tu entends ; la rumeur de la rue, la voix des passants qui se saluent, un rire au loin, un volet qui claque, le chant des oiseaux. Tu écoutes sans crispation. Tu es ouvert, présent, libre et réceptif. Tu ouvres un livre. Et tu lis une phrase au hasard. Tu la répètes en silence. Puis à haute voix. Tu laisses résonner les mots. Tu les sens te pénétrer. Glisser le long du conduit auditif, plonger dans une synapse, parvenir jusqu’aux neurones, s'y arrêter un instant – une éternité – puis amorcer leur longue descente vers le cœur. Tu refermes le livre. Tu regardes la couverture. Et tu descends à la cuisine. En préparant le café, les mots poursuivent leur progression. Tu sors la boîte à biscuits. Le café est prêt. Tu t'en sers une tasse. Tu la poses sur la table. Tu t'assois. Tu prends un biscuit, le trempes dans ton café. Et tu le portes à ta bouche. Les mots poursuivent leur progression. Tu déglutis, soulèves la tasse et la portes à tes lèvres. Les mots continuent de descendre. Ils glissent. Tu achèves de boire ton café. Ton petit déjeuner achevé, tu poses la tasse dans l'évier. Et tu gagnes la salle de bain. Les mots t'accompagnent. Tu t'habilles. Pantalon, polo, chaussettes, souliers. Tu redescends. Les mots descendent avec toi. Tu enfiles ta veste pendue à la patère, tu ouvres la porte, la refermes et tu t'engouffres dans la rue. Les mots en toi s'engouffrent. L'air est frais, le temps clément. La journée s'annonce radieuse. Tu marches, l'âme souriante. Tu salues les passants. Tu traverses la rue principale. Les mots te traversent. Tu poursuis ta marche. Les mots en toi poursuivent la leur. Tu empruntes un petit sentier qui se perd dans la colline. Tu t'assois. Le soleil monte lentement. Le vent agite les feuilles des arbres. Tu sens ton cœur s'attendrir. Les mots viennent d'y pénétrer. Ils se suivent lentement, un à un. Tu regardes les arbres, leurs feuilles, leurs branches. Tu regardes la terre, la mousse, les insectes et les racines. Tu regardes le ciel, les oiseaux et l'astre lumineux. Et tu te sens chez toi. Tu es chez toi. Ton âme regarde avec une infinie tendresse ce monde. Tu sens la Vie autour de toi. Et tu la sens battre en toi. Comme un cœur dilaté, comme un cœur gorgé de gratitude et d'affection. Extérieur, intérieur. Les mots n'ont plus d’importance. Tu es dans le Tout et le Tout est en toi. Tu le sens, tu le sais. C'est un instant de grâce. Les mots ont déposé en toi leur graine d'amour.
(8.8)
Rapprochement
Tu notes que la plupart des êtres, en particulier l'Homme et les grands mammifères ressentent un besoin de rapprochement avec leurs congénères. Ce besoin de rapprochement se manifeste principalement par l'affection et l'étreinte sexuelle et provient sans doute d'un instinct et d'une intuition de sagesse. Cette irrépressible attraction de l'autre procède sûrement d'un inconscient et fondamental besoin d'unité, d'un ancestral instinct de retrouver l'unité avec le Tout.
(8.9)
Rapprochement (suite)
Tu remarques que l'étreinte physique (sexuelle ou affective) procède d'un inconscient et fondamental besoin d'unité. Tu sais que les êtres se rapprochent pour échapper à la solitude, pour trouver protection et refuge, pour se réchauffer… mais plus fondamentalement (sans doute) pour répondre à ce besoin impératif et vital d'unité. Tu crois qu’ils s’étreignent comme s’ils savaient inconsciemment qu’ils étaient éléments du Tout aspirant, malgré eux, à revenir à cet état d'unité fondamentale.
