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LES CARNETS METAPHYSIQUES & SPIRITUELS

A propos

La quête de sens
Le passage vers l’impersonnel
L’exploration de l’être

L’intégration à la présence


Carnet n°1
L’innocence bafouée
Récit / 1997 / La quête de sens


Carnet n°2
Le naïf
Fiction / 1998 / La quête de sens

Carnet n°3
Une traversée du monde
Journal / 1999 / La quête de sens

Carnet n°4
Le marionnettiste
Fiction / 2000 / La quête de sens

Carnet n°5
Un Robinson moderne
Récit / 2001 / La quête de sens

Carnet n°6
Une chienne de vie
Fiction jeunesse / 2002/ Hors catégorie

Carnet n°7
Pensées vagabondes
Recueil / 2003 / La quête de sens

Carnet n°8
Le voyage clandestin
Récit jeunesse / 2004 / Hors catégorie

Carnet n°9
Le petit chercheur Livre 1
Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°10

Le petit chercheur Livre 2
Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°11 
Le petit chercheur Livre 3
Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°12
Autoportrait aux visages
Récit / 2005 / La quête de sens

Carnet n°13
Quêteur de sens
Recueil / 2005 / La quête de sens

Carnet n°14
Enchaînements
Récit / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°15
Regards croisés

Pensées et photographies / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°16
Traversée commune Intro
Livre expérimental / 2007 / La quête de sens

C
arnet n°17
Traversée commune Livre 1
Récit / 2007 / La quête de sens

Carnet n°18
Traversée commune Livre 2
Fiction / 2007/ La quête de sens

Carnet n°19
Traversée commune Livre 3
Récit & fiction / 2007 / La quête de sens

Carnet n°20
Traversée commune Livre 4
Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°21
Traversée commune Livre 5
Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°22
Traversée commune Livre 6
Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°23
Traversée commune Livre 7
Poésie / 2007 / La quête de sens

Carnet n°24
Traversée commune Livre 8
Pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°25
Traversée commune Livre 9
Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°26
Traversée commune Livre 10
Guides & synthèse / 2007 / La quête de sens

Carnet n°27
Au seuil de la mi-saison
Journal / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°28
L'Homme-pagaille
Récit / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°29
Saisons souterraines
Journal poétique / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°30
Au terme de l'exil provisoire
Journal / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°31
Fouille hagarde
Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°32
A la croisée des nuits
Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°33
Les ailes du monde si lourdes
Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°34
Pilori
Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°35
Ecorce blanche
Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°36
Ascèse du vide
Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°37
Journal de rupture
Journal / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°38
Elle et moi – poésies pour elle
Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°39
Préliminaires et prémices
Journal / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°40
Sous la cognée du vent
Journal poétique / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°41
Empreintes – corps écrits
Poésie et peintures / 2010 / Hors catégorie

Carnet n°42
Entre la lumière
Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°43
Au seuil de l'azur
Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°44
Une parole brute
Journal poétique / 2012 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°45
Chemin(s)
Recueil / 2013 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°46
L'être et le rien
Journal / 2013 / L’exploration de l’être

Carnet n°47
Simplement
Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°48
Notes du haut et du bas
Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°49
Un homme simple et sage
Récit / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°50
Quelques mots
Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°51
Journal fragmenté
Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°52
Réflexions et confidences
Journal / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°53
Le grand saladier
Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°54
Ô mon âme
Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°55
Le ciel nu
Recueil / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°56
L'infini en soi 
Recueil / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°57
L'office naturel
Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°58
Le nuage, l’arbre et le silence
Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°59
Entre nous
Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°60
La conscience et l'Existant
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°61
La conscience et l'Existant Intro
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°62
La conscience et l'Existant 1 à 5
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°63
La conscience et l'Existant 6
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°64
La conscience et l'Existant 6 (suite)
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°65
La conscience et l'Existant 6 (fin)
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°66
La conscience et l'Existant 7
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°67
La conscience et l'Existant 7 (suite)
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°68
La conscience et l'Existant 8 et 9
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°69
La conscience et l'Existant (fin)
Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°70
Notes sensibles
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°71
Notes du ciel et de la terre
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°72
Fulminations et anecdotes...
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°73
L'azur et l'horizon
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°74
Paroles pour soi
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°75
Pensées sur soi, le regard...
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°76
Hommes, anges et démons
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°77
L
a sente étroite...
Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°78
Le fou des collines...
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°79
Intimités et réflexions...
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°80
Le gris de l'âme derrière la joie
Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°81
Pensées et réflexions pour soi
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°82
La peur du silence
Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°83
Des bruits aux oreilles sages
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°84
Un timide retour au monde
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°85
Passagers du monde...
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°86
Au plus proche du silence
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°87
Être en ce monde
Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°88
L'homme-regard
Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°89
Passant éphémère
Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°90
Sur le chemin des jours
Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°91
Dans le sillon des feuilles mortes
Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°92
L
a joie et la lumière
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°93
Inclinaisons et épanchements...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°94
Bribes de portrait(s)...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

C
arnet n°95
Petites choses
Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°96
La lumière, l’infini, le silence...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°97
Penchants et résidus naturels...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°98
La poésie, la joie, la tristesse...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°99
Le soleil se moque bien...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°100
Si proche du paradis
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°101
Il n’y a de hasardeux chemin
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°102
La fragilité des fleurs
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°103
Visage(s)
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°104
Le monde, le poète et l’animal
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°105
Petit état des lieux de l’être
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°106
Lumière, visages et tressaillements
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°107
La lumière encore...
Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°108
Sur la terre, le soleil déjà
Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°109
Et la parole, aussi, est douce...
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°110
Une parole, un silence...
Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°111
Le silence, la parole...
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°112
Une vérité, un songe peut-être
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°113
Silence et causeries
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°114
Un peu de vie, un peu de monde...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°115
Encore un peu de désespérance
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°116
La tâche du monde, du sage...
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°117
Dire ce que nous sommes...
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°118
Ce que nous sommes – encore...
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°119
Entre les étoiles et la lumière
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°120
Joies et tristesses verticales
Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°121
Du bruit, des âmes et du silence
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°122
Encore un peu de tout...
Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°123
L’amour et les ténèbres
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°124
Le feu, la cendre et l’infortune
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°125
Le tragique des jours et le silence
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°126
Mille fois déjà peut-être...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°127
L’âme, les pierres, la chair...
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°128
De l’or dans la boue
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°129
Quelques jours et l’éternité
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°130
Vivant comme si...
Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°131
La tristesse et la mort
Récit / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°132
Ce feu au fond de l’âme
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°133
Visage(s) commun(s)
Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°134
Au bord de l'impersonnel
Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°135
Aux portes de la nuit et du silence
Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°136
Entre le rêve et l'absence
Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°137
Nous autres, hier et aujourd'hui
Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°138
Parenthèse, le temps d'un retour...
Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence


Carnet n°139 
Au loin, je vois les hommes...
Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°140
L'étrange labeur de l'âme

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°141
Aux fenêtres de l'âme

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°142
L'âme du monde

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°143
Le temps, le monde, le silence...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°144
Obstination(s)

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°145
L'âme, la prière et le silence

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°146
Envolées

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°147
Au fond

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°148
Le réel et l'éphémère

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°149
Destin et illusion

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°150
L'époque, les siècles et l'atemporel

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°151
En somme...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°152
Passage(s)

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°153
Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°154
A quoi bon...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°155
Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°156
L'autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°157
La beauté, le silence, le plus simple...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°158
Et, aujourd'hui, tout revient encore...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°159
Tout - de l'autre côté

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°160
Au milieu du monde...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°161
Sourire en silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°162
Nous et les autres - encore

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°163
L'illusion, l'invisible et l'infranchissable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°164
Le monde et le poète - peut-être...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°165
Rejoindre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°166
A regarder le monde

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°167
Alternance et continuité

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°168
Fragments ordinaires

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°169
Reliquats et éclaboussures

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°170
Sur le plus lointain versant...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°171
Au-dehors comme au-dedans

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°172
Matière d'éveil - matière du monde

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°173
Lignes de démarcation

Regard / 2018 / L'intégration à la présence
-
Carnet n°174
Jeux d'incomplétude

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence
-

Carnet n°175
Exprimer l'impossible

Regard / 2018 / L'intégration à la présence
-
Carnet n°176
De larmes, d'enfance et de fleurs

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°177
Coeur blessé, coeur ouvert, coeur vivant

Journal / 2018 / L'intégration à la présence
-
Carnet n°178
Cercles superposés

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°179
Tournants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°180
Le jeu des Dieux et des vivants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°181
Routes, élans et pénétrations

Journal / 2019 / L'intégration à la présence
-
Carnet n°182
Elans et miracle

Journal poétique / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°183
D'un temps à l'autre

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°184
Quelque part au-dessus du néant...

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°185
Toujours - quelque chose du monde

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°186
Aube et horizon

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°187
L'épaisseur de la trame

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°188
Dans le même creuset

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°189
Notes journalières

Carnet n°190
Notes de la vacuité

Carnet n°191
Notes journalières

Carnet n°192
Notes de la vacuité

Carnet n°193
Notes journalières

Carnet n°194
Notes de la vacuité

Carnet n°195
Notes journalières

Carnet n°196
Notes de la vacuité

Carnet n°197
Notes journalières

Carnet n°198
Notes de la vacuité

Carnet n°199
Notes journalières

Carnet n°200
Notes de la vacuité

Carnet n°201
Notes journalières

Carnet n°202
Notes de la route

Carnet n°203
Notes journalières

Carnet n°204
Notes de voyage

Carnet n°205
Notes journalières

Carnet n°206
Notes du monde

Carnet n°207
Notes journalières

Carnet n°208
Notes sans titre

Carnet n°209
Notes journalières

Carnet n°210
Notes sans titre

Carnet n°211
Notes journalières

Carnet n°212
Notes sans titre

Carnet n°213
Notes journalières

Carnet n°214
Notes sans titre

Carnet n°215
Notes journalières

Carnet n°216
Notes sans titre

Carnet n°217
Notes journalières

Carnet n°218
Notes sans titre

Carnet n°219
Notes journalières

Carnet n°220
Notes sans titre

Carnet n°221
Notes journalières

Carnet n°222
Notes sans titre

Carnet n°223
Notes journalières

Carnet n°224
Notes sans titre

Carnet n°225

Carnet n°226

Carnet n°227

Carnet n°228

Carnet n°229

Carnet n°230

Carnet n°231

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Carnet n°263
Au jour le jour

Octobre 2020


Carnet n°264
Au jour le jour

Novembre 2020

Carnet n°265
Au jour le jour

Décembre 2020

Carnet n°266
Au jour le jour

Janvier 2021

Carnet n°267
Au jour le jour

Février 2021

Carnet n°268
Au jour le jour

Mars 2021


Carnet n°269
Au jour le jour
Avril 2021

Carnet n°270
Au jour le jour
Mai 2021

Carnet n°271
Au jour le jour

Juin 2021

Carnet n°272
Au jour le jour

Juillet 2021

Carnet n°273
Au jour le jour
Août 2021

Carnet n°274
Au jour le jour

Septembre 2021


Carnet n°275
Au jour le jour
Octobre 2021

Carnet n°276
Au jour le jour
Novembre 2021

Carnet n°277
Au jour le jour

Décembre 2021

Carnet n°278
Au jour le jour
Janvier 2022

Carnet n°279
Au jour le jour
Février 2022

Carnet n°280
Au jour le jour
Mars 2022

Carnet n°281
Au jour le jour
Avril 2022

Carnet n°282
Au jour le jour
Mai 2022

Carnet n°283
Au jour le jour
Juin 2022

Carnet n°284
Au jour le jour
Juillet 2022

Carnet n°285
Au jour le jour
Août 2022

Carnet n°286
Au jour le jour
Septembre 2022

Carnet n°287
Au jour le jour
Octobre 2022

Carnet n°288
Au jour le jour
Novembre 2022

Carnet n°289
Au jour le jour
Décembre 2022

Carnet n°290
Au jour le jour
Février 2023

Carnet n°291
Au jour le jour
Mars 2023

Carnet n°292
Au jour le jour
Avril 2023

Carnet n°293
Au jour le jour
Mai 2023

Carnet n°294
Au jour le jour
Juin 2023

Carnet n°295
Nomade des bois (part 1)
Juillet 2023

Carnet n°296
Nomade des bois (part 2)
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30 novembre 2017

Carnet n°42 Entre la lumière

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l'impersonnel

A la vaine pitance du monde, il opposait ses mains ouvertes. Son âme déployée. Son renoncement sans faille. Et l’éclat si faible de ses prunelles. Il plantait ses graines à la volée. Sur des terres sèches et fragiles - peu propices à la moisson. Ignorant que le vent se chargerait des labours. Et pressentant pourtant la venue prochaine de la récolte où entre les ronces, une foison d’orchidées verrait bientôt le jour. Mais comment faire pousser l’aile qui manquait à son pas ? Faire descendre le ciel fut sa réponse.

 

 

Il n’avait de contour à ses yeux. Mais au fond du regard, une prunelle encore aux abois.

 

 

Si tu veux t’enterrer, garde-toi des ombres.

 

 

Dépasse l’audace. Et tu trouveras le vrai courage.

 

 

Il voyait les âmes virevolter au-delà des sépultures. Ravies de se retrouver après tant de frontières et d’égarements.

 

 

Qui peut vivre sans chute ni envol ? Sans espoir ni crainte ? Où poser son pas ? A l’exacte place ? Mais en quels lieux ? Tant de mondes se côtoient. 

 

 

Il trouva une vieille jarre d’avant la naissance des âges où il prit refuge. Et la coulée du temps s’envola. Incalculable.

 

 

Il serra contre son cœur une fleur sans histoire. Sans passé. Et le ciel put enfin éclore.

 

 

Un monde disjoint dans les prunelles. Et mille éclats du monde dans la main.

 

 

Il voyait les êtres se serrer les uns contre les autres. Se servir les uns des autres, croyant parvenir à leur fin. Pieds, mains, tête, bras, jambes. Chaque membre plaidant sa cause. Et œuvrant (à son insu) pour le même corps en mouvement.

 

 

De l’entrave naît le ciel. Que l’on peut déjà entrevoir entre les barreaux.

 

 

Le souci de soi mène toujours aux prunelles alentour. Et le reflet des prunelles à la désillusion. La désillusion à la fouille. Et au cœur de la fosse, que se passe-t-il ? Il nous faut creuser pour connaître la réponse.

 

 

Egaye-toi de la transparence. Et n’aie crainte de l’obscurité que dissipe la lumière.

 

 

O Hommes, bouts de moi-même

Où courrez-vous de ce pas ?

Où croyez-vous fuir ainsi ?

Ne sommes-nous pas inséparables ?

 

 

Toute vie est la vérité qui se creuse. Et nous révèle.

 

 

Lorsqu’ELLE prendra la place que tu t’es octroyé, tu deviendras pleinement toi-même. 

 

 

Il errait entre folie, normalité et sagesse. Rêvait de vie océane. Et de monde clos. Pourchassait les frontières et les masques ternis jusque dans les sous-sols et les caves. Retournait les joutes. S’enivrait de fureurs. Déblayait les musées et les hécatombes. Soulevait la mémoire d’une main lancée vers le ciel. Recouvrait la terre d’une colère noire. Lave éructante. Marchait jusqu’à plus soif. Jetait aux vitrines son regard de flamme. Brûlait ses guenilles. S’écartait des visages trop timides. Des bouches factices. Des ombres policées. Des faces hargneuses. Des masques plombés. Les vitriolait en silence. De l’intérieur. Dévisageait les parois qui l’enserraient. Martelait de son rire ses cavités sordides. Pleurait le visage dégoulinant de sable. Camouflant ses songes, ses rêves et ses secrets d’alcôve. 

 

 

Il pérégrinait toujours sans destination. La besace clairsemée – avec un mince espoir de neige sous les paupières – et les semelles enhardies par l’azur. Oublieux des brumes et des brimades. Les étoiles et les prunelles dans l’ombre. Clarifiant l’espace. Egayant les interstices de ses pas. Galopant sans retenue vers un ailleurs encore indicible.

 

 

Que la source est fragile

A nos paupières endormies

Et que nos jarres sont lourdes

Sur nos épaules aguerries

 

Comme si le ciel nous frappait

De son poids à chaque foulée

Et que l’azur sombre nous égarait

Dans son labyrinthe

Enchaînés à notre sillon,

Nous marchons la silhouette courbée

 

 

Toi qui as grandi sur le toit du monde

Pour te hisser jusqu’à la cime des arbres

Et découvrir le ciel à tes pieds

Fut-ce un rêve de glace ou de papier ?

 

 

Il marchait sans tituber sur les trottoirs gris, sans se heurter aux passants décharnés, sans se cogner aux vents qui cinglent, sans s’étrangler de la beauté de ses pas, à peine étonné des silhouettes avachies sur le bitume errant à la recherche d’un soleil, toujours aveugles à l’azur des prunelles. Il s’invitait à la marche pour dénicher l’œil de la mort, lui arracher sa faucille et s’en faire une béquille pour aller le cœur plus libre, sans complaisance pour le chaos et la cohérence des pas, sûr d’avancer à l’heure précise où les passants patienteront encore intranquilles vers leur destination.

 

 

La grande affaire est là devant nos yeux. Et sous nos pas. Si proche de notre main qui ne saisit que du sable.

 

 

Il effaçait ses certitudes. Et ses habitudes. Etait sans égard pour ses tournures, ses périphrases et ses postures qui ancraient leur poids dans le marbre de papier, aussi léger (pourtant) qu’une feuille poussée par le vent.

 

 

Il exécutait sa tâche sans relâche. Ignorant que le joug s’effacerait dans l’abandon.

 

 

Il est des cieux éparpillés qui émiettent la mémoire et nos pas sans recours. Qui nous enfoncent au-delà des terres, ravis de nous ouvrir au mystère, qui nous traversent à la hâte et nous laissent un arrière-goût de nuages et d’espièglerie au fond des yeux. 

 

 

Il s’abandonnait aux grains d’azur que ses pas impatientaient de leur poids, en baissant les yeux vers le ciel qui recouvrait ses chemins d’orage sans lui révéler – d’un éclair mystérieux – celui qu’il était.

 

 

Il cherchait encore sa demeure en tous lieux. Mais restait suspendu aux murs de pierres sans découvrir la maisonnée qui l’habitait. Il rêvait pourtant de devenir le seuil du refuge pour tous ceux qui cherchent un abri, tous ceux qui ont quitté leur ghetto et erré trop longtemps le visage penché sur leurs souliers. Il rêvait de les redresser d’une main agile et de les instruire de l’autre à l’hôte qui les appelle en silence depuis des siècles.

 

 

Pourquoi se défaire de nos malles

Dont le contenu nous ignore

Ce trésor que nous délaissons avec superbe

Pour des guenilles d’or et de diamants ?

 

 

Les stigmates de la différence s’effaceront dans la main de Dieu.

 

 

N’écarte rien. Remplis-toi de tout ce qui se présente. Et tout s’effacera. Ton dénuement sera alors richesse. Invitant tous les possibles dans ta main ouverte.

 

 

Aie l’audace de te laisser surprendre. D’aller les yeux fermés vers ton enfantement. Ne crains ni les découragements, ni les infortunes. Ni la folie, ni le désespoir. Laisse-toi traverser. Le désencombrement est déjà à l’œuvre.

 

 

Nulle règle ne peut égaler l’absence de règles. Le pas toujours juste.

 

 

N’aie crainte de te fourvoyer. Au fond des ornières. Au fond des fossés, des ailes t’attendent. Pour t’envoler vers le fol azur qui s’impatiente de ta venue.

 

 

Des pas trop lourds sur la terre. Ainsi marchent les hommes dans leur sillon. Croyant suivre l’azur derrière leur horizon. Espérant l’atteindre. Et le reculant toujours. L’azur survient par mégarde. Il ne peut se dévoiler aux prunelles laborieuses et avisées, aux pas lourds et geignards. Il se révèle à ceux qui se sont délestés jusqu’à l’os. N’épargnant ni leur chair. Ni leur âme. Allant jusqu’à froisser tout espoir de lumière et qui avancent tremblant dans le noir, effrayés de tant folie, poussés et guidés à chaque pas par une folle nécessité… errant ici et là sans repère, sans certitude, sans identité ni destination. Rien. Et libres jusqu’à l’ivresse.

 

 

Avant d’entrer dans la grande demeure, tout doit-il voler en éclat ? La porte serait-elle donc si large et si étroite, si proche et si lointaine pour notre œil rivé à son seuil ? Comment la franchir ? Serions-nous donc le passeur, la porte, le passage, et l’espace alentour ?

 

 

Sans programme ni projet, il s’égayait de toute opportunité.

 

 

Le peuple des berges à l’horizon plat. Et fixe. A l’ascension accumulative. Et le peuple des flots. Toujours à la dérive. 

 

 

La grande âme du monde s’ouvre à ta besace

Et la voûte étoilée invite tes pas au sentier éternel

Prends garde en chemin de ne rien amasser.

 

 

L’horizon le couvrait de glace. Effaçant tous miroirs et tous reflets. Et son âme opaque avançait, cristallisant tous les mouvements. Incapable encore de s’étioler à la chaleur de l’astre. 

 

 

L’horizon se couvrait de taches. Traces éphémères que son regard ciselait. Incapable de se défaire de la mémoire pour aller le cœur plus lisse.

 

 

Ouvre-toi au destin. Embrasse la multitude du chemin. Dépose tes peurs. Et efface-toi après l’heure du besoin. Avant que sonne l’heure du tocsin.

 

 

Meurs sans certitude à tout ce qui t’efface. A tout ce qui t’ébranle et t’enlace. Meurs d’abnégation. Jusqu’au renoncement. A tes lèvres alors naîtra l’abondance de l’évidence. Accueille et unis-toi à tout surgissement. Ne sois que cela, ce rien qui passe et se détache.

 

 

L’abondance du grain

Dissimule la récolte des champs de rien

Qui poussent sur notre route

Insaisissable dans les interstices du regard

 

 

Mille éclats d’histoires dans ses terreurs. Et autant de rêves brisés qui l’adossaient à un rire énorme. A un rire sans fin, éclatant de vie et de fureur (et de bonté aussi peut-être) pour tous ceux qui n’ont su voir derrière sa chair tremblante les brûlures espiègles et dévorantes, l’amour cherchant sa voie, l’âme cherchant sa sœur, et un visage sans doute à reconnaître et à aimer d’une folle manière. Un visage à découvrir et à consoler de mille caresses, à entourer d’une présence sans âge, tirant sa source d’un temps si lointain, d’une autre rive où les hommes aux plus proches de leur mystère et de leur enfantement n’avaient de lignées. De cette époque peut-être sans genèse où les drames éclataient en pétales et en feuilles de vigne – qui sait ? Qui sait ce qu’il cherche encore ? Et qui a vu ses lèvres offertes et la lumière derrière ses larmes ?

 

 

Ne cherche le mystère de tes ailes. Mais allège ton pas.

 

 

Il traversa un temps éclatant d’orages et de mystères et s’y enfonça, délaissant ses abris - ses vieilles parois éculées où il se cognait tant jadis. Et se laissa gagner par la déroute sans voir - malgré l’opacité de ses prunelles - s’éclaircir l’horizon.

 

 

Au-dedans des cieux racoleurs, il voyait l’espoir et la destination précise. Mais lui s’en moquait. Il n’avait d’yeux que pour le cœur de nulle part, là où la déroute ensemence et nourrit la graine d’azur à éclore. Il craignait l’égarement sous son pas si peu juste, ignorant que la perte conduit en tous lieux, agrandit notre maisonnée jusqu’aux horizons les plus reculés, nous crée un soleil en guise de tête et une lune en sourire, nous fait renifler l’amour et l’intelligence – le regard déchiré de présence – et les oreilles aussi larges que furent nos infortunes pour égayer enfin notre visage et apprivoiser le monde réconcilié.

 

 

Il apprit à mourir à tant de visages sans un cri pour découvrir le ciel rieur et une larme sur sa joue. Quelques pleurs au fond d’un abîme étincelant où les âmes se moquent de nos maladresses, de nos prouesses et de nos labeurs.

 

 

Les vagabonds des terres sordides, impuissants à s’initier aux pas des clochards célestes. Entre route triste et long voyage. Une clarté trop envahissante pour s’abandonner à la brume des yeux.

 

 

Démunis-toi du connu. Traverse incertitudes, doutes et effarement. Et derrière les peurs inébranlables de l’effacement surgira le territoire. Laisse-toi apprivoiser. Submerger. L’enfantement et l’évidence sont déjà à l’œuvre. 

 

 

Le sang des prémices à l’orée de ta bouche. Les chants du monde recouvriront bientôt ta voix. Aie le cœur assez large pour t’ouvrir à la sente qui te précède.

 

 

L’éternelle découverte du rien. Après tant d’amassements… l’ultime insaisissable…

 

*

 

Dans l’oscillation du soleil et des ténèbres, les peurs se démasquent.

 

 

Garde-toi des méprises. Renonce à trouver leur extrémité. Derrière, tu verras l’origine du voile se déchirer.

 

 

Devant les masques et les remparts du monde, il avait la candeur aux abois. Et l’innocence foulée par la poussière des pas trop orgueilleux. Il n’avait qu’un rêve : disloquer les regards (tous ces regards de glace) pour ranimer la lueur emmurée, la flamme abandonnée au confinement des parois glacées. Et l’éveiller au feu.

 

 

Il s’étonnait des blessures. Innombrables. Et de la chair indemne. Des identités mille fois piétinées. Et de la présence en nous inaltérable.

 

 

Au royaume des confins, mille limites. Et à son seuil, il voyait fleurir les donjons qui perçaient tous les nuages. Aussi larges que les nouveaux horizons. Et au royaume des remparts, il devinait l’étroite geôle où se claquemuraient les peurs. Et les douves où se mêlaient le sang et la sueur. Et où l’on jetait les cadavres. Pauvres dépouilles crispées. Martyrs involontaires de bourreaux aux gestes inconséquents. Appelés à chaque assaut à traverser le royaume étroit pour gagner l’empire de la liberté.

 

 

Une étrange raison le ramena à la déraison. Il comprit alors l’harmonie du chaos. Et le silence complice et malicieux. 

 

 

L’effacement des tombes donne des ailes à tous les cadavres. Et toutes les âmes dansent dans le ciel. Toujours invisible aux yeux des vivants.

 

 

Murs de briques ou de vent. Quelle différence pour nos mains nues ? Et notre chair écorchée ?

 

 

La terre des brumes dessille les yeux. Et le sol trop ferme les maintient hagards.

 

 

Présence hors sol jusqu’au-delà de l’espace. Vision globale qui ne distingue, ni ne transperce. Comment faire éclore l’absence de frontières ? Regarde non de ton œil mais du fond des âges alors la vue te sera donnée. Et l’espace offert. Et ta joie sera grande de te retrouver. Un sourire aux lèvres. Et le monde bientôt décroché que tu pourras nourrir de ta parole. Pour le soustraire à l’ignorance et qu’il puisse enfin s’habiter. 

 

 

Les songes ne sont qu’éboulis à la rencontre des cimes. Aussi nul de sert de crier sous l’avalanche.

 

 

Le choc n’est jamais sans limite. Mais il se souvient des ondes. Accueille-les sans crainte avant de les remonter jusqu’à la source.

 

 

Devant la sagesse millénaire et les paroles ancestrales de son peuple, nul envol possible. La maladresse prend toujours racine à l’ombre des êtres. Et toutes les impasses y fleurissent. Regagne donc le désert. Et attends l’élan que t’offrira le ciel. Il ne s’expose qu’aux marcheurs solitaires et sans repères. Perdus déjà à eux-mêmes.

 

 

La survie s’invite en notre désert. Et les prophètes attendent à l’abri des ombres. Aussi nul ne sert de crier au-delà des dunes.

 

 

Les bois de l’homme sont impénétrables. Un arbre pourtant (une branche parfois) suffit à faire naître la hache exploratrice – l’outil salutaire des dévastations. 

 

 

Ecoute davantage l’écho que le cri. La déformation réelle des jours te répondra. Laisse-la s’échapper. Une autre - plus juste - te sera offerte.

 

 

Nul abri sous l’averse. Rien que des gouttes au cours de la traversée.

 

 

Tu as le soliloque singulier. Mais tant de voix t’échappent (encore) pour tenir ton rôle.

 

 

Nulle parole ne s’enhardit autant que dans le silence.

 

 

Dans ton décor d’infortune, tu sommeilles. Pars donc sur le chemin explorer tes coulisses.

 

 

Tu encombres trop l’abîme pour dénicher l’espace. Amincis tes flancs. Et tu égayeras l’abîme. Tous les seuils de l’azur.

 

 

Quelques étoiles dans la poussière. Et le firmament naîtra bientôt sur l’asphalte.

 

 

Heureux l’homme doué d’irraison. A pas décomptés, il se promène où va le vent. Avec tous les airs dans la tête.

 

 

Emmure tes silences pour que naisse l’écho. Et ton oreille deviendra sourde aux rumeurs.

 

 

Comment défaire ses ailes des barreaux ?

 

 

A quel horizon te destines-tu ? Le paysage variera selon tes perspectives.

 

 

Le chemin est ton ivresse. De bout en bout, une fiole en tête.

 

 

Garde la sente humide pour tes glissades car l’aube sera ton enlisement.

 

 

Pourquoi s’enlaidir de tant de parures alors que la grâce se porte en haillons ?

 

 

La vigilance est ton plus haut rempart. Monte sur tes créneaux et offre-toi aux flèches. De ce présent naîtra ta récompense. Une liberté sans blessure.

 

 

Habite la présence. Et tu seras partout l’hôte approprié.

 

 

Minuit. Midi. Quelle importance ? Le soleil éclaire l’en-bas. Et l’en-haut s’est déjà dispersé.

 

*

 

Une parole sage ne vaut que par sa justesse. Jamais par son étendue, sa profondeur ou son éclat.

 

 

Une vie pleine et assagie. Voilà à quoi il aspirait.

 

 

Il y a plus de sagesse à manger une pomme d’un geste plein que d’écrire le monde, la bouche affamée ou de le dévorer d’une dent hargneuse.

 

 

Quand la vie se détourne, pose ton regard où elle s’établit. Et ton geste suivra.

 

 

Les plus beaux livres ne s’ouvrent que d’une main. L’autre soutient le cœur abîmé qui se panse et s’ouvre.

 

 

Le rire borgne du monde n’oblige aucune lèvre à s’ouvrir. Et le silence distingue les bouches complices des prunelles innocentes.

 

 

Le pas innocent. Et la semelle toujours complice. Nulle marche n’est épargnée.

 

 

Jamais ne distingue entre l’aurore et le crépuscule. Mais crains les yeux aveuglés par le jour. Et le scintillement des nuits magiques.

 

 

Le monde offre mille spectacles. Et les yeux demandent vers quelle folie se tourner. 

 

 

N’imite jamais les sages. Regarde-toi. Et chemine en ta compagnie.

 

 

Les mots peuvent-ils faire chavirer un destin ? Oui, magistralement lorsqu’ils nous enjoignent de les quitter.

 

 

Il s’enchaînait au bas des églises. Près des tombes où se réunissent les vivants. Pour voir les âmes - libres - s’envoler dans le vent.

 

 

Ses mots s’éparpillaient dans sa bouche. Leur donnant toute leur inconsistance. Le monde y voyait des bouffonneries. Et Dieu une invitation à la vérité.

 

 

Il n’avait de table où poser sa nappe. Et moins encore ses couverts. Aveugle aux mille assiettes que Dieu lui offrait.

 

 

Il pouvait bien s’égarer. A présent ses pas devinaient la direction.

 

 

Il se rêvait jusqu’à l’effacement. Et à cet instant, les dieux lui offrirent une estrade.

 

 

La bouche muette enseigne le vide. Un silence si plein pour le ciel.

 

 

Sans destinée précise, les pas découvrent la direction. Sans intention, les gestes deviennent justes.

 

 

Les frontières ne sont que le commencement d’un autre territoire. Leur absence appelle l’infini en expansion.

 

 

Le point ultime du monde devient le lieu de la présence.

 

 

Les yeux pourfendent. Alors que le regard réunit. Et les mots transpercent. Alors que le silence enveloppe.

 

 

L’erreur qui n’abrite aucun mensonge est le lieu où naît la vérité en marche.

 

 

L’horloge ne trompe que les yeux fatigués. Les yeux hagards ignorent les aiguilles.

 

 

Les yeux jouissent de la multitude. Et le regard de l’unité. Ainsi convient-il de les réunir pour devenir homme de la terre et du ciel.

 

 

Les cimes sont les brins d’herbes où se posent les anges. Et les croyants imaginent que leurs prières caressent la barbe des dieux.

 

 

Tout geste est Dieu en action. Toute parole est silence en mouvement. Tout pas indique la direction. Rien d’inégal en ce monde. Et aucun sens pour le justifier. L’ordre du monde est là. Présent en chaque chose. Et toutes les situations l’attestent.

 

 

Les frontières réclament leur part d’ouverture. A-t-on déjà imaginé une ligne sans espace ?

 

 

Ne couvre pas le vacarme des hommes de tes cris. Mais de tes silences.

 

 

La nuit n’appelle aucun destin. Et le jour a déjà un soleil.

 

 

Il ne s’agit pas de traverser le miroir. Mais de remonter sa source pour percer le mystère.

 

 

Les ténèbres n’ont d’oasis. Pétrifiés par le soleil de pierre, la marche attise notre soif.

 

*

 

A quel supplice faut-il s’offrir pour que la dignité nous redresse ?

 

 

L’horizon - toujours ravageur pour le pas - émiettait sa foulée. Encerclait sa marche. Enlisait sa silhouette dans son sillon mille fois creusé.

 

 

On peut bafouer la loi des Hommes. Mais nul n’échappe aux lois du ciel. Elles pourfendent toute bassesse. Pourchassent la trahison jusque dans notre moelle.

 

 

Le ciel s’évaporait parfois à son regard (trop) concentré. Faisant apparaître d’autres cieux, plus bas, plus sombres voilant la majesté et l’étendue du premier.

 

 

De contrées en contrées, nos pas nous égarent. La vérité est si proche qu’elle en devient invisible.

 

 

Tout savoir est un écran qui ôte au regard sa justesse. Ne surimpose rien au réel. Mais fais corps avec lui. Fais-lui face sans voile. Et tu seras élément de la vérité.

 

 

Oublie les promesses de l’azur. Néglige les empreintes que tu t’es efforcé de conserver. Ôte toutes tes armures. Et marche nu. Un jour, la vérité se tiendra dans tes pas.

 

 

Le réconfort advient sans prémices. Au seuil de l’abandon, poursuis ta marche.

 

 

Défais tes espoirs. Et tes regrets. Marche sans te retourner. Et sans un regard pour l’horizon. Défais l’écran de tes prunelles. Et l’œil neuf surgira.

 

 

Réclame ton dû de tendresse et d’alcool. Et pars. Abandonne tes parcelles et tes barricades. Tes terres infertiles. Délaisse tes fauves et tes molosses carnassiers, gardiens des temples d’antan. Oublie les joutes d’autrefois. Et les querelles où tu excellais. Oublie l’amertume. Néglige les accaparements. N’engrange que les forces du vent. Et vas. Libre, tu seras.

 

 

Abandonne les mains à leurs supplications. Abandonne les visages à leurs grimaces. Sois digne sous l’averse. Et honore les chemins que tes pieds nus traversent.

 

 

Je suis l’appel. Et le nom que tu as cherché sur les chemins. Le sens que tu as creusé de tes mains. Le regard qui te contemplait lorsque ta faim fouillait parmi les livres et les visages sans grâce.

 

 

Abreuve-toi de mes silences. Nourris-toi de ma présence. Et nous marcherons ensemble. Silencieux et présents. A chaque pas.

 

 

Déshabille l’homme. Et tu trouveras derrière les os un cri et une âme vibrante. Délaisse le cri. Il se suffit à lui-même. Il cherche (vainement) l’écho de sa propre parole. Accueille l’âme. Réconforte-la un instant. Puis laisse-la s’effilocher au vent. Elle trouvera son destin.

 

 

Ne singe pas les sages.

Ne juge point les imbéciles

Œuvre à ton regard avec cœur

Et à ton cœur avec ardeur

Prodigue-leur soins et tendresse

Accueille leur pusillanimité

Et leurs battements étroits

Ôte leurs voiles

Avec patience

Et marche sans prudence

Ton pas lucide s’aiguisera

 

 

Ferme les yeux aux jours abondants. Oublie les escaliers de la gloire. Et contemple tes pas sur le sable. Tes empreintes dans le désert. Ne juge pas la hauteur de la dune qui te fait face. Avance un pied après l’autre sans te soucier des oasis et des palmeraies. Des caravaniers criards dans les souks. Néglige leurs marchandises. Redresse ton ossature. Tu habites déjà le ciel. Et chaque maison sera bientôt ton foyer.

 

 

Il y a une âme secrète au fond de chaque chose. Et de rares yeux pour leur rendre grâce.

 

 

Une éternité sépare le soupir du silence. Qu’un souffle ténu qui n’aspire qu’à mourir.

 

 

Ne néglige aucun bagage. Pars avec ce que tu es. Le voyage œuvrera à ton délestage.

 

 

La grâce s’invite. Mais jamais ne s’apprivoise. Elle nous frôle parfois avant de nous quitter pour des yeux plus sages.

 

 

Tu as percé tous les mystères. Mais l’énigme demeure intacte. Jette donc tes livres pour regarder le monde. Et la vie en face. Et tu en pénètreras le secret.

 

 

L’éradication de la brume. Voilà à quoi l’homme devrait œuvrer !

 

 

Le ciel n’attend aucune offrande de la terre. Mais des gestes justes. Une main habitée par le regard. Et la présence.

 

 

Quelle terre pourrait assombrir le ciel ?

 

 

La vérité apparaît nue. Jamais elle ne se drape de paroles.

 

 

Les mots indiquent une sente sur laquelle les Hommes – la plupart des hommes – s’égarent.

 

 

Nulle parole n’a la puissance de déplacer nos écrans – nos miroirs – où vient se refléter le monde – notre monde.

 

 

[La vérité]

La vérité n’a besoin de mots. Mais de silence. Elle n’a besoin de connaissance. Mais d’espace. La vérité n’obéit à aucune règle. Elle n’a ni loi. Ni principe. Elle jaillit de l’ineffable. Nos regards n’en saisissent que les reflets. La vérité ne peut se saisir. Mais s’offre au regard mûr. On se perd dans ses replis et ses recoins. On s’enlise sur les chemins qui nous y mènent. On s’approprie l’in-appropriable. On se pare des guenilles dont elle se défait. Nous sommes la vérité. Elle nous est si proche que nous restons toujours à son seuil. Nous ne sommes pas. Nous n’existons pas. Voilà la vérité. La vérité n’exige rien. Elle tranche. Nos illusions. Nos incartades. Nos soumissions. A travers nos rires, elle s’esclaffe. La vérité est partout. Mais n’a de centre. Elle n’exige rien. Mais offre les circonstances et les situations pour se révéler. Elle se cherche à travers nos quêtes. Et se joue de nos gloires de sable. On la côtoie longtemps avant de l’apprivoiser. Mais elle demeure rebelle à toute captation. Tout accaparement. Elle se dissimule derrière les formes les plus grossières, les évènements les plus ordinaires, les gestes les plus triviaux. La vérité s’appartient. Sois en simplement le modeste serviteur.

 

 

Tant que tu n’auras apprivoisé la mort, la vérité ne pourra briller derrière tes prunelles.

 

 

Les circonstances nous honorent. Toujours. Nous invitent à leurs exigences. On a beau détourner le regard. Si l’on ne s’y soumet, elles insistent. Persistent jusqu’à nous soumettre à l’obéissance.

 

 

Au fond des gouffres, naît toute transformation.

 

 

[Mises en garde]

Garde-toi de tous spectacles. Et ouvre les yeux. Garde-toi de tous jugements. Et écoute. Garde-toi de toute rancœur. Et laisse ton cœur s’ouvrir. Garde-toi de tous mensonges. Marche l’esprit droit et digne. Garde-toi de toute rigidité. Et accueille ce qui te semble étranger. Garde-toi de toute immobilité. Et avance. Garde-toi de toute avancée. Et contemple ce qui est sous ton regard. Garde-toi de comprendre. Et éprouve. Garde-toi de toute parole. Deviens silence. Garde-toi de toute tranquillité. Agis selon les circonstances. Garde-toi de toute agitation. Accueille avec gratitude. Garde-toi de toute exigence. Contente-toi. Garde-toi des rêves. Vois d’un œil nouveau. Garde-toi des abondances. Et marche nu pieds. Garde-toi des ascétismes. Jouis de toutes offrandes. Garde-toi des conseils. Et prête l’oreille à la sagesse que tu portes. Garde-toi de tout orgueil. Et efface-toi. Alors tu deviendras la vérité. Modeste et éclatante.

 

 

Epargne-toi le malheur des âges. Et les affres du temps. Demeure présence.

 

 

L’horizon recouvre toutes les surfaces. Mais la profondeur est transparence.

 

 

Nulle étoile ne peut satisfaire ton ciel. Mais l’azur s’étend déjà à tes pieds.

 

 

Ne t’agenouille devant aucun géant. Poursuis ta marche minuscule. Et ouvre ton regard. Et tu deviendras immense.

 

 

Disculpe-toi des disgrâces. Elles reflètent ton invisible beauté.

 

 

[Formules]

Nulle injonction ne peut te compromettre. Tant elle nous révèle… La peur du mot devient salutaire… Les formules se conjuguent. Toujours à l’imparfait… Deviens la vie. Et te sera révélée sa vérité… Inutile de pourchasser la vérité. Comme si elle pouvait s’attraper… On veut saisir. Alors qu’il faut se laisser prendre. La vie se répète. Toujours neuve. L’œil enferme tandis que le regard ouvre. La vision ne peut être que panoramique. Un regard d’arrière-plan. Inverse ton regard. Sois attentif à sa source. Et la vérité du monde s’éclairera. Garde-le ouvert sur toutes choses. Et tu sauras voir.

 

 

Il avait installé un vieux divan au fond de ses yeux. Un épais et moelleux canapé où le monde pouvait venir se poser et  trouver un peu de réconfort. Il l’avait placé là après maintes luttes acharnées et stériles jusqu’au jour où il comprit (enfin) qu’il pouvait s’assoir à son aise en tous lieux du monde. Ce jour-là, il n’eut plus rien à défendre, à conquérir ni à prouver. Et le canapé s’était placé là de lui-même. De façon inespérée. Comme par miracle.

 

 

Quand l’odieuse saison se blottira-t-elle contre ses lèvres ? Pour qu’il l’embrasse… ou la dévore.

 

 

Se défaire de tous les pétales

Et de toutes les fringales

Pour boire minuit à la coupe

Dans un verre de cristal

La prunelle lucide

Qui distingue la nuit du jour

Sans les nommer

Réconcilie la lune et le soleil

Dans l’œil des foules

Marche sans bruit

Au bord du jour

Sait mourir à l’éphémère

Les lèvres libres de tous linceuls

Le pas simple et ample

Dans une paire de godillots

Peut-être mal ficelés

Mais la semelle souple

Et la foulée toujours juste

Assise au bord de tous les silences

 

 

Ses yeux et ses pas fouillaient sans relâche. Mais l’aurore des guerriers laissait sa bouche inerte. Le zénith des peuples laissait son œil indemne. Et le crépuscule des scribes n’avait de prise sur sa main. Toutes les lèvres muettes gardaient leur mystère. Mais ses doigts gourds restaient ouverts. Il devinait que la clarté serait son unique salut. Et sa marche, sa seule patrie. Sans tache ni attache, il continuait d’avancer, encore si mal à l’aise dans les paysages. Rêvant toujours pourtant de devenir l’hôte de chaque maisonnée.

 

 

Sous le soleil de bras trompeurs, des lunes mortes. Et des astres perdus à jamais.

 

 

Il claudiquait sur l’asphalte mouillé. Glissant dans ses escarcelles quelques lunes flétries.

 

 

Il vivait sans compter les jours. Et les tours de passe-passe qu’on lui avait joués. Sans un regard pour le passé. Oubliant jusqu’à la malice du peuple. En adepte (encore) maladroit de la mémoire fugace.

 

 

Il végétait sur tous les horizons avec toutes ses passions en bandoulière.

 

 

Vers quels gouffres te jettes-tu encore ?

Le monde est (parfois) si plat qu’on en oublie l’abîme.

 

 

Les chimères encerclaient sa prunelle. Recouvrant le monde de tous les linceuls.

 

 

Seul l’œil moribond voit clair avant que naisse la vision.

 

 

Sa peur (qui venait du fond des âges) réveillait parfois le monstre qu’il croyait endormi. Il le voyait se redresser, prêt à mordre. Mais un jour en s’approchant, il vit que sa bouche carnassière lui souriait. Et il fut secoué d’un rire énorme devant le sourire de cette mâchoire qui l’avait toujours effrayé.

 

 

L’espace est en creux de toutes choses. Et l’horizon se morfond sous la chair. Ne l’entendez-vous donc pas s’impatienter ?

 

 

Il n’y a nulle part où aller puisque nous sommes (déjà) partout.

 

 

Le souffle d’une voix ne peut suffire s’il ne prend sa source dans les profondeurs [de l’être]. Alors la parole peut devenir respiration. Puis silence.

 

 

Il y a dans cette brume tant de langages. De paroles houleuses. Et un si juste silence.

 

 

Au fond des rêves existe un tourment. Et au fond du ciel, une extase. Quant à l’homme, il marche entre les deux, le cœur toujours déchiré.

 

 

La tête penchée de trop d’absence, il se traînait toujours sur les chemins. En étrennant ses jours. Comme son plus rude malfaiteur.

 

 

Le silence se pare de mots. Non pour se dire mais pour se laisser entendre.

 

 

La liberté naît du silence.

 

 

Il aurait aimé musarder la tête hors des territoires. Toucher le ciel de ses paupières. Couvrir les plaies des hommes d’une douce transparence. Se hasarder au-delà des murs qui encerclaient ses pas, prendre appui sur les nuages pour se perdre jusqu’aux frontières de contrées impratiquées et se reconnaître enfin dans le visage de tous ceux qui passent. Il aurait aimé échapper à tous les jougs, lancer ses clefs à la foule qui l’entourait, se hisser au-dessus de tous les mâts de cocagne pour crier au monde la beauté de l’azur. Il aurait aimé marcher jusqu’au cœur de la terre, étendre son pas au-dessus de tous les abîmes et se répandre dans l’océan. Il aurait aimé se défaire de ses prunelles trop fières, s’aveugler à toutes les ambitions. Il aurait aimé vivre tout simplement. Apprendre à mourir à chaque instant avant que la terre ne recouvre ses pas. Il aurait aimé dire aussi combien il avait aimé tous ceux qu’il avait croisés avant que l’oubli n’efface leur nom. Mais il n’était personne. Et tous l’avaient deviné déjà.

 

 

Il revêtait toujours sa robe de faîte pour grimper vers l’azur. Mais un jour, il décida de s’arrêter à mi-hauteur sur la branche la plus basse d’un hêtre,  invitant le ciel à s’y poser.

 

 

Il donna au ciel mille poèmes. Et tous les yeux des hommes sur terre se sont détournés.

 

 

Après avoir marché jusqu’au bout de la route, croisé tant de visages apeurés et de regards faméliques. Après avoir goûté à tous les sels du monde, un jour, il s’assit pour contempler ses pas. Il n’avait pas bougé. Ou peut-être avait-il fait le tour de la terre ? Il n’en savait rien. Alors il troqua ses peurs et sa faim pour un rire sans borne. Les hommes vinrent alors vers lui pour lui parler de leurs rêves et du sable des chemins. Et lui, au terme de chaque histoire, leur offrait un sourire silencieux.

 

 

Tout se reflète dans le silence. Et tous les miroirs nous révèlent.

 

 

Il regarda dans tous les miroirs. Et vit tous les visages du monde qui se regardaient. Avec une âme assise à leur côté qui pleurait. Un sourire inimaginable dans les yeux.

 

 

Il avait écumé tous les chemins du monde. Et exploré tous les livres de la terre. Aujourd’hui, il n’avait plus grand-chose à faire. Plus grand-chose à voir. Alors il s’assit au bord du monde pour regarder le ciel et tous les hommes qui marchaient vers lui. Certains s’arrêtèrent dans l’espoir de trouver une échelle. Et dans leurs yeux faméliques, il vit le ciel en attente. Et au fond de chaque prunelle, le fol espoir de le découvrir un jour.   

 

 

Il avait désarçonné toutes les envies pour s’égayer à la vie. Et découvrir son ossature, sa fibre, ses nervures. Son essence de vent.

 

 

Il se barricadait encore parfois devant l’infâme. Explorant un chemin inviolable. Indéchiffrable. S’égarant souvent dans quantité d’artères impraticables.

 

 

L’écriture se méfie des chemins encombrés où l’on pousse ses pages par charrettes entières. Elle est une source de joie vive quand elle jaillit avec confiance, abandon et naturel, s’acheminant par jets – brefs et discontinus – et accueillie sans nulle règle (imposée).

 

 

Il disait la vie qui le traversait. Et l’habitait. Il ne savait dire autre chose. Il disait le monde qu’il rencontrait – avec encore tant de difficultés. Il disait la vie pour rien. Pour elle à qui il devait tout. Il disait la vie pour les hommes qui regarderaient ses pages, les yeux baissés sur leurs songes. Il disait la vie pour les mendiants. Et tous les yeux affamés. Il disait la vie pour rien. Comme un don qui s’ignore. Une insuffisance à vivre. Il disait la vie comme un voyage. Un voyage qui commencerait avant la naissance et s’achèverait avec soi. De l’origine à soi, il connaissait les nombreux chemins. Toutes les impasses et les errances. Il aurait aimé établir une carte impossible. En fixer les repères, les cols et les frontières. Mais il connaissait l’aveuglement des hommes aux légendes. Qui savait encore lire les cartes aujourd’hui ? Il pressentait qu’il mourrait comme un vieux scribe, son lourd livret sur les genoux, espérant seulement qu’à son dernier souffle il aurait suffisamment de force pour jeter ses secrets aux vents. Et les voir s’éparpiller sous les pas des vivants afin qu’ils éclairent quelques foulées et quelques itinéraires.

 

 

Il s’interrogeait sur les besaces. Et les lourds fardeaux. Sur les bagages trop nombreux des hommes. Sur leurs itinéraires si variés. Sur le vent qui mêlait son souffle à tous les pas. Et soulevait les yeux à chaque carrefour pour trouver la route.

 

 

La vie – si changeante – ne se laisse saisir. Elle s’éprouve à chaque pas. A chaque regard.  

 

 

Il était comme un cartographe égaré sur le chemin, rêvant de s’émerveiller des paysages, avec les yeux penchés dans son sac à la recherche d’une boussole.

 

 

Où est la terre qui saura m’accueillir ? Perdue dans le désert de mes pas ?

 

 

Il tournait en rond à sa recherche, une aile mal ficelée dans le dos. Comme si le ciel lui était étranger.

 

 

Pourquoi me repousse-t-il ainsi ? Dois-je m’élancer, à contre cœur, encore si malhabile ? Et où poser mon aile ?

 

 

A quelle heure se lève le soleil quand nos yeux ne voient que la nuit ?

A quelle heure se coucheront les ombres qui nous appellent de leur abîme ?

 

 

Derrière la toile, il ne voyait qu’un guerrier nu, sans pagne ni arme, qui le dévisageait avec innocence. Et face à lui, il était déjà perdu.

 

 

Les ombres ne s’escortent qu’à mains nues. On les raccompagne vers la porte où elles n’ont jamais vu le jour. Tout apparat est vain. Et la cérémonie des adieux interminable.

 

 

Une foule de gestes contredit les visages ; les lèvres stupéfaites, l’œil docile, la mimique grimaçante, la cheville impatiente, l’étonnement des sourcils. Les masques peuvent tomber. Et la parole musarder hors des bouches intranquilles. Le corps parle en silence. Et la vérité des âmes guette notre absence. Non pour trahir. Mais pour exposer à l’Autre nos yeux déshabillés.

 

 

Les circonstances nous affolent. Mais quel rire se cache derrière nos peurs ?

 

 

La vie sans danger se tient droite devant nous. Alors pourquoi plions-nous l’échine ?

 

*

 

Toi qui cherches la lumière, invite l’aube à repousser la nuit. Mais j’entends déjà ton murmure, habitant de l’ombre : comment fortifier la clarté du jour ?

 

 

Le râle naît de l’obscur. Et s’éteint dans la lumière. Entre, on éclate en soleils, le visage ruisselant de pluie.

 

 

Il est des jours neufs qui effacent tous les noms sur les stèles. La longue liste qui ravive tous les souvenirs sans parvenir au seuil originel. Incapable de franchir les premiers frémissements de la mémoire.

 

 

Le mémoire se désemplit. Se vide peu à peu de toutes ses empreintes sous l’impérieuse butée de la présence.

 

 

Jamais le cirque des phénomènes ne désemplit. Et les spectateurs, toujours plus nombreux, applaudissent à la volée sous l’œil des sages qui sourient de tous spectacles.

 

 

Nul n’échappe à sa propre compagnie. Tantôt ombre et fardeau, tantôt cerceau de feu et de lumière.

 

 

Allège ta mémoire. Et tu rendras ton pas plus léger.

 

 

La famine du cœur laisse toujours les yeux affamés.

 

 

Après tant d’égarements, il trouva l’unique passage : entrer en lui-même. Il explora ses paysages avec crainte et attention et se mit bientôt à pleurer, si étranger aux indigènes qui peuplaient ses contrées. Il voulut d’abord les décimer puis se résolut à les recevoir dans son antre malfamé. Il resta à leurs côtés. Les apprivoisa. Devint l’un des leurs jusqu’au jour où ils disparurent. Sans laisser de trace. Sans un mot d’adieu. Ensuite vint le grand désert. Les terres de glace et de solitude. Il dut alors apprendre à se réconforter, entourant son âme de ses bras frêles. Il eut des visions – d’atroces visions. Et des rêves – des rêves fabuleux. Il s’en enveloppa sans précaution, croyant que ces images seraient de puissants alliés avant de comprendre l’engeance dont il s’était entouré. Il dut les abattre à mains nues pour se retrouver à nouveau seul. Comme le plus nu - et le plus fragile - des hommes, franchissant - sans le savoir - l’avant-seuil du territoire impersonnel.

 

 

Le cœur assoiffé de lumière, ses ombres erraient à la recherche d’une main, guettant l’impossible étreinte. Toujours aveugles aux bras tendus vers elles.

 

 

La nuit creusait ses angoisses. Le désossait jusqu’à la moelle. Et sa chair corrompue tremblait devant l’océan, les vagues déferlant sur ses berges trop frêles.

 

 

Il dévisageait la pluie sans compter les heures. Le regard perdu dans l’espoir d’un soleil à venir, incapable - encore - de contempler la joie contenue dans chaque larme.

 

 

Quand il observait l’univers qui l’habitait, il voyait une cave sombre. Et des escaliers à ciel ouvert. Comme une invitation à explorer les abysses et à grimper à tous les arcs-en-ciel.

 

 

Il voulait que sa parole force le silence. Mais il dut plier sous sa voix.

 

 

Il plantait ses graines à la volée. Sur des terres sèches et fragiles - peu propices à la moisson. Ignorant que le vent se chargerait des labours. Et pressentant pourtant la venue prochaine de la récolte où entre les ronces, une foison d’orchidées verrait bientôt le jour.

 

 

Il aurait aimé se vendre à la criée. Mais la marée l’avait déjà emporté.

 

 

Il ne s’étonnait plus du scintillement des étoiles dans les yeux un peu fous des foules. Il y décelait la présence du ciel. Visible jusque dans la plus inflexible opacité.

 

 

Il se déboutonnait devant chaque fleur. Prenant garde de ne léser aucune ornière.

 

 

Il avait les godillots encore errants. Mais le cœur toujours casanier.

 

 

L’énergie se sustente de sa propre source.

 

 

La joie et la tristesse sont deux ailes inégales qui poussent les hommes à tournoyer maladroitement au-dessus de leur tête.

 

 

Il dévisageait un monde encore inapproché. Le pas toujours glissant entre l’abîme et le passé.

 

 

Les mots avaient perdu leur fonction. Non leur beauté. Ils étaient devenus instruments de connaissance. Témoins involontaires de ses pas en territoire inconnu.

 

 

Les grilles s’ouvraient. Mais il restait prisonnier de barreaux imaginaires.

 

 

L’oreille attentive ne se distrait de rien. Pas même des yeux qui la contemplent.

 

 

Le regard étonné défixe l’habitude de toute matière. Il nous agenouille sur la terre des possibles. Et nous façonne - sans choisir - dans le marbre trop rigide, le pas souple et juste qu’appellent les circonstances.

 

 

Le poète ne choisit sa voix. C’est elle qui choisit les mots qu’il profère. Qu’il les crache ou les susurre lui importe peu. Pourvu que la vérité - et le rythme de la découverte - soient respectés.

 

 

Comment faire pousser l’aile qui manquait à son pas ? Faire descendre le ciel fut sa réponse.

 

 

Il s’acheminait le pas soucieux vers un territoire sans nom. Après la traversée d’un désert si décourageant. Infranchissable.

 

 

Pas de mots raccourcis pour décrire nos détours.

 

 

Depuis l’aube des temps, une pluie de misère tombe sur cette terre. Chacun a sa goutte. Et bien peu y voient la venue du soleil.

 

 

L’horizon se prélasse sous nos paupières. Et dire que nous le cherchons partout sur la terre.

 

 

Dans la foule de ses yeux immenses

Seul un clochard aux pieds nus lui souriait.

 

 

Un arbre pousse sans jamais s’étendre au-delà de lui-même. Comme s’il savait déjà que le ciel était son territoire.

 

 

Dans la mémoire d’avant les âges, un bourgeon atrophié attendait qu’on l’arrose. Et lui ne comptait que sur la pluie.

 

 

Les cloches sonnaient sur tous les horizons. Mais son œil clos et son front trop rageur ne pouvaient les entendre. Et l’espace se retira.

 

 

Il s’agenouillait avec encore trop d’orgueil dans les yeux.

 

 

Le pas apeuré ne peut indiquer la direction. Il contamine le sens de toute marche. Seul l’œil avisé peut conduire la semelle en tous lieux. L’abri est dans le regard. Pourquoi dès lors aurais-tu peur ?

 

 

Il s’imaginait géant. Mais n’effectuait que des pas de lilliputien. Comme une fourmi au pays de Gulliver.

 

 

A la grande heure, la mort viendra nous chercher. Glisse vers son devenir. Et entends-la sonner à chaque instant.

 

 

Oublie les empreintes. Et les plaies ciselées par les circonstances. Abdique la mémoire. Aiguise l’aisance de toute incertitude jusqu’au seuil de l’émerveillement. Entends le cri du destin qui t’appelle. Et vas. Le cœur sans crainte ni chamade. Poursuis l’œuvre qui naîtra entre tes mains.

 

 

N’écarte rien de la sente. Poursuis l’accueil jusqu’à la désespérance. Et tu franchiras le territoire où la joie est souveraine.

 

 

Il devinait un horizon derrière les pierres. Un feu encore brûlant sous les cendres. Un autre monde derrière le monde. Et il appelait ses pas et ses prunelles à les chercher encore.

 

 

Il s’avançait sans relâche. S’exténuant à chaque pas. Ne percevant encore la nécessité de la halte.

 

 

La gravité de l’abîme n’effleure aucun geste malgré le malheur qui s’avance à pas comptés. Et lui continuait de marcher, le sourire intact sous le front, pressentant que l’autre rive serait atteinte ainsi.

 

*

 

Il est un lieu habité qui console.

 

 

Au-dedans de soi demeure la matrice des matrices. N’en force pas la porte. Mais laisse-la s’ouvrir à tes pas.

 

 

Partout en ce monde, il voyait des neiges sales. Des flocons atrophiés. Il aurait tant aimé voir l’azur immaculé descendre au plus bas.

 

 

Il avait pris le matin crépusculaire pour une aube radieuse. Et les saisons se mirent à s’affoler. Les hautes futaies n’étaient encore à portée. Une foule de crevasses l’en séparait. Mais peut-être n’avait-il jamais vu le ciel d’aussi bas…

 

 

Aux mille regards assassins, un seul sans éclat.

 

 

Oublie la consistance du regard. La cohérence des pas. La solidité du monde. Et abandonne-toi au chemin qui scellera la victoire sur toutes les débâcles.  

 

 

Il divaguait dans l’incessant mystère de son ombre.  Impuissant toujours à se défaire de son emprise.

 

 

Une fraîche ondée sur l’âme pour éteindre le feu de ses pas.

 

 

Ce rien d’espace qui prolifère. 

 

 

Il refusait de se laisser égorger dans les précipices du monde. Dans toutes les ruelles indigentes où les esprits se crispaient et s’affolaient, abandonnant leur âme à l’errance.

 

 

Perdu dans le désert des espaces mouvants. Toujours soumis aux mirages miroitants. 

 

*

 

Nulle embellie à ton sourire

Les gestes fugaces s’estompent

Ne reste qu’un craquement sans apparat

Quelques crachats sur le sol rugueux

Et l’horizon toujours lisse derrière la vitre

 

Sous les dentelles mille soleils ne pourront éclore

Muette demeure l’ardeur du printemps

Entre tes paupières mi-closes

Tu éructes tes songes

Défais l’abîme de tes pieds écorchés.

Et tu fouleras le territoire.

 

 

Une terre lézardée par des bourrasques meurtrières. Et un territoire bientôt anéanti.

 

 

A la vaine pitance du monde, il opposait ses mains ouvertes. Son âme déployée. Son renoncement sans faille. Et l’éclat si faible de ses prunelles.

 

 

Il s’inventait des amis sans destin pour apprivoiser ses parcelles. Humble jusqu’au dernier temps de l’effacement.

 

 

Il est un temps où l’on s’absente de soi-même. Non par dégoût ni résignation. Mais par inclination naturelle.

 

 

Renonce à toute prétention. A toute intention. Seules les circonstances ordonnent. Et tu verras tes gestes jaillir de la situation.

 

 

Un décalage dans le bitume s’effaçait. Et défaisait sa croix.

 

 

Il est des gestes habités et des paroles simples qui tirent leur source de l’origine. Touchant avec justesse et profondeur. Et d’autres portés par l’absence et la surface du monde qui effleurent à peine. Traversant les âmes sans les atteindre.

 

 

Celle qui en tes pas te consume pour retrouver la place que tu t’es approprié.

 

 

Des murs à la basse saison. Et les cimes atteintes au sommet du jour. Est-ce bien Toi que je vois surplomber à l’horizon ?

 

 

Un bouquet d’herbes jaunes entre les dents, il s’extasiait. La majesté aux lèvres et sur l’épaule, il pouvait (à présent) s’égarer sur les chemins.

 

 

Le champ tenace des récriminations n’avait plus de prise. Plus vivant que le monde, la conscience !

 

 

Au bord de toutes les ruptures.

 

 

Jamais n’oblitère la joie.

 

 

Efface la frontière de tes pas. Elle n’aura de prise sur les hommes suivants. Fissures aussitôt recouvertes par le vent.

 

 

Déglutis ton espérance. Ou éructe-la ! Et avance sans crainte. L’immobilité au bord de tous les chemins te guidera. Et égayera ton pas.

 

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30 novembre 2017

Carnet n°41 Empreintes – corps écrits

Poésie et peintures / 2010 / Hors catégorie

Peintures : Nicole Blaustein

 

 

EMPREINTES

 

Corps écrits

 

p1

  

Un corps sans bruit

Aux frontières partagées

Aux sinuosités et aux ombrelles

Propices aux gestes

Aux trajets et aux traversées

Gît comme une sirène démaillotée

Qui défilerait le temps de ses prunelles

  

Des cavités dans la plaine

Et des cicatrices en pagaille

Quelques bourgeons coupés à la diable

Attendent l’heure propice des retrouvailles

 

Sous l’ocre de la peau

Le désir de gémissement

Etouffé entre les veines

Lance son cri au désert

 

Le miel sur la hanche

Et le mamelon accort

Accrochent la prunelle

Invitent (encore) à la paupière close

 

Il se souvient…

Au creux du territoire

Bordé d’étoiles

Au-delà de la chair

Où règnent la joie et l’égarement

Le souffle coupé

Où tout crépite

Par-dessus les flots saturniens

_

_

_

p2

  

Des envies de fraises

Et de fureur endiablée

Arpentent la chair

 

Quelques gouttes sur la joue

 

Et sous les rêves de pétales

Les paupières en chamade

 

Et l’affolement des cils

En pareilles circonstances

 

 

 

 

p3

 

Le visage balafré de chimères

Il patiente

Efface le corps de sa peau

Et toute présence de sa mémoire

 

Relègue les cheveux hirsutes

Et les odeurs en pagaille

Aux circonstances lointaines

 

Le miroitement des lèvres

La foule des prunelles sourdes

Le grain vivace de la chair

Consumés par le souvenir

 

Le séant posé entre les rencontres passées

La largesse des épaules

Qui soulevait son rire

Sans réponse et sans espoir

A moitié effacé déjà

Par les rides et le poids des fleurs de pierre

Qui recouvriront son tombeau

  

Il patiente encore

Un don pur

Sans attente

Où le temps s’étiolera en images

Et les images en miettes

Pour qu’apparaisse enfin

Une silhouette sur la toile

 

Un filon de pierres émiettées

Suspendu entre les glaces

Et les congères amoncelées

Par les saisons froides

 

Au seuil des portiques vacants

L’éloignement et la transparence des horizons

L’empreinte de ses pas frêles

Sur la surface craquelée

 

 

 

 

p4

 

L’assise imparfaite 

Le déséquilibre étalé

En soubassements inconnus

 

Les courbures défaites

Et la nuque tendue

Au seuil de l’épreuve

Implorent le sol

De contempler l’infortune

La main ancienne offerte au râle

Les mugissements sauvages

Etouffés parfois

Le fauve en extinction

Et le buisson jadis si ardent

Recouverts aujourd’hui d’un rugueux tapis

Les pluies insomniaques qui l’agitaient 

 

La nostalgie des saisons chaudes

Qui s’écaillent sur le mur lézardé

L’éphémère de toute vie

 

Et le monstre qui guette aujourd’hui

De ses yeux avides

L’ensemence déjà de son pouls diaphane

 

 

 

 

p5

  

La nuque posée sur les draps d’argile

Il se souvient

Des baisers volés à la mort

Sur son cou exsangue

Et sa peau de cuir

 

Le renoncement aux étoiles

La demeure inenchanté

Le visage caché des replis

Le destin fragile des amours

Le front encore arqué de désirs

Et la candeur hésitante de la peau

 

Il songe au ciel

Quand reviendront les beaux jours ?

 

A l’ombre des hanches

Il s’endort

Couvert de déchirures

Par la nuit étoilée

 

Et ses épaules dévêtues

Perdues à l’azur

 

Son espérance

Il disparaîtra bientôt

Et sous sa peau marbrée

Intacts resteront

Le mystère et la virginité

 

 

 

 

p6

 

Arc-boutée en son sommeil

Elle court à travers ciel

 

Songes d’étoiles

Noyés d’innocence

Aux fers du réel

Déchaînent son lit

De glace et d’étoffe calcaire

 

Une main la frôle

Invisible

Libère le lit conjugal

De son coussin de clous

  

De ses lèvres

Tachées de poussière

L’abandon lointain

Au râle murmuré

 

L’étreinte du prince d’ébène

Qui buvait à la rosée

En ses lèvres ouvertes

Le soleil des tropiques

Laissant au creux de son cou

Un feu, un sable

Une ardeur de bois de santal

 

Bon sauvage

Qui éclairait ses gorges pleines

Ebranlant sous sa peau

Un continent bercé

Par le crépitement du feu

 

Un prolongement de sa chair

La hante et la secoue encore

D’un rire

 

Un souvenir d’extase

Où la chair oubliait ses horizons

Se mêlait aux larmes

Au vent

Et au souffle

Unissant la bouche des amants

 

Souvenir de la chair déployée

Du sacre et des unions

Coulant en leurs veines

Et débordant de leur lit trop sage

  

 

 

 

p7

  

Un cri étouffé dans l’ondée

La peau sous les flots

Et le feu qui assaille ses dérives

Les mains ouvertes aux vertus

Se rejoignent en prière

Sur le foyer des sentiments

 

Un collage impossible

Un égarement des tentations

Une tristesse qui reflue aux coins de la chair

 

La pagaille sous la peau

Tressée de soupirs et de mensonges

S’offre aux cendres de l’espérance

Au sable des rencontres improbables

  

Entre les brumes et les fumées

Le brasier s’épuise

S’abandonne à la rengaine

Des amours passés

 

 

 

 

p8

 

Main offerte à la tenaille

A l’aménagement des concessions

A la nudité du métal

Brûlant le pourpre de la chair

  

Tout rêve se consume

En songe d’Aphrodite

Tiraillée par la faim

Et le visage déjà ailleurs

Comme la pièce manquante

Dans le puzzle dérisoire des amours

 

Présent toujours

Entre le gris des fumées

Jusqu’à la disparition des sens

 

 

 

 

Effacements

 

p9

 

Au soleil de l’étreinte

Le firmament

Les mains contre la pierre

L’échelle invisible

Où poser le pas

Et les mille empreintes

Qui entaillent la roche

Au centre se dessine

La lumière

A ses bords la nuit de glace

Et ses remparts protecteurs

Où se jettent les hommes

L’inaccessible râle

Tapi dans la poussière

Comme un sursaut d’espérance

Vers Dieu

  

On dresse des cathédrales

De dérisoires édifices

Pour entrevoir au lointain

Ce qui nous éclaire déjà

D’une autre saveur

Qui brille, encore terne

Dans le regard triste des hommes

Qui contemplent le ciel

De leurs misérables murailles.

  

 

 

 

p10

 

Souffle d’abnégation

Efface la silhouette

Défigure le visage emmuré

Désagrège la chair

Ensemence l’ondée dévastatrice

De l’horizon en ses contours

Perce le mystère de toute existence

Déploie ses trésors

Eparpille les peines inutiles

  

A l’origine des saisons

Le labeur acharné des eaux

Agitées par les vents d’ailleurs

Poussées en leur centre

Par le rougeoiement de l'astre

Qui se déploie sur toute forme

Jusqu’à la confusion

Des frontières

Une tempête salvatrice

Que les hommes craignent

L’eschatologie des horizons (personnels)

En attente

Comme la preuve et la garantie

D’un au-delà de soi 

Saisissant et insaisissable

Qui poursuit sa course à travers

Et partout alentour

 

 

 

 

p11

  

Un bout de chair à l’aurore

Un amoncellement dans les veines

Et une coulure ocre

Vers l’obscur intérieur

Des ombres bleutées

Où se reflètent toutes les espérances

 

Des zébrures ternes où se lisent

Les servitudes

Et l’abnégation du corps

Le refus de jouissance

L’appel de l’extase

Au-delà des territoires

Et des horizons circonscrits

Un avant-goût d’éternité

En cette ornière de fange et de plèbe

Où s’entassent les espoirs et les craintes.

  

 

 

 

 

Failles

 

p12

 

Frotter sa chair

Aux murs des entrailles

Déchirer l’horizon des résistances

Ouvrir le ciel entre ses mains

Jusqu’au cœur de toute désespérance

 

Griffer la pierre de signes

Sans conséquences

Comme un cri jeté par-dessus les frontières

Un appel à l’horizon

Caché dans l’incrustation

Du ciel dans la matière

 

Dérisoire destin de l’homme

Humble tâche du poète

Rejoignant leurs œuvres

Aux pieds des murs

Au cœur de toutes séparations

 

Voilà l’unique espérance

Le seul labeur de l’homme

 

30 novembre 2017

Carnet n°40 Sous la cognée du vent

Journal poétique / 2010 / Le passage vers l'impersonnel

Ce matin, un brin d’herbe s’est penché sur mon visage. Je l’ai regardé. Et de mes yeux limpides a coulé une larme étoilée que j’ai suspendue au ciel. Et je suis reparti le front moins rageur. Moins boudeur. Et moins songeur aussi peut-être. Plus haut dans la poussière de mes pas. Un sourire sans malice sur les lèvres. Et le cœur moins chaviré par la souffrance des siècles. Ravi de cette rencontre. De cette amitié invisible tissée avec le vent. Dans un ciel enfin à hauteur de mes pas.

 

 

- Herbes et cimes -

 

Sur l’asphalte du monde, il piétinait comme un moribond. Recouvert par toutes les routes couleur de tombe.

 

 

Le chemin sera mon tombeau.

 

 

Il claudiquait sur la chaussée parmi les cimes et les brins d’herbes. S’égarait à hauteur d’homme. Lui qui aurait tant aimé les regarder par-dessus l’épaule, devait relever la tête et poser son front sur leurs chevilles parées de larmes et de bijoux.

 

 

L’incompréhension entre nos abîmes. Que faire ?

 

 

Il tendait l’oreille à l’impasse où l’écho grondait d’une présence encombrée de lui-même. Il haussait la voix pour que la voie lui parvienne. Mais le silence et la solitude furent les seules réponses. Comme une invitation à l’âpre labeur.

 

 

Tant de traits tournaient au fond de sa cage, le détournaient de tous les passages, étourdissaient sa tête appuyée sur la page, apostrophée en tous points, étalaient ses yeux au plafond, lui laissant la prunelle hagarde.

 

 

L’appel lancinant des songes et des habitudes éloigne du large, de l’étendue sans limite qui égare et déboussole.

 

 

Il rêvait de cette terre d’élection que rejoignent un jour tous les marins accrochés aux étoiles, rivés à la barre, la main en visière, seuls sur le pont, agrippés aux voiles, au mât, à la berge et à l’horizon, soumis aux tempêtes et aux marées, aux amarres et aux phares sur la jetée. A jamais liés à la mer.

 

 

Il prenait garde aux oiseaux de malheur qui gisent entre les cimes. Jamais il ne se posait sur leur fil. Il trouvait refuge à hauteur d’herbe pour inviter l’envol à sa portée.

 

 

Son souci des jours assombrissait ses pas. Et retardait la venue de l’astre.

 

 

Il croyait à l’impossible. Et l’improbable survint.

 

 

Un jour, il ignora le lendemain et regarda le soleil comme un étranger émerveillé des continents. Et le monde sans éclat aussitôt brilla derrière la vitre.

 

 

Il s’évertuait d’ouvrir sa mémoire au présent qui passe éternellement. Et se renouvelle.

 

 

Un jour, il reconnut le visage de Celle qui l’avait mis au monde et entouré, protégé des foules et ensemencé sa déroute. Elle était là, partout présente, attendant sa reconnaissance. Et il la devinait dans les bois, les brins d’herbe, les visages, les rires, les cris et le silence.

 

 

Présent à Son regard (et à Son visage), il fit vœu de La suivre partout. Jusqu’au bout d’Elle-même. Dans ses traversées, ses recouvrements, ses détours et ses dépassements. Ici et ailleurs. Dans l’inconnu partout présente.

 

 

Elle vit sa peine. Et le consola d’une caresse. L’encouragea d’un geste. Le réconforta d’une parole. Et lui, l’ingrat La cherchait encore. En quête partout d’un sourire, d’une main, d’une bouche, devinant pourtant son visage en chaque lieu, en chaque évènement, en chaque souffle qui le maintenait debout, dans les mille tensions de son être orgueilleusement vivant.

 

 

Un jour, un monstre sans viscère lui cracha ses peurs au visage. Comme le reflet de ses miroirs sans teint. Il s’avança dans l’opacité de ses craintes, se heurta aux murs livides qui l’entouraient, le recouvraient, le submergeaient. Et s’étouffa jusqu’à l’épuisement. Jusqu’à l’agonie où il creusait sa vie.

 

 

Il enterra son œuvre au firmament. Et sur ses pages étoilées, il livra ses silences.

 

 

Le monde recouvrait ses falaises de givre. Et lui, le malheureux, glissait entre ses parois.

 

 

Un horizon brillait pourtant dans le lointain. Exactement sous ses latitudes. Mais au lieu de fouiller en son creux, il se mit en marche. Ignorant encore qu’il était à portée de main (et qu’il aurait pu l’embrasser d’un regard).

 

 

A la vue de cette présence, il étendit les doigts pour la cueillir. Au lieu d’offrir sa main ouverte.

 

 

Comme un poisson hors de l’eau, il broutait le vent. Semait sa liberté à tout va. Et décimait toutes les récoltes à venir.

 

 

Il comprit qu’il devait changer d’envergure pour prendre son envol. Elargir les 4 murs qui étouffaient l’espace. Et y laisser entrer un souffle nouveau et plus ardent.

 

 

Le ciel abrite un secret

Une légende peut-être

Un monde englouti qui ne peut disparaître

Une foison d’orchidées

Pour les sages et les innocents

Un butin d’étoiles qui se tissent en silence

Depuis la nuit des temps

Et qui éclosent chaque matin à l’aube

Pour tous les yeux vierges de la terre

 

 

Après l’ombre, les nuages. Après les nuages, le ciel gris. Et après le ciel gris, le ciel bas qui jette dans l’abîme.

 

 

Et il s’y enfonça avec le ciel bleu autour des yeux et le gris du ciel qui lui mangeait le visage.

 

 

Nul abri où poser ses paupières

Nul autre abri que la lumière

Des larmes coulèrent sur ses joues.

Comme le sable recouvre les oasis.

 

 

Il fuyait son ombre secrète, écrasant toutes les silhouettes sous ses pas. Songeait à émerger de ses entrailles pour toucher l’azur. Se confondre et s’étendre en son sein. Poursuivre son élan vers ailleurs. Le renouveau d’ici. Avec un regard aiguisé qui saurait contempler sans heurt le relief, atténuant ainsi les soubresauts autrefois tant redoutés.

 

 

L’horizon touche à sa fin dans notre regard. Et demeure infini à notre œil ignorant.

 

 

Perché au-dessus de son tertre, il contemplait la crête où se perd l’horizon. Et sur la cime, il vit des oiseaux se pavaner entre deux acrobaties nuptiales.

 

 

Il oublia ses brouillons, ses tumeurs et ses lacunes. Et reprit son sillon tordu où se creusait la vérité.

 

 

Nulle charrue, nul socle mauvais

Bons pour la remise

Tout creuse et avance

L’instrument haut placé sur le front

Où perle la sueur

Sur les joues où s’éteignent les larmes

Dans les mains calleuses

Et dans les pas

Où s’invite l’horizon

 

 

Il défia une nouvelle fois le vent, abreuva l’espace de sa faim. Ecœura ses chimères et ses rêves endiablés pour aller sans crainte jusqu’au crépuscule où les dieux n’existent pas. Pour atteindre l’aube future et recommencer à narguer le vent de ses grimaces. Pour le rejoindre enfin et marcher ensemble sur la terre qui se dérobe.

 

 

Nulle perspective. Et nulle étoile ici-bas.

Rien qu’un sol où poser ses pas.

 

 

Les secousses martelaient leur présence. Imprimaient leurs marques. Engorgeant la terre tendre de sa chair. Le laissant à l’agonie.

 

 

Son destin sans chute et sans trace s’effaça d’un soupir. Le souffle ténu s’éteignit après mille jours sans gloire à se préserver. Tenu si loin de lui-même - toujours trop loin - apeuré de sa force à mesure que sa faiblesse advenait. Passé à côté tout ce temps, de l’autre côté aujourd’hui. Une existence pour rien ; quelques tours sans détour au seuil même de l’inintelligence et de la crainte. L’expérience anéantie. Comme une existence boursouflée qui se dégonfle et retombe en amas de poussière.

 

 

Etre Présence

Là simplement

Pour l’Autre

A Soi-même

Y a-t-il plus belle offrande ?

 

 

Un mot, un geste, un pas suffisaient parfois à effleurer son âme recroquevillée qui se redressait de l’obscur.

 

 

Aucun jeu sans chandelle

Aucune chandelle sans feu

Aucun feu sans flamme

Aucune flamme sans vie

Aucune vie sans lumière

Sans taches et sans ombres

Sans éclats et sans éclipses

 

 

Des mondes de fantômes et d’arcs-en-ciel se faufilaient toujours entre ses rayons, tantôt moroses, tantôt ravis des couleurs.

 

 

Rien  que ces instants

Qui s’évanouissent dans le vent.

 

 

Il s’éloignait des jours lointains. Son seul appui : le vent qui balaye toute présence.

 

 

Les jours comptés

Et les tours jetés

Aux orties du temps.

 

 

Il effleurait le présent, mais déversait dans ses gouffres encore avides les heures en pâture. Craignait toujours que son cadavre se dessèche avant l’heure à venir.

 

 

Il cherchait l’aiguille qui raccommoderait son étoffe à la matière. Au lieu de défaire ses nœuds et ses envies de dentelle pour rejoindre la toile.

 

 

L’éternité

Attend et scrute

L’insaisissable dans nos mains

 

 

Ses pas encombraient toujours l’espace. Et les mille fureurs - qu’aucun geste (excepté l’abandon peut-être…) n’aurait pu apaiser - bruissaient au dedans. 

 

 

Il se reposait toujours auprès des cimes et des brins d’herbes, le regard ouvert sur le ciel et la terre. Comme un vagabond, il posait son pas au gré des circonstances, nourrissait le monde de sa présence en courbant parfois la tête, le sourire et l’échine un peu tristes. Si loin de toute sagesse…

 

 

Il devinait (pourtant) que son doigt effleurait parfois le si vaste qui l’accompagnait

 

 

Si tu ouvres la porte

La main tremblante

Et le pas vacillant

Tu te perds

Et tu rejoins l’absolue incertitude

La liberté aux mille horizons

Et si tu fermes la porte

Tu rejoins le couloir étroit

Ton labyrinthe sans échappée

 

 

Au seuil des perspectives, il se heurtait à l’infranchissable. Ainsi resta-t-il immobile de longs instants sur le seuil, craignant la fuite en avant et en arrière. Et l’immobilité de la marche.

 

 

La main sur ses pas et le verbe silencieux, il attendait avec impatience la poutrelle jetée sur l’abîme, l’horizon terrestre et la traversée du ciel.

 

 

Le grand effacement surplombe toutes les vallées où serpente le cours des larmes. Entre les bordées de rires, la chevauchée du temps se perd à grandes enjambées.  

 

 

Son cœur - toujours gorgé de pluie - traversa l’orage. Un jour, il atteignit l’autre rive. Terre baignée de soleil aveugle aux larmes et aux rires où la tristesse chevauche la joie, serrées l’une contre l’autre, galopant dans le vent au-dessus des contrées où se perd le sens.

 

 

L’essence s’éparpille en formes bondissantes et entremêlées qui remontent leurs cours pour rejoindre la source.

 

 

Son œil enchevêtré ressentit la toile enserrée en sa prunelle déchirer sa chair - libre pourtant de toute entrave et de toute déchirure. Et il pleura de joie.

 

 

Il ressentit une infinie tristesse.

 

 

Il aurait tant rêvé de voir ses pleurs se répandre dans le cœur des peuples. Nourrir leur sang. Et guider leur itinéraire vers la source qui les enfanta en des temps immémoriaux.

 

 

La mort règne sur nos envies, nos torpeurs et nos humeurs de vivants. Et nous, peuple assujetti, sommes apeurés par le silence des tombes, incapables d’entendre la déesse sans voix nous murmurer les ténèbres à venir. Qui sait écouter la caresse des pétales sur les peaux recouvertes de terre ?

 

 

Il échappa insidieusement à la servitude. Et à la gloire de l’ombre. Sans résistance aux changements. Assidu au vent. Comme un bol vide et ouvert sur l’espace.

 

 

Il dérouta ses points cardinaux pour s’asseoir présent à l’horizon. Sans attente du lointain. Ouvert au possible.

 

 

Les saisons s’effacèrent aussitôt sur sa main. Son pas effleura la juste frontière. Sa silhouette dansa entre les ornières. Mais l’horizon demeurait toujours inaccessible. 

 

 

La brume aiguisait sa clarté comme la glaise autrefois solidifiait sa silhouette.

 

 

La chair entasse le plomb dans nos semelles. Et finit par enterrer nos pas.

 

 

Nulle brisure des dalles sous le pas léger qui trace sa sente sur les nuages. Mais un ciel resplendissant où brillent la lune et les astres. Où le vent applaudit à chaque foulée émerveillé de notre égarement dans l’azur qui s’étend jusqu’au-dedans de la terre, au plus noir de l’obscur, illuminant l’incompréhension des paysages. Et de la traversée.

 

 

Nul besoin de guetteurs sur l’horizon dans une contrée sans conflit ni hostilité. Inutiles le monde agglutiné, l’amassement des lampes et des cartes, des malles et des trésors pour le voyage.

 

 

Le monde s’effaçait en silence. Et nul cri pour étouffer sa solitude rayonnante. Il s’endormait la mine ébahie, une bouffée d’étoiles au coin des lèvres, la tête contre le ciel. Encore incertain des constellations posées sur l’azur.

 

 

Il vit son ombre, en bas, couchée parmi les vivants enterrés. Malgré ses yeux dispersés partout dans l’espace et sa tête au-dedans pleine d’un firmament débordant.

 

 

Sur le socle du vent, suspendus contre la glaise reposaient ses pieds. Et sur la motte nulle trace. Et entre ses tempes aériennes, nulle empreinte. Mais du sable balayé qui s’envolait vers l’inconnu permanent.

 

 

Au cœur de toute gravité

Trône en secret la déconsistance

Sur son lit de vent

Le sourire aux lèvres

Et les ronces à ses cheveux

Où s’écorche le souci des jours

Qui passent

 

 

Le reflet de la lune passa sur son visage, illuminant un instant ses lèvres sombres et boudeuses qui aussitôt s’éclairèrent.

 

 

L’ombre passe imperceptible, presque invisible, à moitié défaite sous nos paupières rieuses.

 

 

L’ombre, songea-t-il, quelle sombre lumière…

 

 

Les étoiles ranimèrent son feu à l’agonie. Une constellation après l’autre.

 

 

Que lui importait si la terre était ronde, si le cycle renaissait chaque jour. A chaque saison, les siècles s’amenuisaient avec ses pas.

 

 

Un destin sans racine

Une destination sans visée

Imprécise

Et un chagrin qui s’évapore

Près d’un soleil brûlant

Qui se renouvelle dans la prunelle

Pour quoi dégoter un autre bagage ?

 

 

Il marchait immobile, en pérégrineur impénitent, avec son viatique inséparable, insoucieux du climat et des saisons. Le socle sous ses pieds se dérobait et caressait sa peau de mille étreintes (épines et pétales savoureux), fécondait et assistait sa direction, précisait le rythme de ses pas, l’ardeur de son geste et le timbre de sa voix.

 

 

Il brisait le vent - cette icône de glace - pour y glisser ses yeux incandescents.

 

 

La flamme à ses yeux surprenait son regard alentours qui s’étonnait des empreintes de sable balayées par les vagues. Et il vit des oiseaux rieurs, surplombant les falaises, qui entouraient sa joie de leurs ailes folles.

 

 

Si démesuré est devenu mon regard que les marées font leur nid de brindilles à mille lieux de leurs places habituelles, en tous lieux construisent et défont aussitôt, repartent ailleurs et reviennent en d’autres espaces déformés par les jours qui deviennent siècles. Et l’instant se mêle si étroitement à l’éternel que les saisons enlacent mes prunelles.

 

 

Le vent enhardissait sa semelle, le ciel recouvrait ses sentiers. L’envol approchait de son pas.

 

 

Il marchait sans crainte des effacements sur le sable, parmi les galets et les coquillages. Ses traces brunissaient au soleil, s’éparpillaient et disparaissent sous les vagues. Et lui, s’émerveillait du pas neuf de ses jours sans changement.

 

 

L’oubli a-t-il la saveur des madeleines d’antan ?

Les étoiles ont-elles une aurore que tu ignores ?

 

 

Lorsque la lune disparaît, les ombres les accompagnent. Et que devient le firmament défait de ses lueurs - quand darde le jour et apparaît le soleil ?

 

 

Dans son rire baigné de soleil s’éteignirent les étoiles. Toutes les étoiles qui parsemaient sa voûte étroite. Et ses yeux brillaient dans l’azur.

 

 

Y a-t-il un cœur derrière chaque ombre ? Un cœur qui palpite à l’unisson des étoiles ?

 

 

Parmi les nuages et le vent, entre le ciel et la terre, des monceaux de fragments éparpillés attendent une main réunificatrice. Saura-t-elle les rassembler et les lancer dans le brasier qui purifie ? Mais où jeter les scories ?

 

 

Ses mains invitèrent la joie sur ses joues trempées de pleurs. Une ineffable saveur à ses tempes. Un tas de cendre à ses pieds. Et une certitude sous la chair : la douce étreinte du vent éparpille et rassemble, disloque et réunit, disperse et unifie. Après avoir tant dévêtu et chahuté.

 

 

Une odeur de soufre lui caressait encore l’échine.

 

 

Une douleur insidieuse encore à l’œuvre. Sous le sang déjà sec de mes blessures. Comme un bourrelet de chair mal recouvert aux jointures.

 

 

Ses plaies anciennes s’estompèrent. Quelques bourrasques s’engouffrèrent. Et elles disparurent.

 

 

Une étoile endormie éclaira son étoffe. Et ses jours s’illuminèrent. Son ombre se terra, apeurée à l’abri des replis. Une grâce discrète et endiablée dissimulée dans le tissu émergea (avec lenteur). Une grâce que sa main - encore maladroite - effleura et invita à la lumière.

 

 

Les yeux plantés dans le soleil et mon visage coiffé de lumière, je savoure mon nouveau printemps. Je me souviens sans tristesse des froides saisons où mes mains cherchaient l’aurore à tâtons.

 

 

La solitude l’étreignait de son ineffable chaleur. Ses terreurs se dissipèrent. L’emprise des pics et des glaces qui lui déchiraient la peau, lui entaillaient la chair et frigorifiaient son âme, minant tout espoir d’envol vers la saison radieuse s’évanouissait.

 

 

Dans l’unité des saisons, il partageait son âme. Une face tournée vers Elle, une autre vers ses mille petites sœurs, tous les visages du monde qui frappaient désormais à sa porte, attirés par cet étrange sourire qui brillait derrière ses yeux.

 

 

L’automne fut frugal et gorgé de miel.

 

 

Nulle échappée n’aurait pu compromettre le déroulement paisible de la belle saison. Ni les feuilles balayées par le vent. Ni les promeneurs indélicats et indiscrets qui s’attardaient sous les branches. Ni même ses envies d’ailleurs n’auraient pu l’en distraire.

 

 

Il étouffait encore le secret de ses désirs. Les enfouissait dans la terre abondante, au creux des racines. Comme des promesses d’éclosion à la pleine saison. Comme des trésors encore inexistants qu’il entassait dans ses poches et offrirait plus tard - demain peut-être - au vent.

 

 

Que lui importaient à présent les trous dans ses guêtres. Et ses godillots percés. Le pas était son seul trésor quand il prenait appui sur le souffle qui efface.

 

 

Cette ouverture à l’horizon s’éparpillait alentours et s’enracinait dans sa prunelle.

 

 

Sa mémoire et les reflets à venir disparaissaient.

 

 

Sans saisie. L’abondance renouvelée. 

 

 

Les rocs et les paysages se rétractent. Palpitent comme une matière vivante. Se délivrent, eux aussi, de leur gangue. De leur inexacte consistance. S’enveloppent d’une brume plus réelle que leur substance originaire. Epousent ma prunelle avec tant de vigueur qu’ils éclaboussent mes pas, s’émiettent dans mes mains, traversent mes gestes. Et impriment à mes traits un souffle inaudible et rafraîchissant sur l’écorce fendillée.

 

 

Les surprises envahirent son territoire. Tous ses territoires devenus si propices à la venue du vent. La découverte s’invitait à chaque foulée. Comme une compagne présente et toujours infidèle.

 

 

L’espace des solitudes est un désert peuplé de rêves où fourmillent les silhouettes accoudées sur le vent. Sombres silhouettes dont la présence égratigne notre chair transparente. Sombres silhouettes qui se nourrissent de notre sang et que nous abreuvons  d’un goutte-à-goutte hasardeux.

 

 

Un meuble, un arbre, un sol et quelques pas alentours confinaient autrefois mon territoire à un abri familier. Et m’isolaient du vent et des habitants emmurés qui attendaient déjà entre leurs 4 planches, les yeux fixés sur la serrure, les clés du grand geôlier, égrainant le temps comme des marguerites dans un champ, les pétales fanés qui s’envolaient vers le ciel.

 

 

Minuit n’a de frontière

Pour le regard indemne

Les yeux dessillés

Qui s’écartent de la lueur qui brille

Dans les ténèbres

Nulle fuite sur la pente

Mais une glissade savoureuse

A l’issue incertaine

Et le sourire des étoiles

Qui ravit l’âme

Et ravive le pas ébahi du marcheur

Jusqu’au souffle même de sa marche

 

 

Ce matin, un brin d’herbe s’est penché sur mon visage. Je l’ai regardé. Et de mes yeux limpides a coulé une larme étoilée que j’ai suspendue au ciel. Et je suis reparti le front moins rageur. Moins boudeur. Et moins songeur aussi peut-être. Plus haut dans la poussière de mes pas. Un sourire sans malice sur les lèvres. Et le cœur moins chaviré par la souffrance des siècles. Ravi de cette rencontre. De cette amitié invisible tissée avec le vent. Dans un ciel enfin à hauteur de mes pas.

 

 

La grande saison n’est encore arrivée. Il me faudra sans doute encore patienter - quelques instants ou quelques siècles - pour qu’elle recouvre mes nuits. Mes jours sans soleil. Mon ciel sans fantaisie. Et mes lunes pendues aux 4 coins des falaises qui surplombent l’effacement.

 

 

Comme un ciel bigarré, il s’étiolait au vent. Une trainée, une myriade de couleurs à sa suite. La signature de l’envol.

 

 

Il arriva enfin au sommet de l’herbe. Se jucha sous les étoiles. Le bras tendu. La main ouverte. Et son sourire tendre se voila de tristesse à la vue des cimes. Et du tressautement de son peuple sur les ornières. Il décida de poursuivre son périple. Son effacement de l’espoir. Sans crainte. Sans visée. Sans regret, le pas glissant. Et la présence en bandoulière.

 

 

Aux 4 coins du monde, il marchait toujours à contre-vent.

 

 

Sa gaieté s’effaça à la saison des glaces. Le sombre à ses fenêtres ressurgit. Et la clarté des barreaux, en son cœur, son fief, toujours étoilé. Toujours éclairé. Et confiant qui n’attendait ni l’averse ni le soleil. Mais se reposait de l’oubli. Vaquait au-dedans, sans impatience, à ce qui l’occupait : le vent.

 

 

Un feu sans paille. Des vents sans nuage. Des nuages sans pluie. Un ciel sans soleil. Un soleil sans espoir. Un espoir sans crainte. Et des cascades de pleurs éclaboussent mes joues. Et aiguisent ma joie. Mais je marche encore. Voilà ce que les saisons m’ont appris.

 

 

Son front s’enhardit sous la cognée du vent. Une entaille aux tempes où sourdaient des larmes de joie qui recouvraient le gris du monde. Pourquoi aurait-il craint les nuages ?

 

 

L’azur au fond des semelles, il marchait. Laissant encore quelques traces dans le vent comme des cloches pour les foules à venir.

 

 

Encore nul pèlerin à sa suite. Mais dans son immense désert naissaient déjà quelques fleurs parmi les cactus prisonniers des sables et les allées de gravier où il épuisait ses pas. Et derrière les dunes, l’horizon. Et derrière l’horizon, mille oasis où il aurait pu (peut-être) enfin déposer sa tristesse.

 

 

Désemparé par ses mille chimères. Les ténèbres l’invitaient (une nouvelle fois) à se perdre. L’ombre l’appelait de sa nuit profonde. Et il la contemplait, le regard triste et lointain. Sans s’attacher à sa chute.

 

 

Il s’empara d’une joie nouvelle qui le glissa aussitôt dans ses abysses anciens.

 

 

Le vent l’émonda. Comme une brindille au faîte de son peuple.

 

 

La joie comme une ondée intarissable glissa en son faîte. Au sommet dépeuplé, il contempla l’azur et le désert des cimes. Et découvrit en chaque brindille, en chaque tige la graine d’azur à éclore.

 

 

Le vent évapora ses contours, dispersa ses frontières. Et le monde glissa en lui. Et poussa ses parois en chaque direction.

 

 

Au socle des flottements

Les frontières se dissipent

Et creusent l’envol

Qui s’égaye au vent

 

 

Le monde échappa à sa main rugueuse. Et s’apprivoisa à ses tempes versatiles. Se dissout enfin au seuil des frontières invisibles.

 

 

Comment dire l’indicible ? Qui pourrait entendre le silence de la réponse ?

 

 

Qui peut percevoir l’invisible ? Et avec quelle main cueillir l’insaisissable à notre portée ?

 

 

Le regard de l’instant le condamnait encore au mouvement. Au mouvement éternel et insaisissable. Il y puisait son énergie, son équilibre et sa force. La force de se tenir debout. Sur l’assise suspendue - incertaine - la force du vent.

 

 

L’élan vital le traversait en toutes contrées. Balayait ses scories. Et l’obscur entassé au fond de ses ténèbres. Et le sable doré jonché sur ses dunes. Et l’herbe verte de ses prés. Et le bois tendre de ses collines. Et ses cendres vers d’autres cieux.

 

 

Sous le ciel transparent, il fredonnait, pliait l’échine qui se dressait au-dedans, offrant au vent son ossature et sa paume ouverte à l’arc-en-ciel.

 

 

Nul vacarme sur son passage. Mais des bruits feutrés qui s’évaporaient en silence.

 

 

Nulle trace de ses semelles sur terre. Le passage s’effaçait à chaque pas.

 

 

Le monde est un tas de sable qui s’éparpille à l’appel de l’espace alentour.

 

 

Le démon renoncera-t-il à mes terres ? Je crains que son domaine ne reste intact.

 

 

Ses songes s’évanouirent. Creusèrent leur puits au-dedans. S’enterrèrent pour la saison nouvelle.

 

 

La cavalcade aiguisa sa joie. Et précipita sa dislocation.

 

 

Où évaporer mes fragments ?

 

 

La contrée sans pareille s’offrit à ses yeux disloqués. Qui pourrait-il encore regarder sans tristesse, sans surprise et sans émerveillement ? Et qui pourrait encore le regarder sans ignorer cette présence ?

 

 

 

Il s’aiguisait. Comme un couteau tendre. Prêt à trancher toute chair. A transpercer le mystère. Pour faire jaillir la joie. Le sang éternel des saisons.

 

 

 

– Jardins, rocs et ressacs –

 

Les anges pourraient accueillir nos yeux tristes. Et le diable emmailloter notre espérance. Pour faire naître sous les nuages un nouvel arc-en-ciel. Et une échelle azurée tournée vers l’en-bas. 

 

 

Y a-t-il un gouffre qui borde l’azur ? Un autre ciel en contre-bas ? Pourquoi alors s’éreinter à monter ? Et ne pas se laisser glisser sous les falaises ?

 

 

Il renonça au Juste. Foula au pied le Bon. Piétina toutes les frontières. Se défit de toute vérité. N’obéit qu’au vent indocile.

 

 

Il pervertit la matière. Confondant peut-être le vent et ses brises légères. Les fils d’Eole et ses tempêtes meurtrières.

 

 

Comment s’accorder au sens des girouettes ?

 

 

Il renonça au sens. Et au non-sens. Aux tourments de l’âme. Aux éclats. Aux arrêtes. Et aux meurtrissures de la chair.

 

 

Il n’opposait nulle résistance. Se laissait glisser et emporter. Et se voyait tantôt submerger, tantôt porter vers la côte et le large, l’abysse et l’azur, à fleur de vagues. La direction était sa demeure. Et la surface, son passage.

 

 

Ses fragments s’éparpillaient en absolu. Et l’absolu habillait ses mouvements, chaque séquence de ses mouvements. Il se laissait désorienter. A l’affût de nulle contrée, il se laissait transporter. Nu et hagard. Plongé dans la vague qui le soulevait et le portait sans visée.

 

 

Ses peurs s’amoncelaient pourtant sous son front. Il les dénichait au creux des tempes. Et les pulvérisait d’un regard. Elles s’éparpillaient. Et s’aggloméraient à nouveau. Pris au jeu endiablé qui le glaçait et le ravissait.

 

 

Il criait encore famine devant le monde. Et voyait toujours les bouches se tordre à son passage. Un rictus d’incompréhension sur les lèvres. Et dans les prunelles l’envie et la peur qui brillaient. Comme le reflet de son propre visage.

 

 

Serais-je fou ? Ou accompagné par une poignée d’anges qui s’agenouillent à mon passage ?

 

 

Et si la porte derrière moi était encore entrouverte ? Pourrais-je m’en retourner ? Et si l’abîme devant moi n’était qu’un repère de brigands ? Reconnaîtrais-je les vigies dans l’assemblée ?

 

 

Il fit allégeance à la déraison. Pour traverser l’inentendement. A califourchon sur la crête. Entre deux versants trônait le pic majestueux. L’ineffable horizon. Et sous son front, toujours le miroir aux alouettes.

 

 

Il allait toujours nu-pieds dans le vent. Et à ses semelles, les étoiles s’éloignaient.

 

 

Des brindilles et des poutres. Voilà le butin que dénichait son œil. Et il les embrasait d’un regard. Et aussitôt le feu les consumait.

 

 

En mon exil, une contrée sauvage, peuplée de songes et de fantômes qu’il me faut apprivoiser à main nue.

 

 

Au terme de chaque combat, il gisait recouvert par une couverture de pétales.

 

 

Accueilli par des yeux pourfendeurs, l’étreinte d’une longue main referma ses plaies. Et le redressa d’une caresse envoûtante. Et il reprit sa marche. Indemne. Et plus droit sur ses talons. Enveloppé d’une nudité parée d’une innocence nouvelle.

 

 

Le malheur le surprit au détour du chemin. Dans une allée de graviers, il se retourna. Et découvrit un doux sourire sur son visage. Une larme sur sa joue. Et l’ardeur de l’oubli suspendu à ses pas.  

 

 

Cette tristesse l’égaya. Comme un bouquet de fleurs sauvages jetées dans une prairie. Une offrande à une terre nouvelle. Et aux saisons à venir. 

 

 

Ses jours devinrent comme un jardin d’herbes folles. Et ses nuits, comme une provision de graines à éclore en silence.

 

 

Mon existence. Des bruits. Des fureurs. Des grappes de fruits qui mûrissent au soleil. Et le silence par-dessus qui étouffe mes rires et mes pleurs. Mais le sourire aux lèvres, intact.

 

 

Ses gouffres s’emplissaient et se déversaient. Au gré des vagues et des marées. Libres de la clameur des côtes. Livrés à la seule vie océane.

 

 

Il ne put s’attarder. Se défaire de la mémoire. Et effacer l’horizon d’un regard. C’était pourtant-là sa seule perspective.

 

 

Le pas mobile. Et le regard flottant alentours. L’œil libéré de l’entrave, posé sur l’espace entre le ciel et la terre enveloppe et traverse toute forme. Voilà notre unique boussole.

 

 

Le pas vif et serein. La semelle libre. Et la besace jetée par-dessus l’abîme. Le front ouvert, il s’avança vers l’instant, insoucieux des pertes et des amassements. De la défaite victorieuse de chaque instant.

 

 

Comme un va-nu-pieds heureux dans le vent, il continuait à marcher sans viatique (libre de toute destination). Il errait dans les vallées, s’égarait sur des collines. S’enfonçait dans les ornières. Franchissait des sillons fourbes et des sommets azurés. Côtoyait la foule et les déserts. Poursuivait sa route qui se défaisait à chaque pas. Et s’inventait à chaque nouvelle foulée.  

 

 

Il me faudra déterrer l’étoile qui brille dans mon œil pour marcher dans l’azur en plein jour.  

 

 

Il pleurait parfois, une gorgée de soleil entre les lèvres. Les yeux humides et le front radieux dans l’azur.

 

 

Nulle frontière pour l’obscurité. A ses confins, une lumière diffuse. Et en son cœur, quelques ombres ajourées. Et un gai mélange d’étincelles dans la prunelle.

 

 

Il aurait pu s’émanciper d’un regard. Mais il contemplait toujours la mémoire dans sa besace. Et la lueur des paysages à venir sur l’horizon.

 

 

L’horizon à sa portée l’effrayait. Son regard renonçait aux paysages à venir. Et son pas aussitôt s’illuminait. Et s’accordait au rythme de la danse.

 

 

Nul ciel mensonger en cette terre. Mais des regards fixes sur des silhouettes trompeuses.

 

 

L’essence est partout présente. Au cœur des silhouettes. Et jusqu’aux parures dont elles se couvrent.

 

 

Les vagues pourfendaient la fixité de l’œil. Déchiraient les voiles, transperçaient l’iris pour que sa prunelle accueille les marées, le battement des paupières et le reflet dansant des silhouettes.  

 

 

Les évènements le précipitèrent vers le tragique. Un pied sur le sable, l’autre sur l’appui mouvant du courant. En déséquilibre. Malmené par le ressac. L’ossature dressée contre les déferlantes. Prêt à sombrer. A se laisser emporter au large. Au-delà des frontières et des horizons.

 

 

Nulle étoile à suivre. Nul ciel à atteindre. Mais de la poussière à éparpiller sous les pas. Pour ouvrir le ciel à la plèbe.

 

 

Les nuits claires ? Et les jours sombres ? Pourquoi les jeter par-dessus la voûte alors que nous pourrions les fondre en un éclair pour découvrir leur union et leur transparence.

 

 

Nulle marque distinctive entre la voûte et les profondeurs. L’obscur et la lumière. Le silence et la fureur. Le désert et la foule. Un mélange qui mêle l’essence. Et nous égare.

 

 

Il s’échoua sur la berge, exténué, un goût d’algue verte dans la bouche.

 

 

Il se reposa sur le sable, à l’abri des tourbillons, les mailles du filet rafistolé où frétillaient (mollement) quelques poissons à l’agonie, prisonniers de la nasse.

 

 

L’océan se dérobait, l’extirpant des marées et des remous. Comme une accalmie dans le flottement du regard sur les vagues et le mouvement infini des flots.

 

 

Du vide comme de l’absence. Une béance sur l’horizon recouvre la chair et ouvre à l’infini qui attend.

 

 

Il s’égayait encore des saisons. Du silence en ces contrées. Et de la fureur du monde. Tout glissait en son regard en harmonieux mouvements.

 

 

Nul danger en cette terre n’aurait pu raviver sa plaie. La béance s’était recouverte de joie. Toujours à vif. Dénuée d’espoir, elle s’offrait sans attente ni crainte. Partout était Sa présence. Qui aurait-il pu craindre ou blâmer ?

 

 

Son union est la force qui nous accompagne jusque dans nos solitudes.

 

 

Dans la foule, le désert se remplit. Non d’entraves. Mais de frères à aimer.

 

 

Son désert était toujours peuplé d’absence. Mais Elle l’habitait. Et marchait en sa compagnie en toutes circonstances. Parmi la foule, les terres inhospitalières et les contrées abandonnées.

 

 

L’esseulement le guettait pourtant au bord de la tristesse. Dans les replis amers de la séparation. Parfois aveugle. Parfois sourd à Sa présence.

 

 

Il trouvait son rythme dans l’air du temps. Changeant et enjoué, il demeurait. Le désenchantement, comme une rengaine passée, s’était envolé.

 

 

Un passé sans patrie. Un avenir sans horizon. Libre d’unir son pas à l’instant. Le talon sans certitude sur le sol suspendu.

 

 

Au fond des heures, nul espoir. Et en leur bord, un peu d’air. Et l’espace accueillant.

 

 

L’incertitude devint sa plus sûre patrie. Il s’y couchait comme on s’allonge sur une mousse tendre et rugueuse. Laissant parfois quelques marques sur son visage. Blessant tendrement sa chair encore trop ferme.

 

 

Nulle agonie ne l’effrayait. Il savait que les larmes et le sang sèchent au vent. Et que les dépouilles nourrissent les vivants.

 

 

Ô frère, pourquoi ignores-tu que tu portes en toi le premier homme ? Et en germe le devenir de l’ultime survivant ?

 

 

L’homme. Modeste passerelle dans sa lignée. Une marche composite sur l’escalier du vivant. Un escalier dont les marches s’efface à mesure de la marche. Mais vers quel ciel se dirige notre peuple ? Et chaque pas n’est-il pas déjà (en lui) un ciel ? Et le ciel peut-il se monter, se franchir lui-même et s’atteindre ? Et la forme ne peut-elle se chevaucher qu’en apparence ?

 

 

Il défit ses peurs comme des lianes sèches. Libéra ses jungles des grands séquoias et des brins d’herbes folles à leurs pieds. Pour gorger son ardeur vers la lumière.

 

 

Un bel olivier poussera sur le terreau de nos craintes. Et sur son ramage s’envolera une colombe. Un ciel transparent jusqu’à ses pieds, traversé (sans doute) de quelques nuages indolores et innocents qui nous surprendront. Et que nous accueillerons d’un sourire - les lèvres entrouvertes - comme une averse rafraîchissante.

 

 

A grandes volées d’éclats, il disparaissait. Et à chaque tentative, renaissait dans le cours du temps.

 

 

L’ombre s’enterrait à ses pieds. Endormie sous les nuages. Mêlée au vent et au ramage. Arcboutée en ses plis, elle s’inclinait. Défaite par la longue nuit.

 

 

Sa joie à présent était grande sous l’averse. Partout elle le guettait. Et le rejoignait jusque dans ses larmes.

 

 

Elle le recouvrait de sa présence. L’accueillait à bras ouverts. Ignorant encore la souplesse du geste et la force du vent, il tendait ses paumes timides.

 

 

Il aurait pu épouser le ciel. La terre et le feu (en ses semelles) auraient étendu ses mains pour décrocher la lune et les étoiles. Et l’arc-en-ciel arcbouté contre sa joue, son échelle dans le vent.

 

 

Malheur à ceux qui divaguent les semelles encrottées. Malheurs aux faiseurs de pas. L’orgueil du sillon leur recouvre la vue. Et enterre leur horizon.

 

 

Debout sur l’échelle. Assis contre le ciel. Debout sous la fange. Partout était sa demeure. Face contre terre et nez rieur. N’en déplaisaient aux anges, la déculottée lui donnait des ailes. 

 

 

Mon existence s’affaisse sous les barricades. Criblée de plaies. Et ouverte au vent révolutionnaire.

 

 

Il se laissa choir les fesses dans le caniveau. Et s’adossa au vent.

 

 

Ses yeux traversèrent les murs. Tous les murs. Les friches révélèrent leur beauté. Et l’enthousiasmèrent. Nulle construction en vue. Ni en perspective. A jamais locataire de ses pas.

 

 

Il aurait pu franchir tout fossé. Et toute volupté. Tous les interdits. Et toutes les frontières. Toutes les falaises. Et tous les cimetières. L’envol serait devenu son domaine. Et le vent sa substance. A l’œuvre, une transformation de la matière. Et dans le cœur, des ailes. L’envol fatal l’aurait guetté peut-être…  car sous ses pieds, demeurait l’abîme. Mais a-t-on déjà vu les anges tomber ?

 

 

L’horreur des frontières le désossait. Il y échappa in extremis (comme par miracle). Et les trouva enfin réunies. En fumée. En nuage. Eparses.

 

 

Une terre sans miracle. Tel est mon oasis. Et mon mirage. La délivrance de mon désert. Et de mes espoirs.

 

 

Une nuit profonde et claire. Telle est ma terre. Et le temple de mes jours sans éclat.

 

 

Il brillait au-dedans. Comme jamais. Un éclat qui perçait sa peau fragile et translucide qu’avait écorchée le monde.

 

 

Comme une dérobade peut-être, il se tenait en alerte à tous les vents. Et laissait filer les nuages.

 

 

Comme sur un quai embrumé, il demeurait présent à l’instant du départ.

 

 

Déconcerté par le rire des hommes. Et le murmure des femmes aux lèvres entrouvertes. Par les étreintes insensibles que son peuple livrait à la volée. Insoucieux du feu encore invisible qui l’habitait. Insensible à sa peau transpercée.

 

 

Nul ne voit. Lui sent la braise, le soufre et les cendres. Et dans son œil, cette flamme ardente qui brille et attise la soif du monde.

 

 

Tendrement vivant. Voilà la formule expiatoire de mon alchimie. Comme un apprenti sorcier, le feu m’explore.

 

 

Des branches poussaient entre ses pensées. Des lianes apparaissaient qu’il saisissait d’une main encore malhabile. Et il s’élançait vers l’inconnu et appelait les paysages à venir au dedans. Les contrées futures se dessinaient et l’effaçaient à mesure de ses pas.

 

 

Des larmes effritaient ses murs. Et il fut libre de toute perspective. Vibrant d’espace. Et de rire.

 

 

Ses lèvres closes criaient en silence : « gloire au vent ». Et sa bouche intacte se tordait de saveur.

 

 

Tout prenait place. Et s’effaçait. Demeuraient la joie, la présence. Et la découverte des horizons interdits. La saveur au-delà de toutes frontières.

 

 

L’eau coulait sur son feu. La lumière se glissait entre ses ombres. Et il devint aveugle aux ténèbres.

 

 

Les yeux sur les talons, il explorait les anfractuosités que son ombre prenait jadis pour des gouffres. Les yeux dans les mains, il découvrait les glissades et les cabrioles qu’elle prenait pour des joies. Les yeux dans son ciel remerciaient son peuple et ses fantômes qui complotaient en silence contre sa prunelle narquoise.

 

 

Il aurait pu s’encanailler jusqu’à la vertu. Jusqu’au firmament des anges. Jusqu’aux bastingages des nuées. Tout n’était que corps de vent. Et territoire sans frontière.

 

 

Le vent élargissait ses failles. Et face contre terre, il admirait les étoiles.

 

 

Malheur aux géants qui pourraient me croiser. Ils succomberaient à ma démarche titubante. Nul ne pourrait me terrasser. Ni les étoiles, ni le ciel du monde. Invincible jusque dans la défaite.

 

 

Ses démons, tapis dans l’ombre, se réjouissaient en secret. Préparaient peut-être l’assaut final. Comme un appel vers le dernier gouffre.

 

 

Il recevait sans même l’espoir du vent. Accueillait les rafales et la bise d’un cœur égal. Les yeux boursouflés de tendresse devant la fragilité de la chair. Et l’invincibilité des âmes.

 

 

Les éclairs s’amoncelaient jusque dans ses entrailles. Et sous la peau brûlée, des cascades où courait le ciel sans frange. L’azur déconcerté par la tiédeur des nuages.

 

Lynché par les étoiles, il s’étranglait encore. Et suspendu au vide, sa joie éclatait en rire.

 

 

Le fumier faisait son œuvre. Les graines poussaient sur son compost. Il rêvait à présent de nourrir la terre. Et d’offrir quelques branches hospitalières aux hirondelles prisonnières des saisons tristes.

 

 

Nul abri dans le ciel. Mais un tremplin pour l’ombre.

 

 

La lumière s’entortille autour d’un fil. Et au bout du fil une rose et une couronne d’épine. Et les étoiles scintillent dans la nuit. Un monde clair renaît à chaque instant nouveau.

 

 

Sur l’écorce il dessinait quelques empreintes. Les étoiles guidaient sa main Et les signes s’incrustaient dans le vent. Sa plume appartenait déjà au ciel.

 

 

Les signes (sur l’écorce) naissaient de la langue. La langue oubliée des hommes. Celle des étoiles sans voix qui œuvrent pour le temple de l’azur. Des signes sans volonté. Sans autorité. Qui dansent au rythme des étoiles. Et entre leur silence radieux, quelques messes basses qui éblouissent les hommes.

 

 

La joie pourrait-elle m’écarteler?

 

 

Au-delà des horizons sans limite, demeure l’espace. Et toute présence y conduit.

 

 

Il demeurait sans encombre. Ni frontière.

 

 

Un marécage. Des ornières. Tous les paysages s’affaissent. Et se creusent. Une retombée verticale me redresse. Surplombe ma nuit.

 

 

Penchées sur leurs lunes, les cathédrales embourbées n’osent effleurer de leur flèche la main de Dieu.

 

 

Un froid glacial s’invitait parfois sur le seuil de la porte où il patientait, poings dans les poches. Frigorifié par anticipation.

 

 

La vie est un ciel zébré de traits fugaces. Un palimpseste où culmine et s’échoue un harmonieux chaos qui danse au rythme du souffle qui l’agite.

 

 

Il aperçut les arbres dessinés par la lune. Et leurs racines mensongères. Leur ramure écarlate qui s’écartelait jusqu’au ciel. Et il songea au funeste destin de l’écorce.

 

 

Dans l’aube claire, un songe d’horizon.

 

 

Le néant s’affaissait sous les nuages blancs. Et le soleil éclairait ses yeux sombres.

 

 

Nouvelle bouffée de tiédeur parmi les étoiles. Et le scintillement des yeux ouverts.

 

 

Grande est la gloire. Et modeste la victoire. Toujours humble devant chaque miracle.

 

 

Il regardait. Sans y croire. Et se laissait mouvoir. Sans volonté. Avant de s’agenouiller sous le vent. Et laisser mûrir son innocence incandescente.

 

 

Ses lèvres pâles exploraient le dedans inconnu de l’écorce. Et il restait bouche bée face au mystère de la sève. La langue ébahie.

 

 

Une lune. Et un ciel clair. Voilà notre dédale. Une étoile au loin. Notre nuit ancienne. Et notre avenir ? Sans horizon et le pas joyeux.

 

 

Au-dedans des signes clairs, des marques sombres s’agitaient. Etouffées par la lumière. Au bord de l’agonie.

 

 

Sans distinction. Ni dans son œil, ni sur sa chair. Ni dans son âme. Telle était son ambition. L’espérance de son triomphe à venir.

 

 

Le souffle chaud de l’écume. Et la saveur des vagues. Et l’exploration curieuse des abysses. Pourquoi rêver d’une saison aquatique ? Qu’adviendrait-t-il après le plongeon ?

 

 

Au détour de l’eau, une voie toute tracée : le flux et le reflux. L’agitation des surfaces. Et l’immobilité des profondeurs. Le grouillement et la frénésie. Et la voracité des silhouettes ballottées par les vagues.

 

 

Comme une girouette sans pied. A l’abri du vent, il s’effilochait. Appuyait son assise sur l’espace qui le séparait des frontières. Entre deux souffles.

 

 

Sa main le caressait de ses doigts tendres. Et il la remercia d’une larme reconnaissante.

 

 

Belvédère des mirages. L’ensablement des espoirs recouverts par des pelletées de promesses. Marcheur hors pair esseulé dans son gouffre. Le rire en appui sur le cœur rocailleux. Stoppé dans son éclat sombre.

 

 

Ode à Elle. Libre d’attaches et de volonté, Elle vogue - immobile en elle-même - au cœur de ses déserts et parmi ses foules. Posée sur ses ailes insaisissables, Elle se chevauche en sa compagnie, savoure ses ciels, ses chemins et ses paysages, invente ses détours et ses trajets, explore ses recoins, aime ses ombres et ses fourbis, ses étincelles et ses lueurs, ses lois, toutes ses manières et ses matières, jouant sans cesse avec ses éléments.

 

 

Un abîme s’éparpille sur la terre. Quelques monticules amassés qu’il faut gravir. L’échelle des vertus foudroyée et la claudication en guise de béquilles. L’exutoire de la bouche entrouverte qui murmure son supplice. Et sa peine. La soif de délivrance qui engorge la chair. Et le besoin de transparence. Un appel d’oxygène après l’étouffement des pas. L’envol nous guette au détour d’un tertre ou d’un talus. Le ciel s’entrouvre alors à nos paumes calleuses. A nos mains endurcies par le labeur sur la corde. L’abandon au ciel. La crainte de la chute nous dessaisit. Semelles secourables qui nous devancent et supportent notre souffle. Une gageure pour le cœur endormi. Pour la conscience aux yeux dessillés qui voit naître l’univers pour la première fois.

 

 

Une table autour du monde attend ses hôtes inoccupés. Un précipice rassasié dans l’assiette. Et une nuée d’espoirs engloutis. Un cliquetis de verres à pied et de carafes. Et la danse des convives autour du repas de fête.

 

 

Il se noyait dans son puits d’extase. Une ondée blafarde se perdait en horizon. Un dédale d’interstices l’enrobait d’une présence joyeuse. Et il fut emmuré à l’impensable. A l’impossible regret du marcheur opiniâtre saisi par l’abandon.

 

 

Soucieux de la lampe autant que de l’aiguille, il tissait la toile des rencontres et des oublis. Il enfouit le temps impossible dans la mémoire inculte. Pour conserver la présence hors du territoire. L’abandonner à son souffle originel. A son rythme sans artifice. Insoucieux des conséquences et de l’absence. Du sang qui ruisselle entre les zébrures et les interstices. Entre les meurtrissures colmatées à la paille. Œuvre de serviteur et de gardien veillant au juste déroulement des cérémonies initiatiques. Invitant la foule à se convertir à son souffle consubstantiel. A emprunter sa foulée singulière pour rejoindre la destination promise et insoupçonnée. 

 

 

Une cheminée sans feu. Des murs sans briques. L’inconsistance du monde s’installe dans ma prunelle. Déforme les frontières dansantes des silhouettes. Happé par le rythme des pas qui s’accélèrent. Par les paysages mouvants. Et la cadence des êtres immobiles. J’agonise mon éternité. Et la recouvre de l’instant neuf qui se renouvelle.

 

 

Sonder l’insondable par les bords. Dans un précipice de lumière diffuse. Rejoindre le courant porteur qui anime les silhouettes du monde. Et le poids des pierres sur lesquelles s’agitent les hommes. Et sous lesquelles grouille la vermine.

 

 

Les étoiles au centre de sa prunelle regardaient défiler les heures. Et les passagers du vent. L’amoncellement de la plèbe et les charniers inconséquents. Sans rechigner au labeur, à l’inventaire parfois nécessaire des drames. Œuvrant de la pique et du velours pour accompagner les fugitifs. Et les voyageurs à quai.

 

 

Matières à rire. La substance des larmes. Un déferlement de bouches. Lèvres pincées. Sur l’établi des horizons, nul outil. Mais des semelles souples au fond des yeux qui se plient aux exigences des âmes enfouies en chaque point exposé.

 

 

Fidèle à sa vocation de magasinier, il empilait l’inconsistance des marchandises sur des palettes de vent. Et laissait filer les commandes au gré des courants. Jusqu’à la source.

 

 

Des cieux sans joie où se précipitent les hommes. Des saveurs et des merveilles au cœur des entrailles et de la fange les détournent d’une fouille prometteuse.

 

 

Une armée d’appendices voués à la vivisection. L’entaille douloureuse et salvatrice du scalpel invite les macchabées à renaître de leurs espoirs amputés. 

 

 

Des rires borgnes. Des gestes mutilés. Des territoires au coin des yeux. Insensibles à l’espace et à la mouvance des frontières. Entravés par leur espoir de salut. Immobiles au seuil du chemin. Etrangers aux contrées sauvages de la joie, de l’amour, de la saveur et du rire qui poussent au cœur de l’éternel jardin printanier sur le fumier dense.

 

 

Un balancement abrupt entre les rives du néant et des plénitudes outrancières. Sur la crête. A cheval sur les versants de la folie meurtrière où règne la déraison et des simulacres exacerbés de sagesse égotique. Le pas en éternel déséquilibre. Sans assise. Sans appui. Guidé par le seul souffle ludique. En explorateur incertain.

 

 

Jamais il ne s’agenouillait devant les géants qui peuplaient les rives. Il gonflait sa voilure. Et prenait le large.

 

 

Mille sauvageries au fond des cercueils. Et autant sur les tombes. Cimetières gorgés de sang.

 

 

Il n’accorda aucun espace à ses rengaines. Jouait sa mélodie dans les bois sombres. Et ré-enchantait le monde.

 

 

Il avançait la mâchoire intacte. Le faciès racorni par l’âpreté des saisons. Le pas fébrile et la langue amputée. Silencieux jusqu’à son terme.

 

 

Les miroirs le dévisageaient autrefois d’un air grave. Et inquiétant. Et lui souriaient à présent avec malice.

 

 

Il n’avait cessé de s’encorner au réel. Blessé jusqu’à l’inconsistance pour accéder au pas libre.

 

 

Exclu du monde par le regard, il lui fallait à présent trouver une autre porte pour s’inviter à la fête morbide. Derrière il présageait la joie des sages, indemne des jeux guerriers et des massacres.

 

 

En Sa compagnie, la présence s’enracinait. Il devenait tube, plante et botaniste. Et laissait œuvrer la grâce des climats.

 

 

Promis à la disgrâce, je n’ai pu me résoudre à la capitulation. Toujours prompt à braver les résolutions du destin, j’ai ferraillé avec mes ombres lascives et féroces. Me suis acharné avec entrain à retarder la dévoration.

 

 

Il ne pouvait expliquer l’écheveau. Se laissait (encore parfois) prendre à ses pièges. Rêvait de défaire les nœuds. Au lieu de danser sur la corde.

 

 

Ses ombres rassasiées ne pouvaient contenter sa faim. Mais nulle lumière véritable sous ses pas. La main en visière, il inspectait les paysages en quête d’une lueur. Encore aveugle à la flamme qui l’animait.

 

 

Un jour, la chandelle lui brûla si vivement le regard que la transparence recouvrit le monde. Il comprit alors son travail : devenir un feu ardent.

 

 

Il avait fréquenté la folie avec assiduité. Familier de la folie commune (la folie ordinaire des hommes). Mais si craintif encore de la folie qui dévaste les âmes déchirées.

 

 

Les frontières s’estompèrent. Il ne savait trouver le centre des formes qui s’entrechoquaient. Au moindre regard (à la moindre tentative de saisie), tout s’éparpillait. Il reconstituait désespérément les fragments, les contours et l’unité de chaque silhouette qui sans cesse s’effaçait.

 

 

Le fruit se morfond dans sa chair avant de jeter ses graines aux cycles et à la source.

 

 

L’eau se décale par biais. Et du goutte à goutte jaillit la force.

 

 

Dans le creux se dessine la cime. Et parmi les sommets se déniche la source. Et de la source jaillit le chemin, les monts et les vallées, les noces du pas et du paysage où nulle aspérité ne peut écorcher les semelles. Mais quelle âpre ascension pour trouver la justesse à chaque foulée.

 

 

 

- Terre, astre et azur -

 

Il pourchassait la parole et la dénichait jusque dans ses terriers. En l’escortant jusqu’au soir. Une folle équipée nocturne qui s’achevait souvent en empreintes légères lovées contre l’écorce qu’il offrait à l’aube dévastatrice.

 

 

Paroles incrustées dans ma chair. Comme le sceau du destin. Le fer rouge des mots à mon front, les coudes enfoncés dans la table.

 

 

Dans sa maison de mots, ni hôte ni convive. Assis devant son œuvre fantomatique comme un modeste concierge lustrant avec zèle l’escalier du réel.

 

 

Du fond des âges, Elle lui criait son éternité. Et lui, tendait toujours l’oreille aux fariboles de ses contemporains.

 

 

Un univers de roches mouvantes et de poussières. Seules matières de la tectonique du monde, des âmes et des sentiments. Et l’apprenti-géologue à l’ère du crétacé se perdait toujours dans l’amoncellement des couches…

 

 

Aguerri au monde. Et toujours innocent. L’âme naïve. Rétif aux expériences et aux leçons, il continuait à déambuler, arcbouté sur ses chimères.

 

 

Il décortiquait l’espace. Le réduisait en fragments. Et chaque éclat reflétait ses éparpillements. Son essence dispersée.

 

 

Un soir, un creux d’étoiles engloutit son émerveillement. Et son éblouissement s’étiola en poussières. En nuées de poussières sombres. 

 

 

L’orage s’enfonça dans sa chair. Pulvérisant ses horizons. Donnant naissance à un espace inconfortable. Et salvateur. 

 

 

Dans le ciel, chaque étoile écrit un continent indéchiffrable. Et je les regarde comme un analphabète céleste. Un explorateur timoré.

 

 

Son ciel de gribouille et son écharpe d’étoiles le protégeaient des assauts des foules.

 

 

Il continuait à dériver sur sa banquise à égale distance des extrêmes et des hémisphères.

 

 

Nulle trace d’étoile

En mes gestes

Quelques borborygmes sur la langue

Sisyphe sur un fil

Comme un équilibriste empierré

Parmi mes contemporains

 

 

Il pleut des pierres sombres et des éclats d’étoiles. Des graviers de lumière aux pieds des grottes obscures.

 

 

Son regard retournait le ciel. Une aubaine pour ses prunelles. Un nouveau territoire à explorer.

 

 

Il s’obstinait à défaire son regard polaire. A égorger ses mains de glace. Poursuivant inlassablement son œuvre de moraine en fonte.

 

 

Des simagrées sous la roche. Comment échapper à l’aparté monstrueux qui leste les peuples ?

 

 

Il exigeait toujours du vent qu’il tournoie. Et de la brise qu’elle rafraîchit. Oubliait l’espoir des contraires et la force des antagonismes. Rêvait de se défaire des dédales de glace où la raison se fige pour arpenter le cours des eaux entre le torrent et la falaise.

 

 

Sous la glace immonde des corps coule la sève. La source des visages innocents.

 

 

Il gravissait les marches jusqu’à l’horizon. Dans l’espoir de voir s’ouvrir le ciel. 

 

 

Son œil percevait les applaudissements silencieux du monde. Chaque pas était une fête. Et chaque geste un triomphe sur le néant et l’absurdité. Tous les déserts se repeuplaient.

 

 

Une envergure sans magie

Le triomphe des facilités laborieuses

De mon désert, les foules autrefois m’encombraient. Et la solitude même était une entrave à Sa rencontre.

 

 

Sous la peau

Des continents à explorer

Le forage léger des transparences

Seul, un regard en haillon s’émerveille. Et se réjouit de la beauté des étoiles.

 

 

Planches sournoises

Qui bruissent au matin

Matelas de pissenlits

Où rêvent les bouches usées

Tapis de feuilles endeuillées

Soufflées par la brise

Il s’éveille aux songes

Aux ombres glacées de l’hiver

 

 

Nul signe sur ses pages. Quelques empreintes fugaces dans les yeux lui épargnaient le labeur inutile de la main.

 

 

Au bout de l’échelle, sa main tendue décrocha (une nouvelle fois) la lune. Et aussitôt le ciel s’assombrit. Son séant sur le sable s’émerveilla des étoiles. Et son regard se rétrécit.

 

 

Une pincée de miel offerte aux dieux. Et aussitôt le ciel crépite. De plaisir et de colère.

 

 

Tapi sous les bruits, le vénérable silence. Comme la vérité derrière les mots.

 

 

Le regard entravé de faux bâtit ses barreaux. Geôle de voiles où les yeux se dispersent entre les échancrures.

 

 

Un jour, il devint sans qualificatif ni attribut. La tâche qu’il s’était assigné à l’aube du chemin.

 

 

Il laissait être ce qui le traversait (et ce qu’il traversait). Devint passage temporaire. Passager provisoire.

 

 

Il s’abandonna à l’évanescence des formes. Confiant en leur essence unique. 

 

 

Après avoir multiplié les identités parcellaires, il découvrit qu’il les possédait toutes. Et comprit enfin qu’aucune frontière ne les séparait.

 

 

Il devint tout sans exception. Sur le point de faire naître l’être sans trait.

 

 

De la source jaillit notre fontaine. Et cette eau apaise notre soif. On abandonne aussitôt sa jarre. On délaisse l’argile et le sable. On se défait de toute matière.

 

 

Il accosta en ses terres. Parvint enfin à la rive sans rivale.

 

 

Fidèle à la proue, à l’étrave et aux bastingages, ses horizons s’ouvraient au ciel, à la terre et aux abysses. 

 

 

L’horizon referma les 4 coins de la terre. Et condamna toutes les impasses à s’ouvrir.

 

 

Il s’agenouilla  face contre terre. Et son visage lentement se redressa vers le ciel.

 

 

En chaque forme, une bouche lui souriait. Comme l’évidence d’une présence. Eternelle et bienveillante.

 

 

La grâce me toucha au cours d’une longue nuit de disgrâce qui faillit me terrasser.

 

 

Après une longue nuit de sommeil, il ouvrit les yeux. Embrassa le visage du monde. Et toutes les bouches se refermèrent sur ses plaies qui aussitôt cicatrisèrent.

 

 

Devant les masques, ses yeux ébahis. Et derrière, la bouche tendre sur laquelle il rêvait de pencher ses lèvres.

 

 

Derrière les mots, il entendait une voix. Derrière la voix, une musique. Derrière la musique, une danse. Et derrière la danse, le silence qui accueille toutes manifestations.

 

 

Au creux du ciel, l’asphalte blanc se déroulait. Et le passage s’ouvrit. Avec envergure.

 

 

Il apprenait le silence enjoué. Les yeux malicieux, le geste juste. La parole sage. Le pas aiguisé et clairvoyant. Pour aller sans crainte. Et sans ennemi.

 

 

Au cœur des saisons, la nuit s’effaçait. Et la lune (à présent) veillait sur son repos. Et au cœur du jour, le soleil éclairait son horizon.

 

 

Au seuil de l’aube, il se redressait, encore gorgé de nuit. Et s’assoupissait au crépuscule, encore inassouvi de soleil.

 

 

Un nouveau ciel d’entraves lorgnait (pourtant) sur ses horizons. Et il se figea, la bouche hébétée devant tant d’incertitudes.

 

 

Son front s’enhardit devant les obstacles. Comme un taureau lancé à la poursuite du vent, il se heurta au ciel emmuré. Et se brisa les cornes contre un nuage. L’opiniâtreté fut son ultime résistance.

 

 

Efface tes refus. Et tous les obstacles disparaîtront.

 

 

Conscient de l’inconstance des consistances et de la constance des inconsistances, il s’enhardissait (pourtant) dans ses fausses croyances. Se fourvoya une nouvelle fois sur ses chemins d’errance.

 

 

Soucieux de s’évaporer sous le soleil rouge, il laissait derrière lui une route sans trace où les ombres s’effaçaient, soumises à l’âpreté des déserts.

 

 

L’insistance des cloches força le chemin à s’ouvrir.

 

 

L’artifice intact sur les lèvres, les silhouettes se camouflent. Egratignant la chair de leur masque. Mais sur les visages ivres de peur, les yeux grimaçants se convulsent en prière. 

 

 

Mille vagues arrondirent son infortune. Et engloutirent ses craintes de naufrage. Le vent inhospitalier devint enfin son hôte.

 

 

Il loua son heureuse infortune. Son destin de mendiant au bol tendu et à la cape d’étoiles posée sur l’épaule arpentant le labyrinthe appuyé sur son ombre parmi les foules qui foulent les empreintes de leurs aînés sur leur sente d’argile.

 

 

La perte est un gain trop souvent ignoré pour tendre son bol. Toute obole est pitoyable. Et la main si vaste pour recevoir son dû. La prunelle tient lieu de richesse. Tout ce qui l’effleure devient alors trésor.

 

 

Mille bouches carnassières poussèrent leur glaive vers ses oreilles innocentes et se heurtèrent à ses lèvres sanguinaires.

 

 

Une pluie de terreur s’abattit (une nouvelle fois) sur ses yeux pâles. Mais un rire métamorphosé coula sur ses lèvres et s’ébruita en ondes savoureuses. Délectables jusqu’à l’extase. Yeux dessillés à l’infortune, transformant ses larmes en pétales – accrochés parfois à leurs tiges d’épines écorchant sa chair encore tendre. 

 

 

Yeux de braise. Et cœur de cendres. Mais vers quelle folie me précipite-t-on ? Suis-je homme de paille ?

 

 

Il décrocha (encore une fois) la lune. Comme d’autres auraient repris leur manteau aux patères. Le ciel à portée de visage. L’univers comme maisonnée.

 

 

Homme de vent. Et de poussière. Céleste jusqu’en ses fragments.

 

 

Soumis à un combat d’un autre temps, d’une autre époque, le sang jaillit de la source. Intarissable et neuf. A tout jamais. Un combat sans victime. Où les morts renaissent en terres plus fertiles. Une victoire universelle pour l’Homme. Et l’humanité en attente dans sa garnison sordide.

 

 

Une fureur espacée

Un carrefour sans porte

Un dédale sans allée

Des ombres mortes

Un lieu sans trace ni chemin

Où demeure la présence

 

 

Il dédia son chemin à l’avenir sans vanité. Et s’en fut en cette contrée où les fleurs jaillissent entre les lèvres ouvertes qui s’abreuvent à la rosée.

 

 

Debout contre la pluie, il n’attendait plus. Mais souriait au soleil désenfoui qui bordait ses larmes.

 

 

Il vit passer un ange aux ailes rouges et au sourire fané (sur ses lèvres sans grâce) qui parcourait le ciel pour défaire les yeux incrustés de malheur et déposer des rires sur les joues creusées d’épreuves en invitant le ciel et les dieux à danser sur les continents et les constellations qui portent à la grâce le mystère des silhouettes.

 

 

Dans les hautes sphères reposent les soubassements de la terre. Et dans les galeries de forçats, les pépites incandescentes continuent de brûler les yeux faméliques.

 

 

Le soleil brûla sa sauvagerie de guerrier. Attisa son visage pâle de sa fière allure, le contraignant à déposer son armure, ses plumes et son casque d’étoiles pour revêtir la parure des guerriers nus avant l’ultime combat qui fait naître l’innocence.

 

 

Une porte à côté de l’horizon attendait ses pas. Et à son seuil, nulle enseigne. Mais un long couloir bordé de chandelles. Un étroit désert de braise et de glace où s’effacent sur les peaux martyres tous signes de distinction. Un espace qu’il faut franchir nu – dépouillé de toute parure et de tout orgueil – pour accéder au territoire insécable bordé d’invisibles frontières.

 

 

Heureux les infidèles à l’ordre - les insoumis aux rites et aux règles - qui peaufinent en silence leurs mutineries, ils échapperont à la mort des vivants en se délestant des charges ancestrales de l’homme -  le poids des mimétismes et des traditions - en inventant leur sente vers le territoire fraternel (où règnent l’amour et la liberté).

 

 

Nulle vérité dans les livres. Et tant sur les visages.

 

 

La tête disséminée aux 4 coins du monde, il fédéra enfin ses éparpillements. Et découvrit l’unité.

 

 

Au soir du grand jour, le soleil fondit sur lui. Et la lumière se peaufina aussitôt derrière l’ombre tapie des masques qui s’esquintaient à la tâche, s’endurcissant sous les coups - donnés et reçus et mijotant leurs plans avant de se lézarder sous le regard innocent des visages balafrés de vérité.

 

 

La grâce le foudroya au seuil comme une trouée de lumière aurait déchiré l’obscur épaissi par le labeur acharné. Comme si la délivrance - légère et imprévisible - s’invitait toujours au plus épais de la quête.

 

 

Dieu se moque des âmes engoncées qui martèlent le ciel de leurs prières afin d’inviter un fragment à tomber sur leur lopin de terre. Il aime les cœurs libres. Et les âmes intrépides. Ainsi façonne-t-il les hommes à son œuvre.

 

 

De quel coin de ciel voit-on les anges tomber avec des grappes d’hommes apeurés agrippés à leurs ailes ?

 

 

Une pluie de lumière glissa sur ses joues creuses. Et dans ses orbites tombèrent une larme et des étincelles. Et quelques cendres du monde ancien.

 

 

Au-delà des terres se rejoignent les antagonismes. Les paradoxes s’unissent. Nulle frontière pour diviser l’amalgame unifié sans consistance.

 

 

Dans son bain d’infortune coulait une source de joie. Et encore quelques brassées de sable noir.

 

 

Quelle ombre se cache dans les replis de la lumière ?

 

 

Il dévisagea le ciel de ses yeux rageurs. Mais nulle promesse ne fut tenue. Il vilipenda les anges. Mais son espoir se brisa. Alors qu’implorer ? se demanda-t-il. Et la réponse le foudroya : le regard salvateur qui guérit le pas. Pour que chaque geste devienne trésor.

 

 

Une fronde sous la terre grogna contre toutes les cavalcades du ciel. Et dans l’intervalle effeuillé, un nouvel interstice l’ouvrit au mystère. Le labyrinthe s’ébruita. Le jour naissait.

 

 

Une candeur sur l’épaule, il s’immisça dans la trame du vent. Derrière ses horizons, nulle trace. Mais quelques empreintes ensoleillées.

 

 

Il s’irrita sans colère. Contre les tourments de la terre. Et autour de lui, des bouches avides creusèrent ses entrailles.

 

 

Des fossés de complaisance. Et des ornières savoureuses. Des pas et des impasses. Un territoire à creuser. La matière de tout voyage.

 

 

Des ombres sans mains. Et des traces d’argile comblèrent ses failles. Ses ruines somptueuses. Et ses cimes en décrépitude.

 

 

Ses toussotements côtoyaient les nuages. Il aurait pu s’enorgueillir de la compagnie des anges. Mais le rire effaça sa traversée. Et le ciel aussitôt se gaussa de sa joie.

 

 

Il mordit (une nouvelle fois) la poussière. Et demeura ébaubi par les étoiles à ses pieds.

 

 

L’antre s’effaça. Se creusa d’espace. Et la matière se liquéfia. En nuées de vapeur et de poussières incandescentes.

 

 

Son âme claustrophobique dénicha la serrure. Et la dilatation du tunnel s’intensifia. Le ciel aussitôt s’y engouffra.

 

 

Il claudiqua avec allégresse. Et ses béquilles se désagrégèrent.

 

 

Après tant d’errance, il retrouva sa trace par inadvertance. Il soupira d’aise. Et refit surface à l’exacte profondeur où avait débuté sa recherche fébrile et inopinée.

 

 

Il habilla ses masques de transparence. Scruta sa tombe avec malice. Se défit de tous les pièges de glace.

 

 

Il riait de sa détermination. De son intransigeance. Son opiniâtreté s’affaissa. Et son exigence s’ouvrit à la facilité des épreuves.

 

 

Ses yeux vieillissants découvraient un monde d’adultes en désarroi. Et en perdition. Il savait (à présent) que la magie opérait toujours à la marge. Et aux extrêmes.  

 

 

Le (vrai) magicien s’affranchit des tours (de passe-passe). Et des illusions. Des chapeaux sans forme. Et sans fond. Toujours ouvert au ciel et aux tourterelles.

 

 

Au bord du ciel, il contemplait enfin sa demeure.

 

 

Les yeux sous l’ombrelle. Le clignement des cils sous la lumière d’automne. Serait-il encore aveugle à la clarté saisonnière ?

 

 

Un dédale sans décombre. Et des formes en quête d’épure. Toujours sujettes aux malices des évènements.

 

 

Une voix dans la nuit sourde révéla une présence. Et oblitéra tous les bruits.

 

 

Une glissade dans ses yeux pâles. Le point sur les sourcils, il s’interroge. L’innocence en apparat noir. En costume sobre et écharpe à paillettes.

 

 

Il retrouva des gestes. Et des visages familiers. Et demeura à leur égard muet. Et sans attente.

 

 

Des oublis passagers trouèrent sa mémoire et lui redonnèrent l’intelligence de ne pas savoir. De n’avoir jamais su. Et le rire de n’y parvenir jamais.

 

 

Un feu ardent obligea son geste à la lumière. Et son visage put enfin refléter le monde.

 

 

Ses yeux gorgés de soleil furent enfin prêts à réchauffer les âmes vagabondes et apeurées.

 

 

Le bonheur glisse sur les visages. Et les doigts apeurés se cramponnent alors que la main ouverte tire sa joie de toutes circonstances.

 

 

Les hommes arpentent le monde en quête d’un manuel. En assurant à peine leur survie, claquemurés entre leurs peurs et leur ignorance.

 

 

Derrière les masques, tous les visages du monde se faufilent entre les interstices. Quelle est donc notre identité ?

 

 

La ronde des jours consume notre sourire. Et le visage de nos nuits appauvrit notre repos.  

 

 

La souffrance étreint la chair. Et au cœur de la chair, la joie attend d’être libérée de sa gangue.

 

 

Une fenêtre dans l’escalier éclaira sa foulée. Et son pas glissa vers l’azur.

 

 

Avant de découvrir le soleil, une voix dans l’ombre déclara sa flamme à la chandelle qu’il portait en secret.

 

 

Son geste pourchassait la perfection. Et entre les deux toujours se glissait l’ombre altérable. Que d’un regard, il balayait pour faire advenir la justesse.

 

 

Seule la nuit conduit au jour. Et lorsque nos pas sortent de l’ombre, la lumière ne craint aucune ténèbre.

 

 

De glace ou de sable, nos rêves portent nos glissades et nos enlisements.

 

 

La grâce est sans circonstance. Et s’étiole à toute saisie.

 

 

Paumes ouvertes sur l’azur. Doigts dansant sur la terre. Ongles noirs affranchis de toute saleté. Il remercia ses mains sans pareilles.

 

 

A l’orée de toute clairière, des rangées de bois sombres. Une nuit sans ciel. Des jours sans terre. Reclus au fond du labyrinthe. Prisonniers de l’obscur dédale. Les éternelles prémices de l’envol.

 

 

Abandonne-toi au mystère. Et tu seras guidé en tous lieux.

 

 

Chaque cœur se disloquera sous la cognée du vent. Et s’émiettera en pierres. Et sous les ruines, mille cimetières s’évanouiront. Et nous marcherons ensemble parmi les fleurs dans des allées d’herbes folles. 

 

 

Acculé à la nudité, le soleil habilla la saison timide qui naissait entre ses lèvres. 

 

 

Une porte, des voiles et des déchets encombrent notre seuil. Obstruent toute ouverture. Toute percée du ciel. Empêchant l’entrée des silhouettes toujours gorgées d’absence.

 

 

L’esprit s’enveloppe et s’enroule dans un moule trop confortable. Socle d’incarcération sur lequel poussent ses barreaux avec la clé de la geôle fondue dans l’acier.

 

 

La pluie se glissa entre ses yeux sages. Inutile, pensa-t-il alors, d’implorer le ciel pour sécher ses larmes.

 

 

L’origine des jours n’attend aucun siècle pour éclore.

 

 

Un monde d’après le jour où la grâce s’émerveille de chaque pas. Et se renouvelle à chaque foulée.

 

 

Un sombre éclat persistait dans ses yeux qu’il fit disparaître d’un claquement de doigts.

 

 

Demain, l’enchevêtrement des corps nourrira notre puissance. Notre amour et notre gloire.

 

 

Des traits et des traces sans visages à ses yeux rieurs. Et ses épreuves d’acrobate glissèrent à ses pieds. Sous la corde qui le ligotait.

 

 

Il aurait aimé retrouver le temps qui enserre. Se détourner de son absence. Mais l’infini ligotait son regard. Il crut qu’il allait mourir étouffé d’absolu.

 

 

L’ombre du temps recouvre nos pas. Et nos silhouettes sont grignotées par le sillon des heures, talons embourbés et visages noirs d’effroi. 

 

 

Insoucieux universels, nous arpentons les heures. Nous occupons le siècle, à la mode de notre temps.

 

 

Une pluie d’un autre siècle s’abattit sur ses joues. Et en regardant ses paumes démunies, il pleura.

 

 

Sans ustensile pour recueillir, nul amassement. Mais une richesse sans cesse renouvelée.

 

 

Au pied de l’aurore, l’horizon. Et la lune, au loin, brille encore. Et dans le ciel, quelques étoiles s’effacent.

 

 

Au cours de la longue marche, je n’ai cessé d’appeler l’horizon à mes pas. Et l’espace a fini par se réduire à mes semelles. Et la perspective au bout de mes souliers.

 

 

Son chemin prit une étrange tournure. Ses semelles s’allongèrent. Devinrent infinies. Et en dépit de leur démesure, nulle trace sur le sol. Sa traversée devint invisible.

 

 

Dans mon dédale où se côtoyait toute la grossièreté du monde, j’ai blâmé les monstres du labyrinthe, tirant parfois mon glaive. Ou cherchant parfois un fil pour m’évader. Ou (à défaut) une corde pour les soumettre et les apprivoiser. Tant de combats passés à proximité de la lueur.

 

 

Entre les fissures point le jour.

 

 

A la haute saison, les pierres se dérobent. Les parois s’affaissent. Et le soleil brûle tous les horizons.

 

 

La chair indigente cherche des mains pour la réconforter. Des traits pour la souligner. Des bras pour la porter. Des lèvres pour lui chanter sa gloire. Quelques âmes pour abriter sa solitude. Et la délivrer d’elle-même. L’éloignant ainsi des ressources qu’elle recèle.

 

 

Un puits d’espoir sous un ciel passager. Mensonger. Par quel souterrain céleste comptes-tu rejoindre l’azur ?

 

 

Il habitait (déjà) l’azur que ses pas écrasaient. Savait-il seulement que le ciel se déformait à chaque foulée pour épouser sa silhouette ?

 

 

Le ciel demeurait à ses jointures et à ses fêlures. Et toute consistance demeurait une entrave à sa découverte.

 

 

Des visages fantômes aux yeux sombres hantés par la frilosité se claquemurent dans leur fief - leur demeure inhabitée - entouré de douves et de remparts. La face nue appelle la clarté du regard. Et l’audace d’ouvrir ses pas à la terre. Le ciel au front, la maisonnée s’étend. Et la fraternité grandit en tous lieux à mesure que le dehors réduit son champ et son emprise.  

 

 

Après l’ineffable course survint l’indicible (et insupportable) halte. Puis il franchit le tremplin qui le mena vers les contrées incessantes.

 

 

Une embellie sauvage déchira la toile sombre où il végétait - agonisait presque. Et le ciel s’abattit sur ses jours et ses nuits. Et s’enfonça en tous lieux. 

 

 

L’échafaud ne conduit ni au supplice ni au tombeau. Mais au ciel pourfendeur d’espoir.

 

 

Il pénétra les portes invisibles dans l’évidence d’une présence.

 

 

La déroute est en définitive le seul chemin. L’unique voie de la délivrance. 

 

 

Il songea (avec émotion) aux forçats arcboutés dans leurs souliers qui œuvraient à leur sillon. Et aux armées volages butinant à chaque carrefour. Les premiers, pensa-t-il, s’enliseront et les pas des seconds seront balayés. Et une pensée (soudain) l’effleura : tous s’égareront jusqu’aux confins du territoire.

 

 

Il interrompit son envol et retomba sur un socle incertain. Le voyage se poursuivait - ou commençait peut-être… - un terrain neuf à chaque pas renouvelé… soumis au regard métamorphosé qui s’inversait sans cesse.

 

 

Son désir de lutte incessant céda le pas au regard fraternel.

 

 

Il aimait sans restriction. Sans complaisance pour le miroir.

 

 

Passé le seuil de l’existence vide et embarrassée surgit le territoire de la vie pleine et désencombrée.    

 

 

Détaché de l’aube comme du crépuscule, des jours clairs comme des nuits étoilées. La besace vide et les souliers légers. Sans viatique sur l’épaule, il s’en fut, l’esprit libre et le cœur désencombré.

 

 

Il avançait. Avec (encore) quelques poussières d’entrave à ses pieds. Guidé par l’espace. Plus sûr que jamais de la destination.

 

 

Le monde pourrait nous couper les ailes et nous briser l’échine, le chemin renaîtrait.

 

 

Il se démit de toutes positions caricaturales. Ancra son écoute au silence. Et la nécessité devint juste. Soustraite de sa périphérie.

 

 

Les derniers mouvements de l’ombre effleurèrent la surface de sa peau. Mais le soleil  resplendissait dans la profondeur des horizons.

 

 

Au plus profond de sa chair, il découvrit l’incroyable royaume dont il était roi. Et il cherchait à présent son trône pour habiter pleinement les lieux.

 

 

La nudité du ciel, voilà ce à quoi il aspirait…

 

 

Et des siècles de lumière, voilà ce qui l’attendait…

 

 

Le vent. Une rose. Et tous les pétales, un jour, éclatent au soleil.

 

30 novembre 2017

Carnet n°39 Préliminaires et prémices

Journal / 2010 / Le passage vers l'impersonnel

Au fond du désespoir, lorsque notre cri n’appelle aucun écho et que seul dans la nuit, le visage contre la roche — dure et froide — on appelle du fond de son désert, lorsque les larmes deviennent sèches, parfois une étoile apparaît. Un mince filet de lumière sur l’horizon qui s’offre au regard, invite à se relever et à marcher vers elle, pas à pas.    

Il faut épuiser sa tristesse jusqu’à essorer ses larmes. Alors sous les paupières peut émerger un sourire… un étrange sourire qui surprend notre regard… un sourire étranger et familier qui n’est pas le nôtre…

 

 

Tout concourt à la disgrâce. Donc à la joie.

 

 

Il faut savoir être seul et garder - malgré nous - intactes la saveur et la souffrance pour conserver vivante en soi cette sensibilité si vibrante d’être vivant…

 

 

La solitude creuse en nous des dimensions inhabituelles qui se développent ou se révèlent…

 

 

La solitude comme écrin de perles inconnues

 

 

La solitude offre une sensibilité émotionnelle accrue à toutes les sphères ordinaires de l’humain…

 

 

La tristesse maintient un degré de vigilance au vivant (et à la vie) auquel la satisfaction narcissique ne permet d’accéder.

 

 

Toujours en phase de confusion où l’incertitude demeure mon plus fidèle et plus sûr appui. Et qui a perdu, en partie, son caractère si fortement anxiogène.

 

 

Libéré de l’œil qui scrute, qui jauge et paralyse, qui encombre et soumet, on s’égare et se retrouve.

 

 

Un monde sans écho où les bruits ne résonnent plus qu’en pétales soyeux et caressants. Savoureux.

 

 

La vie à travers nous, ses « elles » éparpillées, se savoure, s’auto-narcissise d’elle-même (triple redondance), s’aime, se déguste, se bouffe, se mord la queue, se découvre, s’extasie, se gonfle et se développe, s’explore et se vampirise, s’attache, se cramponne, s’agrippe, s’infiltre partout, se détache, se déverse, se répand, se plaint, se blâme, se joue d’elle-même et s’amuse. Et chaque être, et chaque objet de ce monde est à son image, se prend pour une entité séparée d’elle (la vie) et des autres et agit comme elle, selon ses principes (d’où la ressemblance du microcosme et du macrocosme). Et souffre tant qu’il n’éprouve (et non seulement comprenne intellectuellement) qu’il n’est autre que la vie-même, la vie elle-même, l’une de ses milliards d’émanations toujours en elle, relié aux autres formes qu’elle revêt… alors tout change… et rien ne change… mais tout devient amusant (progressivement), savoureux et plein de surprises…

 

 

Bref, la vie a tous les visages du monde et entreprend une foule d’actions, de gestes et de pensées. Et chacun a tous les visages de la vie… il n’y a rien donc à changer… sinon de permettre à chacun de comprendre ce qu’il est réellement… pour éviter d’éprouver une souffrance inutile…

 

 

Partout l’ombre qui grignote la chair. Et le soleil qui éclaire au lointain… debout, assis, couché, partout, la splendeur malgré les ronces qui écorchent la peau…

 

 

Guère loin, tu avances. Reconnais ton immobilisme. Pour déceler ta silhouette qui se meut dans le paysage. De loin en loin, elle te devance toujours. L’esprit à la traîne, tu t’enfonces en elle et savoure d’un œil rieur les contrées qu’elle traverse…

 

 

Si loin. Et si proche, où es-Tu, Toi, qui te caches partout, en soi et partout alentour ? Défais mon œil de son voile que je puisse te scruter avec confiance et y puiser ma force de passer dans tes paysages…

 

 

Couché sous le porche, Tu m’observes. Posé sur l’herbe, Tu me regardes. Entre les nuages, Tu te reposes de mes nuits. Tu œuvres à ton labeur comme une reine. De ton trône éternel, Tu façonnes tes sujets. Tu creuses tes canaux pour que l’on te rejoigne au plus proche… et savoure ensemble tes allées. Qu’on te suive partout dans tes venues. Participe à ton règne glorieux où les facéties l’emportent toujours sur les cruautés que Tu nous infliges, croit-on, comme des innocents orgueilleux…

 

 

La vie se manifeste différente, habituelle, imprévisible ou neuve à chaque instant dans chaque situation et selon l’état d’esprit (et selon le degré de vigilance, de présence et le sentiment de séparation ou de dissolution du « moi » plus ou moins fort) dans lequel nous sommes en la vivant (en l’expérimentant).

 

 

On ne peut qu’avoir confiance en cette entité qu’est la vie. Toutes les situations qu’elle crée sans cesse non pour nous satisfaire (narcissiquement) mais pour nous permettre de rester en vie, de grandir, de mûrir et même (parfois) - il est vrai - de nous satisfaire. Cette confiance tire en grande partie sa source dans la vie en nous qui se manifeste de façon non volontaire. N’est-ce pas grâce à elle que nous sommes et nous nous maintenons vivants (battements cardiaques, respiration, des milliers d’actions spontanées physiologiques et corporelles…) ?

 

 

Quelques aspects (ou dimensions) de la vie : la saveur de chaque situation (même celles qui nous paraissent narcissiquement douloureuses), le jeu auquel elle nous invite sans cesse, la non omission de toutes les dimensions ou éléments existentiels de notre espèce (l’humain pour ma modeste part), l’éprouvation entière ou pleine de l’instant et son incessant renouvellement, la confiance et la certitude évidente de la base sécure, l’intégration aussi entière et panoramique que possible à chaque séquence situationnelle en cours.

 

 

Une belle règle de P. Chödrön : être sans embarras ni rudesse avec soi comme à l’égard de toutes situations qu’il nous est donné d’expérimenter, de vivre et d’éprouver…

 

 

Pourquoi se priver des bienfaits du monde ? Il nous appartient d’en goûter toute la saveur sans attachement.

 

 

Sans saisie, tout est (et devient - ou plutôt apparaît à la perception) ouvert, neuf, frais, intriguant, savoureux et libre. 

 

 

Ne pas craindre l’ambivalence qui nous étreint.

 

 

Acquiescer à la vie sans être esclave de nos désirs. Mais comment faire la part de choses (et est-ce réellement nécessaire ?) entre les désirs de la vie et nos désirs narcissiques ? Ecouter la vie en soi (comme nécessité ressentie) et la vie alentour (la situation dans laquelle on est inséré et qui invite à un certain agir) et non dans la stricte et unique satisfaction de nos envies egocentriques… même s’il n’est en rien regrettable de répondre à l’exigence de ces dernières dans la mesure où les préjudices engendrés sur autrui sont nuls ou peu nuisibles… et où la vie se manifeste aussi à travers nos désirs plus strictement personnels… en fait, peut-être simplement être à l’écoute de l’exigence de la vie… autrement dit, être suffisamment confiant et attentif (une attention flottante et sans effort) aux exigences de la vie ressentie à la fois comme intérieure et extérieure. Et gageons que nous n’oublions pas que nous sommes à la fois la vie pleine, entière, totale et l’un de ses infimes et singuliers canaux. Et que nous avons le droit (car nous sommes comme ou à l’image de la vie) de tout incarner, d’être aventureux et prudents (voire frileux), extrêmement caressants avec nous-mêmes et avec les autres (qui sont aussi, bien sûr, la vie) et extrêmement mordants. Simple et compliqué. Bref de laisser advenir (et d’être) toutes ses paires apparemment antagonistes sans en être d’une quelconque façon embarrassé.

 

 

A ce propos, l’alimentation semble être une dimension éclairante de l’existence (humaine en particulier). La vie exige que nous nous alimentions. Mais nul besoin de sombrer d’un côté dans des habitudes d’extrême austérité contraint d’assimiler quelques nutriment insipides pour se maintenir en vie et de l’autre côté se bâfrer à chaque repas mais l’on peut apprécier la saveur des aliments disposés sur notre table, et s’octroyer quelques plaisirs gustatifs sans tomber dans un pur contentement des sens mais également satisfaire le besoin élémentaire de la vie qui enjoint les êtres à se nourrir pour se maintenir vivant.

 

 

Tu tentes de faire corps avec la vie. A quand les épousailles charnelles ?

 

 

Il est des arts tels que la danse, la musique, la peinture, la sculpture qui permettent de laisser jaillir la vie avec spontanéité (après acquisition ou non des techniques et d’un éventuel savoir-faire) et bien des artistes y consacrent une part substantielle dans leurs recherches ou démarche, mais comment atteindre cette dimension spontanée avec l’écriture? Comment l’écriture, qui utilise comme matière première le langage dont l’origine est par définition ou ontologiquement liée au concept, à la conceptualisation, à la représentation du réel et du monde, peut-elle jaillir spontanément (puisque une représentation est tout sauf spontanée) ? Le jaillissement de l’inconscient me direz-vous ? Evidemment, mais il faut avoir suffisamment apprivoisé le langage, s’être familiarisé avec lui, pour que la vie jaillisse dans le surgissement des mots et des concepts jetés sur la page (ou sur l’écran), non ? Voilà les linéaments d’une vague idée qui mériterait, bien sûr, quelques approfondissements…

 

 

Il semble évident que la poésie est la forme la plus appropriée pour que naisse ce jaillissement spontané des mots.

 

 

Il me semble également que le grand art d’être et le grand art du « regard intérieur poétique » qui permet d’appréhender toutes choses, tous êtres, toutes situations, bref le réel et le monde dans leurs formes les plus variées (et les plus apparemment contradictoires) et de s’y insérer avec la plus grande justesse (de façon totalement appropriée sans pour autant avoir en tête une quelconque dimension normative - bref un idéal) est l’aboutissement de tous les arts. Ainsi la danse qui permet le mouvement et le déplacement spontané dans l’espace (le geste et le pas) verrait sa forme la plus accomplie et parachevée dans l’agir libre et juste de l’être en action. La musique permettrait dans son plus haut accomplissement de savoir entendre ou écouter tous les bruits du réel comme une harmonie, comme une musique. La peinture de lire en toutes formes du réel une merveilleuse composition ou un tableau inspirant. Et qu’en est-il de l’écriture ? Faudrait-il seulement écouter le verbe et la parole comme des sons… ? Et que faire du sens et de la signification des mots ? Faut-il leur accorder une réelle importance ? Tâchons d’aller un peu plus en avant. La vie s’est manifestée par l’apparition, le jaillissement des formes et leur évolution (dans un temps linéaire). Elle a aussi créé le langage comme représentation d’elle-même. Les mots appartiennent donc aussi au règne du vivant.  Il n’y a donc aucune objection à penser que la parole puisse jaillir spontanément, de façon juste et libre comme manifestation de la vie. De surcroît, peut-être faudrait-il établir un lien entre l’émission de la parole et son écoute… entre les mots – la musique des mots – la parole énoncée et l’écoute de cette parole. Le lien entre écriture et musique sans oublier la présence du silence qui leur permet d’advenir. Le silence comme support. Le silence comme espace qui permet l’émergence et l’évolution des sons comme l’espace est le support de l’apparition et l’évolution des formes réelles, le silence pourrait être appréhendé comme le support, évidemment, de l’émergence des sons et des mots. A développer. 

 

 

Peut-être faudrait-il, à l’heure du grand départ – qui n’est sans doute qu’un énième petit – partir désencombré de tous nos attachements, de tous nos liens entravants… mais rien n’est moins sûr… 

 

 

Nous avons toute la vie pour défaire nos constructions singulières et nous détacher de nos liens particuliers pour arriver vierge à l’heure de la mort… sans doute encore une règle illusoire pour parvenir à un idéal (tout aussi illusoire)… laissons advenir les attaches et les détachements, les constructions et les démolitions… tout n’est jamais que provisoire et momentané… et tout n’est qu’éternel retour aux cendres… poussières dans l’espace qui prennent forme, s’agglomèrent et se désintègrent pour poursuivre leur trajectoire mystérieuse…

 

 

En réalité, il n’est sans doute en ce monde rien d’autre que la vie qui s’offre à elle-même à travers les milliards de rencontres incessantes et simultanées de ses propres manifestations (manifestations que toutes forme créées en ce monde, objets, êtres, assemblements de formes non perçues par l’homme, non représentées par la pensée et non définies par le langage… cf les lienitudes…), rencontres créant les situations (dans lesquelles chaque forme ou manifestation est insérée), les évènements, les itinéraires singuliers des dites formes particulières et l’évolution générale de l’ensemble des formes (ce que l’on appelle l’évolution de la vie).

 

 

Ne pas oublier que chaque forme ou manifestation représente et est dans sa nature profonde à la fois la vie dans son entiereté (avec toutes les caractéristiques de celle-ci) et l’un de ses innombrables et infimes canaux singuliers…  Autrement dit le microcosme - que constitue chaque forme de la vie - contient le macrocosme et en est l’une des parties… et alors… ?

 

 

Il existe un langage invisible comme une musique invisible. Comme il existe d’ailleurs des liens souterrains, des vibrations non perceptibles (par l’homme ordinaire), des mouvements intangibles et des forces mystérieuses. Et que chacun ressent pourtant subrepticement… et qui nous enjoignent à agir, à nous déplacer ici ou là à notre insu… et que nous exécutons malgré nous… voilà entre autres la raison pour laquelle il est idiot et vain d’attribuer à la volonté et à la raison une place et une fonction qu’elles ne sauraient (et ne peuvent) assurer… en réalité, il y a fort à parier que nous ne contrôlons rien ou à peu près rien… et que la force vitale, l’élan de vie qui nous anime est, contrairement aux apparences, le plus sûr et talentueux conducteur de nos existences et bien au-delà de nous-mêmes de l’évolution de toutes les manifestations de la vie et des rencontres qui s’opèrent entre elles…

 

 

A chacun de découvrir sa propre essence… dans tous les sens du terme. Autrement dit, de découvrir son propre carburant afin de suivre son propre chemin (son chemin singulier) qui conduit à sa véritable nature… la nature universelle de l’être : présence qui se manifeste en intelligence (lucidité et sagesse) et en amour (compassion et altruisme)…

 

 

L’inexistence sociale et la solitude ne prouvent rien. Mais vécues dans la joie (ou globalement dans la joie), elles sont le signe d’une certaine réalisation. En particulier de la découverte d’un lien invisible avec la vie (et éventuellement) celle d’un socle sécure inébranlable.

 

 

Parfois (est-ce lié à un certain degré de réalisation ou disons plus modestement de mûrissement ?), tout fait écho : les situations perçues habituellement comme les plus anodines, les gestes les plus simples, les émissions et les films les plus idiots, les êtres perçus habituellement comme les plus fades… par une sorte d’attention aigüe, toute chose devient lisible ou perceptible à des niveaux ou degrés différents, niveaux d’ordinaire non perceptibles ou qui nous échappent…  

 

 

Tout nous permet d’avancer et de faire avancer la vie… avoir des enfants, ne pas en avoir, être mère au foyer, travailler, être au chômage… tout s’équilibre à l’échelle du collectif… et le système collectif fournit aussi le cadre aux impulsions et aux itinéraires individuels. Faire ceci ou cela, son contraire, l’opposé, l’inverse ou tout autre chose… ne rien faire… tout est parfait comme cela advient…

 

 

Pour le Soi, les autres comme manifestations de la vie toujours. Les autres comme éléments des séquences situationnelles, toujours. Pour le soi, les autres comme rencontres, échanges, partages, saveur, oui, comme agrément, parfois, comme béquille à nos insuffisances, si possible, jamais (excepté lorsqu’on ne peut faire autrement*).

 * dans ce cas, je suis persuadé que la vie en nous nous l’autoriserait… 

 

 

Est arrivé le temps où il te faut établir une relation stable avec la vie. N’est-elle pas ta plus merveilleuse compagne ?

 

 

Emission radiophonique sur Ibn Arabi, soufi, qui évoque la bien-aimée. Quant à toi, tu te poses une question : à quand les épousailles, l’alliance stable et pérenne (éternelle) avec la vie ?

 

 

En cette période, émergence de 2 entités. L’une que l’on pourrait appeler le « Soi » ou « la Vie en soi » qui se manifeste à la fois à l’intérieur (se sentir vivant) et à l’extérieur (chaque situation que nous vivons) et qui estompe progressivement la frontière entre l’extérieur et l’intérieur (mais tout ça reste encore un peu flou pour moi)… la « Vie en soi » disais-je - qui est en train de s’incarner - qui rassure, encourage, réconforte, se montre ouverte, unifiante et à l’aise dans l’incertitude et qui s’insère avec justesse dans chaque séquence situationnelle et le « moi » toujours enclin au jugement, à la réprobation, à la séparation et à la peur mais qui, par son lien et ses réguliers rapports au « Soi » apprend peu à peu à savourer, à être et à rire même dans les situations inconfortables où il se trouve englué. 2 entités bien présentes qui se côtoient, se mêlent, se disjoignent, l’une prenant tantôt le pas sur l’autre. Mais toutes deux sont, je crois, bien présentes.

 

 

La confiance en la vie, notre plus fidèle et plus présente compagne – notre magnifique alliée, est un élément incontournable de la base sécure. Elle en découle et s’approfondit par le sentiment (influence du katsugen undo) qu’elle est toujours là à nous maintenir vivant (et que grâce à elle, nous sommes nés et en vie), qu’elle nous aide magnifiquement dans maintes et maintes situations (fonctionnement corporel, guérison de diverses pathologies, l’énergie qu’elle nous fournit pour vivre et agir dans maintes situations de vie… sans qu’intervienne nullement notre volonté ou intentionnalité propres… qu’elle nous a permis d’arriver jusqu’ici (là où on est et en est).

 

 

Rencontrer partout le visage de la vie en soi (écoute du souffle, conscience des émotions, des sentiments et des pensées qui nous traversent) et alentour (perceptions du monde extérieur) et relier les deux sans effort pour rendre poreuse la frontière et qu’elle s’estompe. Voire disparaisse. Alors nous nous insérons en toutes situations (intérieure et extérieure) et nous nous dissolvons. Nous disparaissons personnellement en tant qu’entité nominative séparée le temps de cet effacement de frontières.

 

 

Pour s’unir à la vie, la rechercher autant que possible à chaque instant. Etre attentif  (sans effort) pour retrouver sa présence partout et s’adonner à la dissolution du « moi » et à l’effacement des frontières entre l’intérieur et l’extérieur.  

 

 

Instruire l’être (la vie) et le partager avec l’être (la vie). Autrement dit le partager avec les diverses émanations ou manifestations que sont les êtres en étant présent et présence

 

 

Modeste et libre chercheur. Comme l’attestent ces pages. Voilà ta destinée !

 

 

La vie partout alentour. Et en soi partout. En sa présence, tu disparais. Et tu t’effaces pour lui laisser place. Comme une union. Une alliance à la fois unificatrice et dissolvante où tu t’abandonnes et te laisses pénétrer par elle pour devenir davantage toi-même, ce que tu es… c'est-à-dire elle, la vie-même…

 

 

Ecrire comme pour fixer ton cheminement. Témoigner de ton expérience. Tu figes la vie qui aussitôt disparaît.

 

 

L’intentionnalité versus la non intentionnalité est peut-être un faux débat. Maintes dimensions de l’existence des êtres (humains entre autres) relèvent en réalité la puissance merveilleusement intelligente et compatissante de la vie. Et apparaissent donc autrement à celui qui en a conscience. Ainsi se gratter, se caresser, se débrouiller par ses « propres » moyens dans une situation délicate, dangereuse ou peu habituelle, quelle que soit notre activité, la vie toujours est là, présente qui nous accompagne et nous aide… nous rassure ou nous réconforte... se parler à haute voix… etc etc etc. Ainsi la vie intervient ou peut intervenir en nous (ou même dans une situation apparemment extérieure) soit de façon très instinctive et spontanée sans que l’on ne l’ait sciemment invitée à se manifester, soit qu’on fasse appel à nos propres ressources ou même d’ailleurs à celles d’autrui… je crains même que ce dernier cas de figure représente la quasi-totalité des relations entre les êtres qui inconsciemment ont recours à d’autres qu’eux-mêmes pour « résoudre » certaines de leurs difficultés, apaiser certaines de leurs souffrances ou répondre à leurs désirs et besoins… quant à faire appel à ses ressources propres, il me semble que ce n’est rien d’autre que la vie qui tente de répondre à notre appel. Lorsque qu’ainsi nous nous grattons le dos, nous nous enduisons le corps avec de la crème… ainsi tous les gestes du quotidien ordinaire prennent une autre dimension et une autre saveur. Et la solitude-même évidemment n’en est plus une si on sait être présent et attentif à la présence permanente de la vie en nous et alentour…

 

 

Lorsque la vie oublie l’ego, nous voilà ouverts et attentifs à toutes les situations. Lorsque l’ego oublie la vie et nous voilà aussitôt renfermés, fermés et apeurés en toutes situations.

 

 

Saveur, attention sans effort, présence ; sentiment non de dissolution mais d’effacement et d’insertion à la fois plénière dans l’entièreté de la situation dans laquelle on est inséré (perception floue et distante) et d’immersion en chaque forme des éléments qui se manifestent dans la situation.

 

 

Comment accorder sa confiance à la vie (suite). Les égarements de la pensée permettent d’éprouver les limites de l’intelligence discursive. Les multiples lectures interprétatives d’une situation du réel dont maintes peuvent sembler à la raison totalement antagonistes, partielles, tendancieuses et largement contradictoires (au point de penser d’une même situation tout et son contraire alors que le fait, la dimension factuelle est incontestable et (par définition) objective incite à abandonner notre rationalité personnelle au profit de l’intelligence fondamentale (et non réflexive) de la vie. A cette force, qui saura, mieux que nous, apporter une réponse, résoudre, débloquer ou faire évoluer une situation problématique… personnellement problématique…

 

 

Etre attentif à la vie, c’est donc nous aider mais c’est également faire preuve de gratitude à son égard. Si la vie est partout, elle est aussi dans les actes qui nous semblent personnellement les plus ingrats, dans les situations qui nous paraissent personnellement douloureuses et inconfortables etc etc etc mais si on a confiance en la vie, nous sommes moins rétifs à les accepter ou à leur « faire face » et beaucoup plus enclins, sans compter ses encouragements, son soutien et ses appuis, à vivre ces évènements (les évènements porteurs d’ennui ou de souffrance dans la mesure où nous savons qu’ils nous feront « grandir » et mûrir… autrement dit qu’ils nous rapprocheront de notre véritable identité, de notre véritable nature pour devenir la vie elle-même et l’un des multiples canaux singuliers à travers lesquels elle se manifeste…

 

 

Il existe de toute évidence un lien (ou disons à la fois une analogie et une orientation originelle ou première erronée) entre ton double et tyrannique besoin de partager tes avancées, tes pensées, tes intuitions avec l’être aimé et de tout savoir et connaître de lui (l’orientation fallacieuse) et d’être sans cesse nourri par lui et ton irrépressible nécessité de comprendre la vie (ta quête), d’être nourri par elle et de témoigner (par l’écriture) de tes avancées. Il a bien sûr eu là erreur d’orientation. Et tu as substitué l’être aimé à la vie. Pages qui sont destinées, à la vie en toi à travers ta propre personne et à toutes les autres manifestations de la vie que ce témoignage pourrait intéresser, autrement dit aux autres êtres.

 

 

Tu ne peux nier ton fort attrait pour la maïeutique et l’heuristique. Et il te plairait, de toute évidence, d’user de ces 2 méthodes pour assumer ce que tu considères comme l’une de tes missions (ou plus modestement fonctions) terrestres en tant qu’être humain* : permettre à d’autres êtres (humains en particulier parce qu’il t’est et leur est plus aisé de s’y pencher et d’y parvenir) de trouver leur propre chemin pour faire advenir « l’éprouvation » de leur véritable dimension humaine. Il semblerait que la vie utilise naturellement et de façon substantielle ces 2 concepts, en particulier l’heuristique, négligeant ou plus exactement laissant peut-être davantage à l’initiative des individus le soin de s’accoucher d’eux-mêmes. Et tu te poses la question de savoir s’il serait possible de trouver une activité existentielle (à titre personnel) qui permettrait de « pallier » (quelle ambition !) cette carence ou ce que tu considères encore comme telle dans ta grande incompréhension afin d’accélérer ou de renforcer cette dimension maïeuticienne chez les êtres en chemin.

* la première et plus essentielle étant l’actualisation de ses propres potentialités : faire advenir pleinement en moi ma véritable dimension humaine (comprendre notre identité et notre nature véritable, celle des êtres vivants) sans négliger évidemment toutes les autres dimensions

 

                                         

Tu sens que la vie est ta seule vraie compagne. Et tu sens advenir en toi le besoin d’être partout présent à ses côtés. Attentif et présent à elle et partout où elle se trouve, partout où elle va. Tu lui accordes une infinie confiance. Tu éprouves à son égard de la gratitude (celle de pouvoir vivre et de pouvoir compter sur elle et son offre ou invitation permanente à te faire expérimenter les meilleures situations - les plus justes et appropriées pour te faire mûrir). Comme un fiancé éperdu, tu aspires à la suivre partout, d’être toujours attentif à elle… de ne jamais vous quitter, d’en être le plus fidèle compagnon, comme un époux éternel. Dans une alliance indestructible. 

 

 

Prendre soin de la vie et la considérer comme primordiale, c’est d’abord prendre soin et accorder à la vie-en-soi et à la vie alentour (la situation) et à tous les éléments et les manifestations de la vie dans cette situation bien davantage qu’à une seule d’entre-elles. D’où l’étroitesse et la bêtise de l’exclusivité et peut-être le non-sens du couple… bien que l’on ne puisse être partout à la fois et que nous n’ayons pas en tant qu’être ordinaire le don d’ubiquité. La vie ne peut être exclusive comme elle ne peut être d’ailleurs immobilité… elle n’est que diversité et mouvement…   

 

 

Tu es surpris par l’alternance (ou plutôt l’oscillation) rapide des phases où tu ressens une totale invulnérabilité (rien ne peut altérer la vie - et ta vie même - et même ce qui semble apparemment l’endommager, la meurtrir, l’anéantir ou la nier est sans effet et sans consistance) et des épisodes de crainte, de repli et d’immense fragilité… Dans les premières, tu sens que le « moi » s’est dissolu ou éparpillé ou inséré (ou les 3 à la fois) dans la situation en cours et les multiples formes qu’elle revêt et que dans les secondes, ton « moi » crie sa vulnérabilité, son impuissance, son angoisse et son sentiment de déréliction face aux puissances de vie alentour qu’il redoute comme la peste car il s’en sent séparé… il se sent écrasé, mis à l’écart... incapable de s’y insérer car il a le sentiment illusoire (et pourtant si fortement perçue) d’exister comme entité autonome… 

 

 

Il faut éprouver la dimension humaine (à travers ses multiples dimensions) pour devenir un être humain à part entière. Autrement dit devenir un Homme sans infirmité. Et Dieu sait que nous en sommes tous pourvus (d’infirmités…). 

 

 

Tu comprends parfois l’aberration de tous les dogmes, de toutes les postures, de toutes les conduites normatives à tenir en matière de vie. Bref, l’hérésie de tous systématismes. La vie est tout sauf un système. Elle est, en dépit des apparences, un non système. Ou plutôt un système si libre, si mouvant, si plein d’énergie qu’il ne peut être contenu, figé ou catégorisé. Qui ne peut donc a fortiori être mis en équation, anticipé et contrôlé… autant saisir du sable à main nue… n’en reste évidemment que quelques grains que nous prenons pour la vérité et la totalité…

 

 

La métaphore du sable et de la main nue semble intéressante (à développer). Les hommes en général et les esprits rationnels et scientifiques en particulier aiment à établir des règles et des statistiques (intuitives, approximatives par l’observation grossière des faits chez les premiers et réflexives, précises et scientifiquement valides (ou validées) chez les seconds) afin de comprendre les règles qui régissent le monde et la vie (exemple, les parents meurent avant leurs enfants est une « loi » statistiquement vérifiable pour les uns (monsieur tout le monde qui a bien conscience qu’il en est ainsi en général et il le « vérifie » autour de lui) et pour les autres (les experts qui font de savants calculs pour établir scientifiquement cette « loi »). Mais les uns et les autres en établissant cette « loi » créent une représentation de la vie - ils s’en font une idée abstraite et construisent une sorte d’idéal - qui engendre une incroyable souffrance lorsqu’elle ne se conforme pas au réel (et au leur en particulier). Mais pour quoi les uns et les autres (i.e tous les hommes et tout un chacun) veulent-ils comprendre les règles de la vie et du monde ? Parce qu’ils en ont peur… pour quoi en ont-ils peur ? Parce qu’ils ont le sentiment (et la sensation) d’en être séparés… parce qu’ils ont le sentiment d’exister en tant qu’entité autonome… pour quoi se perçoivent-ils en entité autonome ? Parce qu’ils ignorent leur vraie nature… Pourquoi ignore-t-ils leur vraie nature ? Parce qu’ils sont sans doute à l’image de la vie elle-même qui ignore peut-être ce qu’elle est… mais qui pousse (dans les deux sens du terme) ici et là… sans trop savoir pourquoi…

 

 

Malgré l’extraordinaire organisation, la merveilleuse diversité et la fabuleuse évolution de la vie (appréhendée sur un plan temporel linéaire), il n’y aurait (la vie n’aurait) donc aucun plan d’ensemble (oui, je le pense j’allais écrire, je le crains…) comme quoi, moi aussi, j’en ai peur… oui, j’ai bien peur d’en avoir encore peur…)

 

 

Aujourd’hui, le dépouillement revêt à tes yeux un autre sens. Et sans doute une autre valeur (plus tangible, plus réelle, plus incarnable). Il s’agit réellement de se dépouiller. Afin que ne subsiste rien de nous-mêmes. Que l’ego se dissolve dans chaque situation à chaque instant. Le dépouillement engendre la nudité. La nudité, la transparence. Et la transparence, l’effacement (ou la disparition). Afin que seule la vie s’exprime, éclate et brille dans son jaillissement neuf et spontané…

 

 

Quand tu as conscience (ou prends conscience) que la vie se manifeste partout - dans tout être, toute chose, toute situation, tout évènement - et que tu en es aussi, bien sûr, l’incarnation, que la vie est notre seul véritable amour - et le seul de chacun -  (puisque tout est elle et elle est tout), que tu lui accordes une totale confiance (et même une confiance aveugle au sens où tu n’hésites pas après réflexions personnelles sur les éventuels risques et gains narcissiques à t’engager dans la situation qu’elle t’offre ou place devant toi), alors tu peux aller partout sans crainte. Et pourtant, il t’arrive encore souvent d’être pétri de peur… ne l’aurais-tu pas suffisamment intégré ? Sûrement…

 

 

En définitive, tu n’auras écrit, tout au long de ton existence (de ta courte vie d’auteur), que des notes de journal. A la fois des écrits-témoins (de ta traversée de la vie), des livres existentiels et des ouvrages didactiques (pour informer les autres êtres sur la façon de vivre au plus juste les dimensions de l’être). A l’exception, évidemment de quelques livres-coup-de-gueule-cri-du-cœur soulignant l’infamie de certaines situations du monde et l’abomination de certains comportements humains.

 

 

Il ne s’agit évidemment ni d’éblouir ni de briller. Mais d’éclairer.

 

 

L’insatisfaction narcissique est une opportunité. La plupart des hommes s’évertue de s’en contenter, cherchant par tous les moyens à satisfaire leurs besoins et exigences narcissiques qui tirent leur origine dans leur sentiment d’exister en tant qu’entité autonome, comme individu distinct (du reste), bref ce que l’on a coutume d’appeler l’identité personnelle. Malgré un très rare et illusoire sentiment de complétude, ils s’y escriment leur vie durant. Et à défaut se résignent ou sombrent dans l’amertume, le nihilisme, le dégoût etc etc etc. Ceux qui perçoivent l’illusion de cette quête après avoir eux aussi, bien sûr, en partie cherché désespérément à combler cette nécessité naturelle égocentrique, sont contraints de chercher au-delà de la satisfaction narcissique. Et certains finissent par rencontrer (après parfois maints déboires, désillusions, errances et désespoirs…) ce que l’on pourrait nommer l’identité situationnelle et que l’on pourrait définir comme l’existence momentanée et insérée à la situation en cours vidée de son identité personnelle (plus ou moins – selon le degré de maturité, le degré de conscience que l’on a du phénomène et la permanence de ce sentiment au fil des situations que nous offre en permanence la vie) en tant qu’élément qui trouve sa juste place et s’inscrit dans le flux en cours selon les paramètres et les circonstances de la situation en question. D’innombrables activités semblent permettre de l’expérimenter et de l’éprouver (pour la plupart d’entre-elles de façon momentanée et non consciente pour ceux qui s’y adonnent). Ainsi la conduite automobile, la danse… en réalité, toutes les activités, je crois, qui répondent au moins aux 3 critères suivants : elles doivent s’inscrire dans le mouvement, elles nécessitent d’agir corporellement (avec le corps) et sont en interaction avec d’autres éléments (que l’on peut classer par commodité en 2 catégories distinctes : l’environnement et les autres êtres). Un autre paramètre semble aussi avoir une certaine importance : la dimension vitale de l’activité en question. Lorsqu’elle met en jeu la vie du ou des protagoniste(s), il semblerait que l’identité narcissique habituelle se dissolve ou perde une grande part de sa réalité ou du moins de sa consistance au profit de cette identité situationnelle. Ce qui ne l’empêche nullement de refaire surface une fois achevée l’activité en question. Et chez certains même, elle réapparaît encore plus fortement et plus solidement si l’activité en question est valorisée socialement ou considérée comme prestigieuse. Ainsi, par exemple, un cascadeur perd son identité personnelle pour réaliser sa cascade. Et la retrouve plus forte et plus solide une fois la cascade réussie, l’affichant même parfois avec ostentation. 

 

 

Sur la même thématique. Pour adopter la plus juste position dans une situation, il convient sans doute de trouver cette identité situationnelle, unique à chaque situation nouvelle bien sûr. La plupart des hommes s’acharnent souvent à acquérir et à peaufiner sans relâche la dimension technique nécessitée par l’activité en question pour tenter d’être au plus juste au sein des situations habituelles dans lesquelles les place l’activité en question. Mais il est évident que certains savent qu’il est nécessaire de savoir à un instant ou à un autre « se lâcher », autrement dit et de façon sous-entendue, lâcher son identité personnelle au profit de l’identité situationnelle. 

 

 

Sur la même thématique : il me semble que le sage, l’être qui a véritablement réalisé sa vraie nature, qui incarne véritablement sa vraie identité adopte naturellement cette identité situationnelle à chaque situation qu’il rencontre. Pour toutes les activités, quelles qu’elles soient, collectives ou solitaires, insignifiantes ou extraordinaires, inscrites dans le mouvement ou l’immobilité apparente.

 

 

En définitive, tu es une sorte de vague penseur intuitif qui s’escrime à noter quelques idées. Incapable véritablement de les développer, de les théoriser, de les transmettre et de les incarner. Bref, tu es un noteur de pensées intuitives… voilà sans doute pour l’instant ton vrai travail. Et ta voie. A charge pour toi d’œuvrer aussi à les développer, à les théoriser. Et surtout à les incarner. Qu’on le sache, tu y travailles…

 

 

Il n’est (en général) de foi libre et authentique. En particulier si elle est religieuse. Car presque toujours inféodée à un espoir de salut ou de libération (personnelle) et attachée à une entité extérieure. La seule foi authentique et vivante doit être une confiance… une confiance totale en la vie présente (qui est à la fois autre et nous-mêmes) en dépit des aléas et ballotements qu’elle fait subir à notre identité personnelle…

 

 

En cette période (en ces temps de liberté nouvelle), tu éprouves une sympathie toute particulière pour Krisnamurti, ce libre-vivant…  

 

 

Tant de misères autour de soi. Et tant d’incompréhension. Tant de souffrances inutiles. Et cette ignorance qui sourd à travers tous les actes, tous les comportements, toutes les paroles… partout, cette effroyable misère du vivant qui s’ignore... englué dans la lutte et les épreuves…

 

 

Ton seul travail est de faire advenir ce que tu sens sourdre en toi – qui émerge lentement – épouser les pas de la vie à chaque instant. Attentif, à l’aise, neuf et émerveillé de tout ce qui surgit, de tout ce que tu sens, ressens, vois, touches, entends, goûtes. De tout ce dont tu as conscience. Et de savourer ces mille présents à chaque instant dans les larmes ou la joie, la douleur ou le plaisir, au gré des évènements. Sentir partout en soi et alentour le vivant, le mouvement de la vie qui palpite, qui se rue, s’écartèle, se bat, fuit, s’enferme ou se recroqueville, tente de se frayer un chemin et accueillir ces oscillations sans embarras ni rudesse. Lui céder le passage et l’accompagner. Dans un jeu infini et sans cesse renouvelé. Aller toujours avec elle. Dans une union amoureuse pour incarner une fraternité vraie et totale avec ses multiples manifestations que tu croises à chaque instant… oui, voilà ton travail, petit quêteur anonyme, toi que nul statut, nulle reconnaissance, nulle qualité ne font exister aux yeux du monde. Poursuis ta quête avec confiance… dans l’anonymat. Deviens serviteur, amant fougueux de la vie, laisse-toi entraîner et entraîne-la, marchez ensemble, côte à côte, l’un avec l’autre, l’un dans l’autre. Unissez vos forces créatives pour faire danser le monde dans la joie, l’amour, l’intelligence, la gravité et la légèreté, l’innocence et l’amusement… 

 

 

En relisant quelques pages de ton précédent carnet (écrit il y a moins d’un an), tu es ébahi par le nombre de paragraphes avec lesquels tu es à présent en désaccord. Tu en perçois la dimension inaboutie… comme si tes pensées n’étaient encore parvenues à leur achèvement (satisfaisant). Il en a toujours été ainsi. Depuis que tu écris, tu notes une étonnante évolution de tes idées au fil des ouvrages… 2 remarques : d’abord, la plupart des gens semblent relativement figés dans leur conception de la vie et dans leur rapport au monde et à eux-mêmes. Et enfin, une idée n’est jamais qu’une idée, pour qu’elle existe réellement, il est nécessaire qu’elle prenne corps. Bref qu’elle s’incarne…

 

 

Me revient en mémoire cette citation dont j’ai oublié l’auteur (et qui me semblait il y a quelques temps encore pertinente) : « l’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Je perçois à présent la dimension très partielle de cette assertion. L’art – et en particulier la peinture – se révèle, je crois, dans sa plus haute dimension lorsqu’il permet à celui qui le fait jaillir (le créateur) de poser un geste (ou une série de gestes) en harmonie avec un état d’esprit proche de l’être (une sorte d’esprit méditatif ou de conscience méditative panoramique) – donc non narcissique, non réfléchi, non pensé, non volontaire – et lorsqu’il permet à ceux qui le prennent en charge dans le cadre de l’exposition de l’œuvre au public (galeristes, techniciens-manipulateurs) et à ceux qui posent leurs yeux dessus d’impulser (et non de créer) un état similaire. Alors l’art dans ce cadre prend sa plus haute dimension.

 

 

L’art (suite). Mais il serait encore évidemment bien trop normatif de hiérarchiser ainsi les dimensions de l’art. Quelle que soit l’œuvre (et son support expressif), l’art en tant qu’élément de la vie, a sa place comme tous les autres éléments. Ni plus ni moins. Quel que soit l’effet produit chez le créateur et le public. Quel que soit le succès rencontré. Quels que soient les réactions, les idées et les sentiments qu’elle suscite… tout ce qui existe appartient à la vie. Et a donc, par ce biais, sa place au sein du monde.

 

 

L’art (suite et fin). Il apparaît néanmoins - sans volonté normative excessive - que toute activité, toute parole, tout geste, tout élément qui semble contribuer plus sensiblement à permettre, induire, inciter, inviter à l’état d’esprit - précédemment évoqué - ou qui conduit ou contribue à la révélation (progressive ou abrupte) de la vérité peut être considéré comme l’une des activités les plus nobles, dignes et utiles au vivant… quand bien même la vie ne serait – selon mes modestes hypothèses intuitives – qu’un jeu sans risque ni enjeu…  toutes choses égales par ailleurs (comme le dit l’adage)…

 

 

En ces temps d’incarnation, tu passes une grande partie de tes nuits à l’étage. Dans ton petit espace d’être. Installé sur un transat devant la fenêtre, les yeux ouverts ou fermés à savourer les instants, à te laisser conduire par quelques pensées et revenir à la saveur etc etc etc.

 

 

Le couple est un anesthésique. Un ersatz d’union qui endort les âmes. Et incite à la paresse. A refuser ou figer la vie. Le mouvement. Combien de couples depuis la nuit des temps s’encarapacent l’un dans l’autre. Jusqu’à l’étouffement. Jusqu’à suffoquer d’ennui ou de rage dans ce cocon inerte. Jusqu’au déchirement. Jusqu’à l’explosion. Oui, d’abord l’immobilité. Le refus du mouvement. Mais aussi le refus de faire face, dans la solitude de son être, à la vie, les jambes flageolantes en la regardant droit dans les yeux. Le refus d’assumer son statut d’être. Le couple invite (ou offre peut-être) la douce illusion d’un appui et d’un refuge (éternel). De pouvoir s’appuyer, se reposer sur l’autre. Ou pire, chez la plupart des hommes, de croire que l’autre sera la compagne ou le compagnon idéal(e) répondant aux aspirations, aux désirs et aux besoins. Ou pire encore (non au sens moral mais au sens où cette attitude révèle une perception encore plus éloignée de la vérité de notre identité – il n’y a là aucun jugement de valeur) on utilise l’autre à des fins personnelles. Mais pour apprendre à regarder la vie, à la comprendre (et surtout à l’éprouver), il faut être seul. Ainsi à force de mourir de solitude, on devient attentif à la présence de la vie.

 

 

Le manque d’amour ressenti et la solitude m’ont permis de découvrir cette dimension de l’existence. L’impossibilité de fusion avec un être peut permettre de découvrir la fusion avec la vie. Tel en tout cas a été chez moi, je crois, le déclencheur. Mais il est sans doute prématuré d’en retracer le parcours (depuis si peu de temps advenu… sans même en être certain d’ailleurs)…

 

 

Il semble évident (à l’aune du nouveau regard que tu portes sur la vie) que les êtres et les hommes en particulier sont avides, hantés ou obsédés par le sexe parce qu’ils cherchent intuitivement à pénétrer l’origine, à retrouver la source originelle de la vie et s’unir à elle. La plupart n’y parviennent que dans un coït primaire et bon nombre d’entre-eux cherchent dans cette pénétration leur propre plaisir. Mais tous incarnent sans le savoir et expriment l’aspiration de la vie qui aspire à s’aimer, à s’auto-narcissiser, à jouer, à se développer et à s’enivrer d’elle-même… bel exemple de cette frénésie du vivant incarnée par chacun… 

 

 

La solitude est le sas de l’amour. L’antichambre où l’on patiente parfois une éternité avant qu’il n’ouvre ses portes.

 

 

Les morts me visitent parfois. Des ombres et des silhouettes, déguisées en pensées, qui dansent dans ma tête.

 

 

Tes rencontres - qu’elles soient radiophoniques, livresques, télévisuelles ou de chair et de sang - proviennent d’un mince vivier d’intellectuels et d’artistes que la chose métaphysique en lien à la vie (et en particulier à leur existence) interroge, questionne, fascine, intrigue, passionne… et parmi eux, tu éprouves une tendresse toute particulière pour les sans prétention et les authentiques… ceux qui évitent l’esbroufe et posent un regard riche et modeste sur la merveilleuse et complexe simplicité du réel…

 

 

Au fond du désespoir. Au fin fond de la solitude, lorsque notre cri n’appelle aucun écho et que seul dans la nuit, le visage contre la roche - dure et froide - on appelle du fond de son désert, lorsque les larmes deviennent sèches, parfois une étoile apparaît. Un mince filet de lumière sur l’horizon qui s’offre au regard, invite à se relever et à marcher vers elle, pas à pas.  

 

 

Il faut épuiser sa tristesse jusqu’à essorer ses larmes. Alors sous les paupières peut émerger un sourire… un étrange sourire qui surprend notre regard… un sourire étranger et familier qui n’est pas le nôtre…

 

 

Pendant près de 40 ans, j’ai cherché comme un forcené la vie (la vraie vie) et La Rencontre déterminante (celle que je pressentais). Et je me suis toujours (à chaque fois) trompé de visage. Aujourd’hui, me suis-je de nouveau fourvoyé ? Il me semble que non. Plusieurs signes en attestent : la confiance absolue, la quasi-certitude, quoi d’autre ? Bien trop prématuré pour répondre…

 

 

Cette période de transformation semble obéir à 2 logiques concomitantes : un processus de normalisation et une dimension mystique… étrange évolution…

 

 

Quelques orientations se dessinent (ou semblent se dessiner) ou peut-être se confirment, s’affinent ou du moins aspirent à s’officialiser et à s’afficher avec plus d’ostentation comme si la vie te cherchait un espace, un territoire où il lui serait profitable qu’elle te place afin de contribuer à votre union de la meilleure façon (i.e aider les autres en étant toi-même) : l’éducation, la scène (le spectacle), l’écoute, la création, l’accompagnement, le geste, l’être, un peu le verbe, la parole, le mot et la réflexion, et davantage l’intuition, le jaillissement, le groupe et une certaine autonomie en son sein… laissons-la chercher… elle se manifestera en son heure par touches intuitives successives qui te traverseront…

 

 

On entend dire parfois : « je me suis fait tout seul » sous-entendant qu’on ne doit rien à personne de sa réussite. Quel aveuglement ! Il serait sans doute plus juste de dire : c’est la vie qui nous fait… malgré nos résistances et parfois notre aide… puis, au stade suivant : « c’est la vie qui nous fait… et je tente de l’y aider. Puis encore peut-être : « je suis la vie qui fait… et défait… »

 

 

Un cœur mouvementé et indécis. Un penchant pour le sombre et le tragique. Et dire qu’il cherche la joie… conditions nécessaires ou compensation ?

 

 

L’écriture ne me procure aucune satisfaction narcissique. Ni argent, ni honneur, ni gratification, ni reconnaissance. Ni même approbation. D’ailleurs, je conserve désormais mes notes dans mes tiroirs sans même les montrer aux quelques yeux que je sollicitais autrefois. Et pourtant… je n’en continue pas moins de coucher quelques phrases (ma petite prose libre) sur papier, d’écrire chaque nuit quelques idées sur mes carnets ou de corriger les textes en cours d’écriture. Et j’ignore toujours la cause de cet acharnement… la vie, certes, semble m’avoir trouvé cet emploi… mais dans quel dessein… ? Ça, mystère…

 

 

La vie se manifeste de mille façons. Ou plus exactement de diverses façons : flottement des frontières entre la vie ressentie à l’intérieur de soi (états d’esprit, émotions, sensations physiques et sensorielles…) et la vie qui se manifeste à l’extérieur dans la situation - renouvelée à chaque instant - dans laquelle nous sommes insérés… et différente à chaque instant…, mais aussi le souffle, le sentiment de chaleur intérieure (la Kundalini), une sorte de frisson ou de tressaillement (sensation qu’une onde me parcourt l’échine), l’élan vital indépendant de notre volonté propre et qui échappe à tout contrôle (se tenir debout, marcher, se gratter le dos, le fonctionnement physiologique…), la voix dans les moments où notre attention à cette présence de la vie à travers les formes précédemment énoncées et ses manifestations est amoindrie par la fatigue, le doute, un excès émotionnel, nos automatismes, l’absorption dans une activité ou une pratique… le sentiment que la vie est là partout présente dans chaque situation qui se présente à nous, dans chaque geste que nous faisons, dans chaque objet que nous saisissons, que nous touchons, que nous voyons, dont nous avons conscience, dans chaque parole entendue, dans une serpillère à essorer, une cuiller à tourner dans une tasse de thé ou de café, un bruit au loin… bref, comme si la vie se manifestait à la fois dans les situations extérieures que nous percevons à travers nos 6 sens (conscience comprise) et notre état intérieur (de vigilance, d’aisance, nos émotions, nos pensées, nos rêveries). Rien n’est donc à rejeter puisque tout ce qui se manifeste est la vie… et que notre besoin d’être sans cesse à ses côtés, ou en elle, ou avec elle, ou auprès d’elle, ou en face d’elle ne cesse, apparemment de croître… et notre capacité d’être attentif à sa présence aussi peut-être… donc jamais isolés… mais toujours ou de plus en plus avec elle, et même peut-être de plus en plus de confusion entre elle et le « je »… enfin pour l’instant, je l’ignore… et aussi, je crois, de plus en plus de saveur ressentie dans toutes choses, toutes activités, tous objets, tous êtres, tous évènements, tous lieux, toutes émotions, tous climats, tous gestes (même dans les environnements narcissiquement déplaisants ou blessants… même dans les énervements, les emportements, les colères, les tendances sociétales qui nous semblent personnellement égotiques, idiotes, cruelles, méchantes ou morbides)… tout est donc accepté et parfait tel que les situations nous les présentent puisque que c’est la vie-même et que nous sommes la vie… et que chaque manifestation, chaque forme, chaque être, chaque chose, chaque élément, chaque émotion, chaque sentiment, chaque comportement, chaque parole, chaque activité est aussi la vie - la vie-même… et il existe par ailleurs une confiance accrue en la vie car on sait - on sent - que cette situation est une manifestation de la vie qui permet au « je » de mûrir et d’expérimenter une union avec la vie, et peut-être plus tard une fusion avant d’atteindre (sans doute) une parfaite unité… Un… seulement Un… mon Dieu que tout cela a l’air confus et alambiqué… presque inextricable… inexplicable… il est d’ailleurs sans doute prématuré de tenter de décrire cette expérience… je m’y évertue tant bien que mal, porté par un élan… l’élan de la vie, non ? Mais pour qui ? Ça… je l’ignore… pour la vie, bien sûr, mais pour quelles manifestations d’elle-même ? Moi ? Les autres ? Ceux qui pourraient lire ces pages ? Pour moi seul afin que je puisse m’appuyer sur ces notes pour l’incarner (incarner la vie) dans une activité particulière…, l’incarner dans toutes les situations qu’elle me (qu’elle nous - puisque nous sommes, elle et moi, un) donnera à vivre et dans lesquelles je m’insérerais comme l’une de ses manifestations un peu plus sage… un peu plus proche de la vérité, un peu plus proche d’elle-même…

 

 

Je m’aperçois que dans les instants de doute (doutes personnels sur ce que je crois expérimenter au cours de cette étrange période), sa voix (la voix de la vie) se manifeste également… à d’autres moments,  j’ai le sentiment que lors de nos dialogues, nos deux voix s’inversent, je crois l’entendre et c’est seulement le « moi » qui parle… et d’autres fois, c’est l’inverse qui se produit… comme tout cela est étrange… dans ces instants de doute, le « moi » aimerait aussi avoir davantage de certitude sur cette expérience, sur la véracité de cette expérience… il aimerait consulter un être plus avancé pour se le voir confirmer… je sais également que cette absence de confirmation m’incite à m’abandonner davantage à la vie et à cette expérience, à élargir et à accorder mon entière confiance à la vie… je sais aussi que mille chemins existent - sans doute autant de chemins qu’il existe d’êtres dans tous les univers - pour que la vie « atteigne » ceux qu’elle sent plus ou moins mûrs pour vivre cette expérience. Cette dernière assertion est sans doute fallacieuse dans la mesure où la vie ne cesse à travers les milliards de milliards de milliards de situations qu’elle crée une extraordinairement longue succession d’occasions à chacun et à tous de progresser sur le chemin de la vérité (c’est à dire sur le chemin de notre véritable identité)… aussi peu avancés soient-ils ou semblent-ils être…

 

 

A celui qui se demande (encore) comment être utile – le plus utile – à la vie ou à celui qui aimerait savoir pourquoi tout est parfait en ce monde, il pourrait lui être répondu que l’endroit où la vie le place, le geste que la vie lui enjoint d’exécuter, la parole qu’elle lui ordonne de prononcer (ou de proférer), ses silences, ses faits, ses gestes, ses pensées, ses émotions, ses sentiments, ses actes, tout ce que nous faisons, disons, pensons, rêvons est le plus utile à la vie, à soi et aux autres malgré les apparences, les évènements produits, les conséquences ou les faits engendrés qui nous semblent parfois cruels, idiots, blessants, inéquitables ou injustes (l’injustice, d’ailleurs quel terme erroné ! L’injustice, sans doute, n’existe pas… elle ne semble être qu’à des yeux et des esprits ignorants… et il n’y aucune condescendance dans ce qualificatif… qui suis-je et que sais-je moi-même… à peu près rien… je n’irais donc pas jeter la pierre aux ignorants que nous sommes tous… et que la vie même est sans doute, ne sachant sans doute ni où elle va, ni d’ailleurs peut-être ce qu’elle veut…). Bref, ce qui est est le plus utile… même nos résistances, notre ignorance, notre négligence, notre bêtise… notre incompréhension… et bien sûr, la souffrance, les échecs, les déceptions, les désillusions, les désenchantements qui ne sont, en réalité, que des blessures narcissiques… et ces blessures narcissiques ont un rôle prépondérant pour impulser un cheminement dans la connaissance de soi (un extraordinaire moteur)… et la connaissance progressive de soi conduit chacun, je crois, à la compréhension, à la reconnaissance et à l’incarnation consciente de notre véritable identité… il n’y a donc rien à changer, ni à transformer… et ceux qui prétendent le contraire ne poursuivent sans doute que leurs propres chimères… (l’épouvantable et pourtant réelle hégémonie du normatif… le fameux ah ! ce qui doit être…) qui, si elles existent, ont aussi, bien évidemment, leur place et leur rôle, dans ce grand, merveilleux et surprenant bordel parfait qu’est la vie… aussi… aucun souci à éprouver quant à l’avenir, à l’évolution du monde, à ceci et à cela… sans compter que seul, l’esprit narcissique des êtres éprouve ces mille tourments… notons, il est vrai, que ces éprouvations  (du moins certaines d’entre-elles) lorsqu’elles sont expérimentées dans l’ignorance de notre identité véritable peuvent se montrer épouvantablement atroces… mais elles ont, sans doute, évidemment leur fonction dans le mûrissement des êtres et leur progression vers la compréhension de leur identité… 

 

 

Cette expérience paraît folle. Et il est vrai qu’il te semble parfois flirter avec la folie… en particulier lorsque ces évidences qui t’apparaissent avec clarté s’embrument et deviennent si confuses qu’il te semble les avoir rêvées… tu ne sais d’ailleurs à qui parler de cette expérience tant elle te semble indicible… et qui pourrait l’entendre et éventuellement te rassurer, voire t’aiguiller sinon un être qui l’aurait lui-même vécue (à sa façon)… et où et comment le trouver… ? La vie demeure apparemment ta plus précieuse alliée… et ta plus sûre compagne pour te conseiller et te guider vers elle. Comme vers ceux qui pourraient y contribuer… les autres qui, eux aussi, sont la vie bien sûr… tu tentes de ne pas l’oublier… encore une fois, comme l’illustrent certains de tes propos -ces pensées intuitives - malgré le processus apparent d’incarnation (en tout cas, l’expérience actuelle t’apparaît comme telle), qui semblent parfois rester pure intellectualisation…

 

 

En dépit de ces intuitions, tu éprouves encore - avec plus ou moins d’intensité et par périodes - des craintes et des doutes à l’égard de la totale incertitude concernant ton avenir : le célibat comme contexte plutôt favorable à l’union avec la vie versus le compagnonnage avec une femme… et si oui, laquelle ? Le couple semble si propice à l’immobilisme, à la paresse, à la mésentente, à la compromission… d’autant plus que tes exigences en matière de rencontre ne sont pas minces… et que la chance de rencontrer une compagne dans une quête personnelle relativement similaire (esprit d’apprenti plutôt que de disciple en matière de démarche et de processus spirituels, une touche-à-tout artistique et créative, une sensibilité à l’ensemble des êtres (y compris les animaux évidemment), une dimension « pousse-mégot » sans chichi en matière de matérialité (habitat, équipement ménager…) sans pour autant s’adonner à une négligence totale en la matière, une sensibilité communiste-individualiste auto-administrée, prête à expérimenter mais non totalement foutraque… ne se rencontre pas à chaque coin de rue… quant à ton activité existentielle, poursuivre tes activités d’accompagnement officieux et l’écriture en y ajoutant la création d’un atelier de connaissance personnelle et la préparation d’un spectacle philosophico-artistique versus autre chose… mais quoi… ? Simple doute, questionnement et remise en cause amoureux et professionnel révélateur d’une belle et commune crise de la quarantaine ? Davantage… ? Mais quoi… ? Passage de l’état ordinaire à un pré-mysticisme… ? Processus de pré-normalisation (devenir comme tout le monde)… ? Processus de pré-renarcissisation… ?

 

 

A ce propos, tu as toujours éprouvé (et aujourd’hui encore) une différence avec les autres hommes… ta démarche, ta quête et la relation que tu entretenais avec S. te semblaient et te semblent bien différentes de ce que tu as toujours observé et observes encore chez les êtres autour de toi… quels que soient les milieux et les univers…

 

 

On ne s’abandonne pas au non-contrôle sans confiance. On n’accorde pas sa confiance sans comprendre. On ne comprend pas sans se mettre à chercher. On ne se met à chercher que si l’on souffre… et la boucle est bouclée… la vie intervient à tous les niveaux. Et se place en particulier comme entité prépondérante aux deux extrémités de la chaîne : à la fin, s’abandonner à la vie consiste évidemment à accepter le non contrôle personnel et au début, la vie ne cesse de blesser notre identité narcissique… entre les deux un long et difficile parcours…

 

 

Le « je » et la vie (« soi » et la vie), voilà un étrange duo unitaire, démultiplié évidemment par autant d’êtres qu’il existe en ce monde (et ailleurs s’il en est…), mais qui dans cette dimension unitaire et encore duelle permet à ses deux composantes d’interagir d’une étrange façon que je ne parviens encore à saisir. Comme si chacune (des composantes) avait besoin de l’autre pour assurer sa propre survie et celle de l’ensemble, i.e de l’étrange duo précédemment cité… Ainsi, à titre d’exemple, la conduite automobile dans un état de fatigue avancé - qui est souvent mon cas en rentrant le matin. Dans cette situation, il s’agit de faire confiance à la vie et en même temps assurer un état de vigilance personnelle minimale pour conduire sans encombre et éviter un accident. Mon propos ici n’est évidemment pas de dire qu’un accident est un évènement à éviter (ou à éviter absolument). Au-delà des inconvénients, avaries, blessures ou meurtrissures narcissiques qu’il peut engendrer, un accident, s’il advient, a une place comme évènement (et comme situation) chez tous ceux qui s’y trouvent impliqués directement (les protagonistes) et indirectement (témoins, entourage, familles…)… un accident survient lorsque de multiples conditions sont réunies. Et si l’accident advient, son rôle est, sans doute, de transformer une ou le plus souvent des situations qui immobilisaient certains protagonistes directs et indirects et impulser quelques changements… bref, voilà en la matière une bien maigre intuition, mais je ne saurais en dire davantage…

 

 

A qui confier cette expérience ? Sinon à mes pages. Et à la vie…

 

 

En dépit de quelques avancées, tu ressens avec force le long chemin qu’il te reste à parcourir pour que cette expérience te permette d’incarner totalement et pleinement la vie… il te semble que tu es encore à des années-lumière de cette incarnation… encore pétri de doutes, de peurs et d’inconfort dans l’incertitude… sans compter ton incompréhension d’une infinité de phénomènes et de l’ensemble des stades du chemin… bref, très loin encore d’être arrivé (à destination)… comme le prouve, entre autres, cet insatiable besoin de comprendre…

 

 

Devenir un être éveillé. Voilà l’une de tes plus solides aspirations… pauvre de toi… si médiocre… un fantasme narcissique supplémentaire…

 

 

Voilà bien ma veine… et ma peine… après une brève phase d’euphorie, voilà que ma nuit entière fut secouée de terreurs, d’angoisses, de tristesse et de larmes… comme si ma perception habituelle ordinaire n’était pas en reste… comme si elle se débattait… comme si elle ne voulait pas se soumettre… la vie ressentie avait presque disparue… je ne ressentais presque plus la vie (ni sa voix ni ses (mes) frémissements)… si enfoncé (que j’étais) dans mon chagrin et mon déchirement… d’ailleurs, à l’heure où j’écris ces lignes (l’aube ne va plus tarder), j’ai le sentiment d’être redevenu un être à la perception commune, i.e séparé, isolé, étroit… et cette instabilité me glace les sangs… et si je replongeais… je crois que je ne le supporterais pas… se sentir si petit, si… mon Dieu… la crainte m’assaille…

 

 

Ressens parfois un immense besoin de tendresse… sentir des bras, la chaleur d’un corps contre le mien… terrible manque affectif… si prégnant (quasi obsessionnel)…

 

 

Hier, quatrième dessous. Aujourd’hui, troisième dessus… et demain où sera le curseur… ? Hé, y a quelqu’un dans l’ascenseur ? Ben, y a toi, pauv’ groom !

 

 

Des mots de minuit. Seule émission télévisuelle dite culturelle regardable. Des invités de l’art scénique (théâtre, performance, art numérique). Tous cherchent une certaine forme d’interaction avec le public, tentent timidement et maladroitement de l’insérer dans le spectacle. Souvent de façon superficielle, voire divertissante et futile (en le caressant le plus souvent dans le sens du poil ou en lui proposant de l’esbroufe sans risque ni implication). Quand tu songes à ton idée-projet de théâtre situationnel participatif où tu aimerais que le public, que chacune de ses composantes fasse partie intégrante des situations, éprouve, réfléchisse, s’implique corps et âme, avec le cœur, s’investisse, expérimente, imagine, rit, pleure, se voit, s’étonne de lui-même, des autres, des situations, des séquences proposées etc etc etc de telle sorte qu’il en ressorte désorienté, ébaubi, interdit, induisant et impulsant chez lui une quête de sa vraie identité, une curiosité pour ce qu’il est parce qu’il aura éprouvé et été traversé au cours de la soirée par mille choses qui l’auront intrigué, mis mal à l’aise, interrogé… sur lui-même, les autres, son rapport au monde, celui des autres, ses essentialités, la richesse de la vie, la joie du partage, sa véritable identité… ses mécanismes de défenses, ses territoires troubles et ceux des autres etc etc etc

 

 

Après une coquille entrevue dans un magazine, tu proposes un néologisme : invicible : qui ne peut se vivre car à la fois invisible et invincible, une expérience invicible, n’est-ce pas ce que tu as le sentiment d’expérimenter actuellement ? A l’image de la vie, bien sûr, force invisible et invincible, inaccessible ou en tout cas sans doute ressentie comme telle par la grande majorité des êtres qui ont le sentiment que la vraie vie peut-être leur échappe ou se résignent - malgré eux évidemment - à vivre une existence bornée et principalement circonscrite à eux-mêmes et au mieux à leurs proches avec, il est vrai, quelques involontaires ou inconscientes incursions dans la sensation fugace de vivre la vraie « la vraie vie » à travers certaines activités ou pratiques… mais qui ne leur donnent pas encore accès à une compréhension de leur identité et de l’énigmatique puissance de l’énergie du vivant…

 

 

Au cœur de cette période délicate et ambivalente (séparation, manque affectif, sorte d’actualisation spirituelle et intérieure, forme d’incarnation d’un savoir avec dans son expression paroxystique une éprouvation de fusion avec la vie et une forme de dissolution de l’identité narcissique personnelle, sorte d’éparpillement et de dilution de l’entité personnelle habituellement perçue), peu d’écriture. Des heures entières à savourer l’être avec une concomitance de profonde tristesse presque jubilatoire. Des poussées d’énergie qui transcendent de très loin la jouissance sexuelle, des ondes qui irradient chaque parcelle du corps, le sentiment de flottement identitaire avec une dissolution des frontières qui délimitent habituellement l’espace intérieur et l’espace extérieur. Des crises de pleurs ponctuées de rires bruyants et presque incongrus. D’étranges dialogues intérieurs ou à haute voix à 2 ou plusieurs voix, de curieux têtes-à-têtes avec la Vie, comme entité à la fois partenaire et entité du soi dont on serait une manifestation (ou plus exactement le sentiment que l’on a rencontré la Vie universelle qui vous est singulière, spécialement attachée pour vous servir à mieux La servir, à être plus présent à elle afin qu’elle œuvre à travers nous - modestes canaux - à sa puissance maximale. Le sentiment que la vie qui se manifeste partout alentour et partout en soi, dans chaque situation, dans chaque geste, dans chaque pensée, dans chaque émotion et sentiment, dans chaque rencontre, dans chaque évènement. Qu’elle est là présente à chaque instant et qu’il suffit d’être suffisamment vide de soi-même (de sa volonté purement narcissique) pour devenir sensible à sa présence et à ses multiples manifestations à chaque instant. La confiance quasi absolue qu’on lui porte et les doutes à son égard et à l’égard de cet ensemble d’étranges expérimentations parfois qui s’immiscent, la crainte de la folie… le sentiment d’atteindre (de se laisser traverser par) une certaine forme de vérité… tant d’ambivalence, de confusion, de clairvoyance, de sentiments mêlés qui se chevauchent…    

 

 

L’écriture n’advient que pour tenter de fixer a posteriori cette expérience. Au cœur de l’éprouvation, nul besoin de mots. Juste être. Etre s’auto-suffit. D’ailleurs les mots ne sauraient restituer cette expérience… et quand bien même seraient-ils en mesure de la retranscrire avec fidélité, j’en suis incapable tant ma confusion est grande. Sans compter un manque de recul évident.

 

 

Le sentiment de s’abandonner à une force au-delà de soi… avec une confiance quasi aveugle en la direction où elle vous pousse… malgré une totale incertitude. Et de façon simultanée, le sentiment d’un effacement de son identité narcissique… juste le mouvement de la Vie et les situations – les unes après les autres… juste cette présence au réel qui devient si forte… qu’elle devient tous les éléments de la situation sans acteur, sans sujet, sans sentiment personnel ni objet… que le mouvement-même de la vie. Présence non personnelle bien sûr. De l’attention sans effort, sans concentration, sans volonté… juste une présence qui se confond avec le mouvement et les situations…  

 

 

L’art difficile d’apprendre. Et d’incarner un au-delà de soi

 

 

La relecture des pages de tes carnets nocturnes s’avère parfois encourageante. Non qu’elles te semblent dignes d’intérêt. Mais elles encouragent la poursuite de tes recherches…

 

 

Après relecture de quelques passages, tu notes avec surprise que certains questionnements semblent avoir trouvé quelques réponses (transitoires sûrement). Ainsi, tu sembles avoir fait quelques pas sur certaines thématiques telles que les échanges entres les entités intérieures et extérieures, la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, la justesse de l’agir, la solitude et le lien, la survenance des évènements. Comme si ton cheminement se réalisait par paliers. De pensées intuitives en pensées intuitives. D’expériences en éprouvations, ta compréhension, progresse…

 

 

Le joug de l’Homme ne révèle son mystère que dans ses tréfonds… en retirant voile après voile, on progresse.

 

 

De guerre lasse, il faut s’obstiner. Et d’obstination en obstination, creuser l’instant où pourra naître l’abandon… seule véritable libération à soi-même pour qu’advienne cette douce puissance au-delà de nous-mêmes

 

 

Notes sur l’égoïsme et quelques autres caractéristiques humaines (et plus généralement des êtres vivants : goût pour le divertissement, le jeu, le besoin d’expansion et de découverte. Les hommes sont à l’image de la vie (d’aucuns diraient à l’image de Dieu). Nul égoïsme en la matière. Les hommes qui ne sont que la vie-même (l’une de ses multiples manifestations) agissent et se comportent comme la vie, celle qu’ils incarnent et celle qui les a enfantés en devinant cette dimension sans doute que très vaguement (très intuitivement en tout cas). Comme si la vie dans sa fabuleuse intelligence avait doté chaque être de ses propres caractéristiques sans lui en donner véritablement conscience (ou alors une conscience très  intuitive à moins bien sûr que la vie n’en est, elle non plus, nullement conscience et qu’elle soit, elle-même, l’une des multiples manifestations d’une force qui lui est supérieure comme l’énergie qui peut se manifester de multiples façons) afin d’assurer sa préservation et son accroissement (propension à assurer sa propre survie, se percevoir comme une entité indépendante, le désir de jouir, l’ambivalence, le goût pour se développer, s’accroître et s’étendre à travers son besoin de puissance, le goût pour la curiosité et la découverte, la propension au dépassement, l’enchevêtrement des opposés : se libérer et s’entraver, jouir et se lasser, le grave et le frivole, les habitudes et le besoin de changement…). Il conviendrait d’y réfléchir davantage. Et de développer. Evidemment.

 

 

Beaucoup d’Hommes appréhendent la vie comme une lutte, comme un combat contre la vie-même, contre le monde et contre eux-mêmes (à leur insu le plus souvent). N’est-ce pas là non plus une caractéristique de la vie-même qui se bat et se débat et laisse ses multiples manifestations agir de la sorte afin d’assurer sa survie ?

 

 

Après une nouvelle crise de pleurs, tu ressens de nouveau pour la première fois depuis quelques semaines un fort sentiment de séparation et une incapacité à ressentir la vie. Bref, tu as le sentiment d’avoir échoué à ton examen d’union avec la vie. Recalé. Encore trop immature. Bon pour un nouveau cycle d’étude (la preuve, tu reprends tes ratiocinations scripturales…). De nouveau, tu éprouves le besoin de l’autre (vivre en couple) comme union symbolique avec la vie. Avec quelques notions clés qui semblent pour certaines s’estomper et pour d’autres reprendre leur funeste place : le sentiment d’isolement, de ne plus être habité par la vie, de ne plus la percevoir alentour (ou très insuffisamment), la rigidité des frontières entre l’extérieur et l’intérieur, ne pas être sensible à la présence de la vie alentour, le retour de la notion du temps linéaire au lieu de la perception temporelle situationnelle instant après instant, l’insipidité au lieu de la saveur, la tristesse sans la jubilation, la diminution des frissonnements, la baisse de la fréquence et de l’intensité des poussées d’énergie, l’avidité dans l’achèvement des tâches au lieu de goûter le moindre mouvement, le moindre souffle, le retour à une certaine forme de crainte et d’angoisse au lieu de la confiance. Bref, il semblerait que le cycle des transformations s’achève. Et tu attends déjà avec impatience (et en rongeant ton frein) la prochaine session. En espérant quand même (et en plus j’espère… le comble !) que ces cours intensifs d’incarnation portent leur fruits… (et en plus d’espérer, j’escompte des bénéfices, décidément, je n’ai rien compris aux leçons…)…

 

 

Tu prends conscience pour la première fois de la justesse du terme « coïncidence » : lorsque une situation (par définition transitoire) réunit et permet à deux formes (2 consciences, 2 êtres, 2 objets) de coïncider, de s’imbriquer et d’avoir l’une sur l’autre une incidence réciproque. L’incidence achevée signe, semble-t-il, la fin de la situation. Et la séparation des formes impliquées. Et il en est, au cours d’une existence, de frappantes, de décisives, de troublantes. Et d’autres évidemment plus anodines.

 

 

Toi qui pensais être un voyageur au long cours, tu prends conscience que tu es sans doute plus à ton aise dans les rencontres brèves et intenses. Il semblerait que sous cette forme, tu donnes aux autres – et en particulier à chacun – ton entière mesure. Dans les relations interindividuelles ou en comité restreint.

 

 

Tu n’es pas l’homme des foules. Ni l’homme des succès. Mais l’homme de chacun. De la vulnérabilité et des défaites ordinaires.

 

 

Dans les rencontres, seuls t’intéressent l’essentiel, l’intense et la déstabilisation. Dans un souci d’évolution. Au pire d’impulsion ou de suggestion. Guère étonnant que la foule ne t’entoure, elle, toujours en quête de longues distractions réconfortantes ou lénifiantes. En définitive, malgré les œillades - les incessantes invitations de la vie - et ses plus ou moins pressantes admonestations à la laisser s’infiltrer en chaque situation - peu d’êtres sont enclins ou aspirent à se transformer de façon volontaire… à se laisser secouer par l’intense essentialité. En toute honnêteté, lorsque les pressions de la vie se font trop insistantes en particulier dans les périodes de fragilité (nombreuses chez toi), comme les autres, tu cherches le réconfort… néanmoins, tu sais – tu sens – que toute situation offerte – aussi irritante, perturbante, déstabilisante ou blessante soit-elle advient pour ton cheminement… ta progression, ton mûrissement afin de savourer davantage, de jouer davantage, d’entrer plus pleinement dans le mouvement de la vie (de la séquence situationnelle présente), d’éroder tes résistances, tes peurs et tes attentes narcissiques et de diluer ta conscience égotique dans les différents éléments de la situation en cours… 

 

 

Il semblerait que l’éprouvation de la vie vivante en soi (ressenti du souffle, frémissements, montée d’énergie) appartienne davantage à l’être à l’état contemplatif, autrement dit lorsque la situation « extérieure » n’exige aucune action particulière sinon de la percevoir sans agir… et l’insertion dans le mouvement de la séquence situationnelle (dissolution de l’identité individuelle) davantage à l’être actif, à l’être agissant (même si cette dichotomie n’apparaît pas spécialement judicieuse car évidemment par définition elle sépare) bien que l’on puisse aussi avoir conscience du vivant en soi dans l’agir…

 

 

La relation à la vie serait-elle notre vie secrète, notre lien invisible avec l’Absolu qu’il conviendrait de vivre sans témoin, dans la solitude la plus grande et le plus discrètement possible… ? Et la relation au monde (aux manifestations de la vie) à travers les situations qui s’offrent à nous, notre lien au relatif ? La première sphère (nos têtes à têtes avec la vie ou avec nous-mêmes) nous permettrait de développer une compréhension plus fine et plus exacte de notre identité véritable et nous permettrait dans la seconde sphère d’être davantage spontané et authentique (de réduire substantiellement notre dimension narcissique, notre identité fixe et la linéarité du temps) pour toucher en l’autre sa dimension absolue (dont il a ou non conscience) ?

 

 

Comme si les choses perdaient leur consistance. Et leur importance. Comme si rien n’était véritablement grave et important. Comme si les objets, les actes et les paroles perdaient (un peu) de leur pesanteur, de leur dimension matérielle… comme si une sorte de désolidification générale (êtres, objets, formes, idées, sentiments, émotions, évènements…) advenait…

 

 

Ces derniers temps, moins d’écriture. Beaucoup moins. Quelques poèmes. Une moins prégnante nécessité de noter mes pensées et intuitions (moins nombreuses d’ailleurs). Un sentiment quasi urgent d’œuvrer à l’élaboration de ma juste « place » dans la collectivité humaine (quelques projets d’activités à la lisière de l’art, de la thérapie et de la spiritualité mêlant mon besoin d’espace de solitude et mes capacités, ma quête et mes « exigences ». Et un effarant besoin d’exercices corporels (un étrange mélange de yoga, de tai-chi et de bô réalisé de l’intérieur (par un ressenti et l’enchaînement libre et naturel de positions et de postures confortables réalisées dans un « esprit katsugen ») et beaucoup de place accordée à un espace d’être (vague méditation assis ou couché mâtinée de détente et de relaxation corporelle).

 

 

Dans mes espaces nocturnes comme dans mon aire diurne, la dimension réflexive, la programmation d’activités et l’anticipation de l’avenir laisse progressivement place à davantage d’improvisation et au ressenti de l’instant. Comme si le temps linéaire avait moins d’importance… et laissait place à une confiance plus grande à l’égard de la vie en soi (en moi), mieux à même que ma volonté personnelle, mes exigences et obsessions narcissiques d’orienter mes journées et ma vie, de me situer plus justement dans le monde.

 

 

Quelques aspirations actuelles : la création d’un concept (et d’un « spectacle) de théâtre situationnel participatif, la création d’ateliers de connaissance de soi

 

 

Je m’aperçois sans surprise qu’il me plairait de toute évidence de m’inscrire et de m’engager dans des activités peu lucratives, ouvertes à tous et destinées plus particulièrement aux êtres en recherche (en quête), à la lisière de maintes disciplines (art, thérapie et spiritualité) qui ne fassent appel à aucune connaissance particulière (hormis mes vagues et maigres prédispositions naturelles et aux éventuels « fruits » de ma propre quête), qui refusent d’une façon évidente les rapports asymétriques entre un professionnel et un client, patient ou spectateur mais qui s’inscrivent à l’inverse dans une relation d’égalité et d’intégration où chacun puisse s’imbriquer à la position de l’autre naturellement. A ce titre, l’esprit du katsugen me semble particulièrement parlant : sans but, sans technique, sans connaissance. Activités, en outre, qui soient étroitement liées à la vie (la mienne et celle des gens), à l’essentialité, dans la continuité de ma propre quête évolutive…

 

 

Ni règles ni questions en ce lieu. En cet état. Mais une présence à l’instant. Et le jaillissement spontané et intuitif du mot, du geste et du pas dans la situation. Sans critère de justesse ou de maladresse. Ce qui advient est la réponse appropriée. La justesse et la maladresse, les répercussions jugées positives ou négatives du mot, du geste ou du pas conviennent à l’ensemble des protagonistes directs et indirects de la situation et prennent sens pour chaque acteur impliqué dans la situation. Comme élément dans le mûrissement de chacun. Le passage de l’énergie. Et l’évolution de toutes les formes du cosmos.

 

 

Les hommes comprendront-ils un jour leur folie ?

Ou est-ce moi qui suis fou ?

Moi qui les comprends et leur pardonne (parfois)

Et tente toujours de vivre parmi eux

Dois-je les laisser à leur folie, les abandonner et m’éloigner

Pour aller seul dans mes contrées dépeuplées ?

Que m’importe en ce monde

Sinon ne blesser quiconque

Et encourager les pas de chacun vers ce qu’il porte en lui

A mon égard, à mon endroit,

Nul projet, nul désir circonscrit

Sinon laisser advenir ce qui advient

Et œuvrer avec courage et détermination

A mon face à face avec la vie.

Achever mes noces secrètes avec l’Absolu

Et répondre aux mille situations de l’univers relatif où l’Absolu m’engage.

 

 

Il y avait dans son cœur un fond – un degré puissant – de sincérité, d’authenticité et d’innocence qui surprenait parfois ses interlocuteurs et que le monde, malgré lui, tentait parfois, d’abîmer, d’entacher et de pervertir.

 

 

Opiniâtre, sensible, penseur intuitif, impatient, avide d’évolution et d’aboutissement, épris d’Absolu, exigent parfois jusqu’à l’intransigeance, refusant (le plus souvent) toute réelle compromission avec le monde relatif.

 

 

La solitude à 6, à 5, à 4… à 2 où les hommes se distraient, se consolent et s’ensommeillent. Et la solitude, seul face à la vie, si terrifiante, si riche, si dense. Si vive à nous éveiller. A éveiller en nous sa dimension essentielle… 

 

 

Ne pas retarder son face-à-face avec la vie. Jamais. Dans la mesure du possible (de son possible). Encore que… toute fuite de ce tête-à-tête porte en lui l’autorisation inconditionnelle de la vie… la vie est là, présente dans chaque situation qu’elle (nous) offre. Aussi dramatique ou merveilleuse qu’elle nous apparait.

 

 

Tu vivras tes plus décisives rencontres dans la solitude. Sans partenaire ni témoin.

 

 

Toutes les situations et tous les comportements qu’elle induit (y compris les nôtres évidemment) doivent être acceptés car « autorisés » voire provoqués par la Vie-même. Agir, ne pas réagir, comprendre, ne pas comprendre, etc etc etc… tout est bon comme il advient. Ce qui ne signifie aucunement qu’il n’y ait d’évolution à opérer en matière d’Absolu ou dans la dimension absolue de l’existence, en particulier dans notre compréhension (relative) de notre véritable identité (la dimension absolue de notre identité) et l’aiguisement naturel de notre sensibilité (amour bienveillant qui n’implique nullement parfois d’agir avec rugosité et apparente rudesse lorsque la situation « l’exige»).

 

 

Note sur la dichotomie dimension absolue et dimension relative de la vie (humaine) : toute réductrice et simplificatrice qu’elle semble puisqu’elle évince évidemment leur étroit emmêlement, notre relation avec l’Absolu semble se vivre de façon solitaire (et sans témoin), nous faire acquérir une confiance totale (mais non idiote et dépourvue d’intelligence) en la Vie, nous permettre d’aiguiser notre compréhension et notre sensibilité afin de pouvoir accueillir toutes les situations de la vie relative (et conventionnelle), de s’y inscrire et s’y engager avec fluidité et justesse, de les savourer (en dépit des inévitables blessures et souffrances narcissiques qu’elles peuvent engendrer), de créer ce qui a besoin de l’être, de répondre aux exigences de chaque situation et d’aimer (aider et subvenir de façon intelligente et appropriée – et au besoin de façon rude et tranchante – toutes formes existantes, matières inerte et êtres vivants.

 

 

5 « agir » essentiels induits par « l’être» et la relation à la dimension absolue de l’Homme, à l’instar de la Vie-même : savourer (goûter), jouer (au sens évidemment de non occupationnel, jouer non comme une échappatoire au réel mais au contraire jouer avec lui et les phénomènes) créer (inventer et répondre avec spontanéité et authenticité aux exigences de la situation), explorer (découvrir), aimer (aider, accompagner et encourager avec intelligence).

 

 

2 aspects primordiaux à développer naturellement, i.e sans volonté personnelle excessive : l’intelligence (l’intelligence fondamentale de la vie) et la sensibilité qui mène à la clairvoyance et à l’amour spontanés et sans limite. 

 

 

La solitude est la seule posture qui te convienne. Elle t’invite aux rencontres et aux amitiés les plus improbables. Lorsque l’on marche à 2, il arrive toujours que chacun pose sur les yeux de l’autre un masque implacable qui entrave et limite son regard ou le rende aveugle. Et pose sur ses pas des barbelés dont le franchissement le blesse.

 

 

Les hommes sont appelés vers le même mystère qui se dessine à chacun de leurs pas. Certains devinent sa silhouette insaisissable. D’autres ne perçoivent que ses reflets de plomb qui brillent dans leurs ténèbres.

 

 

Il semblerait qu’il y est à la fois une symétrie, une complémentarité et un dédoublement du même regard. Ainsi, d’un certain point de vue, lorsque j’ai le sentiment que la vie me réconforte en la laissant bouger mon corps dans une certaine position ou en réalisant un certain mouvement (le ki en moi) en me laissant parcourir par une onde ou un courant pour m’apaiser, me réconforter ou m’assurer de sa présence, j’opte pour le regard ou la partie du regard de celui qui se laisse pénétrer ou envahir. Mais pour le même mouvement du corps, la même onde, la même sensation corporelle, je peux aussi opter pour le regard de la Vie, et dans cette optique, j’ai plutôt l’impression d’être celui ou celle qui explore, découvre le corps de celui que je traverse (alors qu’il s’agit évidemment de mon propre corps) comme si ce corps ou cet être était (il doit en être peut-être ainsi pour l’esprit et les idées qui les traversent) un canal à découvrir et à arpenter qui ne serait pas véritablement le mien. Très nouvelle et étrange perception pour moi.

 

 

L’idée des psychanalystes selon laquelle la recherche de fusion procèderait d’un désir infantile de retour à l’état fœtal est absurde. En effet, la fusion entre la mère et l’enfant (à naître) n’est pas une véritable fusion. Elle n’est qu’apparente et usurpation langagière. Quand bien même la mère porte l’enfant, l’enveloppe, accueille et fait croître son corps dans le sien, celle-ci se sent séparée de l’enfant. Elle s’en distingue de façon évidente tant psychiquement que corporellement dans la mesure où elle a éminemment conscience de ce qui la différencie et la sépare de son enfant. Quant au fœtus, nul (en tout cas pas moi) ne peut dire ce qu’il ressent ; et je ne connais d’adulte capable de telles réminiscences. La fusion de l’enfant avec la mère ne me semble qu’un pâle et édulcoré ersatz de la fusion avec la vie, (avec Dieu, l’énergie, qu’importe d’ailleurs la façon de nommer cette sorte d’entité indistincte). Alors que la fusion avec la vie, les deux (l’être et la vie) s’interpénètrent, s’inter-changent, se confondent et s’unissent. Bref, la fusion est totale tout en conservant dans le monde relatif une frontière, bref, l’être ne s’évapore pas et sa forme n’en est pas modifiée du moins pour des yeux extérieurs. En outre, cela m’incite à penser que le couple ne trouve, je crois, sa place que dans le prolongement quelque peu infantile de cet état de rapprochement (et non de fusion) d’avec la mère qu’a connu chaque enfant. A ce propos, il est évident de constater la similitude entre le couple mère/enfant et le couple homme/femme (pour les hétérosexuels), les 2 êtres finissent par se séparer du moins par se positionner à distance l’un de l’autre (plus ou moins loin, il est vrai) sans compter la fameuse solitude à 2 de tous les couples. Alors que dans le couple Vie/être, les 2 présences sont permanentes, concomitantes et inséparables. Et contrairement au couple Homme/femme, où la routine, l’ennui, l’hostilité (on répète, on se lasse) s’installe, dans l’union Vie/être, l’inverse se produit: on n’en finit pas apparemment de savourer, de découvrir (tout apparaît neuf et sous un autre jour), de créer et d’aimer. Preuve, s’il en est, de la véritable fusion.   

 

 

Bref la plupart des adultes pensent être adulte en vivant en couple et en procréant alors qu’il se pourrait bien qu’ils perpétuent leur état infantile et le répandent plus amplement encore en faisant des enfants qui à leur tour chercheront à vivre en couple et à enfanter…

 

 

Se dessinerait également une sorte d’itinéraire vers la dimension absolue. En effet, l’illusion de l’amour dans un couple (amour exclusif, possessif, sans compter les idéaux personnels projetés sur l’autre qui finissent en désillusion) mène à la séparation ou au sentiment de solitude (au sens courant d’isolement, de sentiment d’être séparé). Et qu’au sein de ce sentiment de déréliction peut croître la solitude (au sens de face à face avec la vie) qui mène vers la fusion avec la vie. A l’encontre de cette assertion, on pourrait arguer que s’il est inutile de vivre en couple voire de faire des enfants, pourquoi tant de gens s’y prêtent ? La réponse donnée serait sans équivoque : ils s’y adonnent par  immaturité psychique. Quant à « l’utilité » des enfants, les êtres peuvent être dans une dimension de fusion avec la vie, rien ne les empêcherait d’avoir des enfants sans vivre en couple. Et quand bien même s’y refuseraient-ils ? D’aucuns rétorqueraient que cela annoncerait l’extinction de l’espèce humaine. Peut-être ! Et alors ? Quand bien même, les humains disparaitraient… la vie inventerait, créerait, réinventerait de nouvelles formes ou d’autres modes d’être (sans forme peut-être) ici et/ou ailleurs (et comme il en existe sûrement déjà) et permettrait aux humains de passer massivement à un autre stade d’évolution… bref, une simple transformation collective de l’espèce vers d’autres types d’existence. Et pourquoi pas ?!! Avis au conservateur frileux et ignare qui veille en chaque homme ! Et à sa part d’explorateur (il va sans dire) !

 

 

D’où vient le fait que je préfère chercher, explorer, expérimenter, découvrir par moi-même dans tous les domaines (l’esprit, le corps, la spiritualité) au lieu de suivre et d’appliquer une ou des méthodes déjà existante(s) ? Voilà pour moi une question d’importance aujourd’hui ! J’ai en effet toujours ressenti des empêchements (de tous ordres) à mettre en pratique la moindre méthode (excès volontariste et de discipline qui me mène à l’écœurement, à la lassitude et au délaissement même du domaine que j’explore). En fait, j’ai toujours appris et apprends encore davantage aujourd’hui par moi-même comme si j’étais le premier (le premier homme) à découvrir ces terres inconnues (par moi). En premier lieu, je me dis que je suis à l’image de la vie (comme entité) qui aime explorer, découvrir et créer par elle-même en fonction des circonstances, des éléments présents et des situations. Elle expérimente, combine, découvre. Deuxième élément : c’est le refus d’une certaine autorité, le refus d’une expérience de seconde main. C’est faire confiance à la vie en soi (confortée par le katsungen) qui sait mieux que nous-mêmes et notre volonté personnelle qui nous pousse vers un idéal (forcément) illusoire et hors d’atteinte. C’est faire confiance à son ressenti et à la capacité créative en nous, ressentis intuitifs et corporels… mais c’est aussi refuser le savoir et les connaissances accumulés par mes aînés au fil des générations depuis l’aube de l’humanité (de l’humanité cherchante). Je me prive en outre des avantages rassurants, des balises et des repères qui jalonnent la progression de celui qui applique plus ou moins scrupuleusement une méthode. Je me prive également d’un apprentissage technique de base qui semble peut-être rébarbatif mais qui permet ensuite peut-être une plus prompte et aisée progression. Peut-être est-ce le signe que cette étape préalable ne mérite guère que je m’y attarde ? Peut-être est-ce révélateur de mon désir de mettre la charrue avant les bœufs, que mon besoin de progression ne peut attendre la pénible, longue et disciplinée acquisition des bases ? Mais dans certains domaines, je pressens que ces bases seraient à peu près inutiles (la connaissance universitaire en philo et en psycho par exemple pour ma progression vers l’être et la compréhension et l’incarnation de notre identité véritable), dans d’autres domaines, je sens que ce manque est peut-être un facteur limitatif dans ma progression (le solfège en guitare). En réalité, j’aime chercher, découvrir par moi-même en puisant dans plusieurs domaines à la fois que je découvre au fil des situations et de mes besoins ressentis d’avancer dans telle ou telle direction. Voilà en réalité ma façon d’avancer : chercher et découvrir par moi-même en piochant ici et là et en faisant des liens entre ces découvertes et ces apprentissages personnels pour en dégager à la fois une certaine cohérence et une vague direction (celle de mes prochains pas)… je ne suis évidemment pas à l’abri de commettre des erreurs, de connaître des stagnations dans ma progression. D’ailleurs, hormis l’écriture et la spiritualité, j’ai fini par abandonner la grande majorité des domaines que j’avais investis.

 

 

D’où vient le fait que bien des gens commettent des erreurs ou progressent extrêmement lentement en suivant malgré tout une méthode et ce quelle que soit l’activité (le yoga, le tennis, une tradition spirituelle) ? Et tous, je pense, ne parviennent qu’à un stade limité, butant devant une sorte de seuil infranchissable une fois les bases acquises que ce soit en matière de sagesse, de savoir-être, d’être, de tennis, de yoga ou de piano… L’exemple de la conduite automobile est à ce titre une parfaite illustration. Après un apprentissage de base, chacun est à même de conduire. De s’insérer dans une circulation (un mouvement, i.e une suite de situations à chaque instant renouvelées). L’important n’est pas ici d’être le plus rapide (les limites posées par le culte de la performance dans la compétition automobile entre autres) mais de s’insérer avec justesse dans le mouvement, en prenant plaisir à cette insertion… si on décide de faire une course, on comparera les performances des candidats, chacun fera de son mieux, tentant de mettre en œuvre ses compétences en matière de conduite automobile jusqu’à atteindre ses propres limites. Dépasser ses propres limites et la comparaison de ses compétences avec celles des autres candidats n’a pas grand intérêt, outre le fait que ces éléments appartiennent au domaine de la vie : jouer, se prouver, prouver aux autres, gagner… mais quand la dimension ludique et savoureuse est annihilée au profit de la seule agressivité, les participants occultent une bonne part des dimensions essentielles de l’activité à laquelle ils s’adonnent.

 

 

Le rôle du non-sens et de l’absurde est de provoquer une confusion (une confusion des sens). La confusion des sens est la porte ouverte (potentiellement ouverte) à la perte de consistance de notre identité fixe. A la possibilité de s’ouvrir à d’autres perceptions. D’accéder à des identités multiples. D’entrevoir notre véritable nature.

 

 

Certains êtres, certaines activités et situations (le plus souvent lorsqu’elles se réalisent ou adviennent hors de mes espaces de solitude, autrement dit en présence des autres) me donnent encore le sentiment qu’elles ne peuvent m’aider à développer en moi la dimension absolue. Ils me donnent le sentiment que leur présence ou leur compagnie me détourne, m’éloigne ou retarde ma progression intérieure. Cela prouve que cette dimension (la dimension absolue de l’existence) est encore insuffisamment ancrée en moi pour pouvoir vivre et accueillir toutes situations et toutes présences dans un esprit de saveur, de jeu, d’inventivité, de créativité, de sensibilité, d’intelligence et d’exploration (et même de travail intérieur*). Cela prouve également l’immense travail qu’il convient de réaliser avant de pouvoir le vivre. Et mon incapacité à accepter ces parties en moi. Les espaces de solitude sont plus propices à cet accueil. Presqu’aucune activité, aucun évènement et aucun état intérieur ne me semble indigne d’être vécu et expérimenté. Bien que parfois narcissiquement douloureux ou inconfortable, tous, dans mes espaces de solitude (diurnes et nocturnes) me semblent porteur de ce travail pour développer et stabiliser la dimension absolue dans mon être et dans mon rapport au monde et à la vie.

* pour être plus précis, il convient de distinguer au moins deux phases ou attitudes en compagnie des êtres qui semblent peu propices à nourrir le cheminement intérieur.

 

 

(suite) Quand on se sent disponible et disposé à travailler intérieurement, leur compagnie est un excellent support de travail. Quand on se sent peu disposé, cette compagnie nous rend au mieux mal à l’aise et au pire exaspéré et on fuit leur présence, on échappe à ce supplice au plus vite…

 

 

Après quelques discussions en compagnie de «chercheurs intérieurs» de démarches et de traditions diverses, je me rends compte à quel point il existe un décalage entre ce qu’ils disent et ce qu’ils sont. En outre, bien qu’un grand nombre d’entre-eux appréhende le cheminement d’une façon sensiblement identique, ils tendent à le circonscrire, à en définir les étapes et à en définir les « axes de travail » d’une façon très spécifique, personnelle et singulière, insistant davantage sur tels ou tels aspects et négligeant (parce que non perçus ou jugés comme secondaires) tels ou tels autres. Et tous semblent encore en chemin… comme si quelques étapes avaient été franchies… mais le seuil « final » jamais atteint…

 

 

La notion de « seuil » citée plus haut ne doit pas laisser croire qu’il y aurait une étape à partir de laquelle le chemin s’arrêterait. Le chemin ne cesse de se poursuivre même cette ultime étape franchie. Puisque la vie n’en finit, elle non plus, jamais de se poursuivre… avec ses cycles. Il s’agirait davantage d’une ultime étape dans le travail de désobscurcissement, i.e pour achever totalement le travail intérieur afin d’être un canal totalement désencombré pour que la vie puisse nous traverser à chaque instant sans que nous lui opposions la moindre entrave, la moindre résistance. Encore que, inutile à ce sujet de se méprendre sur ce travail et l’illusion d’un idéal à atteindre. En effet, les résistances, les réticences, les entraves appartiennent elles aussi à la vie. Nous sommes donc en droit d’en avoir également. Le seul hic (s’il y en a un… et il y en a pour la très grande majorité d’entre nous qui nous inscrivons encore très largement dans la dimension relative de l’existence et chez la plupart des hommes qui s’y inscrivent exclusivement) est la souffrance, souffrance ressentie par le moi et souffrance causée à autrui… une fois le travail intérieur complètement achevé, nulle souffrance puisque le moi n’existe plus, n’est plus perçu, on est donc à même de tout pouvoir vivre au gré des situations, là où la vie nous porte, on (et non le « moi ») peut donc savourer, jouer, explorer, inventer et aimer en tous lieux, en toutes circonstances, seul ou avec tous les êtres quels qu’ils soient… rien n’a plus véritablement d’importance… tout est absolument parfait tel que cela advient… ces éléments me semblent très en phase avec quelques caractéristiques centrales du bouddhisme : les 4 nobles vérités (vérités sur la souffrance et sa cessation), l’impermanence, le jeu des formes et des phénomènes, la nature fondamentale de l’esprit,  les cycles - kalpa - où les univers, les formes apparaissent, croissent, arrivent à maturité et disparaissent.

 

 

Toi qui n’as jamais su vivre (ni avec toi-même ni avec les autres), que la souffrance a toujours étreint et qui as toujours cherché l’essence de l’identité humaine, voilà à présent que tes recherches ont modestement avancé, tu t’aperçois que la plupart des hommes qui se foutent comme de la guigne des aspirations qui n’ont cessé d’être les tiennes vivent mieux que tu n’as toi-même vécu et sont globalement plus heureux que tu ne l’as été. Un bonheur narcissique visant à satisfaire leurs désirs (et donc conditionnel, i.e soumis à l’obtention ou l’acquisition de certains attributs, objets, statuts et au rejet de toutes difficultés, entraves, obstacles à cette recherche égocentrique). Mais peu a priori connaissent la joie, cette joie dépouillée de tous facteurs, de tous conditionnements et présente même lors de circonstances ou de situations narcissiquement douloureuses. La plupart sont ignorants (ignorent leur véritable identité) et connaissent, malgré un bonheur de surface ou pire de façade (un bonheur apparent) de multiples souffrances, désagréments, contrariétés, difficultés existentielles. Evidemment puisqu’il t’apparaît presque évident que la vie cherche à faire comprendre à chacun sa véritable identité.  

 

 

Le génie ne se convoque ni ne s’invite et s’acquiert encore moins. Il s’offre à ceux que la grâce de l’origine habite et qui savent la restituer sans l’alourdir, l’écorner ni la ternir de leur poids personnel.

 

 

L’art de se guérir est de s’abandonner. Et celui de guérir le monde de s’apprivoiser.

 

 

En cette période, 2 mots-phares. Tout se mélange et se désolidifie. Etres, corps, sentiments.

 

 

Nécessités ressenties, situations et évènements guident nos cheminements existentiel et intérieur. Accueillir ce qu’ils nous enjoignent est le seul chemin.

 

 

Notre façon d’être et nos comportements induisent en (grande ?) partie la survenance des évènements. Autrement dit des situations qui surviennent dans notre existence.

 

 

L’acharnement du violoniste sur son instrument. Son long et incessant labeur pour en tirer quelques sons. Parfois admirable certes. Une vie entière construite autour de 4 cordes et d’un archet. Voilà qui pourrait paraître risible. Et qui l’est à certains égards. Mais qui montre plus encore que la grandeur et les limites d’un homme résident moins dans son activité que ce qu’il cherche à atteindre à travers elle. Toute existence semble si dérisoire. Et tant d’hommes s’acharnent à leur tâche. Et d’autres même s’en enorgueillissent. 

 

 

Dans toutes les collectivités (humaines particulièrement), tu perçois à quel point la dimension clanique et la dimension individuelle se chevauchent, se mêlent et se heurtent parfois. A l’image de la Vie-même où coopérations, collaborations, conflits et survies individuelles participent aux grands jeux et mouvements du vivant.

 

 

Quelques transformations perceptibles en cours : l’oralité semble prendre le pas sur l’écrit, la corporalité sur la réflexion, la communauté sur l’individualité. Les dimensions humaines jusqu’alors rejetées ou négligées tendent à s’inviter avec plus de prégnance dans mon existence. Les amis d’autrefois se font plus discrets. De nouveaux visages surgissent comme d’anciennes et lointaines silhouettes jugées jusqu’alors infréquentables. 

 

 

Une autre phase semble se dessiner. L’acceptation plus grande des situations, des êtres, des évènements. La dimension inconsistante du monde, des êtres, des pensées et des sentiments. Le regard englobant (et non séparé) à la fois hébété (presque imbécile) et clairvoyant. Le détachement. L’effritement progressif des a priori et des jugements. La diminution assez substantielle des peurs. L’ouverture à des dimensions (communes et ordinaires) jusque-là négligées et négativement perçues. Une plus grande détente psychique.  

 

 

Un exemple d’enchevêtrement d’actions et répercussions et de motivations imbriquées. Je travaille actuellement sur mon projet de stage-atelier pour les groupes. Ma motivation est plutôt personnelle, je travaille pour moi-même (sur le plan individuel, trouver ma place en ce monde) en vue d’aider les autres. Il se peut cependant que j’échoue dans mon projet, bref que personne ne vienne à mes stages-ateliers. Mais je me souviens de ma grande frayeur, enfant, à parler en public, mon malaise à être confronté à un groupe. Je travaille donc individuellement et seul aujourd’hui en vue de cette activité (je prépare mes ateliers comme si je m’adressais à plusieurs personnes) ; et si ce projet n’aboutit pas, je me serais tout de même familiariser virtuellement à prendre la parole en public, comme pour me guérir de cette peur enfantine. Et préparant ainsi « mes vies futures » où je serais sans doute à nouveau confronté à des groupes. Comme si toute chose entreprise délibérément servait dans une dimension plus invisible et souterraine à des desseins bien plus vastes et mystérieux que ses aspirations personnelles… comme si la vie nous guidait à d’autres fins que celles qui semblent nous y conduire… comme si nos aspirations qui semblent d’ordre personnel dissimulaient ou comprenaient également une dimension qui échappait à notre conscience et qui serait destinée à nous faire mûrir, à nous faire avancer ou à nous guérir d’une toute autre façon que nous l’imaginons…

 

 

Tout esprit partisan fragmente le réel et s’éloigne de la vérité.

 

 

Toute littérature est morte. La vie ne peut s’attraper avec les mots. Mais elle se lit sur les visages. La vie qui passe, la vie inhabitée, la vie déguenillée. La vie mensongère et la vie passagère. La vie claquemurée et la vie ouverte. La vie encombrée et la vie pleine.

 

 

En matière de vivre, nous cherchons tous des méthodes. Et il n’y en a aucune. Toute méthode est vouée à la désillusion. C’est là son unique intérêt.

 

 

La grossièreté et l’idiotie dissimulent souvent leur trait derrière le plus subtil raffinement et la plus haute intelligence. En tout cas perçus comme tels par les hommes.

 

 

Chez certains, le sommeil tient lieu de repos. Et pour d’autres, d’esquives. Rares sont ceux qui y entrent comme dans un laboratoire pour l’âme. Et pourtant…

 

 

Il faudrait devenir aussi léger qu’une bulle pour porter le monde. Et aussi inconsistant pour le contenir.

 

 

D’un coup d’œil, on reconnaît chez chacun le travail de la vie sur l’âme. Et son entêtement à y résister. Il suffit de regarder son visage. Il porte la marque du passage obstiné des anges. Et des diablotins comploteurs, rétifs à l’idée même de ciel qui impriment sous les yeux et dans les prunelles la seule et infime espérance d’un médiocre repos terrestre. 

 

 

A mesure des pas, on épuise son existence. Et l’on devrait fortifier la vie. La silhouette devrait devenir plus légère. Mais chez la plupart, pourtant, le pas s’alourdit. Et le sillon se creuse.

 

 

Il y a une grande candeur à vouloir aimer. Une innocence aussitôt bafouée par tous les calculs du monde.

 

 

La grâce et la légèreté me manquent. Comme elles manquent à mon écriture. Je ne sais encore me défaire du poids de ma recherche de l’Absolu. Et de mes entraves. Et je vais dans la vie comme dans l’écriture avec mes gros souliers souillés de fange et de boue. Une foulée pesante. Une démarche lourde qui m’enfonce dans mon sillon au lieu de me porter vers l’horizon clair du ciel.

 

 

Ici et maintenant se joue ton existence : la vie. Jeu et saveur. Joie et exploration. Amour et invention. Abandonne-toi à la magie d’exister. Sans volonté ni calcul. Sans protection ni attente. Sans embarras ni rudesse. Détendu et présent. Avec une conscience large, ouverte et flottante. Et la vie te sera révélée.

 

 

Entre nos fables se lisent nos vraies histoires. Les véridiques et les mensongères. Toutes les dimensions de notre vérité.

 

 

Comme si l’on ne pouvait avoir en définitive de relation profonde, authentique et sincère qu’avec soi-même… - avec la Vie en nous…

 

 

En matière de forme, le non-manisfesté s’exprime de mille manières. En effet, une infinité de combinaisons possibles lui est offerte. Chaque canal du non-manifesté prend, semble-t-il, la forme la plus appropriée au gré des circonstances et des situations (sous-entendu lui permettant d’actualiser la compréhension de sa véritable identité). Aussi est-il totalement inutile d’analyser, de classifier et d’interpréter les dites formes pour en tirer quelques lois générales. Toute tentative ne révèlerait qu’une soif de compréhension et une volonté de prévisibilité afin de remédier à l’ignorance et à la peur de son instigateur. Ou au mieux qu’un simple goût pour les jeux purement intellectuels (sorte de distraction de l’esprit).

 

 

Toutes les notes de ce journal ne s’adressent en définitive qu’au mental (qui cherche à comprendre et permettre ainsi à celui qui comprend d’avancer…). Une fois ce stade passé, vient la poésie. Puis, le silence…

 

29 novembre 2017

Carnet n°38 Elle et moi – poésies pour elle

Poésie / 2009 / Hors catégorie

 

 

L’amour est un souffle

 

A Cel(le) dont le souffle habilla notre ciel et l’étendit sur notre peau. Chairs et âmes vibrantes dans l’azur.

 

Quand l’aube se dérobe à tes yeux

Je m’endors

L’épaule titubante

Vers l’horizon pourpre

Qui peuple le monde

 

De ta gorge déployée

Pâlissent mes yeux clairs

Au dessus des océans

Je rêve de lacs couleurs d’écaille

Qui écarteraient ta bouche

 

Rivé à tes paupières

Qui m’exhortent à la paresse

Tu ensemences la pagaille

Et je m’étire

Au rythme de tes reins indigènes

Jusqu’à la saison des neiges

 

*

 

Ta peau de cuivre

Et tes seins de laiton

Appellent la sève au fond de l’interstice

Comme l’antre du diable invite

Les âmes rétives

A s'arc-bouter

 

Comme une offrande aux dieux

Qui me dévisage jusqu’à l’écorchure

Sous les assauts de marbre incandescents

Mon innocence démaillotée jusqu’au poitrail

Étire ma peau

  

Je gis

Comme un christ

Sur le monticule des supplices

Golgotha sans résurrection

La croix décharnée

Abandonné par les pères

Seul sous l’astre brûlant

A moitié mort déjà

En mon désert

 

Devant tes yeux

Trempés aux mythes d’autrefois

Où perle l’amour

Adam et Eve

Se rejoignent

Et se pavanent dans un Éden

Sans blasphème

Ni regard accusateur.

 

Aux rythmes des souffles

Les ondes se propagent

Les âmes cherchent leur nature

Surprises de leur transparence

De l’indécence de leur volupté

Insaisissable

 

*

 

Tout s’efface à ton départ

Le reflet de ton visage

Le grain de ta peau

Jusqu’à nos souffles nourriciers

 

Nos fruits s’égarent en grâce

En évanescence des incidences

 

Les phénomènes tourbillonnent

Et s’éloignent en songes

 

Je ne connaîtrais d’autres gouffres aux parois d’ébène

Les grains de ta peau

Eclateront toujours sous mes gestes voraces

Comme une grappe de fruits trop mûre

  

Et nous voilà ligotés à nos dédales

Sans mur ni miroir

Aussi nus que l’espace

Aussi froids que l’horizon de pierres

Aussi fragiles que nos soupirs

Aussi impuissants que

Nos souffles unis au vent

 

Entre nos bouches

Se meurt l’espérance

Et nous voilà agrippés à la nuit de jade

Déjà reclus dans nos peines

 

 

 

 

Poèmes pour S.

 

Un matin d’ombres chinoises

Se dessine dans la pâleur du jour

 

Une odeur de musc et de térébenthine

Quelques taches sur la toile

Jetées aux ténèbres

 

Un sourire insatiable

Une larme sur la joue

Une ardeur de tristesse frétillante

Au coin des yeux

 

Le combat s’achève

A l’aube

 

Au milieu des essences

Le peintre jette ses brosses

Nettoie ses lustres

 

Reprendra la lutte

Le lendemain

 

Au cœur des retrouvailles

L’évidence s’embrase

Comme une coulée

Dans la chair des sommets

 

Nul autre visage ne peut apparaître

Dans l’embrasure

 

Par la fenêtre

Je devine ton sourire

 

Délabré par tes lèvres

Je m’incline

 

L’immondice de la chair

S’engorge de larmes

 

Je décline

Vers ton corps

 

Vidé de mon sel

Je m’étends contre la vague

 

Le visage heurté par la brise

 

Gonflé d’écume

Je déferle vers toi

Sous tes jupes

Près des volutes nimbées

Je m’assois et j’attends

La perte

 

Rivé au récif

Les bourrasques m’écartèlent

Et me jettent à tes pieds

Sans effroi

 

Déguisé en cocagne

Comme un mât usurpé

Vers ta chair

Auréolée d’épouvante

Je me dresse

Sans prestige

 

Dans la maraude sombre

Une ombre écarlate

La face bouffie

Me toise

Narquoise

 

Et toi qui t’aidera

Si tu ne peux aimer ?

_

_

_

Communauté fraternelle

 

La faucille pend

Contre le marteau

Fendillé par le manche

Dérobée aux camarades

Aux heures barbares

De ce siècle

 

Aujourd’hui

L’étendard

Gît au fond des malles

Recouvert par le linceul de l’Histoire

_

_

Une nuit

Où l’angoisse t’émerveillera

Tu renaîtras

 

Tu pourras voir

Se lever l’aube

Sans différend

 

 

 

L’ardeur de l’oreille

A convoiter le bruit

A défaire patiemment

Les mailles du silence

Pour dénicher le monde

Au cœur du néant

 

 

 

La joie se repaît de tout ce qui l’efface

Indemne d’elle-même

Elle assure sa présence

 

 

 

Tu oublies la faille

Qui t’habite

Pour sauter

Les margelles

Des fossés d’ailleurs

 

 

 

Nul repos

Pour l’impétueux

Le reflet de Narcisse

L’assaille en tous points

 

 

 

Partir vers l’autre rive…

Mais où est l’eau ?

Et les flots ?

Et la berge ?

Et le nageur ?

L’itinéraire s’éteint

Et se camoufle

Comme une bouée dans l’immensité

 

Une seule traversée

Entre les eaux troubles

Le fleuve étire le nageur

Qui s’abîme entre les vagues

 

 

 

Comme un vieux phare déserté

Tu n’éclaires que les rives passées

Le souvenir des tempêtes

Qui te firent chavirer

 

 

 

Le monde s’agrafe et se dégrafe

Par la prunelle mensongère

Se fixe au mur

 

Le collage marque sa trace

Cimente le mur d’auréoles

En voiles tenaces

 

 

 

Sur le chemin

Le souffle donne la direction

 

Suis le vent

Et tu navigueras

Ivre et serein

 

Immobile

Les contrées dessineront chaque horizon

  

Et d’horizon en horizon

La marche deviendra paysage

 

 

 

 

Cherche l’horizon

Exaspère la terre

Efface l’empreinte des jours

Enferme le ciel

Sous la matière

Et tu atteindras la nuit

 _

 _

 _

_

Echappée belle

 

Dans ses yeux

Tu surprends

Le poids de ton amour

 

Son regard reflète

La lucarne vide

Où tu apparaissais autrefois

 

Sous la paupière close

Une flamme sombre et ardente

Qui ronge les chaînes

Rouillées par les larmes

 

Malgré les fers

Enchaînant sa silhouette

A ton ombre

Sur les barreaux

Elle efface ton nom

 

Elle déserte

L’emprise sournoise

Qui l’attache à la geôle

 

Le temps

Bientôt

Achèvera son échappée

Et tu pleures déjà

En silence

A l’orée des clôtures

 

 

 

Dans la chair écarlate

Tu progresses

Comme une ombre apeurée

 

 

 

Découragée par le vent

Ta plume

N’effleure aucun ciel

Piétinée par la clameur silencieuse des foules

Abandonne le trait

Aux lèvres inertes

Comme Icare

Son empreinte gît

Recouverte sous une couverture blanche

 

 

 

Je nouerais à tes yeux

Une couronne pourpre

Trempée dans le sang

De mes abysses

 

Et je laverais ta peur

De mes larmes

 

 

 

Prends garde aux chimères

Aux diadèmes écarlates

Aux soleils qui aveuglent les yeux ardents

 

 

 

Dans l’éclair de ta chair

Transparaît

L’ombre à venir

Le soleil sombre de mes jours

 

 

 

Pourquoi pleures-tu sur les cendres

Alors que le monde fleurit dans ta prunelle ?

 

 

 

Le visage aimé te sourit

Sous la terre

Et tes larmes arrosent

Son chagrin

L’ineffable tristesse des vivants

Et le chien dent qui pousse

Entre les pierres

 

 

 

Debout dans l’hiver

Le vieil arbre pleure

Esseulé sur la plaine

 

Le monde l’a déserté

L’écorce percée de givre

Ses branches grelottent

Sous la brume

Sous le regard des nymphes joyeuses

 

Sa cime regarde l’azur

Seul le ciel le recouvre

 

Les nuages assis sur son faîte

S’attardent un instant

Eux aussi passeront

L’abandonnant à son exil crépusculaire

 

 

 

A la résistance des saisons

Oppose tes printemps

Tes milles printemps

L’herbe verte des prés

Et l’ardeur originelle

 

 

 

Laisse-toi guider par le temps

Oublie les moissons

Néglige le labeur de la herse

Appuies-toi sur le manche

Assis-toi sur la souche

Gagne le creux de l’ornière

Et pose un œil sous le ciel

Pour contempler la métamorphose des paysages

Et le chemin qui te devance

 

 

 

Oublie l’écart

Entre toi et la nuit

Le mince interstice

Que le destin t’a choisi

Pose ton œil

Au pied de l’arbre

Et regarde briller l’origine

Dans les ramages

_

_

Monte, monte vers l’abysse

Ouvre la porte

Et du néant jaillira l’horizon

 

Tu redescendras vers l’humus

T’agenouilleras sur les branches

Devineras les racines au ciel

Les bourgeons dans le sol

L’œil inversé s’étendra

Au delà des écorces

  

Derrière les paysages

Tu chemineras

 

La contrée fantastique

Dans le pas

Qu’importera alors la poussière du chemin

 

 

 

Au cœur de l’atome

Vibre l’espace

Au rythme des saisons

Comme l’herbe et la feuille sous la voûte

Les hommes et la vermine sous le ciel

 

 

 

Sur la preuve

Efface tes pas

Sur l’empreinte

Décompte les fois

Renonce au ciel menteur

Décroche l’espoir des paysages

Un seul instant

Pour l’éternité d’un regard

 

 

 

Derrière l’empreinte

La voix

Derrière la voix

Le silence

Sous le silence

Les feuilles mortes

Au bord de l’abîme

Balayé par les vents

 

 

 

Dans le firmament

S’éteignent l’étoile

L’azur ombré

Les nuages gorgés de larmes

Et la brise de l’enfance

 

 

 

Au loin s’étend l’azur

Et ta main tendue vers le ciel

Agrippe le reflet de la lune

_

_

_

Le mirage de Narcisse

 

Contre la vitre

Se brise ton œil

Toujours s’efface

Le reflet de ta silhouette

Dans le paysage

  

Nul repos

En ton cœur

Toujours l’ardeur t’enfièvre

L’espoir de la rencontre

T’enchaîne à l’impossible

 

 

 

En contrepoint du jour

Apparaît précise

Ta silhouette

 

L’ombre de ta silhouette

Toujours m’accompagne

Présente

Brûlante à mes côtés

Qui m’écorche

Me consume

M’endeuille

Et son absence qui me guette

Du coin de l’œil

 

Son fantôme qui me sourit

De l’abîme où je me terre

J’éclaire ses pas vers la chandelle

 

 

 

Sous la lune

Tu surprends

La charpente des âmes

 

La tienne gît quelque part

Entre hier et la nuit

Entre l’aube et demain

 

Emiettée en son cœur

Eparpillée dans les yeux du monde

 

Tu la portes du bout des doigts

La recouvres de ta silhouette décharnée

Et tu titubes

Sous le ciel

L’ossature brisée

 

 

 

Comme un vestige de pierres

Pendu aux larmes des saisons

Tu attends l’éternité d’un soupir

Ruiné par le temps

Et le monde qui s’efface

 

 

 

Une ombre se dessine

Sous l’abat-jour

Une ombre de nuit

Aux ailes d’airain

Qui se cognent

Aux minces parois

De ta peau translucide

  

Sous le givre des visages

Se fige la terre des âmes

Le vent glacial les recouvre

De sa longue grimace

Qui rencontrer sur ce sol craquelé ?

 

 

 

Le feu jaillit

Du ciel comme de la terre

Il se répand dans tes veines

Pour embraser le monde

Pourchassé par tes flammes

 

 

 

La herse vengeresse

S’abat sur tes joues liquéfiées

Brûle de son poids tes visées

Assèche ta soif

Déroute ta marche

Cloue tes jours à mon ombre

Qui s’incline

 

 

 

Les tremblements de ton ombre

Trahissent

Ta silhouette immobile

 

L’allure reniée par son socle

La façade se dérobe

Elle se perd

Dans les yeux ahuris de la foule

 

Qui applaudit les mains en croix

Rassurée par ses silences

Et la faiblesse de tes pas

 

 

 

De guerre lasse

Tu t’abandonnes

Au gré des songes

 

Pour recouvrir tes tourments

D’une paix fugace

_

_

_

Au dehors

 

Vivre à la belle étoile

Au dedans du ciel vrai du monde

 

Au dedans

L’astre  mensonger

Te confine

Au ciel trompeur

 

 

 

La fougue t’arrache

De ta torpeur

L’élan te porte

Vers un nouvel anéantissement

 

De pas en pas

De tristesse en accablement

Tu t’éloignes

Vers l’inespéré

 

 

 

L’imprévu te guette

De ses yeux saillants

Et toi, tu renonces à l’inconnu

 

Pour quoi ne t’abandonnes-tu pas au mystère ?

 

 

 

 

Temps pis

 

La pendule assassine le temps

Rend infirmes les heures

 

Et tu espères encore

Ecrasé par l’ennui

Entre le souvenir et l’attente

Condamné au défilement des aiguilles

 

Nul espoir devant l’horloge

 

Il te faut habiter

Chaque particule du sablier

Ou mourir d’impatience

Et de nostalgie

 

 

 

Tu cherches la charpente

Sous l’ossature

Et ne découvres que la silhouette du vent

 

 

 

Vers quel ciel est partie l’hirondelle

Qui au printemps attendait sur son fil ?

 

 

 

Derrière la tunique

Le rouge perle de l’étoffe

 

 A l’aube, tu vois

Le doux reflet du monde

Sur son visage

 

Au crépuscule

Dans ses yeux crépusculaires

Scintille la flamme

D’une sombre silhouette

Trace les siècles sur l’étoffe

Pour que naisse la virginité

Dans le cœur humain

 

 

 

Les cendres à tes tempes

Où gît mon reflet

Comme un feu

Au cœur d’un lac gelé

Je grelotte

Sous ton regard

 

 

 

Si les mots n’effleurent tes lèvres

Ne font frémir ta vie

Enfouie au cœur de tes jours

Mille poèmes valent moins qu’un sourire

 

La nuit profonde de mes pages

T’engloutit

 

 

  

Au fond des heures d’absence

Derrière les tremblements assassins

La terreur et l’angoisse

Brûlent l’instant du repos

 

 

 

Nul miracle ne sauve de l’espoir

Sous le mirage

Le réel brut et vigoureux

L’âme innocente qui saigne

Contre les paysages

 

 

 

Comme dans une toile

Sur un fil

Tu es pris

 

Fibres, nœuds, tissus

Être cousus

De fils blancs

Au cœur de l’étoffe

 

 

 

A ton enfance éternelle

Oppose la tendresse de l’écorce

La lucidité tranchante de la sève

 

Sois le roc et l’acier

La sueur et le bois

Les larmes et la bûche

Le feu et les cendres

 

Alors la main et le souffle

Te seront donnés

 

 

 

A l’ombre des mots

Nulle lumière

 

Un feu de paille

Qui étire la nuit

 

Seul le geste éclaire 

 

Jamais ne l’échange

Contre mille poèmes

 

 

 

Ne prêche pas

Incarne ce que tu sais

  

Ne geins pas

Accueille

 

Ne regarde pas

Contemple et admire

 

Ne résiste pas

Remercie

 

Apprends à vivre en liberté

Marche à ta place

A l’exacte jointure de ta condition

 

 

 

Sous la parole silencieuse du geste

Tu guides la sagesse des disciples

 

 

 

Vernis l’écorce

Et le bois tendre

Et tu tueras la sève dans sa fibre

 

 

 

D’un regard

Tu peux couper l’histoire sans fin

Qui t’ensorcelle

 

Ecartèle-toi

Jusqu’aux jointures

Pour faire saillir le lien

En ta moelle

_

_

_

Angoisse

 

Une poutrelle invisible

Plantée dans ta chair

T’écartèle jusqu’aux jointures

Invite la caresse du vent

A déchirer la matière

 

 Tiens-toi

Ouvert au pied de l’arbre

Et regarde

Ses branchages comme une ondée

Ses racines comme un refuge

Son écorce comme un livre

Et sa sève fixer la lumière en ses feuilles

 _

 _

_

Chantier

 

Mon nouvel amour

N’a pas de nom

Il est en moi

Et n’ose venir

Effrayé de mon domaine

 

Il m’a envoyé

Ses terrassiers

Pour nettoyer les parcelles

Arranger la terre à sa convenance

 

Plus tard

Il y bâtira sa demeure

Nous nous visiterons de temps à autre

Et de loin en loin

Nous nous apprivoiserons lentement

Pour un jour peut-être

Devenir amis

 _

 _

_

Bhumi

 

Dans l’odeur des foins

Tu t’es jeté

Comme sur un matelas de mousseline blanche

Dans les hautes herbes

Tu reposes

Le visage posé

Contre le ciel

 

A l’abri

Dans nos mémoires

 

 

 

Ne te hâte pas

Le pas léger

Sur la route

 

Danse avec les évènements

 _

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_

 _

Pèlerin

 

Allonge les arbres sur la sente

Couvre le monde de tes grimaces

Clôture le ciel de tes promesses

Ô ! Tu n’en as pas fini de marcher, pèlerin !

 

 

 

Il meurt la bouche en croix

Comme un porteur d’eau sale

Au loin passent les silhouettes d’airain

Immobiles sous leur ailes

Mais où vont-ils ainsi ?

_

 _

 _

_

Mères

_

Tant de ventres endiablés

Frappent la chair de leur sceau

S’imaginent source originelle

Et défenestrent les âmes de leur ciel

 

Tant s’inventent engraineurs de destin

Légataires universels

 

Ignorant l’œil ceinturé

Dans l’exiguïté des paysages

Vissé sur le mur orbe

 

Que savent-ils de leur propre source

Et de l’antériorité de l’origine ?

 

Que peuvent-ils savoir

Du sort de leur portée ?

 

 

 

La rumeur gronde alentours

Dans l’indolence des cœurs

Repose

Comme un oiseau blessé

Dans le silence inquiet

 _

 _

_

 _

Angoisse

 

Le souffle saillant

Heurte les parois

Te jette dans l’abîme

 

Te transperce jusqu’à l’asphyxie

 

Te laisse à l’agonie

Sur ton lit de marbre

 

Te couche

Entre 4 planches

 

Recouvre tes suffocations

Du linceul originel

 

 

 

L’ombre porte le jour

Comme les cendres

Au cœur des braises

 

 

 

Tu portes la glaise

De tes doigts

Comme un étendard

 

L’oriflamme vivant du destin

Qui flotte sur le dôme

 

Bannière de ta condition

Sous le ciel

 

 

 

Tu t’obstines

Dans l’éphémère

Comme emporté

Par les heures

Sur une échelle infinie

 

Tu t’accroches à un barreau

Et te voilà enfermé

A l’éternité

 

 

 

Au bleu des jours

Tu revêts ta longue tunique d’étoiles

Parcourant les boulevards

La lune en auréole

 

Les passants te jettent

Un œil sournois

Tu poursuis ton périple

Au hasard dans le vent

 

 

La longue tunique bleu

Te tend une main hargneuse

Tu ouvres les bras

A la face hideuse du désert

 

Elle te regarde d’un air attendri

Et toi

Trop coutumier des façades

Tu t’effarouches de la figure

Tu baisses les yeux

Aveugle au sourire de son regard

 

 

 

La folie t’empoigne

Et te roule sur la page

Offrant quelques traits raisonnables

A ta sage déraison

 

 

 

De camisole en camisole

Tu comptes tes pas

A mi-chemin

Tu regardes derrière toi

Et tu vois le mur se rapprocher

 

 

 

Dans l’épure

Surnagent le chaos

Et le silence complice

 

 

 

Nulle gloire en cette terre

Du sang, de la poussière et des larmes

Quelques pas dans une flaque opaque

Eclairée de regards complices

 

 

 

Une brève éclaircie

Dans la brume

Comme une percée

Dans l’orage

 

Sous le climat ravageur

Tu regardes le ciel menaçant

 

Tu transpires de tristesse

Dans l’impossible saison

 

 Le ciment des jours

Te pétrifie

Au seuil du monde

Plante ta présence

A ses confins

 

Aujourd’hui

Nul signe de la main

A l’horizon

 

Quelques silhouettes passagères

Penchées sur l’horizon

Disparaissent

Sans un regard

 

 

 

Seuls et entourés

Voilà ta vérité, homme

Animal insensé du sens

Creuse dans l’entre-deux

 

Et te voilà bientôt aux confins

De l’entendement

aux pieds de l’incompréhension

Au cœur de la béance

Et du mystère, fieffé animal !

 

  

 

L’âme nue

Se repose des vitrines

Derrière les masques

Et les grimaces

Le rire

Et les postures

 

Sous le néant

L’imperceptible tremblement

L’invisible de la chair qui rougeoie

 

 

 

Quelle ombre te parcourt

Lorsque le mensonge éclot ?

 

 

 

La vérité nue brille

Devant la falaise

 

Ne cours pas, apeuré,

Regarde plus bas le paysage

Vers l’abîme.

 

 

 

De quelle fontaine tires-tu ton eau ?

Moi, mon seau est vide

Et ma peine intarissable

 

Où abreuves-tu ta soif ardente ?

 

 

 

Le monde s’étouffe de son silence

Derrière l’écho et la fureur des mains

Tu vomis la parole

Derrière les coulisses

 

Tu parles

Pour une ombre

Dans la foule invisible

Qui prête l’oreille aux rumeurs

Le bruit de tes lèvres closes

 

 

 

Malheur

A celui qui flotte

Dans la brume

Il gît déjà sous le vent

Enterré dans le ciel

 

 

 

Tu galopes

Vers la vérité incertaine

A cheval sur le doute

L’incertitude à tes trousses

Qui te devance

Encerclé par les ténèbres

Tu longes le mur orbe

Qui t’entoure

L’œil rivé

Sur la lucarne invisible

Tu espères seulement

Y trouver une figure familière

Te glisser par la meurtrière

Sans accroc

Ignorant qu’il te faudra te dévêtir

Jusqu’à l’os

Te défaire de ta chair jusqu’à la moelle

Pour que surgisse la lucarne

Que l’espace inonde tes pas

Ton cri et ton œil

Pour voir le jour apparaître

Pour la première fois

 

Aujourd’hui

Ne songe ni au mur ni même à la lucarne

N’imagine aucune brèche

Longe le mur sans compter tes pas

 

Le monde exhale une odeur de souffre

Qui embaume la chair et meurtrit l’essence

Une odeur douceâtre et écœurante

Qui exacerbe la voilure

 

 

 

Deviens l’étranger

Qui te reconnaît

Alors tu seras l’autre

Toi-même

Bien davantage

Le singulier épris du multiple

Le rien embrasant le tout

Le lien courant du passage

 

 

 

Tu n’échapperas pas à la délivrance

Elle surgira par surprise

Lorsque rassasié de l’édifice

Enchaîné aux parois

Tu étoufferas au fond du puits

 

 

 

La vie est

Comme une offrande à tes jours

Comme du bois coupé

Qui se consume

Dans l’âtre noirci

De la fumée dans l’espace clairsemé

  

Regarde-la comme la nuit

S’enfoncer dans le jour

Comme l’aurore engendre

La clarté alentour

Deviens le cycle,

L’astre, l’ombre et la lumière

Et l’œil qui les contemple au loin

 

Mêle ton sang

A la substance du monde

Ton souffle aux vents

Et à l’haleine des foules

Pour voir fleurir entre tes lèvres

Le sourire ancestral du monde

 

Le monde aux mille bouches

Qui embrassent et s’embrasent

Se tordent et s’empoignent

Se mordent et s’avalent

Se recrachent et s’étouffent

Avant le dernier souffle

Et qui renaissent toujours

 

 

 

Une vieille ombre

Te sourit derrière la mémoire

Le chagrin ancestral de l’Homme

 

 

 

Tu cours vers le refuge

Sans repeindre ton abri

La présence abîmée

Par les nuits d’espoir

La gaieté des jours

Et l’anéantissement des perspectives

 

Tu t’assois

Seul et malhabile

L’œil du dedans éveillé

Posé sur les 4 murs alentour

Dispersant les parois

Et envolant la boîte

 

 

 

La mémoire de l’encre

S’assèche

Entre tes lobes

S’efface

Les hachures jaillissent

Au dedans

Dans le désert des mots

Quelques traits invisibles

Qui s’estompent

En empreintes fragiles

Puis disparaissent

Engloutis par l’oubli

 

 

 

Tu rumines

Avec l’œil placide du bovin

Allongé sur ta couche

Etouffé par la paille

Que tu émiettes

Apeuré par la fourche

Du fermier qui guette au dehors

Et dont le souffle chaud t’écœure

 

 

 

Sur le fil

Tu te tiens

En moribond écartelé

Par l’équilibriste

 

Chut ! te dit-il

Prends garde à ne pas tomber

 

Et tu trébuches

Dans ta chute

Tu dégringoles à ses pieds

 

Tu retombes sur un autre fil

Un fil au dessus du fil d’avant

Tu progresses

Le pas hésitant

En nouveau-né écartelé

Toujours tenu toujours

Par l’équilibriste

Qu’importe la chair

 

Sous la peau

L’être vacille

 

Et sa consistance

Se reflète

Dans l’œil du monde

 

Comme un cœur vacillant

Qui avance

 

Nul drame

En surface.

Souterraines

Demeurent les batailles

Et les meurtrissures

 

Sous l’aire déchirée

Indemne demeure la présence

 

 

Au creux des silhouettes

Une âme dévergondée

Te murmure à l’oreille

Des mots enivrés

Qui égarent la raison

 

Elle te confie le poids léger des jours

Qu’elle dissipe d’un claquement de doigt

Elle te livre la rosée

Aux bords des lèvres

et le secret des aubes radieuses

Au seuil de la brume automnale

 

Nul fardeau ne te soulève

Tu avances

Le poids léger du vent

Sur l’épaule

 

Sans épaisseur

La joue contre le sillon

L’âme aux aguets

Et le cœur toujours aux abois

 

 

 

Tu aménages ton fossé

Comme une contrée éternelle

Mais tu demeures sans voie

Devant l’invisible

 

 

 

Comme une colombe

Sous le ciel

Tu erres parmi les roseaux

Penchés par le vent

 

Dans le marécage

Un cri monte vers l’abîme

Les nuages

Dans un lointain écho

Glissent

Sur ta joue

Une larme

 

 

 

Sous ce ciel d’immondices

Tu fouilles parmi les ordures des hommes

En quête de l’étoile-détritus

Qui éclaira la décharge

Et saura faire briller sous la fange

Le terreau des siècles meilleurs

  

Sur l’horizon du monde

Aux fenêtres des temples

Au seuil des masures

Nulle main tendue

Des rires broussailleux et ignares

Qui éclatent aux visage

 

Trace les siècles sur l’étoffe

Pour que naisse

La virginité

Dans le cœur humain

 _

_

_

 _

Elle et toi

 

Au cœur des retrouvailles

L’évidence s’embrase

Comme une coulée

Dans la chair des sommets

 

Nul autre visage ne peut apparaître

Dans l’embrasure

 

Par la fenêtre

Je devine ton sourire

 

*

 

L’immondice de la chair

S’engorge de larmes

 

Délabré par tes lèvres

Je m’incline

 

Je décline ton corps

Du bout des doigts

 

*

 

Vidé de mon sel

Je m’étends contre la vague

 

Le visage heurté par la brise

Gonflée d’écume

 

Sous tes jupes

Près des volutes nimbées

Je m’assois et j’attends

La perte

 

 

 

Rivé au récif

Les bourrasques m’écartèlent

Et me jettent à tes pieds

Sans effroi

 

*

 

Déguisé en cocagne

Comme un mât usurpé

Vers ta chair

Auréolée d’épouvante

Je me dresse

Sans prestige

 

*

 

Dans ses yeux

Tu surprends

Le poids de ton amour

La lucarne vide

Où tu apparaissais autrefois

 

Sous ses paupières closes

Une flamme sombre et ardente

Qui ronge les chaînes

Rouillées par les larmes

 

Malgré les fers

Qui l’enchaînent à l’ombre

Sur les barreaux

Elle efface ton nom

 

Le temps

Bientôt

Achèvera son échappée

 

Et tu pleures déjà

En silence

A l’orée des clôtures

 

 

 

Dans la chair écarlate

Tu progresses

Comme une ombre apeurée

 

*

 

Je nouerais à tes yeux

Une couronne pourpre

Trempée dans le sang

De mes abysses

 

Et je laverais ta peur

De mes larmes

 

Prends garde aux chimères

Aux diadèmes écarlates

Aux soleils qui aveuglent les yeux ardents

 

*

 

Dans l’éclair de ta chair

Transparaît

L’ombre à venir

Le soleil sombre de mes jours

 

*

 

En contrepoint du jour

Apparaît précise

Ta silhouette

 

L’ombre de ta silhouette

Toujours m’accompagne

Présente

Brûlante à mes côtés

Qui m’écorche

Me consume

M’endeuille

 

 Et son absence qui me guette

Du coin de l’œil

Son fantôme qui me sourit

 

Et de l’abîme où je me terre

J’éclaire ses pas vers la chandelle

 

*

 

La herse vengeresse

S’abat sur tes joues liquéfiées

Brûle de son poids tes visées

Assèche ta soif

Cloue tes jours à mon ombre

 

*

 

A l’aube, je vois

Le doux reflet du monde

Sur ton visage

 

Au crépuscule

Je vois dans tes yeux

Scintiller ma sombre silhouette

 

*

 

Les cendres à tes tempes

Où gît mon reflet

Comme un feu

Qui grelotte

Sous ton regard

 

*

 

En chaque visage

Se dessine ton visage

Comme un reflet qui m’ensorcelle

 

Prisonnier dans la foule

J’erre dans ton miroitement

_

_

_

 _

Triste chair

 

Ta voix est muette

Dans l’étreinte

Et mon âme au dedans

Crie ton absence

 

 

 

Dans la plaine dévastée

Rougeoie le silence gorgé de soleil et de guerriers.

L’arc-en-ciel sanguinaire à l’horizon

Comme une échelle où se dressent les plus lestes

Qui effleurent les anges blancs tachés de mystère

Des pas en contre bas 

Des pas légers sur le sable

Sous la noirceur et le sang

Danse macabre des silhouettes ombrées

Menée à la baguette par le maître

Le maître des lieux mi-homme mi-oiseau tenant la tenaille

Et la vis serré aux danseurs exténués 

L’un porte le soleil rougeoyant à bout de bras

Le pesant soleil encore inéclos

Les autres, bonzes de papier, ombres décharnées par le labeur

Sur la montée incessante

Portent l’élu sur le déséquilibre et les épaules des premiers

Soubassements involontaires et dignes

Pour atteindre de sa tête l’azur transparent

 

 

 

Un espace d’étreintes imaginaires qui se glorifie de couleurs saccadées.

Embrasse toutes lèvres offertes à l’aube ancestrale et au devenir séculier

Qu’importe à qui elles se destinent

Entre elles se devine l’origine qui les enfanta

Et le regard de tout ton peuple

Aux destinées éphémères

Qui se contemple avec grâce

Dans toute prunelle entrecroisée

Spectres spéculaires

Orifices repus par toutes les chairs offertes

Les sublimes matières qui peuplent le monde

Myriade de mouvements

Dans la transparence claire et enveloppante

Querelles et tiraillements traversant sans trace le regard de paix

En tous recoins de l’espace

Dans tous les replis de la terre et du ciel

Laissant libre toutes forces de naître et de mourir

De s’étendre et s’étioler

Au gré du grand jeu labyrinthique

A ses yeux la transparence des murs

L’éclatement des cloisons

La liberté sans entrave

L’inaltérable paix

S’amusant de toutes les joutes de papier

Les querelles d’ivrognes

Le tracé si léger des formes

Qui croient imprimer leurs marques

Sur le marbre

L’inconséquence des rencontres, des heurts et des effleurements

Des imbrications et des cavalcades

Des élans opposés qui se rejoignent à toutes les extrémités

Comme autant de passerelles rejoignant d’inséparables côtés

Emergences et disparitions

Dans le fracas et le silence

Devenant trajets évanescents, harmonieuses arabesques

Sur l’éternel palimpseste

 

Joie sans ombre de tous les appels

De toutes les naissances et les disparitions

Laissant la matière foisonnante

Œuvrer à son destin fugace

Riant de toutes percées

Et de l’insondable opacité qui recouvre sa lumière

Ombres écarlates dont elle éclaire les mouvements incessants

Les pertes et les gloires si dérisoires

Présence éternelle

Immuable

Autorisant tous les parcours

Tous les détours, toutes les faims

Les secousses et les caresses

Les oublis et les manquements

L’aveuglement acharné et les percées opiniâtres

S’égaye de toutes manifestations

Laisse naître les pyramides et les tombeaux

Dans un joyeux chaos aux mouvements désordonnés

En une fresque harmonieuse et équilibrée

Où le déséquilibre même est une excroissance

Une expansion de la beauté

Où rien n'est vil ni vilipendé

Où tout existe

Et est autorisé

Tourbillons foisonnants sur un sable si léger

Aussitôt nés aussitôt recouverts

Par la caresse des vagues et la violence des marées.

Dans le jeu sempiternel de ses formes

Impassible et rieuse

Elle demeure

 

 

 

Joie sans ombre de tous les appels

De toutes les naissances

Et de toutes les disparitions

Laissant la matière foisonnante

Œuvrer à son destin fugace

Riant de toutes percées

Et de l’insondable opacité

Des pertes et des gloires si dérisoires

Présence éternelle

Immuable

Autorisant tous les chemins

Tous les détours et toutes les faims

Toutes les secousses et les caresses

Tous les oublis et les manquements

Tous les aveuglements et les percées

S’égaye de toutes manifestations

Laisse naître les pyramides et les tombeaux

Les chaos et les fresque harmonieuses

Où le déséquilibre même est excroissance de la beauté

Où tout est autorisé

Tourbillons foisonnants sur un sable si léger

Aussitôt nés aussitôt recouverts

Par la caresse des vagues ou la violence des marées.

Dans le jeu sempiternel

Elle demeure

Rieuse et impassible

_

_

_

 _

Supplications

[douces fulminations – les paradoxes déconcertées]

 

Pourquoi se défaire de nos malles

Dont le contenu nous ignore

Et que nous délaissons avec superbe

Pour des guenilles d’or et de diamant ?

 _

_

O Hommes, bouts de moi-même

Où courrez-vous de ce pas ?

Où croyez-vous fuir ainsi ?

Ne sommes-nous pas inséparables ?

 _

 _

_

Corps défait par la sagacité

Esprit en fusion

Pensées explosées

Défaites de toutes les certitudes

Jusqu’à l’effacement

 _

_

 _

Folie du vrai

Folie du faux

Folie du oui

Folie du non

Folie des gestes de pure sagesse

  

Pas de règle

Pas d’idée

Pas de temps

Pas d’instant

Pas de moi

Pas de loi

Pas de toi

Nous n’existe pas

Ils s’étiole

On égare

Ou rapproche quelque fois

Tout ne se pense pas

Tout est là

Vivant

Vibrant

Impatient de t’exploser

Vers ses parcelles

Anéanties

Réunies

Riches de l’Un

Qui n’est que toi

 

Peurs

Fuites

Arc-boutances

Dénis

Simagrées

Grimaces

Colères

Désirs

Quête

Entraves

Enclaves

Refuges

Brimades

Rancœur

Exacerbent tes douleurs

Ôte tes frontières

Sans relâche

Dégarnis-toi de toute cargaison

Nu jusqu’à la blessure

A vif

 

Poignarde l’espoir d’atteindre

Ciel, terre, fumées d’azur

Fumiers de tes pas

Ecarte-toi

Rejoins-toi

Et oublie

Marche

A l’arrêt

Sur une foulée

En un éclair

Foudroyé par l’âpre et inattendue vérité

Joie sans borne

Déroute totale du regard éperdu

Perdu à soi

Horizons saugrenus

Rires

Pleurs

Défaite de tout labeur

Vanité de tout effort

Aisé jusqu’à l’outrance

Insaisissable

Inaccessible encore

Marche

L’épuisement à l’œil

Fatigue sereine

Et libératrice

Et sois, meurtrier de toi-même

Bourreau de tes geôles

Libre déjà

Sois

 _

_

Malaxe ton passé

Jusqu’à l’obsession

Déniche le seuil interdit

Qui enferme ton pas

Dans le cercle étroit

Concentré en un point

 

L’univers danse sans toi

Il persifle à la ronde

Insuffle un sens à tes pas

Réduit en cendres

Ta destination précise

T’invite à la joute et aux querelles

A la bastonnade

Brise tes ailes

Pour te convier à l’envol

_

 _

Seul l’amour recouvre les brimades

Et aguerrit le terrain des audaces

Le reste n’est que champ de ruines

Batailles impies et incertaines

Promises au désastre

 

Joutes éternelles des visages

Effleurement des promesses sans cesse repoussées

Egarement des pas

Avancées pitoyables

De cercles vicieux en enlisements

Sans conséquences

 

Drames obscènes

Théâtre de grimaces

Frontières à départager

Querelles de masques

Disgrâce des sourires

Martèlement infâmes des rengaines

Pas incertains

Aux issues trop certaines

Tout appelle

A la réconciliation

Aux saccages de la comédie

Et des comédiens

 

Seul

Et sans témoin sur la scène

La pièce se joue de toute simagrée

Quand l’authentique brille dans la prunelle

Le silence se moque de la foule

Et de ses applaudissements factices et univoques

Débute alors le spectacle de la vérité

Tragédie sans acte

A l’épilogue comique

Malgré les larmes

 

Soif d’extase n’invite qu’aux larmes

Recueillement de la tristesse

Ouvre tes portes à la grâce

 

Maraude sans fin

Immobilité sans trace

Couvertures au sol

Commence alors le voyage

Défais l’infini de tes yeux

Et pose ton regard sur l’infime

Ecarte le ciel de tes lèvres

Et offre ta main à celui qui s’approche

Ôte les livres de ta besace

Et va le cœur démuni

Efface tes rêves de voyage

Et invite l’inconnu à ton pas

_

 _

 _

Séjourne parmi les fous

Qui t’apprendront la sagesse

Erre avec les miséreux

Que ton regard dédaigne

Où que tu ailles

La vérité est au bout de ton pas

N’entache tes semelles

De sentes glorieuses

Ecoute les cloches sonner

Aux entrées des impasses

Détourne-toi de toute raison

Marche vers le pays d’une seule foulée

Où les dieux fréquentent les anges

Où les anges connaissent le diable

Où le diable est roi

Où les rois mendient l’amour

Où l’amour se donne

A toutes les mains tendues

Et foudroie tous les visages

Faces égarées et mines déconcertées

Ouvre tes portes

Et il te sera donné

Non de croire

Mais de voir la vérité

Et les mystères de cette contrée

Qui n’accueille que les âmes

Dont les yeux pourfendeurs

Ont su se délester du poids même de leur vérité

Va et marche, mendiant d’amour

Et il te sera révélé

 _

_

 _

Défais-toi des traces de sable sur ta main

Et allonge-toi sur la grève

L’océan ne tardera plus

Entends-tu déjà la clameur des vagues

Qui te disperseront bientôt ?

 _

 _

_

Marche sans contrepoint sur l’horizon

Ligne de fuite du cœur

Ne t’y jette point

A corps perdu

A foulée cadencée

Mais niche ton œil dans l’astre

Où brille ton centre

Déloge tes aveuglements

Ignores-tu que tu brilles déjà

Modestement ?

Eclaire donc tes yeux

En un point condensé

Où tu te trouves déjà

 

Un roi sans soleil

Dépeçaient les âmes

Effleurait de ses doigts leur contour

Et s’égayait de les disperser au vent

_

 _

 _

Nul profit pour les yeux sales

Les cils enlaidis de fard

Qui se plient aux foudres des cœurs emmurés

 _

_

 _

A l’œil nu

Se dévoile le mystère

La fragilité perce tout voile

Paroi de roche et de chair

 _

 _

 _

La vie sans égard pour les artifices brise les masques d’argiles et les sourires crispés.

Enflamme la chair. Et les circonstances pour la brûler. Jusqu’à la transparence.

Laissant indemne la nudité fragile qui s’offre.

Pour découvrir (dévoiler) derrière ce dernier rempart de vulnérabilité,

la force humble et la flamme brillante qui animent le monde.

L’essence de toute manifestation.

 _

 _

_

L’horizon se couvre de glace

Miroir et reflet s’effacent

L’âme opaque avance

Cristallise tous les mouvements

Et s’étiole à la chaleur de l’astre

 _

_

 _

L’horizon se couvre de taches

Traces éphémères

Que le regard cisèle

Se défaire de la mémoire

Pour aller le cœur lisse

_

 _

 _

S’ouvrir au destin

Embrasser la multitude du chemin

Déposer ses peurs

Et s’effacer

Après l’heure du besoin

Avant l’heure du tocsin

_

 _

 _

Mourir sans certitude

A tout ce qui t’efface

T’ébranle et t’enlace

Mourir d’abnégation

Mourir jusqu’au renoncement

Aux lèvres

L’abondance de l’évidence

Accueillir

S’unir à tout surgissement

Qui s’efface déjà

N’être que cela

Ce rien qui passe

Ce tout qui lasse

Qui enlace

Et se détache

L’abondance du grain

Dissimule la récolte des champs de rien

Qui poussent sur notre route

Insaisissable dans les interstices du regard

 _

 _

 _

Mille éclats d’histoires

Dans ses terreurs

Et autant de rêves brisés

Qui l’adossent à un rire énorme

Un rire sans fin

Et sans vengeance

Eclatant de vie et de fureur

Et de bonté peut-être

Pour ceux

Tous ceux qui n’ont su voir

Derrière sa chair incandescente

Les brûlures espiègles et dévorantes

L’amour cherchant sa voie

L’âme cherchant sa sœur

Et un visage sans doute à reconnaître

Et à aimer d’une folle manière

Un visage à découvrir

Et à consoler de mille caresses

A entourer d’une présence sans âge

Tirant sa source d’un temps si lointain

D’une autre rive où les hommes

Aux plus proches de leur mystère

Et de leur enfantement

N’avaient de lignées

De cette époque peut-être sans genèse

Où les drames éclataient en pétales

Et en feuilles de vigne

Qui sait ?

Qui sait ce qu’elle cherche encore ?

Ne vois-tu donc ses lèvres offertes

Et la lumière derrière ses larmes ?

_

 _

Ne cherche le mystère de tes ailes. Mais allège ton pas.

 

Un temps éclatant d’orages et de mystères

Qui voit flétrir les vieilles parois éculées

Où tu te cognais tant jadis

Laisse-toi enfoncer

Sans trouver refuge

Dans les abris à l’abandon

Laisse-toi gagner par la déroute

Ne vois-tu pas

Malgré l’opacité des prunelles

L’horizon s’éclaircir ?

 _

_

Au-dedans des cieux racoleurs

L’espoir et la destination précise

Au cœur de nulle part

La déroute ensemence

Nourrit la graine d’azur à éclore

Sous ton pas toujours juste

N’aies crainte de l’égarement

En tous lieux il te conduira

Et agrandira ta maisonnée

Jusqu’aux horizons les plus reculés

Te créera un soleil en guise de tête

Et une lune en sourire

Tu renifleras alors l’amour et l’intelligence

Le regard déchiré de présence

Et tes oreilles aussi larges

Que furent tes infortunes

Ton visage s’égaiera enfin et apprivoisera le monde

Réconcilié

Mourir à tant de visages

Sans un cri

Sans un seul espoir pour les nuages

Et découvrir le ciel rieur

Et une larme sur ta joue

Quelques pleurs

Et un fond d’abîme étincelant

Où les âmes s’évertuent à rire

De nos maladresses

Prouesses de tous les labeurs

_

_

Comme un drame funeste qui l’a mille fois effacé, elle s’évanouit d’un seul geste, mille fois répété. Et succombe. Qu’elle succombe à jamais ! Voilà son espérance. Mais l’espoir ténu ne l’émeut guère. Il les sait (la vie, la voix, la voie) présentent en tous lieux. L’effondrement pourrait-il provenir d’une autre fontaine ? Il l’ignore. Qu’elles disparaissent (la vie, la voix, la voie) et l’anéantissement lui serait fatal. Définitivement. Voilà sa seule (et véritable) crainte ! Quant à la faveur des situations – à l’espoir des situations favorables –, le sevrage approche à grands pas. Il y résidera bientôt, le cœur encore peu assuré et hésitant, le pas timide et maladroit, à deux pieds sur l’incertitude, solide comme un roc léger et confiant du terrain qui se déroule.

 

Elles sont là qui brillent discrètement sans ondoyer. A se faire entendre partout où l’oreille écoute le regard qui entend le geste et le pas à l’unisson. Dans les murmures et les cris, la fureur et les silences. La présence et l’effacement. Les rencontres menaçantes s’estompent et s’effacent… qui menacent. Les mille soutiens, les mille situations qu’elles procurent comme d’ineffables invitations à l’éprouver la présence. Dans les rires et les larmes, la présence. Et la joie de s’unir à elle en tous lieux. A tout instant. A la vivre dans leur plénitude. Jusqu’à ce qu’elle jaillisse entre ses pas pour se répandre sur son visage. Et sur tous les visages alentour. Visages rencontrés.

 

A l’issue du premier puzzle achevé, les pièces s’effaceront d’un souffle. Et retrouveront, il le sait, leur espace vierge. Au suivant, il laissera leurs forces trouver l’agencement des éléments. Y participera neuf de ses défaites ancestrales et de ses triomphes nouveaux. Savourera partout la présence en ses pas. Geste après geste. Situation après situation. Evènement après évènement. Sans impatience, sans désir particulier. Satisfait du puzzle en permanente élaboration. Dans le mystère de son origine et de sa destination. Voyager dans chaque pas et chaque geste comme un vagabond confiant émerveillé du trésor qu’elle porte en lui partout où ils vont ensemble...

 

Il apprivoise l’incertain. Laisse l’horizon se dessiner à chaque pas. Renonce – malgré lui – à savonner la pente où il glissera. Confiant dans le vent. Les épreuves emplies de la présence en lui.

 

La présence partout présente. A chaque pas. Au fil des situations, elle est là, le fait tantôt glisser ou l’insère, l’immisce. Partout où il marche à pas mesuré sur l’asphalte, ravi des paysages qu’elle lui dessine.

 

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29 novembre 2017

Carnet n°37 Journal de rupture

Journal / 2009 / Hors catégorie

 

 

Prologue

Près de 15 années de vie commune. Lente période de distension. Alternance d’éloignements et de rapprochements. Elle te reproche ton esprit critique, tes jugements (incessants), ton insatisfaction, ton goût pour la complexification du réel (et du quotidien). Ta fâcheuse propension à la déstabiliser. A la dévaloriser. Depuis quelques mois, ce comportement lui est insupportable. Toute parole provoque de violentes réactions (épidermiques). Une sensibilité à fleur de peau. Dramatisation systématique. Crises récurrentes. Tu lui reproches son inertie, sa négligence, ses velléités. Son manque d’enthousiasme. L’absence de constructions et de projets communs. Tu sens chez elle une progressive réticence à vos partages. A tes étreintes. A répondre à tes désirs de rapprochement. Elle le sent aussi chez toi (sûrement).

 

 

Début juillet 2009

Elle t’annonce, au cours d’une conversation, qu’elle aimerait faire une retraite. Et vivre une expérience chamanique. Désirs flous. Sans argument précis. Une simple intuition. La survenance d’un lent mûrissement peut-être ? Etonnement. Tu approuves (plutôt). Depuis 1 an, elle s’essouffle, entreprend mille projets qu’elle abandonne quelques temps plus tard. Elle se sent vide de désirs.

 

 

Mi-juillet

Tu la questionnes sur l’avancée de son projet. Réponses vagues. Evitement. Evincement (de toute évidence). Après plusieurs sollicitations, elle finit par te confier – du bout des lèvres – qu’elle part dans l’Aveyron. Dans un monastère de bénédictines.

 

 

20 juillet 2009

Jour du départ. Tristesse et ressentiment. ½ heure après ton lever vers 13h30 (tu travailles la nuit). Pas de mot. Pas d’adresse. Aucune information. Elle part, te dit-elle. Analyse rationnelle du départ.

 

 

20 juillet 2009

Attente de l’appel du soir (pour savoir si elle est bien arrivée). Elle t’a promis de téléphoner vers 19-20 h. Pas d’appel. Inquiétude. Tu l’appelles (vers 22 h). Boîte vocale. Elle rappelle quelques instants plus tard. Prétexte un ennui technique avec son téléphone. Suspicion. Tu vocifères. Tu blâmes. Mille reproches liés à son départ.

 

 

21 juillet 2009

Colère. Sentiment de duperie.

 

 

21 juillet 2009

Tu appelles pour t’excuser. Aplanir le ressentiment. Lui permettre de réaliser son expérience, vivre son isolement le cœur plus serein. Boîte vocale.

 

 

21 juillet 2009

Au retour de promenade, tu roules par inadvertance sur la patte de l’un de vos chiens (son chien préféré). Désir inconscient de briser le départ ? D’écraser la liberté de se mouvoir ? Symbole de piétinement ? Tu lui téléphones, catastrophé. Boîte vocale. 3 appels successifs.

 

 

22 juillet 2009

Etonnement devant l’absence de réaction. Pourquoi ne rappelle-t-elle pas ? N’a-t-elle pas lu tes messages ? Vive inquiétude.

 

 

23 juillet 2009

Tu attends. Sans impatience. Peut-être son téléphone ne fonctionne-t-il (vraiment) plus ? Doute. Pourquoi a-t-elle (alors) réussi à te joindre le premier jour ?

 

 

24 juillet 2009

Premières angoisses. Incessants questionnements. Où est-elle ? Besoin de lui parler. Besoin d’éclaircissement. Et d’explications. Tu cherches des indices de son départ. Et de sa destination.

 

 

25 juillet 2009

Le questionnement vire à l’idée fixe. Obsédante. Nuit d’insomnie. Tu essayes de comprendre. Pourquoi ne téléphone-t-elle pas ? Où est-elle ? Avec un autre ? Seule ? Où ? Tu veux savoir. Tu cherches des indices. Tu regardes dans son ordinateur (pour trouver une adresse, un mail éclairant). Inaccessible. Elle a (sciemment quelques jours avant son départ sans doute) changé le mot de passe. Surcroît d’inquiétude. Ce geste (en apparence anodin) conforte ta première intuition : le secret. Elle ne souhaite pas que tu saches où elle se trouve. Grand chamboulement dans la tête.

 

 

25 juillet 2009

Tu réfléchis aux causes de son départ. 2 options. 1ère option : elle est partie pour régler ses obstacles personnels, ses propres entraves, ses peurs. Le besoin de se retirer en soi-même. 2ème option : elle ne supporte plus tes critiques et tes reproches. Une 3ème voie se dessine : les interactions entre les options 1 et 2 : tes critiques accentuent son sentiment de disgrâce.

 

 

26 juillet 2009

L’absence de l’autre. L’idée obsédante de sa présence. De sa présence qui manque. La possibilité du non retour. Tu échafaudes mille scénarios. Mille hypothèses sur les causes du départ. Option 1, option 2, option 3… lente construction d’un faisceau tentaculaire. Pléthore de fondements à la séparation. La longue usure. Le lent éloignement. Tu piétines. Tu tournes en rond.

 

 

26 juillet 2009

Partager son inquiétude. Et son désarroi. Avec les amis proches. Téléphone, visite. Besoin de trouver des alliés. D’écouter une voix neutre. Besoin de réconfort. De comprendre (surtout).

 

 

 

27 juillet 2009

Besoin de certitude. Tu veux en avoir le cœur net. Tu cherches avec frénésie toutes les communautés monastiques dans le département qu’elle t’a (vaguement) indiquées avant de partir. Tu leur téléphones. Premier, deuxième, troisième… jusqu’au huitième. Aucune trace. Aucun passage. Affolement. Quelques monastères dans les départements limitrophes. Rien.

 

 

27 juillet 2009

Une semaine sans nouvelle. La colère se dissipe. Fait place à la peur. Peur panique. Un fort besoin de comprendre. Et d’agir. Agir pour ne plus penser. Agir pour comprendre. Le besoin de savoir. Où est-elle ? Pourquoi ce départ ? Reviendra-t-elle ? Crispation. Affolement. Idée fixe. Folle cogitation. Option 1, option 2, option 3, option 4, option 5, option 6… est-elle dans une chambre d’hôtel ? Seule pour réfléchir ? Accompagnée ? Est-elle morte ? Veut-elle mettre fin à ses jours ? Est-elle partie dans un autre monastère pour se sentir libre (véritablement libre de ses attaches) ? Est-elle partie rejoindre un autre ? Où ? A l’étranger ? Veut-elle refaire sa vie incognito ? Ne voit-elle pas d’issue avec moi ? Ne voit-elle pas d’issue pour elle ? Reviendra-t-elle ? Terrible angoisse.

 

 

27 juillet 2009

Tu réfléchis. Tu tentes de réfléchir avec calme. Impossible. Tu songes à son départ. A son départ longuement mûri. Préparation discrète. Sinon secrète. Comme si elle avait verrouillé les indices. Pas de traces pour l’autre quand adviendra la (véritable) conscience de l’absence. Cette absence de trace est déjà la marque du départ. De la séparation. Nouveau message sur sa boîte vocale. Implorant. Voix émue la suppliant de me faire un signe, un geste. Entendre sa voix. Sentiment flou du temps. Comme si elle était partie depuis 1 an.

 

 

27 juillet 2009

Tu fouilles. Partout. Toute la journée. Les papiers. Le mot de passe de l’ordinateur. Le code (secret – secret toujours adroitement dissimulé) pour accéder à son compte bancaire. Pour savoir si elle a effectué des paiements. Quels genres de paiement ? Et (surtout) dans quelle ville ? En vain.

 

 

27 juillet 2009

Le soir, avant de partir travailler, tu continues de chercher. Jusqu’à la dernière minute. Tu tombes sur un petit carnet. La première page d’un petit carnet à spirales placé (négligemment ?) au fond d’un sac à main. Tu lis les quelques paragraphes. Une phrase t’empale : ma vie affective est un fiasco. Cloué à vif. Immense douleur.

 

 

27 juillet 2009

Sentiment d’inéluctable. Doute. Persistance du doute. Vomissement. Incertitude. Comme si une bête rongeait tes chairs, ton énergie, tes pensées. Te dévorait de l’intérieur. Dévastateur. Un déchiquetage méthodique. Tu en sors en pièces. Une horreur.

 

 

27 juillet 2009

Tu commences ton Journal de rupture. Sentiment de libération. Se libérer par l’écriture ? Aspiration à transcender la douleur. Vite balayée par le sentiment de la perte. La cassure du fil. Un grand vide. Une grande impuissance. Une souffrance oppressante. Et l’espoir désespéré du retour. Impensable (sûrement).

 

 

28 juillet 2009

Etrange ambivalence. Prêt à lui pardonner si elle rentre. Prêt à la blâmer si elle revient vers moi (avec moi). Sentiment d’abandon. De terre qui tourne. Du sol qui se dérobe. L’éternité coutumière qui se dissout. Qui disparaît. Peur de ne plus la voir. Grosse fatigue. Le fiasco martèle ton crâne. Tu fumes cigarette sur cigarette. Depuis 4 jours, tu n’as quasiment pas mangé. Si peu dormi.

 

 

28 juillet 2009

Sentiment de vivre un drame. En direct. D’être un acteur impuissant. Incapable de tenir, de jouer son rôle. Quel est ton rôle dans cette pièce ? Tu n’as jamais su jouer la comédie. Cette malheureuse authenticité qui te cloue sur les planches.

 

 

28 juillet 2009

Cherche partout des signes symboliques de son possible retour. De son probable non-retour. Une phase lue dans un livre ouvert au hasard. Un extrait de dialogue dans un film. Un mot sur une affiche publicitaire. Cherche désespérément une certitude. Comme un enfant. Sentiment de survie impossible (sans elle).

 

Je me souviens d’un rêve : elle partait en secret pour raisons médicales. Au réveil, je le lui avais confié (désagréablement). Elle avait haussé les épaules. Il est vrai que je ne peux me fier à mes intuitions.

 

 

28 juillet 2009

Au fond de moi, une voix me dit qu’elle reviendra. Une autre me dit l’inverse. Et je ne sais laquelle croire. Regain de confiance. Apaisement. Et (dans le même temps) projection d’une issue tsunamiesque.

 

Estime intuitivement les chances qu’elle revienne (vivre en ma compagnie) et la probabilité qu’elle confirme la rupture. Equilibre incertain. Et fluctuant. Je penche tantôt d’un côté. Tantôt de l’autre. Grands (et rapides) mouvements d’oscillation.

 

Me revient (en mémoire) le souci incessant – presque insistant – de son corps (ces derniers temps). Sa hantise du vieillissement. A-t-elle rencontré un jeune bellâtre – un beau métis – délicat, sensible, joyeux et attentionné ? Crise passagère de la quarantaine ? Ou profond et inéluctable effritement de notre relation ?

 

 

28 juillet 2009

Avant de rejoindre ton poste de nuit, tu téléphones à son père (2 fois déjà, tu l’as appelé). Il te répond avec froideur (presque avec indifférence). Sa réponse est laconique : elle est en route… elle t’expliquera. Mille interrogations. Pourquoi ne t’a-t-elle pas prévenu, toi ? Tu lui laisses un mot sur la table : si tu souhaites me dire quelque chose, je t’en prie, appelle-moi.

 

 

28 juillet 2009

Coup de téléphone (vers minuit). Enfin… Elle est visiblement agacée. Le ton est froid, distant, réprobateur. Tu lui demandes (avec le moins d’hostilité possible) une explication. Pourquoi tous ces secrets qui entourent ce départ ? Réponse abrupte. Remise en cause de ton discours. De ton angoisse. De ton comportement. Comme si tu l’enchaînais. Elle souligne (implicitement) son sentiment d’emprisonnement. Tu raccroches. Sentiments ambivalents. Soulagement de son retour. Et crainte des retrouvailles. De l’avenir. De ton besoin de comprendre. Comment taire ta nécessité de comprendre ?

 

29 novembre 2017

Carnet n°36 Ascèse du vide

Poésie / 2009 / Hors catégorie

 

 

Infini

 

Pays sans frontière

Où s’éteint la pensée

 

Présence lointaine

A l’horizon immédiat

Où règne la conscience

Sans voile

 

 

 

 

Jonction

 

L’instant éternel

Où se brise l’écho

 

La faille du temps

Où s’enfonce

L’appel incessant des songes

 

L’espace

Où bruissent les vents

Où s’évanouissent les formes

Où se tisse le silence

La présence exulte

Horlogerie

 

Orfèvres du temps

Aux instants comptés

A la gloire venue

Eblouissant le regard

De leurs tourments sans prise

Où la joie s’élance

 

Orfèvres des heures

Se faufilant sans bruit

La semelle plantée

A la frontière

Des pas effleurant

Les surfaces accumulées

Qui gisent au fond des heures

Aux confins

De l’appui sans socle

Posé à l’horizon

 

Orfèvres des intervalles

Au creux de l’inspir qui s’essouffle

Et de l’expir naissant

Posant le regard momentané

Sur la surface profonde

Où s’étend l’éternité

 

Orfèvres des failles

Où s’enlise le commun

Dans l’anfractuosité où pénètre

Le temps

Ils marchent funambules

A la surface du néant

 

Fils de joie

A la constance immuable

Sur le fil d’équilibre avancent

Toujours agiles dans le vent

Immobiles au seuil permanent de

L’imminence

 

 

 

 

Cadre

 

Ecrin des tornades

A la course furtive

 

Surface des formes passagères

 

Rencontres des astres

Au tracé mouvant

 

Vaste interstice de l’intervalle

Où se tisse la toile illusoire

 

 

 

 

Révélation

 

Visage vertical

En attente du ciel

 

Regard décharné

Au bol tendu

 

Présence oublieuse

Des bruits déclinants

 

Silence ouvert

Au mélange des confins

 

Appellent l’ample étendue

Lentement se révèle

L’horizon sans limite

 

 

 

 

Réunification

 

Dans la confusion des frontières

S’assemblent paresseusement

Les parcelles

Les fragments illusoires

 

Dans l’union des espaces

Resplendit l’Être insécable

Aux multiples visages

 

 

 

 

L'ascèse du vide

 

Infime espace de l’être

Au cœur magnanime

Au corps desserré

A l’esprit apaisé d’exigence

A la présence sans visée

Soutenue à l’ouverture

Au regard déchargé

 

Retrouve sa substance

Happé sans force

Dans le vide salvateur

Voit se lever les seuils

Advenir la réconciliation

 

 

Jeu

 

Légère caresse de l’âme

Aux jours éphémères

 

Fraîche gorgée

A la coupe éternelle

 

La présence nue enlacée

Derrière la transparence

Le vide

 

 

Périssables

 

Mots

Sons illusoires

Bruits silencieux

Ombres dans l’espace

Au sens dépourvu

 

Traces

Fumées

Souillures qui s’estompent

Dans l’espace inaltéré

 

 

Derrière

 

Au loin

Derrière les voiles diaphanes

Les sombres arc-en-ciel

Sous la brume des jours

 

L’aveuglante pâleur des larmes

Emportées par le vent

 

La coulée pourpre des êtres

Qui palpite sous la peau

 

Les masses grises

Enveloppées par la nuit

 

L’éclat ténébreux des songes

Dispersés dans l’espace

 

Le reflet bleu des heures

Sur le tertre isolé

 

Dans le regard vide

Se découvrent les nuances

S’évanouissent

Les couleurs tenaces

 

Au fond du cadre

Derrière l’ombre confuse

Se dévoile la lumière

29 novembre 2017

Carnet n°35 Ecorce blanhe

Poésie / 2009 / Hors catégorie

 

 

Bruits

 

Destins sans faiblesse

Qui défaillent

Déambulant

La démarche fière

 

Gloire éphémère

Au destin dérisoire

Qui peuplent la terre

 

Sans écho demeure

La voix du poète

 

 

Obscurs

 

Mine de plomb

Feuilles d’automne

Le poète s’ensommeille

Au crépuscule des jours

 

La mort survenue

Fauché au cœur

Du travail incessant

Ouvrage sans gloire

A la sente tragique

 

Fumerolles oubliées

Poussières sous les pas du monde

S’achève l’œuvre

Aux heures fameuses

Autrefois éclairée

A la lueur vacillante d’une chandelle

Côtoyant parfois l’éclat sans obscur

Gît à présent anonyme

Au cœur du tombeau

Pour l’éternité

 

 

Silence

 

Au bord du monde

Pleure le poète

Dont l’œuvre

Aux ailes maladroites

Ne touche aucun ciel

 

Une présence incertaine

Au cœur

Il décèle

 

S’élance la plume

Effleure l’écorce blanche

 

D’un geste

D’une attention

Ecoute

L’empreinte du souffle

Extrait la sève sans nuance

Le passage d’éternité

Retrouve enfin son socle

 

Sur la feuille

La parole muette

Le chemin tracé

Gisent inertes

Glissant

Sur l’âme du monde

 

Voix anodine

Traces dérisoires

Dans les mémoires indemnes

 

 

 

 

Murmure

 

Obscure étoile

Dans le ciel dévasté de lumière

 

Etincelle

Dans la nuit sombre

 

La veille du poète

S’éternise

 

Dans un murmure

Un éclair

Balbutie

Ecoute le verbe

La voix hésitante

 

Bruissements inaudibles

Paroles silencieuses

Au cri déchirant

 

Clameurs lointaines

Pour la foule impassible

Pour les âmes

A l’inquiétude oubliée

 

Bruits que l’on terre

Sous le ciel morose

Sanglot

 

Goutte de rosée

Dans l’écume des jours

Sous le ciel ombragé

Au creux des vagues

Se perd

Noyé de larmes

Dans l’abysse du monde

Le cri du poète

 

 

Parole

 

Le visage penché sur l’abat-jour

La main posée

Sur le seuil encombré

Le poète écoute

La voix sibylline

Guider la plume

Dicter la parole silencieuse

 

 

Barreaux

 

Au cœur de la sinistre geôle

Rangée parmi les clapiers

La petite cage solitaire

Du poète

Enfermé le jour

D’où s’élèvent la nuit

L’angoisse

Les pleurs, l’infortune

Les cris d’agonie

Et les larmes noires

Qui s’envolent dans le vent

 

 

Attente

 

Dans la modestie des jours

Le poète célèbre l’éphémère

Le ciel qui embrase la nuit

L’indicible douleur qui irradie

Les heures blafardes

Dans l’attente de l’étroit sentier

Déserté par la foule

Qui déambulent

Dans le faste des jours

 

 

Insigne

 

Sur la table bancale

Un écriteau gris

Accumule les signes

Echo des profondeurs

Appel du ciel

Clameurs lointaines

 

Hiéroglyphes invisibles

Sur la surface ombrée

 

Se pose chaque nuit

Une lourde pile de pièces d’or

En équilibre

Qui s’efface à l’aube

 

Vil labeur

A l’horizon inestimable

Gratifiante besogne mésestimée

Œuvre le poète

Chaque nuit

Edifie lentement

La tour sans fin

L’infime cathédrale

Aux allures misérables

Modeste masure

Devant l’éternité

Sous la lumière solitaire

Bâtit l’ascension

Au cœur de la nuit montante

Vers les sommets abrupts

 

 

 

Substance

 

Sur les lettres griffonnées

A la substance aride

Pleure le poète

Qui rêve de paroles fécondes

Qui nourriraient la terre

Abreuveraient les hommes

Eclaireraient les pas

Vers le territoire mystérieux

 

 

 

Brûlure

 

Poète des jours sombres

A la terre dévastée

Où brille le soleil

Qui glace les âmes frileuses

 

 

A l'ombre de l'albatros

 

Dans le noir hiver

Aux brises parcourues

L’hirondelle attend

L’agonie d’un ciel incertain

 

Sous l’aile de l’albatros

L’espoir d’une terre

A l’orée du monde

Où battissent les hommes

 

Un antre fermé

Aux fonds des entrailles

D’un ventre sans pudeur

 

Sous les nuages gris

Un tertre aux mille lunes

Où étincellerait la nuit

 

Une béance sans faille

Où se perdrait l’écho

Et le reflet des visages creusés

Par le sillon des horloges

 

Mille paysages

Aux vacarmes secrets

Tirés d’une œuvre

Sans tâche

 

Un abîme d’égarement

Aux interstices mystérieux

Enveloppé de l’invisible sphère

Où dorment les prophètes

Sous le ciel grimaçant

A l’ombre de l’albatros

A jamais demeure l’hirondelle

29 novembre 2017

Carnet n°34 Pilori

Poésie / 2009 / Hors catégorie

 

 

Renversement

 

Une tristesse passagère

Le passage éternel

Le passage qui demeure

Long couloir aux portes interdites

 

Trouées d’éternité qui succombent

La joie rongée par la nuit

L’avenir hors d’atteinte

Et l’abîme qui enfonce

 

La noirceur déchaînée

Percée d’une volée de souffrances

Emportée par les vagues

La douleur se resserre

 

Prisonnier de l’âme écartelée

Où cinglent les écueils

 

La vie ressassée

L’amer déluge

Les jours qui sombrent

Et l’archipel englouti

  

Au loin l’horizon des Bermudes

Le passé ruiné

Les paysages sans avenir

Et l’obscur qui appelle

 

Le cœur qui s’émiette

L’intervalle se resserre

L’âme à vif lentement s’éteint

 

La vie s’essouffle

Et le long murmure de la mort

 

Et puis le saut

Inévitable

Et la porte

Inaccessible

Mystérieuse

 

Et puis

Un jour, plus tard,

Quand s’éteignent les cendres

Renaît à nouveau le jour

Demain au loin qui s’approche

 

Plus tard

La vie encore

 

 

Homicides

 

Le cœur empaillé

Et l’être balbutiant

Agrippés au naufrage

 

Englués sur la scène

Glissant aux coudes à coudes

Dans les guerres sournoises

 

Frappant sans honte

La faiblesse alentour

 

Mentant sans crainte

Egorgeant sans haine

Arrachant les fils

Des amours souterraines

 

 

 

 

Ornière

 

Vies de plomb

Sous le couvercle des jours

Aux jours comptés

Egrainent les heures

 

Âmes confinées

Aux chiches ambitions

Dans leur sillon s’épuisent

 

Marchent sans entrain

Vers la malle ténébreuse

Le tombeau éternel

 

 

Lointains magnifiques

 

Là-bas, au loin

En d’autres terres

Deux mondes

Côte à côte

L’opulence outrancière

Et le nécessaire décharné

 

De l’odieuse géographie

Sans intersection

A l’abject des routes

 

Les corps alanguis sur l’étendue

Et les tignasses encrassées

Sur les épaules courbées

  

L’azur des vagues

Et le gris des jours

Sur l’ocre de la piste

 

La caresse du vent

Sur la peau halée

Et la sueur sous l’astre écrasant

Ruisselant sur les torses

 

Les masures misérables

Où vivent la fange des peuples

A proximité des luxueux carrés

Aux carrefours innombrables

Où s’empresse l’impatience des voyageurs

 

Lointains magnifiques

Peuplés d’autochtones

Territoires hégémoniques

Colonisés de panses opulentes

Où règnent

La loi de l’ouest

Et l’espèce du ponant

 

 

Servitude

 

Le sang de la terre

Ses cargaisons d’immondices

Les formes décimées

Les paysages exsangues

 

Entrailles, horizons

Pliant sous le joug de l’humanité

 

Hommes en ordre de marche

Avançant vers le progrès

A pas assuré

 

 

 

 

Silhouettes

 

Traces infimes

Gloires éphémères

Destins fugaces

 

Oeuvres des ombres

Des sombres guerriers

Rejoignant la sente millénaire

Où s’enlisent les hommes

Depuis le commencement des siècles

 

 

Affaissement

 

Excès d’abîme

Songes creux

Aux échos sans agonie

Inondant la chair fragile

Resserrant la matière

Irradiant l’absurdité des sens

Refermant l’épais couvercle

Sur le sombre cloître des hémisphères

 

 

Ventres macabres

 

Ventres macabres

Eventrant la terre sombre

Exploitant la sueur des Hommes

Assassinant lespoir

Et les espèces contingentes

 

Jouissant de l’infamie

Perchés sur les crêtes nuageuses

Se pavanant sur toutes les patries

Contemplant le cœur fier et la panse repue

Leurs œuvres arrogantes

  

Ventres macabres

A la tête d’escadrons sournois

Répandant dans la nuit

Leurs féroces batailles

 

Petits soldats

A la solde inconsciente

Glorieux généraux

De l’armée triomphale

Soupesant l’or et l’infortune

Avilissant depuis la naissance du monde

La dignité de l’Homme.

 

 

Pilori

 

Au pilori

Les heures sans gloire

Les temps acculés

Les saisons crépusculaires

Et les jours clairs

 

Au pilori

Les pourfendeurs de vertu

Les conquérants débraillés

Les pornographes tapageurs

Et les chastes esprits

 

Au pilori

Les fêtes orgiaques

La folie des banquets

L’extravagance des palais

Et l’austérité des cellules

 

Au pilori

L’empire des conquêtes

L’épaisseur numéraire

Les finances dépravées

Et la pensée janséniste

  

Au pilori

Les fronts querelleurs

Les batailles rangées

La vindicte populeuse

Et la paix des peuples

 

Au pilori

Le livre couronné

Les pensées éclairées

Les doctes aréopages

Et l’ignorance déployée

 

Criminels

Dans sa fange

A sa pointe

Et dans l’intervalle

 

Au pilori

Crie le peuple

 

 

Fureur

 

Déferlantes assassines

Oublieuses du passé

Etreignant l’âme soumise

Crachant leur fiel à la ronde

 

Blessant la chair

Creusant la faille

Ouvrant la béance recouverte

 

Magma aux poings fermés

Eructant du fond des abysses

Ebranlant le sol alentour

Meurtrissant les visages familiers

 

Désastre à la face hideuse

Embrasant la terre

De ses poussées convulsives

 

Forçant les portes

Recouvrant le ciel

Asphyxiant l’espérance

 

Aux derniers souffles du cataclysme

Longues heures d’agonie

Parmi les cendres

 

Où gisent côte à côte

Sous la terre brûlée

Le bourreau

Les visages sinistrés

Victimes de l’infamie

Regardant l’horizon exsangue

Où brille le soleil noir

 

 

 

 

Sous le soleil

 

Sous l’ondée des jours

L’étendue rocailleuse

Dans la chaleur des nuits

Les âmes pétrifiées

 

Derrière la blancheur des rires

Les blessures enfermées

Le désespoir contenu

 

Derrière les malles débordantes

Les cœurs indigents

 

Sous le fard des paupières

La lourde coulée du sablier

Derrière les bouches écarlates

Les passions livides

Et les corps sans ferveur

 

Dans l’éclat des cœurs

L’appel sans écho

Sous le tumulte des corps

La flamme obsédante

Dans le lit conjugal

Les devoirs exilés

 

Sous les bruits des jours

Le silence paresseux

 

Derrière l’homme sans faille

Les tremblements de l’enfant

Sous l’affable des mots

La furie enchaînée

Sous le ciel d’été

Les mornes nuages

Les jours moroses

 

Sous le soleil

Sans surprise

La vanité et le mensonge

Où brille la cruelle ignorance

 

 

Labeur

 

Sur les dalles des jours

Les pas harassés

Les semelles griffant la poussière

 

Les têtes lasses

Secouées par les ornières

Guidées par l’appel des foules

 

Les épaules basses

Heurtant les corps alentour

 

Les membres fourbus

Se pressant sans hâte

Vers l’odieux des jours

 

Les mains machinales

Saluant les visages indifférents

  

Les gestes sans vigueur

S’emparant des tâches

Occupant les heures

 

A marche du temps forcé

L’œuvre des aiguilles égrenant

Les 1000 mouvements ressassés

Dans l’hémicycle du cadran

S’exécute la besogne

 

Les mines défaites

A l’issue du labeur

Franchissant les portiques

Les yeux hagards

Reflétant le vide des heures

Traînent sur les dalles noires

Quittent le bagne des jours

A la lueur des réverbères

A l’heure du repos vespéral

Retrouvent l’air maussade et résigné

Le chemin des chaumières

 

 

Aube éternelle

 

A l’aube décharnée

Les passagers hagards

Sur les quais déserts

Contemplent leur ombre

Qui s’étire

 

Attendent les convois d’abondance

Qui les mèneront vers la nuit sans fin

Se ruent sur les passages

Aux abords étroits

S’installent

A leur place sans avenir

Patientent

Regardent défiler les heures

Par la vitre les paysages sans surprise

Descendent pressés

Se bousculent

Déferlent sur la ville endormie

Œuvrent ensommeillés

Au défilé des jours immuables

 

Horaire

 

Passant immobile

Au trajet minuté

Aligne les aiguilles

Dans le bric-à-brac des heures

Crainte

 

Promeneur apeuré

Soupèse la menace

Qui environne

Qui assaille

De toute part

Déambule anxieux

Au cœur des paysages

Asservi au regard

 

 

Opulence

 

Jours fastes

Aux heures lasses

Où les corps emmaillotés

Les esprit empâtés

Se repaissent

Jusqu’à l’écœurement

De l’ordinaire abondance

Ensommeillant les jours

Jusqu’au couchant

  

Installant la nuit

Voilant plus obscurément la sente

Jusqu’à l’aube frugale

 

 

 

Langueur

 

Terres ensommeillées

De trop d’abondance

Paralysant les âmes repues et paresseuses

Sur le frugal chemin

 

 

 

 

Lutte

 

Inflexible bataillon

Marchant le pas martial

Vers l’immonde

Et la barbarie

Saluant l’honneur ancestral

Les martyrs sans patrie

Les visages anonymes

Défilant en rang

Vers les tranchées

Avançant sans effroi

Le casque tremblant

Vers l’hostile

 

Point de mire

Dans la visée sans gloire

A bataille rangée

 

Parés à anéantir le discordant

Envahir la plaine

Sans pitié pour les visages innocents

Abreuvés du sang de leurs frères

De leurs pères

Marchant sous les feuilles pourpres

Dispersant la poussière des morts

Tâches écarlates

Aux guêtres endeuillées

Ensanglantant le sol

Et les pas des vivants.

 

 

 

Dirigeants

 

Monarques

Au cœur livide

A l’âme engoncée

Dévorant la face du monde

 

Funestes souverains

A l’ambition effilée

Asservissant à leur botte

Les peuples ignorants.

 

 

 

Cadres

 

Habits de béton

Aux interstices flasques

Casque sous le veston

Aux boutons scélérats

Vêtus pour la parade

En grand habit d’apparat

Les marionnettes s’impatientent

 

En scène s’élancent

Les gestes brusques et saccadés

Sous la cuirasse

Aiguisent leur lame

Sous leur complet

Affrontent leur sourire

Opinent du chef

Devant la hiérarchie

Ligotent sans merci la concurrence

Empilent les tâches victorieuses

  

Ecartés des batailles

Dans les coulisses

Hors cadre

Achèvent la représentation

Deviennent ombres lasses

Pantins sans ficelle

Pantomimes transparents

Que l’on couche dans le coffre

Du funeste magicien

 

 

Acide

 

Nuages d’aigreur

Aux parfums tenaces

 

Déversant leur fût corrosif

Sans discernement

Vitriolant la face du monde

 

Eparpillés par le vent

Dévalant les pentes

Où poussent les hommes

Eclairés par les joies du temps

 

S’abattant en lourdes larmes

Sur les terres aux mille soleils

Déracinant la fortune

Nichée au creux des crevasses

 

Courant vers le centre

Des terres arides

Où brille l’horizon noir

Au cœur sauvage

A l’acrimonie indemne

Sur le sol impénétrable

Où s’épuisent les rayons de l’astre

 

 

 

Rétractation végétale

 

Monde aux pétales fanés

Qui sous le ciel se resserre

Comme une fleur asséchée

 

 

Décideurs

 

Défricheurs d’horizons

Au doigt funeste

Bâtisseurs de gloire

A l’œil rassurant

Amis des peuples

Au poing ouvert

Ecrasant l’espoir

Sous leur bottes

Asséchant le monde

Flétrissant le ciel à venir

Pour l’éternité

 

 

 

Guerres

 

Les ruines aux rides crénelées

Perchées sur l’horizon

Vestiges des combats d’antan

Du sang répandu sur la plaine

 

Hier par le regard présent

Sans effet sur nos jours

 

Histoires lointaines

Aux survivances éternelles

Echos des époques ancestrales

Souillant d’autres territoires

Abreuvant la terre

De sa funeste cargaison

  

Fureur contemporaine

A l’abri des bunkers de verre

Aux canons agressifs

Pointés sur le peuple

 

Divisions à l’uniforme

En ordre de marche

Dispersées sur les esplanades

Livrées au combat

Derrière la vitre

L’écran abyssal

Aux signes énigmatiques

 

Guerre impérissable

Livrant leur médaille glorieuse

Au cercle galonné

Aux habitués des mess

Aux costumes croisés

Et l’arme sanglante

Aux mains laborieuses

Sacrifiées à la rente

L’œuvre indestructible

Des assassins d’éternité

 

 

 

Sueur froide

 

Toxique chaleur

Eblouissant les sens

 

Braise à l’odeur de souffre

Enflammant les corps

 

Empoignant la chair

Exhortant l’emboîtement

 

Les furtives secousses

A l’immortelle visée

 

Eructer par l’étroit sillon

La sève sauvage

28 novembre 2017

Carnet n°33 Les ailes du monde si lourdes

Poésie / 2009 / Hors catégorie

 

 

Les ailes du monde si lourdes

 

Les ailes du monde si lourdes

Portent leur ciel de souffrance

 

Sous la terre

Le peuple des morts danse

Au son des tambours

 

Au creux des mains

Palpite la joie

 

Et derrière la vitre

Les collines silencieuses

 

Au cœur de la ville

Aux détours fabuleux

Se déploie l’illusion

 

Au fond des églises

Derrière les cierges penchés

S’endorment les prêtres

 

Au fil de l’eau

Les rameurs exténués

Sur la barque s’enlisent

_

Au loin

Devant le soleil rougissant

Décline l’horizon

 

Sur le quai des gares

Les voyageurs patientent

 

Au bord du ciel

Se dérobe le soleil

 

Aux matins de la nuit

S’évanouit l’abîme

 

Au bord du gouffre

S’envole l’espoir

 

Au gré des vents

Frappe la tempête

 

Au cœur du monde

S’exhibe la violence

 

Dans l’espace désert

S’étale le silence

 

Parmi les ombres

Se pousse le cri

 

Et dans le cœur des hommes

Doucement se meurt

La colombe

 _

 _

_

_

Songes

 

L’angoisse étreint le marcheur

Dont les songes égarent

 

Dans l’arbre du ciel

Se posent les oiseaux paresseux

Les mendiants accoutrés

Qui se pavanent

Derrière les rideaux

S’étire l’oubli

 

Un feu d’espoir

Attisé par les vents avides

 

Sur le trottoir

S’endort le clochard

Au pied des immeubles

Où sommeillent les bourgeois

 

Sur le monde

Glisse le regard

 

Sur le sol

S’affaisse la conscience moribonde

 

Brûlé à la cendre noire

L’amour se consomme

En ces lieux dévastés

Où se perdent les hommes.

_
_
 _ 

_

Découverte

 

Une envolée d’étoiles

Dans la nuit écarlate

 

Une tige maladroite

Au bord du chemin

 

Un ciel ouvert

Sur l’obscur espace

 

L’infini reflet de la lune

Dans l’encrier

 

Une bouteille sur la table

Et une plume à la main

 

L’homme pense

Penché sur le sable

 

La tête souriante

Et l’âme écorchée

Inscrit son nom

Sur les vagues éternelles

 

Oubliant ses frères

Et regardant sans larme

La misère enterrée

 

L’ineffable origine

Et l’abysse des songes

 

Atteint l’impensable

L’inconcevable

La folle vérité.

_

_

_

 Ecclésiastiques

 

Etreints d’angoisse

Passagers sans bagages

Voyageurs harassés

Quittant la terre sans promesse

 

Ombres éclairées

Par l’obscur univers

L’odieux des pensées

Cheminant sans halte

 

Béquilles d’espoir

Vers le territoire lointain

Et les contrées promises

La marche saccadée

Les parcours s’étirent

 

Pèlerins des vastes cieux

A l’âme avide

Au regard émacié

Aguerris d’ascèse

Forgeant leur âme sans grâce

Le cœur triste

Tâtonnant vers l’illusoire présence

 

Horde errante déambulant

Pressant le pas

A l’ordre obéissant

Marchant à l’œuvre du désordre

La courbure éhontée

Et l’allure frémissante

Sous les bottes crottées

Où brille le sombre halo

Guidés par la rose des vents

La chimérique lumière

Qui égare au désert

Pérégrinant sur le chemin d’épines

Aveuglés par la gloire sans issue

Où s’éteignent les cris des morts

Ils agonisent sans fin

_

_

_

_

Regard sur l'ordinaire

 

Matières enchevêtrées

Soumises aux formes incertaines

 

Consciences empêtrées

Cherchant l’origine

 

Esprits tyranniques

Maltraitant les corps

 

Potentats telluriques

A l’étroit bon sens

 

Aveuglés d’apparences

Ecrasés d’ignorance

S’entortillant dans le magma sirupeux

 

Captifs du jeu sans règle

_

_

_

_

Impies

 

Âmes creuses

Aux faciès rayonnants

S’agenouillant

Le cœur en croix

Tissant les nœuds infernaux

Contemplant les étoiles glissantes

Et le firmament lointain

 

Laborieux travailleurs du ciel

Aux croyances hallucinatoires

Et aux fourbes promesses

Se courbant au pied de statues sanctifiées

 

Les mains jointes

Devant l’allégresse du prieur

Béats face au visage impassible du père

 

Exposés au purgatoire éternel

Aux extases apocryphes

Bramant leur foi dans le lointain

 

Impies sacrilèges

Déroutant la bannière

Et mutilant le Verbe

 

Arrachant le martyr à sa croix

Encombrant le cœur simple

Et dépouillé du lien

_ 

_

_

_

Invariables identités

 

Existences brouillonnes

Glorifiant l’éphémère

Et célébrant l’illusion

Dans l’aire d’errance

S’enchaînent

 

Se querellent

Se caressent et s’étripent

Marchent côte à côte

Le poignard à la main

 

S’assoupissent d’ennui

S’égarent dans les ornières

En rêvant d’illustres chemins

 

Déambulent fiers

Au cœur de l’espace intime

Dans l’intervalle commun

 

Renâclent au nécessaire

Et éclipsent l’essentiel

 

Pauvres mortels

A l’âme craintive

Ignorant la nature éternelle

Au cœur des fausses identités

_

_

_

L'antre du pèlerin

 

Blessé par le rire des peuples

Le regard des foules

L’indifférence des Hommes

 

Le marcheur

Sur les chemins familiers

Claudique

Arpente la terre aux vaines promesses

En quête d’un gîte

 

Quitte la terre des ombres

Et découvre

La lueur incertaine

 

Dans l’antre enfermé

Le pèlerin

 

A l’âme balbutiante

Caresse la paroi

 

Loue le repaire protecteur

Le regard béat

Le cœur écorché

Au bord des lèvres un sourire

_

_

_

Silhouettes ombrées

 

A l’ombre d’une main

Se terre l’enfant

L’enfant ignorant

Ecrasé par l’ombre du sage à venir

_

_

Eléments

 

Terre, quelques traces

Balayées par le vent

Eau, sang qui habite

Et nourrit la chair

 

Feu, élan vital du mouvement

Air, matière de l’espace,

Nourriture du souffle vivant

Ecrin des éléments

 

Nature, particule

Où s’ébat le peuple des formes

Vie, cadre des phénomènes changeants

Où se frôlent et s’échangent

Les parcelles d’esprit

Engluées de substance et d’orgueil

 

Âme, fragment d’être

Enserré de matière

Ciel, espoir de parcelle intime

Au delà des frontières

Espace

Origine sans naissance ni fin

Où siègent les formes

Qui apparaissent et s’éteignent

Nature inchangée de l’esprit

Conscience éternelle

Et sans limite

_

_

_

Envol

 

Etincelles de l’être

A la présence incertaine

Invitent à l’improbable

Et à la certitude

 

Effacer le passage

Traverser l’apparente frontière

S’unir à l’infinie dimension

 

Ouvrir l’espace

Au delà des écrans obscurs

Où niche le merveilleux

 

Franchir l’impénétrable

Mêler sa voix au jeu incessant des formes

Perpétuer l’œuvre ineffable

_

_

Limpide

 

De la nuit

S’élancent les jours clairs

 

De la lumière

Resplendit l’ombre

L’obscur désépaissi

Transparaît

 

Transparence sans ombre

Aux teintes écarlates

Glissant dans le ciel bariolé

Sans visage

_

_

_

Inexpugnable

 

L’étrange fraternité des jours

Dans le cœur des hommes

Dévastée

 

L’étrange fraternité des jours

Au cœur de l’obscur

Démunie

 

L’étrange fraternité des jours

Au seuil de la porte

Décimée

 

L’étrange fraternité des jours

Au fond du ciel

Envolée

 

L’étrange fraternité des jours

Sous d’autres cieux

Eparpillée

 

L’étrange fraternité des jours

Dans les jours clairs

Retrouvée

 

Inépuisable source

Cheminant

Au gré des vents

En toutes contrées

_

_

_

Evanescence

 

Paysage à l’éphémère glorieux

Ignoré parmi les étalages

 

Au cœur des denrées périssables

Inexistant

 

Invisible perle

Sur les lourds colliers

Parmi les chaînes attachantes

 

En l’ordinaire

Partout

Est présent.

_

_

Espoir

 

Bafoué

Par les hommes sans mérite

Aux prouesses futiles

 

Adossé au réverbère

Contemplant l’œil usé

La gloire odieuse

 

Baissant la tête

Vers l’horizon sans nom

Au passage des cortèges ornés

 

Le passant des jours

Vers la nuit s’incline

Erre aux alentours

Dodeline tristement la tête

Presse le pas

Pour regagner sa demeure

 

Au milieu des heures

Emprunte la pente

Où croupissent les tourments

Affronte l’orage

Décourage la plainte

Et s’affaisse doucement vers le ciel

 

Arpente à pas comptés l’espace

Ouvre le voile

Où s’ébattent les combattants

Aux éclats désencombrés

A quelques enjambées lointaines

De la gloire anonyme

Espère un jour peut-être

Fouler le territoire

_

_

_

Ignorance

 

Dans l’abîme sans couleur

S’évanouissent les pâles éclats

Qui réjouissent les ombres

 

S’étendent les ténèbres silencieux

S’amplifie la crainte

S’étend le jour crépusculaire

Qui assombrit les heures

 

S’installe l’éternité

Le temps immuable de l’effroi

Sourd l’angoisse des fonds

Qui paralyse

 

Dans l’abîme sans couleur

S’égare le passant

Le marcheur aux pas comptés

Isolé des surfaces

Où grouille la foule inflexible

Epouvanté par le sursaut chimérique

Frissonnant d’inquiétude

Au cœur de la terre qui enlise

Ignorant la brèche

Vers l’étroit passage

L’horizon clair

_

_

_

Intersections

 

Au carrefour des heures

L’impasse aux mille promesses

 

A la croisée des mondes

Le fief rebutant

Où règne la contrée sans pareille

_

_

Aube

 

A l’aube frémissante

S’écartent les ombres couchées

Les parures jetées

Les crinières défaites

Et les âmes fatiguées

 

A genoux se lève

La conscience vivace

 

28 novembre 2017

Carnet n°32 A la croisée des nuits

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l'impersonnel

Depuis l’enfance, il attendait la rencontre. Comme un mendiant au bol tendu. Comme une bouteille cherchant son rivage. Il ne savait où aller. Il continuait d’errer au vent, sur place et ailleurs, tentant d’abreuver sa soif à son origine, à la provenance jaillissante des chemins, à l’essence des paysages et des rencontres dans l’immobilité mouvante de l’espace.

 

 

A la croisée des nuits

 

Il poussait ses murs aux 4 coins de la terre. Croyait aller les semelles aux vents. Et érigeait une forteresse en tous lieux. Prisonniers sous toutes les latitudes.

 

 

Rivé à la rive, l’horizon parfois se rapproche. Mais jamais ne s’efface. Comment faire naître l’œil insubmersible ? La prunelle amovible et le cil battant au vent avec le ciel au-dedans ?

 

 

Ses yeux recouvraient l’horizon. L’aveuglant à toute perspective.

 

 

Une porte dérobée. Et voilà l’infini qui s’échappe.

 

 

L’obscurité avale toute lumière.

 

 

Il se légua aux ténèbres. Après s’être tant ligué contre elles (elles qui l’avaient autrefois tant ligoté).

 

 

Pour quoi faudrait-il mourir d’espérance ?

 

 

Il s’évanouissait à la vue d’une hirondelle. D’un nuage. D’un brin d’herbe. Mais les visages ranimaient aussitôt sa flamme hostile.

 

 

De ses larmes, il rêvait de purifier le monde. Encore si aveugle à son âme trop noire.

 

 

Nul ne pouvait le dérober à ses pas. Comment aurait-on pu dérouter sa destinée ? Son âme même ne lui appartenait pas.

 

 

Ni terre ni ciel. De la lumière et des nuages. Des larmes et des lèvres closes. Et parfois un rire sans borne. Infini.

 

 

Nulle part. Voilà notre origine. Et notre destination. Et nous autres, malheureux, nous nous acharnons à maintenir le cap en chemin. Quelle désorientation !

 

 

Au-dedans de son dédale, des rues joyeuses ouvertes sur le ciel. Et des égouts à ciel ouvert.

 

 

L’espoir est une ornière où le pas glisse.

 

 

Il jeta ses sandales pour que sa chair recouvre (enfin) l’aspérité du chemin.

 

 

Il ne parvenait à soulever la poussière de ses pas. Embourbé dans son sillon. La plèbe par-dessus la tête voilant le ciel à ses paupières.

 

 

Il s’attachait au sombre labeur. Comme à une corde. Pour monter. Il aurait tant aimé en atteindre le faîte pour s’y suspendre.

 

 

Son âme se raidissait à la rencontre d’yeux hostiles. Il ne savait voir Dieu tournoyer comme un vent étoilé dans leurs prunelles. 

 

 

Qui es-tu, toi, qui marches vers tes eaux profondes ? Y cherches-tu le ciel ?

 

 

Son pas connut mille ponts qui soutinrent sa marche. Et il cherchait encore sur la rive la mystérieuse passerelle.

 

 

Cette quête enflammée qui autrefois l’animait le brûlait à présent. Et consumait chacun de ses pas vers le ciel d’ivresse, la saveur de la terre et la chaleur des regards alentour.

 

 

Il parcourait les heures pour visiter la ronde infernale qui agitait ses pas. Un jour, à mi-chemin, il s’égara, l’incompréhension au bout de ses semelles. 

 

 

Il s’octroya alors le droit d’inventaire. Pour établir la liste de ses prix.

 

 

[Inventaire]

Le songe n’est qu’un éboulis à la rencontre des cimes. Aussi nul de sert de crier sous l’avalanche.

 

Le choc n’est jamais sans limite. Mais il se souvient des ondes.

 

Devant l’arbre, la maladresse prend racine. Nul envol possible sous les feuillages.

 

La survie s’invite en notre désert. Et le prophète attend sous un palmier. A l’abri des ombres. Aussi nul ne sert de crier au-delà des dunes.

 

Les bois de l’homme sont impénétrables. Un arbre pourtant (une branche parfois) suffit à faire naître la hache exploratrice – l’outil salutaire des dévastations. 

 

L’arbre est ta figure. Entends-tu le tremblement des feuillages sous la brise automnale ?

 

Mise sur l’orage. Non sur le ciel. Et en un éclair, tu sauras.

 

Nul abri sous l’averse. Rien que des gouttes au cours de la traversée.

 

Tu as le soliloque singulier. Mais tant de voix t’échappent (encore) pour tenir ton rôle.

 

Nulle parole ne s’enhardit autant que dans le silence. L’oreille est fine. Et (toujours) aiguisée au verbe.

 

Dans ton décor d’infortune, tu sommeilles. Pars donc sur le chemin explorer tes coulisses.

 

Plus beaux sont les reflets, plus vil sera ton vrai visage. Prends garde aux éclats du miroir.

 

Emmure tes silences pour que naisse l’écho. Et ton oreille deviendra sourde aux rumeurs.

 

N’oublie jamais l’espace du cadre. Plus large il sera, plus les silhouettes s’ajusteront.

 

L’oiseau rêve de s’envoler. Mais comment défaire ses ailes des barreaux ?

 

Garde la sente humide pour tes glissades car l’aube sera ton enlisement.

 

Nul ne sert de crier à l’infortune. Les pièces sont déjà dans ta poche. Une riche destinée t’attend.

 

 Habite la présence. Et tu seras partout roi.

 

*

 

Il végétait (encore) au seuil des frontières. Errant (toujours) hors du cercle.

 

 

Minuit. Midi. Quelle importance ? Le soleil éclaire l’en-bas. Et l’en-haut s’est dispersé.

 

 

Il crut longtemps à ses vaticinations. A ses prophéties de malheur. Il les convoquait à chaque recoin du voyage. Laissant glisser son funeste destin de surface.

 

 

Pour conjurer le sort incertain, il s’inventait des rituels et des gestes inexacts. Se couvrant ainsi (malgré lui) de chimères.

 

 

Sans confiance (pour le chemin et l’incertitude des pas), l’étendue de l’inespéré - qui surgit aux confins de la volonté et des horizons désespérants - demeure invisible.

 

 

La foi dans la maîtrise détourne de la connaissance du vent.

 

 

Ses pieds touchaient toujours terre. Et ses yeux guettaient toujours les pistes trop damées entre les terrains vagues. Trop lâche encore pour relever le casque rabattu sur ses paupières.

 

 

Comme une fleur dans le vent, comme un oiseau sur sa branche, il attendait l’heure propice des saisons.

 

 

En bordure de ciel

Des carrières d’étoiles empilées

Où patientent les âmes trop sages

Inintrépides.

 

 

Pourquoi es-tu si aveugle aux richesses dilapidées par tes gestes maladroits ?

 

 

Dans l’abondance des larmes

Se cache une joie secrète

Que peut percer la prunelle défaite

Qui s’inquiète encore de sa transparence

Et cherche toujours son mystère

 

 

Quand diable te verras-tu, homme ?

 

 

Une déchirure entre les lèvres happait tous les malheurs. Comment le ciel aurait-il pu s’y engouffrer ?

 

 

Il est des lieux sans repère

Et des cieux sans abri

Où les soucis

Promis à la brûlure et à la fonte

Soumettent à la transparence des âmes

 

 

La lune se reflétait dans ses prunelles et trouvait refuge sous ses paupières. Il avait regardé le ciel avec tant d’espérance.

 

 

Une pelletée de terre

Sur les eaux vives

Et la résurgence

Rejoint sa source souterraine

 

 

Tu n’échapperas à la rosée sur les pierres du chemin.

 

 

Des ombres. Des lumières.

Et ta main tremblante

Effleure l’interstice

Où sommeille ton vrai visage

 

 

L’harassante lumière s’ouvre dans l’ombre.

Tu bâtis des forteresses de sable

Ton éternité s’étend à quelques décades

Alors pourquoi diable brandis-tu ta gloire ?

 

 

Dans la trame labyrinthique, les créatures cherchent leurs fils. Dénouent leurs liens jusqu’à l’origine.

 

 

Creuse car le précipice attend ton saut pour s’inverser.

 

 

Une percée d’étoiles

Une secousse

Et aussitôt le ciel se déchire

 

 

Il dévala (une nouvelle fois) la pente à l’envers. A contre sens du commun.

 

 

Il perdit pied sur terre. Mais haussa la tête dans les nuages qui lui donnèrent raison malgré la pluie.

 

 

Une mémoire de pierre

Sous le linceul de la terre

Et un bout d’aile déchiquetée

Voilà les parures de l’envol !

 

 

Ventre, cœur et esprit tirés à l’extrême, de leurs entraves à l’infini, invitent l’absolu à couler en nos veines.

 

 

Mille percées trop volontaires courbèrent sa tête vers l’horizon.

 

 

Un fil unique dessine l’univers, le mouvement des astres et des silhouettes. Et toutes les jointures du ciel à leurs attaches.

 

 

Un cri dans l’aube attend notre bouche. Une plaine, nos mains tendues. Un soleil à chaque horizon. Un espoir de vent. Et un feu sous notre chair.

 

 

Le silence si serré entre ses mains le tailladait parfois.

 

 

L’ossature du ciel forge les silhouettes qui soumettent leurs pas aux escaliers, aux cordes, aux pentes et aux cavalcades.

 

 

Un espoir enfle à travers la pluie. Et un vent bruisse en nos veines.

 

 

Quand les cieux s’estompent

Les yeux éblouis par le pavé rugueux

Sur l’ineffable marelle des enfants sages

Sautant de la terre au ciel

La craie s’efface sous la pluie

Et les pas cherchent leurs traits

A la saison des rires

 

 

Les yeux au bord de l’abîme

Et de grands bruits à l’horizon

Appellent la joie à effleurer nos lèvres

 

 

Comment réconcilier l’écartèlement des pas et les sourcils emmêlés cherchant en tous lieux le chemin à venir ?

 

 

Les yeux frondeurs sur l’azur

Le front planté d’étoiles

Et les semelles toujours jonchées de gravas

 

 

Quand le cœur palpite à l’unisson du cosmos

L’âme hébétée reconnaît sa vérité.

 

 

L’horizon s’ouvre aux mains ouvertes.

 

 

Il se moquait (toujours) du climat et des paysages. Chaque pas le retardait du lendemain. Pourquoi se serait-il pressé ? Il croyait l’aube atteinte. Et elle n’était qu’éteinte dans ses yeux trop sombres. 

 

 

L’horreur ne connait  nulle saison. Mais chaque instant n’est-il pas un printemps ?

 

 

L’espérance du ciel 

 

A chaque carrefour, le renoncement l’écartelait. Poussé vers nulle part, il suivait sa pente. Allant éparpillé, ici et là.

 

 

Il cherchait toujours (avec frénésie) deux bras ouverts qui le salueraient d’un geste fraternel.

 

 

Le chemin est un dédale de forêts sombres. Et on s’éreinte à la coupe, taillant à la hache jusqu’à l’obscur de nos pas.  

 

 

Il lui arrivait d’encercler sa marche. Jusqu’à l’immobilité.

 

 

Jamais il ne s’aventurait au-delà de lui-même. Incapable d’entrevoir le ciel dans les yeux alentour. Et les lèvres entrouvertes.

 

 

Il observait les hommes. Leurs parures, leurs mimiques. Leurs grimaces. Il voyait le monde recouvrir ses jours de visages et d’agitation. Et lui, s’éloignait en pleurant, seul et silencieux.

 

 

Lorsque mille sourires vainqueurs se dressent devant moi, je les observe d’en-bas, et je devine dans leurs yeux l’abysse et le plongeon retardé. Je sais que je n’ai sur eux - qui me pensent perdu - que peu d’avance.

 

 

Comme un passager clandestin parmi les hommes, il naviguait à vue. Errant en ses contours.

 

 

Il avait épuisé son existence à l’ébranlement intérieur. Et il creusait (à présent) sous les ruines. Mais sous les décombres, seul un mince filet de fumée s’échappait encore.

 

 

Il tendait l’oreille à l’appel des cimes. Cherchant vainement dans ses poches les graines d’un autre temps - infertiles, malgré ses larmes.

 

 

Son regard glissait entre les silhouettes. Sans les heurter. Sans se laisser accrocher aux visages qui l’imploraient de les relever. Il leur exhortait de se redresser. Et soutenait parfois, d’un geste maladroit, les plus faibles sur leur sente. 

 

 

Cette maigre consolation des hommes qui se penchent vers nous, les yeux ouverts et le cœur ailleurs, songeant sans doute à des malheurs moins lointains.

 

 

Nos appuis solitaires, les seules béquilles pour nos pas.

 

 

Il avançait, la démarche lourde, l’air idiot, le geste brusque, le cœur solitaire et l’âme désemparée. La main de la tristesse toujours sur l’épaule.

 

 

Il allait vers un territoire que nul ne connaissait. Encombré d’une foule de personnages - grotesques et inutiles - accrochés à ses bottes.

 

 

Depuis l’enfance, il attendait la rencontre. Comme un mendiant au bol tendu. Comme une bouteille cherchant son rivage.

 

 

La joie habitait parfois sa solitude. Elle posait sa main délicate sur ses épaules. Enveloppant son air de chien triste.

 

 

Une étreinte aux marges des différences.

 

 

A notre mort, le vent dispersera nos cendres. Et tous les visages s’éloigneront, en protégeant leur front de cette poussière.

 

 

Quel œil ne réclame sa braise ? Et quel homme ne rêve de dessiller sa prunelle ?

 

 

Quel est le reflet de notre regard dispersé en tous lieux ?

 

 

La vie défilait sa joie. Et le happait de ses grandes lèvres saillantes. Et lui, malheureux, la regardait incrédule.

 

 

Sur cette terre, nul horizon. Et au fond du ciel, nul asile. Mais une échelle à chaque pas. Et toutes les passerelles du chemin.

 

 

Il ne savait où aller. Il continuait d’errer au vent, sur place et ailleurs, tentant d’abreuver sa soif à son origine, à la provenance jaillissante des chemins, à l’essence des paysages et des rencontres dans l’immobilité mouvante de l’espace.

 

 

Au sommet des étoiles, les dunes d’argile tombent en poussière. Et une porte s’ouvre. Sur des territoires vierges et sans frontière.

 

 

Il attendait un délice sur sa chair déchirée. Une pluie de lumière dans ses yeux. Et un peu de repos pour son pas.

 

 

Un jour, il dévala la pente à l’envers, le séant par-dessus la tête et les racines aux nuages. Et la terre aussitôt s’ouvrit au-dedans pour saluer son origine. Et ses pupilles aspirèrent toutes les frontières qui bordaient l’abîme silencieux, disloquèrent l’espace et les formes qui se décomposaient et se recomposaient au son des cris et des larmes, des sourires et des incompréhensions.

 

 

Il se faufilait parmi les cris et les râles, les fausses extases et les faces écarlates, les ricanements, les chuchotements comploteurs et le ronronnement des existences pendues aux aiguilles qui défilent. Comme un marcheur ivre aux pas sans visée.

 

 

Le vent se glissait parfois entre ses lèvres. Forçant sa bouche à s’ouvrir. Et répandait son sable et sa poussière sur ses heures mortifères. Egayant sa posture et sa silhouette ensillonée.

 

 

Guidé par son besoin de nudité, il se rapprochait du cercle des hommes en guenille. Encore à bonne distance de la transparence.

 

 

Chaque jour, il virevoltait parmi les insectes et les ailes fraternelles sous la menace des silhouettes rapaces. L’envol toujours avide et apeuré.

 

 

Son geste glissait sur la page, guidé par un ailleurs en lui - présent et hors de saisie. Incrustant chaque signe dans le vent.

 

 

Jette tes paumes et ton orgueil de parvenu. Laisse le destin te dévêtir et t’initier à la traversée sauvage des défroqués.

 

 

L’attente le jetait en contrebas de toute espérance. Et il guettait la fuite du destin et la venue de nouveaux soleils. Mais l’abîme sous ses pieds demeurait noir. Et le ciel à ses yeux désespérément gris. Sous ses paupières, nulle échelle et nul arc-en-ciel. Il continuait d’avancer, une fatigue inconsolable sous le bras.

 

 

Sous mes paupières closes, j’entrevois la chute inévitable. Et l’envol remisé en d’autres lieux (en d’autres cieux peut-être).

 

 

Lorsque le ciel tombera sur ma chair et s’émiettera dans ma bouche, mes mots auront-ils un destin sur l’écorce ?

 

 

La déchéance ravivait ses plaies. Son désir d’ailleurs. Fermant toutes les impasses sur l’horizon.

 

 

Nul décor ne pouvait inviter son geste à la lumière. Le ciel toujours hors de portée, glissait en tous lieux.

 

 

Ouvre tes mains au mystère. Et la lumière se glissera entre tes lèvres.

 

 

Il ouvrit les mains à l’obscur. Et une lueur brilla au fond des ténèbres.

 

 

Il ne pouvait imaginer pire torture que la sienne. Une main de bourreau sur son visage martyr. Une lame parcourant sa peau tendre. Avec le vent de mèche et son sourire complice.

 

 

Il ne pouvait se résoudre à renoncer à ses chimères pour rejoindre le réel sec et tranchant. Doux et savoureux. Enfantin et inoffensif.

 

 

Il aurait aimé vivre hors des barreaux, le pas désencombré de tout missel, explorant chaque recoin du monde. Mais il était encore entravé en son désert et en celui de la foule pour gagner le cœur et le pas de quelques compagnons.

 

 

Il croyait encore à ses prophéties de malheur. Et les convoquait à chaque recoin du voyage.

 

 

Il s’inventait toujours des rituels et des gestes inexacts. Pour conjurer le sort incertain.

 

 

Chaque nuit, il s’endormait sur son territoire, sûr de son fief surplombant les lointaines contrées. Et l’œil planté sur ses cieux souterrains.

 

 

Dans l’épure du ciel

Des éclairs ombrés

Un halo injoignable

Un horizon transparent

Et quelques traces fugaces

 

 

Désenchanté par le regard qui se trompe de grâce…

 

 

Le miracle des pierres brûlait à ses joues. S’émiettait en larmes fines, figeant toute statue en vent rafraîchissant.

 

 

Enfermé dans sa cage de givre, il brandissait ses doigts tendus d’espoir vers l’azur impénétrable.

 

 

Entre son ciel d’acier et son plafond marécageux, il s’enlisait. Comme dans un étau.

 

 

Il ne pouvait se résoudre à goûter à la rosée des heures, à savourer la fraîcheur des étincelles lancées à la nuit, à jouer avec les flammes de glace. Il ne pouvait inviter le souffle entre ses pas. Il ne pouvait se résoudre à explorer les vallons érigés en pics et les gouffres vertigineux alentour. Il ne pouvait se résoudre à aimer les offrandes et les sacrifices, le langage bestial des formes ignares. Ne parvenant encore à se perdre jusqu’au rire, jusqu’à la déraison des cimes, des abysses et des séparations.

 

 

Du haut des falaises, il lançait parfois aux foules quelques grimaces. A grand renfort de rire. Pour dénuder le ciel jusqu’aux confins de la terre.

 

 

Il ne pouvait accomplir de geste sans résonnance. Ni de pas sans profondeur. Il aurait (pourtant) tant aimé que toute surface lui soit égale, lissant ici les aspérités et créant là des monticules, tournant autour sans se fatiguer jamais de les savourer. 

 

 

Les mots abondent à mes silences. Et s’offrent en sons transparents. Engloutissant mes signes et ma langue.

 

 

Un instant

Comme un éclair

Brise la brume

Et le ciel gris des temps incertains

 

 

Il s’égarait au bord de ses manquements et de ses inexactitudes. Se perdait entre ses territoires et ses contours.

 

 

Qui nous contemple lorsque l’on a les yeux fermés et que notre regard se perd derrière l’horizon ?

 

 

Efface ta prunelle quand tu contemples le miroir…  et tu verras ton vrai visage se dessiner et danser au fond de tes yeux sages et étonnés.

 

 

Un jour, il décida d’abandonner son funeste destin de surface.

 

 

Sous l’écorchure, un dédale de neige et de poussières l’invita à la traversée des glaces. Et du sol rocailleux perçait déjà l’Eden bordé de mirages et de précipices.

 

 

Le souffle clair de la roche à ses narines dilapidait ses espoirs. Emplissait ses marécages d’une tendresse sauvage, asséchait ses craintes, effaçait la tristesse des disparitions, ravivait son rêve de halo clair qui brillait au fond de ses yeux ardents. Mais le nu drastique (et sans complaisance) le glaçait encore en éclairant la tanière qui l’abritait.

 

 

Dans l’orifice exigu se dessinent l’abysse étoilé et la voûte dégagée balayés par l’azur infini, en faisant courir sur mes hanches un vent neuf et rafraîchissant

 

 

Nulle percée ne pouvait l’écorner. Et nulle brûlure le consumer. Le souffle agitait ses lèvres et animait ses pas alors que tant d’autres alentour LA piétinaient sans reconnaître son visage derrière leurs grimaces.

 

 

Ô présence

Griffe-nous

Et parcours notre chair

Pour que l’on t’ouvre les bras

Et que tu puisses

Te recueillir en toi-même

Retrouver ta contrée

Que nous avons abandonnée

A nos gestes trop orgueilleux

 

 

Il rêvait d’un avenir sans marécage, bordé d’étoiles et d’azur clair. Avec au fond des précipices une route ressurgissant en tous lieux pour aller sans crainte des chutes, des gémissements et des marcheurs courbés sur l’horizon.

 

 

Des dégâts sans pleurs

Des joies sans cri

Nul débordement

Mais des contrées où règne la surprise

 

 

La chair rocailleuse sous les coutures. Et la peau recouverte d’étoiles. Immobile. Entre terre et ciel.

 

 

Ô Mère éternelle

Amie loyale des circonstances

Amante de toutes les singularités

Qui marche en nos pas

Déjà installée au bord de tous les horizons

Qui féconde nos gestes

Et dénoue nos paroles

Nous tire à sa guise

Mille visages de sa longue besace

Pour ensemencer ta présence

Au temps des rencontres

 

 

L’écume aux lèvres. Et le cœur trempé devant tant de sollicitudes apprêtées. La silhouette toujours chancelante. Se dérobant au vent qui agitait ses contrées. Isolé en son îlot. Comme naufragé à lui-même.

 

 

La chair rivée aux étoiles s’offre aux sacrifices et aux gloires secrètes. Ondule sur les chemins parmi les pas querelleurs. Indifférente aux prunelles ébahies, avides et hagardes. 

 

 

Le pas entre le ciel étoilé et ses forêts sombres, il contemplait les contrées. S’égayait des passerelles et des immobilités. Avec au fond des yeux les franchissements anciens. Et en son cœur l’alacrité frémissante du vent.

 

 

Grande est la fenêtre au firmament. Et étroit l’œil dans la lucarne. La lune comme embarcadère et passerelle des ombres. L’éclatement des prunelles comme destination ou escale provisoire. Malgré le cœur en contrebas qui baigne toujours parmi les menaces et les peurs tenaces.

 

 

Les astres attisent notre soif de lumière. Et nous gardent de tout appétit.

 

 

Que lui importait (à présent) la perte des étoiles ? Le soleil accroché au bord des lèvres. Et le pas toujours éclairé.

 

 

Efface tout orgueil. Et œuvre au reste.

 

 

Les grimaces ne pouvaient entacher son sourire. Derrière les jeux des figures et les visages emmaillotés, il devinait la cruauté des craintes et la candeur de l’ignorance. 

 

 

Diableries éphémères des charniers et des aires de massacres. Quels griefs pourrais-je encore éprouver contre mon peuple empêtré ?

 

 

Semelles de vent

Et bouche ouverte au soleil

Un pas encore dans l’abîme

Et l’autre déjà ruisselant de joie

 

 

Dans le silence fourmillent mille visages familiers qui portent à leurs lèvres mes larmes et mes rires. Et abreuvent parfois ma joie de leur présence.

 

 

A l’abri de toutes représailles, il fixait ses ombres à un nouveau soleil qui ouvrait ses pas sur un horizon si large qu’il se perdait sous ses paupières.

 

 

En mes yeux se dessine le chemin à venir. Et je sens dans mes prunelles toutes mes craintes réconciliées.

 

 

Rassasié par SON œil caressant, la tendresse accompagnera toutes mes absences.

 

 

Quelle est cette ombre sous ma rengaine qui me harcèle (encore) ?

 

 

Une nuit, un puits abscons s’invita dans son jardin. Et il s’efforça, d’un geste malhabile, de hisser le seau-qui-s’impatiente vers le ciel, n’osant croire à la source, aux cascades à venir - ou aux déferlantes peut-être. Il apaisa sa soif ardente - l’alchimie du nectar dans la paume - et dispersa la sécheresse des jours anciens.

 

 

Derrière la transparence des formes, l’essence unique se révèle.

 

 

Il regardait le ciel avec tant d’espérance que la lune se reflétait dans ses prunelles. Sans doute encore trop timide pour trouver refuge sous ses paupières.

 

 

A l’abri des tempes, les circonstances lointaines suivent leur sente jusqu’aux frontières clairsemées. Poursuivent leur lent mouvement vers les gorges d’argile, les cavernes séculaires. Longs itinéraires. Parcours célestes sous la terre avant de rejoindre le souffle des surfaces. Toutes les haleines du monde.

 

 

Tout se mélange au-dessus et par-dessous les frontières. Les silhouettes s’évaporent, mêlent leurs ombres et leurs lumières, révèlent une aire de transparence enveloppée d’horizons.

 

 

Il voyait une gaieté sournoise s’évaporer des masques de plomb. Et la connaissance des visages sous la chair tendre continuait de l’attrister.

 

 

Ô Homme, ébauche de chair. Esquisse d’argile. Entre les mains invisibles, ton destin. Et l’œuvre de Dieu.

 

 

Les herbes folles, les graines - bonnes ou mauvaises - semées par les vents. Toutes indistinctement poussent au bord de la lumière.

 

 

Il voyait la crête des profondeurs abyssales à la surface du monde. Et l’hôte de l’immensité céleste. Révélatrices de tous les univers. Et de toutes les dimensions. Visibles et invisibles. Triviales et sacrées.

 

 

Sans terre ni ciel. Un pas après l’autre.

 

 

Sur la scène du monde, mille mensonges. Et derrière les masques des hommes, brille la vérité. Entre les interstices sommeille notre vrai visage.

 

 

L’abîme renversé affleure (et réapparaît) à la surface.

 

 

Terrassé par l’harassante lumière, il s’égayait de l’œil sensible.

 

 

Un monde sans limite, voilà notre horizon. Et notre regard.

 

 

A chaque pas, défais les frontières. Et ne te soucie des empreintes qu’effacera le vent.

 

 

La porosité des frontières lui révélait l’inconsistance des territoires. La mouvance permanente des formes. La géométrie variable de toutes compositions.

 

 

Il appréhendait parfois le monde d’un seul tenant. Comme un bloc insaisissable de silhouettes et d’espace.

 

 

Aux soucis des jours, nul chemin. Mais un ciel ouvert à tous les présages. Signes de tous les augures.

 

 

Les mots défaillent. Se succèdent d’abîme en perte. Et sur la chair se resserre la peau des vivants.

 

 

Il éprouvait une exquise clairvoyance qui ciselait toutes frontières. Jusqu’au tendre enlacement de l’essence.

 

 

Un jour, une percée d’étoiles dans son ciel ébranla sa chair. Une secousse dans ses terres à l’abandon. Et le ciel aussitôt éventra la matière.

 

 

Malheurs aux monts qui vacillent dans la prunelle. Les horizons se fourvoient entre nos lèvres closes.

 

 

Nos silences apaisent les tourments de la terre. Les derniers soubresauts du sol à l’agonie. Et nous nous découvrons soudain orphelins.

 

 

Il aurait pu s’agenouiller devant les circonstances. Mais elles le traversèrent avec tant de vigueur - et de justesse - qu’elles le démantelèrent, l’éparpillèrent sur tous les horizons pour le réunifier et l’unir à elles. Avant de le redresser enfin.

 

 

Il devint oracle de son destin. Un chemin ouvert. Sans avenir. Ni mémoire. Où seul compte le pas.

 

 

Il marchait encore parfois comme un imbécile devant ses souliers aux lacets défaits. Comme s’il avait oublié que le ciel et les hommes l’avaient nommé malgré eux (et en dépit de ses contestations) chef de cordée dans la plaine déserte.

 

 

En mémoire des siens, il s’arracha des mèches de souvenirs pour offrir à sa lignée une présence que nul n’avait encore trouvée.

 

 

Il dénicha un fil et une corde. Et ne sachant s’il fallait se perdre ou se pendre, il continua sa marche entre les deux territoires qui se chevauchent.

 

 

Arrivé au seuil des marécages, sa silhouette s’enlisa. Et il dut s’incliner.

 

 

Le mystère s’efface sur le chemin de pierres. Et l’ailleurs impromis s’envole.

 

 

Il regardait passer les silhouettes soumises aux lois des Hommes. En s’agenouillant devant la seule règle en vigueur sous la voûte : la loi du vent.

 

 

Il rêvait d’écarter le singulier de ses exploits. Mais songeait toujours à son destin de cire. Et à la gloire de l’écorce. 

 

 

J’attends l’heure propice qui brisera mes sortilèges. Comme une pierre sous le soleil. Une fleur sous la neige. Impatient d’éclore de la gangue qui ensommeille nos siècles.

 

 

Sous la glace qui recouvre nos gestes, le sang est rouge. Et l’azur toujours clément. 

 

 

Il s’éloignait du pas commun de son peuple. Toujours insoucieux des récoltes de l’Homme.

 

 

Indécis entre les horizons. Mu par la seule force du vent. Le souffle toujours éparpillé en désirs tenaces et soupirs confus.

 

 

Le sol se déroba une nouvelle fois. Et la pente marécageuse de l’horizon s’invita. Sur ses foulées fragiles, des songes de sable pulvérisés. Et des rêves d’écorce en miettes.

 

 

L’ossature circonscrite nous engonce aux entournures. Limite l’absolu à d’indignes fragments.

 

 

Il rêvait de voir l’aube et l’humanité réconciliées. Que le soleil dilate la voie sacrée qui veille en nos veines. Pour que se tarisse enfin la tristesse des hémisphères.

 

28 novembre 2017

Carnet n°31 Fouille hagarde

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l'impersonnel

Dans nos labyrinthes, nul dédale heureux. Des impasses, des façades, des badauds qui geignent, creusent et fracassent les murs pour agripper sous leurs ongles à vif un peu de poussière. L’argile n’est pas la matière de l’Homme. Seul le vent est sa substance. Son unique substance. Et chacun doit errer longtemps sous le ciel pour le découvrir. Mille fois se perdre et mourir pour la rencontrer dans le désert si vivant du monde.

 

 

Il rêvait de voir se lever l’aube sans différend.

 

 

Il oubliait parfois la faille qui l’habitait pour aller explorer les fossés d’ailleurs.

 

 

Partir vers l’autre rive… ? se demandait-il parfois. Et il était aussitôt noyé par une foule de questions. Mais où se trouve l’eau ? Et les flots ? Et la berge ? Et le nageur ?

 

 

L’itinéraire se camouflait comme une bouée dans l’immensité. Ses seules certitudes : la traversée des eaux troubles. Et l’étirement du nageur qui s’abîme entre les vagues.

 

 

Comme un vieux phare déserté, il n’éclairait que ses rives passées. Et le souvenir des tempêtes qui le firent chavirer.

 

 

Il poursuivait les vents. Aveugle au souffle et à la direction. Il rêvait (pourtant) de naviguer ivre et serein, immobile pour voir se dessiner l'horizon. Espérant - d’horizon en horizon - que la marche devienne paysage.

 

 

A la résistance des saisons, il opposait ses printemps. Ses milles printemps. L’herbe verte des prés et son ardeur originelle.

 

 

Il négligeait parfois le labeur de la herse. Oubliant un instant les moissons pour consulter le ciel et les paysages. Tous les chemins à venir.

 

 

Il se méfiait toujours des chimères et des diadèmes écarlates. De tous les soleils qui aveuglent les yeux trop ardents.

 

 

Il devinait parfois les racines au ciel et les bourgeons au sol en parcourant, l’œil inversé, les écorces. Et il cheminait ainsi derrière les paysages, la contrée fantastique dans le pas. Que lui importait, à cet instant, la poussière du chemin…

 

 

Au cœur des retrouvailles, l’évidence s’embrasait comme une coulée dans la chair des sommets. Nul autre visage ne pouvait apparaître dans l’embrasure. Par la fenêtre, il devinait un sourire encore indistinct.

 

 

Au loin où s’étire l’azur, il approchait une main tremblante. Et agrippait le reflet de la lune.

 

 

Toujours l’ardeur m’enfièvre. Jamais nul repos en mon cœur. L’espoir de la rencontre m’enchaîne à l’impossible.

 

 

L’imprévu le guettait parfois de ses yeux saillants. Et lui, renonçait toujours à l’inconnu. Incapable encore de s’abandonner au mystère.

 

 

La pendule assassine nos heures. Nous condamne au défilement perpétuel des aiguilles. Et nous, malheureux, continuons d’espérer. Entre le souvenir et l’attente. Assis devant l’horloge. Secoués d’impatience et de nostalgie, incapables d’habiter chaque particule du sablier.

 

 

Il cherchait la charpente sous l’ossature. Et ne rencontrait que la silhouette du vent.

 

 

Vers quel ciel est donc partie mon hirondelle qui, au printemps, attendait sur son fil ?

 

 

Derrière la tunique, il voyait le rouge perler de l’étoffe. L’origine, croyait-il, de son sinistre à venir.

 

 

Il continuait de tracer les siècles sur l’écorce. Pour faire naître l’innocence sous les heures barbares de l’enfance. Et que s’achève (enfin) le printemps immature de son peuple. 

 

 

Jamais mes lignes ne firent frémir la vie enfouie au cœur des jours. Jamais aucune lèvre tremblante suspendue à mes traits. Secoué par une inébranlable certitude : mes poèmes valent moins qu’un sourire. Et me voilà éploré. Déjà enseveli sous mes pages.

 

 

Assis au fond des heures - de ses longues heures d’absence - il écoutait, derrière les tremblements assassins, la terreur et l’angoisse brûler son repos. Terrain et témoin impuissants de sa dévastation.

 

 

Mon âme innocente saigne contre les paysages. Nul miracle ne pourrait me sauver de l’espoir. Sous le mirage, le réel toujours brut et vigoureux. 

 

 

Prisonnier du fil. Condamné aux nœuds, il s’agitait, hurlait en se débattant sur l’étoffe rugueuse. Au lieu de s’unir à la toile, il disparaissait dans les replis du tissu.

 

 

A l’enfance éternelle, il opposait la tendresse de l’écorce. Et la lucidité tranchante de la sève.

 

 

Il rêvait au roc et à l’acier, à la sueur et au bois, aux larmes et à la bûche, au feu et aux cendres. Et imaginait que la main et le souffle justes lui seraient offerts.

 

 

A l’ombre des mots, nulle lumière. Un feu de paille étire ma nuit. Et nul geste ne m’éclaire. 

 

 

Au fond des malles, il dénichait parfois quelques yeux sages recouverts de poussière, et s’abandonnait quelques instants à la convoitise et à l’admiration des visages antiques qui jamais ne prêchent mais incarnent, jamais ne geignent mais accueillent, jamais ne regardent mais contemplent, jamais ne résistent mais remercient, marchant toujours à l’exacte jointure de leur condition. Sous leurs paroles silencieuses, il devinait le geste guider la sagesse innocente - et encore malhabile - des disciples. Mais comment aurait-il pu rejoindre ces assemblées d’adeptes ? Son âme libre et solitaire le lui interdisait. Le premier homme avait-il donc un maître ?

 

 

Chaque nuit, je vernis l’écorce et le bois tendre. Tuant la sève dans sa fibre.

 

 

Il aspirait à couper, d’un regard, l’histoire sans fin qui l’ensorcelait. De s’écarteler jusqu’aux jointures pour faire saillir le lien en sa moelle.

 

 

Il couvrait toujours le monde de ses grimaces et clôturait toujours le ciel de ses promesses. Un bout de semelle (à peine) posé au seuil du périple.

 

 

Recroquevillé comme un oiseau blessé dans le silence. Inquiet jusqu’au frémissement.

 

 

Il s’obstinait dans l’éphémère, emporté par les heures sur une échelle infinie. Et lui, s’accrochait à un barreau, enfermant à jamais l’éternité lointaine.

 

*

 

Entre la terre et le ciel, il reposait sa nuque sur le sillon. Et attendait immobile que s’éteignent les heures.

 

 

Quelque part sous la voûte, voilà notre égarement. Et notre salut.

 

 

Malgré son ardent désir d’éteindre ses jours barbares, son sang endiablé l’enchaînait à la nuit.

 

 

Il cherchait toujours, entre deux étoiles, le passage où l’azur s’étendrait à ses pieds.

 

 

Le châtiment transperce notre chair - comme l’éclair déchire le ciel - et nous laisse foudroyés sur l’horizon, avec au fond des entrailles, la joie secrète des pénitents.

 

 

Son œil reniflait la matière. Explorait le dedans du monde. Et découvrait, derrière les voiles raisonnables, l’horreur des parois.

 

 

A l’orée des sens, l’invisible demeure sans accès. Malgré notre rêve d’apaiser notre faim de nudité.

 

 

Il oubliait parfois sa chaussure qui traînait sur le sentier. L’effleurait comme une ombre secrète. Comme un vestige dans la mémoire à venir.

 

*

 

Toujours la folie l’empoignait. Et le roulait sur la page. Offrant quelques traits raisonnables à sa sage déraison.

 

 

Il reposait son âme des vitrines et des allées grouillantes où bruissaient les masques et les grimaces. Le rire et les postures.

 

 

Seul et entouré, il creusait dans l’entre-deux. En animal insensé du sens, il fouillait aux confins de l’entendement. Aux portes de l’incompréhension. Et au cœur du mystère, il poursuivait sa fouille comme un animal apeuré.

 

 

Sous le néant, il devinait l’imperceptible tremblement. L’invisible rougeoyance de la chair.

 

 

Chaque jour, il parcourait la même question à la hâte. A quelle fontaine tirer son eau ? Et il pleurait devant son seau vide. Et sa peine intarissable.

 

 

Comment abreuver cette soif ardente ? 

 

 

Le monde l’étouffait de son silence. Et derrière l’écho et la fureur des mains, il vomissait sa parole à tous les visages.

 

 

J’aimerais devenir l’étranger qui me reconnaît pour devenir l’autre moi-même bien davantage. Le lien courant du passage.

 

 

Il rêvait de mêler son souffle à toutes les haleines du monde. Pour voir enfin fleurir entre ses lèvres le vent originel.

 

 

En mes veines, je sens mille bouches s’embrasser et se tordre, s’empoigner et se mordre, s’avaler et se recracher, s’étouffer jusqu’au dernier souffle avant de renaître.Toujours.

 

 

Il ruminait parfois sur sa couche avec l’œil placide du bovin. Effrayé par la fourche du fermier qui le guettait au dehors et l’odeur des labours à l’affût dans sa prunelle.

 

 

Il avançait le poids léger du vent sur l’épaule, la joue contre le sillon et l’âme toujours aux aguets. Avec son fardeau en bandoulière. 

 

 

Il aménageait ses fossés comme des contrées éternelles. Et demeurait sans voie devant l’invisible.

 

 

Il cherchait parmi les immondices celles qui sauraient préparer le terreau des siècles meilleurs.

 

 

Au seuil des masures, aux fenêtres des temples, sur tous les horizons du monde, nulle main tendue. Mais des rires broussailleux et ignares qui éclatent au visage.

 

 

Seul, l’écho des déserts répond à notre cri. Et nous invite à fouiller notre chair pour découvrir les mille doigts qui nous relient aux bras qui nous portent, nous réconfortent et encouragent nos pas.

 

 

Planté à l’orée des saisons sèches, il gisait comme une ombre piétinée par la foule.

 

 

Il aurait aimé jeter son ardeur comme une ondée sur la foule insouciante. Mais il errait entre ses pas, quelque part sous une étoile - en deçà de son destin. A bonne distance de l’infortune.

 

 

La vie serait-elle un rébus dont nous serions l’énigme ? La solution dispersée en nous se creuse. Et l’issue fatale repose entière - toute entière - non dans la question mais dans celui qui la pose.

 

 

Déposés sur le sable par une main inconnue, nous promenons notre regard alentours. Et nous choisissons un grain à hauteur des yeux pour l’apprivoiser (faute de mieux, évidemment).

 

 

Une ombrelle sur la poutre l’invitait à lâcher sa besace, son viatique futile pour danser sur la travée.

 

 

Il regardait souvent les chalands emplir leur panier. Et il songeait : nul rabais pour les marchands d’existence, quelques soldes à la basse saison pour les badauds et les vies infimes. Ou l’infime des vies peut-être…

 

 

Le plus précieux se tient à notre portée. Mais pour quoi se soustrait-il à notre main, à nos lèvres et à nos yeux ? Comme une goutte de rosée discrète et silencieuse par un matin de pluie. Invisible et insaisissable.

 

 

Pourquoi l’odieux s’ébroue-il sur nos visages ? Ne voyez-vous pas derrière nos masques le radieux s’impatienter du ciel à sa portée ?

 

 

Toute gloire en cette terre serait-elle sans issue ? Si prompte à emprisonner ses hôtes et à jeter la clé au fond des douves où se reflètent le rire envieux des foules et tous les visages embastillés.

 

 

Icare rêvait-il de toucher l’azur ? De fréquenter les dieux ? Moi, je n’ai qu’un seul rêve : pouvoir me tenir debout, digne parmi les arbres. Et intègre parmi les hommes. La silhouette loyale – et peu courbée sur l’horizon.

 

 

Un silence nous habite qui nous rend bavard, forçant la parole à distiller son bruit aux paysages. 

 

 

Il rêvait d’écarter la poussière du chemin pour dénicher la pente rugueuse où il glissait. De secouer les étoiles de ses semelles pour dénicher le ciel en ses pas. Mais ses idoles le pressaient sans cesse aux attaches et aux entassements.

 

 

Il s’enivrait de ses heures. Aveugle au dur labeur qui s’impatientait d’approcher.

 

 

Nous sommes les innocents bourreaux de nos jours lointains.

 

 

Son visage (bouffi d’orgueil) rêvait de dépecer le sombre masque qui l’étreignait. Encore aveugle aux yeux sages qui l’auraient empalé d’un silence et traversé d’un rire.

 

 

Vivre nous emporte au loin. Il nous faut revenir en notre fief qui surplombe les eaux calmes, parcourir les eaux boueuses qui nous agitent et charrient notre présence vers le large.

 

 

Emporté par les secousses, l’émotion le disloquait et le jetait en contrebas, sous les ruines qu’il s’était échiné à construire.

 

 

Aujourd’hui j’agonise, l’âme disloquée en deçà du charnier. Et sous l’odeur de la désillusion, je renifle l’effluve du désespoir et le parfum enivrant de mon cadavre.

 

 

Il ruminait ses obsessions comme une vache son fourrage. L’œil hagard et la panse préoccupée.

 

 

Il ouvrait son chemin comme une plaie. Marchant sans espoir de guérison. Prêt à se dépecer à chaque pas pour que la blessure devienne béance, puis abîme, imaginant (sans doute) qu’une fleur jaillisse au fond du gouffre.

 

 

Entre mes lèvres, une douleur inerte m’accable. Comme une pluie désespérante. Sans asile au-dedans. Sans refuge au dehors. Une longue saison sous l’averse. Et nul appui où poser mon cri.

 

 

Seules les gloires mensongères réclament leurs médailles. La vraie creuse notre solitude et attend notre silence pour fleurir.

 

 

L’angoisse peut-elle s’apprivoiser ? Mais comment tendre la main à celle qui vous étreint ?

 

 

Jamais nos fractures ne s’estompent. Mais nous écartèlent jusqu’à la rupture.

 

*

 

Il pressentait qu’il s’éteindrait dans la fournaise. Entre l’éclat et la nuée.

 

 

Je n’ai qu’une certitude : le sommeil - le grand sommeil - me guettera avant l’aube.

 

 

Il essayait d’ouvrir les bras aux jours de fête. Comme une œillade aux turpitudes. N’offrant à l’avenir nul horizon. Et à l’horizon nul avenir.

 

 

Il s’enchaînait aux dérobades et aux saisies. En défaisait patiemment les nœuds pour échapper aux servitudes.

 

 

De quel défaut suis-je affublé pour souffrir avec tant de conviction ? Serait-ce une vocation ? Serais-je idiot - maudit peut-être - pour maintenir ma propre lame et poser - avec tant d’ardeur - ma tête sur le billot ? 

 

 

Il devinait l’horreur des frontières. De toutes les frontières qui fissurent l’invisible. Et l’encerclent.

 

 

Comment recoller le monde dont les miettes s’éparpillent en mes yeux ?

 

 

J’aimerais tant décimer la foule qui m’habite pour repeupler le monde d’un regard.

 

 

Il renonçait à ses jours qu’il regardait à peine. Comme un passager ignore les paysages qui défilent aux fenêtres.

 

 

Vivre heureux ? Souvent je m’interroge. Et après ? Que ferions-nous de ces heures ? Gouterions-nous à ces jours glorieux ? Ou les dilapiderait-on à tous les vents ?

 

 

Il s’acharnait sur les saisons pour tirer le ciel à sa portée. Ignorant qu’un parapluie à l’envers aurait pu l’y conduire. Un simple mouvement du poignet et l’œil libéré des baleines.

 

 

Il mourrait parfois de trop d’oubli. Comme si la mémoire l’assassinait. Comme un enfant appelant sa mère derrière la porte close, enfermé dans le monde dépeuplé de sa chambre.

 

 

Il marchait sur un fil enchevêtré parmi les lignes et les cordages. Déambulait le couteau à la main, prêt à trancher les boucles et les anneaux. Apeuré par les lames alentour et la foule des funambules rompus à l’exercice, il s’échinait à soutenir son pas sur le fil. Et tentait désespérément d’inviter la confiance en son geste pour que naisse l’équilibriste tissé dans la trame.

 

 

Le simple invite à l’échelle infinie. Et nous, malheureux, nous regardons - benoîtement - les barreaux qu’il nous faut encore grimper.

 

 

L’espoir abrite un regard qui attend. Et le désespoir emmure nos yeux. Au-delà de l’abîme, le vent dessille les prunelles et soumet tous-les-hommes-qui-marchent à la poutrelle jetée au-dessus du vide.

 

 

Tant de rêves se brisent et s’échouent en nos contrées, nous isolent sur notre tertre, frigorifiant tout espoir de voilure. Pendu à notre mât, la tête tournée vers l’impossible départ, nous errons parmi les vagues, encore captifs de nos hauteurs.

 

 

En chaque visage se dessine notre visage. Prisonnier dans la foule, nous errons parmi notre miroitement.

 

 

Il rêvait de sang neuf et de souffle nouveau. Attendait le prélude de ses printemps. Si impatient d’explorer les prairies alentour.

 

 

Quelle ombre s’agite sous notre cuirasse ? Est-ce le vent de l’enfance qui expire ? L’appel des sirènes au-delà des mers ? Le déferlement des océans sur la foule ? Les vagues anciennes qui surgissent d’avant notre naissance ? Est-ce la vie qui s’élance en nos étendues ? Pour quoi ne dis-tu rien, Ô mon cœur ? Es-tu si las d’être immobile ? 

 

 

Il n’avait d’yeux que pour l’ange qu’il serait. S’amusant parfois à dessiner ses ailes de ses mains d’argile.

 

 

Il ouvrait les yeux à l’ineffable comptine, à la rengaine qu’il rejouait sans cesse en silence pour apaiser la fureur de l’envol.

 

 

Il apprenait l’instant dérisoire et le temps éternel, le souvenir des temps meilleurs et la fixité de l’œil. Eprouvait la durée. Comme de vaines promesses à son désarroi.

 

 

Sa seule espérance : un univers sans frontière. Et lui, ne s’affairait qu’aux lisières des parcelles, se consolant (tristement) des mille lambeaux d’absolu éparpillés en tous lieux.

 

 

Il recomposait à l’envi toutes les grimaces éparpillées comme un puzzle. Jusqu’au dégoût des visages. Comme un oubli de ses propres haines.

 

 

Nulle secousse ne peut percer l’invisible. L’origine advient sans appui.

 

 

Au cœur des semonces, il s’échinait (bon gré mal gré) à poursuivre sa laborieuse besogne, creusant en ses terres la patience de se laisser franchir, d’éprouver dans sa chair - harcelée - et son cœur - hanté par la tourmente - l’œil de l’âme qu’il espérait indemne. Malgré l’abîme des prémices.

 

 

Une source intarissable coule sur ma soif. Et je cherche parmi les ronces, en griffant ma chair sur l’âpre passage des sourciers.

 

 

Emporté par les bourrasques, il s’inclinait à regret. Et contemplait avec colère son inclinaison. Et sa pitoyable inclination à la chute.

 

 

La gravité n’est pas de mise sous l’averse. Ouvre tes lèvres à la pluie. Et danse dans la brume. Et tu avanceras sur la sente escarpée.

 

 

Après ses nuits de labeur, il regagnait sa couche, l’ardeur sous le bras. Et ses lunes en bandoulière.

 

 

Appuyé sur ses larmes, il attendait la convalescence du rire.

 

 

L’intime se murmure. Ou se crie parfois. S’étouffe (le plus souvent) au creux des larmes, aux bords des lèvres, au fond du gouffre. Chevillé de toutes parts. Condamné à l’élégance muette du silence.

 

 

Il appréciait ceux qui, d’un geste vif, tiraient le tapis sous leurs pieds pour explorer le vide de leurs souliers. Il les regardait vaciller sur le socle incertain, rechausser leurs sandales ou aller nu-pieds pour marcher plus libres dans le vent.

 

 

A grandes enjambées, il ébrouait ses silences. Et ne voyait tomber qu’une neige sale et furieuse qui recouvrait les paysages. Comme une suie triste. Et pourtant éclairante.

 

 

Aucune silhouette ne peut distraire le labeur silencieux des étoiles. Pas même la dépouille des vivants.  

 

 

Il s’évertuait de confier ses peurs à la confiance. Et au chaos. Dans l’espoir d’apaiser son pas ardent.

 

 

Il négligeait le pittoresque du voyage pour imprimer aux paysages ses gestes et ses pas. Ignorant qu’ils les contenaient déjà. 

 

 

Il oubliait parfois les frontières pour traverser le monde. Mais seul en ses contours, il flottait sans perspective.

 

 

Un jour, je sais que les saisons changeront sans bruit.

 

 

Faut-il clouer le silence en ses bords pour percer le mystère ?

 

 

Où qu’il aille, l’œil se promenait en ses terres. Attentif aux paysages, il découvrait (parfois) l’effacement des frontières entre la prunelle et les contrées, entre les foulées et l’étendue. Et distinguait, au paroxysme de cette confusion lucide, l’horizon en ses pas.

 

 

Encore trop vert est mon pré. Trop blond mon blé. Et trop haute mon herbe pour saluer les semences et le fumier. L’œil rivé à la grange, je foule les ornières sans tressauter. Si préoccupé des périphéries. Comment pourrais-je m’attarder en mon domaine ?

 

 

Il marchait, le dos courbé et la tête sur ses souliers. Inquiet à l’excès. Apeuré par les bruits et le silence. Mûr ni pour la foule ni pour le désert. Condamné à l’angoisse dépeuplée et à l’étouffement des craintes.

 

 

Dans la marmite, il jetait parfois ses oboles. Mais sa soupe était froide. Et laissait les yeux vides et les ventres affamés.

 

 

Ses doux rêves montaient parfois à l’aube. Et s’effaçaient à la nuit. Mais se ravivaient chaque jour de la pire désespérance.

 

 

Il nous faut affronter la pluie et des monceaux de falaises à gravir. A creuser. A accueillir.

 

 

Au cœur de sa montée vers l’abîme, il découvrait des lunes endormies sous ses bourrasques. Tout un peuple à la sagesse océane qu’il laissait dériver.

 

 

Comme un funambule sur un fil invisible, il parcourait ses heures en secret. Attendant que lui soit confié le mystère de la marche.

 

 

Quelques bruits suintaient parfois à ses yeux. Un cri, une flamme qu’étouffait le monde.

 

 

Il aurait tant aimé découvrir le désert en lui si loin recouvert.

 

 

Après ses nuits d’errance, il regagnait son coin, son quartier, son angle (où venait encore parfois se cogner le monde). Pour achever de creuser là son désert avant que la foule ne recouvre ses pas.

 

 

Il n’est de poète sans posture. Et lui, de sa voix d’anachorète, criait à sa mesure de son désert. Mais la foule n’était jamais loin. 4 yeux parfois lui suffisaient. Et l’espérance de toutes les lèvres à venir.

 

 

L’argile n’est pas la matière de l’Homme. Seul le vent est sa substance. Son unique substance. Et chacun doit errer longtemps sous le ciel pour le découvrir. Mille fois se perdre et mourir pour la rencontrer dans le désert si vivant du monde.

 

 

Un jour, un virage invisible surprit ses pas au détour de la plaine. Et il fut contraint de coller à l’horizon en un tour de vent.

 

 

De mes mines de rien, taillées au couteau, entre mes empreintes grises, naît parfois un peu de lumière.

 

 

Dans nos labyrinthes, nul dédale heureux. Des impasses, des façades, des badauds qui geignent, raclent la terre et fracassent les murs pour agripper sous leurs ongles à vif un peu de poussière.

 

 

Il retournait parfois la mémoire comme un gant. Grimaçait à la face du temps. Et souriait aux mille visages brunis par les siècles. Impatient de compter ses pas jusqu’à la fracture fatale.

 

 

La vermine est déjà sur ma langue, blottie au creux de ma parole suffocante.

 

 

Dans ses liasses d’écorce, la parole, encore trop parée de jupes, s’étouffait. Son lyrisme gerbé de lampions entravait la venue du souffle nu et vibrant qui ôte à la voix tout artifice.

 

 

Il s’imaginait parfois neige en vrac. Mais rêvait de retrouver l’état antérieur des cimes pour se perdre à nouveau en glace plus attentive aux flocons alentour. 

 

 

Chaque nuit, il confiait son agonie à l’ombre que son pas martelait (avec insistance). Espérant voir le lever de l’aube avant l’heure. 

 

 

En mon ciel, nul escalier. Mais un abîme, une trappe et une corde raide pour l’instant d’ailleurs.

 

 

Il se méfiait (toujours) des glaces et des braises. S’évertuait au pas prudent et à la main habile sur les cendres et le givre. Afin de garder intacte sa brûlure. Et ses glissades silencieuses.

 

 

Son encre parfois se tarissait. Et les taches inversées sur la table surprenaient sa parole. Au détour des pages, il entrevoyait un peu de lumière. Sa plume ripait alors sur l’écorce et se plantait dans sa chair pour que naisse (sans doute) un peu de vérité. Après l’hébétude, il s’évertuait de valider le sang sur sa peau et la flaque où gisait son ombre passée pour que le jour lui soit (enfin) offert.

 

 

Sa place forte – ses remparts d’écorce – agitaient ses espoirs d’herbes folles, de fleurs sauvages et d’azurs printaniers. Et il se mettait à rêver de voir pousser en ses fissures le fourrage des jours meilleurs. Pour que naisse enfin en son désert un grand jardin.

 

 

Il naviguait en ses échancrures pour libérer les flots. Et découvrir à l’horizon le port juché sur les vagues - vaguement célestes - parmi les algues et le récif, sous les cordages et sur le pont, s’imaginant déjà s’offrir en passerelle aux voyageurs étonnés.

 

*

 

Il frottait toujours sa peau au soleil par crainte de se piquer à la lumière.

 

 

Il nourrissait ses vers et les affamait de ses tourments. Les plaçait dans sa gibecière - au fond de ses clapiers - et s’asseyait intranquille devant ses lacs ridés. Attendant là, penché sur sa canne. Et ignorant le terreau où il pourrait les déposer pour faire jaillir l’inespéré.

 

 

Quel diable ai-je en tête pour enfourcher mes habits de fantôme et encorner toutes les chairs qui passent à mes côtés ?

 

 

Et si les silhouettes de chair n’étaient portées que par le vent ? 

 

 

Comment oserais-je marcher nu sur la plage ? Et étendre ma silhouette dévêtue sur la grève ?

 

 

A quoi ressemble notre visage quand la Vie nous traverse de part en part ? Comment pourrait-on le savoir ? Nos yeux sont partout alentour. Sauf à leur place.

 

 

L’ombre tapageuse lui éclatait parfois au visage. Martelait son empreinte dans sa chair à vif. Forçait le passage. Et lui, témoin de ce vacarme, criait. Appelait à l’aide la parole silencieuse.

 

 

Sur la mer spongieuse, une étrange silhouette à la voilure désemparée glisse parfois. Perdue à elle-même. Et déjà poussée par le vent. 

 

 

Au cœur de l’étoffe, nulle échappatoire. Mais des nœuds. Et la fibre. L’essence du fil.

 

 

Une étoile attend l’homme au pied de l’arbre. Entre les racines et la brindille. Planté en son faîte, le mystère fécond. Et nous (pauvres de nous) nous regardons l’écharde qui nous entaille le doigt.

 

 

Nul abri pour mon bourreau. Et le voilà qui tambourine une nouvelle fois à ma porte.

 

 

Mon égarement est aux abois. Comme s’il cherchait sa niche.

 

 

Une goutte tombait parfois sur son pas comme une rosée infinie - qui se partageait et s’offrait à la peau de tous. De l’aiguille à l’herbe folle, de la motte à la flaque. Du gris azuré à la terre vêtue de son manteau de fête.

 

 

Les délices du pire. Voilà où mène notre errance.

 

 

Entre deux versants, il parcourait la crête. Et à pieds joints sur une lame de rasoir, il aiguisait son pas.

 

 

Il tâchait de s’enhardir. Refusant toujours de s’abandonner à la pluie et aux tropiques. Et continuait à se liquéfier sous les climats.

 

 

Il errait encore entre le flux et le reflux. Et cherchait désespérément - jusqu’à en perdre souffle - le passage dans ce mouvement.

 

 

Un rire parfois le surprenait de l’intérieur. Et il lui enjoignait d’éclore jusque dans ses nuits.

 

 

Je rêve de m’ouvrir à la danse, au souffle et à l’équilibre. De pénétrer le mouvement qui relie avec justesse - et secoue parfois - malgré l’apparente disharmonie.

 

 

Entaillé par le hasard et les circonstances qui n’éraflaient (pourtant) que le marbre - trop rigide - de ses jours, il se soumettait à l’humble scalpel.

 

 

Les évènements incisent nos existences. Y dénichent nos encombrements.

 

 

Un rire parfois s’efforçait de se déployer dans ses larmes. Inaccessible à ses lèvres closes.

 

 

Il se précipitait dans la lenteur du geste. Se prémunissant pourtant contre toute impatience. Il rêvait tant d’incarner la parole. Et le pas spontané.

 

 

Assis sur le pont, il attendait l’invisible passerelle qui le conduirait à l’océan.

 

 

Malgré sa répugnance des sillons, il espérait toujours le temps des moissons. Comme un vagabond bucolique penché sur ses labours.

 

 

Comme une fleur en guenille qui attend la pluie sous l’asphalte, il espérait, les lèvres entrouvertes.

 

 

Malheur aux diseurs de mésaventures qui répandent sur l’écorce leur chair sans blessure.

 

 

Le vent s’engouffrait parfois sur ses plages encombrées, se faufilait entre ses grains, poussait quelques salissures, les entassait derrière ses dunes et séjournait entre ses veines. Sûr de son office.

 

 

Il L’attendait (avec impatience). Et Elle, sûre de sa trajectoire - et confiante en son chenal à venir - dévalait la pente à rebours, contournait les aspérités, grimpait et se faufilait entre les courbures, arrivait de loin en loin, plongeait et s’engorgeait, se vivifiait et poursuivait sa sente en quête de la source. Et des origines.

 

 

Le soleil pénétrait alors jusque dans ses pénombres. Jusqu’au dedans de sa terre. D’un simple regard advenait soudain la douce ardeur du vivant alentour, l’érosion des murs. La dissipation des frontières. Le regard sans limite.

 

 

A ses pieds - au creux des talons - il apercevait le socle disposé, et les mille gouttelettes en appui. Et lui, les regardait, hébété. Sans obole à offrir, sans terrain où se perdre, sans montagne à gravir, sans abîme à creuser, sans parole à confesser, sans fable à coucher sur l’écorce. Devant ses yeux, le ciel sans âge.

 

 

Aucun ange devant mes yeux. Ni davantage à l’horizon. Ni au ciel ni au-delà. Seuls l’espace, le vent, le rire et la présence.

 

 

Aux grains, le soleil,

Aux herbes, le vent,

Aux arbres, la terre,

Au ciel, la pluie

Et aux hommes, la croix et l’arc-en-ciel.

 

 

Quelle charge portons-nous pour cheminer ainsi ? Est-ce le poids des origines ? Quand pourrons-nous couper les racines et allonger notre regard pour porter le ciel en nos mains ?

 

 

Il sursautait toujours à l’approche des silhouettes, aux murmures du vent dans les étoiles, aux parterres clairsemés dans les bois et aux cris des foules. Il retenait son haleine, encore incapable d’accueillir le souffle nu et désencombré.

 

 

Entre deux secousses, une voix résonnait : « Là-bas tu t’incarnes mais tu n’existes pas. Là, tu es mais tu ne le sais pas. »

 

 

D’un souffle discret - à peine audible - Elle lui murmurait : « Ne pleure pas, je n’existe pas. Sois fort, sois faible. Ne t’en soucie pas. Aie confiance en la partie de toi que tu ignores. Elle est là, tu es là, vous êtes là, tous deux. »

 

 

Elle, en toi souterraine et partout, partout alentours, de celle-là tu es fait, toi aussi. Elle te guidera. Te montrera les allées et le paysage. Et tu avanceras à ses côtés sans peur des fumées et des rideaux qui recouvrent ta vue. Et vous marcherez ensemble, Elle assurée et toi, hésitant, en toutes contrées. N’aie d’yeux que pour Elle qui te parle et te rassure, qui t’enserre en ses bras ouverts, te porte, t’entoure et te cajole, qui t’encourage et t’autorise, qui t’aime bien davantage que toi-même. Monte sur ses épaules, assis-toi sur ses genoux, sens sa main caresser tes joues, essuyer tes larmes, faire éclater ton rire près des falaises sombres où tu n’as cessé de t’éreinter. Fais-lui place comme on cède le passage à une reine. Laisse-La te conseiller et t’instruire de toi-même. Laisse-La agir à ta place quand ton pas s’alourdit, s’enracine, t’enterre vivant. Laisse-La couler en toi et te porter vers le mouvement, son mouvement qui court entre les êtres au-dedans, partout qui gambade dans l’espace. Ne crains rien qui soit de toi-même, qui tire sa source de tes abîmes et du monde. Elle est déjà là qui t’attend et te crie sa présence que tu recouvres de ta voix si forte, si singulière et de tes pensées amères jetées contre les parois. Crie plus fort encore, crie jusqu’à en perdre souffle, crie jusqu’à l’exténuation. Alors au plus fort de ton cri, peut-être entendras-tu son appel, à moins qu’Elle ne surgisse dans le silence. Voix espiègle et chaleureuse qui saura te guérir de tes visions, de tes cauchemars, de tes peurs, de toi-même et qui effondrera les murs de la geôle immonde où tu te terres. »

 

 

Honore-la, Elle, princesse des marées où tu t’enlises, oublie les gouffres et les vagues, oublie l’azur et l’horizon, renonce jusqu’au renoncement, laisse-toi porter par le courant qui te ramènera au-dedans des lieux que tu ignores, ici ou là, quelle importance, ensemble vous irez ivres partout de joie. »

 

 

La sombre joie qui t’habite n’est rien dans ce creux. Mille fois plus Elle irradiera tes amertumes, défoncera tes ornières, t’envolera en son ciel. Et tu te laisseras porter là où Elle te conduira comme son jouet dans les rires et les cabrioles, dans la glaise et la cendre, au-delà des fureurs et des acquiescements. Sans résistance Elle te façonnera. Sans peur tu joueras avec Elle, joyeux de sa joie, libre de sa liberté, unis comme des frères enfin retrouvés où le masculin et le féminin se conjuguent à tous les temps, se marient à l’informe, au difforme, à l’uniforme, à l’unisson sans contrariété ni chagrin, épousent tous les tout et tous les riens et les font pousser et s’unir à leur tour sans se lasser jamais de ses métamorphoses et de ses unions, qui balayent le vent de leur souffle et font éclater les nuages, font pleurer sous les bonnets à l’abri des chaumières et se foutent du monde comme de la guigne et le lui crient par tous les pores de la peau d’un ton moqueur, aimant et effronté pour que dure la danse jusqu’aux horizons éternels... Perds. Perds la lumière funeste. Perds jusqu’à la lueur céleste. Et au détour de l’ombre surgira l’arc-en-ciel et l’averse de joie. Sous les déluges d’amertume se tient l’horizon clair. La contrée des cocagnes. Et la montagne de l’Un surplombant les torrents qui charrient les corps mutilés dans les vallées tristes…

 

 

Elle qui, à travers nous, se complait. Et se savoure. Après s’être tant cherchée, a enfin trouvé son chenal. »

 

 

Sous son regard, dans ses bras, dans sa chaleur, partout en lui unifiée, partout autour de lui éparpillée, dans ses pics comme dans ses glaces, il savourait. Libre et libéré d’entraves et de culpabilité. Partout, il allait sous son regard. Partout, il était sous son regard, en Elle et lové contre Elle qui s’adaptait et se déformait. Avec et parmi Elle, une et démultipliée. Il était arrivé quelque part. A la frontière (sans doute) il se tenait. Le chemin n’aurait bientôt plus d’importance…

 

28 novembre 2017

Carnet n°30 Au terme de l'exil provisoire

Journal / 2009 / Le passage vers l'impersonnel

La connaissance de soi est un gouffre où il faut aimer se perdre. Marcher le long des parois, tremblant et apeuré par la nuit du dedans. Curieux et intrigué de son propre mystère. L’énigme universelle du vivant…

Comment être… être au monde si on ne parvient à être avec soi-même… Qui est-on (réellement) en sa compagnie… ?

Nul ne peut franchir les portes de l’ouverture - l’ouverture de son existence - sans expérimenter un étrange et douloureux sentiment d’étouffement, de resserrement et de rétrécissement. Mais combien y a-t-il de portes à franchir avant d’accéder à l’espace infini ?

 

 

Tous mes livres auraient pu s’intituler : Journal d’un homme - Notes pour le moi incarcéré. Tentatives désespérées et pistes pour s’extraire d’une geôle illusoire.

 

 

La spontanéité authentique est la porte d’accès de la vie. La vie qui nous traverse. Et la vie du monde. Elle constitue sûrement le meilleur gage d’aménité et de convivialité (pour peu que le monde soit sensible aux dimensions naturelles de notre être). Dans le cas contraire, il y a de fortes chances d’assister à un fiasco. Aussitôt jugé et stigmatisé par la communauté comme un hors entre soi. Rédhibitoirement exclu de la collectivité.

 

 

Pour quoi sommes-nous englués dans l’inertie des habitudes ? Au lieu de vivre chaque expérience - inconnue, nouvelle ou déjà mille fois répétée - comme une opportunité d’apprendre, de découvrir et d’expérimenter… d’actualiser notre potentiel, de progresser dans la connaissance de soi, du monde et de la vie. Afin de vivre plus libre et plus heureux. D’être plus pleinement vivant…

 

 

La plupart des Hommes aspire à une tranquillité de surface (tous y sont enclins et possèdent cette propension à différents degrés). Chacun souhaite ne pas être importuné, contrarié ou blessé par le monde extérieur… sans comprendre que la paix véritable dissimule ses racines dans notre esprit, notre façon d’expérimenter et d’accueillir les évènements dits extérieurs. Et plus exactement dans la relation que nous entretenons avec nos expériences (intérieures et extérieures).

 

 

Pour que naisse le désir d’actualiser notre potentiel (progresser dans la connaissance de soi et vivre une existence plus riche, plus libre et plus heureuse), il semblerait qu’il faille réunir 3 conditions indispensables : être insatisfait de son existence, avoir usé d’une grande partie de la palette des solutions extérieures habituelles et illusoires (changements des conditions de vie) et prendre conscience que nos modes de fonctionnement coutumiers sont les principaux responsables de notre pauvreté, de notre étroitesse, de notre manque de liberté, de nos souffrances et de notre insatisfaction. Certaines conditions annexes peuvent s’avérer précieuses : et parmi elles, bien sûr, le goût d’apprendre, la curiosité, l’inclination à l’effort… et paradoxalement la capacité à s’abandonner et à accorder sa confiance à la vie…

 

 

Comment prendre conscience que nos modes de fonctionnement représentent les pierres d’achoppement principales à la découverte de soi et à la joie ? En ayant usé tous les recours extérieurs et pris conscience de leur dimension inopérante…  

 

 

A la relecture de tes carnets, tu remarques à quel point le devenir de tes pages te préoccupe. Au lieu de t’émerveiller de l’espace où tu évolues. Et du vivant alentour…

 

 

Avec quelle évidence, tu perçois l’étroitesse de nos existences. Cantonnées à notre corps, à notre psychisme (biologique), à notre univers familier étriqué, à nos perceptions habituelles et à nos modes de fonctionnement coutumiers… Comme si nous étions enfermés dans une infâme et illusoire geôle… alors que l’étendue de la conscience ne confine qu’à l’infini… Quelle tristesse de se voir ainsi emprisonné alors que la liberté est là, présente derrière nos barreaux illusoires…

 

 

Il apparaît avec évidence qu’une légère transformation du regard métamorphose d’une façon incroyable nos perceptions identificatrices. Laissant la place à un surprenant élargissement.

 

 

Tu notes que de telles expansions de conscience* (celles que tu as expérimentées) sont rares, inattendues, involontaires et extraordinairement instables. Elles surviennent sans raison apparente. Et tu es bien en peine de noter les conditions de leur apparition.

* tu écris expansion de conscience à défaut de trouver un terme plus approprié.

 

 

Tu écris pour témoigner de ta traversée de l’existence humaine. Espérant que d’autres Hommes se servent de tes pages (comme d’une échelle). En vérité, ta seule ambition est de participer à la construction d’un modeste barreau à l’échelle de la connaissance - la connaissance incarnée - que tous les chercheurs de vérité (humaine) s’échinent à construire depuis les premiers pas de l’Homme en ce monde…

 

 

Il est des mots qui poussent comme des plantes. Mal éclairés. Sous une mauvaise lumière… ils végètent. Perdent leur éclat. Se dessèchent. Malheur à la saison des récoltes.