(8.10)
Rapprochement (suite)
Tu notes que certains comportements et quelques expressions langagières l'attestent sans équivoque. Ainsi lorsqu’un être humain éprouve quelque sympathie pour un autre, il affirme s’en sentir proche. Lorsqu’un être humain éprouve de l'affection et/ou de l'amour pour un autre, il l’étreint, le serre dans ses bras. Il rapproche son corps (frontière matérielle de son être) de son interlocuteur pour tenter de former maladroitement un seul être. Même attitude (plus univoque encore) chez les partenaires amoureux qui se rapprochent, en tentant d'abolir l'espace qui les sépare, laissant l'autre entrer en eux et entrant eux-mêmes en l'autre. Mais les êtres, en ce monde, sont (sans conteste) limités par la matérialité de leur corps. Aussi ne peuvent-ils que très ponctuellement, très partiellement et très maladroitement s’unir. Et à défaut de pouvoir véritablement et réellement réaliser cette union, ils se rapprochent, s’unissent dans l’étreinte sexuelle pour donner naissance à un autre être, fruit de leur union. Remarque. Comme si la vie s'était adaptée à la matérialité limitée des êtres de ce monde (qui à défaut de pouvoir - ou de savoir ? - unir pleinement leurs cœurs et leurs esprits (encombrés par leur corps, empêtrés dans la matière), elle les invitait (ou les incitait) à s’unir à leur mesure limitée en leur facilitant la tâche, associant à ce rapprochement le plaisir et le besoin de satisfaire un besoin égoïste. Autre remarque. A cet égard, la famille chez les Hommes (et la meute, la horde ou le groupe chez les animaux) pourrait représenter le prolongement du couple, premier élément de l'humanité (ou de l’espèce) qu'il nous appartiendrait d’aimer. Notons que le ou la partenaire serait symboliquement le premier autre à aimer. Et l'enfant, le second… Remarque subsidiaire. L'enfant, ordinairement perçu par les Hommes, comme le fruit et le prolongement de leurs parents (comme en témoignent certaines expressions : mon "petit bout", "mon sang et ma chair" faciliterait évidemment cet amour. Comme si la vie tentait (encore une fois) d’aider les êtres à aimer un autre eux-même, une partie d’eux-mêmes, premier stade de l'amour de l’Autre. Ainsi les êtres commenceraient-ils à se rapprocher de leurs congénères par l’intermédiaire d’un seul(e) autre – leur partenaire – puis par l’intermédiaire de leur progéniture, avant d’apprendre (éventuellement) à se rapprocher de l’ensemble de leurs congénères, puis des autres espèces, de la grande famille du vivant… des êtres sensibles. Cette idée (somme toute très commune) pourrait éventuellement expliquer (chez les Hommes) l'interdiction universelle de l'inceste et la chasteté monastique. Dans cette optique, l’inceste s’avère, en effet, sans utilité dans la mesure où les deux protagonistes entretiennent déjà un lien de parenté (sans compter, bien entendu, les risques de consanguinité, rappel, garde-fou - et mise en garde peut-être - de la loi naturelle). En matière de chasteté monastique, il semblerait que l’interdiction (de l’étreinte sexuelle) consiste d’une part, à transcender la matérialité du corps, à dépasser le besoin purement physique de l'autre pour atteindre à un Amour au-delà du corps, au-delà des frontières limités de la matière et d'autre part, à transformer le lien singulier avec un autre en un lien à Autrui. Autrement dit, étendre son amour, ne pas le limiter à un ou à quelques êtres mais l'élargir (selon les traditions spirituelles) à l'ensemble des Hommes, voire à l'ensemble des êtres du vivant. Voilà posées quelques triviales explications - de pitoyables poncifs en vérité - sur le grand mystère de la sexualité et l’irrépressible attraction qu’elle exerce chez la plupart des espèces vivantes de ce monde. Voilà peut-être aussi la raison pour laquelle la sexualité représente dans certaines traditions religieuses, une voie spirituelle essentielle, non dans la recherche effrénée de plaisir mais dans la lente progression des êtres (leur rapprochement) vers leur véritable nature, éléments infimes et indissociables (inséparables) du Tout.
(8.11)
Insaisissable matérialité
Après le sexe, l’inévitable questionnement sur le corps. Qu'est-ce que le corps ? Une source de plaisirs ? Une source de souffrances ? Le signe de notre pesanteur (notre pesanteur tellurique) ? Un espace de contact entre soi et les autres, entre soi et le monde, entre soi et la vie ? Sans doute une merveilleuse possibilité d'entrer en contact avec le vivant et le réel ? Tu t'aperçois (avec un certain effroi) que tu as depuis toujours ignoré la matérialité la plus grossière. De ton corps tu ne connais rien. Et tu ne peux rien en dire…
(8.12)
Captivité
Malgré ta profonde ignorance, tu éprouves parfois le sentiment (ignoble) d’être sous l’emprise de multiples conditionnements : celui d’avoir un corps, lieu où ton esprit se serait installé en cette vie et auquel il se serait habitué. Ton esprit a conscience d’avoir deux bras, deux jambes, il s’est accoutumé aux mouvements de ce corps, aux mouvements qu’il peut effectuer et à ceux qui lui sont impossible (identification quasi intégrale de l’esprit à cette enveloppe corporelle). Question. Comment régirait l’esprit s’il était soudain privé de ces deux jambes ? Tu devines qu’un écrasant sentiment de manque et de frustration s’abattrait sur lui. Tu reconnais que le bien-être ordinaire (habituel) de l’esprit dépend d’une multitude de conditionnements. Et que les sensations corporelles en sont (sans aucun doute) les plus évidents.
(8.13)
Monstruosité
Tu devines que si les Hommes naissaient avec 2 grandes ailes, 4 longues jambes, 4 bras puissants, un esprit et un cœur larges, profonds et ouverts, la condition humaine (avec ses 2 jambes et ses 2 bras tous bêtes, son esprit étroit et son cœur froid et fermé) leur paraîtrait un supplice.
(8.14)
Enveloppe
Tu as la sensation d’avoir revêtu un corps (comme l’on endosserait un vêtement). Ou plus exactement, d’être entré en lui – ou plus exactement encore d’avoir été autorisé à pénétrer en lui comme dans une enveloppe passagère. Enveloppe dont il t’appartient de prendre soin. Enveloppe confiée en cette vie comme un héritage et un présent précieux qui contiendrait ce que fut ton passé depuis la nuit des temps. Enveloppe dont les potentialités, les lourdeurs et les faiblesses te permettraient d’agir, de faire et de penser dans les limites définies par elle. Comme si le corps était la résultante (le résultat, sanction ou récompense) de ce que tu aurais été et fait antérieurement. Et tu éprouves l’étrange sensation de t’y être glissé comme l’on revêtirait (enfilerait) une moufle – à la fois chaude, protectrice et confortable – (source de plaisirs et de réconfort) et parfois gênante, encombrante comme un sac dans lequel on se sentirait engoncé et gauche (prisonnier presque) parce qu’il réduirait notre capacité à nous mouvoir plus aisément…
(8.15)
Amplitude
Note sur la distance. Trouver la juste distance. Distance aux choses (ni trop proche, ni trop éloigné), distance aux êtres (ni trop haut (supérieur), ni trop bas (inférieur), distance aux idées, aux perceptions, aux sentiments, aux émotions. Trouver sa juste place et son équilibre (sans cesse changeants) dans ces univers multidimensionnels et le mouvement perpétuel de la vie. Ne pas vouloir systématiquement faire corps (être trop proche), ou se séparer (s’éloigner) des êtres, des choses, des idées, des sentiments et des émotions. Mais véritablement trouver sa place sans cesse fluctuante. Autrement dit être seul et relié. Et assumer à chaque instant cet espace mouvant de l’entre-deux… comme les étoiles et les astres entre-eux. Apprendre à évoluer dans l’espace (espace pluridimensionnel). Apprendre à se placer, se déplacer en maintenant toujours sa juste place. Rester en harmonie avec le flux permanent, la danse des corps et de la matière, la chorégraphie des esprits et des âmes et le balai immatériel des idées, perceptions, émotions, sentiments. Selon les situations, les humeurs, les besoins, les attentes éventuelles, savoir adapter sa distance (sa juste distance). Savoir se rapprocher, s’éloigner. Jouer avec l’espace. Espace mental, espace physique. Et les formes qui se meuvent avec toi dans cet (ou ces) espace(s).
(8.16)
Cycles perceptifs
Thématiques et sensations psycho-physiques ressenties en méditation formelle. Tu notes qu’un thème prend place au cours d’une séance (sans raison apparente), demeure (prégnant) quelques minutes (et jusqu’à plusieurs jours) avant de disparaître. Y succède un espace, une période de flottement… où aucun thème ne se dessine encore à la conscience. Puis un autre thème prend place, initiant un nouveau cycle. Et ainsi de suite... dans une sorte de ronde ininterrompue, incompréhensible et incontrôlable.
(8.17)
Elargissement
Expérience méditative. Etrange sentiment de ne plus t’identifier (totalement) aux perceptions des sens et de ta conscience. Comme si une très légère expansion de conscience était (provisoirement) advenue qui ne cristallise plus les perceptions du corps et de l’esprit… il t’est (clairement) apparu que la conscience est une entité plus large que l’enveloppe (corps et esprit) qu’elle habite. Ainsi, tu as pu expérimenter la transformation de la douleur. Brèves explications. Tu notes qu’une douleur perçue et identifiée au corps est ressentie avec acuité. Et que la douleur est atténuée lorsqu’on prend conscience que la conscience s’identifie à l’enveloppe corporelle. Remarque. Tu devines qu’il serait possible, après quelques années de cheminement, de parvenir à une désidentification quasi totale avec l’enveloppe corporelle. Autrement dit, opérer un lent processus visant à permettre à la conscience de retrouver (?) sa véritable identité (?), lui apprendre à devenir si large au point de tout contenir, tout englober, transcendant les concepts mêmes de plaisir et de douleur… et bien d’autres ressentis et perceptions encore…
(8.18)
Précisions
Tu reviens sur la perception de la conscience (notée un peu plus haut). Tu crains de t’être exprimer maladroitement (ces évènements intérieurs sont si frais… et te semblent si insensés (rien d’extraordinaire pourtant…) que tu éprouves les pires difficultés à les formaliser). Ton exemple n’avait trait qu’aux perceptions du corps. Et il te semble évident que l’esprit ne peut être exclu de ce processus. Explication. Si la conscience (la conscience ordinaire et étroite) d’un être perçoit qu’elle expérimente un événement douloureux ou une situation difficile (matériellement, psychiquement, existentiellement…) sans s’identifier à cette conscience ordinaire, alors elle opère un processus d’élargissement. Autrement dit, la conscience prend conscience d’une autre partie d’elle-même et perçoit qu’elle ne peut être réduite à cette infime fraction de la conscience conditionnée. Et de facto, l’événement ou la situation perd son caractère douloureux (ou difficile) puisque la conscience comprend que, seule, une partie d’elle-même ou une déformation d’elle-même (la conscience étroite) ressent cette souffrance (et non la conscience dans sa globalité).
(8.19)
Abyssales origines
Tu manges une pomme. Et tu tentes de décortiquer les conditions nécessaires pour réaliser ce geste simple et trivial. Tu essayes de remonter le fil des origines. Et tu remarques, en premier lieu, que deux conditions fondamentales sont nécessaires : tu dois exister et cette pomme doit exister.