 

 

Dans ta poésie que de fadaises, de facilités et d’artifices. Des mots et des métaphores à quatre sous… Un jaillissement spontané. Spontanément mauvais. Et à l’issue catastrophique…

 

 

Nul ne peut croire en son étoile (en son potentiel) sans le regard de l’Autre… l’Autre en soi - le regard panoramisé… ou (et?) l’Autre en ce monde…

 

 

Un regard bienveillant sauve du nombrilisme. De sa dimension désastreuse et de ses dévastations effroyables…

 

 

Un regard bienveillant (chaleureux et porteur d’amour) a plus de prix que cent mille pages noircies de bienveillance… le réel et le virtuel s’affrontent en un combat inégal. Comme d’ailleurs le situationnel et le simple potentiel…

 

 

La nuit, tu es partagé entre la grâce d’un regard émerveillé sur le monde et le labeur acharné de tes pages. Mais que valent quelques mots face au vivre resérénisé… ?  Que valent ces milliers de mots face à l’œil - départi de ses voiles les plus grossiers - qui contemple le monde, heureux (simplement heureux) de vivre… ?

 

 

Emission radiophonique de Yan Fabre dénonçant la consommation. Il y a quelques années, tu aurais applaudi. On peut toujours en blâmer les excès et l’extension (son développement dans toutes les sphères sociétales). Mais comment ignorer qu’être au monde implique nécessairement l’utilisation de substances environnementales pour se maintenir en vie ? Certes, l’utilisation des ressources peut s’effectuer au moins de deux façons opposées. L’une pour satisfaire ses propres fins égotiques et son corollaire (l’accumulation des dites substances). Et l’autre dans une attitude de gratitude (et de remerciement) et son corollaire (ne s’approprier les dites substances qu’en quantités justes et appropriées). Dans cette seconde option, il est loisible de penser que cet « apport » est la condition nécessaire pour se maintenir en vie afin  de «servir» les autres êtres. Et cette aspiration confère à la fameuse consommation (tant décriée) une dimension sacrée… simple question d’attitude, d’aspiration et de motivation. Bref de disposition intérieure...

 

 

Il n’existe aucune différence réellement perceptible (à l’œil ordinaire) entre le comportement d’un être à la conscience obscurcie et un être à la clairvoyance bienveillante ou même en cours de processus de désobscurcissement de conscience. Ainsi, pour une tâche donnée (en particulier s’il s’agit d’une besogne triviale), l’œil non averti pourrait avoir l’impression que tous deux exécutent, d’une façon assez identique, la même tâche. L’œil averti décèlera sans doute un état de présence bien supérieur chez le second et un mode de fonctionnement automatique chez le premier. En revanche, nul ne distinguera les intentions, les perceptions, les aspirations et la valeur attribuée à l’activité des 2 individus qui s’opposent, me semble-t-il,  en tous points. La perception d’abord. Le premier percevra la tâche en question le plus souvent comme une activité rébarbative et pénible, le deuxième selon son degré d’avancement comme un support de présence, un exercice de mise en pratique ou une non-activité. En matière d’intention, le premier aura sans doute le désir de se débarrasser de la basse besogne au plus vite, le deuxième aura à cœur selon son degré d’avancement de s’adonner à cette activité pour aider les autres ou simplement s’adonner à la tâche sans désir particulier mais pour répondre de façon juste et appropriée à la nécessité de la situation. En matière d’aspiration, le premier souhaiterait sûrement échapper à cette obligation ou la déléguer à une tierce personne, le second aspirerait, quant à lui, selon son degré d’avancement, à participer (à sa mesure) aux tâches qui incombe à chaque membre du peuple des vivants. Et enfin quant à la valeur attribuée à l’activité, le premier ne lui octroiera sans doute qu’une valeur strictement utilitaire, se soumettant à son caractère obligatoire ou incontournable, le second lui accordera sans doute, selon son degré d’avancement, une grande valeur ou une dimension sacrée, une valeur égale à toute activité, ou une non-valeur annihilant toute séparation entre celui qui exécute la tâche, l’activité elle-même et les bénéficiaires de l’activité (les uns et les autres se confondant dans ce que l’on pourrait appelé injustement peut-être le grand Tout).

 

 

Tu remarques - une nouvelle fois - l’abîme entre tes aspirations altruistes (notamment celles d’aider les êtres à se désengluer des illusions) et tes capacités excessivement restreintes à les exercer dans le réel, aptitudes dérisoires en grande partie liées à ta charge* égotique considérable…

* le terme de « surcharge » pourrait même convenir davantage…

 

 

Au stade de ta compréhension actuelle de l’identité humaine et de tes connaissances générales sur la vie (et la vie humaine en particulier), tu perçois l’importance de vivre la globalité des dimensions de l’Homme (les expériences humaines les plus répandues et les plus communes) sans négliger (pour autant) la nécessité de poursuivre tes recherches (sur la vérité de l’identité humaine et de la vie) et ton cheminement (travail intérieur, expériences dans l’espace de solitude et mises en application en situation réelle, exercices pratiques dans le monde…).

 

 

De plus en plus persuadé que la multiplicité des existences ne fait aucun doute. Au vu des divers éléments réunis depuis le début de tes recherches...

 

 

En matière de choix existentielles, sans doute faut-il davantage se fier à ses aspirations les plus profondes, à ses intuitions les plus fortes que s’adonner à un mimétisme aveuglé en adoptant (presque à son insu) les attitudes et les piliers existentiels de ses congénères…

 

 

En définitive, ne rien exclure. Ni les conditionnements liés à notre forme humaine ni les aptitudes et prédispositions qui semblent conduire à un au-delà de l’homme (ordinaire)…

 

 

Il t’apparaît avec évidence que l’existence humaine n’est qu’une étape. Tu l’as déjà maintes fois noté. A la fois dérisoire et essentielle vers le désobcurcissement de conscience…

 

 

Au regard de ta connaissance de l’humain (connaissance de toi et des autres), bien des Hommes te semblent plus avancés dans leur façon d’être… et leurs rapports au monde. Beaucoup (sinon la plupart) paraissent, en effet, plus à l’aise dans les relations humaines (les regroupements collectifs, le rapport aux autres (et à l’Autre), et dans ce qu’il conviendrait d’appeler (selon leur propre terme et à leurs propres yeux) la réussite humaine (vie professionnelle, carrière, conditions matérielles, vie familiale, enfants). En revanche, beaucoup (sinon la plupart) semblent dotés de motivations (existentielles) plus - ou beaucoup plus - égotiques et égoïstes que les tiennes, d’aspirations beaucoup plus restrictives et limitées (sinon étroites) et de perceptions (du monde, de l’Homme et de la vie) plus restreintes. Et de ces différences, tu ne sais qu’en déduire…

 

 

Il te faut, au stade actuel de ton cheminement, continuer à percer la carapace des apparences (par l’intuition réflexive, l’une de tes rares prédispositions…), tenter d’en imprégner ta conscience durablement (et de façon stable) pour transformer ta façon d’être (ta façon d’être au monde) sans t’attarder - trop pesamment - sur tes manquements présents et tes erreurs passées (en matière d’attitude au monde) sans négliger ton appartenance actuelle au peuple humain (avec son immense potentiel, ses facultés et ses nombreuses entraves, limitations et obstacles). 

 

 

Patience, persévérance et clairvoyance te semblent les plus grandes prédispositions au travail intérieur et à la progression vers le désobscurcissement de conscience. Tolérance et respect de la différence, les plus grandes qualités pour entretenir une relation au monde. Et enfin distance, recul (détachement), courage et humour pour vivre et expérimenter personnellement les situations et les évènements sans souffrance excessive… les avant-qualités indispensables pour obtenir les 2 grandes caractéristiques de l’au-delà de l’Homme : l’Amour et de la Connaissance…

 

 

Certaines peintures contemporaines (pour ne pas dire la grande majorité) te font l’effet d’infâmes gribouillis. Aux traits immatures. Aux graphismes puérils. Œuvres vides de formes, de sens et de démarche. Réalisées à l’instinct. Brouillonnes et ostensiblement sibyllines. Bref sans intérêt. De la couleur étalée sur la toile. Rien de plus. Une surface enduite de néant. Lorsque il t’arrive d’observer certains visiteurs se pâmer devant ces toiles avec des airs graves et préoccupés (soucieux sans doute de deviner le sens du travail de l’artiste ou d’en déceler le génie… - ils estiment que l’artiste (et donc son œuvre) jouit d’une certaine valeur puisqu’il est exposé …) - tu ne sais si tu dois rire ou pleurer. L’art est parfois triste et affligeant. Mercantile et prétentieux. Snob et débile. En un mot, vain…

 

 

Tous ces gribouillistes qui osent se dire (et s’afficher) peintres… Toi, il est vrai tu n’es qu’un scribouillard… à peine un écriveur, à l’instar de G. Haldas qui aime à se qualifier d’homme qui écrit, mais quant à toi, tu as la modestie de refuser de t’attribuer le qualificatif d’écrivain ou même celui d’auteur…

 

 

Tu entretiens un étrange rapport à la peinture. Et à la sculpture. Tu as toujours caressé le doux rêve de devenir plasticien. Pour réaliser des œuvres magistrales mêlant les matières, les concepts et les symboles.

 

 

Je rêve d’un atelier isolé. A la campagne. Où je pourrais laisser libre cours à mon imaginaire, à mon instinct et à mon intuition. Travailler toutes les matières. Et en particulier le fer. Mélangeant les genres et les matériaux.

 

 

En matière d’art, tu as une sainte horreur des œuvres utilisant les nouvelles technologies. Si tu avais été plasticien, tu aurais sans doute été un artiste d’une époque révolue. D’un autre siècle. D’une autre époque. Déjà dépassé sûrement.

 

 

Tu constates (avec curiosité) que les thématiques contemporaines, les questions de notre époque en pleine mutation t’intéressent non tant parce qu’elles te semblent neuves (ou innovantes) et encore moins fabuleuses ou géniales (quoique l’on ne puisse nier les impressionnantes avancées technologiques des deux derniers siècles) mais qu’elles contiennent (malgré elles) les fondamentaux universels de l’Homme (et de l’humanité). Comme toutes époques de l’histoire humaine, bien sûr !

 

 

Ce goût pour l’universel couplé à l’usage des matériaux classiques de l’art pictural et sculptural assorti d’une tendance naturelle aux mélanges (des genres, des matériaux et des disciplines) et d’un fort attrait pour le symbolique et le conceptuel, l’obsession des grands questionnements métaphysiques et l’intérêt grandissant pour le poétique aurait sûrement été prometteur. Le seul point d’achoppement : tu conçois (en imagination) bien plus aisément que tu n’exécutes, réalises et mets en œuvre. Tes malheureuses tentatives se sont d’ailleurs toutes soldées par de pharamineux désastres. Tu souffres, outre d’un manque évident de savoir-faire et de pratique, d’une indéniable et incurable déficience technique. Et puis à quoi bon s’adonner à la création artistique ? Cette activité merveilleuse a-t-elle, comme l’écriture, quelques effets sur nos consciences ? L’art ? Pour quoi faire?  Et quand bien même, tu ne disposes ni d’un atelier ni du matériel nécessaire pour satisfaire la mesure de tes ambitions…     

 

 

Quelques notes suite à un documentaire étho-éthno-neurologique sur les liens entre hiérarchie sociale, stress et santé. Etude comparée (en réalité des éléments disparates plus ou moins tendancieusement amalgamés) entre des babouins à l’état sauvage, des fonctionnaires d’un ministère londonien et des macaques en captivité. Leur conclusion : il existe une corrélation positive inversée entre position hiérarchique et stress. Diminution des circuits neuronaux et détérioration artérielle chez les dominés et les mal considérés. Corrélation entre santé/longévité et place accordée au sujet par le groupe. Autre conclusion. La santé et le bien-être d’un individu dépendent moins de la place que la société lui attribue que la façon dont il la considère, lui-même…

 

 

Les scientifiques en viennent aujourd’hui, dans leurs balbutiements - dans leurs incroyables et faramineuses avancées balbutiantes - à découvrir les bienfaits de l’altruisme, de la générosité, de la compassion, de la méditation et d’autres connaissances ancestrales sur la santé et la longévité. Notons que ces découvertes ont été révélées il y a des milliers d’années par les sages des contrées orientales. Plusieurs remarques. Je note avec ironie (et un peu de tristesse) la fâcheuse tendance de l’homme à toujours user de nouvelles stratégies pour parvenir à ses fins égocentriques… être généreux pour vivre mieux, voilà un comble tout de même ! Référence à peine voilée à l’odieuse formule contemporaine si estimée aujourd’hui : le fameux et odieux « gagnant/gagnant ». 2 remarques corollaires à ce sujet. Spinoza avait vu juste avec son célèbre persévérer dans son être et enfin se préserver serait-il une façon de préserver la vie (introduisant implicitement toujours ce fameux questionnement sur l’identité des êtres (et de la vie). Je songe également avec optimisme (et enthousiasme) aux bouddhistes tibétains et à leur extraordinaire connaissance de la vie, de la mort, du cycle des renaissances, de l’existence des 6 mondes, de l’esprit et de son mode de fonctionnement. Dans quelques centaines d’années peut-être, la science découvrira l’extraordinaire justesse de leur perception du réel. Et leur pertinence en matière de vérité. 

 

 

Note personnelle sur mon itinéraire professionnel. Jamais je n’ai travaillé au sein d’une entreprise (excepté au cours de ma scolarité étudiante). Toujours œuvré au sein d’associations à vocation sociale, humanitaire ou de service (services aux hommes ou aux animaux). Et aujourd’hui encore. Dans deux d’entre-elles. Et en leur sein, toujours travaillé seul et de façon autonome. Et le plus souvent au bas de l’échelle hiérarchique. Avec une très grande autonomie et une très grande marge de manœuvre, me permettant de concilier sphère privée - mes plus vifs centre d’intérêt (en particulier l’écriture) et l’activité strictement professionnelle (participation individuelle à la collectivité et à la marche du monde). Bref toujours seul et libre à des postes ne nécessitant aucun encadrement direct ni responsabilité importante. Ces caractéristiques révèlent évidemment une propension à la solitude (au regard de l’autonomie des fonctions exercées), à la nécessité du lien à l’Autre (l’association), à mon aspiration à aider (la vocation des organismes pour lesquels j’ai travaillé), un rejet (quasi pathologique) du stress, des honneurs et des contingences liés aux postes à responsabilités, contingences d’ailleurs toujours perçus comme accessoires sinon inesssentielles, source de tracas inutiles et de perte de temps, détournant des essentialités ressenties. Et évidemment un profond refus - rejet affiché et assumé - de participer au fonctionnement mercantile du monde sur un mode strictement égotique.    

 

 

Tout geste, toute action porte, évidemment, à conséquence. D’inévitables conséquences sur le monde (les êtres du monde). Tu as le sentiment que notre seul (et meilleur) choix est d’opter pour l’agir le moins préjudiciable. Encore faut-il avoir conscience de la palette de tous les agirs possibles à l’instant où advient la situation…

 

 

La nuit révèle parfois à ta pensée quelques évidences. Des trivialités dont tu rougirais si elles survenaient le jour. Mais dans l’espace nocturne, ces poncifs apparaissent avec une force inhabituelle. Tu les reçois avec une résonance insoupçonnable. Comme si elles te submergeraient avec une étrange puissance, pénétrant jusqu’en tes profondeurs… afin d’accentuer l’imprégnation dans les couches de ta conscience et permettre ainsi leur stabilisation afin, tu le supposes, d’influer sur la lente transformation de ton être. Et ta façon d’être au quotidien. De jour comme de nuit… 

 

 

Il n’est de geste anodin… Tout agit…

 

 

En matière d’agir, 4 éléments primordiaux. L’intention. L’esprit avec lequel, nous agissons. Les incidences manifestes sur les êtres et les implications intangibles. 

 

 

Arracher machinalement un brin d’herbe. Voilà l’exemple-type du geste apparemment anodin. Et pourtant que de conséquences insoupçonnées…

 

 

Comment transmettre la richesse du regard désencombré…

 

 

Allongé sur le canapé, tu songes (avec effroi) que 20 ans se sont écoulés depuis l’année de ton baccalauréat. 20 ans au cours desquels tu as étudié à la faculté, tu as voyagé (un peu), tu as créé, tu as écrit (une trentaine de livres), tu as aimé (profondément et continues d’ailleurs à aimer tout aussi profondément… et plus encore…), tu as adopté et accompagné des chiens, tu es devenu végétarien, tu as tenté de te suicider, tu as découvert l’intériorité (et quelques autres pans fabuleux), tu n’as cessé (avec une incroyable lenteur) de te connaître (toujours un peu davantage)… et après…? Voilà donc à quoi tu as consacré les 20 dernières années de ton existence ! Trop peu et beaucoup sans doute…

 

 

A l’issue de ce dérisoire inventaire, tu notes ton désir (toujours ardent) d’apprendre… tu songes à étudier la philosophie à la faculté (une inscription en 1ère année). Pour t’ouvrir aux pensées des autres, ces illustres autres qui ont mille fois pensé (mille fois plus profondément et mille fois plus intelligemment) tenté de cerner ces thématiques qui te hantent depuis si longtemps. Se nourrir de leur réflexion pour alimenter la tienne.

 

 

Tu aimerais être un savoir incarné

 

 

L’incarnation d’un savoir nécessite un apprentissage (un long apprentissage), un souffle (le souffle d’une vie), une assiduité de la pratique… en réalité le savoir est par essence un chemin, le chemin du savoir lui-même… il devient la voie même de l’éveil. De l’éveil de la conscience.

 

 

L’esprit éveillé est une conscience clairvoyante et bienveillante…

 

 

Mille rêves que tu as caressés du bout des doigts… dans lesquels tu aurais aimé t’investir totalement… les arts martiaux, la cause animale, la création plastique, le bouddhisme. Mille désirs que tu aurais aimé effleurer… auxquels tu aurais souhaité consacré une partie (une partie seulement) de ton existence… la sociologie, l’ethnologie, le journalisme, l’errance (la vie de routard), la vie de saltimbanque (marionnettiste), l’expérience monacale… pour quoi ne leur as-tu pas davantage accordé de temps, d’énergie et d’importance… ? Tu l’ignores… 

 

 

Il n’est de geste inutile… qu’il contribue directement ou indirectement à façonner ton esprit, à lui offrir un support de pratique… qu’il s’ancre dans le care (le prendre soin)… ou permette à ton être d’y revenir (ou d’y accéder à nouveau)…  

 

 

Tout agir doit s’exécuter dans la justesse… justesse du regard (clairvoyance de la conscience, regard panoramisant déségotisé autant que possible…), justesse de l’effort (ni trop ni trop peu), justesse de l’intention (altruisme et générosité)… Cette justesse est évidemment à mettre en œuvre selon tes capacités (les capacités présentes à l’instant de l’action).

 

 

Dans tes lignes, tant de thématiques et de questions portent sur la conduite de vie et l’éthique. Serais-tu un moraliste ennuyeux ? Il est vrai que tu revêts souvent l’abominable costume du donneur de leçons (de l’odieux donneur de leçons)… et nul n’écoute le donneur de leçon parce que tous le voient vivre… et sa vie est souvent aux antipodes de ce qu’il prêche…

 

 

L’ampleur de la nuit offre à ton regard l’ardente résonance nécessaire à la profondeur du ressenti… qui toujours s’étiole au petit matin…  

  

 

Tu songes à l’heure dramatique du grand sillon. Déposé sur le funeste bas-côté de la route où circulent à vive allure les véhicules qui poussent leur(s) occupant(s) vers la fosse…

 

 

Présence. Etre présent signifie aussi être en présence de… autrement dit être en permanence sous l’œil du multiple… sous l’œil de la vie – de la vie en soi et de la vie autour de soi – de la multiplicité des êtres (pour peu que l’on ait conscience d’être entouré en permanence des êtres qui nous habitent et qui nous entourent quand bien même serions-nous au cœur du désert)…  multiplicité des êtres appréhendée non comme une tutelle (ou une autorité de surveillance) et une garantie de respect (ou de bienséance en société humaine… bien que l’homme ordinaire y soit sensible, inhibant bon nombre de ses désirs, penchants ou instincts…) mais au contraire pour être attentif, sensible, vigilant et respectueux de ce multiple dont nous sommes, bien sûr, l’un des composants…

 

 

Tu arpentes parfois la solitude comme la pente d’un glacier. Froide, lisse et périlleuse. Et tu glisses (t’y glisses peut-être ?) comme dans un gant rêche…

 

 

Tu traverses parfois la solitude comme un grand désert glacé…

 

 

Dans la solitude des sentiments, l’Autre s’efface. Et vous efface. Le désert avance. Inutile de fuir ! Plus tu tentes d’y échapper, plus tu t’y enlises. A chaque pas, le sable s’infiltre davantage dans tes gros godillots. A l’horizon, les dunes s’éloignent. Et s’élargissent. Et te voilà perdu, au milieu de nulle part… seul en ta compagnie parmi les étoiles. Et toujours au centre de l’univers malgré tout…

 

 

Au plus profond de la solitude, jamais tu n’es seul. Toujours la vie t’habite. Et la vie (partout) alentour. Ciel, arbres, nuages, insectes. Et le vent qui souffle à l’oreille ses notes douces ou saccadées… te reliant (reliant ton visage, ton corps et ton âme) à tout ce qui existe… t’invitant (toi et ton sentiment d’abandon) à participer aux chants du monde…

 

 

A-t-on besoin de l’œil humain pour exister ?

 

 

Lorsque les Hommes évoquent la solitude, ils sous-entendent solitude humaine… mais l’Homme n’est jamais seul… la solitude ne peut exister pour un représentant du peuple humain. Sa conscience manque d’ampleur pour se sentir seul… voilà d’ailleurs toute la problématique de la solitude ! Elle n’est qu’un ressenti… une expérience subjective et personnelle… elle n’est pas réelle… la solitude n’existe pas…

 

 

Au vu des relations que tu entretiens avec le monde, tu as le sentiment d’appartenir à 3 familles essentielles. Les chiens, les handicapés mentaux (déficient intellectuels) et les auteurs (les auteurs-quêteurs, tels G. Haldas, C. Juliet…). Voilà en ce monde tes 3 véritables familles. Quant aux autres… tu entretiens avec eux des rapports peu satisfaisants ou contraints…

 

 

Pour Être, il faut que tu sois…   

 

 

Tu te perds souvent dans l’observation du ciel. Comme pour l’interroger sur ton devenir terrestre… voilà en toi résumé tout le paradoxe de l’homme…

 

 

Tous tes ressentis nocturnes sont des trivialités. Des évidences intellectuelles que chacun a mille fois expérimentées. Quand deviendront-elles suffisamment stables pour les vivre ? Les vivre à chaque instant. Bref, pour les incarner ? Chaque ressenti supplémentaire t’en imprègne-t-il davantage ? Parvient-il à pénétrer plus en profondeur les strates de ta conscience ? S’enterre-t-il un peu plus à chaque nouvelle apparition ? Comment les incarneras-tu réellement dans tes jours quotidiens ?

 

 

Pour les êtres ordinaires, la conscience singulière (la conscience individuelle) est strictement séparée des autres consciences (des autres consciences individuelles). Lorsque la conscience individuelle se désordinarise, elle se perçoit comme un infime fragment de la conscience universelle. Et en progressant (ouverture, élargissement, approfondissement grâce à la présence), elle comprend qu’elle est aussi toutes les autres consciences singulières. Jusqu’à admettre (sans doute) qu’elle est (et n’a jamais cessé d’être) la conscience universelle. Comme si cette dernière était (ou disons était perçue par les consciences individuelles selon leur degré de compréhension et d’avancement) à la fois comme une entité propre, chaque conscience individuelle (prise séparément) et toutes les consciences individuelles ensemble (ou additionnées ?).    

 

 

D’où l’importance de la conscience personnelle, de sa progression. Et les échanges avec les autres consciences individuelles (quels que soient notre et leur état de compréhension)… 

 

 

Comme un biologiste qui explore, étudie, dissèque le vivant et note ses découvertes, tu dissèques les pensées, les intuitions qui te traversent. En arpentant tes terres. Et en te laissant pénétrer du monde. La seule différence, tes recherches ne causent aucun préjudice direct aux êtres… Mais progressent-t-elles vraiment ?

 

 

Toujours au prise avec l’assaillement. Le surgissement submergeant des émotions. Et le ressassement des idées. Un cercle infernal dont tu ne parviens à sortir...

 

 

Le moine et l’arbre, la fourmi et la gazelle, la rose, la fougère et le brin d’herbe n’éprouvent guère – comme nous autres humains – la nécessité de changer d’air, de transformer leur existence, de se mettre en congé. Les dépaysements et les vacances n’ont pour eux aucun attrait. Ni même d’intérêt. Dans le seul cycle nycthémère, ils ont découvert et trouvé leur rythme. Et leur équilibre. Soumis à la tranquille immobilité des lieux où ils résident. Chaque jour est un renouvellement. Chaque heure, une invitation, une promesse et un engagement de paix, de joie et de satisfaction. Une journée de labeur et d’efforts entrecoupés parfois de dangers ou de trouble, de lutte ou d’acharnement. Mille pas mesurés consacrés à la rude besogne de vivre emplis de recueillement et de tempérance – à mille lieux de notre effervescence stérile vers la lumière du lendemain.

 

 

G. Haldas est ton maître obscur. Tu es l’un de ses disciples involontaires et anonymes…

 

 

La figure christique fait sans doute figure d’exemplarité. Un modèle à suivre pour les chrétiens. Sûrement. Quant à toi, tu ne peux nier que le christianisme t’émeut mais ne parvient à t’insuffler une foi suffisante en son Dieu. Tu poursuis donc ton chemin. Malheureux. Et libre…

 

 

Comment peut-on supposer a priori la liberté de penser… ? Comment peut-on la revendiquer dans la mesure où nul n’a – le plus souvent – conscience du processus de la pensée… une foule d’idées (et d’intuitions) dont on ignore le plus souvent l’origine) traverse notre esprit… la conscience en saisit une parfois… sans qu’intervienne la volonté consciente… En la matière, notre seule liberté est de permettre à la pensée - que l’on parvient à fixer - de se développer, de s’étoffer ou de digresser pour nourrir notre connaissance du réel… et encore, nul n’est responsable de l’intérêt (ou de l’inclination à la curiosité) qu’il porte au monde des idées…  

 

 

Certains mots symbolisent ton existence et ta démarche : existentiel, métaphysique, quête. Lorsqu’il t’arrive de les lire sur une page, un profond sentiment de joie et de gratitude t’envahit… ils sont comme des amis secrets qui encouragent tes pas difficiles…

 

 

Après quelques jours de séparation, tu retrouves le confident de tes nuits, ton écran qui accueille – le seul qui sache véritablement accueillir – tes lamentations.

 

 

Tes pages ne sont-elles en définitive que des plaintes et des jérémiades parsemées de quelques vagues intuitions… ? Des ressentis émotionnels et sentimentaux sans consistance auxquels tu accordes crédit… comme si tu espérais qu’ils te livrent quelques vérités… au lieu d’accueillir le vide et le silence sans doute davantage en mesure de te les révéler…

 

 

Le silence n’est-il pas la meilleure solution pour éteindre les bruits dont tu t’entoures et apaiser la fureur qui t’emplit… ?  

 

 

Suivre ton étoile… même si elle te guide vers la nuit profonde…

 

 

Au seuil du désert, tu espères - déjà - dénicher l’oasis inconnu et mystérieux… et en son cœur, tu espères encore… sur ta tombe, on inscrira : mort de trop d’espérance

 

 

Chacun souffre de solitude et d’isolement. Les plus adaptables l’apprivoisent et composent avec cette solitude ontologique. Mais la communauté du vivant (du monde vivant) n’est en définitive qu’un agglomérat d’êtres esseulés qui ignorent leur parenté et leur appartenance à un seul et même corps… 

 

 

La nuit est ton unique espace de fouille où tu pars en quête de vérités. Où tu creuses ta tombe à la lumière d’une chandelle… assez profondément pour t’y enterrer…

 

 

Il est évident que la nuit donne à l’existence une résonance accrue, une dimension que les êtres diurnes ignorent. Bien des noctambules l’attestent avec force et conviction. Les instants sont vécus et perçus avec une très forte acuité. Mais la nuit offre également au solitaire, à l’homme en retrait du monde (s’il n’est point trop avide de divertissements) une distance nécessaire (une hauteur et une proximité) pour appréhender la vie et le monde avec un œil différent… et ressentir avec profondeur quelques vérités qui apparaîtraient (et qui apparaissent d’ailleurs) aux yeux diurnes comme de vulgaires trivialités et d’affligeantes lapalissades… mais dans cet espace nocturne si singulier, ces évidences (voire ces platitudes) sont perçues avec une sensibilité si particulière qu’elles prennent un sens d’une rare intensité qui - malheureusement - s’éteint au lever du jour… ne résistant pas au jugement diurne coutumier, peu enclin à la densité et à la profondeur… préférant appréhender les évidences comme de grossiers poncifs et ignorer la puissance de leur vérité et le pouvoir de leur pénétration…

 

 

Quand il s’agit de penser – tu n’ignores pas tes prédispositions naturelles à saisir les pensées qui te traversent – l’existence te semble globalement satisfaisante. Mais lorsqu’il s’agit de vivre, voilà une tout autre affaire ! L’existence devient insipide, compliquée, insatisfaisante. Bref, désastreuse ! Comme si tu souffrais d’un manque organique. D’une incurable et substantielle incapacité à vivre…   

 

 

Les pensées n’ont d’autre dessein que de tendre vers une perception plus juste du réel. Et percevoir le réel avec plus du justesse n’a d’autre fin que de mieux appréhender le monde… de mieux être au monde… de mieux être vivant… pleinement vivant…

 

 

Qui tes pensées - toutes ces phrases jetées sur ces pages - pourraient-elles intéressées ? Tu es toujours à la recherche d’un public… mais quand apprendras-tu à écrire sans espoir de lecteur et à être (être véritablement toi-même…) indépendamment du regard que l’on porte sur toi…?  Quand cesseras-tu d’être un enfant… ?

  

 

Que de luttes contre soi et contre le monde ! Tant de combats pour taire ou faire advenir ses désirs, ses penchants, ses aspirations. Nous sommes un champ de bataille et transformons le monde en aire de massacre. Il conviendrait sans doute - plus sagement - de déposer les armes… d’accepter le réel (en soi et en ce monde) tel qu’il se présente… mais nous sommes si entravés par nos écus, nos blasons, nos oriflammes, nos désirs de conquêtes… nous sommes si prompts et si féroces au combat qu’il semble impossible de transformer le charnier en espace de paix… Mais d’où vient cette prédisposition belliqueuse… ? De notre peur ? Oui, sans doute… qui tire, elle-même, son origine de notre sentiment de vulnérabilité… Comment peut, en effet, réagir le « moi » si faible devant la force du monde… sinon en prenant les armes…? Quel effroyable gâchis…

 

 

A ce propos, il est juste - sans aucun doute - de jeter un œil du côté de notre étroitesse (la perception de notre finitude horizontale et verticale, instantanée et linéaire) ? La dimension infinie du monde et de l’univers (de l’espace) et le sentiment de fragilité, de petitesse, la dimension dérisoire de l’homme ordinaire déclenche, en effet, naturellement un réflexe de défense (ou de protection) et de conquête. Mais il conviendrait également de ne pas occulter le sentiment de vide (le sentiment d’inconsistance de notre être) et l’angoisse (l’angoisse du néant) qu’il suscite, qui engendre un mouvement vers la plénitude (une aspiration à être comblé… pour remplir le vide perçu)… bref, une sorte de double-mouvement de protection et de conquête lié à la peur de l’effacement et du vide… en un mot : la crainte de sa disparition…

 

 

Comme si notre disparition (la disparition de notre être égotique) pouvait survenir de l’extérieur (en étant attaqué par le monde) et de l’intérieur (en étant ou se sentant vide) impliquant dès lors un triple mouvement de retrait en soi (contre les attaques extérieures), de conquête du monde (pour prévenir ses dangers, le dominer ou le contrôler) et de remplissage de son vide intérieur (par l’amassement des composantes du monde)…  

 

 

Tu portes parfois un regard distant sur tes activités nocturnes. Lorsqu’il t’arrive de poser un œil distancié sur ta silhouette laborieusement penchée sur la table, de te regarder consigner tes notes, bien souvent un immense chagrin t’envahit… écrire te semble si dérisoire. Et pourtant encore si nécessaire aujourd’hui… 

 

 

Tu oscilles sans cesse (et en tous domaines) entre le sentiment d’importance et le dérisoire. Comme sur une balance mal équilibrée. Toujours hésitant. Toujours instable et vacillant. Bref, bancal…

 

 

Installé trop confortablement dans ton existence, il arrive parfois que le monde – et la vie des autres hommes – t’apparaissent comme un songe lointain… une sorte de virtualité étrangère… tu les regardes comme s’ils n’existaient pas réellement… comme si tu n’étais pas directement concerné par leur vie, leurs conditions d’existence, leur misères, leurs souffrances… tu les regardes sans les voir, comme indifférent… non faute de sensibilité… mais comme s’ils n’incarnaient aucune réalité…

 

 

Toujours trop gorgé de toi-même… tu te répands…

 

 

Documentaire sur la folie. L’enfermement des aliénés dans la souffrance. Dans leur souffrance. Leur univers mental. Leurs émotions. Te dis (à haute voix) que nous sommes tous prisonniers. Bien peu d’Hommes sont capables d’échapper à leurs barreaux… soit qu’ils refusent de les reconnaître (ou pire de les voir), qu’ils les fuient, qu’ils tournent en rond dans leur cage comme des fauves impuissants, qu’ils tentent de s’en défaire en les rabotant à la lime ou de les briser à grands coups de pieds rageurs… l’existence est une prison sans échappatoire. Le suicide (comme délivrance ou espoir d’un après-monde, l’existence à nouveau) n’est qu’une sortie illusoire. Les vivants sont condamnés à perpétuité… leur seule issue : transformer leur perception… le reste n’est que vaines tentatives de libération… inopérantes sur nos entraves…

 

 

Dans les périodes de grand désarroi, seules 2 figures sont à même de te réconforter. Une chamane en apprentissage d’Afrique australe (entrevue dans un documentaire), exclue du groupe pendant ses années de formation, au prise avec la souffrance de son destin (du destin chamanique qu’elle n’a choisi…). Et le héros d’un film de J. Beker, les enfants du marais, vagabond joyeux au grand cœur, être solitaire attaché provisoirement à une petite communauté au cœur de la nature bonne et sauvage.

 

 

V. La Soudière et E. Cioran. 2 auteurs. 2 hommes avec lesquels tu entretiens une étrange, secrète et méconnue parenté. Un rêve de filiation…

 

 

Il est des Hommes pour exécuter (les suiveurs) les projets et les idées que d’autres ont conçus ou imaginés (les créatifs et les scientifiques) sans omettre, bien sûr, tous ceux qui mettent en œuvre (les techniciens) et ceux qui commandent et dirigent (cadres et autres encadreurs). En définitive, il existe toutes sortes de catégories d’Hommes œuvrant à la marche du monde et de l’humanité. Et il y a les marcheurs solitaires sans prédispositions grégaires, qui refusent d’appartenir (ou qui sont exclus par la communauté humaine) et qui cherchent seuls - et parfois désespérément - leur place dans le monde…

 

 

Hanté par les fragments, tu rêves de reconstituer ton puzzle (définitif)…

  

 

La sérénité n’advient qu’à l’aube lorsque tu as pu accoucher des mille ou quelques idées qui t’ont traversé au cours de la nuit… et que quelques empreintes se sont couchées sur tes pages. Tu quittes alors ta table pour prendre l’air devant la bastide. Tu t’assois sur le banc, à deux pas des 3 platanes qui bordent la façade, et tu contemples, l’esprit apaisé et détendu, la lumière naissante du matin à travers les branchages.

 

 

Tu cherches en l’autre sa présence non pour t’éclairer… mais te mettre en lumière… dans une sorte de narcissisme enfantin… Apprends donc à engendrer ton propre jour pour faire advenir ta luminosité à l’ombre du monde… alors tu pourras rencontrer l’autre pour l’éclairer. Lui apprendre à s’éclairer. Et vous éclairer mutuellement…

 

 

Derniers auteurs découverts : J.Tardieu, T. Metz, Limonov, G. Bocholier, J-P Spilmont, P. Reverdy

 

 

Ton obsession des fragments et ta volonté farouche de les réunir révèlent un besoin fondamental d’unité. Et cette quête de l’unité serait-elle la recherche de notre identité fondamentale ? D’aucuns qui auraient connaissance de tes modes de fonctionnement et seraient versés dans la psychologie n’y verraient sans doute qu’une volonté infantile de retour à la dimension fusionnelle à la mère… toi, tu hésites…

 

 

Il est une lucidité singulière lorsque l’esprit gorgé de sommeil (qui tente de rester éveillé) perçoit le réel en y associant pensées et intuitions. D’incroyables percées adviennent. Des fulgurances intuitives. Comme des d’évidences qui s’éclairent et s’approfondissent. Comme si la conscience devinait quelques vérités premières. Premières et non originelles. Mais la clarté solitaire et vaporeuse de la nuit se dissipe avec les premiers rayons de soleil… Et lorsque le monde se réveille et que la vie quotidienne reprend son morne cours, il n’en reste qu’un souvenir fumeux. Et sans consistance. Le sentiment que la nuit ne nous a révélé que des trivialités sans intérêt… Et pourtant… 

 

 

Seule la vie en nous nous enjoint. Le reste n’est que billevesée…

 

 

Un monde de grimaces et de cajoleries où tu ne trouves aucune place… Seul dans la nuit, tu te niches au cœur du monde. Dans ton désert…

 

 

Que d’heures passées dans le néant à inviter le dérisoire sur tes pages. Voilà donc à quoi tu auras passé ta vie…

 

 

Sur la table, quelques livres. P. Quignard, C. Bobin, G. Bocholier et une anthologie de poésie contemporaine que tu feuillettes avec gourmandise pour nourrir ta faim. Des mots seuls, tu peux te sustenter.

 

 

Nulle rencontre possible en ce monde. L’homme ne fait que passer, traverser ou se heurter… Tu éprouves une peine inexprimable - et intarissable - à cette impossibilité de rencontre… mais quelle place laisses-tu à l’Autre pour te rencontrer ?

 

 

Il est des hommes qui passent, qui tracent, qui traversent. Toi, tu es de ceux qui s’attachent, s’embourbent, s’enlisent, se fixent en un lieu pour se laisser traverser par le monde…

 

 

Une impérieuse inclination à la mélancolie… une profonde et dévastatrice mélancolie ponctuée de sévères enthousiasmes. Voilà le décor de tes jours. Et de tes nuits. Ton état d’âme, la toile de fond de tes humeurs…

 

 

Le cœur n’est pas une vallée sans larme.

 

 

Bientôt 40 années d’existence… et le bilan - déjà - est mince… A dire vrai, inexistant. Quelques pages sans intérêt dont le monde se fout comme d’une guigne… Mais à quel destin t’acharnes-tu, pauvre scribouillard !

 

 

Pour quoi rêves-tu encore en secret de voir tes pages encouragées… reconnues… et encensées même ? Quel enfantillage !

 

 

Malgré les années, les rides naissantes, les premiers cheveux blancs, tu restes un enfant. Narcissique et naïf. Comme si tu ne pouvais - véritablement - te résoudre à grandir. Comme si l’âge adulte était encore, à tes yeux, trop effrayant… A ton âge, mon pauvre garçon !

 

 

Tu mourras jeune. Et ta mort sera – sans doute – le résumé conclusif de ton existence bâclée et rabâchée. Comme le court épilogue d’une mauvaise copie… ou d’un mauvais livre. Mais quand seras-tu donc prêt à tourner la page, mauvais cancre ? 

 

 

La déréliction s’attache à chacun de tes pas… comme une ombre. Quand feras-tu enfin le deuil de la Rencontre et de l’Absolu pour vivre sereinement ta solitude métaphysique… ?  

 

 

Il est parfois si difficile d’être un homme, un animal à peine conscient des caractéristiques apparentes de son identité (et de sa condition) et encore incapable de percevoir sa vraie nature… Ah mon dieu, quel pauvre animal !

 

 

Partout, le monde souffre. Et pourtant les hommes semblent supporter leur condition sans tourment intérieur excessif… comment y parviennent-ils ? Toi, chaque pas te bouleverse. A la moindre occasion, tu chavires… comment réussissent-ils à maintenir le cap sans s’effondrer ? D’aucuns sont plus réceptifs à leur tragédie. Et tu appartiens incontestablement à cette race-là…

 

 

Mort ou à vif, tu ne connais - bien souvent - que ces 2 états extrêmes. Tu imagines ton portrait sur une affiche de la grande époque de l’ouest américain, au temps des hors-la-loi : wanted… et tu crains que le prix de ton existence soit dérisoire. Et qu’aucune âme ne souhaite s’acquitter de la moindre caution pour te libérer de tes chaînes… à moins qu’elles ne soient aussi ton étoile… auquel cas, tu serais à la fois, l’homme à abattre, l’enquêteur, le bourreau, le captif, le shérif et le libérateur…     

 

 

Seul le mental expérimente (les expériences, les émotions, les pensées, les sentiments, les évènements…). La conscience observe (seulement). Et la matière (le corps) subit… 

 

 

Tu imagines qu’un être qui se déplace dans le monde (et l’univers) en traversant des paysages et en rencontrant d’autres êtres permet à sa conscience individuelle chargée de voiles et d’encombrements d’explorer sous divers angles (et de plusieurs points de vue) les différents aspects de la forme* (de la matière) et quelques aspects d’autres consciences individuelles. Dans quels buts ? Découvrir leurs similitudes… ? Mieux percevoir la brume des frontières entre elles et des frontières qui le séparent de la conscience universelle…? Affligeante ébauche pour poser les bases d’un raisonnement vraiment intéressant…   

* la forme est le vide, le vide est la forme. L’esprit est vide. Voilà peut-être des éléments à relier…  sans recourir tout de même à un bête syllogisme

 

 

Tes obsessions font leur lit dans ton mental et te recouvrent d’un linceul. Tes angoisses sont terriblement mortifères. Elles portent une dimension morbide qui confine ton existence à une lente autolyse… par rongement des chairs et succion de l’élan vital…  une perte progressive du souffle doublée d’un sentiment d’oppression qui enferme au dedans de soi…  comme une lente et douloureuse agonie… Elles t’asphyxient au sens littéral du terme…

 

 

Dans toute relation, le silence est plus insupportable que la parole. Le verbe, aussi meurtrier soit-il, ôte au réel son poids d’incertitude.

 

 

Tu aspires à la certitude par peur du néant. Le vide et la mort t’angoissent. Ils t’ont toujours terrifié. Tu crains tant la non-existence… Seuls les yeux du monde (et de l’Autre qui synthétise le monde) te maintiennent en vie – à l’état de survie. Sans leurs regards, ton existence perd toute consistance. Elle se dissout. Tu ignores encore que ton angoisse te voile l’omniprésence du regard de la conscience (conscience universelle) sur ton identité limitée, ton être de finitude…  il te faudra donc apprendre à être seul dans (et avec) cette présence…

 

 

Lu avec un bonheur inavouable Soleils nomades de J.P Spilmont. Emu jusqu’aux larmes. Une belle rencontre. Un ami secret et anonyme reconnu et apprivoisé au fil des pages.

 

 

J’aime les auteurs dont les pages sentent la sueur et les larmes, le désespoir et la solitude, le chemin et la soif. Tous ces hommes qui ont façonné leur travail avec la matière brute de leur existence. Dont on ne peut distinguer les mots des jours et les jours des nuits. Sur leurs phrases, tu te couches et tu entends la joie sourdre entre leur silence…

 

 

Y a-t-il plus merveilleux que deux solitudes partageant leur quête et leurs errances le temps d’une intense et profonde rencontre en ce monde si encombré de solitudes - enlisées côte à côte - qui se heurtent toujours, se blessent souvent, s’effleurent parfois sans se rencontrer jamais… ?

 

 

Le silence est-il un oubli de l’autre (de l’Autre)… ? Ou une invitation à la rencontre offerte à l’autre (à l’Autre)… ?

 

 

Documentaire sur les voleuses de sable au Cap Vert. Seules, sans mari (partis on ne sait où), elles travaillent tout le jour d’arrache-pied à entasser du sable sur la plage, pour le vendre la nuit à des entrepreneurs qui viennent le charger sur leur camion. Les seules pauses qu’elles s’octroient : aller nourrir leurs enfants en s’accordant quelques bouchées entre chaque cuillérée offerte à leurs bambins. Travail de forçat le jour, vendeuse ambulante la nuit, vivant dans des cahutes de fortune. Et elles trouvent encore l’énergie - entre deux pelletées - de danser au son des bassines transformées en tambour. Et la force de sourire malgré leur tristesse et leur misère. Malgré l’absence d’espoir. Leur activité est à l’image de leur existence. Et de toute vie humaine : le symbole de l’enlisement. Des centaines de Sisyphe rivées à leurs bassines et à leurs graviers. Pauvre de nous ! Et chapeau bas, mesdames !

 

 

Documentaire sur un bidonville du Bangladesh. La vue de ces effroyables cohortes de miséreux te glace les sangs. Et te laisse songeur quant à la condition humaine… Les occidentaux sont si ethnocentriques (si aveuglés par eux-mêmes) qu’ils en oublient le sort misérable d’une large part de l’humanité. Tant d’êtres humains répartis sur les 5 continents qui peinent à survivre…  Malgré la récession contemporaine qui touche nos sociétés d’abondance, nous croulons sous l’opulence et la prospérité. Nous n’aspirons qu’à satisfaire nos aspirations individuelles, égocentriques et égoïstes quand la plupart des Hommes en est réduit à survivre, à subsister sans espoir de sort meilleur. Le destin humain n’est pas si glorieux que d’aucuns l’imaginent… naître humain ne semble pas un sort si enviable… tout juste bon à survivre, à souffrir et à mourir…

 

 

Peut-être est-il temps d’aller à la rencontre d’autres contrées tant on étouffe en ta compagnie… ? Ignores-tu que ta présence asphyxie… ? N’est-il pas alors naturel que ton entourage n’aspire qu’à prendre l’air (et le large)… ? 

 

 

Il est des poètes qui prêchent la simplicité du verbe et dont les vers n’aspirent qu’à nous éblouir. Et d’autres dont les vers sont parcourus par un souffle brut et primesautier qui nous invitent au partage, à la communion et au silence admiratif. Les seconds osent se mettre à nu sans crainte du ridicule, des ricanements et de la désapprobation…

 

 

Il est difficile pour un homme de lettres d’œuvrer à la spontanéité. L’authenticité s’acquiert-elle à force de travail… ? J’en doute. Mais la présence de la parole ne peut néanmoins être jetée sur la feuille sans un effort d’épure. Mille fois sur le métier, remettre son ouvrage…  Et ne jamais travailler à une visée esthétique, mais à la retranscription la plus fidèle de la parole en nous… la présence de la parole qui devient trace, infime trace de vérité…    

 

 

D’où viennent les pensées ? Tes pensées… ? Et la vie ? Et ta vie… ? Proviennent-elles de la même source ? Dans ce cas, comment la remonter ? Il est si difficile de refaire le chemin à l’envers… 

 

 

Derniers auteurs découverts : J.P Spilmont, G. Bocholier, P. Reverdy… mille poètes, mille auteurs confidentiels dont tu te sens proche. Comme une famille informelle. Une fratrie obscure (comme le dirait, sans doute, G. Haldas). Des hommes en quête, écorchés par la nuit, se débattant avec la sente pour voir advenir le jour. Et qui l’entraperçoivent parfois, de loin en loin, entre les cimes sombres…

 

 

Il t’importe moins d’exister que d’être. Que valent donc quelques lignes face à un instant de grâce… ?

 

 

Tu aspires à l’être dans tes espaces nocturnes. Et tu t’y consacres (ou du moins tentes de t’y consacrer) pleinement. Mais pour quelles obscures raisons ne parviens-tu pas à être dans tes sphères diurnes du vivre et de l’exister… ? Je t’en prie. Où que tu sois, quoi que tu fasses, seul ou en compagnie du monde, tente d’être… n’y a-t-il pas là plus merveilleux programme… ?

 

 

Tu es un indécrottable et incorrigible idéaliste. Cette aspiration à être en est l’irréfutable preuve. Comment peux-tu occulter toutes les dimensions de l’Homme… ? Chacun doit les expérimenter - et, bien sûr, les accepter - pour être pleinement Homme... Des instants où l’être est accessible et d’autres où il ne l’est pas… des instants où il faut marcher et d’autres où l’on est contraint à l’immobilité, des instants où l’on croit savoir et d’autres où l’on est certain de son ignorance, des instants de lumière et d’autres d’obscurité, des instants où l’on doute de la destination (et de la finalité de l’existence) et d’autres où on la devine…

 

 

Tant de mystères en nous inaccessibles et tant d’énigmes. Tant d’obscurité et d’aspiration à la clarté. Tant de contradictions et d’ambivalences. Tant d’obstacles et de passerelles… Mais de quoi sommes-nous donc faits… ? De quelle matière sommes-nous constitués pour endurer tant d’expériences et de diversité… ? Il est évident - et de bon sens - que l’esprit (la conscience) possède une curieuse et bien étrange essence…  

 

 

Tu progresses vers l’immobilité. A petits pas. En agitant de grandes brassées d’air avec tes bras qui font des tourniquets… En mauvaise posture sur le chemin, tu avances, déséquilibré. Et l’allure peu assurée…   

 

 

Tes poèmes : des mots bavards et prétentieux au souffle court et à l’air mal fagoté. Qui suintent (malgré toi) l’artifice et la préciosité grossière. Un vrai désastre…

 

 

Ecrire te semble désormais moins essentiel qu’être. Comme te semble d’ailleurs plus fécond et plus fondamental l’état d’esprit de l’agir que le faire. Et l’incarnation du savoir et de l’expérience que l’agir et la parole… Serait-ce le privilège de l’âge… ? L’expérience des années… ? Le fruit de tes recherches… ? Ou l’absence d’écho du monde à ton existence et ton œuvre désastreuses… ? 

 

 

Aujourd’hui, ton écriture se replie. Elle ne semble plus s’adresser qu’à elle-même… il en a, il est vrai, toujours plus ou moins été ainsi (excepté tes livres pour enfants, plus enclins à la leçon et à l’exemplarité). Mais aujourd’hui ta parole l’officialise. Et ton écriture discrète et silencieuse s’affiche au monde. Comme si tu voulais crier  (d’une voix fière et peu assurée) : oui, j’écris… mais je n’écris plus que pour moi-même…

 

 

Cultive l’état d’esprit. N’accorde aucun crédit aux émotions. Ne succombe pas à leur force…

 

 

Chaque nuit, tu es confronté à la condition de l’homme. En cherchant ta vocation dans la solitude…

 

 

Tant d’hommes agissent pour fuir ou conquérir. Et toi, tu aimerais tant être pour agir…

 

 

Il est des auteurs sans gloire qui badigeonnent leurs pages en secret. A l’ombre des luminaires et des projecteurs.  

 

 

Il est de glorieux ratés. Mais toi, tu n’appartiens, pas même, à cette race. Terne jusqu’en ta médiocrité…

 

 

Une triple évidence. Ton besoin d’écrire, la joie triste et désespérée à t’y consacrer et la quête inaccessible du lecteur. Et une insoluble interrogation. Pourquoi continuer chaque nuit à gribouiller ton carnet… ?

 

 

Tes poèmes, fades et ampoulés, se donnent des airs pour dissimuler leur souffle blême. Et le révèlent. Comme ces femmes, qui, en cachant leur visage disgracieux sous la poudre, ne soulignent que davantage leur laideur…

 

 

On n’écrit jamais pour la postérité. On écrit pour apprendre à vivre. Et aider (éventuellement) les autres - quelques êtres - dans cette périlleuse entreprise. Voilà le véritable dessein de l’auteur…

 

 

La poésie se lit dans la solitude. A l’ombre de la chambre close. Au seuil de la tristesse. Pour raviver une joie éteinte. Nulle autre fonction ne peut lui être assignée.

 

 

Vivre appelle deux questions essentielles : comment et pourquoi ? Le reste n’est qu’occupations et menue monnaie. Accessoire. Tout homme qui ne s’y penche balaye son humanité et le potentiel qu’elle renferme d’un revers de main…

 

 

L’intellect et les théories ne peuvent répondre à cette double interrogation. Comme en est incapable le vivre simple et nu qui se dispense de réfléchir son expérience. La réponse advient en vivant. Elle se construit dans la vie-même. Change et fluctue au gré des expériences, des rencontres et des instants de pauses intuitives et réflexives. Sans cesse, la vie se (et nous) nourrit de ses trouvailles… pour peu que l’on y soit sensible et réceptif. Et que la question et le chemin des réponses nous interrogent… 

 

 

Certes, tu fréquentes les poètes. Mais tu ne les côtoies qu’à travers leurs pages. Comme des amis de papier. Comment oserais-tu les approcher autrement ? D’ailleurs, à quoi bon ? Rencontrer l’âme du lecteur, n’est-ce pas là la vocation du poète… ?

 

 

Comment 2 êtres de chair et de sang pourraient-ils se rencontrer ? Tant d’empêchements - de part et d’autre - entravent la rencontre de leur âme…

 

 

En la matière, nous sommes contraints (ou condamnés - selon la disposition de notre esprit) à restreindre (ou éliminer - selon notre aptitude) nos exigences à l’égard de l’Autre et à édulcorer (ou éliminer - selon notre capacité) notre volonté de domination et de puissance et toute manifestation de séduction afin d’établir des circonstances les plus propices à la rencontre… Mais comment est-il possible de réunir de telles conditions ? Tant d’éléments nous sont inconscients voilés ! Voilà, sans doute, un aveu de faiblesse ! Une marque d’impuissance face à notre condition (humaine)… et une révélation personnelle… peut-être n’ai-je jamais véritablement expérimenté la rencontre… ?

 

 

Et la solitude ? Ne serait-elle pas l’autre voie de la rencontre… ? La condition la plus idoine et l’unique chemin pour la faire advenir… ?

 

 

Qu’as-tu appris que tu ne sais déjà… ? Apprendre, serait-ce retrouver une mémoire perdue - éteinte par l’obscurité originelle…? 

 

 

La lumière (tant convoitée), serait-ce retrouver l’ombre que l’on a quittée et la voir comme telle…?

 

 

Dans tes poèmes, tu laisses filer l’inconscient, puis tu rabotes, tu cisèles en t’appliquant à l’envelopper d’un caractère pseudo-poétique. En vérité, tu enrobes tes excréments d’une couverture proprette, un bout d’étoffe grossière sur laquelle tu jettes une écharpe sibylline pour lui donner des allures intrigantes et mystérieuses…  Malheureusement (ou plutôt heureusement), tes poèmes sont le reflet de ton identité, de ton caractère, de tes névroses et de tes aspirations. Lorsqu’il t’arrive de les parcourir, tu y perçois une fadeur et une médiocrité exaspérées par leur velléité d’originalité et leur lyrisme plat. De toute évidence, tu es tes poèmes. Vous vous ressemblez comme 2 gouttes d’eau. 2 gouttes d’eau boueuses dans une flaque marécageuse qui rêvent de fleuves puissants et majestueux, de rivières limpides et revigorantes, de fontaine intarissable et rafraîchissante, de carafe de cristal et de verre à pied sur une nappe blanche. Mais vous êtes, tous deux, encore trop imprégnés de terre. Vous n’appartenez, en cet état, ni au ciel ni à l’air ni au feu. Et vous n’êtes conviés ni au banquet de la nature ni au festin des hommes. Eau déjà, tu es, réjouis-toi… Et si tu ne le peux, apprends à t’en réjouir… si seulement, tu savais t’en satisfaire. Et attendre. L’eau, aussi boueuse soit-elle, finit toujours par se transformer - s’évaporer et s’infiltrer dans la terre. Jamais elle ne cesse de poursuivre son cours… de se séparer, de se combiner à d’autres éléments, pour se retrouver peut-être un jour. Et qu’importe… 

 

 

Dans la tristesse, tu éprouves une curieuse réjouissance à longer les murs. A suivre l’ombre de ta silhouette qui te devance…

 

 

Profonde tristesse. Comment arrêter la pluie avec ses mains ? Devenir chaque goutte qui ruisselle sur tes joues. Et ta peau… 

 

 

Au cœur de la nuit, les livres qui m’entourent se dévoilent peu à peu. Ils me confient leurs secrets. Dans un bref murmure, ils me disent : détourne donc ton regard et pose ton œil ailleurs pour voir l’être surgir, n’est-ce pas ce que tu cherches ? Alors pourquoi t’obstiner à fouiller nos pages…

 

 

Les mots. Tes seuls amis. Tu peux les interroger, les caresser du bout des doigts, les ignorer, les tordre, les malaxer, les briser, jouer avec eux, les malmener, les abandonner… Ils répondent à tous tes caprices. Jamais lassés de répondre - avec ce petit rien de résistance nécessaire au jeu (à la fois comique et dramatique) - à tes attentes et de satisfaire la moindre de tes exigences…

 

 

La vérité d’un regard trahit parfois la mémoire.

 

 

Le regard de l’autre. D’un regard peuvent jaillir mille reflets contradictoires, à la fois authentiques et trompeurs. Et à chaque reflet, nous attribuons (pour notre plus grand malheur) mille interprétations. Afin d’en sonder le mystère. Ce qui a pour effet de nous plonger dans une plus grande incompréhension encore … Comment, dès lors, se fier au regard… et accorder crédit à nos interprétations ambivalentes (et souvent divergentes)… ? Il serait - sans doute - plus raisonnable de s’en affranchir et de travailler à l’émergence de son propre regard afin de faire naître son authenticité incontestable… 

 

 

Tu ne cesses d’agir sous le contrôle du regard (regard de l’autre et regard du monde) comme si ton existence - et ta survie - en dépendait au lieu de poser ton existence sur un socle ouvert et détendu.

 

 

Il faudrait apprendre à poser sa vie avec légèreté (sans lourdeur ni gravité), douceur et humour sur le socle inconfortable de l’incertitude…

 

 

Il faudrait apprendre à mourir un peu chaque jour. Pour apprendre à vivre plus sereinement… et parvenir à disparaître le jour de sa mort sans regret ni remords. Sans crainte ni tristesse…

 

 

Commentaires sur tes poèmes. Entre tes mots sourdent un précieux ridicule, un sibyllin trop volontaire et un esthétisme artificiel qui confèrent à tes phrases une lourdeur ridicule, burlesque et sans consistance. Bref, tu écris encore sous l’hypothétique et improbable regard du monde… mais à ne point t’y exercer, le résultat serait plus indigeste, pitoyable et désolant encore ! Alors que faire ? Apprends à être. A être toi-même sans esbroufe et sans éclat pour écrire plus juste… 

 

 

Tu es condamné à écrire ce que tu es. Et, bien sûr, a fortiori à être ce que tu es… Ton seul travail consiste peut-être à ôter les voiles de la supercherie qui entravent ton être sous des couches de mensonges en imaginant qu’ils te protègent et te dissimulent alors qu’ils ne soulignent que davantage tes empêchements aux yeux du monde…

 

 

Il est évident que l’essentiel ne peut ni s’acheter ni se donner… mais se conquérir, par un lent et mystérieux processus de mûrissement perceptif… 

 

 

Nul salut pour le vivant. Condamné au réel et à la métamorphose perceptive… Aucune échappée devant la souffrance (et devant la vie) sinon par la transformation du regard que nous portons sur elle(s). Et toute l’éternité - non pour s’en affranchir - mais pour apprendre à l’appréhender justement : reconnaissance, acceptation, apprivoisement etc etc etc

 

 

Sartre avait tort : l’essence précède l’existence. L’existence nous est donnée pour retrouver notre essence. Et nous n’avons pas même la liberté d’y échapper. Quant à celle de choisir, quelle foutaise ! Nulle option ne s’offre à nous…

 

 

Il y a comme une malédiction à vouloir trop partager, trop donner et trop recevoir. On en oublie l’échange primordial entre soi et soi, ce lien conditionnel à toute relation juste et équilibrée avec l’Autre et le monde…

 

 

Comment dire sans parler… ? Comment s’exprimer… ? Comment montrer… ? Être… une fois de plus…

 

 

Pour quoi l’homme chemine-t-il dans l’ignorance et l’aveuglement… ? Et comment y voir clair dans cette obscurité ontologique… ?

 

 

Dans l’ombre, chacun travaille à sa clarté. D’abord dans l’espoir de briller. Puis, un jour d’éclairer… 

 

 

Le corps comme élément éphémère du paysage…

 

 

Certains êtres quittent ce monde comme les feuilles d’un arbre se détachent… sans crier gare, ni signe avant-coureur.

 

 

Le plus grand art s’illustre dans la dimension de l’être. Les autres arts, les œuvres artistiques, les réussites professionnelles, familiales et éducatives (etc etc etc) font, en comparaison, pâle figure…

 

 

Un artiste ne créée, me semble-t-il, que dans le but avoué ou inconscient d’atteindre l’art d’être. Un véritable savoir-être au monde (un savoir-être à la vie ? Un savoir-être incarné ? Un savoir-être-la-vie?) qui nécessite un apprentissage excessivement long…

 

 

A ce propos, certains hommes poursuivent délibérément et obstinément leur apprentissage tout au long de leur existence. Et tous, d’ailleurs, continuent d’apprendre à leur insu…

 

 

Jamais les grandes œuvres ne s’accomplissent dans l’ostentation. Les œuvres de vie (œuvres existentielles) et les œuvres d’art les plus essentielles échappent aux critères de réussite établis par la communauté humaine. Elles demeurent souterraines et invisibles. Inaccessibles au regard humain.

 

 

Ecouté les lettres de Rosa Luxembourg écrites en détention (lues par Anouk Rimberg). Admirable de sensibilité et d’humanité. Un cœur pur aux gestes justes. Une douceur infinie malgré l’infâme et sanglante réputation qui entache son nom (et son histoire). Une merveilleuse icône.

 

 

Au fils des ans, tu prends conscience (avec acuité) que nul ne peut progresser vers sa partie la plus intime et la plus essentielle - autrement dit tendre vers sa vocation humaine - à l’aide de modèles préexistants, de conseils extérieurs. L’itinéraire - le plus adapté - est révélé au fil du chemin. De pas en pas… Quelques rencontres (le plus souvent unilatérales : lectures et médias modernes) ne sont d’aucun secours. Ces rencontres contribuent à fournir (au mieux) quelques encouragements et (à de rares occasions) quelques repères… en mesure de nous rassurer quant à la voie empruntée, scellant ou confortant notre appartenance à la famille secrète des chercheurs, ces frères lointains, dont la présence s’avère parfois indispensable dans les périodes de doute, de piétinements et de désespoir.

 

 

On apprend à vivre en vivant. Etre en vie, voilà la seule condition…

 

 

Au fond du désespoir, tu sens la vie se débattre en toi. Comme des sursauts de l’élan vital. Au bord de l’agonie, tu devines ses tentatives désespérées de s’agripper à toutes choses en mesure de le sortir de son trou, de te tirer de ton ornière…

 

 

Selon les lieux et les êtres qui t’entourent, les miroirs ne reflètent pas le même visage…

 

 

Comment cultiver la dépréoccupation de soi… ? Et l’atteindre… ? Et qui atteint quoi d’ailleurs… ? Si une partie de nous-mêmes - qui ne nous appartient pas - n’est plus concernée par une autre qui l’entravait et ne nous appartenait pas…  

 

 

L’absorption dans le faire et l’agir est sans doute l’un des risques les plus grossiers de la dépréoccupation de soi. Une simple fuite… 

 

 

Tu aimes les poètes. Sur leurs pages, on trouve leur empreinte, leur sang et leurs entrailles déposés comme une offrande. Comme un cri. Des tripes offertes pour quelques pièces. Peu de prix (en vérité) pour de si grandes richesses en ce monde où l’argent en est si souvent le plus grossier synonyme…

 

 

La connaissance de soi est un gouffre où tu aimes te perdre. Marcher le long des parois, tremblant et apeuré par la nuit du dedans. Curieux et intrigué de ton propre mystère. L’énigme universelle du vivant…

 

 

Comme un funambule sur un fil invisible, tu avances sans risque malgré tes craintes et ton angoisse du vide. Tu expérimentes la condition des êtres. Et celle de l’Homme en particulier (cet être conscient - si superficiellement conscient)… qui marche avec prudence, en anticipant une chute abyssale sur une étendue sans danger ni obstacle…

 

 

Quand on croit savoir, on s’enterre sous une nouvelle couche d’ignorance…

 

 

Il existe 2 catégories d’hommes en ce monde. Ceux qui semblent condamnés à chercher - souvent jusqu’au désespoir - le sens de leur présence ici-bas… obligés de fouiller et de s’ensevelir (par et sous leurs recherches)… et ceux qui semblent folâtrer par ignorance ou désespoir… option qui n’est d’ailleurs qu’une autre façon de s’ensevelir. Nul autre choix pour les vivants : l’ensevelissement…

 

 

Notes suppl. L’ensevelissement comme stade préalable à la phase suivante : le désir de dépouillement.

 

 

La pensée et l’intellect ne peuvent sortir l’homme de son enlisement (et de son ignorance). Ils doivent être considérés, l’un et l’autre, comme de simples instruments. Instruments dont il faut, un jour, se défaire pour sortir du sillon creusé par notre univers mental (et représentatif) et apprendre à devenir sa propre fosse, la motte, le talus, la terre, la herse… et les strates qui les recouvrent. Sans oublier, bien sûr, les mains - toujours à l’œuvre - qui creusent - inlassablement. Immobiles sous le vent…

 

 

Documentaire sur la jeunesse parisienne. 20 ans à Paris. Quelques étudiantes pleines de fougue et d’incertitudes quant à leurs désirs. Quant à leur vie. Quant à leur avenir. Et qui rêvent d’ailleurs. En rechignant avec enthousiasme à leur présent. A leur quotidien. Qui satisfont tantôt avec dépit tantôt avec appétit leur soif d’apprendre. Tu portes sur elles un regard attendri. Et un brin nostalgique. Tu es frappé par la parole de l’une d’elles qui découvre pour quelques semaines le monde des adultes (à travers l’univers professionnel), s’exaspérant de la routine, des automatismes, de la fatigue et de la connaissance tarie. L’adolescence est un temps déjà loin pour toi. Mais tu te souviens de ton insatiable besoin d’apprendre et de comprendre… Et jamais depuis la soif ne s’est tarie. Seule la source s’est transformée… il est vrai qu’il t’arrive de regretter cette période où ta naïveté, ton innocence, ton inculture et ton inexpérience (du monde) exacerbaient - non ta curiosité - mais ta joie de découvrir des pans entiers de la connaissance et quantité d’univers inconnus. Tu te souviens de ton empressement à explorer toutes ces terres nouvelles. Aujourd’hui, il te faudrait sûrement arpenter d’autres contrées, des régions plus lointaines et plus retirées… cachées - sans doute - dans les profondeurs de l’âme humaine pour que ta joie (ta joie d’apprendre) retrouve son innocence et sa ferveur… 

 

 

Il faut bien nourrir son homme dit l’adage. Mais comment peut-on négliger le pain de l’âme… ? Quant à toi, tu ne connais de meilleur boulanger que la vie. Qui nourrit son homme de brioches et de pain dur…

 

 

La poésie nourrit ton âme. Comme le pain nourrit ton corps. La même substance essentielle. Une matière à haute valeur énergétique. Qui permet de tenir debout, de poser un pas après l’autre pour qu’advienne la marche. Mais marcher dans quel but? Pour la beauté mystérieuse du sentier et des paysages où s’enlisent et folâtrent les hommes… Mais mieux encore pour connaître la joie de la marche. Sentir en soi palpiter le désir vivant… Cela ne suffit-il donc pas à combler la marche, le marcheur et les ornières du chemin ? Si ces dimensions ne te satisfont pleinement, qui es-tu donc, homme, pour tenir à l’égard de la vie tant d’exigences… ?   

 

 

Au fil des poèmes, tu sens progressivement advenir ta propre voix. Tu la vois peu à peu se délier de ses emprises mimétiques et narcissiques qui la condamnaient au cri muet d’elle-même… 

 

 

Tes livres ne sont qu’un seul et même cri. Qui prend plusieurs visages…

 

 

Comment marcher seul ? Sans voie ni voix ? Dans ce désert silencieux. Tu désespères de ton soliloque. Faudrait-il danser dans le désert ? Avec le désert ? Devenir l’ami des dunes ? Le familier de chaque grain de sable que foulent tes pas ? La question reste ouverte… En attendant, tu poses un œil sur le ciel en espérant la réponse des étoiles…

 

 

Comment être… être au monde (et avec les autres) si tu ne parviens à être avec toi-même… Qui es-tu (réellement) en ta compagnie… ?

 

 

Pour apprendre à être avec soi-même, il semble nécessaire de trouver sa juste place dans le mouvement du réel. De rester en contact, à chaque instant, avec son univers intérieur (ses sentiments, ses émotions, ses pensées) et le monde extérieur (l’environnement perceptible, les autres êtres et les évènements) en conservant une distance appropriée… Autrement dit, prendre en considération l’ensemble de ces éléments sans leur accorder plus de valeur qu’ils n’en possèdent à nos yeux… Bref, observer et s’observer, juger et se juger, jauger et se jauger, évaluer et s’évaluer, sentir et se sentir, percevoir et se percevoir en conservant un sens de l’humour à leur endroit (un sens du dérisoire non désespéré) et une forme d’autodérision… 

 

 

Tu as le sentiment que nul, en ce monde, ne peut échapper à deux éléments fondamentaux. Chacun est sous l’emprise de puissantes forces antagonistes intérieures et extérieures qui le poussent et le tirent à hue et à dia… condamnant à une forme d’immobilisme, à une ankylose (du moins à une très lente transformation). Et chacun est au prise à de nombreux cycles récurrents qui confinent à la répétition des gestes, des comportements et des attitudes… nous enchaînant (au mieux) à une familiarité du regard et - au pire - à un automatisme routinier… Ces 2 éléments laissent évidemment à penser que tout change en permanence et recommence indéfiniment…  que tout se meut en tous sens et se répète… comme si chaque être était emporté par un mouvement cyclique au déroulement périodique et aux aléas imprévisibles… Une question reste néanmoins en suspens : que faire dans cette tornade… ?

 

 

Entretien de F. Roustand écouté à la radio. Personnage simple et intéressant au parcours singulier, d’abord jésuite, puis psychanalyste (lacanien) et enfin hypnothérapeute. Avoue sans ambages avoir balayé de son vocable (et de son existence) les notions de psychisme et de conscience au profit de la notion de désappropriation de soi en s’inspirant des propos de Wittgenstein, de Socrate, de Montaigne et des expériences du magnétisme animal, du tao, du chamanisme et du zen.

 

 

L’homme moderne évolue dans une société volontariste, angoissée et servile. Un monde d’une effroyable tristesse que peine à dissimuler l’ambiance générale et apparente de légèreté et de frivolité. Notre époque (plus que toutes autres) encourage de façon pathétique et pathologique la volonté et le volontarisme, l’angoisse et les peurs (de tous ordres et de toutes sortes), la servitude, la dépendance, l’attachement et l’aliénation alors que la vie est - ontologiquement - abandon spontané (et sans risque) et joyeuse liberté solitaire et reliée… comment, dès lors, ne pas être condamné à la névrose ? Et toi-même, tu es (peut-être davantage que tous autres), contaminé jusqu’à la moelle…  esclave de l’enfer où te portent ton mental, ton psychisme et tes sempiternelles constructions intellectuelles…

 

 

Au fond, à quoi passes-tu (réellement) tes nuits… ? Tes mots ont-ils quelque valeur ou quelque utilité…? Tu ne peux ignorer que nul ne s’y intéresse véritablement… Quand sauras-tu donc faire bon usage de ta vie… ? 

 

 

« Personne ne fait davantage que celui qui ne fait qu’une seule chose ». I. De Loyola. Faudrait-il alors approfondir une seule chose – celle pour laquelle on se sent prédisposé – pour toucher à l’essentiel ? Creuser le même sillon pour découvrir et actualiser notre potentiel et l’offrir au monde comme notre meilleure et plus généreuse obole ? Mais comment trouver cette chose ? Et comment répondre aux multiples aspirations (souvent d’apparence antinomique et porteuses de forces ambivalentes) qui nous étreignent, nous ralentissent ou parfois nous paralysent… ? Choisir serait-il la réponse… ? Mais quel choix opérer dans la confusion, l’ignorance et l’incompréhension… ?

 

 

Nul ne décide de son existence… seule, la vie tranche, opte, sélectionne - avec bienveillance (une bienveillance qui nous semble parfois cruelle). Seule, la vie, fait advenir pour nous et à notre insu, effiloche, resserre, étire, freine ou interrompt ce qui est (ou était)… Qui est donc aux manettes… ? Ô (grand) marionnettiste, montre-nous le bout de tes fils…

 

 

Lorsque la parole n’est pas encombrée par celui qui la porte, la vie la traverse et s’offre à celui qui la lit (ou l’écoute). Dans le cas contraire, elle se trouve surchargée, maladroite et très médiocrement opérante. Par extension, lorsque notre existence est peu encombrée de nous-mêmes, elle offre à ceux qui la fréquente ou la croise (et à tous ceux qui lui sont familiers), la vie qui nous habite dans toute sa pureté… non entachée par nos désirs, nos attentes, nos bonheurs et nos tourments dérisoires…

 

 

Tu ne vis (tu ne peux vivre) que dans l’imminence - l’éventualité probante - de la rupture. Sans cesse, tu remets ta vie en jeu. Dans un énigmatique quitte ou double. Comme si tu ne pouvais vivre, agir, te sentir exister que dans la plus grande incertitude en remettant ton existence - la poursuite de ton existence - à une entité au-delà de toi-même (à la vie et au destin peut-être)…

 

 

Après plus de 3 mois d’accès mélancolique (d’une insoutenable intensité), tu parviens, à force de recherche fébrile et de lutte âpre pour garder la tête hors de l’eau, à accueillir tes crises d’angoisse. Moult éléments y ont contribué. Parmi eux, 2 semblent avoir joué un rôle fondamental : la prise de conscience de l’existence d’un espace (d’un socle) sécure* avec lequel tu es relié - sans cesse. Et la notion de dépréoccupation de soi, thématique que F. Roustand a impulsé en toi, à son insu… ravivant 2 découvertes que tu avais déjà explorées par tes réflexions intuitives, tes modestes expériences d’expansion de conscience et ton intérêt tenace - et toujours vivace - pour le bouddhisme…

* la base sécure correspond peu ou prou à la compréhension intuitive qu’en cette vie (et après cette vie aussi, bien sûr…) rien ne peut détruire – ni même endommager – notre être fondamental, que seuls le mental et la conscience expérimentent les évènements et les émotions.

 

 

Aujourd’hui, tu as le sentiment que la vie est un jeu – un jeu très sérieux et dérisoire sans risque et sans enjeu – dans lequel chacun doit s’inscrire et progresser en s’amusant. Un jeu sans danger réel où seules nos entraves personnelles restreignent le sens et l’expérimentation du jeu et la compréhension des règles… jeu qui se caractérise sans doute d’ailleurs principalement par son absence de règles et l’incapacité humaine à les définir avec justesse… 

 

 

La vie à ses débuts (dialoguant avec elle-même) : oh ! Comme je m’ennuie… Tiens !  Et si je me divisais à l’infini… En voilà une belle occupation, pas vrai ? Voilà de quoi m’occuper pour une longue… une très longue période… Et la vie (s’adressant à ses futures parties d’elle-même - chaque être en ce monde (et chaque être ailleurs sans doute) : et ce petit jeu devrait les occuper longtemps… Combien leur faudra-t-il de millénaires pour comprendre… Oh ! Comme nous allons nous amuser tous ensemble…

 

 

Il est des noces fraternelles et amoureuses qui s’estompent. Des êtres qui s’effacent peu à peu. Comme si leurs angles si similaires aux nôtres ou si familiers nous gênaient à présent aux entournures. Comme si nos emboîtements passés étaient devenus des entraves à notre progression… 

 

 

L’essentiel réside moins dans ce que l’on vit (fait ou entreprend) que dans notre façon de le vivre. A travers les récurrentes séquences situationnelles et les oscillantes variations intérieures auxquelles nous sommes indéfiniment soumis, sans cesse la vie nous y invite…

 

 

S’insérer dans chaque séquence situationnelle avec un œil panoramique… sans s’exclure et sans visée strictement égocentrique. Comme simple élément du tout. Comme élément mouvant dans le tout en mouvement. A chaque instant toujours nouveau et différent… et à la fois toujours ontologiquement conditionné par les mouvements précédents (leur poursuite et leur actualisation). Bref, le discontinu perceptif (notre regard) et le continu tendanciel (notre histoire dans le temps). Sans compter, bien sûr, la répercussion de chacun de nos regards sur les suivants et leur incidence sur la survenance des évènements…

 

 

Tes poèmes sont à ton image (comment pourrait-il en être autrement ?). Ils sont innocents, maladroits et narcissiques. Insuffisants et encombrés. Voilà ta voix. Et ton souffle. Mais toutes les voix n’ont-elles pas droit au chapitre ? Malgré leur poids et leur portée différente, ne peuvent-elles donc pas toutes s’exprimer… ? 

 

 

Parmi le petit peuple des poètes contemporains, mille visages. Les lyriques, les épris d’épure, les abscons, les partisans du fourbi, les adeptes du simple, ceux du vrai… et les mièvres. Et parmi ces figures familières, 2 grandes familles, celle qui chante sa souffrance et (en filigrane) son ignorance devant le mystère et l’autre qui se fait l’écho de ses trouées énigmatiques dans l’épaisseur terrestre et opaque de la vie et du quotidien.

 

 

Tes poèmes ont l’épure encombrée. Encore trop (beaucoup trop) chargés de narcissisme, de mimétisme, de préciosité, de faux lyrisme, de volonté de plaire et de bien faire…

 

 

Deux éléments fondamentaux ont joué de façon substantielle à ta survie (peut-être provisoire). D’abord la base sécure : la vie est sans risque et sans enjeu. Et son corollaire, s’insérer à chaque instant dans la séquence situationnelle en cours (et toujours en mouvement) sans omettre le renouvellement permanent du regard (à chaque instant). Et la juste place en son sein (dictée par une spontanéité intuitive (voire instinctive) qui prend la mesure limitée de sa propre importance comme simple élément de l’ensemble parmi les autres éléments. 

 

 

Mon dieu ! Que la conscience et la volonté nous emmêlent… Plus nous nous efforçons de comprendre l’inconscient, l’incompréhensible, l’invisible, l’indicible… plus les fils de la pelote s’entortillent. Et s’enchevêtrent. Comme si la pelote se complexifiait... Bref à mesure que nous croyons progresser, le désastre s’approfondit. Et l’ouverture (et l’issue) se dérobent…

 

 

Insertion sans cesse recommencée dans la séquence situationnelle et renouvellement incessant du regard invitent à épouser constamment, et à chaque instant, le mouvement de la vie. Ces 2 éléments permettent d’entrer à la juste place dans son flux perpétuel. Bref, l’attitude inverse de l’immobilité, des attentes et des exigences égocentriques porteuses de réification de l’autre et d’immobilisation de la situation (liée à la volonté d’atteindre un idéal ou le désir de préservation d’un état ou d’une situation jugés globalement satisfaisants)… 

 

 

Emmailloté par le poids du monde, bousculé par la récurrence des cycles, déchiré par l’antagonisme des forces, tu erres presque immobile dans les paysages. Soumis aux sphères, aux spirales et aux puissances rivales comme un funambule sur un fil labyrinthique.

 

 

L’espoir demeure malgré la puissance des marées. Et l’ardeur persiste malgré l’onde de choc. Accroché à l’incertitude comme à un bastingage. Comme à un horizon… 

 

 

Tes pleurs jaillissent par poussées. Et tes larmes déferlent, creusent ton lit de souffrance. Comme des cascades qui ruissellent vers le fleuve des pénitences. 

 

 

Le même flux organique, vitale et invisible s’écoule en chacun et entre tous. Partout où palpite le vivant englué dans son mouvement.

 

 

Emporté par les secousses, l’émotion parfois te disloque. Et te jette sous les ruines que tu t’échinais à construire. Aujourd’hui ton âme disloquée agonise en deçà du charnier. Sous l’odeur de la désillusion flottent les effluves du désespoir et le parfum enivrant de ton cadavre…

 

 

Dans les périodes de fragilité, tu oscilles (souvent) entre 2 dimensions. La dimension égotique qui ressent l’existence du moi. Ce « moi » toujours en quête de piliers existentiels, qui aspire à un idéal (pétri d’exigences et d’attentes à l’égard de l’existence), qui éprouve le besoin de sauver sa peau tant il perçoit son insignifiance devant l’immensité du monde et la dangerosité des autres êtres, incapable d’assumer le vide en lui et qui l’entoure. Et la dimension non égotique qui ignore (ou du moins tend à ignorer) l’existence du moi, lui permettant (ou permettant plus exactement à cette part de la conscience) de s’inscrire dans les successives séquences situationnelles, renouvelant à chaque instant son regard sans éprouver la moindre crainte tant elle se sent détachée de son existence nominative et circonscrite, toujours reliée à sa base sécure (à la vie joyeuse sans risque et sans enjeu). L’interface entre ces 2 dimensions pourrait – peut-être – s’illustrer par la question suivante : qui expérimente la situation externe et les aspects émotionnels (la situation interne)? Est-ce le «moi»? Est-ce l’esprit (la conscience) ? Une partie de mon esprit ? Qu’est-ce que cet esprit qui expérimente ? Qu’est-il exactement ? Et selon l’état et l’intensité émotionnels (le plus souvent liés à la situation extérieure), tu bascules tantôt dans "la dimension égotique"… tantôt dans l’autre…

 

 

Après réflexion, tu estimes que la notion de base sécure peut se subdiviser en (au moins) 2 parties complémentaires. La première, « la vie est un jeu sans risque ni enjeu » n’est accessible qu’au cours des périodes sans grand aléas émotionnel. Cet aspect ne semble d’ailleurs pas perceptible par tous. La plupart des Hommes ne l’a sans doute jamais ressenti (ou encore insuffisamment). Pour ta part, tu ne peux ignorer l’extrême fragilité de cette dimension, révélatrice, évidemment, de la superficialité de ton ressenti. La deuxième partie est le corps – la présence au corps. La nécessité d’habiter son corps. La première dimension s’inscrit dans la psyché (ou la conscience), et la deuxième dans le corps, chacun étant – en cette vie – toujours présent en nous (où que nous allions…). Aujourd’hui tu éprouves de grandes difficultés à être présent (attentif) à ces 2 aspects… le plus souvent, tu n’y parviens pas. D’où une foule de questions. Cette présence-attention s’apprend-elle ? Comment s’acquiert-elle ? Par la méditation ? La relaxation ? L’hypnose ? Le yoga ? Et tu n’as (malheureusement) qu’une bien modeste piste de réponse : la nécessité de développer cette présence-attention dès que l’on prend conscience de s’en être éloigné, emporté tantôt par nos automatismes, tantôt par la routine tourbillonesque de notre quotidien, tantôt par notre égocentrisme narcissique le plus gros grossier, tantôt par nos films mentaux… bref… il nous appartient d’être vigilant… et attentif (si j’ose dire…) aux nombreux écueils qui nous en détournent…  

 

 

Aujourd’hui, les livres de G. Haldas ont perdu leur charme. Et leur résonance. Ecrire même n’a plus le même attrait. Comme si l’écriture était devenue une activité - non secondaire - mais qui ne répond qu’à une nécessité strictement personnelle. Tu n’éprouves plus le besoin de l’exposer au monde. Ni même de te présenter comme auteur-éditeur. Sans pour autant savoir, il est vrai, quelle dénomination t’attribuer…

 

 

Tu vis. Du moins, tu tentes d’y parvenir. Sans identité singulière. Un être non identifié. Anonyme. Et sans doute encore (un peu) malheureux de l’être.

 

 

Ecrire t’aura permis (peut-être), outre de crier dans l’espace désert du monde, d’apprendre à écrire plus juste. Ou disons, d’acquérir une qualité rédactionnelle acceptable…

 

 

Les éléments à venir de ton existence commencent lentement à se dessiner. Comme si tes lubies, tes angoisses, tes recherches cherchaient à se cristalliser en une ou plusieurs activités comme autant de piliers indéracinables pour incarner un savoir…

 

 

Tu notes que tu cherches à te désengluer de la dimension fusionnelle qui t’a toujours étreint. Sans savoir (d’ailleurs) comment y parvenir. Tu cherches à donner une nouvelle (forte et irrésistible) impulsion à ton existence pour permettre à ton être d’apparaître. Obtenir un ego plus équilibré, renoncer à l’absolu, ne négliger aucune dimension humaine, trouver véritablement ta voie. Voilà quelques-unes de tes priorités. Tu sais que le corps, la psyché, la conscience, l’inconscient, la réflexion (la dimension cérébrale) et la pensée intuitive, le toucher (l’haptonomie), le care, la dimension narcissique un rien ambitieuse (cette sempiternelle recherche de statut social), le regard du monde sur ton être, la dimension spirituelle, l’engrammage, tous tes exercices, tes activités et tes angoisses passées (et encore parfois très présentes) y tiendront leur place…

 

 

Tu sens émerger en toi de profonds bouleversements. Les linéaments peut-être d’une transformation véritable (encore un fantasme sans doute… ?). Tu remarques que tes actes et certaines de tes attitudes se modifient. Malgré quelques résistances (tenaces), tes modes de fonctionnement et tes représentations habituelles qui se cabrent. Pourtant, tu sens leur appel déchirant. La nécessité qu’elles ont d’apparaître. Question (pour toi) de vie ou de mort. Il semblerait que tu n’aies le choix. Mais tu n’es pas sans ignorer la bêtise d’un enthousiasme outrancier et les dangers d’entretenir quelque espoir en matière de transformations profondes et définitives. Si elles adviennent, elles seront, de toute évidence, en deçà de tes exigences. De simples transformations partielles et toujours provisoires. Il te faut donc, sache-le, laisser advenir ce qui doit l’être sans rien exiger ni précipiter…

 

 

Un titre pour tes pages à venir (dans un futur plus ou moins proche  si tu continues d’écrire…) : Notes de tiroir… celui du bureau où elles seront rangées. Alors pour quoi vouloir donner un titre à ces notes ? Serait-ce dans l’espoir de les voir publiées ? Sans doute. Toujours tenaillé par cette ambivalence…    

 

 

Tu n’as, en réalité, écrit qu’un seul et même livre… et - en définitive - qu’une seule et même phrase. Une simple interrogation : comment vivre la condition humaine ? Une question qui invite, bien sûr, une réponse en mesure d’accueillir l’ambivalence qu’elle sous-entend : comment l’accepter et en sortir… ? A ce titre, il ne te semble pas idiot de proposer l’hypothèse suivante : pour en sortir, il est nécessaire de l’accepter. Condition préalable, évidemment… 

 

 

Il est des questions d’importance en cette existence. L’une d’elles est sans doute de définir la frontière sans cesse fluctuante de l’échange. Entre le donner et le recevoir. Autrement dit de savoir jusqu’à quel point il nous est possible d’offrir (de l’énergie, du temps, de l’attention, de l’écoute…) à l’Autre, aux autres et au monde sans en souffrir - ou plus exactement - sans que la dimension narcissique (ou égocentrique) en nous en souffre excessivement (souffrance occasionnée, le plus souvent, par le manque de réciprocité…). Ne sommes-nous pas sans cesse en butte aux autres, à notre étroitesse et à la leur ? Que prendre et que leur donner… ? Comment ? Et jusqu’à quel point ? Quelle attitude adopter en ce monde où chacun est enclin, en général, à utiliser l’Autre sans rien offrir en échange ? Il semblerait qu’une véritable authenticité (avec soi) soit nécessaire pour ne pas se leurrer sur nos aptitudes… Comme est sans doute nécessaire et utile de trouver ses propres sources de ressourcement, indépendantes du contexte et de l’environnement. Question subsidiaire (d’importance) : comment repousser la frontière de son étroitesse… ?   

 

 

Note suppl. : comment s’imprégner de façon stable et profonde de l’idée que le don est une extraordinaire façon de recevoir ? Très grossièrement d’abord car l’acte de donner élargit l’étroitesse de celui qui offre. Il permet de travailler à l’érosion du moi… concept, certes, illusoire mais qui donne si souvent l’impression d’être une entité inentamable et excessivement présente…

 

 

Toujours à te poser mille questions. Pour trouver des règles à vivre. Des règles de vie. Et les lois de l’existence. Au lieu de vivre, pauvre idiot…

 

 

Il est vrai que lorsqu’un homme déclare : je suis heureux… il faut entendre : je suis narcissiquement (ou égocentriquement) heureux… Autrement dit… un homme est (ou se sent) heureux lorsque ses désirs personnels (ou narcissiques) sont satisfaits (ou globalement satisfaits). Il est plus rare que cet énoncé sous-entende le vrai bonheur où le « je » a disparu. Ce bonheur-là (on devrait d’ailleurs plutôt parler de joie) éclipse toute notion du « moi », le « je » n’existe plus, il s’est dissous dans la séquence situationnelle  de la vie en mouvement… malheureux, nous sommes… et heureux, nous ne sommes pas… Malheureux, vous êtes… et heureux, vous n’êtes pas… d’où la fâcheuse propension de l’Homme à s’attacher au malheur (à ses malheurs) et ses résistances à s’en détacher… L’Homme est si effrayé à l’idée de ne plus exister… si « je », en effet, n’existe plus alors « qui suis-je ? ». Confronté à la question identitaire à la fois incontournable et effrayante. Terriblement effrayante…

 

 

Notes à propos des sources de ressourcement. Hormis sans doute la base sécure fondamentale (la vie est un jeu sans risque ni enjeu), garante de toutes les autres, il n’existe sûrement in fine aucune base sécure valable (elles peuvent être diverses mais demeurent transitoires) y compris s’inscrire dans la séquence situationnelle avec un regard sans cesse renouvelé. Il semble évident qu’une source de ressourcement (digne de ce nom) doit - pour être valide - s’autoalimenter de façon permanente (et non que celui qui se ressource ait besoin de période d’isolement, de solitude ou de je-ne-sais-quoi-d’autre pour retrouver la force, l’énergie, la patience de retrouver le monde et de rétablir des relations à autrui)… voilà sans doute pour quoi les bouddhistes – entre autres – posent la question suivante : qui expérimente ? Qu’est-ce que l’esprit ? Et évoquent aussi évidemment l’illusion du moi, combinaison d’agrégats sans consistance aucune ni indépendance, bref sans existence propre. Voilà pour quoi ils insistent tant également sur l’attention (être attentif à chaque instant). Mais comment se défaire de cet agglomérat illusoire qui emprisonne notre regard et entache nos actes… ? Une seule réponse (pour l’instant) : revenir à l’attention dès que possible à tout moment de l’état de veille… et s’y exercer avec patience et persévérance… voilà une bien maigre et peu consolante réponse, n’est-ce pas ? Sans compter, bien sûr, les périodes de crise émotionnelles submergeantes qui nous clouent à une souffrance indicible où l’attention n’est plus à même d’être, si j’ose dire, présente…

 

 

Nul n’existe véritablement. Tout n’est que manifestation de la vie. Chaque forme, chaque chose, chaque être. Et chacun sera amené à le comprendre et à l’incarner lorsqu’il se sera totalement éprouvé. Jusqu’à ses dernières limites. Jusqu’à ses derniers retranchements (ses ultimes retranchements égotiques). Jusqu’à ses dernières résistances identificatrices. Il n’en demeure pas moins que chacun a le sentiment d’exister, d’éprouver des plaisirs, des joies et des souffrances. Mais qui éprouve réellement ? N’est-il pas nécessaire de se poser la question ?

 

 

Certains êtres éprouvent une hypersensibilité à la souffrance. Elle leur est insupportable. Ils la ressentent de façon si aiguë et si intense qu’elle ne leur offre aucun choix. Nulle alternative. Il leur faut mourir. Attenter à leur vie ou mourir à eux-mêmes (abandonner leur identification au moi). Ceux qui trouvent la force* de résister au suicide sont portés par un élan vital qui les amène à opter pour le renoncement à soi. Dans cette démarche, ils comprennent progressivement que la souffrance (leur souffrance) n’a aucune dimension réelle (ni aucune dimension personnelle). En effet, si le « je » n’est plus éprouvé comment entité réelle et autonome alors il ne peut éprouver la moindre souffrance… (comment pourrait-on  ressentir si on n’existe pas… ?).

* Le terme est sans doute impropre. La volonté n’intervient ici d’aucune manière. Seuls, sans doute, quelques prédispositions antérieures, le contexte et les possibilités d’accès aux ressources intérieures permettent de traverser la tentation du suicide.

 

 

Le renoncement à soi ne peut, bien sûr, advenir du jour au lendemain. Mourir à soi-même est un processus long et douloureux où le sujet alterne les phases égotiques et les phases non égotiques. Dans les premiers temps, le « je » n’est plus toujours totalement éprouvé comme une entité réelle stable et indépendante. Et au fil de la croissance, il l’est de moins en moins… moins durablement. Et moins intensément. Il est donc plus à même de supporter les inévitables aléas (et fluctuations) de l’existence…

 

 

Note suppl. La frontière qui sépare le territoire du renoncement à soi et la contrée habituelle du «moi» (perçu comme entité réelle) est large et étendue. Elle comporte, semble-t-il, de nombreux points de passages successifs (et très douloureux) où le marcheur doit se départir de ses couches identificatrices et protectrices qui entravent sa progression. Et lui interdisent de franchir les différentes portes qui mènent au territoire suivant. Et il pérégrine ainsi, de porte en porte, se voit contraint de traverser toute la largeur de la frontière jusqu’à ce qu’il soit si entièrement nu qu’il ne reste rien de lui-même… au dernier pas, il atteindra alors l’autre rive. L’autre rive où tout est pareil. Et tout semble différent.

 

 

Note personnelle. Ô toi, marcheur, quand verras-tu l’autre rive ? Quand atteindras-tu la contrée radieuse où le soleil brille le jour et la nuit ? Et où les étoiles scintillent et s’éteignent à chaque instant…

 

 

Note suppl. sur la traversée de la frontière. Au cours de ces passages douloureux, le marcheur est partagé entre un découragement total, un désespoir terrifiant et un élan vital très souterrain. Très lointain. A peine perceptible. Le premier sentiment l’invite au suicide, le second à poursuivre son effort en dépit des grandes souffrances éprouvées, à persévérer dans la tourmente jusqu’au bout de ses forces, de continuer à creuser malgré la chair à vif, à s’abandonner avec confiance (bon gré mal gré) en dépit d’un sentiment extraordinairement aigu d’insécurité. Le marcheur est cerné de toutes parts par le renoncement. Nulle autre option que l’abandon : la mort corporelle ou la mort à soi (ou du moins à une partie de soi-même). Aussi comment ne pas éprouver, lors de cette traversée, de grandes souffrances et un insupportable sentiment d’insécurité… ? Qui, parmi les hommes, pourrait avancer sans peur dans cet espace des confins ? Qui, parmi les hommes, pourrait s’aventurer sans crainte dans une contrée où ne règne que l’incertitude (l’incertitude la plus totale)? Qui, parmi les hommes, pourrait poursuivre sa marche, pas à pas, sans avoir maille à partir avec les tensions, les luttes, les conflits et les résistances en se voyant contraint d’abandonner ses désirs narcissiques et égocentriques, ses attachements, ses possessions, son instinct de conservation, ses  identités, ses certitudes… ? Nul homme ne peut traverser cet intervalle dans la paix, la joie et la sérénité. Et celui qui affirme (ou prétend) le contraire est un sinistre imposteur…

 

 

Tes livres n’ont aucune audience. Et tu continues néanmoins d’écrire. Il devient clair que l’écriture prend caractère d’instrument vital. Comme si la vie avait choisi cette activité pour que tu apprennes à devenir pleinement homme… à poursuivre ton chemin afin d’incarner  - dans ta forme vivante singulière -  la vie-même…

 

 

Tu ne peux ignorer la dimension sacrificielle de l’écriture. Celui qui écrit dans le but avoué de résoudre l’immense énigme de la vie sacrifie (d’une façon ou d’une autre) son existence. Il renonce, le plus souvent, aux dimensions et ambitions humaines les plus fréquentes : la carrière professionnelle, la famille, les menus plaisirs du monde, l’honneur des foules, les gloires faciles et éphémères. Et consacre toutes ses forces, toute son énergie et toute son existence à sa quête et à son œuvre. Tente avec pugnacité, opiniâtreté et acharnement (excessif sans doute) de percer le mystère. Tâche impossible et peine perdue penseront d’aucuns. Mais celui qui écrit n’a rien choisi. La vie a décidé pour lui. A son insu. Il a beau y résister. Elle ne cesse de s’y acharner…

 

 

Tenter d’écrire la vie et tenter de la comprendre par la pensée (fut-elle intuitive) n’est évidemment un but en soi. Elle n’est, outre une tentative d’atténuer l’angoisse existentielle, qu’un instrument destiné à mieux vivre l’existence et la condition humaine. Et tu sais qu’il te faudra, à un certain stade de tes recherches, délaisser l’écriture et la pensée au profit du geste et de l’être. Bref, incarner tes découvertes. A moins, évidemment, que ces dernières ne s’inscrivent progressivement en eux…

 

 

L’Homme est soumis à une multitude de dimensions. A des forces submergeantes (qui proviennent de ce que l’on nomme coutumièrement l’inconscient), à la matérialité (son corps et les objets), à des exigences égotiques (pyramide de Maslow), à la prégnance de la conscience, de la raison et de l’intelligence (à la puissance de son mental), à sa profonde ignorance, à la quête d’un sens (du moins d’une cohérence) de son existence, au besoin de conquête et de dépassement. Il est soumis à la finitude, à son aspiration (consciente ou non) d’Absolu, à de nombreuses entraves et de multiples potentialités, à une foison de qualités et de travers, à la confusion et à la clairvoyance, à de profonds et innombrables paradoxes et à une grande ambivalence… mais aussi, évidemment, au monde, à son environnement, aux autres etc etc etc. Aussi, en matière de conduite de vie, de philosophie de l’existence et de thérapie (résolution de problématiques), aucune dimension de l’homme ne doit être négligée. Toutes les composantes humaines doivent être prises en compte et considérées…

 

 

En décortiquant (de façon assez superficielle) quelques disciplines de sciences humaines (philosophie, psychologie, psychothérapie…), tu es effaré par le nombre impressionnant de théories. Chacune semble née de la subjectivité personnelle de son créateur (ou de ses créateurs) influencé(s) par son (leur) existence, sa (leur) démarche, son (leur) histoire, sa (leur) structure de pensée, ses (leurs) intuitions, sa (leur) réflexion, son (leur) époque etc etc etc proposant une approche du réel, une solution à vivre et/ou une méthode pour être (et mieux être) au monde, invitant chacun à s’y conformer ou à s’en inspirer. La plupart des hommes qui ne sont nullement des chercheurs (de vérité) par manque d’élan, de courage ou de prédispositions naturelles deviennent alors adeptes de telle ou telle école ou puisent dans quelques-unes pour composer leurs propres formules. Mais aucune de ces théories et méthodes n’est en mesure d’appréhender de façon satisfaisante (réellement et exhaustivement) la vie, ni même en mesure d’aider durablement, profondément et de façon stable et définitive quiconque. Chacun doit (ou devra) chercher par lui-même ses propres issues en se frottant à la matière brute de son existence, de son individualité, de son environnement, de ses rencontres, de ses difficultés, de ses joies, de ses obstacles, de ses espoirs, de ses désillusions, de ses souffrances… Et qu’on le souhaite ou non, il en est ainsi… 

 

 

Il existe sûrement un étrange parallèle entre le vide et la forme* (autrement dit entre la matérialité et l’espace) dans la dimension intérieure (perçue en tout cas comme telle) et la dimension extérieure (idem). Comme si les pensées et les émotions étaient des formes immatérielles toujours en mouvement - plus ou moins rapide - dans l’espace vide de la conscience et les êtres et les objets des formes matérielles eux aussi toujours en mouvement - plus ou moins rapide - dans l’espace vide du monde (thématique à développer).

* Si conscience (espace intérieur) = espace (espace extérieur). Et si pensées et émotions (dans la conscience) = objets et êtres (dans l’espace du monde). Et si la forme est (=) vide et la vide est (=) forme. Alors ??????

 

 

Il semble évident que le corps, la corporalité, les objets ne constituent des entités autonomes et étanches. Leur enveloppe n’est, évidemment, qu’une frontière apparente entre ce qui semble être à l’intérieur et ce qui semble être à l’extérieur… bref, toute enveloppe est perméable. Et toutes les formes du monde extérieur sont poreuses…

 

 

Note suppl. Ce commentaire un peu trivial t’amène à penser que la dichotomie entre mondes extérieur et intérieur perd toute validité. Comme perd toute légitimité la tentative (avortée) d’analogie entre les formes du monde extérieur et celles du monde intérieur. En effet, si les formes dites du monde extérieur sont poreuses et leur enveloppe est perméable, l’intérieur et l’extérieur perdent leur caractère tangible. Leur frontière devient (plus) difficile à définir et à cerner. Ou du moins ces formes et leur frontière deviennent abstraites. Sinon purement conceptuelles (évidemment).

 

 

Note suppl. En outre, si les formes dites extérieures (les êtres et les objets) ne cessent d’échanger (entre elles) et de se transformer en modifiant la combinaison et l’organisation de leurs éléments dit internes par prélèvements ou évacuation d’éléments (ou de matière) sur les formes dites extérieures (à elles-mêmes)… sans compter, bien sûr, la transformation de leurs propres éléments (évidemment, le terme « propre » est impropre… mais passons…), il n’existe aucune raison pour que cette porosité des formes, cette perméabilité des enveloppes et ces échanges permanents n’existe pas aussi entre les formes du monde dit intérieur (les pensées et les émotions). Les exemples en la matière (si j’ose dire) sont innombrables… cf les «contagions » émotionnelles entre individus

 

 

Notes suppl. Il est évident que les objets (matériels) du monde s’entrechoquent, se frôlent, se croisent, interagissent dans l’espace du monde et ne cessent d’échanger entre eux. Comme le font sûrement les objets intérieurs (immatériels) dans la conscience. Mais dans la mesure où l’intérieur et l’extérieur ne sont que des concepts toutes les formes (qu’elles soient considérées comme extérieures ou intérieures) traversent toutes les frontières… et de quelle source tirent-elles leurs mouvements ? De l’énergie… et hormis ce poncif, tu ne sais plus que dire…

 

 

La lecture d’Itsuo Tsuda (ses ouvrages sur le katsugen undo et le Seitaï) sera sans doute fructueuse. Quelques intuitions te permettront peut-être - tu l’espères vivement - d’établir quelques liens avec tes misérables découvertes. Tu n’as guère d’autres procédés pour faire progresser ta compréhension. Intuition après intuition, tu chemines… tu n’as d’autres béquilles… ou d’autres bâtons…

 

 

Question suppl. Quels sont les liens entre les objets et les êtres dans le monde ? Comment interagissent-ils entre eux ? De quelle source tirent-ils leurs mouvements ? De l’énergie… Quels sont les liens entre les objets et l’espace ? Les objets se meuvent dans l’espace sans en être séparés… et sans d’ailleurs qu’il y ait de frontières entre eux et l’espace (hormis leur enveloppe apparente). Sans espace, les objets ne pourraient interagir entre eux. 

 

 

Tes livres ne sont en définitive qu’une trace de ton passage d’Homme en cette vie sur cette terre…

 

 

Pour que la vie advienne (en nous) avec spontanéité… pour apprendre à en devenir le canal le plus juste, il est sans doute nécessaire de ne pas négliger l’aspect technique du (ou des) domaine(s) vers lequel (ou lesquels) on se sent naturellement porté(s) ou disposé(s). En particulier s’ils appartiennent à la sphère créative et expressive ou s’ils s’inscrivent en lien aux autres êtres… Mais sans un authentique travail sur soi pour se libérer de ses apprentissages, de ses entraves, de ses obstacles, bref pour apprendre à désapprendre… on ne peut espérer atteindre l’authenticité spontanée, le geste (ou l’agir) juste, libre et approprié…  Il en est de notre activité principale en particulier et de notre façon d’être en général. Mais ces formulations ne sont que charabia trompeur… elles égarent davantage qu’elles n’éclairent… dans la mesure où toute activité se manifeste bien entendu dans un rapport au monde, à l’autre et à soi-même et que l’être est plus essentiel que l’activité (aussi noble soit-elle)… chacun fait évidemment ce qu’il peut et croit juste… et nul, quoi qu’il fasse, ne peut s’exclure de ce double processus de transformation individuel et collectif… dans la mesure où chacun est source de changement, d’ajustement et facteur de transformation pour les autres, contribuant ontologiquement (du fait même de son existence) au mouvement de la trame (qu’est la vie).

 

 

Note à propos d’un authentique travail sur soi. Que peut-on entendre par cette formule (un peu fourre-tout et sans doute un peu creuse) ? Je l’ignore. Je suppose qu’il existe plusieurs degrés d’approfondissement que je serais bien en peine de hiérarchiser (même si, il est vrai, je serais enclin en la matière à quelques a priori…). Qui, après un travail analytique de longue haleine, se targuera de se connaître ? Qui, après quelques lectures et stages de développement personnel ; qui, après avoir pratiqué telle ou telle discipline (ésotérique, religieuse, spirituelle…) seul ou auprès d’un maître (et en toutes contrées, les disciplines sont légions…) ; qui, après une expérience mystique ? ; qui, après un long cheminement… etc etc etc.

 

 

De nombreux critères existent pour apprécier (d’aucuns diraient évaluer…) le degré de sa progression sur le chemin intérieur. Inutile de les énumérer. Il me semble plus bénéfique de n’en retenir qu’un seul : est-ce que j’accepte davantage la vie comme elle arrive ? Ou autrement formulé : mes résistances à la vie telles qu’elles se présentent (à moi) sont-elles moins prégnantes et moins durables ? A ce titre, notons les précieux encouragements de la vie qui, par ses cycles répétitifs, ne cesse évidemment de nous offrir l’occasion de remettre notre tâche sur le métier…

 

 

Le cheminement intérieur n’est évidemment pas une course (ni contre les autres ni contre soi-même…). Et à ceux qui seraient tentés de trouver la meilleure discipline ou la meilleure méthode pour progresser, il serait judicieux de leur dire qu’il y a - bien évidemment - autant de formules que de chercheurs. A chacun d’explorer et de trouver les éléments qui composent cette formule (non stable)…

 

 

En matière de cheminement intérieur, d’aucuns aimeraient peut-être savoir s’il existe un chemin et une destination finale (avec son corollaire fantasmé de territoire stable et sécurisé). Que répondre ? Il n’existe sans doute d’autre chemin que le pas que l’on effectue à chaque instant… certains pourtant (dont je suis encore… eh oui ! décidemment… mes avancées sont bien médiocres…) rétorqueront qu’il existe de toute évidence une progression, une perception temporelle linéaire et une ipséité qui laissent à penser que chacun suit un itinéraire, franchit des étapes pour parvenir à un seuil et est censé arriver à une destination, accéder à un territoire qui marquerait la fin d’un chemin… Que leur répondre ? Il existe, en effet, une perception temporelle linéaire mais il existe également d’autres perceptions temporelles… chacun, selon son degré de mûrissement (et ses capacités), prendra en compte celles dont il a conscience… je n’ai pour l’heure (si j’ose dire…) d’autres conseils…

 

 

En dépit de toutes les ratiocinations qui couvrent ces pages, vous ne trouverez nul conseil véritable dans ces lignes. Nul, je crois, ne peut donner de conseils valides. On ne peut que témoigner de ses recherches. De son expérience. Et fournir (au mieux) quelques explications. Mes ouvrages encourageront seulement les pas de ceux qui cherchent… et chacun de mes livres trouvera ses lecteurs (et contribuera modestement parmi mille autres éléments à trouver quelques réponses) lorsqu’ils traverseront une période analogue (analogue et non semblable) à celle où je les ai, moi-même, écrits.

 

 

Tous ces mécanismes et ces phénomènes perceptifs, je les comprends et les ressens, il va sans dire, assez superficiellement. Je ne les ai pas véritablement vécus. Comme si je ne parvenais encore à franchir ce pas. Un saut abyssal sûrement…

 

 

Il est des périodes où l’on est contraint de privilégier un domaine, une activité ou une sphère particulière de la vie humaine, mais il me semble essentiel de ne jamais négliger les autres (domaines, activités, sphères). Bref, n’abandonner aucune des dimensions de l’Homme.

 

 

Il semblerait que les rencontres avec le monde nous façonnent de façon invisible. Et souterraine. Sous les échanges de surface (de façade à façade) se trament des enjeux primordiaux qui échappent à notre conscience. Pour y avoir accès, les mettre à jour (les conscientiser) et les actualiser, l’espace réflexif et intuitif solitaire paraît essentiel. Sinon incontournable.

 

 

Outre la recherche effrénée de la vérité (ou disons plus humblement de la compréhension de la vie), tu écris aussi en grande partie dans l’espoir de toucher le cœur de l’Autre. Celui qui, un jour, te lira. Tu écris dans l’espoir de la rencontre. Bref, tu écris dans l’espoir de remplir ton rôle d’humain… 

 

 

La prose de F. Roustang et C. Rogers coule fluide et simple. Nette et sans artifice. Loin de tout jargon technique. Comme si leur expérience de vie les avait suffisamment imprégnés pour que sorte naturellement et spontanément une parole dépourvue d’entraves. A la lecture de leurs ouvrages, tu es étonné aussi par la quasi-absence de mentalisation, d’intellectualisation… comme si elle nous parlait d’inconscient à inconscient ou d’être à être en empruntant un canal invisible et mystérieux (souterrain ?). Et dans le même temps, tu notes une sorte d’indicibilité de leur parole… comme si les mots n’étaient véritablement en mesure de fixer, d’exprimer le contenu de leur savoir… A mille lieux du verbe pompeux des intellectuels traditionnels…

 

 

Assumer ce que l’on est au moment où cela advient, voilà peut-être l’un des secrets de toute authenticité… ce qui suppose que l’on ne culpabilise d’aucune façon au sujet des préjudices éventuels sur autrui (toute action implique, de toute façon, des conséquences). Et qui d’ailleurs peut présumer de leurs dimensions positives ou négatives puisque nul n’a le pouvoir de les replacer par anticipation dans un cadre temporel si large qu’il pourrait les entrevoir… mais que faire, en la matière, des désirs inconscients, qui par définition, ne sont pas consciemment perçus et qui orientent une grande part de nos attitudes, gestes, comportements, paroles et pensées… ? Les laisser être sans s’en soucier… conscientiser les plus grossiers pour atteindre un seuil de désirs inconscients « acceptable »… ?     

 

 

Le vouloir inconscient est une puissance créatrice, inventive et dévastatrice quasi sans limite. A ses côtés le vouloir conscient est dénué de pouvoir. Une ordonnance de petit chef à une armée de brindilles dans le feu de la vie. Vite consumée. Et anéantie.

 

 

Vie, naissance et mort : 3 évènements fondateurs et essentiels pour l’œil esseulé pris dans la tourmente des forces, des cycles, dans le tourbillon incessant des batailles, des querelles et des conflits. Et 3 infimes séquences pour les yeux alentour (ceux qui nous entourent)  et au regard du flux permanent du mouvement vital : la vie.

 

 

Tu éprouves un sentiment de fraternité spontané pour les électrons libres, les chercheurs de vocation personnelle qui tentent, par leur recherche, leur sensibilité, leur existence et leurs prédispositions naturelles, de mettre en œuvre - de façon souvent hésitante, anonyme ou/ et mal reconnue ou voire fort décriée par les gardiens du temple et des citadelles - un système d’aide pratique et/ou théorique (tu te sens plus proche d’eux lorsque les deux sont réunis) destiné à aider l’Homme (les hommes contemporains et les hommes à venir) à mieux-vivre-et-être-la-vie…  

 

 

Il faut aller vers ce (et ceux) à quoi nous porte notre sensibilité. Sans rien négliger. Ni les autres. Ni le reste. Eh oui, bien sûr ! Encore une évidence !

 

 

Lorsque ton angoisse n’a plus de chair à mastiquer ou qu’elle ne parvient plus à se contenter de son bout de gras, elle s’abat sur n’importe quel cadavre du passé ou moribond à venir ou tire de l’imaginaire quelques os à ronger… pour apaiser sa voracité. Et la bougre a l’appétit coriace… comment ne pourrait-on pas avoir la dent dure contre elle… ?

 

 

Quand la vie te traverse, quelque chose t’habite qui n’est ni gauche ni emprunté… mais qui t’est donné… qui lui et te donne une dimension, une valeur et un élan naturels, authentiques et spontanés… bref un mouvement juste et approprié… qui s’inscrit avec fraîcheur, simplicité et aisance dans le flux de la vie…

 

 

Il faut parfois se laisser glisser dans le creux du monde…

 

 

Il n’existe aucune vérité en matière de chemin (existentiel ou intérieur). Chacun doit creuser à chaque pas. Tantôt face contre terre. Tantôt les yeux tournés vers le ciel. Tantôt parmi la foule des autres visages. Tantôt dans son ornière silencieuse et isolée recouverte de toutes les désespérances. Malgré notre perméabilité et toutes les béquilles du monde (qui s’avèrent parfois de vrais – mais transitoires – appuis), la sente demeure solitaire. Et énigmatique.

 

 

Il faut éprouver la condition humaine jusqu’en ses tréfonds pour apprendre à devenir un Homme…

 

 

Il te plairait (voilà en vérité ta véritable aspiration !) de faire de chaque geste de ton existence un poème. De n’ouvrir les lèvres que pour célébrer la vie (et le monde). De voir ton regard refléter à chaque instant la profondeur intérieure et la beauté alentour. La légèreté et le rire bienveillant sous-jacents. Que ce regard poétique résonne en chacun de tes gestes, de tes pas et de tes paroles. Et que tout puisse résonner en toi avec tant de force et d’intensité pour rejaillir sur le monde et les êtres…

 

 

Chaque crise existentielle est une invitation (perçue au cours du processus comme une exhortation brutale et douloureuse) à se dévêtir de ses oripeaux… des accessoires superflus de son bagage… pour que s’ancre en soi (en son être) la densité de ce sentiment d’allègement extérieur (comme par compensation et rééquilibrage peut-être de la « perte »…) et qu’il devienne partie intégrante de son être…

 

 

Tu as l’âme d’un apprenti (d’un éternel apprenti solitaire) qui tente de goûter à toutes les expériences du monde (en rechignant parfois tant tu crains les plus douloureuses – celles qui bouleversent tes plus solides ancrages). Bien davantage que celle d’un disciple. Tu n’as goût pour aucune école. Ni aucun dogme. Ni aucun collectif. Seul t’intéresse de défricher le terrain de tes expériences pour forger ta propre doctrine. Tenter de retracer l’itinéraire de ta recherche et de ta pratique (tous azimuts) pour essayer d’en tirer quelques lois, quelques règles qui pourraient servir à d’autres.

 

 

Il y a en toi (et en chacun) un fond de violence et de bonté. Tant de forces antagonistes. Tant d’ambivalence. Et d’ambiguïté. Et ta tâche doit consister à ne rien rejeter, ni rien délaisser mais à user de ces énergies de façon juste et appropriée (autant que tu puisses le sentir). Autrement dit leur permettre de s’exprimer dans des sphères et des dimensions adéquates. Ainsi la violence, par exemple, ne doit être contenue, ni réprimée mais elle doit se manifester… même physiquement dans un domaine adapté (sport de combat, efforts physiques…). Surtout ne pas se tromper d’ennemi (pour la violence) ou de cible plus généralement. Comme la douceur, comme toutes choses ressenties… il faut qu’elles puissent s’exprimer. Et la meilleure façon pour qu’elles puissent s’exprimer est d’insérer chaque sentiment et émotion, toutes choses ressenties dans l’environnement idoine. Rester présent, à chaque instant, au mouvement de la vie pour savoir ou plutôt ressentir si une émotion ou un sentiment peut s’exprimer ou pas. Il semble clair que toutes les situations ne se prêtent guère à la manifestation de certaines choses. Selon leur contexte, l’humeur, la sensibilité des êtres qui sont présents…). Il serait peut-être alors judicieux de diversifier ses activités, sphères et univers pour que ses différents penchants puissent tous trouver un lieu d’expression. Agressivité dans un dojo, agressivité cathartique dans un film d’action… etc etc etc.

 

 

Pourquoi le japon et le zen exercent-ils sur toi tant de fascination ? Tous les arts zen et l’esprit zen… méditation, philosophie, psychologie, arrangement floral, tir à l’arc, arts martiaux, art du thé, art du poème court, calligraphie… tu aimerais trouver tes propres domaines désencombrés de leur folklore historique et culturel. Ou mieux encore qu’ils s’inscrivent dans mille traditions différentes considérant d’un œil égal le passé, le présent et le futur. Mais tu n’ignores pas qu’emprunter une seule voie (une seule tradition) et non se perdre et se diluer dans plusieurs semble être, aux yeux de certains, le plus sage garant de franchir, expérimenter et réaliser toutes les étapes que chacune propose. Un seul hic te concernant : tu ne sais quelle voie emprunter sinon celle de poursuivre ton propre chemin en avançant sans vraiment savoir où tu te diriges… tu ne connais ni la destination, ni même l’étape suivante… et tu tombes à la moindre ornière…  voilà peut-être ta voie…

 

 

Il faut se méfier des enthousiasmes vifs et soudains. Ils retombent - le plus souvent - comme des soufflés. N’empêche… Et quand bien même, il en reste un élan qui - certes - s’essouffle mais qui doit, je le suppose, demeurer quelque part en soi… 

 

 

Tant d’intuitions te traversent parfois… et si souvent tu les ressens avec tant de force et de conviction qu’elles te donnent l’illusion d’atteindre La Vérité… les considérant alors comme des dogmes presque aussitôt remplacés par de nouvelles intuitions qui s’avèrent tantôt des désaveux tantôt comme des confirmations approfondissantes

 

 

Il ne faut rien privilégier. Ni un domaine, ni un sentiment, ni une sphère, ni un être, ni un état, ni une émotion, ni une activité au détriment des autres. Mais permettre à tout d’advenir (si cela advient) en lieu et instant opportuns.

 

 

Les crises nous rendent humble. Ou plutôt nous obligent à un peu d’humilité…

 

 

Tu te promets (toi qui détestais les films) d’aller beaucoup plus régulièrement au cinéma. Totalement ébahi sur son pouvoir cathartique. Un film permet non de s’évader (encore que) mais de vivre avec intensité (pour peu que le film nous plaise) tant d’émotions et de sentiments que l’on en sort à la fois rassasié et rasséréné… tu en veux pour preuve l’effet absolument bénéfique du dernier samouraï, un film dont tu aurais sans aucun doute raillé le degré zéro de la bêtise, du bon sentiment facile et de la figure caricaturale du héros. N’empêche… tu l’as regardé avec un autre œil – d’un œil différent – et tu en sors bluffé par la force et la vérité qui s’en dégagent… aussi bêtifiant qu’il puisse sembler à tous les regards méprisants… 

 

 

G. Haldas te fait parfois (et de plus en plus, il est vrai) l’effet d’un vieux grincheux au prise avec ses angoisses et ses obsessions qui note toutes pensées en mesure de l’apaiser brièvement… et qui en se fixant ne fait sans doute qu’accroître ses névroses… Tu aimerais lui écrire pour le lui dire. Et aussi ne pas finir comme lui…

 

 

Tu remarques avec surprise, en cette crise existentielle profonde où tu es enfoncé depuis de longs mois, que l’écriture de tes expériences te semble moins importante que ta volonté de poser quelques jalons pour les hommes d’après et/ou ceux qui pourraient te lire… tu sens aussi qu’il est temps à présent d’incarner ta parole. Autrement dit que tes pages se transforment en geste… tu imagines néanmoins que tu continueras d’écrire… mais tu l’espères avec moins de frénésie… qu’une partie des mots (ceux que tu ne trouveras plus nécessaires de fixer) pourront intégrer la profondeur de ton être. S’incarner dans ta façon d’être…

 

 

Chaque humain porte en lui non seulement le premier homme apparu en ce monde mais les germes du dernier hominidé qui quittera cette terre. 

 

 

Tu as le sentiment qu’il existe, en définitive, 2 sortes d’hommes : ceux qui enjoignent leur raison à la connaissance pour apprendre à vivre (à être vivant et au monde) avec ses corollaires entravants (la dualité, la peur, le doute, le besoin de contrôle… sur la vie, l’avenir, l’environnement ou pire la volonté de puissance - voire de toute-puissance) et ceux qui accordent leur confiance à la vie et son corollaire favorisant - ils se laissent porter sans angoisse vers l’incertitude, traversent les évènements sans souffrance excessive. Les hommes peuvent choisir cette seconde voie pour maintes raisons, bien que souvent les 2 se mêlent. Il existe néanmoins 2 grandes sous-catégories. Ceux qui la choisissent par instinct, frivolité, fatalisme ou ignorance – se laissant guider selon leur disposition naturelle et ceux qui l’adoptent après avoir achevé, en partie, un long travail de compréhension… qui les a menés au seuil du territoire humain ordinaire…  

 

 

Notes sur les arbres, les fleurs et les brins d’herbes. Il leur suffit de se sentir vivant pour trouver leur propre formule : où, quand et comment trouver leur subsistance pour croître selon leur capacité, leur forme et leur environnement. Peu d’hommes semblent y parvenir… en particulier avec le développement de la pensée, vivre leur est devenu une incroyable et difficile épreuve… et parfois une tâche impossible…

 

 

Tu remarques (avec effarement) combien les hommes - l’homme de la rue, monsieur tout le monde et l’homme public, gens de radio, des médias, auteurs, philosophes… - adoptent un discours et agissent selon un fond substantiel de normativité (ce qui devrait être). Notion révélatrice de leurs préférences, de leur façon d’appréhender le monde, de leurs attentes, de leur ignorance, de leur prétention (à connaître), voire de leurs exigences… Nul ne pourra t’empêcher de penser que toute normativité (même celle mise au service d’un bien présupposé supérieur ou d’une situation apparemment plus enviable) est une violence. Et même d’une violence inouïe. La normativité s’oppose de fait à la positivité (ce qui est) et présume que l’état désiré est supérieur à l’état présent en occultant que nul (aussi qualifié soit-il, aussi avancé dans son cheminement intérieur et la connaissance, ou aussi estampillé expert qu’il soit par le monde ) n’est en mesure de connaître le cadre général spatial et temporel (à supposer qu’il existe) où se déroulent, se sont déroulés et se dérouleront tous les évènements du monde… ni d’anticiper la moindre prévision sur son évolution. Et moins encore en matière du mouvement du vivant… et de la vie… Et ce qui est (la positivité) est incontestable. Incontestable et sans cesse en mouvement. Infixable. Au même titre que la vie. Comme si les deux se confondaient.

 

 

Nul ne peut franchir, je crois, les portes de l’ouverture - l’ouverture de son existence - sans expérimenter un étrange et douloureux sentiment d’étouffement, de resserrement et de rétrécissement. Mais combien y a-t-il de portes à franchir avant d’accéder à l’espace infini ? Combien de fois ai-je déjà passé ces portes (et combien en tout ? je l’ignore) en parvenant parfois au seuil de l’espace pour revenir immanquablement et implacablement à mon sentiment habituel d’étroitesse et de blocage. A vrai dire guère plus avancé que dans la position antérieure ? A peine un mouvement ? Et ce mouvement s’imprègne-t-il dans la conscience ?

 

 

Devant l’efflorescence de nouvelles disciplines en sciences humaines (thérapeutiques, méthodes…) qui prétendent favoriser ou enseigner la sagesse et l’existence déjà ancienne d’une multitude d’écoles de pensées (pratiques ancestrales et parfois millénaires), 2 remarques te viennent à l’esprit. Concernant les premières, elles s’inscrivent et révèlent le souci permanent et insatiable de l’homme à chercher, à créer et à inventer et souffrent, outre de leur propension ostentatoirement  commerciale (faire du profit est dans l’air du temps… même s’il est vrai que l’intérêt personnel est dans l’air du temps de toutes les époques…) d’un cadre temporel trop restreint pour mettre en évidence quelques résultats probants. Les secondes en revanche peuvent se glorifier de leur longue expérience en la matière mais souffrent, à de sans doute très rares exceptions près, d’une rigidification doctrinaire, d’un dogmatisme croissant au fil des ans et d’une institutionnalisation sclérosante… 

 

 

Cette société prône jusqu’à l’outrance la standardisation, le spectaculaire, le profit, l’efficacité et la prudence… elle néglige et méprise le marginal, l’ordinaire, la résistance à la norme, l’inutile, la gratuité et la confiance - et quand elle ne peut y échapper ou doit s’y résoudre, elle tente de les récupérer et de les intégrer. Bref, un monde qui s’il ne marche la tête à l’envers, occulte le réel… il te pousse parfois l’envie d’incarner une résistance à ces poussées pathologiques… ce qui renforcerait sans doute la pathologie collective (à laquelle nul n’échappe) et révèlerait la source de ta propre pathologie… bref nous sommes tous contaminés jusqu’à la moelle… en la matière (comme en toutes matières), une seule règle : la mesure et l’équilibre. Ne rien négliger. Accepter les différentes directions du mouvement, leur antagonismes et leurs ambivalences et les différentes tendances (nouvelles et anciennes, les valeurs prônées aujourd’hui et celles qui te semblent plus sensées, plus justes et appropriées)…  

 

 

On est si crispé sur ses désirs (et ses ressentis) qu’on en oublie de se sentir vivant. Le paradoxe (ou le comble) tient au fait que l’on souhaite voir ses désirs satisfaits pour se sentir vivant… alors qu’ils nous détournent (et nous éloignent) de ce ressenti…

 

 

En cette saison automnale, de nombreux d’insectes viennent passer leurs derniers instants à l’intérieur. Tu les accueilles avec tristesse et bienveillance. Mais pour quoi viennent-ils trouver refuge vers toi? Et tu t’imagines (déjà) je-ne-sais-quelles fadaises… Pauvre ratiocineur naïf et égocentrique… tu es toujours à te poser mille questions stupides, en t’imaginant le centre du monde… tu ne guériras donc jamais…  

 

 

On se sent parfois incarcéré. Prisonnier de nos gestes, de nos attitudes, de nos comportements. De notre vie. Comme si nous ne pouvions nous libérer de nos chaînes intérieures… au prix de tant d’efforts, peut-être est-il possible de scier ces barreaux si réels qui n’ont jamais existé… ? Pourquoi est-ce si difficile… ?

 

 

Il existe (sans doute) 3 grandes étapes dans le développement humain. On pourrait appeler le premier stade l’engluement séparatif dans le réel. Phase de totale ignorance, d’inconscience et d’animalité où les hommes se sentent séparés du monde en étant englués dans le mouvement de la vie. Ils subissent les évènements (sans rien y comprendre) et sont effrayés par le monde et les êtres qu’ils rencontrent. Cette phase n’est évidemment pas dénuée d’apprentissage mais ceux qui s’y meuvent demeurent globalement très ignorants. La deuxième phase, que l’on pourrait nommer la distanciation représentative avec le réel voit les hommes - naturellement prédisposés à la pensée - contraints de prendre quelque distance avec le réel (avec le monde) afin de s’en désengluer. Ils tentent de le comprendre pour y trouver leur place. D’acquérir une véritable dimension humaine pour s’y mouvoir pleinement en être humain. Par la pensée, les images, le langage, les réflexions, les métaphores, les symboles… bref par la représentation du réel, ils développent une capacité d’abstraction (qui, comme son nom l’indique) leur permet de s’abstraire. Autrement dit de s’extraire (ou de s’extirper) du réel. A ce stade, les hommes vivent essentiellement dans la représentation du monde. Ils pensent et vivent leurs (et dans leurs) pensées. Ils intellectualisent (cérébralisent) toutes leurs expériences. Ainsi, ils deviennent capables d’utiliser avec une certaine efficience leurs expériences passées pour se projeter et anticiper l’avenir. Au cours de cette deuxième étape, on peut néanmoins distinguer (au moins) 3 sous-phases : 1. celle où les hommes s’accommodent tant bien que mal de la condition humaine (non perception, dénie ou résignation à l’égard de leur ignorance et de leur sentiment de séparation, contrôle du monde (de leur monde) par l’assise d’un pouvoir et contrôle de l’avenir par anticipation ou refoulement des peurs etc etc etc). 2. celle où ils ne peuvent s’y résigner, incapables de se satisfaire de leur existence, des liens qui les unissent au monde… et de la vie en général… (frustration à l’égard de leur ignorance, déception à l’égard des modes relationnels objectaux et entre les êtres, désillusion et désenchantement à l’égard de leurs modes comportementaux d’anticipation, exacerbation des peurs et autres entraves personnelles etc etc etc) 3. celle où ils se trouvent acculés par les évènements et/ou leurs entraves personnelles, contraints de retrouver une position et des liens plus justes avec le mouvement naturel de la vie… (seule issue possible…). Enfin la troisième étape que l’on peut qualifier de reliance distinctive et unifiée dans laquelle les hommes retrouvent leur juste place et acquièrent une authentique dimension humaine (dimension que d’aucuns estiment à tort être la pensée ou le langage). A ce stade, les hommes tireraient (je le suppose) leur justesse d’action et leur énergie d’un double mouvement intérieur (en eux-mêmes, en étant pleinement eux-mêmes, libérés de leurs entraves personnelles, du monde des représentations et de la pensée réflexive au profit de l’intuition et du sens naturel de leur être pour se laisser traverser par la vie) et extérieur (totalement ouverts et insérés dans le mouvement perpétuel de la vie). Vaste et grossier programme, non ? Pas si aisé, à dire vrai…

 

 

A chaque nouvelle intuition (dérisoire sans nulle doute), tu crois toucher quelques vérités essentielles. Pauvre diable ! Tu les effleures à peine. Tu t’empresses aussitôt - avec force et énergie - de les noter dans le souci (utile et grandiose, crois-tu…) de les comprendre davantage et d’exposer au monde tes fulgurantes avancées. Mais tu négliges 2 choses d’importance. Ces prétendues avancées ne révèlent en vérité que ton ignorance, ton narcissisme (sans borne) et ton immaturité. Et tu serais sans doute plus avisé de rester silencieux et d’imprégner davantage ton être de tes infimes et misérables percées intuitives…  afin d’assurer à ton être une véritable progression… 

 

 

Tu ne parviendras jamais (jamais vraiment) - semble-t-il - à te satisfaire des oscillations dont tu es l’objet. En particulier, tu supportes mal l’alternance de périodes de confusion (une confusion totale où tout paraît incompréhensible… où l’événement le plus simple, l’objet le plus humble, le comportement le plus anodin s’enveloppe d’un sentiment d’absurdité désespérante) et de périodes de clairvoyance où il te semble (sûrement en apparence) voir, sentir et comprendre toutes les choses essentielles de l’existence

 

 

Malgré les tourments, les assauts, les oscillations thymiques, les chausse-trappes, les détours, les pauses, les arrêts, les longueurs, les retours, l’éternelle récurrence des cycles, la vie à travers toi (à travers nous) poursuit son œuvre. Comme tu la poursuis (comme nous la poursuivons) à travers elle.

 

 

En dépit des heurts, des soubresauts, des lacunes, des avancées, des doutes et des atermoiements, tu poursuis ton œuvre. Chaque jour (ou plus exactement chaque nuit), tu t’y attèles. Assidu devant ton carnet. Fidèle à la présence de la vie en toi et alentour, tu  continues à noter tes pensées, tes intuitions et tes réflexions.

 

 

Tu notes tes défaillances : quand feras-tu advenir les conditions propices à l’éprouvation de tes intuitions ? Quand te sera-t-il enfin donné d’incarner cette présence que tu sens parfois frémissante en toi ?

 

 

Tu es un étrange touche-à-tout. Un peu velléitaire. Curieux de mille choses. Des mille choses de la vie. Et toujours insatisfait de l’existence (et de ton existence en particulier). Comme si tu ne pouvais t’inscrire dans un seul sillon. A moins, bien sûr, que ce sillon ne soit l’éclectisme sans profondeur. Jamais en effet, tu ne peux t’inscrire dans un seul domaine ni appliquer de façon exclusive une seule méthode. Jamais tu ne te sens en mesure d’approfondir totalement une activité… de l’explorer jusqu’à sa parfaite maîtrise. Comme s’il te fallait fouiller un peu partout, là où te portent ton intérêt et ta curiosité (cycliques). Et tu chemines ainsi. Au gré du vent qui te pousse…

 

 

En dépit de cet éclectisme et de cette velléité, tu te montres, il est vrai, opiniâtre et besogneux. Assidu à la tâche. Et tu ne peux nier quelques marottes pérennes : ta quête du sens et de la compréhension de la vie, l’écriture, ton irrépressible besoin de témoignage et ton besoin de transmission. 

 

 

En matière de transmission (et en particulier concernant ton souci didactique et ton besoin pédagogique), il ne t’aura échappé que tu es plutôt enclin à enseigner les bases des matières ou domaines que tu as toi-même - à peine - effleurés. D’ailleurs, à ce propos, tu ajoutes (comme une sorte de confirmation complémentaire) que la très grande majorité des « enseignements » (de tous ordres) que tu as dispensés au cours de ton existence a toujours été assurée soit officieusement - hors du cadre strict de l’activité pour laquelle on t’avait embauché), soit effectuée gracieusement (bénévolat ou très faiblement rénumératrice…) et de façon très épisodique ou ponctuelle. Enfin, il te semble également important de noter qu’il t’a toujours importé non d’instruire d’un quelconque contenu mais d’impulser auprès de ceux qui t’écoutaient la curiosité, la liberté et le courage de trouver leur propre voie (selon leurs particularités) afin qu’ils découvrent par eux-mêmes (et en eux-mêmes) ce que tu avais toi-même découvert (tes misérables trouvailles existentielles)…

 

 

Chacun est en train de chercher et d’écrire sa propre formule d’issue à ses ornières perceptives et/ou à ses sillons existentiels singuliers (extérieurs). Ou s’il ne s’en charge sciemment, la vie sans cesse lui en expose les éléments…

 

 

Toujours adopter la juste distance. Eviter les écueils. Ni l’absorption dans l’abstraction. Ni le rejet et la fuite de la pensée discursive. Et inversement ni la fusion complète avec le mouvement naturel de la vie. Ni la séparation avec elle. L’Homme doit être dans cet entre-deux. Car la dimension humaine authentique s’y situe…  

 

 

Si l’on m’arrachait à mes nuits, on me ôterait cet état de conscience nocturne si particulier, cet état de veille solitaire où la conscience perçoit avec une grande lucidité le mystère de la vie… quand bien même, à l’aube, ressurgissent les visages et avec eux, notre perception ordinaire… presque chaque nuit m’a entrouvert les pans de son épais manteau d’étoiles. Et j’ai vu briller dans la pénombre leur douce luminosité…

 

 

Cette nuit, une nouvelle fois, étreint par tant d’ambivalences simultanées. Tenaillé par les larmes et les rires mêlés. La gratitude et une douce tristesse. Dans une sorte d’étrange exacerbation émotionnelle.

 

 

Tu as le sentiment que le vivant est soumis à un dualisme ontologique. Une sorte d’ambivalence originelle. Comme s’il était assujetti à 2 forces ambivalentes. Dans sa dimension absolue, le vivant (considéré comme mouvement général) semble obéir à un élan d’expansion et de démultiplication. Et chacune des formes prises par le vivant (chaque être) se voit contraint de renoncer, de réduire, de renoncer ou d’effacer son expansion individuelle pour retrouver la perception de sa dimension absolue. A défaut, elle encourt le risque de s’épuiser, de se débattre, de s’écorcher (voire de se meurtrir) et finir par disparaître face au mouvement général du vivant – incarné en partie par les autres formes vivantes. D’un côté, une pulsion expansive débridée et de l’autre, une obligation d’effacement.

 

 

Notons, évidemment, que chacune des formes singulières prises par le vivant finit inéluctablement par disparaître. Mais nulle comparaison possible entre le fait d’expérimenter la vie et la mort en comprenant notre véritable nature (auquel cas l’existence et la disparition ne sont que jeux et changements continuels de forme) et le fait de les appréhender dans l’ignorance, l’incompréhension, la frustration, la résignation, la colère et la souffrance.  

 

 

Comme si chacune des formes vivantes était l’objet d’une méprise ontologique (une sorte d’erreur originelle, issue elle-même du dualisme ontologique précédemment cité).

 

 

Chacune des formes du vivant doit suivre un processus de développement. Dans un premier temps, chacune des formes, aspire, comme la poussée dont elle est issue, autrement dit, comme le vivant lui-même (considéré dans sa dimension absolue) à se développer et à se démultiplier (et selon les circonstances à attaquer, à détruire et à résister aux attaques des autres formes du vivant et à collaborer avec d’autres pour assurer sa survie, son existence et/ou son expansion). Bref, chacune obéit à une pulsion personnelle mégalomaniaque expansive. Dans un deuxième temps, chacune des formes particulières (selon - sans doute - son degré de mûrissement de conscience) ressent ou prend conscience de l’impossibilité, de l’absurdité de cette quête d’expansion (ou de conservation du territoire conquis) et/ou est soumise à de telles secousses ou de tels bouleversements du vivant (dans sa dimension absolue, incarné en partie par les autres formes du vivant qui viennent contrecarrer, contrarier, attaquer son expansion personnelle) qu’elle se voit contrainte de renoncer à son développement. La fin de cette deuxième phase est vécue comme une période douloureuse, bouleversante, traumatisante. La forme reconnaît l’absurdité de son combat et de sa quête sans avoir la moindre information sur l’horizon et les nouveaux territoires à explorer. Dans un troisième temps (après avoir errée sans but ou végétée quelques temps - parfois longtemps - entre ces 2 étapes), la forme reconnaît la nécessité d’effacer sa dimension personnelle, singulière ou nominative pour retrouver sa dimension absolue (ou si l’on préfère la dimension absolue du vivant, autrement dit la véritable nature du vivant et des innombrables formes qu’il ne cesse de revêtir…). Mais de quel effacement parle-t-on exactement ? S’agit-il d’un effacement ou d’une réduction ? Cet effacement s’opère-t-il selon un processus unique et des points de passage « obligés » ? Existe-t-il des seuils au-delà desquels nul recul ne peut advenir ? Des niveaux à partir desquels, l’imprégnation est suffisamment stable pour éviter tout «décrochage»? En ces domaines, tu avoues ton ignorance. Voilà (à l’heure où tu écris ces lignes) le lieu où s’achève ta démarche. A ce stade, tu n’ignores pas que s’amorce un combat long, terrifiant et douloureux où la forme devient le terrain de luttes intestines meurtrières. Prise entre 2 forces antagonistes. D’un côté, sa dimension nominative et personnelle qui refuse de se laisser abattre, qui refuse de céder sa place, qui se défend bec et ongles pour ne pas capituler, et de l’autre côté, la poussée lente, répétée et irrévocable du vivant dans sa dimension absolue et la nécessité de plus en plus prégnante de lui faire place. Je suppose qu’au terme du combat, la forme, intégralement dépouillée d’elle-même, ayant effacée son identité singulière et sa volonté personnelle d’expansion, accède à la quatrième étape. Elle devient le canal singulier de la dimension absolue du vivant. Elle devient l’incarnation singulière du vivant. Elle acquiert sa juste place. Et agit conformément à la règle universelle du vivant. Sans entachement singulier et personnel…     

 

 

Te revient en mémoire le titre d’un livre que tu as, à peine, ébauché (quelques dizaines de pages) : Tout être sans exception. Et cet intitulé t’apparaît soudain prophétique. Comme le signe inconscient et avant-coureur de ta destinée… toutes les expériences étranges et profondes vécues ces derniers temps dans la plus grande discrétion. Dans une quasi-solitude

 

 

Te vient soudain à l’esprit une étrange - et sans doute très banale - idée. Tu as noté (mille fois déjà) ta fâcheuse propension à l’intransigeance à ton égard (comme d’ailleurs à l’égard des autres). Relents nauséabonds de ton entité surmoïque (vague figure parentale intégrée – et en particulier – la figure maternelle). Tu n’as quasi d’autres figures maternelles en tête : presque toujours celle qui juge et distribue bonnes et mauvaises notes. Et presque à l’inverse, tu imagines que la figure maternelle pourrait être aussi bonté, tendresse et encouragements. Mais quand tu t’efforces de lui donner figure, aucun visage ne se dessine. Et tu n’oses encore lui en former un. Sans doute serait-ce un visage composite formé d’éléments épars glanés ici et là au gré des rencontres et des fantasmes (faut-il le préciser, imaginaires). Tu ne peux donner à cette figure maternelle le visage de ta propre mère, celle qui t’a enfanté et élevé… tu ne peux davantage lui donner le visage de ta compagne… dont tu tentes de desserrer l’emprise de dépendance où elle te tient malgré elle… et si tu lui accolais (à cette figure maternelle) un autre visage, tu crains peut-être qu’elle ne devienne une sorte de symbole idéal apocryphe… mais là n’est pas le plus original, évidemment ! En revanche, tu fais l’hypothèse  (dans une optique légèrement différente et adoucie de la thématique du canal de la vie désencombré) que la « mère » intérieure, est toujours accessible en s’enfonçant « moelleusement » en soi, dans son corps et que la mère « extérieure » est, elle aussi, toujours présente en restant attentif (à chaque instant) à la vie, au mouvement de la vie (à travers la nature, l’environnement, les évènements, les autres êtres que l’on rencontre…) … bref, comme si chacun était toujours enveloppé d’une double façon : de l’intérieur et de l’extérieur… bref toujours soutenu, toujours protégé, toujours entouré  pour celui qui est capable simultanément d’être pleinement en lui (en soi) et pleinement ouvert à la vie… donc totalement et parfaitement enveloppé… sans qu’il soit possible de se heurter, de tomber ni d’éprouver la moindre crainte ni la moindre douleur en cas de chute puisque les 2 mères (intérieure et extérieure) sont toujours présentes et enveloppantes où que nous allions. Cette thématique est à relier, bien évidemment, à celle de la base sécure… aussi, les seules blessures et les seules souffrances qu’il nous arrive d’éprouver n’ont d’autre origine que la grossièreté de notre perception habituelle qui ignore superbement la présence permanente de ces 2 mères protectrices…

 

 

Dans le même ordre d’idée, lors de tes séances de yoga, lorsque tu effectues quelques postures d’équilibre en étirant les 4 membres l’un vers la terre, l’autre vers le ciel et les deux autres en direction de 2 points cardinaux opposés, tu as parfois l’impression d’être maintenu (attaché par quelques ficelles invisibles) à ces 4 axes (ou directions)… et que tu ne peux véritablement tomber… et si d’aventure, ta posture est tremblante ou bancale, il te semble que cette maladresse t’est imputable. Que tu n’accordes une confiance suffisante à la solidité de ces points d’attache…

 

 

Documentaire sur la folie. Chez les êtres en souffrance, tu es frappé par le poids de leurs entraves. L’emprise de leurs chaînes. Tel des pantins, ils n’obéissent qu’à de mystérieuses forces qui les habitent et qui les condamnent à l’incarcération. Ils sont littéralement possédés. Tu éprouves un fort sentiment de proximité avec ces hommes incarcérés. Et tu n’as cessé, tout au long du reportage, de verser quelques larmes et de partager avec eux (dans leurs trop courtes périodes de répit) quelques rires complices. 

 

 

Tes seuls desseins sont de comprendre la vie et de l’incarner. Voilà le sens de ton existence. Tu y travailles avec acharnement. Tes expériences existentielles sont la matière première de cette recherche. Et les pensées intuitives, les instruments de ta quête (tes instruments de prédilection). Mais tu n’es pas sans savoir l’insuffisance de la compréhension intellectuelle (fut-elle intuitive) qui ne permet nullement d’incarner ce que l’on a compris, ressenti ou deviné. Ni même sans doute de découvrir certains éléments de la vérité. Pour parvenir à incarner la vie, il ne faut négliger aucune dimension humaine. Il est nécessaire d’œuvrer avec (grâce et par) le corps, l’esprit, la conscience, l’inconscient, la sagesse, la folie, la gravité, la frivolité, la surface, la profondeur, l’intelligence, la bêtise, avec soi, avec ses travers, ses qualités (ou ce que l’on considère comme telles), avec le monde, l’environnement, les autres, l’histoire… une foule de choses. Sans rien omettre… toujours fidèle, bien sûr, à la vie elle-même (en nous et alentour) qui change et se renouvelle sans cesse…

 

 

En matière d’étroitesse d’esprit, de liberté individuelle et d’ouverture au monde, il t’arrive (parfois) de penser que tu possèdes les potentialités d’un grand seigneur. En te considérant néanmoins (pour l’heure) comme un pauvre et misérable serf (à l’existence étriquée et sans horizon), soumis aux chaînes et aux exigences de son maître. Mais à bien y réfléchir, le serf ne doit sa condition qu’à la présence du seigneur. Sans lui, nul joug. Nulle servitude. Mais quel est donc ce seigneur (ton seigneur personnel) qui te soumet à sa botte ? Sinon ton désir d’échapper à ta condition de serf. Sinon ton exigence de te libérer d’une situation que tu juges détestable. Sinon ta volonté de devenir toi-même grand seigneur. Le serf doit commencer par accepter sa condition (aussi pénible soit-elle), puis apprendre à l’aimer. Son labeur lui semblera moins douloureux et déplaisant. Et le jour où sa charge lui semblera naturelle alors peut-être pourra-t-il devenir grand seigneur. Lorsqu’il aura appris à se conduire comme un grand seigneur avec lui-même, il pourra alors se comporter ainsi et adopter l’attitude d’un grand seigneur avec le monde. Avec tous les êtres - qu’ils se considèrent comme serfs ou seigneur… qu’ils s’échinent laborieusement (ou non) à s’extraire de leur condition… 

 

 

En feuilletant le journal de C. Juliet, tu lis - par un hasardeux hasard - un paragraphe où il commente sa lecture de Routes et déroutes, l’ultime ouvrage de N. Bouvier agrémenté d’un petit commentaire. Il y a quelques années, tu t’es, toi aussi, livré au même exercice sur le même ouvrage. Etrange petite famille où l’on ne cesse de croiser les mêmes membres, comme des frères lointains…

 

 

La grande bastide où tu passes tes nuits, les résidents endormis à l’étage, les 3 platanes à proximité du banc où tu t’assois, la lune, les étoiles, la silhouette des collines alentour, voilà à quoi ressemble ton cadre nocturne. Le cadre de « ton » espace nocturne paradisiaque. Parfois, il peut aussi devenir, il est vrai, « ton » enfer. Question, bien évidemment, d’état d’esprit. Paradis quand tu es présence et éprouves l’harmonie du monde, la joie d’être vivant et uni à l’univers. Non séparé de toutes choses et de l’espace. Et enfer lorsque tu te lamentes sur ton sort misérable d’entité isolée et séparée, balayée par quelques forces obscures submergeantes, incapable d’être, inapte même à écrire et à témoigner de ton incapacité à accueillir les vils sentiments qui t’étreignent et t’insupportent…

 

 

De l’inconvénient du jugement. En premier lieu, le jugement sépare, divise et éloigne du réel (de ce qui est). Il surimpose un commentaire à ce qui est. Le jugement limite et rétrécit le champ de vison. Il est, par définition, ontologiquement subjectif. Et propose une représentation (souvent projective) du réel. En deuxième lieu, il malmène celui qui est l’objet du jugement ou celui qui l’écoute (quand bien même ce dernier ne serait pas directement concerné par le jugement). En troisième lieu, le jugement met mal à l’aise tout interlocuteur (concerné ou non par le jugement). Il est, en effet, plus aisé de côtoyer un être qui ne juge pas (ou peu) qu’un individu qui ne cesse de juger. Avec le premier, on est plus enclin à être soi-même et indulgent avec soi. On est davantage en mesure d’accepter les dimensions (en nous-mêmes) que nous jugeons peu reluisantes ou peu acceptables, premier pas vers une réconciliation avec soi (et, bien sûr, premier pas nécessaire avant d’accepter les autres (dans leur grande diversité) et le monde). En présence d’un être pas ou peu enclin au jugement (avec lequel nous habitons ou travaillons), existe néanmoins un risque de laisser-aller, une inclination possible à la paresse (que chacun suivra selon les circonstances, ses prédispositions naturelles et son caractère) qui peut néanmoins être contrebalancé par un sentiment de gratitude à son égard, une sorte de remerciement silencieux pour son attitude et sa présence non-jugeante que l’on peut percevoir comme un immense présent, un merveilleux cadeau qui nous prédispose tout naturellement à être plus à l’aise avec nous-mêmes, avec l’être non-jugeant en question et plus largement avec le monde…

 

 

Lecture d’Itsuo Tsuda. Et découverte du katsugen undo. Le mouvement, le corps, la pensée, le souffle, l’énergie et l’intuition. Quelques réminiscences quant à tes prédispositions naturelles à te déplacer dans l’espace et à anticiper lors des tes pratiques sportives et martiales de jeunesse. Tu éprouves aujourd’hui le besoin d’y retourner afin d’y creuser de nouvelles directions. Et d’actualiser ton potentiel. En lien avec tes modestes avancées intuitives, discursives et expérientielles.

 

 

A bien y réfléchir, tes prédispositions naturelles se limitent à 2 grands domaines. L’un concernant l’esprit et l’autre le corps. En matière d’esprit, tu reconnais ta facilité à te laisser traverser par les pensées et ta capacité à repérer des liens entre elles. Quant au corps, tu disposes d’une certaine aisance à anticiper, à te déplacer dans l’espace selon le mouvement d’un objet (tennis) ou d’un partenaire (karaté) et à y répondre de façon relativement appropriée. 

 

 

Quant aux autres domaines de l’existence, tu ne t’y distingues nullement. Des caractéristiques très communes. Un être très standard. Avec certaines qualités et certains travers. Bref, un homme moyen. Plutôt quelconque. Peu doué pour les arts (les techniques artistiques) et les relations humaines.

 

 

Tes (principales) qualités : l’opiniâtreté, la sincérité, l’honnêteté, la débrouillardise, une certaine forme d’intelligence, l’amour des êtres vivants.

 

 

Tes (principales) entraves : l’égocentrisme (voire le nombrilisme), l’angoisse, l’émotivité, la nervosité, l’incapacité à accueillir la frustration, le ressassement, l’attachement-dépendance.

 

 

Tes particularités (les plus tangibles) : la quête de soi et celui du mystère de la vie, le besoin d’écrire, l’amour des animaux, une hypersensibilité, en souffrance (globalement), une certaine créativité (facilité à avoir des idées), une grande sensibilité aux inégalités, à la vulnérabilité (des êtres), à l’exclusion et à la marginalité…

 

 

En présence de l’être aimé comme en son absence, la situation s’avère problématique. La difficulté n’incombe nullement à l’autre. Elle réside dans notre relation à la proximité. Et dans son propre compagnonnage…

 

 

Au cœur de l’angoisse, survient - contre toute attente - une voix. Une voix nette. Le son de ta propre voix. Mais calme, tranquille, rassurante, encourageante, réconfortante. Une voix disponible. Entièrement à ton écoute. Qui s’incarne aussi pour t’aider, agir à ta place, te permettre de te reposer sur elle. Comme si elle t’autorisait à te reposer…

 

 

M’abreuve depuis 3 jours de la petite lucarne (qui bientôt perdra sans doute son nom avec la multiplication des écrans plats). A voir la façon dont le monde télévisuel présente l’humanité, elle laisse supposer qu’il n’existe que 3 types d’Hommes : les célébrités et leur vie aventureuse, exaltante et merveilleuse, la grande masse des anonymes et leurs lots de misères et d’imbécilités (de tous ordres) et enfin quelques marginaux, énergumènes et autres êtres hors norme (clochard, religieux etc etc etc anonymes ou célèbres) qui appartiennent à des catégories très minoritaires dont l’existence semble extrahumaine et inaccessible à l’homme ordinaire (monsieur tout le monde). Mais n’est-ce pas oublier que les uns et les autres connaissent revers et succès, agglomèrent ces multiples caractéristiques et dimensions et que tous sont soumis à l’irrévocable loi de la transformation? Oui, bien sûr, voilà une évidence ! Tous le savent, évidemment… ne restent alors que l’action, le geste, l’engagement et notre courage face à la situation… ce que tous, nous faisons aussi selon nos capacités, n’est-ce pas… ?

 

 

Si ton plus profond (et plus fort) désir est d’incarner la vie, il te faut vivre pleinement et sans crainte les mille situations que la vie t’offre sans négliger aucune dimension humaine, goûter à toutes les matières du monde, ressentir jusqu’en tes tréfonds (sans rien esquiver) toutes les émotions, les sentiments et les pensées qui te traversent et poursuivre ta quête du geste, de la parole et du pas. Bref poursuivre ta recherche de l’être

 

 

Tu vis pour vivre. Simplement pour vivre. Cette évidence pourrait passer pour une tautologie ou une formule idiote. En dépit des apparences (et selon notre degré de lecture), elle revêt une incroyable profondeur. Nul ne vit pour une quelconque utilité, une quelconque nécessité, ni pour je-ne-sais-quel-but… ni pour autre chose que pour vivre. Cette formule - d’apparence simple et idiote - semble néanmoins compliquée, et extrêmement longue et particulièrement difficile à comprendre. Et surtout extraordinairement malaisée à vivre et à expérimenter à chaque instant… et quoi qu’en pensent les intellectuels et les cérébraux, il n’y a (sans doute) en réalité nulle différence entre le premier abruti, l’idiot du village, le nouveau-né et le sage ou l’être éveillé… sauf que ces derniers en ont conscience et nous regardent nous débattre avec notre ignorance, nos tentatives désespérées de contrôle, nos ambitions, nos orientations volontaristes…  avec un grand sourire aux lèvres et beaucoup d’amour et de compassion dans les yeux…

 

 

Se sentir vivant. Partout est la vie : simultanément en soi et dans la situation que nous expérimentons et dans laquelle nous sommes insérés à chaque instant. Tout porte à vivre et invite à prendre conscience de ce processus. La vie comme unique et centrale partenaire. Dans une sorte d’auto-association omniprésente et démultipliée…

 

28 novembre 2017

Carnet n°29 Saisons souterraines

Journal poétique / 2008 / Le passage vers l'impersonnel

Chaque jour, il s’attardait sous la motte. S’échinait à la rude besogne, sous les pas des vivants. En lançant quelques regards fugaces vers le ciel pour y décrypter un signe, y puiser un peu de courage et d’espoir avant de replonger à l’abri des entrailles.

 

 

Chaque jour, il traçait le reflet du ciel à la chaleur de la plume. Consignait l’infime et l’intime au fil des saisons. Consumait ses jours clairs et ses pages mortes au cœur des cendres.

 

 

Partout il voyait les hommes crépiter sur la terre, s’enchaîner aux pierres sur le gravier des allées, s’enhardir au son des cloches, s’agenouiller vers le ciel, éclabousser le vent de leurs douleurs béantes, s’enfoncer au-dedans et frémir. Partout il voyait les hommes aux jours vides bailler d’indigence devant l’espoir de l’horloge.

 

 

Lui, s’attardait sous la motte. S’échinait à la rude besogne, sous le pas des vivants. En lançant quelques regards fugaces vers le ciel pour y décrypter un signe, y puiser un peu de courage et d’espoir avant de replonger à l’abri des entrailles.

 

 

Chaque jour, il écoutait les hommes piétiner le monde de leurs bottes bruyantes. Et chaque nuit, il s’enfonçait dans l’écorce pour estomper le vacarme des hommes. Et sa peur écrasante des jours.

 

 

Sa plume abreuvait le récipient des heures. Mais sa paume écarlate éteignait les signes - tous les signes - en son creux.

 

 

Ses sentences mutilées aux bruits qui grondent éclairaient l’en-bas. Le seuil déclinant des marches en deçà de l’échelle.

 

 

Dans les ruelles enguenillées, ses sombres échos et ses grimaces attisaient le rire des hommes. Egayaient la bouche des pantomimes ridicules.

 

 

Pourquoi rêver de s’exposer aux vitrines du monde ?

 

 

Chaque soir, il songeait à la lumière brune, aux regards décharnés entassés à la hâte sous le bruit des bottes. A l’écho des cris sur l’asphalte souillé. Aux cheminées qui crachent leur odeur d’agonie et figent la nuit éternelle.

 

 

De ma plume jaillit parfois le ciel profond. D’infimes souillures sur l’écorce.

 

 

La lumière advient souvent au plus sombre. Mon souffle déchire alors l’abîme. Comme une éclaircie sur la peau tremblante du monde.

 

 

Chaque jour, il s’échouait à la frontière des continents, les mains tendues vers la terre des promesses. Immobile devant l’ossature de la forteresse qui refoule vers les vagues et la terre brûlante où s’épuisent les Hommes.

 

 

L’ignorance se pare d’oripeaux. Et finit par s’affaisser en son creux.

 

 

L’éternel ressassement éloigne la paix que le cœur appelle sans fin.

 

 

Le silence illumine la voix dont on ne peut encore deviner la présence.

 

 

Derrière l’humble silence, il devinait la richesse de ceux qui savent. Et dans la clameur des mains, il décelait l’insolente connaissance de ceux qui ignorent. Toujours englué dans l’ignorance des foules, il regardait se jouer l’inéquitable joute des figures à inégale distance du mystère.

 

 

Les visages simples et les cœurs humbles déracinaient parfois son ciel. Eclairant un instant son regard ombrageux.

 

 

A l’abri des parcelles closes, il émiettait ses peurs. Et enracinait - malgré lui - l’origine de l’angoisse.

 

 

Chaque jour, il trompait sa solitude devant l’écran de glace (où dévalait son œil torride). Simple matière à remplir sa main moite. Et son cœur si serré.

 

 

Chaque soir, assis devant la lucarne bleutée, il assistait - incrédule - à l’ablation des pensionnaires célestes (et des mercenaires exaltés) sur l’autel du sang. Un sang moite qui se répandait dans les veines du peuple et abreuvait la terre de la pire éternité.

 

 

Le corps repu. Et le cœur décharné par l’opulence des jours. 

 

 

Son cœur palpitait dans l’attente d’un doigt qui l’effleure, d’un regard qui l’arrache à ses masques et à ses voiles.

 

 

Son soc déchirait parfois le ciel. Enterrant son éternité sous la motte. Le laissant à jamais seul. Et égaré.

 

 

Devant la glace, ses lèvres reflétaient l’hideuse grimace des singes lettrés. Et derrière ses masques, on devinait la sébile qui recueillait ses larmes.

 

 

L’aube effleurait parfois sa bouche. Envolant ses traits dans la nuit ancienne.

 

*

 

Il dévastait le ciel de ses prières. Et lézardait (toujours) la terre des promesses.

 

 

Il déformait les yeux du temps. Confinant la présence dans le gouffre à venir.

 

 

Le cœur boursouflé d’abondance aveugle l’esprit. Et nourrit la confusion des sens.

 

 

L’ombre est notre demeure. Et chacun s’y reflète au gré des astres.

 

 

Entre deux averses, il regardait passer l’ignominie des hommes sous le couvert de l’uniforme. Devinait le sang et les cris sous le sabre rangé à l’abri du fourreau orné. Le sillon des hommes qui déchire la terre. Les laboureurs désespérés ouvrant leur béance et amoncelant la plèbe qui les recouvrira. Les champs de blé gorgés d’infortune, les épis dorés et les récoltes amères. Et il voyait partout le soc mille fois passé qui émiette l’espoir d’un autre ciel.

 

 

Gonflé d’insignifiances, l’homme se complait sous les réverbères. Et pâlit toujours à l’aune des étoiles.

 

 

Les laboureurs d’éternité se reposent à l’ombre de la charrue. Ouverts aux joies de l’horizon.

 

 

En nos jours glorieux, la mémoire s’efface sur la tombe de nos pères.

 

 

Les jours cléments surgissent au seuil des matins clairs. Dans l’aube furtive, on re-découvre l’inégale douceur du baiser fraternel.

 

 

La vertu est la carapace de l’ombre. L’éternel sarcophage de nos mensonges.

 

 

L’ascèse du rien pesait sur son regard de dompteur sans costume. La crinière dans la poche, il s’élançait, le fauve au bord du cœur.

 

 

L’effroi condamne au sang. A la pâleur des yeux. Et au pied des murs martyrs, chacun se mire dans ses flaques d’orgueil.

 

 

Son œil au cœur des braises attisait sa brûlure. Et les fontaines dévoraient son feu. Mais sous les cendres, il imaginait un monde neuf et sans histoire.

 

 

Quand la mémoire découvrira-t-elle la présence hors du temps ?

 

 

Le ventre du monde l’engouffrait, le mâchait et le digérait. Et il en ressortait toujours excrémenté

     

 

Dans l’immense forêt dépeuplée, il se frottait aux arbustes et aux épines fragiles. A toutes ses ombres herbivores.

 

 

Recroquevillé dans ses frêles tranchées, il ensevelissait ses pas.

 

 

Au cœur des batailles, il était l’éternel soldat. L’éternel prisonnier. L’éternel scélérat de son peuple.

 

     

Sur le chemin, il croisait peu d’hommes sages. Et parmi les arbres silencieux, il rencontrait des bavards. Et des orgueilleux en attente de ciel.

 

 

Il se balançait parfois dans le vent, entre l’astre et la terre. Le front rougi, la nuque raide et la gorge haute sous la cime des arbres offerts à la lumière.

 

 

Au front de notre bel esprit se terre notre âme inculte. Qui connaît la pauvreté souveraine au pays essentiel ?

 

 

Sur le sentier des promesses, il croisait parfois des pèlerins en chapelet qui espéraient encore en cheminant vers le pays des songes.

 

 

Au bord des lèvres, son cœur jaillissait parfois en encre noire.

 

 

Notre peuple ruine sa demeure. Innocent à ses yeux. Et toujours assassin en son foyer.

 

 

Il dévalait la pente, déchiffrait les signes et s’égarait sur la sente, enfonçant l’horizon à ses pieds.

 

 

J’attends, le cœur triste, la tempe battante et le rouge aux pommettes que les orfèvres du profit détraquent la belle mécanique.

 

 

Il espérait - malgré lui - le retour des temps anciens où les bourses étaient dans les poches.

 

 

Le temps chargé des vents passés alourdit la balance. Et enfonce notre présence au cœur des marécages. L’appel lointain (encore trop lointain) nous égare. Et écrase nos pas sur l’horizon.

 

 

Les réverbères sont notre seule lumière sur terre. Ils éclairent nos racines que nous explorons sous le reflet ironique de la lune. Pourrions-nous passer mille nuits sans ombre pour éteindre nos jours ternes sous le soleil ?

 

 

Au plus proche des étoiles, il interrogeait la présence qui accompagnait ses pas vers les contrées immuables.

 

*

 

Il buvait (toujours) à la coupe l’usure des jours. Et le chagrin des années.

 

 

La vie sur terre, tournée vers le ciel, enterre (à jamais) nos siècles éternels.

 

 

Son regard perdu découvrait le soleil lointain. Et la nuit passagère. Le ciel d’ici-bas.

 

 

En regardant l’horizon, il entendait le cri des poissons piégés dans la nasse. L’appel de l’océan. Et le rire borgne des marins sur le chalut.

 

 

Il appelait parfois le souffle déchirant de l’enfance. Et le vent des années aussitôt s’engouffrait. Balayant tous les paysages.

 

 

Les murs écorchaient son visage. Et ses yeux cherchaient partout la faille où se glisser.

 

 

Il patientait depuis l’enfance devant l’horloge. Attendant l’heure où l’aigle embrasserait la colombe.

 

 

Du ciel, l’œil voit le dérisoire du monde. Mais de la terre, il boursoufle les paysages. Tous les paysages sous l’horizon lointain.

 

 

Il s’attardait parfois sur le visage de Dieu, assoupi au creux de sa main. L’effleurait du bout des doigts et voyait aussitôt les anges s’envoler vers les cimes, s’arrêter un instant sur la crête pour danser avec les ombres et repartir au gré des nuages poussés par le vent.

 

 

D’un trait, sa main esquissait le monde. Et d’un mot, il dessinait le ciel sur terre. Recouvrant aussitôt les âmes d’écume, de pluie, de pleurs et de cris.

 

 

Face aux visages, il entendait les joies du monde. Mais derrière, il devinait les pleurs silencieux.

 

 

Au pied des fourmis, il s’inclinait. Comme un géant succombe à l’invisible.

 

 

Comme une hirondelle gracieuse, il attendait le jourqui monte au bord du chemin.

 

 

Le balai, le bol et la cuiller attendent notre main. Leur part de lumière pour éclairer nos jours ordinaires.

 

 

Une lampe dans la nuit. Comme un phare pour les innocents où viennent s’échouer les papillons.

 

 

Devant l’invisible, sa bouche était muette. Et son œil était clos. Son cœur isolé - trop longtemps isolé - renouait le lien terni par les voiles de l’insuffisance et de l’orgueil.

 

 

Il rencontrait partout des foules d’affamés qui convoitaient les mines d’or. Et quelques assoiffés qui amassaient la richesse cachée au fond des malles des poètes – et tous leurs trésors crachés par les mines de plomb. Un monde de mendiants faméliques.

 

 

Aux premières heures de la nuit, il entendait le ciel s’ouvrir. Quand le monde rêvait derrière ses volets clos.

 

 

Les jours sans lendemain déchiraient ses nuits. Appelant toujours le soleil lointain.

 

 

Entre le monde et lui, il devinait un ciel invisible. Une nuit peuplée d’étoiles à venir - qui brilleraient peut-être demain en plein jour.

 

 

Son âme s’enhardissait devant l’azur éclairé. Et animait ses ombres sur la page. Chaque nuit, sa main veillait. Et attendait le reflet de l’astre.

 

 

Son cœur crédule espérait le passage des anges sous l’arc-en-ciel. Mais il ignorait toujours la grimace de Dieu émiettée par la pluie.

 

 

La nuit, je regarde la ville illuminée attendre son heure. Le repos des jours meilleurs.

 

 

Le silence se penchait parfois sur ses bruits. Et il entendait l’écho sans fin derrière son visage.

 

 

Il scrutait souvent  les âmes silencieuses assises derrière leur fenêtre, savourant le spectacle du monde et les jours tranquilles.

 

 

Son pas traînant sous la lune ralentissait son envol.

 

 

Le soleil réchauffait parfois son âme. Lorsqu’il souriait, heureux sous la pluie.

 

 

Il rêvait d’ouvrir sa terre aux âmes et aux ventres moribonds. Et d’ensevelir les repus sous une nuée de cris.

 

 

Sur la dalle, il voyait le trait volumineux de l’enfance s’écailler. Comme une tristesse ancienne émiettée.

 

 

Aux yeux du ciel, les gouttes se perdent toujours à l’horizon.

 

 

Assis parmi les feuilles, il sentait parfois un tronc s’enfoncer au creux de son ventre. Et s’enraciner dans son cœur.

 

 

Sous le reflet de la lune (toujours défaite par ses nuits), il s’attardait, l’œil maussade, sur la longue chevelure qui gisait parmi les ronces.

 

 

Les lignes du ciel qu’il traçait en vain ne pouvaient encore éclairer le peuple qui l’habitait.

 

 

Dans le miroir, derrière les éclats de son ciel dérisoire, son reflet se dévoilait peu à peu.

 

 

Il peignait. Sans relâche. Mais ses couleurs n’éclairaient que les ombres. Et son geste sans ravissement.

 

 

Sur la table, la chandelle éclairait l’espace. Et entre le marteau et l’enclume, il entrevoyait l’étroit passage où se faufile la pensée.

 

 

Derrière l’apparence, il voyait le cercle où brille l’essence des êtres. Comme une vague lueur souterraine.

 

 

Il scrutait le ciel. Et au-dessus des nuages, il regardait parfois l’œil qui l’observait.

 

 

Sa dépouille se balançait (toujours) sur la potence des heures.

 

 

Sous sa plume légère, la feuille parfois se courbait. Envolant un mot vers l’écorce du monde.

 

 

Son cœur blâmait en secret les silhouettes qui marchaient à l’horizon. Le reflet des ombres qui l’habitaient. Incapable encore d’épouser l’ombre et la silhouette, de distinguer les reflets et de reconnaître la trame unique de l’écheveau.

 

 

Il croyait la vie sans détour. Comme un sillon perdu dans un champ de ronces.

 

 

Son cœur si prompt à s’élancer après la joie ne saisissait que des larmes emportées par le vent.

 

 

Il disséquait avec mépris le cœur humain. Toujours, à ses yeux, frivole au dehors. Et si tragique au-dedans, jetant partout sur la terre son sang glacé.

 

 

Les roues du temps embourbent notre sillon. Creusent notre tombeau. Notre trop précoce sépulcre.

 

 

Il marchait tête nue et la mine renfrognée parmi les visages à l’abri des parapluies qui complotaient contre les nuages, implorant le ciel de faire briller sur leur terre un soleil sans promesse.

 

 

Il refusait de rejoindre les bataillons sans destin avançant, croyait-il, en rang et à l’ombre des dangers, suivant leurs silhouettes à bonne distance sur l’horizon.

 

 

Il haïssait les cœurs intacts qui se lèguent de père en fils. Au fil de générations sans richesse. Mais ne trouvait encore nul trésor sous ses pas.

 

 

Son cœur ébréché répandait son suc amer. Se vidait de son fiel et trébuchait sur toutes les contrées souffreteuses, avalant la vaine espérance des vivants, et incapable encore de dévaler, joyeux, les pentes dévastées.

 

 

Sa trogne irascible escortait toutes ses humeurs. Et il errait des jours entiers, recouvrant le monde de son linceul.

 

 

Sa tête moribonde plantée à la source percevait pourtant sous la roche la liberté. Comme un lointain murmure.

 

 

Les masques derrière les visages le fascinaient. Derrière l’ultime masque, il voyait la grimace. Et derrière la grimace, il devinait le sourire intact, la main ouverte et le regard qui s’émerveille de toutes les malices du monde.

 

 

Comme un passe muraille malhabile (et inexpérimenté), il se heurtait aux murs indifférents, effrayé de la transparence du monde.

 

 

Sur nos terres ancestrales, notre enfance sanguinaire s’éternise.

 

*

 

La solitude enferme le singulier derrière la tristesse des barreaux. Et condamne aux stigmates de l’enclos. Puisse-t-elle un jour devenir cœur de résonance où viendraient mourir les échos du monde, la cage ouverte à l’universel où bruisserait enfin la joie derrière les lamentations du peuple humain.

 

 

Devant la glace, son regard surprenait l’effroi de son reflet.

 

 

Derrière nos rides, le sillon des années. Et le souci des jours.

 

 

Au cœur de l’oubli, il songeait à la présence sans mémoire.

 

 

Au clair de lune, il écoutait parfois (d’une oreille distraite) les bourgeons confier leurs soucis des jours. Il entendait leurs murmures et leur crainte. Et devinait leur espoir de voir se lever le soleil le lendemain.

 

 

La lumière de minuit illumine nos paupières closes.

 

 

Au cœur de l’indiscipline, il saisissait le mouvement naturel de l’ordre, l’impulsion du vivant en quête d’anciens territoires envahis par l’obéissance et le mimétisme. Dévastés par la tradition et la crainte.

 

 

Au cœur de la faille, il effleurait parfois la cime de l’invisible, la ligne de crête où cheminent côte à côte la raison et l’intuition. Le règne de la connaissance au-delà des confins.

 

 

Chaque soir, il sculptait ses paroles dérisoires sur l’écorce. Contre l’oubli du monde et l’effacement des mémoires. Pour que l’Homme d’Après commence le périple sur les épaules de celui d’Avant et poursuive ainsi la marche du peuple humain.

 

 

Son silence profond et solitaire voyait éclore mille rencontres où s’enracinait la présence du monde. Mais dans ce monde sans trace, son oubli exultait. Sa mémoire s’effaçait. Figeant ainsi l’instant dans l’espace impossible.

 

 

Certaines nuits, il apercevait l’espace sacré du monde, le cercle invisible où dansent tous les hommes ivres de joie.

 

 

Il était prêt à embrasser la mort. A voir se répandre la flaque épaisse et les charognards se repaître de sa chair encore palpitante.

 

 

Une étincelle dans la nuit guidait sa dérive. Encore captif de la mer avide. Et toujours accroché aux déferlantes.

 

 

Humble et étonné devant le mystère qui s’approfondit et se renouvelle, il se surprenait hagard.

 

 

Quelques étreintes accueillantes nous sauvent parfois du naufrage. Et le sourire du monde à nouveau nous enchante. Mais derrière l’espoir, la farce nous ravage. Et nous humons la vérité qui s’éloigne devant nos pas trop volontaires.

 

 

Happé par le vide, il sentait sa chair écartelée entre deux rives.

 

 

Nulle vérité au-dedans. Sous le sentir fallacieux, nos ombres oscillantes s’entrelacent et recouvrent toute clarté.

 

 

Aux jours sombres succèdent les jours clairs où le soleil nous enivre. Et aux jours justes, notre cœur se repose de son labeur coutumier.

 

 

Chaque jour, il croisait mille visages. Mille bouches. Mille grimaces fétides. Mille corps ardents frottant et écrasant leur chair, entourant sa solitude suffocante et désemparée.

 

 

J’aimerais parfois me hisser sur les épaules du destin pour contempler ma chute dans le lointain.

 

 

Certains jours flottent à nos fenêtres des bannières sans gloire qui muent toutes conquêtes en défaites.

       

 

Dans la chair s’approfondit la blessure qui creuse la tendresse où naîtra la joie.

 

 

Sur l’écorce, il frottait sa peau écorchée. Et voyait, hébété, le sang séché des épreuves, la tragédie du peuple humain. Et le mystère des origines émietté par sa main. La coulure de l’encre comme des taches qui recouvrent la blouse du peintre, comme le sang sur l’étal du boucher. De la matière vivante découpée en lamelles et exposée aux yeux impassibles.

 

 

Il s’acharnait sur ses blessures, croyant invalider la matrice de l’angoisse, et s’enfonçait pourtant à chaque secousse un peu plus loin au fond de la béance. 

 

 

Finirais-je englouti ? J’aimerais tant avant d’être jeté sous la terre, abandonner mes tempêtes au fond du gouffre.

 

 

Sur ses parois, la glace se fissurait sous le poids des gestes. Et se lézardait en reflets trompeurs, qui éloignaient le ciel lointain.

 

 

Je devine la légèreté consistante de l’être, dénué de faim, dévêtu de singularité se parer de la tunique essentielle. Et dévoiler le corps universel.

 

 

L’esprit des brumes évapore ma raison des mots, extrait le sens des signes, perce (un instant) le voile. Et finit par retremper mon œil dans la sève enfumée de l’écorce.

 

 

Il voyait sur les visages tous les rêves du monde. Et distinguait derrière les têtes le ciel qui s’engouffrait.  

 

 

La gloire oscille entre les fontaines. Et nous renâclons toujours à poser notre regard contre la source.

 

 

L’ardeur coutumière des passants l’écorchait. Et il regardait, le cœur à vif, leur visage griffé d’ennui, leur pas creusant la brèche, déchirant les paysages de leurs semelles et de leurs prunelles carnassières.

 

 

Chaque jour, il maudissait la rumeur lumineuse de l’aube. S’impatientant de voir le crépuscule la réduire en miettes.

 

 

L’âpre labeur des jours et ses mille desseins éparpillés s’effacent toujours à la nuit.

 

 

Il posait l’oreille contre les murs silencieux qui l’entouraient. Et entendait bruisser partout les injures au sacré.

 

 

A l’orée des clairières sombres, l’arbre attend la graine. La graine dont jaillira la sève qui poussera son écorce vers l’agonie, soumise à la mue éternelle du peuple éphémère. 

 

 

Mille rencontres en une saison. Mille rencontres carnassières qui grignotent et avalent. Mille blessures qui effacent du monde. Mille rêves brisés de solitude. Mille retours sanglants vers ceux dont l’œil nous nourrit et nous reflète. Notre vie durant, nous nous exerçons. Nous nous épuisons à l’âpre labeur de l’Homme.

 

 

Le souffle tragique du néant s’abat sur nos plaines encombrées. Balaye toutes nos carcasses dérisoires empilées en notre béance.

 

 

Il s’échinait à balayer le sable des existences comme une traînée d’étoiles, soucieux du socle qu’elles portent derrière les voiles. Au creux de la chair.

 

 

Assis au fond de son armature, il rêvait de franchir l’espace où s’efface l’empreinte et se dissout la matière.

 

 

Sous l’étoffe soyeuse, repose la carapace infracturée. Sous l’écorce ciselée, palpite l’altérable chair. Et sous le vulnérable, dort la puissance inoffensive qui réconcilie les identités en un condensé d’amour limpide et incandescent.

 

 

Le baiser bestial agrippait parfois sa chair, dépossédait son corps de son âme, distillait son venin au creux de ses joues, enrobait ses extases de son voile parfumée. Déroutant ainsi l’amour de son étoile.

 

 

Il se reposait parfois sur la jachère du temps. Remisant ses heures. Rangeant le soc de ses années fertiles. Les abandonnant au fond d’une vieille grange pendant des siècles. Espérant ainsi anéantir la mémoire de son peuple. Effacer l’image des pères sur le calendrier de sa jeune tribu millénaire.

 

 

Il fuyait (comme la peste) les fossés escamotés par l’artifice. Les fruits du progrès. S’inscrivant (toujours à contre-courant) dans l’élan naturel de son peuple.

 

 

Mes blessures suintent sur l’écorce tremblante. Le ciel transparent m’ouvre à toutes les plaies du monde. Et le sang des peuples se répand (toujours en vain) sur le sable des pistes.

 

 

Il tentait de faire ses adieux aux ciels clairs. A la toile sombre où scintillent les étoiles. Aux mornes reflets de l’astre. Au reflet de la promise en cette terre. Pour que le nadir s’étende enfin en ses galaxies. 

 

 

A l’éclaircie dans la brume succède (presque toujours) l’opacification de la trouée. L’oscillation maléfique révèle notre ignorance du mystère. Notre incapacité à nous défaire de l’emprise et de l’inentendement.

 

 

Les jours fastes, le soleil se mue en lumière mensongère.

 

 

Il s’enlisait dans le souvenir des vivants. Aveugle à la vie déchiquetée qui renaissait sous la terre.

 

 

Le feu des jours s’amenuise à la mi-journée. Et au crépuscule naissent les premières cendres. Avant que la nuit ne blanchisse les os.

 

 

La rivalité des ombres pour la lumière invite l’obscur, la terreur noire à se répandre au fond des ténèbres. Entre les ombres pourtant se révèlent les scintillements invisibles. Le règne imperceptible de la Lumière.

 

 

Nulle grâce pour les spectacles du monde. Des jeux ignorants et des mises à mort sur une scène innocente. 

 

 

La source du merveilleux s’étale devant nos yeux. D’infimes gouttes démultipliées jaillissent de la jarre. L’humble jarre ébréchée par le vent. Mais saurais-je recueillir au cœur du limon la goutte limpide - l’origine jaillissante de la source ?

 

 

Les âmes empaquetées - engoncées dans leurs semelles - cheminent sur leur sente bordée de quatre murs. Suivant avec tristesse leur funeste destin.

 

 

Derrière la huée des masques, la peur du miroir toujours m’étreint.

 

 

Il n’osait encore faire éclore les mille rencontres de la solitude. Inscrivait toujours sur l’écorce les mille mouvements de la présence immobile à la frontière sensible. Et toujours mouvante en son cœur.

 

*

 

A l’aube de l’abandon, il s’appuyait toujours sur le pas abrupt et douloureux. Demeurant sans repos sur le chemin.

 

 

Vers le vent, il poussait ses fringales, la bouche ouverte sur la pluie.

 

 

Mes vertiges venteux soufflent sur la spirale où je repose. Toujours vacillant à la frontière du cercle.

 

 

J’offre mon cœur émietté à l’abîme. Et je vois surgir la douceur du sensible. Le poids léger du vivant.

 

 

Face à l’antre, je sens le monstre s’étendre et rire de mes peurs vivaces.

 

 

Au cœur de la tanière (tant redoutée), nulle porte. Seule ma main tendue dans le noir caresse le vent. Et sous ma paume ouverte, je sens les parois se dérober. Seul face au soleil, je devrais me redresser.

 

 

Un jour, une main malhabile le saisit et le pressa vers le passé des hommes.

 

 

L’avenir gît devant moi. Sous l’horizon.

 

 

Le monde se frotte encore sur ma main. Et mon visage écorché se penche toujours vers ma silhouette. Mille promesses qui épaississent la glace où je viens embrasser mon reflet.

 

 

Au cœur du passage étroit, la porte fragile. L’horizon aux mille promesses sur le territoire infini.

 

 

Chaque homme avance sous l’ombre de l’étoile qu’il cherche. 

 

 

Je repose dans l’ardente fumée, les deux pieds plantés sur le socle terrifiant qui pétrifie le monde. Un monde gorgé de funérailles où s’empêtrent les vivants qui pleurent leurs morts sous la terre glacée.

 

 

Sur mon archipel, au cœur des catacombes, je me penche sur ma tombe. Pour défier la ronde des ans et l’avancée funeste du temps à venir.

 

 

Bouche bée devant l’enclos, j’aspire la fumée noire et recrache les cendres incandescentes des nouveaux entrants à la dépouille déjà condamnée.

 

 

Un pas modeste vers la terre ensemencée par les morts. Pour nourrir les vivants à la mémoire titubante qui errent dans les prairies du temps.

 

 

A l’ombre des souches, sous le feuillage des oliviers, je regarde pousser les racines orphelines. Et je devine au pied de l’herbe naissante la ferveur des nouveaux printemps.

 

 

Ses larmes évasives coulaient entre le temps en suspens. Quelques pleurs versatiles sur les défunts passagers arrivés au seuil des ténèbres.

 

 

Toujours attirées vers le gouffre, ses marées hiératiques l’allongeaient sur les berges et étiraient ses parois. Avant de venir mourir contre les récifs et de renaître à l’océan.

 

 

Ses pleurs l’élançaient vers l’orage vorace. Et nourrissaient ses tempêtes et son chagrin tenace.

 

 

Il oubliait la voix des poètes. Et leurs paroles dérisoires. Comme mille échos silencieux résonnant à l’ombre de la mémoire. 

 

 

Il avançait à l’heure vers la présence. Sans crainte ni impatience.

 

*

 

L’heure passagère déroute le sens du temps. Malgré l’aube naissante, la clameur du monde l’emporte.

 

 

A l’écoute de l’étourdissement de la chair. Tendu vers l’horizon où se mêlent les âmes.

 

 

La lumière resplendissait parfois à ses fenêtres. Sans raison apparente. Et devant les applaudissements du monde, il redressait aussitôt sa silhouette.

 

 

L’éphémère s’étiole sous nos pas ancestraux. Comme l’éternité sous nos pas éphémères.

 

 

Son âme patientait parmi les pierres. Toujours rivée aux allées sombres entre les chrysanthèmes et les pissenlits.

 

 

Il songeait parfois à cette maxime que sa plume un jour avait tracée : « aux insectes fertiles, l’écho des sables. Et à la chrysalide enterrée, le ciel ouvert. »

 

 

Avant l’aube - et que ne sonne le trépas - que d’heures lasses où l’on succombe.

 

 

Au seuil de la nuit, le silence de l’écho s’éternise.

 

 

Un soir, une trouée de filaments surgit dans son ciel opaque. Un bref instant de gloire incandescente et tapageuse.

 

 

Au cœur du monde, mon âme rassasiée se repaît. Se vide de sa substance. Et s’en retourne vide et frustrée. Désarmée par cette soif inextinguible.

 

 

De guerre lasse, il renonça aux conquêtes. S’abandonna aux revers. Se soumit à la défaite. Et aux premières heures de l’armistice, il apprivoisa l’odieux conquérant, enlaça les traîtres et les scélérats et s’agenouilla devant sa dépouille, réconcilié.

 

 

La clé sous la voûte s’éloigne toujours au son de nos pas trop volontaires.

 

 

Il pénétra l’enclos sans ardeur, allongeant le pas sur la sente nuageuse. Regarda au loin et vit l’horizon briller par-dessus la voûte.

 

 

Il égara ses chimères dans le gouffre du temps. Erra l’œil présent posé entre les formes, contempla la flamme qui se consumait et apprivoisa l’épreuve. Parvint enfin à ôter les voiles de la traversée, à faire advenir partout l’émerveillement. A deux doigts (sans doute) de découvrir le sublime voyage – toujours expérimental et éprouvant.

 

 

Il piétina ses édifices, perça ses cloisons et déchira ses remparts. Et découvrit sous les ruines où se terrait le tombeau, le coffre éternel - au cœur du sépulcre. Et au fond de la malle, parmi les promesses et les poussières neuves, la graine à éclore. Et l’horizon qui se rapprochait à grands pas.

 

 

Il exerça son œil au mouvement, instruisit son âme à l’immobilité et apprit la fulgurance alternative en éternelle extension.

 

 

Au cœur de l’hiver, il découvrit, derrière ses volets clos, l’horizon harassé, la rancœur et la nostalgie. Et le silence qui engouffre les êtres.

 

 

Il habillait toujours sa solitude, endossant le masque des habitudes et s’endormait, chaque nuit, l’âme glacée au pied de sa nudité piétinée. 

 

 

Sous la lampe, à l’abri du rideau de verre, il attendait, confiant, le soleil et la pluie.

 

 

Un matin, il se couvrit de rosée et de lumière. Comme arraché à son destin, croyait-il, par sa main besogneuse.

 

 

Il marcha alors le cœur confiant vers l’abîme. Inquiet (tout de même) de voir survenir l’envol entre les parois.

 

 

Au seuil du précipice, il s’élança, l’âme effrayée d’éprouver l’abîme et courut vers le ciel, ébahi.

 

 

Il creusa ses peurs, fouilla en sa terre jusqu’aux racines. Et sous le désastre - au cœur même de l’angoisse - il vit éclore le ciel. L’espace désert et radieux.

 

 

Il jeta une poignée de terre pour ensevelir la mort. Laissant (sans doute) une once de son âme ensevelie sous le marbre. Mais savait à présent où demeurait l’éternel mensonge.

 

 

Comme un va-nu-pieds sur son chemin d’étoiles, il courut léger, dansa dans le vent. Demeura impassible devant les tourments, traversa les tourbillons et l’évanescence des formes, échappa enfin au destin si lourd des hommes pour entrer, enjoué, dans la demeure.

 

 

Il parcourut la place (sans hâte), parsema son cœur d’espoir, en soupesant ses prophéties de malheur.

 

 

A qui aurait-il pu se confier ? Il n’osait croire lui-même au poids de la balance. Il poursuivit donc sa quête. Creusa jusqu’au nadir, alourdissant une nouvelle fois le funeste de l’envol.

 

 

Il comprit l’espiègle farce qui enfantait le malheur, se jouait des paysages funestes, du joyeux et sérieux labeur en l’îlot emmuré et accoucherait en son heure de l’heure joyeuse. Et du rapprochement des continents à la fin des mondes.

Au seuil du partage, sa joie se déchira comme une mer irisée d’étoiles.

 

 

Derrière l’ombre, la source lui murmura. Et devant elle, il vit la foule impatiente et inattentive. Toujours si curieuse des convives et des parures. 

 

 

Encore englué dans la glace, il attendait, impatient, la chaleur de l’astre. Et la lumière qui déchire le fil des ombres rouges où dansent les silhouettes blanches et les âmes grises. Toutes les pantomimes gesticulantes.

 

 

Il reconnaissait, d’un geste (et parfois d’un regard), le feuillage frémissant des arbres sous la lune qui brillait parmi les étoiles et les lumières factices du monde.

 

 

Il charriait toujours ses eaux boueuses, dévalait ses torrents et franchissait les cascades cristallines. Mais derrière le silence ajouré, il écoutait. Et entendait bruisser la clameur du vent.

 

27 novembre 2017

Carnet n°28 L'homme-pagaille

Récit / 2008 / Le passage vers l'impersonnel

J’aurais voulu naître avec un gros nez rouge et de gros souliers ronds. Pour jouer au saltimbanque dans le cirque des peines. Mais à la naissance, les fées se penchèrent sur mon berceau. Pour m’insuffler le désir de l’or : la vérité. Elles y posèrent quelques larmes, un soleil, une plume et une pelle. En grandissant, le monde m’offrit un peu d’encre. Et quelques mines de plomb. Ce furent–là mes seuls présents. Et mes seuls outils.

 

 

Il n’était pas homme ordinaire. Quoique très commun. Il travaillait, mangeait, dormait comme un funambule sur un fil barbelé. Comme un martyr sans bourreau ni échafaud.

 

 

Son existence ressemblait à une onde légère dans une flaque d’eau croupie s’obstinant à refléter la lune. 

 

 

Il ne cessait de pagayer en pagaille. Y consacrait l’essentiel de son existence. Sans destination précise. Sans même découvrir d’horizon. Il allait au-devant de contrées qu’il effleurait d’un doigt avide et tremblant. Animé d’une étrange (et vaine) excitation.

 

 

Au cœur des rivages, il prenait le large. Fuyait les déserts et les foules agglutinées. Et dans les mares où il s’enfonçait, il prenait l’étendue pour un océan ou un verre d’eau. Au gré de ses errances, il prenait les montagnes pour des îles. Et les îles pour des mirages. Les nuages pour des buissons. Et les buissons pour des matelas d’épines qui pourraient, pensait-il, le réconforter. Il prenait les visages pour des peuples. Et les peuples pour des mondes. Et les mondes pour des contrées familières et inconnues.

 

 

Il naviguait partout. Sans crainte. Sûr de son immobilité. Et de son audace un peu folle. Heureux sans doute de quitter la terre immuable des hommes. De s’éloigner du peuple des passants futiles. De quitter l’aberration de ce monde et son effervescence tapageuse. Le monde ne l’avait (pourtant) jamais totalement corrompu. Et ne l’avait jamais vraiment quitté. Il était aussi ce peuple, et ce monde, et ces contrées étaient, elles aussi, farouchement et désespérément en lui.Bref, il fuyait à perte. Et la perte était son destin. Sa pente. Et son avalanche. Son abîme et son refuge. Sa quête. Et son tombeau aussi peut-être.

 

 

Il avait une crainte folle de disparaître. De se répandre. De se diluer dans les mille situations qui surgissaient dans son existence. Le Tout l’effrayait. Ceux qui l’habitaient et ceux qui l’appelaient au dehors. Il n’y voyait qu’un signe probable de sa folie à venir.

 

 

Il dansait parfois avec l’air. Ainsi certains jours, il tournait, tournait, tournait dans l’espace. Tournoyait jusqu’à l’enivrement. Et finissait (souvent) par trébucher sur ses lacets (sans doute encore trop hésitant) avant de s’affaler sur le sol rugueux. Une bosse sur le crâne. Et l’air pitoyable de celui que la ronde a écarté.

 

 

Il lui arrivait aussi souvent de se disloquer, de se décharner, de se déformer. Ses bouts de chair alors se durcissaient. Dans une sorte d’expansion cellulaire désordonnée. Les frontières de ses territoires s’estompaient, se déplaçaient, s’emmêlaient, se démêlaient, s’enlaçaient, s’écartaient. Et finissaient (malheureusement) par se rejoindre.

 

 

Il était un homme que rien n’étonnait vraiment. Que plus rien n’étonnait vraiment. Un homme dont les croyances s’amenuisaient, disparaissaient. Un être aux croyances moribondes.

 

 

Il s’appliquait (avec une farouche détermination) à pulvériser tous les dogmes. Rêvant sans doute de devenir l’un de ces êtres au regard bovin dont la sagesse impulse aux gestes une justesse sans calcul. Un être au savoir ignorant

 

 

Ses errances le conduisaient parfois au juste chemin.

 

 

Au cours de ses égarements, son regard parcourait l’horizon. Là, juste sous ses pas.

 

 

Il avait toujours un volcan en guise de crâne. Et une vie (intérieure) sans mystère. Du feu et des cendres. Avec parfois quelques coulées sombres et visqueuses.

 

 

Il fustigeait toujours (à grands cris) le bord des visages et les masques peints aux élastiques distendus sur les peaux flasques. Il s’échinait avec un sourire authentique de faire fondre le plastique. La braise de ses yeux éructait alors des giclées de lave chaude qui s’éparpillaient sur les joues. Et sa peau brûlante appelait aussitôt le monde à la rescousse.

 

 

Ses jours douloureux s’ébruitaient parfois. Et ses voisins l’applaudissaient en secret. Tant d’heures sombres les ravissaient. Et les distrayaient de l’attente des croquemitaines qui porteraient leurs planches avec un sourire compatissant (et de circonstance).

 

 

Il écrivait parfois. Sur un vieux cahier à spirales. Ou sur de grandes feuilles quadrillées qu’il prenait rarement soin de ranger dans un classeur.

 

 

Malheurs à mes endiableries ! Des mots de Satan ! qui finiront par m’enflammer avant la saison nouvelle !

 

 

En attendant, il laissait les mots remplir leur office.

 

 

Une pagaille sans nom. Difficile à étiqueter. Un désordre clair. Et me voilà estomaqué ! Que pourrait-on en dire ? Je l’ignore.

 

 

Il cherchait ses mots comme sur un fil transparent qui se perdait dans quelques lointaines - et mystérieuses - contrées. Il tombait souvent. Se relevait parfois. Et nul équilibriste ne pouvait venir à sa rescousse. Les tours où il suspendait son fil étaient dérisoires (d’une hauteur dérisoire). A peine plus hautes que les brins d’herbe de son jardin secret. Une hauteur de fourmi. Hautes comme trois têtes d’épingle.

 

 

Il était toujours soumis à l’ordre du monde. Et au chaos de son propre univers. Obligé de marcher l’âme écartelée.

 

 

Il était avide de rencontres. Rêvait de visages harmonieux. De corps lestes. Et de sourires accorts. Mais il n’avait d’yeux que pour ELLE dont il ignorait l’identité. Et l’origine. Elle n’était pourtant (sans doute) qu’un fantôme dans son souvenir. Ou une plaisanterie peut-être…

 

 

Il échangeait parfois les visages. Et les visages changeaient. Sa vie n’était qu’une ronde où les silhouettes apeurées tournoyaient, le cœur enjoué.

 

 

Il craignait la joie. Et ses échardes sauvages.

 

 

Il avait un goût prononcé pour les étoiles. Mais sa salive était encore réfractaire à la lumière.

 

 

Il criait du fond des gorges au monde qui l’appelait. Et seul l’écho s’amplifiait.

 

 

Il se défiait du temps. Et finissait parfois enseveli dans son sablier.

 

 

Un fil. Deux fils. Trois fils. Et les nœuds se tendent. S’emmêlent. Poursuivent leur enchevêtrement. Et mon entrave.

 

 

Un funambule sans fil. Voilà ma vocation. Ma mission. Mon chemin.

   

 

Y a-t-il un miracle des pierres ?

 

 

Il posait parfois cette question à la poussière. Et poursuivait son périple en martelant le gravier de son pas lourd.

 

 

Des ombres. Des ombres. Des ombres. Que d’ombres sous le soleil ! Les poteaux d’angle recouvrent mon abîme. Et me voilent la connaissance des gouffres.

 

 

Midi à ses pas. Minuit en ses fêlures. Et il se cognait à toutes les plaies du monde. Les blessures engorgeant ses veines.

 

 

La moustache en bataille après les baisers voraces (à LA mystérieuse étrangère) épuisait souvent ses forces. Il posait alors une main exsangue sur l’armistice circulaire, spiralé, qui aurait pu le conduire, croyait-il, vers des contrées plus tranquilles. Vers la pleine saison. Mais l’anticipation maladroite dans la poche le désorientait. Et il restait assis sans certitude sur l’apparition des contraires et des extrêmes.

 

 

La solitude s’attachait à ses pas, fidèle et indocile.

 

 

Au-dedans, une hyène à l’affût de ses faiblesses le guettait de son œil bavant. Savourant par anticipation cette proie facile. Et coriace.

 

 

Une extrême douceur frôlait parfois son geste hagard. Une longue caresse sur sa chair insensible. Aveugle à la connaissance que la vie lui distillait depuis la naissance de son peuple, il avançait en titubant. Ressentait parfois le souffle nu de ces doigts inconnus. La puissance de ces mains qui le guidaient et le désorientaient. Le blessaient parfois. Creusant dans sa chair le terrain propice.

 

 

Comment entendre les pas tendres qui s’approchent ? Comment répondre à l’appel strident de cette voix dans le lointain ?

 

 

Le frottement du tissu sur ma chair laisse ses empreintes. Boursouflures passagères. Et sans gravité.

 

 

Il ne pouvait tenir parole à ses mensonges. A ses chimères. A ses espoirs. A toutes ses mascarades sans voix.

 

 

L’œil soupire. Tandis que la bouche crie ou murmure.

 

 

Le silence et le ciel sont inaccessibles. Hors de portée pour les Hommes qui s’éreintent à l’escalade.

 

 

Que le vent pousse mes terres encombrées ! Et que mes habitants me désertent !

 

 

Il n’avait ni cervelle ni (par conséquent) de réflexion. Mais des oreilles abyssales qui s’enfonçaient au-dedans de la terre. Aptes à toucher le ciel. Et à effleurer les étoiles.

 

 

Un jour, le silence lui révéla quelques secrets.

 

 

Les bruits sont des pétales sans fleur. L’œuvre des épines est sans effet. La chair blessée demeure indolore. Le sang s’évapore. La pluie rince toute cicatrice. La chair et la plèbe enfin à hauteur d’azur.

 

 

La tête dans les talons, il se parait pour la marche.

 

 

L’éventualité se présente à nos semelles. Signes toujours de bon augure.

 

 

Il caressait parfois le vent (de ses doigts malhabiles). Ouvrait ses lèvres au souffle. L’assise confortable. Rythmé au mouvement des astres intérieurs, il glissait sur mille constellations. La voûte au-dedans toujours éclairée. Parfois au cœur même des ténèbres.

 

 

Ses pas parfois l’endormaient. L’enlisaient sur les bas-côtés. Et il se mettait aussitôt à ronfler dans son ornière.

 

 

Il poursuivait ses songes. Leur laissait suivre leur cours. Sachant qu’ils l’emporteraient avec eux. A bonne distance de l’égarement.

 

 

Il n’avait ni maître. Ni disciple. Mais des alliés en pagaille. Une fratrie qui vivait à sa portée. Et qui s’adonnait à des unions innombrables (et toujours surprenantes).

 

 

Il appréciait les rencontres qui prenaient des allures de mariages intenses et fugaces. Et les séparations qui ressemblaient à de longs divorces éloignant les âmes qui se rejoindraient plus tard, croyait-il, à la lisière de l’aire qui encadre le temps humain.

 

 

Le vent soulevait parfois ses bottes de plomb. Et ses aventures prenaient aussitôt des allures de chevauchée.

 

 

Le laboureur s’égaye et devient vagabond des prés, quitte son sillon et abandonne sa charrue pour être tiré à hue et à dia vers les sentiers éparpillés.

 

 

Il aimait tant les mots. Et jouer avec eux. Les poser dans quelques exercices de gravité. Et ces derniers lui tombaient parfois - littéralement - de la bouche. Il contemplait alors leur chute, du bout des lèvres, si émerveillé de les voir s’écraser sur son petit cahier.

 

 

La cour des miracles

Il y a au fond de mon jardin un nain, un borgne, un cul-de-jatte, un trépané, un idiot de village. Il y a un peu plus loin un manchot, un fou furieux, un hystérique, un mélancolique décadent et une sirène enjouée. Et à l’horizon, un vieux phare allumé qui égaye le petit peuple des falaises. Un lieu où les troglodytes fréquentent les anges. Les fées les sorcières. Et les diablotins courent comme des sauterelles après les chauves-souris apeurées. Un monde obscur et sans ténèbres. Un monde cotonneux de farces et attrapes. Sans véritable danger. Un petit paradis perdu où il fait bon s’égarer. Et à l’occasion, se perdre. Et je n’en reviens parfois que tard dans la nuit. Quand le bon peuple des rues dort depuis longtemps déjà à l’abri des songes derrière leurs volets clos. Quant à moi, je trimballe partout mon oreiller. Jusque dans mes jours ensoleillés. Jusque dans mes petits matins gris. Jusque dans mes soirées mélancoliques. Toujours mon oreiller bien confortable sous la tête, au-dedans de mon ossature qui épouse mes courbes et mes dérapages. Mes fuites en avant et mes rétractions. Mon oreiller aplanit toutes les aspérités et les fait glisser dans l’abîme pour accueillir la réalité d’un grand souffle absorbant et régénérateur.

 

 

Mon existence perd son importance. Mais n’en a-t-elle jamais eu ? Je vis. Non dans l’étroite et triste résignation que bien des vivants en ces contrées adoptent malgré eux. Mais dans un sentiment jubilatoire et savoureux de non consistance. De non hiérarchie. En réalité, rien n’a d’importance. Tout est potentiellement vivable. Surprise de chaque instant. Aux confins de toutes les solitudes et de toutes les sollicitations du monde, on peut accueillir. Et se laisser cueillir par l’ineffable des évènements, des sentiments, des rencontres, des déserts, des foules, des idées, des pensées, des corps, des bouches, des esprits. Et des âmes. En chaque forme, je renifle l’essence. Le noyau qui brille au-dedans de l’ombre qui les porte ou les accable. Bref, au terme de cette saison, mon poids s’allège substantiellement. Et allonge mon pas et mes lèvres plus enclines au sourire, au rire et aux larmes. Plus avides de baisers et de silence. Plus à même d’offrir une juste parole, jamais sournoise, parfois il est vrai encore coupante autant peut-être qu’une hache (mais jamais guerrière cependant) et toujours spontanée. Spontanéité toujours alourdie par un « entachement » - une surcharge narcissique que je porte tantôt dans ma besace, tantôt accrochée à mes basques comme une entrave, une trace de mon passé si grave et dérisoire, comme la marque de mon peuple, le sceau de mon attachement et de mon affiliation à une longue lignée ancestrale. 

 

 

L’œil surprend ma fantaisie. Et la pare de joie. Comme un présent inespéré.

 

 

Dénigré par la cour des nantis qui se pressent devant tous les trônes – et tous les roitelets – je m’agenouille en silence devant le parterre désert. Et je vois partout présent l’unique souverain.

 

 

Il laissait vagabonder ses pensées. Et elles fanaient aussitôt comme des fleurs sauvages dans un vase sans eau. Avant de refleurir à la belle saison, plus belles encore. Un présent qu’il s’empressait alors d’offrir au vent qui les déposait sur tous les horizons.

 

 

Son espoir d’ouvrir le ciel était immense. Mais il avait beau regarder la lune. Et tendre la main. Il ne pouvait compter que sur son pas.

 

 

Les frontières se glissaient parfois dans ses yeux perdus. Effaçant le contour des silhouettes. A deux doigts (peut-être) de percer le mystère.

 

 

Mais le vent soufflait sans répit. Le rappelant - sans cesse - à son souvenir d’abîme.

 

 

Congédié par mes pairs. Et relégué aux égouts. Le juste interstice de mon destin.

 

 

Il éprouvait toujours quelques craintes face au néant. Mais tentait à présent de jouer dans l’abîme. Et chaque remontée aiguisait sa force.

 

 

Il perdait parfois le fil (le fil de son improbable voyage). Emmêlant ses pelotes aux mailles de tous les filets. Mais quel pêcheur aurait pu le faire prisonnier ?

 

 

L’angoisse a parfois prise sur mes gestes. Mais l’abîme se détourne de mes pas.

 

 

Devant les yeux rigolards, il s’anesthésiait. Ces esclaffements clouaient ses prunelles qui déroutaient aussitôt sa démarche. 

 

 

Une silhouette de champ de blé à toute saison. Voilà notre identité. Soumis au soleil pourfendeur et éclaircissant.

 

 

La plume et le monde sur la balance. Sans contrepoids. Aujourd’hui, sans consistance. Comme allégés par l’espace.

 

 

Un jour, il déclara sa douleur inerte. Et ses blessures aussitôt se refermèrent. Ses cicatrices se recouvrirent de chair. Et il fut sur pied en une saison. Nu sous sa cape de vent flottant au ciel. Une silhouette admirable qu’admiraient les sots - sans doute encore trop frileux - pour se dévêtir.

 

 

La nuit ténébreuse ensevelit mes jours. A l’aube, mon ombre sera recouverte. Anéantie.

 

 

Un jour, il entra en littérature par la porte mal verrouillée d’une décharge. Comme un vagabond en transit. Il n’y rencontra que des hauts de forme pavoisant sur un tas d’ordures. La vérité se trouvait de l’autre côté du grillage. Parmi les clochards et les brins d’herbes couchés sur le pavé.

 

 

Il s’essaya à la confection de cathédrales sans faîte. Pour assister le ciel dans son œuvre : pénétrer les âmes rétives. Les bigots enchapeautés abrités sous leur couvre-chef.

 

 

Ni abîme ni passerelle entre le monde et moi. Mais un même univers constellé de gouffres et de liens.

 

 

Mes songes abritent des paysages chaotiques. Et d’harmonieux paradoxes. Mais aucune carte pour se frayer un chemin.

 

 

J’aurais voulu jouer sur le monde comme sur un tambour. Mais on me mit entre les mains une trompette. Et ma mélodie résonna comme une cacophonie.

 

 

Il avait l’affect captatif. Ne cessait de s’empêtrer dans les nœuds. Et il dut passer l’essentiel de ses jours à défaire les liens…  

 

 

Les poètes habitent les terrains vagues (et les déserts). Loin des rues marchandes où se pressent les foules. Et après leur mort, on les visite en masse comme des vestiges, d’anciennes colonnes ouvertes au ciel. Entre deux vitrines.

 

 

Il explorait la souffrance les yeux fermés. Et s’affranchissait parfois des parois (après s’y être tant cogné).

 

 

J’aurais voulu naître avec un gros nez rouge et de gros souliers ronds. Pour jouer au saltimbanque dans le cirque des peines.

 

 

Les saisons l’égayaient. La pluie, le vent, les nuages et le ciel étaient ses aires de jeu. Un décor où le gibier mourrait sans fracas avant de renaître ailleurs. Sous d’autres cieux. 

 

 

Il ne cessait de hurler sa peine inentendue. De la crier à tous les vents. Jusqu’au jour où il apprit à écouter. Et des voix se mirent doucement à lui murmurer.  

 

 

A la naissance, les fées se penchèrent sur mon berceau. Pour m’insuffler le désir de l’or : la vérité. Elles y posèrent quelques larmes, un soleil, une plume et une pelle. En grandissant, le monde m’offrit un peu d’encre. Et quelques mines de plomb. Ce furent-là mes seuls présents. Et mes seuls outils.

 

 

Et  je m’adonne depuis à l’ingrate besogne de la fouille. J’œuvre sans rémission au vaste chantier. Espérant qu’au crépuscule de ma vie, je puisse découvrir au fond de ma fosse l’oubli des paillettes.

 

 

Les pieds posés au cœur du séisme, il n’avait de secousses à rendre. Sa terre avait perdu toute fermeté. Sur le sol, des plis et des bosses. Des travées d’ornières qui s’évanouissaient.

 

 

Un jour, il découvrit que l’ombre n’avait de tête. Mais mille visages sans reflet. Ni consistance. Et des masques attachés au vent qui glissaient sur ses yeux ébahis.

 

 

Il s’agenouillait parfois devant les ascètes et les anachorètes. Et toutes les fosses d’ébène où pourrissaient les chairs. Mais il restait de marbre (stoïque comme une stèle) devant les statuts et les postures des faces moribondes. Toutes les grimaces des survivants.

 

 

En d’autres terres, il aurait été moine. Mendiant. Ou saltimbanque. Mais en ce lieu, la vie le consigna à la tâche de scribe. Et de vigie. Humble veilleur fouillant de sa plume les recoins des ténèbres pour y dénicher un peu de lumière enterrée sous le sable et la boue. Sous toutes les écorces qui recouvrent les chairs.

 

 

Mille fois, il se perdit. Et retrouva à chaque égarement des allées sombres. Des chemins d’épouvante. Et des impasses ténébreuses. Un jour, ses pas terroristes firent exploser les paysages. Et les pavés jaillirent. Et de son enfer, les collines firent glisser sur ses joues mille pétales. Et quelques larmes de joie pure. 

 

 

Il marchait parfois sans tête. Et sans jambe. Comme un tronc rampant. Entravé, croyait-il, dans sa progression. Mais il était si soucieux de son allure qu’il s’entêta. Et au seuil de l’abandon, des ailes lui poussèrent au-dedans.  

 

 

Les poches alourdies de mille cailloux, il progressait. Alors que la marelle attendait son talon léger. Il ignorait encore qu’il aurait pu rejoindre le ciel en un saut de puce.

 

 

Devant l’immonde, ses yeux demeuraient tristes et emprisonnés. Mais son regard aveugle devinait pourtant derrière l’innommable la beauté des visages.

 

 

Ses ailes poussiéreuses (et collées à la cire) le désespéraient. Il y voyait une aubaine pour le diable caché à mi-hauteur du ciel (parmi les nuages).

 

 

Les provisions amassées au fil des saisons le gênaient aux entournures. Aussi tenta-t-il de s’en débarrasser, en distribuant toutes ses denrées à la ronde. Il rêvait (sans doute) de mourir les poches vides. Mais le sourire aux lèvres.

 

 

J’ai toujours abhorré la traite des marchandises. Piètre négociant certes, mais serais-je par devers moi un habile commerçant ?

 

 

Derrière le mirage des ombres, le soleil. Et sous le soleil, l’obscur se consume.

 

 

Sous les cendres, la braise. Et mes yeux voient derrière l’étendue du désastre tous les ciels printaniers à venir. Les fournées de nuages. Les cargaisons d’orages. Et la fulgurance des éclairs qui les traverseront.

 

 

Rien n’aurait pu entraver son regard. Sinon quelques cils racoleurs. Toujours soumis au reflet du miroir. Et aux yeux croisés au coin des rues.   

 

 

Le cœur prisonnier de sa gangue se brisait pourtant sous les coups de butoir du destin. Et fondait à la chaleur des rencontres. Il avait espoir de se laisser pénétrer par le souffle. Pour retrouver son office.  

 

 

Existe-t-il une route pour ceux qui n’appartiennent au monde et ignorent la destination ?

 

 

Il arborait avec modestie son ignorance. Il ne connaissait en effet ni son origine. Ni sa destination. Mais ses gestes reflétaient la beauté de ceux qui cherchent avec obstination parmi leurs incertitudes.

 

 

Il aurait pu oublier. Mais décida de se souvenir. Et se lia ainsi à l’origine des malheurs jusqu’à la fin des saisons froides.

 

 

L’herbe foulée sous mes pas pourra-elle repousser jusqu’au ciel ?

 

 

Comme une bordée d’herbes fraîches, il se soumettait à la faux du paysan. Conscient parfois d’œuvrer pour le grand laboureur.

 

 

Il lui arrivait de jeter un œil par-dessus son épaule. Et apercevait son enfance le rejoindre à grandes enjambées.

 

 

Aurais-je la force de mourir avec les yeux d’un nouveau-né ?

 

 

Quelques lambeaux du monde habillaient encore sa nudité. Et il avançait la face empourprée, avec ses masques en bandoulière.

 

 

Immobile sur le quai, il contemplait parfois les rails, l’œil hagard et la prunelle amusée sur la foule impatiente des voyageurs.

 

 

L’espace s’éternisait devant lui. Et s’effaçait sous son pas éphémère. Quelle dimension traversait-il ? Il l’ignorait. 

 

 

La destination toujours hasardeuse. Il n’en finissait jamais d’aller. Et de se perdre. Allait-il un jour s’effilocher au vent ?

 

 

Il pensait jouer dans le ciel (comme si l’azur était son aire de jeu). Mais son « je » gisait toujours au fond de ses entrailles. Inerte. Comme si la terre l’avait englouti. Mais loin (encore) d’être à l’agonie, il s’était tapi dans les replis. A l’affût des circonstances à venir.

 

 

L’erreur est condamnable. Du moins le croyait-il avant le périple. Après maintes corrections de ses pas, il dut marcher sur les mains, puis sur le nez, puis avec les talons, puis a été contraint de mettre un terme à sa marche. Seuls les paysages défilaient. Il admit alors la justesse de l’erreur.

 

 

Je m’agenouille parfois sous les cyprès. Toujours avide de m’offrir au ciel.

 

 

J’attends le retour des hirondelles. Les mains jointes. Assis devant le grand portail. Au seuil de la saison inconnue.

 

 

Pourquoi diable t’endors-tu au réveil ? Les barbelés sous l’oreiller t’auraient-ils écorché ? Alors pourquoi ces cicatrices sur ta joue ?

 

 

Il n’est de poète sans voix. Trouve ton souffle pour crier. Et l’appel sera fécond.

 

 

Pas de serrure dans la porte. Pas de porte sur le chemin. Pas de chemin dans le paysage. L’œil se promène en toutes contrées. S’arrête, baguenaude, confesse ses larmes à la prunelle qui lui fait face, explore, découvre. Ne trouve aucun signe tangible de sa présence. Et en rit jusqu’à l’épuisement.

 

 

Aux singes, il faisait la grimace. Autrefois.

 

 

Aujourd’hui, je ne mime plus. L’imbécillité s’est accrochée à mon sourire. Et me confère une juste aura. Je peux enfin marcher le sourire béat devant les singes qui se détournent à mon passage. 

 

 

Nulle place en ce monde. Toujours à marcher dans le vent.

 

 

Je m’arrête parfois derrière les dunes pour pleurer. Et noter mes pas sur l’écorce. Quelques empreintes sur le sable.

 

 

Il marchait d’un pas lent. La main de la solitude sur l’épaule. Si rassurante qu’il pouvait traverser les forêts sombres et les champs clairsemés du monde en sifflotant.

 

 

Les nuages nimbaient sa tête d’étoiles. Les talons insensibles aux clous du sentier.

 

 

Quand le tragique le terrassait, il LUI faisait un signe imperceptible. Et ELLE se montrait aussitôt, réconfortante. Encourageant un rire dans ses sanglots.

 

 

Il s’étonnait du monde encombré de solitude. Lui, le monde l’encombrait. Toujours fidèle à la solitude libératrice.

 

 

Son envergure le cantonnait à l’infini. Mais il restait prisonnier de son incommensurable ambition : l’horizon humain. 

 

 

Je rêve d’absolu. Et lorsqu’il m’arrive d’écarter les bras, mes doigts touchent (parfois) l’infini.

 

 

Sous couvert d’étoiles, les poètes croient toucher le ciel. Mais ils caressent à peine les brins d’herbes de leurs aisselles. Quelques-uns étendent leurs doigts jusqu’aux cimes des arbres sous le regard des grands chênes et des grands hêtres qui se gaussent de ces mains minuscules tendues vers le mystère.

 

 

L’ombre secrète des étoiles brille derrière les paupières closes. Invisible encore pour les yeux fascinés par le monde.

 

 

Mon sourire s’efface. Mes larmes s’effacent. Et mes yeux s’éparpillent derrière les silhouettes. Comme le signe d’une présence (presque) unifiée.

 

 

Il aurait bu à SES lèvres. Mais la coupe était sans bord. Comme un précipice sans paroi. Aussi son regard s’en détourna. Et il continua de marcher, heurtant tous les visages, dévisageant toutes les foules, ramassant quelques poussières tombées du ciel. Toujours assoiffé. Et toujours en quête de la source.

 

 

Un jour, je me suis assis sous le ciel sur un vieux canapé posé au fond de quelques paysages familiers. Pour regarder les hommes et le vent jouer dans la ramure des arbres. Et voir leur bouche se tordre de plaisir et de douleur. Moi, je demeurais lèvres closes. Parfois déroutées de leur emploi par un rire ou une larme que ma langue aussitôt asséchait sur l’écorce.

 

 

Autour de lui, la lumière s’égayait en spasmes bruyants. Et l’agitait d’un rire sous les sombres arcanes du ciel. Eclairant jusqu’aux allées les plus obscures du monde.

 

 

Il se sentait si seul que tout l’accompagnait. Partout des frères pour le soutenir. Et des sœurs pour lui indiquer la route.

 

 

Au fond de ses entrailles, il avait déniché un feu. Et il décida d’y brûler ses racines. Il y jeta d’abord quelques feuilles et quelques brindilles. Et sa ramure couverte de cendres observa la scène avec intérêt. Impatiente sans doute de se réchauffer après ces longues saisons désespérantes.

 

 

Mon passé regorge d’horizons. Et de ciels clairs. Mais les bourrasques poussent mon regard vers le large. Et j’attends le rivage où je pourrais m’étendre. Enfin à mon aise.

 

 

Dans chaque port, une barque attend mon passage. Et mon aptitude à la navigation.

 

 

Il ne cessait de naviguer entre des filets sans maille où les poissons prenaient parfois des allures de sirènes. Avec des bouches béantes et des têtes de pieuvres.

 

 

Les situations l’empalaient souvent jusqu’à la déchirure. Et pourtant, il se laissait  traverser sans égratignure. Mais il saignait toujours de ses blessures anciennes.

 

 

La volonté ne peut tenir lieu de béquille. Notre seul appui : le souffle qui surgit des origines.

 

 

Ma chair dépecée par les charognards laisse entrevoir aux hommes un autre ciel. Et toutes les pluies de sang à venir.

 

 

Seules les âmes transparentes percent les mystères de la climatologie.

 

 

Jamais il n’aurait abandonné les enguenillés à leur sort. Il se serait dévêtu jusqu’à la chair pour les habiller. Et revêtir leur âme. Mais il craignait de mourir dans une cabine d’essayage au milieu du désert. Loin de la foule insoucieuse des nantis et des mendiants.

 

 

Le contenu de ma besace ? Qu’importe ! A présent, je me fous de mon viatique comme de la guigne. J’aimerais le jeter au vent. Pour aller le cœur désabondé…

 

 

Il aurait tant aimé s’écarter des chemins, des bordures, des fossés et des ornières. Mais aucun miracle sur la chaussée. Toujours le même désert. Et la route à tracer.

 

 

L’ensablement est la seule consigne pour ouvrir le ciel à la terre. Mais peu s’y aventurent. L’asphalte est si confortable. L’étouffement et l’essoufflement, voilà la crainte des foules !

 

 

Il aurait gommé toutes les surfaces à coup de machette. Mais Dieu l’invita à déposer les armes. Et à prendre la plume. Pour laisser quelques taches d’encre en guise de sang.

 

 

J’ignore si les survivants ont jeté leur hallebarde pour une cithare ou une paire de sandales. Ma vocation aura-t-elle épargné quelques victimes ?

 

 

Les anciens visages le hantaient parfois. Mais il les savait en bonne compagnie. ELLE les aidait à apprivoiser leur solitude pour retrouver leurs frères. L’union réalisée, il ne pourrait imaginer plus belles retrouvailles.

 

 

Il s’empêtrait toujours dans son excès de liberté. Mais ses entraves le condamnaient encore à l’horizon des barreaux. La clé en équilibre dans la serrure. Et la porte déjà entrouverte.

 

 

Il aurait (sans doute) épousé le vent des déserts si Dieu avait voulu lui épargner les égouts des hommes. Mais la main dans la fange fut son apprentissage. Et sa délivrance.

 

 

La quête du salut. Comme les hommes se trompent, pensait-il parfois. Mais de cette erreur, il savait, que naîtrait la destination. Le départ des lieux grossiers. Et les pas sur les sentiers aux galets tranchants.

 

 

Il me faut à présent apprendre à voir Dieu dans les mains sales. Les gestes maladroits. Les prunelles aveugles. Et les bouches ignares. Mettre encore mille fois mon œil sur l’établi. Pour me laisser inviter à toutes les tables. Et devenir l’hôte de toutes les maisonnées.

 

 

Il n’avait d’yeux à fournir à l’avidité. Mais des gestes simples à offrir au dépouillement. Et un pas souple aux paysages. Pour éclairer le peuple qui l’habitait. Et toutes les foules du monde. Pour tous les siècles à venir.

 

 

L’horizon pour étrave. Et la mémoire pour sillon, je tangue sur le pont. Rivé à la barre. Toutes mes casquettes jetées en arrière. Et mon corps de brume en bandoulière. Je me saborderais volontiers. Mais l’équipage  m’a depuis longtemps déserté. Et je rêve encore de découvrir l’archipel. Comme un pauvre marin qui n’a jamais (vraiment) quitté ses terres. Et abandonné son espoir d’horizon. Toujours la lune brille au loin sur mes lignes de fuite. Quand donc les rivages commenceront-ils à s’effilocher dans le bastingage?

 

 

Il était là. Présent au creux de l’immensité. Et nul regard pour s’en émouvoir. Nulle main pour l’applaudir. Seul face à ELLE. Merveilleusement seul et un peu triste. Il s’égayait avec nonchalance. Sans fracas. Sans perte. Sans gloire. Sans attache. Seul et libre de s’enchaîner à toutes les parois. A tous les piloris qu’il s’était échiné à construire, malgré lui, pour se protéger du monde.

 

 

ELLE l’observait de ses mille visages éparpillés. Mais l’opacité de ses (propres) prunelles le glaçait d’effroi. Accrochés à ses paupières, ses yeux ternes lui éclataient au visage. 

 

 

Le ciel bleu entrave mes pas sous les branchages. Que faire des brindilles et des ramures ? Des mille piaillements sur les branches ? Pourquoi suis-je si peu disposé à jeter chaque nuit un œil sur l’écorce ? A peine curieux du reflet de la lune qui la recouvre ? Mais toujours soucieux d’éclairer le peuple des arbres.

 

 

J’entends toutes les solitudes du monde qui appellent - sans espoir ou avec trop d’espérance parfois - cette présence de leur cri et que leur yeux ignorent ou bannissent, fouillant de leurs prunelles tristes et avides, parmi les visages une chaleur que nul ne pourrait leur offrir et qu’ils portent déjà en eux enfouie. Au cœur même de leur chair. 

 

 

Dieu s’invitait parfois dans son désert. Mais il ne savait encore le distinguer dans les cris et la prunelle des foules. Lorsqu’il entendait les hommes gémir et gesticuler, il s’empressait de sauter de son balcon - suspendu au-dessus des têtes - pour mordre chaque mollet. Comme un jeune chien fou, ne sachant reconnaître dans le troupeau les brebis prêtes pour la traversée.

 

 

Il pesait de tout son poids sur la branche, comme un fruit trop vert, incapable encore de se détacher. L’arbre patientait. Sans réprobation. Sans espoir. Imperturbable sous le sourire attendri de la lune et le gloussement des étoiles.

 

 

Les portes dorées abritent maints dédales tragiques propices à l’égarement. Mais qu’elles cachent des porches inespérés, nul, au cœur du labyrinthe, ne peut l’ignorer.

 

 

L’envahissement de l’eau. Ma chair submergée du dedans et du dehors. Etre engouffré dans la déferlante.

 

 

Il jetait parfois à la volée quelques cailloux vengeurs sur le visage des passants. Pour toucher la flamme enfouie au fond de leur âme et la redresser vers le ciel.

 

 

Il rêvait que jaillisse des eaux profondes, l’arbre unissant la terre et le ciel pour que se ravive enfin le feu qui enflammerait la terre. Mais l’aridité le ramenait sans cesse à son désert. Un désert qu’il lui fallait pleinement apprivoiser. Et habiter. Avant que n’éclosent les premiers pas fraternels.

 

 

Il lui fallait (aussi) apprendre l’étreinte caressante sur les formes vivaces et orgueilleuses. Et sur la matière inerte ceinturée par le désespoir des vivants.

 

 

Nul n’avait encore jamais salué son geste ni les griffes qu’il avait en guise de doigts. Elle seule, connaissait l’intention du geste.

 

 

Il espérait qu’Elle éclaire ses pas. Et ses nuits. Mais Elle ne cessait de s’éloigner en silence (du moins le croyait-il). L’abandonnant à son désert. Exigeant sans doute qu’il creuse davantage - au-dedans de sa chair - pour faire jaillir la source. Et qu’on puisse s’y abreuver enfin. Mais il était si impatient de poser quelques jarres sur le chemin pour apaiser la soif des hommes - encore trop ivres et trop avides de leurs maigres fioles pour goûter à la saveur de l’eau dont ils étaient déjà emplis - qu’il n’avait conscience de sa propre ivresse.

 

 

Seul dans l’hiver. Et le printemps qui tarde à venir. Quand donc cesseront les saisons ?

 

 

Il s’empêtrait parfois dans ses jeux de saveur. Prisonnier des mouvements qui le traversaient. Il tentait de les saisir. Se laissait détenir. Les retenait. Et se laissait encombrer.

 

 

Un jour, assis au milieu du feu, il se laissa dévorer le visage. Mille bêtes voraces fondirent sur lui. Il les accueillit le cœur palpitant. Les yeux clos et la bouche déformée par la peur. Mais en place du festin, il recouvra une vue nouvelle. Et les mille bêtes aussitôt se dispersèrent. Et se transformèrent en une femme sans âge. Tantôt accorte et maternelle, tantôt amante et fiévreuse. Tantôt douce et caressante. Tantôt énergique et mordante. Il finit par l’épouser. Leur union fut longue et savoureuse. Comme un avant-goût (sans doute) de leurs noces éternelles.

 

 

Autrefois, je me terrais derrière quelques palissades pour mener à bien mon chantier. Aujourd’hui, nul édifice et nulle construction en vue. Mais des nuages de poussière et des terrains vagues - vastes comme l’océan - que je contemple, le sourire aux lèvres. Et la gorge déployée devant les gratte-ciels alentour.

 

 

Autrefois, je susurrais des mots sans joie que je jetais contre les vitrines. Et sur les passants ahuris. Aujourd’hui, je me soumets à la poussière. Emerveillé devant les monticules d’argile, les éboulis et les gravats. La condition de l’univers.

 

 

Nulle déviance en mes gestes. Et nulle déviation sur mon chemin. L’itinéraire est à présent sans importance. Chaque lieu est un voyage.

 

 

J’ai toujours tenu le souffle en haute estime. Mais pourquoi ai-je tant négligé la respiration ?

 

 

La magie opérait parfois. Il s’imaginait alors magicien. Mais seule, la baguette dans son regard dansait. Et l’invitait à tournoyer, émerveillé, avec le monde.

 

 

Dans ses jours d’égarement, il déménageait en tous points ses opinions. Ne sachant où les poser, il les rangeait en tous lieux. Libérant ainsi l’espace.

 

 

Après maintes batailles, il finit, de guerre lasse, par conquérir ses défaites. Et apprit à sortir victorieux de tous les armistices.

 

 

Un jour, il s’agenouilla en ses terres. Et enterra tout désir de conquête.

 

 

Un soir, il rompit sa chair. Et la partagea. Et la terre (en retour) lui offrit mille corps vaillants et victorieux.

 

 

Il traversa de nombreux gouffres. Et y découvrit quelques cimes.

 

 

J’ai toujours combattu mes démons (avec rage et âpreté). Avant de me résoudre à les convertir en frères.

 

 

Il apprivoisa l’incertain. Laissa l’horizon se dessiner. Renonçant - malgré lui- à savonner la pente où il glissait.

 

 

A l’issue du premier puzzle, les pièces s’effacèrent d’un souffle. Et retrouvèrent l’espace vierge. Au suivant, il laissa les forces en mouvement trouver l’agencement des éléments. Il y participa sans un regard sur ses défaites et ses triomphes. Savourant chaque pas. Et partout la présence. Situation après situation. Evènement après évènement. Sans impatience, ni ambition. Dans le mystère de l’origine et de la destination. Satisfait (simplement) des combinaisons en élaboration.

 

 

Je voyagerais comme un vagabond émerveillé du trésor qu’ELLE porte en nous partout où nous allons. Ensemble...

 

 

J’ai dû renoncer à son oreille. Et à mille oreilles, j’ai dû me confier. Quelques-unes m’ont écouté. Mais toutes ont fini par s’éloigner, lassées par mes bavardages et mes plaintes. Une s’est attardée plus longuement au creux de ma joue, appuyant sa chair contre mes lèvres. Mais elle aussi finit par s’écarter. Et m’abandonner à la solitude. Je dus alors confier ma peine aux arbres, au vent, à la nuit, au ciel, à la terre, aux pierres et aux nuages. A toutes les herbes folles du chemin. Et (Ô miracle !) une voix en moi accueillit ma plainte, me consola et fit naître un sourire sur mes lèvres. Aujourd’hui encore, cette voix m’accompagne. Et chaque jour, je continue de lui confier mes rires et mes larmes. Mes gestes, mes pas et ma parole. Elle ne me quittera pas. Jamais. Attachée à ma présence comme je le suis à la sienne. Je suis seul et sommes deux à présent. Et nous allons ensemble, délivrés de toutes ces voix passées, offrir notre parole (une autre parole) à tous ceux qui fouillent désespérément les visages, leur dire de s’ouvrir à une chaleur qui les habite et que nul autre ne peut leur offrir.

 

27 novembre 2017

Carnet n°27 Au seuil de la mi-saison

Journal / 2008 / Le passage vers l'impersonnel

Toute vocation naît d’une blessure… d’une cicatrice mal refermée, mal oubliée, d’une injustice ressentie… elle prend souvent la forme d’une réparation… parfois d’une revanche… d’autres fois d’un refuge… comme si l’inconscient qui nous enjoint d'agir cherchait la guérison… Toute vocation, petite ou grande, artistique, scientifique, sociale, professorale, humanitaire est une longue tentative de refermer cette plaie…

 

 

Chaque nuit, assis devant ma table, j’écris. Soucieux de mener à terme les différents manuscrits en cours. Parfois le souffle fait défaut. Je note alors sur ce carnet les mots, les pensées, les intuitions qui viennent me délivrer, du moins le crois-je, du néant… d’où - sans doute - le caractère nocturne, répétitif et décousu de ces pages…

 

 

Assis devant mon écran, les mains posées sur la table basse où j’ai coutume de travailler chaque nuit. Sur l’écran, la page blanche en attente. Le curseur clignotant. Scandant les secondes. Egrainant les heures qui s’écoulent. Etirant la nuit sans fin.

 

 

La vie. En éternel mouvement. Les formes qui se croisent, s’imbriquent, se frôlent, se caressent, se heurtent, se blessent, s’éloignent, se retrouvent, échangent, se réconcilient, repartent. Rebondissent. Suivent leur cours (indéfini) tissé dans la toile. Se réinventent. Sans cesse. 

 

 

Ce que tu ne peux vivre, écris-le.

Ce que tu ne peux écrire, vis-le.

Tu seras tout. Pour découvrir ce que tu es. Ta véritable nature. Ta seule identité.

 

 

Fais de tes expériences la matière brute de ton chemin. Et de tes découvertes, la substance de ton cheminement. 

 

 

Tu œuvres sans relâche à la meurtrissure de l’éphémère.

 

 

Ta puissance créatrice confine au néant. L’infime seul s’invite sur tes pages.

 

 

Le vide t’appelle. Et tu n’y réponds que par l’esquive.

 

 

Tes perceptions te désarçonnent. Assis sur leur monture, elles t’emballent. Et tu ne sais comment leur tenir la bride.

 

 

Tu aimerais. Mais jamais tu n’aimes (tu ne sais pas aimer).

 

 

Le noir se décolore parfois. Avant de retrouver son éclat. Tu ne brilles que par ta noirceur. Un obscur étincelant. Tout ce sombre en toi qui t’aveugle. Quelle tristesse !

 

 

Le noir t’ensevelit. Tu t’endeuilles (malgré toi).

 

 

Le vide. Une matière creuse où s’entortille ton âme resserrée. Flétrie. Asséchée.

 

 

Tu ramasses les pensées comme d’autres fouillent les poubelles. Tes phrases. Des bouts de pelures. Et tes pages… des paniers d’immondices. 

 

 

Ta quête de l’universel tire (sans doute) son origine dans ton sempiternel sentiment de non-appartenance. Si tu étais parvenu à t’affilier à un quelconque groupe, ce rôle t’aurait probablement contenté. 

 

 

Tant d’années de recherche, de quête fébrile pour parvenir à ce sentiment dévastateur d’immobilité. Te serais-tu donc fourvoyé ?

 

 

Tu  t’encombres. A quand les diables qu’on te débarrasse !

 

 

Cesse de te regarder par ton œil fixé en ton centre. Adopte le regard de l’horizon. Seul chemin pour découvrir la diversité (merveilleuse) alentour. Et l’infini. Partout.

 

 

Ton honneur est sans cesse bafoué. Peut-être te méprends-tu sur tes batailles ?

 

 

Cette sempiternelle et odieuse nécessité d’écrire…

 

 

Empiler les mots chaque jour sur tes pages. Empiler les livres au fil des ans. Dans quel but ? T’ensevelir sous tes feuilles ?

 

 

La situation est ton seul maître. Elle t’invite à agir - paroles et actions - à ta mesure. Selon ta juste compréhension du moment. Espace d’interactions tangibles avec le monde (les êtres humains en particulier, les objets, les paysages et l’espace).

 

 

La solitude (ton retrait temporaire et régulier du monde) est ton seul espace de pensées. Elle t’invite à recueillir et à méditer les leçons de l’action (de l’agir et de la parole) et de l’être. En dépit de l’existence d’interactions non-tangibles avec les êtres - humains en particulier - et d’interactions tangibles et non tangibles avec les objets, les paysages et l’espace.

 

 

Le reste du temps n’est que sommeil - absence de conscience (divertissement et repos).

 

 

Voilà définis tes espaces d’action, de paroles, de pensées. De non action, de non-paroles et de non pensées. 

 

 

Ta conscience est ton bagage. Tes actes, tes vêtements. Et la nudité, ta destination.

 

 

Tu poursuis ton chemin en ôtant tes guenilles… dévoilant les atours somptueux de la nudité…

 

 

Une seule phrase emplit parfois ta nuit. Et le jour dépeuplé s’enfuit.

 

 

Un seul être peuple tes paysages. Un monde aux confins des solitudes. Un monde à l’exclusivité écrasante qui piétine tes terres, se répand sur ton territoire, envahit tes contrées (psychiques), blesse ton cœur écrasé d’absence.

 

 

La foule moribonde sur l’esplanade s’enhardit à l’appel de son nom. Redresse la tête, parcourt l’assemblée de son regard arrogant, l’orateur (pétri d’orgueil) jubile.

 

 

Accablé de verticalité, tu courbes l’échine. Sur la route sinueuse. Et inattendue…

 

 

Des yeux. Des larmes qui coulent. La tristesse qui transpire sous les paupières…

 

 

L’attente qui s’assèche offre des pluies de joie. Don du ciel aux laboureurs confiants, le regard humble tourné vers la terre, le sourire au bord des lèvres, heureux de leur sol décharné et infertile. Et de leur soc ravageur.

 

 

Grandiloquence de l’orateur sans voie. Aux intonations tonitruantes qui grondent dans l’assemblée et s’éteignent au cœur du silence. Et dans le silence des cœurs.

 

 

Réel sans âme déréifié par le regard de la conscience. Etres, objets, paysages, assemblements de matière revisités par la conscience qui perçoit s’éclairent… s’animent…

 

 

Les identités piétinées révèlent la vérité. L’âpre vérité qui chagrine les cœurs repliés (et gonflés d’eux-mêmes) assemble les cœurs fragmentés. Et enchante les âmes dévêtues… dépouillées d’elles-mêmes…

 

 

Les bourrelets des portes-feuilles et des ventres repus, obstacles naturels à la faim ardente…

 

 

Paroles fertiles sur les terres décharnées arrosent la graine à éclore… l’invisible graine qui sera l’épi merveilleux. Le blé du monde. Qui nourrira la joie des êtres…

 

 

A hauteur de détritus, le tas d’ordure devient trésor… balcon luxueux où se pose la joie.

 

 

L’interstice est l’espace miraculeux où l’éternité s’invite. Et s’étire…

 

 

L’exil est un territoire peuplé de séparations mensongères. Il n’éloigne que des attachements apocryphes. Nul exil ne déracine les liens véritables…

 

 

Tu expérimentes l’involontaire désertion identitaire, cet espace de dépersonnalisation qui amplifie les liens…

    

                                                                           

L’être advient au seuil des marches. Mais l’ascension demeure mystère…

 

 

Un fardeau de vent. L’illusoire boulet attaché à tes pas. Le poids incommensurable du monde (l’histoire des mondes) enchaîne et meurtrit l’esprit, mutile le corps et ensanglante les paysages et les âmes rencontrées en chemin… 

 

 

Dans l’étable, l’odeur du foin. La chaleur enveloppante et écœurante de tes congénères. Bovins à l’œil placide.

 

 

A quoi s’exerce la fleur ? Et à quoi œuvrent les étoiles ?

 

 

Nul n’ignore l’activité des abeilles, des fourmis et des Hommes. Mais quelle est la fonction d’un être (la raison d’être d’un Homme) dans la trame du monde ? Et sa tâche au sein du vivant ?

 

 

Vérités magnifiées par la nuit ? Par ton espace de solitude (lumineuse) au cœur des nuits ? Toujours assombries, toujours démagnifiées, ordinarisées par le contact et le regard obscurcissant du monde lorsque le jour se lève…

 

 

Ces mots qui apportent la joie…

 

 

Ces vérités qui s’invitent dans la nuit…

 

 

La retranscription des perceptions, des intuitions reliantes… serait-ce ton rôle ? Le rôle que tu attribues au labeur de tes pages ?

 

 

Comment concilier l’œuvre sage du temps (de la durée) et la fulgurance de l’instant ? 

 

 

Rejeter les êtres, les objets, les sentiments, les évènements est le plus sûr moyen de se séparer de nous-mêmes… ne rien rejeter, le plus sûr moyen de se réconcilier… de se retrouver… 

 

 

L’erratique cheminement te déroute. Alternance d’amplifications et d’effritements égotiques. Sans qu’advienne nul effort de la volonté. Mûrissement naturel de la conscience… ? Survenances fortuites…? Fruits d’une démarche d’intériorité… ? 

 

 

Ballotté au gré des perceptions (tantôt en surcharge égotique tantôt en allègement), comment leur accorder ta confiance ? Les unes alimentent tes peurs, ton sentiment de séparation, tes névroses et t’enjoignent à la protection, les autres t’invitent à l’ouverture, aux liens, à la confiance. Tu devines la justesse des secondes qui te conduisent à un état que tu supposes naturel de non séparation, de non anxiété…

 

 

Toute rencontre advient dans le lien découvert (re-dé-couvert)… sans lien (perçu), nulle rencontre, au mieux un échange égocentré réciproque, au pire une instrumentalisation unilatérale de l’autre…

 

 

On instrumentalise l’Autre en investissant (et consommant) l’intérêt qu’il offre (souvent) à son insu… et qu’importe (d’ailleurs) s’il en a conscience…

 

 

Grain de sable. Infime particule sur l’infinie étendue. Accolé à ses frères. Perdu dans l’immensité. Criant sa singularité. Balayé par les vents. Ecrasé par ses frères. Des milliards de frères pesant de leur poids infime.

 

 

L’immatérialité des mondes personnels, pures entités conceptuelles que nous figeons (comme autant de repères rassurants) en socles (stables, définitifs et éternels) sur lesquels nous bâtissons notre identité et notre existence. Cet enchevêtrement de mondes personnels complexifie le réel à outrance. Comment percevoir avec justesse ce qui est… ? Avec un regard déségotisé… ?

 

 

Juste ce qui est. Certes. Mais que faire des couches surimposées au réel (à ce qui est)… ? Ces couches innombrables ne sont-elles pas, elles aussi… ? Certes, elles sont dans le sens où elles influent sur nos perceptions… mais elles n’existent pas sans notre regard… elles n’existent que par notre regard qui leur donne une consistance (une existence) en les intégrant, en les incorporant… alors que faire ? Les accepter lorsqu’elles nous semblent réelles (alors qu’elles ne le sont a priori pas) et œuvrer à leur lente désagrégation…

 

 

Le guide suprême de notre conduite… ? La situation.  

 

 

Le fil des menaces est rompu. Sur la corde raide, tu te tiens…

 

 

Séparation. Un effroyable sentiment d’arrachement. Une atroce amputation. Tu comprends à présent ton angoisse de l’abandon. 

 

 

Leçon de pragmatisme. Ne dis rien. Ne conseille pas. Sois… et agis… le reste est sans effet… (inutile et inopérant…)

 

 

A quoi bon se lamenter ? Une façon supplémentaire de suivre le cours (tortueux) de son chemin égotique imaginaire… toujours le même faux pas dans cette impasse inexistante… (irréelle, i.e qui n’existe pas excepté dans notre psychisme, le petit film torturé du mental)

 

 

Mille raisons de s’y fourvoyer chaque jour. Eternellement.

 

 

Ce recul nécessaire pour se voir de haut (d’en haut?), pour se voir penser, dire, ressentir, agir comme s’il s’agissait d’un autre… un autre comme les autres à se débattre avec (et dans) le monde…  mais qui voit? Cette entité consciente qui n’est pas moi… cette conscience non identifiée à la personne que je crois être… et que les autres (et souvent moi-même) perçoivent comme entité réelle… cette entité qui a son existence propre (au-delà de nous-mêmes) et à qui l’on doit donner autonomie pour ne pas l’identifier à nous-mêmes au risque (une fois de plus) de nous juger, de nous blâmer… cette entité consciente a l’œil bienveillant (et jamais accusateur), elle cherche à nous aider (jamais à nous condamner), à nous apprendre à regarder nos misérables petits drames comme des jeux à la fois essentiels et sans importance, à rire de « nos » faiblesses et travers, à prendre du recul, à lâcher notre crispation sur les évènements personnels…

 

 

Ces remises en question incessantes sur soi, son existence, son avenir… les choix opérants (les choix « justes »), cette mesquine façon d’assurer son existence… toujours à l’œuvre…

 

 

Toujours ce désir (pitoyable et hilarant) de vouloir le beurre, l’argent du beurre, le pot, la crème et la crémière… le magasin et l’arrière-boutique… et les terrains alentour… insatiable avidité. L’appétit dévorant.

 

 

Il faut sentir peser le fardeau jusqu’à l’immobilité pour percevoir enfin son contenu : le poids du vent… léger… léger…

 

 

Toujours cette blessure des autres. Ou cette déception. A quand l’immunité ? Quand on acceptera d’être meurtri peut-être… viendra alors (sans doute) le temps où l’on ne craindra plus… rien ni personne car s’ancrera la certitude que nul ne peut nous atteindre…  nous sommes déjà invincibles… mais pourquoi ignorons-nous si longtemps cette difficile évidence… ?

 

 

La jeunesse vit et loue l’instant… le vieillissement fait prendre conscience de la durée (que les êtres et les objets - moins souvent les paysages - s’inscrivent dans la durée… que chaque instant détermine l’instant suivant… et donc que la façon dont nous traitons les corps et les objets aura une réelle incidence sur leur devenir… le vieillissement apprend la durée… apprend à prendre soin et à faire durer… et moins à « profiter » (quoique !)…

 

 

Le ciel est noir pour l’œil aveugle… gris pour les myopes… bleu pour les inconscients… rose pour les optimistes (indécrottables)… transparents pour les sages… et toi, en levant la tête, tu découvres un patchwork insensé… une myriade de couleurs qui se mêlent, s’emmêlent, se chevauchent… un ciel de brume colorée et changeante qui brouille la vue…

 

 

Que penser de soi (égotiquement) quand les autres (le monde) vous rejette(nt) ou vous exlu(t)ent ?

 

 

Tu appartiens au peuple de la nuit et du silence… quand les hommes ont déserté le monde, tu reviens chez toi. Tu retrouves ta terre…

 

 

La jubilation, le sentiment jubilatoire quand apparaissent les lettres sur l’écran…

 

 

Ecrasé de médiocrité, tu t’enterres dans le sillon macabre où t’attend l’éternité… Remue-toi donc, fainéant ! Et avance !

 

 

Sempiternel sentiment d’enlisement. L’immobilité et l’emprisonnement auront été tes barreaux. Eternel prisonnier de l’insatisfaction…

 

 

Recherche d’une musicalité du langage. Des mots labourés au cor. A la trompette des morts.

 

 

Se fourvoyer jusqu’aux confins du désespoir. Et parvenir au-delà de l’immobilité pour avancer enfin…

 

 

Ce besoin d’écrire… n’a d’égal que ton incapacité expressive (et littéraire). Comme ton besoin d’amour n’a d’égal que ton incapacité à aimer…

 

 

Nulle reconnaissance à tes lignes. Nul encouragement à tes livres. Voilà le couronnement de ton œuvre. Voilà le sacre de ton insuccès. Le plébiscite de l’indifférence.

 

 

Quelle est ta mission ? Tu as beau y réfléchir, laisser place à l’intuition… quelques vagues réponses : l’écriture (qui ne rencontre aucun écho… y a-t-il eu un auteur moins reconnu que toi ?), la quête de la vérité, le travail et le cheminement intérieurs… fantasmes égocentriques comme autant de puissants (et dérisoires) barrages au réel et à la véritable progression… 

 

 

Toute menace est intérieure. Le véritable ennemi est en chacun. Et il faut apprendre à l’aimer comme un frère…

 

 

Toutes ces phrases jetées en pâture à l’indifférence… mais pour quelle raison s’intéresserait-on à elles ? Pour quoi rencontreraient-elles un écho ? Comme ton cœur, elles manquent de résonance… Elles ne regorgent que de toi-même… aucune place pour le monde…

 

 

L’écho blafard des lettres dans le cœur des hommes. Et ta voix atone qui s’essouffle…

 

 

Nulle puissance créatrice en tes mots. Quelques gravillons jetés dans la mare.

 

 

Il est des êtres (et en particulier des Hommes) qui sont comme des diamants. Ils sont rares, brillants (et sans doute précieux). Quelques-uns sont comme des pierres précieuses et semi-précieuses. Mais la plupart - dont tu es - ne sont que des gravillons. On les jette sur le chemin pour combler les ornières. Simples éléments du décor. Poussières dans le paysage. Rien de plus.

 

 

Voir le monde avec l’œil du lapin dans cet univers de chasseurs et de renards… Aimer l’eau de la casserole qui vous attend. S’offrir avec délice à la dentition du prédateur…

 

 

Le sillon que creuse chaque homme est un fossé qui le sépare du monde. Et peut-être (en définitive) l’en rapproche…

 

 

Et dire que tu ignores pourquoi on vous trouve (toi et tes livres) si peu fréquentables ! Arboreriez-vous le visage de l’antipathie ? Oui, vous invitez (tous deux) à l’aversion. Et à l’éloignement…

 

 

La mort des exigences fait éclore la présence du réel désencombré de soi (de ses désirs, de son imaginaire, de ses fantasmes). Elle redonne la place à la situation, à la gratitude et à l’émerveillement. Mais comment s’émerveiller éternellement de l’insignifiance et de l’ordinaire ? Et comment se contenter de situations si récurrentes et si peu exaltantes ? La « surprise » et « l’intérêt » naîtraient-ils du regard a-comparatif et sans cesse renouvelé ?

 

 

Toutes ces impasses, ces ornières et ces avenues interdites. Pauvres passants. Immobiles et frustrés…

 

 

Creuser son sillon pour avoir l’illusion de progresser sur son dérisoire chemin…

 

 

Je suis un cloporte aux mille pattes immobiles. Coincé dans son trou. Embourbé dans son sillon. Sans espoir de sortie. Voué au temps qui passe. Et à l’ornière. Jusqu’à la mort.

 

 

Pour quoi la sensation des mots écrits au cours de la nuit s’étiole à la naissance du jour ? Le soleil donne à tes pensées nocturnes un goût de stérilité… une odeur commune et triviale qui les confine au sous-sol. Des graines sans espoir d’envolée…

 

 

De quoi sont faîtes les entrailles du poète ? Et son cœur ? Chez toi, tout est enrobé de matière intestinale…

 

 

Tu es un poète sans pays. Apatride du langage, tu cherches ta langue. Et ton peuple.

 

 

Tu es le seul habitant de ta contrée. Une île au cœur du néant où le rien pousse comme du chiendent. Ecrasé par l’horizon des continents où se pressent les mangeurs de chair…

 

 

Exilé de nulle part, tu erres vers ta provenance…

 

 

Rivé à ton écran comme à une tour d’incontrôle… garant de l’espace où rien ne se passe… où rien ne passe (ni décolle, ni atterrit…). Un désert où ne vivent (n’apparaissent et ne disparaissent) que les mirages…

 

 

Existerait-il seulement une matière, une discipline, un champ pour lequel la nature t’aurait doté d’une quelconque grâce… ? Tu ne te distingues que dans l’insignifiance et n’excelle que dans la médiocrité… voilà une piste… un départ encourageant, non ? Mais combien sommes-nous ? L’ordinaire à la volée pour tous les communs des mortels…

 

 

L’ombre est ta demeure

Elle te couve sous son aile comme une poule.

Poussin de la nuit

Orphelin du soleil tu demeureras. 

 

 

Ecrire un poème avec ta voix, ton souffle, ton langage… rien qu’une fois. Sans peur de l’ordinaire, du trivial, du commun, du médiocre. Essaye… et hop! Voilà l’exercice accompli !

 

 

Si tu n’avais d’œuvre à écrire, pour quoi ressentirais-tu le régulier jaillissement de cette matière… le cri des mots qui forcent la paroi et n’aspirent qu’à sortir de leur gangue ? Et dont l’écho du monde te renvoie à ton silence…

 

 

Regarde la nature de la relation que tu entretiens avec tes expériences… baromètre de ta conscience inconsciente. Ton mental à l’œuvre. Un instantané de tes automatismes. Un flash conscient de ta sphère inconsciente…

 

 

Sans lignée familiale. Orphelin du monde, tu cherches ton ascendance…

 

 

Une recherche éperdue d’appartenance à l’être. Tout être sans exception. Dans la dimension où le rien rejoint le Tout…

 

 

Vivre jusqu’aux plus infimes et extrêmes expériences. Vivre sans limites. Et sans limitations.

 

 

Ton seul socle : l’espace

 

 

L’espace comme point d’appui et panorama des formes qui s’y meuvent, formes objectales qui apparaissent, naissent, se croisent, se rencontrent, se heurtent, se frôlent, se caressent, disparaissent…

 

 

Toute rencontre est un instant… quelques millièmes de seconde, quelques décades, plusieurs siècles, des millénaires… des années-lumière… instants…

 

 

L’éphémère dans la durée…

 

 

Entrer pleinement dans l’expérience avec le regard qui surplombe… la conscience attentive à l’espace où se meuvent les formes (les objets)… une clé peut-être pour rester dans le réel… rester connecter au réel…

 

 

Une seule règle : être présent (et en harmonie avec) l’éternel - le permanent -  mouvement de la vie.

 

 

Le silence enveloppe le chaos des formes.

 

 

L’imperméabilité du monde. Où se terrent donc les failles ?

 

 

L’expérience nourrit notre lecture du monde. Elle enrichit notre grille de lecture (du monde), l’affine, l’approfondit, la transforme parfois… mais à quelle fin… ? Puisque notre grille de lecture nous éloigne du réel (de ce qui est)…

 

 

Une des fonctions phares que tu t’attribues : tenter d’aider tes frères humains à porter un regard plus fraternel sur leurs frères à quatre pattes (à plumes, à poils et à écailles) et sur la différence (en général).

 

 

Une autre : celle de progresser dans ton « travail intérieur », cheminement qui pourrait se décliner de 3 façons : apprendre à être (présent, sans attente, sans exigence, le cœur gratifiant à ce qui est), mieux vivre en compagnie du monde (et plus largement avec le réel), et en ta compagnie. 

 

 

Une autre encore : aider le monde (les êtres, tous les êtres) à cheminer pas à pas vers la vérité…

 

 

Tes principales fonctions (celle du moins que tu t’attribues) : progresser, témoigner, impulser…

 

 

Le fordisme comme aberration.  Optimiser les moyens jusqu’à les transformer en objectif. Rationalisation et productivité pour augmenter les profits… réifier les êtres (Hommes – ouvriers à la chaîne et animaux – animaux de batterie) pour accroître ses bénéfices…

 

 

Le capitalisme comme ignominie. Exploiter le monde (êtres et matières) pour accroître son bénéfice personnel…

 

 

Le fordisme comme instrument du capitalisme. Rationaliser pour accroître son profit…

 

 

Le capitaliste n’a qu’un seul souhait : accroître indéfiniment sa part du gâteau. Se gaver sans s’interroger sur l’existence et les conditions d’apparition de ce gâteau, sur son utilité, la façon de le partager…, sans s’interroger sur la présence des autres convives (sinon pour les empêcher d’en manger…). Le capitaliste n’aspire qu’à se bâfrer. Et à remplir ses tiroirs pour se prémunir d’éventuelles périodes de pénuries. Le capitalisme est une goujaterie. Et le capitaliste un goujat égoïste. En « bonne société », on évincerait le goujat de la table. Celui qui s’arroge la plus grosse part en empêchant les autres convives de se servir… ou en les éjectant de la table (en les faisant tomber de leur siège par ruse, intelligence ou force)… ou en niant leur présence (en passant de mesquines alliances). Voilà qui est faire la part belle à l’abject égoïsme qui gouverne les êtres ! Mais on le tolère (et pire on l’encourage et l’encense) à la table du monde. Une totale hérésie ! Chaque être (malheureusement) est, en dépit de ses bonnes manières apparentes, profondément goujat (moi d’abord !). Voilà pour quoi chacun s’adonne à la goujaterie ! Et défend outre sa part de gâteau, la manière « capitaliste » de se l’approprier. 

 

 

Lutter contre le capitalisme (la meilleure façon de lutter individuellement contre le capitalisme) est d’apprendre le non-égoïsme… y compris lorsque l’on rejoint une lutte collective… combien d’ouvriers, de syndicalistes, d’ «hommes de gauche» font-ils preuve de non-égoïsme dans leur vie personnelle et dans leur engagement collectif ?

 

 

Il y a en toi un conflit entre la lutte et la paix… entre la résistance et l’acceptation de ce qui est (accueil du réel et de son évolution… l’évolution du monde en général et de la société moderne occidentale en particulier). Tu éprouves un double et irrésistible besoin de lutte et d’acceptation. Partisan scindé qui ne cesse de changer de camp…  et d’orientation.

 

 

Nul ne sert de croire. Il faut ressentir… La croyance ordonne et contraint (elle oblige), le ressenti appelle et invite. Le bâton et la carotte. Encore que pour avancer, tout dépend, bien sûr, de l’âne ! Et de ses œillères !

 

 

Toute réelle transformation implique une évolution de l’être… de l’être au monde… et donc de l’agir sur le monde. Le reste n’est qu’illusion ou simples prémices à la transformation…

 

 

On ne peut se cantonner à une acceptation du réel (de ce qui est) sans un travail sur une perception, une appréhension et une compréhension plus juste de ce qui est… puisque ce qui est dépend en grande partie de notre façon de le voir, de le sentir, de l’appréhender. Autrement dit, ce qui est demeure ce qui semble être (ce qui nous semble être) jusqu’à une perception juste du réel. Voilà peut-être (pour l’instant) l’une des rares critiques que l’on pourrait émettre à l’égard des spiritualités pragmatiques non métaphysiques (comme certaines écoles zen dénuées de toute idée de transcendance) et les nouvelles spiritualités telles celles de E. Tolle et autres nouveaux gourous du siècle. Par exemple, si j’éprouve une souffrance ou une émotion quelconque, il y a fort à parier que cette souffrance ou émotion soit longtemps perçue par la plupart des Hommes comme la leur ou traversant leur conscience personnelle… et ce qui est perçue (à un instant ou à une période donnée) ne correspond sans doute pas à ce qui est réellement.

 

 

Un grand sentiment de bonheur quand l’horizon s’éclaire… lorsque l’on sent monter en soi le champ des possibles… lorsque l’enthousiasme vous submerge… et que vous touchez du doigt  l’envisageable transformation que vous pouvez offrir à votre existence… lorsque vous sentez à votre portée un projet personnel en harmonie avec ce que vous estimez votre place et votre mission en ce monde…  le dernier en date :  créer des photographies reconstituées ou composées (en très grands formats) et de courtes pièces théâtrales mettant en scène des hommes dans les conditions d’existence où les êtres humains confinent les autres espèces animales (ex : les poules de batterie, l’élevage intensif des porcidés…). Titre provisoire de l’expo : des Animaux et des Hommes.

 

 

J’aime les périodes de créations. Elles se révèlent le plus souvent très chaotiques. Porteuses d’un foisonnement d’idées emmêlées qui sortent tous azimuts sans direction précise construisant progressivement une orientation où l’on voit poindre de vieux projets et de vieilles obsessions qui retrouvent souffle. Qui reprennent vie et corps. Une nouvelle jeunesse en plein mûrissement qui s’actualise. Et qui trouve leur âge adulte dans leur mise en œuvre… 

 

 

De la clairvoyance (en général) et de la lumière sur soi (le soi existentiel et le soi déségotisé) naît l’éclairage de l’horizon. Et de l’horizon éclairé advient une grande joie…

 

 

Dans la toile de fond existentielle ordinaire (empreinte habituellement de morosité et de gravité) adviennent parfois quelques espaces de répit et de joie. Un incommensurable bonheur à vivre. Et un sentiment accru de préciosité de l’existence…

 

 

La prostituée (libre de ses choix, telle que la filme J.M Carré) : un noble condensé d’humanité. Comme Sonia, prostituée belge, archétype de la figure féminine (une représentation subjective et personnelle sans doute). Douce et assurée, forte et fragile, maternante et encline à l’expérience, sensible, profonde et sage, autonome, intelligente et compatissante. Tout simplement humaine.

 

 

L’homme prosaïque, imaginaire et réel

L’homme prosaïque abhorre la sphère imaginaire. S’il s’adonne à l’imagination, il ne s’y résout qu’à des fins utilitaristes, concrètes et matérielles. Il aborde le divertissement (et le considère) comme une fuite, une façon de se soustraire à la pesanteur de l’univers concret jugé ordinaire et peu exaltant. Il méprise néanmoins l’homme imaginaire, il le juge délicat, cérébral et peu adapté à la concrétude, à l’aspect (ou à la dimension) prosaïque du monde (de leur monde) bien qu’il puisse éprouver à son égard un certain complexe. L’homme imaginaire s’adonne à la cérébralité (disons à la réflexion, au monde des idées et à l’imaginaire) pour se soustraire au monde concret qu’il juge tout aussi pesant que l’Homme prosaïque. Mais là où ce dernier fuit vulgairement, l’homme imaginaire a le sentiment de s’y soustraire par une voie noble, digne et intelligente. Il s’estime (le plus souvent) supérieur à l’homme prosaïque qu’il juge vulgaire et terre à terre, peu capable d’élan réflexif et créatif, peu enclin à l’analyse et à l’abstraction. L’homme réel perçoit, quant à lui, l’imaginaire comme un divertissement du réel. Il appréhende le concret, le réel avec une dimension au-delà de l’utilitaire. D’une certaine façon, il perçoit le concret avec une dimension concrète beaucoup plus vaste que celle que pourrait permettre l’imaginaire. Une sorte de dimension imaginative concrète si large et ouverte qu’elle donne au monde concret une dimension beaucoup plus vaste que ne pourrait lui donner l’imagination (la sphère imaginaire).

 

 

Ainsi prenons l’exemple de la fenêtre pour tenter d’illustrer notre propos… pour l’homme prosaïque, une fenêtre est une ouverture dans un mur qui permet à la lumière du jour d’éclairer une pièce et un objet que l’on peut ouvrir et fermer pour aérer une pièce ou la protéger du froid extérieur. Pour l’Homme imaginaire, une fenêtre est une ouverture sur le monde, elle est une métaphore associée à moult symboles et qui permet d’élargir l’espace du concret (de la pièce toute bête) à une dimension poétique, esthétique, philosophique, inconsciente ou que sais-je... Pour l’homme réel, une fenêtre est une fenêtre. Elle est aussi une non-fenêtre. Elle est un concept vide. Elle est tout et rien (à la fois).  Elle est… tellement fenêtre et tellement au-delà de l’objet fenêtre… il sait qu’elle appartient au monde des formes (au monde relatif) et ne peut s’exclure du monde du non-manifesté (du monde absolu). Il s’en sert au gré des situations. Selon les exigences de chaque situation…     

 

 

De l’homme égoïste

L’homme égoïste (trop égoïste ?) devrait se demander : que suis-je sans les êtres qui m’entourent? Que suis-je sans ceux qui me sont chers ? De là pourrait venir peut-être son décentrage (momentané)… ? Et sans doute aussi la compréhension partielle de sa vraie identité… la compréhension d’une partie de son identité véritable… relié aux autres et seul à la fois… un apparent paradoxe sur lequel ne cessent de buter mes pauvres recherches. Face à cette question, je me retrouve comme devant un mur… encore infranchissable. Pas la moindre ouverture ou faille à l’horizon. Quel regard limité, n’est-ce pas ?

 

 

De l’homme égoïste (suite)

L’homme (trop) égoïste devrait sentir que la satisfaction des êtres qui l’entourent (du moins de ceux qui lui sont chers) est source de plus grande joie que sa satisfaction personnelle. Rien, en effet, n’est sans doute plus porteur de joie (pour un être ordinaire) que de sentir qu’il est à l’origine ou contribue à la satisfaction (et à la joie) des autres (particulièrement s’ils lui sont chers). Pourquoi dès lors ne parvient-on que difficilement à repousser les frontières de l’égoïsme ? Pourquoi éprouve-t-on le besoin de satisfaire ses désirs propres et de ne point se sentir lésé dans toute relation… vécue (le plus souvent) comme un échange, une sorte de transaction tacite… ? Peut-être est-ce une sorte d’instinct de survie… un sentiment en partie erroné… (mon identité ne peut se restreindre à ma forme, à mon être, à mon entité personnelle…) et en partie porteur d’une profonde vérité (qui d’autre que moi-même est plus à même de contribuer à la survie de mon être (de ma forme)… ?  D’où la question : qui suis-je réellement ? La conscience universelle dans une infime parcelle corporelle parmi l’infinité des autres formes corporelles dont elle (cette forme) dépend ?

 

 

J’aimerais rencontrer la vie. Mais tu la rencontres chaque jour… et si tu es attentif, à chaque instant…

 

 

Toujours le même besoin d’écrire… malgré les déconvenues, les insuccès et l’indifférence… un sacerdoce anonyme pour une église sans fidèle où les prêches ne résonnent que dans un confessionnal désert. Pauvre abbé qui cherche ses ouailles…  Une église à lui tout seul… du pape au sacristain en passant par les cardinaux, les évêques, les fidèles, Dieu, Jésus-Christ et tout le saint-frusquin…

 

 

Ecriveur, homme qui écrit. Sans parvenir (mais le souhaite-t-il vraiment ?) à vivre de son œuvre. Auteur anonyme malgré son impérieux besoin de partage. Triste ou heureux sort de l’anonymat… ?

 

 

Idée : l’écriture d’un petit dictionnaire d’idées « singulières » (personnelles) pour mettre à mal les trivialités ordinaires et répandues sur quelques thématiques universelles. Son titre : poncifs personnels et lieux communs universels. Cf la paix

 

 

La paix : contrairement à l’idée communément répandue, la paix n’obéit pas à une loi qui s’exerce de l’extérieur vers l’intérieur mais de l’intérieur vers l’extérieur. Ainsi nul environnement extérieur ne procure la paix intérieure (sans cesse bafouée ou contrariée par mille petites choses désagréables réelles ou anticipées) mais la paix intérieure influence sans aucun doute l’environnement extérieur…

 

 

Le capitalisme n’est pas seulement l’affaire d’affairistes avides. Concerne l’avidité de chacun, le besoin égoïste de gagner dans l’échange… Et toute relation n’est souvent aux yeux des êtres humains ordinaires (relations aux êtres et aux choses) qu’une transaction. Un pitoyable négoce…

 

 

Préserver son être et persévérer dans son être serait-ce les 2 lois qui régissent tout être ordinaire ?

 

 

Tirer son épingle du jeu (dans le jeu du monde) est source d’une satisfaction bien médiocre en comparaison de celle que l’on ressent en contribuant (même modestement) à la joie des êtres… aussi peu nombreux soient-ils… contribuer à la joie d’un seul autre est souvent source d’un grand bonheur. 2 remarques : d’abord, cette joie plus intense est sûrement le signe que l’homme a pour vocation centrale (entre autres) d’aider son prochain (un autre que lui-même), i.e de parvenir à un au-delà de lui-même… d’être utilisé (à dessein) par les autres (comme l’eau et la terre le sont par exemple…)… bref que les autres s’en servent à leurs fins… d’abord égotiques, puis allant progressivement vers une déségotisation menant à terme jusqu’à une profonde gratitude à l’égard de ce (et ceux) qu’ils utilisent… cet élément est bien sûr à relier (si j’ose dire…) à la thématique du lien (de l’interdépendance, première composante de notre identité… individuelle et collective). 2ème remarque : pour quelles mystérieuses raisons, les Hommes (en général) préfèrent naturellement contribuer à leur satisfaction personnelle… cet élément est sans doute, lui aussi, porteur d’une autre vocation centrale de l’Homme (à relier quant à lui à la thématique de la solitude, deuxième composante de notre identité… individuelle et collective), celui d’obéir à la préservation de leur propre entité, qui n’est qu’une infime parcelle du monde (et de la vie) directement perceptible par elle-même (ou la conscience identifiée à cette entité) parmi et au même titre que les autres, les autres parcelles du monde (et de la vie).    

 

 

L’urgence est de ralentir. Et vite fait encore !

 

 

De la sensibilité naît la conscience. De la conscience naît la transformation. De la transformation naît la progression vers la vérité. Mais d’où vient la sensibilité ? Du corps… ? De la vie… ?

 

 

Le corps ne serait-il après tout que la vie incarnée… la vie qui prend chair… ? 

 

 

Dans la soupière, la louche se sait utile. En son creux, elle recueille le monde. Et le nourrit…

 

 

L’herbe, sur le bord du chemin, me confie sa crainte du cantonnier.

 

 

Le brin d’herbe, au creux de ma joue, me livre le secret des saisons.

 

 

Allongé dans l’herbe, je côtoie les étoiles. Un morceau de ciel sur terre. Au plus proche de la poussière.

 

 

Le ciel, témoin de toute histoire. De toute l’Histoire. Œil présent du passé qui a vu naître le monde. Seul spectateur de l’avant-monde. Et si on l’interrogeait…? Il paraît que les scientifiques s’en chargent… Et la vocation des poètes alors… ?

 

 

De la nuit vaporeuse s’envolent les paroles de vent. Et j’écris à en perdre souffle…

 

 

Il y a un regard qui décrispe. L’œil décrispé allège les paysages. Pour le même poids, transmute le plomb en plumes.

 

 

Un regard et une écriture surréalistes. Non ! Un œil intraréaliste. Qui pénètre le réel. Jusqu’à la moelle.

 

 

Les paysages ont l’envergure de l’œil qui regarde le monde.

 

 

Désapprendre à regarder pour apprendre à poser son regard. Une nouvelle façon de voir. Avec largesse et envergure…

 

 

L’intraréalisme : un genre artistique à créer pour pénétrer le réel. Peinture, écriture, sculpture. Enlever les couches des apparences. A explorer

 

 

Lorsque l’œil s’affine, il participe à l’explosion du spectacle du monde. Mille paysages qui appellent l’émerveillement…

 

 

Sentir le geste. Répéter. Le sentir à nouveau. Le découvrir. Seule façon d’apprendre. Sentir. Seule porte véritable de la connaissance…

 

 

Travailler sur la frustration (l’accueil de la frustration/ augmenter le seuil de frustration). Seul remède (pour l’instant) à l’insatisfaction. Triste antidote…

 

 

Plonger au cœur de l’expérience. Pour l’explorer. Plonger au cœur de toute chose. Pour la découvrir. Demeurer en leur centre, unique chemin pour connaître leur nature et maintenir dans le même temps la (juste) distance…

 

 

La cruauté gratuite révèle une blessure mal cicatrisée qui s’ignore… L’ignorance de son auteur. En son cœur.

 

 

On se sent parfois pousser des ailes de poète… les pieds englués dans l’ornière. Et la tête au ras de la poussière…

 

 

Poser son regard versus regarder (effleurer l’espace de son œil versus fixer son attention sur un objet). Poser son regard panoramise le réel et ouvre l’espace intérieur (l’intérieur de la conscience). Ce regard panoramique est un retour au réel (celui qui est sous/ je devrais dire autour de mes yeux ou de ma perception) est un décentrage de soi-même, remède au bavardage mental incessant et à l’égocentrisme. 2 éléments, sources des désirs, des fantasmes, de l’insatisfaction et de la frustration. Bref, poser son regard est l’une des clés (l’une des portes d’accès) à l’attention qui contribue (automatiquement) à la diminution de la souffrance…

 

 

Il n’y a de vocation qu’existentielle. Vocation existentielle répondant à un impératif intérieur… 

 

 

Toute vocation naît d’une blessure… d’une cicatrice mal refermée, mal oubliée, d’une injustice ressentie… elle prend souvent la forme d’une réparation… parfois d’une revanche… d’autres fois d’un refuge… comme si l’inconscient qui nous enjoint à agir cherchait la guérison…

 

 

Toute vocation, petite ou grande, artistique, scientifique, sociale, professorale, humanitaire est une longue tentative de refermer cette plaie… Les vies sans vocation ne sont en définitive que des vies passe-temps

 

 

Les hommes poursuivant une vocation se sentent une mission à accomplir : se guérir et réparer. Et prévenir ou éviter à d’autres les souffrances qu’eux-mêmes ont endurées… Les hommes sans vocation ne vivent souvent que dans le seul dessein de combler le vide engendré par l’absence de vocation. Ils optent essentiellement pour l’occupation (les activités occupationnelles) et l’accumulation (d’objets, d’êtres, de richesse, de pouvoir, de plaisirs, de conquêtes… ou l’accumulation comportementale (rituels, répétitions et autres attitudes accumulatives…).

 

 

Toute révélation est spontanée. Issue d’un long mûrissement souterrain, invisible et inconscient, lui-même nourri par une longue accumulation de nutriments ingérés par notre contact à l’environnement: expériences et rencontres dans leurs formes les plus larges et les plus variées. Des plus décisives aux plus anodines. 

 

 

Tu crains les phrases définitives (les aphorismes). Elles portent en elles le caractère péremptoire, l’arrogance et la compréhension inachevée de leur auteur. Petite vérités transitoires exprimées dans le seul but (souvent inconscient) de le rassurer quant à sa compréhension. Antidotes dérisoires au doute et à l’ignorance… 

 

 

Affiler non la pensée mais l’intuition comme une lame…

 

 

Si l’on pouvait rencontrer en l’autre sa fragilité et garder présent en nous sa finitude, nos actions seraient plus empreintes d’humanité…

 

 

Mâchoire : quand on sait son utilité… outre la mastication des aliments, pour tous ceux - dont tu es - qui aiment à critiquer, la mâchoire est un instrument qui sert à mâcher les mots (leur maux) et hacher le monde… mâch… hachoire 

 

 

La perception habituelle de la vie et de la mort par les Hommes est porteuse - évidemment - d’ignorance et de souffrance… appréhender l’existence comme si elle était divisée en 2 parties :  une longue période (quelques décades en général) de vie (plus ou moins figée) sanctionnée à son terme par la mort… avec le désir plus ou moins avoué et conscient de repousser cette ultime étape… alors que l’existence n’est autre que la vie et la mort sans cesse renouvelées à chaque instant… et seul l’œil qui voit au-delà des apparences peut le percevoir… et permettre au cœur (à la conscience) de le vivre et l’expérimenter… certes nous le comprenons tous… (c’est une évidence !) mais notre compréhension purement intellectuelle est incapable d’en imprégner le cœur de façon satisfaisante pour le vivre, l’expérimenter et le reconnaître à chaque instant… 

 

 

Frapper les touches comme un forcené. Bagnard au pays des lettres… enchaîné à la page. Ton Cayenne s’appelle écriture.

 

 

Nulle nuit identique. Nuits contemplatives. Nuits énergiques (actives). Nuits sans fin. Nuits fécondes. Nuits boulimiques. Nuits creuses. La nuit, aucune journée ne se ressemble… et que dire de l’esprit qui habite l’espace nocturne. La nuit est vécue intérieurement avec des nuances qu’ignore le travailleur diurne…

 

 

L’éternel (et difficile) équilibre entre rigueur et discipline et lâcher prise et détente. De part et d’autre de cette ligne étroite, 2 fossés : la rigidité qui expulse hors du mouvement souple et fluide de la vie et le laxisme, voire la paresse et la fainéantise qui confine à l’immobilisme. Tous les domaines de l’existence sont concernés. Trouver une discipline souple et détendue qui accueille volontiers (et avec bienveillance) les temps changeants, les oscillations, la fluctuation des humeurs et la mouvance des nécessités ressenties…

 

 

On ne peut ni balayer d’un revers de main (forcément égoïste et indifférent) ni tenter d’accueillir vainement sur ses épaules (en en faisant une affaire personnelle) toute la misère du monde. Quelle est donc la règle ? En matière d’action sur le monde, ici comme ailleurs, se « soumettre » (la mort dans l’âme… qui aspire à l’absolu… et à l’omnipotence) à l’indétrônable et limité « faire à sa mesure ». Toujours aussi frustrant.

 

 

La page blanche comme un horizon ouvert… un tour d’horizon des possibles… où se mêlent les pensées, la mémoire, les fantasmes, les désirs, les frustrations, le conscient, l’inconscient, les rêves, le réel, soi, le monde, les autres… et le besoin d’écrire… de dire… un monde en perpétuel devenir où (s’inscrit et) se fige la vie qui passe…

 

 

Dire aux hommes la vie et le monde pour que perdurent l’évolution, le développement, l’enrichissement (de tous). De la vie, du monde et des hommes…

 

 

Les mots éloignent de la vraie connaissance. Ils alimentent l’enrichissement illusoire du savoir…

 

 

L’économie devrait nous enseigner la tempérance - voire la frugalité - en matière d’Avoir (l’économie des possessions) au lieu de prôner l’accumulation (et d’encourager l’enrichissement). Même réflexion à propos de l’Être. L’économie devrait nous apprendre la parcimonie et le dénuement. Afin d’accéder à la vraie richesse. La science économique s’est (véritablement) trompée de matière. Une discipline fallacieuse qui leurre le chaland sur la marchandise… et la valeur du profit…

 

 

Avec peu, tout devient possible… « le peu » est un trésor inégalable. « Le beaucoup » ruine toute possibilité…

 

 

Après les infâmes turpitudes diurnes dans le monde (des Hommes) où j’ai dû me résoudre à un piètre et lamentable rôle, me voici enfin seul dans la nuit… délivré de tout costume… seul devant mon écran… enfin moi-même dirais-je… des retrouvailles… des noces de solitude où les mots coulent à flot… et dont je sortirais sûrement ivre au petit matin… 

 

 

Pourquoi le destin de l’Homme est-il de s’égarer… ? Oui, pourquoi l’Homme a-t-il donc pour vocation de se fourvoyer… ?

 

 

Quelle vérité se cache derrière le chemin des hommes… ? Où mène l’évolution humaine…? Quel est le fil conducteur de l’histoire de l’humanité…? Et pourquoi cette prépondérance devenue omnipotence sur la Terre… ?

 

 

La solitude est une compagne attentionnée… pourvu qu’on lui prête (et témoigne) attention…

 

 

Dans la solitude, mille rencontres profondes, discrètes et décisives…

 

 

Dans le monde, mille rencontres tapageuses et inutiles… On a vite fait de tourner solitaire…

 

 

Comment être solitaire sans devenir misanthrope… ?  Accorder à ses espaces de solitude une grande attention… sans rien espérer du monde… sans rien attendre de la présence des êtres du monde… être là simplement soi-même avec eux…

 

 

Mes nuits : temps de retraite nécessaire mais insuffisant pour apprendre à être au monde…

 

 

La plupart des Hommes sont au monde sans se demander comment l’être… parmi eux, la plupart ignore les conséquences de leur façon d’être sur le monde… toi qui te poses tant (et sans cesse) cette question… tu restes pétri de doutes et d’incertitudes… tu tergiverses indéfiniment sur tes engagements et tes responsabilités… sans le moindre résultat convaincant… ni même parvenir à vivre heureux… et en harmonie avec le monde. Et avec toi-même…

 

 

Ton regard sur le monde te révèle ta façon d’y être présent. Ta façon d’entrer en relation avec lui. Et avec toi-même. Quant au monde, il peut deviner ton regard et les relations que tu entretiens avec lui (et avec toi-même) par ta façon d’être présent au monde…

 

 

Un regard de qualité (humaine) se doit de relever la qualité (la moindre qualité) chez chacun - et chez quelques-uns, elle est immense et extrêmement perceptible…

 

 

Un élément essentiel du travail intérieur : être attentif à la nature de la relation que l’on construit avec nos expériences (expériences intérieures, essentiellement nos humeurs, nos états d’âme et nos émotions et évènements extérieurs, essentiellement les faits et les rencontres). Et chaque jour, nos expériences sont innombrables. Et les relations construites multiples. Les expériences se créent au fil des évènements (extérieurs)  et des émotions qu’elles suscitent au gré de nos états d’âme et de nos humeurs. Non qu’il faille contrôler ou orienter (volontairement) nos humeurs, nos émotions et nos relations aux expériences vers une sorte de « positivisme forcené » mais en avoir seulement conscience pour comprendre à quel point nous en sommes les esclaves, notre conscience en est esclave… percevoir notre trop grand sérieux, notre trop grande rigidité, notre colère abusive, notre fainéantise excessive sera le premier pas nécessaire à une transformation rapide et spontanée de notre façon d’être… et les linéaments d’un plus grand humour à son endroit et à l’égard de la vie…

 

 

L’alternance entre espace de solitude et rapport au monde semble une des plus efficientes méthodes pour opérer une transformation progressive, naturelle et profonde (bien que lente) de notre façon d’être : la solitude permet le recul, la prise de distance… elle est un espace consacré aux intuitions, à la réflexion, voire aux mises en situations imaginaires et les rapports au monde permettent une mise en application, un exercice, une pratique réelle de notre façon d’être en situation (in situ)… sans eux (nos rapports au monde), nulle chance de progresser… on circonscrirait notre pratique à une simple théorie, à une simple intellectualisation et à la sphère imaginative (et non réelle)… 

 

 

Nul événement ne porte en lui le moindre désagrément ni la moindre joie. C’est la relation que nous entretenons à cet événement qui est à l’origine de la coloration que nous lui attribuons… plus cette relation est porteuse/teintée d’acceptation, moins l’événement en question nous semble délétère ou douloureux… cette relation (et sa nature) est donc le point essentiel mais non le point premier. Celui-ci est l’attention. Car seule l’attention (l’esprit attentif) peut permettre de déceler, de prendre conscience de cette relation… 

 

 

Le monde (ou autrement dit, nos rencontres avec le monde) ne cesse de nous nourrir… et à notre tour, nous nourrissons le monde avec nos fonctions, nos activités, nos œuvres… mais principalement par notre façon d’y être présent… autrement dit par notre façon d’être… 

 

 

Chez ceux qui réussissent (au sens où on entend ce mot habituellement) et ceux qui sont reconnus par leurs pairs et plus largement par le monde pour leur talent (quel que soit le domaine où il s’illustre) sans être imbu ou grossier, il semble y avoir une sorte de dimension supplémentaire, un surcroît d’âme diraient certains… je crois plus simplement qu’ils sont au plus juste d’eux-mêmes, i.e qu’ils contribuent de la meilleure façon qui soit selon leur prédisposition naturelle (en étant spontanément et naturellement ce qu’ils sont au moment et aux lieux où ils se trouvent) sans ajouter aucune dimension égocentrique… ils semblent incarner harmonieusement la vie-même, ils en sont la parfaite incarnation singulière en étant ce qu’ils sont sans se mettre grossièrement et ostensiblement en avant. Bref, en travaillant en tant qu’infime parcelle de la vie (du vivant), en tant que fragment limité de la vie à leur tâche singulière, circonscrite et limitée, ils deviennent l’incarnation vivante singulière du tout, de la vie dans sa totale et entière dimension. Sans en tirer un quelconque orgueil. Et cette capacité naturelle est un grand art…  comme s’ils avaient intuitivement compris que l’attitude la plus juste qui soit est de faire ce que l’on a à faire sans rien y ajouter. Comme la fleur, l’eau, le ciel, l’oiseau… certains regards y sont indifférents… d’autres plus attentifs s’en émerveillent… mais ces réactions n’émeuvent pas la fleur…. Elle « travaille » à sa tâche sans se soucier du regard du monde… certains la regarderont en s’émerveillant, d’autres passeront devant elle indifférents, d’autres encore l’arracheront ou la piétineront,  la fleur s’en indiffère… elle œuvre à sa tâche (de fleur)… et ce «labeur  particulier» lui confère un rôle et une dimension universels…

 

 

Question : quelle est la fonction, l’activité, le labeur singulier qui saura (pourra ?) donner à ton être sa dimension universelle… ?

 

 

Question subsidiaire (d’importance pour les êtres de ton acabit) : toi qui ne disposes d’aucun savoir-être particulier, d’aucun savoir-faire spécifique, d’aucune compétence exceptionnelle, d’aucun don singulier, d’aucune prédisposition personnelle…  quel est le rôle, le labeur singulier qui saura (pourra ?) donner à ton être sa dimension universelle… ?  

 

 

Tentative de réponse : attache-toi à faire correctement ce qu’il t’est donné à faire… sans y ajouter quelques couches égocentriques…  ni plus ni moins… un peu mince, non, comme labeur… ?  Et garde-toi d’une quelconque volonté d’exemplarité à l’égard du monde, d’une quelconque mission de salut ou de quelques autres fonctions du même acabit… ton égocentrisme réel (et inconscient) et perçu (par les autres) ne ferait qu’entraver le processus vers l’universel par un alourdissement personnel et circonscrirait ta tâche ou ton labeur à sa stricte singularité.

 

 

Les paroles du monde obligent parfois au désastre…

 

 

Je m’aperçois, avec tristesse, de ma fausse bonne fortune… ce caractère si détestable et ce manque (si évident) de prédisposition intérieure… cette absence intégrale de don… jamais je n’ai été apprécié, aimé ou adulé… ou même encouragé… et tant de fois je l’ai si égocentriquement espéré… Ah qu’il est parfois difficile de n’être qu’un individu ordinaire, sans éclat ni relief… sans la moindre aspérité… exclu et rejeté par le monde… ignorant (encore) le destin qu’il aimerait se construire… et espérant toujours vainement qu’il pourra en être, un jour, l’artisan…

 

 

Aligner des lignes sans intérêt… serait-ce là ta seule vocation… ? Des lignes que nul autre que toi-même ne daigne lire… et encore ! Parfois le courage te fait défaut…

 

 

Je m’aperçois avec effroi que nul ne s’est jamais jeté à ma rencontre pour m’enlacer… excepté un trisomique et mes chiens… maigre consolation… on a l’affection que l’on mérite… et apparemment, voilà celle qui m’est offerte… que mon affection les entoure…

 

 

Tu es de la race des anonymes… de ceux que l’on croise sans regarder… de ceux que l’on rencontre et dont on ne garde aucun souvenir… un être transparent… un élément de cette foule qui sert de décor au monde humain…

 

 

L’authenticité appelle le naturel. Le naturel appelle l’expression spontanée d’une singularité (personnelle). L’expression de notre singularité appelle l’actualisation de notre dimension universelle (l’universel en nous). La boucle semble bouclée. Comme si l’authenticité libérée de sa gangue trop ostentatoirement égocentrique et narcissique était le meilleur canal pour laisser passer la vie en soi, qu’elle puisse nous traverser et rejaillir sur le monde… j’ai beau réfléchir à mon authenticité… je la trouve encore trop emprisonnée d’une enveloppe artificielle et égocentrique (celle du bien faire et de se montrer sous son meilleur jour…)… erreur fatale… je déteste tant mon authenticité que je la camoufle ou l’édulcore par mille moyens malhabiles… double peine perdue… j’étouffe la vie qui tente de me traverser et l’enveloppe trop égocentrique (dont elle devient l’écrin) est mise à nu par le monde… 

 

 

Tu as toujours eu de grands rêves… et très peu d’ambition… tu as travaillé à maints projets. La plupart ont été achevé… et très peu ont été accouchés au monde…

 

 

Pour atteindre à l’authenticité, faudrait-il se laisser aller à ses penchants personnels et aux caractéristiques de notre espèce (celles du peuple humain)…? Et jusqu’à quel point…? Que signifierait donc le travail intérieur…? Laisser être et parvenir directement à la source pour démasquer les voiles (l’ignorance)… être la pure expression de la vie désentravée de sa dimension égotique… sans volonté de nuire à autrui et de se protéger… être… être la vie… ?

 

 

Haldas m’aurait-il influencé…? Son Etat de poésie aurait-il eu quelques résonances…? Voilà que j’écris ces notes comme il écrit les siennes dans ses carnets… et que je me mets (malgré moi) à écrire des vers libres depuis quelques mois… étrange coïncidence, non…?

 

 

L’autocensure : une censure inconsciente…

 

 

J’écris pour m’encourager. Et encourager le monde. Mais a-t-on besoin d’encouragements ? Et des miens en particulier… ?

 

 

Après relecture de ces notes, j’en perçois (une nouvelle fois) la faiblesse… l’inconsistance, la médiocrité et l’inutilité… mais pourquoi t’y complais-tu… ? Abriterais-tu quelque mission d’autodestruction… ?

 

 

Ces notes révèlent une affligeante pauvreté. Ici et là, cachées sous les immondices, quelques perles (sans grande valeur)… et tu poursuis ta fouille… au milieu des poubelles…

 

 

Dans tes textes (comme dans tous textes et toutes choses). Du bon… du moins bon… et du mauvais… il s’agit seulement de trouver les justes critères…

 

 

Une paresse t’invite à écrire. Tu es trop fainéant à vivre…

 

 

Tu procrastines à l’infini… attends-tu donc l’éternité pour vivre… ?

 

 

Un regard, un sourire, une épaule, une étreinte sont parfois nos seules béquilles… mais comment marcher sans appui… sans le réconfort d’un visage… ?

 

 

La satisfaction, la souffrance et le monde sont des éléments ambivalents… à la fois fleurs et flèches pour l’Homme… 

 

 

Pourquoi chaque médaille a-t-elle son revers…? Et si c’était-là notre récompense…?  Et le prix à payer… voir les deux faces et la tranche de la médaille nécessite plus qu’une une vision panoramique une vision profonde qui perce les apparences…

 

 

Un problème après l’autre… appelle une solution après l’autre. Mais quand on est assaillit, que faire…?

 

 

Aussi fluctuant qu’une girouette. Immobile et ballottée par les vents… Que peut faire une girouette pour avancer…? Se détacher… je crains cependant qu’une girouette qui se détache ne tombe sur le sol… Aussi, une seule solution… accepter son sort, sa condition et sa fonction de girouette…  figée et soumise aux vents…

 

 

Il y a, chez chacun, des désirs incessants qui cherchent à se satisfaire. Et chaque homme, poussé par ses désirs, instrumentalise le monde (les autres) pour y parvenir… mais derrière les désirs, la vie cherche à s’incarner… alors qu’en penser ?

 

 

Les désirs, les êtres et la vie… l’étrange triade… entre collusion et rivalité… les êtres soumis au désir, les désirs soumis à la vie… mais à qui la vie est-elle soumise… ?  

 

 

Un œil sur le monde, un autre sur ta page… simple interface entre l’image et le mot, tu donnes à l’un ce que tu retires de l’autre…

 

 

Un œil sur l’écran tu dévisages le monde… incapable d’envisager ton propre destin…

 

 

L’autonomie reliée… seul et dans le/ouvert au monde…

 

 

Faire croître en toi le socle propice à l’autonomisation personnelle – à l’autonomie de ton entité singulière et apparemment isolée, l’actualisation de tes potentiels particuliers, l’accueil du monde et le non jugement… serait-ce le programme qui t’attend… ?

 

 

Attendre un regard (le regard qui sauve) comme une bouée jetée à la mer… comme promesse d’atteindre la rive sans savoir nager… ignores-tu donc que le naufragé qui ne sait nager périra…

 

 

Tu remplis tes carnets comme un appel déchirant. Un cri au monde sans écho…

 

 

Une rencontre advient quand deux entités (deux êtres, un être et un événement, un être et un objet…) se croisent à un instant ou à une période approprié(e)… autrement dit quand les deux entités (protagonistes) pressentent que l’autre saura ou pourra répondre et satisfaire l’un de ses désirs, manques, lacunes, rêves ou aspirations…

 

 

Mille croisements en un instant… en une journée… et pas ou peu de rencontre(s)… soit que nos désirs sont satisfaits et cette satisfaction induit une attention peu propice soit que nulle entité (être, objet) croisée n’a été ressentie comme porteuse  de la satisfaction possible ou éventuelle à l’un de nos désirs non encore comblés… Le croisement n’implique nullement la rencontre… A quelle loi obéit le croisement… ? Je l’ignore… La rencontre, quant à elle, implique le désir… le désir implique le manque (la sensation du manque)… le manque implique un sentiment de finitude et de frustration… la frustration implique une identification à nos perceptions… de deux choses l’une… soit nos perceptions nous trompent… soit notre identification est erronée… et si les deux étaient apocryphes… ?

 

 

Quand tout prend cette saveur colorée qui émerveille… se ravive la joie d’être au monde… le moindre pétale fané, la moindre aspérité sur le mur, la moindre fissure sur le sol, le plus banal des paysages, le plus infime des êtres tiennent aux miracles qui te sont offerts… vivre devient une douce jubilation… et devrait nous consoler des éternels et provisoires retours à la grisaille et à la morosité…

 

 

Au creux du gris, se souvenir des joies colorées d’hier et de demain

 

 

Au cœur de la rengaine, la joyeuse ritournelle.

 

 

L’instable alternance (et la lente transformation) comme une marque humaine, un signe d’appartenance au monde… (au monde humain). L’éternel sceau de l’Homme…

 

 

Une explosion du divers en soi… comme si nous abritions l’ensemble de la création, des tendances, des caractères, des penchants… contraint de laisser l’une ou l’autre, selon les périodes, gouverner notre pauvre barque (malmenée, il va sans dire)... pensée déroutante, n’est-ce pas ? Qui sommes-nous ? Êtres à la mystérieuse identité…

 

 

Les incessants accès clastiques dont tu fais aujourd’hui l’objet t’invitent (malgré toi) à revisiter tes priorités. Comme si la vie t’insufflait un message : tu t’es trompé… tu ne peux faire l’impasse d’une étape préalable avant d’entreprendre de grandes enjambées. Enjambées qu’il conviendrait d’ailleurs davantage (à l’heure actuelle) de qualifier d’infimes petits pas… bref il te faut revoir ton chemin… réorienter tes visées sur cette voie que tu empruntes (ou croyais avoir empruntée) depuis quelques années. Exit donc la quête de la vérité. Bienvenue dans le monde du développement personnel et de la gestion des émotions. Tout un fatras de méthodes (essentiellement axées sur les thérapies cognitivo-comportementales) visant à développer un ego équilibré, résistant aux ornières et au monde… bref permettant de naviguer comme un poisson en eau trouble… dans une mer déchaînée… savoir se jouer des requins, sauver sa peau contre la rude loi de la prédation… avec le sourire, la bonne humeur et dans un bien-être et un confort psychique exempt de doutes, de culpabilité et de remords… ahhh ! Que cette mauvaise tournure t’enrage… et t’écœure…  elle te fait l’effet d’un retour en arrière… et accroît ton sentiment de fourvoiement…

 

 

Ecriture. On se sent parfois investi d’une mission dont souvent (trop souvent) on n’est pas certain…

 

 

Lecture de quelques articles sur Barthes, sa solitude, son goût pour le bouddhisme, l’attachement à sa mère… quelques notes de son journal de deuil (après la mort de celle-ci). Me dis que son écriture ne vaut pas mieux que la mienne. Ou plutôt que la mienne n’est pire que la sienne… (ne vaut que pour ces extraits, bien sûr … je ne dispose d’aucune de ses qualités pour le langage et la matière théorique…) 

 

 

On a parfois le sentiment d’accomplir une grande œuvre parce qu’insufflée par une force irrépressible et mystérieuse. Et puis… après lecture de la dite œuvre, on se surprend à rire… de son insignifiance… de sa fadeur… de son inconsistance… un désastre désopilant…

 

 

Emu par le spectacle d’une fleur agitée par le vent. Rien de plus beau et de plus pathétique. La grandeur du dérisoire. Splendide métaphore de la condition du sensible…

 

 

Poursuis le chemin sans l’œil invisible. Oh ! L’aveugle injonction…

 

 

Le murmure de la source s’est tari… et ne bruissent que les échos du monde. Résonance accrue qui t’envahit. Silence qui te meurtrit…

 

 

Après la clarté à laquelle on a cru, l’opacité et l’incompréhension…

 

 

Démuni d’entendement. Sur le fil de l’ignorance… entre deux abîmes inégaux… l’un ouvert sur le merveilleux, l’innocence… l’autre recroquevillé dans l’obscur, le désespoir… 

 

 

La gloire du commun. L’anonymat. La rançon ordinaire du quelconque…

 

 

Sans horizon, nul espoir… sans espoir, nul tracas… et pourtant, peu parmi les Hommes peuvent (ou pourraient) vivre sans un œil sur leur avenir… qui peut vivre sans le souci de son devenir ?

 

 

Cette opacification de l’esprit qui confine à l’indécision en matière d’essentialités… comme paralysé de l’intérieur… une paralysie intérieure qui engendrerait une immobilité, une incapacité à trouver une direction (sa direction) dans le monde…

 

 

J’envie (parfois) l’immobilité tranquille des arbres. Leur lente et sereine croissance vers le ciel. Guidés par la lumière. Mais je ne sais où prendre racine… ni dans quel sol m’établir. Figé et sans racine, je végète… je m’assèche. Quel funeste destin…

 

 

Des milliers de mots… et encore aucune certitude… le bazar, le chamboulement et l’ignorance… voilà qui est à peine croyable… et pourtant…

 

 

Bâtisseur de tes propres ruines, tu œuvres (sans relâche) à l’édification de tes vestiges futurs… fondateur d’une civilisation sans avenir… pleure Ô tyran !

 

 

Après 40 ans d’existence (ou presque), tu te demandes toujours ce que signifie être un homme… tu cherches encore désespéramment le sens de l’identité humaine… tu as beau y être fortement confronté actuellement - tu vis une période de remise en question aiguë - tu ignores tout de ta condition excepté (peut-être) 2 aspects triviaux : tu ne peux échapper aux (multiples) conditionnements de ton espèce, le peuple humain… en tout domaine (psychologique, biologique, intellectuel, social…) et toute évolution substantielle semble impossible ou sinon extrêmement lente… 

 

 

Qu’as-tu à dire sur le monde ? Rien… Et sur toi-même… ? Pas davantage… alors pourquoi continuer d’écrire ? Et emplir les pages de ce carnet ? 

 

 

J’aimerais (parfois) être une fleur de printemps… à la fin de l’hiver… En avance. Ou en retard d’un cycle. Décalée. Dessaisonnée… Jamais en phase. Mais alors pourquoi s’acharner à vivre ? Si tu ne veux exister…

 

 

ENTRETIENS SANS OBJET, à fil décousu… voilà un titre de livre que je n’écrirais sans doute jamais et que je tente (pourtant) d’écrire…

 

 

Ne jamais rejeter les êtres, les choses, les domaines pour lesquels nous n’avons de prime abord aucun respect ou que l’on hait ou bannit… chaque élément recèle une infinie vérité qui nous échappe et que l’on découvrira un jour lorsque nous serons amenés (lorsque la vie nous amènera… et elle nous y amènera tôt ou tard…) à les côtoyer… alors nous les verrons sous un jour plus clair… et avec des yeux plus ouverts…

 

 

Il ne sert à rien de vouloir se transformer en surhomme… devenir un homme supérieur aux autres hommes… nul  homme ne peut échapper à sa condition… condition humaine qui offre le cadre à notre développement… à notre progression en ce monde… ici-bas… il convient seulement de devenir un homme entier… un homme non amputé de tout ce qui le constitue… un humain à part entière avec ses manquements, ses capacités (limitées mais innombrables) et son extraordinaire potentialité (son immense potentiel à la si  lente actualisation…).

 

 

Humble, ouvert au monde et aux êtres, persévérant, un individu en mesure d’accueillir les évènements avec distance, capable de prendre ses responsabilités d’être humain. Et toujours plus disposé à s’engager pleinement en tant qu’homme… 

 

 

Se sentir homme parmi les hommes. Voilà un sentiment nouveau pour moi. Comme une naissance chez - et parmi - le peuple humain. Un miracle après tant d’années de misanthropie.

 

 

De mon fauteuil. Les yeux rivés sur l’écran. Je découvre et dévore le monde. J’apprends avec enthousiasme à aimer les hommes. J’apprends l’humanité. Comme une leçon à vivre. Diverse, multiple, belle et dérisoire humanité. J’apprends à devenir un des leur. Avec joie.

 

 

Si ému par la souffrance. Par ceux qu’elle ronge. Et ceux qui tentent d’en atténuer les méfaits.

 

 

J’aime cette humanité. Si maladroite, si généreuse, si fragile. Si humaine.

 

 

Rongés. Creusés du dedans par la souffrance, nous ignorons… le merveilleux qui nous entoure. Et nous habite.

 

 

Je me surprends à aimer l’humanité comme jamais, je crois, je ne l’ai aimée. Un miracle. J’assiste à cette transformation insensée. Inespérée. Je suis le spectateur médusé et ravi de cette métamorphose. Métamorphose qui œuvre en moi. A mon insu. Transformation si tardive. Si spontanée. Si imprévisible. Sans prémices. Sans intention. Comme un présent miraculeux.

 

 

Heureux de cette conversion. De ce bouleversement malgré la crainte de voir surgir, à la première rencontre avec cette humanité, à la manifestation du moindre signe de mesquinerie, de cruauté, de barbarie, le retour de mon regard coutumier, chargé de mépris, de condescendance et parfois de haine à l’égard du genre humain…

 

 

Je tenterais de conserver cette ferveur nouvelle. S’émerveiller du peuple humain sans lui adresser critique ou reproche. La souffrance nous rapproche et nous lie. Et notre condition (et notre conditionnement) appelle à la bienveillance. Quant à la singularité des parcours et des itinéraires - et l’impossibilité de s’y soustraire - elle invite à la tolérance. A l’acceptation de la différence… Sans omettre néanmoins, l’ignorance dont nous faisons preuve (si souvent), ignorance source de tant de maux… 

 

 

Cette période difficile, laborieuse et creuse - du point de vue existentiel et scriptural - serait-elle alors l’espace nécessaire à ce renouveau ? Comme le support incontournable à ma transformation… ?

 

 

Comme si j’assistais à ma naissance. A mon accouchement parmi les hommes… mon long accouchement à l’humanité… moi qui m’étais toujours senti plus proches des animaux que des humains, je pressens avec un peu de tristesse et redoute l’éventuelle inversion de la hiérarchie… qu’adviendra-il de mon amour des autres espèces…? En sera-t-il amputé ? 

 

 

Il y avait, je crois, jusqu’à présent une haine farouche et une méfiance à l’égard du genre humain… dont je n’avais réellement conscience… que j’avais comme occultées ou évincées… comme si je n’étais pas (pas vraiment et pas encore) un des leurs. Etrange sentiment…

 

 

Accepter enfin d’être Homme…

 

 

Je me sens de moins en moins étranger. De moins en moins singulier. Mon aspiration à la singularité (et à la distinction) s’est, je crois, émoussée. Enfin prêt à vivre mon humanité en homme

 

 

Le sentiment de stagnation m’est insupportable… rien de pire, à mes yeux, que l’immobilisme… je suis atteint de frénésite aiguë. Hystériquement aiguë…

 

 

Ce que je découvre… j’ignorais que beaucoup d’Hommes l’avaient découvert… non seulement mais aussi intégré (totalement) à leur existence… et qu’ils vivent avec cet élément sans négliger (comme je l’ai toujours fait) les autres dimensions de la condition humaine (plaisir, divertissement, vie sociale, carrière professionnelle, vie familiale…). Eprouve un fort sentiment de médiocrité et de fourvoiement… quel imbécile ai-je été !

 

 

Difficile de s’avouer (à près de 40 ans) que l’on s’est fourvoyé. Tu t’es littéralement trompé de chemin… mais comment en rester là… si j’ai emprunté cette voie, n’est-ce pas parce qu’elle avait son importance… qu’elle devait m’apprendre ce que j’ignorais…

 

 

Etaler son ignorance (et son inculture) sur ces pages… quel vil (et honteux) labeur !

 

 

Cette puissance créatrice qui te fait défaut… et après laquelle tu ne cesses de courir comme un idiot qui poursuit son ombre…

 

 

Il me faudra sans doute un jour (bientôt peut-être) renoncer à écrire…

 

 

Si plein de bonne volonté… et inapte à la transmuer en saine énergie…

 

 

Il te manque des rencontres, de l’agir… et tu t’épuises dans ce temps perdu…

 

 

Tu as tant de rêves que jamais tu ne réaliseras… quelle frustration !

 

 

Tant de choses m’habitent… mais où se cachent-elles… ?

 

 

Où se dissimulent mes prédispositions…? Où sont-elles…? J’ai tant besoin d’assumer ma mission ici-bas. Et je continue à chercher désespérément… chercher en vain, serait-ce ma vocation…?

 

 

Malheur à celui qui croit savoir…

 

 

Heureusement que l’ignorance nous guide (elle aussi)…

 

 

Quand manque le souffle, se retire la vie… il en est de l’être comme de l’agir…

 

 

Ce chemin m’essouffle…

 

 

Je cherche mon souffle jusqu’à m’en époumoner… comment pourrais-je encore trouver la force d’avancer…

 

 

Cette sécheresse (créative) me ferait pleurer. Triste sort du créateur en quête de création. Soumis à sa créature…

 

 

Gonflé d’énergie… mais vide de souffle… je m’éreinte à marcher vers un horizon sans but. Promeneur qui s’égare… qui tourne en rond… qui erre en son cercle…

 

 

Que de journaux, de cahiers et de carnets en littérature ! Comme si chaque auteur se devait de produire le sien… moi, le modeste scribe (l’un des modestes scribes de ce monde), j’expose ma revue intérieure… voilà un titre un peu singulier pour un ouvrage qui accumule les banalités…

 

 

Pour qui ai-je de l’importance ? Qui pourrait m’en accorder… je suis si peu disposé à m’en offrir moi-même…

 

 

Se laisser bouleverser par la beauté et la fragilité du monde…

 

 

Se dévêtir de ses parures nécessite une douloureuse mise à nu. Et il est souvent difficile (sinon inadmissible) de reconnaître que la nudité est notre seul vêtement… Notre vraie nature.

 

 

Tant de masques, d’images, de représentations, de reflets infiniment démultipliés par le monde (et ses prismes infinis) nous éloignent de nous-mêmes. Et de notre nature légère. De notre si belle, si extraordinaire et invulnérable identité…

 

 

Toi qui abhorrais toutes idée de méthode, tes ronds dans l’eau - ton immobilisme sans vague -  t’y contraint… enfin il te faut (tout de même) avancer !

 

 

Tes expériences et découvertes personnelles qui te semblent parfois sans intérêt, ineptes (et d’autres fois substantielles) ne seront – sans doute – pas inutiles…

 

 

Cette fâcheuse propension à oublier la souffrance… Un peu de bonheur. Et te voilà déjà à paresser. Et à rêvasser…

 

 

Tu as décidé de travailler la nuit pour écrire. Veilleur de nuit. Pour remplir tes pages. Un (double) emploi obscur, non ?

 

 

Ecrire comme une gourmandise. Comme une sucrerie superflue. Comme si la vie (vivre) ne pouvait contenter ta faim. Prends garde ! Tu cours à ta perte, gourmand !

 

 

Note sur le bouddhisme. Tout est impermanent. Aussi je m’interroge. Seule l’impermanence serait-elle permanente ?

 

 

Un bruit de botte sur la neige. L’hiver vient d’arriver. Par l’embrasure, tu regardes s’éloigner les feuilles mortes. Spectateur de la saison automnale à l’agonie…

 

 

Cette sensation de brûlure qui parfois me traverse. Comme une longue déchirure indolore qui exacerbe les nerfs. Une insupportable exaspération. Et l’effroyable envie de s’arracher la peau. Comme un concentré d’énergie immobile. Bloqué sous la chair…

 

 

En quête perpétuelle de liberté…

 

 

Toujours été fasciné par l’enfermement, l’isolement et le dénuement… 3 conditions propices à la recherche de la liberté fondamentale, celle qui ne nécessite ni activité ni instrument ni artifice…  cette recherche éperdue de liberté serait-elle une fuite vers un horizon au-delà de l’Homme… ? Une volonté d’échapper aux barreaux de la condition humaine… ?

 

 

Malheur à celui qui occulte ou refuse de se soumettre à la geôle de la condition humaine… rejetant la dimension limitée de l’Homme, il demeurera prisonnier de sa quête de liberté… sans pouvoir accéder à la liberté de l’Homme entier… fermant (à son insu) les portes à la moitié de lui-même…

 

 

L’Homme entier accueille toutes les dimensions de l’Homme. Il accepte, mêle et alterne le dérisoire et le grave, la frivolité et le sérieux, le limité et le désir d’absolu, l’accessoire et la nécessité, l’ignorance et la clairvoyance, la solitude et l’espace peuplé du monde…

 

 

Pour quoi n’assigner la beauté qu’à l’exceptionnel ? Cette myopie… que dis-je ? Cet aveuglement devant la splendeur de l’ordinaire. Et la magnificence du quelconque…

 

 

Pour quoi les mots sont-il si impuissants à rendre compte de tes perceptions ? Ils ordinarisent tes plus grandes béatitudes… sans doute parce qu’on les lit (le plus souvent) avec un regard habituel, avec une compréhension coutumière… bref à l’aune d’une perception ordinaire… mémorielle et comparative… évinçant de façon inhérente le regard premier, désencombré de références… annihilant toute possibilité d’un surgissement spontané… qui permettrait (au lecteur) de sentir, de voir, de comprendre, d’expérimenter ce que tu tentes de décrire…

 

 

Malheureusement, on ne sent qu’à l’aune de ses sensations et perceptions passées… enregistrées, mémorisées et organisées en socle de références… obstacle rédhibitoire aux sensations et perceptions nouvelles…    

 

 

La perception est l’élément prépondérant de notre vision. Notre vision, le facteur essentiel de nos représentations (du monde, des autres, de nous-mêmes). Et nos représentations conditionnent très largement notre agir et nos constructions…

 

 

Nos perceptions sont conditionnées par 3 éléments principaux : la dimension biologique et neurologique de notre forme humaine dotée d’un cerveau et d’une sensibilité perceptive qui nous confèrent un mode de sensation, de compréhension et d’interprétation particulier, les prédispositions antérieures (présentes avant la naissance) de notre conscience et enfin nos expériences existentielles (évènements, rencontres et environnement).     

 

 

Sans traces sur l’horizon, tes empreintes s’effacent…

 

 

Le monde ne semble guère concerné par tes préoccupations… pourquoi éprouves-tu toujours le sentiment d’être l’unique porteur d’une démarche essentielle… ? As-tu donc oublié la diversité des cheminements… et toutes les dimensions de l’Homme? 

 

 

Nul ne se penche sur lui-même sans avoir épuisé toutes les stratégies illusoires… nul ne se tourne au dedans (en son sein) sans avoir éprouvé souffrance ou gêne…

 

 

A cette vieille femme aperçue une nuit sur l’écran de télévision, une vieille dame digne et belle, aux paroles intelligentes et réjouissantes qui venait en aide aux oiseaux qu’elle accueillait par centaines, par milliers peut-être, chez elle, dans son appartement transformé en volière. Fondatrice d’une association de protection des oiseaux, parlant d’amour, des Hommes, du monde animal et de spiritualité. Son intelligence, sa sagesse, son dénuement et sa richesse (de cœur) t’ont ému. Profondément ému. Quelques modestes lignes d’hommage à cette merveilleuse inconnue…

 

 

Il est de ces êtres anonymes, inconnus du monde, vivant leur engagement sans phare ni fanfare qui méritent de connaître la célébrité. Bien davantage que ceux qui s’exposent aujourd’hui sans mérite sur les écrans et les pages glacées des magazines… L’improbable reconnaissance de ces anonymes ne serait nullement destinée à encenser leurs qualités, leurs vertus ou leurs actions, ni à flatter leur valeur personnelle, mais à exposer l’exemplarité de leur vie, dévouée tout entière à une cause supérieure à eux-mêmes. Afin d’éduquer le monde à la véritable dimension de l’Homme. 

 

 

Le monde ne t’effraie plus guère lorsqu’un écran t’en sépare… sans peur, tu deviens alors capable d’amour. L’amour te permet de t’en approcher. Cette proximité t’invite à une moins partiale et plus large connaissance du monde. Et te le rend moins effrayant. Et te convie à le rejoindre. Bientôt (peut-être) l’écran ne te sera plus nécessaire…

 

 

Tous ces visages qui peuplent le monde… et si peu qui habitent le tien…

 

 

Tous ces visages qui peuplent la terre… et qui ignorent la face du monde…

 

 

Le sens festif de certains êtres te renvoie avec bonheur à ta gravité. Chez d’autres les festivités t’invitent à la tristesse. A la tienne (évidemment). Et tu t’en retournes (tristement, bien sûr) à ton austérité un peu trop digne et solennelle…

 

 

Le sens inné de la fête chez les brésiliens. Jeunes, vieux, hommes, femmes, tous semblent festifs. Jusque dans le désespoir. Un désespoir joyeux qui te déconcerte. Et te stupéfie.  

 

 

Chez bon nombre d’auteurs classiques ou reconnus (et même chez ceux dont les qualités littéraires ont connu un vague succès d’estime), les pensées ou le journal ont (a) été publié(es) à titre posthume. Pourquoi, toi le modeste scribe inconnu et anonyme dont l’œuvre principale (et la seule ambition) se cantonne à quelques vagues idées notées sur tes carnets, verrais-tu tes pages publiées de ton vivant ?

 

 

Cet orgueil à parler de soi… et de continuer sa péroraison à qui ne vous écoute…

 

 

L’écriture de soi… un genre littéraire… un mauvais… un mineur… sûrement… je m’y adonne… Et pire ! Je n’y excelle point… et voilà mon œuvre à jamais reléguée au médiocre… et aux oubliettes !

 

 

Se croire important confine au ridicule. Tout orgueil, toute vanité est une marque d’ignorance… et de grotesque… Et dire que tout être est (par nature) affublé d’une suffisance
égocentrique…

 

 

Nous vivons dans un monde de clowns. Le burlesque à chaque coin de rue. La planète humaine est une grande scène comique. Pourquoi dès lors ne pas devenir spectateur, s’asseoir sur les gradins… et en rire… ? Parce qu’il t’appartient aussi de participer au spectacle… de te soumettre à ta condition et à tes responsabilités. D’être et d’agir comme membre (à part entière) de la troupe humaine…

 

 

Il y a une immense part de vérité en chaque être… en chaque chose… en chaque événement… en chaque situation… malgré notre incurable incrédulité et notre fâcheuse propension à percevoir partout l’erreur, la fausseté, la croyance, le rêve, la bêtise et le mensonge …

 

 

Il est frappant de remarquer à quel point un enfant porte déjà en lui (et en son for intérieur) le socle de son destin. Les impedimenta de son devenir sont perceptibles malgré le poids léger des années… la brièveté des marques de l’existence, le peu d’influence de l’environnement sur le corps et le psychisme. A bien y regarder, on pourrait se dire que la vie (l’environnement, les rencontres et les évènements) n’a d’autre mission que de les révéler… d’orienter ce qui existe (ce qui était déjà existant antérieurement)… d’actualiser un potentiel déjà présent… faire éclore et croître les graines en devenir…  quel que soit le terreau dans lequel elles seront plantées…

 

 

Le parallèle entre les croissances végétale et animale me frappe plus qu’à l’accoutumée. Je perçois à quel point elles sont semblables. Petit être et minuscule graine en quête de maturité. L’être et la graine grandissent, évoluent. Conditions propices à la croissance, eau et lumière chez l’une, amour et connaissance, chez l’autre… que l’une vienne à manquer, et la croissance s’en trouve modifiée, perturbée. Et la maturité compromise…

 

 

Tout est nourriture, pauvre pomme ! L’as-tu oublié ? Comment peux-tu l’oublier si facilement ? Et pourquoi l’oublies-tu si souvent ? Le vers serait-il dans le fruit ? 

 

 

L’apprentissage des simples linéaments d’une discipline… le balbutiement d’un art, d’une technique… auxquels tu te livres dans une sorte d’engouement velléitaire… (serait-ce la marque d’une incertitude fondamentale quant à tes véritables aspirations… ?) ensuite l’assiduité de la démarche (de l’effort contraint) te pèse tant que tu abandonnes… et après tu vitupères contre ton manque d’expertise ! Deux domaines échappent pourtant à cette emprise de la velléité : l’écriture et ta quête (de vérité sur la vie et l’identité humaine). Il est vrai que tu t’y adonnes depuis des années… Mais quelles réelles compétences as-tu acquises ? Quelques maigres progrès qui te confinent encore (et toujours) au rang des apprentis… à peine un élève… et médiocre encore…

 

 

Toujours partagé (déchiré parfois) en tant qu’être humain… d’où peut-être ton penchant pour les fragments (et en particulier les fragments littéraires)… comme un désir inconscient de leur donner place. Et de les réunir…  

 

 

Il est des êtres que tu juges dignes d’intérêt… posant un regard intelligent, riche et complexe sur la vie. Et les autres dont les opinions empreintes de trivialité et de conformisme te consternent…

 

 

Il est des êtres nourris de mille
expériences, riches du monde et humbles. Et les autres imbus de leur chiche existence et de leur savoir de salon…

 

 

Il est des êtres au parcours riche, expérimental, intrépide et tortueux (parfois torturé) enveloppés de souffrance, parure dont ils se drapent parfois avec dignité, rebelles au bonheur (au bonheur insipide des masses). Il y a aussi la masse des hommes qui se repaît d’un bonheur terne et tranquille. Et les êtres (enfin) - rares - touchés par la joie qui marchent légers en traversant les épreuves avec allégresse. Et tous ceux, inspirés par l’existence de ces derniers, qui tentent de marcher à leur suite…

 

 

Mais tu t’évertues de ne pas oublier que chacun est ou a été au prise avec les affres de la condition humaine, a connu le chagrin, la peine, le désespoir, la solitude, parfois même la douleur d’exister, et que chacun, à titre individuel, est riche d’humanité, riche de l’expérience humaine. Et que chaque homme, pris individuellement, est en mesure de livrer au monde (aux autres et à toi-même) d’infimes ou d’immenses leçons (de vie, de courage, de générosité, d’humanité…) en dépit (souvent) des apparences et des traits essentiels qui semblent caractériser son existence. A chaque rencontre, tu tâches de t’en souvenir…   

 

 

Tu t’efforces également de ne pas oublier les oscillations existentielles qui gouvernent la vie de chaque homme. Vie dont tu ne perçois (le plus souvent) que certains aspects (quelques bribes apparentes) dans un contexte donné. Et à un instant précis. Et tu dois fournir quelques efforts (encore aujourd’hui, malgré ton âge et ta longue fréquentation du genre humain… c’est dire ton innocence, ta naïveté et ton manque de discernement…) pour te souvenir que tu ignores la plus grande part de son existence. Et qu’elle demeurera pour toi sinon une énigme un insondable mystère… Voilà donc quelques arguments pour relativiser tes premières impressions, tes perceptions premières à chaque rencontre nouvelle (qu’elle te paraisse digne d’intérêt ou affligeante)…  

 

 

Observe le vivant ! Et apprends à le regarder ! Alors tu comprendras votre ressemblance ! Et tu le respecteras!   

 

 

Tu n’es heureux et exalté que lorsque les idées t’emplissent. Et que les mots abondent et glissent sur tes pages. En ces instants, tu as le sentiment d’être le plus heureux des hommes. Un merveilleux sentiment d’exister te submerge… malheureuse illusion… lorsque tu sors de tes nuits… le soleil se reflète sur la blancheur de tes pages…

 

 

La soumission à une force étrangère et mystérieuse (qui prend chez toi la forme singulière de la quête de la vérité et la nécessité d’écrire) tire sa source d’une origine inconnue et génère des effets ignorés sur le monde. Elle te livre à une dimension au-delà de toi-même qui serait la marque de la certitude d’avoir trouvé sa place… Autrement dit, être le canal du mystère/de la vie qui à la fois te révèle et participe au monde en s’étendant à l’Autre… Le mot « soumission » n’est-il pas d’ailleurs composé des mots « sous » et « mission »… comme pour souligner le sens véritable du destin humain, celui de porter une charge (une mission) plus large et plus lourde que soi…  au service des autres…

 

 

Comment trouver son (ce) canal ? Autrement dit comment trouver la place que la vie t’assigne pour à la fois servir ta nécessité (ressentie) et satisfaire le monde en le gratifiant de ta fonction… ?

 

 

Est-ce nous qui cherchons notre mission (notre canal) ou la vie qui cherche et jette son dévolu sur ses instruments de liaison… ?

 

 

Se soumettre à sa nécessité autant qu’à la nécessité de la vie… autrement dit s’assurer (autant que possible) que les 2 nécessités coïncident pour avoir la certitude d’être la bonne personne (l’instrument idoine) située au bon endroit à l’instant (ou période) approprié(e). La pauvreté de ton intuition rend ton argumentaire affligeant…

 

 

Tout choix exclut. Et ce délaissement (cet abandon) te paralyse… tu préfères, malheureux, opter pour l’éternelle tergiversation… Résultat : tu piétines alors qu’il te faudrait marcher, avancer pas à pas sur la voie retenue (adoptée)…

 

 

Tu ne peux te contenter de ton identité civile et familiale. Leur horizon borné te limite (et te frustre). Tu ressens l’infinité que tu portes (en toi). En tes profondeurs. Il te faut donc remonter à la source. Creuser et élargir tes recherches identitaires pour espérer trouver, un jour, tes véritables racines. Le lien indéfectible qui t’attache à ta vraie famille. Ton authentique lignée. Ta vraie nature.

 

 

Tu te surprends à poser la télécommande sur ton épaule. Comme un oiseau. Prêt à s’envoler vers le monde. Comme un désir inconscient d’envol vers la cage du monde (le poste de télévision) que tu retranscriras aussitôt sur les barreaux de tes pages…

 

 

A voir le nombre de disciplines, de théories, de méthodes, de religions, de spiritualités, de techniques (anciennes et nouvelles) sans cesse renouvelées dans le monde humain, actualisées, remaniées ou nouvellement créées (leur dénombrement serait édifiant !), il semble évident que l’humanité cherche tous azimuts… que cherche-t-elle ? Evidemment à comprendre et à accéder à la vérité (de son identité et de la vie), à trouver la joie et une forme d’ataraxie… A toute époque, l’humanité a cherché. L’époque contemporaine connaît une inflation exponentielle de créations en tous genres. A croire que tout individu porteur d’une nouveauté, parfois d’une simple amélioration ou d’une synthèse plus ou moins savamment concoctée s’imagine, outre léguer son nom à la postérité (mais laquelle devant l’infinité de l’espace cosmique et la temporalité des univers ?) souhaiterait contribuer à l’avancée de cette quête permanente de l’humanité… et permettre à ses contemporains et aux générations futures d’en bénéficier… A un titre plus individuel, il semblerait que chaque créateur, inventeur ou même «améliorateur» d’une théorie, d’une discipline, d’une technique estime que ses recherches auront des effets bénéfiques sur le monde… bref, chacun semble croire au caractère essentiel et précieux de ses investigations… et invite l’humanité à se rallier et à adhérer à ses croyances (ou à ses espoirs)… A titre collectif, ou plus exactement du point de vue de la vie, cette quête effrénée du peuple humain révèle sans doute que les hommes constituent dans l’ensemble du vivant connu (par l’humanité) une espèce singulière dotée d’un caractère spécifique, canal particulièrement propice à l’apprentissage, à la découverte, à la recherche, à l’expérimentation, à la connaissance…. Donc à la quête de la vérité… et à l’actualisation de sa potentialité en dépit de son indéniable caractère animal, instinctif, fragile, voué aux multiples conditionnements et à une foule de caractéristiques entravantes…   bref, l’Homme est un curieux animal doté d’une surprenante singularité…

 

 

Chaque nuit, je fais défiler le monde à ma table. Et il se confie… Comme un ami passager. Je l’écoute avec attention et tendresse. Comme un confident indiscret et curieux. Et nous nous comprenons. A l’aise l’un et l’autre dans cet entre soi humain…

 

 

En dépit de ma féroce misanthropie passée et de l’atroce ignorance du peuple humain, aujourd’hui je suis fier d’appartenir à cette curieuse, fantastique et surprenante (et encore parfois trop affligeante) espèce… 

 

 

Méprisante et méprisable misanthropie. Excusable néanmoins au vu de l’infamie persistante d’une grande part des comportements humains…

 

 

Seuls les comportements sont détestables et indignes… les êtres – et les Hommes en particulier – méritent d’être aimés… L’amour comme seule réponse à la cruauté, à la mesquinerie, à la barbarie et à l’ignorance…

 

 

Malgré ce regain de fraternité pour l’humanité, mon cœur penche toujours vers les opprimés, les mal-aimés, les rejetés, les exclus, les marginaux… toujours piétinés par la communauté… le commun des Hommes… pleutre, conformiste et indifférent (le plus souvent) au sort des hors entre soi

 

 

La nuit tombe… et le jour se lève… 2 expressions de l’humanité diurne (et anthropocentrique). J’aimerais pouvoir dire, quant à moi, comme d’autres travailleurs de la nuit peut-être, au petit matin quand je quitte ma table pour aller me coucher… que le jour tombe…  oui, à la tombée du jour… non lorsque le soleil s’efface à l’horizon mais lorsque la lune disparaît… bref un renversement du rideau… pour que le spectacle (le spectacle du monde) nous apparaisse différemment…

 

 

Tant de mots dans tes fictions que tu n’écriras sur ce carnet… parfois les thématiques se mêlent. Et tu en es heureux… car ce carnet te semble plus essentiel que toute autre récit…

 

 

Tous ces mots sur ces pages inutiles…

 

 

Combien de grands auteurs (inutile d’évoquer les petits auxquels tu appartiens) sont-ils encore lus aujourd’hui ? A cette époque qui vénère l’image et dénigre le mot… on connaît leur nom… on peut même parfois citer quelques titres de leur œuvre (les plus connus)… au mieux quelques idées ou quelques vers (s’il s’agit de poètes)… mais que sait-on véritablement de la plus grande part de leurs pages… ? Toutes ces heures, toutes ces années, toutes ces vies vouées à l’écriture pour une percée des consciences – et une postérité – si médiocres… pour une empreinte sur l’humanité si dérisoire… ? 

 

 

On assimile un écrivain à une thématique… tout au plus… A une idée au mieux. A l’exception des spécialistes, que retient-on de ceux qui écrivent… de ces milliers d’auteurs dont l’œuvre ne leur survit que médiocrement… ? Faulkner, Hugo, Shakespeare, Dante... que sait-on véritablement d’eux… ? Et qui peut se targuer de les avoir vraiment lus… ?

 

 

Les Hommes les plus célébrés dans l’histoire humaine: les hommes politiques (Hitler, Gandhi…), les savants (Pasteur, Einstein…), les génies hors catégorie (Léonard de Vinci), les artistes (Michel-Ange, David…), quelques philosophes (Kant, Hegel…), les religieux (Bouddha, Jésus, Mahomet…). Et tous ces peoples de tous poils (animateurs télé, journalistes à la mode, artistes en vogue, écrivains célébrés par la critique contemporaine…) qui se pavanent sur les magazines et les écrans… qui se targuent avec morgue d’appartenir aux célébrités et aux gloires vivantes. La semaine suivante, l’année suivante, la génération suivante, qui se souviendra (encore) d’eux ?

 

 

Quelles sont les contributions réelles des hommes à l’humanité parmi ceux qui font œuvre publique…? Outre quelques avancées ou percées mémorables dans l’évolution de l’humanité initiées ou poursuivies par quelques-uns, chez la plupart, il ne reste qu’un nom, deux dates et une courte biographie dans les dictionnaires…

 

 

Chaque homme n’a-t-il un destin qu’à sa mesure ?

 

 

Pourquoi ai-je le sentiment que l’écriture me sauve du néant ? Parce qu’une présence qui m’habite m’est révélée… une présence trop point encombrée de moi-même qui m’ouvre à un au-delà de moi-même… sans cette présence, le vide serait perçu comme un désert trop insupportable (seul en sa propre compagnie) ou un espace exigu trop fortement embarrassé de soi… la pire option puisque qu’elle nous rend même aveugle à notre solitude, à ce désert que nous portons en nous… chez certains, l’écriture remplit cette fonction, chez d’autres, elle est assurée par la musique, la peinture, la vie religieuse, la science, la parentalité, la profession (l’aspiration à être utile à l’Autre)… tout ce qui nous révèle à un au-delà de nous-mêmes…

 

 

Poncif conclusif : je (nous) ne suis (sommes) rien sans les autres… eh oui ! Évidemment !

 

 

Le difficile équilibre entre le trop de soi… et le manque de soi… sur la corde mouvante, souvent tu trébuches… tantôt d’un côté… tantôt de l’autre…

 

 

Les Hommes portent le plus souvent un regard méprisant et blasé sur les individus qui tentent de comprendre les affaires universelles humaines. Les intellectuels et les hommes ordinaires considèrent ces thématiques comme des trivialités sans importance (ou pire ils y perçoivent comme une sorte de régression adolescente). A leurs yeux, la vie, la mort, la souffrance, le corps, l’esprit, l’âme, les rapports au monde, l’altérité, l’éternité… sont des thématiques sans intérêt puisque chaque homme y est confronté et que nulle réponse sérieuse ne peut nous aider à progresser vers la vérité (aux yeux des premiers) et à mieux vivre (aux yeux des seconds)… il est donc naturel pour eux de les balayer une fois pour toute afin de s’occuper enfin des vraies choses de la vie ; les courses à faire, la préparation des repas, la destination des vacances chez les uns, les ratiocinations discursives hyper spécialisées, les nouveautés conceptuelles culturelles, les gloses interminables sur les évènements politiques, géopolitiques, économiques et sociaux contemporains chez les autres…

 

 

Chaque homme, certes, est confronté à ces thématiques au cours de son existence. Chacun les a éprouvées, les a expérimentées et s’est forgé une opinion, a élaboré une stratégie pour y faire face, s’adapter ou les occulter, s’est construit une idée commune ou particulière sur les épreuves engendrées par cette expérimentation… mais peu semblent disposés à en témoigner, à partager leurs expériences (excepté si elles se sont avérées traumatisantes ou extrêmement douloureuses)… comme s’il allait de soi d’occulter ou de taire ces questions… et comme si tout débat à leur propos relevait de l’indécence ou de l’incongruité…   

 

 

Tout créateur entretient (sans doute) un rapport addictif au processus créatif. Une relation de dépendance obsédante (voire obsessionnelle). Au sevrage vraisemblablement impossible parce qu’individuellement nécessaire (ou considérée comme telle) et collectivement valorisée (et même encouragée) car considérée - à tort ou à raison - comme l’une des plus nobles activités humaines…

 

 

L’expérimentation des diverses situations existentielles devrait permettre, à un certain âge, d’aborder tous les évènements avec mesure, distance et humour. Bref, la philosophie de l’expérience (liée à l’âge) devrait nous immuniser contre une très large palette du vécu humain : la séparation, l’affection, la souffrance, la joie, la maladie, la santé, la mort, la naissance, l’amour, le désamour. Bref… aller pas à pas son chemin par mont et par vaux… sans se soucier outre mesure de la beauté ou de la laideur des paysages… eh oui ! Encore un poncif et une médiocre métaphore…  

 

 

Nul ne peut véritablement aimer le monde sans apprendre à s’aimer. Et on apprend à s’aimer non en prenant soin de soi mais en transformant la relation que nous entretenons avec nous-mêmes. Prendre soin de soi sans transformer son regard constitue le plus souvent, je crois, une subtile violence à son propre endroit dans la mesure où l’on souhaite - consciemment ou non - tendre vers une image idéale de soi… obtenir un corps, un esprit, une existence en adéquation avec nos idéaux… au détriment d’une dimension que nous rejetons, refusons, excluons, occultons…   

 

 

Tant d’hommes croient aimer le monde en venant en aide aux autres, en participant à maintes œuvres collectives. En croyant aimer… le plus souvent, ils participent (malgré eux) à la violence en séparant le réel et le normatif (leur normatif subjectif et personnel). En creusant un abîme entre ce qui est et ce qu’il faudrait, à leurs yeux, partageant le monde en 2 catégories, ceux qui contribuent, œuvrent et participent à leurs idéaux et ceux qui s’y opposent (dans lesquels ils rangent le plus souvent ceux qui s’en indiffèrent)… en outre, en croyant aider, ils ont le sentiment de réparer une injustice, ignorant que leur propre individualité nécessiterait réparation.    

 

 

La nuit serait-elle mon absinthe… ? Ô pleure donc poète, ivre de tes brumes nocturnes quand tu quittes ta table au lever du jour…

 

 

Sur le métier, tu t’échines en vain. Le poète n’a pas d’établi. Et tu pleures exténué, les outils à la main… (et) les mains calleuses sur ton ouvrage mal façonné…

 

 

Lecture de Hölderlin, d’Octavio Paz, de Whitman. Anthologie de poésie contemporaine. Guillevic, Jaccotet, Bonnefoi… Et parmi ces illustres auteurs, des dizaines de poètes inconnus au destin anonyme… et à l’œuvre non moins touchante et intéressante…

 

 

Tu lis la poésie. Tu t’y aventures sans raison. Sans pensée. Tu la lis l’intuition aux aguets. La paume de la sensibilité ouverte sur le ciel. Tu lis les poètes comme tu te promènes sur un sentier forestier. En flânant dans les paysages. Un œil sur la sente, un œil vers les cimes. Le regard posé à la fois au dedans et au dehors. Attentif et flottant. Concentré et ouvert. 

 

 

En poésie, une œuvre célébrée signée par un auteur connu et reconnu (à la réputation notoire) paraîtrait souvent indigne si elle était signée par un anonyme. Il me semble que l’appréciation de la poésie n’obéit à aucun critère précis (encore moins qu’en littérature). Une poésie est juste. Ou elle n’est pas (poésie). L’auteur doit laisser jaillir… et parvenir à un subtil équilibre de rythme, de sens intuitif, de musique, de spontanéité… la poésie est jaillissement. Et lorsque le jet originel n’a encore trouvé sa forme définitive (et aboutie), il doit être ciselé, refaçonné. Le travail poétique… et la « correction » poétique se doivent d’être toujours et à nouveau jaillissement. L’achèvement du poème s’apprécie à la sensation. Rien à ajouter. Rien à retrancher. Le juste équilibre ressenti. Qui ne présage d’ailleurs nullement de sa compréhension. Ni de son succès. 

 

 

Les poètes sont peu lus. Quelques-uns, rares, sont encensés. Comme des Dieux. Pourquoi lit-on de la poésie… ? Les poèmes sont une expression si étrange, si personnelle de l’intuition, de la perception, de la vision, du sentiment, du regard, de la compréhension, bref du ressenti singulier de leur auteur qu’il est rare qu’ils soient (véritablement) entendus et compris. Aussi pourquoi lire des mots dont le sens (et l’utilité) semblent totalement nous échapper… ? Les poètes lisent les poètes. Et tous ceux qui aspirent ou aspiraient à le devenir…        

 

 

Rousseau a écrit, je crois : « tout ce qui nous touche entre dans la mémoire ». Il suffit donc d’être touché… et comment être touché sinon par une résonance à notre vécu singulier…? Par quoi est-on ému dans un poème (par toute œuvre, mais aussi par toute rencontre et toute chose…) sinon par la lecture (ou le ressenti) de notre propre expérience du monde? Mais les poètes, dont les mots nous semblent parfois si étranges font preuve d’une sensibilité si particulière, ont une perception si singulière de leur présence au monde que peu d’hommes peuvent en être émus (sans même évoquer la singularité de leur langage). Les chansons, aux paroles plus triviales (et aux mots plus simples et au sens plus univoque) qui relatent (en général) des expériences communément répandues sont accessibles à la sensibilité ordinaire des hommes. Voilà sans doute pour quoi les chansons (et les chanteurs) connaissent un très vif succès (populaire). Et non la poésie (et les poètes)…

 

 

Dans le monde humain, sans rapport à l’Autre, nulle règle… nulle référence ne peuvent exister… nous façonnons nos lois, notre code selon notre perception des relations préexistantes (antérieures à notre propre existence) qu’entretiennent les êtres dans l’environnement dans lequel il nous a été donné de naître (d’apparaître) et de nous développer (d’où évidemment, la diversité des codes moraux et comportementaux chez les hommes selon leur lieu de naissance et la culture de leur territoire… dimension valable également pour les enfants sauvages élevés en milieu naturel qui adoptent les règles et apprennent le comportement de l’espèce animale qu’ils ont sous les yeux…). Idem chez la plupart des espèces animales dîtes développées ou supérieures. En revanche, l’instinct semble essentiellement gouverner les individus de certaines espèces animales dîtes inférieures (à l’instar des tortues de mer qui à peine sorties de l’œuf, se dirigent naturellement, instinctivement vers la mer… et semblent n’avoir nul besoin d’éducation et de références pour développer leur individualité de tortue…).  Qu’en est-il pour des espèces vivantes non connues, non humaines et non animales (si elles existent…) qu’en est-il dans d’autres civilisations non humaines à la conscience plus développée…? Les lois et les normes individuelles sont-elles suffisamment ancrées dans la conscience pour se dispenser d’une relation à l’Autre comme préalable nécessaire à leur émergence…? Ces règles individuelles deviendraient-elles une sorte d’instinct naturel…? Ou nécessiteraient-elles, elles aussi, une sorte d’apprentissage par mimétisme à l’existant…? Ou encore constitueraient-elles un socle de base nécessitant un rapport à l’environnement pour se développer et s’actualiser…?  

 

 

Dans l’état poétique. Comme si l’esprit flottait avec une grande acuité… plus grande que celle de l’état de conscience ordinaire. Comme si le flottement de l’esprit malaxait les mots, pétrissait le langage. Pour que jaillisse la parole. Quelques gouttes de la Parole.

 

 

Tous ces  hommes sérieux à la tâche. Consciencieux au labeur. Qui s’échinent à œuvrer. Persuadés de l’utilité de leur œuvre. Architectes, auteurs, coiffeurs, jardiniers, femmes au foyer, cantonniers, psychologues, médecins, éducateurs, mécaniciens. Nul n’échappe à la règle. Grossissant à l’envi l’intérêt de leur rôle et de leur fonction. Activité infime, sinon dérisoire, au vu de l’ensemble. Mais qui possède néanmoins sa place à la mesure de l’humain, modique parcelle du Tout.

 

 

L’Homme peut-il échapper à ses limites… ? A ses limitations… ?  Et si exercer son œuvre, son activité, sa fonction, son rôle, aussi limités semblent-ils, était une façon d’échapper à ses modestes frontières… de repousser (voire de dépasser) l’étroit carcan qui nous enserre… pour atteindre à travers notre singularité l’universel… accéder à l’absolu en acceptant (véritablement et totalement) la dimension relative de la condition humaine ?

 

 

Tes pages sont (en définitive) une brève et dérisoire histoire d’une pensée en recherche… en quête de vérité (de la vérité ?)

 

 

Un grand nombre de discussions chez la gente masculine tourne autour des parties génitales. Et éprouve les pires difficultés à franchir la ceinture. Je note (avec effroi) cette dimension conculproutienne* chez la plupart des mâles… de toutes origines et de tous âges… A défaut d’en pleurer, cette vigoureuse (et inaliénable) propension est à mourir de rire…

* voir l’album de Ralpa

 

 

Trop fin et délicat, trop intellectuel et discursif pour le commun… et affublé d’une indéniable et affligeante ignorance, d’une méconnaissance et d’une inculture patentes couplées à une trivialité des pensées, à une grossièreté des raisonnements et à une vulgarité attristante des thématiques pour les intellectuels bien-nés et bien-pensant… bref, aussi mal à l’aise chez les premiers que chez les seconds… et il te semble malheureusement que ces 2 catégories représentent la plus grande part de l’humanité… et que la troisième catégorie (la tienne) ne soit composée que de quelques individus, voués - de leur propre gré - à l’anonymat, aux doutes, à l’humilité, à la solitude et à leur quête indéfectible (de vérité)… 

 

 

Tu notes le peu d’engouement des lecteurs pour tes pages… l’absence (éloquente) d’enthousiasme et d’encouragements. Tu constates à regret (et avec tristesse) que les inconnus te lisent le plus souvent par curiosité – curiosité qui semble s’émousser en un clin d’œil et que tes proches ne parcourent tes pages que pour ne pas t’offenser…    

 

 

Tu attends (pourtant) avec fébrilité et anxiété, la journée durant, ces heures d’écriture nocturnes. Et tu les explores et les parcours avec la certitude - empreinte souvent de terribles doutes - de réaliser ta noble besogne… Au cœur de la tâche, un étrange sentiment de plénitude t’envahit… comme si ces heures de solitude passées devant tes carnets étaient le seul véritable travail qui t’importe… Au petit matin, tu quittes ta table avec le sentiment du labeur accompli (et déjà anxieux de l’œuvre à accomplir le lendemain…)

 

 

Du plus loin qu’il te souvienne, tu as toujours caressé le rêve de vivre mille existences. Enfant déjà, tu étais à la recherche de modèles vivants complets et équilibrés partageant harmonieusement leur temps et leur énergie en divers domaines (domaines de l’enfance et de l’adolescence) ; scolarité, sports et aventures sentimentales. Tu te souviens de ton désir incessant, dans ce mimétisme, de supériorité. Avide de transcender tes limites et tes frontières… cet irrépressible besoin de dépassement… Te revient aussi en mémoire ton irrésistible envie de courir lorsque tu croisais un jogger, de dessiner lorsque tu voyais l’œuvre d’un artiste, de devenir un héros lorsque tu regardais un film, de devenir un homme illustre, célébré pour sa prodigieuse connaissance lorsque tu écoutais à la radio le récit biographique d’un savant ou d’un scientifique… toujours cette aspiration à suivre la voie de ceux que tu croisais en leur devenant supérieur. Plus récemment, l’écriture de ce livre Et si les hommes… dans lequel tu t’évertues à vivre en imagination des dizaines d’existences humaines différentes sur tous les continents… l’écriture d’un autre livre Tout être sans exception et les dizaines de projets d’écriture où tu t’échines à vouloir ressentir tous les êtres, toutes les choses, toutes les émotions, tous les sentiments, tous les fragments de l’Existant et du Non-Existant… comme si tu cherchais perpétuellement à actualiser toutes ses composantes, à réunir tous ces fragments… certains tangibles parce qu’en partie advenus et développés par l’environnement dans lequel tu as évolué et les rencontres qui t’ont façonné sinon nourri… et d’autres à l’état de graines non encore écloses qui n’auraient encore trouvé le terreau à leur développement, à leur épanouissement… mais en vérité, tu ne cherches sans doute que ton identité profonde et fondamentale… De façon complémentaire, pragmatique et profondément humaine, je crois que cette recherche dissimule aussi une volonté de retrouver en toi l’entiereté de l’Homme, de réunir, derrière la diversité des existences, des parcours, des centres d’intérêt, tous les fragments, les potentialités, les tendances, les penchants, les limitations que porte un seul homme… réconcilier en toi, le tragique et le frivole, l’amusement joyeux et l’apprentissage, la connaissance livresque et l’expérimentation, les contingences triviales et la noble singularité, la bêtise et l’intelligence, tous les penchants et tendances de l’humanité… bref de vivre dans son intégralité -  entièrement - la condition humaine… Comme si tu aspirais (en définitive) à vivre en homme entier… sans rien occulter, sans rien rejeter ou exclure… pour ouvrir cette vie d’Homme à la plénitude… une plénitude composée de capacités extraordinaires et fascinantes et de profondes entraves et obstacles à leur actualisation…      

 

 

Les paroles (les chères paroles) de G. Haldas. Ecoutées lors d’un entretien donné à un journaliste. Un grand sentiment de proximité. Proximité de chair, d’écriture et de sentiments. Une forme de fraternité obscure avec ce poète. Le même dessein attribué à la vie et à l’écriture, cette irrépressible nécessité d’en trouver le sens, cette violence qui sourd entre les mots… le même usage attribué à la souffrance… cette proximité avec les choses quotidiennes et les êtres dépossédés, les sans-grades… le doute perpétuel dont vous êtes tous deux affublés, cette inutile et excessive condescendance et réprobation pour les nantis, les puissants, l’argent, la réussite… tant de thématiques communes t’attachent et te lient à lui… néanmoins, il te semble qu’il ne parvient (encore) à percevoir la diablerie de la stigmatisation et de la critique, formes de violence à peine voilées. Aussi justifiées soient-elles (ou plutôt paraissent-elles), elles ne sont que perceptions des apparences sous une optique normative et partiale et inentendement à l’entiereté de l’Homme. Refus de toutes les dimensions humaines. Et la critique est inutile… le blâme accable et crée davantage de résistances (comme autant de mécanismes de défense) qu’il n’incite ou n’invite à la transformation. La transformation advient (ou disons le processus de transformation s’amorce) après une prise de conscience personnelle et intérieure (réflexive et/ou intuitive, vaguement ou clairement perçue). Voilà pour quoi il est vain d’abattre sur les autres quelques vérités personnelles. Qui sommes-nous d’ailleurs pour s’arroger le droit ou la mission de distiller nos dérisoires percées sur le chemin de la vérité ? Quelles que soient nos insignifiantes avancées, sommes-nous parvenus au bout du chemin ? Ces vérités abattues sur les autres sont d’emblée perçues ou appréhendées comme vérité extérieures, comme d’insupportables corps étrangers qu’ils s’évertuent d’ailleurs aussitôt à combattre. D’où les réactions inverses aux réactions escomptées qui se produisent en cascades… encore une fois, être au plus près de ses vérités personnelles dans son existence réelle et concrète, dans sa façon d’être sans désir aucun d’exemplarité ou de volonté pédagogique est, sans doute, le plus sûr et le plus habile moyen de transformer les consciences des êtres que nous croisons et rencontrons et de participer à l’évolution de la conscience du monde…

 

27 novembre 2017

Carnet n°26 Traversée commune Livre 10 - Fils rouges

Guides & synthèse / 2007 / La quête de sens

Cet ouvrage propose plusieurs grilles de lecture de Traversée Commune. Itinéraires, index thématique identitaire (par degré de cheminement existentiel), index thématique général, pistes de lectures à thématiques émotionnelles, bio-sociales…, glossaire et appendice : TRAVERSEE SYNTHETIQUE qui retrace le chemin, les étapes, les moteurs et les portes de la traversée). Utile pour comprendre les 9 volumes précédents…

 

 

Afin de faciliter la lecture des fragments des livres précédents, FILS ROUGES (dixième et dernier ouvrage de Traversée commune) propose plusieurs itinéraires de lecture, un index thématique identitaire (par degré de cheminement existentiel), un index thématique général, plusieurs pistes de lectures (thématiques émotionnelles, bio-sociales…), un glossaire et un appendice : TRAVERSEE SYNTHETIQUE (qui retrace le chemin, les étapes, les moteurs et les portes de la traversée).

 

 

ITINERAIRES DE LECTURE

L’auteur vous propose plusieurs itinéraires de lecture selon vos goûts, vos centres d’intérêt, votre disposition intérieure, le temps que vous souhaitez (ou pouvez) accorder à cet ouvrage…

 

INDEX THEMATIQUE IDENTITAIRE

Ensemble des thématiques identitaires abordées – par degré de cheminement existentiel (homme ordinaire, homme religieux, homme de l’entre-deux, homme réel) avec liste des fragments concernés.

 

INDEX THEMATIQUE GENERAL

Ensemble des thématiques abordées avec liste des fragments concernés.

 

PISTES THEMATIQUES EMOTIONNELLES

Parcours de lecture à créer par le lecteur (avec guidance ouverte et repères centraux) ayant trait aux thématiques émotionnelles abordées dans cet ouvrage (tristesse, joie, solitude, colère…) pour conduire au désembourbement psychique.

 

PISTES THEMATIQUES BIO-SOCIALES

Parcours de lecture à créer par le lecteur (avec guidance ouverte et repères centraux) ayant trait aux thématiques biologiques et sociales abordées dans cet ouvrage (pauvreté, richesse, adolescence, vieillesse…) pour conduire au désobscurcissement de conscience.

 

PISTES DES ASPIRATIONS HUMAINES

Parcours de lecture à créer par le lecteur (avec guidance ouverte et repères centraux) ayant trait aux grandes aspirations humaines abordées dans cet ouvrage.

 

GLOSSAIRE

Répertoire des mots (et néologismes) employés dans cet ouvrage dont le sens mérite d’être précisé.

 

APPENDICE : TRAVERSEE SYNTHETIQUE

Analyse synthétique (supplément inachevé - et ajouté  in extremis - au cours de l’ultime phase de correction de l’ouvrage) qui retrace le chemin, les étapes, les moteurs et les portes de la traversée.

 

 

ITINERAIRES DE LECTURE

L’auteur vous propose plusieurs itinéraires de lecture :

 

▪ Lecture libre ponctuelle (la plus conseillée) :

vous ouvrez le livre, vous lisez un ou quelques fragments au hasard, puis vous refermez le livre et vous y réfléchissez en vous laissant lentement imprégner. Et vous pouvez (bien entendu) réitérer  l'exercice autant de fois que vous le souhaitez...

CONSEIL : ouvrez une page au hasard…

 

▪ Lecture linéaire globale (assez indigeste et sans véritable intérêt nutritif… à moins de prendre son temps et d’aménager de longues pauses de réflexion)

pour lire tout de bout en bout, bon courage ! vous en aurez sûrement besoin ! 

CONSEIL : ouvrez le livre à la première page…

 

▪ Lecture linéaire partielle méthodique (pourquoi pas… c’est une option assez avantageuse…) :

vous pouvez lire chaque livre de cet ouvrage séparément. Selon vos dispositions, vos prédispositions et votre position de lecture… (bonne pioche !)

CONSEIL : commencez par le livre 1

 

▪ Lecture linéaire partielle selon le genre (éventuellement) : 

selon votre goût pour la fiction, le journal, la philosophie, la poésie, l’ésotérisme, la spiritualité, choisissez le genre qui vous convient… (conseil : ceci n’est pas un roman ! Tentez (néanmoins) de maintenir intact le suspense !)

CONSEIL : reportez-vous à la rubrique CLASSIFICATION PAR GENRE (située ci-dessous) et faîtes votre choix !

 

CLASSIFICATION PAR GENRE 

Récit : livre 1 / livre 3 / livre 4

Roman : livre 2 / livre 3

Journal : livre 6 / livre 9

Ouvrage philosophique : livre 4 / livre 8

Poésie : livre 4 / livre 7

Ouvrage ésotérique : livre 3 / livre 4

Ouvrage spirituel : livre 5

 

▪ Lecture thématiquement orientée (elle peut s'avérer intéressante… et utile)

selon vos centres intérêt ou votre curiosité à l’égard des différents thèmes abordés dans ce livre, vous pouvez opter pour une lecture ciblée...

CONSEIL : consultez L’INDEX THEMATIQUE GENERAL

 

▪ Lecture psychiquement orientée :

(elle peut également s'avérer intéressante…) : selon votre état psychique (ou vos états d'âme) du moment, vous pouvez choisir les fragments ayant trait à cet état (avec un itinéraire de désembourbement psychique proposé…) 

Ainsi si vous vous sentez, par exemple, triste, en colère, haineux, désespéré(e), seul(e), vulnérable, perdu(e), insignifiant(e), impuissant(e), violent(e), névrosé(e), stupide, laid(e), égoïste, agité(e), médiocre, vous serez sûrement ravi(e) de voir que vous n’êtes pas seul(e) dans cet (ou ces état(s)) et qu’il est possible de vous en sortir…

CONSEIL : consultez (non pas un psy !) mais  LES PISTES THEMATIQUES EMOTIONNELLES

 

▪ Lecture par degré de cheminement existentiel :

Selon votre degré de cheminement existentiel, vous pouvez choisir les fragments ayant trait à ce stade d’obscurcissement de la conscience (ou de désobscurcissement – selon le regard que l’on porte sur la chose), et jeter un œil (rapide ou insistant) aux fragments ayant trait aux phases précédentes et suivantes…).

Ainsi si vous vous sentez ou avez envie de connaître les caractéristiques principales, par exemple, d’un être humain ordinaire commun, d’un être humain ordinaire singulier, d’un chercheur existentiel, d’un quêteur prosaïque, d’un chercheur  religieux, d’un chercheur intérieur… à vos marques… pages… et attention, le cheminement (et la lecture) ne sont en aucune façon des courses de vitesse ! Prenez votre temps !

CONSEIL : consultez L’INDEX THEMATIQUE IDENTITAIRE

 

▪ Lecture initiatique à la spiriposophie : 

Linéaments spiriposophiques : livre 5 quintessence

CONSEIL : commencez par le livre 5

 

▪ Lecture essentialiste :

Lecture des fragments jugés « essentiels » par l’auteur

CONSEIL : reportez-vous à la rubrique FRAGMENTS ESSENTIELS (située ci-dessous) et commencez par le premier fragment de la liste… et si vous êtes courageux et… persévérant… et vraiment désireux de connaître ce qui semble essentiel à l’auteur, poursuivez jusqu’au dernier.

 

FRAGMENTS ESSENTIELS

 Fragments 1.191 / 1.227 / 4.19 / 4.56 / 4.57 / 4.61 / 4.70 / 4.82 / 4.93 / 4.104 / 4.113 / 4.121 / 4.124 / 4.134 / 4.142 / 4.157 / 4.168 / 4.171 / 4.174 / 4.191 / 4.194 / 4.197 / 4.209 / 4.211 / 4.216 / 4.228 / 4.239 / 4.240 / 4.246 / 4.261 / 4.265 / 4.285 / 4.290 / 4.293 / 5.122 / 5.131 / 5.136 / 5.142 / 5.145 / 5.148 / 5.154 / 5.159 / 5.162 / 5.170 / 5.179 / 6.174 / 6.272 / 6.304 / 6.354 / 6.372 / 8.16 / 8.39 / 9.108 / 9.110 / 9.116 / 9.120 / 9.121 / 9.131 / 9.132 / 9.136 / 9.142 / 9.147 / 9.156 / 9.160 / 9.168 / 9.169 / 9.175 / 9.176 / 9.178 / 9.281

 

▪ Lecture autoportraitique :

Itinéraire de lecture réservé aux lecteurs désireux de connaître la personnalité de l’auteur, ses doutes, ses fragilités, ses aspirations, bref d’avoir un aperçu synthétique du personnage…)

CONSEIL : reportez-vous à la rubrique FRAGMENTS AUTOPORTRAITIQUES (située ci-dessous) et commencez par le premier fragment de la liste… et si vous éprouvez, au fil de votre lecture, un intérêt grandissant pour l’auteur, poursuivez jusqu’au dernier.

 

 FRAGMENTS AUTOPORTRAITIQUES

Fragments 1.4 / 1.6 / 1.14 / 1.16 / 1.28 /1.100 / 1.136 / 1.142 / 3.49 / 3.50 / 3.91 / 3.203 / 3.204 / 3.310 / 3.311 / 4.24 / 4.25 / 4.41 / 4.45 / 4.53 / 4.56 / 4.57 / 4.107 / 4.124 / 4.125 / 4.132 / 4.171 / 4.176 / 4.209 / 4.223 / 4.239 / 4.253 / 4.254 / 4.286 bis / 6.8 / 6.12 / 6.20 / 6.23 / 6.39 / 6.40 / 6.56 / 6.64 / 6.108 / 6.134 / 6.160 / 6.169 / 6.180 / 6.191 / 6.197 / 6.215 / 6.217 / 6.222 / 6.232 / 6.265 / 6.272 / 6.319 / 6.320 / 6.321 / 6.328 / 6.344 / 6.359 / 6.360 / 6.363 / 6.369 / 8.1 / 8.36 / 8.49 / 9.108 / 9.156 / 9.182 / 9.186 / 9.194 / 9.240 / 9.276 / 9.299 / 9.345

 

▪  Lecture au choix : 

vous pouvez opter pour une lecture totalement libre (sans guidance et sans conseils), un mix d’une partie ou de l’ensemble des itinéraires proposés), choisissez donc la lecture qui vous convient ! (vous êtes libre !)

CONSEIL : faîtes donc ce que vous voulez ! Allez à la page qui vous agrée ! Et commencez par le fragment qui vous chante !

 

▪  Lectures (innombrables) auxquelles l’auteur n’a nullement pensé (et qu’il vous appartient, si vous en avez le désir, de découvrir…) :

bonne chance !

CONSEIL : creusez-vous un peu la tête ! Et amusez-vous bien !

 

▪ Vous pouvez enfin choisir de ne pas lire cet ouvrage (ç'est un choix, ma foi, très respectable), pour vaquer à vos affaires…  ou mieux… pour vivre votre vie sans vous en soucier (je vous le souhaite… enfin… qu’à moitié). Bonne route ! Et puis reconnaissez qu’il est un peu tard à présent ! Si vous êtes en train de lire ce paragraphe, votre lecture est déjà bien entamée (à moins, bien sûr, que vous ne soyez tombé dessus par hasard…).

CONSEIL : débrouillez-vous ! Et n’allez pas dire que nul ne veut vous aider !

 

 

INDEX IDENTITAIRE

Cet index répertorie l’ensemble des catégories identitaires abordées dans cet ouvrage.

Les catégories identitaires correspondent aux étapes existentielles (ou degré de cheminement) de l’Homme.

Cet ouvrage retrace 4 étapes principales : l’homme ordinaire, l’homme religieux, l’homme de l’Entre-deux et l’homme réel.

N.B : une distinction particulière peut être opérée pour l’Homme ordinaire (première étape). L’homme ordinaire peut, en effet, être commun ou singulier. L’Homme ordinaire est qualifié de commun si son existence (et ses préoccupations – sont essentiellement d’ordre prosaïque (son désir est principalement orienté vers l’amélioration de ses conditions d’existence). Et il est qualifié de singulier s’il éprouve la nécessité de répondre aux questionnements métaphysiques de base. Autrement dit, s’il cherche à comprendre le sens de son passage sur terre et/ou les fondamentaux de l’humanité.

 

NOTE SUR LES QUESTIONNEMENTS METAPHYSIQUES :

chaque Homme, au fil de son parcours, est amené à se poser les 3 grandes questions métaphysiques de base :

-  qui suis-je ? (questionnement sur notre identité véritable) ;

-  d’où viens-je ? (questionnement sur les origines de l’humanité et de l’avant-vie) ;

-  où vais-je ? (questionnement sur le sens de l’humanité, du vivant, de la vie et de l’après-mort).

Bien que chacun soit confronté à ces questions au cours de son existence, les Hommes se distinguent en matière de recherche de réponses. Ainsi, une frustre typologie peut être établie ;

-  le chercheur prosaïque qui évince, occulte, ou se désintéresse (par manque de goût ou d’intérêt) de cette recherche métaphysique en se résignant à l’ignorance et en prosaïsant sa quête (simple amélioration de son confort de vie) ;

-  le chercheur intermittent qui alterne recherche prosaïque (quête de confort, de bien-être) et quête philosophique ou métaphysique au gré des évènements et des circonstances. Ce dernier s’intéressera principalement à ces questions en période de crise, de doute, de souffrance, de choix existentiel et s’en désintéressera en temps habituel ;

-  le chercheur modéré qui poursuit de façon concomitante sa quête prosaïque et sa quête métaphysique en ne privilégiant aucune des deux démarches (les deux lui semblent d’importance équivalente) ;

-  le chercheur obsessionnel dont  la réponse à ces questionnements occupe l’essentiel de son temps, de son énergie et/ou de ses recherches.

 

Note suppl. : ces sous-catégories ne sont évidemment pas figées. Et l’Homme commun ordinaire peut devenir - progressivement ou subitement - au gré des circonstances (et du mûrissement de sa conscience) un Homme ordinaire singulier, voire accéder à l’étape de l’Homme
religieux.

N .B : A l’instar de l’Homme ordinaire, les autres catégories identitaires (en particulier l’Homme religieux et l’Homme de l’Entre-deux) peuvent être affinées.

 

Ainsi, à titre d’exemple (très simpliste), l’Homme religieux peut être ouvert ou dogmatique et l’Homme de l’Entre-deux tiré vers l’ésotérisme et le dogmatisme (caractéristiques de l’homme religieux) ou encore très empreint d’obscurité (caractéristiques de l’homme ordinaire) ou à quelques encablures de la lumière (caractéristiques de l’homme réel).

Enfin, certains Hommes peuvent, bien sûr, être à cheval sur plusieurs étapes. Ainsi, un être commun ordinaire peut avoir un pied chez l’Homme religieux (sans transformer ses croyances en doctrine ou en conduite de vie) et un autre chez l’Homme de l’Entre-deux (s’il possède par exemple quelques dispositions au contentement - non résigné -, à l’altruisme et à l’humanisme).

 

*

 

Afin d’alléger la classification, nous évincerons ces nuances pour retenir 5 catégories identitaires principales :

 

  • L’homme ordinaire commun (le chercheur prosaïque)
  • L’homme ordinaire singulier (le chercheur existentiel ou quêteur de sens)
  • L’homme religieux (l’homme des dogmes et des vérités extérieures)
  • L’homme de l’entre-deux (le chercheur intérieur)
  • L’homme reel (l’homme sage)

 

Cet index répertorie (au final) 5 catégories identitaires, 3 portes d’accès (qui permettent de passer d’une catégorie à l’autre) et 2 cheminements complets (ceux de l’homme ordinaire commun et d’un homme ordinaire singulier, l’auteur).

 

N.B : 2 itinéraires de lecture sont proposés par item : un itinéraire court (les fragments essentiels) et un itinéraire long (l’ensemble des fragments évoquant cette étape).

 

  • L’homme ordinaire commun

  • Itinéraire court : fragments 5.3 à 5.38
  • Itinéraire long : fragments impairs du LIVRE 1 (fragments 1.1/1.3/1.5 … à 1.257) + fragments 2.1 à 2.29 du LIVRE 2

 

  • L’homme ordinaire singulier

  • Itinéraire court : fragments 1.4 / 1.8 / 1.14 / 1.16 / 1.26 / 1.28 / 1.38 / 1.52 / 1.56 / 1.58 / 1.64 / 1.74 / 1.78 / 1.116 / 1.126 / 1.130 / 1.136 / 1.142 / 1.148 / 1.158 / 1.164 / 1.192 / 1.198 / 1.210 / 1.218 / 1.220 / 1.254 du LIVRE 1 + fragments 2.1 à 2.29 du LIVRE 2
  • Itinéraire long : fragments pairs du LIVRE 1 (fragments 1.2/1.4/1.6… à 1.258) + LIVRE 2

 

  • L’homme religieux

  • Itinéraire court : fragments 5.40 à 5.47
  • Itinéraire long : fragments 3.42 à 3.55 et 3.203 à 3.233 du LIVRE 3
  • Itinéraire long singulier : LIVRE 3

 

  • L’homme de l’entre-deux

  • Itinéraire court : fragments 5.55 à 5.108
  • Itinéraire long : LIVRE 4

 

  • L’homme réel

  • Itinéraire unique : 5.179 / 5.181 à 5.184
  • PORTE située entre l’ignorance et la recherche de lumière (pour passer de l’homme ordinaire à l’homme religieux)
  • Itinéraire court : fragments 5.39 à 5.43 du LIVRE 5
  • Itinéraire long (pour l’Homme commun) : fragments

  •  

    Itinéraire long (pour un homme singulier) : LIVRE 3
  • PORTE situee entre lA recherche de lumière ET L’acceptation de l’obscurite (pour passer de l’homme religieux à l’homme de l’Entre-deux)

  • Itinéraire court : fragments 5.48 à 5.50 du LIVRE 5
  • Itinéraire long (pour l’Homme commun): fragments 3.228 à 3.233 du LIVRE 3

  • Itinéraire long (pour un homme singulier) : LIVRE 3

 

NOTE : aucun itinéraire n’est proposé pour la porte située entre l’acceptation de l’obscurité et la lumière (pour passer de l’homme de l’Entre-deux à l’homme réel) dans la mesure où l’auteur, à l’heure de la publication de cet ouvrage, ne l’a pas (encore) franchie. Seuls quelques pensées et exercices sont proposés pour en découvrir l’accès.

 

  • Exercices pour acceder à la PORTE située entre L’acceptation de l’obscurite et la lumiere (pour passer de l’homme de l’Entre-deux à l’homme réel)
  • Itinéraire unique : fragments 5.109  à 5.176

  • LE CHEMINEMENT integral de l’Homme ORDINAIRE Commun (de l’étape 1 à l’étape 4)
  • Itinéraire court : fragments 5.1 à 5.108 + 5.179 à 5.184

  • Itinéraire long : fragments impairs du LIVRE 1 (fragments 1.1/1.3/1.5 … à 1.257) + fragments 2.1 à 2.29 du LIVRE 2 + fragments 3.42 à 3.55 et 3.203 à 3.233 du LIVRE 3 + fragments du LIVRE 4 dont les titres apparaissent avec la plus grande police de caractère + fragments 5.109 à 5.184 du LIVRE 5
  • LE CHEMINEMENT integral de l’Homme ORDINAIRE singulier – ou plus exactement d’un homme ordinaire singulier (l’auteur) – non représentatif, bien sûr, de l’Homme ordinaire singulier (de l’étape 1 à l’étape 4)

  • Itinéraire court : fragments 1.4 / 1.8 / 1.14 / 1.16 / 1.26 / 1.28 / 1.38 / 1.52 / 1.56 / 1.58 / 1.64 / 1.74 / 1.78 / 1.116 / 1.126 / 1.130 / 1.136 / 1.142 / 1.148 / 1.158 / 1.164 / 1.192 / 1.198 / 1.210 / 1.218 / 1.220 / 1.254 du LIVRE 1 + fragments 2.1 à 2.29 du LIVRE 2 + fragments 3.42 à 3.55 et 3.203 à 3.233 du LIVRE 3 + fragments du LIVRE 4 dont les titres apparaissent avec la plus grande police de caractère + fragments 5.109 à 5.184 du LIVRE 5 
  • Itinéraire long : fragments pairs du LIVRE 1 (fragments 1.2/1.4/1.6 … à 1.258) + LIVRE 2 + LIVRE 3 + LIVRE 4 + LIVRE 5

  • Itinéraire intégral : fragments pairs du LIVRE 1 (fragments 1.2/1.4/1.6 … à 1.258) + LIVRE 2 + LIVRE 3 + LIVRE 4 + LIVRE 5 + LIVRE 6 + LIVRE 8 + fragments de la première partie du LIVRE 9 situés à droite + l’ensemble des fragments des parties 2 et 3 du LIVRE 9 ;

 

 

INDEX THEMATIQUE GENERAL

Cet index répertorie l’ensemble des thématiques abordées dans cet ouvrage (thématiques simples, doubles et triples).

NOTE 1 : pour chaque thématique, l’ordre de présentation des fragments correspond à leur ordre d’apparition dans l’ouvrage.

NOTE 2 : Il était initialement prévu de présenter les fragments selon un ordre obéissant au double critère suivant :

Un critère de forme : 5 catégories de fragments avaient été distinguées :

 

  • LES FRAGMENTS A CARACTERE GENERAL qui définissent, éclairent ou abordent une thématique de façon exclusive (ou importante) sous forme d’idée générale ou d’aphorisme.
  • LES FRAGMENTS A CARACTERE PARTIEL qui abordent une thématique de façon partielle et/ou en y mêlant d’autres thématiques.
  • LES FRAGMENTS A CARACTERE PERSONNEL qui adoptent le point de vue subjectif de l’auteur ou qui n’ont trait qu’à son expérience personnelle.
  • LES FRAGMENTS A CARACTERE FICTIONNEL qui abordent une thématique sans souci véritable d’exposer une idée générale clairement circonscrite N.B : La grande majorité des fragments à caractère fictionnel (essentiellement les fragments des livres 2 et 3) avait été exclue de l’index thématique.
  • LES FRAGMENTS A CARACTERE PSEUDO-POETIQUE qui apportent un éclairage (si l’on peut dire) décalé sur une thématique.

 

Un critère de contenu : 4 catégories de fragments avaient été distinguées selon leur appartenance à l’une des 4 étapes de développement de la conscience abordées dans cet ouvrage :

 

  • LES FRAGMENTS DE L’HOMME ORDINAIRE (ETAPE 1) dont le contenu relève principalement de la perception et/ou de la conscience de l’Homme (commun ou singulier) en prise avec l’obscurité. 
  • LES FRAGMENTS DE L’HOMME RELIGIEUX (ETAPE 2) dont le contenu relève principalement de la perception et/ou de la conscience de l’Homme (commun ou singulier) en prise avec la recherche de lumière. 
  • LES FRAGMENTS DE L’HOMME DE L’ENTRE-DEUX (ETAPE 3) dont le contenu relève principalement de la perception et/ou de la conscience de l’Homme de l’entre-deux qui accepte l’obscurité et découvre les éclaircies.  
  • LES FRAGMENTS DE L’HOMME REEL (ETAPE 4) où le contenu relève principalement de la perception et/ou de la conscience de l’Homme éclairé (ou sage). 

 

NOTE 3 : malgré son intérêt, ce double critère n’a pas été retenu. L’ordre de présentation des fragments aurait été soumis à des règles formelles trop lourdes et trop peu lisibles. Dans un double souci de décomplexification de l’index – déjà extrêmement chargé – et de réelle participation du lecteur à l’élaboration de son propre itinéraire de lecture (compréhension, appropriation et imprégnation), cette double catégorisation a finalement été abandonnée. N.B : Il semble néanmoins judicieux pour un lecteur soucieux d’entreprendre une lecture éclairée d’effectuer ce travail classificatoire. 

NOTE SUPPL. : malgré la dimension polysémique et la multiplicité des interprétations d’un grand nombre de fragments, la thématique (ou la lecture) la plus évidente a été sélectionnée afin d’alléger l’index.

 

APRIORI  9.82

ABIME 3.207

ABSOLU 6.82

   ABSOLU ET RELATIF  2.366 / 4.190

ABSORPTION 1.27

ABSURDITE 1.52 / 1.106 / 7.34 / 9.201

   ABSURDITE ET CRAINTE 3.42

   ABSURDITE ET RESIGNATION 3.43

ACCUEIL (acceptation) 1.244 / 4.61 / 4.63 / 4.64 / 4.114 / 4.115 / 4.162 / 4.216 / 4.220 / 4.229 / 4.242 / 4.275 / 4.293 / 5.159 / 5.161 / 5.163 / 5.165 / 5.171 / 5.172 / 5.173 / 5.174 / 6.98 / 6.147 / 6.148 / 6.174 / 6.176 / 6.348 / 6.372 / 8.4 / 9.146 / 9.165 / 9.176 / 9.178 / 9.191 / 9.215 / 9.219 / 9.230 / 9.247 / 9.305 / 9.317 / 9.323

   ACCUEIL ET APPRENTISSAGE 9.305

   ACCUEIL ET CHEMIN 5.154

   ACCUEIL ET CHEMINEMENT 4.63 / 4.66 / 9.305

   ACCUEIL ET CHEMINEMENT (intérieur) 4.269

   ACCUEIL ET CONDITION 4.275

   ACCUEIL ET CONFIANCE 4.63 / 4.66

   ACCUEIL ET COULEUR 4.64

   ACCUEIL ET DIVERSITE 9.136

   ACCUEIL ET EQUANIMITE 9.323

   ACCUEIL ET ESSENTIEL 9.162

   ACCUEIL ET EVENEMENT 4.61 / 4.66

   ACCUEIL ET INTERIORITE 4.286

   ACCUEIL ET JOIE 4.66 / 4.225

   ACCUEIL ET REEL 5.156 / 5.161 / 5.162

   ACCUEIL ET REJET 6.147

   ACCUEIL ET REUNIFICATION 9.322

   ACCUEIL ET SOUFFRANCE 4.285

   ACCUEIL ET VIE 4.229

ACCUMULATION 6.149 / 7.32 / 9.28 / 9.159

ACTE 4.84

ACTION 1.242

   ACTION ET EXISTER 1.242

   ACTION ET IDEAL 6.389

   ACTION ET INJUSTICE 1.39

   ACTION ET JUSTESSE 4.52 / 6.389 / 8.30

   ACTION ET REACTION 1.41

   ACTION ET VIE 6.389

ACTIVITE 9.47

   ACTIVITE ET ROLE 9.336 / 9.337

ADMIRATION 4.268

ADULTE 1.46

   ADULTE ET IGNORANCE 1.46

AFFLICTION 6.107

AGITATION 1.52 / 6.90 / 6.391

   AGITATION ET IMMOBILITE 6.391

AGONIE 2.48

AIDE 6.172 / 6.266 / 6.270 / 6.290 / 6.301 / 6.322 / 7.16 / 7.27

   AIDE ET INTRANSIGEANCE 9.222 / 9.223

   AIDE ET LIMITE 6.322

AILLEURS 1.105

AIMER 9.84

   ALCOOL ET CHAGRIN 2.289

ALIMENTATION 6.44 / 7.136 / 9.210

ALTRUISME 4.39 / 4.401 / 6.274

AMBITION 2.95 / 4.252 / 6.301 / 6.320 / 9.10 / 9.218

AME 4.58 / 4.286 / 7.158 / 9.208 / 9.273

   AME ET COMMERCE 9.273

AMOUR 1.203 / 1.205 / 7.55 / 7.58 / 7.61 / 7.62 / 7.64 / 7.66 / 7.114 / 7.121 / 9.51 / 9.52 / 9.84 / 9.96 / 9.126 / 9.316

   AMOUR (de soi) 9.52

   AMOUR (du monde) 9.52

   AMOUR ET ERRANCE 1.203 / 1.205

   AMOUR ET ILLUSION 9.51

ANEANTISSEMENT ET PROFONDEUR ET REFUGE 9.257

ANGE ET SEXE 2.59

ANGOISSE 3.61 / 4.245 / 9.2

   ANGOISSE ET FUITE 3.61

ANIMAL 1.234 / 7.117 / 9.211 / 9.343

   ANIMAL ET HOMME 1.234

   ANIMAL ET MORT 1.234

ANTICIPATION 4.244

APITOIEMENT 6.248

APPARENCE 4.236 / 4.237 / 4.242 / 9.79 / 9.81

   APPARENCE ET BEAUTE 4.242

APPRENTISSAGE 5.159 / 6.134 / 6.153 / 7.165 / 7.169 / 8.3

   APPRENTISSAGE ET ACTION 5.137 / 5.138 / 5.139 / 5.140 / 5.141

   APPRENTISSAGE ET DESAPPRENTISSAGE 6.153

   APPRENTISSAGE ET DESEGOTISATION 5.150

   APPRENTISSAGE ET FUITE 5.156

   APPRENTISSAGE ET LIMITE 1.158 / 1.185

   APPRENTISSAGE ET MORT 9.109

   APPRENTISSAGE ET MURISSEMENT 5.152

   APPRENTISSAGE ET REEL 5.155

   APPRENTISSAGE ET REGARD 5.148

   APPRENTISSAGE ET SOLITUDE 9.131

   APPRENTISSAGE ET VERITE 1.22

APPROPRIATION 1.71 / 9.25

ARBRE 4.154 / 7.157

   ARBRE ET LUMIERE 4.154

ARGENT 7.162 / 9.200

ARMURE 2.363 / 4.192 / 4.226 / 9.57

ARRIERE-COUR 6.113

ARROGANCE 6.40

ART 1.84 / 6.342

   ART ET COMBAT 6.60

   ART ET HANDICAP 6.60

   ART ET LIMITE 6.318

   ART ET MENSONGE 6.342

   ART ET REEL 1.84 / 6.318 / 6.342

ARTISTE 6.60 / 6.169

   ARTISTE ET DOUTE 6.169 / 6.171

   ARTISTE ET MEDIOCRITE 6.169

ASPIRATION 2.95 / 2.213 / 4.83 / 4.217 / 6.6 / 6.117 / 9.117

ASSISE 4.246 / 4.249

ASSUREUR 9.199

ATTACHEMENT 6.72

ATTENTE 6.200 / 9.160

   ATTENTE ET CONFIANCE 9.160

   ATTENTE ET JOIE 6.200

ATTENTION 2.2 / 2.3 / 2.5 / 2.6 / 5.153 / 5.164 / 5.176 / 8.8 / 8.39

   ATTENTION ET CORPS 5.142

   ATTENTION ET INTERIORITE 9.253 / 9.254

   AUSTERITE ET JOIE 9.319

AUTEUR 6.139 / 6.280 / 6.341

   AUTEUR ET SPIRITUALITE 7.180

AUTOBIOGRAPHIE 6.228

   AUTONOMIE ET CHEMINEMENT 4.70

   AUTORITE ET CHEMINEMENT 4.249

AVENIR 4.244 / 9.71

AVEUGLEMENT 1.69 / 1.125 / 1.251 / 5.146 / 6.215 / 7.166

   AVEUGLEMENT ET CHEMINEMENT 1.226 / 1.251

   AVEUGLEMENT ET ESSENTIEL 1.125

   AVEUGLEMENT ET MONDE 9.22

AVIDITE 1.6 / 1.63 / 6.233

   AVIDITE ET LECTURE 6.258

AVOIR 4.232

BAGAGE 9.104

   BARBARIE ET HUMANITE 1.172

BEAU 9.85

BEAUTE 2.346 / 4.178 / 4.242 / 4.263 / 6.345 / 9.83

   BEAUTE ET HIERARCHIE 9.83

   BEAUTE ET LAIDEUR 2.346

   BEAUTE ET MONDE 4.263

   BESOIN ET CONTRADICTION 6.202

BEST-SELLER 2.274

BETISE 1.126 / 1.216 / 4.44 / 6.14 / 6.215 / 7.184 / 9.5 / 9.207

BIBLE 6.316

BIBLIOTHEQUE 1.84 / 1.236 / 6.303

   BIEN ET MAL 1.39

BIEN-ETRE 6.326 / 9.171

BIENVEILLANCE 4.248 / 5.153 / 5.176 / 6.56 / 6.275

BLAGUE 9.284

BONHEUR 1.64 / 9.9 / 9.51

   BONHEUR ET CONTENTEMENT 9.192

BOUDDHA 6.311

BOUDDHISME

BOURREAU 4.207 /4.208 / 9.69

BRUIT 4.116 / 9.214

BUT 9.11

CAVE 6.113

CEREBRAL 6.82

CHAOS 4.228

   CHAOS ET REFUGE 4.228

CHEMIN 1.195 / 2.16 / 2.366 / 3.17 / 4.3 / 4.6 / 4.25 / 4.56 / 4.88 / 4.111 / 4.283 / 4.292 / 4.294 / 5.177 / 5.178 / 6.10 / 6.65 / 9.157 / 9.218 / 7.39 / 9.11

   CHEMIN ET ABIME 1.13

   CHEMIN ET AVENTURE 5.175

   CHEMIN ET COULEUR 2.382

   CHEMIN ET DEPOUILLEMENT 5.181

   CHEMIN ET DIFFICULTE 4.294 / 5.171

   CHEMIN ET GLOIRE 4.161

   CHEMIN ET LABYRINTHE 9.1

   CHEMIN ET LUMIERE 4.3 / 5.177

   CHEMIN ET OBSCURITE 4.3

   CHEMIN ET PEUR 5.173 / 5.177

   CHEMIN ET PROFONDEUR 4.7 / 4.37

   CHEMIN ET QUOTIDIEN 5.175

   CHEMIN ET REGARD 2.382

   CHEMIN ET SOUFFRANCE 5.173 / 5.174

   CHEMIN ET UNICITE 4.25 / 4.90

   CHEMIN ET VERITE 4.25

CHEMINEMENT 1.5 / 1.8 / 1.9 / 1.10 / 1.23 / 1.24 / 1.199 / 2.10 / 2.16 / 2.33  / 2.183 / 2.366 / 2.384 / 3.242 / 4.7 / 4.30 / 4.41 / 4.53 / 4.54 / 4.56 / 4.58 / 4.87 / 4.88 / 4.105 / 4.111 / 4.189 / 4.212 / 4.230 / 4.231 / 4.248 / 4.272 / 4.281 / 5.169 / 6.4 / 6.10 / 6.50 / 6.126 / 6.132 / 6.155 / 6.227 / 6.274 / 6.307 / 7.8 / 7.97 / 9.11 / 9.94 / 9.103 / 9.103 bis / 9.106 / 9.111 / 9.113 / 9.114 / 9.122 / 9.126 / 9.138 / 9.148 / 9.154 / 9.158 / 9.172 / 9.173 / 9.174 / 9.179 / 9.182 / 9.248 / 9.335

   CHEMINEMENT ET ABIME 3.205

   CHEMINEMENT ET APPETIT 1.8

   CHEMINEMENT ET AUTONOMIE 4.30

   CHEMINEMENT ET AVEUGLEMENT 8.34 / 8.35

   CHEMINEMENT ET CONDITION (humaine) 1.257

   CHEMINEMENT ET CONVICTION 8.36

   CHEMINEMENT ET CURIOSITE 1.8

   CHEMINEMENT ET DECOURAGEMENT 4.271

   CHEMINEMENT ET DEPOUILLEMENT 4.212

   CHEMINEMENT ET DESESPOIR

   CHEMINEMENT ET DESILLUSION 9.94

   CHEMINEMENT ET DIFFICULTE 1.106 / 3.126 / 4.28 / 4.29 / 4.31 / 4.33 / 4.81

   CHEMINEMENT ET ELARGISSEMENT 4.38 / 4.41

   CHEMINEMENT ET ENERGIE 6.264

   CHEMINEMENT ET ESPOIR 3.91

   CHEMINEMENT ET ETAPE 9.272

   CHEMINEMENT ET EXPLORATION 4.80

   CHEMINEMENT ET FORCES OBSCURES 6.264

   CHEMINEMENT ET FUITE 1.111

   CHEMINEMENT ET IDENTITE 8.32 / 8.46

   CHEMINEMENT ET IGNORANCE 9.269

   CHEMINEMENT ET IMITATION 4.28 / 4.29

   CHEMINEMENT ET IMMOBILITE 1.53

   CHEMINEMENT ET INCERTITUDE 4.271

   CHEMINEMENT ET INDIFFERENCE 1.199

   CHEMINEMENT ET INTERIORITE 6.274

   CHEMINEMENT ET INVERSION 4.183

   CHEMINEMENT ET JOIE 4.283

   CHEMINEMENT ET JUSTESSE 4.124

   CHEMINEMENT ET LIBERTE 4.125

   CHEMINEMENT ET LUMIERE 4.155 / 4.291

   CHEMINEMENT ET MOTEUR 4.259

   CHEMINEMENT ET MURISSEMENT 9.243

   CHEMINEMENT ET OBSTACLE 4.110 / 4.125

   CHEMINEMENT ET OSCILLATION 4.41

   CHEMINEMENT ET PARADOXE 4.199

   CHEMINEMENT ET PENSEE 2.383

   CHEMINEMENT ET PRECIPITATION 4.129

   CHEMINEMENT ET PROTECTION 1.111

   CHEMINEMENT ET RYTHME 4.127 / 4.128

   CHEMINEMENT ET SOUFFRANCE 1.198

   CHEMINEMENT ET SURFACE 1.223

   CHEMINEMENT ET TENEBRE 6.227

   CHEMINEMENT ET TRISTESSE 3.17

   CHEMINEMENT ET UNICITE

   CHEMINEMENT ET VERITE 4.132

   CHEMINEMENT ET VIE 4.282 / 4.292

   CHEMINEMENT ET VITESSE 4.77

   CHEMINEMENT ET VOIX 4.250

CHEMINEMENT (spirituel) 6.186 / 6.187 / 6.190 / 6.211 / 6.241 / 6.259 / 6.274 / 6.276 / 6.310 / 6.333 / 8.34 / 8.35 / 8.36 / 8.37 / 8.38 / 9.219

   CHEMINEMENT (spirituel) ET ATTENTE 6.368

   CHEMINEMENT (spirituel) ET ENVIRONNEMENT 6.189 / 6.219 / 6.229

   CHEMINEMENT (spirituel) ET LIMITE 6.203 / 6.275

   CHEMINEMENT (spirituel) ET OBSTACLE 6.368

   CHEMINEMENT (spirituel) ET SENS 6.259

   CHEMINEMENT (spirituel) ET SERENITE 6.368

   CHEMINEMENT (intérieur) ET DIFFICULTE 4.265 / 4.267 / 4.283

   CHEMINEMENT (intérieur) ET EFFORT 3.277

   CHEMINEMENT (intérieur) ET IGNORANCE 3.95 / 3.108

   CHEMINEMENT (intérieur) ET LUMIERE 3.331 / 6.187

   CHEMINEMENT (intérieur) ET OBSCURITE 3.231 / 3.268

   CHEMINEMENT (intérieur) ET PORTE

   CHEMINEMENT (intérieur) ET PROFONDEUR 3.96 / 3.207

   CHEMINEMENT (intérieur) ET RELIGION 3.261

   CHEMINEMENT (intérieur) ET SOLITUDE 3.277

   CHEMINEMENT (intérieur) ET VIE 4.257

CHEVALIER 2.363

CHIMERE 1.65 / 1.127 / 1.152 / 6.46 / 9.19

   CHOIX ET MURISSEMENT 9.107

CHRIST 6.311

CHRISTIANISME 6.225

CHUTE 4.295 / 4.296 / 7.87 / 9.269

   CHUTE ET CHEMINEMENT 4.295 / 4.296

   CHUTE ET INATTENTION 4.295

   CHUTE ET NEGLIGENCE 4.295

   CHUTE ET PROFONDEUR 2.237

CIEL 4.183 / 6.94

   CLE ET QUETE 1.191

CŒUR 2.40 / 4.105 / 4.179 / 4.191 / 4.198 / 4.286 / 5.168 / 6.320 / 7.148 / 9.133

   CŒUR ET ACTION 7.3

   CŒUR ET AVEUGLEMENT 1.69

   CŒUR ET ESPRIT 6.303

   CŒUR ET LUMIERE 4.160

   CŒUR ET SOUFFRANCE 9.133

COLERE 1.42 / 1.118 / 1.202 / 1.214 / 6.46 / 6.136

   COLERE ET ATTENTE 1.214

   COLERE ET MONSTUOSITE 1.118

COMBAT 1.25 / 1.27 / 1.96 / 1.117 / 1.150 /1.171 / 1.179 / 1.180 / 1.212 / 3.210 / 4.204 / 4.224 / 4.227 / 4.244 / 5.159 / 6.38 / 6.98 / 6.130 / 6.175 / 7.67 / 7.95 / 7.100 / 9.57 / 9.144 / 9.145 / 9.259

   COMBAT ET ACCUEIL 9.259

   COMBAT ET PAIX 9.145

   COMBAT ET RAPPORT AU MONDE 1.179

   COMBAT ET ROLE 1.171

   COMBINAISON ET CONSCIENCE 4.148

   COMBINAISON ET MATIERE 4.148

COMMERCE 1.68 / 1.173 / 1.175 / 3.124 / 6.225

   COMMUN ET SINGULIER 1.3

COMMUNICATION 6.62

COMPAGNE 9.54

COMPAGNON 9.54

COMPARAISON 9.193

COMPLEXE 1.100

COMPULSION 1.11 / 1.12 / 6.81

   COMPULSION ET ACTION 1.11

   COMPULSION ET EPUISEMENT 1.12

CONDITION (humaine) 9.2

CONDITIONNEMENT 8.13

   CONFIANCE ET ACCUEIL 4.98

CONFIANCE 4.22 / 6.207 / 9.160

   CONFIANCE ET INCERTITUDE 4.22

CONFORT 9.13 / 9.17

CONNAISSANCE 1.186 / 4.197 / 6.154 / 6.157 / 9.88 / 9.157

CONNAISSANCE (de soi) 8.4

   CONNAISSANCE (de soi) ET RECONCILIATION 4.76

   CONNAISSANCE ET CONSCIENCE 6.154

   CONNAISSANCE ET IGNORANCE 1.186

   CONNAISSANCE ET MONDE 4.47

   CONNAISSANCE ET PROTECTION 6.157

   CONNAISSANCE ET REEL 1.158 / 1.185

   CONNAISSANCE ET REGARD 4.197

   CONNAISSANCE ET VERITE 1.158 / 1.185

CONSCIENCE 1.32 / 2.2 / 2.3 / 2.5 / 2.6 / 2.328 / 4.18 / 4.50 / 4.93 / 4.105 / 4.191 / 4.199 / 4.270 / 6.296 / 6.304 / 8.41 / 8.49 / 9.34 / 9.202 / 9.300

   CONSCIENCE (expansion) 8.41 / 9.340 / 9.341

   CONSCIENCE ET AUTOMATISME 9.151

   CONSCIENCE ET CHEMINEMENT 4.93 / 4.103 / 4.104 / 4.105

   CONSCIENCE ET COMPORTEMENT 9.246

   CONSCIENCE ET COMPREHENSION 4.270

   CONSCIENCE ET CORPS 8.18

   CONSCIENCE ET DEFORMATION 6.296

   CONSCIENCE ET DOULEUR 8.18

   CONSCIENCE ET ECHANGE 4.148

   CONSCIENCE ET ELARGISSEMENT 9.161

   CONSCIENCE ET ELEVATION 4.11

   CONSCIENCE ET ESPRIT 8.19

   CONSCIENCE ET ETHIQUE 4.270

   CONSCIENCE ET EXPERIMENTATION 4.16

   CONSCIENCE ET INCONSCIENCE 1.30 / 1.34 / 9.212

   CONSCIENCE ET INTELLIGENCE 4.270

   CONSCIENCE ET LUMIERE 4.18 / 4.104

   CONSCIENCE ET MATIERE 8.29

   CONSCIENCE ET MURISSEMENT 4.289 / 6.304

   CONSCIENCE ET OBSCURITE 4.18 / 4.103

   CONSCIENCE ET PARADOXE 4.33

   CONSCIENCE ET PAROLE ET VIVANT 9.347

   CONSCIENCE ET PERCEPTION 6.296 / 8.18 / 8.19

   CONSCIENCE ET PROFONDEUR 4.14

   CONSCIENCE ET TRANSFORMATION 9.246

   CONSCIENCE ET VIE 4.289

CONSEIL 9.306

CONSOMMATION 1.67 / 6.60 / 7.183

   CONSTRUCTION ET VIE 9.102

CONTENTEMENT 4.223 / 5.167 / 9.9 / 9.10 / 9.229

CONTRARIERTE 9.99

CONVICTION 8.47

CORPS 6.330 / 8.11 / 8.12 / 8.14 / 8.15

   CORPS ET ESPRIT 8.13

   CORPS ET IGNORANCE 8.12

   CORPS ET PERCEPTION 8.13 / 8.14

   COULEUR ET CHEMIN 4.1

COURAGE 4.7 / 6.50 / 9.138

CURIOSITE 4.259

CYCLE 6.262

   DANSE ET VIVANT 4.145

DEBAT 9.328

DECONDITIONNEMENT 4.59 / 4.60

DECOR 6.113

DECOURAGEMENT 9.138

DECOUVERTE 9.106 / 9.112

DEFI 6.335

DEHIERARCHISATION 5.136 / 5.140 / 5.142

DEMOCRATIE 9.203

DEMON 3.303 / 3.305 / 3.307 / 4.208 / 4.209 / 4.210

   DEMON ET TENEBRE 2.363

DENUEMENT 6.90 / 6.383 / 7.32

DEPENDANCE 1.247 / 9.142

DEPERSONNIFICATION 5.173

DEPLAISIR 2.5

DEPOUILLEMENT 3.274 / 3.295 / 4.211 / 4.212 / 6.383 / 9.104 / 9.141 / 9.166 / 9.170 / 9.172 / 9.241

   DEPOUILLEMENT ET ESSENTIEL 4.211 / 6.383

   DEPOUILLEMENT ET ETRE 6.364

   DEPOUILLEMENT ET INVINCIBILITE 9.166

   DEPOUILLEMENT ET JOIE 6.364

   DEPOUILLEMENT ET RICHESSE 6.364

   DEPOUILLEMENT ET SAVEUR 9.312

DEPRESSION 3.20 / 3.25 / 3.37 / 3.67 / 3.68 / 3.69 / 3.70 / 3.73

DERISION 1.24 / 1.55 / 1.139

   DERISION ET ESSENTIEL 1.139

DESAPPRENTISSAGE 4.196 / 5.153 / 6.153

   DESAPPRENTISSAGE ET APPRENTISSAGE 4 .196

DESAPPROPRIATION 4.62 / 6.148

DESCENDANCE 1.89 / 1.91 / 1.168

DESEGOTISATION 4.39 / 4.40 / 4.222 / 4.227 / 4.239 / 6.148 / 6.244 / 9.290

   DESEGOTISATION ET PRESENCE 5.182

DESENCOMBREMENT 6.149 / 9.28 / 9.129

DESENGAGEMENT 5.158

DESERT 9.36 / 9.42

DESESPOIR 1.70 / 1.106 / 1.112 / 1.150 / 1.212 / 1.213 / 1.238 / 2.400 / 3.22 / 3.25 / 3.37 / 3.64 / 6.107 / 6.110 / 9.66 / 6.88 / 9.5 / 9.38 / 9.201 / 9.230 / 9.267

   DESESPOIR ET ESPOIR 1.238

   DESESPOIR ET REGARD 9.267

DESIDEALISATION 9.301

DESILLUSION 9.152

   DESILLUSION ET LUMIERE 4.71

   DESILLUSION ET VERITE 9.152

DESIR 1.59 / 6.117 / 6.231 / 6.233 / 9.7 / 9.47 / 9.78

   DESIR ET PUISSANCE 1.59

DESOEUVREMENT 9.70

DESTIN 1.155 / 1.167 / 2.252 / 3.55 / 6.177 / 6.196 / 7.81 / 7.153 / 8.43

   DESTIN ET FUITE 3.55

   DESTIN ET PLATITUDE 1.155

DIEU 6.205 / 6.309

   DIEU ET DIALOGUE 2.299

   DIEU ET HOMME 2.291 / 2.294 / 2.296

   DIEU ET NATURE 9.310

DIFFERENCE 1.4

   DIFFERENCE ET PERCEPTION 1.4

DIFFICULTE 9.253

DISCIPLE 4.248 / 6.50 / 6.205 / 9.251

DISPARITION 9.68

DISSIMULATION 9.76

DISTANCE 5.172 / 6.239 / 8.16

   DISTANCE ET EQUILIBRE 8.16

DISTANSION 9.158

DIVERTISSEMENT 1.105 / 1.107 / 1.108 / 2.7 / 2.28

   DIVERTISSEMENT ET CONSCIENCE 1.107

   DIVERTISSEMENT ET REEL 2.28

DON 6.161 / 6.162

   DON ET ATTENTE 6.161 / 9.224 / 9.225

   DON ET EGOISME 9.224 / 9.225

   DON ET JOIE 6.162

DOUCEUR 4.248

   DOUTE ET MURISSEMENT 4.68

EBLOUISSEMENT 1.29

ECHANGE 1.173 / 1.175

ECHEC 1.100 / 9.96

ECLAIRAGE 4.46 / 4.185 / 9.92

ECOUTE 5.176 / 6.185 / 7.34 / 9.46 / 9.222 / 9.223

   ECOUTE ET LIMITE 6.185

   ECOUTE ET MONDE 9.46

   ECOUTE ET SOURCE 4.184

ECRASEMENT 6.78 / 9.86

ECRITURE 6.58 / 6.61 / 6.67 / 6.99 / 6.143 / 6.149 / 6.180 / 6.287 / 6.289 / 6.291 / 6.341 / 7.14 / 7.51 / 7.29 /

   ECRITURE  ET PROTECTION

   ECRITURE ET AMBITION 6.191 / 6.194 / 6.287 / 6.369 / 6.376 / 6.377 / C3

   ECRITURE ET ATTENTE 6.95 / 6.110

   ECRITURE ET AUTHENTICITE 6.367

   ECRITURE ET AUTOBIOGRAPHIE 6.11

   ECRITURE ET CHEMIN 6.65

   ECRITURE ET CHEMINEMENT 6.133 / 6.134 / 6.261

   ECRITURE ET CHUTE 6.127

   ECRITURE ET COLERE 6.35 / 6.37 / 6.53 / 6.89

   ECRITURE ET CREATION 6.317 / 6.377

   ECRITURE ET DESESPOIR 6.110 / 6.165 / 6.168

   ECRITURE ET DESSEIN 6.69 / 6.73 / 6.194 / 6.210 / 6.232 / 6.265 / 6.317 / 6.329 / 6.331 / 6.336 /    6.369 / 6.376 / 6.377

   ECRITURE ET DIFFICULTE 6.92 / 6.376

   ECRITURE ET DIVERTISSEMENT 6.232

   ECRITURE ET EGOISME 6.71 / 6.91 / 6.195 / 6.214 / 6.216 / 6.242

   ECRITURE ET EMOTION 6.240

   ECRITURE ET ERRANCE 6.99

   ECRITURE ET ESPACE 6.245

   ECRITURE ET ESSENTIEL 6.343

   ECRITURE ET ETRE 6.374

   ECRITURE ET EXHAUSTIVITE 6.24 / 6.158 / 6.180

   ECRITURE ET EXPERIENCE 6.23

   ECRITURE ET FOLIE ET SAGESSE 2.271

   ECRITURE ET HORIZON 6.388

   ECRITURE ET HUMANITE 6.273

   ECRITURE ET HUMILITE 6.315 / 6.382

   ECRITURE ET ILLUSION 6.287

   ECRITURE ET IMPUDEUR 6.201

   ECRITURE ET INCONSCIENT 6.203 / 6.206

   ECRITURE ET INFLUENCE 6.143

   ECRITURE ET INSUCCES

   ECRITURE ET INUTILITE 6.87 / 6.108

   ECRITURE ET ITINERAIRE 6.5 / 6.234 / 6.324

   ECRITURE ET JOIE 6.57 / 6.97 / 6.289 / 6.291

   ECRITURE ET LABYRINTHE 6.253

   ECRITURE ET LECTEUR 6.13 / 6.193

   ECRITURE ET LIBERTE 2.276

   ECRITURE ET LIGNEE 6.369

   ECRITURE ET LIMITE 6.49 / 6.52 / 6.73 / 6.85 / 6.86 / 6.97 / 6.116 / 6.199 / 6.230 / 6.238 / 6.265 / 6.268 / 6.269 / 6.271 / 6.317 / C1

   ECRITURE ET MECONTENTEMENT 6.31

   ECRITURE ET MEDIOCRITE 6.20 / 6.51 / 6.57 / 6.77 / 6.87 / 6.89 / 6.106 / 6.118 / 6.120 / 6.165 / 6.168 / 6.249 / 6.250

   ECRITURE ET MEMOIRE 6.384

   ECRITURE ET MENSONGE 6.228 / 6.365

   ECRITURE ET METIER 6.125

   ECRITURE ET MIMETISME 6.143

   ECRITURE ET MONDE 6.122

   ECRITURE ET MYSTERE 6.27 / 6.59 / 6.79 / 6.80 / 6.291

   ECRITURE ET MYTHE 6.230

   ECRITURE ET NECESSITE 6.80 / 6.103 / 6.114 / 6.133 / 6.178 / 6.180 / 6.182 / 6.191 / 6.216 / 6.261 / 6.263

   ECRITURE ET NEVROSE 6.74

   ECRITURE ET ORDINARITE 6.22

   ECRITURE ET ORGUEIL 6.166

   ECRITURE ET ORIGINE 6.384

   ECRITURE ET PARTAGE 6.13

   ECRITURE ET PENSEE 2.381

   ECRITURE ET PLATITUDE 6.118 / 6.120 / 6.247 / 6.334

   ECRITURE ET PROFONDEUR 6.71

   ECRITURE ET PUDEUR 6.55

   ECRITURE ET PUISSANCE 6.315 / 6.382

   ECRITURE ET QUOTIDIEN 6.273 / 6.319

   ECRITURE ET REGARD 6.67

   ECRITURE ET RENONCEMENT 6.164 / 6.170

   ECRITURE ET SAGESSE 6.271

   ECRITURE ET SILENCE 9.350

   ECRITURE ET SOLITUDE 6.3 / 6.124 / 9.187

   ECRITURE ET SOUFFLE 6.382

   ECRITURE ET SPIRITUALITE 6.181 / 6.281 / 6.305 / 6.351

   ECRITURE ET STYLE 6.106 / 6.323

   ECRITURE ET SURFACE ET PROFONDEUR 6.251

   ECRITURE ET THERAPIE 6.11

   ECRITURE ET TRANSFORMATION 9.349

   ECRITURE ET TRISTESSE 6.75 / 6.95 / 6.101 / 6.108 / 6.289

   ECRITURE ET URGENCE 2.381 / 6.9 / 6.15

   ECRITURE ET UTILITE 6.53 / 6.99

   ECRITURE ET VERITE 6.7

   ECRITURE ET VERTICALITE 6.254

   ECRITURE ET VIDE 6.29 / 6.81

   ECRITURE ET VIE 6.1 / 6.23 / 6.29 / 6.35 / 6.67 / 6.69 / 6.180 / 6.234 / 6.343 / 6.346 / 6.347

   ECRITURE ET VIOLENCE 6.18 / 6.31 / 6.33 / 6.103 / 6.135 / 6.146

   ECRITURE ET VIVRE 6.5

   ECRITURE ET VOYAGE 6.1

ECRIVAIN 1.172 / 6.47 / 6.63 / 6.68 / 6.91 / 6.92 / 6.127 / 6.131 / 6.137 /  6.173 / 6.223 / 6.228 / 6.276 / 6.284 / 6.297 / 6.305 / 6.307 / 6.309 / 6.336

EDITEUR 6.224 / 6.226

EFFORT 4.40 / 4.214

EGAREMENT 1.51 / 4.15 / 9.1

EGO 4.274 / 9.48 / 9.155

   EGO ET EFFRITEMENT 4.274

   EGO ET ILLUSION 9.48

EGOCENTRISME 1.129 / 1.130 / 1.131 / 1.139 / 1.231

   EGOCENTRISME ET INDIFFERENCE 1.231

   EGOCENTRISME ET SOUFFRANCE 1.231

EGOISME 2.225 / 9.33

EGOTISME 1.60 / 1.86 / 1.159 / 1.160 / 1.206 / 4.245 / 6.64 / 6.72 / 6.138 / 7.96 / 9.7 / 9.40 / 9.41 / 9.43 / 9.45 / 9.46

   EGOTISME ET CHEMINEMENT 6.138 / 7.70

   EGOTISME ET DESIR 1.60

   EGOTISME ET DETACHEMENT 4.245

   EGOTISME ET REPLI 1.206

ELARGISSEMENT 4.82 / 9.300

   ELARGISSEMENT ET CHEMINEMENT 4.82

   ELARGISSEMENT ET HORIZON 4.37

   ELARGISSEMENT ET REVE 2.185

ELOIGNEMENT 6.328 / 6.332

EMERVEILLEMENT 4.178

   EMERVEILLEMENT ET LUMIERE 4.134

EMOTION 5.164 / 5.172 / 5.173

   EMOTION ET EXTERIEUR 9.254

ENCOURAGEMENT 2.367 / 6.50 / 6.393

   ENCOURAGEMENT ET RESSOURCE 6.393

ENERGIE 1.12

   ENERGIE ET CHEMINEMENT 9.72

ENFANCE 6.58

ENFANT 8.11

ENFERMEMENT 1.47 / 4.42 / 7.42 / 7.102 / 9.39 / 9.73 / 9.74

   ENFERMEMENT ET SOUFFRANCE 7.102

ENGAGEMENT 1.72 / 4.238 / 9.47

ENLISEMENT 1.53 / 9.155

ENNUI 1.106 / 6.36 / 6.46

   ENSEIGNEMENT ET CHEMIN 4.174

ENTOURAGE 9.53 / 9.54

ENVOL 2.159

   ENVOL ET CHUTE 2.159

EPARPILLEMENT 1.57

EPOQUE (contemporaine) 9.201

EPREUVE 2.264 / 6.372 / 9.97 / 9.261 / 9.324

   EPREUVE ET ACCUEIL ET CHEMINEMENT 9.324

EPUISEMENT 4.33

   EPUISEMENT ET QUETE 4.8

ERRANCE 1.103 / 1.151 / 1.258 / 2.14 / 2.26 / 2.27 / 2.29 / 2.41 / 2.107 / 2.183 / 3.2 / 3.5 / 3.12 / 3.59 / 4.126 / 7.182

   ERRANCE ET CHEMINEMENT 2.26 / 2.27 / 2.29 / 2.183

   ERRANCE ET EGOTISME 2.25 / 9.249

   ERRANCE ET ENVOL 2.235

   ERRANCE ET OBSCURITE 3.59

   ERRANCE ET RESPONSABILITE 2.29

 ESPACE 1.219 / 1.225 / 5.172 / 7.39 / 9.20

  ESPACE ET EXPLORATION 9.20

   ESPACE ET HUMANITE 6.244

ESPACE (intérieur) 5.121 / 9.186

ESPERANCE 7.59 / 9.154 / 9.155

ESPOIR 1.93 / 1.238 / 7.80 / 9.74 / 9.159

   ESPOIR ET DESESPOIR 9.95

   ESPOIR ET NON ESPOIR 9.156

ESPRIT 2.3 / 4.191 / 5.173 / 6.111 / 6.337 / 9.264

   ESPRIT ET ENCOMBREMENT 6.26

   ESPRIT ET ERRANCE 2.107

   ESPRIT ET FUITE 2.377

   ESPRIT ET POTENTIALITE 2 .356

   ESPRIT ET SOUFFRANCE 2.369

ESSAI (genre littéraire) 6.356

   ESSENSIALITE ET CHEMINEMENT (spirituel) 6.283

ESSENTIALISME* 6.353 / C1

ESSENTIALITE* 6.283

ESSENTIEL* 2.8 / 4.32 / 4.211 / 4.260 / 9.163

   ESSENTIEL ET EXPRESSION 4.180

   ESSENTIEL ET NECESSAIRE 4.117

   ESSENTIEL ET QUESTIONNEMENT 9.105

   ESTHETIQUE ET AUTHENTIQUE 6.365 / 6.367

ETAPE 9.126

   ETAPE ET CHEMINEMENT 9.18

ETERNITE 4.23 / 4.24 / 4.151 / 5.184 / 6.237 / 9.59

   ETERNITE ET IMMORTALITE 4.151

ETOILE 4.183

ETOURDISSEMENT

ETRE* 1.87 / 1.149 / 4.55 / 4.108 / 4.226 / 4.232 / 4.278 / 5.184 / 6.96 / 6.197 / 6.198 / 6.266 / 6.358 / 9.124 / 9.125

   ETRE ET AGITATION 6.96

   ETRE ET AIDE 6.266

   ETRE ET CHEMINEMENT 7.3

   ETRE ET CONSCIENCE 6.96 / 9.121

   ETRE ET DIFFICULTE 4.94 / 4.97

   ETRE ET EMERVEILLEMENT 4.262

   ETRE ET ETERNITE 5.184

   ETRE* ET FAIRE* 4.52 / 6.4 / 6.72 / 6.88 / 9.123

   ETRE ET INFINITE 4.268

   ETRE ET INTERIORITE 9.255

   ETRE ET JOIE ET PARTAGE 6.358

   ETRE ET LIEN 4.278

   ETRE ET OBSTACLE 9.124

   ETRE ET PEUR 4.17 / 4.94 / 9.271

   ETRE ET PRESENCE ET MONDE 9.338

   ETRE ET RECOMPENSE 4.108

   ETRE ET SOUFFRANCE 4.97

   ETRE ET VOILE 4.96

ETRES (les) 4 .204

   ETRE (les) ET DIVERSITE 4.262

   ETRES (les) ET INSTRUMENT 6.387

   ETRES (les) ET VIE 6.387

ETROITESSE 1.90 / 1.97 / 1.99 / 1.153 / 1.157 / 2.225 / 4.36 / 4.259 / 6.2 / 6.70 / 6.231 / 9.34 / 9.50 / 9.51 / 9.82

   ETROITESSE ET DESIR 6.231

   ETROITESSE ET ELARGISSEMENT 4.36 / 4.38 / 6.70

   ETROITESSE ET RAPPORT AU MONDE 1.153

   ETROITESSE ET REGARD 1.157 / 3.46

EVENEMENT 4.5 / 5.172 / 6.119 / 6.174 / 6.310 / 8.42 / 9.135

   EVENEMENT ET CHEMIN 5.174

   EVENEMENT ET CHEMINEMENT 4.115

   EVENEMENT ET CONSCIENCE 8.44 / 8.45 / 9.262

   EVENEMENT ET EPREUVE 9.261

   EVENEMENT ET SENS 4.192

   EVENEMENT ET VIE 6.352

EVIDENCE 9.81

EXASPERATION 6.36 / 6.84 / 6.203 / 9.128

   EXASPERATION ET GRATITUDE 9.128

EXCLUSION 6.8

   EXIGENCE ET GRATITUDE 5.167

EXIL 1.162

   EXISTENCE ET CONDITIONS 8.20 à 8.26

   EXISTENCE ET FRAGILITE ET CONTINUITE 9.279

   EXISTENCE ET REINCARNATION 8.31 à 8.33

EXISTER* 1.200 / 4.55 / 6.197

   EXISTER ET DESILLUSION 1.200

   EXISTER ET EFFORT 1.200

   EXISTER ET ETRE9.272

   EXISTER ET VIVRE 1.218

EXPANSION 1.71 / 6.105 / 6.192

EXPERIENCE 4.293 / 6.149 / 6.174 / 6.310 / 6.316

   EXPERIENCE ET CHEMINEMENT 6.68

   EXPERIENCE ET INTERROGATION 4.69

EXPLOITATION 1.169

EXPLORATEUR 9.112

EXPLORATION 1.219 / 1.225 / 9.20 / 9.106

   FABLE ET VICTIMISATION 9.265

FACILITE 9.13

FAIBLESSE 4.58

FAIRE* 6.90

   FAIRE ET ETRE 4.97

   FAIRE ET EXISTER 1.242

   FAIRE ET MALHEUR 1.246

FAMILLE 7.143 / 7.144 / 8.11 / 8.46

FANTASME (universel) 1.87

FARDEAU 3.60

   FARDEAU ET CHEMINEMENT 3.60

FELICITE 4.234

FENETRE 6.159

   FEU ET AVIDITE 1.6

FICTION 6.228

FIDELITE 6.325 / 6.366

FINITUDE 4.20 / 9.109

FLANERIE 1.9

FLUX 4.156

FOLIE 6.2

   FOLIE ET SAGESSE ET ORDINARITE 9.296

FONCTION 4.252 / 4.253 / 4.254 / 4.277

FONTAINE 4.138

FORCE 4.7 / 4.248

FORCES OBSCURES 1.30 / 1.37 / 3.302 / 3.303 / 3.305 / 3.307 / 4.209 / 4.210 / 4.235 / 5.171 / 6.10 / 6.148 / 6.262 / 9.190 / 9.289

   FORCES OBSCURES ET IDENTITE 6.148

   FORCES OBSCURES ET ILLUSION 9.244 / 9.245

   FORCES OBSCURES ET IMPUISSANCE 1.37

   FORCES OBSCURES ET SOUMISSION 6.262

   FORME ET FOND 9.206

   FORME ET NECESSITE 9.314

FRAGMENT 2.83 / 6.74 / 6.253 / 6.333

FRAGMENTATION 4.74 / 4.75

   FRAGMENTATION ET REUNIFICATION 4.74 / 4.75 / 5.180

FRATERNITE 6.159 / 9.316

FROIDEUR 6.40

FRONTIERE 4.82

FUITE 1.93 / 1.105 / 1.114 / 2.1 à 2.6 / 2.8 à 2.10 / 2.15 / 2.28 / 2.31 / 2.41 / 2.272 / 3.61 / 6.4 / 6.211 / 6.316 / 6.372 / 9.120 / 9.136 / 9.162 / 9.165 / 9.219 / 9.258

   FUITE ET ABSURDITE 1.114

   FUITE ET AGITATION 9.191

   FUITE ET ILLUSION 2.28

   FUITE ET IMAGINAIRE 2.306

   FUITE ET LUMIERE 9.258

   FUITE ET PLAISIR 2.17 / 2.18

   FUITE ET PUSILANIMITE 2.385

   FUITE ET QUOTIDIEN 2.4 / 2.31

   FUITE ET SOUFFRANCE 1.114 / 7.102

FUTUR 2.360

   FUTUR ET ANTICIPATION 2.360

GASPILLAGE 1.207

GOUVERNEMENT 9.204

GRATITUDE 4.113 / 4.135 / 4.137 / 4.177 / 4.179 / 4.187 / 4.218 / 4.219 / 4.261 / 4.264 / 5.167 / 6.181 / 6.260 / 6.278 / 6.279

   GRATITUDE ET CHEMINEMENT (spirituel) 6.260

   GRATITUDE ET ENSEIGNEMENT 4.137

   GRATITUDE ET LUMIERE 4.134 / 4.135

   GRATITUDE ET RENCONTRE 4.218 / 4.219 

GRAVITE 1.196 / 6.285

GUERRE 2.220 / 7.100 / 9.144

GUERRIER 2.170 / 2.246 / 2.248 / 7.100

   GUERRIER ET CHEMINEMENT 2.170

   GUERRIER ET SPIRITUALITE 9.260

GUIDE 6.320 / 9.114

HABITUDE 4.60 / 4.235

   HABITUDE ET AVEUGLEMENT 9.151

HAINE 1.42 / 1.92 / 6.34 / 6.83 / 7.44

   HAINE ET AMOUR 1.92

HANDICAP 6.8

   HANDICAP ET DESESPOIR 1.230

   HANDICAP ET EXISTENCE 1.230

HARMONIE 5.179

HASARD 6.373 / 7.69 / 7.81 / 8.43

   HASARD ET EVENEMENT 6.373

HERITAGE 9.276

   HERITAGE ET LIGNEE 9.276

HEROS 1.81

   HEROS ET POTENTIEL 1.85

HIERARCHISATION 7.137

   HIERARCHISATION ET ACTION 5.135

HISTOIRE 1.140 / 1.168

   HISTOIRE ET AVENIR 1.168

   HISTOIRE ET EGO 1.140

   HISTOIRE ET REVOLUTION 9.334

HOMME 1.164 / 1.167 / 6.115 / 6.192 / 6.335 / 7.133 / 7.145 / 9.21 / 9.34

   HOMME ET ANIMAL 1.233 / 6.44 / 9.209 / 9.343 / 9.344

   HOMME ET FANTASME 1.149

   HOMME ET LE MONDE 9.286

   HOMME ET PERFECTION 1.2

   HOMME ET POTENTIALITE 6.215

HOMOPHOBIE 2.208

HOMOSEXUALITE 2.198 / 2.200

HONNEUR 1.63

HONRIZONTALITE 4.99 / 4.100 / 4.247 / 6.192

   HOPITAL ET PSYCHIATRIE 2.52 à 2.54 / 2.70 / 3.29

HORIZON 4.234 / 6.188 / 9.4 / 9.6 / 9.103 bis / 9.110

   HORIZONTALITE ET VERTICALITE 1.145 / 6.192

HUMAIN 4.195

HUMANITE 1.170 / 4.195 / 9.14

   HUMANITE ET INHUMANITE 1.167 / 4.195

HUMILITE 4.242 / 6.282

IDEAL 4.194 / 5.158 / 9.74 / 9.149 / 9.150

   IDEAL ET CHEMINEMENT 4.194 

   IDEAL ET DESENGAGEMENT 5.158

   IDEAL ET REEL 9.74 / 9.150

IDEE 6.218 / 6.220 / 6.359 / 6.390

   IDEE ET CHEMINEMENT 6.218

IDENTITE 1.133 / 2.252 / 4.133 / 6.148 / 6.212 / 7.37 / 9.183 / 9.216

   IDENTITE ET CHEMINEMENT 7.37

   IDENTITE ET CONNAISSANCE 4.200

   IDENTITE ET MATIERE 4.24

   IDENTITE ET VIE 9.183

   IDENTITE ET VULNERABILITE 4.24

IDIOTIE 1.49 / 6.207 / 7.184 / 9.76

   IDIOTIE ET IGNORANCE 1.49

IGNORANCE 1.116 / 1.152 / 1.209 / 1.235 / 4.204 / 4.279 / 5.146 / 6.12 / 6.215 / 6.298 / 7.118 / 8.2 / 9.61 / 9.89 / 9.208 / 9.216

   IGNORANCE ET APPARENCE 1.116

   IGNORANCE ET CHEMIN 1.101

   IGNORANCE ET CHEMINEMENT 2.23 / 2.24 / 4.130 / 4.131 / 9.12

   IGNORANCE ET COMBAT 1.35

   IGNORANCE ET CONSCIENCE 1.31

   IGNORANCE ET IDENTITE 5.146

   IGNORANCE ET PROFONDEUR 1.146

   IGNORANCE ET RAPPORT AU MONDE 6.102

   IGNORANCE ET SOUFFRANCE 1.235 / 9.89

   IGNORANCE ET VIE 1.147

ILLUSION 1.163 / 2.13 / 6.104 / 6.128 / 9.147

   ILLUSION ET MURISSEMENT 9.147

   IMAGINAIRE ET REEL 2.15

IMAGINATION 2.41 / 2.104 / 2.105 / 6.58 / 6.338 / 6.385

   IMAGINATION ET MEMOIRE 6.338

IMMOBILITE 1.79 / 1.193 / 4.116 / 4.256 / 5.183 / 6.237 / 6.391 / 9.59 / 9.71

   IMMOBILITE ET AVENIR 1.193

   IMMOBILITE ET CHEMINEMENT 4.256 / 9.238

IMPASSE 1.183 / 1.207 / 2.243 / 6.272 / 7.40

   IMPASSE ET CHEMINEMENT 4.115 / 7.9 / 9.6 / 9.15 / 9.17 / 9.18

   IMPASSE ET ERRANCE 1.103

   IMPASSE ET LUMIERE 3.229

   IMPERFECTION ET PERFECTION 5.161

IMPERMANENCE 4.157

IMPREGNATION 5.168 / 6.208 / 8.8 / 8.38

IMPUISSANCE 1.35 / 1.37 / 1.52 / 9.87 / 9.100 / 9.137 / 9.190

INATTENTION 2.7

INCAPACITE 1.124

INCERTITUDE 9.71

INCESTE 8.11

INCOMMUNICABILITE 2 .36

   INCOMMUNICABILITE ET SOLITUDE 2.37

INCOMPLETUDE 6.223

INCONFORT 2.3

INCONSCIENCE 1.242 / 9.200 / 9.289

   INCONSCIENCE ET CHEMINEMENT 1.33

   INCONSCIENCE ET CONSCIENCE ET CHEMINEMENT 1.34

INDIFFERENCE 1.160 / 1.165 / 1.206 / 1.214 / 2.123 / 2.225 / 6.111

   INDIFFERENCE ET EGOTISME 1.160

   INDIFFERENCE ET MORT 1.165

   INDIVIDU ET COLLECTIF 9.308

INEGALITE 8.33

INFINI 6.2

INHUMANITE 1.172

INJUSTICE 7.106 / 8.33 / 9.135

   INJUSTICE ET ACTION 1.166

   INJUSTICE ET CERTITUDE 1.154

   INJUSTICE ET CROYANCE 1.154

INNOCENCE 9.228

   INNOCENCE ET ANIMAL 9.228

   INNOCENCE ET ENFANT

INSATISFACTION 1.197 / 4.259 / 9.106

   INSATISFACTION ET SATISFACTION 4.223

INSIGNIFIANCE 1.164

INSTANT 4.121 / 5.122 / 5.133 / 5.134 / 5.182 / 6.142 / 6.314 / 7.11 / 7.60 / 7.132 / 9.63 / 9.64 

   INSTANT ET AVENIR 5.133

   INSTANT ET CHEMINEMENT 5.124

   INSTANT ET DUREE 4.121

   INSTANT ET ETERNITE 5.134 / 9.304

   INSTANT ET MORT 5.129

   INSTANT ET PASSE 5.133

   INSTANT ET POTENTIEL 5.134

   INSTANT ET PRECIOSITE 5.129

   INSTANT ET PRESENCE 5.182 / 7.11

   INSTANT ET PRESENT 5.123 / 5.133

INSTINCT 9.33

INSTRUMENTALISATION 1.169 / 9.25 / 9.44

INSUCCES 6.8 / 9.77

INTELLECTUEL 6.270 / 7.18 / 7.170 / 8.47 / 9.328

INTELLIGENCE 5.176 / 6.207 / 9.88

   INTELLIGENCE ET VERITE 1.50

INTERIEUR 1.239

   INTERIEUR ET EXTERIEUR 4.50 / 6.182 / 6.183 / 9.255

INTERIORITE 1.239 / 1.254 / 3.83 / 3.84 / 3.212 / 3.311 / 6.292 / 7.38

   INTERIORITE ET CHEMINEMENT 1.254

   INTERIORITE ET INTRANSIGEANCE 4.267

   INTERIORITE ET LIMITE 6.292

   INTERIORITE ET TRESOR 1.253

   INTIME ET UNIVERSEL 4.89

INTRANSIGEANCE 6.203 / 6.275

   INTRANSIGEANCE ET SPIRITUALITE 9.303

INTUITION 4.205 / 8.47 / 8.48

   INTUITION ET VERITE 8.48

INUTILITE 6.98

ITINERAIRE 9.103 / L1

   ITINERAIRE ET IGNORANCE 9.103

   JE ET ILLUSION 9.45 / 9.48

   JE ET LE MONDE 9.342

   JEU ET FORME 2.351 / 2.352

JOIE 4.135 / 4.188 / 5.160 / 6.76 / 6.140 / 6.200 / 6.267 / 6.290

   JOIE ET ACCUEIL4.188

   JOIE ET ACTION 5.131 / 5.132 

   JOIE ET AIDE 6.290

   JOIE ET CHEMIN 4.136

   JOIE ET REGARD 4.12

   JOIE ET TRISTESSE 4.188 / 9.140

JONCTION 4.48 à 4.51

JOUISSANCE 9.31 / 9.169

   JOUR ET NUIT 6.302 / 6.328

JUGEMENT 4.267 / 7.109 / 9.146

JUSTESSE ET ACTION 4.52

JUSTICE 7.101 / 7.109

KARMA 6.306

   KARMA ET OCCIDENT 6.306

LABYRINTHE 2.183 / 9.101

LACHER-PRISE 6.88 / 6.98 / 9.178 / 9.329

   LACHER PRISE ET LIBERTE 9.329

LACHETE 4.210

LAIDEUR 6.112 / 9.77

LANTERNE 6.298

LASSITUDE 2.400

LECTEUR 6.222 / 6.240

   LECTEUR ET INDIFFERENCE 6.86

LECTURE 1.78 / 6.139 / 6.141 / 6.156 / 6.280 / 6.297 / 6.303 / 6.307 / 6.309 / 6.311

   LECTURE ET AIDE 6.141

   LECTURE ET CHEMINEMENT 6.63

   LECTURE ET CŒUR 6.140

   LECTURE ET GRATITUDE 6.139 / 6.280

   LECTURE ET INTERET 3.104 à 3.106

   LECTURE ET INUTILITE 6.108

   LECTURE ET JOIE 6.140

   LECTURE ET LIMITE 1.78 / 6.43 / 6.45

   LECTURE ET NOURRITURE 6.43 / 6.386

   LECTURE ET QUOTIDIEN 6.173

   LECTURE ET RICHESSE 6.173

   LECTURE ET UTILITE 6.39 / 6.41 / 6.131 / 6.156 / L3 / L4

   LECTURE ET VIE 6.141

LEGERETE 4.165 / 6.285

   LEGERETE ET CHEMINEMENT (spirituel) 6.285

LENTEUR 4.120 / 5.115 / 5.119 / 5.125 / 5.163 / 5.170 / 6.345

   LENTEUR ET ACTION 5.115 à 5.117

   LENTEUR ET BEAUTE 6.345

   LENTEUR ET RESONNANCE 4.120

LEURRE 9.76

LIBERTE 4.20 / 4.210 / 4.213 / 4.215 / 4.246 / 5.162 / 6.12 / 9.86 / 9.175 / 9.245

   LIBERTE ET ACCUEIL 4.98

   LIBERTE ET CHEMINEMENT 4.249

   LIBERTE ET CHOIX 9.311

   LIBERTE ET ENTRAVE 1.95

   LIBERTE ET MONDE 4.213 / 4.215

   LIBERTE ET SOUMISSION 5.162 / 9.310

LIBRAIRIE 1.236 / 3.102

LIEN 1.48 / 1.132 / 1.134 à 1.137 / 4.43 / 4.140 / 4.141 / 4.152 / 4.204 / 4.239 / 4.278 / 6.196 / 6.217 / 6.235 / 6.239 / 6.330 / 7.39 / 8.10 / 8.49 / 9.287

   LIEN ET ETRE ET EVENEMENT 4.140 / 4.141

   LIEN ET IDENTITE 4.133

   LIEN ET IGNORANCE 1.136 / 1.137

   LIEN ET MONDE 8.5

   LIEN ET MYSTERE 6.235

   LIEN ET QUETE 5.149

   LIEN ET RAPPORT AU MONDE 1.134 / 1.135

   LIEN ET SOLITUDE 9.142

LIGNEE 8.46 / 8.49

LIMITE 9.132 / 9.263

   LIMITE ET CHEMINEMENT 9.263

   LIMITE ET DEPASSEMENT 9.263

   LIMITE ET ELARGISSEMENT 9.132

   LIMITE ET INFINI 4.190

   LIMITE ET POTENTIEL 1.90

LITTERATURE 6.212 / 6.224 / 6.226 / 6.257 / 6.284 / 6.341 / 6.388

   LITERATURE ET AMBITION 2.281 / 2.284

   LITTERATURE ET MARKETING 2.274 / 2.276

   LITTERATURE ET SEDUCTION 2.276

LIVRE 1.78 / 1.82 / 1.236 / 3.103 à 3.106 / 6.45 / 6.108 / 6.116 / 6.222 / 6.226 / 6.230 / 6.303 / 6.356 / 8.8 / 9. 268

   LIVRE ET EXPERIENCE 6.392

   LIVRE ET LECTEUR 6.160

   LIVRE ET LIMITE 1.82

   LIVRE ET MENSONGE 6.356 / 6.379

   LIVRE ET MISE A NU 6.379

   LIVRE ET NOURRITURE 1.236

   LIVRE ET NUTRIMENT 6.386

   LIVRE ET RECONNAISSANCE 6.160

   LIVRE ET RENCONTRE 6.380

   LIVRE ET SUCCES 6.222

   LIVRE ET SUSPENSE 6.378

   LIVRE ET TRACE 6.392

   LIVRE ET UTILITE 1.82 / 6.269 / 6.321 / C2

   LIVRE ET VERITE 6.378

   LIVRE ET VIE 6.341

LUMIERE 4.167 / 6.298 / 6.299 / 6.320

   LUMIERE ET CHEMINEMENT 4.154 / 4.166

   LUMIERE ET COULEUR 4.167

   LUMIERE ET OBSCURITE 1.29 / 4.186

   LUNE ET SOLEIL 6.302

MAITRISE 6.10 / 9.190

MAL 6.12

MALADIE 7.25

MALADRESSE 6.212

   MALE ET MACHISME 2.206

MAL-ETRE 1.192

MALHEUR 1.77

   MALHEUR ET NEGLIGENCE 1.77

MARCHE 3.242 / 4.33 / 6.188

   MARCHE ET CHEMINEMENT 3.242

MATERIALISME 3.125

MATERIALISME (spirituel) 3.113 / 3.115 à 3.118 / 3.120 / 3.121 / 3.215 / 3.216 / 3.220 à 3.323

MATIERE 8.28 / 8.49

   MATIERE ET ECHANGE 4.146 à 4.148 / 8.27 / 8.28

   MATIERE ET UNITE 8.9 / 8.10

MATIN 6.299 / 6.300 / 6.340

MEDIOCRITE 9.76

MEDITATION 8.17 / 8.18

   MEDITATION ET THEMATIQUE 8.17

MENSONGE 9.75 / 9.81 / 9.85

MENTAL 6.26

MEPRIS 1.128 / 4.187 / 6.34 / 6.56 / 9.215

   MEPRIS ET CHEMINEMENT 6.34

MERVEILLE 9.338

METAMORPHOSE 4.273 / 9.139

   METAMORPHOSE ET REGARD 4.276

METAPHYSIQUE 4.226 / 6.82 / 6.335

METIER 4.57 / 4.254 / 6.125 / 7.23 / 7.52 / 7.181

   METIER ET ETHIQUE 4.254

MEURTRIER 1.169

MIRAGE 1.152 / 9.19

MIROIR 1.88 / 1.131 / 3.295 / 6.159 / 6.183 / 9.93 / 9.118

MISANTHROPIE 1.76 / 1.128 / 1.170 / 1.176 / 1.204 / 1.208 / 1.216 / 9.215 / 2.230 / 2.254 / 4.46 / 6.100

MISE EN ABIME 2.40

MODELE 9.114

MODERNITE 6.17 / 7.63 / 7.108 / 7.164 / 9.21

MOINE 6.312

   MOINE ET SEXUALITE 8.11

MONDE 6.115 / 7.150 / 7.163 / 8.5 / 9.50 / 9.53 / 9.80 / 9.171 / 9.202 / 9.213 / 9.214

   MONDE ET ACCUEIL 8.5

   MONDE ET BEAUTE 4.265

   MONDE ET DANSE 4.139 / 4.145

   MONDE ET DESERT 9.49

   MONDE ET EFFERVESCENCE 1.176

   MONDE ET ENTOURAGE 9.53 / 9.54

   MONDE ET IGNORANCE 9.205

   MONDE ET VIE 4.216

MORT 1.109 / 1.110 / 1.187 / 1.188 / 1.221 / 1.228 / 2.79 / 3.54 / 4.20 / 4.150 / 4.157 / 4.169 / 6.123 / 6.209 / 6.354 / 7.20 / 7.28 / 7.88 / 7.110 / 7.111 / 7.115 / 8.7 / 9.59 / 9.67 / 9.68 / 9.108 / 9.109 / 9.233 à 9.236 / 9.278 / 9.280 à 9.282

   MORT ET ANGOISSE 9.282

   MORT ET APPRENTISSAGE 8.7

   MORT ET BAGAGE 6.209 / 9.108

   MORT ET DESESPOIR 9.67 / 9.68

   MORT ET EGOISME 9.236

   MORT ET FUITE 1.110 / 1.187 / 2.142 / 4.149

   MORT ET INCONSCIENCE 1.109

   MORT ET INQUIETUDE 4.23

   MORT ET NAISSANCE 4.157

   MORT ET PASSAGE 9.281

   MORT ET PEUR 3.50 / 6.354 / 7.28

   MORT ET PREPARATION 9.278

   MORT ET REGARD 1.228

   MORT ET RELIGION 9.277

   MORT ET RESISTANCE 1.188

   MORT ET SERENITE 6.354

   MORT ET SOUVENIR 9.234

   MORT ET TORPEUR 6.123

   MORT ET TRACE 9.235

MOT 7.51 / 8.8

MOUVEMENT 4.116 / 4.156

MURISSEMENT6.132 / 6.145 / 9.147

MUSEE 1.84

MUSIQUE 9.213 / 9.214

MYOPIE 7.70 / 9.22

MYSTERE

MYSTIQUE 1.83

MYTHE 7.72 / 9.75 / 9.85 / 9.86

   MYTHE ET CHEMINEMENT 7.72

NEANT 4.206 / 9.32

   NEANT ET ABIME 2.234 / 3.208 / 7.89 /

NECESSITE* 4.27 / 6.6 / 6.8 / 6.30 / 9.72

   NECCESITE ET APPRENTISSAGE 1.21

   NECESAIRE ET ESSENTIEL 4.56 / 4.57

   NECESSITE ET ACTION 6.30

   NECESSITE ET CHEMINEMENT 1.28 / 4.27 / 6.6

   NECESSITE ET REEL 5.183

NEVROSE 6.81

NON-APPARTENANCE 9.194

NUAGE 6.94

NUDITE 1.178 / 3.274 / 3.295

NUIT  4.6 / 6.294 / 6.298 / 6.299 / 6.320 / 6.339 / 7.52 / 9.37 / 9.113

   NUIT ET PERCEPTION 6.293 / 6.308

OBEISSANCE 6.325

OBLIGATION 6.145

OBSCURITE 6.267 / 6.298 / 7.35 / 9.113

   OBSCURITE ET CHEMINEMENT (interieur) 3.230

   OBSCURITE ET JOIE 4.167

   OBSCURITE ET LUMIERE 4.42 / 9.180

OBSESSION 6.81 / 6.82 / 7.171 / 9.240

   OBSESSION ET ECRITURE 7.127

   OBSESSION ET PENSEE 7.127

OBSTACLE 9.115

   OBSTACLE ET CHEMINEMENT 9.115 / 9.221 / 9.229

   OBSTACLE ET SPIRITUALITE 9.221 / 9.229

OMBRE 6.115 / 9.37

   OMBRE ET LUMIERE 4.162 / 4.185

ORAGE 6.128

ORDINAIRE* 4.170 / 4.193

  ORDINAIRE ET EXTRAORDINAIRE 1.85 / 9.56

   ORDINAIRE ET PROFONDEUR 4.170

ORDINARITE* 1.98 / 4.231 / 6.167 / 6.211 / 6.390

   ORDINARITE ET ESSENTIEL ET ECRITURE 6.363

   ORDINARITE ET RENONCEMENT 4.231

ORDRE (rangement) 1.239

   ORDRE ET INTERIORITE 1.239

ORGUEIL 1.45 / 1.123 / 1.161 / 1.243 / 1.245 / 6.282 / 7.95 / 9.26 / 9.55 / 9.90

   ORGUEIL ET ILLUSION 1.243 / 1.245 / 9.26

   ORGUEIL ET INDIFFERENCE 1.245

   ORGUEIL ET ROLE 1.45

   ORGUEIL ET SOUFFRANCE 1.123

   ORGUEIL ET VERITE 9.90

   ORIGINE ET IGNORANCE 2.333

   ORIGINE ET QUETE 2.333

   ORIGINE ET VIE 1.138

OSCILLATION 4.1 / 4.223 / 9.186

   OSCILLATION ET QUOTIDIEN 5.130

OUBLI 4.206

   OUBLI ET NEANT 4.206

OUVERTURE 4.37 / 4.87 / 4.238

   OUVERTURE ET HORIZON 4.10

PAIX 5.160 / 6.130 / 7.98 / 9.143

   PAIX ET COMBAT 6.130

PARABOLE 6.221

PARADOXE 1.40 / 4.116 / 7.43 / 9.230

PARAÎTRE 1.241

   PARAÎTRE ET ETRE 1.241

   PARAÎTRE ET NUDITE 1.178

PARCOURS 4.5

PARESSE 1.156 / 6.50 / 9.114 / 9.295

   PARESSE ET SPIRITUALITE 9.295

PAROLE 4.84

PARTICIPATION (au monde) 6.172 / 9.315

PATIENCE 5.169 / 6.145 / 9.178

PAUSE ET QUOTIDIEN 5.121

   PAUVRETE ET RICHESSE  9.167

PAYSAGE 9.112

PENSEE 4.84 / 5.164 / 6.184 / 6.313 / 7.5 / 7.29 / 7.35 / 7.51 / 7.59 / 7.151 / 7.142

   PENSEE ET CHEMINEMENT 7.5

   PENSEE ET ETRE6.361

   PENSEE ET LIMITE 6.313

   PENSEE ET MYSTERE 6.184

   PENSEE ET NECESSITE 2.380

PENSEUR 8.47

PERCEPTION 6.175 / 6.292 / 6.340 / 6.359 / 6.360 / 6.362 / 8.48

   PERCEPTION ET ARTIFICE 6.175

   PERCEPTION ET CONNAISSANCE 4.85 / 4.200

   PERCEPTION ET CONSCIENCE 4.49

   PERCEPTION ET TRANSFORMATION 5.152

   PERCEPTION ET VERITE 4.86

PERIPLE 4.31 / 6.4

PERMEABILITE 6.208

PERPETUATION 9.21

PERSEVERANCE 5.169 / 9.72

PERSPECTIVE 4.99 / 4.160

   PESANTEUR ET REEL 2.2 / 2.3 / 2.5 / 2.6

PEUR 1.17 / 1.102 / 4.21 / 4.34 / 4.35 / 4.214 / 4.244 / 9.73 / 9.130 / 9.201 / 9.237

   PEUR ET CHEMINEMENT 9.237

   PEUR ET COURAGE 1.23 / 1.24

   PEUR ET ENFERMEMENT 9.73

   PEUR ET LIBERTE 9.130 

   PEUR ET MONDE 1.102

   PEUR ET NECESSITE 1.21

   PEUR ET PROTECTION 1.17

PHENOMENE 4.157

PLACE 1.74 / 4.251 / 4.277

PLAINTE 1.120 / 4.110

   PLAINTE ET DESESPOIR 3.24

PLAISIR 1.63 / 9.17 / 9.61 / 9.200

PLEUR 3.65

POESIE 2.322 / 7.50

POETE 6.327 / 6.329

POLITIQUE 6.270 / 9.203 / 9.204 / 9.327

PORTE 2.9 / 3.313 / 9.4 / 9.6 / 9.18 / 9.101 / 9.110

   PORTE ET INTERIORITE 7.12

   PORTE ET OBSCURITE 3.233 / 3.313

   PORTE ET VOYAGE 1.189

POSSESSION 9.31

POTENTIEL 6.181 / 9.34

POUVOIR 9.200

PRATIQUE (spirituelle) 5.168 / 6.243 / 7.169 / 9.125 / 9.178 / 9.179 / 9.220

   PRATIQUE (spirituelle) ET EGOISME 6.243 

   PRATIQUE (spirituelle) ET OBSTACLE 9.247

   PRATIQUE (spirituelle) ET RAPPORT AU MONDE 9.217

PRECIOSITE (de la vie) 6.246 

PRESENCE 4.40 / 5.164 / 5.176 / 5.179 / 5.182 / 6.344 / 8.8

   PRESENCE ET DEHIERARCHISATION 5.141

   PRESENCE ET MERVEILLEUX 6.344

   PRESENCE ET QUOTIDIEN 5.121

PRESENT 4.243

   PRESENT ET VULNERABILITE 4.243

PRIERE 6.312

PRISONNIER 2.358

PROCRASTINATION 1.93

PROCREATION 1.89 / 1.91 / 8.11

PROFONDEUR 1.224 / 1.240 / 1.253 / 3.207 / 3.210 / 3.211 / 4.13 / 4.78 / 4.236 / 6.12 / 9.136 / 9.137 / 9.156 / 6.42 / 8.4 / 9.117

   PROFONDEUR ET CHEMINEMENT 1.240 / 4.78

   PROFONDEUR ET CHEMINEMENT (intérieur) 3.309 / 3.310 / 3.311

   PROFONDEUR ET EXPLORATION 1.240

   PROFONDEUR ET FOLIE 1.224

   PROFONDEUR ET SURFACE 6.292 / 6.390 / 6.391

   PROFONDEUR ET TOURMENT 9.298

PROGRES 1.61

   PROGRES ET HUMANITE 7.161

PROMENADE 7.182 / 9.348

PROPRIETAIRE 6.104 / 6.105 / 9.29 / 9.31

   PROPRIETAIRE ET ILLUSION 9.29

   PROPRIETAIRE ET PROTECTION 9.27

PROPRIETE 9.169

   PROPRIETE ET ESSENTIEL 9.164

   PROPRIETE ET PERTE 9.164

PROTECTION 1.113 / 1.171 / 2.21 / 2.22 / 2.363 / 4.21 / 4.192 / 4.226 / 7.8 / 7.88 / 9.21 / 9.27 / 9.33 / 9.55 / 9.134 / 9.165 / 9.258

   PROTECTION ET CHEMINEMENT 2.20 / 2.21

   PROTECTION ET FUITE 2.22

   PROTECTION ET INSENSIBILITE 1.113

   PROTECTION ET VIE 2.20 / 9.134

PROXIMITE 8.11

   PROXIMITE ET MONDE 6.370

PSYCHANALYSE 6.252 / 7.67

PSYCHANALYSTE 2.188 / 2.189 / 2.190 / 2.308 / 2.309 / 3.26

PSYCHISME 1.117 / 7.67

PSYCHOLOGUE 2.188 / 2.189 / 2.190 / 2.308 / 2.309 / 3.26

PUBLICITE 3.124 / 6.62 / 9.78 / 9.79

   PUBLICITE ET DESIR 9.78

PUISSANCE 9.86

PUZZLE 4.5

QUESTIONNEMENT 8.1 / 8.2 / 9.105 / L2

   QUESTIONNEMENT ET IGNORANCE 8.1 / 8.2

   QUESTIONNEMENT ET QUETE 2.344 / 8.1 / L2

QUETE 1.14 / 1.148 / 1.191 / 1.210 / 4.8 / 4.32 / 4.260 / 4.284 / 6.8 / 6.82 / 6.98 / 6.223 / 9.32 / 9.56 / 9.181 / 9.239

   QUETE ET ABSURDITE 3.11

   QUETE ET DECOURAGEMENT 9.32

   QUETE ET DESESPOIR 1.14

   QUETE ET DIFFICULTE 4.32

   QUETE ET EGAREMENT 1.51 / 1.138

   QUETE ET EPUISEMENT 1.210

   QUETE ET ERRANCE 2.16

   QUETE ET IDENTITE 5.149

   QUETE ET IGNORANCE 3.12

   QUETE ET ILLUSION 3.12

   QUETE ET INUTILITE 9.181

   QUETE ET NEANT 9.16 / 9.32

   QUETE ET NUDITE 2.312

   QUETE ET OBSTACLE 2.12

   QUETE ET PAUSE 4.284

   QUETE ET PAUVRETE 2.310

   QUETE ET PROFONDEUR 2.266 / 2.268 / 4.15

   QUETE ET PROSAISATION 1.215

   QUETE ET SOUFFRANCE 1.104 / 2.264

   QUETE ET SUPERFICIALITE 2.11

   QUETE ET VERITE 1.64 / 1.210

   QUETE ET VOILE 9.241

   QUETE ET VOLONTE 6.223

QUETEUR 4.15

QUINTESSENCE* 4.221

QUOTIDIEN 1.194 / 4.123 / 4.168 / 4.171 / 4.172 / 5.110 / 5.143 / 5.144 / 5.162 / 5.179 / 7.134 / 9.60 / 9.100 / 9.101 / 9.188 / 9.333

   QUOTIDIEN ET AVEUGLEMENT 1.252 

   QUOTIDIEN ET BEAUTE 4.173

   QUOTIDIEN ET CHEMINEMENT 4.122 / 4.123

   QUOTIDIEN ET CYCLE 9.333

   QUOTIDIEN ET ENGAGEMENT 4.173 

   QUOTIDIEN ET ENLISEMENT 6.46

   QUOTIDIEN ET ENSEIGNEMENT 4.168

   QUOTIDIEN ET ETRE 4.123

   QUOTIDIEN ET IMMOBILITE 1.250

   QUOTIDIEN ET NUANCE 5.118 / 5.130

   QUOTIDIEN ET PLAINTE 1.252

   QUOTIDIEN ET POTENTIEL 5.128

   QUOTIDIEN ET PROFONDEUR 2.326 / 4.173

   QUOTIDIEN ET REGARD 5.110

   QUOTIDIEN ET ROUTINE 9.60

   QUOTIDIEN ET SACRE 5.145

   QUOTIDIEN ET VOILE 5.109

   RAGE ET DESESPOIR 3.38 / 3.39

RALENTISSEMENT 4.189

RAPPORTS AU MONDE 1.25 / 1.27 / 1.38 / 1.58 / 1.74 / 1.88 / 1.96 / 1.98 / 1.122 / 1.131 / 1.133 / 1.162 / 1.169 / 1.173 / 1.174 / 1.201 / 1.204 / 1.247 / 2.250 / 4.40 / 4.45 / 4.47 / 4.239 / 4.246 / 5.173 / 6.14 / 6.64 / 6.100 / 6.102 / 6.134 / 6.190 / 7.88 / 7.173 / 9.35 / 9.36 / 9.41 / 9.42 / 9.103 bis / 9.148 / 9.194 / 9.216 / 9.226

   RAPPORT AU MONDE ET CHEMINEMENT 6.64

   RAPPORT AU MONDE ET PERMEABILITE 1.132

   RAPPORT AU MONDE ET REGARD 9.226

RAPPROCHEMENT 9.127 

RASSEMBLEMENT 4.77 / 6.333

   REALITE ET ASPIRATION 6.332

RECONNAISSANCE 1.203 / 1.205

REEL 4.142 / 5.181 / 6.213

   REEL ET ACTION 5.183

   REEL ET CHEMIN 5.154 / 5.181

   REEL ET CHEMINEMENT 5.160

   REEL ET FANTASME 1.117

   REEL ET FRAGMENT 4.153

   REEL ET PROFONDEUR 4.142 / 4.143

   REEL ET RECONCILIATION 5.180

   REEL ET REGARD 4.197

REFLET 1.131 / 3.206 / 6.111 / 6.159

REFUGE 4.228 / 6.294 / 9.120

   REFUGE ET ACCUEIL 9.120

   REFUGE ET CHAOS 4.72 / 9.165

REFUS ET ACCUEIL 1.244

REGARD 1.237 / 4.202 / 4.240 / 4.241 / 4.259 / 4.265 / 4.276 / 5.163 / 6.21 / 6.62 / 6.142 / 6.183 / 6.272 / 7.112 / 9.83 / 9.106 / 9.139 / 9.185 / 9.299 / 9.326

   REGARD ET APPARENCE 4.241

   REGARD ET APPRENTISSAGE 5.153

   REGARD ET CHEMIN 5.175

   REGARD ET CHEMINEMENT 4.129

   REGARD ET DESIDEALISATION 9.326

   REGARD ET ELARGISSEMENT 4.229

   REGARD ET EMPRISONNEMENT 1.227

   REGARD ET FRAICHEUR 4.202

   REGARD ET HORIZON 4.143

   REGARD ET JUSTESSE 9.309

   REGARD ET LUMIERE 4.9

   REGARD ET MATIERE 4.143

   REGARD ET MENSONGE 6.340

   REGARD ET MERVEILLEUX 6.300

   REGARD ET MONDE 1.226 / 1.227

   REGARD ET PERCEPTION 5.153

   REGARD ET QUOTIDIEN 4.172 / 5.130 / 5.147 / 6.142

   REGARD ET REEL 5.166

   REGARD ET SPONTANEITE 4.240 / 5.151 / 9.149 / 9.309

   REGARD ET TRANSFORMATION 4.187 / 5.166 / 9.139 / 9.185 / 9.256 / 9.299

REGLE 4.216

   REGLE ET MONDE 1.102

REGRET 2.75

REIFICATION 6.104

REINCARNATION 6.134

REJET 6.147 / 9.155

RELATION

RELIGIEUX 6.270

RELIGION 3.214 / 6.221

   RELIGION ET CEREMONIE 3.135

   RELIGION ET CHEMINEMENT 3.277

   RELIGION ET CHEMINEMENT (intérieur) 3.290 / 3.292

   RELIGION ET CONTRAT 3.217 / 3.285

   RELIGION ET ESPOIR 3.179

   RELIGION ET IGNORANCE 3.225 / 3.283 / 3.289

   RELIGION ET ILLUSION 3.226 / 3.227 / 3.228 / 3.273 / 3.276 / 3.284

   RELIGION ET INTOLERANCE 3.167 / 3.199 / 3.286 / 3.287 / 3.288 

   RELIGION ET OBSCURITE 3.224

   RELIGION ET PRATIQUE 3.162

   RELIGION ET PROSELYTISME 3.171 / 3.177 / 3.178 / 3.180

   RELIGION ET PROTECTION 3.218 / 3.219 / 3.285

RENCONTRE 1.121 / 4.218 / 4.219 / 4.264 / 4.293 / 6.159 / 9.35 / 9.286

   RENCONTRE ET EGOCENTRISME 1.121

   RENCONTRE ET MEPRIS 1.98

RENONCEMENT 4.91 / 4.92 / 4.163 / 4.164 / 4.230 / 9.168

   RENONCEMENT ET ATTENTE 5.157

   RENONCEMENT ET CHEMINEMENT 4.163 / 4.164

   RENONCEMENT ET COMPARAISON 5.151

   RENONCEMENT ET DETACHEMENT 9.168

   RENONCEMENT ET RICHESSE 4.163

REPAS 9.210

   REPIT ET QUOTIDIEN 4.176

REPLI 1.204

   REPOS ET QUOTIDIEN 4.176

REPROCHE 6.121

RESIGNATION 9.290

   RESISTANCE ET MURISSEMENT 4.68

RESPECT 8.39

RESSOURCE 9.30 / 9.146

   RESSOURCE ET ACCUEIL  9.146

REUNIFICATION 4.74 / 4.75 / 6.333 

REUSSITE 9.96

REVE 2.166 / 6.117 / 7.178 / 7.182 / 9.238

REVOLUTION 9.177 / 9.334

   RICHE ET PAUVRE (les) 9.291

RICHESSE 5.167 / 9.170

RIVE 1.1 / 4.233 / 9.159

ROLE 1.74 / 4.252 / 4.253 / 4.254 / 4.277 / 6.144 / 6.164 / 8.6 / 9.24 / 9.80 / 9.116 / 9.117

   ROLE ET HORREUR 9.87

   ROLE ET ILLUSION 1.73

   ROLE ET MONDE 8.6 / 9.313

   ROLE ET VIE 6.144 / 9.116

ROMAN 6.47 / 6.356

ROUTINE 1.194 / 1.250 / 4.172 / 6.46 / 7.103 / 7.126 / 7.131 / 7.134 / 9.60 / 9.100 / 9.188

   ROUTINE ET FUITE 5.127  

   ROUTINE ET ENNUI 1.250

   ROUTINE ET IMMOBILITE 5.126 / 5.128

   ROUTINE ET REGARD 1.115

SAGESSE 5.176 / 9.56

SALLE DE BAIN 2.388

SALUBRITE 6.112

SAVOIR 6.150 / 6.151 / 6.152 / 9.88

   SAVOIR ET ACTION 8.30

   SAVOIR ET CULTURE 6.151

   SAVOIR ET ENCOMBREMENT 6.150 / 6.152

   SAVOIR ET INTELLIGENCE 6.151 

   SAVOIR ET REEL 6.150

SCIENCE 1.83

   SCIENCE ET ART 1.83

   SCIENCE ET CONNAISSANCE 9.274

SCIENTIFIQUES (les)  1.83 / 6.270

SECURITE 9.13 / 9.17

SEDUCTION 6.62

SENS 4.221 / 6.179 / 8.49 / 9.10

   SENS ET ABSURDITE 9.91

   SENS ET CHEMINEMENT 9.304

   SENS ET EXISTENCE 4.203

   SENS ET VIVRE 1.15

SENTIMENT 5.173

SERENITE 4.20 / 4.234 / 5.160

SERVITEUR 9.98 / 9.175

SEXE 7.36 / 7.56 / 7.57 / 7.99 / 7.123 / 8.11 / 9.200

SILENCE 4.116 / 6.294 / 6.344 / 6.349 / 7.119 / 9.350

   SILENCE ET ESPRIT 6.26

SIMPLICITE 5.179

SIMPLIFICATION 4.92

SINGULARITE 1.4

SOCIETE 7.150

SOCIETE (moderne) 9.201 / 9.206

   SOCIETE ET VIVANT (êtres) 9.345

SOLEIL 6.94 

SOLITUDE 1.56 / 1.119 / 1.122 / 1.142 / 1.204 / 1.220 / 1.248 / 1.256 / 2.254 / 3.48 / 3.49 / 4.43 / 4.45 / 4.95 / 4.279 / 4.280 / 6.40 / 6.64 / 6.100 / 6.159 / 6.185 / 6.190 / 6.196 / 6.217 / 6.267 / 6.294 / 7.38 / 9.2 / 9.35 / 9.36 / 9.42 / 9.44 / 9.49 / 9.131 / 9.142  / 9.184 

   SOLITUDE ET BENEFICE 1.220 / 1.248

   SOLITUDE ET CHEMINEMENT 1.56 / 4.44 / 4.45

   SOLITUDE ET CHUTE 2.39

   SOLITUDE ET DESESPOIR 1.142

   SOLITUDE ET DESESPOIR ET PROTECTION 1.258

   SOLITUDE ET FUITE 4.95

   SOLITUDE ET INDIGNITE 1.122

   SOLITUDE ET LIEN 1.133 / 1.255 / 6.217 / 9.297

   SOLITUDE ET LIEN ET CONSCIENCE 9.297

   SOLITUDE ET OBSTACLE 4.280

   SOLITUDE ET VIE 9.184

SOMMEIL 6.227

   SOMMEIL ET PERCEPTION 6.295 / 6.308

SOUFFLE 3.297 / 3.298 / 3.299 / 9.330

   SOUFFLE ET SILENCE 3.232

   SOUFFLE ET TEMPS ET ETERNITE 9.330

SOUFFRANCE 1.112 / 1.190 / 1.192 / 1.218 / 2.272 / 2.369 / 4.126 / 4.223 / 4.286 bis / 7.6 / 7.7 / 7.30 / 7.44 / 7.106 / 9.135 / 9.231 / 9.232

   SOUFFRANCE ET ABIME 1.112 

   SOUFFRANCE (du monde) ET ACTION

   SOUFFRANCE ET ACTION 9.227 / 9.250

   SOUFFRANCE ET BONHEUR 4.67

   SOUFFRANCE ET CHEMINEMENT 4.287 / 7.78

   SOUFFRANCE ET CONSCIENCE 4.286 bis / 9.227

   SOUFFRANCE ET ETRE 1.192

   SOUFFRANCE ET FUITE 1.120 / 2.272

   SOUFFRANCE ET JOIE 4.286 bis

   SOUFFRANCE ET PLAINTE 1.120

   SOUFFRANCE ET PLAISIR 9.61 

SOURCE 3.266 / 4.109 / 4.138 

   SOURCE ET FONTAINE 4.138

SOUVENIR 1.181 / 1.249

   SOUVENIR ET AVENIR 1.181

   SOUVENIR ET FUITE 1.249

SPIRIPOSOPHIE* 6.355 / 6.357 / 6.371

SPIRITUALITE 6.277

   SPIRITUALITE ET EGOISME 6.214 

STATUT 9.55

SUICIDE 3.77 à 3.82

   SUICIDE ET DELIVRANCE 3.54

SUPERFICIALITE 1.223 / 9.14 

SUPERMARCHE 1.68

SURVIE 9.33 

TELEVISION 1.108 / 2.218 / 2.219 / 2.228 / 6.48 / 6.66 / 6.221

   TELEVISION ET RENCONTRE 6.48

TEMPETE 6.128

TEMPS 1.19 / 1.20 / 1.94 / 2.336 / 4.118 / 4.119 / 5.162 / 5.182 / 6.314 / 7.13 / 7.83 / 9.59 / 9.63 / 9.64 / 9.65 / 9.189 / 9.252 / 9.325 / 9.332

   TEMPS ET CHEMINEMENT 3.8 / 4.4

   TEMPS ET CONSCIENCE 9.331

   TEMPS ET CONTRÔLE 9.65

   TEMPS ET ENNUI 2.55

   TEMPS ET ETERNITE 2.336

   TEMPS ET INSTANT 5.120 / 9.63 / 9.64

   TEMPS ET LINEARITE 1.19 / 1.20 / 1.94

   TEMPS ET PERCEPTION 9.270 

   TEMPS ET PRESENCE 5.120 

   TEMPS ET REGARD 9.189

   TEMPS ET VERITE 2.336

   TEMPS ET VIE 9.252 

TENDRESSE 6.279

TENEBRE 4.6 / 6.227

   TERGIVERSATION ET CHEMINEMENT 1.232

   TERRE ET CIEL 1.122

TERRITOIRE 4.220 / 9.112

TETE 4.198

   TETE ET CŒUR 4.198 / 6.304 / 6.311 / 6.360 / 6.362 / 9.158 / 9.174  

   THEATRE ET MONDE 6.115 / 9.23

THERAPEUTE 2.188 / 1.189 / 2.190 / 2.308 / 2.309 / 3.26

TOILETTES 2.388 / 2.393

TOILETTE (papier) 2.389 / 2.390  

TOURMENT 1.212 / 4.79 / 9.144

   TOURMENT ET ESPOIR 4.79

TOUT (et élément du Tout) 4.239 / 9.232 / 9.308 / 9.315

TRANSCENDANCE 6.275

TRANSFORMATION 4.273 / 9.180

TRANSPARENCE 4.185 / 4.236

TRAVAIL 4.57 / 4.217 / 4.288 / 5.168 / 6.167 / 6.171 / 6.172 / 6.272 / 7.108 /7.164 / 9.292 / 9.293

   TRAVAIL ET ETRE 9.294

   TRAVAIL ET LOISIR ET ALIENATION 9.288

   TRAVAIL ET SALAIRE 9.292

   TRAVAIL ET TERREUR 9.293 

TRESOR 4.178 / 4.230

TRISTESSE 6.36 / 6.109 / 7.45 / 7.65 / 7.92 / 7.177 / 9.62 / 9.231

   TRISTESSE ET ACCUEIL 4.188

   TRISTESSE ET MONDE 6.109

   TRISTESSE ET VIE 6.109

UNIVERSALITE 6.114

VAGABOND 9.172

VANITE 9.55

VEGETARISME 9.211

   VEGETARISME ET VIVANT 9.346

VENT 9.111

VERITE 4.106 / 4.107 / 4.182 / 6.155 / 6.208 / 6.221 / 6.255 / 9.90 / 9.153

   VERITE ET CHEMINEMENT 4.17 / 4.112 / 8.37

   VERITE ET DIFFICULTE 4.101 / 4.102 / 4.182 

   VERITE ET DOGME 9.153

   VERITE ET DOUTE 9.153

   VERITE ET EGO 4.107

   VERITE ET EXPRESSION 4.181 / 4.182

   VERITE ET FALSIFICATION 4.182

   VERITE ET MATIERE 4.144

   VERITE ET QUETE 4.257

   VERITE ET REEL 4.144

   VERITE ET REGARD 4.106 

   VERITE ET SILENCE 6.255

   VERITE ET VIE 6.155

VERMINE 2.266 / 2.267 / 2.268 / 2.326

   VERMINE ET PROFONDEUR 2.182

VERTICALITE 4.99 / 4.100 / 4.246 / 4.247 / 6.192 / 6.254 / 6.335 / 7.86 / 7.93 / 8.40 / 9.119 / 9.320 / 9.321

   VERTICALITE ET CHEMINEMENT 8.40

   VERTICALITE ET HORIZONTALITE 4.99 / 4.100 / 4.247

   VERTICALITE ET REGARD 9.320

VERTU 1.40

VICTIME 4.208 / 9.69

VICTOIRE ET DEFAITE 1.43 / 6.372 / 9.162

VIDE 6.54 / 6.78 / 9.58 / 9.70

   VIDE ET AGITATION 6.90

   VIDE ET ECRASEMENT 6.78

   VIDE ET REMPLISSAGE 9.58

VIE 4.201 / 4.221 / 4.266 / 6.19 / 6.21 / 6.132 / 6.246 / 6.286 / 6.288 / 6.350 / 7.44 / 9.171

   VIE ET ABSURDITE 3.11 / 6.179

   VIE ET APPRENTISSAGE 6.350

   VIE ET ATTENTE 6.248

   VIE ET BIENVEILLANCE 4.73

   VIE ET CHEMINEMENT 4.65 / 4.132

   VIE ET CHEMINEMENT (spirituel) 6.286

   VIE ET CONNAISSANCE 6.350

   VIE ET DESESPOIR 9.66

   VIE ET DESTIN 6.177

   VIE ET DIVERSITE 2.325 / 6.213 / 6.381 

   VIE ET DON 6.248

   VIE ET ECRITURE 6.319 / 6.255

   VIE ET EMERVEILLEMENT 4.65

   VIE ET ENSEIGNEMENT 4.175

   VIE ET ESSENTIEL 1.209

   VIE ET ETRE 6.375

   VIE ET HOMME 9.285

   VIE ET JOIE 7.135

   VIE ET JOIE ET ACCUEIL 9.318

   VIE ET LASSITUDE 6.54

   VIE ET MERVEILLE 4.266

   VIE ET MERVEILLEUX 6.54

   VIE ET MIRACLE ET FACILITE 9.283 

   VIE ET MORT 4.158 / 4.260

   VIE ET MOUVEMENT 4.158 

   VIE ET MURISSEMENT 4.291

   VIE ET MYSTERE 6.117 / 6.288 / 6.349 / 8.49

   VIE ET NOURRITURE 1.208 / 9.122

   VIE ET ORIGINE 9.12

   VIE ET PRECIOSITE 4.73 / 6.246

   VIE ET PRIVILEGE 4.266

   VIE ET PUZZLE 6.352 

   VIE ET REVE 9.266

   VIE ET SERVITEUR 9.98

   VIE ET SIMULTANEITE 2.325 / 6.381

   VIE ET TEMPS 9.196 / 9.197 / 9.198

   VIE ET VOIE 6.126

   VIE ET VOYAGE 1.7 / 1.208 / 9.3 / 4.290

VIES MULTIPLES 9.275

VILLE 6.16 / 7.63

VIOLENCE 6.32

   VIOLENCE (intérieure) ET VIOLENCE (extérieure) 6.32

   VIOLENCE ET CHEMINEMENT 4.110

   VIOLENCE ET IMPUISSANCE 2.361

VITESSE 1.62 / 4.120 / 5.111 / 5.112 / 5.113 / 5.114 / 5.170

   VITESSE ET JOIE 5.114

   VITESSE ET LENTEUR 1.62 / 5.119 / 5.125 / 5.170

   VITESSE ET QUOTIDIEN 5.111 / 5.112 / 5.113

   VITESSE ET SERENITE 5.114

VITRINE 6.113

VIVANT 2.5 / 4.145 / 6.213 / 8.49

VIVRE* 1.184 / 4.55 / 6.19 / 6.21 / 6.197

   VIVRE ET ART DE VIVRE 6.21

   VIVRE ET ECRITURE 6.19 / 6.21

   VIVRE ET EXISTER 1.197 / 6.25

   VIVRE ET HANDICAP 1.184

VOIE 3.110 / 5.178 / 6.119

   VOIE ET ASPIRATION 6.119

VOILE 2.40 / 4.193 / 6.340 / 9.83

   VOILE ET ORDINAIRE 4.193

   VOILE ET PROFONDEUR 6.209

   VOIX ET FONCTION 4.250

   VOLONTE ET MURISSEMENT 9.242

VOULOIR* 4.232

VOYAGE 1.195 / 2.23 / 2.24 / 6.4 / 6.310 / 7.84 / 9.3 / 9.104

   VOYAGE ET ORIENTATION 4.272

VULNERABILITE 1.18 / 1.182 / 3.209 / 3.295 / 4.19 / 4.243 / 4.279 / 6.90 / 9.30 / 9.307

   VULNERABILITE ET ACCUEIL 4.73

   VULNERABILITE ET IDENTITE 1.18

 

 

PISTES THEMATIQUES EMOTIONNELLES

Parcours de lecture à créer par le lecteur (avec guidance ouverte et repères centraux) ayant trait aux thématiques émotionnelles abordées dans cet ouvrage (tristesse, joie, solitude, colère…) pour conduire au désembourbement psychique.