(8.20)
Abyssales origines (suite)
Pour exister, tu dois (sans conteste) être vivant. Et ton existence (le fait d’être vivant) est conditionnée par une multitude d’évènements. Il a d’abord été nécessaire que tes parents te conçoivent. Pour qu’ils te conçoivent, il a fallu qu’ils aient envie de te concevoir. Pour avoir envie de te concevoir, il a fallu qu’ils s’aiment. Pour qu’ils s’aiment, il a fallu qu’ils tombent amoureux. Pour qu’ils tombent amoureux, il a fallu qu’ils se rencontrent. Pour qu’ils se rencontrent, il a fallu une quantité de conditions (propices à cette rencontre)… et en premier lieu que leurs parents respectifs se rencontrent et se maintiennent en vie pour faire des enfants. Il faudrait donc énoncer tous les facteurs qui ont permis à ces 4 êtres de se maintenir en vie et de faire des enfants… Et ainsi de suite pour les parents de chacun d’entre eux… et ainsi de suite pour les parents des parents des parents… chaîne que l’on pourrait remonter jusqu’aux origines… bref, tu comprends que tu existes parce que tu es le fruit du passé, de tous les éléments passés depuis l’histoire de l’humanité. Et tu leur es redevable de ton existence à l’instant où tu manges cette pomme.
(8.21)
Abyssales origines (suite)
Pour être vivant, il a également été nécessaire que tu te maintiennes en vie jusqu’à l’instant où tu manges cette pomme. Tu dois donc évoquer l’ensemble des facteurs qui t’ont permis de rester vivant. Tous les êtres, toutes les choses, tous les éléments qui y ont contribué. Tu renonces à l’énumération des êtres et des objets (dont la liste encombrerait ton argumentation). Tu te concentres sur les éléments primordiaux (les éléments naturels fondamentaux : terre, eau, feu, air, espace). Sans soleil, tu serais (sans doute) mort de froid (tu notes, en outre, que sans soleil, nul Homme ne peut survivre). Sans air, tu serais mort d’asphyxie. Sans eau, tu serais mort de soif. Sans espace, tu n’aurais pu te mouvoir. Si tu n’avais pu te mouvoir, tes muscles auraient été atrophiés, tu n’aurais pas même eu la force de porter cette pomme à la bouche. Sans terre, tu n’aurais pu te nourrir, tu serais mort de faim. Et sans elle, tu serais peut-être en train de flotter en apesanteur quelque part dans l’espace. Bref, sans ces éléments (de base), tu n’aurais pas survécu. Tu serais mort et tu n’aurais pu manger cette pomme.
(8.22)
Abyssales origines (suite)
Pour être vivant (à l’instant où tu manges cette pomme), il est également nécessaire que tu te maintiennes en vie. Pour te maintenir en vie, il faut que tu respires, que ton cœur batte, que tes organes fonctionnent convenablement. Pour respirer, il faut que tu possèdes un nez, une bouche, une trachée, des poumons et que l’air contienne de l’oxygène. Pour être vivant, il faut que ton corps contienne une quantité d’eau suffisante. Pour qu’il contienne une quantité d’eau suffisante, il a fallu que tu trouves de l’eau en quantité suffisante (et que tu en boives suffisamment). Pour que tu trouves de l’eau en quantité suffisante (et que tu en boives suffisamment), il a fallu que l’eau parvienne jusqu’à toi. Pour qu’elle parvienne jusqu’à toi, il a fallu créer une tuyauterie entre la source dont elle provient et l’endroit où tu habites. Pour que la source (dont elle provient) contienne suffisamment d’eau, il a fallu que celle-ci arrive jusqu’à elle. Pour qu’elle arrive jusqu’à elle, il a fallu qu’elle suive son cycle naturel. Pour qu’elle suive son cycle naturel, il a fallu qu’un nuage se forme. Pour qu’un nuage se forme, il a fallu que soit réuni un grand nombre de conditions climatiques, notamment le vent. Pour que le vent existe, il a fallu que certains courants d’air se créent. Pour que se créent des courants d’air, il faut qu’existe l’élément air. Et ainsi de suite (évidemment). En dépit des innombrables conditions (que tu renonces à évoquer), tu achèves ici la première phase de ton argumentation. Et tu poursuis ton (partiel et laborieux) raisonnement sur l’existence de la pomme.
(8.23)
Abyssales origines (suite)
Pour que la pomme existe, tu notes (sans surprise) qu’il a fallu qu’elle pousse. Pour qu’elle pousse, il a fallu un pommier, qu’on le plante et qu’il se maintienne en vie pour que cette pomme (et toutes les autres bien sûr) parvienne(nt) à maturité. Pour qu’on le plante, il a fallu des Hommes ou s’il s’agit d’un pommier sauvage que les conditions propices soient réunies pour que la graine puisse germer et se développer. Pour que la graine puisse germer, il a fallu qu’une graine voie le jour. Pour qu’elle voie le jour, il a fallu une autre pomme dont elle est issue. Pour qu’existe cette autre pomme, il a fallu un pommier qui, lui-même, a été planté ou provienne d’une autre graine qui, elle-même provient d’une autre pomme, qui, elle-même, provient… etc etc etc. Si le pommier a été planté par des hommes, il a fallu qu’ils décident de planter un (ou des) pommier(s). Pour qu’ils plantent un (ou des) pommier(s), il a fallu qu’ils trouvent des graines ou des plants, issus d’autres pommes ou d’autres pommiers. Il a également fallu qu’ils naissent et se maintiennent en vie jusqu’à ce qu’ils plantent ce (ou ces) pommiers. Pour qu’ils naissent, il a fallu que leurs parents les conçoivent. Pour qu’ils les conçoivent, il a fallu… [même raisonnement que pour ton existence/parents]. Pour qu’ils se maintiennent en vie, il a fallu… [même raisonnement que pour ton existence/te maintenir en vie]. Pour que le pommier (celui dont provient la pomme que tu manges) se maintienne en vie, il a fallu de l’eau, du soleil, de la terre, de l’air, de l’espace, des abeilles pour butiner ses fleurs et donner les pommes, des hommes pour tailler ses branches… et pour que ces hommes taillent ses branches, il a fallu… [même raisonnement]
(8.24)
Abyssales origines (suite)
Qu’une seule de ces conditions de ton existence ne soit pas remplie ou n’ait pu advenir et tu te demandes ce qui se serait passé. Peut-être aurais-tu été un autre ?
(8.25)
Abyssales origines (suite)
Qu’une seule de ces conditions de l’existence de la pomme ne soit pas remplie ou n’ait pu advenir et tu te demandes ce qui se serait passé. Aurais-tu mangé une autre pomme ? Aurais-tu mangé un autre aliment ?
(8.26)
Abyssales origines (suite)
Cet ensemble infini de conditions nécessaires pour effectuer un acte si simple (et apparemment anodin) manger une pomme est l’évidente preuve d’un incroyable réseau de relations verticales (historiques) et horizontales (à l’instant t où est réalisée l’action) entre ta matérialité et celle de la pomme. Demeurent cependant deux grandes thématiques à explorer…
(8.27)
Abyssales origines (suite)
Première thématique. La matérialité. Vous n’êtes apparemment, la pomme et toi, que les combinaisons matérielles provisoires des 5 éléments (terre, eau, feu, air, espace) puisque vous êtes, tous deux… (et comme toute chose et tout être en ce monde) doté d’une matérialité. Tu notes que toutes les combinaisons matérielles provisoires ne peuvent se maintenir dans leur forme, (toi dans ce corps, la pomme dans sa propre forme) que par l’assimilation, l’utilisation partielle et le rejet du surplus d’autres formes combinatoires matérielles provisoires (de ces 5 mêmes éléments). Remarque. En fait (et apparemment), ces différentes combinaisons matérielles de 5 éléments qui semblent former une entité (ou une forme) apparemment séparé des autres combinaisons ne cessent d’échanger entre elles pour maintenir leur apparence formelle. Lorsque l’apparence formelle (la combinaison matérielle provisoire) est dégradée, ou se voit déformée, les éléments semblent se séparer pour se combiner à d’autres formes combinatoires. Ainsi, par exemple, lorsque tu dégrades l’apparence formelle d’une pomme en la mangeant, tu absorbes (ou ton corps absorbe) l’eau qu’elle contient pour rejoindre ton propre réseau liquide, tu absorbes sa chair et sa peau qui te nourrissent en se transformant en nutriment et vont rejoindre ton réseau intestinal, certaines parties vont venir alimenter ton réseau musculaire et physiologique (en partie grâce au réseau sanguin (lié lui-même à l’élément liquide, eau) et d’autres vont être rejetées dans tes selles, matières fécales qui vont rejoindre par les canalisations (la tuyauterie sanitaire) les égouts, les rivières, la mer (l’élément eau où vivent d’autres combinaisons matérielles (les poissons…) qui se nourriront en partie d’elles… et qui eux-mêmes… jeu permanent d’échanges et de transformation des éléments et des combinaisons provisoires de ces mêmes éléments. Voilà pour l’aspect matériel.