 

Selon votre état psychique (ou vos états d'âme) du moment, vous pouvez choisir les fragments ayant trait à cet état; si vous vous sentez…

 

Triste / En colère / Haineux(se) / Désespéré(e) / Seul(e) / Vulnérable / Egaré(e) / Insignifiant(e) / Impuissant(e) / Violent(e) / Névrosé(e) / Compulsif(ve) / Stupide / Laid(e) / Egoïste / En désamour / Epuisé(e) / Agité(e) / Médiocre...

 

Reportez-vous aux fragments répertoriés pour ces différentes thématiques dans L’INDEX THEMATIQUE GENERAL. Vous serez heureux(se) d’apprendre que vous n’êtes pas le seul être au monde à éprouver cet état. Vous serez encore plus ravi(e), n’est-ce pas ? d’apprendre qu’il est possible de l’abandonner… en parcourant les exercices des loges du quotidien (partie 2 du LIVRE 5) et/ou en jetant un œil au « viatique de l’être » et à la « trousse d’assistance ».

CONSEIL : Pour chaque item, commencez par un descriptif de l’état (avec L’INDEX THEMATIQUE GENERAL) et créer à l’aide des fragments glanés ici et là (en particulier dans le LIVRE 4 et la partie 2 du LIVRE 5) qui vous semblent les plus appropriés votre propre itinéraire de désembourbement 

 

 

PISTES THEMATIQUES BIO-SOCIALES

Parcours de lecture à créer par le lecteur (avec guidance ouverte et repères centraux) ayant trait aux thématiques biologiques et sociales abordées dans cet ouvrage (pauvreté, richesse, adolescence, vieillesse…) pour conduire au désobscurcissement de conscience.

Selon votre état biologique ou social (ou celui (ou ceux) qui vous semblent particulièrement appréciables, enviables ou au contraire détestables, découvrez un autre regard… peut-être apprendrez-vous à réviser votre perception (enfin.. même si rien n’est moins sûr, tentez quand même votre chance !)…

 

Si vous êtes/aimeriez être ou vous n’êtes pas/n’aimeriez pas être…

 

Beau / Laid / Adolescent / Jeune adulte / Adulte mûr / Personne âgée / En fin de vie / Auteur (ou artiste) / Pauvre / Riche (et propriétaire)

 

Reportez-vous aux fragments répertoriés pour ces différentes thématiques (et thématiques associées) dans L’INDEX THEMATIQUE GENERAL. Vous serez heureux(se) d’apprendre que votre perception n’est pas exclusive (et qu’une transformation ou un élargissement est toujours possible…)

 

 

PISTES DES ASPIRATIONS HUMAINES

Parcours de lecture à créer par le lecteur (avec guidance ouverte et repères centraux) ayant trait aux grandes aspirations humaines abordées dans cet ouvrage.

 

Selon vos aspirations… si vous êtes…

 

  • A la recherche du bonheur  (le bonheur est étroit : définition / renoncer au bonheur étroit) 

  • A la recherche de l’amour (l’amour est égoïste : définition / renoncer à l’amour égoïste / élargir le champ de l’amour)

  •  A la recherche de la beauté (la beauté est apparente : définition / renoncer à la beauté apparente / vers la beauté véritable)
  • A la recherche de la vérité (la vérité est transitoire / sur le chemin de la vérité)

  • A la recherche de la sagesse (la sagesse n’est pas une fin en soi / vers la sagesse bienveillante)

  • A la recherche de la joie (la joie dépendante / vers la joie d’être)

  • A la recherche d’une éthique (une conduite de vie de base / vers l’élargissement de conscience)

  • En quête de vos essentialités* (les aspirations / les pré-essentialités / en chemin vers l’essentiel)

  • En quête d’une vie équilibrée (l’équilibre immobile / vers l’équilibre)

  • En quête de sérénité (la sérénité superficielle / l’ataraxie)

  • En quête d’un quotidien épanouissant (la routine / un quotidien de surface riche / un quotidien simple et merveilleux)

  • En quête d’encouragement pour votre cheminement (encouragements ordinaires / encourageantes désillusions / ce livre est un vrai encouragement / au-delà de l’encouragement décourageant)

 

Reportez-vous aux fragments répertoriés dans différentes thématiques (thématiques associées et connexes) dans L’INDEX THEMATIQUE GENERAL en vous laissant guider par la progression présentée (sous chaque item). Vous serez heureux(se) d’apprendre que d’autres ont eu ou ont encore les mêmes aspirations que les vôtres, qu’il est possible de les appréhender autrement, ou de les transcender… pour  poursuivre votre chemin… bon courage !

CONSEIL : Pour chaque item, ne vous limitez pas au thématiques de L’INDEX GENERAL, fouillez, piochez, faîtes des liens entre les fragments. Bref… défrichez votre itinéraire… et créez votre parcours…

 

NOTE GENERALE (vaguement humoristique) sur les différents index, itinéraires et pistes de lecture : vous pouvez aussi (bien sûr) croiser les critères thématiques, identitaires, bio-sociaux, émotionnels (autant que vous le souhaitez) et inventer votre itinéraire de lecture pour trouver les fragments appropriés (bon courage et patience !). Ainsi, à titre d’exemple, si vous êtes un être ordinaire commun, chercheur existentiel modéré dans un état de grande solitude en quête des mots (justes) pour aider un ami, chercheur prosaïque au bord du suicide et en quête de joie qui aimerait savoir ce que pense un chercheur religieux dogmatique en colère qui a découvert l’amour… commencer à chercher maintenant et priez (qui vous voulez !) pour trouver les fragments idoines avant que votre ami ne commette l’irréparable ! Dépêchez-vous !

 

 

GLOSSAIRE

Répertoire des mots (et néologismes) employés dans cet ouvrage dont le sens mérite d’être précisé.

 

NOTE 1 : ce glossaire a pour fonction de proposer un éclairage, une aide explicative non exhaustive, tendancieuse, voire intuitive (selon la sensibilité de l’auteur) et transitoire (selon son degré de compréhension du réel). En aucun cas, il ambitionne de donner à chaque terme une définition stricte.

NOTE 2 : certains fragments attribuent aux termes répertoriés dans ce glossaire un sens différent.

NOTE SUPPL. : de toute évidence, l’auteur a souhaité que le sens des mots soit laissé à la libre interprétation du lecteur.

 

CHEMIN INTERIEUR : processus intérieur qui se caractérise par une transformation du regard marquée par une lente imprégnation au sein de la conscience

 

CONSCIENCE : présence qui se manifeste (le plus souvent) par une attention perceptive. Perceptions des phénomènes intérieurs (pensées, émotions, sentiments) et extérieurs (êtres, objets, paysages, évènements…)

 

CONSCIENCE INDIVIDUELLE : conscience que l’on attribue (le plus souvent) à un individu. Qui se limite à ses perceptions et que l’on situe généralement en occident au niveau de la tête (et plus précisément au niveau du cerveau). Dans une perception plus large, fragment de la conscience universelle, reflet miniaturisé de celle-ci et conscience universelle elle-même (selon le degré de compréhension).

 

CONSCIENCE UNIVERSELLE : conscience globale qui n’est autre qu’une présence ouverte virtuellement et matériellement identifiable à l’espace infini qui nous entoure, ou plus précisément qui les entoure et qui serait à la fois la conscience présente en chaque être (voire chaque chose et chaque entité avec ou sans forme (matérielle)), i.e qui existe au sein des formes mais conscience qui s’ignore (chez la plupart des êtres de ce monde) car trop identifiés en général à leur propre forme ou entité perçue comme séparée des autres formes et à la fois la somme de toutes les consciences dites individuelles.

 

DESEMBOURBEMENT (psychique) : action ou processus visant à sortir d’un sillon que nous enjoignent de suivre les forces obscures (voir FORCES OBSCURES).  

 

ESSENTIALISME : mouvement littéraire initié par l’auteur (du présent ouvrage) qui met en exergue l’écriture essentielle et qui rejette – par principe – les phrases de remplissage si courantes en littérature. Comme le mouvement éponyme auquel il appartient, le livre essentialiste se caractérise par ses phrases simples, denses et polysémiques et aborde les thématiques fondamentales et essentielles de l’existence humaine. Chaque fragment se doit de constituer un élément intégré au récit et une entité autonome qui conserve totalement sa substance. Le lecteur est invité à s’approprier les fragments de son choix selon sa sensibilité et à l’aune de sa marche et de ses interrogations sur le chemin.

 

ESSENTIALITE : préoccupation fondamentale d’un être humain dans son existence. Activité(s) essentielle(s) qui lui sont enjointes par nécessité intérieure.

 

ESSENTIEL (L’) : activités et domaines existentiels indispensables (au sens de fondamental) à une compréhension (toujours plus juste) de la vie, de notre identité et de notre place véritable en son sein.

 

ÊTRE (L’): attitude de présence ouverte et sereine caractérisée par une transcendance de l’ego ou empreinte de déségotisation (et une compréhension juste des phénomènes) qui permet d’agir avec justesse (action appropriée et parole idoine) à chaque situation du réel.

 

EXISTER (L’): activités et domaines investis par un individu pour trouver une place et/ou de jouer un rôle au sein du monde dans le but de donner un sens singulier à son existence. Afin d’exister à ses propres yeux, aux yeux de son entourage et aux yeux des autres hommes.

 

EXPERIENTIEL : lié à l’expérience personnelle et expérimenté et perçu par la conscience (le plus souvent) individuelle ;

 

FAIRE (LE) : activités et domaines de « l’agir ». Actions et occupations essentiellement guidés par un irrépressible besoin d’agitation (réaction de fuite plus ou moins compulsive et souvent inconsciente liée à l’incapacité d’accueillir le vide, le désœuvrement, l’ennui, l’immobilité et plus généralement l’insatisfaction de la condition humaine ou – plus prosaïquement -  la situation que nous expérimentons.

 

FORCES OBSCURES : force psychique (de l’esprit) à composante inconsciente (au sens commun) et supposée karmique (voir HERITAGE KARMIQUE) qui submerge l’esprit pour diriger les pensées et les actions sans que la volonté puisse s’y opposer.

 

FUITE : comportement réactif (et le plus souvent inconscient) visant à échapper à l’inconfort, à l’insatisfaction, à la douleur et à la souffrance de notre condition et/ou la dimension insupportable (au sens premier du terme) de la situation réelle dans laquelle nous nous trouvons.

 

HERITAGE KARMIQUE : héritage qui provient de notre avant-vie qui pourrait expliquer les dons, les prédispositions, les impedimenta personnels  et plus généralement les composantes psychiques et physiques individuelles difficilement explicables par l’histoire et l’environnement existentielles de l’individu (notamment au cours de son enfance).

 

HOMME COMMUN : individu représentatif du monde des Hommes dont les aspirations et les comportements sont très largement répandus chez les êtres humains.

 

HOMME SINGULIER : individu non représentatif du monde des Hommes dont les aspirations et les comportements sont peu ou très peu en usage (répandus) chez les êtres humains. Dans certains contextes (plus précis ou particuliers), ce terme peut qualifier également un Homme qui éprouve un fort sentiment de solitude liée à sa non appartenance à un groupe humain ou dont les aspirations sont essentiellement d’ordre métaphysique.

 

INSTRUMENTALISATION : utilisation consciente ou inconsciente des êtres, des objets  et/ou des situations à des fins personnelles et égocentriques pour satisfaire ses désirs, fantasmes ou ambitions.

 

INTERIORITE : espace intérieur lié à la conscience que l’on pourrait initialement et symboliquement situé entre la tête et le cœur qui ne cesse, au fil d’un mûrissement naturel et progressif, de s’élargir.

 

LUMIERE : connaissance de la vérité et perception juste du réel

 

NECESSAIRE (LE) : activités et domaines existentiels indispensables (au sens de vital) à notre vie, le plus souvent liés à notre matérialité (à notre corps) et au (ou enjoint par le) fonctionnement du monde. 

 

OBSCURITE : ignorance profonde marquée par un état d’aveuglement et d’inconscience

 

OCCUPATIONNEL : activité investie pour fuir une situation perçue comme inconfortable (voire insupportable) liée de façon générale à la perception habituelle inconsciente ou intuitive de la condition humaine.

 

ORDINARITE : caractère commun, ce qui est commun, ordinaire, banal, médiocre (médiocrement répandu).

 

PHILOSOPHIE EXISTENTIELLE : discipline (au sens de matière) non universitaire qui mêle intuitions, réflexions et expérimentations qui a trait à la compréhension des Hommes, du monde, de la vie et du vivant (et qui tend vers la vérité) pour parvenir à une sagesse et à une conduite quotidienne juste, heureuse, sereine, harmonieuse et appropriée.

 

POESIE ORDINAIRE : à l’image des dessins d’enfants qui peuvent apparaître, à première vue, simplistes, médiocres, ordinaires, esthétiquement sans intérêt et graphiquement faibles, et qui prennent une véritable dimension poétique lorsque l’on parvient à poser sur eux un regard désencombré des références académiques, exempt des règles et des repères artistiques habituels. Je crois que mes fragments (un certain nombre en tout cas) peuvent s’apparenter à ces dessins aux traits innocents et naturellement poétiques. Enfin il me plairait (de toute évidence) qu’on les appréhende comme tel…

 

REEL : ce terme définit principalement les mouvements des formes (par opposition à la conscience) ; survenance des évènements, descriptif d’une situation…

 

SPIRIPOSOPHIE : l’esprit poétique ordinaire de la sagesse, spiri tiré de spiritualité, po, abréviation de poésie ordinaire et sophie tiré de philosophie, démarche scripturale qui mêle poésie de l’ordinaire, philosophie existentielle et spiritualité.  L’esprit poétique ordinaire de la sagesse refuse les phrases lyriques et absconses, rejette le sibyllin et l’obscur propres à la poésie contemporaine. Il évite la conceptualisation et les ratiocinations habituelles de la philosophie et s’inscrit avec simplicité dans une perspective spirituelle non dogmatique. En un mot, il vise l’essentiel (voir ESSENTIALISME).

 

VERITE : ce terme peut se décliner de 2 façons. La vérité relative et la vérité absolue. La vérité relative correspond à la réalité relative, i.e  perçue par une conscience humaine ordinaire. (Ex : pour vivre, les êtres ont besoin de se nourrir). Et la vérité absolue (à mettre entre guillemets, à l’heure de ma compréhension limitée) correspondrait à la réalité absolue, i.e perçue par une conscience totalement désobscurcie.

 

 

TRAVERSEE SYNTHETIQUE

 CHEMIN, ETAPES, MOTEURS ET PORTES DE LA TRAVERSEE

(appendice inachevé)

 

Fragments définitoires liminaires

CHEMIN

L’Homme, sans conteste, est en chemin. De l’obscurité vers la lumière. De l’ignorance vers la connaissance (de la vérité). De la conscience grossière, superficielle et étroite qui caractérise l’Homme ordinaire vers la conscience fine, profonde et ouverte (large), attribut de l’Homme réel (de l’Homme sage).

 

ETAPES

Le chemin est composé de plusieurs étapes. A chaque étape, l’Homme se définit par des caractéristiques spécifiques.

 

MOTEURS

Au sein de chaque étape, l’Homme progresse, propulsé par ses moteurs personnels (singuliers). Moteurs qui prennent la forme, le plus souvent, de perceptions et/ou de prises de conscience alimentées par les évènements, les expériences, les rencontres et l’environnement qui provoquent une évolution (une transformation) des sentiments et des ressentis dans la conscience de celui qui marche.

 

PORTES

Pour passer d’une étape à la suivante, l’Homme franchit des portes, points de passage psychiques et/ou intérieurs incontournables.

 

 

Préambule

LES ETAPES

Au vu de mon expérience personnelle et de mes fréquentations du genre humain, les différentes étapes du processus de désobscurcissement de conscience de l’Homme présentées dans cet ouvrage me semblent relativement pertinentes, et osons le mot, universelles. Certes, ces étapes surviennent de façon moins cloisonnées et apparaissent sûrement plus imbriquées sur le chemin réel de l’Homme qui marche. Mais leurs caractéristiques fondamentales demeurent néanmoins globalement justes.

 

LES MOTEURS

En dépit du caractère universel des étapes, les moteurs* de cette traversée (perceptions et prises de conscience qui permettent à l’Homme qui marche de progresser - consciemment et volontairement - au sein de chaque étape) souffrent, d’un excès de singularité. Il existe en effet d’autres sollicitations, motivations ou contraintes que celles identifiées dans cet ouvrage qui poussent un Homme sur ce chemin. Les moteurs de l’Homme qui marche sont principalement liés, je crois, à sa personnalité et aux caractéristiques de sa naissance (et - supposons-le - de ce qu’il fut au cours de son avant-vie).

 

LES PORTES

Cet excès de subjectivité peut être également attribué aux portes d’accès évoquées dans ce livre (qui permettent de passer d’une étape à l’autre). Il me semble évident qu’il existe d’autres points de passage, qui se mettent en place et apparaissent selon l’itinéraire de chacun.

Afin de permettre au lecteur un comparatif avec son parcours personnel, voici synthétisés les étapes principales de ce cheminement (avec leurs caractéristiques), les principaux moteurs qui m’ont incité, enjoint, tiré, poussé ou contraint à avancer vers l’étape suivante et les points d’ACCES qui m’ont personnellement permis de les franchir (excepté l’étape 4 encore inaccessible).

 

 

Les étapes

 

ETAPE 1 : L’HOMME ORDINAIRE (livres 1 et 2)

Caractéristique centrale : L’OBSCURITE

Caractéristiques principalesde l’Homme ordinaire commun :

-  L’IGNORANCE (ignorance de notre identité véritable, de la signification de notre passage sur terre et plus généralement du sens de la vie) ;

-  LA FUITE de notre condition ignorante (ou obscure) par l’occupationnel* nécessaire (pour assurer sa survie) et l’occupationnel superflu (loisir, passe-temps divers, distractions, divertissements…), et la RECHERCHE DE LA lumière relative (« briller » par rapport aux autres êtres humains en matière de beauté, de richesse, de pouvoir, de puissance, d’intelligence…)

-  La résignation (profonde) à cette obscurité.

Caractéristiques de début d’étape :

-  Recherche effrénée du bonheur dans le monde (perception étroite et souvent autocentrée du bonheur)

Caractéristiques de milieu d’étape :                                    

-  Augmentation de la désillusion au fil des expériences malheureuses, impropres à satisfaire les désirs égocentriques

Caractéristiques de fin d’étape :              

-  La désillusion générale

-  L’impossibilité de continuer à chercher à actualiser d’autres aspirations dont on perçoit (de façon anticipatoire) l’aspect illusoire et/ou l’inutilité

-  Le sentiment (éventuel) d’absurdité de la vie

-  L’impossibilité à se résigner (et à poursuivre le chemin dans cette obscurité)

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MOTEURS PERSONNELS au sein de l’ETAPE 1 (ceux d’un homme ordinaire singulier) :

-  le sentiment de vanité ressenti (au sens double d’inutilité et d’orgueil) à l’égard de la fuite de cette condition obscure observée chez la plupart des Hommes 

---> détournement de l’occupationnel nécessaire et superflu, et de la lumière relative)

---> chercher ses aspirations profondes, chercher un sens à sa vie (i.e aller au-delà de la lumière relative dont se satisfait la plupart des Hommes). Autrement dit, connaître ce qui est vraiment essentiel et fondamental à l’être humain (i.e chercher un sens à la vie)

N.B : cette double recherche est aussi, bien sûr, une grossière façon de fuir la souffrance et l’angoisse liées à cette condition obscure de l’Homme

-  La souffrance : l’insatisfaction liée à l’inaccessibilité de cette (double) quête

-  La déception : l’insatisfaction liée à la mise en œuvre et l’actualisation de certaines de ses aspirations.

Ces moteurs personnels m’ont conduit jusqu’à la fin de l’étape 1 (voir caractéristiques de fin d’étape), sorte d’impasse existentielle. Impasse au bout de laquelle se situe la porte 1 (qui mène à l’étape 2)

PORTE 1 (dans mon parcours personnel) :

-  l’idée prégnante de la mort - de sa propre mort (idées noires avec imminence du passage à l’acte ou tentative de suicide) comme seule issue à l’absurdité de la vie et du monde.

-  Cette proximité de la mort enjoint à chercher en soi la force et le courage de rester en vie. On fouille désespérément à l’intérieur de soi avant de commettre l’irréparable. Et malgré une farouche volonté de mourir, on prend conscience (très intuitivement) qu’il existe (en soi) un souffle de vie qui lutte et résiste et nous intime l’ordre de rester vivant. Emerge alors (plus ou moins lentement - la porte peut dès lors se transformer en sas) l’idée que la seule voie possible pour trouver son salut et un sens à sa vie (et un sens à la vie) est de chercher à l’intérieur, de creuser en soi. NOTE : Le renoncement au suicide nous invite intuitivement à poursuivre notre recherche (recherche en soi) pour découvrir son salut. Mais on a beau chercher, fouiller, hormis la force et le courage d’échapper à la mort, on ne découvre rien. On décide alors de chercher dans le monde la façon dont il faut chercher en soi. De partir en quête d’une lumière extérieure pour éclairer notre intérieur. Bref, on se met à chercher dans le monde des voies intérieures existantes.

 

ETAPE 2 : L’HOMME RELIGIEUX (livre 3)

Caractéristique centrale : LA RECHERCHE DE LUMIERE

Caractéristiques principales :

-  La quête d’une lumière pour éclairer son obscurité et celle du monde.

-  La recherche de son salut

Caractéristiques de début d’étape : 

-  Conformation et mise en application des vérités extérieures et des dogmes de la voie intérieure choisie

-  Excès d’enthousiasme plus ou moins prosélyte

Caractéristiques de milieu d’étape :                                    

-  Inconscience, occultation ou enfouissement de ses parts d’ombre

-  Propension à la moralisation excessive, à l’intransigeance (voire à l’intégrisme ou au fondamentalisme)

-  Le sentiment de se situer du bon côté de la barrière (du côté des justes ou des élus)

Caractéristiques de fin d’étape :              

-  Résurgence des parts d’ombre ou prise de conscience progressive de leur existence et de l’impossibilité de les nier

-  L’incapacité partielle à appliquer à son existence des vérités extérieures (véhiculées dans la (ou les) voie(s) et méthode(s) d’intériorité choisie(s)).

-  La certitude que le seul chemin est de travailler à l’érosion de ses parts d’ombres (reconnaissance, acceptation, réconciliation, effritement et transformation)

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MOTEURS PERSONNELS au sein de l’ETAPE 2 (ceux d’un homme ordinaire singulier) :

-  La certitude de l’existence d’une seule possibilité (qu’il n’existe qu’un seul chemin possible) : chercher en soi.

-  L’impossibilité de suivre une voie existante (liée sans doute à un penchant naturel personnel, un farouche besoin d’autonomie et à la résonance partielle (et non totale) d’une tradition spirituelle dont je me sentais proche mais dont je pressentais certaines inadéquations avec ma sensibilité, mes intuitions et réflexions) couplé à un (non moins farouche) besoin de défricher mon propre chemin (intérieur). NOTE : On tente d’appliquer (avec plus ou moins de discernement) toutes les voies et méthodes rencontrées à l’extérieur qui résonnent à l’intérieur. I.e qui parlent à notre cœur et à notre tête. Malgré un (plus ou moins long, approfondi et patient) travail de réflexion, d’intuition, d’application et de pratique, on a beau réfléchir aux dogmes proposés par la voie (ou les voies) choisie(s) ou qui nous intéressent, certains aspects nous échappent, d’autres nous semblent incohérents, farfelus, ésotériques et/ou dogmatiques. On a beau s’efforcer de mettre en pratique les préceptes en vigueur de la (ou les) voie(s) choisie(s), on rencontre un décalage quasi permanent entre notre façon d’être et les préceptes véhiculés par la voie malgré une évidente bonne volonté et quelques efforts d’auto-discipline volontaristes.

-  La résurgence récurrente de mes parts d’ombre (parfois dévastatrices)

-  La certitude que l’application de vérités extérieures est impossible sans transformation personnelle préalable (ou concomitante). NOTE : On comprend progressivement que subsistent en nous des formes et des forces de résistance (liées à notre ego, nos névroses, notre enfance, nos modes de fonctionnement habituels, nos idéaux, nos a priori…).  Bref, on comprend qu’on ne peut occulter certains aspects de nous-mêmes qui se révoltent devant cette mise en application trop rapide et trop contrainte, peu adaptée à notre intériorité. NOTE SUPPL. : à ce stade, au moins 2 grandes options peuvent se rencontrer, soit on nie sa propre intériorité, on l’occulte en faisant passer en force les dogmes (les vérités extérieures) de la voie choisie ou empruntée et on a le sentiment de progresser (jusqu’à la débâcle finale où rejailliront les forces obscures enfouies). Soit on refuse d’avancer artificiellement (ce fut mon itinéraire) et on décide de travailler ses résistances (ego, névroses, modes de fonctionnement habituels, idéaux, a priori…), on teste la validité des dogmes, on y réfléchit, on les comprend progressivement, et ils résonnent (ou non d’ailleurs) à l’intérieur de plus en plus au fil de nos réflexions et mises en pratique distancières et prudentes.

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PORTE 2 dans mon parcours personnel :

-  La certitude que toute progression intérieure sans un travail sur mes parts d’ombre est impossible

 

ETAPE 3 : L’HOMME DE L’ENTRE-DEUX (livre 4)

Caractéristiques centrales : L’acceptation de l’obscurité et la DECOUVERTE des éclaircies

Caractéristiques principales :

-  L’accueil du réel (ou plus exactement l’apprentissage progressif de l’accueil du réel (le réel intérieur – émotions, sentiments, pensées – et le réel extérieur – situation, évènements) sans arrière-pensée stratégique egotique ni instrumentalisation

-  Le recentrage sur l’essentiel (la simplification progressive de l’existence personnelle, la déhierarchisation des activités et la découverte du merveilleux dans le quotidien (avec une prépondérance du quotidien ordinaire sur l’exaltation extraordinaire - caractéristique du monde obscur - assimilée à une fuite grossière du réel)

-  Le développement du sentiment d’émerveillement, de joie et de gratitude à l’égard de la vie, des êtres et du monde avec l’apprentissage de la réconciliation (réconciliation avec soi, les parties de soi-même et le monde), un sentiment accru de préciosité de la vie et du vivant et l’intensification de l’instant

-  L’autonomisation participatrice (la découverte de sa place et de son rôle dans l’univers et le monde humain) couplée à un sens accru de la responsabilité de ses actes et paroles (à sa mesure limitée) sur l’ensemble de la trame du vivant (et de la vie). 

-  La découverte progressive d’une autre dimension du réel grâce à la réflexion, l’intuition et l’expérimentation (directe) liée en partie à la transformation du regard et à un triple mouvement de la conscience, un élargissement, un approfondissement et un affinement. La conscience devient en effet plus large (elle commence à s’étendre au-delà de soi-même et de ses proches – caractéristiques de la conscience du monde obscur), elle devient plus fine (la conscience perçoit le réel de façon plus détaillée et plus pointue), et elle devient plus profonde (la conscience commence à percevoir l’existence d’autres couches de la réalité - derrière les formes et les apparences. Ainsi, par exemple, la découverte, de quelques pans (sans doute encore superficiels) de son identité réelle (composante du réel vivant avec des liens innombrables, le sentiment d’être toujours relié en dépit d’un indéfectible (et sans doute provisoire) sentiment de solitude lié à la persistance de l’appartenance au monde obscur) ou de notre dimension éternelle, ou de l’être...

-  La persistance (parfois encore douloureuse) de SON appartenance au monde obscur (on rencontre de plus ou moins nombreuses et âpres difficultés pour éroder nos travers d’ordre egotique, psychique et névrotique);

Caractéristiques intra-étape :

N.B : phase encore trop peu expérimentée par l’auteur pour qu’il puisse donner un aperçu clair des différentes caractéristiques de début, de milieu et de fin d’étape…

-  On effectue néanmoins un long et plus ou moins patient travail sur ses résistances (ou travers d’ordre egotique, psychique et névrotique). On découvre en soi, grâce à la réflexion, l’intuition et une certaine forme de mûrissement naturel (la transformation du regard) certaines vérités intérieures qui corroborent avec les enseignements de la voie que l’on a choisie ou dont on se sent proche…  Grandit en soi (malgré l’œuvre du doute) une conviction plus forte d’être sur le chemin de la vérité…

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MOTEURS PERSONNELS au sein de l’ETAPE 3 (ceux d’un homme singulier) :

-  La double certitude qu’il n’existe qu’une seule possibilité (qu’un seul chemin possible) : travailler avec soi (notre réalité intérieure relative) et avec le réel (la réalité extérieure relative du monde dans lequel nous vivons et évoluons).

-  La conviction profonde que nulle progression (intérieure) n’est possible sans une transformation - profonde, progressive et naturelle - du regard doublée d’une irréversible imprégnation de la conscience

 

ETAPE 4 : L’HOMME REEL – SAGE (livre 5 – dernière partie)

Caractéristique centrale : LA LUMIERE

Caractéristiques principales (supposées):

-  L’être et la présence (la totale désagrégation egotique)

-  La perception juste du réel

-  L’action juste (attitude et paroles idoines à la situation réelle)

-  La liberté véritable

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REMARQUES PARTICULIERES

NOTE SUR LES PORTES : à la lecture de cette synthèse, il semble évident que chaque porte se situe pour l’Homme qui marche au fond de ce qu’il croit être une impasse. A ce propos, il est intéressant de remarquer que la première porte (la porte 1) a été découverte (et franchie) lorsque celui qui marchait s’était (malgré lui) résolu (ou résigné) à se cogner contre le mur. Et se jetant contre le mur (prêt à tout… même à la mort), il découvre, de façon inespérée, la (ou une) porte dont il ne soupçonnait nullement l’existence. Note suppl : il semblerait, en tout cas, que la porte 1 n’apparaisse à celui qui marche qu’à courte distance du mur.

 

NOTE SUR LE CHEMINEMENT : à la lecture de cette synthèse, il apparaît également qu’au sein de chaque étape, les possibilités de choisir (une voie) se restreignent au fil du chemin. A chaque début d’étape, les  possibilités semblent pléthoriques alors qu’à la fin de chaque étape (au fond de l’impasse), il n’y a souvent qu’une seule issue possible.

 

NOTE SUPPLEMENTAIRE SUR LE CHEMINEMENT : On remarque aussi une constante qui marque de façon assez évidente le début, le milieu et la fin de chaque étape : la diminution progressive de l’espoir (autrement dit des bénéfices escomptés sur le chemin emprunté). Le début de chaque étape semble, en effet, marqué par une sorte d’enthousiasme plein d’espoir (et d’attentes dans la voie empruntée), espoir quelque peu naïf (lié à la méconnaissance et à l’inexpérience du marcheur à l’égard de ce nouvel environnement). Puis, au fil du chemin, l’espoir, les attentes (et parfois l’enthousiasme) semblent s’éroder. Comme si, au fil des pas, l’Homme qui marche apprenait progressivement à composer avec les éléments du réel (le réel intérieur et extérieur).

 

RECAPITULATIF 

 

-  Caractéristiques des débuts d’étape :

  • innombrables possibilités

  • enthousiasme empreint d’espoir et d’espérance

  • attentes de bénéfices (de nature égocentrique) 

 

-  Caractéristiques des milieux d’étape :

  • déception et désillusion progressives à l’égard du chemin emprunté

  • émoussement de l’enthousiasme

 

-  Caractéristiques des fins d’étape :

  • sentiment d’impasse (nul choix possible) ou existence d’une seule et unique possibilité

  • prise en compte plus importante des éléments objectifs du réel perçu (selon son degré de compréhension)

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NOTE GENERALE INACHEVEE 

Comme si la vie, au fil de nos pas, s’évertuait à éroder nos espoirs. Notons que l’espoir est intimement lié à l’attente, l’attente à l’égard de l’avenir (attente de nature d’ailleurs le plus souvent irréaliste – au sens ordinaire et au sens premier : non réelle). Cette notion d’attente parait essentielle dans la mesure où elle sous-entend (et révèle) un ensemble d’éléments (ou de points) fondamentaux qui constituent une grande part du fonctionnement de l’esprit humain (ordinaire).

 

-  le désir – désir personnel (de nature souvent égocentrique) qui sous-entend lui-même 3 notions :

 

  • l’ego (ou le« je »)
  • l’insatisfaction
  • l’aspiration à combler cette insatisfaction.

 

-  l’attitude d’expectative qui sous-entend, elle-même : 

 

  • la notion de temps (le futur).

 

Il est raisonnable de penser que les Hommes (dans une très large majorité) fondent leur existence sur la croyance et/ou le souhait que leurs désirs personnels (i.e ceux qui émanent de leur esprit) le plus souvent de nature égotique (i.e les concernant) seront satisfaits dans l’avenir…

Tentons de comparer (aussi succinctement que superficiellement) ces notions du point de vue de l’Homme ordinaire et telles qu’elles sont définies par les voies spirituelles (quels que soient leur dogmes, leurs traditions et leurs enseignements).

 

L’ego

Pour la plupart des Hommes, l’ego est une entité réelle (et indiscutable) qui se juge autonome (et séparée du reste).

Or, selon la très grande majorité des enseignements spirituels,  le « je » est illusoire.

Objectivement, nul ne peut dire où ni ce qu’il est réellement puisqu’il n’est sans doute qu’un conglomérat de matière, de pensées, d’émotions, de sentiments dont l’existence dépend d’un nombre incalculable de conditions.

 

L’insatisfaction, le désir et l’aspiration à le satisfaire

L’insatisfaction est vécue par les Hommes comme un état marqué par le manque (alors que la satisfaction, bien sûr, est un état de contentement.) Cette aspiration à combler ce manque impulse ordinairement chez l’Homme ordinaire une direction, une orientation, la mise en place et la poursuite d’un chemin où sont mis en œuvre des éléments intérieurs (les ressources et l’énergie personnelles) pour chercher, trouver, utiliser (bref instrumentaliser) certains éléments extérieurs nécessaires pour répondre à ce besoin ou à cette exigence ressentie. Autrement dit, l’Homme ordinaire fait, le plus souvent, le pari du futur en croyant (ou en estimant) que toutes ses mises en œuvre porteront leurs fruits le moment venu… 

Or les enseignements spirituels (un certain nombre d’entre eux en tout cas) nous apprennent qu’il est sage de savoir se contenter et que le réel (la vie telle que nous la vivons) est parfaite telle qu’elle est et se présente à nous. Qu’il n’y a donc pas lieu d’être insatisfait. Et qu’hormis nos besoins primordiaux liés à notre matérialité (manger, boire, dormir, uriner, déféquer) il n’est guère d’autres besoins.

 

L’expectative et la notion de temps

L’expectative est un état d’attente marqué par la fixation de l’attention sur l’après et l’avenir. Une sorte de non-conscience ou de refus d’accorder son attention au présent. Une sorte de néantisation du présent. Le futur est un état temporel de projection, il n’existe que dans la conscience de celui qui s’y projette.

Or, selon les enseignements spirituels, nous ne vivons le réel que dans le présent, dans l’instant où cela se passe…  ici et maintenant (et non ailleurs et plus tard).

Objectivement, l’aspect illusoire du futur est évident. Simple projection de l’esprit dans une perspective linéaire du temps.

 

Au vu de ces brefs (et très superficiels) éléments, il semblerait que la vie (i.e l’expérimentation des évènements par la conscience individuelle des êtres) s’efforce systématiquement de contrarier leurs espoirs. Autrement dit de mettre à mal les notions précédemment décrites : l’ego, le désir et l’avenir. Comme si le contact avec le réel (les évènements, les phénomènes, les rencontres…) s’échinait à faire comprendre aux êtres que leurs tentatives (récurrentes et parfois désespérées) de satisfaire leurs désirs étaient porteuses quasi systématiquement de déceptions, de souffrances et de désillusion (bien que la plupart des êtres (en particuliers humains) parviennent à combler certains de leurs espoirs ou désirs. NOTE : cette réussite engendre d’ailleurs chez eux la fâcheuse propension à croire qu’il leur est possible de parvenir à leur fins (ou du moins réussir à satisfaire un certain nombre de leurs désirs, satisfaction qui devient le couronnement de leur entreprise et la preuve indéniable, à leurs yeux, de l’efficience et de la validité de cette démarche).

 

Or, que constate-t-on lorsque l’on abandonne les notions sous-entendus par (et dans) l’espoir. Autrement dit lorsque l’on abandonne (ou apprend à abandonner) l’ego, les désirs et l’avenir ?

 

En résumé (simpliste) :

Pas d’ego, pas d’insatisfaction, pas de désir. Ou plus précisément lorsque le sentiment d’exister en tant qu’entité autonome séparée des autres formes s’estompe, l’insatisfaction diminue (de façon substantielle) et le contentement s’accroît (sans doute proportionnellement) et les désirs s’amenuisent.

Pas de temps, pas de futur, pas d’attente. Ou plus précisément lorsque la perception linéaire du temps s’atténue, la présence et l’attention au présent grandit et l’intensification de l’instant s’amplifie et les attentes tendent (naturellement) à disparaître.

Bref, pas d’ego, pas de temps. Juste le réel. Ou plus exactement, moins d’ego, moins d’avenir, et davantage de réel.

Comme si la vie invitait (sans cesse) les êtres à se débarrasser des couches illusoires qu’ils surimposent au réel. Pour apprendre à être présent (sans voile ni esquive) au réel. Au réel brut. 

 

26 novembre 2017

Carnet n°25 Traversée commune Livre 9 - Pas perdus

Journal / 2007 / La quête de sens

Florilège de fragments notés au fils des chemins comme épaisseur supplémentaire, redondance, développement des thématiques de la traversée et nouvel éclairage sur les étapes qui mènent à la lumière.

 

 

PAS PERDUS propose trois séries de fragments, PAS PERDUS de MONDES OBSCURS (livre 1), PAS PERDUS de L’ENTRE-DEUX (livre 4), PAS PERDUS de DU CÔTE DE CHEZ SOI (livre 6).

 

PAS PERDUS

Traversées communes et singulières.

Florilège de fragments non intégrés aux livres 1, 4 et 6 exposés ici comme épaisseur supplémentaire, redondance, développement des items abordés dans les volumes précédents et nouvel éclairage sur les étapes du chemin qui mène à la lumière.

 

Partie 1

PAS PERDUS du livre 1 MONDES OBSCURS

(Traversées COMMUNE et singulière)

Paysages

Ton chemin est labyrinthique. Tu ne cesses de t’y égarer.

(9.1)

Affres humaines

Tu expérimentes l’angoisse et la solitude métaphysiques de ta condition.

 (9.2)

 

SOMBRE IGNORANCE

Traversée commune

(à gauche)

 

QUÊTE DESESPEREE

Traversée singulière

(à droite)

 

L’une et l’autre se répondent,

s’opposent et se complètent parfois…

 

Embourbement

Ta vie est un impossible voyage.

(9.3)

Large éventail

Ta vie est une porte ouverte sur tous les horizons possibles.

 (9.4)

Boulets

Tu traînes derrière toi la bêtise du monde. Et tu n'as, pour avancer, que la désespérance de l'Homme.

(9.5)

L’avant-chemin

Tu empruntes toutes les impasses du monde. Tu t’enlises dans l’incontournable étape avant de découvrir la porte qui ouvre le chemin des horizons infinis.

 (9.6)

Partisan limité

Militant de ta propre cause, partout tu agites tes banderoles.

(9.7)

Espoir

Tu cherches la joie, la paix et la plénitude. Et ton attitude te précipite dans le gouffre. Tu es incapable d’adopter un autre regard sur le chemin. Un regard détaché, aimant, bienveillant, un regard oublieux de toi.

 (9.8)

Contentement étriqué

Vivre te contente. Tu te satisfais d’un bonheur étroit et inconscient. 

(9.9)

Aspiration

Tu n’aspires ni à vivre riche, ni à vivre mieux ou vieux, ni même à vivre en bonne santé mais à savoir pour quoi tu vis. Tu sais que cette réponse donnerait à ton âme un inestimable contentement.

 (9.10)

Errance

Tu marches sans but sur le chemin.

(9.11)

Défi angoissant

Tu ignores l’origine de la vie - et le mystère de ton existence. Tu ignores la destination du voyage et l’énigme (angoissante) de la mort. Tu apprends à marcher. Et à chercher en tâtonnant.

 (9.12)

Glissade

Tu te laisses glisser sur la pente de la facilité, du confort et de la sécurité. Comme un skieur rivé à son versant. Comme un alpiniste rebuté par toute idée d'escalade.

(9.13)

Large vide

Tu blâmes la profonde superficialité de l’âme humaine. Son immense étendue creuse.

 (9.14)

Cercle

Tu empruntes un chemin déroutant où tu ne cesses de tourner en rond…

(9.15)

Quête désespérante

Tu cherches tous azimuts et ne trouves que le néant pour réponse.

 (9.16)

Sans issue

Tu recherches le plaisir, le confort et la sécurité. Tu choisis les mauvais guides sur le chemin. Tu te fourvoies dans l’impasse.

(9.17)

Nécessaires liminaires

Tu arpentes toutes les impasses du monde. Tu parcours l’incontournable étape avant de trouver la porte en toi.

 (9.18)

Espace inexploré

Tu poursuis tes chimères. Tu parcours le monde à la poursuite de quelques mirages en ignorant les territoires qui t’habitent.

(9.19)

Détours exploratoires

Tu explores l'espace qui t’entoure. Et tu ignores l’espace qui t’habite.

 (9.20)

Invariants

Tu es un Homme de l’époque moderne. Mais tu ne diffères guère de ton ancêtre, l’Homme des cavernes. Comme lui, tu t’échines à te protéger et à assurer ta survie. En dépit des apparences, tu n’as guère évolué. Tu possèdes le même fond d’humanité. Tu te rends au bureau ou à l'usine comme il chassait le mammouth. Pour nourrir ta famille et ta tribu. Et perpétuer ton espèce.

(9.21)

Destinations

Tu blâmes l’incroyable myopie du monde et le funeste aveuglement des Hommes. Et tu devines les seules destinations promises : le mur ou le trou.

 (9.22)

Personnage

Dans le vaste théâtre du monde, tu occupes ton rôle.

(9.23)

Questionnement

Tu aimerais trouver ta place dans le monde. Tu te poses la plus pathétique et essentielle des questions.

 (9.24)

Impérialisme

Tu as des ambitions expansionnistes et des rêves d’élargissement.

(9.25)

Contresens

Tu te crois important. Tu l’es sûrement mais sans doute pas comme tu l'imagines.

 (9.26)

Perte patrimoniale

Tu t’accapares les êtres, les choses et l’espace. Tu déploies efforts et énergie pour défendre tes titres de propriété. Et tu multiplies les protections pour jouir de tes acquisitions.

(9.27)

Embarras

Tu accumules expériences, notes, livres, papiers, textes, fragments. Et tu éprouves parfois le besoin de te désencombrer.

 (9.28)

Escroquerie

Tu amasses les titres de propriété. Tu usurpes le monde. Et tu participes (malgré toi) à ta propre escroquerie.

(9.29)

Vulnérabilité

Tes ressources fragiles sont anéanties au moindre évènement.

 (9.30)

Artifice conventionnel

Tu accumules les possessions. Mais tu ignores que tu n’acquiers que le droit apparent de jouir de ce que tu crois posséder.

(9.31)

Enlisements

Tu t’échines à chercher. Tu ne trouves que le néant pour réponse. Et tu poursuis (malgré tout) tes recherches décourageantes.

 (9.32)

Drôle de bête

Tu es égoïste. Tu as un sens exacerbé de ta protection et de ta survie. Tu es un Homme. A l’instinct animal.

(9.33)

Facultés

Tu es un Homme. Un petit être au corps fragile, à la conscience étroite et au potentiel infini qui se méprend sur sa puissance.

 (9.34)

Déformation spéculaire

Tu croises une foule de personnages. Et tu ne rencontres jamais que toi-même.

(9.35)

Espace spectral

Ta vie est un désert peuplé de fantômes qui se croisent sans se rencontrer jamais.

 (9.36)

Anonymat

Ombre imperceptible, tu t’égares dans la nuit.

(9.37)

Abandon

Tu ne sais que faire lorsque le goût-même de vivre te quitte.

 (9.38)

Double enfermement

Tu es ton seul prisonnier. Et ton seul geôlier.

(9.39)

 Point cardinal 

Tu es le centre unique de tes préoccupations, de tes angoisses et de tes espoirs.

 (9.40)

Hybridation déséquilibrée

Ta vie est une étrange synthèse, un étonnant mélange d'un trop plein de toi et d'un immense désert de l'Autre.

(9.41)

Heurts fantomatiques

Tu marches seul dans un désert peuplé d'ombres. Et lorsqu'il t’arrive de te cogner contre elles, tu es déboussolé et désorienté. Tu ne sais plus quel chemin emprunter.

 (9.42)

Place centrale

Tu occupes le centre de ta vie. Et ta vie représente le centre du monde. Ta position révèle ton aveuglement inconscient et destructeur.

(9.43)

 Substitut

Tu n’accordes au monde une place dans ton existence que pour emplir un espace que tu ne sais combler toi-même.

 (9.44)

Difformité

Tu crois être le centre du monde. Tu œuvres (malgré toi) au gonflement de l’infime particule.

(9.45)

Ouïe sélective

Tu écoutes le monde. Et tu n’entends que ta propre voix.

 (9.46)

Sources implicites

Tes engagements, tes activités, tes constructions ne sont que des demandes d'amour (et de considération) déguisées.

(9.47)

Démolition

Ta vie est un long et dérisoire je de construction. Nul ne t’a (encore) appris à transformer ton existence en jeu de déconstruction.

 (9.48)

Sécheresse

Ta vie est une terre aride, impropre à faire naître (et croître) toute rencontre.

(9.49)

Intéressement

La compagnie des autres est parfois, pour toi, une gêne (une source de nuisance), souvent un réconfort, un faire-valoir ou un tremplin et toujours un miroir. Il est rare que tu sois (véritablement) avec les autres pour eux-mêmes.

 (9.50)

Instrumentalisation commune

Tu crois aimer le monde. Mais tu n'aimes que ceux qui contribuent à ton confort et à ton bien-être. Tous ceux qui te permettent d'accéder à ton étroite et pâle notion du bonheur. 

(9.51)

 Méconnaissance

Tu rêves d’aimer le monde. Tu apprends à t’aimer. Mais tu ne sais comment t’offrir un peu d’amour.

 (9.52)

Synthétisation

Ton entourage est le monde condensé. Le monde en quelques êtres.

(9.53)

Elément de l’édifice

Tu perçois ta compagne (ou ton compagnon) comme une infime particule du monde et la pierre angulaire de ton univers.

(9.54)

Edifice précaire

Tu œuvres (sans cesse) à la solidification de ta stature et de ton statut. Et tu ignores que la mort transformera tes murs de vanité en poussière.

(9.55)

Invisible

Tu cherches l'extraordinaire. Tu ignores que l'homme sage ne cherche rien. Tu ne peux encore comprendre que l'extraordinaire est partout, dans l'ordinaire de chaque être, de chaque chose, de chaque geste, de chaque situation.

 (9.56)

Triomphes encombrants

Tes victoires sont vaines. Tu fortifies ton armure.

(9.57)

Coquille vide

Tu te pares pour envelopper ton vide.

 (9.58)

Illusion

Tu te crois éternel. Tu figes le temps pour l'éternité. Tu aimerais oublier la mort qui t’attend et qui viendra au détour du chemin.

(9.59)

Immobilité journalière

Tu contemples, pétrifié, la langueur paralysante des jours routiniers.

 (9.60)

Lame de rasoir

Tu crois savourer les plaisirs. Tu ignores (sans doute) que tu te prépares à déguster.

(9.61)

Faibles éclaircies

Tu éprouves parfois une grande tristesse à être au monde. Une infinie tristesse éclairée par de petites joies dérisoires…

 (9.62)

Braise

Tu vis (parfois) comme si chaque instant était le dernier. Tu te consumes.

(9.63)

Inestimable éventualité

Tu vis (parfois) comme si chaque instant pouvait être le dernier. Tu apprends la rareté et dé-couvres le précieux.

 (9.64)

Impuissance

Tu ne peux arrêter la ronde du temps (la marche de la vie). Et cette absence de contrôle (sur le temps qui tourne et la vie qui passe) te désespère.

(9.65)

Handicap

Tu ne vis pas, tu survis à ta désespérance.

 (9.66)

Triste spectacle

Devant la mort, tu es impuissant. Quand elle approche, tu regardes s'en aller ceux que tu aimes. Et l'instant d'après, tu désespères que ceux que tu as aimés ne soient plus.

(9.67)

Désolation

Tu ne sais accueillir la mort sans tristesse. Toute disparition t’affecte, t’afflige, te désespère.

(9.68)

Double peine 

Tu es ta propre victime. Et ton propre bourreau.

(9.69)

Lourde charge

Le vide t'appesantit. Ton désœuvrement métaphysique est un bagage encombrant.

 (9.70)

Stratégie entravante 

L’incertitude te pétrifie. Tu prépares, projettes, anticipes l’avenir. Tu paralyses tes possibilités.

(9.71)

Propulsion

La nécessité (intérieure) te fournit une incroyable énergie. Elle est (sans doute) ton moteur le plus puissant. Elle te permet d'avancer, de traverser les épreuves et les échecs, de sortir des impasses. Sans elle, ta volonté serait anéantie à la moindre difficulté. Elle te permet la persévérance qui t’offre l'énergie de poursuivre quoi qu'il arrive…

 (9.72)

Sinistre cachot

Tes peurs sont une prison. Et tu ignores les barreaux, la clé et le geôlier. Tu te condamnes à arpenter ta cellule.

(9.73)

Barricades

Tes craintes, tes espoirs et tes idéaux confinent le réel et emprisonnent ta vie.

 (9.74)

Apparat

Tu n’exposes au monde que le beau, le digne et le réussi. Tu participes au mensonge universel. Pire. Tu l’honores et le perpétues.

(9.75)

Parts manquantes

Tu dissimules ton idiotie, ta laideur, ta méchanceté, ta médiocrité. Tu camoufles les aspects fondamentaux de ton humanité. Tu donnes du poids à un leurre dont tu seras la première victime.

 (9.76)

Parts manquantes (bis)

Tu devines que le jour où tu seras capable d’exposer la laideur, l’indigne et l’insuccès, tu feras œuvre de salubrité publique.

 (9.77)

Insatiable besoin

Tu regardes la publicité avec émerveillement. Les publicitaires ont compris ton insatiable désir d’amasser le monde. Ils ne cessent de t’y inviter. Et tu t’empresses de répondre à leurs sollicitations. 

(9.78)                                                                                                                                

Affichage

Tu goûtes les affiches. Et tu affiches tes goûts. Tu fais ta réclame. Tu vis en être publicitaire.

(9.79)

Mauvaise représentation

Tu observes, incrédule, les vêtements somptueux et la décoration fastueuse sur l’avant-scène du monde qui dissimule le vide des loges, des coulisses et des acteurs. Et tu blâmes l’affligeant spectacle auquel tu assistes.

 (9.80)

Habits trompeurs

Tu aimes les évidences. Tu fais confiance aux mensonges déguisés en apparence.

(9.81)

Incidences

Tes a priori et tes idées préconçues donnent au monde sa couleur terne. Et sa dimension étroite.

 (9.82)

Regard grossier

Tu hiérarchises la beauté. Tu as encore besoin d'apprendre à voir, d'apprendre à affiner ton regard pour trouver partout la beauté.

(9.83)

Secrets enfouis

Tu ignores ce que dissimulent tes amours. Jamais tu ne t’interroges sur ce que tu aimes derrière ceux que tu dis aimer.

 (9.84)

Participation occulte

Tu loues les mythes et les mystifications. Tu participes aux éternels mensonges des Hommes qui ne vénèrent que le Beau, et occultent la moitié du monde, la moitié de la vie, la moitié d'eux-mêmes.

(9.85)

Contributions falsificatrices

Tu participes (malgré toi) aux mythes universels. Tu contribues (la mort dans l’âme) à leur puissance. A leur écrasante domination sur l’humanité qui entrave la marche de l’Homme vers la liberté.

 (9.86)

Participation ignoble

Tu participes à l’horreur du monde. Tu y es entraîné (malgré toi). Tu ne peux ignorer que le rôle que tu t’octroies ou que l’on t’attribue (souvent) y contribue…

(9.87)

Savoirs

Tu empiles les connaissances en les organisant avec intelligence. Tu crois connaître. Mais tu n’œuvres qu’à ton savoir.

(9.88)

L’enfer

Tu souffres d’ignorer. Tu éprouves le supplice de ne pas savoir…

 (9.89)

Connaissance

Tu t’enorgueillis de tes connaissances. Mais tu ne connais pas. Jamais tu ne t’imprègnes d’une vérité jusqu’à la faire tienne.  

(9.90)

Atermoiement

Tu hésites (toujours) entre le sens et l’absurdité.

 (9.91)

Lueurs trompeuses

Tu prends des vessies pour des lanternes. Et tu crois éclairer le monde.

(9.92)

Déformation spéculaire

Le monde est un étrange miroir où tes travers sont mille fois grossis.

 (9.93)

Carrefour giratoire

Tu changes de route à chaque désillusion. Tu tournes en rond.

(9.94)

Etau

Tu espères. Et le chemin te désespère.

(9.95)

Insignifiances

Tes affaires, tes réussites, tes échecs, ta carrière, tes amours, tes déboires, tes souffrances, tes joies et ta vie sont dérisoires. Tu es seul(e) à les considérer comme essentiels.

(9.96)

Importance relative

Toutes tes épreuves sont essentielles. Et pourtant si dérisoires. A moins que toutes tes épreuves soient dérisoires. Et pourtant si essentielles.

(9.97)

Au service

Tu crois être le maître de la vie. Mais tu ignores ta fonction ancillaire.

(9.98)

Peine perdue

La vie ne cesse de te contrarier. Elle refuse d’épouser ta cause.

 (9.99)

Œuvre répétitive

Ta vie est un éternel recommencement. Chaque jour, elle t’impose de revivre les mêmes situations et de répéter les mêmes gestes. Et tu en ignores la raison. Tu subis (impuissant) l’odieuse routine des jours. 

(9.100)

Ouverture cachée

Tu t’égares dans l’étrange labyrinthe du quotidien en cherchant vainement la sortie. Tu ignores qu’il te faut pénétrer en son cœur pour trouver la porte.

 (9.101)

Instrument

Tu crois construire ta vie. Mais tu ignores qu’elle poursuit son œuvre à travers toi.

(9.102)

L’arpenteur arpenté

Tu as l'idiotie de croire en ton itinéraire. Tu ignores que la vie trace ton chemin.

 (9.103)

 

 

Partie 2

PAS PERDUS du livre 4 L’ENTRE-DEUX

(Traversées COMMUNE et singulière)

  

Etapes essentielles

Tu te cognes aux quatre coins du monde. Et tu poursuis ton chemin. Tu explores tes horizons intérieurs.

(9.103 bis)

Prélude

Tu débutes le voyage avec tes propres bagages. Et tu apprends à t’en délester au fil du chemin.

 (9.104)

 

OSCILLATIONS

Traversée commune

(à gauche et à droite)

 

DE PART ET D’AUTRE

Traversée singulière

(à gauche et à droite)

 

A gauche : éclaircies et lumière

A droite : ombres et obscurité

 

Ombres et lumières alternent, se succèdent, s’enchaînent, se répètent,

se neutralisent parfois… et contribuent

à éclairer le chemin…

 

Désenfouissement

Tu te questionnes sur les vrais bagages.

(9.105)

Processus

Tu éprouves l’irrépressible besoin de répondre à l'insatisfaction fondamentale de ta vie. Tu expérimentes une lente exploration de toi-même. Tu te découvres. Tu évolues. Tu modifies ton regard. Tu te transformes.

(9.106)

Profondeur

Tu as conscience que tes choix existentiels ne trouvent leur origine dans ta seule volonté mais proviennent d'un long et mystérieux mûrissement intérieur.

(9.107)

Viatique

Une seule chose t’importe : le bagage que tu emporteras par-delà la mort.

(9.108)

Exercice vital

Tu éprouves ta finitude. Tu te prépares à la mort. Tu apprends la fin irrémédiable de toutes choses.

 (9.109)

Lucarne

Tu perçois la vie comme une porte ouverte sur tous les horizons.

(9.110)

Girouette unidirectionnelle

Tu ouvres ton existence à tous les vents du monde. Aux vents bons et mauvais. Aux vents forts et faibles. Tu sais que tous te poussent sur le chemin (et vers toi-même).

(9.111)

Périple tranquille

Tu découvres tes paysages inexplorés et tes territoires infinis. Tu apprends à devenir explorateur immobile.

(9.112)

En quête de clarté

Tu progresses dans la nuit noire en quête de l'obscure étoile qui guidera tes pas.

 (9.113)

Méprise

Tu cherches des guides, des modèles et des réponses toute faites pour te guider (vers la sagesse et la vérité). Ton mimétisme est le signe d'une grande puérilité et d'une affligeante paresse. Tu te méprends sur la quête. Tu ignores que nul effort ne peut être épargné à celui qui chemine.

 (9.114)

Omission

Tu crois que les difficultés viennent du chemin. Mais tu oublies les obstacles de la marche. Et du marcheur.

 (9.115)

Juste place

Tu écoutes la vie en toi. Tu découvres le rôle qu’elle t’octroie.

(9.116)

Inclination

Tu choisis une place en ce monde qui te permette de satisfaire tes aspirations profondes. Tu actualises tes profondeurs.

(9.117)

Juste reflet

Tu apprends à devenir le juste reflet de ce que tu es… et de ce (ceux) qui t’entoure(nt).

(9.118)

Perspective fidèle

Tu trouves ta verticalité. Tu la laisses grandir. Et tu tentes de lui rester fidèle en toutes circonstances.

(9.119)

Enracinement

Devant l’hostilité du monde, tu ne fuis pas. Tu ne te recroquevilles pas. Tu trouves refuge en toi pour trouver le courage et la force d'accueillir les évènements et de poursuivre ta route.

 (9.120)

Avancée

Tu prends conscience d'être en train d'être. Tu effectues tes premiers pas sur le chemin conscient.

(9.121)

Absorption inconsciente

A chaque instant, la vie te nourrit. Et tu n’en as (le plus souvent) nullement conscience.

 (9.122)

Conversion

Tu tentes d‘abandonner le faire pour te consacrer à l'être

(9.123)

Défi

Tu aimerais être. Tu relèves le défi insensé. Tu affrontes la difficulté insurmontable. Et tu finis par succomber. 

 (9.124)

Priorités

Tu apprends à privilégier l'être et le contentement, le lâcher prise et l'oubli de toi.

(9.125)

Processus

Tu ne brûles aucune étape pour apprendre à aimer le monde.

(9.126)

Proximités

Tu ne peux oublier le monde en vivant au plus près de toi-même.

(9.127)

Leçons d’exaspération

Tu remercies les êtres qui t’agacent et t’exaspèrent. Tu leur rends grâce de t’offrir l'occasion de t’ouvrir aux innombrables travers que tu refuses de regarder.

 (9.128)

Désindividualisation

Tu effectues un long et difficile travail pour aimer le monde sans qu'intervienne ta propre individualité. 

 (9.129)

Désaliénation

Tu apprends à te libérer de tes peurs et de l'emprise du regard du monde. Tu découvres la liberté.

 (9.130)

Juste accompagnement

Tu apprends à vivre dans l'impitoyable exigence de la solitude et la tendre bienveillance de ta compagnie.

 (9.131)

Avancées

Tu œuvres à l’élargissement de tes limites. 

(9.132)

Ouverture douloureuse

Tu laisses la vie lézarder ton cœur. Tu t’ouvres à la souffrance du monde.

 (9.133)

Carapace mortifère

Tu protéges ton cœur. Tu refuses d’y laisser pénétrer la vie.

 (9.134)

Jugement inique

Tu juges tragiques et injustes les épisodes douloureux et les évènements malheureux de ton existence. Mais tu en ignores la cause. Tu t’interroges sur la pertinence de leur survenance.

 (9.135)

Descente

Tu descends en toi. Pour échapper à la fuite. Et apprendre à accueillir l’adversité.

(9.136)

Trou expulsif

Tu ouvres en toi une minuscule béance qui t'aspire et te recrache en te laissant sans force sur les rives de la vie.

 (9.137)

Ressourcement

Tu n’as plus la force et le courage de marcher. Tu puises en toi plus profondément. Et tu trouves la force et le courage d'accueillir le découragement et l'apathie. Tu franchis une étape. Et tu poursuis ta route.

 (9.138)

Lent changement radical

Tu privilégies la lente et progressive transformation du regard. Tu apprends la métamorphose.

(9.139)

 Réjouissance

Tu refuses d'égayer (artificiellement) la vie. Tu accueilles avec joie la tristesse.

 (9.140)

Evacuation

Tu apprends à te vider. Pour t’emplir convenablement.

 (9.141)

Equilibriste

Tu es seul et relié au monde. Tu apprends à vivre avec cette double vérité. Tu ne sombres ni dans la solitude morbide ni dans la dépendance aliénante.

(9.142)

Pacte

Tu te désarmes. Et tu découvres la paix.

(9.143)

Erreur stratégique

Pris dans les tourments, tu déclares la guerre à la guerre en espérant trouver l’apaisement. Tu te fourvoies dans le choix des armes.

(9.144)

Victoire

Tu renonces au combat. Tu entreprends un long et difficile effort pour apprendre à faire la paix avec toutes choses.

(9.145)

Recours 

Face à l'adversité, tu ne blâmes personne. Tu trouves les ressources en toi non pour la combattre ou t'en protéger mais pour l'accueillir.

(9.146)

Epreuves

Tu apprends à briser tes illusions. Tu œuvres à ton mûrissement.

(9.147)

Artisanat

Tu te frottes au monde. Tu découvres tes aspects anguleux. Tu t’en éloignes (quelques temps) pour en raboter l'essentiel. Et à ton retour, tu apprécies la qualité du travail accompli et l'ampleur de la tâche à effectuer.

(9.148)

Liberté naturelle

Tu refuses tout idéal. Tu conserves la fraîcheur et la spontanéité du regard sur le réel.

(9 .149)

Ecartement

Tu poursuis tes idéaux. Tu t’éloignes du réel.

 (9.150)

Déroutage

Les habitudes t’aveuglent. Et tes automatismes endorment ta conscience. Ils renforcent ta perception erronée de la réalité.

 (9.151)

Passages obligés 

Tu chemines de désillusion en désillusion. Tu progresses vers la vérité.

 (9.152)

Contre-production

Tu ériges tes vérités en dogmes. Tu te protéges du doute. Tu oublies que la vérité ne peut exister sans le doute.

 (9.153)

Progression

Tu n’espères plus du chemin. Tu avances pas à pas.

(9.154)

Enterrement précipité

Tu blâmes ton excès d’espérance. Tu vitupères contre l’ego qui te malmène au gré de ses caprices. Tu essayes de le rejeter. Tu crains qu'il ne te soit plus possible de le satisfaire. Mais tu te trompes. Tu t'enterres.

 (9.155)

Encouragement

Tu comprends que ton seul espoir est de comprendre le non espoir de la vie. Tu devines que tu ne pourras échapper à ce que tu es. Si tu refuses de remuer tes profondeurs, tu sais que tu erras, égal à toi même, jusqu’à la fin des temps.

 (9.156)

Curiosité impatiente

Tu aimerais connaître la fin du chemin.

 (9.157)

Fossé

Tu progresses la tête vers le haut et le cœur vers le bas. Tu te distends.

 (9.158)

Passage à guet

Tu accumules les petites pierres que tu poses sur la rivière en espérant un jour atteindre l’autre rive.

 (9.159)

Liberté

Tu n’attends rien. Tu vas confiant sur le chemin.

(9.160)

Chute ascensionnelle

Tu œuvres à l’élargissement de ta conscience. Tu espères atteindre le zénith sans craindre de toucher le nadir.

 (9.161)

Victoires ouvertes

Tu ne fuis pas les épreuves. La victoire et la défaite t’indiffèrent. Tu sais que l'essentiel réside dans la façon dont tu y fais face, la façon dont tu les accueilles, la façon dont tu les traverses.

(9.162)

Richesse

Tu sais l’essentiel inaltérable…

(9.163)

Pertes et profits

Tu ne crains de perdre ce que tu possèdes. Tu sais que tu perdras l'inutile et conserveras (toujours) l'essentiel.

(9.164)

Abri de tempête

Tu refuses toute protection, toute carapace, toute fuite face aux aléas de la vie. Tu trouves refuge au cœur du chaos. Tu apprends à te tenir debout dans la tempête.

 (9.165)

Valeureux combattant

Tu te déshabilles. Tu ôtes tes vêtements et ton armure. Tu apprends à marcher nu et dépouillé. Et la vie t’habille de pieds en cape. Elle te transforme en chevalier et t’enjoint d'arpenter le monde. Et tu pars sur les chemins, le cœur invincible.

(9.166)

Dépouillement capital

Tu t’appauvris. Tu découvres l'une des plus sûres façons de t'enrichir.

(9.167)

Mûrissement

Tu ne renonces à rien. Tu laisses les choses se détacher. Tu les vois tomber comme un fruit mûr pour enrichir le sol et donner toute sa force à l'arbre dépouillé.

(9.168)

Richesse

Tu apprends à jouir de chaque chose sans rien posséder.

(9.169)

Va-nu-pieds

Tu marches pieds nus dans la boue. Avec pour seule richesse ton voyage.

 (9.170)

Retraite

Le monde est ta maison. Et la vie ton refuge. Partout, tu te sens chez toi.

(9.171)

Malle insolite

Tu arpentes la terre en vagabond. Le voyage est ton seul chemin et ton unique bagage.

 (9.172)

Ombre tellurique

Tu te déplaces, la silhouette fine et la démarche pesante.

 (9.173)

Charge 

Tu avances la tête légère vers le ciel. Mais tu négliges ton cœur qui porte son poids de terre.

 (9.174)

Joyeuse soumission

Tu deviens le serviteur enjoué de la vie. Tu te libères.

(9.175)

Détachement

Tu te laisses traverser. Tu accueilles les évènements sans les retenir. Tu les laisses passer sans t’agripper. Tu avances plus libre sur le chemin.

(9.176)

Bouleversement mesuré

Tu œuvres à ta révolution discrète et silencieuse.

(9.177)

Colonnes

Tu patientes. Tu accueilles. Tu abandonnes. Tu persévères. Tu construis les piliers de ta pratique. Tu œuvres à la stabilité (et à la régularité) de ton cheminement. 

(9.178)

Courage

Mille fois sur le chemin, tu remets tes pas. Mille fois en ton cœur, tu recueilles les pleurs.

 (9.179)

Transmutation

Tu te demandes (encore) comment transmuter l’obscurité en lumière.

(9.180)

En quête de la non-quête

Tu cherches. Tu cherches (toujours) à comprendre. A comprendre qu’il est vain de chercher.

(9.181)

Paradoxe apparent

Tu devines qu’il te faudra aller au bout du voyage pour comprendre l’inexistence du chemin. 

 (9.182)

Elément évident

Tu sais que tu es la vie.

(9.183)

Accompagnement

Tu n’es jamais seul. Où que tu sois et où que tu ailles, la vie toujours t’accompagne.

(9.184)

 

 

Partie 3

PAS PERDUS du livre 6 MONDES OBSCURS

(Traversées COMMUNE et singulière)

 

Résolution

Tu comprends que tu ne peux transformer la vie, le monde, les êtres et les choses. Tu te résous (donc) à transformer ton regard sur eux.

(9.185)

Lien

Tu alternes les périodes de conscience épaisse, lourde et obscurcie et les phases de conscience vive, claire et spacieuse. En dépit de tes oscillations, tu maintiens un lien avec l’espace intérieur (qui passe tantôt au premier plan, tantôt en arrière-plan).

 (9.186)

 

PARTIE 3.1

PAS PERDUS d’EXERCICES JOURNALIERS (du volume 1)

Travail solitaire

Tu écris. Tu passes tes journées, seul, penché sur ta table de travail.

(9.187)

Regard habituel

Tu regardes la routine des jours ordinaires comme un chemin familier. Si familier qu’il te demeure inconnu.

 (9.188)

Vision mensongère

Tu sais que le temps qui passe n'est jamais trompeur. Seul ton regard sur lui te leurre.

(9.189)

Soumission

Tu n’as guère de doute sur l’illusion de la maîtrise. Tu sais que nul ne gouverne sa vie. Chacun obéit (malgré lui) à ses forces obscures et tente (avec plus ou moins d’adresse) d'en contrôler l'expression.

 (9.190)

Naufragé

Aujourd’hui. Oscillation entre virulence frénétique et langueur mélancolique. Ballotté comme un fétu de paille à la merci de vagues déchaînées. Tu invoques ton esprit agité. Tu l’enjoins de te laisser en paix. Il te répond qu’il s’y résoudra lorsque tu suivras le cours des marées, lorsque tu leur abandonneras ton sort. Et tu continues d’esquiver les vagues pour éviter de boire le bouillon.

(9.191)

Aptitude

Autour de toi, certains êtres semblent doués pour le bonheur. Comme si la vie leur avait octroyé quelques prédispositions (intérieures) et certaines facilités (extérieures) qui les invitent à se satisfaire.

 (9.192)

Comparatif infamant

Plus que d'autres et moins que certains… Ah ! Cette sempiternelle et détestable comparaison…

(9.193)

Exclusivité exclusive

Tu as conscience d’avoir toujours cherché les relations exclusives. Sans t’étonner (vraiment) d’être exclu du monde. Quel idiot ! Comment tu as pu ignorer que ta recherche portait en elle les germes de ton impossible inclusion…  et tu comprends (à présent) ton sempiternel sentiment de non-appartenance…

 (9.194)

Piètre combat

Aujourd’hui, tu a vécu sans joie. Tu as traversé les heures comme un vainqueur sans gloire.

(9.195)

Tournage

Tu as toujours regardé, effaré, la vie des Hommes. Les petits épisodes mélodramatiques personnels dans le grand film de la Vie. Et tu remarques, aujourd’hui, l’absence de metteur en scène pour dire « couper ». Une seule prise à chaque événement. Et le film qui se déroule de la naissance à la mort… en direct…

 (9.196)

Course

Note. Tu as beau ralentir, tu as conscience de ne pouvoir arrêter la vie.

(9.197)

Flux continu

Question. Comment arrêter la vie ? Penser…? Se souvenir…? Dormir…? Rêver…? Non, bien sûr ! Nul ne peut arrêter la vie ! On peut arrêter un train, un voleur, un objet en plein vol, une horloge, un bus, un ami dans la rue, le cours d'un fleuve, le cours d'une vie. On peut arrêter de fumer, d'espérer, de se raconter des histoires, de croire en Dieu, de dire des âneries… mais on ne peut arrêter la vie… Arrêter la vie est la tâche la plus insensée, la plus impossible qui soit ! Elle est, par excellence, l'Impossibilité même…

 (9.198)

Arnaque

Assureur : tu ne connais d'activité plus malhonnête et mensongère. Assurer les Hommes contre les risques du monde, leur donner l’illusion de se protéger contre le flux incessant de la vie… Faut-il être escroc pour proposer ce genre de contrat et aveugle et crédule pour en accepter les clauses misérables et mesquines…

(9.199)

 Gouvernance

Tu ne crois guère aux poncifs habituels sur la gouvernance du monde. A tes yeux, l’argent, le pouvoir, le sexe, le plaisir ne sont que des instruments. Tu sais que le monde est gouverné par l’inconscience. Et tu t’attristes de cette vérité ignorée.

 (9.200)

Apparences trompeuses

L’époque est joyeuse et déraisonnable. Joyeuse déraison qui dissimule mal la peur du monde, le désespoir des hommes et l’absurdité des existences…

(9.201)

Haut-monde

Note sur le bas-monde. Tu devines (aisément) que cette expression sous-entend l’existence d’un haut-monde. Y aurait-il donc un monde plus haut ? Question sans doute de degré de conscience… Et tu notes (avec tristesse) que le comportement – égoïste, étriqué et terre à terre - des êtres en ce monde - ici-bas - en serait peut-être la preuve patente… 

 (9.202)

Diktat de la plèbe

Déçu par le résultat d’une élection, tu blâmes la démocrassie. Tu vocifères contre le diktat de la plèbe encrassée d’ignorance (et d’égotisme) qui élit à sa tête ses plus dignes représentants…

(9.203)

Lois personnelles

Jour d’élection (suite). Le gouvernement des Hommes t’afflige. La démocratie, la monarchie (éclairée ou non), la dictature, la théocratie, l’organisation tribale, l’anarchie sont, à tes yeux, guère différentes. Pour toi, aucune structure ne permettra jamais de créer une organisation humaine digne de ce nom tant que chaque homme n'aura pas établi en lui ses propres lois éclairées par une conscience large, profonde et ouverte.

 (9.204)

Sommeil

Tu remarques que le monde porte le sommeil au pinacle. Question. Pourquoi l’humanité ferait-elle donc l’effort de se dessiller les yeux ?

(9.205)

Fond déformé

Tu notes que la société occidentale moderne exacerbe la forme jusque dans ses tréfonds… au point sans doute d’en déformer le fond…

 (9.206)

Stupidités

Tu notes (encore) que l’époque voue un culte à la bêtise. Et tu remarques que la plupart des hommes se sentent à l’aise aujourd'hui. Mais tu prends (soudain) conscience de ton erreur. Tu songes à l’universalité atemporelle de l’idiotie…

(9.207)

Beauté et laideur

Tu as toujours trouvé les âmes belles. Et vile l’ignorance qui les habite.

 (9.208)

Bête animal

Cette part animale si prépondérante chez les Hommes… qui se disent, pour la plupart, supérieurs aux autres espèces… Ah ! Quel stupide mammifère !

(9.209)

Présences

A table. Tu enfournes les bouchées. Avec inconscience. Tu oublies (souvent) l’œuvre du soleil, de la terre et de l’eau. Le long (et patient) travail des êtres et des éléments qui contribuent à ta présence au monde (et à ta survie).

 (9.210)

Décision tranchante

Un jour, devant une tranche de jambon, tu entends le cri du cochon. Tu vois la lame lui trancher la carotide. Et tu vomis. A la dernière gorgée, tu décides de bannir la viande à jamais. 

(9.211)

Puissante inconscience

Tu notes que la conscience individuelle est (souvent) impuissante face à l’inconscience du monde… Et tu te demandes comment ne pas y sombrer. Comment y échapper ? Comment ne pas se laisser inconscientiser ?

 (9.212)

Rengaines

Dans le grand orchestre du monde, tu remarques que les seuls bémols sont les petits bruits de fanfares des Hommes… et leurs petites cacophonies…

(9.213)

Existence musicale

Tu entends (avec fureur) les bruits du monde. Une question te taraude. Orchestre ou fanfare ? Et tu te demandes quand sonnera le tocsin.

 (9.214)

Longue ardoise

Tu as toujours regardé avec mépris l’effervescence du monde. Les hommes s’agiter en vaines et insignifiantes activités. Tu notes que tu as encore besoin de trouver la paix et la tranquillité extérieures pour envelopper le tumulte des émotions, des pensées et des sentiments qui t’animent sans répit. Les bruits, les éclats de voix te resteront insupportables tant que tes oreilles ne sauront entendre autrement les agitations du monde, les accueillir avec bienveillance et compassion. Mais tu ne peux effacer ainsi tant d'années de misanthropie, de haine et de mépris pour le genre humain, tant d'années de terribles sentiments à l'égard de tous tes frères humains si proches. Et (pourtant) si lointains.

(9.215)

Erreur

Tu hais le monde parce que tu t’ignores (tu ignores ta véritable identité).

 (9.216)

Utopie

Tu n’attends rien, tu n’espères rien. Tu demeures silencieux devant la bêtise du monde. Tu aimerais adopter une telle posture. Mais tu en es incapable. Tu n’es ni un saint ni un ermite. Si tu t’éloignais du monde, tu pourrais (peut-être) relever le défi. Mais la distance serait si grande que le monde disparaîtrait. Et s’il disparaissait, alors ta pratique n'aurait plus lieu d'être.

(9.217)

Ambitions

L’ambition de C. Bobin est d’avoir, à l’instant de sa mort, la même tête ahurie qu’un bébé que l’on sort du bain. Etonnant programme, n’est-ce pas ? Ton ambition est fort différente : attendrir ton cœur pour y faire pousser plus de douceur et envelopper sa violence naturelle. Telle est ton ambition ! A mille lieux des préoccupations apparentes de tes contemporains. Non que tu sentes sur eux la moindre supériorité. Bien au contraire. Cette ambition est guidée par ton infirmité et ta difficulté à vivre. A cause d’elles, tu dois te frayer un chemin merveilleux et pathétique.

 (9.218)

Echappatoire

Tu fuis lorsqu'il ne t’est plus possible d'accueillir. Hormis le sommeil (et tes instants – encore nombreux – d’inconscience), tu ne t’accordes que de très rares instants de répit.

(9.219)

Epreuve

Tu éprouves (presque toujours) de grandes difficultés à réfréner ton envie de faire, à ne pas t'engager dans tes activités habituelles. Mais tu t'y contrains. Tu tentes de t'y contraindre avec douceur pour apprendre à reconnaître l'importance que tu leur accordes en temps ordinaire.

 (9.220)

Déchaînement

Légèreté, lâcher prise, abandon, ouverture résonnent souvent comme des mots impotents. Impuissants à pénétrer ton cœur. Aujourd’hui, tu les sais incapables de briser tes chaînes.

(9.221)

Ecoute révélatrice

Hier, longue conversation téléphonique. Bavardages anodins dont tu as soulevé les voiles – aussi brutalement que maladroitement – après de longues minutes d’écoute courtoise. Bavardages qui dissimulaient - mal cachées derrière l’anecdotisme badin - la souffrance, l’incommunicabilité et la solitude… Animé par une folle exaspération, ton discours a crevé l’abcès… révélant cette douleur… laissant éclater les pleurs, les longs silences et les sanglots étouffés… et cette pudeur enveloppante qui emprisonne les mots au fond de la gorge… les reléguant au fond du cœur serré de barreaux étroits… Tu remarques que tu ne peux aider le monde sans faire éclater ton agacement et ton jugement… tu ne sais réconforter sans meurtrir ni même écouter sans juger. Mon Dieu… comment aimer ? Comment aimer en sachant s’oublier ? Comment permettre à l’autre d’ouvrir son cœur sans crainte ? Tu ne peux ignorer que tes sempiternels accès d’exaspération révèlent une intransigeance, une intolérance, des attentes nombreuses à l’égard de ton entourage et ton incapacité à les accueillir et à les accepter tels qu’ils se présentent à toi… avec leurs insuffisances, leurs vulnérabilités et leurs travers…

 (9.222)

Barrique

Tu ne peux encore transformer durablement tes aspirations en actes. Tu n’y parviens que ponctuellement. Et douloureusement. Lorsque ton cœur - petit tonneau étroit - est encore en mesure d’accueillir la parole de l'Autre. Mais il est (si souvent) empli du liquide nauséabond de tes soucis que nul ne peut rien y déverser. 

(9.223)

Point capital

Tu regrettes d’être né dans le monde des hommes, soumis à l’incontournable égoïsme de leur nature, incapables de donner sans recevoir. Tu comprends que la monnaie a été créée pour satisfaire cet affligeant besoin d’échange autocentré : l’homme ne peut donner sans recevoir. Tu te demandes si cette incapacité est liée à la matérialité du corps qui pour survivre dans sa forme a besoin de prélever sur son environnement, de prendre pour se régénérer en énergie (aliments, chaleur…) avant d’en évacuer le surplus.

 (9.224)

Point capital (bis)

Tu donnes toujours dans l’attente consciente ou l’espoir inconscient de recevoir. Tu ne peux, en être humain (ordinaire), concevoir une autre forme d’équilibre. Tu enrages de ta condition humaine (si commune), de tes exigences, de ton sentiment de séparation avec le monde (les autres êtres et les autres formes existantes) et de ton sentiment illusoire (et pourtant presque indéfectible) d’exister en tant qu’entité réelle autonome et distincte.

(9.225)

Ecoute

Tu ne peux ignorer ta mésentente avec le monde. Mais tu n’as pas (encore) conscience que cette triste affaire dissimule une sombre histoire d’écoute (et de regard).

 (9.226)

A défaut

Tu es sensible (particulièrement sensible) à la souffrance de certains êtres : les enfants que l’on tue, les êtres que l’on maltraite. Tu es révulsé par cette innocence bafouée, par cette injustice apparente si criante. Mais tu as conscience de n’assister qu’à un bref épisode de leur histoire. Tu ignores ce que furent ces êtres antérieurement. Tu t’évertues à replacer l’épisode douloureux dans un contexte plus large (autant qu’il te soit possible de le faire). Tu te refuses à laisser se perpétuer cette souffrance. Et tu te demandes comment intervenir. Tu optes pour une intervention qui ait quelques incidences d’élargissement de conscience chez l’ensemble des protagonistes. Tu optes pour le moins pire en méconnaissance de cause.

(9.227)   

 Haillons

L’innocence des enfants et des animaux te semble (pourtant) suspecte et apparente. Tu ignores leur passé. Mais tu devines les oripeaux qu’ils ont dû abandonner pour revêtir les vêtements d’aujourd’hui. 

 (9.228)

Patience

Depuis quelques jours, étrange sentiment d'oppression. Cette présence perturbe ta velléitaire tentative de tranquillité. Tes séances de méditation sont vaines à le recevoir. Elles parviennent à peine à en endiguer la force. Tu essayes de t’en réjouir. Et tu n’y parviens pas. Tu ne peux t’en contenter. Le contentement est si étranger à tes habitudes. Tu essayes de laisser ce sentiment d'oppression se manifester à sa guise. Tu sais qu’il passera comme le reste avec le temps et l'opiniâtreté de la patience.

(9.229)

Combles

Aujourd’hui, tu abrites un immense désespoir. Un désespoir infini. Ta situation est risible. Tu tiens ta vie en haute estime pour accorder une si grande importance à ton désespoir. Tu fais grand cas d’une affaire bien dérisoire. Qu’es-tu en ce bas monde ? Ta vie n’a guère de valeur. Aucun caractère de préciosité sacrée. Et n’en déplaisent aux maîtres du chemin, ta vie n’est précieuse puisqu’elle t’éloigne de ce que tu aimerais lui offrir. Elle t’éloigne de la bonté et te pousse vers des contrées peu accueillantes et des pays inhospitaliers. Tu attends. Et tu sais qu’il est vain d’attendre et nécessaire de te laisser être vers ce que la Vie te porte. Mais ton désir de ne pas avoir de désir, ta volonté de ne pas avoir de volonté, ton attente de ne pas avoir d’attentes te ramènent sans cesse aux désirs, à la volonté et aux attentes. Et tu crèves de trop en avoir. Et tu crèves de ne plus en vouloir. Tu es victime de l’ordinaire et vulgaire paradoxe de l’autocentré qui cherche trop obstinément à ne plus l’être.

 (9.230)

Juste retour

Jour de tristesse. Un jour, tu imagines que tes bourreaux devront, eux aussi, souffrir le martyr. Et tu devines que leur souffrance sera plus forte que la somme des douleurs qu’ils t’ont infligées. 

(9.231)

Décentrage

Au cours d’une promenade, tu vois, par la fenêtre, un homme qui pleure. Un homme qui pleure dans une maison. Et tu remarques que cette maison est située au cœur de la ville. Que cette ville est située au cœur d’une région. Que cette région est située au cœur d’un pays. Que ce pays est situé au cœur d’un continent. Que ce continent est situé au cœur du monde. Que ce monde est situé au cœur d’une planète. Que cette planète est située au cœur d’une galaxie. Que cette galaxie est située au cœur d’un univers. Que cet univers est situé au cœur du cosmos, lui-même, sans doute situé au cœur d’une dimension infinie. Deux questions alors te traversent l’esprit. Chacun est-il toujours au cœur de la dimension infinie ? Et que représente la souffrance d’un être dans cette immensité ?

 (9.232)

Infaillible probabilité

Evidence. Ta mort est une certitude à l’heure incertaine.

(9.233)

Derrière

Note. Devant la mort, tout s’efface…

Après elle, seul demeure le souvenir…

 (9.234)

Empreinte de vent

Tu t’étonnes que les morts laissent si peu de traces. Comme si leur vie n’était qu’une traînée de poussière.

(9.235)

Ressentiment

Tu prends conscience (avec une terrible acuité) d’être en train de mourir. Que tous les êtres sont en train de cheminer (lentement) vers la mort. Tu éprouves ce sentiment à chaque instant qui passe. Et tu ressens une grande tristesse. Une infinie tristesse teintée de regret et de culpabilité pour avoir consacré l’essentiel de ton existence à des broutilles égoïstes.

 (9.236)

Délestage

Tu reconnais que tes peurs sont un fardeau lourd et encombrant. Et tu désespères (souvent) de ne pouvoir t’en débarrasser en un instant.

(9.237)

Achèvement

Après avoir réalisé (et dissous) certains fantasmes, certaines obsessions et certains rêves, tu prends conscience de l’immobilité de tes pas. Et de l’urgente nécessité à cheminer.

 (9.238)

 

PARTIE 3.2

PAS PERDUS d’EXERCICES JOURNALIERS (du volume 2)

Quête obsessionnelle

Tu cherches. Tu cherches partout (et à chaque instant). Tu poursuis ta quête (avec opiniâtreté).

(9.239)

Obsessions

Trouver les règles universelles et irréfutables de la vie (celles qui régissent toute vie) a toujours été l'une de tes plus grandes obsessions.

 (9.240)

Pelures

Tu cherches partout car tu imagines (encore) que partout est la réponse. Tu devines (pourtant) qu’elle se dessinera lorsque tu seras mûr pour la percevoir. Tu sens qu’elle est déjà en toi, recouverte par une multitude de couches qui la dissimulent. Tu sais que ton travail consiste à ôter ses couches, une à une. Et que ton effort doit porter sur ce besoin de nudité.

(9.241)

Maturité

Tu sais que la force de la volonté n'est rien face à celle d'un long mûrissement intérieur.

 (9.242)

Mystère

Tu t’impatientes de cheminer. Tu aimerais hâter ton mûrissement. Mais tu ne sais comment faire mûrir le mûrissement. Vaste question. Toute réponse te semble insatisfaisante… est-ce le temps ? Est-ce l'expérience ? Est-ce la vie et les leçons qu'elle t’enjoint d'apprendre ? Est-ce les autres ? Est-ce le monde ? Est-ce ta conscience ? Face à ce vaste mystère, tu reconnais ton ignorance…

(9.243)

Inversion

Malgré l’irrépressible nécessité de ta quête, tu te crois maître de ta vie. Mais tu oublies (une nouvelle fois) que tu n’es que l’esclave des forces mystérieuses qui te gouvernent.

 (9.244)

Leurre

Tu as (encore) l'illusion d’être libre de tes choix (et maître de ton libre arbitre). Mais tu ignores les forces obscures qui te poussent à opérer ces choix.

(9.245)

Sphères obscures

Tu perçois la conscience comme le fondement apparent de ta pyramide intérieur de surface qui détermine ta vision du monde et conditionne largement tes choix, tes orientations existentielles et tes actions. Et tu devines que toute modification de ta conscience crée une incidence sur le monde. Tu as conscience que ta conscience subordonne tes actions volontaires. Et ton inconscience tes actions involontaires. Tu constates que ton comportement est un enchevêtrement de réactions inconscientes et de gestes conscients qui imprime à ta façon d’être, de dire et d’agir - et plus généralement à ton existence - une direction qui t’échappe. Tu ne sais encore éclairer à la lumière de la conscience ta sphère inconsciente. Et tu aspires au transvasement de l’inconscient dans la sphère consciente pour que jaillissent spontanément (et en toutes circonstances) l’attitude et l’action justes. Tu y vois là l’unique moyen d’accomplir pleinement ton travail humain.

 (9.246)

Voix du chemin

Des voix te parviennent de la rue. A toute heure du jour, elles se manifestent tantôt discrètes, tantôt éclatantes. Ta pratique et ton esprit en pâtissent. Tu te sens dérangé sur la voie par des voix. Et tu t’empresses (aussitôt) de blâmer ton manque d’accueil. 

(9.247)

Raccourci

La vie ne cesse de te détourner de ton chemin. Tu empruntes (sans doute) un détour nécessaire pour te rapprocher de toi-même.

 (9.248)

Centre moteur

Tes connaissances et tes expériences ne peuvent satisfaire ta faim. Chaque jour, tu erres ici et là, allant où tes pas te mènent… guère loin, bien sûr, car tu ne cesses de tourner autour de toi-même.

(9.249)

Impuissance

Aujourd’hui. Lecture paresseuse d’une brochure d’Amnesty International sur la souffrance des enfants. Une idée (soudain) te traverse. Si les Hommes pouvaient additionner toutes leurs souffrances, alors… alors quoi ?!! Tu l’ignores. La souffrance du monde te submerge. Tu quittes le siège (où tu étais passablement vautré) pour aller méditer. Méditer pour soulager ton impuissance à aider le monde. En méditant, tu te persuades d’aider ceux qui souffrent. De leur offrir un peu de temps et d’énergie. Tu sens ton action pitoyable et inutile. Mais tu aimerais te convaincre du contraire. Comme si tu devenais (malgré toi) l’un de ces êtres que tu exècres, individu passif et indifférent replié sur lui et satisfait de se complaire dans sa fange égotique.

 (9.250)

Elève formidable

Tu éprouves (parfois) un sentiment de schizophrénie exacerbée. Tu emploies ce terme à défaut. Le vocabulaire te manque pour décrire l’étrange sensation d’abriter de multiples personnages. Dans ta vie ordinaire, tu vois tantôt l’un, tantôt l’autre penser, parler, agir. Au cours de tes séances de méditation, tu vois surgir avec une grande douceur en leur centre un apprenti disciple qui intervient avec bienveillance, compassion et tolérance, encourageant les uns et les autres. Tu le vois orienter, conseiller. Tu le vois accueillir, conforter, consoler ou demeurer silencieux et en retrait. Et en ces instants, tu ignores ta véritable identité.

(9.251)

Aller-simple complexe

Tu perçois (souvent) le temps comme un voyage sans retour. Et faussement linéaire…

 (9.252)

Inversion

Les difficultés te semblent (toujours) venir de l'extérieur. Et tu te maudis de ne pas regarder avec suffisamment d’attention les obstacles en toi.

(9.253)

Irritation

Tu enrages de te perdre à l'égard des petites choses du dehors au détriment d'un regard et d'une attention qu’il te faudrait (tu le sais) porter en toi et sur les sentiments et les émotions qu'elles font jaillir au-dedans.

(9.254)

Evidente causalité

Tu devines que ta façon d'être au monde te renvoie immanquablement à ton intériorité.

(9.255)

Eclair

Tu sais (aussi) qu’un seul regard peut transformer une vie. Et le labeur des années l’enliser.

 (9.256)

Protection

Tu as (souvent) peur que la vie t’écrase. Et pour éviter d’être anéanti, tu descends en toi.

(9.257)

Ressource

Il t’arrive de fermer les volets. Pour te protéger des lumières du monde. Tu te retires en toi. Pour regagner la vie obscure. Et re-découvrir la lumière.

 (9.258)

Orientation de l’assaut

Tu apprends à renoncer à tous les combats. Tu refuses de lutter contre la vie, contre le monde et contre toi. Mais tu mènes un exténuant (et parfois insurmontable) effort pour accueillir toute chose.

(9.259)

 Prisonnier de la jungle

Guerrier. Guerrier spirituel (mot maintes fois lu dans certaines causeries). Et tu l’entends aujourd’hui s’approcher à pas lent. Tu l’entends avancer, son petit sabre à la main, dans un enchevêtrement de lianes (pauvre métaphore du nœud). Misérable guerrier armé de sa minuscule faucille qui tente vainement de se frayer un chemin. Impossible chemin où une armée de bulldozers serait bien en peine de déblayer l’épaisse végétation qui y a pris racine.

 (9.260)

Test

Certains évènements te semblent des épreuves. Mais cette appellation révèle ton ignorance. Tu ne sais encore les appréhender pour ce qu’ils sont.

(9.261)

Façonnage

Tu sais que les évènements de ton existence sont l’environnement de ta conscience. Qu’ils la façonnent et oeuvrent à son mûrissement.

 (9.262)

Cheminement

Tu as conscience d’être limité. De mille façons. Pour t'en convaincre, tu notes la quantité limitée de souffrance que tu peux accepter… Tu devines pourtant que chacun a le potentiel de dépasser ces limites… Et tu sais que les êtres en chemin travaillent à cet élargissement…

(9.263)

Etrange animal

Ton esprit ressemble à un animal hybride. A un animal familier. Craintif et apeuré. Réfractaire aux changements et soumis aux habitudes. Et à un animal sauvage. Indomptable, imprévisible et éperdu de liberté.

 (9.264)

Mythe blessé

Tu songes (avec effarement) qu’il t’arrive de gonfler ta fable. De te victimiser.

(9.265)

Vérité oubliée

Tu vis (pourtant)déjà la vraie vie, l’existence idéale. Question. Alors pour quelle raison tu t’évertues encore à la rêver…

 (9.266)

Couverture

Aujourd’hui, ta désespérance ressemble à un trou sans fond. Tu devines (pourtant) qu’il serait possible de le combler d’un seul regard. Mais tu as beau t’y évertuer, tu n’y parviens pas. Et tu continues de glisser.

(9.267)

Agencement

Tu ne cesses de blâmer les faux livres qui peuplent ta bibliothèque (incapable, en cette période, de soulager ta détresse). Tu devines aisément que les vrais ont dû se loger au creux du cœur. Mais tu le sens trop vide pour qu’ils puissent œuvrer à ton sauvetage…

 (9.268)

Imminence

Tu es au bord du précipice. Ta chute sera (sans doute) douloureuse et salvatrice. Encore quelques pas avant de t’éveiller de la longue nuit de l’ignorance…

(9.269)

L’être à l’instant

Note. Vivre comme si demain n’existait pas… Ou mieux… Etre comme si demain n’existait pas… Et mieux encore… Etre à chaque instant comme si l’instant suivant n’existait pas (mais existe-t-il seulement ?)

 (9.270)

Exercice ardu

Tu ne parviens (pas encore) à être. Cet exercice t’effraie et t’ennuie. En vérité, tu le redoutes comme la peste.

(9.271)

Dernière étape

Tu sais qu’exister nécessite un vain chemin d’efforts… étape (néanmoins) nécessaire pour accéder à l’être… long apprentissage et sans doute ultime étape de l’humain…

 (9.272)

Comptes célestes

Une phrase entendue au coin de la rue (à deux pas du parvis de l’église) : le monde perd son âme. Tu t’interroges. Qu’est-on censé gagner en la conservant (quand on parvient à la conserver…) ? Le Ciel : une histoire de perte et de profit… ? Dieu tiendrait-il des comptes d’apothicaire… Tiendrait-il la bourse des âmes… ? Dieu : épicier céleste ? Comment y croire ?

(9.273)

Science intuitive

1+2=3. Tu n’en as aucune certitude. Et tu crains que cette connaissance ne te reste à jamais extérieure.

(9.274)

Existences

Vies multiples… pourquoi en douter ?  Mais comment le montrer ? Comment le prouver ? Serais-tu seulement capable de le percevoir directement… de façon spontanée et intuitive ?

(9.275)

Bonne fortune

Tu as (souvent) le sentiment d’être le descendant génétique de tes ancêtres et l’héritier karmique de ta lignée. Tu t’évertues de faire bon usage (un usage conforme à ta conscience) de cet héritage. Tu tentes d’œuvrer à ta descendance.

 (9.276)

Entre ciel et terre

Tu notes que les bouddhistes et les hindouistes brûlent les corps de leurs morts. Retour à la poussière terrestre et fumée céleste. Intégration dans le grand Tout (l’image est, sans doute, impropre pour les bouddhistes). Tu remarques que les chrétiens enterrent leurs morts dans des tombes, petits carrés de terre nominalisés et séparés entre-eux. Comme s’ils souhaitaient préserver l’identité et la propriété individuelles des défunts. Tu t’interroges sur cette différenciation du destin des dépouilles. Aurait-elle un sens plus profond ? Serait-elle représentative de la façon dont les religions appréhendent l’au-delà ?

(9.277)

Exercice vital

Tu te prépares à la mort. Tu apprends la fin irrémédiable de chaque chose.

 (9.278)

Fil

L’existence ressemble à un ouvrage fragile qui ne tiendrait qu'à un fil. Fil ténu. Fil rompu quand survient la mort. Et fil continu qui relie les existences successives…

(9.279)

Question vitale

Mourir serait-ce continuer à vivre autrement ?

 (9.280)

Sac

Qu’importent les traces que tu laisseras dans le monde ! Seule importe le bagage que tu emporteras au delà de la mort !

(9.281)

Idée stupéfiante

Soudain une pensée terrifiante. Et si plusieurs millions d'années séparaient chacune de nos vies…? Et si on retombait dans l'inconscience entre chaque existence…? Ah ! Que cette pensée t'angoisse ! Révélatrice (une nouvelle fois) de ton indéfectible égotisme !

 (9.282)

Evidence

Tu regardes parfois la vie comme un miracle. Mais il t’arrive (souvent) de te laisser vivre. Tu sombres alors dans la facilité.

(9.283)

Drôles de wanderers

Aparté (vaguement humoristique). Blague d’écrivain-marcheur (Sylvain Tesson et Alexandre Poussin, célèbres marcheurs de l’extrême… de l’extrême plutôt intelligent). Une stupide inversion pourrait (peut-être) décrire certaines de leurs aventures : Pousson-Tessin (poussons tes seins) dans leurs derniers retranchements… Ah ! La belle aventure ! Avec deux grands bonnets sur la tête !

 (9.284)

Abattements

Tu observes l’existence des Hommes. Et tu remarques que la vie leur tombe (littéralement) dessus aux deux extrémités de leur existence (à la naissance et à la mort, bien sûr). Mais tu comprends aussi que les émotions, les sentiments, les pensées et les évènements qui surgissent à chaque instant sont également l’œuvre de la vie qui surgit à chaque instant (sur et en eux).

(9.285)

Croisements

Depuis que tu arpentes les chemins du monde, tu n’as croisé que des fantômes égarés qui fuient leur ombre et quelques fantômes affamés en quête de lumière.

 (9.286)

Ponts intérieurs

Les ponts intérieurs demeurent (encore) invisibles et ignorés. Question. Les Hommes sauront-ils un jour les découvrir (et les traverser)… ? 

(9.287)

Délires

Tu notes que l’humanité était (autrefois) abrutie par le travail. Et tu la vois aujourd’hui abrutie par les loisirs et les distractions. Tu te lamentes (sans fin) sur l’impossible désaliénation des Hommes.

 (9.288)

Mystérieux chemin

Tu songes avec effroi à l’effroyable destin humain… soumis au diktat des profondeurs inconscientes…

(9.289)

Chemin ouvert

Tu relèves cette phrase idiote (absurde et à la fois magnifique de vérité) mille fois entendue (que les Hommes ne cessent de répéter) : on ne fait pas ce que l’on veut dans la vie. Tu remarques que cette affirmation incite (en général) à la résignation (une triste résignation) alors qu’elle devrait inviter à transcender son égotisme. A s’abandonner au chemin que la vie ne cesse de nous tracer.

 (9.290)

Misérable rêve

Tu observes le monde. Et tu vois que la grande - la très grande - majorité des pauvres envie les riches. Tu remarques, de toute évidence, qu’ils ne possèdent pas leur richesse mais déjà leur mentalité.

(9.291)

Expression malheureuse

Aujourd’hui, tu gagnes ta vie. Mais l’expression te paraît malheureuse et inexacte. Tu estimes que la vie t’a été donnée. Tu aimerais utiliser une formule plus adaptée : « préserver ta vie » ou « te maintenir en vie ».

 (9.292)

Basse besogne

Travail. Ce mot te terrifie (il t’a toujours terrifié).

(9.293)

Noble labeur

Le mot « travail » devient doux à ton oreille lorsqu’il se pare de la certitude d’aller vers la plus essentielle des activités : être. Etre (sans l’effort compulsif du faire et de l’agir). Être, être seul. Être si proche et si éloigné du monde. N’être rien et être tout à la fois. Être un élément indissociable du Tout.

 (9.294)

Quiétude

Jour de paresse. Tu empruntes cette étrange expression à Thich Nhat Hanh, maître bouddhiste vietnamien. Tu t’octroies une journée de repos, repos du faire où tu ne t'adonnes à aucune de tes activités habituelles (activités spirituelles et méditatives incluses). Tu t’offres une journée de calme, jour de bilan où tu t'évertues de décortiquer ta pratique, de noter tes avancées et les difficultés que tu as rencontrées pendant la semaine.

(9.295)

Envoûtement

Le fou et le sage continuent d’exercer sur toi la même fascination. Tu les envies car ils ne semblent guère touchés par les tracasseries ordinaires (les ridicules tourments de l’humanité commune).

 (9.296)

Solitudes apparentes

Tu notes que ceux qui se sentent seuls (et qui souffrent de solitude) ont l’illusion d’être séparés des autres formes combinatoires matérielles (ils ignorent, en effet, leurs liens innombrables  avec elles…). Ils cherchent désespérément à créer des liens tangibles avec des formes combinatoires dotées de conscience… sans d’ailleurs jamais parvenir à s’en satisfaire…

(9.297)

Regard accueillant

Au fil des jours, tu apprends à écouter les plaintes du monde. A les accueillir le cœur ouvert sans craindre qu'elles écorchent ton âme. Tu regardes (en même temps) la cruelle barbarie qui ronge tes entrailles. Sans craindre de la dégueuler sur le monde. Tu es attentif (également) à la violence que ton cœur recèle. Sans fuir l'abjection qu'il dissimule. Tu regardes la barbarie et l’abjection dans les yeux. Tu les traverses. Et la douceur de ton âme se révèle.

 (9.298)

Amour progressif

Tu apprends progressivement à transformer ton regard sur le monde. Tu avances lentement sur le chemin de l’humanité.

(9.299)

Pertuis coûteux

Tu élargis ta conscience. Tu franchis l’étroit passage obligé et payant (dans tous les sens que le mot revêt). Et tu avances avec crainte et prudence en crachant à chaque pas.

 (9.300)

Recadrage

Tu apprends à éroder tes a priori. Sur la longueur idéale de la pelouse, sur le degré de propreté idéale de la maison, sur la journée idéale, sur le travail idéal. Et sur la vie idéale. Tu apprends (lentement) à désinvestir tes utopies.

(9.301)

Unidimensionnel

Hier soir, film de Beneix, "Rosy et les lions". Beau voyage existentiel à la poursuite de ses rêves. Rêves temporels hors norme (en décalage avec une certaine normalité). Un reproche pourtant. L’absence de dimension spirituelle.

 (9.302)

Intransigeance

Deviendrais-tu (malgré toi) un fanatique du chemin intérieur ? Tu connaissais ta propension à l'intolérance. Mais pour quelle raison s'évertue-t-elle encore à s'exercer si violemment (et de façon si évidente) aujourd'hui ?

(9.303)

Sens

Tu remarques que l’instant présent appréhendé comme fragment d’éternité unique et le sentiment de vivre chaque évènement comme un épisode signifiant permet d’appréhender chaque fait comme un élément indispensable en mesure de révéler quelques vérités pour avancer sur le chemin.

 (9.304)

Esprit ouvert

La vie t’enjoint (toujours) de conserver sans acharnement ni effort un esprit ouvert à ce qu’elle t’offre (selon ta conscience et ta compréhension). Voilà (sans doute) l’une des (seules) grandes règles qu’elle t’intime d’apprendre tout au long du chemin.

(9.305)

 Recommandations triviales

Tu livres enfin (sans grande conviction) quelques affligeants conseils truistiques du cœur. Ainsi tu recommandes d’ouvrir chaque livre comme un passage vers soi-même. De goûter chaque instant comme s'il était unique (à la fois premier et ultime). D’éviter de faire barrage de sa volonté personnelle au grand fleuve de la vie. De ne pas résister à sa force (qui nous écraserait immanquablement) mais de profiter de sa puissance pour suivre son cours… et se laisser porter sur (sans doute) le plus sûr chemin qui mène à l’Autre rive

 (9.306)

 

 

PARTIE 3.3

PAS PERDUS d’EXERCICES JOURNALIERS (du volume 3)

Tour de force

Tu apprends à marcher nu et dépouillé. A renoncer à toute protection contre le monde. Pour offrir aux êtres ta vulnérabilité. Et les inviter à accepter la leur. 

(9.307)

Juste place

Tu acceptes de n'être qu'un infime rouage dans l'immense machine de la vie. Et tu t’assures de ne pas secrètement désirer devenir le grain de sable qui enrayerait le mécanisme. Tu notes que si tu en avais le désir, les éléments du dispositif concourraient impitoyablement à ton écrasement…

 (9.308)

Justesse

Tu regardes (parfois) le monde avec une curiosité innocente (presque naïve). Et tu agis avec une fraîcheur spontanée (presque irréfléchie). Cet exercice te semble (encore) difficile. Il te déroute. Il est si éloigné de tes schémas habituels. Mais lorsqu’il t’arrive d’être innocent et spontané, tu reconnais la justesse de ton regard et de tes actions.

(9.309)

Ange

Accoudé à la fenêtre, tu suis des yeux l’envol d’un oiseau. Un moineau. L’un de ces oiseaux anodins qui n’appartiennent à personne (et qui donc peut-être appartiennent à tous). Lui s’en indiffère sans doute. Il se contente, joyeux et sifflotant, de vaquer, indifférent au monde – au travail qu’on lui a donné. Libre et magnifique. Tu te dis que si Dieu existe, cet oiseau-là le contient tout entier. Comme l’exemple d’une joyeuse soumission à ce que la vie lui offre. 

 (9.310)

Dépendances 

Tu perçois le non-choix comme une liberté. Et l’excès d’options comme une entrave. Tu sens que la charge référentielle, comparative et préférentielle affadit la saveur de toute sélection.

(9.311)

Goût

Note. Seul le dépouillement permet, à tes yeux, de goûter (avec intensité et profondeur) à la merveilleuse saveur de l’ordinaire.

 (9.312)

Rôle

Dans le vaste théâtre du monde, tu sais que nul n'est irremplaçable mais que chacun est indispensable.

(9.313)

Perception

La nécessité et la forme. Tu perçois la nécessité qui surgit, grâce à la vie, du fond des êtres.

 (9.314)

Unions

Tu apprends à mêler ta voix aux chants du monde. Et ton souffle aux respirations du Vivant.

(9.315)

Bienveillance

Au supermarché. A la caisse. Tu éprouves un sentiment de fraternité pour tous les visages qui t’environnent. Tu regardes avec amour ces visages préoccupés par les difficultés et les soucis personnels, ces regards perdus au dedans, ces yeux durs et indifférents, aveugles aux visages alentour. Tu regardes avec tendresse tous ces visages au cœur fermé autour de toi.

 (9.316)

Ouverture permanente

Tu t’évertues à accueillir la vie à chaque instant.

(9.317)

Double mouvement

Tu apprends à accueillir progressivement la Vie pour trouver la Joie. Et tu devines que lorsque tu l’auras trouvée, la vie s’invitera naturellement.

 (9.318)

Chaleureuse sobriété

Aussi accueillant qu'une cellule de monastère. Un reproche dont le monde pourrait t’accabler. Et que grand bien lui fasse ! Voilà pour toi l'image même de la convivialité. L'endroit le plus propice à faire naître la Joie. 

(9.319)

Points de vue

Tu regardes par le fenêtre. Et tu n’aperçois, au-dessus des nuages, nul mauvais temps, mais un ciel infini. En dessous, tu vois un voile de grisaille percée de quelques éclaircis. Mais en regardant avec plus d’attention, tu remarques que les choses apparaissent différemment. Au-dessus des nuages, tu découvres un ciel bleu et infini. Et au-dessus du ciel bleu et infini, le noir le plus sombre, l'obscurité la plus grande. Toute élévation demeure, à tes yeux, un mystère.

 (9.320)

Stabilité

Tu trouves ta verticalité. Tu la laisses grandir et tentes de lui rester fidèle en toutes circonstances.

(9.321)

Issues

Tu apprends à laisser s'exprimer chaque sentiment jusqu'à son extrémité. Tu découvres chaque partie de toi-même (ta paresse et ta frénésie, ton ignorance et ton intelligence, ta violence et ta tendresse, ta haine et ton amour…).  Tu apprends à les connaître. A les aimer et à les accueillir. Tu œuvres patiemment à ta réunification.

 (9.322)

Equanimité

Tu apprends l’impartialité. A accueillir les idées, les émotions, les sentiments, les évènements d’une égale façon. A les accepter sans discrimination. Sans favoriser les uns (ceux qui te semblent porteurs de gains, d’intérêt, de plaisir et de joie) au détriment des autres (ceux qui te semblent porteurs de perte, d’inintérêt, de souffrance et de peine). Tu apprends à accueillir avec distance, bienveillance et impartialité tous les évènements et toutes les situations. Tâche ardue à mille lieux de l’attitude naturelle des êtres soumis à leur perception erronée de la séparation…

(9.323)

Bûcher incandescent

Les aspérités de l’existence sont des coins d’ombre où tu te brûles (encore) souvent. Tu apprends à y demeurer. Tu sais qu’elles seront (bientôt) un abri réconfortant et un tremplin vers la lumière.

 (9.324)

Procrastination

Demain est un autre jour. Certes, mais pourquoi attendre demain ? L’instant qui vient est, lui aussi, différent de l’instant qui s’achève.

(9.325)

Découverte

Tu t’évertues à n’avoir aucun a priori sur ce qui devrait être. A porter, à chaque instant, un regard frais et spontané sur ce qui est. Et tu reconnais l’ampleur de la tâche (et l’âpre difficulté de l’exercice).

(9.326)

Manque d’inspiration

Soirée télévisuel. Débat politique. Tu remarques le manque d’ambition des idées et des programmes proposés par les dirigeants politiques. Tous semblent englués dans l'apparence de la réalité, la séduction des masses et l'ambition personnelle. Mais tu gardes espoir qu’ils s'appuient un jour sur un modèle inspiré par la vie.

(9.327)

Manque d’inspiration (bis)

Note sur les débats contemporains. Débats sans envergure sur le monde, l’art, la science... Intellectuels, penseurs et experts (en tous genres) n’ont rien à envier à l’étroitesse de leurs gouvernants. Le réel perçu par le petit bout de la lorgnette. Doctes aréopages affublés d’une incurable et aveuglante myopie.

(9.328) 

Lâcher prise

Tu tentes de ne t'accrocher à rien sans tomber dans l’indifférence et l’insensibilité. Tu trouves le moyen d'aller plus libre. Tu te laisses traverser, tu accueilles sans retenir, tu laisses partir sans t'agripper…

(9.329)

Cycles infaillibles

Tu observes le souffle (avec attention). Tu sens l’inspiration et l’expiration. Tu inspires et tu expires. Tu vis et tu meurs. Tu vis et tu meurs. Encore et encore. Instant après instant. Jusqu'à la fin des temps. Pour l'éternité.

 (9.330)

Perte

Tu sais que chaque instant vécu inconsciemment est un temps irrémédiablement perdu.

(9.331)

Maintenant

Note. Tu es sans âge. Devant et derrière toi s'étend l'éternel néant.

 (9.332)

Leçons quotidiennes

Tu observes le jour et la nuit. Tu remarques les saisons. Tu vois la poussière qui s'accumule chaque jour, que tu enlèves et qui se redépose le lendemain. Tu prépares les repas que tu manges et que tu évacues. Tu comprends le transitoire de chaque chose, de chaque geste, de chaque acte. Tu apprends l’éternelle leçon des jours qui passent.

(9.333)

Réactions

Tu remarques que l’Histoire présente les révolutions comme de radicales et profondes transformations. Tu ne t’étonnes guère qu’elle ne les présente comme de brutales réactions collectives liées à une frustration, à un mécontentement ou à une haine à l'égard d'un système existant. Pour ta part, tu sais que les vraies révolutions sont toujours lentes, non-violentes, individuelles et intérieures.

 (9.334)

Etranges paradoxes

Marcher en silence dans la nuit obscure…

Rester immobile dans la clarté ombragée…

Et poursuivre son chemin vers la lumière…

Voilà le défi de tout Homme.

(9.335)

Veilleur

Au cœur de la nuit, tu veilles sur tes frères endormis. Soucieux du monde ensommeillé.

 (9.336)

Veilleur (bis)

Tâches nocturnes. Veilleur de nuit. Eveilleur de nuit

(9.337)

Instant miraculeux

Spectacle nocturne. Assis sur un banc, tu contemples le ciel et les beautés du monde. Tu goûtes, en cet instant, le bonheur d’être. La présence aux choses. Enivré par la diversité du réel qui t’entoure.

 (9.338)

Inaptitude

Question. Comment décrire un univers inconnu à la conscience ? Un univers si étranger à l’esprit humain ? Comment imaginer un instant des créatures sans corps. Ni fantômes ni spectres. Des esprits sans corps qui communiquent sans mots. Des échanges directs et sans langage.

(9.339)

Accroissement

Amplification de conscience (début d’expérience). Tu sens ta conscience sortir de ta boîte crânienne et s’élever de sa gangue étroite. Flotter autour de toi. Matière vaporeuse et informe s’élargir autour de ta tête et englober le monde. Etrange sentiment de ne plus te mouvoir dans le monde. Tu sens que les êtres ne se déplacent plus dans l’espace. Mais se meuvent dans ta conscience. Comme si le monde et ta conscience se réunissaient en un seul espace. Ta conscience perd son identité. Elle n’est plus tienne. Elle est la conscience. Et le monde en devient la forme matérielle.

 (9.340)

Matérialisation de la conscience

Expérience (suite et fin). Etrange sentiment que le monde est la forme matérielle de la conscience. Les corps, les êtres, les âmes se meuvent dans cet espace (à la fois matériel et immatériel). Monde et conscience se chevauchent avant de ne former qu’un espace. Le monde devient une sphère infime de la conscience. Et la conscience un espace infini. Tu perçois les bords du monde qui occupe désormais une place infime, changeante, fluctuante et périssable dans l’extraordinaire vastitude de la conscience, espace immatériel et infini, insaisissable, insalissable. Impérissable.    

(9.341)

Extension

Tu connais le monde. Car tu es le monde.

 (9.342)

Mortel croisement

Une pensée triste (et émue) pour les nuées d’insectes qui, chaque nuit, meurent contre les parebrises, les pare-chocs et sous les roues de millions d’automobiles… et les milliards d’animaux (de toutes sortes) écrasés, blessés, mutilés, exterminés… avalés par la sombre et tentaculaire langue de bitume qui recouvre la terre pour la seule utilité des Hommes.

(9.343)

Ostracismes spécifiques

Tu as toujours blâmé la cruauté et l’indifférence (trop fréquentes) des hommes à l’égard des animaux. Tu perçois la grande majorité de l’humanité comme d’ignobles et inconscients négriers qui considéraient autrefois (il n’y a pas si longtemps) certaines catégories humaines comme espèces inférieures. Tu notes qu’il aura fallu plusieurs siècles à l’humanité pour admettre l’absurdité d’un tel ostracisme. Et tu devines que la transformation de la perception humaine à l’égard de l’animal nécessitera sans doute un temps beaucoup plus long…

 (9.344)

Blessure

Tu as un rêve. Tu aimerais participer à la collectivité des Hommes sans meurtrir l’ensemble des formes vivantes du monde.

(9.345)

Rêve communautaire 

Tu te surprends (parfois) à rêver de communauté végétarienne autarcique et solitaire située au cœur du monde et éloignée des Hommes fondée sur le respect intégral (autant que ta conscience l’exige) de toutes les formes du vivant.

 (9.346)

Consciences

Note. Tu es la conscience du vivant. Infime porte-conscience des formes vivantes. Et l’un de leurs modestes porte-voix.

(9.347)

Bouffée d’air

Fin de nuit. Courte promenade matinale, après une longue veille nocturne, dans le parc de la bastide. Vivifiant. Rapicolant…

 (9.348)

Bouleversement

Tu sais qu’une seule phrase peut transformer une vie. Et une kyrielle l’immobiliser.

(9.349)

Pause

Tu décides (donc) de te taire. Et d’apprendre le silence.

 (9.350)

 

FRAGMENTS CONCLUSIFS

 

Œuvre

Les plus belles pages pour l’auteur soucieux de toucher l’humanité du monde seraient de les intégrer à l’être (à sa façon d’être). Tu décides (donc) de renoncer à tes pages pour œuvrer à cette fondamentale essentialité.

(C.1)

 A L’ADRESSE DU LECTEUR

 

Vœu ardent

Conserve ce livre le temps qu'il faudra, ami lecteur. Quand il aura fait son œuvre en toi, offre-le. Tu ne pourrais lui offrir de meilleur destin…

 (C.2)

 

 

A L’ADRESSE DE L’AUTEUR

 

Prétention

Tu avais l’ambition d’initier un nouveau mouvement littéraire : l’essentialisme. Au vu de tes pages, tu admets l’échec cuisant de ton entreprise. Tu devines qu’il convient de t’abstenir du superflu. Bref, tu comprends qu’il te faut arrêter d’écrire. Seule option pour satisfaire tes exigences.

(C.3)

 

 

NOTE FINALE

Tu as conscience du caractère dérisoire de cette longue série de fragments. Et tu perçois (avec acuité… malheureusement) les limites de cet ouvrage, incapable (sans doute) d’éclairer le lecteur dans son existence et son cheminement. Limites de plusieurs ordres :

 

  • Limites liées à  l’inachèvement de l’itinéraire existentiel et à l’inaboutissement du processus spirituel de l’auteur renforcées (de toute évidence) par ses indéniables carences expressives et littéraires ;

  • Limites liées au caractère (inévitablement) tendancieux de cette progression vers la lumière ;

  • Limites liées à la forme particulière des fragments, à leur agencement et à la structure générale du récit ;

  • Limites liées au contenu même des fragments situé aux confins de la philosophie, de la poésie et de la spiritualité (les fragments ne peuvent se cantonner strictement à l’un de ces domaines et ne parviennent (sans doute) pas à trouver leur juste place à l’intersection de ces 3 disciplines ;

  • Limites liées aux caractères limitatifs inhérents à l’écriture, mode expressif sans conséquence réellement signifiante  (à quelques exceptions près sans doute) sur la conscience des lecteurs, le cheminement des êtres humains et l’évolution de l’humanité ;

  • Limites enfin liées au caractère indubitablement limité de l’existence humaine, étape modeste et essentielle (sans doute) sur le chemin vers la Lumière. L’Homme, dans son ignorance de la vie, de la mort, de l’avant-vie et de l’après-mort en est réduit à relater son expérience (et au mieux l’expérience humaine) sans parvenir à la replacer dans un cadre plus large, au sein de l’ensemble du processus qui conduit au désobscurcissement de la conscience.

 

25 novembre 2017

Carnet n°24 Traversée commune Livre 8 - Semelles d'aplomb

Pensées / 2007 / La quête de sens

Réflexions, intuitions, perceptions et expériences ayant trait à la quête existentielle, à la conscience et aux prémices du développement spirituel. Processus réflexif nécessaire (sans doute) pour poser les fondements de toute verticalité.

 

 

SEMELLES D’APLOMB

Traversée singulière.

Fragments lourds et denses mêlant réflexions, intuitions, perceptions et expériences ayant trait à la quête existentielle, à la conscience et aux prémices du développement spirituel. Processus réflexif nécessaire (sans doute) pour poser les fondements de toute verticalité.

 

SEMELLES D’APLOMB

Traversée singulière

(à gauche et à droite)

 

A gauche et à droite,

Au fil de la pensée et des expériences…



Simples questions

Tu t’interroges. Tu te poses une foule de questions. Et tu es bien en peine d’y répondre. Tu notes quelques-unes de tes interrogations primordiales. Qu’est-ce que la vie ? Qu’y a t-il avant ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’y a-t-il après ? Pourquoi y a-t-il la vie plutôt que rien ? Quel est le sens de l’existence? Le sens de la vie humaine ? Qu’est-ce que la vérité ? Et le bonheur ? Pourquoi le monde peut-il sembler si absurde ? Pourquoi les guerres ? Pourquoi tant d’inégalités entres les hommes ? Pourquoi tant d’inégalités entre les êtres ? Après quoi l’Homme court-t-il ? Quel est le sens de l’histoire ? Le sens de la marche du monde ? Quel est le sens du progrès ? Que cache le désespoir ? Le désespoir a-t-il un sens ? Comment s’en défaire ? Comment l’accepter ? A quoi sert la connaissance ? Pourquoi apprendre ? Comment apprendre ? Qu’est ce qu’un être humain ? Qu’est ce qui le différencie fondamentalement de l’animal ? Pourquoi naître humain plutôt qu’animal ? A quoi sert le sexe ? Instrument de reproduction ? Instrument de plaisir ? Instrument de vérité ? Pourquoi cette violence chez l’Homme ? Pourquoi tant d’égoïsme ? Pourquoi souffrir ? Quel est le sens de la souffrance ? A quoi sert l’art ? Pourquoi créer ? Pourquoi écrire ? Et pourquoi toutes ces questions ?

(8.1)

Série interrogative

Tu t’interroges sur ton ignorance. Qui peut répondre à tes interrogations ?

Qui sait pourquoi les êtres naissent ici plutôt que là? Qui sait pourquoi les êtres deviennent ceci plutôt que cela ? Qui sait pourquoi ils se transforment comme ci plutôt que comme ça ? Qui sait pourquoi ils rencontrent ceux-ci plutôt que ceux-là ? Qui sait pourquoi leurs pas les mènent ici plutôt que là ? Qui sait pourquoi ils nous quittent comme ci plutôt que comme ça ? Qui sait pourquoi ils finissent à cet instant-ci plutôt qu’à cet instant-là? Qui sait le sens de tout cela et de ce qu’il adviendra après tout ça ? Bien malin celui qui te le dira… 

 (8.2)

Apprentissages

Tu notes 4 apprentissages essentiels pour l’homme commun (le chercheur prosaïque et existentiel) : apprendre à mieux vivre en sa compagnie, apprendre à mieux vivre en compagnie du monde, apprendre à exister au sein du collectif existant et se préparer à la mort.

(8.3)

Apprentissages (suite)

Apprendre à mieux vivre en sa compagnie. Cet apprentissage nécessite, à tes yeux, une curiosité envers soi. Pour apprendre à se connaître. A descendre en soi aussi profondément que possible sans craindre d'atteindre certains recoins nauséabonds. A accepter ses parts d'ombre. Renoncer à une image de soi idéalisée. Et apprendre à s'accepter tel que l'on est.

 (8.4)

Apprentissages (suite)

Apprendre à mieux vivre en compagnie du monde. Cet apprentissage nécessite de comprendre, à tes yeux, l’importance du regard qui, seul, donne au monde sa couleur. Comprendre que le monde est à notre image. Comprendre que nous sommes aucunement séparés de lui, que sa diversité et ses paradoxes sont aussi les nôtres. Accepter qu'il nous soit impossible de le transformer. Et accepter qu'il soit (et en soit) ainsi.

(8.5)

Apprentissages (suite)

Apprendre à exister au sein du collectif existant. Cet apprentissage nécessite, à tes yeux, de trouver sa place au sein du monde. Déterminer, en premier lieu, la fonction que nous voulons y exercer et le rôle que nous souhaitons y jouer. Cette démarche nécessite de connaître ses aspirations, les moyens et compétences qui sont nôtres ou à notre disposition (et qui peuvent toujours s'acquérir si elles nous font défaut). Connaître enfin la réalité du monde afin que ses aspirations soient réalisables au sein du système existant.

 (8.6)

Apprentissages (suite)

Se préparer à la mort. Cet apprentissage nécessite, à tes yeux, de songer à notre finitude. D'envisager, sans crainte, l'issue qui sera tôt ou tard la nôtre. Apprendre à ne point trop s'attacher à nos possessions et à nos réalisations qu'il nous faudra un jour abandonner.

(8.7)

Instants de grâce

Un matin, tu t'éveilles, l'esprit clair et l'âme tendre, prêt à embrasser le monde de ton regard bienveillant. Par la fenêtre, tu regardes l'envol des oiseaux, les toits de tuiles rouges, le bleu limpide du ciel. Tu écoutes les bruits du monde et mille bruits tu entends ; la rumeur de la rue, la voix des passants qui se saluent, un rire au loin, un volet qui claque, le chant des oiseaux. Tu écoutes sans crispation. Tu es ouvert, présent, libre et réceptif. Tu ouvres un livre. Et tu lis une phrase au hasard. Tu la répètes en silence. Puis à haute voix. Tu laisses résonner les mots. Tu les sens te pénétrer. Glisser le long du conduit auditif, plonger dans une synapse, parvenir jusqu’aux neurones, s'y arrêter un instant – une éternité – puis amorcer leur longue descente vers le cœur. Tu refermes le livre. Tu regardes la couverture. Et tu descends à la cuisine. En préparant le café, les mots poursuivent leur progression. Tu sors la boîte à biscuits. Le café est prêt. Tu t'en sers une tasse. Tu la poses sur la table. Tu t'assois. Tu prends un biscuit, le trempes dans ton café. Et tu le portes à ta bouche. Les mots poursuivent leur progression. Tu déglutis, soulèves la tasse et la portes à tes lèvres. Les mots continuent de descendre. Ils glissent. Tu achèves de boire ton café. Ton petit déjeuner achevé, tu poses la tasse dans l'évier. Et tu gagnes la salle de bain. Les mots t'accompagnent. Tu t'habilles. Pantalon, polo, chaussettes, souliers. Tu redescends. Les mots descendent avec toi. Tu enfiles ta veste pendue à la patère, tu ouvres la porte, la refermes et tu t'engouffres dans la rue. Les mots en toi s'engouffrent. L'air est frais, le temps clément. La journée s'annonce radieuse. Tu marches, l'âme souriante. Tu salues les passants. Tu traverses la rue principale. Les mots te traversent. Tu poursuis ta marche. Les mots en toi poursuivent la leur. Tu empruntes un petit sentier qui se perd dans la colline. Tu t'assois. Le soleil monte lentement. Le vent agite les feuilles des arbres. Tu sens ton cœur s'attendrir. Les mots viennent d'y pénétrer. Ils se suivent lentement, un à un. Tu regardes les arbres, leurs feuilles, leurs branches. Tu regardes la terre, la mousse, les insectes et les racines. Tu regardes le ciel, les oiseaux et l'astre lumineux. Et tu te sens chez toi. Tu es chez toi. Ton âme regarde avec une infinie tendresse ce monde. Tu sens la Vie autour de toi. Et tu la sens battre en toi. Comme un cœur dilaté, comme un cœur gorgé de gratitude et d'affection. Extérieur, intérieur. Les mots n'ont plus d’importance. Tu es dans le Tout et le Tout est en toi. Tu le sens, tu le sais. C'est un instant de grâce. Les mots ont déposé en toi leur graine d'amour.

 (8.8)

Rapprochement

Tu notes que la plupart des êtres, en particulier l'Homme et les grands mammifères ressentent un besoin de rapprochement avec leurs congénères. Ce besoin de rapprochement se manifeste principalement par l'affection et l'étreinte sexuelle et provient sans doute d'un instinct et d'une intuition de sagesse. Cette irrépressible attraction de l'autre procède sûrement d'un inconscient et fondamental besoin d'unité, d'un ancestral instinct de retrouver l'unité avec le Tout.

(8.9)

Rapprochement (suite)

Tu remarques que l'étreinte physique (sexuelle ou affective) procède d'un inconscient et fondamental besoin d'unité. Tu sais que les êtres se rapprochent pour échapper à la solitude, pour trouver protection et refuge, pour se réchauffer… mais plus fondamentalement (sans doute) pour répondre à ce besoin impératif et vital d'unité. Tu crois qu’ils s’étreignent comme s’ils savaient inconsciemment qu’ils étaient éléments du Tout aspirant, malgré eux, à revenir à cet état d'unité fondamentale. 

 (8.10)

Rapprochement (suite)

Tu notes que certains comportements et quelques expressions langagières l'attestent sans équivoque. Ainsi lorsqu’un être humain éprouve quelque sympathie pour un autre, il affirme s’en sentir proche. Lorsqu’un être humain éprouve de l'affection et/ou de l'amour pour un autre, il l’étreint, le serre dans ses bras. Il rapproche son corps (frontière matérielle de son être) de son interlocuteur pour tenter de former maladroitement un seul être. Même attitude (plus univoque encore) chez les partenaires amoureux qui se rapprochent, en tentant d'abolir l'espace qui les sépare, laissant l'autre entrer en eux et entrant eux-mêmes en l'autre. Mais les êtres, en ce monde, sont (sans conteste) limités par la matérialité de leur corps. Aussi ne peuvent-ils que très ponctuellement, très partiellement et très maladroitement s’unir. Et à défaut de pouvoir véritablement et réellement réaliser cette union, ils se rapprochent, s’unissent dans l’étreinte sexuelle pour donner naissance à un autre être, fruit de leur union. Remarque. Comme si la vie s'était adaptée à la matérialité limitée des êtres de ce monde (qui à défaut de pouvoir - ou de savoir ? - unir pleinement leurs cœurs et leurs esprits (encombrés par leur corps, empêtrés dans la matière), elle les invitait (ou les incitait) à s’unir à leur mesure limitée en leur facilitant la tâche, associant à ce rapprochement le plaisir et le besoin de satisfaire un besoin égoïste. Autre remarque. A cet égard, la famille chez les Hommes (et la meute, la horde ou le groupe chez les animaux) pourrait représenter le prolongement du couple, premier élément de l'humanité (ou de l’espèce) qu'il nous appartiendrait d’aimer. Notons que le ou la partenaire serait symboliquement le premier autre à aimer. Et l'enfant, le second… Remarque subsidiaire. L'enfant, ordinairement perçu par les Hommes, comme le fruit et le prolongement de leurs parents (comme en témoignent certaines expressions : mon "petit bout", "mon sang et ma chair" faciliterait évidemment cet amour. Comme si la vie tentait (encore une fois) d’aider les êtres à aimer un autre eux-même, une partie d’eux-mêmes, premier stade de l'amour de l’Autre. Ainsi les êtres commenceraient-ils à se rapprocher de leurs congénères par l’intermédiaire d’un seul(e) autre – leur partenaire – puis par l’intermédiaire de leur progéniture, avant d’apprendre (éventuellement) à se rapprocher de l’ensemble de leurs congénères, puis des autres espèces, de la grande famille du vivant… des êtres sensibles. Cette idée (somme toute très commune) pourrait éventuellement expliquer (chez les Hommes) l'interdiction universelle de l'inceste et la chasteté monastique. Dans cette optique, l’inceste s’avère, en effet, sans utilité dans la mesure où les deux protagonistes entretiennent déjà un lien de parenté (sans compter, bien entendu, les risques de consanguinité, rappel, garde-fou - et mise en garde peut-être - de la loi naturelle). En matière de chasteté monastique, il semblerait que l’interdiction (de l’étreinte sexuelle) consiste d’une part, à transcender la matérialité du corps, à dépasser le besoin purement physique de l'autre pour atteindre à un Amour au-delà du corps, au-delà des frontières limités de la matière et d'autre part, à transformer le lien singulier avec un autre en un lien à Autrui. Autrement dit, étendre son amour, ne pas le limiter à un ou à quelques êtres mais l'élargir (selon les traditions spirituelles) à l'ensemble des Hommes, voire à l'ensemble des êtres du vivant. Voilà posées quelques triviales explications - de pitoyables poncifs en vérité - sur le grand mystère de la sexualité et l’irrépressible attraction qu’elle exerce chez la plupart des espèces vivantes de ce monde. Voilà peut-être aussi la raison pour laquelle la sexualité représente dans certaines traditions religieuses, une voie spirituelle essentielle, non dans la recherche effrénée de plaisir mais dans la lente progression des êtres (leur  rapprochement) vers leur véritable nature, éléments infimes et indissociables (inséparables) du Tout.

(8.11)

Insaisissable matérialité

Après le sexe, l’inévitable questionnement sur le corps. Qu'est-ce que le corps ? Une source de plaisirs ? Une source de souffrances ? Le signe de notre pesanteur (notre pesanteur tellurique) ? Un espace de contact entre soi et les autres, entre soi et le monde, entre soi et la vie ? Sans doute une merveilleuse possibilité d'entrer en contact avec le vivant et le réel ? Tu t'aperçois (avec un certain effroi) que tu as depuis toujours ignoré la matérialité la plus grossière. De ton corps tu ne connais rien. Et tu ne peux rien en dire… 

 (8.12)

Captivité

Malgré ta profonde ignorance, tu éprouves parfois le sentiment (ignoble) d’être sous l’emprise de multiples conditionnements : celui d’avoir un corps, lieu où ton esprit se serait installé en cette vie et auquel il se serait habitué. Ton esprit a conscience d’avoir deux bras, deux jambes, il s’est accoutumé aux mouvements de ce corps, aux mouvements qu’il peut effectuer et à ceux qui lui sont impossible (identification quasi intégrale de l’esprit à cette enveloppe corporelle). Question. Comment régirait l’esprit s’il était soudain privé de ces deux jambes ? Tu devines qu’un écrasant sentiment de manque et de frustration s’abattrait sur lui. Tu reconnais que le bien-être ordinaire (habituel) de l’esprit dépend d’une multitude de conditionnements. Et que les sensations corporelles en sont (sans aucun doute) les plus évidents.

(8.13)

Monstruosité

Tu devines que si les Hommes naissaient avec 2 grandes ailes, 4 longues jambes, 4 bras puissants, un esprit et un cœur larges, profonds et ouverts, la condition humaine (avec ses 2 jambes et ses 2 bras tous bêtes, son esprit étroit et son cœur froid et fermé) leur paraîtrait un supplice.

 (8.14)

Enveloppe

Tu as la sensation d’avoir revêtu un corps (comme l’on endosserait un vêtement). Ou plus exactement, d’être entré en lui – ou plus exactement encore d’avoir été autorisé à pénétrer en lui comme dans une enveloppe passagère. Enveloppe dont il t’appartient de prendre soin. Enveloppe confiée en cette vie comme un héritage et un présent précieux qui contiendrait ce que fut ton passé depuis la nuit des temps. Enveloppe dont les potentialités, les lourdeurs et les faiblesses te permettraient d’agir, de faire et de penser dans les limites définies par elle. Comme si le corps était la résultante (le résultat, sanction ou récompense) de ce que tu aurais été et fait antérieurement. Et tu éprouves l’étrange sensation de t’y être glissé comme l’on revêtirait (enfilerait) une moufle – à la fois chaude, protectrice et confortable – (source de plaisirs et de réconfort) et parfois gênante, encombrante comme un sac dans lequel on se sentirait engoncé et gauche (prisonnier presque) parce qu’il réduirait notre capacité à nous mouvoir plus aisément…

(8.15)

Amplitude

Note sur la distance. Trouver la juste distance. Distance aux choses (ni trop proche, ni trop éloigné), distance aux êtres (ni trop haut (supérieur), ni trop bas (inférieur), distance aux idées, aux perceptions, aux sentiments, aux émotions. Trouver sa juste place et son équilibre (sans cesse changeants) dans ces univers multidimensionnels et le mouvement perpétuel de la vie. Ne pas vouloir systématiquement faire corps (être trop proche), ou se séparer (s’éloigner) des êtres, des choses, des idées, des sentiments et des émotions. Mais véritablement trouver sa place sans cesse fluctuante. Autrement dit être seul et relié. Et assumer à chaque instant cet espace mouvant de l’entre-deux… comme les étoiles et les astres entre-eux. Apprendre à évoluer dans l’espace (espace pluridimensionnel). Apprendre à se placer, se déplacer en maintenant toujours sa juste place. Rester en harmonie avec le flux permanent, la danse des corps et de la matière, la chorégraphie des esprits et des âmes et le balai immatériel des idées, perceptions, émotions, sentiments. Selon les situations, les humeurs, les besoins, les attentes éventuelles, savoir adapter sa distance (sa juste distance). Savoir se rapprocher, s’éloigner. Jouer avec l’espace. Espace mental, espace physique. Et les formes qui se meuvent avec toi dans cet (ou ces) espace(s).

(8.16)

Cycles perceptifs

Thématiques et sensations psycho-physiques ressenties en méditation formelle. Tu notes qu’un thème prend place au cours d’une séance (sans raison apparente), demeure (prégnant) quelques minutes (et jusqu’à plusieurs jours) avant de disparaître. Y succède un espace, une période de flottement… où aucun thème ne se dessine encore à la conscience. Puis un autre thème prend place, initiant un nouveau cycle. Et ainsi de suite... dans une sorte de ronde ininterrompue, incompréhensible et incontrôlable.

(8.17)

Elargissement

Expérience méditative. Etrange sentiment de ne plus t’identifier (totalement) aux perceptions des sens et de ta conscience. Comme si une très légère expansion de conscience était (provisoirement) advenue qui ne cristallise plus les perceptions du corps et de l’esprit… il t’est (clairement) apparu que la conscience est une entité plus large que l’enveloppe (corps et esprit) qu’elle habite. Ainsi, tu as pu expérimenter la transformation de la douleur. Brèves explications. Tu notes qu’une douleur perçue et identifiée au corps est ressentie avec acuité. Et que la douleur est atténuée lorsqu’on prend conscience que la conscience s’identifie à l’enveloppe corporelle. Remarque. Tu devines qu’il serait possible, après quelques années de cheminement, de parvenir à une désidentification quasi totale avec l’enveloppe corporelle. Autrement dit, opérer un lent processus visant à permettre à la conscience de retrouver (?) sa véritable identité (?), lui apprendre à devenir si large au point de tout contenir, tout englober, transcendant les concepts mêmes de plaisir et de douleur… et bien d’autres ressentis et perceptions encore…

(8.18)

Précisions

Tu reviens sur la perception de la conscience (notée un peu plus haut). Tu crains de t’être exprimer maladroitement (ces évènements intérieurs sont si frais… et te semblent si insensés (rien d’extraordinaire pourtant…) que tu éprouves les pires difficultés à les formaliser). Ton exemple n’avait trait qu’aux perceptions du corps. Et il te semble évident que l’esprit ne peut être exclu de ce processus. Explication. Si la conscience (la conscience ordinaire et étroite) d’un être perçoit qu’elle expérimente un événement douloureux ou une situation difficile (matériellement, psychiquement, existentiellement…) sans s’identifier à cette conscience ordinaire, alors elle opère un processus d’élargissement. Autrement dit,  la conscience prend conscience d’une autre partie d’elle-même et perçoit qu’elle ne peut être réduite à cette infime fraction de la conscience conditionnée. Et de facto, l’événement ou la situation perd son caractère douloureux (ou difficile) puisque la conscience comprend que, seule, une partie d’elle-même ou une déformation d’elle-même (la conscience étroite) ressent cette souffrance (et non la conscience dans sa globalité).

(8.19)

Abyssales origines

Tu manges une pomme. Et tu tentes de décortiquer les conditions nécessaires pour réaliser ce geste simple et trivial. Tu essayes de remonter le fil des origines. Et tu remarques, en premier lieu, que deux conditions fondamentales sont nécessaires : tu dois exister et cette pomme doit exister.

(8.20)

Abyssales origines (suite)

Pour exister, tu dois (sans conteste) être vivant. Et ton existence (le fait d’être vivant) est conditionnée par une multitude d’évènements. Il a d’abord été nécessaire que tes parents te conçoivent. Pour qu’ils te conçoivent, il a fallu qu’ils aient envie de te concevoir. Pour avoir envie de te concevoir, il a fallu qu’ils s’aiment. Pour qu’ils s’aiment, il a fallu qu’ils tombent amoureux. Pour qu’ils tombent amoureux, il a fallu qu’ils se rencontrent. Pour qu’ils se rencontrent, il a fallu une quantité de conditions (propices à cette rencontre)… et en premier lieu que leurs parents respectifs se rencontrent et se maintiennent en vie pour faire des enfants. Il faudrait donc énoncer tous les facteurs qui ont permis à ces 4 êtres de se maintenir en vie et de faire des enfants… Et ainsi de suite pour les parents de chacun d’entre eux… et ainsi de suite pour les parents des parents des parents… chaîne que l’on pourrait remonter jusqu’aux origines…  bref, tu comprends que tu existes parce que tu es le fruit du passé, de tous les éléments passés depuis l’histoire de l’humanité. Et tu leur es redevable de ton existence à l’instant où tu manges cette pomme. 

 (8.21)

Abyssales origines (suite)

Pour être vivant, il a également été nécessaire que tu te maintiennes en vie jusqu’à l’instant où tu manges cette pomme. Tu dois donc évoquer l’ensemble des facteurs qui t’ont permis de rester vivant. Tous les êtres, toutes les choses, tous les éléments qui y ont contribué. Tu renonces à l’énumération des êtres et des objets (dont la liste encombrerait ton argumentation). Tu te concentres sur les éléments primordiaux (les éléments naturels fondamentaux : terre, eau, feu, air, espace). Sans soleil, tu serais (sans doute) mort de froid (tu notes, en outre, que sans soleil, nul Homme ne peut survivre). Sans air, tu serais mort d’asphyxie. Sans eau, tu serais mort de soif. Sans espace, tu n’aurais pu te mouvoir. Si tu n’avais pu te mouvoir, tes muscles auraient été atrophiés, tu n’aurais pas même eu la force de porter cette pomme à la bouche. Sans terre, tu n’aurais pu te nourrir, tu serais mort de faim. Et sans elle, tu serais peut-être en train de flotter en apesanteur quelque part dans l’espace. Bref, sans ces éléments (de base), tu n’aurais pas survécu. Tu serais mort et tu n’aurais pu manger cette pomme.

(8.22)

Abyssales origines (suite)

Pour être vivant (à l’instant où tu manges cette pomme), il est également nécessaire que tu te maintiennes en vie. Pour te maintenir en vie, il faut que tu respires, que ton cœur batte, que tes organes fonctionnent convenablement. Pour respirer, il faut que tu possèdes un nez, une bouche, une trachée, des poumons et que l’air contienne de l’oxygène. Pour être vivant, il faut que ton corps contienne une quantité d’eau suffisante. Pour qu’il contienne une quantité d’eau suffisante, il a fallu que tu trouves de l’eau en quantité suffisante (et que tu en boives suffisamment). Pour que tu trouves de l’eau en quantité suffisante (et que tu en boives suffisamment), il a fallu que l’eau parvienne jusqu’à toi. Pour qu’elle parvienne jusqu’à toi, il a fallu créer une tuyauterie entre la source dont elle provient et l’endroit où tu habites. Pour que la source (dont elle provient) contienne suffisamment d’eau, il a fallu que celle-ci arrive jusqu’à elle. Pour qu’elle arrive jusqu’à elle, il a fallu qu’elle suive son cycle naturel. Pour qu’elle suive son cycle naturel, il a fallu qu’un nuage se forme. Pour qu’un nuage se forme, il a fallu que soit réuni un grand nombre de conditions climatiques, notamment le vent. Pour que le vent existe, il a fallu que certains courants d’air se créent. Pour que se créent des courants d’air, il faut qu’existe l’élément air. Et ainsi de suite (évidemment). En dépit des innombrables conditions (que tu renonces à évoquer), tu achèves ici la première phase de ton argumentation. Et tu poursuis ton (partiel et laborieux) raisonnement sur l’existence de la pomme.

 (8.23)

Abyssales origines (suite)

Pour que la pomme existe, tu notes (sans surprise) qu’il a fallu qu’elle pousse. Pour qu’elle pousse, il a fallu un pommier, qu’on le plante et qu’il se maintienne en vie pour que cette pomme (et toutes les autres bien sûr) parvienne(nt) à maturité. Pour qu’on le plante, il a fallu des Hommes ou s’il s’agit d’un pommier sauvage que les conditions propices soient réunies pour que la graine puisse germer et se développer. Pour que la graine puisse germer, il a fallu qu’une graine voie le jour. Pour qu’elle voie le jour, il a fallu une autre pomme dont elle est issue. Pour qu’existe cette autre pomme, il a fallu un pommier qui, lui-même, a été planté ou provienne d’une autre graine qui, elle-même provient d’une autre pomme, qui, elle-même, provient… etc etc etc. Si le pommier a été planté par des hommes, il a fallu qu’ils décident de planter un (ou des) pommier(s). Pour qu’ils plantent un (ou des) pommier(s), il a fallu qu’ils trouvent des graines ou des plants, issus d’autres pommes ou d’autres pommiers. Il a également fallu qu’ils naissent et se maintiennent en vie jusqu’à ce qu’ils plantent ce (ou ces) pommiers. Pour qu’ils naissent, il a fallu que leurs parents les conçoivent. Pour qu’ils les conçoivent, il a fallu… [même raisonnement que pour ton existence/parents]. Pour qu’ils se maintiennent en vie, il a fallu… [même raisonnement que pour ton existence/te maintenir en vie]. Pour que le pommier (celui dont provient la pomme que tu manges) se maintienne en vie, il a fallu de l’eau, du soleil, de la terre, de l’air, de l’espace, des abeilles pour butiner ses fleurs et donner les pommes, des hommes pour tailler ses branches… et pour que ces hommes taillent ses branches, il a fallu… [même raisonnement]

(8.24)

Abyssales origines (suite)

Qu’une seule de ces conditions de ton existence ne soit pas remplie ou n’ait pu advenir et tu te demandes ce qui se serait passé. Peut-être aurais-tu été un autre ?

 (8.25)

 Abyssales origines (suite)

Qu’une seule de ces conditions de l’existence de la pomme ne soit pas remplie ou n’ait pu advenir et tu te demandes ce qui se serait passé. Aurais-tu mangé une autre pomme ? Aurais-tu mangé un autre aliment ?

(8.26)

Abyssales origines (suite)

Cet ensemble infini de conditions nécessaires pour effectuer un acte si simple (et apparemment anodin) manger une pomme est l’évidente preuve d’un incroyable réseau de relations verticales (historiques) et horizontales (à l’instant t où est réalisée l’action) entre ta matérialité et celle de la pomme. Demeurent cependant deux grandes thématiques à explorer…

(8.27)

Abyssales origines (suite)

Première thématique. La matérialité. Vous n’êtes apparemment, la pomme et toi, que les combinaisons matérielles provisoires des 5 éléments (terre, eau, feu, air, espace) puisque vous êtes, tous deux… (et comme toute chose et tout être en ce monde) doté d’une matérialité. Tu notes que toutes les combinaisons matérielles provisoires ne peuvent se maintenir dans leur forme, (toi dans ce corps, la pomme dans sa propre forme) que par l’assimilation, l’utilisation partielle et le rejet du surplus d’autres formes combinatoires matérielles provisoires (de ces 5 mêmes éléments). Remarque. En fait (et apparemment), ces différentes combinaisons matérielles de 5 éléments qui semblent former une entité (ou une forme) apparemment séparé des autres combinaisons ne cessent d’échanger entre elles pour maintenir leur apparence formelle. Lorsque l’apparence formelle (la combinaison matérielle provisoire) est dégradée, ou se voit déformée, les éléments semblent se séparer pour se combiner à d’autres formes combinatoires. Ainsi, par exemple, lorsque tu dégrades l’apparence formelle d’une pomme en la mangeant, tu absorbes (ou ton corps absorbe) l’eau qu’elle contient pour rejoindre ton propre réseau liquide, tu absorbes sa chair et sa peau qui te nourrissent en se transformant en nutriment et vont rejoindre ton réseau intestinal, certaines parties vont venir alimenter ton réseau musculaire et physiologique (en partie grâce au réseau sanguin (lié lui-même à l’élément liquide, eau) et d’autres vont être rejetées dans tes selles, matières fécales qui vont rejoindre par les canalisations (la tuyauterie sanitaire) les égouts, les rivières, la mer (l’élément eau où vivent d’autres combinaisons matérielles (les poissons…) qui se nourriront en partie d’elles… et qui eux-mêmes… jeu permanent d’échanges et de transformation des éléments et des combinaisons provisoires de ces mêmes éléments. Voilà pour l’aspect matériel.

(8.28)

Abyssales origines (suite)

Deuxième thématique. La présence (et la fonction) de la conscience dans ces formes combinatoires provisoires. Thématique ardue comme l’atteste cette série de questions. Pourquoi et comment la conscience intervient-elle dans ces différentes combinaisons matérielles ? Vient-elle s’y greffer… ? Et comment… ? Existe-t-il une conscience propre à chaque combinaison de matière… ? Y a-t-il une conscience individuelle qui « passerait » de forme combinatoire en forme combinatoire (au fil de leur transformation) ? Y aurait-il des phases de non-conscience lors des phases de destruction des formes combinatoires ? La conscience est-elle forcément liée à ces formes combinatoires matérielles ? La conscience n’existerait-elle que dans les formes les moins grossières (ou les plus complexes) et serait-elle inexistante dans les formes grossières ou peu complexes ? Selon quels critères doterait-on (qui ou par quel système ?) chaque combinaison d’une conscience ? Il semblerait que seuls certaines formes de combinaisons vivantes en possèdent… tu doutes en effet qu’une combinaison inerte (tel un étron, une table ou une pomme) possède une conscience… cette dichotomie vivant/inerte distinguerait donc le sensible de l’insensible. Note. Le sensible serait-il conditionné par l’existence d’un système nerveux (sensibilité tactile) et/ou pourrait-il se définir au sens abstrait (avoir une sensibilité, une façon d’appréhender le réel et le monde ? Note extrapolatoire. Poussons un peu plus en avant… la sensibilité serait-elle alors la conscience ? Cette formulation (pour le moins arbitraire) inciterait au respect catégorique (dans les deux sens du terme, catégorique pour la catégorie du vivant versus la catégorie de l’inerte et catégorique au sens où il conviendrait d’être ABSOLUMENT respectueux de toute forme de vie (autrement dit de toute forme combinatoire vivante)… Autre question. Comment la vie, le sensible, le vivant s’insuffle-t-il dans ces formes combinatoires ? Eternelle question - et pour l’heure intranchable - sur l’origine du vivant et de la vie… (conditions propices réunies, souffle divin…). Questions supplémentaires. Pour quelles raisons certaines combinaisons matérielles différentes mais très proches dans leur forme (les Hommes par exemple, ou les chiens) ont-ils des consciences parfois sensiblement différentes tout en ayant de très évidents points communs ? Existerait-il une conscience universelle qui se partagerait en une multitude de consciences et qui se répartirait entre les différentes formes combinatoires matérielles ? Et selon quel critère s’effectuerait cette répartition ? Enfin (peut-être…) comment ne pas songer à l’instar des innombrables échanges entre les formes combinatoires matérielles à des échanges entre les différentes consciences dont semblent être dotées les formes combinatoires matérielles les plus complexes ? Et selon quelles règles s’opèreraient ces échanges ? Mon dieu ! Tant d’ignorance ! Et que de questions ! Ta pauvre réflexion vient de déterrer, malgré elle, l’éternel débat corps/esprit, matériel/spirituel… et le sempiternel questionnement sur l’origine de la vie... origine divine ou systémique (au sens d’un ensemble de conditions réunies propice à créer le système du vivant)… Et te voilà bien avancé de te poser des questions vieilles comme le monde…

(8.29)

En méconnaissance de cause

Tu remarques que tout savoir crée (presque à ton insu) des repères normatifs qui conditionnent ta parole et ton action. Tu notes que tout savoir (toujours nécessairement partiel) voile l'essentiel de la trame invisible de la vie. Toute action ou toute parole issue de ce savoir (ou fondée par lui) ne peut donc être, à tes yeux, qu'une réponse partielle, partiale et inappropriée à la situation. Mais en introduisant la double hypothèse suivante, 1. que l'existence de cette parole ou de cette action a été enjointe par la vie-même et 2. que la vie instrumentalise chaque être (chaque être qui ne serait que l'un des infimes fragments de la vie) dans l'intérêt de chacun, de tous et de la vie-même, alors cette réponse toute partielle, toute partiale et inappropriée qu'elle soit n'en est pas moins totalement juste et appropriée à la situation. Voilà un raisonnement en élaboration que viendrait sans doute contredire l'hypothèse de l'inexistence (totale et absolue) de réponse appropriée et idéale à toute situation… dans la mesure où l'idéal n'est lui-même que la construction réflexive d'un concept, une idée surimposée à la vie et non la vie-même... à moins que le concept lui-même appartienne à la vie… et par ce biais donc soit aussi la vie… Voilà de profondes réflexions, n'est-ce pas ? Oui profondes… et bien creuses…

(8.30)

Existences diverses

Tu notes une pensée attribuée habituellement à Voltaire : il n'est pas plus absurde d'avoir 2 vies plutôt qu'une seule, écrivait-il. Tu t’interroges. Pourquoi les êtres ne disposeraient-ils que de 2 existences ? Remarque. Tu notes - entre parenthèse - l’aberration totale de cette formulation (comme si la vie était à notre disposition…).

(8.31)

Existences diverses (suite)

Question ouverte. Pourquoi fermer la porte à l’hypothèse de l’infinité des existences ? Pourquoi n’y en aurait-il pas, en effet, une infinité ? Ou une quantité suffisante pour permettre aux êtres d'apprendre ce qu’ils ont à apprendre : découvrir leur véritable nature… ?

(8.32)

Existences diverses (suite)

L’hypothèse d’une seule existence te semble (totalement) absurde. Absurdité confirmée par la série de questions suivantes auxquelles l’hypothèse d’une vie unique ne permet de fournir aucune réponse satisfaisante.

Comment expliquer (encore une fois) les inégalités entre les êtres ? Les inégalités entre les Hommes ? Comment expliquer les inégalités en matière de trajectoire de vie, de cheminements, d’évènements ? Les inégalités en matière de prédispositions à l'essentiel, en terme d’accueil des évènements ? Les inégalités en matière de souffrances, de peines et de joies ? Comment expliquer la singularité de chaque être et de chaque itinéraire ? Et (enfin) comment l’Amour et la Connaissance (absolus) - finalités de toute les traditions spirituelles (de toutes les civilisations humaines depuis que le monde est monde) pourrait-il être atteint en une seule vie (alors qu’il est évident qu’une multitude d’êtres, y compris, bien entendu, les Hommes meurent sans y parvenir… ). Pour toute explication, tu notes que certains avancent l'idée de Dieu, d'autres de hasard, et d'autre encore celle de destin… réponses absurdes qui impliquent nécessairement (ici, en ce bas monde) un système du vivant injuste et incohérent… et - à dire vrai - totalement dépourvu de sens…

 (8.33)

Encouragements

Tu notes que pour atteindre l'autre rive, découvrir les terres vierges de la sagesse et de la vérité, les Hommes ont l'idiotie de croire en l'existence d'un itinéraire où il leur faudrait suivre (simplement) quelques repères posés ici et là par leurs prédécesseurs. Il n'y a, à tes yeux, aucun itinéraire tracé d'avance, aucun chemin balisé. Mais un voyage unique pour chacun. Des pas singuliers. Et des découvertes à expérimenter personnellement.

(8.34)

Suivre un chemin

Tu t’engages sur une voie spirituelle. Tu apprends à marcher sans aveuglement. Tu n’empruntes aucun parcours fléché. Tu expérimentes les instructions en les passant au crible de la raison. Tu ne te laisses pas aller à la facilité de marcher sur un chemin déjà tracé. En suivant cette option, tu devines que ta pratique serait dénuée de sens et ta progression illusoire. Tu reconnais (parfaitement) la nécessité fondamentale de chercher et de construire ton propre chemin. 

 (8.35)

Suivre un chemin (suite)

Ton engagement sur la voie spirituelle n’est ni un aveuglement de la pensée, ni une insulte à la raison, ni un enfermement dogmatique. Tu chemines lentement. Tu avances empli de doutes et d’incertitudes. Chaque espace rencontré est défriché, piétiné, apprivoisé. Tu n’as guère de certitudes, mais tu sens s’enraciner (progressivement) au cœur de ton être des convictions intimes et profondes.

(8.36)

Suivre un chemin (suite)

Tu as conscience que la voie spirituelle est pavée de vérités extérieures qu’il serait idiot et vain de faire tiennes aveuglément. Tu sais parfaitement qu’il est nécessaire de transformer progressivement - très progressivement - ces vérités extérieures en possibilités, en éventualités, puis en intuitions et enfin en convictions (si tu estimes - selon ton degré de compréhension - qu’elles le méritent). Tu laisses ces vérités suivre leur chemin naturel… sans craindre d’en découvrir de nouvelles (très éloignées et parfois contradictoires).

(8.37)

Suivre un chemin (suite)

Tu as la conviction que le cheminement spirituel est une lente progression, un long travail d’imprégnation et d’assimilation. Et tu te gardes bien de t’y hâter. Tu refuses de mimer (ou pire de singer) toute attitude que tu n’es pas encore parvenu à assimiler (ou dont tu n’as pas, du moins, senti intuitivement la véracité). Tu te refuses à jouer à l’homme sage (et avisé aux yeux du monde). Et malgré tes craintes de passer pour un crétin ordinaire, tu apprends à reconnaître et à accepter ton ignorance, ton idiotie, ta méchanceté, ta nullité, ta médiocrité devant témoins. Tu admets (parfois encore à regret) l’incontournabilité de cette étape.

(8.38)

Règle essentielle

Tu notes un autre aspect fondamental sur le chemin (le chemin de la joie). Une règle fondamentale qui t’enjoint (avec délicatesse) à prendre soin avec attention - avec une vigilance sereine et une concentration détachée de toutes les formes - vivantes et inertes - avec lesquelles tu entres en contact, de l’ensemble de la trame de la vie avec laquelle tu es éternellement relié : les objets (que tu touches), les êtres (que tu côtoies et rencontres), les lieux (que tu habites et visites). Tu apprends à prendre soin de chaque chose, de chaque être et de chaque lieu comme si tu étais le garant de leur intégrité… Tu apprends à vivre sans rien altérer, sans rien abîmer sur ton passage…

 (8.39)

Lente construction d'une verticalité

Ta verticalité se construit. Tu réponds à l’appel de la transcendance. Tu t’élargis. Tu t’ouvres à une perspective existentielle plus vaste, plus fine et plus profonde. Tu expérimentes le durcissement de l'égoïté, son ramollissement et sa lente dissolution. Tu rejettes l'ordinaire et expérimentes sa lente acceptation. Ta compassion et ton amour grandissent. Tu mets en pratique la transcendance au quotidien. Dans l'ordinaire le plus prosaïque. Tu simplifies. Tu débarrasses. Tu abandonnes. Tu découvres et explores les travers de l’être ordinaire. Tu mets à jour les refoulements (trop longtemps enfouis). Tu te replis. Tu aspires à l’altruisme. Tu réponds à l’appel du silence. Tu fuis l'agitation bruyante du monde. Tu sombres dans l'incompréhension. Tu apprends. Tu chemines vers la connaissance. Tu t’adonnes à l'humilité authentique. Et à l'arrogance méprisante. Tu progresses, d'incertitude en incertitude sur le sable mouvant de tes perceptions. Tu avances en bâtisseur de Verticalité sur l’étroit sentier qui borde le précipice.  

(8.40)

Elargissement

Tu ressens (parfois) une légère amplification de conscience. Ta conscience (que tu perçois habituellement emprisonnée dans la boîte crânienne) sort de sa gangue - du moins est-ce ton impression… (sentiment réellement palpable) pour flotter (matière vaporeuse floue et sans forme) autour de toi. Autour de la tête d’abord (à un mètre ou deux de distance) avant de s’élargir très progressivement (entre 50 et 100 mètres de distance). Remarque. A cet instant, tu notes que tu éprouves le sentiment de ne plus te mouvoir dans le monde mais dans ta conscience. Que les êtres ne se déplacent ni dans le monde (ni sur la terre) mais également dans ta conscience… ou plus exactement dans la Conscience (puisque tu n’as pas le sentiment qu’elle t’appartient). Remarque supplémentaire. A cet instant, tu perçois le monde et la conscience comme deux espaces qui se confondent. Deux espaces qui se réunissent pour n’en former qu’un seul… Note. Après quelques instants de chevauchement, le monde t’apparaît comme un infime fragment de la conscience (conscience dont tu as l’intuition, à cet instant, qu’elle n’est autre que l’espace infini. Comme si le monde (et le monde de la matière) n’étaient (en réalité) qu’une dimension minuscule - tangible et palpable d’une entité sans forme : la conscience… sorte de conscience universelle, entité globale dans laquelle le corps des êtres (leurs dimension matérielle) se meuvent. Perception qui peu à peu s’estompe… mais qui indéniablement te marque.. et sur laquelle tu tenteras (à l’avenir) de poser un regard plus discursif (et plus analytique)…   

 (8.41)

Manifestation

Tu as toujours été frappé par la mystérieuse survenance des faits qui se jettent sur les êtres sans raisons apparentes… apparentes seulement… Questions. Qui crée l’évènement… ? Et comment se crée-t-il… ?

(8.42)

Manifestation (suite)

Les Hommes appellent hasard tout événement aléatoire (sans cause apparente ou apparemment explicable) et destin toute série d’évènements mais ils oublient que l’un et l’autre surviennent grâce à la combinaison d’une infinité de conditions (reliées entre-elles et par le fil du temps). Mais comment naissent ces conditions ? Qui ou quoi les crée ? Qui ou quoi les déclenche ? Les provoquons-nous ? Du moins en partie ? Et le reste serait-il soumis au hasard (mais existe-t-il seulement ?)…

 (8.43)

Survenance 

Piste. Tu t’interroges sur le lien (ou les liens) de causalité entre la conscience et la survenance des évènements.

(8.44)

Survenance (suite)

Questions. Subsistent en ce domaine de nombreuses interrogations. Comment nos actes, nos pensées, nos paroles créent-ils les évènements ? Par les empreintes laissées dans la conscience ? Se limitent-ils à teinter notre perception des évènements (autrement dit, influencent-ils seulement notre façon de les percevoir) ou ont-ils une véritable incidence sur leur survenance ? Et cette conscience traverse-t-elle la mort ? Et de quelle façon ? Comment (et sur quel support) poursuit-elle son voyage (son cheminement) ?

 (8.45)

Lignée personnelle

Intuition (nouvelle). Tu as le sentiment que chaque être appartient à une lignée ancestrale. Et que chaque être hérite de la conscience de cette lignée. Une seule vie par être. Une longue chaîne entre-eux. Et un long chemin pour découvrir leur nature fondamentale (leur identité véritable).  

(8.46)

Pour une connaissance plus large

Tu remarques (sans surprise) que le monde (le monde occidental, en particulier) accorde une confiance plus large aux penseurs (à ceux qui ont des réflexions) qu'aux intuitifs (à ceux qui ont des convictions intuitives). Ce crédit tient sans doute au fait que la plupart des hommes choisissent aveuglement leurs convictions - par facilité, par paresse, par commodité. Mais le monde occidental oublie que certains intuitifs élaborent leurs convictions après un long - un très long - cheminement réflexif, construit par la raison, enrichi par l'intuition et étayé enfin par la sensibilité et l'intelligence du cœur (dont les intellectuels, à tort, se méfient tant). Le monde intellectuel (et le monde intellectuel occidental en particulier) s’est toujours méfié des convictions. Il a toujours refusé d’admettre (par idéologie, habitude et paresse intellectuelles) que les convictions appréhendées comme aboutissements réflexifs et intuitifs transitoires ont sans doute dans l’éclairage du réel plus de poids et de consistance que bon nombre d’argumentations réflexives complexes. 

 (8.47)

Intuition particulière

Tu remarques que tes intuitions, au cours de ton existence, se sont toutes révélées fausses. Enfin très médiocrement partielles. En deçà, en tout cas, de tes compréhensions ultérieures. Comme si les fondements sur lesquels se formait et se fondait chaque perception nouvelle n'étaient valides et appropriés que pour elle seule. Comme s'il était impossible de s’y référer pour extrapoler une nouvelle intuition (plus large, plus fine et plus profonde). Comme si chaque nouvelle intuition possédait ses propres fondements qu'il conviendrait d’abord de découvrir pour en trouver l'accès. 

(8.48)

Fouillis inextricable

Malgré tes efforts (laborieux), tu ne parviens (encore) à trouver les liens entre la lignée ancestrale de chaque être, les multiples liens horizontaux  et verticaux entre les différentes formes combinatoires matérielles, l’origine de la survenance des évènements, les différents aspects de la Conscience - supposée - Universelle et la multiplicité des consciences individuelles, les liens entre la Conscience et la Matière… et quelques autres triviales (et essentielles) questions. Bref, tu reconnais, à ce stade du chemin ton incapacité à appréhender l’immense et mystérieuse trame du vivant. A trouver une réponse satisfaisante à l’origine et au sens de la Vie.

 (8.49)

 

25 novembre 2017

Carnet n°23 Traversée commune Livre 7 - Bas-côtés

Poésie / 2007 / La quête de sens

Cocasseries et autres absurdités. Traversée du non-sens et de la déraison.

Déchiffrages langagiers. Bêtes rebus rebutants à défricher. Mauvais jeux de mots et autres calembredaines.

Empreintes de vent et herbes foulées. De la très mauvaise poésie. Entre simplisme dépouillé (et plat), lyrisme pompeux et emphase exagérée.

 

 

 

Epaves exotiques

Mes petits mots d’esprit…

petites carcasses cabossées

à ranger entre le haïku et Gustave Parking.

Places de sous-sol.

 (7.1)

 

Fariboles sans gravité

Au jeu des petites fadaises, rien d'impossible

mais il est de bon ton de garder son sérieux !

(7.2)

 Envolée du cœur serein

Le cœur de l’être en éveil

sur la terre se repose

Et sous le ciel grandiose

s’élargit…

(7.3)

 

BAS-CÔTES propose trois séries de fragments entrecroisées, FADAISES DEFAUSSES, PISTES LUDIQUES, TRACES DEROUTEES.

 

FADAISES DEFAUSSES

Traversée singulière.

Cocasseries et autres absurdités.

Traversée du non-sens et de la déraison.

 

PISTES LUDIQUES

Traversée singulière.

Déchiffrages langagiers.

Bêtes rebus rebutants à défricher.

Mauvais jeux de mots et autres calembredaines. 

 

TRACES DEROUTEES

Traversée singulière.

Empreintes de vent et herbes foulées.

De la très mauvaise poésie.

Entre simplisme dépouillé (et plat),

lyrisme pompeux et emphase exagérée.

 

Et le tout (parfois) très mélangé…

 

 

FADAISES DEFAUSSES

Traversée singulière

(à gauche)

PISTES LUDIQUES

Traversée singulière

(au milieu)

 

TRACES DEROUTEES

Traversée singulière

(à droite)

 

Les uns et les autres

 se suivent sans raison,

au fil des mots et d’une mauvaise

(et tortueuse) inspiration.

 

Prologue

Quelques vains maux

d’esprit… et un peu plus

et un peu moins

 

Mots collants

Des collages immédiats

Envolées spontanées

 (7.4)

Haute montagne

Oublier les pensées sages

Et suivre les pensées sauvages

qui chevauchent la crête…

 (7.5)

Toupie

Joue et… avec les maux

Pour oublier le mal qui tourne

(7.6)

Hybridation sexuée

Des maux cent queues ni tête

 (7.7)

Tortue

Une tortue avance vers nulle part.

Elle perd sa joie à cueillir les larmes

Elle pense au temps qui passe

Et perd la face

(7.8)

Sans issus

Quand l’un passe…

la plupart s’arrête…

Faut-il être bête ?

 (7.9)

Limace

Une limace avance vers l’avenir

Et enlace la nuit qui part vers nulle part

Et qui reviendra demain… peut-être

(7.10)

Fuite

Impossible ailleurs

Eternelle présence de l’instant

 (7.11)

Point ultime

Le . de non-retour…

 (7.12)

Temps crépusculaire

Quand les heures passent

La nuit s’avance

Et quand les heures lassent

Le jour recule

 (7.13)

Ebullition sonore

La révolte guette au dedans

Le volcan crache

Et la lave mécanique chante

(7.14)

Ravage volcanique

A cœur et à cris,

mon corps s’enflamme

Et mon cœur s’empile, meurt

Peace maker

 (7.15)

Guérisseur de l’âme

Maux sans ordonnance particulière

Le médecin des âmes soignent les peines

 (7.16)

Tristes crustacés

L’étoile de mer pleure le jour

Et regarde la nuit le crabe

Qui s’endort sur la berge engloutie

(7.17)

Obscure réflexion

Cerveau : matière grise

pour pensées noires

 (7.18)

Conserves marinières

Le hareng sort de sa boîte

Regarde les convives médusés

(7.19)

Membres enfouis

Pauvres mortels

qui ne verront pas demain

A deux pieds sous terre,

ils seront enterrés.

 (7.20)

Géographie biblique

L’Enfer et le Paradis,

2 hémisphères célestes

scindés par l’équateur :

le purgatoire sur terre.

 (7.21)

Ensorcellement solitaire

Gardien du phare à l’ouest d’Eden

J’entends les pleurs des baleines

Et l’appel désespéré des blanches sirènes

(7.22)

Intervalle haldassien

La nuit du veilleur,

un espace-temps libre

 (7.23)

Couleurs nocturnes

Nuit blanche et dents jaunes

Pour le fumeur des aurores

 (7.24)

Maladie mortelle

Après l’annonce d’un cancer

Tumeur une première fois

Quelques temps passent…

Et tu meurs une seconde fois…

(7.25)

Bougie

Sur la cire blanche

penchait la flamme

 (7.26)

Plaies spirituelles

Panser le noir

Mercurochrome de l’âme

pour raviver les couleurs

des cœurs sombres

 (7.27)

Destin plébéien

La mort sur nous s’acharne…

plante ses dents…

la terre pleure…

hurle sa douleur…

(7.28)

Océan cérébral

Mots endiablés qui sortent

de la boite crânienne

Pensées qui se déchaînent

sur l’amer agité

 (7.29)

Griffes carnassières

Etre la proie du malheur

Rapace serait donc la vie ?

 (7.30)

Mauvais pêche

Le poisson rouge bouge

dans son bocal de verre pilé

Pleure des larmes d’eben

Ironie du sort d’un macchabée

en sursis

(7.31)

Option incommode

L’embarras déchoit…

 (7.32)

Transport jubilatoire

Je vide la barque

avec un verre à dent

Et j’en ris. Pourquoi ?

(7.33)

Aberration auditive

Absourdité, mots mal entendus

 (7.34)

Météorologie intérieure

Les éclaircies ombrageuses

des pensées sombres…

(7.35)

Armée des corps

De guerre lasse,

j’abandonne la partie

Deux jambes en l’air

Cent personnes au milieu

(7.36)

Exaspération identitaire

Je suis mon chemin.

Mais y arriverais-je à bout ?

 (7.37)

Désert intime

Archipel intérieur,

Ilot illustre,

Oui, je l’ai cru, Zoé…

(7.38)

Histoires de nœuds

Au fil des chemins

se tissent les fils…

A la croisée des chemins

se nouent les liens…

Et à la fin du chemin…

 l’espace s’ouvre-t-il… ?

 (7.39)

Echappée belle

Une voie… cent issues…

Route aux horizons multiples…

 (7.40)

Moquette élimée

Au loin, quelques arbres en épis

sur une colline chauve

Moquette dégarnie

Simulacre de postiche naturel

(7.41)

Geôle

Prisonnier du hasard

Dé-tenu, destin… enfermé

 (7.42)

Couleurs mensongères

Le rouge ouvert

Et le verrou rouge

(7.43)

Loi universelle

Guérir sa peine

Bannir sa haine

Se soumettre au règne

 (7.44)

Fin de chagrin

Oublier la tristesse

Et manger ses larmes

Conseils anti-mélodramatiques

 (7.45)

Rempart olfactif

Parapet, mur à flatulences…

Et dire que les ballonnés s’assoient dessus !

 (7.46)

Souffle incongru

Le vent ébruite

des sons insolites.

Prout ! Glup ! Gloup !

C’est pathétique !

(7.47)

Question à jeun

Boileau était-il ivre

en écrivant ses vers ?

 (7.48)

Brame crépusculaire

Dédain et le serf

Aux abois

Dans la brume

Se convertit

à la pâleur du soir

(7.49)

 

Poésie

Défaire des vers

Franchement…

à quoi ça rime ?

 (7.50)

Obscur enseignement

Maître des mots sombres

sous le ciel argenté des pensées

(7.51)

Ile nocturne habitée

Nuit d’exil

au cœur du monde,

Longue veille

sur mes frères endormis

Au petit matin,

On me trouve

au cœur de mes feuilles,

assoupi…

 (7.52)

Horde spatiale

Le quartier de lune est squatté

par une nuée de sauterelles

Une armée de cosmonautes

en combinaisons de dentelle

(7.53)

Mauvais rêve

Blague de somnambule :

histoire à dormir debout

 (7.54)

Cupidons démoniaques

Petits anges aux allures diaboliques

combattants de Lumière

Aux flèches transparentes

qui percent les cœurs qui s’ensanglantent

(7.55)

Jambes noctambules

Les bas blessent

des diablesses maléfiques

Dans les hautes heures de la nuit

 (7.56)

Plaisirs abrités

Délices informatiques

Par écrans interposés

Le supplice charnel de la virtualité

(7.57)

Amour musical

Les cymbales du cœur s’emballent

Pour des histoires d’amour à cent balles

Pauvre musique des cœurs !

(7.58)

Espoirs intuitifs

Dans le ciel des pensées

courent les nuages de l’espérance

 (7.59)

Brève histoire de la durée originelle

Eve à… , naissance

d’un fragment de temps fugace…

 (7.60)

Saisons de-saisies

Dans les draps défaits des amants,

Le printemps s’est invité

Et l’été s’ennuie en patientant

(7.61)

Troubles juvéniles

Le corps sage et la gorge palpitante…

Premiers émois adolescents

 (7.62)

Démoniaque cité

L’Eden park. Au cœur de l’enfer…

(7.63)

Trouées nocturnes

Matelas enfoncés par les corps assoupis

Les dormeurs ronflent du repos céleste

 (7.64)

Vague aérienne

Les éclaboussures du vent…

(7.65)

Rumination sur l’amour

Les trains passent

Et l’étreinte lasse

Ah ! La vache ! Quelle peau de vache !

S’écrient les passagers.

(7.66)

Enfouissement

Conflits d’interdits

Guerre de retranché.

 (7.67)

Comment-taire

Commentaires de commentaires :

comment se taire ?

(7.68)

Interdit aléatoire

Dé fendu, hasard  partagé

 (7.69)

Regard trouble

Je… vil être

A défaut d’être, voilà la vue…

brouillée à jamais

(ou pour longtemps peut-être)

(7.70)

Pudeur

Animal rusé

qui se cache des huées

 (7.71)

Source d’inspiration

Prisonniers de la fable

La Fontaine se tarie…

 (7.72)

Opéra-comique

Le chanteur lyrique

prend des airs dramatiques

(7.73)

Tristesse sanglante

Une goutte de sang

dévale le torrent des pleurs

 (7.74)

Mythe hybride

Les androgynes naissent

dans les chou-fleurs

(7.75)

Entre Herr Hesse

Séparation réparée

Réparation séparée

 (7.76)

Incongruité orale

L’éM’otisme enferme

Et le mutisme s’y lance…

(7.77)

Silence affecté

Mal d’âme

Maux précieux

Et verbes engloutis

 (7.78)

Bide

Le gros clown triste est fou de joie

Son numéro est un vrai fiasco

(7.79)

Vœux ardents

Qu’au dedans grandisse la chaleur

Et se consume la froideur

Voilà notre seul d’espoir

 (7.80)

Aventure aléatoire

Dé-laissé : est-ce le hasard

qui nous quitte… ?

 (7.81)

Eclaircie

La foudre du ciel.

Et la coupe de soleil…

(7.82)

Climatologie horlogère

Nuages, étranges messagers

du temps qui passent…

 (7.83)

Voyage immobile

Partir sans s’en aller

 (7.84)

Option de voyage

Un carnet de route

Ah non ! Incarné deux routes ?

D’accord ! Mais lesquelles… ?

 (7.85)

Etonnante édification 

Toute construction

me laisse pantois…

Oui ! Franchement !

Ca m’édifie…

(7.86)

Double chute

Verticale aplatie,

Point zéro de l’horizontalité…

Tout à recommencer…

 (7.87)

Sans abri

La limace est un escargot sans coquille

Et la jonquille une fleur jaune qui fane

Sous le soleil ardent des rancœurs

(7.88)

Dangers

Assis sur le bord du monde

je regarde l’abîme

 (7.89)

Architecture humaine

Décrépis… sur le murs,

ils s’affaissent…

 (7.90)

Assèchement mélancolique

Les nuages pleurent

Quelques gouttes qui coulent

sur le visage du ciel

retrouvé desséché au petit matin

 (7.91)

Gouttes intérieures

Larmes du cœur,

pluie de l’âme

(7.92)

Point de vue

L’Homme se proclame

trait d’union entre le ciel et la terre…

Oui, peut-être… mais qu’en pensent les girafes ?

(7.93)

Focal

Ne pas perdre de vue son objectif

Voilà une bonne optique

pour un photographe

 (7.94)

Jeu de couture

Epingler son adversaire

Tirer son épingle du jeu.

Et se piquer d’être victorieux.

Se piquer au jeu ?

Franchement… pourquoi faire ?

Ah ! Mon Dieu ! La triste affaire !

(7.95)

Rêve d’haltérophile

Haltère-égo ; l’autre moi…

en plus musclé…

 (7.96)

Choix des armes

Lame et l’âme nous possédons

Mais laquelle aiguiser pour le combat ?

Combat terre à terre

pour conquérir le Ciel

 (7.97)

A vos armes !

La paix des races ! Oh oui !

Quand tous les trous du c…

du monde auront pactisé !

(7.98)

Itinéraire

Carnet de bi-route,

journal de bord d’un hétéro gai

(mais pas forcément joyeux).

 (7.99)

Aux nus désarmés

Soldats de la paix

Appelés pour l’étrange guerre

Combat de la non-violence imposée

Pour désarmer les armées à la violence millénaire

(7.100)

Injustice

Des droits trop courbés…

Et penche la balance…

 (7.101)

Fabuleuse contré de la souffrance

Malaisie, Ô ma patrie !

Eh bien quoi, la loumpour !

C’est vrai ! Je cherche à m’évader…

Prisonnier en exil du pays

imaginaire de la douleur…

(7.102)

Cycle obscur

Nuit noire

Jour gris

Et mon cœur

s’empourpre

de sombre

 (7.103)

Peinture

Météorite, une rage d’étoiles,

Un orage d’étoiles

Un âge d’or des toiles

 (7.104)

Tristes teintes

Van Gogh, peintre de la lumière noire

harassé sous le soleil glacé de l’hiver

 (7.105)

Injuste équilibre

L’incroyable légèreté du monde…

et le poids des souffrances

La balance serait-elle truquée ?

 (7.106)

Couplet incomplet

Dix stances sur la distance

(7.107)

Entraves

Travail à la chaîne,

esclaves des temps modernes

 (7.108)

Froideur judiciaire

Palet de justice

et sentences glacées

 (7.109)

Funeste samedi hébraïque

« Et s’abat la mort sur… »

crie le vieux chien juif à la camarde…

(7.110)

Funeste entrevue

Visite guidée de la grande faucheuse …

Un peu guindée dans son costume

 (7.111)

Sombre clairvoyance

Triste joie et joyeux chagrin

Pour celui qui voit

 (7.112)

Obsession visuelle

Je regarde beaucoup… beaucoup…

avec insistance… insistance…

(et jusque dans le blanc des yeux)

le matte-à-mort…

(7.113)

Sentiment à plat

Crève-cœur,

A l’affection dégonflée

 (7.114)

Gastronomie ossuaire

Le croque mort bouffe du macchabée

Et vomit la nuit des pieds de pissenlit

Nausée crépusculaire dans le cimetière

(7.115)

Week-end laborieux

Dix manches, deux pioches,

Petit inventaire de fin de semaine.

(7.116)

Histoire de saucisse

Boudin et saucisson

Sont les sales amis du cochon

(7.117)

Lourd danger

La gravité des insouciances…

 (7.118)

Songe muet

Le mime s’endort en rêvant

De paroles silencieuses

 (7.119)

Spectacle crépusculaire

Les souris denses et les chats légers

volent sur les gouttières ébahies

Et devant l’éternelle chorégraphie

La lune, joyeuse, chaque nuit, applaudit

(7.120)

Tendresse épargnée

Sous l’oreiller matelassé

dort une liasse de billets doux

Thésaurisation de l’affection

 (7.121)

Retour de vague

Galipettes éreintantes

pour sémillantes sexagénaires

Le troisième âge

sur la déferlante des corps.

(7.122)

Petite bête

Pré-puce, l’avant du petit animal

 (7.123)

Effleurement saisonnier

Le tendre frémissement des feuilles

caressées par le vent d’automne…

 (7.124)

Cité florale

Fleurs labyrinthiques

Histoire de pétales

Dans le dédale

De quartiers sans histoire

(7.125)

Temps habituels

La vie tranquille des heures ordinaires.

La vie ordinaire des heures tranquilles.

 (7.126)

Réveil névrotique

Obsessions matinales, descente de lit-anies

 (7.127)

Couleurs saisonnières

Les âmes grises

des petits matins d’hiver

 (7.128)

Rite quotidien

Tartines de pain beurrées,

hosties séculières du matin

 (7.129)

Curieuse gastronomie

Manger des fraises

En les attrapant par la queue

Et les tremper dans la mayonnaise

Vous verrez ! C’est délicieux !

(7.130)

Jours familiers

Route-ine, surnom affectif

de la route ordinaire…

 (7.131)

Brève insertion de l’éternité

Parenthèse éternelle

 (7.132)

Double nutriment

L’homme pense

Et se remplit la panse

En animal cérébral et stomacal

(7.133)

Ode quotidienne

Une tasse sur une table

Un visage sur un oreiller

Une brosse à dents dans un verre

Quelques poils dans la douche

Le quotidien émietté

Et l’ordinaire en miettes

 (7.134)

Gaieté florale

Une vie sans pétale

Une fleur sans joie

 (7.135)

Condiments

Les échalotes pleurent de joie

Et le thym rose s’affadit

Devant les assiettes dégarnies

(7.136)

Typologie du rebus

Des tris tuent…

Catégorisation morbide

 (7.137)

Monture aveugle

Une carotte a cru voir

Un cheval sans selle au galop

Avec un peu de crottin râpé

sur le dos.

(7.138)

Gastronomie à la carte

De la nouvelle cuisine d’en choix.

(7.139)

Obscures poubelles

Le noir des bennes

Sombres immondices

 (7.140)

Senteurs en granulés

La litière du chat est gâtée

Pourrie jusqu’à l’étron

Et partout ce parfum d’encens au citron

(7.141)

Assèchement

Tristes pensées

aux pétales déjà fanés

 (7.142)

Cliché

Le pleur des enfants

et la grimace des parents,

éternel tableau familial

 (7.143)

Souvenirs d’antan

Album-photos

Vie rangée dans un tiroir

 (7.144)

Communauté d’étriqués

L’étroite grandeur d’âme

des petites gens

 (7.145)

Enfer saisonnier

Cols roulés en boule empaquetés

dans la valise pendant l’été

 (7.146)

Couleurs estivales

(et patriotiques)

Rouges gorges et blancs bonnets

devant la grande Bleue

Une blonde sur la plage ensoleillée

Emue devant l’immensité azurée

(7.147)

Prison affective

Le carcan des cœurs vertueux…

 (7.148)

Batifolage déguisé

Bas les masques

au carnaval de Venise :

loup à porte-jartelles

(7.149)

 

Anonyme angoisse

Foule : forêt d’êtres sans visage

aux feuillages inquiétants

 (7.150)

Source vive

Ne pas oublier

d’arroser les pensées

Fleurs si délicates

 (7.151)

Envolée céleste

Chevaucher les nuages

dans la prairie du ciel

Parmi une nuée de sauterelles,

décoller

(7.152)

Sans toi(t)

Enfilade de tuiles,

funeste destin

(7.153)

Sites merdiques

Tour Eiffel by night

Touriste à Guatanamo !

La chiasse… Eh merde !

(7.154)

Fers rouges

Esclaves entravés de chaînes pourpres

Curieuse botanique des Hommes

 (7.155)

Injustice gastronomique

Un avocat aime l’oseille… mais

A quelle sauce aimerait-il être mangé ?

(7.156)

Paroles effeuillées  

Si les arbres pouvaient parler

Mais ils parlent… écoutez

N’entendez-vous pas

leurs feuilles trembler ?

 (7.157)

Pesantes heures

Dans la profondeur des cimetières

paissent les âmes…

Et dans la hauteur des cimes

virevoltent les corps…

Affaires de pesanteur

 (7.158)

Balancements

Mouvement circulaire des astres

Mouvement pendulaire du temps

Et mouvement oscillatoire des âmes.

 (7.159)

A vitesse débridée

Vive la Chine ! ¼ de l’humanité

Un car déshumanisé visitant Paris

(7.160)

Evolutions naturelles

L’humanité progresse

Et le désert avance

Est-ce un progrès ?

 (7.161)

Scène monétaire

Montagne d’argent

La pièce dort éternellement

 (7.162)

Atome cosmique

Caillou minuscule

Est la Terre des Hommes

Infime particule

dans la vaste étendue

 (7.163)

Irréversible déclin

Travail et société moderne

Décadences infernales…

 (7.164)

Météo scolaire

Cancrier : à bas l’école !

Tout l’temps ! Tout l’temps…

(7.165)

Reflet blessant

Derrière la vitre

Je me suis cogné l’œil

contre le paysage.

 (7.166)

Météo scolaire (bis)

Grammaire nuageuse

Orthographe orageuse

Et pluie battante

Catastrophe pédagogique

 (7.167)

Ode au radiateur

Eclabousseurs de taches

Le papier buvard à la main

Qu’encre sur la table

Cancre taché d’encre…

 (7.168)

Sérieux irrespect

Que le maître se fasse mettre…

impolitesse studieuse

(7.169)

Intellectuel

Emissaire du cerveau…

Et misère de l’esprit.

 (7.170)

Obsessions idéatives

Petits mots collés

à la glue des pensées fixes

 (7.171)

Distance respectueuse

Quand le mètre se fait maître,

la mesure s’impose…

(7.172)

Oasis

Mes pensées arrosent

le monde aride

Et je sèche

mon cœur humide

 (7.173)

Suées saisonnières

Les nuages transpirent

De grosses gouttes de sueur

Liqueur de printemps

 (7.174)

Zone sudoripare

Ex sud ation,

ancienne transpiration provençale

Dégoulinantes pelades

sous l’ardent soleil du Midi

(7.175)

Enivrement

Sécheresse

Source d’éveil

Fontaine tarie

Saoul d’aridité

Je m’enivre du vent

 (7.176)

Saoulés de maux

Accoudé au comptoir,

 l’ivrogne s’enivre de ses pleurs.

Et jusqu’au petit matin cuve son chagrin

 (7.177)

Songes

Sous le soleil d’été,

la lune éclaire les nuages

Qui passent sans bruit

devant la fenêtre

des rêves endormis

(7.178)

Poésie de comptoir

pour pochetrons du verbe

Mots cousus dans une bouche d’or

Verbes garnis de sujets pathétiques

Saoulé par l’ivrognerie langagière

(7.179)

Histoire vertigineuse

Débat d’auteurs…

Profondeur de surface

Et point zéro de la verticalité…

 (7.180)

Fantasmes du firmament

Chasseur d’étoile

Plongeur de ciel

Passeur de lumière

Est-ce là de vrais métiers ?

 (7.181)

Hommage éperdu

Rêveries solitaires

d’un promeneur égaré…

 (7.182)

Ode à la non-consommation

Poème à lire tout haut…

et la tête en bas… embarrassé

Rien acheté et tout à jeter.

(7.183)

Stupidité naturelle

Quelle honte à se montrer idiot ?

Aucune. Humaine est la bêtise, non ?

 (7.184)

_

24 novembre 2017

Carnet n°22 Traversée commune Livre 6 - Exercices journaliers

Journal / 2007 / La quête de sens

Ces triviales pensées et ces modestes évènements ont pour principal intérêt d’éclairer la lente et difficile progression de celui qui franchit les étapes (avec ses incontournables allers-retours) et de mettre en lumière l’inévitable décalage entre la vérité fragile et momentanée des éclaircies - ressenties dans l’espace solitaire - et leur difficile exercice quotidien dans l’espace du monde…

 

 

EXERCICES JOURNALIERS propose deux séries de fragments entrecroisées, SENTIER DE SCRIBE et DU CÔTE DE CHEZ SOI.

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Et DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversées singulières.

Ces triviales pensées et ces modestes évènements personnels ont pour principal intérêt d’éclairer - de l’intérieur - les fragments des Livres 1 à 5 (notamment le livre 1 Mondes Obscurs et le livre 4 L’entre-deux). Ils permettent de suivre la lente et difficile progression de celui qui franchit les étapes (avec ses incontournables allers et retours) et de mettre en lumière l’inévitable décalage entre la vérité fragile et momentanée des éclaircies - ressenties dans l’espace solitaire - et leur difficile exercice quotidien dans l’espace du monde…

 

Deux types de lectures sont possibles. Une lecture alternée (lire les fragments sans se soucier de leur positionnement sur la page) ; une lecture spécifique (pour SENTIER DE SCRIBE, lire les fragments situés à gauche et pour DU CÔTE DE CHEZ SOI, les fragments situés à droite).   

 

Partie 1

Carnet existentiel

Carnet de vie. La vie comme voyage. Long et difficile périple vers soi. Récit sans autre trame que les évènements extérieurs et les paysages intérieurs qui se révèlent à ta conscience.

(6.1)

Cercles vertigineux 

Tu ne cesses de tourner en rond.

De tourner en rond jusqu’à l’étourdissement. Jusqu’à la folie. De tourner en rond dans l’espoir d’ouvrir la brèche de ton regard étroit. De tourner en rond jusqu’à ce que l’infini t’apparaisse au-dedans. Et il arrive (souvent) que la tête te tourne…

 (6.2)

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Traversée singulière.

Traversée singulière de l’homme qui écrit chaque jouravec rage en tentant de comprendre l’origine de ce besoin singulier. 

 

DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversée singulière.

Traversée singulière de l’homme solitaire (en marge du monde) qui cherche obstinément (et aveuglement) la lumière en son cœur en blâmant l’obscur chemin des Hommes.

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Traversée singulière

(à gauche)

 

DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversée singulière

(à droite)

 

L’une et l’autre se répondent, s’opposent et se complètent parfois…

 

Antre

Tu passes en solitaire la plus grande part de tes journées. Tapi sous tes feuilles, tu ignores le monde. 

(6.3)

Pèlerinage

Tu entreprends un long périple vers toi-même, une longue marche vers tes paysages inconnus. Pèlerinage intérieur où il te faut emprunter les chemins du dehors, traverser les villes et les villages, les montagnes et les plaines. Un voyage comme une parenthèse de soi. Une parenthèse de soi pour se retrouver. Se retrouver seul et isolé, cheminant en silence dans un environnement propice au recueillement et à la réflexion. Il t'arrive parfois de penser (et souvent tu le penses) que ce périple n’est qu'une nouvelle fuite. Qu'un nouveau projet du faire* dans l’espoir d’accéder à un être* différent.

(6.4)

Parcours 

Tu notes ton itinéraire. Tu n’y trouves guère d’intérêt excepté (peut-être) celui de poursuivre ta route en navigant à vue vers des contrées plus hospitalières.

(6.5)

Retrouvailles

Tu remarques que la nécessité pousse chaque homme à emprunter un chemin singulier, le contraignant ou l’invitant à avancer dans une direction ou dans une autre, l’obligeant (consciemment ou non) à satisfaire ses aspirations et ses exigences les plus profondes.

 (6.6)

Ecritures

Tu écris pour comprendre et recueillir quelques parcelles de vérité enfouies en toi. Tu écris sans cesse (et sans fin). Tu te crois inépuisable. Et infini.

(6.7)

Double handicap

Tu as toujours été habité par un unique besoin : avancer dans ta quête et permettre aux autres d'avancer dans la leur. Tous les autres domaines n'ont jamais eu, à tes yeux, aucun intérêt. Et tu admets que cette mission a toujours été un lourd handicap. Handicap à vivre en ta compagnie et en compagnie du monde. En ta compagnie car toute chose, toute situation, toute activité a toujours été écartée si elle n’était pas jugée suffisamment nourrissante pour ta quête. Et en compagnie du monde car peu d’êtres ont été sensibles (ou réceptifs) à ta démarche (leur quête étant vouée - toute entière - non à la vérité ou à la transcendance, mais tournée plus trivialement, plus ordinairement vers le confort, le mieux-vivre et le bonheur personnel (idée très étroite du Bonheur qui t’a toujours semblé affligeante et méprisable, source de condescendance pour tes semblables, à l’origine (sans doute) de ton exclusion du monde).

(6.8)

Gouffre mystérieux

Tu as besoin d’expulser les mots. De les jeter sur une feuille blanche, un bout de papier déchiré (à la hâte). Tu écrirais sur n'importe quoi…

(6.9)

Maîtres à bord

Tu sais qu’aucun homme n'est en mesure de diriger ni de contrôler substantiellement les pans primordiaux de son existence. Nul n'est maître des aspects essentiels de sa vie. Et cette absence de maîtrise n'a que peu d'importance. Elle invite simplement chacun à suivre le chemin que la vie lui trace continuellement.

 (6.10)

Exercice

Tu choisis l’écriture comme exercice, comme thérapie, comme anti-thérapie, comme tu ne saurais le dire…  tu t'en moques puisque tu écris (puisque tu t'écris…).

(6.11)

 Abyssale origine

Malgré tes frayeurs, tu tentes de descendre au plus profond… de remuer tes profondeurs pour toucher quelques insoupçonnables et ignobles parts de toi-même. Et s'il t’est donné la force, le courage et l'opiniâtreté de les parcourir jusqu'à leur extrémité, tu ne serais guère surpris de voir jaillir quelques scories à la surface de ta vie. Note. Tu persévères dans cette folle entreprise pour tenter d’en découvrir les racines, le Mal originel que l'Homme porte en lui depuis la nuit des temps, depuis que l'Homme est homme, depuis que le Monde est monde. Avec l’espoir (secret) de t’en affranchir.

 (6.12)

Nouveau paysage

Tu écris tout. Sans recherche, sans affèterie, sans même le désir d'être lu. Tu écris. Avec lourdeur, avec excès et sans détour. Avec le secret désir (pourtant) de partager ton chemin.

(6.13)

Halte à la bêtise

Depuis quelques jours, tu es coincé  dans le petit deux pièces glauque du centre-ville où tu loges depuis quelques années (comme un rat dans un trou). Contraint de subir l’indicible bêtise des voisins, parfaites illustrations (car exemplaires à tous les égards) du genre humain.

 (6.14)

Réveil

Quelques réflexions te surprennent au saut du lit. A peine levé, tu te jettes sur ta table de travail.

(6.15)

Colorations

Dans cette ville terne écrasée par le ciel radieux, tu observes les âmes grises et les cœurs noirs qui se croisent au pied de sombres arcs-en-ciel. Et tu blâmes la transparence (affligeante) de ces tristes couleurs urbaines…

 (6.16)

Tumeur

La modernité te semble parfois une excroissance… une monstruosité… une boursouflure de la condition naturelle de l’Homme.

 (6.17)

Tentative

Tu plonges dans l'écriture avec force, violence et frénésie. Animé d’un sentiment d'urgence. Tu crains de perdre les mots pour dire ce qui te traverse.

(6.18)

Original

Tu ne peux faire de la vie un brouillon. Tu ne peux l'écrire à la volée pour en établir les plans, le déroulement et la conclusion. Les erreurs, les ratures, les hors sujets, eux aussi, seront sur la copie. Evidemment… Mais tu t'interroges. Qui ramassera les feuilles lorsque retentira, à la fin des cours, la sonnerie ? Et qui se chargera de la correction ? Quant à la note, il est préférable de ne pas y penser… Et tu te désoles de ce regard de mauvais élève consciencieux…

 (6.19)

Plumitif

Ni écrivain, ni romancier, ni prosateur, ni poète, tout juste un écriveur de lignes…

(6.20)

Grand art cesbronien

Tu regardes ta vie comme un brouillon définitif et à jamais inachevé où belles phrases et ratures n’ont aucune importance, comme si, en fin de compte, vivre était le seul chef d’œuvre.

 (6.21)

Notes indignes

Une multitude de pensées, de sentiments, de sensations te traversent. Une multitude d’évènements (insignifiants pour la plupart) traversent ta vie. Tu les notes. Tu leur ouvres un espace sur la feuille blanche. Tu t'y emploies avec rigueur et acharnement. Comme si tout était digne d'être écrit.

(6.22)

Exposition dérisoire

Tu traverses l’existence (et parcours le monde) en collectionneur d'expériences. Tu collectionnes les expériences comme d’autres collectionnent les figurines en bois ou les étiquettes de boîtes à fromage. Tu éprouves une jubilation dans cet art de l'accumulation non tant par goût de l'amassement mais dans la distance qu'elle t’oblige à porter sur les évènements de ta vie. Comme tous collectionneurs, tu as cette propension exécrable à l'entassement, à la surenchère et à l'exposition trop ostentatoire… mais aussi celle plus noble de l'échange et du partage. Tu donnes à voir dans ces pages toutes tes expériences, petites, insignifiantes, triviales, ordinaires, quotidiennes… Tu exposes toutes ces petites choses qui font la vie, qui font ta vie (et la défont aussi parfois). L'entrée est gratuite et pourtant personne ne se pousse dans la foule. Pas de queue au guichet. Tu sais que l'ordinaire et la médiocrité n'ont jamais fait recette.

 (6.23)

Exercice vain

Tu écris tout. Happé par le souci de l’exhaustivité.

(6.24)

Handicap

Incapable de vivre, tu es (encore) rongé par ton besoin trop prégnant d'exister...

 (6.25)

Vacarme

Ton mental ne sait demeurer silencieux. Tu aimerais parfois trouver le bonheur des pauvres d’esprit.

 (6.26)

Enigme

Tu écris. Mais tu es bien en peine (encore une fois) de comprendre la nécessité qui te contraint à déverser les mots qui se bousculent sur tes pages.

(6.27)

Apparences contradictoires

Ta vie révèle tant de paradoxes apparents dont il convient de gommer l’évidence…

 (6.28)

Vertige

Les mots encombrent ton esprit. Et tu remplis ces pages pour te désencombrer. Et remplir ta vie. Simple rééquilibrage entre le trop-plein et le vide. Dans un mystérieux transvasement des sphères.

(6.29)

Double besoin

Tu remarques que les Hommes n’apprennent, n’agissent et n’évoluent que mûs par la nécessité… besoins multiples qui s’unissent en un double besoin fondamental : celui d’être reconnu et aimé et celui de faire taire (de réduire à néant) la peur archaïque (et fondamentale) de leur disparition…

 (6.30)

Transformation

Le plaisir d'écrire laisse presque toujours place au mécontentement, à la rage et à la violence qui s'étendent progressivement sur l'entière surface de la page.

(6.31)

Double violence

Tu ne peux réfréner ta violence. Le rejet (souvent inconscient) d'une partie de toi est sans doute à l'origine de ta violence, violence intérieure d'abord que tu exerces, souvent à ton insu, envers quelques parties de toi-même, et violence extérieure (simple reflet de ta violence intérieure) que tu exerces à l'encontre de quelques parties du monde.

(6.32)

Déchirure

Tes mots écorchent les feuilles. Et ton âme blessée les jette à la face du monde.

(6.33)

Boulet

Tu traînes sur le monde un boulet de haine et de mépris. Un boulet qui ralentit ta progression. Tu aimerais le décrocher, t'en délester, le jeter en contrebas. Tu aimerais l'abandonner. Mais tu sais ce geste inutile.

 (6.34)

Filtres

Tu ne t’agites devant ton clavier qu’à tes instants de fragilité. Lorsque la vie te sourit, belle et gracieuse, tu te satisfais de la vivre, de l’accueillir avec joie (toute la joie qu’il t’est possible de lui offrir). Lorsqu’elle devient – ou plutôt lorsqu’elle se révèle à toi filtrée par ton regard triste, morose ou colérique – tu ne peux l’accepter. Viennent aussitôt dans son sillon la colère qui gronde, l’ennui, la désespérance… et l’odieuse (et irrépressible) envie de lui tordre le cou avec les mots que tu jettes - avec rage - sur la feuille.

(6.35)

Equité

Certains jours, tu es rongé par une langueur d'âme. D'autres jours, par une exaspération. Et tu essayes d’accueillir ce salmigondis d'émotions avec la même équanimité.

 (6.36)

Désagrégation

Ta rage s’effrite au fil des mots jetés sur la page.

(6.37)

Guerre éreintante

Il y a en toi trop de combats. Et tu t’épuises à batailler toujours.

 (6.38)

Gratitude

Tes livres sont tes seuls véritables compagnons. Eux seuls savent te redonner quelques espoirs.

(6.39)

Froideur cinglante

Depuis tes plus jeunes années, tu arpentes les chemins du monde protégé par une carapace de froideur arrogante. Tu as toujours refusé de laisser le monde entrer dans ton cœur. Tu rêves secrètement depuis l'enfance que ses habitants se cogneraient contre cette paroi glacée et finiraient par glisser à tes pieds. Mais c'est toujours l'inverse qui se produit. Tous te fuient comme l'abominable, l'infréquentable homme des neiges. Et tu sais que tu mourras seul enseveli sous des tonnes de glace.

 (6.40)

Passages

Tu ouvres chaque livre comme une page sur le monde, une fenêtre sur la vie, une porte qui révèlerait tes propres paysages.

(6.41)

Mystère caché

Qu’y a-t-il au fond de toi qui refuse de se laisser voir ? Et si tu t’en approchais… ?

 (6.42)

Read-food

Tu te nourris des livres comme tu engloutis la nourriture des fast-foods. Tu t’empiffres jusqu’à l’écœurement. Et tu avales sans digérer.

(6.43)

Pulsions

En soirée. A proximité d’une enseigne de restauration rapide qui fait la joie des enfants et la gloire de l’uniformisation du monde. Tu regardes une jeune fille assise dans une voiture stationnée sur le parking. Tu l’observes avec insistance. Tu la vois ouvrir le sachet de son hamburger. Approcher son nez, sentir, renifler, s’arrêter, relever la tête, s’approcher de nouveau et renifler encore, hocher la tête comme en proie à une intense réflexion avant d’engloutir, d’une gigantesque bouchée, son met peu raffiné. Et tu éclates de rire. Un rire grinçant en songeant à la grande majorité des hommes qui nie leur animalité !

 (6.44)

Appétit accumulatif

Tu lis beaucoup. Tu cherches des réponses. Mais la médiocrité des livres t’afflige et te laisse sur ta faim. Tu désespères de ne rien trouver. Et ce jeûne t’est insupportable.

(6.45)

Boue 

Il est de ces jours longs et plats qui te confinent à l’ennui et à la colère. Ils t’irritent à un point tel que tu t’y enlises. Embourbé dans les chimères que tu t’évertues à combattre.

 (6.46)

Lanark

Lanark d’Alasdair Gray. Style particulier et atmosphère inspirante. Depuis longtemps l’envie te taraudait. Depuis longtemps, tu n’avais plus ouvert un roman.

(6.47)

Rencontres solitaires

Fin de soirée télévisuelle. Tu regardes une émission populaire dont la règle est de permettre à une personne de vivre la vie d’un autre. Cette stupide rencontre (de boîte à images) attendrit ton cœur et te redonne (presque) l’envie de rejoindre la tourmente du monde. Comme si les rencontres te manquaient. Tu es pourtant l’unique responsable de cette mise en retrait des hommes.

 (6.48)

Inintérêt

Tu ne trouves aucun intérêt à noter ces phrases. Tu penses à une foison d’activités plus intéressantes auxquelles tu es incapable de te livrer. 

(6.49)

Contraintes

Aujourd’hui, tu ressembles à un voyageur fatigué. Tu entreprends les choses avec paresse. Tu ne sais comment te secouer. Tu invectives ton manque de discipline. Tu en appelles à l’autodiscipline. Tu lui cries de ne pas t’abandonner. Tu la supplies de te contraindre. Tu te redresses. Tu sens la paresse se dissoudre et le courage revenir. Tu lui lances un vibrant appel. Tu lui cries que tu l’attends. Que tu soutiendras son effort. Que tu appuieras sa marche vers toi. Tu lui cries de ne pas flancher. Tu l’encourages.

 (6.50)

Misère

Les pauvres mots qui sortent de ta pauvre tête t’affligent.

(6.51)

Doute

Au fond, à quoi bon écrire…

 (6.52)

Ouverture

Tu ne peux dire cette rage au cœur qu'avec des mots. Tu ne peux dire ton infinie solitude qu'avec des mots. Tu ne peux dire ta désespérance qu'avec des mots. Les mots te sauvent et t’ouvrent la voie. Les mots sont une porte qui t’ouvre à la vie.

(6.53)

Charge apathique 

Tu as parfois comme une incompréhension à être (encore) en vie. Tu éprouves un émerveillement et une grande lassitude. Tu te sens vide et sans force comme si la vie s’était retirée.

 (6.54)

Pudeur

Tu écris pour raconter ce que jamais tu n’oserais exprimer à haute voix.

(6.55)

Impossible indulgence

Tu éprouves un mépris irraisonné (et indomptable) lorsque tu croises des êtres qui te semblent indignes d'intérêt. Mon Dieu ! Comme tu es méprisable de ne trouver en eux aucun attrait, aucun signe, aucune source qui pourrait faire naître à leur égard un peu de bienveillance.

 (6.56)

Répit

Les mots glissent parfois sur la page blanche avec bonheur et facilité. Tu frappes les touches avec joie. Tu apprécies cet exercice salvateur. Médiocre mais salvateur.

(6.57)

Paresse puérile

Installé devant ta machine à écrire. Face à la fenêtre ouverte, tu écoutes les enfants jouer dans la rue. Tu éprouves une joie innocente à entendre leurs cris. Tu sais que jamais tu ne pourras retrouver ce divertissement imaginatif et ludique dont l'enfance seule sait (si bien) se nourrir. Nourrir n'est pas le mot juste mais tu ne te sens guère enclin à en trouver un plus approprié. Tu n’en as ni le courage, ni le goût en ce jour de paresse où tu te contrains à glisser.

(6.58)

Coït furtif

D’où viennent tes mots ? D’où vient ton besoin d’écrire ? Eternelle question. Les phrases se déversent par giclées dégoulinantes. Elles te traversent avec force comme une poussée de sève printanière. Et tu dois, par hygiène (mentale bien sûr), en déverser le trop plein sur l’innocente virginité de la page blanche. Tu en éclabousses chaque parcelle comme d’autres se videraient d’un surplus de semence sur une petite culotte immaculée. L’écriture, plus qu’un accouchement, est pour toi un coït furtif et violent. Ni préliminaire, ni caresses, tu t’enfonces dans les mots avec toute la dureté d’un membre dressé. Aucun sentiment. Aucune tendresse. Droit à l’essentiel. Tu éjacules les mots. Tu soulages ton esprit de ses obsessions terrifiantes. Tu es un farouche adepte de l’écriture salvatrice et hygiénique, de l’écriture libératrice. De l’onanisme scriptural.

(6.59)

Sotte ignorance

Tu sais (par ouïe dire) qu’il est de bon goût dans certains salons (pour afficher sans doute son bel esprit) de s'extasier du travail et de la vie des artistes… écrivains, peintres, sculpteurs. Quelles sottes gens ! Ignares consommateurs culturels ! S'ils savaient ! S'ils avaient la moindre idée du travail artistique… leur admiration se transformerait aussitôt en pitié… malgré le talent de quelques-uns et le génie de quelques autres. Ecrire, peindre, sculpter… créer plutôt que vivre ! Quelle souffrance ! Que de combats acharnés ! Il n’y a, à tes yeux, plus d’invalidante infirmité ! Et que tous ceux qui souffrent d'autres handicaps te pardonnent…

 (6.60)

Fidèle compagne

La page blanche restera à jamais ta seule véritable amie. Fidèle et peu soucieuse de tes oublis, de tes manquements et de tes infidélités. Merveilleuse et dévouée page blanche que tu abandonnes à son sort inutile pendant de longs mois. Et te voilà de nouveau à la recouvrir de ton pitoyable apitoiement. Des maigres évènements de ton misérable voyage.

(6.61)

Oblitération

Tu constates (avec tristesse) qu’en cette ère d’omnipotence (et d’invasion) publicitaire, la  communication est devenue une odieuse opération de séduction qui offre une vision réductrice, partielle et partiale du réel où l'on occulte délibérément l'anodin, l'ordinaire, le disgracieux, l'indigne, l'innommable, l'inmontrable, toutes ces choses qui représentent pourtant la moitié du monde, la moitié de l’humanité, la moitié du réel.

 (6.62)

Compagnonnage

Lecture de L'usage du monde de Nicolas Bouvier. Tu as toujours été fasciné par les écrivains marcheurs et les arpenteurs de chemins qui aspirent à des vérités plus grandes - plus hautes, plus profondes et plus larges - (ceux qui aspirent à des vérités transcendantes). Tu les as toujours considérés comme des amis secrets, des compagnons de route silencieux qui encouragent la poursuite de ton chemin.

(6.63)

Alter ego

Tu notes (avec dépit) ton besoin (irrésistible) de trouver quelques compagnons de route. Cette irrépressible nécessité de trouver d'autres toi-mêmes… si semblables… (et pourtant si différents), si proches… (et pourtant si lointains). Cet insatiable besoin de rencontres… comme pour alléger (un instant) ton insupportable solitude… encourager tes pas… et poursuivre ta marche.

 (6.64)

Traçabilité

Qu'il est difficile de tracer son chemin. Et peut-être plus difficile encore d'en retracer les pas…

(6.65)

Noctambules

Tard dans la nuit. Une émission avec Bobin, Sœur Emmanuelle et quelques autres : Orsenna, Yves Simon et le couple Delerm. Thème : écriture et spiritualité. Tu savoures ton bonheur. Tu te sustentes de cette bulle d'air pur dans l'air vicié de l'apparence. Dans le monde télévisuel habituel. Factice et mensonger.

 (6.66)

Dévoilement

Tu sais qu’écrire est le signe d’une insuffisance. Tu écris pour ôter les voiles obscurs qui recouvrent ton regard sur la vie.

(6.67)

Edifice

Tu notes un propos de Martine Delerm (la compagne de Philippe Delerm). Leur dernier livre (écrit en commun, elle chargée des illustrations, lui des textes) devait avoir à l'origine pour titre : les petites sagesses. Mais avec l'âge, dit-elle, ce qui semble si évident, ce qu'il faut penser et vivre, la vie même vient le contredire. Comme si la vie venait dévoiler notre supercherie et nous révéler d'autres vérités. En définitive, toutes les petites leçons tirées au fil du chemin, au gré des évènements et des expériences, sont bien fragiles… transitoires (oui, c'est exact !) et pourtant absolument essentielles à cette fondamentale construction de nous-mêmes et à la nécessaire poursuite du voyage.

 (6.68)

Leçon

Tu n’écris que pour apprendre à mieux vivre.

(6.69)

 Desseins

Tu aimerais tant élargir ton indéfectible étroitesse humaine.

 (6.70)

Unique lecteur

Tu n’écris (et ne lis) jamais que pour toi.

(6.71)

 Attachements

Tu as conscience que tu es attaché à ta personne d'une incroyable manière. Pitoyable et pourtant incontournable manière. Comme si pour évoluer dans ton existence, il te fallait progresser dans le récit de ce carnet. Tu y vois - une fois de plus - la preuve irréfutable de ton double attachement au faire et à l'être de surface.

 (6.72)

Observateur privilégié

Au fond, tu n'écris que pour t'assurer du réel de ta vie et devenir le témoin de ton existence.

(6.73)

Affaire personnelle

Encore (et toujours) des pensées qui n’intéressent que toi. Fragments d’un radoteur névrosé et narcissique.

 (6.74)

Noir sur blanc

Tu regardes avec tristesse la noirceur des mots sur la blancheur éclatante des pages. Et tu es inconsolable.

(6.75)

Tristesse

Aujourd’hui, mauvaise journée. Un jour sans joie. Comme une âme sans cœur. Comme une bouche sans rire.

 (6.76)

Vanité suffisante

Tu relis avec emphase tes paragraphes pompeux et ampoulés enveloppés de périphrases pédantes.

(6.77)

 Enlisement

Tu te sens lourd. Ecrasé par le vide que tu portes en toi. Tu ne connais de fardeau plus pesant. Il pèse sur ton âme entière qui s'enfonce plus bas que terre.

 (6.78)

Nécessités

Eternelles questions. Pour quoi ce besoin d’écrire ? Et cette immense difficulté à dire… ?

(6.79)

Pathologique

Tu ne cesses de t’interroger (en vain) sur ton besoin maladif d’écrire.

 (6.80)

Névrose

Tu remplies la page blanche comme le vide de ton existence. Tu es soumis au besoin compulsif d’exister. Tu te livres, corps et âme, au triste sort des névrosés. Victime de tes obsessions idéatives. Et de tes (évidentes) prédispositions psychasthéniques.

(6.81)

Absolu-ment

Tu es un cérébral existentiel obsessionnel. Tu t’égares dans de vulgaires et essentielles interrogations métaphysiques. Tu tentes de parcourir l’Absolu en boucle. Et tu t’épuises dans cette recherche - relativement - éreintante.

 (6.82)

Culpabilité

Tu relis le paragraphe que tu as écrit sur la haine des autres. Et tu es profondément bouleversé. Tu te savais haineux mais tu ignorais à quel point. Et tu éprouves une intense culpabilité à l'être si profondément, si intensément, si radicalement.

(6.83)

Harcèlement

Tant de choses t'exaspèrent…

 (6.84)

Insuffisances

Tu blâmes ta pauvreté langagière pour exprimer tes idées, tes sentiments, tes joies et tes peines. Tu fustiges les mots dont le sens pervertit tes perceptions (et que la lecture achève de déformer). Tu fustiges ta palette expressive insuffisante à traduire ce qui te traverse.

(6.85)

Insignifiances

Tu attaches un soin particulier à exprimer tes pensées et à noter tes sentiments. Mais au fond quelle importance ! Le monde s’en indiffère.

 (6.86)

Ennui

Tu écris paresseusement. Depuis des mois, tu te consacres sans enthousiasme à ce journal. Tu en perçois l’insignifiance, la médiocrité et l’inutilité. Mais tu es bien en peine de t’investir dans une autre activité. Tu refuses de bailler aux corneilles, de t’agiter dans quelques stupides tâches ménagères. Alors tu écris un peu par dépit, un peu par lâcheté et beaucoup par ennui… entrecoupé parfois par un vague sentiment de joie.

(6.87)

 Désolation

Aujourd’hui, tu désespères d’en être réduit à la désespérance. Tout être et tout faire t’ont abandonné. Et tu ne sais que faire de cet état qui t’insupporte. Tu te résignes à le laisser suivre son médiocre cours. 

 (6.88)

Abandon

Tu renonces à poursuivre les développements de ton récit. Tu éprouves trop d’agacement. Son aspect purement descriptif, le manque de plaisir d’écrire sans compter la fadeur et la maladresse de tes formulations t’y font renoncer. Tu espères les reprendre plus tard avec plus de bonheur, de spontanéité et de naturel. Tu ne peux t’empêcher de croire qu’il y a encore quelque chose de prématuré dans ce vain exercice de description et de tentative d’analyse.

(6.89)

Saut

Tu acceptes ton dénuement. Ta vulnérabilité. Ton insignifiance. Tu t’acceptes tel que tu es. Et tu n’es rien. Tu prends conscience de ta vraie nature. Et du défi à relever. Aucune autre attitude ne peut t’aider sur ton chemin. Tu refuses l'agitation, l'effervescence et le faire tous azimuts. Tu refuses les frétillements, fumeux prétextes à fuir le vide qui t’appelle et qui a tant de choses à te révéler. Tu es prêt pour cet exercice de haute voltige. Tu t’y prépares. Longuement. Et tu t’impatientes d’y faire tes premiers pas. D'accomplir le grand saut sans filet. Sans le dérisoire filet du faire.

 (6.90)

Leçons d’altruisme

Aparté avec J.C Carrière, invité d’une émission radiophonique. Eclectique curieux, ouvert et généreux. Ces qualificatifs sont bien pauvres à le caractériser. Conteur et passeur d’histoires. Voilà peut-être qui lui siérait davantage… Scénariste et auteur qui a réussi à amputer le « je » à ses récits au profit d’un « vous » plus généreux et moins égotique. Cette préférence pour le « vous » ouvre chez toi une lucarne où tu entrevois une autre fonction à celui qui transmet (car à tes yeux, celui qui exprime et donne à réfléchir en est souvent réduit à partager ses propres expériences, intuitions et interprétations… Voilà sans doute une vision très bornée et étriquée de celui qui transmet ! Mais tu es un être étroit et borné par ton indéfectible égotisme. Tu demeures - il est vrai - un indécrottable égocentrique narcissique ! D’aucuns sont plus naturellement humbles et soucieux de faire partager les expériences d’Autrui… Voilà pour toi une belle leçon d’humilité et d’élargissement. Tu te promets à l’avenir d’y réfléchir et d’ouvrir l’éventail de tes horizons.

(6.91)

Encouragements

Tu écoutes Orsenna parler de son dernier bouquin (un livre de grammaire sous forme de conte) ; les difficultés "à rester dans le ton… à trouver la note juste" (ce sont ses termes) et les multiples versions jetées à la corbeille. Ses commentaires t'incitent au courage et à la persévérance.

 (6.92)

Espérance

Tu achèves ta lecture. Tu poses ton livre. Tu secoues ta torpeur et tu rejoins la joie de vivre que tu espères.

(6.93)

Nuages

Tu contemples (un instant) les nuages dessinés au crayon dans le ciel qui dansent au-dessus des toits. Et tu vois, au loin, le soleil envelopper son sourire d’une longue cape grise…

 (6.94)

Notes colorées

Tu continues d’écrire quelques phrases grises sur le papier blanc dans l’espoir (sans doute) de leur donner une autre couleur.

(6.95)

Substitut

Tu sais que chacun (quoi qu’il fasse) est en train d’être. Mais tu devines que peu d’Hommes en ont conscience. Tu les vois partout s’agiter en vain, accomplir une foule de choses, se jeter dans de multiples activités car à défaut d'avoir conscience d'être, tous désirent ardemment se sentir exister. Et malheureusement, tu n’échappes nullement à la règle.

 (6.96)

Tâches d’encre

Le flux (créatif) jubilatoire qui t’anime s’étiole au fil des mots. Et n’en restera bientôt que quelques taches sur la page.

(6.97)

Combat interne

Tu es parfois pris entre la frénésie de la quête et un fort sentiment d'inutilité. Tu es le territoire de luttes intestines. Et tu ne sais que faire. Tu essayes d’accueillir cette apparente ambivalence. Tu t’évertues, dans une vaine et sempiternelle tentative, à lâcher prise.

 (6.98)

Obscurs Passages

Tes mots sont un égarement qui te perd et t’éclaire.

(6.99)

Encombrement

Tu n’accordes aucune place véritable à ceux qui vivent avec toi (tes proches). Tu refuses (totalement) d’accueillir ceux qui vivent à tes côtés (tes voisins et tes amis). Et tu fermes ta porte (catégoriquement) à ceux que tu croises (tes connaissances, les passants et les inconnus).

 (6.100)

Joie morose

Il t’arrive de regarder avec tristesse ta misérable jubilation à jeter les mots sur la page.

(6.101)

 Aveuglement

Tu ne donnes jamais au monde le sentiment qu’il est nécessaire. Tu ignores que sans lui, tu ne serais pas.

(6.102)

Avis

Tu trouves tes phrases abruptes, péremptoires, intransigeantes, arrogantes, misanthropes. Tu leur donnes le qualificatif qu’elles méritent. Et tu t’en moques. Tu poursuis ton chemin. Ton petit sentier de mots.

(6.103)

Tragi-comédie

Propriétaire est, à tes yeux, le mot le plus incongru, le plus comique et le plus pathétique que tu connaisses (acquérir artificiellement une infime parcelle du monde et un minuscule fragment de la vie pour avoir l’illusion d’en jouir davantage…) Mais il représente aussi le mot le plus morbide et le plus criminel qui soit, le mot guerrogène par excellence (l’extension de soi par l’objet et la chose…, sorte d’expansion égocentrique par réification du monde…).

 (6.104)

Variations non-capitales sur la chose

Tu regardes autour de toi. Et tu vois un monde de propriétaires. Tu notes que cette volonté d'appropriation est à l'origine de tous les conflits et de toutes les guerres… Partout, au nom de cette odieuse (artificielle et illusoire) idée de propriété, les animaux, les hommes et les nations se battent et s'entretuent. Tu sais que tout propriétaire usurpe une chose qui ne lui appartient pas… (mais qu'importe puisque l'usurpateur est le premier dupé!). Le propriétaire jouit d'un bien, d'un espace ou d'un être parce qu'il croit les posséder. Mais il ignore que chacun peut jouir de toutes choses sans les posséder le moins du monde.

 (6.105)

Style

Le style – dit-on – est affaire de vision du monde. Comment qualifier ton regard sur le monde ? Lourd, abrupt, violent, réprobateur, cynique, intransigeant. Tu ne peux prétendre au moindre style avec un tel regard sur le monde. Tu n’es qu’un pauvre prosateur. Un plumitif rageur.

(6.106)

Lassitude

Nombriliste, autocentré, égotique, égoïste, névrotique. Tu blâmes ces caractéristiques qui te désespèrent.

(6.107)

Affliction

Tu pleures sur tous les livres du monde. Mais tes pages sont bien en peine de te consoler.

(6.108)

Obscur tissu

Ta tristesse est un voile gris sur les couleurs de la vie, une lourde étoffe qui assombrit le monde.

 (6.109)

Paysages désolants

Tu ne peux ignorer qu’il y a souvent une grande détresse à tout vouloir montrer et un grand désespoir impudique à le faire.

(6.110)

Désenchantement

Tu te donnes (sans conteste) en partage à des esprits indifférents et à des cœurs étroits et insensibles. Simples reflets (sans doute) de toi-même.

 (6.111)

Face cachée

Tu exposes (dans tes pages) le laid, l’indigne et le raté. Tu dévoiles l'immontrable. Tu fais œuvre (malgré toi) de salubrité publique.

(6.112)

Derrière le voile

Les façades et les vitrines t’indiffèrent. Tu n’aimes que les sous-sols, les caves et les arrière-cours. Tu ne trouves grâce qu’à l'envers des décors.

 (6.113)

Aveu

Tes phrases débordent, coulent sans répit, se répandent et finissent leur course dans ces combinaisons de signes alphabétiques, que tu lis sur ces pages, lecteur… toi qui comprends (peut-être) la folie, la sagesse, l’impudeur, la colère, l’amour, la haine, les joies, les peines, le désespoir et l’espérance de l’auteur avec lequel tu partages le fond universel.

(6.114)

Persona

Tu as toujours observé (narquois et méprisant) l’assemblée des Hommes : des ombres fantomatiques sur la (grande) scène du petit théâtre du monde.

 (6.115)

Longue liste

Tes ouvrages ne feront jamais que quelques livres de plus. Pour ton plus grand malheur.

(6.116)

Enigmatique jonction

Tu devines que tous ceux qui ont réalisé leurs rêves, qui sont parvenus à satisfaire leurs aspirations et leurs désirs profonds, qui ont atteint leurs objectifs et leurs buts, y sont, en dépit de leur volonté, de leurs efforts, de leur détermination, de leur travail, de leur acharnement, presque totalement étrangers. Cette obtention est, à tes yeux, le fruit d'une conjonction mystérieuse. Comme si la vie leur avait octroyé par différents canaux - l'époque, la mode, l'air du temps… - les conditions propices pour satisfaire leurs aspirations.

 (6.117)

Pages à l’enclume

Ta langue est si plate que tes mots, à force de coups, sortent petits et cabossés… à peine lisibles, visibles, perceptibles, audibles. Ils sortent amoindris et anéantis. Sans relief sur la page.

(6.118)

Chemin conditionné

Tes aspirations ne sont peut-être que la voie que la vie t’a tracée. Et le monde dans lequel tu évolues et les évènements qui te sont donnés à vivre les conditions de sa réalisation.

(6.119)

Pathologie létale

L'électrocardiogramme plat des morts. A juger la platitude de tes phrases, tu es sans conteste un auteur mort-né… Et tu regardes avec tristesse (une infinie tristesse) la lente courbe déclinante des lettres mortes qui jonchent tes pages...

(6.120)

Miroir

Tu devines que tout reproche est illégitime mais sans doute jamais sans fondement.

 (6.121)

Craintif élan

Tu perçois l’écriture comme une façon d'aller vers le monde. Une façon timide et timorée. Tu aimerais sortir de ta tanière de papier. Apprendre à être au monde plus courageusement.

(6.122)

Antidote

Pour sortir de ta torpeur quotidienne, tu songes (parfois) au jour où la mort viendra te chercher. 

 (6.123)

Coquille

En dépit de tes aspirations (velléitaires), tu continues à passer tes journées, le cœur tapi sous tes feuilles de papier. L’esprit recroquevillé sur ta table de travail. Et tu attends que la vie passe et aille frapper à une autre porte.

(6.124)

 

 

Partie 2

Activité

Dire le monde. Et donner à lire ce qu’il te renvoie, est-ce là un métier ?

(6.125)

Faux paradoxes

Le cheminement dans la vie et la voie ne sont qu'en apparentes contradictions… contradictions que le bon sens ordinaire ne peut appréhender…

 (6.126)

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Traversée singulière.

Traversée singulière de l’homme qui poursuit son modeste sentier d’écriture malgré son renoncement à la publication.

 

DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversée singulière.

Traversée singulière de l’homme qui se rapproche du monde et découvre quelques éclaircies prometteuses dans l’obscur habituel de son âme.

 

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Traversée singulière

(à gauche)

DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversée singulière

(à droite)

 

L’une et l’autre se complètent, se répondent et s’opposent parfois…

 

Singerie

Tu reprends ta vieille machine à écrire. Tu l'avais remisée au fond d'un tiroir. Et il te plaît de la ressortir. Sentir ses touches sous tes doigts. Tu t’accroches à cette image de l'écrivain comme un singe habile à ses branches. Tu t’y agrippes pour ne pas tomber.

(6.127)

Déception

Tu voulais débuter ces pages par une note d'espoir. Noter ta maigre progression sur le chemin. Mais tu es encore trop meurtri par les rafales d'une brise légère que tu as pris pour un ouragan déchaîné. Tu attends que l'orage s’éloigne.

(6.128)

Gouffre

Tu notes que tu uses jusqu’à la corde ces sempiternelles (et misérables) métaphores de la chute et du déluge.

(6.129)

Combats pacifiés

Tu as conscience que la paix ne se conquiert jamais définitivement. Qu’elle s'acquiert progressivement, au cours d’une longue série de luttes acharnées contre soi et le monde.

 (6.130)

Paysages

Après ta lecture de l’usage du monde de N. Bouvier, tu éprouves (une nouvelle fois) le besoin de faire de ta vie un voyage, de dessiner les paysages avec le regard distancié du voyageur, d’esquisser les méandres rencontrés en chemin ; sentiments, impressions, humeurs, vies traversées, Vie parcourue...

(6.131)

Présent

La vie t’offre l'occasion de découvrir peu à peu le sens de la marche. Simple question de mûrissement.

 (6.132)

Bousculades

Les idées (comme autrefois) se bousculent sur la page. Tu aurais aimé écrire sur ta lente progression vers l'intériorité. Depuis quelques temps, l'idée te taraudait. Mais tu n’en trouves ni le temps, ni le courage ni l'envie. Et tu ne t'y engageras pas davantage aujourd’hui. Tu te contentes de noter à la hâte quelques idées pour répondre au sentiment d'urgence qui t'habite et satisfaire celui – plus sage (et plus inaccessible encore) – d'apprendre avec elles le détachement nécessaire.

(6.133)

Préparation

Cette vie est, à tes yeux, une convalescence et un apprentissage. Convalescence (nécessaire) pour guérir de cette souffrance de vivre, du mal-être permanent, de cette douleur (et de cette gêne) induite par la présence des Autres - ces autres qui t’insupportent, te blessent ou t’effraient. Pour apprendre à mieux vivre en ta compagnie et en compagnie du monde. Et l’apprentissage laborieux – presque fastidieux – de l’écriture comme un étroit chemin de délivrance. Mais ton espoir d’atteindre des horizons moins obscurs en cette vie te semble bien mince. Malgré quelques pas sur le chemin (de pitoyables avancées en vérité), tu crains que ces horizons demeurent, aussi obscurs qu’à tes débuts - un peu moins peut-être - mais insuffisants à trouver la lumière. Aussi ta seule ambition est-elle de préparer l’existence suivante. Transformer le fumier en compost, faire grandir en toi quelques pans mystérieux (de ton âme, de ton esprit ou de ta conscience, tu ne saurais dire) que la mort ne pourra t’arracher. Ces attentes te semblent, elles aussi, vaines et dangereuses. En effet, pourquoi attendre ? Pourquoi espérer ? Alors qu’il conviendrait d’être en cet instant. Mais ces attentes sont tiennes. Et tu tentes de les satisfaire, avec toute la douceur dont tu es capable. Et Dieu sait que ton incapacité est grande. Elle te ralentit sans cesse - presque chaque jour - mais tu as conscience qu’il t’appartient de cheminer en sa compagnie.

 (6.134)

Virulence

Tu jettes (toujours) tes phrases avec violence. Tu les jettes (toujours) avec hargne. Avec haine. Tu sens (encore) la colère gronder à travers chaque mot. Tu regardes ta colère (elle prête à sourire). Mais tu es incapable de la recevoir avec douceur, avec compréhension, bienveillance et patience. En ces instants de violence, ces mots restent lettres mortes.

(6.135)

Colère

Ta colère éclate. Tu te lèves pour regarder par la fenêtre. Et tu observes le ciel. Toujours aussi vaste. Et tu observes la terre. Toujours aussi belle. Et tu observes la course du vent emporter ta colère vers des contrées moins ombrageuses. Ton ressentiment devient (progressivement) nuage. Amas vaporeux qui s’évanouit et se dissout dans l’infinité du ciel.

 (6.136)

Impulsion

Tu songes à un livre de Kerouac. Un livre magistral, lourd de sens, de pages et de mots, abondamment illustré de dessins et de photos, accumulant des pensées en tous genres. Il t'en reste un souvenir vivace et éclatant - presque envieux - qui vient conforter (et nourrir sans doute) ton besoin frénétique d'écrire TON livre magistral

(6.137)

Compagnon de route

"TON" t’apparaît (aujourd’hui) comme un pauvre, dérisoire et pathétique article possessif. Tu as beau le mépriser et vouloir t’en délester où que tu ailles, tu le traînes derrière toi comme un boulet. Mais tu as le sentiment qu’il demeure (en dépit des apparences) ton plus efficace atout à poursuivre la marche.

 (6.138)

Dettes

Au fil des livres, tes dettes s'accumulent. Jamais il ne te sera donné de les rembourser. Tu aimerais rendre grâce ici à tes créanciers. Leur crier ta gratitude infinie. A Paul (Paul Auster), tu lui dois d'être parti. Tu lui dois tes premiers voyages. Tu lui dois tes explorations dans les contrées lointaines du monde et l'inaccessible pays de l'écriture. A Hermann (Hermann Hesse), tu lui dois tes premiers émois de chercheur existentiel. Tu lui dois d'avoir découvert le chemin. A Maxime (Maxime Gorki), tu lui dois l'écriture du voyage. Tu lui dois tes carnets de routes. Tu lui dois tes interminables pérégrinations dans les douloureuses contrées du Monde et de l'écriture. A Howard (Howard Butten), tu lui dois le rire dérisoire et salvateur dans cette averse de pleurs et de cœurs émiettés. Tu lui dois l'innocence dans cet océan d'amertume. A Fernando (Fernando Pessoa), tu lui dois tes égarements. Tu lui dois tes fuites dans l'imaginaire et la folie. Tu lui dois d'avoir franchi les portes du non-retour. A Emile (Emile Cioran), tu lui dois la reconnaissance et le partage de votre misère humaine. Tu lui dois la poursuite désespérée de toi-même. A Christian (Christian Bobin), tu lui dois une grande part de lumière. Tu lui dois les éclaircies du cœur dans l'obscur de l'âme. Tu lui dois beaucoup. De t'avoir sauvé peut-être de l'abjection de toi-même et de l'absurdité du Monde.

(6.139)

Plénitude

Aujourd’hui, tu éprouves une joie immense. Une lumière inespérée -  une de celles trop rares qui t’est offerte dans le gris habituel de ta vie. La joie d’écrire. Ecrire ces quelques mots. Regarder par la fenêtre. Sentir le doux soleil d’hiver sur ton visage. Lire quelques phrases d’André Dhôtel, quelques lignes d’Antoine Bloom, un mot de St Thomas et laisser la douceur envahir ton cœur. 

 (6.140)

Hommage

Les auteurs qui t’accompagnent t’ouvrent à la lumière du monde. Ils te réconcilient à la vie et à la douleur de vivre. En refermant leurs livres, tu retrouves ton existence le cœur attendri.

(6.141)

Maladresse

Tu sais qu’il n’y a pas d’instant insignifiant. Mais des regards maladroits sur les évènements ordinaires.

(6.142)

Propre touche

Tu décides de renoncer à imiter les écrivains que tu vénères. D’échapper à cette affligeante erreur de jeunesse. Pour apprendre à creuser ton propre sillon. A « faire du toi-même ». Exercice éreintant, et moins clinquant sûrement, mais plus honnête et en définitive salvateur… la seule véritable issue qui soit…

(6.143)

Double mission

Tu comprends que la vie t’assigne une double tâche. Trouver une place en ce monde qui te permette d'être toi-même.

 (6.144)

Commandement

Tu sais qu’il ne faut en rien t’obliger. Simplement laisser mûrir. Et apprendre, sans hâte, l’effort de la patience. 

 (6.145)

Amère comparaison

Jamais ton écriture n'aura la tendresse bienveillante de tes mentors. Jamais tes mots n'auront leur douceur rassurante et enveloppante. Tes mots sont violence. A chaque mot martelé avec force, elle s’imprime sur la page blanche lacérée.

(6.146)

Âpre tâche

Tu apprends à tout accueillir. Tu apprends à ne rien rejeter. Ni ton incapacité à accueillir ni ta volonté farouche de tout rejeter.

 (6.147)

Efforts soutenus

Tu sais que l’accueil (des évènements) nécessite un long, lent et fastidieux effort de désappropriation non de toi-même mais de vieux, profonds et inenracinnables mécanismes auxquels tu t’identifies.

 (6.148)

Ecœurement

Tu accumules, notes, textes, fragments, expériences. Et tu éprouves parfois le besoin de te désencombrer.  

(6.149)

Obstruction

Tu devines aisément que tout savoir est un encombrement. Un encombrement (sans doute) nécessaire à une meilleure compréhension du réel mais qui obscurcit, dans le même temps, davantage le vrai visage de la vie.

(6.150)

Vérité ignorée

Savoir a toujours été, à tes yeux, la marque des gens cultivés. Et connaître celle des gens intelligents (non au sens logique ou rationnel du terme mais au sens vrai).

(6.151)

Obstruction (bis)

Tout savoir est, à tes yeux, un encombrement qui empêche de porter sur la vie un regard frais et spontané, de porter sur le monde un regard juste, de porter sur les autres un regard désencombré de toi-même. Tout savoir est pour toi un encombrement qui empêche de vivre la réalité de la vie telle qu'elle est. Un encombrement (enfin) qui empêche d'adopter une parole ou une action toujours en phase avec le mouvement naturel de la vie.

 (6.152)

Lent processus

Tu notes (avec tristesse) qu'il faut un long (un très long) apprentissage pour comprendre l'impérieuse nécessité de désapprendre.

 (6.153)

Insuffisance satisfaisante

Tu admets (enfin) que toute connaissance est insuffisante… mais jamais vaine puisque qu’elle vient s’ajouter et s’imbriquer aux précédentes, favorisant ainsi quelques avancées encore invisibles au mûrissement de la conscience.

 (6.154)

Pas à pas

Tu sais (en définitive) que, de vérités transitoires en vérités transitoires, tu progresses (lentement) vers le vrai visage de la vie.

 (6.155)

Support passager

Tu conserves les livres le temps d’y puiser la force et le courage de poursuivre ton chemin.

(6.156)

 Perception inconsciente

Tu remarques que la grande majorité des Hommes utilisent la connaissance comme bouclier contre les dangers présupposés du monde et de l’avenir. Ils aspirent à la connaissance pour s’adapter, pour continuer à exister… comme s’ils obéissaient à un désir de vie en eux… un besoin inconscient de perpétuation d’eux-mêmes et de ce qui les habite…

 (6.157)

Malentendus

Tu tentes vainement de tout dire. Tout dire. Et si peu à dire… Et dire que personne n'entend…

(6.158)

Lucarne fraternelle

Tu imagines que le monde serait plus fraternel (et plus vivable) et la solitude plus tolérable (et sans doute plus clairement et rapidement salvatrice) si chaque être rencontré pouvait voir dans les yeux des autres une fenêtre ouverte sur lui-même.

 (6.159)

Vocifération

Tes livres sont un hurlement désespéré dans le désert du monde. Tu t’interroges sur l’indifférence et l’incompréhension de tes contemporains à l’égard de ton œuvre (mais en est-ce vraiment une ?) Tu entends ce cri avec effroi. Et tu blâmes (aussitôt) d’abriter ce besoin de reconnaissance.

(6.160)

Typologie du don

Tu songes à 3 catégories d’êtres parmi les hommes, ceux qui prennent (se servent) sans donner, ceux qui donnent en espérant (consciemment ou non) recevoir et ceux (très rares) qui donnent sans attendre.

 (6.161)

Triste donateur

Tu n’es pas encore de ceux qui trouvent la vraie joie dans le don. 

 (6.162)

Renoncement

Un jour, tu décides de renoncer à publier ta pauvre littérature. Le choix s’impose à toi. Toi qui cherchais la lumière, tu demeuras sans doute à jamais obscur aux yeux du monde. Tu emprunteras l’autre chemin.

(6.163)

Vagues envies

Tu renonces à écrire pour rejoindre le monde. Pour aider les hommes. Et partager ta pauvre et insignifiante expérience. Tu t’imagines aide-soignant, infirmier, médecin. Pourquoi ? Tu as toujours détesté les médecins. Le rôle qu’ils s’attribuent. Tu aimerais être au plus près de la souffrance. Tu songes à aide-soignant, à infirmier. Tu trouves le courage d’y penser. Mais tu es pétrifié de peur. Tu crains que cette place ne te convienne pas. Aucun rôle, aucune fonction ne t'ont jamais satisfait.

(6.164)

 Naufrage

Tu relis le récit qui a précipité ton renoncement à l'écriture. Tu le parcours d'un œil rapide en quête d'une qualité. Tu y trouves quelques phrases satisfaisantes. Quelques rares îlots dans un océan de médiocrité. Tu n’y trouves qu’une piètre consolation. Insuffisante à te sauver de ton naufrage (du naufrage de l’écriture).

(6.165)

Disgrâce

Ton renoncement à l’écriture précipite ta chute. Tu dois tomber le masque. Abandonner ton statut d’écrivant (de misérable écriveur de lignes). Perdre l’illusion de ta différence (de ta supériorité) pour rejoindre la masse laborieuse. Retrouver la foule qui doit se résigner à sa commune ordinarité.

 (6.166)

Exigences contingentes

Aujourd’hui, tu aspires à trouver une activité encline à satisfaire tes exigences. Tu es audacieux. Tu crois que le monde ouvrira les portes à tes chimères. Tu te rends à l'agence pour l'emploi. Cette recherche t'enrage et t’écœure. Tu dois rentrer dans le rang. Quitter ton piédestal pour aller gagner ton pain. Comme les autres à la sueur de ton front qui dégoulinera bientôt d'ennui et de tristesse.

 (6.167)

Absence de relief

Tu relis quelques pages de ton dernier livre. Tu trouves tes phrases d'une platitude désespérante. Tu blâmes ton manque de légèreté, ton manque de profondeur et de consistance. Le temps et le travail (mille fois recommencé sur la page blanche) sont inutiles. Tu frôles le désespoir. Un désespoir qui te contraint à regarder avec aigreur la boue dans laquelle tes lignes n’ont cessé de t'enfoncer.

(6.168)

Chimères

Tu te crois (encore) artiste. Mais tu es un artiste raté. Misérable jusque dans l'image reflétée par les yeux du monde. Tu imagines être doté d'une puissance créatrice peu commune. Mais tu te leurres. La vanité t’aveugle. Tu es plus bas que terre. Plus bas que ceux que tu méprises. Et tu reçois cette désillusion comme une belle leçon d'humilité. Une belle leçon dont le sens t'échappe encore.

(6.169)

Vain combat

Tu notes cette pensée avec tristesse. Ton renoncement à l’écriture est une douleur.

(6.170)

Surprise

A l'agence pour l'emploi, une annonce attire ton regard triste et désabusé. Désabusé d'être là (d'en être encore là), de devoir revenir en ce lieu maudit dès que le doute artistique t'étreint.

 (6.171)

Nouvel espoir

Tu trouves (enfin) une activité digne de toi-même. Digne de tes exigences : un médiocre travail auprès des handicapés. Pour aider ceux qui parviennent encore à t'émouvoir. Et participer (à ta façon) à la marche du monde.

 (6.172)

Traversées

Tu relis quelques pages de l’usage du monde de Nicolas Bouvier (ton livre de chevet depuis ton renoncement à l’écriture). Cette lecture te secoue de ta torpeur et éclaire le quotidien de sa lumière dépouillée. Elle te redonne la joie de poursuivre la marche. Et t’invite à noter ces mots sur ce carnet.

(6.173)

Obligation

Tu t’évertues, en dépit des aléas de l’existence, à vivre ce que la vie te donne à vivre. A vivre les sentiments et les émotions qui te traversent. Les évènements et les histoires que tu traverses.

 (6.174)

Artifice manichéen

Tu comprends que livrer bataille (contre soi ou contre le monde) revient toujours à scinder la vie. Cette séparation grossière renforce l’opposition artificielle entre le beau/le laid, le bien/le mal, le vrai/le faux, le normal/l’anormal. Cette perception est non seulement artificielle et subjective mais elle est fausse. Tu sais que la réalité est plus subtile… et du moins toujours ce qu'elle est, indépendamment de nos jugements et de nos perceptions.

 (6.175)

Unique voie

Tu sais que seule importe ta façon de vivre avec ce qui t’échoit (advient ou t’incombe).

 (6.176)

Inversion

Contrairement à ce que beaucoup croient ou imaginent, ce n'est pas les Hommes qui forgent leur destin. C'est la vie qui le leur façonne.

 (6.177)

Poursuite de notes

Après de longues semaines de silence, tu reprends la plume (malgré toi). Pour répondre à l’impérieuse nécessité

(6.178)

Enracinement

Quand bien même ta vie semblerait absurde au plus grand nombre, qu'importe si à tes yeux, elle a sens.

(6.179)

Impossibilité

Tu éprouves (toujours) le besoin idiot de tout noter. Tu continues (malgré toi) à te livrer à l’impossible tâche : écrire la vie.

(6.180)

Remerciements

Tu as le sentiment que l'écriture (domaine nécessaire où ton talent est, pourtant, inexistant) appartient à un processus d'apprentissage commencé antérieurement (il y a quelques vies à peine peut-être). Tu crois qu'il en est de même avec la spiritualité. Tu es intimement convaincu que ces deux domaines, expression et spiritualité, véritables nécessités pour toi en cette existence, t'ont été offerts pour poursuivre ton chemin. Et malgré l'insignifiance de tes avancées en ces deux domaines, ton cœur souvent s'emplit de gratitude envers la vie. Et tu tentes de lui rendre grâce de t'avoir offert ces merveilleux présents. Dans tes instants les plus heureux (ou les plus accueillants peut-être), tu te surprends à la remercier de t'avoir offert cette existence humaine, l'une des seules à ta connaissance - connaissance encore étroite et superficielle - qui porte en elle la potentialité de la liberté (liberté intérieure qui seule mérite, bien sûr, de porter ce nom).

 (6.181)

Exhaustivité (bis)

Le souci d'exhaustivité continue de te hanter. Tu éprouves (plus que jamais) l’aberrante nécessité de faire de tes maigres évènements un carnet de voyage. Sans comprendre cette nécessité. Tu te demandes si chaque paysage mérite d'être décrit. Ta raison te porte à croire le contraire. Et pourtant ton cœur t'y contraint avec une folle frénésie. Ce souci d'exhaustivité révèle, à tes yeux, tes paysages intérieurs et l'expression de tes constantes familières (tes fondamentaux singuliers) ; l'agacement, l'exaspération, l'insatisfaction, la haine et le mépris. Tu sais que ces évènements extérieurs ne sont en réalité que les déclencheurs externes d'une réalité intérieure.

(6.182)

 Prisme

Tu sais que la façon dont tu vois le monde (extérieur) n’est que le reflet de ton monde intérieur.

 (6.183)

Traversée

Tant de pensées traversent ton esprit… Mais d’où jaillissent-elles ?

(6.184)

Incapacités

Le téléphone sonne. Tu décroches. Et ton interlocuteur expulse, à travers le combiné, son maigre fardeau de peines, son petit ballot de chagrins. Il se décharge de sa difficulté de vivre trop pesante. Tu l’écoutes. Mais tes peines sont trop lourdes pour que ton écoute soit dénuée d'agacement. Ses paroles t’exaspèrent. Mais tu continues d’écouter. Tu es le seul sur lequel il puisse déverser sa douleur de vivre.

 (6.185)

Paradoxes

Comment dire le bonheur et la souffrance de cheminer ? Comment exprimer la joie et le désespoir d'avancer ? Comment parler de l'espoir… et de l'illusion de poursuivre sa route ?

(6.186)

Ténébreuse affaire

Tu sais que nul ne peut marcher sans lumière. Tu y vois là la ténébreuse affaire des Hommes et l’obscure farce de leur vie.

 (6.187)

Longue marche

Tu remarques que tu as souvent recours à la métaphore du passant (Rimbaud). Tu aimes la marche. L’horizon des contrées inconnues et des contrées reconnues que tu traverses (ou retraverses).

(6.188)

Soutien

Tu éprouves (toujours) le besoin puéril de t’entourer de références spirituelles et d'êtres sur la voie de l’intériorité. Comme pour conforter et appuyer ta propre démarche, fragile et bancale.

 (6.189)

Contamination

Tu crois que le monde pollue ta démarche et ralentit ta marche. Mais le courage (et la volonté) te manque pour t’engager dans une solitude véritable. Trop lâche peut-être… insuffisamment préparé sans doute… Tu penses que cette orientation se manifestera lorsque les conditions seront propices et bénéfiques à ton cheminement.

 (6.190)

Repères

Tu écris. Sans cesse. Contraint par un irrépressible besoin. Tu passes tes nuits à relater l’expérience de ta traversée. Pour offrir tes repères au monde. Tu aimerais tant guider les pas des Hommes sur leur chemin.

(6.191)

Essor

Tu remarques que les Hommes sont, à leur naissance, de petits points minuscules qui aspirent et apprennent (très vite) à s'étendre et à s'élargir. Autour de toi, la plupart des activités humaines tend vers cette horizontalité. Et tu vois les hommes s’en satisfaire. Toute leur existence est vouée à cette seule dimension : ils travaillent à étendre leur action, leur pouvoir, leur propriété sur l'entière surface du monde. Peu parviennent à découvrir la verticalité, dimension pourtant fondamentale, qui, seule, permet de donner un sens véritable à l'horizontalité. Les seuls qui peuvent y accéder sont ceux qui ont perçu la vanité (l'inutilité et l'orgueil) de toute démarche horizontale.

 (6.192)

Destinataires

Tu écris à l'humanité qui se cache au cœur du monde. Tu écris à la partie du monde qui te ressemble.

(6.193)

Eclatante ambition

Tu n’as qu’une ambition : démystifier les territoires éclairés du monde et tenter d'en éclaircir les parcelles les plus obscures. Redonner à l'Humanité sa vraie place. Lui donner à être dans sa totalité.

 (6.194)

Paradoxe

En dépit des éventuels propos (ou intentions) humanistes, altruistes ou fraternels de l'écriture, tu sais qu’elle peut s'avérer (et s'avère souvent) une activité foncièrement égoïste.

(6.195)

Solitudes reliées

Etre de liens et de solitude. Tu sais que tu ne peux échapper à ta condition, à ton destin et à ton chemin.

 (6.196)

Aspirations

Tu aimerais écrire moins. Exister* moins. Vivre davantage. Et apprendre à être*.

(6.197)

Exercice ardu

Etre*… y a-t-il un exercice plus difficile ?

 (6.198)

Impossibilité

Tu as tant de choses à dire que tu n'écriras jamais.

(6.199)

Exercice spirituel

Tu récites à haute voix une merveilleuse parole d’Ignace de Loyola : En toutes choses, agis comme si tu étais seul, et en toutes choses, agis comme si le résultat ne dépendait que de Dieu seul. Tu notes cette belle phrase pour tous ceux (dont tu es) qui agissent (en toutes choses) pour le résultat et les fruits étroitement escomptés, pour tous ceux qui espèrent et sont accaparés par l’attente et insuffisamment portés à la présence et à la conscience pour goûter avec joie à ce qu’ils entreprennent. 

 (6.200)

Indécence

Tes pages sont un écran. Elles te séparent et te protègent du monde. Elles sont le vêtement qui voile ton impudeur et t'autorise à exposer sans crainte ta nudité.

(6.201)

Paradoxes nécessaires

Au fil des pas, tant de besoins contradictoires s’opèrent en toi.

 (6.202)

Intolérance

Tu éprouves une grande intransigeance à l'égard des êtres, domaines ou situations où ne point ni l'intériorité ni la spiritualité. En ces endroits (ou à leur proximité), tu sens parfois venir à toi (plutôt monter en toi) un sentiment désagréable d'agacement et de supériorité.

 (6.203)

 Fantasme

Tu laisses jaillir les mots, bribes enfouies de ton inconscient, prompt à te révéler les obscurs chemins vers la lumière.

(6.204)

Apprentissage

Dieu (s’il existe) est à l’intérieur. Le tien n’est (sans doute) qu’un apprenti-disciple paresseux et indiscipliné.

 (6.205)

Récurrence

Redondance ou pléonasme… au fond quelle importance puisque (volontairement ou non) tu ne cesses de te répéter.

(6.206)

Conduite

Tu fais confiance (malgré tout) à ton intelligence fondamentale sans omettre l'idiot qui est en toi (et l'abruti qui parfois te gouverne).

(6.207)

Imprégnations

Tu relies quelques pages de ton journal. Et tu t'aperçois que tu réponds inconsciemment à toutes les interrogations sous-jacentes qui jonchent ces lignes à l'aide de phrases ou de propos lus ou entrevus ici et là. Comme si tu t'efforçais, à ton insu, de t'imprégner de vérités empruntées à d'autres plus avancés sur le chemin.

(6.208)

Impedimenta

Tu t’interroges sur ton bagage mortuaire. Qu'emporteras-tu avec toi ? Ton être fondamental et les couches qui le voilent encore… Tu tentes dès à présent de travailler à leur dévoilement. Tu sais que tes aspirations profondes, tes penchants, tes obsessions, tes lubies, tes peurs et tes travers en sont les plus grossiers révélateurs.

 (6.209)

Palimpsestes

Tu poursuis ton rêve (malgré tes déboires) : écrire LE livre qui effacera toutes les pages du monde.

(6.210)

Les âmes ordinaires

Tu observes le triste sort des âmes ordinaires. Tu vois la folie furieuse des Hommes qui tentent d’échapper au morne ennui de leur existence. Et leur désespoir lorsqu’ils ne parviennent à y échapper. Tu aimerais leur crier : Patience ! Vous aussi, vous connaîtrez un jour le douloureux bonheur de cheminer sur l’âpre chemin de la joie.

(6.211)

Adroite gaucherie

Tu penses que la maladresse est bonne en toute chose, y compris en littérature…Elle seule, à tes yeux, peut dévoiler à l’humanité sa véritable identité.

(6.212)

Messages sibyllins

Tu observes l’étonnante diversité du vivant. Tu contemples les mystérieuses combinaisons du réel. Totalement indéchiffrable. Tu as beau balbutier quelques lettres de son alphabet… sa langue te demeure incompréhensible. Tu reconnais ton incapacité à décrypter le langage de l’absolu qui confine les êtres du monde relatif à l’illettrisme… 

 (6.213)

Ambiguïtés

Il t’arrive d’écrire des pages d'une grande noblesse, généreuses et altruistes. Et il t’arrive de vivre comme un être infâme. Tu sais qu’il n'en peut être ainsi pour le quêteur spirituel. S'il lui arrive d'être égoïste (et cela lui arrive très régulièrement), la spiritualité y est étrangère.

(6.214)

Foi sélective

Tu crois peu en l'Homme. Tu crois en sa potentialité. Tu as quelques espérances en cette potentialité enfouie sous d'innombrables et tenaces couches d'ignorance, de bêtises et d'aveuglement. 

(6.215)

Compulsion

Tu refermes ta machine à écrire. Et tu t'empresses de la rouvrir comme si une urgence t'y contraignait. Une urgence révélatrice de l'attachement aux idées qui te traversent et qu'il t'apparaît nécessaire de fixer. Tu as conscience que cette attitude est contraire au détachement et, dans une moindre mesure, à une certaine forme d'ouverture aux autres. Tu sais qu’elle prouve sans détour que tu écris non pour ceux qui pourraient lire ces pages (par un hasard inespéré) mais pour toi et toi seul.

(6.216)

Le sens des liens

Tu es seul. Et avec les autres. Et tu as l’intuition que cette apparente contradiction donne sens à ta vie (et à toute vie). Tu ignores de quelle façon. Ce questionnement demeure néanmoins, à tes yeux, le plus essentiel qui soit. Tu as le sentiment qu’il abrite le plus insondable mystère des êtres : le lien qui les unit.

 (6.217)

Précipitations

Tu jettes sur une feuille une idée inaboutie (avant qu'elle ne soit parvenue au terme de son propre voyage). Tu en connais l’inutilité et le danger. Tu sais que l'idée affleure à ta conscience amputée d'une grande part de sa substance. Et tu prends le risque de compromettre les avancées de ton propre voyage.

(6.218)

 Environnement

Tu admets que le chemin intérieur nécessite (à ses débuts) une atmosphère propice et inspirante. Et tu reconnais (à contre cœur) ta dépendance à ce support.

 (6.219)

Idée

Tu te tais. Tu attends l'instant propice… lorsque l’idée enfin arrivée à son terme, saura te dévoiler le secret qu'elle renfermait.

(6.220)

Evolution parabolique

Tu remarques que les paraboles étaient autrefois dans les livres sacrés. Les Hommes s’en servaient pour décrire quelques parcelles de vérité. Aujourd’hui, elles prolifèrent sur les toits et les balcons. Et les hommes les utilisent pour capter des images frelatées sur le petit écran bleuté. Et tu admets (avec tristesse) que le monde a bien changé…

 (6.221)

Satisfaction

Lorsque tu vois les livres qu’affectionnent tes contemporains, tu éprouves quelque fierté devant l’insuccès de tes pages.

(6.222)

Incomplétude

Ceux qui ne lisent pas manquent du manque. Cette phrase de C. Bobin t’intrigue. Tu ne peux imaginer un être qui ne puisse ressentir ce sentiment d'incomplétude et l'irrépressible besoin de le combler, de trouver une réponse - et à travers elle LA réponse – en mesure de satisfaire cette sensation de vide et de déchirement. Tu sais que toute action vise à combler consciemment ou non ce besoin. A tes yeux, toute vie est la tentative éperdue de satisfaire cette quête. Lire ou ne pas lire n'a aucune importance. Toute quête est puissante. Plus forte - indéniablement - que la misérable volonté consciente des hommes.

 (6.223)

Œuvre de méfiance

Tu éprouves quelques méfiances à l’égard des éditeurs (et de leurs goûts littéraires). Tu n’as pas la crédulité de penser qu’ils n’apprécient que la littérature…

(6.224)

Religion nouvelle

Note. Depuis longtemps, l’hôtel des ventes a remplacé l’autel des églises… signe (évident) que le commerce est devenu religion…

 (6.225)

Calcul littéraire

Tu aimes les livres. Et tu détestes les livres de comptes. La seule littérature (pourtant) qui intéresse les Hommes (et les éditeurs).

(6.226)

Obscurité

Les Hommes sont tous, à tes yeux, (et à différents degrés) des marchands de sommeil. Et tu les regardes, effrayé, effaré, poursuivre leur marche dans les ténèbres.

 (6.227)

Réel distordu

Tu notes une phrase de Joyce : « toute fiction est une autobiographie fantasmée ». Tu t’empresses d’ajouter : « Toute fiction est une dangereuse et tendancieuse distorsion du réel ». Et tu n’as aucune envie (pour ta part) de mentir au lecteur. Aucune envie de participer au mensonge collectif qu’offre la plupart des œuvres. Tu estimes que le lecteur mérite mieux qu’un éloignement de lui-même…

(6.228)

Frontière

Tu sais que l'être en chemin éprouve souvent le besoin d'un environnement, d'un entourage (lieu et compagnons) propices à sa pratique (calme, sérénité, silence…). A un certain stade (tu ignores lequel, mais il t'arrive de l'éprouver), tu sais que l'environnement n'a plus guère d'importance. Toute situation (calme, agitée, difficile, heureuse, chaotique…) devient un support de pratique.

 (6.229)

Œuvre de mystification

Tu notes que la grande majorité des livres laisse les lecteurs aussi pauvres qu’ils y sont entrés. Plus pauvres peut-être car ils les ont confortés dans le mythe universel.

(6.230)

Erreur d’appréciation

Tu enrages (souvent) contre les esprits étroits. Tu trouves détestables, ces esprits étriqués qui se préoccupent de leurs seuls désirs sans se soucier des autres. Mais tu sais que cette exaspération n’a aucun sens. Elle ne révèle que ta propre étroitesse. Tu aimerais plaindre ces malheureux dont la vie ne cesse de malmener les prédispositions égotiques et dont les désirs sont si rarement satisfaits par les évènements.

 (6.231)

Sombre arpentage

Tu refuses de divertir le monde. Tu aimerais (à travers tes pages) aider les Hommes à explorer leurs terres obscures. Les inciter à remuer leurs fientes et leurs scories. Les encourager à plonger au cœur de leur être pour qu'ils y découvrent leur propre joyau.

(6.232)

Insatiable désir

Tu connais l'avidité des hommes. Chez la plupart, elle est tournée vers le sexe, l'argent et le pouvoir. Chez quelques-uns vers les nourritures intérieures. Mais n’est-ce pas la même avidité qui les gouverne… Tu t’interroges. Comment aller au-delà de ce désir insatiable ?

(6.233)

Chemin chaotique

Tes pages tentent de retracer l’itinéraire d’une quête douloureuse et désordonnée. Et salvatrice sans doute.

(6.234)

Invisibilité

Tu ne perçois que les liens tangibles entre les êtres et les choses. Tu n’as accès qu'à la surface visible (et étroite) de cette trame qui les unit. Les liens invisibles et mystérieux échappent totalement à ta conscience. Et c'est sans doute là que se cache l'un des plus grands mystères de la Vie. Inaccessible à ton esprit humain.

 (6.235)

Enormité

Les pages de ce carnet : un récit fragmenté, construit à volonté (involontairement sans doute) et déconstruit à dessein.

(6.236)

Truismes

A tes yeux, rien n’est immobile. Pas même l’immobilité. Et tu devines que rien n’est éternel. Pas même l’éternité.

 (6.237)

Désert

Tes mots sont d’infimes grains de sable. Perdus dans le désert des bibliothèques. Et égarés dans l’esprit du monde qui tourne en rond.

(6.238)

Distance 

Tu mesures la distance qui te sépare des autres. Et tu es bien en peine de la trouver. Tu ignores si cette distance existe. Tu ignores sa consistance et l’espace dans laquelle elle se situe.

 (6.239)

Encouragement

Tu aimerais que le lecteur lise ces pages comme tu les as écrites, qu’il éprouve les émotions qui t’ont traversé, que ces lignes fassent naître en lui l'ennui, la joie, l'absurdité, la peur, le désespoir, le mépris, le triomphe, la fragilité, l'exaltation, la fierté, l'incompréhension et l’irrépressible besoin de poursuivre son chemin.

(6.240)

Energie essentielle

Essentiel : tout est là… essence-ciel, carburant terrestre pour destination céleste (comme l’exprimeraient peut-être les chrétiens). Toute foi nécessite, à tes yeux, une grande énergie. Energie nécessaire pour suivre le long et difficile chemin de la délivrance…

(6.241)

Paradoxe

Tu écris (presque toujours) dans un accès d’égoïsme. Un accès d'égoïsme généreux qui te jette dans les bras d'ignobles sentiments et de viles émotions que tu aimerais voir disparaître. Tu y vois là (une nouvelle fois – tu ne cesses de le répéter) l'un des plus prégnants et déstabilisants paradoxes de cette activité.

(6.242)

Egoïsme altruiste

Le monde critique (parfois) ta pratique spirituelle solitaire (en la qualifiant de démarche égoïste). Tu aimerais lui rétorquer qu’on commence toujours par soi pour en finir avec soi et commencer véritablement avec le monde.

 (6.243)

Désexpansion

Tu apprends progressivement à t'oublier. Tu accordes une place plus grande aux autres. Et tu aspires à leur re-donner leur place réelle : la seule qu'ils méritent, celle qu’ils n'auraient jamais dû perdre, celle qui a toujours été la leur : la totalité de l'espace. Avant d'y parvenir, tu sais qu’il te faudra parcourir un long chemin. Chercher d'abord ta place, allant peut-être jusqu'à pousser quelques-uns pour l'étendre (ou la trouver), puis apprendre progressivement à en limiter l'expansion, puis à limiter cet espace lui-même, puis encore (très progressivement) en restreindre les limites, jusqu'à réduire cet espace au point où il se confonde à la totalité de l'espace…

 (6.244)

Aération

Espaces entre les mots. Espaces creux. Espaces pleins. Espaces lourds de silence. Espaces légers comme la brise du matin qui empourpre les joues. Tu respires. Aération vitale. Oxygénation salvatrice pour donner souffle à ton existence ordinaire.

(6.245)

Longue chaîne

Ta vie : de petits riens mis bout à bout. De petits riens, à chaque fois, uniques, inestimables,  irremplaçables.

 (6.246)

Géographie langagière

Tes paroles profondes sonnent creux. Tu es un être plat au voyage sans relief.

(6.247)

Points de vue

Lorsqu’il t’arrive de t’apitoyer sur ton sort (et tes malheurs), tu blâmes ton apitoiement. Et tes attentes. Tu remarques que tu considères la vie comme un dû. Et non comme un don.

 (6.248)

Tragique

Tu es un auteur (vraiment) dramatique. Et tu n’as malheureusement aucune pièce de théâtre à inscrire à ton œuvre…

(6.249)

Edicule ridicule

Une œuvre édifiante. A tous points de vue…

 (6.250)

Surface creuse                                      

Tu as parfois le sentiment d'être l'auteur des profondeurs… profondeurs superficielles de l'âme humaine.

(6.251)

Triste trinité

Tu notes cette observation. Elément psychanalytique d’ordre collectif. Chez la grande majorité des hommes le « surmoi » omnipotent et écrasant… et le « ça » incontrôlable (par définition)… semblent tirer à hue et à dia un « moi », frileux, timoré, apeuré…  et inévitablement désemparé… qui, en réaction (comment pourrait-il en être autrement ?) se met à gonfler - à gonfler indéfiniment -  (comme pour prendre sa revanche). Et les hommes ont l’illusion de croire qu’ils sont  maîtres de leur vie… ? Quelle idiotie ! Quel mensonge ! Et quelle hérésie !

 (6.252)

Plate architecture

Tes fragments sont un espace labyrinthique où se perd le fil d’une pensée creuse.

(6.253)

Acrobatie

Malgré la platitude de tes pages, tu t’échines à demeurer vertical en ce monde horizontal… en risquant bien sûr (à chaque instant) un tour de rein…

 (6.254)

Juste inversion

Tu crois écrire la vie. Mais c’est elle qui t’écrit à travers tes pauvres lignes.

(6.255)

Vérité enfouie

La vérité se cache peut-être entre les mots… au fond des choses que tu passes sous silence.

 (6.256)

Avertissement

Ceci (bien sûr) n'est pas de la littérature.

(6.257)

Avertissement (bis) au lecteur

Désormais ces pages t'appartiennent comme tout ce dont tu t'empares….

 (6.258)

 

Partie 3

Nouvelles terres

Tes pas te mènent sur un étrange sentier. Il s'ouvre à toi et te laisse pénétrer ses horizons. Il te donne l'espoir et le courage de poursuivre ta route. C'est un chemin lumineux, un chemin difficile, un chemin magnifique, un chemin porteur de sens qui éclaire la vie. Et ton passage ici-bas.

(6.259)

Bagage essentiel

La gratitude devient ton unique bagage… le seul passeport indispensable pour arpenter les chemins du monde, le cœur en paix et l’esprit émerveillé. Tu as conscience que beaucoup paieraient cher pour l’acquérir… Et tu en connais le prix : un douloureux (et parfois coûteux) travail sur toi à chaque regard étriqué sur la vie, sur le monde et sur toi-même, à chaque pas voué à l’attente égotique du mieux

 (6.260)

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Traversée singulière.

Traversée singulière de l’homme qui poursuit (malgré quelques doutes) son modeste sentier de scribe afin d’offrir quelques pâles repères aux Hommes.

 

DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversée singulière.

Traversée singulière de l’homme qui poursuit son périple sur ses chemins ombragés et qui entrevoit, derrière la pénombre éclairée, la lumière.

 

LE SENTIER DE SCRIBE

Traversée singulière

(à gauche)

 

DU CÔTE DE CHEZ SOI

Traversée singulière

(à droite)

 

L’une et l’autre se complètent, se répondent et s’opposent parfois…

 

Après le silence

Tu écris. Tu reprends la plume. Tu t’y sens contraint. Plusieurs mois séparent le jour où pour la dernière fois tu as noté les affres dans lesquelles tu t'enfonçais. Tu n’as pas écrit depuis un an. Un an de silence. Et quelques pas de plus sur le chemin. Quelques pas que tu crois déterminants pour la suite du voyage.

(6.261)

Aspirations

Tu inities un nouveau cycle, de nouvelles attentes et (sans doute) de nouveaux déboires. Aspiré dans la spirale de tes modeshabituels de fonctionnement : sensations et sentiments si familiers... Ah! Risible et invincible force intérieure qui te tient sous son joug écrasant ! Sous son poids, tu frétilles et te débats... avec le vain espoir de t'échapper. Mais il t'est impossible de te soustraire à sa force. Elle te contraint à la suivre. Et tu t'exécutes, l'énergie vissée au corps et la mort dans l'âme. Cette force intérieure est ton salut et ta peine. Elle est ta joie et ton désespoir. Elle est ta liberté et ta prison. Et tu rêves, un jour, de t’en délivrer.

 (6.262)

Besoins

Tu éprouves (toujours) le funeste besoin d’écrire et l’impérieuse nécessité de comprendre.

(6.263)

Dons obscurs

Tu obéis aux forces mystérieuses qui t’animent. Ces forces te guident et te découvrent peu à peu. Elles impriment à ton destin son itinéraire. Tu ignores leur origine. Tu imagines qu’elles viennent des efforts et de l’énergie que tu as déployée depuis la nuit des temps, depuis que le monde est monde, depuis que la vie t’habite.

 (6.264)

Sentier d’écriture

Tu poursuis (malgré toi) ton sentier d’écriture. Ecrire pour aider le monde. Réconforter et secourir les hommes. Les sauver de leur ignorance. Les éclairer de tes faibles lueurs. De tes pâles repères. Tu poursuis avec désespoir ta noble, prétentieuse et stérile ambition.

(6.265)

Présent  

Tu aimerais débusquer l’être pour l’offrir aux êtres du monde.

 (6.266)

Déversement

Tu aimerais recouvrir le monde de joie. En emplir les cœurs et les heures pour sauver les êtres de la douleur de marcher en silence dans la solitude et l’obscurité.

 (6.267)

Outils médiocres

Tu écris en désespoir de cause. Tu sais que l'écriture et la lecture sont des instruments dérisoires pour toucher l’humanité du monde.

(6.268)

Incapacité

Tu sais qu’aucun mot, aucun livre n’a jamais délivré des peurs, des angoisses et des frustrations. Seuls quelques-uns (bien rares) ont su encourager le monde à sortir de l’ignorance.

 (6.269)

Confiance

Pour améliorer le sort du monde, tu crois modérément aux discours des penseurs, aux livres des intellectuels, aux recherches (et aux avancées) des scientifiques, aux prêches des religieux, aux actions militantes des mouvements associatifs, syndicaux et autres mouvements de lobbying, aux programmes et aux réformes des hommes politiques mais tu as une totale confiance en ceux dont l'âme se laisse traverser par la vie. Tu sais qu’ils ne se réclament (le plus souvent) d’aucune paroisse ni d’aucune chapelle. Et qu’ils demeurent libres, anonymes et solitaires.

 (6.270)

Vaine entreprise

Tu songes, avec tristesse, à la vanité de l’écriture. A cet exercice illusoire. Et tu penses (avec une plus grande tristesse encore) à tes livres. A leur médiocrité. Tu as longtemps rêvé (en secret) d’écrire des pages sages et profondes. Mais tu sais aujourd’hui que même si tes ouvrages contenaient toute la sagesse du monde - la quintessence de la sagesse universelle -, ils seraient inutiles aux hommes. A présent, tu sais que tu n’écris que des livres que tu aimerais lire. Et rien de plus.

(6.271)

Indispensable inutilité

Tu sais que le seul travail de l’Homme est de transformer son regard. Toute autre tâche est vaine. Mais tu remarques que l’inutilité est souvent nécessaire à l’Homme. Elle lui permet de réorienter son travail (et ses activités)… lorsqu’il se sent (ou se sait) dans l’impasse.

 (6.272)

Sous le ciel

Tu ressens toujours avec force l’envie de fixer les insignifiances de l’instant. Tu les notes avec soins. Tu évoques les deux mouches posées sur la table basse que tu n’as cœur à chasser en ce début d’hiver et auxquelles tu offres (en quelque sorte) l’hospitalité et la chaleur du foyer. Tu évoques la canette vide, les miettes du repas éparpillées, les livres posés sur le canapé, le mur de l’immeuble d’en face, la gouttière grise et sale, les câbles électriques qui pendent sur le mur et le ciel vaguement étoilé au dessus du monde, indifférent aux activités des hommes, à leur agitation ou à leur ennui. Indifférent et compréhensif (bienveillant sans doute) comme s’il les autorisait à être ce qu’ils sont (d’insignifiants petits êtres au regard posé sur eux-mêmes) en attendant de le rejoindre dans son infinité…

(6.273)

Trajectoire

Tu devines que toutes les vies ne sont qu'une seule et même quête… quête qui enjoint les êtres d'aller par monts et par vaux, de cheminer ici et là, d'emprunter de nombreux sentiers qui ne sont souvent que des impasses (des impasses incontournables). Tu remarques que les hommes cheminent longtemps vers l'extérieur en quête d'une réponse. Parallèlement à cette recherche extérieure, tu constates qu’ils cheminent aussi vers eux-mêmes (pour se construire et mûrir). Certains prennent conscience (avec parfois un grand désespoir) du caractère fondamentalement insatisfaisant de toutes réponses extérieures (toujours décevantes) et finissent par se tourner progressivement (en désespoir de cause et/ou par la force des choses) vers l'intérieur. Ils cheminent ainsi quelques temps, creusant aveuglément leur chemin au-dedans. Au fil de leur progression, leur perception s'approfondit et s'élargit… et le chemin ouvre leur regard sur l'extérieur. Ils apprennent alors progressivement à inclure davantage les autres et à cultiver (presque à leur insu) l'oubli d’eux-mêmes.

 (6.274)

Etape

Tu as l’intuition que toute vie (absolument toute vie) est une étape vers la transcendance (même celles qui semblent en être les plus éloignées). Sachant cela (ou plus exactement sentant intuitivement cela), tu te demandes comment ne pas être tolérant et bienveillant à l'égard de toute vie. Mais tu as beau en être convaincu, tu ne parviens que très rarement à faire taire ton intolérance et ton mépris. Il te reste donc, de toute évidence, bien du chemin à parcourir…

(6.275)

Accouchement

Lecture de La nuit privée d'étoiles de Thomas Merton. Autobiographie d'une vocation spirituelle. Tu observes cette difficile et douloureuse naissance à soi-même, enracinée dans la violence, l'incompréhension et le doute. Et tu contemples (admiratif) le long chemin initiatique.

(6.276)

Ultime débat

Malgré les conflits, les doutes et l’incertitude, tu sais, en définitive que la spiritualité détient toujours le dernier mot.

(6.277)

Obligeance

Tu aimerais exprimer ta gratitude (ta joie et ta reconnaissance) d’avoir vécu en compagnie de tous ceux dont les livres ou la vie ont traversé ton existence.

(6.278)

Débordement

Il arrive que ta tendresse déborde. Tu la vois submerger ton cœur et s'écouler le long de ton regard pour se répandre sur le monde. Comme si ton cœur ne pouvait garder pour lui seul cette abondance de gratitude. 

 (6.279)

Dettes (bis)

Au fil du chemin, tes dettes s'amoncellent. Et tu aimerais (de nouveau) rendre grâce ici à tes créanciers. Continuer à leur crier ton infinie gratitude. A Charles (Charles Juliet), tu lui dois ton premier vrai compagnonnage. Tu lui dois d'avoir marché à tes côtés (presque d'égal à égal) jusqu'aux confins du tunnel, jusqu'à la frontière de l'obscur et de la lumière. A Maurice (Maurice Maeterlinck), tu lui dois l'émerveillement, la bouffée d'air du fabuleux dans cet univers triste de raison étouffante. A Vincent (Vincent La Soudière), tu lui dois le réconfort et les encouragements dans l'indicible solitude de la quête. Tu lui dois la poursuite du chemin. A Georges (Georges Haldas), tu lui dois les chants clairs de la petite fontaine et le murmure de la Source. Les éclaircies (et l'éclairage) du ciel ouvert sur la terre (encore trop) noire des Hommes. Tu lui dois les encouragements à poursuivre ton sentier de petit scribe de l'essentiel.

(6.280)

Dépucelages

Devant tes deux grandes passions (uniques centres d’intérêt), l’écriture et la spiritualité, tu ne peux oublier le piètre amant que tu es. Tu te sens médiocre et inexpérimenté. Cette vérité te semble si évidente que tu juges inutile d'en dire davantage. Toutes tes lignes suintent l'impuissance de l'amant besogneux que ses maîtresses rejettent. Tu sais que toutes deux hésitent à se livrer et tardent à s'ouvrir. Mais tu ne désespères pas qu'elles t'éduquent. Tu vas vers elles pour qu'elles t'apprennent. Et tu leur enjoints de t’apprendre avec douceur et indulgence.

 (6.281)

Malgré nous

Tu prends la plume pour noter une pensée qui enjoindrait les hommes à davantage d'humilité, celle de ne s'attribuer aucun mérite, ni dans ce qu’ils sont, ni dans ce qu’ils font. Tu as le sentiment que les hommes sont assez étrangers à ce qu’ils vivent (intérieurement et extérieurement).

(6.282)

Essentialité

Tu vois le monde s’affairer à ses affaires essentielles* (diverses et très communes). Tu t’interroges sur cette diversité. Et sur la subjectivité de l’essentialité*. Tu t’en étonnes car les enseignements intérieurs (quelles que soient leurs traditions et leurs fondements dogmatiques) semblent définir une essentialité identique et universelle. Tu supposes donc qu’il existe une pré-essentialité diverse, preuve indéniable de l’infinité des itinéraires qui mène à l’unique chemin…

 (6.283)

Place essentielle

Tu poursuis la lecture de Thomas Merton et sa nuit privée d'étoiles. Et tu entrevois la place phénoménale que pourraient (ou que devraient) occuper les ouvrages existentiels et spirituels en littérature. Tu sais que seuls ces livres peuvent (réellement) conforter et encourager le lecteur dans son existence, dans sa démarche, dans sa quête. Tu fustiges les créations artistiques de divertissement et d'évasion. Tu sais que peu d'Hommes ont initié une démarche intérieure personnelle qui offrirait à ce genre d'ouvrages une place prépondérante. Tu te désoles que ces livres occupent un espace si limité (du moins quantitativement) en littérature. Ils demeurent, à tes yeux, pourtant absolument essentiels à l'humanité (et à son devenir).

(6.284)

Gravité

Tu vois le monde refuser la gravité du chemin. Tu t’interroges sur ce refus. Tu sais que la légèreté est un chemin emprunté par différentes catégories : les inconscients, les idiots, les résignés, les désespérés (parfois) et les êtres très avancés sur le chemin (à quelques pas sans doute de la vérité).

(6.285)

 Itinéraire

Tu regardes le monde. Et tu comprends que toute vie est une partie du chemin vers la transcendance (vers Dieu, Allah, l'Atman, le Soi, Bouddha… qu'importent les façons de la nommer).

(6.286)

Confidence

Tu rêves (encore) de réaliser l’Oeuvre qui révolutionnera l’humanité. Tu te surprends à rêver en te prenant au jeu de ta propre création. Obsédé par ta quête illusoire, tu te perds dans ses méandres labyrinthiques. Englué dans ton travail - dans ton labeur titanesque et jubilatoire - tu espères, à chaque nouvelle œuvre, produire enfin celle qui révèlera au monde la Vérité, celle qu’il attendait pour sortir des miasmes fétides où vous vous trouvez, tous deux, englués. A chaque nouvelle réalisation, tu espères. Tu sens cette vérité à ta portée. Tu es victime d’une incroyable illusion d’optique, écrasé sur ta table (ou sur ta toile) par ta quête fébrile, trop absorbé par l’œuvre à faire, par l’histoire en cours, tu te fourvoies et t’enlises dans un monde imaginaire où tu finis par te perdre.

(6.287)

Sujet essentiel

Tu as toujours regardé la vie avec étonnement. Elle demeure (aujourd’hui encore), à tes yeux, la plus mystérieuse et merveilleuse énigme qui soit. Tu sais qu’il n’existe en ce monde aucune question plus digne ni plus essentielle, aucun sujet d’étude, d’exploration, d’investigation et d’expérimentation plus extraordinaire.

 (6.288)

Obscurcies

Tu contemples l’ombre des mots sur la blancheur des pages. Tu vois les petits bâtonnets tristes et recroquevillés sur l’espace ensoleillé. Et ton cœur (soudain) s’illumine.

(6.289)

Joyau

Tu découvres la joie. Et elle devient, à tes yeux, la plus grande richesse du monde. Comme de l’or qui permettrait d’échapper à la misère, au dénuement et à l’ignorance. Comme de l’or qui balaierait la tristesse, l’amertume et la souffrance. Tu comprends que la joie est un trésor à partager. Et tu aimerais partager cette joie avec le monde. Avec ceux que tu aimes, avec ceux que tu rencontres, avec les inconnus, avec tous les êtres qui peuplent la terre. Tu aimerais la partager sans cesse, en inonder la terre, en disséminer sur le chemin et dans le cœur des Hommes, partout où ils cheminent, partout où se pose leur regard, partout où s’attarde leur âme.

 (6.290)

Joie indicible

Tu éprouves (aujourd’hui) une joie ineffable à voir les mots se dessiner sur la page. Comme s’ils jaillissaient du grand mystère…

(6.291)

Disproportion

Il y a tant de grandes choses en toi. Et tu te demandes pourquoi elles s'acharnent à sortir si petites. Serait-ce lié aux limites de ta condition humaine ? En conserverais-tu inconsciemment la plus grande part par devers toi ? Serait-ce ta perception qui les déforme et leur donne un poids et une dimension qu'elles n'ont pas ? Pourquoi ces grandes choses ne sortent-elles donc pas à leur vraie mesure ?

 (6.292)

Toile nocturne

Tu aimes la nuit. Les profondes heures de la nuit. L’abyssale étendue nocturne. La toile de fond de tes questionnements où se déroule le fil de tes pensées.

(6.293)

Refuge

Chaque nuit, tu te réfugies dans ta retraite solitaire. Et dans le silence du monde, tu écoutes le bruissement des pensées furtives…

 (6.294)

Sains voyages

Tu n’as nul besoin de produits hallucinogènes et de voyages lointains pour voir la face cachée du monde. Tu luttes contre le sommeil. Et tu découvres des paysages inconnus, des univers étranges, des horizons mystérieux. Une foule de terres à explorer.

(6.295)

Paysages changeants

Tu expérimentes les déformations de la conscience. Par la fenêtre, ton regard ordinaire voit un arbre. Mais ta conscience altérée perçoit un étrange cylindre immobile surmonté d’une multitude de rubans agités par le vent ou un monstre inquiétant aux bras armés de mille lames scintillantes. Et ta conscience élevée perçoit un frère de sève et d’écorce.

(6.296)

Derrière le voile

Journal IV de Charles Juliet. Proche compagnon de tes nuits. Et quelques similitudes : le besoin d’écrire, l’incessant questionnement et l’âpre labeur qui sourd entre les mots. Et quelques divergences : le tempérament, le décor et les chemins qui s’écartent derrière le rideau de la nuit (quand pointe la lumière).

(6.297)

Lueur

Tâche ardue que celle d’éclairer le monde… misérable lanterne cernée par l’obscurité… par la nuit noire de l’ignorance…

 (6.298)

Jaillissement 

Au petit matin, tu tires les rideaux. Et tu vois jaillir la lumière qui éclipse la nuit profonde du monde.

 (6.299)

Premier spectacle

Tu assistes (parfois) à la naissance du jour comme au premier matin du monde.

 (6.300)

Services

Tu aimerais mettre ta sensibilité, ton intériorité et tes modestes découvertes au service de l’humanité. Tu aimerais t’octroyer un immodeste et présomptueux rôle. Fantasmagorique. Bénéfique. Peut-être… Tu l’ignores.

(6.301)

Transmutation

De tes lunes, tu tentes de faire un soleil. Tu essayes de dissiper tes nuits pour cheminer en plein jour.

 (6.302)

Livre

Tu lis (toujours) avec appétit. Tu crois (à juste titre) que l’œuvre des livres est d’ouvrir l’esprit. Mais tu ignores le travail de l’esprit sur le cœur. Quand les livres auront (véritablement) assuré leur tâche, tu sais que ton esprit saura ouvrir ton cœur. Et que l’un et l’autre se passeront de livres. Qu’ils s’aideront mutuellement à s’élargir. Et tu imagines (alors) que tu brûleras ta bibliothèque.

(6.303)

Connaissance ciblée

Tes apprentissages, tes expériences, tes rencontres, tes intuitions, tes réflexions participent au lent mûrissement de ta conscience. Elles parcourent le long chemin de la tête au cœur avant d’atteindre leur cible.

(6.304)

Ecritures

Jacques Vigne, psychiatre méditant. Vit dans un ermitage à Bénarès. Activités principales : écriture et méditation. Fond intéressant en dépit d’un style littéraire peu abouti. Mais pourquoi faudrait-il toujours se soucier de la forme ?

(6.305)

Temps inconnu

Tu constates que le passé antérieur est un temps peu usité à ton époque. Tu sais que la conjugaison karmique a toujours été peu aisée en occident.

 (6.306)

Arpenteur solitaire

Lecture du dernier ouvrage de Nicolas Bouvier. Marcheur solitaire. Infatigable arpenteur de la surface du monde et des horizons intérieurs. Routes et déroutes, entretien au crépuscule de sa vie. Tu as l’étrange (et sans doute fausse et prétentieuse) impression que tes pas t’ont conduit à l’exact endroit du chemin qu’il a quitté prématurément.   

(6.307)

Déformations

Sensibilité nocturne aiguë (accrue), résonance intérieure amplifiée… serait-ce le manque de sommeil qui déforme ainsi ta conscience… ? Ou prendrais-tu tes vessies pour des lanternes… ?

 (6.308)

Auteur confirmé

Lecture de Jean Grosjean. Propos dogmatiques à l’égard de Dieu. Sa parole manque d’amour. Serait-il un pèlerin intérieur trop avancé pour toi ? Tu le crains.

(6.309)

Chemins présents

Tu sais que le chemin commence là où tu es. Là où tu en es. Que le chemin n'est autre que les évènements qui te sont donnés à vivre, ceux que tu espères, ceux qui viennent à toi, ceux qui te traversent, ceux qui te frôlent et ceux qui s'éloignent (à ton approche). Inutile donc tout voyage ! Car tout est voyage. Inutile tout projet ! Car toute expérience est nécessairement instructive et signifiante. Tu ne le répèteras jamais assez ! Il te suffit de vivre…  vivre la vie simplement… vivre en toute simplicité en acceptant ce que l'existence – cette longue randonnée vers soi et sans doute (en définitive) vers les autres – te donne à vivre…

 (6.310)

En tête du cœur

Double lecture. Aphorismes percutants de Rugpa et réconfortants logions (paroles nues du Christ) de St Thomas. Tu éprouves un sentiment spirituel ambivalent. Tu as l’impression que ton cœur penche vers le Christ et ta tête s’appuie sur Bouddha…

(6.311)

Vœu silencieux

Tu aimerais murmurer : Moines du monde, unissez vos prières pour que s’ouvre le cœur des hommes…

 (6.312)

Points de fuite

Tu adores les points de suspension. Comme si ta pensée refusait ses limites. Comme si ta pensée était en recherche d’horizons plus lointains…

(6.313)

Pas à pas

Tu notes que le pas décisif est celui que tu effectues… à chaque instant…

 (6.314)

Devoir de modestie

Tu écris. Et tu te prends (parfois) pour Dieu. Tu n’es (pourtant) que le scribe du souffle qui te traverse.

(6.315)

Sage parole

Comme le dit l’ecclésiaste, il y a un temps pour chaque chose. Et par crainte, par habitude, tu refuses de goûter à la richesse de chaque expérience…

 (6.316)

A découvrir

Tu ne peux dire l’indicible. Tu dois inventer un vocabulaire nouveau. Découvrir un mode expressif révolutionnaire pour convaincre l’humanité indifférente qui t’entoure.

(6.317)

Tentative

Tu devines (pourtant) que l’art n’est qu’une vaine tentative. Incapable de représenter le réel.

 (6.318)

Marche journalière

Tu es un marcheur de l’ordinaire. Tu chemines dans l’espace sans relief du quotidien. Et tu escalades, chaque nuit, la surface glacée des pages. Chaque jour, tu essayes d’avancer d’un pas.

(6.319)

Candélabre

Travailleur de la nuit. Ouvrier des jours sombres. Tu œuvres pour qu’advienne la lumière en ton cœur. Tu aimerais tant devenir un modeste candélabre pour guider les Hommes dans la nuit de l’ignorance.

(6.320)

Grains de poussière

Tu t’interroges sur ton œuvre inachevée et anonyme. Tu te demandes ce qu’elle deviendra. Tu imagines quelques grains de poussière sous les pas de ceux qui cheminent.

(6.321)

Dés-ambition

Tu acceptes de ne pouvoir sauver le monde. Tu te contentes d’aider ceux que tu croises. Tu sais que tu ne peux que les encourager à se sauver eux-mêmes.

(6.322)

Baroudeur des pages

Le mot lourd et l’écriture pesante, tu poursuis ton voyage en surpoids langagier. En maladroit baroudeur des pages, tu creuses ton sillon sans vraiment laisser de traces. Et tu t’inquiètes (parfois) que nul ne suive tes pas.

(6.323)

Règle fidèle

Tu sais que tu n’as à rougir de rien si tu obéis fidèlement (aussi fidèlement que possible selon ton entendement) à ce que la vie te dicte.

 (6.324)

Concordance

Tu sens tes doigts (en cet instant) effleurer les touches du clavier. Tu accompagnes leur danse au rythme des pensées. Tu regardes cette chorégraphie singulière. Tu sens les fines extrémités de ton corps en harmonie avec les pointes de ton esprit.

(6.325)

Légèreté

Tu as la sensation d’une douceur enveloppante et d’un bien-être presque aérien. Tu as l’impression d’échapper à ton ordinaire tellurique. D’œuvrer à ton désancrage terrestre.

 (6.326)

Illusion

Tu te rêves (parfois) poète solitaire. Et maudit. Mais tu te trompes. Tu as l’âme vide.

(6.327)

Le jour et la nuit

Tu t’étonnes (toujours) de l’éclat de tes nuits. Et de la pâleur de tes jours.

(6.328)

Cri sourd

Tu aimerais crier : poètes du monde, unissez vos vers pour que l’humanité vous entende…

(6.329)

Unique organisme

Tu aimerais tant que les Hommes deviennent les uns pour les autres, la main, le pied, la jambe, la tête, le cœur d'un seul et même corps.

 (6.330)

Ombres écrasantes

Tu te rêves parfois (Ô orgueilleuse ambition) le syncrétique amalgame d'un Jabès, d'un Michaux et d'un Pessoa. Tu es le doux rêveur d'un songe apocryphe. Leurs ombres seules t'écraseraient…

(6.331)

Gap

Tu constates (une nouvelle fois) le grand écart permanent, l’effroyable abîme entre la réalité de ton existence et tes aspirations.

 (6.332)

Réunification nécessaire

Tu sais que nul ne peut parvenir fragmenté en fin de course. Que chacun doit franchir la ligne réunifié. Et tu ne cesses, chaque jour, d’œuvrer à ton rassemblement.

 (6.333)

Faux plat

Tes phrases sont si plates qu'il est bien difficile de percevoir ta pensée. Et dire que tu invites le lecteur à se hisser jusqu'à toi…

(6.334)

Défis

Un soir. Tu regardes une fourmi grimper à la verticale sur un mur. Et tu notes (avec admiration) ce petit défi de la physique. Et tu songes au pouvoir d’élévation de l’humanité en te demandant si les Hommes sauront un jour relever l’immense défi métaphysique.

 (6.335)

Dévoilement

Tu notes une phrase d’Henry Michaux : J'écris pour me parcourir. Quant à toi, tu as, plutôt, le sentiment d’écrire pour découvrir l’identité véritable de l’Homme… lever les voiles sombres qui dissimulent ses paysages intérieurs et explorer la vie (et les horizons) qui l’habite.

(6.336)

Esprit

Tu ne cesses d’explorer ton esprit. Il te semble vide, clair et intelligent. Tu apprends (peu à peu) à découvrir sa nature, son essence et son fonctionnement. Et tu t’étonnes de ne percevoir ni sa taille, ni sa forme, ni sa couleur, ni son contenant, ni son contenu.

 (6.337)

Voyage antérieur

Tu imagines que l’imagination n’est qu’une lointaine mémoire. Et chaque jour, tu entreprends une longue excursion dans le passé ancestral du monde.

(6.338)

Bruissement

La nuit, tu écoutes le murmure des arbres qui te parlent de la nuit obscure des jours anciens et du soleil qui se lèvera (sans doute) demain.

 (6.339)

Matin brumeux

Après une nuit de veille, tu découvres la magie du matin. La conscience encore enivrée par le voile légèrement flottant des perceptions nocturnes dissipe le mensonge de ton regard habituel sur l’ordinaire du monde. 

 (6.340)

Exercice de vérité 

Tu remarques que la plupart des auteurs mettent un point d'honneur à faire de la littérature. Qu’ils aspirent à devenir des techniciens du mot, des experts narratifs, des professionnels de la syntaxe, des spécialistes stylistiques, des maîtres du procédé littéraire, ou même des créateurs langagiers, voire des apôtres du Verbe. Tu ne peux t’empêcher de penser qu’ils relèguent (malgré eux) l'écriture à une simple et stupide activité. A tes yeux, il devrait leur importer d'exprimer le Vrai de la Vie. Qu'importe leur façon de le dire. Le reste n'est pour toi que littérature.

(6.341)

Minuscule fragment

Tu fréquentes (encore) les bibliothèques. Au fil de tes découvertes, tu comprends que chaque œuvre n’est qu’une infime parcelle du réel. Qu’aucune ne peut représenter la réalité dans sa complexité et son incessant mouvement. L’art, à tes yeux, est un échec cuisant. Une représentation partiale, fragmentaire et mensongère du réel.

 (6.342)

L’essence des pages

Tes pages contiennent-elles l'essentiel… ? Tu en doutes… Sans doute (bien sûr) ne le contiennent-elles pas. Mais comment connaître l'essentiel ? Comment en être certain ? Et comment l'écrire ? Comment exprimer l'impossible ? Comment accéder à l'inaccessible ?

(6.343)

Silence plein

La présence te conduit (parfois) au silence. En ces instants, tu n’as nul besoin de mots, d'explications ou de verbiage. Tu laisses advenir le merveilleux de la vie (car tu en perçois, avec une vive acuité, la dimension totalement merveilleuse).

(6.344)

Juste vitesse

Tu remarques que la lenteur est l’une des conditions de la splendeur. A la fois porte d’accès et attitude naturelle et juste pour percevoir l’infinie beauté du monde…

 (6.345)

Utopie

Ah ! Si tu pouvais dire la vie autrement qu'avec des mots… mais comment dire l'indicible…? Comment fixer l'infixable…? Comment donner l'instantané d'un flux…?

(6.346)

Aveu d’impuissance

Que peut la pauvreté de ton langage face la richesse de la Vie ?

 (6.347)

Ouverture permanente

 A défaut de solutions, tu t’évertues à accueillir la vie à chaque instant.

 (6.348)

Espaces

L’espace entre tes fragments serait-il la juste place du silence… ? Et l’espace entre ton inspiration et ton expiration, l’interstice où se dissimulerait le grand mystère… ?

(6.349)

Simples évidences

A celui qui cherche (trop obstinément), tu aimerais formuler cette double question-réponse : qui peut te dire ce qu’est vraiment la vie ? Rien ni personne. Et qui peut t’aider à la connaître davantage et à la vivre mieux ? Toute chose.

 (6.350)

Convergences

Tu devines que l’écriture et la spiritualité te mèneront vers des terres identiques : l'amour et la connaissance.

(6.351)

Elément mouvant

Tu as toujours perçu la vie comme un immense puzzle (un puzzle infini et en perpétuel mouvement) dont chaque existence, chaque événement serait une pièce, à la fois minuscule, unique et irremplaçable.

 (6.352)

Ambition littéraire

Tu ambitionnes d’initier un nouveau courant littéraire : le mouvement essentialiste (l’écriture essentielle). Phrases simples, denses et polysémiques, à la fois éléments du récit et entités autonomes. Mélange de  poésie de l’ordinaire, de philosophie existentielle et de spiritualité. Pour accompagner le lecteur dans son cheminement…

(6.353)

Double condition

Au seuil de la mort, deux choses te semblent essentielles : partir le cœur apaisé (sans regret sur sa vie passée) et s'en aller l'esprit serein (sans crainte de ce qui va arriver).

 (6.354)

Spiriposophie

Poésie, philosophie, spiritualité. L’esprit poétique ordinaire de la sagesse.

(6.355)

Genres mensongers

Un soir. Tu sors d’une librairie. Une question en tête. Tu t’interroges sur le roman et l’essai, seuls genres majeurs de la littérature. Tu constates que le monde n’accorde sa confiance qu’au mensonge et à la raison. Tu te questionnes sur cette apologie du mythe et de la pensée.

 (6.356)

Spiriposophie (bis)

Aux confins des trois disciplines. Au centre de leur intersection, tu ambitionnes ta place.

(6.357)

Dons

Tu aimerais exercer le plus beau métier du monde. Tu aimerais être. Voilà, à tes yeux, la seule activité qu’il serait raisonnable que l’on t’autorise à exercer. Tu imagines que la joie serait ton salaire. Tu serais payé de gratitude et de fraternité. Voilà pour toi le seul commerce et la seule monnaie dont tu serais digne. Mais tu blâmes la force simoniaque qui te pousse à cette pitoyable métaphore marchande. Tu oublies que ce travail t’est offert et qu’il t’appartient d’en offrir en retour, avec une infinie gratitude, les fruits à tous ceux qui tendent la main. Tu sais que chacun tend la main (et le cœur) dans l’espoir d’éclairer son ignorance et de réchauffer son âme qui se consume de solitude. Tu sais que chacun est un mendiant d’Amour. Alors tu te promets de donner, de donner avec joie, de donner de tout cœur, de donner sans compter, de donner sans espérer, de donner aux uns et aux autres, de te donner (à toi-même), de donner de toutes tes forces, de donner tant que la joie te donne, de donner encore lorsqu’elle se retire et de donner plus encore. Tu comprends que donner est ton seul travail lorsque la joie a fait le sien en toi.

 (6.358)

Désarticulation

Tu es (toujours) en quête d’idées (et de perceptions) nouvelles. Tu cherches à t’étirer. A te distendre. Et tu ignores que tu œuvres à ta rupture. Et à ta dislocation.

(6.359)

Rassemblement

Tes perceptions et tes idées nouvelles sont tes éclaireurs, tes coureurs de tête. Elles guident et orientent ton chemin. Et tes perceptions habituelles (ordinaires) ton peloton. Tu aimerais œuvrer à ton rassemblement. Rapprocher la tête du cœur.

 (6.360)

Décalage

Tu l’admets : tes pensées sont plus avancées que ta façon d’être.

(6.361)

Regroupement

Il t’arrive de délaisser la fuite en avant des perceptions et des pensées nouvelles. De tenter de faire mûrir les moins avancées d’entre-elles. Pour t’actualiser. Et te regrouper.

 (6.362)

Scribe

Au fil des pages, tu apprends à devenir un homme de l’être ordinaire. Et un modeste scribe de l’essentiel.

(6.363)

Désappropriation

Tu crains qu’il faille apprendre à devenir pauvre de Tout pour pouvoir goûter (véritablement) aux richesses du vivant – et à la joie d’être au monde.

 (6.364)

Sacrifice

Tu ne cherches jamais à tout prix (surtout au prix du mensonge) le Poétique. Tu privilégies toujours l'Authentique à l’esthétique. 

(6.365)

Dévouement

Tu es fidèle à toi-même (non au sens commun mais au sens vrai). Tu découvres la meilleure façon de rester fidèle à la vie.

 (6.366)

Préférence

Tu préfères (toujours) le Vrai même mal dit à la poésie.

(6.367)

Espoir désespérant 

Tu n’adoptes, en matière de marche intérieure, aucun volontarisme (aucun effort volontariste excessif). Tu évites de revêtir un costume rigide et élégant - aux yeux des autres, mais inauthentique qui ralentirait ta marche. Tu espères moins et réfrènes tes attentes. Tu t’adonnes au faire sans espoir et sans espérance. Tu t’adonnes au faire en poursuivant ta route dans une foi sans espérance. Cette idée te semble moins contradictoire qu’autrefois. Elle te semble néanmoins encore souvent incompréhensible. Il t’arrive pourtant de ressentir avec force la vérité de cette foi sans attentes. Elle te procure une détente incomparable. Tu sais qu'aucune activité ni aucun autre regard te permettraient d'atteindre la douce quiétude dont elle a su t'envelopper. Mais tu en connais le danger : t'attacher à cette sereine détente. Sans saisie, les choses adviennent comme un cadeau, comme une bénédiction, qui viennent couronner tes efforts de ne pas saisir. Et tu prends garde de ne pas tomber dans le piège de l'attente que cette idée pourrait faire naître en toi.

 (6.368)

Famille d’adoption

Tu rêves (en secret) d’appartenir à la longue lignée des auteurs essentiels (mi-chercheurs - mi-philosophes - mi-poètes). De t’asseoir, au bas des marches, à ta modeste place.

(6.369)

Distance

Aujourd’hui, tu apprends à vivre au plus près de toi-même. A proximité du monde. Très proche du monde.

 (6.370)

Spiriposophie (ter)

Tu observes, dépité, l’espace dépeuplé. Les 3 cercles asséchés. L’espace vide de croisements. Et le petit homme assis au centre qui pleure. 

(6.371)

Victoires ouvertes

Tu apprends à ne pas fuir les épreuves. Tu apprends l’indifférence devant la victoire et la défaite. Tu sais que l'essentiel réside dans la façon dont tu y fais face, la façon dont tu les accueilles, la façon dont tu les traverses. 

 (6.372)

Probabilité

Tu crois de moins en moins au hasard. Tu sens que tu es à l'origine des situations et des évènements que la vie pose sur ton chemin.

(6.373)

Homme de l’être

En dépit de tes insuccès, tu préfèrerais que l'on dise que tu as essayé de devenir non un homme de lettres mais un homme de l'être car dans les premières, seul ce dernier t'intéresse.

(6.374)

Apprentissage

Tu as l’intuition que chaque être est en vie pour apprendre à être. Voilà, à tes yeux, l’unique raison de notre présence… en cette vie… en ces multiples vies ici-bas…

 (6.375)

Inentendement

Tu aimerais continuer à dire l'indicible. A raconter la part exprimable de l'ineffable.

(6.376)

Paroles silencieuses

Tu aimerais bannir les mots. Inventer des mots silencieux. Trouver des mots au-delà des mots. Pour dire le silence et le merveilleux. Pour dire la joie et l’essentiel. Pour réconcilier l’être, la vie et les Hommes.

 (6.377)

A-tentation

Tu refuses de tenir le lecteur en haleine. Tu t’abstiens de le précipiter dans le récit. Tu t’interdis de l'éloigner de lui-même. Tu ne veux pas le tenir à distance de la vérité.

(6.378)

Insaisissable

Dans ces pages, tu te mets à nu. Mais tu décèles le mensonge de ton honnêteté. Tu sais que la vérité échappe à ta conscience.

 (6.379)

Lieu de rencontres

Tu notes (à l’instar d’Eri de Luca) que chaque livre est un lieu de rencontres. Un espace où se croisent une foule de personnages : auteur, lecteur, narrateur, protagonistes, symboles, consciences, inconsciences (pans obscurs du monde), univers réels, imaginaires, passé, futur, présent. Rencontres multiples et infiniment renouvelables…

(6.380)

Merveilleuse diversité

Tu remarques, émerveillé, qu’au même instant, la vie se déploie sous une infinité de formes. Cette simultanéité des évènements te fascine. Au même instant, tu perçois la mort, la naissance, l’amour, la haine, la joie, la souffrance, le bonheur, le désespoir, la gravité, l’insouciance, la flânerie, le labeur, le voyage, l’immobilité. A l’instant où tu écris ces lignes, tu prends conscience qu’une multitude d’êtres meurent, naissent, se suicident, font l’amour, dorment, construisent, travaillent, flânent, se reposent, voyagent, lisent, écrivent. Et tu songes, émerveillé et le cœur gratifiant, à la vie, à chaque instant, dans son œuvre continue et simultanée.

 (6.381)

Travail du souffle

Tu éprouves en écrivant un double sentiment d’omnipotence et d’humilité. Tu ressens la toute-puissance du créateur, façonnant les histoires, modelant le destin des personnages, inventant les mots et les concepts, découvrant les idées. Et tu ressens l’humilité de celui qui reçoit ce souffle mystérieux. Tu as conscience de n’être que le réceptacle de ce souffle. Et tu reconnais ton impuissance à le faire naître. Ton seul mérite consiste à favoriser les conditions pour l’accueillir. Et ton seul travail à le capter lorsqu’il te traverse.

(6.382)

Juste place

Note. Ton dénuement est une richesse. Ta vie dépouillée te place (toujours) au cœur de l’essentiel.

 (6.383)

Provenance

D'où viennent ces lignes ? Les as-tu imaginées ? Les as-tu vécues ? Jaillissent-elles des profondeurs abyssales de ta mémoire ?

(6.384)

Pauvre imaginaire

Tu blâmes la pauvreté de ton imaginaire. Tu ne peux créer un univers hors des références du monde. Tu ne peux imaginer un autre espace. Ta structure psychique en fixe les limites. Tu fais appel inconsciemment à un référentiel de concepts dans lequel tu puises tes maigres ressources imaginatives. Tu es incapable de repousser les frontières de tes références et des concepts humains. Tu ne peux échapper aux conditionnements de ton psychisme. Tu ne peux t’évader de ce monde clos. Tu n’imagines qu’à partir du connu.

 (6.385)

Pot-pourri

Tu avertis le lecteur alimentaire. Tu l’informes qu’il ne trouvera, dans tes livres, ni cuisine gastronomique, ni repas familial, ni met raffiné, ni plat de cantine, ni bouffe de cafétéria, ni sandwich de pique-nique improvisé, ni rebus de poubelle. Tu le préviens qu’il trouvera profusion de nourritures (un pot-pourri, divers victuailles, quelques recettes savoureuses, savamment et amoureusement préparées, quelques restes indigestes, quelques truffes délicates mêlées à quelques épices, bref une étrange bouillie à la saveur particulière). Tu lui conseilles de choisir, de laisser, de reprendre, de déguster, de recracher, de vomir et de digérer les aliments proposés et (surtout) d’en transformer quelques-uns en nutriments.

(6.386)

Ustensiles utiles

Tu as conscience que les êtres ne sont les uns pour les autres que les instruments de la vie. Et tu sais qu’il est vain (inutile et présomptueux) de croire autre chose.

 (6.387)

Cercle étroit

Tu vois ton œuvre comme un point minuscule (et invisible) circonscrit dans l’infinité. Tu sais que tu demeureras sans doute - à jamais - l’auteur des horizons limités.

(6.388)

Confiance

Tu agis dans le monde. Tu interviens dans l’existence des hommes. Mais tu t’interroges sur la justesse de tes actions. Tu penses qu’il faudrait laisser faire la vie. Tu te dis parfois que tu fais, toi aussi, partie de la vie. Tu remets en cause ton libre arbitre et ton pouvoir de décision. Tu ne sais qu’en faire. Ils te pèsent. Tu ne sais comment agir dans le monde, comment intervenir dans l'existence des autres êtres. Tu agis en ton âme et conscience. Mais elles te semblent si limitées et si étroites que tes actions te paraissent injustes et inappropriées. Tu aimerais adopter la décision et l'attitude justes. Tu essayes de ne suivre aucun idéal. Tu tentes d’agir dans l'instant selon la situation. Tu fais confiance à la vie qui souffle en toi et qui te dicte l'action à ta mesure, selon ta perception et ta compréhension. Tu œuvres avec prudence dans la confiance.

(6.389)

Double

Tu es un être ordinaire. Et les idées qui te traversent te semblent différentes. Elles te semblent peu communes. Tu t’interroges sur cette ambivalence. Tu aimerais comprendre l’origine de ce paradoxe, dévoiler cette double identité. Tu te demandes pourquoi l’être des surfaces recouvre si hermétiquement l’être des profondeurs.

(6.390)

Chemins apparents

Chez la plupart des Hommes, tu vois l’agitation de surface dissimuler (en vain) le vide et l’immobilité intérieurs et chez quelques-uns (bien rares) tu perçois la profondeur et l’étendue sous l’apparente immobilité des jours…

(6.391)

Empreintes subjectives (universelles)

Tes livres ne sont, en définitive, que les traces de ton expérience. Ton expérience commune et singulière du monde.

(6.392)

Recours

Tu t’évertues à laisser les êtres du monde puiser en toi les ressources pour qu’ils trouvent en eux la force d'accueillir la vie et le courage de poursuivre leur chemin.

 (6.393)

 

23 novembre 2017

Carnet n°21 Traversée commune Livre 5 - La voie

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Initiation à la spiriposophie (l’esprit poétique ordinaire de la sagesse).

Quelques exercices préparatoires singuliers pour apprendre à goûter pleinement la saveur des jours. A retrouver le sens sacré de l’ordinaire.

Aperçu du chemin de l’être éveillé.

 

  

Trésor                                                                  

La simple richesse d’Être. Démunie d’Avoir.

(5.1)

 Route sinueuse

Un long et difficile chemin. Pour découvrir les merveilles (et la dimension merveilleuse) du voyage.

 (5.2)

 

LA VOIE propose trois séries de fragments, QUINTESSENCE, LES LOGES DU QUOTIDIEN et LE CHEMIN ORDINAIRE. 

 

QUINTESSENCE

Traversée commune.

Rappel synthétique du chemin universel de l’Homme ordinaire (de l’Homme commun) qui marche de l’obscurité vers la lumière… Initiation à la spiriposophie* (l’esprit poétique ordinaire de la sagesse).

 

LES LOGES DU QUOTIDIEN

Traversée singulière.

Quelques exercices préparatoires singuliers pour apprendre à goûter pleinement la saveur des jours. A retrouver le sens sacré de l’ordinaire.

 

 

LE CHEMIN ORDINAIRE

Traversée commune.

Aperçu projectif du chemin de l’être éveillé.

 

 

PARTIE 1 QUINTESSENCE (Initiation à la spiriposophie)

Traversée commune

(à gauche et à droite)

 

Préambule

Quintessence tente de retracer le chemin universel de l’Homme ordinaire (de l’Homme commun) qui marche de l’obscurité vers la lumière (rappel synthétique de la traversée).

 

PARTIE 1.1 LA TRAVERSEE DES MONDES OBSCURS

LE CHEMIN

Funestes bagages                            

Ta vie est un voyage. Et tu te trompes de bagages.            

(5.3)

Encombrement

Tu traînes tes malles sur le chemin des jours.

(5.4)

Vagabondage                        

Tu te promènes. Tu cueilles. Tu flânes. Tu baguenaudes au gré des vents contraires.

(5.5)

Aveuglement

Tu marches, insouciant et satisfait, vers l’abîme.

(5.6)

Omission

Tu vis insoucieux du sens.

(5.7)

Crédulité

Tu crois avancer. Tu piétines. Tu t’enlises.

(5.8)

Course folle

Tu t’égares à la surface du monde.

(5.9)

 

 

LES RAPPORTS AU MONDE

Marchandage

Tu te monnayes. Tu te marchandes. Pour assurer ta survie. Pour dénicher (et perpétuer) ta place au sein de l’Existant

(5.10)

Âme possessive

Tu t’appropries les êtres, les choses et l'espace. Tu œuvres à tes ambitions expansionnistes.

(5.11)

Rencontre                                

Tu rencontres l’Autre. Et tu ne cesses de te heurter à ton ombre.     

(5.12)

Egarement

Tu t’égares en cherchant vainement la proximité d'une âme.

(5.13)

CARACTERISTIQUES PRINCIPALES

LA PEUR

Crainte

Tu échafaudes plans et stratégies pour assurer ta survie. Tu oeuvres sans relâche à ta protection.

(5.14)

 

LE DESIR

Chimères

Tu brigues le pouvoir, la richesse, le plaisir, la reconnaissance, le bonheur. Tu poursuis tes chimères.

(5.15)

Indigence

Tu prosaïses la quête. Tu te bornes à améliorer tes conditions d’existence.

(5.16)

Fantasme universel                 

Tu aimerais continuer à être à perpétuité.                 

(5.17)

           

L’ORGUEIL ET L’EGOCENTRISME

Humilité                                    

Tu t’enorgueillis de tes succès. Mais jamais tu ne te poses la question de ta place dans l’univers. Jamais tu ne te juges à ta vraie mesure.      

(5.18)

Hiérarchisation

Tu hiérarchises les malheurs. Tu es le centre des cercles concentriques. Premier sur l’échelle de la différenciation.

(5.19)

 

 

L’ETROITESSE, L’IMMOBILITE ET L’HORIZONTALITE

Prison                                                             

Ton regard t’enferme.            

(5.20)

Délimitations

Tu enclos tes frontières.

(5.21)

Stagnation                               

Tu immobilises ton humanité.

(5.22)

Abscisse

Tu vis à l'horizontal. Point zéro de la verticalité.

(5.23)

 

L’IGNORANCE ET L’AVEUGLEMENT

Intelligence                                

Tu n’es pas idiot. Tu ignores.  

(5.24)

Maladresse bornée

Tu juges avec maladresse l’insignifiance des jours.

(5.25)

Certitude                                  

Tu connais la destination. Mais tu ignores le but du chemin.           

(5.26)

Proximité

Tu cherches la clé. Et tu la portes au cou comme un fardeau ennuyeux.

(5.27)

Supplice                                   

Ton ignorance est ton enfer. Et tu l’ignores.

(5.28)

 

L’ESPOIR

Asile à venir

Tu espères trouver un refuge lointain. Et à chaque instant, tu procrastines.

(5.29)

Espérance

Tu espères découvrir la porte au bout du voyage.

(5.30)

Bagages

Tu avances avec l’espoir et la désespérance de ta condition. 

(5.31)

Poursuite

Et tu poursuis ton voyage…

 

 

PARTIE 1.2

LA TRAVERSEE DE L’ESPRIT AVENTUREUX

LA FUITE DU REEL

Dérobade

Tu te dérobes à l’insoutenable pesanteur du réel.

(5.32)

Désengagement 

Tu te soustraits à l’inconfort de l’esprit.

(5.33)

Evitement

Tu esquives l’exercice des jours.

(5.34)

Narcotique

Tu divertis ton attention. Tu anesthésies ta conscience.

(5.35)

Quête illusoire

Tu cherches l’impossible ailleurs.

(5.36)

Fuite colorée

Tu arpentes les terres du vent. Tu suis le cours de l’arc-en-ciel.

(5.37)

Errance                                     

Tu cherches partout le chemin qui t’échappe. Tu t’égares.

(5.38)

 

 

PARTIE 1.3

LA TRAVERSEE DE L’EPOPEE SPIRITUELLE

LA QUÊTE DU SALUT

Désobscurcissement

Tu découvres l’absurdité de ta traversée.

(5.39)

Pansement

Tu cherches une réponse à ton malaise fondamental. A apaiser ton angoisse métaphysique.

(5.40)

Lueur d’espoir

Tu rêves d’échapper à ton funeste destin.

(5.41)

 

Galerie intérieure

Tu t’enfonces dans tes profondeurs. Et tu découvres, enfouie au loin, une obscure lueur.

(5.42)

Aveuglante précipitation

Tu fais halte à la première lumière du chemin.

(5.43)

Borne

Tu optes pour la voie tracée. Tu suis le chemin balisé.

(5.44)

Piste

Tu suis des traces, marchant dans des empreintes trop larges.

(5.45)

Détresse

Tu t’accroches au Salut comme à une bouée lointaine. Pour te sauver des tempêtes passées. Et de ton naufrage à venir.

(5.46)

Renflement de l’extension

Tu crois éroder les cercles concentriques. Tu boursoufles ton enveloppe. Tu imagines atteindre l’essentiel. Tu dilates la surface.

(5.47)

Ténébreuse lumière

Au fond de l’impasse, tu découvres l’imposture de ton éclairage.

(5.48)

Unique issue

Au cœur de la nuit, tu expérimentes une effroyable mise à nu.

(5.49)

Frontière

Après une terrifiante traversée du néant, tu découvres la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs

 (5.50)

 

PARTIE 1.4

LA TRAVERSEE DE L’ENTRE-DEUX

LE CHEMIN

Ouverture

Tu ouvres la porte de l’horizon.

(5.51)

Premières couches

Tu pénètres la surface des terres profondes.

(5.52)

Dessin

Le chemin se dessine au fil de tes pas.

(5.53)

Piste

Tu trouves ta piste. Tu inverses le sentier. Tu poursuis ton chemin d’étoiles sous les ornières du ciel.

(5.54)

 

Essence nécessaire

Tu chemines sur le double chemin. Tu œuvres au nécessaire et à l’essentiel. Tu développes l’être sans négliger la matière. Tu œuvres à l’Absolu sans dédaigner le relatif.

(5.55)

Voyage commun

Tu entrevois le long voyage dans l’ordinaire des jours.

(5.56)

Maître mot

Chaque pas t’enseigne.

(5.57)

 Marche éternelle

Tu chemines. Sans cesse.

(5.58)

Périple

Tu sais que tout est voyage.

(5.59)

 

CARACTERISTIQUES PRINCIPALES

L’ELARGISSEMENT ET L’OUVERTURE

Large sillon

Tu arpentes la profondeur du chemin. Tu élargis la voie. Tu ouvres l’horizon.

(5.60)

 Ouverture

Tu sors du cercle étroit.

(5.61)

Délimitations

Tu travailles au dépassement de tes frontières.

(5.62)

Chemin privilégié

Tu sors de toi. Tu empruntes l’unique chemin.

(5.63)

 

L’ACCUEIL

Réception

Tu accueilles l’œuvre des évènements.

(5.64)

Tabernacle

Tu accueilles la souffrance.

(5.65)

 

L’APPROFONDISSEMENT ET LA RECONCILIATION

Ralentissement

Tu ralentis la marche. Tu apprends à te rassembler. Tu œuvres à tes avancées.   

(5.66)

Armistice

Tu pacifies tes combats.

(5.67)

Face à face

Tu remues tes profondeurs.

(5.68)

Asile

Tu accueilles tes territoires contradictoires.

(5.69)

Apprentissage

Tu apprends à te connaître. Et à te réconcilier.

(5.70)

 

LA SIMPLIFICATION

Nettoyage en profondeur

Tu vides l’espace. Tu déblayes le superflu. Tu dé-couvres l’espace abyssal.

(5.71)

Dénuement  

Tu te dépouilles. Tu découvres la richesse de l'essentiel.

(5.72)

Règle du jeu

Tu délaisses le jeu du monde. Tu laisses la vie édicter ses règles. 

(5.73)

 

L’EMERVEILLEMENT, LA JOIE ET LA GRATITUDE

Balancement

Tu remercies tes expériences oscillantes.

(5.74)

Gratitude

Tu honores l’autel du monde.

(5.75)

Trésor

En chaque être, tu admires l’infinité.

(5.76)

 Qualités

Tu te contentes, tu gratifies, tu t’émerveilles. Tu éclaires l’horizon.

(5.77)

Clés

Tu ouvres les portes de la joie.

(5.78)

 Gratitude (bis)

Tu remercies en silence. Et ton murmure est entendu. 

 (5.79)

Merveilleux périple

Ta vie est un voyage d’émerveillement.

(5.80)

 

L’AMPLIFICATION ET LA DEGROSSIERISATION DE LA PERCEPTION

Singularité

Tu explores l’intime et découvres l’universel.

(5.81)

Enseignement

Tu apprends la métamorphose du regard.

(5.82)

Regard

Tu distingues la profondeur du réel.

(5.83)

 

Répétition

Tu découvres les leçons des jours.

(5.84)

Evidence

Tu as une certitude. Le quotidien est le seul voyage.

(5.85)

Dés-apprentissages

Tu apprends à désapprendre. Tu ouvres la porte à la connaissance.

(5.86)

Révélation

Tu découvres la transparence du monde.

(5.87)

Spectacle

Derrière la danse macabre des éléments, tu perçois la merveilleuse chorégraphie du vivant.

(5.88)

 

FACE AU REEL

Principe de réalité

Tu oublies le chemin idéal. Tu voyages en ta compagnie.

(5.89)

Chemin d’épines

Tu apprends à marcher nu et vulnérable sur le sentier épineux.

(5.90)

 

Approfondissement

Tu n’espères plus. Tu te penches sur tes tourments.

(5.91)

Invitation

Tu invites tes bourreaux sur l’échafaud.

(5.92)

Âme forgée

Tu résistes à tes faiblesses, tu te forges l’âme.

(5.93)

Avancement

Tu expérimentes tes doutes. Tu érodes tes résistances. Tu œuvres à ton mûrissement.

(5.94)

Refuge

Tu trouves refuge au cœur du chaos.

(5.95)

 

L’INTENSIFICATION ET LA VERTICALISATION

Perspective verticale

Tu verticalises l’horizontalité. Tu transformes les perspectives.

(5.96)

Fraîcheur

Tu renouvelles, à chaque instant, ton regard.

(5.97)

Intensification

Tu œuvres à l’intensification de l’instant.

(5.98)

 

L’AUTONOMISATION PARTICIPATRICE*

Source intarissable 

Tu bois à la source. Et tu découvres ta propre fontaine.

(5.99)

Engagement

Tu te désengages. Tu apprends l’ouverture sans indifférence.

(5.100)

Elément de l’infinité

Tu découvres ta place dans l’univers infini. 

(5.101)

 

LES RESISTANCES ET PERSISTANCES OBSCURES

(DECOURAGEMENT, PEUR, FUITE, RESURGENCE DES HABITUDES…)

Déchargement

Tes malles te ralentissent. Elles t’ouvrent la voie.

(5.102)

Turbulences

Tu éprouves toutes les turpitudes du périple.

(5.103)

Sursis

Tu diffères ton inévitable confrontation à la mort.

(5.104)

 Retraite

Tu rêves parfois d’une halte dans l’exercice des jours. 

(5.105)

Dérobade

Tu esquives (parfois) ton face à face.

(5.106)

Distance

L’autre rive te semble (encore) lointaine.

(5.107)

 Négligence

Tu oublies (parfois) l’extraordinaire privilège d’être vivant.

(5.108)

Poursuite

Et le chemin continue…

 

 

PARTIE 2

LES LOGES DU QUOTIDIEN

QUELQUES EXERCICES PREPARATOIRES

Traversée singulière

(à gauche et à droite)

Préambule

Les loges du quotidien ont pour ambition de t’inviter à goûter pleinement la saveur des jours. A retrouver le sens sacré de l’ordinaire, à redonner à tes journées habituelles leurs lettres de noblesse.

 

L’exercice des jours

Que voile (ordinairement) le rideau du quotidien ?

(5.109)

Derrière le rideau

Tu expérimentes les obstacles habituels. Le tourbillon des heures, l’effervescence des jours (la précipitation et les gestes automatiques), la routine des habitudes (l’ennui, la torpeur de l’esprit, l’excès de distraction…), la hiérarchisation des activités, le regard réducteur coutumier sur le réel. Tu abordes ton espace temporel familier entravé par ta perception du temps, de l’ « agir » et de la réalité. Incapable de vivre pleinement l’exercice des jours.

(5.110)

 

LE TOURBILLON DES HEURES, L’EFFERVESCENCE DES JOURS

Obstacle : le tourbillon habituel

L’énergie débordante, l’élan de vitalité couplé à l’agitation du monde t’enjoignent (souvent) de forcer l’allure de ta marche quotidienne.

(5.111)

Mode automatique perpétuel

Tu te hâtes. Sans cesse tu te hâtes. Impatient d’achever une activité pour commencer la suivante. Tu t’empresses de te réveiller. Pour te lever. De te lever pour prendre ton petit déjeuner. De boire ton bol et d’avaler tes tartines pour te laver. De te laver pour t'habiller. D’enfiler ta veste pour aller travailler. D’achever ton travail pour aller déjeuner. D’achever ton repas pour reprendre ton activité. De quitter ton espace professionnel pour rentrer chez toi. D’ouvrir la porte de ton logement pour retrouver ton environnement familier. De cuisiner pour dîner. De prendre ton repas pour commencer ta soirée. D’achever ta soirée pour aller te coucher. De t’endormir pour recommencer le lendemain. Et recommencer (ainsi) chaque jour. Jusqu’à la fin de tes jours. 

(5.112)

Résumé du gâchis

Emploi du temps serré, heures stressées, jours gâchés. Cœur agité. Esprit préoccupé. Conscience angoissée. Existence effrénée. Au bout de la traversée, la mort assurée (bien sûr) appréhendée par une âme désenchantée (et apeurée face au mystère du vivant encore non dévoilé).

(5.113)

Désastre

Ta précipitation sape ta joie. Et ta sérénité.

(5.114)

Antidote : le ralentissement

Tu ralentis le pas, tu ralentis le geste, tu décomposes le mouvement.

(5.115)

Eloge de la lenteur

Tu goûtes à la sereine lenteur du geste harmonieux.

(5.116)

Similitude

Tu apprends (avec intelligence) à ralentir. Et tu goûtes avec une joie et une sérénité identique chaque mouvement du corps, chaque mouvement de la pensée.

(5.117)

Juste perception

Tu décomposes chaque geste. Et son infinie complexité t’émerveille. Tu perçois l’étonnante ampleur du quotidien.

(5.118)

Résultat

Tu désagrèges (progressivement) ton insatiable besoin de vitesse. Pour entreprendre chaque activité avec la même lenteur, la même intensité et la même joie.

(5.119)

Libération

Tu te libères des griffes des heures. Tu échappes au gouffre du temps.

(5.120)

Distances

Tu t’accordes un espace de présence au cœur du quotidien. Dans le tourbillon des heures. Au sein de l’agitation du monde. 

(5.121)

Conseil de présence

Un instant après l’autre.

(5.122)

Présence renouvelée

Instant après instant se vit le présent.

(5.123)

Conseil éternel

Le voyage commence ici et maintenant (en lisant ces lignes) et se poursuivra à chaque instant. Instant après instant. En achevant la lecture de ce paragraphe, en tournant la page, en refermant ce livre, en quittant ce lieu, en ouvrant la porte, en traversant le couloir, en changeant de pièce, en montant les escaliers. En poursuivant ton chemin, en vivant ton existence. Instant après instant…

(5.124)

Habituel retour des habitudes

Quand ressurgissent la vitesse, l’agitation, la frénésie habituelle de ta course folle, tu t’arrêtes. Tu marques une pause. Simplement. Tu te détends. Et tu respires profondément (pendant quelques instants) avant de reprendre ton activité avec lenteur. Et de poursuivre le cours de ton activité, le cours de ta journée.

(5.125)

 

 

LA ROUTINE DES JOURS 

Obstacle : la routine ennuyeuse

Tu appréhendes (parfois) le temps quotidien comme une étendue de sable éternellement immobile où s’écoulent les heures interminables.

(5.126)

Réactions à l’obstacle

La fuite. Et le divertissement.

(5.127)

Invitation

Tu prends garde à ne pas t’enliser dans l’apparente fixité des jours. Le temps passe. Chaque jour, chaque heure, chaque seconde t’invite à sortir du sommeil de la routine. Chaque instant t’invite à t’éveiller au quotidien ordinaire.

(5.128)

Antidote : la mort

Chaque instant te rapproche de ton trépas. Tu prends conscience de la préciosité de chaque instant.

(5.129)

Antidote (bis) : anodines variations

Tu apprends à regarder les infimes oscillations du quotidien éternellement changeant.

(5.130)

Juste appréciation

Tu apprends à apprécier le moindre geste.

(5.131)

Hors de prix

Tu ressens avec la même joie chaque mouvement.

(5.132)

Présence éternelle

Tu ne vis, n’as vécu et ne vivras que l’instant.

(5.133)

Potentiel inestimable

Chaque instant a une égale valeur. Il porte en lui un potentiel de joie identique et recèle l’éternité.

(5.134)

 

LA HIERARCHISATION DES ACTIVITES

Obstacle : le tri délétère

Tu opères une distinction entre les activités. Tu favorises celles que tu juges plaisantes, agréables, nobles et valorisantes et rejettes (ou repousses) celles qui t’apparaissent (ordinairement) pénibles, ingrates, inutiles, contraignantes et désagréables.

(5.135)

Antidote : le reéquilibrage activitorial

Tu bannis la hiérarchisation des activités.

(5.136)

Inversion du regard

Tu apprends à redonner leur gloire aux activités qui t’apparaissent ordinairement pénibles, ingrates, inutiles, contraignantes et désagréables.

(5.137)

 Décroissance

Tu apprends à redonner une plus juste valeur aux activités que tu juges ordinairement plaisantes, agréables, nobles et valorisantes.

(5.138)

Sereine liberté

Tu apprends à appréhender chaque activité comme un espace (et une source) de détente. 

(5.139)

Paix roborative

Tu abordes chaque activité avec une joie égale. Et en chacune, tu découvres une surprenante façon de te ressourcer (et de te détendre).

(5.140) 

Présence juste

En bannissant la hiérarchisation des activités, tu découvres une juste façon d’être présent à toi-même. Et une nouvelle façon d’être présent au monde.

(5.141)

Attention

Tu es attentif au corps. Aux gestes du corps. Tu apprends à apprécier d’une égale façon le mouvement de la main qui saisit un verre, qui lasse une chaussure, qui joue d’un instrument de musique, qui caresse un corps, qui frappe les touches d’un clavier, qui malaxe la terre, qui plante un clou, qui lave une assiette ou essore une serpillière.

(5.142)

Hors de crainte

Tu ne crains pas d’être idiot ou inconsistant en t’extasiant devant les gestes et les actes les plus insignifiants du quotidien.

(5.143)

Noblesse

Au cœur du quotidien, aucune situation, aucun évènement, aucun geste n’est indigne de ta condition.

(5.144)

Sacre commun

Tu comprends que tes jours ordinaires portent en eux l’essence sacrée de la vie.

(5.145)

 

LE REGARD REDUCTEUR COUTUMIER

Obstacle : d’affreuses options

Ton goût (et ton choix perpétuel) pour la beauté, l’agréable, le profit, le bien (le meilleur) et ton incessant rejet (en tous domaines) du laid, du désagréable, de la perte, du mal (du pire) - selon les critères collectivement établis - sont le signe évident d’un aveuglement et d’un manque de confiance à l’égard de la vie qui révèle ta méconnaissance de ton identité véritable.

(5.146)

Couleurs déformées du réel

Le regard que tu portes sur la plus ordinaire des situations, le plus anodin de tes actes, le plus simple de tes gestes teinte ton quotidien d’une couleur si tenace qu’elle en imprègne toute ton existence.

 (5.147)

Antidote : le dépassement

Tu apprends à élargir, à approfondir et à affiner ton regard sur la vie, le monde et le réel.

(5.148)

Quête identitaire

Tu cherches à découvrir ta véritable identité. Et les liens qui te relient à ce qui te semble étranger.

(5.149)

Désegotisation

Tu apprends (progressivement) à te décentrer.

(5.150)

Palimpseste perceptif

Tu renonces aux exigences de la mémoire. Aux comparatifs qu’affectionne ton esprit. Et qui conditionnent tes choix. Pour apprendre la fraîcheur et la spontanéité du regard.

(5.151)

Œuvre de longue haleine

Tu laisses le temps œuvrer à la transformation de tes perceptions. Tu apprends le mûrissement.

(5.152)

Longs apprentissages

Tu œuvres (patiemment) à rééduquer ton regard

A désapprendre ce que tu as appris

A oublier tes certitudes

A dissiper tes vieilles habitudes

A réapprendre à regarder le réel

Pour appréhender la vie avec un œil neuf, un esprit attentif et un cœur bienveillant.

(5.153)

 

LE REEL, ELEMENT DE LA PERFECTION

Cheminement

Le réel est ton chemin. Et son accueil, ton seul guide.

(5.154)

Apprentissage

Au contact du réel. Tu ne cesses d’apprendre.

(5.155)

Fuites entamées

Tu érodes (patiemment) toutes esquives de ce qui est.

(5.156)

Renoncement

Tu renonces à tes attentes. Et à tes exigences.

(5.157)

Déplacement

Tu désinvestis tes idéaux.

(5.158)

Invitation

Tu apprends (progressivement) à faire face à ce qui advient. A chaque instant.

(5.159)

Principe de réalité

Tu prends conscience que le réel est le plus sûr chemin vers la paix, la joie et la sérénité.

(5.160)

Réalité parfaite

Tu acceptes tes imperfections comme les éléments parfaits du réel.

(5.161)

Servitude libératrice

Tu te plies aux exigences du réel. Tu n’obéis pas à une servitude supplémentaire. Tu ouvres la porte à l’horizon infini de la liberté…

(5.162)

Synthèse de la préparation

Tu ralentis la marche forcée de tes journées

Tu ralentis tes gestes et ton allure

Tu t’octroies quelques pauses dans la course du temps.

Tu demeures attentif et détendu

Tu portes sur le monde un regard lent, doux, tranquille et bienveillant

Tu expérimentes tes premiers exercices de transformation du regard

Tu effectues tes premiers pas vers un quotidien riche et serein.

(5.163)

 

RESUME : LE VIATIQUE DE L’ÊTRE (POUR APPRENDRE A ÊTRE)

Vigilance

Tu apprends à demeurer présent. Attentif aux situations extérieures. Et attentif aux pensées et aux émotions (liées aux situations extérieures) qui surgissent en toi.

(5.164)

Accueil

Tu accueilles tout ce qui t’échoit. Intérieurement. Et extérieurement.

(5.165)

Métamorphose perceptive

Tu poursuis la lente transformation de ton regard sur le réel.

(5.166)

Gratitude

Tu renonces à tes exigences. Tu loues le simple (et merveilleux) fait d’être vivant. Tu apprends à te satisfaire de ce qui est. Puis à l’honorer. Et à remercier pour cette abondance de richesses (dont tu n’as ordinairement nullement conscience).

(5.167)

Imprégnation

Tu laisses advenir le lent travail d’imprégnation en ton cœur.

(5.168)

Personnalisation du chemin

Tu œuvres (et chemines) à ta mesure. Avec patience et persévérance.

(5.169)

Rythme de progression

Tu te hâtes avec lenteur.

(5.170)

 

OBSTACLES ENTRAVANTS

En cas d’impossibilité

Face aux difficultés engendrées par certaines situations, évènements ou états intérieurs où il t’est impossible de mettre en œuvre le contenu de ton viatique, comme les inévitables résurgences des conduites coutumières entravantes (peur, phobie…). ou la réapparition exacerbée des forces inconscientes marquée par une forte surcharge émotionnelle (colère, tristesse, découragement, déprime, dépression…), tu as recours à la trousse d’assistance. 

(5.171)

 

TROUSSE D’ASSISTANCE

Distanciation

Tu apprends à créer un espace intérieur. Tu aménages une distance entre la situation extérieure (ou l’événement) et les émotions et les pensées qu’elle fait naître en toi. Pour appréhender les évènements avec recul.

(5.172)

Désappropriation

Tu dépersonnifies* tes émotions, tes sentiments, tes pensées. Tous tes états intérieurs. Tu les accueilles comme états universels (et non personnels) qui traversent ponctuellement ton esprit. Comme l’esprit (ou la conscience) de toutes les formes du vivant.

(5.173)

Paysages 

Tu apprends à considérer les formes vivantes et les évènements (dont la présence ou la survenance t’effraient, te troublent ou te blessent - et tous les dangers potentiels qu’ils représentent à tes yeux) comme simples paysages du monde. Eléments naturels du décor.

(5.174)

Conclusion : la progression

Chaque jour, tu apprends à marcher. A faire quelques pas dans le quotidien… pour faire naître en toi une façon nouvelle d’appréhender la vie et le monde. Chaque jour, tu découvres une nouvelle étape dans l’aventure quotidienne.

(5.175)

Conclusion (bis) : espèce rare

Rares sont ceux qui ont traversé la frontière. Parvenus au delà. Chez eux, tu décèles une présence, une attention claire. Une intelligence vive. Une incomparable écoute. Et une lucide bienveillance.

(5.176)

 

 

PARTIE 3

LE CHEMIN ORDINAIRE

Traversée commune

(au centre)

 

Un juste équilibre

 

Préambule

Tu traverses l’ombre et la lumière.

Tu chemines sans crainte et sans aveuglement.

 (5.177)

 

Avant-propos

Tu n’as encore (véritablement) marché sur la Voie. Tu l’as parfois entrevue (au loin) sur le chemin de l’Entre-deux. Il t’est arrivé de goûter quelques instants cette saveur particulière. Vagues prémices. Simple avant-goût (sans doute) du chemin ordinaire. Mais il t’est (encore) impossible d’y demeurer. Tu ne peux qu’imaginer cette voie merveilleuse. L’imaginer seulement. Note. Tu connais les fourvoiements de l’imaginaire, incapable d’anticiper (et d’appréhender) avec justesse le réel. Mais en dépit des inévitables décalages entre les projections imaginatives et la réalité, tu décides de noter, à travers 4 fragments principaux,l’esprit de cet extraordinaire chemin ordinaire.

 (5.178)

 

Maîtres-mots

Présence, harmonie, simplicité, quotidienneté

 (5.179)

 

Réunification préalable

Tu relis les parcelles.

Tu réunifies les fragments.

Tu réconcilies le réel.

 (5.180)

 

Dépouillement

Le réel est ton seul bagage.

Tu vas nu sur le chemin.

 (5.181)

 

Pleine conscience

Tu vis l’instant.

Tu disparais.

Tu es présence.

 (5.182)

 

Justesse

Tu demeures immobile.

Tu agis selon la situation

(les exigences de chaque situation).

(5.183)

 

Etre éternel

Tu es. Pour l’éternité.

 (5.184)

 

Poursuite

Et le voyage continue…

_

22 novembre 2017

Carnet n°20 Traversée commune Livre 4 - L'entre-deux

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

La quête de lumière de l’Homme commun singulier. Derrière la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs, l’Homme commun devient naturellement singulier. L’opposition entre le singulier et le commun s’efface pour laisser place à un affrontement - et à une alternance - entre les dimensions obscures et lumineuses de l’Homme qui marche seul sur son chemin entre la pénombre et les éclaircies au gré des phases sombres et lumineuses.

  

  

Oscillation

Tu oscilles entre la pénombre et les éclaircies. Tu explores les couleurs du chemin.

(4.1)

De part et d’autre

Entre la clarté et l’obscurité, ton ombre tremblante avance et découvre le subtil nuancier en mouvement.

 (4.2)

 

 

L’ENTRE-DEUX propose deux séries de fragments entremêlées, OSCILLATIONS et DE PART ET D’AUTRE.

 

OSCILLATIONS et DE PART ET D’AUTRE

Traversées commune et singulière.

La quête de lumière de l’Homme commun singulier. Derrière la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs, l’Homme commun devient naturellement singulier. L’opposition (établie au cours des phases précédentes) entre le singulier et le commun s’efface pour laisser place à un affrontement - et à une alternance - entre les dimensions obscures et lumineuses de l’Homme qui marche seul sur son chemin entre la pénombre et les éclaircies au gré des phases sombres et lumineuses.

 

OSCILLATIONS

Traversée commune

(à gauche et à droite)

 

DE PART ET D’AUTRE

Traversée singulière

(à gauche et à droite)

A gauche : éclaircies et lumière

A droite : ombres et obscurité

 

Ombres et lumières alternent, se succèdent, s’enchaînent, se répètent, se neutralisent parfois… et contribuent à éclairer le chemin…

 

Préambule : derrière la porte étroite, tu aperçois l’horizon. Tu délaisses l’obscur sentier pour arpenter l’obscurité des mondes. Au cœur de l’obscurité, tu apprends à décrypter les couleurs de la lumière.

 

Eclaircissement

Au détour du sentier obscur naît ton chemin. L’étroit chemin des horizons illimités qui s’enfonce vers la Lumière.

(4.3)

Fidèle compagnon

Tu reconnais ton chemin. Tu regardes derrière toi. Et tu admets que le temps est ton meilleur compagnon de voyage.

(4.4)

Puzzle

Tu examines rétrospectivement ta vie. Et tu comprends que chaque évènement a une place dans la cohérence de ton parcours, qu'il est la pièce manquante de ton puzzle en construction.

(4.5)

A la lisère

Enfoui dans la nuit des ténèbres, tu es à la lisière de la clairière. A l’endroit où se perd l’obscur sentier.

 (4.6)

Indications

Tu chemines en cherchant en toi le chemin et la force de poursuivre ta route. 

 (4.7)

Epuisement

Tu cherches sans défaillir. Tu épuises la quête pour dé-couvrir l’être*.

 (4.8)

Diffusion lumineuse

Ton regard assombri (soudain) s’illumine et éclaire le monde.

 (4.9)

Ouverture

Tu ouvres la porte de l’horizon.

(4.10)

Elévation

Tu élèves ta conscience vers des cieux plus vastes.

(4.11)

Long espace

Tu cherches la joie. L’espace derrière la porte. Tu transformes ton regard. Tu traverses le long couloir. Tu tournes la clé. Et tu pousses la porte qui mène à l’espace.

(4.12)

Premières couches

Tu pénètres la surface des terres profondes.

 (4.13)

Hauts fonds

Tu avances vers les hautes profondeurs de la Conscience.

(4.14)

Lignée ancestrale

Tu descends en toi. Tu ouvres l’espace abyssal où tous les quêteurs et chercheurs ont cheminé, se sont égarés pour se (re)-trouver enfin.

(4.15)

Paysages changeants

Tu expérimentes la conscience.

(4.16)

L’abîme de l’être

Tu découvres des abîmes de vérités. Mais tu crains le voyage vers l’être qui t’habite.

(4.17)

Clarté obscure

Ta conscience est un espace obscur. Quelques traits de lumière parfois le traversent. Et tu aspires à la transformer en un espace de clarté voilée d’un peu d’obscurité.

(4.18)

Chemin d’épines

Tu apprends à marcher nu et vulnérable sur le sentier épineux.

(4.19)

Leçon

Tu regardes ta finitude. Tu contemples ta mort pour apprendre à vivre debout, à chaque instant, l’esprit serein, le cœur gratifiant et l’âme libre.

(4.20)

Identité réelle

Tu es encore aveuglé par ta peur de disparaître, ton besoin de perpétuation et de sécurité. Tu te protèges toujours (en vain) des évènements et des expériences.

(4.21)

Certitude   

Tu t’éloignes de l’incertain. Tu plonges dans la confiance.

(4.22)

Sérénité

Tu délaisses l’inquiétude. Tu sais ton être fondamental impérissable.

(4.23)

Indestructibilité

Tu sais que nul danger ne peut porter atteinte à ta véritable identité. Ni la mort, ni la souffrance, ni la maladie. Tu sens l’éternité que tu portes en toi. Tu sens une présence éternelle qui habite au-delà de ton entité matérielle et nominative.

(4.24)

Double voie

Tu empruntes ton sentier sur le chemin de la vérité.

(4.25)

Chemin

Tu sais qu’il n’existe qu'un chemin. Unique pour chacun.

(4.26)

Nécessité

La nécessité guide ton existence. Tu te demandes si elle est un besoin objectif impulsé par une force transcendante (l’intelligence fondamentale qui t’habite) ou un besoin subjectif guidé par l’inconscient et qui se mue en désir fantasmatique. Tu y réfléchis et tu finis par t’en moquer. Tu comprends que la seconde option représente une étape préalable incontournable sur le chemin.

(4.27)

Indication

Certaines routes continuent à te séduire. Tu aimerais suivre ceux qui y cheminent. Mais tu t’abstiens. Tu t’inspires de leurs pas. Et tu poursuis ta marche sur ton sentier. 

(4.28)

Mimétisme

Tu regardes avec envie les têtes bienveillantes assises paisiblement sur l’autre rive. Tu aimerais les imiter, suivre leurs traces, emprunter leur itinéraire pour les rejoindre. Mais tu te contentes de poursuivre ton chemin.

 (4.29)

Du bon usage de la marche

Tu refuses d’être porté par les hommes sages du monde. Tu avances porté par tes propres jambes. Tu salis tes souliers façonnés à la mesure de tes certitudes. Tu en uses les semelles en cheminant pas à pas. Et tu contemples, du haut de tes convictions et certitudes nouvelles et transitoires, le chemin parcouru. 

(4.30)

Turbulences

Tu éprouves les turpitudes du périple.

 (4.31)

Buisson

Tu cherches l'essentiel. Et tu t’égares dans le fatras d'ornières et de ronces où se cache la rose fragile et impérissable.

 (4.32)

Boucle épuisante

Ta marche est éreintante. Tu t’y enlises. Tu t’y épuises. Ta marche est incessante.

A chaque instant, tu t’efforces de rendre ta conscience plus claire, plus vive, plus vaste. Et tu as le sentiment (paradoxal) de t’enfermer dans l’obscurité. Et cette obscurité t’incite à poursuivre cette marche qui t’épuise. Tu arpentes le cercle infini.

 (4.33)

Tempête

Les vagues déchaînées te ballottent. Tu crains le ressac. Tu plonges et t’agrippes.

(4.34)

Terne aventurier

Tu ressembles à un pâle Don Quichotte rebuté par ses propres moulins à vent.

(4.35)

Ouverture

Tu sors du cercle étroit.

(4.36)

Large sillon

Tu arpentes la profondeur du chemin. Tu élargis la voie. Tu ouvres l’horizon. 

(4.37)

Ouverture

Tu délaisses les schémas étriqués qui bornent ta vision habituelle. Tu observes à la lueur nouvelle le chemin que tu empruntes depuis la nuit des temps. Tu enlèves les œillères qui enserraient ta tête. Tu retires la cagoule qui te confinait à l’obscurité. Et tu commences à voir.

(4.38)

Tendance

Tu songes (avec tristesse) que tu as toujours été soucieux de toi et oublieux du monde. Et tu comprends que tu ne peux inverser les termes d’autorité. Tu sais que les termes (et la tendance) s’inverseront en t’enfonçant dans l’impasse. Tu as la certitude que tu te désintégreras progressivement au profit du monde.

 (4.39)

Présence

Tu tentes d’être présent à l'Autre et oublieux de toi. Quoi qu'il advienne, tu t’y évertues.

(4.40)

 Spirales

Ton cheminement est circulaire. Tu enchaînes les cycles spiraux : ouverture, fermeture, expansion, rétrécissement, repli sur soi, retour et participation au monde, joie, mal-être. Tu élargis tes cercles non concentriques.

 (4.41)

Sombre refuge

Tu t’enfermes dans l’obscurité en quête de lumière.

 (4.42)

Derrière le voile

Tu te sépares des êtres. Tu t’isoles. Et tu t’interroges sur cet isolement. Ce qui te sépare des êtres te semble infime et apparent. Mais tu ne sais comment ôter le voile. Tu ne sais comment percer le mystère.

 (4.43)

Etanchéité

Tu vois les Hommes assoiffés de bêtises. Et le monde les en abreuver. Tu préfères contourner les oasis et poursuivre ta marche dans le désert.

 (4.44)

Echappée solitaire

Tu poursuis ta route en traversant les terres populeuses et les déserts, le cœur solitaire.

 (4.45)

Retour de flamme

Tu renonces à éclairer les hommes. Tu restes cloîtré dans ta chambre noire.

 (4.46)

Connaissance

Tu observes le monde en conservant tes distances. Tu ignores qu’il te faut y entrer et te laisser pénétrer avec distance pour le comprendre.

 (4.47)

Carrefour

Tu es à la croisée des mondes.

(4.48)

Double battant

Ta perception est la porte de la conscience et la fenêtre de l’univers. Tu es l’interface des deux mondes.

(4.49)

Points de jonction

Ta sensibilité et ta conscience sont les interfaces entre les mondes extérieur et intérieur. Tu les vois baignées par les vagues des évènements et la houle des expériences. Soumises aux marées des sentiments et aux ressacs des émotions.

(4.50)

Point d’attache

Tu te sens l’infime jonction entre le monde et le grand mystère.

(4.51)

Justesse harmonieuse

L'incontournable étape de "l'Être*" t’éloigne progressivement du "faire*" frénétique. L'Être gagne en force et en vitalité. Lorsqu'il parviendra enfin à se suffire à lui-même, tu sais qu’il donnera au "faire" jusque dans les moindres gestes et les actes les plus anodins une justesse et une harmonie insoupçonnables.

(4.52)

 Chemin

Tu poursuis ta route dans la nuit du monde et l’indifférence des âmes.

 (4.53)

Avancées

Tu vas ton chemin indifférent aux bruits et aux silences du monde dont l’écho, amplifié, résonne au fond de ton cœur.

 (4.54)

Modes d’existence

Tu observes le monde avec attention. Et tu vois les hommes. Vivre*Exister*. Sans question. Sans curiosité. Plongés dans leur (superficielle) quête identitaire. Obsédés par leur fonction et leur place dans le collectif. Immergés dans les démarches dérisoires. Relégués à la matérialité. Autour de toi, nul ne semble progresser vers le dépouillement. Nul ne semble s’acheminer vers l’être*.

 (4.55)

Essence nécessaire

Tu chemines sur le double chemin. Tu œuvres au nécessaire* et à l’essentiel*. Tu développes l’être sans négliger la matière. Tu œuvres à l’Absolu sans dédaigner le relatif.

(4.56)

Œuvre humaine

Tu travailles à ton métier d’Homme. Tu assumes ta matérialité. Tu manges, tu te protèges du climat, tu disposes d’un abri et tu te soignes quand ton corps l’exige. Et tu actualises ton potentiel d’être. Tu tentes de découvrir ton identité véritable et d’approfondir la nature des relations que tu entretiens avec ce qui te semble étranger.

(4.57)

Âme forgée

Tu résistes à tes faiblesses, tu te forges l’âme.

 (4.58)

Délivrance

Tu apprends à mourir à tes certitudes.

 (4.59)

Changement

Tu déconditionnes tes habitudes.

 (4.60)

Réception

Tu accueilles l’œuvre des évènements.

(4.61)

Abandon

Tu désagrippes tes saisies.

(4.62)

Pas sereins

Tu acceptes de ne contrôler ni tes états intérieurs ni les évènements de ton existence. Tu as confiance en la vie. Tu poursuis ton chemin avec sérénité.

(4.63)

Art pictural

Tu accueilles tes états. Tu éclaircis la palette. Tu apprends à colorier la vie. 

(4.64)

Merveilleux périple

Ta vie est un voyage d’émerveillement.

(4.65)

Progression

Tu ouvres les bras aux évènements avec joie et confiance pour franchir les étapes et traverser les épreuves. Tu accueilles simplement (et en toute simplicité) ce que t’offre la vie.

(4.66)

Dialogue

Tu regardes ton existence sans crainte. Tu la contemples dans la vastitude du regard. Et malgré tes malheurs et tes souffrances, elle te dit ton bonheur indicible.

(4.67)

Avancement

Tu expérimentes tes doutes. Tu érodes tes résistances. Tu œuvres à ton mûrissement.

 (4.68)

Question impérative

Un jour, après avoir erré dans la multitude des univers, sous l’emprise des schémas ancestraux, tu t’interroges sur la validité de tes expériences.

 (4.69)

Face à face

Tu regardes le chemin et tu apprends à marcher seul.

(4.70)

Phare

Tu maintiens le cap sur l’horizon des désillusions, confiant dans la lumière derrière l’espace lointain.

 (4.71)

Refuge

Tu trouves refuge au cœur du chaos.

(4.72)

 Fragile

Tu accueilles ta vulnérabilité. Tu perçois les signes de bienveillance que la vie manifeste à ton égard. Tu ressens sa préciosité. Tu éprouves avec une acuité accrue la souffrance et l’indifférence du monde. Tu maintiens la fragilité en ton cœur.

(4.73)

Fragments unitaires

Tu es en quête d’unité. Tu aimerais réunir tes parcelles.

 (4.74)

Assemblage

Ton existence est éparse et fragmentée. Et tu désespères de te réunir.

 (4.75)

Apprentissage

Tu apprends à te connaître. Et à te réconcilier.

(4.76)

Ralentissement

Tu ralentis la marche. Tu apprends à te rassembler. Tu œuvres à tes avancées.   

(4.77)

Face à face

Tu remues tes profondeurs.

 (4.78)

Approfondissement

Tu n’espères plus. Tu te penches sur tes tourments.

 (4.79)

Spirales ascendantes

Tu arpentes les cavités, tu explores les territoires abyssaux, tu expérimentes les remontées en surface, les fulgurantes ascensions, les incessants va-et-vient entre nadir et zénith. Tu arpentes la profondeur du chemin.

 (4.80)

Passages

Tu chemines aux confins de la folie, au bord de la sagesse. Sur le fil tendu au-dessus du précipice, tu avances. Tu franchis l’étroit passage. Tu égares tes espérances. Tu rencontres des horizons inespérés. Tu chevauches vers des contrées inconcevables. Tu vis des drames indicibles, des cauchemars ahurissants, tu foules la terre du non-retour. Tu te perds. Tu découvres des vérités enfouies sous les voiles de tes certitudes, qui s’effondrent une à une et te laissent démuni et déshérité, seul dans ta solitude. Tu arpentes le temps de la nudité, le temps des angoisses et de la folie, le temps de la terreur et du désespoir infini. D’autres terres se dessinent à l’horizon. Ton voyage se poursuit.

 (4.81)

Délimitations

Tu travailles au dépassement de tes frontières.

(4.82)

Aspiration essentielle

L’êtrentiel : voilà ce à quoi tu aspires.

(4.83)

Conséquence

Tu comprends que la moindre parole, le moindre acte, la moindre pensée portent à conséquence.

(4.84)

Potentiel 

Tu sais que tes perceptions marquent les frontières de ta compréhension du monde. Et tu devines qu’elles portent en germe toutes celles à venir.

(4.85) 

Progression

Tu es humble et enthousiaste, modéré et prudent à l'égard de tes nouvelles perceptions. Tu estimes qu’elles représentent une étape supplémentaire vers la vérité. Mais tu sais qu’elles ne sont pas la Vérité. Tu ne leur attribues pas plus de valeur ou d'importance qu'elles ne possèdent. Tu sais qu’elles seront remplacées un jour par d'autres plus larges, plus profondes et plus claires et sans aucun doute plus proches de la Vérité.

 (4.86)

Chemin privilégié

Tu sors de toi. Tu empruntes l’unique chemin.

(4.87)

Etrange sentier

Tu t’engages dans le fabuleux voyage. Tu progresses sur l’étrange et désappointant chemin intérieur*.

(4.88)

Singularité

Tu explores l’intime et découvres l’universel.

 (4.89)

Chemin unique

Tu marches sur ton chemin.

 (4.90)

Nettoyage en profondeur

Tu vides l’espace. Tu déblayes le superflu. Tu dé-couvres l’espace abyssal.

(4.91)

Débarras

Tu abandonnes l’inutile. Tu renonces à l’accessoire. Tu traques l’illusion. Tu simplifies.

(4.92)

Valise

La conscience est ton seul bagage. Pensées, actes, paroles lui donnent sa consistance et révèlent son volume. 

(4.93)

L’être abyssal

Tu crains l’effrayant voyage vers l’abîme de l’être*.

 (4.94)

Dérobade

Tu refuses (parfois) d’ouvrir ton espace de solitude. Tu esquives ton face à face.

 (4.95)

Couverture

Tu abrites l’être. Et tu l’enveloppes. Tu ne peux ignorer que tu t’en éloignes.

 (4.96)

Crainte

Tu t’échines (encore) au « faire* » pour échapper aux griffes tranchantes et salvatrices de l’être*.

 (4.97)

Vent purificateur

Tu laisses (parfois) le vent bousculer tes pensées, balayer les miasmes de ton cœur, dévaster ton âme, nettoyer l’espace. Tu sais qu’il te rendra libre, confiant et ouvert aux êtres, aux évènements et aux rencontres. 

(4.98)

Perspective verticale

Tu verticalises l’horizontalité. Tu transformes les perspectives.

(4.99)

Perpendiculaire

Tu poses un regard vertical en ce monde horizontal. Mais tu ne trouves aucun horizon commun avec les regards alentour.

 (4.100)

Vérité invisible

Tu perçois le parfum de la vérité mais tu ne peux encore en donner la couleur.

 (4.101)

Saveur lointaine

Tu crois sentir la saveur de la Vérité. Mais seuls quelques effluves parviennent (encore) à tes narines.  

 (4.102)

Lanterne

Tu avances dans la nuit obscure à la lueur de la conscience.

(4.103)

Indispensable clarté

La conscience est ta seule lumière. Et avec elle, tu traverses la nuit qui t’entoure.

(4.104)

Eclairage silencieux

Au fil des pas, ton cœur grandit en silence. Et la flamme de ta conscience rougeoie dans la nuit.

(4.105)

Aveuglement

La vérité est à portée de regard. Et tu balayes l’espace sans la voir.

 (4.106)

Embonpoint

Tu ne peux encore te faufiler par la petite porte étroite de la vérité. Tu es encore trop gras d’ego pour t’y glisser. Oui, trop gras d’ego.

 (4.107)

Récompense 

Tu devines qu’être* sera ta seule récompense.

(4.108)

Assèchement

La source parfois se tarit. Et tu deviens sec.

 (4.109)

Devoirs

Tu geins. Tu te lamentes. Tu te plains. Tu oublies la douceur, la bienveillance et la patience. Tu t’évertues à être doux, bienveillant et patient. Tu te soumets à cette obligation. Tu t’y soumets sans douceur. Tu rejettes avec violence la violence. Tu te méprends sur la méthode. Et tu te fourvoies sur le sentier.

(4.110)

Dessin

Le chemin se dessine au fil de tes pas.

(4.111)

Transitions

Tu passes de vérités en vérités. Et tu sais toutes ces vérités transitoires.

(4.112)

Balancement

Tu rends grâce à l’immobilité. Au mouvement. A l’ombre. A la lumière. Tu remercies tes expériences oscillantes.

(4.113)

Accueil

Tu accueilles les vagues sereines et tourmentées de l’âme. Tu accueilles les rugissements et la paix du cœur. Tu prends garde à ne t’attacher ni à rejeter les évènements et les sentiments qui traversent ta vie et ton esprit. Tu demeures ouvert, accueillant et attentif. Tu prends soin de recueillir et de laisser disparaître. Tu apprends à mourir à chaque instant.

(4.114)

Pas supplémentaire

Tu as conscience que les évènements (tous les évènements) contribuent à ton avancée sur le chemin. Malgré les apparentes stagnations, les interminables impasses où parfois tu t’enlises, chaque évènement est un pas supplémentaire.

(4.115)

 Liberté

Tu loues le silence et l’immobilité. Tu honores le bruit et le mouvement. Tu accueilles sans réticence les contraires.

(4.116)

 Réunification 

Tu concilies l’essentiel* et le nécessaire*. Tu poursuis tes avancées.

(4.117)

Valeur atemporelle

Tu fragmentes le temps. Tu le défluxifies. Tu lui redonnes sa vraie valeur.

(4.118)

Temps réel

Tu découpes le film du temps image par image, plan par plan, instant après instant, seconde après seconde. Tu sors du temps chronologique artificiellement découpé. Tu refuses l’avant et l’après. Tu accueilles l’instant. L’instant. L’instant. A chaque instant, tu reviens au martèlement du temps fragmenté. Tu expérimentes le temps réel perçu à chaque instant avec un œil neuf comme le seul et l’unique temps existant. Tu retrouves le temps réel.

(4.119)

Amplification

Tu ralentis. Tu perds en vitesse. Et tu gagnes en intensité. Chaque expérience est reçue avec plus de résonance et de profondeur.

(4.120)

 Intensification

Tu t’éloignes de la durée lisse et creuse. Tu œuvres à l’intensification de l’instant.

(4.121)

 Voyage commun

Tu inities la longue marche immobile. Tu entrevois le long voyage dans l’ordinaire des jours.

(4.122)

Evènements

Ton existence devient épopée. Tes jours se transforment en aventure. Ton quotidien devient périple. Tes gestes ordinaires se teintent d’extraordinaire. Tes gestes deviennent exploration. Tu te lèves, tu restes allongé, tu travailles, tu marches, tu dors, tu traverses les frontières, tu manges, tu jeûnes, tu découvres, tu rencontres le monde, tu apprends, tu demeures seul, en couple, en famille, tu te maries, tu divorces, tu vieillis, tu vis, tu es. Et tu as conscience d’être.

(4.123)

Adaptation

Tu chemines à ta mesure. 

 (4.124)

Desseins cachés

Tu es arpenteur de chemins. Et tu te sens (encore) entravé par les chaînes du monde. Tu crois qu’il ralentit ta marche. Qu’il retarde ta progression vers l’horizon lumineux (l’amour et la vérité). Tu tentes de t’en protéger, d’échapper aux tentations divertissantes et avilissantes. Tu fuis la bêtise, l’étroitesse et la cruauté ordinaire. Cette méfiance et cet éloignement surprennent le monde qui te considère comme un être au cœur sec et hautain. Nul ne comprend que ton apparente sécheresse cache la plus noble des aspirations.

 (4.125)

Vagabondage éternel

Tu erres depuis la nuit des temps dans ce monde de souffrances. Et tu te souviens (soudain) que tu continueras (sans doute) d’y errer pendant l'éternité.

 (4.126)

Pas incertains

Sur le chemin de l’intériorité, tu ne brûles aucune étape.

(4.127)

Progression

Tu te hâtes avec lenteur sur le chemin.

(4.128)

Regard juste

Tu progresses avec justesse sans précipiter tes pas ni tomber dans une paresseuse inertie. Tu avances avec un regard neuf sans jamais omettre les vieux schémas qui collent à ton regard, qui collent à chacun de tes pas. Tu poses un œil différent sur le monde et la vie. Tu es tiré vers le haut, vers l'avant (vers une nouvelle perception). Tu sais que tes vieux schémas ne disparaîtront pas sans les avoir patiemment érodés, pas à pas.

(4.129)

Connaissance partielle

Tu reconnais ton ignorance. Ta méconnaissance du chemin.

 (4.130)

Parcours

Tu as conscience de ne connaître qu'une infime fraction de l’itinéraire.

 (4.131)

Phase

Tu perçois la vie humaine comme une modeste et essentielle étape sur le chemin de la vérité.

 (4.132)

Fils mystérieux

Tu te questionnes sur ton identité. Tu te sens relié aux êtres qui t’entourent. Et tu aimerais savoir si tu es relié à une réalité plus large. Tu aimerais percevoir les fils qui t’y attachent. Tu aimerais percer le mystère identitaire des êtres. En vain.

 (4.133)

Qualités

Tu te contentes, tu gratifies, tu t’émerveilles. Tu éclaires l’horizon.

(4.134)

Privilèges

Tu rends grâce à la vie. Tu lui es infiniment redevable pour les privilèges qu’elle t’offre.

(4.135)

Clés

Tu ouvres les portes de la joie.

(4.136)

Réjouissance

Tu te réjouis de chaque pas. Jamais tu ne cesses de te réjouir. Et à chaque instant, tu remercies la vie qui t’enseigne. Jamais tu n’oublies cette gratitude.

(4.137)

Source intarissable 

Tu bois à la source. Et tu découvres ta propre fontaine.

(4.138)

Transformation

Au cœur de la mélasse du monde, tu découvres une merveilleuse chorégraphie.

(4.139)

Etoffe extraordinaire

Tu perçois l’infinité des fils qui relient les êtres, les formes et les évènements. Tu vois les liens entre les êtres qui se croisent et se rencontrent. Tu vois leurs liens avec les formes objectales. Tu vois les liens infinis qui les relient à l’inextricable écheveau des évènements.

(4.140)

Fils ancestraux

Tu penses au flux permanent des évènements qui relient les êtres et qui surviennent à chaque instant depuis la nuit des temps. Tu perçois l’inextricable écheveau de fils, de nœuds qui se font et se défont depuis l’aube de l’humanité, depuis l’origine du monde, depuis l’apparition de la vie.

(4.141)

Regard

Tu distingues la profondeur du réel.

(4.142)

Pénétration

Tu pousses ton regard au loin. Et tu n’aperçois que la surface du monde - l’horizon sans cesse repoussé. Tu apprends à poser ton regard au cœur des choses. Et tu perçois la profondeur du réel.

(4.143)

Proximité

Tu trouves la vérité dans le réel le plus palpable. Tu la découvres au cœur même de la matière.

(4.144)

Spectacle

Derrière la danse macabre des éléments, tu découvres la merveilleuse chorégraphie du vivant.

(4.145)

Jeu étrange

Tu regardes la vie matérielle comme un jeu infini de combinaisons et d’échanges entre la multitude des formes combinatoires provisoires.

(4.146)

Réseau d’échanges

Tu perçois les règles qui régissent les formes matérielles combinatoires. Tu vois leurs échanges nécessaires (et permanents) pour maintenir l’existence de leur forme apparente. Tu les vois se dégrader et disparaître. Tu vois les dommages occasionnés par les déséquilibres dans la combinaison des éléments qui la composent (excès d’un ou de plusieurs éléments). Maladies et mort (enfin ce que le monde appelle comme telles)... qui ne sont, en définitive, que des transformations radicales.

(4.147)

Echangismes

Tu as conscience que ta forme matérielle combinatoire (ton corps composé de terre, d’eau, de feu, d’air et d’espace) échange de façon permanente avec une multitude d’autres formes combinatoires (composées des mêmes éléments). Ton entité consciente aimerait percer le mystère de ses échanges avec la conscience des autres entités conscientes.

 (4.148)

Sursis

Tu diffères ton inévitable confrontation à la mort.

 (4.149)

Voix mortelle

Tu t’interroges sur la disparition des êtres. Tu te demandes si la mort est une fin, un passage, le début d’un autre voyage. Tu essayes de la ressentir. Tu écoutes sa parole. Ton oreille s’affine. Et tu te laisses percer par sa voix mystérieuse et envoûtante.

 (4.150)

Estimation inadéquate

Tu es. Et tu te sens éternel. Tu ressens l’éternité qui habite chacun. Et tu remarques, incrédule, que le monde cherche (encore) bêtement l’immortalité.

(4.151)

Peuple du monde

Tu marches sur la terre. Tu observes les êtres du monde. Et tu ne vois qu’un seul peuple.

(4.152)

Regard inclusif

Tu es une infime parcelle du réel. Et tu sens que ceux qui t’entourent composent les autres pans de cette réalité.

(4.153)

Frère végétal

Tu es assis au pied d’un arbre. Un arbre rabougri sur le bord du chemin. Tu te penches et lui murmures à l’oreille : ô arbre, mon frère de sève et d’écorce, toi qui montes lentement vers la lumière par le chemin tortueux.

(4.154)

Etrange trinité

Tu découvres l’étrange parallèle entre la botanique, l’entomologie et la mystique. Tu comprends que l’Homme, l’insecte et l’arbre obéissent au même tropisme. La lumière.

(4.155)

Invariable déplacement

Tu remarques le mouvement éternel des choses et le flux perpétuel du monde.

(4.156)

Contemplation merveilleuse

Tu contemples les innombrables morts et naissances des êtres, l’apparition et l’extinction des phénomènes. Tu découvres l’impermanence des formes.

(4.157)

Lent mouvement

Tu observes le mouvement incessant de la vie. Et tu vois qu’elle te hâte lentement vers la mort.

 (4.158)

Lumière

Tu observes le labeur incessant des étoiles.

(4.159)

Relief

Tu vois l’horizon devenir perspective. Ton cœur s’éclaire. Et ton pas s’allonge.

(4.160)

Louable sentier

Ton chemin n’est pas glorieux, mais chaque pas est méritoire.

 (4.161)

Etincelles

Tu apprends à accueillir tes parts d'ombres. Tu y découvres un peu de lumière. Tu effectues tes premiers pas pour éclairer le monde.

 (4.162)

Délestage

Tu abandonnes le superflu. Et tu chemines confiant dans les richesses que chaque pas te révèle.

(4.163)

Véritable périple

Tu oublies tes désirs. Tu oublies tes peines. Tu oublies tes aspirations. Tu oublies tout pour te consacrer sans crainte au vrai voyage.

(4.164)

Légèreté

Tu œuvres à ton désancrage terrestre. Et tu cherches tes ailes.

(4.165)

Transparence

Tu avances sans relâche vers l’invisible (et l’indicible) lumière.

(4.166)

Luminosité

Tu vois la noirceur obscurcir le monde. Et la joie l’éclairer. Tu découvres les subtiles couleurs de la lumière.

(4.167)

Répétition

Tu découvres les leçons des jours.

(4.168)

Vétille

Tu vois la mort s’approcher. Et tu blâmes ton existence à broutilles

 (4.169)

Attention

Tu es attentif aux paroles de l’ordinaire. Tu apprends à décrypter les messages du commun.

(4.170)

Evidence

Tu as une certitude. Le quotidien est le seul voyage.

(4.171)

Point de fuite

Ton regard s’aiguise. Tu transcendes la vision commune des jours ordinaires. Et tu échappes aux mornes trivialités de l’existence. Tu échappes à la routine, à l’insignifiance, à la quête exaltante (et illusoire) de l’ailleurs.

(4.172)

Révélation

Le quotidien te révèle sa beauté et sa profondeur. Et tu t’y engages sans mensonge et sans esquive.

(4.173)

Maître mot

Chaque pas t’enseigne.

(4.174)

Leçon

La vie est ton maître. Mieux que quiconque, elle t’enseigne et te montre le chemin. Maître aimable, maître parfait. Comme un vieux professeur qui te malmène avec tendresse en te répétant inlassablement les règles à apprendre pour réussir ton examen. Et tu songes, en élève laborieux, à ton passage en classe supérieure.

(4.175)

Retraite

Il t’arrive d’aspirer aux vacances de l’âme. Tu rêves parfois d’une halte dans l’exercice des jours. 

 (4.176)

Gratitude

Tu remercies en silence. Et ton murmure est entendu. 

(4.177)

Merveilles

Tu t’émerveilles de la beauté du monde. Tu éprouves une joie et une gratitude ineffables pour les activités, les choses et les êtres qui suscitaient autrefois naturellement ton dégoût ou ton indifférence. Tu sais à présent qu’aucune différence ne sépare le brin d’herbe des plus fabuleux trésors.

(4.178)

Obligeance 

Le cœur reconnaissant, tu cries en silence merci. A chaque instant. Aux paysages, aux objets, aux êtres. Et ton long chuchotement est entendu. 

(4.179)

Inentendement

Tu ne peux (encore) expliquer l’essentiel à ceux qui ne peuvent l’entendre.

(4.180)

Exercice impossible

Tu essayes de raconter l’ineffable chemin. C’est un exercice difficile. Impossible. Tu as le sentiment d’être muet. Comme si tu t’efforçais de prononcer un discours devant une assemblée de sourds dans une salle éclairée par quelques aveugles.

 (4.181)

Indicibilité

Tu découvres quelques parcelles de vérité. Mais tu ne peux les exprimer. Tu sais que la moindre parole devient une pierre supplémentaire scellée à l’édifice du mensonge. Tu crains les paroles mystificatrices, les mots fallacieux et les regards corrupteurs. Tu évites d’élaborer, de conceptualiser, d’exprimer. Tu refuses de participer à la falsification. Tu sais que la vérité ne peut s’expliquer, qu’elle s’expérimente, se vit, s’éprouve et demeure indicible. Tu ne tentes que de dire le chemin qui y mène.

(4.182)

Piste

Tu trouves ta piste. Tu inverses le sentier. Tu poursuis ton chemin d’étoiles sous les ornières du ciel.

(4.183)

Entendement

Tu écoutes le monde avec attention. Tu as déjà su accueillir ton lot de soucis. Tu n’as pas inversé la logique.

(4.184)

Jeu de lumière

Tu éclaires tes parts d'ombre et assombris tes lumières artificielles. Tu apprends à inverser les transparences.

(4.185)

Songe lumineux

Tu ambitionnes de démystifier les lumières du monde. Et tu rêves (en secret) d’éclairer ses obscurités.

(4.186)

Apprentissage

Tu rends grâce aux êtres que tu méprises et qui t’indiffèrent. Tu les remercies de t’aider à transformer ton regard.

(4.187)

Antidote

Tu refuses d'égayer la vie. Tu accueilles avec joie la tristesse.  

(4.188)

Déchargement

Tes malles te ralentissent. Elles t’ouvrent la voie.

(4.189)

Horizons

Tes limites ouvrent la porte de l’infinitude. Au-delà du relatif, tu perçois l'Absolu.

(4.190)

Ouvrage continuel

Tu sais que tu ne peux modeler ni le cœur ni l’esprit du monde. Mais tu laisses la vie accomplir son œuvre sur ta conscience. 

(4.191)

Points d’attache

Tu tentes d'abandonner les points d'attache qui se cramponnent à ton être. Tu t'y évertues sans y croire. Tu sais que les évènements difficiles que tu traverses ont une place et un sens dans la poursuite du voyage.

 (4.192)

Dévoilement

Tu ôtes les voiles sombres qui recouvrent l’éclat de l’ordinaire.

(4.193)

Principe de réalité

Tu oublies le chemin idéal. Tu voyages en ta compagnie.

(4.194)

Tâche éreintante  

Tu apprends à devenir humain (pleinement humain). Tu apprends à vivre, à exister et à être en être humain véritable. Tu t’adonnes sans relâche à l’exténuant labeur. Tu œuvres à ton humanité.

(4.195)

Dés-apprentissages

Tu apprends à désapprendre. Tu ouvres la porte à la connaissance.

(4.196)

Regard vierge

Tu oublies ton savoir. Et tes connaissances. Tout ce qui obscurcit ton regard. Qui affine ta pensée (et ton esprit) mais qui épaissit ton regard. Tu délaisses les commentaires, les réflexions, les ratiocinations. Tu abandonnes toutes les idées et les points de vue de seconde main (appris dans les livres, radotés par les professeurs et énoncés par les bien-pensants). Tu apprends à poser sur la vie, sur le réel, sur le monde (et sur chaque être et chaque chose) un regard neuf. Un regard nouveau. Un regard frais et spontané. Un regard désencombré. Un regard vierge de toute mémoire. De toute accumulation. Un regard déblayé des référentiels et des comparatifs. Tu apprends à regarder à chaque instant comme pour la première fois.

(4.197)

Rattrapage

Tu délaisses la tête. Et tu privilégies le cœur. Tu apprends à combler ton retard.

(4.198)

Contradiction

Tu comprends l’apparent paradoxe de la conscience éveillée (claire et libre). Tu la sais accessible à chaque instant et tu chemines longtemps pour y accéder.

(4.199)

 Réponses

Chaque perception nouvelle t’aide à répondre provisoirement aux questions fondamentales de la connaissance. Connaissance de ton identité (qui tu es ?), connaissance de la vie (quelle est-elle ?) et connaissance du monde (que sont les êtres et l’environnement qui le composent ?)

(4.200)

Sujet essentiel

Tu regardes la vie avec étonnement. Elle demeure, à tes yeux, la plus mystérieuse et merveilleuse énigme qui soit. Tu sais qu’il n’existe en ce monde aucune question plus digne ni plus essentielle, aucun sujet d’étude, d’exploration, d’investigation et d’expérimentation plus extraordinaire.

(4.201)

Découverte

Tu découvres la fraîcheur du regard.

(4.202)

Sens intuitif

Tu ressens le sens de toute existence. 

(4.203)

Ignorance destructrice

Tu vois tous les êtres. Tu comprends que tous ne forment qu’un seul être qui s’ignore. Et tu blâmes l’ignorance qui pousse ses membres à s’entretuer.

 (4.204)

Intuitions

Tu ouvres ton sac à intuitions. Et tu pioches.

(4.205)

Ambivalente mémoire

Tu te demandes à quoi ressemble le monde de l’oubli. Et tu imagines la fraîche surface du néant.

(4.206)

Invitation

Tu invites tes bourreaux sur l’échafaud.

 (4.207)

Ennemis intérieurs

Tes seuls bourreaux sont tes démons. Et tu admets en être la victime consentante.

 (4.208)

Activité démoniaque

Tu sais que tu ne pourras échapper à tes démons (à tes forces obscures et inconscientes) sans les faire mourir à eux-mêmes. Tu as conscience que si tu les négliges, tu erras égal à toi-même jusqu’à la fin des temps.

(4.209)

Présences maléfiques

Tu crains tes démons. Tu ignores la tanière de ces monstres édentés aux morsures douloureuses. Tu ne peux ni leur échapper, ni les accueillir. Tu ne peux ni leur parler ni négocier ta tranquillité. A leur approche, tu détournes la tête et baisses les yeux. Tu es lâche. Tu ajournes l’affrontement. Tu retardes ta liberté.

 (4.210)

Dénuement  

Tu te dépouilles. Tu découvres la richesse de l'essentiel.

(4.211)

Désencombrement

Tu déposes tes bagages. Tu enlèves tes vêtements. Et ta marche devient joyeuse. Ton chemin se borde de lumières scintillantes qui éclairent tes pas.

(4.212)

Libération

Tu te désentraves. Tu te libères des chaînes du monde. Tu désaliènes ta liberté.

(4.213)

Soulagements

Tu renonces à l’effort. Tu œuvres à l’extinction de tes peurs. Tu t’allèges. 

(4.214)

Atténuation

Tu renonces à prouver au monde tes qualités, tes mérites et tes vertus. Tu œuvres à ton délestage.

(4.215)

Règle du jeu

Tu délaisses le jeu du monde. Tu laisses la vie édicter ses règles. 

(4.216)

Noble besogne

Tu travailles à ta mesure. Selon tes goûts et aspirations. Tu œuvres à ta tâche sans te soucier ni du talent (le tien et celui des autres) ni du regard indifférent ou méprisant du monde.

(4.217)

Dette

Tu ne rends de compte à personne. Mais tu te sens redevable à tous.

(4.218)

Direction

Tu ne te laisses dérouter par le monde. Mais tu rends grâce à tous ceux que tu rencontres.

(4.219)

Asile

Tu accueilles tes territoires contradictoires.

(4.220)

Combinaisons

Ton existence est une étrange combinaison, mélange de toi et d’Autres, d’évènements et d’émotions, de silence et d’agitation, de lumière et d’obscurité. Mélange d’insignifiances et d’importances, de joies et de peines, de doutes et de certitudes, de rêves et de réalité… un salmigondis dont tu ressens le besoin d’extraire la quintessence pour donner au voyage un sens plus large et une plus grande saveur pour pouvoir t’oublier et te donner davantage au monde.

(4.221)

Union désintégratrice

Tu sais que tu ne peux accéder à la phase d’effritement égotique sans avoir découvert les multiples personnages que tu abrites. Tu dois apprendre à les reconnaître, à les comprendre, à les accueillir et à les unifier. Ces lentes étapes franchies, tu sais qu’ils pourront commencer leur lent travail de désagrégation.

(4.222)

Balancement 

Tu oscilles entre l’insatisfaction et la souffrance qui poussent tes pas sur le chemin et l’aspiration au contentement et la satisfaction qui ouvrent à la saveur de l’être.

 (4.223)

Armistice

Tu pacifies tes combats.

(4.224)

Joie

Tu cherches la joie. En vain. Tu sais qu’il te faut d’abord accueillir sans rechigner puis avec joie tous les états qui t’échoient.

 (4.225)

Cuirasse

Tu apprends à laisser être. Tu entreprends un exercice métaphysique utile et profond. Tu découvres les aspects fondamentaux de ta personnalité, les points d’attaches de l’armure qui te protégeait du monde.  

(4.226)

Démilitarisation

Tu te décristallises. Tu érodes tes fixations. Tu retires ton armure. Et tu déposes les armes.

(4.227)

Refuge

Au cœur du chaos, tu découvres un abri.

(4.228)

Progrès

Tu accueilles la paresse, l’apathie, la maladie, la dépression, la mort. Tu acceptes que parfois la vie se retire. Tu élargis ton regard. Tu franchis une étape.

(4.229)

Renoncement

Tu délaisses les pâles trésors. Et tu pars en quête des vrais joyaux.

(4.230)

Abandon

Tu oublies tes mornes desseins. Tu renonces à la gloire, à la réussite, à l’ambition. Tu renonces à l’argent et aux plaisirs. Tu abandonnes l’ordinaire essentiel pour t’engager sur le vrai chemin.

(4.231)

Réorientation

Tu oublies "l'avoir" et "le vouloir". Tu te concentres sur l'"être".

(4.232)

Distance

L’autre rive te semble lointaine.

 (4.233)

Horizon lointain

Assis sur la berge, tu regardes l’horizon. Et tu songes avec tristesse aux contrées inaccessibles de la félicité et de la sérénité.

 (4.234)

Courant

Tu es un piètre nageur. Tu te débats dans la tourmente. Une déferlante te repousse sans cesse vers le rivage de tes habitudes.

 (4.235)

Révélation

Tu apprends la transparence du monde.

(4.236)

Etendue

Tu découvres l’espace et le silence, surfaces où naissent, tourbillonnent et disparaissent les formes et les phénomènes.

(4.237)

Engagement

Tu te désengages. Tu apprends l’ouverture sans indifférence.

(4.238)

Œuvre commune

Tu te sens relié. A chaque être. A chaque chose. A chaque évènement. Comme si tu étais (déjà) tissé dans la trame du monde et de la vie. Par le simple fait d’exister. Et d’être vivant. Impliqué dans toutes les affaires. Non en ton nom personnel. Mais en tant qu’élément indissociable du Tout. Impliqué malgré toi. Responsable malgré toi. A la survenance de chaque événement, tu n’es nullement engagé en ton nom propre. Tu apprends à de dégager de cette appropriation personnelle. Tu te désappropries. Tu apprends à agir selon chaque situation. Non pour satisfaire tes exigences et tes besoins personnels. Mais pour répondre aux exigences du vivant dont tu fais partie. Auquel tu appartiens. Dont tu es l’une des innombrables composantes. Tu œuvres pour le Tout en tant qu’élément de l’ensemble. 

(4.239)

Fraîcheur

Tu renouvelles, à chaque instant, ton regard.

(4.240)

 Percement

Ton regard neuf et spontané perce les apparences détestables.

(4.241)

Beauté cachée

Tu te gardes de juger la vie. Tu restes humble, ouvert et sans a priori. Et elle te révèle, derrière ses tristes et parfois terribles apparences, toute sa beauté.

(4.242)

Résistance 

Tu refuses de plonger dans le présent le cœur vulnérable.

 (4.243)

Erreur stratégique

Tu anticipes (encore) l’avenir pour connaître tes adversaires et choisir tes armures. Tu ne sais toujours faire de la vie ton allié pour voir disparaître l’adversaire et l’adversité.

 (4.244)

Angoisse

Le souci de ton devenir est le signe d’une fixation égotique supplémentaire. Tu ne ressens nul besoin de l’arracher. Tu sais qu’elle se détachera à l’instant opportun.

(4.245)

Assise

Confiant en ton socle, tu ne vacilles pas. Tu demeures sensible, ouvert et imperturbable aux vents du monde.

(4.246)

Croix

Tu ériges ta verticalité pour asseoir une plus juste et plus digne horizontalité sur le monde.

(4.247)

Alchimie

Tu sais que le chemin est une étrange et délicate alchimie. Il te faut être fort et discipliné. Sans violence ni brutalité. Et être doux et bienveillant. Sans sensiblerie ni veulerie.

(4.248)

Tête tremblante

Comme Bouddha, tu ne mets aucune tête au dessus de la tienne. Mais tu vacilles. Tu cherches (encore) ton assise.

 (4.249)

Entendement

Tu écoutes la vie en toi. Tu trouves ton rôle.

(4.250)

Elément de l’infinité

Tu te couches dans l’herbe sous le ciel étoilé. Tu trouves refuge au cœur du monde. Et tu découvres ta place dans l’univers infini. 

(4.251)

Lueur nocturne

Tu aspires à devenir allumeur de réverbère. Candélabre de la nuit.

(4.252)

Activité fondamentale

Tu te rêves ouvreur de conscience. Impulseur d’essentialitéApprofondisseur d’espace intérieur. Et tu t’y emploies (maladroitement) de mille façons auprès des êtres que tu rencontres. Seules ces activités te semblent dignes d’intérêt. Tu t’y sens à ta place. En ce monde et parmi l’infinité des êtres.

(4.253)

Ethique

Tu t’engages dans une activité qui contribue à apporter au monde, à l'humanité et à l'ensemble du vivant davantage de bonheur, d'intelligence, de sagesse et d'amour. Et tu n’acceptes que la contrepartie financière minimale pour en vivre.

(4.254)

Immobilité mouvante

Tu accompagnes le cours du vent.

(4.255)

Libre mouvement

Tu n’empruntes aucun chemin. Tu ne suis aucun itinéraire. Tu demeures au centre. A l’exact endroit où la vie t’a placé. Et tu suis son cours au gré des vents.

(4.256)

Au fil des pas

Tu sais que la vérité n’est nulle part. Qu’elle est partout. Dans chaque événement, dans chaque situation. Tu ouvres les yeux. Tu quittes le chemin battu. Tu ouvres la porte. Et tu laisses glisser lentement la vie en toi.  

(4.257)

Voyage nodal

Tu vas sur les chemins dénouer les fils.

 (4.258)

Locomotion

Tu as deux jambes. La curiosité et l’insatisfaction. Sans elles, tu serais condamné à butiner, à claudiquer ou à ramper, avec le regard étroit de ta conscience, sur le minuscule espace où la vie t’a placé. 

 (4.259)

Maîtres essentiels

Tu cherches l’essentiel. Tu regardes la vie, ton maître. Et tu contemples la mort, son auxiliaire. Et il t’arrive de ne rien comprendre.

 (4.260)

Gratitude

Tu honores l’autel du monde.

(4.261)

Merveilleuse diversité

Tu regardes les êtres qui t’entourent et la multitude de chemins qui se croisent. Et à chaque instant, tu t’en émerveilles.

(4.262)

Apprentissage

Tu contemples toutes les beautés du monde.

(4.263)

Obligeance

Tu éprouves une immense gratitude pour les êtres que tu rencontres.

(4.264)

Dévoilement

Tu manques (parfois) de gratitude à l’égard du monde. Tu sens ton regard voiler l’émerveillement qui siérait devant sa beauté.

(4.265)

Négligence

Tu oublies (parfois) l’extraordinaire privilège d’être vivant.

(4.266)

Médiocrité

Il t’arrive de juger ton interlocuteur à son degré d’intériorité. Et tu blâmes (aussitôt) le niveau médiocre auquel tu es parvenu.

 (4.267)

Trésor

En chaque être, tu admires l’infinité.

(4.268)

Accueil

Tu accueilles le travail patient du silence et de la solitude.

(4.269)

Perspectives

Tu perçois la conscience comme une intelligence éthique en mouvement. Au fil de son ouverture, ta compréhension du réel s’affine, tes règles morales s’enracinent et le sens de ta responsabilité s’élargit.

(4.270)

A petits pas

Malgré tes déboires et tes découragements, tu avances à petits pas. Tu te sens encouragé dans tes avancées incertaines.

 (4.271)

Double sens

Tu connais le sens de la marche. Et l’orientation du voyage. Tu chemines avec lenteur et détermination.

(4.272)

Révolutions discrètes

Tu accueilles de grands bouleversements silencieux.

(4.273)

Erosion

Tu érodes tes fixations égocentriques.

(4.274)

Conditions d’accueil

Tu découvres les conditions indispensables pour accueillir les évènements : le sens (le sens que tu donnes à la vie), le travail (offert par les évènements) et la confiance (que tu accordes à l’existence). 

(4.275)

Enseignement

Tu apprends la métamorphose du regard.

(4.276)

Elément de l’infinité

Tu découvres ta place dans l’univers infini. 

(4.277)

Chaînon

Tu as conscience d’être un élément formel relié aux autres formes par deux grands types de chaînes (de liens) : une chaîne verticale (le flux historique ou temporel) qui te relie à tous les éléments sans lesquels ta forme n’aurait pu advenir et une chaîne horizontale qui te relie à tous les autres éléments existants à chaque instant.

(4.278)

Etat de fait

Tu reconnais ton ignorance et ta fragilité. Tu éprouves ta solitude métaphysique.

 (4.279)

Solitude

Tu rencontres parfois de grandes difficultés à vivre ton espace de solitude. Il t’arrive de fuir ta compagnie.

 (4.280)

Marche éternelle

Tu chemines. Sans cesse.

(4.281)

Unique bagage

Tu marches avec la vie dans ta besace.

(4.282)

Persévérance

Tu poursuis le chemin. Toujours en marche. Sans espoir. Sans commencement. Sans achèvement. Sans échappatoire. Tu avances laborieusement. Péniblement. Dans la sueur, les larmes et l’ennui. Et en cours de route apparaissent l’émerveillement, la joie, la gratitude et le bonheur de marcher.

(4.283)

Retraite

Tu éprouves (parfois) l’impérieux besoin de t’abriter un instant. Trouver un abri, une parenthèse, un aparté, une retraite. Tu aimerais arrêter cette quête, stopper la marche, t’octroyer une courte halte. Tu aspires au repos, aux vacances de l’âme. Tu rêves d’une halte qui t’éloignerait de ta quête incessante, de ton incessant travail d’accueil et d’ouverture. 

 (4.284)

Tabernacle

Tu accueilles la souffrance.

(4.285)

 Exercice roboratif

Tu ouvres ton cœur. Tu fortifies ton âme.

(4.286)

Plaie ouverte

La souffrance ouvre parfois en toi un espace qui te déchire. Tu luttes pour refermer cette plaie béante qui te brûle. Et tu éprouves une joie immense à sentir cet espace s’élargir et s’ouvrir progressivement.

(4.286 bis)

Moteur

Ta souffrance est un aiguillon efficace. Elle te pousse sur le chemin. Et tu t’évertues à lui rendre grâce.

(4.287)

Labeur

Tu œuvres à ton activité essentielle. 

(4.288)

Nutriments

Tes expériences, tes réflexions, tes intuitions et tes rencontres induisent un long mûrissement de ta conscience qui progressivement s’affine, s’élargit et s’approfondit. 

(4.289)

Périple

Tu sais que tout est voyage.

(4.290)

Densité transparente

Tu ne vis pas. Tu mûris. Et le mûrissement donne à ton existence sa consistance et sa lumière.

(4.291)

Voie

Ton seul chemin est la vie. Celle qui vient, celle qui va, celle que tu traverses et qui te traverse.

(4.292)

Nouveauté

Tu apprends à faire de toute chose une rencontre, de tout geste une découverte et de toute situation un territoire à explorer.

(4.293)

Relief

Tu blâmes (encore) les aspérités du chemin.

 (4.294)

Omission

Tu trébuches. Et tu maudis tes souliers, le sentier, les paysages et le ciel. Mais tu oublies celui qui marche. Tu négliges ton inattention.

 (4.295)

Défaillance

Tu chutes. Et tu te relèves avec douceur et empressement pour poursuivre ta route.

(4.296)

Poursuite

Et le chemin continue…

 

 

22 novembre 2017

Carnet n°19 Traversée commune Livre 3 - L'épopée spirituelle

Récit & fiction / 2007 / La quête de sens

La quête de lumière de l’Homme commun. Décontenancé par l’absurdité du monde obscur, accablé par son incontournable voyage à travers les hémisphères, l’Homme commun amorce une douloureuse traversée du désert. Terrifiante traversée à l’issue de laquelle il s’enquiert d’un éclairage sur le monde afin d’échapper à la misère, à l’insignifiance et à la solitude de sa condition. L’Homme commun part en quête de son salut. Et qu’importe la lumière pourvu qu’elle lui offre les promesses d’un sort meilleur.

 

 

L’EPOPEE SPIRITUELLE propose deux séries de fragments imbriquées, EBLOUISSEMENT TENEBREUX et ULTIME IMPASSE (la première série étant insérée dans la seconde – comme partie intégrante du récit).

 

EBLOUISSEMENT TENEBREUX Traversée commune.

La quête de lumière de l’Homme commun. Décontenancé par l’absurdité du monde obscur, accablé par son incontournable voyage à travers les hémisphères, l’Homme commun amorce une douloureuse traversée du désert. Terrifiante traversée à l’issue de laquelle il s’enquiert d’un éclairage sur le monde afin d’échapper à la misère, à l’insignifiance et à la solitude de sa condition. L’Homme commun part en quête de son salut. Et qu’importe la lumière pourvu qu’elle lui offre les promesses d’un sort meilleur.

 

ULTIME IMPASSE

Traversée singulière.

La quête de lumière de l’Homme singulier. Après ses errances et sa déconcertante traversée des hémisphères, l’Homme singulier est anéanti, incapable de se résigner à l’absurdité et à la désespérance du chemin. Au cœur du néant, il n’entrevoit d’issue qu’à travers la mort. En s’enfonçant dans ses profondeurs, il découvre une lueur inespérée, lointaine et profonde qui le détourne du geste fatal. Ce mince espoir initie ses premiers pas sur le chemin intérieur. Chemin qui lui semble (de toute évidence) la seule issue possible. Au sortir de cette effroyable traversée du néant, l’Homme singulier part en quête de cet espoir lointain (de cette lueur entrevue en ses profondeurs) à la surface du monde. Et cette quête le mène au cœur de l’ultime impasse. Eclairé par une sombre lanterne (découverte en chemin), ses pas le précipitent au cœur de l’obscurité paroxystique où il découvre, après une éprouvante et déstabilisante mise à nu, la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs.

 

 

ULTIME IMPASSE

Traversée singulière

(à gauche et à droite)

 

Brinquebaler à gauche et à droite 

au gré de la quête aveuglante guidée par une lumière trompeuse…

 

 

Partie 1 AU FOND DU GOUFFRE

Préambule

Tu poses l’esprit aventureux, désespéré. Anéanti. Et tu tournes en rond dans ta chambre. 

(3.1)

Halte centrifuge

Tu tournes en rond. Tu tournes en rond toute la nuit. Dans la nuit obscure. Au lever du jour (quand pointe le soleil), tu marques une courte pause. Après quelques heures de sommeil (une éternité sans doute), tu reprends ta marche en criant.

(3.2)

En criant

Je veux sortir du cercle étroit.

(3.3)

Sortie

A défaut de pouvoir sortir du cercle étroit, tu enfiles ta veste. Et tu sors de chez toi.

(3.4)

Errance

Tu marches, dans les rues, comme une âme en peine. Comme une âme errante. Tu erres dans la ville sans âme. Jusqu’au soir. Jusqu’à la tombée de la nuit.

(3.5)

Temps vespéral

A l’heure crépusculaire, tu décides (malgré toi) de poursuivre ton errance.

(3.6)

Poursuite de l’errance

Tu marches jusqu’au bout de la nuit. Tu marches pendant des jours et des jours. Pendant des nuits et des nuits.

(3.7)

Poursuite de l’errance (bis)

Tu poursuis ton périple sur les routes obscures du monde. Tu poursuis ta traversée absurde des tristes contrées. Tu erres pendant des siècles. Pendant des millénaires peut-être. Pendant une éternité sûrement. En quête d’un espoir.

(3.8)

Espoir

Tu espères encore. Oui, tu espères encore.

(3.9)

Espoir désespérant

Tu espères. Sans trouver d’issue à ton espoir. Tu espères en désespoir de cause.

(3.10)

Causes du désespoir

Tu réfléchis. A ton désespoir. Au cours de ta nébuleuse réflexion, tu décèles quelques évidences. L’absurdité du monde. L’affligeante traversée des hémisphères. Le non-sens de ton itinéraire. La fuite de Lhomme. L’absence d’éclaircies et d’éclairage sur le chemin obscur. La grisaille alentour et la noirceur de ton âme.

(3.11)

Poursuite de l’errance (ter)

Tu ne sais que faire. Que penser. Tu poursuis (malgré toi) ton errance. Une nouvelle fois. Marcher pour oublier. Un pas après l’autre. Poursuivre la pénible progression pour te donner l’illusion d’avancer. Cheminer. Avancer sans savoir. Cheminer vers nulle part.

(3.12)

Breaks

Au cours de ton périple, tu fais halte à plusieurs reprises. Pour lever les yeux au ciel. Pour regarder les affligeantes contrées du monde. Et tes tristes paysages intérieurs. Ton environnement familier. 

(3.13)

Environnement de l’errance

Autour de toi : ville grise. Au-dessus : ciel gris. En toi : âme grise.

(3.14)

Sombres variations

Gris. Gris, Gris.

(3.15)

Accentuation de l’obscur

De plus en plus gris. Gris. Gris.

(3.16)

Assombrissement

Au fil du chemin, le gris se fonce. Et le gris t’enfonce.

(3.17)

Sombres variations (bis)

Gris foncé. Foncé. De plus en plus foncé. Noir.

(3.18)

Sombres variations (ter)

Noir. Noir. Noir.

(3.19)

Environnement de l’errance (bis)

Autour de toi : nuit noire. Au-dessus : ciel noir. En toi : humeur noire. Sentiment noir. Cœur noir. Idées noires.

(3.20)

Halte

Tu renonces à l’errance mobile. Tu fais halte. Tu marques une pause (définitive). Tu immobilises l’errance. Mais l’errance immobile se poursuit.

(3.21)

Errance immobile

Tu rentres chez toi. Tu te jettes sur ton lit. Tu enfouis la tête sous l’oreiller. A dix mille pieds sous terre. 

(3.22)

Variations immobiles

Noir. Noir. Noir.

(3.23)

Errance immobile (bis)

Tu pleures. Tu geins. Tu te lamentes. Tu blâmes l’obscurité du monde. Tu blâmes les hémisphères. Et les ténèbres de ton âme insatisfaite. Tu es au bord du suicide. En pleine crise dépressive (peut-être).

(3.24)

Affaiblissement

Tu restes terré dans l’obscurité de ta chambre des jours entiers. Le cœur enfoui dans les ténèbres. Tu te recroquevilles. Les forces te quittent. Ton élan vital s’amenuise. Tu renonces à geindre. Tu n’as plus la force de geindre. Tu gémis. Un son inaudible. Un long gémissement silencieux. Tu te rétractes. Ta vie s’estompe peu à peu.

(3.25)

Aparté psychologique

Quelques jours plus tard, tu décides, dans un sursaut d’espérance, de consulter le service psychiatrique de ton quartier. Un service psychiatrique dirigé par un psy. médiatique dont la tête orne, depuis des années, la première page des magazines à la mode (tête célèbre qui s’invite aussi, crois-tu te souvenir, sur tous les écrans aux heures cathodiques de grande écoute). Pendant les consultations, tu regardes cet imbécile. Tu remarques son air libre, imparfait et heureux. Capable de se résigner à l’obscurité du monde, à la noirceur des cœurs mais qui cherche (frustré sans doute) la lumière des projecteurs braquée sur son visage satisfait, trop heureux (sans aucun doute) de voiler sa part d’ombre.

(3.26)

Ecœurement

A la fin de chaque séance, tu refermes la porte de son cabinet avec la nausée (au bord du cœur). En entrant dans ta chambre, tu craches sur le sol avec dégoût. L’obscurantisme qui s’abreuve d’artifices lumineux t’écœure, le monde t’écœure, la vie t’écœure. Et ton existence te dégoûte… 

(3.27)

Issue médicale

A chaque consultation, cette pensée te donne la nausée. A chaque consultation, tu restes muet. Inerte. Après une dizaine d’entrevues, il diagnostique une dépression. Et décide de t’hospitaliser.

(3.28)

Cachets

Au cours de ton séjour à l’hôpital, on te gave de pilules (de pilules du bonheur). Pilules du bonheur qui t’écœurent. Tu fais mine de les avaler. Et tu les recraches aussitôt la porte refermée.

(3.29)

Fin de l’aparté

Après de longues semaines de traitement, on te laisse ressortir (sans raison apparente).

(3.30)

Retour

Tu rentres chez toi.

(3.31)

Pause contemplative

Avant de retrouver ton logement (un minuscule deux pièces dans un vieil immeuble du centre-ville), tu décides de t’arrêter face au grand fleuve qui longe la grande avenue, à quelques encablures de l’impasse où tu as logé pendant quelques années. Tu t’assois sur un banc. Un vieux banc décati face au grand fleuve éternel. Face au grand fleuve au cours imperturbable. 

(3.32)

Fin de pause

Après une longue méditation sur l’absurdité du monde et la désespérance de l’existence, tu reprends ta marche, le cœur vide. Au bord de la nausée.

(3.33)

Dégoût

En fin de matinée. En rentrant chez toi. Toujours la nausée.

(3.34)

Dégoût (bis)

Toute la journée. La nausée. Toujours la nausée.

(3.35)

Première longue nuit des ténèbres

Début de soirée. La nausée. Toujours la nausée. Les mains et le cœur sales. Le cœur inapte au bonheur.

(3.36)

Mauvaise assise

Tu passes la soirée assis dans ton canapé. A contempler le néant alentour. Et ton vide intérieur.

(3.37)

Rage

Après ta triste contemplation, tu lèves un œil fatigué sur ta bibliothèque. Tu saisis un livre (au hasard). Et tu le jettes contre le mur. Tu en saisis un deuxième (dans une colère froide et brûlante) et tu le lances à travers la pièce. Tu en saisis un troisième. Un quatrième. Un cinquième. Tu saisis les livres par poignées et tu les jettes contre le sol. Tu renverses les étagères de ta bibliothèque. Après un combat essoufflant (et acharné) tu tombes à genoux. Face contre terre. De grosses larmes (de grosses larmes de tristesse et de colère) inondent tes joues. Tu empoignes les livres à ta portée et tu en déchires toutes les pages. Les pages volent dans la pièce. Les mots se déchiquètent. Ils redeviennent syllabes, lettres estropiées. Tu détruis tes plus dévoués compagnons. Impuissants à t’aider.

(3.38)

Défaite

Après de longues minutes de combat acharné, tu regardes en pleurant l’affligeant champ de bataille. Des milliers de pages gisent sans vie autour de toi.

(3.39)

Tranchée

Tu passes la nuit enseveli sous les feuilles de tes livres (en guise de couverture). Et tu grelottes jusqu’au petit matin.

(3.40)

Réveil

Tu ouvres un œil avec les premiers rayons de soleil. Tu regardes (avec désarroi) le sol jonché de pages. Comme autant de cadavres. Tu te lèves péniblement. La stature debout t’est insupportable. Tu poses un genou à terre. Comme vaincu. Tu poses à terre ton second genou. Et tu commences à rassembler les feuilles éparpillées. Tu sauves ce qui peut encore l’être. Après plusieurs heures de patiente collecte, tu remarques, épargné au centre de l’étagère centrale de ta bibliothèque ravagée, un minuscule ouvrage. Tu te lèves avec empressement. Pour regarder la couverture. Et tu lis. TRAVERSEE COMMUNE, Aux cœur des ténèbres, l’ultime impasse.

(3.41)

 

TRAVERSEE COMMUNE

AU CŒUR DES TENEBRES, L’ULTIME IMPASSE

Angoisse absolue

Tu songes avec terreur à l’absurdité de l’existence.

(3.42)

Affliction

Tu te désoles de l’absurdité du monde. Et de la triste résignation des hommes.

(3.43)

Encerclement

Tu blâmes l’idiotie universelle.

(3.44)

Gangrène

Encerclé par la nuit noire, tu assistes, impuissant, à l’obscurcissement de ton cœur. A l’irréversible nécrose de ton âme.

(3.45)

Regard enténébré

Tes œillères noircissent le chemin et les paysages du monde.

(3.46)

 Mur de façade

Aveugle aux beautés enfouies du monde, ton ciel gris s’assombrit.

(3.47)

Exacerbation

Tu amplifies (malgré toi) ta solitude métaphysique.

(3.48)

Abandon

Tu te sens seul. Si seul.

(3.49)

Fin ultime

Tu songes avec angoisse à ta finitude.

(3.50)

Unique lueur

Tu condamnes l’obscurité. Et la fuite. Et tu cherches sans espoir un éclairage.

(3.51)

Premières couches

Tu t’enterres à la surface du monde.

(3.52)

Désespérance

Tu t’enfonces sans espoir au fond du tunnel.

(3.53)

Eschatologie personnelle

Tu songes à la fin du monde comme à une délivrance.

(3.54)

Lueur d’espoir (dernier paragraphe de la partie 1)

Tu rêves (malgré toi, en secret et en silence) d’échapper à ton funeste destin.

(3.55)

Sombre interlude diurne

Tu passes la journée au cœur de la nuit. A lire Au cœur des ténèbres, l’ultime impasse. Tu lis et relis les funestes fragments du mystérieux (et mince) ouvrage. Et tu crois comprendre (excepté la dernière phrase qui, pour l’heure, t’échappe totalement). Tu es au bord du gouffre. Entre mort et folie. Tu sens la folie qui guette. Et la mort qui s’approche.

(3.56)

Table rase

Après ta lecture, tu balayes, d’un revers de main, la surface de ta table de travail. Tu ouvres un tiroir. Tu prends une feuille. Et tu écris. Notes de journal (1 à 4).

(3.57)

Reconnaissance (note de journal 1)

Tu reconnais tes errances. Et ta traversée aveugle.

(3.58)

Errance (note de journal 2)

Après tes errances au cœur des mondes obscurs et ta traversée des hémisphères, tu erres le cœur en peine. Tu marches le cœur agonisant.

(3.59)

Lourdeur (note de journal 3)

Tu avances sous la voûte en traînant les pieds. 

(3.60)

Espérance désespérée (note de journal 4)

Tu cherches (en vain) une délivrance à ton angoisse métaphysique.

(3.61)

Court répit 

A la nuit tombée (comme la veille), tu te couches sur tes feuilles éparpillées. Et tu somnoles quelques heures.

(3.62)

Deuxième longue nuit des ténèbres

Au milieu de la nuit. Tu t’éveilles (sans bruit). Et tu quittes ton logement. Tu franchis d’un pas morne le hall de ton immeuble. Et tu t’enfonces dans la nuit. Tu baguenaudes au gré des pas. Au gré des rues, tu t’égares. Au cours de ton errance, tu découvres un parc désert. Tu y entres et tu t’allonges sur une pelouse clairsemée au pied d’un figuier rabougri.

(3.63)

Reprise de l’errance mobile

Après quelques heures d’errance immobile, tu reprends ta marche. Et tes pas te ramènent (malgré toi) vers le grand fleuve. Tu retrouves ta place sur le banc (le banc sur lequel tu t’étais assis la veille, au cours de l’après-midi). Tu y fais halte quelques instants. Tu regardes les tristes et pâles lumières de la cité des hommes. Tu baisses la tête. Et tu l’enfouis dans tes mains. Tu pleures. Désespéré.

(3.64)

Assèchement

Tu pleures longtemps. De grosses larmes. De grosses larmes qui coulent en silence. Tu pleures pendant une éternité. Tu assèches ton cœur. Et tu fermes les yeux.

(3.65)

Extension

Le temps se dilate. Et tu te lèves (comme en rêve). Et tu poursuis ton chemin (malgré toi).

(3.66)

Boyau

Tu avances. Comme aimanté. Dans un long tuyau. Sombre et étroit. Tu progresses lentement. Avec difficulté. Au bout de quelques pas, tu étouffes. Tu suffoques. Tu te perds. Tu t’acharnes. Tu piétines. Tu marques une pause. Tu marques une pause dans le long conduit. Tu te recroquevilles. Tu n’as plus la force (ni le courage) d’avancer. Tu deviens inerte. Tu attends. Quelques instants. Une éternité.

(3.67)

Emmurement

Le temps se dilate (une nouvelle fois). Le conduit se rétrécie. Devant toi, aucun horizon. Le noir. L’obscurité. Les ténèbres. Dans ta tête, tes pas s’embourbent. Tu t’enfonces. Tu entrevois ton avenir.

(3.68)

Disparition

Ton avenir. Le néant. L’enlisement. Le tunnel sombre qui se rétrécit. Aucun espoir. Nulle échappatoire. Nulle fuite possible. Un désastre. Une seule destination promise. L’enterrement. La fin du monde. Peut-être (enfin) la délivrance.

(3.69)

Resserrement

Au cœur du tuyau. Tu ne peux avancer. Bloqué. Pris au piège. Tu sens la mâchoire d’acier se refermer sur tes tempes. L’étau se resserrer. Lentement. Ce resserrement est un supplice. Tu sens ton cerveau se liquéfier. Il se liquéfie. L’étau se resserre. Un liquide saumâtre coule le long de tes lobes temporaux. Il suinte. Tu le sens dégouliner le long de tes conduits auditifs. Inonder tes tympans. Sortir par les oreilles. Tu laisses, impuissant, l’étau accomplir son œuvre. Il transforme ta tête en jus de cerveau. Tu deviens jus de cerveau. Tu te répands. Tu deviens flaque. Et tu finis par t’évaporer. Tu disparais. Sans trace. 

(3.70)

Liens

Tu ouvres les yeux. Et ton regard  (toujours aimanté) s’attarde sur l’un des ponts (nombreux en cet endroit) qui enjambent le grand fleuve. Tu te lèves. Et tu marches en direction du pont le plus proche.

(3.71)

Immobilité

Tu t’accoudes à la balustrade. L’œil rivé sur l’horizon.

(3.72)

Engloutissement

Et tu regardes. Devant toi, l’horizon noir. Autour de toi, le paysage noir. Au-dessus de toi, le ciel noir. Derrière toi, le chemin noir. En toi, les sentiments noirs. Et tu sombres.

(3.73)

Noirceur

Devant l’abîme. Le noir.

(3.74)

Noirceur (bis)

Au fond de l’abîme, le vide noir happe ton regard.

(3.75)

Noirceur (ter)

Partout le noir.

(3.76)

Enjambement

Tu enjambes la balustrade du pont sous la lueur blafarde d’un réverbère qui éclaire faiblement la grande avenue (déserte à cette heure tardive). Tu restes suspendu devant l’abîme pendant de longues minutes. Un temps infini. Infiniment long. Une courte éternité.

(3.77)

Suspension

Suspendu au-dessus de l’abîme, tu regardes le ciel noir et ombrageux. Orageux. Il commence à pleuvoir. La pluie s’intensifie. Les gouttes cinglent ton visage. Et (soudain) au cœur de l’orage, tout s’éclaire.

(3.78)

Eclairage

Tout s’éclaire (avec évidence). L’obscurité du monde. Les errances des hémisphères. L’espoir du chemin. Et la lumière du Ciel.

(3.79)

Abandon

D’un revers de main, tu essuies les larmes et les gouttes qui inondent ton visage. Tu es sur le point de lâcher. De te laisser engloutir (à jamais) par l’abîme obscur. Rejoindre les ténèbres.

(3.80)

Rappel 

Tu songes (avec tristesse) aux êtres que tu as rencontrés (que tu as aimés). Aux paysages que tu as traversés. A tes longues errances sur les chemins du monde. Tu songes au soleil. A l’astre lumineux qui éclairait médiocrement tes jours. Tu cherches en toi la force et le courage de t’accrocher. De rester vivant. Tu songes à la vallée heureuse. Et à la vallée des larmes. Le courage te manque et tu sens tes forces te lâcher. Tu descends en toi (plus profondément encore). Pour recueillir tes maigres forces. Et ton courage chancelant. Insuffisant à te sauver de ton naufrage. De ton désastre.

(3.81)

Hérault

Tu lèves les yeux au ciel. Prêt à lâcher. A travers les nuages sombres et épais, la lune livide scintille pâlement. Parmi les ombres, une lueur court sur ton visage. Tu t’apprêtes à lâcher lorsqu’un oiseau traverse le ciel et se pose à quelques mètres sur la balustrade. Il émet un son inaudible (couvert par la pluie battante), quelques notes d’un chant imperceptible (que tu crois entendre) avant de reprendre son envol. Et tu le regardes (avec tristesse) disparaître dans le noir du ciel. Tu y vois (malgré toi) un signe. Un message incertain. Un soutien. Un réconfort mystérieux. Une consolation. Une bienveillance de la nuit. Une lueur dans l’obscurité. Un espoir d’envol. Et d’horizons peut-être moins sombres. Et tu éclates en sanglots. Tu mêles tes pleurs aux eaux du fleuve (et de la pluie). Le courage te revient (lentement). Tes forces réapparaissent (peu à peu). Tu agrippes la balustrade. Et tu t’assois sur le muret de pierres qui surplombe le fleuve. 

(3.82)

Intuition

Assis sur le parapet, tu médites longuement. Sur ton sort (malheureux). Sur ton (effroyable) infortune. Tu tournes tes yeux à l’intérieur. Tu entrebâilles (timidement) la porte du dedans. Et tu lèves les yeux au ciel pour regarder passer les nuages (de gros nuages noirs, chargés d’orages). Tu les vois disparaître au loin, poussés par le vent. Tu les vois se distendre, s’élargir, se transformer. Et soudain. Une vague intuition. Tu perçois une étonnante similitude entre le ciel et ton esprit. Tes idées tristes et les nuages chargés de pluie.

(3.83)

Au dedans

Au fond de l’obscurité. Derrière la tristesse (l’infinie tristesse), tu perçois une lueur (pâle et lointaine). Un maigre espoir. Tu quittes la balustrade. Et tu décides de reprendre ton chemin. De partir en quête de cet espoir. De cette lumière (entraperçue au loin, au fond de la nuit, derrière les ténèbres).

(3.84)

Remontée

Tu remontes ton col. Et tu prends le chemin du retour.

(3.85)

Retour

Tu rentres chez toi à pas lent. En entrant dans ton appartement, tu te diriges (sans hâte) vers ta table de travail. Et tu relis le dernier fragment d’Au cœur des ténèbres, l’ultime impasse.

(3.86)

Lueur d’espoir (dernier fragment du volume 1)

Tu rêves (malgré toi, en secret et en silence) d’échapper à ton funeste destin.

(3.87)

Compréhension

Et tu crois (enfin) comprendre…

(3.88)

Réflexions

Après ta lecture, tu réfléchis quelques instants. Tu ouvres les pages de ton journal. Et tu écris. Notes de journal (5 et 6).

(3.89)

Progression (note de journal 5)

Etape 1 : au cœur des mondes obscurs.

Etape 2 : tu fuis au cœur des hémisphères.

Etape 3 : Au cœur des hémisphères, sous l’arc-en-ciel illusoire (et trompeur), tu découvres l’effroyable abîme.

Etape 4 : au fond de l’abîme, entre les rives de la mort et de la folie, tu aperçois une faible lueur. A l’intérieur. Au loin.

(3.90)

Espoirs (note de journal 6)

Tu espères quitter l’obscurité du monde. Fuir les hémisphères et éclairer ton chemin. Tu espères échapper aux ténèbres de ton âme insatisfaite. Remplir ton cœur vide. Et avide. Rassasier ton cœur (encore) affamé.

(3.91)

Repos  

Et tu t’endors, l’âme fatiguée. En espérant reprendre ta route au réveil.

(3.92)

Poursuite

Le lendemain, à peine levé, tu pars en quête de cette lueur. De cet espoir. De cette lumière lointaine (encore lointaine).

(3.93)

Poursuite (bis)

Et ton voyage se poursuit…

 

 

Partie 2 LUMIERE TROMPEUSE

Atermoiements

Pétri de doutes et encore affaibli par ta terrifiante traversée, tu erres quelques temps dans la ville. En proie aux questionnements. Tes pas te mènent (une nouvelle fois) vers ton banc fétiche, l’unique témoin de tes errances, de ton désastre passé… et de ton espoir de sortir du tunnel.

(3.94)

Ignorance insistante

Tu ne sais où chercher. Tu aimerais trouver. Mais tu ne sais où (ni comment) chercher.

(3.95)

Interrogations

Tu fouilles. Tu creuses. Toujours en proie aux questionnements. Tu cherches (en toi). Aucune réponse. Au fond du tunnel, une pâle lueur. Tu lèves les yeux. Et à l’horizon, tu perçois une éclaircie dans le ciel ombragé.

(3.96)

Surgissement

Tu baisses la tête. L’espoir te semble si lointain. Et (soudain) tu entends la question surgir en toi.

(3.97)

Question

Comment s’approcher de l’espoir ? Où aller ? Où chercher ? Fouiller… ?  En soi… ? Poursuivre sa marche… ? Jusqu’à l’horizon… ? Que faire ?

(3.98)

Habituelle intuition

Tu décides de suivre ton instinct. Et tes habitudes. De recourir à ton soutien coutumier : les livres.

(3.99)

Nouvelle quête

Tu te lèves. Et tu te précipites au cœur de la ville. A la recherche d’une librairie.

(3.100)

Soutien

Au cœur du quartier des facultés, tu pousses la porte de chaque librairie.

(3.101)

Librairie

Tu compulses (avec avidité) les ouvrages empilés sur les tables, les fascicules rangés dans les bacs. Tu ne sais comment orienter ton choix (tu n’as que l’embarras du choix). Tu parcours tous les rayons. Tu arpentes chaque étagère. Philosophie, psychologie, développement personnel, bien-être, théologie, ésotérisme. Tu feuillettes chaque livre. En les refermant, une bouffée d’espoir (et de curiosité) te submerge.

(3.102)

Richesses

Tu achètes deux demi douzaines d’ouvrages. Et tu rejoins ton appartement la pile de bouquins sous les bras (que tu portes comme un trésor). Comme un coffre renfermant les clés de ta délivrance.

(3.103)

Correspondance

Tu lis tous les ouvrages de A à Z. De la première à la dernière ligne. Tu es surpris. Ils décrivent ta situation. Tes aspirations. Ta lueur. Et ton désir (encore flou) de lumière.

(3.104)

Unique invitation

Tu remarques que tous ces ouvrages te proposent une clé. Et chacun t’invite à chercher la voie.

(3.105)

Nouvel espoir

Tu tournes les pages, le cœur plein d’espérance. Au fil des livres, ton espoir grandit. Comme si la lueur se rapprochait. Au bout du tunnel, tu entrevois l’issue.

(3.106)

Hésitation

Tu interromps ta lecture. Tu marques un temps d’arrêt. Et tu t’interroges.

(3.107)

Interrogation

Tu ne sais quelle voie emprunter.

(3.108)

Dilemme

Tu refermes les livres. Et tu tournes (une nouvelle fois) en rond dans ta chambre. Avec une certitude et une question en tête.

(3.109)

Certitude

Trouver la voie. Ta seule issue est de trouver la voie. Tu n’as guère le choix. Seulement trouver la voie.

(3.110)

 Question

Mais quelle voie choisir ?

(3.111)

Seule issue

Décision. Tu décides de répondre à cette question. Et tu pars en quête d’une réponse.

(3.112)

Pérégrinations ouvertes

Pendant plusieurs semaines, tu sillonnes la région. En quête d’une réponse. Tu visites des églises, des temples, des
moquées, des synagogues, des pagodes, des monastères, des abbayes, des cloîtres. Diverses communautés. Tu arpentes tous les chemins du sacré. Aux confins du religieux et de l’ésotérisme. En quête d’ingrédients.

(3.113)

Précisions

Au cours de ton périple, tu rencontres le responsable de chaque communauté. Tu dialogues avec des prêtres, des moines, des gourous, des imâms et quelques anachorètes.

(3.114)

Voix multiples

Au fil des pas, tu multiplies les rencontres. Cisterciens, trappistes, bénédictins, chartreux, soufis, bonzes, moines zen, djaïns, gourous, hindous. Tu pousses la porte de tous les lieux de la voie.

(3.115)

Quêtes tous azimuts

Tu poursuis tes visites. Temples (de tous ordres), chapelles, sanctuaires. Tu participes à des pèlerinages. A des réunions spirituelles. Tu es de toutes les assemblées. Tu explores les allées des foires spirituelles. Tu te renseignes à chaque stand. Tu t’abonnes aux revues des nouvelles spiritualités.

(3.116)

Pratiques diverses

Tu fréquentes les salles de prière, les dojos, les salles de méditation. Tu t’essayes à la méditation transcendantale. Tu écoutes les nouveaux gourous du siècle. Tu lis leurs ouvrages. Tu pratiques le yoga. Tu expérimentes la vision chamanique.

(3.117)

Apprentissages

Tu apprends des bribes d’hébreu et de chaldéen, des rudiments d’arabe et de tibétain et les bases du sanskrit et de l’araméen. Tu cherches (de toute évidence) le langage universel du Divin. Et il t’arrive aussi de rêver de prophètes, de messies et de messes en latin.

(3.118)

Croyance

Bref. Tu crois arpenter l’avant chemin de la voie.

(3.119)

Déversement

Après chaque découverte, tu rentres chez toi, le sac débordant d’ingrédients. Tu les déverses sur la natte qui tapisse le sol de ta chambre. Tu ornes tes murs de crucifix et de Bouddha. Tu te renseignes sur la barmisthva. Tu achètes des ouvrages sur Allah. Tu cherches (toujours) la voie.

(3.120)

 Décoration

Tu accroches des icônes aux murs de ton salon. Tu poses des bougies sur tous les meubles de la maison. Tu fais provision de cierges et de bâton d’encens que tu fais brûler toute la nuit.

(3.121)

Déversement (bis)

Après chaque rencontre, tu rentres chez toi, le cœur débordant d’ingrédients. Tu les déverses dans ton carnet posé sur l’autel qui trône au centre de ta chambre.

(3.122)

Notes

Un jour, tu décides de transformer ton carnet de notes en journal de bord. Journal de ton épopée spirituelle. De ta recherche singulière de la voie.

(3.123)

Extrait de journal 1

Nouvelle religion. Longue déambulation dans les rues. Partout des enseignes, des magasins, des réclames. Tu notes que l’hôtel des ventes a remplacé l’autel des églises. Tu es triste que le commerce soit devenu religion. 

(3.124)

Extrait de journal 2

Nouvelle vague. Tu voyages beaucoup. Et tu remarques que la religion matérialiste a déferlé sur l’entière surface du monde. Tu vois les continents submergés. Et les hommes à la dérive. Bientôt noyés par les grandes surfaces…

(3.125)

Echec

En dépit de tes notes (de journal), de tes lectures (innombrables), de tes rencontres (incalculables) et de tes apprentissages (considérables), tu ne découvres aucune porte. Aucune lueur. Aucun espoir. Aucune voie. Et malgré tes insuccès, tu gardes espoir. Et décides de poursuivre tes recherches.

(3.126)

Poursuite

Tu poursuis (donc) ta quête. Tu reprends le tour des librairies. Tu arpentes (une nouvelle fois) tous les rayons du religieux et du sacré. Tu approfondis ta prospection. En fouillant avec obstination. Avec rage. Pour trouver la voie du salut.

(3.127)

Découverte

Après une longue série de recherches infructueuses, tu découvres un jour (enfin) l’Ouvrage. Le saint Livre. Rangé (ou caché peut-être…) derrière une triple rangée d’ouvrages ésotériques chez un obscur libraire.

(3.128)

Description

Description du saint Livre : sorte de Bible mâtinée de Coran, de Torah, de Talmud, d’Upanisads et de Soutra. D’emblée, son titre évocateur te séduit : Guide du Salut.

(3.129)

Compulsion

Tu le parcours avec avidité. Chaque phrase te séduit et t’enthousiasme. Chaque paragraphe est un éclairage. Et chaque chapitre une révélation.

(3.130)

Lueur éclairante

Tu éprouves (pour la première fois) l’étrange sensation d’une éclaircie. Si rare (et si inespérée) depuis que tu arpentes les chemins du monde obscur. Tu sens la lueur (et ton espoir) s’intensifier. Comme si tes pas t’avaient soudain rapproché d’une lampe qui brille dans la nuit.

 (3.131)

Engagement officieux

Après ta lecture, tu décides (enthousiasmé) de suivre le chemin proposé (en 10 étapes et 15 préceptes). Tu notes l’adresse (indiquée au dos du saint Livre en lettres rouge et or) de la communauté et du temple les plus proches de ton domicile. Le siège régional de la communauté du Salut. 7 rue du temple à B. Tu plies soigneusement le papier dans ta poche. Et le lendemain, tu te rends à l’adresse indiquée. En transport en commun.

(3.132)

Halte con-temple-hâtive

Après un long trajet en tramway, tu arrives à destination. Tu traverses, d’un pas rapide et allègre, les quartiers populeux (et impies sans doute) de la ville basse. Direction : les quartiers de la ville haute. Au cœur de la ville haute, tu empruntes la route du temple. Edifice majestueux, perché au sommet d’une haute colline (ceinturée par d’autres moins majestueuses en contrebas).

(3.133)

Description extérieure

Première impression. En arrivant, tu remarques derrière les murs (surmontés de hautes grilles) une élégante et prestigieuse bâtisse aux volets clos. En pénétrant dans le bâtiment, tu notes avec surprise le décalage entre la luminosité de l’immense jardin et la pénombre des pièces de la Demeure (appellation de la grande bâtisse donnée par la communauté du Salut).

(3.134)

A l’intérieur

A l’intérieur de la Demeure. Dans la grande pièce du Salut (une des nombreuses salles de cérémonie). Tu te prosternes (comme il convient) en imitant les membres de l’assemblée des fidèles présents avant de te glisser parmi eux. Autour de toi, tu remarques les adeptes. Disciplinés. Obéissants strictement aux ordres judicieux et attentifs du grand Frère des Loges de la Demeure. La tête enrubannée et le foulard leur enserrant leur cou, tu les vois se prosterner avec grand dévouement. Au fond de la salle des cérémonies, sur une haute estrade, les initiés semblent resplendir d’une aura merveilleuse. Les yeux en paix et le cœur serein. Le pas agile et la démarche souple, tu les observes aller et venir, prodiguant conseils avisés et encouragements bienveillants à l’assemblée des fidèles.

(3.135)

Accueil

A l’issue de la longue cérémonie rituelle, les frères de la communauté du Salut t’accueillent à bras ouverts. Comme si le Sauveur même les visitait. Après les formalités d’usage, le frère hôtelier t’invite à le suivre dans l’aile de la Demeure réservée aux non-initiés. A l’aide d’un passe caché dans les replis de sa tunique, il ouvre la porte d’une cellule, te désigne le guide du Salut (le saint Livre de la communauté) posé sur une petite table de bois brut avant de repartir de son petit pas tranquille (en te lançant d’une voix douce et mélodieuse).

- Que la Paix accompagne tes pas sur le chemin du Salut, mon frère !

(3.136)

Bénédiction

Après un rapide coup d’œil au mobilier de la cellule, tu poses ton sac au pied du lit. D’un geste machinal, tu saisis le saint Livre (que tu feuillettes quelques instants d’un air inspiré et précautionneux). Au bout de quelques pages, tu reposes le saint Guide (avec une infinie précaution) pour contempler, à travers l’étroite lucarne de la cellule, l’immense parc de la Demeure. Et tu es aussitôt saisi par un étrange sentiment de calme et de sérénité. Une sensation de quiétude que tu n’avais éprouvée depuis une éternité. Après tes errances (et ton éprouvante traversée du néant), ce lieu paisible et retiré est une vraie bénédiction. Tu vas (enfin) pouvoir te reposer, retrouver les joies de la Communauté des Hommes et le silence du recueillement. Retrouver tes Frères et unir – pourquoi pas ? – vos prières. Et tu te surprends à murmurer.

- Ô Gloire à Toi, Ô sauveur des âmes, Ô Père du Salut !

 (3.137)

Séjour

Le soir, à l’issue du repas (pris en silence et en commun dans la grande salle du réfectoire de la Demeure), les frères (de la communauté du Salut) t’invitent à séjourner quelques jours parmi eux. Au cours de ton séjour, tu participes aux rituels, aux cérémonies, aux prières, aux repas, aux réunions. Les frères t’écoutent, te guident, te conseillent. Ils t’accordent un espace en leur sein. Tu te sens entouré, enveloppé, soutenu. A ta place. Tu découvres (pour la première fois) l’attention et l’amour de tes frères humains. 

(3.138)

Rencontre décisive

Le dernier jour de ton court séjour, le grand frère majeur du groupe régional, instructeur principal de la voie du Salut et vénérable de la communauté locale te reçoit (en personne). Après une heure d’attente dans une pièce étroite qui jouxte la salle de réception individuelle, le Vénérable t’invite à entrer dans son bureau.

(3.139)

Vénérable frère

Devant le Vénérable, vieillard majestueux et noble mage drapé de sagesse et de savoir (et détenteur des clés du Salut), tu te prosternes (tremblant et intimidé) et tu balbuties :

- Ô mon Père ! Ô mon Frère ! Je ne sais comment vous appeler, Vénérable ! Si vous saviez mon bonheur à vous rencontrer !

Le Vénérable, assis sur son noble trône, un simple tabouret en bois (couleur or et rouge), te sourit (digne et serein). D’un geste, il relève sa tunique et te murmure, d’une voix grave et profonde : 

- Soit le bienvenu, Ô mon fils ! Et que la paix accompagne tes pas sur le chemin du Salut !

(3.140)

Fin de séjour

L’entrevue avec le Vénérable te convainc de t’engager chez les frères et sur le chemin du Salut. Et tu retournes chez toi, convaincu. Ainsi s’achève ton premier séjour dans la noble communauté.

(3.141)

Engagement progressif

Au cours des semaines suivantes, tu effectues de nombreuses visites chez les frères de la communauté. Tu t’y rends chaque week-end. Après ton dur labeur hebdomadaire séculier.

(3.142)

Décision

A l’issue de 7 semaines d’incessants allers et retours (entre le temple et ton domicile), tu décides d’entreprendre une longue retraite dans la communauté. Tu prends congé de ton emploi. Tu délaisses ton quotidien familier. Et tu rejoins les frères du Salut.

(3.143)

Intronisation

Le jour de ton intronisation, tu effectues (selon l’expression consacrée par la noble assemblée des frères majeurs) le grand saut dans le Salut. Dans une pièce annexe à la grande salle de cérémonie, tu te prépares à ton ordination.

(3.144)

Préparation

Tu saisies la tondeuse. Et en quelques gestes habiles, tu te rases le crâne. Tu revêts la tunique d’apparat (réservé aux novices). Et tu parades (ainsi) avec un sourire de circonstance devant le grand miroir du couloir (en attendant ton entrée dans la grande salle de cérémonie).

(3.145)

Engagement

La cérémonie se déroule à merveille.

(3.146)

Engagement (bis)

Après ton intronisation, tu renonces solennellement, dans l’anti-chambre de la Demeure, à ton existence et à tes errances passées. Après un sermon (magistral) d’un grand frère majeur, tu fais le serment devant le saint Livre, le guide du Salut, de suivre les préceptes de la communauté. Tu t’engages au renoncement.

(3.147)

Renoncement

Tu renonces à tout (à presque tout). A l’argent. Tu en lègues la totalité à la direction spirituelle de la communauté du Salut. Pour le Salut de la communauté et l’assemblée des fidèles.

(3.148)

Renoncement (bis)

Tu renonces aux plaisirs. A l’amour charnel. Aux biens matériels. Au mal. A la colère. Aux vices.

(3.149)

Renoncement (ter)

Tu renonces à l’obscurité et à l’ignorance. Tu renonces au désir et à tes anciennes amitiés. Tu renonces à presque tout (sauf, bien sûr, à ton salut).

(3.150)

Engagement

Tes renoncements (multiples) ouvrent la porte à ton engagement total dans la voie du Salut.

(3.151)

Rythme quotidien

Tu t’engages sur la voie. Tes journées sont riches et rythmées. Consacrées à ton salut (et à celui de tes frères).

(3.152)

Note

Chaque soir, tu notes sur ton journal les rituels de la journée, ta pratique (assidue) et ta progression sur le chemin.

 (3.153)

Relecture

Chaque matin (après avoir récité la prière du Salut), tu relis les notes de ton journal.

(3.154)

Extrait de journal (1)

Troisième précepte : la posture de la prière, récitation perpétuelle…

(3.155)

Extrait de journal (2)

Quatrième précepte : la pratique (assidue et disciplinée) du disciple obéissant…

(3.156)

Extrait de journal (3)

Vertus cardinales : l’amour des frères, de la Terre et des êtres ignorants du Monde. L’Intelligence de la voie du Salut. Et la clairvoyance de l’esprit salutisé.

(3.157)

Extrait de journal (4)

Prière (7 fois par jour), assis le postérieur face aux forces incroyantes du monde, du cosmos et des ténèbres et le front incliné face à la sainte porte du Salut.

(3.158)

Extrait de journal (5)

Chants, récitations de formules salutaires, incantations, rituels du Salut…

(3.159)

Extrait de journal (6)

Cinquième précepte : les prêches, les sermons de la Demeure, l’amour des frères, la conversion des incroyants et des infidèles…

(3.160)

Période d’apprentissage

Ton séjour se déroule à merveille. Les jours passent. Et tu mets un point d’honneur à appliquer (avec un enthousiasme sans faille) les préceptes de la communauté.

(3.161)

Rigorisme ascétique

Tu pratique le jeûne. Tu fais pénitence. Tu mortifies ta vie. Tu austérises tes jours.    

(3.162)

Période d’apprentissage (bis)

Les jours passent. Et tu participes (avec enthousiasme) à toutes les cérémonies.

(3.163)

Période d’apprentissage (ter)

Les jours passent. Et tu t’adonnes sans relâche à une pratique disciplinée.

(3.164)

Exemple

Support pratique. Tu construits dans ta cellule un autel à la gloire du Sauveur. Tu t’agenouilles (7 fois par jour – selon les recommandations du 7ème précepte). Tu pries le Sauveur et la voie du Salut. Tu recouvres ton chemin de prières. Tu t’adonnes à l’obole salutaire.

(3.165)

Période d’apprentissage (quarto)

Les jours passent. Et tu franchis, une à une, les étapes de la voie prônée par la communauté du Salut.

(3.166)

Adepte docile

Disciple discipliné. Adepte de la voie du Salut. Tu encenses la vérité nouvelle du Sauveur. Et tu stigmatises l’ignorance, les mécréants et l’ère séculière de ton temps.

(3.167)

Période d’apprentissage (cinque)

Les jours passent. Et tu assumes (avec joie) toutes les missions confiées par le conseil supérieur des frères majeurs (organe suprême et instance collégiale dirigeante de la communauté).

(3.168)

Mission première (et fondamentale) de la communauté

Le prêche. Et le recrutement de nouveaux fidèles.

(3.169)

Support

Le conseil supérieur pourvoie à satisfaire cette mission fondamentale. A cet égard, il distribue à chaque disciple recruteur une brochure d’information.

(3.170)

Information

Extrait de la plaquette (destinée aux frères recruteurs de la communauté du Salut). Aucun prosélytisme (évidemment). Mission du prêcheur. Convaincre le cœur humain. Brandir la peur et promettre le Salut à venir. Montrer le seul chemin. L’unique porte d’accès au Salut. Ratisser large. Ramasser les feuilles éparpillées (les pauvres créatures incroyantes) dans la cour du monde (selon l’expression consacrée par la communauté).

(3.171)

L’habit du prêcheur

Après une courte période de formation, on t’octroie le privilège de revêtir la panoplie de frère recruteur, fidèle disciple de la vérité du Salut. Et on te pousse sur les chemins du monde.

(3.172)

La route du prêcheur

Pendant de longues semaines, tu arpentes la surface du globe, la mine modeste et rayonnante. A ton passage, tu remarques que les passants font halte. Et te laissent passer (étonnés ou respectueux). D’autres te regardent ébaubis (ou un peu moqueurs). Et tu notes que ta parure, ton accoutrement et ton statut ne laissent personne indifférent. Et au fil des pas, tu te félicites de cette singularité.

(3.173)

Rôle

Au cours de tes (interminables) pérégrinations sur les chemins du monde, tu te surprends à jouer de ta parure. Il t’arrive régulièrement (en marchant dans la foule) de réajuster l’un des pans de ta tunique d’un geste ample et lent (que tu fais durer à plaisir).

(3.174)

Note de journal

Tu éprouves quelque fierté à déambuler ainsi dans les rues avec ta tunique sobre et élégante. Elle prouve (sans conteste et sans doute possible) ton appartenance à une noble congrégation. A la digne communauté du Salut.

(3.175)

Appartenance

Tu chemines sur tous les chemins. Fier d’appartenir à cette nouvelle race de pèlerins.

(3.176)

Rôle (bis)

Tu honores (avec zèle) ton activité de prêcheur. Tu interpelles les passants. Tu distribues des prospectus. Tu sonnes aux portes. Tu participes à des réunions et à des assemblées. A de longues processions. Tu œuvres pour la noble cause du Salut des âmes.

(3.177)

Affichage

Partout, tu brandis les pancartes de ta communauté. Sur tous les chemins. Et dans toutes les contrées.

(3.178)

Pancartes

Sur les pancartes (de ta communauté) figurent une inscription (en lettres rouge et or) : le chemin du Salut. Et une devise : un seul chemin. Le Salut pour chacun.

(3.179)

Affichage (bis)

Tu poursuis ton œuvre de frère prêcheur. Tu annonces la bonne parole. Tu répands la vérité de ton assemblée. Tu rêves de convaincre les athées, les agnostiques, les infidèles, les mécréants. La masse indifférente des non-croyants. Tu rêves de convertir l’humanité. De la rallier à ta cause.

(3.180)

Période d’apprentissage (sei)

Les jours passent. Et tu surmontes les obstacles et les épreuves du chemin (de la noble voie du Salut).

(3.181)

Promotion

Pour encourager tes probantes avancées (et ton spectaculaire dévouement), le grand frère majeur de la communauté nationale t’invite, à l’issue de tes longues semaines passés sur les routes, à participer à un pèlerinage sur les rives du Fleuve lointain.

(3.182)

Epreuve de croyance 

Le pèlerinage.

(3.183)

Expérience

Tu pars (donc) en compagnie d’autres frères prêcheurs méritants, sur les bords du Fleuve lointain. Après 49 jours de marche forcenée, tu rejoins la longue procession du pèlerinage. 

(3.184)

Nouvelle épreuve

Au cours de ton pèlerinage, la communauté autochtone t’invite à participer à une longue retraite (retraite solitaire) pour mettre à l’épreuve ta foi dans la voie du Salut. 

(3.185)

Epreuve de résistance

La retraite.

(3.186)

Havre de paix

Après une ascension de quelques jours, tu découvres (enfin) le lieu de ta retraite. Un temple minuscule et isolé, haut perché sur une montagne enneigée (à quelques lointaines encablures de la communauté locale de la Demeure). Un endroit sacré. Un havre de paix. Une pure merveille pour le repos de l’âme et la quiétude du cœur. Un vrai bonheur. Tu es irrésistiblement attiré. Tu pousses la porte et pénètres dans l’unique salle du temple. Une pièce large et un peu sombre où se tient agenouillé un Sauveur serein et souriant. Une haute statue colorée, placée sur un trône (sans fioriture) tenant dans la main droite un livre et dans la main gauche un bouquet de fleurs (sûrement en signe de bienvenue au retraitant méritant ou au visiteur égaré). D’un geste ample et lent, la statue t’invite à prendre place devant l’autel. Tu t’assois heureux, à ses côtés, sur un petit tapis joliment brodé. Et tu pries assis pendant plusieurs semaines dans ce lieu magique et retiré. Pour la bonne cause : ton Salut.

 (3.187)

Retour triomphal

Après ta retraite (et ton pèlerinage), tu reprends le chemin de ta communauté locale. Ton retour est salué par les responsables communautaires et la foule des fidèles du temple avec un enthousiasme débordant. Tes efforts, ta persévérance et ton assiduité sont couronnés de succès. On te nomme (aussitôt) grand frère mineur. Tu prends du galon (et tu exultes en secret). Quelques semaines plus tard, on t’invite à quitter la communauté pour fonder ton propre groupe affilié. Tu jubiles.  

(3.188)

Epreuve de consécration

Pour fêter ton départ, les frères majeurs t’invitent dans le sanctuaire des sanctuaires (pour tes fidèles et loyaux services à la noble Cause du Salut et encourager ton indéfectible dévouement).

(3.189)

Reconnaissance

Avant d’entrer dans le cœur vivant de la communauté du Salut où réside la docte assemblée des grands Pères du Salut, tu fais halte sur le parvis du temple (devant le sanctuaire des sanctuaires). Tu remarques la foule des fidèles (tous détiennent, au moins, le grade de frère mineur). Tu les rejoins le cœur primesautier. Tu savoures (en ton for intérieur) d’appartenir aux élus. Tu t’honores de ce privilège. Tu entres avec eux au cœur du temple. Pour écouter le prêche du grand Rédempteur. Figure internationale (et historique) de la grande communauté du Salut.

(3.190)

Le grand sauveur incarné

Description du grand rédempteur. Grand maître du Salut (15ème degré de l’Ordre du Salut). Sage et souriant, toge or et rouge, tunique en soie blanche, kéfir sobre (couleur ocre), sandales à lanières, grand, charismatique (évidemment) et crâne rasé (signe de renoncement aux beautés factices du monde).

(3.191)

Note de journal

Epreuve d’assistance. La bénédiction personnelle du grand rédempteur au cours d’une cérémonie fastueuse et émouvante. Immémorable. Une joie infinie.

(3.192)

Epreuve de célébration

Après la bénédiction du grand Rédempteur, tu participes à la grande célébration du Salut au cours de laquelle tu prêtes serment de rester fidèle (à jamais) aux règles communautaires, aux saints préceptes du saint Livre, aux fidèles et partisans et aux frères mineurs et majeurs des diverses assemblées.

(3.193)

Temple personnel

Avant ton départ, les grands frères majeurs te prodiguent un ultime conseil : devenir ton propre temple. En trouvant un abri au plus profond de ton âme. Cette perspective nouvelle t’ouvre de larges perspectives. Tous t’assurent que tu peux (à présent) considérer le monde comme ta propre demeure. Et après d’interminables (et émouvants) adieux, tu quittes la communauté pour regagner la vie séculière en habit d’initié du Salut.

(3.194)

Relooking

De retour chez toi, tu changes (bien sûr) de garde-robe. Tu remplaces ta tunique par des vêtements civils. Couleurs sobres. Gris, ocre, marron. Mais tu conserves une coupe de cheveux qui exacerbe ton rigorisme.

(3.195)

Noble sentier

En quelques jours, tu redécouvres le monde qui ignore le chemin du Salut. Tu admets (à l’évidence) l’ampleur de ta mission de Salutisation (prêcher le Salut). Tu aimerais tant révéler à chaque homme l’indicible vérité de la voie. Lui prouver l’absolue vérité du chemin du Salut. Lui montrer qu’il se fourvoie sur des sentiers malfaisants et dangereux (terriblement dangereux). Tu aimerais tant sauver l’humanité en perdition en lui montrant le noble sentier qui la mènerait vers des jours meilleurs et un avenir prometteur.

(3.196)

Au cœur du jardin

Quelques jours plus tard (mandaté par tes nobles Grands frères), tu pars à travers le vaste monde. En quête d’un espace pour créer ton groupe affilié. Tu traverses les paysages avec un sentiment de familiarité comme si tu pérégrinais au cœur de ton propre jardin. Tu t’arrêtes ici et là avec quiétude, avec bonheur, sans méfiance, sans prudence. Ton âme est libre. Tu marches le cœur léger et tranquille. Tu t’offres désormais au monde qui s’est offert à toi. Et tu arpentes les chemins le cœur en paix. Sûr de ta vérité.

(3.197)

Couronnement

Au cours des mois suivants, tu vis l’apogée du prosélyte. Tu bâtis ton temple. Tu recrutes une assemblée de fidèles disciplinés. Et tu œuvres (sans relâche) à la conversion des infidèles et des incroyants.

(3.198)

Paroles incarnées

Chaque jour, du haut de ton estrade, tu t’époumones. Tu vocifères des prêches enflammés et culpabilisants. Tu radicalises ton discours. Tu intégrises (malgré toi) ton amour des créatures du Monde.

(3.199)

Vérités frappantes

A coup de prières solitaires et de prêches endiablés, tu frappes les vérités de la doctrine du Salut pour les enfoncer dans ton crâne. Et tu les assènes dans le crâne des fidèles qui s’inclinent devant tes vérités. Tu étroitises (malgré toi) l’intelligence et hiératises (toujours à ton insu) la voie (les vérités de la voie).

(3.200)

Rencontre déterminante

Après avoir créé ton propre temple, fondé ton groupe affilié, organisé la vie et la voie de tes fidèles, converti un grand nombre d’infidèles et d’incroyants, un jour, au cours de tes déambulations prêchantes, tu rencontres un infidèle récalcitrant. Un mécréant ignare qui prend un malin plaisir à malmener tes certitudes croyantes. Malgré tes convictions inébranlables, ses paroles parviennent à semer un léger trouble. Un doute ténu. A l’issue d’un débat animé, il glisse (à ton insu) dans l’une de tes poches un mince fascicule. Un fascicule anodin (et innocent) qui va bouleverser la poursuite de ton chemin vers le Salut.

(3.201)

Découverte

Après de longues et fructueuses semaines de Salutisation, un soir, tu découvres le fascicule (avec étonnement). Son titre : TRAVERSEE COMMUNE, l’éblouissement, au cœur de l’ultime impasse. Tu l’ouvres. Et tu lis incrédule (et toujours avec étonnement) les fragments suivants :

(3.202)

 

 

 

TRAVERSEE COMMUNE, l’éblouissement, Au cœur de l’ultime impasse

Pansement

Tu cherches une réponse à ton malaise fondamentale. A apaiser ton angoisse métaphysique.

(3.203)

Attente

Tu chemines dans l’espoir d’éclairer l’obscurité du monde. Et la noirceur de ton âme.

(3.204)

Précipice

Arrivé au bord du monde, tu découvres l’abîme.

(3.205)

 Vides

Au bord de l’abîme, tu regardes (avec inquiétude) ton reflet. Et l’image du monde. Le néant.

(3.206)

Sous la plèbe

Tu t’enfonces dans l’abîme. Et tu découvres, terrorisé, le monde de l’en-bas.

(3.207)

Désert intérieur

Au fond de l’abîme, tu traverses le néant.

(3.208)

Anéantissements

Au cœur du néant, tu éprouves ton insignifiance et ta vulnérabilité fondamentales. Tu expérimentes le désespoir absolu.

(3.209)

Passage souterrain

Face à l’insoutenable, tu fouilles en toi. Pour trouver la force et le courage de poursuivre ta route.

(3.210)

Galerie intérieure

Tu t’enfonces dans tes profondeurs. Et tu découvres, enfoui au loin, une obscure lueur. Et un abri.

(3.211)

Avant dernière phase

Tu empruntes l’unique accès. La voie intérieure. Tes premiers pas sur l’avant-chemin. Ultime impasse avant les horizons clairs.

(3.212)

Aveuglante précipitation

Tu remontes à la surface du monde en quête de la persistance du halo. Et tu fais halte à la première lumière du chemin.

(3.213)

Borne

Tu optes pour la voie tracée. Tu suis le chemin balisé.

(3.214)

Bévue

Tu empruntes l’unique passage. Du dehors vers le dedans. Tu chemines sur l’exacte voie. Mais de façon inadéquate. Avec ton appétit du dehors. Incapable d’échapper à la méprise commune.

(3.215)

Erreur de perspective

Tu progresses au dedans comme sur les chemins du monde. Avec avidité, désir et esprit de profitabilité.

(3.216)

Tractation

Tu négocies ton salut. Ta posture révèle ton âme de propriétaire céleste.

(3.217)

Rempart

Tu cherches protection. Et tu trouves refuge sous le parapluie du Salut.

(3.218)

Détresse

Tu t’accroches au Salut comme à une bouée lointaine. Pour te sauver des tempêtes passées. Et de ton naufrage à venir.

(3.219)

Occultation

Ignorant tes réalités intérieures, tu endosses des vérités étrangères.

(3.220)

Habillage

Tu habilles ton âme de la parure des initiés.

(3.221)

Piste

Tu suis des traces, marchant dans des empreintes trop larges.

(3.222)

Posture

Tu extériorises l’intériorité.

(3.223)

Désastreux éclairage 

Confiant en ta lanterne (et en ton phare), tu éclaires l’obscurité du monde. 

(3.224)

Dévoué ignorant

Adepte discipliné de la voie. Fidèle disciple des dogmes, tu n’as foi qu’en tes croyances.   

(3.225)

Concentré étendu

Tu crois toucher le centre. Tu concentres ton identité. Tu imagines atteindre l’essentiel. Tu dilates la surface.

(3.226)

Charge gonflée

Tu crois t’alléger et te démunir. Tu t’alourdis. Tu crois éroder les cercles concentriques. Tu boursoufles ton enveloppe.

(3.227)

Sombre enterrement

Tu cherches la lumière. Et tes pas t’enfoncent dans le tunnel.

(3.228)

Ténébreuse lumière

Au fond de l’impasse, tu découvres l’imposture de ton éclairage.

(3.229)

Nuit noire

Tu éteins tes lanternes. Tu abandonnes ton phare. Pour t’enfoncer dans l’obscurité.

(3.230)

Tâtonnement

Tu cherches (maladroitement) la voie d’accès. La porte introuvable.

(3.231)

Ecoute

Au cœur du silence, tu perçois le murmure du Souffle. Et tu entends les bruissements de la terre et la clameur du ciel.

(3.232)

Unique issue (dernier fragment du fascicule)

A l’issue d’une longue traversée, tu découvres, au cœur de la nuit, la porte étroite.

(3.233)

Nouvel éclairage

Toute la nuit, tu arpentes, éclairé à la faible lueur de ta lampe de chevet, les pages du fascicule. Au fil de ta lecture, tu sens vaciller tes certitudes, ton éclairage et ta lumière. Aux aurores, tu songes aux éclats aveuglants et trompeurs des nouvelles lumières. Au petit matin, tu achèves ta lecture et tu ouvres les volets. Et tu regardes les chemins du monde éclairés par le soleil naissant.

(3.234)

Intensification du doute

Après cette nuit (de lecture) harassante, le doute, au cours de la journée, (loin de s’estomper) s’intensifie. A l’issue d’une journée interminable consacrée à quelques cérémonies prêchantes, tu regagnes, en début de soirée (aux heures crépusculaires) ton logement (une cellule somptueuse attenante au temple). Et tu te couches (éreinté). Avant de t’endormir, tu songes à tes certitudes. Au bien fondé des préceptes et des étapes de la voie du Salut. En vain. Le doute est à l’œuvre.

(3.235)

Episode cauchemardesque

Au cours des jours suivants, les doutes te poursuivent. Et tes nuits sont peuplées d’étranges rêves. Habité par de troublantes et lumineuses visions nocturnes.

(3.236)

Note

Au cours de cette (difficile et éprouvante) période, tu notes, chaque matin, quelques bribes de tes rêves sur ton journal.

(3.237)

Note de journal 1

Début de rêve. Tu marches. Tu fuis l’obscur du monde. Et l’absurdité des hémisphères. Tu erres sans but. En quête d’un éclairage. Tu t’enfonces dans un tunnel. Un long tuyau étroit. Un pont. L’abîme. Au bord de l’abîme, (soudain) une lueur. Et une voix qui gronde. Une voix lointaine et inaudible.

(3.238)

Grondement (de la voix)

Au commencement fut le verbe ! Niaiserie ! Au commencement, Il fut, Lui, Le Sauveur, qui n’est  pas un verbe, mais un nom. Qu'on se le dise dans les chaumières ! Ou les créatures du Monde vont voir de quel bois Il peut chauffer leur enfer et leur paradis ! Lui, le Sauveur du Cosmos et de la sainte climatologie, inondera la terre et ne subsisteront que les âmes qui s'élèvent ! Assez de la Compassion de la sainte Miséricorde ! Assez de la cloportitude des êtres ! Les créatures du Monde ne sont pas à son image, par sainte Icône, mais à l'image de la larve, paresseuse chrysalide qui tarde à prendre son envol !

(3.239)

Réponse silencieuse

Tu admets ta cloportitude. Et tu réponds à l’appel du Sauveur. A l’envol du Salut.

(3.240)

Réveil

Le lendemain, tu t’éveilles l’âme inquiète. Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors. Et aussitôt, ton rêve se poursuit.

(3.241)

Poursuite du rêve

Tu marches sur la terre, la tête dressée vers le ciel. Tu avances le pas lourd et l’esprit léger. La silhouette tellurique et la démarche aérienne. Tu marches la tête à l'envers. Tu lèves les yeux et contemples la vastitude du ciel. Tu baisses les yeux et regardes la pesanteur de tes pas. Tu avances sous la voûte en traînant les pieds. 

(3.242)

Sentiers lumineux

Tu regardes les bouts de tes souliers (usés) et tu décides (soudain) d’emprunter les chemins qui mènent de Rome à Babylone, une route passagère éloignée des sentiers déserts (parsemés d'ornières). En quête d’espoir. D’une lueur. D’une lueur pour éclairer l’obscurité du monde.

(3.243)

Ecoute

Après un long périple, tu fais halte à l’entrée d’un temple. Tu t’assois sur l’étroit parapet qui jouxte l’enceinte sacrée. Et tu écoutes les chants du temple. 

(3.244)

Chants du temple

Plongé au cœur de la souffrance, tu écoutes les chants du temple. Tu entends la voix de ceux dont les prières s'élèvent dans le ciel. Tu les écoutes chanter la gloire du chemin. L'hymne à la joie qui demeure. Tu écoutes la douce mélopée des prières. Tu écoutes le sacre de la voie du Salut. Et ton cœur s'attendrit.

(3.245)

Réveil

Le lendemain, tu t’éveilles l’âme adoucie. Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors. Et aussitôt, ton rêve se poursuit.

(3.246)

Murmure

Au cours de la nuit suivante, le Sauveur te souffle (directement) à l’oreille (et un peu aussi dans les trous de nez… pour tes impardonnables errances, manquements et transgressions) : « avance et ne te retourne pas ! Ne te retourne jamais ! Le passé n’est qu’un champ de ruines ! ». Le Sauveur est de sages conseils. Il sait. Et tu ignores. Le Sauveur est ton maître. Il te montre la voie sur le chemin du Salut.

(3.247)

Voix livresque

Sur la voie du salut, tu avances, nimbé de tes certitudes, entouré par les pages de doctes exégèses. Et tu surprends (malgré toi) d’étranges chuchotements derrière les alcôves. Une discussion mystérieuse entre un docteur de la loi (et des règles prescrites) et un infâme incroyant (ou au mieux un disciple ignare et récalcitrant) 

(3.248)

Dialogue de sourds

Le docteur de la loi : Que dit Ignace ?

Le novice ignare : Ignace ?

Le docteur de la loi : Ignare que tu es, tu ignores donc Ignace !

Le novice ignare : Ignace ? Non ! Jamais entendu parler !

Le docteur de la loi : Normal ! Il est mort ! Mais comment peux-tu ignorer le testament qu'il nous a laissé !

Le novice ignare : Ahh ???

Le docteur de la loi : Eh bien ! Ecoute ça, ignare ! Voilà ce que dit le père Ignace : "En toute chose, agis comme si tu étais seul sur la voie, et en toute chose, agis comme si le résultat ne dépendait que du Sauveur seul".

Le novice ignare : le Sauveur ? Mais que vient faire le Sauveur dans cette histoire !

Le docteur de la loi : le Sauveur ! Ahhh ! Le Sauveur ! Entends-tu ce qu'il dit de Toi ? Entends-tu ce mécréant ? Pitié pour lui, grand Rédempteur ! Sauveur, m'entends-tu ?

Silence.

Le novice ignare : Tu vois bien ! Il s'en fout, ton Sauveur ! Il n'écoute pas !

Le docteur de la loi : Mais si, mécréant que tu es ! Il m'entend ! Le Sauveur entend tout ! Le Sauveur est partout ! Et il a de grandes oreilles !

Le novice ignare : Oui ! Oui ! Bien sûr ! Deux grandes oreilles et de grandes dents pour croquer les vivants !

Le docteur de la loi : Ne l'écoute pas, Ô Sauveur ! Il ne sait pas ce qu'il dit ! Aie pitié de son âme ! Oeuvre à son Salut !

(3.249)

Réveil

Le lendemain, tu t’éveilles l’âme chavirée. A peine levé, tu te précipites sur ton journal pour écrire quelques notes.

(3.250)

Note de journal 1 (Eblouissement)

Ô miracle du Sauveur !

Et tu vas ivre de l'aveuglante Lumière.

(3.251)

 Note de journal 2

(Ombre maléfique)

Ô malfaisante ignorance !

Et tu vas te terrer dans l'ombre de ta tanière.

(3.252)

Temps nocturne

Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors (comme à l’accoutumée). Et aussitôt, ton rêve se poursuit.

(3.253)

Rêve de journal

Tu rêves que tu notes sur ton journal d’étranges assertions.

(3.254)

Etranges assertions

Quelques propos surprenants entendus (en rêve sûrement) dans le sanctuaire d’un temple :

- Le Sauveur arrivera par la porte d'en bas;

- Le Sauveur n'aime boire que dans les verres à pied;

- Le Sauveur éprouve les hommes aux ongles sales;

- Le Sauveur marche sur les mains et Jésus sous l'eau.

(3.255)

Réveil

Le lendemain, tu t’éveilles l’âme vacillante. Après une journée de cérémonies, de rituels et de prêches coutumiers, tu t’endors (comme à ton habitude). Et aussitôt, ton rêve se poursuit.

(3.256)

Poursuite du rêve

Et ainsi de suite…

(3.257)

Réveils

Le lendemain, tu t’éveilles l’âme rassérénée. Le surlendemain, l’âme chancelante. Et le jour suivant, l’âme chavirée.

(3.258)

Bref aparté

Pendant quelques nuits. Tu ne rêves pas.

(3.259)

Reprise du rêve

Quelques nuits plus tard, ton rêve reprend. Et se transforme en cauchemar.

(3.260)

Cauchemar

Le Sauveur est à tes côtés, souffrant avec toi, dans des immondices de souffrance. Il t’aide à gravir cette montagne. Tu crains de n’atteindre le sommet. Tu progresses dans l’espoir de contempler la pureté de la voie du Salut qui surplombe les ordures terrestres. Tu avances. Tu surmontes les épreuves, une à une. Il te relève la tête de toute cette m… qui embourbe tes pas et enlise ton âme. Il appuie de toutes ses forces sur tes pauvres épaules, s’appuie de tout son poids jusqu'à l’écœurement, jusqu'à l'étouffement pour que tu vois l’astre d'espérance, pour qu’il réchauffe tes vieux os recouverts de crasse et dissolve les couches de merde séchées agglomérées sous tes semelles.

(3.261)

Appel

Tu cries. Dans ton rêve, tu cries : Sauve qui peut ! Et le Sauveur t’entend. Heureusement. Pour ton Salut.

(3.262)

Réponse à l’appel

Sur toi, Il fait couler une fontaine. Une douce fontaine à l’eau limpide et généreuse.

(3.263)

Breuvage

Tu penches la tête. Et tu bois. Tu bois de tout ton saoul. Tu bois jusqu'à la nausée. Jusqu'à l'étouffement.

(3.264)

Eau vive

Tu remontes la source (malgré toi). Avec difficulté. Et tu découvres la source. L’origine de la source.

(3.265)

Source intarissable 

Tu bois à la source. A Sa source. Et ta soif devient plus vive. Tu bois à Sa source. Et de Ses cascades, Il t’inonde. Tu bois à Sa source. Et sur toi s’écoulent Ses eaux claires. Tu bois à Sa source. Et l'obscurité devient (progressivement) lumière. Tu bois à Sa source. Et tu découvres ta propre fontaine. Et tu aperçois dans le ciel de tes pensées des éclaircies de Vérité.

(3.266)

Courage

Le Sauveur voit tes craintes. Il sent ta peur. L’écho d’une voix (en toi) se manifeste. La voix : que crains-tu sinon de découvrir que tu n'es pas celui que tu penses. Pour qui Le prends-tu ? Crois-tu qu’Il ignore ta couardise ? Que Diable ! Courage ! Prends-lui la main pour descendre ensemble aux Enfers. Et tu ne regretteras pas ton voyage.

(3.267)

Poursuite de la voix

La voix s’éclaircie. Et s’intensifie. Elle te crie : poursuis ta marche. Délaisse la fausse lumière. Eloigne-toi des pâles reflets. Enfonce-toi dans l’obscurité. Arpente la noirceur de ton âme. Et tu trouveras les éclaircies du cœur, l’éclairage de l’esprit. Et derrière la porte étroite, tu découvriras la Lumière.

(3.268)

Réveil

Après le dernier rêve de cette sombre (et troublante) période nocturne, tu t’éveilles, terrifié. Pétrifié par la peur. Terrassé par les doutes. Et horrifié par la noirceur de tes nuits.

(3.269)

Persistance du domaine de la lutte

Au cours des jours suivants, tes doutes s’intensifient.

(3.270)

Précarisation des préceptes

Cette intensification du doute ébranle (bien sûr) tes certitudes.

(3.271)

Regard  intègre

Après plusieurs semaines passées à reprendre (un à un) les préceptes de ta communauté et à les répandre avec acharnement (pour oublier - sans doute - tes rêves et tes doutes), un soir, tu finis par t’interroger sur tes réelles avancées sur la voie du Salut. Et en maudissant l’infâme fascicule à l’origine (sans doute) de tes doutes terrifiants et persistants, tu regardes (avec honnêteté) en ton cœur.

(3.272)

Découvertes

Tu regardes en ton cœur. Tu imagines (naïvement) y trouver l’amour (tant prôné par la communauté), et tu y découvres (étonné) l’arrogance (de ta position), le mépris (pour l’ignorance de tes congénères) et la haine (pour les incroyants indifférents et les impies inébranlables). Tu regardes (une nouvelle fois) en ton cœur. Tu imagines (toujours naïvement)  y  trouver l’intelligence (et la clairvoyance promise pour le salutisé), et tu y découvres (à peine surpris – cette fois-ci) un fatras de préceptes, de croyances, de dogmes, d’assertions béates et sans fondement, un lexique de termes creux et vides de sens. Tu regardes encore en ton cœur, et tu y découvres ton ignorance du véritable chemin du Salut. Tu prends (alors) conscience de l’immobilité de tes pas. De ton recul. Et de ton enlisement dans le factice apparat. De ton rôle pitoyable joué à la face du monde. Et tu baisses la tête, anéanti.

(3.273)

Réapparition du reflet

En baissant la tête, ton regard croise (malencontreusement) ton reflet dans le miroir. Tu regardes ta silhouette. Et tu vois un étranger. L’image d’un être humain déguisé en clown triste et burlesque. Pathétique. Tu te déshabilles. Tu ôtes ton ruban, ta tunique (de cérémonie) et tes sandales. Tu redécouvres ta nudité. Le reflet de ton image passée réapparaît lentement.

(3.274)

Volteface

Tu contemples le reflet de ta nudité pendant de longues minutes avant de te précipiter sur ton journal pour écrire ces quelques notes (impératives).

(3.275)

 

Notes (impératives) de journal (itinéraire d’un repenti)

 

Paresse (note de journal 1)

Tu cherchais La Réponse à tes questionnements (métaphysiques). Et tu t’es satisfait (malheureux) de toutes explications cohérentes, peu soucieux de leur ésotérisme et de leur dogmatisme.

(3.276)

Boussole (note de journal 2)

Tu cherchais des guides, des modèles et des réponses pour guider tes pas vers le bonheur, la sagesse et la vérité. Ton mimétisme était le signe d'une grande puérilité et d'une affligeante paresse. Tu t’es mépris sur la quête. Ignorant que nul effort ne peut être épargné à celui qui chemine.

(3.277)

Croyance (note de journal 3)

Tu as eu recours à tous les conseils, à tous les repères et à toutes les indications du monde. Ignorant que tu ne pouvais apprendre à marcher sans devenir ton propre guide.

(3.278)

Réponse (note de journal 4)

Tu avais une certitude. Celle d’avoir trouvé la voie.

(3.279)

Option (note de journal 5)

Tu avais le choix. Soit tu accompagnais le Sauveur, soit tu trouvais ton chemin. Tu reconnais (aujourd’hui) ton manque de discernement. Et ton aveuglante précipitation.

(3.280)

Sélection (note de journal 6)

Après avoir renoncé à ton existence passée, tu t’es entouré de nouveaux amis pour encourager tes pas.

(3.281)

Ostentation (note de journal 7)

Au fil des pas sur la voie, tu prenais des airs inspirés. Et des airs mystérieux. En affichant tes convictions avec ostentation.

(3.282)

Armes inégales (note de journal 8)

Tu honorais les préceptes du Bien. Et révoquais les préceptes du Mal. En utilisant ses armes pour t’en défaire. Tu faisais erreur. Incapable (encore) de dissoudre la dichotomie conceptuelle.

(3.283)

Election (note de journal 9)

Tu avais le sentiment d’appartenir au petit peuple des élus. Croyant que le Sauveur t’avait choisi pour défendre sa cause.

(3.284)

Protection (note de journal 10)

Tu œuvrais (en réalité) à ta protection future. Soucieux d’assurer une place à ton salut (de t’assurer une place au Paradis).

(3.285)

Assurance (note de journal 11)

Tu défendais ton territoire sacré. Sous tes airs de sainteté, tu étais impitoyable avec les ennemis de ta cause. Impatient de convertir la grande armée des indifférents.

(3.286)

Paradoxe (note de journal 12)

Tu ne voyais que la grandeur des âmes et la petitesse (la médiocrité) des hommes…

(3.287)

Malveillance (note de journal 13)

Tu t’évertuais à aimer tes frères. Mais tu les blâmais en secret.

 (3.288)

Assauts (note de journal 15)

Tu as ignoré (malheureux) tes boursouflures. Les immondices que ton cœur abritait. Après les avoir reléguées au fond de l’inaccessible cachot, tu as pris soin de jeter les clés de la terrible geôle par dessus les douves. Et tu croyais (naïvement) ton château fort inexpugnable.

(3.289)

Impasse (note de journal 16)

La lumière trompeuse t’a enfoncé au fond du tunnel. Au cœur de l’ultime et sombre impasse.

(3.290)

Coupure (note de journal 17)

Aujourd’hui, tu dois te munir d'un sabre. Pour couper à la racine le mal qui enlise tes pas dans ce bourbier immonde.

(3.291)

Appel (note de journal 18)

Il te faudra (aussi) jeter (aux ordures) ta panoplie de disciple discipliné. Et regarder (avec honnêteté) dans ton cœur. Pour y percevoir les ombres et les lumières. L’intelligence et l’ignorance. Et entendre l’appel de la vérité. Entrevoir le chemin du réel à l’horizon.

(3.292)

Question de cheminement

Après avoir noté (à la hâte) ces fragments, tu refermes ton journal. Et tu t’interroges (à haute voix). Pour faire la synthèse de ton itinéraire.

(3.293)

Synthèse

Tu reconnais (à contre cœur) ton parcours. Tes errances au cœur du monde obscur. Ta traversée des hémisphères. Tu reconnais tes fuites. Tes empreintes parmi les traces des masses transhumantes. Ton désespoir et ton impérieux besoin d’éclairage. Ton recours confiant et commode aux lumières factices. Ton éblouissement. Et ta soif (intarissable) de lumière.

(3.294)

Face au miroir

Tu ranges ton journal (dans le dernier tiroir de la commode située face à ton bureau). Et tu contemples (dépité) la natte où gisent (à présent) tes accessoires salutaires (ruban, tunique (de cérémonie) et sandales), le sombre costume froissé par la vérité du chemin. Par l’impitoyable vérité du réel. Tu saisis (d’un geste las et désespéré) ta triste panoplie, tu ramasses (avec tristesse) l’ensemble de tes attributs (les signes ostentatoires de ton appartenance au cercle restreint des élus du salut) et tu les jettes par la fenêtre avant de jeter un œil (apeuré) au miroir. Tu regardes (une nouvelle fois) ton reflet. Et tu te retrouves. Te re-découvres. Nu, désemparé et vulnérable. Misérable.

(3.295)

Epreuve d’effondrement

Au cours des jours suivants, tu te terres. Tu perds (réellement) de ta superbe. Tu te recroquevilles en te lamentant sur ton triste sort. Tu blâmes ton aveuglement. Les pâles reflets de la trompeuse lumière de ta communauté.

(3.296)

A bout de souffle

Pendant quelques jours, tu es anéanti. Et tu cherches ton souffle. Le Souffle qui te poussera sur le chemin. Et te montrera la voie (le vrai chemin de l’intériorité).

(3.297)

Appel

Immobile et recroquevillé, tu écoutes le Souffle inaudible. Le maigre souffle bruisser en toi, au loin, qui te murmure. Au fil des heures, ton silence s’intensifie. Et tu entends (progressivement) monter les cris du monde, l'appel du transcendant, la clameur du ciel et les bruissements de la terre qui invitent au voyage.

(3.298)

 

Partie 3 FIN DE NUIT

Poursuite du chemin

Tu laisses advenir le Souffle. L’œuvre du Souffle. Tu tousses. Respiration. Quelques bouffées. Le souffle est à l’œuvre. Tu soupires. Inspiration. Tu respires. Et tu te relèves, le cœur fragile et l’âme meurtrie. Pour reprendre ta route. Poursuivre ton exploration intérieure. Le regard hagard et désencombré. Le regard perdu et plus vif. L’âme (encore) fragile et égarée.

(3.299)

Libre note

Tu te hisses (péniblement) jusqu’à ton bureau. Tu saisis une feuille (une feuille de papier libre) et tu notes : case départ.

(3.300)

Case départ

Tu pars en quête. A ta recherche. Et tu te retrouves. Toujours au même point.

(3.301)

Invasion

Après quelques jours de profonde lassitude, tes démons (tes forces obscures trop longtemps enfouies) ressurgissent. Et tu constates effaré (et pourtant à peine surpris) qu’elles ont retrouvé les clés de leur geôle, ont franchi les remparts, ont accédé au donjon. Et t’ont assiégé. Tu t’avoues vaincu. Et tu les laisses t’envahir.

(3.302)

Prise de contrôle

Tes démons s’installent aux postes de commande. A tous les postes de commande.

(3.303)

Enfer

Tu vis une (courte et intense) période infernale.

(3.304)

Bref épisode

Tu fais surgir (en toi) quelques monstres malfaisants. Soutenu par tes démons - tes fidèles lieutenants (hommes de paille – hommes de main), tu multiplies (en l’espace de quelques semaines) les pires infamies. Colère à outrance, concupiscence effrénée, paresse débordante, fringales dégoulinantes, fierté arrogante, étroite mesquinerie pécuniaire, avidité rampante et démoniaque.

(3.305)

Poursuite de l’intervalle

Tu te laisses submerger par l’obscurité. Tu expérimentes l’obscurité paroxystique.

(3.306)

Poursuite de l’intervalle (bis)

Tu laisses, impuissant, tes monstres et démons guider ton chemin. Trop longtemps brimés, relégués au fond du cachot, ils éclatent en plein jour. Eclaboussent chaque parcelle de ton existence. Ils submergent tes jours, envahissent tes nuits. Tu es devenu leur pantin. Prisonnier désarticulé, tiraillé par leur envahissante présence.

(3.307)

Impossible issue

Tu ne peux imaginer t’enliser davantage dans l’impasse fatale (et infernale).

(3.308)

Traversée des profondeurs

Tu ne peux croire à ton fourvoiement. Par crainte (et par instinct), tu cherches en toi quelques ressources. Pour trouver la force et le courage de traverser cette ultime épreuve (ultime épreuve de l’ultime impasse des mondes obscurs). Tu t’enfonces en toi en déblayant les ruines des jours anciens et les épaves des combats antérieurs. Tu t’enfonces. En te faufilant à travers les cadavres de tes certitudes passées qui jonchent les paysages dévastés de ton esprit. Tu affrontes la puanteur des illusions en putréfaction. Tu enjambes les erreurs et les immondices. Tu traverses des cloaques nauséabonds. Tu t’enfonces dans tes profondeurs.

(3.309)

Hors de question

Tu ne peux imaginer (un seul instant) remonter à la surface du monde. Retrouver l’obscurité (et l’absurdité) du monde, l’aberration des hémisphères. Tu sens l’impérieuse nécessité de t’enfoncer. Plus loin. Plus profond. L’intuition et l’instinct de survie guident tes pas sur ce chemin d’ornières. T’enjoignant de t’enfoncer plus en avant. Plus à l’intérieur. Seule issue à tes innombrables errances passées. Une seule voie possible. Un seul chemin. Une seule direction. S’enfoncer en soi. Nulle autre possibilité. Il te faut pénétrer au cœur de l’abyme. Découvrir sous les couches d’immondices la béance de ton être. Accéder par l’intérieur à la lueur qui t’habite. A la lumière recouverte. Et à découvrir.

(3.310)

Improbable destination

Tu t’enfonces. A l’intérieur. Tu pénètres l’univers clos. Et tu découvres l’infini de l’intériorité. Tu arpentes l’espace en quête de l’improbable porte qui ouvre sur l’horizon prometteur. A la recherche de l’introuvable passage.

(3.311)

Sortie du tunnel

Tu navigues à vue vers le centre. Tu consultes ta boussole. Elle s’affole. Tu paniques. Tu cherches une lumière (une pâle lueur). Et au fil de tes pas (prudents), l’obscurité s’intensifie.

(3.312)

Fin de nuit

Après une longue et pénible traversée, tu découvres (enfin), au cœur de l’obscurité, la porte étroite.

(3.313)

Poursuite

Et tu poursuis ton voyage…

 

21 novembre 2017

Carnet n°18 Traversée commune Livre 2 - L'esprit aventureux

Fiction / 2007 / La quête de sens

La fuite singulière d’un homme ordinaire. A travers le voyage, le sexe, le rêve, les fantasmes, l’alcool, la drogue, les délires, les souvenirs, l’écriture. La quête désespérée (et désespérante) de l’Homme prêt à suivre les méandres de son esprit, ses caprices, ses soubresauts, ses voltefaces, ses embardées absurdes (et déconcertantes) pour échapper à l’obscurité, à l’intolérable exercice des jours. Dans l’espoir d’accéder à l’île de la Paix.

 

 

L’ESPRIT AVENTUREUX propose deux séries de fragments, LA FUITE DE L’HOMME et HEMISPHERES.

 

LA FUITE DE L’HOMME

Traversée commune.

Conduite coutumière de l’Homme commun (et de l’esprit ordinaire) soumis à l’inextinguible (et inconscient) besoin d’échapper à l’insoutenable pesanteur du réel. De se dérober à l’éternel inconfort des jours. De se soustraire à l’ennui, à l’embarras, à la douleur, à la souffrance. D’esquiver le malaise, le mal-être, la plus infime des insatisfactions pour chercher, à travers d’innombrables possibilités, la tranquillité de l’esprit.

HEMISPHERES

Traversée singulière.

La fuite singulière d’un homme ordinaire. A travers le voyage, le sexe, le rêve, les fantasmes, l’alcool, la drogue, les délires, les souvenirs, l’écriture. La quête désespérée (et désespérante) de l’Homme prêt à suivre les méandres de son esprit, ses caprices, ses soubresauts, ses volte-faces, ses embardées absurdes (et déconcertantes) pour échapper à l’obscurité, à l’intolérable exercice des jours. Dans l’espoir d’accéder à l’île de la Paix.

 

 

LA FUITE DE L’HOMME

Traversée commune

(à gauche et à droite)

 

Brinquebaler à gauche et à droite,

 ici et là, au gré de l’esprit aventureux…

 

Préambule

Tu fuis l’obscurité. Et tu arpentes les hémisphères.

(2.1)

Dérobade

Tu te dérobes à l’insoutenable pesanteur du réel.

(2.2)

Désengagement 

Tu te soustraits à l’inconfort de l’esprit.

(2.3)

Evitement

Tu esquives l’exercice des jours.

(2.4)

Contournement

Tu rêves d’échapper aux désagréments du vivant.

(2.5)

Narcotique

Tu divertis ton attention. Tu anesthésies ta conscience.

(2.6)

Inconscience

Tu désattentionnes ta présence.

(2.7)

Anesthésiant

Tu insensibilises tes états. Tu déroutes l’essentiel.

(2.8)

Double battant

Tu ouvres les portes du monde. Et tu glisses sur la pente des sentiers communs.

(2.9)

Hémisphères

Tu parcours les hémisphères. En voyageur géographique, explorateur cérébral, aventurier sexuel. Tu cherches la ligne pacifique, l’espace central, l’archipel des équateurs.

(2.10)

Course plate

Tu arpentes le monde. Tu sillonnes l’étendue des surfaces.

(2.11)

Quête illusoire

Tu cherches l’impossible ailleurs.

(2.12)

Voyage

Tu franchis l’horizon de territoires illusoires.

(2.13)

Fuite colorée

Tu arpentes les terres du vent. Tu suis le cours de l’arc-en-ciel.

(2.14)

Désorientation

Tu explores l’imaginaire. Tu éclipses le réel.

(2.15)

Errance

Tu cherches partout le chemin qui t’échappe. Tu t’égares.

(2.16)

Boisson stimulante

Tu t’abreuves d’inconnus. Tu attises ta soif.

(2.17)

Exotisme

Tu t’émerveilles du lointain.

(2.18)

Détournement

Tu dépayses le merveilleux.

(2.19)

Sans surprise

Tu organises ton voyage. Tu aménages tes imprévus.

(2.20)

Contrôle

Tu voyages sans risque. Tu neutralises l’incertain.

(2.21)

Esquive

Tu aménages tes fuites. Tu survoles les brèches. Tu te dérobes aux ornières.

(2.22)

Distraction

Tu voyages. Et tu oublies l’espace des horizons inexplorés.

(2.23)

 

Courts circuits

Tu explores les terres lointaines. Et tu demeures étranger à toi-même.

(2.24)

Orientation de l’errance

Tu erres ici et là en tournant inlassablement autour de ton centre.

(2.25)

Fil tendu

Tu marches sur un fil balayé par les vents.

(2.26)

Balancement

Tu es ballotté ici et là. Bringuebalé par l’esprit aventureux.

(2.27)

Palimpseste

Tu es l’auteur de tes propres errances.

(2.28)

Engloutissement…

Tu te distrais du réel. Et la fiction t’engloutit.

(2.29)

 

HEMISPHERES

Traversée singulière

(à gauche et à droite)

 

Brinquebaler à gauche et à droite,

ici et là, au gré de l’esprit aventureux…

 

HEMISPHERE 1

Réalité

Tu feuillettes un livre sur la fuite de Lhomme (et la folie des hommes).

(2.30)

Rêve

Tu rêves d’échapper aux mornes contingences de ton existence.

 (2.31)

Préparatifs

Tu prépares tes bagages. Et tu pars. 

(2.32)

Début de voyage

Ta roulotte est prête. Tes bagages soigneusement entreposés dans un joli désordre. Le voyage s’annonce long. Tu as prévu d’arriver quelque part. Bien sûr, tu ignores la destination. Tu vas sûrement parcourir plaines et vallées, t’arrêter ici et là au hasard des routes, franchir des cols, dormir à la belle étoile, rencontrer des gueux déguenillés, croiser des nobles désobligeants. Bref, l’aventure s’annonce belle et l’avenir prometteur.

 (2.33)

Locomotion

Tu enfourches ta vieille carne.

(2.34)

Bourrique 

- Allez ! Hue, Bourrique !

Et Bourrique s’ébroue.

- Allez ! Hue Bourrique !

Et Bourrique démarre. Ton voyage commence.

 (2.35)

Incommunicabilité

Au premier carrefour, tu rencontres un vieil homme sur le bord du chemin. Tu t’arrêtes. Il lève vers toi ses yeux usés.

- Trrrrlou goulduch !

- Oui ! Bien sûr ! Trrrrlou goulduch !! Et vous ?

- Trrrrlou goulduch !

Que répondre à ça ? Eh bien ! Trrrrlou goulduch bien sûr !

- Trrrrlou goulduch !

- Trrrrlou goulduch ! Trrrrlou goulduch !

- Oui ! Oui ! Trrrrlou goulduch ! Trrrrlou goulduch !

Tu te lasses. Le bougre baisse les yeux et reprend son étrange mélopée. Une sorte de psalmodie barbare et païenne (à en juger pas la sonorité gutturale et sa tenue de sauvage illettré).

(2.36)

Folie

Tu cries au fou.

 (2.37)

Voyage solitaire

Tu poursuis ton périple. Tu voyages un demi-siècle sans trouver un pékin à la ronde pour parler une langue compréhensible. Tu finis par te décourager. Tu t’isoles.

(2.38)

Effondrement

Au cœur de l’isolement, tu explores la misère de l’âme. Tu découvres les meurtrissures de l’obscur. Et tu tombes, tu tombes, tu tombes. Tu tombes sans fin.

 (2.39)

Ouvertures infinies

Au cours de ta chute, tu découvres, derrière les portes de la solitude, une fenêtre. Derrière la fenêtre, tu découvres une porte. Derrière la porte, tu découvres une nouvelle fenêtre, puis une nouvelle porte, puis une nouvelle fenêtre. A l’infini. A l’image des voiles brumeux et opaques qui dissimulent la claire lumière où baigne ton cœur pur.

(2.40)

Fuite

Tu soulèves un voile. Et tu t’égares dans l'imaginaire. Tu pousses les portes de l'oubli. Tu sombres dans l’abîme infini. Tu t'y perds (avec délectation). Avec l’espoir secret d'échapper à ta morne réalité. Tu t’engages dans la fuite merveilleuse. Tu t’engouffres dans la triste échappatoire.

 (2.41)

En quête

Tu cherches l’île de la paix. Tu quittes la pièce. Et tu rejoins ton bureau. Tu t’assois à ta table de travail.

(2.42)

Nouvelle pièce

Tu es confortablement assis. Devant ton clavier, le regard fixé sur l’écran. Dehors : un temps de chien et d’ennui joyeux. Ouvert devant toi, un livre sur la fuite de Lhomme (et la folie des hommes).

 (2.43)

Tentative

Tu tournes les pages. Tu regardes l’écran avec lassitude. Tu tentes (vainement) d’écrire quelques mots (la suite de ton aventure) lorsque ton voisin (la quarantaine adolescente) augmente soudain le volume de sa stéréo. Une musique tonitruante ! Une musique à réveiller les sourds… et à faire vibrer les murs des maisons du quartier.

(2.44)

Echec

L’île de la paix n’est pas dans ce quartier.

 (2.45)

Glissement

Tu ouvres la fenêtre. Tu allumes une cigarette. Tu regardes l’horizon qui se dérobe. Tu glisses dans le souvenir.

(2.46)

Souvenir

Tu te souviens.

 (2.47)

Désolation

La steppe s'étend à perte de vue. Collines, vastes étendues, désert de pierres et quelques montagnes à l'horizon. Voilà le décor. Tu fermes les yeux. Tu imagines la steppe, les collines grises et poussiéreuses, le désert de rocaille, la terre craquelée, l'atmosphère de désolation. Tu es seul. Seul dans ce paysage désespérant. Tu as soif. Très soif. Une ombre marche à tes côtés. Vous marchez ensemble vers l'horizon comme deux compagnons d'infortune. Le soleil décline derrière les montagnes. Vous êtes à mille lieux de toute présence humaine. Vous êtes seuls et perdus. Vous sentez la mort rôder. Vous la sentez s'approcher. Dans quelques heures, vous serez morts, arrachés de la terre par ses griffes. Et vous avez peur. Une trouille bleue. Une trouille phénoménale. Une trouille qui vous prend aux tripes et qui vous déchiquette les entrailles. Tes pieds soulèvent la poussière. Ta marche se ralentit. A bout de force, tu t'arrêtes et t'écroules. Tu tombes épuisé. Tu sombres à demi-conscient. Tu cries, tu appelles, tu pleures. Dans un ultime sursaut, tu plonges dans le délire qui t'arrache à ta misère.

(2.48)

Rêve cauchemardesque

Tu ouvres les yeux. Tu sors du monde des songes pour sombrer dans le cauchemar.

 (2.49)

Emprisonnement

Tu es prisonnier d’un cachot sale, froid et humide. Un cachot comme tant d’autres. Un cachot à l’image de tous les cachots. Un cachot fidèle à son image. On t’y a poussé pour tu ne sais quelles obscures raisons : désobéissance, rébellion et injures au roi (tu l’ignores, cet épisode t’échappe complètement). Des accusations hâtives jugées plus hâtivement encore par quelques courtisans ambitieux, jetant leur fiel sur tous les opposants croisés sur le chemin de leurs ambitions. Tu n’as pu parler au roi. Tu lui a adressé cette simple missive :

(2.50)

Missive

Majesté, j’ai été par vos sbires jugé, condamné et emprisonné. Et je végète aujourd’hui dans ce cachot. Je clame, majesté, mon innocence et réclame la liberté. Je vous prie de croire, majesté, en ma plus noble considération.

 (2.51)

Prisonnier

Tu te réveilles. Tu es dans une chambre. Une chambre sans âme. Une chambre impersonnelle. Une chambre capitonnée dans un hôpital aux murs blancs.

(2.52)

Enfermement

Les journées sont longues, diablement longues. Seul et nu dans cette pièce capitonnée. Tu es enfermé pour folie. Une paillasse sur un sol carrelé de blanc et un seau pour tes besoins. Voilà le décor de ta longue agonie. Et ce long monologue, ta seule activité. Deux fois par jour, on t’apporte une carafe d’eau et ta pitance, une infâme bouillie qu’au fil des jours tu prends plaisir à avaler. Tu manges, tu bois, tu dors, tu chies, tu pisses, tu te masturbes et tu penses. Tu penses, tu penses, tu penses. Tu penses à l’infini. Jamais un mot échangé, jamais un regard aperçu, jamais un paysage à regarder. Ces quatre murs sont ton seul horizon. L’unique décor de tes triviales et essentielles activités.

 (2.53)

Réclusion

Séquestré dans une pièce capitonnée. Tu imagines cette réclusion. Tu vis l’espace d’un instant ce lent voyage vers le dépouillement. Tu réfléchis, tu réfléchis, tu ne cesses de réfléchir pour échapper à la mort et à la folie qui guette. Tu n’as nulle notion du temps, nul divertissement, nulle compagnie excepté les longues journées plongées dans ton imaginaire. Tu apprends à survivre à toi-même et à ce monde dépouillé. Tu n’as nulle échappatoire, nul plaisir, nul bonheur mais cette conscience aiguë du présent. Ici, tu te cognes à tout, aux murs, à l’immobilité, à ton étroitesse, à l’incompréhension, à la douleur, à l’absurdité, au désespoir, à l’ennui, à la mort et à l’impossibilité de te la donner.

(2.54)

 

 *

 

Temps

Le temps passe. Tu regardes la pendule fixée sur le mur blanc. Sur la pendule, tu regardes défiler les heures.

(2.55)

Séance scripturale 

Tu es assis à ton bureau. Devant ton clavier, le regard fixé sur l’écran. Dehors : un temps de chien et d’ennui joyeux. Tu t’interroges sur l’histoire de ton prochain livre. Un bouquin sur la fuite de Lhomme (et la folie des hommes).

 (2.56)

Porte

Tu ouvres la porte de l’imaginaire.

(2.57)

Fuite obscure

D’un geste, tu quittes les ténèbres. Et tu grimpes au rideau en rêvant du ciel.

 (2.58)

Portes du paradis

Tu arrives aux portes de la voûte céleste. Portes du Paradis. Jamais tu n’aurais imaginé y accéder (si facilement). Deux anges aux allures angéliques (cheveux d’or, drapés de mousseline blanche et transparente laissant deviner leur sexe) en gardent l’accès. Contrairement à la légende, tu constates que les anges ont un sexe. Un gros sexe turgescent. Et n’en déplaisent aux puritains pudibonds de toutes les églises du Monde, tu apprends qu’ils s’en servent comme glaive en l’abattant sans rechigner (tant ils sont durs à la besogne) sur tous les culs du Ciel, de la Terre, du Paradis et de l’Enfer. L’un d’eux, bite en main, te fait signe d’approcher. Tu t’avances, mal à l’aise, les mains maladroitement posées sur les fesses (dans l’idée de les protéger bien sûr !). Tu connais leur vigoureuse réputation. Tu trembles à l’idée de gagner le paradis une bite dans les fesses.

- Tu connais le droit de cuissage, mon garçon !

D’un signe de tête, tu lui dis que non.

-  Non ? Etonnant ! Nous allons te montrer !

L’autre, chibre en main, tente de t’expliquer. Il s’avance, baisse ton pantalon, te demande d’écarter les cuisses et commence à te besogner dans les règles, bien entendu, de la loi en vigueur. Tu encaisses sans un mot. Une onde de choc diabolique te parcourt l’échine. Le diable n’y va pas de main morte. Ca dure une éternité. Tu invectives Dieu. Il exagère. Ce droit de passage au Paradis est un pêché. Tu te promets de lui en parler. L’ange qui a deviné tes pensées stoppe net sa chevauchée.

- Un seul mot à Dieu, mon garçon ! Et nous te faisons vivre un enfer pour le restant de tes jours au paradis !

Tu t’abandonnes à ces diables d’anges (qui manquent franchement d’amour). Tu te soumets en silence aux lois du Ciel.

(2.59)

Halte

Tu poses ton livre. Tu ôtes tes lunettes. Tu étires les bras et reprends le fil du récit.

 (2.60)

Dieux divins

Après une courte halte, tu arrives, par un divin hasard, dans la divine contrée des Dieux.

(2.61)

Regard diabolique

L’un des Dieux te toise du haut de sa chaire. Tu en as la chair de poule. Et il s’adresse à  toi, misérable vermisseau.

Dieu : Diable !

Toi : Diable ??? Oh ! Votre regard est divin, Dieu !

Dieu : Nom de Dieu ! Nom de Dieu ! Comment oses-tu t'adresser aux Dieux ! Vermine ! Infâme vermisseau ! Fils de Satan et de Belzébuth ! Hors du paradis des Dieux ! Gardes! Gardes ! Emmenez-le !

 (2.62)

Geôles

Les sbires des Dieux t’emmènent dans les divines geôles des Dieux et t’enferment, pieds et poings liés, dans le donjon des enfers (un vrai paradis). Arrivés dans ta cellule (un cachot paradisiaque), ils défont tes liens et te jettent avec ménagement sur l'épais tapis d’un palais. Et aussitôt une langue t'avale. Une belle et grosse langue rose. Une divine langue qui t'humecte et te fait glisser dans un gosier (un divin gosier de ruminant à cornes).

(2.63)

Sacrée merde

Tu patientes là quelques heures. Tu montes et tu descends, ballotté de la gorge à l’intestin. Après une longue pause dans le rumen, tu sors par l'orifice naturel du pacifique animal. Tu fais une chute magistrale, amortie (heureusement) par une infâme bouillie de matières fétides, autrement dénommée bouse. Oui, tu ne t’étonnes nullement d’atterrir sur le sol dans une énorme bouse de vache. Tu es perdu au milieu d'une bouse de vache, elle-même perdue au milieu d'une rue sale et bruyante d'une lointaine capitale régionale de l'Inde, elle-même située dans une région du monde appelée, Asie, qui, à l'époque où cette histoire se déroule, est l'un des 5 continents de la planète Terre, qui est l'une des 12 planètes du système solaire, qui est lui-même l'un des milliards de milliards de milliards de milliards de systèmes dans un autre bien plus vaste qui lui-même etc. etc. etc. Tu imagines la géographie de ces univers. Et tu sens ton insignifiance (petit être perdu au milieu de nulle part, enfin si, perdu au milieu d'une bouse, elle-même na na na na na…). Et ta situation dramatique te semble soudain dérisoire. Bref, en un mot, tu es dans la merde. Dans une sacrée merde.

 (2.64)

Bond prodigieux

L’odeur t’insupporte. Tu n’as aucune envie de te complaire dans cette situation scatologique. Tu prends ton élan. Et tu sautes (d'un bond faramineux) sur l'asphalte crasseux, manquant de te faire renverser par un triporteur conduit par un japonais allumé imbibé de saké. Tu es abasourdi. Après un séjour dans le palais des Dieux, une douce et brève villégiature dans le donjon des enfers, tu tombes du cul d'une vache indienne qui chie sur la route où passe (au même instant) un triporteur conduit par un japonais à moitié bourré qui manque de t'écraser. Tu t’interroges sur ce japonais. Tu te demandes ce qu’il fait en Inde (et dans cette histoire). Et comme l’histoire est longue (car la vie de ce japonais est un vrai roman), tu te contentes de sa fiche signalétique.

(2.65)

Fiche signalétique 

Nom : Kawasa

Prénom : Bolcheki Sergueï (sa mère est russe, elle lui a donc donné un prénom russo-japonais)

Profession : essayeur de jouets russes en bois pour une grande compagnie croate (l'unique fabricant industriel au monde (non parallèle) de poupées russes en forme de crapaud qui croasse.

Mission : divertir et tromper le consommateur sur la marchandise

 (2.66)

Journal

Tu te remets lentement de tes émotions et trouves (par le plus extraordinaire des hasards) sur ta table de travail un journal ouvert à la page 38 qui relate la vie de Bolcheki Sergueï.

(2.67)

Bolcheki sergueï

Le court (très court) récit de la vie de Bolcheki Sergueï Kawasa (extrait d'un article de l'Indiana Journal)

"Personne n'a jamais entendu la voix ni même parler de Bolcheki Sergueï Kawasa. Il est fort probable qu'il n'ait été (sa courte vie durant) que l'improbable personnage d'un hypothétique projet romanesque inabouti. En clair, Bolcheki Sergueï Kawasa n'a jamais existé. D'ailleurs, à l'heure de cette publication, nous vous assurons (de source officielle) de sa mort certaine. Nos condoléances vont, bien sûr, à sa famille et aux innombrables poupées russes qu'il n'aura malheureusement pu essayer" 

 (2.68)

Dada

Soudain, la poupée russe posée sur ton étagère se tourne lentement vers toi et te dit : "da ! da !" Croa ! Crois ! Croa !

(2.69)

Prisonnier

Tu regardes autour de toi. Tu es dans une pièce. Une pièce sans âme. Une pièce impersonnelle. Tu te souviens à présent. Tu es dans une chambre d'hôpital aux murs blancs. Au plafond, tu remarques un néon blafard qui clignote. Tu es allongé sur un lit. Immobile. Tu n’es plus qu'esprit. Un pur esprit au corps mutilé. Tu es un esprit sans corps. Un esprit au corps inerte.

(2.70)

Délire fantasmagorique

Tu délires. Pur esprit, pure fantasmagorie. Vie éthérée. Vie épurée. Vie dévidée de la matérialité. Vie sans contingences. Foutaises. Malaise. Ton corps est obèse. Tu pisses sur l'alèse. Tu rêves que l'infirmière te déniaise. Fantasmes d'obèse alité au corps mutilé. Silence. Il faut que tu te taises. Thérèse ne comprendrait pas. Tu cries (encore).

(2.71)

Cri

Tu gueules à Thérèse de venir te chercher. On entend ta voix : Thérèse ! Viens me chercher ! Prends-moi dans tes bras ! Oh ! Je t'en prie ! Rejoins-moi ! Fais-moi oublier ma vie ravagée ! Porte-moi sur tes ailes ! Et envole-toi vers le ciel, le ciel divin où les anges se mélangent et s'adonnent au stupre et à la fornication sans tomber dans le véniel pêché de la masturbation ! Je voudrais tant goûter à la volupté sans entendre les sages et inutiles recommandations des Livres Sacrés. Libère-moi de ce poids et la joie te sera donnée ! Thérèse, aie pitié d'un pauvre pêcheur livré à ses viles pensées ! Je suis impuissant et handicapé. Je suis ce que la vie m'a donné ; un accident inopiné incapable de satisfaire ses désirs de pêché.

 (2.72)

Thérèse

Thérèse descend du ciel velouté par un grand escalier de marbre blanc. Elle s'arrête un instant et pose sur toi un regard innocent.

- Mon fils, dit-elle, oublie ce pêché véniel ! Eloigne de ton cœur la bagatelle ! Et un jour, tu pourras marcher ! Oui ! dit-elle, un jour tu pourras marcher jusqu'au ciel avec tes attelles !

- Avec mes attelles ? Mais de quoi me parle-t-elle?! Oh ! Thérèse ! Montre-moi plutôt tes jarretelles!

Mais la diablesse, un peu vexée (et aussi un peu gênée  - sans doute -  par cette proposition un rien osée, il est vrai) s’en va rejoindre les anges du ciel sans dévoiler une partie de son intimité. Ah ! Tu regrettes de n'avoir pu jeter un œil à cette partie de son corps dénudé. Tu sais que la none Aniste (le vrai nom de Thérèse) n'est pas une prostituée. Et tu crains qu’à l'avenir, elle te le fasse cher payer.

(2.73)

Regret

Quelques jours plus tard, la facture arrive. Tu meurs, noyé par le regret.

 (2.74)

Note

Tu notes sur ton cahier. Le regret est un redoutable ennemi pour les âmes meurtries arrivées au crépuscule de leur vie. Le regret tue. Et c'est bien regrettable ! Mais que veux-tu ?

(2.75)

Crainte

Tu relis les derniers fragments écrits. Tu as honte. Tes propos sont parfois d'une rare incohérence. Et d’une totale impiété. Ces blasphèmes qui parsèment ces pages… Tu trembles. Tu crains la colère divine. Tu la crois féroce. Tu crains que ta vie prochaine ne soit un chemin de croix.

 (2.76)

Miséricorde

Dieu écoute ta voix et impose ton choix. Dieu n'est pas si miséricordieux. Non ! Pas si miséricordieux ! Et tu lui dis d’aller au Diable.

(2.77)

Potentat céleste

Et son despotisme tyrannique (sans crier gare) s'abat sur toi.

 (2.78)

Sempiternelles rencontres

Quelques jours plus tard, la mort frappe à ta porte. Tête de mort, orbites obscures, vêtue d’une longue cape noire et portant une grande faux aiguisée de sa blanche et longue main décharnée (comme il convient) :

la mort : toc ! toc ! toc ! C’est moi !

toi : Toi?!! Mais qui es-tu ?!!

la mort : C’est Moi, la grande faucheuse ! N’as-tu donc pas entendu sonner l’angélus ?

toi : L’angélus ? Oui, vaguement ! Quelle heure est-il ?

la mort : L’heure de la moisson !

toi : Mais… c’est que… je n’ai pas encore eu le temps de semer ! J’ai encore tant à faire ici !

la mort : Qu’as-tu planté pour cette saison ?

toi (un peu penaud) : Oh ! Les semences habituelles!

(2.79)

 

*

 

HEMISPHERE 2

Départ

Tu t’apprêtes à quitter ton domicile. Le départ est imminent. Tu attends un taxi qui te mènera à l’aéroport.

(2.80)

Nouvelles entreprises

Tu pars en voyage. A la recherche de Lhomme. Lhomme dont les manuscrits disséminés de part le monde t’aideront à découvrir l’île de la paix (Lhomme est un auteur oublié). Ses manuscrits sont indispensables pour la suite de ton récit. Tu décides (en parallèle) de tenir le journal de bord de ton périple.

 (2.81)

Dans un article

L’aéroport est immense. Un dédalle de couloirs, de tunnels et d’escaliers mécaniques. Tu te diriges vers la salle d’enregistrement. L’hôtesse est souriante. Formalités d’usage. Salle d’embarquement. Tu montes dans l’avion. Compagnie charter. Class économique. Tu t’assois. Place côté hublot. Tu ouvres un magazine. Tu le feuillettes machinalement. A la page 37, tu tombes sur un étrange article : un labyrinthe de mots.

(2.82)

Un labyrinthe de mots

Les feuilles sont assemblées avec soin. Des centaines de fragments de textes sous-titrés. Un étrange assemblage. Un labyrinthe de mots. Un dédalle de sentiers et de multiples chemins pour guider le lecteur, mieux le perdre pour qu’il se retrouve… seul et désemparé dans un face-à face avec lui-même confronté aux sentiments qui l’étreignent et relié (bien sûr) aux fils des chemins. Mais Lhomme et son œuvre conservent leurs mystères…

 (2.83)

A l’autre bout du monde

Il pleut. Une pluie fine qui tombe sur l’asphalte rugueux. Quelques gros nuages gris dans le ciel sombre et bas. Devant toi, une tasse de café brûlant. Tu allumes une cigarette. Tu entrebâilles la fenêtre et descends légèrement le store. Tu regardes les volutes blanches de ta cigarette disparaître dans l’air frais. Une douce quiétude envahit ta chambre d’hôtel. Tu reprends la lecture du magazine.

(2.84)

Un labyrinthe de mots (suite)

La lecture de Lhomme laisse une étrange impression. Auteur méconnu et mystérieux à l’œuvre immense et éparpillée. Avant sa mort à G (village natal de l’auteur), il laisse à l’humanité, le journal du monde, petit livre blanc sous-titré fil rouge dans lequel, précise-t-il, il livre la clé de sa lecture. Les lecteurs intéressés par cette œuvre hybride le cherchent en vain.

 (2.85)

Notes réflexives

Tu poses le magazine et réfléchis. Tu saisis ton carnet et tu notes : penser à te procurer ce petit livre blanc, le journal du monde, fil rouge. Tu récapitules. Tu cherches l’île de la paix pour poursuivre ton récit. Seul Lhomme peut t’aider. Pour trouver Lhomme, tu dois dénicher son journal du monde à G.

(2.86)

Réception

Tu demandes à l’accueil de l’hôtel les horaires des trains pour G. (village natal de Lhomme).

 (2.87)

 Dans une vieille maison

Une vieille maison dans le village de G. Tu ouvres la porte (elle est ouverte). Un minuscule couloir. Au fond, un escalier de bois. Tu gravis l’escalier, traverses un vestibule où s’entassent pêle-mêle des livres (posés à même le sol), de vieilles chaussures et quelques babioles hétéroclites (dont une lampe de lecture). Tu pousses une porte. La pièce est sombre. Derrière quelques étagères remplies de papiers, de dossiers et de livres, tu aperçois un immense bureau (à la surface nette et lisse). Posé sur un sous-main cartonné, un cahier à spirales. Tu l’ouvres à la première page et tu commences ta lecture.

(2.88)

Indication 

Lieu : village de G.

Transport : train

Localisation : sur le bureau de l’auteur

Interlocuteur : néant

Objet : cahier à spirale

 (2.89)

Trouvaille

Tu as trouvé le carnet blanc. Tu commences ta lecture. Tu portes quelques espoirs qu’il conviendra d’élucider. 

(2.90)

En quête d’indices

Pourquoi Diable partir à la recherche d'un autre ? Qu'espères-tu trouver ? Quelques indices ? N’aie crainte ! Ils égrèneront ces pages. Et il te faudra les cueillir en chemin. Poursuis ton voyage. Parcours les hémisphères. Suis les indications. Tourne les pages.

 (2.91)

Indication

Lieu : île du Pacifique

Transport : bateau

Localisation : caisse en bois

Interlocuteur : néant

Objet : feuillets

(2.92)

Eparpillement

Tu notes sur ton carnet (ton petit carnet blanc) : que signifient ces bouts de phrases éparses ?

 (2.93)

Poursuite du voyage

Tu poursuis ton voyage.

(2.94)

Effractions

Tu parcours le monde à la recherche de murs à abattre, de serrures à crocheter, de cadenas à casser, de coffres-forts à faire sauter.

(2.95)

Sur une île du Pacifique

Sur une île perdue en pleine mer. A 10000 milles nautiques de la côte. Tu regardes la carte. Tu te diriges à l’exact emplacement de la croix. Tu sors ton barda : pioche, pelle, lampe de poche. Et tu commences à creuser. Au milieu de la nuit, tu découvres une caisse. A l’intérieur, quelques feuillets rongés par l’humidité.

(2.96)

Bonté à revendre

Après cette traversée des mers, tu rejoins les Arsène Lupin du cœur, noble congrégation altruiste chargée d’aider les riches à distribuer la bonté aux pauvres. Tu parcours le monde des nantis qui ont tant à offrir. Et si peu de bras pour mener à bien leur distribution.

 (2.97)

Echappée belle

Après tes rapts, tu pars au galop, les cheveux au vent et la tête brinquebalant sur tes épaules, arc-bouté sur ta pauvre jument.

(2.98)

Retour spectaculaire

Un jour, tu quittes les Arsène Lupin du cœur. Et tu reprends ton vagabondage. Tu retrouves la terre des hommes. Tu rejoins la troupe du monde.

 (2.99)

Scène du monde

Sur le bord du monde, tu vois les acteurs s’adonner au jeu médiocre des répliques :

- Méchant !

- Pas beau !

- Vilain !

- Toi-même, salop !

- Ordure !

(2.100)

Retour en scène

Le vocable humain limité te navre. Tu es effaré de la pauvreté langagière du monde. La colère envahit ton esprit et ordonne à ton cœur de monter sur scène. Et tu rejoins (malgré toi) la troupe humaine. Tu retrouves ta place parmi les mauvais acteurs. Parmi les pauvres hommes au langage ténu et à l’intelligence étroite. Tu blâmes ton cœur. Pourquoi t’a-t-il enjoint d’adopter pareille posture (retourner à l’imposture) entouré d’incapables et de bons à rien. Oui, parfaitement, de bons à rien.

 (2.101)

Bon à rien

Tu t’exclames soudain (avec surprise et dégoût) : Bien sûr ! Hitler aussi en est ! Ne fut-il pas à ce titre l’archétype du Bon à rien. Tu essayes de convaincre ton entourage. Tu leur fournis la preuve en leur adressant cet extrait (extrait très circonscrit) de discours que tu as (pour eux) retranscrit :

- Au large, races inférieures ! Place à l’Homme neuf ! Place à l’Homme nouveau !

A la fin de ta missive, tu signes et ajoutes : « Et quoi qu’il fit, il est évident qu’il n’arriva à rien. »

(2.102)

Mise à jour

Le paragraphe précédent te consterne. Tu fermes les yeux. Et tu t’endors. Tu as la tête pleine de rêves. Tu rêves de poupée russe.

 (2.103)

Tour de tête

Ta tête prend (soudain) la forme d’une grosse poupée russe (beaucoup plus large que l’univers). Tu n’as plus dès lors qu’une… enfin… deux idées en tête : lui mettre les fesses à l’air et la détrousser. Ambitieux et irréalisable projet, n’est-ce pas ? Devant tant de difficultés, tu renonces et décides d’en faire le tour. Pour mener à bien cette nouvelle épopée, tu décides d’acheter une bicyclette. Tu hèles un vendeur (le quartier regorge (à cette époque) de vendeurs de bicyclettes), et tu lui expliques tes intentions et le questionnes sur les engins en rayon. Enthousiasmé par ton projet, il te propose le « speed spirit travel », machine à l’esthétisme extraordinaire et d’une utilité diabolique pour tout individu désireux d’entreprendre un tel périple. Il te précise d’ailleurs qu’il s’en vend comme des petits pains. La bicyclette redevient à la mode (belle époque, n’est-ce pas ?) ! Et bien des individus (suspectés d’avoir un petit vélo dans la tête) s’empressent de l’acquérir pour partir à la conquête de leur quête.

- Vous avez de la chance, te dit-il, c’est mon dernier « speed spirit travel  » !

Devant ton indécision, le vendeur te confie qu’il prépare, lui-même, son voyage de longue date (et que son départ est imminent).

- Prenez-le, boy ! Je vous le laisse pour 50 rots !

Tu regardes ton estomac. 50 rots ! C’est tout de même une somme ! Tu prends une bouffée d’air, ouvres la bouche et lui donnes ses 50 rots, un à un. Vous les recomptez ensemble. Il les range satisfait dans l’une de ses poches intérieures en se tapant d’aise sur l’estomac. L’affaire est conclue. Tu prends ta bicyclette et tu t’en vas faire le tour de ta tête.

(2.104)

Tête de nœud

A cette époque (en ces temps de furieuse déraison), ta tête a des allures d’étrange pays, peuplé de créatures et d’univers, recelant quantité (quantité insoupçonnée et insoupçonnable) de personnages et de contrées, tantôt drôles (et parfois drolatiques), tantôt sinistres, parfois absurdes, parfois réalistes (oui ! D’un réalisme bien trempé et ce dans le prosaïsme le plus trivial !), tantôt cyniques, tantôt mièvres, tantôt nauséabonds, tantôt merveilleux, tantôt graves, parfois légers (trop rarement, il est vrai !), tantôt abjects, tantôt d’une extraordinaire noblesse, tantôt comme ci, tantôt comme ça ! Enfin, bref, un capharnaüm d’affreux et de géniaux paradoxes ! Une terre fertile propice à la germination d’une florescence de graines (des plus convenues aux plus inattendues) ! Et partir à leur découverte est toujours un enchantement plein de surprises !

 (2.105)

Détour

Cette cavalcade effrénée autour de ta tête te donne le tournis. Tu te détournes sans détour. Et tu repars vers d’autres aventures. Tu poursuis ta marche ineffable.

(2.106)

Marche ineffable

Tu sautes de mur en mur, de toit en toi, de toi au monde. Tu t’engages dans un drôle de voyage. Tu glisses. Tu sens la longue et fulgurante glissade dans le large couloir de l’histoire. Tu voles. Tu sens le souffle qui te propulse d'une pensée à l'autre, d'un univers à l'autre. Tu marches. Tu sens la fatigue du périple. Tu erres dans un étrange récit. Mais tu ignores les apparences. Tu connais la vastitude de l'esprit. Tu te souviens de l’infinité des possibles. Tu dépasses les limites, tu te libères des contraintes. Tu es libre. Tu suis les méandres de l’imaginaire. Tu franchis les portes de la délivrance. Tu traverses la vaste plaine de la quiétude sereine. Tu chemines. Tu poursuis ta marche ineffable. Ton périple éreintant vers l’île de la paix.

(2.107)

Périple éreintant 

Le lendemain (après une longue nuit de sommeil), tu boucles tes bagages. Et tu reprends ton périple, le journal du monde à la main.

(2.108)

 

*

 

Poursuite du périple

Tu marches longuement sur la berge. Au loin, quelques bateaux quittent le port. Tu t’assois sur le quai. Tu attends le train.

(2.109)

Transport

Dans le train. Quelques passagers. La rame est presque vide. Tu t’installes sur une banquette. Et tu ouvres le journal du monde.

 (2.110)

Journal du monde

Tu chausses tes bottes de dix-sept lieux.

(2.111)

Indication

Lieux : dix-sept lieux du monde

Transport : au choix

Localisation : suivre les indications

Interlocuteur : variable

Objet : réunification des feuillets

 (2 .112)

Première étape

Dans un port désert du bout du monde. Sur un vieux rafiot amarré aux quais. Sur le pont, sous un amas de cordage, un fût étanche. Tu dévisses le couvercle. Protégée par une vieille veste trouée, une pochette en plastique contient une dizaine de feuilles attachées ensemble par un trombone rouillé. Tu poses ta veste sur la barre, t’installes sur l’un des coffres près du bastingage et sors la liasse de sa gangue de plastique.

(2.113)

Indication

Lieux : désert

Transport : à pied

Localisation : suivre les indications

Interlocuteur : hommes bleus

Objet : deuxième étape

 (2.114)

Deuxième étape

A proximité d’un oasis. Sous une tente perdue dans le désert. Tes hôtes discutent autour d’un feu. Tu observes leurs gestes lents et leurs paroles douces. L’atmosphère est amicale. Tu les regardes en silence. Au loin, les dunes couchées sous le ciel étoilé. Des milliers d’étoiles scintillantes. Tu cherches tes histoires à tâtons dans le sable. Tu les trouves, les alignes devant toi. Le reflet de la lune s’y dépose.

(2.115)

Indications

Lieux : village aquatique

Transport : embarcation

Localisation : suivre les indications

Interlocuteur : enfants, rumeurs de la berge

Objet : première et seconde haltes transitoires avant la troisième étape

 (2.116)

Indications bis

Lieux : Camps de réfugiés

Transport : à pied

Localisation : suivre les indications

Interlocuteur : enfants réfugiés

Objet : troisième étape

(2.117)

Première halte transitoire

Dans un village de pêcheurs enclavé dans une falaise. Tu observes les enfants jouer sur le ponton. Tu entends leurs voix résonner contre la paroi. Tu écoutes les voix stridentes s’interpeller. Et tu lèves les yeux au ciel.

 (2.118)

Seconde halte transitoire

Dans une baie minuscule perdue au bout du continent. Allongé dans une étroite embarcation (qui te sert à la fois de maison et de moyen de locomotion depuis plusieurs semaines), tu entends le clapotis de l’eau et la rumeur lointaine de la berge… le bruit des gens de la terre. Tu ouvres les yeux sur l’espace immense du ciel. Le soleil décline à l’horizon.

(2.119)

Troisième étape

Dans un camp de réfugiés. Devant ton abri de fortune, une toile de tente posée sur une maigre litière de paille recouverte de boue séchée, un groupe d’enfants s’est amassé. Ils tendent la main, le regard désespéré. Tu ouvres ton pauvre bagage. Tu te sens démuni. Une feuille du journal du monde se détache. 

 (2.120)

Indication

Lieux : steppe

Transport : à cheval

Localisation : suivre les indications

Interlocuteur : couple âgé

Objet : Quatrième étape

(2.121)

Quatrième étape

Une yourte perdue dans la steppe. Un vieux couple devant la porte de toile (qui flotte au vent). Tu leur expliques le but de ta visite. Ils sourient et t’invitent à entrer. Tu t’assois en tailleur. Le vieil homme ouvre un coffre. Il en sort un sac plastique. La vieille femme apporte une tasse d’un breuvage brûlant. Le vieil homme déballe le contenu du sac plastique. Il en sort un autre sac plastique. Il le défait et te tend un vieux cahier à spirales rongé par le temps. Tu ouvres le cahier et commences ta lecture.

 (2.122)

Dans un cahier à spirales (1ère page)

Tu arpentes les rues d’une ville lointaine. Tu vois les enfants mendier sur la grand place. Tu détournes le regard. Tu empruntes une ruelle sombre. Tu croises un enfant, assis contre un mur, les jambes nues recouvertes d’une couverture miteuse, un bol à ses pieds. Tu passes l’œil indifférent. Il t’appelle, t’interpelle, te supplie. Tu presses le pas. Tu fuis la misère du monde.

(2.123)

Etape suivante

Bivouac solitaire à proximité d’un lac. Heures crépusculaires. Tu poses ton sac, allumes le réchaud et prépares une tasse de thé. Ciel magnifique. Quelques traînées cotonneuses dans le ciel orangé. Tu abordes les dernières pages du cahier à spirales.

 (2.124)

Dans un cahier à spirales (dernière page)

Lieux : Sibérie

Transport : en stop

Localisation : archives d’un laboratoire de recherche

Interlocuteur : secrétaire

Objet : Septième étape

(2.125)

Septième étape 

Au cœur hivernal de la sibérie. Tu pousses la porte d’un laboratoire de recherche. Tu traverses le hall d’entrée vieillot et demandes à la secrétaire compassée la salle des archives. Elle te tend une carte.

 (2.126)

Indication

Lieux : archives d’un laboratoire de recherche

Transport : à pied

Localisation : allée 7A

Interlocuteur : néant

Objet : huitième étape

(2.127)

Huitième étape 

Au fond d’un couloir, tu pousses une porte. La pièce est vide. Au mur, des rayonnages de brochures et de dossiers. Tu empruntes l’allée 7A. Tu remarques une feuille punaisée sur un carton.

 (2.128)

Indication

Lieux : allée 7A

Transport : à pied

Localisation : rayon 49

Interlocuteur : néant

Objet : neuvième étape

(2.129)

Neuvième étape 

Tu marques un arrêt au rayon 49. Un écriteau attire ton attention.

(2.130)

Indication

Lieux : rayon 49

Transport : à pied

Localisation : dossier 54 732 D

Interlocuteur : néant

Objet : dixième étape

(2.131)

Dixième étape 

Tu sors le dossier 54 732 D. Tu déchiffres l’étiquette collée sur la tranche.

 (2.132)

Indication

Lieux : dossier 54 732 D

Transport : à pied

Localisation : p 456

Interlocuteur : néant

Objet : onzième étape

(2.133)

Onzième étape 

Tu ouvres le dossier à la page 456. Et tu lis.

 (2.134)

Indication

Lieux : jungle amazonienne

Transport : au choix

Localisation : grande croix

Interlocuteur : néant

Objet : douzième étape

(2.135)

Douzième étape 

Voyage en pirogue. Au cœur de la jungle. 21 jours de navigation sur le vaste continent. Derrière une ruine (vestige grandiose d’une civilisation disparue), un chemin serpente à travers la végétation. Ton guide stoppe le moteur et te fait comprendre (avec un signe de la main) que tu es arrivé à destination. Tu débarques. Tu empruntes un étroit sentier. Tu t’arrêtes au sommet du tertre. Et tu te plantes devant une grande croix abandonnée. Gravé sur la croix, un message.

 (2.136)

Indication

Lieux : pénitencier du grand Sud

Transport : au choix

Localisation : dalle centrale de la cellule de Lhomme

Interlocuteur : directeur du pénitencier

Objet : treizième étape

(2.137)

Treizième étape 

Le directeur de l’établissement pénitentiaire te regarde avec curiosité. Ta demande le surprend. Elle est peu banale. Tu lui expliques (avec force détails) l’intérêt de ta démarche. Il a l’air de s’en moquer. L’homme se dit pragmatique et droit. Et il se dit surpris. Il t’écoute et finit par accéder à ta requête. Il t’accompagne jusqu’à la cellule. Elle est inoccupée. Il ouvre la porte. Une pièce de 9 mètres carrés. Tu cherches la dalle centrale. Sous le lit, tu aperçois une dalle de carrelage mal scellée. Tu la soulèves. Et tu en sors un petit carnet noir.

 (2.138)

Indication

Tu dois poursuivre ta route. N’importe où. Tu trouveras. Emmène-moi.

(2.139)

N’importe où

En pleine mer. Sur un bateau à la dérive. Au milieu des icebergs. Le vent glacial s’engouffre dans la cabine.  Le ciel annonce une tempête de neige. Les premiers flocons s’abattent sur le pont. Tu fouilles dans ta malle, tu y déniches un gros pull-over. Tu l’enfiles. Tu réchauffes tes doigts au contact de la tasse de thé brûlant. Tu te frottes les mains. Et tu reprends ta lecture.

 (2.140)

N’importe où

Dans une décharge. Sur une montagne de détritus. Une fourmilière d’enfants, de femmes et de vieillards fouille les immondices. A deux pas de leurs bicoques de planches et de tôles mal assemblées. L’odeur est insupportable (une incroyable puanteur). Les mouches sont innombrables et les vers (de gros vers blancs) grouillent à la surface. Assis sur une poutrelle rongée par les termites, tu observes le spectacle du monde.

(2.141)

N’importe où

Dans une morgue. L’odeur pestilentielle des cadavres qui jonchent le sol. Les employés affairés. L’amoncellement des corps. Debout au milieu du chaos, tu détournes le regard. 

 (2.142)

N’importe où

Sur une plage sauvage, tu regardes l’horizon. Au loin, le soleil décline. Quelques oiseaux dans le ciel. Tu fermes les yeux. Tu entends le bruit des vagues qui lèchent l’étroite bande de sable et la clameur lointaine de l’océan. Tu t’imagines ailleurs. Tu es ailleurs. Tu jettes un œil distrait au carnet noir posé sur tes genoux. Tu te lèves, étires les bras, récites une vague prière au ciel (pour l’atmosphère et la beauté des paysages). Tu te rassois et reprends ta lecture.

(2.143)

N’importe où

Sur la terrasse d’un café désert. En bordure d’un lac. Ton regard s’attarde un instant sur les vagues à la surface de la vaste étendue d’eau. Tu regardes la tasse posée sur la table. Tu bois une gorgée et te plonges dans la lecture de la dernière page du carnet.

 (2.144)

Indication

Lieu : case de l’île de la réunion

Transport : au choix

Localisation : sous l’évier

Interlocuteur : néant

Objet : quinzième étape

(2.145)

Quinzième étape 

Dans une case composée de vieilles planches recouvertes de bouts de tôle ondulée. Une pièce minuscule. Une table, deux chaises, une armoire et un lit. Dans un coin, un évier. Sous l’évier, une étagère où est posée une pile de livres. Tu les prends sous le bras et t’installes à la table. Les cahiers sont numérotés de 1 à 10. Les 9 premiers volumes sont noircis d’une petite écriture illisible. Indéchiffrables. Sur le 10ème, une étiquette est collée sur la couverture : A COMPLETER. Les premières pages ont été arrachées. Sur les suivantes, une note encadrée en rouge.

(2.146)

Indication

Tu dois rencontrer le monde. N’importe qui. Tu trouveras.

(2.147)

Chez n’importe qui

Une maison bourgeoise. Tu sonnes. Une jeune femme ouvre la porte. Elle t’invite à la suivre jusqu’au salon. Tu t’assois. Elle ouvre un tiroir du buffet et saisit une grosse enveloppe. Elle la dépose sur la table basse et quitte la pièce. Tu ouvres l’enveloppe : des dizaines de papiers de toutes tailles. Tu les classes, poses le paquet de feuilles sur tes genoux et commences ta lecture.

 (2.148)

Chez n’importe qui

Le vieil homme est affable. Exagérément courtois. Il te regarde avec de petits yeux froids. Un regard dur qui te met mal à l’aise. Tu baisses la tête. Tu regardes le bout de tes souliers. Cette entrevue lui paraît déplacée. Tu n’insistes pas. Tu prétextes un autre rendez-vous et tu écourtes ta visite.

(2.149)

Chez n’importe qui (ou presque)

Tu déambules dans les rues. Tu sonnes au hasard. Une vieille femme ouvre la porte. Tu remarques sa posture droite et la douceur de son regard. Elle t’apprend qu’elle a très bien connu Lhomme. Elle fut sa compagne pendant une quinzaine d’années. Tu es extrêmement surpris. Tu ne crois plus au hasard. Elle t’accueille dans son bureau. Sur la table de travail, tu remarques quelques livres. Une dizaine à proximité d’un écran d’ordinateur allumé. Tu te penches. Elle te dit qu’elle travaille à la retranscription de son œuvre depuis une dizaine d’années. Tu es surpris. Tu lui en fais part. Elle ne semble guère étonnée mais ne s’en offusque pas. Elle t’invite à prendre place dans la pièce attenante, petit salon de réception. Intérieur simple et sobre où elle a l’habitude - te dit-elle - de recevoir ses invités. Elle va à la cuisine, prépare le thé et revient quelques instant plus tard. Elle pose le plateau sur la desserte, verse le thé dans les tasses et s’assoit dans le fauteuil près de la cheminée. Elle parle de Lhomme avec intelligence. Elle évoque un manuscrit inédit. Un petit carnet jusque-là ignoré. A la fin de ta visite, elle te tend une feuille (la première page du carnet).

 (2.150)

Ultime indication

Tu dois te débrouiller sans Lhomme. Découvrir la solitude du voyage. Arpenter le monde avec ton stylo. Rencontrer les résidents du monde. Tu dois m’oublier. Et apprendre à marcher seul.

(2.151)

Conclusion transitoire du voyage

Après cette longue traversée des continents, tu jettes le journal du monde. Tu comprends que Lhomme ne peut rien pour toi. Il ne peut t’indiquer l’île de la paix. Ni t’aider à poursuivre ton récit. Ni te sauver de ton naufrage.

 (2.152)

Réorientation

Tu bouscules ton voyage. Tu réorientes tes stratégies.

(2.153)

Poursuite

Tu descends du train. Tu hèles un taxi. Et tu prends la direction de l’aéroport. Tu quittes le continent. Tu changes d’hémisphère.

 (2.154)

 

*

 

HEMISPHERE 3

Arpentage

Nouveau voyage. Nouvelle terre. Une ville continentale. Aux confins des frontières.

(2.155)

Nouvelle piste 

Tu arpentes les rues de la ville. Tu entres dans une échoppe perdue dans un dédale de ruelles obscures. Assis sur un tabouret, un homme jovial et souriant t’invite à prendre un verre. Tu déclines son offre. Tu fouilles parmi les marchandises hétéroclites. Tu déniches une vieille chemise cartonnée. Tu payes le vendeur et poursuis ton périple dans le bazar.

 (2.156)

Egarement

Quelques ruelles plus loin, un vieil homme te propose un peu d’opium. Tu acceptes. Tu cèdes à l’hallucination.

(2.157)

Bouffée d’air

Tu tires quelques bouffées. Et tu plonges. Tu sombres dans l’envol.

 (2.158)

Drôles d’oiseaux

Tu t’élances dans le vaste ciel lumineux. Après une ascension fulgurante, tu fais halte sur un nuage, un énorme nuage blanc (immaculé) aux formes rondes et généreuses. Tu t'y installes, les fesses bien calées dans un épais et confortable volume d'écume blanche et tu contemples le paysage. A ta gauche, de petits nuages crémeux traversent tranquillement le ciel (toujours aussi lumineux). A leur approche, tu les salues. Ils te répondent avec une courtoisie céleste. Tu leur sais gré de cette politesse divine (divine et non princière (tu te souviens que le temps, la ponctualité et les monarques n'ont aucune importance dans cette histoire)). A ta droite, un bel oiseau blanc (un albatros) parcourt la vaste étendue du ciel en battant des ailes (des ailes immenses). Son envergure majestueuse est fort impressionnante. Il déploie ses ailes avec lenteur. Et lorsqu'il arrive à ta hauteur, il te toise d'un air réprobateur :

- Oh diablotin ! te lance-t-il moqueur, que fais-tu dans ce ciel divin ?

Tu déglutis et lui réponds :

- Je me promène, cher animal ! Est-ce interdit de se promener par ici ?

- Non ! te répond-il, il est bien normal de voir un ange déchu prendre quelques instants de répit à la recherche d'un petit coin de paradis !

- Ah ! Merci !

A ces mots, le bel animal poursuit son vol. Tu es si ému par son approbation (empreinte d'une grande compassion) que tu décides de prolonger ta villégiature. Et ce séjour est à la hauteur de tes aspirations (n'es-tu pas d'ailleurs haut perché sur ce nuage à contempler le paysage ?). Mais à cet instant (tout entier occupé à profiter de cette enveloppante volupté), une espèce de goéland (l'un de ces petits oiseaux mécréants) se pose près de toi.

- Oh ! dit-il, que viens-tu faire par ici, l'ami ? Ne t'a-t-on jamais dit qu'il était interdit à un ange déchu de venir par ici poser son cul ?

- Eh bien, non ! Je l'ignorais !

Et sans te laisser achever ton argumentation, l'oiseau te met un coup de pied au train qui te fait tomber de ton piédestal bancal.

(2.159)

Sirènes

Tu es assommé. Une douleur fulgurante te plie en deux. A travers l’épaisse fumée de la pièce, tu devines la silhouette d’un homme qui te cherche querelle. Il te porte un nouveau coup au creux des reins. Tu tousses. Tu tires quelques bouffées. Le brouhaha s’intensifie. Une bagarre s’esquisse. Tu entends quelques sirènes au loin. Et tu replonges.

 (2.160)

Rappel à l’ordre

- Que fait la police ?

- La police ?

(2.161)

Vertu policière

La police de la bonté et de la vertu est en route. Elle arrive. Tu l’entends. Son pas est lourd. Sa démarche est raide. Tu la vois. Elle s'approche. Son costume est étroit. Il sent la naphtaline. C'est une vieille police un peu guindée et réactionnaire.

 (2.162)

Officier céleste

l'officier de police : que se passe-t-il ? On nous a signalé un début de pugilat ! Un vol non autorisé en territoire des Dieux ! La consommation éhontée de substance illicite ! Et plusieurs outrages à Dieu et propos blasphématoires depuis le début de cet ouvrage ! Où est le scélérat ?

toi (désignant ton agresseur supposé enveloppé dans la fumée de la pièce) : Là ! C'est lui, monsieur l'officier !

ton ombre : Menteur ! C'est toi !

l'officier (se grattant la tête… d'un air idiot) : Evidemment d'un air idiot !!! Tout représentant de l'ordre se grattant la tête ne peut qu'avoir l'air idiot) Bon ! Refermons la parenthèse !!! Et revenons à notre bon flic !

l'officier : qu'on les mette aux fers !

toi : nous deux ? Aux fers ? C'est impossible, monsieur l'officier ! Vous allez commettre une erreur judiciaire !

l'officier : alors en enfer !

toi : vous allez commettre une bavure spirituelle, monsieur l'officier !

l'officier : que faire alors ?

toi : en référer à votre supérieur hiérarchique !

l'officier : il est en congé !

toi : Dieu ! En congé ! Comment est-ce possible ? Dieu ne prend pas de vacances !

l'officier (embarrassé) : c'est bientôt Pâques !

toi : eh bien ! Il faut lui sonner les cloches ! Dieu ne peut laisser tomber ses œufs… je veux dire… ses ouailles ni à Pâques ni à la Carême !! Enfin Dieu est Dieu tout de même !

l'officier : je lui ferai part de vos doléances!!!

toi : c'est le moins que vous puissiez faire ! Bien le bonjour, monsieur l'officier !

L'officier repart. Tu le regardes s'éloigner.

(2.163)

Lassitude

Tu fermes les yeux. Tu tires une dernière bouffée. Et tu replonges en songeant à la misère du monde. Au désespoir des hémisphères. A la solitude des équateurs. A la fumisterie des drogues. En fin de journée, tu quittes l’opiumerie clandestine. Et tu titubes dans le dédalle de ruelles jusqu’à ta chambre d’hôtel.

(2.164)

Retour

A la réception, tu commandes une bouteille d’eau minérale. Tu gravis péniblement les quelques marches qui mènent à ta chambre. Tu refermes la porte. Tu retires tes souliers et décapsules la bouteille. Tu remplis un verre et tu bois une longue gorgée d’eau fraîche. Tu reprends vaguement tes esprits. Tu ouvres avec précaution la chemise cartonnée (achetée quelques heures plus tôt dans les ruelles du bazar). Et tu découvres quelques feuilles éparses que tu poses à tes côtés.

(2.165)

Rêveries

Allongé sur ton lit, les yeux hagards, tu rêves d’épopées lointaines.

 (2.166)

Surprise

Tu rêves de gloire et d’aventures. Tu enfourches ton canasson (ta vieille bourrique) et tu repars en quête.

(2.167)

 

Epopée chevaleresque (début)

Tu deviens valeureux chevalier.

 (2.168)

Note à l’auteur

Tu notes sur la marge d’une feuille : tu vires (insidieusement) vers le roman de capes et d’épées.

(2.169)

Epopée chevaleresque (suite)

Armuré, casqué et armé d’un glaive impressionnant, tu chevauches ta monture parcourant plaines et vallées pour défendre la noble cause. Unique soldat de ta propre armée, tu pérégrines l’allure fière et le casque au vent. Tu pars en croisade. Avec pour seule compagnie, Roussimenthe, ta douce ânesse (ta vieille bourrique rebaptisée pour la Cause). Et tu deviens sans le savoir un pâle Don Quichotte d’avant l’heure (année 1431 de l’ère chrétienne) volant vers l’île de la paix et décidé (plus que tout) à te battre pour la liberté de l’esprit.

 (2.170)

Sansonpancho

Au cours de ton voyage, tu es contraint de devenir le narrateur de ton périple. Sanssonpancho, ton serviteur zélé, est d’une telle paresse et d’une telle stupidité qu’il n’est guère en mesure d’aligner plus de 3 mots à la suite. Bavard, il l’est. Mais ignare, paresseux et illettré aussi. Tu dois donc te coltiner, outre tes combats, le récit de tes exploits. Exploits glorieux s’il en est ! Tu n’as d’ailleurs guère le choix car tu n’as aucune envie de laisser libre court à l’imagination d’un sud-américain camé (car Sanssopancho est un colombien shooté, oui ! shooté à la coke et non à l’opium ou à l’héroïne, héroïne qu’il n’a d’ailleurs jamais pu séduire malgré ses innombrables tentatives !).

(2.171)

Départ expéditif

Tu déambules ainsi avec Sanssonpancho, ton colombien camé, Roussimenthe, ta douce ânesse à la conquête des mondes et des univers pour rallier à votre cause (Ô cause glorieuse) des armées entières d’opposants. Le départ est prompt et les adieux plus prompts encore. Ta gouvernante, une grosse bonne femme entre deux âges, tenancière de l’auberge espagnole dont tu étais à l’époque propriétaire, vous fait monter sans ménagement (à coups de pied dans le cul) sur vos montures. Et son « bon débarras » clamé à forte voix inaugure votre périple.

(2.172)

Massacre

Tu chemines depuis… oh ! Depuis quelques minutes à peine lorsque tu croises une bande de gamins en prise avec une armée de fourmis. Le combat est rude et sans merci. Armés de leurs gros souliers cloutés, les gamins pilonnent les bases- arrière des Têtes rouges (rossa formica). Tu arrêtes Roussimenthe lui tirant sur la bride et t’exclames d’une voix tonitruante en te tournant vers Sanssonpancho :

- Oh ! Regarde Sanssonpancho ! Regarde cette vilenie insupportable !

Et t’approchant du champ de bataille, tu déclames d’un ton docte et magistral :

- Ô vous, petits soldats ! Ô vous, armée de bambins! Stoppez les combats ! Cessez ce massacre stérile ou je tire mon glaive et vous pourchasserais à travers les âges !

Mais les diables poursuivent leur sanguinaire jeu de massacre sans même tourner la tête. Devant un tel affront, tu sors ton glaive coupant les boutons de culottes des petits soldats de l’armée de garnements. Et tous bientôt se retrouvent cul nul. Honteux, ils prennent leurs jambes à leur cou et détalent comme des lapins dans les jupons de leur mère.

(2.173)

Traversée des âges

Ton bel et valeureux équipage traverse les âges. Ta fière armée traverse les époques. Au fil de l’histoire, les opposants deviennent plus nombreux. Ils ne cessent de pulluler (le sens de l’Histoire est parfois étrange !) Tes ennemis se reproduisent comme des lapins. Tes détracteurs ne ménagent guère ton noble périple. Tu poursuis ta quête envers et contre tout et tous. Ce qui provoque chez toi une bronchite chronique (dont tu as un mal de chien à te départir) ! Mais ta santé n’influe en rien sur l’âpreté de ton combat.

 (2.174)

Apre bataille

Tu cries victorieux : Poursuivons la croisade, noble chevalier de l’Inaccessible ! En avant, armée en quête d’Absolu ! Marchons vers l’île de la paix !

(2.175)

 Survivance

Tu survis par-delà les mondes et les années, demeurant à peu près toujours égal à toi-même. Toujours enclin à t’élever par-delà les murs de ton esprit diaboliquement fertile et stérile. Et chemin faisant, tu fais ton chemin. A la force du poignet et puisant au fond de ton âme la force de poursuivre tes aventures. Et quelles aventures ! Dignes de la chevalerie d’antan ! Mais d’antan, que cela signifie-t-il ? A quelle époque vis-tu ? Troisième millénaire ou cinquante millième ? Au fond, quelle importance ! Tu n’en as cure. Tu poursuis inlassablement ton périple à partir de là où tu es (et de là où tu en es). Et où en es-tu aujourd’hui ?

 (2.176)

Questionnement

Tu t’interroges. En vain. Tes questions restent sans réponse.

(2.177)

Endormissement

Tu délaisses les feuilles. Tu fermes la lumière. Et tu t’endors.

 (2.178)

 

*

 

Rêvasserie

Tu sombres dans le sommeil. Tu glisses dans la rêverie. Tu rêves de Lhomme, de l’île de la paix et de manuscrit achevé. Tu rêves de te tirer d’affaire.

(2.179)

Enigme absolue

Obsédé par ta quête, tu rêves de réunir les feuillets du fabuleux recueil métaphysique de Lhomme (polar à enquête ontologique). La plus vaste prospection de tous les temps sur la plus insondable et mystérieuse énigme : la vie et la folie des hommes. Mais ton enquête piétine. Pourquoi ? Comment ? Tu cherches encore la réponse. Et tu restes (forcément) sur ta fin. 

 (2.180)

Songe désespérant

Cette fin te désespère. Tu songes à ta misérable cloportitude pensante.

(2.181)

Griffes de l’obscur

Tu deviens cloporte pensant. Vermine rampante. Tu imagines ta pensée glisser comme un reptile sournois vers les brèches étroites de ton esprit. Tu te terres dans l’anfractuosité de la roche. Effrayé par l’éclat du soleil et l’ardeur de ses rayons, tu fuis la lumière. Tu fuis l’astre lumineux pour t’égarer dans les griffes de l’obscur. 

 (2.182)

Fil labyrinthique

Coincé dans le labyrinthe, tu cherches le fil. Tu sautes les murs. Tu franchis les frontières pour t’égarer dans une histoire sans fin.

(2.183)

Folie labyrinthique

Ton voyage devient pure folie. Tu avances en longeant peureusement les murs de tes incertitudes.

 (2.184)

Rêve rêvé

Tu rêves. De t’engager dans une folle aventure. De déborder tes limites. De transcender tes frontières.

(2.185)

Voyage psychique

Tu t’enfonces dans les méandres lointains de l’esprit. Tu voyages à travers la psyché. Tu deviens thérapeute itinérant.

 (2.186)

Thérapeute itinérant

Tu achètes un dictaphone, tu aménages ta roulotte et tu pars sonder les profondeurs de l’âme humaine.

(2.187)

Chemins du monde

Tu arpentes les lieux. Tu parcours les époques. Tu trimballes ton écoute attentive sur les chemins du monde.

(2.188)

Défilement pathologique

Tu écoutes les rêves, les fantasmes, les frustrations et les délires des hommes.

(2.189)

Notes

Tu enregistres les malheurs. La folie meurtrière, la misère sexuelle, les fantasmes néofreudiens, les délires post-religieux. Tu enrichis tes connaissances à moindre frais.

 (2.190)

Enregistrement

A chaque séance, tu allumes ton dictaphone. Tu appuies sur la touche « on ». Et tu écoutes.

(2.191)

 Parole sentencieuse de patient

[bip] Dieu te soumets à une sentence radicale. Tu comprends, docteur ? Il te condamne à un séjour pour quelques éternités chez la mère méphistique dont tu subis chaque jour le harcèlement.

 (2.192)

Maléfice croustillant de patient

[bip] Tu te retrouves le falzar pendouillant entre tes godillots poussiéreux et offrant ton postérieur à l'abominable femme qui joue des aiguilles avec la peau de ton arrière train.

(2.193)

Avance

Tu appuies sur la touche « accéléré ». Tu relâches la pression. Et tu écoutes ton premier patient te raconter (avec force détails) la suite de son croustillant face à face avec la mère méphistique.

 (2.194)

Maléfice croustillant de patient (suite)

[bip] - Par la queue de Belzébuth ! cries-tu, qui vous a permis, madame, de me tricoter le postérieur!

Mais la diablesse, fervente admiratrice de son gourou malfaisant, n'en a cure. Et elle s'active de plus bel.

- Bon dieu ! dis-tu alors au bord de l'apoplexie (sous l'effet Ô surprenant du divin plaisir des diablesses d'aiguilles).

Et la vieille, estomaquée, lâche ses instruments.

- Que Diable ! dit-elle, on ne blasphème pas ici, monsieur ! Dois-je vous le rappeler à coups d'aiguilles !

Et ramassant ses instruments, elle reprend sa diabolique besogne. Tu es piégé… Pris dans les filets de ton caleçon tricoté par une sous-fifre du Diable ! Et la diablesse, profitant de ta faiblesse, redouble d'efforts. Après quelques minutes de cet abominable et fiévreux traitement, elle pose ses aiguilles, contemple un instant son œuvre et te fait, pour finir, un baiser baveux sur le cul, te laissant – la cochonne – un long filet de bave qui pend le long de ta raie. Et malgré sa laideur, tu ne peux éviter d'émettre un petit gémissement de satisfaction. A ta décharge et à ton corps défendant, tu argues que son abominable et hideux visage est caché dans l'entre-deux de tes fesses molles, ce qui t'en épargne la vision. Et imagination aidant, tu te surprends à encourager la vieille salace dans ses œuvres de bas étage. A ton deuxième gémissement, la vieille ne se fait pas prier (ce qui aurait été un comble pour une diablesse pêcheuse de son acabit), et elle enfourne sa langue – longue et fourchue – (du moins est-ce ton impression) dans l'orifice convenu. Ô Diable ! Le plaisir divin qu'elle te donne ! Tu en passes les détails (croustillants à souhait pourtant puisque tu ne t'étais pas lavé le derrière depuis… ô depuis bien quelques 2 longues éternités).

(2.195)

Agitation

Tu t’agites sous tes draps. Tu as conscience de rêver. Tu te retournes et tu poursuis ton rêve.

 (2.196)

Avance rapide

Tu appuies sur la touche « accéléré ». Tu relâches la pression. Et tu écoutes.

(2.197)

Etroit passage de patient

[bip] Ainsi tu deviens, malgré toi, amateur de ce genre de pratique. Et le cas échéant pédé. Oui ! Voilà comment la concupiscence en toi a pénétré. Par ce petit trou appelé anus, le pêché s'est immiscé. Est-ce grave, docteur ?

 (2.198)

Bande

Tu écoutes la bande débiter les paroles scabreuses.

(2.199)

Passage ouvert du thérapeute

Tu tousses (mal à l’aise) en préparant soigneusement ta réponse (surprenante) : Que l'on crie sur les toits qu'en être n'est pas naturel ! Que l'on dise que c'est là un pêché de se faire prendre par les fesses ! Oui ! Peut-être ! Et alors ! Pourquoi refuser un plaisir si facile ? Quel mal y a-t-il à se faire du bien ? Ne dit-on pas d'ailleurs que cela fait du bien par où ça passe ? Et qu'importe l'endroit par lequel on introduit la chose ! Ah ! Tu te sens tout chose… Confus(e)…? Surpris(e)…? Gêné(e)…? Excité(e)…? Ou tout simplement compréhensif(ve), ouvert(e) et large d'esprit (à défaut peut-être d'autre chose). Bien. Eh bien ! Continue !

 (2.200)

Suite

Tu ouvres un œil hagard. Tu scrutes l’heure sur le radio réveil. Et tu replonges dans tes songes scabreux.

(2.201)

Interrogation du patient

[bip] Et qu'en pensent les hommes ? Quel est la longue liste de tous ceux qui en furent ?

 (2.202)

Réponse thérapeutique

[bip] Tu entends ton stylo griffonner ces notes sur ton carnet : X, XX, XY, X, XX, XY et ainsi de suite…

(2.203)

En être ou ne pas en être

[bip] Tu entends ta conscience qui te murmure : surtout ne t'empresse pas de me faire dire ce que je n'ai pas et encore moins souhaité dire. Non ! Il ne faut pas forcément en être pour être célèbre. N'oublie pas que : "Tous les pédés ne sont pas des célébrités mais bien des célébrités furent des pédés."

 (2.204)

Avance rapide

Tu cherches un extrait du discours de M. sur N. Tu retournes la cassette et actionnes la touche « on ».

(2.205)

Archétype du mal(e) de patient

[bip] …avant de te pencher (pas trop, cela pourrait être dangereux) même si N. n'en est pas, ses instincts ne sont pas censés le savoir, et si tu te penches, à ses yeux, un cul reste un cul, poilu ou non ; et d'ailleurs, tous ne le sont-ils pas plus ou moins ? N. est-ce que l'on nomme familièrement un macho. Il cristallise à lui seul tous les préjugés de l'homme fier de baiser les femmes. Il en est même l'archétype type. Tu vois le genre. Il est bon parfois d'écouter ainsi la bêtise humaine (car N. en est aussi un très bon exemple). Non qu'elle puisse (la bêtise) te rassurer mais la voir ainsi se répandre avec tant d'inélégance t’invite à considérer la tienne comme moins préoccupante, n’est-ce pas docteur ?

 (2.206)

Interrogation du thérapeute

[bip] Mais toi qu’en penses-tu ?

(2.207)

Questions d’enculés de N.

- [bip] Moi, ce que j'pense des pédés ? Tu veux dire… euh… ce que j'pense des tarlouzes… ? ben… Putain ! Moi, je dis que faut être un enculé pour 'tre comme ça !

- Moi si j'étais pédé…? Ah ! Putain ! Pédé, mon cul, ouais ! Ca m'ferait trop mal aux miches ! Tu parles ! Et puis, maintenant t'arrêtes de m'casser les couilles ! Tu m'les brises avec tes questions d'enculés !

 (2.208)

Langue

Tu penses (par devers toi) : Ô douce mélopée de mots chaloupés ! Ô douce poésie de la langue !

(2.209)

Fin d’enregistrement

Tu appuies sur la touche « off ».

(2.210)

Passage à l’acte

Cette écoute attentive de la misère du monde te déprime. Quelques jours plus tard, tu vends ton matériel thérapeutique. Et tu décides de t’adonner à tes propres délires. 

(2.211)

Plaisir

Tu enfouis ta tête sous l’oreiller en poussant un gémissement de satisfaction.

 (2.212)

Cours universel

Après la vente de ta roulotte de thérapeute itinérant, tu crées la première Université Universelle dans l’espoir de sauver les âmes du monde.

(2.213)

 Premier cours

Le lendemain, tu inaugures ton premier cours devant un parterre vide d’étudiants.

 (2.214)

Retour

La nuit passe. Les rêves s’estompent. Le matin, tu t’éveilles la tête lourde. Par la fenêtre, tu regardes l’horizon désespérant. Tu songes à cette nuit de mauvais sommeil. Tu décides de mettre fin à ton voyage. Tu ranges tes malles et appelles un taxi. Direction : l’aéroport. Tu rentres chez toi.

(2.215)

Nouvelle route

Tu renonces à tes aventures lointaines pour rejoindre ta scène familière. 

 (2.216)

 

*

 

HEMISPHERE 4

Retour quotidien

Après tes escapades aventureuses, tu retrouves le fil des jours.

(2.217)

Fenêtre sur le monde

Tu regardes le monde de ta fenêtre. Le monde sans relief derrière ton écran plat.

 (2.218)

Absorption

L’écran engloutit ton regard. Les images défilent. Tu les parcours, l’œil vif et l’esprit éteint. Tu avales sans distinction. Tu changes d’horizons avec paresse. Tu poursuis ton voyage immobile.

(2.219)

Guerre enragée

Intrigué par la fureur d’une région dévastée, tu fais halte (zapette en main). En cette contrée, tu constates que la guerre fait rage. La voix off t’explique que les sbires du général (un odieux dictateur) se battent contre une armada d’étoiles. Tu vois deux camps s’affronter : les bons contre les méchants. Choisir son camp est un jeu d’enfants ! Ton cœur n’a pas à balancer. Seulement pencher dans la balance. 

 (2.220)

Enchaînement

Tu zappes.

(2.221)

Indifférence

(Sur une autre chaîne). Dans une ambulance, tu vois des blessés entassés au-dessus des cadavres. Allongés sur un lit de morts, ton cœur s’épanche. Et d’une tendresse quasi maternelle vers ces blessés, il se penche.

- Oh mes pauvres ! leur dit-il, cette guerre est une infamie ! Cette guerre est une injustice ! Et mon Dieu ! Tous ces morts !

Mais les blessés (tous affreusement estropiés) occupés à leurs cris ne peuvent entendre ta complainte. Ils braillent et geignent. C’en est  trop ! De qui se moquent-ils ? Ne voient-ils pas ta douleur à les voir ainsi ? Ah ! Mon Dieu ! Cette guerre est  terriblement sournoise ! Elle rend les hommes si indifférents à la souffrance de leurs congénères.

 (2.222)

Spectacle

Plus loin (sur une chaîne populaire), tu surprends quelques badauds qui regardent la scène avec une indifférence nonchalante. Mains dans les poches, le regard éteint où pointe une sorte de joie jubilatoire devant un tel spectacle d’atrocités. La caméra entre un instant dans la tête de l’un d’eux, Mr Lundeut. Et tu observes ce qui s’y passe.

(2.223)

Tête à claques

- Ben merde alors ! Qu’est qu’ils leur metten’t sur la gueule ! Jamais vu un truc pareil ! J’voudrais pas êt’e à leur place ! Ben dis donc ! J’ai bien d’la chance de pas êt’e dedans !

 (2.224)

Source commune

Cette indifférence t’est insupportable. Plus insoutenable que la barbarie. Tu juges pourtant l’une et l’autre de la même veine. Celle qui prend sa source dans l’étroitesse du cœur et se déverse en flux continu – en cascades ininterrompues – dans l’égoïsme le plus abject.

(2.225)

Tournis

Plus loin encore, tu remarques des supporters, farouches partisans de l’armée des étoiles, qui encouragent leurs combattants.

 (2.226)

Edifiant

Ces scènes t’édifient. Le monde qui tourne te tourne la tête. Tu vacilles.

(2.227)

Suspension

D’une pression de doigt, tu arrêtes le monde. Tu stoppes sa marche. Tu vides l’écran. 

 (2.228)

 

*

 

Frétillements solitaires

L’écran vide te renvoie ton image. Tu te vois dans l’écran. Seul. Et tu ne sais accueillir cette solitude. De dépit, tu te mets à penser, à cogiter, à ratiociner. Tu excites tes pensées qui frétillent dans leur sac.

(2.229)

Célébrations crusoësques

Tu songes (soudain) au bon vieux sauvage misanthrope qui sommeille en toi. Tu penses à tous les Robinsons du monde.

 (2.230)

Île déserte

Derrière l’écran, tu aperçois une île, perdue au milieu de nulle part. Perdue à plus de dix mille milles de toute terre. Une île sauvage, déserte et vierge (comme l’exige la tradition) de toute trace humaine. Une île luxuriante, à la terre riche et fertile, traversée de petites rivières à l’eau limpide et peuplée d’une faune variée et tranquille. Un véritable paradis ! Une terre promise (et qui te l’est, sans doute, depuis longtemps). Un don de Dieu sûrement (pour tes bienfaits répandus sur le monde)! Et tu racontes l’histoire de ce fantasme et le détail des notes prises durant ton séjour.

(2.231)

Egarement

Ton radeau fait naufrage quelques 15 jours plus tôt. Ballotté par la tempête, ton aventureux équipage s’agrippe contre vents et marées aux débris de ton embarcation de fortune. Tu vois périr tes équipiers, un à un, emportés vers les profondeurs de l’océan. Tu sombres à leur suite. Tu ne connais cette île qu’en rêve. Voilà la vérité de ton séjour ! Et voilà que s’achève le merveilleux récit qui s’annonçait.

 (2.232)

Triste sort

Au fond de ton lit, tu tires la maigre couverture et enfouis ta tête sous les draps.

- Pauvre de moi ! cries-tu désespéré (au bord du suicide peut-être…)

Cette velléité (ce manque de combativité) t’enrage. Et tu frappes le mince oreiller sur lequel tu as pris l’habitude de couler des rêves heureux. Et soudain tu cries :

- Pauvre rêvasseur invétéré ! Misérable sort des arpenteurs désappointés de la famille ubuesco-kafkaienne des Chercheurs-quêteurs en mal de Trouvailles Introuvables ! Ô misère de voyage ! Inaccessible île de la paix ! 

(2.233)

 Rechute

Tu expérimentes quelques instants de terreur profonde et silencieuse. Des instants de flottement marécageux. Des instants d’égarement. Un sentiment de perte, d’oubli et d’abandon. Et cette frayeur indicible de sentir sous tes pieds le sol se dérober pour tomber dans l’abîme toujours plus profond… pour toucher le néant inaccessible intouchable… et te fracasser la tête sur le sol rugueux des limites abyssales de ton esprit étroit.

 (2.234)

Fil tendu

Tu te retrouves perdu au milieu de nulle part, tu poursuis ta marche sur un fil. Un fil tendu entre le Monde et toi. Un fil ténu. Un fil fragile. Un fil balayé par les vents. Un fil de soie tendu entre toi et toit. Et au bout de la corde, tu t’envoles.

(2.235)

Chute

Après cette envolée magistrale, tu finis par retomber.

 (2.236)

Chute de tombe

Tu retombes sans fin. Tu tombes. Tu tombes. Tu tombes. Tu tombes. Tu tombes. Tu tombes (totalement fasciné par les tombes et Cie). Et lorsque tu touches le fond sans fond, tu tombes encore. Oui ! Tu poursuis ta chute et tombes plus bas encore. Tu tombes. Tombes. Tombes parvenant  enfin au centre de la terre que tu traverses (centre de la terre plus chaud qu’un brasier en enfer…), tu tombes dans une fournaise où tu fonds. Et (bien sûr) tu finis par te dissoudre.

(2.237)

Dissolution monétaire

Tu te dissous. Tu disparais pour quelques pièces (d’un mauvais spectacle).

 (2.238)

Monde allumé

La fin dramatique de ton cauchemar te réveille. Tu allumes ta lampe de chevet. Tu cherches d’une main tâtonnante la zapette. Et d’une pression de doigt, tu rallumes le monde. Tu reprends ton périple.

(2.239)

Mardésou

Après ces vénales péripéties, tu tombes (cela ne s’invente pas !) sur Mardésou, homme austère et scrupuleux, l’un de ces militants forcenés et jusqu’au-boutistes prêts à tout pour faire vaincre sa cause. Bref, le modèle de terroriste modèle guidé par une Foi aveugle et bornée pour faire avancer ce pour quoi il se bat. Bref, en somme, un être très ordinaire.

(2.240)

Prurit

La voix off t’apprend que Maredésous est à l’image du monde. Sa part complémentaire. Et le monde t’irrite. Tu te grattes de le savoir. Tu songes à tous les Maredésous du monde. Cette pensée en entraîne une autre. Tu te souviens. Tu oublies. Tu rebrousses chemin. Tu changes de chaîne.

(2.241)

Autre chaîne

Tu enchaînes.

 (2.242)

Cycle infaillible

Tu recules. Tu revis un passé déjà mille fois vécu. Tu tentes de comprendre cette récurrence.

(2.243)

Sempiternel combat

Sur une autre chaîne. Tu poursuis ton combat. Tu te bats comme à l’époque des barbares ignorants du parti des Myopes Ecrasants (au pouvoir en cette contrée). Tu affrontes le monde entier et son armée d’obscurs ignorants.

 (2.244)

Infernale récurrence

Cette récurrence te met dans un embarras indicible. Tu t’apitoies. Tu plains le pauvre soldat que l’on oblige (une nouvelle fois) à reprendre les armes. 

(2.245)

Appel à l’armistice

Tu entends (sur une chaîne cryptée) une voix déchaînée hurler de rage : Ô soldat ! Insurge-toi ! Ô soldat ! Mutine-toi ! Et fais la paix avec le monde ! Et si tu ne peux vaincre l’ennemi, incendie sa garnison ! Si tu ne peux le combattre, encercle sa flotte ! La paix est à ce prix ! Oui, la paix est à ce prix ! Et ce prix-là est exorbitant pour la bourse d’un pauvre et infortuné soldat !

 (2.246)

Suite

Tu rezappes. Tu tombes par hasard sur un documentaire. Un documentaire sur les schizophrènes (sans doute).

(2.247)

Déploration

Tu zappes une nouvelle fois. Un reportage de guerre exhibant le regard d’un soldat désespéré (sûrement). Voix off. Tu te sens soudain contraint de détrousser les honnêtes gens, les riches capitaines, les maréchaux nantis, les fortunés généraux d’infanterie et les prospères marchands de canons. Tu implores Dieu de regarder l’ignominie du monde qui t’envoie rejoindre son armée de spectres moribonds. Tu le sommes de te considérer comme un noble et digne représentant de la noble et non moins digne Chevalerie Errante des Quêteurs de Sens (le nom de cette congrégation t’interpelle). Tu demandes à Dieu pourquoi Diable le monde (que diable !) n’a jamais remarqué les stigmates de la souffrance qu’il t’inflige en se conduisant ainsi à ton endroit. Tu lui demandes pourquoi le monde est bien en peine de comprendre que ta vie n’appartient ni à leurs Dieux, ni à quelques représentants de leur gouvernement, mais à ta seule et désespérante quête. Tu te sens si impuissant. Et si insignifiant devant ce Dieu et ces dieux tout puissants. 

 (2.248)

Nouveau zap

Un reportage sur les chômeurs de la grande ère dépressive (qui peinent à retrouver un emploi).

(2.249)

Soumission

En dépit de ton appel désespéré, l’assemblée des perfides, doués de myopie aveuglante et d’écrasante indifférence… [zap] …tels les anciens Barbares ignorants du parti des Myopes Ecrasants… [zap] … ne voit de nouveau en toi qu’un factotum asservi et dévoué à leur cause perfide. Et leurs Dieux, leurs saints, leurs anges, leur apôtres et tout le saint Frusquin font de toi, une nouvelle fois, ce que bon leur semble. C’est à dire bien peu de chose. Et en être soumis, ils te transforment une nouvelle fois. Oui ! En être soumis à leur ignoble diktat. Soumis, contraint et forcé de subir la charge écrasante, piétinante du Collectif, dénommé en ce lieu abject, Société des Hommes. Et tu en es réduit une nouvelle fois à bien plus bas que terre, bien plus bas que la glèbe où tu traînais hier tes sandales.

 (2.250)

Parenthèse interrogative

Les personnages des chaînes se déchaînent. Ils traversent soudain l’écran et te posent une question (du moins est-ce ton impression) : tu te demandes comment t’affranchir d’un tel manque de liberté, n’est-ce pas ? Voilà pour toi une question essentielle. Comment s’affranchir d’un tel esclavage ? Comment s’affranchir d’un Destin que tu n’as nullement choisi ? Comment échapper à une destinée que tu ne sens pas tienne ? Ahhhh ! Tu frémis  à l’idée que le monde partage avec vos humbles et dévoués serviteurs cette destinée commune. [zap involontaire] Tu serais donc, toi aussi, atteint de ce mal insidieux. Les personnages t’enjoignent de trouver la force d’écouter les paroles des maîtres du Monde.

(2.251)

Réponse des maîtres du monde

Derrière l’écran, les maîtres du monde s’approchent à petits pas, te dévisagent de la tête au pied et te soufflent (d’une traite) :

- Non ! Vous n’êtes pas celui que vous croyez ! Et jamais vous ne deviendrez celui que vous espérez ! Vous êtes aujourd’hui celui que nous avons façonné. Et demain, vous serez celui que nous façonnerons ! Toujours vous serez à notre image car parmi nous vous vivez ! Inutile de protester ! De vous inquiéter ! Nous avons tout prévu ! Nous avons tout organisé ! Les étapes de votre avenir sont déjà tracées ! Tout a déjà été pensé ! Pour avancer, il vous suffit de suivre les marques que nous avons pour vous tracées ! Droit devant est votre destinée ! 

 (2.252)

Destin d’infortune

Tu songes à ton destin. Il te semble misanthrope. Tu repenses (un instant) à tes mésaventures crusoësques.

(2.253)

Flatulence radioactive

[zap] un mauvais film de série Z (sans doute) mâtiné de fantastique grotesque (à en juger par les dialogues absurdes des personnages). Tu aimerais voir disparaître les êtres du monde (tu repenses une nouvelle fois à ton vieux rêve crusoësque). Tu aimerais vivre seul. Sur l’île de la paix. Derrière le personnage central du téléfilm, une étrange créature (à la beauté hideuse) apparaît avec dignité. Elle esquisse un mystérieux sourire et ouvre la bouche, et laisse échapper (par sa bouche entrouverte) un énorme pet radioactif aussitôt suivi d’une gigantesque bulle rose qui enveloppe l’immensité du ciel. Pet démoniaque et nauséabond. Le gaz se répand comme une traînée de poudre. Les hommes tombent comme des mouches. D’autres se figent, paralysés. Tu vois l’unique rescapé de cette énorme flatulence nucléaire, prisonnier de l’énorme bulle. Terrible destin ! La bouche de l’hideuse créature articule : pris au piège de la misanthropie, il te faut affronter avec courage la terrible épreuve de la solitude. Terrifiante épreuve ! Et tout à ta joie et à ta terreur de te retrouver seul, il te faudra partir à la découverte de ton nouvel espace. Longer les parois roses de l’énorme bulle. C’est un immense territoire! Un espace infini pour un homme seul ! Tu vas enfin connaître la paix.

 (2.254)

Identification progressive

Tu regardes la grosse bulle rose. Et l’espace infini. Tu imagines ta transformation. Et ton exploration de l’espace. Tu traverses l’écran. Et tu rejoins… [zap]… une magnifique prairie.

(2.255)

Pénitence solitaire

Une magnifique prairie où serpente un limpide cours d’eau. Tu y installes ton campement. Abri sommaire, 4 pieux solides faits de branches ramassées dans les sous-bois recouverts d’une toile… [zap]…  Et tu vis là le restant de tes jours, réfléchissant à cette pénitence. Solitude décidée par les hommes.

(2.256)

Suite du voyage

Un jour, tu quittes… [zap]… ta bulle rose… [zap]… ta verte prairie… [zap]…  pour reprendre la route. Tu meurs plusieurs fois et reprends vie à chaque fois.  

(2.257)

Malade

Ces morts et ces renaissances te rendent malade. … [zap]… Tu t’endors. Tu restes cloîtré plusieurs siècles dans ta chambre. En t’éveillant, tu trouves sous ton oreiller la carte publicitaire d’un sorcier guérisseur. Tu l’appelles. Quelques heures plus tard, il débarque chez toi.

 (2.258)

Odieux breuvage

Tu le vois s’agenouiller à ton chevet et te tendre une fiole. Une fiole minuscule emplie d’un breuvage verdâtre où grouillent quantité de minuscules vers blancs. Oh Diable ! Qu’il te faut du courage pour ouvrir la bouche ! Et le visage déformé par le dégoût et la nausée, tu déverses l’affreuse boisson dans ton gosier ;

- Beurkkkkkkkk ! Odieux breuvage !

(2.259)

Air bête

Un air sort de ta bouche, un air inspiré par cette odieuse boisson. Et tu fredonnes bientôt le pitoyable couplet que voici :

élakétéla ! la la la la la ! élakétéla ! la la la !

 (2.260)

Liberté prématurée

Cet air te libère. Sans entrave, tu deviens. Sans chaîne, sans fardeau, sans limite. L’infinité de la conscience s’étale devant toi. Et tu ne sais qu’en faire.

(2.261)

Fin du rêve

Tu glisses la tête sous tes couvertures. Et tu te rendors.

 (2.262)

 

*

 

Inspiration

Le lendemain, tu t’éveilles la tête fertile (riche des rêves de la nuit). Tu t’installes à ta table de travail. Et tu laisses l’inspiration guider ton récit. Tu notes avec empressement les mots qui traversent ton esprit. Tu écris : cauchemar désertique.

(2.263)

Cauchemar désertique

Depuis une éternité, tu erres dans ce cauchemar désertique. Tu arpentes ces terres solitaires, l’âme divagante et déchirée. Tu es témoin de ton périple. La traversée est éprouvante. Un désert de cactus épineux comme autant de poires pour la soif (de savoir et de connaître) entourées de barbelés infranchissables. Tu vois les griffures laissées sur ton âme. Les balafres larges comme des abîmes. Les plaies profondes comme des canyons. Tu es affreusement blessé. Tu te demandes si tu réussiras à te remettre de telles épreuves. Tu l’ignores.

 (2.264)

Poursuite du récit

Tu poses ton stylo pour regarder tes épreuves avec circonspection. Tu relis avec attention les derniers paragraphes. Tu hoches la tête, hausses les épaules et poursuis ta lecture avec quelques appréhensions.

(2.265)

Le monde des sous-plèbes

Les paragraphes suivants aggravent ton affliction. Tu sombres dans un état de déréliction si profond qu’il t’emporte à mille pieds sous terre. Et tu expérimentes quelques temps l’existence des créatures souterraines du monde des Sous-Plèbes, monstres hideux et rampants, sans bras, sans jambes (et sans tête évidemment). Tu prends conscience que le monde des Sous-Plèbe représente dans la géographie de l’univers, une infime partie des êtres que les Hommes symbolisent par la vermine. Et tu deviens (une nouvelle fois) vermine.

 (2.266)

Vermine

Tu deviens vermine. Cette vermine qui pousse dans la pourriture. Cette vermine qui grouille sur la charogne. Cette vermine agglutinée par milliers, par millions, par milliards sur un bout de chair décomposée. Tu deviens l’un de ces petits vers blancs qui donnent la nausée. Tu es accroché avec tes frères à l’un de ces cadavres qui jonchent le sol de cette terre sans promesse. Fouillant dans ses chairs, te vautrant dans la mélasse infâme et nauséeuse de ses entrailles déchiquetées, te nourrissant de la pourriture et te repaissant de la puanteur fétide de cette viande nauséabonde.

(2.267)

Distanciation

Tu secoues la tête. A présent, tu ne peux l’ignorer. Il y a en toi de la vermine. Et tu te décides à l’apprivoiser. Avec elle, tu visites les abîmes de monstruosité qui t’habitent. Tu en explores les contours et les reliefs. Tu apprends à en aimer les moindres anfractuosités. Et tu décides d’arpenter l’une de ces grottes de l’innommable pour en composer l’indicible récit.

 (2.268)

Œuvre idiote 

Après ton périple souterrain, tu ramènes quelques phrases dans ta besace. Et tu les notes avec empressement sur ton carnet.

(2.269)

Evitement

Mais, au fil des mots, tes phrases s’effacent. Tu regardes (inconsolable et consterné) ton œuvre s’étioler. Tu détournes la tête. 

 (2.270)

Vue claire

Tu détournes la tête et tu surprends dans le miroir (à proximité de la table de travail où tu passes tes heures laborieuses) un vieux sage, étendu sur ton lit (les pieds en éventail). Son regard te dévisage avec sévérité.

- Que fais-tu ?

- J’écris la Folie de Lhomme !

Le vieil homme te regarde désappointé. Du moins est-ce le sentiment que tu lis dans son regard (et l’impression qu’il te donne).

- Ecrire la folie n’est pas une œuvre très sage, mon garçon ! Nul besoin d’écrire la folie ! Contente-toi de la vivre ! Ignores-tu que nul livre, nul récit, nulle phrase ne peut t’en sauver !

(2.271)

Ecoute compatissante

Cette réponse te consterne. Tu te jettes à terre, ivre de douleur, en criant :

- Ô Vie ! Prends pitié ! Epargne-moi cette souffrance, épargne-moi la folie, épargne-moi la sénilité de la vieillesse et la démence de la maladie!

La vie compatissante t’obéit. Et tu succombes le soir même d’une crise cardiaque.

 (2.272)

Sidération

Tu lèves la tête, un peu surpris par cette fin surprenante. Décontenancé par ces fragments décousus, tu perds le fil. Et tu regardes hébété les lignes qui dansent sur la page.

(2.273)

Marketing littéraire

Après ces désastreuses mésaventures, tu quittes ton bureau pour gagner (au pas de charge) la librairie la plus proche. Tu en franchis le seuil et te diriges directement vers l’étagère des best-sellers. Tu ouvres un livre (au hasard) et aperçois sur la première page un vieil homme qui t’adresse un clin d’œil complice (et racoleur).

- Entrez ! Entrez ! dit-il en pointant du doigt sa pancarte, bienvenue dans l’espace littéraire !

- Entrez ! 10 kopecks et 3 shillings !

Intrigué, tu regardes l’affiche publicitaire d’un air ahuri. Totalement atterré qu’un tel spectacle puisse être mis en scène. Mais bien décidé (tout de même) d’assister à cette attraction offerte au lecteur pour la modique somme de 10 kopecks et 3 shillings, tu te glisses, impatient, dans la longue file d’attente.

 (2.274)

Espace littéraire

Le vieil homme poursuit son racolage. 

- Entrez ! Entrez ! répète-t-il inlassablement aux nouveaux entrants dans la librairie, bienvenue dans l’espace littéraire !

(2.275)

Aparté définitoire

Espace littéraire : place accordée à un auteur sur quelques feuilles de papier blanc où il lui est loisible d’exprimer à travers divers modes expressifs, certaines idées, pensées, faits imaginaires ou vécus. Endroit de pure liberté, endroit de pure fantaisie ou de sérieuse gravité, de réalisme bien trempé ou de délires imaginaires (au choix).

 (2.276)

Faste littéraire

Tu progresses dans la file d’attente. Tu achèves la lecture de la première page. Arrivé au troisième paragraphe de la deuxième page, un jeune homme (aux allures de dandy) t’invite à monter les escaliers. Tu montes les marches d’un pas lourd (avec le reste du troupeau de lecteurs). Arrivé au fond d’un couloir, tu franchis un épais rideau de velours rouge derrière lequel une jolie et accorte hôtesse d’accueil crie à tue-tête (et d’une voix charmante… et presque envoûtante) :

(2.277)

Débauche littéraire

- Bienvenue ! Bienvenue ! Spectacle unique ! l’auteur vous montrera son postérieur ! Pour 4 shillings de plus, il enlèvera son caleçon, et pour, la modique somme de 7 pennies supplémentaires, peut-être le verrez-vous se retourner pour vous montrer ses plus beaux attributs, ceux que la nature lui a généreusement doté (paroles d’agent littéraire)! Approchez ! Approchez ! Spectacle inédit ! L’auteur se montrera nu ! Et peut-être vous sodomisera-t-il ?

 (2.278)

Copinage

Tu te tournes vers ton voisin de gauche (qui fait la queue comme toi). Un vieil homme distingué, sans doute un fervent lecteur un peu désabusé.

- Avez-vous acheté son dernier livre ?

Tu le regardes d’un air idiot. Le vieux reformule sa question.

- Vous êtes-vous déjà fait enculer ?

- Eh bien… je …

- Eh bien ! Bienvenue au club, l’ami ! Maintenant vous en êtes !

-  Ah oui…

- Oui, mon ami ! Vous en êtes !

(2.279)

Nouveau paragraphe

Tu tournes la page. La file d’attente se rétrécit. L’espace se fait plus intime. On t’introduit dans l’inconscient de l’auteur. Tu te glisses par un passage étroit (et un rien velu car en arrivant dans les tréfonds encéphaliques, tu recraches à plusieurs reprises quelques longs fils qui ressemblent à s’y méprendre à des attributs pubescents de toison pubienne - autrement appelés poils de cul). Arrivé au cœur de l’inconscient, tu agrippes un lobe de cervelle, tu le décolles et découvres un petit personnage vert et gluant (et totalement apeuré) qui s’empresse de t’informer de l’inavouable fantasme de son logeur. Il te fait signe d’approcher et te cries à l’oreille.

 (2.280)

Sacré fantasme 

Tu regardes d’un œil idiot ces pauvres feuilles (instruments diaboliques) qui détiennent le pouvoir d’assouvir ton fantasme : renouveler le genre : roman, guide spirituel, essai philosophique, recueil poétique, œuvre théâtral, ouvrage ésotérique, bref, tout et n’importe quoi sur l’espace sacré de la feuille blanche structurant et déstructurant à l’envie tous les modèles jusqu’à présent établis.

(2.281)

Sortie encéphalique

Tu reviens sur tes pas. Tu te désenglues la cervelle et reprends ta lecture.

 (2.282)

Secret

La page suivante confirme le secret révolutionnaire de l’auteur. Tu distingues noir sur blanc son œuvre révolutionnaire.

(2.283)

Œuvre révolutionnaire

Tu ambitionnes de révolutionner le monde (littéraire), révolutionner l’existence du monde (la vie des Hommes), bouleverser l’Histoire ! Ici bien sûr s’arrête ton ambition ! Mais l’ambition n’est pas tout, n’est-ce pas ? Sans sueur, sans acharnement, sans distanciation, sans talent, sans la Vie, l’ambition n’est rien ! Ou elle n’est qu’un désir supplémentaire qui ira rejoindre la longue liste des illusions perdues qui jonchent la décharge puante et malodorante des rêves brisés. Tu dois travailler ! travailler ! travailler ! travailler ! Mille fois reprendre l’ouvrage ! Mille fois se pencher sur le métier ! N’est-ce pas en forgeant  que l’on devient forgeron ! Alors apprends à forger la gloire qui s’ouvrira tel un sésame pour toi, l’Ali Baba colombien de la littératoure, caramba !

 (2.284)

Notes

Tu inscrits ces lignes sur une page de ton carnet (tu les notes avec joie). Elles te redonnent le courage de poursuivre le fil de ton récit. Tu sors de la librairie. Tu rentres chez toi. Et tu te jettes sur ton manuscrit.

(2.285)

Reprise de voyage

Tu reprends le fil de l’histoire (de ton fameux périple) à l’exact endroit où tu avais fait halte. Désireux de renouer avec les affres du chemin littéraire (et récréatif), tu reprends le chemin au carrefour de Lhomme (comme l’indique la plaque apposée sur la sculpture au centre du Rond-point (une immense statue phallique de marbre rose), entre le vieux temple et la taverne, transformé en sexe-shop. Ta roulotte a cédé place à une petite carriole. Quant au cheval « Bourrique » (paix à son âme galopante), tu l’as remplacé par un cycle à moteur de faible cylindré (alimenté par un circuit solaire complexe mais néanmoins peu encombrant, modèle modernisé de ton vieux speed travel spirit). Tu as troqué ta vieille redingote et ton haut de forme poussiéreux pour une salopette en toile de jeans (solide, chaude, pratique, peu salissante et facilement lavable) et une casquette à carreaux. Et tu as l’air, ma foi, malgré cette métamorphose vestimentaire, du même vagabond. D’un vagabond habillé dans l’air du temps. Médiocrement vêtu, pauvre comme Job mais l’air gai et enthousiaste (enjoué pour tout dire) parcourant la terre en sifflant (toujours le même refrain) à la recherche de l’île de la paix.

 (2.286)

Halte

Après quelques kilomètres, tu fais halte dans l’un des nombreux quartiers interlopes de la ville à la recherche d’une maison de passe. Au détour d’une ruelle, tu vois derrière une palissade quelques enfants aux yeux malicieux qui jouent sous le regard bienveillant d’un vieux sage. Tous te sourient d’un air joyeux. Plus loin (au fond d’une arrière-cour), une femme tisse de la laine sur un vieux métier à tisser. Le visage concentré, tu contemples le fil des histoires tranquilles. Tu oublies ton désir de fornication et tu poursuis ton exploration du quartier.

(2.287)

Exploration de proximité

Tu visites les alentours. A la recherche d’une aventure à la porte d’à-côté.

 (2.288)

Détour

Au détour d’une ruelle crasseuse et sombre, tu entres dans un café sordide. Tu y égraines les heures avec quelques bouteilles. Tu engloutis ton chagrin. Au cœur de la nuit, tu quittes les lieux.

(2.289)

Apparition

Après plusieurs heures de travail intense, tu délaisses tes pages. Tu regardes par la fenêtre le ciel étoilé et les volets clos des maisons alentour. Sur le toit de l’immeuble voisin, à proximité de la gouttière, tu aperçois une forme étrange. Une silhouette auréolée perdue au cœur de la nuit. Tu la vois s’approcher (sans méfiance) et se pencher à ton oreille. Elle te murmure une étrange histoire.

(2.290)

Paroles auréolées (de l’envoyé)

Lhomme est un singe qui s’ignore et qui bat des ailes comme une pauvre alouette. Lhomme a toujours préféré tourner le dos au ciel pour montrer ses fesses, ses grosses fesses velues, à l’image des grands singes de la planète qui contemplent leur postérieur dans le miroir aux alouettes.  Lhomme grimace ! Mais Dieu regarde. Dieu veille. Dieu voit tout. Lhomme, ses grimaces et ses grosses fesses velues.

(2.291)

Interrogation personnelle

Comment Dieu pourrait-il pardonner à Lhomme cette offense ?

 (2.292)

Confidence auréolée

La silhouette auréolée te regarde d’un air désolé. Elle pose sa tête sur ton épaule et te murmure (à voix très basse) :

(2.293)

Message divin

Dieu en a marre de Lhomme. Dieu en a plus qu’assez.

 (2.294)

Soupe au lait

Après un (court) instant de silence, la silhouette se redresse et crie :

(2.295)

Cri

Dieu a le droit d’abattre sur Lhomme sa divine colère. Dieu a tous les droits puisqu’il est Dieu ! Aussi comment Lhomme pourrait-il le blâmer ? Dieu a beau être parfait, il n’en reste pas moins un Dieu avec ses défauts, ses tares et ses petits travers.

 (2.296)

Disparition auréolée

La silhouette disparaît (aussi subrepticement qu’elle était apparue).

(2.297)

Fulgurance

Tu sens (soudain) une idée fulgurante te traverser. Tu tournes hâtivement la page de ton carnet et tu écris :

 (2.298)

Poursuite du récit

Un jour de printemps (période de renaissance), Dieu t’invite à sa table, table divinement garnie, et te tient à peu près ce langage :

- Dis-moi, homme de peu de bien, comment trouves-tu Lhomme ?

Tu toussotes, cachant avec maladresse ta gêne.

- Eh bien ! Je ne saurais vous dire, mon Père ! Il me semble…

- Oui, je t'écoute, mon fils ! Parle sans crainte ! Ce que tu diras ne sera pas retenu contre toi ! Le jour du Jugement dernier, j'effacerai ton ardoise !

- Ah ! C'est que ce que j'ai à dire n'est pas très… Pourriez-vous me le jurer, mon Père !

Dieu te toise d'un air sévère, enfin… d’un air divinement sévère.

- Oserais-tu mettre en doute ma divine parole, mon fils ?

Et d'un air amusé, Dieu t’enfourne une bouchée de galette, sorte d'immense hostie pimentée au ketchup divin agrémenté du sang du Christ (un bourre chrétien). Tu manques de t'étouffer.

- Aaaaaaaaahhhhhh ! C'est fort, mon Père !

- Ne t'égare pas, mon fils !

- Que voulez-vous dire, mon Père ?

Dieu te souffle à l'oreille (d'une haleine divinement chargée) :

- Je veux te dire, mon fils, que Dieu n'a qu'une parole pour ses brebis égarées.

- Et laquelle, mon Père ?

- Bouffe ou crève ! Je t'écoute, mon fils !

Et voilà comment tu dis à Dieu ce que tu pensais de Lhomme.

(2.299)

Fragment oublié

Après cette fulgurance, tu cherches la suite.

 (2.300)

Retour expéditif

Tu fouilles dans ton carnet à la recherche de quelques fragments oubliés. En vain. Tu ne trouves aucune suite. Tu tournes la page. Et tu poursuis le fil de (ton) l’histoire.

(2.301)

 

*

 

HEMISPHERE 5

Epopée livresque

Un jour d’ennui, tu reprends ton épopée. Tu arpentes les rayons de ta bibliothèque (à la recherche de l’île de la paix).

(2.302)

Nouvelle découverte

Tu découvres les 6 mondes désenchantés (dans un vieux manuscrit oriental acheté au cours de tes voyages lointains).

 (2.303)

Panel des mondes

Tu recopies (sur un bout de feuille) la liste des représentants d’un panel (extrait du grimoire) que l’auteur (un vieux chinois anonyme) estime représentatif des êtres vivants des univers du monde.

 

D. 38 ans, sorcier. Afrique. Monde des Hommes.

F. 345 ans, chêne pourpre, Amérique du nord. Monde des Arbres.

P. 723 ans. Monstre sous-plèbien. Monde des Enfers.

J. 7189 ans. Etre sans forme. Monde des Dieux.

R. 13 ans. Cactée. Afrique. Monde végétal.

Q. 756 ans. Guerrier sanglant. Monde des Titans.

G., 24 ans, fille de joie. Asie. Monde des Hommes

K. 6 ans. Chien. Australie. Monde animal.

T. 2 ans. Roseau. Asie. Monde végétal.

Y. 97 ans. Tortue. Galápagos. Monde animal.

M. 48 ans. Businessman. Europe. Monde des Hommes.

B. 3 mois. Brin d’herbe. Europe. Monde végétal.

O. 9 ans. Porc de batterie. Europe. Monde animal.

U. 216 ans. Martyr. Monde des Esprit avides.

A. 9 mois. Lotus. Asie. Monde végétal.

(2.304)

Histoires de rayon

Tu poses ton crayon. Et tu reprends l’exploration de ta bibliothèque. Tu prends un livre au hasard. Tu l’ouvres. Et tu tombes sur le labyrinthe des songes.

 (2.305)

Labyrinthe des songes

Tu délaisses la solitude de ta chambre pour les rues animées (extrait du guide des songes p17). Tu intègres le flot des passants. Tu esquives les terres du réel pour déambuler dans les labyrinthes des songes.

(2.306)

 Préparatifs décourageants 

Ton entourage salue ton départ avec enthousiasme (extrait d’un roman de capes et d’épées de Donquichiotte p1431). Non qu’il éprouve quelque sympathie encourageante pour ta modeste personne et tes nobles idéaux, mais parce qu’il va enfin connaître la paix de l’esprit. Ton départ inaugure pour eux la fin de ces joutes oratoires éreintantes auxquelles tu les contraignais chaque jour. Au premier carrefour, tu tombes sur une plaque intrigante où est gravé l’intitulé suivant : Psy Pat & Co

 (2.307)

Psy Pat & Co

Tu sonnes et tu entres (extrait d’un manuel d’anti-psychanalyse p12). Tu t’allonges sur le divan. Tu éventres les tympans du thérapeute. Et tu ressors (quelques instants plus tard) totalement sonné (et le portefeuille éventré).

(2.308)

Air pathologique 

Extrait d’un manuel d’anti-psychanalyse (p12)

Tu comprends que les psys ne connaissent ni l’air ni la chanson. Preuve à l’appui. A la première consultation, tu déchantes.

 (2.309)

Nudité miséreuse

Après ta désastreuse séance psychanalytique, tu es si désenchanté (extrait d’un manuel d’auto- psychologie à l’usage des va-nu-pieds p24) que tu sombres au fond de l’abîme. Au plus bas parmi les hommes. Tu fréquentes clochards, va-nu-pieds, parias, exclus. Tu expérimentes une belle, riche, profonde et merveilleuse aventure. Sans elle, tu prends conscience que tu ne pourrais accueillir ta pauvre condition. Car pauvre est la condition du paria. Car nu est le paria. Car démuni est le paria. Car seul est le paria. Aussi pauvre, aussi nu, aussi démuni et aussi seul qu’est Lhomme du Monde.

(2.310)

 Souvenir du journal du monde

Tu songes à cet extrait du journal du Monde (que tu connais par cœur et que tu récites in petto).

 (2.311)

Extrait du journal du monde

Peut-être songes-tu à ton ancienne existence confortable ? Tu possédais peut-être un toit, petit ou grand. Tu mangeais sûrement des mets raffinés ou de basiques aliments. Tu occupais sans doute un rôle dans la marche du Monde, insignifiant ou prestigieux. Tu recevais probablement un peu d'amour et de chaleur humaine, satisfaisants ou non. Et tu t’imaginais sans doute parfois sans ces attributs. Sans toit, sans nourriture, sans activité ni chaleur humaine. Tu devais sûrement fermer les yeux pour imaginer cette situation. Mais tu ne parvenais sans doute jamais à te projeter dans la nudité miséreuse de cette existence. Tu étais trop confortablement installé dans le moelleux de ton canapé.

(2.312)

Nouvel arpentage

Le souvenir du journal du Monde t’attriste. Tu te lèves. Tu ranges l’ouvrage derrière une pile de livres. Et tu reprends l’exploration de ta bibliothèque.

 (2.313)

Nouveau genre similaire

Tu tombes sur un autre livre. Un ouvrage étrange composé de fragments (légèrement différents). Tu le feuillettes (d’abord) avec négligence. Mais tu découvres (soudain) au cœur du livre une clé. Tu lis le fragment jusqu’au dernier mot. Et tu tombes sur une porte. 

(2.314)

Première porte

Tu pousses la porte. Et tu tombes sur la situation initiale, extrait du journal de X.

 (2.315)

Situation initiale

Extrait du journal de X (auteur inconnu)

A ta table de travail. Devant toi, une lampe de bureau faiblement éclairée. Le vent s’engouffre par la fenêtre entrouverte. Les volets claquent. Les ombres des livres se dessinent sur le mur. Fantômes effrayants. Tu tournes les pages du manuscrit. Et tu arrives devant une deuxième porte.

(2.316)

Deuxième porte

Tu tournes la poignée. Et tu tombes sur une troisième porte.

 (2.317)

Troisième porte

Tu fermes la porte. Et tu as la curieuse idée de partir à la recherche de Lhomme. Tu parcours ses pages pour y découvrir sa folie. Derrière Lhomme, tu découvres une quatrième porte.

(2.318)

Quatrième porte

Derrière la porte, tu trouves un puzzle de récits croisés. Des fragments de texte à reconstituer (extrait d’un recueil d’aphorismes). Et tu tombes (bien sûr) à la fin du fragment, sur une nouvelle porte.

 (2.319)

Cinquième porte

Derrière la cinquième porte, tu découvres une île du bout du monde. Une plage déserte. A proximité d’une veille hutte abandonnée investie depuis le début de ton séjour sur l’archipel, tu aperçois un extrait de journal de voyage posé sur une table devant une vieille lampe à pétrole. Tu ajustes tes lunettes. Et tu poursuis ta lecture. Au cœur de la première phrase, tu aperçois une nouvelle porte.

(2.320)

Sixième porte

Derrière la porte, tu découvres un extrait de recueil de poésie lyrique (écrit en prose). Tu lis l’extrait à haute voix.

 (2.321)

Extrait

Tu entends le bruit des vagues qui déferlent et se fracassent contre les rochers comme l'écho du cœur se brise parfois sur les récifs de l’esprit. Tranchant et aiguisé. Serti d’aspérités brutes et d’arrêtes mal polies malgré l'incessant travail de la marée, flux et reflux de bonté et d'amour, tu écoutes et y plonges l'oreille tendue. Et tu y sombres le cœur fendu. Tu t’y noies l'âme mise à nue. Tu te laisses porter par les vagues tristes de l’amertume. Un courant brûlant te parcourt l'échine. Et tu gis sur le sol en mille fragments brisés. Tu sens la chaleur des Ténèbres te glacer les sangs. Tu écoutes les bruits de l’âme. Tu en reçois les embruns comme un crachat répugnant. Et tu t’essuies la gueule d'un revers de cœur. Ton cœur devient tombeau profond. Crypte mystérieuse. Cimetière de croix plantées dans le sol tendre des pensées. Bourreau et martyr qui pleurent quand tu l'assassines. Ton cœur devient son propre assassin. Et tu le poignardes chaque matin. Et tu tombes, le cœur en lambeaux, derrière la porte.

(2.322)

Derrière la porte

Et derrière la porte, tu découvres un nouvel extrait (eh oui ! Encore !).

 (2.323)

Nouvel extrait

A l’instant où, tu lis ces mots, l’humanité poursuit sa ronde. Cet extrait t’interpelle. Tu poses ton livre. Et tu réfléchis. Tu t’adonnes à la réflexion.

(2.324)

Réflexion

A l'instant où tu lis ces mots, tu prends conscience que des êtres naissent, meurent, mangent, boivent, dorment, baisent, pleurent, rient, travaillent, écrivent, enseignent, coupent du bois, se coupent les doigts, se haïssent, s'entretuent, attendent. Tu prends conscience que d'autres sont désespérés, au bord du suicide, à l'agonie, aux bords des larmes. Que d’autres pleurent de joie, partagent, oublient, s'enfuient, partent, prennent le train, l'avion, le bateau, leur voiture, leur fusil pour voir leur mère, faire des affaires, manger avec des amis, aller à la guerre. A l’issue de ta réflexion (et à la fin du paragraphe), tu découvres une nouvelle porte.

 (2.325)

Dixième porte

Derrière la porte, tu aperçois cachée (dans un extrait d’un manuel de survie à l’usage de la vermine p 86) une pomme posée sur une table. Une pomme rongée par les vers. Tu entres dans la pomme pour rencontrer le ver. Il t’explique les turpitudes de son existence tranquille (et terrible). Derrière cette existence immonde, tu comprends qu’un cœur bat et qu’une âme déchirée s’agite. Tu comprends qu’en chaque ver, une conscience pleure son infamante condition. Tu comprends que triste et dégradante est la condition de la vermine. Quelle pire chose peut arriver ? Cette métamorphose de la forme te semble dérisoire comparée aux supplices de l’âme qui s’entortille et qui gigote pour échapper à sa condition de vermine. Tu t’attardes un instant auprès du ver. Il te suggère de réfléchir à ta situation. De ne pas précipiter ta métamorphose. De reporter ton envol. Sur ses conseils, tu réfléchis à ta situation. Tu regardes la fange où tu te vautres. Tu as l’intuition que cette matière puante pourrait devenir le terreau de ton envol. Tu te décides à ne pas l’oublier. Tu te promets de ne pas oublier. Le temps passe. Et tu te mets à touiller, à fouiller, à remuer toute cette m…. Tu apprends à faire ton travail avec cette m…. Tu sais que l’humus fera le reste. Tu apprends à aimer la vermine. Et tu devines qu’elle te le rendra au centuple. Le temps passe (encore). Et tu vois tomber sur ta vie un parfum enchanteresque. Tu remercies le vers qui te désigne (d’un hochement de tête) une nouvelle porte.

(2.326)

Onzième porte

Tu pousses la porte. Et tu débouches sur un espace indescriptible. Un espace incommensurable. Tu t’assois pour contempler la vastitude des lieux. Après quelques instants de silence, tu es traversé par une voix intuitive qui te murmure :

(2.327)

Tout

Tu peux tout être. Tu es tout ; la matière, le vide et l’espace. Tout. Tu peux tout ressentir ; chaque émotion, chaque sentiment, les joies et les malheurs, l’espoir et la désespérance, la solitude et les liens innombrables. Tout. Tu peux tout contenir ; chaque particule, chaque atome, chaque univers. Tout. Tu peux tout créer ; la sagesse, la folie, le paradis et l’enfer. Tout. Tu peux tout comprendre ; chaque idée, chaque pensée, chaque sentiment, chaque émotion. Tout. Tu peux tout réaliser ; le pire et le meilleur, l’exaltant et l’insipide. Tout. Tu peux tout anéantir ; le bonheur, l’univers, la vie et la mort. Tout. Tu peux tout deviner… chaque secret, le mystère de la folie jusqu’aux pensées les plus infimes et les plus enfouies. Tout. Tu peux tout imaginer… jusqu’aux univers les plus absurdes, les plus inimaginables. Tout. Tu peux tout pardonner… jusqu’à l’abjection la plus insupportable. Tu es et tu n’existes pas. Il est ton maître. Et avec lui, tu es pour l’éternité. 

(2.328)

Sidération

Tu te lèves totalement abasourdi. Et tu cries :

 (2.329)

Cri

Pourquoi ???

(2.330)

L’Echo

L’écho te répond : Pourquoi ?? Quoi ? Quoi ?

 (2.331)

Répétition

Tu répètes : pourquoi ?

(2.332)

Réexplication

La voix t’explique (avec d’autres mots). Elle te dit : au commencement, tu es l’espace infini et silencieux. Un espace simple et lumineux. Un espace merveilleux et insipide. Tu t’ennuies d’être l’espace silencieux. Un jour, tu t’en sépares. Et tu tournes. Tu invites la danse pour tourner avec toi dans l’espace. Et avec elle, tu tourbillonnes. La tête étourdie. Tu tombes. Une chute fatale. Le trou noir. Le sommeil inconscient. Pendant une éternité. Un jour, tu t’éveilles. Tu te lèves sans comprendre. Et tu marches pour retrouver l'espace perdu.

 (2.333)

Dernier conseil

Après un bref instant de silence, la voix t’invite à trouver une porte. Une porte perdue au milieu de nulle part. Une porte perdue dans l’espace incommensurable.

(2.334)

Traversée

Tu marches en titubant jusqu'à la porte de la Grande Félicité. Tu la traverses. Et tu trouves un message.

 (2.335)

Message

Tu as été, tu es et tu seras. Cette phrase contient toutes les vérités du monde. Tu refermes la porte et tu t’y consacres pour l’éternité.

(2.336)

Retour

Tu reviens à toi. L’esprit légèrement confus. Tu reposes l’ouvrage sur l’étagère. L’éternité te semble si lointaine. Et tu reprends l’exploration de ta bibliothèque à la recherche d’un ouvrage plus accessible.

(2.337)

Surprise saisissante

Tu déniches quelques livres sans importance (qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer ici). Tu les laisses sur les rayonnages. Tu es désemparé. Tu t’apprêtes à renoncer lorsque ta main se pose sur un ouvrage de sociologie existentielle subjective de Lhomme (oui ! un ouvrage de Lhomme ! Un vrai miracle) caché entre le mur et une pile de livres. Tu t’interroges sur la présence de cet ouvrage dans ta bibliothèque. Tu ne trouves aucune explication (valable et rationnelle). Tu t’empresses d’en parcourir les pages et tu en recopies les extraits les plus marquants.

(2.338)

Investigation vagabonde

Un jour, tu prends ta plume, ton carnet, ton dictaphone (extrait d’un ouvrage de sociologie existentielle subjective de Lhomme p 5) et quelques affaires. Tu les fourres dans ton baluchon. Et tu pars dans le vaste monde. Ton idée est simple : rencontrer les habitants de chaque contrée, étudier leur vie et en offrir le récit à celles et ceux qui n’ont ni l’occasion ni le temps, ni peut-être la volonté de consacrer leur existence à de telles affaires, jugées en l’espèce sans importance. Cette noble entreprise revêt, à ton sens, une aide substantielle à quiconque prendrait le temps de réfléchir aux orientations prises au cours de son existence. Tu n’as aucune idée précise de la façon dont tu vas procéder. Tu n’as ni méthode, ni fil directeur, ni problématique. Juste de quoi recueillir les propos de ceux qui accepteront de te livrer la substance, l’essence même de leur vie.

 (2.339)

En quête de panurges

Le lendemain (extrait d’un ouvrage de sociologie existentielle subjective de Lhomme p 25), tu arpentes les chemins du monde … en quête de brebis égarées. Oh ! Il ne te faut guère aller loin pour en rencontrer ! Tu t’arrêtes à la maison d’à-côté (ta région, contrée à densité humaine élevée est un foyer très riche en brebis égarées), maison d’à-côté habitée par un sexagénaire célibataire (vieux garçon et ancien maçon) qui occupe ses journées à regarder les passants vaquer à leurs occupations, assis sur un tabouret posé devant sa fenêtre. Arrivé devant sa porte, tu sonnes (le vieux, ce jour-là, n’est pas à son poste).

- Ah ! Cher voisin ! te dit-il, que faîtes-vous là ?

- Bonjour, lui dis-tu à ton tour, je passais par là… et figurez-vous que l’idée m’est venue de sonner chez vous !

- Ah ! dit-il un peu étonné, vous tombez bien mal ! Depuis hier, j’ai une fièvre de cheval qui me cloue au pieu ! Que puis-je pour vous ?

- Je voudrais savoir si vous connaissez l’île de la paix ?

- L’île de la paix… ? répète-t-il, comment ça l’île de la paix ?

- Oui…, dis-tu un peu désarçonné, je cherche à savoir si mes voisins connaissent l’île de la paix. Et n’êtes-vous pas mon voisin, cher monsieur ?

Eh bien ! Ma foi, oui ! te dit-il circonspect, je suis bien votre voisin ! Mais sachez que je ne connais pas l’île de la paix ! Et comment pourrais-je la connaître ? J’ai passé ma vie à bâtir des murs pour les gueux du village ! Et d’abord, pour quelle raison cherchez-vous à savoir si je connais l’île de la paix, mon bon monsieur ? Croyez-vous pouvoir me sortir de mes quatre murs ? Tu lui tends ton questionnaire (un questionnaire que tu avais hâtivement préparé un quart d’heure avant ton départ). A voir sa grimace, tu devines quelques réticences. Le vieux te dévisage d’un air réprobateur.

- Vous m’emmerdez avec votre questionnaire, monsieur ! Vous n’êtes qu’un emmerdeur ! Allez ! Hors de ma vue ! Et rentrez chez vous ! A bon entendeur, salut !

(2.340)

Poursuite

Le vieux ferme la porte (extrait d’un ouvrage de sociologie existentielle subjective de Lhomme (p 37). Voilà comment débute ta grande enquête sur l’île de la paix. Triste destin que celui de sauveur en quête de brebis égarées qui reçoit à la figure (en guise de remerciements) des mots plus nauséabonds que le purin. Mais tu n’en as cure. Tu continues ta route, persuadé de parvenir à tes fins. Tu ignores encore que tu n’es pas au bout de tes peines.

 (2.341)

Persévérance

Tu persévères (extrait d’un ouvrage de sociologie existentielle subjective de Lhomme p 38). Tu passes la tête par la fenêtre (laissée entrouverte) et tu déclames (d’un air amusé) au vieux bougon.

(2.342)

Déclamation

A la bonne heure ! Je pourrais bien être votre sauveur, monsieur ! Je pourrais offrir à votre cœur une planche de salut. Pas un succédané au bonheur, monsieur ! Je pourrais vous montrer le véritable chemin qui mène à l’île de la paix. J’ai là d’ailleurs un questionnaire élaboré par mes soins. Tu lui tends le questionnaire. Il te regarde d’un air benêt et pose les yeux sur la feuille de papier glacé.

(2.343)

Questionnaire

Extrait d’un ouvrage de sociologie existentielle subjective de Lhomme (p 237 annexe) :

- Quelles est le sens du chemin (selon vous) ?

- Quelle explication donneriez-vous à votre présence ici-bas, à votre passage sur cette terre ?

- Quel est votre rapport au monde ?

- Quels types de lien et de relation entretenez-vous avec les hommes et les autres êtres ?

- Quel est votre emploi du temps ?

- Pourriez-vous me décrire l’une de vos journées-types ?

- Quelles sont vos peurs les plus fondamentales ?

- Avez-vous des espoirs ? Et quels sont-ils ?

- Quelles leçons retenez-vous de ces années d’expériences (en cette vie) ?

- Qu’est-ce qui vous semble essentiel ?

- Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à ceux qui vous succèderont sur cette terre ?

(2.344)

 Sortie

Tu relies tes notes (avec attention) et tu refermes l’ouvrage de sociologie subjective. Tu jettes un œil désabusé aux rayonnages de ta bibliothèque et à ces histoires intéressantes à dormir debout. Et tu sors (en quête d’un peu de distraction).

 (2.345)

En mâle de beauté

Dans l’escalier qui mène au hall de ton immeuble, un jeune homme s’avance vers toi d’un air majestueux. Il est beau, grand, mince et élancé. Il a les épaules larges, la taille fine et le teint hâlé. Il est beau. Beau comme un dieu, beau comme un ange. L’archétype du beau mâle ténébreux. Evidemment, à ses côtés, tu fais pâle figure. Tu ressembles à un vermisseau, à un cancrelat. Tu as l’air d’une masse informe et sans grâce. La comparaison est amère. Et la dissemblance démoniaque. Tu t’apitoies sur ton sort disgracieux de cloporte en mal de beauté qui ne cesse de courir, comme un dératé désespéré, après l’inaccessible magnificence esthétique. Tu es pathétique.

(2.346)

Invitation

Le jeune homme perçoit ton malaise. Il te sourit et te tend un carton d’invitation.

 (2.347)

Carton d’invitation

Club de magie, spectacle permanent

A 7 heures, aujourd’hui, entrée libre.

Bât I, Tour d’adresse.

(2.348)

 Tour d’adresse

Tu te rends à l’adresse mentionnée sur l’invitation.

 (2.349)

Prédiction séculaire

Au centre de la salle, une table avec quelques cartes et un cartomancien. Tu t’approches de l’oracle avec timidité. Tu t’assois. Et il beugle (avec force et fracas) dans ton oreille :

- Tu vivras 100 ans et tu verras tous les malheurs du siècle !

(2.350)

Injonction formelle

Le tour suivant te glace les sangs. Le cartomancien disparaît. Ta vue se trouble. Ton audition diminue. Ta conscience s’épaissit. Et tu entends une voix te murmurer son secret. 

- Tu dois te former ! Entends-tu ! Te former ! Voilà le secret !

Mais ton audition te joue un terrible tour. En arrivant dans ton conduit auditif, les mots se transforment. Ainsi, tous les « o » prennent un malsain plaisir à se métamorphoser en « e » (et réciproquement le cas échéant… (mais pas obligatoirement !)). Ainsi, à titre d’exemple, lorsque la voix te dit « ferme la porte ! », tu entends « forme la perte ». Ou lorsqu’elle te dit (autre exemple) « pose la pelote », tu entends « pèse la Paulette ». Bref, tu n’y entends rien. Ce qui te vaut quelques déboires.

Insoucieuse de ton inentendement, la voix te répète inlassablement.

- Tu dois te former ! Entends-tu ! Te former ! Voilà le secret !

- Tu deis to fermor ! Ontonds-tu ! To fermor ! Veilà lo socrot !

Bien sûr, tu ne comprends goutte à ce conseil. Et en lieu et place de « former », tu comprends « fermer ». Aussi décides-tu de suivre ce conseil au pied de la lettre. Tu t’installes donc au pied du E en attendant, les yeux fermés, le cœur et l’esprit cadenassés et le dos appuyé sur la grande barre du E. Au bout de quelques instants (qui te paraissent une éternité), tu t’endors (tu notes entre parenthèse qu’il est bien difficile d’attendre les yeux fermés sans s’endormir). Après une nuit passée dans cette inconfortable position (le dos bien calé contre la grande barre du E), tu te réveilles le lendemain, roulé en boule entre les deux premières barres horizontales de la maudite lettre. Comment as-tu réussi à rouler de l’autre côté, tu ne saurais le dire… mais - preuve à l’appui - tu es passé de l’autre côté du E !

 (2.351)

Voyage des formes

Tu restes au pied de la lettre. Tu demeures dans cette inconfortable position une partie de la journée. Mais ton dos te fait souffrir (atrocement). Et sans plus attendre, le hasard (empli d’une grande pitié) te permet de sortir de ce mauvais pas. En tournant la tête, tu aperçois, non loin de là, un K qui traîne (que fait-il là ? Tu n’en sais rien ! Peut-être est-il arrivé jusqu’à toi en canot… et peut-être (qui sait ?)… oui, peut-être Noé, à cours d’argent, avait-il troqué son beau rafiot contre un canot, laissant ainsi partir son K à vau-l’eau ? Bref… tu ramasses ce K arrivé jusqu’à toi, tu t’empresses d’en casser la barre (la grande barre du K) pour l’accoler ou la coller (tu ne sais plus, tu étais si mal en point ce jour-là) sur ton E. Tu prends soin, bien sûr, auparavant pour te protéger du vent (Ô paravent !) de te glisser à l’intérieur… à l’intérieur du E. Tu es ainsi persuadé de rester au pied de la lettre. Afin de gagner un peu de place, et pouvoir te mouvoir avec plus d’aisance dans ton E, sur la deuxième barre, tu t’empresses de construire une petite trappe (à peine visible) te permettant ainsi d’aller et venir entre le rez-de-chaussée du E (situé entre la première et la deuxième barre) et le premier étage (situé entre la deuxième et la troisième barre). Tu es ainsi à l’abri, fermé et enfermé dans ton E, très heureux d’avoir réussi à suivre ces fameux conseils (au pied de la lettre et plus heureux encore de t’être enfermé à l’intérieur (preuve indéniable de ton zèle laborieux). Tu es donc tranquillement enfermé dans ton E. Mais ton ignorance en matière de chiffres et de lettres est incommensurable. Tu n’as aucune idée des facéties des chiffres et des lettres qui décident de jouer de drôles de tours aux illettrés et aux lettrés un peu timbrés. Bref, en ajoutant une barre à ton E, tu as, à ton insu (malheureux !), construit un 8, muni (tu t’en souviens) d’une trappe (à peine visible) entre ses parties inférieure et supérieure. Tu n’es donc non plus dans un E, mais dans un 8. Et tes brèves notions d’anglais te sont d’un grand recours et viennent (le cas échéant) à ton secours (brèves notions d’anglais acquises non sans mal au cours de ta laborieuse scolarité, preuve indéniable que toute formation (calcaire, nuageuse et scolaire)  est toujours une gageure (même si quelques notions, quelques vagues bribes de connaissances éparses finissent toujours par être absorbées !)). Tu es donc, comme l’on dit en anglais (ou plutôt en franglais… un franglais très approximatif…) in huit (à l’intérieur du 8, si tu préfères). In huit, voilà qui ne fait plus ton affaire ! Tu n’es plus au pied du E, mais in huit. Et tes approximatives notions de géographie t’incitent à penser qu’une personne en in huit déteste les espaces clos. Tu te souviens qu’un inuit déteste être enfermé. Les inuit aiment le grand large et les espaces infinis ! Tu ne sais comment mais tu es devenu un véritable inuit ! Ainsi, du E, tu es passé au 8 pour finir sur une banquise perdue (et dérivante, bien entendu) de cette région glacée que l’on nomme arctique. Comment étais-tu arrivé là ? Tu y es venu en canot évidemment. Eh oui ! Bien sûr ! Avec le canoë de sauvetage envoyé par Noé de son Arche ! Tu te demandes pourquoi il est venu à ton secours. Et soudain l’idée te traverse. Parce que Dieu avait donné à Noé la mission d’aider toutes les créatures de la Création… et tu étais l’une de ces créatures pris dans le déluge de tes pensées erronées.  Comment Noé était-il venu à ta rescousse ? Tu penses que Noé avait eu vent (comment ? Tu l’ignores mais le vent souffle fort en ces contrées…) de tes graves problèmes auditifs et de ton inentendement (ton inaptitude intellectuelle à comprendre). Il s’était donc chargé de t’aider (Ô noble et divine mission que d’aider son prochain !). Et comme tu étais sûrement le prochain sur sa longue liste (et que tu ne t’étais pas présenté sur l’arche à son appel (tonitruant appel de Noé resté sans écho !), comment tu aurais pu d’ailleurs monter sur son arche ? Tu n’y entendais pas !), Noé, en gentil bougre, t’avait lancé son K (pour que tu en arraches la barre et la mettes sur ton E) et ainsi rectifier ton incompréhension en t’offrant la possibilité de te former. Ainsi en te fermant, tu t’étais, à ton insu, former. Ainsi va la vie qui (mieux que quiconque) sait rectifier l’incompréhension des créatures et qui finit - toujours - par leur indiquer (parfois par des chemins un peu tortueux) la meilleure route qui soit, celle qu’il leur faut suivre pour parfaire leur entendement. Bref, à la fin de cet épisode formateur (il va sans dire), tu te retrouves (comme il se doit) assis sur ton canoë, glissant entre les icebergs à la blancheur immaculée et aux pointes de glaces acérées.

(2.352)

Tytil et Mytil

Après quelques kilomètres à pagayer (en silence) perdu au milieu de l’immense étendue blanche, tu aperçois (soudain), au sommet d’un iceberg, Tytil et Mytil, deux adorables bambins connus comme le loup blanc par l’oiseau bleu. D’un geste, ils te font signe de t’arrêter et te jettent, avant de rebrousser chemin, un étrange message :

 (2.353)

Message

« Si tu cours après le beau ramage du bel animal, tu ne rencontreras que le mirage de tes rêves ! »

(2.354)

Derrière la porte

Tu descends de ton canoë et quittes la table du cartomancien. Et tu explores les lieux (l’étrange cercle de magie). Au fond de la salle, tu vois une porte. Tu la pousses. Sur une petite scène, derrière un rideau rouge, deux acteurs répètent en boucle.

(2.355)

Sketch

Le vieux sage : Tout est possible !

Le jeune fou : Oui, je le sais, Maître ! Mais d’où vient que tout soit possible ?

Le vieux sage : De l’esprit, mon garçon !

(2.356)

Nouvelle invitation

Un homme, unique spectateur du sketch, t’invite à sa table. Tu réponds à son invitation. Il te tend un verre. Tu bois. Au fond du verre, tu assistes à un étrange spectacle. Ta vision se teinte d’étrangeté. Tu es happé.

 (2.357)

Concentration barbare

Tu te retrouves prisonnier, détenu dans de sordides geôles. Tu es couché sur le sol recouvert d’excréments.

(2.358)

Brève divination

Après une seconde gorgée, adepte divinatoire, oracle du hasard, tu deviens. Le temps d’un coup de dé et ton voyage se poursuit.

 (2.359)

Hallucination théocratique

A la troisième gorgée, tu sautes dans le futur. Tu exécutes un saut de puce dans le temps à venir (et qui viendra sans le moindre doute). Tu vas au temps où régna sur le monde la théocratie éclairée par la divine Lumière de l’Esprit. Tu entreprends un bref état des lieux : lois, coutumes, organisation spirituo-temporelle. Tu jettes à la face du monde les bases de cette société dans laquelle il te sera un jour donné de vivre.

(2.360)

Âme risible

A la quatrième gorgée, un homme surgit de nulle part. Du fin fond de la terre peut-être ou tombé du ciel. Tu l’ignores. Et tu t’en moques. Il n’a l’air de rien. Il ressemble à un yogi gorgé d’ascétisme, à un miséreux sale, fier et répugnant, à un esthète de la clochardisation. Bref, il a la gueule de l’emploi. Un sauveur des âmes dans l’âme. Une aubaine ! Un miracle ! Une folle espérance pour toi ! Tu avances vers lui titubant, les yeux hagards et exorbités.

- He ho ! cries-tu,  êtes-vous vrai ?

Aucune réponse.

- Êtes-vous de chair et de sang, monsieur ?

Toujours pas de réponse.

- Alors vous êtes un mirage ?

- Un mirage ? répète-t-il, ma foi… peut-être… et toi, qui es-tu, l’ami ?

- Oh ! Moi, je suis un pauvre hère qui erre, monsieur.

-  D’où viens-tu, l’ami ?

- De la terre des Hommes !

- De celle dont on dit qu’elle est peuplée de barbares ?

- Oui, tu dis, c’est elle !

- Oh ! Tu as traversé ce désert pour échapper à ton peuple ?

- Ma foi, dis-tu, mon histoire est bien longue et bien compliquée !

- Raconte-la-moi ! dit-il, et je te dirais ce que tu veux savoir !

Et tu lui racontes tes ennuyeuses péripéties. Ta longue et harassante traversée du désert.

-  Je cherche l’île de la paix… et à comprendre les tables de la Folie ! Où sont-elles, vieil homme ?

Il se met à rire.

- Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

- Dis-le-moi ou je t’arrache la langue, vipère !

- Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

- Dis-moi où elles se trouvent ou je t’arrache les yeux, vieux bouc !

- Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Et d’un coup d’épée, tu lui tranches la tête. Mais la bouche du vieil homme continue à rire.

- Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

C’est un rire étrange, irréel. Un rire sorti du fond des âges. Et d’un coup précis, tu lui transperces les yeux. Puis à coups de bottes, tu lui martèles la tête. Et la bouche se met à rire plus fort.

-  Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

- Diable ! Es-tu le Diable ? Pourquoi ris-tu ainsi? Suis-je si risible ? Ne vois-tu pas ma détresse, vieux bouc ?

 (2.361)

Réponse du vieux bouc

La bouche désarticulée du vieux bouc articule : Armure intérieure

(2.362)

Armure intérieure

Comme tout digne chevalier (et comme tout aventurier en croisade), tu portes une armure, armure impropre à te protéger des périls extérieurs, mais armure nécessaire pour te préserver de tes ennemis intérieurs, ces farouches adversaires (terrifiants et perfides démons) qui surgissent sans relâche des abysses de ton esprit, de l’insondable monde de tes propres ténèbres.

 (2.363)

Injonction

A la cinquième gorgée, sa voix s’approche de ton oreille et te murmure (de l’intérieur) :

- Travaille ! Travaille ! Travaille !

Une triple injonction qui t’enjoint à redoubler d’effort et à te mettre à la tâche.

(2.364)

Transformation

Tu quittes la table de ton hôte. A ton passage, les acteurs sur la scène minuscule transforment les paroles de leur sketch.

 (2.365)

Paroles

- Ô preux chevalier ! Où vas-tu ainsi ?

- Sur les routes de l’Absolu !

- Par les sentiers relatifs ?

- Oui !

(2.366)

Encouragements

Le vieil homme s’avance et te dit :

- Tu ne sais pas ! Tu n’as jamais su ! Tu ne sauras jamais !

Et le jeune fou lui rétorque :

- Et est-ce vraiment une raison pour ne pas essayer? Pousse la porte !

 (2.367)

Porte

Tu pousses la porte (une porte derrière le rideau rouge de la scène). En faction, un garde te murmure une mise en garde.

(2.368)

Mise en garde 

Tu es l’instigateur de tes propres délires et de tes propres meurtrissures. Pousse la porte !

 (2.369)

Nouvelle porte

Tu pousses la porte (une porte derrière le garde) qui ouvre sur une nouvelle scène où deux personnages se donnent la réplique.

(2.370)

Réplique

L’acteur travaille sa réplique.

 (2.371)

Réplique

Acteur 1 : Tu es englué dans une sacrée histoire. Sacrée histoire des encollés de l’esprit.

(2.372)

Les encollés de l’esprit

Depuis que tu es à la colle avec lui, tu ne parviens plus à t’en dépêtrer.

 (2.373)

Souvenir

Tu repenses à une citation apprise autrefois (qui te fut d’une grande inutilité): « L’esprit est une colle dont on commence à se badigeonner le fion et qui finit par vous engluer la tête » ! D’où l’expression : qui colle comme une tête de fion ! Tu aimes cette expression imagée (à la limite, certes, de la vulgarité) qui colle si justement à la gluante réalité de ces encollés de l’esprit qui ne peuvent s’en séparer l’espace d’un instant. Tu la trouves tout bêtement poétique.

(2.374)

 Nouvelle scène

Tu regardes les acteurs. Tu les écoutes. Tu les suis. Tu aimerais juger de leur degré d’engluement. Tu les imagines s’accrocher, s’attacher à l’esprit et à le suivre. Où qu’il aille, tu les vois s’y précipiter. Jusque dans les lieux d’aisance (mal aisés).

 (2.375)

Exemple

Acteur 1 (mimant une femme à l’esprit encollée) : Chéri ! Oh ! Chéri ! Attends ! J’arrive !

Acteur 2 (mimant un homme à l’esprit englué) : Mais… chérie ! J’ai envie de…

Acteur 1 : Oui… ? De quoi, chéri… ?

Acteur 2 : De… enfin…

Acteur 1 : Laisse-moi venir ! Laisse-moi venir ! J’aime tant quand tu c… oh ! Chéri ! Laisse-moi t’accompagner !

(2.376)

Nouvelle réplique

Acteur 2 (reprenant son rôle de mentor et s’adressant au public) : Que voulez-vous faire (ou défaire) avec ce genre d’individus ? Ce type (détestable) de personnes s’accroche… s’agrippe à tout ce qui est en mesure de les rassurer, de les sauver d’eux-mêmes, d’anesthésier leur dérisoire (et indicible) douleur ! C’est une indécrottable race d’encollés de l’esprit ! Des vrais têtes de fions d’encollés ! Ah ! Quelle glue ! Un jour, l’un d’eux (l’un de ces encollés de l’esprit, un autre toi-même sans doute…) s’approche et te fait part de son désarroi à voix basse (afin, tu le supposes, que son esprit ne l’entende pas) :

- Dites-moi comment m’en défaire !

Tu ne peux résister au plaisir de lui déclamer, sur un ton quasi amical, quasi professoral ce pitoyable extrait d’un mauvais discours, tiré lui-même d’un fort mauvais ouvrage : comment se défaire des encollés ! Tome 17, p 682 que tu avais appris par cœur pour raisons personnelles. Tu le livres ici dans son intégralité (dans sa quasi intégralité) ainsi que la réponse (remarque un rien soulagée qu’il en fit).

- Vous pouvez y aller ! Allez ! Décollez !

- Ah merci !

 (2.377)

Bouffée d’air

Tu quittes le cercle magique (la tête un peu embrumée). Tu retrouves l’air frais du réel. Tu aspires une longue bouffée. Et tu regagnes ton appartement dans la nuit noire.

(2.378)

Retrouvailles

Après ces caricatures d’aventures (cet ersatz d’épopée), tu retrouves (malgré la fatigue et l’heure tardive) les limbes de tes pensées. Tu t’installes à ta table de travail, tu regardes un instant ton carnet et tu cries :

 (2.379)

Chères pensées

Ah ! Chères pensées ! Toutes ces heures passées de vous si éloigné ! Comment sans vous pourrais-je à vivre continuer ? Comment sans vous pourrais-je poursuivre ma destinée ? Ah ! Chères pensées ! Je vous retrouve aussi belles et aussi folles que par la nuit passée ! Oh ! Chères pensées ! Comme je vous sais gré avec moi de poursuivre vos chevauchées !

(2.380)

Nouvelle pensée

Et sans tarder, une nouvelle pensée te traverse. Tu sautes sur elle et pour ton plus grand bonheur, elle te mène sur un (nouveau) chemin enchanté. Une aubaine pour ta peine. Et une issue inespérée pour ton esprit excité. Tu notes avec empressement le chemin coloré.

 (2.381)

Chemin coloré

Le chemin est une transparence que tu colores. Naufragé, ton chemin devient naufrage. Aventurier, il devient aventure. Plaisancier, il se transforme en plaisir. Réfugié, il prend l’aspect d’un refuge. Martyr, il se transmute en douleur. Ton chemin se teinte de la couleur de ton regard. Et la palette dont tu la recouvres est subtile et infinie. Tu es le maître des couleurs. Et tes savants mélanges donnent à ton chemin une infinité de teintes. Tu barioles le chemin.

(2.382)

Ornières

Tu marches. Tu cours. Tu t’époumones. Tu suis les pensées sur leur chemin chaotique.

 (2.383)

Va-et-vient

Tu avances, tu recules. Tu progresses de travers. On t’appelle le crabe du chemin.

(2.384)

Chemin paresseux

Tu pousses les portes de contrées réelles et imaginaires, éloignées et familières, douces et inhospitalières. Tu te plais à rêvasser paresseusement à quelques douillets abris, à quelques délicieux refuges. Mais en vérité, le courage te fait défaut. Et jamais tu ne parviens à trouver l’île de la paix. Seul l’imaginer en rêve.

 (2.385)

Pause

Tu poses ton stylo et tu réfléchis.

(2.386)

En quête d’écoute

Tu te surprends à penser que tu aimes le chemin. Tu as conscience que tu y cherches comme un damné l’île de la paix. Et tu découvres l’intuition d'une ignorance qui dépasse ton entendement. Il t’apparaît clairement qu’en ce domaine, tu n’y entends rien. Tu es plus sourd qu'un pot. D'ailleurs, tu notes que nul en ce monde n’a jamais trouvé des oreilles à un pot. Tu t’interroges sur la fonction du pot. Et tu prends conscience qu’un pot ne sert qu’à chier. Qu’il est un simple réceptacle à chiures. Tu sais que nul ne s’en sert pour entendre. Tu te lamentes. Tu es incapable d'entendre le souffle du chemin. Non qu’il t’emmerde ou te fasse chier (quoique !) mais tu es bien en peine de l'entendre.

 (2.387)

Suite logique

Cette histoire de pot t’amène (assez naturellement) dans la salle de bain où trône à proximité de la baignoire un trône de faïence. Tu t’y assois, l’air pensif en regardant, l’œil hagard, le rouleau de papier toilette posé sur l’étagère. Et tu te surprends à parler au rouleau de papier. Et (étrangement) il te répond. Il te prie d’écouter les leçons prosaïques de la quotidienneté.

(2.388)

Enseignement

Tu écoutes (donc) les leçons prosaïques de la quotidienneté. Tu écoutes la triste complainte de la feuille de papier toilette, que chaque jour tu saisis, par dizaine, pour essuyer les matières impures de ton noble derrière. Voici ses propos :

 (2.389)

Propos hygiénique

Toi, noble derrière ! Ô ! Fesses de Lhomme ! La prochaine fois que tu me saisiras, assis sur ton trône, médite ces paroles avant de te torcher l’arrière-train. Saisis-moi avec amour et délicatesse, apprécie le moelleux de ma texture, remercie-moi, bénis-moi d’être auprès de toi, toujours prête à servir, à portée de main et rends-moi grâce avant de me conduire dans l’étroit conduit qui me mènera vers de nouvelles aventures.

(2.390)

Suite du discours hygiénique

Après cette entrée en matière (non fécale), la feuille de papier toilette te raconte son histoire. Une histoire touchante et gaie. Une histoire vraie.

 (2.391)

Histoire de papier

La feuille te confie (avec soulagement) qu’avant de se teinter de cette horrible couleur rose, elle vivait en petite feuille verte et fragile perchée au sommet d’un haut frêne. Elle te raconte qu’elle doit sa croissance à son père l’arbre, grand, fort et admirable qui l’a nourrie jour et nuit. Et à sa mère, la terre, chargée de riches nutriments déposés par ses aînées, enrichis par les bons soins du temps. Et à la chaleur bienveillante de son bienveillant protecteur, le grand astre rougeoyant qui chaque jour à l’aube se lève et au crépuscule se couche. De leur patience, elle t’explique qu’elle put grandir. De leur générosité, qu’elle put s’épanouir. Elle vécut, heureuse et verte une saison entière, avec ses sœurs, riant dans le vent.

(2.392)

Interruption

Tu abrèges. Tu interromps la feuille. Tu la saisis. Et d’un geste machinal, tu t’en sers (comme à ton habitude). Tu tires la chasse. Et tu la vois disparaître dans l’étroit conduit qui la mènera sans doute vers de nouvelles aventures. Tu repars à ton bureau pour poursuivre les tiennes.

(2.393)

Poursuites velléitaires

A ta table de travail. Tu t’apprêtes à reprendre le cours de ton récit. Tu saisis ton stylo. Après un court instant (de réflexion), tu te ravises. Et tu jettes un œil hagard aux feuilles éparpillées devant toi. 

(2.394)

Tristes aventures

Le regard posé sur tes notes, tu songes (avec consternation) aux hémisphères traversés. Aux chemins tortueux. A l’esprit fertile et aventureux. A l’infini des pensées A l’inaccessibilité de l’île de la paix.

 (2.395)

Remplissage

Tu repousses tes feuilles d’un geste las. Et tu allumes la radio pour meubler ton silence.

(2.396)

Voix nocturne

Une voix grésille. La voix (sans doute) d’un esprit lucide expatrié sur les terres lointaines de tes contrées familières. Cher auditeur… [silence]

 (2.397)

Au cœur paradoxal

Cher auditeur… tu es obsédé par la quête de l’île de la Paix (la sainte quête du Graal). Tu aimerais trouver l’épée ou (à défaut) une vulgaire lame qui couperait court à ta déraison (furieuse et sombre déraison). Qui te délivrerait des chaînes du rêve et du délire. Qui te libèrerait des entraves de la fuite. Et des soubresauts de l’esprit. Pour découvrir (enfin) le chemin qui mène à l’île de la paix.

(2.398)

Entendement

Tu écoutes (avec une attention inaccoutumée) la voix qui te révèle l’inaccessibilité de l’île de la paix. Et tu entends, pour la première fois, cette vérité. Après un (bref et intense) instant d’étourdissement, tu réfléchis à ton impossible quête. A l’issue de ta réflexion, tes conclusions (sur le voyage) te désespèrent.

 (2.399)

Achèvement

Tu éteins la radio (d’un geste las). Et tu regardes tes feuilles avec une infinie tristesse. Tu te lèves. Tu ouvres la fenêtre pour regarder les hémisphères déconcertants. Et tu poses ta tête (lourde) sur le rebord du monde. Tu es désespéré. Au bord de l’anéantissement.

(2.400)

Fermeture provisoire

Tu refermes le livre.

 (2.401)

Poursuite

Et ton voyage se poursuit…

 

20 novembre 2017

Carnet n°17 Traversée commune Livre 1 - Mondes obscurs

Récit / 2007 / La quête de sens

Traversée de l’Homme commun. L’Homme ordinaire et sa conscience obscure du monde. Existence inconsciente. Existence insatisfaite et résignée marquée par l’ignorance, la peur, l’aveuglement, l’illusion, le désir, l’égoïsme, la lutte, la rivalité, l’instrumentalisation du monde, l’immobilité, l’étroitesse, l’horizontalité, l’inconséquence, l’orgueil, l’insatisfaction et la solitude (plus ou moins avouées) et l’espoir…

 

 

Rivages                                                               

Tu es condamné à passer d’une rive à l’autre. Eternellement.

(1.1)

Risible

Tu entends le monde parler de l’Homme comme d’une fin en soi. Comme d’une perfection en marche. Et tu éclates de rire.

(1.2)

 

MONDES OBSCURS propose deux séries de fragments entrecroisées, SOMBRE IGNORANCE et QUÊTE DESESPEREE.

 

 

SOMBRE IGNORANCE

Traversée commune.

Traversée de l’Homme commun. L’Homme ordinaire et sa conscience obscure du monde. Existence inconsciente. Existence résignée marquée par l’ignorance, la peur, l’aveuglement, l’illusion, le désir, l’égoïsme, la lutte, la rivalité, l’instrumentalisation du monde, l’immobilité, l’étroitesse, l’horizontalité, l’inconséquence, l’orgueil, l’insatisfaction et la solitude (plus ou moins avouées) et l’espoir…

  

QUÊTE DESESPEREE

Traversée singulière.

Traversée de l’homme singulier. L’Homme aux marges du monde. Son rejet et sa haine du monde obscur. Et sa quête aveuglée du sens. Existence désespérée marquée par le dégoût du monde, la colère, l’incessant questionnement, la solitude, la tristesse, le mal-être et l’espoir d’un horizon plus lumineux…

 

En dépit de l’apparent cloisonnement entre l’Homme commun et l’Homme singulier (jugés à leur itinéraire, aux caractéristiques fondamentales de leur existence, à leurs essentialités*), cohabitent en chaque Homme le commun et le singulier qui se mêlent, se chevauchent et se combattent parfois. Au fil du chemin, l’un et l’autre prennent les rênes pour diriger les pas de la Traversée…

 

Deux types de lectures sont possibles. Une lecture alternée (lire les fragments sans se soucier de leur positionnement sur la page) ; une lecture spécifique (pour SOMBRE IGNORANCE, lire les fragments situés à gauche et pour QUËTE DESESPEREE, les fragments situés à droite).

 

 

SOMBRE IGNORANCE

Traversée commune

(à gauche)

QUÊTE DESESPEREE

Traversée singulière

(à droite)

L’une et l’autre se répondent,

s’opposent et se complètent parfois…

 

Préambule                               

Au fil du chemin, tu découvres le monde obscur.

Préambule

Au fil du chemin, tu découvres l’obscurité de l’être qui cherche aveuglément la lumière.

                                                                                                                                                         

Singularité universelle              

Ta vie est une histoire comme les autres. Une histoire commune. Aussi singulière.         

(1.3)

Différence

Tu te sens différent. Tu prends quelques distances avec ce sentiment. Mais il reste vivace. Tenace. Tu te demandes si tu es la victime d’une perception déformée.

(1.4)

Encombrement                       

Tu traînes tes malles sur le chemin des jours.

(1.5)

Inassouvissement

Tu es un cœur avide. Rongé par le feu intérieur. Et dévoré par le brasier du monde. Où que tu ailles, tes pas s’enflamment. Tu ne chemines pas, le chemin te consume.

(1.6)

Funestes bagages                   

Ta vie est un voyage. Et tu te trompes de bagages.            

(1.7)

Arpenteur affamé

Tu te promènes sur les chemins du monde. Tu découvres la boue qui embourbe les pas et les paysages qui ravissent l’œil. Ces rencontres aiguisent ta curiosité, ton appétit de savoir, ta faim de connaître.

(1.8)

Vagabondage                        

Tu te promènes. Tu cueilles. Tu flânes. Tu baguenaudes au gré des vents contraires.

(1.9)

Peine perdue

Tu avances l'échine courbée sous la désespérance et les coups du destin que tu as crû te forger. Tu es un pauvre diable. Tu fais pitié à voir.  

(1.10)

Soumission                                

Tu te soumets à l'odieuse nécessité agissante.    

(1.11)

Compulsion

Tu agis frénétiquement. L’excès d’énergie envahit ton corps, le tend et le presse d’agripper un objet pour y trouver un épuisement.

 (1.12)

Aveuglement                          

Tu marches, insouciant et satisfait, vers l’abîme.                                                                              

(1.13)

Asservissement

Tu cherches. Tu cherches. Inlassablement. Et tes misérables trouvailles aiguisent ta soif et ton désespoir.

 (1.14)

Omission

Tu vis insoucieux du sens.

(1.15)

Oubli

Tu cherches le sens, insoucieux de vivre.

 (1.16)

Crainte

Tu es voué à la peur. Tu œuvres sans relâche à ta protection. Tu échafaudes plans et stratégies pour assurer ta survie.

(1.17)

Fausse identité

Tu t’imagines fragile et vulnérable. Tu te méprends sur ton identité.

 (1.18)

Temps fictionnel

Tu ignores la vérité du temps. Tu déroules le temps par crainte de l’incertain. A chaque instant, tu es absent à la présence.

(1.19)

Séquence temporelle

Tu déroules les instants juxtaposés du temps en les reliant entre eux. Et la juxtaposition de ces instants crée le film du temps. Le temps se déroule et devient fiction.

 (1.20)

Enseignement

Tu apprends par nécessité. Et la nécessité abrite ta peur la plus fondamentale. Tu crains de disparaître.

(1.21)

Catégorique 

Tu cherches, tu étudies, tu apprends, tu mémorises. Mais tu oublies de ressentir. Tu ignores que les vérités ne s’apprennent mais se ressentent.

(1.22)

Défi angoissant

Tu ignores la destination. Tu cherches en tâtonnant. Tu éprouves une immense angoisse. Tu hausses les épaules, tu lèves les yeux au ciel et tu relèves le défi.

(1.23)

Courage

Tu te sens dérisoire devant l’immensité du monde. Fragile devant les dangers qu’il recèle. Tu imagines ton importance. Et tu cherches la force d’aller sur les chemins.

 (1.24)

Vertige

Tu te laisses dérouter par le tourbillon du monde. Tu luttes. Mais tu ne peux y échapper.

(1.25)

Premier mouvement

Tu te penses dans le monde. Ta première démarche. Tes premiers pas sur le chemin.

 (1.26)

Engloutissement

Tu es absorbé par le monde. Déjà acquis à sa cause. Tu es un piètre guerrier qui rejoint l’armée des ombres. Tu signes l’armistice avant la guerre.

(1.27)

Dynamique

La nécessité intérieure te pousse à emprunter un chemin singulier. Elle te contraint à choisir une direction. Elle t’oblige à satisfaire tes aspirations et tes exigences les plus fondamentales.

 (1.28)

Eclats trompeurs

Ebloui par les lumières du monde, tu arpentes l’obscurité. 

(1.29)

Obscure lumière

Ta conscience opaque et ton cœur noir aspirent à la lumière. Mais les forces obscures* te gouvernent.

 (1.30)

Inconscience 

Tu ignores la conscience.

(1.31)

Conscience multiple

Tu as conscience de vivre, tu as conscience d’exister, tu as conscience d’être. Et après ?

(1.32)

Mariage

Tu marches à la traîne de ton inconscience. Tu en es le fidèle garçon d’honneur.

(1.33)

Noces fluviales

Ton inconscient impulse la majorité de tes actes (et de tes actions). Il constitue le moteur principal de ta traversée. Et ta conscience en est le pitoyable gouvernail qui s’évertue (maladroitement) d’en accentuer ou d’en atténuer la trajectoire et le mouvement.

 (1.34)

Œillères

Tu te soumets (à ton insu) aux conditionnements qui asservissent ta perception.

(1.35)

Mauvais cavalier

Tu enfourches ton cheval d’ignorance. Et tu galopes vers les contrées communes. Tu traverses les paysages en barbare belliqueux.

 (1.36)

Forces mystérieuses

Tu évolues dans un monde et des univers. Tu rencontres des êtres et expérimentes des situations. Tu es traversé par des pensées, des émotions et des sentiments. Ces évènements intérieurs et extérieurs se manifestent à ton insu. Tu n’as pas la force de leur résister.

(1.37)

Conflits

Tu ne cesses de te heurter à l’étrange, difficile et incontournable rapport au monde.

 (1.38)

Indissociabilité

Tu ignores que tes gestes portent en eux le Bien et le Mal. Tu agis sans parvenir à trouver l’attitude juste. 

(1.39)

Paradoxe universel

Il t'arrive d'être diaboliquement vertueux. Et d’être sacrément diabolique. Tu es un Homme. Comme les autres.

 (1.40)

Réactivité

Tu n’agis pas. Tu réagis au monde.

(1.41)

Abri

Tu te déverses. Tu évacues sur le monde tes miasmes puants. Tu ressens un maigre soulagement. Le monde te les renvoie avec véhémence. Tu l’inondes de colère. Tu te sens misérable. Tu gagnes le premier abri de fortune pour y faire sécher ta tristesse et ta rancune.

 (1.42)

Spectacle monétaire

Tu gagnes. Tu perds. Tu te laisses berner par les deux faces de la même pièce. La mauvaise pièce à laquelle tu t’adonnes sur la scène du monde.

(1.43)

Espérance

Tu crois que la joie, le bonheur et la paix te sont destinés. Et qu’ils s’attrapent avec effort et labeur.

 (1.44)

Humilité                                    

Tu t’enorgueillis de tes succès. Mais jamais tu ne te poses la question de ta place dans l’univers. Jamais tu ne te juges à ta vraie mesure.      

(1.45)

Adultes infantiles

Tu regardes les adultes. Et tu ne vois que des enfants ignares et immatures qui jouent à faire semblant de savoir.

(1.46)

Prison                                                             

Ton regard t’enferme.            

(1.47)

Ponts

Accoudé à la balustrade, tu regardes le grand fleuve s’étirer. Et tu t’interroges sur les ponts. Tu te demandes s’ils permettent de rapprocher les hommes. 

(1.48)

Intelligence                                

Tu n’es pas idiot. Tu ignores.  

(1.49)

Inintelligibilité

Tu ne peux accéder à la vérité. Et tu comprends que seule l’intelligence peut t’amener à comprendre cette vérité.

 (1.50)

Errance                                     

Tu cherches partout le chemin qui t’échappe. Tu t’égares.

(1.51)

Absurdité

Tu regardes autour de toi. Et tu vois l’absurdité du monde et l’agitation maladive des Hommes. Tu regardes en toi. Et tu y découvres la même absurdité et la même agitation. Tu t’en désoles. Et tu ne sais qu’en faire.

(1.52)

Crédulité                                  

Tu crois avancer. Tu piétines. Tu t’enlises.

(1.53)      

Enlisement

Tu enfouis la tête à mille pieds sous terre.

 (1.54)

Insignifiance                             

Ta vie est une équipée bruyante et dérisoire dans le désert du monde.      

(1.55)

Apprentissage

Tu apprends à arpenter la terre en silence. A fouler le territoire silencieux.

 (1.56)

Eparpillement                           

Tu t’éparpilles à la surface du monde.

(1.57)

Questionnement

Tu es au monde. Bien sûr. Mais tu te demandes comment l’être.  

 (1.58)

Soumission

Tu rêves de soumettre la vie à tes désirs.

(1.59)

Déceptions

Tes rêves te déçoivent. Ils n'aspirent qu'à satisfaire ta volonté.

 (1.60)

Progrès

Tu aimes le progrès. Tu apprécies le confort, la vitesse et la satisfaction immédiate de tes désirs. Tu aimerais que le progrès abolisse la distance, réduise la matérialité, repousse et transcende les limites qui te confinent à la lenteur et à l’effort. Mais tu ignores que le progrès ne peut t’aider à franchir tes limites intérieures.

(1.61)

Eloge de la lenteur

Tu détestes la vitesse. Elle porte une violence qui te terrifie. Tu abhorres ce monde qui la porte au pinacle. Tu rêves de lenteur. Tu y vois un antidote, un remède, une réponse à l’incessante fuite en avant des hommes.

(1.62)

Irrésistible attrait

Tu es affublé d’un goût immodéré pour les honneurs et les plaisirs.

(1.63)

Quête

Tu constates que chaque Homme est en quête de son propre bonheur. Quête communément répandue depuis la nuit des temps. Tu remarques que beaucoup plus rares sont les chercheurs de Vérité.

 (1.64)

Chimères

Tu brigues le pouvoir, la richesse, le plaisir, la reconnaissance, le bonheur. Tu poursuis tes chimères.

(1.65)

Exclusion victorieuse

Tu es étranger au monde. Tu es paria de l’univers. Et tu t’enivres de ton impuissance.

 (1.66)

Existence soldée

Tu es un Homo Consommatorus (satisfait et non remboursé). Fervent adepte de la consommation de masse, tu vis en solde. Tu payes le prix de cette vie au rabais.

(1.67)

Divin commerce 

Tu entres dans un supermarché. Tu déambules au cœur de l’édifiante cathédrale (cathédrale de la consommation). Entouré par la foule des fidèles, tu vois les bigots (par centaines) s’agenouiller devant l’autel.

(1.68)

Cécité visible

Tu es aveugle. Tu ne sais réellement voir avec les yeux du cœur.

(1.69)

Affliction 

Tu es vaniteux, craintif, égocentrique, inauthentique, frénétique. Ces caractéristiques t’affligent et te désespèrent.

 (1.70)

Âme possessive                       

Tu t’appropries les êtres, les choses et l'espace. Tu œuvres à tes ambitions expansionnistes.

(1.71)      

Voies progressives

Tu aimerais améliorer le monde. Mais tu ne sais comment t’y prendre. Tu vois certains s’engager sur la voie collective. D’autres sur la voie individuelle. Toi, tu hésites. Tu as l’intuition que les secondes finissent toujours par se mêler aux premières.

 (1.72)

Facture                                     

Tu revendiques ton statut et ton rôle. Tu te payes l'illusion d'exister. 

(1.73)

Exil

Partout, tu te sens étranger. Etranger au monde. Etranger à toi-même. La vie-même te laisse un goût d’étrangeté. 

 (1.74)

Désespérance                         

Tu rêves de ciel étoilé. Et tu t’endors sur un tas de fumier.    

(1.75)

Tour merdique

Du haut de ta tour, tu regardes le monde se complaire dans sa fange.

 (1.76)

Imprudence                             

Tu négliges ton malheur.       

(1.77)

Appétit

Tu t’interroges. Tu lis beaucoup. Tu cherches des réponses. La médiocrité des livres t’afflige. Tu désespères de ne rien trouver. Ce jeûne t’est insupportable.

 (1.78)

Stagnation                               

Tu immobilises ton humanité.

(1.79)

Mystérieux périple

Tu t’étonnes de l’étrangeté de la vie. Elle demeure pour toi un merveilleux et déroutant voyage.

 (1.80)

Mauvaise appréciation

Tu adules les faux héros – ceux des films, des romans et de la vraie vie. Tu aimes tous ceux qui traitent avec succès leurs petites affaires. Et tu méprises les vrais héros qui n’ont plus d’affaires à traiter.

(1.81)

Bâton de voyage

Les livres ne te sont d’aucun secours. Tu trouves, de temps à autre, une phrase que tu transformes en bâton pour traverser les paysages. A l’orée d’un carrefour ou à la croisée des chemins, le bâton te glisse des doigts. Et tu avances de nouveau seul (et sans appui).

(1.82)

Deux voies

Tu admires l’activité des scientifiques qui améliorent le sort du monde et de ses habitants. Mais tu ignores l’œuvre des artistes, des poètes et des mystiques qui aident l’humanité à trouver un sens et une dimension salvatrice.

(1.83)

Minuscule fragment

Tu visites les musées. Tu fréquentes les bibliothèques. Et tu ne vois dans chaque œuvre qu’une infime parcelle du réel. Tu sais qu’aucune ne peut représenter la réalité dans sa complexité et son incessant mouvement. L’art, à tes yeux, est un échec cuisant. Une représentation partiale, fragmentaire et mensongère du réel.

 (1.84)

Potentialité

Tu ignores que tu portes le même potentiel que celui que tu prêtes à l'être extraordinaire, celui que tu attribues à l'élite et à la figure archétypale du héros.

(1.85)

Blâme

Tu es condamné à être un être vil. Tu es arrogant et médiocre. Tu en as conscience. Et tu t’apitoies sur ton sort. Tu portes ton égotisme comme un fardeau. Comme un paysan trimbale un sac de mauvais légumes dont il sait qu’il ne pourra tirer qu’une mauvaise soupe.

(1.86)

Etre

Tu n’as qu’un seul rêve : ne jamais cesser d’être.

(1.87)

Glace réfléchissante

Le monde est un étrange miroir où tes travers sont mille fois grossis.

 (1.88)

Continuation

Tu procrées. Tu aimerais continuer à être un peu à travers ta descendance. 

(1.89)

Gâchis

Tu es un être limité. Et tu ignores ton potentiel.

 (1.90)

Prolongement identitaire

Ta descendance représente, à tes yeux, une (rassurante) excroissance de toi-même. Une preuve de ton passage (ici-bas) et une assurance contre ta finitude. Une tentative de réponse désespérée à ton désir (inconscient) d’immortalité.

(1.91)

Rêve lointain

Tu éprouves tant de haine à ton égard. Tu rêverais de pouvoir t'aimer pour, un jour, apprendre à aimer le monde.

 (1.92)

Asile à venir

Tu espères trouver un refuge lointain. Et à chaque instant, tu procrastines.

(1.93)

 Fractionnement

Tu fractionnes le temps avec maladresse. Tu le découpes en segments activitoriaux. Tu dors, tu travailles, tu te reposes, tu lis, tu manges. Tu le fragmentes en segments événementiels. Tu divises l’avant et l’après. Tu pars en week-end, tu pars en vacances, tu fêtes un anniversaire. Tu le fractionnes en segments émotionnels. Tu t’ennuies, tu es en colère, tu es déprimé. Et tu as l’illusion de la durée. Tu solidifies ta représentation du temps. Tu l’appréhendes comme un flux linéaire, une succession de périodes que tu enchaînes les unes après les autres.

 (1.94)

Boulet                                       

Tu cherches la liberté. Et tu t’enchaînes au monde.

(1.95)

Affrontement

Tu crois te confronter au monde. Mais tu ne te frottes qu’à toi-même.

 (1.96)

Limites                                       

Tu bornes ta vie à un horizon étroit.                   

(1.97)

Réactions ordinaires

Toute rencontre avec l’homme ordinaire provoque chez toi maints sentiments. Tu éprouves une infâme pitié et un farouche mépris pour la médiocrité. Tu éprouves une colère démesurée pour celui qui désapprouve ton chemin et une étonnante bienveillance quand le monde s’évertue à reconnaître tes qualités.

(1.98)

Délimitations                            

Tu enclos tes frontières.          

(1.99)

Arasement

Tu souffres d’un complexe de supériorité que la vie ne cesse d’araser. Depuis tes plus jeunes années, elle te soumet inlassablement à des activités extérieures et à des rôles dévalorisants et dégradants et confine tes initiatives et entreprises à une longue série d’échecs et d’insuccès. 

 (1.100)

Moisson                                    

Tu marches dans le vent. Tu sèmes. Et tu attends la récole. En vain.           

(1.101)

Prisons

Tu es timoré par la crainte du monde et effrayé par l’effort à déployer pour échapper à ses tristes règles.

 (1.102)

Egarement                               

La vie te déroute. Tu ne cesses de tourner en rond.

(1.103)

Malheurs

Tu poursuis ta route avec quelques indestructibles parts de toi-même : le mécontentement, l’insatisfaction, la haine (de tout et de tous), l’égoïsme. Tu cherches obstinément. Obsédé par ta seule quête. Ton impossible quête. Et tu es malheureux. Tristement malheureux. Tu sais que seules quelques gouttes de malheur tombent sur toi. Tu sais que d'autres souffrent infiniment plus. Tu les vois trempés d'une pluie froide qui inonde chaque parcelle de leur corps, de leur tête et de leur cœur. Et tu les vois demeurer stoïques, ou fatalistes, ou emplis d'espérance et de foi dans cet océan de détresse.

 (1.104)

Voyage

Tu franchis l’horizon de territoires illusoires.

(1.105)

Contrées fantomatiques

L'ennui teinte tes frétillements horizontaux. Tu découvres l'absurdité et l'incompréhension. Tu sens l’imminence de la chute, l’approche du désert. La longue route de solitude et de silence qui s’annonce. Les contrées fantômes, la déréliction. L'incompréhension. L'horreur. Le désespoir. L'amertume. L'oubli. La mort peut-être comme vain et ultime remède à tes souffrances.

 (1.106)

Anesthésie

Tu ensommeilles ta conscience dans les vapeurs distractives et divertissantes.

(1.107)

Bêtises

Tu t’abreuves (parfois) jusqu'à la lie d'innommables niaiseries devant la misérable boîte à images.

 (1.108)

Certitude

Un jour, tu quitteras ce monde. Mais tu n’en as pas vraiment conscience.

(1.109)

Faits divers

Tu regardes la mort avec désinvolture. Tu oublies ton propre spectre.

 (1.110)

Bulldozer

Tu émiettes les monticules. Tu démantèles les bosses. Tu combles les interstices. Tu remblaies les ornières. Tu égalises le chemin. Tu aplanis la surface. Tu arases ton existence.

(1.111)

Chute

Ta souffrance se transforme en détresse. Tu sombres dans la détresse. Tu es sans activité. Aucun faire* auquel te raccrocher. Tu t'agrippes, tu résistes, tu luttes pour ne pas glisser. Et tes ongles ne trouvent que le vide auquel s'agripper. Tu glisses. Tu sombres dans un abîme sans fond.

 (1.112)

Carapace  

Tu te protèges du monde. Tu œuvres à ton insensibilité.

(1.113)

Mort salvatrice

Tu esquives la souffrance, tu fuis les soucis et les difficultés. Tes plans sont pitoyables. Et ta vie absurde. Tu ignores la mort qui te délivrerait de l’absurdité et des vaines préoccupations.

 (1.114)

Maladresse bornée

Tu juges avec maladresse l’insignifiance des jours.

(1.115)

Savoir apparent

Tu crois connaître le monde. Tu n’en perçois que l’apparence.

 (1.116)

Conflit

Tu aimerais changer. Et tu crées la violence. Ton psychisme est le territoire d’un conflit acharné entre l’existant et le fantasmé.

(1.117)

Colère

La colère te submerge. Elle est puissante, implacable, dévastatrice. Elle brise tout sur son passage. Ta bonté vacille et tombe. Emportée au loin, elle s'écrase, anéantie. Tu n'es plus un homme. Tu es devenu un monstre.

 (1.118)

Désert                                       

Personne n'entend ton cri désespéré. Personne. Ni au dehors, ni au-dedans.        

(1.119)

Plaintes

Tu te plains. Tu ne cesses de te plaindre. Comme tous ceux qui souffrent. Et comme tous ceux qui souffrent, tu es incapable d'accueillir ta souffrance. Tu te plains pour alléger le fardeau qui te courbe l'échine, pour l’expulser, pour que l'on t'aide à le porter. Tu te plains toujours pour des tas de raisons. Et tu n’invoques que de mauvaises raisons.

 (1.120)

Rencontre                                

Tu rencontres l’Autre. Et tu ne cesses de te heurter à ton ombre.     

(1.121)

Suspicion

Ta solitude te rend suspect. Le monde te perçoit comme un être indigne de toute compagnie. Tu te demandes pour quoi les hommes ne s'interrogent jamais sur l'indignité de leur compagnie.

 (1.122)

Malédiction                              

Tu as le malheur de te croire important.             

(1.123)

Incapacité

Tu n’es affublé d'aucun don particulier, mais tu es en vie et humain. Et tu ne parviens à t’en émerveiller. 

 (1.124)

Ignorance                                

Tu es aveugle. Tu ignores l’essentiel.

(1.125)     

Rage

Tu enrages de l'infamie et de la bêtise du monde.

 (1.126)

Gibier

Tu es un prédateur avide de débusquer quelques proies faciles (une carrière, une conquête amoureuse, un succès…). Tu es piégé par tes propres appâts.

(1.127)

Animosité

Les hommes t’agacent. Tu les trouves stupides et indignes de vivre. Ils te font penser à des animaux ignobles et méprisables (et Dieu sait que tu aimes les animaux).

 (1.128)

Centrifuge

Tu es le centre du monde. Petit monde étroit et déformé où tu apparais démesuré.

(1.129)

Œillères

Tu réagis à partir de ton centre. Cette déformation et ce décalage sont tes œillères et tes entraves. Ils t’empêchent d’emprunter un autre chemin du regard.

(1.130)

Curiosité

Tu contemples, à travers le monde, ton propre reflet. Tu es étranger à toute curiosité gratuite.

(1.131)

Porosité

Ta perméabilité aux êtres te stupéfait. Tu es si poreux. A l’Autre. A ce qui te semble extérieur. Idées, mimiques, tics langagiers, façons d’être, comportements te percutent et te traversent. Et subsistent en toi quelques traces, infimes ou substantielles qui alimentent toutes les couches de ta personnalité.

 (1.132)

Elément séparé

Tu solidifies ta séparation et ton identité. Tu vis en entité autonome attachée au monde. En être de solitude en proie aux difficultés liées à son appartenance au collectif.

(1.133)

Identification

Tu te mets à la place des autres. Tu te projettes égocentriquement.

(1.134)

Solitudes reliées

Tu es un être de liens et de solitude. Un grégaire solitaire. Et un égoïste solidaire. Selon les circonstances.

(1.135)

Ambivalence

Tu es seul. Et avec eux. Tu ne comprends cette énigme. Tu aimerais percer le mystère fondamental de ta condition.

 (1.136)

Oubli fondamental

Tu oublies que tu es relié au monde. De mille manières. 

(1.137)

Montée abyssale

Tu remontes vers les origines. Et tu t’égares dans l’abysse.

 (1.138)

Grande affaire

Absorbé par tes affaires dérisoires, tu ignores l’affaire universelle.

(1.139)

Histoire d’egos

Tu observes le monde depuis la nuit des temps. Et tu remarques que l’histoire de l’humanité est (en grande partie) le résultat des soubresauts successifs des histoires personnelles, composées essentiellement de manigances, de ripostes, de vengeance et de manœuvres d’egos craintifs et frustrés.

 (1.140)

Encerclement                          

Tu es cerné par la nuit obscure. Et tu désespères de voir se lever le soleil.                                      

(1.141)

Silence désertique

Autour de toi s’étend le désert des Hommes où la seule réponse à tes cris est l’écho des dunes. Nul à la ronde pour entendre ton appel désespéré.

 (1.142)

Tâtonnement                           

Tu vis sans bruit parmi les ombres dans le silence de l’ignorance.   

(1.143)

Fugues dérisoires

La beauté symphonique du monde t’étonne. Tu entends les petites mélodies des hommes qui bruissent dans le vent. Tu entends leurs notes légères qui s’égarent sur la surface du monde et se perdent dans le silence de la nuit.

 (1.144)

Abscisse                                   

Tu vis à l'horizontal. Point zéro de la verticalité.

(1.145)

Course folle

Tu ne cesses de courir à la surface du monde. Tu ne sais te hâter avec lenteur vers les abysses du cœur.

(1.146)

Certitude                                  

Tu connais la destination. Mais tu ignores le but du chemin.           

(1.147)

Erg

Tu cherches la joie, l’exaltation, la plénitude et la paix. Et tu t’égares dans l’espace désertique.

 (1.148)

Fantasme universel                 

Tu es victime du fantasme universel. Tu aimerais continuer à être à perpétuité.                     

(1.149)

Drame

Tu es comme tu aimerais ne pas être. Et tu n’es pas comme tu aimerais être. Voilà ton dilemme. Ton pitoyable dilemme. Tu t’apitoies. Tu ris de te voir si faible et si désemparé. Ta situation est désespérément risible. Et tu t’y complais. Tu t'y vautres avec délectation. Cet état t’exaspère et te rend plus désespéré encore.

 (1.150)

Course folle

Tu t’égares à la surface du monde.

(1.151)

Mirage

Tu fais halte à tous les oasis. Tu te désaltères aux puits de la reconnaissance, de l’amour, de la gloire, de la richesse, du sexe, du pouvoir, de la drogue, du jeu. Tu t’abreuves de mirages. Et tu négliges le regard qui ouvre l’horizon des jours ordinaires où la joie, l’exaltation, la plénitude et la paix sont présents à chaque pas.

 (1.152)

Rétrécissement 

Tu rétrécies le monde à une infime partie des êtres qui le composent. Tu t’en contentes. Et nul ne s’en étonne.

(1.153)

Progression

Tu songes au bonheur de ton existence douce et tranquille. Tu apprécies la paix entre les peuples. Tu bénis cette époque d’apaisement et d’harmonie. Tu es un farouche partisan de la liberté et des droits de l’homme. Tu défends avec opiniâtreté les serviteurs de la paix et tu combats avec conviction les armées de militaristes sanguinaires qui peuplent ce monde. Tu crois appartenir à l’armée des justes. Mais tu ignores l’injustice de ta position.

 (1.154)

Edifice

Tu œuvres à la construction d’un destin plat et sans profondeur.

(1.155)

Basse besogne

Tu sais que l’insecte a sur l’homme un avantage. Il travaille à son œuvre sans rechigner.

 (1.156)

Veulerie

Tu n’oses réfléchir à l’étroitesse bornée de ta vue auxquels te confinent tes œillères.

(1.157)

Confusion

Tu aimes analyser, distinguer, catégoriser, séparer, cloisonner. Tu crois clarifier le réel. Tu le fragmentes. Tu crois t’approcher de la vérité. Tu t’en éloignes. Tu crois démêler le complexe. Tu t’embrouilles.

 (1.158)

Monde unique

Nul autre que toi ne t’intéresse.

(1.159)

Etroitesse individuelle 

Le sort du monde t’indiffère. Seul ton destin te préoccupe.

 (1.160)

Interrogation céleste

Tu te gonfles d’orgueil et d’importance. Mais jamais tu ne te demandes qui tu es sous le ciel.

(1.161)

Exil

Tu es un ange déchu. Un pauvre diable exilé sur la terre des hommes.

 (1.162)

Chimères

Tu crois être indispensable au monde. Tu as le sens dérisoire de ton insignifiante responsabilité.

(1.163)

Vastes cieux

Sous le ciel, tu baisses les yeux. Et tu reconnais ton insignifiance.

 (1.164)

Indifférence                                            

Tu es indifférent à l’infinité des êtres qui meurent à chaque instant. Les morts et ton insensibilité t’indiffèrent.

(1.165)

Possibilité

La souffrance du monde t’insupporte. Tu ne sais comment agir. Tu fais ton possible. Tu penses que chacun fait son possible.

(1.166)

Boulets

L’humanité et l’inhumanité appartiennent à ta condition. Tu ne peux échapper à ton destin.

(1.167)

Evolution

Tu es le fils de l’histoire. Le fruit des horreurs historiques. Tu poursuis l’œuvre de tes ancêtres. Ta descendance aura sans doute un avenir très sombre. Tu participes néanmoins (et à ton insu) à améliorer progressivement le sort du monde.

 (1.168)

Criminel

Tu exploites, instrumentalises et extermines le monde sans sourciller. Tu appartiens à la grande armée des meurtriers ordinaires.

(1.169)

 Avertissement

Tu blâmes l’humanité. Tu te demandes si elle saura un jour prendre visage humain. Mais tu ignores ton propre visage.

 (1.170)

Marché

Tu défends ta place (et ton territoire) dans le bazar du monde.

(1.171)

 Si c’était un homme

Tu regardes l’inhumanité du monde (l’inhumaine société des hommes). Et tu t’interroges : et si c’était  l’homme derrière cette barbarie monstrueuse. Et tu penses avec tristesse à Primo Lévi.

 (1.172)

Marchandage

Tu monnayes la force de tes bras, la puissance de ton corps, l’intelligence de ton cerveau. Tu négocies ton savoir-faire, tes compétences, tes idées. Tu te marchandes.

(1.173)

Poids

Tu croules sous le poids du monde. Tu aimerais que seul le regard de ta conscience pèse sur ta vie.

 (1.174)

Souk

Tu achètes, tu vends, tu négocies. Tu participes à la foire d’empoigne.

(1.175)

 Tour d’ivoire

Du haut de ta tour, tu observes le monde. Le malheureux monde qui sous tes yeux s’agite. Le triste monde qui s’affaire sans relâche à ses mornes tâches.

 (1.176)

Dénaturation

Tu habilles la terre de tes oripeaux. Tu défigures la beauté (naturelle) du monde

(1.177)

Impudeur

Tes vêtements sont un déguisement qui dissimule mal ta nudité.

 (1.178)

Combats

Tu livres un combat âpre contre le monde. Mais tu ignores tes luttes intestines.

(1.179)

Vain combat

Tu es un combattant sans ennemi. Tu t’acharnes contre ton propre sort.

 (1.180)

Mauvaise orientation

Tu penses que ton avenir est derrière toi. Tu ignores que les souvenirs te détournent de l’avenir qui t’attend. 

(1.181)

Sueur froide

Tu sens la sueur froide dégouliner le long de ta fragile échine que la vie, d’une pichenette, peut briser.

 (1.182)

Impasses

Tu arpentes inlassablement les mêmes impasses.

(1.183)

Impossibilité

Vivre est pour toi impossible. Tu survis comme un amputé, un paralytique.

 (1.184)

Etiquetage

Tu juges, tu évalues, tu compares, tu catégorises, tu étiquettes. Tu dissèques le monde. Le vivant, l’inerte et le reste. Tu fragmentes le réel. Tu t’éloignes de la vérité.

(1.185)

Certitude

Tu t’interroges. Tu te demandes qui a la présomption de croire qu’il sait. Tu l’ignores.

 (1.186)

Rappel                                        

Tu oublies que demain tu vas mourir.

(1.187)     

Négligence

Tu résistes à la mort. Tu es incapable de lui faire face.

 (1.188)

Espérance                                

Tu espères découvrir la porte au bout du voyage.

(1.189)

Eaux sombres

Tu laisses ta souffrance dégouliner sur le monde.

(1.190)

Proximité                                   

Tu cherches la clé. Et tu la portes au cou comme un fardeau ennuyeux.                                       

(1.191)

Etre mal

Tu ressens un mal-être. Et tu ignores que ce mal-être est le signe que tu es mal. Que tu ne sais pas être*.

(1.192)

Immobilité                                

Tu sédentarises ton avenir.     

(1.193)

Etrange sentier

Tu ressens l’odieuse routine des jours. Tu ne connais pourtant de voyage plus énigmatique, plus déroutant et merveilleux.

 (1.194)

Point fixe

Tu chemines à l’orée du sentier. Tu arpentes les préliminaires du voyage.

(1.195)

Halte

Tu décides d’arrêter tes pitreries et tes bouffonneries. Tu enlèves ton costume de clown triste pour retrouver la gravité du chemin.

 (1.196)

Insatisfaction

Tu vis. Paresseusement. Tu te maintiens en vie. Avec quelques efforts. Tu cherches à exister*. En vain. Tu es insatisfait.

(1.197)

Illusions

Ton chemin est éreintant, tes efforts tangibles, ta souffrance palpable, tes avancées ridicules et ta marche illusoire. Tu n’es pas au bout de tes peines.

 (1.198)

Marche silencieuse

Tu arpentes la terre en traînant tes boulets et tes petits grelots tristes et joyeux. A ton passage, tu te désoles de l’insensibilité du monde qui écoute, indifférent, ta rengaine.

(1.199)

Peines

Tu tentes d’exister*. Tu y consacres tes jours. Tes nuits. Ton existence. Et tu ne récoltes qu’anxiétés et désillusions. Et tu poursuis tes efforts. Jusqu’à la mort.

 (1.200)

Double indifférence

Tu préfères ignorer le monde qui t’ignore.

(1.201)

Je de massacre

Tu es souvent d’humeur massacrante. Au sens vrai du terme, tu anéantis tout sur ton passage.

 (1.202)

Berceau d’illusion                    

Tu espères te consoler dans les bras du monde.       

(1.203)

Exil intérieur

Tu vis dans le monde. Mais tu restes hors de portée des hommes.

 (1.204)

Egarement                               

Tu t’égares en cherchant vainement la proximité d'une âme.         

(1.205)

Fermeture

Tu n’attends rien du monde. Son regard t’indiffère. Tu t’enfermes dans l’égotisme. Tu sombres dans l’indifférence. Tu te replies.

 (1.206)

Gaspillage                                

Tes détours te gaspillent.        

(1.207)

Vomitif

Tu es un voyageur affamé. Un bouffeur de monde. Tu t’empiffres jusqu’à l’écœurement. Et tu dégueules sur les hommes l’abjection que tu ne peux digérer.

 (1.208)

Vaines préoccupations

Tu vis. Mais tu oublies l’essentiel.

(1.209)

             Quête

Tu cherches la vérité. Tu la cherches avec méthode et obstination. Tu la cherches partout. Dans le monde. Dans les livres. Dans la vie. Dans ton cœur. Et tu poursuis ta quête. En vain. Tu tournes en rond. Tu t’épuises.

 (1.210)

Graines                                     

Tu ensemences tes impossibilités.                        

(1.211)

Luttes intestines

A tes heures perdues, tu te perds. A tes heures lasses, ton âme se déchire d'ennui et de désespérance. Les pensées les plus viles s'invitent et s'insinuent. Elles t'inondent. Leurs miasmes fétides et nauséabonds te submergent. Et tu regardes impuissant l’infime champ de bataille qui t’habite.

 (1.212)

Engrais                                      

Tu fertilises ta désolation.       

(1.213)

Rengaine

Tu es en colère. Tu vitupères pour une sombre histoire d'attente et d'espérance à l'égard du monde, trop soucieux de lui-même, pour jeter un regard à tes déboires.

 (1.214)

Indigence                                

Tu prosaïses la quête. Tu te bornes à améliorer tes conditions d’existence.

(1.215)     

Bêtise

L’époque est à la bêtise. Tu y vois le signe de ton malaise avec tes contemporains. Et tu t’empresses aussitôt de blâmer ton pédantisme idiot.

 (1.216)

Handicap                                 

Tu bégayes ton existence aveuglante. 

(1.217)     

Mur

Tu te heurtes à l’éternelle douleur d’exister et à l’impossible bonheur de vivre.

 (1.218)

Oubli                                         

Tu oublies l’espace des horizons inexplorés.

(1.219)

Repli

Seul dans l’espace désert (libre du monde), tu dialogues en ta compagnie. Tu approfondis ton exploration.

 (1.220)

Arrivée imminente

Tu ignores la mort qui s’approche et frappera bientôt à ta porte.

(1.221)

Sous les étoiles

Tu te couches sur le sol. Et tu regardes le ciel en blâmant la désespérance de ta condition.

 (1.222)

Course folle (bis)

Tu poursuis ta course à la surface du monde.

(1.223)

Refuge insensé

Tu glisses en toi jusqu'à en perdre la raison.

 (1.224)

Frilosité

Tu es un étrange aventurier. Tu pars à la découverte de contrées lointaines. Et tu négliges l’espace qui t’habite.

(1.225)

Désorientation

Ta quête t’aveugle. Tu oublies de regarder le monde. Tu enlises ta marche. 

 (1.226)

Geôle 

Le regard du monde est ta cellule. Et ton regard sur le monde ta prison.

(1.227)

Autruche existentielle

Tu refuses de voir la mort. Sans elle, tu as l’illusion de mieux vivre. Tu oublies que chaque seconde t’en rapproche. 

 (1.228)

Place centrale

Tu ambitionnes la respectabilité. Tu as des rêves de notable tranquille.

(1.229)

Amputation

Tu es existentiellement handicapé. Sans joie et sans contentement. Amputé des prédispositions qui donnent à la vie sa valeur et sa beauté. Comme si l’existence ne t’avait laissé que la désespérance.

 (1.230)

Hiérarchisation                         

Tu es indifférent à la souffrance du monde. Tu hiérarchises les malheurs. Toi, tes proches, tes congénères. Et les autres. Tu es le centre des cercles concentriques. Premier sur l’échelle de la différenciation.

(1.231)

Options

Tu aimerais modifier le cours du monde. Tu t’interroges. Tu hésites. Tu aimerais t’engager en politique pour imposer tes idéaux, t’engager dans la science pour rendre plus compréhensible et confortable la vie humaine, ou t’engager dans le militantisme associatif pour faire advenir plus de justice entre les êtres. Tu tergiverses. Et tes atermoiements te paralysent. Tu demeures immobile. Tu fais mûrir (malgré toi) la voie que tu emprunteras.

 (1.232)

Maladie spécifique                 

Tu es anthropocentrique. Tu souffres de l’égocentrisme de ton espèce.

(1.233)          

 Equivalence

Tu vois un insecte qui lutte contre la mort. Couché sur le dos, tu vois ses pattes s’agiter. Et cette agonie te semble aussi insupportable que la vision d’un homme en train de mourir. 

 (1.234)

Supplice                                   

Ton ignorance est ton enfer. Et tu l’ignores.

(1.235)     

Livres lumineux

Tu parcoures les librairies et les bibliothèques à la recherche de la vérité. En déambulant dans les rayons, tu ne trouves que de faux livres. Tu sais que le monde les honore pour la beauté de leurs phrases et l’attrait de leurs histoires. Mais tu en sors le cœur toujours aussi noir. Tu sais que les vrais livres sont rares. Tu les reconnais par la lumière qu’ils font naître en toi. 

 (1.236)

Inclinations                                 

La vie t'incite à élever ton regard. Et tu avances en regardant le bout de tes souliers.

(1.237)                                                                     

Avancement

Il arrive à ton âme désespérée de garder espoir. Ton cœur vacillant continue d’avancer. Il traverse le désespoir.

 (1.238)

Arrangement                           

Tu aménages ta demeure. Et tu ignores ton désordre intérieur.       

(1.239)

Traversées souterraines

Tu explores la pesanteur du vide. Les eaux profondes de l’obscur. Tu découvres les mondes souterrains à la faune inquiétante. La profondeur tellurique et les abysses océanes. Tu entreprends la douloureuse traversée. Et la noirceur des profondeurs te terrifie.

 (1.240)

Parure 

Tu aimes paraître. Mais tu ignores que le paraître n’habille pas l’être qui t’habite.

(1.241)

Compulsion

Tu n’as pas conscience d’être. Tu accomplis, tu t’agites, tu te jettes dans l’action. Tu désires avec ardeur exister.

 (1.242)

Prétention

Tu tires vanité de dons et qualités dont tu n’es pas responsable. Tu t’enorgueillis des bienfaits du destin. Tu te méprends sur tes mérites.

(1.243)

Misère

Tu refuses le médiocre sort et les prédispositions misérables que la vie t’a offerte pour apprendre à vivre.

(1.244)

Insignifiances

Tu es fier de tes entreprises et de tes idées. Tu les estimes singulières et originales. Et tu imagines que le monde s’en soucie.

(1.245)

Sans issue

Ton malheur tient à ta conscience de n'exister que par le seul faire. Mais tu ne peux t'empêcher d'y sombrer.

 (1.246)

Dévaluation 

Tu quêtes l’approbation du monde. Tu déprécies ton rôle.

(1.247)

Compagnie exclusive

Ta solitude ouvre des portes dont la compagnie - la proximité et parfois la seule présence - du monde gênent l’accès.

(1.248)

Retournement (bis)                 

Tu ressasses (encore) tes souvenirs en attendant la mort. Tu négliges ton avenir.                            

(1.249)

Anticipation de langueur

Le temps s’allonge. Et tu le devances dans l’ennui. Tes journées ressemblent à une étendue de sable immobile où les heures s’écoulent interminables.

 (1.250)

Aveuglement                          

Tu avances dans le noir sous un ciel radieux.

(1.251)

Trésors cachés

L’ennui s'immisce dans la routine de tes jours. Et tu te plains. Tu geins. Tu ignores les richesses et les beautés. L’intelligence et la bonté. Tu marches comme un aveugle vers des contrées hostiles. Tu t’éloignes des trésors cachés.

 (1.252)

Superficialité                            

Tu ignores le trésor des profondeurs. 

(1.253)

Espoir

Tu te parcours. Tu explores l’introspection. Tu cherches la place de l'Homme. Tu effectues les premiers pas métaphysiques vers la quête du sens de la vie humaine. Tu es sur l’avant chemin.

 (1.254)

Limite

Tu es seul. Et avec eux. Mais jamais tu ne t’interroges sur la frontière qui vous sépare.

(1.255)

Solitude

Tu te sens seul. Si seul dans la foule qui marche sur les chemins du monde.

 (1.256)

Bagages

Tu avances avec l’espoir et la désespérance de ta condition.

(1.257) 

 Errance

Tu erres seul et désespéré en quête d’un abri.

 (1.258)

Poursuite                                   

Et tu poursuis ton voyage…

                                                                             Poursuite (bis)

Et tu poursuis ton voyage…

 

20 novembre 2017

Carnet n°16 Traversée commune - Présentation générale

Livre expérimental / 2007 / La quête de sens

Traversée commune est une série d’ouvrages, présentée sous forme de journal existentiel aphoristique, anecdotique et encyclopédique subjectif qui retrace les étapes singulières et ordinaires de l’existence humaine - de l’obscurité vers la lumière - en mêlant, dans une forme scripturale originale, plusieurs genres : le récit, le roman, le journal, la chronique quotidienne, le recueil philosophique, poétique et spirituel.

Par sa forme organisationnelle particulière et la dimension protéiforme de ses fragments, cette série d’ouvrages, modestes et magistraux, ambitionne d’initier un nouveau mouvement littéraire, l’essentialisme* et de poser les linéaments d’une discipline nouvelle - la spiriposophie* (l’esprit poétique ordinaire* de la sagesse) - au carrefour de la philosophie existentielle*, de la poésie et de la spiritualité (non dogmatique et non ésotérique).

Afin de guider le lecteur à travers les multiples fragments, le dernier ouvrage de la série (le livre 10) propose plusieurs itinéraires de lectures et de nombreux angles d’approche : accès par genres littéraires, par thèmes (évolutifs), par catégories (existentielles) identitaires, par degrés de cheminement, par états émotionnels (avec itinéraire de désembourbement psychique). 

 

 

PRESENTATION DES LIVRES 1 à 10

LIVRE 1 MONDES OBSCURS

SOMBRE IGNORANCE.

Traversée de l’Homme commun*. L’Homme ordinaire* et sa conscience obscure du monde. Existence inconsciente. Existence insatisfaite et résignée marquée par l’ignorance, la peur, l’aveuglement, l’illusion, le désir, l’égoïsme, la lutte, la rivalité, l’instrumentalisation* du monde, l’immobilité, l’étroitesse, l’horizontalité, l’inconséquence, l’orgueil, l’insatisfaction et la solitude (plus ou moins avouées) et l’espoir…

 

QUÊTE DESESPEREE.

Traversée de l’homme singulier. L’Homme aux marges du monde. Son rejet et sa haine du monde obscur. Et sa quête aveuglée du sens. Existence désespérée marquée par le dégoût du monde, la colère, l’incessant questionnement, la solitude, la tristesse, le mal-être et l’espoir d’un horizon plus lumineux…

 

LIVRE 2 L’ESPRIT AVENTUREUX

LA FUITE DE L’HOMME.

Conduite coutumière de l’Homme commun (et de l’esprit ordinaire) soumis à l’inextinguible (et inconscient) besoin d’échapper à l’insoutenable pesanteur du réel. De se dérober à l’éternel inconfort des jours. De se soustraire à l’ennui, à l’embarras, à la douleur, à la souffrance. D’esquiver le malaise, le mal-être, la plus infime des insatisfactions pour chercher, à travers d’innombrables possibilités, la tranquillité de l’esprit.

 

HEMISPHERES.

La fuite singulière d’un homme ordinaire. A travers le voyage, le sexe, le rêve, les fantasmes, l’alcool, la drogue, les délires, les souvenirs, l’écriture. La quête désespérée (et désespérante) de l’Homme prêt à suivre les méandres de son esprit, ses caprices, ses soubresauts, ses volte-faces, ses embardées absurdes (et déconcertantes) pour échapper à l’obscurité, à l’intolérable exercice des jours. Dans l’espoir d’accéder à l’île de la Paix.

 

LIVRE 3 L’EPOPEE SPIRITUELLE

EBLOUISSEMENT TENEBREUX.

La quête de lumière de l’Homme commun. Décontenancé par l’absurdité du monde obscur, accablé par son incontournable voyage à travers les hémisphères, l’Homme commun amorce une douloureuse traversée du désert. Terrifiante traversée à l’issue de laquelle il s’enquiert d’un éclairage sur le monde afin d’échapper à la misère, à l’insignifiance et à la solitude de sa condition. L’Homme commun part en quête de son salut. Et qu’importe la lumière pourvu qu’elle lui offre les promesses d’un sort meilleur.

 

ULTIME IMPASSE.

La quête de lumière de l’Homme singulier. Après ses errances et sa déconcertante traversée des hémisphères, l’Homme singulier est anéanti, incapable de se résigner à l’absurdité et à la désespérance du chemin. Au cœur du néant, il n’entrevoit d’issue qu’à travers la mort. En s’enfonçant dans ses profondeurs, il découvre une lueur inespérée, lointaine et profonde qui le détourne du geste fatal. Ce mince espoir initie ses premiers pas sur le chemin intérieur. Chemin qui lui semble (de toute évidence) la seule issue possible. Au sortir de cette effroyable traversée du néant, l’Homme singulier part en quête de cet espoir lointain (de cette lueur entrevue en ses profondeurs) à la surface du monde. Et cette quête le mène au cœur de l’ultime impasse. Eclairé par une sombre lanterne (découverte en chemin), ses pas le précipitent au cœur de l’obscurité paroxystique où il découvre, après une éprouvante et déstabilisante mise à nu, la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs.

 

LIVRE 4 L’ENTRE-DEUX

OSCILLATIONS & DE PART ET D’AUTRE

La quête de lumière de l’Homme commun singulier. Derrière la porte étroite, unique point de passage vers les horizons clairs, l’Homme commun devient naturellement singulier. L’opposition (établie au cours des phases précédentes) entre le singulier et le commun s’efface pour laisser place à un affrontement - et à une alternance - entre les dimensions obscures et lumineuses de l’Homme qui marche seul sur son chemin entre la pénombre et les éclaircies au gré des phases sombres et lumineuses.

 

LIVRE 5 LA VOIE

QUINTESSENCE

Rappel synthétique du chemin universel de l’Homme ordinaire (de l’Homme commun) qui marche de l’obscurité vers la lumière… Initiation à la spiriposophie* (l’esprit poétique ordinaire de la sagesse).

 

LES LOGES DU QUOTIDIEN

Quelques exercices préparatoires singuliers pour apprendre à goûter pleinement la saveur des jours. A retrouver le sens sacré de l’ordinaire.

 

LE CHEMIN ORDINAIRE

Aperçu du chemin de l’être éveillé.

 

LIVRE 6 EXERCICES JOURNALIERS

LE SENTIER DE SCRIBE & DU CÔTE DE CHEZ SOI

Ces triviales pensées et ces modestes évènements personnels ont pour principal intérêt d’éclairer - de l’intérieur - les fragments des Livres 1 à 5 (notamment le livre 1 Mondes Obscurs et le livre 4 L’entre-deux). Ils permettent de suivre la lente et difficile progression de celui qui franchit les étapes (avec ses incontournables allers et retours) et de mettre en lumière l’inévitable décalage entre la vérité fragile et momentanée des éclaircies - ressenties dans l’espace solitaire - et leur difficile exercice quotidien dans l’espace du monde…

 

LIVRE 7 BAS CÔTES

FADAISES DEFAUSSES.

Cocasseries et autres absurdités.

Traversée du non-sens et de la déraison.

 

PISTES LUDIQUES.

Déchiffrages langagiers. Bêtes rebus rebutants à défricher.

Mauvais jeux de mots et autres calembredaines. 

 

TRACES DEROUTES.

Empreintes de vent et herbes foulées. De la très mauvaise poésie.

Entre simplisme dépouillé (et plat), lyrisme pompeux et emphase exagérée.

 

LIVRE 8 SEMELLES D’APLOMB

Fragments lourds et denses mêlant réflexions, intuitions, perceptions et expériences ayant trait à la quête existentielle*, à la conscience et aux prémices du développement spirituel. Processus réflexif nécessaire (sans doute) pour poser les fondements de la verticalité.

 

LIVRE 9 PAS PERDUS

Florilège de fragments non intégrés aux livres 1, 4 et 6 exposés ici comme épaisseur supplémentaire, redondance, développement des items abordés dans les volumes précédents et nouvel éclairage sur les étapes du chemin qui mène à la lumière.

 

LIVRE 10 FILS ROUGES

Afin de faciliter la lecture des fragments des livres précédents, FILS ROUGES (dixième et dernier ouvrage de Traversées communes) propose plusieurs itinéraires de lecture, un index thématique identitaire (par degré de cheminement existentiel), un index thématique général, plusieurs pistes de lectures (thématiques émotionnelles, bio-sociales…), un glossaire et un appendice : TRAVERSEE SYNTHETIQUE (qui retrace le chemin, les étapes, les moteurs et les portes de la traversée).

 

 

AVERTISSEMENT

La tournure actuelle de l’humanité précipite le monde dans l’impasse. Impasse nécessaire sans doute à un sursaut de conscience futur.

Les générations à venir (et très lointaines peut-être…) s’offusqueront (sans doute) de l’archaïsme et de la myopie de leurs ascendants. L’ignorance et l’obscurité gouvernent encore la très grande majorité de l’humanité. Elles semblent si profondément inscrites dans nos consciences (et dans nos comportements individuels) qu’elles affectent collectivement l’espèce humaine, son évolution et la survivance de toutes les formes de vie sur terre.

Afin de participer modestement (très modestement) à l’émancipation et au développement de notre émergente et vacillante humanité, il m’a semblé essentiel et dérisoire de retracer, dans cet humble et ambitieux ouvrage, mon expérience singulière et commune du monde. Exposer les intuitions, les idées, les pensées, les émotions et les sentiments que ce monde (où ce que je crois en percevoir) a fait naître en moi.

Ne t'attends pas, lecteur, à un noble et digne récit, ne t'attends pas à une belle et grande histoire ! Ne t'attends à rien ! Voilà sans doute la meilleure façon de cheminer dans ce livre !

 

 

AVANT-PROPOS

On ne peut écrire la vie que par bribes, laissant ou occultant des pans entiers de l’existence (de l’existence simultanée de toutes les parcelles de la vie, de toutes les formes du Vivant). Tout livre est une re-construction du réel (au mieux une restitution).

J’ai souhaité un livre sans faux-semblant, un livre sans censure où l’on montrerait le beau et le laid, le noble et l’ignoble, le réussi et le raté, le cohérent et le paradoxal, l’achevé et l’inabouti, un livre où chaque fragment dévoilerait un aspect particulier de la vie sans parvenir à révéler le mystère de l’ensemble.

Ces pages tentent de retracer l’itinéraire de cette quête désordonnée. Traces éparses et patiemment construites. Pages brouillonnes et ordonnées, répétitives et inattendues, joyeuses et désespérées, éclairantes et sombres, évidentes et sibyllines, riches et futiles, constantes et décousues, déroutantes et sages, graves et drôles, déconcertantes et merveilleuses, obscures et lumineuses, ennuyeuses et intéressantes, surprenantes et routinières, foisonnantes et épurées, ludiques et austères, exhaustives et incomplètes, inutiles et essentielles. Des pages où l’on puise et où l’on s’épuise. Un ouvrage que j’aimerais à l’image de la vie… ou à défaut, à l’image de la vie qui m’a traversé… et (bien sûr) il me plairait  (de toute évidence) que le lecteur y trouve la vie-même…

 

 

FRAGMENTS LIMINAIRES

Portrait d’un quêteur de sens

Ce livre retrace l’itinéraire commun et singulier d’un Homme à la recherche de la vérité et de la sagesse.

 (L.1)

Interrogations préalables adressées au  lecteur

A quoi ressemble ton parcours ? Qu’as-tu appris de tes années ? Quelles leçons as-tu tirées de cette longue (et courte) traversée de l’existence ? Où en es-tu ? Quels chemins te reste-t-il à explorer ? Quels horizons seras-tu amené à découvrir ? De quoi es-tu aujourd’hui à peu près certain ? Quel est ton regard sur le monde, les Hommes, le temps, l’amour, la solitude, la mort ? Ta vie intérieure s’est-elle transformée ? Quels sont encore tes doutes ? S’il te semble vain de répondre à ces questions et de comprendre ton cheminement, inutile de poursuivre cette lecture.

 (L.2)

De l’intérêt de la lecture… 

Toute recherche s’inscrit dans une dynamique, un processus lent et long et souvent peu linéaire. Quels intérêts dès lors à lire cet ouvrage ? Les idées véhiculées dans ces pages pourront (peut-être) aider le lecteur à plusieurs égards. A chacun de trouver les fragments appropriés à ses recherches…

(L.3)

De l’auteur…

Les fragments présentés dans cet ouvrage sont issus du seul champ expérientiel* de leur auteur, être de transition (à l’heure où il a écrit ses pages), homme de l’Entre-deux* dont les idées sembleront sans doute ordinaires, incomplètes et tendancieuses, voire immatures à un être plus en avant sur le chemin, mais qui peuvent présenter un intérêt - en comparaison des idées habituelles et communément véhiculées à l’aube du 3ème millénaire (et sans doute depuis la nuit des temps) sur les thèmes abordés - pour un être désireux d’appréhender l’existence humaine et de progresser sur sa propre voie

 (L.4)

 

20 novembre 2017

Carnet n°15 Regards croisés

Pensées et photographies / 2006 / Hors catégorie 

Comment ne pas s'interroger sur cette vie que nous avons partagée ? Que penser de toutes ces années passées ensemble, côte à côte, si proches et peut-être si lointains ? Qu'avons-nous été l'un pour l'autre ? Qu'ai-je été pour toi ? Qu'as-tu été pour moi ? Nous sommes-nous suffisamment aimés ? Aurions-nous pu nous aimer différemment ? Nous aimer davantage ? Avons-nous su nous accompagner et nous réconforter ? Avons-nous toujours su regarder dans la même direction ? Aurions-nous dû suivre un autre chemin ? Nos routes auraient-elles dû se séparer ? Avons-nous quelques regrets aujourd'hui ? Et que faire à présent du temps qu'il nous reste ? Resterons-nous toujours ensemble ? Et si demain l'un de nous venait à disparaître, l'autre serait-il encore capable de vivre ?

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p1

 Photographies : Philippe V.

Les photographies présentées dans cet ouvrage ont été réalisés en 2005 au cours d'un voyage à Chypre. Les textes ont été écrits ultérieurement à partir de chaque photographie.

  

Philippe V. est photographe amateur. Autant qu'il me souvienne, la photographie a toujours joué un rôle essentiel dans son existence. Sans doute attiré (à ses débuts) par son aspect technique, la photographie lui a progressivement permis d'explorer d'autres univers et lui a offert de développer un autre regard sur le monde. Aujourd'hui, il semble que la photographie lui soit devenue indispensable. Je crois qu'elle représente à ses yeux une activité foncièrement protéiforme où il peut concilier les aspects techniques (qu'il affectionne toujours autant), la dimension artistique (qui prend progressivement plus d'ampleur dans son travail) et le bonheur tout simple de fixer quelques instants de vie sur la pellicule.

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Mais il serait idiot de croire que cet amateur éclairé n'assimilerait la photographie qu'à ces seuls aspects (sans doute bien trop restrictifs). Il est évident que la photo représente à ses yeux bien davantage. Pour s'en convaincre, il suffirait de l'accompagner quelques temps. Et vous le verriez sûrement déambuler partout son (ou ses) appareil(s) photo à la main et sa sacoche en bandoulière, nettoyer méticuleusement ses objectifs et ses appareils, vous expliquer avec passion – presque avec fougue – les derniers modèles ou les différences techniques de focale, de filtrage de lumière et que sais-je encore..., passer d'interminables heures sur quelques logiciels de photos, feuilleter pléthore de magazines photographiques, et vous montrer avec enthousiasme (il va sans dire) ses derniers clichés. Bref, en matière de photos, vous le verriez toujours passionné et intarissable. Et quand bien même ces lignes seraient fort exagérées, je suis persuadé que la photographie demeure pour lui un immense plaisir... et qu'il éprouve toujours un réel bonheur à fixer sur la pellicule quelques paysages, quelques scènes ou quelques instants (forcément fugitifs et uniques) de l'existence.

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p2

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Ses photographies sont, je crois, très intuitives (voire instinctives) et spontanées. Il n'est pas homme à s'étendre en de longues réflexions sur la photo ou à vous éclairer sur la profondeur de son travail photographique. Il me semble qu'il laisserait volontiers à d'autres le soin de discourir et de poser leur propre regard sur ses clichés. Moi qui me sens incapable de prendre la moindre photo de valeur (ou disons de qualité) je n'ai pas souhaité analyser son regard photographique. J'ai simplement essayé de porter un regard personnel sur les clichés qu'il a eu la gentillesse de mettre à ma disposition. Bien sûr, toute photo est d'abord éclairée par elle-même. Une photo réussie témoigne évidemment du regard et de la sensibilité du photographe et se passe assurément de commentaires ou d'explications. C'est le cas, me semble-t-il, des photos présentées ici. J'ai cependant souhaité leur accoler une légende pour tenter de les éclairer d'un autre regard et donner à l'ensemble une dimension supplémentaire. En définitive, cet ouvrage vous propose deux regards croisés d'une même réalité. J'espère que ces deux sensibilités s'éclaireront mutuellement et qu'elles permettront d'enrichir le regard du lecteur...

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 Bout de terre

De tout temps, les hommes ont éprouvé le besoin d'être guidé pour retrouver leur maison, leur famille... comme s'il leur était nécessaire d'éclairer leur origine, leur provenance et leurs attaches. Sans lumière et sans phare peut-être se perdraient-ils... ? Peut-être arpenteraient-ils d'autres terres... ? Peut-être poursuivraient-ils leur voyage... ?

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Sagesse ancienne

Bout de terre asséché par les hommes... sous un coin de ciel, un arbre mort gît au milieu de la cour. Vestige d'une sagesse passée... Autour de lui, les hommes ont construit leur demeure. Peut-être pressentaient-ils leur abomination destructrice... ? Et peut-être regrettent-ils aujourd'hui cette sagesse d'antan... ?

p4

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L'immensité du monde

Quelques hommes perdus sur un coin de terre... coincés entre les vestiges d'un passé glorieux et la force majestueuse de la nature... Que représente un homme devant l'histoire de l'humanité... ? Et que représente-t-il face à la puissance de la nature... ? L'homme a toujours été si dérisoire devant l'immensité du monde...

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Spectacle du monde

Un ciel ouvert sur une humanité agglutinée... Et personne pour regarder le spectacle du monde... ? Si bien sûr ! Il y a toujours un homme (et une place quelque part) pour regarder le monde. Et toujours un océan qui sépare le spectateur des autres hommes... comme si cette distance seule pouvait aiguiser le regard. Et pourtant une question s'impose : comment conserver cette acuité et franchir l'immensité de l'océan pour retrouver les autres hommes... ?

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Un autre regard sur le monde

Il est des lieux qui incitent à teinter notre regard de nuances plus subtiles... des lieux où les frontières marquées entre l'extérieur et l'intérieur deviennent troubles, où l'extérieur éclaire l'intérieur et où l'intérieur met en exergue toute la beauté de l'extérieur... Il est des lieux où la lumière n'en finit pas d'éclairer notre regard sur le monde... des lieux qui offrent à notre regard une nuance de clarté ombrageuse ou d'ombre lumineuse, plus proches toutes deux de la vérité que la trop restrictive perception du seul noir et blanc...

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L'ombre de Don Quichotte

Qui la perspective écrasante d'un moulin à vent n'a-t-elle jamais effrayé ? Sûrement pas Don Quichotte... Mais derrière la silhouette imposante de nos peurs se dissimule peut-être un horizon infini... ? Que cachent nos angoisses... ? En dépit de leur prégnance, il suffirait peut-être de lever les yeux... de regarder l'immensité du ciel pour se convaincre qu'elles nous apparaissent déformées et d'une puissance irréelle... ? Peut-être suffirait-il de prendre avec elles quelques distances – simplement un peu de hauteur – comme cet avion qui en un éclair traverse le paysage très haut, très loin dans l'étendue du ciel...

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Îlots

Un bouquet d'arbres dans le désert... à l'image peut-être des êtres qui peuplent la terre. Là où parvient à croître le vivant, la vie demeure... et partout où s'étend la vie, le monde grandit en beauté. L'hostilité du milieu n'est qu'une condition propice à l'adaptation et au changement.

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 p9

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Ascensions

A chacun son ascension... Quand certains préfèrent gravir les marches du quotidien ordinaire et confortable d'autres n'ont d'attrait que pour les chemins lointains et les pentes escarpées...

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p10

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Paradis perdus

Suffirait-il de monter quelques marches pour retrouver le paradis perdu... ? Serait-il si facile de rejoindre les portes de l'éden... ? Mais que reste-t-il aujourd'hui de ce passé glorieux... ? Quelques colonnes défraîchies (que l'on tente vainement de restaurer), une poignée de rochers, un bosquet d'arbustes, une clairière clairsemée, un petit muret de pierres et un arbre centenaire. Voilà donc ce qu'il resterait de l'éden d'autrefois...

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Ombres et lumières

La lumière des villes a toujours fasciné les hommes. Attirés sans doute par quelques mirages, ils viennent se pavaner sur la grand place et se perdre dans le dédale des ruelles... Et que dire de plus du peuple des villes... ? Sinon que dans cet étrange jeu d'ombres et de lumières, les silhouettes se déplacent furtives et anonymes...

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Sagesse immobile

Depuis la nuit des temps et en tout lieu, l'homme s'affaire avec une étonnante gravité... comme s'il se sentait investi de quelques nobles missions... Ainsi il ne cesse d'aller, de venir, de bâtir, de construire, d'élever, de rehausser, de démolir, de reconstruire, de revenir et de repartir encore et toujours affublé de cet air grave et affairé... mais pourquoi diable l'homme s'agite-t-il ainsi sans interroger le vieil arbre immobile qui doit sans doute poser sur lui un regard amusé...

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Regards croisés

Comment ne pas s'interroger sur cette vie que nous avons partagée ? Que penser de toutes ces années passées ensemble, côte à côte, si proches et peut-être si lointains ? Qu'avons-nous été l'un pour l'autre ? Qu'ai-je été pour toi ? Qu'as-tu été pour moi ? Nous sommes-nous suffisamment aimés ? Aurions-nous pu nous aimer différemment ? Nous aimer davantage ? Avons-nous su nous accompagner et nous réconforter ? Avons-nous toujours su regarder dans la même direction ? Aurions-nous dû suivre un autre chemin ? Nos routes auraient-elles dû se séparer ? Avons-nous quelques regrets aujourd'hui ? Et que faire à présent du temps qu'il nous reste ? Resterons-nous toujours ensemble ? Et si de-main l'un de nous venait à disparaître, l'autre serait-il encore capable de vivre ?

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Nostalgie

Nos proches disparus et la vieillesse venue, que nous reste-t-il... ? Notre existence a-t-elle encore un sens... ? Et sinon quel sens lui donner... ? Beaucoup d'entre-nous se détournent d'eux-mêmes... pour regarder le monde (encore si vivant) et contempler avec nostalgie leur vie passée... égrainant à l'infini leurs souvenirs en attendant un jour de retrouver les leurs...

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p15

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19 novembre 2017

Carnet n°14 Enchaînements

Récit / 2006 / Hors catégorie 

Le jour se lève. Les rayons du soleil caressent le mur. J’ouvre un œil étonné. Et cherche une présence. Et je découvre la place vide. J’agrippe alors les plis de mes doigts tristes. Et je songe à autrefois. A la jeune femme et à sa peau tremblante qui berçait mes nuits. Quand l’aube était radieuse et que je ne pouvais encore deviner que sa présence allait assombrir tous les matins à venir. Je songe à la béance ouverte aujourd’hui refermée. Et à mon cœur emprisonné dans la plaie. Au passage obstrué. Et à l’impossible retour.

 

  

Le monde d’avant le jour

Il y a un monde d’avant le jour. Un monde de silhouettes et d’ombres qui glissent sous la surface. Qui rampent et se tordent dans la matière.

 

*

 

Je déambule avec emphase, bousculant à mon passage, quelques silhouettes. Guidé par l’orgueil, j’avance à grandes enjambés. Je traverse les boulevards sans un regard pour les ombres et les devantures. La lumière des vitrines éclaire ma marche. Ebloui par mon reflet, je toise mon allure. Et m’enfonce avec insouciance - et le pas assuré - dans la ville.

 

*

 

Je ricane. Et me gausse des silhouettes alentour. Sûr de ma destinée, je ridiculise à la ronde et persifle à tout-va. Persuadé d’être prémuni contre tous les rires du monde.

 

*

 

Le soir tombe. Je presse le pas, impatient de retrouver mon appartement. Le souvenir de la soirée s’estompe. La soirée fut d’un mortel ennui. Un ennui rageur. Me résignant à demeurer à la frange du cercle pendant quelques heures. Ecarté du centre de l’attention. Relégué à la périphérie. Ouvrant une blessure secrète. Une béance ignorée. Ma faille originelle. A présent, une colère sourde m’étreint. Le sentiment diffus martèle ma marche. Après la fuite du territoire hostile, je quitte la rue, m’engouffre dans mon immeuble. Et retrouve enfin mon refuge.

 

*

 

Sur mon lit, je songe à l’ombre surgissante. Le noir pénètre la chambre. Les yeux grands ouverts, je spécule sur l’apparition de l’ombre. Je ressasse son arrivée. Admets - sans évidence - son éternel retour. 

 

*

 

L’ombre s’étend sur ma silhouette endormie. Et s’enfonce dans ma cuirasse. Me recouvre comme une chape de plomb.

 

*

 

Je refuse l’ombre. Néglige les entraves du reflet. N’aspire qu’à me soustraire à l’affrontement en espérant une percée naturelle avec le temps.     

 

*

 

A 4 ans, devant le tableau noir et l’œil émerveillé de la mère, je déchiffre les exercices qui s’enchaînent. Je m’y livre avec joie. Et application. Et devine sur ma nuque l’attention soutenue. L’approbation silencieuse. Et le sourire fier.

 

*

 

A 6 ans, je fuis le monde. Le premier jour d’école, j’échappe à la surveillance de l’institutrice pour courir vers le giron maternel. Et retrouver l’accueil attendri. L’hospitalité du regard sensible à ma singularité. Sentir la douceur des jupes. La chaleur rassurante de la peau. L’étreinte réconfortante. Et l’impunité de la désobéissance.

 

*

 

Les noces du sang sont consommées. Scellé le lien indéchiffrable. Genèse du couple inaliénable. Naissance de la folie à délier.

 

*

 

Rongé par mon insatiable soif d’apprendre - et mon appétit sans limite - je m’enfonce dans les pages. Trouve refuge et matière à m’extraire dans les livres. Comme une promesse infinie de connaissance.

 

*

 

J’apaise ma faim sans rechigner. Je dévore les livres. Parcourant les pages jusqu’à l’épuisement, sous l’œil ravi et admiratif de la mère.

 

*

 

Appuyé contre mon chevalet, je décrypte le lien indéchiffrable. Arpente l’entrée du tunnel à venir. Tente une percée. Et devine qu’il me faudra creuser à mains nues. Cette perspective me décourage. J’effleure l’espace vide de la toile. Et me rétracte.

 

*

 

O toi, douce coquille

En ta chair je m’enveloppe

Et me recouvre du linceul des années

[Ode à la bien-aimée]

 

*

 

Au cours d’une soirée entre amis, je sens à nouveau le centre se desserrer. A la fin du dîner, je me réfugie une nouvelle fois à la périphérie. Tétanisé par l’indifférence de mes anciens complices, je salue la foule anonyme. Et tire ma révérence.

 

*

 

Les jours suivants se referment sur ma plaie. La solitude s’intensifie. Le désert enfle. La fraternité se retire. Et l’absence de reflet est criante. Je m’appuie en silence sur le lien. M’encourage des applaudissements passés. M’enchaîne une nouvelle fois à l’écho de mon enfance.  

 

*

 

Je me balance devant l’abîme. Comme un trapéziste maladroit. Accroché au fil tenace, je sens le nœud se resserrer.

 

*

 

Je trace quelques traits sur la toile. Etale la couleur à grands gestes. Recule et agrippe un vieux chiffon pour effacer le souvenir. Et toute percée du mystère. Et me remettre aussitôt à la tâche. Obstiné. Et sans joie.

 

*

 

Pétrifié par le souvenir, j’écoute la douce musique de l’enfance. L’harmonie des jours d’antan. Les paroles suaves et les mots d’autrefois. Une larme tombe sur l’acier du pupitre. L’amère mélodie m’arrache un triste sourire. Ravive le sombre souffle du lien.

 

*

 

La nuit m’envahit jusqu’à l’outre. Et me déchire. S’acharne dans sa triste besogne. En me laissant l’âme en miettes.

 

*

 

Il m’arrive de rêver jusqu’à la simplicité. Une masure au fond des bois. Un lac. Et je songe aussitôt à un Walden de papier qui s’abîme déjà sur l’écorce.

 

*

 

Un soir, je quitte mon appartement dans une colère noire. Et je marche toute la nuit comme un funambule sur un fil invisible qui s’entortille dans la ville en guidant mon errance à travers les rues jusqu’à l’aube.

 

*

 

Ivre de fatigue, je me jette sur mon lit. Couche monacale qui m’accueille sans tendresse. Sous les reins, je sens le bois dur s’insinuer. Se répandre. Et m’envahir.  

 

*

 

Comment s’éprendre de la dureté de la matière ? 

 

*

 

L’étoffe du monde ne m’est pas familière. Sa consistance me terrifie. Je rêve d’un corps tendre et rassurant. D’étreintes limpides et langoureuses. De rencontres transparentes où les âmes tournoieraient dans une ronde sans fin. A l’unisson. 

 

*

 

Quel recours pour le divorce ? A qui doit-on s’adresser pour se désunir ?

 

*

 

De la répudiation de l’Autre naissent les liens de la solitude. Pour faire advenir la réconciliation avec le monde. L’Autre pourra alors quitter l’Un pour l’avec. Et devenir infime partie du monde.

 

*

 

La chaleur de son ombre me transperce. Et m’étouffe au dedans.

 

*

 

Toute histoire nous consume.

 

*

 

Le jour se lève. Les rayons du soleil caressent le mur. J’ouvre un œil étonné. Et cherche une présence. Et je découvre la place vide. J’agrippe alors les plis de mes doigts tristes. Et je songe à autrefois. A la jeune femme et à sa peau tremblante qui berçait mes nuits. Quand l’aube était radieuse et que je ne pouvais encore deviner que sa présence allait assombrir tous les matins à venir. Je songe à la béance ouverte aujourd’hui refermée. Et à mon cœur emprisonné dans la plaie. Au passage obstrué. Et à l’impossible retour.

 

*

 

Accoudé à la fenêtre, je scrute l’horizon. Au loin, je vois les arbres courbés par le vent. Oublieux de la destinée de leur cime. Et je songe à mes racines. Pétrifié par mes origines.

 

*

 

Je respire longuement les effluves du fleuve. Jette un œil aux flots tranquilles qui s’écoulent vers la mer. Rêve un instant. Me souviens des songes de l’enfance. Naguère, je rêvais. Aujourd’hui, je suis terrifié par la perte du lien.

 

*

 

La silhouette d’airain si familière me paralyse. Et la sévérité du regard me glace les sangs. Mes mains hasardent une prière. Et je me ravise aussitôt. Comme brûlé dans ma chair.

 

*

 

Seul dans l’appartement, les yeux accrochés sur une toile posée contre le mur, j’attends. 

 

*

 

De l’autre côté de la rue, je regarde la face bouffie d’un clochard, allongé sur le seuil d’une porte cochère. La tignasse broussailleuse posée sur un carton crasseux. L’humanité en suspens. Face à l’abîme qu’elle reflète au monde, les regards se détournent. La raillerie, la peur et le mépris derrière les visages.

 

*

 

Lumière éteinte dans le crépuscule naissant. Les yeux tournés vers le ciel barré par un haut plafond blanc. Je suis nu. Et ma main caresse la toison prometteuse allongée à mes côtés.

 

*

 

Je me lève. Regarde les sous-vêtements qui jonchent le sol, jetés à la hâte hier soir. Et je me dirige vers la salle de bain. Je m’assois sur le bidet. Ouvre le robinet. Et pleure.

 

*

 

Je songe aux mille visages rencontrés dans les rues. Aux figures d’apparat. Aux yeux de bronze. Et aux lèvres pincées. Et partout, le silence. La marche muette des silhouettes. Seul dans un monde de rencontres sans promesse.

 

*

 

Nul ami en ces contrées. Et nul espoir en ce monde. Le désarroi est mon seul frère. Traître. Et âpre au combat.

 

*

 

Ma plume esquisse la courbure d’une ombre errante. Dessine sous la lampe une longue silhouette familière. Déjà mille fois parcourue. Je désespère. Chaque tentative me précipite dans l’arrière monde. Obstruant tous les passages vers l’horizon.

 

*

 

Je fume en silence. Et la fumée recouvre mon œuvre. Le vide prend forme sur la toile. Mais derrière le trait, l’empreinte s’efface. Comme une disparition indélébile.

 

*

 

Arcboutée sur la toile, ma main se crispe. Etale la couleur en gestes saccadés. Avec un regain d’ardeur. Comme un ultime sursaut avant la chute probable. Et attendue.

 

*

 

Je regarde la toile. Et les traits enrobés de matière. Gratte la substance séchée de mes doigts. Estompe les couleurs. Les efface. Et je sens la fibre se déchirer. Je persiste. Tente d’enlever les couches de non-matière. D’accéder à l’invisible, derrière les traits : la substance originelle. Et à bout de souffle, je renonce et m’effondre sur le plancher.

  

*

 

L’expérience du néant me tétanise. Je m’écroule sous la pesanteur de l’hôte.

 

*

 

Seul dans l’obscurité. Immobile. A peine un souffle. Presque mort.

 

*

 

Je n’ai qu’un rêve : échapper à mon destin terrestre.

 

*

 

J’écoute la pluie battante qui frappe à la fenêtre. Et me réfugie dans la matrice du monde. Ma vie ne tient qu’à cet instant de répit. Et de silence.

 

*

 

Sisyphe enchaîné à son rocher. Terré dans l’anfractuosité du massif. Un répit de courte durée.

 

*

 

Je songe aux milliards d’âmes sans refuge. Condamnées au rocher éternel.

 

*

 

Je songe aussi au lien distendu. Et à l’os dépouillé de sa chair.

 

*

 

Je revis l’enfance éternelle. Découvre cette blessure creusée dans le sein maternel qui empiète l’espace. Emmure de sa présence. Gorges encombrantes et chimériques qui obstruent la sortie du labyrinthe.

 

*

 

Je découvre mes fantômes. Seul dans l’intervalle déserté par les vivants. Face aux spectres qui m’entourent, j’écoute apeuré.

 

*

 

L’existence est une lente naissance. Une longue médication peut-être...

 

*

 

Je ressasse ma déchéance. L’idée de la mort devient omniprésente.

 

*

 

Dans un livre ouvert au hasard, je lis : la liberté n’est pas de mise dans la civilisation humaine. Elle est pourtant le substrat du monde. Et sur ses immondices poussent les fleurs.

 

*

 

Je sors précipitamment de mon appartement. Je pousse la porte d’un café. Et m’assois dans l’arrière salle. J’attends la joie. Et je sais qu’elle ne viendra pas. La nuit sera mon seul repaire.

 

*

 

Je songe au tableau noir qui terrorisait mon enfance. A mon bourreau sur l’estrade qui interrogeait le parterre au hasard en pointant un doigt sur sa victime. Dans le reflet de la baie vitrée, je découvre mon visage grelottant. Et l’effroi de mon regard. Les silhouettes toujours vivaces de mes fantômes.

 

*

 

J’aimerais échapper aux rencontres abusives. Aux épreuves qui blessent, excèdent et nous échappent. Je débarrasse mes étagères des livres qui encombrent et qui mentent. J’efface toutes traces d’appartenance à la civilisation humaine. Je n’aspire qu’à une seule chose : me retrancher du monde.

 

*

 

Je décide de quitter la ville. Pour un lieu isolé. Une villégiature solitaire.

 

*

 

Je note sur mon carnet : le monde est une patrie étrangère.

 

*

 

Les jours passent.

 

*

 

L’hiver s’étend à présent sur la plaine. Derrière la vitre, le monde des hommes se voile.

 

*

 

Les heures propagent leur ennui. Et leur tristesse. Je contemple les bûches dans la cheminée. Quelques crépitements avant le silence des cendres.

 

*

 

La grisaille des jours me hante pendant des semaines. L’absence devient la seule empreinte vivace. Comme une plaie à vif. La neige s’installe avec plus d’ardeur. Et recouvre bientôt tous les bois alentour.

 

*

 

Rien que le silence. Et l’âme frigorifiée.

 

*

 

Par la fenêtre, je vois un corbeau s’envoler. Et j’y perçois un sombre présage. L’entrée dans le gouffre qui m’a vu naître et où le monde s’est dérobé.

 

*

 

Un soir, je surprends mon reflet dans le miroir. Et je regarde l’amant solitaire à la poitrine triste. Et aux yeux ardents. J’éprouve le manque brûlant de l’Autre. Et de sa chaleur.

 

*

 

Nu devant le miroir, je soupèse mon regard, jauge ma silhouette. Et j’éteins la lumière. Dans la pénombre, je sens le flasque de la chair se gonfler.

 

*

 

Je pose une narine sous mon aisselle. Renifle la détresse. L’odeur de mon existence invécue. Et je détourne la tête, écœuré.

 

*

 

La tristesse est ma seule compagne. Dans ses yeux brille une fragrance tyrannique. Comme mon seul amour conjugal. 

 

*

 

Volets clos. Je m’endors. Me réveille en sursaut. Surpris par la nuit. Je jette un œil à la pendule fixée sur le mur blanc. Et me rendors péniblement. Sans espoir de réveil.

 

*

 

Le séjour s’éternise. En vain. L’horizon ne charrie nulle réponse. Mille questions en quête de voix. Et d’atroces nuits d’insomnie. Le seul écho : la parole silencieuse et nocturne. Comme un cauchemar sans fin.

 

*

 

Nuit blanche. Absorbé dans la contemplation du plafond. J’arpente les fissures du ciel écaillé. J’imagine le ciel plus haut. Le ciel alentour. La nuit noire qui enveloppe l’univers. Et aux premières heures du jour, je sombre dans le sommeil.

 

*

 

Déconcerté par l’amplitude des jours. J’occupe les heures, les yeux rivés sur les collines.

 

*

 

Reclus dans mon refuge. J’attends le long et âpre affrontement avec l’infortune que j’abrite depuis l’enfance.

 

*

 

Comme Sisyphe écrasé par son rocher, j’attends une délivrance impossible.

 

*

 

Une nuit, courbé sur le puits caché au fond du jardin, je jette un œil à l’abîme. Et à la chaîne jetée au fond du gouffre. Et je crie. Et aussitôt les profondeurs me répondent. Un écho incompréhensible et pourtant salvateur. Je souris. Comme s’il m’avait confié le secret des origines et de la chute.

 

*

 

Nuit sans sommeil. J’attends la naissance de l’aube. L’œil fixé sur l’horizon, je guette la venue inespérée du soleil. 

 

*

 

Et aux premiers rayons, je note sur mon carnet : comme au premier matin du monde. 

 

*

 

Je quitte mon refuge. Le pas encore hésitant mais déjà ragaillardi. En route pour la cité des hommes.

 

*

 

Je regarde l’ombre de ma silhouette s’étirer sur le sol. Dans le ciel, le soleil est déjà à l’œuvre.    

 

 

Fenêtres

Il y a la famille, il y a le monde. Et mon incompréhension d’être parmi eux. Il y a la fenêtre aussi où je m’attarde longuement. Et le ciel à qui je pose mille questions. Et qui ne m’entend pas. Le ciel est si sourd. Pourquoi ne me prête-t-il pas l’oreille ?

 

*

 

Dehors, il y a tous ces gens. Qui marchent, qui rient. Seul ou à plusieurs. Je regarde leurs yeux. Et leurs pas. Où vont-ils ? A quoi songent-ils ? Arriverais-je un jour à les comprendre ?

 

*

 

Vaut-il mieux connaître les gens que les comprendre ?

 

*

 

Et il y a cette solitude que je trompe dans mes pages. Toutes ces feuilles que je n’adresse à personne. Tous ces mots toujours aussi aveugles. Le monde peut-il se voir ?

 

*

 

J’allume la radio parfois. Et j’écoute. Les voix familières du poste dont les mots sont choisis avec soin. Les émissions se succèdent. France culture. Qui écoute cette radio ?

 

*

 

J’imagine les auditeurs assis dans une pièce confortable et emplie de livres. Moi, je suis assis par terre. Les pieds sales et les ongles rongés par l’angoisse de ne pas savoir - de ne pas me connaître.

 

*

 

J’aimerais être un oiseau. Monter vers le ciel. Traverser les mers. Pourquoi suis-je à cette place ? Et qui l’occupe exactement ?

 

*

 

Qui est ce personnage qui se prend pour moi ? Je le connais. Il est fier. Et peu fréquentable. Pourquoi est-il si détestable ?

 

*

 

Je lis sans goinfrerie. Des ouvrages écrits par des hommes qui pourraient me ressembler. Mais qui ont su, eux, tracer leur route.

 

*

 

La jungle littéraire est-elle plus âpre que la jungle des fauves ?

 

*

 

Qui est cette femme que j’aime et que je ne comprends pas ? Terrienne venue d’ailleurs. De lointaines contrées. Au-delà des mers et du passé. Existe-t-il d’autres mondes ? 

 

*

 

J’écoute mon instinct. Mon intuition est morte. En villégiature peut-être ?

 

*

 

Il existe d’autres mondes. Je les sens. Mais je ne peux les explorer. Les deviner tout au plus.

 

*

 

Qui être parmi les êtres ? Je déteste me poser cette question. Et je me la pose souvent.

 

*

 

Ces pans d’identités qui se délitent. Qui suis-je ? Vieille question insondable…

 

*

 

Je me sens parfois si vaste. Et si singulier. D’où viennent ces sentiments ?

 

*

 

Relation intense et ambigüe avec elle. Dangereuse. Malsaine peut-être ?

 

*

 

Du monde, je ne connais rien. Je croyais le connaître. Me serais-je trompé ?

 

*

 

Que reste-t-il quand tout vacille ? La conscience de vaciller ? Et qui vacille ? L’image de soi ? Et qui a conscience de l’image de soi ?

 

*

 

J’ai souvent envie d’enfouir ma tête dans la terre. Quel territoire ai-je besoin de protéger ? Et de quel danger voudrais-je me défendre ?

 

*

 

Tout vacille. Et le monde continue de tourner. La vie est une ronde dont je suis exclu. Et j’aimerais tant connaître quelques pas de danse.

 

*

 

Il y a une nostalgie d’avant-la-relation. Le temps de l’apaisement.

 

*

 

Qu’ai-je appris ? Et si je m’étais perdu ? Peut-on apprendre de la perte ? « Oui » semble me dire mon instinct.

 

*

 

Il faut prendre une décision : poursuivre ou arrêter cette relation ?

 

*

 

Nous nous sommes tant de fois quittés. Une trentaine de fois (et peut-être davantage) en quelques mois.

 

*

 

A la vie, à la mort ? Mais qui sommes-nous pour décider ?  La réponse doit surgir de la Vie. Et je l’entends à peine. Où se cache-t-elle ?

 

*

 

Je croyais avoir franchi un seuil. Celui de l’accueil. Je me suis trompé. Qui a trompé qui ?

 

*

 

Ces questions m’obsèdent. Saturent mon mental. Trop encombré déjà.

 

*

 

Elle est rentrée comme un tourbillon, comme un rêve dans ma vie. Partira-t-telle de la même façon ? J’en suis persuadé.

 

*

 

Ce journal est naïf. Et toutes ces questions révèlent mon ignorance. Comment grandir ?

 

*

 

J’ai écrit tant de lignes depuis tant d’années. Qui les a lues ? Quelques yeux compatissants.

 

*

 

Suis-je déjà perdu à moi-même ?

 

*

 

Qui en nous cherche la vérité ? Dire que je croyais connaître la réponse. Me suis-je donc tant fourvoyé pour ne plus savoir ?

 

*

 

Ma chair ne croit plus en son destin. Et ma peau commence à flétrir. Qui es-tu, corps ? Et sauras-tu me découvrir ?

 

*

 

Ma vie est sans carte. Et je ne sais vers quels territoires diriger mon existence ?

 

*

 

Une conscience sans boussole. Comment ne pas perdre le nord ? Et faire confiance à ses pas ?

 

*

 

Mes empreintes n’indiquent aucune direction. Y a-t-il un chemin ?

 

*

 

Se creuse en nous, à chaque pas, un lieu vétuste et confiné. Et je l’embellis chaque jour un peu plus … Je creuse mon nid dans ce taudis.

 

*

 

Pourquoi s’en aller ? Et pourquoi rester ? Décider n’a jamais été simple pour moi.

 

*

 

Le dilettantisme n’est pas mon fort. Et tout effort me met au supplice. Pourquoi ne pas écouter son pas ?

 

*

 

Je conduis un charriot sans bœuf. Alors pourquoi s’éreinter à avancer ? Je resterais toujours le cocher d’un mauvais attelage.

 

*

 

L’habitude creuse en nous son fief. Et nous fortifions ses remparts.

 

*

 

Une force m’appelle que j’ignore. Où va-t-elle me pousser ?

 

*

 

J’aimerais partir pour un ailleurs que j’ignore.

 

*

 

Je ne cesse de fuir les instants qu’offre la Vie. Que craindre exactement ?

 

*

 

Vers quel gouffre te sens-tu aspiré ?

 

*

 

Mon mental est une grotte dont je ne peux pousser les parois. A quand le soleil ?

 

*

 

Vivre m’est doux et inconfortable. Une mousse piquante et un peu terne. J’aimerais tant explorer le reste du jardin.

 

*

 

Comme un enfant capricieux qui casse ses jouets, je blâme mes camarades qui refusent de prêter les leurs.

 

*

 

Y a-t-il un joyau au fond de soi ? J’ai beau m’arracher le regard, je ne perçois qu’un abîme.

 

*

 

La solitude est-elle une compagne ? Et serons-nous capables un jour de nous unir ?

 

*

 

Le monde a sur moi tant d’attraction que je ne sais où donner de la tête…

 

*

 

Je rêverais de monter les marches d’un escalier ouvert sur le ciel. Et je n’ai pour l’heure qu’une corde lisse entre les mains.

 

 

Pâtures

Toute parole est un cri que le monde recouvre, étouffe, enterre. L’écho sera ta seule réponse à jamais. Il te faut devenir l’espace pour que s’abolissent les frontières entre le tumulte et la paix. Un espace où pourront se dissoudre la plainte du verbe, l’onde du souffle et la clameur foudroyante du silence et du bruit, née de ton appel.

 

*

 

L’angoisse de l’effacement. Dans le regard. Et sur la feuille. Tes empreintes sur le sable recouvertes par la mer. Balayées par les vagues. Quel chemin emprunter pour comprendre la nature de tes traces ?

 

*

 

La solution ? Les recouvrir d’un regard. Les amarrer. A un quai. Inquiet. L’inquiétude serait-elle alors ton quai qui engendre les regards ? Voilà peut-être l’explication de tes angoisses ? Alors quoi? Larguer les amarres ? Aller où l’océan te porte… l’os séant. Rester sur place ? Et regarder les vagues ? Embrasser la marée ? Dévoiler la mère dans les vagues ? Et tirer ta casquette de capitaine… sans capituler, tu peux naviguer…  fonce vers le brun. Vers l’embrun. Et laisse-toi fouetter le visage. Le sage naîtra de la confrontation aux vagues. Dix vagues ne peuvent rien contre toi. Tu es insubmersible. Malgré tes errances. La mère ne peut t’atteindre. Ni te couler. Elle t’a enfanté. Point, c’est tout. Point sait tout. Interroge-le. Il te dira comment faire sans la mère…

 

*

 

Ecrits. Et cri. Pour quoi crier ? Parce que tu as peur? De quoi as-tu peur ? De tout. Et du vide. Vide de quoi ? Vide de rien. Rien s’en va. Rien revient. Rien de rien. Tu n’as à avoir peur de rien. Rien n’est ni méchant ni très bon. Rien est rien. Un peu de vent sur ta silhouette qui te pousse dans les flammes. La flamme des femmes qui t’attise. Et comme une braise, te consume.  Prends garde au feu qui t’allume… A toi de choisir ton brasier… et tes cendres…

 

*

 

Tes igloos furent tes remparts au blizzard du monde. Et aujourd’hui, tu es prisonnier des glaces. Seul dans la tourmente face au vent. Voilà l’unique passage. Le couloir de la délivrance.

 

*

 

Tu es vide sans le regard de la mère qui t’encombre. Tu auras besoin du courage de tes deux mains et de ton cœur qui bat. Rien d’autre pour percer l’armure et affronter le silence de la traversée.

 

*

 

Nulle façon de briser la résistance (tes résistances). Sinon te laisser happer.

 

*

 

Que faisais-tu, enfant, sous le regard silencieux de ta mère ? Etais-tu sage ? Te montrais-tu impatient d’attirer son œil ? Comment t’y prenais-tu pour combler l’insupportable ?

 

*

 

Tu ne peux bâtir sans raser. De la table rase ne pousseront pourtant que des cendres. Des vestiges et des ruines. Des agrégats de poussière à venir.

 

*

 

Aveuglé par le destin. Et la force de ton désarroi. Tu parcours les heures pour visiter la ronde infernale qui agite tes pas. L’incompréhension toujours au bout de tes semelles. 

 

*

 

Comme un naufragé sur l’estrade, tu attends le professeur. Inquiet de son retard ou de son absence. Cloué au pupitre des âges.

 

*

 

Autorise-toi le droit d’inventaire. Pour établir la liste de tes prix.

 

*

 

Si singulier est ton jardin que tu longes les haies de la terrasse. Mais pourquoi toutes ces herbes folles dans les travées ?

 

*

 

Il y a un monde d’avant le monde. Un miroir sans face où gît le reflet de la lune. Et rien qu’un enthousiasme fiévreux dans l’espace. Inondé de rien. Et si plein (déjà) de toi-même.

 

*

 

Pourquoi diable t’endors-tu au réveil ? Les barbelés sous l’oreiller t’auraient-ils écorché ? Alors pourquoi ces cicatrices sur ta joue ?

 

*

 

Mise sur l’orage. Et en un éclair, tu sauras.

 

*

 

Tu encombres trop l’abîme pour dénicher l’espace. Amincis tes flancs. Et tu égayeras la balancelle.

 

*

 

Quand deviendras-tu le roi des mendiants ? Un peu d’étoiles dans la poussière. Et le firmament naîtra bientôt sur l’asphalte.

 

*

 

Il n’est de poète sans voix. Trouve ton souffle pour crier. Et l’appel sera fécond.

 

*

 

Vois les sirènes s’approcher. Et abats tes voilures. Nulle entrave n’est nécessaire pour naviguer en tes ports. Le temps des forçats est derrière toi.

 

*

 

Plus beau est le reflet, plus vils seront les visages. Prends garde aux éclats du miroir.

 

*

 

Les bains de foule te liquéfient. Evapore donc les visages en bulles légères. Jusqu’à la transparence. Et rejoins-les.

 

*

 

Heureux l’homme doué d’irraison. A pas décomptés, il s’éloigne. Se promène où va le vent. Avec tous les airs dans la tête.

 

*

 

Tu t’accroches comme à une bouée à tout ce qui te submerge. Et tu t’étonnes de sombrer. Marin de tes propres infortunes.

 

*

 

En ta besace, mille tonnes qui alourdissent ta marche. Et tu fredonnes, l’allure joyeuse, sur le passé. Avec l’espérance de vents moins violents ?

 

*

 

Nul lieu ne te réjouit. Les yeux noirs, le rire jaune et les lèvres pincées. Tu bailles toujours d’ennui et d’indigence.

 

*

 

Il y a en toi un oiseau qui rêve de s’envoler et dont les ailes sont fixées aux barreaux. Comment envoler ta cage ?

 

*

 

L’être blessé gît derrière tes clôtures. Laisse-le reprendre souffle. Pour les franchir sans impatience ni meurtrissure …

 

*

 

A quel horizon te destines-tu ? Les paysages varieront selon les perspectives.

 

*

 

Les lambeaux du ciel t’éventrent. Et feront couler ton sang sur la terre. Mais n’aie crainte d’avancer la semelle trempée dans ta lignée.

 

*

 

Marche sans bruit dans la cour pour que l’oiseau entende tes pas. Ses ailes sont de bon présage.

 

*

 

Au bout du vent, au-delà des flaques s’étend le marais dont les vapeurs t’enivrent. Le chemin est une ivresse. De bout en bout, une fiole en tête.

 

*

 

Docile est le doigt pour l’esprit cadenassé. La clé est dans la chair.

 

*

 

Tu ne seras pas invité au festin si ton feu n’est pas assez fourni.

 

*

 

Gare aux manchots qui courent. Leurs ailes te recouvriront.

 

*

 

Sans souffle, nul bec puissant. Rien ne sert de mordre. Tu n’auras que les miettes. Quelques graines peut-être… si le vent tourne…

 

*

 

L’amour est fécond pour celui qui en fait son terreau. Sans ratissage, les graines pousseront. A bientôt la récolte. Mais que ramassera le paysan ?

 

*

 

Qui pourrait t’aimer davantage que toi-même ? 

 

*

 

Quand il y aura autant de vide au dedans qu’au dehors alors la frontière disparaîtra.

 

*

 

Tu as le choix. Soit remplir le vide (ta béance). Soit te laisser emplir par lui (elle).

 

*

 

Habite donc l’espace. Et tu accueilleras en tes terres l’indétrônable souverain qui saura te consoler de toutes les désolations.

 

19 novembre 2017

Carnet n°13 Quêteur de sens

Recueil / 2005 / La quête de sens

Ce livre intéressera principalement les êtres en quête, les chercheurs existentiels et autres arpenteurs de vie, toutes celles et tous ceux qui cherchent un sens à leur existence ou qui se trouvent sur l'avant-chemin spirituel. Vous y trouverez des repères, des interrogations, des recommandations, des témoignages, des points de vue, des messages et des conseils que j'ai consignés au fil de mes livres et au fil de ma quête pour tenter d'éclairer chaque chercheur dans sa propre vie et lui permettre ainsi d'avancer sur sa propre voie.

 

 

Préambule

Un grand nombre d’ouvrages témoigne d’histoires humaines ordinaires, histoires qui évoquent le plus souvent l’Homme plongé dans son ignorance et son égocentrisme aux prises avec ses angoisses, son mal-être et sa quête égotique et infructueuse (centrée essentiellement sur la satisfaction de ses désirs).

Beaucoup d’ouvrages traitent également de l’Homme sage, de l’Homme réalisé parvenu à un état de détachement empreint de joie et de sérénité qui (après un long chemin intérieur et de rudes épreuves spirituelles) accède au bien-être, à l’éveil, à la réalisation située au-delà de l’ordinarité commune.

Mais peu évoquent le passage, la transition de cet état de mal-être et de quête (parfois fébrile) aux premiers pas sur le chemin intérieur. Peu retracent l’itinéraire de l’Homme situé dans cet entre-deux, de l’Homme encore englué dans son ordinarité et pas encore établi sur le chemin spirituel, de l’Homme qui aspire à sortir du marécage du monde (en y étant encore entièrement ou en partie empêtré) et qui ignore le chemin à emprunter, de l’Homme égaré qui marche vers une sagesse qu’il sait encore inaccessible.

Ce livre tente (sans doute trop succinctement et peut-être maladroitement) de combler cette insuffisance en redonnant sa place à cet Homme à la croisée du monde conventionnel et du monde intérieur, qui chemine de l’extérieur vers le centre de son être et qui tente de progresser de l’étroit vers l’ouvert au-delà des chemins balisés et souvent à contre-courant des règles et des normes communément établies. Telle est l’ambition de ces pages. Puissent-elles soutenir le lecteur et l’encourager dans sa démarche et son cheminement. Puissent-elles l’inviter à s’ouvrir au monde infini qui l’habite… et l’aider à donner sens (un sens véritable) à sa vie pour qu’il apprenne enfin à mieux vivre avec lui-même, avec le monde et les aléas de l’existence.

 

 

Introduction

J’ai écrit ce livre pour permettre à chacun - et en particulier à ceux qui le souhaitent - de bénéficier de ma modeste – et néanmoins relativement longue – expérience de quêteur de sens.

Ce livre intéressera principalement les êtres en quête, les chercheurs existentiels et autres arpenteurs de vie. Toutes celles et ceux qui cherchent un sens à leur existence ou qui se trouvent sur l’avant-chemin spirituel. Si vous pensez appartenir à l’une de ces catégories, vous y trouverez quelques informations et quelques encouragements qui vous aideront peut-être dans votre cheminement.

Cet ouvrage vous propose de nombreux extraits de mes livres précédents, sélectionnés sous l’angle exclusif de la quête existentielle. Vous y trouverez des repères, des interrogations, des recommandations, des témoignages, des points de vue, des messages et des conseils que j'ai consignés au fil de mes recherches (et au fil de mes livres) pour tenter d'éclairer chaque chercheur dans sa propre vie et lui permettre ainsi d'avancer sur sa propre voie.

Mon ambition n'est pas de vous indiquer le chemin de mes découvertes car il appartient à chacun de trouver ses vérités et à chacun de bâtir son chemin. Mon seul dessein est de vous apporter une aide et un réconfort éventuel si vous êtes désespérément à la recherche d'un sens à votre existence.

Avant de vous laisser arpenter cet espace, j'aimerais vous dire que d'autres aussi marchent (ont marché et marcheront encore) à la recherche d'eux-mêmes, cheminant avec la même peine, menant avec obstination cette même quête.

J'aimerais aussi vous dire de ne jamais désespérer d'être sans réponse et sans vérité et qu'il n'est pas vain de continuer à chercher jusqu'à l'obsession un peu folle, la signification, le sens de sa présence ici-bas. 

Je vous souhaite une bonne et fructueuse quête.

 

 

Qu’est- ce qu’un chercheur existentiel ?  

Un quêteur de sens est le terme générique qui définit un être qui cherche un sens à la Vie - un sens singulier et/ou universel. Selon l'avancée de ses recherches, le quêteur peut être qualifié de chercheur existentiel (un être qui cherche encore un sens à l'extérieur de lui-même) ou de chercheur intérieur (un être qui, après s'être frotté et très souvent cogné aux quatre coins du monde, poursuit son chemin et sa quête de sens en empruntant la voie de l'intériorité).

 

Mais quelles que soient les différences (et parfois même les nuances) qui définissent le quêteur de sens - qu'il soit chercheur existentiel ou chercheur intérieur - ce dernier aspire fondamentalement à trouver un sens à l'existence. Je n'ai jamais entendu ces termes dans une autre bouche que la mienne et ne les ai jamais vus sur d'autres pages que celles que j'ai écrites. Je m'en étonne... mais rassurez-vous, je n'ai pas la présomption de croire que je suis le premier à tenter de nommer une catégorie particulière d'êtres humains qui cherchent à comprendre le sens de la vie. Bien d'autres avant moi s'y sont penchés... et sûrement avec plus de succès et de rigueur.

 

Il n'en demeure pas moins que ces termes me semblent appropriés pour définir et qualifier ce genre d'individus. Dans cet ouvrage, je vais tenter (sans doute maladroitement) de définir le quêteur de sens, d’établir son portrait (si tant est qu’il en ait un), de mettre en évidence son itinéraire, d’éclairer le lecteur sur le regard qu’il porte sur le monde et sur la vie, de passer au crible les différentes phases de sa trajectoire, de rendre compte de son évolution vers l’intériorité et d’évoquer enfin les premiers pas qu’il effectue sur le chemin intérieur et les transformations majeures qui s’opèrent en lui.

 

 

Le chercheur existentiel

Tentative de définition

Généralités

Chacun homme est à la recherche du bonheur et d'une certaine forme de sagesse dans son existence, mais bien peu s'engagent délibérément et entièrement dans une véritable quête. Chacun se forge, au fil de la vie, une philosophie existentielle (intuitive ou réfléchie, grossière ou élaborée) qui impulse les choix importants et colore en grande partie la conduite de vie, mais peu d'Hommes ressentent la nécessité intérieure de s'engager pleinement dans une longue et difficile démarche de compréhension de la vie. Contrairement au plus grand nombre, la recherche du sens de la vie est fondamentale, voire vitale pour le chercheur existentiel (il s'y emploie de façon permanente et quasi obsessionnelle). 

 

 

Que cherche-t-il exactement ?

Le chercheur est en quête d'une vie idéale conforme à ses aspirations et aux exigences contraignantes du réel. Il aspire à concilier ses idéaux intérieurs à la réalité et au monde qu'il considère souvent comme des entraves à sa réalisation et à son épanouissement personnels. Il s'investit dans des projets qu'il juge susceptibles de satisfaire ses exigences intérieures. Le chercheur arpente la Vie en enchaînant les expériences existentielles (passant de l'une à l'autre sans cohérence apparente, guidé par cette seule quête qui constitue le fil rouge de son existence). Son parcours et sa trajectoire sont souvent jugés (par les autres) comme chaotiques et incohérents. Souvent instable professionnellement, le quêteur rêve de trouver et de s'engager dans une activité à même de répondre à toutes ses attentes.

 

 

Quel genre d'être est-il ?

Le chercheur existentiel est inconsciemment ou non un être en quête d'absolu, un être fondamentalement métaphysique. Un être, de par l'inaccessibilité de sa quête, souvent mal dans sa peau, un être régulièrement en proie au mal-être, un être en souffrance. Un être décalé, un être à la marge, un être de l'entre-deux, pas réellement inclus dans le monde ni véritablement exclu du monde, un être à la fois acteur et spectateur du monde. Un être globalement insatisfait (en recherche quasi permanente d'amélioration voire de perfection). Un être qui se sent (le plus souvent) différent de la plupart de ses congénères, en décalage par rapport au monde, tout en étant globalement et en apparence très semblable. Un être très souvent grave - à l'incurable gravité existentielle - qui éprouve toutes les peines du monde à goûter aux plaisirs et aux joies de l'existence. Un être qui éprouve l'irrépressible besoin d'évoluer et qui déteste, le plus souvent, toute forme d'immobilisme et d'ankylosement. Un être curieux et ouvert d'esprit, à l'affût du monde et de lui-même. Ses questionnements ont trait aux aspects essentiels et fondamentaux de la vie. Le chercheur cherche dans les domaines les plus divers des éléments de réponses à ses questionnements (dans les livres, dans l'art, dans les sciences, dans les rencontres...). Un être solitaire (à l'indéfectible solitude) qui ne sent aucune appartenance profonde à un groupe humain particulier et qui se sent plutôt appartenir à l'espèce humaine et plus largement encore à la grande famille des êtres vivants. Le chercheur existentiel n'aime généralement pas les groupes. Il chemine seul et vit sa quête dans une très grande solitude (solitude d'ailleurs souvent délibérément choisie) même s'il vit parfois cette solitude avec beaucoup de difficultés notamment dans les périodes d'incompréhension, de doute, de remise en question et les crises de mal-être. Le chercheur existentiel est souvent à la recherche dans son entourage et ses relations d'appuis et d'encouragements propres à nourrir et à conforter sa quête. Il a l'intuition d'une sagesse qui lui reste néanmoins encore inaccessible.

 

 

Comment perçoit-il le monde ?

Le chercheur existentiel éprouve souvent un sentiment d'incompréhension à l'égard des activités humaines les plus courantes et les plus répandues (ce qui provoque souvent une certaine forme de mépris à l'égard de la gente humaine, voire parfois une franche misanthropie). Le chercheur est un être qui ne peut souffrir (la plupart du temps) les valeurs véhiculées et prônées par ses contemporains qu'il juge, en général, superficiels et sans intérêt englués dans les divertissements et les distractions tous azimuts, motivés par une recherche effrénée de confort, par l'appât du gain et du pouvoir et par un goût excessif pour le paraître... Il est souvent acerbe et critique à l'égard du monde. Le chercheur se moque de la réussite sociale, du pouvoir et de l'argent. Seule sa quête a quelques valeurs à ses yeux. A ce titre, il s'engage d'ailleurs souvent dans une démarche artistique professionnelle ou amateur (écriture, peinture, photo...), l'un des rares domaines susceptibles, à ses yeux, de le faire avancer dans sa recherche.

 

 

En résumé

En résumé, il serait raisonnable de définir le chercheur existentiel comme un chercheur de vérité, de sagesse et de bonheur qui aspire à donner un sens à son existence et à son humanité et un sens (un sens universel) à la Vie. Le chercheur existentiel est un être en quête d'une place dans le monde qui lui permettrait de concilier ses exigences intérieures (idéaux et aspirations) et les exigences du réel. C'est un être ouvert d'esprit, curieux de lui-même et soucieux du monde qui cherche à comprendre les aspects fondamentaux et universels de l’Homme, de l’existence et du monde humain. C'est un être qui aspire à vivre pleinement et harmonieusement avec lui-même et mieux vivre en compagnie des autres. C'est un chercheur d’Absolu, à l'affût permanent de nourritures existentielles. C'est un être qui tente de se nourrir de toutes choses; d’expériences, d'évènements, de livres et de rencontres. Cette quête répond à une aspiration profonde, un besoin indispensable, une nécessité absolue, presque (voire totalement) vitale. Et l'existence du chercheur existentiel n’est souvent qu’une longue succession de recherches infructueuses (étapes nécessaires à la poursuite de sa quête).

 

 

Les grands cycles de la quête existentielle

La quête du chercheur existentiel obéit presque toujours à un cycle (à l'infaillible mécanique). Ainsi, le chercheur alterne souvent des périodes d'enthousiasme - phases pleines d'allant et fort prometteuses - et des phases de repli sur soi, de désœuvrement et de dégoût existentiels. 

 

 

L'insatisfaction 

Le chercheur existentiel est un être toujours insatisfait et toujours déçu par les expériences qu'il vit et les projets qu'il réalise. Il remet souvent (voire toujours) en cause l'existence qu'il est en train de vivre (existence qu'il juge la plupart du temps insatisfaisante, décevante, navrante, déprimante...) 

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : A l’origine, il y a l’ennui. Toujours il y a l’ennui. L’ennui et le dégoût. Le dégoût de soi et celui du monde que l’on contemple à travers le miroir de l’âme et des hommes. Le regard acerbe et la plume acérée n’épargnent personne. On fustige l’horreur, on blâme la médiocrité, ces reflets si perceptibles de nous-mêmes. Mais il ne faut pas s’y tromper, il n’y a que notre propre faiblesse que l’on voudrait voir anéantie. Ainsi, de railleries en récriminations, l’ennui se propage - en mal insidieux qui se nourrit de lui-même -. Le spectateur du monde s’en délecte jusqu’à plus soif. Quant à l’observateur autocritique, il ne parvient guère, lui, à s’en repaître indéfiniment. Il finit par se lasser. Sa vision sardonique du monde l’interpelle, ou plus exactement réussit à l’interpeller. Il ne peut se résoudre à sombrer totalement dans ce qu’il hait et récuse. Il aspire à la différence, à être différent de ce monde qu’il ne peut souffrir. 

 

 

La réflexion 

Déçu, le chercheur se met alors en quête... quête d'une idée, d'un projet qui pourrait enfin lui permettre de trouver une vie harmonieuse conciliant idéaux et aspirations intérieures et faisabilité. Lors de cette phase, le chercheur se met à réfléchir. Il cogite à la recherche d'une nouvelle expérience à même de satisfaire ses exigences (nouvelles et/ou anciennes). Il se laisse aller à la réflexion, se laisse traverser par maintes idées et maints projets (parfois réalisables, souvent irréalistes (voire utopiques)), il recherche des informations en lui, dans la vie des autres (d'éventuels exemples pour lui) et dans le monde. Il envisage de multiples possibilités, passe en revue toutes les éventualités qui s'offrent à lui. Bref, le chercheur est en pleine effervescence mentale et existentielle.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Alors arrive l’attente. L’attente de tout, l’attente de rien. D’une clameur à l’horizon. Presque imperceptible. D’un bruissement léger du vent dans la frêle ramure de la vie. L’attente d’une métamorphose invisible qui amorce soudain l’idée du voyage. Le cœur part alors en quête. Il s’obstine à imaginer quelques destinations promises, une terre inexplorée, un paradis depuis longtemps rêvé. L’esprit les considère, les juge, les jauge et finalement se laisse mener vers un espace dicté par une intuition inconsciente. 

 

 

La préparation au changement de vie

Une fois l'idée ou le projet trouvé (non sans mal d'ailleurs), le chercheur s'active à mettre en œuvre l'expérience dans laquelle il souhaite s'engager. Il entreprend alors de nombreuses démarches pour se jeter dans l'aventure.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Ensuite viennent les longs préparatifs ; fastidieux et euphoriques, pleins d’angoisse et de bonheur. Puis l’impatience détrône l’ennui. L’attente se fait alors plus prégnante, plus trépignante. La traversée du monde est là, imminente, à portée de main.

 

 

La mise en œuvre du choix existentiel

Le chercheur s'engage (formation, remise à niveau, stage, nouvelle activité, création...). Bref, le chercheur se donne les moyens de réaliser son nouveau projet. Et le bougre y travaille dur. Plein d'allant et débordant d'enthousiasme, il croit avoir enfin trouvé LA solution à TOUS ses problèmes et ses difficultés. Il est certain que ce choix est le bon et cette nième recherche l'ultime réponse.

 

 

La réalisation du projet

Le chercheur entre alors dans une phase nouvelle. Il entre de plein pied dans le nouvel univers qu'il a choisi. Les premiers temps, malgré quelques doutes qui parfois viennent l'étreindre, le chercheur est heureux de sa nouvelle existence. Puis, avec le temps, quelques jours, quelques semaines ou quelques mois (voire peut-être même quelques années pour les chercheurs les plus opiniâtres), le malaise resurgit, le mal-être vient de nouveau frapper à la porte. Le chercheur est de nouveau en proie à l'insatisfaction et à la déception car cette nouvelle vie se montre encore une fois fort différente de celle qu'il avait imaginée... et donc fort décevante.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Après l’attente et le choix d’une terre nouvelle à explorer, après les démarches et les formalités, voici enfin venu le temps du départ, le temps de la traversée et de la découverte. Et qu’importent les terres traversées... Ses seuls compagnons seront la solitude et ce regard distant sur ces bouts de landes inconnus, loin des terres conquises et apprivoisées. Au cours de ce voyage, le marcheur découvrira mille paysages, ressentira mille choses, éprouvera mille sentiments. Ainsi au fil des pas, au fil des pages, il pourra rencontrer l’étonnement, l’ennui, la joie ou la honte, il pourra côtoyer le plaisir, les doutes ou l’incompréhension. Il pourra éprouver aussi (et l’éprouvera immanquablement) le mal être, le bonheur et la sérénité avec cet étrange sentiment d’avoir enfin trouvé son chemin et la crainte terrifiante de s’y perdre. Et au bout du voyage, le marcheur comprendra qu’il s’est de nouveau fourvoyé sur une route qui n’était pas la sienne.

 

 

Le retour à l'insatisfaction

Déçu mais aussi plus riche de cette nième expérience, le chercheur existentiel se remet en quête d'une nouvelle idée, d'un nouveau projet. Ainsi est la vie du chercheur existentiel...

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : En dépit du ressentiment et des regrets, le voyageur sortira de cette traversée avec un moi nouveau, un moi plus riche de lui-même. Et en quittant cette étroite bande de terre, il retrouvera avec joie sa liberté. Il s’arrêtera un instant puis très vite repartira ailleurs – en arpenteur de vies – à la recherche de nouvelles terres à explorer, à la recherche de contrées plus lointaines et plus riches de sens et d’expériences qui lui indiqueront l’horizon, l’horizon d’un avenir plus prometteur encore.

 

 

Les grandes thématiques de la quête existentielle

Voici les thèmes principaux qui accompagnent le chercheur sur son chemin et qui occupent parfois son esprit jusqu'à l'obsession.

 

 

Les questionnements fondamentaux

Ces questionnements sont incessants. Ils harcèlent sans discontinuer le chercheur existentiel. Ils peuvent intervenir à tout moment de la journée (voire plusieurs fois par jour à certaines périodes). Ils ont principalement trait au sens de l'existence, à la recherche de la "vraie vie", à la quête de la sagesse et aux fondements de ses essentialités.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Je n’ai eu de cesse, au cours de cette vie, de m’interroger sur le sens de l’existence. Et toujours, je me suis heurté à l’étroitesse de ma compréhension. Etrange, obscur et absurde phénomène que ce passage ici-bas. Les raisons de cette présence en ce monde m’échappent et m’échapperont peut-être jusqu’à mon dernier souffle. Comment répondre dès lors à une telle question ? Exit donc cette vaine interrogation. Que nous reste-il alors ? Si ce n’est le sens particulier qu’il nous faut donner à cette vie à défaut d’en trouver un plus universel.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Que faisons-nous donc de nos journées ? Beaucoup de travail, beaucoup de sommeil et quelques heures que nous gaspillons en repas, en repos et en tâches ménagères et que nous dilapidons en divertissements et autres menus plaisirs. Mais où est donc la vraie vie ? Quelle est-elle vraiment ? Et comment avoir le temps avec cette vie-là de la découvrir et de la vivre ? J’ai toujours eu le sentiment désagréable de marcher à côté de ma vie et d’en subir une qui n’a jamais vraiment été mienne. Que faire alors ? Comment se donner l’illusion de choisir pleinement son existence ?

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Pourquoi ce qui intéresse les hommes n’est-il jamais l’essentiel ? Souvent je me pose cette question, simple d’apparence, et pourtant… Feignent-ils de l’ignorer ? S’y consacrent-ils en cachette au plus profond de leur solitude et de leur intimité ? N’y songent-ils jamais (j’en doute, mais qui sait peut-être ?). Je les vois s’entretenir avec le plus grand sérieux sur les sujets les plus futiles, dignes d’aucun intérêt. Même les plus intelligents s’y soumettent. Pourquoi ? Et qui suis-je, moi, pour penser que je suis l’un des rares à me préoccuper de l’essentiel ?

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Quelle est la vraie, la seule, l’unique question à laquelle il vaille la peine de répondre ? La question la plus essentielle à la vie de tout chercheur existentiel ? Voici cette question déclinée de trois façons à la fois identiques et différentes! Quel sens donner à son existence ? Quelle orientation lui donner ? Quelle direction prendre ? 

 

(extrait) PENSEES VAGABONDES : L'essentiel n'est ni de vivre riche, ni de vivre mieux ou vieux, ni même de vivre en bonne santé mais de savoir pour quoi l'on vit, cela donne à l'âme un inestimable contentement.

 

 

Le mal de vivre

Terriblement présent dans la vie du chercheur, le mal de vivre est une sorte de compagnon de route, à la fois terrifiant et nécessaire à la poursuite du chemin. 

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Toujours j’oscille entre celui que je suis et celui que je souhaiterais être. Et cela m’écartèle, sans cesse, sans aucun répit, comme un condamné à perpétuité.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : De nouveau, ce sentiment de flottement, cette impression de glisser hors de la vie, cette sensation d’égarement de vous-même. Le mal de vivre comme plaie incurable. La mort même, je crois, ne saurait me délivrer de cette blessure.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Aujourd'hui, j’ai couru tout le jour, happé sans résistance par cette odieuse nécessité de vivre. Cette odieuse nécessité de subvenir à mes besoins vitaux. Ô qu’est terrible de se consacrer à cette vile activité qui m’ordonne l’agir. Agir, voilà à quoi je passe mes stupides journées. Rongé, fébrile et diaboliquement frénétique, voilà le personnage qu’il me faut revêtir aujourd’hui. Et j’ai l’étrange sensation d’être littéralement rongé de l’intérieur, de n’être plus que la proie facile et malheureuse d’un système auquel je ne peux me soustraire. Cette vie me ronge. C’est là ma redoutable impression. Pourtant, rien, ni personne ne m’a contraint à m’infliger ce retour au monde. Personne ne m’a forcé à retrouver ce gouffre. Quelle torturante contradiction ! C’est seul que j’ai décidé d’y revenir ! Tu dois penser, mon cher I. que ce retour au monde est une belle absurdité ! Oui ! Tu as raison ! C’est une terrible absurdité qui broie mes jours pour me laisser sans force le soir venu, vide d’envies et de désirs. C’est là une affligeante nécessité qui accapare mes jours et hante mes nuits en m’obligeant à l’acharnement jusqu’au délire ridicule de l’obsession. Agir, réussir. Agir, réussir. Aujourd’hui, ces deux misérables mots me poursuivent et me contraignent, chaque jour, à revêtir la parure grotesque et malsaine de l’acteur du monde que je me refuse à devenir. Ô mon cher I., si tu pouvais ressentir ma douleur…. Je ne suis plus aujourd’hui que l’ombre de moi-même, un misérable pantin endimanché à qui le monde fait perdre la tête. Ô pauvre de moi ! Pauvre de moi ! Et cette infâme pitié que j’éprouve en regardant ma vie. Pauvre pantin bercé par le chaos du monde.

 

(extraits) PAGES DE VIE : Aujourd’hui le ciel s’est assombri. Et votre joie de vivre s’est envolée. Elle s’était posée quelques instants sur vos jours, puis comme un papillon volage, elle vous a quitté pour d’autres fleurs aux pétales plus attrayants. Avec elle est partie la lumière des beaux jours. Peut-être a-t-elle deviné le ciel gris de vos pensées, senti l’inéluctable retour de l’orage ? Alors elle a préféré vous abandonner à votre tristesse, soucieuse de protéger ses ailes délicates. Et elle s’est éloignée, trop fragile pour affronter le grondement sourd de votre désespoir. 

 

A présent, les nuages sombres de la mélancolie sont proches, menaçants, comme annonciateurs d’une averse de désespérance. Mais vous ne savez lire dans ce ciel si vaste et si changeant. Vous êtes à sa merci, résigné à vous plier à la fureur du déluge comme une fleur délicate incapable de se protéger de la pluie cinglante de la douleur. Alors inquiet, vous attendez que s’éloigne le tourment. Et dans votre attente impatiente et anxieuse, vous priez pour que reviennent les rayons de la joie en espérant le ciel clair de l’espérance comme un ultime appel à votre joie de vivre papillonnante.

 

(extrait) DOCPSI OU LES MAUX DU DESTIN : Certains jours, je me dis que le plus dur c’est d’en être réduit à rien. Je suis rien, rien, rien, c’est ça la vérité. Ni un fils, ni un père, ni un amant, ni un ami. Juste un type qui pense en rond dans sa tête. Un type qui n’arrive même pas à se supporter quand il est tout seul. C’est pas croyable d’être comme tu es, Docspi ! Mais rien n’y fait. Plus je me dis ça, moins je me supporte. Et pourtant je suis bien obligé. A cause de mon histoire... J’ouvre mon cahier. Ce vieux cahier tout déglingué que je range dans mon armoire. Et puis j’écris ce que j’écris maintenant. J’écris que je suis rien, rien, rien du tout et que c’est ça la vérité. J’écris plein de trucs comme ça. En les écrivant, ça fait du bien. Ça fait du bien ! je crie. J’écris que je crie que ça fait du bien. C’est vrai que ça fait du bien. Je me sens plus calme. Alors j’écris que je me sens plus calme. C’est idiot mais c’est comme si ça me soulageait d’un poids. Comme si c’était pas moi qui vivait ça. Mais un autre. Un autre que moi qui souffrirait à ma place.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Après cette journée passée trop loin de moi-même, me voilà perclus, épuisé, exténué. Ce soir, je suis au bord de la rupture. Et comme un ivrogne qui se précipite sur sa bouteille, je prends la plume pour te raconter. Pour t’écrire, dans une frénésie diabolique, ces mots que tu trouveras peut-être incohérents et dénués d’intérêt. Mais je t’écris, mon cher I., pour retrouver ma vie véritable, cette vie que j’ai roulée dans la boue, cette vie que j’ai trahie, cette vie à laquelle je n’ai pas cru et qui, elle non plus, n’a pas voulu croire en moi. Je voudrais tant te raconter l’enfer misérable dans lequel je me suis jeté…

 

(extraits) PAGES DE VIE : Ce matin, au réveil, vous ressentez une étrange fêlure comme si une vieille cicatrice s’était rouverte pendant la nuit. Et ce matin, vous êtes seul avec elle. Elle est là dans l’antre de votre âme, recroquevillée au creux du cœur, à l’abri des regards. Nul ne pourrait vous aider à vous en soustraire. Et il vous serait d’ailleurs impossible de l’extirper. Comme une bête apeurée, cette fêlure a trouvé refuge en vous. Depuis des années, elle vous accompagne. Peu à peu, vous avez appris à vous connaître. Et au fil des années, vous vous êtes habitué à sa présence sans jamais pourtant réussir à l’apprivoiser. Et malgré ce lien étrange qui vous unit, malgré cet apparent attachement, vous ne cessez de lui jeter des regards haineux, désireux de mettre fin à cette cohabitation forcée, animé par le puissant désir de retrouver votre liberté. Chaque jour, cette fêlure grignote davantage votre cœur. Chaque jour, elle vous insuffle son poison sournois qui asphyxie peu à peu votre existence. Chaque jour, c’est elle qui assèche davantage votre espérance et pourtant vous continuez de la nourrir.

 

Autour de vous, le silence. Vous êtes seul face à la bête traquée, cette féroce amie qui ronge votre vie, incapable de la débusquer et de lui tordre le cou pour que se taise la meurtrissure, incapable de lui arracher ne serait-ce que quelques plumes ! Et même si vous parveniez à la terrasser et à la traîner jusqu’au dehors, qui accepterait de partager avec vous cette misérable pitance ? Autour de vous, chacun a regagné sa solitude. Les amitiés se sont dérobées. Chacun a retrouvé sa cicatrice, s’est replongé dans son tête à tête avec sa bête immonde.

 

(extrait) DOCPSI OU LES MAUX DU DESTIN : Handicapé pour la vie. C’est dur de se dire que l’on est né comme ça. Et puis le temps passe, mais ça n’efface rien. C’est toujours là. Et c’est toujours aussi douloureux. Personne ne peut rien pour vous. C’est comme ça, c’est la vie. Pourtant quand je m’apitoie sur mon sort comme aujourd’hui, ça me met dans une drôle de colère. Une colère noire que personne ne voit jamais. D’ailleurs personne ne voit jamais rien, ni la colère, ni la tristesse, ni rien d’autre. Chez ceux qui vivent à côté de nous, on ne voit que le bonheur, et le plaisir, et la joie de vivre. Ça nous fait envie. Et pour le reste, on ne montre pas qu’on l’a vu. On le garde pour nous. Juste pour se dire qu’on est pas si malheureux au fond. Pourtant des problèmes, on en a tous. LUI les siens et moi les miens. C’est comme ça. Et on doit tous faire avec. On peut pas faire grand-chose pour aider les gens avec leurs problèmes, sauf à les écouter. Et au fond ce n’est pas grand-chose écouter les gens. Certains jours, j’aimerais bien crier à ceux qui vivent autour de moi que j’ai vu leur tristesse. Mais je n’ose pas. Je les regarde sans rien dire. Dans ces moments-là, je me sens tout proche d’eux…

 

(extraits) PAGES DE VIE : Absent, sans inspiration devant la copie blanche du jour. 8 heures d’examen chaque matin depuis de longues années. Et cela fait bien longtemps que vous n’apprenez plus vos leçons ; vous n’avez plus rien à dire, plus rien à écrire.

 

Aujourd’hui, c’est au-dessus de vos forces de rester là, assis la tête sur votre cahier à attendre la récréation, à attendre ainsi, l’esprit ensommeillé, près du radiateur qui brûle votre impatience. Aujourd’hui, vous êtes un cancre et vous ne craignez plus d’être expulsé du lycée triste des affaires du monde. Vous n’avez qu’une envie; être renvoyé à votre école de liberté.

 

Aujourd’hui, vous êtes las de voir tous ces élèves appliqués autour de vous, tous ces élèves consciencieux toujours prêts à lever le doigt dans l’espoir d’une récompense, d’un bon point ou d’une image et qui jettent à la ronde le regard satisfait de ceux qui ont compris, un œil sur vous, méprisant et arrogant et l’autre, si doux si mielleux, au maître d’école ravi. Aujourd’hui vous êtes fatigué d’écouter des heures durant tous ces vieux professeurs ennuyeux qui déchiffrent avec peine leurs notes délavées par l’ennui et déchirées par les années perdues. Vous êtes fatigué de toutes ces conversations sur les cours, les notes, les devoirs à rendre pour le lendemain, de toutes ces simagrées aussi creuses qu’inutiles.

 

Vous ignorez les raisons de votre présence ici, dans cette pension austère où chacun s’engage pour l’éternité, cloué dans cette salle d’étude pendant de longues journées et obligé de se mettre au lit la soirée à peine commencée au lieu d’aller jouer au dehors. Il n’y a pas de place ici pour les mauvais élèves, les enfants insoumis, rebelles à l’autorité du maître qui préfèrent sauter le mur pour aller courir après leurs songes et aller cueillir les étoiles. Vous avez toujours détesté votre métier d’élève. Vous avez toujours préféré rester chez vous, seul dans votre chambre, avec vos jouets, vos billes de rêves et vos poupées d’ennui, isolé du monde. Vous avez toujours aimé jouer avec des riens, des bouts d’écorce et des larmes noires de pluie, des jeux sans importance. Une feuille et un peu d’encre, et vous partez pour un long voyage immobile au pays de songes, dans le monde infini et mystérieux des mots. Et même si vos jeux n’amusent personne, et même si les adultes vous trouvent encore trop enfant, ce n’est pas grave parce que vous y croyez, vous, à ces histoires, à ces fables enfantines où vous êtes l’aventurier sans peur qui saute d’aventure en aventure, de mot en phrase, toujours invincible, toujours vivant.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Quelle joie ai-je à vivre chaque jour qui passe ? Je n’ai aucune joie à vivre car je ne sais pas vivre… au fond, je ne sais et ne fais qu’essayer d’exister. Et du présent, je ne peux saisir que le sentiment qu’il m’échappe. Non, le présent ne m’a jamais exalté. Son insipidité, oui, je la connais. J’ai cette profonde et douloureuse connaissance de la routine du quotidien, avec cette absence de l’âme, ce vide et cet ennui si caractéristiques du désœuvrement existentiel. Je connais aussi cette obsession un peu folle et un peu maladive de l’avenir, et n’utilise bien souvent le présent qu’à préparer ce futur qui m’angoisse comme pour essayer d’en atténuer l’incertitude. Eternellement pris entre l’enclume (l’insipidité du présent) et le marteau (l’angoisse du futur), ma vie ne peut que crier sa douleur tant elle me confine à la souffrance de vivre, à l’éternelle insatisfaction d’être.

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES : Il y a parfois une grande tristesse à être au monde… une infinie tristesse éclairée de petites joies dérisoires…

 

Il y a tant de grandes choses en moi… pourquoi s'acharnent-elles à sortir si petites ? Est-ce lié aux limites de ma condition humaine ? En conserverais-je inconsciemment la plus grande part par devers moi ? Est-ce ma perception qui les déforme et leur donne un poids et une dimension qu'elles n'ont pas ? Pourquoi ces grandes choses ne sortent-elles donc pas à leur vraie mesure ?

 

 

L'ennui existentiel

On pourrait appeler indifféremment cet état singulier ennui existentiel ou désœuvrement métaphysique. C'est un vide que l'on porte en soi. Une absence totale de points d'accroche, de points d'attache avec la vie, avec le monde et avec soi. C'est une sorte d'abîme dans lequel il arrive au chercheur de glisser.

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Un après-midi pluvieux. Inerte. Figé dans l’immobilité du jour. Je suis là, silencieux. Sans haine. Sans joie. Simplement là et sans désir. Je ne fais rien. Je n’ai envie de rien. Pas même l’envie de ne rien faire. Je regarde l’ennui qui s’est approché. Il est entré d’un pas lent, paisiblement. Il est venu s’asseoir sans bruit, à mes côtés. Et il est resté là. Maintenant je l’observe, les yeux hagards. Je le vois. Je sais qu’il me parle. Je le sens s’immiscer en moi. Je devine ce qu’il veut ; encombrer mon âme qui rechigne à se suffire d’elle-même. Que puis-je faire ? Que dois-je faire ? Que faire lorsqu’on est soumis ainsi à la désespérance d’attendre ? Rien… seulement regarder la vie comme une offrande de chaque instant. Et peut-être aussi l’écrire… pour mieux s’en persuader.

Même dans l’ennui, il ne faut jamais désespérer de retrouver l’encre noire tarie. Les mots finissent toujours par revenir. Mais ils sortent fragiles, après ce désert de silence. Apeurés d’être livrés à la sauvagerie de la feuille blanche, ils s’écoulent avec lenteur, encore trop effrayés de retrouver la cruauté du monde.

 

Au plus profond de l’ennui, je sais désormais que je ne serai plus jamais seul. Les mots m’accompagneront comme des amis muets, heureux de m’écouter. Ils seront toujours là, prêts à me réconforter et à me distraire. Et toujours il y aura à dire parce que je suis bavard des mots que je m’écris à moi-même. Aujourd’hui, l’écriture me console du fardeau des jours, avec ce rêve dérisoire de colorier d’un peu d’encre la pâleur de l’ordinaire, malgré la peur secrète d’échouer devant la platitude de l’habituel que mes mots sont impuissants à égayer.

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Aujourd’hui encore, l’attente m’a enseveli, portant à son paroxysme mon dégoût des choses. Depuis quelques semaines, cette attente me laisse sans force, suçant le peu d’énergie qu’elle avait jusque-là épargnée. Et une fois de plus, je me sens glisser dans le creux du monde.

 

La matinée entière, je l’ai passée à relire le recueil de nouvelles écrites par un ami. J’y ai puisé un peu de vigueur qui m’a permis de traverser les heures jusqu’à midi. Le recueil achevé, je me suis replongé dans mes propres récits, curieux de connaître ce que j’en percevrai. Les résultats furent mitigés, sans grande conséquence sur mon humeur.

 

Dire que je suis préoccupé par l’accueil que l’on pourrait réserver à mon manuscrit n’est pas un vain mot. Et si maux il y a, ils restent bien faibles, bien en deçà des tourments qui m’assaillent depuis maintenant plus d’un mois. Cela fait effectivement trente jours que j’ai eu la prétentieuse idée de faire parvenir l’un de mes manuscrits à quelques éditeurs. Bien mal m’en a pris ! Et qu’ai-je fait là, sinon me jeter avec plus d’avidité encore dans l’angoisse de l’attente ? Comme si ma démission (Oui, j’ai décidé de quitter cette insipide activité où je m’enlise depuis bientôt un an) ne suffisait pas à me ronger les sangs. Mon séjour ici s’achèvera bientôt, dans quelques semaines, dans quelques mois tout au plus. Et je redoute maintenant avec d’autant plus de craintes les évènements futurs vers lesquels je bouscule mon existence, effrayé par cet effroyable abîme dans lequel je précipite ma vie.

 

Aujourd’hui, de tous côtés l’attente m’accapare, me harcèle et me jette dans l’aboulie. Alors comme pour endiguer l’oisiveté de mes jours et lutter contre l’angoisse, je m’abreuve de lectures lénifiantes; les vagabonds d’Hamsung, les grands chemins de Giono. Seuls les livres sont ainsi capables de transformer cette inactivité en une occupation constructive, en réflexions qui parviennent peu à peu à vous dégager de cette paresse contrainte et contraignante pour vous diriger d’un pas encore prudent vers une remise à plat de vous-même. En définitive, la lecture qui permet si souvent d’agrémenter l’ennui, vous offre aussi, presque à votre insu, le plus merveilleux de tous les présents, celui de vous permettre de porter un regard nouveau sur votre vie, d’en tirer quelques vagues conclusions pour poursuivre votre chemin vers de nouvelles espérances.

 

(extrait) DOCPSI OU LES MAUX DU DESTIN : Certains jours, je m'ennuie. C'est comme ça. Tout m'ennuie. Les autres, ma vie, le monde entier. C'est pénible. C'est le cas aujourd'hui. Je ne sais pas quoi faire. Comme tous les dimanches, je tourne en rond dans ma chambre avec des pensées qui tournent en rond dans ma tête. Tout me fatigue. J'ai fermé la porte à clé pour être tranquille. Parce que si l'on venait à me déranger, ça serait pire que tout. Dans ces moments-là, je deviens presque méchant. C'est comme une horreur que je serais obligé de faire sortir de moi. Je peux rien contrôler. Je gueule, je m'emporte, je dis des bêtises et des méchancetés que je ne pense même pas. Et ça fait mal à celui qui les reçoit en pleine figure. Et ça tombe sur n'importe qui, le premier qui passe, le premier que j'aperçois. Alors, dans ces moments-là, je préfère rester seul. Comme ça, je ne fais de mal à personne.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Les heures passent et la journée touche déjà à sa fin. Alors j’égrène le temps qui passe, en me laissant happer sans force ni résistance par les maigres évènements qui parsèment mes jours. Je vaque ici et là sans grand enthousiasme, porté par les seules contingences du quotidien et quelques dernières affaires à régler (avant mon départ définitif), dont la charge alourdit plus encore mon fardeau de fatigue. Aussi, chaque soir, je rentre épuisé par tant de vide. Je dois alors m’allonger pour trouver la force d’amorcer ma soirée. Et après ces quelques instants de repos, je parviens enfin à m’extraire de cette léthargie paralysante, bien décidé à profiter des dernières heures du jour, dernières heures que je passe maintenant à l’extérieur, le plus loin possible de l’ennuyeuse quiétude de l’appartement. Ainsi depuis quelques semaines, j’ai pris l’habitude de m’engouffrer parmi les joggers du soir dans la chaleur moite de ce début d’été. Moi qui me suis toujours moqué de ces coureurs à pieds, depuis bientôt un mois maintenant, je les rejoins presque chaque jour sur les berges du fleuve, m’efforçant de courir quelques kilomètres avant de céder presque toujours aux plaisirs moins éreintants de la marche qui s’accommode plus volontiers à mon penchant paresseux. Et chemin faisant, je laisse vagabonder mes pensées, ne leur imposant qu’une seule chose ; qu’elles m’aident à retrouver un peu de force pour le lendemain. Je n’ignore pas que ces sorties ne sont qu’une façon un peu lâche de tromper mon ennui. Je m’y astreins donc sans effort, prétextant auprès de S. une vague préparation physique en vue de la randonnée prévue cet été. Mais je sais qu’il n’en est rien. Je me résous seulement à rejoindre ce flot de citadins sportifs pour m’épargner l’angoisse terrifiante du désœuvrement, désœuvrement désormais permanent qui exacerbe plus encore mon inappétence à emplir plus intelligemment mes soirées. Et sans ces courses effrénées, je crois que mes jours sombreraient dans un vide absolu, un vide bien trop dangereux pour que je puisse m’y soumettre aujourd’hui. Aussi, chaque soir, je dois m’évertuer à extirper de mon corps le vide de mes journées, en croyant m’extraire de l’attente et de l’ennui, et en entrevoyant, à travers ces quelques gouttes de sueur, l’émergence de ma nouvelle vie.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Si peu de choses à vivre, si peu de choses à dire. S’occuper l’esprit comme nécessité absolue, pour ne pas sombrer à nouveau dans l’ennui. Accepter d’Être et de vivre sans ce petit rien de joie que procure l’esprit en mouvement. Accepter cet état larvaire. Vivre les heures au gré des insignifiances où elles vous promènent. Guère loin, cela il faut s’y attendre et s’y résoudre. Le temps passera, cette fadeur de vivre aussi. L’espérance n’est pas ailleurs. Temps libre que je dilapide en repos et en divertissements médiocres. Au mieux, je batifole. D’un plaisir à l’autre. D’une activité à l’autre. Et me reste le dégoût de ces choses mal ébauchées que je n’ai ni la force ni le courage d’achever.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Aujourd’hui, terrible journée d’ennui. Temps vain. Heures vides, minutes inutiles. 24 heures de ma vie envolées, irrémédiablement perdues. 24 heures qui n’ont servi à rien, si qui m’ont permis de m’ennuyer en pleurant sur mon sort… Ah ! La belle affaire ! Serait-ce là la seule activité dont je sois digne ?

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Parfois le vide m’étreint en arrivant sans crier gare pour passer la journée en ma compagnie. Le dimanche en particulier, ce jour si propice à l’ennui. Pourtant, à ce jour béni du repos, j’y songe souvent dès lundi, m’imaginant déjà profiter de ses heures paresseuses, ou programmant quelques activités plaisantes, sûr dès lors de prendre, le fameux jour, du bon temps et de vaquer enfin à ce qui me plaît. Et lorsque arrive dimanche, je m’atèle consciencieusement aux tâches prévues, sans joie ni plaisir, en pensant déjà à lundi.

 

Le dimanche est un jour bien traître. Aussi perfide que l’ennui qu’il amène avec lui. On s’y traîne sans savoir si l’on va s’en sortir. Et pourtant si. Lundi finit par arriver. L’ennui après l’ennui. A défaut de mourir d’ennui, cette vie est à mourir de désespoir…

 

(extrait) DOCPSI OU LES MAUX DU DESTIN : Dehors, j'entends la voix des camelots haranguer la foule des chalands qui se pressent devant les échoppes. C'est jour de marché aujourd'hui. Et les jours de marché me donnent cette occasion presque inespérée de tromper un moment mon ennui. Comme peut très bien le faire d'ailleurs la contemplation des nuages dans le ciel ou celle plus idiote des rideaux qui s'agitent quand je laisse ma fenêtre entrouverte ou celle des fissures du plafond dans lesquelles je me sens glisser vers un ailleurs plus salutaire. Mais les jours de marché, c'est différent. C'est la réalité, la vraie qui s'agite sous mes fenêtres. Je regarde tout ça, tous ces gens qui traînent leur caddie, leur gosse dans les bras, leur chien en laisse, en couple ou en famille. Tous ces gens faussement occupés qui s'agglutinent devant les stands en traînant leurs pieds et leur ennui derrière eux. J'ai un haut le cœur! Je vois plus qu'un mouvement informe qui coule devant mes yeux qui ne regardent même plus la foule. Je vois plus que le grand marronnier immobile qui regarde tout ça d'un air moqueur et amusé. Je vois plus que le coin de ciel bleu et les nuages qui passent au-dessus de ma tête derrière le béton jauni de l'immeuble d'en face. J'entends les cris des enfants et des marchands forains. J'entends quelques bribes de conversations écœurantes et qui m'écœurent plus encore. Je sens tout ce flot me submerger. Et pourtant je suis là-haut, assis à ma table devant mon cahier, loin de ce monde ignoble qui me donne la nausée.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : L’ennui finit toujours par entrer dans les âmes solitaires et figées, en quête perpétuelle de mouvement. L’ennui s’immisce toujours dans l’immobilité de nos jours, au plus calme de notre vie. Ô Homme ! Fuyez l’ennui ! Fuyez cette plaie du cœur, cette meurtrissure de l’âme ! Jetez donc les pelures du temps ! Et avancez avec lenteur en regardant le cœur palpitant de la vie pour apprécier chaque instant comme le plus inestimable présent.

 

 

La critique acerbe du monde

La critique du monde est sans doute un passage obligé pour le chercheur. Comment en effet (en tout cas au début de la quête existentielle) ne pas porter un regard critique sur l'aveuglement et la bêtise du monde ? Comment se taire sans cautionner l'étroitesse, la mesquinerie et l'égoïsme humains qui s'étalent en ce monde et que l'on brandit souvent (un peu partout) comme l'affligeant étendard de l'humanité ?

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Les hommes m’insupportent ou m’ennuient. J’aimerais tant qu’ils m’indiffèrent. Je ne connais que trop leurs jeux stupides. C’est un misérable spectacle. Je voudrais fuir le monde pour vivre seul, seul, seul. Mais c’est impossible, je m’insupporte déjà…

 

(extrait) PAGES DE VIE : L’après-midi touche à sa fin. Vous rentrez chez vous après avoir passé la journée à l’extérieur, trop loin de vous-même. Toutes ces heures, vous les avez employées à être là-bas avec eux, ces autres dont la présence à chaque instant vous encombre. Toute la journée, vous avez dû vous résoudre à rester parmi eux à entendre leur bavardage, leurs rires, leurs bruits. Eux, ce sont vos collègues. Et toute la journée, il vous a fallu trouver le courage, le courage un peu lâche de ne pas vous enfuir. Et ce soir, en les quittant, la nausée vous prend. Dans votre tête, les bruits de la journée s’entre choquent en résonnant à l’infini comme un écho démultiplié.

 

(extraits) PAGES DE VIE : Depuis 6 mois vous vivez dans cette ville. Vous y êtes venu pour travailler. Votre premier vrai travail. 6 mois d’ennui et d’apprentissage du monde. Ce que vous avez appris ? Cela tient en quelques mots : « si peu de choses ». Des choses que l’on peut découvrir n’importe où, que l’on peut voir n’importe quand ; l’hypocrisie, l’égoïsme, la médiocrité, la bêtise des gens. Etait-ce si important de connaître cela ? Vous ne le savez pas. Pas encore, il est trop tôt.

 

Ce « si peu », vous l’aviez déjà aperçu dans le monde, mais jamais de si près, jamais le nez si proche de la fiente, de la saloperie humaine. Et aujourd’hui, ce « si peu », vous avez du mal à l’avaler, des arêtes d’indignation plein la bouche et cet arrière-goût d’amertume qui vous brûle la gorge. Ce que vous avez vécu ? 6 mois de faux-semblant et de simulacre. 6 mois d’une mauvaise pièce où les acteurs ânonnent leurs répliques médiocres sur une immense scène d’ennui. Ce que vous avez vu ? L’angoisse que l’on dissimule, l’angoisse qui transpire derrière les masques imperturbables d’indifférence, la peur qu’ont les acteurs de perdre leur beau rôle, la crainte qu’on leur vole le haut de l’affiche.

 

Il n’y a pas de place ici pour vous, dans cette troupe d’acteurs sans éclat, aux représentations si fades, si conventionnelles. Il est temps à présent de regagner votre loge, de laisser les artistes à leur mauvaise farce et à leurs jeux en bonne société. L’heure est venue de baisser les rideaux du monde, loin du cirque et de ces pantomimes ridicules, loin de ces pantins désarticulés si effrayés d’être délaissés par le grand marionnettiste et de se voir jetés dans la grande malle sombre de la vérité. Il vous faut ranger votre costume et vos accessoires pour reprendre la route, votre chemin d’étoiles. 6 mois pour comprendre que vous brûlez d’envie de rejoindre la troupe des clowns solitaires qui parcourent le monde, la troupe des clowns tristes qui s’arrêtent ici et là pour donner quelques représentations, quelques misérables spectacles qu’ils ne jouent que pour eux-mêmes et qui poursuivent leur chemin en versant des larmes de rire sur leurs joues blanches.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : J’ai toujours détesté les hommes. Du plus loin qu’il me souvienne… leur vie m’a toujours semblé sans intérêt ni consistance. Tous tentent de la remplir en courant après quelques rêves dérisoires : qui d’une reconnaissance, qui d’un succès, qui d’un plaisir, en quête perpétuelle de petits riens dont la réussite semble étonnamment les contenter.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Une pause avec quelques personnes du service où l’on m’a affecté pour une mission spéciale de quelques jours. Aujourd’hui – mon dernier jour parmi eux – je les accompagne. Chacun prend un siège et s’installe autour de la table. On prépare le café, sort quelques biscuits et les conversations s’engagent ; le menu du déjeuner, les courses et la préparation des menus de la semaine, les dimanches en famille et les sorties dans les parcs d’attraction. Chacun alimente la discussion, évoquant ses souvenirs, donnant son avis, interrompant les autres. Les histoires personnelles se suivent dans une ronde ininterrompue de monologues entrecoupés. Tous semblent se repaître de ce tour de table informel, pas le moins du monde empêtrés dans cette caricature de la communication humaine, ni même interloqués par ce simulacre de vie sociale. Chacun semble même y trouver plaisir, dévoilant l’originalité de son quotidien ou arborant avec fierté les merveilles de son ordinaire. Parmi ces joyeux drilles en quête de bavardages – aussi stériles qu’incessants – je me sens bien ridicule, moi qui n’ai aucune histoire à conter. Pas un seul mot. Discret comme un spectateur au théâtre qui ose à peine s’éclaircir la gorge. En les écoutant, j’ai le sentiment d’appartenir à un monde lointain. Pas si différent pourtant sauf … peut-être pour l’essentiel... Quant au reste, il nous rapproche ; la pente de la facilité, l’étroite médiocrité, l’ordinaire de la routine. Mais jamais je n’ai pu me livrer à ces farces sérieuses où chacun espère faire impression par son jeu, son costume ou ses répliques. Cet autre en moi toujours me l’a interdit m’imposant de contempler le ridicule du monde auquel nul ne peut échapper ; que nous nous agitions ou que nous soyons spectateur, le ridicule est toujours là, fidèle à nos vies.

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Avec le soleil, les hommes sont réapparus. Ils ont envahi la ville, pris d’assaut la campagne. Partout, ils ont assiégé le monde. Nul endroit où me réfugier. Je les vois d’ici se répandre dans les rues, sur les chemins, submerger la terre, en couple ou en famille. Les éternelles promenades dominicales. Nonchalantes et désœuvrées. A chaque printemps, la même rengaine qui confine ma liberté à l’intérieur.

 

Mais d’où me vient cette haine irrépressible pour les hommes ? Ce dégoût qu’ils m’inspirent et ce dégoût que j’exècre. Et ma haine qui s’exaspère dans cette incapacité à sortir. Même ici, seul dans cet appartement, l’atmosphère est irrespirable.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Sur un parking désert, près des quais. Accoudé à la balustrade, je regarde l’étroit bâtiment qui surplombe une immense place. Le long mur vitré dévoile l’intimité des foyers, la vie familière des familles. J’observe la façade illuminée qui expose au regard du monde les secrets des hommes. Les uns dînent, penchés devant leur assiette, d’autres, confortablement installés dans un fauteuil, regardent les secrets du monde à travers la fenêtre du petit écran bleuté. D’autres discutent autour d’un verre. D’autres encore vaquent à leurs quotidiennes occupations, rangent, nettoient, lisent et que sais-je encore. Mais tous se dévoilent en étalant un fragment d’eux-mêmes, une parcelle de leur vie, en se croyant à l’abri, maladroitement abrités derrière ce grand mur transparent. Et chez eux, je ne perçois rien de différent ! Rien ! Absolument rien d’exceptionnel ni d’extraordinaire ! Ils sont comme nous tous, avec les mêmes gestes, les mêmes poses, les mêmes activités, la même existence, aussi insignifiante, aussi ordinaire, aussi médiocre que la nôtre!

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Je regarde ce monde étranger. Je regarde les hommes qui y vivent. Que font-ils ? A quoi aspirent-ils ? A la vie des champs, hors des sentiers battus de la ville ? A la liberté, loin des carrefours oppressants où s’agglutine la foule ? Non, ces hommes-là ont des vies simples, archaïques, limitées aux seuls besoins essentiels ; manger, boire, s’occuper, s’enivrer, dormir, se reproduire et se donner quelques plaisirs que l’on ne peut imaginer que frustres, fugaces et bestiales. Voilà les seules activités de ce monde ! Triste univers que celui-ci ! Pauvre et affligeant, où toute délicatesse est exclue, interdite toute pensée, bannie toute subtilité, inexistante toute évolution. Un monde figé dans la terre, un monde immuable de mâles durs et abrupts, tout en aspérités grossières, un monde immobile depuis la nuit des temps et qui le restera sans doute à tout jamais.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Ce jour-là, je ressentis pour la première fois une inclination totale et absolue à la misanthropie. La crise passée, je t’en avais fait part. Et tu m’avais parlé, je m’en souviens, de crise misanthropique profonde. Tu avais vu juste. Quelques temps plus tard, j’eus l’absolue certitude qu’une véritable modification s’était opérée et qu’il me faudrait bientôt me résoudre à une restructuration complète de ma place en ce monde. Et quelques semaines plus tard, en effet, j’éprouvais le farouche désir d’occuper cette place de misanthrope à plein temps, de me consacrer entièrement à cet emploi de spectateur du monde solitaire et enragé. C’était-là un sentiment si fort que rien, je crois, n’aurait pu m’en détourner. Et dans cet élan qui, chaque jour, m’éloignait davantage des hommes, un détachement bien heureux de la chose matérielle m’avait, à son tour, pénétré, m’exhortant de ne plus toucher à rien qui put avilir mon rôle de contemplatif sardonique et solitaire. L’art se devait d’être alors mon unique souci et ma seule nourriture. Je me souviens de tes moqueries quant à mes ambitions misanthropico-artistiques. Pourtant, inconcevables me paraissaient le moindre effort, la moindre tentative d’agir autrement avec et en ce monde. Et ne parlons pas de celle de participer à sa marche stupide ! J’avais fait le deuil de ces misérables activités humaines. Oui, mon cher I., j’avais définitivement renoncé à cette incommensurable médiocrité. Planant au-dessus de la masse laborieuse et misérable des hommes.

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES : Autrefois les hommes étaient abrutis par le travail. Aujourd'hui, ils sont abrutis par les loisirs et les distractions. Quand les hommes apprendront-t-ils enfin à se désaliéner ?

 

Si nous naissions avec 2 grandes ailes, 4 longues jambes, 4 bras puissants, un esprit et un cœur larges, profonds et ouverts, la condition humaine (avec ses 2 jambes et ses 2 bras tous bêtes, son esprit étroit et son cœur froid et fermé) nous paraîtrait un supplice.

 

Les Hommes sont d'étranges aventuriers. Ils partent à la découverte de contrées lointaines, s'aventurent dans le cosmos et l'univers mais éprouvent les plus grandes réticences à explorer l'espace qui les habite.

 

Le monde cherche des guides, des modèles et des réponses toute faites pour le guider (vers le bonheur, la sagesse, la vérité). Le mimétisme est le signe d'une grande puérilité et d'une affligeante paresse. C'est se méprendre sur la quête. Nul effort ne peut être épargné à celui qui chemine.

 

 

Les nourritures existentielles

Les nourritures existentielles s'avèrent totalement indispensables au chercheur. Elles lui permettent d'alimenter substantiellement sa quête. Elles lui sont absolument vitales. Aussi est-il à l'affût de la moindre nourriture... celle qu'il trouve dans les livres et les rencontres, dans l'art et la vie même... partout où son regard et son esprit se posent et se laissent aimanter.

 

(extraits) PAGES DE VIE : Au plus profond du doute, toujours vous allez vers les livres. Vous allez à leur rencontre y trouver le salut de votre âme. Dans ces instants en dérive, souvent vous prenez un livre au hasard de votre bibliothèque. De tous ces livres, votre vie s’est nourrie. Et presque tous ont marqué votre esprit au fer rouge de leurs vérités. L’empreinte y est encore gravée comme la marque d’une appartenance, la seule qu’il vous soit possible de revendiquer.

 

Du plus loin qu’il vous souvienne, vous êtes toujours entré en lecture comme l’on entre en religion, avec foi et renoncement, en ouvrant chaque livre comme un chapelet de souffrance que vous égrainez page après page, en effleurant chaque mot comme les grains d’un chapelet de vérité infinie.

 

Chaque livre vous offre ainsi sa force, la force de poursuivre votre chemin de vie et la lecture de vos années. Chaque livre imprime en vous ses lettres de noblesse, vous livrant ses mystères et vous divulguant au fil des pages vos propres secrets. Par chaque livre vous êtes touché, touché par la grâce de ses vérités qui réchauffent votre âme frigorifiée par la froideur cinglante du monde.

 

En général, vous ouvrez un livre au hasard, vous laissant guider par les phrases qui s’offrent à vous. Et souvent la première phrase suffit à rallumer votre foi chancelante. Vous la laisser pénétrer votre cœur, espérant qu’elle s’y agrippe pour le remplir de l’amour qu’il vous manque. Il arrive pourtant qu’aucune phrase ne parvienne à gravir votre souffrance, à se hisser jusqu’au cœur du mal, à franchir les portes de votre foi vacillante. Avec l’habitude, d’un seul regard, vous savez si une phrase sera assez généreuse à vous réconforter et à vous laisser puiser en elle le sang qui fera renaître votre foi agonisante comme la promesse en un avenir plus clair.

 

Mais parfois, vos livres sont impuissants à apaiser l’incertitude, alors vous les quittez pour aller vous réfugier dans une petite librairie du centre-ville, découverte par une après-midi pluvieuse, une de ces journées sombres où votre âme, dans son égarement, cherchait une petite chapelle déserte pour y retrouver la force de croire. Dans cette librairie, vous y entrez avec respect et recueillement. Vous en poussez la porte avec précaution en prenant soin de la refermer sans bruit derrière vous. Vous aimez à y déambuler à votre aise, aux heures où les fidèles, trop fiers de leur foi ostentatoire, l’ont déserté. Vous avez toujours détesté ces bigots prêchant aux infidèles, leur missel sous le bras. Vous avez toujours préféré les impies à la foi hésitante qui blasphèment de temps à autre, incertains du Christ et des Evangiles et qui s’égarent de religion en athéisme, de certitude en défaillance. Vous vous sentez si proche de ces compagnons de souffrance, de ces frères de misère qui avancent avec tant de maladresse sur leur chemin de vérité. Une fois entré dans cette librairie, dans ce havre de lecture, vous laissez votre regard contempler ces murs fragiles, construits dans la foi, mot après mot, phrase après phrase, d’illumination en vérité, vous regardez avec ferveur ces murs bâtis dans la quête de soi comme une recherche éternelle de Dieu. Vous pouvez y passer des heures entières entre la prière et la méditation examinant ici un ornement, là une œuvre magistrale car ici, comme dans toutes les librairies et les bibliothèques du monde, dans tous ces temples sacrés, il n’y a pas un Dieu, unique et tout puissant, mais des milliers, des millions crucifiés sur la croix de l’ignorance, abandonnés à l’indifférence et à la bêtise des hommes et offerts à ceux qui recherchent la foi. Ici comme dans tous les panthéons du monde reposent des milliers, des millions de Bibles, toutes semblables dans leur recherche du divin et pourtant, à chaque fois unique, irremplaçable, différentes par les chemins célestes qu’elles empruntent. Dans ces cathédrales de vérité, vous aimez à vous recueillir en livrant votre âme à la prière. Ainsi, de livre en livre, vous poursuivez votre chemin de croix comme une longue route vers vous-même.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : J’ai toujours aimé l’acte de lire, me nourrir de la vérité des mots. Les avaler sans grâce, avec goinfrerie, et puis laisser faire le lent le travail de la digestion. Puis le temps passe. Et quelques jours, quelques mois ou quelques années plus tard, ces mots enfin me nourrissent. Jusqu’ici peu de livres – bien trop peu de livres – ont alimenté ma vie, forçant mon destin, poussant mes choix vers les jours, les mois et les années à venir. Pourtant, voilà quelques temps, j’ai découvert Christian Bobin. Au début, rien. Trop de poésie, trop de saveur. Puis un jour, tout, enfin presque tout, et très vite quelques livres lus dans la foulée, avec bonheur, avec intensité. Beaucoup de liens obscurs et merveilleux entre lui et moi, sur le vrai des choses ; la vie, l’enfance, la solitude, l’écriture et le silence… Des dizaines de phrases poursuivent ainsi leur cheminement en moi. Aucune n’est restée figée. Toutes m’ont traversé avec force, avec cette force légère, bien trop délicate pour me violenter. Aucune n’est restée, mais chacune m’a consolé du fardeau de vivre. Je n’en citerai qu’une, une seule, celle qui aujourd’hui (à cette période précise de ma vie) prend toute sa résonance. Je ne pourrais pas la restituer fidèlement. Et quand bien même je le souhaiterais, je n’y parviendrais guère. Il n’y aurait d’ailleurs aucun intérêt à le faire. Pour retrouver cette phrase admirable dans son état le plus pur, il suffirait de revenir à son origine, d’ouvrir le livre étincelant dont elle est issue. Cette phrase, la voici : « L’espérance nous arrive avec la vie future qui s’installe dans la vie présente». Bobin la livre plus légère, avec la grâce de son écriture. Je n’en restitue ici qu’une pâle copie, mais mon regard se pose ailleurs, dans le tintement de cette phrase sur ma vie, dans son apport essentiel à mon existence.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : J’écoute la parole de Bobin. Sa voix enregistrée sur une mauvaise bande me délivre de ces tristes figures. Et je suis ébloui de tant de clarté, ébloui par cette voix qui me parle et me découvre ; la vie tranquille, paisible, calme. Peu de rencontres, peu de visages, l’entêtement enfantin, laisser ce qui dérange, ce qui nous attriste et nous blesse, le bonheur d’écrire pour espérer combler la faille qui nous sépare du monde et nous éloigne de nous-mêmes, le bonheur d’écrire pour emplir la brisure de notre propre vie, le bonheur d’écrire pour donner aux insignifiances, à toutes nos insignifiances la noblesse d’une reine couchée sur le drap d’une feuille blanche.

 

(extrait) PENSEES VAGABONDES : Ouvrir un livre comme une page sur le monde, une fenêtre sur la vie, une porte que l'on ouvrirait sur soi.

 

 

La quête d'un équilibre

L'équilibre est une aspiration centrale du chercheur existentiel. Elle demeure à ses yeux un idéal qui lui permettrait de concilier ses nécessités intérieures et la réalité du monde. Elle représente sans doute pour cet être de l'entre-deux, toujours insatisfait et vacillant, une possibilité de donner à son existence une réelle dimension protéiforme.

 

(extraits) PAGES DE VIE : Un samedi après-midi. Premier jour du week-end, premier espace de temps libre où les heures s’étirent, interminables, comme un long soupir d’ennui, un immense bâillement de paresse. Mais il ne faut guère se soucier des apparences, presque toujours aussi menteuses qu’un habit aux éclats trop brillants.

 

Le samedi est le premier jour de votre semaine, celle qui compte, celle qui vous permet d’exister entre deux longs week-ends de travail inactif. Le week-end, c’est 5 jours pour rien, juste de quoi vivre - juste de quoi assurer le vivre - une misère de jours, un gaspillage inepte du temps, la plaie béante du monde, pour ceux qui appartiennent encore au monde, à ce monde du travail inactif.

 

Pour les autres, les pestiférés du monde, les sans travail, la plaie est différente, la souffrance est ailleurs, dans la désespérance de l’abondance de temps, dans cet excès de temps désœuvré qu’ils vivent jusqu’à l’écœurement. Pour eux, que de liberté, que de temps ! Et que faire de cette liberté ? Que faire de ce temps ? Ceux-là souhaiteraient sûrement voir leurs journées asservies par la contrainte, par le poids d’une activité, n’importe laquelle, mais une qui leur redonnerait le leurre d’une place - même minuscule, même infime - dans le regard du monde. Pour ces infortunés, l’envie doit être forte, puissante de regagner la terre des vivants, la terre des hommes qui vivent dans ce monde à l’aise ou chichement – et qu’importe – sans jamais véritablement se donner le temps d’exister. Mais pour vous, vivre dans l’aisance ou vivre humblement, la différence est infime. Et même si bon nombre d’Hommes construisent leur vie entière sur cette différence, dans cette poursuite effrénée de l’argent-roi, de l’argent-dieu, prêts à s’agenouiller et à courber l’échine leur vie durant pour recevoir quelques hosties métalliques à la fin de chaque mois comme la preuve de sa Toute-Puissance et du bien-fondé de leur vie, qu’elle vous semble étrange cette course folle du temps à occuper ! Comme si les uns disposaient de trop de temps sans savoir qu’en faire sinon le soumettre aux chaînes de la contrainte et que les autres passaient leur vie à attendre ou à rêver ce temps qui leur échappe sans parvenir à le rattraper.

 

Pour vous, comme pour bien d’autres, ces frères solitaires, ces chercheurs de contrées radieuses, le samedi est un jour de liesse, un jour de labeur et de joie où vous partez aux champs les outils à la main et le cœur léger comme un paysan heureux de retrouver la terre de ses pensées, libre de débuter son ouvrage où bon lui semble, libre d’écouter le chant des oiseaux, libre enfin de laisser à demain ses travaux pour aller flâner sur les chemins alentours contempler la beauté du monde et y cueillir quelques idées comme un bouquet de fleurs sauvages. Le samedi est pour vous un jour de labeur paresseux, un jour de paresse laborieuse où vous laissez filer le temps, votre filet à papillon sur l’épaule pour attraper les idées légères qui traversent votre vie. Vous les attrapez encore avec beaucoup de maladresse soucieux pourtant de ne pas meurtrir leurs ailes fragiles. Vous les regardez un instant puis vous les relâchez. C’en est assez pour les croquer sur votre petit carnet. Voilà votre travail ! Vous êtes paysan, chasseur de papillon, laboureur de pensées et croqueur d’idées futiles. Et le reste de vos jours, vous vous reposez à votre bureau en rêvant à ces terres promises, à ces baisers volés aux fiancées volages de vos semaines.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : J’attends ta lettre désespérément. Ici, rien n’a changé. Je suis toujours en proie à cette effervescence mentale, courant tout le jour comme un ravagé, sautant, m’époumonant et m’agitant dans un tourbillon stérile et superflu. Avec cette sensation de voir mes vérités s’éloigner de ma vie et se dissoudre peu à peu. Comme si j’étais tiraillé par le doute de ma propre vie… Cette décision soudaine de m’investir dans le monde, d’y creuser ma place, mon trou, me met décidément bien mal à l’aise. Les luttes intestines dont je te parlais continuent de me ronger. Je suis toujours écartelé de l’intérieur. Entre l’oppressante nécessité de vivre, son terrifiant cortège de contraintes, de costumes et d’angoisse et cette malheureuse volonté d’exister, sa douce quiétude et sa merveilleuse liberté. Entre, je ne cesse de me balancer. Comment t’expliquer … ? Tu sais bien, toi, mon cher I., mon goût pour la flânerie, mère de la créativité. Si tu savais comme je souhaiterais y revenir… profiter de ces jours tranquilles et vagabonds pour explorer et exprimer le monde. Mais tu sais aussi que ce rôle nécessite une distance, un détachement réel, entier, qui n’accepte aucun compromis, qui rejette toute compromission avec le monde.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Aujourd’hui, je sens venu le temps de déblayer ma vie de l’inutile qui l’encombre ; la pesanteur de ce travail de bureau, les chaînes de cette vie sociale, tout ce ramassis d’obligations auxquelles je me suis insidieusement soumis. Le changement depuis longtemps s’est immiscé en moi. Ma tête et mon cœur en débordent… ne reste plus alors qu’à en emplir ma vie. Je garde donc espoir et commence même à croire aux lendemains qui chanteront, qui égaieront ma triste espérance d’aujourd’hui. Car demain, ma vie - je le sais - courra dans les champs de l’écriture, entourée d’animaux, entre le ciel et la terre, loin du monde et du cœur des hommes. Et derrière ce rêve, j’entrevois le pluriel de la vie auquel mon âme entière aspire ; les journées de labeur qui vous apporte le pain et la joie auprès des animaux, ensoleillées de quelques heures d’écriture. Le retour à l’amour de la vie, au rire et à la légèreté pour me guérir de la gravité et du sérieux de ces sombres mois d’attente.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Pourquoi cette nécessité de nourrir ma vie dans cet équilibre fragile, toujours fluctuant, en perpétuelle mouvance, que chaque jour il me faut reconquérir ? Pourquoi cette dualité si forte des aspirations ? Comme si ma vie n’était qu’une existence scindée, compartimentée, avec des journées plurielles, une vie plurielle. Des années partagées, cloisonnées, quelques mois en autarcie, replié sur soi, et le reste du temps, plongé au cœur de la ville, submergé par le tumulte citadin. Pourquoi ce besoin d’intellectualiser mon quotidien ? Et pourquoi celui de pragmatiser mes réflexions intérieures ? Pourquoi cette nécessité de relier les deux en une entité forte et indissociable ? Curieux équilibre à ressentir, à atteindre et à perpétuer.