(8.28)
Abyssales origines (suite)
Deuxième thématique. La présence (et la fonction) de la conscience dans ces formes combinatoires provisoires. Thématique ardue comme l’atteste cette série de questions. Pourquoi et comment la conscience intervient-elle dans ces différentes combinaisons matérielles ? Vient-elle s’y greffer… ? Et comment… ? Existe-t-il une conscience propre à chaque combinaison de matière… ? Y a-t-il une conscience individuelle qui « passerait » de forme combinatoire en forme combinatoire (au fil de leur transformation) ? Y aurait-il des phases de non-conscience lors des phases de destruction des formes combinatoires ? La conscience est-elle forcément liée à ces formes combinatoires matérielles ? La conscience n’existerait-elle que dans les formes les moins grossières (ou les plus complexes) et serait-elle inexistante dans les formes grossières ou peu complexes ? Selon quels critères doterait-on (qui ou par quel système ?) chaque combinaison d’une conscience ? Il semblerait que seuls certaines formes de combinaisons vivantes en possèdent… tu doutes en effet qu’une combinaison inerte (tel un étron, une table ou une pomme) possède une conscience… cette dichotomie vivant/inerte distinguerait donc le sensible de l’insensible. Note. Le sensible serait-il conditionné par l’existence d’un système nerveux (sensibilité tactile) et/ou pourrait-il se définir au sens abstrait (avoir une sensibilité, une façon d’appréhender le réel et le monde ? Note extrapolatoire. Poussons un peu plus en avant… la sensibilité serait-elle alors la conscience ? Cette formulation (pour le moins arbitraire) inciterait au respect catégorique (dans les deux sens du terme, catégorique pour la catégorie du vivant versus la catégorie de l’inerte et catégorique au sens où il conviendrait d’être ABSOLUMENT respectueux de toute forme de vie (autrement dit de toute forme combinatoire vivante)… Autre question. Comment la vie, le sensible, le vivant s’insuffle-t-il dans ces formes combinatoires ? Eternelle question - et pour l’heure intranchable - sur l’origine du vivant et de la vie… (conditions propices réunies, souffle divin…). Questions supplémentaires. Pour quelles raisons certaines combinaisons matérielles différentes mais très proches dans leur forme (les Hommes par exemple, ou les chiens) ont-ils des consciences parfois sensiblement différentes tout en ayant de très évidents points communs ? Existerait-il une conscience universelle qui se partagerait en une multitude de consciences et qui se répartirait entre les différentes formes combinatoires matérielles ? Et selon quel critère s’effectuerait cette répartition ? Enfin (peut-être…) comment ne pas songer à l’instar des innombrables échanges entre les formes combinatoires matérielles à des échanges entre les différentes consciences dont semblent être dotées les formes combinatoires matérielles les plus complexes ? Et selon quelles règles s’opèreraient ces échanges ? Mon dieu ! Tant d’ignorance ! Et que de questions ! Ta pauvre réflexion vient de déterrer, malgré elle, l’éternel débat corps/esprit, matériel/spirituel… et le sempiternel questionnement sur l’origine de la vie... origine divine ou systémique (au sens d’un ensemble de conditions réunies propice à créer le système du vivant)… Et te voilà bien avancé de te poser des questions vieilles comme le monde…
(8.29)
En méconnaissance de cause
Tu remarques que tout savoir crée (presque à ton insu) des repères normatifs qui conditionnent ta parole et ton action. Tu notes que tout savoir (toujours nécessairement partiel) voile l'essentiel de la trame invisible de la vie. Toute action ou toute parole issue de ce savoir (ou fondée par lui) ne peut donc être, à tes yeux, qu'une réponse partielle, partiale et inappropriée à la situation. Mais en introduisant la double hypothèse suivante, 1. que l'existence de cette parole ou de cette action a été enjointe par la vie-même et 2. que la vie instrumentalise chaque être (chaque être qui ne serait que l'un des infimes fragments de la vie) dans l'intérêt de chacun, de tous et de la vie-même, alors cette réponse toute partielle, toute partiale et inappropriée qu'elle soit n'en est pas moins totalement juste et appropriée à la situation. Voilà un raisonnement en élaboration que viendrait sans doute contredire l'hypothèse de l'inexistence (totale et absolue) de réponse appropriée et idéale à toute situation… dans la mesure où l'idéal n'est lui-même que la construction réflexive d'un concept, une idée surimposée à la vie et non la vie-même... à moins que le concept lui-même appartienne à la vie… et par ce biais donc soit aussi la vie… Voilà de profondes réflexions, n'est-ce pas ? Oui profondes… et bien creuses…
(8.30)
Existences diverses
Tu notes une pensée attribuée habituellement à Voltaire : il n'est pas plus absurde d'avoir 2 vies plutôt qu'une seule, écrivait-il. Tu t’interroges. Pourquoi les êtres ne disposeraient-ils que de 2 existences ? Remarque. Tu notes - entre parenthèse - l’aberration totale de cette formulation (comme si la vie était à notre disposition…).
(8.31)
Existences diverses (suite)
Question ouverte. Pourquoi fermer la porte à l’hypothèse de l’infinité des existences ? Pourquoi n’y en aurait-il pas, en effet, une infinité ? Ou une quantité suffisante pour permettre aux êtres d'apprendre ce qu’ils ont à apprendre : découvrir leur véritable nature… ?
(8.32)
Existences diverses (suite)
L’hypothèse d’une seule existence te semble (totalement) absurde. Absurdité confirmée par la série de questions suivantes auxquelles l’hypothèse d’une vie unique ne permet de fournir aucune réponse satisfaisante.
Comment expliquer (encore une fois) les inégalités entre les êtres ? Les inégalités entre les Hommes ? Comment expliquer les inégalités en matière de trajectoire de vie, de cheminements, d’évènements ? Les inégalités en matière de prédispositions à l'essentiel, en terme d’accueil des évènements ? Les inégalités en matière de souffrances, de peines et de joies ? Comment expliquer la singularité de chaque être et de chaque itinéraire ? Et (enfin) comment l’Amour et la Connaissance (absolus) - finalités de toute les traditions spirituelles (de toutes les civilisations humaines depuis que le monde est monde) pourrait-il être atteint en une seule vie (alors qu’il est évident qu’une multitude d’êtres, y compris, bien entendu, les Hommes meurent sans y parvenir… ). Pour toute explication, tu notes que certains avancent l'idée de Dieu, d'autres de hasard, et d'autre encore celle de destin… réponses absurdes qui impliquent nécessairement (ici, en ce bas monde) un système du vivant injuste et incohérent… et - à dire vrai - totalement dépourvu de sens…
(8.33)
Encouragements
Tu notes que pour atteindre l'autre rive, découvrir les terres vierges de la sagesse et de la vérité, les Hommes ont l'idiotie de croire en l'existence d'un itinéraire où il leur faudrait suivre (simplement) quelques repères posés ici et là par leurs prédécesseurs. Il n'y a, à tes yeux, aucun itinéraire tracé d'avance, aucun chemin balisé. Mais un voyage unique pour chacun. Des pas singuliers. Et des découvertes à expérimenter personnellement.