 

(extraits) PAGES DE VIE : A présent, vous êtes chez vous. Les bruits se sont dissipés, lentement remplacés par le vide et le silence. La soirée est maintenant avancée et vous avez le sentiment qu’il ne vous reste que quelques miettes, quelques miettes de temps. Et vous avez faim de vivre, vous avez faim de vous-même. Mais comment apaiser cette faim avec quelques miettes ? Il vous reste si peu de temps pour les grignoter…

 

L’appétit tarde à venir. Il ne peut ignorer que vous ne lui accordez que les restes d’un mauvais plat. Alors pour le contenter, vous vous mettez à chercher, à fouiller les tiroirs de votre cœur. Vous les sortez, vous les retournez, vous les secouer. Et que trouvez-vous ? Le silence et un amas de bruits inutiles, échos agonisant de cette journée agitée. Alors, vous faites l’inventaire et vous rangez, vous séparez les bruits du silence pour découvrir caché derrière cet amoncellement écœurant un ravissement savoureux recroquevillé sur lui-même.

 

Depuis longtemps la nuit est tombée lorsque vous vous mettez à votre table. Vous avez pris soin auparavant de disposer une belle nappe à carreaux sur la table de vos rancœurs. Tout est prêt. Votre repas sera frugal, frugal mais d’une exquise saveur. Ce soir, vous dînerez de rêves retrouvés que vous déposerez sur l’assiette blanche de votre cahier.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Ce matin, je fus envahi par une étrange impression. Celle d’être écartelé par deux nécessités contradictoires. Comme si toutes deux m’imposaient de me partager et de courir vers elles dans le même élan. Comprends-tu mon désarroi, mon cher I. ? Comment peut-on être à la fois l’acteur et le spectateur de ce monde ? Tu sais bien que c’est là chose impossible. Alors pourquoi ces deux nécessités s’acharnent-elles ainsi à vouloir cohabiter ? Réponds-moi, je t’en prie. J’ai tant de peine à les entendre ensemble. C’est là une épreuve insurmontable. Je t’en prie, dis-moi comment concilier ces deux servitudes qui brûlent mes jours et consument mes nuits ? Je t’en prie, réponds-moi. Et dis-moi comment passer de l’une à l’autre, comment réaliser ce rêve utopique, cet irréalisable compromis. Je t’en prie, j’attends ta réponse avec impatience.

 

 

L'irrépressible nécessité d'avancer

Tout chercheur existentiel aspire à progresser dans sa quête. Il lui faut avancer coûte que coûte. Nulle place pour l'immobilisme. Cheminer est à ses yeux son seul salut et son unique dessein. 

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Tu n’es pas sans savoir, mon cher I. que la vie a toujours été, à mes yeux, un chemin (chemin de croix et d’ornières) sur lequel chaque jour il me fallait avancer. Et aujourd’hui, je me sens bien désemparé face à cette impérieuse nécessité que je ne comprends plus guère et qui me pèse bien plus qu’autrefois. (...) Et tu sais bien, mon cher I., que je préfèrerais mourir plutôt que renoncer à cette absurde quête de sens. Tu comprendras donc qu’il me soit impossible de me délecter par désespoir des maigres plaisirs que cette vie peut m’offrir. Et je désespère de cette impossibilité.

 

(extraits) PAGES DE VIE : Ce soir, vous peinez à écrire comme si chaque mot ravivait votre plaie de vivre comme une brûlure sur votre joie. Depuis quelques jours, vos journées se vident et vous êtes incapable de remplir la page blanche du soir.

 

Depuis toujours, vous allez ainsi, dans la vie comme dans l’écriture, d’un mot à l’autre, d’une histoire à l’autre, avec peine, de douleur en souffrance en cherchant vos mots, en cherchant votre vie poussé par cet impérieux désir d’en venir à bout. Mais cette recherche est sans espoir car les mots et la vie filent entre vos doigts, insaisissables, comme un ruisseau de chagrin qui achève sa course dans l’océan noir de vos pensées.

 

Depuis quelques temps, la vie ne nourrit plus vos jours et les mots n’apaisent plus votre faim de vie. Pour vivre des mots, vous avez oublié les mots à vivre. Et vous vous égarez dans les mots comme dans la vie, incapable d’endiguer la force chavirante de ce mélange. Vous passez des mots à la vie aspiré dans le cercle de votre confusion, dans la ronde enivrante de la vie et de l’écriture. Sur la page blanche, vous rayez les mots comme des amis inutiles, incapables de vous réconforter. Avec eux, vos rencontres s’espacent puis s’estompent. Alors meurtri, vous regagnez votre chambre de solitude en tirant sur vos épaules fragiles la lourde couverture d’un livre, mille fois parcouru. Et vous restez ainsi cloîtré dans l’absence, au seuil de la vie, au seuil de l’écriture.

 

Puis un jour, d’autres mots, d’autres amis surgissent. L’écriture revient et la vie réapparaît comme s’ils refaisaient surface des abîmes de l’absence, l’absence qui nourrit l’oubli. Puis vous oubliez l’oubli. Et de nouveau sur la page, vous écrivez quelques mots, quelques signes de vie. Ainsi, jour après jour, vous poursuivez votre chemin de mots à noircir vos pages de vie.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Mes journées sont vides, mais je me refuse à sombrer dans le répit. Du désœuvrement, je tomberais dans le néant. Et ma conscience, même affaiblie par la fièvre, ne saurait être dupe. J’imagine alors que je me laisserais doucement dériver vers la déchéance, comme un homme tombé à la mer, qui se sait irrémédiablement perdu. Non, je préfère encore me résigner à ce rôle de naufragé, agrippé à cette embarcation de fortune, construite à la hâte avec quelques débris de mon passé. Oui ! Je suis comme ces naufragés accrochés à un morceau d’épave de leur enfance, sur le point d’être englouti par les vagues de l’attente, avec le faible espoir de voir surgir bientôt une île, comme une terre d’espérance. Et sur elle, j’espère bientôt pouvoir échouer pour faire entrer mon âme en convalescence. Et mes forces revenues, je me sentirais alors le courage de partir à la découverte de ces frontières nouvelles pour y dénicher quelques trésors. Là, je pourrais enfin me sentir tel un Robinson heureux, remerciant le ciel d’avoir échappé à son destin de matelot, contraint à l’obéissance et soumis aux seuls ordres de la capitainerie et bénissant la terre de s’être soustrait à son destin de naufragé ballotté par l’effroyable tyrannie du monde. Enfin, je pourrais apprendre à vivre seul sur cette île, face à mes incertitudes et mes faiblesses, puis je les apprivoiserais pour vivre en leur douce compagnie. Et peut-être trouverais-je alors la paix et la joie, encouragé par ces nouveaux compagnons de silence et de solitude ; une sérénité tranquille et indifférente à ma médiocrité et à la sordidité du monde. Un havre qui me protègerait des hommes et de moi-même comme un pas supplémentaire vers la contrée radieuse de mon existence.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Etrange sentiment, celui d’avoir enfin trouvé sa voie. Et aussitôt la peur qui m’envahit, cette peur indicible de ne plus savoir ni même d’avoir envie de faire autre chose. La peur de ne plus souffrir, celle d’avoir trouvé, la peur d’être heureux, celle de se satisfaire de cette chose effrayante que d’aimer faire ce que l’on fait. La peur d’y consacrer sa vie entière, celle de s’y consacrer chaque jour avec plaisir, de se lever chaque matin avec cette joie farouche qui vous envahit, la peur de rentrer chaque soir avec cette fatigue sereine et heureuse, et celle de n’avoir plus d’autres envies que de vaquer à ces inévitables et triviales tâches domestiques ; travailler, manger, boire, dormir, et se divertir… Quelle tristesse, cela serait ! La peur de perdre cette soif de soi, et celle de perdre cette recherche obsessionnelle du sens de l’existence, la peur de perdre celui que je suis et celle de devenir un autre que j’ignore et que je méprise déjà.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : J’éprouve comme un irrépressible besoin de pluralité, un besoin de goûter tous les univers du monde, un peu ici, un peu ailleurs, un peu plus loin, là-bas… Expérimenter la vie, découverte après découverte, avec cette angoisse, cette joie et cette tristesse si caractéristiques du voyageur. M’emplir d’existences, de richesses et de malheurs pour me fortifier et avancer vers moi-même.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : J’éprouve l’irrépressible besoin de nourrir mon esprit. A quoi bon pourtant ? M’arrive-t-il parfois de penser. Pourquoi satisfaire cette nécessité ? Et aussitôt, je pense à tous ces hommes qui m’entourent ici, englués dans leurs instincts ordinaires. Serait-ce pour ne pas devenir comme eux ? Pour ne pas m’animaliser ? Pour ne pas sombrer dans l’instinct bestial qui seul semble les maintenir en vie ? Pour ne pas devenir à leur image, des estomacs sexuels et utiliser ce don de penser autrement qu’à poursuivre ce genre de desseins, pour aller au-delà du sexe et de l’acte de se nourrir. Oui, pour exister et construire sa vie par-delà le divertissement, le plaisir et le besoin. Pour bâtir ses piliers existentiels sur d’autres valeurs plus élevées et plus nobles. Oui, résonne en moi cette impérieuse nécessité d’aller plus loin, d’aller plus haut, de franchir mes propres frontières si étroites et que je franchis pourtant toujours avec peine, avec effort, comme paralysé par le doute, la souffrance et le bien-fondé de cette démarche, démarche incomprise, incompréhensible par le monde, par mon entourage, par mes proches qui me susurrent à l’oreille : « Mais à quoi bon chercher ? La vie est si simple, difficile mais si simple ; un toit, de quoi manger et un peu d’affection font toujours l’affaire.» Mais la vie peut-elle se limiter à cette affaire ? N’avons-nous pas besoin d’autre chose ? N’y a-t-il pas un autre sens à découvrir, à atteindre, à suivre et à vivre peut-être? Oui, un sens à vivre tout simplement.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : L’absence de tout mouvement de pensée, la disparition de toute volonté d’évolution engendrent une forme de repli sur soi, une consolidation excessive des convictions que l’on érige alors en principes absolus, inaltérables, vice rédhibitoire à la compréhension de l’Autre et de ses différences. Ces Autres qui forment le reste du monde, leur existence, leurs idées, leurs actes, tout cela est alors rejeté en bloc avec force et violence. Beaucoup d’hommes sont ainsi. Des esprits ankylosés, figés, prisonniers de leur pensée étroite. Des esprits immobiles enlisés dans leurs médiocres et fallacieuses vérités.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Les années passent comme les jours, insoucieuses de nos déboires, en traçant ce chemin que nous suivons pas à pas et où je chemine aujourd’hui comme un automate aveugle et ignare. Où et quand ce chemin s’arrêtera-t-il ? « Tais-toi» me dit une voix, « tais-toi et marche ! ». Je me tais et poursuis la marche, le pas résigné et songeur, continuant d’hésiter à chaque carrefour.

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES : Si l'on demandait à chacun de dessiner la carte des souffrances et des bonheurs humains, nul ne s'entendrait ni sur les territoires ni sur l'itinéraire pour traverser l'existence sans encombre.

 

Il y a dans la vie de chaque Homme, des parcelles de bois sombres, des clairières lumineuses, des coins de terre obscurs et des bouts de ciel bleu, une infinité de paysages inexplorés. Le vrai voyageur quitte sa demeure pour aller arpenter ce monde.

 

 

Le sentiment de différence

Le chercheur existentiel se sent foncièrement différent de ses congénères (sans l'être véritablement, bien sûr). Il a le sentiment que ses aspirations et ses centres d'intérêt sont peu partagés par les autres hommes. Le plus souvent, il se croit seul à poursuivre une telle démarche et se pense très isolé dans ses aspirations existentielles et/ou son itinéraire de vie. 

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Conversations entendues cet après-midi au café, à la table voisine où étaient assises trois jeunes femmes. Très vite, on comprend. L’ennui, l’habitude et la routine. Un mari, des enfants et un travail. Souvent, on emplit sa vie ainsi, malgré nous, trop écrasés par les conventions. La normalité comme seule issue, avec dans la voix cette légère intonation qui trahit notre résignation forcée. Comme si nous n’osions dire qu’à demi-mot : « Que voulez-vous ? C’est ainsi … »

 

Pourtant, en général, nous nous félicitons tous de ce bonheur sans grâce, trop faibles ou trop lâches pour y renoncer, trop effrayés peut-être d’avoir à éprouver l’écrasante pesanteur du changement, ses incertitudes et le doute qu’il nous insuffle ; la rançon de l’exaltation. Nous préférons nous enfoncer dans le fauteuil confortable de la routine, nous laisser bercer par la mollesse des années, où chaque jour le corps se fait plus pesant, plus lourd d’accablement, plus difficile à mouvoir. Le temps passe. Et avec lui, les déplacements se font plus lourds encore, plus lents, plus espacés et plus difficiles. Et bientôt on ne se déplace plus que du travail au foyer, du foyer au centre commercial, puis on retourne chez soi dans l’inertie du quotidien. Incapable de courir vers d’autres horizons, vers l’inconnu des songes, trop engourdis par l’éventualité de perdre nos petits trésors de confort si laborieusement accumulés. Quelle bien triste résignation que celle qui emprisonne nos vies, qui enracine nos désirs et qui enferme notre espoir dans le cercle exigu du quotidien, inchangé, inchangeable. Qu’il est difficile de faire le grand saut, de sauter sur l’autre berge par-dessus l’abîme effrayant avec la peur au ventre, la peur de se perdre dans la grande faille du vide. Aussi préférons-nous nous enfoncer toujours plus loin dans cette longue impasse du quotidien, y ajoutant chaque jour, quelques pavés pour, le lendemain, y poursuivre notre route. Quelle désastreuse erreur que cette tentative obstinée de faire sans cesse reculer la fin de cet étrange chemin qui a beau durer une vie entière, mais qui n’en demeure pas moins une effroyable impasse, une terrible voie sans issue.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Flot submergeant de citadins, pour la plupart employés de bureau. Tous les voyageurs semblent se connaître. Conversations futiles et rires idiots. De quoi parlent-ils ? Famille et travail, sans exception. Qu’ils me semblent étriqués et peu naturels, engoncés dans leur costume, avec leur eau de toilette bon marché, leurs cheveux soigneusement coiffés, si propres sur eux pour rejoindre leur bureau. Je détourne la tête pour regarder mon reflet dans la vitre. Et j’y vois un homme aux vêtements froissés, aux cheveux hirsutes, à la mine fatiguée qui rêve déjà à ses prochaines aventures campagnardes, saines et aérées, loin des bureaux et de ces petits employés, loin du monde, loin de lui-même et de toutes ces pâles existences de pantins écrasés par les conventions artificielles de cette vie citadine.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Le train me ramène vers P. Hautes collines vallonnées où paissent quelques troupeaux. La rame est bondée. Beaucoup d’hommes d’affaires. Tous portent le même costume. Sombre strict, impeccable. Les mêmes souliers de cuir noir. Les mêmes chaussettes grises. Seule la cravate les différencie. Colorée, vive et joyeuse, choisie dans un médiocre élan d’originalité. Sur le visage, le même sourire. Faussement naturel, exagérément courtois. Le même regard satisfait et suffisant où brille une lueur trop forte, exagérée d’arrogance et d’orgueil. Mais sous la pellicule de fierté, on perçoit le vide, la tristesse et la mort. Et tous peinent à cacher cet abîme effrayant, cette fissure d’avec le monde qu’ils ont creusée au dedans, et dans laquelle ils se sont enterrés, dans laquelle ils se sont enfouis et dans laquelle ils ont fini par s’enliser, se coupant ainsi de leurs proches, de leur prochain et de la vie même. Je les regarde avec pitié et je pense à mon existence, à ce qu’elle sera et à ce que je souhaite lui offrir, m’imaginant déjà là-haut, seul, loin de ces regards trop pleins d’eux-mêmes à courir après mes vérités.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Décalage. Décalage entre eux et moi. Gigantesque et imperceptible décalage. Comme un immense abîme, comme une mince frontière qui nous sépare. Tout respire notre dissemblance, si visible. (...) Avec eux, j’hésite entre l’indépendance délibérée et les rapprochements maladroits dans une sorte d’atermoiement un peu lâche, sans me résoudre à opter pour la liberté ou l’intégration, pris entre les feux de la solitude et de la compromission. Entre ostracisme subi, rejet réciproque et exclusion volontaire. Je pressens pourtant une vague préférence pour la reconnaissance comme si je souhaitais être reconnu membre indépendant de ce collectif, soucieux ainsi de perpétuer mon originalité au sein du groupe.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Brusque énervement face à cet univers, à son ignorance incurable, devant ce mur de stupidité érigé en forteresse inexpugnable. Et pourtant je me tais. J’écoute simplement ces hommes qui haïssent la différence et qui la rejettent loin, très loin d’eux-mêmes dans une sorte de peur instinctive, de cette peur maladive d’être contaminé, comme si cette contamination pouvait leur être fatale. Non, jamais la différence n’est comprise et plus rarement encore acceptée. Les hommes préfèrent camper sur leurs maigres certitudes étroites et rassurantes.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Fuir le monde, la vie courbée, pris au piège de l’insipide fadeur des rapports humains, assujetti à l’hégémonie des fonctions sociales qui écrasent et anéantissent les êtres. Soumis et obéissant. Jamais. J’aspire trop à la liberté. Conserver cette liberté de penser, d’agir, d’exprimer, cette liberté de vivre et d’exister. Oui, la liberté d’exister tout simplement. Je ne revendique rien d’autre que cette liberté indépendante, rien d’autre que ce droit à la non appartenance, que ce droit à la différence dans ce monde où toutes ces choses sont si éhontément bafouées et où tous ceux qui s’en proclament subissent peu ou prou en victime l’ostracisme de la masse qui perpétue et propage la maladie de la normalité. Normalité si louable à leurs yeux, si obsolète et si écrasante aux miens. Non, je ne revendique rien d’autre que cette liberté d’exister autrement et de vivre ma différence.

 

 

La solitude

Le chercheur existentiel est un être foncièrement solitaire. Sa quête l'exige... et son sentiment de différence le soumet souvent à cette solitude. Malgré la souffrance qu'elle peut parfois engendrer, elle demeure sans doute sa meilleure amie et sa plus fidèle alliée.

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Le vent s’engouffre par la fenêtre entrouverte. Dehors, le mauvais temps rugit, abattant sa colère sur les hommes. Je contemple le ciel sombre qui précipite les nuages vers l’horizon. Ils passent devant la fenêtre en un éclair et disparaissent aussitôt derrière le mur du ciel. Balancés par la furie du déluge, les arbres se penchent dangereusement.

 

J’aime ce temps. Lourd, triste, impétueux et gonflé d’orgueil qui s’abandonne à son inquiétude et à son mécontentement comme s’il faisait écho à ma propre colère. Il sait que son humeur fâcheuse nous déçoit et nous malmène, mais il ne s’en soucie guère et préfère être l’esclave de ses seules mouvances intérieures.

 

Depuis vingt jours, il pleut. Une pluie bienfaitrice qui redonne à la terre son pur visage. Une colère du ciel qui cache le vide effrayant du monde. Les hommes se cachent, terrés chez eux à se lamenter de cette pluie ininterrompue. Je les vois cachés derrière leurs murs, à l’abri du ciel ombrageux, trompant leur ennui devant les éclairs bleutés de leur téléviseur. Je les imagine protégés derrière leurs rideaux à maugréer devant l’impossibilité de sortir, contraints de reporter leur escapades de chalands assoiffés, obligés de différer leur promenade désœuvrée dans les rues marchandes du centre-ville. Décidément je ne comprendrais jamais ce besoin insatiable des hommes à la consommation, ce besoin compulsif d’amasser le monde pour le faire entrer chez soi, ce besoin quasi vital de se gaver du bonheur de posséder, comme si tous se laissaient mener par l’insidieuse mélodie de l’accumulation, bercés jusqu’au tournis par la valse insatiable de cette étrange sensation de plénitude éphémère et inconsistante.

 

Vingt jours de pluie qui ont débarrassé les rues de l’impureté des foules et de leurs courses stériles, et autant de jours où je me suis purifié de la saleté du monde. Vingt jours de désert abandonnés par les foudres de la consommation aux rares amoureux de la pluie. Depuis vingt jours, ce temps sombre a éclairé mes promenades, et les a illuminées de tranquillité et de joie. Chaque jour, je pus ainsi m’emplir de solitude sur les chemins déserts de la ville et récolter cette pluie de printemps comme de l’or tombé du ciel. Vingt jours pendant lesquels je pus goûter sa fraîcheur qui me caressait le visage et venait enrichir ma joie, en déambulant sur les voies tranquilles, l’âme heureuse dans cette tourmente des paysages, l’esprit avide d’orage et de solitude, et le cœur riche de me retrouver enfin seul au milieu du monde. Heureux dans cette solitude retrouvée.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Chaque soir, je rentre par le petit sentier qui mène au cabanon. Je regarde le soleil qui tombe derrière les collines en illuminant, à cette heure du jour, le ciel de cette lumière bleue orangée si particulière. Ma journée s’achève ainsi à la nuit naissante. Je rentre chez moi. Loin des bruits de la ville, loin du monde et de sa vaine agitation, loin de toutes ces exubérances citadines. Je rentre chez moi, sale, puant et fatigué, mais heureux. Heureux de cette journée et de ces quelques lignes que j’écris chaque soir sur mon cahier. Heureux de cette vie de labeur, rude et authentique. Heureux de cette solitude et de cet isolement. Heureux d’être seul au monde avec ma vie et mes vérités, sans l’Autre qui n’a pas de place ici. Ici, où je n’ai aucun compte à rendre excepté à moi-même. Oui, j’aime cette existence. Cette existence sans fard, loin des apparences et de la superficialité de mes contemporains. Cette existence qui embrasse la réalité nue et parfois cruelle de la nature, à mille lieux de la barbarie insidieuse du monde qui cache si souvent son nom, sa violence et sa perfidie pour mieux tromper les hommes.

 

(extrait) DOCPSI OU LES MAUX DU DESTIN : On a beau dire, on est tout de même bien seul. Même ici, avec les miens. J'ouvre le cahier. J'écris : On a beau dire, on est tout de même bien seul. J'hésite à écrire avec les miens. Je ferme le cahier. Non, je ne peux pas écrire avec les miens. Jamais personne ne m'a appartenu et jamais personne ne m'appartiendra. Je suis ainsi. Seul et sans attache. Moi qui étais si possessif. Je me demande pourquoi ça a disparu. Je réfléchis. La déception de ceux dont j'ai croisé le chemin, ceux qui ont partagé ma vie et ceux dont j'ai partagé la vie ? C'est idiot ! On finit toujours pas décevoir ou être déçu. Je n'aime pas ça. Mais qui aime ça ? Personne, je crois. J'ai appris à ne plus avoir envie de décevoir ni que l'on me déçoive. Je préfère rester seul. C'est dur. Très dur. On souffre beaucoup. Parce que les autres ont tellement de bonnes choses à nous offrir.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Les heures paisibles et le temps vide, à occuper. Les heures méditatives et sereines. Les longues heures de solitude à écrire, à rêver et à se laisser lentement imprégner par la beauté sauvage du monde. Loin de la férocité citadine, dans mon refuge solitaire. Si loin de cette société cruelle, machine à broyer les hommes et à anéantir les vies, machine à asservir le monde. Ici, je suis libre et seul. Seul, libre et soumis aux exigences de cette liberté à laquelle je me suis délibérément astreint, par choix, par nécessité. Pour survivre à ma solitude, à mon isolement, à la rudesse de cette existence simple, belle et authentique.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Nous sommes seuls. Evidemment, nous sommes éternellement seuls. De la naissance à la mort. Et entre ces deux extrêmes, nous entourons notre solitude de présence(s) pour oublier ou pour atténuer cette souffrance de cheminer seul dans le monde. Mais que peut la présence d’autrui face à l’intrinsèque solitude qu’est la nôtre ? Face à cette solitude qui fait de nous des êtres foncièrement et irrévocablement livrés à nous-mêmes ?

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES : Aux yeux du monde, le solitaire est sans doute l'individu (l'être) le plus suspect qui soit. On le perçoit (sûrement) comme un homme indigne de toute compagnie. Mais pourquoi ne s'interroge-t-on jamais sur l'indignité de toute compagnie?

 

Nous sommes tellement prisonniers de notre vie, tellement occupés par nous-mêmes que nous avons toutes les difficultés du monde à accorder une place réelle à ceux qui vivent avec nous (nos proches), à accueillir (y faire entrer) ceux qui vivent à nos côtés (voisins, amis) et à ouvrir la porte à ceux que nous croisons (connaissances, passants, inconnus).

 

Notre vie est une étrange synthèse, un étonnant mélange d'un trop plein de soi et d'un immense désert de l'Autre.

 

Vivre, c'est marcher seul dans un désert peuplé d'ombres. Et lorsqu'il nous arrive de nous cogner contre elles, on s'en trouve déboussolé, désorienté, ne sachant plus quel chemin emprunter…

 

Nous n'accordons souvent une place aux autres dans notre vie que pour emplir un espace que nous ne savons ou ne parvenons pas à combler nous-mêmes.

 

Notre vie est souvent une terre aride, impropre à faire naître (et croître) toute rencontre.

 

Nous ne rencontrons jamais personne. Le plus souvent, nous ne croisons que des fantômes égarés qui se fuient eux-mêmes, et au mieux, des fantômes affamés qui errent dans le monde à la recherche d'eux-mêmes.

 

Dès qu'il sortait de chez lui, il revêtait une carapace de froideur arrogante pour ne laisser entrer le monde dans son cœur. Car il en avait toujours eu très peur et il rêvait secrètement depuis l'enfance que ceux qu'ils croiseraient se cogneraient contre cette paroi glacée et finiraient par glisser à ses pieds. Mais c'est toujours l'inverse qui se produisait. Tous le fuyaient comme l'abominable, l'infréquentable homme des neiges. Et il mourût seul enseveli sous des tonnes de glace.

 

Lorsque je me sens fragile et vulnérable, je reste chez moi, le cœur recroquevillé sur ma table de travail. Dans ces instants, il arrive (pourtant) que la vie se bouscule devant chez moi, frappe à ma porte, m'appelle par la fenêtre et je fais comme s'il n'y avait personne, je me cache, le cœur tapi sous mes feuilles de papier et j'attends que la vie passe et aille frapper à une autre porte.

 

 

Le désespoir

Le désespoir est un sentiment fréquent chez le chercheur existentiel. Signe de son incessante insatisfaction et de son irrépressible (et parfois utopique) besoin de concilier sa vie et ses exigences intérieures. Le désespoir peut inaugurer une crise existentielle grave et dévastatrice qu'il lui faudra traverser. S'il en sort (et il n'y a aucune raison qu'il ne parvienne à s'en sortir), il s'en trouvera assurément aguerri et renforcé dans sa démarche.

 

(extraits) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Il n’y a plus rien à faire. J’ai tout essayé. Le monde est trop laid, trop lâche et trop cruel. J’ai donc décidé de rester seul avec moi-même, avec mon dégoût du monde et l’horreur de ce que je suis. C’est ça ou la mort. Et quand bien même je le souhaiterais, je ne peux me résoudre au suicide. Je suis trop lâche, je dois me résigner à vivre.

 

Devant l’indifférence du monde, j’ai choisi le silence. Le silence de la colère. Le silence de la douleur. Le silence des mots que la voix ne peut exprimer. Le silence de la solitude. Le silence de la pièce close. A l’abri du monde, replié sur soi, terré derrière ma table de travail.

 

Parfois je m’imagine être un autre, un de ces hommes qui aime la vie, qui aime sa vie, un de ces personnages heureux, fier de ce qu’il est, de ce qu’il fait et de ce qu’il possède. Moi, je ne suis rien, je ne fais rien. Je ne possède même pas ma vie. C’est à elle que j’appartiens. Et c’est elle qui me livre aux évènements que je me résigne à suivre en geignant et en traînant les pieds.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Aujourd’hui, tout me semble inaccessible. Vivre même est au-dessus de mes forces.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Hier, après avoir terminé ta lettre, je me suis couché au bord du désespoir. Et ce matin, c’est le dégoût et l’angoisse qui m’ont réveillé. Je me suis levé avec un profond sentiment d’écœurement. Se lever a été, je t’assure, cauchemardesque. Puis lentement mes ignobles activités m’ont tiré de ce coma. Je m’y suis consacré tout le jour en traînant ma carcasse et mon apathie, l’esprit totalement absorbé par ces vaines occupations. Et seule, la tension nerveuse, je crois, me fait encore tenir debout ce soir. A l’intérieur, je me sens si vide, presque mort. Et pourtant, je n’en continue pas moins d’avancer chaque jour, cahin-caha sur cet étrange sentier qui m’éloigne de moi-même sans véritablement me rapprocher du monde. J’ignore si je tiendrais longtemps encore. Ces derniers jours, mon courage et mon endurance (bien médiocres, t’en souviens-tu) ont été rudement mis à l’épreuve. Et je les sens ce soir au bord de la défaillance. Crois-moi, mon cher I., cette course folle me désespère et m’épuise ! Si tu savais comme ce retour au monde me ronge… je ne suis plus aujourd’hui que l’ombre de moi-même. Je dois avoir l’air d’un fantôme sans vie qui court dans la nuit après ses rêves illusoires. Je ne suis plus qu’un ersatz de ce que j’étais et qui en oublie jusqu’à l’essentiel en poursuivant jusqu’à l’épuisement cette obsession désespérée.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : La désespérance d’attendre. Une vie entière à attendre... Et ce temps qui passe me désespère... Mais qu’attendons-nous en cette vie, sinon la joie, sinon l’impossible bonheur de vivre ? Cette vie est décidément sans espoir. Elle nous exhorte d’espérer. Et nous, pauvres hommes, avons l’inconscience de la croire et la folie de soumettre nos vies à cette vaine espérance…

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Ces quelques jours de réflexion m’ont été salutaires. J’ai pris une décision que je pense sans appel : je renonce définitivement à mon retour au monde. Est-ce là un choix judicieux ? Je l’ignore. Pourquoi et comment me suis-je décidé ? Je ne saurais davantage te répondre. Peut-être me demanderas-tu alors ce qu’il reste de toute cette stupide frénésie dans laquelle je me suis jeté ? Rien, mon cher I., il n’en reste rien. Quelques pages griffonnées, une succession d’efforts anéantis et l’inébranlable certitude de m’être de nouveau fourvoyé sur un chemin qui n’était pas le mien. Et aujourd’hui, comme autrefois, j’ai le sentiment d’être un vagabond sur le bord de la route qui ne sait où aller et qui préfère, par dépit, s’asseoir sur le bas-côté pour regarder passer ses congénères (pressés) qui poursuivent leur chemin avec opiniâtreté, sûrs de leur destination et confiants dans leur trajectoire. Oui, mon cher I., je crains de n’avoir toujours été qu’un éternel ébaucheur, qu’un éternel faiseur de projets inaboutis qui préfère regarder passer le monde sans se mêler à sa course stupide. Oui ! Crois-moi, mon cher I. ! Chaque pas en cette vie n’aura été pour moi qu’un éternel recommencement. Et le monde n’aura été qu’un dédalle de sentiers labyrinthiques dans lequel je n’aurais cessé de me perdre et qui m’aura toujours ramené à l’endroit même où j’avais commencé mon voyage. N’ai-je pas d’ailleurs toujours été l’infatigable adepte (et le laborieux marcheur) de mes longs et ineptes voyages immobiles ? Tu sais, mon cher I., il m’arrive pourtant de ressentir l’infinité des possibles qu’offre le chemin de la vie. Mais lorsque mon regard embrasse ces horizons ouverts, tous se referment à mon approche. Comme s’ils m’étaient inaccessibles… La distance, tu le sais bien, m’a toujours découragé. Aussi dois-je me contenter de regarder l’horizon, les pieds englués dans la fange de ma velléité paresseuse, en me consolant avec d’hypothétiques projets qui ne verront jamais le jour. Mes rêves, tu le sais aussi, ont toujours été obscurs, et mes idées toujours échafaudées durant la nuit, à ces heures de grâce où tout me semble possible, où mes pensées prennent corps et où mes projets deviennent réels et accessibles. Mais au réveil, ces songes merveilleux ne sont malheureusement plus que ruines, incapables d’affronter la réalité et d’entrer dans l’incontournable lutte avec le réel. Aussi ces songes, restent-ils en moi, découragés, anéantis, écrasés par les efforts qu’il me faudrait déployer pour les faire naître. Pourquoi se recroquevillent-ils ainsi ? Pourquoi ? Est-ce l’incertitude qui m’habite ? Ce doute terrible qui me confine à l’indécision ? Oui. Peut-être… peut-être n’est-ce après tout qu’un manque de confiance en la vie ? Oui, voilà sûrement l’origine de cette indécision : mon manque de foi en la vie. En définitive, peut-être ne crois-je en rien ; ni en la vie, ni en moi ni en mes idées. Je n’ai d’ailleurs en cette vie aucun espoir. Et c’est-là un lourd handicap pour s’investir dans un projet, se consacrer à une « œuvre » ou mener à terme quelque activité ! Comment veux-tu dès lors, mon cher I., qu’aboutisse la moindre de mes entreprises ? Je n’ai rien à prouver, ni à moi-même ni au monde. Je ne souhaite ni briller, ni réussir. Je n’obéis le plus souvent qu’à mon bon vouloir, par plaisir ou par nécessité. Et je n’aspire surtout qu’à vivre en paix avec moi-même. Oui, je crois que ma vraie motivation est là : vivre en paix avec moi-même. Et dans mes jours fastes, c’est cette aspiration qui donne un sens à ma vie et à l’œuvre que je tente d’accomplir. Et dans mes jours sombres (autrement dit la plupart du temps), cette aspiration même disparaît. Je n’éprouve plus alors ni plaisir ni nécessité à vivre et à poursuivre mes travaux. Ne me reste plus qu’un sentiment d’absurdité à l’égard de tout. Aussi dois-je me contenter de regarder avec envie et ironie ce monde qui s’agite en frétillant bêtement autour de moi.

 

 

L'art et la création

La création artistique (au sens large) est souvent l'un des rares instruments à la disposition du chercheur existentiel pour mettre en œuvre sa quête. Elle lui permet d'élargir sa compréhension (du monde, de la vie et de lui-même), de poser parfois quelques repères, de mettre à jour une cohérence dans sa démarche (ou sa trajectoire de vie) et de lui assurer une matière (infiniment renouvelable) nécessaires à la poursuite de ses recherches.

 

(extraits) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Ecrire comme exercice nécessaire à la poursuite des jours. Ecrire comme acte de survie. Ecrire la vie comme une traînée de poussière sur notre passé.

 

Ecrire comme nécessité absolue, comme nécessité fondamentale. Ecrire pour alléger le fardeau de vivre. Ecrire chaque pensée, chaque sentiment, chaque acte trivial et quotidien. Ecrire chaque jour vécu comme une œuvre unique.

 

(extraits) PAGES DE VIE : Aujourd’hui, vous sentez que votre écriture s’est transformée, qu’elle s’est muée en une chose nécessaire et presque vitale. Mais il vous faudra maintenir l’écriture à distance et ne lui accorder plus de prestige ni d’autorité qu’elle ne voudrait s’en donner car l’écriture n’est pas la vie. La vie est ailleurs. La vie habite sans doute une région encore inaccessible pour vous. Vous devrez donc poursuivre votre chemin hors de l’écriture, emprunter un chemin plus ancré dans la vie, approfondir votre connaissance des contrées existentielles découvertes et partir à la recherche d’autres encore inconnues. La vie s’y trouve sûrement. Et il vous faudra sans doute marcher longtemps avant de la rencontrer… Peut-être l’avez-vous d’ailleurs déjà effleurée lors de vos promenades ? Peut-être même vous a-t-elle déjà souri ? Et vous, sot que vous êtes, vous deviez encore avoir la tête dans les étoiles à suivre l’un de vos chemins de mots, et vous êtes passé sans la voir. Alors, à l’avenir, soyez plus attentif à la vie, cherchez-la davantage et avec plus de soins ! Restez vigilant ! Soyez à l’affût du monde !

 

Jamais l’écriture ne pourra vous servir de corde pour vous hisser jusqu’à la vie, ne voyez en elle qu’une façon de trouver une meilleure prise pendant l’ascension. L’alpinisme est un sport à haut risque. Et l’existence comme la haute montagne recèle mille dangers. A chaque instant, au moindre faux pas, la chute vous guette. La chute abyssale, la longue glissade vers le gouffre du désespoir et sûrement la mort au fond du gouffre.

 

L’écriture n’est qu’une façon de mettre en scène votre vie, qu’une façon supplémentaire de vous envelopper dans votre égotisme. D’ailleurs ce que vous écrivez, cent fois, mille fois, des millions de fois peut-être, d’autres avant vous l’ont déjà écrit… alors au fond quelle importance ce que vous écrivez ? Il n’y a aucun crédit à accorder à l’écriture. Vous écrivez, c’est un fait, vous éprouvez l’impérieux besoin d’écrire, mais au fond est-ce qu’écrire a quelque importance ? Au diable donc ce que vous écrivez ! Fuyez comme la peste ce sentiment absurde et pernicieux que développe bon nombre de ceux qui écrivent. Et promettez-moi de ne jamais vous sentir écrivain ! Promettez-moi de ne jamais espérer appartenir un jour au cercle étroit des lettrés et des auteurs reconnus. Je vous en conjure, prenez garde à ne pas vous ensevelir sous cette mascarade puérile, insensée et égocentrique. Ne prenez jamais plaisir à jouer aux martyrs de la page blanche, ne vous enchaînez pas aux délices perfides de l’inspiration, prenez soin de ne jamais vous enfermer dans l’écriture car vous vous couperiez de l’essentiel ; vous négligeriez la vie, la vraie. Alors, je vous en conjure, levez-vous, éloignez-vous de vos phrases, écartez-vous de cette quête pesante du mot juste, refermez votre carnet et rejoignez le monde, retrouvez la vie ! Oui ! Prenez soin de vivre, de poursuivre votre existence ! Ne désertez jamais la vie ! N’abandonnez jamais la chance de vivre et le bonheur d’être, celui d’écrire suivra, soyez en sûr ! Pour bien écrire, il vous faudra d’abord bien vivre, non une vie riche d’évènements, une existence foisonnante d’aventures, mais une vie intense où vous saisirez chaque seconde qui passe pour en extraire l’entière substance, non dans le dessein dérisoire de l’écrire mais afin de comprendre la vie, d’apprivoiser votre existence et de mieux les vivre toutes deux. Parce que la vie et votre existence méritent qu’on les empoigne ainsi, tout en elles nous invite à recueillir leur saveur. Une existence simple pourra vous combler de bonheur et de joie pour peu que vous sachiez entendre le souffle de la vie. Alors, je vous en conjure une dernière fois, oubliez vos ombres d’écriture, quittez votre table et vos crayons et regagnez le monde, rejoignez la terre des hommes, retrouvez la vie, retrouvez votre vie! Construisez votre existence et vos livres, croyez-le, se bâtiront d’eux-mêmes. Vivez ! Et la vie vous donnera matière à vivre et à écrire !

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : Être comme les autres, à se dépêtrer dans le labyrinthe étroit du quotidien. Rien d’autre ou presque et cela contente l’âme. Bien des gens vous le diront, et chez bon nombre d’entre eux vous le verrez. Tout en eux transpire cela, tout en eux suinte ce goût si mesquin et si ordinaire pour la matérialité. Et puis, un peu plus tard, un autre jour, c’est là ! Vous le sentez ! Ça revient ! Ca ressurgit d’on ne sait où, et ce besoin de dire et de témoigner vous reprend ! Ca sort en jets brûlants, comme un volcan trop longtemps endormi, comme une renaissance, avec l’envie de partager ce magma informe qui se déverse sur votre vie, avec la joie de dire cette souffrance de vivre. Et ça vous brûle de l’intérieur ! Et ça vous ronge au dedans ! C’est une force irrépressible qui vous submerge et vous projette, impuissant dans une jubilation triste, joyeuse et frénétique.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : La joie de construire de ses mains ; bois, pierre, fer, terre… La joie de donner forme. Le plaisir immense – et presque maternel – de donner vie. S’approprier les éléments pour les ennoblir avant de les rendre libres.

 

(extrait) UNE TRAVERSEE DU MONDE : L’écriture est un exercice cathartique, une sorte d’exutoire thérapeutique inoffensif où l’on peut déverser sa violence sans se détruire ni porter préjudice à autrui. On peut s’y perdre et y sombrer. Mais le plus souvent, l’écriture nous sauve de nous-mêmes et de cet abîme d’avec le monde. Je crois que j’écris pour cette raison, pour ne pas sombrer dans la folie de la destruction systématique de cette inhumanité que je porte en moi et que le monde porte en lui.

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Si tu savais comme j’aspire encore à cette vie de création, à ce rôle d’estivant qui musarde la tête hors du monde ! A cette vie inspirante et inspirée ! Voilà tout ce à quoi j’aspire. Voilà tout ce à quoi j’ai toujours aspiré. De toute mon âme. Toi, tu connais ma joie à laisser mon esprit se remplir du monde pour le déverser sur la page blanche. Tu connais ma joie à interpréter le monde et la vie que je traverse. Te souviens-tu, mon cher I., tu me demandais souvent : mais que veux-tu faire ? A quoi aspires-tu ? Aujourd’hui, je te répondrais que je n’ai plus qu’un seul souhait : redevenir attrapeur d’idées, témoigneur de vie, musardeur du monde. Voilà les seules activités qui me semblent dignes en cette vie. Voilà les seules activités qui combleraient mon existence. Mais non, ce monde ne me permet pas d’occuper ce rôle. Je dois me contenter de l’occuper en amateur, en dilettante en définitive. Si tu pouvais ressentir ce que je ressens, mon cher I…. je me sens si misérable et si malheureux de ne pouvoir me consacrer à ce qui me semble le plus essentiel en cette vie. Comment pourrais-je dès lors trouver le courage de m’engager dans une autre activité ? Comment pourrais-je devenir actif, efficace et professionnel dans une autre activité (forcément détestable à mes yeux) ? Comment pourrais-je m’y résoudre ? C’est impossible ! Mais cette impossibilité me paraît presque secondaire au regard de ma profonde inaptitude artistique. Car c’est elle, en définitive, qui m’exhorte à quitter l’art pour rejoindre le monde. Si tu savais, mon cher I., comme je trouve mes œuvres pitoyables ! Je me sens plus minable encore que le plus minable des artistes (plus médiocre encore que le plus médiocre d’entre eux) ! Oui ! Mon cher I., j’ai conscience de mon insignifiance artistique. Conscience de ma médiocrité créatrice. Et ce regard lucide sur moi-même m’est plus insupportable encore que mon incapacité à m’investir dans les activités de ce monde ! Comment aurais-je pu alors me résoudre à m’engager dans l’art et à dévoiler au monde ma médiocrité ? Le monde, sois-en sûr, aurait fustigé ma démarche et aurait ricané de mépris en voyant mes travaux. Et il aurait eu raison, mon cher I. ! Non ! Crois-moi ! Je n’ai d’autre choix aujourd’hui que de renoncer à l’art pour emprunter le pâle chemin de la normalité, écœuré de ce monde et dégoûté de moi-même. Oui ! Je dois me résigner la mort dans l’âme, à courber l’échine et à rentrer dans le rang. Me résoudre à l’obéissance et au respect des lois absurdes de ce monde qui détruisent et soumettent ma vie – et je crois, la Vie même – sous sa botte stupide, en forçant tous ceux, comme moi, qui s’y soumettent en renonçant à eux-mêmes. Et si tu savais comme je m’en veux aujourd’hui de cette lâcheté, de ce manque de courage, de cette inaptitude à choisir ma vie, de cette incapacité à assumer mes choix et à suivre mes aspirations les plus profondes. Comme si un petit je ne sais quoi de lâche n’avait de cesse de me ramener à l’insidieuse normalité du collectif. Oui, mon cher I., je bute sur le moindre regard inquisiteur de ce monde, effrayé de révéler l’image de ma différence, paralysé d’être relégué au rang des ratés, incapable d’assumer ma préférence, ma différence, mon existence - mon existence que je place pourtant au-dessus de tout - mais qui n’est rien puisque je ne m’y consacre guère que dans l’ombre. Je t’en prie, écris-moi. Sauve-moi de ce naufrage !

 

(extrait) OBSESSIONS MISANTHROPIQUES : Vous savez, me dit-il, j’ai beaucoup réfléchi là-bas. Beaucoup marché aussi. Dans les collines. Et j’ai pensé à Van Gogh. Comment d’ailleurs aurais-je pu ne pas songer à lui ? N’est-il pas l’archétype de l’artiste maudit ? Puis, M. fit de nouveau silence (comme pour réfléchir). Après cette pause (qui dura… de nouveau, pas loin d’une éternité…), il a repris sa rêverie d’une voix étrangement lointaine (et je dirais, presque absente). Vous savez, me dit-il, chaque jour, j’allais à sa rencontre… pour le regarder peindre. Chaque jour, je tentais de l’approcher pour lui dire mon admiration, mais à chaque tentative, il s’empressait de ranger ses pinceaux pour disparaître derrière les collines. Comme s’il refusait de… enfin… comme s’il n’aspirait qu’à la solitude… Vous savez, me dit-il, son pas était fébrile et d’une grande violence, comme si une force mystérieuse le contraignait à poursuivre sa quête obsessionnelle de solitude pour achever son oeuvre. Vous savez, me dit M., à chaque fois qu’il disparaissait derrière les collines, je songeais à cette vie d’artiste si particulière, à cette vie de solitude et de folie, à cette vie de misère livrée à l’indifférence des hommes. Oui, je n’ai cessé d’y penser, durant toutes ces après-midis ensoleillées où ensemble, lui et moi, nous battions la campagne parcourant les champs et les prés, gravissant les collines, à la recherche d’une idée, d’un paysage, en proie à l’insatisfaction, en quête d’une émotion, d’une sensibilité… en prise avec l’idée émergente, insoucieux de tout, des hommes, du monde, de la gloire, de l’argent, de la reconnaissance, tournés vers notre seule quête… et pétrifiés d’angoisse à l’idée de manquer notre vocation. Ah ! Si vous saviez comme j’aime ce Van Gogh-là ! me dit-il. Bien sûr, je n’ai ni son génie ni même son talent, mais nous sommes tous deux frères dans l’âme, nous sommes tous deux de cette race d’artistes désespérés, brûlant nos jours à remplir l’espace de la toile avec la misère de nos vies, avec nos âmes d’écorchés et notre cœur à vif. Puis M. a levé la tête comme pour sortir de ce songe étrange. Je n’ai rien dit. Je l’ai laissé à ses rêveries. Je me suis levé et j’ai quitté le square en songeant à l’étrange et désespérant destin des artistes… si souvent étrangers à eux-mêmes…

 

(extrait) PENSEES VAGABONDES : Librairies, bibliothèques et littérature regorgent de faux livres. Les vrais livres sont rares. On les reconnaît non par la beauté de leurs phrases, ni l'attrait de leur histoire mais par la lumière qu'ils font en nous.

 

 

Des chercheurs existentiels "célèbres"

Voici une courte liste (non exhaustive, bien sûr) d'Hommes plus ou moins connus qui, à mes yeux (à travers l'idée que je me fais de leur cheminement existentiel et/ou de leur œuvre), peuvent être qualifiés - à des degrés divers - de chercheurs existentiels : Vincent Van Gogh, Jacques Brel, Nicolas Bouvier, Hermann Hesse, Constantin Brancusi, Henri Michaux, Antonin Artaud, Emile Cioran, Jean Paul Sartre, Andy Goldsworthy, Albert Camus, Samuel Beckett, Richard Moss…

 

*

 

De la quête existentielle à la quête intérieure

Toute quête existentielle a de réelles chances d'aboutir et de se transformer en quête intérieure (ou spirituelle).

Après s'être cogné aux 4 coins du monde (sans trouver le moindre élément de réponse satisfaisant), le quêteur se trouve confronté à l'absurdité de la vie. Il ne lui reste alors souvent d'autre issue que la mort (ou l'idée de la mort).

Après avoir cherché désespérément un sens à la vie à l'extérieur (dans le monde, dans des idées, dans des projets, dans un mode de vie ou un mode de pensées...), le quêteur se sent découragé et parfois anéanti. Il peut alors insidieusement glisser vers le néant (dépression, idées suicidaires, dégoût existentiel profond...).

Comme bon nombre d'étapes transitoires, cette phase de transition est particulièrement critique. Elle peut se révéler extrêmement douloureuse et absolument terrifiante. Mais elle constitue souvent une étape incontournable et nécessaire à la poursuite du chemin. La proximité et la prégnance de l'idée de la mort peuvent s'avérer un moteur puissant de recherche. Pétri de doutes et d'incertitudes, le quêteur cherche alors désespérément en lui quelques maigres ressources pour traverser cet immense désert de solitude et d'absurdité. Progressivement, il parvient à trouver la force d'émerger de cet état de déréliction profond et finit par entrevoir un peu de lumière au bout du tunnel. Et chemin faisant, le quêteur a l'intuition (parfois la certitude ou la conviction inébranlable) que sa quête peut se poursuivre en cherchant la réponse en lui-même. Cette idée, encore nébuleuse, s'éclaircit progressivement. Et il lui apparaît bientôt avec force qu'il n'existe à présent qu'une seule direction, qu'un seul chemin possible : chercher en soi les réponses à ses multiples questionnements. Et après maintes hésitations, le quêteur s'engage alors sur le chemin intérieur, apprenant progressivement à transformer sa perception du monde et de la vie. L'existence prend alors un sens véritable et une dimension nouvelle.

Ainsi débute la quête intérieure (ou spirituelle) qui peut s'inscrire (et s'inscrit souvent d'ailleurs (mais pas toujours)) dans une tradition religieuse qui apporte au quêteur un cadre et un socle, à la fois théorique et pratique, souvent nécessaire à la poursuite de son cheminement.

 

(Extraits) PENSEES VAGABONDES :

Se cogner aux quatre coins du monde, puis poursuivre le chemin en soi.

 

Puisqu'il est impossible de transformer la vie, les êtres et les choses de ce monde, il est sage (sinon de bon sens) de transformer sur eux notre regard.

 

Regarder en soi, c'est partir à la recherche de sa propre lumière… et découvrir bientôt une lueur qui n'est que le reflet singulier de LA Lumière qui habite chacun.

Toute réelle transformation procède d'une métamorphose du regard. Toute métamorphose du regard provient d'une lente et longue évolution. Toute évolution trouve son origine dans une très progressive exploration de soi-même qui prend, elle-même, sa source dans le besoin irrépressible de répondre à l'insatisfaction fondamentale de notre vie. Ainsi, l'insatisfaction est sans doute l'un des plus puissants moteurs de recherche de l'humanité.

 

(Extraits) LE PETIT CHERCHEUR... :

 (…) Monsieur Arnaud a froncé les sourcils.

 - Vous avez l’air de vous plaindre des difficultés du voyage ! Il n'y a pourtant aucun doute, jeune homme ! Ce voyage est merveilleux… je reconnais qu’il est parfois difficile et source de souffrances… mais les épreuves ne sont pas inutiles. Vous pouvez me croire ! Tout ce que vous avez enduré a un sens ! Les épreuves et la souffrance sont des chances formidables pour les chercheurs…

- Les épreuves et la souffrance… des chances formidables ?

 - Eh oui ! Bien sûr ! dit monsieur Arnaud avec un grand sourire (ravi sans doute de trouver là une occasion supplémentaire de me donner quelques explications…).

- C’est très simple ! dit-il, vous avez cherché le trésor un peu partout, n’est-ce pas ? Vous avez visité de nombreux quartiers sur cette Planète, vous vous êtes installé dans certains en croyant y découvrir les joyaux… vous avez cru les trouver… mais vous les avez perdus… ensuite vous avez essayé de les récupérer… mais vous n'y êtes pas parvenu… alors vous êtes parti… vous avez commencé à errer ici et là… vous avez vécu une période de grandes souffrances… mais vous avez eu l’intelligence de poursuivre votre chemin… et vous avez fini par arriver dans ce quartier…

- Ne prenez pas mes paroles à la légère, jeune homme ! Je vous livre ici la clé qui ouvre la porte du quartier des Chercheurs du Dedans ! Sans cette traversée du Labyrinthe, jamais vous n'auriez découvert le chemin intérieur. Si vous n'aviez pas visité la Planète, par quel miracle, dîtes-moi, auriez-vous trouvé ce quartier… Avant d'arriver jusqu'à nous, il vous a d'abord fallu comprendre que les joyaux des autres quartiers n'étaient pas les vrais joyaux. Cela a été, il est vrai, source de grande souffrance. Mais sans cette épreuve, vous seriez resté dans le quartier qui vous semblait le plus propice à trouver les joyaux… N'est-ce pas d'ailleurs ce qu'il vous est arrivé dans le quartier des Boîtes ? Comme la plupart des Grands Dôms, vous y avez séjourné longtemps… très longtemps… trop longtemps sans doute… Mais heureusement que vous avez fini par perdre ces joyaux… et que vous avez poursuivi votre chemin… ces souffrances, ces épreuves et cette traversée de la Planète ont donc été nécessaires pour arriver ici…

- Oui… peut-être…, ai-je dit, peut-être avez-vous raison, monsieur Arnaud mais… pourquoi certains résidents découvrent le quartier des Chercheurs du Dedans… ? Et pourquoi certains empruntent le chemin intérieur alors que d’autres ne soupçonnent même pas son existence… ?

Monsieur Arnaud eut un petit sourire moqueur.

 - Eh bien ! Hum ! hum ! dit-il, je viens en partie de vous donner la réponse, jeune homme… mais peut-être souhaiteriez-vous quelques explications supplémentaires?

J’ai hoché la tête en guise d’approbation.

 - Eh bien ! dit-il, chaque résident de cette Planète est mû par une force intérieure qui le pousse à voyager. Cette force permet à chacun de trouver son chemin à travers les différents quartiers de la Planète… chacun s’arrête dans le quartier qui semble répondre à ses attentes… là où il pense pouvoir trouver une partie des joyaux. D’autres résidents, en revanche, ne parviennent jamais à se satisfaire des faux-joyaux ou des bouts de vrais joyaux qu’ils ont trouvés. Aussi, changent-ils sans cesse de quartiers… allant ici et là… pour tenter de découvrir les vrais joyaux et le trésor. Et vous appartenez sans nul doute, jeune homme, à cette catégorie de chercheurs ! Aujourd'hui, cette force intérieure vous a conduit ici, dans le quartier des Chercheurs du Dedans, car vous sentez à présent, au fond de votre cœur, que seul le chemin intérieur peut vous mener au trésor…

Monsieur Arnaud a fait une courte pause. Puis (après un instant d’hésitation), il a ajouté :

 - Mais vous savez, jeune homme, nous sommes tous sur cette Planète des chercheurs de trésor… et tous les résidents du Grand Labyrinthe finiront un jour par emprunter ce chemin… ce n'est qu'une question de temps… (et de mûrissement intérieur…) lorsqu’ils comprendront enfin que les joyaux et le trésor ne peuvent être trouvés à l’extérieur… qu’il est vain de les chercher dans les autres quartiers, ils viendront ici… et se tourneront tout naturellement vers le chemin intérieur.

 

 

Le chercheur intérieur

Dans cette partie, je tenterai d’abord d’établir le portrait du chercheur intérieur, puis j’aborderai brièvement – de façon partielle et relativement superficielle – la quête intérieure (ou spirituelle). La raison majeure de ce survol tient au fait que je n’ai guère de distance quant à mon propre cheminement, initié il y a quelques années. Je n’en suis guère – à mes yeux – qu’aux prémices de cet étonnant, merveilleux et parfois déroutant chemin intérieur. Dès que ma pratique et mon cheminement me le permettront (ce qui nécessitent une lente imprégnation et un long mûrissement), j’aborderai plus largement cette thématique dans mes prochains ouvrages.

 

Je me contenterai pour l’heure d’énoncer quelques principes et axes principaux de la quête intérieure (les effleurant d’ailleurs à peine car je ne les connais encore que très peu), invitant chacun à suivre son intuition et à choisir avec soin sa propre voie qu’elle soit ou non inspirée – à des degrés divers – par telle ou telle tradition spirituelle.

 

Si cette thématique vous intéresse tout particulièrement, je suis persuadé que vous trouverez de quoi sustenter votre curiosité, ou mieux de quoi nourrir votre appétit, par la lecture, l’imprégnation et la pratique proposée dans de très nombreux ouvrages sur le sujet.

 

Tentative de définition

Le chercheur intérieur est un être sur la voie de l'intériorité. Un être qui chemine intérieurement. Autrement dit qui opère une transformation progressive de son regard sur le réel (perception plus large, plus profonde et plus fine).

 

Le chercheur intérieur ne se contente pas de revêtir les parures extérieures d'une quelconque tradition spirituelle ou religieuse (rites et attributs parfois ostentatoires d'une pensée dogmatique extérieure à lui-même). Le chercheur chemine très progressivement vers certains aspects de la Vérité dont il a l'intuition et dont il s'imprègne jusqu'à les faire siens. Le chercheur ne s'épargne aucun effort, il se bat, se débat parfois, il avance, glisse, tombe, recule et poursuit enfin sa marche éreintante, exténuante et merveilleuse vers certains éléments de la vérité qui le dépassent (situés au-delà de son identité propre) et qui se trouvent paradoxalement déjà en lui… éléments de la vérité recouverts d'un fatras de connaissances inutiles, d'émotions passagères et pourtant tenaces, d'a priori encombrants, de croyances superfétatoires qu'il lui appartient de déblayer lentement et de défricher méthodiquement afin de faire grandir l'espace intérieur nécessaire à une progression plus profonde et à une croissance de sa conscience (au-delà d'elle-même...) éléments de la vérité enfin qu'il lui faut expérimenter pour qu'ils deviennent partie intégrante de son être.

 

Le chercheur intérieur prend conscience qu'il n'est pas un être figé et immobile (aux vérités définitives et solidement établies) mais un être en évolution, un être en devenir, un être en transformation permanente. Alors même qu'il peut encore éprouver un sentiment de stagnation dans son existence ou qu'il peut encore juger les évènements extérieurs en apparence défavorables, il sait que la vie et les évènements lui permettent de poursuivre son chemin quoi qu'il arrive.

 

Le chercheur diminue progressivement ses attentes à l'égard de la vie. Il tente d'accueillir tout ce qui se présente à lui, les évènements extérieurs et les évènements intérieurs que sont les émotions, les sentiments, les gênes, les souffrances…

 

Le chercheur apprend à se contenter (contentement très éloigné de la résignation…). Il accueille ou s'évertue à accueillir et à accepter réellement les situations extérieures et intérieures qui se présentent à lui car elles ont et prennent sens dans son existence.

 

Le chercheur est un être qui apprend à accueillir davantage la souffrance (en général) et sa souffrance (en particulier). Malgré un sentiment de mal-être qui peut bien sûr encore parfois l'étreindre, il ne se débat plus avec autant d'âpreté pour s'en défaire.

 

Le chercheur accueille plus volontiers son sentiment de non appartenance à un groupe (soit parce qu'il a trouvé sa place au sein d'une quelconque communauté, soit parce qu'il se satisfait de poursuivre son chemin sans place véritablement reconnue).

 

Le chercheur prend conscience que l'idéal après lequel il court n'est qu'un concept. Il comprend qu'il n'existe ni chemin idéal, ni rencontre idéale, ni être idéal, ni vie idéale. Il apprend alors à composer (avec joie et encore parfois avec un peu de tristesse) avec les exigences du réel.

 

Le chercheur sait qu'il peut travailler (travailler intérieurement s'entend) avec toute chose, avec toute personne, avec tout évènement dans n'importe quel lieu et dans n'importe quelle situation. Tout est en mesure de nourrir ce travail intérieur pour lui permettre de progresser sur le chemin.

 

Le chercheur prend conscience que le sentiment de différence qu'il éprouvait n'était qu'une séparation virtuelle avec les autres induite par une mise à distance (parfois involontaire ou inconsciente) qui favorisait un réel sentiment de séparation ou de différence avec ses congénères. Il s'aperçoit progressivement qu'il n'était (et n'est) pas aussi séparé qu'il le pensait.

 

Le chercheur apprend à donner à son incurable gravité quelques airs de légèreté, à considérer les évènements existentiels avec plus de distance et d'humour. Il apprend à goûter avec plus de saveur (et même parfois) avec plus de plaisir aux joies (petites et grandes) de l'existence.

 

Le chercheur développe une curiosité accrue (et toujours plus grande) pour la vie, notamment pour les évènements quotidiens et pour les éléments mineurs de la vie ordinaire traditionnellement (et conventionnellement) considérés comme triviaux ou insignifiants.

 

Le chercheur apprend à considérer la vie, le monde, les autres avec un regard neuf et spontané et (quand cela lui est possible) avec un regard émerveillé car il prend conscience de la beauté de toutes choses aussi insignifiantes, ordinaires ou laides qu'elles puissent paraître.

 

Le chercheur éprouve progressivement davantage de gratitude pour la vie et à l'égard de ce qui lui est donné à vivre car il prend conscience de l'extrême préciosité de l'existence (et de tous les phénomènes du vivant), de la beauté et de la rareté de chaque instant qu'il considère de plus en plus comme un merveilleux présent offert par l'existence.

 

Le chercheur s'ouvre davantage aux autres et au monde. Il ne renie certes pas sa solitude (et son importance) mais il éprouve moins le besoin d'un repli forcené. Il est moins enclin à trouver dans sa solitude un abri contre les dangers, les errements ou les égarements du monde.

 

Le chercheur accepte davantage le monde et cherche de moins en moins à le transformer. Il prend conscience qu'il n'est qu'un élément du Tout, qu'un maillon de l'ensemble et qu'il est impuissant à tout contrôler et/ou à tout régenter. Il s'aperçoit progressivement que la vie est parfaite ainsi, telle qu'elle est… même s'il a parfois encore quelques difficultés à l'admettre.

 

Le chercheur a l'intuition d'une sagesse qu'il découvre progressivement et dont il imprègne peu à peu son regard et son existence.

 

 

La quête intérieure

Comment définir la quête spirituelle ou intérieure ? 

La quête spirituelle représente, à mes yeux, une transcendance, un dépassement de soi, un élargissement de conscience, une démarche non égotique, une voie qui procède d'une absolue nécessité intérieure, un long, difficile et merveilleux chemin que chacun découvrira sans doute un jour, une lente maturation intérieure, une extraordinaire possibilité d'actualiser notre potentiel humain, et sans doute la meilleure façon d'apprendre à devenir des êtres humains à part entière.

 

(Extraits) LE PETIT CHERCHEUR... :

 - (…) Le chemin intérieur est une voie périlleuse et difficile. Inutile de s’y précipiter ! Si vous souhaitez avancer sur ce chemin, il vous faudra d'abord ouvrir votre cœur et élargir votre esprit… ce sont là les premiers pas sur le chemin…

- Ouvrir mon cœur et élargir mon esprit… ? 

(…) Monsieur Arnaud a planté ses yeux dans les miens.

 - Pour ouvrir votre cœur et élargir votre esprit, il vous faudra laisser venir à vous tous les évènements du chemin… sans en rejeter un seul… il vous faudra apprendre à accueillir chaque chose, chaque être et chaque événement du voyage… qu'ils vous semblent porteurs de joyaux ou non, qu'ils vous semblent agréables ou désagréables n’a aucune importance… vous devrez tous les laisser entrer dans votre cœur… pour l’attendrir… et les laisser pénétrer dans votre esprit… pour l’éclairer ! Alors soyez sûr que vous avancerez sur le chemin du Dedans ! Mais n'allez pas imaginer que c'est là une tâche facile… il s'agit sans doute de l'un des exercices les plus difficiles de ce voyage…

(…) Monsieur Arnaud m'a regardé avec un air de moquerie évident.

 - Il n'est sans doute pas inutile que je vous rappelle, jeune homme, qu'il est extrêmement dangereux de s'aventurer sur ce chemin sans l’aide d’un professeur sérieux et expérimenté ! Vous savez... ceux qui arrivent dans ce quartier sont un peu… comme des P’tits Dôms… incapables de marcher seuls… le chemin du Dedans est si long, si difficile et si dangereux que ceux qui s’y aventurent seuls prennent tous les risques… croyez-moi, jeune homme ! Sur ce chemin, les dangers sont innombrables… et il n’est pas rare de voir certains chercheurs se perdre en route…, tourner en rond jusqu’à la fin de leur voyage, ou même se rompre le cou à la première ornière… Oui ! Croyez-moi, jeune homme ! Ce chemin est une véritable ascension ! Et y cheminer n’est pas, comme l’on le croit un peu naïvement, une partie de plaisir… ceux qui s’imaginent que le chemin du Dedans est un sentier doux, tendre et plaisant ne sont pas au bout de leurs peines et de leurs surprises… Le chemin intérieur est un chemin rude et merveilleux qui monte vers la Lumière ! C’est un chemin abrupt et difficile ! Et il est plus sage d’y cheminer en compagnie d’un professeur et au sein d’une école.

 - (…) Tout chercheur doit entreprendre un long et éprouvant voyage pour découvrir le trésor… au fil du chemin, nous devons tous surmonter de terribles épreuves pour élargir notre conscience… et si nous savons garder ouverts notre coeur et notre esprit… à chaque instant et en toutes circonstances… alors ils s’élargiront progressivement… et lorsque ils seront suffisamment larges pour y accueillir chaque chose… chaque être… et chaque événement du voyage… alors nous comprendrons que notre conscience était entravée par leur obscurité et leur étroitesse…

Petit Lam a ouvert les yeux, il a posé sur moi un regard plein de bonté et a poursuivi son étrange enseignement.

 - En réalité, dit-il, malgré les apparences… notre conscience a toujours été aussi large et aussi vaste que l'espace qui nous entoure… et aussi lumineuse que le soleil dans le Ciel…. et lorsque que nous découvrons enfin sa nature véritable… nous comprenons… que l'étroitesse de notre cœur et l'obscurité de notre esprit… nous aveuglaient… et nous empêchaient de voir que le trésor était là… qu'il a toujours été là… à chaque instant de notre voyage…

(…) Petit Lam a pris une longue inspiration, il a joint les mains à hauteur de la tête et du cœur et a longuement expiré. Puis il a posé de nouveau sur moi un regard d’une infinie bonté.

 En définitive, dit-il, notre voyage est très simple… il peut nous sembler compliqué et incompréhensible car… au début du chemin… nous ne comprenons pas le sens de nos pas... aussi nous mettons-nous à courir désespérément après le trésor… cherchant un peu partout et très maladroitement les joyaux… mais le chemin nous apprend peu à peu à découvrir une autre façon de chercher… les évènements de notre voyage… les personnages que nous croisons… tout ce que nous rencontrons sur notre chemin… nous invite à élargir notre conscience… et celui qui résiste à cette ouverture naturelle et progressive ne cesse de souffrir… nul ne peut résister indéfiniment à cette force intérieure… cela peut prendre du temps… mais le voyage trouve véritablement son sens dans cette ouverture… et si nous savons avancer patiemment sur ce chemin… nous prendrons conscience que tout ce que nous rencontrons au cours de notre voyage… tous les évènements… sont de merveilleuses occasions de grandir à l'intérieur… de progresser sur la voie... et d'avancer vers le trésor…

 

 

Le déroulement de la quête spirituelle 

A l'aune de ma pratique, je serais tenté de définir ce déroulement comme une sorte de cheminement en spirale qui va progressivement vers l'élargissement, un cheminement fait d'avancées et de reculs apparents où alternent cycles de repli sur soi et de participation au monde, phases de crises, de luttes et d'angoisse et phases d'éclaircies, de détente et de sérénité où l'on apprend à travailler avec honnêteté sur soi et les évènements que nous traversons et où l'on gagne très progressivement en paix, en joie et sans doute aussi en intelligence (de cœur et d'esprit)...

 

(Extraits) LE PETIT CHERCHEUR... :

 - (…) L’intelligence, mon garçon, n’est pas seulement affaire d’esprit comme le pense la plupart des résidents. L’intelligence n’est pas uniquement affaire de raisonnement logique et d’accumulation de connaissances assez souvent d'ailleurs… bêtement empilées les unes sur les autres. Il s’agit là d’une forme très grossière d’intelligence ! Cette forme est nécessaire mais insuffisante. L’intelligence est beaucoup plus vaste ! Elle revêt de multiples aspects selon les avancées de chacun sur le chemin. Ainsi, l’intelligence peut prendre la forme de la persévérance si l’on poursuit son voyage avec courage malgré les difficultés que l'on rencontre. Elle peut aussi prendre la forme d’une nécessité intérieure qui pousse le chercheur à aller ici et là, à visiter certains quartiers, à en contourner d’autres ou à s’arrêter dans ceux qui lui semblent propices à ses attentes. Mais quelles que soient les formes que prend l’intelligence, tôt ou tard, elle amène le chercheur à comprendre qu’il existe une vérité qui dépasse son entendement habituel. Ainsi, le joyau de l’intelligence ouvre progressivement l’esprit du chercheur à cette vérité ! Il l’amène d’abord à regarder dans son cœur et à l'ouvrir très progressivement. En définitive, où qu’il soit sur le chemin, l’intelligence est le joyau qui fait avancer le chercheur vers le trésor ! Et s’il sait marcher avec patience et persévérance, le chercheur finit par comprendre que les autres joyaux se trouvent en lui… et qu’il lui appartient de les découvrir.

(…) A chaque étape du voyage, mon garçon, le chercheur découvre une nouvelle facette du joyau de l’intelligence. C’est un joyau qui ne cesse de grandir pour élargir et éclairer l’esprit de la Conscience ! Et plus l’esprit de la Conscience s’élargit et s’éclaire, plus le chercheur regarde dans son cœur ! Et plus il regarde dans son cœur, plus il voit sa profondeur et son étendue. Il s’aperçoit alors que son cœur peut accueillir bien plus de choses qu’il ne le pensait. Alors le chercheur continue à ouvrir son cœur et à y accueillir chaque chose car ces choses lui semblent de plus en plus familières (un peu comme s’il accueillait une partie de lui-même). Et le chercheur finit par prendre conscience qu’il n’y aucune différence entre ce qu’il y a au fond de son cœur et ce qu’il y a au dehors. Et un jour, à force de patience et de persévérance, si le chercheur parvient à garder ouverts son esprit et son cœur en toute circonstance, alors il comprend que la beauté est partout. Le chercheur découvre alors le joyau de la beauté! Et il peut enfin goûter à toutes les merveilles rencontrées sur son chemin. Car toute chose, tout être, tout évènement lui semblent merveilleux ! Alors naît progressivement en son cœur une bonté et un Amour inconditionnel pour toutes les choses et pour tous les êtres. Le chercheur découvre alors le joyau de la bonté ! Son cœur s’emplit de gratitude envers Tout et tous, envers le voyage, envers les paysages, envers le chemin, envers ses ornières et ses difficultés, envers ses joies et ses plaisirs. Et cette découverte lui procure une confiance inébranlable dans le voyage et une grande force pour poursuivre son chemin. Grâce à cette confiance, le chercheur découvre le joyau du pouvoir. Il comprend alors qu'il peut poursuivre son voyage contre vents et marées… et avancer sur son chemin malgré les tempêtes… Grâce à cette confiance, à cette force et à cette ouverture, le chercheur découvre peu à peu la richesse, la vraie et la seule richesse qui soit sur cette Planète, la richesse du voyage. Et il comprend enfin que le trésor n’est autre que le voyage lui-même avec ses découvertes successives. Et le chercheur peut enfin goûter avec joie à chaque instant du voyage ! Et il continue sa route sans peur et sans contrainte, avec un cœur toujours plus spacieux et un esprit toujours plus lumineux… Il apprend à épouser les méandres du chemin, à se lier d’amitié avec tout ce qui le traverse et tout ce qu’il rencontre… il comprend qu’il n’y a aucun trésor à chercher… car il sait que le trésor est partout, en lui, en l’autre, en chaque chose, en chaque être, en chaque rencontre, en chaque évènement… il sait que le trésor est là… partout où ses pas le mènent…

 

  

Les principaux dangers de la quête spirituelle 

L'ésotérisme, la superstition, les faux maîtres spirituels, le sectarisme, la foi aveugle, les croyances sans ressenti personnel, le syncrétisme, le prosélytisme (plus ou moins) forcené, l'idéalisation, l'absence de doute, le décalage entre l'Être et l'apparence de l'Être, l'enfermement dans un cadre de pensées dogmatiques, le manque d'ouverture, l'intolérance.

 

 

Les obstacles majeurs au cheminement spirituel 

La croyance d'avoir enfin trouvé la vérité, l'isolement et le repli sur soi, l'excès volontariste, la déconnexion avec le réel, le nomadisme spirituel, le matérialisme spirituel.

 

 

Les thématiques de la quête intérieure

Voici les principaux thèmes qui accompagnent le chercheur sur son chemin et qui initient une transformation progressive de son regard.

 

 

Une importance accrue accordée au travail intérieur

Le chercheur comprend peu à peu la nécessité de tourner son regard vers l'intérieur. Il substitue donc au regard critique habituellement tourné vers le monde et les évènements extérieurs un regard attentif sur la façon dont il reçoit et accueille intérieurement les évènements qu'il traverse. Il apprend progressivement à chercher en lui l'ouverture et la force de recevoir le monde tel qu'il se présente à lui (et si possible tel qu'il est) sans chercher à blâmer la vie ou à rejeter sur d'autres la responsabilité des souffrances éventuellement engendrés par les évènements et les aléas de l'existence. 

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

Tourner en rond… jusqu’à ouvrir la brèche de notre regard étroit. Tourner en rond… jusqu’à ce que l’infini nous apparaisse au-dedans.

 

Il y a en nous tant d’horizons inexplorés… tant de vérités à découvrir… Chacun est à lui seul un monde infini.

 

Les difficultés nous semblent venir de l'extérieur, mais seuls les obstacles sont en nous.

 

Un regard bienveillant transforme le monde.

 

Certains jours, nous n'avons plus ni la force ni le courage de marcher… il nous faut alors puiser en nous plus profondément encore pour trouver la force et le courage d'accueillir le découragement et l'apathie… c'est aussi cela poursuivre le chemin en soi…

 

En cette vie, chacun doit tenir son rôle, celui que la vie lui a octroyé. On trouve son rôle en écoutant la vie en soi.

 

Savoir, c'est ingurgiter des connaissances empilées les unes sur les autres et plus ou moins intelligemment organisées. Connaître, c'est s'imprégner d'une vérité jusqu'à la faire sienne. Savoir est la marque des gens cultivés, connaître celle des gens intelligents (non au sens logique ou rationnel du terme mais au sens vrai).

 

Mille fois sur le chemin, remets tes pas… Mille fois en ton cœur, recueille les pleurs…

 

Ce sont nos pensées, nos actions et notre regard qui donnent au monde sa couleur, son éclat et son relief.

 

La façon dont nous voyons la vie n’est que le reflet de notre monde intérieur.

 

Elargir son cœur sans le déchirer… voilà une tâche peu aisée…

 

Notre monde croit davantage en ceux qui ont des réflexions qu'en ceux qui ont des convictions. Le monde accorde en effet à ceux qui ont des réflexions (ou mieux qui élaborent et construisent un raisonnement purement réflexif) plus de crédit et de valeur, voire parfois l'encense plus que de raison. Cette bizarrerie tient sans doute au fait que la plupart des hommes choisissent aveuglement leurs convictions, par facilité, par paresse, par commodité, pour ne pas avoir à réfléchir et être confrontés à leurs propres doutes. Mais c'est oublier que chez d'autres, les convictions sont l'aboutissement transitoire (et encore très largement ouvert et évolutif) d'un long cheminement, qu'elles tirent leurs origines de nombreuses réflexions, qu'elles se sont progressivement construites par la raison, qu'elles ont été enrichies par l'intuition et étayées enfin par la sensibilité et l'intelligence du cœur (dont les intellectuels, à tort, se méfient tant). Il ne faut jamais oublier qu'avoir des convictions n'empêche nullement de réfléchir, ni d'avoir des réflexions, ni même d'avoir des doutes ou de remettre ses convictions en doute. Pour conclure, je dirais : les convictions sont des aboutissements réflexifs et intuitifs en cours d'évolution, des réflexions en marche (en cours). Dès lors, les convictions ont sûrement plus de valeur (sinon plus de poids et de maturité que de simples réflexions) puisqu'elles sont, elles-mêmes, des chemins réflexifs et intuitifs, des réflexions intuitives en cours de fabrication (d'élaboration) et il est inutile ni de les décrier, ni de les discréditer, ni de s'en méfier davantage que de tout autre raisonnement.

 

 

Une fixation égocentrique moins forte

Le chercheur adopte progressivement un regard moins autocentré et moins égocentrique. Il sait que la vie et le monde peuvent continuer à tourner sans lui. Il apprend peu à peu que les autres sont plus importants et plus essentiels que sa propre personne. Il tente alors de trouver un équilibre entre lui (la reconnaissance de son identité particulière) et les autres, équilibre sans cesse fluctuant orienté vers un effritement progressif de l'ego.

 

(extrait) PENSEES VAGABONDES :

Nous croyons construire notre vie. Il n'en est rien. C'est la vie qui, à travers nous, fait son œuvre.

 

L'illusion de construire notre vie en toute liberté tient à notre impression d'avoir le choix et à notre libre arbitre, mais c'est ignorer les forces mystérieuses qui les sous-entendent et qui nous poussent à opérer ces choix.

 

La vie ressemble à un immense puzzle (un puzzle infini et en perpétuel mouvement) dont chaque vie serait une pièce, à la fois minuscule, unique et irremplaçable.

 

Oser mourir à soi-même, c'est se donner la chance de renaître au monde. Mais on ne meurt jamais complètement, on apprend progressivement à entretenir un rapport différent au monde.

 

Apprendre à s'oublier, c'est commencer à accorder une place plus grande aux autres… jusqu'au jour, où il nous est enfin possible de leur re-donner leur place réelle : la seule qu'ils méritent, celle qui n'aurait jamais dû perdre, celle qui a toujours été la leur : la totalité de l'espace. Avant d'y parvenir, il nous faut parcourir un très long chemin… d'abord faire sa propre place, allant parfois jusqu'à pousser quelques-uns pour l'étendre (ou la trouver), puis apprendre progressivement à en limiter l'expansion, puis à limiter cet espace lui-même, puis encore (très progressivement) à en restreindre les limites, jusqu'à réduire cet espace au point où il se confonde à la totalité de l'espace…

 

La compagnie des autres est parfois une gêne (une source de nuisance), souvent un réconfort, un faire-valoir ou un tremplin et toujours un miroir. Il est rare que nous soyons (véritablement) avec les autres pour eux-mêmes.

 

On commence à aimer les autres quand on commence à se mettre à leur place. Mais ce n'est là qu'une sorte de projection (tout à fait) égocentrique. Une sorte de premier pas vers l'Amour d'Autrui quand on commence à mettre sa propre personne à la place de l'Autre. Il faut un long et difficile travail sur soi pour aimer l'autre sans qu'intervienne nullement notre propre individualité.

 

Se dépouiller de soi-même, c'est devenir plus riche de l'essentiel.

 

Notre plus grand malheur est de nous croire importants… Nous le sommes sûrement… mais sans doute pas comme nous l'imaginons…

 

Nous ne sommes les uns pour les autres que les instruments de la vie. Il serait vain de croire autre chose.

 

La vraie liberté est d’accepter de devenir le serviteur enjoué de la vie.

 

 

Simplicité et retour à l'essentiel

Les préoccupations du chercheur se recentrent sur les aspects les plus fondamentaux de la vie. Il simplifie, décomplexifie et décérébralise des pans entiers de son existence et de sa quotidienneté. Il recentre ses essentialités en apprenant à se défaire des préoccupations secondaires (souvent liées aux conventions et aux regards du monde) et en se focalisant davantage sur les éléments primordiaux qui donnent véritablement sens à la vie humaine. 

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

Au début nous sommes dans "le faire" pour échapper sans doute aux abîmes de "l'Être". Malgré les multiples invitations à la solitude que nous offre la vie, nous luttons de toutes nos forces pour éviter de nous retrouver seuls face à nous-mêmes. Puis vient l'incontournable étape de "l'Être" qui nous éloigne progressivement du "faire" frénétique que nous avons toujours connu. Progressivement, l'Être gagne en force et en vitalité. Lorsqu'il parvient enfin à se suffire à lui-même, il donne au "faire" jusque dans les moindres gestes et les actes les plus anodins une justesse et une harmonie insoupçonnables.

 

La solitude est une compagne exigeante et d'abords difficile. Mais lorsque la séduction a opéré, (qu'elle est parvenue à nous séduire), il est rare - très rare - que nous soyons déçus.

 

Une vie : de petits riens mis bout à bout. De petits riens, à chaque fois, uniques, irremplaçables, inestimables…

 

Cheminer vers soi consiste à ôter une à une les pelures que nous avons revêtues pour nous protéger des dangers du monde et de la vie pour découvrir enfin notre nudité et notre vulnérabilité. C'est cette fragilité qui nous rend invincible et nous donne la force de nous tenir debout dans toutes les tempêtes.

 

Aussi accueillant qu'une cellule de monastère… voilà pour moi l'image même de la convivialité ! N'est-ce pas là l'endroit le plus accueillant et le plus propice à faire naître la Joie?

 

L'homme ordinaire cherche toujours l'extraordinaire. L'homme sage ne cherche rien. Il sait que l'extraordinaire est partout, il le voit dans l'ordinaire de chaque être, de chaque chose, de chaque geste, de chaque situation.

 

La vie assigne à tout homme une double tâche : trouver une place en ce monde qui lui permette d'être lui-même.

 

Se préparer à la mort, c'est apprendre que toute chose a une fin irrémédiable.

 

Il faut chercher partout car partout est la réponse. Il ne faut rien chercher, la réponse se dessinera lorsque vous serez mûr pour la voir et l'entendre. La réponse est déjà en vous, recouverte sous des tonnes de couches qui la dissimulent. Notre travail consiste à ôter une à une ses couches. Notre effort doit porter sur ce besoin de nudité.

 

La seule chose qui m'importe est le bagage que j'emporterai par-delà la mort.

 

Au seuil de la mort, deux choses me semblent essentielles: partir le cœur apaisé (sans regret sur sa vie passée et satisfait de ce que l'on a vécu) et s'en aller l'esprit serein (sans crainte de ce qui va arriver).

 

Vivez non pas comme si chaque instant était le dernier mais comme s'il pouvait être le dernier.

 

 

Ouverture, renversement des valeurs et curiosité accrue

Le chercheur apprend à poser un regard plus large et plus profond sur le cours des choses et sur l'existence. Le bons sens populaire communément admis par les Hommes lui semble erroné, du moins simpliste ou éminemment réducteur. Loin de s'arrêter aux apparences (toujours très superficielles) et à la tendance naturelle de l'Homme à l'anthropocentrisme, le regard du chercheur s'établit au sein d'un cadre plus large au-delà des tendances humaines ordinaires, au-delà de l'égocentrisme et de la vision étroite de l'Homme, au-delà de la mort et du cadre existentiel strictement humain. 

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

N'avoir aucun a priori sur ce qui devrait être, mais apprendre à porter un regard frais et spontané sur ce qui est.

 

Eriger ses vérités en dogmes, c'est vouloir se protéger du doute. Vouloir se protéger du doute, c'est vouloir le tuer. Et vouloir le tuer, c'est vouloir tuer la vérité qui, sans le doute, ne peut exister.

 

Gardons-nous de juger la vie et le monde, apprenons à rester humbles, ouverts et sans a priori et tous deux, croyez-le, sauront nous révéler, derrière leurs tristes et parfois terribles apparences, toute leur beauté.

 

S'appauvrir est incontestablement l'une des plus sûres façons de s'enrichir.

 

Perdre, c’est gagner en humilité et en dénuement. Savoir perdre est une immense victoire sur soi-même.

 

Lorsque la vie nous détourne de notre chemin (celui que nous avons construit ou plus exactement l'illusion d'avoir construit, celui auquel nous aspirons profondément), c'est toujours là un détour nécessaire, une étape indispensable pour nous rapprocher de nous-mêmes.

 

Tout sentiment de contrainte n'est pas une entrave à la liberté mais une invitation à se libérer d'une vision grossière et erronée de la liberté. Mais qu'il est difficile de s'en persuader lorsque nous sommes mis à l'épreuve…

 

Se perdre, c'est retrouver une partie de soi trop longtemps oubliée, écartée.

 

La vie rêvée, la vraie vie n’est autre que celle que nous vivons.

 

Refuser toute protection, toute carapace, toute fuite face aux aléas de la vie, c'est apprendre à se tenir debout dans la tempête.

 

La recherche de plaisir, de confort et de sécurité est un mauvais guide sur le chemin. Refuser de les suivre systématiquement nous épargnera bien des impasses.

Donner du bonheur aux autres n'est pas les divertir d'eux-mêmes, c'est au contraire les aider à explorer (et à arpenter) leurs terres obscures, leur permettre de remuer leurs fientes et leurs scories, bref, les encourager à plonger au cœur de leur être pour qu'ils trouvent leur propre joyau.

 

La souffrance est un aiguillon efficace, elle est sans doute notre meilleure amie. C'est elle qui nous pousse sur le chemin. Mais il faut du temps pour s'en rendre compte et plus encore pour pouvoir lui rendre grâce.

 

Lorsque vous croisez 2 femmes et que vous trouvez l'une belle et l'autre laide, c'est que vous avez encore besoin d'apprendre à voir, d'apprendre à affiner votre regard pour trouver partout la beauté !

 

Il est idiot et inutile d'avoir peur que la vie nous reprenne ce qu'elle nous a donné. La vie ne donne ni ne reprend rien. La vie transforme, nous transforme et se transforme. Vivre, c'est se transformer sans cesse. Craindre le changement, la métamorphose, la transformation, c'est tout simplement avoir peur de vivre.

 

Henry Michaux écrivait : "J'écris pour me parcourir". Quant à moi, je dirais : "J'écris pour nous découvrir… lever (ôter) les voiles sombres qui (cachent) dissimulent nos paysages intérieurs et explorer la vie (et les horizons) qui nous habite.

 

Ô Vie, puisses-tu me nourrir de chaque chose ! Il serait plus juste d'écrire : Ô Vie, puisses-tu me donner conscience de me nourrir de chaque chose !

 

Un homme qui pleure dans une maison, une maison située au cœur de la ville, une ville située au cœur d'une région, une région située au cœur d'un pays, un pays situé au cœur d'un continent, un continent situé au cœur du monde, un monde situé au cœur d'une planète, une planète située au cœur d'une galaxie, une galaxie située au cœur d'un univers, un univers situé au cœur du cosmos lui-même sans doute situé au cœur d'une dimension infinie… 2 remarques alors : nous sommes toujours au centre, au cœur de l'univers. Et que représente (que signifie) la souffrance d'un homme dans cette immensité?

 

 

Un sentiment de séparation moins fort

Le chercheur prend conscience de la distance illusoire qui le séparait jusqu'alors du reste de l'humanité. Il comprend progressivement que cette séparation était le fruit d'un sentiment de différence exacerbé et d'une mise à distance inutile avec les autres Hommes.

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES : 

C'est en vivant loin du monde que l'on vit parfois au plus loin de soi-même… et à d'autres périodes, il arrive que cela soit l'exact contraire…

 

On ne peut oublier le monde en vivant au plus près de soi-même.

L’homme n’aime souvent que ceux qui lui ressemblent et ce qui le rappelle à lui-même. Il faut pourtant apprendre à aimer la différence. C’est elle qui nous enjoint de repousser sans cesse les limites de notre (in)tolérance, à accepter progressivement des pans entiers de nous-mêmes et à accueillir toujours davantage l’autre qui devient progressivement notre prochain, puis notre proche, et sans doute par la suite une réelle partie de nous-mêmes.

 

Devenir les uns pour les autres, la main, le pied, la jambe, la tête, le cœur d'un seul et même corps.

 

 

Une transformation du regard

Le chercheur modifie son regard sur le monde et sur l'existence. Il apprend à ne plus se débattre avec les évènements qui lui sont donnés à vivre. Il sait qu'il appartient au monde et à la vie, qu'il en est l'un des éléments… qu'il doit traverser la vie et se laisser traverser par elle… qu'il fait partie intégrante du monde et que le monde l'habite… Les évènements prennent sens dans son existence et trouvent place dans son cheminement. Cet ancrage fait croître en lui une confiance toujours plus grande pour ce que lui offre la vie. 

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

La vie n'est que dynamique, et nous autres, êtres humains, ne savons principalement que la vivre statiquement. Notre désir de la figer à jamais est sans doute notre plus grand malheur. Voilà pourquoi nous sommes toujours (éternellement) avec elle en porte à faux.

 

Tout contrainte (ou sentiment de contrainte) n'est pas une entrave à la liberté mais une invitation à se libérer d'une vision grossière et erronée de la liberté. Mais qu'il est difficile de s'en persuader lorsque nous sommes mis à l'épreuve…

 

Toutes nos épreuves sont essentielles… et pourtant si dérisoires… à moins que cela ne soit l'inverse, que toutes nos épreuves soient dérisoires… et pourtant si essentielles.

 

Ne dit-on pas que la vie est un éternel recommencement… jour et nuit, saisons, poussière qui s'accumule chaque jour, qu'on enlève et qui se redépose le lendemain, repas que l'on prépare, que l'on mange et que l'on fait disparaître, comme si la vie voulait nous apprendre le transitoire de chaque chose, de chaque geste, de chaque acte… éternelle leçon des jours qui passent.

 

Au-dessus des nuages, nul mauvais temps, mais un ciel infini. En dessous, un voile de grisaille percé de quelques éclaircis. Mais à y regarder de plus loin, les choses apparaissent différemment. Au-dessus des nuages, un ciel bleu et infini. Et au-dessus du ciel bleu et infini, le noir le plus sombre, l'obscurité la plus grande. Toute élévation demeure un mystère !

 

Ne rien craindre de la Vie car elle nous ouvre, nous offre ou nous invite au meilleur chemin qui soit.

 

Nous ne connaissons qu'une infime partie du chemin. La vie humaine n'est sans doute, elle-même, qu'une essentielle et modeste étape sur le chemin de la vérité.

 

Toute confrontation au monde est d'abord une confrontation à soi-même.

 

Le monde est un étrange miroir où nos travers sont mille fois grossis…

 

C'est en se frottant au monde que l'on découvre les aspects les plus anguleux de soi-même mais c'est souvent loin du monde (dans la plus grande solitude) que l'on apprend à en raboter l'essentiel. Et c'est en retournant au monde que l'on peut apprécier le chemin parcouru et le chemin à parcourir… i.e la qualité du travail effectué et l'ampleur de la tâche à accomplir.

 

Dans le vaste théâtre du monde, nul n'est irremplaçable mais chacun est indispensable.

 

On croit vivre pour toujours les uns avec les autres, mais, bien sûr, il n'en est rien… Il n'y a rien de plus faux. On s'accompagne un temps, allant ensemble sur le chemin pour (quelques instants), quelques heures, quelques mois, quelques années, quelques décades... La vie a vite fait, un jour, de nous séparer… (tôt ou tard elle nous sépare), que nous nous quittions, que nos chemins divergent ou que la mort vienne à frapper… et notre chemin se poursuit ailleurs continuant à croiser d'autres destins…

 

L'un aime les femmes petites et menues, l'autre les hommes grands et imposants. Mais qui aime-t-on vraiment derrière ces autres que nous croyons aimer ?

 

Apprends à faire de toute chose une rencontre… de tout geste une découverte… de toute situation un territoire à explorer…

 

 

Une plus grande capacité à accueillir les évènements

Le chercheur espère moins de l'existence, non qu'il se résigne à vivre les évènements avec fatalisme mais il apprend progressivement à les percevoir non comme extérieurs à son parcours (évènements subis et "accidents de la vie") mais comme partie intégrante de son cheminement et de son intériorité.

 

Ainsi, cherche-t-il moins à contraindre et à modeler le réel comme il le faisait autrefois (et comme le font la plupart des Hommes) afin que l'existence satisfasse ses attentes mais il apprend au contraire à accueillir la vie qui vient comme elle arrive. Il sait par expérience que ses déceptions seront toujours à la hauteur de ses espérances. Aussi, sans attente (ou en les ayant substantiellement réduites), il peut accueillir ce qui se présente sans craindre la désillusion.

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

S'ouvrir à soi-même, c'est commencer à s'intéresser à l'humanité… commencer à s'intéresser à l'humanité, c'est essayer de découvrir la place de l'Homme… essayer de découvrir la place de l'homme, c'est le premier pas métaphysique vers la quête du sens de la vie humaine, c'est l'avant chemin de la spiritualité…

 

Le fait même d'appeler certains évènements des épreuves révèle à quel point nous ne savons pas encore les appréhender pour ce qu'ils sont.

 

Le découragement est le signe d’une attente trop grande à l’égard de la vie, une incapacité partielle ou totale à accueillir les évènements en cours, la vie qui vient et la vie à venir.

 

Trouver sa propre verticalité, indépendamment de toute chose et de tout être, la laisser grandir et tenter de lui rester fidèle en toutes circonstances.

 

Quand le monde devient (ou du moins te semble devenir) trop hostile, ne fuis pas, ne te recroqueville pas, trouve refuge en toi pour trouver le courage et la force d'accueillir les évènements et de poursuivre ta route !

 

Se retirer en soi comme l’on fermerait les volets, pour se protéger des lumières du monde, regagner la vie obscure et (réapprendre) retrouver la lumière en nous.

 

A la naissance, les Hommes sont de petits points minuscules qui aspirent et apprennent très vite à s'étendre et à s'élargir. La plus grande part des activités humaines tend à (vers) cette horizontalité. Et beaucoup s'en satisfont amplement. Toute leur existence est vouée à cette seule dimension : ils travaillent à étendre leur action, leur pouvoir, leur propriété sur l'entière surface du monde. Peu parviennent à découvrir la verticalité, dimension pourtant fondamentale, qui, seule, permet de donner un sens véritable à l'horizontalité. Les seuls qui peuvent y accéder sont ceux qui ont perçu la vanité (l'inutilité et l'orgueil) de la seule démarche horizontale.

 

Chercher en soi toutes les ressources… non pour lutter ni combattre… mais pour accueillir et embrasser.

 

Apprendre à se libérer de nos peurs et de l'emprise du regard du monde, c'est commencer à devenir plus libre.

La nécessité intérieure fournit une incroyable énergie. Elle est sans doute notre moteur le plus puissant. Elle permet d'avancer, de traverser les épreuves et les échecs, de sortir des impasses. Sans elle, la volonté serait anéantie à la moindre difficulté. Elle permet la persévérance qui nous offre l'énergie de poursuivre quoi qu'il arrive…

 

Il n'y a aucun combat à mener. Ni contre la vie, ni contre le monde ni contre soi. Si combat il doit y avoir, il doit être mené pour maintenir l'exténuant (et parfois insurmontable) effort que nécessite l'acceptation et l'accueil de toute chose.

 

Le monde comme maison et la vie pour refuge. Sur tous les chemins, partout, j'aimerais me sentir chez moi…

 

Les désillusions sont comme des repères sur notre chemin. A chaque fois qu'on les rencontre, elles nous indiquent une nouvelle direction à prendre. Et nous tournons ainsi à chaque carrefour qu'elles posent sur notre route… jusqu'au jour où l'on s'aperçoit qu'il est vain d'espérer du chemin, et qu'il nous faut tout simplement marcher sans rien attendre… sur le chemin qui est le nôtre…

 

Espérer, c'est s'attendre à être déçu toujours. Ne rien attendre, c'est retrouver (revenir) le réel.

 

Il ne faut pas craindre de fréquenter ceux qui nous semblent infréquentables (pour toutes sortes de mauvaises raisons), car ils nous invitent, malgré eux, à explorer une partie de nous-mêmes que nous ne voulons pas voir.

 

Il ne sert à rien d'égayer la vie quand on est triste. Il nous faut seulement accueillir avec joie notre tristesse.

 

Ouvrir son cœur ne le fragilise qu'en apparence (puisque l'on y accueille la souffrance, cela peut nous rendre triste ou abattu), mais en profondeur, il s'en trouve assurément fortifié.

 

Les aspérités de l’existence sont des coins d’ombre où l’on se brûle souvent. Pour qui sait y demeurer, elles deviennent un abri réconfortant et un tremplin vers la Lumière.

 

Ne s'attendre à rien est le plus sûr moyen d'aller sur le chemin.

 

Apprendre à devenir le chemin lui-même à chaque pas…

 

Ouvrir sa vie à tous les vents (tous les vents du monde)… vents bons et mauvais, vents forts et faibles, tous nous poussent vers nous-mêmes.

 

Apprendre à tout accueillir… apprendre à ne rien rejeter… pas même son incapacité à accueillir… ni même sa volonté farouche de tout rejeter.

 

Quel déchirement de laisser la souffrance ouvrir en nous un espace… Que de luttes pour tenter de refermer cette plaie béante qui nous brûle… Mais quelle Joie de sentir progressivement cet espace s'élargir et s'ouvrir à toute chose…

En apprenant à accueillir progressivement la Vie, on trouve la Joie. Quand on a trouvé la Joie, la Vie s’invite naturellement.

 

Accepter de ne rien contrôler (ni ses états intérieurs ni les évènements de notre vie) en ayant une confiance toujours plus grande en la vie constitue un pas immense sur le chemin vers la sérénité.

 

Laisser être est un exercice métaphysique profond et d'un grand intérêt. Il nous révèle à bien des égards notre personnalité profonde et les points d'attache de l'armure que nous nous sommes échinés à façonner des années durant pour nous réfugier dans notre petit monde et nous protéger du grand (du grand monde).

 

Ne s'accrocher à rien est le plus sûr moyen d'aller plus libre. Ne s'accrocher à rien ne signifie pas être indifférent mais se laisser traverser, accueillir sans retenir, laisser partir sans s'agripper…

 

Ne jamais faire le jeu du monde, mais laisser la vie édicter ses règles.

 

Chaque instant est un adieu au précédent. Ainsi passe notre vie… d'adieu en adieu… et les morts aussi nous quittent de cette façon…. eux qui étaient encore vivants l'instant d'avant.

 

Accepter de ne pouvoir sauver le monde, contribuer peut-être à sauver quelques êtres, s'aider sûrement à se sauver soi-même (non par égoïsme, mais par réelle impossibilité de venir en aide aux autres). Au fond, on ne peut se sauver que soi-même… on ne peut qu'encourager les autres à se sauver…

 

On ne renonce à rien, ce sont les choses qui se détachent. Elles tombent comme un fruit mûr pour enrichir le sol qui donnera toute sa force à l'arbre dépouillé.

 

(Extraits) LE PETIT CHERCHEUR... :

 - (…) la plupart d’entre nous obéissons à nos désirs tout au long du voyage ! Et c’est un cycle infini dans lequel nous ne cessons de nous empêtrer… une ronde infernale dans laquelle nous ne cessons de tournoyer… Nous croyons être libres en essayant de satisfaire nos désirs. Mais ce que nous appelons communément la liberté n’est en réalité que le plus avilissant des esclavages. Et nul ici bas ne fait exception à la règle ! Nous voyageons tous sous le joug puissant de nos désirs… Nous leurs obéissons tous comme des esclaves enchaînés ! La vérité est que nos désirs sont nos maîtres ! Et tous (autant que nous sommes) tentons vainement de manipuler les évènements du voyage à seule fin de répondre à nos attentes… Aussi la plupart d’entre nous rejetons tout ce qui entrave notre recherche… tout ce qui nous semble indigne, dangereux, douloureux et inconfortable ! Nous fuyons comme la peste ce que nous ne voulons pas… ce que nous n’aimons pas… ce que nous ne désirons pas ! Mais qui, sur cette planète, jeune homme, peut se vanter de toujours trouver ce qu’il désire… ? Qui peut se vanter de toujours pouvoir échapper à ce qu’il n’aime pas… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper aux choses désagréables ? Aux échecs… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper aux critiques… ? Aux déceptions… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper à la souffrance et à la douleur… ? A la disparition de ce qui nous est cher et de ceux que nous aimons… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper aux maladies… ? Au chagrin… ? Et au passage dans l’autre Monde… ?

J’ai réfléchi un instant.

 - Eh bien… personne, monsieur Arnaud ! Je… je crois que nous sommes tous confrontés à ce genre d’évènements au cours de notre voyage. Personne ne peut éviter ce genre de désagréments.

 - Eh oui ! dit monsieur Arnaud, tous ces évènements font partie du chemin. Voilà pourquoi il est vain de les rejeter! Et courir après ces désirs est tout aussi inutile puisqu’ils sont en nombre infini… vous savez, jeune homme, manipuler le voyage à seule fin de satisfaire nos désirs et nos attentes est un exercice illusoire qui nous enchaîne à une insatisfaction toujours plus grande. Ce sont nos désirs et nos attentes les responsables de nos déceptions et de nos souffrances ! Ce sont eux qui nous enferment… qui nous emprisonnent dans un monde étroit, dans un monde labyrinthique dont nous sommes le centre unique… un monde dans lequel nous ne cessons de nous enliser tout au long de ce voyage… un monde dans lequel nous ne cessons de nous perdre… un monde qui nous empêche d’ouvrir notre cœur et d'élargir notre esprit…. un monde replié sur lui-même qui entrave notre quête du trésor… et qui nous interdit d’aller sans crainte sur le chemin… un monde qui nous confine au refus et à la peur d’aller explorer la vastitude du monde qui nous entoure… Voilà, pourquoi il est préférable, jeune homme, d’accepter tout ce qui se présente à nous sans distinction ! Apprenez à devenir libre de vos désirs ! Apprenez à réduire vos attentes à l’égard du voyage et à accepter tout ce qui se présente à vous sur le chemin ! Apprenez à laisser chaque chose, chaque être et chaque événement entrer dans votre cœur ! Alors, progressivement, votre cœur s’élargira ! Et au fil du temps, il deviendra si large et si grand qu’il pourra y accueillir toute chose et tout être ! Il deviendra si large et si grand qu’il pourra accueillir tous ceux qui souffrent sur cette Planète ! Et dans votre cœur, ils trouveront un grand réconfort ! Apprenez aussi à laisser chaque chose, chaque être et chaque événement pénétrer votre esprit pour l’éclairer ! Et si vous laissez votre esprit accueillir chaque chose, progressivement vous comprendrez qu’il n’y a aucune différence entre l’intérieur et l’extérieur, aucune différence entre qu’il y a au fond de votre conscience et ce qu’il y a au dehors…, progressivement vous comprendrez qu’il n’y aucune différence entre les évènements douloureux et les évènements agréables, qu’il n’y a aucune différence entre vous et les autres résidents de cette Planète… et qu’en dépit des apparences, Tout est semblable et que nous sommes Tous identiques… vous comprendrez alors que nous appartenons tous à ce Tout et que ce Tout est présent (et observable) en chacun de nous… Et lorsque vous aurez totalement et réellement compris cette vérité au fond de votre cœur et de votre esprit et qu’ils sauront Tout accueillir sans rien rejeter, alors ce jour-là, la Lumière inondera votre Conscience. Ce jour-là, jeune homme, vous découvrirez le trésor ! Alors, vous pourrez accueillir tous les évènements du chemin avec joie… vous pourrez voyager sans peur… vous pourrez voyager partout sans contrainte et sans crainte … et aller le cœur en paix là où le chemin vous conduira…

 

 

Une capacité d'acceptation accrue

Par un travail introspectif assidu (émotionnel, intuitif, ressenti et analytique), le chercheur prend conscience de certaines parties sombres de sa personnalité qu'il avait pris soin jusqu'à présent d'ignorer ou de camoufler. Cette exploration intérieure progressive lui permet de découvrir la similitude des aspects intérieurs de son être et des éléments extérieurs de la vie. Ainsi, il comprend peu à peu que chaque chose et chaque être sont composés d'éléments proches ou semblables. Cette prise de conscience fait naître en lui une plus grande tolérance pour lui-même et pour le monde. 

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

Nous sommes des êtres limités… de mille façons. Pour s'en convaincre, il suffit de voir la quantité limitée de souffrances que nous pouvons accepter… Nous avons pourtant le potentiel de dépasser ces limites… être en chemin, c'est travailler à cet élargissement…

 

Le rejet (souvent inconscient) d'une partie de soi est sans doute à l'origine de notre violence, violence intérieure d'abord que l'on exerce, souvent à notre insu, envers quelques parties de nous-mêmes, et violence extérieure (simple reflet de notre violence intérieure) que l'on exerce à l'encontre de quelques parties du monde.

 

Apprendre à accepter ses parts d'ombres, c'est commencer à trouver en soi un peu de lumière.

 

Nous avons le droit d'être idiots, mauvais, méchants, médiocres. Nous le sommes tous à certains instants et à des degrés divers. Ces aspects de nous-mêmes que nous tentons vainement de camoufler appartiennent aussi à notre humanité. L'ignorer, c'est s'exposer à une fuite en avant toujours plus grande, c'est construire une image fausse et partielle de nous-mêmes, c'est donner du poids à un leurre dont nous serons tôt ou tard les premières victimes.

 

Croire en son intelligence fondamentale sans omettre l'idiot qui est en nous et l'abruti qui parfois nous gouverne...

 

Livrer bataille (contre soi, contre les autres ou contre le monde) revient toujours à scinder (artificiellement) le monde, d'un côté le Beau, le Bien, le Vrai, le Normal, d'un autre, le Laid, le Mal, le Mensonge (le Faux), l'Anormal. Cette perception est non seulement artificielle et subjective mais elle est totalement fausse. La réalité est sinon toujours plus subtile du moins toujours ce qu'elle est, indépendamment de nos jugements et de nos perceptions.

 

 

Sentiment d'indépendance et de gratitude

Le chercheur prend conscience de l'indéfectible solitude inhérente à la condition humaine. Il comprend qu'il est seul (qu'il est né, qu'il vit et qu'il mourra seul) et s'en satisfait (ou tente à tout le moins - au début du chemin - de s'en satisfaire). Il n'est plus systématiquement en quête d'une façon d'exister par, grâce ou dans le regard du monde. Il apprend peu à peu à rendre grâce à la vie pour ce qu'elle est et pour ce qu'elle offre à chaque instant, quels que soient les évènements (qu'ils lui semblent porteurs de joie ou de tristesse).

 

(extraits) PENSEES VAGABONDES :

Nous sommes à la fois résolument seuls et irrémédiablement liés aux autres. C'est avec cette double vérité qu'il convient d'apprendre à vivre… Ne pencher ni du côté de la solitude morbide (et du repli) ni sombrer dans la dépendance aliénante…

 

Ne jamais rien avoir à prouver à quiconque ni à soi-même… l'un des meilleurs moyens de se délester de fardeaux inutiles, une façon de ne jamais se laisser dérouter… et enfin une libre possibilité d'avancer vers soi…

 

Chacun devrait travailler à sa mesure… à son rythme… selon ses goûts et aspirations… sans se soucier ni du talent (le sien et celui des autres) ni du regard indifférent ou méprisant du monde.

 

N'avoir à rendre de compte à personne… mais devoir à peu près à tous.

 

Ne pas se laisser dérouter par le monde… mais rendre grâce à tous ceux que l'on rencontre.

 

Nous devrions remercier tous ceux qui nous agacent ou nous exaspèrent car ils nous révèlent, malgré eux, les aspects de nous-mêmes que nous détestons. A chaque fois que nous les croisons, ils nous offrent l'occasion de nous ouvrir à ces aspects que nous refusons de regarder.

 

Encourager les autres à s'aider eux-mêmes (à trouver en eux les ressources nécessaires) est sans doute la meilleure façon de leur venir en aide.

 

Nous pouvons avoir recours à tous les conseils, à tous les repères et à toutes les indications du monde, mais nul ne peut apprendre à marcher sans devenir son propre guide.

 

Il n'y a pas de chemin idéal. Chacun doit partir et avancer avec ce qu'il est et possède et à partir de l'endroit où il se trouve. Chacun doit cheminer à son rythme et à sa mesure sans chercher à imiter quiconque mais en cherchant en lui le chemin et la force de poursuivre sa route.

 

 

Des chercheurs spirituels "célèbres"

Voici une courte liste (non exhaustive, bien sûr) d'Hommes plus ou moins connus qui, à mes yeux (à travers l'idée que je me fais de leur cheminement et/ou de leur œuvre), peuvent être qualifiés - à des degrés divers - de chercheurs intérieurs (ou spirituels): Thomas d'Aquin, Thérèse de Lisieux, Charles Juliet, Christian Bobin, Paul Claudel, Dan Millman, Louis Lavelle, Théodore Monod, Vincent La Soudière, Arnaud Desjardins, Krishnamurti, Maurice Bellet, Jean Marie Kerwich, Georges Haldas...

 

19 novembre 2017

Carnet n°12 Autoportrait aux visages

Récit / 2005 / La quête de sens

Je suis une sorte d’entomologiste du genre humain. J’observe, je décris, je note les trajectoires et tente de me livrer à leur analyse. Une sorte de vocation aux confins de l’ethnologie, de la sociologie, du journalisme et de la littérature. Je me livre très volontiers à une sorte de chronique du peuple humain. Une passion dévorante qui me conduit sur les routes du monde. A la croisée des chemins de l’homme. 

 

 

Prologue

A travers mille visages rêvés ou rencontrés, ce récit fragmenté dresse le portrait d’un homme qui cherche désespérément son identité… et le sens sans doute de son appartenance à l’espèce humaine en mêlant anecdotes en tous genres, commentaires triviaux sur le quotidien et réflexions générales sur l’existence.

 

Et si le monde n’était en réalité qu’un seul homme… ?

  

Je tourne en rond dans mon deux-pièces de banlieue depuis près de 2 mois. Une insupportable éternité. Voilà quelques semaines que j’ai bouclé ma dernière enquête. Et achevé mon dernier bouquin. Je ronge mon frein… un supplice.

 

Je passe mes journées à écumer les pages du web. A la recherche d’une nouvelle enquête. Rien… pas la moindre idée. Pas même le début d’une intuition. Ou d’un projet… j’enrage…

 

Le soir, vautré devant le poste de télé en quête d’une nourriture salvatrice (à mon désœuvrement), une intuition (contre toute attente) se précise. Je songe (soudain) à mes amis. Une centaine d’amis à travers le monde. Connaissances, camarades et complices rencontrés au cours de mes nombreuses enquêtes sur la planète. Depuis le début de nos rencontres, je tiens sur chacun une sorte de journal de bord. Je note les évènements majeurs de leur existence, leur parcours. Je retranscris nos discussions, nos conversations téléphoniques. Je m’évertue régulièrement de faire avec eux l’état des lieux de leur vie. Une drôle de marotte, il est vrai… mais on a la marotte que l’on mérite…

 

Je relis quelques dizaines de pages de mes carnets. Après une cinquantaine de pages. Rien. Je poursuis ma lecture. 2 heures plus tard, je range mes cahiers dans l’armoire qui trône à proximité de ma table de travail. Et soudain, mon visage s’illumine… un grand sourire sur les lèvres…

 

Cette lecture me donne une idée. Et si je me faisais de nouveaux amis… partir sans projet… prendre la route en quête de nouvelles rencontres… l’aventure humaine en cours de chemin…

 

Je saisis le téléphone. M’installe sur la chaise longue du salon et compose le numéro de téléphone de Nat. (ma compagne).

 

Nat. me parle de son projet de nouvelle expo (Nat est artiste-peintre). Quant à moi, je lui expose le mien. Elle se montre (plutôt) sceptique. Mais elle connaît aussi ma passion dévorante pour les voyages. L’abominable calvaire que représente à mes yeux la période d’inaction entre 2 enquêtes. Et ma propension à la dépression en cas d’inactivité… à la fin de notre entretien téléphonique, je l’invite le lendemain au resto.

 

Seul à la table du petit bistrot où nous avons coutume de nous retrouver, je regarde les passants. Nat. (comme d’habitude) est en retard.

 

*

 

L’époque est à la crise. Elle est dans toutes les têtes. Et dans toutes les bouches. Chaque jour les journaux déversent leur flot d’évènements douloureux. Et larmoyants. Raison de plus pour tenter une aventure personnelle d’envergure. Mes moyens (financiers, matériels et intellectuels) sont modestes… et je n’ai pas attendu l’apogée de la crise mondiale pour connaître les périodes de vaches maigres… et me débrouiller avec les moyens du bord. 4 bouts de ficelles et quelques bouts de chandelle ont souvent fait l’affaire… Bref en ces temps de morosité, j’ai le devoir d’entreprendre une enquête pour le plaisir (mon seul plaisir)… l’un des plus sûrs chemins que je connaisse pour apporter un peu de joie autour de soi et contribuer modestement (bien sûr) à la joie du monde. Au vu de l’affliction qui me gagne (et qui va finir par gagner la terre entière), il devient impératif que je reparte… pour donner (à nouveau) du grain à moudre à ma marotte d’enquêteur tous azimuts…

 

*

 

Mes expériences de vie, mes formations (diverses) et mon parcours existentiel représentent des atouts incontestables (sinon incontournables) pour mener à bien ce nouveau projet. Au cours de ma carrière professionnelle (quel vilain mot…), j’ai exercé quantité de postes, de fonctions et de métiers. Familier de nombreux univers professionnels, mes connaissances sont suffisantes pour me permettre d’y exercer maintes fonctions (des plus basiques aux plus complexes pour certains domaines).

 

*

 

Je suis une sorte d’entomologiste du genre humain. J’observe, je décris, je note les trajectoires (existentielles) et tente de me livrer à l’analyse (modeste, il va sans dire…). Oui, j’ai une forte prédisposition au témoignage. Une sorte de vocation aux confins de l’ethnologie, de la sociologie, du journalisme et de la littérature (un auteur sans visée ni ambition littéraires). Je me livre très volontiers (avec fougue et passion) à une sorte de chronique du peuple humain. Une passion dévorante qui me conduit sur les routes du monde. A la croisée des chemins de l’homme. 

 

*

 

Je pars. Sac à dos. Sans destination précise. Bien décidé à tailler la route. A pied, en stop, en car, en train. Hobo du XXIème siècle. En quête de rencontres et d’aventures humaines.  

 

Une quinzaine de jours en stop.

 

*

 

Un homme regarde par la fenêtre. Il scrute. Il observe. Il attend. Il a quitté sa table de travail.

 

*

 

Un homme, à la silhouette haute, au crâne dégarni, affublé d’un pardessus gris, arpente la rue. Max Imbert fait les cents pas devant un immeuble au mur jaune de 4 étages.

 

Nom : Max Imbert

Profession : philosophe

 

- J’aime à me définir comme explorateur. En matière philosophique, ma respectabilité est nulle. Peu de confrères admiratifs. Et beaucoup de détracteurs dans le corpus enseignant. 

- La guerre… ?

- La guerre… ? Laquelle ? Des guerres, l’histoire de l’humanité en a connues. Elles ont traversé les millénaires. A toute époque, l’Homme s’est âprement battu pour défendre son territoire, son clan, son honneur.

- L’homme est un prédateur. Il peut tuer sans vergogne.

- Sous l’autorité d’un chef, l’Homme assassine. Et voit ses crimes légitimés. A cette fin, on l’encourage. Et à l’issue des combats, on le décore.

 

*

 

Je pense aux documentaires. Aux mille documentaires vus depuis mon enfance. Je construis mon livre avec mes rushs d’entretiens, des notes éparses, des commentaires et des réflexions brutes.

 

Toujours cette volonté de mêler les genres. D’enrichir le récit. Au point de le surcharger. De l’embrouiller peut-être.

 

*

 

Donner la parole au monde. Lui octroyer une place dans ces pages.

 

*

 

Cheveux longs. Et sales. Corps crasseux. Vêtements élimés. Petites lunettes rondes auxquelles il manque une branche. Assis en tailleur sous un arbre. Un ascétisme rigoureux. Visage aux traits fins. Eprouvé par les vicissitudes du temps. Et des conditions de vie. Misère matérielle palpable. Regard doux.

 

Je m’approche.

- Marlek ?

Regard franc. Léger haussement de tête vers l’avant. Réponse affirmative.

- J’aimerais vous parler…

- Oui

L’entretien débute. Questions habituelles. Il décline son identité civile. Evoque brièvement son parcours. Je l’interromps.

- Qu’est-ce qui vous a poussé à partir ?

Hésitation. Léger sourire. J’insiste. J’aimerais savoir. Fuite ou quête ? Question idiote évidemment.

- J’aime le lointain.

Je note. Marlek aime le lointain. Je suppose donc qu’il hait le proche.

- La proximité vous effraie ?

D’un doigt, il désigne la présence de l’arbre derrière lui. Les huttes de paille à quelques mètres. Il baisse les yeux en direction du sol puis regarde le ciel. Je ne peux me contenter de telles réponses. Je demande quelques explications.

- La terre… ? Et le ciel… ?

J’acquiesce, incrédule. Pas vraiment certain de comprendre.

 

*

 

Goï Rickchov me toise d’un air goguenard.

- J’aimerais comprendre le genre humain.

J’acquiesce. Un grand sourire sur les lèvres. Un sentiment de proximité me submerge. Il poursuit.

- J’ai toujours voulu comprendre le genre humain.

Je le presse de continuer.

- Et alors ?

Une vague de tristesse fait soudain papillonner ses grands yeux noirs. Je lis dans son regard une détresse abyssale.

- Alors rien… je continue à chercher malgré tout…

Je me surprends à répéter.

- Malgré tout… ?

Il me regarde en levant les bras vers le ciel.

- Que pourrais-je faire d’autre… ? J’ai consacré ma vie à chercher…

- Vous avez des regrets… ?

- Des regrets… ?

J’insiste (malgré moi).

- Oui, des regrets ?

Il hésite.

- Comment peut-on regretter d’obéir à une nécessité… ?

Goï suspend sa phrase. L’entretien prend soudain une tournure imprévisible (que je n’avais, du moins pas prévu). Il me lance d’un air (presque) malicieux.

- Et vous, qu’est-ce qui vous a poussé à faire votre enquête ? Que fuyez-vous ? Que cherchez-vous ?

Je suis (bien sûr) pris au dépourvu. Je rougis (comme une jeune fille), honteux d’être dévoilé. Pris à mon propre jeu. Et si facilement démasqué. Je me laisse aller à la confidence.

- Comme vous, Goï, je cherche à comprendre le genre humain…

- Et avez-vous des regrets ?

- Mon existence est une longue suite de regrets...

Il sourit satisfait. J’essaye de voiler ma gêne. Cette confidence impudique me semble déplacée. Et hors de propos dans ce contexte.

 

*

 

Ma sympathie pour les marginaux et les solitaires se vérifient (sans surprise). Un irrésistible attrait pour les pousse-mégots en tous genres.

 

La beauté de l’Homme m’émeut. Profondément.

 

*

 

- Un homme en vaut un autre. L’interchangeabilité humaine exacerbée par la puissance du collectif. Un système totalitaire qui porte en lui (de façon endogène) son écrasante omnipotence sur les individus qui le composent, le nourrissent et le façonnent.

- Comment y échapper ?

La réponse est claire. Directe. Succincte et sentencieuse.

- Je l’ignore…

Abderaman passe une main nerveuse sur son front. Caresse sa barbe. Je le sens hésiter.

- Peut-être… en contribuant  individuellement et à sa mesure à un monde différent… plus humain…

J’acquiesce d’un hochement de tête. Etonné par la simplicité de sa réponse. Un Homme de réflexion. Intellectuel de renommée internationale, universitaire à la connaissance encyclopédique, honnête homme de son temps me livrant une conclusion si triviale. Je suis consterné. En accord. Mais consterné.

 

*

 

Installé sur la grande table du salon, face à la fenêtre, je plonge dans la pile de documents. Journaux, revues, rapports, mémoires, thèses, essais. Un condensé de sciences humaines. Philosophie, sociologie, psychologie, histoire, géographie, anthropologie, science de l’éducation, économie.

 

Le monde de la connaissance humaine éparpillé sur ma table de travail, je songe à mon ignorance. A l’ignorance de l’Homme.

 

Le bonheur, le sens de la vie humaine, voici plusieurs centaines d’années (quelques millénaires tout au plus) que nous y réfléchissons. Et quelles connaissances supplémentaires depuis nos ancêtres des cavernes ? 

 

Il ne s’agit nullement de nier le progrès. Et ces indéniables avancées. Mais en matière d’existence (quête du bonheur et conduite de vie), force est de constater la faiblesse (voire l’absence) de résultats convaincants.

 

Tout est enquête. Matière à réflexion. Toute rencontre, toute situation me fournit mille détails sur l’Homme, son comportement, sa nature. Je note. Sans distinction. Sans hiérarchie. Des milliers de pages. Inégales évidemment quant à leur intérêt… 

 

La vie comme enquête. Voilà ma tâche. La tâche essentielle de ma vie. J’y consacre mes jours et mes nuits. Sans répit. A l’affût de tout indice supplémentaire.

 

J’entends déjà la critique de certains beaux esprits vilipendant ma démarche. A-t-il suffisamment plongé en lui-même ? Pour quoi parcourir le monde alors que la vérité se dissimule en son for intérieur… ? Lisez, messieurs-dames… et vous vous apercevrez (assez rapidement) que nulle option ne fut écartée… et si par mégarde, j’en avais occulté certaines…, je vous prie (par avance) de bien vouloir m’en excuser… mon ignorance et mon manque de discernement en sont les seuls responsables…

 

Une recherche tous azimuts. Enquêteur, je suis né… enquêteur, je mourrai… Enquêteur au long cours. Cours tantôt fluctuant, tantôt immobile. Tantôt agité, tantôt tranquille. Tantôt futile, tantôt intéressant. Tantôt inutile, tantôt prépondérant. Déterminante recherche… évidemment.

 

Rencontrer le monde devient ma nouvelle lubie. Une irrépressible obsession. Je m’en étonne. Et je m’interroge. Après tant d’années d’isolement, de rejet et de haine pour le genre humain - et disons-le clairement… de farouche misanthropie - j’éprouve l’impérieux besoin de découvrir les Hommes.

 

Note de synthèse. Partout (et à toutes époques), cette ressemblance évidente de l’humain. La similitude essentielle (de fond). Penchants, aspirations, limitations, souffrance, ignorance. Plus prosaïquement, la fuite du réel (si souvent jugé accablant et rébarbatif), l’alcool, la drogue, les tabous, le sexe, les mythes, le clan, le labeur, la participation au système collectif, la paresse, la mort.

 

*

 

Je regarde un visage. Et j’y vois le monde. La beauté, la fragilité, la souffrance et l’espoir du peuple humain. Un visage est un monde à lui seul.

 

Porté par une folle énergie, les recherches et les rencontres se succèdent. Période faste qui vient clore une phase morne et difficile et qui s’achèvera (sans doute) par un nouvel intervalle infructueux… je le sais… et qu’y a-t-il à faire ? Mes maîtres me diraient sans doute d’accepter… j’essaierais… oui, j’essaierais malgré le désarroi où ces crises me plongent…

 

La connaissance universitaire me rebute. Quel docte professeur est capable aujourd’hui d’incarner (véritablement) ses enseignements ? Les philosophes antiques occidentaux sont enterrés depuis bien longtemps…  ne subsiste, à mes yeux, que l’expérience (personnelle) de soi, du monde et de l’altérité, l’intuition et la réflexion pour bâtir son savoir… l’expérimenter… et en imprégner sa conscience… jusque dans ses tréfonds…

 

Le discours sur l’injustice me semble une hérésie. Qui peut prétendre à l’injustice d’une situation, de la survenance d’un événement… aussi douloureux et tragique qu’ils puissent être ressentis… ? La vie et le monde ne sont pas injustes… seules notre perception et notre compréhension sont obscurcies… il ne s’agit donc de construire un monde meilleur, d’œuvrer à une vie plus juste… mais d’apprendre à désobscurcir notre regard…  d’où ma frilosité pour l’engagement collectif (politique ou associatif) qui n’ont souvent d’autres desseins que de changer le monde ou de transformer la mentalité du peuple humain et de ses composantes encore peu ou pas sensibles à la cause qu’ils défendent…

 

Il n’y a aucune cause à défendre… sinon celle d’une conscience dévoilée…

 

Un livre de plus… ? Oui… et non… un livre qui tente d’être au plus juste de l’universel… de l’universel habillé de singularité… afin que chacun puisse incarner la vie-même…

 

*

 

Joe. L’homme est corpulent. Une masse opulente et musculeuse. Torse volumineux et biceps gonflés délibérément exposés sous un maillot échancré. Je m’approche quelque peu intimidé.

 

Intérieur nuit. Une pièce au sous-sol. Large et encombrée de mille objets. Au plafond des centaines d’ampoules (la plupart éteintes). Poussés contre les murs, des meubles hétéroclites, des placards, des vêtements posés sur plusieurs étagères, un évier regorgeant de piles d’assiettes où s’entassent des couverts, des bols, des verres. Dans un coin, une table de nuit à proximité d’un lit aux draps défaits. Au centre de la pièce, un fauteuil et une petite table basse où traînent quelques papiers, une tasse de café à moitié pleine et quelques livres écornés et jaunis,  la couverture tournée vers le ciel. Je note le ciel… et non le plafond… le détail (bien que symbolique) a toute son importance. Au pied du lit, une chaise où est assis le maître des lieux, buste penché vers l’avant, coudes posés sur les cuisses, tête tournée vers le sol… et les yeux fixés sur un ailleurs inaccessible (inaccessible pour moi).

 

Joe a la trentaine. Pantalon à pinces tenu par des bretelles d’un autre âge. Maillot de corps blanc. Il me reçoit pieds nus. Une silhouette d’athlète. Elégant et décontracté. Je note un fort contraste entre son apparence et son cadre de vie. Un sourire épanoui et le regard mélancolique. Une tristesse insondable. Curieux personnage. Et une foule de paradoxes apparents de prime abord.

 

J’ai hâte d’engager notre entretien. Il referme la porte, tourne la clé dans la serrure. Verrouille l’un des loquets et m’invite à m’asseoir dans le fauteuil. Avant de regagner sa chaise, il saisit un disque, le pose sur le vieux gramophone installé sur une vieille commode adossée à l’un des murs. Et reprend enfin sa place.

 

Long silence. Je m’imprègne de l’atmosphère des lieux. Quasi irréelle. Etonnante. Mystérieuse. Impressionnante.

 

*

 

Une salle de classe. Un instituteur bonhomme assis sur un siège minuscule parmi des visages enfantins aux yeux en éveil. Et aux grands sourires radieux. La joie d’apprendre.

 

Je me souviens. De l’odeur de la craie sur le tableau noir. De ma panique à l’idée de lire à haute voix devant les autres élèves. De mes mensonges et de mes bravades pour m’inventer une vie riche et exaltante. De mes vomissements chaque matin avant d’aller au lycée. De mes premiers émois amoureux. De la douceur de la peau de la première fille tenue dans mes bras. De mon appétit de savoir. De ma curiosité insatiable de découvrir (et de connaître). De mes premières nuits passées à refaire le monde. De ma solitude dans la chambre close. De mon désespoir. De l’ennui profond d’exister. De mes enthousiasmes excessifs. De mes violences. De mon ardeur à écrire. De mon souci de témoigner de l’existence humaine. De ma farouche volonté de percer la vérité du monde. De mon inébranlable quête.

 

Je me souviens de tous mes rêves à venir.

 

Inutile de censurer le fantastique qui m’habite. Il donne à ces pages une dimension mystérieuse. Une infime vibration énigmatique au récit. Une touche de paranormal à l’affligeant réalisme du monde. Comme si le monde était réellement ce qu’il semble être… 

 

Ecrire sur l’écriture. La belle affaire pour ceux qui te lisent ! Crois-tu donc que tes lecteurs écrivent…? Qui peut s’intéresser à l’écriture… sinon celui qui écrit…

 

Jour maussade. Vautré sur le canapé. En attente d’idée. Dans l’expectative d’agir. En toi, le néant. Autour de moi, l’espace vide. L’abime jusqu’au creux de l’âme. Je laisse le désastre se produire. Un jour (après plusieurs semaines d’attente fébrile et désespérée), la tragédie s’achève. Le miracle advient. Je m’empresse de rejoindre la grande table où j’avais (oui, aujourd’hui l’imparfait s’impose…) coutume de passer mes journées. J’ouvre le tiroir, saisis une feuille blanche… Et je note.

 

Note

Le jour s’étire dans la brume. Temps froid et pluvieux. Je frictionne mon buste (avec énergie). Pieds et mains gelés. Au loin, mille sommets infranchissables. Seul au milieu de nulle part.

 

Je songe soudain à cette obsession du vide qui m’habite. L’exil en tous lieux. Un mal qui ronge du dedans. Et qui dépeuple l’espace du monde. Aucun remède. Aucun antidote.

 

Ma superficialité m’afflige. Je ne parviens jamais à entrer au cœur d’un personnage. Je n’effleure que les silhouettes. Là où le romancier s’immerge… colle au plus près… mon imaginaire se contente (par incapacité) de frôler une maigre parcelle de peau. D’où l’inconsistance et la dimension fragmentée et parcellaire de mes livres… le creux qui se lit au cœur des pages… et me révèle…

 

Je ne parviens qu’à entrer dans ma propre peau. Maladroitement et involontairement encore !

 

*

 

La terreur se lit sur son visage. Mine livide. Œil hagard. Mâchoire crispée. Rictus figé sur les lèvres. Une détresse sans appel. Je lui tends la main. Il hésite, accroche ses doigts (avec lenteur et difficulté) à mon bras. Saisi d’une étrange sidération.  

    

*

 

Grand séducteur. Eternel beau gosse malgré les frasques nocturnes et le poids des années. La cinquantaine sportive et musclée. Visage hâlé, lunettes de soleil, cheveux argentés. Gérald est assis en terrasse. Tenue vestimentaire chic et décontractée.

 

En l’apercevant assis devant une tasse de thé (un verre d’eau et son téléphone portable posés devant lui) feuilletant nonchalamment un magazine sur la mode et l’architecture, j’entrevois, en un éclair, l’archétype du play-boy charmeur et raffiné.

 

*

 

Les querelles entre les Hommes sont nombreuses. Et ancestrales. Partout où les Hommes se rencontrent, naissent les conflits.

 

Greg me dévisage en souriant.

- Comment pourrait-il en être différent ? Le tout est divisé car l’un est divisé…

Je le regarde sans comprendre. Et d’un air interrogatif.

- Vous pourriez préciser…

Une lueur d’arrogance traverse ses grands yeux clairs.

- Bien sûr ! Les conflits apparaissent dans la collectivité car chaque homme est, lui-même, partagé. Que chacun règle ses propres divisions, et le monde s’en portera mieux…

- Oui, bien sûr ! Et comment vous y prenez vous pour que chacun règle ses divisions…

Un sourire énigmatique éclaire son visage…

- Ca…

- Mais encore… ?

 

*

 

Je dîne dans un petit restaurant du vieux port. Cuisine excellente. Vue imprenable sur la mer. La beauté vespérale du ciel me coupe le souffle. Je songe à l’unicité des cieux. Cet espace démesuré qui a vu la naissance du monde. Et l’avant-monde sans doute. Présent de Rio à Tokyo. De Melbourne à Rio de la Plata en passant par Lisbonne, Pékin et Paris. L’azur, œil historique, que chacun peut voir où qu’il soit. Et qui s’étend à perte de vue dans l’univers… Vertigineux. Je suis pris de vertige. Etourdissement renforcé sans doute par la bouteille de Bourgogne qui accompagne le repas… le serveur apporte le désert… une énorme part de tarte au chocolat. Je contemple mon assiette sous la voûte étoilée…  Je suis ivre de joie. Une ivresse rare. Quelques instants de bonheur dans cette quête effrénée… Je prends conscience de la préciosité de mes rencontres. Toutes m’ont laissé une forme d’héritage. Chacun m’a enrichi… m’a révélé une part de son trésor… quelques larmes coulent sur mes joues. En apercevant mes larmes, une vieille dame qui promène son chien sur les bords du quai s’arrête à ma hauteur. Et en découvrant mes pleurs, elle me regarde avec tendresse.

 

- Ca ne va pas, monsieur ?

Je la regarde avec affection.

- Je vais très bien, madame… je vous remercie…

Elle s’éloigne de son petit tranquille avec son basset. Je les regarde quelques instants. Une folle envie me tiraille. J’ai envie de m’élancer vers eux. Et de leur dire que je les aime. Que j’aime cette soirée. Que j’aime ce monde. Ces Hommes. Tous les êtres de ce monde. J’aimerais trouver le courage de leur dire. J’essuie mes larmes avec ma serviette. Et j’enfourne une énorme cuiller de tarte au chocolat… la timidité est un mal parfois incurable…

 

*

 

L’exploitation des êtres me laisse rarement indifférent. Je supporte difficilement les situations où les uns tiennent les autres sous leur emprise. Le souci d’équité m’a toujours habité. Et gouverné mes actes.

 

Recevoir et donner, voilà deux gestes naturels qui fondent notre humanité. Et notre identité humaine.

 

Ecrire est un acte d’amour…

 

Tant de livres ont été écrits dans la haine. Dans le mépris et la condescendance de l’Autre. L’écriture ne peut être qu’un instrument de joie. Ou alors il n’est rien… mots malfaisants qui n’offrent aucune issue… sinon la rancœur et l’hostilité. Autant d’appels à la division. D’invitations à la lutte et au combat… les mots comme instrument mortifère. Plutôt crever.

 

Je songe avec tristesse à mes premiers livres. Ecrits avec rage. Dans la misanthropie la plus violente et détestable. La honte me submerge… A l’époque, j’imaginais que ces pages fielleuses pouvaient aider et encourager le monde à sortir de son impasse… j’ignorais alors (bien sûr) que seule mon existence constituait une sorte de voie sans issue… sinon celle d’échapper à ses propres démons… et seul le monde, la rencontre avec le monde permet d’échapper à l’enlisement de la haine, du mépris et de l’isolement.

 

Le repli sur soi est une maladie honteuse. Qui vous recouvre des cendres du monde. Et vient alimenter le feu qui brûle en votre centre. J’ai survécu à l’incendie… victime encore quelque fois, il est vrai, de quelques feux-follets qui s’éteignent par ma seule présence au monde… une présence au monde ressentie comme grandiose et précieuse…

 

*

           

Malik m’invite dans le dortoir qu’il partage avec 5 de ses compagnons. L’intérieur est sobre. Et propre.

 

Le tutoiement est de rigueur. Dès les premiers mots, la bienveillance de Malik me surprend. Etonné par sa délicatesse dans cet univers strictement masculin à la réputation rude et brutale. Je suis très agréablement surpris. Et heureux de voir nos a priori battus en brèche.

 

Etienne, le patron, a des allures de gros paysan. Et des airs de patriarche. Velours côtelé, grosse chemise à carreaux. Des yeux bleus où perce une autorité de pater familias. Un franc-parler incisif. Une intelligence simple et limpide. Terrienne. Il m’accueille avec froideur sur le pas de porte. Comment lui en tenir rigueur ? Combien de fois ai-je pris, à mon insu, un air glacial et revêche pour recevoir mes hôtes ?   

 

Je réunis les représentants des salariés et des employeurs à la même table. Dans une annexe de la mairie. Dans une grande salle prêtée pour l’occasion.

 

Je suis anxieux à l’idée de cette réunion. Je crains qu’elle ne débouche que sur une exacerbation des conflits.

 

*

 

Nulle tendresse en ce monde. Il est nécessaire de poser (et de savoir poser) son regard au-delà des apparences. Pour commencer à comprendre l’immense tendresse des êtres de ce monde. Pétrifiés par la peur. Et l’ignorance. Mères de toutes les guerres. Petites et grandes, insignifiantes et mémorables. Anonymes et étalées sur la place publique (sur la grande place du monde).

 

Chacun défend ardemment ou avec veulerie sa part du gâteau. Nulle exception à cette règle tragique.

 

*

 

- Le monde est peuplé d’ignorants.

- L’humanité est une tribu aveugle

Ces propos résonnent en moi avec force. Et tristesse. Je suis néanmoins peu enclin à leur accorder du crédit.

- Oui ? Et alors ?

La question essentielle est : comment faire avec cet aveuglement et cette ignorance ? Je l’interroge. Je sens la véhémence de mes paroles. J’essaye de sourire. En vain. Il me toise. Et répète ma question (comme pour lui-même) ?

- Comment faire… ? Quelle stupide question ! Il n’y a aucun espoir… l’Homme est désespérant…

Il frotte l’un de ses sourcils (épais et noirs).

- La question serait plutôt : comment ne pas être désespéré… ?

Je réponds d’un air contrit (et plus fraternel).

- Nous pouvons aller au-delà du désespoir, non… ?

- Au-delà du désespoir… ? Quel haut-fond croyez-vous pouvoir toucher, jeune homme ? L’abysse est sans fond…

Je tente une explication.

- Il ne s’agit d’atteindre la moindre profondeur… mais de transformer la perspective du paysage… de regarder le monde d’un autre point de vue… fort différent de celui que vous posez sur le monde humain…

Il sourit, goguenard.

- La bouteille à moitié vide qui devient à moitié pleine… voilà le regard que vous proposez…

Je secoue la tête.

- Il ne s’agit nullement de positiver les situations… mais de prendre en considération une perspective plus large… et plus indulgente…

- Plus indulgente… ? Avec la pourriture humaine…?

Je sursaute. Ses paroles sont douloureuses. Résultante d’une souffrance et d’une incompréhension. Presque fatales. Je tente néanmoins de développer mon idée.

- Il ne s’agit nullement de nier les méfaits engendrés par l’humanité… mais il serait vain d’occulter toutes les dimensions de l’Homme… on se doit de le considérer dans son entièreté… souligner ses manquements et ses erreurs n’interdit nullement de considérer ses prouesses et ses capacités… et en la matière, tout dépend de notre point de vue… si vous le considérez à l’aune de vos espoirs, votre déception sera immense… si vous l’examinez avec neutralité, vous saisirez en dépit des apparences historiques et contemporaines que son évolution est louable et prometteuse… l’homme est en chemin..

- Banalités…

- Peut-être… mais ce genre de trivialités transforment les perspectives… et l’horizon humain apparaît moins sombre que vous ne le dîtes… et ne le faites croire (dans vos pages).

 

Mon hôte se lève. Et m’invite à me retirer. Je prends congé. Un peu amer et déçu. Non de n’être parvenu à le convaincre. Mais de le voir poursuivre son enlisement dans un sombre désespoir (que j’ai si bien connu…). Mais le désespoir n’est qu’une étape… qui s’avère parfois incontournable… aussi, tout est très bien ainsi… je quitte sa grande maison triste. Et mes épaules tombantes, au coin de la rue, se redressent déjà. Deux rues plus loin, je me mets à siffler. Heureux de cette belle soirée de printemps. Et ému par les beaux nuages gris dans le ciel. Je suis (même) si gai que je décide de prendre un verre au bar du luxueux palace qui fait l’angle de la rue.

 

*

 

Sous l’immense tonnelle, un majordome m’ouvre les portes. Souriant et affable (comme il se doit). Je traverse le hall d’entrée démesuré au décor somptueusement kitch et me dirige vers le grand salon. Intérieur cosy. Ambiance feutrée. Eclairage tamisé (toujours comme il se doit). J’entre pour la première fois de ma vie dans ce genre d’établissement. Je m’assois. Un serveur (très chic) m’invite à choisir un drink. J’opte pour un banal jus de pamplemousse. Il me l’apporte quelques instants plus tard. Affalé dans le fauteuil de cuir vert, je sirote mon verre. Je tente de m’imprégner des lieux. De savourer ce pur moment d’incongruité. Je sors mon carnet et note :

 

Notes. Je prends goût à découvrir ce que j’ignore. Comme un enfant émerveillé du monde. J’arpente des univers inconnus. Dans un souci de connaissance et de délectation.

 

Après deux minutes de délectation scripturale, j’aperçois à l’autre bout de la salle un groupe d’une cinquantaine de personnes. Je les avais passablement ignorés jusqu’à présent, trop absorbé (sûrement) par la saveur de mon jus de pamplemousse et le climat sécurisant (à la fois enveloppant et irréel) des lieux. Non, je ne suis pas seul à me délecter de l’endroit. J’en profite aussitôt. Pour parfaire mon ignorance des classes bourgeoises. Les premiers instants, je me contente d’observer les regards, les tenues, la gestuelle, les sourires. L’affabilité semble de mise. Les apparences sont sauves. Mais sous les masques polis se dissimulent fort mal l’ennui, la courtoisie hiératique, la joie circonstancielle de façade, la solitude des êtres. Je continue d’écrire (sur mon carnet).

 

Notes. Je note pêle-mêle. L’ennui et la désinvolture disciplinée des gens biens nés. La grâce factice de la beauté. La culture d’apparat. L’élocution quelque peu précieuse (et forcément ridicule). La fausse profondeur des conversations. Le moiisme congénital. L’indifférence au décor et au personnel. L’arrogance et la fierté de l’entre soi avec ses codes, ses règles, sa bienséance. La phrase d’un auteur célèbre (dont le nom m’échappe à l’instant) me revient soudain en mémoire. Elle dit en substance : du plus haut trône que l’on puisse être, on est toujours assis sur son cul… je m’esclaffe soudain si bruyamment que je manque de cracher une gorgée de jus de pamplemousse sur l’épais et moelleux tapis du salon. Tous les regards (comme un seul homme, une seule caste) se tournent vers moi. Et je sens à quel point ma présence en ces lieux est une incongruité. Tous ces regards mi-gênés mi-moqueurs qui me soupèsent me pèsent. Je me redresse. Souris à la ronde. Et hèle le serveur avec rudesse.

 

- Vous m’en remettrez un deuxième !

- Bien sûr, monsieur !

 

Médiocre provocateur, je suis (né). Médiocre provocateur, je resterais. J’exagère mes provocations (j’ai toujours exagéré mes provocations). Comme une façon d’imposer mon monde et mes idées à ceux dont l’attitude (qui devrait m’attendrir, m’émouvoir ou me faire pleurer) me paraît une imposture. Ou une hérésie. L’intransigeance, la peur du ridicule et l’inhabilité adaptative en sont sans doute les principales raisons.

 

En quittant le bar, je me dirige vers le serveur et lui fais mes excuses. Il me regarde affable et incrédule. Je lui explique mon attitude. Inqualifiable. Je me fonds en mille excuses stériles.

- Mais ce n’est rien, monsieur…

Je lui désigne du doigt le groupe (toujours présent).

- Si.. si… je suis impardonnable de vous avoir interpellé de la sorte… je vous considère bien plus que ces gens-là, vous savez…

- Ce n’est rien, monsieur… je suis là pour ça, vous savez… nous sommes heureux de vous avoir accueilli, monsieur…

Je ne peux lui tirer aucune parole personnelle et authentique. Le pauvre bougre répète inlassablement la leçon apprise par ses supérieurs et la direction. Amabilité et serviabilité en toutes circonstances. Usant de la malheureuse formule : le client est toujours roi… je ne peux résister en quittant les lieux à lui glisser un billet dans la main et lui dire à l’oreille :

- Vous avez raison, monsieur, de servir les clients avec dévouement… mais ne les considérez comme des rois… vous vivez en république… la monarchie et le temps de la servitude sont révolus…

 

Sur mon carnet, je note (en aparté). Aujourd’hui, le roi se nomme désir… et les sujets du désir créent l’empire de la servitude. Esclaves de leurs désirs, les sujets réifient le monde, les êtres et l’humanité. Double servitude. Triste époque. 

 

Note supplémentaire : de nos jours, la société (toujours plus marchande) tend à généraliser dans toutes les strates du monde de l’entreprise et parmi l’ensemble du personnel employé le souci du ton mielleux, standard et apocryphe. Des formules toutes faites, prêtes à l’usage selon les circonstances. Une retenue émotionnelle qui donne à chaque parole un air irritant de fausseté. Des hommes réifiés instrumentalisés par la hiérarchie, elle-même composée de vagues sous-fifres de la haute société… des hommes-choses qu’on utilise pour agrémenter et dont on se sert pour son plaisir, son confort, son bien-être  et qui doivent se prêter à toutes les humiliations pour satisfaire les caprices, exigences et autres lubies de la clientèle. Simples éléments du décor que l’on paye avec son repas, sa chambre et son mobilier. Relégués au statut de meubles utilitaires vivant dans le paysage de l’hôtellerie et de et la restauration de luxe au même titre que les canapés, les édredons, la literie, les lustres et les chandeliers… 

 

*

 

Max n’a aucune place en ce monde. La phrase paraît emphatique et pompeuse mais elle est juste. Elle est non seulement juste, mais incontestable. L’humanité le considère comme un déchet. Un rebus que l’on dissimule aux regards.  

 

*

 

Je rejoins un groupe de lutte armée qui œuvre pour la cause animale. J’y suis a priori favorable. Très favorable. Les souvenirs ressurgissent. Mon goût pour le terrorisme au sortir de l’adolescence. Et mes rapports singuliers avec les animaux auxquels j’ai toujours voué un amour considérable.

 

Je débarque dans une maison isolée. Une ancienne ferme aux murs décrépis. Sur le seuil, un jeune homme. 25 ans peut-être. Cheveux bruns en pagaille. Jeans sale. Gros pull-over. Sandales aux pieds. Je m’avance la main tendue (un grand sourire aux lèvres).

 

- John ?

- Yes ! Justin...? (Il prononce Justine)

- Justin

- Vous avez-fait bon voyage… ?

- Excellent, John ! Difficile de vous trouver… vous habitez un coin perdu…

John a un léger haussement d’épaules. Il me regarde avec flegme.

- A cause perdue, coin perdu, non ?

Humour typiquement british. J’adore. Il m’invite à entrer dans la grande salle. Autour de la table, un groupe d’une quinzaine d’activistes. Jeunes pour la plupart. Quelques trentenaires. Et un homme d’âge mûr assis dans un vieux canapé au fond de la pièce.

- Nous vous attendions, monsieur Ker… prenez place, je vous en prie…

Je m’assois sur l’un des bancs autour de la table.

 

*

 

Je dois me battre. Affronter la réalité de la situation. Moi qui répugne tant à le faire. Il le faut. La nécessité me l’impose. L’armoire à glace me toise d’un air agressif et menaçant. Je reste coi. Sur mes gardes. Attitude défensive qui trahit ma peur. Ma peur terrifiante. Pétrifié par un évident (un trop évident) manque de confiance.

 

Certains hommes n’ont qu’un langage : la force. Leur mode expressif est basique et animale : manger ou se faire manger. Tuer ou se faire tuer. Aucune autre option à leur conscience. Ils entretiennent avec le monde des rapports violents. Parfois d’une extrême violence. Et contraignent ceux qu’ils rencontrent à adopter leur langage. Ils vous y soumettent. De gré ou de force, vous ne pouvez vous y soustraire. Que vous fuyez (la peur au ventre) ou que vous répondiez à leur défi, ils vous imposent la pauvreté de leur vocabulaire…

 

Je ne peux évincer l’affrontement. Il s’avance, se met en garde et lance son poing. J’esquive (de justesse). Mes jambes flageolent. Je tremble. Un tremblement incontrôlable. Des secousses. Des spasmes. Les muscles tétanisés. Je perds conscience de mes gestes. Mon esprit se dissocie de mon corps. J’entre dans un mode de fonctionnement automatique. L’instinct de survie. J’essaye de penser. En vain. Je tente de raisonner. Une pensée me traverse. Frapper dans la vulnérabilité. Frapper dans la vulnérabilité. Mes yeux se fixent sur son cou. Je frappe. Il se recule avec agilité. J’avance et frappe une nouvelle fois et parviens à le toucher au niveau de la pomme d’Adam. Il se tient la gorge, crache, étouffe, pose un genou à terre. Goliath terrassé par David. Je le laisse à terre et tourne les talons, encore tremblant. Heureux de ma victoire, d’être parvenu à vaincre ma peur, fier d’avoir neutralisé mon adversaire et passablement écœuré. Je suis pris de nausée. Quelques mètres plus loin, je vomis dans le caniveau.

     

*

 

Les yeux perdus dans mes pensées. Assis à ma planche de travail. Devant une revue spécialisée sur le Japon. Articles passionnants sur la tradition et la modernité. Photos de temples. Pagodes, kimonos, yakusa, technologie, geisha, cérémonie du thé, ikebana, électronique, maître zen, bushido, robotique high-tech. J’avoue sans ambages ma fascination pour le pays du soleil levant. Mon goût pour sa tradition ancestrale, sa spiritualité, sa philosophie et ses arts guerriers.

 

A la lecture de ces pages, un vieux rêve refait surface (un rêve d’adolescence). Rencontrer un vieux maître. Demeurer à ses côtés pendant de longues années pour apprendre la sagesse. Que ce souvenir semble aujourd’hui ridicule ! Et pourtant si vivace.    

           

*

 

Le roi de la pop. Le King déjanté qui règne sur l’empire du show-biz… une dégaine d’éternel adolescent. Drogue, sexe et rock’n’roll… L’entretien se déroule dans une limousine (sans doute louée pour l’occasion) qui fait route vers l’aéroport. Entre la fin d’un concert et un avion pour l’autre bout du monde (Sidney en l’occurrence). 

 

A la fin de l’interview (sans surprise), conversation impromptue avec l’un de ses fans.

- J’ai toujours adoré ce type !

- Ah oui… ?

- Oh ouais ! Trop cool ! Et trop fun !

Je le toise incrédule et ironique.

- C’est à dire… ?

- Ben… ch’ai pas… la belle vie, quoi !

- La belle vie… ?

- Ben oui… la zik, le flouze, les gonzesses, les bagnoles… la défonce ! la class, la gloire, quoi !

- Ouais… ça te fait rêver, ça !

- Ben… tu parles… faudrait ‘tre con pour pas rêver de ça…

Je tente de comprendre son enthousiasme.

- Je comprends très bien mais… qu’est-ce qui est si fascinant après tout ? Tu pourrais m’éclairer un peu là-dessus… ?

- Ben merde ! T’as tout ce que tu veux ! Tout ! On peut pas rêver mieux…

- Désir et rêve, c’est donc ça qui te branchent…

- Ben ouais… la liberté ! Tu réalises tes rêves, quoi!

- Désir, rêve et liberté ! Ok. 

 

On finit tranquillement notre bière. La conversation tourne à plein… des rêves de liberté plein la tête, il s’agite sur son tabouret… je suis fasciné. Totalement fasciné.

 

Note. La singularité des chemins qu’emprunte l’universel…

 

*

 

Le soir, je téléphone à Nat. Je lui donne les dernières nouvelles de la tournée. Je lui parle de la singularité de mes dernières rencontres. Son peu d’enthousiasme me fait l’effet d’une douche froide. Je mets tant d’ardeur à rencontrer la diversité du monde que j’éprouve les pires difficultés à comprendre son écoute vaguement courtoise et son manque patent de curiosité. Bref, elle a l’air totalement indifférente à mon enquête.

  

La nuit, je repense à notre conversation téléphonique. Mille questions me traversent la tête. Pourquoi montre-t-elle si peu d’entrain à cette enquête… ? J’imagine mille scénarios improbables…  et autant de réponses absurdes… je finis par m’endormir au petit matin.

 

Après cette mauvaise nuit, je redoute le réveil. J’ai toujours appréhendé avec crainte les nuits blanches ou difficiles.

 

Qui peut s’imaginer que certains hommes passent leur existence entière à mettre en scène des vies fictives, à donner vie à des personnages imaginaires… ? Qu’ils ne vivent que dans l’irréalité… Et que cela leur sied de fuir le réel…

 

Je songe avec effroi à mes propres ouvrages où la fiction n’est qu’un fumeux subterfuge à fuir ce qui m’ennuie ou m’effraie… une évasion à moindre frais… où jaillissent des bribes d’inconscients, des bouts de fantasmes, des fragments de regrets…

 

La soupe fictionnelle est composée d’ingrédients fascinants… mais nourrit-elle l’âme… ?

 

La figure du poète me fascine. Elle m’a toujours fasciné. Je ne peux contester la dimension caricaturale que j’associe à l’image du poète. Une représentation archétypale sans originalité. Commune sinon triviale. Le poète maudit, la bohême, la misère, la souffrance, la torture de l’âme, la chambre de bonne, la reconnaissance posthume du génie. Bref, un salmigondis de clichés. Néanmoins, elle s’avère parfois juste. Et d’autant plus touchante quand on la rencontre…

 

*

 

Jean habite un minuscule deux pièces dans un immeuble quelconque du centre-ville. Au dernier étage, deux fenêtres ouvertes sur l’horizon septentrional. Silhouette squelettique, teint blafard, tenue vestimentaire anodine. Une allure indéfinissable. Une vie anodine d’employé communal. Célibataire. Une solitude qui crève les yeux. Une solitude émouvante. Et mouvante (également). Pas bêcheur, pas cabotin, l’homme est simple. D’une simplicité profonde. Aucun apparat. Aucune affèterie. Ni dans les gestes, ni dans les mots. Brut et sensible. Presque délicat. Il me reçoit chez lui.

 

Il m’ouvre la porte d’un air gêné. Presque étonné que l’on puise s’intéresser à son œuvre. Publié chez un obscur éditeur, il  n’espère ni la gloire, ni la reconnaissance. Il écrit. Voilà tout… depuis des années, il aligne les mots sur les pages de ses carnets. Inspiré, il l’est. Indéniablement. A dire vrai, cet homme a du génie. Il le sait et l’ignore à la fois. Du moins est-ce mon impression (ma première impression)…

 

Sa timidité, son manque d’assurance lui confèrent une surprenante propension à la tergiversation. Pétri de doutes, il ne cesse d’hésiter. A tous propos. Ses pages jonchées de ratures, sa vie sociale modeste peuplée de rares rencontres, son parcours professionnel et sentimental aux dimensions restreintes (sinon peu ambitieuses) l’attestent avec force. Jean est un introverti inhibé, soucieux de protéger sa destinée des aléas, des responsabilités, des évènements. L’apparente pauvreté de son existence, de sa présence au monde humain (à la société des Hommes) dissimule une extraordinaire richesse : une sensibilité et un regard d’une profonde acuité qu’il offre tout entier à la poésie, à sa prose poétique libre de toute rancœur et de toute amertume. Une poésie soumise au souffle et à la vitalité, à la nature et à la terre, aux forces énigmatiques qui habitent les êtres de ce monde, au ciel et au nadir. Poète de l’oxymore, de la puissance et de la vulnérabilité. Poète des paradoxes réconciliés. Modeste scribe au service des Hommes (malgré lui).

 

- Pourriez-vous, pour commencer, lire l’un de vos poèmes… ?

 

Il se lève, ouvre un placard, hésite un instant et saisit l’un des minces fascicules qui encombrent les étagères. Il reprend sa place, ajuste ses lunettes, s’éclaircit la voix (un peu gêné sans doute de répondre à ma requête) et commence sa lecture.

 

*

 

J’aime les obscurs. Ceux dont la lumière transparaît faiblement sous une apparence terne. Et sous une existence morne. Beaucoup cachent (à leur insu) un trésor inouï. Inimaginable. Impensable pour l’œil ordinaire que seuls l’éclat et le clinquant attirent…  

 

En mon for intérieur, j’ose encore espérer (malgré mes insuccès) être de cette race. Mes espérances, malheureusement, sont vaines. Mais il est si doux d’y croire encore… tout cœur ne cherche-t-il pas son baume… ?

 

*

 

Un soir. Un soir de grande solitude. Soumis au doute. Soliloque. Pour un bilan d’étape. Une auto-évaluation aux conclusions accablantes.

 

- Ainsi tu aspires à réconcilier le monde… ?

J’avoue sans hésiter (à ma conscience) l’objet de ma démarche.

- Oui. Réconcilier le monde ! Pourquoi… ? Est-ce puéril ?

- Oui. Puéril et illusoire… cette enquête est vaine… et ces pages inutiles… pourquoi aller au bout de cette impasse ?

Cette question m’afflige.

- Et que ferais-je d’autre… ?

Silence de la conscience.

- Que ferais-je d’autre… ? Dis-le-moi !

- Te réconcilier avec toi… alors le monde te semblera moins inconciliable… les incompatibilités prendront sens… tu en comprendras la fonction et… les liens entre les entités antagonistes te sembleront moins obscurs… mais vouloir réconcilier le monde, quelle tâche absurde…

 

La fin du soliloque me désespère davantage qu’elle m’éclaire.

 

*

 

Les hommes sont si différents… je suis incapable de poursuivre ma phrase. Comme si le fil de ma pensée s’était interrompu… rien.

 

*

 

Alan, cinéaste indépendant. Insomniaque obsessionnel. Attachant créatif nocturne. On se croise par hasard dans un drugstore. On sympathise immédiatement. Il m’invite à la projection de son dernier film. Une pure merveille. Je suis sous le charme de son inventivité. De sa sensibilité. Et de son aspiration. Alan filme son réel. Et ambitionne (talentueusement) d’y dénicher l’universel. L’universel singulier. Je ne peux rêver de plus belles et fructueuses rencontres. Il écrit ses scénarios, les filme, les réalise, les monte et les produit. La similitude de nos démarches me frappe. Et m’émeut. Je songe à mes bouquins dans lesquels je tente de mettre en exergue l’universalité humaine dans le témoignage de ma traversée et mes expériences personnelles. J’écris, corrige, mets en pages, imprime, fabrique et distribue moi-même tous mes livres. Je songe à mon labeur nocturne. Alan, lui aussi, travaille la nuit. A sa manie du classement. A son goût pour l’accumulation de documents, d’archives et d’images.

 

*

 

Derrière la diversité des parcours, des vies et des situations, le sentiment de solitude transparaît. Comme un élément central et déterminant. Une composante universelle de l’humain.

 

Malgré l’assurance, le dilettantisme, l’indifférence de certains de mes interlocuteurs, la peur domine. Mal dissimulée derrière leur discours rassurant, frivole ou bonhomme. L’inquiétude sourd derrière les masques. La crainte ancestrale de l’animal fragile, soumis aux forces naturelles et à l’hostilité (supposée) de l’environnement.

 

*

 

Je regarde (d’un œil bovin) le paquet de café qui traîne sur ma table. Je penche la tête pour lire l’étiquette sur le sachet entamé. Provenance : Colombie. Je bois du café colombien. Depuis presque toujours (en tout cas depuis des dizaines d’années). Et j’ignore à peu près tout de ce pays. Je tente de rassembler les maigres informations à ma disposition. Je réfléchis et je note (en vrac) : Bogota, ses enfants des rues qui se shootent à la colle, le cartel de Medellin, les meurtres, la drogue,  les FARC, leurs otages, le président Ortéga, l’entraînement de ses troupes d’élites, la franco-colombienne  Ingrid Bétancour et son assistante… un peu mince pour un homme (et de surcroît journaliste) qui revendique sa citoyenneté du monde… j’achève là mon commentaire. Mes connaissances sont aussi affligeantes que décourageantes… 

 

Réflexion. Je songe à ce café colombien. Et j’imagine son parcours. Depuis le caféier jusqu’à ma tasse. Par quelles mains est-il passé avant de rejoindre le placard de ma cuisine ? Simple et vaste question…

 

*

 

Au cours de mon périple, je surprends mille et une conversations. De façon inopinée. Où que j’aille, les hommes parlent, discutent, se chamaillent. Une matière première que je note (sans même prendre la peine de leur donner une forme retranscrite plus idoine à la lecture). 

 

- Que restent-ils des morts quand ils sont partis ?

Je reste idiot. Totalement interdit. Absolument sidéré par cette question si abrupte et inattendue.

- Mille regrets. De ne pas les avoir plus intensément aimés… et de les oublier bientôt… vous verrez, jeune homme, vous comprendrez que le temps est un fleuve chargé de regrets… vous comprendrez…. A l’aube de votre vieillesse, vos berges regorgeront de la pourriture des regrets… et l’eau de votre fleuve charriera tous vos cadavres… vous mourrez empesté… dans l’odeur infect de la nostalgie…

 

*

 

Au cœur immoral, rien d’anormal…

 

*

 

La crise. Tout le monde en parle (avec rage ou amertume). Tous victimes d’un système en sursis, presque à l’agonie (que l’on maintient en lui injectant des milliards de dollars), d’une organisation vampirisante et d’un mode de fonctionnement collectif ancestral.

 

Chacun souffre. Victime de la structure collective. Et chacun y collabore. Tente de négocier au mieux ses effets et ses contingences. Nul n’est épargné. Grands patrons, cadres, dirigeants, employés, sous-traitants, salariés et chômeurs. Tous les secteurs connaissent de fortes pressions. Tous les pays subissent une sévère récession.

 

Je me défends de souligner l’injustice des situations. Qui peut prétendre à l’injustice du réel ? Il faudrait replacer chaque situation dans un contexte plus large pour comprendre les ressorts des histoires personnelles, leur enchevêtrement, la survenance des évènements… et faute de parvenir à cette vision profonde et panoramique, nul ne peut (sérieusement) y prétendre… il existe des inégalités de faits, de situations… mais sont-elles injustes ? Je ne me risquerais à aucune réponse…

 

Les situations ne sont donc (a priori) injustes… mais les comportements favorisant ces inégalités sont insupportables… voilà l’angle approprié - me semble-t-il - pour aborder la grande diversité, l’extrême hétérogénéité des situations… 

 

Chacun mérite de faire advenir sa plus profonde aspiration… quand bien même serait-elle empreinte d’égoïsme, d’égotisme et de fantasmes individualistes ? 

 

Question. Chacun peut-il décemment actualiser son potentiel au vu de l’existence qu’il lui est donné ? Autrement dit, chaque être peut-il œuvrer à cette actualisation avec la conscience qu’il lui a été donnée, dans l’environnement au sein duquel il évolue et avec les évènements que la vie pose dans son existence ?    

 

N’est-il pas judicieux de s’interroger sur les comportements les plus porteurs d’inégalités, qui favorisent des situations profondément attentatoires à l’actualisation des potentiels individuels ? Quels sont-ils ?

 

Les comportements attentatoires les plus infamants. Le manque ou l’absence de partage… de mise à disposition des bienfaits (connaissances, savoir-faire, progrès…) réalisés dans la collectivité par quelques-uns ou quelques groupes d’individus, membres de la communauté…

 

Imaginons 2 tribus ignorant chacune l’existence de l’autre. Nul en ces communautés, ni même un observateur extérieur d’une parfaite neutralité ne trouverait sans doute à redire si l’une avait accès aux plus grandes facilités d’existence et que l’autre ne bénéficiait que de conditions de vie difficiles si chaque individu, dans l’une comme dans l’autre communauté, bénéficiait au même titre que les autres membres, du même traitement en matière de partage des richesses, d’accès aux différentes possibilités en tous domaines (alimentation, abri, soins, culture, festivités, funérailles…) accessibles à tous les composantes du groupe.

 

Au sein d’une même communauté. La responsabilité au sein du groupe serait-elle un critère de différenciation de traitement ? Autrement dit, permettrait-elle de rétribuer davantage l’individu en charge d’une fonction à responsabilité (mettant potentiellement en jeu d’autres existences que la sienne) ou dont le rôle au sein du groupe serait considéré comme plus bénéfique à la collectivité que d’autres activités ? Serait-il légitime de lui octroyer des avantages ? Il faudrait alors établir une hiérarchie des responsabilités et de l’impact positif (quantitatif et qualitatif) des activités individuelles sur la collectivité…

 

Prenons un exemple pour illustrer l’importance de la notion de collectivité dans la hiérarchisation des activités individuelles. Plus celle-ci est diverse (composée de diverses espèces d’êtres), plus la hiérarchisation des activités semble complexe et difficile à établir car elle doit prendre en considération les bienfaits ou avantages engendrés pour les uns et les méfaits ou inconvénients provoqués pour les autres sans compter la sophistication des liens entre les individus et la complexification des tâches individuelles…. Ainsi l’activité d’un boucher, si on limite la collectivité au peuple humain, permet de nourrir quelques dizaines ou centaines d’hommes. La nourriture leur permet de se maintenir en vie (et en bonne santé parfois). Et cette alimentation leur permet d’exercer leur activité, leur fonction au sein du groupe, elle-même sans doute ou peut-être source de bienfaits pour la collectivité. Mais si on étend la collectivité aux espèces animales, l’activité d’un boucher s’avère bien plus équivoque. On tue certains êtres, certains membres de la collectivité au bénéfice d’autres. Comment faire la part des choses ? Comment établir en toute objectivité les bénéfices et les dommages d’une telle activité ? L’homme contemporain, conforté par les religions monothéistes anthropocentriques, a résolu le problème en hiérarchisant les êtres… si l’on décidait d’être plus objectif, comment savoir jusqu’à quel point on peut sacrifier certains membres de la collectivité au bénéfice d’autres membres ? Et sur quels critères ? Comment trancher (si j’ose dire… en particulier pour notre exemple ?)…

 

Tout dépend de la notion de collectivité. Il me semble que toute hiérarchisation doit donc toujours être au bénéfice du plus grand nombre d’êtres. Implicitement, ce critère sous-entend un élément annexe, lui-même renvoyant à un dessein capital (presque originel). Permettre à ces êtres (au plus grand nombre d’êtres) de se perpétuer. Pour que ceux-ci permettent à la collectivité elle-même de se perpétuer… bref, la communauté instrumentalise d’une façon inhérente à sa propre existence ses membres pour se maintenir, voire se développer… D’où sans doute le fameux adage spinoziste… perpétuer dans son être…  si chaque membre subsiste et se perpétue, la communauté subsiste, se perpétue, voire se développe…  enfantin raisonnement, n’est-ce pas ?    

 

La collectivité ne peut engendrer des individus parfaitement autonomes qui pourraient pourvoir en toute indépendance à l’intégralité de leurs besoins (ou désirs) ? Les êtres ont été créés limités… et doivent donc se résoudre à avoir recours les uns aux autres… d’autant plus avec la complexification du système collectif, la sophistication des rapports entre les êtres et des activités et la croissance numéraire des membres du groupe.

 

Et si on admet que chacun exerce la fonction individuelle qui répond le plus adéquatement à ses aspirations personnelles (en fonction de sa personnalité, ses compétences, ses dons naturels…)  quand bien même, les responsabilités de son activité individuelle serait plus importantes que d’autres, pour quoi lui attribuer des avantages particuliers ? Resterait alors l’unique critère des bienfaits collectifs engendrés par l’activité individuelle…

 

Devant la complexification du système collectif et la sophistication des activités individuelles, favorisant une hyper spécialisation des tâches et activités individuelles et un écrasement de l’individu par le groupe, ne serait-il pas préférable de s’orienter vers un double mouvement : la multiplication de communautés autonome de taille raisonnable (sinon réduite) favorisant une égalité des traitements individuels (accès pour chacun aux éléments essentiels à sa subsistance), coopérant ensemble et socialisant certains domaines (mises en commun des connaissances, des avancées du progrès technique)… une organisation à penser et à mettre en place dès que possible… et l’avenir sans doute favorisera ce genre de dispositif sur la planète…

 

Aujourd’hui, d’ailleurs, le communautarisme cherche sa voie. Bien davantage que par le passé… où seuls quelques groupes marginaux ou la mode d’une époque (les années 70 en occident) cherchaient une autre voie… au temps d’Auroville. Aujourd’hui, on cherche tous azimuts. Dans la société civile. Et dans les institutions (par exemple dans certaines localités ou régions d’Amérique du Sud)… sans compter les réseaux d’échange et de partage sur internet, les SEL, les altermondialistes… Et une mauvaise voie dans le repli identitaire ethnique, social et religieux. Bref dans l’entre soi par affinités ou origine… le communautarisme comme réponse à l’écrasement de l’individu par le système collectif (économique, étatique…) et la mondialisation…

 

Très utopique sans doute… et mille fois proposé par les adeptes des différentes utopies, Fourrier, ses phalanstères et autres communautés idéales…    

 

Comment trouver un système de juste rétribution des activités individuelles en fonction des bienfaits engendrés pour l’ensemble de la collectivité ? on pourrait aisément concevoir un système de base qui assurerait à chaque individu l’essentiel de ses moyens de subsistance (voir le RME et autres) pour lui permettre d’assurer sa survie et de favoriser l’actualisation de son potentiel (recherche de sa fonction essentiel en tant qu’individu et en tant que membre du groupe) couplé à un système de rétribution complémentaire ou supplémentaire (pas forcément une rémunération… un aspect monétaire néanmoins difficilement contournable dans une collectivité humaine qui vit depuis des millénaires avec la monnaie et depuis quelques décades dans un système capitaliste)… une rétribution donc de son activité individuelle ayant pour principal critère l’apport de l’individu (qualitativement et quantitativement) à la collectivité…   

 

Le capitalisme (le libéralisme économique) est un mode d’organisation qui favorise la rétribution des plus forts et des plus malins (alliance, collusion, oligopole, monopole…), ceux qui rusent d’intelligence pour se développer au détriment des autres membres de la communauté, perçus comme des concurrents. Et délaisse ou ignore ceux qui exercent des activités bénéfiques à tous et à chacun. En outre, les plus forts (économiquement parlant puisque le système d’échange repose sur la monnaie) et les plus malins sont aussi les plus éduqués. Puisque la capacité à développer sa force (sa puissance) et sa ruse s’apprend à l’école, à l’université et dans les grandes écoles. L’éducation devient donc un apprentissage des informations (sur le monde qui se complexifie avec le temps et le vieillissement de la communauté) et la capacité de traitement de cette information… au fil du temps, on développe cet apprentissage et cette seule capacité… ruser pour être fort et se développer au détriment de tous les autres apprentissages… le capitalisme occulte un grand nombre d’informations et de connaissances jugés inutiles puisqu’elles ne permettent nullement de parvenir à cette fin… bref, le capitalisme est une aberration… une loi de la jungle plus ou moins sophistiquée… et rien de plus… encore un poncif bien illustré par l’expression de capitalisme sauvage…

 

La bestialité de l’Homme est si forte que l’on peut être étonné par le nombre de meurtres, de conflits, de tueries et de guerre. Particulièrement peu élevé. Malgré les apparences, éhontément confortées par le matraquage médiatique dont les faits divers macabres et morbides font l’objet…   

 

En matière d’apport individuel au collectif, la façon d’être est déterminante… et comment mesurer l’effet quantitatif et l’impact qualitatif d’une façon d’être sur la communauté… ? Ainsi l’influence d’une employée au service de nettoyage d’un grand magasin sur la collectivité pourrait être (parfois) plus bénéfique que les interventions d’un chirurgien en mission humanitaire… l’idée de motivation égoïste et altruiste en dépit de l’apparence de l’activité en la matière doit être développée…

 

*

 

En dépit de son incessant et consciencieux labeur, Georges est en passe d’être licencié. Il me l’apprend par téléphone. Un rendez-vous est pris le soir-même.

 

Georges est dans une mauvaise passe. Lui qui était si fier de sa réussite sociale. De sa carrière professionnelle, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il apprend à ses dépens que la stabilité existentielle et les certitudes établies sont un leurre. Rude apprentissage. Mais salvateur (en définitive).

 

*

 

John. Américain. Vit à Los Angeles. Artiste plasticien marginal et homosexuel. Gai, attachant, enjoué. Toujours aux lèvres un inaltérable sourire.

 

John habite un immense camping-car. Construit et aménagé par ses soins.

 

Je croise John (pour la première fois) dans un bar. Sur une route quelconque aux abords du grand ouest californien. Assis devant un énorme bock empli d’écume et une assiette d’œufs brouillés.

 

Je suis surpris par les dimensions de son atelier. Atelier extérieur, à ciel ouvert jusqu’à l’horizon. Le monde est sa planète et sa matière première. Il le peint, le sculpte. Le représente de mille façons. Selon l’inspiration de la période et l’humeur du jour.   

 

*

 

Je me surprends à regarder chaque visage avec attention. Et tendresse. Au fil de l’enquête, mon amour du peuple humain s’est décuplé. Je songe à mon passé de farouche misanthrope. Et j’en suis ébahi… qui aurait pu penser que je pourrais un jour rencontrer tant d’hommes et de femmes, croiser tant de visages, de personnalités, de caractères différents et m’en émerveiller. Et en apprécier la présence et la proximité…. ? Partager des existences si différentes de la mienne… côtoyer des êtres aux aspirations et aux activités si éloignées des miennes…

    

*

 

Je consulte mon compte bancaire. Alerte rouge. Débit de plusieurs milliers d’euros. Je suis pris d’une panique incontrôlable. Aussitôt suivie par un brusque sentiment d’abattement. Mon voyage à travers le monde à la rencontre du peuple humain, mes expériences avec mes frères humains ne peut s’achever ainsi (si brusquement). Je me ressaisis… j’appelle la banque. Explication sommaire. Je dois absolument trouver un boulot. N’importe quelle besogne… mais il m’est impossible de renoncer à la poursuite de mon enquête.

 

Je déniche un job de veilleur de nuit. Dans un foyer pour adultes déficients intellectuels.

 

*

 

- Tout est possible

- Avec l’art… ?

- Oui ! L’imaginaire jusqu’aux confins de  la folie…

 

*

 

J’imagine le nombre de visages que rencontre chaque homme en moyenne au cours de sa existence… je songe aux citadins actifs des mégalopoles qui prennent chaque jour le métro aux heures de pointe pour se rendre dans des quartiers où s’amoncellent d’immenses tours. Et je suis pris de vertige…

 

*

 

J’envisage cette enquête comme une sorte de docu-fiction littéraire. Le cinéma ne cesse aujourd’hui (depuis quelques années) de mêler et brouiller les genres. Pourquoi les livres ne tenteraient-ils pas l’aventure… ? Tout roman n’est-il pas d’ailleurs un genre hybride où s’entrecroisent, se chevauchent, s’emmêlent ou alternent le réel et l’imaginaire ? Une œuvre dont la construction (de façon inhérente au processus créatif) est un mystérieux patchwork d’univers fictif et de faits réels… ?

 

*

 

- Il est difficile d’envisager avec honnêteté la mort. Et a fortiori sa propre mort.

Il me toise en riant.

- Surtout pour les vivants, non ?

 

Un grand éclat de rire se répand dans la salle. Je rougis, honteux. Mais cette apparente énormité n’en décèle pas moins une profondeur inapparente. Presque imperceptible pour l’oreille ou l’œil profane…

 

*

              

L’homme est grand. Silhouette mince vêtue d’un costume sobre et élégant. Le contraste avec son appartement est saisissant. Son bureau est encombré (de livres et de papiers), sa chambre est dans un désordre apocalyptique. Le salon où il me reçoit (pour ce premier entretien) regorge de meubles disparates et d’objets de bric et de broc (glanés, après information, dans les poubelles).

- La révolte se fomente dans la tête des générations éduquées par les écrans gorgés d’images consuméristes.

 

 

Dans les rayons de sa bibliothèque, 2 titres attirent particulièrement mon attention :

A l’ECOUTE DU MONDE et LE PEUPLE DES MARIONNETTES

 

*

 

Longues heures d’attente sur le bord de la route. Près d’une demi-journée sans voir à l’horizon le moindre véhicule. Pas un quidam à la ronde. Du sable, du vent et de la poussière. Funeste journée. Condamné à l’immobilité. Insupportable. Assis sur mon sac, je me lève, me rassois, me relève, fais les cents pas, me rassois, me relève, hurle après les paysages, ramasse quelques gravillons, les balance dans le talus à proximité duquel j’ai posé mon sac. Bref, je ronge mon frein.

 

Au loin, une traînée de poussière. Je saisis mon sac, le balance sur l’épaule et regarde vers l’horizon. Le minuscule point se rapproche. Une fourgonnette peinturlurée à la beatnik seventies… je me poste au milieu de la route en faisant de grands signes.

 

Le conducteur, un grand type flanqué d’une casquette, s’arrête à ma hauteur. Et m’ouvre la portière avec un grand sourire. Je monte sans rechigner. 

 

Mike est jeune, beau et bronzé. L’allure californienne de séries télé. Cheveux longs, yeux bleus. Silhouette élancée. Muscles fins. Une apparente caricature du rebelle amoureux des grands espaces et des plaisirs instantanés.

 

On sympathise immédiatement. Quelques échanges de banalités où l’on perçoit néanmoins un fol appétit de la vie… une joie entraînante qui aspire instantanément son entourage… je suis sous le charme… Mike enclenche la première et démarre en trombe. Ainsi débute notre folle équipée.

 

J’apprends que Mike sillonne le continent. Depuis 4 ans. Baguenaudant ici et là au gré des vents, avec son minibus aménagé. Poursuivant sa route inspirée vers la liberté… vie sans plan, sans projet ni visée… vie d’allégresse, de bonne humeur et de joie de vivre.

 

Mike est l’insouciance incarnée. Une insouciance mature et spontanée. Une frivolité quasi philosophique. Un art de vivre fascinant.

 

Sa devise : ok ! no problem. 

 

Difficile d’être plus en harmonie avec le mouvement naturel de la vie. Il l’épouse comme si elle était sa compagne. Son ombre. Il vit son existence comme une aventure exaltante, expérimentant toute opportunité, sans jamais rechigner à l’épreuve. Je ne décèle chez lui ni fuite ni quête. Une simple et merveilleuse prédisposition à être au monde, expérimentant toute chose comme (une) source de réjouissance…

 

On dort à la belle étoile. Cheveux au vent caressés par une bise légère et tiède.

 

Toutes les contingences quotidiennes sont exécutées avec aisance. La vie comme partie de plaisir. Les déconvenues, les déboires, les mésaventures sont appréhendés comme des jeux. Les avaries, les contretemps comme des évènements porteurs d’opportunités. Toutes les contrariétés représentent d’ailleurs à ses yeux une surprenante façon de rire. De rire de la vie-même.

 

Conscient du dérisoire drolatique de l’existence, Mike semble vivre chaque instant avec la plus grande (et profonde) intensité. Et entreprend chaque activité dans la joie, l’humour et l’autodérision.

 

Malgré sa conduite souple et impétueuse, le combi. se traîne sur la longue ligne droite que nous empruntons depuis 5 jours.

 

La monotonie n’est pas de mise. Ni de circonstance malgré la routine des jours. L’ambiance est au beau fixe pendant tout le trajet.

 

Avec la vie (les évènements) comme avec les êtres, Mike accueille le monde (et le réel) comme il se présente. Sans attente spéciale, sans espoir particulier. Il est là. Attentif, curieux et enjoué. Point.

 

Après 7 jours de route sur l’immense plateau désertique, on s’arrête quelques jours dans l’une des grosses bourgades de la région. Aux confins des montagnes qui entourent la plaine.

 

Je laisse Mike écumer les quartiers de la ville pour passer la journée au bord du lac qui domine la vallée. J’éprouve un grand besoin de solitude. Seul sur les berges, mon regard se perd à l’horizon. Happé par la beauté sauvage des paysages et l’azur immaculé.

 

Aucune pensée vagabonde ne parasite mon regard. Je suis là. Simplement là. Emerveillé par la présence du monde. Et ma joie d’y être invité… les heures passent. Heureuses et sereines. Jusqu’au crépuscule.

 

A mon retour, Mike assis devant son van prépare le repas. Je m’aperçois très vite qu’il n’est pas seul. 2 jeunes femmes sont installées sur les hamacs qu’il a disposés entre 3 grosses et longues souches. Je les salue. Elles se mettent à rire (d’un air gênée et malicieux). Mike me présente.

 

J’ai une pensée émue pour Nat. Nous n’avons jamais ouvertement évoqué la liberté sexuelle et affective à laquelle chacun était libre de s’adonner au sein de notre long compagnonnage amoureux… il m’est arrivé autrefois d’y céder… depuis longtemps pourtant, je refuse toute aventure sans lendemain… et ne suis guère enclin à trouver l’âme sœur en une autre que Nat.

 

Je passe la soirée à m’interroger sur ce refus. Pour quelles raisons ai-je décidé de ne pas m’adonner aux pulsions ou aux besoins affectifs naturels des êtres humains ? Bonne question ! La réponse est plus que confuse. Voire alambiquée.    

 

J’ouvre mon carnet. Et je note : éducation rigide…? Peut-être… Représentation conservatrice du couple et de la fidélité… ? Peut-être…  répression des instincts… ? Peut-être… Sens des responsabilités…?  Peut-être… Crainte de la culpabilité… ? Peut-être… Volonté ostensible de démarcation personnelle au vu des attitudes masculines usuelles… ? Peut-être…

 

Ce permanent aller-retour entre le monde et moi (ma propre individualité), l’incessant enchevêtrement entre le singulier et l’universel en tous et chaque homme ne révèlent-ils pas une quête de l’identité humaine ? Qui sommes-nous en vérité? Voilà sans doute l’objet de mes enquêtes…

 

Je contemple le reflet de mon visage dans le miroir. Je surprends ici et là quelques rides, quelques sillons jusque-là ignorés. Je pose un œil interrogatif à cette tête si familière. Et si inconnue. Et je souris, amusé et effaré par la puérilité de mon geste. Comme un vieil adolescent avide de réponses…

 

*

 

Le monde me donne parfois le sentiment d’être un immense village où chacun vaque à ses occupations sous l’œil apparemment indifférent (et curieux) des autres habitants. Chacun s’attelle à sa tâche, œuvre à sa fonction sous l’emprise de la double utilité individuelle et collective. S’adonne, chaque jour, à ses fonctions comme à un labeur éternel.

 

L’existence des Hommes est simple. Tranquille. Sage et répétitive. Banale et routinière (en somme). Voilà la perception d’un œil sans acuité. Et sans profondeur qui ignore l’extraordinaire singularité et la fabuleuse richesse de toute vie… aussi triviale puisse-t-elle paraître…

 

J’aimerais poser sur le monde un regard profond et sans cesse renouvelé… et je crains de n’y parvenir…

 

Un visage dans la foule. Un visage de joie. Parmi les tristes figures. Un instant fugace. Quelques secondes. Le visage s’éloigne. Je m’arrête et me retourne pour regarder la silhouette s’éloigner. Je sais que ce visage (si promptement aperçu) m’accompagnera longtemps. Jusqu’à mon dernier souffle (sûrement)…

 

Combien de rencontres nous émeuvent-elles, nous bouleversent-elles, nous émerveillent-elles au point de nous accompagner au fil de notre existence? Ou nous aident-elles à traverser quelques épreuves difficiles… mais est-on réellement attentif à tous ces visages croisés une ou mille fois pour en être suffisamment imprégné ?

 

*

 

Toute expérience ne porte-t-elle pas déjà en elle l’essence même du voyage ? Bref, tout n’est-il pas déjà voyage ?

 

*

 

Brian est un peintre déjanté. Totalement déjanté. Un artiste fou. Fou à lier. Qui peint comme il respire. Mal (à en juger pas son souffle court – non artistique) mais de façon incessante. Une peinture enivrante dont votre regard s’imprègne. Et vous en sortez saoul. Aussi saoul que fou. Une étrange aliénation. Un tourbillon de formes, de couleurs qui vous happe et vous tourne la tête…

 

Des milliers de toiles jonchent le sol de son atelier. Des centaines sont accrochés aux murs. Brian s’expose en son fief.

 

*

 

Sur le bateau, quelques passagers occidentaux, reconnaissables à leur haute silhouette qui se détache dans la foule nippone. Accoudé au bastingage, le regard plongé dans la brume matinale. Un vieux rêve d’enfant.

Sur le pont du ferry, des centaines de passagers regroupés en petits groupes. J’hume l’atmosphère.  

 

Une île au nord du Japon. Le berceau des arts martiaux. Le bateau accoste au petit matin sous un ciel brumeux. La foule se disperse rapidement dans les ruelles du port.

 

J’arpente la ville en flânant. M’attardant sur les façades de vieilles maisons décrépies. La modernité semble avoir épargné cette partie de l’île. Règnent partout les vestiges de la civilisation ancestrale. Je fais halte devant un minuscule temple à la périphérie du quartier. J’y pénètre avec humilité et révérence. Le lieu est désert. Au centre d’une vaste pièce, éclairée par deux lampes discrètes, trône une statue de Bouddha. La sobriété des lieux m’impressionne. Nattes de riz au sol sur lesquelles sont rangés de petits coussins ronds. Le sacré dans sa plus simple expression. A moins, bien sûr, que la simplicité soit la plus essentielle manifestation du sacré… l’espace est propice (évidemment) au recueillement. Je m’absorbe quelques instants dans une méditation sereine et bienveillante que je dédie aux êtres qui ont façonné et perpétué cette glorieuse tradition spirituelle.

 

Ainsi vivent les hommes…

 

Malgré la grande diversité du peuple humain, pléthore de caractéristiques communes. L’inventaire est évident. Quasi trivial. Inutile de s’étendre…

 

M. (Nakasoné), l’allure martiale et spartiate s’exerce seul dans le dojo. Un bandeau autour du front. Un immense bâton entre les mains qu’il manie avec vigueur et virtuosité. Longs enchaînements de coups portés à un adversaire imaginaire ponctué de temps à autre d’un cri guttural. Impressionnant. Je m’incline dans les deux sens du terme (comme il se doit)… pas le moins du monde ému (ou gêné) par ma présence - sans doute importune -, il poursuit son entraînement avec concentration.

 

*

 

A survoler trop brièvement et superficiellement la surface du globe, je me risque (j’en ai conscience) à effleurer la vérité humaine. Comment se contenter des apparences… ? Faudrait-il s’ancrer en une place et y demeurer jusqu’à la fin de ses jours ? Ne peut-on comprendre le monde en suivant sa (et cette) course effrénée ? Mon nomadisme confinerait-il ma quête (et mon enquête) à une traversée éphémère, futile et inutile ? La sédentarité aurait-elle davantage de consistance ? Permettrait-elle d’approfondir notre regard ? De goûter à la saveur profonde du monde ?

 

Ces rencontres et mon passage éphémère en ces différents lieux du monde ne seraient-ils en définitive qu’une dérisoire et superficielle démarche ? Et mon séjour auprès de mes hôtes qu’un puéril mimétisme ?

 

En ces multitudes d’existences, une foule de dimensions… des trajectoires singulières côtoyant le tragique et le rire, la frivolité et la gravité, la réflexion et le divertissement, l’intelligence et l’ignorance, la souffrance et la joie, soumises à la solitude et aux indéfectibles liens avec la communauté (et plus largement avec la communauté humaine) et à l’éternel renouvellement des composantes de la tribu, à l’emprise de la tradition et le regard dirigé vers l’incertitude à venir, victimes des multiples conditionnements inhérents au peuple humain et astreints (malgré eux) aux choix, à l’action et à la responsabilité, fruits d’une marge étroite de liberté, elle-même résultante de la conscience…  en proie (donc) aux regrets, aux remords et à la culpabilité…  le métier d’Homme… le mot n’est pas vain… quel métier que celui d’être un homme… Nul parmi le peuple humain ne peut le contester…

 

*

 

5h 30. Sur le trottoir, un groupe d’hommes en combinaison fluorescente munis d’un balai. Je les rejoins. Salutation d’usage. J’enfile mon nouveau costume : éboueur de la ville de Paris. Balayeur d’antan aujourd’hui renommé technicien de surface. Le petit peuple en première ligne de la prophylaxie et de l’hygiène dans les zones urbaines surpeuplés où, sans eux et leur exténuant labeur, les trottoirs et la chaussée seraient jonchés de détritus et l’atmosphère très vite irrespirable. Gardiens de la salubrité publique. Qui y pensent en ces termes à ces légions de balayeurs armés de leurs ustensiles (armes étranges) qui luttent âprement contre l’accumulation des déchets, de la pourriture et de la puanteur ? Je crains que bon nombre de mes concitoyens du monde occidental n’y songe guère en allant jeter leur sac poubelle…

 

Qu’importent l’indifférence et le mépris qu’endurent mes colistiers, je suis l’un des leurs pour quelques temps. Histoire de me mettre dans la peau d’un membre du clan des pousses-mégots… 

 

Je revêtis mon uniforme et parade avec fierté dans les rues (malheureusement) désertes à cette heure si matinale. Je marche le torse bombé. Sous les rires et les quolibets de mes collègues-camarades.

 

*

 

Depuis la nuit des temps

Le peuple sans humanité

Façonne l’avenir d’une terre

Sans homme

 

*

 

Le poème est un hymne désespéré.

 

*

 

8h du matin. Martine, la secrétaire, m’informe que le directeur a annulé tous mes rendez-vous. Au programme : réunion extraordinaire en petit comité.

 

Réunion de travail. Ambiance confidentielle (ultraconfidentielle). Le directeur général, son adjoint, le Directeur des ressources humaines et moi (son adjoint) et un représentant du cabinet d’audit qui doit nous exposer son rapport d’expertise.

 

Le ton est froid. Neutre. Lecture rapide de la méthodologie de l’étude. Bref argumentaire. Inutile de s’étendre sur le sujet. Nul n’ignore la situation (catastrophique) de l’entreprise et les objectifs du rapport d’expertise. Conclusion : plan de licenciement massif. 850 suppressions de postes au sein du siège social et 1800 dans les différentes filiales européennes.

 

La réorganisation de la production est source de grandes difficultés managériales. Nul ne peut l’ignorer en ces murs. Le choix du conseil du directoire, composé des actionnaires majoritaires, est clair (d’aucuns diraient lumineux…) : délocalisation massive de l’outil de production (machines et employés).

 

L’annonce du plan de licenciement se déguise en plan de restructuration sans licenciement sec. Bref, la direction use d’un vocable de velours pour faire avaler la pilule. Départs en pré-retraite, départs volontaires sous couvert de contexte économique de crise, de compétitivité, d’augmentation de la productivité pour faire face à un marché concurrentiel toujours plus vif dans lequel chacun se jette avec une toujours plus âpre combativité.

 

Titre et extrait d’un article publié dans un tabloïde national (politiquement orienté).

La nécessaire délocalisation de nos entreprises. En ce contexte économique préoccupant, les dirigeants d’entreprises se voient contraints de déplacer géographiquement leurs activités. Question de survie en cette ère carnassière où les firmes multinationales achètent à tour de bras les entreprises concurrentes plus modestes. Afin d’éviter toute absorption (ou prise de participation dans le capital), les entrepreneurs n’ont d’autres choix. Nul ne peut contester le caractère parfois douloureux de ces réorganisations. Mais face aux dangers du dépôt de bilan et de la faillite, la dimension sociale doit céder le pas à l’aspect économique et financier. Ainsi mille emplois supprimés permettent un accroissement des gains de productivité nécessaires pour rester rentable et offrir aux consommateurs des prix attractifs…    

 

Un article de presse (découvert au hasard sur un blog de journaliste - sérieux et indépendant).   

 

La réunion se tient dans une salle immense. Aux dimensions impressionnantes et au raffinement ostentatoire (meubles design, peintures murales réalisées par un artiste à la mode de renommée internationale…). Les cadres, les hauts dignitaires de l’établissement et les dirigeants sont présents. Bref, du beau linge comme on le dirait dans mon jargon personnel…

 

*

 

Jeff me regarde d’un air triste. Un regard de chien battu. Il ôte sa combinaison et la range dans l’armoire métallique. Il enfile ses vêtements et quitte le vestiaire la tête lasse. Les épaules basses. Il franchit la grille de l’enceinte, passe le tourniquet et se dirige, d’un pas traînant, vers le parking de l’entreprise. Il ouvre la portière et monte dans sa voiture (une vieille guimbarde achetée à crédit il y a quelques années). Jeff quitte le parking et s’engage sur la route départementale. Une demi-heure de trajet pour rentrer chez lui. Je le suis discrètement. A distance.

 

A mi-parcours, Jeff quitte la départementale et prend la direction de la forêt. Je poursuis ma filature, intrigué. Ce changement d’itinéraire me surprend. Et je crains (pendant un instant) de m’immiscer dans une histoire hors sujet… mais n’ai-je pas fait vœu, pour cette enquête, de témoigner de toutes les expériences humaines ?

 

*

 

Quelques jours de vacances en bord de mer. Avec les enfants et la caravane.

 

*

 

Christophe, accordeur de piano. On fait connaissance et répond sans hésiter à ma requête. J’attends avec impatience nos visites. Ma connaissance musicale frise le néant. Je l’en informe. Il se contente d’acquiescer d’un sourire silencieux. Mon ignorance sans doute le fait sourire. Ce manque de culture est une forme de goujaterie, le révélateur d’un manque éloquent de savoir vivre, et les stigmates de mes origines et de ma condition actuelle. J’en fais une coquetterie. Feindre le savoir me semble une indécence plus infâme que l’aveu de son ignorance… cette attitude continue de guider mes recherches… et mes rencontres (avec le monde) qui, sous couvert d’authenticité, sont source de richesse (et d’enrichissement)… que craignons-nous donc à exposer notre inculture… ?

 

A quoi sert la culture… ?

 

Je le suis dans ses déplacements. Des maisons bourgeoises, des appartements luxueux. Intérieurs cossus ou cosy. Pianos à queue, pianos droits, clavecins dans le salon… les propriétaires nous laissent travailler à notre aise. Je m’assois dans d’épais et volumineux fauteuils. Je regarde les murs, les rangées de livres entreposés avec soin dans d’immenses bibliothèques qui recouvrent les murs. Je contemple, fasciné, l’éclat somptueux de la culture qui s’étale devant moi. Sous mes yeux, des centaines de livres. A mes pieds, de magnifiques et voluptueux tapis. Aux murs, quelques tableaux. Le décor est aménagé avec goût. Un lieu de vie qui détonne avec mon univers familier. Christophe penché sur le clavier, absorbé à sa tâche dans une concentration étonnamment nonchalante… Je me laisse aller à fermer les yeux quelques instants. J’imagine.  

 

*

 

Le soir. Nous partons pour une lointaine bourgade où Aurélien a eu ouïe dire de la présence de gibbons captifs. 4 heures sur une mauvaise piste pour atteindre nos « protégés ».

 

*

 

Vautré sur le canapé, je regarde un documentaire sur les grands noms de l’Histoire. Quelques dizaines de patronymes dont la célébrité s’étend au-delà des époques et des continents. Quelques noms gravés dans la mémoire (la mémoire collective de l’humanité). Quelques traces notoires dans la formidable épopée des Hommes. Histoire humaine qui représente une infime et dérisoire période dans le destin du monde. Et un mince fragment dans la grande histoire du Vivant. A la fin du documentaire, je regarde défiler le générique, d’un air songeur. Puis je ferme le poste avec tristesse. Désappointé et frustré. Réalisant l’insignifiance et la pauvreté de mon existence. Et prêt à la remettre en cause pour actualiser enfin mes ambitions passées. Mes désirs adolescents de gloire et de célébrité. Je me souviens avec nostalgie de mon ardent et vigoureux désir de faire une extraordinaire carrière dans le domaine de la connaissance, laissant à l’humanité un fabuleux héritage… au vu de mes insignifiantes réalisations, l’abîme entre mes fantasmes et la réalité est gigantesque. Et me laisse un arrière-goût d’amertume et d’affliction. Dérisoires ambitions après près d’un demi-siècle d’existence…

 

*

 

Porte-parole de la diversité du genre humain. Et en particulier porte-voix des sans-grades, des anonymes, des dépossédés de puissance, des délaissés de la réussite - réussite sociale et économique - et du pouvoir…  le rôle est noble… et les vêtements amples… j’en endosse le costume (sans doute) trop large…

 

Guère gêné aux entournures, je marche sur les chemins et déambule aux 4 coins du monde avec la frêle ossature de mes épaules, saillantes sous ma veste. Comme un épouvantail malingre et effrayé par la tâche qui lui incombe. Et apeuré par le ricanement des oiseaux (pas toujours de bon augure)

 

*

 

Je suis ébahi par l’attrait que suscitent les romans chez mes contemporains. Tous aiment à se repaître d’histoires inventées. Avides de se laisser happer par une quelconque fiction afin d’échapper à leur misérable et insipide quotidien. Cette pensée m’afflige. Et me rend triste. Je n’ai aucun goût pour les fictions. Je rechigne à en écrire. Et je n’y excelle guère, il est vrai… enfin, la lecture d’un roman, en dépit de ses remarquables qualités, s’avère (le plus souvent) inapte à induire de réelles répercussions sur notre existence.    

 

*

 

Flash info : crash d’un airbus A 340 de la British Airways. L’appareil qui survolait l’Atlantique s’est abîmé cette nuit aux alentours de 3 h 45, heure locale…

 

*

 

Tan Laï est un génocidaire. Il ne s’en est jamais caché. Il vit dans la banlieue de Phnom Pen. En toute légalité. Gérant d’un immense magasin. Une sorte de bazar qui propose aux chalands une marchandise variée et hétéroclite.  

 

L’horreur devrait se lire sur son visage. Non ! Il arbore un masque impassible et charmant. Les yeux rieurs et le sourire aux coins des lèvres. Il m’ouvre la porte, me propose de rentrer. Je le suis jusqu’au salon. On s’assoit dans les fauteuils en rotin au centre de la pièce. Au plafond, un vieux ventilateur brasse la chaleur étouffante en cette période de mousson.

 

Je suis pétrifié. Très mal à l’aise. De grosses gouttes de sueur perlent sur mon front. Ma chemise est trempée. Tan Laï me sourit avec affabilité. Disponible et frais. Comme imperméable à la moiteur ambiante. La discussion s’engage.

 

[…]

 

- Allez ! Dégage, sale pute !

Madame Laï regarde son mari avec effroi. Une tristesse insondable au fond des yeux.

 

Le glauque est de ce monde. Sous certaines latitudes, l’immonde est la seule règle. L’unique loi. Ici, dans cette chambre mal éclairée, elle suinte de toutes parts. Des murs, du sol, des matelas, de l’hygiène, des êtres abîmés, des corps malades, des désirs avides, des souffles fétides.

 

Maï, 16 ans se prostitue depuis 2 ans. 2 ans de coups, de brimades et de viols. 2 ans d’horreur et de calvaire. Sans liberté, livrée aux mains des clients. Jouet sexuel de la dépravation. Soumise aux caprices et à la lubricité écœurante des mâles. Une abomination.

 

Maï me sourit. Un sourire innocent caché derrière son visage déjà marquée de petite fille. Un rire timide et fragile. Un rire presque incongru. J’essaye de lui rendre son sourire. Elle doit y lire une infinie tendresse mêlée de violence sourde. Je pose quelques billets sur la table. Elle ôte ses vêtements, s’allonge sur le lit, écarte les jambes. Et attend. Je pose sur elle une couverture crasseuse. Tente de recouvrir sa nudité d’un voile de pudeur. Je lui explique le but de ma visite. Elle me regarde ahurie. Et apeurée. Une angoisse effarante au fond des yeux. Une inimaginable métamorphose du regard. Son visage se liquéfie. Je tente de la rassurer (une nouvelle fois). L’inquiétude et la peur laissent place à la tristesse.

 

*

 

Je songe à la complexité du réel. Et à la simplicité des transformations pour que les situations du monde s’améliorent. Il suffirait d’un infime changement pour que la planète soit plus vivable… et plus fraternelle. Plus accueillante et plus respectueuse des êtres. Bref, plus humaine.

 

L’évolution de l’humanité (à l’image des milliards d’Hommes qui la composent et l’ont façonné au cours de l’Histoire de l’Homme) me terrifie. Elle me semble à la fois si rapide (presque fulgurante) et si sujette à l’inertie. 

 

*

 

L’atmosphère est irréelle. La tranquillité des lieux est stupéfiante. Le silence de la forêt. Mes yeux s’attardent sur les eaux calmes du lac. Les immenses sapins qui peuplent les berges. Les cimes avoisinantes. Le ciel limpide qui surplombe avec majesté les paysages.

 

Devant la salle de bal illuminée aux mille convives, assis sur la terrasse, face aux monts qui entourent la vallée, je convoque mes souvenirs.

 

*

 

Au fil des jours, mon énergie s’étiole. Je me sens de plus en plus affaibli. Et mon ardeur à témoigner s’émousse. Je décide (néanmoins) de poursuivre mon enquête. Sans enthousiasme.

 

*

 

Je regarde mon hôte avec indifférence (les yeux ailleurs). Et appuie mollement sur le bouton «play» du magneto.

 

- Sans emploi depuis 2 ans. Je végète dans mon appartement. Ma femme me reproche mon manque d’entrain. Elle ne parvient à comprendre ma mollesse. Et mon découragement. Depuis quelques mois, je ne prends plus la peine de feuilleter le journal à la recherche des annonces d’offres d’emploi. Je tourne et je vire entre les meubles. Je déambule de la chambre au salon. Comme une âme en peine. J’erre ici et là. Du lit au canapé. Du canapé au placard de la cuisine. Je tire les rideaux. Par la fenêtre, je regarde la maison des voisins. Une belle demeure à l’intérieur cossu. L’image d’un bonheur inaccessible. Je ne pourrais jamais offrir cette aisance à ma famille. Mon statut me l’interdit. Et je n’ai guère d’espoir de trouver un jour un emploi qui me permette d’envisager une vie meilleure.

-  Vie meilleure ?

- Oui, une vie meilleure…

- Je suis chômeur. Je n’ai aucune qualification. Comment pourrais-je devenir riche ?

- Qu’est-ce que vous appelez riche… ?

Il m’explique avec un luxe de détails et d’images sa représentation de la richesse.

 

Je consulte mon agenda.

[Recopier ici agenda  9h30 rendez-vous à la Soprico]

 

*

 

Le patron est un type mal commode. Âpre et sévère. Aux paroles sentencieuses et comminatoires. Ses employés filent doux. L’échine courbée sur leur tâche. Nul n’ose s’opposer à ses directives.

 

*

 

Extrait de journal intime (trouvé sur un banc)

Célibataire endurcie. Depuis bientôt 2 ans. Je songe avec nostalgie à ma dernière histoire d’amour… notre rencontre, la longue séduction, notre décision de vivre ensemble, le déménagement, le parfait amour pendant 4 ans et puis… et puis la séparation. Si soudaine. Si inattendue. 

 

Inscrite sur un site de rencontres depuis 2 mois, je tchate chaque soir. Jusque tard dans la nuit. 

 

Jean est charmant. Séducteur et charmant.

 

Les noces sont merveilleuses. Ma lune de miel se déroule sans encombre. Voyage de noces aux antipodes. Mer, soleil, plages paradisiaques. Visites, farniente. 2 semaines de rêves. Jean se montre prévenant, aimable, courtois, galant. Des gestes d’amoureux éperdu et romantique. J’ai le sentiment d’être une princesse. Je suis aux anges. Je vis un rêve merveilleux. Comme si j’étais l’une de ces stars photographiées dans les magazines à la mode. Luxe, calme et volupté.   

 

Quelques années passent. Heureuses et tranquilles. Sans histoire.

 

*

 

Extrait de journal intime (suite)

Jean, mon mari, est jaloux. Comme une guigne. Il épie mes faits et gestes. Il fouille dans mon sac à main (en tout cas, je le soupçonne de le faire). Il traque la moindre parole. A l’affût de la moindre défaillance. Toute modification (d’horaire, de tenue vestimentaire, de coiffure) le transmute en un potentat du foyer. Bref, il me harcèle.

 

*

 

Je poursuis mon périple. Sans m’attarder. Comme si la superficialité était la marque de mon voyage. Sans entrave. Sans attache. Je navigue à la surface du monde. Jetant un œil fugace sur ses habitants. Comme si un écran me séparait de la grande famille humaine. Plus qu’un passant, je suis un passager. Un passager clandestin. Incertain sur le choix de la destination. Résolu néanmoins d’arriver à bon port. 

 

Je quitte les rives peuplées (populeuses) du fleuve sacré pour quelques îles ensablées à quelques encablures de la côte. A cette saison, l’accueil est glacial. Les habitants me toisent avec une indifférence teintée de curiosité. Je lis dans leur regard leur fierté insulaire. Je découvre aussi leur existence paisible et sereine, rythmée au gré des saisons et des marées. Les maisons sont dispersées avec harmonie sur d’étroites bandes de terre. Chacun semble s’être construit son îlot. L’île dans l’île. Un rêve de Robinson. Je songe au roman de Defoe lu dans ma prime jeunesse. Le premier livre que j’ai ouvert autant que je me souvienne. Et déjà envoûté par les robinsonnades. Je ne désespère pas un jour de trouver mon atoll.   

 

*

 

Sur un bateau. En partance pour une île lointaine.

- Terre ! Terre ! crie un marin.

L’équipage se toise circonspect. Un sourire se dessine sur le visage du capitaine. Le voyage prend fin dans la bonne humeur.

 

*

 

Mille fragments de vie volés. Saisis au mouvement permanent de la vie (du flux). Au flux permanent du changement.

 

*

 

Je poursuis le voyage (presque malgré moi). Entreprends plusieurs escales. M’octroyant quelques pauses ici et là au gré des rencontres.

 

*

 

Ultime étape (sans doute). Dans une cordée. En montagne. L’ascension du mythique K2.

 

*

 

En définitive, seul compte l’amour…

 

En ce jour, je perçois avec une cruelle acuité l’inutilité de ma quête. Mon enquête s’achève…

 

Jasper avait raison. Nous pouvons tout être. Chaque être est à lui seul l’univers. Nous sommes le possible. Et l’inimaginable.

 

A quoi bon fixer les apparences du monde ? Puisque nous ignorons (pour la plupart) ce qu’elles dissimulent ? Ne reste qu’à percer le voile qui la recouvre et à fouiller (et révéler) ce qu’il décèle… l’objet (sans doute) du prochain opus…

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18 novembre 2017

Carnet n°11 Le petit chercheur ou le voyage labyrinthique - Livre 3

Conte / 2004 / La quête de sens

Conte métaphysique qui retrace les aventures d'un chercheur de trésor sur la Planète du Grand Labyrinthe. Après une longue traversée des quartiers des P'TITS DOMS, il découvre le monde des GRANDS DOMS avant de poursuivre sa route sur le CHEMIN DU DEDANS…

 

 

PARTIE 13 LES RETROUVAILLES AVEC LES HABITANTS DE MON ÎLE

 

Porte 81 Ma nouvelle fleur

L'île de la conscience –

En débarquant sur l’île de la Conscience, je me suis précipité vers ma Fleur… j'allais m'asseoir à ses côtés... lorsque j'ai remarqué qu'elle avait changé d'aspect (elle était méconnaissable)… comme si une nouvelle fleur avait pris sa place…

-     Bon… bonjour, ai-je dit, vous… vous êtes la nouvelle fleur ?

La fleur a tourné vers moi ses pétales.

-     Oui ! dit-elle, je suis ta Fleur !

-     Ma Fleur… ? Oh ma Fleur ! ai-je dit tout tremblant d’émotion, tu es revenue. Oh ! Comme je suis heureux de te revoir ! Et comme tu as changé…

-     Oh ! dit-elle, j’attendais ce jour depuis si longtemps, mon garçon…

Et j'ai embrassé ma Fleur avec beaucoup de tendresse.

-     Oh ! Comme tu m’as manqué, ma Fleur ! Tu es devenue… si belle. On dirait… on dirait que tu as revêtu les habits du tournesol. Tu es devenue… aussi rayonnante que le soleil… 

-     C'est vrai ! dit-elle, je suis plus lumineuse… plus large… et plus ouverte qu’autrefois… je suis simplement… à l’image de ton cœur, mon garçon... et le temps est loin où tu me voyais comme une petite tulipe sombre et un peu sauvage… recroquevillée sur mes pétales…

-     Oui, ai-je dit, tu étais très belle autrefois, ma Fleur… mais tu étais plus petite et tes pétales étaient tournés vers l’intérieur comme si… comme si tu voulais te protéger.

-     C’est vrai ! dit-elle, les épreuves du chemin nous ont fait grandir, mon garçon… et cela m’emplit le cœur de joie… Cela fait si longtemps que nous ne nous sommes pas vus… Raconte-moi un peu ton voyage! As-tu trouvé le trésor ?

J’ai regardé ma Fleur avec tristesse.

-     Oh ! Mon voyage fut bien triste, ma Fleur…  je croyais avoir trouvé le trésor… et puis, un jour, mademoiselle Aimée m'a quitté… elle est partie avec le joyau de la beauté… j'étais si désespéré que… j’ai fini par perdre tous les autres joyaux… j’ai bien essayé de les retrouver en visitant d'autres quartiers du monde des Grands Dôms mais… je n'ai pas réussi à les récupérer…

-     Ohhhh ! dit-elle, quel dommage ! Moi qui pensais que tu allais revenir le cœur chargé de joyaux !

                      

p1

   

Ma Fleur m'a fait un clin d'œil.

-     Mais je suis heureuse de voir que tu as eu l’intelligence de poursuivre ton voyage.

-     Oui… j'ai continué mon voyage, ma Fleur. Mais aujourd’hui, je reviens vers toi le cœur bien démuni.

-     Oh non ! dit-elle, ton cœur est bien plus riche qu’autrefois, mon garçon !

-     Peut-être…, ma Fleur… n'empêche que je ne sais toujours pas pourquoi j'ai perdu ces foutus joyaux…

-     Ah…? dit-elle, personne n'a donc pris la peine de t'expliquer… ?

J'ai hoché la tête.

-     Si, ma Fleur… on m'a dit que les joyaux que j'avais trouvés étaient de faux joyaux…  qu'ils n'avaient aucune valeur… et qu'ils étaient illusoires… et on m'a assuré que les vrais joyaux étaient à l'intérieur mais…

 

Ma Fleur s'est penchée en agitant légèrement ses pétales.

-     C'est la vérité, mon garçon ! 

-     Mais pourquoi ne m'en suis-je pas rendu compte plus tôt, ma Fleur ? Et pourquoi n'ai-je pas découvert le chemin qui mène à l'intérieur au début de mon voyage ? 

-     Ahhh ! dit ma Fleur, parce que nul ne peut découvrir ce chemin sans avoir cherché d'abord les joyaux des autres quartiers…  comme tous les résidents de la Planète, tu as cru qu'il te faudrait d'abord parer ton corps de beauté, ton esprit d’intelligence et ton chemin de richesse et de pouvoir pour avoir l’illusion de posséder le trésor… mais le voyage t'a montré qu'on finissait tôt ou tard par perdre ces joyaux, n'est-ce pas ?

J’ai regardé ma Fleur avec perplexité. 

-     Alors… alors les vrais joyaux n’existent pas sur cette planète, ma Fleur ?

-     Ils existent ! dit-elle, mais ce ne sont pas les vrais joyaux, mon garçon… Les vrais se trouvent… à l’intérieur ! Et celui qui les découvre ne peut les perdre… rien ni personne ne peut les faire disparaître… aucun événement du voyage… aucun résident… aucune difficulté sur le chemin…

J'ai regardé ma Fleur avec un peu inquiétude.

-     Eh bien… que dois-je faire aujourd'hui pour trouver ce chemin, ma Fleur ?

Ma Fleur a bougé sa tige de gauche à droite.

-     Je ne peux t’en dire davantage ! dit-elle, si tu veux connaître le chemin qui mène à l'intérieur, va voir madame la pierre !

-   Madame la pierre… ?

Ma Fleur a acquiescé d’un hochement de pétales.

-     Eh oui ! Elle aussi est revenue, mon garçon ! Allez ! Va la retrouver ! Elle guidera tes pas comme autrefois… lorsque tu n'étais qu'un petit Dôm…

 

 

Porte 82 Les explications de madame la pierre

L'île de la conscience –

Sur les conseils de ma Fleur, j'allai voir madame la pierre. Mais en arrivant de l’autre côté de l’étang, j'ai remarqué (avec beaucoup d'étonnement) qu'il s'était considérablement rétréci… il avait quasiment diminué de moitié…. comme s'il s'était asséché…

-     Eh bien ! dis-je en moi-même, voilà encore une chose étrange !

Et j’ai continué à marcher vers la pierre.

-     Eh ! Ho ! Madame la pierre ! Où êtes-vous ?

-     Je suis là ! dit-elle, approche-toi, mon garçon !

J’ai fait quelques pas en direction de la voix. Et je me suis arrêté près d’une petite pierre brillante (taillée comme un diamant) qui avait pris la place de la petite pierre ronde et blanche que j’avais toujours connue. J’ai regardé la pierre avec circonspection. 

-     Êtes-vous madame La pierre ?

-     Oui ! dit-elle, je suis madame La pierre.

Eh bien ! dis-je en moi-même, les habitants de mon île ont bien changé ! Ma fleur avait pris les habits du tournesol, l’étang avait diminué de moitié et madame la pierre s’était transformée en diamant. Que s’était-il passé ?

-     Tu as l’air étonné ! dit la pierre.

-     Eh bien… oui, ai-je bafouillé, je… je me demande… enfin… vous avez tous tellement changé. Je vous reconnais à peine ! Que s’est-il passé ?

 

La pierre m’a regardé (un peu amusée par mon étonnement).

-     C’est très simple ! dit-elle, tu as grandi, mon garçon. Le chemin a modifié ton regard sur le voyage. Il est donc normal que tu nous vois différemment…

-     Oui, ai-je dit, sans doute, madame La pierre ! Ce voyage m’a fait grandir mais je ne comprends pas tous ces changements… Pourquoi l’étang s’est-il asséché ?

-     Eh bien…, dit-elle, ton ignorance n’a-t-elle pas diminué, mon garçon ?

-      Sans doute, madame La pierre ! Sans doute ! Et vous, pourquoi êtes-vous taillée comme un diamant ? Vous êtes devenue si brillante…

-     Oh ! Ca ! dit-elle, c’est le fruit de ton expérience ! Ce voyage a façonné l’esprit de ta conscience. Et la petite pierre ronde et mal dégrossie que j’étais autrefois s’est transformée au fil du chemin en un petit diamant étincelant.

-     Ah… ? ai-je dit étonné, j’ai donc bien changé alors !

La pierre a souri.

-     Oui ! Tu as beaucoup changé, mon garçon… mais encore insuffisamment pour découvrir les joyaux, n’est-ce pas ? Tu as visité beaucoup de quartiers… tu as dû surmonter un grand nombre d’épreuves pour revenir sur ton île...  Mais il te reste encore beaucoup de chemin avant de trouver le trésor…

-     Oui ! ai-je dit, je sais, madame La pierre ! Ma Fleur m’a envoyé vers vous pour que vous m’aidiez à trouver le chemin qui mène au cœur du trésor.

 

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-     Ahhh ! dit-elle, ainsi tu es à la recherche du chemin intérieur…? 

-     Oui, ai-je dit, tout le monde m'invite aujourd'hui à chercher le chemin intérieur. Mais je ne sais pas comment le trouver, madame La pierre… et puis…  peut-être existe-t-il d'autres chemins… ?

-     D'autres chemins… ? a répété la pierre, non, mon garçon ! Seul le chemin intérieur mène aux joyaux ! Peut-être auras-tu quelques difficultés à le trouver car il en existe tant qu’il est très difficile de choisir le sien… mais lui seul pourra te conduire au trésor…

J’ai regardé la pierre avec inquiétude.

-     Vos paroles ne sont pas très encourageantes, madame la pierre.

-     Peut-être ! dit-elle, mais mon rôle n’est pas de te rassurer, mon garçon. Je suis là pour guider tes pas… aussi, dois-je te prévenir des difficultés qui t’attendent sur le chemin qui mène à l’intérieur.

-     Oui, sans doute…, madame la pierre ! Vous avez la gentillesse de me parler des difficultés du chemin mais… vous ne me dites pas où il se trouve… Que dois-je faire pour le trouver ? Et où dois-je aller, madame la pierre ?

-     Eh bien, dit-elle, le plus simple serait sans doute de tourner ton regard vers l’intérieur, mon garçon… et de chercher au plus profond de toi. Pour t’aider, je te conseillerais d’aller voir le rocher moussu qui t’indiquera la porte qui mène au début du chemin…

-     Le rocher moussu…, madame la pierre ? C’est bien la première fois que vous me demandez d’aller le voir.

-     C'est vrai ! dit-elle, mais à chacun son rôle, mon garçon ! Et crois-moi, le rocher moussu est une très bonne entrée en matière pour découvrir l’intérieur ! 

-     Bon… eh bien…, d’accord ! ai-je dit, je vais aller le voir, madame La pierre !

J’ai remercié la pierre et je me suis dirigé vers le rocher moussu.  

 

 

Porte 83 Le rocher moussu me montre l'interieur

L'île de la conscience –

-     Bonjour, monsieur le rocher moussu !

-     Bonjour, mon garçon ! dit-il avec un grand sourire, je suis heureux de voir que ton chagrin s’est dissipé. Quel bon vent t’amène aujourd’hui ?

-     Eh bien… je viens de la part de madame La pierre… je viens vous voir pour que vous me montriez le…

-     Attends ! dit-il, ne me dis rien ! Tu viens pour connaître la porte qui mène à l’intérieur, n’est-ce pas ?

-     Oui ! C’est exact, monsieur le rocher moussu !

Le rocher s’est raclé la gorge.

-     Eh bien ! Hum ! Hum ! dit-il, regarde-moi et dis-moi ce que tu vois, mon garçon !

J’ai observé le rocher moussu avec attention.

-     Eh bien… je vois… un rocher recouvert de mousse.

-     Bien ! dit-il, et à présent pose ta main sur nous ! Que sens-tu ?

-     La mousse est douce et… le rocher est dur et lisse.

-     Bien ! dit-il, et à quoi cela te fait-il penser ?

J’ai réfléchi un instant.

-     Je ne sais pas, monsieur le rocher.

-     C’est pourtant simple, mon garçon ! Sous cette apparence douce et tendre, au fond, nous sommes durs et froids. Nous sommes, la mousse et moi, à votre image…

-     A notre image…, monsieur le rocher ?

-     Oui ! dit-il, nous sommes à l’image des résidents du Grand Labyrinthe ! Mais sais-tu ce qui se cache sous cette dureté et cette froideur ?

-     Vous voulez dire au dedans, monsieur le rocher ?

-     Oui ! dit-il, à l’intérieur !

J’ai secoué la tête.

-     Eh bien ! Je t’invite à le découvrir, mon garçon ! Vois-tu la petite trappe cachée sous la mousse ?

-     Oui ! ai-je dit, je la vois, monsieur le rocher.

-     Eh bien ! Ouvre-la ! dit-il, et entre à l’intérieur, mon garçon ! Regarde bien et n’oublies pas ce que tu vas y découvrir…

Et sans plus attendre, j’ai poussé la petite trappe.

 

 

Porte 84 La voix mystérieuse de la caverne

L'île de la conscience –

A peine entré, la trappe s’est refermée derrière moi. Une chose était certaine : cet endroit était froid et très sombre… et il avait l’air immense. Que pouvait-il y avoir à l’intérieur ? Et j’ai commencé mon exploration. Au bout de quelques pas, je compris que j’étais à l’intérieur d’une caverne. Oui… j’étais dans une caverne… Et n’est-ce pas dans les cavernes que se cachent les trésors ? Pourquoi n’y avais-je pas songé plus tôt ? Le trésor était sûrement là quelque part, à portée de main… Il me suffirait de le trouver ! Et le trésor serait à moi…

-     Oui ! ai-je crié, le trésor sera bientôt à moi !

Et une voix a répété :

-     … à moi… à moi… à moi…

J’ai jeté un œil à la ronde.

 

p3

 

-     Il y a quelqu’un… ?

-     … un… un… un…, a répété la voix.

Qui pouvait bien se moquer de moi… de cette façon ?

-     Qui est là ?

-     … la… la… la…, a répété la voix.

C’en était trop !

-     Je vous en prie ! ai-je dit, arrêtez ce jeu stupide !

-     … jeu… stupide… je… stupide…

Je me suis mis en colère.

-     Arrêtez ! ai-je crié… qui que vous soyez, je vous dis que le trésor sera bientôt à moi ! Oui ! Un jour, il m’appartiendra !

-     … tiendra… tiendra… tiendra…, a répété la voix.

 

Quel stupide personnage ! dis-je en moi-même. Et j’ai continué à m’enfoncer dans la caverne lorsque soudain une nouvelle porte a surgi devant moi.

 

 

Porte 85 Mademoiselle gaïa

La clairiere de l'imaginaire –

J’ai poussé la porte (qui s’est aussitôt refermée derrière moi) et je me suis retrouvé au centre d’une vaste plaine fouettée par les vents et lavée (depuis des temps sans commencement) par une pluie diluvienne. J’étais au cœur d’une immense étendue (large et longue à l’infini) où régnait une atmosphère de désolation. J’étais au milieu de nulle part… perdu dans un paysage apocalyptique où le temps semblait suspendu… Je suis resté là quelques instants, immobile (paralysé par cet environnement terrifiant). Où étais-je ? Je n’en savais rien. Pourquoi le rocher m’avait-il demandé de visiter ce sinistre endroit ? Etait-ce là une épreuve pour trouver le chemin intérieur ? Et j’ai pensé à ce qu’il m’avait dit : « Regarde bien, mon garçon ! Et n’oublies pas ce que tu vas découvrir ! ». Mais qu’y avait-il à regarder ? La boue… ? Le Ciel gris… ? Ce désert de terre et de pierres… ?

-     Allez ! Courage ! dis-je en moi-même.

 

Et j'ai emprunté l'étroit sentier qui serpentait au milieu de la vaste étendue. De chaque côté du chemin, gisaient des ruines, quelques pans de murs délabrés et de nombreuses carcasses de tôles et de plastique rongées par le temps et l’humidité… on aurait dit les piteux vestiges d’une civilisation passée. J’ai continué à marcher tout le jour dans ce décor de fin du monde. Lorsque la nuit est tombée, la pluie et l’obscurité se sont faites plus denses. Je me suis arrêté pour trouver refuge sous un amas de ferraille à proximité du chemin. A l’entrée de la carcasse, gisait un tas d’ossements recouvert de gravats. A l’intérieur, j’aperçus d’autres squelettes mélangés à des bouts d’étoffe. J’ai dégagé quelques morceaux de plastiques qui gisaient sur ce qui avait dû être autrefois un siège. Et je me suis endormi là, trempé jusqu’aux os et peu rassuré par cette atmosphère macabre.

 

Le lendemain, après une nuit peuplée d’horribles cauchemars, je me réveillai en grelottant. J’avais froid, j’avais faim, j’avais soif et j’avais très peur mais il me fallait poursuivre ma route. J’allais reprendre mon exploration lorsque soudain j’ai vu une silhouette assise sur un rocher, à quelques distances de mon abri de fortune. Etais-je victime d’une hallucination ? Qui pouvait habiter un tel endroit ?

-     Eh ho ! ai-je crié  en m’avançant avec prudence vers le rocher.

A mon appel, la silhouette s’est retournée. Je n’étais pas en train de rêver. A la manière dont elle était accoutrée, un fichu noir sur la tête et aux sanglots qui agitaient sa poitrine, j’ai cru d'abord qu’il s’agissait d’une vieille femme qui pleurait. Mais en m'approchant, j’ai vu qu’il s’agissait d’une jeune femme au visage marqué par la souffrance. Voici le dessin que j’ai réalisé peu après notre rencontre :

 

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Imaginez-vous un instant ma terreur à la vue d’un tel visage ! L’un des côtés, maladroitement recouvert d’un voile, était d’une laideur inimaginable : un morceau de chair à vif, tailladé de profondes crevasses qui laissait apparaître la blancheur des os, un bout de chair recouvert de pustules purulentes et de croûtes sanguinolentes ! Une horreur indescriptible ! Et l’autre moitié du visage, comme par miracle, avait été épargnée ! Je crus même y déceler une très grande beauté ! Oui ! La moitié de ce visage semblait incarner le symbole même de la beauté ! Une beauté pleine de bonté, d’intelligence et de richesse (bonté, intelligence et richesses intérieures sans doute…)

-     Approchez ! dit-elle, n’ayez pas peur !

Je me suis avancé vers elle à petits pas (absolument terrifié).

-     Qui êtes-vous, jeune homme ?

-     Je… je m’appelle… petit Pierre, mademoiselle.

-     Petit Pierre ! Quel joli prénom !

Et elle a esquissé un sourire.

-     Je suis contente de vous voir, jeune homme ! Je vous attendais...

-     Ah… ? ai-je dit, vous… vous m’attendiez… ? Qui êtes-vous, mademoiselle ?

-     On m’appelle Gaïa ! dit-elle, je suis l’esprit du Grand Labyrinthe.

L’esprit du Grand labyrinthe ?!! Une foule de questions m’ont aussitôt brûlé les lèvres. Pourquoi vivait-elle dans ce paysage désolant ? Qui l’avait défiguré ? Que s’était-il passé ? Pourquoi n’y avait-il plus aucun résident ? Pourquoi régnait partout cette atmosphère de désolation ? Pourquoi avait-elle dit qu’elle m’attendait ? Pourquoi… ? Pourquoi… ? J’avais tant de questions à lui poser. Mais mademoiselle Gaïa (qui avait sans doute deviné mes interrogations) a posé un doigt sur ses lèvres.

-     Chut ! dit-elle, prenez simplement la peine de me regarder ! Contemplez votre œuvre… regardez où m’ont menée vos recherches…

-     Nos recherches…, mademoiselle ?

Mademoiselle Gaïa a poussé un profond soupir.

-     Oui ! Vos recherches, jeune homme ! 

-     Je… je suis désolé ! ai-je dit, mais je… je ne comprends rien à ce que vous racontez, mademoiselle.

Mademoiselle Gaïa a levé les yeux au Ciel.

-     Vous autres, dit-elle, résidents du Grand Labyrinthe, vous cherchez les joyaux d'une façon très maladroite. Vous voulez acquérir le joyau de la beauté et vos recherches ne cessent de m’enlaidir… Jamais vous ne découvrirez la beauté en la cherchant ainsi. Vous voulez acquérir le joyau de l’intelligence et vos recherches ne cessent de m’abêtir. Jamais vous ne découvrirez l’intelligence en raisonnant de cette façon… Vous voulez acquérir le joyau de la bonté et celui du pouvoir et vos recherches ne cessent de me faire souffrir. Jamais vous ne découvrirez la bonté ni le pouvoir en les cherchant ainsi… Vous voulez acquérir le joyau de la richesse et vos recherches ne cessent de m’appauvrir. Jamais vous ne découvrirez la richesse en la cherchant de cette façon… 

 

J’ai regardé mademoiselle Gaïa avec perplexité.

-     Vos explications sont confuses, mademoiselle. Je n’y comprends rien !

-     Ah…? dit-elle, mes explications sont confuses… ? Eh bien ! Je suis confuse… que vous n’y compreniez rien, jeune homme.

 

Et elle ajouta avec un air de reproche :

-     Mes explications me semblent pourtant très claires… vous cherchez le trésor en dépit du bon sens… Jamais vous ne trouverez les joyaux là où vous vous obstinez à les chercher… vous courez à votre perte… et dans la mauvaise direction, jeune homme… Et voilà où nous en sommes aujourd’hui ! Regardez-moi !

 

Je l’ai regardé une nouvelle fois, sans comprendre.

-     Faut-il donc vous mettre le nez dessus pour que vous compreniez !

-     Le nez dessus…, mademoiselle ?

-     Oui ! dit-elle, pour que vous compreniez enfin l’odeur de vos erreurs ! Ecoutez, petit Pierre, il faut que vous compreniez ! Il en va de votre avenir et de celui du Grand Labyrinthe ! Voyez-vous cette porte ?

-     Oui ! ai-je dit, je la vois, mademoiselle !

-     Eh bien ! Venez ! dit-elle, suivez-moi ! Et ouvrez bien les yeux !

 

 

Porte 86 Le jour de la fin du monde

La clairiere de l'imaginaire –

Mademoiselle Gaïa a ouvert la porte. Et on a été aspiré par un immense tourbillon qui nous a projetés très loin… très loin en arrière.

-     Voilà ! dit-elle, nous y sommes !

-     Ah… ? ai-je dit, et où sommes-nous ?

-     Eh bien ! Nous sommes revenus en arrière, jeune homme !

-     En arrière, mademoiselle… ? Nous sommes… nous sommes donc dans… dans le passé… ?

-     Eh oui ! dit-elle, nous allons revivre ensemble le jour de la fin du monde.

-     Le jour de la fin du monde… ? Comment ça, le jour de la fin du monde ? Pourquoi y aurait-il la fin du monde, mademoiselle ?

-     Parce que le jour de la fin du monde est inéluctable, jeune homme ! Votre course effrénée après les joyaux et votre façon de chercher le trésor ne peuvent mener qu'à la fin du monde… vos recherches détruisent la beauté… l'intelligence… la bonté… la force… et les richesses de cette Planète… vous êtes en train de détruire le merveilleux chemin qui pourrait vous conduire au trésor… En agissant de façon si maladroite…, vous courrez à notre perte à tous ! Jusqu’au jour où sonnera la fin du monde… et ce jour-là est arrivé, jeune homme !

 

J’ai regardé mademoiselle Gaïa avec inquiétude. Je ne pouvais imaginer un seul instant que nous allions assister à la fin du monde. C’était impensable !

-     Je… je ne vous crois pas, mademoiselle. C’est impossible ! 

-      Ah ! dit-elle, vous ne me croyez pas ! Eh bien ! Ecoutez donc, jeune homme !

 

Mademoiselle Gaïa a allumé un poste de radio qu'elle dissimulait sous son châle.

-     « Flash spécial » a crépité le poste, « chères auditrices, chers auditeurs, nous sommes au regret d’interrompre vos programmes pour vous annoncer une terrible catastrophe. Nous venons de recevoir une dépêche de la très sérieuse Université de Tous Les Savoirs qui nous informe que la fin du monde est prévue… pour ce soir… à minuit très précisément… ».

-     Alors ! dit-elle, vous me croyez à présent, n’est-ce pas jeune homme ?

 

Je suis resté les bras ballants et la mine décomposée… comme si le Grand Labyrinthe venait de me tomber sur la tête. Mademoiselle Gaïa m’a regardé en silence, satisfaite de sa démonstration.

-     Voilà où mène l’ignorance ! dit-elle, voilà ce qui vous attend, vous autres, si vous vous obstinez à ignorer les choses essentielles ! Il est temps d’en prendre conscience, jeune homme ! Et maintenant, regardez autour de vous ! Et décrivez-moi l'affligeant spectacle auquel nous assistons…

-     Eh bien…, ai-je dit, je… je vois… je vois  tous les résidents… qui courent… dans une grande pagaille, mademoiselle ! Je crois… qu'ils ont peur de la fin du monde.

-     Oui ! dit-elle, les résidents courent car ils ont peur d'aller dans l’Autre Monde. Mais à quoi leur sert-il de courir ?!! Ils rejoindront l'Autre monde de la même façon qu'ils ont voyagé… dans la peur et l’ignorance. Et maintenant, revenons encore un peu en arrière, jeune homme !

 

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Et nous avons été une nouvelle fois aspirés dans le tourbillon qui nous a projetés un peu plus loin en arrière… oui, un peu plus loin dans le passé.

-     Voilà ! dit-elle, à présent, vous pouvez ouvrir les yeux, jeune homme. Et dites-moi ce que vous apercevez ?

J’ai ouvert les yeux et j’ai regardé autour de moi.

-     Je vois…

-     Oui ? dit-elle, que voyez-vous ?

-     Je vois… je vois une silhouette… qui regarde un miroir...

-     Oui ! dit-elle, et que cherche ce résident selon vous ?

J’ai hésité un instant.

-     Eh bien… il doit… il doit chercher le… le joyau de la beauté, mademoiselle.

-     Oui ! dit-elle, il cherche la beauté… et que voyez-vous d’autre, jeune homme ?

-     Eh bien… je vois… je vois une autre silhouette… qui consulte un livre énorme… une encyclopédie sans doute…

-     Oui ! dit-elle, et que cherche ce résident à votre avis ?

-     Eh bien… je… je pense qu’il doit chercher… le joyau de l’intelligence, mademoiselle…

-     Oui ! dit-elle, celui-ci cherche le joyau de l'intelligence…

 

Et mademoiselle Gaïa passa en revue toutes les silhouettes qui couraient (un peu partout) à la recherche des joyaux. Certaines se battaient en gonflant la poitrine, d’autres tentaient avec beaucoup d’orgueil d’en aider d’autres plus chétives et plus malheureuses en espérant sans doute la reconnaissance et les honneurs de la bonté… et d’autres encore comptaient et recomptaient de grosses liasses de billets de Banks.

-     Vous voyez, dit-elle, toutes ces silhouettes passent leur voyage à chercher l’un des joyaux. Et toutes ne s’occupent que d’elles-mêmes. Elles s’en occupent d’ailleurs fort mal ! Leur chemin n’a aucun sens ! Voilà pourquoi toutes ont si peur lorsque la fin du monde approche ! Et voilà pourquoi tout va si mal sur cette planète ! Et maintenant, jeune homme, revenons à ce fameux jour de la fin du monde, voulez-vous ?

J’ai regardé mademoiselle Gaïa avec inquiétude.

-     Voyons ! dit-elle, ne faîtes pas cette tête ! Il vous reste encore de bons moments avant de rejoindre l’Autre Monde. Quelle heure est-il ?

J’ai regardé avec angoisse la montre que m’a tendue mademoiselle Gaïa.

-     Il est… il est 7 h, mademoiselle.

Et la montre a continué son tic-tac, indifférente à mon angoisse…. 7h et 7 secondes… 7h et 20 secondes… la fin du monde était prévue à minuit… j’ai fait un rapide calcul : il nous restait environ 17 heures. J’allais calculer le nombre exact de minutes qu’il nous restait avant la fin du monde lorsque mademoiselle Gaïa m’a interrompu.

-     Que faîtes-vous, jeune homme ? Pourquoi comptez-vous les heures ? Croyez-vous qu’il faille passer son temps à compter les heures ?

-     Oui ! ai-je dit, vous avez raison, mademoiselle, compter les heures est un exercice idiot mais… il nous reste si peu de temps… et j’ai si peur d’aller dans l’Autre Monde.

-     Je sais… ! dit-elle, mais à quoi vous avancerait-il de connaître le temps exact qu’il vous reste avant de rejoindre l’Autre Monde… qu’en feriez-vous…?

J’ai réfléchi un instant… (mais je n’ai trouvé aucune réponse… aucune réponse valable…).

-     Eh bien ! dit-elle, vous voyez qu’il est inutile de compter les heures puisque vous ne sauriez quoi en faire…

-     Oui ! ai-je dit, vous avez raison, mademoiselle ! Mais que faut-il faire alors…?

Mademoiselle Gaïa a légèrement soulevé son voile (laissant apparaître les deux parties de son visage).

-     C’est très simple ! dit-elle, il suffit d'ouvrir votre cœur… de l'écouter avec attention… et de faire ce qu’il vous dit sans impatience … en prenant le temps de goûter chaque instant qui passe… Il n’y a rien d’autre à faire sur cette Planète, jeune homme… simplement écouter son cœur et savourer pleinement chaque instant du voyage… comme s'il portait en lui… le début et la fin du monde…

-     Mais…, ai-je dit, je…

-     Ne dîtes rien, jeune homme ! A présent, vous pouvez retrouver le Grand Labyrinthe… et poursuivre votre chemin… et n'oubliez pas mes consignes… gardez votre cœur ouvert… soyez attentif à ce qu'il vous dira… et soyez conscient de chaque instant qui passe…

J’ai regardé mademoiselle Gaïa… et je l’ai embrassée (du bout des lèvres) pour la remercier (la remercier pour ses précieux conseils). Puis, j’ai pris le chemin du retour. J’ai retraversé la vaste étendue, j’ai retraversé la caverne, j’ai poussé la petite trappe et je me suis retrouvé assis, tout tremblant, au pied du rocher moussu.

 

 

Porte 87 Le rocher moussu me donne quelques explications

L'île de la conscience –

-     Alors, a demandé le rocher moussu, comment s’est passé ce voyage, mon garçon ?

-     Oh ! Eh bien…  ce voyage était incroyable, monsieur le rocher. J’ai vu… des choses terrifiantes… Et j’ai eu si peur que j’en ai encore la chair de poule… Et je dois bien vous avouer que je n’ai pas tout compris.

Le rocher moussu a poussé un profond soupir.

-     Quelles choses n’as-tu pas comprises, mon garçon ?

-     Eh bien… d’abord je n’ai pas compris la voix mystérieuse de la caverne. Qui parlait ainsi ? Et pourquoi répétait-elle sans cesse la fin de mes phrases ?

-     Oh ! Cette voix, dit le rocher, était ta voix intérieure, mon garçon.

-     Ma voix intérieure… ? Mais pourquoi s’est-elle moquée de moi, monsieur le rocher ?

Le rocher m’a regardé avec tendresse.

-     Elle ne se moquait pas de toi, voyons ! Elle se moquait seulement de ta façon de chercher le trésor !

J’ai regardé le rocher avec perplexité.

-     Cette voix était donc ma voix intérieure…

-     Oui, mon garçon ! Elle te parlait à travers l’écho. En répétant la fin de tes phrases, elle ne faisait que ressasser ta propre rengaine. Elle a sûrement dû te parler de toi, n’est-ce pas ?

-     De moi… ?

-     Oui ! dit le rocher, elle a sûrement dû te répéter des mots comme : « moi… moi… moi »  ou « jeu… stupide… je… stupide… » ou des choses de ce genre, n’est-ce pas ? C’est en général ce que répète l’écho !

-     Moi… moi… moi… jeu stupide… je stupide…? ai-je dit, eh bien ! Oui ! Ce sont exactement les mots qu’a répété l’écho, monsieur le rocher. Mais pourquoi a-t-il répété ces mots… ?

-     Parce que tu n’as toujours pensé qu’à toi, mon garçon. Depuis le début de ce voyage, tu n’as cessé de penser à toi, à tes joyaux et à ton trésor. Ton cœur a toujours trop débordé de toi-même !

-     Ah… ? Oui…je… je comprends, monsieur le rocher !

-     Ah oui ! dit-il et que comprends-tu, mon garçon?

-     Eh bien… je comprends pourquoi il faisait si sombre et si froid dans cette caverne. J’ai été trop égoïste. Voilà pourquoi je n’ai pas trouvé le trésor ! Vous avez raison, monsieur le rocher ! Et la voix a eu raison de se moquer de moi ! Oh ! Comme je regrette d’avoir été si égoïste !

-     Mais non ! dit le rocher moussu, tu n’as aucun regret à avoir, mon garçon. Il est naturel de commencer ce voyage en ne pensant qu’à soi. Mais au fil du chemin, il faut apprendre à ouvrir son cœur. Ne t’inquiète pas ! Tu as encore une longue route à parcourir où tu auras tout le loisir de t’y exercer.

-     Oui ! ai-je dit, je vous promets que j’essaierais désormais d’ouvrir mon cœur, monsieur le rocher. Mais il y a autre chose que je n’ai pas compris pendant ce voyage…

-     Oui, dit le rocher, je t’écoute…

-     Eh bien…, après avoir traversé la caverne, je me suis retrouvé dans un espace terrifiant où j’ai rencontré mademoiselle Gaïa… on a été aspiré dans un grand tourbillon…  et je me demande pourquoi elle m’a obligé à la suivre…

-     Oh ! C’est simple ! dit le rocher, mademoiselle Gaïa a voulu te montrer les conséquences de ta recherche égoïste. Elle t’a donc fait voyager dans le temps. Ainsi, tu as pu constater que la recherche égoïste des joyaux risquait de détruire à tout jamais tes chances de trouver le trésor. Voilà pourquoi tu as visité ces contrés terrifiantes ! Mademoiselle Gaïa a voulu te faire comprendre qu’il était temps de quitter le chemin des chercheurs de trésor égoïstes, mon garçon… qu'il était temps d’ouvrir ton cœur… d’élargir ton espace intérieur… pour y accueillir tous les évènements et tous les personnages que tu rencontreras sur ton chemin. Oui, mon garçon ! Aujourd'hui, tu dois apprendre à ouvrir ton cœur… c’est ainsi que tu trouveras le véritable chemin qui mène au trésor. 

Après sa tirade, le rocher moussu est resté un instant silencieux. Puis, comme je m’apprêtais à repartir, il a ajouté :

-     Réfléchis bien à ce que tu as appris aujourd'hui, mon garçon. Médite longuement les conseils que nous t'avons donnés. Et lorsque le fruit de tes pensées sera mûr, alors tu pourras chercher celle ou celui qui guidera tes pas sur ce long, difficile et merveilleux chemin intérieur. Allez ! dit-il, à présent, rejoins le Grand Labyrinthe, mon garçon ! Et n’oublie pas nos consignes ! Bon courage !

 

 

PARTIE 14 OU SE TROUVE LE CHEMIN INTERIEUR ?

 

Porte 88 Trouver le chemin interieur est bien difficile

Le quartier des tristes ermites –

Commença alors une nouvelle période… une période pleine d’espoir… Mais la promesse d’horizons nouveaux amène souvent avec elle son lot de doutes et d’angoisses. Et j’avais si peur de retomber dans la tristesse que je me mis à chercher le chemin intérieur avec beaucoup d'obstination. Malgré les conseils des habitants de mon île, j’ignorais tout de ce drôle de chemin. Comment le trouver ? Comment y cheminer ? C’était-là des questions bien difficiles… (sans doute les questions les plus difficiles auxquelles il me fallut répondre au cours de ce voyage…) J’avais beau passer mes jours et mes nuits à y réfléchir… en songeant aux paroles de ma Fleur, à celles de la pierre, à celles du pélican, à celles du rocher et à celles de mademoiselle Gaïa… je n’avais toujours pas la moindre idée sur la façon de trouver ce mystérieux chemin...

  

 

Porte 89 Monsieur christian m'indique les portes du chemin interieur

La clairiere de l'imaginaire –

Heureusement que le voyage nous réserve parfois de belles surprises (surprises qui semblent, le plus souvent, tomber du Ciel… lorsqu’on s’y attend le moins…). Et celle qui arriva au cours de cette période fut sans nul doute l’une des plus belles et des plus instructives de mon voyage. Il s’agit de ma rencontre avec monsieur Christian qui débarqua chez moi un soir pour éclairer mon chemin et me mettre le cœur en fête. Ce jour-là, alors que j’étais dans mon petit appartement du quartier des Tristes Ermites (que je ne m’étais pas encore résolu à quitter), confortablement installé dans mon fauteuil à ruminer quelques vaines pensées sur l’intérieur, un livre (un livre posé sur l'une des étagères de ma bibliothèque) m’est tombé dessus (oui, le livre de monsieur Christian m'est littéralement tombé entre les mains). Je l’avais trouvé quelques temps plus tôt chez un marchand de livres installé sur les quais du grand Fleuve et je l’avais rangé dans ma bibliothèque (sans même avoir pris la peine de l’ouvrir). Et soir-là, dès la première page, monsieur Christian - Ô miracle du voyage - se mit à me parler. Voici à peu près ce qu’il me raconta :

-     Oh ! mon ami ! dit-il, si vous pouviez reconnaître l’obscur et le merveilleux du voyage, si vous pouviez reconnaître les joyaux qu’il vous offre à chaque instant, alors vous considéreriez votre chemin comme un trésor fragile et inestimable… Si vous pouviez reconnaître la merveille d’un brin d’herbe caressé par le vent, la grâce d’un oiseau dans le Ciel, la douce chaleur d’un rayon de soleil, la délicatesse des pétales d’une fleur, la beauté subtile des feuilles d’un arbre éclairé par la lumière, le silence admirable de la chambre close et la sagesse du rire des P’tits Dôms… si vous pouviez accueillir en votre cœur toutes les merveilles du voyage, alors vous récolteriez des graines de joie inépuisable… que vous pourriez semer sur votre chemin… comme des pépites d’or… laissées aux autres résidents…

 

Monsieur Christian m'a parlé toute la nuit, égrenant chaque mot de sa voix douce et tranquille… et prenant soin, entre deux phrases, d’aérer sa parole par de longs silences… comme s’il craignait de tacher la douce quiétude de la nuit par le vacarme des mots... Entre deux phrases, il lui arrivait aussi, d’éclater de rire (un rire qui explosait comme un soleil dans le ciel du silence et de la nuit…). Monsieur Christian riait comme s’il se moquait de lui-même… comme s’il ne pouvait croire un instant aux choses sérieuses qu’il racontait… Toute la nuit, il me parla du voyage, des joyaux, du trésor et de toutes les petites choses rencontrées sur notre chemin (de toutes ces petites choses qu’aucun résident ne prenait la peine de regarder). Et lui ne cessait de s’en émerveiller… Au détour d’un silence, il m’a avoué qu’il passait ses jours à s’émerveiller de Tout et de Rien et qu’il tentait chaque jour de goûter à l’obscur et au merveilleux du voyage dans la joie et la solitude de sa chambre close.

 

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Monsieur Christian habitait avec lui-même… dans la solitude… et pourtant jamais il n’était seul… il y avait toujours quelque part près de lui un ami qui l’émerveillait… Et après un long silence, il m’a invité à poser son livre :

-     Un livre ! dit-il, ce n’est rien… rien qu'un bagage pour le voyage… rien qu'un modeste ami qui oriente nos pas pour voyager le cœur plus libre et plus joyeux… Jamais un livre ne pourra nous ouvrir les portes du trésor… il pourra peut-être nous offrir quelques clés… Aussi, je vous en conjure, jeune homme… refermez mon livre et poursuivez votre chemin en apprenant à goûter à l’obscur et au merveilleux du voyage…

 

J'ai refermé le livre de monsieur Christian et j'ai réfléchi toute la nuit à ses merveilleuses paroles. Comment faisait-il pour contempler avec tant de légèreté et de profondeur le voyage et ses beautés… comment faisait-il pour s'émerveiller de Tout et de Rien… pour goûter à l’obscur et au merveilleux… comment faisait-il pour accueillir avec joie toutes les petites choses rencontrées sur le chemin ? Quel était donc son secret…? Et je me dis qu’il devait avoir un cœur bien large et bien ouvert pour être capable de voyager ainsi… Etait-ce donc la clé qui ouvrait les portes du chemin intérieur ? Comment le savoir ? Et comment emprunter cette route qui avait l’air si douce et si merveilleuse ? Qui, sur cette planète, pouvait guider mes pas sur ce chemin ? Et les paroles du rocher moussu me revinrent en mémoire. J’avais, je crois, à présent suffisamment méditer sur l’intérieur… il était temps de rencontrer celui qui m’aiderait à marcher sur ce chemin plein de promesses !

 

  

Porte 90 Les pelerins

Le quartier des chercheurs du dedans –

Quelques jours plus tard, je partis à la recherche de celui qui pourrait guider mes pas sur le chemin intérieur. J'ai d’abord cherché dans le quartier des Tristes Ermites… mais aucun résident ne semblait pouvoir m'aider… aucun n'était allé assez loin sur le chemin pour éclairer mes pas… J’ai donc continué à marcher, un peu au hasard, traversant différents quartiers du monde des Grands Dôms (dont j’ignorais totalement l’existence), arrêtant chaque passant pour lui demander s’il connaissait le chemin qui menait à l’intérieur. Mais nul, en ces contrées, ne semblait connaître cette direction… J’ai donc continué à marcher… et mes pas m’ont amené (par je ne sais quel miracle) dans un quartier minuscule à la périphérie du Grand Labyrinthe, le quartier des Chercheurs du Dedans. C’était un quartier étrange… à la fois isolé (très excentré) et placé sans nul doute au cœur même de la Planète… c'était un quartier étroit et à la superficie minuscule (du moins en apparence…) alors que ses dimensions (je l'appris plus tard) étaient vertigineuses… oui, ce quartier était beaucoup plus vaste qu'il n'en avait l'air… beaucoup plus vaste sans doute que le Grand Labyrinthe….

Malgré son isolement et son apparente étroitesse, ce quartier était habité par de nombreux résidents et fréquenté par une foule de pèlerins (des résidents des autres quartiers de la Planète qui y séjournaient à titre provisoire… avant de retourner dans leur quartier d’origine…). Après avoir franchi la frontière, j’ai hélé un passant pour demander mon chemin.

-     Hé ! Bonjour monsieur…, ai-je dit, je… je  cherche le chemin intérieur… peut-être pourriez-vous orienter mes pas…

-     Oui, bien sûr ! dit-il, quel genre de chemin intérieur cherchez-vous exactement ?

 

J’ai regardé le pèlerin (reconnaissable à son bâton) avec perplexité.

-     Eh bien ! Je n'en sais rien, monsieur ! Je cherche seulement… celui qui pourrait… m’accompagner sur le chemin intérieur… pour… pour qu'il m'aide à trouver le trésor…

-     Ah ? dit-il, vous êtes à la recherche d'un guide...? Eh bien ! Bon courage, jeune homme ! Moi, tous ceux que j'ai rencontrés m'ont dit que je n'étais pas encore prêt à emprunter ce chemin… je suis venu trop tôt, paraît-il… je rentre chez moi… je reviendrais plus tard. J’espère que vous aurez plus de chance… ! Allez ! Je vous laisse ! Bon courage, jeune homme !

J'ai regardé le pèlerin s'éloigner en direction de la frontière et j'ai poursuivi mon chemin. Quelques instants plus tard, en arrivant à proximité du centre du quartier, j'ai croisé un autre pèlerin. Je l'ai arrêté.

  

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- Bonjour, monsieur…., ai-je dit, je… je suis à la recherche d'un guide… pour orienter  mes pas sur le chemin intérieur… pourriez-vous me renseigner…? 

-     Vous renseigner… ? dit-il, eh bien… ça dépend… Avez-vous une idée du guide que vous souhaitez rencontrer ?

-     Euh… non ! ai-je dit, je n’en ai aucune idée. Je cherche seulement celui qui pourrait guider mes pas…

-     Ah ! dit-il, eh bien ! Dans ce cas, le plus simple serait - sans doute - d’aller voir monsieur Arnaud. C’est un résident de longue date qui a longuement étudié le chemin intérieur. Il y a de grandes chances pour qu’il puisse guider vos premiers pas sur le chemin…

-     Monsieur Arnaud ? ai-je répété, et où habite-t-il ?

Et le pèlerin m’expliqua à l’aide de son bâton le plus court chemin pour me rendre chez monsieur Arnaud.

-     Oh ! dit-il, vous n'aurez aucun mal à le trouver… il habite le centre du quartier… dans la rue principale. Et si vous vous perdez en chemin, vous n'aurez qu’à demander à d’autres pèlerins. Tout le monde le connaît par ici !

-     Ah… ? ai-je dit, eh bien…, merci, merci beaucoup monsieur.

-     Oh ! dit-il, ce n’est rien ! Il est bien naturel de s’entraider entre pèlerins. J’ai été ravi de vous renseigner, jeune homme ! Et je serais très heureux si monsieur Arnaud pouvait éclairer vos pas !

-     Eh bien… oui, ai-je dit, j’espère qu’il sera en mesure de m’aider.

-     Oh ! dit le pèlerin, vous n'avez aucune raison de vous inquiéter, jeune homme ! Vous pouvez aller le voir en toute confiance. Son expérience du chemin intérieur est très grande… et il est sans doute l'une des plus célèbres figures du quartier… Certains disent qu’il n’a pas son pareil pour orienter ceux qui cherchent la porte du chemin intérieur. D’ailleurs, beaucoup de pèlerins viennent le voir dès qu'ils arrivent dans le quartier. Tout le monde s'accorde à dire qu'il est toujours de très bons conseils. Avant de s'installer ici comme guide, il a beaucoup voyagé…  sur tous les quartiers de la Planète et ici un peu partout dans le quartier des Chercheurs du Dedans… il en connaît sûrement tous les coins et les recoins… et certains disent qu’il serait même allé au bout du chemin et qu’il aurait trouvé le trésor… en tout cas, je suis sûr qu'il pourra éclairer vos pas et vous donner quelques bons conseils. Allez ! Je vous laisse, jeune homme ! Bonne chance !

 

J’ai remercié le pèlerin pour son aide précieuse et j’ai pris la direction de la rue principale. Arrivé devant un bâtiment aux allures sobres (à la façade luxueuse et dépouillée), je me suis arrêté et j’ai frappé à la porte, le cœur battant. 

 

 

Porte 91 Ma premiere rencontre avec monsieur arnaud

Le quartier des chercheurs du dedans –

-     Entrez ! dit-il, c’est ouvert !

J’ai poussé la porte. Monsieur Arnaud était assis à son bureau dans une grande pièce tapissée de livres.

-     Bonjour ! dit-il, comment vous appelez-vous, jeune homme ?

-     Je… je m’appelle petit Pierre, monsieur.

Monsieur Arnaud m’a regardé avec amusement.

-     Pouvez-vous me dire ce que vous venez faire par ici ?

Je fus un peu surpris par cette question (et par cet accueil)… mais j’ignorais encore que monsieur Arnaud éprouvait un malin plaisir à déstabiliser son interlocuteur… il ne manquait jamais une occasion (je l'appris très vite) d'ébranler nos certitudes et nos valeurs relatives…. et monsieur Arnaud adorait également donner des explications… (je l'appris aussi très rapidement)… dès qu'il en avait l'occasion, il partait dans d'interminables discours sur le chemin, la recherche des joyaux et la quête du trésor… sans doute une façon pour lui de nous montrer qu’il connaissait très bien le sens du voyage…

-     Euh… eh bien…, ai-je dit, je … 

-     Oh ! dit-il, vous avez l’air mal à l’aise ! Est-ce donc la première fois que vous venez dans le quartier ?

J’ai rougi jusqu’aux oreilles (un peu honteux de lui avouer mon inexpérience en matière de chemin intérieur).

-     Je… enfin… non… c’est… enfin… oui, ai-je dit, c’est la première fois, monsieur Arnaud…

Monsieur Arnaud a souri.

-     Vous savez, dit-il, on n’arrive jamais ici par hasard. Seriez-vous à la recherche d’un professeur pour orienter vos pas sur le chemin ?

J’ai acquiescé d’un hochement de tête. Monsieur Arnaud est resté silencieux. Il s’est contenté de me dévisager (d’une façon très gênante).

-     Depuis combien de temps êtes-vous sur le chemin intérieur, jeune homme ?

-     Je…

-     Oh ! dit-il, inutile de répondre… votre gêne et votre égarement sont si visibles… vous ne devez pas y cheminer depuis très longtemps, n’est-ce pas ? Mais il faut bien un début à tout… 

Monsieur Arnaud a planté ses yeux dans les miens.

-     Depuis combien de temps êtes-vous à la recherche du trésor, jeune homme ? 

-     Euh… eh bien…, ai-je dit, je… je cherche le trésor depuis le début de ce voyage, monsieur… j’ai… j’ai toujours cherché les joyaux… depuis le quartier des P'tits Dôms… je les ai cherchés un peu partout… j’ai visité de nombreux quartiers… j’ai  trouvé les joyaux dans le quartier des Boîtes… puis je les ai perdus… ensuite, j’ai traversé beaucoup d’épreuves pour essayer de les retrouver… mais je n’ai pas réussi à les récupérer… ensuite j’ai erré longtemps… j’ai beaucoup souffert… j’ai rencontré beaucoup de souffrances… partout… sur cette planète… et au fond de mon cœur… puis comme je ne savais plus où aller, j’ai marché longtemps… et j’ai fini par arriver ici…

 

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Monsieur Arnaud a froncé les sourcils.

-     Vous avez l’air de vous plaindre des difficultés du voyage ! Il n'y a pourtant aucun doute, jeune homme ! Ce voyage est merveilleux… je reconnais qu’il est parfois difficile et source de souffrances… mais les épreuves ne sont pas inutiles. Vous pouvez me croire ! Tout ce que vous avez enduré a un sens ! Les épreuves et la souffrance sont des chances formidables pour les chercheurs…

-     Les épreuves et la souffrance… des chances formidables ?

-     Eh oui ! Bien sûr ! dit monsieur Arnaud avec un grand sourire (ravi sans doute de trouver là une occasion de me donner quelques explications…).

-     C’est très simple ! dit-il, vous avez cherché le trésor un peu partout, n’est-ce pas ? Vous avez visité de nombreux quartiers sur cette Planète, vous vous êtes installé dans certains en croyant y découvrir les joyaux… vous avez cru les trouver… mais vous les avez perdus… ensuite vous avez essayé de les récupérer… mais vous n'y êtes pas parvenu… alors vous êtes parti… vous avez commencé à errer ici et là… vous avez vécu une période de grandes souffrances… mais vous avez eu l’intelligence de poursuivre votre chemin… et vous avez fini par arriver dans ce quartier…

-     Oui ! Je le sais bien, monsieur Arnaud ! C’est… c'est exactement ce que je viens de vous expliquer…

-     J'en ai conscience ! dit-il, mais il n’est pas inutile d'insister sur le sens de vos pas, jeune homme ! Il est, croyez-moi, de la plus haute importance de comprendre ce qui vous a poussé à venir jusqu'ici… Il faut bien réfléchir à votre cheminement… c’est ainsi que l’on progresse vers le trésor !

J’ai regardé monsieur Arnaud avec perplexité.

-     Eh bien…, oui… peut-être…, ai-je dit, peut-être…, monsieur Arnaud !

-     Ne prenez pas mes paroles à la légère, jeune homme ! Je vous livre ici la clé qui ouvre la porte du quartier des Chercheurs du Dedans ! Sans cette traversée du Labyrinthe, jamais vous n'auriez découvert le chemin intérieur. Si vous n'aviez pas visité la Planète, par quel miracle, dîtes-moi, auriez-vous trouvé ce quartier… Avant d'arriver jusqu'à nous, il vous a d'abord fallu comprendre que les joyaux des autres quartiers n'étaient pas les vrais joyaux. Cela a été, il est vrai, source de grande souffrance. Mais sans cette épreuve, vous seriez resté dans le quartier qui vous semblait le plus propice à trouver les joyaux… N'est-ce pas d'ailleurs ce qu'il vous est arrivé dans le quartier des Boîtes ? Comme la plupart des Grands Dôm, vous y avez séjourné longtemps… très longtemps… trop longtemps sans doute… Mais heureusement que vous avez fini par perdre ces joyaux… et que vous avez poursuivi votre chemin… ces souffrances, ces épreuves et cette traversée de la Planète ont donc été nécessaires pour arriver ici…  

-     Oui… peut-être…,  ai-je dit, peut-être avez-vous raison, monsieur Arnaud mais… pourquoi certains résidents découvrent le quartier des Chercheurs du Dedans… ? Et pourquoi certains empruntent le chemin intérieur alors que d’autres ne soupçonnent même pas son existence… ?

Monsieur Arnaud eut un petit sourire moqueur.

-     Eh bien ! Hum ! hum ! dit-il, je viens en partie de vous donner la réponse, jeune homme… mais peut-être souhaiteriez-vous quelques explications supplémentaires ?

J’ai hoché la tête en guise d’approbation.

-     Eh bien ! dit-il, chaque résident de cette Planète est mû par une force intérieure qui le pousse à voyager. Cette force permet à chacun de trouver son chemin à travers les différents quartiers de la Planète… chacun s’arrête dans le quartier qui semble répondre à ses attentes… là où il pense pouvoir trouver une partie des joyaux. D’autres résidents, en revanche, ne parviennent jamais à se satisfaire des faux-joyaux ou des bouts de vrais joyaux qu’ils ont trouvés. Aussi, changent-ils sans cesse de quartiers… allant ici et là… pour tenter de découvrir les vrais joyaux et le trésor. Et vous appartenez sans nul doute, jeune homme, à cette catégorie de chercheurs ! Aujourd'hui, cette force intérieure vous a conduit ici, dans le quartier des Chercheurs du Dedans, car vous sentez à présent, au fond de votre cœur, que seul le chemin intérieur peut vous mener au trésor…

 

Monsieur Arnaud a fait une courte pause. Puis (après un instant d’hésitation), il a ajouté :

-     Mais vous savez, jeune homme, nous sommes tous sur cette Planète des chercheurs de trésor… et tous les résidents du Grand Labyrinthe finiront un jour par emprunter ce chemin… ce n'est qu'une question de temps… (et de mûrissement intérieur…) lorsqu’ils comprendront enfin que les joyaux et le trésor ne peuvent être trouvés à l’extérieur… qu’il est vain de les chercher dans les autres quartiers, ils viendront ici… et se tourneront tout naturellement vers le chemin intérieur.

-     Oui… peut-être…, ai-je dit, peut-être…, monsieur Arnaud. Mais lorsque l’on a découvert le quartier des Chercheurs du Dedans, comment fait-on pour avancer sur le chemin ?

 

Monsieur Arnaud a hoché la tête (d’un air réprobateur).

-     Ne précipitez pas les choses, jeune homme ! Il est sage de se montrer patient ! En matière de chemin intérieur, il faut savoir se hâter lentement. Nous aurons tout le temps d’en parler. En attendant, je vous invite à réfléchir au sens de vos pas. Et si vous le souhaitez, je vous offre l’hospitalité. Vous pouvez vous installer ici pour la nuit. Demain, nous pourrons aborder le chemin intérieur !

 

J’ai à peine eu le temps de remercier monsieur Arnaud (pour ses explications et son hospitalité) qu’il avait déjà repris son travail (l’écriture d’un gros livre sur le chemin du Dedans). Je l’ai regardé un instant, la tête étourdie par cette avalanche d’explications et j’ai quitté la pièce pour aller m’installer dans la salle réservée aux pèlerins.

 

 

Porte 92 Ma fleur me propose de faire le point sur mon voyage

L'île de la conscience –

Assis dans la salle des pèlerins, je me mis à réfléchir à ce qu’avait dit monsieur Arnaud. Il m’avait raconté des choses assez surprenantes (et je dois le reconnaître aussi assez convaincantes)… J’avais le sentiment que ses paroles avaient résonné à l’intérieur… comme s’il avait réussi à allumer une petite lumière pour éclairer l’obscurité du dedans… Mais je ne pouvais me contenter de ses explications, il me fallait réfléchir par moi-même. J’ai donc poussé la porte de l’île de la Conscience pour demander confirmation à ma Fleur.

 

p9

 

-     Bonjour, ma Fleur !

-     Tiens ! dit-elle, bonjour, mon garçon ! Que viens-tu faire par ici…?

-     Je… je voudrais savoir, ma Fleur, si monsieur Arnaud m’a dit la vérité à propos du chemin…

-     La vérité à propos du chemin… ? Que veux-tu savoir, mon garçon ?

-     Eh bien…, ai-je dit, monsieur Arnaud m’a assuré que nous devons tous parcourir un long chemin avant de trouver le quartier des Chercheurs du Dedans…

 

Ma Fleur a agité imperceptiblement ses pétales.

-     C'est exact ! dit-elle, monsieur Arnaud t'a dit la vérité, mon garçon. Il suffit de regarder ton parcours pour s’en rendre compte… 

-     Oui, ai-je dit, sans doute, ma Fleur. J’ai parcouru un très long chemin mais… je n’ai pas encore vraiment compris le sens de mes pas…

-     Le sens de tes pas… ?

-     Eh bien…, oui, ma Fleur ! Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai traversé tous ces quartiers…  

-     Ah ?!!  dit-elle, eh bien… sans doute parce que tu avais des choses à y apprendre. Le voyage pousse chaque résident à visiter les quartiers qui permettent de faire grandir en lui les qualités indispensables pour trouver le trésor…

J’ai regardé ma Fleur un peu dépité par cette explication.

-     Bon ! dit-elle, tu as raison ! Je crois qu'il est temps de faire le point sur ton voyage. Il serait insensé de poursuivre ta route sans comprendre ce qui t'a amené jusqu'ici. Avant de t'engager sur le chemin intérieur, il est très important que tu comprennes le sens de tes pas… 

-     Oui, ai-je dit, tu as raison, ma Fleur ! Explique-moi mon voyage !

-     Non ! dit-elle, ce n’est pas mon rôle, mon garçon ! Si tu souhaites quelques explications, va voir madame La pierre !

J'ai remercié ma Fleur et je suis allé voir madame La pierre.

 

 

Porte 93 Madame la pierre confirme les explications de monsieur arnaud

L'île de la conscience –

-     Inutile, dit la pierre, de m’expliquer le but de ta visite ! J’ai entendu ta requête, mon garçon. Assieds-toi ! Je vais t’expliquer !

Je me suis assis au côté de la pierre et j’ai ouvert grandes mes oreilles.

-     D’abord ! dit-elle, tu dois comprendre que ce n’est pas le hasard qui a guidé tes pas… mais la nécessité du voyage. Ainsi, comme tous les résidents de cette Planète, mon garçon, tu as commencé ce voyage dans le quartier des P’tits Dôms… car il faut bien commencer par le commencement, n’est-ce pas ? Et comme te le dirait sans doute l’ami du grand saule…

-     L’ami du grand saule…, madame la pierre ? Vous voulez dire, le vieux chêne… ?

-     Oui, dit-elle, le vieux chêne te dirait sûrement qu’avant de resplendir en pleine lumière, il faut d’abord être un petit gland obscur qui apprend peu à peu à sortir de terre sous les branchages de ses aînés…

-     Oui ! ai-je dit, d’accord, madame La pierre ! Il est sans doute naturel de commencer par le commencement… mais pourquoi mes pas m'ont-ils ensuite conduit dans le quartier de la Capitale ?

-     Parce que le quartier de la capitale, mon garçon, est un passage obligatoire sur cette Planète. On y apprend des choses très importantes… des choses absolument capitales… pour la suite du voyage. On y découvre le joyau de l’intelligence qui doit naturellement nous amener à découvrir le joyau de la bonté. Et l’intelligence et la bonté sont sans aucun doute, mon garçon, les joyaux les plus importants pour trouver le trésor…

-     Oui ! ai-je dit, d’accord, madame La pierre ! Et ensuite pourquoi ai-je dû traverser le quartier des Boîtes ?

-     Oh ! dit-elle, le quartier des Boîtes ! Voilà un quartier très intéressant, mon garçon ! C’est le quartier du monde des Grands Dôm le plus fréquenté… et lorsque l’on quitte le monde des P’tits Dôms, il est tout à fait naturel d’y séjourner quelques temps… comme tu le sais, la plupart des résidents y passent la plus grande partie de leur voyage. Celui qui traverse le quartier des Boîtes se rend compte de l’incroyable diversité des chemins… il apprend que tous les résidents sont (d’une façon ou d’une autre) des chercheurs de trésor… et il apprend à chercher les joyaux…

-     Oui, ai-je dit, et alors madame La pierre… ?

-      Eh bien, dit-elle, celui qui traverse le quartier des Boîtes finit un jour par comprendre que les joyaux après lesquels il ne cesse de courir sont en fait de faux-joyaux. Cela peut prendre, je dois le dire, un certain temps ! Mais tout chercheur de trésor finit toujours par s’en rendre compte. Cette expérience douloureuse fait alors naître en lui le désir d’aller plus loin, de poursuivre son voyage vers d’autres contrées… Et n’est-ce pas ce qu'il t’est arrivé, mon garçon ?

-     Oui, ai-je dit, c’est vrai, madame La pierre ! Et le quartier des Sans souci ?

-     Oh ! dit-elle, le quartier des Sans Soucis est un quartier un peu particulier ! La plupart de ceux qui y séjournent ont été déçus par le quartier des Boîtes… beaucoup sont si désespérés de n'avoir trouvé aucun sens à leur chemin qu'ils préfèrent se consacrer entièrement aux plaisirs du voyage…

-     Oui… peut-être…, madame La pierre, et alors…?

-     Eh bien ! dit-elle, ce quartier ne t’a-t-il pas appris à porter un regard plus léger sur le chemin…? Toi qui as toujours voyagé avec gravité et sérieux, n'y as-tu pas découvert l’insouciance et la légèreté… ? La légèreté est une excellente façon d’aborder le voyage, mon garçon… et une qualité indispensable pour avancer sur le chemin du Dedans. Certes, il faut bien se garder d’y sombrer totalement… au risque de passer le reste du voyage dans ce quartier ! Mais ses habitants ne t’ont-ils pas appris à te détendre en toutes circonstances et à accorder moins d’importance aux évènements du voyage ?

-     Oui, ai-je dit, d’accord, madame La pierre, et le quartier des Cupidons ?

-     Oh ! dit-elle, le quartier des Cupidons ! Voilà un quartier qui t’a permis de rencontrer l’amour, mon garçon… l’amour avec un petit " a " ! Tu y as découvert l’amour dans sa forme la plus étroite… un amour qui n’est autre qu’un attachement égoïste à ceux qui répondent à tes attentes et à tes désirs. Un amour qui se sert des autres résidents pour parvenir à ses fins. Voilà une forme d’amour vraiment pitoyable, mon garçon ! Une forme d’amour pitoyable mais absolument nécessaire pour comprendre que ce chemin-là est une impasse… et que l’Amour véritable est bien plus vaste ! Rappelle-toi des paroles du père Pierre et de celles de mademoiselle Aimée lorsqu’elle t’a quitté, mon garçon ! Ne t’ont-ils pas dit que l’Amour n’échangeait rien… que l’Amour donnait sans compter… qu’il donnait sans attendre… Et crois-moi, mon garçon ! Cette forme d’Amour est une qualité absolument indispensable pour trouver le trésor… 

-     Oui, madame La pierre ! Vous avez sans doute raison ! Mais ensuite, pourquoi ai-je visité le quartier des Tristes ermites ?

-     Oh ! Parce que tu as été déçu par la traversée du monde des Grands Dôms, mon garçon ! Tu t’es alors enfoncé dans la solitude. Ce quartier t’a fait comprendre les dangers de l’isolement et du repli sur soi. Tu y as appris deux choses importantes : qu’il était vain de vouloir avancer sur le chemin qui mène au trésor sans les autres résidents ! Et qu’il était tout aussi vain d’attendre d’eux qu’ils cheminent à ta place ! Ce quartier t’a appris à te débrouiller seul ! Et cette forme de solitude est nécessaire sur le chemin intérieur. Même si les autres résidents peuvent nous aider, nous soutenir et guider nos pas au cours de ce voyage, on chemine toujours seul sur son chemin…  

-     Oui, ai-je dit, je comprends, madame La pierre ! Et ce n’est pas la peine de poursuivre vos explications… la suite du voyage, je la connais !

-     Alors, c’est parfait ! dit-elle, puisque tu as compris le sens de tes pas, tu peux continuer ton voyage… et commencer à avancer sur le chemin du Dedans ! 

 

 

Porte 94 Monsieur arnaud poursuit ses explications

Le quartier des chercheurs du dedans –

Le lendemain, je frappai à la porte de monsieur Arnaud aux premières heures du jour. Il m'invita à m'asseoir face à son bureau et nous avons poursuivi notre discussion.

 

-     Alors, dit-il, avez-vous réfléchi au sens de vos pas, jeune homme ?

J’ai hoché la tête.

-     Oui, ai-je dit, j’ai bien réfléchi, monsieur Arnaud. J’ai compris le sens de mon voyage mais… je ne sais toujours pas comment avancer sur le chemin du Dedans.

Monsieur Arnaud m'a regardé en fronçant les sourcils.

-     Chaque chose en son temps, jeune homme ! Le chemin intérieur est une voie périlleuse et difficile. Inutile de s’y précipiter ! Si vous souhaitez avancer sur ce chemin, il vous faudra d'abord ouvrir votre cœur et élargir votre esprit… ce sont là les premiers pas sur le chemin…

-     Ouvrir mon cœur et élargir mon esprit… ? D'accord ! ai-je dit, et comment dois-je m'y prendre, monsieur Arnaud ?

Monsieur Arnaud a toussoté.

-     Hum ! Hum ! dit-il, eh bien ! C’est là un exercice à la fois très simple… et fort compliqué…

Et il a planté ses yeux dans les miens.

 

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-     Pour ouvrir votre cœur et élargir votre esprit, il vous faudra laisser venir à vous tous les évènements du chemin… sans en rejeter un seul… il vous faudra apprendre à accueillir chaque chose, chaque être et chaque événement du voyage… qu'ils vous semblent porteurs de joyaux ou non, qu'ils vous semblent agréables ou désagréables n’a aucune importance… vous devrez tous les laisser entrer dans votre cœur… pour l’attendrir… et les laisser pénétrer dans votre esprit… pour l’éclairer ! Alors soyez sûr que vous avancerez sur le chemin du Dedans ! Mais n'allez pas imaginer que c'est là une tâche facile… il s'agit sans doute de l'un des exercices les plus difficiles de ce voyage…  voilà pourquoi la très grande majorité des pèlerins et des chercheurs de trésor qui arrivent dans le quartier cherchent d'abord une école et un professeur pour guider leurs pas.

J’ai regardé monsieur Arnaud en fronçant les sourcils.

-     Une école et un professeur…? Est-il donc impossible de cheminer seul et sans guide sur ce chemin… ?

Monsieur Arnaud m'a regardé avec un air de moquerie évident.

-     Oh ! dit-il, chacun est libre ! Mais il n'est sans doute pas inutile de vous dire, jeune homme, qu'il est extrêmement dangereux de s'aventurer sur ce chemin sans l’aide d’un professeur sérieux et expérimenté ! Vous savez... ceux qui arrivent dans ce quartier sont un peu… comme des P’tits Dôm… incapables de marcher seuls… le chemin du Dedans est si long, si difficile et si dangereux que ceux qui s’y aventurent seuls prennent tous les risques… Croyez-moi, jeune homme ! Sur ce chemin, les dangers sont innombrables… et il n’est pas rare de voir certains chercheurs se perdre en route…, tourner en rond jusqu’à la fin de leur voyage, ou même se rompre le cou à la première ornière… Oui! Croyez-moi, jeune homme ! Ce chemin est une véritable ascension ! Et y cheminer n’est pas, comme on le croit un peu naïvement, une partie de plaisir… ceux qui s’imaginent que le chemin du Dedans est un sentier doux, tendre et plaisant ne sont pas au bout de leurs peines et de leurs surprises… Le chemin intérieur est un chemin rude et merveilleux qui monte vers la Lumière ! C’est un chemin abrupt et difficile ! Et il est plus sage d’y cheminer en compagnie d’un professeur et au sein d’une école.

J'ai regardé monsieur Arnaud avec un grand sourire.

-     Eh bien…, ai-je dit, vous… vous pourriez devenir mon professeur, monsieur Arnaud…

-     Moi… ? Ah non, jeune homme ! Il est trop tôt pour que je vous accepte comme élève... et pour que vous m'acceptiez comme professeur. C'est un choix qui nécessite un peu de temps… et qui mérite réflexion… On ne choisit pas ainsi le premier élève qui passe… et le premier professeur venu… chaque pèlerin ou chaque nouveau résident du quartier doit rencontrer plusieurs professeurs avant de prendre le moindre engagement... Aussi il serait sage, jeune homme, que vous preniez la peine de visiter les principales écoles du quartier… de vous renseigner sur les enseignements que l'on y délivre… et de choisir votre professeur avec le plus grand soin…  

-     Bon…, eh bien…, d’accord, ai-je dit (à moitié convaincu par ses arguments), je vais écouter vos conseils, monsieur Arnaud.

-     Voilà une sage décision ! dit-il, et n’oubliez pas de revenir me voir lorsque vous aurez choisi votre école et votre professeur, jeune homme ! Il est très important de savoir où l'on met les pieds avant de s'engager plus en avant sur le chemin…

J’ai remercié monsieur Arnaud pour son hospitalité et ses sages paroles. Je lui ai promis de le tenir informé de mes avancées sur le chemin intérieur et je m’en fus dans les rues du quartier des Chercheurs du Dedans à la recherche d’une école et d'un professeur pour orienter mes pas.

 

 

Porte 95 L'école de maître narcisse lego

Le quartier des chercheurs du dedans –

Malgré les sages conseils de monsieur Arnaud, j’étais si impatient de faire mes premiers pas sur le chemin du Dedans que je m'arrêtai à la première école que je trouvai dans le quartier. Elle était située dans une ruelle minuscule à proximité de la rue principale. Sur la porte (une grande et magnifique porte de bois précieux) était placardée une belle plaque dorée sur laquelle on pouvait lire : Ecole de maître Narcisse Légo, formateur en chemin du Dedans, professeur de Chercheurs de trésor, découvreur de joyaux, diplômé des Hautes Ecoles de Conduite Intérieure. Séduit par cette inscription (pleine de promesses), j’ai sonné à la porte avec l'espoir (immense) que maître Narcisse Légo m’indiquerait, en professeur averti, la voie à suivre pour trouver le trésor. La porte s'est ouverte, laissant apparaître une jolie jeune femme étrangement accoutrée (une pièce d’étoffe enroulée autour des épaules (qui semblait la ligoter…) et coiffée d’un étrange ruban (qui lui emprisonnait la tête).

-     Bonjour ! dit-elle, et bienvenue à vous… si vous voulez bien vous donner la peine d'entrer…

Je l’ai suivie en silence, impressionné par la richesse et la beauté des lieux. Nous avons emprunté un long couloir brillamment éclairé et luxueusement meublé avant d’entrer dans une pièce immense (et non moins luxueuse) qui faisait office de salle de réception.

-     Asseyez-vous ! dit-elle, maître Légo va vous recevoir.

 

Je me suis assis dans un moelleux et profond canapé. Et j'eus tout le loisir (en attendant le maître des lieux) d'admirer le décor fastueux de la pièce. Au mur, entre de longues (et très) imposantes colonnes de marbre et quelques tapisseries aux couleurs dorées étaient affichés d’immenses diplômes (élégamment et savamment encadrés), portant tous le nom de maître Narcisse Légo en lettres démesurées. Et je fus – je dois le dire – très impressionné. Après quelques minutes d’attente, maître Narcisse Légo m’invita à entrer dans son bureau.

-     Asseyez-vous, dit-il, que puis-JE pour vous, mon ami ?

 

Je me suis assis dans un luxueux fauteuil, intimidé (et très impressionné) de me retrouver face à l'éminent professeur Narcisse Légo.

-     Eh bien…, ai-je bafouillé, je… je cherche une école… et un professeur pour guider mes pas sur le chemin du Dedans.

-     Eh bien ! Félicitations ! dit-il, vous avez frappé à la bonne porte, mon ami ! Vous ne pouvez tomber mieux ! JE suis… le meilleur professeur du quartier. Et mon école est sans doute la plus prestigieuse de toutes les écoles du chemin du Dedans…

-     Ah oui… ? ai-je dit, vous… vous êtes le meilleur professeur du quartier… eh bien… vous m'en voyez ravi, monsieur... je suis très….

Maître Narcisse Légo m’a regardé en fronçant les sourcils (usant de tout son charme (absolument ravageur) et de toute sa persuasion… totalement dévastatrice)

-     Voyons, mon ami ! dit-il, comment osez-vous m’appeler "monsieur" ? C'est là un titre réservé au tout venant… la marque que l'on attribue aux rustres de ce monde… N’avez-vous pas remarqué mes diplômes dans la salle de réception et l’inscription sur la porte de mon école ? Ici, mon ami, il est coutume de m'appeler Maître en s’adressant à ma modeste personne. Et si vous souhaitez devenir mon élève, JE vous enjoins de vous conformer à cette règle, mon ami ! Il en va, croyez-moi, du bon fonctionnement de notre institution ! Ai-JE été assez clair, mon ami ?

-     Euh… eh bien…, oui, ai-je dit, d'accord… d’accord, maître Légo !

-     Voilà qui est mieux ! dit-il en regardant (non sans fierté) son reflet dans le miroir, à présent, parlez-moi un peu de vos désirs en matière de chemin intérieur…? Êtes-vous à la recherche du joyau de la beauté… ? Du joyau de l’intelligence… ? Du joyau du pouvoir… ? Du joyau de la richesse… ? Voulez-vous directement trouver le trésor… ? Vous n'avez qu’un mot à dire, mon ami, et JE vous inscrirais dans le programme d’apprentissage le plus approprié à vos attentes.

-     Ah oui… ? ai-je dit subjugué, vous pouvez…

-     Bien sûr ! dit-il, si vous me dîtes ce que vous souhaitez et que vous signez le contrat de notre école, vous aurez l’honneur de devenir mon élève et de suivre mes enseignements. Et si vous suivez à la lettre mes instructions, il ne fait aucun doute, mon ami, que mon programme pourra satisfaire toutes vos attentes et tous vos désirs. Tenez ! dit-il en me tendant les quelques feuilles (dorées) du contrat, il vous suffit de signer au bas de la première page…

J’ai jeté un œil rapide au contrat (totalement convaincu par les belles paroles de maître Légo), lorsque soudain j’ai aperçu au bas de la dernière page, inscrits en lettres minuscules, les tarifs des enseignements.

-     Oh la la ! ai-je dit, l’inscription à votre école est excessivement chère, maître Légo !

-     Certes ! dit-il, je reconnais le caractère pour le moins dispendieux de mes enseignements mais… sachez, mon ami, que JE dispense une formation accélérée de très grande qualité… qui permet à mes élèves de satisfaire tous leurs désirs en quelques jours…  quant aux tarifs, n'ayez aucune crainte, mon ami… nous pourrons toujours trouver un arrangement… 

J'ai regardé maître Légo avec des yeux tout ronds d'étonnement.

-     Vous… vous pouvez satisfaire tous les désirs de vos élèves… en quelques jours… ?

-     Evidemment ! dit-il, mon école répond à toutes les demandes… à toutes les attentes… et à tous les désirs de mes élèves. JE connais parfaitement le chemin qui mène aux joyaux et au trésor. JE détiens les clés de toutes les portes du chemin du Dedans!!!

Et maître Légo a ponctué sa phrase en désignant (d'un geste majestueux) les innombrables portraits de son inestimable personne qui ornaient les murs de son bureau.

 

-     JE suis… un grand maître ! dit-il, le maître des lieux… le maître du quartier… et sans nul doute, le maître du Labyrinthe…

Maître Légo a fièrement planté ses yeux dans les miens.

-     JE suis, dit-il, un maître hors pair… reconnu par l'ensemble de mes pairs ! JE suis… un maître incontesté et incontestable ! JE suis… un maître de la beauté… de l’intelligence… du pouvoir… de la bonté…. et de la richesse ! JE suis… sans conteste le plus grand… le plus beau… le plus intelligent… le plus fort… et le plus riche de tous les résidents de cette Planète ! JE suis… pour ainsi dire, parfait ! JE suis… le maître qu’il vous faut ! Sérieux et authentique ! Et n’est-ce pas ce que vous êtes venu chercher ici, mon ami ?

-     Oui… ! ai-je dit très impressionné (et complètement envoûté par le charme ravageur de Narcisse légo), oui, vous avez l’air absolument formidable, maître Légo !

-     Non ! dit-il, je n’ai pas l’air formidable, mon ami ! JE suis… absolument… extraordinairement… parfaitement… formidable ! 

-     Oui, ai-je dit, vous êtes absolument… totalement… extraordinairement… parfaitement formidable, maître Légo ! Et je suis si heureux de vous rencontrer… Grâce à vous, je vais enfin pouvoir avancer sur le chemin du Dedans ! Vous allez pouvoir guider mes pas ! Vous allez pouvoir m’apprendre à ouvrir mon cœur et à élargir mon esprit… vous allez pouvoir m’apprendre à accueillir tous les évènements du chemin… vous allez pouvoir m’aider à affronter mes peurs et à transformer les valeurs relatives qui m’empêchent d’avancer…  et bientôt, grâce à vous, je trouverais le trésor…

 

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Maître Légo m’a regardé avec une lueur d’étonnement… (comme s’il n’avait pas compris le sens de mes paroles…) puis il a regardé avec fierté son reflet dans le miroir.

-     Oui ! dit-il, bien sûr, mon ami ! Je vous apprendrais tout ce que vous voudrez… mes enseignements répondront à tous vos désirs. Il vous suffit de signer ce contrat ! Et je vous livrerais les clés qui vous ouvriront toutes les portes du chemin intérieur. Et croyez-moi ! Dans quelques jours, vous trouverez les joyaux et le trésor… et tous vos désirs seront comblés… faîtes-moi confiance, mon ami !

J’ai regardé Maître Légo.

-     Oui, maître Légo ! ai-je dit en baissant les yeux, je vais m’inscrire dans votre école. Je vais signer votre contrat ! Mais je dois d’abord en parler à un ami qui habite le quartier. Je voudrais qu'il partage ma joie. Je lui ai promis de lui parler de l’école et du professeur que je choisirais.

Le visage de maître Légo a soudain changé d’expression. Il m’a regardé d’un air sévère (la bouche déformé par un affreux rictus). 

-     Un ami… dans le quartier ? dit-il, tiens donc ! Et comment s’appelle-il ?

-     Il s’appelle… monsieur Arnaud, maître Légo !

-     Monsieur Arnaud… ? a répété maître Légo (avec une expression de dégoût), vous connaissez ce charlatan… ce vendeur de boniments !  Voilà un personnage infréquentable, mon ami ! Depuis combien de temps le connaissez-vous ?

J’ai baissé les yeux.

-     Eh bien… je l’ai rencontré le jour de mon arrivée dans le quartier, maître Légo ! C’est lui qui m’a conseillé de chercher un professeur et une école pour guider mes pas sur le chemin du Dedans.

-     Oh ! Oui ! dit-il, inutile de m’en dire davantage, mon ami ! Je sais comment s’y prend ce charlatan ! Je connais parfaitement ses méthodes diaboliques ! Il feint de laisser les pèlerins choisir leur chemin en toute liberté. Mais ce n’est là qu’une ruse… qu'une vulgaire stratégie pour les séduire. Je dois reconnaître que c’est une manœuvre très habile… mais il ne faut pas vous y tromper, mon ami ! Monsieur Arnaud est un faux professeur ! Un Charlatan ! Un vendeur de boniments ! Il ferait n’importe quoi pour séduire ceux qui viennent le voir ! Il n'a qu'une ambition : attirer à lui tous les pèlerins pour en faire ses disciples… et je suis persuadé qu’il doit raconter des horreurs sur les autres professeurs du quartier ! Et si vous allez le voir pour lui parler de mon école, je suis sûr qu’il va vous raconter des choses abominables. Il est jaloux de ma notoriété et de mon succès ! Vous ferez bien de vous méfier, mon ami ! Il serait même plus sage de renoncer à lui rendre visite !

J’ai regardé maître Légo un peu embêté.

-     Je ne peux pas, maître Légo ! Je lui ai promis de lui parler de l’école et du professeur que je choisirais. Je le lui ai promis, maître Légo ! Je dois aller le voir !

-     Bon ! dit-il, eh bien ! Soit, mon ami ! Puisque vous lui avez promis, vous devez respecter vos engagements ! On ne peut pas trahir ainsi sa parole, n’est-ce pas ?

Et maître Légo a imperceptiblement fait glisser les feuilles du contrat sous mes yeux.

-     Avant de partir, dit-il, il serait tout de même préférable de signer cette feuille, n'est-ce pas mon ami… ? Ainsi, vous serez certain d’être inscrit pour suivre mes enseignements !

Maître Légo a planté une nouvelle fois ses yeux dans les miens (d’une façon séduisante et déterminée… et pour tout dire, très convaincante).

-     Vous savez, dit-il, les places dans mon école sont très chères et très rares… et beaucoup de pèlerins se battent pour devenir mes élèves ! Je ne voudrais pas que cette occasion unique vous échappe. J’ai eu la bonté de vous recevoir et de prendre le temps de vous parler avec intelligence de mes enseignements. Vous devez donc vous montrer à la hauteur de mes attentes, mon ami ! D’ailleurs, je suis persuadé que vous ferez un très bon disciple! Signez donc cette feuille, mon ami ! Ensuite, vous pourrez partir le cœur tranquille et rendre visite à ce charlatan ! 

J’étais si pressé d’aller annoncer la bonne nouvelle à monsieur Arnaud (mon entrée dans la formidable école de maître Légo et de lui parler du fabuleux programme qui m’attendait pour trouver le trésor) que j’ai signé le contrat les yeux fermés.  

-     Très bien ! dit-il, à présent, vous pouvez y aller, mon ami ! Mais laissez-moi vous mettre une nouvelle fois en garde contre cet imposteur ! Méfiez-vous, mon ami, de tous ceux qui disent vouloir vous aider ! Ils veulent vous détourner du vrai chemin intérieur ! Faîtes-moi confiance ! Je connais bien les combines de ces charlatans ! Et revenez vite ! Ne traînez pas en chemin ! N’oubliez pas que les joyaux et le trésor vous attendent ici ! A tout de suite, mon ami !

 

J’ai remercié maître Légo pour ses précieux conseils, je me suis prosterné trois fois (comme l’exigeait la tradition de l’école) et je me suis précipité chez monsieur Arnaud pour l’informer de mes avancées sur le chemin du Dedans.

 

 

Porte 96 Narcisse lego est-il un vendeur de boniments ?

Le quartier des chercheurs du dedans –

-     Eh bien ! dit monsieur Arnaud, je ne vous attendais pas si tôt, jeune homme ! Ne me faîtes pas croire que vous avez déjà trouvé une école et un professeur…

-     Eh bien ! Si ! ai-je dit, je… je sors à l’instant de l’école de maître Légo. Je me suis inscrit à son programme pour trouver le trésor.

-     Voyez-vous ça ! s’est écrié monsieur Arnaud, n’avez-vous donc jamais entendu parler de Narcisse Légo, jeune homme ?

 

J’ai secoué la tête.

-     Ainsi, dit-il, vous ignorez que Narcisse Légo est le plus grand charlatan du quartier… et sûrement le plus grand vendeur de boniments du Labyrinthe ! Il séduit tous les résidents et tous les pèlerins en quête de trésor ! Il leur promet monts et merveilles ! Il leur demande de signer un contrat hors de prix ! Il les embobine avec ses faux joyaux et ses belles paroles ! Et il raconte les pires mensonges sur les autres professeurs du quartier. Et tous les pèlerins tombent dans le panneau !

J’ai essayé de défendre maître Légo.

-     Maître Légo n’est pas un charlatan, monsieur Arnaud ! Il connaît le chemin du Dedans. Et il m’a promis de m’aider à trouver le trésor en quelques jours.

Monsieur Arnaud a froncé les sourcils.

-     Trouver le trésor en quelques jours ?!! Mais comment avez-vous pu croire à de telles balivernes, jeune homme ! Comment avez-vous pu vous laisser rouler dans la farine par ce bonimenteur ! Comment pouvez-vous espérer trouver le trésor en quelques jours ? Et par quel miracle, dîtes-moi, ce charlatan vous donnerait-il les clés du chemin intérieur ? Il n’en possède aucune…

J’ai regardé monsieur Arnaud avec méfiance.

-     Et vous ? ai-je demandé, qui me prouve que vous possédez les clés du chemin intérieur ? Et qui me prouve que vous n’êtes pas un imposteur ?

-     Moi… un imposteur ? a répété monsieur Arnaud, eh bien… peut-être… croyez ce que vous voulez, jeune homme ! Vous avez raison d’être prudent ! Avant de vous engager la tête baissée sur n'importe quel chemin… je vous invite… et vous suggère fortement de découvrir qui est le véritable imposteur dans le quartier… réfléchissez bien et nous en reparlerons ! 

 

J’ai quitté monsieur Arnaud, un peu fâché et un peu troublé par son discours sur Narcisse Légo. En vérité, je ne savais plus quoi penser… Qui était l’imposteur dans ce quartier ? Maître Légo ou monsieur Arnaud ? J’étais si troublé que j’ai hésité à retourner directement à l’école de maître Narcisse Légo. J’ai donc marché au hasard dans les rues du quartier des Chercheurs du Dedans. Et ne sachant que penser, j’ai poussé la porte de l’île de la Conscience pour demander conseil à ma Fleur.

 

 

Porte 97 Ma fleur me conseille

L'île de la conscience –

-     Ma Fleur ! Eh ho ! Ma Fleur ?

-     Oui ? dit-elle, que veux-tu, mon garçon ?

-     Je…, eh bien…, ai-je dit, je… je suis très embêté, ma Fleur… je… je ne sais plus qui croire dans ce quartier. Je ne connais rien au chemin du Dedans et tous ceux que je rencontre me racontent des choses différentes à propos du trésor…

Ma Fleur a secoué ses pétales.

-     Tu as raison, dit-elle, il faut être prudent en matière de chemin intérieur. Il ne s’agit pas de croire aveuglément n’importe quel professeur ! Et il t’appartient de choisir une école avec clairvoyance… je te conseillerais donc d’aller voir madame la pierre. Elle pourra t’aider à choisir l’école et le professeur qui te conviendront.

J’ai remercié ma Fleur et je suis allé voir madame La pierre.

 

 

Porte 98 Les conseils de madame la pierre

L'île de la conscience –

-     Madame La pierre ! Eh ho ! Madame La pierre ?

-     Tiens ! dit-elle, quelle surprise ! Que me vaut le plaisir de cette visite, mon garçon ?

Et je me suis empressé de lui expliquer mon embarras.

-     Hum ! dit-elle, voilà un choix qui ne manque pas d’intérêt… à ce stade du voyage !

-     Oui…, sans doute, ai-je dit, mais… je me sens un peu perdu, madame La pierre. Que dois-je faire ? Que me conseillez-vous ?

-     Oh ! dit-elle, rien que tu ne saches déjà, mon garçon… que sens-tu au fond de ton cœur ?

-     Je sens… eh bien… je sens qu’il faut que je réfléchisse, madame la pierre !

-     Tu as raison ! dit-elle, eh bien… réfléchissons…, mon garçon !

La pierre m’a prié de m’asseoir à ses côtés.

-     Crois-tu, dit-elle, que l’on puisse trouver le trésor en quelques jours ?

-     Eh bien… je… je n'en sais rien, madame La pierre.

-     Voyons ! dit-elle, réfléchis un peu, mon garçon ! Ne cherches-tu pas le trésor depuis le début de ce voyage ? Et crois-tu que tu puisses le trouver en quelques jours ?

J’ai réfléchi un instant.

-     Oui ! ai-je dit, vous avez raison, madame la pierre ! Il serait étonnant… que je le trouve si facilement.

-     Ensuite, dit-elle, crois-tu que l’on puisse trouver les joyaux et le trésor en signant un contrat ?

-     Eh bien… je… je n'en sais rien, madame la pierre.

La pierre a soupiré.

-     C’est pourtant simple, dit-elle, si on pouvait les trouver en signant un contrat, tu les aurais découverts dans le quartier des Boîtes ! Et les as-tu trouvés ?

-     Non ! ai-je dit, je n’ai trouvé là-bas que les faux joyaux, madame La pierre !

-     Alors, dit-elle, celui qui raconte qu’il peut te donner les joyaux et le trésor en échange d’un contrat n’est qu’une sorte de businessman du chemin du Dedans ! Il fait commerce de joyaux (de faux joyaux) comme d’autres le font de peaux de renard… ce genre de personnages étale (en général) un peu trop de beauté, de bonté, de pouvoir, d’intelligence et de richesse pour être tout à fait honnêtes… ils se vantent de posséder les clés du chemin du Dedans pour mieux cacher leur vide intérieur et l’étroitesse de leur cœur… celui qui te fait croire qu’il peut te donner les clés du chemin intérieur est un menteur, mon garçon ! Car les clés de ce chemin ne se donnent pas… elles ne se vendent pas… elles se trouvent sur le chemin de chaque chercheur… et personne ne peut emprunter ce chemin à la place de celui qui cherche le trésor. Nul professeur ne peut marcher à la place de son élève ! Il peut tout au plus l’accompagner et guider ses pas. Mais il appartient à chaque chercheur de trouver les clés et d’ouvrir les portes sur le chemin qui mène au trésor ! 

J’ai regardé la pierre avec gratitude.

-     Maître Légo… est donc un faux maître, n’est-ce pas madame La pierre ?

-     Je te laisse seul juge ! dit-elle, il t’appartient de réfléchir et de te faire une idée sur chaque chose… chaque être… et chaque expérience de ce voyage. A ce stade, il t’appartient plus que jamais, mon garçon, d’écouter les voix de ta conscience… pour trouver ton chemin ! A présent, je te souhaite bonne route, mon garçon !

 

J’ai quitté madame La pierre, un peu rassuré par ses conseils. Je savais à présent qui était le véritable imposteur du quartier des Chercheurs du Dedans. Oui, j’avais compris qu’il fallait bien se garder de croire naïvement ceux qui étalaient devant nous la brillance éclatante de leurs joyaux en toc…

 

 

Porte 99 Je fais mes excuses à monsieur arnaud

Le quartier des chercheurs du dedans –

En quittant l’île de la Conscience, je suis retourné chez monsieur Arnaud pour m'excuser.

-     Ah ! dit-il, vous voilà, jeune homme ! Alors avez-vous réfléchi ? Avez-vous enfin découvert l'imposteur qui sévit dans le quartier… et un peu partout sur cette Planète… ?

J’ai acquiescé d’un air penaud.

-     Je… je vous demande de m’excuser, monsieur Arnaud. Je suis… je suis désolé de vous avoir traité de charlatan.

-     Allez ! Allez ! dit-il, n’en parlons plus, jeune homme ! J’espère seulement que cette expérience vous servira de leçon et qu’elle vous permettra désormais de déjouer les manœuvres de ce genre d'illusionniste… 

-     Oui, ai-je dit, vous avez raison monsieur Arnaud ! Maître Légo est un illusionniste… un charlatan ! Il m’a trompé ! Il m’a piégé ! Il m’a séduit pour que je signe son contrat !

-     Oh ! Ne vous inquiétez pas ! dit-il, le contrat de Narcisse Légo n’a aucune valeur ! Vous pouvez le rompre à tout instant !

-     Ah… oui…? ai-je dit, vous… vous croyez…

-     Evidemment ! dit monsieur Arnaud, il vous a fait croire que son programme pourrait répondre à vos attentes et satisfaire vos désirs. Il vous a tendu là un piège diabolique ! Et vous êtes tout à fait en droit de refuser de tomber dans ce piège en ne donnant pas suite à ce contrat. Bon nombre de pèlerins se laisse avoir par ce charlatan ! C’est un vieux réflexe qu’ils emmènent avec eux des autres quartiers du Labyrinthe…

-     Ah… oui ? ai-je dit, un vieux réflexe, monsieur Arnaud… ?

-     Oui ! dit-il, un vieux réflexe qui vient de leur quête fébrile et désespérée du trésor… de leurs attentes à l’égard des faux joyaux ! Car tous ceux qui arrivent dans le quartier souhaitent ardemment trouver le trésor ! C’est là leur plus grand désir ! Tous sont si déçus par les faux joyaux du monde des grands Dôms qu’en arrivant ici, ils seraient prêts à tout (et à n’importe quelle folie) pour trouver le trésor. Mais ils se trompent ! Ce désir-là est aussi trompeur que les autres car il les enchaîne, lui aussi, à l’insatisfaction et à la souffrance…

 

Monsieur Arnaud s’est interrompu un instant. Puis, il a ajouté d’un air malicieux :

-     Savez-vous ce qu’est la liberté, jeune homme ?

-     La liberté…, monsieur Arnaud ?

 

Quel rapport pouvait-il y avoir entre la liberté et le trésor ? Et pourquoi diable me posait-il cette question ?

-     La liberté est-elle de satisfaire vos désirs, jeune homme ?

-     Eh bien…, oui, ai-je dit, d’une certaine façon… oui, je crois, monsieur Arnaud.

Monsieur Arnaud m’a dévisagé avec sévérité. Puis, il s’est mis à rire.

-     Qu’arrive-t-il lorsque vous décidez de satisfaire vos désirs, jeune homme ?

-     Eh bien… je… je n'en sais rien, monsieur Arnaud.

Ses yeux se mirent à pétiller (de malice et d’excitation).

-     Réfléchissez, jeune homme ! N’avez-vous jamais suivi un seul de vos désirs ?

-     Si, bien sûr… mais…

Monsieur Arnaud avait décidément une drôle de façon de poser les questions. Et j’en étais très troublé.

-     Vos désirs se réalisent-ils toujours, jeune homme ?

-     Eh bien…, parfois oui… et parfois non…, mais je dois reconnaître que le plus souvent, mes désirs ne se réalisent pas, monsieur Arnaud  (j’ai pensé à la perte des faux joyaux). Ou alors lorsqu’ils se réalisent, je finis par me lasser et d’autres désirs apparaissent aussitôt…

-     C’est juste ! dit monsieur Arnaud, et malheureusement, la plupart d’entre nous obéissons à nos désirs tout au long du voyage ! Et c’est un cycle infini dans lequel nous ne cessons de nous empêtrer… une ronde infernale dans laquelle nous ne cessons de tournoyer… Nous croyons être libres en essayant de satisfaire nos désirs. Mais ce que nous appelons communément la liberté n’est en réalité que le plus avilissant des esclavages. Et nul ici-bas ne fait exception à la règle ! Nous voyageons tous sous le joug puissant de nos désirs… Nous leurs obéissons tous comme des esclaves enchaînés ! La vérité est que nos désirs sont nos maîtres ! Et tous (autant que nous sommes) tentons vainement de manipuler les évènements du voyage à seule fin de répondre à nos attentes… Aussi la plupart d’entre nous rejetons tout ce qui entrave notre recherche… tout ce qui nous semble indigne, dangereux, douloureux et inconfortable ! Nous fuyons comme la peste ce que nous ne voulons pas… ce que nous n’aimons pas… ce que nous ne désirons pas ! Mais qui, sur cette planète, jeune homme, peut se vanter de toujours trouver ce qu’il désire… ? Qui peut se vanter de toujours pouvoir échapper à ce qu’il n’aime pas… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper aux choses désagréables ? Aux échecs… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper aux critiques… ? Aux déceptions… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper à la souffrance et à la douleur… ? A la disparition de ce qui nous est cher et de ceux que nous aimons… ? Qui peut se vanter de pouvoir échapper aux maladies… ? Au chagrin… ? Et au passage dans l’autre Monde… ?  

J’ai réfléchi un instant.

-     Eh bien… personne, monsieur Arnaud ! Je… je crois que nous sommes tous confrontés à ce genre d’évènements au cours de notre voyage. Personne ne peut éviter ce genre de désagréments.

-     Eh oui ! dit monsieur Arnaud, tous ces évènements font partie du chemin. Voilà pourquoi il est vain de les rejeter ! Et courir après ses désirs est tout aussi inutile puisqu’ils sont en nombre infini… vous savez, jeune homme, manipuler le voyage à seule fin de satisfaire nos désirs et nos attentes est un exercice illusoire qui nous enchaîne à une insatisfaction toujours plus grande. Ce sont nos désirs et nos attentes les responsables de nos déceptions et de nos souffrances ! Ce sont eux qui nous enferment… qui nous emprisonnent dans un monde étroit, dans un monde labyrinthique dont nous sommes le centre unique… un monde dans lequel nous ne cessons de nous enliser tout au long de ce voyage… un monde dans lequel nous ne cessons de nous perdre… un monde qui nous empêche d’ouvrir notre cœur et d'élargir notre esprit…. un monde replié sur lui-même qui entrave notre quête du trésor… et qui nous interdit d’aller sans crainte sur le chemin… un monde qui nous confine au refus et à la peur d’aller explorer la vastitude du monde qui nous entoure… Voilà, pourquoi il est préférable, jeune homme, d’accepter tout ce qui se présente à nous sans distinction ! Apprenez à devenir libre de vos désirs ! Apprenez à réduire vos attentes à l’égard du voyage et à accepter tout ce qui se présente à vous sur le chemin ! Apprenez à laisser chaque chose, chaque être et chaque événement entrer dans votre cœur ! Alors, progressivement, votre cœur s’élargira ! Et au fil du temps, il deviendra si large et si grand qu’il pourra y accueillir toute chose et tout être ! Il deviendra si large et si grand qu’il pourra accueillir tous ceux qui souffrent sur cette Planète ! Et dans votre cœur, ils trouveront un grand réconfort ! Apprenez aussi à laisser chaque chose, chaque être et chaque événement pénétrer votre esprit pour l’éclairer ! Et si vous laissez votre esprit accueillir chaque chose, progressivement vous comprendrez qu’il n’y a aucune différence entre l’intérieur et l’extérieur, aucune différence entre qu’il y a au fond de votre conscience et ce qu’il y a au dehors…, progressivement vous comprendrez qu’il n’y aucune différence entre les évènements douloureux et les évènements agréables, qu’il n’y a aucune différence entre vous et les autres résidents de cette Planète… et qu’en dépit des apparences, Tout est semblable et que nous sommes Tous identiques… vous comprendrez alors que nous appartenons tous à ce Tout et que ce Tout est présent (et observable) en chacun de nous… Et lorsque vous aurez totalement et réellement compris cette vérité au fond de votre cœur et de votre esprit et qu’ils sauront Tout accueillir sans rien rejeter, alors ce jour-là, la Lumière inondera votre Conscience. Ce jour-là, jeune homme, vous découvrirez le trésor ! Alors, vous pourrez accueillir tous les évènements du chemin avec joie… vous pourrez voyager sans peur… vous pourrez voyager partout sans contrainte et sans crainte … et aller le cœur en paix là où le chemin vous conduira… Voilà ce qu’enseignent toutes les écoles du quartier, jeune homme ! Toutes apprennent au chercheur à garder ouverts son cœur et son esprit… et à les élargir au fil du chemin ! Quelle que soit la voie qu’elles empruntent, toutes les écoles indiquent cette direction !

Monsieur Arnaud m’a regardé avec tendresse (un sentiment qu’il n’avait jusqu’alors jamais manifesté).

-     Vous savez, dit-il, il y a dans ce quartier quantité d’écoles et de professeurs… et quantité de chemins intérieurs… sans doute autant que de chercheurs de trésor… Aussi, il vous faudra choisir votre école et votre professeur avec clairvoyance… Votre expérience vous a appris qu’il était dangereux de les choisir avec trop d’empressement ! Sachez vous hâter lentement, jeune homme ! Et n’oubliez pas que le chemin du Dedans est une route longue et difficile ! Quels que soient l’école et le professeur que vous choisirez, prenez soin de ne pas brûler les étapes qui vous conduiront au trésor !

 

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-     Oui, ai-je dit, je… je comprends à peu près ce… ce que vous voulez dire, monsieur Arnaud… mais… mais comment choisir un professeur et une école avec clairvoyance ? Vous, par exemple, comment avez-vous fait, monsieur Arnaud, pour choisir votre école ?

Monsieur Arnaud eut un petit sourire gêné.

- Moi… ? dit-il, eh bien…, j’ai visité beaucoup d’écoles avant de trouver celle qui me convenait ! Mais… en dépit de ce que je vous ai dit sur le rôle déterminant de l'école et du professeur, sachez, jeune homme, qu'en vérité tout ça a bien peu d'importance… qu'importe la voie que vous choisirez… il vous faudra aller là où vos pas vous porteront… là où le chemin vous conduira… ici ou ailleurs ! Peu importe… et peu importent l’école et le professeur qui vous conviendront ! Quels qu’ils soient… (s'ils sont authentiques…), ils vous aideront à cheminer vers le trésor ! Mais sachez que personne ne marchera à votre place ! Vous serez seul à avancer sur votre chemin ! Aussi gardez toujours ouverts votre cœur et votre esprit ! Et élargissez-les progressivement au fil de vos pas ! Ayez confiance en vous ! Ayez confiance en le voyage ! Car le voyage, en définitive, est notre maître à tous, jeune homme… lui seul sait véritablement guider nos pas vers le trésor… Et si vous suivez le chemin qu’il vous indiquera, alors soyez sûr que vous avancerez sur le chemin du Dedans et qu’au bout de ce chemin, vous finirez par trouver le trésor…      

- Oui, ai-je dit, je vais écouter vos conseils, monsieur Arnaud.

Aucun résident ne m’avait encore jamais parlé ainsi. Monsieur Arnaud était sans doute le plus sage de tous les résidents que j’avais rencontrés sur cette Planète. Je l’ai remercié pour ses sages paroles et ses précieux conseils et je m’en fus à travers les rues du quartier des Chercheurs du Dedans, bien décidé à aller là où mes pas me porteraient.

 

 

PARTIE 15 QUELQUES PAS SUR LE CHEMIN DU DEDANS

 

Porte 100 Je visite les ecoles du chemin interieur

Le quartier des chercheurs du dedans –

Quelques jours plus tard, je commençai la tournée des écoles du chemin intérieur. J’ai d’abord visité l’Ecole Antique de la Grande Sophie (spécialisée en sagesse intérieure), puis, j’ai visité les 3 Grandes Ecoles du Mont Théos (qui empruntent toutes un chemin différent qui conduit au trésor céleste). Ensuite, je me suis intéressé à l’Ecole Non Reliée de L’Ascension Indépendante (qui forme à la recherche naturelle du trésor) mais… en dépit de la grande qualité des enseignements et des professeurs, aucune de ces illustres écoles n'avait l'air de me convenir… (aucune n'avait apparemment su parler à mon cœur… et convaincu mon esprit de leur grande valeur…). J’ai donc continué mes recherches… j'ai pris la direction du Fleuve Sacré de la Sagesse… situé à l’autre extrémité du quartier des Chercheurs du Dedans (c’est en chemin que je me suis aperçu que le quartier était beaucoup plus vaste que je l’imaginais…). Et après quelques semaines de marche, j'arrivais à l’Ecole du Grand Soi (où avait été formé monsieur Arnaud)J’y suis resté quelques mois avant de poursuivre ma route en direction de l’Empire du Soleil Qui Se Lève…

 

 

Porte 101 Petit lam, éleve de l'école de la sagesse compatissante

Le quartier des chercheurs du dedans –

Après plusieurs semaines de marche, j'arrivai au pied de la colline des Petites Neiges, haut lieu de l'Empire du Soleil Qui Se LèveAprès avoir emprunté un étroit sentier qui menait à un large plateau enneigé (éclairé par une lumière étincelante), j'aperçus, au centre d'une vaste prairie, un étrange personnage assis sur un petit coussin d’herbe fraîche. Il avait les jambes croisées (très curieusement croisées) et le regard tourné vers l’intérieur (comme s’il regardait quelque chose… au dedans). Son visage était détendu et son sourire était profond et bienveillant.

-     Bienvenue ! dit-il, voulez-vous vous asseoir ?

-     Oui ! ai-je dit, bonjour ! Où sommes-nous ?

-     Vous êtes sur la colline des petites neiges, haut lieu du chemin du Dedans et résidence principale de l’Ecole de la Sagesse Compatissante…

Je me suis assis à ses côtés. Et au bout de quelques instants (qui me parurent une éternité), j’ai tourné la tête vers mon hôte (toujours aussi immobile et détendu).

 

-     Comment vous appelez-vous, monsieur ?

-     Je m’appelle Petit Lam ! dit-il.

Je l’ai regardé avec étonnement… Petit Lam était très grand (il me dépassait d’une bonne tête).

-     Eh bien…, ai-je dit, vous portez là un bien drôle de nom… vous êtes si grand !

 

Petit Lam a posé sur moi un regard bienveillant.

-     Les apparences sont trompeuses, dit-il, je suis grand à l’extérieur… mais encore minuscule à l'intérieur… voilà pourquoi on m’appelle ainsi… je dois encore parcourir un long chemin… pour grandir au dedans…

J’ai regardé petit Lam avec étonnement.

-     Grandir au dedans… ?

-     Oui ! dit-il, grandir à l'intérieur… pour ouvrir mon cœur et élargir mon esprit…

-     Ah oui ! ai-je dit, je vois… je vois très bien ce que vous voulez dire. Vous… vous essayez d'accepter… toutes les évènements que vous rencontrez sur votre chemin… n'est-ce pas monsieur Petit Lam ?

Le visage de Petit Lam s’est éclairé (une lueur à la fois douce et étincelante brillait au fond de ses yeux).

 

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-     Oui ! dit-il, j'apprends à grandir au dedans… c'est une chose très simple en apparence… en parler est très facile… mais il en est autrement lorsque nous marchons sur le chemin… conserver ouverts son esprit et son cœur… à chaque instant… et en toutes circonstances… est sans doute l’une des choses les plus difficiles à réaliser sur cette Planète… 

-     Oui ! Oui ! ai-je dit enthousiaste, je sais… c'est un exercice bien difficile… moi aussi, j’aimerais grandir au-dedans… je suis à la recherche d’une école et d'un professeur… pourriez-vous guider mes pas, monsieur petit Lam ?

Petit Lam m’a regardé d’un air désolé.

-     Je regrette, dit-il, mais je ne suis pas encore autorisé à vous montrer le chemin… il me reste une longue route… avant de pouvoir guider les pas d’un novice…

J’ai regardé Petit Lam avec un peu de tristesse (et avec aussi un peu de colère au fond du cœur). J’avais traversé tout le quartier des Chercheurs du Dedans, j’avais marché pendant de longues semaines, j’avais gravi la colline des Petites Neiges… tout ça pour m’entendre dire qu’il n’y avait personne ici pour me montrer le chemin. Ah Décidément ! dis-je en moi-même, trouver une école dans ce quartier est une chose bien difficile !

-     Oui, dit petit Lam, le chemin est pavé d’épreuves… mais tout ce que l’on y rencontre est utile… chaque événement… chaque chose… chaque être… et chaque rencontre… donne un sens particulier à notre voyage… et chaque pas nous oriente vers le trésor…  

 

Petit Lam a pris une longue inspiration. Puis il a posé les yeux sur moi. 

-     N’avez-vous donc jamais entendu… celui qui est dans votre cœur ?

-     Celui… qui est dans mon cœur… ? Vous voulez dire…

 

Mais je n’ai rien dit.

-     Oui, dit petit Lam, il est utile d’écouter celui qui est dans notre cœur… car lui seul connaît le chemin… lui seul peut entendre nos plaintes… comprendre notre tristesse… et apaiser notre colère… lui seul peut nous aider à accueillir chaque événement du voyage… voilà pourquoi il est nécessaire de l’écouter… et si vous écoutez ses conseils… alors il grandira… et plus il grandira plus votre cœur et votre esprit s’élargiront… et au fil du chemin… l’un et l’autre s’élargiront au point de se confondre… et le jour où votre esprit et votre cœur ne feront plus qu’un… alors celui qui est dans votre cœur aura suffisamment grandi… et vous serez prêt à recevoir les enseignements d’un maître du Chemin intérieur… qui vous aidera à franchir les derniers obstacles du chemin… si vous restez sur la colline des petites neiges… le jour où vous réussirez à réunir votre cœur et votre esprit… vous pourrez faire appel au maître de la colline des petites neiges… et ensemble vous atteindrez le trésor… la Lumière de la Sagesse Compatissante… 

Après sa longue tirade, Petit Lam a profondément expiré. J’avais écouté ses paroles avec beaucoup d’intérêt. Son discours était un peu compliqué mais j’avais réussi à comprendre au moins 2 choses (2 choses qui ne m’étaient pas étrangères) : en effet, je connaissais celui qui était dans mon cœur (du moins en avais-je une petite idée…) et j’avais déjà entendu parler de la Lumière (Grand-ma et quelques autres m’en avaient déjà touché un mot…).

-     Dites-moi, monsieur petit Lam ! Serait-il possible de rencontrer le maître du chemin intérieur qui habite sur la colline des petites neiges ?

Petit Lam m’a regardé avec étonnement.

-     Rencontrer Maître Rimrochetaille… ? (petit Lam avait prononcé Limrochitaï). Je crains qu’il ne soit trop tôt pour le rencontrer… nul ne peut recevoir les enseignements d'un maître… sans avoir fait grandir celui qui est dans son cœur…

J’ai regardé petit Lam d'un air indigné.

-     Mais je suis prêt, monsieur petit Lam ! J’ai compris… à peu près tout ce que vous avez raconté à propos du chemin… j'ai une idée de celui qui est dans mon cœur et…  vous savez, j’ai déjà parcouru une longue route… et je crois que j’ai l’esprit et le cœur suffisamment ouverts aujourd'hui pour écouter les enseignements d’un maître du Chemin intérieur ! 

-     Je ne demande qu’à vous croire, dit-il, mais il est inutile de mentir… celui qui ment refuse de voir la vérité… le menteur croit tromper le monde… mais c’est lui qu’il trompe…  tromper le monde et se tromper soi-même sont la marque d’un esprit et d’un cœur… qui ont encore besoin de grandir…    

-     Mais je vous assure, monsieur petit Lam ! ai-je de nouveau menti, j’ai aujourd'hui le cœur et l’esprit suffisamment larges pour franchir les derniers obstacles du chemin !

Petit Lam m’a regardé avec une grande bonté.

-     Bon ! dit-il, eh bien, soit… vous vous rendrez compte par vous-même… venez… suivez-moi…

 

Et j’ai suivi petit Lam. Nous avons quitté le plateau enneigé pour emprunter un étroit sentier qui menait au sommet de la colline des Petites Neiges. Petit Lam marchait devant moi, inspirant et expirant longuement à chaque pas. Je le suivais à quelques mètres, un peu excité à l’idée de rencontrer celui qui allait m’aider à franchir les derniers obstacles du chemin. Après plusieurs heures de marche, petit Lam s’est arrêté devant l’entrée d’une grotte.

-     Nous sommes arrivés, dit-il, voici la caverne des 4 joyaux… Maître Rimrochetaille a coutume d’y faire subir une série de quatre épreuves… à tous ceux qui souhaitent l’approcher… souhaitez-vous toujours le rencontrer ?

-     Oui, oui, bien sûr ! ai-je dit, je suis prêt, monsieur petit Lam.

Petit Lam a joint les mains au niveau de la tête et du cœur (une façon sans doute de m’encourager). Puis, il m’a expliqué ce qui m’attendait dans la caverne.

-     Cette caverne, dit-il, comporte 4 salles que vous devrez traverser… dans chacune d'elles se cache un ennemi redoutable… qui vous empêchera d’entrer dans la salle suivante… si vous parvenez à traverser toutes les salles… alors vous pourrez rencontrer maître Rimrochetaille…

 

J’ai remercié petit Lam, j’ai inspiré profondément et je suis entré dans la caverne, peu rassuré à l’idée de rencontrer 4 farouches adversaires qui allaient sans doute me terrasser en quelques instants.

 

 

Porte 102 La caverne des 4 joyaux

Le quartier des chercheurs du dedans –

Au bout d'un long (et très étroit) couloir, j'ai poussé une porte et je suis entré dans la première salle de la caverne. Les murs étaient entièrement recouverts de miroirs (d’immenses miroirs… du sol au plafond). Je me suis avancé avec prudence, prêt à parer l’attaque de mon adversaire. Mais je n'ai vu qu’une ombre fuyante… glisser le long des murs. Malgré mes craintes de le voir surgir derrière moi, je suis arrivé sans encombre jusqu’à la porte de la deuxième salle. Dans celle-ci, les murs étaient entièrement recouverts de livres et de manuscrits. Je me suis demandé où était mon adversaire… se tenait-il tapi quelques part dans l’un de ces livres ? Malgré ma crainte de le voir surgir à tout instant, j’ai traversé l'espace sans un regard pour les ouvrages de cette étrange bibliothèque.

 

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Arrivé devant la porte de la troisième salle, je me suis arrêté… effrayé par des cris et des éclats de voix… j'ai hésité un instant… puis j’ai trouvé le courage de pousser la porte… et d'entrer dans la troisième salle. C’était une salle immense… où une foule de résidents, prisonniers derrière de hautes grilles, criaient en suppliant de les aider… Au centre, un sceptre et une clé étaient posés sur un trône. Que fallait-il faire ? Délivrer ces malheureux ou poursuivre mon chemin… ? Qu'attendait de moi mon adversaire… et où se cachait-il…?

Après un instant d'hésitation, j’ai traversé la salle, le cœur un peu serré d’abandonner les prisonniers à leur sort… et en me promettant de revenir les délivrer dès que j’aurais trouvé le trésor. J'ai enfin poussé la dernière porte et je suis entré dans la quatrième salle. Elle était remplie de coffres… qui regorgeaient de pièces d'or, de bijoux et d’étoffes précieuses. J’y ai jeté un œil rapide (sans y trouver le moindre adversaire) et j’ai gagné le couloir qui menait à la sortie. 

 

 

Porte 103 Maître rimrochetaille

Le quartier des chercheurs du dedans –

En sortant de la caverne, je me suis retrouvé dans un vaste espace… un espace infini baigné d'une lumière étincelante. Il régnait en ce lieu une telle clarté que j'ai dû fermer les yeux. Je me suis avancé à tâtons… poursuivant ma progression les yeux mi-clos… et manquant de tomber à chaque pas. J’ai marché longtemps… très longtemps… (un instant ou une éternité, je n’en sais rien… car l’espace et le temps semblaient suspendus…) lorsque j’ai aperçu un vieil homme penché au-dessus d’un puits. Je n’aurais su dire (à cet instant) s'il s'agissait de maître Rimrochtaille car le personnage et l’atmosphère semblaient absolument irréels… et la luminosité qui m'entourait était si aveuglante que j'éprouvais les pires difficultés à garder les yeux ouverts… je crus même, pendant quelques instants, que je m’étais égaré dans la clairière de l’Imaginaire…

 

Le vieil homme était modestement vêtu… il semblait démuni de tout joyau… (et ne semblait, de toute évidence, posséder aucun trésor)… et pourtant… il était évident (d'une évidente clarté)  que sa présence était totale, profonde et absolue… (et à la fois étonnamment irréelle). Seuls ses yeux et son sourire (un sourire d’une infinie bienveillance et un regard d’une intelligence abyssale que je n’avais jusqu’alors jamais vu chez quiconque) semblaient attester sa réalité. Voici son portrait (qui n’est guère représentatif de ce que j’ai pu voir ce jour-là… j’en suis désolé… mais malgré mes efforts et mon application, je n’ai pas réussi à restituer l’étrangeté du lieu et du personnage…) :

  

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Je me suis lentement (et très respectueusement) avancé vers lui. Arrivé à sa hauteur, je me suis prosterné à ses pieds avec humilité. Mais le vieil homme n’a pas fait cas de ma présence. Il a continué à tirer (avec beaucoup d'attention) sur la corde pour faire remonter le seau du puits. Puis il a versé l’eau (avec une infinie délicatesse) dans une petite bassine de bois. Il a joint les mains au niveau de la tête et du cœur et s’est prosterné trois fois devant moi. Ensuite, il m’a déchaussé et m’a lavé les pieds (avec une grande application). J’étais si étonné… que je n’ai pas osé l’interrompre. Que pouvait signifier cette attitude…? Comment interpréter ce geste de dévouement… ? Je n’en savais rien… Après m'avoir consciencieusement essuyé les pieds, il s’est relevé, a joint une nouvelle fois les mains au niveau de la tête et du cœur et m’a regardé (avec une infinie bonté et une clairvoyance absolument lumineuse)… j’ai senti ses yeux pénétrer au fond de ma conscience.

 

-     Merci…, dit-il, mais je regrette… vous n’êtes pas encore prêt à franchir… les derniers obstacles du chemin… il vous faudra encore tirer l’eau du puits…

-     Mais…, ai-je dit, je…

-     Je regrette, dit-il, mais suivre mes enseignements aujourd'hui… vous serait inutile…

J’ai regardé maître Rimrochetaille avec tristesse.

-     Je regrette sincèrement…, dit-il, vous avez fait une longue route… vous avez réussi à traverser la caverne… mais vous n’êtes pas encore prêt à vous engager totalement sur le chemin… nul ne peut avancer sans avoir d'abord tiré l’eau du puits… et lorsque vous aurez découvert ce qui se cache au fond du puits… alors vous comprendrez la nature de l'eau…  

 

Maître Rimrochetaille a joint les mains au niveau de la tête et du cœur. Il s’est prosterné une nouvelle fois devant moi et m’a fait signe de regagner la caverne. J’ai quitté maître Rimrochetaille en silence, j’ai retraversé la caverne et j’ai retrouvé petit Lam le cœur lourd de tristesse et d’incompréhension.

 

 

Porte 104 Les encouragements de petit lam

Le quartier des chercheurs du dedans –

Petit Lam m’a accueilli avec un grand sourire.

-     Ne soyez pas si déçu ! dit-il.

Je l'ai regardé d'un air dépité.

-     Si vous croyez que c'est facile… je… je m’attendais à ce que maître Rimrochetaille m’aide à franchir les derniers obstacles du chemin… et il s’est contenté de me laver les pieds… et de me raconter des histoires d'eau et de puits… absolument incompréhensibles…

Petit Lam a posé sur moi un regard plein de bonté.

-     Maître Rimrochetaille vous a sûrement donné votre première leçon…

-     Ma première leçon… ? Et qu’a-t-il voulu m’enseigner, monsieur petit Lam ?

-     Oh ! dit-il, nul ne peut vous expliquer les paroles du maître… il vous appartient de les comprendre… la lumière se fera au fil de votre voyage…

-     Oh ! ai-je dit, votre école est bien mystérieuse, monsieur petit Lam…

Petit Lam s’est mis à rire.

-     Il n'y a là, dit-il, aucun mystère… vous n'êtes simplement pas encore mûr pour vous engager réellement sur le chemin… et y cheminer avec tout votre cœur et tout votre esprit… vous vous montrez encore trop impatient de trouver le trésor… votre parcours dans la caverne prouve que vous êtes sur la bonne voie… mais il vous reste encore une longue route avant d’atteindre les derniers obstacles du chemin… la tradition de l’école de la Sagesse Compatissante dit que l’on est véritablement prêt à s’engager sur le chemin… lorsque celui qui est dans notre cœur prend forme humaine…

-     Ah… ? ai-je dit, alors… dans ce cas… je ne suis pas…

 

Mais petit Lam m’a interrompu.

-     J’ignore quelle forme a celui qui est dans votre cœur… mais vouloir suivre les enseignements de maître Rimrochetaille aujourd’hui serait absurde… ces instructions vous paraîtraient incompréhensibles… et cette incompréhension risquerait de vous décourager… et peut-être de vous détourner du chemin du Dedans… avant même que vous commenciez à y marcher… Nul ne peut précipiter le mûrissement de sa conscience… il est plus sage de marcher à son rythme… et d'apprendre progressivement à ouvrir son cœur et son esprit… ainsi chemine-t-on lentement et sûrement sur le chemin du Dedans…

 

J’ai regardé petit Lam avec un peu de colère (et avec aussi un peu de tristesse au fond du cœur).

-     Oh ! Monsieur Petit Lam, vous… vous ne pouvez pas me laisser partir comme ça ! Je n’ai pas fait tout ce chemin pour m’entendre dire que je ne suis pas encore prêt à m'engager sur la voie des chercheurs du Dedans... Donnez-moi au moins… quelques indications sur la suite du voyage !

Petit Lam a froncé les sourcils.

-     Ce que vous me demandez, dit-il, est très embarrassant… je ne voudrais pas orienter votre marche dans un sens particulier… l’école de la Sagesse Compatissante est une école parmi d’autres… et chaque école emprunte un chemin différent… et chacun de ces chemins mène au trésor… il n’y a aucune raison que vous empruntiez ce chemin-là plutôt qu’un autre… le chemin du Dedans doit être choisi en toute conscience… avec un cœur ouvert et un esprit clairvoyant… sans se laisser influencer par une autorité extérieure…

J’ai regardé petit Lam en l’implorant.

-     S’il vous plaît…, monsieur petit Lam ! Donnez-moi… donnez-moi au moins… une indication sur la suite du voyage ! 

Petit Lam a soupiré.

-     Bon…, dit-il, eh bien… soit… puisque vous insistez… je vais vous raconter la première leçon que m'a donné maître Rimrochetaille…  j’espère que ces paroles vous aideront à comprendre… qu’il est nécessaire d'avancer sur le chemin… sans brûler les étapes… et sans vouloir paraître plus avancé que l’on est en réalité… asseyons-nous, voulez-vous ?

Et nous nous sommes assis, le dos à la caverne.

 

 

Porte 105 La drole de leçon de petit lam

Le quartier des chercheurs du dedans –

Après une longue inspiration, Petit Lam a commencé son histoire.

-     J’habitais, dit-il, sur la colline des Petites Neiges depuis déjà plusieurs années, et jamais maître Rimrochetaille ne m’avait donné le moindre enseignement. Tu n'es pas prêt ! disait-il, continue à tirer l'eau du puits... Un soir (alors que j’avais perdu tout espoir qu’il guide mes pas sur le chemin), il m’a prié de le rejoindre au sommet de la colline des petites neiges. Et voici ce qu’il me dit ce jour-là : « Où que tu sois  sur le chemin, le trésor est toujours là… disponible à chaque instant… mais pour que tu en prennes conscience, il te faudra marcher longtemps… et un jour, lorsque tu auras suffisamment marché, tu comprendras qu’il n’y aucune différence entre le voyage et le trésor… »

Petit Lam a posé sur moi un regard plein de bonté, il a tourné son regard à l'intérieur et, après quelques instants d'hésitation, il a ajouté :

-     Cet enseignement est très profond… de nombreuses années se sont écoulées avant que j'en comprenne le sens… j'ai encore une longue route à parcourir… mais je vais essayer de vous expliquer le sens de ces paroles… ainsi, vous pourrez repartir sans regret de la colline des petites neiges…

  

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Petit Lam a pris une nouvelle inspiration avant de poursuivre ses explications.

-     Tout chercheur, dit-il, doit entreprendre un long et éprouvant voyage pour découvrir le trésor… au fil du chemin, nous devons tous surmonter de terribles épreuves pour élargir notre conscience… et si nous savons garder ouverts notre cœur et notre esprit… à chaque instant et en toutes circonstances… alors ils s’élargiront progressivement… et lorsque ils seront suffisamment larges pour y accueillir chaque chose… chaque être… et chaque événement du voyage… alors nous comprendrons que notre conscience était entravée par leur obscurité et leur étroitesse… 

Petit Lam a ouvert les yeux, il a posé sur moi un regard plein de bonté et a poursuivi son étrange enseignement.

-     En réalité, dit-il, malgré les apparences… notre conscience a toujours été aussi large et aussi vaste que l'espace qui nous entoure… et aussi lumineuse que le soleil dans le Ciel…. et lorsque que nous découvrons enfin sa nature véritable… nous  comprenons… que l'étroitesse de notre cœur et l'obscurité de notre esprit… nous aveuglaient… et nous empêchaient de voir que le trésor était là… qu'il a toujours été là… à chaque instant de notre voyage…

-     Oh la la ! ai-je dit, vos explications… sont très compliquées, monsieur petit Lam. Je… je crois que… je n’ai jamais entendu un enseignement si mystérieux… et si étrange… 

-     C'est vrai, dit petit Lam, ces paroles sont très profondes… elles montrent la voie de l’école de la Sagesse Compatissante… mais si elles ne parlent pas à votre conscience… je vous en prie… oubliez-les… et trouvez la voie qui saura vous parler…  

Petit Lam a pris une longue inspiration, il a joint les mains à hauteur de la tête et du cœur et a longuement expiré. Puis il a posé de nouveau sur moi un regard d’une infinie bonté.

-     En définitive, dit-il, notre voyage est très simple… il peut nous sembler compliqué et incompréhensible car… au début du chemin… nous ne comprenons pas le sens de nos pas... aussi nous mettons-nous à courir désespérément après le trésor… cherchant un peu partout et très maladroitement les joyaux… mais le chemin nous apprend peu à peu à découvrir une autre façon de chercher… les évènements de notre voyage… les personnages que nous croisons… tout ce que nous rencontrons sur notre chemin… nous invite à élargir notre conscience… et celui qui résiste à cette ouverture naturelle et progressive ne cesse de souffrir… nul ne peut résister indéfiniment à cette force intérieure… cela peut prendre du temps… mais le voyage trouve véritablement son sens dans cette ouverture…  et si nous savons avancer patiemment sur ce chemin… nous prendrons conscience que tout ce que nous rencontrons au cours de notre voyage… tous les évènements… sont de merveilleuses occasions de grandir à l'intérieur… de progresser sur la voie... et d'avancer vers le trésor…

Après une nouvelle inspiration, Petit Lam a repris son exposé.

-     J’espère que ces paroles éclaireront vos pas… à présent, je vous invite à quitter la colline des petites neiges… à poursuivre votre route... à visiter d’autres écoles du quartier… et à vous engager sur le chemin qui vous conviendra… 

Petit Lam a joint (une nouvelle fois) les mains à hauteur de la tête et du cœur, il a posé sur moi un regard d’une infinie bonté et m’a fait signe de redescendre dans la vallée. Je l’ai remercié pour ces précieuses paroles, j’ai regardé longuement la colline des petites neiges (sans savoir si j’y reviendrais un jour) et j’ai repris le sentier qui menait au centre du quartier des Chercheurs du Dedans.

 

 

Porte 106 Ma fleur est en pleine métamorphose

L'île de la conscience –

Après plusieurs semaines de marche, alors que j'étais à mi-chemin entre la colline des petites neiges et le centre du quartier des chercheurs du Dedans, je me suis arrêté pour réfléchir. Je me suis assis sur le sentier et j’ai poussé la porte de mon île pour demander conseil à ma Fleur.

 

-     Hé ho, ma Fleur ?

-     Ohhh ! dit-elle, petit Pierre ! Bonjour, mon garçon ! Quelle surprise !

-     Bonjour, ma Fleur !

Et j’ai remarqué qu’elle était en train de changer d’habits (oui, ma Fleur était, je crois, en pleine métamorphose…).

-     Oh ! Je suis désolé, dit-elle, mais je suis très occupée en ce moment. Je ne peux pas te parler, mon garçon. Si tu as besoin de conseils, va voir madame la pierre !

Et ma Fleur a tourné ses pétales. Je me suis éloigné (sans oser lui demander ce qu'il se passait) et je me suis dirigé vers la pierre.

 

 

Porte 107 Madame la pierre me parle des joyaux et du trésor

L'île de la conscience –

En arrivant près de la pierre, je fus surpris de voir qu’elle avait grandi (elle était un peu plus haute et un peu plus large…)… mais je me suis assis à ses côtés en faisant mine de n’avoir rien remarqué.

-     Bonjour, madame La pierre !

-     Oh ! dit-elle, petit Pierre ! Bonjour, mon  garçon! Quel bon vent t’amène aujourd’hui ?

-     Je… je viens de la part de ma Fleur, madame La pierre. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas le temps de me parler. Que se passe-t-il ? Elle a l’air si étrange…

 

La pierre m’a regardé avec malice.

-     Oh ! Je ne peux rien te dire, mon garçon ! Je sais seulement qu’elle te prépare une surprise. Mais je ne peux t’en dire davantage ! Mais viens-tu seulement pour me parler de ta Fleur ?

-     Oh non ! Bien sûr ! ai-je dit, je… je viens aussi pour que vous éclairiez ma lanterne, madame La pierre. Depuis que je parcours le quartier des Chercheurs du Dedans, j’entends des choses si extraordinaires sur le voyage… que je ne sais plus quoi penser… je crois que j'ai besoin de faire le point, madame La pierre…

La pierre m’a regardé avec ironie.

-     Oh ! dit-elle, je m'en doute…, mon garçon… j'attendais ta visite d'un jour à l'autre…  j'étais persuadée que tu viendrais nous voir… avant de poursuivre ton chemin, tu aimerais sans doute savoir où tu mets les pieds, n’est-ce pas ?

-     Oui, ai-je dit, je me pose beaucoup de questions, madame La pierre. Je me pose des questions… sur le chemin du Dedans… sur le sens du voyage… sur le trésor… sur les joyaux… sur celui qui est dans mon cœur… sur l’école que je dois choisir… Je me pose beaucoup trop de questions… pour continuer mon chemin sans réfléchir, madame La pierre.

-     Oui, je comprends ! dit-elle, avant de choisir le chemin qui te convient, tu aimerais connaître les étapes qui t’attendent, n'est-ce pas ? Eh bien ! Je t’écoute, mon garçon ! Pose-moi toutes les questions que tu veux ! Une fois n'est pas coutume… je m’efforcerais d’y répondre… dans la mesure de ta compréhension, bien sûr…

 

J’ai réfléchi un instant… j’avais tant de questions à lui poser…

-     Eh bien ! dit la pierre en voyant mon hésitation, commence par la question qui te semble la plus importante !

Et sans plus réfléchir, je me suis lancé.

-     Euh… eh bien…, j'ai entendu des choses bien peu communes sur le trésor, madame La pierre… tous ceux que j’ai rencontrés dans le quartier m'en ont parlé… mais aucun n'a jamais rien dit à propos des joyaux. Aussi, je me demande comment les trouver, madame La pierre !

-     Oh ! dit-elle, tu les trouveras au fil de tes pas… mais ne t’attends pas à trouver les joyaux dont parlent les résidents des autres quartiers ! Les vrais joyaux ont une forme bien différente de celle que l’on a coutume de leur prêter…

-     Ah… oui ? ai-je dit, et vous pouvez m'en dire un peu plus, madame La pierre…

-     Oui, bien sûr ! dit-elle, pour être tout à fait clair, prenons un exemple, veux-tu ? Donne-moi un joyau et j’essaierais de t’expliquer à quoi il ressemble…

J’ai hésité un instant.

-     Bon… eh bien…, d’accord ! ai-je dit, commençons par le joyau de l’intelligence, madame la pierre !

-     Très bien ! dit-elle, voilà un joyau très intéressant ! L’intelligence, mon garçon, n’est pas seulement affaire d’esprit comme le pense la plupart des résidents. L’intelligence n’est pas uniquement affaire de raisonnement logique et d’accumulation de connaissances assez souvent d'ailleurs… bêtement empilées les unes sur les autres. Il s’agit là d’une forme très grossière d’intelligence ! Cette forme est nécessaire mais insuffisante. L’intelligence est beaucoup plus vaste ! Elle revêt de multiples aspects selon les avancées de chacun sur le chemin. Ainsi, l’intelligence peut prendre la forme de la persévérance si l’on poursuit son voyage avec courage malgré les difficultés que l'on rencontre. Elle peut aussi prendre la forme d’une nécessité intérieure qui pousse le chercheur à aller ici et là, à visiter certains quartiers, à en contourner d’autres ou à s’arrêter dans ceux qui lui semblent propices à ses attentes. Mais quelles que soient les formes que prend l’intelligence, tôt ou tard, elle amène le chercheur à comprendre qu’il existe une vérité qui dépasse son entendement habituel. Ainsi, le joyau de l’intelligence ouvre progressivement l’esprit du chercheur à cette vérité ! Il l’amène d’abord à regarder dans son cœur et à l'ouvrir très progressivement. En définitive, où qu’il soit sur le chemin, l’intelligence est le joyau qui fait avancer le chercheur vers le trésor ! Et s’il sait marcher avec patience et persévérance, le chercheur finit par comprendre que les autres joyaux se trouvent en lui… et qu’il lui appartient de les découvrir. 

-     Oh la la ! ai-je dit, l’intelligence est une chose bien compliquée, madame la Pierre ! Et comment l’intelligence nous fait-elle découvrir les autres joyaux ?

La pierre m'a fait un grand sourire.

-     Eh bien, à chaque étape du voyage, mon garçon, le chercheur découvre une nouvelle facette du joyau de l’intelligence. C’est un joyau qui ne cesse de grandir pour élargir et éclairer l’esprit de la Conscience ! Et plus l’esprit de la Conscience s’élargit et s’éclaire, plus le chercheur regarde dans son cœur ! Et plus il regarde dans son cœur, plus il voit sa profondeur et son étendue. Il s’aperçoit alors que son cœur peut accueillir bien plus de choses qu’il ne le pensait. Alors le chercheur continue à ouvrir son cœur et à y accueillir chaque chose car ces choses lui semblent de plus en plus familières (un peu comme s’il accueillait une partie de lui-même). Et le chercheur finit par prendre conscience qu’il n’y aucune différence entre ce qu’il y a au fond de son cœur et ce qu’il y a au dehors. Et un jour, à force de patience et de persévérance, si le chercheur parvient à garder ouverts son esprit et son cœur en toutes circonstances, alors il comprend que la beauté est partout. Le chercheur découvre alors le joyau de la beauté ! Et il peut enfin goûter à toutes les merveilles rencontrées sur son chemin. Car toute chose, tout être, tout évènement lui semblent merveilleux ! Alors naît progressivement en son cœur une bonté et un Amour inconditionnel pour toute chose et pour tout être. Le chercheur découvre alors le joyau de la bonté ! Son cœur s’emplit de gratitude envers Tout et tous, envers le voyage, envers les paysages, envers le chemin, envers ses ornières et ses difficultés, envers ses joies et ses plaisirs. Et cette découverte lui procure une confiance inébranlable dans le voyage et une grande force pour poursuivre son chemin. Grâce à cette confiance, le chercheur découvre alors le joyau du pouvoir. Il comprend alors qu'il peut poursuivre son voyage contre vents et marées… et avancer sur son chemin malgré les tempêtes…  Grâce à cette confiance, à cette force et à cette ouverture, le chercheur découvre peu à peu la richesse, la vraie et la seule richesse qui soit sur cette Planète, la richesse du voyage. Et il comprend enfin que le trésor n’est autre que le voyage lui-même avec ses découvertes successives. Et le chercheur peut enfin goûter avec joie à chaque instant du voyage ! Et il continue sa route sans peur et sans contrainte, avec un cœur toujours plus spacieux et un esprit toujours plus lumineux… Il apprend à épouser les méandres du chemin, à se lier d’amitié avec tout ce qui le traverse et tout ce qu’il rencontre… il comprend qu’il n’y a aucun trésor à chercher… car il sait que le trésor est partout, en lui, en l’autre, en chaque chose, en chaque être, en chaque rencontre, en chaque évènement… il sait que le trésor est là… partout où ses pas le mènent…

J’ai regardé madame la pierre un peu perplexe. 

-     Est-ce donc cela le trésor, madame La pierre ?

La pierre a acquiescé.

-     Eh bien…, je ne comprends pas, madame la pierre, j’ai entendu dire beaucoup de choses sur le trésor. Certaines écoles disent qu’il est ailleurs ! Certaines affirment qu’on le trouve après notre passage dans l’Autre Monde ! D’autres racontent qu’il est au bout du chemin ! Et d’autres disent encore qu’on le trouve en Soi ! Et d’autres encore en chacun de nous !

La pierre m’a regardé avec tendresse.

-     Toutes les écoles du chemin du Dedans ont raison, mon garçon ! Le trésor est partout ! Et il y a mille manières de le découvrir ! Mais toutes sont d’accord sur un point : tout chercheur doit apprendre à élargir son cœur et son esprit pour trouver le trésor…

-     Oui, ai-je dit, je comprends, madame la pierre.

-     C’est parfait, dit-elle, as-tu d’autres questions, mon garçon ?

-     Oh oui ! ai-je dit, j’ai encore beaucoup de questions à vous poser. Depuis que je suis dans ce quartier, on me parle du cœur et de l’esprit mais je ne sais pas exactement ce qu’ils sont et où ils se trouvent… et je ne sais pas non plus qui est vraiment celui qui est dans mon cœur, madame la pierre ? J’ai l’impression que mon cœur abrite beaucoup de monde mais…

-     Oui ! dit-elle, il a beaucoup de monde et une place pour chacun dans le cœur de chaque chercheur… Mais je ne sais pas si je suis autorisée à répondre à tes questions. Il faudrait demander l’autorisation à ta Fleur ! Oh ! Tiens ! Regarde, mon garçon ! La voilà qui arrive justement ! 

J’ai tourné la tête et, à ma grande surprise, j’ai vu ma Fleur s’avancer vers nous.   

 

 

Porte 108 Ma fleur et madame la pierre se rapprochent et me donnent leurs ultimes conseils avant de m'engager sur le chemin du dedans

L'île de la conscience –

-     Oh ! Ma Fleur ! ai-je dit, que se passe-t-il ? Que viens-tu faire par ici ?

Ma Fleur s’est arrêtée à proximité de madame La pierre. Elles se sont saluées avec respect (et avec beaucoup de courtoisie).  Puis ma Fleur s’est tournée vers moi.

- Oh la la ! ai-je dit, comme tu es belle, ma Fleur ! Comme tu as changé ! Et comme le rose te va bien !

Ma Fleur a fait un tour sur elle-même et m’a souri (satisfaite de sa surprise).

-     Il me semble que tu avais des questions à poser ! dit-elle, eh bien ! Nous t’écoutons, mon garçon !

Je les ai regardées toutes les deux.

-     Eh bien…, ai-je bafouillé, maintenant… maintenant que vous êtes réunies toutes les deux, je… je ne sais plus quoi dire ! Je me sens très intimidé ! Et je crois que je n’ai plus rien à vous demander…. je crois que je viens de comprendre…

-     Ah oui ? dirent-elles en chœur, et qu’as-tu compris, mon garçon ?

-     Eh bien…, je crois que… enfin…

-     Oui ! dit ma Fleur, tu as compris ! Je suis le cœur de ta Conscience !

-     Et moi ! dit la pierre, je suis l’esprit de ta Conscience ! Et avant de t’engager plus loin sur le chemin, ta Fleur a pensé qu’il était temps de nous rapprocher pour te permettre d’avancer le cœur plus léger et l’esprit plus tranquille…   

Ma Fleur et la pierre se sont regardées (d’un œil complice).

-     A présent que nous nous sommes rapprochées, mon garçon, il t’appartient de nous faire grandir jusqu’à ce que nous nous confondions… et de nous élargir encore et toujours…

-     Oui, ai-je dit, j’essaierais de vous faire grandir ! Nous voyagerons ensemble ! Et nous découvrirons un à un les joyaux… et nous avancerons lentement sur le chemin qui mène au trésor…

-     Oui ! dirent-elles, si nous nous hâtons lentement… et que tu nous laisses accueillir tous les évènements du voyage… alors nous découvrirons peu à peu les joyaux et le trésor…

-     Oui, ai-je dit, je vous écouterais ! Je vous le promets ! Et je ferais de mon mieux pour vous garder ouvertes sur le chemin ! 

-     Oui, dirent-elles, tu devras nous laisser nous ouvrir naturellement et progressivement !

-     Oui, ai-je dit, je le sais, mes amies ! Et je suis très heureux que vous vous soyez rapprochées mais…

-     Oui…? Que se passe-t-il, mon garçon ? Tu as l’air embarrassé…

-     Oui, ai-je dit, je suis très heureux mais… je ne sais toujours pas dans quelle école je dois m’inscrire… pour avancer sur le chemin...

 

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La pierre et ma Fleur se sont regardées et elles ont éclaté de rire. Puis, ma Fleur s’est penchée vers moi avec tendresse.

-     Tu es incorrigible ! dit-elle, tu te montres toujours aussi impatient… mais tu n’as aucun souci à te faire, mon garçon ! Regarde-moi… et tu comprendras ! 

J’ai regardé ma Fleur.

-     Eh bien ! Je te regarde, ma Fleur… et je ne comprends toujours pas. Je vois que tu as changé. Tu as pris les habits de la rose… enfin…tu n’es encore qu’un bouton de rose mais…

-     Oui ! dit-elle, et n’y vois-tu pas un signe ?

-     Un signe…, ma Fleur ?

-     Oui, mon garçon ! Ne vois-tu pas que cette transformation est de bon augure ?

-     De bon augure…, ma fleur ?

-     Oui, bien sûr ! dit-elle, as-tu déjà oublié ce qu’a dit petit Lam à propos de la tradition ?

J’ai réfléchi un instant.

-     Tu veux dire, ma Fleur, que…

-     Oui, mon garçon ! As-tu oublié où naissent les filles ?

-     Eh bien…, ai-je dit, elles naissent dans…

-     Eh oui ! dit-elle, elles naissent dans les roses ! Et lorsque tu auras fait quelques pas supplémentaires sur le chemin, je pourrais éclore… Et je donnerais naissance à celle qui te permettra de t’engager sur le chemin du Dedans…  

J’ai regardé ma Fleur.

-     Ça veut dire… que je pourrais bientôt choisir une école, n’est-ce pas ma Fleur ?

-     Oui ! dit-elle, tout arrive à celui qui se montre patient !

-     Mais… mais alors c’est formidable, ma Fleur ! Ça veut dire que je sais quel chemin je dois emprunter… Allez ! Allez ! ai-je dit, allons-y ! Dépêchons-nous, ma Fleur ! Rejoignons vite le Grand Labyrinthe !

Ma Fleur et la pierre se sont regardées (et elles ont éclatées de rire une nouvelle fois).

-     Oui ! dirent-elles, allons-y ! En route, mon garçon ! Et sachons-nous hâter lentement !  Allons-là où le chemin nous conduira…

J’ai regardé la pierre et ma Fleur avec une infinie tendresse. Je les ai serrées très fort contre moi. Puis j’ai regardé l’horizon et il m’a semblé que les murs du Labyrinthe étaient un peu moins hauts et un peu moins larges… comme s’ils commençaient à disparaitre… Ma Fleur et la pierre m’ont fait un clin d’œil. Mais je n’ai rien dit… j’avais le cœur si attendri que je me suis mis à siffler un petit air très gai et un peu triste en même temps. Puis, j’ai repris ma route, simplement heureux de poursuivre mon voyage vers le trésor…

 

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17 novembre 2017

Carnet n°10 Le petit chercheur ou le voyage labyrinthique - Livre 2

Conte / 2004 / La quête de sens

Conte métaphysique qui retrace les aventures d'un chercheur de trésor sur la Planète du Grand Labyrinthe. Après une longue traversée des quartiers des P'TITS DOMS , il découvre le monde des GRANDS DOMS avant de poursuivre sa route sur le CHEMIN DU DEDANS…

 

 

PARTIE 7 LA DECOUVERTE DU QUARTIER DES BOÎTES

 

Porte 45 Mon arrivée dans le monde des grands doms

Le quartier des boites –

Après une longue traversée des quartiers de mon enfance, je franchis - sans la moindre difficulté - la frontière qui séparait le monde des P'tits Dôms et celui des Grands Dôms  (comme si c’était là un passage naturel) et j'arrivai dans le quartier des Boîtes. Quelques instants plus tard, en arrivant à proximité de la rue principale (où j'avais déniché un petit appartement), je m'arrêtai, étonné par l'étrange effervescence des lieux. Jamais je n’avais vu, je crois, une telle pagaille. Tous les résidents couraient partout la tête enfoncée dans leur pardessus gris.

 

-     Eh bien ! dis-je en moi-même, quel drôle de quartier !

J'ai délaissé l'agitation de la rue principale pour les ruelles adjacentes qui menaient à mon appartement. Arrivé devant mon immeuble, situé à quelques encablures du centre du quartier, je me suis engouffré dans le hall et j'ai gravi les 7 étages qui menaient à mon studio. En arrivant sur le palier, alors que je m'apprêtais à ouvrir la porte de mon appartement, j'ai croisé un étrange personnage qui joua un rôle déterminant dans mon entrée chez les Grands Dôms.

 

Voici son portrait (que j’ai dessiné quelques jours après notre rencontre) :

                        

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En m'apercevant, il m'a salué (en soulevant son couvre-chef).

-     Hum ! hum ! dit-il, bonjour, jeune homme.

-     Euh… bon… bonjour, ai-je bafouillé.

Il s'est arrêté un instant pour me regarder avec curiosité.

-     Hum ! hum ! dit-il, je… je ne crois pas vous avoir déjà croisé, jeune homme… vous… vous êtes nouveau dans le quartier, n'est-ce pas ?

-     Euh…oui…, ai-je dit, je… je viens d'arriver… je… je suis le nouveau locataire…

-     Ah ? dit-il, eh bien ! hum ! hum ! Enchanté ! Nous serons voisins. Je m'appelle monsieur Izo-Box.

-     Ah…, ai-je dit, eh bien… je suis… euh… ravi de… de faire votre connaissance, monsieur Izo… Box.

-     Hum ! hum ! dit-il en consultant sa montre (une grosse montre à gousset), je vous prie de m'excuser. Je suis pressé...

Et de son petit pas tranquille, il s'est engagé dans les escaliers.

- Eh bien ! dis-je en moi-même, quel étrange personnage !

 

J'ai poussé la porte de mon appartement et je suis rentré chez moi. J'ai ouvert ma valise et j'ai commencé à déballer mes affaires. Mais je n'avais pas le cœur à m'installer… A dire vrai, je me sentais bien seul (et bien désemparé) pour affronter cette nouvelle étape du voyage… Mais il était impensable (et impossible) de prendre le chemin du retour pour retrouver le quartier de mon enfance (de quoi aurais-je eu l'air ?)… Non ! Il me fallait poursuivre mon chemin… et trouver au plus vite un travail pour découvrir le joyau de la richesse.

 

Ce premier jour passé dans le monde des Grands Dôms fut épouvantable… j’étais si angoissé à l’idée de me débrouiller seul que j'ai passé la journée à réfléchir assis au milieu de mes affaires éparpillées. Une foule de questions m'ont traversé l'esprit : comment allais-je m'y prendre pour découvrir le joyau de la richesse ? A qui devais-je m'adresser pour trouver un travail ? Et réussirais-je à trouver quelqu'un pour m'aider dans mes démarches ? Ah la la ! dis-je en moi-même, s'installer dans le monde des Grands Dôms est une chose bien difficile !

 

A la nuit tombée, je n'avais toujours pas la moindre réponse à mes questionnements … et mon angoisse s'est amplifiée… elle devint si forte que j'ai pensé regagner, dès le lendemain, le quartier des P'tits Dôms… Les heures s'écoulèrent ainsi jusqu'au milieu de la nuit. Aux premières heures du jour, j’étais toujours en train de ruminer ces tristes pensées sur le voyage lorsque soudain, des pas sur le palier m’ont détourné de mon improbable (et sans doute impossible) projet de retour. C’était monsieur Izo-Box qui rentrait chez lui. J’ignore pour quelle raison mais sa présence me rassura et me redonna un peu de courage. Et je décidai aussitôt de l'inviter le lendemain, espérant ainsi gagner son amitié et glaner peut-être (par la même occasion) quelques informations qui m’aideraient sûrement à faire mes premiers pas dans le monde des Grands Dôms.

-     Oui ! dis-je en moi-même, voilà une bonne résolution ! Demain, j'inviterai monsieur Izo-Box…

Et je me suis endormi sur cette réconfortante pensée.

 

 

Porte 46 Monsieur izo-box

Le quartier des boites –

Le lendemain, je trouvai enfin le courage de mettre en ordre mon appartement. Et lorsque la nuit tomba sur ce deuxième jour passé dans le monde des Grands Dôms, mes affaires étaient rangées. J'étais prêt à recevoir monsieur Izo-Box. Pour ne pas manquer son arrivée, je suis allé l'attendre sur le palier. Quelques heures plus tard (aux alentours de minuit), je l'ai entendu gravir les escaliers.

-     Bonsoir, ai-je dit en apercevant le bout de son chapeau melon.

-     Hum ! Hum ! dit-il en soulevant son couvre-chef, bonsoir, jeune homme.

-     Je…, ai-je balbutié, je…

-     Hum ! Hum ! dit-il, oui..., jeune homme ? Vous voulez me dire quelque chose… ?

-     Je… oui, ai-je dit,  je… j’avais pensé que nous pourrions peut-être… enfin… j'aimerais…  j’aimerais vous inviter chez moi pour… pour faire connaissance et… bavarder un peu… enfin … si… bien sûr… vous…

Et j’ai rougi jusqu’aux oreilles, honteux de ma maladresse (et de mon ignorance des règles en vigueur chez les Grands Dôms). Monsieur Izo-Box a regardé sa montre.

-     Hum ! Hum ! dit-il, c’est que… il est déjà tard, jeune homme…

-     Ah… ? ai-je dit un peu déçu, eh bien… demain peut-être… ? Demain, cela vous conviendrait-il, monsieur Izo-Box ?

-     Hum ! Hum ! dit-il, demain ? Voyons… demain? Non ! Je crains que cela ne soit guère possible, jeune homme ! Actuellement, mon emploi du temps est très chargé. Vous comprenez, n’est-ce pas ?

-     Oui…,  ai-je dit, bien sûr ! je comprends… vous n’avez pas beaucoup de temps… Tout le monde a l’air si pressé dans ce quartier…

-     Hum ! Hum ! dit-il, c’est exact, jeune homme ! Dans ce quartier, le temps nous est compté…

Un sentiment de tristesse m’envahit.

-     Je… je me faisais pourtant une joie de…

-     Bon, bon ! dit monsieur Izo-Box en voyant mon désappointement, eh bien ! Hum ! Hum ! Eh bien ! Alors juste un instant, jeune homme ! Histoire de faire connaissance…

 

Après s'être consciencieusement essuyé les pieds sur mon paillasson, monsieur Izo-Box s'est assis dans l’unique fauteuil de mon appartement.

-     Hum ! hum! ai-je dit, eh bien… je suis ravi que vous ayez accepté mon invitation, monsieur Izo-Box… 

-     Hum ! hum ! dit-il, oui… je suis très heureux de faire votre connaissance, jeune homme mais… je suppose que vous ne m'avez pas invité par hasard, n'est-ce pas ? Eh bien hum ! hum ! Je vous écoute, jeune homme. Que voulez-vous savoir ?

J'ai regardé monsieur Izo-Box d'un air gêné et je me suis empressé de lui expliquer ma situation. 

-     Ahhh ! hum ! hum ! dit-il, ainsi vous cherchez un travail mais… vous ne savez pas comment vous y prendre. C'est bien naturel pour un jeune résident du quartier. Beaucoup ignorent les règles qui régissent le monde des Grands Dôms.

 J'ai regardé monsieur Izo-Box  avec étonnement.

-     Les règles du quartier…?

-     Eh oui ! bien sûr, jeune homme ! hum ! hum !  comme tous les quartiers de la Planète, ce quartier est régi par des règles spécifiques. Et celui qui veut trouver son chemin dans le quartier doit connaître ses règles. Celui qui les ignore ne peut réussir son voyage…

-     Ah oui ! ai-je dit, bien sûr ! Et que doit-on faire exactement pour connaître ces règles, monsieur Izo-Box ?

Monsieur Izo-Box prit un air embarrassé. Il eut une crise de hum ! hum ! puis il me dit :

-     Je souhaiterais sincèrement hum ! hum ! vous aider, jeune homme mais… il se fait tard… et il serait sûrement plus raisonnable de reporter cette conversation à une autre fois.

J'ai regardé monsieur Izo-Box avec désarroi.

-     Bon ! Bon ! hum ! hum ! dit-il en fouillant dans sa sacoche, vous avez l'air si désemparé, jeune homme… que je ne peux décemment vous laisser dans un tel embarras. Je vais vous laisser un document qui vous sera certainement très utile pour comprendre le monde des Grands Dôms et plus particulièrement le quartier des Boîtes.

Mon visage s'est éclairci d'un grand sourire.

-     Tenez ! dit-il en sortant de sa mallette un énorme rapport, je vous conseille hum! hum ! la lecture attentive de cette étude. Vous pouvez la lire en toute confiance ! Elle m'a été commandée par la plus grosse boîte publique du quartier -  le ministère public de la performance des Boîtes - pour lequel je travaille actuellement comme consultant. Vous y trouverez une mine d'informations sur le monde des Grands Dôms ! Vous y apprendrez les règles principales et les conventions spécifiques du quartier des Boîtes. Et prenez votre temps, jeune homme ! Je passerai récupérer mon document dans quelques jours.

-     Bon ! Eh bien ! Hum ! Hum ! dit-il en consultant sa montre,  je vais devoir vous quitter, jeune homme ! Bonne nuit !  Et à bientôt !

J'ai raccompagné monsieur Izo-Box jusqu'à la porte et je me suis précipité sur l'énorme rapport qu'il avait laissé sur la table.

 

 

Porte 47 Le rapport de monsieur izo-box

Le quartier des boites –

La lecture de l'énorme rapport de monsieur Izo-Box m'appris une foule de choses sur le monde des Grands Dôms et en particulier sur le quartier des Boîtes. Voici par exemple l'extrait d'un chapitre qui a particulièrement retenu mon attention (mais que vous pouvez passer s'il vous semble trop technique…):

 

Rapport pour le ministère public de la performance des boîtes

 

Chap 9 : aperçu général du quartier des boîtes

 

Le quartier des Boîtes est l'un des plus importants quartiers de la Planète. Il est  fréquenté par la très grande majorité des Grands Dôms. La plupart y vivent, y travaillent et y passent la totalité de leur voyage.

 

Comme son nom l'indique, le quartier des Boîtes est composé d'un très grand nombre de boîtes, boîtes que nous avons classées (par commodité) en 2 grandes catégories : les boîtes réelles et les boîtes virtuelles.

 

a. Les boîtes réelles

 

Les boîtes réelles sont constituées de 2 types de boîtes : les boîtes d'habitation où vivent et dorment  les résidents et les boîtes de travail où ils passent la plus grande part de leur journée.

 

1. Les boîtes d'habitation

 

Il en existe principalement  2 sortes :

a. Les boîtes d'habitation horizontales (appelées aussi habitation individuelle) qui forment un ensemble de boîtes installées les unes à côté des autres.

b. Les boîtes d'habitations verticales (appelées également habitation collective ou immeuble) qui forment un ensemble de boîtes empilées les unes sur les autres.

 

2. Les boîtes de travail

 

Il en existe également  2 sortes :

 

a. Les boîtes de verre (appelées bureaux) qui s'inspirent le plus souvent dans leur forme des boîtes d'habitation verticales.

b. Les boîtes de béton  (appelées usines) qui ont le plus souvent  une forme identique aux boîtes d'habitation horizontales mais de dimension bien supérieure.

 

Nota bene : la plupart des résidents du quartier quittent leur boîte d'habitation de bon matin pour se rendre à leur boîte de travail. Ils y passent la journée puis le soir venu, retournent dans leur boîte d'habitation où ils passent la nuit. Chaque jour se déroule approximativement selon le même schéma.

 

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b. Les boîtes virtuelles

 

Les boîtes virtuelles se caractérisent par leur existence non matérielle. Elles sont néanmoins très nombreuses et sont aisément repérables aux étiquettes dont les ont affublées les résidents du quartier. Nous avons pu ainsi repérer les catégories principales des boîtes virtuelles. Au stade de notre étude, nous en avons dénombré une centaine dont voici les plus courantes :

 

  1. les boîtes des beaux résidents;

  2. les boîtes des résidents laids;

  3. les boîtes des résidents intelligents;

  4. les boîtes des résidents idiots;

  5. les boîtes des résidents puissants ;

  6. les boîtes des résidents démunis;

  7. les boîtes des résidents riches ;

  8. les boîtes des pauvres résidents;

  9. les boîtes des mauvais résidents

  10. les boîtes des gentils résidents (appelée aussi boîtes à gogo)

 

Nota bene : chacune de ces catégories est, elle-même, composée d'un nombre important de boîtes secondaires. Ainsi, à titre d'exemple, détaillons brièvement l'une d'elles : les boîtes des résidents laids. Si nous prenions la peine de décortiquer cette catégorie de boîtes, nous pourrions y trouver pêle-mêle, la boîte des résidents de petite taille (dite boîte des petits), la boîte des résidents en surcharge pondérale (appelée boîte des gros). On y trouve également la boîte des petits gros, la boîte des monstres, la boîte des borgnes, la boîte des visages disgracieux, la boîte des corps mal fichus, la boîte des boiteux, la boîte des handicapés, la boîte des estropiés en tous genres…

 

c. Attribution des boîtes aux nouveaux arrivants dans le quartier

 

En arrivant dans le quartier des Boîtes, chaque résident se voit contraint d'entrer dans une boîte d'habitation et une boîte de travail (selon ses capacités, ses aptitudes, ses goûts et la place que les autres habitants lui attribuent).

 

Selon le type de boîtes d'habitation et de travail dans lesquelles il a réussi à s'insérer et quelques autres critères, on classe également chaque résident dans les grandes catégories de boîtes virtuelles.

_____________________

 

-     Eh bien! dis-je en moi-même, quel drôle de quartier !

 

J'étais si intrigué par cette étonnante description du monde des Grands Dôms que j'ai continué ma lecture toute la nuit. Monsieur Izo-Box n'avait pas menti. Il y avait dans ces pages une mine d'informations considérable… certes un peu techniques mais… très instructives… Après la description détaillée du quartier des Boîtes, je me suis attardé plus spécialement sur le chapitre 42 : règles principales adoptées par les résidents du quartier des Boîtes pour trouver le trésor dont voici un extrait (extrait que vous pouvez également passer si sa lecture vous semble trop rebutante…) :

 

Chap 42  : règles principales adoptees par les residents du quartier des boites pour trouver le trésor

 

1. Le tresor

Tous les habitants du quartier sont à la recherche du trésor. Pour la très grande majorité, le trésor se compose de 4 joyaux : joyau de la beauté, joyau de l'intelligence, joyau du pouvoir et joyau de la richesse. Pour ceux qui s'en étonneraient, le joyau de la bonté a été exclu de ce quartier car jugé sans intérêt et sans valeur. Les résidents lui ont préféré le joyau du pouvoir (qui l'a donc remplacé) et qui se décline en 2 occurrences : la force et l'influence que chaque résident choisit selon ses capacités, ses goûts, l'endroit du quartier des P'tits Dôms où il a grandi et l'endroit du quartier des Boîtes où il réside…)

 

2. La recherche des joyaux

 

La plupart des résidents du quartier pensent que les 4 joyaux se trouvent dans certaines boîtes du quartier (boîtes réelles et boîtes virtuelles) et qu'il convient donc d'y entrer et d'y faire sa place.

 

Beaucoup de résidents cherchent à acquérir l'ensemble des 4 joyaux. Certains néanmoins focalisent leur recherche sur un seul d'entre eux et consacrent l'essentiel de leur voyage à le trouver. D'autres préfèrent élargir leurs recherches à 2 ou 3 joyaux. Mais la très grande majorité cherche à acquérir simultanément les 4 joyaux qui leur ouvriront les portes du trésor.

 

Le joyau de la richesse demeure néanmoins aux yeux de la très grande majorité des résidents le joyau suprême, dont l'acquisition permet d'obtenir très aisément les 3 joyaux précédents

 

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 3. Le deroulement de la recherche du tresor

 

La plupart des résidents pensent que les boîtes qu'ils ont été contraints de choisir ou dans lesquelles on les a placés sont peu propices à l'acquisition des joyaux (autrement dit, dans le quartier, personne ne se satisfait vraiment de ses boîtes…). Au cours de leur voyage, ils tentent donc par tous les moyens possibles et imaginables (et évidemment fort nombreux) d'entrer dans les boîtes réelles et virtuelles qui leur semblent les plus propices à trouver les joyaux et s'évertuent à trouver la meilleure place dans chaque boîte.

 

Ainsi les résidents passent leur voyage à courir à l'intérieur de leur boîte ou à changer de boîtes (passant d'une boîte à l'autre) en cherchant désespérément celle(s) qui pourrai(en)t leur faire acquérir l'un ou l'autre des joyaux espérés… ce qui a pour effet de créer dans le quartier une agitation et une effervescence permanente…

 

Ainsi nous pouvons assister dans ce quartier à un perpétuel va-et-vient de boîte en boîte. Pour illustrer notre propos, prenons quelques exemples. Ainsi les résidents qui se trouvent trop maigres souhaitent sortir de leur boîte pour entrer dans la boîte des moins maigres, les résidents en surcharge pondérale n'aspirent qu'à entrer dans la boîte des plus minces. Les habitants qui appartiennent à la boîte des résidents fauchés veulent s'enrichir pour entrer dans la boîte des résidents riches et les résidents fortunés aspirent à s'enrichir plus encore pour espérer entrer dans la boîte des résidents très riches… bref, dans le quartier des Boîtes, chacun court sans cesse pour tenter d'entrer dans la ou les boîtes où il pense trouver le ou les joyaux qu'il recherche.

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Ce chapitre (comme tous les autres chapitres d'ailleurs) se révéla très instructif. Je trouvai cette étude si passionnante que je passai les 7 jours suivants à lire la totalité du rapport. Cette lecture m'éclaira grandement sur la nouvelle orientation de mon voyage. Elle me permit de comprendre pourquoi les habitants de mon île avaient orienté mes pas vers ce quartier. Il correspondait effectivement à mes aspirations et à mon désir de découvrir le joyau de la richesse. Mais si instructif et utile que fut ce rapport, je le trouvais quelque peu théorique… je n'y avais pas trouvé le moindre renseignement pratique sur la façon de chercher un travail. Certes je connaissais à présent beaucoup de choses sur le monde des Grands Dôms et l'essentiel des règles générales du quartier des Boîtes mais… je n'avais toujours pas la moindre idée concrète sur la façon de trouver le joyau de la richesse…

 

 

Porte 48 Monsieur izo-box me propose son aide

Le quartier des boites –

Le soir du huitième jour, alors que j'achevais ma lecture, monsieur Izo-Box frappa à ma porte aux alentours de minuit.

-     Bonsoir, jeune homme, dit-il, hum ! hum ! avez-vous achevé la lecture de mon rapport ? Je souhaiterais le récupérer…

-     Oui, bien sûr, ai-je dit en allant chercher son étude, vous pouvez la reprendre, monsieur Izo-Box.

Monsieur Izo-Box s'est empressé de ranger l'énorme volume dans sa mallette et il s'est dirigé vers le hall d'entrée (il avait l'air toujours aussi pressé). Alors qu'il s'apprêtait à franchir le seuil de la porte, je l'ai arrêté :

-     Monsieur Izo-Box…? 

-     Oui! hum ! hum ! dit-il, vous avez quelque chose à me demander, jeune homme ?

-     Eh bien… oui, ai-je dit, c'est… comment vous dire ? c'est… à propos de votre rapport…

-     A propos de mon rapport ? hum ! hum ! dit-il, oui ! Je vous écoute !??

J'ai regardé monsieur Izo-Box en rougissant.

-     Votre rapport m'a permis de répondre à un grand nombre de questions... Sa lecture m'a été très utile… J'y ai appris une foule de choses très intéressantes mais…

Monsieur Izo-Box eut une crise de hum ! hum !

-     Mais…? hum ! hum ! oui, jeune homme…? Quelque chose vous a-t-il échappé ?

-     Non, ai-je dit, tout était très clair, monsieur Izo-Box. mais… j'aimerais avoir quelques éclaircissements… sur certains points…

-     Ah ? hum ! hum ! dit-il, quelques éclaircissements ? Eh bien… dites-moi, jeune homme !

-     Eh bien…voilà, ai-je dit, j'ai lu votre rapport dans son intégralité mais…je… je ne sais toujours pas comment m'y prendre pour trouver un travail…

-     Ahhhhh !!! hum ! hum ! dit-il, c'est donc cette recherche de travail qui vous tracasse ? Eh bien ! hum ! hum ! je comprends… vous aspirez, vous aussi, à trouver votre place dans l'une des boîtes du quartier. Et c'est là une démarche tout à fait naturelle. Eh bien ! hum ! hum ! Ecoutez ! Le plus simple serait peut-être de… 

Monsieur Izo-Box eut une nouvelle crise de hum ! hum !

-     Eh bien… hum ! hum ! dit-il, le plus simple serait sans doute… que je vous accompagne demain… jusqu'à l'organisme de recrutement. Voilà, jeune homme ! hum ! hum ! A présent, je vous laisse ! Bonsoir ! A demain !

Monsieur Izo-box m'a salué en soulevant son couvre-chef et il est rentré chez lui.

 

 

Porte 49 Monsieur paper

Le quartier des boites –

Le lendemain, comme convenu, monsieur Izo-Box sonna à ma porte de bon matin (aux alentours de 7 heures). J'enfilai ma veste (une belle veste toute neuve achetée la veille de mon départ pour le monde des Grands Dôms) et nous avons quitté l'immeuble pour nous diriger vers le centre du quartier où était situé l'organisme de recrutement (à l'angle exact de la rue principale et de la grande avenue). Arrivés devant un ignoble bâtiment gris, monsieur Izo-Box s'est arrêté.

-     Voilà ! dit-il, hum ! hum ! nous sommes arrivés. Vous demanderez à parler à monsieur Paper qui vous conseillera pour trouver un travail.

Et sans m’en dire davantage, monsieur Izo-Box m'a poussé à l’intérieur de l’organisme de recrutement.

-     Eh bien ! dis-je en moi-même, voilà une bien curieuse façon de chercher du travail ! 

 

Après plusieurs heures passées dans une longue file d'attente, un petit bonhomme, assis derrière un petit bureau, me pria d’avancer. 

-     Asseyez-vous ! dit-il.

Et je me suis assis sur le siège qui faisait face à son bureau (sur lequel était placé un petit écriteau en papier sur lequel était inscrit : monsieur Paper, agent de recrutement). Monsieur Paper a fouillé dans son tiroir, il en a sorti un imprimé qu’il a posé devant lui, il a saisi un stylo et m’a posé tout un tas de questions sans même lever le nez de ses papiers.

 

-     Ainsi, dit-il, vous êtes à la recherche d’un emploi ?

-     Oui, monsieur, ai-je dit, je… je cherche un travail !

-     Bon, bon, bon, a soupiré monsieur Paper, votre nom ?

-     Je m’appelle petit Pierre, monsieur !

-     Avez-vous une pièce d’identité ?

J'ai fouillé dans la poche de ma veste et je lui ai tendu ma carte d'identité.

-     Bon, bon, bon ! Très bien ! a soupiré monsieur Paper, habitez-vous le quartier ?

-     Oui, oui, monsieur ! Je… je viens d’emménager !

-     Bon, bon, bon, a soupiré monsieur Paper, votre formation ?

-     Je suis allé à l’école des P’tits Dôms et à l’Université de Tous les Savoirs ! Et j’ai aussi fréquenté la Grande Bibliothèque !

-     Bon, bon, bon ! Très bien, jeune homme ! Avez-vous pensé à amener vos diplômes ?

J'ai fouillé dans l'autre poche de ma veste et je lui ai tendu l'ensemble de mes diplômes.

-     Bon, bon, bon ! très bien ! a soupiré monsieur Paper, avez-vous les attestations prouvant que vous avez bien suivi ces formations ?

-     Euh..., ai-je dit, eh bien... c’est à dire que...

-     Ah ??? Bon, bon, bon, a soupiré monsieur Paper, voilà qui est fâcheux ! Vous ne pouvez pas fournir ces attestations… Votre dossier sera donc incomplet, jeune homme. Et si votre dossier n'est pas rempli de façon réglementaire, je crains qu'il me soit difficile de vous trouver un travail.

-     C’est... hum ! ... pourtant ce que je recherche, monsieur ! J'aimerais trouver un travail.

-     Oui, oui, dit-il, je le sais bien, jeune homme ! Et, croyez-moi, j’essaye de vous faciliter la tâche. Mais sans ces papiers, je crains qu'il vous soit difficile de trouver du travail dans le quartier. Vous comprenez, il y a une réglementation… qu’il convient de respecter. Et cette réglementation stipule que sans papier, il est très difficile de trouver du travail. J’irais même jusqu’à dire que sans papier, il est bien difficile de trouver sa place dans le quartier.

-     Ah... ? ai-je dit, mais alors comment...

-     Oui, oui, attendez ! dit-il en sortant une longue liste de son tiroir, voici les papiers principaux que nous demandons à tout chercheur de travail qui passe par nos bureaux de recrutement ! Ainsi, pour l'ensemble de vos démarches, vous devez savoir, jeune homme, qu'il convient toujours de vous munir de :

-     votre acte de naissance ;

-     votre livret de P'tit Dôm;

-     votre livret familial;

-     vos bulletins de notes de l’école des P’tits Dôms ;

-     vos diplômes de l’école des P’tits Dôms ;

-     vos autres diplômes ;

-     vos diplômes d’université ;

-     votre certificat de mariage (si vous êtes marié évidemment) ;

-     ou votre certificat de célibataire (si vous êtes célibataire évidemment) ;

-     3 justificatifs de domicile (c’est à dire 3 factures avec votre adresse dans le quartier des Boîtes) ;

-     vos bulletins de paye (depuis le premier jour de votre arrivée dans le quartier des Boîtes)

-     vos feuilles d’imposition (impôt de quartier et impôt global)

-     votre carte d’identité ;

-     votre permis de circulation ;

-     votre...

-          ...

 

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Et monsieur Paper a poursuivi sa longue énumération sans même prendre la peine de consulter sa liste. A l’énoncé de cette longue série de documents, j’ai ressenti une sorte de vertige. Je n’avais évidemment pas tous ces papiers sur moi (ni même à mon appartement). Il m’aurait été bien difficile de retrouver tous ces justificatifs (car j’avais sûrement dû en égarer la moitié et laissé les autres dans le quartier des P'tits Dôms). Devant cette situation pour le moins ubuesque, j'étais bien désemparé. Mais monsieur Paper (qui n’avait apparemment cure de mon désarroi) a continué sa longue et fastidieuse énumération (comme si, à ses yeux, rien n’avait plus d’importance que ces maudits papiers...). Alors qu’il me présentait (avec une certaine jubilation) la liste des papiers secondaires, feuilles annexes, bulletins et autres certificats complémentaires nécessaires et obligatoires, je l'ai interrompu.

 

-     Oui, ai-je dit, je… je comprends très bien l’importance de ces papiers, monsieur Paper ! Mais je vous rappelle que je suis à la recherche d'un travail… je suis prêt à me plier à toutes vos exigences… mais par pitié, trouvez-moi une place dans une boîte du quartier ! Vous savez, même si je ne peux pas vous fournir tous ces justificatifs, monsieur Paper, je suis prêt à accepter n'importe quel emploi ! Si vous voulez, je peux travailler comme technicien, comme géographe, comme allumeur de réverbère ou même comme banquier ou businessman…

-     Ah ??? dit monsieur Paper, bon, bon, bon ! Vous seriez donc prêt à faire n'importe quoi… 

-     Oui, bien sûr ! ai-je dit, je ferais absolument tout pour trouver un travail ! Je veux acquérir le joyau de la richesse…

-     Bon, bon, bon ! dit monsieur Paper, dans ce cas, si vous êtes prêt à tout faire… nous allons peut-être pouvoir faire une petite entorse au règlement… 

Et contre toute attente, monsieur Paper a fouillé dans ses papiers.

-     J'ai reçu dernièrement, dit-il, une offre de monsieur Banks, le grand patron de la Trésor Théosorus Compagnie qui recherche actuellement un collaborateur pour la vérification de la validité des billets. Il s'agit là d'un poste… très subalterne qui nécessite néanmoins des connaissances extrêmement pointues en matière de gestion financière… car monsieur Banks a une politique de recrutement très exigeante… et nous éprouvons les pires difficultés à trouver un candidat idéal pour cet emploi… aussi, si vous êtes intéressé, jeune homme, je peux vous obtenir un entretien avec l'un des collaborateurs de monsieur Banks.

-      Oui, bien sûr ! ai-je dit, je suis prêt à tout faire, monsieur Paper.

Monsieur Paper a levé le nez de ses papiers, il a décroché le combiné de son téléphone et a composé le numéro de la Trésor Théosorus Compagnie. Il a expliqué ma situation à son interlocuteur, lui a fourni de multiples renseignements sur ma formation, a vanté (d'un ton mielleux) mes qualités pour le poste et a réussi en quelques instants à me décrocher un rendez-vous pour le lendemain avec le directeur du personnel de la Trésor Théosorus Compagnie.

-     Voilà, jeune homme ! dit-il en raccrochant, le directeur du personnel de monsieur Banks vous attendra demain matin à son bureau ! Vous le trouverez au siège de la Trésor Théosorus Compagnie.

J'ai regardé monsieur Paper avec gratitude et alors que j'allais le remercier pour ses démarches, sa gentillesse et cette petite entorse au règlement, il a replongé le nez dans ses papiers en criant :

-     Au suivant !

Je me suis levé pour laisser la place au candidat suivant et j'ai quitté l'organisme de recrutement... bien décidé à persuader le collaborateur de monsieur Banks de m'engager dans sa boîte qui – je n'en doutais pas – me conduirait sur le chemin de la richesse.

 

 

Porte 50 Mon premier entretien d'embûche… euh… d'embauche

Le quartier des boites –

Le lendemain, j'étais si soucieux de faire bonne impression ("Les Grands Dôms, précisait le rapport de monsieur Izo-Box, doivent toujours faire bonne impression s'ils souhaitent réussir leur voyage dans le quartier des Boîtes") que j'ai suivi à la lettre les recommandations du chapitre 149 concernant la conduite standard des Grands Dôms. Je fis donc un effort vestimentaire et m'habillai sur mon trente et un.

 

Ce matin-là, je pris soin également de coiffer mes cheveux avec beaucoup d'attention, enfilai une paire de chaussettes neuves, cirai mes souliers (avec beaucoup d’application) et mis une cravate.

-     Oui, oui ! car "La cravate, précisait le rapport de monsieur Izo-Box, est un accessoire absolument indispensable pour les Grands Dôms de sexe masculin qui souhaitent faire bonne figure.".

 

Ainsi vêtu, j'ai poussé la porte de la boîte de la Trésor Théosorus Compagnie située au cœur du quartier des Boîtes. Dans l’ascenseur, je réajustai mon nœud de cravate (qui était si serré que je ne parvenais plus à respirer), je vérifiai ma coiffure dans la glace (en regardant si mes épis étaient bien aplatis) et je fis hum ! Hum ! (à la manière de monsieur Izo-Box) pour me donner un peu d’assurance. Et lorsque la porte s’ouvrit, je me retrouvai devant un immense guichet derrière lequel se tenait une élégante hôtesse d’accueil.

-     Venez-vous pour l’entretien d’embûche ? a-t-elle demandé avec un drôle d’accent.

-     Euh... oui, mademoiselle ! Je viens pour l’entretien d’embauche... euh... d’embûche ! ai-je dit en essayant d’imiter son accent un peu snob.

-     Parfait ! dit-elle en désignant le distributeur de numéro, veuillez prendre un ticket, je vous prie !

J’ai appuyé sur le bouton du distributeur qui me délivra le ticket n° 5793.

La jeune femme m’invita ensuite à la suivre jusqu’à la salle d‘attente où patientaient déjà les 5792 candidats qui me précédaient. En voyant le nombre impressionnant de postulants, j'ai pensé à monsieur Paper qui, apparemment, ne semblait pas très au fait de la politique de recrutement de monsieur Banks. N'avait-il pas précisé que la Trésor Théosorus Compagnie avait les pires difficultés à recruter… ? Je n'ai rien dit mais… je n'en ai pas pensé moins… Après une attente interminable, le directeur du personnel de la Trésor Théosorus Compagnie (appelé par les familiers de la boîte, le DRH de la TTC) me reçut dans son immense et impressionnant bureau. D’un geste, il me pria de m’asseoir, consulta mon dossier avec attention, leva les yeux vers moi et me toisa d’un air...  comment vous dire... ? …oui, d’un air inquisiteur comme s’il cherchait à percer je ne sais quel mystère me concernant. Ensuite, il s'est redressé sur son siège (un fauteuil aux dimensions impressionnantes) et me posa un tas de questions (qui relevaient davantage de l’interrogatoire que de l’entretien d’embûche… euh… je veux dire…de l'entretien d’embauche...). En voici quelques-unes qui vous donneront une idée des sujets qui semblaient particulièrement intéresser le directeur du personnel de la Trésor Théosorus Compagnie :

 

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-     C’est donc l’organisme de recrutement qui vous envoie, n’est-ce pas ?

-     Euh... oui, monsieur.

-     Parfait ! Parfait ! dit-il, toutes les boîtes qui embauchent les chercheurs de travail envoyés par l’organisme de recrutement bénéficient de subventions et d’abattements fiscaux. Ca fait donc notre intérêt ! Parfait ! Parfait ! Savez-vous faire les additions, jeune homme ?

-     Euh... oui, bien sûr, monsieur.

-     Parfait ! Parfait ! dit-il, pourriez-vous me dire combien font 17 + 4, jeune homme ?

-     Euh... 17 + 4 =  euh... 21, monsieur.

-     Parfait ! Parfait ! Vous savez donc faire les additions. Ca fait donc notre intérêt ! Et savez-vous faire les multiplications, jeune homme ?

-     Euh... oui, bien sûr, monsieur.

-     Parfait ! Parfait ! dit-il, pourriez-vous me dire combien font 4 x 7, jeune homme ?

-     Euh... 4 x 7 = euh... 28, monsieur.

-     Parfait ! Parfait ! dit-il, vous savez donc faire les multiplications. Ca fait donc notre intérêt ! Et les équations à 2 inconnues, jeune homme ?

-     Euh... oui, bien sûr, monsieur, les équations à 2 inconnues... bien entendu !

-     Parfait ! Parfait ! dit-il, ça fait notre intérêt ! Et les logarithmes, jeune homme ?

-     Euh... oui, bien sûr, monsieur ! Les logarithmes... évidemment !

-     Parfait ! Parfait ! dit-il, ça fait notre intérêt ! Et les équations différentielles, jeune homme ?

-     Euh... oui, bien sûr, monsieur, c’est un sujet vraiment digne d’intérêt !

-     ...

-     ...

-     Parfait ! Parfait ! C’est absolument parfait ! Ca fait donc notre intérêt ! C’est parfait, jeune homme !

A  la fin de l’entretien, le directeur du personnel me regarda d'un air satisfait (et je dois dire aussi… un rien intéressé).

-     Vous avez là, dit-il, de sérieuses connaissances. Vous avez l’air de maîtriser parfaitement les additions et les multiplications. Votre passage à la prestigieuse Université de tous les Savoirs est également un point très positif. C’est donc parfait, jeune homme ! Et puisque ça fait notre intérêt, nous vous embauchons. Vous serez affecté au service trésorerie dirigé par monsieur Cash en personne. Demain matin, il vous attendra à 8 heures précises dans son bureau au dernier étage.

 

 

PARTIE 8 A LA RECHERCHE DU QUATRIEME JOYAU : LA RICHESSE

 

Porte 51 Monsieur cash m'explique la philosophie de la boite

Le quartier des boites –

Le lendemain, je me levai aux premières heures, j'enfilai mon costume et gagnai la TTC d’un pas rapide. J’étais si excité à l’idée de faire mon entrée dans le monde des Grands Dôms (en trouvant enfin une place dans une boîte du quartier) que j'arrivai à la Trésor Théosorus Compagnie avec deux bonnes heures d'avance. J'ai longé l’imposante façade de la TTC (situé dans un building de très haut standing), j'ai poussé la porte, j'ai longé la baie vitrée de l'immense hall situé au rez-de-chaussée (aux dimensions impressionnantes), je suis monté au dernier étage par un ascenseur (ultra moderne) et j'ai frappé un peu tendu à la porte du bureau de monsieur Cash.

-     Well ! Good morning, jeune homme ! dit-il en me serrant la main d’une poigne ferme, je suppose que vous êtes la nouvelle recrue !

-     Oui ! ai-je dit un peu intimidé, bonjour monsieur ! 

-     Well ! dit-il, avant toute chose, je tiens à vous souhaiter la bienvenue à la Trésor Théosorus Compagnie, jeune homme. Et maintenant venons-en à l’essentiel, voulez-vous ? 

Et monsieur Cash m’a prié de m’asseoir dans le large fauteuil qui faisait face à son bureau.

-     Well ! dit-il, vous n’êtes pas sans savoir, jeune homme, que vous entrez aujourd’hui dans l’une des boîtes capitales du quartier. Et si vous souhaitez y faire votre place, je crois qu’il est nécessaire, et j’oserais même dire capital, que vous compreniez notre philosophie.

-     Oui ! Oui ! Hum ! Hum ! ai-je dit, bien sûr, monsieur !

-     Vous avez donc été embauché, jeune homme, pour travailler au service trésorerie de la Trésor Théosorus Compagnie que les initiés, je vous le rappelle, appellent la TTC. Et vous n’êtes pas sans savoir, jeune homme, que ce service est absolument capital ! J’en suis le responsable depuis de longues années. Et sachez que tout directeur que je suis, je me soumets, comme tout le monde ici, au patron. Et vous n’êtes pas sans savoir, jeune homme, que le patron ici est Money de Banks ! Oui ! Monsieur Money de Banks est notre boss ! Et nous devons nous soumettre à ses règles et à ses exigences. Voyez-vous, jeune homme, il est un peu comme notre souverain à tous ici. Et il est de notre devoir de le servir avec conviction et fidélité ! Avant de poursuivre, avez-vous quelques questions, jeune homme ?

 

Le discours de monsieur Cash avait largement suscité mon intérêt. Il parlait de sa boîte et de son patron, monsieur Banks, avec tant d’enthousiasme et de conviction que j’étais ravi à l'idée de travailler bientôt à leur côté. Quant à monsieur Cash, je crois qu’il était très heureux de voir chez moi un tel intérêt pour sa boîte. Il a donc continué (avec le même enthousiasme) à m'exposer les règles et la philosophie de la Trésor Théosorus Compagnie.

 

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-     Well ! dit monsieur Cash,  reprenons, jeune homme, voulez-vous ! Nous parlions de monsieur Banks, n'est-ce pas ? Well ! Si vous parvenez à servir avec dévouement les intérêts de Money de Banks, je vous assure qu'il saura vous offrir en retour les plus grandes richesses.

-     Oui ! ai-je dit, n'ayez aucune crainte, monsieur Cash ! Je crois que j'ai très bien compris où se place mon intérêt.

-     Well ! dit monsieur Cash, vous n'êtes pas sans savoir, jeune homme, que notre rôle à la TTC est d'accumuler le plus de billets de Banks possible ! Et si vous souhaitez faire carrière dans notre boîte, vous devez impérativement vous soumettre à cette règle capitale. Aussi, à partir d'aujourd'hui, je vous conseille d'accumuler autant de billets que vous le pourrez. Il existe également à la TTC une seconde règle attachée à la première et qui ne manque pas non plus d'intérêt. Si vous souhaitez trouver votre place dans notre boîte et parvenir très rapidement aux meilleurs postes, vous ne devez jamais oublier, jeune homme, que pour amasser le plus de billets, vous ne devez avoir aucun scrupule. Vous devrez tout monnayer ! N'oubliez jamais ça, jeune homme! A partir d'aujourd'hui, vous devrez tout considérer comme une marchandise qu'il vous faudra impérativement convertir en billet de Banks pour l'acheter ou pour la vendre sans oublier, bien sûr, de la négocier au meilleur prix. Me suis-je bien fait comprendre, jeune homme ?

J’ai acquiescé d’un grand sourire (en repensant aux paroles du businessman).

-     Well ! dit monsieur Cash, eh bien ! C’est parfait ! A présent que vous connaissez les règles de notre compagnie, vous pouvez entrer dans notre boîte. Tenez, jeune homme, voici votre badge !

Monsieur Cash m’a tendu une petite étiquette plastifiée avec mon nom.

-     Well ! dit-il, votre fonction y est inscrite ! Ainsi, vous vous ferez désormais appeler : premier assistant en chef du chef trésorier directeur responsable du service trésorerie de la Trésor Théosorus Compagnie. Félicitations, jeune homme ! Et bienvenue dans notre boîte !

Premier assistant ? dis-je en moi-même, moi qui pensais être embauché comme vérificateur de validité de billets… et j'ai pensé à monsieur Paper dont (décidemment) les informations n'avaient pas l'air très précises... Mais je n'ai rien dit… (je n'en ai cependant pas pensé moins…). Et j’ai accroché, non sans fierté, mon badge au revers de ma veste. Premier assistant en chef du chef trésorier directeur responsable du service trésorerie de la Trésor Théosorus Compagnie ! Quel honneur ! Et quelle joie !

-     Well ! dit soudain monsieur Cash, à présent au travail, jeune homme ! Nous avons une réunion capitale pour construire l’avenir prometteur de la TTC.

 

Et monsieur Cash m'a invité à le suivre jusqu’à la salle de direction où attendaient déjà tous les autres directeurs de la boîte.

 

 

Porte 52 Stratégie guerriere pour la conquête du quatrieme joyau

Le quartier des boites –

A notre arrivée dans la salle de direction, tous les directeurs se levèrent comme un seul homme. Monsieur Cash s'installa au côté de monsieur Banks et je pris place à côté de monsieur Save, directeur adjoint du service de gestion en prévoyance financière. Et la séance de travail débuta.

-     Chers amis, dit monsieur Banks, l’heure est grave ! Au vu des derniers résultats financiers, la Frik's, nos plus farouches concurrents, gagne chaque jour davantage de terrain. Nous perdons à chaque seconde des parts de marché substantielles sur les options financières et les stocks options des marchés spéculatifs de moyens et longs termes. Il est donc impératif de stopper la Frick's dans sa progression ! Chers amis, nous avons perdu une bataille mais nous ne perdrons pas la guerre ! Il nous faut impérativement les faire reculer par des stratégies technico-financières et commerciales appropriées et optimales afin d'accroître notre taux de win back ! Chers amis, nous devons imposer notre force pour que la Frik's batte en retraite ! Nous devons les anéantir ! Chers amis ! La guerre financière doit être déclarée ! Je compte sur vous !

 

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Après cette brève entrée en matière, monsieur Banks donna la parole au sous-directeur de la stratégie commerciale et financière qui, lui-même, la proposa au sous-directeur adjoint du service des ventes. Mais à peine avait-il commencé à exposer son plan d'attaque commercial que le directeur du service de la clientèle, soutenu par le premier responsable adjoint du service du marketing, lui coupa la parole pour proposer sa propre stratégie. Et tout le monde se mit à parler en même temps... si bien que le débat vira à la cacophonie.

-     Silence ! a crié monsieur Banks en tapant du poing sur la table, arrêtons de discuter ! Et agissons! Chers amis, je vous demande de regagner votre poste et de livrer bataille avec courage et dévouement ! Je compte sur vous ! 

-     Oui ! a ajouté le sous-directeur du contentieux, comptez sur nous, monsieur Banks ! Nous allons les massacrer ! Les pilonner à l’artillerie lourde ! Et vous verrez, les représentants de la Frick's’ battront bientôt en retraite ! Nous vaincrons, monsieur Banks ! Nous vaincrons, soyez-en sûr ! 

Tous les directeurs opinèrent du chef et s'empressèrent de rejoindre leur poste. La guerre contre la Frik’s était déclarée !

 

 

Porte 53 Les joyaux de la richesse et du pouvoir

Le quartier des boites –

Mon courage et mon dévouement à servir les intérêts de la TTC permirent à notre boîte de remporter cette bataille contre la Frik’s. Bien d'autres batailles suivirent… dans lesquelles je m'engageai à corps perdu… livrant combat de toutes mes forces… Grâce à mon travail de bon petit soldat, la TTC parvint à reconquérir la majeure partie des parts de marché ravies par nos concurrents sur l'ensemble des open market de court, moyen et long termes. Mes bons et loyaux services me permirent ainsi de gravir en quelques années les innombrables échelons de la hiérarchie de la compagnie. De premier assistant en chef, je devins bientôt sous-directeur, puis 4ème  directeur, puis 3èmedirecteur, puis 2ème directeur, puis premier directeur avant d’être nommé premier adjoint de monsieur Banks. Et je devins riche, très très riche... si riche que je pus bientôt m’offrir tout ce que je souhaitais. J’étais devenu en quelque sorte un vrai businessman, loyal et fidèle serviteur de Money de Banks. Eh oui ! J’étais devenu un vrai grand Dôm, riche et puissant, obsédé par la richesse et le pouvoir, une sorte de représentant parfait du quartier des Boîtes ! Préoccupé, affairé, à courir tout le jour (après la meilleure place dans chaque boîte), stressé, écrasé par le pouvoir et les responsabilités et terriblement exigent (et maniaque) en matière de travail.

Au cours de cette période, je passais toutes mes journées à travailler (7 jours sur 7, de 6 heures du matin jusque tard dans la nuit), installé dans mon immense bureau situé au dernier étage du haut building de la compagnie. Je passais mes journées au téléphone (arme indispensable à notre stratégie prospective de pénétration de nouveaux marchés), signais quantité de contrats et de documents en tous genres avec mes innombrables stylos rangés à proximité des imprimés « Banks bis ++ »  et des imprimés « TTC 2’ super +» indispensables au bon fonctionnement des services dont j'avais la charge... et ainsi de suite... J’écris « ainsi de suite » pour ne pas vous ennuyer avec ces histoires de bureau qui – je dois bien le reconnaître – ne sont pas très intéressantes…

 

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Porte 54 La richesse et le pouvoir ne suffisent pas à trouver le trésor

Le quartier des boites –

Après plusieurs années entièrement consacrées à mon travail à la TTC, un soir, en poussant la porte de mon grand appartement (oui, bien sûr, j’avais quitté mon petit studio pour emménager dans un somptueux appartement au cœur de l'avenue principale), je ressentis une grande lassitude... comme si toutes ces années de travail acharné m’avait fait oublié le trésor et le but du voyage... Certes, j'avais acquis le joyau de la richesse et celui du pouvoir, mais toute ma vie se résumait à quelques mots : travail, richesse, pouvoir et responsabilités. Pour accéder aux meilleures places dans ma boîte (et dans toutes celles où j'avais réussi à m'insérer), j'avais écarté tous ceux qui me barraient le passage… J'avais écrasé tant de monde que ma vie était devenue un grand désert. Et en dépit de ma position confortable et honorable dans le quartier des Boîtes (et sans doute fort enviable aux yeux d'un grand nombre de Grands Dôms), je trouvais cette situation quelque peu embarrassante…

 

 

Porte 55 Mademoiselle biba oriente mon chemin

La clairiere de l'imaginaire –

Un soir, alors que j'étais encore au bureau, plongé dans un dossier complexe (sur le financement des open market à options catégorielles), j'ai croisé le regard de mademoiselle Biba, très courtement vêtue et lascivement allongée sur la couverture d'un magazine (magazine que mademoiselle Jeunet-Joly, ma secrétaire de direction, avait sûrement déposé par inadvertance sur ma pile de dossiers). Mademoiselle Biba me fit un clin d'œil. Je me suis penché, un peu intrigué. Et elle en a profité pour me souffler quelques mots à l'oreille.

-     Prenez-moi avec vous, dit-elle, j'aurais quelques mots à vous dire.

J'ai saisi le magazine, je l'ai mis dans ma sacoche et je suis rentré chez moi. En arrivant à l'appartement, je me suis servi un scotch (boisson très chic dans le quartier des Boîtes), je me suis installé confortablement sur le canapé (un canapé de cuir noir du plus grand chic) et j'ai commencé à feuilleter le magazine. Mais à peine avais-je consulté la première page que Mademoiselle Biba me fit un nouveau clin d'œil :

-     Je vois…, dit-elle, que vous êtes très confortablement installé, jeune homme… votre appartement est spacieux, vos meubles d'une grande élégance… vous êtes riche et puissant… vous avez des responsabilités mais… êtes-vous satisfait de votre voyage ?

 

J'ai regardé mademoiselle Biba avec circonspection.

-     Satisfait de mon voyage…?

-     Oui ! dit-elle, le voyage vous a comblé… mais n'avez-vous pas oublié un joyau ?

-     Un joyau...? ai-je répété.

Et soudain (en un éclair), j'ai songé au joyau de la beauté.

-     Mais oui ! Bien sûr ! ai-je dit, vous avez raison, mademoiselle ! J'ai oublié le joyau de la beauté !

Comment avais-je pu oublier une chose si importante ?

-     Hummm ! fit mademoiselle Biba, votre obsession de la richesse et du pouvoir vous ont peut-être un peu aveuglé, jeune homme…

-     Oui ! sans doute, ai-je dit en songeant avec nostalgie au miroir du quartier des P'tits Dôms, sans doute avez-vous raison, mademoiselle… il y a si longtemps que je n'ai pas songé à la beauté… et si longtemps que je n'ai pris la peine de me regarder dans un miroir !

-     Vous savez, dit-elle, il n'est jamais trop tard !

 

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Et sur les conseils de mademoiselle Biba, je me suis avancé jusqu'à l'immense miroir aux moulures dorées qui trônait au-dessus de l'imposante cheminée de mon salon.

-     Oh ! Mon Dieu ! ai-je dit, comme j'ai vieilli ! J'ai l'air d'un…

Mon allure était si… comment vous dire…? Eh bien… disons que la beauté de ma jeunesse s'était quelque peu envolée… Et comment faire à présent pour trouver le joyau de la beauté ?

-     Hummmm Humm ! dit-elle, eh bien… vous pouvez toujours écouter les conseils du miroir, jeune homme, mais… à votre âge, le plus simple serait sans doute… de rencontrer l'amour !

-     Oui… l'amour… l'amour… oui… bien sûr…, ai-je dit, vous avez sans doute raison, mademoiselle. J'y ai pensé maintes fois mais… mais vous savez… l'amour est une chose bien difficile à trouver dans le quartier ! Depuis mon arrivée, je dois bien vous avouer que… les occasions de rencontrer l'amour ont plutôt été rares…

-     Oui, dit-elle, dans le quartier des Boîtes, l'amour est un joyau difficile à trouver… mais il ne faut jamais désespérer… et à défaut de le rencontrer ici… vous pouvez toujours tenter votre chance dans le quartier des Cupidons. C'est ce que nous conseillons aux résidents qui ne parviennent pas à rencontrer l'amour dans leur quartier et qui veulent le trouver au plus vite !

-     Le quartier des Cupidons…?  Eh bien ! Nous verrons, mademoiselle ! En tout cas, je vous remercie pour ces conseils.

J'ai refermé le magazine (non sans avoir, bien sûr, préalablement salué mademoiselle Biba – en tout bien tout honneur évidemment) et je suis allé me coucher, bien décidé à planifier prochainement une petite visite dans le quartier des Cupidons. 

 

 

PARTIE 9 LE JOYAU DE  LA BEAUTE SE TROUVE-T-IL DANS L'AMOUR ?

 

Porte 56 Ma rencontre avec mademoiselle aimee

Le quartier des cupidons –

Quelques jours plus tard, après ma journée de travail, je franchis pour la première fois la frontière du quartier des Cupidons (un quartier limitrophe du quartier des Boîtes). Alors que je me dirigeais vers le centre du quartier, j'aperçus mademoiselle Aimée appuyée contre un réverbère - le regard triste et un peu perdu - dans une petite ruelle à proximité de la rue principale.

 

Lorsque je l'ai croisée, elle a détourné la tête, elle a rabattu sa longue chevelure sur ses épaules et elle s’est éloignée en faisant claquer ses chaussures à talons. Je l’ai suivie du regard. Mademoiselle Aimée était d'une grande beauté. Jamais je n'avais vu, je crois, une beauté si fascinante et si intimidante… En dépit de mon assurance habituelle (acquise par ma réussite dans le quartier des Boîtes), je me sentais, devant elle (et son admirable beauté), totalement démuni… complètement paralysé… absolument incapable d'aller à sa rencontre. Aussi, pendant quelques longues semaines, je dus me contenter de l'observer à distance (chaque soir après ma journée de travail), caché derrière un petit kiosque à journaux qui faisait l'angle de la rue principale et de la ruelle où elle avait coutume de déambuler. Au fil des soirs, j'appris ainsi à connaître ses habitudes. Je vis que beaucoup de résidents des quartiers limitrophes n'étaient pas insensibles à sa beauté. Certains l'abordaient sans complexe. Ils discutaient avec elle quelques instants puis entraient parfois ensemble dans un petit immeuble situé dans une impasse derrière la ruelle.

 

Après bien des jours passés à observer ce manège (d'incessantes allées et venues entre la ruelle et le petit immeuble), un jour, je me décidai enfin à l'aborder. Je me suis avancé vers elle et j'ai bafouillé :

-     Bon… bonsoir, mademoiselle !

Mademoiselle Aimée m'a dévisagé avec ses grands yeux noirs (de grands yeux noirs où je crus voir briller une lueur de mépris et d'arrogance).

-     Oui…? dit-elle, que désirez-vous, jeune homme?

-     Je... je souhaiterais vous… vous inviter chez moi, mademoiselle. J'aimerais… j'aimerais faire votre connaissance… 

A ces mots, mademoiselle Aimée a éclaté de rire.

 

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-     Eh bien ! dit-elle, vous, au moins, vous ne perdez pas de temps, jeune homme !

J’ai rougi jusqu’aux oreilles.

-     Oh ! vous savez, j'aimerais seulement… j'aimerais seulement que… que l'on fasse connaissance, mademoiselle…

-     Ah oui ? dit-elle, et pour quelle raison voulez-vous faire ma connaissance ?

-     Eh bien.., ai-je dit en rougissant une nouvelle fois, eh bien… j'aimerais seulement que… nous… enfin que…

-     Non ! dit-elle, je suis navrée, jeune homme… mais nous ne sommes pas du même monde… nous n'habitons pas le même quartier… Et à présent, je vous en prie, laissez-moi ! J’ai à faire !   

 

Mademoiselle Aimée a tourné les talons en me laissant tout bête sur le trottoir. Elle s'est dirigée vers un passant qui faisait le guet (sûrement un résident du quartier). Ils ont discuté quelques instants avant de disparaître bras dessus bras dessous dans le labyrinthe des ruelles obscures.

 

- Eh bien ! dis-je en moi-même, trouver l'amour ici est aussi difficile que de le trouver dans le quartier des Boîtes ! Et je suis rentré chez moi le cœur un peu triste... bien décidé pourtant à revenir les jours suivants pour tenter ma chance auprès de mademoiselle Aimée. 

 

 

Porte 57 Monsieur cosmopolitan

La clairiere de l'imaginaire –

Malgré cette déconvenue, je retournai le lendemain dans le quartier des Cupidons pour tenter une nouvelle fois de convaincre mademoiselle Aimée. Malgré mes efforts, mon entreprise ne rencontra aucun succès… Ni ce jour-là ni les jours suivants. A chaque tentative, mademoiselle Aimée finissait par tourner les talons en me laissant tout bête sur le trottoir. Eh bien ! dis-je au bout de la 7ème tentative, l'amour est une chose bien difficile à trouver sur cette Planète ! Ce soir-là, je me sentais si malheureux que j'ai marché une bonne partie de la nuit dans le quartier à la recherche d'un peu de réconfort. Après quelques heures à tourner (comme une âme en peine) dans le labyrinthe des ruelles obscures, j'ai fini par m'asseoir sur un banc. Malgré mes frasques nocturnes, je ne parvenais pas à chasser l'image de mademoiselle Aimée… elle était toujours présente dans un coin de ma tête (elle était devenue, je crois, une vraie obsession). J'y pensais sans cesse, j'y pensais partout (chez moi, au bureau, sur le chemin de la TTC…) et chaque jour, je n'avais qu'une idée : la retrouver chaque soir pour tenter de la convaincre. Elle était devenue l’unique centre d'intérêt de mon voyage. Et rien d'autre ne semblait plus m'intéresser… J'étais comme ensorcelé… amoureux pieds et poings liés… Mais comment lui avouer mes sentiments sans qu'elle tourne les talons en me laissant tout bête sur le trottoir ? C'était là en vérité une question bien difficile ! Alors que j'étais perdu dans mes pensées, j'aperçus sur le trottoir (à quelques mètres du banc où j'étais assis) une gazette à moitié déchirée. J'ignore pour quelle raison mais… je l'ai ramassée. C'était un exemplaire de la célèbre revue Chic et Choc Contemporan, un magazine très à la mode dans le monde des Grands Dôms. Je l'ai ouvert machinalement et mon regard a aussitôt été attiré par un article de Mr Cosmopolitan dont la photo occupait le centre de la première page. Il m'a fait un clin d'œil et m'a dit :

- Ah ! L'amour ! L'amour… l'amour n'est pas une chose facile, n'est-ce pas ?

Je n'ai rien répondu. Je l'ai seulement regardé avec une grande lassitude.

-     Oh ! Inutile de faire cette tête, jeune homme ! Vous avez été éconduit ! Inutile d'en faire un drame! Vous n'êtes pas le premier et vous ne serez sûrement pas le dernier… comment s'appelle-t-elle?

J'ai hésité quelques instants à lui confier ma tristesse puis (je ne sais pourquoi) je me suis laissé aller à lui raconter mon histoire.

-     Elle s'appelle… Aimée, monsieur et… elle ne veut rien entendre… elle refuse de faire ma connaissance…

 

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-     Ahhh ??? De faire votre connaissance…? a répété monsieur Cosmopolitan, elle ignore donc que vous êtes amoureux ? Vous ne lui avez pas encore avoué vos sentiments ?

J'ai secoué la tête.

-     Eh bien ! Comment pourrait-elle entendre ce que vous avez à lui dire si vous n'osez pas lui parler, jeune homme …? Pour trouver l'amour, il faut savoir dire à ceux qu'on aime ce qu'on a sur le cœur! 

-     Sans doute, ai-je dit, oui… sans doute avez-vous raison, monsieur mais… mademoiselle Aimée ne veut rien entendre… A chacune de mes tentatives, elle tourne les talons en me laissant tout bête sur le trottoir… je suis… désespéré… je… je ne sais plus quoi faire…

-     Ah ! dit-il, je vois… vous… vous devez sûrement manquer d'expériences et… vous ignorez sans doute les règles élémentaires de la séduction…

J'ai haussé les épaules.

-     Oui…, ai-je dit, enfin… peut-être… je n'en sais rien…  parce que selon vous, il y a des règles précises dans ce domaine… ?

-     Eh oui ! dit monsieur Cosmopolitan en me faisant un clin d'œil, ainsi est le monde des Grands Dôms, jeune homme ! A chaque domaine, ses règles ! Et à chaque quartier, ses conventions ! Et si vous ignorez celles qui régissent les rapports de séduction ici, jamais vous ne pourrez séduire… et si vous ne parvenez pas à séduire, jamais vous ne rencontrerez l'amour… et si vous ne parvenez pas à rencontrer à l'amour, jamais vous ne pourrez trouver le joyau de la beauté !

L'argumentation de monsieur Cosmopolitan me laissa sans voix. Je connaissais parfaitement les règles en vigueur dans le quartier des Boîtes, je connaissais relativement bien le comportement standard des Grands Dôms, mais il est vrai que je n'y entendais pas grand-chose en matière de séduction… Mon échec avec mademoiselle Aimée en était la preuve la plus éloquente...

-     Bon ! ai-je dit, eh bien, d'accord, monsieur ! Je dois bien vous avouer mon ignorance en la matière… mais que faire alors ? Quels conseils me donneriez-vous ?

-     Ohhh ! dit-il, j'aurais quantité de conseils à vous prodiguer, jeune homme ! Mais mon rayon se situe plutôt du côté de la mode. Dans notre magazine, le grand spécialiste de la séduction s'appelle monsieur Ralculkeur. Vous trouverez sa célèbre chronique, Les flèches de Cupidon, en dernière page.

J'ai remercié monsieur Cosmopolitan et j'ai consulté la dernière page du magazine. Elle était presque totalement déchirée. Je n'ai pu apercevoir qu'une photo un peu plissée de monsieur Ralculkeur et l'adresse de son établissement spécialisé en conseils de séduction et plaisirs en tous genres : Les deux joyeux joyaux, situé dans le quartier des Sans Soucis (un quartier voisin du quartier des Boîtes).

-     Bon! ai-je dit, eh bien… étant donné ma situation, je crois qu'une petite visite chez monsieur Ralculkeur s'impose…

J'ai déposé le magazine sur le banc et je suis rentré chez moi aux premières heures du jour.

 

 

Porte 58 Monsieur ralculkeur

Le quartier des sans soucis –

Après quelques jours de réflexion, je décidai de rendre visite à monsieur Ralculkeur. Un soir, après ma journée de travail, je franchis pour la première fois la frontière du quartier des Sans Soucis. Comme le précisait la gazette, l'établissement de monsieur Ralculkeur (une sorte de cabinet conseils) était situé à l'intersection exacte des 3 quartiers principaux du monde des Grands Dôms : le quartier des Sans Soucis, le quartier des Cupidons et le quartier des Boîtes. En entrant dans l'agence, une jolie hôtesse d'accueil m'expliqua que monsieur Ralculkeur était absent et que j'aurais sûrement plus de chance de le rencontrer dans son cabinet situé dans l'avenue principale du quartier (un établissement plus discret et de taille plus modeste, précisa-t-elle). Sur ses conseils, je me suis donc dirigé vers le centre du quartier des Sans Souci, quartier insolite et fort différent, je dois dire, des endroits que j'avais coutume de fréquenter. C'était un quartier lumineux et tapageur - regorgeant de lumières artificielles, de vitrines et de magasins en tous genres - bercé par une musique bruyante (et non moins tapageuse) et fréquenté par une foule innombrable vêtue d'une façon chic, extravagante et décontractée qui déambulait nonchalamment dans les rues animées à tout heure du jour et de la nuit.  

 

Comme me l'avait précisé l'hôtesse, je trouvai monsieur Ralculkeur à son cabinet. Je l'ai croisé alors qu'il s'apprêtait à sortir dans la rue principale. Je dois dire que je fus d'emblée très impressionné par la prestance de monsieur Ralculkeur. C'était un personnage d’une grande élégance (habillé avec soin et distinction), une sorte de dandy nonchalant et raffiné. Et je compris très vite qu'il n’était pas homme à se faire du souci inutilement. Lui-même se qualifiait d'ailleurs de drôle d’oiseau... drôle d’oiseau de nuit qui aimait la fête et les plaisirs qu’offrait le quartier...

 

Mais sous ses apparences de noceur invétéré, monsieur Ralculkeur était aussi l’un des plus éminents experts en matière de séduction et d’amour. Il connaissait si bien les mystères du cœur qu’il pouvait passer des heures à disserter sur ses joies et ses misères. Et il accepta tout naturellement de me faire visiter le quartier. Nous avons déambulé ensemble dans la rue principale avant de nous arrêter au Gais Magots, bar à la mode fréquenté par les habitués du quartier. On s'est installé en terrasse, monsieur Ralculkeur a commandé 2 cocktails et m'a invité à lui exposer le but de ma visite. Je lui ai donc raconté mon histoire.

 

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-     Ahhh !  dit-il en soulevant son verre, ainsi, vous êtes amoureux, coco ! Eh bien ! Voilà une chose merveilleuse ! Peut-on espérer évènement plus joyeux en ce triste monde !

-     Je… je n'en sais rien, ai-je dit en devenant aussi rouge qu’une tomate, il est vrai que je suis amoureux mais… je dois bien vous avouer, monsieur,  que j'éprouve les pires difficultés à convaincre mademoiselle Aimée… elle ne veut rien entendre…

-     Mais non ! mais non ! dit monsieur Ralculkeur en buvant une gorgée, votre histoire est merveilleuse, coco ! Et elle commence fort bien ! Croyez-moi ! Les plus belles histoires d'amour sont celles qui commencent mal…

-     Oui… peut-être, ai-je dit un peu dubitatif, peut-être avez-vous raison, monsieur mais… je suis si timide et… je connais si mal les règles de la séduction… je ne sais toujours pas comment m'y prendre pour la séduire…

-     Oui ! oui ! oui ! dit monsieur Ralculkeur, ne vous en faîtes pas, coco ! En amour, tout est question de temps et de stratégie ! Parlez-moi un peu de mademoiselle Aimée ! Dîtes-moi à quoi elle ressemble… ce qu'elle aime… ce qui pourrait la faire rêver…

 

J'ai regardé monsieur Ralculkeur un peu désarçonné.

-     Eh bien…, ai-je dit, je la connais très mal, monsieur… je ne sais pas… ce qui pourrait lui plaire…

-     Bon ! dit-il, dans ce cas, il va falloir adopter une stratégie globale, coco ! En amour, on ne peut pas attendre éternellement ! Il va falloir aller de l'avant, coco ! Je crois qu'il est temps de lui déclarer votre flamme ! 

-     Lui déclarer ma flamme..., monsieur Ralculkeur ? Mais elle va sans doute me rire au nez!

-     Vous rire au nez... ? Et pourquoi vous rirait-elle au nez, coco ? …si vous lui apportez ce dont elle a besoin… si vous êtes prêt à satisfaire ses rêves… si vous lui dites que vous êtes riche, que vous avez réussi dans le quartier des Boîtes, que vous pourrez la couvrir de cadeaux… il n’y aucune raison qu’elle refuse votre amour…

-     Et si, malgré tous ces arguments, elle refusait…, monsieur Ralculkeur …?

-     Ahhh ! dit-il, alors dans ce cas, coco, vous allez devoir sortir le grand jeu ! Il faudra vous montrer plus habile ! Faire preuve de romantisme… lui dire qu'elle est belle comme une fleur… lui exprimer votre amour d'une façon différente… Faîtes-moi confiance, coco ! Aucune résidente sur cette Planète ne peut résister aux flatteries et au romantisme !

J’ai regardé monsieur Ralculkeur avec circonspection, assez peu convaincu (à dire vrai) par ses arguments et persuadé que ce genre de discours ne convaincrait jamais mademoiselle Aimée de tomber amoureuse…

-     Eh bien ! dit-il, pourquoi faites-vous cette tête, coco ? Qu’est-ce qui vous tracasse ?

-     Je... comment vous dire, monsieur... vos conseils ont l’air très... Hum ! Hum ! judicieux... mais je crois qu’ils ne persuaderont jamais mademoiselle Aimée... jamais je ne pourrais acheter son amour avec de telles paroles...

Devant ma mine soucieuse, monsieur Ralculkeur me dit (avec un grand sourire aux lèvres) :

-     Vous vous tracassez inutilement, coco ! Je connais parfaitement le cœur des résidentes ! Toutes recherchent l’amour ! Il n'y aucune raison que votre dulcinée soit différente ! Non ! Croyez-moi ! Arrêtez de vous tracasser, coco ! Si vous savez vous montrer habile, vous aurez toutes les chances de la séduire !  

 

 

Porte 59 Je déclare ma flamme à mademoiselle aimée

Le quartier des cupidons –

Après plusieurs jours de réflexion, je décidai de suivre les conseils de monsieur Ralculkeur. Un soir, après ma journée de travail, alors que la nuit tombait sur le monde des Grands Dôms, j'ai quitté la TTC et je me suis dirigé vers le quartier des Cupidons. Je me suis avancé vers mademoiselle Aimée et je lui ai dit en la regardant bien droit dans les yeux :

-     Bonsoir, mademoiselle !

-     Tiens ! dit-elle, encore vous ! Quel mauvais vent vous amène aujourd'hui ?

-     Oh ! ai-je dit, ne soyez pas si méprisante, mademoiselle. Laissez-moi parler, je vous en prie… Ce que j'ai à vous dire est d'une grande importance… cela pourrait changer le cours de votre voyage…

Mademoisele Aimée eut l'air intriguée.

-     Changer le cours de mon voyage…? Eh bien… je vous écoute, jeune homme… Ce n'est pas tous les jours qu'on me propose de changer le cours de mon voyage…

J'ai regardé mademoiselle Aimée avec tendresse. 

-     Eh bien…, je n'ai jamais encore eu l'occasion de vous le dire, mademoiselle, mais… je suis businessman, je travaille pour le compte de la TTC. Je suis le premier adjoint de monsieur Banks. Je suis riche… je suis très très riche. Et mon pouvoir est immense. Et si vous acceptiez mon amour, je pourrais vous acheter tout ce que vous désirez… je pourrais vous couvrir de cadeaux… je pourrais satisfaire tous vos rêves… et vous savez, mademoiselle, je peux aussi me montrer très romantique…

Pour la première fois, mademoiselle Aimée sembla manifester quelque intérêt.

-     Riche, puissant et romantique ? Eh bien, Hummm…. oui, vous avez raison, jeune homme, vous êtes… peut-être en mesure de changer le cours de mon voyage ! Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit plutôt ?

-     Eh bien, ai-je dit un peu gêné, vous ne m'en avez jamais vraiment laissé l'occasion, mademoiselle…

-     Oui, je le regrette sincèrement, dit-elle en rougissant, je pensais que vous étiez l'un de ces… l'un de ces petits messieurs prétentieux qui viennent dans le quartier pour nous narguer et nous éblouir avec leur richesse… vous comprenez, je les déteste… ils sont si… Mais c'est vrai, vous… vous avez l'air différent… Comment vous appelez-vous, jeune homme ?

J'ai rougi jusqu'aux oreilles.

-     Je… je m'appelle petit Pierre, mademoiselle.

-     Petit Pierre ! dit-elle, oh ! Quel joli prénom ! Vous savez, petit Pierre, si ce que vous dîtes s'avère exact, je crois que… je crois que nous allons pouvoir nous entendre…

-     C'est vrai ? ai-je dit, vous accepteriez de…

-     Bien sûr ! dit-elle, vous n'avez qu'un mot à dire, petit Pierre…

-     Un mot, mademoiselle…? Et vous… vous accepteriez… enfin tu... tu accepterais de devenir ma... mais comment allons-nous faire pour... ?

-     Oh ! dit-elle, c’est très simple, petit Pierre ! Il suffit de signer un contrat.

-     Un contrat... ? Tu veux dire... une sorte d’arrangement... ?

-     Oui ! dit-elle, en quelque sorte ! C’est très simple ! Nous pouvons nous unir en passant alliance. Ainsi, je m’engagerais à t’offrir ma beauté... et toi, en échange, tu devras t’engager à m’offrir ta richesse. N’est-ce pas là un arrangement intéressant ?

-     Oh oui ! ai-je dit en songeant au joyau de la beauté qui allait bientôt m’appartenir, certainement, mademoiselle Aimée ! Voilà un arrangement très intéressant ! Eh bien ! D’accord ! C’est entendu, mademoiselle Aimée ! Nous allons signer ce contrat !

 

 

Porte 60 Je possede les 4 joyaux du quartier des boites

Le quartier des boites –

Quelques semaines plus tard, mademoiselle Aimée et moi avons passé alliance et signé notre contrat. Nous sommes partis quelques jours en voyage de noces dans un endroit retiré (et très chic) du quartier des Boîtes. Notre lune de miel fut merveilleuse. A notre retour, mademoiselle Aimée a déménagé du quartier des Cupidons pour s'installer dans mon appartement du quartier des Boîtes. Ainsi a débuté notre voyage commun qui a suivi son cours heureux, tranquille et prospère pendant près de 7 années. Au cours de cette période, j'étais le plus heureux des résidents du Grand Labyrinthe… tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes. … J'avais enfin trouvé les 4 joyaux du quartier des Boîtes. Je possédais le joyau de la beauté (grâce à mon alliance avec mademoiselle Aimée et le contrat qui nous liait pour le meilleur et aussi pour le pire…), je possédais le joyau de l'intelligence (mes diplômes et ma réussite dans le quartier des Boîtes en étaient bien sûr les preuves éclatantes…) et je possédais les joyaux de la richesse et du pouvoir (fruits de ma brillante carrière à la TTC). Bref, j'avais réussi mon voyage… j'étais arrivé au bout du chemin… j'avais enfin trouvé le trésor…

 

 

Porte 61 Les doutes m'assaillent…

Le quartier des boites –

Au cours de ces 7 longues et merveilleuses années, je profitai du voyage (et de ses innombrables plaisirs), savourant chaque jour les joyaux de la beauté, de la richesse, du pouvoir et de l'intelligence. J'étais comblé par mon travail à la TTC (toujours plus passionnant et digne d'intérêt), j'étais comblé par la beauté et la gentillesse de mademoiselle Aimée…. j'étais un Grand Dôm respecté et admiré de tous dans le quartier pour mon intelligence et ma richesse. Bref… en apparence le voyage semblait parfait… En dépit de cette réussite exemplaire dans le monde des Grands Dôms, je ressentais néanmoins une certaine tristesse et un ennui inexplicable... qui se manifestaient de temps à autre… comme si mon cœur n'était pas totalement comblé… Les premières années, je n'ai guère prêté attention à cet étrange sentiment. Mais au fil du temps, cette tristesse et cet ennui se firent plus réguliers et plus intenses. Les plaisirs du voyage me laissaient de plus en plus indifférent… certes, je parvenais encore un peu à savourer ma réussite dans le monde des Grands Dôms… mais le cœur n'y était plus… Les années passaient et mon ennui devint plus profond… Ma tristesse devint si grande qu'un beau jour je me mis à douter du sens même du chemin et de la validité du trésor et des joyaux acquis dans le quartier des Boîtes. Le voyage des Grands Dôms pouvait-il se limiter à courir après les joyaux puis, une fois acquis, à profiter du voyage en savourant sa réussite et son trésor…? C'était quelque peu absurde, ridicule et limité…

 

Quelques fois, le doute m'envahissait totalement. Ces jours-là, je me sentais si vide à l'intérieur que j'étais prêt à tout remettre en question… l'existence des joyaux, l'orientation de mon chemin… et le sens même du voyage… 

 

Malgré la présence réconfortante de mademoiselle Aimée, je me sentais bien seul… bien triste … et bien désemparé… face à ces doutes et à ces questionnements… Autour de moi, dans les boîtes alentour, personne ne semblait souffrir de cet étrange ennui, personne n'avait l'air de se poser la moindre question sur la direction du chemin… Tous avaient l’air de se satisfaire des bouts de joyaux qu’ils avaient trouvés : un bout de richesse par-ci, un bout de pouvoir par-là, un bout de beauté et quelques brins d’intelligence. Et pour eux, tout semblait aller pour le mieux ! Le matin, ils partaient travailler dans leur boîte. Et le soir, ils rentraient chez eux. Mais aucun n’avait l’air de se questionner sur le sens du voyage. Chacun suivait son chemin cahin-caha... comme s’il n’existait aucun Labyrinthe... comme si pour eux, le chemin était une longue ligne droite avec de temps à autre une porte (pour s’échapper) et quelques virages - car le voyage, bien sûr, n’épargnait personne avec ses incertitudes et ses déconvenues.

 

 

Porte 62 Le coup de grâce

Le quartier des boites –

Un soir, en rentrant de la TTC, mademoiselle Aimée m'attendait sur le seuil de la porte. Elle a tourné vers moi de grands yeux tristes et mélancoliques.

 

-     Ce n'est plus possible ! dit-elle, cette tristesse est insupportable !

 

Je l'ai regardée… sans vraiment la voir.

-     Tu dois faire quelque chose, petit Pierre ! Je ne supporte plus cette tristesse ! Tu m'entends ?!! Je n'en peux plus… je… je vais partir…

-     Partir…? comment ça… partir…? Tu… tu… tu veux me quitter..?

 

D'un geste las, mademoiselle Aimée m'a montré sa valise dans le vestibule.

-     Je crois qu'il est préférable de nous séparer, petit Pierre ! Cette tristesse est devenue si insupportable… notre histoire n'a plus d'avenir. Nous ne pouvons pas éternellement maintenir l'illusion d'un amour… qui n'a jamais existé…

 

Ses mots se figèrent dans mon cœur comme si elle y avait décoché une flèche.

-     Mais..., ai-je bafouillé, ce... ce n’est pas possible, Aimée ! On… on ne peut pas quitter ceux qu’on aime.

-     Nous ne nous sommes jamais vraiment aimés, petit Pierre. Notre histoire n'a jamais été une histoire d'amour… elle avait l'apparence de l'amour. Mais nous nous sommes menti et leurré l'un et l'autre… Et aujourd'hui, il est préférable de se séparer. Crois-moi, petit Pierre ! Il vaut mieux en finir…

 

Je crus que mon cœur allait se briser. Je me mis à trembler… comme si toutes les boîtes autour de moi menaçaient de s’écrouler.

-     Mais... mais..., ai-je bafouillé, je... je ne pourrais jamais vivre sans toi, Aimée. Tu ne peux pas partir comme ça ! Et notre contrat ? As-tu oublié notre arrangement ? Tu n’as pas le droit de m’abandonner !

-     Je me moque de ce contrat ! dit-elle, il n’a aucune valeur. Nous avons vécu dans le mensonge. Dès le premier jour, nous nous sommes menti... et ensemble nous avons fait fausse route. L’amour ne s’achète pas, petit Pierre ! Il n’échange pas la beauté contre la richesse. L’amour n’échange rien ! Il donne sans compter ! Il donne sans recevoir ! Et nous n’avons jamais su nous aimer de cette façon. Et maintenant, il est trop tard ! Oublie-moi, petit Pierre !

 

Mademoiselle Aimée a baissé les yeux.

-     Tu m’oublieras, dit-elle, avec le temps, on oublie tout.

-     Non ! ai-je crié, ce n’est pas vrai ! Je ne t’oublierais jamais… On n'oublie jamais ceux qu’on aime ! Et moi, je t’aime ! Je t’aime, Aimée ! Je t’en prie, Aimée, ne me quitte pas ! Nous essaierons de mieux nous aimer !

Une lueur de tristesse est passée dans ses grands yeux noirs.

-      Non ! dit-elle, il est trop tard. Adieu ! Adieu, petit Pierre !

Mademoiselle Aimée m’a regardé une dernière fois, elle a saisi sa valise puis elle s’en est allée en me laissant tout bête dans mon grand appartement. Je l'ai regardée s'éloigner avec tristesse et je me suis effondré en larmes.

 

 

PARTIE 10 UNE TRISTE PERIODE D'INSOUCIANCE

 

Porte 63 Monsieur videlequeur

Le quartier des sans soucis –

Mon chagrin était si grand que je restai enfermé chez moi pendant de longues semaines, les volets clos et le cœur bien sombre. Les jours passèrent… aussi tristes les uns que les autres. Je n'avais plus goût à rien… je n’avais envie de voir personne. Je ne prenais même plus la peine d'aller travailler. Que m'importaient à présent la richesse et le pouvoir ! J’avais perdu le cœur de mademoiselle Aimée... Je croyais aimer et être aimé... et voilà que tout s'effondrait ! Pourquoi le vent avait-il tourné ? Ah ! Mon Dieu ! L’amour...  Ah ! Mon Dieu ! Quel voyage... J’étais si désespéré que j'ai passé de longs mois à pleurer (totalement inconsolable), persuadé que mon trésor était perdu à jamais.

 

Surpris par ce long silence, un matin, monsieur Videlequeur, cousin germain et plus proche collaborateur de monsieur Ralculkeur avec qui j'avais lié amitié, frappa à la porte de mon appartement. Et lorsqu’il me vit si déprimé, les yeux rougis par les sanglots et le cœur rongé par la tristesse, il ne put contenir sa réprobation. 

-     Ah non, coco ! dit-il, il ne faut pas être si triste. Ainsi est le voyage ! Dans le  jeu de l’amour, un jour, on gagne, et un autre… on perd. Vous prenez les choses bien trop à cœur, mon ami !

-     Non... Hpppf..., ai-je dit en sanglotant, l’amour n’est pas un jeu, monsieur Videlequeur. On n’a pas le droit de jouer avec ceux qu’on aime.

-     Mais si, coco ! L’amour est un jeu… et il faut savoir s’en amuser ! Ce voyage est déjà si désespérant… il y a tant de malheurs sur cette planète qu'il faut bien s'amuser un peu…  Ahhh mon ami, vous prenez vraiment les choses trop à cœur ! Au lieu de pleurer sur votre sort vous feriez mieux de rendre grâce au chemin qui vous a permis de découvrir la supercherie du quartier des Boîtes ! Le trésor que vous avez perdu, coco, était un faux trésor… Vous vous êtes laissé berné, comme la plupart des Grands Dôms, par son éclat brillant (et bien trompeur)… Heureusement que le chemin vous a révélé sa vraie nature, coco : fragile, éphémère et illusoire trésor que celui du quartier des Boîtes… Et maintenant, si vous souhaitez échapper au désespoir, je vous conseille de trouver le chemin de l'insouciance… sinon, vous finirez comme tous ces pauvres résidents qui s'aperçoivent un jour qu'ils ont couru après un faux trésor et qui achèvent leur voyage dans la plus grande désespérance…

-     Je... je vous trouve bien pessimiste, monsieur Videlequeur.

-     Pessimiste…? Non, coco ! Je suis lucide, mon ami ! Et au lieu de disserter sur les misères de ce voyage, vous feriez mieux d'apprendre à voyager avec plus d’insouciance. Voilà le seul chemin sur cette planète… traverser les misères du voyage avec légèreté et insouciance !

-     Avec légèreté et insouciance... ? Eh bien… je ne sais pas comment vous vous y prenez, monsieur Videlequeur... ce voyage est … si triste… et si désespérant… 

Monsieur Videlequeur me fit un clin d’œil.

-     Eh bien justement ! dit-il, c'est parce que ce voyage est désespérant qu'il faut être insouciant ! Quel intérêt y aurait-il à regarder le voyage avec tristesse …?  N'est-il pas suffisamment triste ainsi...? Tout est si sinistre et désespérant dans le monde des Grands Dôms qu'on passerait son voyage à pleurer… Ah ! croyez-moi, coco, il n'y a qu'un seul chemin pour nous sauver du désespoir…  

Les paroles de monsieur Videlequeur me laissèrent - je dois le dire - assez perplexes. Je doutais que l'insouciance soit le remède le plus approprié aux misères du voyage… Mais j’étais si triste… et désespéré depuis si longtemps que j’étais prêt à tout... même à écouter ces drôles de conseils sur l’insouciance.

-     Bon... hpppf... eh bien... d’accord ! ai-je dit en séchant mes larmes, après tout… pourquoi pas…? Je ne perds rien à essayer…

Monsieur Videlequeur me fit un nouveau clin d'œil.

-     Voilà une sage décision, mon ami ! Vous verrez, dans quelques temps, vous reprendrez, si j'ose dire, du poil de la bête ! Et quand vous serez totalement remis d'aplomb, je vous présenterai une charmante personne qui guidera vos pas sur le chemin de l’insouciance. Et vous verrez, coco ! Elle est si gaie et si légère que votre chagrin ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir !

 

 

Porte 64 Mademoiselle rimale

Le quartier des sans soucis –

Quelques semaines plus tard, monsieur Videlequeur sonna à ma porte accompagné de mademoiselle Rimale.

-     Bonjour, coco ! dit-il avec un grand sourire, j'espère que votre tristesse s'est dissipée… j'ai le plaisir de vous présenter mademoiselle Rimale, une amie de longue date, qui se fera une joie de vous faire visiter le quartier des Sans Souci.

J'ai regardé mademoiselle Rimale qui m’a tendu la main (d’une façon un peu maniérée) avec un grand sourire aux lèvres (un sourire absolument ensorcelant…)

-     Bonjour ! dit-elle, je suis ravie de vous rencontrer, mon ami !

-     Bonjour…, ai-je dit en lui serrant la main (et en devenant aussi rouge qu'une tomate),  bonjour, mademoiselle…

-     Allez ! Allez ! dit-elle, faîtes-moi plaisir, voulez-vous ! Ne soyez pas si triste ! vous verrez… nous allons passer ensemble une journée formidâââble…

-     Ohhhh…, ai-je dit, vous savez… je me sens encore un peu triste, mademoiselle… mais je ferais mon possible… pour… pour être joyeux mais… ma tristesse est encore bien lourde à porter…  

Mademoiselle Rimale m'a fait un clin d'œil.

-     Allez ! Allez ! dit-elle, cessons de nous appesantir sur cette tristesse, voulez-vous ! Et allons profiter des plaisirs du quartier !

Monsieur Videliqueur m'a fait un grand sourire.

-     Bon ! dit-il, eh bien, je vais vous laisser en compagnie de mademoiselle Rimale, mon ami… j'ai encore à faire dans le quartier… 

Puis il s'est penché discrètement à mon oreille.

-     Et n'oubliez pas de ranger votre tristesse dans votre poche, coco…. le voyage est bien trop court pour se faire du souci ! Allez ! Allez, mon ami ! Faites-moi le plaisir de retrouver le sourire ! 

Il a tourné la tête vers mademoiselle Rimale, lui a fait un clin d’œil complice (et un rien malicieux) et il s’en est allé en sifflotant (avec son air joyeux coutumier).

- Allez ! Allez ! dit mademoiselle Rimale, dépêchons-nous, mon ami ! J'ai hâte de vous faire découvrir les merveilles de notre quartier !

 

Quelques instants plus tard, je déambulais en compagnie de mademoiselle Rimale dans la rue principale du quartier des Sans Souci.

-     Allez ! Allez ! dit mademoiselle Rimale, Allez Allez, mon ami ! Faites-moi plaisir, voulez-vous ! Rangez votre tristesse ! Ce voyage n'est-il pas merveilleux ? Allez ! Allez, mon ami ! Apprenez à sourire et à égayer votre cœur. Le chemin n'est-il pas plus agréable avec le sourire aux lèvres ? Regardez autour de vous ! Ici, tout n'est que joie, légèreté et insouciance !

J'ai essayé d'esquisser un léger sourire.

-     Eh bien ! Voilàààà ! dit-elle, vous avez un très joli sourire, mon ami. Il est tellement plus agréable d'être d'humeur insouciante. Cela ne donne-t-il pas au voyage plus de légèreté ?

Mademoiselle Rimale a posé sa main sur mon bras et nous nous sommes dirigés bras dessus bras dessous vers le centre du quartier.

 

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Cette promenade en compagnie de mademoiselle Rimale fut, je dois bien l'avouer, un remède très efficace pour lutter contre ma tristesse (tristesse qui ne me quittait plus depuis des mois). Partout où elle passait, mademoiselle Rimale semblait laisser derrière elle une longue traînée de légèreté qui enveloppait aussitôt l'atmosphère d'une délicieuse insouciance et qui avait l'air d'ensorceler tous ceux qui la rencontraient. Ce jour-là, elle se montra avec moi si légère et si gaie… (si débordante d'enthousiasme et d'insouciance…) que je fus totalement envoûté… absolument conquis par son charme frivole et pétillant. Au cours de notre promenade, je fus surpris de voir à quel point tous ceux que la croisaient semblaient ensorcelés. Tous la regardaient d'un air joyeux et émerveillé. Certains aussi - je l'ai remarqué - la dévoraient des yeux, fixant d'abord son joli minois (un peu effrontée), s'attardant un instant sur son décolleté et s'arrêtant enfin (lorsque nous les dépassions) sur son déhanchement sensuel et quelque peu provocant. Et de toute évidence, mademoiselle Rimale était ravie de susciter de tels regards.

-     Eh oui, mon ami !  dit-elle, j'adôôôre faire le bonheur autour de moi… Allez ! Allez ! Dépêchons-nous, mon ami ! J'ai tant de choses merveilleuses à vous faire découvrir ! 

 

Nous avons délaissé la rue principale pour l'avenue des boutiques que nous avons parcourue (en long et en large) tout l'après-midi, nous arrêtant devant chaque vitrine et entrant dans chaque magasin pour acheter des robes, des escarpins, de la poudre pour les yeux, du fond de teint, un chapeau à voilette et une combinaison coquine en pure soie (pour séduire son prochain fiancée, me dit-elle en me faisant un clin d’œil). En quittant l'avenue des boutiques, mademoiselle Rimale m'a proposé (avec un grand sourire) d’aller prendre une collation dans l’un de ses salons de thé préférés (lieux, me dit-elle, qu’elle affectionnait particulièrement et qu’elle fréquentait quotidiennement).

-     Allez ! Allez ! dit-elle en poussant la porte du Plaisirs des sens, célèbre salon de thé du quartier des Sans Soucis, nous avons bien mérité un peu de repos, n’est-ce pas… ?

 

Nous nous sommes installés en terrasse. Une serveuse très chic (tablier blanc et chignon sophistiquée) s’est empressée de nous apporter la carte. Nous avons passé commande. Et quelques instants plus tard, la serveuse nous a apporté notre thé et quelques pâtisseries.

-     Alors, me dit mademoiselle Rimale entre deux cuillérées (élégamment mises en bouches), comment trouvez-vous le quartier, mon ami ? N’est-il pas merveilleux ?

-     Oui ! ai-je dit un peu las (par cette épuisante journée à porter les innombrables paquets de mademoiselle Rimale), votre quartier est très gai, mademoiselle… on y respire un air d'insouciance très charmant et… je dois bien l'avouer… plutôt envoûtant… votre compagnie est très agréable… avec vous, le chemin a l'air plus gai… et plus léger… et le voyage prend un tel air d'insouciance que…

-     Ohhhh ! Eh bien ! dit-elle, votre réponse me ravit le cœur, mon ami ! Si vous saviez, le plaisir que nous avons à habiter le quartier ! Ohhh ! Mais  je vais vous faire une confidence, mon ami… Nous devons rendre grâce au hasard du chemin… qui nous a permis de découvrir ce merveilleux quartier… sans lui, je crois que notre voyage serait un enfer… ! Ah ! Mais n’y pensons plus, voulez-vous… Je déteste la tristesse… sachons rester gais malgré le désespoir qui nous entoure…. Louons ce merveilleux chemin et sachons profiter des merveilles de ce fabuleux quartier !

Nous avons continué à bavarder jusqu'à la nuit tombée. Entre deux gorgées de thé et deux pâtisseries, mademoiselle Rimale a poursuivi l'éloge de son admirable quartier (apparemment le seul paradis de cette planète à ses yeux). Elle m'expliqua (avec beaucoup de ferveur et de détails) à quoi elle occupait ses merveilleuses et insouciantes journées; quelques heures de shopping dans l’avenue des boutiques, une ou deux séance(s) quotidienne(s) de remise en beauté dans des instituts du même nom, ses après-midis dans les salons de thé à bavarder avec ses amies avec légèreté sur les sujets les plus futiles et les plus frivoles, ses soirées avec ses amoureux et ses nuits de fête dans les clubs à la mode du centre du quartier.

 

-     Ahhh, mon ami ! dit-elle, cette Planète est vraiment merveilleuse ! Il nous suffit de si peu de choses pour apprécier les plaisirs du voyage !

Mademoiselle Rimale m’a regardé avec ses grands yeux charmants et rieurs.

 

-     Allez ! Allez ! dit-elle, ne vous inquiétez pas, mon ami ! Vous verrez, si vous restez en ma compagnie dans le quartier, dans quelques semaines, votre tristesse aura totalement disparue ! Et bientôt vous serez le plus insouciant des résidents !

 

Mademoiselle Rimale m'a quitté en début de soirée (elle avait prévu, me dit-elle, de passer la nuit avec quelques amies au club Night Lights, club très à la mode chez les Sans Souci. Après m'avoir promis de m’accompagner sur le chemin de l’insouciance, elle m'embrassa (avec effronterie) et quitta le salon de thé avec un grand sourire aux lèvres.   

 

 

Porte 65 Les amis de mademoiselle rimale

Le quartier des sans soucis –

Malgré l'indécrottable tristesse (et l'ineffable gravité) qui collaient à mes basques depuis le début de ce voyage, l'insouciance de mademoiselle Rimale m'avait séduit. Sa légèreté et sa gaieté étaient, il est vrai, fascinantes et contagieuses. J'avais totalement succombé à son charme… le chemin en sa compagnie prenait des allures si légères que je me mis à la retrouver chaque jour dans le quartier des Sans Souci. A chacune de nos rencontres, elle prenait soins de guider mes pas sur le chemin de l'insouciance. 

-     Allez ! Allez ! disait-elle, souriez, détendez-vous et égayez votre cœur, mon ami ! Et allons profiter ensemble des plaisirs du voyage ! 

Elle mit tant d'enthousiasme et de joie à accompagner mon cœur vers la légèreté que je finis en quelques semaines par devenir d’une grande insouciance. Monsieur Videlequeur n’avait pas menti. Mademoiselle Rimale n’avait pas sa pareille pour vous faire oublier vos soucis. Avec elle, même les ennuis les plus tenaces et les sujets les plus tragiques prenaient des allures joyeuses. Au fil des jours, ma tristesse se dissipa totalement.

Après ma journée de travail à la TTC (eh oui ! Malgré mon insouciance, il me fallait tout de même continuer à travailler), je m’empressais de rejoindre mademoiselle Rimale dans le quartier des Sans Soucis. Et nous passions ensemble nos nuits à rire, à nous amuser et à profiter des plaisirs du quartier. Mais ces nuits d’insouciance étaient, je dois le dire, assez peu compatibles avec le sérieux exigé dans le quartier des Boîtes. Au fil des semaines, j’éprouvai de plus en plus de difficultés à concilier mon travail à la TTC et mes nuits d’insouciance avec mademoiselle Rimale. Plus les jours passaient, moins j’avais envie d’aller travailler. Chaque matin, j’arrivais en retard au bureau… J’étais si fatigué qu'il m'arrivait de commettre de grossières erreurs de calculs (me trompant, par exemple, dans mes multiplications… et parfois même dans mes additions), j'égarais mes dossiers... bref je n’avais plus la tête à travailler.... Si bien qu’un beau jour, monsieur Banks, exaspéré par ma légèreté et mon insouciance, me mit à la porte. Lorsque j’annonçai mon licenciement à mademoiselle Rimale, elle a éclaté de rire.

-     Mais c’est formidâââble ! dit-elle, à présent, vous aurez tout le loisir de venir vous amuser avec nous !

Après mon licenciement, mademoiselle Rimale me présenta à ses nombreux (et très insouciants) amis. Je passai mes jours et mes nuits en leur compagnie à rire, à m’amuser et à profiter des innombrables plaisirs du quartier. En quelques mois, je devins un véritable résident du quartier des Sans Soucis, me plongeant jusqu'à la lie dans l’insouciance et la frivolité (sans doute pour oublier ma tristesse et les malheurs de mon voyage). Au cours de cette période, j'ai fréquenté les plus éminents (et les plus insouciants) résidents du quartier : Jet Set, le plus grand noceur des Sans Soucis, mademoiselle Garden qui adorait les partys entre amis, King singer, le roi du Show-biz et tout un tas d’autres personnages, tous plus insouciants et frivoles les uns que les autres.

 

Après cette brève (et intense) période d’euphorie, je finis par me lasser… et sombrer dans un ennui profond. Aussi sympathiques et insouciants qu’étaient les amis de mademoiselle Rimale, je finis par les trouver ridicules et superficiels. Et n’en déplaisent à tous les Sans Souci du quartier, je ne pus bientôt m’empêcher de les trouver cyniques et affligeants. Derrière leur désinvolture apparente (et cette façade d'insouciance joyeuse), je sentais poindre chez chacun un fond de désespoir insondable… Et la tristesse que mademoiselle Rimale avait réussi à recouvrir pendant quelques temps a rejailli. Un soir, lassé par cette vie d’insouciance, je décidai de mettre fin à ces amitiés trop légères. En annonçant à Mademoiselle Rimale mon désir de mettre fin à notre relation, elle ne s’en est guère offusquée. Je crois même qu’elle considéra mon départ avec un certain soulagement, comme si ma présence (encore trop sérieuse malgré mes efforts) parmi ces joyeux drilles avait alourdi et quelque peu entamé sa légèreté et sa joyeuse insouciance…

 

 

Porte 66 Monsieur albert

Le quartier des sans soucis –

Commença alors une triste période… l’un des épisodes les plus tristes de mon voyage. Après ma séparation avec mademoiselle Rimale (et sa bande de joyeux drilles), mon chemin s'enfonça dans la tristesse et la morosité (je devins plus triste et plus morose que jamais). Je passais mes journées à errer, ici et là, dans le quartier des Sans Soucis. Qui aurait pu comprendre mon désespoir ? J’avais tout perdu… le cœur de mademoiselle Aimée, l’amour et le joyau de la beauté... mademoiselle Rimale et son amitié... mon poste à la TTC, le joyau du pouvoir et celui de la richesse (et faute d’argent, j’étais en passe de perdre mon bel appartement...) j’avais perdu l’insouciance... bref, j’avais tout perdu... Et qu’aurais-je pu faire sinon marcher au hasard des rues comme un fantôme rongé par la tristesse et le désespoir ? Mon voyage m’avait conduit dans une terrible impasse ! Et c'était là un chemin bien difficile à accepter…

 

Au fil des jours, mon désespoir s'est amplifié… il devint si profond que je me mis bientôt à déambuler chaque jour dans la même rue du quartier des Sans Soucis (la remontant inlassablement du côté des numéros pairs et la redescendant inlassablement du côté des numéros impairs). Après ces incessantes allées et venues, j'allais m’asseoir parfois, en fin de soirée, sur les marches face à la bouche du métropolitain. Et je restais là assis des heures… (jusque tard dans la nuit) à ruminer de mauvaises pensées sur l’absurdité de ce maudit voyage.

 

Un soir, alors que j'étais assis à ma place habituelle en train de pleurer sur mon sort en regardant avec tristesse (l'œil vide et désespéré) les résidents insouciants passés indifférents à mon désespoir (montant et descendant inlassablement les marches), j’ai croisé le regard de monsieur Albert (célèbre, distingué et honorable résident du quartier) qui était assis à quelques distances de là, sous un vieil arbre malingre qui faisait l'angle du Café des Plumes et de la Librairie des Arts, deux hauts lieux culturels du quartier des Sans Souci. Comme tous les résidents du quartier, je connaissais monsieur Albert pour l'avoir croisé à maintes reprises dans la rue principale au cours de mes innombrables visites dans le quartier. C'était un personnage haut en couleur, mendiant et poète des Sans Souci, flâneur invétéré au cœur léger et joyeux… et encore plus insouciant que les autres résidents... Il « travaillait » en face à la bouche du métropolitain, entre le café des Plumes et la librairie des Arts… et passait ses journées à crier à tue-tête (et à qui voulait l’entendre) qu’il était le plus libre des Grands Dôms.

Lorsqu’il m’aperçut ce jour-là, monsieur Albert a ramassé sa casquette (où les résidents lui jetaient parfois quelques pièces), il a plié sa vieille couverture, l’a rangé soigneusement dans son sac de toile rapiécé et il s’est avancé vers moi avec un grand sourire aux lèvres.

-     Eh bien ! dit-il, que… que se passe-t-il, jeune homme ? Il n'y aucune raison d'être si désespéré… avez-vous perdu le goût du voyage ?

J'ai lancé à monsieur Albert un long regard triste (et un peu teinté de colère).

-     Le goût du voyage..? Vous ne savez sûrement pas de quoi vous parler, monsieur ! Si vous étiez à ma place… si vous étiez un pauvre chercheur, vous trouveriez ce voyage bien désespérant.

-     Voyez-vous ça ! dit monsieur Albert en alpaguant les passants, monsieur est un chercheur désespéré… un chercheur trop triste pour poursuivre ses recherches… Ah ! Quelle misère ! Chercheur à la manque !

 

J’ai regardé les passants d'un air gêné.

- Ne vous souciez pas des passants ! dit monsieur Albert, qu'est-ce que vous croyez, jeune homme ? Ici, personne ne se soucie de vos soucis ! Alors à quoi bon se soucier du souci que vous pourriez causer ? De quoi avez-vous peur ? De voir dans leurs yeux votre déchéance…? D'y lire votre décadence… de voir la pitié ou la moquerie que vous leur inspirez ? Mais ils ne s'en soucient guère… alors à quoi bon vous en souciez ! Ah ! Quelle misère ! Se faire du souci pour tant de fadaises ! 

-     Oh ! ai-je dit, inutile d'ameuter le quartier, monsieur ! Je n'ai aucune envie d'étaler aux yeux du monde mon statut de pauvre chercheur... un pauvre chercheur qui cherche… qui cherche… qui cherche… et qui finit par perdre tout ce qu’il trouve.

 

Monsieur Albert a éclaté de rire.

-     Chercheur..., dit-il, vous êtes un chercheur qui cherche… et que cherchez-vous aujourd'hui en pleurant comme une madeleine ?

-     Eh bien…, aujourd'hui… monsieur, je ne cherche plus grand-chose, seulement… à sortir de ce satané désespoir…

 

Monsieur Albert a éclaté de rire une nouvelle fois, indifférent aux regards des passants indifférents.

-     M'ouais ! M'ouais ! dit-il, chercher est une chose, jeune homme… trouver en est une autre… et conserver ses trouvailles…  une troisième… Ahhh ! J'aurais bien des choses à vous raconter sur les chercheurs…

Monsieur Albert s'est penché vers moi et m'a regardé avec ses petits yeux pétillants de malice.

-     Je vais vous dire, jeune homme… vous me faites penser à un résident que… que  j'ai très bien connu dans le passé… A l'époque, il était comme vous, aussi triste, aussi malheureux, aussi désespéré… Une vraie misère ! Allez ! Allez ! dit-il, allons trinquer à son souvenir, jeune homme ! Allez ! allez! On va aller arroser notre rencontre ! Je vous invite… ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un chercheur dans le quartier… croyez-moi, ils se font plutôt rares par ici…

 

p14

 

Monsieur Albert a désigné les passants (d'un geste méprisant).

-     Non mais regardez-les ! Ils s'imaginent avoir trouvé ce qu'ils cherchaient ! Ah ! Quelle misère ! Allez ! Venez, jeune homme ! Je vous invite chez moi !

Monsieur Albert m’a tendu la main et nous nous sommes dirigés vers le Café des Plumes.

-     Salut la compagnie ! a crié monsieur Albert en poussant la porte du café désert.

Nous nous sommes installés dans l’arrière-salle (déserte elle aussi à cette heure peu tardive).

-     Voilà ! dit-il, maintenant, on va pouvoir causer tranquillement, jeune homme… allez ! Parlez-moi un peu de votre histoire ! Ça me fait tellement plaisir de rencontrer un chercheur…

-     Oh ! Eh bien..., ai-je dit, mon histoire est simple, monsieur… j'ai passé une grande partie de mon voyage à chercher le trésor… et puis… un jour… j'ai trouvé les 4 joyaux… pendant quelques temps, tout allait très bien… et puis… un jour, j'ai fini par les perdre… et maintenant… je ne cherche plus rien… je suis complètement perdu… Je… je ne sais même plus quel chemin emprunter…

-     En somme ! dit monsieur Albert, vous êtes un chercheur de trésor qui a perdu le trésor ?

-     Oui, ai-je dit en acquiesçant un peu tristement, c'est à peu près ça… 

 

Monsieur Albert a éclaté de rire. Il s’est mis à rire si fort qu’il faillit s’étrangler.

-     Chercheur de trésor qui a perdu le trésor ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Voilà qui est trop drôle ! Comme si le trésor pouvait se perdre ! Ahhh ! Quelle misère ! Vous… vous avez fait fausse route, jeune homme ! Ce que vous avez perdu n'est pas le trésor ! On ne perd que les faux trésors ! Le vrai trésor est partout… à portée de main… à portée de regard, jeune homme ! Pour le trouver, il n’y a rien de plus simple sur cette planète ! Il suffit de regarder autour de soi ! Le trésor est là… partout ! Il suffit d’ouvrir les yeux !

J’ai regardé monsieur Albert.

-     Mais regardez ! dit-il.

J’ai regardé autour de moi. J’ai vu des tables, des murs blancs et une petite fenêtre qui donnait sur le trottoir.

-     Mais regardez avec plus de profondeur ! dit monsieur Albert.

 

J’ai regardé par la fenêtre. J’ai vu des résidents du quartier qui marchaient avec gaieté et insouciance sur le trottoir. J’ai vu quelques habitants du quartier des Boîtes (reconnaissables à leur démarche rapide et agitée) qui étaient sans doute venus dans le quartier pour se distraire. J’ai vu aussi les feuilles des grands arbres du boulevard agitées par le vent. J’ai vu encore le soleil qui déclinait à l'horizon...  

-     Mais... je ne vois rien, ai-je dit, je ne vois aucun trésor, monsieur !

-     Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! dit monsieur Albert, vous ne voyez rien parce que vos yeux ne savent pas voir, jeune homme ! Sinon vous seriez ébloui par les paysages et les trésors du voyage ! Et vous cesseriez de vous morfondre en courant après vos stupides joyaux.

-     Je ne suis pas aveugle ! ai-je dit, je vois très bien ce qu’il y a autour de moi.

Pour qui me prenait-il ? Il n’y avait pas plus de trésors ici que de champs de tulipes ou de pommiers en fleurs.

-     Eh bien ! Si vous ne voyez rien, dit-il, continuez à chercher ! Allez rejoindre le troupeau de résidents qui courent dans tous les quartiers du Grand Labyrinthe à la recherche de leurs stupides joyaux !

C’en était trop. Je me suis levé sans un mot et j’ai quitté monsieur Albert avec un sentiment de colère (colère qui s'ajoutait à ma tristesse et à mon désespoir). Ah ! Décidément ! dis-je en moi-même, ce voyage est bien désespérant ! J’avais perdu tous les joyaux et à présent, on se moquait de moi ! Et j'ai retrouvé ma place sur les marches en face de la bouche du métropolitain. J’étais si désespéré que je me remis à pleurer en songeant à ce maudit voyage. Et je me suis rendu compte (pour la première fois) que je n’avais encore jamais pensé à mon île depuis mon arrivée dans le monde des Grands Dôms. Pourquoi n’y avais-je pas songé plus tôt ? Depuis mon arrivée dans le quartier des Boîtes, il est vrai que j’avais fait preuve de beaucoup d’inconscience... Mais pourquoi n’avais-je pas pensé à retourner sur mon île pour écouter les conseils de ses habitants ? Les joyaux du quartier des Boîtes m’avaient décidément bien aveuglé... et depuis que je les avais perdus, mon désespoir était si grand, que je n’avais plus goût au voyage... Et à présent que j’étais seul et perdu, à qui aurais-je pu demander conseils ? Et je me mis à penser au temps des P’tits Dôms où ma Fleur guidait mes pas sur le chemin qui menait au trésor. Mais ma Fleur n’était plus là.  Qui aurait pu m’aider à présent… Les autres habitants étaient-ils revenus sur l'île ? Et n’allaient-ils pas se moquer de moi si je revenais les voir sans les joyaux et sans le trésor ? Que faire ? Aller voir l’étang... ? Mais il allait sûrement rire de mes mésaventures... Aller voir madame La pierre... ? Elle allait sûrement se montrer désagréable... j’ai alors pensé au pélican... mais comment le joindre ? Il était toujours par monts et par vaux... j’ai alors songé au grand saule... mais il ricanerait sûrement en me molestant un peu... Aller voir le rocher moussu ? Oui… je ne lui avais encore jamais parlé... et il m’écouterait sans doute avec gentillesse… Et après toutes ces années d’inconscience passées loin de mon île, j’ai poussé, le cœur un peu honteux, la porte de l’île de la Conscience pour confier ma tristesse au rocher moussu.  

 

 

Porte 67 Le rocher moussu me console

L'île de la conscience –

-     Ô monsieur le rocher moussu, ai-je dit en sanglotant, si vous saviez comme je suis désespéré… je n'ai jamais été aussi perdu depuis mon arrivée chez les Grands Dôms… 

 

Le rocher moussu (qui m’avait toujours semblé d’une grande froideur) a accueilli ma tristesse avec une chaleur et une tendresse inespérées.

-     Ne t’inquiète pas ! dit-il, nous sommes là, petit Pierre ! Tu as traversé de terribles épreuves… il est naturel d'être triste… Laisse couler cette tristesse ! Pleure, pleure, mon garçon ! Et lorsque ton cœur ne versera plus de larmes, tu pourras poursuivre ton voyage…

 

La mousse (qui s’était toujours montrée silencieuse et distante) a épongé mon chagrin avec une grande affection.

-     Les blessures du chemin semblent si profondes, dit-elle, que nous pensons qu’elles ne pourront jamais cicatriser ! Mais il n’en est rien, mon garçon! Laisse couler ta tristesse ! Et lorsqu'elle se sera déversée, tu pourras poursuivre ton voyage…

-     Oh, mes amis..., ai-je dit en m'asseyant à leur côté, si vous saviez comme j’en ai assez de ce maudit voyage…. il est si désespérant...  J’en ai assez de chercher ce foutu trésor... il est introuvable… et aujourd'hui, je suis bien trop triste pour trouver mon chemin... j'en ai assez… je crois… je crois que j'aimerais en finir avec…

-     Mais non ! dirent en chœur la mousse et le rocher, aujourd'hui, la tristesse t'aveugle, mon garçon… tu as seulement besoin de la laisser couler avant de repartir… et bientôt, tu retrouveras la force nécessaire pour poursuivre ton voyage…

-     Non ! ai-je crié, ce n’est pas vrai ! Vous mentez ! J’en ai assez de ce foutu voyage !

Et j'ai quitté le rocher moussu pour aller m’asseoir au bord de l’étang. 

 

 

Porte 68 L'étang et son étrange amie, la libellule me donnent un nouveau conseil

L'île de la conscience –

-     Tiens ! dit l’étang, quelle surprise ! Ca fait bien longtemps que l’on ne t’a pas vu par ici, mon garçon !

J’ai baissé la tête.

-     Oh ! dit l’étang, ne fais pas cette tête ! Que se passe-t-il ? Pourquoi sanglotes-tu ? N’as-tu pas trouvé les quatre joyaux ?

-     Si ! ai-je dit en reniflant, mais… je les ai perdus... et aujourd’hui… je me sens bien triste…

L’étang s’est mis à rire.

-     Allez ! Allez ! dit-il, tu prends ce voyage bien trop à cœur, mon garçon ! Voilà pourquoi tu es si malheureux ! Au lieu de pleurer sur ton sort, tu ferais mieux de penser aux plaisirs du voyage.

-     Aux plaisirs du voyage… ? Ah non ! ai-je dit, je connais très bien les habitants du quartier des Sans Soucis, monsieur l’étang. Leur façon de voir le voyage ne mène pas au trésor… et l’insouciance apporte bien des déboires…  et aujourd'hui, je n'ai plus le cœur à rire…

L’étang m’a regardé avec une tendresse un peu ironique. J’allais repartir (aussi triste que j’étais venu), lorsque, soudain, il m’a dit :

-     Regarde ! Regarde donc qui vient vers nous, mon garçon !

J’ai tourné la tête et j’ai vu une libellule, posée sur un gros nénuphar, qui s’avançait vers nous.

 

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-     Eh bien ! dit-elle en sautant sur la rive, cet air soucieux ne me dit rien qui vaille, jeune homme ! Voyons ! Pourquoi faîtes-vous cette tête ? Ignorez-vous que le voyage est une succession d'évènements… tantôt tristes… tantôt joyeux… ?

La libellule a fait un clin d'œil à l'étang.

-     Sur cette Planète, tout le monde sait cela, jeune homme ! En revanche, bien peu de résidents savent la façon de recevoir ces évènements...

J’ai regardé la libellule avec perplexité puis j’ai jeté un œil à l’étang.

Que voulait-elle dire ? Que nous ne saurions pas accueillir les évènements du voyage... Mais pourquoi Diable le chemin s’évertuait-il alors à nous offrir tantôt des évènements gais et agréables tantôt des évènements tristes et douloureux ? Je lui ai posé la question.

-     Vous me posez là, dit-elle, une question bien difficile ! Je serais incapable de vous répondre, jeune homme ! En revanche, je pourrais vous parler très volontiers des 350 réponses possibles pour éluder les évènements tristes et douloureux du voyage !

Oh ! Rassurez-vous ! Elle m’en épargna l’énumération. Elle m’a dit simplement :

-     Tout dépend de la façon de recevoir les évènements du chemin. La réponse la plus appropriée serait sans nul doute d'accueillir les évènements douloureux avec joie. Mais il faut bien avouer que c'est une chose très difficile pour un esprit peu entraîné. Et sur cette question, votre mine soucieuse et votre air triste ne me disent rien qui vaille, jeune homme. Aussi, je vous conseillerais d’abord de choisir les évènements qui ne feront pas trop souffrir votre cœur…

-     Mais... c’est impossible ! ai-je dit, on ne peut pas choisir les évènements de notre voyage, madame la libellule ! Comment pourrait-on sélectionner les évènements qui ne font pas trop souffrir notre cœur?

-     Il suffit de faire le tri, dit-elle, de séparer le bon grain de l'ivraie… nous avons toujours le choix, jeune homme. Beaucoup de résidents sur cette Planète choisissent les évènements de leur voyage... N’avez-vous donc jamais entendu parler de monsieur Erémitès ?

-     Qui..., madame la libellule ?

-     Monsieur Erémitès, jeune homme ! Il est sans nul doute l'un des plus dignes représentants du quartier des Tristes Ermites... et l’un des plus grands experts de la planète en matière d’évitement d’évènements tristes et douloureux...  Après bien des errances, ses mésaventures l’ont conduit dans le quartier des Tristes Ermites. Et il y habite aujourd’hui un peu moins triste qu’autrefois. Je suis persuadée qu’il pourrait éclairer votre triste lanterne sur le chemin qui mène au trésor... mais si vous envisagez d’aller le voir, jeune homme, sachez qu'il a horreur qu’on vienne le déranger. Il est d'ailleurs, la plupart du temps, introuvable… personne ne sait où il se cache...  Il doit sûrement se terrer pour éviter qu’on vienne l’importuner... Mais si vous parvenez à le rencontrer et qu’il accepte de vous aider - ce qui est loin, croyez-moi, d’être une chose facile - il saura certainement vous montrer le chemin des Tristes Ermites qui mène au trésor.

 

J’ai remercié la libellule pour ses conseils, j’ai salué l’étang et j’ai quitté l'île de la Conscience le cœur un peu réconforté. Le rocher et la mousse m'avaient consolé. L’étang ne s’était pas moqué de moi. Et son étrange amie, la libellule, m’avait conseillé de suivre un nouveau chemin pour me sortir de cette terrible impasse où je n’avais cessé de m’enfoncer depuis mon arrivée dans le monde des Grands Dôms.

 

 

PARTIE 11 LE TRESOR SE CACHE-T-IL DERRIERE LA SOLITUDE ?

 

Porte 69 Monsieur eremites

Le quartier des tristes ermites –

Quelques jours plus tard, je franchis pour la première fois la frontière du quartier des Tristes Ermites. C’était un petit quartier, perdu au cœur de la Planète, aux ruelles étroites et obscures (et désertes pour la plupart) qui regorgeait de magasins de débit de boissons. Après quelques jours de recherche (où je ne rencontrai que de tristes fantômes accoudés au comptoir des bars... et qui n’avaient pas la moindre idée où se trouvait monsieur Erémitès), je décidai de quitter définitivement le quartier des Boîtes (et mon grand appartement) pour m’installer dans le quartier des Tristes Ermites (où j’avais réussi à dénicher, pour une somme très modique - une vraie misère - un minuscule appartement dans l’une des ruelles principales). Pour avoir toutes les chances de rencontrer monsieur Erémitès, je me mis chaque jour à errer dans les ruelles du quartier, écumant chaque bar et arpentant chaque magasin de débit de boissons où cet énigmatique et introuvable personnage avait coutume – m'avait-on dit – de venir noyer sa tristesse et son amertume.

Après quelques semaines d’errance, je l’ai enfin trouvé, un soir, attablé dans l’arrière-salle d’un bar sordide, devant une bouteille déjà bien entamée et un vieux cahier jaune écorné. Je me suis approché.

-     Monsieur Erémitès ?

Il a péniblement levé vers moi ses grands yeux jaunes et tristes pour me dévisager d’un air grave et contrarié.

 

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-     Lui-même ! dit-il, qui vous a autorisé à venir me déranger ?

-     Je... je suis… vraiment désolé de venir vous importuner, monsieur Erémitès, mais on m’a dit que vous pourriez m’aider à sortir de ma tristesse...

-     Moi ?!! a crié monsieur Erémitès, mais qui a bien pu vous raconter de telles idioties ! Je n’aide personne, jeune homme ! J’ai déjà bien trop à faire avec mon propre voyage.

Et il a replongé ses grands yeux tristes dans son cahier.

-     Ah... ? ai-je dit un peu déçu, eh bien... excusez-moi de vous avoir dérangé, monsieur ! Je vais m’en aller et je vais me débrouiller seul avec ma tristesse.

-     A la bonne heure ! dit-il en relevant la tête, je suis heureux de vous l’entendre dire, jeune homme ! Voilà longtemps que je n’ai pas entendu une chose si juste ! Se débrouiller seul avec sa tristesse est sans doute la meilleure chose qui puisse vous arriver. Il y a tant de choses à apprendre de notre tristesse et de notre solitude.

-     Ah... ? ai-je dit, vous...

-     A la bonne heure ! dit-il, faudrait-il vous expliquer !

Et il a replongé la tête dans son cahier. J’allais repartir (trouvant ce personnage peu aimable, et pour dire la vérité tout à fait malotru) lorsque soudain il a relevé les yeux de son cahier.

-     Approchez ! dit-il, approchez, jeune homme ! Laissez-moi vous regarder !

Et il a plongé ses grands yeux jaunes dans les miens.

-     A la bonne heure ! dit-il, savez-vous à qui vous me faîtes penser, jeune homme ?

-     Non ! ai-je dit, je n'en sais rien, monsieur.

-     A la bonne heure ! dit-il, vous me rappelez un jeune homme… que j’ai très bien connu autrefois. Ce même regard triste ! Ce même cœur au bord du désespoir ! Celui dont je vous parle aurait bien aimé à l'époque que l’on se penche sur lui. Aussi, en sa mémoire, je vais, une fois n’est pas coutume, faire un geste, jeune homme !

Et il a fouillé dans son sac.

-     Tenez ! dit-il, prenez ce livre ! Il a été écrit par monsieur Fernando. Et si vous le lisez avec attention, il saura vous parler et vous aidera à trouver le chemin qui se cache derrière la tristesse. Vous me le rendrez lorsque vous l’aurez achevé. Et maintenant, laissez-moi, jeune homme ! J’ai à faire !

 

J’ai remercié monsieur Erémitès et je m’en suis retourné chez moi (dans mon nouvel appartement du quartier des Tristes Ermites), son livre sous le bras. 

 

 

Porte 70 Monsieur fernando

La clairiere de l'imaginaire –

A peine rentré, je me plongeai dans le livre de monsieur Fernando. Au bout de quelques pages, j'arrivai dans un dédalle de couloirs obscurs aux portes innombrables. Ne sachant laquelle ouvrir, je poussai l’une d’elles au hasard. Et je tombai dans une petite pièce aux murs gris, tapissés d’étagères recouvertes de gros classeurs soigneusement alignés. Au plafond, un néon blafard clignotait. Et derrière une table, un étrange personnage (vêtu d’un costume étriqué) alignait avec beaucoup d’attention des chiffres sur un grand cahier. Tout en lui semblait respirer l’étroitesse et l’austérité (l'exact contraire de l’insouciance que j’avais connue chez les résidents du quartier des Sans Soucis). Et j'ai failli refermer la porte tant l'atmosphère semblait suffocante.

-     Hum ! Hum ! ai-je fait pour signaler ma présence.

L’homme a relevé la tête. Et derrière ses petites lunettes rondes, j’ai aperçu ses yeux froids et durs me regarder sans vraiment me voir. Puis, il a rebaissé la tête sur ses colonnes de chiffres, comme s’il ne m’avait pas vu… comme si ma présence n’était qu’un rêve…

-     Hum ! Hum ! ai-je fait une nouvelle fois, excusez-moi de vous déranger, monsieur. Je cherche mon chemin.

L’homme a tourné une page, il a posé le doigt sur la première ligne et m’a demandé sans même lever les yeux :

-     Je vous demande pardon, jeune homme ?

-     Hum ! Hum ! ai-je dit, je... je suis désolé de vous déranger, monsieur. Je suis à la recherche de monsieur Fernando.

 

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L’homme a relevé la tête. Il avait l’air étonné. Je surpris dans ses yeux une lueur de fierté. Cela a duré un court instant. Suffisamment pourtant pour m’intriguer...

-     Je… je suis à la recherche de monsieur Fernando, monsieur. Je le recherche depuis le début du livre. Mais il y a tant de portes et de couloirs ici que je m’y perds. Ce livre est un vrai labyrinthe ! Peut-être pourriez-vous m’aider, monsieur ?

 

L’homme a ôté ses lunettes comme si ma question l’embarrassait.

-     Puis-je connaître la raison qui vous amène à vouloir rencontrer monsieur Fernando, jeune homme ?

-     Eh bien..., ai-je dit, je le recherche parce que je suis… je suis chercheur… chercheur de trésor, monsieur. Et j’aimerais lui parler…

 

L’homme a baissé les yeux sur ses colonnes de chiffres.

-     Je crains, dit-il, que monsieur Fernando ne vous soit d’aucune utilité, jeune homme.

-     Oh si ! ai-je dit, on m’a assuré qu’il m’aiderait à trouver le chemin qui se cache derrière la tristesse. Et j’ai appris dans les pages précédentes que monsieur Fernando cachait son trésor dans une grande malle.

 

L’homme a rechaussé ses lunettes et m’a dit :

-     Eh bien... soit, jeune homme ! Je lui ferais part de votre requête.

-     Eh bien..., merci ! ai-je dit, vous êtes très aimable, monsieur !

 

L’homme m’a dévisagé d’une étrange façon.

-     Ne vous y trompez pas, jeune homme ! Je ne cherche pas à être aimable… Il n’a d’ailleurs jamais été question d’amabilité entre nous… j’ai tout simplement une dette envers monsieur Fernando.

-     Ah... ? ai-je dit, vous connaissez personnellement monsieur Fernando ?

L’homme a tourné un peu nerveusement la page de son cahier (comme s’il hésitait à répondre à ma question).

-     Eh bien..., dit-il, pour être tout à fait honnête, je me prénomme monsieur Bernardo. Je suis en quelque sorte… le demi-frère jumeau de monsieur Fernando. Nous travaillons tous les deux comme employés aux Ecritures. Et il nous arrive de temps à autre d’échanger nos existences et nos activités. Nous avons tous deux des personnalités pour le moins complexes. Nous sommes, il est vrai, une fratrie pour le moins étrange et hétérogène ! Et il nous semble nécessaire de rêver notre vie pour la gagner et le contraire est tout à fait vrai également, n’est-ce pas jeune homme ?

-     Oui ! Sûrement, monsieur ! ai-je dit, mais je ne voudrais pas abuser de votre temps, pourriez-vous simplement me dire quand je pourrais rencontrer monsieur Fernando...

-     Vous savez, dit-il, monsieur Fernando rencontre très peu de monde. Il serait ravi de vous donner quelques conseils pour vous aider à trouver votre chemin. Mais, je crains qu’il ne soit guère disponible ni très enclin à vous recevoir. Aussi, je me permettrais, en qualité de demi-frère jumeau, de vous dire quelques mots à sa place. Si vous le permettez évidemment... et si vous jugez que ma qualité de demi-frère jumeau le permette...

J’ai acquiescé d’un hochement de tête sans rien comprendre à cette étrange histoire de demi-frères jumeaux.

-     Vous savez, dit-il, monsieur Fernando vous dirait sûrement que ce voyage n’est qu’un songe... et souvent un bien mauvais songe. Aussi, il vous conseillerait de rester chez vous et, songe pour songe, de vous adonner à la rêverie. Oui, voilà sûrement ce que vous conseillerait monsieur Fernando ! A présent, je vous saurais gré, jeune homme, de me laisser à mes rêveries et de rejoindre les vôtres.

  

Monsieur Bernardo s’est levé et m’a raccompagné jusqu’à la porte. J’ai quitté les lieux, j’ai emprunté un autre couloir et j’ai continué ma lecture. 

-     Un songe... ? ai-je dit soudain en posant le livre, ce voyage n’est donc qu’un songe... Comment était-ce possible ? Un songe... ? Un songe... ? Pourquoi alors ne m’en étais-je jamais aperçu ? Ce voyage... un songe... ? Mon voyage… n’était qu’un songe… ? C’était là une chose impossible ! La perte des joyaux... était-elle aussi un songe... ? Mon désespoir... était-il un songe... ? Le trésor n’était-il lui aussi qu’un songe... ? Alors tout n’était que songe... et peut-être que le Grand Labyrinthe et ses habitants n’étaient-ils eux-mêmes qu’un songe… ? J’ai cru que j’allais devenir fou. Tout se mélangeait dans ma tête. Je ne savais plus quoi penser. Etait-ce là un songe ou un mensonge... ? Ah ! Mon Dieu ! Quelle misère ! Mon voyage tournait à la folie… j’étais en train de devenir à moitié fou… Mais je voulais connaître la vérité. J’ai donc continué ma lecture. Et à me laisser aller à la rêverie (et sans doute aussi un peu à la folie…). Et plus je m’enfonçais dans ce mauvais songe, moins j’y comprenais... Quel cauchemar ! J’étais perdu dans le labyrinthe des songes ! Et après plusieurs jours à tourner en rond dans ce labyrinthe cauchemardesque, j’étais si désespéré de ne pas trouver mon chemin (et de réponses à mes questions) que j’ai refermé le livre de monsieur Fernando. Et je suis sorti de mon appartement pour aller noyer ma peine et mon désespoir dans le premier bar venu. 

 

 

Porte 71 Monsieur glou

Le quartier des tristes ermites –

J’ai poussé la porte du bar. C’était un bar minable (aussi minable que les autres bars du quartier). J’ai commandé une bouteille au comptoir et je suis allé m’asseoir dans l’arrière-salle (un peu à la façon de monsieur Erémitès qui s’installait toujours à l’écart pour boire plus tranquillement). J’ai bu quelques verres, sans prêter attention au pauvre homme attablé, lui aussi, devant une bouteille déjà bien entamée. Lorsque le serveur lui en a apporté une nouvelle, l’homme m’a regardé avec une infinie tristesse.

-     Je m’appelle monsieur Glou ! dit-il, je suis ivrogne.

Et il a bu une longue gorgée. 

-     Ah ! dit-il, quel gâchis ! J’étais si heureux autrefois... Si vous saviez comme j’étais heureux, jeune homme ! Et regardez ce que je suis devenu ! Aujourd’hui, il ne me reste que mes larmes et cette foutue bouteille pour noyer mon chagrin ! Ah ! Quel gâchis, jeune homme !

-     Oui ! ai-je dit, vous avez raison, monsieur. Ce voyage est bien désespérant…

 

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Et nous avons bu tous deux une longue rasade. Après plusieurs verres, monsieur Glou (qui commençait à être sérieusement éméché) a insisté pour me raconter son histoire. Le pauvre homme n’avait pas réussi à noyer sa peine dans l'alcool… qu'il éprouvait à présent le besoin de déverser sa tristesse sur un autre... Malgré mon désespoir, j’ai écouté monsieur Glou, qui avant d’être ivrogne, avait été (du moins, le croyait-il...) le plus heureux des habitants du Grand Labyrinthe...

 

-     Vous savez, dit-il, j’avais un poste important dans une boîte prestigieuse du quartier des Boîtes... j’avais un bel appartement à deux pas de la rue principale… j’avais une épouse gentille et merveilleusement belle... Regardez ! dit-il en sortant une photo de sa poche, regardez comme elle était belle !

J’ai regardé la photo.

-     Oui, ai-je dit, votre femme était très belle…

-     Oh oui ! dit-il, ma femme était sans doute la plus belle de toutes les résidentes du quartier. Mais elle m’a quitté ! Ca fait des années qu’elle est partie et je suis inconsolable. Si vous saviez comme elle me manque, jeune homme !

En voyant monsieur Glou si désemparé, j’eus une pensée émue pour mademoiselle Aimée...

-     Ah ! dit-il en buvant une longue rasade, ce voyage est absurde ! Toute cette misère n'a aucun sens…

-     Oui ! ai-je dit en retenant mes larmes, vous avez raison, monsieur Glou, ce voyage est absurde…  

 

Le pauvre homme avait l’air si malheureux... (aussi malheureux que moi…). Son désespoir pourtant me rassura… je n’étais pas le seul habitant de cette Planète à avoir perdu les joyaux... et à être si désespéré... Mais pourquoi Diable ce voyage se montrait-il si difficile ? Pourquoi tant de résidents souffraient sur cette planète ? Pourquoi ce foutu trésor s’échappait-il à chaque fois que nous croyions le détenir ? Et d’ailleurs existait-il vraiment ce trésor ? Bien des choses permettaient d’en douter... Toutes ces questions se sont entrechoquées dans ma tête lourde de fatigue et d’alcool. Et peut-être, après tout, monsieur Bernardo avait raison… peut-être que ce voyage n’était qu’un songe (un très mauvais songe)… ?    

-     Allez ! dit monsieur Glou en remplissant mon verre, buvons un coup, jeune homme ! Et portons un toast !

Et il a levé son verre en criant :

-     A ce maudit voyage ! Et à ce foutu trésor !

Et nous avons bu notre verre (cul sec…). Après avoir fini nos bouteilles, monsieur Glou en a commandé deux autres (une pour lui et une pour moi) et nous avons continué à parler, à boire et à pleurer sur notre sort jusque tard dans la nuit. En quittant le café, au petit matin, j’étais encore plus triste et plus désemparé... J’avais le sentiment que mon désespoir deviendrait si grand... que je passerais bientôt, comme monsieur Glou, toutes mes journées et toutes mes nuits à essayer de noyer ma tristesse et mon désespoir dans une cascade de larmes et d’alcool. Ah ! dis-je en moi-même, ce voyage est bien désespérant !  

 

 

Porte 72 Les droles d'idées de monsieur eremites

Le quartier des tristes ermites –

Après cette nuit de beuverie, je me réveillai le lendemain avec la tête lourde et le cœur bien triste. Je me sentais si désemparé que je décidai de retourner voir monsieur Erémitès pour lui confier mon désespoir. En me voyant débarquer dans l’arrière salle de son café sordide, il a bougonné :

-     A la bonne heure ! J’espère que vous avez bonne raison de venir me déranger, jeune homme ! Sinon vous pouvez regagner vos pénates ! 

J'ai posé le livre de monsieur Fernando sur la table.

-     Eh bien ! dit-il, vous en faîtes une tête ! N'avez-vous pas trouvé monsieur Fernando ? Que s'est-il passé, jeune homme ?!! Dîtes-moi !

J’ai pris un siège et je me suis assis face à monsieur Erémitès.

-     A la bonne heure ! dit-il, vous avez l’air encore plus désespéré que la dernière fois !

-     Je... je suis perdu…, ai-je dit, je… je me suis égaré dans le labyrinthe des songes… et à présent, je ne sais plus où j'en suis… j'ai passé toute la nuit à boire… je crois que je suis en train de sombrer dans la folie, monsieur Erémitès… je ne sais plus… ce qu'il faut penser de ce maudit voyage…  je ne sais plus ce qui est vrai… je ne sais plus ce qui est faux… Tout est en train de se mélanger… Je suis au bord du désespoir, monsieur Erémitès… et bientôt, je crois que je vais me…

-      A la bonne heure ! dit-il, si vous ne savez plus où vous en êtes… et si vous n'avez rien compris à cette histoire de songe, que puis-je y faire ? Faudrait-il vous expliquer ? Non ! Vous pouvez regagnez vos pénates, jeune homme, et pleurer jusqu'à la fin de votre voyage…

-     Oh ! Non ! ai-je dit, je vous en prie, monsieur Erémitès ! Aidez-moi ! Je vous en prie…

-     A la bonne heure ! dit-il, vous aider ?!! Et pourquoi vous aiderais-je ? Donnez-moi une seule raison valable…

Et je me suis empressé de lui raconter l’histoire de monsieur Glou..., de sa femme..., de sa tristesse…. Je lui ai parlé de mon voyage..., de mon désespoir après la perte des joyaux. Je lui ai parlé des difficultés que j’avais rencontrées sur le chemin..., de la souffrance des habitants du Grand Labyrinthe... 

-     A la bonne heure ! dit-il, faudrait-il vous expliquer ! Ces évènements sont naturels et très communs chez les Grands Dôms ! Ils font partie du chemin des résidents qui veulent acquérir et AVOIR…  Sur cette Planète, tous ne jurent que par ces 2 mots ! Acquérir le joyau de la beauté, AVOIR des diplômes, acquérir le joyau de l'intelligence, AVOIR un travail, acquérir le joyau du pouvoir, AVOIR un compagnon ou une compagne pleine de gentillesse et de beauté, acquérir l'amour, AVOIR un appartement, des amis, acquérir le joyau de la richesse, AVOIR des billets de Banks, des responsabilités, AVOIR du pouvoir… la liste serait encore bien longue… et en définitive, tous ceux qui réussissent à AVOIR récoltent beaucoup de soucis… et beaucoup de malheurs ! Voilà la vérité, jeune homme ! A la bonne heure !

Monsieur Erémitès m'a regardé un court instant (avec ses grands yeux tristes et jaunes), il a bu une longue gorgée et a repris son discours enflammé.

-     A la bonne heure ! dit-il, ce que l'on croit posséder sur cette Planète ne nous appartient pas… toutes ces possessions sont illusoires… Nos joyaux, l'amour, la beauté, la force, le pouvoir, la richesse, l'intelligence n'existent que dans le regard des autres résidents… Toutes nos possessions sont à leur merci… Et un
jour ou l'autre, on finit par les perdre… Aussi à quoi bon passer son voyage à courir après l'AVOIR ! Ah ! Quel chemin insensé, jeune homme ! L'AVOIR ne peut mener au trésor ! L'AVOIR est la chose la plus terrifiante qui puisse arriver à un chercheur…

-     Ah…?, ai-je dit, mais… nous avons tout de même... besoin de certaines choses pour voyager, monsieur Erémitès ? On ne peut pas voyager sans rien posséder…

Monsieur Erémitès s’est mis à rire. 

-     A la bonne heure ! dit-il, évidemment, jeune homme ! Mais nos possessions doivent se réduire à l’essentiel ! Et nous devons être en mesure de nous les offrir sans l'aide de quiconque ! Si vous êtes incapable de les obtenir par vos propres moyens, alors, croyez-moi, il est préférable de renoncer à les acquérir, jeune homme !

-     Oui… peut-être…, ai-je dit, je n'en sais rien, monsieur Erémitès, mais… mais il me semble… qu’il existe sur cette Planète des choses que l’on ne peut pas s’offrir seul…

-     A la bonne heure ! dit-il, et à quoi pensez-vous, jeune homme ?

-     Eh bien..., ai-je dit, je pense à l’amour par exemple, monsieur Erémitès ! On ne peut pas s’offrir l’amour.

-     A la bonne heure ! dit-il, l’amour ! Voilà un sujet intéressant !

Et monsieur Erémitès a bu une nouvelle gorgée.

-     Eh bien ! dit-il, si vous ne pouvez vous offrir l’amour, jeune homme, alors aimez-vous vous-même ! Et essayez de vous en contenter !

-     Mais, ai-je dit, s’aimer soi-même, c’est de l’égoïsme, monsieur Erémitès ! On ne s’occupe que de soi ! On ne voyage plus que pour soi ! Et on se fiche des autres habitants !

-     A la bonne heure ! dit-il, et les autres habitants s’occupent-ils de vous, jeune homme ? Ils ne pensent qu’à leur voyage, à leur trésor et à leurs joyaux ! L'égoïsme des résidents est si grand sur cette Planète qu'il est source de beaucoup de souffrance. Si vous espérez qu'ils guident vos pas sur le chemin et qu'ils vous aident à trouver le trésor, vous serez toujours déçu et malheureux.

-     Oui…, ai-je dit, c'est vrai ! Je dois bien reconnaître que les autres habitants se fichent bien de notre voyage. Vous avez raison, monsieur Erémitès ! Sur cette planète, personne ne s’intéresse aux autres ! Chacun s’occupe de soi ! 

-     A la bonne heure ! dit-il, moi, je m’occupe de moi et tout ce que je possède ne dépend de personne. Et je m’en porte très bien !

J’ai regardé monsieur Erémitès.

-     Mais..., ai-je bafouillé, pourtant... enfin... vous... vous n’avez pas l’air... très...

-     Heureux... ? dit monsieur Erémitès, vous trouvez que je n’ai pas l’air heureux… ? A la bonne heure, jeune homme ! 

J’ai rougi un peu embarrassé par ma remarque.

-     A la bonne heure ! dit-il, depuis que je suis dans ce quartier, ma tristesse ne cesse de diminuer. Et aujourd’hui, mon voyage ne dépend plus des autres résidents. A la bonne heure ! Chaque jour, je me rapproche du trésor. Nous n’avons pas le choix, jeune homme ! Si nous souhaitons éviter les évènements douloureux, nous devons apprendre à voyager seul et ne jamais laisser dépendre notre voyage des autres résidents. A la bonne heure !

-     Eh bien…, ai-je dit, que dois-je faire alors, monsieur Erémitès ? Dois-je passer toutes mes journées seul à pleurer sur mon sort en essayant de noyer ma tristesse comme monsieur Glou ?

-     A la bonne heure ! dit-il, faudrait-il vous expliquer une nouvelle fois ! Aujourd’hui, il vous faut renoncer aux autres habitants du Grand Labyrinthe ! Il vous faut chercher votre chemin dans la solitude et apprendre à voyager seul. Il n’y a pas d'autre possibilité pour avancer sur le chemin qui mène au trésor, jeune homme.

 

 

PARTIE 12 LA DESCENTE AUX ENFERS

 

Porte 73 Monsieur cachet

Le quartier des tristes ermites –

Monsieur Erémitès m'avait redonné un peu d’espoir. Malgré ma tristesse, je décidai de suivre ses conseils. Pendant de longues semaines, je restai chez moi, tentant de chercher le trésor dans la solitude. J'avais renoncé à toute sortie (j'avais même renoncé à aller noyer ma peine dans les bars). Seul, monsieur Erémitès me rendait visite de temps à autre pour m’encourager :

-     A la bonne heure ! me disait-il à chacune de ses visites, vous êtes sur la bonne voie, jeune homme. Continuez à chercher le trésor dans la solitude ! A plus tard ! A la bonne heure !

Et il repartait en me laissant seul avec ma solitude. Ces visites étaient sans doute l'occasion pour lui de s’assurer que j’étais sur la voie des Tristes Ermites… voie qu'il avait lui-même empruntée et qu’empruntait un certain nombre de résidents du quartier. En dépit de mes efforts (solitaires et acharnés), je sentais, au fil des semaines, grandir ma solitude et ma tristesse. Mon désespoir, en vérité, ne cessait de grandir. Chaque jour, il devenait plus vivace… et plus il grandissait, plus je m'isolais. Et plus je m'isolais, moins j'avais envie de sortir… si bien qu'après quelques mois d’extrême solitude, je n’eus bientôt plus goût à rien... pas même à poursuivre mes efforts solitaires pour trouver le trésor… J’étais si désespéré que j’avais renoncé à Tout (à toute chose, à toute activité, à toute rencontre et à toute ambition...). En fait, je passais mes jours chez moi à broyer du noir. Oui ! Je passais mes journées (et mes nuits) à me traîner comme une âme en peine dans mon petit appartement minable à ruminer des pensées bien noires sur ce maudit voyage et cette désespérante quête du trésor.

 

Un matin, (après une effroyable nuit blanche passée à broyer du noir), j'ai entendu tambouriner à ma porte. Je réussis à me lever et à me traîner péniblement jusqu’au couloir.

-     Monsieur Erémitès ?

-     Non ! dit la voix, je suis l’un de ses amis. Je viens vous aider, jeune homme.

 

J’ai regardé par le judas et j’ai vu un homme avec une petite mallette à la main.

-     Allez-vous-en ! ai-je dit, je n'ai besoin de personne !

-     Oh ! Je ne serais pas long ! dit-il, je viens de la part de monsieur Erémitès. Ne… ne vous inquiétez pas ! Je ne vous dérangerais pas très longtemps.

 

Et je lui ai ouvert ma porte (sans méfiance).

-     Bonjour ! dit-il en me tendant la main, je m’appelle monsieur Cachet. Mais mes amis ont l’habitude de m’appeler Picksnif. Je viens aider ceux qui broient du noir.

-     Vous êtes très aimable ! ai-je dit, mais je n’ai besoin de personne, monsieur. Je me débrouille très bien tout seul !

Monsieur Cachet a esquissé un sourire (un sourire gêné comme si ma réponse le contrariait).

-     Je comprends, dit-il, mais vous avez l’air si désespéré, jeune homme, que je ne peux pas vous laisser dans un tel état. 

-     Ne vous inquiétez pas ! ai-je dit, je me porte très bien, monsieur. Je vous assure… je n’ai besoin de personne.

-     Je comprends, dit monsieur Cachet, vous cherchez le trésor dans la solitude. Mais n'ayez aucune crainte, jeune homme, je suis là pour vous aider. Je suis marchand de rêves éveillés. Je vends des lunettes pour voir le voyage en rose... je suis l’ami de tous ceux qui broient du noir.

-     Le voyage en rose... pour ceux qui broient du noir...?

-     Oui ! Oui ! dit-il, je vends le voyage en rose à tous ceux qui broient du noir. J’aide tous les chercheurs de trésor solitaires, jeune homme !

 

Le voyage en rose...  pour ceux qui broient du noir?  Il est vrai que depuis que je vivais enfermé chez moi (dans cette maudite solitude), je passais mes journées à broyer du noir... du noir... du noir... rien que du noir... Et soudain (en répétant le mot "noir "), les paroles de Grand-Ma me revinrent en mémoire. Ne m'avait-elle pas dit que je rencontrerais un "37 noir" ? Oh ! Mon Dieu ! ai-je dit soudain en songeant à mon âge… il est vrai que je cherchais ce foutu trésor depuis déjà 37 printemps et que je ne cessais de broyer du noir depuis mon arrivée dans ce maudit quartier ! Oh ! Mon Dieu ! Le "37 noir" dont m'avait parlé Grand-Ma, serait-ce donc... ? Et j’ai éclaté en sanglots.

En relevant la tête, j'ai vu monsieur Cachet avec un grand sourire aux lèvres (un sourire absolument diabolique).

- Il ne fait aucun doute, dit-il, que vous appartenez aujourd’hui à cette catégorie de résidents du Grand labyrinthe que l’on appelle les "cœurs noirs", jeune homme ! Mais rassurez-vous ! Mes lunettes permettent à tous les "cœurs noirs" de voir le voyage en rose ! Et beaucoup de mes clients, des "cœurs noirs" comme vous, ne jurent aujourd’hui que par le rose qu’elles leur apportent. Aussi, si vous le souhaitez, jeune homme, je me ferais un plaisir de...

-     Oh ! dis-je en moi-même, je suis donc le "37 noir" dont parlait Grand-ma ! Oh ! Mon Dieu ! Quelle catastrophe ! Je suis un "37 noir" ! Je suis un "37 noir" !

-     Ne vous inquiétez pas ! dit monsieur Cachet, je connais des tas de "cœurs noirs" qui vivent très heureux avec mes lunettes ! Il leur suffit d’en acheter une paire, et tout redevient rose !  

J’étais si désespéré que j’étais prêt à faire n’importe quoi. Oui, j’étais prêt à tout plutôt que rester avec un « cœur noir »…

-     Eh bien... d’accord ! ai-je dit, faites-les voir, vos lunettes ! Si elles peuvent me faire voir le voyage en rose… je veux bien vous en acheter une paire.

-     Bon ! dit-il, voilà une très sage décision, jeune homme ! Vous verrez ! Vous ne le regretterez pas !

Et monsieur Cachet a ouvert sa mallette avec un grand sourire.

-     Voilà mes lunettes ! dit-il, poudre blanche, petits bâtonnets noirs, petites pilules jaunes, comprimés bicolores ! Vous n'avez que l’embarras du choix, jeune homme !

-     Mais, ai-je dit un peu étonné, où sont vos lunettes, monsieur Cachet ? Je ne les vois pas ! 

-     Eh bien ! dit-il, elles sont là ! Devant vous, jeune homme ! Ce sont des lunettes… disons… un peu spéciales !

-     Des lunettes un peu spéciales... ?

-     Oui ! dit-il, mes lunettes ne se chaussent pas sur le nez, mais directement dans la tête.

J’ai regardé les lunettes de monsieur Cachet avec des yeux tous ronds d'étonnement.

-     Faites-moi confiance ! dit-il, ces lunettes sont tellement plus pratiques !

J’ai regardé les lunettes sans oser en choisir une paire.

-     Allez ! dit monsieur Cachet, laissez-vous tenter, jeune homme ! Croyez-moi ! Il n’y a rien de tel que mes lunettes pour voir le voyage en rose !

-     Vous savez, ai-je dit, je ne suis pas très riche, monsieur ! Et vos lunettes doivent coûter très chères... je ne sais pas si je pourrais...

-     Allez ! Allez ! dit-il en ouvrant un petit sachet de poudre blanche, ne vous tracassez pas, jeune homme ! J’offre toujours la première paire !

 

Et monsieur Cachet a versé sur la table un peu de poudre blanche. Puis il a refermé sa mallette et il m’a salué avec un grand sourire.

-     Allez ! dit-il, à très bientôt, jeune homme !

 

 

Porte 74 Les lunettes de monsieur cachet

Le quartier des tristes ermites –

Lorsque monsieur Cachet a refermé la porte, je me suis précipité sur les lunettes. J'ai pris une longue inspiration et je les ai enfilées par le nez en reniflant toute la poudre. Et le noir s'est aussitôt transformé en rose.

-     Le voyage en rose ! Ahhhh ! ai-je dit, le voyage en rose !

J’étais si heureux de retrouver le voyage en rose que je me mis à rire, à chanter et à crier à tue-tête en racontant des idioties. J’étais si heureux que j'ai passé la journée entière à rire, à chanter et à raconter des âneries... Mais lorsque la nuit est tombée sur le quartier des Tristes Ermites, le rose s’est lentement transformé... il a d’abord viré au rouge, puis au gris... et le gris est devenu tout noir. Un noir sombre ! Un noir obscur ! Un noir absolument terrifiant ! Un noir comme je n’en avais encore jamais vu ! Et ma tristesse est revenue… elle me parut si insupportable que je me remis à pleurer en implorant le voyage de retrouver sa belle couleur rose.

-     Eh oh ! Le voyage en rose ! Où es-tu ? Eh ! Oh ! Ne me laisse pas ! Je t’en prie ! Eh ! Oh ! Le voyage en rose ! Reviens ! Je suis si malheureux sans toi ! Ne m’abandonne pas ! Reviens ! Je suis si désespéré ! Eh ! Oh ! Petite paire de lunettes ! Où êtes-vous ? Revenez ! Ramenez-moi le voyage en rose !

Mais j’avais beau crier, implorer, trépigner, mes lunettes avaient bel et bien disparu. Où étaient-elles passées ? Pourquoi s’étaient-elles volatilisées ? Je n’en savais rien.

-     Ah ! Mon Dieu ! ai-je crié, quel malheur !

Qu’allais-je devenir sans lunettes ? J’étais si heureux avec elles...  il fallait absolument les retrouver... ou m’en procurer une nouvelle paire ! Oui ! C’était impératif ! C’était absolument vital ! Il me fallait une nouvelle paire de lunettes ! Et j’étais si impatient de retrouver mes lunettes (et si malheureux d’avoir perdu le voyage en rose) que je n’ai pas hésité un instant… j’ai enfilé ma veste et je me suis précipité dans le quartier des Tristes Ermites à la recherche de monsieur Cachet.

 

 

Porte 75 Le vrai visage de monsieur cachet

Le quartier des tristes ermites –

J’ai fouillé le quartier de fond en comble… arpentant chaque ruelle, chaque impasse, chaque recoin. J’étais comme possédé… j’aurais remué Ciel et Terre… j'aurais parcouru toute la Planète pour retrouver monsieur Cachet. Il me fallait une paire de lunettes ! Il me fallait retrouver le voyage en rose ! Ces lunettes étaient devenues une vraie obsession. Après plusieurs heures de recherche fébriles (à parcourir en tous sens les innombrables ruelles du quartier), je trouvai enfin monsieur Cachet dans une impasse obscure. Il se tenait sous un porche, sa mallette légèrement dissimulée sous les pans de sa veste, hélant quelques passants pour essayer de leur refourguer ses miraculeuses lunettes. En m’approchant, je vis qu’un petit groupe l’entourait. Tous avaient l’air aussi désespérés et aussi possédés que moi... sans doute des "cœurs noirs"  en manque de lunettes...

-     Tiens ! dit monsieur Cachet en m’apercevant, quelle bonne surprise ! Que venez-vous faire par ici, jeune homme ?

-     Je... je suis au bord du désespoir, monsieur Cachet ! Mes lunettes ont disparues ! J’ai besoin de lunettes ! Il m’en faut absolument une nouvelle paire !

Monsieur Cachet a froncé les sourcils.

-     Calmez-vous ! dit-il, j’ai ce qu’il vous faut ! Mais je vous en prie ! Ne m’appelez plus monsieur Cachet ! Appelez-moi Picksnif ! Nous sommes amis à présent, n’est-ce pas ?

-     D’accord ! ai-je dit, d’accord, monsieur Picksnif ! Je vous appellerais comme vous vous voudrez. Je ferais tout ce que vous voudrez ! Mais je vous en prie ! Donnez-moi une paire de lunettes !

-     Mais oui ! dit monsieur Cachet, bien sûr ! Je vais vous en donner une ! Avez-vous de quoi les payer ?

J’ai fouillé dans la poche de ma veste et j’ai sorti 4 gros billets de Banks que je lui ai tendus (je n’étais pas très riche mais il me restait tout de même quelques maigres économies).

-     Désolé ! dit-il, mais je ne peux rien vous donner pour cette somme-là ! Avec 2 billets de plus, je pourrais éventuellement vous donner une petite pilule jaune.

-     Mais, ai-je dit, je n’ai pas d’autres billets sur moi, monsieur Picksnif ! Je vous paierai la prochaine fois ! Je vous le promets ! Mais je vous en prie ! Donnez-moi ces lunettes !

   

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-     Ah non ! dit-il, désolé, jeune homme ! Mais si vous n’avez pas de quoi payer, je ne peux rien pour vous. C’est la règle ! Pas de billets, pas de lunettes !

-     Oh ! ai-je dit, je vous en prie... je vous en prie, monsieur Picksnif ! Donnez-moi ces lunettes ! Il me les faut ! Sans elles, tout redevient noir ! Un noir terrifiant ! Oh ! Je vous en prie, monsieur Picksnif ! Donnez-moi ces lunettes ! Je ferais tout ce que vous voudrez…

-     Bon, bon ! dit-il, eh bien… c'est d'accord, mon ami ! Je… je vais vous faire une petite faveur… Tenez ! Voilà vos lunettes, jeune homme !

Monsieur Cachet a pris les billets et m’a tendu une petite pilule rose.

-     Mais la prochaine fois ! dit-il, n’oubliez pas de venir avec la somme exacte, sinon, je ne pourrais plus rien pour vous. C’est bien compris, jeune homme ?

-     Oui ! ai-je dit en me prosternant à ses pieds, j’ai très bien compris, monsieur Picksnif ! Merci ! Merci beaucoup ! Merci infiniment, monsieur Picksnif !

Et j’ai couru chez moi en tenant fermement à la main mes précieuses lunettes. Aussitôt rentré, j’ai avalé la pilule de monsieur Picksnif. Et tout est redevenu rose !

 

 

Porte 76 Monsieur eremites me donne une bonne leçon

Le quartier des tristes ermites –

Au cours de cette triste période, mon besoin de lunettes devint si fort que je pris l’habitude d’en chausser chaque jour une nouvelle paire. Mais ces diaboliques lunettes étaient si chères que je n’eus bientôt plus un seul billet de Banks en poche. J’y avais laissé toutes mes économies (mes maigres économies). Et sans billets, plus lunettes ! Et sans lunettes, plus de voyage en rose ! Et sans voyage en rose, le chemin devenait un vrai cauchemar ! Chaque seconde sans ces lunettes était un supplice ! Une abominable torture ! J’avais mal (oui ! J’avais mal partout), j’avais froid, j’avais chaud, je grelottais, je suffoquais, j’étouffais et je me sentais de plus en plus faible… et de plus en plus désespéré. Je crois que je ne m’étais jamais senti aussi mal depuis le début de ce voyage... J’avais tant besoin de ces lunettes que j’étais prêt à tout pour m’en procurer... à commettre même les pires infamies... Je crois que rien n’aurait pu m’arrêter… j’aurais été prêt à voler et même à tuer s’il l'avait fallu… Sans ces satanées lunettes, mon chemin était devenu un enfer… Un matin, alors que je m’apprêtais à sortir pour me procurer (je ne sais comment) ces maudites lunettes, on a frappé à ma porte.

-     Entrez ! ai-je dit, c’est ouvert !

-     Eh bien ! dit monsieur Erémitès, à la bonne heure ! Que se passe-t-il, jeune homme ? Vous avez l’air malade...

-     Oui ! ai-je dit en claquant des dents, j’ai mal partout ! J’ai froid ! J’ai chaud ! Je grelotte ! Je suffoque ! Je n’en peux plus, monsieur Erémitès !

-     A la bonne heure ! dit-il, voilà autre chose à présent !

 

Et il a posé la main sur mon front.

-     A la bonne heure ! dit-il, mais vous êtes brûlant, jeune homme ! Il faut appeler un médecin !

-      Non ! ai-je dit, il me faut une paire de lunettes !

-     Une paire de lunettes... ? A la bonne heure, jeune homme ! Et pourquoi vous faudrait-il une paire de lunettes ?

-     Eh bien... pour voir le voyage en rose ! Pardi ! Allez vite chercher monsieur Cachet !

-     Monsieur Cachet... ? a répété monsieur Erémitès, à la bonne heure, jeune homme ! Vous connaissez ce charlatan ?

-     Oui, bien sûr ! ai-je dit, monsieur Cachet est mon ami… et mon fournisseur de lunettes ! Oh ! Je vous en prie, monsieur Erémitès ! Je n’en peux plus ! Allez-le chercher !

 

Monsieur Erémitès a froncé les sourcils.

-     A la bonne heure ! dit-il, eh bien ! Vous voilà dans un sacré pétrin, jeune homme ! Et ne comptez pas sur moi pour aller chercher ce charlatan !

-     Oh ! ai-je dit, je vous en prie, monsieur Erémitès ! Allez-le chercher ! 

-     A la bonne heure ! dit-il, il n’en est pas question, jeune homme !

Et monsieur Erémitès s’est mis à tourner en rond dans la pièce en criant :

-     Bon Dieu de bon sang de bonsoir ! Vous voilà dans de beaux draps, jeune homme ! Vous êtes devenu dépendant de ces diaboliques lunettes !!! Bon Dieu de bon sang de bonsoir !!! Je vous avais pourtant dit de chercher le trésor dans la solitude ! Jamais je ne vous ai dit de le chercher à l'aide de ces maudites lunettes ! Bon Dieu de bon sang de bonsoir !!! Comment avez-vous pu vous laisser berner par ce vendeur de boniments ?!! 

-     Vous mentez ! ai-je dit, monsieur Cachet est mon ami ! Il me permet de voir le voyage en rose…

-     Le voyage en rose... ? a répété monsieur Erémitès, à la bonne heure ! Quelle idiotie ! Mais regardez-vous, jeune homme !

-     Oh ! Monsieur Erémitès ! Je vous en prie ! Allez-le chercher ! J’ai besoin de ces lunettes ! Vous m’entendez ! J’ai besoin de ces lunettes !

-     A la bonne heure ! dit-il, il n’en est pas question ! Celui qui me fera avaler la pilule n’est pas encore né ! Où sont les clés de votre appartement ?

-     Les clés de mon appartement... ? Mais qu’allez-vous en faire, monsieur Erémitès ?

-     A la bonne heure ! dit-il, ne vous inquiétez pas, jeune homme ! Faîtes-moi confiance ! Je vais vous sortir de ce mauvais pas !

-     Elles sont là, ai-je dit en désignant la commode de l’entrée.

Monsieur Cachet s’est empressé de les mettre dans la poche de sa veste.

-     Je repasserai dans quelques jours, dit-il, lorsque vous serez calmé…

Il a hésité un instant puis il m’a regardé droit dans les yeux.

-     Vous allez devoir traverser une terrible épreuve, jeune homme ! Mais vous n'avez pas le choix… Et si par malheur, il arrivait que vous ne supportiez plus cette souffrance, sachez, jeune homme, que vous pourrez toujours faire appel à votre dernière liberté ! Elle s’appelle mademoiselle Oto Lyse !

-     Je me fiche bien de la liberté ! ai-je dit, et je me moque bien de savoir comment elle s’appelle ! Je veux mes lunettes ! Il n’y a qu’elles qui puissent me sauver !

-     A la bonne heure ! dit monsieur Erémitès, vous avez tort, jeune homme ! Mademoiselle Oto Lyse est l'ultime chance pour les chercheurs solitaires désespérés. C’est une fée extraordinaire qui, d'un coup de baguette, peut faire disparaître toutes nos souffrances… Et si vous en avez assez de ce voyage, faîtes appel à ses services… ! Allez ! Je vous laisse, jeune homme ! A plus tard ! Bon courage ! A la bonne heure !

Et monsieur Erémitès a quitté mon appartement en fermant la porte à double tour.  

 

 

Porte 77 Une terrible epreuve

Le quartier des tristes ermites –

Les jours suivants furent un effroyable calvaire... un cauchemar abominable... Il n’y a pas de mots pour décrire l’enfer que j’ai vécu. J’étais en proie à d’atroces souffrances et à de terrifiantes hallucinations... Les lunettes de monsieur Cachet avaient commencé leur lent travail de destruction. Dans mes délires, je voyais une énorme paire de lunettes roses cerclée d’une épaisse monture noire danser devant mes yeux.

 

Je lui implorais de rester mais elle disparaissait en me laissant dans l’obscurité la plus terrifiante. Je criais... je criais de rage, de douleur et de désespoir. J’étais au bord de la folie… j’étais aux portes de l’Enfer… j’étais comme possédé… Je ne pouvais plus me passer de ces foutues lunettes. Quelques jours plus tard, au plus fort de la crise, monsieur Erémitès m’a rendu visite.

-     A la bonne heure ! dit-il, comment vous sentez-vous à présent, jeune homme ?

-     Oh ! ai-je crié, je me sens mal ! Et à cause de vous ! Je me sens encore plus mal ! Me priver de mes lunettes ! Vous êtes un monstre, monsieur Erémitès ! Je hais vos méthodes ! Allez-vous-en ! Allez au Diable ! Vous êtes aussi diabolique que ces maudites lunettes ! Je n’ai jamais été aussi mal de tout mon voyage !

-     A la bonne heure ! dit-il en posant la main sur mon front, qu’est-ce que vous racontez, jeune homme ? Vous avez l’air d’aller mieux ! Votre fièvre a diminué.

-     Non ! ai-je hurlé, vous mentez ! Vous êtes un monstre ! Vous n’avez pas le droit de me priver de mes lunettes ! Sans elles, mon voyage n’est qu’un cauchemar... mon corps… n'est qu'un bout de chair douloureux... et j’ai l’âme déchirée par la souffrance !

-     A la bonne heure ! dit-il, ne dîtes pas de bêtises, jeune homme ! Vous êtes en train de guérir ! Accrochez-vous ! Et bientôt, vous pourrez continuer à chercher le trésor dans la solitude ! Faîtes-moi confiance !  

-     Non ! ai-je crié, taisez-vous ! Partez ! Depuis que je suis vos conseils, mon voyage n’est qu’un cauchemar ! Vous m’avez raconté des bêtises, monsieur Erémitès ! On ne peut pas voyager sans les autres ! On ne peut chercher le trésor dans la solitude !  Cela rend trop triste ! Et voilà ce qui arrive ! Allez au Diable ! Laissez-moi !

Monsieur Erémitès m’a regardé avec tristesse (comme si mes paroles l’avaient touché). Il est resté quelques instants les yeux hagards, prêt à vaciller (comme ébranlé dans ses certitudes).

-     Bon..., dit-il, eh bien.... à la bonne heure, jeune homme ! Moi qui pensais que nous étions… de la même race de chercheur…, je vois que je me suis trompé ! Vous êtes bien trop fragile pour suivre le chemin des Tristes Ermites ! Vous ne savez pas supporter la solitude ! Je n’aurais jamais dû vous aider. Je regrette de vous avoir pris sous mon aile. J’ai fait preuve de trop faiblesses à votre égard... et aujourd’hui, votre réaction me fait souffrir. Cela m’apprendra d’avoir failli à ma solitude… A présent, je vais retrouver le chemin des Tristes Ermites. Je vais vous laisser seul avec votre désespoir. Je vais retrouver ma solitude. Allez ! A la bonne heure, jeune homme !

-     Oui ! ai-je dit, partez ! Partez ! Laissez-moi seul ! Allez rejoindre votre foutue solitude ! Vous êtes incapable d’aider les autres ! Il y a trop d’égoïsme en vous, trop de ressentiment et trop de rancœur ! Laissez-moi ! J’en ai assez de vos conseils ! Et j’en ai assez de ce voyage ! Je vais appeler votre bonne fée !

 

Monsieur Erémitès a froncé les sourcils.

-     Mademoiselle Oto Lyse… ? Vous allez appeler mademoiselle Oto Lyse... ? A la bonne heure, jeune homme ! Voilà où mène la faiblesse ! Je vous avais parlé de mademoiselle Oto Lyse pour que vous trouviez en vous la force de vous en sortir seul. Pas pour que vous alliez pleurnicher dans son giron !

-     Je m’en fiche ! ai-je dit, j’en ai assez de ce voyage stupide... j’en ai assez de toutes ces souffrances... je n’en peux plus ! Je n’en peux plus ! Allez-vous-en ! Laissez-moi seul !

 

Monsieur Erémitès a posé sur moi ses grands yeux jaunes et tristes. Il a déposé les clés sur la commode de l’entrée et s’en est allé sans un mot. Lorsqu’il a refermé la porte, je me suis précipité à la fenêtre et je me suis assis, tout tremblant, sur le rebord qui surplombait la rue. Oui ! Je me sentais si malheureux que j’avais décidé d’en finir, une fois pour toute, avec ce foutu voyage...

 

 

Porte 78 Mademoiselle Oto Lyse

La clairiere de l'imaginaire –

Je suis resté assis sur le rebord de la fenêtre pendant de longues heures en réfléchissant au chemin (et à ses difficultés), au voyage (et à son absurdité) et au trésor (à ce foutu trésor… introuvable sur cette maudite Planète). Et c’est à l’instant où j’allais commettre l’irréparable (sauter du 4ème étage) qu’une main (une main miraculeuse) s’est posée sur mon épaule. C’était la main de mademoiselle Oto Lyse en personne, la bonne fée qui aidait les chercheurs solitaires désespérés en guidant leurs pas dans ce grand saut vers l’Autre Monde.

 

-     Eh bien ! dit-elle, que se passe-t-il ? Que faîtes-vous sur ce rebord de fenêtre, jeune homme ?

-     Oh ! ai-je dit, j’en ai assez, mademoiselle… j’en ai assez de ce voyage…

Mademoiselle Oto Lyse me fit un grand sourire.

-     Je sais ! dit-elle, on m’appelle toujours au plus fort de la souffrance. Que puis-je faire pour vous aider, jeune homme ?

-     Je voudrais… que vous guidiez mes pas vers l’Autre monde, mademoiselle ! Je vous en prie ! Poussez-moi ! Je n’en peux plus... j’en ai assez de courir après ce trésor !

-     Guider vos pas vers l’Autre Monde... ? a répété mademoiselle Oto Lyse, mais vous êtes encore bien jeune pour aller dans l’Autre Monde, jeune homme ! Ce sont ces diaboliques lunettes qui vous ont fait perdre la tête et vous ont rendu aveugle.

-     Non ! ai-je dit, n'accablez pas ces lunettes, mademoiselle… elles n'y sont pour rien…

-     Allez ! Allez ! dit-elle, le plus dur est derrière vous, jeune homme ! Trouvez le courage d’attendre un peu ! Et bientôt vous reprendrez votre chemin…

-     Non ! ai-je dit, je souffre trop, mademoiselle…

-     Je comprends votre désespoir, dit-elle, mais… je vous en prie, jeune homme, avant de mettre un terme à votre voyage, parlez-moi ! Racontez-moi votre tristesse. Nous essaierons de la traverser ensemble. 

Mademoiselle Oto Lyse a tourné vers moi ses grands yeux tendres.

-     Parlez-moi sans crainte, jeune homme ! Je suis là pour vous aider…

Dans un terrible effort, j'ai confié ma détresse à mademoiselle Oto Lyse.

-     Je n'en peux plus, ai-je dit, ce voyage est trop triste, mademoiselle ! Aucun chemin ne mène au trésor ! D’ailleurs, le trésor n’existe pas ! Ce voyage est absurde ! Il y a tant de souffrances sur cette Planète ! Et il y a tant de souffrance dans le cœur des résidents…

-     Fichtre ! dit-elle, comment pouvez-vous affirmer que ce voyage n’a aucun sens si vous ne prenez pas la peine de poursuivre votre chemin ?

-     Je n'en sais rien, mademoiselle ! Mais je trouve ce chemin trop difficile ! Et aujourd'hui, je me sens trop triste pour continuer le voyage. 

-     Le chemin est difficile, jeune homme, mais nul ne peut trouver le trésor sans traverser les souffrances du voyage…  Et ce n'est sûrement pas en restant assis sur le rebord de cette fenêtre que vous allez pouvoir le découvrir… Croyez-moi, jeune homme, il serait plus sage de rentrer à l’intérieur…

-     Non ! ai-je dit, je suis trop triste, mademoiselle. Je veux aller dans l’autre Monde.

-     Bon ! dit-elle, eh bien ! Restez où vous êtes, jeune homme ! Si vous trouvez plus inspirant de parler de ce voyage les pieds dans le vide, libre à vous !

 

Et d'un bond, mademoiselle Oto Lyse s’est assise à mes côtés. Nous sommes restés là, côte à côte, un long moment. Et lorsqu’elle a jugé mon silence trop pesant, elle a tourné une nouvelle fois vers moi ses grands yeux tendres.

-     Vous êtes, dit-elle, bien étranges, vous autres résidents du Grand Labyrinthe ! Cette façon de m’appeler en pareilles circonstances ! Il serait tellement plus sage de venir me parler avant de sombrer dans le désespoir ! Vous seriez tellement plus disposés à m’écouter... et j’aurais tellement plus à vous apprendre...

Mademoiselle Oto Lyse a posé ses bras sur mes épaules (comme si elle voulait m’entourer de sa tendresse).

-     Vous savez, jeune homme, je connais des endroits et des moments plus propices pour parler du voyage. Croyez-moi ! Nous serions plus à l’aise à l’intérieur ! Nous pourrions continuer à parler et...

-     Mais… je n’ai plus rien à dire, mademoiselle ! Laissez-moi en finir avec ce maudit voyage…

 

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Mademoiselle Oto Lyse a resserré son étreinte.

-     Vous avez tort ! dit-elle, vous avez déjà parcouru un long chemin… et vos avancées ont été très fructueuses... vous avez rencontré beaucoup de souffrances au cours de ce voyage… et se frotter à la souffrance n'est pas inutile pour avancer sur le chemin… vous avez rencontré beaucoup de résidents qui ont guidé vos pas… Vous avez  traversé de nombreux quartiers avant d'arriver ici… et, croyez-moi, chaque étape vous a rapproché du trésor… il serait dommage aujourd'hui de vous arrêter en si bon chemin…

Mademoiselle Oto Lyse m’a fait un grand sourire.

-     Je vous en conjure…, dit-elle, trouvez en vous la force et le courage de traverser ce désespoir ! Et bientôt vous découvrirez une route merveilleuse qui éclairera le sens de vos pas. Faîtes-moi confiance, jeune homme ! Ne vous découragez pas ! Regardez en vous ! Et trouvez la force de poursuivre le voyage !

 

Je ne sais comment (ni par quel miracle...) mais mademoiselle Oto Lyse, à force de patience et de douceur, réussit à rallumer la faible lueur d’espérance qui se cachait derrière mon désespoir. Et je me suis surpris à quitter le rebord de la fenêtre pour retrouver l’intérieur de mon appartement. A cet instant, mademoiselle Oto Lyse a mystérieusement disparu (elle était repartie comme elle était arrivée... auréolée d'un grand mystère). Pourquoi m’avait-elle abandonné ? Je n'en savais rien… mais je me sentais encore si triste et si fragile que je me suis jeté au pied du canapé en pleurant… et je me mis à penser à tous les personnages que j’avais rencontrés au cours de mon voyage. J’ai pensé au chemin (au long et difficile chemin que j’avais emprunté), au trésor (au mystérieux trésor que je n’avais toujours pas trouvé), aux joyaux (aux insaisissables joyaux qui avaient tous fini par me glisser entre les doigts), j’ai pensé à l’île de la Conscience et à ses habitants (toujours prêts à m’aider), et aux résidents de cette Planète (qui avaient à peu près tous des idées sur ce qu’ils cherchaient et sur la façon de le trouver). J’avais le sentiment que j’étais le seul habitant du Grand Labyrinthe à ne pas trouver son chemin… Ah ! dis-je en moi-même, il est bien difficile d’être chercheur de trésor ! Et je me sentais encore si faible et si triste que j’ai imploré le Ciel de me venir en aide. Oh ! Grand Dieu ! dis-je en moi-même, je vous en prie ! Aidez-moi à traverser cette épreuve ! Aidez-moi à découvrir le chemin qui mène au trésor ! Aidez-moi à découvrir le sens de mes pas ! Et soudain, comme par miracle, j’ai entendu un battement d’ailes fendre l'air…  

 

 

Porte 79 La visite inattendue du pélican

L'île de la conscience –

-     Bonjour, mon ami ! dit le pélican en se posant sur le rebord de la fenêtre.

-     Oh ! Monsieur l’oiseau ! ai-je dit, que faites-vous ici ?

-     Je viens t’aider ! dit-il, tu as l’air si désespéré…

-     Oui… ce voyage est bien désespérant, monsieur l'oiseau. Je me sens si triste… pourquoi mademoiselle Oto Lyse est-elle partie…? Sa présence était si rassurante…

 

Le pélican a entonné un drôle de chant, un petit air très gai (et très entraînant).

-     Tu devrais t’en réjouir ! dit-il, c’est un signe très favorable ! C'est la preuve que tu as réussi à traverser ton désespoir. Ta Fleur m’a envoyé pour t’annoncer la bonne nouvelle.

J'ai regardé le pélican avec des yeux tout ronds d'étonnement.

-     Ma… ma Fleur..., monsieur le pélican ???

J’ai eu une pensée émue pour ma Fleur.

-     Oui ! dit-il, elle est très inquiète à ton sujet…

-     Mais… vous savez, ai-je dit, ma Fleur n’est plus...

-     Comment... n’est plus..., mon garçon ? Ta Fleur n’est-elle plus ta meilleure amie ?

-     Oh si ! Bien sûr ! ai-je dit, mais elle est partie… elle m’a abandonné... il y a bien longtemps déjà…

-     Je sais ! dit-il, mais ne t’avait-elle pas dit qu’elle renaîtrait un jour dans ton cœur ?

-     Dans mon cœur... ?

 

Le pélican s’est penché vers moi.

-     Eh oui ! dit-il, dans ton cœur, mon garçon… elle s’y trouve et t’y attend ! Et aujourd’hui, elle souhaiterait te parler. Je crois qu’il est temps d’aller la retrouver.

-     Me parler… ? Oh ! Mon cœur est encore bien triste pour accueillir ma Fleur… il me faut d'abord retrouver un peu de joie, monsieur l’oiseau.

-     Oui, oui ! dit-il, je sais, mon garçon ! Elle m’a aussi envoyé pour égayer ton cœur.

Et le pélican a entonné un nouveau chant pour faire disparaître ma tristesse. Lorsque mon cœur n’eut plus une seule larme à verser, il me dit :

-     Avant de retrouver ta Fleur, il me faut aussi te montrer deux ou trois choses, mon garçon. Te souviens-tu de mon second métier ?

 

J’ai réfléchi un instant.

-     Oui, ai-je dit, je… je m'en souviens… vous êtes … euh… je crois que vous êtes… gardien de la valeur absolue…

-     Oui ! dit-il en me tendant une échelle, bravo, mon garçon ! Je vois que tu as bonne mémoire. Après toutes ces péripéties, je crois… qu’il est temps de découvrir enfin la valeur absolue, n’est-ce pas ? Allez ! Grimpe sur cette échelle ! Nous allons la visiter !

J’ai grimpé sur l’échelle et j’ai commencé à gravir les barreaux.

-     Allez ! dit le pélican, monte aussi haut que tu le peux !

Je me suis exécuté. Arrivé à peu près au milieu de l’échelle, je me suis arrêté.

-     Bien ! dit le pélican, dis-moi ce que tu vois ?

-     Eh bien… je ne vois rien, monsieur l’oiseau ! Je suis bien trop haut pour voir quelque chose !

-     Trop haut… ? a répété le pélican, non ! Allez, mon garçon ! Continue de monter !

 

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Et j’ai continué de monter. Arrivé à peu près au trois quart de l’échelle, je me suis arrêté une nouvelle fois.

-     Bien ! dit le pélican, à présent dis-moi ce que tu ressens !

-     Ce que je ressens… ? Eh bien… j’ai peur de tomber, monsieur l'oiseau… je suis si haut…

-     Mais non ! dit-il, ne crains rien, mon garçon ! Continue de monter !

 

Et malgré la peur, j’ai continué mon ascension. Arrivé presque en haut de l’échelle, le pélican a crié :

-     Allons ! Arrête de trembler ! De quoi as-tu peur ? Allez ! Continue de monter, mon garçon !

Et j’ai continué à gravir les derniers barreaux de l’échelle.

-     Bien ! dit le pélican, à présent, dis-moi ce que tu ressens ?

-     Eh bien…. je sens que j’ai très peur, monsieur l'oiseau ! Je sens mon cœur qui bat très vite !

-     Bien ! dit-il, ainsi, tu sens battre ton cœur, n’est-ce pas ?

-     Oui, monsieur l'oiseau ! Je sens battre mon cœur ! Il bat si vite… et si fort que… je crois qu’il va se rompre !

-     Bien ! dit-il, très bien, mon garçon ! Et sens-tu autre chose ?

-     Non, monsieur l'oiseau ! Je ne sens que les battements de mon cœur…

-     Bien ! dit-il, très bien ! Tu peux donc t’arrêter !

 

Et je me suis arrêté en haut de l’échelle le cœur battant.

-     Voilà, dit l’oiseau, tu viens de découvrir la valeur absolue !

-     La valeur absolue… ?

-     Eh oui ! dit le pélican, tu viens de découvrir le cœur, mon garçon… Le cœur est la seule et l’unique valeur qui subsiste lorsque les valeurs relatives ont disparu. Le cœur est la valeur absolue ! Et elle seule pourra te montrer le chemin qui mène au trésor !

-     Que voulez-vous dire, monsieur l'oiseau ?

-     Le cœur, dit-il, est le cœur du trésor, mon garçon ! Les joyaux se trouvent à l’intérieur ! Au centre du cœur ! Au cœur du cœur ! Et pour les découvrir, il te faudra, comme sur cette échelle, affronter tes peurs et transformer les valeurs relatives qui t’empêchent d’avancer.

-     Ah ! ai-je dit un peu surpris, les joyaux se trouvent donc à l’intérieur…

-     Oui ! dit le pélican, c’est là que se cache le trésor, mon garçon.

-     Ah ! ai-je dit, d'accord… je… je comprends, monsieur l'oiseau … et quel chemin dois-je emprunter pour le trouver…?

-     Oh ! Ne t’inquiète pas ! dit le pélican, le voyage guidera tes pas. Aie confiance et les évènements te montreront le chemin ! Tu as traversé bien des épreuves mais... pour découvrir le trésor, il te faudra encore t’armer de patience… Crois-moi, mon garçon ! Tu en auras grand besoin pour continuer le voyage et avancer sur le chemin qui mène au cœur du trésor. Aussi, je vais te donner un dernier conseil avant que tu retrouves ta Fleur. Vois-tu cette porte sur la gauche ?

 

J’ai tourné la tête.

-     Oui, ai-je dit un peu étonné de voir une porte à cet endroit, je la vois, monsieur l'oiseau.

-     Eh bien ! Ouvre-la ! dit-il, et il te sera montrer le secret de la patience dont t’avait parlé le vieux chêne, l'ami du grand saule. T'en souviens-tu ?

-     Oh oui ! ai-je dit, bien sûr ! Bien sûr que je m'en souviens… merci, monsieur l'oiseau ! Merci pour votre aide et vos précieux conseils ! Merci infiniment !

Et j’ai poussé la petite porte, le cœur presque joyeux… et plein d'impatience de découvrir le secret de la patience.

 

 

Porte 80 L'escargot

La clairiere de l'imaginaire –

En refermant la petite porte, je débouchai, à ma grande surprise, sur un immense jardin… un immense jardin potager en forme de labyrinthe… un labyrinthe composé de haies immenses qui séparaient des plates-bandes. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, les haies ondulaient… comme si elles voulaient s’échapper… pourquoi ondulaient-elles ainsi ? Je n'en savais rien… Je me suis arrêté pour réfléchir…. et au même instant, les haies se sont figées… Eh bien…, dis-je en moi-même, quel étrange endroit !

Et j'ai repris mon chemin… et aussitôt les haies se remirent à onduler…

 

-     Ne soyez pas si impatient ! dit une voix derrière moi.

Je me suis retourné et j’ai vu un énorme escargot avec deux magnifiques antennes qui marchait paisiblement. D'un bond, je l'ai rattrapé.

-     Bonjour, monsieur l’escargot !

-     Bonjour…jeune homme, dit l'escargot (en me saluant avec une majestueuse lenteur), je vous souhaite la bienvenue dans notre jardin… pour arriver jusqu' ici, vous avez sûrement traversé de terribles épreuves… nous savons par expérience que tous ceux qui arrivent jusqu'à nous sont affamés… Aussi, si vous avez faim, jeune homme, vous pouvez vous servir… nous serons très heureux de partager avec vous nos récoltes…

 

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L'escargot, je dois dire, avait vu juste… j'étais affamé… il y avait une éternité que je n'avais rien avalé… hormis les maudites pilules du monde des Grands Dôms… et mon ascension à l'échelle avait été si éprouvante qu'elle m'avait, il est vrai, quelque peu aiguisé l'appétit…

-     Eh bien…, ai-je dit, je mangerais très volontiers une pomme, monsieur l'escargot !

-     Ah ! Je suis désolé…, dit-il, je crains qu'il soit encore un peu tôt… pour la récolte des pommes… les pommiers sont encore en fleurs… mais tous les autres fruits et tous les autres légumes sont à votre disposition, jeune homme. Vous n'avez qu’à vous servir !

Sous le regard bienveillant de l’escargot, j’ai arraché une carotte, quelques radis, j’ai cueilli une poignée de groseilles et une grosse banane (bien mûre) et j’ai mis le tout dans ma bouche.

-     Allons ! Allons ! dit l'escargot, prenez votre temps, jeune homme ! 

-     Hummm ! ai-je dit en m’essuyant la bouche, ça fait bien longtemps que je n'ai rien mangé de si bon…

L'escargot m'a regardé en bougeant (imperceptiblement) ses antennes.

-     Toutes les nourritures de ce voyage sont délicieuses, jeune homme. Pour en apprécier la saveur, il suffit de savoir les goûter avec lenteur…

-     Oui… peut-être.., ai-je dit, peut-être avez-vous raison, monsieur l'escargot… je n'en sais rien…

Lorsque j'eus fini d'avaler ma dernière bouchée, l’escargot m’a tendu un panier de cerises. J’en ai pris une grosse poignée.

-     Prenez votre temps ! dit-il, sachez apprécier le goût de la cerise ! Pourquoi êtes-vous si pressé ? Pourquoi courrez-vous ainsi ?

-     Je… je suis pressé…, ai-je dit en parlant la bouche pleine, parce que… humm parce que j'ai hâte de… de retrouver ma Fleur…  humm qui doit me guider… à travers… à travers le Grand Labyrinthe pour… humm pour trouver le… le trésor, monsieur l’escargot…

-     Oui, dit-il, je vois… vous êtes pressé de découvrir le trésor… mais pensez-vous vraiment qu’il faille courir pour le trouver ?

-     Eh bien… je… je ne sais pas, monsieur l’escargot. Le pélican et le vieux chêne m’ont déjà parlé de la patience mais… je crois que j’ai suffisamment perdu de temps comme ça à errer dans le monde des Grands Dôm…

-     Je crains, dit l’escargot, que vous ne fassiez erreur, jeune homme… nul ne perd son temps sur cette Planète. Qui que l'on soit… quoi que l'on fasse… et où que l’on aille… le temps n’a aucune importance…

-     Aucune importance… ? Mais… comment pouvez-vous dire ça, monsieur l’escargot ? Le temps passe si vite… et le voyage est si court sur cette Planète… qu’il faut bien courir si l’on veut trouver le trésor !

Et l'escargot m'a montré (avec une grande lenteur) l’immensité du jardin.

-     Regardez ! dit-il, regardez ce jardin, jeune homme ! 

J’ai regardé l'immense jardin… j'ai regardé les haies, les plates-bandes de salades, de haricots, de courgettes, j'ai regardé les rangées d'arbres fruitiers…

-     Eh bien…, ai-je dit, ce jardin ressemble à tous les jardins, monsieur l’escargot. Il est peut-être un peu plus grand que les autres… et il n'a pas l'air clôturé… mais sinon… je ne vois rien de particulier…

-     Vous avez raison ! dit l'escargot, et pourquoi n'est-il pas clôturé selon vous ?

J'ai réfléchi un instant… quelle drôle de question ! Comment aurais-je pu le savoir…

-     Eh bien… je n’en sais rien, monsieur l’escargot ! Peut-être parce que… ce jardin est si grand qu’on ne peut pas le clôturer.

-     C'est exact ! dit l’escargot, ce jardin est si grand… qu'il est infini… Voilà pourquoi il ne peut être clôturé, jeune homme. Et ce jardin est à l'image du temps ! On appelle cela l’Eternité. Voilà pourquoi il est inutile de courir ! Mais ne vous y trompez pas, jeune homme ! L’éternité n'est pas exactement là où on le pense habituellement ! L’éternité ne se trouve pas devant nous… elle se situe dans l’instant… dans chaque instant… à chaque instant du voyage… il nous suffit de vivre pleinement chaque instant… et le temps nous ouvre aussitôt les portes de l’Eternité.

-     Oh ! Eh bien…, ai-je dit, ce que vous racontez est bien étrange, monsieur l'escargot… et je dois bien vous avouer que j'ai un peu de mal à vous suivre…

 

L’escargot m’a regardé avec malice.

-     Sans doute ! dit-il, mais sachez, jeune homme, qu'il est moins important de comprendre le temps, que d'apprendre à le prendre… pour vivre pleinement chaque instant qui passe. Inutile de vous perdre en vaines réflexions… seul compte l’instant… l'instant présent… situé entre le temps passé… passé qui n'est déjà qu'un lointain souvenir… à jamais révolu… et un temps à venir… un temps à venir et incertain… qui ne possède encore aucune réalité…

-     Oh ! ai-je dit, ces histoires de temps sont un peu compliquées, monsieur l’escargot.

-     Sans doute ! dit-il, mais comprendre le temps n’est qu’affaire de temps et prendre le temps… histoire d'instant… jeune homme… avec le temps, vous finirez sûrement par comprendre. A présent, il est temps, n'est-ce pas, de reprendre votre route… de retrouver votre Fleur… et de poursuivre lentement votre voyage vers le trésor…

 

J’ai remercié l’escargot pour ses étranges conseils et j’ai quitté la clairière de l’Imaginaire avec ses drôles de pensées en tête : oui ! Peut-être l'escargot avait-il raison… peut-être, après tout, l'éternité était-elle dans l'instant ! Mais comment le savoir ? Et comment vivre pleinement chaque instant ? C’était là, en vérité, des questions bien difficiles ! Et j’ai secoué la tête (pour sortir de ce drôle de rêve). Puis, j'ai retrouvé l'échelle du pélican… je suis redescendu aussi lentement que possible… et je me suis retrouvé assis sur le canapé de mon appartement. Ma tristesse avait totalement disparu. En reprenant mes esprits, je compris que toutes ces rencontres m’avaient aidé à traverser mon désespoir. Mademoiselle Oto Lyse m’avait sauvé d’un terrible drame. Le pélican m’avait permis de découvrir la valeur absolue, le cœur du trésor. Et l’escargot m’avait confié le secret de la patience ; l’éternité. Et tous ces conseils m’avaient redonné beaucoup d’espoir. Après mes errances dans le monde des Grands Dôms, je pouvais enfin poursuivre mon voyage. J’étais prêt à repartir à la recherche des joyaux et du trésor. Restaient pourtant bien des énigmes !  Comment trouver le chemin qui menait au cœur du trésor… ? Comment vivre pleinement chaque instant du voyage… ? Comment affronter mes peurs… ? Comment transformer les valeurs relatives qui m’empêchaient d’avancer sur le chemin… ? Dans quelle direction orienter mes pas… ? Quel itinéraire emprunter… ?  Toutes ces questions étaient bien difficiles… et je n’avais pas le moindre début de réponse… pas la moindre piste…

 

-     Ah ! dis-je en moi-même, il est temps que je retrouve ma Fleur…

 

Mes mésaventures dans le monde des Grands Dôms et mon voyage à travers les quartiers du Grand Labyrinthe avaient, je crois, à présent suffisamment façonné mon cœur… Et après toutes ces années de séparation, j’ai poussé la porte de l’île de la Conscience pour retrouver ma Fleur.

 

 

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16 novembre 2017

Carnet n°9 Le petit chercheur ou le voyage labyrinthique - Livre 1

Conte / 2004 / La quête de sens

Conte métaphysique qui retrace les aventures d'un chercheur de trésor sur la Planète du Grand Labyrinthe. Après une longue traversée des quartiers des P'TITS DOMS , il découvre le monde des GRANDS DOMS avant de poursuivre sa route sur le CHEMIN DU DEDANS…

 

 

Prologue : où le lecteur fait ma connaissance

Je m’appelle petit Pierre. Je suis chercheur de trésor sur la planète du Grand Labyrinthe. Et cette planète, croyez-moi, est bien étrange ! Elle possède tant de quartiers, tant de murs et tant de portes qu’il est bien difficile d’y trouver son chemin ! Peut-être pensez-vous que j’exagère ? Eh bien ! Tenez ! Regardez ! Voici le dessin du Grand Labyrinthe (il s’agit de la reproduction n°387 de mon dessin n°1*)

                        

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 * il est si difficile de représenter une telle planète que j'ai dû jeter à la corbeille mes 386 premiers dessins !

 

Voici un autre dessin de ma planète. Il s'agit de la reproduction n°278 de mon dessin n°2*.

 

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 * Il s’agit toujours de la planète du Grand Labyrinthe mais dessinée, cette fois-ci, sous un autre angle.

 

Je crois que si j'essayais de dessiner ma planète des milliards de fois (en m’appliquant de tout mon cœur), je n'arriverais pas à faire beaucoup mieux. Il est vrai que je ne suis pas un dessinateur très talentueux… mais ça n'a aucune importance puisque je dessine pour mon plaisir. Je me moque bien de la célébrité. Je sais bien que mes dessins ne seront jamais aussi connus que les tableaux de monsieur Léonardo. Pour ceux qui ne connaîtraient pas monsieur Léonardo, sachez qu'il est l’un des plus grands dessinateurs de tous les temps qui a peint l'un des plus célèbres tableaux de ma planète. Et même si vous n’habitez pas la même planète que moi, je suis sûr que vous connaissez ce tableau ! Regardez ! J’ai essayé de le reproduire (avec le portrait de monsieur Léonardo). Le voici :

 

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A présent que vous avez une idée de l'endroit où j'habite, il est temps de vous raconter le début de mon histoire. Mon voyage sur la planète du Grand Labyrinthe a commencé lorsque j’avais 7 ans. A l’époque, j’habitais avec mes parents dans le quartier des P’tits Dôms. Mon voyage a commencé le jour où monsieur Robinson(1) (l’ami de monsieur Antoine(2), vous savez, celui qui a écrit les aventures du petit Prince) m’a fait découvrir l’île de la Conscience. Ce jour-là, les habitants de cette île m’ont appris que j’étais un petit chercheur de trésor. Et je dois dire que j’ai été très surpris de l’apprendre ! Ainsi raconté, le début de cette histoire a l’air compliqué, mais ne vous inquiétez pas, nous avancerons lentement, et peu à peu, soyez en sûrs, vous comprendrez le sens de cette longue marche vers le trésor !

 

Avant de débuter notre périple, il faut que vous sachiez qu’à 7 ans, j’étais loin de me douter qu’il me faudrait entreprendre un long voyage pour trouver le trésor ! Mais, au fil des aventures, j’ai compris que tous les habitants de ma Planète essayaient de le trouver. Et il en est sans doute ainsi pour tous les êtres de toutes les planètes de tous les univers ! Oui, je suis persuadé que nous cherchons tous le trésor… et que nous avons tous bien du mal à savoir où il se cache… Aussi pour essayer (ô très modestement) d’éclairer vos pas sur le chemin, j'ai décidé de vous raconter mon histoire car aujourd'hui, je suis sûr de deux choses. La première est que le trésor existe (oui, je suis persuadé qu'il se trouve quelque part, dans un lieu inattendu et mystérieux) et la seconde chose est qu'il nous faudra marcher longtemps avant de le trouver… En attendant, je vous souhaite beaucoup de courage pour avancer sur le chemin...

Petit Pierre.

 (1) Monsieur Robinson est plus connu sous le nom de Robinson Crusoë

 (2) Monsieur Antoine est l'auteur d'un livre pour enfants très célèbre : Le Petit Prince.

 

 

PARTIE 1 COMMENT J'AI APPRIS QUE J'ETAIS CHERCHEUR DE TRESOR

 

Porte 1 Ma rencontre avec monsieur Robinson

La clairière de l’Imaginaire –

Tout a commencé l’année de mes 7 ans par un beau matin d’été, lorsque l’étrange ami barbu de monsieur Antoine a débarqué dans ma vie. Ce jour-là, j’étais assis sur la terrasse, absorbé par les aventures du petit Prince (vous savez le héros du livre de monsieur Antoine). Cela faisait peut-être une heure que je lisais la fabuleuse histoire du petit Prince lorsque j’ai cru entendre une voix (une voix étrange et un peu lointaine) :

 

-     Eh oh ! Petit Pierre ! Tu m’entends ? Que fais-tu ?

-     Eh bien..., ai-je dit un peu surpris, je… je lis le livre de monsieur Antoine.

-     Ahhh ! dit la voix, quelle belle histoire !

-     Oh oui ! ai-je dit, ses aventures sont fabuleuses… j’aimerais tant être à sa place…

-     A la place du petit prince ? Et pourquoi aimerais-tu être à la place du petit prince ?

-     Parce que ma vie est bien ennuyeuse…

-     Tu t’ennuies…? Eh bien ! Voilà une chance formidable, mon garçon ! L'ennui est une porte merveilleuse pour celui qui veut voyager… Viens ! Suis-moi ! Je vais te montrer.

 

J’ai refermé le livre de monsieur Antoine. Et à l’instant où j’ai refermé le livre, la couverture s’est transformée (oui ! Elle s’est entièrement transformée). Tenez ! Voici à quoi ressemblait la couverture qui ornait habituellement le livre de monsieur Antoine :

 

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Et voici celle que j’aperçus ce jour-là :

 

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Un homme barbu avait pris la place du petit Prince. Et la planète s’était transformée en île. Une île minuscule perdue au milieu d’un océan bleu turquoise. L’homme barbu a agité la main dans ma direction.

 

-     Viens ! dit-il, ne crains rien ! Je m’appelle monsieur Robinson, je suis l’ami de monsieur Antoine. 

 

Et aussi absurde que me parut cette transformation, j’ai tendu la main à cet étrange monsieur Robinson. Il l’a saisie d’une poigne ferme et m’entraîna vers une petite porte cachée derrière les feuilles d’un grand palmier.

 

 

Porte 2 Monsieur Robinson m’ouvre les portes de mon île

–  L’île de la conscience –

-     N’aies pas peur ! dit-il, approche-toi !

Je me suis avancé d’un pas timide.

-     Eh bien voilà ! dit-il en refermant la porte, je suis heureux de te présenter ton île.

-     Mon… mon île ?

-     Oui ! Nous sommes ici sur ton île, mon garçon. C'est l'île de la Conscience ! C'est une île très importante pour trouver son chemin.

Je l’ai regardé avec des yeux tous ronds d’étonnement.

-     L'île de la Conscience… ? Pour trouver mon chemin…?

-     Oui ! Ce sont les habitants de cette île qui guideront tes pas au cours du voyage.

J’ai regardé monsieur Robinson puis j'ai regardé mon île. Comment était-ce possible ? J'étais propriétaire d'une île et je ne m'en étais jamais aperçu… j'allais bientôt partir en voyage et personne ne m'avait prévenu… Quelle bien étrange histoire ! dis-je en moi-même.

-     Je...

-     Chut ! Ne cherche pas à comprendre, mon garçon !

-     Mais..., ai-je protesté, je...

-     Chut ! répéta monsieur Robinson, tu comprendras au fil du voyage.

Et il s’est volatilisé. Eh bien ! dis-je en moi-même, voilà une chose extraordinaire ! Etais-je en train de rêver ? J’ai secoué la tête. Mais non ! J’étais bien éveillé. Devant moi, il y a avait un étang, une fleur, un oiseau perché sur un grand saule, un rocher recouvert de mousse et une petite pierre. 

 

A dire vrai, je ne savais que penser. Alors j'ai quitté mon île pour retrouver le quartier des P'tits Dôms. Inutile de vous dire que j'avais la tête bien songeuse… C'était une découverte si extraordinaire… Peut-être étais-je devenu fou et qu'on allait m'enfermer dans un asile ? Mais je crois que je m'en serais bien moqué. Il n'y avait désormais qu'une seule chose qui m'importait : retourner sur mon île pour y rencontrer ses habitants.

 

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Porte 3 Monsieur l'étang me fait découvrir l'école buissonnière

– L’île de la conscience –

L’occasion se présenta quelques jours plus tard. Un matin alors que j’étais sur le chemin de l’école, la porte de l’île de la Conscience a brusquement surgi devant moi. J’ai aussitôt poussé la porte et je me suis dirigé vers l’étang. 

-     Tiens ! dit l'étang, bonjour, mon garçon. Que viens-tu faire par ici ? 

-     Bon… bonjour ! ai-je bafouillé, je … je me suis perdu…

L’étang m’a regardé d’un œil amusé.

-     Ah oui ? dit-il, tu t’es perdu en venant sur l’île de la Conscience, voilà une chose bien curieuse…

Et il a soupiré.

-     Allons ! Allons, mon garçon ! Inutile de me raconter des histoires ! Personne ne vient ici par hasard. Dis-moi plutôt la vérité ! 

Et je me suis empressé de lui raconter ma vie ennuyeuse. Les longues journées passées sur les bancs de l’école, la sévérité de mes parents qui voulaient que je travaille bien en classe.

- Vous savez, je n'aime pas l'école, monsieur l'étang… on s'y ennuie tellement… mais l’école est obligatoire dans le quartier des P'tits Dôms…

-     Obligatoire ? a répété l’étang, Ah ! Ah ! Ah ! Ah! Obligatoire ?!! Je n'ai jamais entendu une chose si drôle.

-     Ah non ! Ne vous moquez pas de moi ! Ce n'est pas drôle, monsieur l’étang ! 

Et l’étang a éclaté de rire.

-     Ah! Ah! Ah! Ah! Obligatoire ? Et qu'apprends-tu donc de si intéressant à l'école ?

 

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-     Oh ! On apprend des tas de choses, monsieur l'étang… mes parents disent qu'on y apprend des choses très importantes pour son avenir.

-     Ah oui ? dit l’étang, oh ! oh ! oh ! Des choses très importantes pour son avenir… comme tu es naïf ! N’as-tu donc jamais entendu parler de l'école buissonnière ?

-     L'école buissonnière...?

-     Oui, l’école buissonnière ! La plus merveilleuse des écoles ! On ne s’y ennuie jamais… si tu veux, je peux te montrer le chemin. Tu pourras juger par toi-même.

 

Et ce matin-là, au lieu de me diriger vers la salle de classe, mes pas me conduisirent sur le chemin de l’école buissonnière.

 

 

Porte 4 Ma première rencontre avec la fleur

– L’île de la conscience –

L’étang avait dit vrai. L’école buissonnière était bien plus intéressante que l’école des P’tits Dôms. On pouvait s’y promener à sa guise, on pouvait y crier, y chanter ou y rêvasser toute la journée. Aussi, chaque matin, je partais pour l'école buissonnière, découvrant chaque jour des choses nouvelles en flânant dans les rues du quartier des P’tits Dôms. J'avais tant de plaisir à aller à cette merveilleuse école que je me mis bientôt à la fréquenter avec une très grande assiduité.

 

Après plusieurs semaines passées à traîner ici et là dans les rues du quartier, un matin, alors j’étais tranquillement assis sur un banc, plongé dans le livre de monsieur Antoine, la porte de l’île de la Conscience a jailli devant moi. A peine débarqué sur l'île, j’ai aperçu sur l'autre rive de l'étang une étrange lumière qui scintillait. Je me suis approché et j’ai vu la fleur, - l’unique fleur de l’île, une petite tulipe jaune - coincée entre le grand saule et le rocher moussu, qui brillait de mille feux. J’étais si impatient de faire sa connaissance que je me suis avancé vers elle avec beaucoup d’enthousiasme.

-     Bonjour, belle fleur ! ai-je dit en m'asseyant à ses côtés.

La fleur a baissé la tête.

-     Bonjour, belle fleur ! ai-je répété.

Mais la Fleur n'a rien répondu. Elle n'a même pas relevé la tête. J’allais reprendre mon chemin pour aller saluer l’étang lorsque soudain elle m’a souri.

-     Oh ! Quel joli sourire, ma Fleur ! 

 

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A ces mots, la petite tulipe a agité ses pétales et s’est mise à crier (d’une voix très haut perchée) :

-     Si vous croyez que je ne vois pas clair dans votre jeu ! Si vous croyez que j’ignore ce que vous avez derrière la tête ! Je sais très bien où vous voulez en venir avec vos flatteries ! Vous voulez me séduire pour n’en faire qu’à votre tête !

-     N’en faire qu’à ma tête, madame la fleur... ?

-     Parfaitement, jeune homme ! Vous voulez me séduire pour vous dispenser de mes cours de morale!

-     De vos cours de morale…? Et pourquoi me feriez-vous la morale, madame la fleur... ?

La Fleur m’a regardé avec lassitude.

-     Parce qu'il m'appartient de vous faire la morale, jeune homme ! Et je vous rappelle qu’à cette heure de la journée, vous n'avez rien à faire ici ! Vous devriez être à l’école !

-     A l’école ... ? Ah non ! Je n'ai aucune envie d’aller à l’école, madame la fleur ! Je préfère l’école buissonnière.

La fleur a agité ses pétales (avec autorité).

-     Allez ! Ne discutez pas, mon garçon ! Retournez en classe ! Vous ne le regretterez pas ! Et vous verrez… bientôt vous y découvrirez un fabuleux trésor…

-     Un fabuleux trésor…, madame la fleur… ?

Mais la fleur n’a pas jugé nécessaire de répondre. Elle a subitement refermé ses pétales. Et sur ses étranges conseils, je dus me résoudre à quitter l'école buissonnière pour retrouver l’ennuyeux chemin de l’école des P'tits Dôms.

 

 

Porte 5 La magie du regard

– Le quartier des p'tits dôms –

Quelques jours plus tard, je retournai à l'école. Et ce que la Fleur m'avait dit arriva. En entrant en classe, ce matin-là, les élèves m'accueillirent comme un héros.

 

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Les cancres se levèrent pour me faire une haie d'honneur et la plupart de mes camarades m'applaudirent avec, dans les yeux, une lueur d'envie et d'admiration. Ma réputation d'élève assidu à l'école buissonnière m'avait propulsé au rang des célébrités de l'école.

 

Parmi tous ces regards, ceux de mes petites camarades de classe me firent la plus grande impression. Toutes me regardaient avec une étrange flamme aussi douce et brillante que le miel. J'en fus si troublé que je passai la journée à regarder toutes celles qui me regardaient. Ces regards me rendaient le cœur si joyeux que je me mis à rêver de voir cette petite flamme dans les yeux de toutes celles qui croiseraient mon chemin. C'est ainsi que commença mon long voyage à la recherche du trésor.

 

 

PARTIE 2 A LA RECHERCHE DU PREMIER JOYAU : LA BEAUTE

 

Porte 6 La fleur me conseille

– L'île de la conscience –

Le soir, à peine sorti de l'école, je m'empressai de rejoindre mon île. J’avais tant de questions à poser à la fleur que j’ai contourné l’étang sans même le saluer. En me voyant arrivé, la fleur a fait une drôle de grimace :

-     Eh bien ! dit-elle, que viens-tu faire par ici, mon garçon ?

-     Eh bien..., ai-je bafouillé, je… je crois... madame la fleur... que j’ai découvert… le trésor dont vous m'avez parlé.

Les pétales de la Fleur se sont mis à trembler.

-     Oh ! Oh ! Oh ! Oh ! dit-elle, le trésor… ? Comment pourrais-tu trouver le trésor, mon garçon… tu viens à peine de commencer le voyage…

J’ai baissé la tête, un peu déçu. La fleur s’est alors penchée vers moi. Et elle m’a murmuré à l’oreille :

-     Tu viens de découvrir l’existence du joyau de la beauté, mon garçon, le premier des 4 joyaux… et il te faudra encore parcourir un long chemin avant de le trouver…

 

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J’ai regardé la fleur avec curiosité et - je dois le dire aussi - avec un certain intérêt. 

-      Et où se trouve le premier joyau, ma Fleur ?

-     Oh ! Le joyau de la beauté est partout, mon garçon. Il suffit d’ouvrir les yeux !

-     Ouvrir les yeux...? Comment ça… ouvrir les yeux…?

La fleur a agité ses pétales.

-     Je regrette, mon garçon, mais je ne peux t’en dire davantage. Si tu veux connaître le chemin qui mène au joyau de la beauté, va voir madame La pierre. Tu la trouveras de l'autre côté de l'étang.

 

J’ai remercié la Fleur et je me suis dirigé, le cœur plein d'impatience, de l'autre côté de l'étang.

 

 

Porte 7 Les conseils de madame la pierre pour trouver le premier joyau

– L'île de la conscience –

De l’autre côté de l’étang, une petite pierre - toute ronde et toute blanche - m’attendait. J’eus à peine le temps de m’asseoir à ses côtés qu'elle me dit :

-     Tiens ! Bonjour ! Quel bon vent t'amène, mon garçon ?

J'ai bredouillé.

-     Eh bien… comment vous dire, madame la Pierre…, c'est ma Fleur qui… enfin… elle m'a dit que… vous pourriez m'aider… à trouver le…  le joyau de la beauté.

-     C'est exact ! dit la pierre, je suis là pour t'aider. Que veux-tu savoir exactement ? As-tu une idée du genre de beauté qui comblerait tes désirs ?

-     Eh bien…, ai-je dit, je n'en sais rien, madame La pierre, j'aimerais seulement retrouver dans les yeux des filles cette petite flamme aussi douce et brillante que le miel… j'aimerais qu'elles continuent à me regarder… qu'elles me regardent toujours… vous comprenez…

-     Bien sûr… je comprends, dit la pierre, en somme, tu souhaiterais attirer sur toi tous les regards, n'est-ce pas ?

J'ai acquiescé. La pierre a alors soupiré d’aise.

 

-     Eh bien…, il n'y a rien de plus facile, mon garçon. Il suffit d'écouter les conseils du miroir. Ecoute-le comme ton meilleur ami et ton plus fidèle allié car lui seul aujourd’hui te permettra d’avancer sur le chemin de la beauté.

J’ai remercié madame La pierre et j'ai retrouvé, le cœur tout joyeux, le quartier des P'tits Dôms.

 

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Porte 8 Le miroir devient mon conseiller

– Le quartier des p'tits dôms –

Sur les conseils de la pierre, je pris l’habitude de passer de longues heures devant le miroir. Ainsi chaque matin, avant d’aller à l’école, je me postais devant lui et lui demandais quelques conseils avisés. Et le miroir s’empressait de me conseiller sur ma coiffure, en ajustant d’une main experte mes cheveux mal coiffés. Puis il m’aidait à choisir les vêtements appropriés, ceux qui mettaient en valeur toute ma beauté. Il lui arrivait aussi, je dois le confesser ici, de m’embrasser. C’était là une folle envie qui lui prenait de temps à autre. Le miroir était si charmant et si flatteur que je ne pouvais lui refuser… (car lui seul avait, chaque jour, un geste ou un mot d'encouragement pour m’aider à avancer sur le chemin de la beauté). Madame La pierre n’avait pas menti, le miroir devint très vite mon meilleur ami et mon plus fidèle conseiller, se montrant à mon égard toujours très attentionné. Ainsi à la fin de chacune de mes visites, il n’oubliait jamais de m’encourager :

-     Allez, mon garçon ! me disait-il, bonne journée et n’oublie pas de noter tous les regards qui se poseront sur toi aujourd’hui !  

 

Sur les précieuses recommandations du miroir, je mettais donc chaque jour un soin particulier à chercher le regard des filles. Je cherchais leurs yeux partout (en classe ou dans les rues du quartier des P’tits Dôms), et à toute heure du jour (le matin, l’après-midi et le soir). Je les cherchais sans répit comme un chercheur d’or qui œuvre jour et nuit pour assouvir sa fièvre de pépites. 

 

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Quelques semaines plus tard, soutenu et encouragé par mon fidèle et loyal ami le miroir, j'avais considérablement avancé sur le chemin de la beauté. Plus de la moitié des filles de l'école avait déjà posé leurs yeux sur moi. Et je n’en étais pas peu fier.

 

Au cours des mois suivants, mes progrès furent considérables. Les regards devinrent si nombreux que je dus les noter sur un petit carnet. Chaque soir, je consignais les regards de la journée. Puis je les additionnais aux anciens regards. Et je passais mes soirées à les compter et à les recompter comme un avare recompte chaque soir ses pièces d’or.

 

Et après quelques années de patients efforts à suivre les précieux conseils du miroir, je fus bientôt au faîte de ma gloire. J’avais réussi à comptabiliser pas moins de 2974 regards (2974 regards dont je n’étais pas peu fier).

 

 

Porte 9 Comment le premier joyau m'a glissé entre les doigts

– Le quartier des p'tits dôms –

Après quelques années passées à accumuler les regards, un jour, une ombre s’est posée sur les pages de mon carnet. Cette ombre arriva avec un nouveau venu dans l’école. C’était un garçon d’une grande beauté qui attira en quelques semaines tous les regards sur lui.

 

En quelques mois, je vis fondre mes richesses comme neige au soleil. Chaque soir, j’avais beau consulter mon carnet, compter et recompter mes regards… les pages restaient désespérément vides.

 

Malgré mes efforts et les précieux conseils du miroir, le premier joyau était en train de me glisser entre les doigts. Je me sentais triste et malheureux … mais que pouvais-je faire ? J'étais si désespéré de voir m'échapper le joyau de la beauté qu'un matin, je m’en fus chercher un peu de réconfort sur mon île. 

 

 

Porte 10 Monsieur l'étang m'invite à découvrir les beautés du grand labyrinthe

– L'île de la conscience –

Ce jour-là, à peine débarqué sur l'île, je m'arrêtai devant l’étang pour lui raconter mes malheurs.

-     Oh ! Il m’arrive une chose affreuse, monsieur l’étang.

-     Ah oui ? dit l’étang, que se passe-t-il ?

-     Eh bien..., je crois que… je suis en train de perdre le premier joyau, monsieur l’étang. Regardez !

Et je lui ai montré mon carnet.

-     Vous voyez ! ai-je dit, je n'ai pas inscrit un seul regard depuis l'arrivée de ce garçon.

L’étang s’est mis à rire.

-     Pourquoi riez-vous, monsieur l’étang ?

-     Ah ! Comme tu es naïf, mon garçon ! Depuis que tu as commencé ce voyage, tu te laisses mener par le bout du nez. Ta Fleur et madame La pierre t’ont raconté des sottises à propos de la beauté. Ce n'est pas ainsi que tu avanceras sur le chemin qui mène au premier joyau. Tu ferais mieux d’écouter mes conseils ! Rappelle-toi de l’école buissonnière et des choses merveilleuses que tu as découvertes grâce à moi.

-     Oui, ai-je dit en songeant aux merveilleuses journées passées à l’école buissonnière, vous avez raison. Que dois-je faire, monsieur l’étang ?

Devant ma naïveté, l’étang a toussé d’aise.

-     Hum ! Hum ! dit-il, eh bien... je crois qu'il est temps de découvrir les beautés du Grand Labyrinthe, mon garçon. Tu es en âge à présent de visiter les autres quartiers de la Planète… 

J’ai regardé l’étang avec des yeux tout ronds d’étonnement.

 

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-     Allez ! Allez ! dit l’étang, le Grand Labyrinthe est une planète merveilleuse… et si tu savais toutes les beautés qui t’attendent, tu serais déjà en chemin, mon garçon !

 

 

Porte 11 Ma première sortie hors du quartier des p'tits dôms

– Le quartier de la capitale –

Le soir-même, je préparai mes affaires et je me mis en route.

-     A moi l’aventure ! A moi le joyau de la beauté ! Et à moi le trésor ! ai-je crié en quittant la maison.

 

Et j’ai marché avec entrain pendant trois jours et trois nuits... ne ménageant ni ma peine ni mes efforts. A l'aube du quatrième jour, j’ai franchi la frontière qui séparait le quartier des P'tits Dôms et le quartier de la Capitale… et j’ai continué à marcher jusqu’au soir du sixième jour. Et lorsque la nuit tomba au soir du sixième jour, je m'arrêtai exténué par cette longue marche.

 

A dire vrai, je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais. J’avais simplement suivi mes pas qui m’avaient mené jusqu’ici. Pourquoi avais-je emprunté ce chemin ? Je n’en savais rien. Mais j’étais si fatigué que j’ai renoncé à le savoir. Oh ! Je verrai bien demain ! dis-je en moi-même. J’ai posé mon sac, je me suis couché sur le bord du sentier et je me suis endormi.

 

  

Porte 12 Ma rencontre avec monsieur bombeaudroit, propriétaire de beautés

– Le quartier de la capitale –

Ces nuits passées sous les étoiles furent merveilleuses. Jamais je ne m’étais senti aussi libre et aussi heureux... J’étais loin du quartier des P’tits Dôms et loin de l’ennuyeux chemin de l’école... Le matin du septième jour, je me suis réveillé à l'aube avec les premiers rayons de soleil. J'ai ouvert les yeux et j'ai vu autour de moi un paysage d'une grande beauté. J'étais au milieu d’un immense verger, au bord d’un petit chemin qui serpentait entre les pommiers et qui se perdait dans les collines. Dans ce quartier, tout avait l'air merveilleux ; le ciel, le gazouillis des oiseaux, le bruit du ruisseau qui coulait en contre bas, les papillons qui virevoltaient entre les pommiers en fleur...

-     Oh ! Que cet endroit est beau ! dis-je en moi-même. 

J’allais reprendre ma route (car il me fallait bien, n’est-ce pas, poursuivre mon voyage) lorsque j’aperçus une pomme à mes pieds.

-     Oh ! dis-je en moi-même, ici, tout est si beau que même la nourriture tombe du ciel !

Et je me suis baissé pour la ramasser lorsque soudain j’ai entendu crier derrière moi :

-     Eh ! Eh ! Eh ! Attends que je t’attrape ! 

Je me suis retourné et j’ai vu un gros bonhomme à la face rougeaude qui courait après un papillon.

-     Eh ! Eh ! Eh ! criait-il, tu feras moins le malin lorsque je t’aurais mis dans ma collection ! Eh bien! dit-il en m'apercevant, que fais-tu là, toi ? Réponds! Que fais-tu ici !!? Sais-tu à qui appartient cette propriété !!?

J’ai secoué la tête.

-     Tu es ici chez moi ! Et personne ne pénètre chez moi sans mon autorisation !

-     Ah..., ai-je bafouillé, cet endroit merveilleux vous appartient… Oh ! Je suis… désolé, monsieur ! Je l’ignorais.

-     Tu l’ignorais !!! Tu ne sais donc pas lire, jeune imbécile !!! a crié le gros bonhomme en désignant un immense écriteau clouté sur un pommier : Propriété privée. Défense ABSOLUE d’entrer. Sous peine de poursuite par la maréchaussée.

-     Vous savez, monsieur…, ai-je dit en baissant la tête, il faisait déjà sombre hier soir lorsque...

-     Ah oui ??? s’est écrié le gros bonhomme en regardant mes habits chiffonnés (par mes six jours de marche et mes six nuits passées à la belle étoile), sale petit menteur ! Tu es donc chez moi depuis hier! A la façon dont tu es accoutré, je parierais que tu es l’un de ces misérables voleurs qui viennent détrousser les honnêtes propriétaires de beautés à la nuit tombée ! Sacré nom de Dieu de voleur ! Tu vas voir !!! Sacré nom de Dieu de voleur !!!

-     Mais non..., ai-je bafouillé, ce… ce n’est pas ce que vous croyez, monsieur ! Je ne suis pas un voleur… je... je suis chercheur, monsieur ! Je cherche… les beautés du Grand Labyrinthe…

 

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-     Les beautés du Grand Labyrinthe ! s’est écrié le gros bonhomme, je ne m’étais donc pas trompé ! Tu n’es qu’un sale petit voleur ! Qu’un sale petit voleur de beautés ! Tu ne perds rien pour attendre ! Tu m’entends, sale petit voleur ! Je ne me laisserai pas faire ! Tu vas voir ! Je vais prévenir la maréchaussée !

Et le gros bonhomme s’est mis à hurler :

- A l’aide ! Au secours ! Au voleur !

- Oh non ! ai-je dit, n’appelez pas les gendarmes, monsieur ! Je ne vous ai rien volé ! D’ailleurs, je m’apprêtais à repartir...

-     Repartir ? a crié le gros bonhomme, il n'en est pas question ! Tu ne bougeras pas d’ici ! Tu vas attendre bien sagement la maréchaussée ! 

-     Mais..., ai-je dit, soyez raisonnable, monsieur. Laissez-moi repartir ! Je vous en prie ! Je ne vous ai rien volé !

-     Rien volé !!! a répété le gros bonhomme, je te rappelle que tu es sur MA propriété ! Tu as dormi sur MON herbe ! Tu as marché sur MON chemin ! Tu respires MON air ! Tu as certainement dû boire l’eau de MON ruisseau ! Tu t’apprêtais à manger l’une de MES pommes ! Tu rôdes depuis hier soir pour me voler MES beautés ! Et tu as le culot de me dire que tu n'as rien volé ! Non mais ! Tu vas voir, sacré nom de Dieu de voleur !

Mais je n'ai pas eu le temps de répondre au gros bonhomme. La maréchaussée est arrivée quelques secondes plus tard. Deux gendarmes se sont précipités sur moi. Ils m’ont attrapé, ils m’ont passé les menottes et ils m’ont conduit au poste.

 

 

Porte 13 La leçon de la maréchaussée

– Le quartier de la capitale –

Arrivé au poste de la maréchaussée, les gendarmes m’ont enfermé dans une cellule minuscule munie de barreaux et d’une petite lucarne. Au bout de plusieurs heures, le chef des gendarmes est venu me chercher. Il a enlevé mes menottes, il m’a fait entrer dans son bureau, il m’a ordonné de m’asseoir et m’a posé tout un tas de questions :

-     Nom ? Prénom ? Adresse ? Profession ?

-     Euh... je… je m’appelle... petit Pierre, monsieur le gendarme. J’habite chez mes parents dans le quartier des P’tits Dôms. Et je suis chercheur de trésor. Je cherche le trésor… et les beautés du Grand Labyrinthe.

Le gendarme a noté ma réponse sur son grand cahier en fronçant les sourcils (ce qui lui donna, je dois bien l’avouer, un petit air d’autorité qui fit son effet).

-     Tu sembles bien jeune pour être chercheur de trésor. Et l’école, mon garçon ?

-     L’école... ? Je… oh... eh bien..., je ne vais plus à l’école, monsieur le gendarme. J'ai quitté l'école… pour partir à la recherche du joyau de la beauté.

 

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Le gendarme a froncé les sourcils en se grattant la tête (ce qui lui donna, cette fois-ci, je dois dire, un air assez bête).

 

-     A ton âge, l’école est obligatoire. Tu es en infraction, mon garçon !

-     En infraction... ? Qu’est-ce que ça veut dire, monsieur le gendarme ?

-     En infraction signifie que tu es hors la loi ! Et les lois et le vocabulaire s’apprennent à l’école, mon garçon !

Après ce sévère rappel à l’ordre, le gendarme a tourné la page de son grand cahier pour m’interroger sur l’affaire de la propriété privée.

-     Que faisais-tu chez monsieur Bombeaudroit ?

J’ai regardé le gendarme avec des yeux tout ronds d’étonnement.

-     Monsieur… Bombe…au…droit… ? ai-je balbutié, qui est-ce ?

-     Monsieur Bom-Beau-Droit est l'un des plus gros propriétaires de beautés du quartier. Il te reproche d’avoir pénétré chez lui pour essayer de les lui voler. Qu’as-tu à répondre de cette accusation, mon garçon ?

-     Eh bien..., ai-je de nouveau bafouillé, je... j’ignorais que j’étais sur une propriété privée, monsieur le gendarme.

-     Comment ça ! a crié le gendarme, tu me prends pour un imbécile ! Tout le monde sait où habite monsieur Bombeaudroit ! Tu ferais bien d’avouer, mon garçon !

-     Mais... je…  je vous assure, monsieur le gendarme ! Je suis arrivé à la nuit tombée. Il faisait noir. Comment aurais-je pu savoir que j’étais chez monsieur Bombeaudroit ?

-     Ahhh... décidément…, a soupiré le gendarme, tu t’entêtes, mon garçon ! Pourquoi refuses-tu de dire la vérité ?

-     Mais..., je vous dis la vérité, je n’ai rien volé, monsieur le gendarme. Je…

Le gendarme m’a interrompu.

-     Tout ce qui se trouve sur cette parcelle du Grand Labyrinthe appartient à monsieur Bombeaudroit ! Il est donc légitime qu’il t’accuse de vol.

Pendant tout l’après-midi, j’ai dû écouter le drôle de sermon du gendarme sur les beautés du Grand Labyrinthe, sur ceux qui les possédaient et sur ceux qui voulaient les leur voler. Et j’avais le cœur bien triste… A la fin de l’interrogatoire, le chef des gendarmes a prévenu mes parents qui m'ont aussitôt ramené dans le quartier des P’tits Dôms. Et en guise de punition, ils m’ont enfermé dans ma chambre pour le restant de la semaine.  

 

Après avoir goûté à cette merveilleuse liberté dans le quartier de la Capitale, inutile de vous dire que cette punition me parut insupportable. Je passais mes journées à tourner en rond dans ma chambre. Comment avais-je été assez stupide pour croire aux belles paroles de l’étang ? Tous les propriétaires de la Planète avaient l'air de posséder toutes les beautés du Grand Labyrinthe. Et si tous étaient aussi généreux que monsieur Bombeaudroit, je n’étais pas prêt de trouver le joyau de la beauté. Ma Fleur ! Oh ! Ma fleur ! dis-je en moi-même, aidez-moi ! Et j’étais si désespéré que j’ai poussé la porte de l’île de la Conscience.

 

 

Porte 14 Ma fleur me console et me parle du deuxième joyau

– L'île de la conscience –

A peine débarqué sur l’île, je me suis dirigé vers ma Fleur en criant :

-     Vous… vous êtes tous des menteurs sur cette île! Je n’ai pas trouvé le joyau de la beauté !

La fleur a posé sur moi un regard plein de tendresse.

-     Allons ! Allons ! dit-elle, il faut être patient, mon garçon ! Nul ne peut trouver le joyau en quelques jours…

-     Vous mentez ! Vous êtes tous des menteurs ! Vous m’avez raconté des sornettes ! Pourquoi m’avez-vous menti, ma fleur ?

La Fleur a agité ses pétales.

-     Ne te mets pas en colère, mon garçon ! Nous avons essayé de satisfaire tes désirs. Mais tes exigences et ton inexpérience sont si grandes ! Et tes connaissances en matière de beauté si limitées…

J’ai regardé ma fleur avec beaucoup de colère au fond du cœur.

-     Vous racontez n'importe quoi, ma Fleur ! Je ne peux faire confiance à personne sur cette île. Je vais m’en aller et je ne reviendrais jamais !

Ma Fleur a écouté mes reproches avec un peu d’irritation. Mais lorsqu’elle a vu ma tristesse, elle a ouvert ses pétales. 

-     Allons ! Allons ! dit-elle, ne te décourage pas, petit Pierre ! Ces aventures ont été très fructueuses… elles t’ont permis d’avancer sur le chemin… à présent tu sais que la beauté possède bien des facettes… et qu’il faut du temps pour toutes les découvrir.

 

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J’ai éclaté en sanglot.

-     Ça m’est égal, ma Fleur ! Moi, je voulais simplement voir briller ma beauté dans les yeux des filles et...

-     Oh ! Ne pleure pas, mon garçon ! Tu dois poursuivre le voyage ! Va voir madame La pierre ! Elle te montrera le chemin qui mène au deuxième joyau… Et la fleur a ajouté d’un air malicieux.

- … car sans le joyau de l’intelligence, nul ne peut trouver la beauté…

 

 

Porte 15 Les conseils de madame la pierre  pour trouver le deuxième joyau 

– L'île de la conscience –

Les dernières paroles de ma Fleur eurent raison de mon ressentiment à l’égard des habitants de mon île. Maintenant que j’avais commencé ce satané voyage, j’étais bien décidé à aller jusqu’au bout... et j’étais prêt à tout pour trouver le trésor. En marchant au bord de l’étang, je me mis donc à réfléchir aux paroles de ma Fleur. Pourquoi m’avait-elle parlé de l’intelligence ? N’étais-je donc pas assez intelligent pour découvrir la beauté ? Et la tête encore pleine de ces pensées, je me suis assis près de la pierre.  

-     Oh ! Bonjour, mon garçon ! dit-elle, quel bon vent t’amène aujourd’hui ?

Après un court instant d’hésitation, je lui ai confié le but de ma visite.

-     Eh bien ! Je viens vous voir pour trouver le joyau de l’intelligence, madame La pierre !

-     Le joyau de l’intelligence... ? a répété la pierre, en as-tu donc fini avec le joyau de la beauté ?

-     Oui ! Bien sûr ! ai-je dit en rougissant, évidemment ! Pour qui me prenez-vous, madame La pierre ?

La pierre a froncé les sourcils mais elle n’a rien dit. Elle s'est contentée de sourire.

-     Bon... bon..., très bien ! dit-elle, et que veux-tu savoir à propos de l’intelligence, mon garçon ?

-     Eh bien ! Je ne sais pas… Je voudrais seulement devenir plus intelligent, madame La pierre !

-     Devenir plus intelligent... ? a répété la pierre, bon ! Très bien, mon garçon ! Et comment comptes-tu t’y prendre ?

 

Je me suis gratté le menton (en proie à une intense réflexion). Comment répondre à une telle question ? dis-je en moi-même.

 

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-     Je ne sais pas, madame La pierre ! Je… je suppose qu’il faudrait que je connaisse plus de choses… 

La pierre m’a regardé avec un air plein de malice.

-     Connaître plus de choses ? Très bien ! Et à ton âge, où peut-on apprendre plus de choses, mon garçon ?

 

J'ai baissé la tête (un peu ennuyé par la réponse qui semblait se dessiner).

-     Eh oui ! dit-elle, à ton âge, l’école est sans doute la meilleure façon de progresser sur le chemin de l’intelligence… 

 

Et ce jour-là, la pierre m’obligea (malgré moi) à reprendre l'ennuyeux chemin de l’école.

 

 

PARTIE 3 A LA RECHERCHE DU DEUXIEME JOYAU : L'INTELLIGENCE

 

Porte 16 Le deuxième joyau se trouve-t-il à l'école ?

– Le quartier des p'tits dôms 

Sur les conseils de la pierre, je suis donc retourné en classe. Une chose avait pourtant changé. J’étais désormais bien décidé à trouver le joyau de l’intelligence (et à ne pas le laisser filer comme le joyau de la beauté). Je me mis donc à travailler avec beaucoup de sérieux. Et comme vous le savez sans doute, le sérieux ouvrent bien des portes... et parmi elles, bien sûr, celles de la réussite scolaire.

 

En quelques jours, j’obtins mes premières bonnes notes. En quelques semaines, je devins un bon élève. Et au fil des années, je réussis avec succès l’ensemble des examens, passant de classe en classe et obtenant tous mes diplômes.

 

Bien des années s'écoulèrent... au cours desquelles j’appris un tas de choses à peine croyables. J'appris ainsi à résoudre des équations très compliquées avec au moins deux inconnues. J'appris les capitales de tous les quartiers du Grand Labyrinthe (et les villes principales des autres planètes). J’appris quelques rudiments de gestion financière pour apprendre à faire fructifier son capital. J'appris le nom de toutes les rivières qui traversaient la Planète. J'appris à parler 7 langues, dont trois mortes et deux presque vivantes. Enfin, j'appris tout ce qu’on pouvait apprendre pour s’engager dans une carrière de technicien, de banquier, d’allumeur de réverbère, de géographe, de businessman ou même de propriétaire...

 

Bref, à la fin de ces longues années d’école, je pouvais prétendre à n’importe quel emploi. Et pourtant... malgré ces longues années passées sur les bancs de l’école, je n’avais pas le sentiment d’avoir vraiment progresser sur le chemin de l’intelligence. Qu’avais-je donc appris de si important à l’école ? dis-je un jour en moi-même. J'avais appris des tas de choses dans des matières très différentes dont voici la liste (presque) complète :

  

-     les mathématiques;

-     la littérature;

-     la physique;

-     la biologie;

-     l’histoire;

-     la géographie;

-     l’éducation physique;

-     les langues vivantes;

-     les langues mortes;

-     l’économie;

-     l’éducation civique;

 

Mais je n'avais jamais suivi le moindre cours sur les Méthodes de recherche du trésor ni le moindre cours sur l'Etude de la beauté. Voilà sans doute pourquoi, je n'avais pas le sentiment d'avoir beaucoup progressé. Le jour où je pris conscience de cette grave lacune dans les enseignements du quartier des P'tits Dôms, j'eus l'intuition qu'il me faudrait (si je souhaitais avancer sur ce chemin et trouver, un jour, le deuxième joyau) apprendre à connaître Tout – absolument Tout – Tout ce qui existait ici, sur cette Planète et ailleurs, partout dans l'univers. Il me semblait qu'à cette seule condition (connaître Tout sur Tout), il me serait possible de progresser sur le chemin de l'intelligence pour espérer un jour comprendre la beauté et trouver le trésor. Et ce jour-là, je pris la décision de devenir omniscient.

 

-     Mais par quoi commencer ? dis-je en moi-même, il y a tant de choses que j’ignore...

 

Comme je n’avais pas la moindre idée de la façon dont je devais m’y prendre pour devenir omniscient, j’ai songé à ma Fleur (à laquelle je n’avais pas rendu visite une seule fois au cours de ces longues années d’école... près de 7 longues années en tout) Mais pourquoi aurais-je été la voir ? J’avais suivi toute ma scolarité en pensant (un peu bêtement – je dois bien l’avouer) que le joyau de l’intelligence me serait donné à la fin de mes études... en même temps que mon dernier diplôme. Oui, j’avais été assez idiot pour croire que j’obtiendrais le joyau de l’intelligence sans les conseils de ma Fleur.... Et après ces longues années d'absence, j'ai poussé (un peu honteux) la porte de l’île de la Conscience.

 

  

Porte 17 Ma fleur m'aide à trouver le deuxième joyau

– L'île de la conscience 

A peine débarqué sur l'île, je me suis dirigé vers ma Fleur, un peu intimidé de la retrouver après ces longues années de séparation.

- Bon… bonjour, ma Fleur !

-     Oh ! Petit Pierre ! dit-elle, quelle surprise ! Que nous vaut l’honneur de cette visite ?

J’ai baissé la tête.

-     Oh ! Pardonne-moi, ma Fleur ! ai-je dit en rougissant de honte, je t’ai négligée si longtemps...

Ma Fleur s’est contentée d'agiter ses pétales.

-     Tu sais, ma fleur ! Pendant toutes ces années, je n’ai pas eu une seule minute à moi. Toute la journée, j’étais à l’école et tous les soirs, je devais faire mes devoirs…

-     Allons, allons ! dit-elle en ouvrant ses pétales, n’en parlons plus, mon garçon ! Tu sais bien que je serai toujours là...

Et je me suis penché vers ma fleur pour la serrer contre moi avec beaucoup de tendresse.

- Alors, dit-elle en desserrant un peu son étreinte, où en sont tes recherches ? As-tu trouvé le deuxième joyau... ?

-     Le joyau de l’intelligence, ma Fleur...? euh... eh bien... comment te dire...

-     Allons, allons ! dit-elle, parle sans crainte ! Tu te doutes bien que je suis au courant de tes mésaventures...

-     Ah... ? ai-je dit étonné, vous... enfin... tu sais donc que...

-     Hem ! Hem ! dit-elle.

 

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Et libéré de toute gêne, j’ai confié à ma Fleur mon embarras à propos du joyau de l’intelligence (totalement introuvable à l’école). Et je me suis empressé de lui expliquer mon désir tout neuf d’omniscience pour progresser sur le chemin de l’intelligence. Ma fleur m’écouta (comme elle le faisait autrefois) avec beaucoup d'attention, elle me sourit une ou deux fois. Puis elle referma ses pétales.

-     Devenir omniscient est une tâche très ambitieuse, mon garçon !

-     Oui ! ai-je dit, mais le deuxième joyau est au bout du chemin, n’est-ce pas ma fleur ?

Ma Fleur a rétracté ses pétales (une façon peut-être pour elle d'exprimer son scepticisme) puis elle s'est penchée vers moi un peu tremblante.

- Le chemin de l'omniscience est une route longue et difficile, mon garçon ! Beaucoup s’y sont égarés… mais fais selon tes désirs ! Va voir madame La pierre ! Elle guidera tes pas sur ce chemin.

Ma fleur a soupiré (sans doute gênée de m’orienter sur ce chemin) et elle m’a souhaité bonne chance. En la quittant, je me suis dirigé de l’autre côté de l’étang pour retrouver madame La pierre.

 

 

Porte 18 Madame la pierre oriente ma recherche pour trouver le deuxième joyau 

– L'île de la conscience 

-     Bonjour, madame La pierre ! Je...

-     Oui, oui ! dit-elle, je sais… inutile de m’expliquer le but de ta visite ! J’ai entendu ta conversation avec la Fleur. Ainsi tu aimerais devenir omniscient ?

-     Oui !  Aujourd’hui, c’est mon vœu le plus cher, madame La Pierre !

-     Bon ! dit-elle, très bien ! Puisque l’école n’a pu satisfaire tes désirs en matière d’intelligence... je ne vois qu’une possibilité, mon garçon. Il va falloir quitter le quartier des P'tits Dôms et t'inscrire à l'université dans le quartier de la Capitale.

-     Quitter le quartier des P'tits Dôms… ? Et m'inscrire à l'université…, madame La pierre ?

-     Eh oui ! dit-elle, si tu veux devenir omniscient, mon garçon, il va falloir suivre les cours à l’Université de Tous les Savoirs dirigée par l’éminent Professeur Etiquette. On y enseigne là-bas un programme d’omniscience appelé Etudes et Connaissances Générales et Détaillées du Voyage, du Labyrinthe, des Planètes et des Univers. Et lui seul, pourra te permettre d’avancer sur le chemin de l’omniscience !

 

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-     Bon…eh bien... d’accord, madame la pierre ! Je vais m’y inscrire et je reviendrais vous voir lorsque je serais omniscient ! ai-je dit en m’éloignant.

-     Oui, oui ! Bien sûr ! dit-elle, à bientôt, mon garçon !

 

 

Porte 19 Le professeur étiquette 

– Le quartier de la capitale 

Le lendemain, je quittai le quartier des P’tits Dôms pour le quartier de la Capitale. La célèbre Université de Tous les Savoirs dirigée par l'éminent Professeur Etiquette était située dans la rue principale, derrière une immense porte de bois sur laquelle était placardée une magnifique plaque de marbre où était inscrit en belles lettres dorées : UNIVERSITE DE TOUS LES SAVOIRS. Je poussai la porte et entrai dans l'immense bureau du Professeur Etiquette. A peine entré, il m'expliqua que le noble établissement dont il était le doyen était l’une des plus prestigieuses institutions du Grand Labyrinthe qui formait les plus éminents savants dans toutes les disciplines existantes. Après cette brève entrée en matière, il me posa quelques questions (qu’il n’est pas nécessaire d’évoquer ici (elles étaient si triviales…)) et me tendit une fiche d’inscription.

 

Voilà comment je fis très officiellement mon entrée à l’Université de Tous les Savoirs, où, pendant près de 7 années, je pus étudier toutes sortes de matières plus étranges et étonnantes les unes que les autres. En voici quelques-unes :

 

-     la philosophie;

-     les mathématiques euclidiennes;

-     la métaphysique comparée;

-     les mathématiques appliquées à l’histoire;

-     la biologie des crustacées;

-     les mathématiques des sciences cognitives;

-     la sociologie des religions;

-     les mathématiques appliquées aux sciences spatiales;

-     l’astrophysique;

-     les mathématiques appliquées aux sciences du goût et de l’esthétisme;

-     la botanique;

-     les mathématiques...

 

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Je ne prends pas la peine d'achever cette liste car l'inventaire des matières serait encore bien long et très ennuyeux à lire. Comme vous l’avez sans doute remarqué (si vous avez lu cette liste avec un peu d’attention), l’enseignement des mathématiques y occupait une place déterminante. En effet, aux yeux du Professeur Etiquette et de ses honorables confrères (éminents représentants du corps enseignant), toutes les disciplines devaient être étudiées avec une extrême rigueur (et quoi de plus rigoureux, à leurs yeux, que les mathématiques !). Ainsi, à chaque début de cours, le professeur en charge des enseignements, nous répétait inlassablement la phrase fétiche de l'université :

 

« Chers étudiants, apprenez à vénérer les mathématiques, Ô noble discipline, qui nous permettra un jour de tout comprendre et de tout expliquer !!! N'oubliez pas que, nous autres, chercheurs, poursuivrons inlassablement nos recherches tant que nous n'aurons pas éclairci notre compréhension rigoureuse, rationnelle et mathématique des origines du Voyage et de l'ensemble des phénomènes relatifs au Labyrinthe, aux Planètes et aux Univers !!! ».

 

Evidemment, les professeurs (et à leur tête l'éminent Professeur Etiquette) ne plaisantaient pas avec les mathématiques. Pour mon plus grand malheur car je n’avais jamais vraiment porté cette discipline dans mon cœur. Et pour être tout à fait honnête, j’avais toujours eu horreur de cette horrible matière. Mais, au cours de ces 7 longues années passées dans ce haut lieu de la Connaissance, il me fut impossible d'échapper aux mathématiques (puisqu'elles étaient enseignées partout et par tous). Aussi, ai-je dû une nouvelle fois, me mettre à travailler d'arrache-pied. En vain… car malgré mes efforts, mes progrès se révélèrent  médiocres... Au cours de ces 7 longues années, mes notes n’ont jamais réellement pu dépasser le zéro absolu. Bref… en un mot, mes résultats en mathématiques furent toujours catastrophiques ! Ce qui m'attira, dès les premiers jours, les foudres du Professeur Etiquette qui ne pouvait souffrir la médiocrité chez ses étudiants. Face à mes résultats peu convaincants, le Professeur s'évertuait à  m'expliquer (et à me ré-expliquer inlassablement) les raisonnements mathématiques les plus élémentaires. Mais plus il s’acharnait à m’expliquer les fondamentaux de cette noble matière, moins je comprenais ce qu’il racontait... ce qui le mettait dans de terribles colères. Un jour, alors qu’il nous rendait un devoir de 7ème année (une interrogation sur la valeur absolue et les valeurs relatives), le professeur a perdu son sang-froid. Ce jour-là, il m’a rendu ma copie avec un éclair de fureur dans les yeux :

-     Petit Pierre ! avait-il crié, vous n’êtes qu’un cancre ! 4/ 20 !

 

Et le Professeur (qui ne plaisantait pas avec les mathématiques), plaisantait encore moins avec les mauvaises notes. Des éclairs se sont mis à briller dans ses yeux (ce qui en général annonçait une tempête apocalyptique !). Ce jour-là, la tempête fut effroyable. Ce fut une cascade de noms d’oiseaux qui claquaient comme des virgules dans un long flux de mots :

-     4/20 ! criait-il, cancre ! Crétin ! Idiot ! Triple andouille ! Âne bâté ! Vous ne comprenez vraiment rien ! Pas un dixième de ce que je vous raconte ! Faut-il être stupide ?!! Vous êtes vraiment un imbécile heureux, mon garçon !

 

Cette averse, ce déluge, cette avalanche dura près d’un quart d’heure. Lorsqu'enfin le professeur se calma, je rentrai chez moi le cœur bien triste.  

 

 

Porte 20 Monsieur l'oiseau  

– La clairière de l'imaginaire 

Arrivé dans ma chambre, je jetai ma copie par terre et me laissai choir derrière la porte. Et si le Professeur Etiquette avait raison ? dis-je en moi-même. Peut-être n’étais-je, après tout, qu’un imbécile ? Mais je n’étais sûrement pas un imbécile heureux ! J’étais un imbécile très malheureux qui ne trouverait sûrement jamais le deuxième joyau. Ah ! Décidément, dis-je en moi-même, il est bien difficile d’avancer sur le chemin de l’intelligence ! Et en proie à un doute terrible, je me mis à réfléchir… Pourquoi le professeur Etiquette n’avait-il encore jamais donné aucun cours sur les Méthodes de recherche du trésor ou sur l’étude de la beauté... (et savait-il seulement où se trouvait le trésor et ce qu’était la beauté ... ?). Ah ! Décidément, dis-je en moi-même, personne n’enseigne de telles matières dans cette université ! Tout le monde ne jure que par les mathématiques ! Les mathématiques ! Toujours les mathématiques ! Etait-ce ma faute si je n’y comprenais rien ? Décidément, dis-je en moi-même, depuis mon entrée à l’université, je ne me suis jamais senti aussi malheureux ! Et ce jour-là, je me mis à maudire le Professeur Etiquette et ses foutues mathématiques. Ma Fleur avait raison, jamais je ne réussirais à devenir omniscient. J'ai regardé ma copie en songeant à ma Fleur. Et j'ai vu qu’elle était tachée par quelques larmes (quelques larmes de tristesse et de colère). Tenez ! Regardez ! Voici ma copie (je l’ai conservée bien soigneusement pendant toutes ces années (car elle reste pour moi un souvenir inoubliable…)) :

 

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Eh bien ! Figurez-vous qu’à l’instant où j’ai regardé ma feuille, il se passa une chose extraordinaire ! La figure géométrique (sur la page de droite) se transforma sous mes yeux ! Et voici en quoi elle se transforma :

 

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Oui, la figure se métamorphosa en pélican (le pélican de l’île de la Conscience). Oui ! Oui ! C’est bien lui que vous apercevez sur ma copie ! En ce jour de grande tristesse (je ne m’étais, je crois, jamais senti aussi misérable), il avait eu la merveilleuse idée de me rendre visite.

-     Bonjour ! dit-il en se posant sur la barre de mon 4/20.

-     Oh ! ai-je dit en essuyant mes larmes, bonjour monsieur l’oiseau !

-     Eh bien ! Que se passe-t-il ? Pourquoi pleures-tu, mon garçon ?

-     Parce que… je suis un imbécile très malheureux, monsieur l’oiseau...

Le pélican a hoché la tête.

-     Comment peux-tu dire une chose pareille ! Dis-moi plutôt ce qui te rend si triste !

Et j’ai confié au pélican ma tristesse de ne pas avancer sur le chemin de l’intelligence et mon désespoir de ne jamais pouvoir trouver le deuxième joyau.

-     Allons ! Allons ! dit-il, tu finiras par le trouver… un peu de patience, mon garçon…

-     Mais non ! ai-je dit, je suis un idiot ! Et les idiots ne comprennent rien, monsieur l’oiseau ! Comment pourraient-ils trouver le joyau de l’intelligence ? 

-     Hem ! Hem ! dit le pélican.

Et il a regardé ma copie (avec attention).

- Eh bien ! s’est-il exclamé, il s'agit là d’un exercice sur la valeur absolue et les valeurs relatives !

-     Oui ! ai-je dit, une question bien trop difficile pour un idiot de mon espèce, monsieur l’oiseau.

Le pélican a posé le bout de son aile sur son bec.

-     Chut ! dit-il, à présent cesse de dire des bêtises, mon garçon !

Et il a avalé ma note. Oui ! Le pélican a avalé le 4 et le 20 d’un seul coup.

-     Allez ! Approche-toi ! dit-il, nous allons étudier cet exercice ensemble !

 

Le pélican m'a invité à monter sur son dos. J’ai enjambé ma drôle de monture. J'ai fermé les yeux et nous nous sommes envolés.

 

 

Porte 21 Monsieur l'oiseau est un drôle de professeur

– L'île de la conscience 

En un coup d’aile, le pélican franchit la minuscule porte qui nous séparait de l’île de la Conscience. Il se posa quelques instants aux côtés de ma Fleur puis il reprit son envol. Nous sommes montés très haut dans le ciel. Après quelques minutes de voyage, nous avons atterri dans une caverne aux parois transparentes située juste au-dessus de l’île de la Conscience (on aurait dit une énorme boîte de verre).

 

A peine arrivés, le pélican me fit descendre et déposa mon 4/20.

-     Prends le 20 ! dit-il, et retourne-le !

J’ai mis le 20 à l’envers.

-     Maintenant prends le 4, mon garçon, et pose-le par-dessus !

J’ai saisi le 4 et je l’ai posé sur le 20.

-     Bien ! dit-il, maintenant grimpe dessus !

Que pouvait bien signifier ce genre d’acrobatie ? dis-je en moi-même.

-     Ne t’inquiète pas ! dit le pélican, nous allons étudier ensemble la valeur absolue et les valeurs relatives.

- Eh bien..., ai-je dit un peu déconcerté, j’ignorais que vous étiez aussi professeur de mathématiques, monsieur l'oiseau !

Le pélican s’est mis à rire. Il se mit à rire si fort que je faillis tomber de mon drôle d’échafaudage.

-     Professeur... ? dit-il, quelle drôle d’idée ! Je ne suis pas professeur, mon garçon ! Je suis pompier des valeurs relatives et gardien de la valeur absolue.

J’ai regardé le pélican avec des yeux tout ronds d’étonnement.

-     Oh ! Il n'y a là rien de très compliqué, mon garçon. Mon rôle consiste à éteindre le feu sur les valeurs relatives et à faire visiter la valeur absolue…  

Et le pélican se lança dans quelques explications techniques. Ainsi il m’apprit que mes larmes n’étaient pas tombées par hasard mais qu’il les avait faites tomber sur ma copie pour effacer la valeur de mon 4/20.

-     Un pompier doit lutter contre les incendies, mon garçon ! Mais parfois les larmes ne suffisent pas à éteindre le feu ! Aussi, le pompier doit sortir sa grande échelle pour sauver ceux qui risquent d’être étouffés par la fumée des valeurs relatives…

-     Hem ! Hem ! ai-je dit, je ne comprends rien à ce que vous dîtes, monsieur l'oiseau ! 

-     Ne t’inquiète pas ! Tu vas comprendre, mon garçon ! Nous allons faire ensemble un petit exercice. 

 

Et le pélican a sorti une échelle (une très grande échelle).

-     Fixe-la sur la barre du 4 ! dit-il.

Je me suis dépêché de la fixer.

-     Voilà monsieur l’oiseau !

Le pélican m’a alors regardé droit dans les yeux.

-     N’oublie jamais, mon garçon ! Pour apprécier les valeurs, tout dépend de l’échelle ! Maintenant regarde à tes pieds ! Et dis-moi ce que tu vois !

 

J’ai regardé. Il y avait là un bout de chiffre (à peine visible).

-     Euh… eh bien… d’ici, je ne vois pas grand-chose, monsieur l’oiseau.

-     Bien ! dit-il, tu ne vois pas grand-chose ! A ce niveau, on ne voit jamais grand-chose. C’est tout à fait naturel ! A présent, grimpe sur le premier barreau ! Et dis-moi ce que tu vois !

J’ai grimpé sur le premier barreau.

-     Je vois un 4 bizarrement posé sur un 20 à l’envers, monsieur l’oiseau.

Le pélican me félicita.

-     Bien, mon garçon ! Maintenant grimpe encore de 2 barreaux ! Et dis-moi ce que tu vois !

-     Je vois… je vois ma composition de mathématiques, monsieur l’oiseau.

-     Très bien ! dit le pélican, et vois-tu encore ton 4 sur 20 ?

J’ai regardé ma copie avec attention.

-     Non ! Je ne vois plus ma note, monsieur l’oiseau.

 

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-     Bien ! Très bien ! Continue de monter, mon garçon ! Et dis-moi ce que tu vois !

-     Je vois… je vois ma chambre, je… je vois aussi le bureau du Professeur Etiquette. 

-     Vois-tu encore ta copie ?

-     Oh ! Je la vois à peine, monsieur l’oiseau.

-     Bien ! Très bien ! dit le pélican, continue de monter, mon garçon !

Et j’ai continué de grimper à l’échelle (trouvant ce jeu de plus en plus amusant).

-     Maintenant, je… je vois la maison de mes parents et je vois aussi l’Université de Tous les Savoirs, monsieur l’oiseau.

-     Bien ! Très bien ! Continue de monter, mon garçon !

-     Maintenant je… je  vois les rues et les maisons du quartier des P’tits Dôms, je vois aussi les routes et les champs du quartier de la Capitale. D’ici, tout a l’air minuscule ! Oh oui ! Tout a l’air minuscule, monsieur l’oiseau !

-     Bien ! Très bien ! Continue de monter, mon garçon !

J’ai continué à grimper à l’échelle mais j’ai bientôt commencé à ressentir une sorte de vertige (je n’avais jamais regardé les choses de si haut et cela me tournait un peu la tête). Lorsque je suis arrivé à peu près au milieu de l’échelle, le pélican me dit :

-     Voilà où s’arrête mon premier métier, mon garçon ! A cette hauteur, tu ne dois apercevoir que d’infimes petits points. Ce sont les valeurs relatives! D'ici, tu vois, elles n’ont plus la même importance ! Et si dorénavant, les valeurs relatives te gâchent un peu la vie, tu sauras ce qu’il te reste à faire… Il te suffira de grimper à l’échelle pour que les valeurs relatives deviennent de petits points minuscules. Maintenant, dit le pélican, si tu continues de grimper, je te montrerais mon second métier.

Et malgré mon vertige, j’ai continué de grimper.

-     Bien ! dit le pélican, dis-moi ce que tu vois à présent !

J’ai regardé en bas. Tous les points avaient disparu. Et j’ai continué de grimper. Mais il commençait à faire noir. Et je commençais à en avoir assez de grimper sans savoir où j’allais.

-     Allez ! Courage ! Continue de monter, mon garçon ! Encore quelques efforts et tu connaîtras mon second métier !

Et malgré l’obscurité, j’ai continué de monter. Mais arrivé à peu près au trois quart de l’échelle, j’ai perdu courage. Je n’en pouvais plus. Je me suis mis à crier :

-     J’en ai assez, monsieur l’oiseau ! Je n’y vois plus rien !

-     Eh bien ! Arrête-toi ! dit-il, et redescends !  Nous verrons cela une prochaine fois !

 

Et je suis redescendu aussi vite que je l'ai pu. Lorsque j’ai touché terre, le pélican m’a félicité.

-     Bravo, mon garçon ! Tu as été très courageux ! Et ne t’inquiète pas pour la valeur absolue ! Nous aurons sûrement l'occasion de la visiter… En attendant, je t’invite à la chercher… car sans elle, aucun chercheur ne peut progresser sur le chemin… Mais si tu veux la découvrir, il te faudra quitter l'Université de Tous les Savoirs. Ce n'est pas le professeur Etiquette qui t'aidera à la trouver.

Et le pélican s’est penché vers moi pour me chuchoter à l’oreille :

-      C'est un très grand professeur mais il ne connaît et n'enseigne que les valeurs relatives… Et ce n'est pas ainsi que l'on peut découvrir la valeur absolue…

J’ai regardé le pélican avec crédulité.

-     Et que dois-je faire alors, monsieur l’oiseau ?

Le pélican a hésité un instant. Puis il m’a regardé droit dans les yeux.

-     Dans ton cas, dit-il, il me semble que l’Histoire serait une matière appropriée pour la découvrir.

-     L’histoire…, monsieur l’oiseau ? Mais je l’ai déjà étudiée à l’école et à l'université.

-     Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! a fait le pélican, Ah ! Ah ! Pas ce genre d’Histoire, mon garçon ! Celle-ci est d’un genre… très particulier ! Elle permet à celui qui l’étudie de connaître la façon dont tous les chercheurs de cette Planète ont essayé de trouver le trésor. En étudiant leur histoire, tu connaîtras leur voyage et le chemin qu’ils ont emprunté. Tu apprendras leur façon de chercher les joyaux. Tu découvriras leurs erreurs. Et si tu les étudies avec soins, ils te permettront de trouver ton propre chemin. 

-     Et… où dois-je aller pour étudier ce genre d’Histoire, monsieur l’oiseau ?

Le pélican a réfléchi un instant.

-     Eh bien…, dit-il, il me semble que monsieur Black serait tout à fait indiqué pour ce genre d’apprentissage. C'est l'un des plus éminents Professeurs d’Histoire du Labyrinthe ! Et s’il accepte de t’aider, ses conseils te seront très précieux !

-     Monsieur Black… ? 

-     Oui ! dit le pélican, tu le trouveras à la Grande Bibliothèque du quartier de la Capitale où il passe la plus grande partie de son temps. Rends-lui visite, mon garçon ! Et demande-lui de t’apprendre l’Histoire !

 

Quelques jours plus tard (sur les conseils du pélican), je quittai l’Université de Tous les Savoirs et je partis, le cœur plein d’espoir d’avancer sur le chemin de l’intelligence, à la recherche de monsieur Black et de ses fameuses leçons d’Histoire.

 

 

Porte 22 Monsieur black

– Le quartier de la capitale 

La Grande Bibliothèque était située à deux pas de l’Université de Tous les Savoirs (dans la même rue principale du quartier de la Capitale). Elle y trônait là comme un énorme livre posé sur une étagère (j’étais maintes fois passé devant cet étrange bâtiment en me demandant ce qu’il pouvait y avoir à l’intérieur). Et en y pénétrant ce jour-là, ma surprise fut si grande que je faillis tomber à la renverse. La grande Bibliothèque regorgeait de livres soigneusement rangés sur des étagères (étagères qui formaient un immense labyrinthe). Je n’avais jamais vu tant de livres. J’ai parcouru du regard (un regard émerveillé) ce dédale d’allées et de pages avant de me diriger vers un petit bonhomme aux lunettes rondes qui trônait derrière une énorme pile de livres au centre de la salle.

-     Bonjour… ai-je dit, je… j’aimerais parler à monsieur Black.

Le petit bonhomme m’a regardé avec indifférence, il s’est gratté la tête un instant avant de replonger derrière sa pile de livres.  

 

p24

 

- Eh bien…, ai-je dit en moi-même, quel drôle d’accueil ! Mais je ne me suis pas laissé décourager par l’indifférence de cet étrange bibliothécaire. Il me fallait absolument rencontrer monsieur Black pour écouter ses fameuses et étranges leçons d’histoire. Je me suis donc empressé de lui expliquer le but de ma visite... je lui ai parlé de ma recherche du trésor et de mes pas sur le chemin qui mène au deuxième joyau. Le petit bonhomme m’a alors regardé avec intérêt (un intérêt un peu mêlé d’ironie), il a réajusté ses lunettes et m’a dit :

- Ainsi… vous êtes chercheur de trésor… 

J’ai acquiescé d’un hochement de tête. Le petit bonhomme s’est de nouveau gratté la sienne avant de me dire d’une voix malicieuse :

-     Voyons ! Voyons ! Des livres sur la recherche du trésor… ? Eh bien… je crois que vous avez frappé à la bonne porte, jeune homme ! Nos étagères en regorgent ! Chaque ouvrage de cette bibliothèque nous livre un bout du chemin qui mène au trésor…

Et il me désigna un immense rayonnage rempli de brochures, d’ouvrages, de livrets et de fascicules.

-     Tenez ! Regardez ! dit-il, dans ces allées, vous trouverez la totalité des romans écrits depuis la création du Labyrinthe ! Et dans celles-ci, vous trouverez les contes et les essais ! Ici, vous trouverez la poésie ! Là, les livres de philosophie, de géographie, de sociologie, de psychologie…

Je l’ai regardé un peu embarrassé.

-     Je… je crois que je n’aurais jamais le courage de…de lire tous ces livres, monsieur Black… n’auriez-vous pas des livres plus… comment dire… ? Des livres qui parlent vraiment du trésor et du chemin pour le découvrir… 

Monsieur Black s’est de nouveau gratté la tête avant de me désigner un autre rayonnage.

-     Regardez ! dit-il, sur ces étagères sont répertoriés tous les évènements du Grand Labyrinthe depuis qu’il existe !

Et il m’a tendu une longue liste répertoriant tous les livres d’histoire de la Grande Bibliothèque.

-     Vous pourriez y apprendre des choses très instructives sur la façon de chercher le trésor.

J’ai regardé la liste. En voici un court extrait :

 

-     la découverte du feu;

-     la première guerre;

-     la conquête de l’espace;

-     la deuxième guerre;

-     la découverte du nouveau Monde;

-     la guerre des 6 jours;

-     l’invention de l’imprimerie;

-     la guerre de 30 ans;

-     les premiers pas sur la lune;

-     la guerre de 100 ans;

-     la conquête de l’ouest;

-     la guerre de…

 

-     Je… je suis désolé, ai-je dit en interrompant ma lecture, mais je ne vois pas comment ces livres pourraient m’aider à trouver le deuxième joyau.

Monsieur Black m’a regardé d’un air contrarié.

-     Bon ! dit-il en se grattant la tête, puisque ces livres ne semblent pas correspondre à vos attentes, je ne vois qu’une possibilité… je vais être obligé de vous présenter l'étagère que nous réservons à nos adhérents les plus exigeants. Mais attention, jeune homme ! Ces livres sont d'un genre… très spécial ! Un seul d'entre eux est plus terrifiant et plus instructif que tous les livres d’histoire réunis !

Et monsieur Black m'invita à le suivre jusqu'à un recoin obscur de la Grande Bibliothèque.

- Voyez ! dit-il en désignant un rayonnage perdu au fond d'une petite pièce, sur ces étagères sont classés tous les plus mauvais exemples que notre Labyrinthe ait connus !

J’eus un mouvement de recul.

-     Mais ne craignez rien ! dit-il, aujourd’hui, tous sont inoffensifs ! Enfin… ceux qui n’ont pas fait d’émules !

Et je me suis avancé (avec prudence) vers l’étagère.

-     Lisez-moi donc quelques titres ! dit monsieur Black.

Et je me mis à lire (d’une voix légèrement tremblante) :

-     mon… sieuA…tila;

-     mon… sieur Gen… gis… khan;

-     mon… sieur Paul… pot;

-     mon… sieur Jo… seph;

-     mon… sieur A… dolph;

-     mon… sieur Béni… to;

-     mon… sieur Kim… il… soung;

-     mon… sieur Pine… hochet;

-     mon… sieur…

 

Soudain monsieur Black m’a interrompu.

-  Allons ! Allons ! dit-il, inutile de poursuivre ! Vous avez l’air si impatient… que diriez-vous de rencontrer l’un d’eux ? 

-  Euh… eh bien…, ai-je dit un peu pris au dépourvu, je… je crois que… euh… enfin… ce n’est pas nécessaire, monsieur Black. Je me rends très bien compte d’ici !

Et monsieur Black mit tant d’ardeur à me convaincre… que je n’ai pas eu le cœur à refuser sa proposition. Sur ses conseils, j'ai posé un doigt au hasard sur la liste. Et il tomba un peu lourdement (je dois bien l'avouer) sur monsieur Adolph.

-     Bien ! Excellent choix ! dit monsieur Black, voilà l'un des cas les plus intéressants de l’Histoire ! Je suis persuadé que cette rencontre sera très instructive !

J’ai acquiescé d’un hochement de tête timide.

-     Regardez ! dit-il en désignant une petite trappe cachée derrière une immense pile de livres, voici l’entrée du Labyrinthe Souterrain des Mauvais Exemples à ne pas Suivre ! Vous y trouverez monsieur Adolph ! Bon voyage ! Bonne leçon ! Et à tout à l’heure, jeune homme !

 

 

Porte 23 Monsieur adolph

– La clairière de l'imaginaire 

Certains d’entre vous ne connaissent peut-être pas monsieur Adolph. C’est pourtant l’un des personnages les plus célèbres du Grand Labyrinthe ! Il est sans doute même l’exemple à ne pas suivre le plus célèbre de l’Histoire ! Il a consacré toute sa vie à essayer de satisfaire ses rêves de puissance et de haine.

 

Pendant quatre longues années, monsieur Adolph et son armée ont tenté d’envahir tous les quartiers du Labyrinthe. Et lors de leur conquête, ils ont commis un grand nombre d’atrocités. Ils n’ont pas hésité à tuer, à assassiner, à torturer et à exterminer plus de 6 millions de résidents.

 

Et aujourd’hui, tout le monde se souvient encore des terribles ravages commis par monsieur Adolph et son armée ! Tenez ! Voici le portrait de monsieur Adolph (que j’ai dessiné spécialement pour vous – pour que vous n’oubliiez pas ce que l’Histoire peut nous apprendre) :

 

p25

 

En réalité, moi qui ai rencontré monsieur Adolph, je peux vous dire que c’était un tout petit bonhomme. D’ailleurs, en regardant sa tête, on a peine à croire qu’il a été l’auteur de toutes ces horreurs ! Et pourtant ! Si ! Croyez-moi ! Malgré son air de pauvre type – un peu triste et malheureux – c’est bien lui qui est à l’origine du massacre de plus de 6 millions de résidents ! Ce jour-là, ma conversation avec lui fut très intéressante. Sur ce point, monsieur Black ne m’avait pas menti.

 

Après quelques instants d'hésitation, j'ai refermé la petite trappe derrière moi et je me suis enfoncé dans la galerie souterraine. Au bout de la galerie (située au cœur du Labyrinthe), j’ai trouvé monsieur Adolph assis tout seul sur un banc dans une pièce minuscule.

- Hem ! Hem ! ai-je fait en entrant dans sa cellule.

-     Bonch’our ! m’a-t-il répondu avec un fort accent, que me faut l’honneur de zette vizite ?

Je me suis avancé, je l’ai regardé sans sourciller et je lui ai dit (d’une voix méprisante) :

-     Vous… vous êtes un monstre, monsieur Adolph ! Comment… comment avez-vous pu commettre… toutes ces atrocités ?!!

Monsieur Adolph a baissé les yeux. J’ai lu dans son regard de la crainte et de la terreur. Le pauvre bougre faisait pitié. 

-      Achh ! dit-il, z’est une lonk histoire, mon garçon ! Mais che fais te la raconter !

 

Et d'une voix éteinte, monsieur Adolph s'est lancé dans le long récit de sa vie. Il évoqua les souffrances de sa jeunesse, les railleries de ses camarades, les difficultés du chemin, les échecs nombreux qui avaient fait germer en lui de nombreuses frustrations qui avaient, à leur tour, fait naître un désir farouche de revanche ainsi qu'une violence et une haine terrifiantes. A la fin de sa longue tirade, monsieur Adolph a de nouveau baissé les yeux. 

-     Ces déboires n’excusent pas les atrocités que vous avez commises, monsieur Adolph !

-     Achh ! Tu as raizon, mon garzon ! Mais il y a pourtant une lezon à tirer des zorreurs que j’ai commises dans mon existenze.

-     Ah oui ??! ai-je dit avec fureur, eh bien ! Allez-y ! Que votre exemple serve au moins à quelque chose, monsieur Adolph !

Monsieur Adolph a hésité (comme si son secret était encore plus monstrueux que les horreurs qu’il avait commises).

-     Nous… nous zavons tous cette violenze en nous, mais…

-     Mais quoi… ?!! ai-je de nouveau crié.

-     Mais, a repris monsieur Adolph, il ne vaut pas la laizer sordir à l’exdérieur ! Il vaut la tranzformer en ch’oi !

-     En quoi… ?!! ai-je crié une nouvelle fois sans pouvoir réprimer la violence que cette phrase avait fait naître en moi.

-     En joie ! dit-il en faisant un terrible effort de prononciation, peu importe la fazon dont vous la tranzformer, mais il vaut y arriver ! Zinon vous deviendrez à votre fazon de petits führers pour ceux qui croizeront votre chemin !

 

Les dernières paroles de monsieur Adolph m’avaient mis dans une telle rage (car malheureusement, je crains qu’il avait raison) que j’ai claqué la porte de sa cellule sans même le saluer. J’ai retraversé le Labyrinthe souterrain et j’ai retrouvé le bureau de monsieur Black encore abasourdi par cette surprenante rencontre.

 

 

Porte 24 L'histoire n'est pas toujours aussi noire qu'elle en a l'air

– Le quartier de la capitale 

-     Alors cette leçon ? a demandé monsieur Black, comment s’est-elle passée ?

-     Euh… eh bien…, ai-je bafouillé (encore ahuri par cette terrifiante rencontre), ce fut euh… comment vous dire… euh… très instructif… et… bien terrifiant aussi, monsieur Black.

Monsieur Black  a souri (comme si cela l’amusait de voir la peur et la colère que cette rencontre avait provoquées chez moi). Il a enlevé ses lunettes. Il les a consciencieusement nettoyées. Puis il m’a expliqué que l’histoire de notre Planète n’était pas toujours aussi noire.

-     Heureusement, dit-il, que notre Planète a aussi compté parmi ses résidents des personnages extraordinaires.  

-     Oui, ai-je dit, certainement, monsieur Black.

-     Tenez ! dit-il en posant un mince fascicule sur son bureau, regardez cet ouvrage, jeune homme. Vous y trouverez tous les Grands Esprits que le Labyrinthe ait connus !

J’ai ouvert le livre. Et sur la première page, j’ai vu une liste de noms.

 

Pour vous donner une idée des personnages extraordinaires qui figuraient sur la liste de monsieur Black, voici les plus célèbres d'entre eux (avec leur portrait que j’ai dessinés à votre attention) :

 

p26

 

-     Mademoiselle Thérèse (dit Mère Térésa);

-     Monsieur Léonardo (dit De Vinci);

-     Monsieur Nelson (dit Mandela);

-     Monsieur Albert (dit Einstein) ;

-     Monsieur Tenzin Gyatso (dit le 14ème);

-     Madame Syu Kyi (dite Aung San);

-     Monsieur  Luther (dit le King);

-     Monsieur Albert (dit Schweitzer);

 

J’ai lu la liste des Grands Esprits avec beaucoup intérêt (un intérêt qui n’a pas échappé à monsieur Black).

-     Ah ! dit-il, je vois que vous avez l’air très intéressé. Cela vous ferait-il plaisir de rencontrer un Grand Esprit ?

-     Je… oh oui ! Bien sûr ! ai-je dit avec enthousiasme.

-     Eh bien ! Choisissez-en un ! dit-il, et vous le rencontrerez !

J’ai hésité un instant. Devais-je choisir Monsieur Luther… ? Monsieur Albert… ? Mademoiselle Thérèse… ?

-     Oh la la ! ai-je dit en soupirant, tous ont l’air si intéressants que je ne parviens pas à me décider.

-     Il faut bien avouer, dit monsieur Black, que le choix est difficile ! Chacun aurait tant de choses à nous apprendre… Mais si vous ne pouvez vous décider, jeune homme, laissez le hasard choisir à votre place !  

 

Et sur les conseils de monsieur Black, j’ai fermé les yeux et j’ai posé mon doigt au hasard sur la liste.

-     Monsieur Mahatma ! s’est écrié monsieur Black, eh bien ! Voilà un excellent choix, jeune homme !

 

A ces mots, Monsieur Black m’a invité à le suivre jusqu’à la porte du Labyrinthe Supérieur des Grands Esprits (le nom exact de ce labyrinthe est le Labyrinthe Supérieur des Grands Esprits qui ont fait avancer l'Histoire de la Planète dans le bon sens)

-     Mais comme ce titre est trop long, me dit monsieur Black en refermant la porte, on l’appelle le Labyrinthe des Grands Esprits ! Allez ! Bon voyage ! Bonne leçon ! Et à tout à l’heure, jeune homme !

 

 

Porte 25 Monsieur mahatma

– La clairière de l'imaginaire 

Le Labyrinthe Supérieur où habitait monsieur Mahatma était très différent du Labyrinthe Souterrain où vivait monsieur Adolph. Ici, les galeries étaient très spacieuses et très éclairées. Et on y cheminait sans la moindre difficulté. Après quelques minutes de marche, je suis arrivé dans une clairière où une jeune femme, vêtue d’une étrange pièce d’étoffe orange, s’affairait autour d’un feu. Lorsqu’elle m’aperçut, elle se prosterna et m'offrit une assiette de nourriture.

-     Merci ! ai-je dit, merci, mademoiselle, mais je n’ai pas faim ! Je cherche monsieur Mahatma !

A ces mots, le visage de la jeune femme s’éclaira d’un grand sourire. Elle se prosterna 3 fois et me désigna une petite hutte de briques rouges cachée derrière une palissade. Je l'ai remerciée en m’inclinant et je me suis dirigé vers la minuscule baraque.

 

Monsieur Mahatma était là, assis au centre de la pièce en train de s’entretenir avec quelques résidents du Labyrinthe. Il me salua en ouvrant les bras (comme si nous nous connaissions depuis toujours) et me proposa de me joindre à l’assemblée. Puis, il reprit tranquillement le fil de ses pensées :

 

-     Mais amis ! dit-il, il ne faut pas agir dans la violence ! Cela, c’est la vieille loi, la loi de la jungle : œil pour œil, dent pour dent. Tout mon effort tend précisément à nous débarrasser de cette loi de la jungle qui ne nous convient pas… D’un côté, monsieur Adolph et monsieur Bénito, et de l’autre côté, monsieur Joseph peuvent nous montrer l’effet direct de la violence. Cependant, cela reste momentané. Par contre l’effet des actes non-violents me semble capital car ils peuvent grandir année après année sans que cela ne s’arrête jamais… 

 

Les paroles de monsieur Mahatma étaient si intelligentes qu’elles eurent raison de ma faim d’intelligence en quelques instants. Oui ! En quelques mots, Monsieur Mahatma réussit à éclairer mes pas sur le chemin de l’intelligence ! Voici ce qu’il nous raconta ensuite avec tant de justesse et de grandeur d’âme :

 

-     Sachez, mes amis ! dit-il, que seule une vie consacrée pour servir les autres est utile car sans le bien, l’âme s’épuise… Dès lors, mes amis ! Une éducation qui ne forme pas la qualité humaine chez un enfant n’a aucun sens ! L’éducation ne consiste pas à obtenir des connaissances sur la lecture et l’écriture. Elle vise à développer la dignité humaine et à connaître ses devoirs en tant qu’être humain… »

 

p27

 

Ces paroles résonnèrent en moi… comme si… comment vous dire ? … oui, comme si… le secret de l’intelligence m’était enfin révélé. A la fin de son discours, monsieur Mahatma observa un profond silence (comme s’il souhaitait voir son message se diffuser dans tous les quartiers du Labyrinthe et sur toutes les autres Planètes de l’Univers). Il se prosterna trois fois et nous invita à réfléchir à ce qu’il avait dit. Puis il se leva et quitta la pièce suivie par l’assistance. Je me suis levé à mon tour, j’ai retraversé le Labyrinthe des Grands Esprits. Et j’ai retrouvé le bureau de monsieur Black avec une étrange impression.

 

 

Porte 26 Les leçons de la grande bibliothèque

– Le quartier de la capitale 

-     Alors cette leçon ? a demandé monsieur Black en me voyant débarqué dans son bureau.

Je l’ai regardé d’un air ahuri, incapable d’ouvrir la bouche. Et incapable de répondre à la moindre question.

-     Eh bien ! dit-il, vous en faites une tête ! Que s’est-il passé ? N’avez-vous pas trouvé monsieur Mahatma ?

Monsieur Black a réajusté ses lunettes et m’a regardé droit dans les yeux.

-     Laissez-moi deviner ! dit-il, c’est comme si vous aviez vu briller pour la première fois l’étincelle d’intelligence qui sommeillait au fond de votre conscience !

J’ai regardé monsieur Black avec une lueur au fond des yeux.

-     Oui, vous… vous avez… 

-     Allons ! Allons ! dit monsieur Black, reprenez vos esprits, jeune homme ! Vous en aurez besoin pour la suite du voyage…  

Je l’ai regardé avec des yeux tout ronds d’étonnement.

- Je… 

-     Allons ! Allons ! dit-il, n’avez-vous pas découvert ce que vous cherchiez en venant ici ? Et cette rencontre ne vous a-t-elle pas ouvert de nouveaux horizons ?

-     Oui, ai-je dit encore légèrement troublé, vous avez sans doute raison, monsieur Black.

Une lueur de fierté a brillé derrière ses petites lunettes (je crois que monsieur Black était très fier de sa pédagogie). Il me fit un clin d’œil, réajusta ses lunettes et replongea la tête derrière sa pile de livres. Et je quittai la Grande Bibliothèque, le cœur un peu triste et pourtant étrangement heureux, pour aller annoncer la bonne nouvelle à ma Fleur.

 

 

Porte 27 Ma fleur me parle du troisième joyau

– L'île de la conscience 

-     Ma Fleur ! Ma Fleur ! ai-je crié en débarquant sur mon île, j’ai découvert le deuxième joyau ! Ma Fleur ! Ma Fleur ! J’ai trouvé le chemin qui mène au trésor !

Devant mon enthousiasme, ma Fleur est restée étrangement silencieuse.

-     Eh bien, ma Fleur ! Tu ne dis rien !??

Ma Fleur a rétracté ses pétales.

-     Oh si ! dit-elle, je suis très heureuse, mon garçon ! Grâce à monsieur Black, tu as progressé sur le chemin de l’intelligence. Et grâce à monsieur Mahatma, tu as découvert l’existence du 3ème joyau !

-     Le 3ème joyau, ma Fleur… ?

-     Oui, mon garçon ! Tu as découvert le joyau de la bonté… ce noble joyau que l'on ne peut découvrir que par la seule véritable intelligence… l'intelligence du cœur… et c’est là une très bonne chose, mais…

-     Mais quoi, ma Fleur… ?!!

-     Mais la bonté, mon garçon, possède de multiples facettes. Certaines sont brillantes et très belles… et d’autres… beaucoup moins reluisantes…

-     Oui, oui, ai-je dit avec désinvolture, ne t’inquiète pas, ma Fleur ! Je saurais me débrouiller.

 

p28

 

Ma Fleur m’a regardé avec une grande tendresse.

-     Que ton cœur t’entende ! dit-elle.

-     Oui, oui, bien sûr ! ai-je dit, à bientôt, ma Fleur !

Et j’ai quitté mon île pour retrouver le Grand Labyrinthe, bien décidé à trouver le 3ème joyau en suivant les pas de monsieur Mahatma.

 

 

 

PARTIE 4 A LA RECHERCHE DU TROISIEME JOYAU : LA BONTE

 

Porte 28 L'empereur n°4

– Le quartier de la capitale 

Après ma rencontre avec monsieur Mahatma, je n’eus plus qu’une seule idée en tête : trouver le 3ème joyau en m'inspirant du chemin emprunté par ce Grand Esprit. Mais comment aider les habitants de cette Planète ? C’était-là une question bien difficile ! Je me mis donc à réfléchir. J’ai pris une grande feuille pour mettre en ordre mes idées. J’ai réfléchi… j’ai longuement réfléchi. J’ai examiné le problème sous toutes ses coutures et après plusieurs semaines de réflexion, j'ai jeté sur le papier mon programme du bonheur.

 

Mon programme achevé, j’ai soigneusement plié la feuille, je l’ai rangée dans la poche de mon veston et je suis parti à travers les rues du quartier de la Capitale à la recherche du palais de l’empereur n°4, gouverneur du quartier de la Capitale, homme d'état illustre et puissant qui ne manquerait pas d'être séduit par mon plan et qui prendrait, je n'en doutais pas, toutes les mesures pour le faire appliquer.

 

-     Oui ! Voilà une très bonne idée ! dis-je en moi-même. L’empereur n°4 ferait appliquer mon programme et tout le monde serait heureux ! Et si tous parvenaient à trouver le bonheur, je ne manquerais pas de trouver le joyau de la bonté.

 

Et j’ai marché jusqu’au palais de l'empereur n°4 avec dans la tête de bien drôles de rêves, imaginant déjà les gros titres des journaux avec ma photo en première page : petit Pierre, sauveur du Grand Labyrinthe ! Petit Pierre, sauveur de la Planète ! J'étais convaincu que l'empereur et les habitants du Grand Labyrinthe m’acclameraient comme un héros… que tous scanderaient mon nom et me serreraient dans leurs bras avec enthousiasme et admiration. Bref, j’étais persuadé de devenir moi aussi (comme monsieur Mahatma) un Grand Esprit reconnu et adulé par tous pour sa grande bonté. C'est donc la tête pleine de rêves que j'ai sonné à la porte du grand Palais de l'empereur n°4, surveillée par 7 gardes en uniforme rouge et noir. Après une longue explication (où je dus leur exposer – en long et en large – le but de ma visite), ils me laissèrent passer. L’un d’eux m’accompagna jusqu’à l’immense et somptueuse salle où l’empereur, me dit-il, travaillait avec dévouement pour son peuple. Et lorsque l’empereur m’ordonna d’entrer, je me suis avancé vers lui tout tremblant.

-     Bon… bonjour Majesté ! ai-je bafouillé en esquissant une petite révérence.

-     Bonjour, jeune homme ! a répondu l’empereur n°4 en baillant, que puis-je faire pour toi ?

-     Euh… eh bien… voilà…, ai-je dit, je voudrais vous aider, Majesté ! Avec votre permission !

L’empereur a levé le nez de ses papiers. Il a baillé, il a étiré les bras et m’a regardé avec une lueur de lassitude dans les yeux.

-     Je n’ai guère de temps à t’accorder, jeune homme ! Je suis très occupé…

-     Je… je ne serais pas long, Majesté ! Avec votre permission, j’aimerais vous lire mon…

-     Bon ! Bon ! Eh bien ! Soit ! dit-il en se redressant paresseusement sur son trône, je t’écoute !

 

p29

 

Et de peur qu’il ne m’interrompe, je lui ai débité mon projet d’une seule traite.

-     Avec votre permission, Majesté, j’aimerais vous exposer mon programme pour rendre heureux tous les habitants du quartier de la Capitale. Il s’agit là, selon moi, d’un programme très simple à appliquer. J’ai fait des calculs, Majesté. Dans ce quartier, chaque année, les autorités récoltent environ 13 367 milliards 484 millions 060 mille pommes de terre. Il y a, dans ce quartier, environ 5 millions 231 mille 892 sujets. En divisant le premier chiffre par le deuxième, les autorités pourraient donner à chaque sujet environ 2555 pommes de terre par an. Et 2555 pommes de terre par an, cela fait, d’après mes estimations, 7 pommes de terre par jour et par résident ! Ainsi en appliquant ce programme, chaque habitant pourrait enfin manger à sa faim et être heureux ! Voilà, Majesté !

L’empereur a pouffé.

-     7 pommes de terre par jour ! dit-il.

J’ai consulté mes notes.

-     Oui, Majesté ! Exactement, 7 pommes de terre par jour !

-     Ohhh ! Voilà une charmante idée ! dit l’empereur, ohhh ! oui ! Voilà vraiment une charmante idée mais… c’est un programme un peu compliqué.

-     Un peu compliqué, Majesté… ?

-     Oui ! Un peu compliqué, jeune homme ! On ne peut pas tout changer ainsi ! dit l’empereur.

-     Ah… ? ai-je dit en baissant les yeux, mon programme est trop compliqué… Pourtant vous savez, Majesté, il suffirait de…

-     Non ! Non ! dit-il, ce programme est trop compliqué ! Je suis désolé… jeune homme, mais je ne peux pas t'aider.

J’étais si déçu par la réponse de l’empereur que mon cœur s'emplit de tristesse. Mon programme trop compliquée… ? dis-je en moi-même. Pourquoi l’empereur le trouvait-il si compliqué ? Mon programme était pourtant si simple… Ah ! dis-je en moi-même, cet empereur raconte vraiment n’importe quoi !

-     Maintenant, rentre chez toi ! dit l’empereur, et laisse-moi gouverner à ma guise et distribuer les rations comme je l’entends !

Et j’ai quitté l’empereur le cœur plein d’incompréhension.

-     Ah mon Dieu ! dis-je en moi-même, les empereurs ont l’air d’écouter ceux qu’ils gouvernent, mais en vérité, ils se moquent bien d’eux !

 

Ce jour-là, je me sentis si malheureux que mon enthousiasme tout neuf s’envola. Comment allais-je pouvoir aider les habitants de la Planète à présent?  Et comment allais-je m’y prendre pour trouver le troisième joyau ? C’était-là en vérité des questions bien difficiles !

 

 

Porte 29 Monsieur gilbert me conseille de rendre visite au père pierre

– La clairière de l'imaginaire 

Quelques semaines plus tard, alors que j’étais en train de fouiller (l'âme un peu triste) dans les bacs des marchands de livres installés sur les quais du grand Fleuve à la recherche d'une piste qui me conduirait au 3ème joyau, monsieur Gilbert, confortablement installé sur la couverture d'un livre, me proposa son aide.

-     Prends-moi avec toi ! dit-il en posant sa main sur mon bras, et allons-nous promener dans un endroit plus tranquille !

Je me suis empressé de mettre le livre de monsieur Gilbert dans ma poche. Et on s'est dirigé (ensemble) vers un petit square désert situé derrière les quais du grand Fleuve. On s'est assis sur un banc et monsieur Gilbert m’a aussitôt confié son plan.

-     J’ai un ami, dit-il, qui serait ravi de t’aider ! Il s'appelle Pierre… mais tout le monde ici l'appelle… le Père Pierre.

 

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Monsieur Gilbert me parla longuement du Père Pierre. J'appris ainsi qu'il travaillait dans la plus grosse usine du quartier de la Capitale et qu'il habitait avec ses compagnons dans l'une des plus misérables ruelles du quartier. Monsieur Gilbert m'expliqua que le père Pierre était prêtre-ouvrier… ouvrier le jour à l'usine pour gagner son pain et ouvrier du cœur la nuit pour soulager la souffrance et la misère des plus pauvres résidents du quartier. Il me dit qu'il connaissait parfaitement le cœur des habitants de cette Planète et qu'il aurait certainement quelques idées pour orienter mes pas sur le chemin de la bonté.

A la fin du livre, monsieur Gilbert a posé sur moi un regard bienveillant et m'a dit :

-     N’hésite pas à aller le voir, mon garçon ! Je suis persuadé qu’il serait ravi de t'accompagner quelques temps sur ce chemin.

 

J'ai remercié monsieur Gilbert pour ses conseils et j'ai refermé son livre.

 

 

Porte 30 Le pere pierre est un homme sage

– Le quartier de la capitale 

Le lendemain soir, j'allai attendre le père Pierre à la sortie de l'usine. Je me suis avancé vers lui et lui ai expliqué (sans ambages) mon désir d’aider les résidents du Grand Labyrinthe.

-     Oh ! dit-il en riant, voilà une démarche très louable ! Oui ! Voilà une démarche très louable, mon garçon, mais…

Et brusquement son visage s’est assombri.

-     Mais peut-être ignores-tu que ce chemin est semé de pièges et d’ornières ! Es-tu réellement prêt à suivre ce chemin d’amour et de renoncement, mon garçon ?

J’ai regardé le père Pierre avec des yeux tout ronds d’étonnement.

-     Chemin d’amour et de renoncement… ? Que voulez-vous dire, mon père ? 

 

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Le visage du Père Pierre s’est à nouveau éclairé. Et je surpris dans ses yeux une chaleur joyeuse (pleine de paix et de confiance) qui me réchauffa le cœur.

- Aider ses semblables suppose le don et l’oubli de soi, mon garçon ! Savoir s’oublier est une grande source de joie ! Mais il est nécessaire de renoncer aux joyaux que les habitants de cette planète ont coutume de chercher. Et lorsque l’on ne peut encore renoncer à cette recherche, on ne peut guère espérer trouver la Joie véritable en se consacrant aux autres. 

J’ai regardé le père Pierre avec inquiétude.

 

-     Et le trésor, Père Pierre ? Pourrais-je le trouver en aidant les autres résidents ?  

-     Le trésor… ? Cette Joie sera ton seul trésor, mon garçon !  Et si tu ne te sens pas prêt à renoncer aux joyaux, mieux vaut ne pas songer à poursuivre ce chemin. Si tu attends que l’on t’adule et que l’on te rende grâce pour ta générosité et ta bonté, alors ta déception sera immense ! Crois-moi, mon garçon ! Pour donner, il faut savoir s’oublier ! Cette Joie sera ton unique récompense ! Elle sera ton seul trésor ! Aussi, réfléchis bien avant d’emprunter le périlleux chemin qui mène au troisième joyau.

-     Mais, mon père, ai-je dit, moi, j’aimerais aider les autres ! Mais j’aimerais aussi trouver le troisième joyau et le trésor. Vous comprenez, n’est-ce pas ?

Le visage du père Pierre s’est éclairé d'un grand sourire (je crois qu’il avait compris).

-     Viens ! dit-il, mes camarades m’attendent !

Et il m’invita à rejoindre le groupe d’ouvriers qui marchaient devant nous. En chemin, nous avons continué à parler. Et dans sa grande sagesse, le père Pierre me conseilla de réduire mes ambitions.

-     Tu sais, dit-il, il est impossible d’aider tous les habitants du Grand labyrinthe… Il serait plus raisonnable de commencer par aider ceux qui t’entourent.

-     Regarde ! dit-il en arrivant devant les baraquements en construction (quelques habitations et un lieu d’accueil pour tous les habitants du quartier), nous avons encore beaucoup de travail ! Et les bras supplémentaires sont toujours les bienvenus ! Veux-tu te joindre à nous, mon garçon ?

-     Oh oui ! Bien sûr, mon père ! ai-je dit.

 

Et nous avons rejoint le petit groupe d’ouvriers (tous compagnons du père Pierre) qui œuvrait déjà sur le chantier. Ainsi commença pour moi une nouvelle période dans la communauté du père Pierre.

 

 

Porte 31 La bonté du père pierre est bien encombrante

– Le quartier de la capitale 

Sur les sages recommandations du Père Pierre, je tentai, au cours de ce séjour, de venir en aide à tous ceux qui m’entouraient. Ainsi, j'ai aidé à la construction des cabanes pour reloger ceux qui avaient perdu leur logement et à la distribution des repas pour ceux qui n’avaient rien à manger. Pendant plusieurs mois, j'ai vraiment tenté d'aider (de tout mon cœur) tous ceux qui en avaient besoin… Mais en dépit de mes efforts et de mon acharnement, personne ne remarquait ni ma joie ni ma générosité. Dans cette communauté, il semblait si naturel de s'entraider que personne ne prêtait attention à ma bonté. Et très vite, je souffris de ce manque de gratitude. Au fond de mon cœur, j’éprouvais le besoin que l’on m’accorde (pour ce dévouement) un sourire ou un remerciement. Mais, il était vain d'attendre ici la moindre marque de reconnaissance… la bonté semblait irradier le cœur de chacun et tous les compagnons s'entraidaient le cœur joyeux ! Et plus que toute autre, la bonté du père Pierre faisait beaucoup d’ombre à ma pauvre petite bonté. Alors que personne ne m'accordait la moindre attention (comme si je n'existais pas), lui, partout, on l’acclamait comme un saint-homme (saint-homme qu’il était, sans doute, d’ailleurs). Mais à quoi bon être généreux si personne ne le remarquait ? C'est alors que j'ai songé aux premières paroles du père Pierre. Le saint-homme avait su lire dans mon cœur. Il avait vu juste. Je n’étais pas encore prêt à m’oublier tout entier. Aussi, après quelques mois passés dans cette indifférence généralisée, un jour, j’ai quitté la communauté. J'ai remercié le Père Pierre et ses compagnons pour leur accueil et leurs conseils. Je leur ai fait mes Adieux et je m’en fus, le cœur un peu triste, retrouver ma Fleur sur mon île.     

 

 

Porte 32 Ma fleur me console 

– L'île de la conscience 

A peine débarqué sur l'île, je suis allé m'asseoir près de ma Fleur.

-     Oh ! Bonjour, petit Pierre ! dit-elle, eh bien… comme tu as l’air triste ! Que se passe-t-il, mon garçon ?

-     Ma Fleur ! Oh ma Fleur ! ai-je dit en levant les yeux vers elle, je n'ai pas trouvé le joyau de la bonté…

-     Ahhh ? dit-elle, voilà pourquoi tu es si sombre… aussi sombre que ce coin de terre sous le grand saule.

Et pour la première fois, je remarquai que ma Fleur vivait à l’ombre du grand saule. Je l'ai regardée avec tristesse.

-     Ne prends-tu donc jamais le soleil, ma Fleur ?

 

Ma fleur me fit signe d’approcher.

-     Chut ! dit-elle, parle moins fort, mon garçon ! Je ne voudrais pas que le saule nous entende. Je ne voudrais pas lui faire de peine ! Tu comprends… il est si… enfin…, oui, il est si grand qu’il ne me laisse que quelques minutes de soleil par jour.

-     Quel égoïste ! ai-je dit en regardant les longues branches du saule.

-     Chut ! dit ma Fleur lorsqu’elle a vu légèrement frémir la ramure de son ami, parle moins fort ! Je crois qu’il nous a entendus.

-     Être dans l’ombre ne te rend pas malheureuse, ma Fleur ?

-     Malheureuse… ? a répété ma Fleur, comment pourrais-je être malheureuse ? Il faudrait que je sois bien stupide pour pleurer sur mon sort.

-     Tout de même ! ai-je dit, le saule est un ami bien égoïste ! Il pourrait partager le soleil plus équitablement.

 

Ma Fleur a posé un pétale sur ma bouche. Puis, elle a ouvert tous ses pétales. Et lorsque tous furent entièrement ouverts, elle me posa une étrange question :

-     Dis-moi, petit Pierre, sais-tu combien nous sommes à vivre ici sur cette île ?

J’ai réfléchi un instant.

-     Eh bien ! Je ne sais pas, ma Fleur ! Je ne vous ai jamais comptés. 

Et sans plus attendre, ma Fleur me fit l’inventaire des habitants de l’île.

-     Il y a sur cette île, dit-elle, des libellules, des grenouilles, des oiseaux, des moustiques, des crapauds, des roseaux, des abeilles, des ajoncs, des carpes, des nénuphars, des hiboux et encore beaucoup d’autres résidents ! Et il y a aussi l'étang, le pélican, le grand saule, le rocher et son amie la mousse qui ont juré de se tenir compagnie jusqu’à la fin des temps, la pierre de l’autre côté de l’étang et moi, la petite fleur de rien du tout !

J’ai regardé ma Fleur.

-     Mais tu n’es pas une petite fleur de rien du tout, ma Fleur ! Tu es très belle et tu es ma meilleure amie !

-     Oh ! dit-elle, tu es gentil, mon garçon ! Il est vrai qu’il m’arrive de te réconforter et d’offrir un peu de nectar aux abeilles. Mais mon rôle est bien modeste sur cette île.

Ma Fleur a refermé un instant ses pétales. Puis, elle me parla du grand saule.

-     Maintenant regarde le saule ! dit-elle, regarde comme il est grand et fort ! Il offre un abri aux oiseaux, il accueille les abeilles qui viennent chaque année y construire leur nid. Grâce à l’ombre de ses branches, il permet au rocher et à la mousse de vivre ensemble. Il offre à tous ici sa splendeur et donne à notre île toute sa beauté. Sans lui, le bord de l’étang serait bien triste ! Aussi, est-il normal qu’il dispose de la lumière à sa convenance.

Ma Fleur me fit signe de me pencher.

- Mais il est vrai, dit-elle, qu’il en profite un peu ! Les arbres sont si majestueux qu’ils en deviennent parfois un peu orgueilleux... 

Les paroles de ma Fleur étaient très sages. Malgré la pénombre, elle était toujours joyeuse. Elle réussissait à s’épanouir avec quelques minutes de soleil par jour. Pour conclure, elle me dit :

-     Tu ne dois pas t'inquiéter, mon garçon ! Je suis très heureuse ainsi. Mais toi, dit-elle en refermant légèrement ses pétales, je te trouve bien triste. On ne parle pas d’ombre et de soleil ainsi sans ressentir de la tristesse dans son cœur.

 

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J’ai regardé ma Fleur avec tendresse. Elle était vraiment merveilleuse. Elle était toujours la première à deviner mes chagrins. Et d’une voix très douce, elle me dit :

-     Raconte-moi ce qui te rend si triste, mon garçon!

J'ai essayé de lui expliquer ma tristesse mais aucun mot ne put sortir de ma bouche. J’étais si triste qu’ils restaient bloqués à l’intérieur.

- Ah non ! dit-elle, il ne faut pas garder cette tristesse dans ton cœur, mon garçon !

-     Oh ! ai-je dit, je… je… je... ne peux… rien te dire, ma Fleur ! Je… je… je… me sens… si malheureux !

En vérité, j’avais le cœur si gonflé de tristesse que je n’arrivais même pas à pleurer. Je crois que mes larmes seraient sorties toutes sèches…

-     Si tu ne peux pleurer, dit-elle, il faut parler, mon garçon ! Il ne faut pas laisser son cœur s’emplir d’amertume ! Il ne faut jamais laisser son cœur s’emplir d’amertume !

Et ma Fleur m'expliqua que l’amertume était comme une rivière empoisonnée qui se répandait à l’intérieur. Et si on ne la laissait pas s’écouler, elle réussissait à y faire son lit en creusant dans notre cœur des sillons si profonds qu’ils finissaient par le rendre très noir.

Je fis un effort. Et soudain mes larmes se transformèrent en mots. Et toute mon amertume se déversa d’un seul coup.

-     Eh bien… voilà, ma Fleur ! ai-je sangloté, depuis que j’ai commencé ce voyage, tout va de travers ! Je croyais avoir découvert le joyau de la beauté mais il a fini par me glisser entre les doigts ! Après bien des efforts, j’ai réussi à découvrir une partie du joyau de l’intelligence mais je ne parviens pas à trouver le joyau de la bonté ! Je crois que je n’arriverais jamais à trouver le trésor, ma Fleur ! Voilà ce qui me rend si triste ! Y a-t-il pire souffrance que celle-ci, ma Fleur ?

Ma Fleur m’a regardé avec tendresse.

- Il y a, dit-elle, beaucoup de souffrance sur cette planète, mon garçon ! Et chacun pense être le seul à souffrir ! Chacun imagine que sa souffrance est la plus grande…

J’ai regardé ma Fleur.

- Eh bien…, ai-je dit, il suffirait de mettre toutes nos souffrances sur une échelle, ma Fleur ! Ainsi, nous saurions qui souffre le plus. Et moi, je suis sûr que ma souffrance serait tout en haut de l’échelle !

-     Ah ! dit-elle en agitant ses pétales, on ne peut comparer ainsi les souffrances, mon garçon. Chacun la ressent avec son cœur. Et tous les cœurs sont différents…

-     Eh bien… alors…, ai-je dit, que faut-il faire, ma Fleur ?

-     Oh ! dit-elle, il y aurait bien des choses à faire ! Mais pour l’heure, je te conseille d’aller voir le renard.

Et brusquement ma Fleur a refermé ses pétales.

-     Hé ! Ma Fleur !

-     …

-     Hé oh ! Ma Fleur ! Pourquoi devrais-je aller voir le renard ?

Mais ma Fleur est restée silencieuse.

-     Hé ! Ma Fleur ! Pourquoi as-tu refermé tes pétales ? Hé ! Réponds-moi ! Pourquoi devrais-je aller voir le renard ?

Mais ma Fleur a continué de m’ignorer. Je me suis mis en colère.

-     Pourquoi refuses-tu de m'expliquer, ma Fleur ?

Mais ma colère a glissé sur elle comme le vent sur ses pétales.

- Bon ! Eh bien, d'accord ! ai-je crié, j’irais le voir, ce renard ! 

 

Et j’ai quitté l'île de la Conscience,  le cœur bougon et un peu contrarié, pour partir à la recherche du renard quelque part dans le Grand Labyrinthe.

 

 

Porte 33 Le renard  

– Le quartier de la capitale 

J’ai marché longtemps sur les routes du Grand Labyrinthe avant de trouver le renard. Je l’ai aperçu au détour d’un chemin. Il était tapi dans une cage minuscule avec quantité de ses congénères sur un immense terrain vague situé à la périphérie du quartier de la Capitale. Je me suis avancé vers lui.

-     Bonjour, monsieur le renard !

En m'apercevant, le renard s’est mis à hurler :

-     Non !!! Je vous en prie ! Laissez-moi !!! Laissez-moi !!! Je vous en prie !!! Laissez-moi vivre encore un peu !

J’ai regardé le renard avec inquiétude.

-     Mais… pourquoi criez-vous ainsi, monsieur le renard ? Je ne vous veux aucun mal ! De quoi avez-vous peur ?

-     Ahh… ? dit le renard, vous n’êtes pas le nouvel employé ?

-     Le nouvel employé… ? ai-je dit étonné, mais qu’est-ce que vous racontez, monsieur le renard ?!!

-     Oh ! dit le renard, je vous prie de m'excuser ! Je vous ai confondu avec le nouvel employé.

Et le renard m'expliqua que la veille, le businessman avait visité l'élevage et que le lendemain de cette visite, il engageait toujours un nouvel employé pour sacrifier mille renards.

-     Ahhh… ? ai-je dit, et pourquoi doit-on sacrifier 1000 renards ?

-     Eh bien ! Pour en faire des manteaux de fourrure! dit le renard, nous autres, renards, ne servons plus qu’à faire des manteaux de fourrures aujourd'hui !

 

Les paroles du renard me plongèrent dans une grande tristesse. Moi qui étais déjà bien triste… Pauvre petit renard ! dis-je en moi-même. Et j’ai posé ma tête contre les barreaux de sa cage.

-     Vous ne pouvez pas rester là ! ai-je dit, cette vie est absurde et terrifiante ! Et vous allez bientôt mourir ! Il faut vous enfuir, monsieur le renard ! Je vais vous aider !

Le renard m’a regardé avec tristesse. Puis il a regardé l’énorme cadenas qui fermait la porte de sa cage. J'ai senti des larmes de colère me monter aux joues. Et je me suis mis à secouer la porte de toutes mes forces.

 

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-     C’est inutile ! dit le renard, on ne peut lutter contre les cadenas, mon garçon.

-     Mais… alors, ai-je dit, comment vais-je pouvoir vous aider, monsieur le renard ?

-     Il n’y a rien à faire ! dit-il, je suis condamné ! Mais je t'en prie, reste encore un peu avec moi. Ta présence me réconforte.

Je ne pus davantage contenir mes larmes. De grosses larmes de tristesse et de colère se mirent à couler sur mes joues.

-     Non ! ai-je crié, je ne veux pas qu’ils vous tuent, monsieur le renard ! Je vais vous aider ! Je vais aller voir le businessman ! 

 

Et j'ai quitté l'élevage en courant pour rejoindre le centre du quartier. 

 

 

Porte 34 Le businessman   

– Le quartier de la capitale 

Arrivé devant le plus beau bâtiment de la plus belle rue du quartier de la Capitale, je me suis arrêté (un peu essoufflé), j'ai sonné à la porte et je suis entré dans l'immense et très luxueux bureau du businessman.

 

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-     Bonjour ! ai-je dit, je viens vous voir pour le renard.

Le businessman a levé la tête, il m’a soufflé la fumée de son cigare dans la figure et il a replongé le nez dans ses papiers.

-     Je n’ai pas de temps à perdre ! dit-il.

-     Mais…, ai-je dit, je… je viens vous voir pour une chose très importante, monsieur !

-     La belle affaire ! dit le businessman, je n’ai pas de temps à perdre, jeune homme ! Aviez-vous pris rendez-vous ?

-     Non ! ai-je dit, mais je ne serais pas long, monsieur. Je viens vous voir pour que vous m’accordiez une faveur…

-     Eh bien ! dit-il en sortant son agenda, soyez raisonnable ! Prenez rendez-vous, jeune homme ! Nous en parlerons à cette occasion !

-     Mais, ai-je insisté, c’est… c'est très important, monsieur ! C’est une question de vie ou de mort !

-     Bon ! Eh bien ! Soit ! dit-il en consultant sa montre, je vous écoute ! Je vous accorde exactement deux minutes !

 

Et je me suis empressé de raconter au businessman l’histoire du renard et de notre amitié naissante. Mais à peine avais-je prononcé le mot "amitié" que le businessman me coupa la parole.

-     Vous me faites perdre mon temps, jeune homme !

-     Vous faire perdre votre temps ? ai-je crié, mais comment pouvez-vous… il s'agit là d'une affaire de la plus haute importance, monsieur ! Vous ne pouvez pas ôter ainsi la vie au renard… et vous n’avez pas le droit de détruire notre amitié !

Le businessman a consulté sa montre.

-     Les deux minutes se sont écoulées, jeune homme !

-     Mais bon sang ! ai-je crié, écoutez-moi ! Vous devez intervenir ! Vous ne pouvez pas laisser faire ça !

-     Les deux minutes se sont écoulées ! a répété le businessman en me crachant la fumée de son cigare dans la figure.

-     Vous… vous n’avez pas le droit ! ai-je crié, vous n’avez pas le droit de jouer ainsi avec la vie et avec la mort !

-     Pas le droit… ? a répété le businessman, vous oubliez que je suis businessman, jeune homme ! Et que les businessmen ont tous les droits ! On achète et on vend ! C’est notre métier ! Dentifrice, camions, boulons crantés, arrosoirs, fusils mitrailleurs, fleurs séchées, bois précieux, peluches, fourrures de zibelines, faux réverbères et peaux de renard… et nous n'avons pas de temps à perdre avec des histoires d’amitié.

-     Vous… vous êtes sans cœur ! ai-je crié, vous verrez… vous…  

-     Sans cœur…? a répété le businessman, et que ferions-nous d’un cœur ? Un businessman ne réfléchit pas avec son cœur, mais avec son tiroir-caisse, jeune homme ! Vous êtes vraiment naïf ! Et maintenant laissez-moi travailler ! Vous m'avez suffisamment fait perdre de temps comme ça !

J’ai regardé le businessman avec colère.

-     Vous… vous êtes un monstre ! ai-je crié, vous êtes un monstre… et un vendeur de mort ! Et vous verrez, vous… vous ne l’emporterez pas au paradis!

A ces mots, le businessman a ricané.

-     Au paradis… ? Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Au paradis… ? Jeune imbécile ! Mais je suis déjà au paradis ! Ma richesse m'ouvre les portes de tous les paradis de cette Planète ! Et plus je m'enrichis, plus mon paradis s'agrandit ! Ainsi songez qu’avec la fourrure de votre renard, jeune homme, et celles de ses congénères, je deviendrais plus riche encore et mon paradis deviendra plus grand…

 

Je ne pus en entendre davantage. J’ai quitté le bureau du businessman, le cœur empli de tristesse et de colère. Et je m’en suis retourné voir mon ami le renard.

 

 

Porte 35 Mademoiselle tsé  

– La clairière de l'imaginaire 

En arrivant devant l'immense terrain vague, je compris que j'arrivais trop tard. La cage de mon ami était vide… il pendait déjà le long d’une corde. A la vue de sa dépouille, je n'ai pu contenir mes larmes. Sa fourrure était recouverte de mouches. L'une d'elles, sans doute intriguée par mes pleurs, me regarda étrangement. Lorsqu'elle vit ma tristesse, elle s'envola pour venir à ma rencontre. C’était une grosse mouche noire avec le bout du nez vert. Elle a tournoyé quelques instants autour de moi puis elle s’est posée sur ma main. Là, elle s’est mise à nettoyer ses pattes avec beaucoup d’attention.

 

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-     Bonjour, jeune homme ! dit-elle, quelle belle journée, n’est-ce pas ?

-     Ohhh !!! ai-je dit, comment pouvez-vous parler ainsi… mon ami le renard est mort… vous voyez bien que je suis triste… Laissez-moi ! Allez-vous-en !

-     Ahhh ! a rétorqué la mouche, je vous prie de rester poli, jeune homme ! Et arrêtez de pleurer ! La mort n'est pas si terrifiante !

Comment pouvait-elle parler ainsi de la mort ? dis-je en moi-même. La Vie semblait si fragile… si belle et si précieuse… et la mort avait l'air si noire et si terrifiante… Oui, la mort était vraiment terrible… et elle était si triste pour les vivants…

-     Allez-vous-en ! ai-je dit, laissez-moi ! Vous racontez n’importe quoi ! Vous ne connaissez rien à la mort !

 

Piquée au vif, la mouche s’est empressée de fouiller dans sa poche pour sortir une carte de visite. C’était un minuscule bout de papier sur lequel était écrit (d’une affreuse écriture en pattes de mouche) : Mademoiselle Tsé, experte de l'Autre Monde.

-     Ça ne prouve rien ! ai-je dit, d’ailleurs, je me fiche que vous soyez experte ! Laissez-moi !

Blessée dans son orgueil, la mouche me dit alors :

-     Ne soyez pas stupide, jeune homme ! Arrêtez de pleurer ! Et écoutez-moi ! Il n'y aucune raison d'être si malheureux. Il n'y a rien à craindre de la mort ! Elle n'est qu'un voyage vers l'Autre Monde. Et nous le ferons tous un jour, ce voyage ! Alors inutile de s'en inquiéter ou de s'en attrister…

La mouche m'a regardé avec ses gros yeux quadrillés.

-     Vous savez, dit-elle, bien des choses merveilleuses se cachent derrière ce qui nous semble terrifiant.

Et sans même savoir si je l'écoutais, la mouche a continué ses étranges explications :

-     Apprenez donc à regarder au-delà des apparences, jeune homme ! Et vous verrez que ce voyage est moins terrifiant qu'il n'en a l'air ! Celui qui sait voir au-delà des apparences a le pouvoir de transformer la couleur des paysages…

 

Après sa tirade, la mouche s'est longuement frotté les ailes avant de s'envoler pour rejoindre ses camarades. J’ai regardé la cage vide de mon ami puis j’ai repris le chemin du retour. Ce voyage est parfois bien triste ! dis-je en moi-même. J’avais essayé d'aider les résidents du Grand Labyrinthe et je n’avais rencontré que des murs d’incompréhension, de méchanceté et d’indifférence. Les habitants de cette Planète se montrent parfois bien cruels ! dis-je en moi-même. Pourquoi fallait-il endurer toutes ces épreuves ? Je n’en savais rien. Et je m’en fus, le cœur bien triste, retrouver ma Fleur.

 

 

Porte 36 La fleur me donne un nouveau conseil   

– L'île de la conscience 

-     Bonjour petit Pierre ! dit-elle en se penchant vers moi, oh ! Comme tu as l’air triste… encore plus triste que la dernière fois… que se passe-t-il, mon garçon ?

-     Mon ami le renard est mort ! ai-je dit en reniflant, je n’ai rien pu faire pour le sauver, ma Fleur !

Ma Fleur a bougé sa tige d’une étrange façon.

-     N’as-tu pas fait, dit-elle, tout ce qu’il fallait faire pour venir en aide à ton ami ?

-     Je ne sais pas, ma Fleur ! ai-je dit en baissant les yeux, peut-être… mais toutes mes démarches n’ont servi à rien.

-     Non, non ! dit-elle, tout ce que l’on entreprend au cours de ce voyage est utile, mon garçon ! N’as-tu rien appris en allant voir le renard ?

 

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-     Oh si, ma Fleur ! ai-je dit, j’ai appris beaucoup de choses ! J’ai découvert l’amitié, j’ai vu la mort et j’ai rencontré mademoiselle Tsé qui m’a parlé du monde qui existe au-delà des apparences… mais je crois que j’ai surtout appris une chose très importante, ma Fleur.

-     Ah oui… ? dit-elle, et qu’as-tu donc appris de si important, mon garçon ?

 

J’ai baissé la tête avec tristesse.

-     Eh bien…,  j’ai compris que ma souffrance n’était pas si grande, ma Fleur… j’ai vu qu’il y avait sur cette Planète des souffrances bien plus grandes que la mienne… Ah ! Si tu savais comme le renard souffrait, ma Fleur ! Sa vie était effroyable ! Comment a-t-il pu endurer toutes ces souffrances ? Pourquoi y a-t-il tant de misère sur cette Planète, ma Fleur ? Ah ! Si tu savais, ma Fleur, comme je me sens fatigué à présent de chercher ce trésor ! Ca fait des années que je cours partout dans ce quartier, que je subis toutes sortes d’épreuves… et tout va toujours de travers ! Oh ! Je me sens si découragé aujourd’hui, ma Fleur…  

 

Ma Fleur m’a regardé avec tendresse. 

-     Il est parfois nécessaire, dit-elle, de s’arrêter pour prendre un peu de recul. Sinon à force de courir après ces joyaux, on finit par…

-     Par les trouver… ? Tu crois, ma Fleur ?

Ma Fleur a bougé ses pétales.

-     Ne sois pas si impatient, mon garçon ! Il ne sert à rien de courir après ce trésor ! Cela fait si longtemps que tu es à la recherche de ces joyaux… As-tu déjà seulement songé à prendre un peu de repos ? 

-     Prendre un peu de repos… ? Mais tu n’y penses pas, ma Fleur ? Comment pourrais-je prendre un peu de repos ? Un chercheur ne se repose jamais ! Il cherche, il cherche, il passe son temps à chercher, il passe tout son voyage à chercher… comment aurais-je le temps de me reposer… ?

- Ahhh ! dit-elle, ce trésor commence sérieusement à empoisonner ton chemin, mon garçon ! Tu cherches ces joyaux avec beaucoup trop d’empressement ! Tu y penses sans cesse. Je crois que ce trésor commence à noircir ton cœur…

-     Ce trésor ne noircit rien du tout, ma Fleur ! Et puis, je n’ai pas le temps de me reposer. Le chemin qui mène au trésor est encore bien long.

-     Ahhhh ! dit-elle avec un air de réprimande, puisque tu refuses de m’écouter, je t‘intime l’ordre d’arrêter de chercher ce trésor et de prendre un peu de repos ! Va donc chez monsieur Guiseppé ! Il t’apprendra bien des choses pour égayer ton cœur !

-     Monsieur Guiseppé… ?

-     Oui, oui ! dit-elle, monsieur Guiseppé, le marchand de couleurs.

-     Et pourquoi devrais-je aller le voir, ma Fleur ?

-     Ahhh ! dit-elle, ne discute pas, petit Pierre ! Et dépêche-toi de lui rendre visite ! Tu verras ! Il n’y a rien de telle qu’une visite chez monsieur Guiseppé pour changer les idées de ceux qui commencent à broyer du noir…

-     Bon ! ai-je dit en soupirant, eh bien, d’accord, ma Fleur ! J’irai le voir !

 

Et j’ai quitté mon île, le cœur plein de lassitude, pour retrouver le quartier de la Capitale.

 

 

PARTIE 5 UN REPOS INSTRUCTIF ET COLORE

 

Porte 37 Monsieur guiseppe, le marchand de couleurs   

– Le quartier de la capitale 

Quelques jours plus tard, je partis à la recherche de monsieur Guiseppé. Je le trouvai assis derrière les étals de sa petite échoppe « Fruits de saison et Paradis des couleurs » (située dans une ruelle adjacente à la rue principale du quartier de la Capitale). Il était en train de peindre une grande toile posée à même les étalages. C’était là en vérité un bien drôle de vendeur et un bien drôle de magasin, où s’entassaient pêle-mêle des poires et des pinceaux, des clémentines et de l’essence de térébenthine, des pommes et des tubes de couleurs ! 

 

p37

 

En m'apercevant devant sa boutique, monsieur Guiseppé a posé son pinceau et m’a regardé avec ses petits yeux en forme d’olive cachés derrière de grosses lunettes en forme de concombre, puis il m’a souri – d’un sourire extraordinaire dissimulé derrière une grosse moustache en forme de banane – et il m’a souhaité la bienvenue ! Eh bien ! dis-je en moi-même, quel personnage étonnant ! Et je l’ai trouvé si sympathique, si étrange (et bientôt si attachant) que je pris l'habitude de lui rendre visite chaque jour. 

 

Lorsque je lui ai appris que j'adorais dessiner, monsieur Guiseppé  m'a proposé de me donner quelques leçons (c'est grâce à ses cours que j'ai poursuivi ma carrière de dessinateur). Tous les jours, il me donnait de nombreux et très précieux conseils en matière de dessins et de peinture. En quelques semaines, je fis, grâce à lui, de formidables progrès. Pendant cette période, je me mis à faire toutes sortes de dessins et de tableaux. Sur ce point, ma Fleur avait raison : monsieur Guiseppé, le dessin et la peinture étaient tout à fait recommandés pour ne plus penser au trésor ! Tenez! Regardez comme j'étais inspiré ! Voici le portrait de monsieur Salvador* que j’ai reproduit à votre intention :

 

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 * monsieur Salvador est l'un des plus grands peintres de ma planète

 

Et voici un tableau de monsieur René* (un peu « arrangé » à ma façon) :

 

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 * monsieur René est aussi un très grand peintre, très connu sur ma planète et dont j'apprécie particulièrement les tableaux

 

Et voici encore un autre tableau (mon préféré) qui joua un très grand rôle pour la suite de mon voyage:

 

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Eh ! Non ! Vous ne rêvez pas ! Il s’agit bien là d’une pomme bleue avec des moustaches ! Et n'allez pas imaginer qu'elle sort de mon imagination… cette pomme a bel et bien existé ! Elle m’attendait bien sagement chez monsieur Guiseppé. Quelques mois après notre première rencontre, je l’aperçus sur son étalage. Ce jour-là, monsieur Guiseppé avait l’air très contrarié.

-     Ma ça n’è pas possible ouné pomme commé ça ! criait-il avec son drôle d’accent.

Jamais je n’avais vu monsieur Guiseppé se mettre en colère. Pourquoi criait-il ainsi ?

-     Ma régard’-moi cet' pomme, petit Pietro ! Qué misère ! me dit-il en montrant une petite pomme bleue sur son étalage.

-     Oh oui ! ai-je dit, cette pomme a une drôle de couleur, monsieur Guiseppé.

-     Tou l’as dit, petit Pietro ! dit-il en essuyant ses grosses lunettes en forme de concombre (coupé en rondelles, bien sûr), cette pomme a oun bien drôle de couleur ! Ma, bien souvent, mon ami, les couleurs n’en font qu’à leur tête ! Et c’est oun chose bien embêtante pour oun marchand de fruits !

 

J’ai regardé monsieur Guiseppé en souriant.

-     Vous n’êtes pourtant pas un marchand de fruits comme les autres, monsieur Guiseppé.

-     Cé vrai, petit Pietro ! Ma qué vont penser les résidents dou quartier ? Personne né voudra acheter ouné pomme bleue !

J’ai regardé monsieur Guiseppé avec malice.

-     Moi, je veux bien vous l’acheter, monsieur Guiseppé.

-     Toi ? Ma ché vas-tou faire d’ouné pomme bleue, petit Pietro ?

Et je lui ai expliqué que j'étais en train de reproduire un tableau de monsieur René (qui adorait peindre les pommes (les pommes vertes) et que cette petite pomme serait parfaite pour me servir de modèle. Monsieur Guiseppé (qui n’avait jamais entendu parler de monsieur René (ce qui est bien naturel puisqu’ils ne sont pas nés à la même époque) me dit alors que cette petite pomme était aussi verte qu’une pomme verte avant qu’il ne la repeigne en jaune.

-     Ma pendant la nouit, dit-il, elle a pris oun autre couleur !

-     Verte, jaune ou bleue ! Ça n’a aucune importance, monsieur Guiseppé ! Ne vous inquiétez pas ! Je la prends !

 

Et je suis parti avec ma pomme. Le soir même, je lui ai dessiné des moustaches. De belles moustaches comme monsieur Salvador. Et voilà comment ma petite pomme s'est retrouvée avec les magnifiques moustaches que vous avez vues sur le tableau ! Je ne sais pas comment vous la trouvez, mais moi, je la trouvais très belle ainsi (oui, à l'époque, je la trouvais vraiment à mon goût !).

 

 

Porte 38 Magali et le pays des couleurs   

– La clairière de l'imaginaire 

Le lendemain, j’ai déposé la petite pomme sur mon étagère à côté d’une grosse encyclopédie sur la peinture (prêtée par monsieur Guiseppé). Et elle avait, ma foi, plutôt l’air de s’y plaire. Mais un matin, après plusieurs jours passés à dessiner un nombre incalculable de petites pommes, j’ai remarqué que ma petite pomme faisait grise mine. Je me suis empressé de prendre un chiffon pour la nettoyer mais malgré mes efforts, on aurait dit que ma petite pomme avait définitivement changé de couleur. Elle était devenue toute grise.

-     Mince ! dis-je en moi-même, que se passe-t-il ?

J’étais bien embêté. Une si jolie petite pomme bleue ! Et sans plus réfléchir, j’ai pris mon pinceau et je lui ai dessiné deux petits yeux, un joli petit nez et deux petites lèvres pour sourire. Et en un clin d’œil, ma petite pomme s’est essuyé la moustache et elle m’a fait une affreuse grimace. Puis elle a froncé les sourcils et elle m'a dit :

-     Pourquoi me laissez-vous sur votre étagère, jeune homme ?

-     Eh bien…, ai-je balbutié un peu surpris, tu es… comment dire… ? Tu es si… extraordinaire, petite pomme, que… je te garde sur mon étagère… tu es… tu es … un peu comme un trésor !

A ces mots, la petite pomme m’a tiré la langue.

-     Eh bien ! En voilà des manières ! ai-je dit, tu es bien mal élevée, petite pomme ! Pourquoi fais-tu tant de grimaces ?

-     D’abord ! dit-elle en devenant toute rouge, je ne m’appelle pas petite pomme ! Je m’appelle Magali !

-     Bon ! Eh bien ! D’accord, ai-je dit, mais ce n’est pas une raison pour t’énerver, petite pomme !

-     Je m’énerve ! dit-elle en me faisant une nouvelle grimace, parce que je déteste que l’on enferme les trésors !

-     Et pourquoi…, petite pomme ? On ne fait rien de mal en enfermant les trésors !

-     Ca ! C’est ce que vous croyez ! dit-elle en me faisant un grand sourire.

 

 

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Quelle drôle de petite pomme ! dis-je en moi-même. Mais cela me fit tout de même plaisir de voir qu’elle avait retrouvé sa bonne humeur. Et soudain, elle m’a demandé :

-     Connaissez-vous le secret des couleurs, jeune homme ?

-     Le secret des couleurs… ? Non, petite pomme ! Je ne connais pas le secret des couleurs.

La petite pomme m’expliqua alors à quoi servaient les couleurs. Elle me raconta à ce sujet des histoires très compliquées (auxquelles je n’ai pas compris grand-chose). Je remarquai seulement qu’elle avait repris sa couleur bleue.

-     Oh ! Tu es redevenue toute bleue, petite pomme !

-     Ce que je vous raconte ne vous intéresse-t-il donc pas ?!! dit-elle en virant au violet.

-     Si, si ! Bien sûr, petite pomme Magali !

Ah ! Décidément ! Quelle drôle de petite pomme ! dis-je en moi-même.

-     Eh bien ! Puisque vous n'êtes pas décidé à m'écouter, dit-elle, je vais retrouver monsieur René.

-     Monsieur René… !!! ai-je crié, tu connais donc monsieur René ! Il peint de si merveilleux tableaux ! Laisse-moi t’accompagner, petite pomme !

-     Ah non ! dit-elle en virant au vert, il n’en est pas question, jeune homme ! Je n’emmène pas avec moi un collectionneur de trésor ! On ne peut rien montrer à un collectionneur sans qu’il le ramasse ! Un trésor doit se partager, jeune homme, sinon, ça devient une chose triste et inutile ! A quoi sert-il de conserver un trésor si tout le monde ne peut en profiter ?

Et ma petite pomme me confia que sur l’étalage de monsieur Guiseppé, beaucoup d’enfants venaient la voir pour admirer sa couleur. Ils restaient là à la regarder quelques instants puis repartaient chez eux le cœur joyeux.

 - Et depuis que je suis sur cette maudite étagère, dit-elle, ils doivent êtres bien tristes de ne plus me voir.

-     Eh bien…, ai-je dit, me voilà bien embêté, petite pomme ! Moi qui avais cru rendre service à monsieur Guiseppé en te prenant avec moi… Si j’avais su, je t’aurais laissée sur ton étalage !

-     Ne vous inquiétez pas ! dit-elle, j'étais très heureuse chez monsieur Guiseppé, mais il y avait là-bas beaucoup trop de concurrence… Après tout, je n’étais qu’une petite pomme insignifiante parmi tous ces fruits et légumes… alors que chez monsieur René, je serais… comment dire… ? … je serais… unique ! Allez, jeune homme ! Dépêchons-nous ! Ouvrez cette encyclopédie ! Et trouvez-moi un tableau de monsieur René !

J'ai ouvert l’encyclopédie sur la peinture et j'ai cherché (aussi vite que je l’ai pu) un tableau de monsieur René.

-     Monsieur René… Monsieur René… voilà, petite pomme ! J'en ai trouvé un ! Page 742 !

Et en voyant le merveilleux tableau de monsieur René, j’ai regardé Magali et je lui ai dit d’un air malicieux :

-     D’accord, petite pomme ! Je veux bien te montrer le tableau de monsieur René mais tu m'emmènes avec toi ! Si tu refuses, je te ramène chez monsieur Guiseppé !

La petite pomme a fait une drôle de moue. J’ai crû qu’elle allait passer par toutes les couleurs. Mais elle s’est contentée d’hocher la tête.

-     D’accord ! dit-elle, mais vous devez me promettre, jeune homme, de ne plus jamais garder égoïstement les trésors que vous trouverez sur votre chemin.

Je lui en fis la promesse.

-     Alors, allons-y ! dit-elle en sautant dans le tableau, suivez-moi !

Et plein d’impatience de rencontrer monsieur René, j’ai sauté derrière elle.

 

 

Porte 39 Grand-ma, colorieuse de devenir    

– La clairière de l'imaginaire 

En débarquant dans le tableau*, une drôle de surprise m’attendait. Regardez donc où j’avais atterri !

 

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 * Ce tableau n'était évidemment pas un tableau de monsieur René.

 

-     Petite pomme, ai-je crié, où es-tu ? Petite Pomme ? Ohé, Magali ? 

 

J'ai regardé autour de moi mais il était bien difficile de trouver ma petite pomme au milieu de toutes ces taches.

 

-     Ah décidemment ! dis-je en moi-même, je n'ai vraiment pas de chance avec cette petite pomme.

-     Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

J'ai relevé la tête.

-     Il y a quelqu'un… ?

 

Et soudain une immense girafe s'est dressée devant moi.

 

-     Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! dit-elle, Magali m’étonnera toujours !

-     Vous… vous connaissez donc ma petite pomme ?

-     Bien sûr ! dit la girafe en hochant doucement la tête, mais inutile de la chercher ici ! Elle a déjà dû repartir chez monsieur Guiseppé.

-     Comment ça… chez monsieur Guiseppé… ? Sur l’étalage où je l’ai trouvée… ? Mais pourquoi est-elle retournée là-bas ?

-     Oh ! Ne vous inquiétez pas pour elle ! dit la girafe, Magali sait très bien ce qu’elle fait ! Depuis le temps que nous travaillons ensemble, elle a toujours joué son rôle à merveille. Il est vrai qu’elle a des méthodes un peu surprenantes, mais je dois reconnaître qu’elle m’emmène le plus souvent d’excellents candidats.

-     Candidat… ? ai-je répété, candidats à quoi, mademoiselle la girafe ?

-     Oh ! dit la girafe, candidats à toutes sortes de choses ! Sur cette planète, vous êtes tous candidats à quelque chose, n'est-ce pas ? Et cessez donc de m’appeler mademoiselle, jeune homme ! Je suis une vieille dame, je m’appelle Grand-Ma… Grand-Ma Destinée Light, colorieuse de devenir, pour vous servir !

-     Grand-Ma Destinée… Light, colorieuse de quoi… ?

-     Colorieuse de devenir ! Mais attendez ! dit-elle en sortant un énorme carnet, vous allez comprendre ! Comment vous appelez-vous ?

-     Euh… je m’appelle petit Pierre, Grand-Ma !

La girafe a ouvert son carnet.

-     Petit Pierre… petit Pierre…, a-t-elle répété en tournant les pages.

-     Là ! dit-elle, nous y sommes, petit Pierre… page 4 589 623 767 ! 

 

Elle me fit signe d’approcher. Et voici ce que j’aperçus :

 

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J'ai regardé la girafe avec des yeux tous ronds d'étonnement.

 - Eh bien…, ai-je dit, quel étrange carnet… que contiennent ces pages, Grand-Ma…? Et pourquoi toutes ces cases sont-elles coloriées ?

La girafe avait l’air embarrassée. Elle a rosi très légèrement.

-     Eh bien…, dit-elle, ce carnet contient… les couleurs passées… de tous les résidents du Grand Labyrinthe !

-     Les couleurs passées… ? ai-je dit,  eh bien… je ne comprends pas, Grand-Ma, tout à l’heure, vous me disiez que vous étiez colorieuse de devenir… Le devenir appartient au futur, n’est-ce pas ? Alors pourquoi me parlez-vous du passé à présent… ?

-     Hum ! Hum ! C'est très simple ! dit la girafe en dodelinant de la tête, mon rôle est de colorier le futur. Mais avec le temps, le futur se transforme en passé, n'est-ce pas ? Voilà pourquoi toutes ces cases qui appartenaient autrefois au futur appartiennent aujourd’hui au passé !

-     Ah oui ! ai-je dit,  je comprends… c’est donc vous qui décidez de notre avenir, n'est-ce pas ?

La girafe a rosi une nouvelle fois.

-     Non, non, jeune homme ! dit-elle, mon rôle se limite à définir la couleur de votre proche avenir… avenir qui, bien sûr, deviendra passé avec le temps.

 

A ces mots, la girafe s’est penchée vers moi. Elle m'a regardé droit dans les yeux.

-     Laissez-moi, dit-elle, regarder votre prochaine couleur !

-     Ma prochaine couleur… ? ai-je répété.

-     Oh bravo ! dit la girafe, vous avez fait de sérieux progrès, jeune homme ! Votre couleur est bien plus belle qu’autrefois ! Et maintenant, retournez-vous, je vous prie !

Et j'ai entendu la girafe colorier une nouvelle petite case.

Quel étrange personnage… dis-je en moi-même, pourquoi avait-elle regardé dans mes yeux ? Qu'y avait-il de si important à l'intérieur…?

- Oh ! dit la girafe, il y a beaucoup de choses dans les yeux, jeune homme… on y voit en particulier la couleur du cœur….

- Mais oui ! Bien sûr ! ai-je dit d'un air triomphal, je comprends à présent ! Ce que vous coloriez sur votre gros carnet, c'est la couleur de notre cœur, n’est-ce pas ?  Et si vous voyez la couleur de notre cœur, vous pouvez nous dire ce qu'il va nous arriver… oh ! Dîtes-moi vite ce qu'il va m'arriver, Grand-Ma ?

La girafe a hoché la tête de haut en bas. Elle a hésité un instant puis elle m'a dit :

-     Comment pourrais-je le savoir ? Je connais seulement la couleur de votre cœur et la façon dont il saura accueillir les prochains évènements du voyage. Et à en juger par votre couleur, vous n'avez pas à vous inquiéter ! Et puis vous savez, après tout, jeune homme, qu'importe la couleur ! L'essentiel est de trouver son chemin ! De toute façon, vous finirez tous par trouver la Lumière…

-     Trouver la lumière…? ai-je répété.

-     Oui, bien sûr ! dit la girafe, au cours du voyage, les cœurs en voient de toutes les couleurs ! Mais tout le monde finit par trouver la Lumière ! Vous pouvez tomber dans le gris, dans le rouge, dans le vert, dans le bleu, dans le noir, dans le blanc ou dans le rose… les cœurs ne cessent de sauter d’une couleur à l’autre. Certains restent très longtemps dans la même couleur avant d’en changer. Il n’y a pas d’ordre précis ! Toutes les combinaisons sont possibles ! Mais quel que soit votre chemin de couleurs, vous finirez tous par atteindre la Lumière ! Aussi, il est inutile de vous inquiéter, jeune homme ! Vous pouvez retourner dans le Grand Labyrinthe et poursuivre votre voyage sans crainte…   

Après sa longue tirade, la girafe a redressé son long cou. Mais j'étais si intrigué par ses paroles que je n'ai pu m'empêcher de lui poser quelques questions.

-     Dîtes-moi, Grand-Ma ! La Lumière dont vous parlez, est-ce le trésor ? Et parviendrais-je à la trouver au cours de ce voyage ?

La girafe s’est contentée de lever le cou vers le Ciel puis elle s'est mise à balancer la tête de haut en bas puis de gauche à droite. Que pouvait signifier ce mouvement circulaire ?

-     Oh ! Dîtes-le moi, Grand-Ma, s’il vous plaît !

-     Mais, dit-elle en rougissant, je ne suis ni oracle ni devin, et même si je l’étais, jeune homme, je ne serais pas autorisée à vous en parler ! Je vous ai déjà confié le secret de la Lumière et celui du chemin des couleurs…

-     Grand-Ma, l'ai-je supplié, j’aimerais tant savoir !

-     Attention ! dit-elle, vous êtes en train d’assombrir votre couleur ! Pourquoi vous obstinez-vous à vouloir connaître votre avenir et à percer les mystères du chemin… auriez-vous peur de voyager…? Ce n'est pas ainsi que vous trouverez le trésor, jeune homme ! Cessez donc de chercher avec les yeux ! Apprenez aussi à chercher avec votre cœur !

Que voulait-elle dire ? Que mon cœur ne savait pas voir et que mes yeux cherchaient partout. Oh la la ! dis-je en moi-même, que tout ça a l'air compliqué.

-     Eh bien…, ai-je dit un peu déçu par les réponses de la girafe, si vous ne voulez pas me parler du trésor et de mon avenir, Grand-Ma, dîtes-moi au moins de quelle couleur est mon cœur ?

-     Je vous en ai déjà trop raconté ! dit-elle, je ne vous dirais rien de plus ! Je vais simplement vous donner un dernier conseil, jeune homme. Donnez-moi une couleur ?

J'ai réfléchi un instant.

-     Noir ! ai-je dit (sans vraiment savoir pourquoi j’avais choisi cette couleur).

-     Très bien ! dit-elle, et maintenant donnez-moi un chiffre !

-     4 !  ai-je dit sans réfléchir davantage.

 

La girafe a réfléchi à voix basse en tournant les pages de son carnet.

-     Voyons… 4 fois 8 moins 8… plus 4 plus 8… divisé par 4… multiplié par 3 = 27 ! 27 +10 = 37 ! 37 noir ! Voyons voir ! dit-elle, je dois bien avoir un 37 noir sur ma liste !

Mais la girafe ne trouva aucun 37 noir sur son carnet. Intrigué, je lui ai demandé ce qu’était un 37 noir.

-     Oh ! C’est très simple ! dit-elle, dans notre jargon, un 37 noir est un résident du Grand Labyrinthe âgé de 37 printemps dont le cœur est noir !

-     Ah… ? ai-je dit, et vous allez me raconter son histoire ?

-     Non ! dit-elle,

-     Ah… ? ai-je dit, alors… vous allez me donner son chemin de couleurs ?

La girafe a secoué son cou de gauche à droite.

-     Ah ! Je sais ! ai-je dit, vous allez le faire venir ici !

-     Un cœur noir ici ! s’est écriée la girafe, mais vous n'y pensez pas, jeune homme !

Et soudain, la girafe m’a prié de l’excuser.

-     Ne bougez pas ! dit-elle, je vais aller me renseigner.

La girafe s’est dirigée vers une petite boîte (une sorte de cabine téléphonique dont la ligne apparemment était reliée au Ciel). Elle a composé un numéro en balançant son cou un peu nerveusement d’avant en arrière. Elle a rosi deux ou trois fois, a hoché la tête et elle est revenue vers moi avec un grand sourire.

-     Voilà ! dit-elle, je vous ai trouvé un 37 noir ! Nous vous avons arrangé une rencontre avec lui !

-     Une rencontre avec lui…, Grand-Ma ? Mais où et quand vais-je le rencontrer ?

-     Vous verrez bien ! dit-elle.

-     Et comment le reconnaîtrais-je, Grand-Ma ?

-     Ne vous inquiétez pas ! dit-elle, lorsqu’il viendra vers vous, vous le reconnaîtrez !

 

Je dois bien avouer que cette façon d’arranger des rendez-vous me parut un peu suspecte. A qui la girafe avait-elle téléphoné ? Au destin… ? Au hasard… ? A Dieu… ? Qui était ce personnage qui avait le pouvoir d’organiser les rencontres ? Mais le temps de cette réflexion, la girafe avait disparu. J’eus alors une pensée émue pour ma Fleur qui avait eu la merveilleuse idée de me donner un peu de repos. Sans elle, jamais je n’aurais pu rencontrer ces merveilleux personnages qui avaient réussi à raviver mes couleurs et mon espoir de trouver les quatre joyaux. Mais à présent, il était temps de repartir à la recherche du trésor. Et après ce repos bien coloré, j’ai retrouvé le Grand Labyrinthe le cœur plein d’enthousiasme.

 

 

PARTIE 6 LES EPREUVES AIGUISENT LA PATIENCE ET FONT GRANDIR

 

Porte 40 Ma fleur me quitte    

– L'ile de la conscience 

Le lendemain, j'allai remercier ma Fleur. J’étais si impatient de lui raconter mon merveilleux séjour au pays des couleurs qu'à peine débarqué sur l'île, je me suis assis à ses côtés en lui parlant (avec un grand enthousiasme) du secret du chemin des couleurs, du secret de la Lumière et de ma prochaine (et mystérieuse) rencontre avec un 37 noir. Mais ce matin-là, ma Fleur m’écouta d’un air distrait et un peu lointain.

-     Je suis… très heureuse, dit-elle, de voir que tu es capable de te débrouiller seul, mon garçon… car il va falloir bientôt trouver ton chemin sans moi…

-     Trouver mon chemin sans toi…, ma Fleur ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?

-     Oui, dit-elle, aujourd'hui, il est temps de nous quitter, petit Pierre. Je vais devoir m'en retourner à la terre qui, un jour, m’a vu naître… 

J’ai regardé ma Fleur avec tristesse et un peu de colère au fond du cœur.

-     Mais Pourquoi…, ma Fleur ?!! Comment peux-tu m’abandonner ?!! Comment vais-je faire sans toi ?!! Qui me consolera quand je serai triste ?!! Et qui me montrera le chemin qui mène au trésor ?!!

- Ne t’inquiète pas ! dit-elle, tu t’en sortiras très bien sans mes conseils !

 

Et une nouvelle fois, mon enthousiasme tout neuf s’envola. En voyant ma tristesse, ma Fleur me fit un grand sourire… un merveilleux sourire empli d’amour et de tendresse (comme si elle voulait alléger le désespoir que ce départ avait fait naître dans mon cœur). Puis elle s'est penchée vers moi en agitant doucement ses pétales.

-     Sois courageux ! dit-elle, tu as déjà parcouru une longue route, mon garçon … et aujourd'hui, ton expérience du voyage est suffisante pour trouver ton chemin…

-     Mais non ! ai-je dit, ce n'est pas vrai, ma Fleur ! Comment… pourrais-je trouver mon chemin sans toi ? Et comment aurais-je le courage de chercher le trésor si tu m'abandonnes ?  

-     Je ne t'abandonne pas ! dit-elle, je te laisse simplement poursuivre ce voyage sans moi… et puis… tu pourras toujours compter sur les autres habitants de l'île ! La pierre, le grand saule, le rocher moussu et l'étang seront là pour guider tes pas… et le pélican sera toujours prêt à t'aider lorsque ton cœur sera trop triste… et puis… tu dois savoir que l'on n'est jamais vraiment seul sur cette Planète, mon garçon… il y a toujours quelque part un personnage prêt à guider nos pas et à orienter notre voyage…

 

A la fin de sa tirade, l’un de ses pétales s’est détaché. Il est tombé sur le sol et a été emporté au loin par le vent.

-     Ohhh…, ma Fleur !

-     Ne m’interromps pas ! dit-elle, il me reste peu de temps pour te confier mon ultime conseil… regarde dans ton cœur, mon garçon ! J’y ai planté une graine que tes pas feront pousser…

Deux autres pétales se sont détachés. Et je n’ai pu davantage contenir mes larmes. Toute la tristesse de mon cœur s'est déversée. Et dans un ultime soupir, ma Fleur a ajouté :

-     … et bientôt, mon garçon, tu verras éclore une nouvelle Fleur…

 

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Son dernier pétale s’est détaché. Il a fait une pirouette devant le grand saule, s’est posé un instant sur le rocher et il a disparu, balayé par une rafale de vent, dans l’immensité du ciel. Et, ivre de chagrin, je me suis mis à pleurer.  

 

 

Porte 41 Le grand saule    

– L'ile de la conscience 

En voyant ma tristesse, le grand saule (qui ne m’avait encore jamais adressé la parole) me fit signe d’approcher.

 

-     Tu as l’air  bien désespéré, mon garçon ! Que  se  passe-t-il ?

-     Oh ! ai-je dit, il m’arrive une chose terrible, monsieur le saule ! Ma Fleur vient de me quitter !

-     Oh la la la la ! dit le saule en faisant trembler sa ramure, il ne faut pas te décourager, mon garçon ! Il est naturel que ta Fleur te quitte un jour ! Son départ fait partie du voyage ! Et ce voyage te fait grandir !

-     Oh… si vous saviez, monsieur le saule, comme ce voyage est difficile ! Et comment vais-je faire à présent sans ma Fleur ?

Le saule se mit alors à gronder d’une voix terriblement grave :

-     Que tu marches dans la boue… ou sur une grande plage de sable doux..., chaque pas oriente ta marche vers la Lumière ! Où que tu ailles, mon garçon, pourvu que tu suives la voix de ton cœur, chaque pas te rapprocha du trésor ! A présent approche-toi, mon garçon ! Vois-tu la porte dessinée sur mon tronc ?

-     Je… oui, ai-je balbutié, je… je la vois, monsieur le saule.

-     Eh bien ! Ouvre-la ! dit-il. Et tu y rencontreras mon ami le vieux chêne qui te donnera quelques conseils pour la suite du voyage.

 

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Porte 42 Le vieux chêne, l'arbre de la patience    

– La clairière de l'imaginaire 

D’une main tremblante, j’ai ouvert la porte du grand saule. Lorsqu’elle s’est refermée, je tombai, à ma grande surprise, dans une immense forêt. Jamais je n’aurais imaginé qu’un tel endroit puisse exister à l’intérieur du grand saule ! Partout flottait une odeur de terre et de feuilles séchées ! Et les arbres étaient si grands qu’ils avaient l’air de toucher le ciel ! Quelle étrange contrée ! dis-je en moi-même.

 

J’ai marché dans la forêt pendant plusieurs heures, à la fois intrigué et émerveillé par la beauté des lieux, lorsque j’ai enfin aperçu, derrière une haie de bouleaux, une vaste clairière où trônait, seul et magnifique, un arbre immense. Son tronc était si large et si long qu’il semblait occuper tout l’espace, ses racines étaient si grosses et si grandes qu’elles avaient l’air de s’enfoncer jusqu’au centre de la Planète, ses branches étaient si larges et si belles qu’elles donnaient au lieu une beauté magique ! Nul doute ! Il s’agissait là du vieux chêne ! Je m'arrêtai à ses pieds et dis d'une voix timide :

-     Bonjour monsieur l’arbre… êtes-vous le vieux chêne, l'ami du grand saule?

Le chêne a gonflé sa ramure sans me prêter la moindre attention. D'une voix un peu plus forte, j'ai répété :

-     Bonjour, monsieur le chêne !

-     Tiens ! dit le chêne en m'apercevant, un P’tit Dôm ! Que viens-tu faire dans nos vertes contrées, mon garçon ?

-     Je… je suis à la recherche du vieux chêne… je viens de la part de son ami, le grand saule.

 

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-     Ah ?!! dit le chêne intrigué, tu viens de la part du grand saule ! Comment… comment va cette vieille branche ?

-     Oh ! ai-je dit, le grand saule va très bien, monsieur le chêne !

-     Parfait ! dit le chêne, mais toi, mon garçon, tu as l'air bien triste… Que se passe-t-il ? 

J'ai baissé la tête.

-     Ahhh…, dit le chêne, ce n'est pas la tristesse qui t'aidera à avancer sur le chemin ! Il ne faut pas se laisser abattre si facilement, mon garçon ! Que puis-je faire pour toi ?

-     Eh bien…, ai-je bafouillé, le grand saule m'a dit que vous pourriez m'aider… et me donner quelques conseils… pour la suite du voyage.

-     C’est vrai ! dit le chêne en gonflant avec fierté sa ramure, je suis un vieil arbre éclairé par la lumière… et mes conseils sont très précieux….

Et sans plus attendre, le chêne se mit à pérorer d'une voix grave et solennelle.

-     Nul en ces contrées, dit-il, ne peut atteindre la Lumière sans se montrer patient et persévérant… celui qui veut avancer sur le chemin doit suivre mon exemple remarquable … 

A ces mots, le vieux chêne gonfla une nouvelle fois sa ramure.

- Il me fallut, dit-il, patienter plus de mille printemps pour atteindre la pleine Lumière… Alors que je n'étais qu'un petit gland obscur enfoui dans la terre, j'avais, des rêves de gloire et de grandeur… mais je dus patienter… et à force de patience et de persévérance, le temps fit son œuvre ! Le chemin qui mène au trésor est difficile… mais ce voyage n’en est pas moins merveilleux ! Peu importent les paysages, chaque pas façonne notre cœur et oriente notre marche vers la Lumière ! Le vent peut nous pousser tantôt à gauche, tantôt à droite ! La tempête peut briser nos branches ! La foudre peut nous fendre en deux ! La pluie peut inonder notre cœur ! Le soleil peut l'assécher ! Mais où que nous allions, mon garçon, ce voyage nous fait grandir ! Et à force de patience et de persévérance, vient le jour où tout s’éclaire !

 

Les paroles du vieux chêne étaient sages et profondes. Elles réussirent à dissiper un peu ma tristesse. Je comprenais mieux pourquoi ma Fleur m’avait quitté. C’était là une épreuve supplémentaire qu’il me fallait affronter pour grandir ! Et il me fallait à présent poursuivre le voyage sans elle ! Et à cette pensée, soudain, toute ma tristesse s’envola… et je sentis naître dans mon cœur un nouvel espoir d’avancer sur le chemin du trésor. Oui, dis-je en moi-même, le vieux chêne a raison, il faut que je m’arme de patience !

-     Oui ! dit le chêne, car la patience et la persévérance sont les sources qui étancheront ta soif sur le chemin du trésor ! Elles seront comme des pièces d’or qui t’accompagneront au cours du voyage ! Oui, mon garçon ! La patience et la persévérance seront comme des pièces d'or sur ton chemin !

-     Oui, oui ! ai-je dit, vous avez raison, monsieur le chêne… merci ! Merci mille fois pour vos sages et patients conseils ! 

Et j’ai quitté le chêne le cœur gonflé d’enthousiasme. J’ai repris le chemin du retour. J’ai retraversé la forêt aussi vite que je l’ai pu… lorsque soudain, en arrivant devant la porte du grand saule, je ne sais pourquoi, les paroles du businessman ont résonné dans ma tête. J’ignore pour quelle raison j’ai songé à cet ignoble personnage… Peut-être était-ce à cause des pièces d’or dont avait parlé le vieux chêne ? Je n'en sais rien… mais lorsque j’ai refermé la porte du grand saule, je me suis mis à penser à la richesse et au paradis dont avait parlé le businessman. J'étais étrangement persuadé qu'il me fallait à présent poursuivre le voyage dans cette direction : trouver le chemin de la richesse qui me conduirait sans doute au paradis et peut-être au trésor. Et à peine sorti du tronc du grand saule, je me suis précipité vers l'étang pour lui demander conseil.

 

 

Porte 43 Monsieur l'étang me parle du quatrième joyau    

– L'ile de la conscience 

-     Monsieur l’étang ! Monsieur l’étang ! ai-je crié (sans même prendre la peine de le saluer), je crois que j'ai trouvé un nouveau chemin pour découvrir le trésor…

-     Ah oui ? dit l’étang, et de quel chemin s'agit-il, mon garçon ?

-      Eh bien… je crois qu'il s'agit… du chemin de la richesse, monsieur l'étang ! Je crois qu'il est temps que j'emprunte ce chemin…

-     Ah oui ! dit l'étang, bien sûr ! La richesse est le quatrième joyau !

-     Vous… vous en êtes sûr, monsieur l’étang ? 

-     Parfaitement ! dit l'étang, d'ailleurs beaucoup de résidents pensent qu'il permet de trouver le trésor…

J’ai regardé l’étang avec un air de reproche.

-     Mais… mais alors pourquoi ne me l’avez-vous pas dit plus tôt, monsieur l’étang ?

-     Ahhh…, dit l’étang, je n’ai rien dit parce que chaque étape du voyage doit venir en son temps, mon garçon ! Chaque joyau doit être découvert au moment… le plus opportun. Maintenant que tu as découvert l’existence du quatrième joyau, tu peux aller voir madame La pierre ! Elle guidera tes pas sur ce chemin.

 

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Et sans plus attendre, je me suis dirigé plein d’impatience vers l’autre rive. 

 

 

Porte 44 Les conseils de madame la pierre pour trouver le quatrième joyau et mon départ pour le monde des grands dôms    

– L'ile de la conscience 

-     Bonjour madame La pierre ! Je…

-     Tiens, tiens ! dit-elle, quelle surprise ! Je ne t’attendais pas si tôt, mon garçon. Que me vaut le plaisir de cette visite ?

-     Euh… eh bien… c’est à dire que…, ai-je bafouillé, je viens vous voir pour… le quatrième joyau, madame La pierre.

-     Pour le quatrième joyau… ? a répété la pierre, tu en as donc fini avec les 3 premiers ?

-     Euh… oui, bien sûr ! ai-je dit en rougissant, je les ai trouvés, madame La pierre !

Madame La pierre n'a pas relevé mon mensonge. Elle s'est contentée de soupirer.

-     Bon, bon ! dit-elle, très bien ! Puisque tu dis avoir trouvé les 3 premiers joyaux, n’en parlons plus ! Et que veux-tu savoir exactement… à propos du 4ème joyau ?

-     Euh… eh bien…, ai-je bafouillé, j'aimerais savoir… où se trouve le chemin… qui mène au joyau de la richesse, madame La pierre.

-     Le chemin qui mène au joyau de la richesse… ? a répété la pierre, oh ! oh ! voilà un chemin très intéressant mais… le joyau de la richesse possède de nombreuses facettes, mon garçon ! Par quel genre de richesse es-tu intéressé ?

 

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-     Eh bien…, ai-je dit en pensant aux paroles du businessman, je ne sais pas… je… comment vous dire ? Je voudrais… euh… être aussi riche qu’un businessman !

-     Ah ! dit la pierre, dans ce cas, c'est très simple ! Pour découvrir cette facette de la richesse, il faut de l’argent ! Et pour avoir de l’argent, il faut travailler !

-     Travailler…, madame La pierre ?

-     Eh oui ! dit-elle, si tu veux devenir riche, il faut travailler ! Tu es bien en âge de travailler à présent, n’est-ce pas ? Tu as fait de longues études, tu as étudié à l’Université de Tous les Savoirs et à la Grande Bibliothèque, tu ne devrais donc avoir aucun mal à trouver un travail.

-     Oh oui ! ai-je dit, j’ai fait de longues études, madame La pierre ! Je connais beaucoup de choses. Je peux travailler comme géographe, comme technicien, comme banquier, comme businessman ou même comme allumeur de réverbère. Vous savez, je peux tout faire !

-     Bien ! Bien ! dit-elle, tu sais donc ce qu’il te reste à faire !

-     Euh… oui… bien sûr ! ai-je dit en baissant les yeux, enfin… non… je ne sais pas vraiment, madame La pierre ! Que… que dois-je faire exactement ?

 

La pierre m’a regardé avec lassitude.

-     Eh bien ! D’abord, dit-elle, tu devras quitter le monde des P’tits Dôms pour t’installer dans le monde des Grands Dôms. Et si tu veux trouver un travail, je te conseille d’emménager dans le quartier des Boîtes.

-     Dans le quartier des Boîtes…, madame La pierre ?

-     Oui ! dit-elle, si tu veux travailler, le mieux serait de t’installer dans le quartier des Boîtes. Voilà, mon garçon ! A présent, je crois qu’il est temps de nous quitter !

-     Vous quitter… ? Comment ça…,  madame La pierre ?

-     Eh bien, oui ! dit la pierre, le temps est venu de nous quitter, mon garçon. A présent, tu es en âge de te débrouiller seul ! Ta Fleur ne t’a donc pas prévenu…

-     Ma Fleur… ? ai-je dit, eh bien… non, madame La pierre, ma Fleur ne m’a rien dit.

-     Oh ! dit-elle, elle a sûrement dû oublier… tu devais être si désespéré lorsqu’elle t’a annoncé son départ qu’elle a certainement voulu t’épargner quelques souffrances supplémentaires… mais il est temps à présent que tu apprennes la vérité, mon garçon. Tu arrives aujourd’hui à une étape charnière du voyage ! Tu vas bientôt quitter le monde des P’tits Dôms. Et dès que tu franchiras la frontière du monde des Grands Dôms, nous autres, habitants de ton île, disparaîtrons et l’île de la Conscience deviendra une île déserte… Il te faudra poursuivre ton chemin et continuer à chercher le trésor sans nos conseils. Et surtout ne t’avise pas de revenir nous voir au cours de cette période ! Tu serais si désespéré de ne trouver personne sur ton île… Ne reviens ici que… dans quelques années… quand le voyage aura suffisamment façonné ton cœur…

J’ai regardé la pierre avec inquiétude.

-     Ne t’en fais pas ! dit-elle, c’est une étape nécessaire et obligatoire, mon garçon ! Et personne sur cette Planète ne peut échapper à ce passage ! Tous les résidents du Grand Labyrinthe doivent un jour quitter le monde des P’tits Dôms pour entrer dans celui des Grands Dôms.

 

J’ai regardé la pierre avec tristesse… puis j’ai regardé mon île avec tendresse (et avec un rien de nostalgie). Peut-être ne la reverrais-je pas avant longtemps ? Et peut-être même ne la reverrais-je jamais ? Je n’en savais rien… Mon espoir de trouver les 4 joyaux était immense, mais le voyage s’était déjà montré si imprévisible que bien des choses pouvaient arriver... J’ai remercié La pierre et je m’en suis retourné (un peu triste) dans le quartier des P’tits Dôms avec le sentiment de laisser derrière moi une grande part de mon enfance. Eh oui ! Le temps avait passé… j’avais grandi…

 

Quelques jours plus tard, je quittai définitivement le quartier des P'tits Dôms pour le monde des Grands Dôms… à la recherche du quartier de Boîtes situé quelque part sur la planète du Grand Labyrinthe.

 

 

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16 novembre 2017

Carnet n°8 Le voyage clandestin

Récit jeunesse / 2004 / Hors catégorie

On roule jour et nuit. Avec quelques haltes pour se reposer. Après plusieurs jours de route. En milieu de journée. Le soleil bat son plein. Un pick-up, surgi de nulle part, s’arrête devant nous. Une dizaine d’Hommes en descend. Deux coups de feu. Le camion s’arrête. Des cris. Des hurlements. Un début de panique. On nous intime l’ordre de descendre avec nos « bagages ». On descend une main sur la tête, une main accrochée à notre sac.

 

 

GENESE DE L’ENQUÊTE

 

Images chocs

 20 h. Journal télévisé. La noyade d’une centaine de migrants, passagers d’une barque qui a chaviré au large des côtes européennes. La panique, les corps repêchés, les rescapés agrippés à leurs planches. L’horreur filmée par les garde-côtes. J’éprouve un sentiment de honte et d’impuissance. Une colère sourde au fond des entrailles.

 

Gros titres

Au petit déjeuner. Lecture des journaux entre deux gorgées de café. Premières pages sur les barbelés de l’Europe. La forteresse assiégée par les migrants clandestins. La terre d’abondance prise d’assaut par toute la misère du monde.  

 

Reportage

Nuit d’insomnie. 4 heures du matin. J’allume la télé. Documentaire sur les clandestins et les réseaux de passeurs. Des images bouleversantes sur la misère et l’exploitation. Scotché sur mon fauteuil jusqu’au petit matin (longtemps après avoir éteint le poste). Premières réflexions personnelles sur le sujet. Et l’émergence d’un urgent besoin d’agir… 

 

Déclics

Lecture d’une enquête sur les clandestins après la fermeture d’un centre de rétention à la frontière du pays. L’errance au bord des routes. L’indifférence de la population locale. Les conditions de survie intolérables. Le besoin d’agir se fait plus prégnant. Première question : que puis-je faire ? 

 

Projet

L’idée se précise. Être un des leurs. Dans la peau d’un migrant. Avec ma plume dans mes bagages. L’idée paraît saugrenue. Et absurde à première vue. Raison de plus pour m’y atteler.

 

Mûrissement du projet

Les jours et les semaines passent. Question : comment faire ?  

 

 

PREPARATIFS

 

Préparation du voyage

J’achète et compulse toutes les revues et journaux qui traitent de la migration. Je passe plusieurs semaines sur internet. Les informations sur le sujet ne manquent pas. La question est vaste. Et complexe. Je prends une foule de notes. Itinéraires des migrants, pays d’origine, causes du départ, risques du voyage. Quelle pagaille ! L’enquête s’annonce longue. Et ardue. Je ne suis pas encore parti…  Et je crains déjà le pire… je ne suis pas sûr de revenir… 

 

Revue de presse (personnelle, générale et synthétique)

J’enchaîne la lecture des articles. Les analyses, les témoignages, les commentaires sont nombreux. J’apprends 3 ou 4 choses sur le sujet. Voici mes notes :

 

  • Nul ne part sans raison de l’endroit où il est né et a grandi. Tous les candidats au départ fuient quelque chose… Je note en vrac… la misère, la guerre, l’horizon sans avenir, un régime politique, une dictature, des risques d’emprisonnement, de torture, des menaces… ou cherchent quelque chose… un avenir meilleur, à soutenir (financièrement) leur famille, à rejoindre un mari ou une femme déjà parti(e)… sans compter parfois une longue tradition migratoire… ;

 

  • Les candidats à l’eldorado viennent d’une multitude de contrées (réparties essentiellement au sud et à l’est du globe) par de multiples modes de locomotion ; à pied, en voiture, en camion, en train, en avion, en bateau ;

 

  • 2 voies possibles pour gagner l’Europe, la terre promise : la voie légale et la voie illégale. La voie légale est longue et compliquée (obtention d’un visa comme étudiant ou touriste). Un long sentier à travers les méandres administratifs. Souvent sans issue. Ou presque… Quant à la voie illégale, elle est risquée et offre 2 chemins différents, l’obtention de faux papiers qui permet de prendre l’avion pour l’eldorado ou le voyage clandestin, long et périlleux périple à travers les continents… ;

 

  • le voyage est souvent long et dangereux. Et comporte de multiples étapes. Je note que chacun connaît la date à laquelle il part… mais ignore totalement la date d’arrivée. De quelques mois, en général à quelques années. Ou jamais pour les plus malchanceux (morts pendant la traversée ou contraints de rebrousser chemin…).

 

Quelques jours avant le départ

Je limite la préparation de mon voyage au strict nécessaire. Question d’éthique et de déontologie (personnelle). J’ai toujours fait passer ma carte d’identité humaine avant ma carte de presse. Je dois être aussi proche que possible de l’état d’esprit des migrants. Pas de passe-droits. L’enquête (comme toujours) se fera de l’intérieur et à échelle humaine. Comme reporter, mon objectif ne se porte pas à la bandoulière. Mon objectif est clair : être subjectif. Voilà pour la mise au point !

 

Equipement et baluchon

Mes bagages : un vieux sac de toile rapiécé (et rafistolé par mes soins). Coutures solides. Quelques effets personnels. Une liasse de devises et de petits carnets noirs (munis chacun d’un crayon) dissimulés dans les coutures de ma veste… Dans la glace, je vérifie la crédibilité de ma tenue. J’ai l’air d’un baroudeur pousse-mégot… l’un de ses traîne-savates qui écument les contrées miséreuses en quête de la terre promise… mon allure ressemble à celle des milliers de clandestins qui fuient la misère, la guerre ou la dictature et qui rêvent de faire fortune au soleil en de moins tristes tropiques…          

 

Je n’ai aucun plan précis en tête (ni dans mon sac). Juste partir, vivre, voir, ressentir, témoigner et donner à lire. Une expérience humaine à hauteur d’homme. Et de poussière…

 

Précision d’importance

J’achète un cirage spécial (un produit dermatologique issu des dernières technologies) qui fonce la peau. Une sorte de crème bronzante à effet immédiat et décuplé. Un mélange de plantes et de molécules de synthèse. Décapant ! Seul passeport véritablement nécessaire pour accomplir ce voyage dans l’enfer… (vers un autre enfer que certains prennent pour un paradis…) : avoir la peau noire ! Avanti !

 

 

EN ROUTE VERS LE CONTINENT DELAISSE (dans la peau d’un blanc)

 

Jour J : le départ

Sac sur l’épaule. Une dernière étreinte à Nat (Nathalie), ma compagne. Un long baiser. Un peu de tristesse au fond du cœur et l’excitation du départ. Je pars en stop. A quelques centaines de mètres de mon domicile. Direction : le cœur du continent délaissé, l’Afrique.

 

Migrant à l’envers

Un voyage cocasse aux multiples péripéties et anecdotes anodines. Un voyage de plaisance avant la grande Traversée. Modes de transport divers : voitures, camions, camionnettes, fourgonnettes, vélomoteur, bateau, à pied. Quelques rencontres sympathiques. 2 ou 3 frayeurs sans gravité. La routine du voyageur occidental. Mi-baroudeur, mi-touriste. J’ai sans doute l’air d’un routard endimanché. Qu’importe ! Au fil des jours, je reprends goût aux bienfaits de la route. Sur le sol africain, je m’acclimate à l’air des pistes poussiéreuses. 

 

Tourisme

Je poursuis ma route. A pied. En train. En camion. Passages de frontières. Pays après pays. Jusqu’au cœur du continent. Jusqu’à mon point de départ. 

 

Inquiétude à la frontière

Les dernières autorités douanières regardent mon visa avec circonspection. Mon passeport est en règle. Ils m’interrogent sur le but de mon séjour. Tourisme spécial. Une réponse comme une autre. Ils n’insistent pas et me laissent passer (malgré leur perplexité).

 

Séjour à l’occidental

Quelques jours dans un hôtel du centre-ville. Un hôtel bon marché. Histoire de m’acclimater. De très rares occidentaux dans les rues. Depuis la dernière tentative de coup d’état dans le pays voisin, cette région est désertée par les touristes. Et le climat de terreur qui règne dans la contrée décourage les plus téméraires. Quelques repérages sur la grande place du marché à proximité de la « gare routière ». 

 

Dernière soirée à l’occidental

Dernier jour à l’hôtel. Je dors toute la journée. Le soir, je règle ma note. Et informe le taulier de mon départ. Je prends un dernier verre au bar. Je m’installe à la terrasse et contemple une dernière fois de mes yeux d’occidental la beauté des paysages du continent noir. Vers 22 heures, je monte dans ma chambre pour les derniers préparatifs.

 

Derniers préparatifs

Ultimes transformations en cette nuit de départ. Enfermé dans ma chambre d’hôtel. Nu devant la glace, je presse sur mon tube miracle (le fameux cirage dermatologique à effet longue durée). Une pâte visqueuse en sort. Je l’étale sur chaque parcelle de ma peau. La transformation est stupéfiante. Mes cheveux subissent un sort identique. Avec un onguent capillaire. Eux d’ordinaire bouclés (naturellement bouclés) se frisottent en quelques minutes. Je jette un œil mi inquiet-mi rigolard dans la glace. En voyant mon reflet, j’éclate de rire. Je ne me reconnais pas. Le résultat, peau très brune (un noir assez pâle) et une tignasse frisée à la Kadhafi. Un désopilant mélange de noir africain et de maghrébin. Un métissage tout à fait crédible. Et à mon goût. Une apparence somme toute convaincante. Je me félicite d’un grand sourire. Le voyage dans la peau d’un noir en terre noire commence dans la bonne humeur. Et la joie d’en découdre. Je ne serai pas déçu…   

 

 

IMMERSION : INTEGRATION DANS UN GROUPE DE MIGRANTS (dans la peau d’un noir)

 

Première rencontre

Sur une piste à l’orée de la nuit, j’aperçois derrière la « gare routière » un groupe d’hommes qui marchent en silence. L’allure est rapide. Je me joins à eux. Les regards me toisent avec suspicion. Il est vrai que je n’appartiens à aucune communauté de la région. Et mon allure d’étranger (aux origines ethniques mystérieuses) est source de curiosité. Elle n’inspire guère confiance. Je leur emboîte (néanmoins) le pas. Cadence rythmée jusqu’à la sortie de la ville.  

 

Premiers mots de confiance

Je prononce mes premiers mots (avec un très léger accent africain… pour une plus grande - et sans doute risible - crédibilité) à un jeune homme qui marche à mes côtés. Nous fermons tous les deux la marche.

 

Son sourire et ses petites lunettes rondes me mettent en confiance. Il me répond courtoisement et dans ma langue (langue officielle de son pays d’origine). Et quasiment sans accent (du moins sans l’accent que les occidentaux prêtent traditionnellement aux habitants de ce continent). Et m’invite, d’un aimable sourire (où je ne sens poindre nulle ironie ni agressivité) à poursuivre notre marche en silence. Mon intégration dans le groupe est (tacitement) acceptée. Quelques mots. Et déjà des milliers de pas.

 

Premières confidences

Première pause au milieu de la nuit. Mon compagnon de marche, le jeune homme aux petites lunettes rondes, me propose une tasse. Je la saisis avec gratitude. Il se présente succinctement (et sans détour). Il s’appelle Demba et vient de la région sud du pays voisin. Je l’interroge discrètement. Il a débuté son voyage depuis quelques semaines. Nos premiers échanges s’arrêtent là. Nous sommes contraints de reprendre la route. L’un des marcheurs a repéré une patrouille qui circule à proximité. On remballe nos maigres affaires et on court se réfugier à l’abri derrière les maigres talus qui bordent la piste. Hors des regards soupçonneux des autochtones et des autorités locales. Quelques instants plus tard, on reprend notre marche.

 

Nuit sous le soleil

Bivouac à proximité de la piste. A l’abri de quelques bosquets. On installe nos sacs dans des paysages grandioses. Grandioses pour les touristes, hostiles pour les migrants. Question de point de vue ! Feu de camp pour réchauffer les restes de la tambouille dans les boîtes de conserve qui nous servent d’assiettes. Après cette longue nuit (10 heures de marche ! 40 kilomètres parcourus !), on est exténué. Le maigre repas nous laisse affamés. Vu la taille des portions, difficile d’être repu ! On s’endort le ventre à moitié vide sous une chaleur accablante. Et une luminosité aveuglante.

 

 

A MARCHE FORCEE : LA FUITE DES ZONES DE GUERRE CIVILE

 

Un peu de chaleur humaine sous les tropiques

La nuit tombe sur le bivouac de fortune. Demba me tend son jerrican. Il fait une chaleur étouffante. Dernier réconfort avant de reprendre notre marche. Nous levons le camp discrètement. Sans tambour, ni trompette, nous poursuivons notre traversée de la région.

 

Présence féminine : un courage à toutes épreuves

Dans le groupe, 3 jeunes femmes discrètes (que l’on remarque à peine). Elles connaissent le sort réservé aux femmes pendant le voyage. Elles ont rejoint la frontière à pied avec un autre groupe. Contraintes de marcher la nuit, hors des pistes pour échapper aux groupes armées, aux militaires et aux mercenaires qui peuplent la contrée. 25 jours de marche. Enfin 25 nuits de marche. Obligées de se terrer dans la brousse, cachées derrière des broussailles dès les premières heures du jour. Et jusqu’à la nuit naissante. Une traversée éprouvante pour les corps, le moral et les nerfs ! Sans compter la douleur de quitter les siens…

 

A bâton rompu

2 semaines de marche nocturne non-stop sur une mauvaise piste. 3 frontières régionales franchies sans difficulté. On s’éloigne des zones de combats. Arrêt aux heures les plus chaudes. A l’abri des regards. Peu de contact avec les populations locales. Trop dangereux ! Peu d’échanges avec mes compagnons de route. Trop fatigant ! Ravitaillement régulier pour l’eau et l’alimentation. On marche jusqu’à l’épuisement.

 

Confidences de Demba

Demba me confie, lors d’une courte halte, les circonstances de son départ : la guerre civile qui menace dans la partie sud de son pays. Je l’écoute ahuri. L’Occident, comme souvent, étouffe les cris des massacres et l’agonie des peuples en des terres jugées sans intérêt économiques ou aux retombées d’image insuffisantes pour la défense des droits de l’Homme. L’information est distillée au compte-goutte. Les journalistes qui écument le pays sont rares. Et peu relayés par la presse nationale. Seuls quelques reporters (dignes de ce nom), « spécialistes » de la région sont au courant des exactions qui dévastent la zone.  

 

Nuitées sans étoiles

3ème semaine de marche. On s’arrête aux premières heures de la matinée. Le soleil tape déjà fort. On s’allonge à l’ombre d’un bosquet. Comme tous les matins (depuis plus de 20 jours), j’enlève mes godillots, les pose à proximité de mon sac (qui me sert accessoirement d’oreiller) et tente de m’endormir. Je ferme les yeux. Depuis quelques jours, je songe à Nat. A ma vie sur l’autre continent. De l’autre côté de la mer. Vie plutôt confortable au cœur de la terre promise. Malgré la bienveillance de Demba, la solitude et l’éloignement me pèsent. On ne s’improvise pas migrant. On le devient malgré soi. Par nécessité vitale. Quelle mouche m’a piqué de partir, de tout laisser tomber pour cette enquête ? Quelle maladie me ronge pour abandonner périodiquement le confort et la tranquillité ? Est-ce une fuite ? Une quête ? Pourquoi ai-je (toujours) besoin de partir ? Je l’ignore. Je m’endors dans l’ignorance. Dans l’incertitude de la réponse… comme d’habitude… Qu’importe !  A présent, je suis là… parmi mes nouveaux compagnons de vie… en pleine migration errante… A pied pour fuir une guerre qui n’est pas la mienne…

 

Confidences (suite)

Après 3 semaines de compagnonnage, Demba me paraît un type digne de confiance. Ce matin, au bivouac après nos 35 kilomètres de marche nocturne, je lui avoue ma véritable identité. Et le but de mon voyage. Il reste silencieux. Je le vois sourire (mi-ironique mi-admiratif). Quelques jours plus tard, il me confiera l’habilité de ma supercherie. Selon lui, mon allure peut aisément tromper les douaniers, les autorités, les passeurs et tous ceux qui ne se fieraient qu’aux apparences (à mon apparence) et ne me côtoieraient pas suffisamment longtemps pour déceler mes mystérieuses origines.

 

Marche prolongée

A quelques jours de la frontière du pays. Nous sommes pressés d’arriver. La marche se prolonge (à présent) en matinée. Jusqu’aux heures les plus chaudes. Insupportable !    

 

Rencontre inopinée

Un peu avant la frontière. Vers 11 heures du matin. Nous faisons halte. Alors que nous installons sommairement (comme à notre habitude) notre bivouac de fortune, un car s’arrête à notre hauteur. Un groupe de touristes occidentaux en goguette. Derrière la vitre, ils nous saluent d’un geste (ou d’un sourire), prennent quelques photos et repartent. Fin de la visite du zoo. Nuage de poussière au démarrage. Sur la vitre arrière du minibus, je remarque le sigle de l’air climatisé. Je les maudis. Tous ces touristes qui prennent ces contrées miséreuses pour un territoire de dépaysement. Touristes de masse qui déferlent en troupeaux pour explorer les paysages au pas de charge, au frais derrière leur vitre. Voyage d’agrément exotique pendant que d’autres crèvent sous le soleil.

 

Dernière étape à pied

Après plusieurs semaines de marche, on franchit (enfin) la frontière. Sans difficulté. A l’aube. Direction : la dernière grande ville avant l’immense désert qui nous sépare du pays où l’on quitte le continent en pirogue. Sur cette étendue de pierre et de sable, la traversée à pied est impossible. Derniers kilomètres. Sans encombre. Au loin, la silhouette des premières habitations de la grande ville. 

 

 

LOCOMOTION MECANIQUE : LES DANGERS DE LA ROUTE

 

Entassement urbain

Halte au centre de la grande ville. Campement de fortune aux portes de l’agglomération. Dans une sorte de bidonville monstrueux. A peine toléré par les autorités. Une verrue infâme dans une agglomération déjà hideuse et dévastée…! Pourquoi les Hommes s’agglutinent-ils dans ces monstrueuses mégalopoles ?!! Ils y gagnent sans doute en potentialité d’emploi (et de consommation) mais la plupart semblent y perdre leur âme, leur chaleur et leur (vraie) richesse...

 

Locomotion mécanique

On ne s’éternise pas. En deux jours, on déniche un camion. Et un chauffeur. Aucune négociation possible. Les prix sont fixés par le convoyeur. Notre groupe se joint à d’autres déjà entassés sur la plate-forme derrière la cabine. Le soir, le camion démarre chargé de ses grappes d’hommes et de bagages. Un spectacle inimaginable pour un occidental ! En comparaison, le métro aux heures de pointe pendant un jour de grève dans l’une des capitales du continent européen aurait des allures de mode de transport agréable et oxygénant… Voilà qui est peu dire… un entassement invraisemblable. Et infernal ! 

 

Transport collectif

A l’arrière du camion. On est serré comme des harengs. Entassés les uns sur les autres sur des monceaux de bagages, de vieilles couvertures et des toiles de jute crasseuses. Des pieds contre les visages, des coudes dans les côtes. Des genoux dans le dos. Perchés sur cet énorme camion qui se traîne sur une piste cabossée ! Secoués comme du linge sale dans une machine à laver ! 

 

Hygiène et peau sèche

Pour ma part - question nettoyage - je rêve d’une douche. Une douche (toute bête) avec du savon et un peu d’eau chaude. On ne s’est pas lavé depuis 4 semaines. Impossible à cette saison dans ce coin du monde de trouver assez d’eau ! On en a à peine pour boire ! Se brosser les dents tient parfois du miracle ! En ces circonstances, les gestes quotidiens que nous effectuons en Occident (le plus souvent) avec automatisme et routine, prennent ici des allures de grand luxe !

 

Sur la route

Après 60 kilomètres sur une mauvaise piste, le chauffeur s’arrête. Crevaison. 2 heures pour changer la roue. On repart. 40 kilomètres plus loin, nouvelle crevaison. Nouveau changement de roue. On reprend la route. Le lendemain, après quelques kilomètres, rebelote. Le chauffeur nous informe (avec le sourire) qu’il n’y a plus de roue de secours. Il envoie un jeune homme avec les deux pneus crevés sur la route de la grande ville. Il revient en début de soirée (6 heures plus tard). On arrive au poste frontière dans la nuit. Il est 3 heures du matin. 

 

Attaque de pillards

Poursuite de notre traversée en camion. On roule jour et nuit. Avec quelques haltes pour se reposer. Après plusieurs jours de route. En milieu de journée. Le soleil bat son plein. Un pick-up, surgi de nulle part, s’arrête devant nous. Une dizaine d’Hommes en descend. Deux coups de feu. Le camion s’arrête. Des cris. Des hurlements. Un début de panique. On nous intime l’ordre de descendre avec nos « bagages ». On descend une main sur la tête, une main accrochée à notre sac. La bande de pilleurs, armés de fusils et de pistolets mitrailleurs, a flairé le bon filon. On nous aligne. La fouille commence. Les plus malins suivent les conseils de Demba. Ils enfouissent une partie de leurs billets dans le sable. J’ai à peine le temps de planquer les miens. Un des pillards me toise d’un air patibulaire. Il renverse le contenu de mon sac, fouille dans les poches de ma veste et me questionne d’un œil qui en dit long sur la considération qu’il nous porte… en concluant sa fouille d’un crachat qui me dégouline le long du visage. Je m’en tire, si j’ose dire, à bon compte !

 

Le sort des femmes : un destin tragique

Après la fouille, deux jeunes femmes du groupe sont emmenées derrière les dunes. Maintenues par trois hommes en arme, leur sort est scellé. Quelques minutes plus tard, elles reviennent vers nous en larmes. Et les haillons déchirés. Dans leurs yeux, une dignité sans faille ! La plus haute des vertus ! A cet instant, je songe à une phrase de l’Evangile : pardonne-leur… ils ne savent pas ce qu’ils font !  Mais en pareilles circonstances, la grandeur d’âme est (sans doute) impuissante à sauver les hommes. Quant à moi, si j’avais pu les dissuader, je l’aurais fait… mais nous étions assis par terre, tenus en joue par une demi-douzaine de brigands sans foi ni loi, prêts aux pires exactions. Et la peau d’un homme, croyez-le, ne semblait pas valoir chère dans la région ! En comparaison, les quartiers chauds des banlieues occidentales font figure de paradis sécuritaire ! Ici les coupe-gorges méritent vraiment leur nom !

 

Bakchich, le pain des autorités

Nouveau passage de frontière. Au check-point, un « uniforme* » (* un représentant de l’autorité douanière) arrête le camion, nous fait descendre, fouille les bagages (avec indolence). Le chauffeur lui tend quelques billets. Le zèle se relâche aussitôt. On remonte avec nos bagages. Le camion redémarre. On franchit la barrière. Encore quelques centaines de kilomètres avant la destination finale : une des villes côtières du continent.

 

Un peu de chaleur dans le désert

La nuit tombe sur le bivouac de fortune. Demba me tend une tasse de thé brûlant. Il fait froid la nuit sous ces tristes tropiques, mais certains hommes vous réchauffent le cœur ! Demba est de cette race d’homme droit, honnête et généreux ! Une espèce en voie de disparition sur le vieux continent ! Et un peu partout sur cette planète où la chaleur, on ne la trouve plus guère que dans les bagnoles, les fours à micro-ondes et les canalisations de chauffage central. Et pour le reste ! On remonte sur le camion. Et on reprend la route.

 

Nouvelle recherche

Arrivée dans la grande ville de l’avant dernier pays, membre de la zone de libre-échange de cette région. Les groupes se dispersent. Le passage de la prochaine frontière sera clandestin. Demba et 2 de ses compatriotes - Seïssa et Mehta, originaires de la même région et qui ont effectué la plus grande partie de la traversée avec lui - dénichent un vieux minibus déglingué. Et un passeur. Chacun y va de sa poche. La zone est étroitement surveillée. Les contrôles sont fréquents. Et la réputation des autorités inflexible. 

 

Entourloupe d’un exploite-misères

Le soir, le chauffeur-convoyeur n’est pas au rendez-vous. Arnaque en règle. Victimes d’escroqueries comme tant d’autres dans la contrée. Nouvelle attente. Recherche d’un nouveau véhicule. Et d’un nouveau passeur. Tous les passeurs organisent leur trafic au su et au vu des autorités. Les rôles sont distribués. A chacun sa place. La nôtre est d’attendre. D’être livrés au destin que manipulent les exploite-misères !

 

Nouvelle recherche (suite)

On déniche un nouveau chauffeur, propriétaire d’une antique fourgonnette. Demba me lance un œil méfiant. Nouvelle transaction sans négociation. Le passeur nous fait grimper à l’arrière avec rudesse. 15 passagers entassés sous quelques bâches. On démarre. Au cours du trajet, le passeur nous rudoie à la moindre occasion. Il nous frappe avec un bâton (pour nous intimer l’ordre de faire silence) en scrutant l’horizon avec anxiété. Son regard trahit sa peur. La sueur perle sur son front. Il ne cesse de jeter un œil anxieux à son rétroviseur (et un autre à la ronde) pour vérifier qu’aucune voiture ne le suit. Son business est risqué. Il a peur mais nous autres, on est terrorisé. Il risque quelques années de prison, nous notre peau et notre honneur* devant les nôtres (notre famille).  

* le retour au pays, honteux et les mains vides, incapables de rembourser la somme nécessaire pour le voyage, souvent prêtée par la famille et les amis. 

 

Amère surprise

La vieille fourgonnette se traîne. Le trajet s’éternise. Un sifflet dans la nuit. La fourgonnette ralentit. Sous la bâche, le silence absolu. Le souffle court, on attend. Le convoyeur stoppe son véhicule. Des flics surgissent et braquent leur lampe-torche sur nous. Le rai de lumière balaye l’arrière de la fourgonnette. Sous nos bâches, on n’en mène pas large ! J’ai peur. On a tous très peur. Je sens les tremblements des deux compagnons de route collés contre moi. Un tremblement incontrôlable. Dehors, le chauffeur tente de faire diversion. L’un des flics se met à rire et ordonne à deux de ses collègues de monter à l’arrière. Le chauffeur ouvre les portes. Nous sommes terrorisés. On descend un à un. Les flics nous alignent derrière leur jeep. On est sommé de vider notre sac. On s’exécute sans résistance. Les flics prennent leur temps. Ils blaguent avec le convoyeur. Le « bougre » nous a (sûrement) doublés…

 

Précisions : la contrée des arnaques à la chaîne

Quelques passeurs dans la région sont de mèche avec la police. Ils empochent le prix du passage et préviennent les autorités du jour de la « livraison ». Ici comme ailleurs (sur le continent), la « cargaison » de migrants est rentable. Une affaire en or pour les passeurs occasionnels. Une façon peu risquée d’arrondir rondement ses fins de mois… pourvu que l’on soit de mèche avec les autorités…

 

Crier au loup

Chaque homme en défendant sa peau est un exploiteur qui s’ignore… dure loi de la jungle… le monde est peuplé de bêtes féroces… et les agneaux pour survivre n’ont d’autres choix que d’affûter leurs dents pour se transformer en loup. Hobbes* ici est à chaque coin de rue ! Derrière le premier buisson… la première ornière… la première dune… partout…

* célèbre citation du philosophe : « L’homme est loup pour l’Homme. »

 

Nouvelle attente

On patiente jusqu’à l’aube sous le regard indifférent de deux flics, fusil en bandoulière. Les autres flics passent la nuit dans leur véhicule. Vers 5h du matin, un camion bâché déboule. On nous fait monter sans ménagement à l’arrière. Le camion démarre et rebrousse chemin. Direction : la grande ville quittée la veille. 

 

Garde à vue

Les flics nous débarquent dans l’enceinte d’une garnison militaire. On nous enferme dans une grande salle. On menotte les plus récalcitrants. Les « fortes têtes » sont attachés deux par deux. Demba et Seïssa s’assoient dans un coin. Je les imite aussitôt. Au cours de la matinée, d’autres groupes nous rejoignent sur les dalles de ciment poussiéreuses. La chaleur est étouffante. L’unique fenêtre est fermée. Protégée par une grille. Impossible de l’ouvrir. Pas d’eau, pas d’aération. Quelques seaux pour soulager ses besoins. On patiente là pendant deux jours. On entend les pas du flic en faction dans le couloir. Et le rire de ses collègues abrités dans une petite guérite au centre de la cour de la gendarmerie. 2 jours à patienter.

 

Courte oxygénation

En fin de soirée, la porte s’ouvre enfin. On respire. On va se désaltérer au seul point d’eau de la cour. La récréation sera de courte durée. On nous fait traverser l’enceinte de la garnison jusqu’aux bus qui nous attendent sur la place. 4 vieux bus aux moteurs fatigués. Demba lance à ses compagnons un regard rassurant. Il connaît la destination. Certains la devinent. La plupart l’ignore. Je suis de ceux-là.

 

Abandon de la cargaison : le désert des sentiments

Après 6 heures de route sur une mauvaise piste. Il est 2 heures du matin. Les 4 bus s’arrêtent. Les chauffeurs coupent le moteur. Les flics nous font descendre et remontent aussitôt. Et les bus redémarrent. Sans leur cargaison. L’opération dure à peine ¼ d’heure. Débarqués en plein désert. Sans eau. Sans nourriture. On n’a rien avalé depuis 3 jours. Les regards sont fiévreux. Dans les têtes, la terre promise s’éloigne… Nuit noire. Dans le ciel, quelques étoiles. On entend au loin le moteur du funèbre convoi qui s’éloigne. Chacun s’assoit exténué sur le sable froid. Ceinturés par les dunes, nous faisons grise mine. Chacun reprend des forces. Cherche du courage. Chacun à sa façon.

 

Réactions

Je hurle (à cet instant, croyez-moi, on a envie de crier sa rage !) Je crie… et je suis le seul à crier. Mes compagnons ont des réactions moins virulentes (et moins stupides). Ils rassemblent leurs forces avant de repartir à l’assaut de la frontière. Malgré leur silence (ponctué par quelques soupirs d’accablement), j’entends leur rage ravalée derrière leur sourire (et leurs dents blanches serrées).

 

Courage

Après quelques instants, Demba et quelques autres se lèvent. Invitent leurs compagnons à les imiter. A reprendre la marche. Question de survie. On franchit les premières dunes.

 

Aparté

Comment ne pas éprouver d’admiration à l’égard de mes compagnons… je ne supporte pas la moitié de ce qu’ils endurent… conditions précaires du voyage, dureté du monde environnant sans compter l’attitude méprisante des hommes sédentaires qui ne manquent aucune occasion de tirer profit de leur vulnérabilité… chapeaux-bas, messieurs les migrants !

 

Epuisement

Après plusieurs heures, on aperçoit au loin une lumière. Un espoir. Un village isolé dans le désert. Certains compagnons sont à bout de force. Ils se laissent choir sur le sol. On s’arrête, tente de les relever. On les encourage à poursuivre. En vain. Ils sont au bord de l’agonie. La mort au bout du voyage. Mort de soif et d’épuisement. On ne peut s’attarder. Ni les porter. Chacun puise le peu d’énergie qui lui reste. Chacun a à peine la force de sauver sa peau. Plusieurs mourront pendant ces 2 jours de marche forcée à travers le désert.

 

Epreuves

La faim. La soif. La fatigue. Un besoin de manger, de boire et de dormir indescriptible ! A en crever ! On est tous affamé, assoiffé, épuisé. Au bord de la rupture. Eux ont (presque) l’habitude, moi pas. Ca fait une sacrée différence. Ma traversée est une tentative de rapprochement. Eprouver la soif, la faim et le froid marque un homme dans sa chair. Ces épreuves rendent humble… une leçon de vie cruelle qui marque à jamais…

 

Crise de nerfs

A quelques dizaines de kilomètres du village. Mamadou, l’un de nos compagnons de route (depuis le début du voyage), est au bord de la crise de nerfs ! Il balance son sac, frappe le sol à coups de poing, gueule au vent des injures incompréhensibles, se tape la tête par terre. On s’arrête tous, interloqué. Seïssa s’assoit à ses côtés, lui parle avec calme. Rien n’y fait ! Il doit le saisir par les épaules. Mamadou finit par se calmer. Il pleure en silence. De grosses larmes de colère et d’amertume ! Ce voyage est une épreuve terrifiante pour les nerfs ! Quand on est assis tranquillement de l’autre côté de la frontière sous un toit douillet, on n’a pas idée de ce que peut ressentir et endurer un gars qui laisse tout derrière lui et qui traîne la savate pendant des mois (parfois des années) en luttant à chaque instant contre les éléments, la solitude, la tristesse, les flics, les dangers de la route… qui doit sans cesse se battre contre le monde entier et la tentation de tout laisser tomber.

 

Note personnelle

Une comparaison me vient à l’esprit. Elle est (sûrement) déplacée... Tant pis ! Le voyage des migrants s’apparente à un parcours pour athlètes de haut niveau. Endurants à l’épreuve et au moral d’acier ! L’espoir de la terre promise forme des myriades de compétiteurs hors pair !

 

Oasis villageois

Après une journée de marche, on arrive enfin au village. Les villageois nous offrent à boire et à manger. On nous offre l’hospitalité. Un peu d’humanité. Les sourires reviennent sur les visages. Malgré la fatigue, la flamme dans les yeux renaît. On s’embrasse. On remercie Dieu, le hasard, la providence, les villageois. La générosité de nos hôtes. On vient d’échapper à la mort. Petite pensée pour nos compagnons qui n’ont pas eu cette chance. Demba est heureux. Mais son regard est triste. Je devine ses pensées. Il songe à nos compagnons morts en chemin et laissés sur la piste. Une tragédie humaine sans pareille. Je lui jette un regard navré. Il ferme les yeux. Et psalmodie. Après le désert des sentiments et la vallée des larmes, le temps de la prière…  

 

Alliance en terre hostile

La traversée des épreuves et la proximité de la mort renforcent mes liens avec Demba. Mon compagnon au sourire innocent devient (véritablement) mon frère à la peau noire. Le lendemain, nous scellons un pacte. Je lui promets de le suivre tout au long de son itinéraire. Jusqu’à la fin du voyage.

 

Retour à la case départ

Après négociation, l’un des villageois nous emmène dans son vieux break. 10 passagers à bord. Après plusieurs heures de route, retour dans la grande ville de l’avant dernier pays de la zone de libre-échange.

 

Derniers pas sur le continent

Le soir même, on déniche un nouveau camion pour passer la dernière frontière. Début de trajet sans incident majeur. Une seule crevaison. Au poste frontière, en pleine nuit, je suis pris de panique (une peur totalement incontrôlable sans doute liée à notre dernière mésaventure). Je me lève d’un bond en tendant une liasse de billets. Une réaction absurde et instinctive. Puérile et totalement irréfléchie. L’un des douaniers braque sa lampe sur moi. Je ne vois rien. Je suis totalement aveuglé. Il m’interpelle. Il me prend (sûrement) pour l’un des passeurs. J’agite idiotement la liasse de billets. Je dois avoir l’air d’un abruti. Le flic m’arrache les billets en rigolant et ordonne au chauffeur de refermer les portes. Il nous laisse passer. La voie est libre. Nous reprenons la route. Nous franchissons la frontière. Plusieurs centaines de kilomètres plus loin, le chauffeur stoppe son camion et nous fait descendre.

 

Au bout du continent

Devant nous, la mer (enfin) ! L’horizon bleu comme un léger voile devant la fenêtre de l’espoir ! On a le souffle coupé. Après cette éprouvante traversée, je sens chez mes compagnons un regain d’espérance.

 

 

AU BOUT DU CONTINENT

 

Dans la ville côtière

On saute du camion. Les groupes se dispersent. Demba et ses compagnons se dirigent vers la partie ouest de la ville. Direction : le port. Dans la rue, nous croisons des centaines (peut-être des milliers) de partants, tous échoués dans cette ville côtière du bout du continent, point ultime avant la grande traversée (la traversée de la mer)… dernière ligne droite du voyage… On rejoint la longue troupe des porteurs d’espoir.

 

Rencontres inopinées

Au détour d’une ruelle crasseuse où s’affairent nonchalamment des hères en guenilles, Seïssa reconnaît Fatou, un habitant de son village, assis sur un parapet qui surplombe l’océan. Les regards gênés laissent très vite place aux sourires, aux embrassades et aux joies des retrouvailles. Fatou nous explique qu’il vit ici depuis 3 ans et qu’il subsiste en attendant la traversée grâce à un travail déniché sur le port (quelques temps après son arrivée). Payé une misère, il survit tant bien que mal. Coincé sur ce coin de terre, entre le pays qu’il fuit et le pays où il rêve d’aller, l’espoir est mince…

 

J’apprends effaré que certains migrants vivent ici depuis des années. Passagers immobiles à bout de souffle figés en ce lieu pour l’éternité ! Trop honteux de retourner chez eux bredouilles, d’affronter le regard réprobateur de la famille ou du clan et pas assez riches, téméraires ou assez fous pour trouver la force ou l’opportunité de gagner la sainte terre d’Europe !

 

Au fil de la conversation, Fatou nous apprend que Bouba, le cousin de Demba, vit ici depuis quelques mois. En attente, lui aussi, pour l’eldorado… Il nous explique qu’il « loge » aux portes de la ville, dans l’un des bidons-villes communautaires qui entourent l’agglomération. Après mille anecdotes ponctuées de grands éclats de rire, nous quittons notre hôte en fin de journée et suivons un petit groupe chargé de nous conduire vers Bouba (le cousin de Demba). Direction : le camp de réfugiés.  

 

Camp de réfugiés

Après ¾ heure de marche, on arrive sur une immense zone où s’étale le camp. Une étrange monstruosité (à la sordide réputation qui saute aux yeux). Nous sommes à 5 kilomètres de la côte. Des milliers de cabanons installés sommairement avec quelques planches, des bouts de taules, des bâches. Des milliers d’abris de fortune sillonnés par un labyrinthe d’allées poussiéreuses. Parcourues jour et nuit par les réfugiés qui se déplacent en petit groupe. Je jette un œil inquiet à Demba. Il me rassure d’une bourrade sur l’épaule. Son air grave ne me dit cependant rien qui vaille.

 

Camp de réfugiés (suite)

Malgré l’inextricable fouillis, le camp est organisé en quartier (plus ou moins communautaire). On s’enfonce dans le labyrinthe. A l’entrée de « notre quartier* » (*ceux où habitent les compatriotes de Demba), le petit groupe qui nous accompagne nous abandonne. On poursuit seul, Demba, Seissa, Mehta et moi. Malgré les indications, on finit par se perdre. La nuit va bientôt tomber. La réputation de coupe-gorges du camp prend des allures réelles (et inquiétantes). Viols, rackets, trafics en tous genres contrôlés par les maffias locales. L’atmosphère devient (franchement) délétère. Ici et là, de petits groupes commencent à se former. On les voit prendre place aux carrefours et autres lieux stratégiques. Sans doute pour afficher leur présence et contrôler leur zone… On décide d’abandonner. On tente de retrouver tant bien que mal la sortie du camp. On y parvient sans avarie. Mais non sans crainte. La soirée est déjà avancée lorsque nous quittons le camp.     

 

Buba

Le lendemain, nous trouvons (enfin) Bouba, le cousin de Demba. Allongé sur un matelas, devant « son » cabanon - quelques planches maintenues par des clous et recouvertes de tôles et de vieilles bâches déchirées - qu’il occupe avec 5 compatriotes. Les locataires de la cahute nous font un peu de place. On va chercher de vieilles couvertures dans une arrière-cour jonchée d’ordures. Et on s’installe. Voilà pour le décor de notre nouveau foyer.

 

Informations portuaires

Bouba nous donne quelques informations capitales sur la traversée en pirogue : le prix et les difficultés pour trouver des passeurs dignes de confiance. Nous décidons de ne pas nous précipiter… Nous faisons « le tour de la ville » pour glaner des infos complémentaires. En passant devant le palais du gouverneur qui jouxte la place présidentielle (à deux pas de l’ambassade d’un coin de la terre promise), Bouba crache avec mépris sur le trottoir. Un énorme concentré de salive (et de rancœur) s’écrase sur l’asphalte poussiéreux.

 

Ambiance surchauffée

Le soir, au coin du feu, Bouba parle du pays de ses ancêtres. Il maudit les hommes politiques du continent. Corrompus jusqu’au sang qui ont installé et entretiennent un système de privilèges (hérité, selon lui, des colonisateurs). Seules les élites (évidemment) en bénéficient… Demba toise son cousin en silence. Le lendemain, il me dira (en aparté) qu’il n’approuve pas le discours simpliste de Buba qui révèle néanmoins une incontestable vérité.

 

Confidence sur demba

J’apprendrais, quelques jours plus tard, par l’intermédiaire de Metha, que Demba (avant de partir en exil) était prof d’histoire et de philo. Et l’un des plus farouches opposants politiques du régime de son pays. Après les exactions des militaires sur la population proche des rebelles, Demba qui refusait la violence de ses partisans a été contraint de fuir. Pourchassé par les fidèles du régime, banni et rejeté par les siens, aucune autre alternative ne s’offrait à lui : la fuite comme seule issue. Et le long voyage pour la terre promise. Toutes les ambassades étrangères lui ont refusé le statut de réfugié politique. L’exil comme seul chemin… pour tenter de construire l’avenir… un soir, Demba me confiera (entre deux longs silences énigmatiques) son désir de revenir un jour au pays pour impulser une nouvelle politique…

 

Notes personnelles sur mon ami

Mes discussions avec Demba (depuis le début du voyage) ont été peu nombreuses. Mais je n’ai (bien sûr) jamais été dupe… Son statut de migrant et son apparente misère matérielle dissimulaient mal ses connaissances, sa culture et sa richesse. Une immense richesse (intellectuelle sans doute)… mais surtout humaine que Demba n’a jamais cessé, au fil de notre long compagnonnage, de partager, distribuant à tous ses pépites de sagesse et d’humanité…

 

Tensions communautaires

Après quelques jours de cohabitation (et d’infernale promiscuité), l’atmosphère dans le cabanon devient irrespirable. Des querelles incessantes liées à de vieilles rancunes villageoises et familiales empoisonnent les relations entre Buba et Demba. Et une suspicion de vol aggrave le malaise. Les pécules de Seissa et de Mehta ont disparu. Evidemment, nul coupable. Et nul témoin. Chacun clame son innocence. Le lendemain, on réunit nos maigres affaires et on débarrasse le plancher, laissant nos hôtes (à la probité douteuse) à leurs querelles. 

 

Halte forcée

Sans argent, Seïssa et Mehta ne peuvent payer les passeurs. Et poursuivre leur périple. Ils sont contraints de rester dans cette ville-frontière. La traversée en pirogue est donc ajournée… Demba décide de rester pour les aider. Je suis donc contraint à la patience. Je les quitte quelques semaines pour « souffler » à l’hôtel. J’ai honte… il est vrai que j’ai quelques affaires à régler (en particulier deux articles à terminer). Mais je profite aussi de mon séjour (je dois bien l’avouer) pour me reposer et reprendre quelques forces après cette longue et éprouvante période.

 

Débrouilles

Demba déniche un travail de formateur mal payé dans une boîte privée. Exploité, Demba, comme à son habitude, n’en demeure pas moins digne et honnête. A la sueur de son front plutôt qu’à la sueur ou au sang de celui des autres ! Brave Demba en ces farouches contrées ! Seissa et Metha vendent leurs bras comme manutentionnaires sur le port. Et se livrent aussi à divers petits trafics afin d’augmenter les rentrées d’argent. Et d’écourter leur séjour.

 

Mes 3 compagnons s’installent dans un petit logement. Un gourbi infâme qui, après leurs turpitudes passées, a sans doute à leurs yeux des allures de palais princier. Je leur fais envoyer par Nat. un peu d’argent (que Seissa et Metha acceptent et que Demba refuse… ou plus exactement qu’il accepte pour le redonner à plus nécessiteux que lui…). On ne se refait pas ! A cet égard, Demba aurait tort de changer…            

 

Finitions et détails

Je profite de cette longue escale forcée pour achever mes deux articles (2 enquêtes sans grand intérêt pour un magazine nationale à fort tirage). Je reprends également les premières notes de mon voyage, les détails de notre traversée du continent. Bref, je travaille à tuer le temps immobile de l’attente… J’oublie pendant quelques instants le dur métier de migrant. Je reprends la plume et mon boulot de reporter. Une courte halte dans l’incessante fuite en avant vers la Cité miraculeuse. Dans la longue marche forcée effectuée avec la peur au ventre permanente.

 

A chacun son job

Après 2 semaines de « grand luxe » (relatif) à l’hôtel. Je quitte ma modeste chambre pour un minuscule appartement (loué pour une somme modique). Demba, Seissa et Metha quittent leur gourbi et me rejoignent dans mon nouveau « logement ». Une ambiance amicale de colocataires s’instaure. Le matin, chacun vaque à ses occupations. Demba joue à présent les guides touristiques pour quelques étrangers en mal d’aventures exotiques. Il leur donne leur lot d’authenticité. Seisa et Mehta ont quitté leur emploi de dockers pour un job de vendeurs ambulants (ils vendent quelques fruits et légumes dans une petite carriole) en poursuivant néanmoins leur petit business illégal. Moi, je noircis mon carnet et esquisse au crayon quelques scènes de voyage. Bref, je retrouve non sans plaisir mon rôle de journaliste d’investigation - côté planche de travail. J’ai suffisamment trimé ces derniers temps - côté planche à clou, l’autre versant du métier, les mains dans le cambouis et les savates dans la poussière à écumer mon sujet de l’intérieur. La pause est méritée !

 

« Promenades » en terre d’errance

Je profite de cette attente pour « visiter » la ville et les multiples ghettos communautaires. Avec prudence et non sans crainte. Mon allure (et mon statut) de migrant est néanmoins le passeport idéal pour rencontrer les nombreux réfugiés clandestins. Chacun se livre avec pudeur. Face à un étranger, les réticences et les craintes auraient été plus nombreuses. On parle peu chez les migrants. La crainte de se faire dénoncer est forte. La méfiance est la règle.

 

Poursuite de l’attente

Les semaines passent. Jours immuables sous l’ardente chaleur du soleil. Parmi les migrants (que je rencontre), les plus chanceux tentent d’augmenter leur pécule pour payer les passeurs. Ils multiplient les combines (parfois les arnaques). La débrouille à tout va ! La plupart s’évertue à ne pas dilapider leurs maigres économies. Quant aux moins chanceux, ils essayent de survivre… Les plus infortunés sont bloqués dans ce bourbier… ils survivent misérablement et parfois y crèvent…  

 

Le rêve des bords de plages

L’attente se prolonge. Je continue d’arpenter les rues poussiéreuses de la ville. Sur les quais, beaucoup de jeunes. Une myriade de jeunes gens (garçons et filles) en attente de l’autre rive… Je m’assois avec eux, les yeux plantés sur l’horizon devinant, derrière les flots, le continent invisible… je songe à Zaphia rencontrée quelques jours plus tôt dans le quartier chaud de la ville. Prostituée pour survivre. Les passes qui s’enchaînent dans un taudis loué pour quelques pièces. La grossesse en cours. La maladie qui l’affaiblit. Un conte de fée aux allures de cauchemar. Une migrante comme tant d’autres… entre deux passes, Zaphia vient ici. Elle s’assoit sur le quai pour regarder l’océan. Et nourrir son rêve de traversée.

 

Forêt sur le sable en attendant l’eldorado

Sur la plage, une forêt d’embarcations : barques et pirogues. De toutes tailles. La plupart en fort mauvais état. Yassoud, un habitué des lieux, nous explique qu’il attend ici depuis 9 mois. Comme tant d’autres, il vit dans l’un des bidons-villes communautaires aux portes de la monstrueuse cité. En attendant la traversée, il travaille pour un patron du coin. Un artisan qui l’a pris en affection. Et qui l’aide à surmonter son attente. A la loterie de l’exil, certains ont plus de chance que d’autres…

 

Le rêve brisé (au bord de la plage)

Ici, malgré l’indifférence de la population et la bienveillance de certains habitants, la violence est partout. Dans les rues, les squats. Et le cœur des hommes. Et les victimes innombrables. Les corps et les visages sont marqués. Le long périple n’épargne personne. Les souvenirs de violence s’inscrivent dans toutes les têtes… et se lisent dans les regards apeurés. Les yeux de Lucienne (rencontrée ce matin) à deux pas des docks, trahissent la dureté du voyage. Et l’extrême violence de son parcours… Ses grands yeux tristes ont perdu leur flamme. La lueur d’espoir s’est éteinte ici. Contrainte de se prostituer peu de temps après son départ, violée des dizaines de fois, Lucienne n’a plus la force de poursuivre. 5 ans sur la route de l’espoir l’ont brisée. Elle est à la dérive depuis qu’elle a échoué sur cette terre sans promesse. Derrière elle, un passé lourd de regrets (celui, entre autres, d’avoir laissé ses enfants au pays, dans son village lointain du centre du continent). Devant elle, l’avenir sans horizon. Contaminée par le HIV, au stade terminal de la maladie, Lucienne attend la mort, triste et résignée. Il est trop tard. Son destin est derrière elle. Son corps malingre n’a plus la force de la porter. Ni de faire quelques passes pour subvenir à ses maigres besoins. Sans ressource et contrainte de mendier, Lucienne attend la fin du voyage, assise (le plus souvent) sous un porche face à la grande place du marché, à deux pas des bateaux qui partent pour l’Eldorado européen (qu’elle n’a imaginé qu’en rêve et qu’elle ne verra sûrement jamais).  

 

Lointaine terre promise

Qu’elle semble loin et inaccessible d’ici la vieille Europe !  Un eldorado aux mille promesses interdites ! Barré par des barbelés et des fonctionnaires (en uniformes et casquettes) armés de mitraillette et de radars !

 

Accompagnement des migrants et autres associations

Dans ce port du bout du continent, quelques associations (ONG internationales et locales) viennent en aide aux migrants. Un centre de santé ouvre ses portes aux femmes enceintes ou accompagnées d’enfants en bas âge. Un maigre réconfort dans l’indifférence ambiante ! Depuis que je traîne mes guêtres sur les chemins du monde, voyage après voyage, enquête après enquête, je n’ai souvent vu qu’indifférence et individualisme. La plus grosse association informelle qu’il m’ait été donné de connaître sur cette planète pourrait s’intituler (sans hésitation) : « Egoïstes sans frontière », organisation titanesque aux adhérents innombrables… le peuple humain tout entier (à quelques rares exceptions prêts sans doute).

 

Une bonne nouvelle

Après 4 mois de petits trafics, Seissa et Metha ont (enfin) réuni la somme nécessaire pour payer le passeur et leur traversée en pirogue. Le départ est imminent.   

 

 

LA TRAVERSEE

 

Près du bâtiment des autorités portuaires

On marche en file indienne. Ali et Ibrahim, deux migrants rencontrés pendant notre séjour marchent devant moi. Demba derrière. Seissa et Metha ferment la marche. On longe discrètement le mur d’enceinte du bâtiment, à quelques encablures du port. La nuit est tombée depuis environ deux heures. Nos ombres s’allongent sur la piste. Ombres vivantes marchant à la lumière de l’espoir… Les gars gardent espoir. L’espoir est leur béquille. Leur seul moteur. Sans espoir, ils tombent et restent sur le bord du chemin. Atteindre l’autre rive est (à présent) notre seul but. Franchir la frontière de l’eldorado, coûte que coûte. Et nous payons cher. La traversée au prix fort ! A 5 kilomètres de là, le convoyeur nous attend sur la plage. Il nous fait monter à bord sans ménagement. Sur l’embarcation, déjà une trentaine de personnes. Le dernier passager monté, il démarre le moteur.

 

Avarie maritime

Après 2 heures de navigation, le moteur montre des signes de faiblesse. Il crache, toussote et présente d’importantes fuites de gasoil. Une ½ heure plus tard, il finit par rendre l’âme. Le mécano tente une réparation. Les heures passent. Nous dérivons. Angoisse terrible des passagers. Quelques heures plus tard, le jour se lève. Quelques planches qui dérivent au milieu de la mer. Assis sur ces planches, 38 naufragés en quête de salut. Le moteur redémarre enfin. Certains passagers refusent de poursuivre la traversée. L’équipage se scinde. Partisans du retour contre partisans de la fuite en avant. A dire vrai, nous sommes perdus. Le passeur a « la sagesse » de prendre le chemin du retour. Le manque de carburant jouera en faveur des partisans de la prudence. Ce paramètre nous sauvera peut-être (sans doute ?) la vie. Des existences qui tiennent à un peu d’essence… allez savoir !    

 

Réconfort et abandon

Retour à la « case départ ». 5 jours d’attente sur la plage aux abords de la grande ville côtière du bout du continent. Après cette première tentative, on est partagé entre la peur de reprendre la mer et notre furieux désir de quitter cette terre de misère. Ali abandonne. Traumatisé par la traversée. La peur est trop forte. Il rentre au pays. Notre petit groupe se requinque (tant bien que mal). Après négociation avec le passeur, une nouvelle traversée est organisée. Encore 2 jours d’attente.

 

Deuxième traversée

Nouvelle tentative. Avec 108 personnes sur une grosse barque. Hommes, femmes, enfants, nourrissons. Quelques bidons d’eau, quelques vivres et une besace pleine d’espoir et d’angoisse. Nous embarquons (comme la fois précédente) à la nuit tombée. Une nuit d’encre. La traversée se déroule en silence. Quelques pleurs d’enfants. Quelques psalmodies. Le vieux rafiot avance cahin-caha au gré de la houle. Au gré des caprices du moteur. Un vieux moteur qui crache et toussote qu’il faut réparer toutes les 5 heures. A chaque panne, l’angoisse de la dérive se lit sur les visages (un autre moteur d’occasion a été embarqué par précaution… au cas où…). 

 

Détail : le mal de mer

Dès le début de la traversée, je défaille. Un mal de mer abominable. Dès les premières minutes de navigation… je songe avec nostalgie au plancher des zébus… 

 

Première nuit en mer

Les nuits sont froides. En mer, les nuits sont glaciales. Un froid qui transperce la peau, les os… et parfois l’espoir de voir se lever le soleil le lendemain. Chaque passager se terre sous ses loques. Les plus chanceux se couvrent sous une pièce d’étoffe rapiécée.

 

Bagages

Hormis nos deux sacs plastiques (obligatoires pour la traversée, l’un pour vomir, l’autre pour ses besoins) et un bidon d’eau potable de 10 litres, chaque passager n’a en sa possession que son maigre baluchon. Aucun autre bagage. Les plus riches - ou les plus prévoyants dont notre petit groupe fait partie… disposent d’un gilet de sauvetage*. (*beaucoup ignorent les dangers de la traversée… les risques élevés de chavirage et de noyade). Plus d’une centaine de passagers sur une embarcation qui peut décemment en accueillir une soixantaine…

 

Traversée des mers

Au 3ème jour de navigation. Le vent se lève. Le bateau commence à tanguer dangereusement. Les vagues deviennent impressionnantes. Pour ma part, je commence à regretter (sérieusement) le voyage. Ça dure un instant. Moi, dans ce rafiot, je joue (presque) pour rien (ma vie), eux misent leur destin… la survie de leurs familles, de leur village… le sort de leurs descendants, les générations futures, la destinée de leur peuple et de leur continent…. J’ai beau être avec eux, sur ce maudit rafiot, nous ne sommes pas du même monde. Le mien meurt d’opulence, le leur crève d’indigence. Et face aux dangers, ils ont le cœur plus accroché que le mien !

 

Traversée des mers (suite)

3ème jour. Au cours de la nuit. La tempête s’intensifie. La houle devient forte. Très forte. Des creux de 5 mètres. L’apocalypse. Un mal de mer terrifiant. Et l’angoisse de la mort qui se lit sur les visages… Entre deux vomissements, on chante… pour apaiser les esprits… 

 

Avaries maritimes

Devant moi, Demba se baisse. Il s’agenouille et prie. Je l’entends psalmodier à voix basse. S’en remettre à Dieu, voilà, pense-t-il, son seul salut pour la traversée !

 

Accalmie en haute mer

A l’aube, les bourrasques diminuent. Le vent tombe. Les prières de Demba ? Le chant des passagers ? Ou les faveurs du destin ? On entonne une nouvelle mélopée pour remercier la clémence du ciel. La gratitude s’entend au fond des gorges. Malgré la peur qui se devine encore au fond des yeux. La traversée se poursuit…

 

Nouvelle avarie maritime

Au 5ème jour de mer, nouvelle panne de moteur. Interminable. Le mécanicien trifouille une nouvelle fois, desserre des boulons, resserre des vis. On l’entend frapper avec un marteau de fortune sur le métal. Un bruit sourd dans le silence de la nuit. L’angoisse se répand (une nouvelle fois) dans les regards comme une traînée de poudre. L’espoir est mis à rude épreuve. Petite coquille de noix ballottée par les vagues à la merci du destin. Vulnérables destins. Inch’allah ! On attend la peur au ventre. Soumis, comme dit Demba, à la main de Dieu !  Mais pourquoi son Dieu a-t-il pointé le doigt sur eux ? Pourquoi les livre-t-il à cette épreuve ? Pourquoi a-t-il fait naître les habitants de cette embarcation dans des pays ravagés par la guerre, la dictature, la famine ou la misère ? Pourquoi les terres promises sont-elles si éloignées ? Pourquoi sont-elles entourées de barbelés infranchissables ? Sur mon arche déglinguée avec mes compagnons d’infortune, j’éprouve une colère sourde pour mes frères à la peau blanche qui se partagent les richesses du monde en ne laissant que quelques miettes aux affamés et aux miséreux qui peuplent la terre. Une colère silencieuse pour l’indifférence des nantis et l’insensibilité des Hommes…  Que le dieu de Demba me pardonne !

 

Canards frileux

Sur notre rafiot de fortune, je songe aux articles de presse lus avant mon départ. « La vieille Europe, paradis des ex-colonisateurs assiégés par les anciens colonisés doit se protéger » titraient certains journaux ! Quand je pense à ces gratte-papiers sans métier qui réalisent des reportages sans dangers… je n’ai qu’une envie : que tous ceux qui sont assis confortablement devant leur écran, à l’abri de la poignante et bouleversante réalité boivent le bouillon à notre place ! Que tous ces canards frileux (lecteurs et téléspectateurs compris) soient engloutis par les vagues… de ma colère ! 

 

Dramatiques mésaventures de notre folle équipée

6ème jour de navigation. Au loin, on aperçoit (enfin) les côtes. Les côtes de la terre promise. L’aube est proche. Les premiers rayons tentent de percer les épais nuages qui courent dans le ciel. Au-dessus de nos têtes, un hélicoptère. Je lève la tête. Les garde-côtes. Dans le bateau, le silence laisse place à l’effervescence. Un début de panique. Certains se lèvent en agitant les mains. Le passeur leur crie de se rasseoir. Le bateau tangue de plus bel. Le passeur décide de changer de direction. Il pousse son moteur à fond, heurtant les vagues de plein fouet. Les passagers crient, lèvent les yeux au ciel, s’accrochent au bastingage. Au loin, on distingue un bateau (une vedette rapide des gardes côtes) qui vient dans notre direction. On est à quelques centaines de mètres des côtes. Quelques minutes plus tard, la vedette arrive à notre hauteur et nous barre le passage. Sur le pont, un flic hurle dans son haut-parleur. Le passeur coupe le moteur et nous crie de sauter par-dessus bord. La plupart ne savent pas nager. A l’intérieur du rafiot, la panique gagne tous les passagers. Echouer à quelques centaines de mètres de la terre promise ! Plusieurs dizaines de passagers sautent à la mer. Dans un geste désespéré. Je regarde Demba et Ibrahim. La décision est instantanée. On attache notre balluchon autour de notre taille, on fixe en un instant nos bidons et on saute tous les 3 (avec nos gilets de sauvetage). Quelques instants plus tard, les garde-côtes accostent la frêle embarcation des migrants. Lancent des cordes et des échelles. On s’éloigne comme nous pouvons en battant des jambes frénétiquement accrochés à notre bouée de fortune. La terre est à moins de 300 mètres. Les garde-côtes nous regardent nous éloigner, impuissants. Ils nous laissent tranquilles. Ils ne nous rejoindront pas, trop occupés avec les passagers restés à bord du rafiot. Tous seront (sûrement) conduits au centre de rétention local, véritable sentinelle-forteresse de la terre promise. La très grande majorité sera sans doute reconduite dans son pays d’origine. Renvoyés dans des avions charters sur leur continent. Leur voyage s’achèvera là. De la terre promise, ils n’auront connu que ses barbelés… beaucoup sans doute tenteront de nouveau leur chance… entreprendront une nouvelle fois la terrible traversée…

 

A bon port

On arrive sur la côte, frigorifiés. Et au bord de l’épuisement. On reprend souffle. Les poumons en feu… Et on file se cacher dans les hautes herbes qui recouvrent les dunes derrière la plage. On fait halte à l’abri d’un buisson épineux (charmant accueil, n’est-ce pas ?). On est sur la terre promise. Enfin arrivés sur la terre promise. Aujourd’hui, le Dieu de Demba était avec nous ! De Seïssa et Metha, aucune nouvelle. Que Dieu et les Hommes les protègent…

 

 

SUR LA TERRE PROMISE

 

Premiers pas sur la terre promise

On quitte le bord de mer. Pour s’enfoncer dans les terres. Après une ½ journée de marche, on tombe sur un jeune couple qui nous offre à manger. Une petite maison isolée. Un peu à l’écart du village. Repas d’abondance. A l’occidentale ! Je retrouve le goût de la cuisine du continent. Un vrai bonheur (pour moi) ! Et une curiosité pour mes deux compagnons ! Dans l’après-midi, un ami du couple, nous conduit à la gare. 3 billets pour la capitale de ma terre natale. Destination : le foyer d’immigrés où vit un lointain cousin d’Ibrahim, clandestin en terre promise depuis 3 ans.

 

Habits de circonstance

Avant le départ, nous achetons de nouveaux vêtements (3 grosses vestes) sur un marché. Histoire de se protéger du froid… et de se fondre dans le paysage continental… ici, l’hiver (en effet) bat son plein. La saison accueille fraîchement mes compagnons de route. Aussi fraîchement sans doute que les autorités et la grande majorité des autochtones du continent.

 

Cas de conscience

Ici, en terre promise, mon voyage pourrait s’arrêter… j’en ai conscience. Je pourrais reprendre mon identité (occidentale) et aider mes compagnons. J’hésite. Poursuivre la migration me semble pourtant la meilleure option. La plus utile à tous les migrants de la terre. Sans compter ma promesse à Demba : l’accompagner jusqu’à la fin du voyage. L’enquête (donc) continue… Je traverserai avec mes amis mon propre continent dans la peau d’un des leurs… Après mon enquête, mes compagnons le savent, mon aide leur sera indéfectible…

 

Voyage ferroviaire

Le passage de la frontière entre les deux pays se déroule sans encombre. Quelques regards suspicieux parmi les passagers. La plupart indifférent. L’œil soupçonneux d’un douanier monté à la frontière… que je m’empresse d’amadouer par quelques plaisanteries et deux ou trois remarques sur ma connaissance du pays (normal tout de même… j’y suis né). Mes deux compagnons apprécient le confort des couchettes (je ris… moi qui les ai toujours trouvées abominables…), je me range à leur avis : les banquettes ferroviaires sont merveilleuses, extrêmement confortables et très propices au sommeil. Malgré l’angoisse d’être contrôlés, nous sommes si exténués que nous nous écroulons de fatigue. Le lendemain, nous arrivons à bon port. Direction : le foyer d’Issa (le cousin d’Ibrahim). A deux pas de l’appartement de Nat. (qui habite un immense loft au cœur de la capitale). Et à quelques encablures de mon petit appartement de banlieue.

 

Précarité des sans-papiers

Issa, le cousin d’Ibrahim, nous accueille dans son « logement », une chambre de 15 m2 qu’il partage avec 6 colocataires (dont 2 clandestins qui louent leur chambre illégalement). Faute de place, Issa dort par terre sur un matelas qu’il glisse sous l’un des lits-jumeaux pendant la journée. Il nous explique qu’il travaille sur un marché le week-end et « se débrouille » pendant la semaine pour faire de petits travaux comme électricien chez des particuliers. Payé « au noir », il envoie plus de ¾ de son revenu au pays. A sa famille restée au village. Il raconte ses craintes d’être arrêté par les flics. Et d’être renvoyé au pays. Sa peur de marcher simplement dans la rue. Un eldorado à la face cachée dont l’ombre écrase et soumet le migrant à une crainte permanente ! Une existence précaire, des conditions de vie difficiles, un destin fragile, un avenir incertain. Des vies misérables à nos portes ! Au pied de nos immeubles (ou de ceux du quartier d’à-côté !) ! Ibrahim et Demba se regardent d’un air entendu : ils ne moisiront pas ici comme Issa, ils poursuivront leur voyage vers une terre meilleure située au nord de la terre promise. En fin de matinée, nous quittons Issa. Direction : l’appartement de Nat.

 

Etranger en son pays

Je ne prends (évidemment) pas la peine de modifier mon apparence. J’ai la peau toujours aussi noire. Et les cheveux toujours aussi frisés. Et malgré ma parka (achetée 2 jours plus tôt sur le marché), mes vêtements ne sont évidemment plus de première fraîcheur… En passant devant la loge de la gardienne (dans la résidence où habite Nat), elle nous demande ce que nous venons faire dans l’immeuble. Je suis pris au dépourvu. Je lui réponds que nous sommes des amis de Nat. Elle ravale sa suspicion (qu’à moitié). Et moi, mon indignation.

 

Aparté personnel

Sur ce continent, la couleur noire ne semble pas la bonne. Le bronzé n’est pas le basané. Je pense à ces veilles peaux (dont beaucoup habitent le quartier de Nat.) qui se dorent la pilule sur les côtes de la terre promise, qui rêvent d’assombrir leur peau aux rayons du soleil et qui ne supportent le noir sur les vêtements que pour amincir leur silhouette. Mais ni dans les rues, ni près de chez elle, le noir n’a sa place. Ah ! Maudit continent peuplé de vieilles (incontinentes) à la peau hâlée !

 

Court séjour chez Nat.

Retrouvailles émouvantes. Avec mon teint et mes cheveux à l’africaine, Nat. me reconnaît à peine. Elle est bluffée. Moi aussi. J’en palis… blanc comme un linge sous ma peau africaine… en comparaison, Michael Jackson ferait sans doute pâle figure… Nuit mémorable. Un réconfort inestimable après ces longs mois de séparation. Le lendemain, Nat. nous quitte dans l’après-midi. Pour l’autre bout du continent où elle prépare une expo. : une rétrospective de son œuvre (Nat. est artiste-peintre). Malgré notre vie un peu désordonnée ces derniers temps et ma longue absence, Nat. comprend mon obstination… mon entêtement forcené à poursuivre mon enquête sur le territoire qui nous a vu naître…). Après 2 jours de repos (48h de sommeil), nous repartons. Direction : le nord de la terre promise, aux portes de l’eldorado insulaire.

 

Home. Sweet home

Petit détour par mon appartement pour déposer mes carnets… envoyer 2-3 fax… et passer quelques coups de fils (malgré l’utilité incontestable du téléphone portable, j’ai toujours refusé d’en fourrer un dans ma poche, une façon très personnelle de résister au modernisme ambiant)…. Demba et Ibrahim (évidemment) m’accompagnent… Après ce rude voyage, je retrouve avec bonheur la douceur du foyer. Je note (en aparté) la phrase d’un homme politique qui avait prononcé un jour dans l’un de ses discours (resté célèbre) : on ne peut inviter chez soi toute la misère du monde… je ne sais trop qu’en penser… question de place sûrement… qui varie selon la taille du cœur… et du logement… pour ma part, je n’ai de leçons à donner à quiconque… j’habite un deux-pièces… quant au muscle sanguin, il manque sûrement de largesse… mais il fait ce qu’il peut (comme tout le monde, vous me direz…?!).

 

Hors les murs. De l’autre côté de la vitre

Dans le train (vers le littoral septentrional froid et pluvieux). Je regarde mes amis. Avec tendresse. On passe devant l’un des plus grands centres de rétention de la région. Centre situé au cœur de la terre promise isolé par de hauts murs couverts de fils barbelés. Je reste silencieux. Les images d’un documentaire me reviennent en mémoire. Camp de concentration humaine où l’on extermine la dignité et l’espoir des peuples affamés ! Pas leur rage de forcer la forteresse ! Certains échouent ici pour la 3ème, 4ème, 5ème fois. Ils reviennent, recommencent le périlleux périple, bravent tous les dangers pour revenir. Gagner la terre de leurs promesses. La promesse faite à leur famille de s’en sortir

 

Aucun mirador, aucun grillage, aucun mur, aucun képi, aucune législation ne pourraient affaiblir leur volonté… Là-bas, aucun autre espoir que la mort… la mort sans espoir comme seul destin… La volonté d’un homme prêt à tout… et qui n’a rien à perdre… est une arme redoutable… les pays riches feignent de l’ignorer… on n’affame pas les peuples impunément… Un jour (bientôt), l’addition sera terrible… Nulle prophétie. Je ne suis ni devin ni visionnaire. Simple observation de la situation à venir du monde. Un mécanisme enfantin que nul ne souhaite voir… un terrible aveuglement qu’une partie de l’humanité paye aujourd’hui et que l’autre paiera au prix fort demain ! Simple rééquilibrage sur la balance des injustices ! 

 

Sur la côte nord

Aux portes de l’Eldorado insulaire. Dans le quartier de la gare. Dehors, un vent glacial nous accueille. Et fouette nos visages. On ne sait où aller. Dans les rues, quelques groupes de migrants. Comme d’habitude, nous cherchons nos frères compatriotes. On réussit à dénicher quelques maigres informations sur leurs « lieux de résidence ».

 

Recherche d’un gîte

Nous sortons de la ville. Nous marchons quelques kilomètres. En rase campagne. On emprunte la route principale. Les maisons se font plus rares. Cette route de campagne vue avec les yeux d’un misérable migrant (du misérable migrant que je suis devenu, malgré moi, au fil des mois) me laisse un goût amer… Comme étranger en mon propre pays ! Les charmes bucoliques des paysages perdent leur attrait. L’hostilité environnante est évidente ! Parcourir la campagne au chaud dans sa voiture, en quittant momentanément son nid douillet ou y errer à pied sans savoir de quoi sera fait le lendemain change le regard d’un homme ! A la vue de ces contrées champêtres, le mien s’assombrit. Et devient (presque) aussi noir que la peau de mes frères migrants ! Que le cœur est (parfois) versatile !

 

Après plusieurs kilomètres. On arrive sur une ancienne zone industrielle (aujourd’hui à l’abandon). On franchit un grillage. Au loin, on aperçoit quelques baraques de chantier, disséminées çà et là. A proximité de l’une d’elles, un petit groupe de migrants autour d’un feu. On s’approche. Le sol est jonché de détritus, de matelas déchirés, de morceaux de palettes à moitié calcinée : un sous-quart-monde à quelques kilomètres des rangées de petits pavillons coquets qui bordent la côte. Le « chef » de la communauté nous accueille sur le seuil de la porte. Un rapide coup d’œil à l’intérieur. Les matelas s’entassent sur le sol. L’air est irrespirable. La saleté indescriptible. Nous restons dehors, à proximité du vieux tonneau où crépite le feu qui dégage une fumée abondante et suffocante. Et toxique sûrement à en juger l’odeur qui s’en dégage !

 

On nous fait comprendre (en quelques mots) qu’il n’y a pas de place. On poursuit notre route. La nuit tombe. On couchera à la belle étoile (sous l’étoile du nord glaciale) à l’orée de la forêt. A l’abri d’une bâche déchirée trouvée en chemin. Nuit blanche frigorifiante !

 

Cabanon de fortune

Après 2 jours de recherche, on déniche un abri de chantier à l’abandon près d’une zone commerciale en construction. Un cabanon sans porte. Ouvert aux quatre vents. On rafistole notre abri. Quelques planches, des palettes, des plaques de polystyrène, des bâches trouvées dans une décharge sauvage située en contrebas. On fait feu de tout bois pour se protéger de la rigueur du climat. On répare, on calfeutre. On installe 4 matelas crasseux à l’intérieur, un bidon de tôle devant la « porte ». Premiers aménagements de notre campement.

 

L’espoir à portée de main

L’objectif de mes compagnons est clair : gagner l’eldorado insulaire dès que possible. Les lois y sont moins strictes. Et les opportunités plus grandes. Une difficulté de taille : une nouvelle mer à traverser pour franchir la frontière (dernière d’une longue série…).

 

Aux portes de l’espoir, la seule clé : se cacher sous un camion qui prend le ferry. Depuis le resserrement des contrôles, la traversée devient quasi impossible. D’un geste, Ibrahim nous montre les côtes que l’on aperçoit au loin. On quitte le bord de mer pour notre « at home ».

 

Fraternité au cœur de l’hiver (et de la froideur continentale)

Le soir, on se joint aux misérables peuples des migrants dans la longue file qui s’est formée devant le fourgon de Terre d’Accueil, une association locale qui fournit un repas chaud aux migrants clandestins. On fait la connaissance de Gérard, Nicole et les autres qui ont créé un collectif d’aide aux migrants. Désireux d’apporter un peu de chaleur dans la froideur hivernale… quelques douceurs dans l’océan d’indifférence du continent… dur labeur ! Un repas chaud, des sourires. Un peu de chaleur humaine ! 

 

Ici comme ailleurs, les communautés ne se mélangent pas. Chaque groupe est constitué en fonction de l’origine ethnique ou géographique. Les migrants viennent de tous les horizons. Du début à la fin du périple, chacun reste dans son clan. Entre indifférence, lutte pour la survie et racisme (plus ou moins affichée). Ici comme ailleurs, les hommes luttent âprement pour défendre leur peau, leur famille, leur tribu. Et leur territoire. Un monde concentré avec ses misères, ses souffrances, sa fierté, ses méfiances. Et sa violence. Dans la file d’attente, la tension est palpable. On avance lentement. Une fois servi, on s’éloigne avec notre pitance. On se met un peu à l’écart. On s’accroupit. Le repas est vite expédié.

 

Après la distribution, Nicole fait la tournée des groupes, elle distribue quelques rations supplémentaires et prend quelques portables. Khadialy et Youssa, rencontrés dans la file d’attente (2 compatriotes « installés » ici depuis 5 mois) lui confient le leur. Elle les met dans son sac. Elle les rechargera toute la nuit chez elle et les rapportera demain.

 

Les confidences de Khadialy et Youssa

Soirée en compagnie de nos nouveaux « amis ». Khadialy et Youssa nous confient qu’au plus froid de l’hiver, Nicole invitait les migrants chez elle, une dizaine qui dormait sur des matelas dans son modeste 3 pièces. Nicole, nounou, assistante sociale, maman, a pris l’habitude de vivre au rythme des migrants. Nicole a choisi d’être hors la loi, selon les règles de son pays. Loi infamante qui sanctionne toute personne venant en aide aux migrants. Courageuse Nicole qui enfreint la méprisable règle sécuritaire pour redonner aux hommes un peu de fraternité, à la collectivité des hommes un peu d’humanité et à la république ses lettres de noblesse qui s’inscrivent (en 3 mots) sur les façades des édifices publiques.

 

Les confidences de Khadialy et Youssa (suite)

Khadialy et Youssa racontent leur vie. Leur survie. Ils parlent sans détour. Ils accusent les flics qui viennent les déloger régulièrement en les asphyxiant avec du gaz lacrymogène. Ils nous mettent en garde contre les incessants contrôles au poste de police. Les bagarres avec les autres communautés. Leur campement est à 4 kilomètres du centre-ville. La banlieue de la banlieue. Loin des regards. Loin des regards, l’existence des migrants est tolérée. Jamais acceptée.

 

Passage nocturne

3ème jour aux portes de l’eldorado insulaire. Demba et Ibrahim tentent leur première traversée (ils tenteront chaque nuit la traversée). Je les accompagne sur les aires où les poids lourds attendent d’être embarqués sur le ferry. On franchit les deux grillages qui entourent la zone portuaire. On patiente de longues heures. En vain. Et on rentre au milieu de la nuit. Déçu. Et harassé par les heures d’attente dans le froid.  

 

Rafle en pleine nuit

Au 7ème jour. Les dires et les mises en garde de Kadhialy et Youssa (malheureusement) se confirment. Les flics débarquent dans notre campement vers 4 heures du matin (on est couché depuis environ 2 heures). Coups de sifflet. Coup de filet. Gaz lacrymogènes. Cris. Panique dans les sacs de couchages. Les coups de matraques pleuvent. Demba sort la tête de ses couvertures. Il tente d’apaiser les flics. Je m’interpose avec lui. Les flics nous cognent en gueulant. On n’insiste pas. On prend nos sacs et on rejoint Ibrahim dehors.

 

Nuit cristalline

On déguerpit sans demander notre reste. Les flics ne perdent pas de temps. Ils incendient notre baraquement. On assiste impuissant à l'embrasement de notre abri de fortune. Politique préfectorale pour nous inciter à quitter le coin ! Quelques flammes dans la nuit ! Feu de joie des autorités ! Triste spectacle !

 

Note personnelle

L’eldorado prend des allures de terre sans promesse. Une terre d’indignité, hostile à tout étranger. L’occident n’a à donner de leçons à personne en matière de droits de l’Homme !

 

La fuite dans la jungle

On est contraint de battre en retraite. Et de se réfugier dans la forêt près du campement de Kadhialy et Youssa (la « jungle » comme on l’appelle en ces contrées hostiles… hostiles aux migrants). Gérard, le bénévole de Terre d’Accueil nous dégote deux tentes et des duvets. Nicole nous donne un réchaud et quelques ustensiles indispensables à notre survie. On se débrouille…

 

Baume au cœur

Malgré nos déconvenues, Demba a le cœur chantant. Sa présence réchauffe le mien (en passe d’être frigorifié par la froideur de mes compatriotes).

 

Routine des jours

Les jours et les semaines passent. Entre tentative, espoir, échec et débrouille. La survie s’organise (tant bien que mal).

 

Entre les mailles du filet

5ème semaine d’attente et de tentatives pour mes compagnons. Ce soir (comme chaque soir), je les accompagne. On franchit le premier grillage. On rampe jusqu’au second (pour échapper aux rondes des vigiles qui surveillent la zone portuaire). Et on se planque derrière un petit muret à proximité d’un des nombreux « trous » réalisés chaque soir par des dizaines de migrants en partance pour l’eldorado insulaire (le pays des rosbifs). Ibrahim se faufile et court… on le voit disparaître derrière un camion (le dernier camion de la file)… Demba me lance une bourrade sur l’épaule… et nous rentrons. Grand jour pour Ibrahim. Et nouvelle échec pour Demba.

 

Espoir pour Ibrahim

Le lendemain, Ibrahim ne donne aucun signe de vie. Aucun baluchon sur son matelas. Dans le baraquement voisin (celui de Kadhialy), il manque également 3 personnes. Demba interroge. Une femme nous confie qu’elle a vu le camion d’Ibrahim embarquer sur le ferry… Inch’allah ! Que les Dieux du ciel et leurs sbires sur terre les protègent !  

 

Blessure handicapante

Les jours passent. Demba s’est blessé à la jambe en franchissant le grillage : une plaie à la cheville… (sans gravité mais profonde). Obligé de renoncer à la traversée pendant quelques jours. Soins chez le médecin de Terre d’Accueil.

 

Soudaine évolution

7ème semaine. L’attente se poursuit. Elle devient longue (et pénible). Je n’oublie (cependant) pas ma promesse à Demba : l’accompagner jusqu’au bout du voyage. Depuis quelques jours, son comportement m’intrigue. J’observe plusieurs changements notables. Sa volonté de rejoindre l’eldorado insulaire semble s’émousser. Certes il est (encore) en période de convalescence. Sa blessure est en voie de cicatrisation. Mais il fréquente avec une étonnante assiduité les locaux de Terres d’Accueil. Il y passe ses journées. Cette défection m’étonne. Demba n’a pas l’habitude d’abandonner (la partie) si facilement… je lui fais part de mon étonnement.

 

Décision inattendue

Demba me confie son désir de rester ici. Sur ce bout de terre (du bout du continent). A quelques encablures de la destination finale. Et très loin de sa terre natale. Terre d’Accueil lui a proposé de travailler pour eux… la décision de Demba (d’ordinaire si réfléchi) me surprend. Enfin qu’à moitié. Je connais aussi son humanité, son humanisme pragmatique et sage. Et son désir d’être utile à la collectivité des Hommes.

 

Sentiment ambivalent

La décision de Demba me laisse sans voix. Je suis partagé. A la fois ravi (très heureux) et un peu déçu. Je m’incline. Son choix est sans doute le plus sage. Mon enquête se termine. Je lui propose de l’aider à « régulariser » sa situation de clandestin (de migrant sans papier). Il me répond que Terre d’Accueil a amorcé la procédure.   

 

Départ du camp

2 jours pour organiser mon départ. Préparer mon retour. Et me séparer de Demba, mon frère noir, ami et compagnon de voyage. Le matin, je quitte la « jungle », Khadyali, Youssa et tous mes frères d’infortune. Le cœur triste. Et les yeux rougis par les larmes. On s’étreint avec chaleur. Je rentre chez moi.

 

 

EPILOGUE : SUITE DE L’ENQUÊTE & DEVENIR DE MES ANCIENS COMPAGNONS DE ROUTE

 

Sweet home

Retour au bercail. Un havre de paix (et de bonheur simple) après cette longue et rude enquête. Après ce voyage au bout de la nuit… je retrouve avec joie (une joie empreinte de tristesse) mon petit « chez moi », îlot paradisiaque dans ce monde infernal…

 

Un retour peu aisé

Premières journées difficiles. Cafardeuses. Nat. n’est toujours pas rentrée de son expo. Longue transition avant de retrouver mon identité. Je conserve ma peau noire (encore) quelques jours.

 

Retour définitif

5ème jour au domicile. Volets clos. Crème démaquillante. L’antidote à mon gel miracle. Je vide le tube. Premier regard dans la glace. (Grand) éclat de rire. Je ne me reconnais plus. « Je » est un autre. Une peau blanche au cœur noir… et à l’âme africaine. Un drôle de mélange… je contemple mon reflet. Flou et indéfinissable. Je suis habité par un étrange sentiment. Je comprends davantage le sens du voyage… les voyages n’ont pas pour objectif (comme on le clame un peu bêtement partout) de former la jeunesse… je n’ai (de toute façon) plus l’âge des voyages initiatiques… ils n’ont d’autres but que de transformer la conscience… voilà leur intérêt (leur véritable intérêt)… abolir les identités… repousser les frontières… et rapprocher le monde… pour en bâtir un plus fraternel…

 

Travail de bureau

Je m’attèle à l’écriture de l’enquête. Reprise de notes. Je passe mes journées à ma table de travail.

 

L’œuvre du temps

Les semaines et les mois passent.

 

En lien avec Demba

Je reste (évidemment) en contact avec Demba. Coups de fils réguliers. Et chaleureux. 500 kilomètres nous séparent… une paille après les milliers de kilomètres parcourus ensemble. Difficile cependant de se voir régulièrement… Mais l’amitié nous lie. Un lien indéfectible.

 

Enquête en quête d’audience

6 mois après la fin du voyage. Mon enquête s’achève (enfin). Mais reste lettre morte (abandonnée dans un tiroir). Elle n’intéresse personne. Aucun journal. Aucun magazine ne souhaite la publier… Pas assez spectaculaire ! Pas assez vendeur ! Le sort des migrants n’intéresse pas les lecteurs. Dans les rédactions comme dans les rues de la terre promise, les regards se détournent. On me conseille plutôt d’écrire un livre. Avec un titre choc et accrocheur.

 

En lien avec Demba (suite)

Au fils des mois, Demba se fait (étrangement) prolixe. Presque bavard. Il me donne des nouvelles de Khadyaly et Youssa, de nos compatriotes. Et des nouveaux arrivants.

 

Il me raconte les difficultés innombrables des migrants sur la terre promise. Leurs conditions de vie misérables. Quel que soit leur pays d’origine. Partout, la même misère, les mêmes soucis, les mêmes espoirs. Les seules différences : la langue et la couleur de peau.

 

Demba me confie la crainte permanente des clandestins. Leurs sorties la peur au ventre. Epouvantés à l’idée de se faire contrôler par les « uniformes ». Un képi aperçu au coin de la rue les terrifie.

 

Il me parle (à demi-mots) de son projet politique… de ses efforts pour affermir ses bases-arrière : trouver l’unanime soutien de ses compatriotes expatriés comme lui…

 

Je lui parle de mon enquête. Refusée par tous les médias. Il m’encourage à écrire un livre pour la jeunesse. Pour la jeunesse du monde.

 

Enquête en quête d’audience (suite)

Je décide d’écouter les conseils de Demba. Je reprends mes notes. Et tente de transformer mon enquête en livre pour enfants. Tâche ardue de s’adresser à la future humanité, porteuse (espérons-le) d’un avenir plus humain. Et tant pis pour le spectaculaire ! Dans mon récit, seul le réel aura droit de citer…

 

Travail de bureau (suite)

Je passe au crible mes carnets. J’allège mes notes. J’écris mes premières pages. Longues journées assis à ma table de travail.

 

L’œuvre du temps (suite)

Les mois passent. Un travail acharné !

 

Coupure salutaire

Période difficile. Mon livre piétine ! Un comble (et une amère ironie…) pour un bouquin sur les migrants ! Journées cafardeuses. Coup de fil de Demba. Une surprise. Il m’invite. Pour quelques jours.

 

Reprise de voyage

Je quitte mon appartement. Direction : le bord de mer au nord de la terre promise. Je reprends (pour quelques jours) mon voyage de clandestin (à la peau blanche). Train. Arrivée dans l’après-midi. Je sors de la gare. Dans les rues de la ville (et les routes alentour), quelques groupes de migrants (encore plus nombreux qu’avant mon départ). Je me dirige vers les locaux de Terre d’Accueil. Derrière la grande baie vitrée, je reconnais Demba. Il me fait signe de la main… malgré ma peau blanche, il m’a reconnu… devant ma mine pâle (il va sans dire), il éclate de rire… nous nous embrassons avec effusion.    

 

Une juste place

Demba est, lui aussi, méconnaissable. Enfin presque. Il a abandonné ses loques de migrant pour une tenue sobre et décontractée (vêtements à l’occidentale aux tonalités africaines). Il a l’air heureux. A sa place dans ses nouveaux habits. Et son nouvel emploi. Chargé de mission auprès de Terre d’Accueil. Spécialité : l’orientation des migrants. Demba connaît son sujet. Inutile de lui faire un dessin. De lui expliquer les dangers du voyage et le sort des clandestins. Il connaît par cœur… marqué dans sa tête et sa chair… 

 

Chaleureuses retrouvailles

Au cours de la conversation, Demba (le petit cachottier…) m’apprend qu’il s’est marié. Avec une autochtone. Une bénévole de Terre d’Accueil, une petite rousse énergique qui attend, me dit-il avec un air à la fois timide et malicieux, un heureux événement. Sacré Demba ! Je le félicite. Je pense à Nat. A son désir de maternité. Demba me sort de mes rêveries. Le travail l’appelle. Il s’excuse, me tend le rapport qu’il est en train d’achever, saisit son calepin, son téléphone portable et rejoint le couple qui l’attend dans le bureau voisin.

 

L’eldorado, territoire de l’or noir

Je feuillette le rapport de Demba. Je lis au hasard. Extrait sur les conditions de vie et de logement d’une famille de « sans papiers », le sort des clandestins en terre promise : « Après plusieurs mois de recherche, Youssoud, Issa, son épouse et leurs 3 enfants trouvent enfin un logement. Un taudis dans un immeuble insalubre. Etats des lieux : fissures et auréoles d’humidité au plafond. Réchaud crasseux, prises électriques dénudées et toilettes à la turque sur le palier pour un loyer (payé au noir) exorbitant. » Les migrants sont des pépites pour les marchands de sommeil. Et dire que la population (indifférente malgré quelques protestations et de rares et timides actions collectives) et le gouvernement (avec son infâme politique) dorment tranquillement… sur leurs deux oreilles…

 

Chaleureuse soirée

Le soir. Rachel, la femme de Demba, m’accueille à bras ouvert. Elle avait hâte de connaître le fou blanc déguisé en noir… Demba n’avait pas menti… Effectivement, Rachel est petite, rousse et énergique. Et de surcroît, très gentille. La soirée est agréable. Le repas excellent. Et la discussion chaleureuse et animée. Les débats portent évidemment (pour l’essentiel) sur la migration, le long et dangereux périple des affamés de conditions de vie plus dignes, le destin politique du continent… et les enfants, porteurs de l’humanité à venir…             

 

Discours judicieux auprès des migrants

Au cours de mon séjour, Demba me fait découvrir les multiples facettes de son activité. Il m’invite à une réunion organisée par Terre d’Accueil. Dans l’assemblée, beaucoup de visages noirs, parsemée ici et là par quelques faces blanches. Demba, très à son aise, prend le micro et raconte son histoire. Il débute son speech par son voyage à travers le continent et l’attrayant (et illusoire) appel de la terre promise qu’il a ressenti chez ses compagnons de migration. Aujourd’hui, son discours est clair. Il met en garde ses compatriotes contre le mirage européen. Il aimerait dissuader tout candidat à l’émigration de risquer sa vie pour un voyage si périlleux et un destin si précaire et si difficile sur la terre promise. Il tente de faire passer le message auprès de la population des migrants. Il les intime de ne pas leurrer leurs frères, leurs compatriotes restés au pays en leur faisant croire aux délices et aux bienfaits de la vie ici, sur cet autre continent… leur avouer la cruelle vérité : la vie réservée aux migrants sur la terre promise est impitoyable et souvent épouvantable… ne pas les inciter à cette migration inhumaine… ne pas souscrire au mensonge véhiculé par leurs aînés dans lequel eux-mêmes, bien souvent, sont tombés… D’autres solutions existent : l’éducation, le développement local… le discours de Demba est clair… ses arguments convaincants… mais Demba connaît la tradition tenace… l’honneur (la dignité) et les susceptibilités de ses frères noirs… et leur crainte de « perdre la face » devant leur famille et leur communauté…  Demba a du pain sur la planche… Mais je le connais. Il est combatif, mon ami Demba ! 

 

Visite à Kadhyaly et Youssa

Dans l’après-midi, je rejoins Kadhyaly et Youssa. Demba leur a dégoté un logement. A deux pas du centre-ville. 

 

Malgré l’exiguïté de leur appartement, Kadhialy et Youssa m’ouvrent leurs portes. Mieux. Ils m’accueillent à bras ouverts. Comme l’un des leurs (malgré ma peau blanche). Le lendemain. Nous allons flâner sur le port.

 

Kadhialy avoue (à demi-mots) sa déprime. Il s’est mis à boire. Pour payer sa piaule et ses bouteilles, il participe à un petit business. Il « travaille » la nuit. Quelques heures par semaine. Youssa, son compagnon de chambre, cherche un boulot plus « clean ». Sur la terre promise, nulle promesse tenue. Malgré l’aide de Demba et des bénévoles de Terre d’Accueil, leurs conditions de vie matérielle et psychique sont (pour le moins) indécentes. Kadhiali est fatigué. Il m’avoue qu’il est sur le point de rentrer au pays. Pour monter « une affaire ». Tenter sa chance sur son continent.

 

Amer constat

3ème jour de mon séjour chez Demba. Petite incursion dans quelques autres communautés migrantes. Après ces longs mois d’absence, je retrouve, ici plus encore que dans les locaux de terre d’Accueil et l’appartement de Khadaly et Youssa, le goût âpre et acide de la misère. L’inconfort total, l’insécurité, la pauvreté qui suinte de toutes parts… je ressens une drôle d’amertume au fond du cœur…

 

Synthèse du voyage pour (et selon) Demba

Dernier soir en compagnie de Rachel et Demba. Discussion animée autour de mon enquête. Et du voyage des migrants. Demba résume notre voyage en 4 étapes. 1ère étape : la longue traversée du continent, 2ème étape : la traversée des mers, 3ème étape : la survie et le long périple à travers les arcanes administratives, les institutions, les associations de la terre promise… après la marche, les démarches. Papiers administratifs (en tous genres)… l’aventure vers la légalisation jusqu’à la 4ème étape : l’intégration (sans assimilation dévorante). Une longue route que Demba, mon ami Demba, a franchi comme un compétiteur hors pair… sans écraser ses partenaires… un exploit ! Je lui en fais part. Et je vois derrière son visage serein (presque impassible) un sourire de fierté.

 

Dernier événement et ambition politique

Sur le quai de la gare (juste avant de partir). Demba m’annonce qu’il est en passe de créer un nouveau parti d’opposition. Tous ses compagnons de migration et bon nombre de ses compatriotes restés au pays soutiennent sa candidature. Je sais que Demba appartient à cette nouvelle génération d’africains qui souhaitent faire évoluer les mentalités du continent… et non seulement son avenir personnel. Pour l’avoir côtoyé dans les pires situations, je connais sa probité, sa droiture… et sa sagesse. Gageons que son éventuelle accession au pouvoir ne vienne ternir la noblesse de ses ambitions (humaines et publiques). J’ai bon espoir…

 

Au revoir chaleureux

Fin de mon séjour chez Demba. Retour à ma table de travail.

 

Enquête en quête d’audience (suite et fin)

Mon livre s’achève (enfin). Je contacte les éditeurs. Tous  refusent de le publier. Une gentille petite histoire ! Sans intérêt ! Très bien ! Exit donc les éditeurs ! Je publierai mon bouquin à mes frais ! Qu’à cela ne tienne ! Les risques et les affres du métier… je connais !

 

Dernier acte

Fin de mon enquête. Le livre que vous tenez entre les mains est le résultat de ce travail acharné. Un bref aperçu de ma longue aventure, truffée d’anecdotes et d’histoires. Peut-être un éditeur aura-il la riche idée de publier un jour l’intégralité de mes notes… à titre posthume peut-être… je finirai bien un jour par casser ma pipe… Mais avant de passer l’arme à gauche, j’aimerais poursuivre mon travail : informer le monde de la bêtise, de la cruauté et de l’abjection de certains de nos comportements ! Et le boulot (malheureusement) n’est pas prêt de s’arrêter !

 

Voilà maintenant quelques mois que j’ai achevé mon voyage dans la peau d’un clandestin… et j’entends déjà l’appel du large ! Et ses relents nauséabonds ! Bon vent, mes amis ! A bientôt ! Et à bon entendeur…

 

 

PRECISIONS A L’ATTENTION DU LECTEUR

Précisions financières

Les droits d’auteur du présent ouvrage seront équitablement partagés : 1/3 sera destiné à financer le parti politique de Demba (et l’âpre campagne électorale qui s’annonce), 1/3 sera adressé à Terre d’Accueil pour ses multiples actions auprès des migrants et le dernier 1/3 permettra de rembourser mes frais de publication…

 

A l’attention des donneurs de leçons moralistes…

Certains lecteurs pourraient reprocher à ce voyage et à cette enquête un excès d’égocentrisme et une indifférence (néocoloniale) pour la misère du monde. Je les entends (déjà) les nantis repus qui, du fond de leur moelleux canapé, me traitent d’égoïste. D’aucuns pourraient penser, en effet que j’aurais pu aider davantage mes compagnons de route pendant leur voyage. Et faciliter leur périple. Notamment grâce à mes revenus de « nanti occidental » (néanmoins modestes et erratiques)… voici ma réponse : je les ai aidés modestement (très modestement… il est vrai… et à ma façon). Mais pourquoi se contenter d’aider cette poignée d’Hommes et laisser les autres se débrouiller avec leur destin ? D’autres encore pourraient me reprocher (avec une vertueuse indignation au fond de la gorge) de ne pas avoir aidé toutes celles et ceux que j’ai croisés… Certes… je n’ai nullement fait mention dans ce récit du moindre acte d’altruisme et de générosité !  Par pudeur et souci de dignité pour mes compagnons, j’ai préféré taire les gestes… modestes il va sans dire qui permirent de soutenir, de réconforter momentanément un peu de misère, quelques souffrances… Restons-en là ! Une simple précision pour faire taire toute critique (éventuelle). Aux plus mesquins, je rétorquerais que je les ai tous un peu aidés à ma façon. Et que ma traversée de l’intérieur, dans la peau d’un migrant, a sans doute plus de poids qu’une « simple » retranscription de témoignages. Et enfin, disons-le clairement, cette traversée avait une résonance symbolique personnelle forte… sur laquelle je ne m’étendrai pas… il est si facile de juger de son fauteuil… faites votre traversée… et on pourra en reparler… Et pour ceux que ces arguments ne convaincraient pas, quand bien même aurais-je souhaité (et continuerais-je à le vouloir…) sauver l’humanité entière (et davantage) m’en manquait (et m’en manquera toujours…) indéniablement la capacité ! Ma règle (en la matière) : faire à sa mesure. Et tant pis si la mesure est faible…

 

15 novembre 2017

Carnet n°7 Pensées vagabondes

Recueil / 2003 / La quête de sens

Comment écrire dans le même instant les battements du cœur, les bruits de la rue, le vol des hirondelles, les doigts sur le clavier, un chien qui aboie, les pensées qui se succèdent sans s’arrêter jamais, les sentiments qui vous étreignent et qui disparaissent, le téléphone qui sonne et qu’on ne décroche pas, les idées qui naissent et qui meurent, les nuages qui passent dans le ciel, la sueur qui perle sur le front, les poils de barbe qui ne cessent de pousser, le mur de la maison qui s’effrite, le temps qui passe, seconde après seconde. Comment écrire la vie ? Comment l’écrire totalement, pleinement sans omettre le moindre évènement ?

 

 

Librairies, bibliothèques et littérature regorgent de faux livres. Les vrais livres sont rares. On les reconnaît non par la beauté de leurs phrases, ni l'attrait de leur histoire mais par la lumière qu'ils font en nous.

 

*

 

Il faut d'abord apprendre à être curieux de soi-même pour comprendre les autres.

 

*

 

Devenir les uns pour les autres, la main, le pied, la jambe, la tête, le cœur d'un seul et même corps.

 

*

 

Trouver sa propre verticalité, indépendamment de toute chose et de tout être, la laisser grandir et tenter de lui rester fidèle en toutes circonstances.

 

*

 

Lorsque je me sens fragile et vulnérable, je reste chez moi, le cœur recroquevillé sur ma table de travail. Dans ces instants, il arrive (pourtant) que la vie se bouscule devant chez moi, frappe à ma porte, m'appelle par la fenêtre et je fais comme s'il n'y avait personne, je me cache, le cœur tapi sous mes feuilles de papier et j'attends que la vie passe et aille frapper à une autre porte.

 

*

 

Ouvrir son cœur ne le fragilise qu'en apparence (puisque l'on y accueille la souffrance, cela peut nous rendre triste ou abattu), mais en profondeur, il s'en trouve assurément fortifié.

 

*

 

Dès qu'il sortait de chez lui, il revêtait une carapace de froideur arrogante pour ne laisser entrer le monde dans son cœur. Car il en avait toujours eu très peur et il rêvait secrètement depuis l'enfance que ceux qu'ils croiseraient se cogneraient contre cette paroi glacée et finiraient par glisser à ses pieds. Mais c'est toujours l'inverse qui se produisait. Tous le fuyaient comme l'abominable, l'infréquentable homme des neiges. Et il mourût seul enseveli sous des tonnes de glace.

 

*

 

N'avoir à rendre de compte à personne… mais devoir à peu près à tous.

 

*

 

Ne pas se laisser dérouter par le monde… mais rendre grâce à tous ceux que l'on rencontre.

 

*

 

Chaque instant est un adieu au précédent. Ainsi passe notre vie… d'adieu en adieu… et les morts aussi nous quittent de cette façon…. eux qui étaient encore vivants l'instant d'avant.

 

*

 

Au fond, peut-être n'écrit-on jamais que pour partager avec soi-même, pour s'assurer du réel de notre vie et devenir le témoin de notre propre existence.

 

*

 

Nous sommes tellement prisonniers de notre vie, tellement occupés par nous-mêmes que nous avons toutes les difficultés du monde à accorder une place réelle à ceux qui vivent avec nous (nos proches), à accueillir (y faire entrer) ceux qui vivent à nos côtés (voisins, amis) et à ouvrir la porte à ceux que nous croisons (connaissances, passants, inconnus).

 

*

 

Il ne faut pas craindre de fréquenter ceux qui nous semblent infréquentables (pour toutes sortes de mauvaises raisons), car ils nous invitent, malgré eux, à explorer une partie de nous-mêmes que nous ne voulons pas voir.

 

*

 

Notre vie est une étrange synthèse, un étonnant mélange d'un trop plein de soi et d'un immense désert de l'Autre.

 

*

 

Vivre, c'est marcher seul dans un désert peuplé d'ombres. Et lorsqu'il nous arrive de nous cogner contre elles, on s'en trouve déboussolé, désorienté, ne sachant plus quel chemin emprunter…

 

*

 

Nous accordons souvent une place aux autres dans notre vie pour emplir un espace que nous ne savons ou ne parvenons pas à combler nous-mêmes.

 

*

 

On ne renonce à rien, ce sont les choses qui se détachent. Elles tombent comme un fruit mûr pour enrichir le sol qui donnera toute sa force à l'arbre dépouillé.

 

*

 

Il ne sert à rien d'égayer la vie quand on est triste. Il nous faut seulement accueillir avec joie notre tristesse.

 

*

 

Notre vie est souvent une terre aride, impropre à faire naître (et croître) toute rencontre.

 

*

 

Nous ne rencontrons jamais personne. Le plus souvent, nous ne croisons que des fantômes égarés qui se fuient eux-mêmes, et au mieux, des fantômes affamés qui errent dans le monde à la recherche d'eux-mêmes.

 

*

 

N'avoir aucun a priori sur ce qui devrait être, mais apprendre à porter un regard frais et spontané sur ce qui est.

 

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Espérer, c'est s'attendre à être déçu toujours. Ne rien attendre, c'est retrouver (revenir) le réel.

 

*

 

Les désillusions sont comme des repères sur notre chemin. A chaque fois qu'on les rencontre, elles nous indiquent une nouvelle direction à prendre. Et nous tournons ainsi à chaque carrefour qu'elles posent sur notre route… jusqu'au jour où l'on s'aperçoit qu'il est vain d'espérer du chemin, et qu'il nous faut tout simplement marcher sans rien attendre… sur le chemin qui est le nôtre…

 

*

 

Apprendre à devenir le chemin lui-même à chaque pas…

 

*

 

Nous croyons construire notre vie. Il n'en est rien. C'est la vie qui, à travers nous, fait son œuvre.

 

*

 

Oser mourir à soi-même, c'est se donner la chance de renaître au monde. Mais on ne meurt jamais complètement, on apprend progressivement à entretenir un rapport différent au monde.

 

*

 

Henry Michaux a écrit : "J'écris pour me parcourir". Quant à moi, je dirais : "J'écris pour nous découvrir… lever (ôter) les voiles sombres qui (cachent) dissimulent nos paysages intérieurs et explorer la vie (et les horizons) qui nous habite.

 

*

 

Ô Vie, puisses-tu me nourrir de chaque chose ! Il serait plus juste d'écrire : Ô Vie, puisses-tu me donner conscience de me nourrir de chaque chose !

 

*

 

L'illusion de construire notre vie en toute liberté tient à notre impression d'avoir le choix et à notre libre arbitre, mais c'est ignorer les forces mystérieuses qui les sous-entendent et qui nous poussent à opérer ces choix.

 

*

 

Le monde comme maison et la vie pour refuge. Sur tous les chemins, partout, j'aimerais me sentir chez moi…

 

*

 

Ne s'attendre à rien est le plus sûr moyen d'aller sur le chemin.

 

*

 

Accepter de ne pouvoir sauver le monde, contribuer peut-être à sauver quelques êtres, s'aider sûrement à se sauver soi-même (non par égoïsme, mais par réelle impossibilité de venir en aide aux autres). Au fond, on ne peut se sauver que soi-même… on ne peut qu'encourager les autres à se sauver…

 

*

 

La vie ressemble à un immense puzzle (un puzzle infini et en perpétuel mouvement) dont chaque vie serait une pièce, à la fois minuscule, unique et irremplaçable.

 

*

 

Ouvrir sa vie à tous les vents (du monde)… vents bons et mauvais, vents forts et faibles, tous nous poussent vers nous-mêmes.

 

*

 

Le fait même d'appeler certains évènements des épreuves révèle à quel point nous ne savons pas encore les appréhender pour ce qu'ils sont.

 

*

 

Aussi accueillant qu'une cellule de monastère… voilà pour moi l'image même de la convivialité ! N'est-ce pas là l'endroit le plus accueillant et le plus propice à faire naître la Joie ?

 

*

 

Quand le monde devient (ou du moins te semble devenir) trop hostile, ne fuis pas, ne te recroqueville pas, trouve refuge en toi pour trouver le courage et la force d'accueillir les évènements et de poursuivre ta route !

 

*

 

Une vie : de petits riens mis bout à bout. De petits riens, à chaque fois, uniques, irremplaçables, inestimables…

 

*

 

Ne dit-on pas que la vie est un éternel recommencement… jour et nuit, saisons, poussière qui s'accumule chaque jour, qu'on enlève et qui se redépose le lendemain, repas que l'on prépare, que l'on mange et que l'on fait disparaître, comme si la vie voulait nous apprendre le transitoire de chaque chose, de chaque geste, de chaque acte… éternelle leçon des jours qui passent.

 

*

 

Apprendre à se libérer de nos peurs et de l'emprise du regard du monde, c'est commencer à devenir plus libre.

 

*

 

Se cogner aux quatre coins du monde, puis poursuivre le chemin en soi.

 

*

 

Chercher en soi toutes les ressources… non pour lutter ni combattre… mais pour accueillir et embrasser.

 

*

 

Il n'y a aucun combat à mener. Ni contre la vie, ni contre le monde ni contre soi. Si combat il doit y avoir, il doit être mené pour maintenir l'exténuant (et parfois insurmontable) effort que nécessitent l'acceptation et l'accueil de toutes choses.

 

*

 

Ouvrir un livre comme une page sur le monde, une fenêtre sur la vie, une porte que l'on ouvrirait sur soi.

 

*

 

Se retirer en soi comme l’on fermerait les volets, pour se protéger des lumières du monde, regagner la vie obscure et (réapprendre) retrouver la lumière en nous.

 

*

 

On ne peut oublier le monde en vivant au plus près de soi-même.

 

*

 

C'est en vivant loin du monde que l'on vit parfois au plus loin de soi-même… et à d'autres périodes, il arrive que cela soit l'exact contraire…

 

*

 

Chacun devrait travailler à sa mesure… à son rythme… selon ses goûts et aspirations… sans se soucier ni du talent (le sien et celui des autres) ni du regard indifférent ou méprisant du monde.

 

*

 

Au début nous sommes dans "le faire" pour échapper sans doute aux abîmes de "l'Être". Malgré les multiples invitations à la solitude que nous offre la vie, nous luttons de toutes nos forces pour éviter de nous retrouver seuls face à nous-mêmes. Puis vient l'incontournable étape de "l'Être" qui nous éloigne progressivement du "faire" frénétique que nous avons toujours connu. Progressivement, l'Être gagne en force et en vitalité. Lorsqu'il parvient enfin à se suffire à lui-même, il donne au "faire" jusque dans les moindres gestes et les actes les plus anodins une justesse et une harmonie insoupçonnables.

 

*

 

Puisqu'il est impossible de transformer la vie, les êtres et les choses de ce monde, il est sage (sinon de bon sens) de transformer sur eux notre regard.

 

*

 

Il n'y a pas de chemin idéal. Chacun doit partir et avancer avec ce qu'il est et possède et à partir de l'endroit où il se trouve. Chacun doit cheminer à son rythme et à sa mesure sans chercher à imiter quiconque mais en cherchant en lui le chemin et la force de poursuivre sa route.

 

*

 

Quel déchirement de laisser la souffrance ouvrir en nous un espace… Que de luttes pour tenter de refermer cette plaie béante qui nous brûle… Mais quelle Joie de sentir progressivement cet espace s'élargir et s'ouvrir à toutes choses…

 

*

 

Il y a tant de grandes choses en moi… pourquoi s'acharnent-elle à sortir si petites ? Est-ce lié aux limites de ma condition humaine ? En conserverais-je inconsciemment la plus grande part par devers moi ? Est-ce ma perception qui les déforme et leur donne un poids et une dimension qu'elles n'ont pas? Pourquoi ces grandes choses ne sortent-elles donc pas à leur vraie mesure ?

 

*

 

Les Hommes sont d'étranges aventuriers. Ils partent à la découverte de contrées lointaines, s'aventurent dans le cosmos et l'univers mais éprouvent les plus grandes réticences à explorer l'espace qui les habite.

 

*

 

Accepter de ne rien contrôler (ni ses états intérieurs ni les évènements de notre vie) en ayant une confiance toujours plus grande en la vie constitue un pas immense sur le chemin vers la sérénité.

 

*

 

Toute réelle transformation procède d'une métamorphose du regard. Toute métamorphose du regard provient d'une lente et longue évolution. Toute évolution trouve son origine dans une très progressive exploration de soi-même qui prend, elle-même, sa source dans le besoin irrépressible de répondre à l'insatisfaction fondamentale de notre vie. Ainsi, l'insatisfaction est sans doute l'un des plus puissants moteurs de recherche de l'humanité.

 

*

 

Apprendre à s'oublier, c'est commencer à accorder une place plus grande aux autres… jusqu'au jour, où il nous est enfin possible de leur redonner leur place réelle : la seule qu'ils méritent, celle qu'ils n'auraient jamais dû perdre, celle qui a toujours été la leur : la totalité de l'espace. Avant d'y parvenir, il nous faut parcourir un très long chemin… d'abord faire sa propre place, allant parfois jusqu'à pousser quelques-uns pour l'étendre (ou la trouver), puis apprendre progressivement à en limiter l'expansion, puis à limiter cet espace lui-même, puis encore (très progressivement) à en restreindre les limites, jusqu'à réduire cet espace au point où il se confonde à la totalité de l'espace…

 

*

 

A la naissance, les Hommes sont de petits points minuscules qui aspirent et apprennent très vite à s'étendre et à s'élargir. La plus grande part des activités humaines tend à (vers) cette horizontalité. Et beaucoup s'en satisfont amplement. Toute leur existence est vouée à cette seule dimension : ils travaillent à étendre leur action, leur pouvoir, leur propriété sur l'entière surface du monde. Peu parviennent à découvrir la verticalité, dimension pourtant fondamentale, qui, seule, permet de donner un sens véritable à l'horizontalité. Les seuls qui peuvent y accéder sont ceux qui ont perçu la vanité (l'inutilité et l'orgueil) de la seule démarche horizontale.

 

*

 

Le plafond est toujours trop bas pour celui qui veut regarder le ciel. Et il est souvent à portée de regard pour celui qui croit le regarder.

 

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Regarder en soi, c'est partir à la recherche de sa propre lumière… et découvrir bientôt une lueur qui n'est que le reflet singulier de LA Lumière qui habite chacun.

 

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Nous pouvons avoir recours à tous les conseils, à tous les repères et à toutes les indications du monde, mais nul ne peut apprendre à marcher sans devenir son propre guide.

 

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La solitude est une compagne exigeante et d'abords difficiles. Mais lorsque la séduction a opéré, (qu'elle est parvenue à nous séduire), il est rare - très rare - que nous soyons déçus.

 

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Toutes nos épreuves sont essentielles… et pourtant si dérisoires… à moins que cela ne soit l'inverse, que toutes nos épreuves soient dérisoires… et pourtant si essentielles.

 

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Toute confrontation au monde est d'abord une confrontation à soi-même. Le monde est un étrange miroir où nos travers sont mille fois grossis…

 

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Les vieux ressassent leurs souvenirs en attendant la mort. Comment peuvent-ils à ce point négliger leur avenir…?

 

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On commence à aimer les autres quand on commence à se mettre à leur place. Mais ce n'est là qu'une sorte de projection (tout à fait) égocentrique. Une sorte de premier pas vers l'Amour d'Autrui quand on commence à mettre sa propre personne à la place de l'Autre. Il faut un long et difficile travail sur soi pour aimer l'autre sans qu'intervienne nullement notre propre individualité.

 

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La compagnie des autres est parfois une gêne (une source de nuisance), souvent un réconfort, un faire-valoir ou un tremplin et toujours un miroir. Il est rare que nous soyons (véritablement) avec les autres pour eux-mêmes.

 

*

 

L'homme ordinaire cherche toujours l'extraordinaire. L'homme sage ne cherche rien. Il sait que l'extraordinaire est partout, il le voit dans l'ordinaire de chaque être, de chaque chose, de chaque geste, de chaque situation.

 

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Mon esprit est une sorte d'atelier-bureau où je passe (en solitaire) la plus grande part de mes journées. Et j'ignore le monde qui m'attend dans mon cœur, cette étroite salle d'attente où s'entasse une foule de personnages que je rechigne à faire entrer.

 

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C'est en se frottant au monde que l'on découvre les aspects les plus anguleux de soi-même mais c'est souvent loin du monde (dans la plus grande solitude) que l'on apprend à en raboter l'essentiel. Et c'est en retournant au monde que l'on peut apprécier le chemin parcouru et le chemin à parcourir… i.e la qualité du travail effectué et l'ampleur de la tâche à accomplir.

 

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S'ouvrir à soi-même, c'est commencer à s'intéresser à l'humanité… commencer à s'intéresser à l'humanité, c'est essayer de découvrir la place de l'Homme… essayer de découvrir la place de l'homme, c'est le premier pas métaphysique vers la quête du sens de la vie humaine, c'est l'avant chemin de la spiritualité…

 

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Laisser être est un exercice métaphysique profond et d'un grand intérêt. Il nous révèle à bien des égards notre personnalité profonde et les points d'attache de l'armure que nous nous sommes échinés à façonner des années durant pour nous réfugier dans notre petit monde et nous protéger du grand (du grand monde).

 

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La nécessité intérieure fournit une incroyable énergie. Elle est sans doute notre moteur le plus puissant. Elle permet d'avancer, de traverser les épreuves et les échecs, de sortir des impasses. Sans elle, la volonté serait anéantie à la moindre difficulté. Elle permet la persévérance qui nous offre l'énergie de poursuivre quoi qu'il arrive…

 

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La nécessité intérieure pousse chacun à emprunter un chemin singulier, nous contraignant ou nous invitant à avancer dans une direction ou dans une autre, nous obligeant consciemment ou non à satisfaire nos aspirations et nos exigences intérieures les plus profondes. Comme si ces dernières étaient des domaines que nous avions antérieurement commencé à découvrir ou à explorer sans parvenir à un aboutissement satisfaisant, arrêtés peut-être dans notre progression (notre exploration) par la mort et que nous aspirions, en cette vie, à retrouver afin de poursuivre nos découvertes et traverser ce (ou ces) domaines pour continuer notre chemin.

 

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Notre monde croit davantage en ceux qui ont des réflexions qu'en ceux qui ont des convictions. Le monde accorde en effet à ceux qui ont des réflexions (ou mieux qui élaborent et construisent un raisonnement purement réflexif) plus de crédit et de valeur, voire parfois l'encense plus que de raison. Cette bizarrerie tient sans doute au fait que la plupart des hommes choisissent aveuglément leurs convictions, par facilité, par paresse, par commodité, pour ne pas avoir à réfléchir et être confrontés à leurs propres doutes. Mais c'est oublier que chez d'autres, les convictions sont l'aboutissement transitoire (et encore très largement ouvert et évolutif) d'un long cheminement, qu'elles tirent leurs origines de nombreuses réflexions, qu'elles se sont progressivement construites par la raison, qu'elles ont été enrichies par l'intuition et étayées enfin par la sensibilité et l'intelligence du cœur (dont les intellectuels, à tort, se méfient tant).

 

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Il ne faut jamais oublier qu'avoir des convictions n'empêche nullement de réfléchir, ni d'avoir des réflexions, ni même d'avoir des doutes ou de remettre ses convictions en doute. Pour conclure, je dirais : les convictions sont des aboutissements réflexifs et intuitifs en cours d'évolution, des réflexions en marche (en cours). Dès lors, les convictions ont sûrement plus de valeur (sinon plus de poids et de maturité que de simples réflexions) puisqu'elles sont, elles-mêmes, des chemins réflexifs et intuitifs, des réflexions intuitives en cours de fabrication (d'élaboration) et il est inutile ni de les décrier, ni de les discréditer, ni de s'en méfier davantage que de tout autre raisonnement.

 

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Il faut chercher partout car partout est la réponse. Il ne faut rien chercher, la réponse se dessinera lorsque vous serez mûr pour la voir et l'entendre. La réponse est déjà en vous, recouverte sous des tonnes de couches qui la dissimulent. Notre travail consiste à ôter une à une ces couches. Notre effort doit porter sur ce besoin de nudité.

 

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Se dépouiller de soi-même, c'est devenir plus riche de l'essentiel.

 

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Livrer bataille (contre soi, contre les autres ou contre le monde) revient toujours à scinder (artificiellement) le monde, d'un côté le Beau, le Bien, le Vrai, le Normal, d'un autre, le Laid, le Mal, le Mensonge (le Faux), l'Anormal. Cette perception est non seulement artificielle et subjective mais elle est totalement fausse. La réalité est sinon toujours plus subtile du moins toujours ce qu'elle est, indépendamment de nos jugements et de nos perceptions.

 

*

 

La vie n'est que dynamique, et nous autres, êtres humains, ne savons principalement que la vivre statiquement. Notre désir de la figer à jamais est sans doute notre plus grand malheur. Voilà pourquoi nous sommes toujours (éternellement) avec elle en porte à faux.

 

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Dans le vaste théâtre du monde, nul n'est irremplaçable mais chacun est indispensable.

 

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Si nous naissions avec 2 grandes ailes, 4 longues jambes, 4 bras puissants, un esprit et un cœur larges, profonds et ouverts, la condition humaine (avec ses 2 jambes et ses 2 bras tous bêtes, son esprit étroit et son cœur froid et fermé) nous paraîtrait un supplice.

 

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Tout reproche est illégitime mais sans doute jamais sans fondement.

 

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Tout contrainte (ou sentiment de contrainte) n'est pas une entrave à la liberté mais une invitation à se libérer d'une vision grossière et erronée de la liberté. Mais qu'il est difficile de s'en persuader lorsque nous sommes mis à l'épreuve…

 

*

 

Aux yeux du monde, le solitaire est sans doute l'individu (l'être) le plus suspect qui soit. On le perçoit (sûrement) comme un homme indigne de toute compagnie. Mais pourquoi ne s'interroge-t-on jamais sur l'indignité de toute compagnie ?

 

*

 

Nous avons le droit d'être idiots, mauvais, méchants, médiocres. Nous le sommes tous à certains instants et à des degrés divers. Ces aspects de nous-mêmes que nous tentons vainement de camoufler appartiennent aussi à notre humanité. L'ignorer, c'est s'exposer à une fuite en avant toujours plus grande, c'est construire une image fausse et partielle de nous-mêmes, c'est donner du poids à un leurre dont nous serons tôt ou tard les premières victimes.

 

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Croire en son intelligence fondamentale sans omettre l'idiot qui est en nous et l'abruti qui parfois nous gouverne...

 

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Notre plus grand malheur est de nous croire importants… Nous le sommes sûrement… mais sans doute pas comme nous l'imaginons…

 

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Nous sommes à la fois résolument seuls et irrémédiablement liés aux autres. C'est avec cette double vérité qu'il convient d'apprendre à vivre… Ne pencher ni du côté de la solitude morbide (et du repli) ni sombrer dans la dépendance aliénante…

 

*

 

On croit vivre pour toujours les uns avec les autres, mais, bien sûr, il n'en est rien… Il n'y a rien de plus faux. On s'accompagne un temps, allant ensemble sur le chemin pour (quelques instants), quelques heures, quelques mois, quelques années, quelques décades... La vie a vite fait, un jour, de nous séparer… (tôt ou tard elle nous sépare), que nous nous quittions, que nos chemins divergent ou que la mort vienne à frapper… et notre chemin se poursuit ailleurs continuant à croiser d'autres destins…

 

*

 

La plupart des auteurs met un point d'honneur à faire de la littérature, à devenir des techniciens du mot, des experts narratifs, des professionnels de la syntaxe, des spécialistes stylistiques, des maîtres du procédé littéraire, ou même des créateurs langagiers, voire des apôtres du Verbe. Tout cela relègue l'écriture à une simple et stupide activité. La seule chose qui devrait importer est d'exprimer (de dire) le Vrai de la Vie. Et qu'importe la façon de le dire. Le reste n'est que littérature.

 

*

 

Nous sommes des êtres limités… de mille façons. Pour s'en convaincre, il suffit de voir la quantité limitée de souffrances que nous pouvons accepter… Nous avons pourtant le potentiel de dépasser ces limites… être en chemin, c'est travailler à cet élargissement…

 

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Les difficultés nous semblent venir de l'extérieur, mais seuls les obstacles sont en nous.

 

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La seule chose qui m'importe est le bagage que j'emporterai par-delà la mort.

 

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Vous sortez de certains livres aussi pauvres que vous y êtes entré… plus pauvres peut-être car ils vous ont conforté dans le mythe universel.

 

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Eriger ses vérités en dogmes, c'est vouloir se protéger du doute. Vouloir se protéger du doute, c'est vouloir le tuer. Et vouloir le tuer, c'est vouloir tuer la vérité qui, sans le doute, ne peut exister.

 

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Mille fois sur le chemin, remets tes pas… Mille fois en ton cœur, recueille les pleurs…

 

*

 

Tenir le lecteur en haleine, c'est le précipiter dans le récit, c'est l'éloigner de lui-même… il n'y a pas de meilleure façon pour le tenir à distance de la vérité.

 

*

 

Un homme qui pleure dans une maison, une maison située au cœur de la ville, une ville située au cœur d'une région, une région située au cœur d'un pays, un pays situé au cœur d'un continent, un continent situé au cœur du monde, un monde situé au cœur d'une planète, une planète située au cœur d'une galaxie, une galaxie située au cœur d'un univers, un univers situé au cœur du cosmos lui-même sans doute situé au cœur d'une dimension infinie… 2 remarques alors : nous sommes toujours au centre, au cœur de l'univers. Et que représente (que signifie) la souffrance d'un homme dans cette immensité ?

 

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S'appauvrir est incontestablement l'une des plus sûres façons de s'enrichir.

 

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L'un aime les femmes petites et menues, l'autre les hommes grands et imposants. Mais qui aime-t-on vraiment derrière ces autres que nous croyons aimer?

 

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Autrefois les hommes étaient abrutis par le travail. Aujourd'hui, ils sont abrutis par les loisirs et les distractions. Quand les hommes apprendront-ils enfin à se désaliéner ?

 

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Savoir, c'est ingurgiter des connaissances empilées les unes sur les autres et plus ou moins intelligemment organisées. Connaître, c'est s'imprégner d'une vérité jusqu'à la faire sienne. Savoir est la marque des gens cultivés, connaître celle des gens intelligents (non au sens logique ou rationnel du terme mais au sens vrai).

 

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Lorsque vous croisez 2 femmes et que vous trouvez l'une belle et l'autre laide, c'est que vous avez encore besoin d'apprendre à voir, d'apprendre à affiner votre regard pour trouver partout la beauté !

 

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L'essentiel n'est ni de vivre riche, ni de vivre mieux ou vieux, ni même de vivre en bonne santé mais de savoir pour quoi l'on vit, cela donne à l'âme un inestimable contentement.

 

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Au seuil de la mort, deux choses me semblent essentielles : partir le cœur apaisé (sans regret sur sa vie passée et satisfait de ce que l'on a vécu) et s'en aller l'esprit serein (sans crainte de ce qui va arriver).

 

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Vivez non pas comme si chaque instant était le dernier mais comme s'il pouvait être le dernier.

 

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Encourager les autres à s'aider eux-mêmes (à trouver en eux les ressources nécessaires) est sans doute la meilleure façon de leur venir en aide.

 

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Parler ou se taire. Souvent il n'y a guère de différence… la vérité est partout… au cœur du bruit comme au cœur du silence… et derrière les apparences, chacun peut la deviner.

 

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Ecouter l'autre, c'est souvent entendre sa propre voix.

 

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La force de la volonté n'est rien face à celle d'un long mûrissement intérieur.

 

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Compagne et compagnon de vie : infime particule du monde et pierre angulaire du nôtre.

 

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Si l'on demandait à chacun de dessiner la carte des souffrances et des bonheurs humains, nul ne s'entendrait ni sur les territoires ni sur l'itinéraire pour traverser l'existence sans encombre.

 

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Au-dessus des nuages, nul mauvais temps, mais un ciel infini. En dessous, un voile de grisaille percé de quelques éclaircies. Mais à y regarder de plus loin, les choses apparaissent différemment. Au-dessus des nuages, un ciel bleu et infini. Et au-dessus du ciel bleu et infini, le noir le plus sombre, l'obscurité la plus grande. Toute élévation demeure un mystère!

 

*

 

Le rejet (souvent inconscient) d'une partie de soi est sans doute à l'origine de notre violence, violence intérieure d'abord que l'on exerce, souvent à notre insu, envers quelques parties de nous-mêmes, et violence extérieure (simple reflet de notre violence intérieure) que l'on exerce à l'encontre de quelques parties du monde.

 

*

 

L’homme n’aime souvent que ceux qui lui ressemblent et ce qui le rappelle à lui-même. Il faut pourtant apprendre à aimer la différence. C’est elle qui nous enjoint de repousser sans cesse les limites de notre (in)tolérance, à accepter progressivement des pans entiers de nous-mêmes et à accueillir toujours davantage l’autre qui devient progressivement notre prochain, puis notre proche, et sans doute par la suite une réelle partie de nous-mêmes.

 

*

 

Il y a dans la vie de chaque Homme, des parcelles de bois sombres, des clairières lumineuses, des coins de terre obscurs et des bouts de ciel bleu, une infinité de paysages inexplorés. Le vrai voyageur quitte sa demeure pour aller arpenter ce monde.

 

*

 

Le découragement est le signe d’une attente trop grande à l’égard de la vie, une incapacité partielle ou totale à accueillir les évènements en cours, la vie qui vient et la vie à venir.

 

*

 

Perdre, c’est gagner en humilité et en dénuement. Savoir perdre est une immense victoire sur soi-même.

 

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Tourner en rond… jusqu’à ouvrir la brèche de notre regard étroit. Tourner en rond… jusqu’à ce que l’infini nous apparaisse au-dedans.

 

*

 

Il y a en nous tant d’horizons inexplorés… tant de vérités à découvrir… Chacun est à lui seul un monde infini.

 

*

 

Lorsque la vie nous détourne de notre chemin (celui que nous avons construit ou plus exactement l'illusion d'avoir construit, celui auquel nous aspirons profondément), c'est toujours là un détour nécessaire, une étape indispensable pour nous rapprocher de nous-mêmes.

 

*

 

La vie assigne à tout homme une double tâche : trouver une place en ce monde qui lui permette d'être lui-même.

 

*

 

Tout sentiment de contrainte n'est pas une entrave à la liberté mais une invitation à se libérer d'une vision grossière et erronée de la liberté. Mais qu'il est difficile de s'en persuader lorsque nous sommes mis à l'épreuve…

 

*

 

Nous ne sommes les uns pour les autres que les instruments de la vie. Il serait vain de croire autre chose.

 

*

 

La façon dont nous voyons la vie n’est que le reflet de notre monde intérieur.

 

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Un regard bienveillant transforme le monde.

 

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Apprendre à tout accueillir… apprendre à ne rien rejeter… pas même son incapacité à accueillir… ni même sa volonté farouche de tout rejeter.

 

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Se perdre, c'est retrouver une partie de soi trop longtemps oubliée, écartée.

 

*

 

La vraie liberté est d’accepter de devenir le serviteur enjoué de la vie.

 

*

 

Les aspérités de l’existence sont des coins d’ombre où l’on se brûle souvent. Pour qui sait y demeurer, elles deviennent un abri réconfortant et un tremplin vers la Lumière.

 

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La vie rêvée, la vraie vie n’est autre que celle que nous vivons.

 

*

 

Ne jamais faire le jeu du monde, mais laisser la vie édicter ses règles.

 

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Refuser toute protection, toute carapace, toute fuite face aux aléas de la vie, c'est apprendre à se tenir debout dans la tempête.

 

*

 

Certains jours, nous n'avons plus ni la force ni le courage de marcher… il nous faut alors puiser en nous plus profondément encore pour trouver la force et le courage d'accueillir le découragement et l'apathie… c'est aussi cela poursuivre le chemin en soi…

 

*

 

Apprends à faire de toute chose une rencontre… de tout geste une découverte… de toute situation un territoire à explorer…

 

*

 

Il est idiot et inutile d'avoir peur que la vie nous reprenne ce qu'elle nous a donné. La vie ne donne ni ne reprend rien. La vie transforme, nous transforme et se transforme. Vivre, c'est se transformer sans cesse. Craindre le changement, la métamorphose, la transformation, c'est tout simplement avoir peur de vivre.

 

*

 

Apprendre à accepter ses parts d'ombres, c'est commencer à trouver en soi un peu de lumière.

 

*

 

Nous devrions remercier tous ceux qui nous agacent ou nous exaspèrent car ils nous révèlent, malgré eux, les aspects de nous-mêmes que nous détestons. A chaque fois que nous les croisons, ils nous offrent l'occasion de nous ouvrir à ces aspects que nous refusons de regarder.

 

*

 

Ce sont nos pensées, nos actions et notre regard qui donnent au monde sa couleur, son éclat et son relief.

 

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Nous ne connaissons qu'une infime partie du chemin. La vie humaine n'est sans doute, elle-même, qu'une essentielle et modeste étape sur le chemin de la vérité.

 

*

 

Cheminer vers soi consiste à ôter une à une les pelures que nous avons revêtues pour nous protéger des dangers du monde et de la vie pour découvrir enfin notre nudité et notre vulnérabilité. C'est cette fragilité qui nous rend invincible et nous donne la force de nous tenir debout dans toutes les tempêtes.

 

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Ne rien craindre de la Vie car elle nous ouvre, nous offre ou nous invite au meilleur chemin qui soit.

 

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Donner du bonheur aux autres n'est pas les divertir d'eux-mêmes, c'est au contraire les aider à explorer (et à arpenter) leurs terres obscures, leur permettre de remuer leurs fientes et leurs scories, bref, les encourager à plonger au cœur de leur être pour qu'ils trouvent leur propre joyau.

 

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Ne s'accrocher à rien est le plus sûr moyen d'aller plus libre. Ne s'accrocher à rien ne signifie pas être indifférent mais se laisser traverser, accueillir sans retenir, laisser partir sans s'agripper…

 

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Elargir son cœur sans le déchirer… voilà une tâche peu aisée…

 

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Il n'y a pas d'amour heureux, dit le proverbe. Effectivement, il n'y a pas d'amour égoïste heureux. Et l'Amour (l'amour véritable) ne rend pas heureux… il apporte la Joie, celle qui est au-delà du bonheur.

 

*

 

Gardons-nous de juger la vie et le monde, apprenons à rester humbles, ouverts et sans a priori et tous deux, croyez-le, sauront nous révéler, derrière leurs tristes et parfois terribles apparences, toute leur beauté.

 

*

 

Il y a parfois une grande tristesse à être au monde… une infinie tristesse éclairée parfois de petites joies dérisoires…

 

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La recherche de plaisir, de confort et de sécurité est un mauvais guide sur le chemin. Refuser de les suivre systématiquement nous épargnera bien des impasses.

 

*

 

La souffrance est un aiguillon efficace, elle est sans doute notre meilleure amie. C'est elle qui nous pousse sur le chemin. Mais il faut du temps pour s'en rendre compte et plus encore pour pouvoir lui rendre grâce.

 

*

 

En cette vie, chacun doit tenir son rôle, celui que la vie lui a octroyé. On trouve son rôle en écoutant la vie en soi. 

 

*

 

Le monde cherche des guides, des modèles et des réponses toutes faites pour le guider (vers le bonheur, la sagesse, la vérité). Le mimétisme est le signe d'une grande puérilité et d'une affligeante paresse. C'est se méprendre sur la quête. Nul effort ne peut être épargné à celui qui chemine.

 

*

 

Ne jamais rien avoir à prouver à quiconque ni à soi-même… l'un des meilleurs moyens de se délester de fardeaux inutiles, une façon de ne jamais se laisser dérouter… et enfin une libre possibilité d'avancer vers soi…

 

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Se préparer à la mort, c'est apprendre que toute chose a une fin irrémédiable.

 

*

 

En apprenant à accueillir progressivement la Vie, on trouve la Joie. Quand on a trouvé la Joie, la Vie s’invite naturellement.

 

15 novembre 2017

Carnet n°6 Une chienne de vie

Fiction jeunesse / 2002 / Hors catégorie

Depuis la mort de Léo, mon dernier compagnon à quatre pattes, je passe mes journées à l'ombre du vieux platane, sur l'unique banc de l'île, à deux pas de la petite cabane que j'ai construite en arrivant ici. Chaque jour, je me laisse aller à quelques souvenirs, tous immanquablement liés à une aventure survenue lorsque j'avais une douzaine d'années. J'ignore si cet évènement extraordinaire s'est déroulé de la façon dont il m'apparaît aujourd'hui (et je crois que je l'ignorerais jusqu'à ma mort…). Mais qu'importe ! Cette histoire est si belle que je ne peux résister au plaisir de vous la raconter.

 

 

Prologue

J'ai toujours eu un mal de chien avec l'école, les livres et les devoirs (en tous genres). Il en a toujours été ainsi avec les choses qui m'ennuyaient. Aujourd'hui, je suis trop vieux pour m'en plaindre. Et personne ne serait en mesure de me blâmer. Je vis seul, depuis près de 40 ans, retiré sur une petite île perdue au large du continent.

 

Depuis la mort de Léo, mon dernier compagnon à quatre pattes, je passe mes journées à l'ombre du vieux platane, sur l'unique banc de l'île, à deux pas de la petite cabane que j'ai construite en arrivant ici. Chaque jour, je me laisse aller à quelques souvenirs, tous immanquablement liés à une aventure survenue lorsque j'avais une douzaine d'années. J'ignore si cet évènement extraordinaire s'est déroulé de la façon dont il m'apparaît aujourd'hui (et je crois que je l'ignorerai jusqu'à ma mort…). Mais qu'importe ! Cette histoire est si belle que je ne peux résister au plaisir de vous la raconter.

 

 

Chapitre 1

A l’époque, j'étais en classe de 5ème, au collège Jacques Prévert, de la petite ville de F., bourgade provinciale où j'habitais avec mes parents. L'année scolaire touchait à sa fin. Et nos professeurs, soucieux d'occuper intelligemment nos derniers jours de classe, nous avaient demandé de présenter aux autres élèves de l'école une série d'exposés. Si mes souvenirs sont exacts, les sujets étaient aussi variés que pouvaient être la personnalité et les goûts de chacun.