(8.34)
Suivre un chemin
Tu t’engages sur une voie spirituelle. Tu apprends à marcher sans aveuglement. Tu n’empruntes aucun parcours fléché. Tu expérimentes les instructions en les passant au crible de la raison. Tu ne te laisses pas aller à la facilité de marcher sur un chemin déjà tracé. En suivant cette option, tu devines que ta pratique serait dénuée de sens et ta progression illusoire. Tu reconnais (parfaitement) la nécessité fondamentale de chercher et de construire ton propre chemin.
(8.35)
Suivre un chemin (suite)
Ton engagement sur la voie spirituelle n’est ni un aveuglement de la pensée, ni une insulte à la raison, ni un enfermement dogmatique. Tu chemines lentement. Tu avances empli de doutes et d’incertitudes. Chaque espace rencontré est défriché, piétiné, apprivoisé. Tu n’as guère de certitudes, mais tu sens s’enraciner (progressivement) au cœur de ton être des convictions intimes et profondes.
(8.36)
Suivre un chemin (suite)
Tu as conscience que la voie spirituelle est pavée de vérités extérieures qu’il serait idiot et vain de faire tiennes aveuglément. Tu sais parfaitement qu’il est nécessaire de transformer progressivement - très progressivement - ces vérités extérieures en possibilités, en éventualités, puis en intuitions et enfin en convictions (si tu estimes - selon ton degré de compréhension - qu’elles le méritent). Tu laisses ces vérités suivre leur chemin naturel… sans craindre d’en découvrir de nouvelles (très éloignées et parfois contradictoires).
(8.37)
Suivre un chemin (suite)
Tu as la conviction que le cheminement spirituel est une lente progression, un long travail d’imprégnation et d’assimilation. Et tu te gardes bien de t’y hâter. Tu refuses de mimer (ou pire de singer) toute attitude que tu n’es pas encore parvenu à assimiler (ou dont tu n’as pas, du moins, senti intuitivement la véracité). Tu te refuses à jouer à l’homme sage (et avisé aux yeux du monde). Et malgré tes craintes de passer pour un crétin ordinaire, tu apprends à reconnaître et à accepter ton ignorance, ton idiotie, ta méchanceté, ta nullité, ta médiocrité devant témoins. Tu admets (parfois encore à regret) l’incontournabilité de cette étape.
(8.38)
Règle essentielle
Tu notes un autre aspect fondamental sur le chemin (le chemin de la joie). Une règle fondamentale qui t’enjoint (avec délicatesse) à prendre soin avec attention - avec une vigilance sereine et une concentration détachée de toutes les formes - vivantes et inertes - avec lesquelles tu entres en contact, de l’ensemble de la trame de la vie avec laquelle tu es éternellement relié : les objets (que tu touches), les êtres (que tu côtoies et rencontres), les lieux (que tu habites et visites). Tu apprends à prendre soin de chaque chose, de chaque être et de chaque lieu comme si tu étais le garant de leur intégrité… Tu apprends à vivre sans rien altérer, sans rien abîmer sur ton passage…
(8.39)
Lente construction d'une verticalité
Ta verticalité se construit. Tu réponds à l’appel de la transcendance. Tu t’élargis. Tu t’ouvres à une perspective existentielle plus vaste, plus fine et plus profonde. Tu expérimentes le durcissement de l'égoïté, son ramollissement et sa lente dissolution. Tu rejettes l'ordinaire et expérimentes sa lente acceptation. Ta compassion et ton amour grandissent. Tu mets en pratique la transcendance au quotidien. Dans l'ordinaire le plus prosaïque. Tu simplifies. Tu débarrasses. Tu abandonnes. Tu découvres et explores les travers de l’être ordinaire. Tu mets à jour les refoulements (trop longtemps enfouis). Tu te replis. Tu aspires à l’altruisme. Tu réponds à l’appel du silence. Tu fuis l'agitation bruyante du monde. Tu sombres dans l'incompréhension. Tu apprends. Tu chemines vers la connaissance. Tu t’adonnes à l'humilité authentique. Et à l'arrogance méprisante. Tu progresses, d'incertitude en incertitude sur le sable mouvant de tes perceptions. Tu avances en bâtisseur de Verticalité sur l’étroit sentier qui borde le précipice.