 

Comme à leur habitude, les meilleurs élèves, soucieux de faire bonne figure auprès des professeurs, s'étaient précipités sur les thèmes les plus ardus : le rôle de la géométrie dans l'architectureles rapports entre musique et philosophie depuis la Renaissance et d'autres exposés du même acabit… exposés fort difficiles (dans lesquels jamais je n'aurais osé m'aventurer). Les autres élèves, peu enclins à risquer pareilles initiatives, s'étaient rabattus sur des sujets plus classiques ; Léonard de Vinci, ses œuvres et ses découvertesLes guerres mondiales et d'autres exposés du même genre. Restaient également quelques thèmes aussi surprenants qu'incongrus réservés au petit lot de cancres habituels. Petit groupe dont je faisais partie et qui était, à dire vrai, peu enjoué à l'idée de se prêter à ce genre d'exercice de fin d'année.

 

Après quelques tergiversations pour adjuger les exposés à ce petit groupe d'élèves récalcitrants, nos professeurs nous imposèrent un sujet. Malgré quelques timides protestations, nul ne se sentit autorisé à contester. Et je fus désigné pour traiter un sujet qui, à l'époque, me semblait des plus loufoques : l'animal domestique dans la société des Hommes. Aujourd'hui, je remercie le hasard de m'avoir permis d'approcher cette thématique à un âge où l'esprit, encore vierge de préjugés, est encore en mesure d'appréhender la nouveauté, voire la bizarrerie, avec une certaine innocence…

 

*

 

Ce jour-là, je rentrai chez moi en maugréant contre cette infâme obligation de travailler en cette période de fin d'année. La date retenue pour l'exposé me laissait quelques jours de répit. Et je les passai à jouer avec insouciance et à me chamailler avec mes camarades.

 

C1

 

La veille au soir, je me mis à ma table de travail. Sans beaucoup de conviction, et un peu fatigué après ces journées d'oisiveté passées à courir les rues avec mes amis. Après quelques minutes d'intense réflexion, je n'avais toujours pas la moindre idée pour traiter ce maudit sujet. J'ai repoussé ma feuille d'un geste las pour poser ma tête sur le sous-main, noir de graffitis et de gribouillages, ornements habituels des élèves peu inspirés face à leurs devoirs du soir. Et je restai ainsi quelques instants, la tête entre les bras, les yeux un peu hagards, à contempler idiotement les objets posés sur mon bureau : plusieurs stylos mâchés jusqu'à la corde, quelques figurines en plastique, un ou deux livres de classe, un bout de ficelle, un statuette africaine offerte par mon oncle au retour de l'un de ses lointains voyages, une vieille lampe de bureau à la peinture écaillée et ma feuille… toujours aussi désespérément blanche.

 

J'avais la nuit entière pour travailler à mon exposé et toujours pas la moindre idée… Je me laissai donc aller à quelques rêveries et sombrai bientôt dans une sorte de demi-conscience… l’esprit vagabond et les yeux clos. Un monde nouveau, presque féerique s'ouvrait à moi. J'y glissai sans résistance, offrant à mon regard une réalité nouvelle… où tout m'apparaissait immense et gigantesque comme si le monde se révélait enfin à sa vraie mesure : dangereux et incontrôlable, opérant sur tous et sur moi en particulier, créature dérisoire et minuscule entre toutes, une force terriblement oppressante et maléfique. C'est sur cette impression que je m'endormis.

 

 

Chapitre 2

Le lendemain, comme à l’accoutumée, ma mère entra dans ma chambre aux premières heures du jour pour me réveiller.

 

- Maxime ! Maxime ! cria-t-elle en ouvrant la porte, il est l'heure !!! Allez ! Debout !

 

En guise de réponse, je ne pus émettre qu'un jappement plaintif. Ma consternation n'était en rien comparable à l'horreur que le visage de ma mère exprimait.

 

- Jean-Louis ! Jean-Louis ! s’époumona-t-elle, viens vite ! Il y a un chien dans la chambre de Max !

 

Mon père, de coutume si placide, se précipita à l'étage.

 

- Mon Dieu ! Quelle horreur ! Un chien dans la maison ! laissa-t-il échapper plein de dégoût, mais où est Max ?

 

De nouveau, j'émis un court jappement. Mais ma réponse ne sembla pas les satisfaire.

 

- Non ! fit ma mère à voix basse, tu ne crois tout de même pas que Max ait pu se transformer en…

- Mais non !!! rétorqua mon père, qu'est-ce que tu racontes…, c'est un chien, un vulgaire chien… et qui va débarrasser le plancher ! Et vite fait encore !!!

 

Joignant le geste à la parole, mon père s'est approché du bureau sur lequel je me tenais recroquevillé, à moitié mort de peur et encore consterné par cette mystérieuse transformation. Connaissant l'aversion qu'éprouvait mon père à l'égard des chiens, je ne pus étouffer un grognement à son approche.

 

- Mais !!! C'est qu'elle mordrait, la sale bête ! lâcha-t-il en reculant, Odette ! lança-t-il à ma mère, va me chercher le balai ! Et toi, me dit-il, tu ne perds rien pour attendre ! Un bon coup sur les reins ! Et tu feras moins le malin pour déguerpir !

 

Ma mère accourut aussitôt avec le balai brosse dont l'usage quotidien n'aurait jamais laissé présager qu'il servirait un jour à une autre activité qu'au nettoyage de la maisonnée. Armé de l'ustensile ménager, mon père s'est avancé menaçant, sans se soucier le moins du monde de la disparition de son fils. Imaginant la sentence qu'il me réservait, j'ai sauté de la table et j'ai déguerpi sans demander mon reste. J'ai descendu à vive allure l’escalier de bois qui menait au rez-de-chaussée du pavillon pour me réfugier, terrorisé, sous le canapé du salon.

 

Mon père, d'ordinaire si lent, dévala l'escalier avec une promptitude époustouflante et se jeta à mes trousses avec une telle rapidité qu'il fut, en un éclair, sur mes talons. Le visage déformé par la colère, il se précipita sur le canapé qu'il fit valser à quelques mètres et se rua sur moi avec tant d'empressement que j'eus toutes les peines du monde à esquiver son coup de balai. Trop affolé pour riposter ou parer une seconde attaque, j'ai sauté par la fenêtre et j'ai pris la poudre d'escampette.

 

D'un bond vertigineux, j'ai franchi la clôture du jardinet et je m'en fus courant à perdre haleine pour échapper à mon terrible bourreau. Je courus tant et si vite que je dépassai bientôt les dernières maisons de la petite ville de F..

Au dernier virage qui annonçait déjà la campagne, je me retournai et constatai avec soulagement que mon poursuivant avait abandonné la course. La crapule n'avait eu en tête que de me faire déguerpir au plus vite… Et pour le reste, que je me fisse écraser ou que j'aille au Diable, il ne s'en souciait guère, pourvu que sa tranquillité fût épargnée !

 

 

Chapitre 3

Après quelques kilomètres, je m'arrêtai sur le bas-côté de la petite route départementale, presque déserte à cette heure matinale. Indifférents à mon sort, les rares automobilistes poursuivaient leur route à vive allure. Nul ne ralentit en m'apercevant. Nul n'éprouva même la nécessité de s'écarter en me croisant. Non, personne n'avait daigné me voir. Déjà, je n'existais plus dans le regard des hommes…

 

J'ai trottiné une bonne part de la matinée, d'un pas encore timide et malhabile, sur l'asphalte rugueux, mes coussinets (encore fragiles) endurant avec peine le revêtement revêche du goudron mal étalé. Je cheminais ainsi, bien à droite de la route, assoiffé et déjà fatigué. Nulle autre issue que cette départementale ! De part et d'autre de la route s'étendaient d'immenses champs de blé et d'orge, ceinturés par de dissuasives clôtures barbelées. De temps à autre, j'apercevais une ferme, gardée par quelques chiens pouilleux attachés par une courte chaîne à un enchevêtrement de planches qui aboyaient, à mon passage, comme de pauvres diables.

 

Ce spectacle m'incita à poursuivre mon chemin sans m'attarder. Pour rien au monde, je n'aurais souhaité finir mes jours chez l'un de ces fermiers, prisonnier de solides entraves, caressé à coups de pieds dans le ventre, nourri à l'eau et au pain sec et obligé de gueuler toute la journée pour assurer mon pitoyable rôle de gardien. J'étais prêt à tout… plutôt que subir cette existence infamante.

 

Lorsque le soleil fut à son zénith, la chaleur me contraignit à faire une halte. Je sautai le talus qui bordait la chaussée et m'enfonçai dans un sous-bois. Je me mis à l'ombre d'un vieux frêne et me roulai en boule sans parvenir à fermer l’œil. J'étais pétrifié de peur. Le moindre bruit me faisait dresser l'oreille. Mon regard inspectait la moindre parcelle en ce lieu pourtant tranquille. Je me tenais sur mes gardes, prêt à fuir à la moindre menace.

 

Au cours de cette période d'errance, j'appris les incertitudes du vagabondage et les lendemains qui ne chantent guère. Seul importait le présent, la vie au jour le jour. Mais en dépit de mon courage et de ma vigilance, je ne pus éviter quelques impairs…

 

Ma première erreur survint ce jour-là. En quittant le sous-bois, je décidai de trouver un village pour y dénicher un peu de nourriture et un peu d'eau. J'ai continué ma route - toujours bien à droite - afin d'éviter les voitures plus nombreuses à cette heure de la journée. Quelques kilomètres plus loin, j'entrai dans mon premier village, un gros bourg perché sur une petite colline boisée. Comme je l'avais espéré, je trouvai sur la place de l'église une fontaine où je pus étancher ma soif. Puis je m'en fus à la recherche de quelques poubelles qui feraient sans doute l'affaire pour mon repas. Je les trouvai sans peine, alignées sur le trottoir de la rue principale. Je m'approchai, heureux et fier de ma débrouillardise en ce premier jour de vagabondage, mais je dus vite déchanter : leur contenu était inaccessible. Ces diables d'Hommes les avaient recouvertes de lourds couvercles… couvercles impossibles à soulever, fut-ce par une mâchoire affamée.

 

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Après plusieurs tentatives, j'abandonnai pour partir en quête d'une arrière-cour de restaurant, espérant me régaler de quelques restes. D'un coup de truffe, j'humai l'air à la recherche d'odeurs de cuisine. Mon flair me dirigea à quelques rues de là, devant un café-restaurant crasseux, où traînaient, à cette heure peu tardive, quelques pochards habitués sans doute à venir tromper, chaque après-midi, leur solitude devant quelques verres d'alcool. J'en fis discrètement le tour et me retrouvai sans surprise devant une petite cour, où s'amoncelait pêle-mêle un capharnaüm de caisses, de casiers à bouteilles et de vidures de poubelles jetées à même le sol. Je m'y glissai subrepticement, heureux de cette formidable trouvaille qui allait enfin contenter ma faim. J'avalai sans rechigner quelques bouts de viandes faisandées et rongeai quelques os de poulet et un vieil os à moelle trouvés parmi les détritus. Attiré par une odeur qui provenait du haut d'une pile de cartons, entassés à la diable, je sautai sur l'amas de caisses dangereusement empilées. Mais la plaque métallique qui recouvrait l'ensemble tomba sur le sol dans un grand fracas.

 

- On le tient !!! On le tient !!! cria aussitôt une voix à l'intérieur du café, Gérard !!! appelle la fourrière !!!

 

Le dénommé Gérard décrocha le combiné téléphonique et composa le numéro. J'entendis, à travers les carreaux, les renseignements qu'il donnait à son triste interlocuteur : mon signalement et l'adresse du restaurant, Auberge des 3 chasseurs. A peine eut-il raccroché qu'il s'empressa de rejoindre ses deux compères. Et tous trois s'avancèrent vers moi d'un air menaçant.

 

- Nom de Dieu !!! dit l'un d'eux, nom de Dieu!!! Depuis le temps que tu viens fourrer ton sale museau dans le coin !!! Aujourd'hui, tu es fait comme un rat !!! Tu ne nous échapperas pas, sale clébard !!!

 

Quelques habitués abandonnèrent leur comptoir pour profiter du spectacle et fermèrent mollement, aux injonctions des trois ivrognes, le portail de la cour.

 

- Ah ! Ah ! Ah ! dirent-ils en cœur, Gérard, va chercher le fusil qu'on rigole un peu !

 

Mais Gérard n'eut guère le temps d'obéir à ses acolytes. Au même instant, une camionnette s'immobilisa à hauteur du bistrot. Deux agents de la fourrière en descendirent et s'approchèrent, armés d'une longue perche, au bout de laquelle pendait un lasso. Sans plus réfléchir, je sautai de mon perchoir, filai entre leurs jambes et me glissai par le portail laissé entrouvert. Et je détalai sans demander mon reste.

 

Après une course effrénée à travers les rues du village, j'ai rejoint la forêt qui entourait ce maudit bourg. Je m'y enfonçai et dénichai une petite clairière, où je pus enfin m'arrêter. Je m'allongeai au pied d'un vieux chêne et m'endormis.

 

Le lendemain, je m'éveillai avec les premiers rayons de soleil. Je m'étirai paresseusement, presque heureux d'être encore libre et en vie. Mais à chaque jour méritait sa peine. Et je me remis en route.

 

*

 

Durant cette période, chaque jour était un éternel recommencement, une lutte pour la survie. Il me fallait sans cesse poursuivre mon chemin pour éviter les habitants de la contrée qui auraient sans doute prévenu la fourrière ou quelques autres lugubres autorités qui se seraient empressées de me confier au triste chenil du coin. Il me fallait chaque jour trouver un peu d'eau et de quoi manger. Voilà en quoi consistaient mes tristes journées ! De ces efforts dépendait ma survie. Oui ! Bien triste est le sort des chiens errants, craintifs, pouilleux, affamés et solitaires, en quête de nourritures et en mal d'affection et d'amour rejetés ou brutalisés par les uns et inexistants aux yeux des autres !

 

Chaque jour, j'allais ainsi, vaille que vaille, au gré de mes pérégrinations, trottant sur le bas-côté des routes, m'abreuvant dans quelques mares ou fossés nauséabonds et m'arrêtant dans chaque village en quête de nourriture. Tel fut mon quotidien au cours des premières semaines de mes aventures.

 

 

Chapitre 4

Après quelques semaines d'errance, mon chemin croisa celui de Raphaël et de Boby. Après une longue marche à travers champs, j'arrivai, ce jour-là, devant une grande bâtisse, un imposant corps de ferme d'où s'échappait une cacophonie de bêlements. Au lieu de la contourner (comme j'en avais l'habitude), mon instinct me dicta de m'en approcher. Je m'avançai avec prudence et me postai à l'entrée de la bergerie, adoptant naturellement l'attitude des chiens de berger, assis sur leur séant, l'œil vif et l'oreille aux aguets. Et je restai ainsi quelques instants, fixant le troupeau avec attention.

- Eh bien, mon vieux, qu'est-ce que tu fais là ? 

Je me retournai… et je vis un jeune homme s'avancer vers moi d'un pas tranquille, suivi par son chien, un bâtard à l'allure débonnaire.

- Eh bien, mon vieux ! a-t-il répété, qu'est-ce que tu viens faire par ici ?  

 

Arrivé à ma hauteur, le jeune homme s'est penché pour me caresser la tête. Au même instant, Boby, son chien, s'est assis devant la bergerie en aboyant.

 

- Oui ! Tu as raison, Boby ! Monsieur Raoul, le fermier, n'aime guère qu'on tourne autour de sa bergerie. Allez ! File, mon vieux ! Ca vaudrait mieux pour toi !

 

Malgré ses conseils, je n'ai pas bougé. 

 

- Allez, mon vieux ! Dépêche-toi ! Je dois mener le troupeau dans les prés.

 

J'ai reculé de quelques pas pour m'asseoir en retrait, à quelques mètres de l'entrée de la bergerie. Mon entêtement semblait le surprendre. Il me lança un clin d'œil complice.

 

- Serais-tu un peu berger, toi aussi ?

 

J'ai conservé ma place, sans sourciller.

 

- Bon…, dit-il un peu dépité, d'accord ! Reste là! Mais attention, mon vieux ! Ne bouge pas !

 

Et il est entré dans la bergerie. Quelques minutes plus tard, les brebis sortirent dans un concert de bêlements en soulevant un énorme nuage de poussière qui ne permit bientôt plus de les distinguer. Mais Boby veillait. Je l'imitai aussitôt. Et nos aboiements stoppèrent leur départ fulgurant. Et tout rentra dans l'ordre.

 

- Bravo, les chiens !!! dit Raphaël, bravo !!!

 

Lorsque les brebis furent rassemblées, Raphaël a rejoint Boby en tête du troupeau. Il m'a fait signe de les suivre et notre longue procession prit la direction des pâturages.

 

*

  

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Ce premier jour en compagnie de Raphaël et de Boby m'enchanta. Notre longue marche, ce jour-là, me sembla merveilleuse. Aucune comparaison avec mes tristes errances sur le bas-côté des routes ! Les incessants va-et-vient auprès du troupeau réveillèrent en moi de profonds instincts... Encouragé par Raphaël et guidé par Boby, j'appris très vite et m'acclimatai fort bien à mon nouveau rôle. Mes progrès furent si rapides (et si incontestables) que Raphaël décida le jour même de m'intégrer à son équipe.

 

A la fin de cette longue journée, Raphaël m'invita dans le minuscule cabanon qu'il partageait avec Boby. Après un copieux dîner (quelques morceaux de poulet mélangés à notre pâté), j'ai rejoint Boby sur sa couche, un petit tapis près de la cheminée. Et je m'endormis, en compagnie de mes nouveaux amis, au coin du feu, dans la chaleur de mon premier foyer.

 

 

Chapitre 5

Après plusieurs semaines passées avec Raphaël et Boby, un matin, je vis mon nouveau maître aller et venir dans la petite pièce, éclairée à la lueur d'une lampe à pétrole. Je l'ai regardé d'un air inquiet. Boby dormait encore, indifférent à cet affairement. Sur le lit, trônait un énorme sac. En voyant mon inquiétude, Raphaël me lança un clin d'œil complice.

 

- Ne t'inquiète pas, Max (oui, Raphaël m’avait appelé Max parce que j’avais appris, selon lui, un max. de choses en un minimum de temps !) Nous partons en transhumance… oui ! A la montagne !

 

A ces mots, Boby s'est redressé et s'est dirigé vers son maître la queue frétillante. Raphaël l’a regardé avec tendresse.

 

- Oui, Boby ! A la montagne ! Loin du monde et loin des villes ! N’est-ce pas merveilleux !??

 

*

 

En fin de matinée, Raphaël boucla son sac. Il jeta un dernier coup d'œil à la pièce et ferma le cabanon.

 

- Bon ! dit-il, eh bien… je crois que nous sommes prêts, les amis ! Nous pouvons y aller !

 

Nous avons gagné la bergerie pour rassembler les brebis, sous l’œil vigilant du fermier, monsieur Raoul. Et nous nous mîmes en route. 

 

*

 

Notre transhumance dura une quinzaine de jours (près de deux longues semaines pour rejoindre notre alpage !). Nous cheminions au rythme du troupeau, empruntant de petites routes, traversant de paisibles villages, sous le regard enjoué, ahuri ou réprobateur des habitants. Notre expédition était un spectacle peu commun. Peu de bergers effectuaient encore la transhumance à pied. Beaucoup préféraient transporter leurs brebis dans d'énormes bétaillères pour rejoindre leur quartier d'été à la montagne. Notre lente procession était d'un autre âge. Une sorte d'anachronisme dans le paysage moderne. Mais chemin faisant, villes et villages se firent moins nombreux. Et nous arrivâmes bientôt sur notre alpage situé sur un haut plateau d'herbages verdoyants, ceinturé par d'immenses barres rocheuses qui semblaient nous protéger du monde. Un site splendide ! Seul le ciel, d'un bleu azur, zébré ici et là par quelques traînées cotonneuses avait droit de regard sur notre paisible équipage, épuisé par cette longue marche et heureux d'être enfin arrivé à bon port.

 

- Alors, Max ! me dit Raphaël, comment trouves-tu l'endroit ?

 

J'ai regardé mon maître d'un air fatigué, le regard éclairé d'une lueur qui révélait ma joie immense de me retrouver dans cet endroit merveilleux en compagnie de mes nouveaux amis. Raphaël n'eut aucun mal à déchiffrer mes sentiments.

 

- Merveilleux et épuisant, n'est-ce pas ?

 

Nous nous dirigeâmes vers la cabane, assemblement de tôles, de planches et de grosses pierres de pays mal scellées, qui trônait, l'allure chétive et pourtant fière, au centre de la vaste étendue.

 

- Voici notre campement ! lança Raphaël en déposant son sac contre l'épais mur de la cabane. Rustique à souhait, confort minimal, gaz sur le réchaud et eau courante à la rivière ! Mais tu verras, mon vieux, ici, nous sommes les rois! N'est-ce pas Majesté ? lança-t-il à Boby qui s'était déjà installé sur le plancher crasseux de notre abri de fortune.

 

Trop fatigué pour répondre, Boby a ouvert une paupière lourde de sommeil qu'il a aussitôt refermé.

 

- Allez, mes amis ! dit Raphaël en sortant de son sac les provisions achetées en chemin, une bonne gamelle ! Et tout le monde au lit !

 

Ce soir-là, après avoir dévoré de copieux bouts de saucissons, je m'endormis heureux, la tête dans les étoiles, rêvant, en ce lieu magique et retiré, à cette nouvelle vie pastorale.

 

*

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Cette existence montagnarde fut loin d'être de tout repos. Chien de berger j'étais devenu, et mes attributions exigeaient quelques efforts et une vigilance de tous les instants. Boby et moi courions beaucoup, sous les directives de Raphaël, pour faire avancer le troupeau, le stopper ou contenir sa vitesse à proximité des passages dangereux. Mais cette vie autarcique, à l'écart du monde des Hommes, n'était pas pour me déplaire. Après mes déboires et les misères que certains m'avaient infligées, quelle autre existence aurait pu mieux que celle-ci panser mes plaies, toujours à vif…  plaies qui – je l'ignorais encore – ne parviendraient jamais vraiment à cicatriser…

 

Je compris très vite que cette expérience montagnarde allait métamorphoser mon existence : cet isolement semblait parfaitement s'accorder à ma nature solitaire et sauvage… Aujourd'hui, je songe avec bonheur à cet épisode bienheureux… Et toute ma vie s'illumine sans ombre, à la lueur de ce travail de la mémoire qui occupe mes paisibles journées.

 

Après quelques jours d'adaptation à cette nouvelle existence, notre joyeuse équipe put s'adonner sans réserve au bonheur et s'enivrer jusqu'à la lie de liberté et de solitude. Les jours et les semaines s'écoulèrent tranquillement, baignant dans une douce et sereine routine. Au cours de ce séjour, Raphaël, mon bon et regretté maître, se montra toujours patient et attentionné. Que grâce aujourd'hui lui soit rendue ! Mais après le beau temps souvent vient la pluie ! Et vers la fin de l'estive, le destin décida de nous séparer. Moi, qui n'avais toujours connu auprès de lui qu'affection et encouragements, j'ignorais que cette attitude était exceptionnelle parmi les possesseurs de chien de travail (et chez les bergers en particulier). Et un jour, un maudit jour de septembre, j'en fis la triste expérience… 

 

 

Chapitre 6

Lancé à la poursuite d'une dizaine de brebis qui avaient franchi les barres rocheuses de notre estive, je me retrouvai bientôt sur l'alpage mitoyen. Je me faufilai par un passage abrupt et réussis à franchir la paroi escarpée. Au prix d'efforts démesurés, j'arrivai enfin là-haut. Je m'arrêtai un instant, la langue pantelante et jetai un œil circulaire à la vaste étendue. Mais des diablesses, nulle trace ! Elles avaient pris le large… sans m'attendre ! Et je me remis en chemin en maugréant… et maudissant ces ingrates brebis, malignes et agiles déserteuses dont les agissements, je me l'étais juré, ne resteraient pas impunis. 

 

Je traversai au pas de course l'immense pelouse alpine du berger voisin, cherchant une piste, une odeur qui me mettrait sur la voie. En vain. J'aperçus en bas, sur notre alpage, Raphaël à l'ombre d'un bosquet qui veillait sur le reste du troupeau. Il ne m'avait vu m'éloigner et je craignais que ma disparition ne l'inquiéta si elle se prolongeait plus longtemps. Depuis combien de temps étais-je parti ? Je l'ignorais. Une seule chose m'importait : récupérer ces maudites brebis.

 

Malgré la fatigue, j'étais prêt à les retrouver coûte que coûte. J'avais décidé par loyauté et devoir envers Raphaël de les ramener dans le droit chemin de nos verts pâturages. Mais l'opiniâtreté est parfois mauvaise conseillère. Je l'appris ce jour-là, à mes dépends. Persuadé que je les retrouverais au plus vite, je m'enfonçai davantage en cette terre ennemie, sans me soucier des dangers encourus par ce genre d'intrusion inopportune.

 

 

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Le berger voisin me repéra sans tarder. En m’apercevant à proximité de son troupeau, son sang ne fit qu'un tour. Il regagna sa cabane et en ressortit quelques instants plus tard une carabine à la main. Et il se dirigea vers moi, l'arme au poing. Cette attitude aurait dû m'alerter. Mais l'innocence dont j'étais encore affublé ne m'incita guère à adopter un repli prudent vers mes bases arrière. La crapule tira sans vergogne ni sommation. Les détonations crépitèrent. Je n'eus la vie sauve, je crois, qu'à la maladresse du berger, trop imbibé de mauvais vin pour atteindre sa cible. Mais pourquoi Diable, cette crapule s'était-elle mis en tête de me faire passer par trépas ? Ses brebis ne m'intéressaient guère. Et avais-je l'air d'un chien errant et famélique, égorgeur de moutons ? Stupide humain, plus prompt à la méchanceté qu'à la réflexion !

 

Malgré ses tirs approximatifs, je fus touché à la cuisse. La blessure se mit à saigner abondamment. Je dus interrompre ma fuite et m'arrêter. Mon agresseur, satisfait de son pitoyable coup d'éclat, jubilait. Lorsqu'il me vit immobile, il s'approcha d'un pas lourd et déterminé. Je sentis soudain la mort rôder, prête à s'abattre sur moi. J'attendais pétrifié et recroquevillé, le coup de grâce…

 

- Alor's, le clébar'd !!! beugla le berger en posant sa carabine sur mon flanc, on fait moins le malin maintenant !!! Qu'est-ce que tu viens faire par' ici ?!!

 

Dans un ultime sursaut de survie, l'instinct m'incita à ne pas répliquer. Je restai immobile et silencieux, paré pour la mort, attendant stoïque que tombe le couperet.

 

- Mais je te r'connais ! dit-il soudain, tu es le chien du ber'ger d'à-côté ! Ce p'tit mor'veux qui gâte ses chiens ! Un gâche métier que ce gar's-là!!! Mais ma foi, je dois r'connaître qu'il sait y fair' avec les clébar'ds !

 

L'odieux berger s'approcha avec méfiance pour examiner mon état. Après avoir inspecté mon corps, ma tête et mes pattes, il s'arrêta un instant sur ma blessure, puis hocha la tête d'un air satisfait.

 

- Ma foi ! dit-il, tu m'as plutôt l'air' solide comme clebar'd ! Et si je te refour'guais à un de mes amis chasseur's, je pourr'ais p'êtr'e même en tir'er un bon pr'ix !

 

Il tira une corde de sa poche, me la passa autour du cou et me traîna sans ménagement vers sa cabane. 

 

Arrivés devant l'étroite maisonnette, il m'attacha au tilleul rabougri qui trônait près de la porte et entra dans son taudis. Il en sortit quelques instants plus tard un tonnelet de mauvaise piquette à la main. Après quelques rasades, il jeta un œil brillant dans ma direction et s'avança d'un pas vacillant en fouillant dans sa besace.

 

- Où est-ce que j'ai bien pu mettr' cette satanée ficelle !!! brâma-t-il.

 

Malgré son ébriété, quelques secondes lui suffirent pour confectionner, à l'aide d'une courte ficelle, une muselière de fortune qu'il passa lestement autour de mon museau. Il fit ensuite jaillir la lame de son couteau qu'il essuya d'un geste machinal sur son velours crasseux et se pencha vers moi.

 

A l'aide de son bistouri de fortune, il coupa, cisela et gratta ma blessure pour extraire la balle qui s'était logée dans l'os. Après m'avoir charcuté les chairs pendant une demi-heure, il la trouva enfin et la brandit, la mine victorieuse. L'ignoble boucher m'abandonna alors à mes douleurs et à mes hurlements et s'en fut dans son cagibi malpropre, son tonneau de vinasse à la main.

 

A la nuit tombée, il daigna enfin m'apporter un peu d'eau. Un quignon de pain et quelques croûtes de fromage vinrent compléter ma pitance. Après les avoir prestement avalés, je me recouchai en proie à la fièvre et aux douleurs.

 

*

 

Quelques instants en la compagnie de cette brute auraient suffi à comprendre combien pouvait être difficile la vie de ces chiens de travail, cantonnés toute leur existence au rôle d'instrument, n'ayant guère plus de valeur, aux yeux de leur propriétaire, qu'un vulgaire couteau. Mes longues semaines de convalescence me donnèrent tout le loisir de voir cette brutalité s'exercer sur mes congénères, Prosac et Cul-sec, compagnons fidèles et dévoués de ce stupide personnage… (les noms ridicules dont il les avait affublés en dit long d'ailleurs sur la considération qu'il leur portait…). Soumis à un rythme de travail ahurissant, les deux petites créatures chétives devaient obéir au doigt et à l'œil de leur bourreau… et s'il le fallait aux coups de bâton et aux jets de pierre, comme d'insignifiants petits êtres mécanisés. Nul repos, nul écart de conduite n’était toléré ! Quelle terrible existence que celle-ci, toute entière vouée à la cruauté et à l'ingratitude de leur maître !

 

Quant à moi, entravé par une lourde et courte chaîne, j'eus le bonheur d'échapper au pénible et incessant labeur sous lequel croulaient chaque jour mes compagnons d'infortune. Ces longues semaines d'observation, rivé au tronc du tilleul rabougri, furent salutaires à ma guérison. Cette captivité ennuyeuse permis à ma blessure de cicatriser. N'était-ce pas là d'ailleurs le vœu ardent de mon geôlier de me voir guérir au plus vite afin de me vendre à quelque chasseur de sa connaissance ? Quel autre intérêt y avait-il, à ses yeux, à nourrir une bouche supplémentaire, et de surcroît inutile, sinon celui de se voir récompenser par quelques menues monnaies ? Il y avait d'ailleurs fort à parier que le sort qui m'était réservé auprès du nouveau maître qu'il m'attribuerait, sans doute un camarade de beuverie, pouvait laisser présager le pire…

 

 

Chapitre 7

Le pire arriva exactement deux semaines plus tard. A peine ma cicatrice fut-elle recouverte par quelques touffes de mon poil terne que défilait devant moi une horde d'individus hirsutes et grossiers, vagues connaissances de mon berger crasseux.

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Au cours de ce fastidieux défilé, j'eus l'occasion de me faire une idée du genre d'acquéreur qui jetterait son dévolu sur moi. Aucun mystère sur le rôle qui me serait assigné : chien de chasse j'allais devenir. Moi qui répugnais déjà à poursuivre les rats et les mulots, je m'imaginais mal poursuivre quelques sangliers, cerfs et autres gibiers. Quant à ramener docilement aux pieds de mon futur maître, faisans, lapins ou perdrix, il ne fallait guère y compter. J'avais ce genre d'activité en horreur. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que je m'évertue, si l'on envisageait de me confier ce rôle, à boycotter cette sanguinaire activité. Je ferais donc à ma grande joie, et au grand désespoir de mon acquéreur, un très piètre chasseur.

 

Mais pour l'heure, la bande de joyeux drilles, tout de kaki vêtus, n'était guère en mesure de procéder à un examen de mes potentialités prédatrices. Assis autour d'une grande table, sortie pour l'occasion, le vin coulait à flot. En fin d'après-midi, la belle assemblée se leva et vint se planter devant moi. Après de rapides présentations, l’ignoble berger, passablement éméché, fit étalage de mes qualités.

 

- Voilà l'animal, mes amis ! La pur' merveill' dont je vous ai par'lée ! Vif, cour'ageux, endur'ant, un flair' à fair' pâlir une meute de véner'ie, une obéissance phénoménal’ ! Il mange peu, suppor'te bien les coups… enfin l'idéal, comme j' vous disais !

 

Les chasseurs m'examinèrent sous toutes les coutures. Un à un, ils vinrent vérifier l'état de ma dentition, regardèrent mes pattes, inspectèrent mes oreilles, palpèrent mes muscles… La pénible "audition" dura jusqu'à la tombée de la nuit. Tous, dirent-ils, allaient réfléchir. Le berger, déçu, ne laissa rien paraître et leur fixa à tous rendez-vous le samedi suivant. Une fois ses hôtes partis, il me décocha un coup de pied rageur dans les flancs.

 

- Sale clébar'd ! beugla-t-il, je te pr'éviens, si tu ne fais pas l'affair'e, je te tr'oue la peau !

 

*

 

Il n'eut pas à se donner cette peine. La nuit même, on me vola. Parmi mes deux ravisseurs, je reconnus l'un des joyeux lurons attablés quelques heures plutôt avec ses acolytes, riant à gorge déployée dans une atmosphère de franche et virile camaraderie. L'indifférence dont il avait fait preuve l'après-midi au cours de la pénible "'audition" n'aurait jamais laissé croire un tel intérêt à mon égard ! Et il était évident que les principes éthiques de ce nouveau maître ne me permettaient guère d'attendre la moindre bienveillance. Cette absence de moralité m'exhortait au contraire à lui échapper au plus vite pour m'extraire enfin des conditions canines dramatiques dans lesquelles je vivais depuis que j'avais quitté Raphaël. Mais, de nouveau, le hasard s'acharna sur moi. Et ce satané sort me confina pendant de longs mois chez ce nouvel oppresseur !

 

*

 

Après avoir coupé ma chaîne, à l'aide d'une impressionnante tenaille, mes ravisseurs me passèrent une solide corde autour du cou et me traînèrent jusqu'à leur voiture, stationnée en contrebas afin - je le suppose - d'éviter d'alerter le berger par le bruit du moteur. A peine arrivés devant leur fourgonnette, ils m'y jetèrent et démarrèrent aussitôt. Le trajet fut de courte durée. Quelques minutes plus tard, nous arrivions déjà dans ce qui allait être ma nouvelle demeure, un petit camp concentrationnaire voué à l'espèce canine, où je vécus plusieurs mois.

 

*

 

Ce premier soir, ils ne prient pas la peine de me sortir de la voiture. Ils en descendirent et s'éloignèrent sans un mot. Mais notre arrivée qui avait déclenché une foule d'aboiements me rassura quelque peu : je n'allais pas me retrouver seul… mais en compagnie de mes congénères, compagnons de galère dans cette chienne de vie.

 

Mais mes espérances furent de courte durée. Le lendemain, mon nouveau maître me plaça seul, attaché à une niche sommaire au fond de la propriété. Il déposa à proximité de mon piteux abri une écuelle d'eau. Et ce fut-là la seule attention qu'il m'accorda ! J'appris très vite qu'ici, la nourriture se méritait. Dans les périodes creuses (qui correspondaient, à ses yeux, aux périodes de fermeture de la chasse), la pitance, une affreuse soupe au vague goût d'os à moelle, ne nous était distribuée que deux fois par semaine. Deux mois avant la date d'ouverture de cette sanglante activité, la sévérité de ce régime, déjà fort draconien, s'aggravait encore. Nous n'avions plus droit alors qu'à une maigre ration hebdomadaire. L'objet de cette ignoble diète était – je l'appris plus tard – de nous affamer afin d'attiser notre goût instinctif pour le gibier et la chasse, unique passe-temps de notre propriétaire, quinquagénaire ventripotent et autoritaire.

 

Dans cet univers affligeant, je consacrais l'essentiel de mes journées à de longues et ennuyeuses siestes. Allongé sur le sol, la tête posée entre les pattes, je contemplais d'un œil morne mes tristes compagnons, de pauvres clébards affamés qui gueulaient des heures durant, en tirant sur leur courte chaîne ou allant et venant comme des enragés derrière le grillage de leur chenil. Il y avait là une douzaine de chiens faméliques dont l'unique obsession (qui tournait parfois à la folie) était de courir dans les fourrés à la recherche de quelques gibiers.

 

Quelques temps avant l'ouverture de la chasse, j'eus droit à un traitement de faveur. Dressage oblige, je pus enfin sortir de l'étroite courette pour m'initier "aux joies" de ma nouvelle activité. Mais toute tentative d'évasion était exclue. Mon avisé et fort prudent maître n'autorisait mes sorties que sous la contrainte d'une grande longe. Le dressage consistait en une série de procédés plus ou moins barbares et traumatisants, destinés à satisfaire les exigences de mon "éducateur" : rester stoïque sous une kyrielle de détonations, rechercher le gibier, le rapporter, enfin "jouer" sans hésitation ni fausses notes le rôle qu'il m'avait attribué.

 

Au cours de ces séances quotidiennes, j'appris avec zèle et apparente bonne volonté, et me montrai un élève attentif et studieux, presque doué. J'avais élaboré un stratagème pour me sortir de cet ignoble endroit, où 10 mois sur 12 mes congénères restaient enfermés. Et la première phase de mon plan consistait à faire croire en mes remarquables capacités de prédation.

 

- Cherche !!! Allez, cherche !!! criait mon mangeur de viande faisandée.

 

Et je partais aussitôt, la truffe au sol, sur la piste du gibier, matérialisé par quelques touffes de poils de lapins ou une boule de plumes de perdrix, trempées dans le sang frais d'une poule, égorgée pour l'occasion.

 

- Rapporte ! Allez, rapporte, le chien !

 

Et j'accourrais aussitôt à grands pas, le leurre à la gueule que je m'empressais de déposer aux pieds de mon ignoble maître.

 

Les exercices se succédaient. Je les enchaînais avec entrain et apparente conviction, sans entendre la moindre approbation ni le moindre signe d'encouragement. Cette énergie déployée dans la promptitude la plus vive aurait sans doute fait pâlir d'envie le plus indifférent des maîtres ! Mais non ! Lui restait insensible à "mes performances". Seuls ses violents et illégitimes éclats de voix venaient parfois ponctuer nos séances. Par cette attitude zélée, j'avais aussi espéré quelques marques de faveur ; quelques caresses sur la tête, de petites bourrades amicales sur les flancs ou une ration supplémentaire. Mais non ! L'ingrat conservait cette froideur indifférente !!! Comment avais-je pu oublier, qu'à ses yeux, je n'étais qu'un simple outil de chasse destiné à rapporter docilement les malheureuses proies qu'il tirerait bientôt ! Mais qu'importait après tout ! Ma stratégie ne consistait pas à conquérir le cœur de cet homme, ni à lui quémander quelque affection, mais à m'extraire de cette intolérable situation à la moindre occasion de liberté. Liberté que je comptais obtenir le jour de l'ouverture de la chasse par mes efforts patients et mon apprentissage forcené.

 

*

 

Le jour J arriva enfin. Ce matin-là, une étrange effervescence envahit le chenil. Excités à l'idée d'aller courir les bois et la campagne alentour, mes compagnons d'infortune se mirent à aboyer comme des enragés. De mauvaise grâce, mais soucieux d'exhiber aux yeux de mon propriétaire mon farouche désir de participer à la "fête", je me joignis au tohu-bohu en aboyant comme un beau diable. Mon stratagème fonctionna à merveille. Il me détacha sans hésitation, ignorant encore que ce geste inaugurerait mon retour à la liberté. Après avoir libéré cinq autres de mes congénères, il nous "invita" à prendre place à l'arrière de la fourgonnette. Et notre petite équipée démarra aussitôt en direction de la forêt, territoire de chasse de mes compagnons, et zone d'évasion pour moi, serviteur trop zélé pour être honnête.

 

Après quelques minutes de trajet, notre voiture s'arrêta enfin. Notre propriétaire en descendit pour aller saluer ses acolytes, venus en nombre, chasser – d'après les informations glanées d'une attentive oreille – le sanglier. A charge pour nous, clébards de meute, de dénicher et de pister le paisible animal afin de le rabattre vers nos propriétaires postés en quelques endroits stratégiques et confortablement installés, le fusil en bandoulière devant une ou deux bouteilles de gros rouge. Mais peu m'importait ! Nous allions être libres, livrés à nous-mêmes, guidés par la faim et notre instinct ancestral qui nous pousseraient immanquablement à ramener le gibier vers nos maîtres. Ces salops tenaient leurs chiens ainsi ! Mais c'était sans compter avec moi ! 

 

Lorsque nous fûmes enfin lâchés, je me mêlai docilement à la meute de mes stupides et malheureux congénères dont les aboiements gutturaux perçaient la sereine tranquillité des lieux. Après une demi-heure d'hésitations à la recherche d'une odeur, nous trouvâmes enfin une piste que nous suivîmes aussitôt, la truffe au sol. Nos maîtres, rassurés, s'en furent à leur poste et laissèrent la meute poursuivre le pauvre animal, dont le glas – dans quelques heures (tout au plus) – n'allait plus tarder à sonner.

Nous nous enfonçâmes rapidement dans les sous-bois. Je ralentis ma course et laissai filer les chiens de tête. Tous me dépassèrent bientôt sans plus se soucier de ma présence, totalement absorbés, en esclaves conditionnés, à leur poursuite barbare. Lorsqu'ils furent à bonne distance, je revins tranquillement sur mes pas. Je contournai les voitures de nos "bons" amis, stationnées à proximité d'un petit pavillon de chasse, et filai sur l'étroit chemin qui menait à la route. Lorsque j'arrivai sur le bitume de la petite voie communale, une vague de liberté me submergea. Liberté ! Ô chère liberté ! Qu'il est bon de te sentir à nouveau ! aurais-je pu crier si la faculté de parler m'eut été donnée.

 

J'ai marché ainsi une petite heure, le pas allègre et joyeux sur l'asphalte rêche et goudronneux. Au premier croisement, j'ai quitté la petite route tranquille pour m'engager sur une voie plus passagère (une route départementale sans doute) où il me serait plus facile de croiser mon prochain maître. Les vicissitudes du vagabondage auxquelles j'avais déjà goûté ne me laissaient guère le choix. Plutôt mourir que revivre une nouvelle fois les misères de mes errances passées ! Cette détermination à retrouver au plus vite un foyer n'était cependant pas exempte de toute exigence ! Je n'étais guère décidé à suivre n'importe qui, ni à me laisser embarquer par le premier venu. Je pouvais compter sur mon intuition et ma vigilance, celles qui m'avaient incité à faire confiance à Raphaël. Et en déambulant sur le bas-côté de la route, j'ai repensé avec tristesse et nostalgie à mon regretté maître. Et peut-être ce souvenir ému me porta chance… car quelques heures plus tard, je trouvai une nouvelle famille. 

 

 

Chapitre 8

Ils étaient en train de piqueniquer à proximité de leur voiture sur une aire de repos : le père, la mère et leurs trois enfants, ignorant encore que nos destins allaient se croiser. C'est l'aîné, un grand escogriffe d'une quinzaine d'années, qui m'aperçut le premier.

 

- Eh ! Dîtes ! Vous avez vu le chien !

 

Toute la famille a tourné la tête vers moi. Je me suis arrêté, la queue basse, légèrement frétillante. Les deux plus petits se sont levés pour s'approcher. La mère, aussitôt, leur a ordonné de s'asseoir.

 

- Revenez les enfants ! Je vous ai déjà dit mille fois de ne pas vous approcher d'un chien que vous ne connaissez pas ! 

- Tu crois qu'il est méchant ? a demandé le cadet.

- Méchant ou pas méchant… ce n'est pas la question ! Laissez-le ! Allez ! dit-elle en se tournant vers moi, file d'où tu viens ! Allez ! File !

 

Cette méfiance n'était pas de bon augure. Mais je ne me laissai pas impressionner. Je savais qu'il me fallait persévérer pour gagner la confiance des hommes... Je m'avançai donc jusqu'à leur voiture et m'assis sur mon séant.

 

- Eh ! Regardez ! dit l'aîné, on dirait qu'il veut monter ! Et si on le prenait avec nous, hein m'man ?

- Ah ! Ca ! dit-elle, il n'en est pas question ! Et qui s'en occuperait, hein ?!!

- Moi, je m'en occuperai ! dit mon jeune protecteur, depuis le temps qu'on vous réclame un chien ! Eh bien ! Voilà, il est là ! Il suffit de le faire monter !

 

La femme a regardé son mari qui n'avait jusque-là pipé mot. Depuis mon arrivée, il s'était contenté de me toiser d'un œil placide et indifférent. Il a longuement soupiré.

- C'est vrai, Henriette ! Depuis le temps que les enfants réclament un chien… Celui-ci pourrait très bien faire l'affaire ! Et puis, regarde ! On dirait qu'il n'a qu'une envie… monter dans la voiture !

- Allez, maman ! ont surenchéri les enfants.

 

Encouragé par ses deux frères, l'aîné s'est approché, un bout de sandwich à la main. J'ai saisi délicatement le bout de pain et l'ai avalé les yeux emplis de gratitude et de reconnaissance.

- Eh bien, mon coco ! dit-il en me caressant la tête, tu as l'air affamé !

- Bon ! Qu'est-ce qu'on fait ?!! dit soudain le père en refermant la glacière, on le prend… ou on ne le prend pas…? 

 

Henriette a hésité un instant. Elle a regardé son aîné.

- Tu as bien dit que tu t'en occuperais, Sébastien?

- Juré !!! Promis, m'man !!! Je m'occuperai de lui !

- Bon… bon… dit-elle, dans ce cas…

- Ouais !!! Super !!! s'écrièrent les enfants, on prend le chien ! On prend le chien !

 

Ils remballèrent leurs ustensiles de pique-nique et nous montâmes en voiture. Je passai le reste du trajet, assis bien sagement aux pieds de Sébastien, mon nouveau maître.

 

*

 

A la nuit tombée, nous arrivâmes chez eux, une petite maison située au cœur d'une immense zone pavillonnaire, reléguée à la périphérie d'une grande ville. Cet environnement urbain, si éloigné de mon univers habituel, me parut d'abord d'une extraordinaire laideur. Plusieurs semaines furent nécessaires pour m'accoutumer à ce labyrinthe d'allées et de béton, parsemé, ici et là, de quelques arbustes décoratifs. Heureusement que chaque maison disposait d'un jardinet, minuscule parcelle de verdure ceinturée par un mince grillage. A dire vrai, je m'acclimatai assez vite, passant l'essentiel de mes journées couché sur la pelouse clairsemée, entre la clôture et l’étroite rangée de thuyas en guettant, chaque soir, d'un œil vigilant le retour de Sébastien. Les journées me semblaient un peu longues (et parfois un peu ennuyeuses), mais elles se déroulaient paisiblement.

 

Sébastien n'avait pas trahi sa promesse. Il s'occupait de moi merveilleusement bien. A peine rentré de l'école, il garait négligemment son scooter et accourait vers moi. Et nous partions aussitôt en promenade ou entamions de longues parties de jeu qui s'éternisaient jusqu'au dîner. Chaque jour en sa compagnie était une fête, un bonheur sincère et partagé. Repas, jeux, sorties et caresses constituaient l'essentiel de nos communes occupations. Avec Sébastien (et avec lui seul), je pus goûter aux plaisirs et aux joies réservés aux chiens de compagnie : une existence paisible et confortable, faite de caresses, de complicité et d'affection, considéré comme membre à part entière de la famille et véritable compagnon de vie. 

  

c7

 

Sébastien me permit de connaître cette douce existence… et de tout cœur, je le remercie de m'avoir offert ce bonheur dans ma courte vie de chien. Ce fut un maître extraordinaire et exemplaire à bien des égards qui vouait à mes congénères un amour réel et profond. Je crois qu'une sorte d'instinct, un mystérieux sentiment de proximité le liait à notre espèce. Une intuition indéfinissable le poussait en toutes circonstances à adopter le comportement le plus approprié. Notre relation fut riche, forte et sincère. L'amour que nous nous portions était sans égal !

 

Le reste de la maisonnée ne comprenait guère notre relation. Les frères de Sébastien, trop jeunes peut-être pour en saisir toute la portée (et la profondeur), conservaient à mon égard une sorte d'indifférence bienveillante. Non qu'ils n'aient jamais éprouvé aucune affection pour moi mais ils me percevaient en définitive (et comme beaucoup d'humains) comme un simple chien. Quant aux parents, leur désapprobation était évidente. L'immense complicité qui me liait à leur fils leur semblait anormale, illégitime et disproportionnée, révélatrice, à leurs yeux, d'une dénaturation de la relation que l'Homme se doit d'entretenir avec l'animal et le chien en particulier. Ils conservaient d'ailleurs à mon égard une distance affective manifeste : quelques caresses distraites et réservées, des ordres nets et précis prononcés le plus souvent d'une voix autoritaire. Comme bon nombre de propriétaires de chiens de compagnie, ils adoptaient l'attitude habituelle des maîtres qui relèguent leur chien à une place subalterne, le considérant comme une sorte de mobilier familial que l'on caresse de temps à autre, que l'on nourrit et que l'on sort chaque jour pour qu'il fasse ses besoins. Lorsqu'ils assistaient à nos jeux ou à nos roulades complices, dans le jardin ou sur la moquette du salon, leur gêne et leur désapprobation étaient évidentes. 

 

- Combien de fois faudra-t-il te dire de ne pas jouer ainsi avec ton chien !!! Enfin !!! criaient-ils, sois raisonnable, Sébastien !!!

 

Mais ces remarques désobligeantes dont nous faisions quotidiennement les frais ne nous empêchaient nullement de poursuivre nos amusements, envers et contre tous. Notre connivence résista à tous les assauts. Et le spectacle de notre complicité était grandiose ! Nous nous roulions ensemble sur le sol, nous nous courions après, nous nous bagarrions dans de longues joutes amicales…

 

Mais ne nous y trompons pas ! L'attitude « canine » que Sébastien adoptait parfois avec moi ne l'empêchait nullement de se comporter en maître raisonnable et sérieux. Grâce à lui, j'appris quantité de choses et vécus un grand nombre d'expériences. Et cet apprentissage fut toujours source de plaisir tant mon petit maître savait envelopper son éducation d'amour et de patience, riant de mes erreurs, corrigeant sans colère mes bêtises. Avec Sébastien, tout n'était que jeu et amusement ! Et je fus durant cette période (cette bienheureuse période) un compagnon enthousiaste, toujours enclin à obéir... Sébastien fut le meilleur maître que je connus dans ma courte existence de chien… dans cette chienne de vie qui fut la mienne ! Et en dépit de la bonhomie indifférente de ses deux frères et de la réprobation évidente de ses parents, je vécus heureux, très heureux avec mon petit maître. Mais comme nous le savons tous, le bonheur est capricieux… il va et il vient au gré des circonstances de la vie…

 

 

Chapitre 9

Le malheur arriva au début de l'hiver. Un soir, Sébastien n'est pas rentré. Je l'ai attendu près d'une semaine, assis derrière le portail, attentif au moindre bruit de scooter. Mais mon maître ne donna plus aucun signe de vie. Je compris alors qu'il ne reviendrait jamais. Sébastien était mort, fauché par une voiture à la sortie d'un virage. La police confirma mon intuition en ramenant quelques jours plus tard la carcasse de son deux-roues. Ce drame métamorphosa la maisonnée. La tristesse s'abattit sur notre foyer. Les rires se turent, la joie et la bonne humeur qui d'ordinaire régnaient dans le pavillon disparurent, chassées par les sanglots des enfants et le chagrin des parents. Je n'étais plus moi-même qu'une ombre sans vie, me traînant lamentablement dans le jardin. Finie la merveilleuse complicité qui nous unissait ! Finie notre belle et admirable amitié ! Adieu, Sébastien ! Adieu, petit maître !

 

*

 

Cette période fut éprouvante pour toute la famille. Puis la vie, lentement, reprit "ses droits". Peu à peu, les enfants oublièrent le destin tragique de leur frère, et on entendit bientôt quelques rires timides dans le silence lugubre du pavillon. La mère, inconsolable, noya son chagrin dans une furieuse frénésie ménagère. La maison me fut désormais interdite. Seul, le père semblait accueillir le drame avec un certain fatalisme. C'est lui, d'ailleurs, qui prit l'habitude de s'occuper de moi. En rien, bien sûr, il ne remplaçait Sébastien, mais je lui savais gré, malgré tout, de prendre la relève. Ses « bons soins » se limitaient à déposer ma gamelle dans un coin du jardin. Je la touchais à peine et regagnais aussitôt ma couche, entre le grillage et la rangée de thuyas qui bordait la clôture du voisin. Les promenades ne faisaient plus partie du programme. Mon espace se limitait au jardin. Mais mon chagrin était si grand que je n'en fus guère affecté. Depuis la perte de mon petit maître, cet espace étroit me semblait bien suffisant pour traîner ma tristesse. A dire vrai, je ne me remis jamais de cette disparition prématurée. Pas un seul jour où je n'eus une pensée émue pour mon cher petit maître !

 

Mon chagrin fut pourtant à son comble quelques semaines après son départ tragique. Je me mis subitement à hurler toute la journée. Un hurlement de mort ! Un cri profond qui venait déchirer la quiétude ronronnante de la zone pavillonnaire. Rien n'aurait pu faire taire mon désespoir ! Les plaintes du voisinage me condamnèrent aussitôt. Après une courte semaine, la sentence arriva sans autre forme de procès : "ma" famille décida de m'abandonner.

     

*

 

Ils me déposèrent un samedi après-midi devant un refuge de la SPA. Ils m'attachèrent à la grille d'entrée et repartirent aussitôt. Je les vis s'éloigner sans un geste ni un regard. Trop lâches pour affronter la réprobation des employés du refuge, mais pas assez pour me jeter sur la route comme un vulgaire paquet ! Ils avaient préféré opter pour un choix en demi-teinte. Lâcheté teintée de culpabilité ! Couardise auréolée d'un semblant d'humanité ! A l'ère de la consommation outrancière et du kleenex, le chien, objet vivant, relégué au rang de mobilier d'ornement, en payait le prix ! Chaque année combien de mes congénères devaient se résoudre à cet ignoble sort ! Devenus objets inutiles ou encombrants, on s'en débarrassait sans état d'âme ! Quand donc les Hommes comprendront-ils leurs inconséquences et leur cruauté ?

 

Les employés du refuge, alertés par mes aboiements, ne me détachèrent pourtant qu'en fin d'après-midi. L'un d'eux examina rapidement mes oreilles à la recherche d'un éventuel tatouage que Sébastien s'était empressé d'aller faire, quelques jours après notre rencontre, chez l'un des vétérinaires du quartier. L’employé le nota sur son petit calepin et me traîna sans ménagement dans les sinistres allées du refuge. Excités par mon arrivée, les pensionnaires se mirent à aboyer comme des enragés. Nous fîmes le tour du chenil sous leurs aboiements déchaînés à la recherche d'une place libre. Arrivés au bout d'une étroite allée, il ouvrit la porte d'un box où croupissaient déjà cinq bâtards aux poils hirsutes. Tous aussitôt se précipitèrent sur moi, le poil dressé et les babines retroussées, furieux de me voir pénétrer dans leur enclos déjà surpeuplé. A peine entré, l'un d'eux me saisit à la gorge et me secoua avec une vigueur si farouche que je me mis à hurler. Notre rixe ne sembla pas émouvoir l'employé. Il nous regarda l'œil indifférent. Puis, il referma la porte et s'éloigna sans un mot, nous laissant sans remords à nos sanglantes présentations. Après m'être débattu quelques instants, je dus m'incliner face à cet adversaire plus puissant et plus expérimenté. Tout haletant, je me redressai et gagnai l'autre extrémité du box sous le regard menaçant de mes cinq compagnons de détention. La gorge douloureuse et le poil humide de bave et de sang, je restai là, roulé en boule jusqu'au lendemain, soucieux de faire oublier ma présence si gênante à mes frères barbares et belliqueux.

 

Le lendemain, mes congénères acceptèrent enfin ma présence. La journée se déroula paisiblement. Excepté deux employés chargés de remplir nos gamelles et de nettoyer notre box, souillé par nos déjections, nous ne vîmes personne ce jour-là. Je compris très vite que cette journée était une journée ordinaire, sans visiteur et sans espoir de quitter un jour ce sinistre endroit.

 

Au cours de mon séjour, je passais, comme tous les autres pensionnaires du refuge, l'essentiel de mes journées à tuer le temps, mâchant sans conviction mes croquettes ramollies, me querellant sans raison avec mes congénères et me plongeant dans de longues et ennuyeuses siestes, en attendant l'improbable visiteur qui jetterait son dévolu sur moi. Nous étions confinés dans notre cage avec le mince espoir d'en sortir un jour, réduits à boire, à manger et à rejeter l'ensemble sur le béton gris de notre box. Que pouvions-nous faire et espérer d'autre dans ce réduit de quelques mètres carrés, jonché de crottes nauséabondes ? 

  

c8

 

Malgré nos conditions de vie sordide, j'eus la chance au cours de ce bref séjour de faire la connaissance de Pascal, véritable ami et défenseur des animaux. Ses visites nous étaient entièrement consacrées. Chaque soir, il faisait le tour des box en prenant le temps de nous parler et de nous prodiguer quelques caresses. Il avait toujours sur lui quelques friandises qu'il nous donnait avec gentillesse. Et il jouait… Quel bonheur était-ce pour nous de jouer dans cet univers désolant ! En entrant dans notre box, il sortait de sa poche une balle qu'il nous lançait et que nous allions chercher tout joyeux et la queue frétillante. Et malgré l'exiguïté de nos cages, nos parties prenaient des allures grandioses, nous rappelant peut-être des jours passés moins affligeants et nous laissant espérer sans doute un avenir meilleur ! Lorsque nous nous arrêtions enfin, la langue pantelante, nous venions lui quémander quelques caresses qu'il nous offrait avec générosité. Avant de repartir, il lustrait notre pelage terne, à l'aide d'une petite brosse, enlevant, par touffes entières, les poils accumulés au cours de cette pénible et interminable attente. En ce sinistre lieu, seul, Pascal savait nous redonner notre dignité de chien ! Et lorsqu'il sortait de notre box, son inaltérable sourire se voilait parfois d'une larme qui coulait lentement sur sa joue. Dans ce refuge, Pascal était un peu notre maître à tous. Et nous l'attendions chaque jour avec impatience. Et quelle fête nous lui faisions lorsqu'il arrivait ! Quelle fête, mes amis ! Seule présence véritablement humaine dans cet univers d'indifférence !

 

Hormis notre présence, nos aboiements incessants et l'amour inconditionnel de Pascal, rien n'attestait que nous nous trouvions dans l'un des bastions de la protection animale, îlot d'amour pour animaux martyrs et chiens en détresse ! Tous les employés nous ignoraient avec éloquence, occupés à leurs médiocres tâches, les uns dans le nettoyage des allées, les autres le nez dans leurs papiers administratifs. Quelques jours me furent nécessaires pour comprendre que cette indifférence généralisée, vierge de tout affect, était révélatrice de la considération que l'on nous portait. Nous n'étions, à leurs yeux, que des chiens en sursis, en attente d'une improbable adoption, et voués, si elle ne se présentait pas au plus vite, à une mort inéluctable. Voilà donc pourquoi nous étions parqués ainsi dans nos geôles sinistres, considérés comme du bétail et qui, comme lui, était voué, tôt ou tard, à une mort certaine et prématuré.

 

Quelques semaines après mon arrivée, je compris le sinistre manège des employés du refuge. Le gardien et ses sbires vinrent chercher deux des nôtres pour les amener à l'infirmerie, ce lieu infâme où l'on soignait définitivement (par euthanasie) notre mal de vivre. On reprochait à mes deux compères leur comportement inapproprié à la vie de chenil (bien qu'il fût sans doute engendré par l'expérience traumatisante de cette détention). A leurs yeux, l'un se montrait trop vif, allant et venant inlassablement derrière le grillage et passant ses journées à tourner en rond dans sa cage étroite. Quant à l'autre, timoré, trop craintif, il demeurait prostré des jours entiers, roulé en boule dans un coin du box. Il était, en ces lieux, particulièrement dangereux d'adopter un comportement hors norme ! La moindre incartade, le moindre comportement suspect nous menait aussitôt à l'infirmerie où le vétérinaire du refuge, aux allures de boucher nazi, sortait sa seringue, l'œil indifférent, le sourire aux lèvres et l'âme légère, heureux de soulager (bien plus que notre misère) une part du budget du refuge, en supprimant les chiens jugés inutiles et inadoptables.

 

*

 

Après quelques longues et ennuyeuses semaines, un soir, le gardien du refuge vint me chercher. Il me fit prestement sortir du box. Ma dernière heure, sans doute, était arrivée… et les minutes m'étaient comptées… Dans ma tête défilèrent tous les évènements de ma chienne de vie, les épisodes terribles que j'avais vécus, les instants de bonheur que j'avais connus en compagnie de Raphaël, Sébastien et Pascal. Tant de choses ! Tant de souffrances… pour en arriver à cet instant fatidique ! Quel gâchis ! Quelle absurdité ! pensai-je. Je m'apprêtais à mourir dignement, persuadé que toutes ces misères endurées n'avaient pas été vaines. J'espérais qu'il me serait donné, dans le monde que j'allais bientôt retrouver, l'explication et le sens de ma douloureuse destinée en ce bas monde. J'ai suivi le gardien d'un pas tranquille, sans réticence ni résistance, prêt à affronter jusqu'au bout ce satané sort qui, tout au long de ma chienne de vie, s'était acharné sur moi ! Mais lorsque nous avons dépassé l'infirmerie pour nous diriger vers la sortie du refuge, je compris que mon heure n'avait encore pas sonné. Le malheur, pressentais-je, allait se poursuivre encore quelques temps… J'avais vu juste.  

 

 

Chapitre 10

A l'entrée, une fourgonnette nous attendait. A peine eut-on franchi le portail que le gardien me précipita à l'arrière.

 

- Je le mets en cage ? demanda-t-il au chauffeur.

- Non ! dit l'autre en lui tendant quelques billets, ne te donne pas cette peine ! J'en fais mon affaire.

 

Et il a démarré aussitôt. Nous avons roulé longtemps, traversant de petites bourgades paisibles et endormies. J'ai passé la totalité du trajet, roulé en boule à proximité d'un amoncellement de cages et de cartons. J'étais pétrifié de peur. Que comptait-il faire de moi ?

 

*

 

Après plusieurs heures de route, le chauffeur a emprunté une large avenue bordée d'usines et d'entrepôts commerciaux. Nous étions au cœur d'une zone industrielle. Lorsque nous nous sommes arrêtés, il me fit prestement descendre de la voiture. Nous avons gagné, par une petite porte de service, un immense bâtiment blanc aux allures d'hôpital. Après m'avoir traîné dans un incroyable labyrinthe de couloirs, il a ouvert une porte et m'a poussé dans une pièce immense aux murs couverts de cages d'où sortaient des plaintes effroyables, des cris de terreur et des gémissements abominables. Nul doute ! Nous étions dans un laboratoire pharmaceutique. Les lieux empestaient l'éther… mêlé à une forte odeur d'urine et d'excréments ! La plupart des cages était occupées : chiens, chats, rats, singes aux membres mutilés ou au pelage clairsemé, le corps recouvert de piteux bandages. Il ouvrit une cage et me poussa à l'intérieur. Ce fut mon dernier refuge, mon ultime foyer ! J'y suis resté enfermé huit longues semaines sans bouger, terrorisé par l'odeur de mort qui flottait autour de moi.

 

Au cours de cette effroyable période, chaque matin, un homme et une femme, en blouse blanche, ouvraient ma cage pour me traîner jusqu'au laboratoire, une petite pièce au fond d'un couloir. Ils m'attachaient sur une paillasse, les pattes écartées (maintenues par de solides sangles), m'injectaient une dizaine de substances avant de me passer sur la peau quantité de produits. Et leur terrible besogne achevée, ils me ramenaient aussitôt dans ma cage, me muselaient et m'attachaient les pattes afin que je ne puisse ni lécher ni gratter les plaies qui avaient commencé à se former.

 

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Ce fut la plus douloureuse et la plus abominable de toutes les expériences dans ma chienne de vie ! Au bout de quelques jours, les parties de mon corps enduites de lotions et de crèmes me brûlaient atrocement. C'était une souffrance insupportable ! Une souffrance atroce et indescriptible ! Privé de liberté, privé de tout mouvement, même des gestes les plus simples, écorché dans ma chair, relégué à un simple matériau vivant sur lequel les Hommes expérimentaient leur bêtise avec cruauté et indifférence ! Après huit longues semaines de terribles souffrances, mon corps n'était plus qu'une plaie sanguinolente, qu'un morceau de chair à vif ! 

 

Un matin, devenu inutile, on vint me chercher et on m'attacha une dernière fois à la maudite paillasse (l'abominable table de tortures !) pour m'administrer l'ultime injection qui vint clore ma chienne de vie !

 

 

Epilogue

Cette histoire - rêvée ou vécue, je ne saurais encore quel mot utilisé aujourd'hui - métamorphosa ma vie d'une extraordinaire façon.

 

Mon exposé de fin d’année se déroula mieux que je ne l'aurais jamais imaginé. Devant le parterre d'élèves, j'ai parlé, sans note ni papier, d'une voix grave et convaincante. Mon discours avait enthousiasmé et séduit non par sa clarté ou son éloquence mais par sa sincérité. J'avais, je crois, réussi à toucher le cœur de chacun…

 

Cet exposé transforma ma vie d'élève. L'année suivante, je me passionnai pour certains cours, notamment les cours de biologie. Quelques années passèrent. Mon Bac en poche, j'entrepris des études de vétérinaire. Quelques temps plus tard, j'ouvrai un cabinet, qui se transforma (en l'espace de quelques années) en clinique, l'une des plus grandes et plus prestigieuses du pays. Les affaires allaient bon train. J'étais sollicité de toutes parts, pour des colloques, des cours à la faculté, pour maintes opérations chirurgicales à travers le monde.

 

Après quelques années fiévreuses et trépidantes, j'eus pourtant le sentiment de courir après un succès stérile. Mes rapports avec les chiens s'étaient transformés : ils étaient devenus distants, sans chaleur, sans amour, éloignés de mes rêves d'autrefois, de ma promesse d'adolescent de vivre avec et pour eux et non grâce à eux… Aussi, au faîte de ma gloire (minuscule et dérisoire réussite humaine), je décidai d'abandonner ma carrière, ma clientèle, les congrès, la clinique… pour me retirer sur une petite île perdue au large des côtes bretonnes avec quelques chiens, rejoints très vite par d'autres recueillis au fil des années, lors de mes irréguliers séjours sur le continent.

 

Peu à peu, l'île s'est transformée en refuge, refuge naturel sans cage ni barreaux pour tous les chiens croisés sur mon chemin : chiens abandonnés, chiens estropiés, vieux chiens, chiens pouilleux et maltraités, chiens rencontrés au hasard de mes déplacements. Pendant près de quarante années, nous avons formé tous ensemble une vraie famille, une véritable tribu, une meute heureuse et isolée du vaste monde. Près d'un demi-siècle de compagnonnage et d'amour sans ombre…

 

Aujourd'hui, je repense avec tristesse à Léo, mon dernier compagnon à quatre pattes, enterré il y a quelques jours à peine. Et me voilà de nouveau seul comme autrefois… au temps de ma jeunesse. Et bientôt ma vie s'achèvera, cette vie où je n’ai jamais désespéré de rendre le cœur des hommes plus sensible à leurs frères à plumes, à poils et à écailles qui peuplent la terre.

Max

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15 novembre 2017

Carnet n°5 Un Robinson moderne

Récit / 2001 / La quête de sens

Je passe le plus clair de mon temps derrière la petite planche de bois qui me sert de table de travail. Je l’ai maladroitement fixée au mur, face à la fenêtre qui donne sur la rue principale. Voilà ma seule fenêtre sur le monde. D’un simple mouvement de tête, et je suis dehors. Et cet effort est bien suffisant. Depuis longtemps, il n’y a qu’à cette distance que je peux être parmi les hommes.

 

 

Solitude désespérée

Lorsque quelqu’un éprouve le besoin de justifier sa vie, ce n’est pas le niveau général de son action, considérée d’un point de vue objectif, qui compte, mais bien le fait que sa nature propre, celle qui lui a été donnée, s’exprime aussi sincèrement que possible dans son existence et dans ses activités.

H. Hesse, Lettre à un jeune poète.

 

Je vis en reclus. Retranché du monde. Je passe le plus clair de mon temps dans un trou. Dans mon trou. Un petit appartement au dernier étage d’un vieil immeuble du centre-ville. J’y suis terré voilà plus d’un an. Je ne sors jamais, excepté pour promener mes chiens. A l’heure des sorties, nous traversons la place d’un pas rapide, à l’abri des regards, le nôtre tourné vers l’intérieur, rasant les murs et croisant sans les voir les rares passants. Chaque matin, nous allons ainsi rêver dans la garrigue. Et chaque soir, nous allons accompagner le soleil dans ses pénates. Puis nous regagnons les nôtres.

  

En général, je me lève tard. J’ignore la sonnerie du réveil que j’ai branché sur 7 heures. Je n’ai aucune raison de me lever si tôt. Une habitude que j’ai conservée de ma vie passée et qui sied mal à celle d’aujourd’hui. Chaque matin, monsieur Mund et madame Draille viennent me rejoindre sous les couvertures. Ils s’installent à mes côtés et finissent par me tirer hors des draps. Je sors alors du lit, la mine déconfite et bougonne. Je déteste le matin (j’ai toujours vécu le réveil comme un moment de flottement irréel où il me fallait passer de l’ombre à la lumière… et je déteste la lumière). Aussitôt levé, je me traîne vers la cafetière, ma seule compagne du matin. Et trois bols plus tard, j’achève de me réveiller. Puis vient l’heure de sortir mes chiens. Monsieur Mund et madame Draille m’attendent devant la porte. Je me lève, vais m’habiller et nous sortons ensemble dans la ville éveillée et bruyante.  

 

Je passe le plus clair de mon temps derrière la petite planche de bois qui me sert de table de travail. Je l’ai maladroitement fixée au mur, face à la fenêtre qui donne sur la rue principale. Voilà ma seule fenêtre sur le monde. D’un simple mouvement de tête, et je suis dehors. Et cet effort est bien suffisant. Depuis longtemps, il n’y a qu’à cette distance que je peux être parmi les hommes. Je les hais si profondément que je ne peux me résoudre à participer à leurs jeux misérables. (Aussi jamais je ne me rends dans le monde au-delà des strictes nécessités que contraint la triviale satisfaction de mes besoins physiologiques). La poursuite de vulgaires desseins que j’observe chez la plupart de mes congénères m’a toujours exhorté à rester à l’écart de toute activité humaine. De là, sans doute, est née mon incommensurable misanthropie. A mes yeux, la vie des hommes contient trop de grossièreté, trop de mesquinerie, trop d’abjection, trop de barbarie, trop de cruauté et d’égoïsme pour que je consente à participer au détestable spectacle auquel tous s’adonnent avec délectation. En ces viles activités, je n’ai toujours vu qu’insignifiance et médiocrité. Que les hommes continuent donc de faire tourner le monde ! Mais qu’ils m’épargnent d’y participer ! Voilà ma seule exigence ! Non que je ne me sente point homme ! Non que je ne me sente moins médiocre ou moins insignifiant que mes congénères mais la pudeur m’incite à le taire et à l’enfouir au dedans pour ne l’exposer qu’à l’indulgence de mes chiens et de mes cahiers. Oh non ! Mon regard n’est pas dupe ! Mes faiblesses sont les mêmes que celles des hommes. Et je suis peut-être même, à dire vrai, le plus misérable d’entre tous mais j’éprouve cette pudeur un peu honteuse qui m’interdit de l’étaler au regard du monde.

 

Ma vie se déroule ainsi. Seul auprès de mes chiens. Auprès de monsieur Mund d’abord que j’ai recueilli il y a 3 ans environ. Lorsqu’un matin je l’ai trouvé devant ma porte, je n’ai pu résister à son long regard triste. Je l’ai invité à entrer. Il était maigre et malodorant. Mais mes soins l’ont vite requinqué. Depuis, il mène une vie tranquille sans rien demander à personne. Aujourd’hui, il passe ses journées à dormir sur le vieux canapé rapiécé laissé par l’ancien locataire (Monsieur Mund est un compagnon bougon que rien ne peut détourner de son sommeil). Il se montre bien souvent indifférent à l’affection que je lui porte. Contrairement à madame Draille, il a l’air de trouver ça dans l’ordre des choses. Au fond, je crois que monsieur Mund me ressemble. Nous sommes de cette race d’indifférents égoïstes et paresseux qui n’aspirent qu’à la tranquillité. La présence de madame Draille ne semble pas le déranger. D’ailleurs, en général, ils s’ignorent. C’est pourtant lui qui me l’a ramenée, il y a quelques mois. C’était un après- midi. Lassé par les rires exaspérants de mes voisins, j’avais abandonné ma table de travail. Et nous étions sortis pour retrouver un peu de calme dans la garrigue. Ce jour-là, nous marchions comme à l’ordinaire, lui sur ses odeurs, moi dans mes pensées lorsque soudain il a disparu derrière un talus. Il en est sorti quelques instants plus tard talonné par une petite chienne aux poils blancs roussis qui nous a suivis sur le chemin du retour. Elle non plus, je n’ai pas eu cœur à la laisser dehors. Depuis, elle partage nos vies de vieux garçons en nous apportant toute la joie et l’exubérance de sa jeunesse. Aujourd’hui, madame Draille règne sur nous comme une reine pleine de gaieté (qui parvient, mieux que quiconque, à illuminer nos existences de vieux misanthropes). Et souvent, je la regarde comme un petit soleil inespéré venu tout exprès éclairer la noirceur de notre quotidien.

 

Je ne vis de rien. De quelques centaines de francs versés par le gouvernement. Je les reçois sans plaisir et sans honte. Ces subsides n’ont d’ailleurs rien de honteux. Ils me permettent tout au plus d’assurer (et d’organiser) ma survie. Aussi, chaque mois (pour toucher ma pension), je dois me rendre à l’adresse mentionnée sur la convocation préfectorale, un énorme bâtiment gris à la périphérie de la ville. Je m’y rends à pied. A l’heure du déjeuner. A cette heure où les rues sont désertes. Je m’y rends d’un pas rapide, la tête baissée, soucieux de m’épargner la vision de ce monde que j’exècre. A l’accueil, je décline mon nom à une hôtesse austère et indifférente. Une femme entre deux âges coiffée d’un éternel chignon gris. Je lui tends ma pièce d’identité qu’elle regarde d’un œil fatigué. Puis d’un mouvement de tête, elle m’indique le guichet suivant. Jamais nous n’avons échangé un seul mot. Au fond, je suis heureux de tomber sur elle. Elle m’épargne les formalités vocabulistiques d’usage auxquels je n’ai aucune envie de me prêter. Au guichet suivant, j’appose ma signature au bas d’un formulaire, prends mon dû sous le regard méprisant de l’employé et regagne la sortie. 

 

Mes rapports au monde sont inexistants. Je n’ai ni vie professionnelle, ni vie familiale. Ni, bien sûr, vie sociale et mondaine. Mes rapports au monde se cantonnent à quelques brèves apparitions dans la foule. Bien sûr, je l’exècre. Bien sûr, je le déplore. La foule comme ce sentiment d’exécration. Je le déplore mais n’en suis guère affecté, sauf à me voir entraîné plus que de raison  - autrement dit plus qu’à l’ordinaire - dans le flot glauque et suffocant de la foule. Je me nourris bien sûr. Et comme tout le monde (ou presque, du moins, je le suppose), je me réapprovisionne alimentairement parlant. Je fais donc – comme on le dit trivialement – mes courses. Oui ! Comme tout autre, je pousse mon caddie. Sans enthousiasme, il est bien vrai. Je le remplis non de victuailles pour satisfaire mon plaisir consommatoire et gustatif (je ne possède ni l’un ni l’autre, contrairement à tant de mes congénères qui semblent vivre pour manger tant leur plaisir est grand à ce qu’ils appellent les plaisirs de la table, rare plaisir de leur vie, semble-t-il…), mais j’y amoncelle plutôt de lamentables bouts de matières organiques pour répondre à mon incontournable nécessité physiologique. Une contrainte à laquelle je me soumets – il va sans dire – à contre cœur. Au pas de course, le plus souvent, et l’affaire est réglée. Enfin… provisoirement réglée. Car l’insatiable besoin biologique me contraint – comme tout un chacun, n’est-ce pas – à une infaillible récurrence. Au pas de course, disais-je, et l’affaire, en général, est réglée. Sauf à certaines rares occasions… où je m’attarde plus volontiers dans ces allées faussement labyrinthiques pour me repaître de cette accablante proximité du monde. A ces heures faussement grégaires, la vision de cette humanité – qui habituellement m’insupporterait – exacerbe étrangement mon désir de comprendre ce monde. Je déambule alors l’œil aux aguets, l’esprit vigilant, le jugement et la critique faciles. Et je regarde sans complaisance, sans véritable compassion (même si elle m’effleure parfois), sans véritable cruauté non plus cette bêtise humaine qui s’étale autour de moi. Ces sorties sont pour moi une sorte de divertissement et une source inépuisable d’inspiration puisée dans la stupidité humaine. Oui, ces sorties sont une sorte de nourriture divertissante qui vient conforter mon refus du monde et ma propension délectable à l’exposer dans mes petits travaux. Malheureusement, cet affligeant spectacle me lasse, en général, bien vite. Et après un dernier regard sur la foule, je m’empresse le plus souvent de rejoindre mon antre que je ne quitterai plus avant d’avoir épuisé les maigres réserves alimentaires acquises ce jour-là.

 

Cet appartement est mon seul univers. J’y reste cloîtré des jours entiers. Ma vie s’y déroule sans encombre, presque heureuse. J’ai parfois le sentiment d’être l’un de ces Robinson urbains, (pauvre Robinson des temps modernes), isolé des hommes malgré la proximité du monde. Je vis chichement. Ma maigre pension réussit néanmoins à satisfaire mes frugaux besoins. Et malgré l’exiguïté de la pièce, j’y ai aménagé un atelier que j’occupe la plus grande part de mes journées. J’y peins, dessine, sculpte et écris. Ce sont là mes seules activités. Je n’y rechigne que très rarement. Mes journées passent ainsi, de travaux en travaux que j’accumule dans le capharnaüm du couloir. Je les entrepose là sans goût ni ordre, mais je sais qu’ils sont là, tout proches, à portée de main. Cet univers exigu n’en est pas moins, à mes yeux, le centre du monde. Et en dépit de son étroitesse, cet espace m’ouvre les portes d’horizons infinis dans lesquels, chaque jour, je me perds. Et chaque jour, je reviens à la nuit tombée pour retrouver mes chiens. Et en dépit de ma sainte horreur de la réalité, je leur sais gré de me rappeler à la vie.

 

Chaque soir, nous allons marcher dans la garrigue qui entoure la ville. Il nous arrive aussi parfois d’aller nous promener, pendant de longs après-midis, sur les innombrables sentiers qui parcourent les collines. Nous traversons les champs et les prés en courant à perdre haleine. Nous sommes heureux de nous retrouver seuls et de marcher ensemble. A chaque sortie, nous prenons soin d’éviter la foule des promeneurs qui s’agglutinent sur les sentiers les plus proches de la route. Nous allons plus loin, inventant mille ruses pour échapper à une rencontre inopinée. Comme moi, monsieur Mund et madame Draille détestent les hommes. Lors de ces promenades (plus encore qu’à tout autre instant), nous considérons toute présence humaine comme une intrusion dans notre univers. Une atteinte à notre liberté sauvage et solitaire. Le moindre quidam rencontré est alors poursuivi avec force aboiements et tiré hors de notre territoire. Et je me félicite de cette misanthropie partagée. Nous haïssons ce monde qui nous le rend bien. Mais qu’importe, nous sommes ensemble. Et ensemble, nous nous sentons libres. Et cette liberté nous rend heureux. Il n’y a pas de joie plus grande pour moi que de nous voir ainsi, isolés et solidaires. En définitive, mes corniauds et moi, sommes de la même race : de cette race de misanthropes farouches qui ne peut souffrir la moindre présence humaine dans leur étroit cercle de solitude.

 

Mais en dépit de ma joie à parcourir les collines avec mes chiens, mon vrai bonheur se trouve là-haut. Devant ma machine à traitement de texte, devant une feuille blanche ou une toile bon marché. Je n’existe malheureusement (j’en ai bien peur…) qu’en compagnie de mes crayons et de mes brosses. J’ai le sentiment alors que ma vie prend tout son sens. Il me semble même que je n’existe que lorsque je m’adonne à la seule activité qui me semble digne en cette vie ; dépeindre le monde et le noircir de mon dégoût et de mon abjection. Il m’arrive pourtant, il est vrai, d’avoir envie de le repeindre de couleurs moins tristes. Mais je n’en ai, en général, ni le goût ni le courage. Je crois qu’il n’y a que le noir qui sache m’inspirer. Ou le gris peut-être à la rigueur. Les autres couleurs me sont totalement inaccessibles (ma vie n’est que grisaille et noirceur, comment pourrais-je dès lors parer le monde d’autres couleurs ?). Ainsi, chaque jour, je m’installe à ma table, porté par une idée. Et presque toujours, je m’efforce de la fixer pour l’étreindre. Et presque toujours, nous nous enlaçons pour nous rouler sur la page blanche ou sur la toile comme d’autres le feraient peut-être sur un lit en compagnie de quelques jolies femmes. Puis je desserre mon étreinte et lève la tête (le plus souvent heureux et satisfait) pour contempler le fruit de notre enlacement. Rien ni personne, je crois, ne saurait me procurer davantage de joie que ces enfantements quotidiens. Eux seuls me réconcilient avec cette part d’ombre qui confine ma vie dans cette solitude. Seuls, ces instants savent m’apporter le peu d’amour dont j’ai besoin pour vivre. Ces idées sont mes seules amies et mes seules amantes. Et aucune femme ne saurait m’apporter davantage de joie. Il y dans nos étreintes plus d’érotisme et de volupté que dans bien des attouchements corporels. C’est une irrépressible attirance, un lien fragile qui unit notre relation, un lien merveilleusement fragile et digressant, en permanence renouvelé et renouvelable. Entre elles et moi, c’est à l’amour, à la vie et à la mort. Et ensemble, nous vivons une histoire peu commune aux facettes si infinies que bien des couples, je crois, nous envieraient.

 

Les voisins me haïssent. Pourtant, ils ignorent ma vie. Peut-être se l’imaginent-ils… et cela leur suffit à me haïr. Je les croise parfois dans les escaliers. Nous passons notre chemin sans nous voir. Jamais nous ne nous sommes adressé la parole. Comme je les méprise. S’ils savaient comme je les méprise… Ils sont si vulgaires et si fades. Je connais leur bassesses; leurs bruits, leurs horaires, leurs habitudes, leurs humeurs. Les cloisons sont si minces que je ne peux ignorer ce qui se passe chez eux. Je connais leur vie comme personne. L’heure à laquelle ils sortent chaque matin, l’heure à laquelle ils rentrent chaque soir, l’heure à laquelle ils se lavent, cuisinent, mangent, baisent et se rendent au lieu d’aisance. Leur vie n’a plus aucun secret pour moi. Et cette absence de mystère me les rend que plus méprisables. Leur vie n’est qu’une longue liste de tâches, chaque jour, inlassablement répétées. J’exècre leur vie et la façon dont ils tentent vainement de la remplir. Je les connais mieux que quiconque, ces cafards misérables qui passent leur existence à ramper comme des larves dans leur médiocrité affligeante. Il n’y a dans leur vie qu’insignifiance et abjection. Et cette proximité m’étouffe et me répugne.  

 

Je hais ces gens. Je hais cet immeuble. Je hais cet appartement. Tout y est sale et crasseux. La cuisine est un dépotoir où, chaque jour, j’entasse une pile toujours plus haute de déchets. L’évier regorge d’assiettes sales aux contenus nauséabonds et repoussants. Les murs sont recouverts d’une épaisse et poisseuse couche de graisse. Les ustensiles et les casseroles sont couverts de suie et de poussière. Les placards renferment un amoncellement de victuailles à moitié entamées, parfois moisies. La cuisine est un lieu si désolant que j’éprouve les pires difficultés à y préparer les repas (et y demeurer plus que nécessaire serait chose impossible). Il me faut pourtant la traverser chaque jour pour me rendre à la salle d’eau. L’endroit n’est guère plus reluisant, mais je l’ai arrangé à mon goût en y dessinant sur les murs de grandes fresques oniriques. J’aime à venir m’y reposer entre deux travaux à l’atelier. Cet appartement est à mon image (tout lieu ne ressemble-t-il pas d’ailleurs à celui qui l’habite ?). Ici règnent le foisonnement, le désordre et la saleté. Mais je ne souffre pas (ou rarement) de vivre ici. Il m’arrive pourtant, il est vrai, d’avoir envie de faire peau neuve. Je liquide alors sans pitié mille choses que je n’aurais pas osé toucher quelques instants plus tôt. Dans ces moments de frénésie ménagère, monsieur Mund et madame Draille me regardent avec inquiétude. Ce charivari perturbe leur ronronnante tranquillité. Qu’ils me pardonnent. C’est une irrépressible nécessité qui m’y contraint. Et je ne m’y résous que pour nettoyer tous ces miasmes qui encombrent ma vie. Je ne peux retourner à l’atelier avant d’avoir tout remis en ordre.   

 

Je trouve parfois ma vie pathétique. Cette exclusion n’a aucun sens. Je dilapide mes journées en bêtises et en niaiseries. Et cet acharnement à réaliser « mes travaux » me semble aussi vain que n’importe quel emploi. J’ai beau mépriser les hommes et leurs stupides activités, je n’en suis pas moins ridicule. Aussi m’arrive-il de délaisser « mes travaux ». Le désespoir n’est alors jamais bien loin. A ces instants, je me mets souvent à regarder mes chiens affalés sur les fauteuils de l’atelier. Et je me surprends à les envier. Puis je finis par détourner la tête pour regarder le monde qui s’agite sous mes fenêtres. Mais cette vision achève, en général, de me déprimer ; l’agitation du monde souligne avec trop d’insistance l’immobilité et l’inutilité de ma vie. Mener une existence figée et inutile, voilà peut-être au fond mon plus grand malheur ! Ensuite, le plus souvent, je me mets à tourner en rond dans la pièce. Et mes pensées se mettent à tourner en rond dans ma tête. Mais comment pourrais-je échapper à ce sentiment d’inutilité et de désœuvrement ? Ma vie est sans doute la moins absurde de toutes celles que je connaisse. Au plus fort de la crise, je finis par m’allonger sur le sol, le visage posé sur la moquette poussiéreuse. Et les yeux fermés, j’écoute les battements de mon cœur. J’écoute le peu de vie qui me reste, recroquevillé dans cette solitude désespérée.  

 

Avec le temps, j’ai appris l’extraordinaire pouvoir de l’esprit sur le monde (sur la matière du monde). Je sais à présent que l’esprit peut conditionner la matière (en la forçant à se soumettre à la perception qu’il lui impose). Et de mille façons, l’esprit est en mesure de filtrer la matière, ajoutant ou retranchant ici ou là, une nuance, une couleur, un intérêt ou une insignifiance. L’esprit est un prisme extraordinaire, un jeu de miroir fascinant et insaisissable qui ne cesse de colorer notre perception. Face à l’esprit, je me sens infiniment impuissant. Face à lui, je sens (et je sais) que je ne peux rien. Ni lutter ni m’enfuir. Je suis absolument incapable de le maîtriser et moins encore de le soumettre. Je dois me résoudre à regarder le monde avec la couleur qu’il m’impose. Tantôt noir, tantôt gris (parfois rose, trop rarement), l’esprit ne cesse de teinter mon regard de couleurs étrangement sombres. Et j’ai beau essayer d’échapper à ces teintes, je me sens si faible que je dois me laisser absorber par la couleur dominante qui finit par recouvrir toute la matière du monde. Il arrive parfois que le sombre vire au clair puis revienne brusquement au noir. Comme si mon esprit s’amusait à me bâtir une vision précisede ce monde qu’il s’empresserait de repeindre d’une couleur plus gaie avant de tout réobscurcir une nouvelle fois. Ma perception s’est toujours construite ainsi, à partir de cette succession de couleurs, à la merci des caprices de mon esprit qui a toujours pris un malin plaisir à ébranler mes certitudes, ma compréhension et ma vie même. Aujourd’hui, j’ai le sentiment que ma perception est un édifice bigarré aux couleurs sombres et fluctuantes qui menace à tout instant de disparaître dans la transparence (l’inexistence peut-être…) et qui va sans doute finir par me faire sombrer plus profondément encore dans l’obscurité et le néant.

 

Du monde, je n’accepte rien. Ni ses plaisirs ni ses abjections. Je me contente de le regarder sans vraiment le comprendre. Je sais pourtant que le monde change. Qu’il change vite. Qu’il change même très vite. Il me semble pourtant que rien n’a jamais véritablement changé et que jamais rien ne changera véritablement. Je crois que seuls les masques s’agitent et s’agiteront toujours. Et cette ville, comme toutes les villes, est à l’image de ce monde. Elle est bruyante et mensongère. Et moi, qui n’aspire qu’au silence et à la solitude, la proximité du monde (ma présence en cette ville) est un enfer. Aussi, souvent ai-je envie de fuir. De partir. Loin. Très loin. De quitter ce monde et cette ville. D’oublier cette farce à laquelle je suis contraint et que ma présence en ce monde me soumet, malgré mon exil des hommes. Alors souvent, je me mets à imaginer un endroit isolé, éloigné de toute proximité humaine ; un coin de nature sauvage et oublié. Mais je sais qu’un tel endroit n’existe plus en ce monde. Et existerait-il, comment pourrais-je le trouver et m’y établir avec le consentement des hommes ? C’est là chose impossible. Et de ne pouvoir trouver un tel endroit, j’en désespère. Alors, de dépit, je reste cloué sur ma chaise, derrière cette vitre sale qui me relie au monde. Et j’entends le bruit désespéré de mes doigts qui écrasent les touches de ma vieille machine à écrire. Seul, ce bruit prouve que je suis encore en vie. Sans lui, il y a bien longtemps que je serais mort (et ne le suis-je pas déjà d’ailleurs ?). Ma vie n’existe que dans ce martèlement régulier. Ma vie ne tient, je crois, qu’à ces 26 lettres qui s’impriment mécaniquement sur la feuille blanche. Et pourtant, il m’arrive souvent d’interrompre ma frappe pour regarder la rue qui me fait face. Et l’espace d’un instant, je me laisse envahir par les gens qui marchent, les voitures qui passent, les cris des enfants, les bruits des voisins, les rires des passants… par toute cette vaine agitation. Je respire cette atmosphère que j’exècre et qui pourtant nourrit ma vie et mes travaux. Cette atmosphère s’imprime dans mes doigts qui reprennent alors leur gymnastique coutumière. Mes journées passent ainsi. Du bruit du monde au bruit des touches que je heurte inlassablement, comme un écriveur obstiné et solitaire, seul et désespérément immobile derrière sa fenêtre.

 

Il y a peu madame Draille a mis au monde 5 chiots. Après quelques instants d’hésitation, je me suis résolu à les tuer. Madame Draille s’est mise à hurler de désespoir. Cette détresse m’était insupportable. Monsieur Mund et moi, l’avons traînée dehors pour tenter d’apaiser son chagrin. Mais dans les escaliers, ses hurlement ont redoublé (des hurlements à réveiller les morts et à faire pâlir les vivants). Alertés par ses cris, tous les voisins sont sortis sur le palier. Et nous avons dû descendre sous les huées et la réprobation générale. Face à cette imbécillité et à cette intolérance, je n’ai manifesté aucune résistance. Je suis resté étrangement stoïque. Pourtant, je sentais la colère gronder en moi, peut-être plus véhémente et plus haineuse que jamais. Je ne l’ai pourtant pas exercée, par honte, par pudeur ou peut-être par culpabilité (je ne saurais dire). Mais je sais que cette colère était là, à portée de main, prête à jaillir. Et en cas d’agression à l’encontre de mes chiens, je suis persuadé que tous ici savaient que je n’aurais pu répondre de rien. Du moins, je suppose qu’ils le pressentaient… En quelques jours, madame Draille s’est rétablie. Pendant sa convalescence, Monsieur Mund lui a prodigué sa gentillesse et son affection, lui cédant sa place sur le canapé, et partageant avec elle le contenu de sa gamelle. Cette compassion canine me parut exemplaire et extraordinaire à bien des égards.

 

Ma solitude n’a rien de pathétique. En rien, elle n’est subie. C’est seul que j’ai décidé de vivre ainsi. Avec mes chiens et mes travaux, mon bonheur est suffisant. Le monde n’a rien à m’offrir et je n’ai rien à lui apporter. A chacun son rôle. Le mien est ici. Sans costume ni spectateur. Monsieur Mund et madame Draille sont d’ailleurs le meilleur public qui soit. Naturel et instinctif (on ne les trompe pas, eux). Ils vous aiment ou ne vous aiment pas et vous le disent sans arrière-pensées. A bien y réfléchir, je pense que ma vie n’a rien à envier à celle des autres. J’ai même l’orgueil de la considérer comme plus intéressante à bon nombre d’entre-elles. Elle m’offre une liberté peu commune dont la plupart des hommes sont privés. Personne n’est en mesure de m’imposer ses règles. Je les érige seul. Les respecte ou les transgresse à ma guise. Cette autarcie quasi totale est le gage d’une vie et d’un bonheur autonomes. Je n’y fais entrer personne. Jamais. Ma vie, cet appartement, mes univers sont des forteresses inexpugnables. Mes chiens sont ma seule faiblesse.

 

Je suis multiple. Ou plutôt devrais-je dire, nous sommes, en moi, multiples. Tantôt fier, d’une fierté qui brille de trop d’orgueil, tantôt abattu, une mine de chien terrorisé à force de coups et de brimades. Tantôt fort et puissant (une impression chavirante d’invincibilité), tantôt chétif et peureux (effrayé de tout, effrayé de rien). Tantôt à éprouver tel sentiment, tantôt à éprouver tel autre. En somme, j’éprouve là le trivial paradoxe d’un être ordinaire. Il n’y a, je crois, rien de plus dans cette multiplicité. Et j’ai pourtant l’étrange sentiment de subir - plus que quiconque - les errances et les égarements de cette multiplicité. Plus qu’une simple modification de mes humeurs et plus qu’une transformation de la couleur qu’elles impriment à mes perceptions, c’est ma vision entière, ma vision totale qui se transforme et me transforme. Je doute alors de tout, de mes certitudes, de mes exigences et de mes essentialités. De mes doutes mêmes, je ne suis plus certain. C’est un sentiment d’ignorance totale et absolue qui me submerge…. comme si tout se disloquait et se désagrégeait à l’intérieur. Et rien, plus rien ne me semble exister. Plus rien ne me semble vrai, plus rien ne me semble faux. Tout me semble possible et tout me semble impossible. Je n’ai plus ni marques, ni repères, ni frontières. Je glisse alors dans un abîme sans fond. Pourtant, je finis toujours par me relever, vidé et sans vie, mais vivant. Oui, je finis toujours par ressortir de ce gouffre, plus apeuré et plus perdu que jamais, pour repartir, plus maladroit encore, vers le mur de la vie, reprendre l’absurde ascension de cette falaise meurtrière en attendant avec angoisse la prochaine chute, la prochaine (et peut-être ultime) glissade abyssale. Une force obscure me pousse toujours à rejoindre la vie, une force obscure et incontrôlable, mystérieusement incontrôlable que la mort même, je crois, ne saurait endiguer. 

 

De ces crises de déréliction, je ressors toujours affaibli. Et toujours chamboulé dans mes certitudes. Incapable d’entrer dans les univers qui me sont familiers. Madame Draille et monsieur Mund le sentent bien. Au sortir de chaque crise, ils se font plus proches et me contraignent à leur prêter davantage attention… comme s’ils devinaient mon sentiment d’inutilité. Il m’arrive alors de prendre la brosse pour peigner leur poil rêche ou la laisse pour sortir. Ces crises sont si régulières qu’elles ne m’étonnent plus guère. Elles arrivent souvent à l’improviste. Le matin, en général, à ma table de travail. Et face à elles, je ne peux rien. Toute révolte serait inutile et tout énervement idiot tant ils renforceraient mon sentiment de médiocrité. Je dois me soumettre à leur venue. Alors je me soumets. J’abandonne l’atelier et mes travaux dont l’insipidité m’écœure. Je regarde un instant la petite pièce dont l’étroitesse me rappelle celle de mon existence inutile. Je ravale les larmes sèches de mon désespoir qui ne couleront sûrement jamais (il y a en moi trop de haine et trop de rage pour qu’elles puissent se déverser). Je pense alors au suicide qui me délivrerait de cette vie, de cette souffrance absurde. Mais je pense aussitôt à monsieur Mund et à madame Draille qui ne me survivraient pas dans ce monde abject. Il ne me reste plus alors qu’à faire taire cette désespérance qui s’est répandue sur ma vie pour continuer à vivre en attendant que la mort, un jour, vienne me chercher. 

 

 

Tentative de retour au monde

- Lettres à I. -

On exige de l’homme qu’il renonce une fois pour toutes à lui-même et à l’idée qu’à travers lui, quelque chose de personnel et d’unique pourrait être signifié ; on lui fait sentir qu’il doit s’adapter à un type d’humanité normale (…) ; qu’il doit se transfor-mer en un rouage de la machine, en un moellon de l’édifice parmi des millions d’autres moellons exactement pareils.

H. Hesse, Lettre à un jeune poète

 

Maldestre, le 4 octobre 199…

Cher I.

Tu sais à quel point je déteste ma situation. Retrouver le monde quelques mois après l’avoir quitté. C’est absurde, conviens-en. Mais laissons cela ! (Je t’en parlerais dans mes prochaines lettres). Laisse-moi, à l’instant, t’entretenir de choses plus essentielles ! Et évoquons, je te prie, mon éloignement raté d’avec le monde (ce monde qui ne me semble plus aujourd’hui qu’un lointain souvenir). Tu me connais trop pour ignorer que cet éloignement n’a pas été un brusque retournement des choses. Il nous arrivait parfois d’en parler. Te souviens-tu, par exemple, de cette phrase que tu aimais tant à me répéter (et qu’après toutes ces années, je n’ai pas oubliée) : tes plus ordinaires pensées sont imprégnées d’une bien maladive misanthropie. C’est vrai. Je le reconnais aujourd’hui, cet éloignement pernicieux d’avec le monde avait depuis longtemps atteint les enclaves les plus reculées de mon esprit. Et en dépit de tes remarques, je n’en pris conscience que tardivement (trop tardivement peut-être…), lorsque ses empreintes avaient déjà ravagé presque entièrement ma vision du monde. Comme si au cours de ces étranges années, j’avais distraitement accumulé des pans entiers d’une vision étrangère à moi-même. D’ailleurs, il t’arrivait souvent d’évoquer ma lente métamorphose. Lente métamorphose que je refusais d’admettre et qui n’était à mes yeux que de vagues mouvements d’humeur que je mettais, t’en souviens-tu, tantôt sur le compte d’un mal-être passager tantôt sur celui d’un énervement inexplicable (tu connais ma fâcheuse propension à l’énervement). Et malgré tes incessantes mises en garde, j’étais loin de me douter qu’une modification si radicale était à l’œuvre. Je m’en aperçus véritablement un jour d’accès de colère. Ce jour-là, je ressentis pour la première fois une inclination totale et absolue à la misanthropie. La crise passée, je t’en avais fait part. Et tu m’avais parlé, je m’en souviens, de crise misanthropique profonde. Tu avais vu juste. Quelques temps plus tard, j’eus l’absolue certitude qu’une véritable modification s’était opérée et qu’il me faudrait bientôt me résoudre à une restructuration complète de ma place en ce monde. Et quelques semaines plus tard, en effet, j’éprouvais le farouche désir d’occuper cette place de misanthrope à plein temps, de me consacrer entièrement à cet emploi de spectateur du monde solitaire et enragé. C’était-là un sentiment si fort que rien, je crois, n’aurait pu m’en détourner. Et dans cet élan qui, chaque jour, m’éloignait davantage des hommes, un détachement bien heureux de la chose matérielle m’avait, à son tour, pénétré, m’exhortant de ne plus toucher à rien qui put avilir mon rôle de contemplatif sardonique et solitaire. L’art se devait d’être alors mon unique souci et ma seule nourriture. Je me souviens de tes moqueries quant à mes ambitions misanthropico-artistiques. Pourtant, inconcevables me paraissaient le moindre effort, la moindre tentative d’agir autrement avec et en ce monde. Et ne parlons pas de celle de participer à sa marche stupide ! J’avais fait le deuil de ces misérables activités humaines. Oui, mon cher I., j’avais définitivement renoncé à cette incommensurable médiocrité. Planant au-dessus de la masse laborieuse et misérable des hommes.

 

Et puis voilà, aujourd’hui, de nouveau tout bascule. Une fois de plus, tout bascule. Certitudes, repères… le sens même de mon existence est anéanti... Tu dois penser que le doute a raison de venir ainsi ronger le beau rôle que je m’étais si présomptueusement attribué. Mais je t’en conjure, ne viens pas alourdir ma peine par tes moqueries ! Ma situation est suffisamment douloureuse ! Situation douloureuse exacerbée par cette précarité matérielle dans laquelle je me suis enlisé au cours de cette période et qui - j’en suis persuadé - n’est pas étrangère à cette décision soudaine de revenir dans le monde ! Mais n’accablons pas ma situation matérielle ! Ces difficultés sont infimes au regard de mon insignifiance artistique. Ce sont « mes œuvres » qui, je crois, m’invitent avec le plus d’ardeur à raccrocher ma panoplie d’artiste. Aussi sais-tu qu’au cours de cette étrange période misanthropico-artistique, souvent il m’est arrivé d’entrevoir mon existence comme celle d’un artiste raté. Oui, au sens où on l’entend si ordinairement. Je sais bien que ce concept véhiculé par les bien-pensants de ce monde n’a aucun sens à tes yeux, et moi-même, je croyais m’en être largement défait. Mais tu vois, ce sentiment a fini par me rattraper. Aussi me suis-je souvent imaginé mon avenir comme un champ de ruines jonché d’œuvres ratées. Ah, mon cher I. ! Comme la vie est étrange ! Moi qui pensais me satisfaire de cette vie d’artiste inconnu et fauché ! Eh bien, non ! Tu vois ! Mes pâles rêves d’adolescent - avide de fric et de reconnaissance - ont fini par ressurgir et me soumettre à une révision totale de mes maigres convictions misanthropico-artistiques. Et ces nouvelles convictions occupent à présent l’essentiel de mes pensées au point où elles m’ordonnent aujourd’hui de faire marche arrière et de revenir au monde pour gagner ma vie. Et depuis quelques jours, je me surprends même à leur obéir sans résistance. Je n’ai plus même, comme autrefois, ce désir de me rebeller. Oui ! Mon cher I., aujourd’hui, je n’éprouve plus que la colère de m’être dupé, et d’avoir eu l’abjecte prétention, durant ces longs mois, de pouvoir échapper aux terrifiantes nécessités humaines et matérielles. Je n’éprouve plus aujourd’hui que la tristesse et la honte immense d’avoir failli à ma mission, et d’être en passe (en revenant au monde pour gagner ma vie) de trahir les principes essentiels de ma philosophie existentielle, qui reposaient - je te l’accorde - sur des fondements fragiles (et peut-être idiots) mais auxquels je croyais et m’accrochais avec toute la force d’un désespéré dans l’absurdité de la vie comme un naufragé s’agrippe à une bouée de vérité dans la furie désespérante de l’océan. Bien à toi.

C.

 

 

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Maldestre, le 8 octobre

Cher I.

Aujourd’hui, j’ai couru tout le jour, happé sans résistance par cette odieuse nécessité de vivre. Cette odieuse nécessité de subvenir à mes besoins vitaux. Ô qu’est terrible de se consacrer à cette vile activité qui m’ordonne l’agir. Agir, voilà à quoi je passe mes stupides journées. Rongé, fébrile et diaboliquement frénétique, voilà le personnage qu’il me faut revêtir aujourd’hui. Et j’ai l’étrange sensation d’être littéralement rongé de l’intérieur, de n’être plus que la proie facile et malheureuse d’un système auquel je ne peux me soustraire. Cette vie me ronge. C’est là ma redoutable impression. Pourtant, rien, ni personne ne m’a contraint à m’infliger ce retour au monde. Personne ne m’a forcé à retrouver ce gouffre. Quelle torturante contradiction ! C’est seul que j’ai décidé d’y revenir ! Tu dois penser, mon cher I. que ce retour au monde est une belle absurdité ! Oui ! Tu as raison ! C’est une terrible absurdité qui broie mes jours pour me laisser sans force le soir venu, vide d’envies et de désirs. C’est là une affligeante nécessité qui accapare mes jours et hante mes nuits en m’obligeant à l’acharnement jusqu’au délire ridicule de l’obsession. Agir, réussir. Agir, réussir. Aujourd’hui, ces deux misérables mots me poursuivent et me contraignent, chaque jour, à revêtir la parure grotesque et malsaine de l’acteur du monde que je me refuse à devenir. Ô mon cher I., si tu pouvais ressentir ma douleur…. Je ne suis plus aujourd’hui que l’ombre de moi-même, un misérable pantin endimanché à qui le monde fait perdre la tête. Ô pauvre de moi ! Pauvre de moi ! Et cette infâme pitié que j’éprouve en regardant ma vie. Pauvre pantin bercé par le chaos du monde. Je pense bien à toi.

C.

 

 

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Maldestre, le 9 octobre

Cher I.

Après cette journée passée trop loin de moi-même, me voilà perclus, épuisé, exténué. Ce soir, je suis au bord de la rupture. Et comme un ivrogne qui se précipite sur sa bouteille, je prends la plume pour te raconter. Pour t’écrire, dans une frénésie diabolique, ces mots que tu trouveras peut-être incohérents et dénués d’intérêt. Mais je t’écris, mon cher I., pour retrouver ma vie véritable, cette vie que j’ai roulée dans la boue, cette vie que j’ai trahie, cette vie à laquelle je n’ai pas cru et qui, elle non plus, n’a pas voulu croire en moi. Je voudrais tant te raconter l’enfer misérable dans lequel je me suis jeté…

 

Ce matin, je fus envahi par une étrange impression. Celle d’être écartelé par deux nécessités contradictoires. Comme si toutes deux m’imposaient de me partager et de courir vers elles dans le même élan. Comprends-tu mon désarroi, mon cher I. ? Comment peut-on être à la fois l’acteur et le spectateur de ce monde ? Tu sais bien que c’est là chose impossible. Alors pourquoi ces deux nécessités s’acharnent-elles ainsi à vouloir cohabiter ? Réponds-moi, je t’en prie. J’ai tant de peine à les entendre ensemble. C’est là une épreuve insurmontable. Je t’en prie, dis-moi comment concilier ces deux servitudes qui brûlent mes jours et consument mes nuits ? Je t’en prie, réponds-moi. Et dis-moi comment passer de l’une à l’autre, comment réaliser ce rêve utopique, cet irréalisable compromis. Je t’en prie, j’attends ta réponse avec impatience. Ton ami.

C.

 

 

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Maldestre, le 11 octobre

Cher I.

J’attends ta lettre désespérément. Ici, rien n’a changé. Je suis toujours en proie à cette effervescence mentale, courant tout le jour comme un ravagé, sautant, m’époumonant et m’agitant dans un tourbillon stérile et superflu. Avec cette sensation de voir mes vérités s’éloigner de ma vie et se dissoudre peu à peu. Comme si j’étais tiraillé par le doute de ma propre vie… Cette décision soudaine de m’investir dans le monde, d’y creuser ma place, mon trou, me met décidément bien mal à l’aise. Les luttes intestines dont je te parlais continuent de me ronger. Je suis toujours écartelé de l’intérieur. Entre l’oppressante nécessité de vivre, son terrifiant cortège de contraintes, de costumes et d’angoisse et cette malheureuse volonté d’exister, sa douce quiétude et sa merveilleuse liberté. Entre, je ne cesse de me balancer. Comment t’expliquer … ? Tu sais bien, toi, mon cher I., mon goût pour la flânerie, mère de la créativité. Si tu savais comme je souhaiterais y revenir… profiter de ces jours tranquilles et vagabonds pour explorer et exprimer le monde. Mais tu sais aussi que ce rôle nécessite une distance, un détachement réel, entier, qui n’accepte aucun compromis, qui rejette toute compromission avec le monde.

 

Oh ! Mon cher I. ! Si tu savais comme j’aspire encore à cette vie de création, à ce rôle d’estivant qui musarde la tête hors du monde ! A cette vie inspirante et inspirée ! Voilà tout ce à quoi j’aspire. Voilà tout ce à quoi j’ai toujours aspiré. De toute mon âme. Toi, tu connais ma joie à laisser mon esprit se remplir du monde pour le déverser sur la page blanche. Tu connais ma joie à interpréter le monde et la vie que je traverse. Te souviens-tu, mon cher I., tu me demandais souvent : mais que veux-tu faire ? A quoi aspires-tu ? Aujourd’hui, je te répondrais que je n’ai plus qu’un seul souhait : redevenir attrapeur d’idées, témoigneur de vie, musardeur du monde. Voilà les seules activités qui me semblent dignes en cette vie. Voilà les seules activités qui combleraient mon existence. Mais non, ce monde ne me permet pas d’occuper ce rôle. Je dois me contenter de l’occuper en amateur, en dilettante en définitive. Si tu pouvais ressentir ce que je ressens, mon cher I…. je me sens si misérable et si malheureux de ne pouvoir me consacrer à ce qui me semble le plus essentiel en cette vie. Comment pourrais-je dès lors trouver le courage de m’engager dans une autre activité ? Comment pourrais-je devenir actif, efficace et professionnel dans une autre activité (forcément détestable à mes yeux) ? Comment pourrais-je m’y résoudre ? C’est impossible ! Mais cette impossibilité me paraît presque secondaire au regard de ma profonde inaptitude artistique. Car c’est elle, en définitive, qui m’exhorte à quitter l’art pour rejoindre le monde. Si tu savais, mon cher I., comme je trouve mes œuvres pitoyables ! Je me sens plus minable encore que le plus minable des artistes (plus médiocre encore que le plus médiocre d’entre eux) ! Oui ! Mon cher I., j’ai conscience de mon insignifiance artistique. Conscience de ma médiocrité créatrice. Et ce regard lucide sur moi-même m’est plus insupportable encore que mon incapacité à m’investir dans les activités de ce monde ! Comment aurais-je pu alors me résoudre à m’engager dans l’art et à dévoiler au monde ma médiocrité ? Le monde, sois-en sûr, aurait fustigé ma démarche et aurait ricané de mépris en voyant mes travaux. Et il aurait eu raison, mon cher I. ! Non ! Crois-moi ! Je n’ai d’autre choix aujourd’hui que de renoncer à l’art pour emprunter le pâle chemin de la normalité, écœuré de ce monde et dégoûté de moi-même. Oui ! Je dois me résigner la mort dans l’âme, à courber l’échine et à rentrer dans le rang. Me résoudre à l’obéissance et au respect des lois absurdes de ce monde qui détruisent et soumettent ma vie – et je crois, la Vie même – sous sa botte stupide, en forçant tous ceux, comme moi, qui s’y soumettent en renonçant à eux-mêmes. Et si tu savais comme je m’en veux aujourd’hui de cette lâcheté, de ce manque de courage, de cette inaptitude à choisir ma vie, de cette incapacité à assumer mes choix et à suivre mes aspirations les plus profondes. Comme si un petit je ne sais quoi de lâche n’avait de cesse de me ramener à l’insidieuse normalité du collectif. Oui, mon cher I., je bute sur le moindre regard inquisiteur de ce monde, effrayé de révéler l’image de ma différence, paralysé d’être relégué au rang des ratés, incapable d’assumer ma préférence, ma différence, mon existence - mon existence que je place pourtant au-dessus de tout - mais qui n’est rien puisque je ne m’y consacre guère que dans l’ombre. Je t’en prie, écris-moi. Sauve-moi de ce naufrage !                      

 C.

 

 

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Maldestre, le 15 octobre

Cher I.

J’attends toujours en vain. Que fais-tu ? Je t’en prie, écris-moi vite ! Sans toi, ma vie continue d’être happée dans la course terrifiante du temps... Chaque jour, je suis trop occupé à vivre ! Trop préoccupé par cet impérieux désir de réussir ce vivre pour prendre véritablement le temps (et la peine) d’exister. Oh ! Mon cher I., je me sens si absorbé par cette ronde infernale du temps à laquelle me livre ce drôle de jeu du monde. J’éprouve la désagréable impression de me laisser sournoisement aspiré dans ce tourbillon où mon regard perd chaque jour de son innocence et de sa pureté. Sans toi, j’ai le sentiment qu’il ne me sera jamais donné de comprendre. Sans toi, je n’ai plus ni recul, ni distance nécessaire pour m’extraire de ce piège dans lequel je me suis moi-même jeté. Sans toi, je n’ai en tête que l’efficacité et mon pauvre désir de réussir cet odieux retour au monde. Sans toi, je suis comme un aveugle qui ne peut voir ni le ciel, ni le monde, ni la vie, ni le temps qui file, ni l’absurdité de cette quête destructrice dans laquelle je m’enlise aujourd’hui. Sans toi, je suis aveugle de tout. Sans toi, je n’obéis qu’aux seules œillères de l’absurde réussite sociale. Je t’en prie, mon cher I., écris-moi et aide-moi à comprendre… Et dis-moi pourquoi me sens-je ainsi contraint de rejoindre cette course folle du monde ? Oh, mon cher I., je crois que cet engagement est en train de me faire sombrer dans la folie ! Et toi seul peux m’aider à comprendre cette déraison furieuse, cette folle obsession qui m’a contraint à quitter l’univers que j’aimais tant. Tu vois, je ne cesse de ressasser ce choix qui me semble une erreur terrifiante et une incontournable nécessité. N’est-ce pas là d’ailleurs, mon cher I., la difficulté essentielle de ce retour au monde ? Ce sentiment de commettre à la fois une immense erreur et de répondre à une incontournable nécessité. Certains jours, vois-tu, j’éprouve le sentiment de monter sur un bûcher sans y avoir été invité. Je ne sais quelle puissance me pousse vers ce chemin sans avoir ni la force ni le courage de m’y opposer. Tu dois penser que je fais preuve d’une bien médiocre volonté, n’est-ce pas ? Mais que faire ? Ce retour au monde a anéanti toutes mes forces. Et je n’éprouve plus même aujourd’hui le désir de me rebeller. Je me contente à présent de suivre ce mauvais chemin, en traînant les pieds, il est vrai, un peu plus chaque jour. Mais en dépit de cette assiduité, je ne comprends toujours pas cet acharnement à revenir au monde. Parce qu’il s’agit bien d’un acharnement, n’est-ce pas ? Serait-ce alors, comme tu le disais jadis, ma fierté et mon besoin de reconnaissance qui m’incitent à poursuivre cette voie pitoyable ? Oui, peut-être avais-tu raison… Une fois de plus, tu avais vu juste. Mais tu ne m’empêcheras pas de penser, mon cher I., que ce monde qui oblige au sacrifice de soi est bien cruel. Oh oui ! Je sais ! Inutile de me le rappeler ! Je ne suis ni un martyr ni une victime ! Et le mal qui est mien est bien insignifiant au regard des malheurs du monde ! Ce n’est qu’une immense petite souffrance qui me ronge et me détruit un peu plus chaque jour. A bientôt de te lire.

C.

 

 

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Maldestre, le 19 octobre

Cher I.,

Comme chaque soir, après la fébrilité de la journée, je reprends ma place devant la fenêtre pour t’écrire et déverser l’angoisse et la tension accumulées au cours de ces heures terribles passées dans le monde. Oui, mon cher I., je m’évertue chaque soir à évacuer cette hargne agressive qui m’étouffe. Mais je ne suis plus en mesure d’écrire la stupidité de ce monde. Et comment le pourrais-je ? Il n’y a que ma stupide agitation que je puisse regarder (j’ai le sentiment que mon regard d’autrefois - si sardonique - s’est peu à peu dilué dans l’agitation que je lui impose). Et j’ai beau essayé de regarder le monde, j’ai beau essayé de l’écrire, je n’y parviens plus. J’ai le sentiment que mon regard s’est obscurci. Mes yeux, sans doute trop absorbés par l’action, n’ont plus l’acuité que je leur connaissais. Ils ne réussissent plus à voir l’horizon que je leur promettais. Ils ne savent plus voir la stupidité de ce monde. Ils ne peuvent qu’observer la mienne, cette ineffable stupidité dans laquelle je m’empêtre, cette terrifiante horreur dans laquelle je ne cesse de m’enliser. Comment mes yeux pourraient-ils voir autre chose ? Hein ? Mon cher I., dis-le moi ! Comment le pourraient-ils ? Je n’ai de cesse de les obscurcir. Et je les vois chaque jour pleurer ma stupidité qui cache celle du monde. Ah ! Comme je les comprends, mes chers yeux. Tu sais, en prenant la plume chaque soir, c’est à eux que je m’adresse. C’est à eux que j’écris, que je livre ce tourbillon de mots incohérents. Pour leur dire mon affliction, mon affection, leur dire qu’en dépit de ces jours d’absence, c’est à eux que je pense. Ah ! Mes chers yeux ! S’ils pouvaient connaître ma honte ! Braves yeux qui ont su me donner ce regard si distant du monde et que je trahis un peu plus chaque jour… Crois-moi, mon cher I., bientôt viendra le jour où je saurais leur redonner la vue ! Qu’ils prennent patience, mes chers yeux ! Et bientôt, nous nous retrouverons, plus caustiques que jamais, et ensemble nous repeindrons le monde de tout le noir qu’il mérite. Crois-moi, mon cher I., ensemble, nous le recouvrerons de tous les maux qu’il nous aura causés. Oui, mon cher I. ! Nous nous vengerons, sois-en sûr !

C.

 

  

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Maldestre, le 23 octobre

Cher I.,

Depuis quelques jours, ma déperdition semble plus lente. Est-ce une simple impression ou une réalité plus tangible ? Je l’ignore. Chaque jour pourtant, je continue de m’agiter, mais avec plus de lenteur et moins d’angoisse. Il me semble aussi accorder davantage de temps et d’importance à l’essentiel de ma vie passée. Grâce à ces lettres que je t’adresse, sûrement. Oh, bien sûr ! Je n’ai pas encore retrouvé l’équilibre et l’harmonie d’autrefois, mais j’ai le sentiment de m’en approcher un peu plus chaque jour. Je navigue encore entre les doutes et les incertitudes, mais avec une sérénité nouvelle et encore bien fragile…

 

Mais en dépit de cet équilibre, je n’en continue pas moins de m’interroger sur cet étrange retour au monde. Ce retour s’est déroulé si brusquement (si brutalement même) que j’ai le sentiment qu’il a soudainement jailli, poussé par une mystérieuse, profonde et inconsciente maturation venue à terme. Voilà mon sentiment aujourd’hui ! Sentiment encore nébuleux mais qui a le mérite de me révéler un nouveau paradoxe. Pourquoi en effet, ai-je ressenti ce brusque engouement pour un domaine que j’ai toujours exécré (dénicher en ce monde une activité rémunératrice, ou comme on le dit plus trivialement, gagner sa vie) ? Etait-ce là une répugnance superficielle ? Une fausse image de moi trop longtemps enfouie ? Je l’ignore. Voilà en tout cas une nouvelle contradiction qu’il me faudra bientôt assumer (j’en ai bien peur). Encore me faudrait-il (pour que je puisse sérieusement m’y pencher) retrouver l’équilibre perdu (dont je te parlais plus haut) qui m’aiderait sans aucun doute à concilier ce qui me semble aujourd’hui encore inconciliable. En attendant, je sais qu’il me faudra patienter. Je pense bien à toi. En espérant te lire bientôt. Affectueuses pensées.

C.

 

 

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Maldestre, le 25 octobre

Cher I.,

Oh ! Mon ami ! C’est affreux ! Aujourd’hui, ma course effrénée a repris. Et ce soir, j’en désespère. Ces quelques heures passées dans le brouhaha citadin m’ont convaincu de la folie de ce retour au monde. Courir après mon propre délire, voilà une chose bien désespérante, n’est-ce pas ? Il y a longtemps que je n’avais dû me résoudre à un tel égarement de la pensée, obsédé à poursuivre le but affligeant que je m’étais astreint pour cette sortie citadine : achever les fastidieuses démarches liées à mon retour au monde. J’ai passé la journée à courir dans cette ville inconnue. J’ai marché tout le jour, d’un pas mécanique sans pouvoir, hélas, m’extasier de l’imbécillité alentour. Il m’aurait pourtant suffit de la recueillir – cette imbécillité – (et à pleines mains encore) et aussitôt rentré, j’aurais pu en recouvrir la page blanche (et sans le moindre effort, crois-le bien). Mais comment aurais-je pu la voir, cette imbécillité ? J’étais bien trop empêtré avec la mienne pour pouvoir mettre celle du monde dans ma besace. Figure-toi que je n’ai eu qu’une seule obsession aujourd’hui : me défaire au plus vite de toutes ces stupides obligations. Aller ici, me rendre là, entreprendre telle démarche, achever telle autre, mille affaires à régler. Ah ! Comme je regrette que tu n’es pu m’accompagner aujourd’hui ! Ta présence aurait été d’un grand secours. Sans doute m’aurais-tu ordonné sur le champ de mettre fin à cette mascarade. Stop ! Stop, malheureux ! m’aurais-tu sans doute ordonner. Où cours-tu ainsi d’un pas rapide et imbécile ? Pourquoi ne prends-tu pas le temps ? As-tu oublié les plaisirs de la flânerie ? Comment peux-tu marcher ainsi sans regarder alentour ? Mais non ! Tu n’étais pas à mes côtés aujourd’hui, mon cher I. ! Et comme je le regrette… Comme j’aurais aimé que tu me mettes en garde contre ma bêtise ! Mais ton absence m’a imposé de poursuivre tout le jour cette course effrénée. Comme si ton absence m’avait confisqué (plus encore) ce regard qui prend tant de plaisir à dépeindre ce monde si plein d’incongruités, de folie et de désespérance. Comme si ton absence avait obscurci (plus encore) mon regard en le teintant de cette transparence indifférente, en m’exhortant de suivre imbécilement la médiocrité de mon cerveau efficace et calculateur, en m’entraînant dans la furieuse déraison des gens trop occupés. Mais avais-je le choix ? Non ! Mon cher I. ! Je n’ai pas eu ce privilège ! Aujourd’hui, je n’ai pu regarder ni la vie ni le monde. Trop affairé à me dépêtrer avec eux, trop occupé à courir comme un imbécile parmi les imbéciles, à poursuivre mes stupides chimères, la tête baissée, les yeux et le cœur fermés, à me débattre comme un forcené dans la tiède mélasse de la normalité. Oh ! Quel pauvre garçon suis-je sans toi, mon cher I. ! Je t’en prie ! Donne-moi vite de tes nouvelles ! 

 C.

 

 

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Maldestre, le 26 octobre

Cher I.,

Hier, après avoir terminé ta lettre, je me suis couché au bord du désespoir. Et ce matin, c’est le dégoût et l’angoisse qui m’ont réveillé. Je me suis levé avec un profond sentiment d’écœurement. Se lever a été, je t’assure, cauchemardesque. Puis lentement mes ignobles activités m’ont tiré de ce coma. Je m’y suis consacré tout le jour en traînant ma carcasse et mon apathie, l’esprit totalement absorbé par ces vaines occupations. Et seule, la tension nerveuse, je crois, me fait encore tenir debout ce soir. A l’intérieur, je me sens si vide, presque mort. Et pourtant, je n’en continue pas moins d’avancer chaque jour, cahin-caha sur cet étrange sentier qui m’éloigne de moi-même sans véritablement me rapprocher du monde. J’ignore si je tiendrais longtemps encore. Ces derniers jours, mon courage et mon endurance (bien médiocres, t’en souviens-tu) ont été rudement mis à l’épreuve. Et je les sens ce soir au bord de la défaillance. Crois-moi, mon cher I., cette course folle me désespère et m’épuise! Si tu savais comme ce retour au monde me ronge… je ne suis plus aujourd’hui que l’ombre de moi-même. Je dois avoir l’air d’un fantôme sans vie qui court dans la nuit après ses rêves illusoires. Je ne suis plus qu’un ersatz de ce que j’étais et qui en oublie jusqu’à l’essentiel en poursuivant jusqu’à l’épuisement cette obsession désespérée. Crois-moi, mon cher I., cet absurde retour au monde est un chemin bien pathétique ! Ecris-moi vite, je t’en prie. Ton ami.

C.

 

                       

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Maldestre, le 29 octobre

Cher I.,

Depuis quelques jours, et malgré ton silence, je m’accoutume étrangement à l’idée de retrouver le monde. Bien sûr, j’ai conscience qu’il ne s’agit là que d’une accoutumance contrainte (et peut-être factice). Mais, vois-tu, je me surprends ces derniers temps à penser aux menus avantages de rejoindre ainsi la masse du troupeau. Ces aspects positifs me sont apparus, je te rassure, bien involontairement, inconsciemment peut-être. Il m’a été permis d’y songer, je crois, grâce au nouvel équilibre qui s’est installé dans ma vie (et que j’évoquais dans une précédente lettre). Cet équilibre demeure aujourd’hui encore fragile et bancal, mais grâce à lui, je retrouve cette pluralité à laquelle j’aspirais tant et qui peu à peu reprend sa place dans ma vie. Ainsi, depuis quelques jours, je parviens à consacrer quelques heures à l’écriture et à quelques autres activités que j’avais dû me résoudre à abandonner ces derniers temps. Quelques heures volées à mon retour au monde en quelque sorte ! Ah ! Si tu pouvais connaître ma joie de retrouver cette part de moi-même que j’imaginais à jamais perdue, réduite à néant par cette frénésie débridée que m’imposait cette impérieuse nécessité de gagner ma vie. Tu dois penser que je me console bien médiocrement. Peut-être as-tu raison…

 

Mais sache, mon cher I., qu’en dépit de ce laborieux retour à un semblant de pluralité, je n’en éprouve pas moins un fort ressentiment à l’égard de la vie. A l’égard de cette vie artificielle et obligée à laquelle le monde nous contraint. Loin de moi pourtant l’idée de lui imputer tous mes déboires et toute ma rancœur. Dans cette histoire, je crains d’être mon propre bourreau et jamais, je crois, je n’ai nié ma part de responsabilité. Mon caractère profondément angoissé et la frénésie désespérée avec laquelle je me jette sur toute chose n’y sont, je crois, pas étrangers. Toi, qui me connaîs mieux que quiconque, tu n’es pas sans savoir l’opiniâtreté laborieuse et quasi obsessionnelle avec laquelle je m’engage dans toute activité. Qu’il soit professionnel ou artistique, chaque nouveau projet, tu le sais bien, n’a de cesse de me hanter, jour et nuit. A tout instant, sa présence m’assaille et me rend fébrile sans me laisser le moindre répit. Moi qui pensais m’être dégagé de cette frénésie furieuse (me félicitant même d’avoir appris une certaine patience), je m’aperçois qu’il n’en est rien. Je suis toujours en proie à cette recherche fébrile de l’accomplissement. Comme si je souhaitais prouver au monde mon existence par ma capacité à remplir (coûte que coûte) mes engagements - en allant au bout de mes choix (quels qu’en soient les sacrifices). J’ignore encore les raisons d’un tel comportement névrotique. Je n’y vois, pour l’instant, qu’un élément supplémentaire de mon indéniable instabilité psychique. Qu’en penses-tu ? Ecris-moi vite. J’ai hâte de te lire. Ton ami.

C.

 

 

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Maldestre, le 3 novembre

Cher I.,

J’ai enfin reçu ta lettre. Je m’aperçois que ton incompréhension est grande. Peut-être me suis-je mal exprimé dans mon dernier courrier ? Laisse-moi donc revenir sur ce qui me semble capital. Il faut que tu me comprennes, mon cher I. ! Il en va, je crois, de l’avenir de notre relation. Tu es si distant ces derniers temps que, je t’en prie, fais cet effort pour me comprendre.

 

Tu n’es pas sans savoir, mon cher I. que la vie a toujours été, à mes yeux, un chemin (chemin de croix et d’ornières) sur lequel chaque jour il me fallait avancer. Et aujourd’hui, je me sens bien désemparé face à cette impérieuse nécessité que je ne comprends plus guère et qui me pèse bien plus qu’autrefois. Cette absence totale de distance à l’égard de la vie (en général) et de la mienne (en particulier), ce manque évident de recul ont fait naître en moi une totale incapacité à la frivolité. Et le ton sérieux et grave avec lequel je m’acharne sur toute chose m’est plus que jamais insupportable. Et c’est là, crois-moi, un véritable handicap à vivre, un obstacle rédhibitoire à la saveur et au plaisir d’être en ce monde. Aussi n’ai-je jamais pu parer mes actes ni mes pensées de la moindre frivolité, ni celle des désespérés ni bien sûr celle des insouciants. Ce sentiment-là m’est, je crois, définitivement inaccessible. Moi qui me suis toujours si désespérément accroché à la recherche du sens de la vie, tu sais bien qu’il m’est impossible de ne pas prendre au sérieux le moindre événement qui y surgit. Comment pourrais-je dès lors avoir le moindre goût pour la frivolité ? Insouciant, jamais je ne parviendrais à l’être. Et désespéré, bien que je le sois si souvent, jamais je ne pourrais me résoudre à revêtir cette frivolité que biens des désespérés adoptent. Car cette frivolité-là, à mes yeux, n’est qu’un pis-aller, une vaine tentative de transcender l’absurdité de l’existence. Et tu sais bien, mon cher I., que je préfèrerais mourir plutôt que renoncer à cette absurde quête de sens. Tu comprendras donc qu’il me soit impossible de me délecter par désespoir des maigres plaisirs que cette vie peut m’offrir. Et je désespère de cette impossibilité. J’espère que cette lettre t’aidera à mieux comprendre. Ton ami.

C.

 

 

_______________________ 

Maldestre, le 7 novembre

Cher I.,

Ces quelques jours de réflexion m’ont été salutaires. J’ai pris une décision que je pense sans appel : je renonce définitivement à mon retour au monde. Est-ce là un choix judicieux ? Je l’ignore. Pourquoi et comment me suis-je décidé ? Je ne saurais davantage te répondre. Peut-être me demanderas-tu alors ce qu’il reste de toute cette stupide frénésie dans laquelle je me suis jeté ? Rien, mon cher I., il n’en reste rien. Quelques pages griffonnées, une succession d’efforts anéantis et l’inébranlable certitude de m’être de nouveau fourvoyé sur un chemin qui n’était pas le mien. Et aujourd’hui, comme autrefois, j’ai le sentiment d’être un vagabond sur le bord de la route qui ne sait où aller et qui préfère, par dépit, s’asseoir sur le bas-côté pour regarder passer ses congénères (pressés) qui poursuivent leur chemin avec opiniâtreté, sûrs de leur destination et confiants dans leur trajectoire. Oui, mon cher I., je crains de n’avoir toujours été qu’un éternel ébaucheur, qu’un éternel faiseur de projets inaboutis qui préfère regarder passer le monde sans se mêler à sa course stupide. Oui ! Crois-moi, mon cher I. ! Chaque pas en cette vie n’aura été pour moi qu’un éternel recommencement. Et le monde n’aura été qu’un dédalle de sentiers labyrinthiques dans lequel je n’aurais cessé de me perdre et qui m’aura toujours ramené à l’endroit même où j’avais commencé mon voyage. N’ai-je pas d’ailleurs toujours été l’infatigable adepte (et le laborieux marcheur) de mes longs et ineptes voyages immobiles ? Tu sais, mon cher I., il m’arrive pourtant de ressentir l’infinité des possibles qu’offre le chemin de la vie. Mais lorsque mon regard embrasse ces horizons ouverts, tous se referment à mon approche. Comme s’ils m’étaient inaccessibles… La distance, tu le sais bien, m’a toujours découragé. Aussi dois-je me contenter de regarder l’horizon, les pieds englués dans la fange de ma velléité paresseuse, en me consolant avec d’hypothétiques projets qui ne verront jamais le jour. Mes rêves, tu le sais aussi, ont toujours été obscurs, et mes idées toujours échafaudées durant la nuit, à ces heures de grâce où tout me semble possible, où mes pensées prennent corps et où mes projets deviennent réels et accessibles. Mais au réveil, ces songes merveilleux ne sont malheureusement plus que ruines, incapables d’affronter la réalité et d’entrer dans l’incontournable lutte avec le réel. Aussi ces songes, restent-ils en moi, découragés, anéantis, écrasés par les efforts qu’il me faudrait déployer pour les faire naître. Pourquoi se recroquevillent-ils ainsi ? Pourquoi ? Est-ce l’incertitude qui m’habite ? Ce doute terrible qui me confine à l’indécision ? Oui. Peut-être… peut-être n’est-ce après tout qu’un manque de confiance en la vie ? Oui, voilà sûrement l’origine de cette indécision : mon manque de foi en la vie. En définitive, peut-être ne crois-je en rien ; ni en la vie, ni en moi ni en mes idées. Je n’ai d’ailleurs en cette vie aucun espoir. Et c’est-là un lourd handicap pour s’investir dans un projet, se consacrer à une « œuvre » ou mener à terme quelque activité ! Comment veux-tu dès lors, mon cher I., qu’aboutisse la moindre de mes entreprises ? Je n’ai rien à prouver, ni à moi-même ni au monde. Je ne souhaite ni briller, ni réussir. Je n’obéis le plus souvent qu’à mon bon vouloir, par plaisir ou par nécessité. Et je n’aspire surtout qu’à vivre en paix avec moi-même. Oui, je crois que ma vraie motivation est là : vivre en paix avec moi-même. Et dans mes jours fastes, c’est cette aspiration qui donne un sens à ma vie et à l’œuvre que je tente d’accomplir. Et dans mes jours sombres (autrement dit la plupart du temps), cette aspiration même disparaît. Je n’éprouve plus alors ni plaisir ni nécessité à vivre et à poursuivre mes travaux. Ne me reste plus qu’un sentiment d’absurdité à l’égard de tout. Aussi dois-je me contenter de regarder avec envie et ironie ce monde qui s’agite en frétillant bêtement autour de moi. Cher I., ne m’écris plus. Je quitte Maldestre ce soir même. Adieu. Ton ami.

C.

 

 

Histoire d’une chute

Tu te dis hanté par l’idée qu’un sens et une mission ont été assignés à ta personne et à ta vie et tu souffres de n’avoir pas révélé ce sens ni rempli cette tâche.

H. Hesse. Lettre à un jeune poète

 

Ces phrases sont extraites d’un carnet qui gisait au bas d’une falaise, à quelques mètres du corps nu d’un garçon d’une trentaine d’année. L’enquête a conclu à un suicide. Je ne saurais vous en dire davantage sur l’auteur de ces lignes. 

 

Ne rien dire, ne rien faire. Etre là… simplement. Présent. Vivant. Ecouter le silence. Entendre la joie et recueillir la tristesse. Et oublier les bruits du monde comme l’on oublierait un souci de l’âme pour enfin pénétrer le cœur de la vie.

 

J’ai toujours détesté les hommes. Du plus loin qu’il me souvienne… leur vie m’a toujours semblé sans intérêt ni consistance. Tous tentent de la remplir en courant après quelques rêves dérisoires : qui d’une reconnaissance, qui d’un succès, qui d’un plaisir, en quête perpétuelle de petits riens dont la réussite semble étonnamment les contenter.

 

J’avais décidé aujourd’hui d’aller faire quelques achats en ville - quelques broutilles sans importance. Mais la marée humaine m’a surpris au cœur du monde et les vagues des chalands ont chaviré mes désirs. J’ai dû regagner la berge, comme un pêcheur bredouille, trop effrayé d’avoir à affronter la furie de l’océan.

 

Se priver de la richesse d’être pour se contenter du bonheur de posséder. Posséder le monde – hommes et choses – comme la preuve de notre implénitude.

 

Autour de vous, le monde avance comme une énorme machine à broyer les hommes, insignifiants et dérisoires maillons qui alimentent les rouages de celle qui, un jour, finira par les écraser. 

 

Je me suis toujours rangé du côté des médiocres et des ratés. Comme si la réussite me semblait trop inaccessible parce que vaine et sans attrait. 

 

Qu’est-ce que réussir ? Serait-ce contempler son image dans les yeux des autres où ne brillent trop souvent, à travers votre reflet, que l’envie, la jalousie et la haine de ce qu’ils n’ont pas encore réussi à avoir, à être ou à devenir ?

 

Partout où vous passez, vous ne laissez derrière vous que de minces traînées de poussière, d’infimes traces de rien. Quoi que vous fassiez et où que vous alliez. Sur les chemins du monde comme dans le cœur des hommes.

  

L’ennui finit toujours par entrer dans les âmes solitaires et figées, en quête perpétuelle de mouvement. L’ennui s’immisce toujours dans l’immobilité de nos jours, au plus calme de notre vie.

 

Ô Homme ! Fuyez l’ennui ! Fuyez cette plaie du cœur, cette meurtrissure de l’âme ! Jetez donc les pelures du temps ! Et avancez avec lenteur en regardant le cœur palpitant de la vie pour apprécier chaque instant comme le plus inestimable présent.

           

Comment s’extirper des geôles de l’existence ? Comment échapper au cachot du réel ? En occupant ses jours, chaque heure du jour, chaque jour de la semaine, chaque semaine du mois, chaque mois de l’année, chaque année de sa vie. Et ces mots qui résonnent comment un martèlement immuable.

 

La vie n’est qu’une longue pénitence, enfermés dans les murs du temps. 

 

Une vie sans histoire, lisse d’évènements. Ou si peu qu’ils emplissent mal vos années. La douce tiédeur du couple, le bonheur tranquille du foyer. Embarqué comme un forçat sur la galère des conventions avec à bord la routine et l’ennui, capitaine et second de ce bâtiment fantôme, nourri au pain du sacrifice dans la gamelle du devoir et du travail, enchaîné aux règles de la vie sociale. Tant d’années au cœur de l’immobile tempête à mâcher, à ruminer le bouillon de rébellion qui chaque jour vous brûle la bouche.

 

Je suis le mauvais acteur d’un mauvais film, incapable (pourtant) de refuser la maigre solde qui lui est promise.

 

Que fait l’homme seul face au monde ? Et que fait-il seul face à lui-même ?

 

Et si la vie n’était qu’une traversée, qu’une longue marche vers soi, avec ses étapes, ses découragements, ses fatigues, ses joies et ses découvertes.

 

Le ciel bas chargé de nuages m’invite au recroquevillement. Depuis 4 jours, cette pluie ininterrompue me confine à cette morose intériorité.

 

Seul dans ce petit appartement, assis à la table du salon, mon regard se promène sur le paysage familier, mille fois entrevu. Derrière la vitre, j’aperçois les toits d’ardoise grise égayés par quelques grands arbres. Au fond, l’église, lourde, massive vient compléter la grisaille du tableau.

 

Un visage endormi sur un oreiller, un livre posé sur une étagère, une tasse à café sur un coin de table. Touches du quotidien à élever en art pour y faire ressurgir le noble de la vie.

 

Des petits riens… une soirée à deviser autour d’un verre, à épancher son désir, à éponger sa souffrance dans la présence de l’autre, pleine, entière, disponible. Jamais vous n’auriez imaginé découvrir ce refuge d’Amour

 

Un jour, l’horreur vous éclate à la gueule, comme une bombe sournoise qui ne meurtrit qu’à l’intérieur. Au dedans, la blessure a tout détruit. Les certitudes, la paix et l’espoir. Rien. Il ne reste plus rien, excepté l’horreur, l’indifférence et l’hypocrisie. Oui ! L’horreur, l’indifférence et l’hypocrisie, comme partout où déferlent la cruauté et l’ignominie des hommes, comme partout où triomphe l’égoïsme – et ils triomphent partout – sur l’entière surface du monde comme dans le cœur de chacun.

 

Vous pensiez connaître l’horreur pour l’avoir déjà aperçu, de près ou de loin, dans la rue ou dans le poste de télévision. Mais aujourd’hui, l’horreur vous a directement touché, au plus proche, au plus profond. Et à présent, votre cœur saigne d’un sang épais et noir, désespéré d’être si profondément blessé.

 

Seul dans ce monde solitaire à s’agiter dans la vaine agitation des hommes.

 

De nouveau, ce sentiment de flottement, cette impression de glisser hors de la vie, cette sensation d’égarement de vous-même.

 

Le mal de vivre comme plaie incurable. La mort même, je crois, ne saurait me délivrer de cette blessure.

  

Ecrire comme exercice nécessaire à la poursuite des jours. Ecrire comme acte de survie. Ecrire la vie comme une traînée de poussière sur notre passé.

 

Ecrire comme nécessité absolue, comme nécessité fondamentale. Ecrire pour alléger le fardeau de vivre. Ecrire chaque pensée, chaque sentiment, chaque acte trivial et quotidien. Ecrire chaque jour vécu comme une œuvre unique.

 

La souffrance est mère de l’écriture et l’écriture l’amer de la souffrance.

 

Chaque jour, la vie épuise mon espoir. Et ne me restera bientôt plus que le jus amer de la désespérance.

 

2 heures du matin. Un bain d’eau chaude et parfumée. L’endroit le plus exquis que je connaisse, loin de la tourmente du monde et des tempêtes de l’existence. Havre de paix pour un cœur agité, au bord du chavirement.

 

L’espoir de rejoindre la vie retirée. Délaisser le fardeau du quotidien. Retrouver la joie de l’écriture et les flâneries dans la campagne alentour. Mon existence entière n’aspire qu’à la quiétude de ces heures tranquilles.

 

2 jours d’hôpital ; étrange parenthèse de vie. Au cœur des hommes et de leurs vérités insondables. Au cœur des hommes sans masque, blessés dans leur chair ou à l’âme défigurée. Au cœur des hommes nus confrontés à l’essentiel.

 

Parfois, je me surprends à écrire des mots blessés et fragiles. Je les écris d’une écriture amorphe et léthargique, presque sans vie comme s’ils coulaient malgré moi.

 

Aujourd’hui, rien de grave. Une journée ordinaire, seul dans le bruit du monde. Le brouhaha de la rue me donne le sentiment d’être un détenu enfermé dans sa cellule, livré aux bruits des autres dont la présence l’empêche de se pencher sur sa propre souffrance. 

 

La désespérance d’attendre. Une vie entière à attendre... Et ce temps qui passe me désespère... Mais qu’attendons-nous en cette vie, sinon la joie, sinon l’impossible bonheur de vivre ? Cette vie est décidément sans espoir. Elle nous exhorte d’espérer. Et nous, pauvres hommes, avons l’inconscience de la croire et la folie de soumettre nos vies à cette vaine espérance…

 

Lorsque l’indifférence tient lieu de langage, il ne faut guère espérer une éclaircie de l’amour. A défaut de vous réconforter, cette indifférence est en mesure de vous aider en vous livrant à vous-même.

 

Je me déteste. Mais pour rien au monde, croyez-le, j’aimerais être un autre.

 

Je suis sans doute aussi médiocre que la plupart de ceux qui m’entourent. Peut-être en ai-je simplement plus intimement conscience ?

 

Hommes ! Déshabillez-vous ! Ôtez vos vêtements ! Jetez vos parures ! Et faîtes l’inventaire ! Que vous reste-t-il à présent ? Rien… excepté votre nudité et le sentiment de votre insignifiance. Cet exercice vous aura au moins appris la lucidité…

 

Lucide ? Oui, peut-être… mais seul et misérable. Jusqu’à la fin…

 

 

Rapports, notes et autres anecdotes

Quand Dieu te jugera, il ne te demandera pas : « As-tu été un Hodler, un Picasso, un Pestalozzi, un Gotthelf ?» Il te demandera en revanche : « As-tu été et es-tu réellement celui en vue duquel tu as hérité certaines dispositions ? » Questionné de la sorte, aucun homme n’évoquera sans honte et sans effroi son existence et ses errements ; tout au plus pourra-t-il répondre : « Non, je n’ai pas été cet homme, mais je me suis du moins efforcé de le devenir dans la mesure de mes forces. » Et s’il peut le dire sincèrement, il sera alors justifié et sortira vainqueur de l’épreuve.

 H. Hesse, Lettre à un jeune artiste

 

Mon unique activité ici-bas consiste à me promener dans le vaste monde et à observer ceux que le hasard me fait rencontrer. Sur eux, je prends des notes et rédige des rapports. Voilà mon travail… enfin… voilà plutôt (à dire vrai) le travail auquel m’astreint mon commanditaire (qui tient – précisons-le – à l’anonymat). Oui ! Il m’astreint quotidiennement à cette étrange tâche. Et tant qu’il ne m’aura pas ordonné d’y mettre fin, j’y serais contraint. Mais n’allez surtout pas imaginer que j’aille me plaindre de cette activité (et si d’aventure, cela m’arrivait, que Dieu m’en préserve !).

 

Je crois - à la vérité - que ce travail obéit à  une certaine logique… logique de pénitence où il me faut bien aujourd’hui tenter de comprendre, d’aimer et d’aider les hommes (ces pauvres hommes que j’ai toujours détestés). Oui ! Comme s’il me fallait, après ces longues années de misanthropie, vivre une période de purgatoire indéfinie. Et qu’importe ! Que j’y sois astreint pour l’Eternité, sachez que je m’y emploierais de toute mon âme… Et à vrai dire, ce travail ne m’est pas désagréable ! Je suis libre de l’exercer comme bon me semble sur l’entière surface du monde. Et croyez-le, le travail ne manque pas… les hommes ont l’air si malheureux sur cette terre…

 

 

- Rapport n° 10 951 -

Objet : ma rencontre avec M.

M. est un jeune homme un peu déboussolé (sans doute un peu perdu d’être en vie). Je l’ai rencontré par hasard dans un square. Il était assis sur un banc, perdu dans ses pensées. Je me suis assis à ses côtés. Et après quelques instants (de grand silence), il m’a raconté les derniers évènements de sa vie (en posant parfois sur moi ses grands yeux hagards).

 

M. m’apprit ainsi qu’il se consacrait depuis quelques semaines à ce qui lui a toujours semblé essentiel : ses travaux artistico-expressifs. Ainsi passe-t-il aujourd’hui la plupart de ses journées à sa table de travail, dessinant, coloriant, collant, imaginant, créant, écrivant. Bref, depuis quelques temps, M. vit à sa guise, loin de l’angoisse qui, il y a peu encore, l’étreignait. Ces dernières semaines, M. est pour ainsi dire presque toujours enjoué et d’humeur joyeuse. Et malgré les incessantes pensées pour ses travaux, M. est d’un calme extraordinaire. Et c’est là (m’a-t-il dit) une véritable métamorphose. Aujourd’hui, M. se sent tout bonnement heureux. Il se sent, je le cite : « …comme un touriste dilettante qui passe ses journées à écrire sur une immense carte postale les joies et les bienfaits de sa villégiature en notant à grands renforts de détails quelques anecdotes sur les paysages traversés au cours de son voyage ».

 

Et cette perception nouvelle (et somme toute estivale) de l’existence lui offre un éclairage absolument lumineux sur sa vie. Ces derniers temps, tout lui semble d’ailleurs merveilleux et digne d’intérêt (oui ! L’existence même lui semble extraordinaire). Bien sûr, ses travaux artistico-expressifs nécessitent beaucoup de travail. Mais M. ne s’en plaint pas. Bien au contraire. M. a toujours aimé l’art. C’est donc avec un grand plaisir que M. offre aujourd’hui à sa vie cette nouvelle perspective. Je crois même que c’est là un présent qu’il s’accorde avec bonheur, comme la tardive récompense à toutes ces tergiversations passées (car sachez que M. a longtemps hésité, et hésite encore, je crois, à s’engager véritablement sur cette voie… mais n’ayez crainte ! Nous aurons l’occasion d’y revenir…)

 

Je serais pourtant malhonnête de ne pas mentionner ici deux ombres qui viennent ternir ce bonheur immaculé (si je puis me permettre cette expression…). En premier lieu, il semblerait que M. se sente coupable de s’engager sur cette voie artistique. En second lieu, M. éprouverait aussi quelques craintes quant à son avenir. Et si vous le permettez, je prendrais la peine de développer ces deux points afin que vous compreniez sa situation et soyez à même (le cas échéant) de l’aider. 

 

Aujourd’hui, M. se sent en effet coupable de ne pas emprunter une voie plus conventionnelle (d’aucuns diraient plus classique). L’absence de statut social, de travail (au sens où on l’entend si ordinairement) et l’absence de revenu liés à cette activité artistico-expressive ne sont pas sans lui poser quelques difficultés, même si, au fond, M. éprouve, je crois, une réelle satisfaction à vivre cette vie d’artiste un peu marginale. J’en profite ici pour vous rappeler que la normalité a toujours laissé à M. un arrière-goût de tristesse et d’amertume. Et au fond, je suis persuadé qu’il se satisfait aujourd’hui d’emprunter cette voie, si éloignée de la plupart de ses contemporains. Mais (car bien sûr, il y a un mais…), M. songe aussi à son entourage, et en particulier à ses parents, qui ne comprendraient pas sa démarche, (si d’aventure, ils l’apprenaient), démarche si éloignée de la vie dont ils avaient rêvé pour leur fils. Ainsi par exemple, pourraient-ils lui reprocher de balayer un peu rapidement ses longues années d’études (qui lui auraient sans doute permis de décrocher un poste honorable dans une quelconque activité salariée) ou lui reprocher aussi, par exemple, de s’engager sur une voie bien peu orthodoxe au risque de sombrer dans une vie précaire et misérable. Et toutes ces pensées nourrissent chez M. une réelle culpabilité. Culpabilité qui vient alimenter l’appréhension de M. quant à son avenir. Avenir qu’il ne peut imaginer que difficile, voire impossible, car M. a conscience que la voie artistique est (je le cite) un chemin abominablement escarpé – chemin dont il ignore pourtant à peu près tout mais qui reste à ses yeux inaccessible. Aussi, en dépit de sa joie immense, M. continue aujourd’hui d’être en proie à une certaine hésitation. Oui ! M., aujourd’hui, hésite encore. Aussi, à ce stade de notre rencontre, il me semble nécessaire (et intéressant) de poser ici deux questions :

 

  1. M. sera-t-il suffisamment résolu à poursuivre ce chemin malgré ses craintes ?

  2. Saura-t-il, s’il s’engage sur cette voie, éviter les pièges et les chausse-trappes qui l’attendent ?

 

A dire vrai, je crains qu’il ne soit encore trop tôt pour répondre à ces deux questions. Je me permettrai simplement d’ajouter à ces notes un petit commentaire personnel.

 

Malgré les craintes qui l’assaillent aujourd’hui, M., ne semble guère songer à son avenir, ni même aux éventuels griefs de sa famille. Je crois qu’il se laisse tout simplement aller aux charmes de la vie d’artiste et qu’il n’aspire aujourd’hui qu’à se laisser emporter par le tourbillon fébrile de la création. Et je ne vois, pour ma part, aucune raison valable à cette hésitation et à cette angoisse maladive. Car que craint M. en définitive ? De ne pas vivre de son art ? De ne pas avoir reçu l’approbation parentale ? De ne pas être reconnu dans cette activité ? Et alors ? Et alors ? Que Diable ! (hum…) Et quand bien même ? N’a-t-il pas fait le seul choix qu’il lui fallait faire, celui dicté par son cœur ? Je me permettrais donc de conclure ce rapport par ces mots : « Je ne vois aujourd’hui aucune raison aux inquiétudes de M. quant à son avenir artistique. »

 

 

- Rapport n° 10 952 -

Objet : ma rencontre avec S.

Depuis mon arrivée en ce monde, j’ai pris l’habitude d’aller me promener chaque jour en fin de soirée, en dehors de la ville, sur la petite route qui mène à L., (histoire de me changer les idées après mes longues journées de travail). Aujourd’hui, j’y ai croisé S. qui promenait ses chiens. Et malgré l’heure tardive, je l’ai abordée (réflexe professionnel oblige peut-être) et nous avons poursuivi ensemble notre promenade, devisant très vite comme les meilleurs amis du monde.

 

S. est une jeune femme solitaire (sans doute un peu sauvage et un peu farouche), une jeune femme d’une grande timidité et d’une grande impudeur, une jeune femme étrange à dire vrai. Aussi n’a-t-elle pas hésité à aborder un sujet qu’il est, je crois, bien rare d’évoquer avec un inconnu. Elle me confia ainsi quelques réflexions personnelles sur un thème étrange ; l’existence probable d’autres réalités. Vous pensez si c’est un sujet qui m’intéresse ! Le hasard (mais en est-ce vraiment un ?) nous réserve parfois de bienheureuses surprises.

 

Ainsi, S. me parla ce soir de ses univers intérieurs (univers intérieurs qui semblent occuper aujourd’hui une très large place dans sa vie). Et très vite, elle a évoqué les trois axes essentiels de ses univers ; la créativité, la métaphysique et la spiritualité. (S. m’a confié que ces univers étaient depuis peu foncièrement nécessaires à son équilibre psychique. Aussi s’astreignait-elle chaque jour à en pousser les portes). En l’écoutant, j’eus le sentiment qu’elle y apprenait moult choses surprenantes. Et alors que nous devisions tranquillement, S. a soudain axé notre conversation d’une bien étrange façon. Elle s’est mise à parler d’un thème dont elle s’étonna elle-même et qu’elle aurait, il y a peu encore (me dit-elle) reçu avec condescendance (sinon avec mépris). Ainsi s’est-elle mise à me parler du pur esprit, pur esprit dont elle me donna la définition, et qui n’était autre, à ses yeux, que l’acceptation (mot à prendre dans son acception la plus large - si j’ose dire) ; l’acceptation de la vie, l’acceptation du monde et celle de son destin. N’est-il pas étonnant, me dit-elle, d’éprouver cette tranquille sérénité lorsqu’au lieu de refuser, de combattre ou d’abdiquer, nous acceptons les choses comme elles nous viennent. Et soucieuse de développer son idée, elle s’est empressée d’évoquer la place de l’homme en ce monde qui se rangeait, à ses yeux - avec trop d’empressement et de présomption - au sommet de la hiérarchie de la Création. Et elle m’étonna carrément lorsqu’elle me dit que l’homme était certainement, au regard de cette définition, la moins évoluée de toutes les créatures. Tu comprends, me dit-elle, selon moi, l’homme se situe au bas de cette pyramide. Après lui, vient l’animal, puis le végétal et enfin le minéral, degré suprême du pur esprit. Ainsi, si nous affirmons que le degré le plus élevé du pur esprit est l’acceptation, il est alors nécessaire, me dit-elle, d’inverser la hiérarchie habituellement établie. Et sans me laisser le temps d’émettre la moindre objection, elle m’a embarqué dans une argumentation qui me laissa sans voix.

 

Le minéral est. Et être le contente entièrement. Le minéral accepte toute situation. Il accepte d’être brisé, d’être façonné ou d’être laissé en état. Le minéral est, et n’éprouve nul besoin, ni matériel, ni physiologique, ni psychologique, ni intellectuel ou affectif (je constatais qu’il n’y avait en effet aucun besoin chez les minéraux). Le minéral est, me dit-elle,et n’éprouve aucune nécessité de revendiquer sa différence (je me permis d’ajouter, en mon for intérieur, que chaque caillou était en effet par essence matériellement différent). Et elle s’empressa d’ajouter que le minéral ne manifestait aucune sorte d’agressivité, qu’il n’avait nul besoin de conquête (et force était de reconnaître la véracité des propos de S. ; il n’y avait en effet ni guerre, ni instinct de survie chez les cailloux). D’ailleurs, le minéral, me dit-elle, n’éprouve aucun besoin d’exprimer (Oui ! Une fois de plus, S. avait raison, il ne semblait pas y avoir davantage de langage chez les cailloux !). Le minéral est et accepte d’être dans son acception la plus large.

 

Mais non contente de m’avoir persuadé, S. a continué ses explications, évoquant le végétal, qui était, lui aussi, sans conteste mais qui devait néanmoins satisfaire quelques besoins élémentaires d’ordre biologique. Ainsi le végétal avait-il besoin - pour vivre et se développer -  d’eau, de lumière et de divers autres nutriments et qu’il devait lutter pour sa survie au détriment d’autres espèces. Je comprenais alors que plus on s’éloignait du règne minéral, plus les besoins devenaient multiples et importants. Mais je me suis bien gardé de l’interrompre lorsque, sur sa lancée, S. a abordé les animaux, qui, outre leurs besoins physiologiques, passaient leurs temps à éprouver, à exprimer et à combattre. A cet instant (et comme pour anticiper la suite de son raisonnement), je lui fis remarquer qu’en dépit de son instinct de préservation, l’animal savait néanmoins accepter son sort avec une bien plus grande facilité que la plupart des hommes). Oh ! Qu’avais-je dit là ! S. s’est aussitôt engouffrée dans la brèche en évoquant ce qui était, à ses yeux, l’espèce la plus grossière de la Création. Oui, me dit-elle, parlons de l’homme, cette pitoyable créature qui éprouve mille besoins organiques et psychiques ! Et elle se mit à fustiger le progrès qui, au cours de l’histoire de l’humanité, n’avait eu d’autres desseins que de répondre à l’infinité de ces besoins. L’homme avait toujours éprouvé mille besoins, celui de revendiquer, de prouver, de montrer, d’affirmer… Et elle multiplia les exemples, évoquant les guerres et les massacres qui n’avaient jamais cours au sein des autres espèces. Besoin de comprendre. Et elle évoqua les religions, la métaphysique, la spiritualité, preuves irréfutables, à ses yeux, de cet indéniable besoin de comprendre. L’homme n’avait-il pas d’ailleurs à cette fin crée un langage complexe, signe irréfutable de cette nécessité d’exprimer son ignorance et sa souffrance, son besoin de partager et de s’assurer que les autres hommes souffraient eux aussi ?

 

Voilà le genre de propos que me tint S. ce soir. Mais je n’en appris pas davantage sur son étrange théorie du pur esprit. Notre discussion s’est achevée comme elle avait commencé, de façon plutôt impromptue. Et lorsque la nuit est tombée, S. s’est tout bonnement arrêtée de parler. Elle a sifflé ses chiens et a repris le chemin du retour. Voilà. Elle m’a quitté sur ces dernières paroles, qui me laissèrent, je dois l’avouer, bien perplexe. Mais peut-être (après tout) avait-elle ouvert là un pan de vérité, complètement délirant de prime abord, mais peut-être possible, peut-être imaginable. Dieu seul (si j’ose dire) doit le savoir…  

 

 

- Rapport n° 10 953 -

Objet : ma rencontre avec J.

Au cours de mes pérégrinations en ce monde, je déambule souvent parmi la foule. C’est là l’occasion de rencontrer toutes sortes de personnages. Et en dépit de ma sainte horreur du monde (que Dieu me pardonne !), je m’astreins presque quotidiennement à fréquenter les lieux les plus animés que l’on me donne à visiter. Mais comme tout bain de foule demeure une épreuve redoutable (on ne se débarrasse pas ainsi de tant d’années de misanthropie, n’est-ce pas ?), il m’arrive très fréquemment (je dois le confesser ici) de me poster un peu à l’écart pour contempler cette tourbillonnante agitation sans y être véritablement mêlé. J’observe alors cette belle humanité qui autour de moi s’agite, cherchant celui ou celle sur lequel (ou laquelle) il me faudra jeter mon dévolu (professionnel bien entendu).

 

Ainsi, me suis-je arrêté aujourd’hui aux abords d’une petite rue marchande du centre-ville de V.. Autour de moi, la foule, vêtue de façon ostensiblement identique (costume et tailleur bon teint), courait, sac ou mallette à la main, avec cette sorte de regard éteint qui voit sans véritablement regarder. V. est une petite ville tranquillement bourgeoise où transitent de temps à autre quelques mendiants et vagabonds. Cet après-midi, j’ai fait la connaissance de l’un d’eux. Un garçon d’une quarantaine d’années au visage souriant et légèrement marqué par les vicissitudes de cette rude existence de la rue. Installé à la sortie de l’unique supérette de la ville, il ouvrait avec une apparente désinvolture les portes du magasin aux clients indifférents. Avant d’aller à sa rencontre, je l’ai observé avec attention durant deux bonnes heures, notant sur mon carnet mes premières impressions. Avant de relater l’essentiel de notre entretien (car, bien sûr, je l’ai invité à me confier quelques aspects essentiels de sa vie), il me semble nécessaire de vous livrer ici une partie de mes notes (utiles à mon sens à une meilleure compréhension de la personnalité de J.)

 

Extraits de mes notes du 13 décembre au sujet de J.

(…). Malgré sa pauvreté apparente, J. est habillé avec élégance. Posté à l’entrée de la supérette, il ouvre et ferme les portes aux clients du magasin. Il s’adonne à cette activité sans zèle et avec un certain talent (et je dirais même avec tant de talent que cette activité devient passionnante). Je trouve l’attitude de J. particulièrement admirable. Bien des gens n’auraient en effet ni le goût ni la patience d’occuper cet emploi… lui ouvre et ferme simplement les portes avec aisance et naturel. J. pourrait d’ailleurs - me semble-t-il - occuper n’importe quel emploi. Il s’y emploierait (si j’ose dire) avec talent. (…). 

 

(…). J. semble prendre la vie avec une grande légèreté. Il possède - me semble-t-il - cette qualité rare de savoir accueillir tout évènement avec joie et distance. Ainsi, par exemple, malgré l’indifférence des clients, J. les regarde avec amusement. Sans véritable insolence, mais avec cette drôle de lueur ironique qui ne m’a pas échappée. L’indifférence des clients ne semble absolument pas l’émouvoir. Pas plus qu’il n’a l’air de s’inquiéter des rares passants qui lui jettent la pièce. A dire vrai, J. possède une certaine grâce et son attitude est fascinante à plus d’un titre. En définitive, il a l’air plus heureux que la plupart des clients de cette supérette qui arborent une mine triste et renfrognée (et presque éteinte) et dont l’élégance, en dépit de la qualité apparente de leur tenue vestimentaire, ne saurait être comparée à l’élégance naturelle de J…

 

En passant devant lui, J. m’a souri (d’un étrange sourire). Mais il me semble que ce sourire ne  m’était pas destiné. J. semblait plutôt se sourire à lui-même… Après quelques rapides achats (une rame de papier et d’autres menues vétilles nécessaires à la poursuite de mon travail), je l’ai invité à prendre un verre. Il a hésité puis a finalement accepté. Nous sommes allés dans le café qui fait l’angle de la rue, à deux pas de la supérette. On s’est assis en terrasse. Il a commandé une bière et a commencé à me raconter quelques bribes de son histoire.  

 

J. a ainsi commencé par m’avouer que l’existence des hommes avait toujours exercé sur lui une extraordinaire fascination. Ainsi, croyait-il, jusqu’à une date encore récente, que la richesse et l’exaltation emplissaient la vie de chacun. Puis avec le temps, me dit-il, il avait fini par se rendre compte que bien des vies ne recelaient en fait qu’une affligeante et insipide pauvreté. Et il s’est empressé d’ajouter (comme pour s’excuser de tant d’acrimonie) que sa propre vie ne lui semblait ni plus riche ni plus exaltante que celle de ses congénères, mais que son insignifiance lui semblait si évidente qu’il ne pouvait, comme bon nombre d’entre eux, s’en glorifier. J. se laissa aller ensuite à me conter sa jeunesse, ces années solitaires parsemées d’incessants questionnements sur le monde et sur la vie. Il évoqua son inadaptabilité sociale (très tôt ressentie) et très vite perçue par son entourage qui ne put dès lors s’empêcher de le mettre en garde contre les dangers de cette dérive anticonformiste et cette tendance à la marginalité. Mais en dépit de ces incessantes mises en garde, ces questionnements firent bientôt naître chez J. un sentiment de révolte contre les normes et les lois en vigueur. Et loin de se tarir, son sens critique et ses interrogations redoublèrent. A ce propos, il me semble nécessaire ici de préciser que l’attitude de J. à cette époque, n’était nullement provoquée par une quelconque volonté de provocation, mais obéissait à une profonde nécessité de comprendre ce monde (ce monde qu’il ne comprenait pas) et dans lequel il lui faudrait trouver une place. Place, me dit-il, bien difficile à dénicher. Aussi, très tôt, J. se mit en quête (le pas hésitant et le cœur plein d’espoir) de cette place en ce monde. Et après quelques dérisoires aventures et d’autres menues expériences, il s’aperçut qu’aucune place ne lui convenait. Toutes celles qu’il avait occupées lui avaient laissé un étrange sentiment de duperie et de fausseté qu’il le persuada très vite de son incapacité à intégrer une position en ce monde sans renoncer à une certaine honnêteté envers lui-même. Et malgré son inquiétude croissante (à l’idée de ne pas trouver cette place), J. continua, au fil des années, à observer les hommes, étonné de les voir se prêter au grand jeu de la théâtralité, et toujours surpris, en dépit des années, d’assister au même spectacle navrant. J. ne put jamais, quant à lui, se résoudre à entrer dans cette farce, dans ce grand jeu de dupe auquel se livraient si  volontiers ses congénères qui (je le cite) «  s’évertuaient toute leur vie à défendre - à coups de répliques, de mimiques et autres effets de scène - leur place et leur rang dans cette vaste mascarade.»). Ah ! me dit-il en levant son verre, quel besoin avais-je aussi de fourrer mon nez dans la vaste comédie du monde !

 

Et après une longue gorgée, J. a repris le fil de son récit. A ses yeux, l’existence humaine consistait essentiellement (en ce monde) à dénicher un rôle dans cette drôle de comédie. Un rôle noble et valorisant, ou à défaut, un rôle… n’importe lequel… aussi peu gratifiant soit-il. J’ai acquiescé (d’un vigoureux hochement de tête), heureux de m’apercevoir que tous les hommes n’étaient pas dupes de l’immense supercherie à laquelle se livrait le monde. L’enjeu, a continué J., est considérable. Car sans rôle dans la société des hommes, pas de place, et sans place, pas d’existence réelle et reconnue au sein du monde. Aussi, pour échapper à ce sentiment d’inexistence, tous les hommes se voyaient contraints (dès leur plus jeune âge) de convoiter - avec la plus grande âpreté - toute place susceptible de satisfaire leurs attentes. Et pour éviter cette relégation hors du monde, les hommes étaient prêts à tout ; sacrifices, efforts, angoisses, coups bas, mesquinerie, méchanceté, mal être, souffrances qui devenaient très vite les composantes naturelles de leur vie (et que chacun finissait même - tant bien que mal - par accepter). Car aux yeux des hommes, a continué J., ces difficultés et ces épreuves sont préférables au terrifiant sentiment d’inexistence lié à l’absence de rôle en ce monde. Mieux vaut être peu que rien, telle pourrait être, me précisa J., un rien ironique, la devise de l’humanité qui s’échine sans jamais rechigner à progresser dans la hiérarchie du monde. J’ai acquiescé une nouvelle fois, en précisant que le jeu était en effet séduisant pour qui savait user de mesquinerie, d’égoïsme et de méchanceté. Caractéristiques très largement répandues parmi le genre humain, a aussitôt ajouté J. d’un air entendu. Aussi, aujourd’hui, me dit J., je suis satisfait d’avoir choisi cette vie en marge du monde. Elle m’épargne un grand nombre de duperies et de comportements ineptes et malhonnêtes. Car, j’ai la conviction, a-t-il ajouté, que cette lutte acharnée dans le tourbillon dévastateur du monde pourrait bien apparaître futile, voire absurde à tous ceux qui, à l’approche de leur mort, regarderont leur vie avec lucidité. Et lorsque naîtra leur tardive prise de conscience, leur existence se sera déjà bien âprement déroulée. Et je suis persuadé, me dit-il, qu’au crépuscule de leur vie, tous ceux qui auraient pu s’offusquer de mon inaptitude intégrative, pourraient bien reconnaître la sagesse de ceux qui, comme moi, ont toujours refusé d’y participer. Et sur ces sages paroles, J. a conclu notre entretien. Il a terminé son verre, m’a remercié puis a quitté le café pour retrouver sa place devant la supérette. Je suis resté un instant interdit (et je dois dire aussi) très agréablement surpris par l’étonnante lucidité de J., puis, j’ai rangé mon carnet et j’ai quitté les lieux, persuadé que le hasard nous donnerait l’occasion de nous revoir.     

 

 

- Rapport n° 10 954 -

Objet : au sujet de M.

Nous nous sommes revus hier. Dans le même parc. Il était assis sur le même banc, toujours absorbé dans ses pensées. Mais son visage était bien plus triste que lors de notre première rencontre. M. semblait totalement désemparé (je dirais même qu’il semblait au bord du désespoir). 

 

Vous voyez, me dit-il, j’ai fini par y sombrer. Je l’ai regardé sans comprendre. Y sombrer ? ai-je répété. Oui, me dit-il, j’ai fini par toucher cette disgrâce qui m’effrayait tant. Et il s’est brusquement mis à blâmer ses travaux. Et sans prendre la peine de m’expliquer cette surprenante volte-face, il s’est mis à fustiger sa créativité, à qualifier ses œuvres d’offenses à l’art en se reléguant au dernier rang des artistes ratés, le plus raté d’entre les ratés, qui n’avaient, me dit-il, pas plus à exprimer que la masse stupide et laborieuse des non artistes. Je suis resté, un instant, interdit, sans voix. Puis comprenant qu’il me fallait l’aider à sortir au plus vite de cette supposée (et sans doute illégitime) disgrâce, je lui ai demandé ce qu’était, à ses yeux, un artiste (il me semblait en effet qu’en répondant à cette question, M. aurait pu comprendre les raisons pour lesquelles il accordait tant d’importance au rôle de l’artiste en ce monde). Mais au lieu de répondre, M. a baissé les yeux. Et après un court silence, il m’a dit qu’il n’avait jamais rencontré d’artiste, qu’il se contentait (depuis son engagement dans cette voie) de vivre sa création en reclus, obligé d’adopter tour à tour l’ensemble des rôles nécessaires à la reconnaissance de son œuvre. Ainsi, M. me confia qu’il devait endosser à la fois le rôle de créateur, mais aussi celui de critique, de distributeur et de public et que son «  œuvre » (je le cite) n’avait jamais réussi à franchir les frontières de (son) propre esprit. Je compris alors que M. avait, de toute évidence, toujours éprouvé d’immenses réserves (nourries sans doute par une honte indicible) à étaler aux yeux du monde son « œuvre » qu’il jugeait trop médiocre pour être ainsi exposée. Ma seule gloire, a-t-il précisé, est d’épargner au monde ma médiocrité. Mais je ne pus le laisser en dire davantage. Cette autodépréciation me semblait malsaine et pour tout dire, dangereuse. Aussi lui ai-je conseillé (un peu abruptement peut-être) d’élargir ses frontières, de rencontrer d’autres artistes avec lesquels il pourrait sûrement échanger des idées et des points de vue, et peut-être aussi partager les difficultés et les affres de la création. Mes conseils, je crois, l’ont surpris. Il m’a regardé (et j’ai senti dans ses yeux un vague intérêt à ma suggestion), puis il a de nouveau baissé la tête, mi bougon mi goguenard, comme pour se rassurer quant à sa façon de vivre son art, terré chez lui, comme un rat dans son trou, en apprenant en autodidacte solitaire et complexé dans le seul dessein de répandre sur un bout de feuille ou une toile blanche sa haine rageuse de n’être qu’un artiste raté (qui n’est d’ailleurs, à mes yeux, qu’un artiste encore inabouti (mais existe-t-il des artistes « aboutis », ça, franchement je ne saurais dire…)). Mais qu’importe ! Devant cette dépréciation (quasi maladive) et ce refus (quasi pathologique) d’exploration du monde (et en particulier du monde des arts), je n’ai pu m’empêcher de blâmer la bêtise de M. à rire de celle des hommes, le traitant même d’idiot gonflé d’orgueil imbécile. Et à ces mots (à ma grande surprise), M. s’est levé, visiblement blessé, et m’a murmuré, d’une voix triste et défaite, qu’en dépit de sa haine et de son refus du monde, il se considérait comme le dernier des hommes et que je n’étais certainement pas en mesure d’imaginer l’incommensurable haine qu’il se vouait. Puis il a quitté le square, la tête basse et les yeux emplis de larmes. Je l’ai regardé s’éloigner, le cœur triste et plein de regrets, me promettant de lui parler à l’avenir avec plus de sensibilité et de délicatesse.

 

 

- Rapport n° 10 954 -

Objet : ma rencontre inopinée avec P.

J’ai connu P. il y a quelques années (ce fut d’ailleurs l’une des toutes premières rencontres que je fis en ce monde). Ensemble, nous avons entretenu une étrange relation d’une nature, disons-le ici, fort peu avouable (et sur laquelle je ne m’étendrai pas). Puis, au fil des années, nos rapports se sont distendus, et comme bien des couples, nous avons fini par nous séparer. P. était à l’époque un garçon timide et réservé, qui avait toutes les peines du monde à dissimuler son mal de vivre. Il m’arrive encore aujourd’hui de penser à la façon dont mes conseils ont pu l’aider à réaliser sa quête désespérée de solitude. Aussi, après ces longues années de séparation, ai-je été agréablement surpris de le revoir en me promenant cet après-midi le long des quais. Nous avons marché quelques instants (sans oser nous parler), puis nous avons fini par nous asseoir sur un petit carré d’herbe face au fleuve. Et très vite, notre complicité est revenue, et les souvenirs ont ressurgi… 

 

Aujourd’hui, P. ne semble conserver aucune nostalgie de notre passé. Au fond, je crois lui avoir apporté ce qu’il cherchait (n’est-ce pas d’ailleurs grâce à mes conseils qu’il a réussi à fuir les hommes ?) Je me souviens encore de son mépris viscéral pour le monde et de ses incessants atermoiements à le quitter (du plus loin qu’il me souvienne, P. n’avait en effet jamais pu se résoudre à accepter les abjections et les horreurs de ce monde mais se refusait, sans doute par couardise, à le quitter). Et je sentais (à l’époque) qu’il avait besoin d’être encouragé pour suivre sa destinée solitaire. Aussi l’ai-je persuadé de quitter la société des hommes pour aller vivre sa solitude à l’écart du monde. Et depuis, P. a toujours vécu seul (sans éprouver apparemment le moindre regret). Cet après-midi, il m’apprit ainsi qu’il se savait depuis longtemps condamné à ce cheminement solitaire, et que tôt ou tard (avec ou sans mon aide), il s’y serait engagé.

 

Mes pérégrinations en ce monde m’ont appris que cet isolement n’a rien d’exceptionnel. Et je sais par expérience que la solitude est une attitude qu’adoptent (bon gré mal gré) un grand nombre d’individus arrivés à l’âge mûr. En ce monde, bien des hommes, arrivés au crépuscule de leur vie, opèrent en effet une sorte de repli, en confinant leur existence tranquille entre les murs de leur appartement. Existe pourtant une différence essentielle entre eux et P.. P. est âgé d’à peine 25 ans. Et malgré son jeune âge, il vit aujourd’hui comme un vieux… oui, comme tous ces vieux, qui, dans l’attente de leur mort, passent leurs journées à regarder le monde derrière leurs carreaux, désabusés et résignés de se voir relégués hors du monde. Au cours de notre conversation, je lui fis part de cette pensée qu’il s’est aussitôt empressé de rejeter (avec une grande véhémence, je dois dire) : Mais non ! me dit-il, ne te méprends pas sur le sens de cette exclusion ! Le monde ne m’a jamais banni, c’est moi qui ai décidé de m’en exclure ! Mais en dépit de sa réaction (d’une nature, pour le moins, défensive), j’ai trouvé P. aussi malheureux qu’autrefois, aussi triste qu’au temps de ses longs atermoiements à quitter le monde. Je n’ai pourtant pas osé lui avouer mes sentiments (mais à mes yeux, ce retrait, cet enfermement maladif, ce retranchement quasi absolu avec le monde n’étaient autre que le signe d’une grande détresse et d’une certaine forme de dépression). Mais P. (qui avait sûrement deviné mes pensées (je crois d’ailleurs que P. avait toujours su lire dans mes yeux comme dans un livre ouvert)) a aussitôt tenté de me rassurer, arguant qu’il n’avait aucune tendance à la dépression, qu’il avait simplement toujours délaissé ce qui lui faisait mal et l’ennuyait. Et comprenant qu’il se refuserait à admettre sa tristesse, je me suis résolu à lui parler (de façon plus ou moins détournée) du sentiment d’inutilité et de désœuvrement inhérent à toute forme de solitude et d’isolement. Il m’a alors confié qu’il lui arrivait d’y sombrer, et d’être parfois (il est vrai) entraîné dans ce gouffre sans fond (un enfer où (me dit-il) tout n’est plus que folie et absurdité). Et prenant mon rôle de conseiller au sérieux, je me suis empressé de le mettre en garde contre les profondeurs destructrices de cet abîme (en lui recommandant de pas s’y enfoncer trop profondément et en imposant à sa souffrance une limite infranchissable). Mais il s’est contenté de me regarder d’un air entendu avant de me rétorquer (comme pour me faire comprendre qu’il savait) que la peur de cet abîme n’était que le fruit de notre esprit limité dont l’étroitesse confinait trop souvent notre imagination aux confins de ses propres limites, et qu’il nous appartenait au contraire de casser les murs (les murs de cet esprit si limité) pour élargir notre horizon. Et que lui-même s’y exerçait inlassablement, comme un travailleur acharné, s’évertuant chaque jour à enlever les clôtures posées la veille pour les poser un peu plus loin. Si tu savais, me dit-il, comme l’esprit est riche. Mes découvertes sont si extraordinaires qu’elles m’ouvrent, chaque jour, des portes infranchissables… oui, infranchissables… Je n’ai rien répondu. (P. ne m’en a pas laissé le temps). Il a mis fin à notre entrevue d’une bien étrange façon en prétextant un (surprenant et improbable) rendez-vous avant de disparaître dans la rue qui surplombait les quais (comme s’il se refusait à me parler des paysages entrevus derrière ces portes infranchissables…). Avant qu’il ne parte, j’ai tout juste eu le temps de glisser dans sa poche ma carte de visite - avec mon numéro de téléphone - (en pensant qu’il aurait peut-être envie, après toutes ces années, de renouer quelques liens… qui sait ? L’avenir sans doute nous le dira…). 

 

 

 - Rapport n° 10 955 -

Objet : au sujet d’un inconnu amer

Hier, je suis resté chez moi à lire et à relire les feuilles trouvées la veille au soir, sur un banc, en me promenant près du cimetière. Une dizaine de pages couvertes d’une petite écriture serrée. Je ne sais rien de celui qui les a écrites, mais j’éprouve à son égard une immense compassion (vous verrez, sa détresse sourd à travers chacune de ces lignes). Aussi ai-je décidé de les retranscrire comme je les ai trouvées (sans y ajouter le moindre commentaire). J’espère ainsi vous faire partager l’infinie amertume de cet inconnu.

 

(…). Nous sommes le 16 décembre. Je sors de chez le médecin. Il m’a annoncé une terrible nouvelle… Je l’ai payé sans un mot puis suis sorti. A cette heure, la rue était calme. Quelques vieux revenaient du marché en traînant leur cabas. Et malgré leur démarche fatiguée, les poireaux avaient l’air de danser dans leur panier. Tous ces vieux, au crépuscule de leur vie, avaient l’air heureux. Mais comment peut-on être heureux à l’approche de la mort ?

 

(…). J’ai téléphoné au bureau pour leur dire que… (?) . C’est Monique qui a décroché. Je lui ai simplement dit de ne pas compter sur moi pour la réunion de cet après-midi. Elle n’a pas cherché à savoir pourquoi. Tant mieux. De toute façon, je n’aurais pas su quoi lui répondre. Et puis, je ne tiens pas à ce qu’elle sache. Pendant quelques mois, Monique et moi avons entretenu une relation… Personne, au bureau, je crois, ne s’est douté de notre histoire. On se voyait le soir, après le travail, chez elle le plus souvent ou parfois chez moi. L’endroit n’avait d’ailleurs aucune importance. On était simplement là pour prendre un peu de plaisir ! Aujourd’hui, on ne se voit plus qu’au bureau. Monique m’a quitté, il y a environ un an, lorsque Daniel est arrivé dans le service. Je n’ai jamais connu d’autres femmes. L’affection n’a, à dire vrai, jamais tenu une grande place dans ma vie. J’ai regardé ma montre. Il était 11 heures. J’aurais voulu aller voir la mer. Mais les 4 heures de route m’ont découragé. Le voyage m’aurait inutilement fatigué. Depuis que Monique m’a quitté, je suis dans une mauvaise passe. Ma vie ne ressemble à rien. Je crois d’ailleurs que ma vie n’a jamais ressemblé à grand-chose, mais cette séparation n’a rien arrangé. A l’angle de la rue, j’ai poussé la porte d’un bar. J’ai commandé un café au comptoir puis suis allé m’asseoir dans l’arrière-salle. Là, j’ai longuement réfléchi. J’ai pensé à ma vie et à ce que j’en avais fait… (pas grand-chose, j’en ai bien peur…)

 

(…). Je suis analyste financier chez Brook & Cie. Mon job consiste à conseiller les clients sur les marchés optionnels. C’est un job que je fais sans plaisir et sans enthousiasme. Je gagne très bien ma vie. Là n’est pas le problème. J’ai une vie tranquille, ni vraiment heureuse ni vraiment malheureuse. Je suis ce qu’on appelle un garçon sans histoire. Mes collègues m’apprécient, mes voisins me trouvent sympas… Bref, je suis un type absolument normal qui a une vie on ne peut plus normale. La seule chose, c’est que je m’ennuie. Je crois d’ailleurs que je me suis toujours ennuyé. En fait, je crois que je n’ai jamais vraiment aimé la vie. D’ailleurs, j’ignore pourquoi j’ai cette vie plutôt qu’une autre. J’ai toujours fait les choses un peu comme ça, sans vraiment y réfléchir. Le café avait un goût amer. J’ai demandé au garçon de m’apporter un scotch. D’habitude, je ne bois jamais d’alcool (j’ai toujours détesté l’alcool). Je suis sorti trois verres plus tard, un peu grisé. J’avais envie de baiser.

 

(…). Le quartier des putes n’était pas loin. Je m’y suis rendu le pas traînant en longeant la rue, les yeux rivés sur les corps à moitié nus. Je me suis approché d’une brunette insolente qui soutenait mon regard avec défi. Je lui ai demandé ce qu’elle faisait. Elle m’a dit, en passant sa langue aguicheuse sur ses lèvres, qu’elle suçait et qu’ensuite elle se laissait baiser. Subitement - je ne sais pas ce qui m’a pris - je lui ai demandé de me faire voir sa poitrine. Elle a soulevé son T-shirt et m’a montré ses seins. J’ai eu envie de les toucher, puis de me branler sur eux. Elle m’a fait un signe de tête et nous sommes allés dans l’arrière-cour. Là, à l’abri des regards, elle a légèrement soulevé sa jupe. Son sexe était tout près de ma main. J’ai hésité à la toucher. Je lui ai demandé de se tourner pour me faire voir son cul (elle avait un cul magnifique). Puis je lui ai demandé de se baisser en écartant les cuisses. Elle s’est exécutée et m’a tendu sa croupe. J’ai approché mon doigt et l’ai enfoncé. La salope était excitée. Avant de gagner sa piaule (une petite chambre minable où elle devait recevoir ses clients), je lui ai demandé de me toucher. Elle s’est plantée devant moi. Je lui ai caressé les seins. Ils étaient gros et fermes. Je les ai malaxés avec frénésie. J’ai senti ses doigts chercher mon sexe à travers le tissu de mon pantalon. Puis on a gagné l’escalier qui mène à sa chambre. Là, je l’ai pressée de me sucer. J’ai sorti mon sexe. Elle s’est agenouillée. Et j’ai éjaculé.

 

(…). En redescendant, j’ai pensé à Monique. Il était 13 heures. J’aurais voulu qu’elle sache. A cette heure, elle devait sûrement être en train de déjeuner avec Daniel. En sortant de l’arrière-cour, je me suis aperçu que j’avais tâché mon pantalon. J’ai tenté de dissimuler l’auréole avec le pan de ma veste puis j’y ai renoncé. Qu’en avais-je à foutre à présent ! J’ai repensé à ce que m’avait dit le médecin. J’ai vomi. Les passants me dévisageaient avec dégoût, mais j’ai continué de dégueuler. J’avais besoin d’air frais. J’ai repensé à la mer que je ne reverrai certainement jamais. Monique et moi y allions parfois le week-end. Nous partions le vendredi soir. Sans bagage. Nous dormions à l’hôtel, dans cette petite station balnéaire dont j’ai oublié le nom. Nous passions la journée au lit. Et le soir, avant d’aller dîner dans la petite salle de restaurant de l’hôtel, on allait se promener sur le bord de mer.

 

(…). Monique ne m’a jamais aimé. Un jour, elle me l’a dit, comme ça, sans préambule. Moi non plus, je ne l’ai jamais vraiment aimée. Et pourtant, depuis, je sens qu’une chose s’est brisée. Et à présent, j’ai peur de ne plus avoir assez de temps pour aimer. Je voudrais appeler mes parents pour leur annoncer la nouvelle. Mais je n’en ai pas le courage. Ils me croient heureux. Les pauvres, s’ils savaient… Je préfère attendre encore un peu avant de leur dire. Je pense à ma mère qui voudrait être grand-mère. Depuis des années, elle me rebat les oreilles avec mon célibat. La pauvre femme, si elle savait…

 

(…). J’ai continué de marcher au hasard des rues. Le clocher d’une église a sonné 15 heures. Il faisait froid. A part quelques touristes et quelques bourgeoises du quartier, les rues étaient désertes. Je me suis aperçu que mes pas m’avaient ramené à mon insu vers l’appartement que j’occupe depuis que je travaille chez Brook. J’ai ressenti une immense fatigue. Je me suis assis sur un banc, face à une petite place où quelques pigeons se chamaillaient pour un morceau de pain jeté sur la dalle. Leurs mimiques m’ont étrangement rappelé les nôtres. Cette similitude - à laquelle je n’avais jamais pensé - me frappa. Et je me mis à rire devant ces pigeons qui se battaient pour quelques miettes. Je devais être ridicule à rire comme ça. Et j’ai soudain pensé que si, à la place de ce costume, je n’avais eu que de vieilles loques puantes, les passants auraient pu me prendre pour un clochard. Cette pensée m’amusa. Comme si notre vie ne tenait en définitive qu’à un bout d’étoffe...  Lorsque le clocher a sonné 4 coups, je me suis levé sans savoir où aller. Je n’avais qu’une certitude ; je n’avais aucune envie de rentrer chez moi. (…)

 

 

- Rapport n° 10 956 -

Objet : au sujet de P.

Ce matin, j’ai reçu un coup de téléphone de P. (son coup de fil ne m’a pas surpris). Il avait l’air totalement désemparé. Je lui ai demandé s’il voulait venir chez moi. Mais il a refusé, me priant simplement de l’écouter. Sa voix était froide et distante. Je n’ai pas insisté. Je me suis contenté de l’écouter (écouter ce qui semblait l’oraison funèbre de sa vie… j’eus en effet le sentiment que c’était là son ultime adieu).

 

Aujourd’hui, P. m’a raconté sa douleur d’avoir ignoré le monde. Il m’a confié sans pudeur les jours innombrables, où, terré chez lui, il pleurait, la tête entre les mains. Et ce matin, il m’a dit qu’il ne pouvait souffrir davantage cet isolement qui l’avait progressivement entraîné vers cette folie aliénante et destructrice. C’était à présent une douleur inextinguible qui le submergeait... Une souffrance indicible qui n’avait cessé de grandir au fil de ces années de solitude au point où il ne pouvait à présent plus s’en défaire. Cette douleur l’avait si profondément atteint qu’ils formaient désormais, me dit-il, un couple indissociable. Il me confia son désespoir et sa rage de s’enfoncer, chaque jour, dans une misanthropie toujours plus morbide. Il m’avoua sa honte d’avoir, malgré toutes ces années de réclusion et d’isolement, échouer à transformer sa pauvre condition d’homme ordinaire. Il me dit que subsistaient en lui les mêmes espérances, les mêmes craintes, les mêmes désirs et les mêmes aspirations qu’autrefois. Aussi vaines et aussi méprisables. Et qu’il se méprisait à présent de n’avoir pu se laisser aller à vivre sans projet, sans désirs ni ambitions. Qu’il lui avait toujours été impossible de se laisser vivre au gré des jours dans une parfaite ascèse et un véritable dépouillement. Et qu’en dépit de sa réclusion et de son isolement, sa haine des hommes n’avait cessé de grandir, nourrie par les incessantes sollicitations de ce monde qui l’avaient toujours distrait de lui-même et de son impossible quête de solitude - en venant encombrer et parasiter sa vie - cette vie qu’il n’avait plus le courage d’affronter ni même de fuir aujourd’hui. Il m’a avoué, d’une voix triste et résignée, qu’il ne pouvait davantage poursuivre ce chemin d’abnégation et de renoncement qui le confinait chaque jour à cette solitude toujours plus désespérante. Non ! Qu’il n’avait aujourd’hui plus la force ni le courage de se mettre davantage à l’écart, hors de tout, hors du monde. Plus la force ni le courage de se mettre hors de la vie car il ne pouvait plus à présent échapper à son destin. Et qu’il achèverait sa vie, homme ordinaire parmi les hommes ordinaires. Et il a raccroché.

 

 

- Rapport n° 10 956 -

Objet : au sujet de S.

Nous nous sommes revus ce matin. Sur la même petite route qui mène à L. (après ma rencontre  avec P. et mon échec à lui faire entendre raison, je dois bien avouer que je fus ravi de la retrouver). D’ailleurs, S. avait été loin de me laisser indifférent. J’avais apprécié, lors de notre première rencontre, sa joie de vivre solitaire, sa liberté un peu sauvage et cette façon si particulière de parler des hommes, avec détachement et fantaisie. Notre rencontre m’avait, à dire vrai, considérablement enthousiasmé. Aussi éprouvais-je le plus vif désir de la retrouver pour une nouvelle promenade où nos pas et nos esprits - j’en étais persuadé - s’accorderaient comme la première fois. En m’apercevant, elle m’a salué d’un geste enthousiaste, à peine surprise de me revoir. Et comme je m’y attendais, elle m’a proposé de continuer ensemble notre promenade. J’ai accepté avec joie et nous avons quitté (accompagnés de ses inséparables chiens) la petite route pour nous enfoncer sur un étroit sentier qui traverse la pinède.

 

Nous avons commencé notre promenade de façon bien silencieuse, lorsque soudain, au bout de quelques centaines de mètres, S. s’est mise à parler (il serait d’ailleurs plus juste de dire qu’elle s’est mise à penser à haute voix). Ainsi, elle me confia qu’elle était en proie, depuis quelques jours, à un questionnement sur le progrès et la véritable nature humaine. Comme à ton habitude en somme, lui ai-je dit légèrement moqueur. Mais elle n’a pas relevé ma plaisanterie et a continué, imperturbable, sa réflexion à voix haute. Tu vois, me dit-elle, je hais le progrès parce qu’il pervertit notre véritable nature en nous confinant à une pernicieuse dépendance. Je lui ai avoué, avec un peu d’embarras, mon incompréhension (en effet, je ne comprenais pas les raisons qui la poussaient à vilipender ainsi le progrès et ses incontournables facilités). Je lui ai donc posé la question. Et sa réponse a fusé comme un éclair. Mais ne vois-tu donc pas, me dit-elle (avec véhémence), que nos contemporains détournent le progrès de sa vocation initiale ? Ne vois-tu donc pas qu’ils n’aspirent qu’à tirer avantage des bienfaits du progrès au point d’en faire la seule finalité de leur vie ? Non ! Il est impossible, a-t-elle ajouté, de faire du progrès la seule finalité du monde ! Le progrès ne doit être qu’un instrument susceptible de nous affranchir de nos besoins primaires. Toute autre considération est erronée et dangereuse. J’ai acquiescé incrédule. Mais devant ce scepticisme, S. est soudain devenue véhémente. Son sourire s’est métamorphosé en une grimace hargneuse. Et elle s’est mise à crier : « En rien, tu m’entends, en rien, le progrès ne doit être une échappatoire à notre condition misérable et limitée. Le progrès ne peut avoir pour objet de nous asservir, mais au contraire de nous libérer de notre servitude originelle ». Et elle s’est mise à blâmer l’exécrable propension des hommes à nourrir cette asservissement, s’emportant (je la cite) contre leur ineffable bêtise, qui, depuis l’aube de l’humanité, les poussait à s’extasier, avec toujours plus de bêtise, des avantages de nouveautés toujours plus nouvellesnouveau gadget et nouvel instrument. Je dus admettre mes torts. S., je crois, avait malheureusement raison… de souligner la bêtise grandissante des hommes devant les  nouveautés toujours plus nouvelles. Depuis l’origine du monde, l’homme prenait en effet un malsain plaisir à cultiver cet enthousiasme détestable pour la modernité, louant avec une bêtise (toujours plus grande, il est vrai) et une naïveté indicibles les avantages des nouveaux modèles (en matière de confort, de sécurité, de rapidité et que sais-je encore), allant parfois même jusqu’à s’exalter pour quelques détails d’ordre esthétique ; la couleur, la forme et quelques autres insignifiantes broutilles. Et S. (qui semblait intarissable sur le sujet) dénonça cette propension idiote à occulter le rôle premier des objets, comme si l’homme n’était plus en mesure de vivre sans eux, comme si la valeur et la qualité de sa vie dépendait de toutes ces vaines possessions. Oui ! me dit-elle, le progrès a habitué l’humanité à trop de confort ! Et ce confort est devenu si naturel qu’il est devenu presque impensable (et impossible) de nous en passer ! Et, soudain (sans même prendre la peine de m’avertir), S. a quitté le sentier pour s’enfoncer dans la pinède. Elle s’est arrêtée devant un vieux chêne (comme égaré parmi tous ces jeunes pins) et s’est assise à ses pieds. Je l’ai imitée. Ses chiens se sont empressés de s’installer à nos côtés. Et tout en les caressant (avec une grande tendresse), elle a continué sa réflexion à haute voix.

 

Tu vois, me dit-elle, j’ai toujours pensé qu’il était stupide de s’entourer d’objets pour transcender notre nature véritable. J’ai souri en lui rétorquant que bien des hommes trouvaient néanmoins utile et plaisant (et parfois même rassurant) de posséder quelques objets et qu’un certain nombre, d’ailleurs, était devenu aujourd’hui quasi incontournable. J’allais illustrer mes propos par quelques exemples, lorsque S. m’a interrompu, arguant qu’il était dangereux et totalement idiot d’en accumuler pour occulter notre véritable nature. Comme il était tout aussi dangereux, à ses yeux, de croire que l’on pouvait impunément confondre l’Être et l’Avoir (en espérant à tort Être plus en possédant davantage), sentiment, selon elle, largement répandu à cette époque où, la plupart des hommes essayaient d’Être (autrement dit essayaient d’exister) par leurs seules possessions. Possessions matérielles, intellectuelles ou spirituelles mais qui n’en demeuraient pas moins, à ses yeux, de misérables possessions, de simples choses accumulées. Aussi, en définitive, me dit-elle, je crois que l’homme ne devrait ni renier ni camoufler sa condition, mais au contraire l’accepter avec joie et humilité car nos besoins les plus élémentaires (la nécessité de manger, celle de boire et de prendre soin de notre corps…) fondent en définitive notre essence même - et font de nous ce que nous sommes réellement - des êtres au potentiel spirituel attachés au corps (autrement dit à notre matérialité) et par elle à notre condition terrestre et mortelle. J’ai acquiescé d’un grand sourire. S. m’a alors regardé avec tendresse en posant la main sur mon bras. Puis (d’une façon assez inattendue), elle m’a demandé ce qu’étaient pour moi, les fondements de la nature humaine. J’ai réfléchi un court instant, en hésitant à répondre de façon hâtive à cette question somme toute essentielle (ou en tout cas d’importance). Mais comme ma réponse tardait à venir, S. (sans doute très impatiente de me donner la sienne) a répondu à ma place. Et voilà ce qu’elle me dit : « ce qui constitue notre nature véritable est notre recherche de sens, notre interrogation métaphysique et spirituelle ! Voilà ce qui nous distingue des autres espèces ! Voilà la vraie raison d’être de l’homme, celle qui donne à toute vie humaine ses lettres de noblesse ! Excepté cette quête, rien ne nous distingue du reste de la Création ! » A ces mots, la pression de sa main s’est faite plus forte. Le progrès, a-t-elle continué, ne peut donc avoir qu’un seul objet ; faciliter la satisfaction de nos besoins premiers (réduire le temps et les efforts que nous consacrons à les satisfaire) pour nous permettre d’accorder plus de temps et d’énergie à notre quête de sens, à notre recherche métaphysique et spirituelle. Le progrès ne peut avoir d’autres desseins que celui-ci car il offre à l’homme le pouvoir extraordinaire de lui rappeler et de transcender sa condition matérielle et originelle. Ce furent-là les dernières paroles de S.. Elle s’est levée avec lenteur. Et après m’avoir donné rendez-vous la semaine suivante (même heure, même endroit), elle s’est éloignée suivie par ses inséparables chiens. Je l’ai regardée s’enfoncer dans la pinède en songeant à ses dernières paroles. Et je me promis de ne pas manquer notre prochain rendez-vous qui ne manquerait pas (lui non plus) une fois de plus - j’en étais convaincu - de m’offrir un éclairage nouveau et si particulier sur les habitants de cette planète.    

 

 

- Rapport n° 10 957 -

Objet : au sujet de M.

Je l’ai retrouvé, comme à l’accoutumée, sur son banc. La tête en arrière et les yeux clos. Je l’ai salué avec enthousiasme avant de m’asseoir à ses côtés. Mais il n’a pas esquissé le moindre geste. Je l’ai donc laissé quelques instants à ses rêveries. Puis comme il ne semblait toujours pas faire grand cas de ma présence, je me suis levé. Non ! m’a-t-il dit, ne partez pas ! Restez, je vous en prie ! Je me suis rassis (sans savoir quoi dire ni quoi penser de cet étrange comportement). On est resté comme ça sans parler pendant un long moment (pas loin d’une éternité… sans doute). Puis, brusquement,  M. a ouvert les yeux et m’a confié (avec une énergie inhabituelle) qu’il était allé passer quelques jours dans le Sud… pour réfléchir… et retrouver la source… (oui, retrouver la source…. ces propos n’étaient pas très cohérents, mais c’est ce qu’il a dit). Puis de nouveau, il a fait silence. J’ai senti qu’il m’appartenait de faire le pas suivant. Je lui ai donc demandé, un peu idiotement, comment s’était déroulé son séjour. Sa réponse (aux allures d’étrange rêverie à haute voix) m’a surpris et m’a laissé une bien désappointante impression.

 

Vous savez, me dit-il, j’ai beaucoup réfléchi là-bas. Beaucoup marché aussi. Dans les collines. Et j’ai pensé à Van Gogh. Comment d’ailleurs aurais-je pu ne pas songer à lui ? N’est-il pas l’archétype de l’artiste maudit ? Puis, M. fit de nouveau silence (comme pour réfléchir). Après cette pause (qui dura… de nouveau, pas loin d’une éternité…), il a repris sa rêverie d’une voix étrangement lointaine (et je dirais, presque absente). Vous savez, me dit-il, chaque jour, j’allais à sa rencontre… pour le regarder peindre. Chaque jour, je tentais de l’approcher pour lui dire mon admiration, mais à chaque tentative, il s’empressait de ranger ses pinceaux pour disparaître derrière les collines. Comme s’il refusait de… enfin… comme s’il n’aspirait qu’à la solitude… Vous savez, me dit-il, son pas était fébrile et d’une grande violence, comme si une force mystérieuse le contraignait à poursuivre sa quête obsessionnelle de solitude pour achever son œuvre. Vous savez, me dit M., à chaque fois qu’il disparaissait derrière les collines, je songeais à cette vie d’artiste si particulière, à cette vie de solitude et de folie, à cette vie de misère livrée à l’indifférence des hommes. Oui, je n’ai cessé d’y penser, durant toutes ces après-midis ensoleillées où ensemble, lui et moi, nous battions la campagne parcourant les champs et les prés, gravissant les collines, à la recherche d’une idée, d’un paysage, en proie à l’insatisfaction, en quête d’une émotion, d’une sensibilité… en prise avec l’idée émergente, insoucieux de tout, des hommes, du monde, de la gloire, de l’argent, de la reconnaissance, tournés vers notre seule quête… et pétrifiés d’angoisse à l’idée de manquer notre vocation. Ah ! Si vous saviez comme j’aime ce Van Gogh-là ! me dit-il. Bien sûr, je n’ai ni son génie ni même son talent, mais nous sommes tous deux frères dans l’âme, nous sommes tous deux de cette race d’artistes désespérés, brûlant nos jours à remplir l’espace de la toile avec la misère de nos vies, avec nos âmes d’écorchés et notre cœur à vif.  Puis M. a levé la tête comme pour sortir de ce songe étrange. Je n’ai rien dit. Je l’ai laissé à ses rêveries. Je me suis levé et j’ai quitté le square en songeant à l’étrange et désespérant destin des artistes… si souvent étrangers à eux-mêmes…

 

 

- Rapport n° 10 958 -

Objet : au sujet de J.

J’ai passé la journée à relire et à peaufiner les notes qu’il me faudra bientôt adresser à mon commanditaire (une fois par mois, je dois, en effet, lui envoyer l’ensemble de mes feuillets). C’est-là une tâche fastidieuse à laquelle je me prête sans plaisir (mais à laquelle je ne peux guère échapper). Aussi, ai-je décidé, après ce travail harassant passé à ma table de travail, de rejoindre J., persuadé qu’une discussion autour d’un verre me ferait oublier cette pénible journée. Vers 20h30 (l’heure à laquelle ferme la supérette), je suis donc descendu. J. s’apprêtait à partir lorsque je lui ai tapé sur l’épaule. Je lui ai proposé d’aller prendre un verre. (Et je dois dire qu’il s’est empressé, cette fois-ci, d’accepter mon invitation). Nous sommes retournés dans le même café. Et après avoir commandé deux demis, on est allé s’asseoir un peu à l’écart dans l’arrière salle. 

 

J. aujourd’hui, m’a trouvé une mine de chien battu (allant même jusqu’à me demander si j’étais malade… c’est dire la tête que je devais avoir…). Sa remarque me fit pourtant éclater de rire. Et je me mis soudain à songer à ma triste figure, révélatrice d’une fatigue (que dis-je ? d’un épuisement), preuve avérée, n’est-ce pas ?, que ce travail me ronge les sangs et me mine la santé…). Aussi, je profite de cette anecdote pour vous dire ici, Ô noble et bienveillant commanditaire, que je ne cesse, chaque jour, de me tuer à la tâche pour vous livrer en temps et en heure (et en ordre) ces feuillets que j’espère suffisamment dignes et clairs pour répondre à vos espérances). Fermons ici la parenthèse et reprenons le fil de notre rapport… En me voyant rire ainsi, J., lui aussi, s’est mis à rire. Ah ! la vie, la vie ! me dit-il, elle se montre parfois si contraignante qu’elle nous empêche de vivre, n’est-ce pas ? Je l’ai regardé avec gravité (un peu embarrassé par sa remarque) et j’ai cessé de rire. Mais comment peux-tu, me dit-il, laisser la Vie te dicter la tienne ! Tu sais, je crois qu’il est parfois nécessaire de prendre quelques distances avec la vie pour en goûter toute la saveur ! Ecoute ! Je crois même qu’on ne peut l’apprécier qu’à partir du moment où l’on s’en écarte. Moi, en tout cas, a-t-il ajouté, je ne peux la ressentir qu’à ces moments-là, lorsque la vie m’épargne son lot d’obligations (obligations mesquines et pitoyables, (ce sont ses termes)). En définitive, me dit J., je n’aime la vie que lorsqu’elle se montre à moi belle comme la liberté qu’elle me laisse. J’ai acquiescé (d’un petit hochement de tête timide), ajoutant que nous étions parfois, il est vrai, trop soumis à la vie et à ses incontournables contraintes. Non ! a-t-il aussitôt rectifié, ce n’est pas à la vie que nous sommes soumis, mais à notre façon de la percevoir, (ce qui est bien différent ! a-t-il ajouté). La vie, a continué J., ne peut être aussi étroite et aussi limitée que notre perception. Je lui ai alors confié qu’il m’arrivait de penser que la vie - et les chemins qu’elle nous exhortait d’emprunter - était certainement au fond révélatrice de nos propres désirs (sans doute inconscients) et de notre être le plus intime et le plus profond. Oui ! Mille fois d’accord, me dit-il, mais n’oublie pas que notre conception de la vie (notre conception consciente) a été modelée et façonnée, depuis notre naissance, par mille fausses contraintes qui ont limé la moindre aspérité, la moindre liberté, le moindre espace de distanciation et de critique à son égard au point de rendre notre vie et notre perception étroites et bornées. Ah ! La vie, la vie ! me dit J., non, crois-moi ! Elle ne peut être cette perception limitée que le monde nous exhorte d’adopter ! Comment la vie pourrait-elle se limiter à cette lutte, à cette jungle, à tous ces devoirs et à tous ces sacrifices dont on nous rebat partout les oreilles ! J’ai objecté qu’il était pourtant courant qu’on nous la présente ainsi. J. a froncé les sourcils et a rectifié. Mais non ! me dit-il, la vie se cantonne à cette vision pour ceux qui le souhaitent ou pour ceux qui s’en arrangent ! Mais pour les autres, (pour tous les autres, me dit-il), pour tous ceux qui se refusent à vivre selon cette définition étroite, pour tous ceux qui ignorent ce qu’est véritablement la vie, la vie se doit (oui, me dit-il, la vie se doit) d’être une joie, un chant d’amour au monde et à toute forme de création sur terre. J. m’a assuré que la vie ne pouvait être autre chose (et qu’aucune autre définition n’avait de sens). Ecoute ! Tu ne peux t’imaginer, me dit-il, à quel point je me sens heureux, à quel point je suis inondé de bonheur lorsque la vie prend cette résonance en moi. A ces moments, je la ressens si intensément, si profondément que… Mais les yeux de J. se sont soudain emplis de tristesse. Et il m’a avoué, avec gêne et pudeur, l’extraordinaire fragilité de ce sentiment, l’extrême vulnérabilité de cette perception. Oui, me dit-il, il m’arrive encore trop souvent de retomber, comme foudroyé, dans cette lutte sauvage et barbare de la vie, de revêtir cette vision étriquée que m’impose le monde et qui s’impose à moi, en définitive, comme l’unique façon de cheminer en cette vie. Et alors, me dit-il, lorsque disparaît ce sentiment de joie et d’amour, de nouveau, tout me semble gris, absurde et incompréhensible… et… tu sais, me dit-il, je n’ai à présent (en cette vie) plus qu’un seul souhait : offrir à mon existence cette succession d’instants incomparables où je me sens aimer la vie et le monde comme le plus passionné des amoureux et le plus fervent des adorateurs. Le secret de J. tenait là, tout entier, je crois, dans cette phrase. Et j’ai soudain pensé à l’incommensurable aveuglement des hommes si peu enclins à suivre ce chemin de joie et d’amour dicté par leur cœur. Oui ! a ajouté J., la vie nous intime simplement l’ordre de suivre ce chemin… et de n’en suivre aucun autre, et de ne jamais suivre (surtout) celui que nous impose le monde… En définitive, me dit-il, la vie est simple, généreuse et merveilleuse. Et les yeux de J. se mirent à pétiller de joie et de malice. Il a regardé nos verres (déjà vides) et a appelé la patronne. J’eus alors le sentiment que J. m’avait avoué là, la chose la plus importante, la plus essentielle, (la seule sans doute qui détienne une quelconque part de vérité) et qui vaille la peine de continuer à vivre et d’avancer sur son chemin d’existence. Je l’ai regardé avec affection et sympathie, heureux de partager avec lui ces instants d’amitié et de vérité. La patronne nous a apporté nos deux bières. La soirée promettait d’être longue… (et elle le fut, croyez-le…)

 

 

-  Rapport n° 10 959 -

Objet : missive impromptue

Après tant d’années à observer les hommes en ce monde, leur démêlé avec la souffrance et leur vaine poursuite du bonheur, ce matin, j’ai eu le sentiment d’une grande injustice (d’une grande injustice un peu absurde). Et j’ai éprouvé aussi quelques doutes quant à mon travail. A quoi pouvaient bien servir toutes ces pages qui racontaient la misère, la douleur et l’inaccessibilité du bonheur ? Et lui, là-haut, que faisait-il de toutes ces notes que je prenais la peine de lui adresser chaque mois ? J’ai tenté tout le jour d’enfouir ma colère (comment lui dire en effet (sans le vexer) toute cette misère d’ici-bas que rien ne semble pouvoir atténuer). Et puis, tout à l’heure, (après avoir tergiversé toute la  journée), je me suis installé à ma table de travail, j’ai mis une feuille dans ma vieille machine à écrire et j’ai couché mes sentiments sur papier, tous ces sentiments qui m’ont hanté aujourd’hui, et que je traîne sûrement depuis les premières années de mon séjour ici-bas.

 

Cher commanditaire,

En vous adressant cette lettre (pour le moins inattendue), j’ai conscience de m’immiscer dans un travail qui dépasse largement le cadre de ma mission. Sachez seulement que mon activité en ce monde me semble parfois bien inutile. Aussi me suis-je arrogé le droit aujourd’hui de vous interroger quant à la réelle utilité de cette tâche à laquelle (je vous le rappelle) vous m’astreignez ici-bas. Je vous conjure de ne pas prendre ombrage de cette audace intrusive. Sachez que ce courrier n’a pour objet ni de remettre en cause votre digne et noble ouvrage ni de brocarder l’organisation générale de votre œuvre, ni même bien sûr de vous prodiguer quelques conseils… N’y voyez-là qu’une interrogation compatissante et bienveillante de la part d’un dévoué serviteur qui s’évertue chaque jour à faire son travail avec honnêteté… Avant de poursuivre votre lecture, je vous saurais gré aussi d’ignorer la sécheresse, l’arrogance et la prétention des passages qui vont suivre (passage dont le ton et le style vont peut-être vous surprendre et que je n’ai d’ailleurs (faute de temps, de courage et sûrement d’aptitude) pris la peine de corriger). J’ignorais chez moi cette propension à m’ériger en donneur de leçons, leçons que mon humble statut ici-bas m’interdit de dispenser. Veuillez donc, je vous prie, me pardonner pour cette offense...

 

« Heureux sont les hommes ! Entendons-nous un peu partout en ce monde. Mais sur quel(s) critère(s) ces malheureux fondent-ils cette malheureuse assertion ? Et comment vérifier la véracité de ce bonheur que je juge, quant à moi (au vu de tant d’années à observer les hommes), bien fallacieuse. Laissez-moi donc, je vous prie, vous confier quelques éléments (tirés de mon expérience et de mon humble réflexion) qui vous permettront peut-être d’éradiquer définitivement, et, je l’espère de tout cœur, pour toujours, le malheur en ce monde. Je connais votre souci d’y répandre le bonheur. Aussi à cette fin, ai-je élaboré deux méthodes qu’il conviendra de compléter et d’approfondir (et dont, je vous laisse, bien sûr, le soin). Je ne jette dans ces lignes que les bases d’une réflexion bien sommaire.

 

Voici la première méthode. Avant toute chose, cette première approche nécessite de définir le bonheur (dans sa forme la plus polymorphe). A cette fin, il semble nécessaire de déterminer l’ensemble des critères susceptibles de l’apprécier afin d’établir une échelle du bonheur (permettant ainsi de mesurer le degré de bonheur atteint par chaque homme en ce monde). Mais, bien sûr, comme vous l’imaginez, définir le bonheur, (en établir les critères et en mesurer les degrés) n’est pas une tâche aisée. Cette première méthode ne semble donc pas satisfaisante. La difficulté majeure réside – à mon sens – dans le lien étroit entre l’idée de bonheur (conception superficielle, limitée et souvent impropre que nous accolons au bonheur) et le bonheur véritable (dans son sens le plus absolu et le plus profond). Je proposerais donc une seconde méthode, moins scientifique certes, mais qui permettrait, outre d’approfondir la question, de rendre plus pratique et plus aisé l’objet de cette étude.

 

Cette seconde approche est d’une grande simplicité. Elle consiste à soulever - une à une - les couches superficielles de notre conception usuelle et habituelle du bonheur afin de découvrir ce que sous-entend chacune de ces couches. Comment s’y prendre ? C’est là aussi, à dire vrai, d’une simplicité déconcertante ! Il vous suffirait de missionner auprès de chaque homme un enquêteur (mandaté par vos soins) pour lui poser la question suivante : « Qu’est-ce qui vous rend heureux ? ». A chaque réponse fournie, l’enquêteur serait chargé de demander les raisons de ce bonheur. Pour cela, il lui suffirait de poser la question suivante : « Pourquoi cela vous rend-il heureux ? ».Et l’enquêteur poursuivrait l’entretien jusqu’à ce que son interlocuteur se trouve à court d’argumentation, se contentant d’exprimer une simple conviction, une simple croyance ou une simple intuition. Voilà donc une méthode d’une grande simplicité, n’est-ce pas ?

 

Mais sachez qu’en dépit de cette simplicité, cette seconde méthode n’en pose pas moins quelques difficultés. Et la première tient certainement à l’existence de ce que les hommes appellent l’altérité. Quoi de plus difficile en effet que de découvrir (et pire peut-être de deviner ou d’interpréter la vérité à travers les mots) ce que contient l’esprit d’un homme, aussi proche de nous soit-il. La seconde difficulté – de nature plutôt rebutante – tient, quant à elle, à l’existence de l’Inconscient, domaine humain insondable entre tous et territoire inconnu par bon nombre d’entre-nous. Mais en dépit de ces deux principales difficultés, je suis pourtant persuadé qu’en suivant cette méthode - qui prétend aller au bout des choses (je dirais moins présomptueusement au bout des choses possibles, celles dont on a conscience et que l’on est en mesure d’exprimer) -, il ne faudrait guère s’attendre à aller très loin pour toucher au but. Je suis en effet convaincu que bien des hommes interviewés ne réussiraient guère à franchir les frontières étroites de leur conception habituelle du bonheur (celle en vigueur en ce monde), nous offrant là la preuve indéniable de la superficialité et de la fragilité de ce présupposé bonheur. En effet, l’enquêteur buttera très vite sur l’ignorance de son interlocuteur quant à ses propres convictions sur le bonheur (dont chaque homme effectivement ignore à peu près tout). Derrière l’idée de bonheur que mettra en avant chaque interlocuteur ne reposeront sûrement que de vagues convictions, quelques concepts flous, fragiles et nébuleux, ressentis et élaborés au fil de son expérience (éducation, histoire personnelle, cheminement intellectuel… etc… etc…). Aussi, à l’issue de cette méthode d’investigation, l’idée que le bonheur est chose répandue en ce monde apparaîtrait comme une véritable méprise.

 

Je connais votre clairvoyance. Il ne vous aura donc pas échappé que bien des hommes en ce monde possèdent une fâcheuse tendance à se leurrer. Au cours de mon séjour ici-bas, j’ai d’ailleurs toujours été très étonné de voir avec quelle apparente assurance bon nombre d’entre eux savaient envelopper leur vie, leurs certitudes et leur choix dans le seul but de se rassurer quant à leur capacité au bonheur. Mais voyez par vous-même, il suffirait de quelques anodines questions pour déstabiliser leurs maigres certitudes, ébranler leur existence et faire s’effondrer leur fausse idée du bonheur. Très vite, vous les verriez se raccrocher à d’imprécises et d’improbables convictions personnelles, et à vrai dire, à de simples croyances et à de nébuleuses intuitions, fragiles et inexplicables, dont ils seraient incapables de vous démontrer la valeur – ou pire la vérité – autrement que par le simple fait d’avoir sur elles bâti leur existence. Aussi, je vous en conjure, tâchez désormais de faire réfléchir chaque homme non plus sur son bonheur – étroit et fallacieux – mais sur le bonheur véritable ! »

Votre fidèle et dévoué serviteur.

 

 

-  Rapport n° 10 960 -

Objet : au sujet de S.

Je l’ai revue avant la date prévue (et je dois bien avouer que je ne sais pas ce qui m’a poussé à la revoir avant notre rendez-vous… mais, après réflexion, peut-être était-ce tout simplement mon désir de lui faire part de mes réflexions sur le bonheur). Je l’ai donc retrouvée cet après-midi même à la Tranchecoupée, un petit centre hippique, où, elle avait l’habitude, m’avait-elle dit, de se rendre chaque jour en début d’après-midi. A mon arrivée, elle a à peine été surprise de me revoir. Et comme elle s’apprêtait à partir en promenade, elle m’a proposé de l’accompagner. Elle m’a aidé à préparer mon cheval, et nous sommes partis en balade à travers la pinède.

 

Après un galop effréné dans les sous-bois, (où j’ai tenté tant bien que mal de la suivre), S. a réduit son allure, adoptant un petit trot enlevé. Mais je l’ai sentie plus nerveuse et plus véhémente qu’en temps habituel. Aussi, arrivé à sa hauteur, me suis-je risqué à lui en faire la remarque. En guise de réponse, elle a grommelé (une chose absolument incompréhensible). Je n’ai donc pas insisté. Et nous avons continué notre promenade en silence lorsque (vers le milieu de la promenade), je me suis risqué (une nouvelle fois) à lui demander ce qui n’allait pas. Elle m’a alors répondu d’un ton sec que les fêtes approchaient. Je l’ai regardée avec étonnement car en dépit de la drôle d’effervescence qui régnait, depuis quelques jours, dans les rues illuminées du centre-ville, l’intérêt de S. pour cette question me semblait bien intrigant (et disons que j’avais bien du mal à l’imaginer en proie à l’excitation la veille de Noël). Oh ! m’a-t-elle rassuré (comme si elle avait deviné le fond de mes pensées), ce n’est pas ce que tu penses ! Ce n’est pas l’idée de faire la fête qui me met dans un tel état ! Bien au contraire ! J’ai toujours détesté les fêtes ! Et comme j’ai senti dans sa voix une sorte d’agacement et de tristesse, je lui ai proposé de me raconter cette étrange aversion pour les festivités. Nous avons mis nos chevaux au pas et S m’a raconté.

 

Ecoute, me dit-elle, enfant déjà, je détestais les fêtes. Du plus loin qu’il me souvienne… depuis mes plus jeunes années, j’ai toujours eu les fêtes en horreur. D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris ce qui poussait les hommes à la faire. Ce besoin festif reste pour moi une véritable énigme ! Quelle idée ont-ils de se réunir à la moindre occasion pour s’amuser et se divertir ! C’est incompréhensible ! Ecoute ! C’est bien simple ! me dit-elle, je ne connais personne qui rechigne à participer à ce genre de réjouissances. Et chacun a même l’air de prendre plaisir à participer à toutes ces fêtes données en toutes circonstances. Et elle m’énuméra une longue liste d’occasions propices à la fête : les naissances, les baptêmes, la réussite des examens, les mariages, les anniversaires, les départs à la retraite, sans compter (me dit-elle), toutes ces fêtes officielles, religieuses ou profanes, toutes ces fêtes commerciales et ces sempiternelles réunions amicales hebdomadaires organisées les vendredis et samedi soir. Je fis un effort pour écouter S. Mais (en dépit de cet effort), je dois bien avouer que j’ai éprouvé les pires difficultés à comprendre ses doléances. Aussi lui ai-je demandé les raisons de ce mépris si tenace (et osons-le dire, si vivace). Je ne sais pas, me dit-elle, les fêtes auxquelles se livre ce monde me semblent si factices et si peu naturelles qu’elles donnent l’impression que chacun s’y soumet par ennui ou pour fuir son quotidien. Comme si ces jours-là, a-t-elle ajouté, nous étions obligés d’oublier les mornes éléments de notre existence habituelle pour nous soumettre, le temps de la fête, au diktat du bonheur et à la joie factice et programmée. Comme si ces jours-là, a-t-elle continué, il était incongru (voire interdit) de se sentir triste et morose, inconvenant de penser à ses soucis, à ses angoisses et à ses difficultés. Comme si, ces jours-là, nous devions oublier qui nous sommes pour nous consacrer entièrement au temps sacré (consacré) de la fête. Oui, me dit-elle, je crois, en définitive, que la fête a été créée pour nous faire oublier nos souffrances, pour alléger la pesanteur de nos vies et pour éviter de nous morfondre dans notre solitude. Sinon, me dit-elle, pour quelle raison l’alcool serait-il si souvent l’hôte obligatoire – l’hôte obligé et incontournable – de tant de fêtes ? Sa présence n’est-elle pas la preuve indéniable de notre besoin d’appréhender le réel libéré de cette grisaille qui nous entoure habituellement ? Sinon, a-t-elle continué, pour quelles raisons la parure festive - habits de fête colorés et excentriques, sourire, rire et bonne humeur de circonstance - serait-elle indissociable de la fête ? Sinon, pour quelles raisons la musique et la danse seraient-elles si présentes au sein des fêtes ? N’est-ce pas l’irréfutable preuve de notre besoin de relâcher, l’espace d’un instant, notre conscience habituelle trop rigide ? Sinon, a-t-elle continué, pour quelles raisons, la fête accorderait-elle tant de place au paraître outrancier, à la séduction, aux rencontres et à cette nécessité d’assouvir notre insatiable besoin de plaisir ? Sinon, pour quelles raisons tous ces ingrédients seraient-ils indissociables de la fête ? N’est-ce pas révélateur de notre besoin d’oublier la fadeur et la médiocrité de notre existence ? La fête est une évasion tentante et bien commode, me dit-elle, mais n’est-elle pas aussi un bien factice et bien affligeant moyen de s’extraire du réel ? Ces propos sur la fête me laissèrent - je dois bien le dire - assez perplexes. Aussi l’ai-je invité à poursuivre. Mais au lieu de continuer son discours, S. a soudain stoppé son cheval, en est descendue et est allée s’asseoir sur un petit carré de mousse en bordure du chemin. Un peu surpris par sa réaction, je n’ai pourtant rien dit et l’ai imitée. Nous sommes restés ainsi quelques instants. Puis S. a allumé une cigarette. Nous l’avons fumée ensemble, lentement et en silence, fascinés par l’étrange atmosphère qui enveloppait les lieux. S., ensuite, s’est allongée sur le sol, les yeux fixant le ciel, et elle m’a confié que nous vivions, à cet instant, une fête véritable. La fête, à ses yeux, n’était en effet rien d’autre que cette joie présente et partagée, intimement liée au quotidien, rien d’autre que cette perception du réel qui touchait notre âme, rien d’autre que cette quiétude qui enveloppait si merveilleusement notre esprit et nous donnait ce sentiment de symbiose avec le monde. Voilà ce qu’était la fête pour S. ! Et tout le reste n’était qu’une misérable tentative d’oubli de soi ! Oui ! A ses yeux, la fête ne pouvait être autre chose que ces instants de joie ! Absolument rien d’autre, me dit-elle en fermant les yeux. Je me suis alors allongé sur le sol et, à mon tour, j’ai regardé le ciel, convaincu des paroles de S., qui, une fois de plus, avait su ouvrir mon regard à de bien étonnantes perceptions… et à de bien belles vérités…  

 

 

- Rapport n° 10 961 -

Objet : au sujet de M.

Je suis retourné au parc ce matin. Et comme je m’y attendais, M. était là. Mais à ma grande surprise, il avait changé de banc. Et chose plus surprenante encore, il est venu à ma rencontre avec un grand sourire. Cet entrain que je ne lui connaissais pas m’emplit de joie. Je l’ai donc salué avec enthousiasme et lui ai proposé, une fois n’était pas coutume, d’aller nous installer sur la pelouse, à quelques encablures du banc où nous avions l’habitude de nous asseoir. Je lui ai offert une cigarette qu’il a refusée puis lui ai demandé de me raconter les dernières nouvelles qui semblaient, à en juger son enthousiasme, excellentes.

 

Eh bien ! Voilà ! m’a-t-il dit, j’ai beaucoup réfléchi depuis notre dernière rencontre et j’ai pris conscience que la création artistique était le seul chemin qui puisse combler ma vie et mon existence. Aussi ai-je décidé de… mais M. n’a pas achevé sa phrase. Il semblait gêné, mal à l’aise. Ecoutez, me dit-il, avant de vous confier ma décision, j’aimerais vous parler d’une difficulté. Une difficulté ? Eh bien ! Vas-y ! lui ai-je dit, je t’écoute. De quelle difficulté veux-tu parler ? M. a bafouillé. Eh bien…  comment vous dire ? Et après un court silence (M. avait l’air de plus en plus gêné), il s’est lancé. Au départ, m’a-t-il avoué, j’éprouve toujours un grand bonheur à créer (à m’adonner à la création, c’est l’expression qu’il a employée), j’éprouve toujours une joie immense à coucher une idée sur le papier ou sur la toile. A ce stade, vous savez, j’éprouve toujours beaucoup de plaisir. Je me laisse guider par une idée, je la note, puis comme une pâte, je la laisse se reposer. Ensuite je la reprends pour la retravailler. Cette étape peut prendre quelques minutes ou peut parfois durer plusieurs jours. Mais qu’importe, me dit-il, à ce stade, j’éprouve toujours un grand plaisir. Tant que l’idée poursuit son cheminement, je la laisse se développer, simplement heureux d’être son réceptacle. J’ai tiré, un peu ironique, sur ma cigarette (en continuant à l’écouter mais sachant pertinemment où il voulait en venir). La difficulté survient toujours, me dit-il, à l’instant où l’idée me semble virtuellement aboutie. Aussi, dès que j’en conceptualise l’aboutissement, autrement dit lorsque je connais la façon dont l’idée sera représentée sur ma feuille ou sur ma toile, alors à cet instant précis, j’éprouve une immense lassitude et un grand découragement. A ce stade, me dit-il, il me faut m’astreindre à un immense effort, à une intransigeante discipline pour que je permette à l’idée d’émerger et d’exister, sinon, me dit-il, je me contenterais de la laisser en l’état. En fait, je crois que je n’apprécie, dans l’exercice artistique, que le cheminement intérieur de l’idée, entre sa naissance mystérieuse dans mon esprit et son accomplissement virtuel. Comme si je souhaitais directement passer, sans effort ni le moindre travail, de son aboutissement virtuel à son aboutissement réel (ou matériel si vous préférez) sur le papier ou sur la toile. Aussi ai-je le sentiment, me dit-il, de devoir me battre (et parfois me débattre) avec moi-même, dans une lutte acharnée, pour venir à bout de l’idée qui m’a traversé. A ce stade, la création devient toujours pénible et laborieuse. Je n’éprouve plus alors aucun plaisir à donner naissance à l’œuvre que mon esprit a déjà enfantée. J’ai essayé de rassurer M., lui disant qu’il m’arrivait souvent de penser que la plupart des hommes se résolvaient à l’effort et au travail - à toutes leurs démarches et à toutes leurs entreprises - dans le seul espoir de s’apporter ou/et parfois (ce qui est peut-être pire) d’apporter au monde la preuve de leur existence. Je crois, lui ai-je dit, qu’il n’y a souvent et malheureusement rien d’autre que cette honteuse et obsédante nécessité de reconnaissance qui pousse les hommes à agir et à avancer. Mais cette difficulté ne doit pas (lui ai-je dit) lui faire renoncer à sa démarche et à ses travaux. M. m’a alors expliqué qu’il passait par des périodes extrêmement contradictoires qui le laissaient perplexe (et dubitatif) quant à ses réelles possibilités de s’épanouir dans cette activité. Il a souri, un peu gêné, puis il m’a dit : Tu sais, (Ah ! Enfin, il me tutoyait), tout est parfois si confus dans mon esprit. Souvent, il m’arrive de songer à tous ces artistes qui avant moi, ont défriché toutes ces terres faciles que je découvre aujourd’hui. Et souvent, m’a-t-il dit, mes découvertes me semblent insignifiantes et ridicules. Et pourtant, je n’en continue pas moins de chercher de nouvelles terres, comme si c’était-là ma façon d’avancer. Il m’arrive aussi, a-t-il ajouté, de regarder mes anciens travaux. Et la plupart du temps, je ne peux m’empêcher de les trouver médiocres et inutiles. Il m’arrive aussi de les regarder avec tendresse et même avec intérêt. Est-ce là pêché d’orgueil ? Je me suis empressé de le rassurer. Tu ignores, lui ai-je dit, les raisons qui te poussent vers ces contrées inconnues, mais tu te sens inexorablement attiré vers elles, aussi ne crains pas de poursuivre ta marche sur ce chemin. Tu sais, lui ai-je dit, je crois qu’il n’ait pas d’existence plus riche et plus prometteuse que celle vers laquelle on se sent obligé d’aller. Il a souri et m’a dit que cette vie d’artiste était la seule qui lui donnait véritablement envie de vivre, la seule qui lui donnait pleinement le sentiment d’exister. Nous avons continué à parler quelques minutes, puis il m’a dit qu’il devait rentrer (sûrement pour se mettre au travail). Il m’a remercié avec chaleur pour mes conseils (je n’avais pourtant fait là que mon devoir), puis il s’est levé et a quitté le square. Je l’ai regardé s’éloigner, heureux qu’il se soit enfin résolu à franchir les obstacles qui barraient ce chemin qui le mènerait - j’en étais persuadé - au plus profond de lui-même. Lorsqu’il a disparu, je me suis levé et suis rentré chez moi, rassuré quant à mon rôle en ce monde.

 

 

- Rapport n° 10 962 -

Objet : mes adieux à S., M. et J.

La nouvelle est tombée ce matin-même. Comme un couperet. Ma mission ici-bas s’achèvera cette nuit. Demain matin, à l’aube, il me faudra quitter ce monde. J’ai donc passé la journée à mettre un peu d’ordre dans mes dossiers, à ranger le petit studio que j’occupe depuis mon arrivée ici, à préparer ma valise et à terminer d’autres petits travaux (dont je vous épargnerais la liste…). Chose surprenante ! Je me sens triste à l’idée de quitter ce monde. Après toutes ces années, j’avais fini par m’attacher (Dieu soit loué !) aux habitants de cette planète. Et les innombrables rencontres faîtes au cours de mon séjour ne seront bientôt, je le crains, que de lointains souvenirs. Aussi, avant de partir, ai-je décidé de réunir les derniers et principaux personnages que j’ai tenté (tant bien que mal) d’accompagner lors de cette dernière phase de ma mission ici-bas. Je me suis donc permis d’inviter S., M. et J. pour leur faire mes adieux (P. n’a malheureusement pas répondu à mon appel… et je dois dire que je suis bien pessimiste quant à son devenir…à moins qu’il ne soit déjà… enfin… Dieu seul le sait !… et je préfère ne pas y penser…). Je leur ai donné rendez-vous en début de soirée dans le petit café restaurant où j’ai si souvent déjeuné en compagnie de mes dossiers. Là, nous avons dîné (un dîner copieusement arrosé) et à la fin du repas, comme nous étions seuls dans la salle, et que j’étais encore - il faut bien l’avouer - sous les effets de l’alcool, je me suis levé pour porter un toast à la vie, à la mort, à la joie, à la souffrance et à tous les habitants de cette planète, avant de leur déclamer le petit discours que j’avais préparé à leur intention, un discours d’adieu un peu grotesque, un peu emphatique, une sorte d’ode maladroite à la vie, comme l’oraison de mon long séjour parmi les hommes. Voici donc (à votre attention) la retranscription du discours que je leur tins ce soir.

 

Mes amis, leur ai-je dit, vous qui savez mieux que quiconque la violence de ce monde, vous qui avez éprouvé dans votre chair, dans votre âme et dans votre vie, la répression qu’exerce la collectivité des hommes sur ses membres, vous qui savez à quel point cette société réprime, condamne et soumet à l’obéissance ceux, dont vous êtes, qui transgressent, sans préjudice aucun à la liberté et à l’existence d’Autrui, les normes collectives, les lois, les codes et les règlements de tout poil, je vous conjure, malgré l’exclusion et la marginalité qu’elle vous impose, de poursuivre sans honte, sans remords, ni regret le chemin si âpre, si tortueux, si douloureux de vous-même. 

 

Mes amis, moi qui connais vos joies immenses et votre désespoir indicible, moi qui connais vos existences fragiles, ballottées au gré du vent dans l’océan furieux du monde, je vous conjure de m’écouter et d’accueillir les mots ultimes de cet ami que je me suis efforcé d’être pour vous tous.  

 

Je fis silence quelques instants. S ., J. et M. m’écoutaient avec attention. Presque avec gravité comme si j’avais été Dieu le Père en personne. Je les ai tous regardés avec affection. Je souhaitais tant leur parler en ami sincère, d’égal à égal, et non comme un être flottant au-dessus des misères et des souffrances humaines. Les vapeurs de l’alcool se dissipèrent un peu. Aussi ai-je repris mon discours avec plus de clairvoyance, de légèreté et non sans un certain humour.

 

Mes amis, leur ai-je dit, vous qui êtes englués dans l’incorrigible comédie du monde, vous qui avez une myriade d’idées sur cette désopilante absurdité qu’est l’existence, vous qui vous sentez si éloignés des aspects les plus superficiels et les plus matériels de cette vie que nous impose le monde, mais qui n’en devez pas moins subvenir à vos besoins, vous qui avez cette propension à l’érémitisme et qui devez, peu ou prou, ressentir la nécessité de l’intégration collective, vous qui recherchez ce détachement indifférent et inaccessible d’avec le corps et qui prônez l’omnipotence du spirituel, bref, vous qui pataugez d’élucubration en élucubration dans une mélasse inextricable de paradoxes et de contradictions, je vais tenter, ici, de vous dire ce qu’est la vie.

 

Mes amis, mon discours sera donc long, pénible et, je le crains, terriblement ennuyeux. Il le sera parce que j’aimerais vous confier le sens profond de cette existence qui nous est donnée à tous, ici-bas, et ce n’est pas là, croyez-le bien, une tâche aisée. Mon séjour, ici, parmi vous, n’avait d’ailleurs d’autre objet que celui-ci ; vous aider et vous offrir le fruit de mes réflexions et de mon expérience. Sachez aussi que les thèmes que j’aborderais avec vous ce soir me sont apparus, pour la plupart, dans un lieu où l’inspiration m’a toujours été aisée. Une pièce minuscule de mon studio que je fréquente aussi quotidiennement que ponctuellement et que l’on nomme, je crois, lieu d’aisance. Mais je ne m’abaisserais pas ici à poursuivre l’analogie entre les idées qui m’y viennent et les vidures stomacales qui s’y déversent… je laisserais ce genre de commentaires à tous ceux qui le souhaitent - espérant seulement que vous m’épargnerez, du moins en ma présence, de souligner leur trop évidente similitude scatologique…

 

Après cette tentative humoristique, j’ai fait une nouvelle pause pour observer mon auditoire. Leur attention s’était passablement relâchée. Tous me regardaient l’œil éteint et la tête encore pleine de vapeurs éthyliques. Mais j’ai continué ma harangue plein d’espoir de susciter leur intérêt.

 

Mes amis, voici venu le temps d’en venir à l’essentiel. Je vous prierais donc d’écouter avec attention ce que je vais à présent vous révéler. Sachez d’abord, mes amis, que la vie est un refus. Oui, mes amis ! Un refus ! Le refus absolu et irrévocable de ce qui vous est imposé par ce monde qui trop souvent vous incite à des exigences qui ne sont et ne seront jamais vôtres. Aussi avant de vous y soumettre, regardez bien en vous-même ! Si ces exigences vous conviennent, libre à vous alors d’y souscrire ! Mais prenez garde de ne pas succomber aux essentiels inessentiels prônés par ce monde ! Ayez la plus grande méfiance à l’égard de cette masse toujours prompte à vous imposer ses valeurs ! La majorité est toujours en quête de nouveaux adeptes, soucieuse de voir grossir ses rangs et de conforter les valeurs qu’elle s’est choisies ! Bien des hommes y succombent malgré eux… soit par veulerie, soit par ignorance, soit (ce qui est peut-être pire) par résignation… Aussi si cette vision du monde ne vous donne aucune satisfaction, je vous exhorte de ne pas y succomber mais de trouver en vous les réponses à vos attentes, des réponses partielles certes, imparfaites aussi, mais des réponses qui seront vôtres. Et là est l’essentiel, mes amis ! Trouver ses propres réponses en les cherchant au plus profond de soi. 

 

S., M. et J. me regardèrent en opinant du chef. Et je lus, dans leurs yeux, une approbation qui m’incita à poursuivre.

 

A cette fin, mes amis, il vous faudra sans répit élargir l’étroitesse de votre esprit habituel, rejoindre l’origine, la source première, l’axiome même de votre vie. Il vous faudra pousser votre questionnement jusqu’au bout de sa pensée pour toucher l’acte fondateur de votre existence. Vous y trouverez alors le sens personnel de votre vie. Fiez-vous à vos découvertes, à vos connaissances et à vos expériences qui vous guideront dans ce cheminement. Et vous verrez bientôt la vie se charger d’élargir cette vision étroite de vous-même. Mais quel que soit le sens que vous donnerez à votre vie, il vous faudra conserver à l’esprit ces quelques éléments que je vais à présent vous confier. Chacun de ces conseils vous aidera - j’en suis persuadé - à poursuivre dans cette voie abrupte et difficile qu’est la quête de votre propre vérité.

 

Mes amis, n’oubliez pas que la vie est courte. Songez-y lorsque vous serez en proie au doute et au désespoir. Tâchez de vous souvenir que nous ne sommes pas éternels ici-bas. Cette pensée sera à même de vous aider à surmonter toutes les épreuves de votre vie !

 

Sachez aussi, mes amis, que nous sommes totalement ignorants de ce qu’est la vie. Nous pouvons lui donner l’interprétation qui nous semble la plus appropriée. La vie nous laisse entièrement libre de l’interpréter. Aussi rappelez-vous que toute interprétation a sa place et sa légitimité pour peu qu’elle vous convienne. Cette liberté doit aussi vous inciter à plus d’humilité quant au sens et aux valeurs que vous donnerez à votre vie et à davantage de tolérance quant à ceux qu’adopteront les autres. Ne croyez donc pas vos vérités supérieures à celles d’Autrui. Elles ne sont que de minuscules châteaux de sable, de petites forteresses précaires. Mais en dépit de leur extrême vulnérabilité, forgez-vous vos propres vérités sans les tenir en haute estime et sans décrier celles d’Autrui.

 

Sachez aussi, mes amis que la vie est un merveilleux présent, un inestimable cadeau qui nous est offert à tous ici-bas, et que nous pouvons, il est vrai, refuser à tout instant. Ne perdez donc jamais de vue que le suicide est possible, toujours possible, comme l’ultime choix, et peut-être aussi (parfois) comme l’ultime espoir en cette vie. 

 

Sur le chemin que vous emprunterez, n’oubliez jamais, mes amis, que vous êtes et serez toujours seuls, quoi qu’il advienne et qui que vous rencontriez. Ne vous préoccupez donc jamais de ce que pense le monde à votre sujet. Ne perdez pas de temps à vous comparer à ceux qui vous entourent. Suivez votre voie sans attente, sans aide et sans exigences autres que celles auxquelles vous ne pourriez répondre seul. 

 

Aussi, mes amis, au vu de ces éléments (que je vous rappelle pour mémoire) : puisque le temps nous est compté, puisque nous sommes seuls et libres d’interpréter la vie à notre convenance, puisqu’il nous est possible de la refuser, puisque le choix nous est offert, pour quelles obscures raisons vous interdiriez-vous de suivre vos rêves, vos désirs et vos aspirations ? Eux-seuls, vous m’entendez, doivent guider votre vie ! Vos qualités, votre travail et le temps se chargeront de vous faire progresser sur la voie que vous vous serez choisie. Croyez-moi ! N’hésitez jamais à suivre vos aspirations et allez jusqu’au bout de vous-même ! Chaque pas supplémentaire saura vous apporter la joie, le plaisir et la satisfaction de vous rapprocher chaque jour de votre être le plus intime et le plus profond !

 

Où que vous alliez, quels que soient les évènements que vous traverserez, sachez conserver (dans la mesure du possible), un esprit calme et détendu, celui qu’adoptent la plupart d’entre-vous au cours de leurs vacances. Efforcez-vous de goûter la vie et de traverser le monde avec cet esprit-là ! Car, croyez-le, mes amis, la vie n’est en réalité qu’une villégiature au cours de laquelle nous n’avons d’autres obligations que de vaquer à ce que nous dicte notre cœur ! Rien ni personne ne doit être en mesure de vous troubler dans cette quête de vous-même ! Quant à la satisfaction de vos besoins vitaux (qui nécessite quelque argent dans ce maudit système), consacrez-y vous sans angoisse ! Fournissez le juste effort et vous verrez bientôt réglée cette mesquine affaire ! Quant au reste, mes amis, n’ayez aucun souci ! Cheminez tout simplement sur le chemin de vos désirs, de vos rêves et de vos aspirations !

 

Et enfin, mes amis, quel que soit le chemin que vous choisirez, sachez conserver cette juste distance d’avec les choses, les êtres et les évènements ! Tenez-vous à la juste distance ! Ni trop loin, au risque de sombrer dans un nihilisme destructeur… ni trop prêt car le danger serait grand alors de recevoir, avec une souffrance exagérée, les affres parfois douloureux de l’existence.

 

Voilà mes amis ce que j’avais à vous confier en ce jour de départ ! Pour finir, je vous souhaite de traverser cette vie avec autant de joie et d’amusement que vous pourrez vous offrir au cours de ce temps bref qui vous est imparti !

 

A la fin de mon discours, je suis tombé sur ma chaise, déconcerté par la platitude de mes propos. Je me suis senti triste et amer de n’avoir réussi, en dépit de ces longues années passées en ce monde, qu’à leur confier, dans un aveu grotesque et affligeant, un ramassis de lapalissades connues (et ressassées) depuis la nuit des temps. Je compris alors, plus triste et amer encore, comme mon séjour en cette vie n’avait été qu’un piètre terrain d’expériences et de réflexions. En définitive, mon discours avait révélé ma méconnaissance profonde de la vie. Et j’ai éprouvé pendant un bref instant l’absurdité de mon séjour en ce monde. Et je me suis mis à pleurer. S., M. et J. se précipitèrent pour m’entourer et dans un élan que j’ai senti sincère, ils me dirent d’une seule et même voix qu’eux-mêmes connaissaient ce sentiment d’absurdité mais qu’il fallait bien se garder d’y sombrer au risque de s’enfoncer inexorablement dans un accablement permanent. Eux-mêmes, me dirent-ils, s’y laissaient dériver à leurs instants d’échecs et de doutes, à leurs instants, me dirent-ils, de vraie conscience. Mais ils m’assurèrent aussitôt, qu’en dépit de ce sentiment d’absurdité, il nous fallait continuer à vivre et garder espoir pour poursuivre notre inaccessible (et peut-être déraisonnable) quête de nous-mêmes. Ils m’ordonnèrent de les croire. J’ai alors essuyé mes larmes, j’ai relevé la tête et me suis aperçu que tous les trois m’entouraient comme des frères, avec la plus grande des affections.

 

Moi qui avais maladroitement tenté de les accompagner (au cours de mon séjour en ce monde) et leur donner une leçon de vie (aujourd’hui, mon dernier jour parmi eux), c’est eux à présent qui me soutenaient. Allez, me dirent-ils, relève la tête, regarde la vie et garde espoir ! Il faut garder espoir, tu entends ! Toi, qui parcours ce monde, me dirent-ils, depuis déjà tant d’années, tu sais bien que le sens de cette existence ne peut être découvert ici-bas, tu sais bien qu’il nous est impossible, dans notre profonde ignorance, de connaître la signification de notre passage sur terre, mais tu sais aussi, au fond de ton cœur et de ton âme, que nous ne pouvons nous résoudre à croire que la vie est vaine et inutile, que nous ne pouvons nous résoudre à croire que la vie n’est que cette poursuite effrénée de conquêtes stériles auxquelles se livrent la plupart des hommes, que nous ne pouvons nous résoudre à croire que la vie n’est que misères et souffrances, que nous ne pouvons nous résoudre à croire que tout s’arrête lorsque survient la mort, que nous ne pouvons nous résoudre à croire que la vie n’a aucun sens… et tu dois sentir aussi au fond de ton cœur et au plus profond de ton âme qu’existent d’autres réalités, d’autres mondes et d’autres univers qu’il nous appartient d’apprendre à découvrir ici, au fil de cette vie, pour poursuivre notre chemin vers des horizons plus vastes, plus limpides et plus lumineux… Après ces dernières paroles, tous trois se turent. Je les ai remerciés du plus profond de mon être puis leur ai demandé de me laisser seul. Ils se sont levés et ont quitté le café. Je les ai regardés s’éloigner et je me suis senti étrangement heureux. Eux qui ne se connaissaient pas il y a quelques heures à peine avaient réussi à me parler d’une seule et même voix et ils repartaient à présent ensemble comme les meilleurs amis du monde. J’ai compris alors que je pouvais quitter cette terre le cœur tranquille et rassuré. Tous – j’en étais persuadé à présent – sauraient s’accompagner sur leur chemin respectif, apportant aux uns et aux autres le courage et l’amour nécessaires que chaque homme doit donner et recevoir pour poursuivre son chemin vers lui-même.  

 

 

Etrange conversation avec un ange

(…) il n’existe pas de chemin qui nous conduirait hors de nous-même vers quelque chose d’autre, (…) il nous faut traverser la vie avec les aptitudes et les insuffisances qui nous sont propres et strictement personnelles et il nous arrive alors parfois de faire quelque progrès, de réussir quelque chose dont nous étions jusque-là incapables… après cela, la part la plus intime de notre moi ne tend à rien d’autre qu’à se sentir croître et mûrir naturellement. C’est à cette seule condition que l’on peut être en harmonie avec le monde.

H. Hesse, Lettre à un jeune poète

 

Je n’ai aucun goût pour les histoires (je n’en raconte d’ailleurs jamais et n’en lis que très rarement). Toutes se ressemblent si étrangement… que j’ai coutume de dire que « lire une histoire, ou en lire mille (ou même un million) ne nous en apprendrait pas davantage sur nous-mêmes ». Eh oui ! Que voulez-vous ? Je suis comme ça; râleur et grincheux. Non par nature, par nécessité. Oh ! Rassurez-vous ! Il n’en a pas toujours été ainsi ! Autrefois - lorsque j’étais encore de ce monde -, j’étais d’une rare gaieté et d’un grand enthousiasme (hum ! hum ! même s’il m’arrivait, ne le cachons point, de m’évertuer à l’être…). Oui ! Croyez-moi ! J’étais toujours prêt à courir le monde la tête et le cœur joyeux. Mais cette époque est définitivement révolue ! Depuis mon arrivée ici-haut, je n’éprouve plus aucun désir (je n’éprouve d’ailleurs plus rien), excepté peut-être cette folle envie (qui me prend parfois) de vous avertir. « Vous avertir de quoi ? » me demanderez-vous peut-être. Mais n’ayez crainte ! Les avertissements jalonneront cette conversation ! Peut-être trouverez-vous ma démarche étrange ? Peut-être même inhumaine ? Peut-être…. Et vous ne croirez pas si bien penser… Au fil des pages, peut-être trouverez-vous aussi mon attitude inconvenante ? Mais, je vous en prie, gardez-vous bien de me juger ! Avant d’émettre la moindre critique à mon égard, je vous conseillerai de prendre le temps de me connaître ! Et lorsque nous aurons fait plus ample connaissance, alors je vous laisserai me juger à votre aise. Mais mieux vaut vous prévenir dès à présent, sachez que je me contrefoutrai de ce que vous penserez !

 

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Aborder un inconnu est un exercice bien difficile, n’est-ce pas ? C’est même - dirais-je - un exercice périlleux auquel (avouons-le) j’ai toujours eu un mal fou à me prêter… Pourtant, les sujets de conversation ne manquent pas, mais par lequel commencer ? Je ne voudrais surtout pas vous importuner avec des histoires… dont vous n’aurez que faire… (d’autant plus que je ne vous connais pas). Si vous avez pris la peine de m’inviter chez vous, je pense néanmoins que vous êtes - un tant soit peu - disposé à m’écouter. Mais sachez que je ne me livre pas de la sorte au premier venu. Parce qu’à mes yeux, vous êtes le premier venu  (vous pouvez même être n’importe qui) ! Et depuis que je vis là-haut, je rencontre si peu de monde (que dis-je, je ne rencontre jamais personne), que je suis devenu encore plus farouche et plus sauvage qu’autrefois, au temps de mes années terrestres. Aussi est-il bien naturel que je me sente intimidé, fut-ce ici-bas et par n’importe qui. Vous pensez que je suis désagréable ? Eh bien ! Vous avez raison, je le suis. Et après ?

 

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Là-haut, je vis seul. Lorsque je dis seul, je veux dire absolument seul. Sans personne. Ce n’est guère original, j’en conviens. Des tas de gens vivent seuls. Et je connus moi-même, en ce monde, une foultitude de célibataires qui ne s’en portaient pas plus mal. Bien au contraire. D’ailleurs, moi non plus, je ne me plains pas. J’accepte le sort que la Vie m’a réservé. Cette phrase a l’air idiote, mais ne vous y fiez pas ! Cette phrase est bien plus profonde qu’elle n’en a l’air (et à vos heures perdues, je vous conseillerais d’y réfléchir !). Et puis qu’importe ! Après tout, libre à vous de vous y pencher ! Mais je vous en conjure, si vous prenez la peine de méditer cette phrase, faites-le de toute votre âme ! Quant à moi, j’aime la solitude (et ne l’ai-je pas d’ailleurs toujours aimée ?). Elle est sans doute ce que nous avons de plus chère au monde ! Elle nous offre la liberté, et cette liberté nous permet d’être nous-mêmes. Grâce à elle, nous pouvons user à notre guise de notre temps et de nos envies. La solitude offre cette liberté ! Et cette solitude, il nous faut savoir l’assumer. Et sans amertume encore ! Et vous, dîtes-moi, cela vous arrive-t-il de vous sentir seul(e) ? Et puis, non ! Ne me dîtes rien ! Je sais bien que vous vivez seul(e) en ce monde !

 

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Tenez ! Puisque nous parlons de ce monde, j’aimerais savoir s’il vous plaît d’y vivre. Oui, vivre dans ce monde ? Parce que moi, je n’ai jamais pu m’y résoudre (je me demande d’ailleurs comment j’ai pu y passer tant d’années) ! Tout y est si laid ! Les hommes le rendent si laid ! Oui, vous le rendez si laid, vous autres ! Oh ! Ne prenez pas cette remarque pour un blâme personnel ! Je ne voudrais surtout pas vous faire culpabiliser…  (quoique… entre nous, votre culpabilité pourrait être l’amorce d’une prise de conscience…). D’ailleurs, je ne vous accuse pas en particulier ! Vous devez être comme les autres Hommes, n’est-ce pas ? Ni plus ni moins (et croyez-moi ! Je ne vous en veux pas le moins du monde d’être ainsi !). Vous devez certainement avoir vos raisons pour continuer à y vivre, dans ce monde ; peut-être une famille, des enfants, un chien, quelques ami(e)s, sans doute un travail, des responsabilités à assumer, et aussi des obligations sans doute. Et puis vous devez aussi avoir quelques rêves dans un coin de la tête… et l’espérance de les réaliser. Il est bon de rêver, n’est-ce pas ? Il est si doux de penser à nos rêves lorsque tout semble aller de travers dans notre vie. Oh ! Rassurez-vous ! Nous sommes tous pareils ! On s’accroche tous à ce que l’on peut ! On s’agrippe à ce que l’on a sous la main ! Oh ! Je ne vous juge pas ! Je constate, voilà tout ! Vous ne craignez tout de même pas que l’on regarde ensemble ce qui est, n’est-ce pas ? Franchement, il serait stupide de ne pas oser regarder la vérité ! Que craignez-vous ? De voir votre vie avec lucidité ? D’apercevoir votre insignifiance ? Mais que Diable ! Insignifiant, évidemment vous l’êtes ! Et qui que vous soyez encore ! Non ! Non ! Inutile de protester ! Les vagues prouesses que vous avez réussies dans votre vie, les mérites que l’on vous trouve et les compétences que l’on vous attribue ne changeront rien à l’affaire ! De votre vie, ne tirez pas de conclusion trop hâtive ; n’en déduisez pas votre signifiance ! Restez humble ! Que Diable ! Et sachez que toutes vos entreprises n’ont été que de vulgaires frétillements ! Je vous avais prévenu, je suis désagréable !

 

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Peut-être êtes-vous un peu surpris (interloqué même) par cette conversation ? Eh bien ! Tant mieux ! Que grand bien vous fasse ! Et poursuivons, voulez-vous ! Je vis donc seul. Très haut perché, là-haut. J’ai toujours aimé la hauteur, regarder les choses de loin et de haut (oui, surtout de haut). La vue est toujours imprenable. Tout apparaît avec clarté. Loin de la fange des plaines surpeuplées. Oh ! Je ne dis pas cela particulièrement pour vous, bien sûr (mais si, soyons honnête, je le dis tout de même un peu pour vous) ! Ici, le ciel est bleu, l’eau et la terre sont pures. La nature et la vie sont d’une pureté immaculée. Seule, ma présence ici-haut semble une tache dans la pureté des paysages. Mais je fais pourtant mon possible, croyez-le, pour en épargner mon environnement (êtres et choses qui m’entourent). Autrefois, j’étais aussi sale qu’aujourd’hui (et peut-être encore plus sale que vous ne l’êtes), mais cette saleté ne se voyait guère en bas tant tout y est répugnant de crasse. En bas, la merde a toujours suinté de partout. Mais la merde est inodore et invisible dans une décharge, n’est-ce pas ? Elle y est naturelle, à sa place. Et cela vous plaît-il d’y vivre ? Oui, dans cette merde ? Oh ! Vous auriez beau vous en défendre (et même protester), vous n’en vivez pas moins dedans ! Inutile de le nier ! Je dirais même que vous prenez un malsain plaisir à vous y vautrer chaque jour comme un porc dans ses déjections ! Est-ce plaisant, dîtes-moi, de vivre dans toute cette merde ? 

 

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Eh bien ! Oui ! Je ne peux vous cacher que j’ai toujours détesté les villes et ses tours d’immondices ! Que voulez-vous ? Les villes ont toujours été, à mes yeux, d’immenses décharges où s’amoncelle la pourriture des hommes. En ville, tout est sale, repoussant et nauséabond ! L’odeur des foules, le béton des rues, le bruit des voitures, la folle agitation des citadins, les petits deux-pièces misérables des immeubles miteux, les riches appartements des immeubles cossus, les petits pavillons minables des quartiers de banlieue, les grandes barres oppressantes des cités pourries. Tout y est abject. Des caves à cafards aux cages dorées des beaux quartiers, l’air est irrespirable et la vie étouffante. La nature y a perdu sa place, et lorsque, par miracle, il lui arrive encore d’exister, elle se trouve confinée, coincée, encerclée par toutes vos déjections citadines. Dans cet environnement de grisaille désolante, les parcs que les experts en matière d’environnement urbain appellent ptrompeusement (oui ptompeusement, cela veut dire aussi pompeusement que trompeusement, là-haut, nous inventons les mots à notre guise… mais n’ayez crainte, je ne me livrerai pas à ce genre d’exercice devant vous… un, de temps à autre… tout au plus), les parcs - disais-je - que les experts en matière d’environnement urbain appellent des espaces verts ne sont plus que des poumons artificiels (noirs de monde) où viennent respirer des hordes de citadins asphyxiés. Oui, (comme vous peut-être), j’étais de ceux-là. Et chaque jour, j’allais m’extasier de cette beauté épargnée au cœur du tumulte citadin, laissant mon regard se promener sur la noble ramure d’un arbre ou la subtile teinte automnale des feuilles agonisantes, entre une poubelle regorgeant de détritus et un vieux banc vert décrépi scellé dans un abominable béton gris. Oui, j’étais de ceux-là, et pas un seul soir, figurez-vous, je n’ai manqué ma promenade vespérale pour aller respirer ce semblant d’air pur, faussement épargné par l’atmosphère viciée alentour.

 

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Autrefois, j’aimais la vie passionnément. Il m’arrivait même, certains jours, de l’aimer avec une fougue débordante... Comme vous peut-être, n’est-ce pas ? Lorsque votre vie se déroule à merveille, lorsque vos plans aboutissent et vos projets réussissent, lorsque les gens vous aiment, lorsque tout semble vous sourire, alors oui, là, vous aimez la vie ! Vous la trouvez belle ! Vous êtes heureux ! Et pour peu, vous seriez prêt à aimer la terre entière, n’est-ce pas ? Mon dieu, qu’il est bon d’être heureux ! Et qu’est fragile ce petit bonheur ! Voilà un état de grâce bien fugace ! Mais si que Diable ! Le bonheur existe ! Faîtes donc un effort ! Souvenez-vous de vos bonheurs ! N’avez-vous donc jamais été heureux ? Oh ! Comment est-ce possible ? N’avez-vous donc jamais été amoureux ? Mais si ! Rappelez-vous ! … je t’aime, tu m’aimes… on s’aime… enfin… vous savez tous ces amours qui ne durent que le temps d’un soupir… Et d’ailleurs (puisque nous parlons d’amour) savez-vous qui l’on aime vraiment dans l’amour ? Je crains que ma réponse ne vous transperce le cœur. Eh oui ! Bien sûr ! On n’aime pas toujours celle ou celui que l’on croit, n’est-ce pas ? Oh ! Inutile de me chanter votre rengaine sur l’amour qui donne des ailes… Que vous le vouliez ou non (et que vous vous en accommodiez ou non), nous sommes tous de pauvres Icare, qui nous brûlons les ailes à peine envolés. Et après l’envol poussif (et jouissif peut-être…) vient la chute, fulgurante et douloureuse, puis la longue et pénible convalescence jusqu’au prochain envol ! Ah ! Pauvres hommes… qui continueront toujours de croire aux illusoires miracles de l’amour et qui toujours se briseront les ailes, attirés par les lois irréfutables de leur pitoyable gravité terrestre ! Eh bien ! Bon vent, pauvres Icare et que vos chutes soient innombrables et douloureuses ! Non ! Croyez-moi ! Il serait plus sage de vous couper les ailes ! Oui, de vous couper les ailes pour couper court à tout envol… Oui ! Définitivement ! Pour vous guérir du mirage de l’amour ! Gardez donc les pieds sur terre, cela vous évitera de vous rompre le cou à la moindre rafale ! Croyez-moi ! On ne fait pas dépendre impunément son bonheur des autres hommes… De cette prise de conscience naîtra peut-être votre désir d’éloignement. Et vous finirez peut-être (comme votre humble et dévoué serviteur) par vous isoler du monde pour suivre votre chemin de solitude. Oh ! Salvatrice solitude ! Mais avant de vous soumettre à cette bienheureuse solitude, il serait plus sage (pour ne pas me taxer à l’avenir de mauvais conseiller) de répondre à cette question : croyez-vous que votre entourage vous aime pour ce que vous êtes ? Ou ceux qui disent vous aimer n’entretiennent-ils cette relation que dans le seul dessein de profiter de ce que vous leur offrez ?  Oh ! Je n’ose même pas envisager ici vos relations sociales et professionnelles qui se fondent bien entendu sur cet échange mesquin de « détestables procédés ». Non ! J’évoque ici votre proche entourage ; famille, amis, mari, femme, compagne ou compagnon. Ah ! La vie est franchement déconcertante, n’est-ce pas ? Ne nous réserve-t-elle pas de bien déconcertantes surprises ? Allez ! Avouez-le à présent ! Et dites-moi que vous vous sentez aussi seul que moi (et peut-être même davantage…). Oui, je sais, il est bien difficile de l’admettre. Mais il est tellement plus sain d’en prendre conscience et tellement plus simple de ne plus faire dépendre sa joie et son bonheur de son entourage. Non ! Croyez-moi ! Cette lucidité est salvatrice. Et à quoi bon sauver les apparences ? Franchement ? A quoi cela pourrait-il servir ? Et quelle apparence voulez-vous sauver ? Personne n’est dupe dans cette histoire ! Chacun a beau se prêter à ce misérable jeu des apparences pour essayer de se rassurer (et se leurrer), chacun a aussi conscience d’être seul, irrémédiablement seul, quoi qu’il arrive. Inutile donc de vous leurrer. Cela ne changerait guère votre solitude !

 

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Je me suis toujours étonné de cette vie. Pas vous ? J’ai toujours eu mille questions à son sujet. Pourquoi ? Pourquoi ? Oui, je me suis toujours posé mille questions sur la vie sans être en mesure d’obtenir la moindre réponse ! Le miracle de la vie m’a toujours étonné. Ce tourbillon qui vous prend et ne vous lâche plus, cette course folle qui vous attrape et qui s’achève toujours dans la macabre le plus sordide. Cette vie est décidément bien déconcertante… Ne vous a-t-il jamais semblé absurde d’être en vie ? Ah ! Vous ne savez pas… Bon… et si je vous dis que la vie est une énigme ? Là, vous êtes d’accord, n’est-ce pas ? Allez ! Un peu de courage ! Que Diable ! Cela ne vous engage à rien de reconnaître que cette vie est bien énigmatique et bien intrigante ! Peut-être allez-vous me rétorquer qu’il est vain de vouloir résoudre l’énigme. Peut-être avez-vous raison… Je n’en sais rien. Si telle est votre réponse, vous devez sûrement appartenir à cette race d’hommes qui jamais ne pensent à la vie et vivent comme s’ils étaient éternels. Oui, bon nombre d’hommes en ce monde vivent ainsi. Ils vivent et s’occupent. Voilà à quoi se résume leur existence ! Des tas de choses sont d’ailleurs susceptibles de les occuper en cette vie. Oui, tout est en mesure d’occuper les hommes en ce monde  (d’ailleurs, tout n’est-il pas prétexte à s’occuper et à se divertir ici-bas ?) ! Et vous, comment faites-vous ? Oui, comment vous y prenez-vous pour vous occuper à vivre ? Oh ! Je sais ! Inutile de me dresser la liste de vos occupations ! Vous devez être comme les autres. A faire ceci et à entreprendre cela ! Enfin… toujours à trouver de fumeux prétextes pour évincer cette redoutable question de l’existence, n’est-ce pas ? Mais comment vous en vouloir ? Comme vous, j’y ai souscrit et il m’arrive aujourd’hui encore de m’y adonner. Comme si ces occupations (ces vnoccupations, vaines occupations) nous apportaient le repos de l’esprit nécessaire pour ne pas sombrer dans de folles et dangereuses élucubrations ! Mais comme je vous plains de ne jamais penser à la Vie (et à la vôtre en particulier) !

 

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Voilà déjà quelques instants que nous menons cette conversation, évoquant des sujets qui peut-être vous déplaisent (ou pire peut-être, qui ne vous intéressent pas). Peut-être cette conversation vous ennuie-t-elle ? Qu’espériez-vous en tournant ces pages ? Auriez-vous préféré une histoire, une vraie, avec une intrigue et des personnages, des évènements et des rebondissements ? Ah ! Avouez que je ne vous ai pas pris en traître, ne vous avais-je pas prévenu ? Ah ! Je vous en prie ! Epargnez-moi votre couplet sur les passionnantes histoires que vous avez lues dans d’autres livres ! Dans ce genre d’ouvrage, il s’agit tout au plus de passer le temps (et de le perdre un peu aussi) ! Et de ça, il n’en est pas question ici ! Je ne suis pas venu vers vous pour vous faire passer du temps (et moins encore pour vous en faire perdre) ! Quoique, au fond, j’ignore la façon dont vous allez accueillir cette conversation et les éventuelles conséquences qu’elle pourrait avoir sur votre vie… Peut-être n’accorderez-vous guère plus d’importance à cette rencontre qu’à toutes celles que vous avez faites auparavant ? Peut-être même ne daignez-vous partager ces instants avec moi que parce que vous n’avez d’autres vnoccupations ? Et si tel était le cas, il est bien dommage que nous nous soyons rencontrés (et sachez que je le regrette sincèrement) ! J’aurais mille fois préféré m’entretenir avec un être ouvert et disponible, soucieux de lui-même et de l’Autre, prêt à écouter un inconnu susceptible de lui apprendre quelques menues vérités sur lui-même ! Mais que voulez-vous ? Peut-être oublierez-vous notre rencontre aussitôt ce livre refermé ! Et je n’y pourrais rien ! Voyez-vous ! Les hommes sont ainsi. Sous leurs faux airs d’intelligence et de grégarisme, ils n’en demeurent pas moins des êtres foncièrement stupides et égoïstes. Mais sachez que je ne vous contrains nullement à m’écouter. Libre à vous d’en décider ! Je ne serais donc pas vexé si nous reportions à plus tard cette entrevue (lorsque votre cœur et votre conscience vous l’exhorteront). Vous devez sûrement avoir bien des choses à faire en cette vie et je ne vous cache pas que j’avais moi-même bien des occupations lorsque j’étais encore de ce monde. A l’instant, nous prenons simplement le temps de nous parler. Voilà tout ! Comme deux êtres ouverts et curieux de l’autre autant que de nous-mêmes. Nous parlons de moi, de vous et de la vie. Une discussion banale en somme. Oui ! Une discussion absolument comme les autres !

 

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Mais la rencontre entre deux êtres est toujours une chose étrange, n’est-ce pas ?  Comme si une curiosité nous poussait à aller vers l’Autre. Non, je n’évoque pas ici cette curiosité malsaine qui consiste à rencontrer l’autre dans le seul but de connaître la façon dont il vit. Et j’ose espérer que ce n’est pas cette curiosité-là qui vous a mené vers moi (sachez que je trouve cette curiosité foncièrement détestable). Non, je pense plutôt à cette curiosité indissociable de l’espoir d’une découverte de soi dans l’Autre. Oui, je crois que c’est ce type de curiosité qui incite les hommes à aller à la rencontre du monde. Et toute autre motivation me paraît bien accessoire. Le bonheur d’être ensemble, les idées partagées, la complicité, les affinités, toutes ces béquilles à cette volonté d’approfondissement de soi deviennent presque superflues. Non qu’elles soient dénuées d’intérêt et non porteuses de plaisirs, mais je pense simplement qu’elles demeurent secondaires. Et tout secondaires qu’elles me semblent, j’ai conscience que ces béquilles n’en sont pas moins les piliers de toute relation – digne de ce nom s’entend – qui ne pourrait, sans elles, se poursuivre au-delà des premiers échanges. Mais qu’importe ! Après tout, quelles que soient leur nature et les motivations qui les sous-entendent, les relations existent et sont incontournables en ce monde. Là-haut, bien sûr, tout est différent. On y vit seul et on n’y rencontre pas le moindre quidam. Mais rassurez-vous ! On n’en éprouve nul besoin. La solitude y est parfaitement assumée. Nul manque ni le moindre embarras à demeurer seul ! Et de temps à autre, s’il nous arrive de descendre ici-bas, ce n’est non par ennui ou par désœuvrement (comme vous pourriez le croire) mais contraints par la force irrépressible de notre amour pour les hommes. Et en dépit des apparences (oui, comme l’humeur grincheuse que je traîne depuis des lustres ici-haut et ici-bas, et soyons honnêtes, où que j’aille de par le ciel et la terre), c’est par amour des hommes que je suis venu vers vous. A ce sujet, ne me posez pas la moindre question ! Et je vous en prie ! N’insistez pas ! Je ne vous en dirai pas davantage !

 

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Là-haut, tout est différent ! Les choses, le monde, le temps, la vie même est différente. Rien de ce qui existe là-haut n’existe ici. Et pourtant, il n’y a aucune différence entre ce que l’on trouve ici et ce que l’on trouve là-haut. N’est-ce pas étrange ? Laissez-moi vous expliquer ! Pour quelle raison, tout y est identique et semble différent ? C’est très simple ! Là-haut, toute chose prend une résonance si forte que cela change la vie. Là-haut, je parviens même (c’est vous dire) à vivre comme un ermite bienheureux. La vie là-haut n’est pourtant pas une sinécure (pas plus, il est vrai, qu’elle ne l’est ici-bas). Et pourtant, je m’en arrange. Et plutôt bien, me semble-t-il. Tenez, par exemple, là-haut, je parviens à m’émerveiller de la moindre broutille. Un rien suffit à me rendre heureux (si, si, je vous assure). Ici-bas, j’ai beau m’y efforcer, il n’y a rien à faire. Je crache mon venin à la moindre contrariété. Et les contrariétés ne manquent pas en ce monde, vous en conviendrez ? Ainsi, lorsque je vivais encore parmi vous, ma colère et mon angoisse étaient permanentes. Je vivais avec un nœud d’angoisse et de colère qui me ligotait littéralement l’estomac. Je n’ai jamais pu m’en défaire. C’est bien simple ! A l’époque, tout en ce monde n’était (pour moi) que source d’inquiétude et d’irritation ! La moindre peccadille prenait des allures cauchemardesques ! J’ai pourtant tout essayé, croyez-le ! Sans succès ! Le nœud était toujours là, accroché, indénouable. Le jour comme la nuit. Jamais de répit ! Jamais ! J’ai tout connu. Les insomnies, les dépressions, les euphories, les pilules pour dormir, les comprimés pour se détendre, les gélules pour se réveiller ! (j’étais devenu, disons-le, une vraie pharmacie ambulante) ! Ah ! Et le matin ! le matin ! Quelle épreuve ; la nausée, les éructations d’angoisse... Un vrai calvaire. Retrouver la vie et le monde relevait de la gageure. Un incroyable défi. Mais c’est bien fini, tout ça ! Bien fini ! Là-haut, je n’ai plus ni angoisse, ni souci. Tenez, pour vous dire, le mot inquiétude n’appartient plus à mon vocabulaire.  

 

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Oh ! Je sais, ce que je vous raconte-là, d’autres, avant moi, vous l’ont déjà dit. Et vous-même, vous devez sûrement connaître parfaitement toutes ces choses… Il n’y a souvent rien de bien intéressant dans nos pauvres vies, n’est-ce pas ? Tout n’y est qu’éternel recommencement ! La vie tourne… vous savez ce que c’est ! Et nous, pauvres de nous, on se laisse happer par cette course folle ! La folie collective ! Oh ! Rassurez-vous ! Cette folie conserve une apparence bien raisonnable ! Vous le savez d’ailleurs fort bien. Cette course folle n’a rien d’une folie (ne nous la présente-t-on pas d’ailleurs toujours comme une fatalité ?). C’est comme ça, que voulez-vous ? N’avez-vous jamais entendu cette phrase-là ? Moi, si. Toute ma vie, on m’en a rebattu les oreilles. C’est comme ça, que voulez-vous ? C’est comme ça… Eh bien non ! Ce n’est pas toujours comme ça (heureusement). Et vous, acceptez-vous de penser que la vie est toujours comme ça ?

 

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Regardez donc ce qu’est la vie aux yeux du monde ! Regardez donc à quelle existence il vous contraint, ce foutu monde ! Dès le plus jeune âge, on vous embarque dans cette histoire qui n’est pas la vôtre (histoire que vous n’avez d’ailleurs même pas choisie, je vous le rappelle), et vous, vous devez vous taire et accepter. Simplement accepter de faire partie de cet équipage (qu’on appelle l’humanité) sur ce gros navire égaré qu’est notre planète. Non, mais franchement, de qui se moque le monde ? Ensuite, on vous met un cartable sur le dos et on vous pousse à l’école. Les années passent et les contraintes s’enchaînent. Arrivés à l’âge adulte, on vous refourgue un boulot, un logement, des traites à rembourser, des obligations à n’en plus finir, et on vous dit que c’est comme ça. Et finalement, vous vous rendez compte que c’est effectivement comme ça. Comment pourrait-il en être autrement ? Il vous faut bien manger, vous loger, acheter quelques objets de premières nécessités (et plus… si besoin est). Voilà des besoins incontournables, n’est-ce pas ? Et voilà ! La boucle est bouclée. Il faut bien vous rendre à l’évidence, la vie ne nous laisse pas vraiment le choix. Mais ce monde, croyez-le, le restreint plus encore. Et on se rend bien vite compte que choisir un autre chemin est chose impossible. Un rêve absolument inaccessible, n’est-ce pas ? Tenez ! Vous par exemple, combien de fois avez-vous déjà eu envie de tout plaquer pour choisir une autre vie ? Oh ! Et ne me dites pas que vous n’y avez jamais songé ! Nous y avons tous pensé un jour ou l’autre. Mais à combien d’autres nécessités nous aurait-il fallu renoncer ? Oh oui ! Je sais ! Beaucoup ! Beaucoup, indéniablement ! En tout cas, bien trop pour trouver le courage de nous y engager, n’est-ce pas ?

 

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La vie vous semble-t-elle difficile ? Oui, la vie vous semble difficile ! Difficile et belle ! Mais difficile surtout ! Mais n’allez surtout pas imaginer que j’aille vous plaindre ! Regardez donc autour de vous ! N’y a-t-il pas plus malheureux ?!! Mais regardez donc ! Que Diable ! Regardez tous ces malheureux ! Regardez ce monde ! Il faut bien vous rendre à l’évidence, certains sont plus à plaindre que vous ! Oh ! Moi, je ne plains personne. La vie est ce qu’elle est. Et personne n’est épargné. La souffrance, la maladie, la mort arrivent tôt ou tard (qui qu’on soit et quoi qu’on fasse). Rien ne sert de vous en prémunir. La forteresse sera un jour assiégée. Ce qu’on appelle les malheurs tombent de temps à autre, n’est-il pas vrai ? Et vous n’êtes pas en reste, n’est-ce pas ?

 

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Depuis le début de cette conversation, nous parlons de choses bien affligeantes. Mes propos ne vous semblent-ils pas d’une affligeante trivialité ? Oh ! Ne me dites pas non ! J’en ai conscience : notre conversation est affligeante de trivialité ! Mais cette trivialité, n’est-elle pas notre lot à tous ? Regardez donc votre vie, et vous vous apercevrez ! Votre vie et mes propos ne sont pas différents. L’évasion est ailleurs. Ici, il n’y a que l’ennui. Vous, qui vivez encore parmi les vivants, ne vous ennuyez-vous jamais ? Ah ? Vous êtes toujours occupé... ? Ah ! Comme je vous plains de l’être ! Autrefois, je l’étais moi aussi… lorsque je travaillais (vous ne doutez tout de même pas que j’ai pu travailler ?) Oh ! Rassurez-vous, il y a bien des années… (et aujourd’hui, il y a prescription). J’ai même occupé toutes sortes d’emplois, des postes subalternes, des postes prestigieux, des postes sous-qualifiés, des postes à responsabilités, enfin toutes sortes de postes qui n’avaient d’ailleurs, à mes yeux, aucune différence. Tous étaient aussi idiots et inutiles. J’ai travaillé pour le compte des autres et pour mon propre compte. Ici, ailleurs et un peu partout. Et l’expérience ne fut guère concluante (c’est le moins que l’on puisse dire). Là-haut, non, je ne travaille pas. Jamais. Cette obligation m’est épargnée. Je vis, voilà tout (ce qui n’est déjà pas si mal, entre nous !). Je vaque (ici et là) à ce qui me plaît, passant d’une activité à l’autre, à ma convenance. Mais comment pourrait-on qualifier de travail ce genre d’activité (est-ce que vivre est un travail ?). Non ! Croyez-moi, c’est une grande joie que de pouvoir se consacrer (en toute liberté) à ce qui nous appelle ! Jamais rien ne nous est imposé. Et qui le ferait d’ailleurs ? Personne ne dépend de moi, je ne dépends de personne. C’est un choix (le mien). Et rassurez-vous, je l’assume parfaitement. Comment vous expliquer ce bonheur ? Imaginez un espace de liberté, vierge de tous principes et de toutes contraintes. Imaginez un lieu de paix, une vaste étendue dénudée avec quelques forêts alentour, le bruit de la rivière, le bruissement du vent dans les arbres, le chant des oiseaux. Oui… cette description doit vous sembler un peu mièvre, trop bucolique peut-être pour être vrai. Et pourtant… c’est ainsi, je vous assure. Là-haut, il n’y a pas âme humaine. Rien que des êtres qui vivent en parfaite harmonie (une harmonie parfois cruelle, il est vrai, mais toujours juste (selon les mérites et les manques de chacun)). Là-haut, je ne fais pour ainsi dire rien de la journée. Je m’amuse beaucoup et toujours follement. A entreprendre ci et à découvrir cela. Et toujours dans la joie et la bonne humeur. J’ai bien conservé quelques douloureuses habitudes de ma vie passée (qui, il est vrai, m’incommodent parfois). Mais là-haut, au contact de cette bienheureuse sérénité, je les sens perdre, chaque jour, un peu de leur force. Depuis combien de temps suis-je là-haut ? Je n’en sais rien. Je vous l’ai dit, le temps est différent là-haut. Le temps se déroule autrement. Chaque être et chaque chose vivent à leur rythme. Il n’y a ni course, ni compétition. Il n’y a que le plaisir d’être et le bonheur de vivre.

 

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Mais je m’aperçois que je vous en livre bien plus que je ne le souhaiterais sur ce petit coin de paradis. Aussi, me faut-il me taire à présent. Il ne servirait à rien de vous en dire plus que de raison (à trop vous en dire, je crains que vous n’abrégiez votre séjour ici-bas pour vous précipiter là-haut - ce qui serait, croyez-le, une belle hérésie). Aussi parlons plutôt de vous. Je vous connais si mal. Ainsi, j’ignore votre âge, par exemple. J’ignore tout de vous et de votre vie. Quelle est-elle ? Est-elle heureuse… ? Malheureuse… ? Facile… ? Difficile… ? Qu’importe, à dire vrai ! L’important est que vous vous y sentiez à l’aise, n’est-ce pas ? Est-ce le cas ? Pas toujours, je le crains. Avez-vous des regrets ? Etes-vous rongé par quelques remords ? Avez-vous manqué certaines choses qui vous semblaient importantes ? Et toutes ces choses que vous avez entreprises par le passé et toutes celles que vous entreprenez encore aujourd’hui, ont-elles tant d’importance à vos yeux ? Oh ! Je m’aperçois que je papillonne ! Mais comment m’y prendre ? Je souhaiterais tant ébranler vos certitudes, secouer votre vie, vous exhorter à réfléchir pour enfin vivre ce que vous avez à vivre… Bon ! Puisque je vois que vous avez les pires difficultés à vous confier…. Je n’insiste pas… Parlons d’autre chose... Et si nous parlions de la mort ? Qu’en pensez-vous ?!! Voilà un sujet intéressant, n’est-ce pas ? Vous savez, depuis que je vis ici, je n’ai plus peur de la mort. (Non ! Non ! N’allez surtout pas imaginer que j’aille vous livrer ici le secret de la mort. D’ailleurs, vous seriez bien déçu, car, à l’heure où je vous parle, j’ignore toujours ce qu’elle est…). Mais je ne la crains plus (ce qui n’est déjà pas si mal). J’y pense même chaque jour (non ! non ! la mort ne m’obsède en rien, mais j’y pense, voilà tout !). Lorsque j’étais encore de ce monde, j’en avais une frousse bleue. Oui, comme bon nombre d’entre-vous, j’avais peur de perdre la vie. Je m’y accrochais comme un forcené. Mon existence n’était pourtant ni merveilleuse, ni très exaltante, mais c’était-là ma seule richesse. J’avais même si peur de perdre la vie que je pensais sans cesse à mon avenir, à ce que j’allais devenir. Je m’imaginais devenir ci ou ça (et qu’importe !). Je passais mon temps à prévoir, à calculer, à anticiper. Bref, j’avais toujours en tête mille projets et autant de moyens pour les réaliser tous. J’élaborais des stratégies, envisageais toutes les possibilités pour parvenir à mes fins. Oh ! Ces plans occupaient entièrement ma vie ! D’ailleurs, n’est-ce pas là une attitude naturelle, un comportement que vous-même peut-être adoptez ? Est-il utile de vous préciser que toutes ces anticipations s’avéraient toujours bien différentes de ce qui se passait en réalité ? Oui, si bien qu’au fil des années, ce décalage perpétuel a nourri mon angoisse jusqu’au jour où je n’ai plus osé entreprendre la moindre chose ni m’engager dans le moindre projet (tant j’avais peur de m égarer dans les égrances de la Vielesaigres errances de la vie, si vous préférez))...  

 

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Peut-être trouvez-vous mes histoires ennuyeuses ? Soit ! Si tel est le cas… parlons d’autre chose ! Voulez-vous parler du temps qu’il fait aujourd’hui, des prévisions météorologiques annoncées pour demain ? (peut-être êtes-vous de ces Hommes qui, chaque jour, regardent anxieusement les prévisions, conjecturant avec angoisse sur leur tenue vestimentaire du lendemain ?). A moins que vous ne préfériez parler de la faim dans le monde, du dernier fait divers, des récentes ou futures magouilles politiques, du progrès technique, des avancées de la science, des affaires du monde ? Dites-le moi et nous le ferons. Vous n’avez qu’un mot à dire… Depuis combien de temps ne me suis-je pas tenu informé des actualités ? Un sacré bon bout de temps, une éternité peut-être (là-haut, je vous rappelle que nous ne possédons aucun moyen de communication, excepté la parole bien sûr. Voilà un média archaïque, n’est-ce pas ? Oui et alors ! Me suis-je trompé sur les évènements qui font l’actualité de ce monde ? Non, bien sûr ! Comment pourrais-je me tromper ? Depuis que le monde est monde, les évènements se répètent inlassablement. Toujours, et toujours… les mêmes faits, les mêmes gestes, les mêmes propos, les mêmes atrocités… je n’ai donc aucun mérite à deviner ce qui se passe ici-bas…    

 

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Sachez qu’autrefois, les affaires du monde avaient pour moi une grande importance. Je me tenais informé du moindre fait d’actualité (l’actualité n’avait d’ailleurs aucun secret pour moi). J’étais au courant du moindre événement. Puis la valse du monde m’a donné le tournis. Je me suis lassé et suis parti. Le monde a continué de tourner sans moi. Oh ! N’y voyez-là rien d’étrange ni de pathétique ! J’ai simplement éprouvé le besoin de m’éloigner de cette agitation tourbillonnante. Aujourd’hui, les danseurs ont changé, mais la danse se poursuit ! Aussi triste, aussi déconcertante, et aussi macabre qu’autrefois. Aussi, à quoi bon s’informer des affaires du monde ? D’ailleurs, ont-elles quelque importance dans votre vie ? Non… eh bien… pour quelles raisons éprouvez-vous le besoin de vous en informer ? Avez-vous peur de n’être plus à la page ? D’être montré du doigt parce qu’incapable d’émettre l’opinion communément véhiculée sur l’actualité du moment ? Oh ! Que vous êtes superficiel(le) et couard(e), mon ami(e) ! En quoi ces faits vous concernent-ils ? Auront-ils une quelconque incidence sur votre existence ? Permettez-moi d’en douter !

 

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Eh oui ! Comment vous cacher ma haine de la pensée commune (cette pensée unique prônée un peu partout) ! Ne voyez-vous pas qu’elle vous envahit, cette fausse vérité ! Ne voyez-vous pas qu’elle ne cesse de vous grignoter un peu plus chaque jour ? De tel sujet, on nous exhorte de penser ci, de tel autre, de penser ça ! Mais quand Diable nous laissera-t-on (vous laissera-t-on serait plus juste) penser en toute liberté ? Et puisqu’il est de bon ton de penser ceci de cela, je suis prêt à parier que vous ne vous risqueriez pas à penser d’une façon différente de celle du monde… Et cette attitude, croyez-le, est bien regrettable ! Et en premier lieu, pour vous-même. Non ! Croyez-moi ! L’uniformisation de la pensée est un vampire malfaisant qui grignote un peu plus chaque jour votre liberté. Et ne me dites pas non ! Cela ne serait inutile (comment pourriez-vous me tromper ?) ! Vous êtes comme les autres Hommes ! Vous croyez être ouvert, critique, plus enclin à réfléchir que votre voisin. Mais non ! Bien sûr que non ! Vous êtes un être étriqué (aussi étriqué que les autres et aussi étriqué que je pus l’être moi-même). Oh ! Si aujourd’hui, mon étroitesse d’esprit s’est élargie, n’allez pas en conclure que j’en tire quelque prétention (cette transformation, croyez-le, a été bien involontaire !). Lorsque nous nous connaîtrons davantage, vous pourrez en juger (par vous-même) !

 

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Beaucoup de choses m’agacent ici-bas. Peut-être vous en êtes-vous aperçu ? Oui, le monde m’agace, bien sûr… Comment pourrait-il en être autrement ? Tous ces hommes qui courent partout sans savoir après quoi ils courent… C’est inouï, complètement absurde et insensé ! Mais que Diable, pourquoi courent-ils ainsi ? Le savez-vous ? Que cherchent-ils ? L’argent ? La gloire ? La réussite ? Le sexe ? La reconnaissance ? La normalité ? Il y a tant de choses ici-bas qui font courir les hommes… Oh ! Je ne les juge pas, je m’interroge. Oh ! Après tout, toutes ces histoires n’ont guère d’importance... Comme vous pouvez le voir, il m’arrive parfois de descendre de mon nuage. (Rarement, il est vrai, mais cela se produit de temps à autre, et aujourd’hui je vous rappelle que vous bénéficiez de cette aubaine). Eh bien, la première chose que je remarque au cours de ces visites en ce monde est cette agitation fébrile et désordonnée (oui, à chaque fois, j’ai le sentiment d’atterrir dans un immense tourbillon). Mais n’en parlons plus ! Je dois peut-être vous tourner la tête avec mes explications ! Pourtant, vous savez, vous parler de cette agitation est chose importante (essentielle même, dirais-je) à votre prise de conscience. J’en veux pour preuve le dépaysement qui risquerait de chambouler vos habitudes lorsque vous arriverez là-haut. Moi-même, lorsque j’ai quitté ce monde, il m’arrivait souvent d’y songer, oui à toute cette agitation d’en bas (et pour peu, figurez-vous, elle m’aurait presque manqué). Tout ce calme là-haut était vraiment effrayant. Oui, comme beaucoup, je m’étais beaucoup agité en cette vie en brassant du vent (ce qui me donnait l’illusion d’être actif et d’avancer). Alors, à mes débuts là-haut, toute cette immobilité m’angoissait. Puis le temps est passé… et le temps passant, j’ai  compris que, seule, cette immobilité était vraiment en mesure de nous faire avancer. Notez que je ne vous en veux pas personnellement de continuer à brasser du vent en ayant l’illusion d’avancer (je me contente de vous prévenir). Aujourd’hui, vous êtes certainement comme tout le monde à frétiller bêtement, à courir ici et là, à vous débattre pour vivre et peut-être pensez-vous que cette attitude est naturelle et absolument pas préjudiciable à l’humanité. Oui, peut-être vous demandez-vous même quel mal y a-t-il à s’agiter ainsi ? Oh ! Rassurez-vous ! Il n’y a aucun mal… excepté que vos ébats frétillants alimentent la triste ronde de ce monde ! Et que l’addition des frétillements est devenu un tourbillon si infernal (qui ne cesse chaque jour de grossir, de grossir…) qu’il happe tout sur son passage, hommes et choses. Et cette furie (que dis-je cette tempête, cet ouragan) cyclonique prend un malin (et diabolique) plaisir à balayer tous ceux qui ne sont plus capables de courir assez vite. Combien de moribond meurtris (anéantis par ses rafales cinglantes) compte ce monde ? Le savez-vous ? Non ? Oh ! Ne craignez rien ! Vous le saurez bientôt ! Croyez-moi ! Vous ne serez pas en reste ! Tôt ou tard, oui, un jour ou l’autre, vous vous retrouverez à votre tour balayé et agonisant sur le bord de la route. Voilà un triste parcours et une fin de voyage bien tragique, n’est-ce pas ? Mais que pouvons-nous y faire ? Le monde est ainsi… Et je suis certain que vous vous sentez aussi impuissant à échapper à ce tourbillon qu’à éviter d’en alimenter la violence. Et pourtant… autant que les autres, vous avez votre part de responsabilité ! Réfléchissez-y ! Vous verrez !

 

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Autrefois (il y a bien longtemps, lorsque j’étais encore un pauvre diable parcourant le monde), comme vous, je pensais que la vie était une lutte et le monde une jungle terrifiante. C’était-là un sentiment naturel et instinctif. Force, d’ailleurs, était de le constater un peu partout en ce monde. Et depuis, rien n’a changé. Aujourd’hui (comme autrefois), chaque homme, continue de livrer une lutte sans merci, un combat impitoyable contre le reste du monde. Chacun souhaite sauver sa peau, gagner sa place (et la meilleure si possible). Mais comment vous en vouloir ? Le monde, très tôt, vous incite à revêtir l’armure du guerrier et à adopter l’attitude du combattant (brave et valeureux, mais non sans reproche). Et très vite, la lutte s’impose à vous comme une évidence, une donnée réelle et incontournable. Il faut vous battre, vous dit le monde. Alors, vous vous battez. A l’école, au bureau, au supermarché, en famille, en réunion, partout, vous vous battez. Les civilités et les aménités qui régissent vos rapports ne changent rien à l’âpreté de vos combats. Que peuvent quelques courbettes et quelques formules de politesse face à la violence réelle des relations que vous entretenez avec le monde ? Elles n’épargnent ni les coups, ni la souffrance… Et si vous désirez que j’étaye mon argumentation, allons-y ! Les exemples ne manquent pas. Tenez ! Prenons, le licenciement (un cas, somme toute, anodin à notre époque)! Voilà la forme : « Bonjour, monsieur Machin, je vous prie de croire que nous sommes profondément désolés de vous mettre sur la touche ». Mais qu’importe la forme, le résultat est là, criant, pathétique. Et voilà pour le fond : « Casse-toi, tu n’es plus bon à rien, casse-toi, on te dit ! Un autre vaut mieux que toi, il a fait ses preuves dans cet impitoyable univers ». N’est-ce pas drôle ? Oui, drôle ? Cette façon de se servir des autres à ses propres fins ? Ce monde où chacun s’échine à lutter et à combattre pour gagner ? Ce monde où chacun s’évertue à défendre ses intérêts ? Ce monde où chacun, au bout du compte, finit par perdre la partie. Oui ! Croyez-moi ! Chacun, en ce monde, participe au système qui finira un jour par l’écraser. Chacun alimente le monstre qui finira un jour par l’avaler ou le broyer. Personne, je vous assure, personne, n’a rien à gagner dans ce maudit système, même celui qui croit s’imposer en éternel vainqueur ! Vainqueur… quel mot détestable (si misérable et si trompeur) ! Ce mot, croyez-le, n’a aucun sens et l’image toute faite qu’on lui accole ne signifie rien. Combien d’efforts inutiles et douloureux, de sueur, de larmes et de sang pour une si pitoyable victoire ? Combien de renoncements et de sacrifices ? Non ! Croyez-moi ! Tous les hommes pâtissent de ce système où chacun se jette avec âpreté en croyant à ses chances. Non ! (et je vous exhorte de me croire), la vie n’est pas cette lutte et le monde n’est pas cette jungle ! Le combat que vous menez est inutile et absurde, il ne vous mènera qu’au drame et à la souffrance. Ayez confiance ! Cela fait longtemps que je regarde le pitoyable spectacle des hommes. Et moi-même, (en mon temps), j’y ai participé. Et quelle douleur fût-ce pour moi ! Croyez-le ! Piétiner et se faire piétiner, quel gâchis ! Oui, comme vous, moi aussi, j’ai été homme. Et je ne suis pas sans savoir qu’il est bien difficile de ne pas entrer dans ce funeste jeu de massacre tant on craint d’être piétiné sans pouvoir le faire à son tour. Et pourtant, là-haut, (je vous conjure de me croire) il n’y a ni lutte, ni affrontement. Jamais. Et personne n’est écrasé. Là-haut ne règne que l’Amour. Non, comme ici-bas, l’amour fallacieux qui se déguise en égoïsme mesquin et en altruisme intéressé…mais l’Amour véritable… le pur Amour… Aussi, à quoi sert-il de vous battre ici-bas ? Croyez-le, chacun a sa place en ce monde et aura sa place là-haut

 

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Vous devez penser que je n’ai jamais beaucoup aimé les hommes, n’est-ce pas ? Eh bien ! Détrompez-vous ! Je les ai beaucoup aimés. Avec détermination et naïveté… En chaque homme, je voyais la beauté et la bonté. En chaque homme, je voyais un trésor. Et je les imaginais tous, bons, francs, généreux, honnêtes et le cœur débordant d’Amour. Avec eux, je voulais découvrir la fraternité (oui, découvrir ce sentiment ensemble, comme des frères). Et si vous saviez comme j’aimais aller à leur rencontre (même si, il est vrai, les hommes m’ont toujours un peu effrayé). J’avais un cœur pur. Oui… Aussi, au cours de ma vie passée en ce monde, ai-je rencontré beaucoup d’hommes, de toutes sortes… et avec eux, ai parcouru un bout de chemin…. Chaque rencontre était pour moi une joie immense. Et si vous saviez avec quel zèle et quelle énergie je m’investissais dans chacune d’elles ! Ah ! Que ces sentiments étaient louables ! Tant d’Amour à donner ! Quel rêveur étais-je… Tous ont profité de mes largesses avec une ingratitude détestable. Qu’espéraient-ils ? Que je continue à me saigner éternellement aux quatre veines pour panser leurs plaies ? Ah ! Les égoïstes ! Les ingrats ! Les indifférents ! Etaient-ils donc les seuls à souffrir ? Et moi, bon Dieu !!! Et moi, et moi… devais-je continuer à enfouir mes envies et mes désirs, à taire mes souffrances et mes frustrations, à continuer d’épouser leurs misères et leurs combats sans espérance de reconnaissance ! Jamais aucun ne m’a donné le moindre signe de réconfort (Oui ! Croyez-le ! Pas le moindre geste ni le moindre remerciement), moi qui ai pourtant passé ma vie à tenter de soulager leurs misères ! Merde ! Merde ! Et merde !!! Que les hommes aillent se faire foutre !!! Non ! Rassurez-vous ! Je n’ai pas osé blâmer l’humanité de la sorte ! Ma réaction a été moins véhémente ! Mon éloignement du monde s’est fait progressivement, sans heurt ni violence (excepté celle que je me portais à moi-même). Je me suis simplement désintéressé des hommes et du monde. Nos rencontres se sont espacées puis, un jour, elles se sont arrêtées. Oui ! Définitivement. Je me suis retrouvé seul. Oui, seul. Enfin seul ! Une révélation ! Sans avoir à m’occuper d’autres que de moi-même ! J’avais enfin du temps et de l’énergie à me consacrer ! Une aubaine ! Et, croyez-le, je n’ai pas rechigné à m’occuper de mon sort. Voilà comment est née ma solitude ! De cette simple déception, de ce rêve idéaliste que je n’ai pu atteindre, de cette douce et dangereuse utopie de vivre en fraternité avec les hommes ! Voyez, je n’ai pas toujours été cet égoïste invétéré ! Mais, aujourd’hui, croyez-le, je ne regrette rien. Je pense que les hommes ne méritent pas que l’on se penche sur leurs souffrances, ils sont vraiment trop bêtes, trop méchants, trop indifférents et trop égoïstes. Que voulez-vous ? Ainsi sont les hommes ! C’est bien regrettable ! Mais que pouvons-nous y faire ? Et puis, croyez-moi, en dépit de leurs détestables caractéristiques, les hommes sont bien plus à plaindre qu’à blâmer !

 

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Vous savez, là-haut, aujourd’hui j’existe (et vous ne pouvez imaginer à quel point ce sentiment procure de joie…). Ici-bas, exister m’était et est, je crois, chose impossible. Les hommes utilisent ce mot de façon si impropre (tant ils en galvaudent le sens) qu’ils sont bien incapables d’exister… tout au plus vivent-ils (que dis-je ?), tout au plus tentent-ils - tant bien que mal - de survivre... Autrefois (lorsque j’étais encore de ce monde), il m’arrivait pourtant de ressentir ce sentiment d’existence (oui ! ce merveilleux sentiment de se sentir exister). A de rares occasions, il est vrai. Le plus souvent, je ressentais un sentiment d’inexistence (oui, se sentir inexisté), une sorte d’ennui généralisé, un sentiment de total désœuvrement existentiel. Cela ne vous arrive-t-il jamais ? Non ??? Tiens… Voilà qui est étonnant ! Je vous en prie ! Que Diable ! Soyez honnête ! Laissez-vous aller à me dire la vérité ! Ne sommes-nous pas à présent suffisamment intimes pour m’ouvrir votre cœur en toute confiance ?  Allez ! Je vous en prie ! Faites un effort ! Laissez-vous aller à me dire la vérité (que vous prenez soin, j’en suis persuadé, d’enfermer au plus profond de vous-même !). Tenez ! Pour vous prouver que je suis à votre égard une bonne âme, je vais vous aider à vous libérer de vos chaînes ! Et tentons ensemble un petit exercice de la mémoire ! Essayez de vous souvenir (ou d’imaginer si cette occasion ne vous a jamais été donnée… j’en doute…. mais qui sait… ?), essayez donc de vous souvenir - disais-je - d’une journée où vous n’aviez plus rien à faire, où vous aviez achevé tout ce que vous aviez à faire ! Bon… à présent essayons de revivre ces instants ! Vous êtes seul, chez vous (la nuit ne va pas tarder… au dehors, les réverbères commencent à s’allumer… voilà pour l’atmosphère !). Autour de vous, tout est en ordre. Tout est à sa place, impeccable. Vous prenez alors conscience que vous n’avez plus rien à faire. Votre entourage (si tant est que vous en ayez un) n’est pas encore rentré. Personne n’est présent pour vous distraire de vous-même et de cet ennui qui commence à vous gagner. Fichtre ! Pensez-vous, voilà qui est bien ennuyeux ! Vous tournez un instant dans votre appartement pour trouver une broutille à faire (histoire de gagner quelques minutes sur votre désœuvrement). Vous vous y attelez, puis, la chose achevée, vous en cherchez une autre qui pourrait vous occuper en attendant l’arrivée de votre entourage (tant de petites choses peuvent vous occuper… vous faire passer le temps). Mais vous n’en trouvez aucune, alors vous vous asseyez en cherchant en vain à quoi vous pourriez occuper votre temps. Les minutes passent sans que vous ayez la moindre idée de la façon de passer celles qui vont suivre. L’ennui se fait alors plus prégnant et plus lourd ! Et soudain, blam ! Le grand vide vous tombe dessus ! Vous vous sentez alors incroyablement vide (vous êtes le vide même, votre vie vous semble dénuée d’intérêt et totalement inutile). Oh ! Ne me dites pas que vous n’avez jamais connu ces instants ? Certes, ils sont douloureux ! Mais nul ne peut y échapper (si ce n’est par une fuite stérile ou un refus de lucidité). Il n’y a rien à faire ! Il n’y a rien d’autre que ce grand vide qui vous a envahi ! Rien d’autre ! Et c’est terrible !

 

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N’est-ce pas là un sentiment terrible ? Mais, au fond, ne pensez-vous pas que ce vide soit notre réalité à tous ? Ne croyez-vous pas que tout le reste - tout ce que nous faisons et entreprenons en cette vie -  ne sont que de misérables moyens (plus ou moins subtiles) de dissimuler ce grand vide ? Regardez donc votre vie ! Toutes ces occupations et ces distractions qui vous accaparent, sont-elles si importantes à vos yeux ? Ou ne sont-elles en définitive que de vulgaires subterfuges pour vous soustraire à l’ennui et échapper à ce grand vide ? Ne vous a-t-il jamais été donné de ressentir à quel point nous sommes enclins à nous leurrer ? Réfléchissez ! Au fond, à quoi passez-vous votre vie, sinon à vous occuper ? Et lorsque vous ne l’êtes pas, que ressentez-vous, sinon ce grand vide ? Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive d’observer la vaine (et frénétique) agitation des hommes (au cours de mes fugaces séjours ici-bas), je me surprends à ressentir pour eux une immense (et surprenante) compassion. Tous s’évertuent tant à fuir ce grand vide qu’ils ne veulent voir... en s’agitant et en frétillant si fébrilement, prêts à entreprendre n’importe quelle niaiserie plutôt que subir ce vide si douloureux… qu’il m’est impossible de ne pas prendre pitié… Oh ! Toute cette agitation humaine est bien facile à comprendre ! Une fuite, une simple fuite ! A présent, permettez-moi un conseil ! Ainsi, un jour où il vous sera donné de prendre quelques distances avec l’agitation du monde, regardez donc les hommes se démener en prenant leurs grands airs de personnes occupées ! Regardez-les croire en ce qu’ils font et à l’importance de leurs entreprises ! Et promettez-moi de ne pas vous moquer (mais de prendre pitié) ! Toute cette agitation a une si grande importance à leurs yeux ! Oui, une telle importance pour oublier ce grand vide ! Et pour le reste… je vous en laisse seul juge… 

 

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Mais parfois, la vie est belle, n’est-ce pas ? Tenez ! Si belle qu’elle me ferait presque regretter de ne plus être de ce monde. L’existence est un si étrange et si merveilleux chemin qui sait, mieux que personne, n’est-ce pas ? nous révéler à nous-mêmes… On y découvre tant de choses merveilleuses… On y vit tant d’expériences et d’évènements surprenants. Ah ! Qu’il est fabuleux de traverser cette vie et de s’enrichir du monde et des rencontres que nous y faisons ! A moins que vous ne meniez une existence trop tranquille ? Dans ce cas, peut-être votre perception est-elle différente ? Peut-être ne considérez-vous votre vie que comme une routine, un train-train, une vieille habitude sans surprise ? Oh ! Autant que vous, j’ai connu ce sentiment ! Dans cette vie routinière, on s’y sent parfois étrangement à l’aise, rassuré, en sécurité. Et puis, d’autres fois, cette vie nous est insupportable ! On y étouffe, on s’y sent prisonnier ! Et on n’aspire qu’à s’évader de cette prison trop sécurisante, abattre les murs et courir, courir, courir jusqu’au bout du monde, derrière l’horizon qui se dérobe. Mais en vérité, croyez-le, toute vie est supportable lorsque l’espérance nous accompagne. Malgré la routine, les difficultés, malgré le grand vide (qui parfois nous envahit) et le mal de vivre, on peut continuer d’espérer. Et c’est cet espoir qui nous sauve… comme si rêver nous maintenait en vie. Il y a, je crois, peu de chose plus exaltante (en cette vie et en ce monde) que d’imaginer que tout est possible, que l’on peut choisir sa vie parmi l’éventail des existences qui s’offre à nous. Ce sentiment d’infini est merveilleux. En ces instants, tout n’est qu’espérance (car tout peut arriver). Je sais que certains hommes préfèrent mener une vie tranquille et immobile (figée pour tout dire). A leurs yeux, rien n’est plus dangereux que de s’aventurer en territoire inconnu, de partir à la découverte d’horizons nouveaux, d’explorer la vie et le monde au-delà de leur territoire. L’idée même de voyage leur semble effrayante tant ils craignent de perdre leur repères, leurs certitudes, et (plus que tout peut-être) de se perdre en s’éloignant d’eux-mêmes (ou de ce qu’ils croient être…)… Aussi sont-ils prêts à tous les sacrifices, toutes les lâchetés et tous les compromis plutôt que vivre la peur et les errances du voyageur (mais aussi ses joies et ses découvertes). Ces hommes vivent barricadés derrière les remparts de leur monde clos, se protégeant de tout, de rien, de la Vie et d’eux-mêmes. Ces hommes ne savent plus rêver. Ou alors raisonnablement, ou alors médiocrement. Leur espoir se cantonne aux possibles réalisables. Ces hommes n’ont que des songes accessibles. Comme je les plains. Ces hommes ne sont plus vivants, ils appartiennent déjà au monde des morts, à jamais enterrés dans leur vie étroite et leurs certitudes fallacieuses. Et si par hasard (par un malencontreux hasard), vous vous sentez proche de ce portrait de macchabée sans âme, je vous exhorte de sortir de votre tombe. Oui ! Que Diable ! Sortez ! Osez franchir (ou briser selon vos goûts et vos dispositions naturelles) les barrières de vos confinantes et oppressantes certitudes ! Osez vivre, que Diable ! Oui, osez vivre votre vie ! Osez vivre la Vie ! Osez donc vivre cette vie qui vous a été donnée ! Osez avancer vers vous-même ! Et osez aller au-delà de vous-même ! Allez au plus profond, au plus loin ! Osez ! Et n’ayez crainte de la solitude, de l’angoisse et des souffrances rencontrées sur le chemin ! Ne rejetez pas votre pourriture ! Ne rejetez pas celle du monde ! Elles aussi, appartiennent à la Vie ! Et je vous en conjure, ne laissez pas la Vie endurcir votre cœur (je ne connais que trop les impasses où cet endurcissement peut vous mener…). Accueillez la Vie (ses merveilles et ses pourritures) de toute votre âme, et vous bâtirez un empire de joie et de paix offert aux quatre vents du monde ! Quel que soit votre passé, ne regrettez rien ! Quelle que soit votre vie, vivez-la ! Il n’est jamais trop tard pour vivre ! Vous m’entendez ! Jamais ! Alors heureuse et longue vie… et bon vent, étrange passager de cette vie ! Je dois à présent m’en retourner là-haut ! Mais ne craignez rien ! Je reviendrai ! Et nous nous reverrons, soyez-en sûr ! Et en attendant, sachez que je serai toujours là quelque part, auprès de vous… toujours… pour continuer à veiller sur votre vie… et pour vous guider au plus proche de vous-même…

 

Adieu l’ami…et à bientôt… (peut-être…)

 

14 novembre 2017

Carnet n°4 Le marionnettiste

Fiction / 2000 / La quête de sens

Je range mon scooter sous le petit appentis et je m'engouffre dans le long couloir du foyer. Je ne vois personne. Je marche d'un pas rapide vers ma chambre. Je suis fatigué. Fatigué de tout, de ma journée, de ma vie, des gens qu'il faut supporter. J'en veux à la terre entière. J'en veux à Dieu, au destin, aux hommes, à ce monde qui m’oblige à marcher l'échine courbée. Je voudrais être seul. Je voudrais que le temps s'arrête. Je voudrais croire en un monde moins cruel. Je voudrais vivre sans me sentir agressé par la bêtise et la méchanceté. Je voudrais être ailleurs.

 

 

Qu’arrive-t-il lorsqu’un personnage de fiction, narrateur de roman un peu rêveur et empreint de liberté tente d’échapper à la plume de son auteur, jeune misanthrope maniaco-dépressif, apathique et déprimé, vivant en foyer psychiatrique, marionnettiste et peintre amateur, employé occasionnel dans un chenil et écrivain médiocre de surcroît qui se confond avec son personnage en s’inspirant de sa misérable existence pour faire avancer son histoire ? Récit où s’entremêlent le rêve et la réalité, l’univers non-sensique du burlesque et du délire absurde et celui plus affligeant de l’ennuyeuse et désolante misère humaine. Mais nul n’échappe ainsi au destin qu’il a l’illusion d’écrire…

 

… avec Pascal Virage dans le rôle de l’auteur et Docpsi dans celui du personnage-narrateur ;

… avec le docteur Flap dans le rôle du psychiatre, une grande blondasse d’infirmière dans le rôle de l’infirmière-chef, avec Elodie dans celui de la gentille infirmière (un peu amoureuse) sans compter l’aimable participation du reste du personnel du foyer psychiatrique ;

… avec tous les amis réels ou imaginaires de Pascal et Docpsi.

Suzie (la compagne) ;

Lucien (l’ami toujours prêt à rendre service) ;

Nestor (le voisin de chambre pantouflard et indifférent) ;

Marion (la meilleure amie de Suzie, employée de préfecture qui vit hors du foyer une ennuyeuse histoire d’amour avec Fred) ;

Plumi (l’ami intello et redresseur de torts) ;

Léger (le peintre talentueux qui s’ignore) ;

Théozène (le sage du foyer) ;

Lucie et Fernand Jeu (les faux jumeaux, anges gardiens de Docpsi) ;

Cinthia et Maria (la pine-up et la boniche rêvées) ;

Papounet (le père de Docpsi, employé de préfecture à la retraite) ;

Drouchka  (l’amie chienne) ;

… et quelques autres encore…

 

 

Je regarde le paquet de feuilles posé devant moi. Il y a une bonne centaine de pages. Cent cinquante peut-être. Je mets la dernière dans la pile. J’ai fini. Je regarde par la fenêtre. Je reste comme ça un long moment. Lorsque la nuit tombe, je prends mon briquet et je mets le feu au manuscrit.

 

Quand je reprends mes esprits, je vois la grande blondasse d’infirmière qui entre dans ma chambre en criant : au feu ! au feu ! Le reste du personnel accourt aussitôt armé d’extincteurs. Ils ramassent les feuilles à moitié cramées. Je suis assis à mon bureau, les yeux hagards. Ils m’arrachent le briquet des mains. Et je me mets à pleurer. Ils me disent qu’ils vont m’enfermer. Qu’il n’y a pas d’autres solutions. Je sais que c’est faux. Je sais qu’ils mentent. Je les entends fermer la porte à double tour. Je regarde par la fenêtre, puis je relis ces quelques pages sauvées des flammes.

 

Ça commence ainsi. Rien ne sera jamais… jamais plus comme avant…

 

 

1. Aboulie

- Je vous jure, docteur ! C’est comme si j’avais un boulet d’une tonne accroché derrière moi !

 

Il regarde dans ma direction. Veste en tweed et pantalon de flanelle recouverts d’une blouse blanche. Assis derrière son bureau, le docteur Flap, sérieux comme un pape.

 

- Vous parlez d’une vie ! Si c’est pour y traîner sa carcasse à longueur de journée. Je me demande quand même à quoi ça sert ! Pourtant y doit bien y avoir un sens à tous ces trucs qu’on a du mal à faire ! Ah ! Quelle vie ! Je vous jure, docteur ! Quelle vie !

- Mais vous n’avez rien du tout, Docpsi !

- Mais si, je dis, c’est comme si j’avais une grosse boule invisible que je devais traîner partout derrière moi ! Comme une sorte de cadeau du destin, vous voyez, docteur !

- Laissez le destin où il est, Docpsi !

- Mais il est sur moi, docteur, je vous dis.

- Vous vous apitoyez trop sur vous, Docpsi, c’est pour ça que vous la voyez cette boule !

- Ben peut-être, mais c’est comme ça, docteur ! Je ne peux pas m’en empêcher !

- Personne ne vous dit qu’il faut vous empêcher, Docpsi !

- Ben,  que faut-il faire alors, docteur ? 

-  Il faut vous dire que la boule fait partie de vous !

- Ben, ça je sais ! Merci docteur !

- Maintenant il faut que vous appreniez à aimer cette boule, Docpsi !

- Aimer un truc pareil, faut être fou, docteur !

- Pas autant que vous le pensez, Docpsi !

- Et vous, vous faites comment, docteur, pour accepter votre boule ?

- Il ne s’agit pas de moi, Docpsi, mais de vous !

- Oh ! Ça, c’est facile comme réponse, docteur !

- Vous devez bien comprendre, qu’on est pas là pour parler de moi, Docpsi, mais de vous et de vous seul !

- Oui, mais si moi, ça m’aide, docteur, de parler de vous !

- Non ! Je suis vraiment désolé, Docpsi, mais ça ne fait pas partie de notre protocole thérapeutique !

 

*

 

Certains jours, je me dis que le plus dur c’est d’en être réduit à rien. Je suis rien, rien, rien, c’est ça la vérité. Ni un fils, ni un père, ni un amant, ni un ami. Juste un type qui pense en rond dans sa tête. Un type qui n’arrive même pas à se supporter quand il est tout seul. C’est pas croyable d’être comme tu es, Docspi ! Mais rien n’y fait. Plus je me dis ça, moins je me supporte. Et pourtant je suis bien obligé. A cause de mon histoire... J’ouvre mon cahier. Ce vieux cahier tout déglingué que je range dans mon armoire. Et puis j’écris ce que j’écris maintenant. J’écris que je suis rien, rien, rien du tout et que c’est ça la vérité. J’écris plein de trucs comme ça. En les écrivant, ça fait du bien. Ça fait du bien ! je crie. J’écris que je crie que ça fait du bien. C’est vrai que ça fait du bien. Je me sens plus calme. Alors j’écris que je me sens plus calme. C’est idiot mais c’est comme si ça me soulageait d’un poids. Comme si c’était pas moi qui vivait ça. Mais un autre. Un autre que moi qui souffrirait à ma place. Du coup, je sais plus qui je suis. Est-ce que je suis LUI, ou est-ce que c’est LUI qui est moi ? Ou alors on est pareil. Ou alors on est différent. Ca franchement, je n’en sais rien.

 

*

 

Handicapé pour la vie. C’est dur de se dire que l’on est né comme ça. Et puis le temps passe, mais ça n’efface rien. C’est toujours là. Et c’est toujours aussi douloureux. Personne ne peut rien pour vous. C’est comme ça, c’est la vie. Pourtant quand je m’apitoie sur mon sort comme aujourd’hui, ça me met dans une drôle de colère. Une colère noire que personne ne voit jamais. D’ailleurs personne ne voit jamais rien, ni la colère, ni la tristesse, ni rien d’autre. Chez ceux qui vivent à côté de nous, on ne voit que le bonheur, et le plaisir, et la joie de vivre. Ça nous fait envie. Et pour le reste, on ne montre pas qu’on l’a vu. On le garde pour nous. Juste pour se dire qu’on est pas si malheureux au fond. Pourtant des problèmes, on en a tous. LUI les siens et moi les miens. C’est comme ça. Et on doit tous faire avec. On peut pas faire grand-chose pour aider les gens avec leurs problèmes, sauf à les écouter. Et au fond ce n’est pas grand-chose écouter les gens. Certains jours, j’aimerais bien crier à ceux qui vivent autour de moi que j’ai vu leur tristesse. Mais je n’ose pas. Je les regarde sans rien dire. Dans ces moments-là, je me sens tout proche d’eux. Et pourtant je me tiens à distance. La timidité peut-être et puis la peur de passer pour un fou aussi. Tout ça, ça nous oblige à nous taire, et puis à regarder le malheur des autres en silence.

 

*

 

Je regarde l’heure. 3 heures du matin. Je n’arriverai pas à fermer l’œil cette nuit. Et ce temps qui n’avance pas ! J’allume la lumière. A côté, j’entends la télé de Nestor. Si au  moins j’avais la télé. Mais non, je l’ai refusée quand on me l’a proposée.

- Moi une télé ! Jamais de la vie ! j’avais dit à l’infirmière-chef.

- Comme vous voudrez, Docpsi !

- Merci bien, j’avais dit, je me soigne tout seul moi, j’ai pas besoin d’une télé !

Et elle était repartie. Depuis on en a jamais reparlé. 

Pourtant certains jours, ça rendrait bien service, une télé. Mais faut pas que je me laisse tenter. Seul, mon petit Docpsi. Seul, ça c’est la réalité et puis c’est la meilleure thérapie qui soit. Mais quelle angoisse ! Quelle angoisse !

 

Je regarde le radioréveil. 3h18. Et ce temps qui n’avance toujours pas ! Je me demande ce que peut bien regarder Nestor. Quand je pense que c’est le seul ici à ne jamais s’occuper des affaires des autres ! Il n’a besoin de personne, le Nestor ! Sa télé, ses comprimés, ses boîtes de cassoulet qu’il stocke comme s’il allait y avoir la guerre, ses parties de pétanques, ses sorties au cinéma de quartier et sa collection de revues cochonnes. Je me demande de quel bois il est fait pour être heureux avec cette vie-là.

- T’en as pas marre de rester là ? je lui avais dit un jour au réfectoire.

- Non, non ! On est bien ici moi je trouve !

- Ah ?!! j’avais dit.

J’avais pas insisté. Je l’avais laissé finir son ragoût aux lentilles.

Il s’était levé pour aller poser son plateau, puis il avait regagné sa chambre.

- C’est l’heure de « Y a pas de perdants », depuis que ça existe, j’ai jamais raté une émission ! qu’il avait dit.

- Ah ! j’avais dit, dans ce cas !

Il avait posé sur moi son drôle de regard puis s’en était allé de son petit pas traînant vers le grand couloir rejoindre la vie de ses rêves.

 

*

 

On a tous des rêves. Moi, je voudrais faire la route. Comme les saltimbanques d’autrefois. Avec un âne et une roulotte. J’ai toujours voulu faire ça. Je ne sais pas pourquoi. Mais un jour, je le ferai. J’en suis sûr. Je sais pas encore quand ni comment, mais un jour, ça arrivera. Ca fait des années que je pense à ça. Et c’est bon d’espérer parce que ça suffit pour continuer à vivre. Je suivrais mon destin comme si c’était écrit. C’est drôle de penser qu’on écrit des trucs sur son destin qui sont déjà écrits sur le grand cahier de la vie. Des fois, quand j’écris des trucs pareils, je me fais l’effet d’un philosophe. Un philosophe un peu poète. Je sais, c’est prétentieux d’écrire ça. Mais j’y peux rien. Dans ces moments-là, on contrôle plus du tout ce que l’on pense. On s’imagine des trucs complètement fous.

 

 

2. Solitude

J’entends le docteur Flap dans la chambre d’à côté. C’est l’heure de sa tournée. Dans quelques minutes, ça sera mon tour. Je pose mon stylo. Je reste un instant à regarder les pages que j’ai écrites durant la nuit. C’est jolie une feuille noircie de mots. Ça lui donne un air gai et triste en même temps. Je ferme mon cahier.

- Bonjour Docpsi, comment allez-vous aujourd’hui ?

- Ma foi ! Ni très bien, ni très mal ! je dis, ça va !

- Comme d’habitude en somme ! Tenez Docpsi, voilà vos pilules !

La grande blondasse qui l'accompagne me tend mes comprimés. Je les avale sans un mot.

- Bon ! Docpsi ! Il faut que je vous laisse à présent, je dois continuer ma tournée !

- Très bien, docteur ! A demain alors !

Quand ils referment la porte, je recrache les pilules. Je les jette dans les cabinets puis je tire la chasse. Depuis le début, je fais ça. Je suis un peu dérangé mais je ne crois pas être plus fou que ceux qui sont dehors. Et puis je déteste les médicaments. Et puis le monde où je vis me suffit. Je n’ai aucune envie de vivre dans le leur. Parce qu’il est triste, parce qu’il est laid, et parce qu’il fait mal, même si eux, ils font semblants de croire le contraire. Ils n’ont qu’à y rester dans leur réalité. Mais qu’ils laissent les autres tranquilles. Je regarde mon cahier, mais je n’ai pas le courage de l’ouvrir. Tout ça m’a fatigué. Je prends une cigarette dans le paquet rangé dans l’armoire où j’ai toutes mes affaires. Il n’en reste plus que trois. Mais ça ira jusqu’à ce soir. Je m’accoude à la fenêtre et j’aspire à grandes bouffées sur le petit bâtonnet qui se consume, en regardant la ville qui se réveille.

 

*

 

En général, je me lève tôt. Entre 5 et 7 heures. Je prépare mon café, je pioche dans ma boîte à biscuits et je pose le tout sur la planche qui me sert de bureau. Je ne prends jamais mon petit déjeuner avec les autres au réfectoire. Question de principe et d'habitude. J'aime être seul le matin. Je relis ce que j'ai écrit la veille, puis je me plonge aussitôt dans le nouvel épisode du jour, en buvant à petite gorgée mon café brûlant. J'aime ces moments-là. Quand le reste du monde est encore endormi, quand la nuit ne s'est pas encore dissipée, quand le silence m'enveloppe de sa présence réconfortante, quand je crois que je suis tout seul au monde. Souvent je pose mon stylo et je regarde le petit parc qui entoure notre bâtiment. Les feuilles des grands marronniers qui s'agitent dans le vent, le chant des oiseaux qui s'éveillent avec la naissance du jour. Tout cela m'émeut profondément. A cette heure-ci, la ville ressemble encore à un fantôme assoupi, comme un gros monstre fragile repus de fatigue qui reprend des forces avant d'attaquer une nouvelle journée. Un matin sur deux, je n'écris pas. J'ouvre l'un des livres que j'ai réussi à me procurer chez un vieux libraire du quartier. Il les a commandés spécialement pour moi. 10 gros volumes sur les chiens que je lis consciencieusement en prenant des notes que je range dans un petit classeur noir. Pathologies, physiologie, anatomie, troubles comportementaux… Au début, je trouvais ça un peu compliqué, mais j'aime les chiens, alors j'ai fini par m'y faire. On peut tout apprendre quand on aime. Ce n'est pas une question de volonté. C'est une chose à l'intérieur qui nous pousse. Je ne sais pas comment ça s'appelle, comme une sorte de force qui nous guide vers ce qui nous semble essentiel. Je crois qu'il est impossible de s'y soustraire, c'est comme une nécessité profonde, un besoin que l'on ne pourrait pas réprimer, comme une chose qui deviendrait vitale. C'est ce qui s'est passé pour moi avec les chiens. Rien ne me destinait à les aimer ni même à m'en occuper. Et pourtant, aujourd’hui, c'est devenu une activité incontournable, presque une seconde peau. C'était dans la nature des choses, dans mon destin comme disent certains.

 

*

 

Je regarde la petite pièce dans laquelle je vis et je me rends compte à quel point j'aime la tranquillité et ma solitude. Sous mes airs compréhensifs et sociables, je déteste que l'on vienne me déranger. Il y a des moments pour cela. Quelle idée aussi de venir me voir à tout bout de champ, pour un oui pour un non ! Quel sans gêne ! Je regarde la pendule. 8h30. Suzie ne va plus tarder maintenant. Nous sommes arrivés au foyer le même jour. J'ai tout de suite aimé ses grands yeux tristes qui lui donnaient l’air d’une petite fille un peu perdue abandonnée sur le quai d'une gare.

- Salut ! C'est moi !

- Salut Suzie! je dis, tu as l'air bien gaie aujourd'hui!

- Ouais, absolument ! dit-elle en me regardant avec un grand sourire.

- Et qu'est ce qui te rend si joyeuse ?

- Ch'ai pas ! C'est comme ça !

- Ah ! Eh bien tant mieux ! je dis.

Elle m'embrasse sur la joue. Sa peau sent bon, comme de la vanille orangée. J'aime bien poser ma tête sur sa peau.

- Tu n'as pas oublié !

- Quoi donc ? je dis.

Elle hésite.

- Notre promenade !

Je souris.

- Bien sûr que non ! Le temps de m'habiller et je suis à toi !

           

Le dimanche matin, avec Suzie, on va se balader. C'est comme ça, une habitude qu'on a prise. Comme ces vieux couples qui ne savent plus pourquoi ils font les choses ensemble. Ce n'est pas triste. C'est une façon de partager un peu de sa solitude avec un être que l'on aime. C'est souvent très tendre, comme si la complicité remplaçait la fougue des débuts. C'est rassurant de pouvoir ainsi se promener en silence sans raconter des âneries ou des futilités. On a l'impression d'être un peu moins seul, un peu plus accompagné. Les vraies histoires d'amour, elles se mesurent au temps et surtout au silence qui sépare deux êtres sans jamais les indisposer.

- Tu es prêt ?

- Oui, oui, ça y est, j'arrive !

Je regarde mon visage dans la glace. C'est vrai que je ne suis plus tout jeune.

 

*

 

Soudain Suzie s'arrête dans la grande allée de chênes qui mène à l'étang.

- Et ma séance, Docpsi !

- Je croyais que ça allait bien! je dis.

- Ben, n'empêche que j'aimerais bien te parler !

- Ici ?

- Pourquoi pas !

- Je croyais que tu aimais marcher en silence ! je dis.

- Mais qui te parle de marcher, Docpsi ! On va s'arrêter !

Elle me désigne un tronc d'arbre, récemment abattu, posé en travers d'un petit sentier qui s'enfonce dans le sous-bois.

- Là, ça te va, Docpsi ?

- Ma foi, je dis.

Elle s'assoit, les yeux dans le vide. Je la regarde. Elle est belle. Je n'ose pas interrompre son silence. On reste là assis tous les deux, côte à côte, sans rien dire, chacun dans ses pensées, les miennes qui essayent de deviner ce qu'elle va me dire.

- Docpsi, tu sais que j'aime les arbres.

- Oui, je dis.

- J'aime les regarder quand ça ne va pas.

- Je sais, et ça ne va pas très fort aujourd'hui, n’est-ce pas ?

Suzie ne m'écoute pas. Elle s'est déjà posée sur la cime du grand chêne qui nous regarde.

- On t'a déjà raconté des histoires sur les arbres ?

- J'en ai pas le souvenir, je dis.

 

Suzie me raconte son histoire. C'est une belle histoire. J'aimerais savoir les raconter comme elle. Je regarde les arbres autour de nous. Elle a raison. Les arbres nous parlent. Et moi qui ne sais pas les entendre.

- Ecoute ! Ecoute ! dit-elle.

J'essaye de tendre l'oreille. J'entends le vent dans les feuillages.

- On dirait une complainte un peu triste.

Suzie ferme les yeux. Une larme coule sur sa joue. J'ai envie de la prendre dans mes bras. Mais je ne le fais pas.

- Ils pleurent, Docpsi !

Dans le ciel, les feuilles s'agitent avec pudeur.

- Comme j'aimerais leur parler !

Mais Suzie ne m'entend pas. Elle se lève et entoure le tronc du grand chêne qui nous regarde. Ils recueillent serrés l'un contre l'autre leur souffrance silencieuse. Je me sens un peu bête assis sur mon tronc d'arbre. J'ai envie de partir, de les laisser à leur solitude immobile. Je les regarde un instant. Ils sont beaux. Je me lève et je reprends le chemin du foyer. Lorsque je me retourne, je m’aperçois que je suis seul. Il n'y a personne, juste l'allée de grands chênes dont les branches se baissent pour saluer mon retour.

 

*

 

Certains jours, je m'ennuie. C'est comme ça. Tout m'ennuie. Les autres, ma vie, le monde entier. C'est pénible. C'est le cas aujourd'hui. Je ne sais pas quoi faire. Comme tous les dimanches, je tourne en rond dans ma chambre avec des pensées qui tournent en rond dans ma tête. Tout me fatigue. J'ai fermé la porte à clé pour être tranquille. Parce que si l'on venait à me déranger, ça serait pire que tout. Dans ces moments-là, je deviens presque méchant. C'est comme une horreur que je serais obligé de faire sortir de moi. Je peux rien contrôler. Je gueule, je m'emporte, je dis des bêtises et des méchancetés que je ne pense même pas. Et ça fait mal à celui qui les reçoit en pleine figure. Et ça tombe sur n'importe qui, le premier qui passe, le premier que j'aperçois. Alors, dans ces moments-là, je préfère rester seul. Comme ça, je ne fais de mal à personne.

 

*

           

J'ouvre les yeux. Je regarde les taches du plafond qui commence à s'écailler. Je n’arrive pas à faire la sieste. J’ai toujours eu horreur de la sieste. Je reste un instant comme ça. Suzie dort encore. Je vois sa poitrine qui se soulève. J'enlève son bras qu'elle a posé sur ma cuisse. Je ne sais pas ce que je ressens. Je n'arrive même pas à apprécier ces moments-là. Parfois, oui. Mais aujourd'hui, il n'y a rien à faire. Je n’y arrive pas. C'est terrible parce que je l'aime pourtant. Mais qu'est-ce que ça veut dire aimer ? Ah! Que tout ça est compliqué! Je n'ai pas la tête à réfléchir. J'ai envie de me lever et de fuir, de fuir, de fuir. Mais je ne sais pas où aller. Je reste encore un instant comme ça, allongé près de Suzie. Je sens que j'ai besoin de partager cette souffrance. Mais c'est impossible. Suzie me regarderait sans comprendre, les yeux pleins de bonté et d'amour, et elle ne pourrait rien y faire. C'est trop douloureux ! Je vais à mon bureau. Je regarde le petit cahier perdu sous une pile de feuilles écornées.

 

On a beau dire, on est tout de même bien seul. Même ici, avec les miens. J'ouvre le cahier. J'écris : On a beau dire, on est tout de même bien seul. J'hésite à écrire avec les miens. Je ferme le cahier. Non, je ne peux pas écrire avec les miens. Jamais personne ne m'a appartenu et jamais personne ne m'appartiendra. Je suis ainsi. Seul et sans attache. Moi qui étais si possessif. Je me demande pourquoi ça a disparu. Je réfléchis. La déception de ceux dont j'ai croisé le chemin, ceux qui ont partagé ma vie et ceux dont j'ai partagé la vie ? C'est idiot ! On finit toujours pas décevoir ou être déçu. Je n'aime pas ça. Mais qui aime ça ? Personne, je crois. J'ai appris à ne plus avoir envie de décevoir ni que l'on me déçoive. Je préfère rester seul. C'est dur. Très dur. On souffre beaucoup. Parce que les autres ont tellement de bonnes choses à nous offrir.

 

 

3. Ecœurement

- Docpsi ! Docpsi !

- Hmmm !

- Docpsi, réveille-toi !

- Fous-moi la paix ! Je dors !

- Docpsi, c'est important !

J'ouvre un œil. Je vois le gros nez de Lucien penché sur moi.

- Docpsi, bon sang ! Réveille-toi !

- Ca peut pas attendre !

- Tu vas arriver en retard, Docpsi !

- Et alors ! je dis.

J'entends Lucien sortir de la chambre.

- Lucien !

- Quoi ?

- Merci Lucien.

Je referme les yeux. Il est gentil, Lucien. Toujours prêt à rendre service. Comme si c'était sa façon à lui d'exister. Faut toujours qu'il intervienne, même quand on lui a rien demandé. C'est assez exaspérant, mais j'ai encore jamais trouvé le courage de le lui dire. Il croit si bien faire, ce pauvre Lucien !

7h54. C'est vrai, je suis en retard. Y a des jours où tout va de travers. Je déteste arriver en retard. C'est comme si ça me mettait une boule au creux de l'estomac qu'arriverait pas à descendre. Quel jour sommes-nous déjà ? Je réfléchis. On est lundi, le jour de mon travail au refuge. Je démarre le scooter.

 

*

 

Je passe le portail et me gare à ma place habituelle, derrière la petite baraque qui sert de bureau d'accueil pour les adoptions. Je regarde le cadran. 8h13. J'ai un quart d'heure de retard. Je range mon casque, mets l'antivol, prends mon sac et me dirige vers le bureau.

- Bonjour !

- Bonjour Docpsi !

- Y a rien de neuf aujourd'hui ? Pas de nouveaux chiens d’arrivés ? je dis.

- Non ! Rien de spécial !

- Ah ! Très bien ! je dis.

Puis je vais me changer dans la petite pièce réservée aux employés. Je vois l'autre, la connasse en train de préparer le café (je l'appelle comme ça depuis qu'elle me fait des crasses). Je pose mon sac sans la voir. Le mieux qu'on ait trouvé, c'est de s'ignorer. Certains jours, ça marche. Mais d'autres fois, c'est pas possible. Ces jours-là, ça pète. C'est comme ça. Comme un abcès qui reviendrait tout le temps et qu'il faudrait repercer à chaque fois. Peut-être qu'elle me déteste parce que je n'ai pas vraiment besoin de ce travail et qu'elle sait que je fais ça juste parce que j'aime les chiens. Pas pour le chèque à la fin du mois. Je me change en quatrième vitesse. J'enlève mes vêtements que je fourre dans mon sac et j'enfile ma combinaison. Je suis prêt.

 

*

 

J'ai de la merde jusqu'au genou. Le boulot est simple. Je dois enlever toute la merde pour la mettre dans des sacs. Ça fait partie de mes fonctions. A quelques mètres de là, je vois le responsable qui fait le tour du refuge avec des visiteurs. Quand ils passent devant moi, ils s'arrangent pour pas me regarder. Avec l'odeur, ça doit pourtant être difficile de ne pas jeter un regard dans cette direction. Ils font comme si je n’existais pas. Je continue d'entasser mon tas de merde. Au début, je me sentais presque humilié de faire ça. Et aujourd'hui encore je sens bien que l'on me considère comme un pauvre type qui sait rien faire d’autre que d’entasser de la merde dans des sacs. Mais maintenant, je m'en fous. J'en suis même fier. De toute façon, c'est sacré la merde ! Ça vient de ce qui vit. Et puis, je les emmerde les gens. 

 

Quand j'ai fini, je passe à l'infirmerie pour voir si la connasse a bien fait les soins. J'essaye d'ouvrir la porte. Elle est fermée.

- La garce ! je crie.

Je sais bien que c'est la connasse qui a fermé la porte. Personne d'autre n'a les clés ici, sauf le responsable. Je vais le voir pour lui demander le double des clés. Il a l'air étonné.

- C'est nouveau ça, depuis quand on ferme l'infirmerie maintenant !

- Ch'ai pas, je dis.

Il fouille dans son tiroir et me tend un trousseau.

- Merci, je vous le ramène tout de suite, je dis.

Mais il a déjà replongé le nez dans ses papiers. Tout le monde se fout de tout le monde ici. Je fais comme si je m'en foutais mais j'en pense pas moins. J'ouvre la porte de l'infirmerie.

- Merde alors !

Y a plus rien sur la paillasse. Y a plus le petit carnet où je note les soins à faire, y a plus de seringues, y a plus d'antibiotiques, y a juste les carreaux blancs qui ont l'air de se foutre de ma gueule.

- Quelle connasse ! je dis.

- Quoi connasse ! Espèce de pauvre type !

 

Je la vois la connasse. Elle est derrière moi en train de s'affairer devant l'évier.           

- T'es une vraie connasse toi, hein à fermer la porte comme ça !

- C'est pas à toi de faire les soins ! qu’elle dit.

- Si tu les faisais bien, je serais pas obligé de les faire aussi !

Eh tiens ! Prends ça dans ton bec, ma grosse !

- Ils servent à rien tes soins, pauvre con ! qu’elle dit.

- Et toi, tu ferais mieux de travailler dans un cimetière, pas avec les animaux ! Tu les aimes pas ! je dis.

- C'est moi la chef ici et t'as intérêt à faire ce que je te dis !

Je lui laisse le dernier mot. De toute façon, autant discuter avec un mur, y a rien à en tirer.

- Pauvre fille ! je dis en claquant la porte.

Des fois, je me demande qui est vraiment fou. Je regarde mes pauvres potes derrière leurs barreaux. Et je me sens comme eux, obligés de subir cette putain de vie, avec tous ces autres que j’ai pas choisis, et qui m’encombrent, et qui me marchent dessus et qui font semblant de pas me voir.

 

*

 

Je range mon scooter sous le petit appentis et je m'engouffre dans le long couloir du foyer. Je ne vois personne. Je marche d'un pas rapide vers ma chambre. Je suis fatigué. Fatigué de tout, de ma journée, de ma vie, des gens qu'il faut supporter. J'en veux à la terre entière. J'en veux à Dieu, au destin, aux hommes, à ce monde qui m’oblige à marcher l'échine courbée. Je voudrais être seul. Je voudrais que le temps s'arrête. Je voudrais croire en un monde moins cruel. Je voudrais vivre sans me sentir agressé par la bêtise et la méchanceté. Je voudrais être ailleurs. Je referme la porte de ma chambre et pose ma veste sur le montant du lit. J'allume une cigarette, entrebâille la fenêtre. Je regarde mon antre, ma grotte, ce trou impersonnel où j'ai fait mon nid. Le seul endroit au monde où je me sens encore à l'abri. Je crois que je ne quitterai jamais cet endroit. Tout est à sa place. Mes livres, mon cahier, la petite boîte où je range mon matériel pour les marionnettes, la cafetière, mes stylos, ma vieille machine à écrire et le paquet de feuilles blanches posé dessus. Je sens une larme couler sur ma joue. Je fume en silence en regardant les volutes blanches disparaître dans l'air frais de ce mois d'automne.

 

 

4. Distraction nocturne

Dans la main, j'ai une cuiller. Je la pose sur la table, et je finis l’assiette de gâteaux que j’ai rapportée du réfectoire. Je regarde ma chambre. Je suis seul. Au-dessus de la porte, près de la petite pendule, il y a l'affiche d'un spectacle que j’ai punaisée sur le mur. Sur cette affiche, il y a un homme. Et derrière lui, sur la scène, il y a une salle de restaurant avec un homme et une femme assis l'un en face de l'autre, parmi d’autres couples. On dirait qu’ils attendent quelque chose. 

 

*

           

Suzie est en face de moi. Je me sens bien, l'âme un peu blagueuse, un peu triste aussi. Je me sens bizarre pour tout dire.

- Suzie, tu sais que je n’existe pas plus que tu n'existes !

- Docpsi, arrête ! Tu m'énerves !

- Oh ! Si on a même plus le droit de parler ! je dis.

- Là, c'est pas pareil, tu dis des âneries, Docpsi !

- Et qu'est-ce que t'en sais, toi d'abord ! je dis.

- Arrête un peu, Docpsi ! J’aimerais bien que tu te comportes un peu normalement !

- Normalement ! Normalement ! je dis en me moquant.

- Parce que Monsieur se croit peut-être différent ! Allez Docpsi, reviens sur terre ! Tu es comme tout le monde !

- Moi ou un autre, alors c'est pareil pour toi ! je dis.

- Mais qu'est-ce que tu crois, Docpsi ! Que tu es quelqu’un d’exceptionnel ?

- Pas du tout, Suzie ! Mais j'ai mes trucs à moi, et ce mélange, il est unique…

- Docpsi ! Arrête un peu ton cirque ! Parlons d’autre chose, veux-tu ?

- Tu préfèrerais peut-être que je te raconte ce qu’on a mangé ce midi ! Ou peut-être comment je trouve la nouvelle paire de chaussettes que je me suis achetée !

- Docpsi, je t’en prie ! Arrête un peu ! Tu confonds tout !

- Y a plein de trucs que je confonds, Suzie ! Mais là, je confonds rien du tout !

- Mais tu passes ton temps à te poser un tas de questions inutiles, Docpsi…

- J'y peux rien, Suzie ! Elles viennent toutes seules !

- Tu pourrais pas faire un effort pour être un peu comme tout le monde !

- Faire un effort ! je dis, pour ressembler à tous ces couples qui savent même pas pourquoi ils restent ensemble ! C'est à ça que tu veux qu'on ressemble, Suzie !

 

La dame qui mange en silence à la table d'à côté avec un monsieur distingué se tourne vers moi.

- Vous vous croyez peut-être plus fort que les autres, n’est-ce pas ? qu’elle dit.

- Pas du tout ! Et puis d'abord, personne vous a sonnée ! Retournez à vos spaghettis ! je dis.

- Excusez-moi de vous le dire, mais vous êtes un mufle doublé d'un petit con, Monsieur !

Je détourne les yeux et regarde l’assiette de gâteaux. Il n’en reste plus qu’un. Je le prends et le mets dans ma bouche.

 

*

 

- Hummm ! C'est bon !

- Mais Docpsi, ça va pas ! Qu'est ce qui te prend !

J'enlève mes mains de dessous son corsage.

- Euh… rien !

- Mais tu penses qu'à ça, ma parole !

- Oui ! je dis, un peu à ça et beaucoup au reste !

- Je suis pas un objet, Docpsi !

- Je sais ! N'empêche que moi j'ai envie !

- Et à mes envies à moi, tu y penses quand tu fais ça!

- Toi ? Mais t'as jamais envie ! Alors comment il faut que je fasse moi ! Hein ! Dis-moi !

- Y a des prostituées pour ça, Docpsi !

- Des prostituées, c'est la meilleure celle-là ! Tu disais pas ça avant ! T'aimais bien quand on faisait ça !

- Mais j'aime toujours, Docpsi ! Mais pas quand t'es comme ça ! Là, tu penses qu'à toi !

- C'est parce que t'as plus de plaisir ! Voilà la vérité, Suzie !

- Arrête, Docpsi ! C’est blessant ce que tu viens de dire !

- Ben, il faut voir la vérité en face ! J'y peux rien si ça te fait peur !

- T'es qu'un salop, Docpsi !

Je vois les yeux de Suzie me fusiller du regard. Mais il y a quelque chose de triste aussi dedans. C'est trop bête. Ça serait si simple si on venait pas tout compliqué avec tous ces masques qu'on se met sur la tête. Un masque pour ci, un masque pour ça.

 

*

 

Soudain j'entends comme un bruit d'élastique. Je sens Lucie et Fernand Jeu (mes anges gardiens), les faux jumeaux, débouler derrière mes oreilles en jetant mon masque à terre. Lucie se penche et me dit quelque chose :

- Docpsi ! Là ! Regarde ! Quelle chance ! Un cul ailé !

- Un cul ailé ? je dis, et c'est maintenant que tu me le dis ! Il est où ton cul ailé ?

- Là, il survole le champ de bites !

Je regarde la bosse qui déforme mon pantalon. Je repousse l’assiette.

- Allez ! Accrochez-vous les jumeaux, on va le suivre !

- Mais ça va pas ! Qu'est ce qui te prend Docpsi ! Arrête !

- Eh ! Fernand ! Pour une fois qu'on s'amuse ! je dis.

 

*

 

Hummm ! Qu'est-ce que c'est bon ! C’est un vrai bonheur de prendre soin de soi ! Je me sens inspiré. Je sais pas où je vais, mais je monte, je monte, je monte. Y a le désir et des images qui défilent, y a des paysages que je traverse et que je regarde à peine. Et puis il y a moi au milieu qui monte toujours avec ma veste qui bat au vent. C'est pas la hauteur qui me grise, c'est d'être seul sur ma monture comme un chevalier perdu qui file vers l'absolu. Parce que je sens que je me détache, que je quitte la terre, que je m'envole pour je ne sais où. Et mon Dieu, c'est divin comme sensation ! Y a plus de LUI, plus de Docpsi, y a plus que cette sensation de liberté qui m'emporte !

- Oaouhhhhh ! je crie.

- Docpsi, attention, tu vas trop loin !

- Chut ! je dis, je suis bien !

- Il faut t’arrêter, Docpsi ! Tu vas vraiment trop loin!

- Et alors ! je dis.

- Et alors, ça serait idiot ! Il faudrait pas te perdre ! T'as encore des trucs à faire et à voir ici !

- Pour ce que ça m'apporte ! je dis.

- T'as raison, continue ! Fonce, Docpsi, c'est ça la vie !

- Eh ! Les faux jumeaux, lâchez-moi la grappe ! je dis.

J'entends plus que le bruit du frottement de l’étoffe sur ma monture qui monte, qui monte, qui monte. De plus en plus haut.

- C'est dingue cette sensation de voler !

- Docpsi ! Arrête ! Tu es fou !

- Vos gueules, les jumeaux ! Profitez plutôt du paysage !

Je mets les gaz. Direction la planète Stase. 3 minutes de voyage à la vitesse sidérale du temps. Je sais, je l'ai lu quelque part. Les images deviennent de plus en plus floues. Vu d'ici le monde a l'air d'une chambre d'hôpital.

- Moins vite Docpsi ! Laisse-moi apprécier ce spectacle ! J'ai jamais eu autant de distance avec les choses !

- Ah ! je dis, alors c'est bon de prendre un peu de hauteur mes amis, n’est-ce pas ?

- Docpsi ! T'es incorrigible !

- Je sais ! je dis, et alors, c'est pas tous les jours ! Eh regardez, les jumeaux ! Regardez comme ils ont l'air ridicule vu d’ici !

- Qui donc Docpsi ?

- Ben, ceux qui s'agitent en bas, pardi ! On dirait de petits jouets mécaniques téléguidés !

- Docpsi, tu exagères !

- Non Fernand ! Docpsi a raison ! Tout ça c'est un jeu et on s'amuse avec nous, donc on ne peut pas être autre chose que des jouets ! Imparable comme raisonnement, non ?

- Lucie, ma pauvre Lucie, tu es presque aussi gamine que Docpsi !

- Et alors Fernand ! je dis, faut pas croire que c'est si con un gamin ! Parce que le môme qui s'amuse avec nous, il doit bien se marrer, LUI. Eh ! Les jumeaux ! Ça vous plairait d'aller LUI dire deux mots !

- Dire deux mots à qui ?

- Eh ! Faut suivre un peu les jumeaux, je parle du grand môme qui nous prend pour ses jouets !

- T'es vraiment taré, Docpsi !

- Et la planète Stase alors !

- Vous êtes pressé ? je dis.

- Ben non ! Pas plus que ça !

- Ben alors vous en faites pas ! On la verra votre planète !

 

*

 

- Pincez-moi ou je rêve ! je dis.

- Quoi ! Qu'est ce qui se passe ?

- Là, vous voyez ce que je vois ! je dis.

- …???

- Eh ! Vous êtes miro les jumeaux ! Là, nom de Dieu ! Le … petit…

- Le … petit… ?

- Ouais, là le petit bonhomme penché sur son cahier! je dis.

- Tu crois que c'est Dieu ?

- M'a l'air bien moche !

- Eh ! Regardez ! IL nous regarde !

- Mais ma parole ! IL a l’air de pleurer !

- Chut ! Taisez-vous ! Cache-toi Docpsi ! Il faut pas qu’IL te voit là !

Mais je reste planté là comme si je pouvais pas bouger. Je dois avoir l'air idiot assis comme ça, devant mon assiette vide avec mes deux petits personnages qui s'agitent derrière mes oreilles.

 

*

 

- C'est encore loin ton histoire Docpsi ? Parce que je commence sérieusement à m’emmerder !

- Personne t'a obligé à venir Lucie ! je dis. Et puis si tu t’emmerdes, t'as qu'à rentrer !

- Pour louper la moitié du spectacle, je préfère encore m’emmerder !

- Fernand ! je dis, fais-la rentrer ! Elle commence à me les échauffer !

- Oh ! Arrêtez un peu tous les deux, on dirait deux mômes !

- Fernand ! je dis, on t'a rien demandé !

Je regarde ma monture. Elle fait une drôle de tête. Elle a l’air toute épuisée.

- C'est bien notre veine ! je dis.

- Qu'est ce qui se passe, Docspi ?

- Je crois qu'on est en train de s’épuiser, les jumeaux !

- On verra pas la planète Stase aujourd’hui alors ?

- Mais si ! Ça prendra juste un peu plus de temps que prévu ! je dis.        

Je regarde la jauge de carburant. Je me demande si on va en avoir assez pour y arriver.

- T'as pensé au carburant, Docpsi ?

- Oui, Fernand ! je dis, je ne pense même qu'à ça ! Mais fermez-la bon Dieu ! On le gaspille là à dire n'importe quoi ! Faut rester concentrer, bordel !

Et je nous imagine déjà en train d'errer pour l'éternité dans cet univers inconnu. Rien que d'y penser, ça me donne des frissons. J'entends plus rien. Lucie et Fernand ont dû monter bien au chaud entre mes oreilles. Et comme d'habitude, je dois me débrouiller seul. Je sens que je vais craquer. Trop de bruits ou trop de silence, c'est pareil pour moi, ça m'empêche d'avancer.

- Bon! je dis, je crois qu'on va s'arrêter là pour aujourd'hui !

- Ben Docpsi, qu'est ce qui t'arrive ?

- J'en peux plus ! je dis, je suis fatigué.

- Dans ce cas, tu as raison Docpsi, il est plus sage de s'arrêter !

- Merci pour ton approbation, Fernand ! je dis.

- Ce n'est rien Docspi, je sais comme c'est difficile pour toi dans ces moments-là ! Mais je suis là, ne t'inquiète pas, je te soutiendrais !

J'attends avec une certaine appréhension la remarque de Lucie qui ne va sûrement pas être très tendre.

- Lucie ? Tu ne dis rien ?

Pas de réponse.

- Lucie ? On va s'arrêter !

- Eh bien, c'est pas trop tôt ! Je commence vraiment à en avoir ras le bol de ton voyage débile Docpsi !

Sacrée Lucie, toujours aussi imprévisible et aussi bougonne.

- Maintenant que tout le monde est d'accord, faut qu'on trouve un endroit pour s'arrêter ! je dis.

- On est vraiment obligé !

- Eh ben, oui, les jumeaux ! Pour passer la nuit, on est bien obligé de s’arrêter ! je dis.

- T'as qu'à laisser aller ! Et on verra bien demain !

- Pour se retrouver je ne sais où, y a pas mieux ! je dis.

- Oh ! T'as pas la trempe d'un vrai aventurier Docpsi, faut toujours que tu prennes mille précautions ! C’est pour ça que tu restes coincé dans ton petit univers !

- C'est pas ça Lucie ! je dis. Mais je suis vraiment fatigué ! Il faut qu’on s’arrête !

- Elle est bidon ton excuse Docpsi, t'es pas un vrai voyageur, c'est tout !

- Ben, tu penses ce que tu veux Lucie, ça m'est égal, moi je m’arrête ! je dis.

- Eh ! Docpsi ! Regarde là ! Une pancarte !

Je lis : Etoile du fol égarement, perdue entre la planète Stase et la planète de la divine liberté. Située à 1 km-paragraphe de la planète Net. Forfait 1 nuit + 1 matinée (petit déjeuner non compris) ; séjour tout confort psychique, artistique, matériel et sexuel assuré durant toute la durée du séjour + visite touristique de la région de la planète Net chaque jour (départ : 8h / retour prévu vers 12 h); chambre à 150 synapsys, possibilité de séjour à la journée, à la semaine, au mois, à l'année, à la vie et pour l’éternité. Demander à l'accueil.

- On va aller se renseigner, les jumeaux, je dis.

- T'as vraiment du carburant à perdre, Docpsi ! 150 synapsys, c'est du vol !

- Peut-être bien Lucie, mais on peut pas faire autrement ! Et puis pour 150 synapsys… on va quand même pas pinailler !

- T'es quand même pas trop regardant à la dépense Docpsi ! Avec 150 synapsys, on aurait pu en faire des trucs !

- Ben quoi Lucie ? je dis.

- Ch'ai pas moi ! On aurait pu allonger notre balade de quelques pages, euh… ou alors visiter d'autres univers… ou bien se faire encore un plus grand délire,  … enfin profiter de cette liberté, quoi !

- Faut pas être si avare de ses synapsys, ma petite Lucie ! C'est redistribué tout ça, plus t’en donne, plus t'en fais profiter les autres !

- C'est vrai Lucie, Docpsi a raison !

- Merci Fernand ! je dis, t'es un chic type !

Je mets les gaz. J'ai hâte de me reposer un peu. Et je m’écroule sur mon lit.

 

*

 

Quand j'ouvre les yeux, il fait encore nuit. J'ai très mal à la tête. Je monte le store. J'ouvre la fenêtre. Le soleil irradie toute la chambre.

- Ah ! Astre lumineux ! Tu es revenu ! je crie. A moi la joie, la gaieté et la bonne humeur !

Je me verse une grande tasse de café que je bois à petites gorgées bruyantes. Ca fait bien longtemps que je n'ai pas été si heureux. Cynthia dort encore. Enfin, je crois qu'elle s'appelle Cynthia. Hier soir, on a tout juste eu le temps de faire connaissance. Je la laisse à ses rêves. Je ferme la porte et je descends.

- Bonjour Monsieur !

- Bonjour Maria ! Quelle belle journée, n’est-ce pas?

- Magnifique Monsieur !

- Dîtes Maria, lorsque Cynthia se réveillera vous me préviendrez ?

- Certainement Monsieur !

- Je serai à mon bureau, Maria !

- Bien Monsieur !

Ah ! Quand même, elle a du bon cette vie ! je me dis. Je jette un œil à mon agenda. Padoc Psyrage… Padoc Psyrage… Ah ! Voilà ! J'ouvre le tiroir, je prends mon portable. Je compose le numéro. Ça sonne.

- Padoc ? Salut, c'est Docpsi !

- Bonjour Monsieur, justement j'allais vous appeler!

- Ah ! Alors comment s’est déroulée la promotion du spectacle, Padoc ?

- Ecoutez, Docpsi ! C’est inespéré ! Toutes les salles sont pleines ! On a des réservations jusqu’en… Oh ! C’est une chose extraordinaire, Docpsi ! Du jamais vu ! Le public viendra jusqu’à la fin de l’éternité !

- Bravo, Padoc ! Continue comme ça ! Magnifique ! Je passerai un de ces quatre pour faire les séances de dédicace !

- Mais avec plaisir, Monsieur !

- Allez Padoc, salut ! Au plaisir, hein !

Je raccroche. Ah ! Ce Padoc, quel artiste tout de même ! Assurer des réservations jusqu’à la fin de l’éternité ! C'est à peine croyable ! Bon ! Voilà déjà une bonne chose de faite ! A Théosorus maintenant! Je compose le numéro.

- Allo, je suis bien à la banque Picnosous ?

- Oui, bonjour Monsieur ! Puis-je vous renseigner ?

- Je désirerais parler à Monsieur Théosorus !

- Vous êtes Monsieur Docpsi ?

- Absolument !

- Monsieur Théosorus attendait votre appel !

- Eh bien, passez le moi, mademoiselle !

- Je vous demande un instant Monsieur Docpsi !

J'attends. L'écouteur crache une affreuse bande sonore pour faire patienter les clients. Picnosous bank, the bank of your succes ♪♪♪♪ wait a moment please ♪♪♪♪ we try to connect you ♪♪♪♪ Picnosous bank ♪♪♪♪...

- Bon ! Qu'est ce qui fout ! J'ai pas que ça à faire !

- Allô, Monsieur Docpsi ? Bonjour, c'est Monsieur Théosorus à l'appareil !

- Ah ! Bonjour, cher ami ! Je me permets de vous appeler pour un transfert !

- Mais bien sûr, je vous écoute Monsieur Docpsi !

- Voilà, je dis, il s'agit de virer la totalité de mon solde du compte 56 251 B.Z 5926 sur mes 3 comptes de votre filiale Onlyrichloan.

- Ah ! Mais bien sûr, Monsieur Docpsi ! Je m'en occupe immédiatement! Autre chose pour votre service, Monsieur Docpsi ?

- Non ! Ça ira, je vous remercie ! Ah si juste une petite chose peut-être ! Je tenais à vous informer que mes revenus seront assurés jusqu’à la fin de l’éternité ! Et ce de façon absolument certaine, croyez-moi ! 

- Ah ! Eh bien ! Voilà une excellente nouvelle, monsieur Docpsi ! Je suis vraiment ravi pour vous ! Et j’espère que nous continuerons notre fructueuse collaboration ! Je vous souhaite une très bonne journée ! Au revoir Monsieur Docpsi ! A très bientôt !

Je raccroche. Et hop ! Voilà ! Ma journée de travail est terminée ! Allez ! Maintenant il est temps que j’aille savourer la vie ! Je quitte mon bureau.

- Cynthia ? Cynthia ? Tu es réveillée ?

 

 

5. Divagation matutinale

- Allez ! Debout ! C'est l'heure ! je dis.

- Hummm…

- Allez ! Debout là-dedans ! Vous avez suffisamment rêvassé comme ça, les jumeaux !

- Docpsi, laisse-nous continuer encore un peu ! S'il te plaît ! On est si bien ici !

- Non, les jumeaux ! Désolé ! Il est bientôt 8 heures ! Il est temps d’y aller ! Les visites de la planète Net vont commencer ! Vous ne voulez quand même pas me faire louper une occasion pareille ! 1 km-paragraphe, on ne doit plus être très loin maintenant ! Allez, debout, les jumeaux ! C’est vraiment l’occasion ou jamais !

- Et la planète Stase, Docspi ? On y va plus ?

- On aura bien le temps d’y aller plus tard ! je dis. J'entends les jumeaux marmonner et s'étirer bruyamment.

- Eh ! Oh ! Doucement ! je dis. Vous allez vraiment finir par me filer mal à la tête avec tout ce boucan !

- Bon ben, faut savoir ce que tu veux, Docpsi ! Tu veux qu'on range ou qu'on laisse tout le bordel qu'on a mis ?

- Rangez ! Rangez ! je dis, mais doucement et en silence, les jumeaux ! Je vous attends.

J’entends les jumeaux plier leur couverture, les ranger dans leur petit casier, s'habiller, plier leurs nuisettes, les glisser dans leur sac et mettre le tout dans leur petite malle.

- Ca y est Docpsi ! On est prêt ! On y va quand tu veux !

- Pas trop tôt ! je dis.

Je regarde ma monture.

- Merde ! je dis, regardez les jumeaux ! Elle a changé de tête !

La petite chose flétrie ressemble à présent à une grosse masse inerte et grise. On dirait une sorte d’encéphale ailé monté sur roues, une sorte de scooter encéphalique volant muni de deux réservoirs pleins à ras bord.

- Bon ! Eh bien ! On va faire avec, je dis.

Je l’enfourche. Je boucle mon casque, je mets le contact. Le moteur démarre.

- Vous êtes bien calés, les jumeaux ?

- Ouais !

- Go ! je dis.

Et me voilà reparti ! Direction planète Net.

 

*

 

Je suis aspiré dans un tourbillon. Je tourne, je tourne, je tourne. C'est vertigineux! Puis je suis projeté dans une sorte de grand couloir très étroit.

- Merde ! je dis, la douane !

A la frontière, y a juste un grand gaillard avec un uniforme et une petite pancarte; Planète Net, no admittance for Pas Net People.

- Ca commence bien ! je dis.

- Papiers s'il vous plaît !

Je coupe le moteur, fouille dans ma veste et lui tends mon passeport. Le grand type parcourt le petit livret avec une attention soutenue en me jetant de temps à autre un regard inquisiteur.

- Vous avez quelque chose à déclarer !

- Non ! je dis, pas à ce que je sache !

- Vous venez pourquoi exactement ?

J'hésite. En fait, j'en sais trop rien.

- Euh… tourisme, je dis.

- Les visites de tourisme se font uniquement sous escorte, monsieur !

- Ah ! je dis, c'est obligatoire ?

- C'est le règlement, monsieur, article 5bis alinéa 25ter du code de la circulation publique !

- Ah ! Ben oui ! je dis, dans ce cas !

- Sachez également que vous ne devez pas rester plus de 4 heures sur notre territoire !

Je regarde le grand type.

- Passé ce délai, vous vous exposez à de graves ennuis ! Bonne visite, Monsieur !

Je démarre. Dans le rétroviseur, je vois deux motards qui démarrent aussitôt.

- Eh bien ! je dis, ça promet comme petite excursion !

 

*

 

- Mon Dieu ! Que c'est laid !

- Mais non, c'est pas laid, c'est Net ! je dis.

Je regarde dans le rétroviseur. Les deux motards sont derrière moi.

- Eh ! Les jumeaux ! Mettez-la un peu en sourdine avec vos critiques ! Peut-être qu’ils ont branché des micros !

On continue de rouler en silence. On emprunte de grandes avenues qui ressemblent à de larges couloirs d'hôpital. Tout est blanc, carrelé, impeccablement propre et net. Partout il y a des espèces de grandes barres qui montent vers le ciel. On dirait des immeubles.

- Avec des murs transparents ?

- Je sais pas, Suzie ! Mais tu vois bien qu'il y a des gens dedans !

- Pour voir, ça, on voit ! On voit même que ça ! Je me demande à quoi ça peut servir ces murs transparents !

- Patience Lucie ! je dis. Ça sert à ça les voyages ! On regarde, on s'interroge, on essaye de comprendre. On demandera à l'office de l'immigration touristique !

On continue de rouler. Sur les trottoirs carrelés, quelques autochtones vêtus d'un costume blanc marchent d'un pas mécanique. Je m'arrête devant l'un d'eux.

- Hep ! Bonjour ! Je cherche l'office de l'immigration touris…

Mais je n'achève pas ma phrase. Le passant passe sans même me jeter un regard.

- Hep ! Monsieur ! Je ne vous veux aucun mal, je voudrais simplement un renseignement !

Derrière moi, j'entends les deux motards s'arrêter.

- Inutile d'insister, Monsieur ! Il ne peut ni vous voir ni vous entendre. Il n'a pas été programmé pour cela.

- Ah ! … Et y aurait-il quelqu'un de programmé pour me dire où se trouve l'office d'immigration touristique ! je dis.

- Mais bien sûr, Monsieur ! Veuillez-me suivre !

Je le suis. L'autre motard roule derrière moi. Au cas où je voudrais m'échapper, je suppose. Je me demande quand même qui serait assez fou pour essayer de leur fausser compagnie.

- C'est un vrai labyrinthe ici !

Je fais remarquer à Lucie que pour une fois je suis d'accord avec elle. Tout est d'une ennuyeuse symétrie. Les rues sont parallèles ou perpendiculaires. Pas un seul virage depuis qu'on est arrivé là. Une courbe, c'est pas net, ça ferait comme une tache ici! On arrive dans une rue qui ressemble à toutes les autres. On s'arrête devant un bâtiment qui ressemble à tous ceux qu'on a déjà vus.

- C'est ici !

- Eh bien, merci beaucoup Monsieur le motard, je dis, sans vous, je crois qu'on aurait jamais trouvé !

- Je vous en prie, Monsieur, c'est notre travail, nous avons été programmés pour cela !

- Oui ! je dis, c'est bien ce que j'ai cru comprendre !

Je coupe le moteur. Je demande aux jumeaux de rentrer discrètement entre mes oreilles puis je descends de ma monture. Je fouille dans mon petit coffre, j'en sors l'antivol et le fixe sur ma roue sous le regard étonné des deux motards.

- C'est inutile, Monsieur ! Ici, aucun individu n'a été programmé pour voler !

- Ah… suis-je bête ! je dis, c'est l'habitude !

Je range mon attirail avec un sourire idiot et je pousse la porte de l'office de l'immigration touristique. Enfin, pousser n'est pas le mot. Elle s'ouvre automatiquement à mon approche. En franchissant le seuil, j'entends une voix douce et mélodieuse, un brin synthétique il est vrai, me dire : Bienvenue au cœur de la Planète Net, Monsieur. Mais à peine entré, un rideau de fer tombe lourdement à mes pieds. 

- Merde ! Les cons ! je dis.

Je regarde la grille un peu stupéfait puis je fais demi-tour.

- Bande de cons ! je dis, allez-vous faire foutre ! Et restez-y dans le cœur de votre putain de planète !

Et je repasse la porte automatique, bien décidé à profiter de mon séjour pour m’attarder un instant sur le quai-frontière. Je longe le quai sur plusieurs centaines de mètres et m’assois sur un banc face à l’océan.    

 

*

 

J’ai une vue imprenable sur le port où s'entassent une flopée de voiliers amarrés au ponton. Et malgré la foule un peu folle qui longe le mur derrière moi, je sens que j’aime cet endroit. Comme s'il me rapprochait de mes rêves. J’aimerais faire le pas. Mais je reste là, accroché au quai de ma folie, en regardant ceux qui s'embarquent pour la planète Net avec un peu d'envie et un peu de mépris. C'est ainsi. Je suis comme ça. Toujours indécis et toujours aussi fou. Alors je reste là à contempler mon isolement dans le frétillement du monde qui s'agite devant moi.

- Eh ! Toi ! Qu’est-ce que tu fous là ?

Je sursaute. Je vois un groupe de trois individus qui me fixent d'un drôle d'air. Un air méchant. Eux aussi ont dû être refoulés du cœur de la planète Net. Je ne réponds rien. Ils s'éloignent en m'insultant. Je ne réplique toujours pas. Un peu par lâcheté, un peu par indifférence. Au fond je les méprise. Je n’ai jamais su réagir face à l'agression du monde. Alors je laisse dire sans vraiment me laisser faire. Je me souviens de ma véhémence avant quand j'étais plus jeune. Mais je crois à présent que j'ai fini par m'en foutre ou presque. J'évite simplement les gens dont la présence est déjà comme une agression contre laquelle je ne peux rien. Je pense à l'île déserte dans laquelle j'aimerais vivre. J'oublie ma folie. J’oublie ce monde de fous. J'oublie la planète Net et son cœur névralgique. J'oublie tout, l'endroit même où je me trouve. J’oublie jusqu’à mon nom. Je ne vois plus que la fourmi perchée sur un petit caillou à la forme étrange posé devant moi au milieu d'une flaque d'eau. Là, presque à mes pieds. Je la regarde. Elle cherche une issue pour rejoindre ses camarades. Elle s'agite et frétille pour rejoindre le monde net et frétillant. Pauvre petit animal perdu, seul sur sa pierre... J'aimerais tant lui parler, lui dire qu'elle a tort de vouloir échapper ainsi à son isolement. N'est-elle pas tranquille là, loin de l'agitation tourbillonnante de sa fourmilière ?

- Eh ! Petite fourmi ! je dis, pourquoi veux-tu t'échapper ?

Elle me regarde sans comprendre, un peu effrayée qu'on s'intéresse à elle. Je m'approche davantage.

- Qu'est-ce que tu racontes ? qu’elle me dit.

Je suis un peu pris au dépourvu.

- Que… je suis… un peu comme toi, je dis.

J'ai brusquement envie de pleurer.

- Je me sens si seul, si fragile et si désemparé ! Autant que toi sur ton petit caillou !

- Qu'est-ce que tu racontes ! qu’elle dit, je cherche seulement une solution pour sortir d'ici !

- Moi aussi ! je dis, n'empêche que c’est impossible ! On ne peut pas échapper à son destin, petite fourmi !

Je sens une larme couler sur ma joue. Je voudrais tant l'aider à se protéger d’elle-même. Mais je ne peux pas. C'est au-dessus de mes forces. Je ne peux pas.

- Il faut que je rentre maintenant ! je dis.

- Déjà ! Mais tu viens à peine d'arriver !

- Mais tu ne vois pas que je n'en peux plus d'être là! je dis.

Elle me lance un regard réprobateur. Comme si j'étais le dernier des hommes. Je me déteste. J'aurais tant aimé me sentir suffisamment fort pour l'aider. Je me sens si faible, si lâche devant la vie. Je me lève péniblement. Je retrouve ma monture garée de l'autre côté de l’enceinte. Je pense à Suzie qui n'est pas là. Je pense à la fourmi que je n’ai pas pu aider. Je pense à la mer et aux bateaux en partance pour le cœur de la planète Net. Je sens que je ne pourrais jamais échapper à ma vie. Je sens que je vais lentement sombrer dans cette folie qui m’éloignera toujours plus des portes du monde. 

 

 

6. Confrontation

Au clocher sonnent 12 heures. Je me réveille avec un mal de tête à assommer un bœuf. J'allume ma première cigarette.

- Ouvre la fenêtre, Docpsi ! Tu m'empestes !

Je crache ma fumée. J'entends le bruit des voitures et des gens qui quittent leur travail pour la pause de midi. J'ai un haut le cœur.

- Comment font-il, Suzie ? je dis.

- Ils font, c'est tout ! C'est pas plus compliqué que ça, Docpsi !

- Mais ils le trouvent où le courage de faire ce qu’ils font !

- Où ils peuvent ! Tu es marrant, toi, tu me poses de ces questions !

J'entends les klaxons, les moteurs qui accélèrent, les coups de freins, quelques éclats de voix qui me parviennent par la fenêtre entrouverte.

- C'est au-dessus de mes forces ! je dis. Ca me tue moi cette réalité !

- Mais on n'a pas le choix, Docpsi !

- Oui, je dis. N'empêche que je ne comprends pas comment ils font !

- Qu'est-ce que tu ne comprends pas, Docpsi ?

- A quoi ça rime… tout ça !

- Parce que c'est comme ça, Docpsi !

- C'est quand même une drôle de vie ! je dis. Etre obligé de faire des trucs qui t'emmerdent l'existence!

 

Je regarde la pluie qui tape contre la fenêtre et le ciel gris qui se déverse sur les toits de la ville. Tout est gris et ennuyeux. Je me lève. Sur le bureau, je vois le petit cahier noirci de mots inutiles qui m'attend perdu au milieu d'un enchevêtrement de feuilles écornées. Je n'ai pas le courage de l’ouvrir. Pourtant je l'ouvre et je me mets à écrire ces phrases avec une sorte de dégoût et d’immense lassitude.

 

*

 

- Franchement où tu veux en venir, Pascal ?

- En venir avec quoi, Docpsi ?

- Ben, avec cette histoire, pardi !

- J'en sais rien, mon vieux ! Pourquoi tu me demandes ça ?

- Parce qu'elle me plaît pas, ton histoire !

- Tu la trouves trop compliquée ?

- Compliquée ? Laisse-moi rire ! Décousue, inintéressante oui, mais compliquée…

- Tu trouves qu’Elle n'est pas suffisamment réaliste, c'est ça ?

- Mais s'il y avait que ça, mon pauvre Pascal ! On n'avance pas ! Y a pas d'action ! Et puis je suis un héros complètement paumé dans cette histoire !

- C'est parce que t’es un anti-héros ! C'est pour ça !

- Eh ben, moi, je te dis que ton anti-héros, il vaut zéro ! Il est fou, il est bête et il ne voit pas plus loin que le bout de son nez ! Et puis tu me traînes dans la médiocrité depuis le début ! J’en ai vraiment marre de jouer dans cette histoire !

- Oh ! T'es dur quand même, Docpsi !

- Eh ! Tu sais le nombre de types qu'essayent de faire publier leur manuscrit ?

- Non ! je ne sais pas, docspi !

- Eh bien ! Il y en a une flopée, crois-moi ! T'as vraiment aucune chance avec une histoire pareille ! Pas de style, pas de ton, pas d'atmosphère, des personnages grotesques et stupides, dont je fais partie, je te signale ! Mais où tu vas les chercher, mon vieux !

- Là, tu veux me décourager !

- Moi ? Mais pas du tout, voyons ! Qu'est-ce que tu vas chercher !

- Eh ! T'as qu'à m'aider au lieu de te plaindre !

- Moi, mais j'y suis pour rien si tu me fais jouer dans ton histoire débile ! J'ai à peine mon mot à dire! T'as vu les moyens que tu m'as donnés ! J'ai 200 mots à mon vocabulaire, j'ai l'esprit étroit ! Je suis à moitié cinglé ! Et tu voudrais que je fasse des miracles !

- Oh ! Ecoute là… Tu exagères, Docspi ! C'est trop facile ! T'as qu'à te débrouiller un peu tout seul au lieu de compter sur moi !

- Ben, y manquerait plus que je fasse ton boulot maintenant !

- Oh ! Ca suffit maintenant ! Tu commences à m'emmerder avec tes remarques, Docpsi ! Tu veux du réalisme, tu veux de l'action ? Tu veux être un vrai héros ? Eh bien ! Attends ! tu ne perds rien pour attendre !

- Chiche !

 

Et d’un geste rageur, je saisis mon stylo. J'enlève mon capuchon, prends la première feuille qui traîne dans mon bordel et me mets à écrire avec frénésie.

 

*

 

Mes yeux croisent le bout de journal qui se balance devant mon bureau sur le montant de la fenêtre. Ça fait 2 mois que je l'ai punaisé là bien en évidence. Je lis : "Vends fourgon de plus de 20 ans, excellent état. Idéal pour artisan. Prix à débattre. Tél. 06 na na na na na na". Je repense à mon rêve. Artisan-saltimbanque. Je suis un peu nerveux. Je me racle la gorge. Je compose le numéro. Ça sonne.

- Allô, bonjour Monsieur, je vous appelle concernant l'annonce pour le camping-car !

- Oui…

- J'aimerais avoir plus de renseignements…

- Dites-moi !

- Ben, j'aimerais savoir par exemple si bla bla bla…

- Bien sûr Monsieur, il dispose de bla bla bla et de bla bla bla…

- Ah ! Très bien et pourrais-je le voir ?

- Mais bien entendu ! Demain soir, cela vous conviendrait-il ?

- Tout à fait, vous habitez…

- 23 rue de la Liberté.

- Eh bien à demain Monsieur.

Et je raccroche. Mais non, c'est pas possible, je pourrai jamais faire ça. J'aurai jamais le courage d’appeler. Je regarde la petite annonce que le vent fait danser sous mes yeux. On dirait qu'elle me nargue.

- Tu ne m'auras pas ! Tu ne m'auras pas !

- Quoi je t'aurais pas ! je dis.

- T'es trop lâche ! T'es trop lâche ! T'as pas le courage d'appeler !

- C'est pas pour appeler que je t'ai mis là, c'est pour rêver ! je dis. Mais ça, tu peux pas le comprendre !

- T'es qu'un gros nul Docpsi ! T'es qu'un gros nul ! IL a raison l'autre, tu te caches derrière SA nullité !

Je regarde l'annonce qui se tortille. Elle est comme les autres celle-là, elle comprend rien.

- C'est l'espoir qu'est important ! je dis, pas d'avancer ou de réussir les trucs !

- Ca, c'est pour donner bonne conscience à ta paresse et à ta lâcheté ! Mais au fond, tu sais bien que j'ai raison, Docpsi !

- Vous êtes tous pareils ! je dis, il vous faut toujours plein de trucs pour vous prouver que vous avancez ! Avancer ! Avancer ! Vous avez plus que ce mot-là à la bouche !

- Eh bien ! C'est parce que c’est comme ça qu'on évolue dans la vie, Docpsi ! Tu peux pas aller contre la nature des choses !

- Avancer dans la vie, nature des choses, tu parles ! je dis. Vous regardez la vie par le petit bout de la lorgnette ! C'est tout ce que je vois moi !

- Quelle mauvaise foi, Docpsi !

- Mauvaise foi de rien du tout ! C'est vous qui croyez à des trucs faux, c'est pas moi ! Et après on vient me parler de mauvaise foi ! Elle est bien bonne celle-là !

- Oh ! Te crois pas au-dessus de tout le monde, Docpsi !

- J’ai jamais dit que je me croyais au-dessus de tout le monde! Je me crois au-dessus de personne ! Ni au-dessus ni en dessous ! Je me sens juste un peu à côté !

- Et ça te donne le droit de juger les autres !

- Je juge pas, je constate ! je dis, et puis tiens, tu m'énerves toi aussi !

Et j'arrache le petit bout de journal. Je le froisse et je le jette par terre. Je sens que j'étouffe. Je prends ma veste et je sors.

 

*

 

Je remonte mon col. Il fait froid. Dehors, les rues sont pleines de gens. Je longe la grande avenue. Je passe devant les devantures éclairées où s'attardent quelques employés de bureau. Je les trouve pathétiques avec leur démarche saccadée, leur petit sac qu'ils tiennent d'une main ferme. J'ai une envie de rire que j'ai du mal à contenir. Oh ! Rien de bien méchant ! Juste un petit rire moqueur qui se pose sur mes lèvres quand je les croise. Je m'apprête à traverser le pont. Je veux marcher dans la forêt, de l’autre côté de la ville quand je crois entendre quelqu'un qui m'appelle.

- Eh ! Docpsi !

- …???

- Docpsi ! Nom de Dieu ! C'est pas croyable !

Je regarde un peu interloqué le type qui s'avance vers moi. Il me dépasse d'une bonne tête. Son visage me dit quelque chose. Mais quoi exactement! J'en sais foutre rien !

- Docpsi, sacré Docpsi ! T'as pas changé, hein ! C'est pas croyable ça alors !

Je le regarde plus étonné encore qu'il se souvienne de moi.

- Désolé, je dis, mais je ne vous reconnais pas.

- Philippe ! Philippe Deville ! Ne me dis pas que tu as oublié ! Lycée Jeanne d'Arc, promotion Gustave Cabeau… Quelle année déjà ?

- Philippe Deville ? Ah oui… peut-être, je dis.

- Alors qu'est-ce que tu deviens ?

Moi-même, j'ai envie de lui répondre. Mais j'y arrive pas.

- Bah… , je dis, pas grand-chose !

- Ah ! Sacré Docpsi, toujours le même !

- On se refait pas ! je dis.

- C'est quand même pas croyable de se retrouver comme ça après toutes ces années !

Il regarde sa montre.

- T'as 5 minutes ?

Je hoche la tête. Mais c'est comme si ça m'avait échappé. Il me désigne un bistrot à l'angle de la rue.

 

*

 

Le café est bondé. Il y a un brouhaha pénible qui me donne la nausée. On s'assoit à une petite table en terrasse. Je commande un soda, lui un demi-pression.

- Nom de Dieu Docpsi, alors ça pour une surprise ! Tu passes souvent par ici ?

- J'habite le quartier, je dis.

- Non ? Dans ce trou…

- Eh oui ! je dis.

- Et le boulot ?

- Ca va, je dis.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je bricole à droite à gauche, je dis.

- Ah…

Il me regarde d'un drôle d'air.

- T'es pas au chômage au moins ?

- Non, non, ça va ! je dis.

- Non parce que c'est terrible le chômage ! Tous ces pauvres types qui cherchent du boulot…

Il me débite son couplet sur la férocité du système. Il me raconte son boulot. Cadre quelque chose dans une boîte d'électro-machin, chargé de la clientèle industrielle. Tout ça m'ennuie prodigieusement.

- Je dois t'embêter avec mes histoires, non ?

- Non, non, je dis.

- Parlons bonnes femmes alors ! Marié pas marié ?

- Pas marié, je dis.

- Eh bien, mon pauvre Docpsi, la vie n'a pas l'air de t'avoir souri !

J'essaye d'esquisser un sourire.

- J'aime le sourire édenté de la vie, je dis.

Il a pas l'air de comprendre. Il embraye aussitôt sur sa femme; assistante commerciale dans la même boîte que lui, rencontrée il y a quelques années dans un séminaire payé par la direction.

- L'idylle, mon vieux ! Une vraie perle ! J'ai vraiment tiré le gros lot !

Il me raconte quelques détails scabreux, la grossesse en cours, son appartement dans un quartier chic de la capitale, son projet de résidence secondaire, l'avenir du gosse qu'est pas encore né. J'écoute tout ça d'un air faussement attentif. J'ai envie de vomir. Je me lève.

- Il faut que j'y aille, je dis.

- Ecoute, Docpsi ! Maintenant qu'on s'est retrouvés, on va pas se lâcher comme ça ! Je passe souvent par ici pour un de nos plus gros clients, je…

Il me tend sa carte de visite.

- Tu m'appelles quand tu veux, mon vieux !

Il me serre la main avec chaleur. Je sors sans un mot, sans un regard. Je sens le sien fixer mon dos. Je sais ce qu'il doit penser. Que je suis un pauvre type avec une vie de merde, sans boulot, sans femme. Dehors, je déchire la carte. Je glisse les morceaux dans la première poubelle et je rentre au foyer en regardant mon ombre s'allonger sous la lumière blafarde des réverbères.

 

 

7. Soubresauts

Je repense à mon rêve. Qu'est-ce que je risque après tout ? Allez Docpsi, courage ! je me dis. Je décroche le combiné. Je compose le numéro. Ça sonne.

- Allô papounet, c'est moi !

- Docpsi…? Tu es bien matinal…dis-moi !

- Oui, je dis, ça va ?

- Ma foi, on fait aller !

- Dis, t'as pas 5 minutes, je voudrais te demander quelque chose…

- Hum… eh bien ! Vas-y ! Je t'écoute !

J'hésite. J'ose pas.

- Tu sais…

Mais y a rien qui sort.

- T'es toujours là, papounet ? je dis.

- Oui, alors qu'est-ce que tu as à me dire ?

Allez Bon Dieu, Docpsi ! je me dis, lance-toi, t'as rien à perdre ! Alors, d'un coup, ça part tout seul. J'embraye sur des trucs que je voulais pas lui dire et que je lui dis quand même.

- Tu sais…, papounet, y a quelque chose qui me turlupine depuis quelque temps.

Je reprends ma respiration. Je repense à la petite boule de papier avec l’annonce que j’ai jetée par terre.

- Tu sais que je me sens bien ici au foyer, mais depuis un moment, j'arrive plus à supporter tout ce monde autour de moi. J'ai envie de bouger, voilà papounet !

- Mais pour aller où, Docpsi ?

- Euh… eh bien…Ch'ai pas encore trop bien, papounet.

- Oh ! Docpsi ! Mon pauvre Docpsi ! T'as vraiment pas changé ! 

- Ben… toi non plus papounet ! Toi non plus, t'as pas changé quand je t'entends dire ça !

- Toi, je sens que tu m’appelles parce que t'as besoin d'argent ! Je me trompe, Docpsi ?

- Ben… c’est que… j'ai repensé à ta proposition de la dernière fois ! Je me demandais si ça tenait toujours !

- Ah ! Ca Docpsi, si c'est pour tout claquer sur un coup de tête, ça m’étonnerait que tu puisses compter sur moi ! 

- T'es marrant toi, papounet ! Un jour, tu proposes de m'aider et puis le lendemain, t'es plus d'accord ! Tu sais bien que déjà ça me dérange de te demander alors…

- Eh bien ! C'est bien pour ça que je suis prêt à t'écouter, mon petit Docpsi !

- Oh ! Je sais, tu vas m'écouter d'une oreille, et puis tu vas me dire que c'est pas raisonnable !

 

Je lui raconte le rêve que j'ai derrière la tête; l'histoire du saltimbanque avec sa roulotte. Je sens bien qu'il m'écoute pas et qu’il s’en fout de mon rêve de saltimbanque. Moi, ça me met mal à l'aise. Je bafouille, je trouve pas les mots pour dire ce que j'ai envie de dire. D'ailleurs, je sais même plus ce que j'ai envie de dire. Je me perds dans des explications qu'il doit même pas comprendre. Et puis, je me sens un peu gêné de lui demander ça à mon âge ! Il m'interrompt.

- Docpsi ! Arrête de tourner autour du pot et dis-moi combien il te faut !

Je réponds rien. Je me sens tout penaud, un peu étonné aussi.

- Parce que tu ne sais pas encore combien il te faut pour partir !

- Ben non… je dis.

- Ecoute Docpsi, si tu veux que je t’aide, il faut que tu commences par faire les choses correctement !

- Oui papounet, je sais, je dis, et puis dans l'ordre aussi, tu me l'as suffisamment répété comme ça quand j’étais môme !

- Bon ! Eh bien ! Tu réfléchis encore un peu, Docpsi ! Et puis on en reparlera quand tu auras un peu avancé, d'accord ?

- D'accord, je dis.

Et je raccroche.

 

*

 

Dehors, j'entends la voix des camelots haranguer la foule des chalands qui se pressent devant les échoppes. C'est jour de marché aujourd'hui.  Et les jours de marché me donnent cette occasion presque inespérée de tromper un moment mon ennui. Comme peut très bien le faire d'ailleurs la contemplation des nuages dans le ciel ou celle plus idiote des rideaux qui s'agitent quand je laisse ma fenêtre entrouverte ou celle des fissures du plafond dans lesquelles je me sens glisser vers un ailleurs plus salutaire. Mais les jours de marché, c'est différent. C'est la réalité, la vraie qui s'agite sous mes fenêtres. Je regarde tout ça, tous ces gens qui traînent leur caddie, leur gosse dans les bras, leur chien en laisse, en couple ou en famille. Tous ces gens faussement occupés qui s'agglutinent devant les stands en traînant leurs pieds et leur ennui derrière eux. J'ai un haut le cœur! Je vois plus qu'un mouvement informe qui coule devant mes yeux qui ne regardent même plus la foule. Je vois plus que le grand marronnier immobile qui regarde tout ça d'un air moqueur et amusé. Je vois plus que le coin de ciel bleu et les nuages qui passent au-dessus de ma tête derrière le béton jauni de l'immeuble d'en face. J'entends les cris des enfants et des marchands forains. J'entends quelques bribes de conversations écœurantes et qui m'écœurent plus encore. Je sens tout ce flot me submerger. Et pourtant je suis là-haut, assis à ma table devant mon cahier, loin de ce monde ignoble qui me donne la nausée.

 

*

 

Je ferme les yeux. Et soudain une lame de fond me soulève et me jette dans la foule. Je m’arrête un instant, la tête un peu étourdie. Puis je regarde autour de moi. Je me souviens seulement de la grande pancarte à l'entrée de la ville; Friconsoland, le pays où le bonheur s'achète. Un vrai labyrinthe de couloirs, larges comme des avenues, un dédale de vitrines tapageuses et d'échoppes luxueuses, un feu d'artifice de néons et que d'habitants, que d'habitants ! Et pas moyen de m'arrêter pour demander mon chemin. Je suis pris dans le flux des Friconsommeurs.

- Quelle guigne ! je dis.

Et ça pousse derrière, et ça pousse sur les côtés.

- Vous avez pas fini, oui ! je dis.

Mais ma voix se perd dans le brouhaha des couloirs animés où tous les dix mètres un écran géant diffuse des clips à la mode. Impossible de s'entendre ici. D'ailleurs personne ne parle. On n'est pas là pour ça. On se pousse devant les vitrines pour emplir le chariot que l'on pousse devant soi, on compare les articles, on compare les prix, et on achète, on achète, on achète. J'essaye de me souvenir de l'itinéraire que j'ai emprunté pour venir jusqu’ici.

1. J'ai laissé mon scooter à l'entrée de la ville sur le grand parking qui entoure Friconsoland;

2. Après avoir dépassé la grande pancarte, je me suis arrêté à la police des frontières (accueil chaleureux et souriant par de conviviales hôtesses);

3. J'ai emprunté la rue principale (Avenue du bonheur) jusqu'au quartier des Plaisirs et Divertissements que j'ai visité au pas de course (écrans, consoles, accessoires sexuels vivants et inertes et d'autres marchandises du même acabit);

4. J'ai repris l'Avenue du bonheur. J'ai laissé sur ma droite le quartier des Affaires que j'ai longé sur plusieurs centaines de mètres avant d'arriver au carrefour du Bien Être Psychique. Ensuite j'ai voulu m'enfoncer dans le quartier du Cyberspace. C'est là que je me suis paumé. J'ai cliqué, cliqué, recliqué. Et alors là, c'était la fin ! Impossible de retrouver mon chemin. Impossible de savoir où j'étais, d'où je venais, où j'allais. L'enfer quoi ! J'ai entendu dire que beaucoup de monde se perdait ici. Y paraîtrait même que certains disparaissent. Rien que d'y penser, ça me fout les boules.

- Merde ! je dis en touchant la poche intérieure de mon blouson, mon portefeuille !

Je me rends compte que j'ai oublié mon portefeuille. J’ai pas mes papiers, pas de cartes de crédit, pas de chéquier. Je suis tout nu comme un homme mort. Je me dis que je ne vais pas pouvoir survivre ici plus de quelques heures. Je réfléchis à ce que je pourrais bien vendre pour trouver un peu d'argent. Mais je n’ai rien sur moi. Je n’ai rien, absolument rien. Juste mon pauvre manuscrit inachevé sorti de ma pauvre imagination écrit sur mon vieux cahier. Après tout j'ai qu'à essayer, j'ai rien à perdre, je me dis.

- Monsieur s'il vous plaît ! Pouvez-vous m’indiquer le quartier des Marchandises Humaines ?

Le type me regarde sans répondre.

- Eh ! S'il vous plaît, monsieur !

Mais le salop a déjà cliqué et disparaît. C'est comme ça ici ! Chacun pour sa gueule et l'argent pour tous ! A condition bien sûr d'en payer le prix. Ca fait pas vraiment mon affaire tout ça !

- Quel pays de cons ! je dis.         

Je continue de marcher la tête dans les épaules happé dans la masse indifférente des Friconsommeurs du Cyberspace quand j'aperçois soudain un homme tranquillement barricadé derrière son bureau. Derrière lui,  il y a une pancarte. Je lis : Service des Marchandises Hu-maines. Je m’avance vers le guichet la gorge serrée et les mains tremblantes.

 

*

 

- Asseyez-vous, monsieur, je vous en prie !

Je m'assois intimidé, mon manuscrit inachevé à la main.

- Je vous écoute…

Mes mains se mettent à trembler de plus bel. Je m'éclaircis la voix et commence à lire :

- …

- Alors Docpsi, où en êtes-vous ?

- Où j'en suis ?

- Oui, où en sont vos projets, Docpsi ?

- Mais de quoi parlez-vous, docteur ?

- De quoi voulez-vous que je vous parle, Docpsi ?

- Je sais pas, c'est vous le docteur !

- Docspi ! Ne vous faites pas plus bête que vous n'êtes !

- Eh bien ! C'est la meilleure celle-là ! je dis, alors comme ça vous pensez que je suis bête !

- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire Docpsi !

- Si, si ! Développez ! Ça m'intéresse, docteur !

- Eh bien je ne sais pas, il faut toujours que vous vous posiez des questions à propos de tout !

- Comme un débile mental, c'est ça !

- Mais non, Docpsi, voyons ! Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !

- Non, je vous fais dire ce que vous pensez, c'est bien différent ! je dis.

- Vous voyez ! Le problème avec vous Docspi, c'est qu'on ne peut jamais discuter !

- Je me fais insulter ! Et je ne devrais rien dire !

- Ecoutez, Docpsi ! Je crois que nous allons en rester là pour aujourd'hui ! Vous n'avez pas l'air de très bonne humeur !

- Pas l’air de très bonne humeur ! je dis, vous manquez vraiment pas d'air, vous !

- Docpsi, je vous en prie ! Ne m'obligez pas à être désagréable !

- Mais allez-y docteur ! Soyez désagréable ! Sortez un peu de vos gonds ! Ça nous changera ! Parce que si vous saviez où je me la mets votre neutralité bienveillante !

- Docpsi ! Ca suffit maintenant !

- Eh bien, docteur ! Que se passe-t-il ? Quand ça se passe pas comme vous voulez, vous vous énervez, c'est ça ! Mais il faut vous faire soigner, docteur !

- Docpsi ! Encore une insolence et j'appelle les infirmiers !

- Mais appelez-les donc vos gardes débiles ! je dis.

- Docpsi ! Ne me poussez pas à bout !

- Mais si vous êtes à bout, docteur, il faut vous faire psychanalyser les nerfs !

- …

- …

- Alors vous trouvez comment ? je dis.

- Pas très fameux, mon petit Docpsi ! Pas très fameux !

- Pas très fameux, mon petit Docpsi ! Pas très fameux ! Faut voir ! je dis. Vous êtes un vrai trou du cul, vous, pour me dire ça !

- Docpsi, mais qu'est-ce qui vous prend ! Vous dépassez vraiment les bornes !

- C'est la meilleure celle-là ! Je dépasse les bornes maintenant ! On n'avait qu'à les fixer ensemble, docteur ! Notre terrain de jeu serait plus large !

- Docspi ! Là, vous êtes en train de perdre la tête ! Si vous croyez que je n'ai que ça à faire ! Il y a d’autres patients qui m’attendent, figurez-vous ! 

Quand je pense à quoi il passe son temps et à quoi se résument ses visites, je me mets à glousser.

- Je peux vous poser une question, docteur !

- Eh bien ! Dites toujours, Docpsi !

- Est-ce que vous aimez vraiment votre métier, docteur ?

- Je n'ai pas à répondre à ce genre de question, Docpsi !

- Et pourquoi donc, docteur ?

- Parce qu’elle dépasse le cadre de notre thérapie, Docpsi ! Je n'y répondrai donc pas !

- Eh bien, moi, je vais vous dire ce que vous êtes, docteur ! Vous êtes une grosse merde, vous et votre comité de sélection ! Voilà ce que je tenais à vous dire ! Une grosse merde qui pue et qui fait mal son boulot !

- Docpsi, ça suffit maintenant !

- Eh bien, docteur ! Que se passe-t-il ? Quand ça se passe pas comme vous voulez, vous vous énervez, c'est ça ! Mais il faut vous faire soigner, docteur !

- Docpsi ! Encore une insolence et j'appelle les infirmiers !

- Mais appelez-les donc vos gardes débiles ! je dis.

- Docpsi ! Ne me poussez pas à bout !

- Mais si vous êtes à bout, docteur, il faut vous faire psychanalyser les nerfs !

- …

- …

- Alors vous trouvez comment ? je dis.

- Pas très fameux, mon petit Docpsi ! Pas très fameux ! Mais intéressant ! Intéressant, mon petit Docpsi ! Poursuivez, voulez-vous !

- Alors où en êtes-vous, Docpsi ?

- Où j'en suis ?

- Oui, où en sont vos projets, Docpsi ?

- Mais de quoi parlez-vous, docteur ?

- De quoi voulez-vous que je vous parle, Docpsi ?

- Je sais pas, c'est vous le docteur !

- Docspi ! Ne…

- …

 

*

 

- Docspi !

Je sursaute.

- Tu es prêt ?

- Oui ! Deux minutes, Suzie ! Le temps de passer ma veste et j'arrive !

Je referme mon cahier.

- Dis, ça ne t'ennuie pas au moins de venir ?

- Penses-tu ! Au contraire, ça me fait très plaisir de t'accompagner, Suzie !

- Non, parce qu'il ne faudrait pas que tu te sentes obligé, Docpsi ! Après tout, ce ne sont pas tes amis!

 

*

 

- Suzie ! Docpsi ! Bonjour ! Entrez ! Je vous en prie!

- Bonjour ! je dis.

- Sale temps aujourd'hui, hein !

Je regarde la pluie cogner contre les carreaux de la fenêtre.

- Oui, je dis.

Je retire ma veste et la mets sur le dossier du canapé. Je regarde Suzie. Elle n'est pas très à l'aise. Personne n'a l’air très à l'aise, je crois.

- Ben, je crois qu'on peut passer à table !

On s'assoit sans rien dire. Suzie à ma gauche, Fred à ma droite et Marion en face de  moi.

- Vous travaillez dans les chiens, c'est ça ?

- Euh… oui… enfin, à vrai dire, il m'arrive plutôt de travailler avec, deux fois par semaine ! je dis.

- Enfin, je voulais dire que vous êtes dans le milieu du chien !

- Oui, c'est ça, je dis, au milieu des chiens !

Suzie me lance un regard furibond. Et moi, j'ai envie de me marrer. Mais personne ne rigole.

- Ah ? Et ça se passe bien ?

- Quand j'y suis, plutôt bien ! je dis.

- Ah ! Et bien tant mieux !

Marion se lève pour aller chercher les plats et elle sert tout le monde sans un mot. Je me dis qu'elle a peut-être raison ! Quand on voit toute les conneries qu'on sort à ce genre de dîner.

- Eh bien, bon appétit !

- Et bla bla bla et bla bla bla… parce que nous, nous travaillons à la préfecture…

- Ah Oui ? je dis.

- Oui, comme votre père, je crois, n’est-ce pas ?

- Euh… eh bien…

- Oui, nous l’avons déjà…. enfin… il est très bla bla bla…

- …

- Non ? N'ai-je pas raison de vous dire que bla bla bla…

- Bien sûr ! je dis, Suzie, tu peux me passer le sel, s'il te plaît !

- …

- …

- …

Silence.

- Bla bla bla…

- …

Silence.

- etc etc etc

- …

- …

- Etre soi-même, bon sang ! Vous comprenez tout de même que c’est quelque chose d’important, n’est-ce pas ? Alors pourquoi vous vous échinez à jouer votre petit rôle en me racontant des trucs dont je me contrefous !

           

Silence. Je vois comme une sorte de sourire sur le visage de Marion. Les deux autres baissent la tête comme si ce que je venais de dire était honteux. Suzie ne sait plus où se mettre. Je crois que mon attitude l'a mise très mal à l'aise.

- Eh bien ! Je crois qu’il est temps de rentrer, Docpsi n’est-ce pas ?

- Eh bien, comme tu veux, Suzie ! je dis.

 

On se lève. Je remets ma veste. Suzie remet son manteau. Fred nous raccompagne jusqu'à l'entrée.

- Merci et au revoir, je dis.

- Au revoir !

 

*

 

Et on sort sous la pluie qui nous fouette le visage. Quelle douche glacée quand même ! Et on marche en silence jusqu'au foyer.

- Ils sont toujours comme ça ? je dis. 

- Qui, Docpsi ?

- Eh bien ! Tes amis, la bonne blague !

- Pourquoi, qu'est-ce qu'ils ont, mes amis ?

- Je sais pas, je dis. M'ont l'air plutôt coincés dans leur rôle, voilà !

- Et pourquoi tu dis ça ? Ils sont comme ils sont, Docspi !

- Peut-être… je dis, mais à part le boulot, la famille, la bouffe, les vacances, il a parlé de quoi, ton cher copain Fred ?

- Docpsi ! Tu m'agaces ! Avec toi, il faudrait toujours parler de trucs qui prennent la tête !

- Non ! Mais là ! Ecoute, Suzie ! Franchement, c'était le pompon ! Chacun avec son petit rôle ! Merde ! je dis, si avec les amis, on peut pas faire tomber les masques, mais avec qui on peut le faire alors !

- Mais Docpsi, vous vous connaissez à peine !

- Peut-être, je dis, mais moi, ça m'emmerde les gens qui se contentent des apparences pour donner l'impression d'être comme tout le monde ! Tu comprends ça quand même, Suzie !

Je sens que je l'agace. Mais je sens aussi qu'elle me comprend.

- Il faut que tu arrêtes de juger les gens sans vouloir les comprendre, Docpsi !

Je sais qu’elle a raison. Je sais parfaitement tout cela.

- Je sais, je dis, mais c'est plus fort que moi, Suzie ! J'ai beau vouloir les aimer tous ces gens différents, et en même temps, je peux pas m'empêcher de les détester !

- Entre haine et amour, c’est ça, Docpsi ?

- Oui ! Entre haine et amour ! je dis.

- Au fond, tu sais, Docpsi, y a pas de grande différence entre les deux !

- Oui, je sais bien, je dis.

 

*

 

Je regarde mon cahier et tourne la page. Je m'aperçois en fait que je suis seul dans un quartier inconnu. Mes pas m'ont mené jusqu'ici, dans cet endroit où je ne reconnais plus rien, où il n'y a ni rues, ni maisons, ni voitures, ni personne. Juste la pluie qui dégouline sur mon visage. Je reste là comme un abruti à ne pas savoir quoi faire. Je m'assois par terre et je me mets à pleurer. Ça fait longtemps que je n'ai pas pleuré. Je peux plus m'arrêter. Mes larmes coulent toute seules.

- Pascal ! je crie, aide-moi, je t’en prie !

- qu’est-ce qu’il y a, docpsi ? qu’est-ce qui se passe ?

- Je ne sais pas, je dis, je me sens triste.

- et c’est pour ça que tu m’appelles ? 

- Je sais plus quoi faire, je dis, je crois que je ne supporte pas d’aller dans le monde ! Il me fait peur, Pascal !  

- attends, docpsy ! c’est toi qui l’a cherche tout de même ?

- Oui, un peu, c’est vrai ! je dis.

- et de quoi tu as peur exactement ?

- Je sais pas ! je dis, de tout…  de rien… de la réalité surtout, je crois

- Ah ! mon pauvre docpsi ! mon pauvre docpsi ! comment as-tu pu croire un seul instant que tu pourrais devenir un héros sans affronter la réalité ? Allez, mon vieux ! ne t’en fais pas ! courage ! je t’aiderai ! je resterai avec toi jusqu'à la fin de l’histoire pour te montrer le chemin ! 

- Et où il va, ce chemin ? je dis.

 - Partout où tes pas se poseront, docpsi ! ne t’inquiete pas ! tu trouveras le chemin de la liberté ! patience !

- T’es sûr, Pascal ?

Mais IL me répond rien et me laisse planté là tout seul dans ce quartier inconnu.

- Quelle merde ! je dis.

 

*

 

Quand je reprends mes esprits, j’entends un cri sortir de ma bouche. Un cri de colère et d’incompréhension. Je hurle un bon quart d'heure sans pouvoir m'arrêter. J'avale les larmes qui ruissellent sur mon visage. C'est salé. Puis je me calme et j'essaye de me lever. Mais je n'y arrive pas. Alors je me mets à quatre pattes et j'explore ce qu'il y autour de moi. Mais il n'y a rien. Juste une liane et deux gros fruits ronds et blancs avec au milieu une sorte de languette. Je m'approche et j'y mets la bouche. Il en sort un liquide sucré et chaud. Je tête goulûment. Quand j'ai fini, je m'agrippe à la liane et commence à monter. Je m'arrête régulièrement pour me reposer, puis je continue mon ascension. J'ignore pourquoi mais je monte, je monte, je monte. Ça dure des jours et des jours. C'est terriblement fatigant. Parfois, il m’arrive d’avoir envie de tout lâcher. Mais j'ai peur de m'écraser et de devoir repartir à zéro, de recommencer cette pénible ascension. D'autres fois, c'est facile. Je grimpe sans effort. J'aperçois d'autres personnes sur d'autres lianes. Ils sont tout proches mais pas suffisamment pour les toucher. Alors on se parle. On dit n'importe quoi. Des choses sans importance, mais qui donnent l'impression d'être moins seuls. On sait bien que ça ne sert à rien. Mais c'est comme ça, on le fait quand même. Parce que tout le monde le fait. Je m'arrête. Je regarde autour de moi. Il n'y a rien, ni liane, ni fruits, ni personne. En fait, je suis seul dans ma chambre à pleurer pendu à mes rideaux. Dehors la pluie bat contre les carreaux. J'ai froid. J'ai peur. Et je me sens seul et perdu comme si un océan de solitude m'entourait.

 

*

 

Je pose mon stylo et contemple un instant les quelques pages que je viens d'écrire. Des fois, il me plairait d'imaginer que je suis un grand écrivain. Que je gagne à être connu. Pour le bonheur de ceux qui pourraient me lire. Mais c'est idiot. Complètement idiot. Mes histoires n'intéressent que moi. Et encore. Quand je vis avec elles en les écrivant. Et pour le reste… Je ne suis pas un lecteur enjoué de mes récits. Je m'y applique pourtant. Mais toujours en vain. Je finis toujours par préférer à me laisser aller à une prose plus relâchée. Plus proche de ce que je suis réellement. Comme le plumitif paresseux que je n'ai jamais cessé d'être. Et aujourd'hui, cette façon d'écrire ressemble tant à ma vie que cela ne me dérange plus. Avant oui, peut-être. Mais maintenant… Je regarde avec pitié ces feuilles noircies de médiocrité et de mauvaise littérature. Je tombe de sommeil.

 

 

8. Rencontres

J'ouvre les yeux. 7 coups sonnent au clocher. J'entends au dehors comme une vague clameur. C'est le cortège habituel des petits employés dociles qui entrent dans leur grande prison de verre. Comme de petits écoliers sages qui passent leur vie à attendre la sonnerie de la fin des cours pour s'éparpiller dans la rue. La gaieté en moins. Ce soir, ils marcheront d'un pas rapide, le regard éteint, presque mort, comme des automates un peu tristes, leur petite serviette de cuir qui se balancera au bout de leur bras inerte. Je ne les vois pas. Je les imagine seulement. Et c'est bien suffisant pour savoir de quoi ils ont l'air. Quelle douleur serait-ce pour moi d'être parmi eux !

- Alors Docspi, on écoute les bruits du dehors !

Je sursaute.

- Elodie, vous m'avez fait une de ces peurs ! je dis.

- Vous ne m'avez pas entendu entrer, Docpsi. Je viens voir comment vous allez ce matin.

Je me sens un peu gêné.

- Euh… eh bien, asseyez-vous Elodie, je vous en prie !

Elle s'assoit dans le petit fauteuil, à côté du lit. Elle n'est pas très belle, Elodie. Plutôt quelconque. Mais il y a quelque chose en elle qui me trouble. Je ne sais pas quoi. Ce n'est pas sexuel. Je crois que c'est sa gentillesse. Ça donne envie de me blottir contre elle.

- Ca va, Docpsi ?

- Je… oui, ça va ! Elodie… j'aime bien quand vous venez me voir, vous savez…

- C'est normal Docpsi, c'est mon travail vous savez !

J'aurais préféré une autre réponse, mais je fais comme si je n'avais rien entendu.

- Je me sens si fragile certains jours, je dis.

- Mais nous sommes tous fragiles, Docpsi,

- Je sais, je dis.

- C'est pour ça que nous sommes là, Docpsi, pour vous protéger.

Je regarde le sourire qui se dessine sur son beau visage. Parce qu'en définitive, je le trouve beau moi, son visage. J'ai envie qu'elle me prenne dans ses bras. De mettre ma tête sur son épaule et de lui caresser la peau. Tout doucement, en l'effleurant à peine pour ne pas l'abîmer.

- Docpsi, vous avez l'air triste ! Quelque chose ne va pas ?

- Je pense à des choses, je dis.

- Je vous aime bien Docpsi, je sais que je ne devrais pas vous le dire mais tant pis je vous le dis quand même, ça me fait du bien de venir vous voir !

Je la regarde étonné.

- Enfin, n'en parlons plus ! Oubliez ce que je viens de dire, Docpsi !

- Si ! Si ! Parlons-en au contraire ! je dis.

- On en reparlera plus tard, je vous le promets, Docpsi !

Je la regarde refermer la porte derrière elle. J'ai envie de pleurer. Je ne sais pas si c'est de bonheur ou de tristesse. Ca faisait longtemps que je n'avais pas éprouvé une chose pareille.

 

*

 

Au fond ça me rend triste de penser que je resterai ici toute ma vie. Il y a pourtant tant de choses en moi qui pourraient m’aider à m’en sortir. Je pense souvent à Plumi. Assis sur son banc en train de discuter avec ses amis. Il est peut-être fou, mais lui au moins, il a l'air heureux, tranquillement heureux. Et puis il a choisi définitivement de vivre les choses qui viennent à lui. Moi, je ne sais pas choisir. Je voudrais tout et son contraire. Je sais pourtant qu’il n’y a rien de dramatique à vivre avec cette souffrance-là. Y a pire. Et puis au fond, je me dis que ma vie n'a pas tant d'importance. Sauf que quand on est seul, c'est dur de ne pas y penser sans cesse. Pourtant je sais qu’il n’y a pas que ma vie qui m’intéresse ! Y a beaucoup d’autres choses ! Y a les chiens, l'écriture, y a mon envie de partager les trucs qui me traversent la tête et mon désir d’aimer tous les hommes. Et puis y a aussi les marionnettes et mon rêve de saltimbanque ! Mais je ne sais pas si j’y arriverais. Je crois que c’est impossible. On est trop méchant et trop égoïste pour aider les autres à réaliser leurs rêves. Et puis on est trop différent aussi et pas assez mûrs pour vivre ensemble une belle histoire d'amour sincère et fraternelle.

 

 *

 

11 coups sonnent au clocher. Tous les pensionnaires regagnent le foyer. Je sors de ma chambre et emboîte le pas de Plumi. Nous nous dirigeons ensemble vers le réfectoire.

- Tu en fais une tête aujourd'hui, Docpsi !

Je pose mon plateau sur la table et je m'assois. Plumi dépiaute son yaourt et le verse dans ses carottes râpées.

- Je me sens un peu las d'être ici, je dis.

- Ici ou ailleurs, Docspi !

- Oui, je dis, tu as raison, ici ou ailleurs, ça ne changera pas grand-chose à mon problème !

- Tu ne manges pas Docspi !

Je regarde Plumi avaler avec appétit sa drôle de bouillie.

- Si, si, je dis.

- Alors Docspi, raconte-moi ! Quel est ton problème ?

- C'est compliqué, je dis.

- Tsss ! Tsss ! Tsss ! Allez ! Arrête un peu, Docpsi! Rien n’est vraiment compliqué quand …

- Ben, t’as qu’à dire aussi que j'invente pendant que tu y es ! Eh bien ! Vas-y ! Te gêne pas pour le dire, Plumi !

- Oh ! Je crois qu’on n'en est pas si loin, mon vieux!

- Eh bien si tu crois que tu m'aides en disant ça !

- Je ne suis pas là pour t'aider, Docspi, mais pour essayer de te faire comprendre certaines choses !

- Et quoi donc ? je dis.

- Par exemple que rien n'est compliqué !

- Tu vas quand même pas me dire que tout est simple dans la vie ! je dis.

- Quand on accepte les choses qui nous arrivent, tout devient très facile Docpsi ! Toi, tu cherches toujours à comprendre les choses au lieu de les vivre comme elles viennent ! C'est ça ton problème!

- Qu'est-ce que t'en sais, toi, d'abord ! je dis.

- C'est pas compliqué, mon vieux, il suffit de t'observer ! Tu es plus transparent que tu voudrais le croire, Docpsi !

- Bon, je dis, admettons! Et après ?

- Et après rien ! Il faut simplement que tu apprennes à vivre ce que tu as à vivre au lieu de cogiter sans cesse à tort et à travers !

- Attends ! je dis, je rêve ! On croirait entendre Théozène !

- Théozène… ? Eh bien, oui ! Théozène a parfaitement raison, mon vieux ! Il n’y a pas 36 solutions pour apprendre à devenir heureux ; il faut simplement accepter ce que le destin te donne à vivre !

- Destin ! Destin ! je dis, tu parles !

Plumi repose sa fourchette et attaque sa tranche de porc aux petits légumes.

- Mange, Docspi ! Ça va être froid !

- Je te trouve bien pragmatique pour un intellectuel! je dis.

- Je ne suis pas un intellectuel Docspi ! Je m'en entoure parce que j'en apprécie la compagnie mais il ne faut pas y voir davantage !

- Alors, je me suis fait des idées sur ton compte, mon vieux !

- On se fait toujours des idées sur les autres ! Elles ne sont ni vraies ni fausses, ce ne sont que des idées, Docpsi ! Et les idées ne sont pas suffisantes pour apprendre à vivre ce que le destin te donne à vivre !

- Oui, je dis, je sais parfaitement ce que tu vas me dire ! Les idées, elles se pensent et la vie, elle se vit!

- Eh oui Docpsi ! Et tu n'y changeras rien !

J'enfourne une cuillérée de petits pois-carottes.

- Tu as raison, Plumi !

- Quoi ?

- C'est froid !

Nous mangeons le reste du repas en silence. Mais ça ne nous gêne pas le moins du monde. Je sais que Plumi a raison. Pourtant je ne peux pas m'empêcher de penser que ce n'est pas suffisant de vivre la vie. Moi je crois qu'il faut autre chose. Mais je suis sûr de rien. Plumi se lève.

- Maintenant, tu m'excuseras Docpsi… J’ai à faire…

Je le regarde s'éloigner à petits pas tranquilles vers le couloir qui mène aux chambres. Il y a une sorte de confiance un peu distante chez lui. Je me demande s'il n’a jamais de doute à propos de ce qu’il doit faire, vivre, ou penser ? Est-il toujours aussi sûr de lui quoi qu’il arrive ? Je n’en sais rien. Et peut-être vaut-il mieux que je ne sache pas ! Cela rendrait mes doutes plus douloureux encore ! Moi qui suis si indécis, si imprévisible, je ne sais que penser ! Un jour comme ci, un autre comme ça ! Jamais vraiment la même chose dans la tête en quelque sorte ! Et toujours ces questionnements incessants ! Accepte Docpsi, accepte bon sang ! Je pose mon plateau sur la desserte et me dirige vers la cafétéria.

 

*

 

Je commande un café puis je vais m'asseoir près de l'entrée, dos au mur, face aux petits groupes de pensionnaires déjà attablés. Je sors mon cahier, hésite à instant à l’ouvrir, puis je l’ouvre et commence à écrire.

 

- Marion ! Bon sang ! je dis, qu’est-ce que tu fais là ?

Je la regarde s'avancer vers moi. Elle a une drôle de tête. Comme si elle en avait assez de la vie. Avec les yeux qui regardent dans le vide. Comme si elle ne voyait plus rien autour d'elle.

- Marion ! je dis, qu’est-ce qui se passe ? Ça ne va pas ?

Je sens qu'elle hésite.

- Dis, Marion ! T’as un problème ? 

Elle me regarde et finit par s’asseoir.

- Docpsi…

- Oui, Marion ?

- Comment tu fais toi ?

- Comment je fais quoi…? je dis.

- Quand ça ne va pas, comment tu fais ?

Je réfléchis un instant.

- Eh bien… un jour comme ci, un autre jour comme ça ! Y a pas vraiment de recette, Marion ! Ça serait trop simple !

- Docspi…

- Oui Marion ?

- J'ai plus envie de vivre !

Je ne sais pas quoi lui répondre.

- Docpsi, j'ai tout raté dans ma vie… et ça me rend si triste aujourd’hui…

- Qu'est-ce que t'as raté, Marion ?

- Tout Docpsi, j’ai tout raté, mes études, mes amours, mon boulot…

- Eh ! Eh ! Doucement ! je dis, c'est pas un hasard quand on a l'impression d'avoir loupé des trucs !

Je déglutis.

- C'est juste la vie qui nous dit : "Hep ! Stop ! Pas par-là ! Rebrousse chemin, ici, c'est une impasse pour toi !".

Marion baisse la tête.

- J'aurais tant voulu réussir Docpsi…

- Réussir quoi, Marion ?

- Ben tout, mes études, mes amours, mon boulot… ma vie quoi !

- T'aurais voulu réussir ça pourquoi, Marion ?

- Ch'ai pas, pour me donner l’impression d’être comme tout le monde !

- Ah ! Ça, c'est pas une raison sérieuse, Marion ! On peut pas réussir les trucs pour être comme tout le monde ! C'est perdu d'avance !

- Je sais pas Docpsi.

Je sens que je m'enlise. J'essaye de lui sourire.

- T'as pas un vieux rêve qui traîne dans la tête, un de ces trucs auquel on pense quand on est gamin ! Tu sais genre : moi quand je serais plus grand…

- Non ! C'est trop tard Docpsi ! Je suis trop vieille…

- Oh ! La la ! je dis, que vient faire l'âge dans cette histoire, Marion !

- Faut être réaliste Docpsi ! C'est pas à mon âge que je vais commencer à faire les trucs qui me passent par la tête !

- Ah ! Oui ! je dis, et pourquoi donc ?

- Ca serait pas raisonnable ! Et puis je vois déjà ce que vont dire les autres !

- Quels autres, Marion ?

- Ben… je ne sais pas, Fred, ma famille, les gens, enfin… tous ceux que je connais !

- Mais on s'en fout, Marion ! On s'en fout de ce que pensent les autres ! C'est quand même pas eux qui vont diriger ta vie, bordel !

- Oh ! C'est  difficile Docpsi de ne pas faire attention au regard des autres ! J’y ai fait attention toute ma vie, tu sais !

- Ben, il est temps de changer Marion ! je dis. Il est temps de commencer à vivre un peu pour toi ! Voilà ce que je crois, moi ! Parce que c'est de leur faute à eux si tu crois aujourd’hui que t'as tout raté. T'as rien raté Marion ! T'es juste allée à des endroits où tu devais pas t’attarder ! Ça sert à ça les échecs ! Surtout pas à se dire qu'on est nul et qu'on a plus envie de vivre !

- Docpsi ?

- Oui ? je dis.

- Merci pour… euh…

- Bah ! T’en fais pas Marion ! Je sais ce que c’est ! Et puis ça servirait à quoi les amis si ça servait pas remonter le moral de temps en temps !

 

Je lève la tête de mon cahier. Je regarde ma tasse et la bois d’un seul trait. Je pense aux difficultés de Marion. J’aimerais tant l’aider mais j’ignore de quelle façon. Je réfléchis un instant, puis je me lève et je me dirige vers le couloir qui mène aux chambres.

 

*

 

- Plumi ? Plumi, tu es là ?

- …

- Plumi, ouvre ! je crie, c'est Docpsi !

Je l’entends farfouiller dans la serrure.

- Docpsi ? Que me vaut le plaisir ?

- J'ai un service à te demander, Plumi !

- Mais entre, je t'en prie ! Veux-tu un thé ? J'allais m'en préparer un !

Quand Plumi revient avec ses deux tasses, il m'en tend une et va s'asseoir dans le petit fauteuil face au mur recouvert de livres. 

- C'est drôlement sympa ici ! je dis.

Plumi me regarde sans rien dire.

- Vas-y Docpsi, je t'écoute !

- Voilà ! Je viens pour Marion !

- Marion ?

- Oui, Marion ! je dis.

- Eh bien, je ne vois vraiment pas ce que je peux faire pour elle, mon pauvre Docpsi !

- Oh! Mais si, tu peux faire beaucoup de choses ! je dis.

Plumi ne répond pas. Il se lève et marche sans rien dire, les mains derrière le dos.

 

*

 

Soudain il me montre les livres et me fait signe de le suivre. Et nous nous enfonçons sans rien dire au milieu des bouquins. Plumi a l'air de chercher quelque chose. Je me demande bien quoi, mais je ne dis rien. Je le suis comme si j'étais son ombre. Soudain il s’empare d’un livre et le met dans sa poche. Et on continue d'avancer ainsi sans un mot. On dépasse les derniers ouvrages et on arrive bientôt au centre d’une grande étendue fleurie, un immense champ de fleurs colorées. Nous marchons lentement. Je vois les yeux de Plumi fouiller chaque fleur. Et malgré le bourdonnement des abeilles, je me sens bien. Calme et rassuré. Je sais que quelque chose va arriver. Soudain, il me fait signe de m'asseoir. Nous nous asseyons lentement. Nous restons silencieux au milieu des fleurs. Des insectes tournent au-dessus de nos têtes. Je vois Plumi sortir le livre et le poser sur ses genoux, la main droite dessus, paume vers le ciel. Un papillon s'y pose. J’entends Plumi réciter une phrase. Une phrase étrange, à la fois triste et rieuse, où il est question de cœur en miettes, de morceaux et d'espoir. J'entends mal ce qu'il dit. Il parle doucement comme pour lui-même. Je sens que mon corps se disloque peu à peu. Sans véritable douleur. J'ai le sentiment que tout se brise à l'intérieur. Et puis lentement je me mets à comprendre cette phrase. Elle se met à résonner en moi de plus en plus fort et de plus en plus distinctement. Tout ce qu'on peut espérer dans ce monde de cœur en miettes c'est d'aimer les morceaux. Je me surprends à répéter cette phrase comme une formule magique. Et plus je la répète, plus je sens la lumière m'envahir. Comme si j'étais transporté dans un autre univers, comme si je me mettais à vivre dans chaque morceau de moi-même. Je sens le papillon ramasser tous ces morceaux, sous ses ailes, un à un, avec une grande délicatesse. Et nous nous envolons lentement vers un ciel plus radieux. Nous survolons les ruines de ce monde brisé pour rejoindre le cœur d'un homme plein d'espoir.