(8.40)
Elargissement
Tu ressens (parfois) une légère amplification de conscience. Ta conscience (que tu perçois habituellement emprisonnée dans la boîte crânienne) sort de sa gangue - du moins est-ce ton impression… (sentiment réellement palpable) pour flotter (matière vaporeuse floue et sans forme) autour de toi. Autour de la tête d’abord (à un mètre ou deux de distance) avant de s’élargir très progressivement (entre 50 et 100 mètres de distance). Remarque. A cet instant, tu notes que tu éprouves le sentiment de ne plus te mouvoir dans le monde mais dans ta conscience. Que les êtres ne se déplacent ni dans le monde (ni sur la terre) mais également dans ta conscience… ou plus exactement dans la Conscience (puisque tu n’as pas le sentiment qu’elle t’appartient). Remarque supplémentaire. A cet instant, tu perçois le monde et la conscience comme deux espaces qui se confondent. Deux espaces qui se réunissent pour n’en former qu’un seul… Note. Après quelques instants de chevauchement, le monde t’apparaît comme un infime fragment de la conscience (conscience dont tu as l’intuition, à cet instant, qu’elle n’est autre que l’espace infini. Comme si le monde (et le monde de la matière) n’étaient (en réalité) qu’une dimension minuscule - tangible et palpable d’une entité sans forme : la conscience… sorte de conscience universelle, entité globale dans laquelle le corps des êtres (leurs dimension matérielle) se meuvent. Perception qui peu à peu s’estompe… mais qui indéniablement te marque.. et sur laquelle tu tenteras (à l’avenir) de poser un regard plus discursif (et plus analytique)…
(8.41)
Manifestation
Tu as toujours été frappé par la mystérieuse survenance des faits qui se jettent sur les êtres sans raisons apparentes… apparentes seulement… Questions. Qui crée l’évènement… ? Et comment se crée-t-il… ?
(8.42)
Manifestation (suite)
Les Hommes appellent hasard tout événement aléatoire (sans cause apparente ou apparemment explicable) et destin toute série d’évènements mais ils oublient que l’un et l’autre surviennent grâce à la combinaison d’une infinité de conditions (reliées entre-elles et par le fil du temps). Mais comment naissent ces conditions ? Qui ou quoi les crée ? Qui ou quoi les déclenche ? Les provoquons-nous ? Du moins en partie ? Et le reste serait-il soumis au hasard (mais existe-t-il seulement ?)…
(8.43)
Survenance
Piste. Tu t’interroges sur le lien (ou les liens) de causalité entre la conscience et la survenance des évènements.
(8.44)
Survenance (suite)
Questions. Subsistent en ce domaine de nombreuses interrogations. Comment nos actes, nos pensées, nos paroles créent-ils les évènements ? Par les empreintes laissées dans la conscience ? Se limitent-ils à teinter notre perception des évènements (autrement dit, influencent-ils seulement notre façon de les percevoir) ou ont-ils une véritable incidence sur leur survenance ? Et cette conscience traverse-t-elle la mort ? Et de quelle façon ? Comment (et sur quel support) poursuit-elle son voyage (son cheminement) ?
(8.45)
Lignée personnelle
Intuition (nouvelle). Tu as le sentiment que chaque être appartient à une lignée ancestrale. Et que chaque être hérite de la conscience de cette lignée. Une seule vie par être. Une longue chaîne entre-eux. Et un long chemin pour découvrir leur nature fondamentale (leur identité véritable).
(8.46)
Pour une connaissance plus large
Tu remarques (sans surprise) que le monde (le monde occidental, en particulier) accorde une confiance plus large aux penseurs (à ceux qui ont des réflexions) qu'aux intuitifs (à ceux qui ont des convictions intuitives). Ce crédit tient sans doute au fait que la plupart des hommes choisissent aveuglement leurs convictions - par facilité, par paresse, par commodité. Mais le monde occidental oublie que certains intuitifs élaborent leurs convictions après un long - un très long - cheminement réflexif, construit par la raison, enrichi par l'intuition et étayé enfin par la sensibilité et l'intelligence du cœur (dont les intellectuels, à tort, se méfient tant). Le monde intellectuel (et le monde intellectuel occidental en particulier) s’est toujours méfié des convictions. Il a toujours refusé d’admettre (par idéologie, habitude et paresse intellectuelles) que les convictions appréhendées comme aboutissements réflexifs et intuitifs transitoires ont sans doute dans l’éclairage du réel plus de poids et de consistance que bon nombre d’argumentations réflexives complexes.
(8.47)
Intuition particulière
Tu remarques que tes intuitions, au cours de ton existence, se sont toutes révélées fausses. Enfin très médiocrement partielles. En deçà, en tout cas, de tes compréhensions ultérieures. Comme si les fondements sur lesquels se formait et se fondait chaque perception nouvelle n'étaient valides et appropriés que pour elle seule. Comme s'il était impossible de s’y référer pour extrapoler une nouvelle intuition (plus large, plus fine et plus profonde). Comme si chaque nouvelle intuition possédait ses propres fondements qu'il conviendrait d’abord de découvrir pour en trouver l'accès.
(8.48)
Fouillis inextricable
Malgré tes efforts (laborieux), tu ne parviens (encore) à trouver les liens entre la lignée ancestrale de chaque être, les multiples liens horizontaux et verticaux entre les différentes formes combinatoires matérielles, l’origine de la survenance des évènements, les différents aspects de la Conscience - supposée - Universelle et la multiplicité des consciences individuelles, les liens entre la Conscience et la Matière… et quelques autres triviales (et essentielles) questions. Bref, tu reconnais, à ce stade du chemin ton incapacité à appréhender l’immense et mystérieuse trame du vivant. A trouver une réponse satisfaisante à l’origine et au sens de la Vie.
(8.49)