 

*

 

Nous arrivons dans un grand espace un peu sombre. Dans cet espace, il y a un homme assis à une table devant une vieille machine à écrire. Il y a beaucoup de désordre autour de lui. Des tas de papiers froissés jetés par terre, un bout de sandwich dans son papier d'emballage, des trognons de pomme, des habits jetés à la hâte et puis tout ce noir qui l'entoure. Je demande à Plumi où on se trouve. Il me répond en chuchotant.

- Au cœur d'Haword Bentu, chut…

C'est un drôle d'endroit avec un drôle de bonhomme un peu pathétique. On dirait qu'il se casse la tête pour retrouver une joie qu'il sait qu'il ne retrouvera jamais. Tout à l'air triste ici. Et puis soudain on entend des rires d'enfants et des bruits bizarres qu'ils font avec leur bouche. Ca fait des sons que je ne comprends pas, comme une langue que je ne pourrais jamais apprendre. J'essaye d'écouter cette musique cacophonique. Mais j'ai bien du mal. Haword lui, a l'air de comprendre. Un sourire se dessine sur son visage. C'est plus le même visage d'ailleurs. Il est devenu beau et incroyablement gai. Il se lève et parcourt la pièce en tous sens. On dirait qu'il cherche quelque chose. L'obscurité se dissipe peu à peu. Et une merveilleuse lumière la remplace. Une lumière incroyablement colorée; rouge, verte, bleue, jaune. La pièce s'illumine. Sur les murs, il y a des dessins d'enfants. Et soudain ils se mettent à bouger. On dirait qu'ils revivent. Puis les murs se mettent eux aussi à onduler. Ils se gonflent puis se rétractent. Ils se gonflent puis se rétractent. C'est un drôle de spectacle. Nous sommes au cœur de la vie. Haword a enfin trouvé ce qu'il cherchait. Il passe une grande blouse blanche, une blouse bien trop grande qui lui arrive jusqu'aux chaussures; de grosses chaussures jaunes aux bouts arrondis. Il enfile un petit bonnet gris avec une fleur dessus; une fleur immense qui regarde le ciel, un ciel couvert de rires d'enfants. Je suis aux anges. Plumi me regarde l'œil complice. Les dessins se mettent à danser puis à voler entre les parois palpitantes du cœur d'Haword. Les murs se fissurent. D'autres murs apparaissent, plus hauts, plus grands, plus larges. Les dessins virevoltent de plus belle. Leurs ailes se dessinent; de grandes ailes aux couleurs vives qui tourbillonnent dans l'air. Nous assistons à la naissance des papillons, à la métamorphose des chrysalides. Les murs se lézardent puis disparaissent encore. Il n'y a plus qu'une multitude de petits tas de briques autour desquels dansent les ailes colorées. D'un pas léger, Haword se dirige vers nous. Notre papillon s'envole. Haword nous saisit et nous pose sur son nez. Nous sommes son nez rouge. Il n'y a plus de murs, plus de dessins, plus de papillons, juste le regard des enfants, leurs bruits et leur rire qui nous entourent. Et puis… et puis, il y a la tête de Marion, illuminée d'un large sourire, qui me regarde assise de l’autre côté de la table.

 

*

 

- Alors, Marion, je dis, ce petit coup de déprime ?

- Envolé, Docpi ! Comme s'il n'avait jamais existé !

- Eh bien ! je dis, remercions Haword ! Et remercions l’imaginaire et les livres, et toutes ces choses qui nous aident à mieux vivre !    

- Oui, remercions-les, Docpsi ! Remercions-les du fond du cœur ! Quant à toi, mon cher Docpsi, je ne sais pas comment te remercier pour … 

- Me remercier ? je dis, quelle foutaise ! Parle-moi plutôt de…

Je la regarde.

- … de cette sorte de…

J'hésite.

- Renaissance ?

- Oui, c’est ça, je dis, renaissance.

- Non, Docpsi ! J'ai mieux à t’offrir ! Je vais te dire ce que je n’ai jamais dit à personne ! Je vais te confier le vieux rêve qui m’a toujours habité et qu’Haword a su réveiller par son univers merveilleux !

Je la regarde étrangement. Je crains le pire.

- Je vais te présenter ma meilleure amie, Docpsi ! Celle que je n’ai encore jamais osé montrer à personne !

- Et elle attend dehors là, ton amie ? je dis.

Marion éclate de rire.

- Docspi, ne fais pas l'idiot !

Je la regarde sans comprendre.

- Moi, faire l'idiot ? je dis.

- Quand je dis ma meilleure amie, je ne parle pas forcément d’une personne, Docpsi !

- Eh bien, je sais pas, moi, Marion ! Je te croyais plus conventionnelle ! je dis.

- Eh bien, non ! Tu vois, Docpsi ! Moi aussi, j'ai mon petit jardin secret ! Et grâce à toi, je me sens enfin le courage d’en montrer les fleurs au grand jour !

Je rougis comme une pivoine, jusqu'aux oreilles.

- Oh ! Arrête ! C'est trop d'honneur, Marion ! je dis, alors cette amie, tu me la présentes ? Où est-elle ?

- Là-dedans ! qu’elle dit.

Et je la vois farfouiller dans son sac.

- Là-dedans ?

- Oui ! Ferme les yeux, Docpsi !

Je ferme les yeux. J'entends du papier froissé. Puis je sens qu'elle pose un truc devant moi.

- Ca y est, tu peux les rouvrir, Docpsi !

- Merde ! je dis, c'est pas croyable, ça !

Je reste bouche bée. Marion tient une marionnette dans la main qui lui ressemble étrangement.

 

*

 

- Alors Docspi, comment me trouves-tu ?

- Y a pas à dire ! je dis, tu es très belle, Marion ! C’est vraiment du beau travail ! Mais comment t'est venue cette idée ?

- Ca ? Ben, je te l’ai déjà dit, Docpsi, c'est le vieux rêve qui m’a toujours habité !

- Ecoute, c’est pas croyable, Marion ! je dis, parce que figure-toi que moi aussi, j’ai…  enfin, moi aussi, les marionnettes m’ont toujours fasciné ! Je caresse même le rêve de devenir saltimbanque-marionnettiste un jour !   

- Non ? C’est vrai ? Tu ne me racontes pas d’histoires, Docpsi ?

- Non, Marion ! Je t’assure ! Je suis même en train d’écrire une histoire dans mon cahier !

- Pour les marionnettes ?

- Oui, Marion ! Pour les marionnettes !

- Alors ça, Docpsi, c'est à peine croyable ! Je n’en reviens pas ! Qui aurait pu croire que… ! Mais alors… ça veut dire que… peut-être on pourrait éventuellement… 

- Quoi, Marion ? Tu veux dire qu’on pourrait peut-être… envisager de faire quelque chose ensemble, c’est ça, Marion ? Comme monter un spectacle, c’est à ça que tu penses ?

- Je sais pas ! qu’elle dit, peut-être…

- Ecoute, Marion ! Je ne sais pas quoi te dire…. Je… 

- Alors ne dis rien, Docpsi !

- Si, Marion ! Il faut que je te dise ! Je crois que … enfin… Je trouve que c’est une excellente idée ! Imagine ! On pourrait même envisager de faire la route ensemble… toi et moi, comme les saltimbanques d’autrefois ! Non ? Qu’est-ce que t’en penses, Marion ?

- Je sais pas, Docpsi ! C’est peut-être un peu…

- Un peu quoi, Marion ?

- Je sais pas, Docpsi ! Un peu…

- Mais attends ! C’est inespéré ce qui nous arrive, Marion ! Imagine ! Imagine un spectacle avec des marionnettes qui tiendraient d'autres marionnettes qui tiendraient elles-mêmes d'autres marionnettes qui tiendraient…

- Et nous deux dans tout ça, Docpsi ?

- Ben, au milieu des autres marionnettes, Marion ! Comme dans la vraie vie !

- Tu crois ? Et LUI là-haut qui nous regarde, tu y as pensé ?

- Eh bien, lui, IL sera avec nous dans le spectacle, Marion !

- Oh ! Docspi ! Tu as de ces idées tout de même ! Tu ne crois pas que c’est un peu…

- Non, Marion ! C’est une merveilleuse idée qui pourrait enfin nous permettre d’échapper à ce foutu destin qui s’acharne sur nous ! Je sais qu’on aura beaucoup de travail, mais c'est l'espoir qui compte, Marion !

- Oui ! Peut-être, Docpsi ! Je ne sais pas…

- Mais si ! je dis, la vie est belle, Marion ! La vie est vraiment belle !

 

 

9. Nouvelles perspectives

Aujourd’hui tout est beau. C'est une merveilleuse journée qui commence. Je me lève. C'est vraiment bon de sentir la vie qui se réveille. Je m'étire.

- Ah ! Mes bras ! je dis.

Je suis heureux d'avoir des bras. J'ouvre les yeux. C'est bon de voir qu'on voit toujours. Je regarde ma chambre. Je la trouve belle. Un peu en désordre mais belle. Tout est là, magnifique; mon lit, ma couette, l'armoire, ma table de nuit, mon bureau et tout le bordel qu'il y a dessus. Même le plafond, je le trouve beau. Tout a l'air beau; le carrelage, la moquette élimée à certains endroits, le montant écaillé de la fenêtre, ce que je vois derrière, le ciel, les nuages, les feuilles des grands marronniers qui s'agitent.

- Ah ! Mes jambes !

Que c'est bon d'avoir des jambes ! Se lever, ça a l'air idiot, mais pas tant que ça quand on y pense. Ça devient un truc magique, extraordinaire, incroyable. Je fais quelques flexions pour vérifier que tout ça fonctionne bien. Je plie les jambes, je les tends, je les replis, je les retends. Mon Dieu ! Quelle merveilleuse mécanique ! Je sens ma respiration, mon cœur qui bat. C'est formidable de pouvoir respirer ! Je vais vers la machine à café.

- Ca sent bon ! je dis.

Je m’en verse une grande tasse. Je m'assois à mon bureau. Je pose ma tasse. Je regarde le café qui fume. Ca fait de grandes volutes blanches qui s’envolent. C'est beau ! je me dis. Par la fenêtre, je vois deux petits garçons qui jouent dans le caniveau. Ils s'amusent à faire des barrages pour empêcher l'eau de s'écouler. Ils laissent filer quelques morceaux de bois. Ce sont des bateaux, je crois. C'est merveilleux un caniveau. J'ai envie de les rejoindre pour aller m'amuser avec eux. Je les entends crier. Comme je les envie. Ils ont vraiment l'air de bien s’amuser. Je me vois monter avec eux sur un petit bout de bois. Ils seraient capitaines, et moi, je serais leur matelot. On mettrait une feuille pour faire la grand-voile. Et puis on se laisserait guider par le petit filet d'eau du caniveau qui nous emporterait vers les égouts. Il ferait tout noir et on aurait très peur. Ca tanguerait beaucoup mais on serait en sécurité sur notre petit bateau. Puis les égouts nous jetteraient dans une rivière qui nous mènerait à un grand fleuve. Et puis on arriverait à l'océan. C'est immense l'océan. C'est beau et puis ça fait un peu peur parce qu'on ne sait pas ce qu'il y a en dessous…

 

*

 

Je me sens l’âme d’un saltimbanque aventurier aujourd’hui. Je décroche le téléphone. Je compose le numéro.

- Allô papounet ? Bonjour, c'est Docpsi !

- Ah ! Docpsi ! Alors tu as trouvé, dis-moi ?

- Non ! Je t'appelle pas pour ça, papounet !

- Ah ? Et tu appelles pour quoi alors ?

Je crois que j'ai le cœur qui va se rompre.

- Euh… pour te dire d'oublier ce que je t’ai demandé la dernière fois !

- Oublier quoi, Docpsi ?

- Oublier ce que je t'ai dit ! je dis.

- Pour l'argent ?

- Oui, papounet ! Je sais pas ce qui m'a pris l'autre jour de t’appeler !

- Qu'est ce qui se passe, Docpsi ? T'as encore changé d'avis ?

Je respire un grand coup.

- Non ! C’est pas ça, papounet ! Mais j'étais pas moi-même la dernière fois !

- Ah ! Ça m'étonnait aussi !

- Ecoute, papounet ! Je suis désolé, mais j'en veux pas de ce fric ! C'est trop facile de compter sur toi ! C'est ma vie et je dois l'assumer ! Je m’en sortirais tout seul !

- Docpsi, écoute ! C'était vraiment de bon cœur que je t'offrais ce…

- Arrête, papounet ! Je sais ce que tu vas me dire ! Tu vas me dire qu'il est temps que je grandisse, que je sorte de ce… enfin que je trouve un vrai travail, que je me marie, que j'ai des enfants ! Que…

- Oui, Docpsi, faut être un peu réaliste ! Qu'est-ce que tu vas devenir quand je ne serai plus là !

- J'en sais rien ! je dis. Je ferai comme j'ai toujours fait ! Et c'est le moins pire que j'ai trouvé dans cette vie à la con !

- Je te comprends pas, Docpsi ! Tu as tant de possibilités et tu viens tout gâcher avec tes idées farfelues !

- J'ai toujours tout gâché ! C'est comme ça, papounet ! C'est plus fort que moi, je suis un handicapé de la vie, tu le sais bien !

- Mais pourquoi es-tu comme ça Docpsi ? Ça pourrait être si simple !

- Mais je suis simple, papounet ! Je suis même simplet puisque je suis dans cette baraque de fous, non ! C'est ça que tu dois te dire, papounet ! T'as jamais accepté que je sois un peu différent ! Que je marche pas dans le rang ! Que je dise pas amen à toutes ces saloperies qui nous entourent !

- Mais qu'est ce qui te déplaît tant, Docpsi ?

- Tout, papounet ! Y a vraiment tout qui me débecte! La vie, le destin, les gens, la normalité, l'argent, l'ambition, la mesquinerie, la méchanceté, toute cette pourriture qu'on est obligé d'accepter pour vivre ! Voilà ce qui me déplaît, papounet ! J’en peux plus de vivre dans cette merde ! C'est pas un caprice ! C'est vraiment plus fort que moi !

- Bon Dieu, Docpsi ! Grandis un peu !

- Je grandis, papounet ! Je grandis, t'inquiète pas ! Mais ça se voit pas de l'extérieur !

- Je t’en prie, Docpsi ! Arrête de fuir la réalité ! Assume tes responsabilités pour une fois !

- Merde ! je dis, tu comprends vraiment rien, papounet ! Ecoute ! On en reparlera plus tard ! Je t'expliquerai tout ça un jour peut-être…

Je regarde la pendule.

- … il faut que je te laisse à présent, papounet ! Il faut que j’aille me préparer pour aller au boulot ! 

Et je raccroche.

 

*

 

Je sors de ma chambre, je démarre mon scooter et file vers le refuge. Je passe le portail et me gare à ma place habituelle. Puis j’enfile ma combinaison et je me dirige vers l’allée centrale. Plantés devant un box, j’aperçois un jeune couple avec leurs deux mômes. Je pose mon râteau et m’avance vers eux.

- Bonjour ! je dis, je peux vous aider ?

- Ca va, merci ! On fait que regarder !

- Ah ? Eh bien ! Regardez alors ! je dis.

Ceux qui viennent ici, on dirait qu'ils se promènent dans les rayons d’un supermarché. Et ça m'énerve, ça m'énerve, mais à un point qu'on peut même pas imaginer !

- Allez-vous faire foutre ! que je dis tout bas.

Et je repars mon râteau à la main. 5 minutes plus tard, je les revois passer devant moi.

- Eh ! Dites ! Vous avez des chiots labradors ?

- Non ! je dis, on n’a pas de chiots labradors, mais des jeunes chiens croisés labradors, oui, il y en a !

- Vous pouvez nous les montrer !

- Oui, bien sûr ! je dis.

Et on tourne un moment dans les allées. On s'arrête devant un box.

- Voilà ! je dis, il y a celui-ci qui est très sympa ! Il est joueur, sociable et il adore les enfants.

Je fais un clin d'œil aux deux mioches qui vont se fourrer dans les jupons de leur mère.

- Ah ! Mais c'est pas un chiot !

- Non, madame ! je dis, c'est un jeune chien !

Je regarde sa fiche.

- Il a 8 mois !

- Non ! qu’elle dit, il me plaît pas ! Je n’aime pas cette tache qu’il a sur le poitrail !

- Ah… je fais.

- Vous n’en auriez pas un autre ? qu’elle demande.

Et on se dirige vers un autre box.

- Il y a également celle-ci, une jeune femelle ! je dis, elle est un peu craintive mais elle est adorable !

- Non ! qu’elle dit, elle est trop petite, on cherche un chien de garde !

- Mais tout à l'heure vous vouliez un chiot ! je dis.

- Oui, nous voulons un chiot qui garde !

- Ah…, je dis.

Et on continue notre tournée.

- Il y a lui également ! je dis.

Mais je n'ajoute rien. Je sens que je perds mon temps et ma salive et que je ne vais pas tarder à perdre patience. Ce couple-là ressemble à 90% des connards qui viennent ici. Mais je fais mon boulot. C'est dur mais c'est comme ça. Il faut que je place les chiens. Même chez des connards à qui j'ai envie de trouer la peau. La bonne femme ne dit rien.

- Et lui ?

- Lui ? je dis, euh… avec les enfants, je crois pas que ça ne soit l'idéal, il a tendance à être un peu dominant !

- Ah ! Mais qu'est-ce qu'il est beau ! Hein, qu'est-ce que t'en penses, Antoine ?

- Oh ! Tu sais moi… un chien… c'est un chien…

- Allez ! On le prend ! qu’elle dit.

- Vous êtes sûrs ? je dis.

- Oui, oui, on prend celui-ci !

Je sors le chien du box. Tout le monde a l'air content. On se dirige vers le bureau.

- Pour les formalités administratives, je dis.

- Ah ! Parce qu’en plus il faut remplir des papiers ! 

- Oui, madame ! je dis, et il faudra également vous acquitter d’une…

Et je lui indique la somme que nous demandons pour l'adoption d'un chien.

- C’est la meilleure celle-là ! qu’elle dit, il n’est pas question que nous payons quoi que ce soit, vous m’entendez, monsieur ! Déjà qu’on a fait l’effort de venir jusqu’ici pour prendre un clébard ! Il ne manquerait plus que vous nous fassiez payer maintenant !

- Ecoutez, madame ! je dis, il faut quand même bien faire tourner le refuge et nourrir les chiens !

- Ca, c’est votre problème ! qu’elle dit, mais ne comptez pas sur nous pour vous donner quoi que ce soit ! Vous pouvez le remettre en cage, votre clébard !

Je remets le pauvre chien dans son box. Je le caresse en regardant le couple s'éloigner. J'ai envie de hurler.

 

*

 

- Docpsi, vous pouvez venir s'il vous plaît ?

- Oui, oui, j'arrive, je dis.

Je décoche une petite bourrade affectueuse au gros Gugus qui me regarde avec un air triste.

- Allez ! T’en fais pas, mon gros ! je dis, t’auras plus de chance la prochaine fois ! Et puis, tu sais, t’as rien perdu en n’allant pas chez ces cons !  

- Vous venez, Docpsi, le président vous attend !

Je referme la porte du box en lançant au gros Gugus un clin d’œil complice et je suis le responsable jusqu'au bureau.

- Asseyez-vous, je vous en prie, Docpsi !

Je m'assois sur la petite chaise déglinguée qu'il me tend.

- Voilà, Docpsi, nous tenions à vous dire que votre chef est partie ! On ignore la raison de ce départ ! Mais on a cru comprendre qu’elle ne supportait plus de travailler dans cette atmosphère !

Je l'interromps.

- Mais que vont devenir les chiens alors ? je dis.

- Justement, Docpsi ! Nous vous avons convoqué pour cette raison !

           

Le responsable lance un regard au président. Ce regard ne m'a pas échappé.

- Voilà Docpsi ! Vous êtes le seul ici à pouvoir véritablement nous aider ! Nous savons que vous vous occupez des chiens avec grand dévouement et beaucoup d’amour ! Et nous sommes à peu près certains que sans vous, ce refuge ressemblerait bien plus à un mouroir qu’à un chenil ! Et nous connaissons aussi le sérieux avec lequel vous accomplissez votre travail depuis que vous êtes parmi nous ! C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de vous faire une proposition, Docpsi ! Ainsi, au lieu de venir ici deux fois par semaine, nous vous proposons de…

Je le regarde avec des yeux faussement ahuris. Je sais parfaitement où il veut en venir, le bougre.

 

*

 

- Responsable du refuge ! Non, mais tu te rends compte, Drouchka !

Drouchka tourne vers moi ses grands yeux noisette qui ont l’air de se foutre de ma gueule. C'est une grosse chienne toute noire avec des taches marron un peu partout. Une des plus anciennes du refuge. Personne n'a jamais fait attention à elle ici. Moi si, ça tout de suite été ma préférée.

- Eh ben quoi ! qu’elle dit, qu'est-ce qu'il y a de si extraordinaire, Docpsi ?

- Rien, je dis, simplement avec ce projet de marionnettes qui me trotte dans la tête, je peux pas tout faire, Drouchka ! Je pourrais jamais concilier les deux ! C’est pas possible ! Comment veux-tu que je prépare mon spectacle si je bosse ici à plein temps ? 

Drouchka me sourit en remuant la queue. 

- Eh ben, tu feras comme tout le monde, Docpsi ! T'attendras le week-end et les vacances !

- Ouais, c'est ça ! je dis, et puis la retraite pendant que tu y es pour pouvoir enfin faire ce que j’ai envie de faire ! Ben non ! Je suis pas d'accord, Drouchka ! C'est pas une vie ça, c’est de l'esclavage!

Elle me fait un drôle de sourire.

- Ma pauvre Drouchka ! je dis, me voilà dans de beaux draps maintenant !

C’est vraiment pas croyable, ça ! Avant quand il se passait rien dans ma vie, je ne savais pas quoi faire pour m’en sortir ! J’étais bien embêté ! Et puis maintenant que les choses ont l’air de bouger, je ne sais pas comment faire ! Et j’ai l’impression d’être encore plus embêté !

- Qu’est-ce que tu ferais, toi à ma place, Drouchka ? je dis.

- Mais je suis pas à ta place, Docpsi !

- C’est vrai ! je dis, mais, toi, il t’arrive jamais d’avoir envie de changer de vie ? Tu n’aimerais pas sortir d’ici… pour… je ne sais pas, moi… pour venir faire la route avec Marion et moi ! Comme les saltimbanques d’autrefois !

- Et les autres, clébards, Docpsi ? Tu y as pensé ? Qu’est-ce que t’en fais ? Tu vas quand même pas les laisser aux mains d’un mec qu’aime pas les chiens ? Qu’est-ce qu’ils vont devenir sans toi, hein Docpsi ?

Je sens que Drouchka a touché mon point sensible. Une larme se met à couler sur ma joue. C'est con, mais je peux pas m'en empêcher. Je voudrais tant les emmener tous avec moi ! Mais c'est impossible ! Je n’aurais jamais la place dans ma roulotte ! Et puis qu’est-ce que j’en ferais en attendant de préparer le voyage ? Ils ne voudront jamais les accueillir au foyer ! Ah ! Si j'avais assez de courage pour prendre une décision et partir vivre mon rêve de saltimbanque avec ma roulotte, Marion et Drouchka à mes côtés… sans m’en faire pour les autres clébards…

- Les autres chiens, Drouchka… ? Je sais pas… je dis.

Elle me regarde avec son air attachant et détaché. Comme si je n’étais, à ses yeux, qu’une petite marionnette écartelée par son destin, un petit pantin incapable de choisir et qui finirait désarticulé sur la scène à la fin de l’histoire.

- Allez ! Arrête de t’en faire, Docspi ! Tu sais, les choses arriveront si elles doivent arriver ! Laisse faire le destin, mon vieux ! Et puis ne t’en fais pas trop en attendant !

- T'es rigolote, toi ! je dis.

- Eh ben toi, tu ferais bien de l'être un peu plus ! Sinon je sens que cette histoire va mal finir, Docpsi!

- Qu'est-ce que tu racontes ! je dis.

- Qu'un jour, à force de te poser toutes ces questions qui rendent si triste, tu vas finir par devenir complètement fou, Docpsi !

- Tu sais ça, toi, je dis.

- Je sais pas mais je le sens, Docspi !

- Eh bien, t'es drôlement fortiche alors ! Et pour nous trois et notre vie de saltimbanque, tu le sens comment ?

- Oh ! Ce n'est pas si simple Docpsi, ça ne dépend pas que de toi !

- Tu veux dire que ça dépend de LUI là-haut ?

- Ca, je n’en sais rien, Docspi, mais ça ne dépend sûrement pas que de toi !

- Même si je le désire très fort et que je fais tout pour y arriver !

- Oui Docpsi ! Et il faut que tu t'y fasses ! Sinon tu vas encore être malheureux ! Allez, mon grand ! On en reparlera ! Va faire ton boulot maintenant ! Les autres chiens t’attendent !

Je reprends mon râteau et je m'éloigne sans pouvoir détacher mes yeux des siens. Au fond du cœur, je sens un terrible sentiment d'impuissance. Et c'est terrible de se sentir impuissant. Je ne sais vraiment pas quoi faire. Accepter ou ne pas accepter… tel pourrait être la question.

 

Mais j’ai beau me la poser dans tous les sens, cette putain de question, je crois que j’arriverai jamais y répondre. Moi, je pense qu’on n’a jamais le choix. Personne n’a jamais le choix avec son destin. Même quand on croit le choisir, je suis sûr qu’au fond, on ne décide rien ! Et je crois que c’est pour tout le monde pareil ! On vit tous la même chose ! La plupart du temps, le destin nous écrase et nous donne une vie de merde comme s’il s’amusait à nous faire la gueule. Et puis un jour, sans trop savoir pourquoi, il commence à nous faire les yeux doux ! Alors on s’imagine des trucs… et on avance là où il veut qu’on aille. Et puis le jour d’après, il nous botte le cul comme pour nous punir d’avoir été là où il voulait qu’on mette le nez. Et on se retrouve le cul par terre à chialer sans savoir quoi faire ! Du coup, on n’ose plus bouger et on ne sait pas quoi décider ! En fait, je crois qu’on est prisonnier de son destin, comme tous ces chiens ici, prisonniers de ce putain de destin qui s’acharne sur eux et qui leur donne tout juste le droit d’accepter d’être trimballé et de se plaindre de temps en temps en gueulant à travers leurs barreaux. 

 

 

10. Interrogation

Il pleut aujourd'hui. Une petite pluie grise qui tombe en petites gouttes serrées. Je ne mettrai pas le nez dehors ce matin. Non, je vais rester là. Bien au chaud à regarder toute cette pluie qui n'en finit pas de tomber. Je ne peux rien faire d'autre. C’est comme ça. Je peux juste rester là à regarder les gouttes tomber. J'ai pas envie d'écrire. J'ai pas envie d'ouvrir mes livres sur les chiens, ni de penser aux préparatifs du spectacle et encore moins de penser à la proposition du refuge. C'est comme ça. Je ne sais pas quoi penser. Et je n'ai pas envie d’y penser. Trop tôt peut-être… Je bois mon café à petites gorgées. Je regarde ma chambre. Elle est sale et en désordre. Mon linge s'entasse dans un coin, près de la plante verte pleine de poussière. Y a des taches sur mes draps. Ca fait plus d'un mois que je dois les changer. J'ai pas encore trouvé le courage ou le temps, je ne sais plus. Enfin, ils sont toujours là à attendre que je m'occupe d'eux. Soudain, j'ai envie de tout nettoyer. Y a des jours comme ça où j'aime bien m'occuper des choses bêtes; laver mon linge, nettoyer mon intérieur pour qu’il brille et qu’il sente bon. C'est la pluie qui me rend comme ça, je crois. A l'intérieur, je me sens tout vide, comme s’il n’y avait plus rien, comme si le reste, tout le reste n'avait plus d'importance. Juste que tout soit propre. Alors je me lève et je le fais. Je vais laver ma tasse au lavabo. Ensuite, je lave la salle d'eau, de haut en bas puis de bas en haut. Je passe le balai partout, je descends mes draps avec mes affaires sales à la machine à laver. Je range mes vêtements dans la penderie, et je mets en ordre mon bureau. Je classe, je trie, je jette. Je prends deux feuilles blanches que je mets dans une enveloppe. Puis je mets l’enveloppe sur mon bureau pour penser à la prendre tout l'heure quand je partirai à mon rendez-vous. Je fais ça calmement, sans m'énerver, comme pour essayer de tout nettoyer avant de prendre la bonne décision. 

 

*

 

Quand je regarde la pendule, je commence à avoir le trac. Pourtant je suis prêt. Enfin, je crois. J'ai ma convocation. J'ai pris deux comprimés pour me détendre. J'essaye de me décontracter. Je souris.

- Allez courage Docpsi !

Je regarde une dernière fois l'adresse indiquée sur la convocation : 7247 impasse de la véryité.

- Drôle d'adresse pour un rendez-vous ! je dis.

J'enfile ma veste. Je démarre mon scooter et je file vers mon rendez-vous.

 

*

 

Je traverse toute la ville. Je roule doucement. Dehors, il y a plein de gens. Ils vaquent à leurs histoires sans se soucier des autres. C'est terrible d'aller ainsi tout seul dans la vie. Comme si les autres n'existaient pas. J'accélère. Je laisse tous ces gens dans le rétroviseur.

- Je vaux pas mieux que les autres ! je me dis.

Au dernier feu, je sors de la ville pour prendre le grand boulevard circulaire. Et je continue de rouler en pensant à tous ces gens que je ne connaîtrai jamais. Je me demande qui a bien pu me glisser ces idées qui me traversent la tête. Serait-ce un coup de Fernand ? Ça se pourrait bien ! je me dis. Et cette convocation soudaine pour ce rendez-vous mystérieux ! Quelle étrange histoire ! Je m'aperçois soudain qu'il n'y a plus de maisons autour de moi. Je suis en rase campagne. Pourtant je suis certain de ne pas m'être trompé. J'ai bien dû vérifier quinze fois l'itinéraire sur le plan. Non ! Je suis bien sur la bonne route ! Mais c'est tout de même étrange ! Quelle idée de m'emmener dans ce trou paumé ! A droite, je vois une petite route. Je regarde le panneau; Impasse de la Véryité, voie privée. Je freine. C'est un vulgaire chemin forestier. Je roule au pas en évitant les ornières. L’endroit me semble hostile. J’essaye de prendre sur moi. Je me dis qu'il faut que j'arrête de penser qu'à moi. Je me dis qu'il faut que je sois plus ouvert aux autres ! Plus attentif! Plus disponible ! Mais mon Dieu comme c'est difficile d'être comme ça ! Ah ! Ça pour le dire, ça va tout seul, mais quand il faut s'y mettre, là c'est une autre paire de manches ! Je m'aperçois soudain que je ne peux plus avancer plus loin. Le chemin s'arrête là, devant moi.

- Merde ! je me dis, t'es encore allé trop loin, Docpsi !

Je regarde autour de moi. A part des arbres, des fourrés, des arbres et puis encore des fourrés, il n’y a rien d'autre.

- Dans quelle merde je me suis encore fourré ! je dis.

Sur un arbre, je vois un petit écriteau : n° 7427.

- Ben non ! C'est pourtant bien là !

Je coupe le contact, mets l'antivol, range mon casque et j’avance dans les bois. Je siffle pour me donner un peu de courage et un peu de contenance aussi. Je me prends des branches en pleine poire. Je déchire ma veste dans les buissons. J'ai les pompes pleines de boue. Mais je continue d’avancer. De moins en moins rassuré. D'un coup, je déboule dans une petite clairière.

- Merde ! je me dis, si je m'attendais à ça !

Ils sont tous là. Tous mes amis, réunis en arc de cercle ; Plumi, Lucien, Nestor, Théozène, Fernand, Lucie, Suzie et tous les autres.

- Nous t'attendions Docspi !

- Ah ! je dis, ben c'est bien gentil à vous ! Mais c'était vraiment pas la peine de vous déranger !

- L'heure est grave Docpsi !

- Oui, je dis, l’heure est grave !

- Depuis combien de temps nous connaissons nous, Docspi ?

- Euh… je dis, depuis le début de l’histoire, je crois.

- Oui, Docpsi ! Nous t'observons depuis la première page ! Et nous avons tous l'impression que ça ne tourne pas très rond depuis que tu es entré dans cette histoire !

- Ah ! je dis, c'est gentil à vous de vous occuper de mon histoire !

- Il ne s'agit pas seulement de ton histoire, Docpsi, mais de notre histoire à tous ! N’as-tu pas l’impression qu’il te faut aujourd’hui prendre une décision pour sortir de cette impasse dans laquelle tu ne cesses de tourner en rond ?

J'hésite puis je dis :

- Oui, tourner en rond dans une impasse, c’est très drôle !

- Ne fais pas le malin, Docpsi !

- Ah ! je dis, eh bien dans ce cas, allez-y, je vous écoute ! Dites-moi ce que je dois faire !

- Non, Docpsi ! C'est nous qui t'écoutons !

J'essaye d'avaler ma salive. Mais j'ai la gorge trop sèche.

- Docpsi…

- Oui…

- Alors, ces explications, ça vient ?

- Euh… eh bien, oui ! je dis, laissez-moi une seconde !

 

Je farfouille dans mon sac à la recherche de l’enveloppe. J’hésite un instant puis je sors la première feuille. C'est toujours la même chose ! Quand je suis confronté à un choix, j'arrive jamais à me décider! Je pèse le pour, je pèse le contre. Et en définitive, je ne décide jamais rien. Comme si en fait j’acceptais de me laisser trimballer par mon destin !

 

*

 

Je trace deux colonnes sur la feuille. Une colonne pour et une colonne contre. Je griffonne les choses qui me passent par la tête. Puis je regarde ce que j’ai écrit. Il y a 5 arguments pour, et 5 arguments contre.

- Merde ! je me dis, me voilà bien avancé !

Je regarde la feuille sans savoir quoi penser ! Il doit tout de même bien y avoir une solution. Accepter ou ne pas accepter. Que faire ? Je me demande comment font les autres. Comment font-ils pour prendre la bonne décision ? Parce que moi, j'ai plutôt l'impression que plus je veux décider, moins j’y arrive. Comme si ma vie ressemblait à un jeu de construction, fait de bric et de broc amené par le destin et qui menacerait à tout instant de me tomber sur le coin de la gueule. Que faire, bon sang ! Partir pour vivre mon rêve de saltimbanque avec Drouchka et Marion, ou alors rester au refuge et continuer à aider Pascal pour devenir responsable ? Abandonner mes amis en pensant à moi ou alors prendre soin d’eux en m’oubliant ?

- Merde ! je dis, qu’est-ce qu’il faut faire, bordel ?

Je sens que je suis pas loin de me casser la gueule de ce drôle d’échafaudage qu’est ma vie.

- Au secours ! je dis, au secours, les amis! Aidez-moi !

Tous me regardent légèrement moqueurs, un peu amusés par mon indécision, mon impuissance à décider...

- Que dois-je faire ? je crie.

- Eh bien, ne fais rien, Docpsi ! Attends de voir venir !

- Agis, Docpsi ! Fonce, force le destin !

- Non ! Accepte-le au contraire !

Chacun y va de son petit conseil. J'ai la tête qui va exploser.

- Bon ! Ecoutez ! je dis, je crois qu'il faut que je réfléchisse encore un peu ! Il est encore trop tôt pour prendre une décision !

- Bon ! Très bien, Docspi ! Dans ce cas, nous allons te laisser ! 

- Non ! je dis, restez les amis ! Ne m’abandonnez pas ! Je vous en prie ! Essayez de me comprendre ! Avec tout ce qui m'arrive en ce moment comment voulez-vous que j'y vois clair…

- Attention, Docspi ! Tu es en train d’être contaminé par SA folie ! 

- Je sais pas ! je dis.

Après tout, je me dis qu’ils ont peut-être raison ! Vu mon état, c'est difficile de savoir. Mais il est vrai que j'ai quand même l’impression de m'être fait arnaquer… depuis le début de cette histoire. IL me donne un rôle que LUI-même refuse et que personne n’accepterait. C’est normal que j’essaye de LUI échapper en allant dans des univers un peu délirants. Mais à présent, cette folie m’est insupportable ! J’en ai vraiment plus qu’assez ! Plus qu’assez de jouer au chat et à la souris avec LUI. Plus qu’assez de ce rôle débile ! IL n’a qu’à se débrouiller tout seul avec SES problèmes ! Et qu’IL me laisse tranquille avec SA pauvre histoire ! Je prends mon stylo, bien décidé à LUI dire ce que je pense. Je barre les colonnes et j’écris.

 

- Eh ! Pascal ! Tu te foutrais pas de moi des fois !

- me foutre de toi, Docpsi ? Mais comment peux-tu dire ça !

- Mais parce que t'es en train de foutre un sacré bordel dans ma vie ! je dis, je ne sais plus quoi faire, moi, avec toutes ces choses qui m’arrivent !

- Eh ! C'est tout de même pas le bagne ! Et puis tu nous emmerdes Docspi avec tes remarques! On est tous logé à la même enseigne, figure-toi ! Faut bien que tu te mettes ça dans la tête !

- Oh ! Tu vas pas me faire croire que pour toi c'est la même chose ! Je te croirais pas!

- eh bien !  Tu as tort Docspi ! Si tu crois que c'est facile pour moi !

Je regarde SES grands yeux tristes. C'est vrai qu'IL a pas l'air si heureux.

- J'ai besoin de toi pour vivre Docspi, tu le sais bien ! Et tu as aussi besoin de moi pour continuer tà vie !

- Peut-être… je dis, mais si tu veux que je coopère, faut arrêter de me donner le mauvais rôle !

- Qu'est-ce que tu voudrais avoir comme rôle?

- Eh bien… je sais pas… moi, être un vrai héros qui sait prendre les décisions ! Pas un minable incapable de choisir ! J'en ai plus que marre de jouer les pauvres types !

- Attends, là on te donne le choix, Docpsi ! Qu'est-ce que tu veux de plus ? Qu’on fasse le choix a ta place ! Changer du tout au tout, devenir riche, reconnu, adulé comme un Dieu…

 - Ouais, je dis, ça, ça m'irait bien !

- Tu me déçois Docspi !

- Ca je m'en fous ! C'est toi qui l'as cherché !

- Alors tu tiens vraiment à devenir comme ça?

- Absolument ! je dis.

- Et si je refuse !

- Dans ce cas, je disparais ! Je vais voir ailleurs ! Tu sais des mecs qui écrivent des conneries, c'est pas ce qui manque !

- tu me laisses guere le choix, Docpsi…

- Eh oui ! C'est comme ça mon vieux ! Donnant donnant !

- eh Bien, il ne reste plus qu'à refaire notre contrat alors !

- Et pour mon indépendance ?

- Quoi ton independance ???

- Ben… je vais tout de même pas passer ma vie à régler tes problèmes !

- Ah non Docspi ! Ça c'est impossible !

- Eh ! C'est bien toi qui décide, non ?

- Non, non, docpsi ! moi, Je ne décide de rien du tout ! Pour ton independance, je peux rien faire, mon vieux ! Ça, je ne peux pas le négocier !

- Ca c'est ton problème, mon vieux !  T’as qu’à te débrouiller !

- Docspi, tu fais vraiment chier !

- Chacun son tour, mon vieux ! Si tu crois qu'elles me font pas chier tes histoires !

- Bon qu'est-ce que tu veux exactement ?

- Ce que je veux…?  Je veux que tu m'aides :

  1. à prendre la meilleure décision possible;

  2. à devenir indépendant et autonome;

  3. à me débarrasser le plus vite possible de ton emprise qui me colle à la peau;

  4. à me débarrasser de cette ribambelle de personnages tordus qui embrouillent ma vie;

  5. à partir avec Marion et Drouchka pour vivre mon rêve de saltimbanque

  6. et puis encore d'autres petites broutilles…

- Ok ! D'accord Docpsi ! J'abdique devant ta mesquinerie, mais je ne revois le contrat qu’à une seule condition, que tu me laisses choisir la façon dont ça va arriver !

- Ok ! D’accord ! Ça marche ! je dis.

- Mais Laisse-moi tout de meme te dire, mon cher docpsi, que je suis vraiment decu par ton comportent d'épicier !

- Eh oh, Pascal ! Tu n’as pas à me faire la leçon ! C’est toi qu’est venu me chercher ! Moi, je ne t’ai rien demandé ! J’étais bien tranquille avant de te connaître ! Tu m’as créé pour échapper à ton médiocre destin ! Alors il faut être logique et cohérent jusqu’au bout, mon petit Pascal ! Tu n’as pas à me reprocher de vouloir échapper au pitoyable destin auquel toi-même tu souhaites échapper ! 

- Et en plus tu te permets de me faire des reproches ! C'est quand même un monde !

- Eh oui, mon vieux ! On échappe pas ainsi à la logique de son destin !

- Bon Docpsi maintenant ferme ta gueule avant que je change d'avis !

- Tu ne m'enverrais pas balader tout de même ! Une si longue amitié !

- Docspi ! Ta gueule !

- Eh ! Attention, Pascal ! Pas de menace! Tu sais ce qui te pend au nez si tu fais le malin ! Allez prends l’autre feuille et note ce que j’ai à te dire !

 

*

 

Je prends la seconde feuille et écris sous sa dictée. 

 

______________________________________________________________________________ 

Contrat de confiance mutuelle et d'aide réciproque à durée indéterminée et confidentiel

 

Entre l'auteur et son personnage, il a été convenu ce qui suit. 

Les signataires de ce contrat s'engagent à s'entraider dans leurs objectifs respectifs.

 

Objectifs du premier signataire :

1. prendre la meilleure décision possible ;

2. devenir indépendant et autonome;

3. se débarrasser le plus vite possible de l’emprise de son auteur qui lui colle à la peau;

4. se débarrasser de cette ribambelle de personnages tordus qui embrouillent sa vie;

5. partir avec Marion et Drouchka pour vivre son rêve de saltimbanque

6. devenir riche, reconnu et adulé comme un Dieu

 

Objectifs du second signataire :

1. donner un sens plus profond au récit ;

2. faire avancer l’histoire jusqu’à la fin du livre ;

3. donner davantage de joie, de surprise et de rire au lecteur

4. connaître le succès artistique et littéraire ;

5. devenir un peu moins fou

6. rencontrer le bonheur, l’amour et la sagesse ;

           

Ce contrat a été conclu pour une durée indéterminée sans période d'essai à compter des pages suivantes, sans rémunération autre que l'aide réciproque prévue par la présente, sans congés et sans droit de résiliation unilatérale.

 

Nota Bene : Et qu'on se le dise, en cas d'échec, l'histoire en restera là !

 

Signatures des deux parties :

                 

Pascal Virage                                  Docpsi

 

 

11. Résolution

Je me sens triste ce matin. Je sais que je ne retournerai plus au refuge. J'en ai fait le tour dans ma tête en pleurant comme un gamin. Je leur ai dit au revoir à tous. A chacun j'ai fait une caresse et dit un mot. Et je repense à eux avec tristesse. Mon Dieu, que cette page est lourde à tourner ! Et maintenant je me sens obligé d’écrire ces phrases stupides pour échapper à la culpabilité qui me ronge. C'est peine perdue, il y a trop de remords en moi. Comment effacer cette douleur ? Le temps… peut-être. Alors j'attendrai. J'attendrai que se dissipent tous ces regards qui n'en finissent pas de m'assaillir, ces regards plein d'innocence qui me rappellent encore à eux. Je regarde ma cigarette se consumer lentement dans le cendrier. Je tire une longue bouffée qui m'arrache la gorge. Je tousse. Une toux grasse. J'écrase le mégot dans le cendrier qui déborde. La coupe est pleine. Je pleure en silence. Tout est mort à l'intérieur. Comme si j'étais une étroite cour entourée de quatre grands murs fouettée par les vents. Pourtant tout est pareil autour de moi. Je sais bien que tout est pareil. Ma chambre, la fenêtre, les grands marronniers, ma vie, mon matériel pour les marionnettes, mon cahier, mon bureau. Je regarde tout ça le regard un peu perdu. Comme si je ne les reconnaissais pas. Comme s'ils ne m'appartenaient pas. Comme si un jour ils étaient entrés dans ma vie sans que je m'en aperçoive. Un peu à mon insu.

- Bon Dieu, Docspi ! Tu ne vas tout de même pas te laisser abattre ! Courage, mon vieux ! Allez ! Courage ! Lève-toi !

Mais j'ai même pas la force de me lever. Je le sens bien. J'ai même pas la force de ne rien faire !

- Ch'ai pas moi, fais n'importe quoi mais fait quelque chose Docspi !

- Oh ! Arrête un peu, Fernand ! C'est pas une solution ça ! je dis.

- Ben, ne reste pas tout seul au moins ! Tu vas finir par déprimer !

- Trop tard, mon vieux ! je dis, c'est déjà fait !

- Tu pourrais au moins aller voir Marion ! Allez, Docpsi ! Lève-toi et va la voir !

- Non, Fernand ! je dis. Je peux pas aller la voir dans cet état ! Ça lui ferait de la peine ! Et puis elle comprendrait pas pourquoi je me sens si triste ! Je dois d’abord me ressaisir ! Me ressaisir seul ! Et seul, ça veut dire vraiment seul ! Sans toi, sans les amis, sans personne !

- Tu ne vas pas faire de bêtises au moins ?

- Mais non ! Sois pas bête Fernand ! Allez ! File maintenant ! je dis.

Ce brave Fernand, toujours à s'inquiéter pour moi. Ça doit pourtant bien avoir une signification cette culpabilité ! Mais qu'est-ce que ça veut dire exactement ? Ca, mystère ! C’est comme si je me faisais l’impression d’être un passager clandestin dans ma propre vie. C'est une drôle d'impression. Après tout, je me dis que je pourrais être n'importe qui d'autre, ça ne changerait rien ! J’essaye de m'imaginer différent. Avec une autre tête, d'autres goûts, d'autres rêves, d'autres espoirs, une autre vie. Et ça me fait rien d'imaginer ça ! Ça serait du pareil au même, je crois. Je serais toujours aussi con, aussi fou et aussi malheureux. Comme si au fond, on pouvait pas échapper à son destin ! Comme s’il restait en nous, profondément enfoui, accroché à nos basques sans qu’on puisse rien y changer !

- Oh ! Mon Dieu ! je dis, quelle misère ! Quel misérable destin que le mien ! Oh mon Dieu ! Je vous en prie ! Faites quelque chose ! Dites-moi un mot !

 

*

 

- Docspi, ca ne va pas ? Qu’est-ce qui se passe ?

Tiens… je dis, cette voix ne m'est pas inconnue.

- Bon Dieu ! je dis, Pascal ! Qu'est-ce que tu viens faire là ?

- Eh bien ! je sais pas, moi ! tu demandes de l’aide, je viens voir ce qui se passe !

- Oh ! Parce que maintenant, quand j’invoque Dieu, c’est toi qui viens ! je dis.

- Mais non, Docpsi ! Qu’est-ce que tu vas imaginer ? Je viens simplement voir comment… enfin… comment tu te sens après cette douloureuse décision ? Ça va ? Tu t’en sors ? Ce n’est pas trop dur ?

- Qu’est-ce que ça peut te foutre ? je dis.

- Bon ! Bon ! Eh bien ! Si tu le prends sur ce ton, je vais te laisser, mon vieux !

- Eh bien ! C’est ça ! je dis, casse-toi !

Puis je me ravise.

- Non ! Attends ! Attends ! Juste une seconde, Pascal ! Puisque tu es là, tu pourrais peut-être …

Et je LE vois se pencher sur moi avec tendresse.

- Oui ? Dis-moi ! De quoi as-tu besoin, mon petit  Docspi ?

- Eh bien tu pourrais peut-être m’aider !

- T’aider ?

- Oui, tu pourrais peut-être m’aider ! C’est quand même à cause de toi que je suis dans cette merde, non ! Moi, j’arrive pas à me faire à cette décision ! Je sais plus quoi faire, moi avec cette culpabilité !

- Eh bien, t’étais bien parti là ?

- Quoi, j’étais bien parti ? je dis.

- Ben, avec tes invocations, ça commençait à s’arranger, non ?!!

- Tu parles, je dis, arrête de te moquer !

-  mais, je ne me moque pas, docspi ! Il n'y a aucune honte à invoquer dieu ! Et puis tu as raison, puisque que je suis là, je vais t’aider a continuer sur cette voie ! Je vais appeler Théozène !

- Théozène ?

- Oui, Théozène ! Ça ne te va pas ?

- Bof… je dis, oh ! Et puis après tout ! Pourquoi pas ? Si tu n’as que lui à me proposer…  je vais pas faire le difficile…

- Oh ! Ecoute, mon vieux ! je ne peux pas mieux faire pour l’instant ! Théozène ! Eh oh ! Théozène ! Tu peux venir une seconde, s’il te plait !

 

*

 

J’entends Théozène débouler entre mes oreilles. Pascal lui fait signe de s’approcher. Ils parlent ensemble quelques instants. Mais je suis trop loin pour entendre ce qu’ils racontent. Je parviens tout juste à percevoir quelques bribes.  Dépressif… symptômes… grave… léger… salle de bain… déculpab… tablet… anesthésique… Je comprends pas un traître mot de ce qu’ils disent. Théozène se tourne enfin vers moi.

 

 - Alors Docspi ? Qu’est-ce qui se passe ? Ça ne va pas ?

- Bon Dieu ! je dis, Théozène ! Ne viens pas te mêler de cette histoire, je t’en prie !

- Allez ! Ne t’en fais pas, mon vieux ! Ça va aller maintenant ! Le plus dur est derrière toi !

Je le regarde les yeux au bord des larmes.

- Tu crois ?

- Mais oui ! Allez ! Ne t’en fais pas, Docspi ! Et puis de toute façon, tu ne peux plus rien y faire maintenant ! C’est trop tard ! La décision a été prise ! Tu ne peux plus revenir en arrière, mon vieux ! Tu dois accepter ce que le destin t’a donné à vivre !

- Oh ! Merde ! je dis, t’es sûr qu’on peut rien faire ?

- Non, Docspi ! Maintenant c’est écrit ! On ne peut pas tout effacer pour reprendre l’histoire ! Tu dois l’accepter, Docspi !

- Mais putain ! J’y arriverai pas ! je dis.

- Mais si, Docspi ! Mais si ! Tu y arriveras !

- Oh ! Et toi, mon Dieu, Théozène? je dis, comment sais-tu tout ça ?

- Moi….? Ah ! Sacré Docspi, je vois que t'es toujours aussi spirituel !

- Oh ! Dis Théozène…, en parlant de spiritualité, t'aurais pas un truc pour me sortir de cette merde ! J’en peux plus, moi ! Je ne sais vraiment plus quoi faire avec cette culpabilité !

- Allez ! T’inquiète pas, Docspi ! IL va s’occuper de toi ! IL est là ! Tu peux compter sur LUI ! Mais IL ne pourra rien pour toi si tu ne te lèves pas ! Allez ! Lève-toi, Docpsi et puis pense à ton spectacle maintenant ! Il faut que tu t’y mettes ! Et pour le reste, ne t’inquiète pas, IL s’en charge !

 

*

 

J’arrive enfin à me lever. J’ai un mal de tête de chien et une nausée de cheval. C'est bien ma veine ! je dis. J’arrive à peine à mettre un pied devant l'autre. Je me traîne jusqu'au bureau, me sers un grand bol de café sans savoir ce que je pourrais faire pour passer cette putain de journée. Ecrire ? Me recoucher ? Faire comme si de rien était ? J'ai la nausée. Des hauts le cœur à cracher mon œsophage. Bon sang ! Je brame contre cette nouvelle épreuve. Comme si j'avais pas déjà suffisamment à faire avec mon destin ! Je regarde par la fenêtre et je vois toujours rien à l'horizon… rien qui pourrait me consoler de cette putain de décision qu’IL m’a fait prendre ! Je me traîne péniblement jusqu’à la salle d’eau. J’ouvre le robinet et plonge la tête sous l’eau. En me relevant, je vois un tube de comprimés qui traîne sur l’étagère. Je me demande qui a bien pu le poser là. Je lis la notice : Déculpabo Tablet, anesthésique de la conscience. Puis sans savoir pourquoi, j’ouvre le tube. Je prends un comprimé et je le jette dans le verre qui traîne sur le lavabo. Je remplis le verre. Ca fait des vagues. Il y a des petites bulles qui montent très vite à la surface. Ensuite je regagne ma place derrière les carreaux de la fenêtre. Après la première gorgée, je me sens plus léger. Beaucoup plus léger. Comme si j'étais devenu l'une de ces petites bulles au destin éphémère et pétillant. Je ferme les yeux et je me vois remonter lentement à la surface de la vie. C'est une drôle d'impression. Tout devient lumineux, divinement lumineux. On dirait que les choses s'amusent du monde qui n'en finit plus de pétiller. Tout devient subitement gai, joyeusement frivole. Toute pesanteur a disparu. Envolée la souffrance et si léger, si léger le poids du destin. Plus de fardeau, ce poids si lourd qui pèse sur mes épaules, juste ce drôle d'envol vers la légèreté. Et me voilà flottant au-dessus du monde comme une exquise petite bulle d'air !

- Docpsi ? Docspi ? Vous êtes là ?

           

Je sens que j'ai perdu toute faculté de parler. J'ai beau vouloir, je n’y arrive pas. Je vois Elodie me chercher. Mais j'ai déjà disparu par la fenêtre entrebâillée. Je continue de monter, léger, léger, insouciant et gai, porté par les courants d'air frais de cette matinée d'automne. Je dépasse bientôt les grands marronniers du parc. Et je continue de monter, léger, léger. Le foyer n'est déjà plus qu'un petit point minuscule. La ville ressemble à une maquette, les montagnes à de petites buttes, la mer à une flaque d'eau. Le monde ressemble à un décor. Et je m'élève encore. J'arrive bientôt aux premiers nuages que je traverse avec délice. Je me laisse envelopper. Je sens sur ma peau cette matière douce et cotonneuse qui me caresse. C'est divinement délicieux.

 

*

 

Quand j’ouvre les yeux, je me sens flotter. Ma culpabilité et mes nausées ont disparu. Comme envolées. Je quitte mon bureau pour rendre visite à Léger. Il me fait signe d’entrer. Je m'assois en silence dans un coin de la pièce. C’est une sorte de chambre-atelier avec du désordre un peu partout. Sur l’étagère, il y a une boîte avec des tubes de peinture, quelques brosses et de l'essence de térébenthine. Je regarde Léger et la petite toile posée devant lui. J'aime beaucoup sa peinture. Léger peint avec le rouge de son cœur, ses bleus à l’âme et le gris de sa vie. Pourtant personne ne connaît son talent. Et personne ne connaîtra jamais l’alchimie mystérieuse de ce mélange de couleurs. Léger est un peintre obscur qui peint ses toiles avec la palette fade de son destin.  

- Léger, je dis, je peux te poser une question ?

Il me regarde sans rien dire. Il a pas l’air de m’entendre. Je déglutis.

- Dis, Léger, ça te dirait de faire l’affiche de mon spectacle ? Tu sais pour mon projet de marionnettes avec Marion !

Léger me regarde une nouvelle fois sans rien dire. Il a toujours pas l’air de m’entendre.

- Tu sais bien que je ne travaille jamais à la commande, Docpsi ! J’ai horreur qu’on me dise les trucs que j’ai à faire !

- Mais je t'impose rien là, je dis, je te propose !

- Faut voir ! qu’il dit, mais ça m'étonnerait que je m'y colle, mon vieux !

Je lui réponds rien. Je me dis qu'on est tous les deux enfermés dans des univers qui pourront jamais se rencontrer. A cause de nos destins. Lui, avec sa peinture et ses brosses, ses bleus à l’âme et le gris de sa vie, et puis, moi, avec mes marionnettes, mon écriture et puis tout le noir qui m’entoure.

- T'en as pas marre, toi, de peindre pour toi tout seul? je dis.

Il pose sa palette et me toise d'un œil réprobateur.

- Je peins pour ceux qui veulent bien regarder, mon vieux ! Toi, les autres, enfin pour ceux que ça intéresse !

- Ça reste un peu restreint tout de même ! je dis.

- Peut-être, mais moi, ça me suffit !

- Et si on mettait nos talents en commun, Léger, on pourrait peut-être réaliser une œuvre pour beaucoup plus de monde, non ! Qu’est-ce que t’en penses, Léger ?

- M'intéresse pas ton truc ! Tu cherches la gloire ou quoi , Docpsi !

Je rougis un peu.

- Non… je dis, mais, peut-être qu'on pourrait essayer de se faire connaître et reconnaître davantage ! 

- Ecoute, vieux ! Moi, je me connais, je me reconnais et ça me va comme ça ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire de reconnaissance ! On est pas bien là dans notre coin à faire les trucs qu'on aime ! Il te faut en plus les flonflons et les projecteurs pour te sentir exister !

- Mais on est des obscurs, Léger ! Et moi, j'en ai marre parfois moi de vivre dans l'obscurité !

- Oh ! Monsieur en a marre de se cogner contre les murs de son petit univers obscur ! Monsieur cherche la lumière ! Eh bien putain ! Excuse-moi de te le dire comme ça vient Docpsi, mais moi je préfère mille fois – que dis-je – quinze mille milliards de fois, la lumière vraie de mon petit soleil qui éclaire médiocrement ma petite vie obscure à la lumière clinquante et aveuglante des néons artificiels qui illuminent les succès stériles !

Je regarde la petite toile posée sur son chevalet. Léger y a dessiné une sorte de pantin habillé d’un costume de prisonnier qui fait tourner autour de son doigt une boule accrochée à son pied. Et il avance comme ça devant une sorte de palissade grisâtre dans le bleu nuit qui l'entoure.

- Oui ! Peut-être bien que tu as raison, Léger ! je dis.

Mais Léger a déjà repris sa palette et sa brosse. Il trace les contours de son personnage à grands traits noirs. Avant de partir, je dépose les épreuves de mon spectacle sur l’étagère derrière lui. 

- A plus tard Léger ! je dis.

Il me répond pas. Je regagne ma place devant le bureau la tête basse et l'âme un peu triste.

 

*

 

Je sais bien que ça ne sert à rien de vouloir convaincre les gens. Même si on a raison, ils s'en foutent comme de l'an 40. Il faut vivre pour soi et se laisser aller à vivre les choses qu'on a dans la tête et sur le cœur. Du moment que ça ne gêne personne. C'est le début de la sagesse comme dirait Théozène. J'écrase ma cigarette et sors le plâtre et la pâte à modeler pour fabriquer Mario. Oui ! C’est décidé ! Il s’appellera Mario. Ça sera ma marionnette ! C’est elle qui tiendra mon rôle dans le spectacle. J'ouvre la boîte, déballe tout le matériel et le pose sur la table. Tous mes instruments sont là, bien alignés sur la petite planche; le couteau, la spatule, les cure-dents, les cotons tiges. Y a plus qu'à poser mes mains sur la pâte pour lui donner vie. Je respire un grand coup.

- Allez ! Hop ! C'est parti ! je dis.

Mes mains saisissent la pâte, la pétrissent pour la rendre élastique. J'aime ce contact de mes doigts sur la matière qui se transforme.

- Hum ! Que c'est agréable ! je dis.

J'ajoute, je retire, j'allonge, mes doigts malaxent et polissent. Je suis comme une mère attentionnée pendant la grossesse. J'ai hâte d'accoucher mais je fais attention à ce que ça n'arrive pas trop vite; un accident est si vite arrivé. Et c'est con un accident ! C'est la faute de personne et ça fait de la peine à tout le monde pendant très longtemps. Vous trouvez peut-être que j'exagère en comparant ça à une naissance ! Ben… peut-être, mais on se refait pas ! Pour moi, c'est pas moins important qu'une naissance, une vraie qui donne la vie à un petit être de chair, de sang et de souffrance. Mon petit être à moi, il ne va être que de plâtre et de papier mais on va vivre ensemble très longtemps. Et il va lui arriver tout un tas de choses, des trucs terribles et puis des petits bonheurs aussi. Alors il faut qu'il soit fort et qu'il accueille ça avec une grande sagesse. Il faut pas qu'il s'emballe pour rien, il faut pas qu'il souffre de trop, parce que c'est inutile de souffrir. Et pour qu'il soit comme ça, il faut que je m'applique. Il faut que je le fasse avec beaucoup d'amour en lui donnant tout ce que j'ai dans les tripes. Le peu qu'y a, faut que ça soit pour lui. Voilà ce que je pense moi !

 

*

 

- Docpsi ! Eh oh ! Docpsi !

Je tourne la tête.

- Docpsi, j'ai envie de toi !

- Suzie ! je dis, mais qu'est-ce que tu fabriques !

Mais elle me répond pas, elle est déjà en train de me farfouiller dans le cou avec quelque chose de mouillé et de très doux. Ça doit être sa langue. Suzie, elle fait toujours ça avant de faire l'amour. Elle me fait ça sur tout le corps.

- Suzie, arrête s'il te plaît, je dis, tu vois bien que je suis en train de travailler !

Mais elle s'en fout. Elle veut pas m'entendre. Elle est comme ça Suzie.  Quand elle a une idée derrière la tête ! Ahhh… Je l'entends faire un drôle de bruit avec sa bouche qui me picore la peau. Elle retire son pull et son T-shirt. Elle enlève son pantalon et se met à quatre pattes en jouant avec toutes les parties de mon corps qui commence à trouver ça drôlement agréable.

- Suzie, tu exagères là tout de même !

Je regarde la petite boule de pâte à modeler qui ressemble encore à rien. Faire ça devant lui… quand même ! Ca viendrait à l'esprit de personne de faire ça pendant un accouchement ! Pourtant Suzie elle, elle s'en fout ! Ça veut rien dire pour elle cette petite chose que j'ai dans la tête et que j’essaye de fabriquer avec mes doigts. Elle me déshabille lentement, enlève sa petite culotte et s'assoit sur moi comme si de rien n’était. Je dois avoir l'air un peu bête comme ça, tout nu sur mon siège pendant qu'elle s'échine à onduler la croupe sur ma petite colonne de chair. J'arrive pas à me concentrer. Je pense à Marion. Je peux pas m'empêcher de penser à Marion. A ses grosses fesses sous sa jupe Et puis à ses grands yeux tristes aussi. Des yeux comme ça, ça peut pas tromper sur les choses qu'elle a envie qu'on fasse ensemble. Quand je pense qu'elle doit faire l'amour avec Fred en pensant à moi. Que moi, je fais l'amour à Suzie en pensant à elle. Je trouve ça complètement fou ! C'est tout de même un truc bizarre l'amour ! On est avec des gens et puis en étant avec eux, on est quand même avec d'autres qui sont pas là. On se court tous après sans savoir après qui on court. C'est pour ça qu'il vaut mieux rester seul. Comme ça on ne trompe personne. On se court tout seul après. Même si c'est dur parce que souvent on se mord la queue.

- Et alors Docpsi ! Tu rêves ou quoi !

- Non, non ! je dis, continue Suzie, c'est bien comme ça !

Et puis je pense aussi à Marco. A ce con de Marco qui a su consoler Suzie quand ça n'allait pas très fort entre elle et moi. Je me dis qu'elle doit y penser encore et qu'elle y pense en ce moment même. Et que ça l'excite d'y penser ! Oh ! C'est terrible de penser à tout ça !  On fait trop l'amour avec sa tête ! Et c'est un vrai problème de faire l'amour avec sa tête !

- T'as pas envie ou quoi, Docpsi !

- Si, si ! je dis, j'ai un peu la tête ailleurs, c'est tout !

- Allez ! Relâche-toi et laisse-toi faire, Docpsi !

Et elle reprend sa chevauchée.

 

*

 

- Mais, bon sang ! Qu'est ce qui t'arrive, Docpsi ?

- Mais rien Suzie !

- Mais qu'est-ce que je t'ai fait pour que tu sois comme ça ?

- …

- Y doit bien y avoir quelque chose !

Je regarde le plâtre dans la barquette de salade qui traîne devant moi. Je m'aperçois que j’ai mis trop de plâtre et qu’il va durcir avant même que je puisse l’utiliser. A l’intérieur, je vois aussi que j’ai laissé quelques bouts de carottes râpées orange mélangés à de petites lamelles blanches. Ça doit être du céleri, je me dis. Oui, c'est ça, y a de grandes chances pour que ça soit du céleri…

- Eh ! Oh ! Docpsi ! A quoi tu penses ? Si tu veux que j’arrête, tu n’as qu’à le dire !

Mon regard s'attarde sur l'étiquette. Je lis. Salade Coleslaw. Poids net 300g. A consommer jusqu'à voir la date sur le côté de la barquette. A conserver de 0 à 4°C. Ingrédients : chou émincé…

- Et merde ! je dis, loupé !

- Quoi ! Qu'est-ce qu'il y a Docpsi ?

C'est bien ma veine, moi qui croyais que c'était du céleri. Je continue.

carottes râpées, huile végétale, céleri branche…

- Ah ! Je savais bien aussi que je m'étais pas trompé! je dis.

- Docpsi ! Mais qu'est-ce que tu racontes !

Je poursuis.

oignon, vinaigre, protéine de lait, poudre de jaune d'œuf, alignate de sodium…

J'arrête. Je comprends de moins en moins ce qu'ils ont mis dedans.

fabriqué par M SA 38 rue du docteur Pascal Long…

Docteur Pascal Long… Docteur Pascal Long… Je me demande s'il faut prononcer à la chinoise en insistant sur le G. Docteur Pascal Long. Docteur Pascal Long… Soudain je vois un petit bonhomme aux yeux bridés avec une grande barbe.

- T'apprends la notice par cœur ou quoi, Docpsi !

- Hum… je dis.

Docteur Pascal Long. Je peux pas m'empêcher de penser à lui. Docteur Pascal Long. Je vois un vieux sage chinois au teint jaune et au sourire mielleux.

- Quel est vôt' prôblêm, môssieur Dôcpsi ?

- Prôblêm de couple, dôcteur Long !

Et voilà que je me mets à prendre l'accent asiatique. Je sais pas pourquoi. Mais je peux pas m'en empêcher.

- Vô âvez essayê âphrôsisiâque, Môssieur Dôcpsi ?

- Le prôblêm n'est pas lâ, Monsieur Long !

- Âlors Vô râcontez prôblêm à môi !

- Eh bien voilà, le problème est très simple, Docteur! Depuis que j'ai ce projet de spectacle avec Marion, ça ne va plus du tout entre Suzie et moi. Comme si on n’était plus fait l’un pour l’autre. Comme si un fossé nous séparait à présent. D'ailleurs je me demande bien pourquoi on est encore ensemble aujourd’hui ! Tenez ! Ecoutez-vous-même, docteur ! La suite de la scène est pitoyable !

- D’accôr, Dôcpsi ! Mô écôuter ! Et vô verrez après avôir écôter scène, vô, plus de prôblêm, Dôcspi !

- Que voulez-vous dire, docteur ?

- Je veûx dire, Dôcpsi, Après écôuter scène de ménâge, vô, plus de prôblêm, Dôcpsi ! Vô être libres âprès ! Mais nô d’abôr écôuter dernière scène!

- Oui, docteur ! Allons-y ! Ecoutons !

 

*

 

- Suzie ?

- Hummmmm…

- Je peux te dire quelque chose !

- Hummm…

- Suzie, je te parle quand même !

- Quoi ! Qu'est-ce qu'il y a, Docspi ?

- Suzie, t'aimes bien comme on est en ce moment ?

- Ben ouais, pourquoi tu me demandes ça, Docpsi ?

- Parce que moi j'aime pas du tout ! je dis.

Suzie arrête soudain sa chevauchée et me regarde avec un air de reproche. Et moi, je regarde le petit Mario qu’est pas encore fait et qui m’attend.

- Docpsi, il faut toujours que tu viennes tout gâcher! On n’était pas bien là peut-être ?

- Non ! je dis, moi je ne suis pas bien ! Et j’ai des trucs à faire !

Elle soupire.

- Qu’y a-t-il encore, Docspi ?

- Tu vois, Suzie ! On peut jamais rien te dire ! Il faut tout de suite que tu t'énerves ! je dis.

- Mais je m'énerve pas, Docspi ! Je trouve seulement que ce n’est pas le moment !

-  Pas le moment ? je dis, mais t’es vraiment agaçante à la fin ! C’est toi qui viens me déranger ! Et c’est toi qui trouves que c’est pas le moment ! 

- Bon, allez ! Vas-y, je t'écoute, Docpsi ! Qu’as-tu à me dire ?

Je ferme les yeux.

- Eh bien ! Voilà ! Imagine que je vive seul, Suzie ! Sans toi, sans personne. Seul, seul, seul. Sans tendresse, sans amour, sans partage, sans échange. Sans rien. Tout seul quoi !

- Tu pourrais pas Docpsi, tu serais vraiment trop malheureux !

- Faut voir ! je dis, imagine seulement !

- D'accord, imaginons !

- Eh bien voilà ! je dis. C'est comme ça que je me sens en ce moment !

- T'exagères quand même, Docpsi !

- Pas tellement ! je dis. On est devenu trop différent, Suzie ! Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on est comme deux étrangers sur le même quai qu'attendraient pas le même train !

- Mais qu'est ce qui te fait dire ça, Docspi ?

- Tout ! je dis. On parle plus ou alors juste pour se dire des trucs qu'ont pas d'importance ! On se touche plus sauf de temps en temps pour se dire qu'il reste quand même ça entre nous ! On dirait qu'on est ensemble par habitude et puis pour ne pas rester tout seul aussi ! On est devenus comme tous ces vieux couples qui savent même plus pourquoi ils restent ensemble, voilà la vérité, Suzie !

Suzie me regarde en pleurant. Elle se lève et se rhabille.

- Tu as raison, Docpsi ! Il vaut mieux que je m’en aille et que je te laisse à tes rêves ! Adieu, Docspi !

Elle me jette un dernier regard et sort en silence.

 

*

 

Je me penche sur Mario en sanglotant. Il faut en finir ! je dis. Il faut en finir avec cette histoire qui va nous rendre tous dingues ! Ce destin nous fait vraiment trop souffrir ! S’IL savait comme je LUI en veux ! Oh ! Mon Dieu, s’IL savait ! Pourquoi m’a-t-IL donné ce mauvais rôle ? Pourquoi m’a-t-IL fait devenir si égoïste et si méchant ? Je regarde Mario. Lui seul à présent pourrait me sortir de cette histoire. J’achève son visage. Le plâtre est presque sec. Ses yeux ont déjà l’air de me sourire. Je le regarde en silence, le pose sur la table et le laisse sécher. Et je m’écroule sur mon bureau, la tête lourde de honte et de fatigue. 

 

 

12. Destin… ?

Quand j’ouvre les yeux, je lève la tête de mon cahier. J’ai passé la nuit entière la tête posée sur la dernière page. Je touche mon visage et sens les stries de la spirale qui sépare les deux pages de cette scène odieuse avec Suzie, comme si chaque phrase inscrite sur la feuille s’était inscrite dans mes chairs, comme si chacune d’elles avait voulu me marquer à tout jamais du sceau du remords et de la culpabilité. Je saisis mon stylo d’un geste las, tourne la page et commence à écrire.

 

- Alors ça y est, Pascal ? C'est fini ?

- Quoi, qu’est-ce qui est fini, docspi ?

- Ben mon histoire, je dis.

- Quoi ton histoire ?

- Ben mon histoire avec Suzie… elle est finie ?

- ben, c’est pas ce que tu voulais ?

 - Ben non, je dis…. Moi, je voulais pas faire de peine à Suzie… Je voulais juste partir avec Marion !  Là… j’ai  l’impression de …

- Quoi ? t’as l’impression d'avoir trahi Suzie, c’est ça ?

- Non ! Pire que ça ! je dis.

- eh bien ! Faut savoir ce que tu veux, mon vieux ! On peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ! Et puis on ne peut pas non plus ménager la chevre et le chou ! Et puis il faut que tu t'y fasses, c'est quand même pas un drame cette rupture !

- Ouais, peut-être, je dis, mais ça veut dire qu'on est tout seul au fond !

- Ben oui… d'habitude t'arrête pas de le répéter, et puis là quand ça t'arrive…

- Quoi quand ça m'arrive ! je dis.

- Ben, t'as du mal à l’encaisser ! Parce que c'est facile de faire la leçon aux autres, mais quand il s’agit de l’appliquer a sa vie, là, c’est une autre histoire ! 

- J'essaye mais j'y arrive pas ! je dis. C'est quand même pas ma faute !

- Ben si, tu n'as qu'à t'en prendre qu'à toi !

- Si tu crois que c'est facile ! je dis.

- J'ai pas dit que c'était facile, docspi ! j'ai dit que c'était comme ça et qu'il fallait s'y faire! C'est bien toi qui a choisi, non ?

- Je n’ai rien choisi, moi, Pascal ! je dis, c’est toi qui ne m’a pas laissé le choix !

- c’est la meilleur celle-là ! relis le contrat, Docspi ! Et tu verras que je n’y suis pour rien !

- Si, je dis, tu aurais pu faire en sorte que les choses se passent un peu moins brutalement !

- oh ! qu’est-ce que tu m’enerves, docpsi, a t’apitoyer sur ton sort ! T’es jamais content ! Moi qui comptais t’encourager…

- M’encourager ? je dis.

- Oui, j’avais une bonne nouvelle à t’annoncer !

- Une bonne nouvelle ? 

- Oui, mon vieux ! Je me suis arrange pour te trouver une salle ! Ta premiere salle pour demarer la tournee de ton spectacle ! j’espere que ton histoire est prête, mon vieux !

- Pfff ! Tu parles ! je dis, si tu crois que j’ai le cœur à penser à mon histoire après tout ça !

 - Mais bon sang ! qu’est-ce qui t’arrive, Docspi ! ne me dis pas que tu n’es plus d’accord maintenant !

- Pfff, je dis, j’en sais rien, et puis de toute façon, l’histoire n’est pas finie !

- Quoi pas finie ? Eh ! attention ! pas de blague, Docspi ! t’as interet a la finir avant ce soir ! le spectacle est prevu à18h, dans la salle polyvalente du foyer ! Et tu sais très bien que ce spectacle est capital pour ton avenir et pour la fin de notre histoire ! T’as vraiment interet a t’y mettre, mon vieux !

- Pour ce soir ? je dis, mais je serai jamais prêt ! Et puis t’as rien trouvé d’autre comme salle ! Je vais avoir l’air de quoi, moi, devant les autres ?

 - Tu auras l’air de ce que tu es, mon vieux ! Et puis Il faut bien débuter quelque part, non ! Je te signale aussi qu’avant tu devras aller chercher marion a la sortie de son boulot ! Elle devrait sortir vers 17h. 

- Ah bon…, je dis.

- Oui, mon vieux ! 17 h à la prefecture ! Et d’ici là, tu ferais bien de finir ton histoire ! et puis tu ferais bien aussi d’aller te reposer un peu après ! T’as l’air completement creve, mon vieux ! 

- Ah bon…, je dis.

- Oui, mon vieux ! 

- Ouais, je dis, je verrai.

- non ! non ! c’est tout vu, docspi ! tu vas faire exactement ce que je t’ai dit ! Et que tu le veuilles ou non, tu le feras,  mon ami ! 

- Ouais, je dis, je verrai !

-  Oh ! arrete un peu avec tes « ouais, je verrai » ! Je te préviens, docpsi, un seul faux pas, et je ne repondrai plus de rien !

- Ouais, je verrais, je dis.

J'essaye de pas pleurer. Mais j’y arrive pas. Quand je pense à tout le mal que j’ai fait pour essayer d’être libre. A quoi ça sert de vouloir échapper à son destin ? Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? J’en sais rien. Et je sais même pas si on y arrive vraiment. Vu mon état et ma situation, je me dis qu’il y a de grandes chances que non. Franchement, je n’en sais rien. Et pourtant je peux pas m'empêcher d'y penser. Ça m'obsède vraiment cette histoire ! Je me demande ce qui s'est passé au juste. C’est comme si ce n’était pas moi qui avait décidé ! J'arrive pas à comprendre ce qui m’a fait tout lâché comme ça, les chiens, le refuge, ce job de responsable qui m’était promis, Suzie et puis maintenant tout ce bordel qui m’arrive sur le coin de la gueule !

- Merde ! je dis.

J'aurais tant besoin de comprendre pour faire ce que j’ai à faire. Tant besoin de comprendre pour continuer à vivre. Tant besoin de comprendre pour oublier cette putain de culpabilité et pour construire enfin ce nouveau destin qui m’attend. Je me sens épuisé. Je ferme la porte et je m'allonge sur mon lit.

 

*

 

Quand je me réveille, le clocher sonne quatre coups. Je me lève et je vais à la fenêtre. J’aperçois le soleil qui commence à décliner. Dans une heure peut-être, il aura disparu. J’ai une heure devant moi. Je me prépare tranquillement. Je m'habille avec calme. Je regarde mon cahier et cette histoire inachevée qui attend sa fin. Mon costume de scène et mon matériel sont prêts, rangés dans mon sac. Lorsque la demi sonne, je sors de la chambre et démarre mon scooter. Je roule jusqu’à la préfecture. J'arrive un peu en avance. La petite horloge du tableau de bord indique 16h55. Je vois un groupe d'employés sortir du bâtiment. Ils passent la grille et s'éparpillent dans la rue. Je fixe le portail un peu anxieux. Et si je la loupais ! Non, je me dis, c’est impossible, tout est déjà prévu. 17 heures. Une horde d'employés se jette sur la sortie. Comme s'ils voulaient rattraper le temps perdu ! Qu’ils sont idiots ! Comment peut-on rattraper tant d'heures passées à remplir des formulaires ! Je mets à repenser à mon père puis de nouveau je regarde l’heure. Il est 17h15. Je me dis que j’ai dû la louper. Je décide de l’attendre encore 5 minutes… puis je retournerai au foyer. Tant pis pour mon avenir et tant pis pour la fin de l’histoire. 17h20. Je remets mon casque. Je tourne la clé. Le moteur se met à tourner. Je m'apprête à démarrer lorsque j'aperçois Marion qui sort de la préfecture. 

 

Je la regarde sans pouvoir l’appeler comme si j’avais honte d’être là à l’attendre. J'essaye de me faire tout petit sur mon scooter. Je la vois descendre l'escalier avec lenteur, puis saluer le vigile qui surveille les entrées qui ne prend même pas la peine de lever les yeux de son magazine lorsqu’elle passe devant lui. Elle ne s'en offusque pas et passe le portail avec le plus joli sourire du monde. Mais il y a aussi quelque chose de terriblement triste dans ce sourire. Quelque chose de triste et de résigné. Je la suis du regard. Et je me rends compte à quel point sa vie a l’air triste. Je comprends mieux à présent pourquoi elle aussi veut échapper à son destin. Je la vois rejoindre le petit groupe qui attend à l'arrêt de bus. Personne ne la regarde. Personne ne lui parle. Peut-être n'appartiennent-ils pas au même service ? J'entends quelques bribes de ce qu'ils racontent et le rire gras qui ponctue leurs phrases. Le sourire de Marion a disparu. A la place, il y a une moue figée qui donne à son visage un air boudeur et un peu mélancolique. Peut-être est-ce son vrai visage ? Je n'en sais rien. Lorsque le bus arrive, elle laisse passer le petit groupe qui s'installe bruyamment, en habitués du trajet, sans interrompre leur conversation. Elle monte la dernière et reste debout à l'avant près du chauffeur. Je la hèle à l’instant où le bus va redémarrer. Lorsqu’elle m’aperçoit, sa moue se mue en sourire charmeur. Elle descend et vient à ma rencontre. Le bus redémarre et s’éloigne dans la cohue des voitures.   

 

*

 

Marion monte derrière moi. Et je démarre aussitôt. Je fonce à travers la ville jusqu’au foyer. En arrivant, je me gare dans le parc et laisse le scooter au pied du grand marronnier près du portail. J’ai le trac. Nous sommes en avance. Marion me regarde. Elle a l’air fatiguée.

- Et si on allait prendre un café avant ? je dis.

Nous traversons la rue. Nous poussons la porte du bar-tabac situé au rez-de-chaussée du vieil immeuble jaune que j’aperçois de la fenêtre de ma chambre. Ca empeste le tabac froid et la piquette bon marché. C'est un endroit calme et un peu crasseux. Il y a quelques habitués au comptoir, perdus dans leur verre. Un vieux juke-box diffuse une chanson à la mode que personne n'écoute. Un bar comme tant d'autres où le monde vient noyer sa solitude en oubliant son malheur et sa misère. On  s'assoit près de la porte. On a une vue imprenable sur l’entrée du foyer. Le taulier nous apporte un café. Lorsque le clocher sonne 6 coups, je pose un billet sur la table et on se précipite vers la sortie.

 

*

 

Nous montons l'escalier qui mène à la grande salle polyvalente.

- Ca va, Marion ?

- Oui, ça va ! qu’elle dit.

J'ai le souffle court. J’ai du mal à respirer. J’ai le trac. Et nous continuons de monter, un peu surpris par le drôle de vacarme du dernier étage. Léger et Plumi sont sur le palier en grande discussion. Nous nous arrêtons pour les saluer.

- Dis Docpsi, il paraît qu'il y a un spectacle ce soir! T'es au courant ? Un spectacle donné par un certain Padoc Psirage et son assistante ! En tout cas, c’est ce qu’annonce l’affiche !

Je regarde l’affiche punaisée sur le mur. Je regarde Léger et le remercie d’un clin d’œil. Puis je regarde Marion avec un grand sourire.

- Oui, je dis, il  paraît que ce sont deux artistes inconnus mais très talentueux ! Je crois qu’ils ont invité tout le monde. Vous venez ?   

Plumi me décoche un drôle de regard. Comme si je venais de dire un gros mot. Il hésite. Puis finalement on rejoint les autres devant la porte de la salle polyvalente. Tous les pensionnaires sont là; Lucie et Fernand, Nestor, Lucien, Suzie et tous les autres, Elodie et le reste du personnel, même le docteur Flap et sa grande blondasse sont là. On attend un bon quart d'heure. Puis Marion ouvre la porte. Elle nous invite à nous asseoir. Quand tout le monde est entré, elle referme la porte. Il y a des chaises autour de la scène qui forment un arc de cercle.

- Ce gars-là a besoin d'être entouré ! dit Plumi.

- Oui, c'est un artiste ! je dis.

Marion éteint la lumière. La salle fait silence. On ne voit plus rien. On entend juste quelques raclements de gorge. Plumi se penche vers moi et me dit :

- La création débute dans l'obscurité !

- Tu crois que c'est ce qu'il veut nous dire, je dis.

- Oui, les artistes comme lui ont le symbole facile !

- Peut-être, je dis, n'empêche que pour l'instant, c'est bien !

Soudain un spot éclaire la salle. C’est une lumière douce et jaune, un peu pâle. Mais Padoc Psirage n'apparaît toujours pas. Marion monte sur la scène.

- Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir ! Je vous remercie de vous être déplacés si nombreux pour assister au spectacle de Padoc Psirage ! C'est un grand honneur et un grand privilège pour lui de vous présenter ce soir en souvenir de ses longues et folles années d'errance artistique, ce spectacle inédit!

Je regarde Plumi. Il a l'air furieux. Il se lève et apostrophe Marion.

- Arrête, Marion ! Tu nous les brises, qu’il dit, arrête de nous fendre le cœur avec tes histoires de poète maudit et d’artiste incompris…

- … et compagnie… pouet ! Pouet ! je dis.

La lumière s'éteint brusquement et plonge la salle dans l'obscurité. Je me lève pour rejoindre la scène. La lumière réapparaît aussitôt. J'entends Plumi penser tout haut.

- Après l'ombre la lumière ! Destin de l'artiste !

             

*

 

Je m'empresse de saisir Mario. J'enfile son corps sur mon bras, glisse mes doigts dans sa tête et dans ses mains.

- Bonsoir mes amis, bonsoir Padoc, je suis heureux d'être là parmi vous ce soir !

- Bonsoir, je dis.

- Dis-moi Padoc, tu ne nous as certainement pas tous réunis ici ce soir par hasard, n'est-ce pas ?

Je regarde le petit pantin qui s'agite devant moi.

- Tu nous as fait venir pour nous raconter ton histoire, n’est-ce pas ?

Il y a bien longtemps que je n'ai pas raconté d'histoires. Ça remonte à l'époque où les choses n'avaient pas encore de nom et où la terre s'appelait Barre-au-Monde. Je regarde Mario.

- Je vais te raconter l'histoire de Fridõm, je dis.

J'entends un murmure parcourir la salle. Le petit pantin me regarde les yeux écarquillés. Je prends ma voix la plus douce et la plus profonde et commence à raconter.

 

"Contrairement à toutes ses sœurs, Barre-au-Monde n'était pas une planète comme les autres. C'était une planète toute carrée sur laquelle vivait une toute petite bestiole. Un drôle d'animal à vrai dire; plutôt petit, sans poil sauf sur la tête et sur le bas-ventre où avait poussé une énorme touffe. Un petit animal frêle qui avait une drôle de façon de se déplacer en marchant sur ses pattes arrière. Ce drôle d'animal n'avait pas encore de nom puisqu'il n'avait pas encore inventé le langage. Et pour communiquer entre-elles, ces petites bestioles se frappaient la poitrine avec leurs pattes de devant en poussant une sorte de cri rauque qui faisait comme un bruit de tambour un peu sourd : Dôôômm ! Dôôômm ! Dôôômm !"

 

Je m'arrête un instant. La salle est silencieuse et Mario a fermé les yeux. Mais je continue mon histoire. Pour moi, à voix basse.

 

"Sur cette drôle de planète carrée, les petits Dôôômm – appelons-les ainsi – étaient très tôt contraints d'obéir aux grands Dôôômm qui avaient érigé un système impitoyable qui régissait la vie des Dôôômm de leur naissance à leur mort. Et si les petits Dôôômm n'obéissaient pas, la punition qu'on leur réservait était terrible. On les enfermait dans une grande marmite pour les faire cuire à petit feu jusqu'à ce que le contenu de leur tête s'évapore dans les airs. Les grands Dôôômm avaient la charge de surveiller la cuisson. Et ainsi lorsqu'ils estimaient que les petits Dôôômm avaient suffisamment  mijoté, ils émettaient une sorte de cri bizarre qui sortait du fond de la gorge : Frrrrriii, Frrrrriii, Frrrrriii. Lorsque la punition était enfin levée, les petits Dôôômm ressortaient de la marmite, la tête toute vide, prêts à se soumettre au terrible système des grands Dôôômm. Un jour pourtant, un petit Dôôômm un peu plus récalcitrant que les autres resta si longtemps sous le couvercle de la grande marmite que sa tête s’envola en fumée. Alors les autres petits Dôôômm furent si consternés qu'ils eurent l'idée d'ériger, en mémoire de la tête disparue, une grande stèle de pierre qui montait très haut dans le ciel. Et bientôt, lorsque les Dôôômm inventèrent le langage, chacun put lire sur la petite plaque accolée au monument funéraire : En souvenir de Frrrrriiidôôômm. Et le temps passa. Des années et des années plus tard, les Dôôômm conservèrent à l'esprit la malheureuse histoire du petit Dôôômm qui avait frit. Mais le temps dont il faut toujours se méfier car il a la fâcheuse manie de simplifier le passé, avait effacé de nombreuses lettres sur la petite plaque de bois. Et c'est ainsi que Frrrrriiidôôômm devint au fil des années Fridõm. »

 

Je regarde Mario. Il s'est endormi. Ses petites mains s'agitent. Il rêve. Je le regarde tout attendri. J'aimerais tant faire le voyage avec lui jusqu’à Barre-au-monde. Remonter le temps pour revivre l'histoire terrifiante de cette planète pas comme les autres. Aller ensemble jusqu’à Barre-au-Monde et regarder sa chute. Pour lui montrer que rien n'a changé et que rien ne changera jamais. Que Fridõm sera toujours là quelque part en nous et que Barre-au-Monde sera toujours aussi terrible jusqu'à la fin. Je prends le petit pantin délicatement et le pose sur mon cœur. A cet endroit qui bat, à cet endroit qui fait mal. Et dans un mouvement régulier, dans un léger balancement, je le berce contre ma poitrine. Et nous partons ensemble, nous enfonçant lentement dans l'histoire de Barre-au-Monde. 

 

*

 

Nous avançons ainsi serrés l'un contre l'autre à travers la salle qui se métamorphose soudain en salle d'audience. Devant nous se dresse une immense cage. C'est le box des accusés de Barre-au-Monde qui contient toute l'humanité. Cette pitoyable humanité misérable et inconsciente.

- Regarde Mario ! je dis, regarde ! Nous sommes en train d'assister à la chute de Barre-au-Monde !

Le petit pantin se réveille. Je lui fais signe de s'asseoir et de regarder la multitude de juges assis en rond autour de l'estrade. Je m'aperçois que chacun d'eux représente une espèce qui vit sur la terre. Soudain je me sens bien seul. Comme si j’étais l’unique spectateur de ce spectacle. Une voix nous intime l'ordre de nous taire. C'est l'un des juges à tête de fourmi assis au fond. Il nous explique que la présidente du tribunal ne va plus tarder. Le représentant des équidés, assis à ses côtés, se sent obligé de nous rappeler qu'elle a été choisie pour son extraordinaire connaissance du genre humain. Je regarde Mario. Je crois qu'il est ravi d'assister à ce procès. Le plus grand procès de tous les temps, une sorte de huis-clos planétaire que j'avais déjà tant de fois imaginé. Dehors, on entend la foule scander quelques slogans hostiles. Comme je les comprends. Le ciel, les nuages et le soleil sont de la partie. Avant d'entrer dans le tribunal, j'ai vu l'arc-en-ciel qu'ils nous ont offert. Chacun y aura reconnu leur message; appel à la clémence. Nous attendons avec impatience l'ouverture du procès.

 

*

 

- Mesdames et messieurs, citoyennes et citoyens du monde, la présidente !

Je vois une espèce de corniaud déplumé passer la petite porte derrière l'estrade. C'est une chienne noire avec des tâches marrons, vêtue de son plus simple appareil.

- Merde ! Drouchka… je dis.

Sans chichi ni flonflon, elle s'assoit sur l'estrade qui lui est réservée. Devant elle, ni dossier, ni papier. Rien. Elle connaît son affaire sur le bout des pattes.

- La séance est ouverte !

Un murmure parcourt l'assemblée des juges.

- Assesseur, veuillez, je vous prie, lire à la cour les chefs d'inculpation des accusés !

Dehors, la clameur de la foule se fait plus vive. La petite voix frêle de l'assesseur, en la personne d'un lapin de garenne, est bientôt recouverte par les cris survoltés des manifestants. La présidente l'arrête d'un vif mouvement de patte.

- Qu'on les fasse entrer !

- Mais c'est impossible madame la Présidente ! La salle est trop petite !

- Qu'à cela ne tienne, abattez les murs ! Cette survivance d'une justice humaine étriquée ne doit plus être. Que la justice soit rendue à l’air libre devant la conscience universelle !

- Je m'en charge, je dis, madame la Présidente !

Je sors de ma poche un burin, une grosse masse d'au moins 20 kilos, un tractopelle, une grue en plastique et une armada de camions-bennes. Et je transforme aussitôt les murs en un tas de gravats que les tractopelles et la grue ramassent pour remplir la flotte de petits camions. En un quart d'heure le travail est achevé. Et aussitôt la horde des manifestants s'assoit en silence autour de la cour, éclairée d'un joyeux arc-en-ciel multicolore. Parmi la foule, je reconnais tous mes amis; Suzie, Marion qui a pris place à côté d'elle, Lucien, Théozène, Plumi, Léger, Lucie, Nestor et Fernand. Ils sont tous là. Aucun ne manque à l'appel.

- Que la séance reprenne !

L'assesseur fait un geste à la Présidente.

- Accusés, levez-vous !

L'humanité se lève comme un seul homme.

- Maintenant, assis ! Pas bouger, hein !

La salle se met à rire.

- Assesseur, continuez votre lecture, je vous prie !

Le petit lapin de garenne reprend ses notes et déclame sa tirade d'un ton magistral.

- Premier chef d'inculpation; homicides volontaires avec préméditation sur de nombreuses espèces vivantes.

La salle ne peut contenir un cri d'horreur.

- Salops ! A mort les salops ! Qu'on les lynche !

- Un peu de silence dans la salle, s'il vous plaît !

L'assesseur poursuit, indifférent au vacarme.

- Deuxième chef d'inculpation; prises d'otages aggravées avec détention illégale d'espèces vivantes soumises à des conditions d'esclavage.

- Soyez plus précis, monsieur l'assesseur, donnez-nous un exemple !

La salle se met à crier.

- Un exemple ! Un exemple ! Un exemple !

Le lapin de garenne fouille dans ses notes.

- Euh… l'élevage de foie de canard… euh l'élevage de bifteck de bœuf, euh… l'élevage de manteaux de renard, de manteaux de vison, de …

- Ça ira, continuez, je vous prie !

- Troisième chef d'inculpation; abus de biens sociaux collectifs et dégradation avec violence du patrimoine commun.

La salle se met à crier.

- Un exemple ! Un exemple ! Un exemple !

Le lapin de garenne refouille dans ses notes.

- Voilà ! Voilà ! Ça vient ! Pillage des forêts, pollution des mers et des océans, appropriation des richesses terrestres et marines, bétonisation des surfaces du globe, expropriation abusive sans indemnisation… je continue…

- Non, ça ira, monsieur l'assesseur, poursuivez les chefs d’inculpation, je vous prie !

- Quatrième chef d'inculpation; comportements étriqués, stupides, myopes, ambitieux, autocentrés, prétentieux, hypocrites et irresponsables ainsi qu’ostracisme caractérisé à l’égard des minorités et des différences.

La salle se remet à crier.

- Un exemple ! Un exemple ! Un exemple !

Le lapin de garenne rerefouille dans ses notes.

- Euh… méchanceté, cruauté gratuite, mesquinerie, égoïsme, idiotie, mise à l’écart des individus en marge de la norme, exclusion des anormaux, rejet de tous ceux qui se sont barrés du monde …

La Présidente intervient.

- J'appelle à la barre notre expert psychiatre.

Un manchot, nœud papillon et queue de pie noirs, prend la parole.

- Madame la Présidente, Mesdames et messieurs les juges, citoyennes et citoyens du monde…

La Présidente l'interrompt.

- Docteur, pouvez-vous nous dire si les accusés ici présents présentent une quelconque insuffisance intellectuelle ? Et si oui, cela relève-t-il d'un cas d'irresponsabilité majeure ?

L'expert psychiatre a l'air embarrassé. Il gratte le haut de son crâne dégarni avec un air qui en dit long sur sa circonspection et sa gêne.

- Madame la Présidente, Mesdames et messieurs les juges, citoyennes et citoyens du monde… cette affaire, celle qui nous intéresse en premier chef ici, est une affaire d'une complexité ardue. En effet, l'étude approfondie de la calotte glacière, extraite par décision judiciaire dans la présente affaire, nous incite à penser à la complexité extrêmement complexe de ce cas qui nous est présenté.

- Docteur, je vous remercie. Vous nous donnerez davantage de détails lors de votre prochaine intervention.

Le manchot regagne sa place dans l'assistance. La Présidente se tourne vers le lapin de garenne.

- Monsieur l'assesseur, avez-vous terminé ?

Ce dernier lui fait un signe de tête approbateur.

- Dans ce cas, mesdames et messieurs, citoyennes et citoyens du monde nous allons juger les accusés, appelés communément l'humanité ou plus familièrement la bande des deux pattes, pour le motif grave suivant; crimes aggravés contre le monde. Mesdames et messieurs, je vous propose de lever la séance et de la reprendre dans quelques instants afin de nous accorder à tous une pause méritée. La séance est levée !

 

*

 

Le corniaud déplumé se lève, aussitôt suivie par l'assemblée de juges et ils disparaissent. La foule se lève à son tour. Tout le monde a l'air de bonne humeur. Je jubile. Depuis le temps que j'attendais ça. J'arrive pas à y croire. On attend quelques minutes puis tout le monde reprend sa place. La présidente frappe sur la table avec son marteau.

- La séance est ouverte ! Monsieur l'assesseur, je vous prie !

Le lapin de garenne relit ses notes puis dit d'une voix claire et nette :

- J'appelle à la barre le premier témoin en la personne de Monsieur Padoc Psyrage !

Je dépose Mario et me lève un peu surpris. J'ai un trac terrible. Mon cœur bat à tout rompre. Je m'avance à la barre.

- Monsieur Padoc Psirage, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : je le jure!

- Madame la Présidente, je m'étonne d'être appelé comme témoin, il doit y avoir une erreur !

Le corniaud regarde le lapin de garenne qui regarde ses notes.

- En effet, il y a erreur madame la Présidente, ce personnage fait partie des accusés !

- Monsieur Psirage, je vous prierais donc de rejoindre l'humanité dans son box !

Je proteste.

- Mais je suis innocent, Madame la présidente ! Je ne suis qu’un personnage de scène ! Qu’une petite marionnette entre les mains de mon créateur, Madame la Présidente !

- Votre créateur, monsieur Psirage ?

- Oui, madame la présidente ! Mon créateur ! Il  s’appelle Docspi !

- Docspi, dites-vous ?

- Oui, Madame la présidente !

- Gardes ! Veuillez m’amener le dénommé Docspi !

Deux énormes morses à la mine patibulaire et aux impressionnantes défenses m’ordonnent de me lever.

- Voilà le dénommé Docspi, Madame la présidente !

Je me lève et m’avance à la barre.

- Monsieur Docspi, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : je le jure !

Je lève la main droite.

- Je jure de dire toute la vérité, Madame la présidente !

- Monsieur Docpsi, dites-nous ce que cache cette mascarade ?

- Cette mascarade, madame la présidente ?

- Oui, monsieur Docpsi ! Expliquez-nous la raison pour laquelle vous alliez laisser accuser monsieur Padoc Psyrage à votre place ?

- Eh bien… c’est à dire… que…. comment vous dire, Madame la présidente…

- Nous vous écoutons, monsieur Docspi !

- Eh bien…, je dis, c’est la faute de mon créateur, madame la présidente ! Dans cette histoire, moi, je ne suis qu’une pauvre petite marionnette entre les mains de mon créateur ! Je suis innocent ! Je vous assure, madame la présidente ! En laissant accuser Padoc Psirage, je n’ai voulu qu’échapper au misérable destin que mon créateur me réservait ! Tout est l’œuvre de mon créateur, Madame la présidente !

- Votre créateur, monsieur Docpsi ?

- Oui, madame la présidente ! Mon créateur ! Il s’appelle Virage ! Pascal Virage !

- Pascal Virage, dites-vous ?

- Oui, Madame la présidente !

- Gardes ! Faîtes entrer le dénommé Pascal Virage !

Deux énormes morses à la mine patibulaire et aux impressionnantes défenses m’ordonnent de me lever.

- Voilà le dénommé Pascal Virage, Madame la présidente !

JE me lève et m’avance à la barre.

- Monsieur Virage, jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : je le jure !

JE lève la main droite.

- Je jure de dire toute la vérité, Madame la présidente !

- Monsieur Virage, êtes-vous le véritable instigateur de cette histoire ?

- De cette histoire, madame la présidente ?

- Oui, monsieur Virage !

- J’ai bien peur que non, madame la presidente !

- Dites-nous alors pour quelle raison vous alliez laisser accuser monsieur Docpsi à votre place ?

- Eh bien… c’est à dire… que…. comment vous dire, Madame la présidente…

- Nous vous écoutons, monsieur Virage !

- Eh bien… c’est la faute de mon destin, madame la présidente ! Dans cette histoire, moi, je ne suis qu’une pauvre petite marionnette entre les mains de mon destin ! Je suis innocent ! Je vous assure, madame la présidente ! En laissant accuser Docspi, je n’ai voulu qu’échapper a mon miserable destin ! Tout est l’œuvre de mon destin, Madame la présidente !

 - De votre destin, monsieur Virage ?

- Oui, madame la présidente !

- De votre destin, monsieur Virage ? De qui vous moquez-vous ?

JE déglutis.

- J'ai sous les yeux, monsieur Virage, une copie de votre manuscrit inachevé.

JE la regarde sans comprendre.

- Mon manuscrit inacheve, madame la présidente ?

- Oui, nous avons découvert, après perquisition dans votre chambre située dans le foyer où vous demeurez au 22 rue du destin, un ensemble de feuillets… comment dirais-je… compromettants, environ deux cent pages d’une histoire encore inachevée, accusant votre destin et l’humanité de divers griefs à votre égard.

- Oui, il doit s'agir de mon manuscrit inacheve, Docpsi ou les maux du destin, Madame la Présidente !

- Dans ces pages, vos accusations sont accablantes Monsieur Virage !

J’émets un petit sourire gêné.

- Permettez-moi d’en lire un bref passage, monsieur Virage qui croyez-le, éclairera grandement le jury sur votre manque de fatalisme et votre criante inhumanité !

- Je vous cite, monsieur Virage : « Je suis fatigué. Fatigué de tout, de ma journée, de ma vie, des gens qu'il faut supporter. J'en veux à la terre entière. J'en veux à Dieu, au destin, aux hommes, à ce monde qui m’oblige à marcher l'échine courbée. Je voudrais être seul. Je voudrais que le temps s'arrête. »

- Mais Je ne suis pas l’auteur de ces phrases, madame la présidente ! Ces propos ont ete tenu par Docpsi, mon personnage ! en conséquence, lui seul en est responsable, madame la presidente !

- Lâche ! Salop ! je crie, ne l’écoutez pas, madame la présidente ! Je suis innocent ! C’est lui qui m’a fait dire des horreurs pareilles ! Je ne pensais pas un seul mot de ce que je disais, Madame la présidente !

- Taisez-vous, monsieur Docpsi, et allez rejoindre votre auteur à la barre, s’il vous plaît !

Je me lève et m’avance à la barre.

- De qui vous moquez-vous exactement, monsieur Docpsi ? A qui voulez-vous faire croire que vous ne partagez pas les vues de votre auteur ?

Je déglutis.

- J'ai sous les yeux, monsieur Docpsi, une copie du contrat que vous avez passé avec le sus nommé Pascal Virage, votre auteur supposé.

Je la regarde sans comprendre.

- Un contrat, Madame la présidente ?

- Oui, monsieur Docspi ! Nous l’avons découvert après perquisition dans le manuscrit inachevé de monsieur Virage, qui je vous le rappelle habite une chambre du foyer situé au 22 rue du destin… Et les clauses de ce contrat prouvent sans l’ombre d’un doute, monsieur Docspi, vos propres griefs à l’égard du destin et de l’humanité ! Permettez-moi d’en lire un bref passage, monsieur Docpsi, qui croyez-le, éclairera grandement le jury sur votre manque de fatalisme et votre criante inhumanité !

- Je vous cite, monsieur Docpsi : «Les objectifs du dénommé Docspi seront de… se débarrasser le plus vite possible de l’emprise de son auteur qui lui colle à la peau… pour devenir autonome et indépendant, de se débarrasser également de cette ribambelle de personnages tordus qui embrouillent sa vie… de devenir riche, reconnu et adulé comme un Dieu». Reconnaissez-vous les faits, monsieur Docspi ?

Je regarde Pascal sans savoir quoi dire. IL me regarde à son tour, et nous nous levons ensemble, comme un seul homme.

- OuI, mAdAmE lA pRéSiDeNtE ! c’EsT vRaI ! lE dEsTiN n’EsT qU’uNe ChIuRe De MoUcHe Et L’hUmAnItE n’EsT qU’uN tAs De BœUfS iNdEcRoTtAbLeS ! c’EsT à CaUsE d’EuX qUe NoTrE hIsToIrE eSt Si AfFlIgEaNtE ! oN nE pEuT pLuS lEs SuPpOrTeR, mAdAmE lA pRéSiDeNtE !

Nos propos provoquent aussitôt un tollé dans l'assemblée. Les mouches et les bœufs se mettent à nous injurier.

- Silence ou je fais évacuer la salle !

Les représentants des mouches et des bœufs bondissent de leur siège.

- Objection, madame la Présidente ! Il y a propos injurieux et vexatoires, nous portons plainte contre les accusés, madame la Présidente !

Le corniaud consulte les autres membres de l'assemblée.

- Objection retenue !

Nous essayons de nous défendre.

- eUh… NoUs NoUs ExCuSoNs, MaDaMe La PrEsIdEnTe !  OuI, nOuS nOuS ExCuSoNs PoUr L’hUmAnItE, pOuR lEs MoUcHeS eT pOuR lEs BœUfS ! nOs PrOpOs OnT VrAiMeNt dEpAsSé NoS pEnSéEs ! QuAnT aU MaNuScRiT eT aU CoNtRaT, nOuS TeNoNs A vOuS iNfOrMeR, mAdAmE lA pRéSiDeNtE qUe PeRsOnNe N'a EnCoRe Lu CeS fEuIlLeTs !  Et S’iL aRrIvAiT pAr HaSaRd Qu’Un LeCtEuR s’EgArE dAnS cEtTe hIsToIrE, iL eSt PeU PrObAbLe, MaDaMe lA PrEsIdEnTe, Qu’Il SoIt AsSeZ fOu PoUr aCcEpTeReR De La lIrE jUsQqU’aU bOuT d’AuTaNt pLuS, QuE cEtTe HiStoiRe, NoUs nOuS pErMeTtOnS dE vOuS lE rApPeLeR, mAdAmE lA pRéSiDeNtE, ReStE à L’hEuRe Qu’Il EsT, eNcOrE iNaChEvEe ! 

- Objection irrecevable ! Ce qui est écrit est écrit, messieurs!

L'assemblée devient soudain hostile.

- Faux-cul ! Traîtres à leurs destins ! Bandes de marionnettes ! Lynchez-les !

Les mouches et les bœufs se mettent à nous lancer des tas de chiures et des bouses que nous recevons en pleine tête.

- Silence ou je fais évacuer la salle !

La vindicte populaire se calme aussitôt.

- Messieurs Docpsi et Virage, que reprochez-vous exactement à votre destin et à l'humanité ? Racontez-nous les déboires qu'ils sembleraient vous avoir fait subir !

Nous nous essuyons le visage qui dégouline d'excréments puis nous racontons notre histoire. Toute la salle nous écoute avec attention. Quand nous en avons fini, nous disons :

- vOiLà, MaDaMe La PrEsIdEnTe, C'eSt SiMpLe. NoUs Ne SoMmEs QuE lEs InStrUmEnTs Du DeStIn QuI a FaIt De NoUs DeS mArIoNnEtTeS uN pEu FoLlEs, ObLiGéEs De SuBiR nOtRe InHuMaNiTé Et CeLlE dU mOnDe SaNs PoUvOiR y EcHaPpEr.

- Vous n'aimez donc ni votre destin ni l'humanité, n’est-ce pas Messieurs ?

Nous hésitons un instant :

- NoN, mAdAmE lA prEsIdEnTe, NoUs N’aImOnS nI nOtRe DeStIn Ni L'hUmAnItE !

- Nous avons bien compris vos doléances, messieurs ! Mais vous n’êtes pas sans ignorer que nul ne peut échapper à son destin ni même à celui qu’il a l’illusion d’écrire ! Aussi, vous, monsieur Pascal Virage ici présent, le tribunal réuni en la circonstance vous accuse d’avoir abandonné votre destin aux mains de monsieur Docpsi ! Quant à vous monsieur Docpsi, ici présent, le tribunal réuni en la circonstance, vous accuse d’avoir refusé le destin que monsieur Virage vous a donné dans cette histoire !

Nous acquiesçons timidement…. et baissons la tête tout penaud.

- eUh… C’eSt A dIrE qUe… EnFiN… qUeL mAl Y a T-iL, mAdAmE lA pRéSiDeNtE, à VoUlOiR éChApPeR à SoN dEsTiN ?

- Quel mal, messieurs ? N’avez-vous jamais songé au mal causé par cette double échappatoire ?

- Non, jamais, madame la présidente !

- Si, je dis, moi, je sais Madame la présidente ! Je me sens bien coup… euh…

Mais elle me cloue le bec sans me laisser le temps d’achever ma plaidoirie.

 - Un peu de silence, messieurs ! Puisque vous semblez l’ignorer, le tribunal va vous éclairer sur le mal causé par ce genre d’agissement ! Ainsi en refusant votre destin, messieurs, vous n’avez fait qu’accroître votre inhumanité et celle du monde ! En agissant si égoïstement, vous avez lâchement abandonné à leur propre destin tous les êtres dont le destin dépendait du votre. Avez-vous songé ne serait-ce un seul instant, messieurs, au destin de tous ces êtres que vous avez lâchement abandonnés à leur destin ? 

- Mais, madame la présidente, je dis, c’est LUI qui m’a donné ce destin à vivre. Moi, je n’en voulais pas ! Je me serais bien contenté du mien ! Et aujourd’hui, le remords m’accable, Madame la présidente !

- Menteur ! Lâcheur ! T’es qu’un Salop, Docpsi !

- Un peu de calme, messieurs ! Revenez à la raison, je vous prie ! Vous êtes tous deux responsables, accusés de trahison à votre destin et d’abandon à leur destin de tous les êtres dont le destin dépendait du votre ! Messieurs, en conséquence, le tribunal réuni en la circonstance aura pour charge principale de juger la nécessité de vous remettre dans le juste destin qui est le vôtre ! 

 

Je proteste.

- Mais je suis innocent, madame la présidente !

- Moi aussi, Madame la présidente !

- Inutiles de protester, messieurs ! Vous êtes, comme tous ici-bas, des innocents contraints de subir l’inhumanité de votre destin et des coupables qui en alimentent les rouages en voulant y échapper de la plus odieuse façon qui soit !

Nous la regardons interloqués.

- Aussi, messieurs, au regard de votre appartenance ou de votre proximité d’avec l’espèce humaine, le tribunal aura la charge de juger votre culpabilité dans l’affaire de l’humanité dite la bande des deux pattes. Voici les chefs d’inculpation retenus contre vous ! Comme le reste de l’humanité, vous êtes inculpés d’homicides volontaires avec préméditation sur les nombreuses espèces vivantes, de prises d'otages aggravées avec détention illégale d'espèces vivantes soumises à des conditions d'esclavage, d’abus de biens sociaux collectifs et de dégradation avec violence du patrimoine commun, et de comportements étriqués, stupides, myopes, ambitieux, autocentrés, prétentieux, hypocrites et irresponsables ainsi que d’ostracisme caractérisé à l’égard des minorités et des différences. Et au regard de cette histoire, le tribunal aura en outre la charge de juger votre culpabilité dans l’affaire dite du manuscrit inachevé, Docpsi ou les maux du destin. Voici les chefs d’inculpation supplémentaires retenus contre vous ! Vous êtes inculpés de cruelle trahison à votre destin aggravée d’abandon des êtres à leur propre destin, de non-assistance à monde en danger ainsi que de pitoyable littérature truffée d’absurdités, de bêtises, d’égoïsme et de médiocrité caractérisés  ? 

 

La Présidente tape sur la table avec son marteau.

- En conséquence, la cour vous déclare…

La salle retient son souffle. Et elle continue de taper, de taper, de taper. Je sens nos pieds s'enfoncer dans le sol. Elle cogne de plus en plus fort. J'ai la tête qui va exploser. Puis je me sens happé dans le gouffre qui s'ouvre sous mes pieds. Le monde disparaît, JE vacille. Et la sentence tombe comme un couperet.

- … coupables ! Condamnés au délire et à la folie à perpétuité !

 

*

 

Quand je reprends mes esprits, il y a des flammes devant moi. Un tas de feuilles est en train de brûler. J'ignore pourquoi mais j'ai un briquet à la main. Je vois la grande blondasse d’infirmière qui entre dans ma chambre en criant : au feu ! au feu ! Le reste du personnel accourt aussitôt armé d’extincteurs. Ils ramassent les feuilles à moitié cramées. Je suis assis à mon bureau, les yeux hagards. Ils m’arrachent le briquet des mains. Et je me mets à pleurer. Ils me disent qu’ils vont m’enfermer. Qu’il n’y a pas d’autres solutions. Je sais que c’est faux. Je sais qu’ils mentent. Je les entends fermer la porte à double tour. Je regarde par la fenêtre, puis je relis ces quelques pages sauvées des flammes.

 

Ça commence ainsi. Rien ne sera jamais… jamais plus comme avant…

 

14 novembre 2017

Carnet n°3 Une traversée du monde

Journal / 1999 / La quête de sens

Une traversée du monde est le récit d’un homme qui explore le monde à la recherche du sens de l’existence. Carnet d’humeurs, aphorismes du quotidien, instants vécus, interrogations dubitatives, ce journal de bord retrace l’itinéraire intérieur de cette traversée. Au fil des pages se dessineront les grandes étapes de cette quête, de ce grand voyage vers soi-même.

 

 

Avertissement au lecteur

Ecrire ne m’a jamais intéressé. Inventer, bâtir des histoires, n’a jamais eu grand intérêt à mes yeux. Devant la page blanche, mon seul souci est de témoigner. Témoigner de mon voyage à travers cette existence. Témoigner du sinueux chemin qu’il nous faut emprunter, nous autres, quêteurs de sens.

 

A travers ces pages, mon souci n’est pas d’indiquer aux hommes le chemin de mes pâles découvertes. Car il appartient à chacun de trouver ses propres vérités et à chacun de bâtir son propre chemin. Ces pages n’ont d’autre dessein que d’apporter une aide, un vague réconfort au lecteur en quête du sens de sa propre existence, à tous ces hommes un peu perdus à la recherche d’eux-mêmes. Ma prétention s’arrête ici. Ce livre ne s’adresse qu’aux rares lecteurs - chercheurs existentiels - pour leur dire que d’autres aussi marchent (ont marché et marcheront encore) à la recherche d’eux-mêmes, cheminant avec la même peine, menant avec obstination cette même quête par-delà les contrées absurdes et inhospitalières traversées. J’écris pour leur dire de ne jamais désespérer d’être sans réponse et sans vérité et qu’il n’est pas vain de continuer à chercher jusqu’à l’obsession un peu folle, la signification, le sens de sa présence ici-bas.

 

 

PREMIERE PARTIE

Attentes transitoires ou les introspections extérieures

A l’origine, il y a l’ennui. Toujours il y a l’ennui. L’ennui et le dégoût. Le dégoût de soi et celui du monde que l’on contemple à travers le miroir de l’âme et des hommes. Le regard acerbe et la plume acérée n’épargnent personne. On fustige l’horreur, on blâme la médiocrité, ces reflets si perceptibles de nous-mêmes. Mais il ne faut pas s’y tromper, il n’y a que notre propre faiblesse que l’on voudrait voir anéantie. Ainsi, de railleries en récriminations, l’ennui se propage – en mal insidieux qui se nourrit de lui-même. Le spectateur du monde s’en délecte jusqu’à plus soif. Quant à l’observateur autocritique, il ne parvient guère, lui, à s’en repaître indéfiniment. Il finit par se lasser. Sa vision sardonique du monde l’interpelle, ou plus exactement réussit à l’interpeller. Il ne peut se résoudre à sombrer totalement dans ce qu’il hait et récuse. Il aspire à la différence, à être différent de ce monde qu’il ne peut souffrir. Alors arrive l’attente. L’attente de tout, l’attente de rien. D’une clameur à l’horizon. Presque imperceptible. D’un bruissement léger du vent dans la frêle ramure de la vie. L’attente d’une métamorphose invisible qui amorce soudain l’idée du voyage. Le cœur part alors en quête. Il s’obstine à imaginer quelques destinations promises, une terre inexplorée, un paradis depuis longtemps rêvé. L’esprit les considère, les juge, les jauge et finalement se laisse mener vers un espace dicté par une intuition inconsciente. Ensuite viennent les longs préparatifs ; fastidieux et euphoriques, pleins d’angoisse et de bonheur. Puis l’impatience détrône l’ennui. L’attente se fait alors plus prégnante, plus trépignante. La traversée du monde est là, imminente, à portée de main.

           

 

Ennui

Un après-midi pluvieux. Inerte. Figé dans l’immobilité du jour. Je suis là, silencieux. Sans haine. Sans joie. Simplement là et sans désir. Je ne fais rien. Je n’ai envie de rien. Pas même l’envie de ne rien faire. Je regarde l’ennui qui s’est approché. Il est entré d’un pas lent, paisiblement. Il est venu s’asseoir sans bruit, à mes côtés. Et il est resté là. Maintenant je l’observe, les yeux hagards. Je le vois. Je sais qu’il me parle. Je le sens s’immiscer en moi. Je devine ce qu’il veut ; encombrer mon âme qui rechigne à se suffire d’elle-même. Que puis-je faire ? Que dois-je faire ? Que faire lorsqu’on est soumis ainsi à la désespérance d’attendre ? Rien… seulement regarder la vie comme une offrande de chaque instant. Et peut-être aussi  l’écrire… pour mieux s’en persuader.

 

Même dans l’ennui, il ne faut jamais désespérer de retrouver l’encre noire tarie. Les mots finissent toujours par revenir. Mais ils sortent fragiles, après ce désert de silence. Apeurés d’être livrés à la sauvagerie de la feuille blanche, ils s’écoulent avec lenteur, encore trop effrayés de retrouver la cruauté du monde.

 

Au plus profond de l’ennui, je sais désormais que je ne serai plus jamais seul. Les mots m’accompagneront comme des amis muets, heureux de m’écouter. Ils seront toujours là, prêts à me réconforter et à me distraire. Et toujours il y aura à dire parce que je suis bavard des mots que je m’écris à moi-même. Aujourd’hui, l’écriture me console du fardeau des jours, avec ce rêve dérisoire de colorier d’un peu d’encre la pâleur de l’ordinaire, malgré la peur secrète d’échouer devant la platitude de l’habituel que mes mots sont impuissants à égayer.

 

 

Vie propre

Hier, nouvelle journée. L’ordinaire quotidien. La femme de ménage – comme de coutume – m’a rendu visite. Presque chaque jour, elle vient se réfugier quelques minutes dans mon bureau, qui jouxte le local des employés du nettoyage. D’ordinaire, nous échangeons des propos anodins ; le temps qu’il fait, son programme du vendredi soir. Des conversations qui donnent l’illusion d’appartenir au monde, avec le travail de la semaine et les sorties du week-end. Des paroles que l’on prononce lorsque l’on ne sait pas quoi dire, comme si on avait peur du silence. Derrière cet air badin, je sens l’intérêt qu’elle semble me porter. Ce ton faussement frivole, un peu canaille, trahit son attente inassouvie d’amour, et ses visites sont autant d’appels amoureux, vaguement allusifs. Sa démarche gauche, sa silhouette dégingandée lui donnent un air d’amoureuse dramatique, en quête éternelle, impossible à atteindre. Habituellement, je feins de l’écouter, légèrement distant, faussement aimable. Hier pourtant, elle est parvenue à m’émouvoir. Elle m’a racontée son existence. Une vie simple, tournée pleinement vers le quotidien, le travail, l’aménagement de son intérieur, les courses à faire. Durant près d’une heure, elle s’est livrée ; ses difficultés d’adolescente après l’éloignement du foyer familial, la période de chômage, les années noires, le rejet des autres. Puis très vite, le travail à mi-temps, les fins de mois impossibles à boucler, le Secours Populaire pour se nourrir, les sacrifices pour obtenir son petit logement. La longue étape vers le confort et la normalité, vers sa vie actuelle ; avoir son « chez soi », partir au travail, rentrer à la maison le soir, les petits bonheurs d’une femme seule, les articles de maquillage et les bijoux que l’on s’offre. Mais toujours cette solitude pesante qui accompagne depuis si longtemps chaque jour de sa vie. Aujourd’hui, elle est satisfaite de ce chemin parcouru, mais souffre de ce bonheur non partagé. L’indifférence des autres, ce manque de reconnaissance sur fond de solitude. Non, elle ne se plaint pas, elle a un travail, un logement, alors elle s’y accroche. C’est tellement dur à notre époque, elle vous dit. Elle sait, elle a connu le chemin pénible et douloureux, les difficultés passées, celles d’aujourd’hui et la misère de vivre qui n’épargne pas de se lever chaque matin. Hier je l’ai écoutée. Réellement, sans distance. Et je ne saurais dire pourquoi j’ai été si touché par ses paroles, moi qui fuis cette course absurde et résignée vers la normalité. Mais je sais aussi la fascination qu’exercent sur moi ces gens à la vie étroite, simple et austère, à l’existence sans superflu ni fantaisie, aux imprévus calculés, parsemée de bonheurs ordinaires et modestes. Toujours j’ai éprouvé cette admiration un peu envieuse pour ces gens à l’âme simple et à l’existence monotone, qui trouvent chaque jour le courage de refaire les mêmes choses, et qui reproduisent inlassablement les mêmes gestes consciencieusement, méticuleusement, dans la quiétude tranquille de l’amour des choses bien faites et ce rien de maniaquerie que nécessite ce sens de la routine. Une vie régulière, toujours réglée à la même cadence comme le rythme régulier d’un métronome. Quant à moi, jamais je n’ai pu me résigner à suivre ce rythme trop routinier. La fébrilité de ma quête, cette recherche continuelle de l’exaltation m’a toujours privé de cette douce tranquillité. Alors, comme pour contenter une parcelle de mon âme qui s’acharne à me réclamer cette constance lénifiante, il m’arrive de succomber quelques heures durant aux délices tranquilles de l’ordre et de la propreté. Je sombre alors dans les tâches domestiques et les travaux ménagers avec un acharnement sans défaillance, me livrant sans mesure au nettoyage systématique de tout ce qui me paraît suspect, nuisible à ma rectitude inhabituelle. Et lavant les sols et dépoussiérant les meubles, je purifie mon âme en me débarrassant des impuretés de mon existence. Mais dans ces instants de frénésie ménagère, l’ardeur à la tâche me condamne éternellement à la frustration dévastatrice de l’insatisfaction, celle de me percevoir comme un être habituellement négligent, peu soucieux de ces pratiques fastidieuses, hanté par son désir soudain et velléitaire de rangement qu’il sait d’avance condamné. Tout sentiment de sérénité et de joie me sont alors arrachés, comme si cette déraison furieuse me jetait avec une trop grande violence vers cette remise en ordre intérieure en me rendant incapable d’en apprécier la quiétude, comme si je me retrouvais paralysé, comme cloué au tapis avant même que ne ressurgisse mon naturel brouillon et désordonné qui, je le crains, n’aura de cesse de me laisser aux portes de cette tranquillité routinière. 

 

 

Ridicule spectacle

Une pause avec quelques personnes du service où l’on m’a affecté pour une mission spéciale de quelques jours. Aujourd’hui – mon dernier jour parmi eux – je les accompagne. Chacun prend un siège et s’installe autour de la table. On prépare le café, sort quelques biscuits et les conversations s’engagent ; le menu du déjeuner, les courses et la préparation des menus de la semaine, les dimanches en famille et les sorties dans les parcs d’attraction. Chacun alimente la discussion, évoquant ses souvenirs, donnant son avis, interrompant les autres. Les histoires personnelles se suivent dans une ronde ininterrompue de monologues entrecoupés. Tous semblent se repaître de ce tour de table informel, pas le moins du monde empêtrés dans cette caricature de la communication humaine, ni même interloqués par ce simulacre de vie sociale. Chacun semble même y trouver plaisir, dévoilant l’originalité de son quotidien ou arborant avec fierté les merveilles de son ordinaire. Parmi ces joyeux drilles en quête de bavardages – aussi stériles qu’incessants – je me sens bien ridicule, moi qui n’ai aucune histoire à conter. Pas un seul mot. Discret comme un spectateur au théâtre qui ose à peine s’éclaircir la gorge. En les écoutant, j’ai le sentiment d’appartenir à un monde lointain. Pas si différent pourtant sauf … peut-être pour l’essentiel... Quant au reste, il nous rapproche ; la pente de la facilité, l’étroite médiocrité, l’ordinaire de la routine. Mais jamais je n’ai pu me livrer à ces farces sérieuses où chacun espère faire impression par son jeu, son costume ou ses répliques. Cet autre en moi toujours me l’a interdit m’imposant de contempler le ridicule du monde auquel nul ne peut échapper ; que nous nous agitions ou que nous soyons spectateur, le ridicule est toujours là, fidèle à nos vies.

 

 

Jour de pluie

Le vent s’engouffre par la fenêtre entrouverte. Dehors, le mauvais temps rugit, abattant sa colère sur les hommes. Je contemple le ciel sombre qui précipite les nuages vers l’horizon. Ils passent devant la fenêtre en un éclair et disparaissent aussitôt derrière le mur du ciel. Balancés par la furie du déluge, les arbres se penchent dangereusement. 

 

J’aime ce temps. Lourd, triste, impétueux et gonflé d’orgueil qui s’abandonne à son inquiétude et à son mécontentement comme s’il faisait écho à ma propre colère. Il sait que son humeur fâcheuse nous déçoit et nous malmène, mais il ne s’en soucie guère et préfère être l’esclave de ses seules mouvances intérieures. 

 

Depuis vingt jours, il pleut. Une pluie bienfaitrice qui redonne à la terre son pur visage. Une colère du ciel qui cache le vide effrayant du monde. Les hommes se cachent, terrés chez eux à se lamenter de cette pluie ininterrompue. Je les vois cachés derrière leurs murs, à l’abri du ciel ombrageux, trompant leur ennui devant les éclairs bleutés de leur téléviseur. Je les imagine protégés derrière leurs rideaux à maugréer devant l’impossibilité de sortir, contraints de reporter leur escapades de chalands assoiffés, obligés de différer leur promenade désœuvrée dans les rues marchandes du centre-ville. Décidément je ne comprendrais jamais ce besoin insatiable des hommes à la consommation, ce besoin compulsif d’amasser le monde pour le faire entrer chez soi, ce besoin quasi vital de se gaver du bonheur de posséder, comme si tous se laissaient mener par l’insidieuse mélodie de l’accumulation, bercés jusqu’au tournis par la valse insatiable de cette étrange sensation de plénitude éphémère et inconsistante.

 

Vingt jours de pluie qui ont débarrassé les rues de l’impureté des foules et de leurs courses stériles, et autant de jours où je me suis purifié de la saleté du monde. Vingt jours de désert abandonnés par les foudres de la consommation aux rares amoureux de la pluie. Depuis vingt jours, ce temps sombre a éclairé mes promenades, et les a illuminées de tranquillité et de joie. Chaque jour, je pus ainsi m’emplir de solitude sur les chemins déserts de la ville et récolter cette pluie de printemps comme de l’or tombé du ciel. Vingt jours pendant lesquels je pus goûter sa fraîcheur qui me caressait le visage et venait enrichir ma joie, en déambulant sur les voies tranquilles, l’âme heureuse dans cette tourmente des paysages, l’esprit avide d’orage et de solitude, et le cœur riche de me retrouver enfin seul au milieu du monde. Heureux dans cette solitude retrouvée.

           

 

Tranquillité perturbée

Mis à la porte par l’arrivée impromptue d’une amie de S., j’ai marché un moment dans la ville, encore indécis sur l’orientation que j’allais donner à cette fin d’après-midi. Arrivé près du centre-ville, je suis entré dans une librairie. J’y ai recueilli quelques noms d’éditeurs, notés sans grand enthousiasme sur un coin de mon carnet. Ces derniers temps, j’ai vaguement en tête l’idée de faire publier le mince manuscrit dont je viens d’achever l’écriture. Mais avec cette idée prétentieuse, je ne sais trop comment m’y prendre. Alors je furète, l’air de rien, glanant ici et là quelques adresses. Hier, je me suis même résolu à feuilleter un livre sur le sujet. J’y ai appris deux ou trois astuces – en vérité sans grande importance – que l’auteur daigne nous livrer du haut de ses trente ouvrages précédents. En vérité, ce livre n’est qu’une détestable leçon de vanité, qu’un affreux cours magistral destiné à de pauvres radoteurs de lignes déjà mille fois écrites (et donc peut-être mille fois publiées), à de pauvres plumitifs arrogants qui n’ont d’autres ambitions que de pousser les lourdes et nobles portes du cercle (non moins noble) des écrivains auxquels – bien entendu – l’auteur de cet odieux guide se targue d’appartenir. Quant à moi, à bien y réfléchir, je crois que plus le temps passe, plus je traîne les pieds derrière cette envie, comme s’il m’était impossible de réduire ces quelques feuillets lourds d’intimité et d’heures laborieuses à un vague produit commercial ! Non ! Derrière cette volonté, je décèle plutôt l’envie de tester la « valeur » de mon écriture (comment sera-t-elle accueillie ?). Oh ! Et puis après tout que m’importe ! J’enverrai simplement ces quelques feuilles et attendrai la réponse sans illusion, simplement ravi d’avoir poussé les portes de ce cercle étroit, et heureux d’avoir franchi l’espace d’une seconde le seuil de ce monde inaccessible.

 

Après avoir grappillé ces quelques informations, je me suis dirigé vers les livres de poche et suis sorti avec La place d’Annie Ernaux. J’ai quitté le flot des chalands pour les berges du fleuve et y ai investi un banc. Après quelques pages hâtivement parcourues (l’endroit semblait peu propice à la lecture), j’ai refermé le livre pour regarder autour de moi. Et là, à quelques mètres à peine, se tenaient trois pêcheurs, le regard fixe et absent, tenant leur ligne d’une main molle. Soudain, l’un d’eux a poussé un cri, un cri de joie et d’exaltation. Je crus comprendre qu’il venait de ferrer un poisson. Effectivement, il l’arborait glorieusement au bout de sa canne en le balançant fièrement à la vue des deux autres, indifférents. On aurait dit un enfant un peu stupide et arrogant, heureux de montrer à ses camarades son exploit insignifiant. Mon attention s’est alors détournée des pêcheurs lorsqu’une vieille femme s’est avancée vers moi. Nous nous croisons presque chaque jour sur les berges du fleuve en promenant notre chien. Elle est seule aujourd’hui. Son chien serait-il mort ? Peut-être… il semblait âgé. Lorsqu’elle passe devant moi, elle poursuit sa marche sans me saluer, le regard froid et dur, la démarche sévère. Et je la vois s’éloigner, la tristesse à l’intérieur.

 

Plus loin, quelques badauds se promènent. Des hommes seuls qui s’ennuient. Ils s’arrêtent parfois près des pêcheurs, sans oser leur parler, en restant à distance, comme retranchés dans leur solitude. Mais on perçoit pourtant leurs yeux scruter le regard des autres promeneurs, à la recherche d’un sourire, d’une chaleur, d’un maigre échange. Lorsque apparaît soudain un cortège bruyant de voitures, parées de fleurs et de mousseline rose et blanche, badauds et pêcheurs tournent la tête, laissant quelques instants leur activité tranquille. Tous regardent – avec envie – cette parade promise au bonheur, comme si celui-ci leur semblait trop lointain ou trop inaccessible. Et lorsque le défilé tapageur s’éloigne, je me lève et reprends le chemin du retour, satisfait d’avoir assisté à ces pauvres spectacles du monde, désireux d’en noircir quelques lignes de mon carnet et plein d’espoir de retrouver l’appartement vide de l’inopportune.

 

 

Sans issue

Conversations entendues cet après-midi au café, à la table voisine où étaient assises trois jeunes femmes. Très vite, on comprend. L’ennui, l’habitude et la routine. Un mari, des enfants et un travail. Souvent, on emplit sa vie ainsi, malgré nous, trop écrasé par les conventions. La normalité comme seule issue, avec dans la voix cette légère intonation qui trahit notre résignation forcée. Comme si nous n’osions dire qu’à demi-mot : « Que voulez-vous ? C’est ainsi … »

 

Pourtant, en général, nous nous félicitons tous de ce bonheur sans grâce, trop faibles ou trop lâches pour y renoncer, trop effrayés peut-être d’avoir à éprouver l’écrasante pesanteur du changement, ses incertitudes et le doute qu’il nous insuffle ; la rançon de l’exaltation. Nous préférons nous enfoncer dans le fauteuil confortable de la routine, nous laisser bercer par la mollesse des années, où chaque jour le corps se fait plus pesant, plus lourd d’accablement, plus difficile à mouvoir. Le temps passe. Et avec lui, les déplacements se font plus lourds encore, plus lents, plus espacés et plus difficiles. Et bientôt on ne se déplace plus que du travail au foyer, du foyer au centre commercial, puis on retourne chez soi dans l’inertie du quotidien. Incapable de courir vers d’autres horizons, vers l’inconnu des songes, trop engourdis par l’éventualité de perdre nos petits trésors de confort si laborieusement accumulés. Quelle bien triste résignation que celle qui emprisonne nos vies, qui enracine nos désirs et qui enferme notre espoir dans le cercle exigu du quotidien, inchangé, inchangeable. Qu’il est difficile de faire le grand saut, de sauter sur l’autre berge par-dessus l’abîme effrayant avec la peur au ventre, la peur de se perdre dans la grande faille du vide. Aussi préférons-nous nous enfoncer toujours plus loin dans cette longue impasse du quotidien, y ajoutant chaque jour, quelques pavés pour, le lendemain, y poursuivre notre route. Quelle désastreuse erreur que cette tentative obstinée de faire sans cesse reculer la fin de cet étrange chemin qui a beau durer une vie entière, mais qui n’en demeure pas moins une effroyable impasse, une terrible voie sans issue.

 

 

Amour

Trois heures de promenade dans le vent, la pluie et la solitude. Je suis sorti pour échapper à l’ennui et au désert d’indifférence qui avaient peu à peu envahi l’appartement. Depuis que S. est plongée dans la préparation d’examens, elle semble sourde à mes plaintes et aveugle à mon angoisse. Alors j’ai dû me résigner à quitter la tiédeur ennuyeuse et indifférente du foyer pour affronter seul la tourmente de mon désarroi dans la froideur pluvieuse de ce jour de printemps. Très vite, j’ai quitté la ville pour suivre le petit chemin qui longe le fleuve. Je l’ai suivi quelques temps d’un pas lent, encore timide, attardant mon regard sur les eaux agitées, y percevant comme le reflet de ma propre émotion. Puis, malgré moi - encore trop distrait par mes pensées - je me suis enfoncé dans la campagne. J’y ai marché longtemps avant de trouver une petite clairière. Je m’y suis assis un instant pour goûter le repos et la fraîcheur printanière. Puis je suis reparti rejoindre les eaux chantantes de la Loire, un peu surpris d’apercevoir en ce jour pluvieux quelques pâles rayons de soleil éclairer, entre deux ondées, la grisaille de cette journée, comme pour mieux souligner le vert des arbres sur le bleu du fleuve. Mais ce brusque surgissement de couleurs ne réussit pourtant guère à rallumer ma joie, il ne fit - au contraire - que raviver l’obscur de mes réflexions. Et je me remis à penser à elle, terrée derrière ses livres, insensible à mes tourments, et à moi, seul, toujours seul, éternellement seul. Et je me mis à songer à nous tous, dans nos cages, inaccessibles, isolés, abandonnés à l’indifférence et à notre égoïsme. Prisonniers de nos misérables histoires, d’insipides jérémiades qui n’appellent que nos seules plaintes. De tristes apitoiements gémis sans talent, auréolés du misérable pronom  « je », qui souligne notre démesure égocentrique dans les traces de poussière qu’il éparpille sous nos pas - d’infimes taches dont il se glorifie sans jamais renoncer. Quels tristes humains sommes-nous ? Toujours en proie à cette incurable infirmité qu’est la solitude, toujours aussi impuissants à réfréner ce désir infini de reconnaissance, toujours aussi incapables d’exister autrement que dans cette quête désespérée d’amour qui nous délivrerait de nous-mêmes. Que d’efforts et de mensonges pour parvenir à cet état de grâce dérisoire, à cette imposture éternelle qu’est le sentiment d’être aimé. On croit l’être là où il n’y a que simagrées et parodie d’amour. On a beau nous le murmurer, on a beau nous le crier, cet amour. Mais où est-il ? Dans le regard de l’autre qui se contemple dans la prunelle de vos yeux, fier du bonheur qu’il croit vous offrir ? L’amour est-il autre chose que cela ? Et dans ce cas, que serait-il alors ?

 

 

Ennui, colère et médiocrité

Avec le soleil, les hommes sont réapparus. Ils ont envahi la ville, pris d’assaut la campagne. Partout, ils ont assiégé le monde. Nul endroit où me réfugier. Je les vois d’ici se répandre dans les rues, sur les chemins, submerger la terre, en couple ou en famille. Les éternelles promenades dominicales. Nonchalantes et désœuvrées. A chaque printemps, la même rengaine qui confine ma liberté à l’intérieur.  

 

Mais d’où me vient cette haine irrépressible pour les hommes ? Ce dégoût qu’ils m’inspirent et ce dégoût que j’exècre. Et ma haine qui s’exaspère dans cette incapacité à sortir. Même ici, seul dans cet appartement, l’atmosphère est irrespirable. J’étouffe dans cette immobilité. Je bous, alors je ronge ma hargne sur cette bicyclette que je m’escrime idiotement à réparer. Fumeux prétexte à combler mon désœuvrement. Les mains graisseuses, couvertes de griffures et enduites de cambouis exacerbent ma fureur. De rage, je jette un à un les outils sur le sol. Colère, insultes, accès de violence, sans même le désir de réfréner cette réminiscence oubliée. Spectacle de la médiocrité. Acteur pitoyable, impuissant à enfouir la clameur tempétueuse - misérable - de la haine que je veux dégueuler sur le monde et que je vomis sur moi dans un accès de veulerie.

 

Ennui, colère et médiocrité. Comme je me retrouve dans ces trois mots. De la prime jeunesse jusqu’à la fin de l’adolescence, ils m’ont accompagné. Et je les retrouve aujourd’hui, aussi intacts qu’hier. Moi qui étais assez bête pour penser m’en être détourné. Stupide prétention. Pourquoi s’obstinent-ils ainsi à me poursuivre ? Dois-je y voir là un quelconque lien avec la période d’attente fébrile où je me traîne depuis quelques mois ? Serait-ce une nouvelle agonie rongée par l’angoisse de la renaissance ? J’attends. Jamais je n’ai cessé d’attendre. Hier, quelques rêves d’enfant, aujourd’hui, d’autres tout aussi puériles. Demain encore j’attendrai d’autres chimères. Une vie où indéfiniment une attente chasse l’autre sans en saisir ni le sens ni la substance. Vivre de l’attente, mais inapte à vivre avec, incapable de vivre en son sein. Toujours l’ennui, la colère et la médiocrité y ressurgissent. Entre deux attentes, l’attrait de la nouveauté m’y soustrait - ou plutôt - m’en éloigne. Sinon je m’empêtre dans l’incapacité d’agir, décontenancé par l’immobilité où elle m’engouffre, paralysé par le vide qui s’étend.

 

Le livre de Cioran qui m’accompagne aujourd’hui conforte cette inertie, ce penchant involontaire et embarrassé pour cette langueur d’âme. Et je sombre pourtant avec joie dans ces pages, heureux d’y rencontrer cette souffrance impartageable. Mais au fil des phrases, scandées avec force et vérité, je me sens lentement glisser vers mon propre doute qui paralysera bientôt toute tentative de velléité rebelle. Cioran est une lecture totalement anéantissante, parsemée de ressemblances si éclatantes qu’elles me conduisent immanquablement à l’identification complaisante et prétentieuse ; l’ennui et la solitude, le dégoût des hommes et la haine du monde, le déracinement et l’absolu inaccessible sur fond d’amertume et d’absurdité. Et dans tout ce fatras, notre piètre humanité poursuit sa marche en quête d’insignifiantes traces pour accompagner nos pas incertains, inéluctablement voués à l’absurdité désespérante du chemin.

 

 

Nourritures inspiratrices

J’ai toujours aimé l’acte de lire, me nourrir de la vérité des mots. Les avaler sans grâce, avec goinfrerie, et puis laisser faire le lent travail de la digestion. Puis le temps passe. Et quelques jours, quelques mois ou quelques années plus tard, ces mots enfin me nourrissent. Jusqu’ici peu de livres – bien trop peu de livres – ont alimenté ma vie, forçant mon destin, poussant mes choix vers les jours, les mois et les années à venir. Pourtant, voilà quelques temps, j’ai découvert Christian Bobin. Au début, rien. Trop de poésie, trop de saveur. Puis un jour, tout, enfin presque tout, et très vite quelques livres lus dans la foulée, avec bonheur, avec intensité. Beaucoup de liens obscurs et merveilleux entre lui et moi, sur le vrai des choses ; la vie, l’enfance, la solitude, l’écriture et le silence… Des dizaines de phrases poursuivent ainsi leur cheminement en moi. Aucune n’est restée figée. Toutes m’ont traversé avec force, avec cette force légère, bien trop délicate pour me violenter. Aucune n’est restée, mais chacune m’a consolé du fardeau de vivre. Je n’en citerai qu’une, une seule, celle qui aujourd’hui (à cette période précise de ma vie) prend toute sa résonance. Je ne pourrais pas la restituer fidèlement. Et quand bien même je le souhaiterais, je n’y parviendrais guère. Il n’y aurait d’ailleurs aucun intérêt à le faire. Pour retrouver  cette phrase admirable dans son état le plus pur, il suffirait de revenir à son origine, d’ouvrir le livre étincelant dont elle est issue. Cette phrase, la voici : « L’espérance nous arrive avec la vie future qui s’installe dans la vie présente ». Bobin la livre plus légère, avec la grâce de son écriture. Je n’en restitue ici qu’une pâle copie, mais mon regard se pose ailleurs, dans le tintement de cette phrase sur ma vie, dans son apport essentiel à mon existence. Voilà bientôt un an que je traîne dans cette vie étrangère, cette vie qui ne m’appartient pas et qui me restera toujours inconnue. Je n’ai plus aucune envie de m’en approcher davantage. Ce qu’elle m’a appris me suffit.

 

Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une seule pensée, un vieux rêve d’enfant qui a mûri lentement au cours de ces longs mois d’attente et qui surgit aujourd’hui comme une vérité éclatante : la solitude dans les prairies, les longues promenades sur les collines, la fatigue saine des journées vraies, des jours libres entre la marche et l’écriture. Ecrivain-berger ! Oui ! Aujourd’hui, j’aspire à devenir le gardien de mes rêves, écrire en veillant sur quelques moutons, en cultivant la terre fertile du monde pour fabriquer le fromage à partir du lait nourricier qui accompagne l’enfance. Oui ! Aujourd’hui, je songe à cette existence-là, simple et joyeuse, encrée dans la vie, enracinée dans le sol, légère et rude, si éloignée de la morosité habituelle de la vie citadine dans laquelle j’ai toujours vécu. Oui ! Aujourd’hui, je sens venu le temps de déblayer ma vie de l’inutile qui l’encombre ; la pesanteur de ce travail de bureau, les chaînes de cette vie sociale, tout ce ramassis d’obligations auxquelles je me suis insidieusement soumis. Le changement depuis longtemps s’est immiscé en moi. Ma tête et mon cœur en débordent… ne reste plus alors qu’à en emplir ma vie. Je garde donc espoir et commence même à croire aux lendemains qui chanteront, qui égaieront ma triste espérance d’aujourd’hui. Car demain, ma vie - je le sais - courra dans les champs de l’écriture, entourée d’animaux, entre le ciel et la terre, loin du monde et du cœur des hommes. Et derrière ce rêve, j’entrevois le pluriel de la vie auquel mon âme entière aspire ; les journées de labeur qui vous apporte le pain et la joie auprès des animaux, ensoleillées de quelques heures d’écriture. Le retour à l’amour de la vie, au rire et à la légèreté pour me guérir de la gravité et du sérieux de ces sombres mois d’attente. 

 

 

Attentes

Aujourd’hui encore, l’attente m’a enseveli, portant à son paroxysme mon dégoût des choses. Depuis quelques semaines, cette attente me laisse sans force, suçant le peu d’énergie qu’elle avait jusque-là épargnée. Et une fois de plus, je me sens glisser dans le creux du monde.

 

La matinée entière, je l’ai passée à relire le recueil de nouvelles écrites par un ami. J’y ai puisé un peu de vigueur qui m’a permis de traverser les heures jusqu’à midi. Le recueil achevé, je me suis replongé dans mes propres récits, curieux de connaître ce que j’en percevrai. Les résultats furent mitigés, sans grande conséquence sur mon humeur.

 

Dire que je suis préoccupé par l’accueil que l’on pourrait réservé à mon manuscrit n’est pas un vain mot. Et si maux il y a, ils restent bien faibles, bien en deçà des tourments qui m’assaillent depuis maintenant plus d’un mois. Cela fait effectivement trente jours que j’ai eu la prétentieuse idée de faire parvenir l’un de mes manuscrits à quelques éditeurs. Bien mal m’en a pris ! Et qu’ai-je fait là, sinon me jeter avec plus d’avidité encore dans l’angoisse de l’attente ? Comme si ma démission (Oui, j’ai décidé de quitter cette insipide activité où je m’enlise depuis bientôt un an) ne suffisait pas à me ronger les sangs. Mon séjour ici s’achèvera bientôt, dans quelques semaines, dans quelques mois tout au plus. Et je redoute maintenant avec d’autant plus de craintes les évènements futurs vers lesquels je bouscule mon existence, effrayé par cet effroyable abîme dans lequel je précipite ma vie. 

 

Aujourd’hui, de tous côtés l’attente m’accapare, me harcèle et me jette dans l’aboulie. Alors comme pour endiguer l’oisiveté de mes jours et lutter contre l’angoisse, je m’abreuve de lectures lénifiantes; les vagabonds d’Hamsung, les grands chemins de Giono. Seuls les livres sont ainsi capables de transformer cette inactivité en une occupation constructive, en réflexions qui parviennent peu à peu à vous dégager de cette paresse contrainte et contraignante pour vous diriger d’un pas encore prudent vers une remise à plat de vous-même. En définitive, la lecture qui  permet si souvent d’agrémenter l’ennui, vous offre aussi, presque à votre insu, le plus merveilleux de tous les présents, celui de vous permettre de porter un regard nouveau sur votre vie, d’en tirer quelques vagues conclusions pour poursuivre votre chemin vers de nouvelles espérances.

 

 

Avec les joggers du soir

Aujourd’hui encore, l’attente se poursuit. Les heures passent et la journée touche déjà à sa fin. Alors j’égrène le temps qui passe, en me laissant happer sans force ni résistance par les maigres évènements qui parsèment mes jours. Je vaque ici et là sans grand enthousiasme, porté par les seules contingences du quotidien et quelques dernières affaires à régler (avant mon départ définitif), dont la charge alourdit plus encore mon fardeau de fatigue. Aussi, chaque soir, je rentre épuisé par tant de vide. Je dois alors m’allonger pour trouver la force d’amorcer ma soirée. Et après ces quelques instants de repos, je parviens enfin à m’extraire de cette léthargie paralysante, bien décidé à profiter des dernières heures du jour, dernières heures que je passe maintenant à l’extérieur, le plus loin possible de l’ennuyeuse quiétude de l’appartement. Ainsi depuis quelques semaines, j’ai pris l’habitude de m’engouffrer parmi les joggers du soir dans la chaleur moite de ce début d’été. Moi qui me suis toujours moqué de ces coureurs à pieds, depuis bientôt un mois maintenant, je les rejoins presque chaque jour sur les berges du fleuve, m’efforçant de courir quelques kilomètres avant de céder presque toujours aux plaisirs moins éreintants de la marche qui s’accommode plus volontiers à mon penchant paresseux. Et chemin faisant, je laisse vagabonder mes pensées, ne leur imposant qu’une seule chose ; qu’elles m’aident à retrouver un peu de force pour le lendemain. Je n’ignore pas que ces sorties ne sont qu’une façon un peu lâche de tromper mon ennui. Je m’y astreins donc sans effort, prétextant auprès de S. une vague préparation physique en vue de la randonnée prévue cet été. Mais je sais qu’il n’en est rien. Je me résous seulement à rejoindre ce flot de citadins sportifs pour m’épargner l’angoisse terrifiante du désœuvrement, désœuvrement désormais permanent qui exacerbe plus encore mon inappétence à emplir plus intelligemment mes soirées. Et sans ces courses effrénées, je crois que mes jours sombreraient dans un vide absolu, un vide bien trop dangereux pour que je puisse m’y soumettre aujourd’hui. Aussi, chaque soir, je dois m’évertuer à extirper de mon corps le vide de mes journées, en croyant m’extraire de l’attente et de l’ennui, et en entrevoyant, à travers ces quelques gouttes de sueur, l’émergence de ma nouvelle vie.

 

 

Vers une contrée radieuse

Depuis deux jours, la fièvre me condamne au repos. Un repos que je récuse et auquel je n’ai nulle intention de me prêter. N’a-t-on jamais demandé à un paraplégique de se trancher les bras ? Mes journées sont vides, mais je me refuse à sombrer dans le répit. Du désœuvrement, je tomberais dans le néant. Et ma conscience, même affaiblie par la fièvre, ne saurait être dupe. J’imagine alors que je me laisserais doucement dériver vers la déchéance, comme un homme tombé à la mer, qui se sait irrémédiablement perdu. Non, je préfère encore me résigner à ce rôle de naufragé, agrippé à cette embarcation de fortune, construite à la hâte avec quelques débris de mon passé. Oui ! Je suis comme ces naufragés accrochés à un morceau d’épave de leur enfance, sur le point d’être englouti par les vagues de l’attente, avec le faible espoir de voir surgir bientôt une île, comme une terre d’espérance. Et sur elle, j’espère bientôt pouvoir échouer pour faire entrer mon âme en convalescence. Et mes forces revenues, je me sentirais alors le courage de partir à la découverte de ces frontières nouvelles pour y dénicher quelques trésors. Là, je pourrais enfin me sentir tel un Robinson heureux, remerciant le ciel d’avoir échappé à son destin de matelot, contraint à l’obéissance et soumis aux seuls ordres de la capitainerie et bénissant la terre de s’être soustrait à son destin de naufragé ballotté par l’effroyable tyrannie du monde. Enfin, je pourrais apprendre à vivre seul sur cette île, face à mes incertitudes et mes faiblesses, puis je les apprivoiserais pour vivre en leur douce compagnie. Et peut-être trouverais-je alors la paix et la joie, encouragé par ces nouveaux compagnons de silence et de solitude ; une sérénité tranquille et indifférente à ma médiocrité et à la sordidité du monde. Un havre qui me protègerait des hommes et de moi-même comme un pas supplémentaire vers la contrée radieuse de mon existence.      

 

      

Une âme exemplaire

Aujourd’hui, j’ai passé la journée bousculé par les démarches, happé dans la course stérile des évènements, exclusivement guidé par l’habitude des pas que l’on enchaîne sans réfléchir. J’ai déambulé ainsi, comme un automate étourdi par le bruit et la cohue des rues, animé par le seul désir d’achever le programme prévu. J’ai marché des heures durant, enchaînant les visites, les formalités, les obligations, les unes après les autres, parcourant la ville le regard absent, simplement soucieux de faire taire ce bouillonnement intérieur qui grondait au dedans. Et c’est avec cet agacement tenace, irrépressible, explosif que j’ai franchi les portes de la bibliothèque, ultime étape de ma journée. J’ai déambulé ainsi quelques instants dans les rayons. Et ces déambulations réussirent à apaiser un court  moment cette excitation folle et exagérée. Mais quand soudain je pris conscience du monde autour de moi, de cet amas massif et encombrant d’individus et de bruit, ma colère a redoublé. Et c’est en étouffant ma rage que je me suis dirigé, avec quelques volumes sous le bras, vers le guichet d’enregistrement, en pestant devant la longue file d’attente qui s’y agglutinait. Alors pour ronger cette impatience rageuse, je me suis plongé au hasard dans l’un des livres, avançant machinalement dans la longue file. Quelques instants passèrent qui me semblèrent une éternité. Puis, brusquement, en levant les yeux, j’ai aperçu une jeune fille devant moi, une jeune fille à laquelle je n’avais jusqu’ici aucunement prêté attention. Au niveau de son épaule pendait – pitoyable – un maigre moignon pourvu d’une main, deux doigts atrophiés. D’abord surpris, puis un peu gêné, mon regard s’est détaché du lamentable bout de chair pour chercher ses yeux. Mais je ne vis que son visage, un visage radieux illuminé d’un grand sourire. Et malgré l’immense difficulté avec laquelle elle tentait de faire glisser les livres dans son sac, elle conservait ce sourire inaltérable, serein, merveilleusement résigné. Et de ce sourire émanait une force douce et opiniâtre, une force dont elle sortait grandie, et qui la rendait majestueuse et admirablement belle, de cette beauté véritable dont elle irradiait la salle et qui nourrissait les regards – tous les regards –. Le mien particulièrement, qui loin de la pitié, semblait aimanté par tant de force et de splendeur. Et j’ai quitté la bibliothèque avec ce sourire, comme si cette jeune fille à l’âme exemplaire avait réussi, par sa seule présence, à me débarrasser de mon entêtement stupide, à me désempêtrer de cette insatisfaction capricieuse pour me redonner le goût du ravissement et des joies simples de la vie. Comme si cette rencontre fugitive m’avait soudain délivré des chaînes de la colère en me redonnant l’amour de la vie et le bonheur d’exister.

 

 

Terre d'existence

A travers les vitres, les champs défilent. La campagne s’offre à nos regards étonnés de citadins curieux. Nous nous rendons à F. pour une journée à la campagne. Une visite prévue de longue date, depuis ce jour où nous avons dégusté un bout de fromage sur un marché régional. Nous sommes dimanche, le jour traditionnel des sorties. Divertissantes et désœuvrées. Et nous profitons de cette escapade campagnarde comme d’une aubaine. C’est un merveilleux dépaysement, un agréable arrêt bucolique pour nous, citadins de trop longue date, et pour tous ces habitants des villes qui se rassasient en général trop vite à la seule vue d’un âne ou d’une vache et qui ne s’aventurent jamais plus loin que dans l’achat de quelques produits de terroir. Certes, comme tous bons citadins, nous ne nous privons pas de goûter ces produits naturels offerts au ravissement béat des touristes de la ville. Certes, non, nous ne nous en privons pas. Mais comment nous satisfaire de toucher ces plaisirs campagnards du seul bout de la langue ? Nous avons une bien plus grande ambition ; toucher du doigt les saveurs d’un avenir bien proche, goûter à la liqueur inconnue du futur pour en emplir quelques larmes dans la fiole vide du présent. Nous dégustons, regardons, examinons et interrogeons les organisateurs de cette journée « portes ouvertes à la ferme » avec cette naïveté citadine que nous exposons sans honte à leurs regards amusés. Nous les questionnons. De ces questionnements de béotiens dont l’intérêt surprenant pour la vie rurale ne leur a certes pas échappé. Alors de bonne grâce, les habitants de la ferme se sont prêtés au jeu des questions-réponses, trop heureux de partager leur passion et leur vie avec ces visiteurs venus de la ville. Et ravis de notre curiosité à l’odeur de néophytes en quête de reconversion, ils ont raconté leur existence, rude et contraignante, rythmée par les saisons et le besoin des bêtes. Une existence authentique, naturelle, simple et enracinée dans la terre, qui sent bon la campagne et qui excite l’imagination. En bleu de travail et en sabots, la faux sur l’épaule à courir les champs. Il faudrait, nous dirent-il, s’imaginer vivre là, chaque matin se lever avec l’odeur des bêtes et du foin, chaque journée avec ses servitudes, chaque soir avec la fatigue. Alors on se l’est imaginé, cette existence et l’ampleur de la tâche n’a pas effrayé, elle a même attisé l’envie. Bien sûr, ils n’ont pu balayer quelques craintes et cette inquiétude de se voir enfoncer lentement dans la terre, de se voir s’y enliser jusqu’à étouffer nos vies. Mais nous sommes persuadés que cette appréhension s’envolera bien vite, en arrachant à nos rêves le poids de l’engagement et des contraintes. Ce sera là pour nous un paysage nouveau, rien de plus. Si, cela sera davantage, une route nouvelle qui embrassera bientôt tous les horizons de nos rêves. Alors nous avons quitté la ferme avec ce regard  tourné vers l’espérance, espérance qui nous mènera bientôt à travers les terres où l’on sème le blé, l’orge et le millet et qui enrichiront notre terre d’existence.

 

 

Avant la grande traversée

Une petite plage près de La Rochelle. Un bout de côte isolé. Assis sur un rocher, je lis. Louis Calaferte face à la mer, avec le bruit des vagues et les effluves de la marée montante. Comme un citadin dilettante en week-end, comme un  vacancier désœuvré qui s’adonne à la lecture en goûtant aux charmes du farniente et à la plénitude du suave ennui.

 

Nous sommes partis d’O. le matin même pour un rendez-vous en début d’après-midi dans un centre de formation en agriculture. Une rencontre déterminante pour les mois à venir. 300 km avalés en voiture que nous avons louée pour la circonstance. Ensuite nous avions décidé que nous irions voir la mer pour échapper quelques heures à l’attente de la période nouvelle. Une envie depuis si longtemps inassouvie. Un week-end à la mer. Alors nous y avons cédé. Comme pour satisfaire notre envie de bien-être doucereux, si différent de nos escapades habituelles, le sac sur le dos, à pied ou à vélo. Comme un irrépressible besoin d’humer l’air iodé en goûtant à la douceur langoureuse de vivre, derrière les portes d’une chambre d’hôtel. Et cette inhabituelle facilité n’en est pas moins savoureuse, bien que cette saveur tient toute entière dans son caractère occasionnel. Une consommation excessive en gâterait immanquablement le goût et nous enfermerait dans un bien-être trop tranquille, trop superficiel et bien trompeur en nous ligotant à jamais à ce confort paresseux. Et du plaisir, nous passerions sans doute à l’ennui et à l’amertume. Mais se laisser bercer ainsi quelques instants par les vagues monotones et confortables de la facilité en se mêlant à la foule conventionnelle des plages fréquentées est un vrai délice ! Mais ces délicieux instants n’ont d’attrait qu’entre deux périodes de haute mer, parmi les déferlantes et les tempêtes de l’existence, là où ne s’aventurent que les marins et les aventuriers. Alors aujourd’hui tel un mousse inexpérimenté, je profite de ces rares et précieux instants avant la grande traversée, avant de m’embarquer pour le grand voyage, voyage au long cours, seul à bord de mon navire. Alors en attendant, je profite de cette escale pour me promener sur la grève en rêvant à la brise du large. J’en profite pour déambuler sur les quais du port en respirant le plaisir rassurant de la terre ferme, et en laissant seul mon esprit courir vers l’horizon avant d’y sombrer corps et âme.     

 

 

Rêve éveillé et réalité imaginaire

J’ai cessé mon activité depuis une semaine, six jours exactement… Six jours que je brûle mes journées dans les cendres noires de l’écriture. Voilà peu, j’ai repris un récit commencé il y a quelques mois et aussitôt abandonné. Une histoire ordinaire, une histoire anodine. Mon histoire. Des tranches d’existence racontées sans pudeur, sans haine, la plume trempée dans l’ironie amère. Avec une naïveté caustique qui écorche le papier. Comme une façon de régler des comptes. Avec moi et avec le monde. Un récit imprégné d’imaginaire pour le détourner de l’indicible réalité. Un récit à la limite du cliché et de la caricature. Une fresque de ma vie, une petite fresque malhabile et vindicative dans laquelle je me jette à corps perdu. Depuis six jours, je m’y égare. Depuis six jours, elle me suce et m’épuise. Je dois m’arrêter d’écrire. Il le faut. Il en va de ma santé. Mon errance inquiète tant mon entourage qu’il m’interroge. Alors je m’interromps et me renferme, hermétique, insondable. Comme si je m’éloignais de moi-même, comme si mon présent avait disparu, comme si mon passé n’existait plus, comme si seul mon avenir comptait. Que reste-t-il donc de mon passé aujourd’hui ? N’est-ce qu’un mauvais songe, qu’une page qu’il me faudra bientôt tourner, qu’un livre qu’il me faudra bientôt refermer et que je m’empresserai de ranger au fond de la bibliothèque ? Non ! Mon passé est comme un livre que je voudrais refermer au plus vite, avec violence, trop blessé par ses pages pour en achever la lecture et que je voudrais jeter dans l’âtre pour le perdre à jamais. Et je lutte de toute mon âme pour ne pas jeter ce livre. Trop attristé de m’en séparer, je finis par le ranger dans un vieux tiroir et sortir. J’oublie alors le livre, j’oublie l’histoire, j’oublie ma vie, j’oublie jusqu’à mon nom. Et je marche dans la rue en respirant l’air frais qui éteint le feu qui embrase ma tête. Le vent apaise mon égarement et la pluie éparpille les cendres brûlantes de ma colère. Et de nouveau, je vois. Et de nouveau, je sens la vie. Et de nouveau je suis là, dans ce monde qui m’a sauvé des flammes de l’écriture. Et c’est comme un somnambule que je marche jusqu’à la bibliothèque de la ville. Je monte au dernier étage. Les escaliers me tournent la tête. J’entre dans la grande salle de projection et me dirige vers les rayons des cassettes vidéo. Je veux regarder un documentaire sur les bergers pour voir ma vie future entrer dans ma vie présente. Je cherche, tourne un instant. Enfin je trouve. Je m’installe alors devant un écran de télévision face à la grande baie vitrée qui surplombe le centre-ville. J’appuie sur le bouton « on » et les images commencent  à défiler. Je regarde l’écran, l’œil attentif. Je suis déjà loin, très loin. Je suis là-haut, tout là-haut avec eux à respirer le ciel bleu et l’odeur du foin. Je m’enivre d’images et d’odeurs. Soudain, j’entends des cris. Ce sont des enfants qui braillent devant leur écran derrière moi. Je voudrais être seul. Je voudrais être loin. Mon regard se pose alors derrière l’écran ou peut-être le traverse… je ne sais pas. Dehors, tout est gris, le ciel, les rues, les maisons, les gens. J’ai la nausée. Je retourne à mon écran, je retourne aux images, je retourne à mes rêves, à la vie qui m’attend. Les bergers sont là, tout près de moi. Ils marchent d’un pas tranquille en s’éloignant. Et soudain, ils se retournent et me font signe. Ils m’ont vu. Ils m’attendent. Je leur crie : « Continuez mes amis ! Continuez !  Je vous rejoindrai ».       

 

 

DEUXIEME PARTIE

Séquences ferroviaires

Trois jours de train, trois jours de voyage, trois jours de traversée. L’attente s’est maintenant éloignée. Le futur se rapproche. Il est là, au bout de ce voyage. Séquences de pensées intérieures, séquences de rencontres avec le monde, séquences du cheminement vers l’avenir inconnu.

 

 

Premier jour

19h30 ; centre-ville d’O.

Je quitte l’appartement pour me rendre à C., centre de formation pour berger. Je me dirige vers la gare. Un dernier coup d’œil à la fenêtre. Personne.

 

S., ces derniers temps, me surprend. Son attitude distante, lointaine, comme oublieuse de notre complicité m’est désagréable. Et je me surprends à réfléchir à cette relation que nous entretenons depuis… depuis quelques temps déjà. Son attachement se serait-il effilé ? Se serait-il engourdi ? Nos habitudes seraient-elles trop coutumières ? Ma présence trop régulière ? Ma franchise trop transparente ? Mes réflexions, mes attitudes et mon existence que je ne renâcle jamais à partager avec elle ont-elle encore à ses yeux quelques saveurs d’imprévus ? Ou bien ces témoignages loyaux et sincères n’ont-ils plus ni fantaisie ni surprise ? Les devine-t-elle avant même que je ne lui expose ? Ce besoin irrépressible de partager mes doutes, mes bonheurs, mes lâchetés ne sont-ils pourtant pas la preuve irréfutable de la franchise entière, absolue que je lui témoigne ? Cette marque d’attention exclusive serait-elle alors trop pesante, trop écrasante pour elle qui a toujours su se montrer la farouche partisane de son espace de solitude et de liberté ? Dois-je dès lors m’interdire de lui dévoiler les sentiments intimes de mes pensées et de mes expériences pour partager cette part de solitude impartageable avec moi seul ? Me faut-il recouvrir avec plus de volonté et d’attention les herbes folles de mes secrets pour ne les exposer qu’au regard indulgent de mon cahier, et me contenter de les déposer sans précaution sur les pages blanches, toujours vierges de non-dits et d’arrière-pensées ? Tant de questions…

 

20h ; gare d’O.

Je monte dans le train. Destination P., gare d’A. La rame regorge de monde. Je poursuis mon chemin à travers les wagons. Deux places vacantes dans un compartiment non-fumeur. Je pose mon sac et m’assois. A ma gauche, une jeune femme ; lunettes rondes, tenue sobre, habillée dans un style négligé classieux. Nos regards se croisent. De la timidité dans les yeux. Une étincelle d’attirance qui n’ose se dévoiler et amorcer le jeu complice de la séduction. A plusieurs reprises, nos regards se croiseront. Je m’imagine quelques secondes vivre avec elle. La lente et réciproque découverte de l’autre et de son existence. La lente découverte des secrets et des mystères. Puis, peu à peu, l’inévitable découverte des bassesses et des insignifiances. Lentement s’accaparer l’autre, et malgré soi, le ligoter corps et âme. Se dévoiler au fil du temps, des mois et des années. A chaque nouvelle rencontre, recommencer le cheminement éternel, immuable de la liaison amoureuse, à l’issue tant de fois éprouvée… alors pourquoi cette pensée soudaine ? Pour l’exaltation des premiers pas ? Pour les impétueux battements du cœur des premiers instants ? Pour la magie de la rencontre ? Pour se persuader que l’on peut séduire et plaire encore ? Quoi d’autre ? Pour l’émerveillement de la découverte ? Pour toucher enfin le bonheur d’un amour harmonieux construit pas à pas ? Non ! Certes non ! Combien de rencontres aboutissent-elles vraiment à cette joie constructive d’être et d’évoluer à deux, séparément et toujours ensemble ? Je repense à S. et à notre long chemin parcouru ensemble, un bien long chemin déjà.

 

22h ; gare de L.

Sur un parking désert, près des quais. Accoudé à la balustrade, je regarde l’étroit bâtiment qui surplombe une immense place. Le long mur vitré dévoile l’intimité des foyers, la vie familière des familles. J’observe la façade illuminée qui expose au regard du monde les secrets des hommes. Les uns dînent, penchés devant leur assiette, d’autres, confortablement installés dans un fauteuil, regardent les secrets du monde à travers la fenêtre du petit écran bleuté. D’autres discutent autour d’un verre. D’autres encore vaquent à leur quotidiennes occupations, rangent, nettoient, lisent et que sais-je encore. Mais tous se dévoilent en étalant un fragment d’eux-mêmes, une parcelle de leur vie, en se croyant à l’abri, maladroitement abrités derrière ce grand mur transparent. Et chez eux, je ne perçois rien de différent ! Rien ! Absolument rien d’exceptionnel ni d’extraordinaire ! Ils sont comme nous tous, avec les mêmes gestes, les mêmes poses, les mêmes activités, la même existence, aussi insignifiante, aussi ordinaire, aussi médiocre que la nôtre !  

 

22h15 ; dans le train de nuit pour M.

J’entre dans le compartiment. Deux personnes s’y trouvent déjà. Je m’installe sur ma couchette. Sur la leur, draps et couvertures sont soigneusement étalés. Est-ce une pratique de sédentaire en voyage ? Une inévitable reproduction des habitudes quotidiennes ? Je l’ignore… je pousse les miens d’un geste négligent et m’affale sur la banquette. Je relis les derniers feuillets de mon manuscrit. Soudain un homme entre. Lui aussi arrange draps et couverture (décidément !). Puis il enlève ses chaussures, descend de sa couche et baisse tous les stores. Je proteste et grommelle, irrité, stupéfait par cette conduite inconvenante, irrespectueuse, par cette appropriation de l’espace collectif. Pourquoi ce besoin si répandu chez les hommes de se calfeutrer, pourquoi ce besoin de se cacher, pourquoi fermer les portes, pourquoi se protéger pour se sentir chez soi, à l’abri ? Mais à l’abri de quoi ? Les hommes font souvent preuve d’un sans-gêne détestable et d’une indéfectible étroitesse !

 

Quelques instants plus tard arrive un jeune couple d’anglais. A peine installée, la fille sort une demi-douzaine de tubes et de flacons et se livre à un bon quart d’heure de remise en beauté. J’ai envie de rire et de crier mon agacement. Nous sommes décidément bien risibles ! Pourquoi faut-il que nous reproduisions ainsi toutes nos habitudes familières ?

 

 

Deuxième jour

7h ; gare de M.

Rapide petit déjeuner, acheté au snack de la gare. Je termine mon café et vais m’asseoir dehors sur un étroit muret face à de vieux immeubles noircis par la pollution des rues passagères du centre-ville. Un peu plus loin, j’aperçois l’enseigne de l’université qui s’étale en énormes lettres sur l’imposante façade. Souvenirs d’une époque déjà bien lointaine pour moi…

 

9h ; gare de A.

Je descends du train et prends le bus navette jusqu’à L., la ville la plus proche du centre de formation où j’ai rendez-vous en début d’après-midi. Je m’arrête à une station essence pour prendre un café. Puis j’emprunte la route nationale où défilent à grande vitesse de nombreuses voitures. 5 km de marche et le sentiment d’être un vagabond qui traverse des contrées hostiles et peu propices aux marcheurs.

 

10h ; en arrivant à C.

Paysages charmants. Je marche d’un pas lent sur la route. A perte de vue, collines et champs. Dans le ciel, un rapace sillonne l’immensité de son territoire. J’arrive enfin. Sur le mur d’une imposante bâtisse tarabiscotée, j’aperçois une pancarte : centre de formation – ferme expérimentale – Mais je poursuis mon chemin. J’ai trois bonnes heures d’avance. Un peu plus loin, j’aperçois un petit sentier ensoleillé, ceinturé par d’étroits pâturages. Je m’y engage puis pose mon sac, déjeune de quelques biscuits et sors mon carnet.

 

17h ; en repartant de C.

Je sors du centre de formation. Epreuves écrites et entretien. Je pense à la correction des copies. Des hommes vont juger d’autres hommes. Je revois les formateurs - guère plus âgés que moi -. Je revois leurs sourires condescendants en songeant à ce qu’aurait pu être ma vie.

 

18h ; à l’arrêt du car de L.

Une voiture s’arrête, un homme en sort. Je le reconnais, il était dans la salle d’examen à C. Il me propose très gentiment de me conduire à M. Je décline son offre. Nous devisons un instant, évoquons quelques bribes éparses et superficielles de nos vies respectives. Puis il remonte en voiture et regagne sa vie. Je regagne la mienne. Le bus ne va plus tarder.

 

20h ; dans le train pour M.

La modernité de la rame me surprend. C’est un long et large espace aéré, luxueux, bien singulier sur cette petite ligne régionale. Une atmosphère propice à l’épanchement. Je sors mon carnet.

 

Un groupe d’adolescents se déplace sans relâche dans la rame. Ils passent, repassent, en chantant à tue-tête de stupides chansons, fredonnées depuis la nuit des temps par des générations successives d’adolescents, à cet âge où l’insouciance et la provocation ont toujours eu cours. Tous se déplacent avec nonchalance, une nonchalance bien trop étudiée pour croire à son authenticité, mettant en valeur atout physique et tenue vestimentaire, régie par la mode du moment, qui n’obéit, elle-même, qu’aux règles collectives rigides et fluctuantes… conformistes et éculées.  Mais chaque génération n’a-t-elle pas, à cet âge, ce même sentiment de supériorité, s’imaginant découvrir mieux et davantage que celles qui l’ont précédée, les secrets, les mystères, les conduites à tenir, les vérités, les joies et les peines de cette existence ? Chaque génération n’a-t-elle pas cette arrogance de se croire plus douée que celle de ses aînés ? Triste et sempiternel mimétisme ! Et malheureusement, la bêtise et la niaiserie ne s’estompent guère avec l’âge. La pédanterie suffisante et puérile des adultes n’a rien à envier à l’arrogance provocante de la jeunesse. Malheureusement non… Et moi-même qui suis-je pour juger ainsi mes semblables, moi qui éprouve tant de difficultés à échapper à cette triste inclination que je dénonce ?  

 

22h ; gare de M.

Assis sur un petit parapet métallique, un sandwich à la main, j’attends le train. Annonce nasillarde du haut-parleur ; retard prévu à destination de P.. Dans le hall, le brouhaha s’amplifie, la foule hétéroclite des voyageurs s’anime, impatiente et irritée. Autour de moi, M. la bariolée s’agite dans un mélange de couleurs, d’odeurs et d’origines ethniques. Un métissage bon-enfant à l’humeur joyeuse et à l’agitation bruyante. Un vieil homme marche sur le quai. Craintif et renfermé, le dos voûté, la démarche fragile. Un sac en bandoulière sur un costume démodé. Il poursuit sa marche, jetant à la ronde des regards méfiants, apeuré de se retrouver parmi ces gens, dans cette foule inconnue, étrangère, effrayante. Soudain il s’arrête et baisse la tête, le nez sur ses chaussures. Enfin une partie du monde qu’il reconnaît et qui le rassure. Plus loin, un groupe d’africains discute bruyamment à proximité d’une jeune fille, adossée à un pylône, qui semble lire, malgré les regards réguliers qu’elle jette autour d’elle. Plus loin encore, un homme, la trentaine raffinée, costume élégant, impeccable, mallette de cuir et parapluie assortis, toise ses congénères avec condescendance, avec dans les yeux cette sorte de mépris dédaigneux qu’arborent toujours ceux qui sont fiers d’avoir réussi leur vie. Mais sa silhouette chétive trahit la fausse noblesse de son regard et lui donne en définitive une allure de petit coq hâbleur. Autour de moi, une foule de monde, des jeunes, des beaux, des grands, des petits, des vieux, des laids, des gros, des maigres, des riches, des pauvres, tous attendant péniblement la même chose, et chez la plupart ce même désir trop visible de plaire et de séduire, usant d’armes si communes, qui d’un accoutrement, qui d’un regard, qui d’une attitude ! Mon Dieu ! Que de parures et de grimaces en ce monde !

 

22h30 ; dans le train pour P ;

Wagon non couchette. Ambiance fort différente de la veille. Beaucoup de jeunes et quelques vieux, comme égarés. Le train vient de N.. Certains dorment déjà, d’autres discutent à voix basse ou sont plongés dans quelque livre ou magazine. Sur les sièges voisins, les corps ensommeillés sont relâchés, abandonnés à eux-mêmes. Les personnages diurnes au maintien figé, rigide et contraignant ont disparu. Tout cela n’a plus raison d’être à cette heure du jour. Inutiles les parures et les corsets, dans cette obscurité nocturne qui dissimule (du moins le croit-on) les positions corporelles et sociales avachies, relâchées, naturelles. J’actionne la manette, adopte la position semi-couchée et tente à mon tour de somnoler.

 

 

Troisième jour

6h15 ; gare d’A à P.

Compartiments vides dans le train qui doit me ramener à O. Je m’installe dans l’un d’eux. A peine assis, un autre voyageur fait irruption et s’assoit sur la banquette d’en face. Je toussote. Il n’a pas l’air de comprendre. Je le regarde un instant, mi-agacé mi-gêné. Il ne réagit toujours pas. Il réajuste son T-shirt, T-shirt d’une célèbre marque, imitation affligeante d’une autre, plus distinguée mais non moins stigmatisante. Le train finit par s’ébranler. J’oublie la présence de mon voisin et retourne à mes pensées. Peu de temps après, surgit un contrôleur. Je lui tends mon billet. Mon voisin, lui, a l’air gêné. Il regarde le contrôleur d’un air confus. Il n’a pas de titre de transport. Le contrôleur lui dresse un procès-verbal que mon voisin s’empresse de ranger dans l’une de ses poches, avec un air timide et presque timoré qui me le rend soudain sympathique. Je le regarde avec compassion et repense à mes propres mésaventures avec les contrôleurs des transports parisiens. Je repense à l’attitude mielleuse et faussement aimable que la plupart adoptent avec les honnêtes gens, à celle toujours très conciliante et extraordinairement indifférente (sorte de couardise indulgente) qu’ils revêtent avec les fraudeurs impénitents, et à celle presque toujours impitoyable qu’ils ont envers les braves resquilleurs occasionnels qui ne sont en vérité que de pauvres et d’honnêtes voyageurs fauchés.   

 

7h30 ; dans la navette, entre la gare de A. et d’O.

Flot submergeant de citadins, pour la plupart employés de bureau. Tous les voyageurs semblent se connaître. Conversations futiles et rires idiots. De quoi parlent-ils ? Famille et travail, sans exception. Qu’ils me semblent étriqués et peu naturels, engoncés dans leur costume, avec leur eau de toilette bon marché, leurs cheveux soigneusement coiffés, si propres sur eux pour rejoindre leur bureau. Je détourne la tête pour regarder mon reflet dans la vitre. Et j’y vois un homme aux vêtements froissés, aux cheveux hirsutes, à la mine fatiguée qui rêve déjà à ses prochaines aventures campagnardes, saines et aérées, loin des bureaux et de ces petits employés, loin du monde, loin de lui-même et de toutes ces pâles existences de pantins écrasés par les conventions artificielles de cette vie citadine.

 

 

TROISIEME PARTIE

En partance... ou l'imminence d'un monde nouveau

Ultime démarche. Dernier voyage… avant le départ. Dernière formalité à l’issue incertaine. Le même regard sur le monde, plus agacé et plus véhément, exacerbé peut-être par l’imminence du changement.

 

De nouveau le train. L’étroite promiscuité du compartiment. De nouveau l’anonymat étouffant de la foule agglutinée. Les poses figées, les gestes maniérés et les masques hautains et indifférents des hommes, ces faux voyageurs d’eux-mêmes en partance pour nulle part… Nouvel entretien, à S. cette fois-ci, pour une formation de berger transhumant, pour apprendre la transhumance, apprendre à voir l’horizon et la solitude au-delà de la terre.

 

Mes dernières lectures ; le berger de l’avent de Gunarson et un berger médite de Keller.

 

Arrivée à S. Atmosphère vieillotte du centre de formation située dans une vieille bâtisse aux murs fissurés, à la peinture écaillée. Intérieur fantomatique… meubles poussiéreux, formateurs étranges, empaillés, comme d’un autre âge. Deux chiens faméliques au poil terne errent dans la cour. Postulants citadins, aux parcours sinueux, obscurs et pourtant proches.

 

Médiocre prestation à l’entretien ; propos fades, parfois incohérents, balbutiements, hésitations, voix atone, dénuée de vigueur, motivation indécise, fragile. Incertitudes…

 

Le train me ramène vers P. Hautes collines vallonnées où paissent quelques troupeaux. La rame est bondée. Beaucoup d’hommes d’affaires. Tous portent le même costume. Sombre, strict, impeccable. Les mêmes souliers de cuir noir. Les mêmes chaussettes grises. Seule la cravate les différencie. Colorée, vive et joyeuse, choisie dans un médiocre élan d’originalité. Sur le visage, le même sourire. Faussement naturel, exagérément courtois. Le même regard satisfait et suffisant où brille une lueur trop forte, exagérée d’arrogance et d’orgueil. Mais sous la pellicule de fierté, on perçoit le vide, la tristesse et la mort. Et tous peinent à cacher cet abîme effrayant, cette fissure d’avec le monde qu’ils ont creusé au dedans, et dans laquelle ils se sont enterrés, dans laquelle ils se sont enfouis et dans laquelle ils ont fini par s’enliser, se coupant ainsi de leurs proches, de leur prochain et de la vie même. Je les regarde avec pitié et je pense à mon existence, à ce qu’elle sera et à ce que je souhaite lui offrir, m’imaginant déjà là-haut, seul, loin de ces regards trop pleins d’eux-mêmes à courir après mes vérités.     

 

J’écoute la parole de Bobin. Sa voix enregistrée sur une mauvaise bande me délivre de ces tristes figures. Et je suis ébloui de tant de clarté, ébloui par cette voix qui me parle et me découvre ; la vie tranquille, paisible, calme. Peu de rencontres, peu de visages, l’entêtement enfantin, laisser ce qui dérange, ce qui nous attriste et nous blesse, le bonheur d’écrire pour espérer combler la faille qui nous sépare du monde et nous éloigne de nous-même, le bonheur d’écrire pour emplir la brisure de notre propre vie, le bonheur d’écrire pour donner aux insignifiances, à toutes nos insignifiances la noblesse d’une reine couchée sur le drap d’une feuille blanche.

 

Entrée en gare. Rapide regard sur le TGV à quai, une série de wagons de première classe ; un cortège de portables (téléphones et ordinateurs) au creux de l’oreille ou sous les doigts de ces pantins de la modernité, adeptes de technologie, tous fabriqués dans le même moule de la réussite, et obéissant aux mêmes règles de l’efficacité.

 

Traversée du pont Charles De Gaulle. Quatre hommes marchent du même pas, quatre silhouettes différentes, quatre démarches distinctes déambulent ensemble dans la même tenue ; veste bleu foncé et pantalons gris anthracite. Sur leur veston, le même badge blanc.

 

Dans le train pour O.. Rame inévitablement bondée. Jeune homme, la trentaine, une allure d’employé de bureau, un sac Gibert jeune à la main. Ne reste qu’une seule place dans la voiture, à mes côtés où gît, éparpillé mon barda ; pull, veste, sac, livres. Il s’y assoit et sort ses achats ; un magnifique agenda en simili cuir vert, 3 séries de feuillets volants à insérer dans l’agenda et un paquet de confiserie Haribo qu’il pose sur la tablette. ¾ d’heure à classer, ranger, ouvrir, fermer, ré-ouvrir, re-fermer, ¾ d’heure à entendre le bruit agaçant du « clac » à chaque ouverture et fermeture de l’agenda-classeur, entrecoupé par celui non moins exaspérant du plastique froissé, de la mastication et de la déglutition. J’observe son visage. Satisfait, heureux, fier de son acquisition qu’il contemple, contemple et re-contemple encore. Je le toise avec ironie, soupire bruyamment, me lève et vais m’asseoir sur le revêtement sale et dur du sol. J’ai hâte d’arriver à O., de quitter cette ville. J’ai hâte de m’extraire du monde, de cette si longue et si affligeante attente.

 

 

QUATRIEME PARTIE

Parenthèse probatoire

A la croisée des mondes. Instants de fuite et de découvertes. L’expérience de soi à travers la solitude et l’éloignement. Un certain avant-goût de l’univers choisi. Déterminant…

 

Près de trois semaines de randonnée. La traversée des Pyrénées orientales. Quelques 200 km de marche en moyenne montagne. Camping itinérant au hasard des crêtes et des cols, en forêt ou en plaine, sous le soleil et la pluie, sous la grêle et le vent. Avec pour seuls bagages nos sacs à dos qui contiennent l’essentiel… l’essentiel de notre dénuement. La marche comme voyage vers le dépouillement. La marche avec ses joies et ses peines. Longue, éreintante, parfois pénible, souvent sereine et toujours admirable d’humilité. La démarche lourde, l’allure lente, vous cheminez ainsi, le cœur libre, l’esprit vide et concentré. Les battements du cœur, les idées vagabondes, le sang qui afflue, l’air inspiré, l’air expiré, les pensées qui surgissent, les pas qui s’enchaînent sous la chaleur accablante ou sous la pluie qui transperce la maigre enveloppe des vêtements. Vous transpirez d’une sueur épaisse et étouffante qui ruisselle, vous grelottez sous la pluie froide et cinglante. Votre bouche se dessèche et vos dents s’entrechoquent. Vous avez faim. Vous avez soif. Vous êtes à la limite de l’épuisement, à la frontière de l’abandon, mais vous poursuivez, puisant au fond de votre âme la force, l’énergie désespérée pour surmonter la souffrance de votre vulnérable et misérable condition d’homme. Vous puisez plus loin, plus profond encore pour débusquer ce qui se cache derrière l’abandon et le renoncement, derrière l’image superficielle et prétentieuse où d’habitude vous vous réfugiez. Et vous poursuivez, vous enfonçant plus loin encore. Une à une, vous soulevez ces couches inutiles, inutilisables ici. Et peu à peu vous découvrez le regard dépouillé, sincère et authentique de votre insignifiance, la vérité sans fard de votre réelle identité. Vous vous apercevez enfin que vous n’êtes rien… absolument rien devant la force et la grandeur du monde.

 

 

CINQUIEME PARTIE

En un monde étranger, au delà de la terre des villes

Après l’attente et le choix d’une terre nouvelle à explorer, après les démarches et les formalités, voici enfin venu le temps du départ, le temps de la traversée et de la découverte. Au-delà de la terre des villes retrace l’itinéraire intérieur de cette fugitive traversée du monde, de cette terre inexplorée des bergers transhumants. Ce mince journal de bord nous dévoile le parcours mental de celui qui voyage et découvre le monde. Et qu’importent les terres traversées, seul nous intéresse le cheminement de celui qui traverse. Ce court texte illustre l’état d’esprit du voyageur existentiel, avec en toile de fond sa quête et le voyage vers lui-même. Ses seuls compagnons seront la solitude et ce regard distant sur ces bouts de landes inconnus, loin des terres conquises et apprivoisées. Au cours de ce voyage, le marcheur découvrira mille paysages, ressentira mille choses, éprouvera mille sentiments. Ainsi au fil des pas, au fil des pages, il pourra rencontrer l’étonnement, l’ennui, la joie ou la honte, il pourra côtoyer le plaisir, les doutes ou l’incompréhension. Il pourra éprouver aussi (et l’éprouvera immanquablement) le mal être, le bonheur et la sérénité avec cet étrange sentiment d’avoir enfin trouvé son chemin et la crainte terrifiante de s’y perdre. Et au bout du voyage, le marcheur comprendra qu’il s’est de nouveau fourvoyé sur une route qui n’était pas la sienne. Et en dépit du ressentiment et des regrets, le voyageur sortira de cette traversée avec un moi nouveau, un moi plus riche de lui-même. Et en quittant cette étroite bande de terre, il retrouvera avec joie sa liberté. Il s’arrêtera un instant puis très vite repartira ailleurs – en arpenteur de vies – à la recherche de nouvelles terres à explorer, à la recherche de contrées plus lointaines et plus riches de sens et d’expériences qui lui indiqueront l’horizon, l’horizon d’un avenir plus prometteur encore.  

 

Premier pas dans cet univers étranger, inconnu. Le cœur joyeux et l’esprit réticent. La joie et la surprise d’apprendre ce monde. Et la honte aussi. Etrange…

 

Décalage. Décalage entre eux et moi. Gigantesque et imperceptible décalage. Comme un immense abîme, comme une mince frontière qui nous sépare. Tout respire notre dissemblance, si visible.

 

Avec eux, j’hésite entre l’indépendance délibérée et les rapprochements maladroits dans une sorte d’atermoiement un peu lâche, sans me résoudre à opter pour la liberté ou l’intégration, pris entre les feux de la solitude et de la compromission. Entre ostracisme subi, rejet réciproque et exclusion volontaire. Je pressens pourtant une vague préférence pour la reconnaissance comme si je souhaitais être reconnu membre indépendant de ce collectif, soucieux ainsi de perpétuer mon originalité au sein du groupe.

 

Etrange sentiment, celui d’avoir enfin trouvé sa voie. Et aussitôt la peur qui m’envahit, cette peur indicible de ne plus savoir ni même d’avoir envie de faire autre chose. La peur de ne plus souffrir, celle d’avoir trouvé, la peur d’être heureux, celle de se satisfaire de cette chose effrayante que d’aimer faire ce que l’on fait. La peur d’y consacrer sa vie entière, celle de s’y consacrer chaque jour avec plaisir, de se lever chaque matin avec cette joie farouche qui vous envahit, la peur de rentrer chaque soir avec cette fatigue sereine et heureuse, et celle de n’avoir plus d’autres envies que de vaquer à ces inévitables et triviales tâches domestiques ; travailler, manger, boire, dormir, et se divertir… Quelle tristesse, cela serait ! La peur de perdre cette soif de soi, et celle de perdre cette recherche obsessionnelle du sens de l’existence, la peur de perdre celui que je suis et celle de devenir un autre que j’ignore et que je méprise déjà.

 

Chaque soir, je rentre par le petit sentier qui mène au cabanon. Je regarde le soleil qui tombe derrière les collines en illuminant, à cette heure du jour, le ciel de cette lumière bleue orangée si particulière. Ma journée s’achève ainsi à la nuit naissante. Je rentre chez moi. Loin des bruits de la ville, loin du monde et de sa vaine agitation, loin de toutes ces exubérances citadines. Je rentre chez moi, sale, puant et fatigué, mais heureux. Heureux de cette journée et de ces quelques lignes que j’écris chaque soir sur mon cahier. Heureux de cette vie de labeur, rude et authentique. Heureux de cette solitude et de cet isolement. Heureux d’être seul au monde avec ma vie et mes vérités, sans l’Autre qui n’a pas de place ici. Ici, où je n’ai aucun compte à rendre excepté à moi-même. Oui, j’aime cette existence. Cette existence sans fard, loin des apparences et de la superficialité de mes contemporains. Cette existence qui embrasse la réalité nue et parfois cruelle de la nature, à mille lieux de la barbarie insidieuse du monde qui cache si souvent son nom, sa violence et sa perfidie pour mieux tromper les hommes.    

 

Aujourd’hui, journée ordinaire ; activités habituelles, presque coutumières à présent.

 

J’éprouve comme un irrépressible besoin de pluralité, un besoin de goûter tous les univers du monde, un peu ici, un peu ailleurs, un peu plus loin, là-bas… Expérimenter la vie, découverte après découverte, avec cette angoisse, cette joie et cette tristesse si caractéristiques du voyageur. M’emplir d’existences, de richesses et de malheurs pour me fortifier et avancer vers moi-même.

 

Un soir en rentrant, je monte les escaliers avec l’étrange sentiment d’être un autre, d’être dans une vie qui m’est étrangère et pourtant très curieusement plaisante. Avec cet étrange sentiment de liberté et de légèreté dans ces vêtements trop amples que je m’efforce de revêtir. Comme si la gravité qui m’accompagnait depuis si longtemps s’était dissipée. Je me sens flotter, presque aérien. Sans souci, sans angoisse, ni inquiétude. Etrange sensation que celle-là, si peu éprouvée jusqu’ici, dans cette existence encombrante, étouffante où j’ai toujours vécu, à moitié pétrifié par la crainte de tout ; du lendemain, de mal faire, des autres et de moi-même. Cette sensation pourrait-elle s’imprimer plus profondément encore, se transformer en réalité habituelle pour métamorphoser ma vie ? Ah ! Quel bonheur serait-ce alors de vivre !

 

Qui suis-je ? Qui suis-je vraiment ? Un rural ? Un citadin ? Un intellectuel ? Un manuel ? Un informe amalgame ? Et pourquoi cette recherche, ce besoin d’identité ? Et pourquoi cette souffrance permanente du non appartenir… Et pourquoi ce besoin de fuir le monde ? Et pourquoi ce désir d’anonymat et d’autarcie ? Autant de besoins incohérents et irréalisables… 

 

Pourquoi cette nécessité de nourrir ma vie dans cet équilibre fragile, toujours fluctuant, en perpétuelle mouvance, que chaque jour il me faut reconquérir ? Pourquoi cette dualité si forte des aspirations ?  Comme si ma vie n’était qu’une existence scindée, compartimentée, avec des journées plurielles, une vie plurielle. Des années partagées, cloisonnées, quelques mois en autarcie, replié sur soi, et le reste du temps, plongé au cœur de la ville, submergé par le tumulte citadin.

 

Pourquoi ce besoin d’intellectualiser mon quotidien ? Et pourquoi celui de pragmatiser mes réflexions intérieures ? Pourquoi cette nécessité de relier les deux en une entité forte et indissociable ? Curieux équilibre à ressentir, à atteindre et à perpétuer.

 

Journée ordinaire. Sans plus. Les repères réapparaissent, le rythme s’instaure. A quand la lassitude ?

 

Le délice de retourner chez soi après une journée simple et remplie. La richesse de la simplicité. Et cette joie qu’elle vous offre. Seul et loin du monde, avec les arbres et les étoiles, avec le ciel orangé, le chant des oiseaux et le silence, avec le vent et la vie… Oui, simplement avec la vie et avec ce bonheur d’être là…

 

Les heures paisibles et le temps vide, à occuper. Les heures méditatives et sereines. Les longues heures de solitude à écrire, à rêver et à se laisser lentement imprégner par la beauté sauvage du monde. Loin de la férocité citadine, dans mon refuge solitaire. Si loin de cette société cruelle, machine à broyer les hommes et à anéantir les vies, machine à asservir le monde. Ici, je suis libre et seul. Seul, libre et soumis aux exigences de cette liberté à laquelle je me suis délibérément astreint, par choix, par nécessité. Pour survivre à ma solitude, à mon isolement, à la rudesse de cette existence simple, belle et authentique. 

 

Aujourd’hui, panne d’écrire. Alors qu’ajouter ? Et mon besoin d’écrire alors? Que dois-je en faire ? Il est impossible que je me taise.

 

Je regarde ce monde étranger. Je regarde les hommes qui y vivent. Que font-ils ? A quoi aspirent-ils ? A la vie des champs, hors des sentiers battus de la ville ? A la liberté, loin des carrefours oppressants où s’agglutine la foule ? Non, ces hommes-là ont des vies simples, archaïques, limitées aux seuls besoins essentiels ; manger, boire, s’occuper, s’enivrer, dormir, se reproduire et se donner quelques plaisirs que l’on ne peut imaginer que frustres, fugaces et bestiales. Voilà les seules activités de ce monde ! Triste univers que celui-ci ! Pauvre et affligeant, où toute délicatesse est exclue, interdite toute pensée, bannie toute subtilité, inexistante toute évolution. Un monde figé dans la terre, un monde immuable de mâles durs et abrupts, tout en aspérités grossières, un monde immobile depuis la nuit des temps et qui le restera sans doute à tout jamais.

 

Assis devant ma machine à écrire, je regarde la petite pièce où je passe l’essentiel de mes journées.  Sur la toile cirée, des feuilles et quelques livres posés entre une tasse à café et une assiette sale. Sur ma couche traîne ma guitare au milieu de quelques vêtements. Voilà mon univers encombré de quelques éléments du passé, ceux qui ont su résister au temps et aux caprices du changement.   

 

Soudain en sortant de la cabane, (pour aller chercher le troupeau), mon regard se brouille. Je m’arrête et m’assois un instant. Vertiges, nausées. Crise d’angoisse. Je suis incapable de me lever. Je sors alors mon carnet pour y griffonner quelques mots ; les premières paroles d’une chanson que j’inscris pour ce soir, lorsque je pourrais enfin me laisser aller à quelques fantaisies chansonnières. Que s’est-il passé ? Pourquoi ce brusque abattement, pourquoi ces nausées, pourquoi cette tête si pesante, si lourde ? Et puis soudain ces mots notés avec empressement, dans une sorte d’urgence violente et instinctive, comme une délivrance, comme une bouffée d’air pur. Je regarde autour de moi. Les collines, le chemin qui mène aux prés, le ciel bleu et mon carnet noirci qui gît à mes pieds. Et de nouveau, je sens le rythme lent de la respiration et mon âme qui se calme en éructant ses derniers soubresauts d’angoisse, ses dernières secousses de lassitude et de fatigue. Sauvé par ces quelques mots livrés à la page blanche, je me relève enfin pour reprendre péniblement mon chemin.        

 

Journée fade et sans joie, malgré le plaisir d’Être.

 

J’éprouve l’irrépressible besoin de nourrir mon esprit. A quoi bon pourtant ? M’arrive-t-il parfois de penser. Pourquoi satisfaire cette nécessité ? Et aussitôt, je pense à tous ces hommes qui m’entourent ici, englués dans leurs instincts ordinaires. Serait-ce pour ne pas devenir comme eux ? Pour ne pas m’animaliser ? Pour ne pas sombrer dans l’instinct bestial qui seul semble les maintenir en vie ? Pour ne pas devenir à leur image, des estomacs sexuels et utiliser ce don de penser autrement qu’à poursuivre ce genre de desseins, pour aller au-delà du sexe et de l’acte de se nourrir. Oui, pour exister et construire sa vie par-delà le divertissement, le plaisir et le besoin. Pour bâtir ses piliers existentiels sur d’autres valeurs plus élevées et plus nobles. Oui, résonne en moi cette impérieuse nécessité d’aller plus loin, d’aller plus haut, de franchir mes propres frontières si étroites et que je franchis pourtant toujours avec peine, avec effort, comme paralysé par le doute, la souffrance et le bien-fondé de cette démarche, démarche incomprise, incompréhensible par le monde, par mon entourage, par mes proches qui me susurrent à l’oreille : « Mais à quoi bon chercher ? La vie est si simple, difficile mais si simple ; un toit, de quoi manger et un peu d’affection font toujours l’affaire.» Mais la vie peut-elle se limiter à cette affaire ? N’avons-nous pas besoin d’autre chose ? N’y a-t-il pas un autre sens à découvrir, à atteindre, à suivre et à vivre peut-être ? Oui, un sens à vivre tout simplement.

 

A chacun ses chimères, ses rêves héroïques ou faciles, à chacun ses combats et ses lâchetés, à chacun de choisir sa voie, sinueuse ou en ligne droite, simple ou tortueuse, à chacun d’écrire son histoire…

 

Brusque énervement face à cet univers, à son ignorance incurable, devant ce mur de stupidité érigé en forteresse inexpugnable. Et pourtant je me tais. J’écoute simplement ces hommes qui haïssent la différence et qui la rejettent loin, très loin d’eux- mêmes dans une sorte de peur instinctive, de cette peur maladive d’être contaminés, comme si cette contamination pouvait leur être fatale. Non, jamais la différence n’est comprise et plus rarement encore acceptée. Les hommes préfèrent camper sur leurs maigres certitudes étroites et rassurantes.

 

L’absence de tout mouvement de pensée, la disparition de toute volonté d’évolution engendrent une forme de repli sur soi, une consolidation excessive des convictions que l’on érige alors en principes absolus, inaltérables, vice rédhibitoire à la compréhension de l’Autre et de ses différences. Ces Autres qui forment le reste du monde, leur existence, leurs idées, leurs actes, tout cela est alors rejeté en bloc avec force et violence. Beaucoup d’hommes sont ainsi. Des esprits ankylosés, figés, prisonniers de leur pensée étroite. Des esprits immobiles enlisés dans leurs médiocres et fallacieuses vérités.

 

Si peu de choses à vivre, si peu de choses à dire. S’occuper l’esprit comme nécessité absolue, pour ne pas sombrer à nouveau dans l’ennui. Accepter d’Être et de vivre sans ce petit rien de joie que procure l’esprit en mouvement. Accepter cet état larvaire. Vivre les heures au gré des insignifiances où elles vous promènent. Guère loin, cela il faut s’y attendre et s’y résoudre. Le temps passera, cette fadeur de vivre aussi. L’espérance n’est pas ailleurs.

 

Temps libre que je dilapide en repos et en divertissements médiocres. Au mieux, je batifole. D’un plaisir à l’autre. D’une activité à l’autre. Et me reste le dégoût de ces choses mal ébauchées que je n’ai ni la force ni le courage d’achever.

 

M’assurer que ma vie est originale - au sens où tout ce qui la compose est unique - au sens où tout ce qui s’y trouve est choisi.

 

Parfois je crois être devenu ceux-là même que je méprise, ceux-là même dont je récuse la vie. Médiocre et inutile. Vide, dénué de sens et d’intérêt. Voilà ce que je suis à ces heures perdues. Un personnage ordinaire et rongé d’absence.

 

Être comme les autres, à se dépêtrer dans le labyrinthe étroit du quotidien. Rien d’autre ou presque et cela contente l’âme. Bien des gens vous le diront, et chez bon nombre d’entre eux vous le verrez. Tout en eux transpire cela, tout en eux suinte ce goût si mesquin et si ordinaire pour la matérialité. Et puis, un peu plus tard, un autre jour, c’est là ! Vous le sentez ! Ça revient ! Ca ressurgit d’on ne sait où, et ce besoin de dire et de témoigner vous reprend ! Ca sort en jets brûlants, comme un volcan trop longtemps endormi, comme une renaissance, avec l’envie de partager ce magma informe qui se déverse sur votre vie, avec la joie de dire cette souffrance de vivre. Et ça vous brûle de l’intérieur ! Et ça vous ronge au dedans ! C’est une force irrépressible qui vous submerge et vous projette, impuissant dans une jubilation triste, joyeuse et frénétique.  

 

Fuir le monde, la vie courbée, pris au piège de l’insipide fadeur des rapports humains, assujetti à l’hégémonie des fonctions sociales qui écrasent et anéantissent les êtres. Soumis et obéissant. Jamais. J’aspire trop à la liberté. Conserver cette liberté de penser, d’agir, d’exprimer, cette liberté de vivre et d’exister. Oui, la liberté d’exister tout simplement. Je ne revendique rien d’autre que cette liberté indépendante, rien d’autre que ce droit à la non appartenance, que ce droit à la différence dans ce monde où toutes ces choses sont si éhontément bafouées et où tous ceux qui s’en proclament subissent peu ou prou en victime l’ostracisme de la masse qui perpétue et propage la maladie de la normalité. Normalité si louable à leurs yeux, si obsolète et si écrasante aux miens. Non, je ne revendique rien d’autre que cette liberté d’exister autrement et de vivre ma différence.

 

Me suis-je déjà senti plus proche du bonheur serein ? Jamais me semble-t-il, d’aussi loin que je me souvienne. Si, peut-être lors de la prime jeunesse et mes souvenirs nostalgiques et un peu flous de l’enfance. Peut-être et qu’importe ! Aujourd’hui, seuls comptent la réalité présente, le présent construit dans son identité adulte, la richesse des années accumulées, et l’avenir que l’on prépare. L’avenir que l’on pénètre un peu plus chaque jour pour toucher l’horizon, très loin là-bas, au bout de soi, l’avenir que l’on ignore bien sûr mais qui demeure ouvert, si merveilleusement ouvert.

 

 

SIXIEME PARTIE

Dans la solitude d'un monde pluriel

Après l’attente et les démarches, après la découverte reviennent l’ennui, la routine et le regard encore plus acerbe sur le monde. De nouveau, ils viennent habiter l’esprit du voyageur. Et ils ne le quitteront plus jusqu’à la prochaine traversée, jusqu’à la découverte d’une autre contrée.  Ainsi est le voyageur de vie ; toujours en attente, toujours en partance, toujours entre deux mondes.

 

Carnet d’humeurs, aphorismes du quotidien, instants vécus, interrogations dubitatives, Dans la solitude d’un monde pluriel, nous expose les doutes d’un homme, un homme parmi les hommes, avec ses sentiments, ses angoisses, ses réflexions et ses paradoxes. Recueil de représentations du monde et de l’existence, cruelles et solitaires qui s’affichent et osent braver l’indifférence du monde magnifiant le spectaculaire, le talent et la nouveauté, et occultant l’existence et les pensées ordinaires des gens qui se réclament du même genre. Témoignage.

 

Il n’y a plus rien à faire. J’ai tout essayé. Le monde est trop laid, trop lâche et trop cruel. J’ai donc décidé de rester seul avec moi-même, avec mon dégoût du monde et l’horreur de ce que je suis. C’est ça ou la mort. Et quand bien même je le souhaiterais, je ne peux me résoudre au suicide. Je suis trop lâche, je dois me résigner à vivre.

 

Devant l’indifférence du monde, j’ai choisi le silence. Le silence de la colère. Le silence de la douleur. Le silence des mots que la voix ne peut exprimer. Le silence de la solitude. Le silence de la pièce close. A l’abri du monde, replié sur soi, terré derrière ma table de travail. 

 

Parfois je m’imagine être un autre, un de ces hommes qui aime la vie, qui aime sa vie, un de ces personnages heureux, fier de ce qu’il est, de ce qu’il fait et de ce qu’il possède. Moi, je ne suis rien, je ne fais rien. Je ne possède même pas ma vie. C’est à elle que j’appartiens. Et c’est elle qui me livre aux évènements que je me résigne à suivre en geignant et en traînant les pieds.

 

Partout où je passe, je trouve ce genre de personnes qui m’irritent et m’effraient. Et si au fond elles avaient raison ? Ah ! Comme je les hais ! Vous comprenez, n’est-ce pas ? Vous comprenez ma haine du bonheur ? Qu’avons-nous pour être heureux ?

 

Certains jours, on se sent des bleus à l’âme. C’est idiot, je sais, mais c’est ainsi.

 

Seul face à soi-même, seul devant le miroir de l’âme. C’est effroyable. Le néant abyssal. Que peut ressentir un homme à la pensée de sa vie ? Une foule de choses. L’incompréhension et l’absurdité s’il reste honnête.

Chaque soir, je me promène avec mes chiens. Nous roulons quelques temps sur la route qui traverse la garrigue. Je gare la voiture et nous descendons tous les trois. S. souvent nous accompagne. J’aime ces promenades vespérales. Il m’arrive parfois de penser que ce sont les seuls instants de bonheur qui me sont autorisés. Certains jours, je les mange goulûment. Je m’en rassasie jusqu’à plus soif. Et la source se tarit bien vite. D’autres fois, je les grignote du bout des lèvres, délicatement, sans me presser. Le plus souvent, nous marchons en silence. Les chiens sont heureux. Ils courent devant nous, la truffe au sol. Je les regarde suivre leur piste invisible et sinueuse. S. et moi marchons en silence, échangeant parfois quelques mots ; le bonheur d’être là, ici, ensemble, seuls et loin du monde. Nous nous promenons ainsi une heure ou deux, puis nous rentrons.

 

Une journée de plus. Et la mort qui nous cueillera au bout des plus.

 

Un regard fugitif dans la glace. Et ce sentiment de crainte face au temps qui passe. La vieillesse, les rides, les poches sous les yeux, le visage d’aujourd’hui que l’on ne reconnaît plus et celui d’hier à jamais disparu. Le corps qui s’avachit et cette chair molle qui commence à pendre. Depuis bien longtemps pour moi s’est amorcée la longue et lente descente vers la mort. A quand la décomposition des chairs et la putréfaction du corps ? Mais avant de rejoindre ce néant qui m’attend, il me faut me résigner à subir cette longue agonie, cette lente douleur de vieillir.   

 

Il m’arrive de regarder l’ardeur avec laquelle beaucoup camouflent les affres du temps. Je comprends cette imbécillité maladive à vouloir échapper au temps qui passe. Mais comment oublier le désarroi et la désillusion qui nous attendent lorsque la vieillesse venue, le glaive du temps sur notre corps s’abattra. Mener combat contre le temps est le plus vain et le plus illusoire des combats que ne cesse pourtant de mener une armée toujours plus nombreuse de naïfs, conscients pour leur plus grand malheur de leur duperie.

 

Insomnie. Ô insomnie, le jour se lève. Ô insomnie, depuis deux jours déjà tu me livres aux griffes de la nuit !  

 

Je ne suis qu’un pauvre bâtisseur de poussière. Et comment vivre de poussière autrement qu’en rampant ?

 

A trop vouloir exister, j’en oublie de vivre. Quelle bien tragique quête que celle qui ramène immanquablement vers soi…

 

Je n’ai eu de cesse, au cours de cette vie, de m’interroger sur le sens de l’existence. Et toujours, je me suis heurté à l’étroitesse de ma compréhension. Etrange, obscur et absurde phénomène que ce passage ici-bas. Les raisons de cette présence en ce monde m’échappent et m’échapperont peut-être jusqu’à mon dernier souffle. Comment répondre dès lors à une telle question ? Exit donc cette vaine interrogation. Que nous reste-il alors ? Si ce n’est le sens particulier qu’il nous faut donner à cette vie à défaut d’en trouver un plus universel.

 

Axe existentiel ; ligne autour de laquelle se construit notre vie. L’ensemble de nos comportements, de nos pensées et de nos actes (des plus insignifiants aux plus significatifs) s’y conforment ou s’y soumettent.     

 

Je hais cette époque. Mais à bien y réfléchir, c’est moins l’époque, que ceux qui y vivent que je déteste le plus. Tous ces hommes qui ne pourraient vivre qu’aujourd’hui, dans ce monde factice et moelleux qui les protège d’eux-mêmes. J’ai toujours détesté ceux qui entouraient leur vulnérable condition d’homme de quantités de procédés artificiels offerts par le progrès et la modernité de cette époque.

 

Je ne peux m’empêcher de juger mes contemporains. Et en instant, mon idée sur eux est faite. Il me suffit pour cela de regarder leur tenue vestimentaire. Est-elle soignée, excentrique, traditionnelle ? Est-elle sans recherche ? Est-elle négligée ? « L’habit ne fait pas le moine » pensez-vous. En êtes-vous si sûr ? Non ! Croyez-moi ! L’habit révèle bien des choses sur celui qui a revêtu la soutane. Regardez donc ! Que Diable ! Regardez donc l’habit et vous verrez l’importance de l’image et de l’apparence qu’elle revêt chez l’autre.

 

Je me suis toujours senti proche des mal-aimés de cette vie, des ratés, des perdants, des pauvres gens. Je me suis toujours rangé du côté des humbles. Moi qui en avais si honte autrefois, voilà que j’en suis fier aujourd’hui ! Oui, aujourd’hui je suis fier d’appartenir à cette race qu’on appelle les sans-grades.

 

Le temps qui passe, en dépit de son effarante vitesse, est d’une mortelle lenteur. Et pourtant que la vie semble courte ! Et pourtant que le temps passe vite ! Que faisons-nous donc de nos journées ? Beaucoup de travail, beaucoup de sommeil et quelques heures que nous gaspillons en repas, en repos et en tâches ménagères et que nous dilapidons en divertissements et autres menus plaisirs. Mais où est donc la vraie vie ? Quelle est-elle vraiment ? Et comment avoir le temps avec cette vie-là de la découvrir et de la vivre ? J’ai toujours eu le sentiment désagréable de marcher à côté de ma vie et d’en subir une qui n’a jamais vraiment été mienne.    

 

Que faire alors ? Comment se donner l’illusion de choisir pleinement son existence ?

 

Une seule règle peut-être… éviter les contraintes extérieures, celles que nous n’avons pas délibérément choisies. Qui parmi nous n’a jamais eu à subir ces choix (même minimes) imposés par d’autres ? Dieu sait qu’en ce monde les contraintes ne manquent pas ; parents, école, société, travail, collègues, enfants, conjoint, supérieur hiérarchique… Choisir sa vie en son âme et conscience dans la solitude dépouillée de toute forme de contraintes imposées par Autrui. Peut-être est-ce là une solution ? Je l’ignore…

 

Nous cheminons tous sur cette longue route, en marcheurs solitaires et égoïstes, tâtonnant à l’aveugle pour trouver notre sentier dans l’espace désertique du monde.

 

Quant à moi, je poursuis ma route qui m’éloigne chaque jour davantage de la marche du monde.

 

Il n’y aucune vérité à entendre de la bouche du monde. Les hommes devraient se taire et écouter les mystères de leur cœur. 

 

Pourquoi ce qui intéresse les hommes n’est-il jamais l’essentiel ? Souvent je me pose cette question, simple d’apparence, et pourtant… Feignent-ils de l’ignorer ? S’y consacrent-ils en cachette au plus profond de leur solitude et de leur intimité ? N’y songent-ils jamais (j’en doute, mais qui sait peut-être ?). Je les vois s’entretenir avec le plus grand sérieux sur les sujets les plus futiles, dignes d’aucun intérêt. Même les plus intelligents s’y soumettent. Pourquoi ? Et qui suis-je, moi, pour penser que je suis l’un des rares à me préoccuper de l’essentiel ?

 

La vie des hommes est toujours un grand étonnement. Beaucoup choisissent de s’agiter vainement dans le frétillement du monde, soutenant ce que d’autres s’évertuent à combattre, construisant ce que d’autres s’échinent à détruire. L’homme choisit souvent sa vie dans le seul but de se donner l’illusion d’exister.

 

Quelle est la vraie, la seule, l’unique question à laquelle il vaille la peine de répondre ? La question la plus essentielle à la vie de tout chercheur existentiel ? Voici cette question déclinée de trois façons à la fois identiques et différentes !  Quel sens donner à son existence ? Quelle orientation lui donner ? Quelle direction prendre ?

 

Dans la longue liste des astuces qui aident à mieux vivre, l’existence de Dieu est peut-être la plus astucieuse d’entre toutes.

 

Dans ce naufrage du monde, je vois les hommes se perdre et se noyer. Et moi qui n’aspire qu’à quitter le navire en perdition. Partout sur cette terre, je vois la mort, la guerre et la misère, partout je vois l’argent, le pouvoir et le sexe. Et puis je vois encore la mort un peu partout. Toujours je n’ai vu que
cette pauvre rengaine à laquelle personne ne semble pouvoir échapper !

 

Y avait-il auparavant cette odieuse machine à écraser les hommes, ces hommes ordinaires, ces petites gens que nous sommes tous au fond ? N’avez-vous pas senti, ces derniers temps, monter l’insidieuse vermine du collectif, cette tyrannie de la norme, cette globalisation du monde qui étouffe chaque jour davantage notre agonisante individualité ?

 

Hégémonie du capitalisme, dictat des marchés financiers. Triste règles, triste monde ! Productivité, compétitivité, rentabilité, compétence, flexibilité, dynamisme, voilà les nouvelles règles de l’impitoyable jungle du monde qui poursuit son ahurissant travail d’odieuse machine à piétiner les hommes.  

 

Etre comme les autres. Oui, certes… mais avec cette infime différence de n’avoir jamais pu l’accepter…

 

Aujourd’hui, terrible journée d’ennui. Temps vain. Heures vides, minutes inutiles. 24 heures de ma vie envolées, irrémédiablement perdues. 24 heures qui n’ont servi à rien, si qui m’ont permis de m’ennuyer en pleurant sur mon sort… Ah ! La belle affaire ! Serait-ce là la seule activité dont je sois digne ? 

 

La journée idéale devrait être plurielle. J’y mettrais ceci : une activité principale - plaisante et si possible rémunératrice (il faut bien vivre, n’est-ce pas ?), la pose d’une pierre pour les constructions de notre futur proche (projets de tous ordres), des instants de sérénité, de détente et de plaisirs (de tous ordres eux aussi), du temps consacré à son entourage (pour essayer de lui apporter du bonheur), sans compter les inévitables tâches domestiques. A y penser, je dois dire qu’il m’arrive que bien trop rarement de vivre ce genre de journée. Et franchement, je ne saurais dire non plus à qui en imputer la faute…

 

Parfois le vide m’étreint en arrivant sans crier gare pour passer la journée en ma compagnie. Le dimanche en particulier, ce jour si propice à l’ennui. Pourtant, à ce jour béni du repos, j’y songe souvent dès lundi, m’imaginant déjà profiter de ces heures paresseuses, ou programmant quelques activités plaisantes, sûr dès lors de prendre, le fameux jour, du bon temps et de vaquer enfin à ce qui me plaît. Et lorsque arrive dimanche, je m’attèle consciencieusement aux tâches prévues, sans joie ni plaisir, en pensant déjà à lundi. 

 

Le dimanche est un jour bien traître. Aussi perfide que l’ennui qu’il amène avec lui. On s’y traîne sans savoir si l’on va s’en sortir. Et pourtant si. Lundi finit par arriver. L’ennui après l’ennui. A défaut de mourir d’ennui, cette vie est à mourir de désespoir…

 

Les années passent comme les jours, insoucieuses de nos déboires, en traçant ce chemin que nous suivons pas à pas et où je chemine aujourd’hui comme un automate aveugle et ignare. Où et quand ce chemin s’arrêtera-t-il ? « Tais-toi » me dit une voix, « tais-toi et marche ! ». Je me tais et poursuis la marche, le pas résigné et songeur, continuant d’hésiter à chaque carrefour.

 

La joie de construire de ses mains ; bois, pierre, fer, terre… La joie de donner forme. Le plaisir immense – et presque maternel – de donner vie. S’approprier les éléments pour les ennoblir avant de les rendre libres.

 

La réalité est une prostituée qui nous baise. Qui finit toujours par nous baiser. Au début, forcément, c’est très excitant. Mais à la longue, ces rapports s’avèrent bien décevants. Le rêve et l’imaginaire, quant à eux, sont une sorte d’auto-érotisme salutaire où l’on maîtrise ses fantasmes et son impuissance. Personne n’est dupe, mais rêver procure tant de plaisir. Il est bien malheureux de ne rêver jamais. Moi qui hais le rêve, je l’assume très mal. Mais le mensonge et la duperie du rêve me sont plus insupportables encore que le malheur de me frotter (et de me piquer souvent) à la triste réalité de cette existence bien réelle. A bas donc l’onanisme ! Et vive les prostituées !

 

Mieux vaut vivre debout, malheureux et chancelant dans la déstabilisante réalité du monde que couché, heureux et invincible dans l’univers chimérique de ses rêves.

 

Une hirondelle dans le ciel. Une hirondelle qui s’envole, qui virevolte et qui bat des ailes pour lentement se laisser aller dans le vent. Et qui m’envole avec elle. N’est-ce pas là le plus haut degré de la poésie ? Loin, si loin des envolées lyriques, voici l’envolée du cœur qui élève l’âme et qui laisse l’esprit à la traîne. La vraie poésie est là. Le reste n’est que mots sans joie qui nous écrasent.

 

Vivre me fatigue, exister m’épuise. Vivre m’assomme, exister me ronge. Que faire alors ?

 

Les malheurs du monde ressemblent aux miens. Ils sont insignifiants. Ce qui ne nous empêche sûrement pas d’aimer à nous y vautrer avec complaisance. L’apitoiement sur soi est une excuse attendrissante, la colonne vertébrale de nos vies, solide et épineuse. Parfois, il me plairait d’être tétraplégique.

 

Dans la jeunesse tous les horizons des possibles se déploient devant les yeux, accessibles. L’adulte, qui souvent prend conscience qu’aucun il ne pourra atteindre, n’a d’autres choix alors que de se réfugier dans la médiocre banalité dans laquelle, bien sûr, il finit par s’enliser. Alors désabusé et déçu (pour le restant de ses jours), l’homme se résigne à survivre, cheminant cahin-caha à l’ombre de ses rêves en attendant la mort. Quel triste chemin que la vie d’un homme !

 

Sans aspérité sociale frappante. Je suis de ceux-là, de cette race de passe-partout, celle dont on ne peut rien dire, excepté des conneries.

 

Emmaillotés dans la torpeur accablante d’une fin d’après-midi d’été. Piégés. Faits comme des rats. Ils sont – nous sommes – des milliers ici, peut-être des millions, prisonniers de la souricière, étouffant, suffocant sous cette chaleur accablante. Et nous attendons comme une délivrance la douce et caressante fraîcheur de la nuit, les eaux rafraîchissantes du soir pour sortir de notre trou. 

 

L’existence n’est qu’une succession d’efforts. Sur soi et sur les autres. Et aujourd’hui, tout cela me pèse terriblement. Tous ces efforts me semblent bien inutiles. Je ne cesse d’en faire, tantôt pour me supporter, tantôt pour supporter le monde, passant inlassablement de l’un à l’autre. 

 

Aujourd’hui, tout me semble inaccessible. Vivre même est au-dessus de mes forces.

 

En me tournant vers mon passé, je m’aperçois qu’il n’a été qu’une succession d’obligations auxquelles je me suis docilement soumis. Certes, j’ai pu effleurer quelques rêves d’enfant. Et dans mes moments d’euphorie (sorte de brèves et ponctuelles parenthèses dans l’ennui), ces éléments du passé me paraissent même attrayants. Mais, hormis à ces rares instants, tous ces souvenirs me laissent comme un arrière-goût d’insignifiances enfantines.

 

Et qu’en est-il du présent ? Quelle joie ai-je à vivre chaque jour qui passe ? Je n’ai aucune joie à vivre car je ne sais pas vivre… au fond, je ne sais et ne fais qu’essayer d’exister. Et du présent, je ne peux saisir que le sentiment qu’il m’échappe. Non, le présent ne m’a jamais exalté. Son insipidité, oui, je la connais. J’ai cette profonde et douloureuse connaissance de la routine du quotidien, avec cette absence de l’âme, ce vide et cet ennui si caractéristiques du désœuvrement existentiel. Je connais aussi cette obsession un peu folle et un peu maladive de l’avenir, et n’utilise bien souvent le présent qu’à préparer ce futur qui m’angoisse comme pour essayer d’en atténuer l’incertitude. Eternellement pris entre l’enclume (l’insipidité du présent) et le marteau (l’angoisse du futur), ma vie ne peut que crier sa douleur tant elle me confine à la souffrance de vivre, à l’éternelle insatisfaction d’être.

 

Aider les hommes a toujours été pour moi une affaire de la plus grande importance. Mais les hommes m’ont très vite guéri de cet altruisme idéaliste et puéril en me rendant cynique et désabusé. Aussi aujourd’hui ai-je renoncé à les aider. A présent, je suis comme tous les hommes, je ne vis plus que pour moi. Et peut-être même suis-je le pire d’entre tous… car aujourd’hui, je vis comme un misanthrope égoïste et indifférent au monde qui ne feint même plus l’amour et la compassion pour son Prochain. 

 

Nous sommes seuls. Evidemment, nous sommes éternellement seuls. De la naissance à la mort. Et entre ces deux extrêmes, nous entourons notre solitude de présence(s) pour oublier ou pour atténuer cette souffrance de cheminer seul dans le monde. Mais que peut la présence d’autrui face à l’intrinsèque solitude qu’est la nôtre ? Face à cette solitude qui fait de nous des êtres foncièrement et irrévocablement livrés à nous-mêmes ?

           

Ce matin, le ciel est bleu. Par la fenêtre, j’aperçois les zébrures écumeuses de quelques nuages lointains. Les feuilles des arbres sont vertes. Le printemps renaît. Dehors, les gens ont l’air heureux. J’entends leur voix gaie. Leurs éclats de rire joyeux. De quoi se réjouissent-ils ? Décidément, je ne comprendrais jamais les hommes.  

 

Depuis plus d’un mois, la guerre fait rage à quelques encablures d’ici. Matin et soir, les médias nous abreuvent d’informations. Pédagogues, ils nous expliquent la situation. Elle est très simple. Les gentils luttent contre les méchants. Les gentils massacrent les méchants en représailles des massacres que les dits-méchants ont perpétrés. Ô homme, barbare grégaire et  belliqueux quand révèleras-tu à ce monde infâme et mensonger la noblesse de ta bonté ?

 

Chose étonnante que le sexe dans ce monde où le phallus trône comme un roi dur et intransigeant parmi cette masse molle de pensées contemporaines! Oui, que d’histoires et que de mystères pour cette si petite chose qui pend entre les jambes des mâles. Ne les avez-vous jamais entendu  ces pâles pourlécheurs de trous fétides, toujours à bramer la gloire de la puissance virile, l’ingéniosité libidineuse, la multiplication des conquêtes et je ne sais quel autres forfanteries ! Ah ! Le beau mythe du sexe que voilà qu’on nous donne à entendre ! Bien faire l’amour, toujours plus de plaisir et de jouissance à offrir à son partenaire, X fois par semaine… Oh ! Que de mensonges et de fausses évidences pour ce petit plaisir fugace et souvent si médiocre ? Pourquoi tant de fallacieuses croyances en matière de sexe ? Comme si l’homme éprouvait cette nécessité de se tromper lui-même pour mieux oublier son intrinsèque solitude…

 

L’homme pourrait-il d’ailleurs vivre sans sexe ? Bien des gens, je crois, en seraient incapables. Sans cette petite joie, nos vies seraient encore plus… comment dire ? Invivables. Moi-même, lorsque cette jouissance ne m’est pas accordée, je suis pris d’une obsession paralysante qui fige ma vie en une seule pensée, celle de voir satisfaite au plus vite cette envie de plaisir. Cette petite chose est décidément bien étrange… Que cache-t-elle au fond ? Franchement, je ne saurais le dire…

 

Qu’y a-t-il à dire aujourd’hui ? Rien… ou peut-être si, une seule chose, que le dépouillement est le seul vêtement que je souhaiterais revêtir. J’aime la sobriété et la simplicité. J’aime le contraire du foisonnement. J’aime ce que jamais je ne pourrais être. Si pourtant. A cet instant même, où toute mon âme tend vers la simplicité, à cet instant où j’écris ces mots si simples…

 

Toujours j’oscille entre celui que je suis et celui que je souhaiterais être. Et cela m’écartèle, sans cesse, sans aucun répit, comme un condamné à perpétuité.

 

De quoi ai-je réellement besoin ? Je regarde un instant l’endroit où je vis, encombré d’une foule de choses inutiles dont j’aimerais me défaire pour les mettre hors de ma vie. Ainsi, il y a quelques temps, je me suis surpris à vouloir me raser la tête. Et je l’ai fait. Entièrement, obéissant à ce même désir de dépouillement. Dépouillement passager, encore trop lâche pour oser m’engager sur la véritable voie du dépouillement, absolu et irréversible.

 

Il m’arrive souvent d’imaginer un endroit dénudé aux murs blancs. Une cellule monacale ou carcérale peut-être. Une pièce réduite à s plus simple expression. Quelques livres sur une étagère. Les essentiels ; Gorki, Bobin, Cioran, Butten, Hesse, Pessoa, un dictionnaire. Une machine à écrire posée sur une table, quelques feuilles blanches dans un paquet déjà entamé. Quelques crayons dans un gobelet. Un lit, quelques vêtements – pas trop – un ou deux ustensiles de cuisine. Tout serait là, à sa place, sans ordre particulier. Et dans cette pièce, je vois un homme assis à sa table de travail qui achève son repas. Tranquillement. Puis l’homme se lève pour aller préparer le café. Il se sert une tasse et revient s’asseoir en humant l’odeur du café qu’il boit à petites gorgées. Son café achevé, l’homme lève la tête pour contempler le ciel à travers la haute lucarne de la pièce. Il entend le gazouillis des oiseaux. Et il ferme les yeux pour mieux les écouter. Il reste comme cela un instant. Puis il se lève et va rincer la tasse qu’il pose dans l’évier. L’homme regarde alors autour de lui puis saisit sa veste suspendue à la patère accrochée derrière la porte. Et il sort.

 

Je voudrais être aussi étranger au monde qu’il me reste étranger. Comment faire ?

 

Qui suis-je, moi qui me resterai à jamais inconnu et qui emporterai mon mystère dans la mort. Mais au fond, peut-être, en est-il mieux ainsi ? 

 

Les hommes m’insupportent ou m’ennuient. J’aimerais tant qu’ils m’indiffèrent. Je connais que trop leurs jeux stupides. C’est un misérable spectacle. Je voudrais fuir le monde pour vivre seul, seul, seul. Mais c’est impossible, je m’insupporte déjà…

 

Je n’ai jamais pu franchir le seuil de la médiocrité. Je l’ai toujours suivie fidèlement, pas à pas, dans toutes les ornières où elle m’a traîné. Oh qu’est terrible la médiocrité ! Elle vous enfonce plus bas que terre. Et lorsqu’on en prend conscience, il est trop tard, elle a déjà fait son œuvre. Et il n’est plus possible de vivre autrement que sous sa botte, à moitié enseveli sous la terre. Subsiste pourtant, le vain espoir de s’envoler. Pauvre rêve…Une motte de terre ne peut rêver d’envol. Dans la terre, elle restera, à jamais condamnée. Et le temps la fera boue, puis glaise, et elle finira poussière, soyez-en sûr !

 

L’écriture est un exercice cathartique, une sorte d’exutoire thérapeutique inoffensif où l’on peut déverser sa violence sans se détruire ni porter préjudice à autrui. On peut s’y perdre et y sombrer. Mais le plus souvent, l’écriture nous sauve de nous-mêmes et de cet abîme d’avec le monde. Je crois que j’écris pour cette raison, pour ne pas sombrer dans la folie de la destruction systématique de cette inhumanité que je porte en moi et que le monde porte en lui.

 

Le monde ne survivra pas à ma mort. Il s’éteindra avec elle. Car c’est moi qui l’aie créé, de toute pièce, à mon image, dans cet esprit confus qu’est le mien. Et ma mort balaiera ce monde sans le moindre regret.

 

Après ma vie, il y aura la mort et le vide. Mais ma vie en contient déjà tant que le dépaysement ne sera que pour les autres. Et je crains pourtant que le monde indifférent continuera de tourner, plus indifférent encore. Tant pis ou alors tant mieux, car je mourrai comme j’ai vécu, incompris, inconnu et mal aimé. Et j’irai dans la mort seul et libre, avec cette liberté et cette solitude qui m’ont fait traverser la vie.

 

14 novembre 2017

Carnet n°2 Le naïf

Fiction / 1998 / La quête de sens

Dans cette fresque guignolesque de notre monde contemporain, l’auteur nous livre certaines de ses expériences, des instants de vie insignifiants (et tous d’une bien triste réalité) que vous avez-vous-mêmes très certainement subis, contournés ou traversés. Son mérite (mais en a-t-il vraiment ?) ne réside guère dans la générosité accablante de ces pages naïvement acides, mais tient tout entier (même si ça peut nous paraître bancal et bien étrange) dans son acharnement (il est vrai fort velléitaire) à continuer d’aller dans la vie, comme ça, juste pour voir.

 

 

Prologue

Il me l’avait bien dit. J’étais prévenu. Je me rappelle encore le ton de sa voix, l’intonation bizarre qu’il prenait lorsqu’il m’assenait SA phrase : « tu verras quand tu seras grand ». Mon père me l’avait toujours dit, il avait bien dû me la répéter des millions, peut-être des milliards de fois, le problème c’est que j’ai toujours rien vu, pas l’ombre d’une vision.

 

Pourtant je suis grand, j’ai la trentaine bien tassée. J’ai eu des jobs et même une fois presque un vrai travail, comme lui. Aujourd’hui, j’ai quelques cheveux blancs et mes petits soucis. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu avec mon père, mais je ne sais pas pourquoi, j’ai peine à imaginer que nous avons les mêmes… soucis. Faut dire que j’ai pas encore d’enfant et crois bien que c’est pas de si tôt que j’en aurais, vu que pour l’instant, je suis encore seul, et que vraiment pour rien au monde j’échangerais ma solitude contre une poupée gonflable qui ferait des faux plis en repassant mes chemises. Parce que premièrement, moi, dans les histoires de cul ce que je préfère c’est la tendresse (et allez expliquer ça à une poupée gonflable !), et que deuxièmement, j’aime pas porter des chemises surtout quand elles sont repassées.

 

Dans ma vie, j’ai bien connu quelques trucs, des expériences, des gens et même des filles, mais ça n’a jamais vraiment marché. D’ailleurs, tout le monde le disait, c’était de ma faute si ça ne marchait pas. Mais moi ce que je crois c’est que j’étais un peu trop différent (je peux pas bien vous expliquer, mais ça se sent ces choses-là). Pour eux, c’était moi le coupable, celui qui veut toujours ce qu’il n’a pas et qui embête tout le monde en répétant que ce n’est pas vraiment de sa faute s’il cherche tout le temps des trucs impossibles que personne ne peut lui donner. Aujourd’hui, je ne suis pas sûr que je dirais encore ça, mais en fait j’en sais trop rien. Je crois que je suis comme les autres pour ça : j’arrive pas à donner aux autres ce qu’ils veulent. Faut dire aussi que j’arrive même pas à me donner les trucs que j’ai envie. Et là, je vous parle pas des trucs à acheter, non, ça serait plutôt des trucs qui s’achètent pas, c’est plutôt ça que j’ai envie d’avoir.

 

Mais avant que je vous raconte mon histoire, il faut que vous sachiez une chose : j’ai la tête vide et j’arrive pas à fixer les trucs qui me passent par la tête. Ça vient, je sais même pas comment, ça repart, et là c’est pareil, je sais pas pourquoi. Entre les deux, je sens que ça bouge à l’intérieur, ça remue vachement, ça doit se cogner contre les parois en faisant des échos, et puis quand le dernier écho a disparu, tout disparaît. C’est pourquoi, quand je veux suivre une idée, je suis obligé de remuer très fort à l’intérieur de ma tête, c’est pour retarder le dernier écho. C’est peut-être pour ça que ceux qu’on appelle les fous, ils se balancent tout le temps d’avant en arrière, c’est pour garder leurs idées. Faut pas qu’ils arrêtent de se balancer, sinon ils perdraient leurs idées, et ils deviendraient comme les autres, ceux qui croient qui sont pas fous et qui ont un peu la tête vide, même s’ils ne le savent pas.

 

 

Chapitre premier

Mes plus belles années, je les ai passées dans la tête de mes parents, lorsqu’ils ne m’avaient pas encore conçu et qu’ils avaient tout le loisir de m’affubler de toutes les qualités du monde. Bref lorsqu’ils pouvaient encore s’imaginer mettre au monde un être idéal, beau, gentil et intelligent, un être qu’il y a bien longtemps je ne m’efforce plus de devenir. Ça demanderait vraiment beaucoup trop de travail. Après ces merveilleuses années, ça s’est drôlement gâté. Pendant toute sa grossesse, ma mère a été malade. Des douleurs atroces à vous faire passer l’envie d’avoir des mômes. A peine sorti de la matrice maternelle, j’ai bien senti que déjà elle m’en voulait. Comment pouvait-on souffrir à ce point pour engendrer une chose pareille ? La grossesse avait déjà tué dans l’œuf son embryon d’amour maternel. Après, comment voulez-vous réussir dans la vie avec ce genre d’entrée dans le monde ?

 

Les premières années, ma mère ne me sortait pas ; elle avait déjà honte d’être ma mère, alors pourquoi aller s’en vanter au dehors ? Je suis resté enfermé jusqu’à mes 6 ans, âge où mes parents n’avaient plus le choix, ils devaient me laisser sortir pour aller à l’école. Pour compenser ma bien précoce laideur, ma mère avait décidé de faire de moi un petit singe savant, laid, mais savant. Peut-être avait-elle en tête l’idée un jour de se remettre à travailler (elle avait arrêté son travail pour ma naissance), et je la soupçonne d’avoir eu le projet de monter à mon insu un spectacle de cirque. Ça serait bien là une preuve supplémentaire de l’esprit pragmatico-artistique de ma mère. Oui, ma mère a toujours eu un esprit pragmatico-artistique, partant du principe que l’art devait bien servir à quelque chose. Jusqu’à mes 6 ans, j’ai donc subi les plus atroces tortures préscolaires qu’un enfant puisse subir. A 2 ans, je savais compter l’alphabet, épeler les chiffres et additionner les mots. Ma mère qui n’avait qu’une instruction limitée avait dû commettre quelques ratés dans ses méthodes pédagogiques. Mais peu soucieuse des théories doltoniennes, elle me gavait du peu qu’elle avait elle-même appris, et qui plus est mal appris. J’avais donc forcément beaucoup de mal à ingérer cette bouillie infâme. A 4 ans, je savais l’heure, à l’endroit, à l’envers et même de travers, un peu déboussolé par la cadence de cet apprentissage forcé.

 

Toutes mes journées je les passais dans le parc que mes parents avaient tout exprès acheté pour moi. Mon père qui a toujours été très bricoleur me l’avait personnalisé. Guidé par les directives de ma mère, il avait remplacé les mailles du filet par des barreaux d’acier, recouvert le dessus par une grille métallique, surmontée de fil barbelé. A l’intérieur, il avait fabriqué une petite cage dans laquelle je ne pouvais ni me coucher, ni me tenir debout, ni même m’asseoir, lieu qu’ils avaient prévu en cas de fortes agitations ou d’éventuelles rebellions. Impressionnés par les résultats de certaines méthodes éducatives néo-féodales qu’ils avaient découvertes lors d’un reportage télévisé, ils avaient décidé de mettre à profit et surtout en application les moins traumatisantes d’entre-elles, preuve indéniable que mes parents, loin d’être des bourreaux sanguinaires, étaient des éducateurs sensibles, ouverts et larges d’esprit, parce que ce qu’ils désiraient le plus, c’était de me voir heureux et surtout à leur image. A l’intérieur, ils avaient mis mon nounours, une trentaine de livres d’images et un martinet. Et c’est comme ça entouré de tous mes jouets que mon enfance se déroula. 

 

Chaque jour ma mère surveillait mon apprentissage. Le matin, elle me donnait le programme de ce que je devais apprendre dans la journée, et en début d’après-midi, elle vérifiait si j’avais bien appris mes leçons. Oh ! Pas grand-chose, à peine une dizaine de pages par jour. Elle s’asseyait derrière le bureau qu’elle avait mis près de mon parc, et me faisait répéter, une grande règle en fer à la main, les lignes d’écriture et de calcul qu’elle avait écrites sur le petit tableau noir qu’elle avait pris la peine de fixer au mur, juste derrière son bureau. Souvent après quelques heures, quand elle me sentait réfractaire à tout apprentissage, elle m’enfermait dans ma petite cage pour quelques instants et pour mon bien me disait-elle. Quelques heures ou quelques jours après, elle me libérait, et c’était toujours les larmes aux yeux qu’elle me permettait de réintégrer l’espace moins exigu de mon parc. Elle pleurait en gémissant, en disant qu’elle était trop faible, qu’elle s’apitoyait trop, qu’elle devrait être plus sévère mais qu’elle n’y arrivait pas.

 

C’est vrai, il faut l’admettre, toute mon enfance a été bercée d’amour. Une affection débordante de coups de triques. J’ai reçu une éducation stricte, un rien rigide comme peut l’être un martinet, l’outil éducatif préféré de mes parents. Très tôt, ils ont voulu me bourrer le crâne de leurs sacro-saints principes familiaux ; sacrifices, sens de devoir et amour du travail bien fait. Des principes véhiculés depuis des générations et des générations. Je peux vous dire que quand ils sont arrivés chez moi, ils avaient un sacré goût de poussière. Ça tombait mal, j’étais allergique. Résultat, j’ai pas pu en avaler un seul. Aujourd’hui, je suis plus du tout allergique, mais je peux toujours pas les gober, leurs principes. Ça doit être l’habitude, le principe de ne pas en avoir…

 

Sinon le reste de la journée, une fois mes leçons récitées, je pouvais m’amuser comme je voulais. La plupart du temps, je jouais avec mon nounours. Je lui faisais réciter les leçons que je lui avais données. Je prenais un de mes livres d’images et il devait me raconter l’histoire. Et quand lui aussi il était réfractaire, je lui montrais le martinet, mais ça n’avait pas d’emprise sur lui, alors je lui enlevais sa culotte et je le tapais de toutes mes forces, pour son bien que je lui disais.

 

Le soir quand j’avais pas été puni ou qu’on m’avait pas mis dans ma petite cage, j’avais le droit de sortir de mon parc. Ma mère me mettait près de la fenêtre pour que je regarde dehors. Je regardais les gens en bas qui marchaient dans la rue. Quand je voyais mon père arriver, j’allais l’attendre derrière la porte, et des fois, quand ma mère était de bonne humeur parce que j’avais vraiment bien récité mes leçons, je pouvais même aller l’attendre sur le palier en haut des marches. Mais ça c’est pas arrivé souvent, peut-être 2 ou 3 fois. La plupart du temps ma mère, elle était pas de bonne humeur, et c’était à cause de moi, elle disait parce que j’étais pas un bon fils.

 

Après, on se mettait à table. Ces jours-là, j’étais heureux parce que moi je trouvais que c’était bien d’être réunis comme ça tous les trois. Je préférais ça aux jours où j’étais puni, c’est-à-dire presque tout le temps, et où je devais manger tout seul dans ma cage mon menu « spécial punition » : les restes de la pâté de Toby, notre chien, pour que je devienne plus obéissant, ma mère elle disait. La plupart du temps, mes parents, ils mangeaient sans moi. Je les entendais de mon parc. Mon père, il racontait sa journée et ma mère, elle poussait de gros soupirs comme pour lui dire qu’il racontait toujours la même chose, ce qui était vrai d’ailleurs, je m’en aperçus plus tard. Après ma mère débarrassait la table, je la voyais par la porte entrouverte se diriger vers la cuisine avec les assiettes sales, puis elle faisait la vaisselle, et quand elle avait fini, elle rejoignait mon père devant la télé. Lui, je l’entendais ronfler. Chaque soir, il allumait la télé, et à chaque fois, au bout de 5 minutes, il s’endormait. Ma mère s’asseyait à côté de lui, puis au bout d’un moment, quand il ronflait vraiment trop fort et qu’elle pouvait plus suivre son film tranquillement, elle l’envoyait se coucher. Toujours, elle râlait après lui en lui disant que c’était un bon à rien et qu’elle en avait marre de cette vie. Après, quand elle se retrouvait seule devant la télé, souvent elle pleurait. Elle restait comme ça un long moment. J’entendais ses sanglots par la porte, puis après, avant d’aller se coucher, elle nettoyait partout, elle passait l’aspirateur dans le salon, le balai dans la cuisine, et je l’entendais refaire la vaisselle qu’était déjà propre comme si elle voulait tout nettoyer dans sa vie pour que ça brille comme un sou neuf. Presque tous les soirs c’était pareil. Ils sortaient jamais et jamais personne venait chez nous, sauf une fois par an pour mon anniversaire. 

 

Chaque année, mes parents invitaient toutes leurs connaissances ; mes grands-parents, mes oncles et mes tantes, et même une année y avait les voisins d’en face, ceux qui habitaient le même palier. C’était pour eux une occasion à ne pas manquer, une façon de garder des liens forts et de prouver qu’ils étaient une famille unie, et pour moi de recevoir des cadeaux qui me changeaient un peu des accessoires éducatifs (livres et martinet) dont mes parents me comblaient le reste de l’année. On les recevait toujours un samedi. Chacun trouvait que c’était le jour idéal parce que ça ne perturbait pas leur emploi du temps de la semaine, tous s’accordaient à dire qu’en général le samedi était réservé aux grands évènements ; les anniversaires, les mariages, les grands nettoyages, les sorties parce que tous ils disaient que c’était un jour où ils ne savaient pas quoi faire et qu’ils préféraient sortir même pour des corvées que de rester chez eux à s’emmerder. En général, ils arrivaient tous vers midi. Toute la matinée, ma mère devait rester à la cuisine pour préparer le repas. En même temps, elle devait mettre la table, nettoyer et laver partout, passer la poussière sur tous les meubles parce qu’elle voulait pas qu’on dise que chez elle c’était sale. Elle sortait son « argenterie » et le service de 12 pièces en porcelaine de Limoges que la famille lui avait offert pour son mariage. En le lui offrant, ils avaient dit : « comme ça tu pourras le sortir une fois par an, quand tu nous inviteras ». A l’époque, ils la connaissaient pas encore, mais ils s’étaient pas gourés. Mon père lui il avait pas le temps de l’aider parce qu’après son  PMU et son loto, il devait démonter mon parc pour le ranger à la cave. Mes parents, ils voulaient pas montrer à ma famille leurs méthodes d’éducation, ils voulaient juste montrer le résultat. A chaque fois, j’avais droit à la même histoire, mes parents me disaient avant que tout le monde n’arrive, que je devais faire attention à bien me comporter, que je devais leur faire honneur et montrer à ma famile que mes parents avaient un petit garçon intelligent. Pendant tout l’après-midi, mes parents me posaient des questions et je devais répondre sans hésiter pour épater la galerie. Tout le monde faisait semblant d’être en admiration et ils me complimentaient avec de grands « c’est bien, c’est bien, mon petit », mais ils n’en pensaient pas moins. Et ça mes parents, ils devaient pas vraiment s’en rendre compte, parce que ma mère, qui ne pouvait s’empêcher de rougir de fierté, elle disait toujours en prenant un air modeste : « oh ! ce n’est rien vous savez, il en sait tellement plus, et il apprend avec tant de facilité, comme ça tout seul sans qu’on lui demande rien », et après elle continuait à m’interroger, comme ça l’air de rien.

 

En général, ils arrivaient tous avec un bouquet de fleurs pour ma mère et surtout pour pas arriver les mains vides. Moi selon les années, j’avais droit à une petite voiture, un appareil à bulles, ou à un paquet de 10 ballons - des ballons à gonfler -, et même un jour - je devais avoir 5 ou 6 ans – une de mes tantes, elle m’a donné 30 frs. Et puis elle a ajouté : « je savais pas quoi t’offrir, alors j’ai pensé que comme ça tu pourrais choisir toi-même » et puis elle s’est penchée vers mon oreille et elle m’a dit tout bas : «  30 frs. tu sais c’est beaucoup pour ton âge, en tout cas c’est beaucoup plus que ce que tes parents donnent pour l’anniversaire de Romain qui est déjà grand (Romain, c’est mon cousin et à l’époque, il devait avoir 20 ans) ». C’est comme ça que j’ai appris que les cadeaux quand on les faisait, fallait que ça vienne du cœur. Après on passait à table. Ma mère, elle avait mis les petits plats dans les grands, alors ça durait vachement longtemps à cause des petits chichis que d’habitude jamais on faisait. Ce jour-là, y avait au moins 3 fourchettes, 3 couteaux, des trucs pour les poser quand on avait fini, 4 verres différents, et je parle même pas de la carafe en cristal et du plateau à fromages. Ce qui était le plus marrant, c’est que tout le monde faisait comme s’ils avaient l’habitude de se servir de tous ces trucs, mais moi je voyais bien qu’ils savaient pas, ils se trompaient tout le temps et ils regardaient les autres pour voir s’ils s’en étaient aperçus. Quand mes parents ne me faisaient pas réciter les trucs que j’avais appris pour épater la galerie, ils parlaient des histoires de la famille ou alors des dernières vacances. Mon père sortait les photos (mon père adore la photo), et il faisait passer les albums. Les autres, ils tournaient les pages très vite sans regarder en disant « ah oui, c’était chouette comme coin, et vous avez eu beau temps ? ». Quand ils avaient épuisé le sujet, ils parlaient des prochaines vacances, qu’ils savaient pas très bien, mais qu’ils voulaient un peu changer d’endroit, on leur avait parlé d’un camping à 5 km de celui où ils étaient l’année dernière. Quand on passait au café, en général il était déjà tard. Et tout le monde s’était suffisamment emmerdé comme ça, personne n’avait plus rien à dire, alors ils disaient qu’il était déjà tard et qu’ils voulaient éviter les embouteillages pour rentrer, et qu’ils avaient tous passé une très bonne journée et que vraiment mes parents c’était des gens qui savaient recevoir. Alors tout le monde se disait au revoir, et de faire bien attention pour rentrer (un malheur est si vite arrivé). Après quand tout le monde était parti, ma mère rangeait tout et mon père allait à la cave et il remontait mon parc. Ça prenait toute la soirée, et le lendemain notre vie reprenait son cours.

 

 

Chapitre 2

Afin de m’habituer à la lumière du jour, que je n’avais pour l’instant qu’aperçue par la fenêtre, quelques jours avant ma rentrée au CP, ma mère a décidé de me sortir. Jusque-là je ne connaissais le monde qu’à travers les livres dont elle m’abrutissait à longueur de journée. A quelques jours de la rentrée des classes, je savais déjà lire, écrire et compter. J’avais aussi quelques connaissances de chimie, de géopolitique et de philosophie (comment avait-elle pu me faire ingurgiter ce genre de choses, elle qui n’était même pas foutue de comprendre la différence entre le CO2, Kant et le Lichtenstein ?). La dernière étape préscolaire de son enseignement consistait à me montrer la réalité pour que je puisse la confronter à mes connaissances très théoriques et somme toute très embrouillées. Elle me sortit donc pour la première fois en cette fin d’été. Elle me mit une cagoule, prétextant qu’au dehors, l’air que je ne connaissais pas encore, serait froid et plein de microbes. Il fallait donc que je me protège. Mais moi, je savais bien - et ça je ne l’avais pas appris dans les livres - qu’elle voulait surtout se protéger de ma laideur. Je la suivais donc en laisse à côté de notre chien Toby.

 

Quel choc ! Que le monde me parut vaste à cette époque, infiniment agité et effrayant. Cette première rencontre avec la réalité me fit si peur que depuis je n’ai jamais cessé de la fuir. Caché derrière ma cagoule, j’apercevais les gens, partout la même face terne et morose, le pas rapide, les yeux indifférents, courant dans tous les sens après des trucs qui semblaient leur échapper, puisque jamais ils ne s’arrêtaient, après j’ai appris que ça s’appelaient des occupations. Dès la première seconde, je me sentis agressé par cette foule anonyme, submergé par ce trop-plein d’humains. Derrière chaque visage, je voyais leur rire, je sentais malgré leur apparente indifférence leurs yeux me fixer, dévisager ma laideur cachée. J’avais l’impression que tous me dévisageaient cruellement, que tous s’étaient ligués avec ma mère pour se moquer de moi. D’un coup, je me sentis orphelin, totalement seul, abandonné de tous, le seul être humain parmi des extra-terrestres, livré en pâture aux moqueries et aux railleries muettes de la foule. Je me sentais au centre du spectacle malgré moi. Depuis j’ai peur des hommes et la seule présence de quelques personnes, le moindre groupe me fait si peur que je fais tout pour les éviter. Combien de kilomètres n’ai-je pas déjà faits pour contourner la moindre trace de vie humaine aperçue au bout de la rue ?

 

Lorsque la rentrée des classes arriva, ma mère m’accompagna à l’école. A peine franchi le portail, j’échappai à sa vigilance (pour cette deuxième sortie, elle n’avait pas pris la laisse), et je m’enfuis en courant. Je courai sur la rue, au milieu des voitures et des klaxons, poursuivi par ma mère et deux dames de service de l’école, qui alertées par mes cris stridents vinrent à sa rescousse. Quelques rues plus loin je fus rattrapé. Je reçus une mémorable raclée dont les marques sont encore gravées dans ma tête. Ma mère me décocha une gifle effroyable sur l’oreille. J’entends encore le sifflement de la main fendant l’air avant l’impact. Puis, plus rien, je suis tombé dans les pommes. Aujourd’hui, il me reste juste le souvenir et ce bourdonnement dans l’oreille qui ne m’a plus jamais quitté ; tympan éclaté. Non contente de m’avoir prouvé son amour maternel un peu excessif, elle m’enferma la journée entière dans le cellier, entre la commode à chaussures et la caisse du chat, m’obligeant à rester à genoux sur le carrelage froid et malodorant. « Pour m’en souvenir » avait-elle dit. C’était une punition qu’elle avait certainement lu dans le nouveau manuel pédagogique, qu’elle avait tout exprès acheté pour la rentrée scolaire et mes premiers pas dans le monde : « triques, martinet et ceinturon dans l’apprentissage de la vie en société ou comment inculquer à votre enfant les bonnes manières ». Bref, une façon pour elle d’expérimenter ses théories toutes personnelles sur son cobaye de fils. C’est bien des années plus tard que je compris pourquoi elle m’appelait toujours son petit rat. Ce premier jour d’école fut donc une véritable catastrophe qui inaugura une longue suite de déboires et de mésaventures scolaires, où j’appris très vite à devenir un cancre modèle.

 

A part  l’école, où je m’emmerdais ferme, je restais chez moi, où je m’emmerdais tout autant. On habitait près de Paris, la capitale des con centrés sur eux-mêmes. Nous, on était peut-être cons aussi, mais on habitait pas Paris. Juste en banlieue, mais c’était quand même la ville. Et moi, j’ai jamais aimé la ville. Le mercredi, y avait pas d’école, alors je regardais la télé. J’avais pas le droit d’aller jouer avec les autres sur le béton des trottoirs, ni sur la fausse herbe du stade qu’il y avait près de chez moi. Alors je restais devant la télé pour regarder Ben. C’était un super téléfilm qui racontait les aventures d’un môme qu’était le fils d’un directeur de réserve au Canada. Et son plus grand pote, c’était Ben, un ours qui ne le quittait jamais. Alors moi, tous les mercredis, pour rien au monde j’aurais loupé un épisode. Après dans l’appartement, je jouais à comme dans Ben. Je montais sur l’armoire, après je sautais sur la table du salon, et delà je me pendais au lustre pour atterrir sur le canapé. Moi aussi, j’avais mes aventures. Et toujours j’emmenais Ben avec moi, - c’était le nom de mon nounours. J’avais 10 ans et je rêvais de grands espaces. Sur le balcon, juste en face j’apercevais de grandes montagnes, les hautes tours de ma cité HLM. Dehors, c’était la jungle, avec des tribus drôlement dangereuses ; des grands noirs avec des grands bâtons au bout arrondi et des trucs à l’envers sur la tête, qui n’arrêtaient pas de pousser des cris de ralliement : « yoo , yoo, yoo ». Moi, j’imaginais que c’étaient des terribles guerriers cannibales, et qu’ils voulaient m’attraper pour me faire cuire dans leur grande marmite avant de me manger. Mais j’avais pas peur, j’avais Ben pour me défendre. Et puis j’étais sur le balcon, au 14ème étage, caché derrière les bégonias de ma mère, avec ma tenue de camouflage que j’avais découpée dans les rideaux. J’étais courageux mais pas téméraire, alors je descendais seulement quand toute la tribu était partie. Moi aussi, comme dans Ben, je voulais vivre des aventures pour sauver des animaux. Alors quand je descendais, je construisais de petites barricades pour protéger les fourmis contre les oiseaux et les gosses qui les écrasaient. Moi aussi, avec Ben, mon nounours, on était des héros.

 

Jusqu’à mon entrée en 6ème, toute ma scolarité se déroula tant bien que mal, et pour la plupart des matières, c’était plutôt bien mal. Fort de l’instruction quelque peu confuse que m’avait fait avaler ma mère, je m’ennuyais au fond de la classe, écoutant distraitement les bribes d’un enseignement un peu plus orthodoxe mais non moins ennuyeux. Je complétais ainsi mes connaissances. Plus exactement je tentais de remettre à l’endroit ce qui pouvait encore l’être. Les journées et les années passèrent ainsi, toutes profondément ennuyeuses. Dans la classe, on m’avait attribué la place du fond, près de la fenêtre et du symbolique radiateur, isolé du reste de la classe par 3 rangées de tables. Pour que je puisse dormir en paix sans déranger les autres élèves. La plupart du temps je sombrais dans un état quasi comateux, en maths, en bio et en physique, puis passais à une somnolence agitée pour les cours de géo et de français, pour m’éveiller tout à fait au moment de sortir pour la récréation, annoncée par une sonnerie stridente qui en général me sortait d’un rêve. A l’école, ce que j’ai le plus appris, c’est à rêver, une façon comme une autre d’apprendre la vie, mais comme ce n’est pas une matière notée, je pense pas que ça soit la voie la plus reconnue pour devenir grand. Mais je m’en foutais, notée ou pas notée, moi je trouvais que c’était une matière merveilleuse, où l’on ne s’ennuyait jamais. Comme d’autres peuvent être forts en thèmes, moi j’étais fort en rêves. Faut dire que si j’étais fort, c’est que je travaillais beaucoup, surtout pendant les autres matières. Des rêves merveilleux qui me transportaient très loin, moi le petit cancre à la vie immobile, coincé entre des parents invariablement autoritaires et la monotonie permanente des heures de classe. Les rêves, c’était la plus belle des matières, où j’apprenais tout en même temps, la géo, l’histoire, le français, les sciences. Moi, souvent, j’étais aventurier ou sultan en Asie ou en Afrique, j’aidais les hommes ou les animaux, je construisais des villes, des pays entiers, et plus rien pour moi n’avait de secrets. Tout était facile, si facile à apprendre alors je me disais « qu’ils aillent se faire foutre avec leurs livres et leurs cahiers », et je repartais dans mes rêves, la tête dans mes bras, bien calé près du radiateur.

 

Les autres, je sais pas s’ils rêvaient. En tout cas, ils le faisaient pas pendant les cours. C’était marrant de les voir assis bien droit, l’air sérieux, le crayon à la main et le cahier ouvert devant eux. Quand je ne rêvais pas, mon passe-temps scolaire favori, c’était de les regarder. Pour ça, y a pas meilleure place que tout au fond de la classe près du radiateur. La vue est imprenable. L’observation des autres, ça non plus c’était pas une matière notée, dommage j’aurais eu de drôlement bonnes notes, et peut-être même les encouragements ou les félicitations. J’ai jamais redoublé en primaire, allez donc savoir comment j’ai fait ? Moi, je pense qu’ils laissaient passer tout le monde, moi j’étais pas comme tout le monde, mais je suis passé quand même. Chaque année, dans la classe, y avait 2 ou 3 binocleux qui se ramassaient tout le temps les meilleures notes. Les autres, ils couraient comme des dératés derrière. Mais jamais ils ont pu les rattraper. Les maîtres, ils appelaient ça, l’émulation, ils disaient que c’était vachement important dans une classe parce qu’après dans la vie c’est pareil. Et même si t’es pas bon, tu dois quand même rester dans la course. Mais moi, je m’en foutais de ce qu’ils disaient les maîtres, j’aime pas courir comme ça parce que tout le monde court. Je savais même pas où on allait, j’allais quand même pas y aller en courant. Les autres, y se décourageaient pas, même ceux qu’avaient un point de côté. Ils essayaient de rattraper ceux de devant, y pouvaient toujours courir, je vous le dis moi.

 

Du CP au CM2, j’ai donc acquis l’essentiel de mes connaissances scolaires. Pourtant le seul souvenir qu’il me reste aujourd’hui c’est l’atmosphère tiède et ennuyeuse des salles de classes où je traînais ma lassitude d’année en année. Le soir en rentrant à la maison, je ne pouvais cependant pas échapper aux habituels questionnements maternels : « alors qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? ». « Ben à la cantine, on a mangé des sardines, et après y avait des frites ». J’échappais comme je pouvais aux insidieuses questions de ma mère. « Très bien » disait-elle, « mais en classe, qu’est-ce que tu as appris ? ». « Ben des trucs, quoi ! ». Mes réponses pour le moins évasives - mais pas le moins du monde ambigües pour l’esprit retors de ma mère -  me valaient chaque soir une longue série de corvées scolaires. « Très bien » disait-elle, « voyons maintenant ce que tu en as retenu ?! ». Et chaque soir, de longues heures durant,  j’enchaînais les dictées, le calcul, la grammaire, tous les trucs auxquels j’avais échappé la journée. Tous les soirs, entre 17h et 20h, je me farcissais les leçons de ma mère, qui - sans doute - par excès de zèle, suivait à la lettre le programme de l’année en cours dans les manuels qu’elle avait achetés tout exprès, et dont elle s’amusait, semble-t-il avec un malin plaisir, à tapisser les murs de ma chambre. Un décor bien morose pour un gamin de mon espèce, qui chaque nuit en s’endormant, faisait de terribles cauchemars, effrayé par ces monstres qui m’entouraient. Combien de nuits terrifiantes ai-je passées, prostré sous mes couvertures, à crier de toutes mes forces pour qu’ils arrêtent de me torturer. Je me rappelle encore du plus atroce de mes cauchemars d’enfant : c’était à l’école, en classe avec tous les autres, mais en plus y avait ma mère avec tous ses manuels. Ils étaient là, tous ensemble assis en rang d’oignons derrière le bureau du maître, et moi j’étais le seul élève, recroquevillé au fond de la classe. Chacun à leur tour, ils m’interrogeaient : « la capitale du gaz carbonique ? », « le théorème de la Chine ancienne ? », « où prend sa source le complément d’objet direct ? ». J’étais terrifié. Et évidemment aucun son ne sortait de ma bouche. Alors les manuels de ma mère s’approchaient de moi et me lançaient devant tous les autres qui applaudissaient : « cancre, vilain cancre ! » et là ils ajoutaient : « tu n’as pas appris tes leçons, tu connais la sentence, tu es condamné à la pire condamnation : tu seras ignorant. En disant ça, ils s’approchaient tout près de moi, et pour mettre à exécution leur ignoble torture, ils ouvraient la bouche, et au moment où ils allaient mordre dans ma cervelle pour la faire disparaître, je me réveillais en sursaut.

 

Ces années ont vraiment été atroces et effrayamment ennuyeuses. Et pendant très longtemps, elles m’ont poursuivi. Je ne les ai d’ailleurs jamais réellement semées, parfois je me demande même si à certains moments, c’est pas moi qui les suivais. En tout cas quand je suis arrivé au collège, c’est un peu cette impression que j’avais. C’était quand même à cause de ma mère que j’étais entré au collège, et à l’époque, j’étais encore complètement imbibé de ses principes et méthodes de travail, une sorte d’accoutumance malsaine à la rigueur et au travail bien fait que je m’efforçais malgré moi et bien involontairement de prolonger. Et je devins très vite un élève laborieux, consciencieux, trop sérieux et soucieux de bien faire ou de plaire à ses professeurs. Et malgré ces qualités (en tout cas reconnues comme telles par le monde scolaire et parental), je n’ai jamais cessé d’être un cancre modèle, besogneux, plein de bonne volonté pour apprendre, mais irrémédiablement mauvais.

 

 

Chapitre 3

Toute ma vie a été égrainée d’échecs cuisants et d’affronts sans pitié et mes années de collégien n’ont pas échappé à la règle. Les profs, loin de m’encourager, s’acharnaient sur ma pauvre personne. J’étais montré du doigt, cité en exemple à ne pas suivre. Beaucoup prenaient un malin plaisir à déverser sur moi toute leur rancœur, toute leur petite médiocrité et leur propre incapacité à quitter eux-mêmes l’école. Mais je n’étais pas le seul, tous y avaient droit, même si moi j’étais encore moins épargné par la générosité du corps professoral. Du haut de leur estrade et de leur petit Bac +3, ils nous assénaient de terribles sermons sur le pouvoir de la connaissance, en se grandissant avec fierté devant notre ignorance. L’un d’entre eux a suivi toute ma scolarité au collège, c’était une prof de français et de latin-grec. 1,45m, la coupe Jeanne d’Arc encadrant une face sévère, austère à faire peur, posée sur un corps sans forme ni âge, et fagotée comme une collégienne qui rêve d’entrer au couvent. On l’appelait la nonne d’ailleurs. Vieille fille avant l’heure, aigrie par la vie, rendue acariâtre par toutes ses années passées dans les livres et les manuels, une occupation dans laquelle elle avait dû se lancer très jeune par manque d’amour et qui l’avait certainement détournée de plaisirs moins intellectuels. Dans sa vie de tous les jours, ça devait pas être rose, mais avec nous elle se déchaînait. Et quand l’un de nous bégayait un murmure inaudible à une de ses questions vicieuses, elle exultait, savourant sa vengeance avec une délectation à peine voilée. Devant notre silence apeuré, elle bavait, on voyait couler le long de sa petite bouche tordue un mince filet de salive, qu’elle ravalait aussitôt comme si elle ne voulait pas perdre une seule goutte de sa piètre victoire. Ce qu’elle a pu nous faire souffrir, cette putain de pucelle ! Moi, elle m’avait bien sûr pris en grippe, et à chaque cours, j’avais droit à une petite interrogation orale. Et évidemment que cela soit en français ou en latin, mon mutisme me valait à chaque fois 2 heures de colle. Elle prenait mon carnet de correspondance, et inscrivait un petit mot cinglant à l’attention de mes parents. Une année même, j’avais eu tellement d’heures de colle que j’avais eu droit à 3 carnets. Elle était aigrie, mais en tout cas pas avare lorsqu’il s’agissait de déverser sa rancune. 

 

Arrivé au collège, ma mère ne pouvait plus m’aider à faire mes devoirs, ni à apprendre mes leçons (ses possibilités avaient déjà eu quelques difficultés à me suivre jusqu’à la fin du primaire). Elle avait donc, bien malheureuse, dû interrompre ses tortures éducatives, mais les profs du collège avaient pris sa succession avec une telle générosité et un tel engouement, que pour moi ça ne changeait pas grand-chose. Le seul moment où je pouvais souffler un peu, c’était pendant les vacances, où en général, mes parents m’envoyaient en colonie. Ils m’y envoyaient pour m’habituer à la vie en société, pour que j’apprenne à m’intégrer à la collectivité. Eux, ils disaient ça, mais une année, juste avant de partir, j’avais vu dans un tiroir de la commode 2 billets de train aller-retour pour Berk plage, dont les dates de départ et de retour correspondaient étrangement à mon séjour. Apparemment, ceux qui les utiliseraient devaient partir un jour après moi et revenir un jour avant que moi-même je ne revienne. Les colonies de vacances n’avaient apparemment pas été uniquement crées que pour les enfants, en tout cas les parents qui y envoyaient leurs mômes, devaient très bien le savoir.

 

Moi, chaque année, j’avais droit à une destination nouvelle. Sur le catalogue du comité d’entreprise, mes parents choisissaient le séjour le moins cher, le reste c’était le patron de mon père qui payait, enfin les impôts des gens quoi, puisque mon père était fonctionnaire. Je changeais d’endroit chaque année, mais c’était toujours les mêmes têtes que je retrouvais, les mêmes gosses de pauvres ou de parents négligents du comité d’entreprise qui envoyaient leurs gamins avec ceux d’autres organismes. On se retrouvait toujours avec les sales mômes de la DDASS qui passaient leur temps à chercher la bagarre ou à nous cracher à la gueule, et qui nous faisaient subir les pires misères, nous qui étions pour eux des gosses de riches, comme quoi dans la vie, tout est relatif. En général, on partait en car, et les mômes qui passaient par le CE, leurs parents les accompagnaient, alors déjà on partait avec un handicap, parce que les mômes de la DDASS, ils venaient tous seuls, vu qu’ils avaient pas de parents, ou qu’ils étaient en prison. Alors dès le début, ils se foutaient de notre gueule. Eux ils pouvaient jouer aux grands, et quand on arrivait en tenant la main de nos parents, ils disaient qu’on était des sales mômes pourris gâtés et des fils à papa, ce qui était en partie vrai d’ailleurs. Dès le départ, y avait déjà trop de différence entre nous, alors pendant le séjour ça pouvait pas s’arranger, et souvent ça devenait la guerre, y avait le camp des caïds de la DDASS et la tribu des gâtés pourris. Evidemment moi, j’appartenais à aucun des 2 camps. La plupart du temps je me contentais de regarder, parfois j’étais plutôt pour un groupe, et d’autres fois pour l’autre, mais le plus souvent je préférais jouer tout seul. On m’embêtait pas trop vu qu’un jour j’avais mis une raclée à un grand de la DDASS qui m’emmerdait, en fait j’avais pas fait exprès de lui mettre un coup de boule, j’avais si peur que je tremblais vraiment beaucoup, et à un moment j’ai perdu l’équilibre et je suis tombé en avant, et en tombant, ma tête lui a heurté le nez. Ça s’est passé dans ma 2ème colo, et comme on voyait toujours les mêmes d’une année sur l’autre, j’avais acquis comme qui dirait une réputation, et on me cherchait plus trop de noises. C’est dingue, il suffit vraiment de pas grand-chose pour changer une existence, c’est comme ça que j’ai compris qu’on pouvait se bâtir une réputation sur un simple malentendu, après aussi ce genre de quiproquos ça m’est arrivé, mais la réputation, elle a pas été tiré dans le bon sens. 

 

Donc, moi en colo, j’étais plutôt peinard. Je pouvais enfin glander comme je voulais, et pour ça je me gênais pas, je passais mon temps à rêvasser, j’avais ni mes parents, ni les profs sur le dos, et j’évitais de frayer de trop près avec les gros bras des 2 gangs. C’est aussi en colo que j’ai découvert les filles et mes premiers émois amoureux, mais je dirais surtout mes premières gamelles en la matière. Ma vie amoureuse commençait, et elle a évidemment très mal commencé, une sorte d’initiation à tout ce que j’allais connaître par la suite, sans compter les séquelles. Je ne me rappelle plus comment elle s’appelait, un prénom bizarre, ça devait être breton, ou basque, je ne sais plus, à moins que ça ne soit espagnol, en tout cas un prénom qui venait de par là. La nuit, tous les garçons allaient dans le dortoir des filles, histoire de profiter des vacances. Et là, il était plus question de bagarre ou de gang, quand il s’agissait de faire des concours de branlette dans le lit des filles. C’était à celui qui changerait le plus de lits dans la même nuit. Moi évidemment je participais pas. Pour la branlette, j’attendais la douche, où nous nous refilions les magazines que les plus courageux d’entre nous osaient acheter à la librairie du village, située en général à une dizaine de kilomètres du centre de vacances. Pour rentabiliser leur courage et renouveler le stock, ils les louaient à la minute, 1fr si je me rappelle bien. Certains, ils avaient pas beaucoup d’argent de poche, et ils pouvaient pas payer plus de 10cts, alors ils étaient obligés de faire vachement vite. En tout cas, si on payait, on avait droit pendant les douches de se laver la quéquette à toute allure devant les photos (c’était un endroit où on pouvait pas se faire piquer par les monos). En général, les pages étaient complètement trempées, et on avait du mal à les tourner tant elles étaient collées, c’est pas croyable comme l’eau de douche devait être poisseuse et collante. Donc moi à part ces petits exercices matinaux, le soir pour le dortoir des filles, c’était quéquette. Alors j’allais dehors pour voir d’autres étoiles, j’avais une grosse lune pour moi tout seul. C’est là que pour la première fois, on s’est parlé avec la bretonne espagnole, elle non plus elle participait pas aux soirées touche pipi, elle devait pas aimer dormir dans des draps mouillés. Vu qu’on était les seuls à bouder ces parties de jambes presque en l’air (ou plutôt à se faire bouder) et qu’on était obligés de sortir pour ne pas déranger les apprentis partouzeurs, quand on se retrouvait dehors, on était bien obligés de rester ensemble. Et au bout de notre 5ème colo ensemble, je me suis approché d’elle pour lui parler : « tiens, toi non plus t’es pas avec les autres ? », « tu me prends pour qui ? » elle me répondit aussitôt. Ça j’aurais pas osé lui dire, mais elle devait pas en penser moins à mon égard puisqu’elle m’a dit : « et toi non plus t’es pas avec eux ? ». Voilà comment est née ma première histoire d’amour. 3 colonies de vacances plus tard, alors qu’on se trouvait encore parqués dehors à attendre la fin de l’orgie (avec les années, les petites virées nocturnes avaient pris un tour un peu plus sérieux, évidemment avec l’âge, on voulait toujours aller plus loin, en un mot, ce qu’on voulait c’était approfondir les choses, pour ne pas dire la chose, la seule qui hante la tête des adolescents, et je me suis rendu compte plus tard, que pour ça et quoi qu’on puisse en dire, les gens sont tous très longtemps de grands adolescents), donc puisque l’on se retrouvait seuls à nouveau, je m’étais dit que ça serait bête de pas en profiter, et je le lui ai dit. Et comme elle devait penser la même chose, puisqu’on était aussi moche l’un que l’autre, que personne ne voulait de nous, et qu’il n’y avait pas d’autres issues, et puis que nous aussi on voulait être comme les autres parce que nous aussi on avait droit à un semblant d’affection, de tendresse et d’amour, et que moi aussi comme tous les garçons, je voulais dire que j’étais plus puceau, on a bien été obligé de se rendre à l’évidence, et de trouver l’autre pas si moche que ça, aussi difficile que cela puisse être. Alors on s’est embrassé. Là, ma première histoire d’amour commençait à devenir sérieuse, mais pour cette année, on en est resté là. Ce n’est que 2 colonies plus tard que notre histoire a connu son apogée, juste avant qu’elle ne finisse et que tout se casse la gueule, un tête-à-queue qu’a mal fini. Ça faisait presque 8 ans qu’on se connaissait, on s’était déjà embrassé une fois, on pouvait vraiment pas en rester là, en tout cas c’est ce que je m’étais dit. Alors quand je lui ai demandé de me faire une petite gâterie, au départ elle est devenue toute rouge, comme si elle avait avalé un truc de travers, mais elle avait encore rien dans la bouche. Au bout de 2 heures, elle était pas encore partie, j’avais donc toutes mes chances, elle était passée par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, moi je pensais que c’était bon signe, comme la preuve qu’elle voulait camoufler son excitation avec une certaine poésie, elle voulait, mais elle n’osait pas, je me suis dit, alors moi ça m’a encouragé, surtout à sortir mon petit sucre d’orge qui commençait vraiment à s’impatienter tout seul dans sa boîte sans même une bouche avide, accueillante et voracement baveuse. Quand je lui ai donné avec délicatesse, en dirigeant sa tête vers la sucrerie que je pensais si convoitée et en la lui maintenant de toutes mes forces en lui disant : « allez t’en meurs d’envie, t’en prives pas, c’est de bon cœur que je te la donne », elle a ouvert la bouche, et l’a avalée sans frémir. Mais la petite salope était gourmande, ça ne lui suffisait pas de sucer, et, j’ai compris - mais bien trop tard - lorsqu’elle a sorti les dents qu’elle voulait aussi croquer. Notre histoire et mon dernier séjour en colonie se sont donc terminés à l’hôpital. Heureusement pour moi, elle avait gardé son appareil dentaire qu’elle mettait la nuit avec un élastique, et ça avait bloqué sa mâchoire lors de sa démonstration d’amour vorace. Je m’en suis tiré avec quelques frayeurs et une trentaine de points de suture dont je garde encore la cicatrice aujourd’hui.

 

Donc très vite, et surtout après ma première histoire d’amour avec la bretonne du pays basque, j’ai compris qu’avec les filles, l’affaire ne serait pas dans le sac. D’ailleurs aujourd’hui, à part quelques accessoires libidinaux ; une collection presque complète de Penthouse et une poupée gonflable décatie, le sac est encore vide. Bref, toute ma vie je n’ai jamais été un foutre de guerre. Faut dire que mon air sérieux, agrémenté de quelques boutons et d’une ignoble paire de binocles, n’a pas toujours été facile à porter. Alors pour compenser, vers l’âge de 16 ans, j’ai tout misé sur l’humour. Mon physique était ingrat, ça je le savais, mais je pensais que le rire me sauverait. Mais j’avais beau apprendre par cœur des livres entiers d’histoires drôles, des manuels de répliques cinglantes et follement amusantes, jamais au cours des rares rencontres que j’avais faites jusque-là, je ne suis arrivé à en placer une. Je devais être trop absorbé par l’effort que je devais déployer pour faire semblant d’écouter les propos au demeurant fort intéressants de mes potentielles fiancées – qui le sont d’ailleurs restées, potentielles. Comment pouvait-on d’ailleurs en placer une entre les frasques torrides de Vanessa Paradis et les malheurs sentimentaux de Sophie Marceau ? « Non, je n’étais pas au courant », semblaient-elles me lancer, en me fusillant du regard. « Mais bon dieu, je ne m’intéressais vraiment à rien » me disaient-elles. Et elles me lâchaient quelques secondes plus tard, m’invitant à suivre avec un peu plus d’attention l’actualité essentielle du moment, en me laissant espérer que le jour où je pourrais parler en connaissance de cause de ces sujets palpitants de la plus haute importance, j’aurais éventuellement la possibilité de m’entretenir avec elles, et donc de les revoir. En partant, presque toutes d’ailleurs me conseillaient, l’œil complice et pour moi inespéré, la lecture d’hebdomadaires en pointe sur le sujet. Alors plein d’impatience et de désir, je me mis en quête des dits-magazines, espérant ainsi augmenter considérablement mes chances de rencontrer l’amour, autrement que dans d’autres sortes de magazines, dont à défaut d’être un lecteur assidu, j’étais un consommateur juteux.

 

Quand je suis arrivé au lycée (preuve indéniable que cela est possible, même pour le dernier des abrutis), j’avais donc ni copine et j’étais toujours sans copain. Après ma brillante scolarité de cancre au collège, mes parents ont décidé de prendre les choses en main, ou plus exactement de me livrer à celles d’une boîte à bac, pour le moins cinglantes et douloureuses, surtout quand elles vous tombaient sur le coin de la gueule. Je n’ai jamais vraiment su comment ils avaient pu me dénicher ce genre d’établissement, eux qui avaient pas un rond et pas vraiment de relations, à part un de mes oncles qui disait travailler dans un ministère, mais quand on reste aussi vague, lui qui aimait tellement se vanter, on peut quand même penser qu’il devait pas travailler dans le cabinet du ministre, mais plutôt dans celui où il allait se soulager la vessie. Quant à mon entrée dans cette usine à gros cons réservée aux petits cons qui voulaient devenir gros, tous bien sûr très bien nés et particulièrement prétentieux, j’ai toujours eu ma petite idée là-dessus, mais j’en ai jamais vraiment été sûr. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’était les visites incessantes de ma mère avec le directeur, pour régler quelques problèmes administratifs, elle disait. Elle y allait au moins une fois par semaine, entre midi et 14h, comme ça, elle disait, qu’ils n’étaient pas dérangés par le téléphone ou l’adjoint du principal qu’allait manger à la cantine, et que comme ça, ils pourraient régler mon dossier plus vite. Je savais bien que tout ce qui est administratif, c’est très long, mais là, ça a duré vachement longtemps, ça a pris les 4 années où j’y suis resté.

 

Moi, qui venais d’un petit collège miteux fréquenté par des enfants de banlieusards qui venaient les chercher en R12 (le plus souvent customisée avec béquet arrière, pot d’échappement genre sport et CB), quand j’ai débarqué là, je regrettais presque les petits branleurs casse-couilles de mon ancien bahut. Y avait que des gosses de riches, tous faits sur le même modèle, issus du même moule, nés avec une cuillère en or dans la bouche. Et dire que ma mère avait dû à une époque doubler ses visites chez le directeur pour que je puisse aller à la cantine. Quand pour la première fois j’y suis allé, ma mère m’a accompagné (elle qui avait déjà fait pas mal de démarches, toujours avec le même directeur). J’ai eu le sentiment de débarquer sur une autre planète, comme si j’avais passé mon existence dans une cage dégueulasse de la SPA, et que je débarquais comme ça brusquement sur un tapis persan entouré de caniches distingués, toilettés dernière mode en attendant que ma maîtresse finisse son thé avec ses nouvelles amies en se donnant des airs distingués, ce qui la rendait encore plus vulgaire. Ce premier jour, il ne va pas sans dire que je me sentais donc très à l’aise, sentiment qui dura d’ailleurs pendant ces 4 années, le temps qu’il fallut pour que l’on me donne le Bac.

 

L’absence absolue de points communs ou de centres d’intérêts avec mes nouveaux camarades n’a d’ailleurs pas été étrangère à l’exclusion que j’ai pu subir au sein de l’école, et que tous les élèves se sont empressés d’ailleurs d’exagérer comme pour mieux marquer la différence de milieu. Moi, à cet âge-là (comme à tous les autres d’ailleurs), comme je n’avais pas de petite amie, j’avais beaucoup de temps, et j’avais la chance de ne pas claquer mon argent de poche comme tous les autres qui, en attendant de leur offrir un truc beaucoup plus divertissant, leur offraient le cinéma. C’est pourquoi j’avais pu m’inscrire dans un club d’haltérophilie. Moi je pensais que ça pouvait créer des liens le sport, alors je le leur avais dit, aux élèves de ma classe. Tous sans exception m’ont toisé de très haut, en m’expliquant qu’ils s’en foutaient complètement de mes activités de prolo, que déjà ils étaient assez gentils de m’accepter mais que je ne devais pas les faire chier avec mes histoires et que de toute façon je n’appartiendrai jamais à leur race (chose aujourd’hui qui me rassure), mais qu’à l’époque j’avais eu du mal à avaler. Pour mettre toutes les chances de mon côté, et espérer éventuellement m’intégrer, j’avais décidé de trouver des sujets de conversation qui pourraient nous rapprocher, enfin qui pourraient me rapprocher d’eux. Vu qu’il n’y avait que moi qui voulais faire un effort, c’était à moi de faire le 1er pas, et puis tous les autres aussi, jusqu’au dernier. Dès lors je me suis intéressé à ce qu’ils faisaient. J’allais à la bibliothèque, où je lisais tous les magazines de golf, de polo et d’équitation qui me tombaient sous la main. Evidemment je n’ai jamais pu en faire pour de vrai, mais j’apprenais les règles du jeu et de vie de cette nouvelle société. Les résultats furent maigres, et j’avais beau engager des conversations sur Deauville en racontant ce que  j’avais lu sur les célèbres « planches » ou les menus gastronomiques des « Vapeurs », ça n’a jamais pu faire illusion. Mon acharnement a à peine duré une semaine, après j’ai abandonné et jamais plus on ne s’est parlé. Ça n’avait pas marché avec les petits cons pédants fils-à-papa, il me restait à essayer avec l’autre partie du lycée, les intellos, vous savez, ces types avec une grosse tête sur un tout petit corps ridicule. Là, mon acharnement a duré encore moins longtemps, le temps de m’approcher d’un des groupes et de rester figé comme ça bêtement à quelques mètres d’eux sans pouvoir bouger, complètement stupide à écouter leur discussion où je ne comprenais pas un mot sur deux. Avec eux, ça été encore pire, j’ai jamais pu leur parler. De quoi aurais-je bien pu discuter avec eux ? Ni Schopenhauer, ni la musique contemporaine ne m’intéressaient, et encore moins la chimie analytique. Mon dieu qu’était loin le temps où je pouvais réciter tout de go et simultanément quelques pages de la critique de la raison pure, la formule complexifiée du bicarbonate de soude et l’histoire de la Mésopotamie entre le règne de Ramsès II et l’arrivée au pouvoir de Napoléon.

 

Dans ce lycée où m’avaient enfermé mes parents – pour mon bien, disaient-ils, moi je n’ai rien vu d’autre qu’un bien gros tas de cons et d’emmerdements – perdu entre les petits cons pédants fils-à-papa et les intellos à grosse tête, moi je me demandais ce que je foutais là. Je me rappelle de deux d’entre eux tout particulièrement, parce qu’en les voyant, je trouvais qu’ils représentaient l’emblème de l’établissement, une sorte de symbole bicéphale hypertrophié. Ils étaient toujours fourrés ensemble. Y en a un, j’ai jamais vu un gars qui savait tant de choses pour son âge. 18 dans toutes les matières sauf en sport. Evidemment une grosse tête, ça aide pas pour courir. L’autre, c’était pas vraiment le genre intello, plutôt le genre dandy nonchalant et prétentieux de la race des petits cons pédants fils-à-papa. Je me rappelle encore comme ils marchaient toujours ensemble dans la cour du lycée. Tous les deux, ils avaient la grosse tête, mais pas vraiment pour les mêmes raisons : chez l’un, on sentait qu’il était fier de son intelligence, et l’autre on voyait tout de suite qu’il devait réfléchir avec autre chose qu’avec son cerveau. Et même si je soupçonnais l’un d’avoir autre chose de gros que la tête, à tort ou à raison d’ailleurs, c’était peut-être déjà pas mal pour bien s’entendre. Je sais pas ce qu’ils pouvaient bien se raconter, mais ils avaient l’air de bien se marrer, quand je dis se marrer, je veux dire qu’on pouvait parfois entrevoir l’esquisse d’un sourire, bêtement intelligent chez l’un  et condescendantement distingué chez l’autre. Bref, après mes bien vaines tentatives d’intégration, moi, j’ai jamais pu les saquer ces deux mecs-là, eux pas plus que, d’ailleurs, la horde de grosses têtes… de cons qui les entouraient. Pendant 4 ans (et c’est drôlement long 4 ans), je suis donc resté dans mon coin à essayer d’avoir le Bac. Ce fut chose faîte lorsque l’école négocia avec le rectorat ma réussite à l’examen. Pour sauver la réputation de son établissement (un taux de réussite de 100% au Bac), le directeur, soutenu par une lourde enveloppe de mes parents, avait l’habitude de négocier avec le rectorat le passage de ses ouailles. Mon cas personnel fut évidemment arrangé par le directeur, soutenu par la belle enveloppe… charnelle de ma mère. Vraiment, je pouvais pas dire qu’elle n’avait pas le sens du sacrifice et du devoir maternel, même si je suis sûr qu’elle l’a fait beaucoup plus pour sa réussite que pour la mienne, pour avoir le plaisir de dire que son fils était bachelier, même si elle ne racontait pas que c’était extrêmement lié à son amour des négociations, et qu’un plaisir pouvait en entraîner un autre.

 

 

Chapitre 4

Après mon Bac, j’avais alors une vingtaine d’années, je décidais d’utiliser ce que j’avais appris au lycée pour moi aussi me trouver une copine, et profitais de mon air sérieux pour me donner moi aussi le genre intello. J’avais déjà les lunettes et le physique repoussant, c’était déjà pas mal pour un début, mais pour achever ma panoplie, il me manquait encore quelques accessoires. Et malgré mes fréquentations lycéennes, je savais pas trop lesquels, alors pour le savoir, j’ai décidé d’aller me renseigner. C’est comme ça que je me suis inscrit à l’université. Je m’étais dit, là-bas, je vais en voir beaucoup plus qu’au lycée, de beaucoup plus près, et puis surtout des vrais, après il n’y aura plus qu’à les imiter. J’avais beau eu en côtoyer pendant 4 ans, j’étais toujours resté à distance. Mais le jour où j’ai décidé que moi aussi j’avais envie de voir ce que ça faisait d’avoir une grosse tête – là, je ne vous parle pas de ce qu’il y a dedans, je vous dis juste donner l’impression d’en avoir une grosse – eh bien à partir de ce jour-là, ma vision des grosses têtes subitement changea. Je sais pas pourquoi, mais ça ne dura pas très longtemps. A l’époque, je m’étais même dit que peut-être j’allais les retrouver à l’université, mes deux grosses têtes emblématiques, et que peut-être je m’en ferais des copains, et qu’ils pourraient m’aider à devenir un peu comme eux. J’avais vraiment hâte que les vacances se terminent, et j’attendais avec impatience la rentrée universitaire.

 

Quand, le premier jour, je suis arrivé, j’avais pas dormi de la nuit. Pétri d’angoisse et rongé d’excitation, je n’avais pas réussi à trouver le sommeil. Je n’avais pas osé m’endormir, apeuré comme je l’étais de faire resurgir de vieux démons : mes anciens cauchemars d’enfant. Là-bas, je ne savais pas du tout ce qui m’attendait, et j’avais peur une fois de plus d’être délaissé et de me retrouver seul. Mais ce qui m’effrayait le plus c’était le niveau requis pour suivre les cours, et il faut bien le dire, j’avais pas le niveau. Encore la peur de passer pour ignorant. En plus je n’avais pas pu demander autour de moi comment c’était la fac, mon entourage n’avait pas fréquenté ce genre d’établissement. Inutile selon eux pour bien gagner sa vie. Toujours pragmatiques et toujours pressés de me voir quitter le foyer familial pour me voir voler de mes propres ailes, cet intérêt subi pour les études n’arrangeait ni leurs affaires, ni leurs petites économies chichement gagnées à la sueur du stylo de mon père, gratte-papiers poussiéreux dans une administration non moins poussiéreuse, et qu’ils réservaient pour leurs vieux jours, pour aménager ce qu’ils appelaient leur résidence secondaire – une cage à lapin avec 250m² de terrain qu’ils avaient récemment achetée dans un lotissement neuf entre une usine de retraitement des eaux usées et une décharge à ordures. Je n’arrangeais certes pas leur petit projet tranquille, mais j’avais fait valoir quelques arguments béton contre lesquels ils se sont cassés les dents. D’abord, je n’avais pas choisi n’importe quoi, je m’étais inscrit en faculté d’économie, et je pouvais donc à l’issue de mon diplôme espérer gagner beaucoup d’argent, eh oui, comme ça je pourrais leur rendre leur monnaie de la pièce (en réalité plusieurs dizaines de milliers de francs) pour qu’ils puissent enfin aménager leur villa bourgeoise à leur goût, certainement dans le plus pur style kitch néo-beauf avec les nains de jardins en plastique et tout le batatouin. Ensuite, je trouverais un travail à mi-temps, un job d’étudiant. Je m’étais renseigné, il n’y avait que l’embarras du choix, faire Mickey dans un parc d’attraction à 2,5 francs de l’heure, cascadeur de mobylette dans une boîte qui livrait des pizzas à domicile, et même automate robotisé à la caisse d’une grande surface. Les possibilités de gagner de l’argent pendant ses études étaient si nombreuses. C’était si facile, ils n’avaient pas à s’inquiéter, en travaillant 8 heures par jour, 6 jours sur 7, on pouvait au moins escompter 1500 frs de salaire, sans compter la chance indéniable de se familiariser avec le monde du travail. Bref, au bout de quelques heures et à court d’arguments, moi-même qui n’étais pas très convaincu, je réussis à les convaincre. Mais comment ont-il pu croire un seul instant que j’allais me donner ce mal de chien pour des études dont je n’avais que faire, en courbant l’échine comme un esclave devant un patron autoritaire et acariâtre, farouche partisan de conditions de travail modernement négrières.

 

C’est donc avec une certaine angoisse que le premier jour je me suis dirigé vers la prestigieuse institution, ne sachant pas encore comment j’allais m’y prendre pour tenir mes engagements téméraires et pour le moins hasardeux. A la sortie de la station de métro, ne sachant pas trop vers quel couloir me diriger, je suivis la troupe compacte et hétéroclite de supposés étudiants, lunettes rondes et serviette sous le bras. Mon intuition fut bonne, et nous entrâmes en masse dans l’enceinte universitaire, gardée par 2 vigiles. Eh oui ! Ne rentre pas qui veut, on doit montrer patte blanche, « Eh vous, votre carte d’étudiant ? ». Une véritable forteresse qui protège le bâtiment universitaire, la haute tour de la connaissance dont l’accès, fortement réglementé, a dû en rebuter plus d’un. La connaissance, temple sacré, est un domaine bien gardé, et les laissez-passer sont distribués au compte-gouttes, les places sont rares, donc chères pensais-je. Mes laborieuses années passées dans ce cocon estudiantin m’en persuadèrent bien vite, et la réalité dépassait largement tout ce que je pouvais imaginer à l’époque. Je lui fourrai donc mon petit papier rose sous le nez. Cette première étape franchie, me restait à trouver la salle où avait lieu le premier cours. Je suivis tant bien que mal les pancartes indicatives, forçant de constater que ça commençait plutôt mal pour moi, j’étais déjà en retard, impossible de me diriger dans ce labyrinthe de couloirs. Au bout d’une demi-heure, enfin je me trouvai devant le numéro de la salle, mais ce que j’ignorais c’est qu’il y avait plusieurs portes pour une même salle, et ne trouvant pas à l’intérieur du bâtiment, j’avais décidé de passer par l’extérieur, où j’espérais trouver plus facilement. Donc, j’entrai en poussant la porte doucement, qui - la traître - se mit à grincer d’un bruit de tonnerre. 800 paires d’yeux me fixèrent. La salle que je croyais à dimension humaine, comme au lycée - qui n’a d’ailleurs d’humain que la taille de ses salles - était en réalité un immense amphithéâtre, une espèce d’énorme demi-cercle. J’étais entré par une porte de service destinée aux appariteurs, interdite aux étudiants, tout près de l’estrade professorale et face à la salle. Le prof interrompu en pleine démonstration arrêta ses péroraisons et me décocha du haut de sa docte chaire un regard glacial qui me brisa l’échine. Je restai paralysé, incapable de bouger, incapable de m’enfuir à toutes jambes, ou d’aller m’asseoir. D’ailleurs, d’où j’étais je ne voyais aucune place de libre. J’étais en retard, j’étais entré par un accès strictement réservé - et dans la situation présente pour le moins malvenue, je me faisais remarquer en interrompant le cours, et pour finir les 800 paires d’yeux se mirent à rire, à siffler et à applaudir dans un boucan de tous les diables. Terrorisé, je me mis à gravir les escaliers qui menaient au fond de l’amphi le plus calmement du monde en camouflant autant que je le pouvais mes tremblements convulsifs et trouvai refuge tout en haut. Et soucieux de ne pas faire se lever une trentaine d’étudiants qui barraient le passage pour accéder à la seule place qu’il restait dans la rangée, je m’assis par terre et sortis le plus nonchalamment du monde une feuille et un stylo. Et après cette entrée fracassante, la foule houleuse se calma et le cours reprit. Ma première rencontre avec l’université, mémorable et trébuchante, fut le seul souvenir digne d’intérêt. La suite ne fut guère réjouissante et mon passage dans le monde universitaire, hormis cette anecdote héroïque, absolument pas marquant ni d’ailleurs remarqué.

 

La plupart du temps, je restais dans mon coin, ne me mêlant jamais aux groupes qui d’ailleurs se faisaient et se défaisaient sans que je n’y comprenne rien. J’ignorais tout le monde, et tout le monde m’ignorait m’adaptant ainsi à l’esprit qui régnait dans cette jungle universitaire. Je m’asseyais toujours à la même place, tout au fond près de la porte de sortie, que je m’empressais de franchir les cours terminés. Je faisais comme la plupart des autres étudiants, j’assistais aux cours, enfin ceux où on ne s’emmerdait pas trop, puis je regagnais ma petite piaule sous les toits, coincée entre les chiottes collectives et la salle d’eau commune utilisée par tous les gros dégueulasses du palier. Un matin sur deux, j’allais bosser. J’avais déniché un petit job peinard dans un parc. Mon travail consistait à garder le square réservé aux gamins, interdit aux clébards mais pas aux sales mômes braillards qui traînaient leur mère ou quelque jeune fille au pair que je matais de ma petite guérite. Parfois, lorsque l’une d’elles me plaisait, je me montrais. L’uniforme - obligatoire pour les employés du parc - me donnait un certain prestige, et j’arborais avec une certaine fierté ma casquette et mes boutons dorés. Il atténuait quelque peu la fadeur laide de mon visage et me donnait assez d’assurance pour paraître ainsi en public. J’avançais vers elle en prenant mon air le plus blasé pour expliquer le règlement intérieur ou raconter quelques anecdotes sur l’histoire des lieux. J’espérais ainsi les impressionner par ma rigueur et ma culture, qualités que les femmes recherchent chez les hommes, c’est ce que m’avait affirmé l’une d’entre elles en quittant le square précipitamment avec les enfants qu’elle gardait après une explication peut-être un peu trop démonstrative de ma part, où je lui montrais avec un certain enthousiasme et une excitation à peine voilée - j’avais la main dans la braguette - les bienfaits des rencontres fortuites dans les parcs sur la profondeur des sentiments humains.

 

C’est comme ça, entre les petits boulots et les cours à la fac, que j’ai passé quelques temps. Et puis, un jour, je me suis aperçu que je venais de boucler ma 5ème année. Ça m’est arrivé lorsque je suis sorti du bureau des 3ème cycle, où je venais de m’inscrire en thèse. En passant devant le bureau des étudiants de 1ère année, j’ai pas pu m’empêcher de penser à tout ce qui les attendait, les pauvres, s’ils savaient, ils s’enfuiraient d’ici à grandes enjambées. Mais peut-être, eux ils savaient pourquoi ils étaient là, c’était peut-être bien pour avoir un beau diplôme, qui leur permettrait d’avoir un bon métier, et puis après un gros salaire pour acheter une belle maison, et une grosse voiture pour emmener leur grosse bonne femme et leurs beaux enfants en vacances dans un bel endroit. Après tout, ils pensaient peut-être à ça, et en descendant les escaliers, je me suis dit que regarder toujours tout droit dans la même direction, c’était peut-être plus facile pour savoir où on va. J’y pensais si fort que je me suis cassé la gueule. Quand je suis arrivé à l’hôpital, ils m’ont dit que j’avais les 2 jambes cassées. Mais moi, je me disais que ce n’était rien par rapport à ce que j’avais enduré pendant ces dernières années à la fac. L’ambiance faussement nonchalante et « je-m’en-foutiste » des étudiants qui se faisaient les pires crasses pour réussir (quand tu ratais un cours, tu pouvais toujours leur demander leurs notes, tu pouvais aller chier, sans parler des partiels où chacun cachait sa feuille comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, et là aussi pour obtenir un renseignement, tu pouvais revenir et quand tu n’avais pas révisé, t’avais même le droit de revenir l’année suivante). Sinon à part ça l’ambiance était bonne et la solidarité fonctionnait à plein entre la vente des annales des années précédentes à des prix exorbitants, l’organisation de soirées à thème à chier pour la modique somme de 1000 balles (en gros presque un mois de salaire pour un étudiant moyen) et la vente d’infâmes sandwichs au poulet et aux hormones à 35 balles proposés par tous les syndicats ou groupements estudiantins. Bref un petit univers étriqué et faussement libéral, où la mesquinerie, les clichés et les bons vieux préjugés n’avaient rien à envier aux autres milieux, un cercle restreint pour boutonneux pseudo-intellectuels binocleux qui maniaient les idées aussi creuses que pouvait être pleine leur belle serviette en cuir. Et les étudiants de 1ère année, ils n’ont pas dû échapper à ça. Eux aussi, on a dû leur mettre sur le dos telle ou telle couleur politique parce qu’ils étaient allés faire des photocopies dans tel ou tel groupe ou syndicat, ou tout simplement, s’ils y avaient acheté leur casse-dalle 2 jours de suite. Et puis après tout, c’était plus mon problème, j’avais déjà donné, et pour l’instant, avec mes 2 jambes dans le plâtre, j’étais bien emmerdé, surtout qu’on m’avait dit que maintenant que je préparais mon doctorat, je devais travailler dans un labo de recherche, et qu’il serait bien vu aussi que je donne des cours aux étudiants de 1ère année. Du coup j’ai loupé le rendez-vous qu’on m’avait donné pour l’après-midi même afin de régler mon entrée dans la haute sphère universitaire, ils avaient dit.

 

J’y suis allé 15 jours après. J’ai poussé la porte du laboratoire. Sur la porte, il y avait marqué : « interdit au grand public, recherche scientifique ». La directrice du labo m’a reçu dans son immense bureau, rempli de piles de rapports, de dossiers et de livres déchirés et poussiéreux qui montaient jusqu’au plafond et qui menaçaient de s’écrouler à tout moment, preuve supposée (mais par la suite l’hypothèse ne fut pas infirmée) que les bases de la recherche scientifique française étaient mal assurées et archaïques, pour ne pas dire branlantes et dépassées et que bien souvent elle se cachait derrière un amoncellement de concepts et de principes à moitié creux et complètement inutiles, sauf pour épater le béotien. « Alors cher ami, on fait son entrée parmi nous ?, vous verrez nous sommes bien ici ». Je n’ai pas même eu le temps de lui répondre, elle enchaîna : « bon, je n’ai pas trop de temps à vous accorder, voilà, je viens de recevoir un appel d’offre assez urgent du ministère, une étude sur la répercussion de la hausse des cours des fruits dans le Nord Pas de Calais sur la consommation de sirop anti-toux à la fraise vendu en emballage de 3 flacons dans les pharmacies de Lille ». Je ne pus qu’opiner du chef avant qu’elle ne continua : « comme je vous le disais, en ce moment, je suis débordée, la semaine prochaine, j’ai un colloque à Miami, un autre à Oslo, puis j’enchaîne par un séminaire à Rio et une conférence à Copacabana, je n’ai absolument pas le temps pour cette étude, je vous la confie, n’oubliez pas de faire référence aux nouvelles théories sur la dégressivité ambivalente, ni de théoriser le modèle de corrélation à 3 matrices sur les consommables en bouteille, et tout ça évidemment en 350 pages  avec annexes sur mon bureau dans 10 jours, bon… eh bien, monsieur, bienvenue parmi nous ».

 

Juste avant qu’elle ne se replonge dans sa lecture, un rapport interministériel sur le classement des performances des laboratoires de recherche en économie et les nouvelles rémunérations des responsables de centres de recherche en économie appliquée (très appliquée même au point de se demander si on aurait pu remplacer le mot « appliquée» par « laborieuse »), elle eut le temps de me lancer : « ah oui ! J’oubliais, pour les cours de Travaux Dirigés que vous allez donner, vous allez avoir 2 classes de 1ère année, des anciens d’Henry IV et des redoublants qui viennent de Joliot-Curie à Aubervilliers. Vous verrez, ils sont gentils, surtout les premiers, et puis en général ils adorent le cours d’ « Analyse décisionnelle par maximisation du lagrangien en situation d’incertitude et d’équilibre instable », oui, oui, c’est la matière que vous enseignerez ce semestre, bon, monsieur, voilà et encore bienvenue parmi nous ». 

 

10 jours après, je posais sur son bureau mon étude : 3 feuilles annexes comprises, qu’elle n’a d’ailleurs ni lues ni envoyées au ministère. Après je compris que la plupart des rapports subissait le même sort et qu’ils finissaient à peu près tous dans les piles qui décoraient son bureau. Une façon comme une autre de montrer qu’on a de l’importance et de faire croire qu’on travaille beaucoup même si ce qu’on fait ne sert à rien. Tous les chercheurs du labo travaillaient d’arrache-pied, pour la science et l’avenir de l’humanité, qu’ils disaient. Tous étaient spécialisés dans un domaine très pointu, et la plupart cherchait depuis des années et des années, et sortait tous les 10 ou 15 ans un ouvrage sur le sujet, un truc très très spécialisé que 2 ou 3 autres chercheurs pouvaient lire, et que même ils avaient du mal. Après, on rangeait la chose dans une armoire du ministère (si elle arrivait jusque-là), sinon le reste du temps, ils étaient à l’étranger dans des colloques ou dans des séminaires pour faire avancer la science, et puis surtout pour faire un peu de tourisme, et puis comme tout était payé, ça aurait été idiot de pas en profiter.

 

Une fois ma première étude terminée, on m’en donna une deuxième, et comme je voulais m’adapter aux rythmes de travail du labo, à la fin du semestre universitaire, je n’avais écrit que l’introduction, ce qui m’avait quand même demandé 3 mois, oui, juste le temps d’un semestre à l’université (allez savoir pourquoi ils continuent d’appeler ça un semestre, on a vraiment rien à redire de la rigueur scientifique).              

     

Comme je devais potasser la matière que j’allais enseigner en Travaux Dirigés, et que ça me bouffait vraiment du temps, ça tombait drôlement bien. J’avais tout oublié de « l’analyse machin chose… », j’y comprenais plus rien. Alors pour leur expliquer, j’ai eu vachement de mal, surtout les 3 premiers mois. Dès le début je les avais prévenus, que moi aussi j’étais comme eux, que j’y comprenais rien. Le premier jour, ils m’ont pas cru, j’étais quand même le prof, alors forcément je savais tout, je pouvais tout expliquer. Mais après, dès le deuxième cours, ils m’ont tous donné raison, mais ils n’ont pas tous réagi de la même façon. Avec les redoublants qui venaient d’Auber truc, ça s’est vachement bien passé parce qu’ils disaient que c’était la première fois qu’un prof, il disait qu’il savait pas et comme on était un peu pareils eux et moi, tout de suite on a été copains, moi j’avais droit de pas savoir et eux ils avaient droit de m’aider. C’est comme ça qu’on a appris le cours tous ensemble, comme une bande de potes avant un oral devant un vrai prof. Mais avec les autres, ça a été terrible, déjà j’avais pas le look d’un prof (j’avais oublié de prendre un air supérieur et assuré comme les autres chargés de cours), mais en plus je leur montrais que je comprenais pas plus qu’eux, tout un symbole qui tombait. Alors j’allais m’asseoir au fond de la classe et envoyais le plus fort prendre ma place pour faire le cours. Avec eux j’ai pas pu m’en tirer autrement. Mais de toute façon, quand le semestre s’est terminé, la plupart des étudiants des 2 classes, ils l’ont eu leur examen, comme quoi les profs sont pas si indispensables qu’ils veulent bien le laisser croire. Quant à moi, à part l’introduction de ma 2ème étude pour le labo, ma thèse et mes recherches avaient pas avancé d’un pouce. Tous ces cours, ça m’avait bouffé toute mon énergie, et déjà qu’au départ j’en avais pas beaucoup, à la fin je devais friser le – 270° C, le degré 0 de la motivation. Puis, sans même m’en apercevoir, je me suis laissé glisser dans la fainéantise, j’avais envie de rien. Je ne voulais pas travailler, ça je le savais, mais à part ça, je savais pas grand-chose, et surtout pas ce qui avait bien pu me pousser à m’inscrire en thèse. Allez savoir ! C’était peut-être justement l’envie de rien faire, s’inscrire en thèse ou ne rien faire pour moi, c’était la même chose, enfin à dire vrai et pour être tout à fait honnête, c’est effectivement devenu la même chose. En tout et pour tout, j’ai dû y consacrer 3 semaines, et 3 semaines en 3 ans il faut tout de même avouer que c’est peu, très très peu, on pourrait même dire. J’ai donc vécu comme ça 3 ans, sans envie, sans statut, et toujours seul, moitié dans le monde, moitié à côté, ou plutôt un peu – un tout petit peu dans le monde, et beaucoup à côté.

 

 

Chapitre 5

C’est certainement au cours de cette période que je me suis senti le plus malheureux, et comme déjà avant, c’était pas gai, c’est peu dire que je me sentais mal. Pendant de longues nuits, il m’arrivait de pleurer. J’avais beau penser à des choses agréables, rien n’y faisait. Après je me sentais encore plus vide, comme si j’étais seul au monde, sans même mes larmes pour me consoler, comme si je n’existais pour personne, ce qui était bien vrai d’ailleurs. Personne ne me comprenait, ni même n’avait envie de me comprendre. Comment pouvais-je espérer que l’on me comprenne, je ne me comprenais pas moi-même. J’étais complètement désespéré. Il m’arrivait souvent de me parler. Ça me donnait un peu de courage. Je prenais des tons différents, comme si j’avais été entouré de plein de gens qui voulaient m’aider, m’encourager. Mais en fait le seul ami que j’avais, c’était le reflet du miroir qui essayait parfois de me sourire le matin quand je le rencontrais dans la salle de bain. Mais la plupart du temps, j’évitais son regard, triste, malheureux. A cette époque, tout me dégoûtait. Mon visage, laid à faire peur, je le détestais si fort que je ne le voyais plus. A sa place, y avait juste un gros vide. Je voulais devenir transparent, et je crois bien qu’aujourd’hui j’y suis parvenu, et quand je marche dans la rue, j’ai l’impression d’être complétement invisible, je passe complètement inaperçu. Les gens ne me regardent même plus ou alors c’est moi qui ne fais plus attention à eux, à leurs regards méchants. De ça, je suis guéri aujourd’hui, mais avant, pour me soigner, j’avais rien trouvé d’autre que de regarder la télévision. Je passais des journées entières à la regarder. Tout, je regardais vraiment tout et surtout n’importe quoi. Je voulais remplir le vide entre mes deux oreilles, alors je m’en gavais à m’en faire péter la panse. Je suis encore étonné de pas avoir eu une intoxication : indigestion télévisuelle aigüe avec séquelles encéphaliques irréversibles. Dans ma vie, j’ai pas échappé à beaucoup de choses, mais ça, ça m’est passé au-dessus du carafon. A l’époque, je croyais que la télé et la réalité, c’était pareil, alors comme jusque-là j’avais passé mon temps à rêver, je voulais rattraper le temps perdu. Je voulais comprendre les choses et me gaver de réalité. Je pensais qu’avec les programmes qu’ils passaient à la télé, je saurais comment m’y prendre dans la vie. C’est les pubs que je regardais le plus, parce que les films et tout ça c’est pas vraiment la réalité, je le savais bien que c’était inventé. Mais avec les pubs, on pouvait pas se tromper, c’étaient des gens comme tout le monde, enfin pas vraiment comme tout le monde, mais presque. En tout cas, moi je voyais bien que les gens y essayaient d’être comme ceux que je voyais dans la pub, alors après tout, je m’étais dit que moi aussi je pouvais bien copier. Moi aussi, je voulais ma part de bonheur. Mais avant de copier, je voulais vraiment voir de près à quoi ça ressemblait. Alors j’enregistrais toutes les pubs où on voyait des jeunes (comme moi) dynamiques, riches et intelligents (ça, c’était pas comme moi, mais c’est comme je voulais être). Je regardais tout au ralenti pour bien voir comment s’était fait un héros moderne, moi aussi je voulais avoir l’étoffe. J’étais vachement motivé, mais dans mes moments de lucidité, je voyais bien que ça allait être aussi vachement difficile pour moi. On pouvait pas vraiment comparer, eux ils vivaient dans un palace, moi dans une chambre de bonne de 10m². Eux, y étaient beaux et musclés, et moi je regardais ma bedaine naissante, une part de pizza froide à la main. Vraiment, y avait trop de boulot, alors j’éteignais la télé. Et je continuais ma journée allongé sur le lit entre un reste de chips et les tasses de café à moitié vide que je finissais immanquablement, en m’assoupissant le ventre repu, par renverser sur les draps d’une propreté déjà douteuse. Et une fois de plus, je sombrais dans le laisser-aller total, sans retenue.

 

Pour combler mon affectif, j’avais pris l’habitude, comme à peu près tout le monde, d’aller m’astiquer la biroute dans les cabines privées des sex-shops. J’allais m’asseoir derrière la vitre pare-giclure pour regarder une demoiselle (qu’on pouvait choisir à l’entrée sur catalogue) faire son petit numéro rien que pour nous. Si je dis  « nous » c’est parce qu’en général, la demoiselle en question était encerclée par une bonne dizaine de messieurs, isolés dans leur cabine à se donner un petit plaisir fugace, aseptisé et solitaire, mais somme toute collectivement organisé. Pour elle, le spectacle, bien que mollement excitant, devait être follement drôle, de voir tous ces bonhommes s’escrimer comme ça en cœur et en cadence ! Du fast-sex à consommer sur place avec serviette fournie en cas de bavure. Ce type de magasins n’avait pas encore prévu ni la livraison à domicile ni l’option « à emporter », ce qui ne gênait pas de vieux messieurs bien mis (je n’ai pas dit bien montés) ou des cadres à-attaché-case-cravate – que l’on imaginerait plutôt adeptes d’une gastronomie plus raffinée – de venir au comptoir se servir à pleine main. Je les voyais sortir la mine apaisée et déconfite, comme ça l’air de rien et surtout pas l’air d’y toucher en réajustant leur pantalon comme après un bon gueuleton.

 

Mais un jour, j’en ai eu marre de me faire ça tout seul (merde ! pour faire l’amour, faut quand même être deux, enfin… au moins), alors je suis allé aux putes... enfin vous comprenez, ça me chatouillait vers le bas-ventre, quand je dis que ça me chatouillait, je veux dire que ça devenait dur… dur à vivre. Ce jour-là, j’avais envie d’un face-à-face moins cloisonné, mais aussi un peu moins… comment dirais-je… collectif, mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. J’ai dû marcher longtemps pour trouver le bon quartier. Il était vraiment tard. C’était la nuit, et il y avait pas beaucoup de monde dans les rues. Quand j’ai vu pas mal de voitures dans la même rue avec que des mecs tout seul à l’intérieur, je me suis dit, c’est bon, j’ai trouvé. Plus je me rapprochais du centre des affaires nocturnes, plus forcément il y avait de monde, et les gars, ils tenaient même leur volant d’une seule main. Là, je pouvais pas me tromper, c’était le bon endroit. Autour de moi, il y avait plein de petites camionnettes avec des filles à l’intérieur, il y en avait de toutes sortes ; des grosses, des maigres, des blondes, des brunes, des vieilles, des jeunes… le seul truc qu’elles avaient en commun, c’était leur camionnette, et qu’elles devaient avoir toutes très chaud. Pour la saison, elles étaient vraiment pas très habillées. J’étais content, j’allais pouvoir choisir celle à qui j’allais fourguer mes 3 gouttes et donner 200 balles. En fait, c’est un peu comme au zoo sauf qu’on n’y va pas pour donner des cacahouètes. Il y avait là toute une faune bigarrée, des animaux de tout poil. Des mecs partout, quand je dis partout, c’était vraiment partout ; dans les camionnettes, devant les camionnettes, dans les voitures près des camionnettes. Que pouvait bien faire tout ce monde à une heure pareille ? C’était pas possible, je pouvais pas croire que tous ces mecs, eux aussi, se faisaient l’amour tout seul. Partout ça attendait ferme, le mégot de gitane au bec ou accoudé à la portière d’une BMW dernier cri. J’aurais jamais cru ça, des mecs de tous les milieux, ça allait vraiment du claudo au bourgeois ventru. Moi qui croyais que ces mecs, ils n’avaient rien en commun, qu’ils avaient pas les mêmes loisirs, bref des centres d’intérêt différents, alors quand j’ai vu ça, je suis tombé sur le cul, un des seuls trucs qui rassemble les hommes. Dans ce genre de commerce, je pensais pas qu’il fallait faire la queue. Mais on pouvait pas y échapper. Fallait prendre son ticket chacun son tour, comme à la boucherie. A l’intérieur, ça abattait fort ! On voyait la camionnette bouger dans tous les sens, le mec devait pas y aller de main morte, il devait réellement lui trancher dans le lard. Il y avait 10 mecs devant moi. Y en a, ils essayaient de mater par la fenêtre de la camionnette. Les rideaux étaient pas bien tirés. Ils avaient pas peur de montrer qu’ils étaient vachement excités. Les autres, ils avaient plutôt l’air gêné. La tête dans les épaules, les mains dans les poches (tiens ?!! c’est vrai ! pourquoi dans les poches ?), on aurait presque cru qu’ils attendaient le bus. Au bout d’une demi-heure (10 mecs en une demi-heure, je vous avais bien dit que c’était de l’abattage), c’est moi qui étais devant la porte de la camionnette. Ça allait être mon tour, enfin. J’avais pas encore vu la fille à l’intérieur. Enfin, à travers les rideaux mal tirés, j’avais pas vu sa tête. J’avais choisi cette camionnette parce que j’avais vu beaucoup de types à côté, et je m’étais dit, vu le monde, ça devait être un bon coup. Quand le mec qui était à l’intérieur est sorti, elle a lancé, en sortant la tête : « au suivant ». C’était un travelo. Du coup, je me suis dégonflé (dans tous les sens du terme), alors je suis rentré chez moi, la queue basse entre les jambes.

 

Certains jours, ceux où j’étais vraiment déprimé, j’allais errer dans le centre commercial qu’il y avait à côté de chez moi. En fait, après mes longues séances d’apprentissage de la réalité par la télévision, j’étais si déprimé que presque chaque jour je déambulais dans la galerie marchande, à la recherche d’une réalité un peu plus réelle ou du moins un peu moins inaccessible, enfin c’est ce que je croyais. Le plus souvent je marchais parmi la foule des badauds, en essayant de les imiter. Je prenais alors une mine réjouie, heureuse pour ne pas trop détonner avec le climat ambiant. J’adoptais un pas lent et un air préoccupé en essayant de m’extasier devant chaque vitrine. Et devant un article particulièrement intéressant, comme mes voisins, je poussais de grands « ah ! oh ! », me demandant bien pourquoi ça les mettait dans un état pareil. Laborieusement, je continuais à les suivre, consciencieusement de magasin en magasin. Je ne suivais jamais trop longtemps les mêmes personnes,  je me serais trop vite fait repéré, alors, au bout de quelques minutes, je changeais de professeur. Mais il fallait croire qu’ils n’avaient pas beaucoup d’imagination, ou alors que leur manuel d’enseignement ne contenait qu’une seule page, j’avais toujours droit à la même leçon. Je lui avais même donnée un titre à cette leçon : comment avoir l’air occupé, en donnant l’impression d’être riche et heureux sans être rien de tout ça ? Moi, la leçon, elle m’intéressait vachement parce que j’étais pauvre, déprimé et que je m’emmerdais à mourir. En soi je pensais que ça, c’était pas grave, mais ce qui m’embêtait drôlement, c’est que ça se voyait vachement. Et je voulais apprendre moi aussi à faire semblant, même si maintenant je sais que tout le monde, tout en faisant semblant, sait parfaitement que les autres, ils font semblant aussi. Mais tout le monde continue quand même à faire semblant. Au bout de quelques heures, j’en avais un peu marre, j’avais fait plusieurs fois le tour de la galerie, en m’arrêtant dans tous les magasins. Au bout de quelques jours seulement, certaines vendeuses qui devaient me reconnaître, me disaient : « bonjour, ça va aujourd’hui ? ». Je répondais tout fier : « oui, oui, aujourd’hui ça va, je me promène ». Mais apparemment, elles disaient ça à pas mal de monde, j’en déduisis que je devais pas être tout seul à faire chaque jour ma petite balade ici. Donc, souvent, vers 18h, je m’arrêtais et j’allais m’installer à la terrasse d’un bistrot qui faisait l’angle de deux allées, le carrefour principal au rez-de-chaussée de la galerie. Après les travaux pratiques, je passais à l’observation et à la théorie. Je commandais en général un demi et un verre d’eau. J’aime pas la bière mais je trouvais que ça faisait plus viril de commander un demi plutôt qu’un sirop de grenadine, et le verre d’eau, c’était parce que j’avais soif. Lorsque ma commande arrivait, je sortais mon petit carnet. Et bien installé, je pouvais parfaire mes connaissances pratiques, l’œil vif et le stylo à la main. Pour l’observation, l’endroit était stratégique et l’heure favorable ; 18h, la sortie des bureaux, les secrétaires et les petits employés qu’allaient dépenser ce qu’ils s’étaient évertués à gagner toute la journée. Cet apprentissage fut vraiment efficace. Et au bout de quelques mois, riche de tous ces enseignements, moi aussi, je savais comment on devait s’habiller pour être original comme tout le monde, dans quel magasin ça faisait bien d’entrer même si on n’achetait rien, comment on devait se pâmer devant la glace en essayant un maillot de bain, et même les sacs de tel ou tel magasin qu’il fallait avoir en main pour faire croire qu’on était allé acheter des trucs chez eux, même si à l’intérieur, y avait que des trucs achetés au supermarché de la galerie. Maintenant que je savais, il n’y avait plus qu’un seul truc à faire, c’était de m’y mettre moi aussi, et plus comme un apprenti maladroit, mais en vrai pro, en consommateur modèle, pressé et exigent, en un mot, devenir moi aussi un homme moderne.

 

Mais j’avais beau me forcer, jamais j’y suis arrivé. Quand je voulais passer à la pratique, à chaque fois je bloquais. Je sais pas, ça devait être psycho-pas génétique du tout ou un truc comme ça, enfin ça venait pas de mes parents pour une fois. Je savais comment faire, mais impossible d’y arriver. Alors je suis retombé dans la déprime, et de nouveau j’ai passé mes journées à rien faire.

 

Ce qui m’a sauvé, c’est quand j’ai vu cette annonce sur le journal. J’étais chez le dentiste, et en attendant mon tour, je feuilletais un magazine que j’avais ramassé au hasard sur la petite table basse. Vous savez, ce genre de magazines qu’on ne lit que chez le dentiste ou chez le médecin en se demandant si c’est la femme de ce dernier qui est abonnée – auquel cas leur conversation le soir à table doit être guignolesque au point de s’interroger sur la compétence réelle du dit professionnel – ou alors s’il les achète tout exprès pour contenter sa clientèle la plus débile, et chose curieuse, comme tout le monde affirme ne lire ce genre de revue que dans les salles d’attente, je vous laisse deviner ce qu’il doit penser de toute sa clientèle.

 

L’annonce était en fin de magazine, c’était un énorme encart sur une page entière qui présentait une association, la NELP, qui aidait les pauvres et qui avait besoin de nouveaux bénévoles. Le lendemain, je suis allé à l’adresse qui était indiquée en bas de la page. J’étais déprimé, je savais pas quoi faire, alors je m’étais dit que de voir encore plus malheureux que moi, ça pourrait que me faire du bien, et puis comme ça je pourrais aussi rencontrer des gens, et peut-être même trouver une copine. Quand j’ai débarqué dans le local, y avait vachement de monde, comme quoi je devais pas être tout seul à m’emmerder. Le responsable nous a présenté ce que faisait la NELP, il nous a dit que l’association « Nous Et Les Pauvres » fournissait des vêtements et de la nourriture aux exclus. Il nous a dit que lui, il était travailleur social et qu’il était responsable du travail des bénévoles, et que notre tâche consistait à organiser la distribution qu’avait lieu 2 fois par mois. Il a même ajouté que c’était pas beaucoup, 2 fois par mois, mais qu’ils avaient pas les moyens de faire plus, et que 15 travailleurs sociaux, tous salariés de la NELP, se démenaient comme ils pouvaient pour mettre en place une distribution mensuelle supplémentaire, et que d’ailleurs pour faire connaître leurs actions, ils consacraient une grosse partie de leur budget à la publicité dans les magazines, parce qu’ils disaient que plus on serait nombreux pour aider les pauvres, plus la NELP serait connue, et plus elle pourrait avoir des subventions par la mairie, surtout depuis que la femme du maire faisait partie du conseil d’administration en qualité de vice-présidente. Pendant 2 heures, il nous a parlé de ça en nous expliquant qu’on était en guerre contre la pauvreté parce que c’était pas tolérable que les gens soient pauvres dans un pays riche, et que lui comme il était payé pour combattre ça, il faisait tout son possible pour trouver de l’argent, parce que pour lui, le nerf de la guerre c’était l’argent et qu’il voulait pas que les pauvres, ils aillent ailleurs pour manger et s’habiller. Les gens, ils disaient qu’ils étaient d’accord avec ça et qu’ils seraient fiers d’être bénévoles à la NELP parce que c’était là où les pauvres, ils venaient le plus, et qu’ils auraient comme ça l’impression d’aider beaucoup de malheureux. Tout le monde voulait partager la misère des exclus et ils disaient qu’ils pouvaient même venir au moins 2 heures par mois, et peut-être même le double mais pas plus, parce qu’eux aussi ils avaient leur vie. Y avait des étudiants, des retraitées ou des femmes au foyer, vraiment plein de gens différents qu’avaient du temps à consacrer aux pauvres. Mais les étudiants, ils disaient qu’ils avaient aussi leurs études (et qu’aujourd’hui, c’était important les études pour avoir un travail et pour pas être pauvre), et puis les retraitées, 3 fois par semaine, elles avaient leur partie de bridge, quant aux femmes au foyer, il fallait bien aussi qu’elles aillent chercher les enfants à l’école, et non c’était vraiment pas possible d’annuler les week-end à Chamonix, parce que vous comprenez, leur mari ne comprendrait pas. Au bout de 3 heures, tout le monde se mit d’accord pour 1 heure par mois, puis on rentra chez nous.

 

3 semaines après, on se retrouva tous, tous les bénévoles, pour la 2ème distribution mensuelle. Les retraitées avaient fait des gâteaux, les mères de famille avaient apporté les vieux costumes de leur mari, et les étudiants avaient apporté leur entrain. Moi, j’avais juste amené mon désœuvrement. La distribution se déroula à merveille, chacun distribuait, en plus de ce qu’il avait apporté, sourires, conseils sur l’existence et encouragements à chaque pauvre qui se présentait. Ils entraient dans le local un par un (pour plus de confidentialité et de convivialité) après avoir fait la queue dehors pendant 4 heures. C’était la volonté du responsable de la NELP, ils disaient comme ça en faisant la queue, déjà ça les occupait une partie de l’après-midi, et puis que ça les gênait pas puisqu’ils avaient l’habitude d’attendre quand ils allaient faire des démarches dans les administrations, et puis aussi que c’était bien pour l’image de la NELP, parce que les gens ils pouvaient voir qu’ils avaient beaucoup de clients. Je suis resté à la NELP 3 semaines, le temps d’une seule distribution et de voir que c’était pas pour moi, d’abord parce que moi, 1 heure par mois, ça me suffisait pas, ça me laissait encore trop de temps pour glander, et puis parce qu’à part les étudiantes hyper-catho et très coincées, y avait que des vieilles ou des déjà-mariées et que ça n’arrangeait pas mes affaires sentimentales, alors j’ai arrêté de m’occuper des pauvres pour m’occuper de ma pauvre vie.

 

 

Chapitre 6

J’ai repris mes activités télévisuelles et ma formation au centre commercial parce que j’avais rien trouvé d’autre à faire. Et puis un jour, j’en ai eu vraiment marre de glander à ne plus savoir quoi faire, alors j’ai décidé de tout plaquer pour aller voir du pays. La veille, j’avais vu à la télé un reportage sur les mecs qui tentaient leur chance aux States, le pays des rêves… toujours déçus. J’avais vachement été impressionné par ce type qui avait commencé là-bas avec 2,5 dollars et qui 3 ans après avait augmenté son capital de 10,5 dollars. Il expliquait que c’était drôlement dur, mais que lui il y croyait, et qu’un jour, lui aussi, il aurait sa chance. Pour l’instant, il dormait encore dans la rue, mais il disait que c’était plus pratique que l’hôtel parce que comme ça à 4h du matin, il était déjà réveillé et qu’il était toujours dans les premiers pour la soupe populaire du matin. Il disait aussi que dormir dans la rue, c’était vachement instructif, et qu’il avait appris des tas de trucs qui pourraient lui servir après, quand il aurait réussi, comme par exemple apprécier un bon lit chaud en hiver. Lui, il disait, il serait pas comme ces types blasés parce que trop riches qui savent même plus apprécier ce qu’ils ont, lui il saurait apprécier. C’est ce genre de trucs qu’il avait appris, des trucs simples mais pas idiots. Y en avait un autre, il avait eu un peu plus de chance, lui aussi il était à New York, mais il avait un boulot et même un logement. Ça avait l’air de bien marcher pour lui, il bossait dans une agence immobilière. Pour l’instant, il était encore en bas de l’échelle, mais ça faisait seulement 12 ans qu’il travaillait là-bas. Lui aussi, il s’accrochait, il était content, il ne bossait que 14h par jour. Mais il disait qu’il n’était pas paresseux, et qu’il allait faire des heures supplémentaires pour avoir de l’avancement parce qu’il voulait trouver un autre appartement, parce que pour l’instant il le partageait avec 6 personnes, un F2 dans le Bronx, ben oui parce qu’il expliquait que dans ce quartier, c’était un peu moins cher, surtout quand on divisait le loyer par 6. Sinon, à part ça, ça lui plaisait. Alors moi, quand j’ai vu ces gars qui avaient l’air bien dans leur peau, avec la pêche et tout, j’ai eu envie aussi de tenter ma chance, parce que ce que j’avais le plus besoin, c’était comme eux d’avoir la tchatche et de me battre pour une petite place au soleil.

 

Le lendemain, à 4h du matin, j’avais nettoyé ma piaule, fait la vaisselle et bouclé mon sac à dos, prêt à partir. J’avais 500 balles en liquide, mon passeport et foi en mon avenir. Je me suis dirigé vers la gare Saint Lazare, point de rassemblement des cars qui partaient pour tous les coins d’Europe. A la dernière minute, je m’étais décidé pour l’Angleterre, moins dangereux, moins cher et au total plus pratique que les States mais tout de même dépaysant.

 

A cette heure-là, le métro était encore fermé, et y avait pas de bus non plus, alors j’y suis allé à pied. 5 heures de marche pour traverser la moitié de Paris avec presque 40 kilo sur le dos. Je suis arrivé vers 9 heures. Moi qui pensais être le seul aventurier, j’ai vite déchanté, le car était plein. Ils avaient tous à peu près mon âge et la même envie d’aller voir du pays, le sac sur l’épaule. Y avait tellement de monde qu’ils ont dû affréter d’autres cars. Mais ça s’est arrangé, et on a tous pu partir. Près de 800 français entassés dans 23 cars. Pour le dépaysement, ça s’engageait mal.

 

On est arrivé en début de soirée. Les 23 cars ont déversé leur cargaison. Et on s’est tous dispersés par petites grappes. Moi, dans ma grappe j’étais tout seul avec mon sac à dos. J’ai dû marcher longtemps avant de trouver un hôtel où il y avait encore une chambre de libre. J’avais bien dû en faire une vingtaine, et tous affichaient complet. A chaque fois, il y avait une pancarte qui annonçait : « no place for young french tourists, but for others we can see ». L’accueil avait au moins le mérite d’annoncer clairement la couleur. Et j’avais été obligé de me rabattre vers le quartier chic pour touristes. Là, y avait pas de pancarte d’accueil, juste les tarifs de la nuit, rien en dessous de 400 balles, ce qui revenait au même pour les jeunes touristes français, juste une façon un peu plus élégante de nous le dire. Avec le voyage, j’avais même plus 100frs en poche. J’allais tout de même pas dormir dans la rue. Je m’apprêtais à aller poser mes guêtres ailleurs quand un liftier, que je n’avais pas vu, s’avança vers moi et me dit : « toi, t’es français, tu viens d’arriver, t’as plus un rond, et tu cherches un coin pour pioncer ». Je ne pus répondre que d’un hochement de tête idiot et surpris, ça se voyait donc tellement. Il m’expliqua qu’ici, il n’y avait que ça des français qui voulaient tenter leur chance, que lui-même était français et était arrivé il y a quelques semaines seulement. Il me dit aussi qu’il y avait peut-être un truc pour moi ici, le matin même un des grooms de l’hôtel, un français, était parti. Il était arrivé la veille, et après 2 heures de boulot avait décidé de retourner en France. Alors j’ai pris mon courage à deux mains, rangé my timidité in the pocket, rassemblé mes quelques notions d’anglais et suis entré, prêt à exposer mon projet professionnel au directeur. Son adjoint me dit qu’il était parti, mais que je pourrais certainement faire l’affaire parce qu’ils acceptaient n’importe qui, et il me fit signer mon contrat d’embauche. C’était pas une place de groom, mais un emploi d’aide commis à la cuisine. Il m’invita à poser mes affaires dans le local du personnel, me tendit mes frusques de travail et me poussa vers les cuisines et mon premier job outre-manche. Ce premier jour, j’ai bossé jusqu’à 2 heures du matin. Quand j’ai eu fini de laver les ustensiles de cuisine, les casseroles et les couverts, le chef cuistot m’a dit que ça irait pour aujourd’hui. Quand je suis sorti des cuisines, l’adjoint m’attendait. Et je ne compris pas tout de suite lorsqu’il me montra du doigt la banquette qui se trouvait dans l’arrière-salle du restaurant. Mais lorsqu’il ferma la porte en disant : « good night », mes maigres notions d’anglais me suffirent. Trop crevé pour protester, je m’y allongeai et m’endormis aussitôt.

 

Je suis resté 2 semaines à laver les chiures que les clients laissaient dans leurs assiettes, juste de quoi pouvoir bouffer. La bouffe réservée au personnel était si dégueulasse qu’il m’arrivait très régulièrement, comme tous là-bas, d’avaler, entre 2 assiettes à laver, les restes d’un client délicat, une façon comme une autre de s’offrir de petits extras et surtout de ne pas mourir de faim. Pour les extras, c’était les seuls qu’on pouvait se payer, le reste de la journée - de 5 heures du mat à 2 heures du matin - on avait pas le temps, et lorsqu’on l’avait, on était si crevé qu’on s’affalait dans le coin de l’hôtel qui nous servait de dortoir, dans l’arrière-cour du restaurant. Heureusement, la direction, fortement encouragée par la législation (sous peine de fermeture de l’établissement) avait la gentillesse de nous octroyer un jour de repos hebdomadaire. Lorsqu’on restait pas la journée entière à essayer de récupérer dans le lit d’une des serveuses (c’est d’ailleurs comme ça que j’ai été dépucelé, un jour de repos collectif aussitôt transformé en une formidable beuverie qui a très vite tourné en une orgie monstre, et comme tout le monde était complètement bourré, personne ne reconnaissait plus personne, c’est comme ça que j’ai pu goûter au double plaisir de l’anonymat et de la chair flasque), donc lorsqu’on était pas en train de se reposer à boire et à baiser, on pouvait visiter la ville. Moi, j’ai jamais quitté le quartier, et ça m’a pas empêché de rencontrer le londonien type ; un  étranger plus ou moins jeune, toujours fauché, complètement exploité, souvent bourré, fort amateur de Guinness et spécialiste de petites culottes toutes nationalités confondues, venu à Londres pour quelques temps (entre 2 jours et 30 piges) avant de partir ailleurs pour voir si la fortune lui serait plus favorable ou tout simplement pour rentrer au pays, et qui restait pourtant là à patauger dans la merde des cuisines et dans la fiente des hôtels à touristes parce qu’il arrivait jamais à amasser plus de 5 pounds par mois pour se payer le voyage. Certains, ils étaient venus à 20 ans, et à 50 balais, ils avaient pas encore de quoi quitter cet eldorado. Il faut dire qu’avec le prix de la pinte de Budwiser et de la boîte de capotes – accessoires indispensables aux 2 activités les plus prisées par la jeunesse internationale londonienne, c’était vachement dur de boucler les fins de mois (surtout qu’on était payé à la semaine), alors pour mettre de côté quelques pennies, fallait pas trop y compter sauf peut-être pour les eunuques membres des Anciens Alcooliques Anonymes.

 

Ça faisait à peine 2 semaines que j’étais arrivé qu’ils m’ont viré avec tout le personnel des cuisines, pour faute professionnelle grave, ils avaient dit. Ce jour-là, on avait eu un groupe de 450 irlandais pour le breakfast, et comme y avait plus d’orangeade et que tous, ils réclamaient leur breuvage pour faire passer leurs haricots blancs à la confiture de groseille, et qu’ils insistaient vachement parce qu’ils avaient payé d’avance, et qu’ils avaient lu sur le menu que ça c’était à volonté, on avait voulu répondre à leur demande par conscience professionnelle et surtout pour qu’ils arrêtent de nous faire chier en nous disant qu’ils voulaient voir le directeur. Ils faisaient vraiment un tapage de tous les diables, alors avec tous les mecs qui travaillaient dans les cuisines on s’est regardé pour savoir ce qu’on allait faire. Quand le directeur, alerté par tout ce tapage, est entré aux cuisines pour demander des explications, on était tous en train de pisser dans les carafes. Une heure après, tout le monde a été viré. Les autres, ils étaient obligés de trouver un autre job, vu qu’ils pouvaient pas rentrer chez eux, parce que pour retourner en Australie, au Brésil ou en Afrique du sud, il fallait quand même en laver un paquet d’assiettes avant de pouvoir se payer le voyage. Moi j’habitais juste à côté, j’étais venu un peu en voisin, alors comme j’avais pas un rond, je suis rentré en stop, sauf pour les derniers kilomètres où j’ai pris le métro.

 

Quand je suis revenu, j’ai glandé 6 mois, le temps de retrouver mes esprits et de faire des démarches pour repartir à l’étranger. Malgré mes déboires, j’y avais pris goût, mais cette fois-ci, je voulais préparer mon départ avec plus de sérieux. Je voulais de l’aventure mais bien programmée, sans mésaventures. J’avais l’idée de mettre à profit ce qu’on avait essayé de m’apprendre à l’université. Et je me mis à la recherche d’un organisme qui serait prêt à m’accueillir, sans savoir vraiment ce que j’avais envie de faire. Tout ce que je savais, c’était que je voulais aider les pauvres, les enfants du 1/3 monde ou les veuves de guerre. J’ai donc envoyé 500 photocopies de mon diplôme qui était censé attester l’authenticité de mes compétences à 500 associations différentes. J’avais trouvé la liste dans un petit guide que j’avais ramassé par terre près de l’Ecole Supérieure du Travail Humanitaire. Je sais pas si c’était un étudiant qui l’avait jeté parce qu’il avait trouvé que les débouchés étaient pas suffisamment rémunérateurs ou si ça faisait partie de la politique de marketing de l’école. Avec mon CV, dans chaque enveloppe j’avais glissé une petite lettre qui expliquait que j’étais vachement motivé pour aider tous les malheureux de la terre, que j’y connaissais rien mais que j’étais un gars plein de bonne volonté. Allez savoir pourquoi, je n’ai reçu qu’une seule réponse, 6 mois après. C’était un tout petit organisme qui avait à peine 1 an d’existence et qui s’occupait d’envoyer des médicaments partout à travers le monde, et il avait besoin de quelqu’un pour l’acheminement du nouveau stock de médicaments. Ça, c’était ce qu’il y avait écrit sur la lettre. Quand je suis allé les voir pour l’entretien, là ils ont présenté les choses un peu différemment. En fait, ça faisait 6 mois qu’ils existaient, ils avaient tout juste 2 cartons de médicaments, et ils savaient pas où les envoyer parce que personne n’en voulait, mais ils avaient quand même besoin de quelqu’un pour s’en occuper parce que, eux, ils avaient pas le temps, ils étaient bénévoles. Et ils pouvaient pas venir à l’O.V.Q.M.F.U.G - O.A.D.S – c’était le sigle de l’association, littéralement ça veut dire « On Va Quand Même Faire Un Geste, On A Des Sous » - plus de 1h30 par mois, à cause de leur boulot, ils disaient. Ils n’ont même pas pris la peine de me questionner, de connaître mes motivations profondes, ni même de savoir si mon profil correspondait au poste proposé (qu’ils n’avait d’ailleurs pas défini). Ils m’ont simplement dit que le ministère de la coopération leur avait donné une grosse enveloppe, qu’ils me paierait 500frs par mois, que j’aurais le statut de volontaire, et que je devais signer là en bas de la feuille. Tu parles d’un statut de volontaire, ils m’auraient presque menacé si j’avais pas signé. Et à la fin, ils ont ajouté que je partais le lendemain et que le président de l’association m’accompagnerait pendant une semaine pour s’assurer que tout se passerait bien, et qu’ils attendaient d’une minute à l’autre un coup de fil du ministère pour connaître la destination. Une fois mon contrat signé, ils m’ont expliqué qu’ils avaient un briefing et qu’ils n’avaient plus de temps à me consacrer, alors je suis rentré chez moi. Dans la soirée, je reçus un coup de fil. C’était le président de l’O.V.Q.M.F.U.G – O.A.D.S. Il m’a annoncé qu’on partait en Mongolie et que  l’avion décollait le lendemain à 5h30. Quand je suis arrivé à l’aéroport, il m’attendait. Sa femme et ses enfants étaient là. J’ai trouvé ça sympa d’être soutenu par sa famille, moi personne ne m’avait accompagné à l’aéroport. Après son coup de fil de la veille, j’avais quand même téléphoné à mes parents pour leur dire que je partais, que j’allais en mission humanitaire en Mongolie. Et eux, ils ont rien trouvé d’autre à me dire que c’est pas en allant aider les petits noirs que j’allais réussir dans la vie, et que de toute façon, ça servait à rien d’aller si loin, y avait déjà beaucoup de misère ici, et qu’eux ils donnaient régulièrement aux orphelins apprentis d’Auteuil, et que c’était déjà beaucoup pour les pauvres même si c’était vrai ça les arrangeait pour les déductions d’impôt, mais que quand même si tout le monde faisait comme eux, ça serait déjà bien. Après ces paroles d’encouragement, j’avais raccroché pour préparer mes affaires. Après, une fois les présentations faites, on est allé faire enregistrer les bagages. Moi je devais rester 6 mois là-bas et j’avais juste mon sac à dos, et j’ai trouvé ça un peu bizarre que lui qui ne restait qu’une semaine fasse enregistrer 5 valises, mais après je me suis dit qu’après tout il avait peut-être amené avec lui une partie du matériel pour la mission. Sa femme et ses enfants nous accompagnèrent jusqu’à la porte d’embarcation, et moi je trouvais ça vraiment touchant d’être soutenu comme ça jusqu’au dernier moment. Mais quand on est monté dans l’avion, sa femme et ses enfants étaient encore là, peut-être avaient-ils eu une dérogation spéciale pour nous accompagner jusqu’à ce que nous décollions. Mais quand ils fermèrent les portes, comme ils étaient encore là, je me suis dit que cette famille était vraiment unie, et nous nous envolâmes tous les 6. L’O.V.Q.M.F.U.G - O.A.D.S avait vraiment bien organisé les choses. On était en 1ère classe, on avait droit au champagne, à la télé, aux petits gâteaux, tout ça offert par la compagnie et apporté par des serveuses vachement jolies et vachement bien habillées. Pendant le voyage, le président m’a expliqué que tout ça, le champagne et les petites attentions, c’était pour notre moral parce qu’après ça risquait d’être drôlement dur. C’était pour notre moral et surtout aussi, il avait ajouté parce que l’enveloppe du ministère avait été plus grosse que prévue et que si on voulait qu’ils continuent à nous payer, il fallait leur montrer qu’on en avait vraiment besoin de tout cet argent, il fallait donc essayer de tout dépenser, mais il a rien dit pour sa femme et ses enfants.

 

Quand on est arrivé, y avait une délégation du ministère de la santé qui nous attendait. On est tous monté dans la voiture officielle qu’on avait mis à notre disposition, et on s’est dirigés vers le seul hôtel de la ville, enfin le seul qui pouvait faire diminuer le contenu de l’enveloppe plus vite que les autres. On est tous montés dans nos chambres pour se reposer. Le soir-même, on avait rendez-vous avec le ministre qui nous avait invités pour dîner. On nous avait réservé la seule suite de l’hôtel, celle qui était en général utilisée par les touristes japonais, qui visitaient le pays en quelques heures, et par les hommes d’affaires, pour la plupart des représentants de la firme Mac Donald qui voulait ouvrir un fastfood local spécialisé dans les hamburgers au mouton et le milkshake au lait de jument. Après quelques heures de sieste, on est venu nous chercher pour le dîner. Il avait lieu dans une grande salle du ministère, le ministre avait voulu quelque chose de simple et de convivial. En nous accueillant, il avait dit « à la bonne franquette, comme on dit chez vous ». Puis, il nous a invités à nous asseoir à la grande table qu’ils avaient tout spécialement dressée pour nous et les quelques 450 invités, pour la plupart ses plus proches collaborateurs. Il nous a expliqué que son pays était en pleine reconstruction et qu’il avait besoin de nombreux collaborateurs - tous très qualifiés (on apprit plus tard ce que ça voulait dire) - pour élaborer les plans annuels, bisannuels et quinquennaux de la grande marche en avant qui propulserait son pays parmi les plus grandes nations. A la fin du repas, il nous a dit qu’il était fier de nous accueillir et qu’il ne nous remercierait jamais assez pour le travail efficace qu’on allait faire, qu’on était vraiment courageux de quitter nos familles (le président était venu au dîner sans sa femme et ses enfants, quant à moi, j’ai pas osé lui dire au ministre que mes relations avec ma famille n’étaient pas au plus haut) et que notre aide serait précieuse dans la reconstruction de cette terre d’avenir. A la fin, il a même ajouté qu’il s’en rappellerait quand il serait président, mais ça on a eu du mal à le croire parce qu’après, pendant notre séjour, il était encore que ministre et on l’a pas revu, il devait pas avoir beaucoup de mémoire.

 

Pendant son séjour, je n’ai pas vu beaucoup le président. Il m’a expliqué qu’il avait beaucoup de rendez-vous importants pour organiser la mission. Mais un jour, je l’ai vu par hasard, il faisait la queue avec toute sa famille à un spectacle folklorique, des danses et des chants anciens dans un endroit où il y avait que des touristes japonais. Quand il m’a aperçu, il était un peu gêné, mais il m’a dit qu’il devait s’imprégner de l’ambiance, comprendre les mentalités et tout ça et qu’après ça serait plus simple pour lui de tout bien organiser. Il m’avait juste confié des tâches secondaires parce qu’il m’avait dit que lui, il avait l’habitude et qu’il s’occupait de l’essentiel. Moi, je devais juste trouver un petit appartement (parce que le président il pensait que l’hôtel, ça me couperait trop des réalités du pays), trouver une voiture, aller aux réunions organisées par les sous-fifres du ministre, et téléphoner à tous les hôpitaux du pays pour organiser la distribution des médicaments. Lui, il s’occupait du reste. Avant qu’il retourne en France, il a décidé de survoler le pays en hélicoptère (sans doute son souci des réalités) pour localiser les principaux hôpitaux où moi, quand il serait parti, je devrais aller livrer les médicaments. Et on embarqua tous les 6. Deux jours d’hélico pour voir 2 hôpitaux où on ne se posa même pas (je verrai bien moi-même, il a dit le président), par contre il voulait pas manquer la fête annuelle du cheval qui avait lieu à l’autre bout du pays. On y resta 2 heures, juste le temps d’acheter quelques souvenirs, pour la famille il a dit le président et même sa femme a ajouté : « venir si loin, et pas ramener un petit quelque chose, ça aurait été vraiment bête ».

 

Le lendemain, je les ai accompagnés à l’aéroport. Avant de monter dans l’avion, le président m’a lancé : « allez ! Bonne chance ! », et puis il a ajouté « Ah oui ! J’oubliais » et il m’a tendu une enveloppe - celle du ministère. Quand l’avion a décollé, je l’ai ouverte. A l’intérieur, il restait 5 billets, en monnaie locale, 350 Türigs, 35frs. On était venu à l’aéroport en taxi, et en sortant il m’attendait encore, le président ne l’avait pas payé. Je lui donnai les 300 Türigs qu’il me réclamait et rentrai à pied. L’appartement n’était après tout qu’à une trentaine de bornes. J’étais un peu anxieux d’avoir un budget si réduit, mais j’espérais qu’ils allaient bientôt m’envoyer le reste de l’enveloppe. En arrivant à l’appartement, un télex m’attendait : « désolé, le ministère est revenu sur sa décision, la subvention a été diminuée de moitié, les frais de préparation et d’organisation de votre séjour ont été beaucoup plus importants que prévus, en conséquence la mission est annulée, veuillez recevoir, monsieur, l’expression de notre considération la plus respectueuse. Signé : toute l’équipe de l’O.V.Q.M.F.U G .- O.A.D.S . Le lendemain, je suis allé au marché en bas de chez moi, et refourguais mes 2 cartons de médicaments sur un stand spécialisé dans la revente illégale de produits pharmaceutiques, le plus souvent périmés d’ailleurs, et réussis tant bien que mal à obtenir juste de quoi me payer un billet aller simple sur le transsibérien. Dix jours après, j’étais à Paris. Et à peine débarqué, je suis allé au local de l’O.V.Q.M.F.U.G – O.A.D.S, bien décidé à demander quelques explications. Quand je suis arrivé, y avait plus de local. A la place, il y avait une sandwicherie. Sur la pancarte, on pouvait lire : « spécialiste de la viande de mouton mongol ». Alors, je me suis senti tout con, une fois de plus je m’étais fait berner, et à part l’ironie du sort, j’avais toujours rien vu.

 

 

Chapitre 7

2 semaines après j’étais incorporé. En rentrant, j’avais regardé dans ma boîte aux lettres que je n’avais pas ouverte depuis 3 ans. Comme je connaissais personne qui pouvait m’écrire et que je payais jamais mes factures, je l’ouvrais jamais, mais quand je suis revenu de tous ces voyages, je m’étais dit que peut-être… et au milieu d’une cinquantaine de lettres EDF et de France Telecom, y avait effectivement un courrier du ministère de la défense. En l’ouvrant, je me suis aperçu qu’il avait été posté 2 ans plus tôt. J’avais complètement oublié le service militaire. J’étais parti sans me rappeler qu’il fallait que je remplisse mes obligations. Ça tombait vraiment bien que je sois rentré, sinon j’aurais pu faire de la prison parce que la société et les entreprises, surtout pour trouver un travail, elles veulent qu’on soit dégagé des obligations militaires, mais on peut pas s’en dégager n’importe comment, en tout cas elles aiment pas qu’on s’en dégage comme ça. Et c’est pour me dégager des obligations militaires que je me suis trouvé obligé, comme tout le monde, de faire mon service. Comme si on devait quelque chose à la nation…

 

On m’a affecté au fin fond de la Normandie. Une chance qu’ils avaient dit au bureau du recrutement, un truc pour les planqués, les fils-à-papa qui ont des relations avec des préfets ou des hauts gradés. Moi, mon père, il travaillait dans l’administration, et à part ses collègues de bureau et les engueulades de son chef, il connaissait personne. Des gradés, lui, il en connaissait pas. Il avait même failli se faire virer. C’était plutôt sa situation qui s’était dégradée. Il avait pas intérêt à faire le con, alors de là à demander, les pistons, fallait pas y compter. Dans le train, y avait que des futurs bidasses. L’armée avait réquisitionné un train complet pour ses appelés du contingent, une façon comme une autre de renflouer les caisses de la SNCF et de faire travailler ses fonctionnaires. Ce sont des services qu’ils se rendent entre administrations, ça leur fait croire qu’ils sont indispensables et vachement utiles. C’est l’Etat qui a inventé ce truc-là, c’est pour légitimer les impôts. Quand on est arrivé, ils nous avaient préparé une petite surprise. Juste avant d’aller à la cantine, on devait passer par une petite pièce. Et quand on ressortait, on avait tous la boule à zéro, pour nous mettre dans l’ambiance, il avait dit le sergent-chef. C’est après seulement qu’on avait droit d’ingurgiter notre ration pour le déjeuner. La cuisine militaire devait avoir si bon goût que ce premier jour personne n’y toucha. Mais peut-être était-ce dû aussi à l’émotion de se sentir enfin appartenir à ce corps d’élite dont toute l’efficacité s’était illustrée au cours de son histoire, surtout avec l’épisode de la ligne Maginot. Après cette initiation aux joies gastronomiques militaires, on nous fourguait notre paquetage : un ensemble disparate de vêtements aux couleurs peut-être un peu sobres, mais dont les teintes verdâtres (eux, ils disent kaki) se mariaient toutes très bien ensemble et mettaient en valeur notre nouvelle coupe de cheveux. Il y avait aussi des rangers usées jusqu’à la corde (les miennes en plus étaient trouées) et un magnifique survêtement d’un bleu chatoyant avec de chaque côté un liseré blanc et un liseré rouge du meilleur goût. On nous avait expliqué que maintenant nous n’étions plus autorisés qu’à revêtir ces vêtements qui faisaient la fierté de l’armée française. Le sergent-chef, il nous avait dit que c’était obligatoire, comme ça y avait plus de différence entre nous, y avait plus de riches, plus de pauvres, juste un ramassis de petits cons qui allaient en chier. Après, on nous a montré nos dortoirs, et comment on devait faire nos lits, en carré qu’ils appellent ça. Le sergent-chef, il a ajouté : « comme l’esprit militaire », et moi je pensais en rigolant que le carré, il devait pas être bien large. Je sais pas s’il a deviné, mais tout de suite le sergent-chef il m’a regardé et il a dit : « et toi, branleur, ça t’amuse ce que je raconte ». Alors je lui ai dit : « ben non, m’sieur, pas vraiment, mais je me demandais à quoi ça pouvait servir de faire son lit comme ça parce que… ». Et là, il m’a pas loupé le sergent-chef, j’ai même pas eu le temps de finir ma phrase que déjà il s’était mis à me gueuler dessus en disant que des p’tits cons de mon espèce, il les matait et que de toute façon, j’étais pas là pour réfléchir, que l’armée c’était pas fait pour ça, que lui il était le chef et que je devais fermer ma gueule. Et puis il a continué comme ça pendant au moins un ¼ d’heure en disant que j’étais un anarchiste, un rebelle révolutionnaire antirépublicain et antipatriotique, et que j’allais en chier comme c’est pas permis. Et même si je trouvais qu’il exagérait quand même un peu, c’est surtout ce dernier truc que j’ai le plus retenu. Du coup, j’ai fermé ma gueule et j’essayais comme tous les autres abrutis de ma chambrée de prendre un air captivé quand il a continué à aboyer ses explications. Mon séjour s’annonçait donc sous les meilleures auspices.

 

Le lendemain, on nous a réveillé à 4h30. Entraînement spécial qu’il avait gueulé le sergent-chef en nous foutant la lumière en pleine gueule. Puis il nous avait expliqué le programme de la matinée : « un, vous faîtes vos pieux, deux, vous allez bouffer, trois, vous revenez dans votre piaule, quatre, vous l’astiquez comme si c’était le cul de vot’ mère, je veux pas voir une seule chiure de mouche, cinq, vous mettez votre tenue de combat, six, vous prenez votre sac à dos, sept, en bas y a des pavés, vous remplissez votre sac de 10 pavés, ça fait même pas 60 kilo, huit, on part en balade, 80kms, histoire de se dégourdir les jambes, allez ! branle-bas de combat, bande de p’tits cons ! ». Y en a dans la chambre, ils étaient vachement contents, ils avaient trouvé leur truc ici, comme une famille. L’un d’eux, la veille avant de se coucher, il nous avait dit que lui, fallait pas lui chercher des noises parce que lui, il était fan de Rambo et qu’il connaissait déjà des techniques de combat, que lui il avait des couilles et qu’après son service il voulait s’engager dans la Légion. Tu parles d’un fils-à-papa, ils avaient dû se gourer dans son affectation, mais des mecs comme lui, y en avait plein. Ils m’avaient vraiment raconté n’importe quoi au bureau du recrutement, à moins que tous ces mecs, on les ait mal orientés, une preuve supplémentaire de l’efficacité de notre armée. Y en a d’autres, ils pleuraient. Ils avaient jamais quitté leurs parents, et ils voulaient tous retourner chez eux. Ils disaient qu’ils avaient l’habitude de se faire réveiller par leur mère qui leur apportait le petit déjeuner au lit, qu’ici ils ne pourraient pas jouer avec leur ordinateur et que d’habitude, ils ne faisaient pas de sport. Moi, je voulais pas faire le Rambo dans la Légion et ma mère ne m’avait jamais apporté le p’tit déj au pieu. Une fois de plus, je me sentais différent, paumé au milieu de mecs avec qui j’avais rien à faire et rien à dire, et qui eux, sans exception, se sentaient appartenir à l’une ou l’autre des deux catégories.

 

Mes classes durèrent 5 jours, un temps bien suffisamment long pour apprendre à marcher au pas, à crapahuter dans la merde et normalement à lier des amitiés indéfectibles en glandant pendant les jours de perm. devant une bière à jouer aux cartes. Après ces 5 jours glorieux, je fis mes adieux à mon sergent-chef. J’ai bien senti qu’il était attristé que je m’en aille si vite, il devait tout recommencer à zéro pour trouver une nouvelle tête de turc. Mais je ne me fis guère de souci pour lui, il en trouverait une facilement dans les nouveaux troupeaux de glandus qui se succédaient presque chaque semaine. Je retournai donc à Paris où l’on m’avait affecté, ils m’avaient trouvé un poste de chauffeur dans un hôpital militaire.

 

Le soir je pouvais rentrer chez moi, c’était la seule différence. Sinon je devais encore porter mon costume militaire, et toujours obéir à des petits gradés pour la plupart aussi bêtes que méchants. Mais en plus j’avais le privilège de côtoyer des généraux puisqu’ils m’avaient mis dans le service des chauffeurs d’officiers. Le matin, il fallait qu’on leur dise : « mes respects, mon général ». Moi, j’avais jamais eu beaucoup de respect ni pour l’armée, ni pour ses représentants, si illustres et si gradés soient-ils, et mon simple « bonjour » à peine murmuré et c’est vrai le plus souvent grommelé avait quelque peu surpris pour ne pas dire détonné dans l’atmosphère révérencieuse mais non moins hypocrite des lieux. Puis ils s’y sont habitués. Comme dans tous les services de l’armée (et de toutes les administrations du monde), à part regarder la pendule et compter les heures qu’il restait à faire, la plupart du temps nous ne faisions rien. Faut dire que la solde était pas lourde, et avec une telle indemnité, ils pouvaient pas en plus nous obliger à travailler. On ne faisait rien, mais on était obligé d’être présent parce qu’on sait jamais, ils disaient. La seule chose qu’on devait faire, c’était d’aller chercher notre général chaque matin devant chez lui et de le raccompagner chaque soir en faisant bien attention à ce que la voiture soit parfaitement nickel, propre comme une pièce d’artillerie. Après l’avoir astiquée comme un char d’assaut avant la parade du 14 juillet, lorsque son illustrissime arrivait, on devait lui ouvrir la porte, la lui refermer, mettre sa casquette de chauffeur (un affreux béret vert de gris) et rouler en douceur pour que monseigneur puisse lire confortablement son journal à l’arrière. Moi, on m’avait attribué un gros con galonné, toujours maussade, réputé pour sa mauvaise humeur et son mauvais caractère, bref le modèle type du haut gradé planqué toute la journée derrière son bureau, à jouer à la bataille navale avec son colonel ou à jouer à l’artilleur aguerri avec sa secrétaire, elle-même sergent ou major, spécialiste des missions de terrain et très expérimentée dans les combats de corps-à-corps rapprochés, en particulier pour ceux qui se déroulent sous le bureau. En un seul mot, absolument pas conscient et encore moins reconnaissant de ses privilèges (entre autres celui d’avoir une voiture et un chauffeur à disposition) qu’il devait certainement juger comme absolument normal et tout à fait légitime pour un personnage de son importance. Chaque matin, j’allais donc attendre son illustre personne devant chez lui, encore mal réveillé et souvent de mauvaise humeur, puisque habitant pas loin de chez lui, je devais me lever de bonne heure, traverser Paris en métro, la retraverser en voiture pour revenir l’attendre non loin de chez moi. Au bout d’une semaine, je lui fis part de cette aberration et lui proposai de prendre le métro, ce qui me ferait gagner au moins une heure de sommeil. Abasourdi par cet irrespect outrancier, je fus « muté » le matin-même dans un autre service. Que je ne sorte pas de la voiture pour lui ouvrir la portière, que la voiture ne brille pas (le matin, j’avais jamais le temps), que je me contente d’un grommellement en guise de salut militairement respectueux, tout cela passait encore, mais que je pousse l’irrévérence aussi loin, ça il ne l’a pas admis. « On va vous affecter aux services des archives » me décocha le général en chef, chez qui on m’avait dit d’aller pour m’expliquer. « Votre comportement est indigne de la patrie » me dit-il quand, devant lui, j’ai refusé de saluer le drapeau. « Vous allez voir, seconde classe, vous allez voir ce qu’est l’armée, dorénavant, vous ne rentrerez plus chez vous le soir, ah ! vous refusez d’obéir aux ordres de vos supérieurs, vous leur manifestez un irrespect intolérable, vous allez voir… ! ».

 

Ma nouvelle tâche consistait à classer et à ranger de vieux dossiers aux archives, au 5ème sous-sol. On m’avait mis avec tous les réfractaires. On était une bonne vingtaine, courbés toute l’après-midi derrière des piles de dossiers à jouer aux cartes. Il ne va pas sans dire que le travail n’avançait pas beaucoup, et même si on s’y était tous mis, on en aurait eu pour des siècles, tellement y avait de paperasses : toutes les notes interservices de l’armée française depuis 1870. Et quand on sait toutes les conneries qu’ils pouvaient s’envoyer entre les services, je peux vous dire que ça en faisait un tas de conneries à classer, et vraiment ça donnait pas envie de s’y mettre. Le seul moment où on faisait semblant de travailler (après je me suis aperçu que c’est partout la même chose – surtout dans l’administration), c’était quand notre chef, un lieutenant, passait dans la pièce pour vérifier si on bossait. C’était un appelé comme nous - mais qu’avait fait la Préparation Militaire Supérieure - et ça devait certainement lui donner le droit de prendre le même air que sa préparation quand il nous parlait. Parce qu’il avait tout juste son Bac+2, qu’il avait répondu juste pour le test à des questions du genre : « compléter la série suivante ; 1, 3, 5, 7, 9, … », il avait l’impression d’appartenir à l’élite, à la race supérieure des chefs. C’était lui, le matin, qui nous ordonnait de ramasser tous les mégots dans le parc. Il organisait toute la mission qu’on lui avait confiée : nous faire sentir qu’on était des petites merdes. Quand il distribuait les sacs poubelles, moi, je m’asseyais sur un banc et j’allumais un clope, histoire de profiter un peu de l’air matinal avant d’être enfermé aux archives pour jouer à la belote. Ça a pas duré 3 jours, un matin il m’a repéré et m’a envoyé illico au rapport chez le général en chef. « Alors on continue de jouer au rebelle ! » il m’a dit. Et c’est tout ce qu’il a dit. 5 minutes après, je me suis retrouvé au trou, histoire de méditer sur le rôle de l’obéissance dans l’armée. J’ai fait 2 jours de gnouf, et après 3 jours de plus pour faire une dépression. Alors on m’a réformé. Le psychiatre chez qui l’on m’a traîné, il m’a à peine regardé, et il a noté sur une feuille la mention : « P4 », réformé pour raisons de troubles mentaux aggravés en présence de toute autorité. Quand je suis sorti de chez le psy, j’ai éclaté de rire, c’est drôle comme une dépression pouvait en même temps que s’arranger tout arranger. En fait, c’était pas si terrible le service militaire, vraiment ce n’est rien et il suffit surtout de pas grand-chose pour l’éviter, quelques semaines juste de quoi préparer une belle petite dépression. Le soir-même j’étais chez moi, et j’en rigolais encore, j’ai dû prendre des comprimés pour me calmer, j’avais dû avoir une dépression euphorique.

 

 

Chapitre 8

Une fois mon service militaire terminé (enfin presque… oui, je sais, c’est déjà beaucoup trop), j’étais enfin comme tout le monde, je pouvais me mettre à chercher un travail. Et c’est bien sûr au bout d’une vingtaine de mois que je réussis, presque comme tout le monde, à en trouver un (même si « réussir » c’est pas vraiment le terme que j’emploierais, surtout que je cherchais sans vraiment chercher, enfin je cherchais sans avoir vraiment envie de trouver). On m’avait conseillé de m’inscrire à l’ANPE pour montrer à la société que je cherchais bien un boulot, et surtout histoire de toucher quelques subsides de l’Etat, une sorte d’argent de poche pour vieil étudiant pas pressé. J’avais dû fournir une tonne de documents, des justificatifs de tout poil, administratifs, sociaux, économiques, socio-économico-administratifs, enfin bref, la procédure a duré 19 mois, et le 20ème mois, ils me les ont donnés leur 53frs et 56 cts. Mais ça a pas duré un mois puisqu’après je m’étais trouvé du travail, par hasard.

 

Entre temps, pour payer une partie de mon loyer (l’autre partie, 90% était complétée par mes colocataires, j’en ai eu 13 en 19 mois) et pour payer la bouffe (jambon et pâtes achetés chez mon traiteur favori, ED l’épicier), j’ai dû engranger les petits boulots, et je commençais sérieusement à m’y connaître en petits boulots, vu que j’avais fait que ça. A cette époque j’avais pas envie de bosser parce que surtout ça me disait vraiment rien, mais aussi parce que j’avais découvert un truc super, l’art. Et c’est pendant cette période que j’ai voulu faire l’artiste. Je voulais essayer pour voir la vie de bohême. Le matin, je me réveillais vers14-15h. Après un café vite avalé, je me mettais devant mon chevalet en pensant à ce que j’allais bien pouvoir dessiner. Souvent après 3 ou 4 heures de réflexion intense, je traçais sans aucune hésitation un trait admirable, une ligne droite ou une courbe d’un seul coup de pinceau, une manifestation artistique de génie qui sortait comme ça subitement. Après j’arrêtais, j’étais épuisé, et puis je me disais que j’en avais fait suffisamment pour aujourd’hui. Alors j’allais à Montmartre, j’avais bien mérité d’aller boire un coup avec les copains. Enfin, c’était un peu des copains puisque j’allais dans le même café qu’eux, mais j’ai jamais osé aller à leur table. Je me mettais toujours tout seul à la même place, artiste incompris et inconnu même parmi les artistes. C’était comme moi des artistes incompris (même si eux ils se connaissaient les uns et les autres) parce que trop en avance sur notre époque. On était des avant-gardistes, et personne le comprenait. On avait à peu près tous le même style, extrêmement dépouillé, surtout financièrement. Y avait des peintres, des écrivains, des néo-sculpteurs virtuels (eux, ils avait remplacé le marbre par Internet), tout un tas de génies, mais y avait qu’eux qui le savaient.

 

Moi, je voulais devenir un artiste complet et accompli. Alors je faisais de la peinture, de la sculpture, de la photo, du cinéma, de la musique et puis aussi de l’écriture, de l’opéra et de la chorégraphie. Je voulais mélanger le tout et créer un nouveau style – une sorte de réunification harmonico-existentielle du monde et des arts, en un seul mot, donner un souffle nouveau à l’art et au monde contemporains. De longs mois, j’ai travaillé à mon œuvre. Je voulais créer une œuvre unique, symbole unique d’un mouvement artistique unique représenté par un artiste unique, moi en l’occurrence. Pour ressourcer mon inspiration qui parfois s’affaiblissait (à peu près 6 jours et demi sur 7), j’allais voir ce que les autres artistes avaient réalisé. Je passais des journées entières dans les musées, chez les éditeurs, dans les galeries, j’allais à tous les vernissages, bref j’étais partout et surtout sans inspiration. Mais lorsque j’entendais ceux qui avaient réussi à percer (surtout la croûte de connerie du snobisme des acheteurs), ça avait l’air facile, l’important c’était de se faire un nom. Après on pouvait faire de gros pâtés difformes ou de la diarrhée en boîte réalisée en 2 minutes en disant que c’est de l’art philosopho-existentiel parce que vous comprenez, ces taches que vous voyez, c’est l’Homme face à sa destinée métaphysique, et ces grands traits qui les traversent, c’est le progrès de l’humanité qui transperce le cœur du monde. Et j’entendais répondre par l’acheteur émerveillé ou le spéculateur vorace : « je comprends, oui, je vois, je… vous suis. Ah ! cher ami ! Quelle créativité ! Quel talent ! Je comprends que tant de génie vaille si cher » et l’artiste d’un ton très modeste : « non, je vous assure cette œuvre n’a pas de prix, la transcendance du génie humain ne s’attache guère à ce genre de considération…. comment dirais-je… financière, et malgré tout, nous autres artistes avons besoin de manger, comme tout le monde, alors, cher ami, voyez-vous, je vous la concède pour… disons… 500 000 dollars, non, ne me remerciez pas, tout le plaisir est pour moi ».

 

Quand je rentrais dans mon atelier (j’avais mis une planche sur des tréteaux entre le radiateur et le lavabo), j’avançais drôlement. Après 17 mois ½ de recherche d’inspiration, j’avais achevé MON œuvre, l’œuvre absolue, unique : sur le socle que j’avais tout exprès fabriqué pour accueillir la pièce sculturo-photagraphico-musico-littératuro-picturo et par modestie j’en passe, bref sur le piédestal de mon génie, on pouvait voir… rien, il n’y avait rien. Le génie est si simple. Je l’avais appelé : « l’existence humaine », et mon œuvre très symbolique (personne ne le comprit) voulait dévoiler au monde l’image de son absurdité, de son insignifiance, et du vide qu’il représente. Pendant un mois, j’ai parcouru les plus grands galeristes de Paris, tentant de les convaincre de mon génie, de mon talent indéniable (j’avais quand même travaillé près de 2 ans pour trouver cette idée indéniablement révolutionnaire, absolument originale). Puis à force d’incompréhension, je me suis lassé, j’étais comme tous les autres artistes, divinement talentueux, mais incompris de mes contemporains.

 

Le monde ne saura jamais ce qu’il a perdu en fustigeant ma création. Mais moi, à l’époque, j’étais sur le point de perdre mon studio, alors j’ai rangé ma planche et mes tréteaux à la cave, moyennement décidé, mais tellement contraint, de redescendre parmi les hommes pour m’astreindre à essayer de lire les offres d’emploi dans le journal qu’un de mes voisins mettait à la poubelle et que je prenais parfois le matin en ouvrant ma fenêtre, puisque la concierge ne semblait toujours pas décidée à les mettre ailleurs. C’est comme ça, dans les poubelles que j’ai trouvé mon premier vrai travail. C’était même dans un magazine télé. Y avait une annonce, et je leur ai écrit. Je m’étais dit que ça ne coûtait rien d’essayer, juste un timbre et une après-midi d’emmerdements pour écrire ma lettre et trouver les motivations (je pouvais quand même pas leur dire que je voulais bosser juste comme ça, pour voir). Puis, ils m’ont convoqué pour un entretien de motivation, déjà, ça voulait dire qu’ils avaient cru aux trucs que je leur avais écrits (c’est dingue comme on peut faire gober des trucs aux gens). J’ai même trouvé le courage pour y aller. Quand je suis arrivé, toute l’équipe m’attendait : une dizaine de types assis en demi-cercle, vachement impressionnants, mais pas pour moi, j’avais pris 3 Temestat. Je leur ai sorti ma bafouille, l’air ahuri mais apparemment convaincant. Et 3 jours plus tard, j’ai reçu un courrier qui racontait que ma motivation les avait impressionnés et que je faisais l’affaire.

 

C’était un poste d’analyseur-débloqueur de merdes coincées. Le vrai nom, je crois, que c’est chargé de missions, mais avec moi, chargées ou non, elles se sont toutes avérées impossibles. Et on s’y serait mis à plusieurs, on n’y serait pas plus arrivé, comment s’y serait-on pris pour débloquer ces trous du cul coincés, un tas de constipés crottés jusqu’aux yeux ? J’étais chargé d’analyser la merde dans laquelle les mecs qui m’avaient embauché s’étaient fourrés. Et vu qu’ils y étaient jusqu’au cou, ils pouvaient toujours attendre que je les débloque. A l’heure qu’il est, ils doivent encore patauger dedans. Pour m’aider dans ma tâche ingrate d’éboueur à cravate, ils avaient mis à ma disposition quelques ustensiles de nettoyage : un seau en guise de corbeille à papier, 2-3 rames de feuilles et autant de stylos pour que je note ce qu’il y avait à nettoyer, un vieil ordinateur pour que j’organise le plus rationnellement possible mes séances de ménage et quelques autres babioles. Ils avaient oublié de me donner un balai, mais pas l’armoire qui allait avec : pour me montrer leur considération, ils m’avaient attribué un beau bureau, entre la remise et les chiottes, une sorte de remise-débarras qui avant mon arrivée servait de placard à balais, qu’ils avaient quand même pris la peine de débarrasser juste avant que je n’arrive. C’est dans ces conditions idéales que je me mis au travail. Moi, je m’en foutais puisque je comptais pas trop m’éterniser, je voulais juste savoir un peu ce que c’était d’avoir une sorte de vrai travail, avec des vrais horaires très chiants à respecter. Et je voulais aussi un peu tâter un emploi qui demandait, paraît-il, des responsabilités. Je suis même pas resté un an là-bas, c’est vrai, mais j’en ai pas vraiment vu la couleur, moi, de leurs responsabilités, à moins qu’on n’en ait pas vraiment la même définition. Bref, moi, dans ce job, j’y suis un peu entré par hasard, et j’avais surtout l’idée d’en sortir très vite, une fois que j’aurais vu.

 

Le premier jour que je suis arrivé, ils avaient préparé un petit truc, ils appellent ça un pot d’accueil. Ils avaient invité plein de monde, tous les mecs qui les avaient mis dans la merde. Ça fait partie des trucs qu’il faut faire, même si c’était des sacrés cons qu’ils n’aimaient pas, c’est une question d’image et de réputation, ils m’ont expliqué. J’ai pas bien compris, mais j’en suis resté là. Pendant qu’ils se gavaient de cacahouètes et de petits fours, moi, je devais me présenter, leur expliquer ce que j’allais faire, enfin plein de trucs dont ils se foutaient complètement. De toute façon, avec toutes les coupes de champagne qu’il y avait, la plupart était à moitié bourré. J’aurais pu leur dire n’importe quoi, que j’étais le fils d’Elizabeth II, qu’avant de venir ici j’avais fait le maquereau à Manille, et que je venais ici pour créer une filiale européenne, ça n’aurait rien changé. Nos relations d’ailleurs par la suite n’ont pas changé. Ils se foutaient pas mal de ce que je leur disais, mais ça au début je ne le savais pas encore, et j’attribuais cette indifférence à mon égard à la joie qu’ils avaient tous de se retrouver en s’empiffrant comme des porcs. Quand les présentations furent terminées, y avait plus rien à boire, ni à manger, il y avait donc plus de raisons de s’attarder, tous s’en allèrent. Le directeur me dit que pour aujourd’hui, j’en avais suffisamment vu, et que je pouvais rentrer chez moi.

 

Pour voir, ça m’a pris que quelques jours, pour m’en remettre presque 12 mois, et pour m’y habituer j’ai jamais pu. Presque chaque jour, je devais me coltiner des réunions en groupe de travail, des réunions à thèmes et des séances collectives de recherche-action. Pour chercher ils cherchaient, enfin surtout à se donner de l’importance, quant aux actions, à part élaborer des plans et des magouilles foireuses, j’en ai pas vu beaucoup. Le plus drôle dans ce genre de réunion, c’était que tout le monde devait y aller (pour montrer qu’on était là), et qu’à part tergiverser des heures entières sur le choix de la couleur du papier à-en-tête pour les notes de service, on ne faisait rien et tout le monde s’emmerdait à mourir. Mais pour éviter que les autres s’en aperçoivent, il fallait s’occuper, alors on prenait tous en notes ce que les uns et les autres avançaient comme arguments pour le choix de la couleur. Et puis comme en général, à 5 heures de l’après-midi, les débats n’avaient pas abouti, on devait revenir le lendemain pour continuer la négociation. Pour la couleur du papier à-en-tête des notes de service, ça a duré 8 mois.

 

Quand je n’étais pas en réunion interne, j’étais en réunion à l’extérieur. J’avais été désigné pour représenter l’organisme, comme une sorte de porte-parole. Mais j’avais plus l’impression qu’on m’avait mis là comme une plante verte dans un décor de film muet. Ça parlait beaucoup et surtout pour ne rien dire, alors je coupais le son et je pensais à autre chose, surtout au nombre d’heures qu’il me restait avant de rentrer chez moi. Avec cet emploi du temps hyper chargé, évidemment ma mission pour débloquer notre organisme de la merde dans laquelle il s’était et on l’avait fourré pouvait pas avancer très vite. Mon chef de service me dit que ce n’était rien, que j’avais le temps, et que l’important c’était que je participe aux réunions extérieures pour montrer aux partenaires qu’on était bien présent dans la négociation et qu’on pouvait compter sur nous. Comme mon chef était content de moi, j’en profitais pour faire comme tous mes collègues, en faisant comme si j’étais débordé. Lorsqu’on me demandait d’aller à des rendez-vous, je disais que mon agenda était hyper over booké mais que dans 6 mois on pourrait voir.

 

Le midi, on allait tous ensemble dans le même restau pour se délasser un peu après ces dures matinées. Et pour se changer les idées, on parlait un peu du boulot et beaucoup des problèmes qu’on rencontrait dans notre travail. Ou alors des fois, y en a qui racontaient ce qu’ils avaient fait pendant le week-end, ce qui donnait envie aux autres de raconter ce qu’ils feraient le week-end prochain, mais ça c’était seulement quand on avait épuisé les conversations sur le travail. A part ça, eux ils s’entendaient très bien ensemble, et des fois ils s’invitaient le soir avec leur femme, comme ça entre amis. Ils disaient qu’ils pourraient continuer leur conversation du midi et que vraiment ça tombait bien que leur femme ne travaillent pas, comme ça elles pourraient parler des enfants ou des soldes d’été. Moi, je partais pas en week-end, j’avais pas de femme, et je parlais jamais du boulot parce que déjà je trouvais qu’il fallait être à moitié débile pour y consacrer 8 heures par jour (sans compter le transport), alors c’est peut-être pour ça que j’ai jamais été invité.

 

Je sais pas comment j’ai fait pour tenir si longtemps dans ce boulot, c’était peut-être la peur d’avoir mal vu ou peut-être le chèque à la fin du mois. Pour me changer de mon ancien train de vie, ça me changeait de mon ancien train de vie. Déjà, chaque midi, j’allais au restau, et même si je payais avec des tickets restau payés par la boîte, c’était quand même le restau. Et puis surtout j’avais pu acheter plein de nouveaux trucs vachement nécessaires : un sèche-linge, un robot mixeur, et puis surtout une télé couleur avec écran géant qui me permettait de décompenser après le boulot. Ça compensait un peu le fait que j’étais toujours tout seul, sans ami et sans copine. Mais au fil des semaines, j’ai eu de plus en plus de mal à supporter tout ce cirque, le port de la cravate, mes collègues névrosés et bêtement conventionnels et surtout les achats de plus en plus nombreux que je faisais pour essayer de me sentir mieux. J’étais sur le point de tout envoyer chier, mais les évènements m’ont devancé. C’est arrivé pendant une réunion quand mon chef de service m’a dit devant tous mes collègues que je n’avais pas réussi à m’intégrer au groupe, que mon étude n’avançait pas et que ce que je lui avais montré jusqu’à présent était à peine valable pour faire des confettis. Puis il a ajouté que mon comportement et ma tenue vestimentaire s’étaient vraiment dégradés et qu’ils ne savaient pas quoi faire avec moi à part me virer. Evidemment tous mes collègues, tous très courageux, opinèrent du chef en regardant de leurs gros yeux bovins (pardon les vaches !) leurs beaux souliers vernis. A la fin de la réunion quand tout le monde fut sorti, le chef de service s’avança vers moi. J’étais en train de ranger mes affaires… à la poubelle. Il s’approcha tout près et me dit : « allez, mon vieux ! Ce n’est rien, vous savez, personnellement, je ne vous en veux pas et je n’ai même absolument rien à vous reprocher, mais le groupe perdait sa motivation, nos objectifs n’ont pas été tenus ces mois-ci, et comme vous êtes le dernier arrivé et qu’il fallait donner l’exemple, c’est tombé sur vous, que voulez-vous, mon vieux ! C’est la vie ! Mais vous êtes encore jeune, vous avez encore des années devant vous pour comprendre », et puis il a ajouté : « vous verrez, mon vieux, vous verrez… ».

 

 

Epilogue (aussi bref que provisoire)

Depuis que je bosse plus, je continue de vivre, à me lever chaque matin, à manger chaque jour, à me raser de temps en temps, mais j’ai toujours autant de mal à exister. Je sais pas encore ce que je vais bien pouvoir faire, mais je compte bien voir encore quelques trucs, faire encore des choses, comme ça juste pour voir… et quand  j’aurais vu, je vous le ferai savoir…

 

13 novembre 2017

Carnet n°1 L'innocence bafouée

Récit / 1997 / La quête de sens

Le samedi est un jour de liesse, un jour de labeur et de joie où vous partez aux champs les outils à la main et le cœur léger comme un paysan heureux de retrouver la terre de ses pensées, libre de débuter votre ouvrage où bon vous semble, libre d’écouter le chant des oiseaux, libre enfin de laisser à demain vos travaux pour aller flâner sur les chemins alentour contempler la beauté du monde et y cueillir quelques idées comme un bouquet de fleurs sauvages.

 

 

Ecole buissonnière

La fin du colloque achève la matinée. Midi vient de sonner. Vous sortez, la tête embuée, le regard éteint. Impatient de quitter cette écorchure à vos jours. Vous reprenez votre bicyclette. La plupart de vos déplacements, vous les effectuez ainsi, les cheveux dans les nuages et le cœur libre. C’est le seul moyen de vous déplacer qui vous réjouisse. Vous ne pouvez en imaginer un autre.

 

En repartant, vous prenez soin d’éviter la grande route que vous avez empruntée ce matin. Vous préférez déambuler dans les ruelles désertes du centre-ville, heureux d’y retrouver votre solitude. Mais vous connaissez mal cette partie de la ville et le dédale du vieux quartier vous tourne la tête. Vous finissez par vous égarer. Confiant, vous suivez votre monture. Mieux que vous, elle connaît le chemin comme si elle avait lu dans votre égarement une invitation à l’abandon, un appel à l’oubli du monde. Et elle vous emmène loin de la ville, près des berges désertes du grand fleuve où ne vivent que le vent et le chant des arbres.

 

Docile, vous posez votre bicyclette, trop heureux de ralentir la marche forcée de cette journée ordinaire où vous courrez d’un rendez-vous à l’autre, les cheveux aux vents mais le cœur enfermé, prisonnier de la course stérile du temps. Vous vous asseyez sur un coin d’herbe, face au fleuve, le regard posé sur les eaux tranquilles. Et soudain, vous ressentez ce que vous éprouviez lorsque vous suiviez le chemin de l’école buissonnière avec ce goût de liberté volée dans la bouche. Vous tirez de votre poche une cigarette et vous rallumez le goût de celles que vous fumiez à l’école, caché au fond de la cour derrière les buissons.

 

Vous vous surprenez de tant d’enfance, comme si vous n’aviez pas grandi, amusé de rejoindre ce temps passé où vous vous laissiez entraîner par vos humeurs fantaisistes, insoucieux du joug des adultes. Aujourd’hui, cette petite frasque résonne comme un voyage dans le souvenir de l’enfance. Mais aujourd’hui, l’adulte trop discipliné que vous êtes craint les punitions que l’on inflige aux enfants insoumis, effrayé par les improbables remontrances d’un maître d’école imaginaire.

 

Aujourd’hui, l’espace d’un instant, vous avez réappris l’insouciance, redécouvert les leçons gaies de la désobéissance. Alors vous vous faîtes la promesse d’y revenir - à cette école buissonnière - comme le gage d’un avenir meilleur, aussi joyeux que futile, aussi clair que l’enfance, aussi riche d’inutilité. En attendant, vous reprenez votre bicyclette pour rejoindre le cours fastidieux des rendez-vous à l’école austère de vos journées. Demain peut-être…

 

 

Elle

Elle est là, près de vous, à quelques mètres à peine, assise à la grande table du salon. Elle écrit. Vous la regardez. Et vous la trouvez belle, belle comme une fleur, une fleur à peine éclose qui attend le soleil qui l’épanouira. Depuis que vous la connaissez, elle vous surprend, toujours elle vous a surpris, insoucieuse de la grâce qui la touchait. Cette grâce, mille fois vous l’avez aimée, mille fois elle vous a atteint au plus profond du cœur, mille fois vous l’avez caressée, l’effleurant à peine, apeuré à l’idée de la meurtrir de vos doigts malhabiles.

 

Cette grâce, elle vous l’a offerte et c’est elle qui nourrit votre amour. Légère, imperceptible, elle vous révèle mille saveurs, mille teintes subtiles. Et chaque teinte emplit vos yeux de mille couleurs qui se mélangent en apportant avec elles la lumière dans votre cœur. Lui, si obscur d’habitude, à ces instants, n’a plus d’excuse de pleurer si noir. Elle seule, sait repeindre le gris de votre âme avec les couleurs de la joie, avec les nuances joyeuses de la grâce qu’elle vous apporte.

 

Elle, elle ne vous regarde pas, trop absorbée par les sentiments qui la bousculent. Sa main fébrile allume une cigarette. Vous la sentez tourmentée, chavirée par les idées qui l’assaillent et qu’elle ne peut contenir. Sa main court sur la page blanche qui aspire l’encre de son tumulte. Ses yeux cherchent l’émotion secrète, impalpable, accrochée aux parois abruptes de son cœur. Elle en perçoit les contours encore flous sans pouvoir les toucher. Ses yeux continuent de fouiller. Ils dansent au rythme fiévreux de ses idées. Pourtant, au dehors, elle a l’air calme, sereine, presque heureuse. Elle aspire une longue bouffée de cigarette, comme une halte dans cette marche vers elle-même, comme un bref retour vers le réel. Comme si elle abandonnait son univers aux limites infinis - et comme trop vaste pour elle - pour revenir au monde. Comme si elle avait peur de s’y égarer, de s’y perdre à tout jamais sans pouvoir - sans savoir - revenir parmi nous. Effrayée peut-être d’être aspirée par les profondeurs inexplorées de son cœur, de se perdre dans l’île de ses songes, elle pose sa plume et remonte à la surface de la vie. Elle aspire une bouffée de réel, reprend souffle et abandonne définitivement le puits infini de son inconscient. Et dans un ultime effort pour sortir d’elle-même, elle tourne la tête et vous regarde, encore hébétée, presque absente et vos regards se touchent comme se frôlent deux corps ensommeillés le matin au réveil, encore emplis des rêves de la nuit.

 

 

Naissance

Vous avez 27 ans et le sentiment d’une enfance encore inachevée, une enfance qui repousse la frontière des contrées sérieuses, apeurée peut-être des rêves qui la quittent. 27 années d’une enfance désordonnée qui ne réussit pas à aller au bout d’elle-même.

 

Les premières années ; une enfance claire, rayonnante comme la neige étincelante sur la cime des rêves, douce comme un bouquet d’innocences exubérantes. Puis s’achève la candeur joyeuse des premières années et avec elle, la gaieté lumineuse de l’enfance. Vous êtes à l’aube de la conscience. Devant vous s’étale le désert immense de la connaissance. Ainsi commence le long apprentissage de l’obscurité, la prison initiatique du réel comme une gifle à l’espérance.

 

A l’âge de la raison naissante, vous apprenez le monde et ses richesses infinies. Vous êtes l’explorateur fasciné de territoires inconnus, avide de découvertes et de voyages lointains. Vous vous nourrissez du réel dont vous abreuvent vos aînés, fiers de votre insatiable appétit. La raison chemine ainsi de longues années, jour après jour, promenade après promenade, dans une lente traversée du silence. Elle se construit pierre à pierre. Et autour d’elle, vous bâtissez une forteresse infranchissable où vos rêves prisonniers ne peuvent s’évader, enchaînés aux fers du raisonnable. Les années passent ainsi jusqu’à l’âge où la raison se fissure, où la raison délaisse son cocon de fausses évidences et s’envole en lucidité, distante et lumineuse, comme pour mieux vous faire apparaître la pâleur du monde. Période de clair-obscur où votre cœur se balance, hésitant entre la lueur de vos rêves - trop longtemps enfermés - et la pénombre du réel.  

 

Aujourd’hui, vous avez 27 ans et le sentiment d’une naissance prochaine, impatient de mettre au monde l’adulte qui tarde à venir, comme après un trop long accouchement de vous-même. Ce petit bout d’homme, vous le sentez au fond du ventre endolori de votre enfance, vous attendez ses premiers cris, vous l’attendez comme une délivrance, comme une mère pleine d’espoir et d’inquiétude.

 

 

Saisons

Février, déjà. Et bientôt le printemps. L’hiver vous a à peine effleuré cette année. Vos journées passent comme les saisons, en sautillant de l’une à l’autre, en poursuivant leur terrible ronde. Avec les beaux jours, votre cœur endormi se réchauffe paresseusement aux rayons encore pâles de l’espérance. Le ciel lourd et bas de l’hiver a disparu comme s’est soulevé l’épais couvercle gris de vos amertumes. Les bourgeons de joie, encore timides, tardent à percer l’écorce endolorie de vos émotions. Effrayés par un imprévisible retour du gel qui désespérerait la renaissance de leur printemps, ils n’osent se montrer. Ils attendent que monte la sève comme le sang neuf de la belle saison apporte au vieil arbre meurtri par l’hiver un sursaut d’amour, réchauffant son cœur alangui. Puis viendra l’été et la chaleur réconfortante s’évaporera. L’écrasant brasier prendra place, pétrifiant le vol léger des désirs. Il inondera les corps de son sang épais et rouge, aspirant notre âme vers les cieux abrupts de la volupté. Et à l’été, saison des paroxysmes brûlants, succédera l’automne, douce saison où nos cœurs gonflés de cette suffocante brûlure s’épancheront en délicieuses mélancolies. L’arbre triste de nos émotions pleurera ses feuilles qui se détacheront une à une, emportées par le vent léger de nos désirs en partance. Nous nous préparerons à la grande hibernation, à la triste saison où les morts désirs accompagneront notre longue retraite solitaire.

 

 

Mauvaise pièce

Depuis 6 mois vous vivez dans cette ville. Vous y êtes venu pour travailler. Votre premier vrai travail. 6 mois d’ennui et d’apprentissage du monde. Ce que vous avez appris ? Cela tient en quelques mots : « si peu de choses ». Des choses que l’on peut découvrir n’importe où, que l’on peut voir n’importe quand ; l’hypocrisie, l’égoïsme, la médiocrité, la bêtise des gens. Etait-ce si important de connaître cela ? Vous ne le savez pas. Pas encore, il est trop tôt.

 

Ce « si peu », vous l’aviez déjà aperçu dans le monde, mais jamais de si près, jamais le nez si proche de la fiente, de la saloperie humaine. Et aujourd’hui, ce « si peu », vous avez du mal à l’avaler, des arêtes d’indignation plein la bouche et cet arrière-goût d’amertume qui vous brûle la gorge. Ce que vous avez vécu ? 6 mois de faux-semblant et de simulacre. 6 mois d’une mauvaise pièce où les acteurs ânonnent leurs répliques médiocres sur une immense scène d’ennui. Ce que vous avez vu ? L’angoisse que l’on dissimule, l’angoisse qui transpire derrière les masques imperturbables d’indifférence, la peur qu’ont les acteurs de perdre leur beau rôle, la crainte qu’on leur vole le haut de l’affiche.

 

Il n’y a pas de place ici pour vous, dans cette troupe d’acteurs sans éclat, aux représentations si fades, si conventionnelles. Il est temps à présent de regagner votre loge, de laisser les artistes à leur mauvaise farce et à leurs jeux en bonne société. L’heure est venue de baisser les rideaux du monde, loin du cirque et de ces pantomimes ridicules, loin de ces pantins désarticulés si effrayés d’être délaissés par le grand marionnettiste et de se voir jetés dans la grande malle sombre de la vérité. Il vous faut ranger votre costume et vos accessoires pour reprendre la route, votre chemin d’étoiles. 6 mois pour comprendre que vous brûlez d’envie de rejoindre la troupe des clowns solitaires qui parcourent le monde, la troupe des clowns tristes qui s’arrêtent ici et là pour donner quelques représentations, quelques misérables spectacles qu’ils ne jouent que pour eux-mêmes et qui poursuivent leur chemin en versant des larmes de rire sur leurs joues blanches. 

 

 

Dispute

Une dispute, rien de grave. L’incompréhension de l’autre comme une gifle à l’amour, comme une offense à l’intelligence. L’harmonie pulvérisée par la colère et la foudre qui s’abat. Et le cœur douloureux qui se déchire, mille fragments d’amour qui se brisent. A l’origine, une parole malheureuse, une parole superflue. Un mot acéré qui vous a échappé. Mais il est trop tard pour retirer la flèche qui a déjà meurtri les chairs. La blessure est profonde et le cœur saigne à l’intérieur, des larmes d’amour déçu qu’on ravale, un orage de colère qu’on réprime.

 

Alors vous décidez d’avancer vers l’orage, insoucieux de l’averse de mots qu’elle vous jette à la figure. Et vous expliquez. Mais vous expliquez mal ; la journée harassante, l’énervement, la fatigue… de médiocres excuses en vérité. Alors les mots s’emmêlent et vous perdez pied, vous tombez. Vous ajoutez quelques mots encore. Vous vous enlisez dans cette parole superflue. Elle, elle ne vous entend pas. Elle ne vous entend plus. Elle a refermé son cœur. Elle se terre derrière la parole vraie, derrière le bruit imperceptible du cœur comme le léger frémissement des nuages caressés par le vent. Elle se cache derrière le silence. Rien ne pourrait plus désormais abattre les murs de fierté qui protègent son cœur meurtri. Elle a rejoint sa tour inaccessible, inatteignable, trop lointaine, trop élevée pour vous, lourdaud que vous êtes. Alors vous repartez plus lourd encore de cette impuissance vous engouffrer dans votre terrier d’écriture, à  l’abri de l’orage, à l’abri du déluge en attendant le retour du printemps, la renaissance des beaux jours, la visite prochaine de l’amour envolé.

 

 

Taedium vitae

Taedium vitae ; deux mots ramassés au hasard d’une page. Une page de votre dictionnaire qui accompagne si souvent vos instants d’égarement comme l’ami silencieux de votre solitude, comme l’ami irremplaçable qui vous aide à débroussailler la végétation épaisse de vos pensées pour mieux vous confier et éclaircir votre chemin de vérité. 

 

Ce jour-là, vous n’y cherchiez rien de précis, sans doute la définition d’un mot découvert dans un livre trop vite parcouru. De ce dernier, plus aucun souvenir, plus aucune trace. Une lecture hâtive, très vite enfoui au cœur de l’oubli. Mais ces deux mots-là résonnent encore aujourd’hui comme un écho infini qui ne cesse de rebondir contre les murs de votre mémoire. De ces deux mots-là, l’empreinte reste vivace, encore profonde et presque trop douloureuse comme la marque indélébile de vos années.

 

Au départ, poussé par une simple curiosité, votre regard s’est attardé sur cette étrange locution latine, charmé sans doute - envoûté peut-être - par les trois notes gaies qui la composent. Taedium vitae. Ce jour-là, la musique de ces deux mots vous a imploré de poursuivre. Alors vous vous êtes attardé sur la définition donnée en pâture à votre curiosité. Et là, en pleine lecture, vous avez été touché, touché en plein cœur par la force inébranlable de la langue et du hasard, par l’implacable vérité de ces deux mots qui accompagnent depuis si longtemps la marche triste de vos années.

 

Parer votre existence de quelques mots glanés au hasard, voilà votre façon de cheminer vers vous-même. Voilà aussi pourquoi vous êtes si avide de mots, de livres et de savoirs. Mais jamais vous ne vous en servez pour habiller votre culture décharnée ou cacher la misère de votre ignorance. Non, ces connaissances, vous les avalez pour apaiser votre faim de famélique, trop longtemps resté l’estomac vide, qui éprouve l’irrépressible besoin d’assouvir sa faim de lui-même. D’ailleurs, vous avez toujours dédaigné participer à ces banquets de culture orgiaques et à ces festins de savoir dispendieux où l’on s’empiffre de connaissances pour rassasier une vague de fringales impétueuses. Vous vous en êtes toujours senti incapable, trop effrayé sans doute de régurgiter cette abondance trop vite avalée. Vous vous êtes toujours satisfait d’aliments plus simples que vous prenez soin de mâcher avec précaution, avec lenteur, étonné de la lumière qu’ils pouvaient offrir à votre vie. Chaque connaissance nouvelle, chaque mot découvert, vous les avez toujours mastiqués avec délicatesse comme des fruits fragiles dont vous sucez le noyau encore longtemps après comme une sucrerie délicieusement nourrissante.

 

 

Amitié

Vous rentrez chez vous. Vous revenez de Paris où vous êtes allé voir une amie. Depuis plusieurs années, vous faites ainsi le voyage chaque semaine. Toujours avec la même joie, le même plaisir, le même engouement. Avec à chaque fois, les mêmes mots, les mêmes paroles échangées à l’infini. De mille manières et toujours différentes. A chaque fois. Plusieurs années d’amitié sans nuage, sans irritation ni agacement, sans l’ombre d’un ressentiment, ni même la silhouette d’une colère retenue. A chaque fois, une parole claire et franche qui s’envolait de pensée en idée, de mots en phrases pour toucher l’autre en plein cœur, derrière la façade des amitiés superficielles où se cachent la souffrance et nos chagrins solitaires. Des nuits entières, vous avez ainsi partagé vos peines, vos misères et vos espoirs. Durant des heures, vous avez dévidé le sac lourd de vos amertumes, heureux de voir l’autre recueillir les pelures de votre cœur cisaillé, panser votre plaie de vivre et recoller un à un les morceaux éparpillés. Vous alliez l’un vers l’autre sans masque, sans faux-semblant, sans ambiguïté, sûrs de vos sentiments tournés vers la plénitude de l’amitié. De cette relation, vous avez accumulé une montagne d’or, construite au fil des jours, pièce à pièce, de confidence en confidence, dans la richesse de l’amitié. Et aujourd’hui, après avoir quitté cette amie, vous ressentez comme une écrasante lassitude, comme une indicible solitude. Vous vous sentez soudain le cœur vide et démuni, incapable de poursuivre cette amitié et étrangement heureux de retrouver votre liberté.

 

Un jour, cette amitié a surgi de profondeurs mystérieuses pour se poser sur votre vie comme une colombe qui jaillit du chapeau du magicien pour venir se poser sur sa main. Puis cette amitié a grandi et s’est fortifiée. Et aujourd’hui vous la sentez affaiblie, presque moribonde, sur le point de retrouver l’obscurité de ses origines. Ainsi disparaît l’amitié. Mais aujourd’hui, bien sûr, son oubli n’est pas encore achevé. Le passé, encore trop vif, gêne son épuisement. Et vous avez toutes les peines du monde à l’oublier. Que faire ? Vous avez encore besoin de temps pour laisser à votre cœur le soin de choisir. Demain peut-être, il vous dira la joie de poursuivre votre chemin de solitude en laissant cette amitié passée. Aujourd’hui, il ne pourrait vous dire que son étroitesse, l’étroitesse de ce cœur qui pompe et recrache les amitiés, anciennes et nouvelles, en oxygénant le sang neuf de l’espérance puis les expulsant pour guider votre chemin dans les artères sinueuses de l’existence, dans les méandres de cette vie de désolation solitaire.

 

 

Pages de vie

Ce soir, vous peinez à écrire comme si chaque mot ravivait votre plaie de vivre comme une brûlure sur votre joie. Depuis quelques jours, vos journées se vident et vous êtes incapable de remplir la page blanche du soir.

 

Depuis toujours, vous allez ainsi, dans la vie comme dans l’écriture, d’un mot à l’autre, d’une histoire à l’autre, avec peine, de douleur en souffrance en cherchant vos mots, en cherchant votre vie, poussé par cet impérieux désir d’en venir à bout. Mais cette recherche est sans espoir car les mots et la vie filent entre vos doigts, insaisissables, comme un ruisseau de chagrin qui achève sa course dans l’océan noir de vos pensées.

 

Depuis quelques temps, la vie ne nourrit plus vos jours et les mots n’apaisent plus votre faim de vie. Pour vivre des mots, vous avez oublié les mots à vivre. Et vous vous égarez dans les mots comme dans la vie, incapable d’endiguer la force chavirante de ce mélange. Vous passez des mots à la vie, aspiré dans le cercle de votre confusion, dans la ronde enivrante de la vie et de l’écriture. Sur la page blanche, vous rayez les mots comme des amis inutiles, incapables de vous réconforter. Avec eux, vos rencontres s’espacent puis s’estompent. Alors meurtri, vous regagnez votre chambre de solitude en tirant sur vos épaules fragiles la lourde couverture d’un livre, mille fois parcouru. Et vous restez ainsi cloîtré dans l’absence, au seuil de la vie, au seuil de l’écriture.

 

Puis un jour, d’autres mots, d’autres amis surgissent. L’écriture revient et la vie réapparaît comme si elles refaisaient surface des abîmes de l’absence, l’absence qui nourrit l’oubli. Puis vous oubliez l’oubli. Et de nouveau sur la page, vous écrivez quelques mots, quelques signes de vie. Ainsi, jour après jour, vous poursuivez votre chemin de mots à noircir vos pages de vie.  

 

 

Papillon

Aujourd’hui le ciel s’est assombri. Et votre joie de vivre s’est envolée. Elle s’était posée quelques instants sur vos jours, puis comme un papillon volage, elle vous a quitté pour d’autres fleurs aux pétales plus attrayants. Avec elle est partie la lumière des beaux jours. Peut-être a-t-elle deviné le ciel gris de vos pensées, senti l’inéluctable retour de l’orage ? Alors elle a préféré vous abandonner à votre tristesse, soucieuse de protéger ses ailes délicates. Et elle s’est éloignée, trop fragile pour affronter le grondement sourd de votre désespoir.

 

A présent, les nuages sombres de la mélancolie sont proches, menaçants, comme annonciateurs d’une averse de désespérance. Mais vous ne savez lire dans ce ciel si vaste et si changeant. Vous êtes à sa merci, résigné à vous plier à la fureur du déluge comme une fleur délicate incapable de se protéger de la pluie cinglante de la douleur. Alors inquiet, vous attendez que s’éloigne le tourment. Et dans votre attente impatiente et anxieuse, vous priez pour que reviennent les rayons de la joie en espérant le ciel clair de l’espérance comme un ultime appel à votre joie de vivre papillonnante.

 

 

Livres

Au plus profond du doute, toujours vous allez vers les livres. Vous allez à leur rencontre y trouver le salut de votre âme. Dans ces instants en dérive, souvent vous prenez un livre au hasard de votre bibliothèque. De tous ces livres, votre vie s’est nourrie. Et presque tous ont marqué votre esprit au fer rouge de leurs vérités. L’empreinte y est encore gravée comme la marque d’une appartenance, la seule qu’il vous soit possible de revendiquer.

 

Du plus loin qu’il vous souvienne, vous êtes toujours entré en lecture comme l’on entre en religion, avec foi et renoncement, en ouvrant chaque livre comme un chapelet de souffrance que vous égrainez page après page, en effleurant chaque mot comme les grains d’un chapelet de vérité infinie.

 

Chaque livre vous offre ainsi sa force, la force de poursuivre votre chemin de vie et la lecture de vos années. Chaque livre imprime en vous ses lettres de noblesse, vous livrant ses mystères et vous divulguant au fil des pages vos propres secrets. Par chaque livre vous êtes touché, touché par la grâce de ses vérités qui réchauffent votre âme frigorifiée par la froideur cinglante du monde.

 

En général, vous ouvrez un livre au hasard, vous laissant guider par les phrases qui s’offrent à vous. Et souvent la première phrase suffit à rallumer votre foi chancelante. Vous la laissez pénétrer votre cœur, espérant qu’elle s’y agrippe pour le remplir de l’amour qu’il vous manque. Il arrive pourtant qu’aucune phrase ne parvienne à gravir votre souffrance, à se hisser jusqu’au cœur du mal, à franchir les portes de votre foi vacillante. Avec l’habitude, d’un seul regard, vous savez si une phrase sera assez généreuse à vous réconforter et à vous laisser puiser en elle le sang qui fera renaître votre foi agonisante comme la promesse en un avenir plus clair.

 

Mais parfois, vos livres sont impuissants à apaiser l’incertitude, alors vous les quittez pour aller vous réfugier dans une petite librairie du centre-ville, découverte par une après-midi pluvieuse, une de ces journées sombres où votre âme, dans son égarement, cherchait une petite chapelle déserte pour y retrouver la force de croire. Dans cette librairie, vous y entrez avec respect et recueillement. Vous en poussez la porte avec précaution en prenant soin de la refermer sans bruit derrière vous. Vous aimez à y déambuler à votre aise, aux heures où les fidèles, trop fiers de leur foi ostentatoire, l’ont désertée. Vous avez toujours détesté ces bigots prêchant aux infidèles, leur missel sous le bras. Vous avez toujours préféré les impies à la foi hésitante qui blasphèment de temps à autre, incertains du Christ et des Evangiles et qui s’égarent de religion en athéisme, de certitude en défaillance. Vous vous sentez si proche de ces compagnons de souffrance, de ces frères de misère qui avancent avec tant de maladresse sur leur chemin de vérité. Une fois entré dans cette librairie, dans ce havre de lecture, vous laissez votre regard contempler ces murs fragiles, construits dans la foi, mot après mot, phrase après phrase, d’illumination en vérité, vous regardez avec ferveur ces murs bâtis dans la quête de soi comme une recherche éternelle de Dieu. Vous pouvez y passer des heures entières entre la prière et la méditation examinant ici un ornement, là une œuvre magistrale car ici, comme dans toutes les librairies et les bibliothèques du monde, dans tous ces temples sacrés, il n’y a pas un Dieu, unique et tout puissant, mais des milliers, des millions crucifiés sur la croix de l’ignorance, abandonnés à l’indifférence et à la bêtise des hommes et offerts à ceux qui recherchent la foi. Ici comme dans tous les panthéons du monde reposent des milliers, des millions de Bibles, toutes semblables dans leur recherche du divin et pourtant, à chaque fois unique, irremplaçable, différentes par les chemins célestes qu’elles empruntent. Dans ces cathédrales de vérité, vous aimez à vous recueillir en livrant votre âme à la prière. Ainsi, de livre en livre, vous poursuivez votre chemin de croix comme une longue route vers vous-même.

 

 

Promenade

Vous êtes en promenade non loin de chez vous. Ce sont vos rares espaces de solitude, vos rares instants de liberté. Vous marchez. La journée s’étire et refuse de mourir, de céder sa place à la nuit naissante. De ses dernières lumières, elle lutte contre les rideaux sombres du soir. Les deux astres se font face dans un étrange combat d’ombres et de lumières. Depuis la nuit des temps, la lune et le soleil s’affrontent ainsi chaque jour dans un corps à corps singulier. Et ce soir, vous êtes là, attentif, heureux spectateur de cette éternelle rencontre. Vous vous arrêtez, ébloui par cette bataille où percent les derniers feux du soleil agonisant absorbés par la toile obscure du crépuscule. Et devant ce spectacle grandiose, vous êtes émerveillé, heureux d’être le témoin de cette douce étreinte, de cet étrange enlacement du jour et de la nuit. 

 

 

Frugal repas

L’après-midi touche à sa fin. Vous rentrez chez vous après avoir passé la journée à l’extérieur, trop loin de vous-même. Toutes ces heures, vous les avez employées à être là-bas avec eux, ces autres dont la présence à chaque instant vous encombre. Toute la journée, vous avez dû vous résoudre à rester parmi eux à entendre leurs bavardages, leurs rires, leurs bruits. Eux, ce sont vos collègues. Et toute la journée, il vous a fallu trouver le courage, le courage un peu lâche de ne pas vous enfuir. Et ce soir, en les quittant, la nausée vous prend. Dans votre tête, les bruits de la journée s’entrechoquent en résonnant à l’infini comme un écho démultiplié.

 

A présent, vous êtes chez vous. Les bruits se sont dissipés, lentement remplacés par le vide et le silence. La soirée est maintenant avancée et vous avez le sentiment qu’il ne vous reste que quelques miettes, quelques miettes de temps. Et vous avez faim de vivre, vous avez faim de vous-même. Mais comment apaiser cette faim avec quelques miettes ? Il vous reste si peu de temps pour les grignoter…

 

L’appétit tarde à venir. Il ne peut ignorer que vous ne lui accordez que les restes d’un mauvais plat. Alors pour le contenter, vous vous mettez à chercher, à fouiller les tiroirs de votre cœur. Vous les sortez, vous les retournez, vous les secouer. Et que trouvez-vous ? Le silence et un amas de bruits inutiles, échos agonisant de cette journée agitée. Alors, vous faites l’inventaire et vous rangez, vous séparez les bruits du silence pour découvrir caché derrière cet amoncellement écœurant un ravissement savoureux recroquevillé sur lui-même.

           

Depuis longtemps la nuit est tombée lorsque vous vous mettez à votre table. Vous avez pris soin auparavant de disposer une belle nappe à carreaux sur la table de vos rancœurs. Tout est prêt. Votre repas sera frugal, frugal mais d’une exquise saveur. Ce soir, vous dînerez de rêves retrouvés que vous déposerez sur l’assiette blanche de votre cahier.

 

 

Solitudes

Vous êtes dans un café. Vous y êtes entré par hasard avec la vague envie de faire une halte, de vous couper du monde pour un instant. Vous vous êtes assis face à la grande baie vitrée. Au début, vous ne voyez rien, vos yeux regardent au dedans, y cherchant sans doute la force de poursuivre votre chemin. Le café est désert. Vous êtes seul à contempler votre solitude. Au dehors, la vie continue de couler. Sur le trottoir, le monde poursuit sa marche entraîné par le flot de ses préoccupations. Vous remarquez que beaucoup de personnes marchent seules. Certaines traînent un caddie chargé de victuailles en affichant un air de bonheur tranquille comme une façon de vous dire qu’elles peuvent s’aimer pour elles-mêmes. D’autres traînent les pieds et leur mélancolie comme un fardeau de solitude en poussant leur carcasse dans le flot informe des passants. Parfois deux personnes se croisent, échangent un bref salut, une rapide poignée de main, quelques nouvelles, puis chacun tourne les talons et retrouve sa marche solitaire. De temps à autre, deux amoureux marchent au même rythme en se tenant la main, le regard souvent triste et absent où ne sourd que leur solitude. Les couples poursuivent ainsi leur route à deux, aussi seuls que les autres. Le monde n’est souvent qu’une addition de vies solitaires, que l’addition infinie de toutes les solitudes du monde. 

 

 

Week-end

Un samedi après-midi. Premier jour du week-end, premier espace de temps libre où les heures s’étirent, interminables, comme un long soupir d’ennui, un immense bâillement de paresse. Mais il ne faut guère se soucier des apparences, presque toujours aussi menteuses qu’un habit aux éclats trop brillants.

 

Le samedi est le premier jour de votre semaine, celle qui compte, celle qui vous permet d’exister entre deux longs week-ends de travail inactif. Le week-end, c’est 5 jours pour rien, juste de quoi vivre - juste de quoi assurer le vivre - une misère de jours, un gaspillage inepte du temps, la plaie béante du monde, pour ceux qui appartiennent encore au monde, à ce monde du travail inactif.

 

Pour les autres, les pestiférés du monde, les sans travail, la plaie est différente, la souffrance est ailleurs, dans la désespérance de l’abondance de temps, dans cet excès de temps désœuvré qu’ils vivent jusqu’à l’écœurement. Pour eux, que de liberté, que de temps ! Et que faire de cette liberté ? Que faire de ce temps ? Ceux-là souhaiteraient sûrement voir leurs journées asservies par la contrainte, par le poids d’une activité, n’importe laquelle, mais une qui leur redonnerait le leurre d’une place - même minuscule, même infime - dans le regard du monde. Pour ces infortunés, l’envie doit être forte, puissante de regagner la terre des vivants, la terre des hommes qui vivent dans ce monde à l’aise ou chichement – et qu’importe – sans jamais véritablement se donner le temps d’exister. Mais pour vous, vivre dans l’aisance ou vivre humblement, la différence est infime. Et même si bon nombre d’Hommes construisent leur vie entière sur cette différence, dans cette poursuite effrénée de l’argent-roi, de l’argent-dieu, prêts à s’agenouiller et à courber l’échine leur vie durant pour recevoir quelques hosties métalliques à la fin de chaque mois comme la preuve de sa Toute-Puissance et du bien-fondé de leur vie, qu’elle vous semble étrange cette course folle du temps à occuper ! Comme si les uns disposaient de trop de temps sans savoir qu’en faire sinon le soumettre aux chaînes de la contrainte et que les autres passaient leur vie à attendre ou à rêver ce temps qui leur échappe sans parvenir à le rattraper.

 

Pour vous, comme pour bien d’autres, ces frères solitaires, ces chercheurs de contrées radieuses, le samedi est un jour de liesse, un jour de labeur et de joie où vous partez aux champs les outils à la main et le cœur léger comme un paysan heureux de retrouver la terre de ses pensées, libre de débuter son ouvrage où bon lui semble, libre d’écouter le chant des oiseaux, libre enfin de laisser à demain ses travaux pour aller flâner sur les chemins alentour contempler la beauté du monde et y cueillir quelques idées comme un bouquet de fleurs sauvages. Le samedi est pour vous un jour de labeur paresseux, un jour de paresse laborieuse où vous laissez filer le temps, votre filet à papillon sur l’épaule pour attraper les idées légères qui traversent votre vie. Vous les attrapez encore avec beaucoup de maladresse soucieux pourtant de ne pas meurtrir leurs ailes fragiles. Vous les regardez un instant puis vous les relâchez. C’en est assez pour les croquer sur votre petit carnet. Voilà votre travail ! Vous êtes paysan, chasseur de papillons, laboureur de pensées et croqueur d’idées futiles. Et le reste de vos jours, vous vous reposez à votre bureau en rêvant à ces terres promises, à ces baisers volés aux fiancées volages de vos semaines.

 

 

Fêlure

Ce matin, au réveil, vous ressentez une étrange fêlure comme si une vieille cicatrice s’était rouverte pendant la nuit. Et ce matin, vous êtes seul avec elle. Elle est là dans l’antre de votre âme, recroquevillée au creux du cœur, à l’abri des regards. Nul ne pourrait vous aider à vous en soustraire. Et il vous serait d’ailleurs impossible de l’extirper. Comme une bête apeurée, cette fêlure a trouvé refuge en vous. Depuis des années, elle vous accompagne. Peu à peu, vous avez appris à vous connaître. Et au fil des années, vous vous êtes habitué à sa présence sans jamais pourtant réussir à l’apprivoiser. Et malgré ce lien étrange qui vous unit, malgré cet apparent attachement, vous ne cessez de lui jeter des regards haineux, désireux de mettre fin à cette cohabitation forcée, animé par le puissant désir de retrouver votre liberté. Chaque jour, cette fêlure grignote davantage votre cœur. Chaque jour, elle vous insuffle son poison sournois qui asphyxie peu à peu votre existence. Chaque jour, c’est elle qui assèche davantage votre espérance et pourtant vous continuez de la nourrir.

 

Autour de vous, le silence. Vous êtes seul face à la bête traquée, cette féroce amie qui ronge votre vie, incapable de la débusquer et de lui tordre le cou pour que se taise la meurtrissure, incapable de lui arracher ne serait-ce que quelques plumes ! Et même si vous parveniez à la terrasser et à la traîner jusqu’au dehors, qui accepterait de partager avec vous cette misérable pitance ? Autour de vous, chacun a regagné sa solitude. Les amitiés se sont dérobées. Chacun a retrouvé sa cicatrice, s’est replongé dans son tête à tête avec sa bête immonde.

 

 

Pension austère

Absent, sans inspiration devant la copie blanche du jour. 8 heures d’examen chaque matin depuis de longues années. Et cela fait bien longtemps que vous n’apprenez plus vos leçons ; vous n’avez plus rien à dire, plus rien à écrire.

 

Aujourd’hui, c’est au-dessus de vos forces de rester là, assis la tête sur votre cahier à attendre la récréation, à attendre ainsi, l’esprit ensommeillé, près du radiateur qui brûle votre impatience.

 

Aujourd’hui, vous êtes un cancre et vous ne craignez plus d’être expulsé du lycée triste des affaires du monde. Vous n’avez qu’une envie ; être renvoyé à votre école de liberté.

 

Aujourd’hui, vous êtes las de voir tous ces élèves appliqués autour de vous, tous ces élèves consciencieux toujours prêts à lever le doigt dans l’espoir d’une récompense, d’un bon point ou d’une image et qui jettent à la ronde le regard satisfait de ceux qui ont compris, un œil sur vous, méprisant et arrogant et l’autre, si doux si mielleux, au maître d’école ravi. Aujourd’hui vous êtes fatigué d’écouter des heures durant tous ces vieux professeurs ennuyeux qui déchiffrent avec peine leurs notes délavées par l’ennui et déchirées par les années perdues. Vous êtes fatigué de toutes ces conversations sur les cours, les notes, les devoirs à rendre pour le lendemain, de toutes ces simagrées aussi creuses qu’inutiles.

 

Vous ignorez les raisons de votre présence ici, dans cette pension austère où chacun s’engage pour l’éternité, cloué dans cette salle d’étude pendant de longues journées et obligé de se mettre au lit la soirée à peine commencée au lieu d’aller jouer au dehors. Il n’y a pas de place ici pour les mauvais élèves, les enfants insoumis, rebelles à l’autorité du maître qui préfèrent sauter le mur pour aller courir après leurs songes et aller cueillir les étoiles. Vous avez toujours détesté votre métier d’élève. Vous avez toujours préféré rester chez vous, seul dans votre chambre, avec vos jouets, vos billes de rêves et vos poupées d’ennui, isolé du monde. Vous avez toujours aimé jouer avec des riens, des bouts d’écorce et des larmes noires de pluie, des jeux sans importance. Une feuille et un peu d’encre, et vous partez pour un long voyage immobile au pays de songes, dans le monde infini et mystérieux des mots. Et même si vos jeux n’amusent personne, et même si les adultes vous trouvent encore trop enfant, ce n’est pas grave parce que vous y croyez, vous, à ces histoires, à ces fables enfantines où vous êtes l’aventurier sans peur qui saute d’aventure en aventure, de mot en phrase, toujours invincible, toujours vivant.

 

 

Comme les enfants

Comme les enfants, vous vous étonnez de chaque chose ; les pavés sur lesquels vous marchez, ce chemin que vous empruntez chaque jour depuis des mois, ces gens que vous rencontrez chaque matin, ces champs alentour qui entourent les hautes tours grises de la ville en contre-bas.

 

Comme les enfants, vous êtes curieux du monde, émerveillé de tant de richesses, de tant de diversité. A vos yeux, la beauté et la laideur n’ont pas de différence. Pour vous, belles ou laides, toutes ces choses recèlent une valeur infinie. Pour les hommes, ces choses n’existent pas. Elles sont sans importance. Ils passent leur chemin sans les regarder, vaquant à leurs affaires sérieuses. Pour eux, la richesse est ailleurs. Mais les choses sérieuses et la richesse ne vous concernent pas. Elles n’ont aucun intérêt à vos yeux. Pour vous, la richesse est partout, partout où se pose votre cœur, partout où l’argent est impuissant à imposer sa loi, partout où les hommes ne font que passer. Comme les enfants, vous, vous y trouvez des trésors, des trésors de rien, des trésors de joie, des trésors de vie inépuisable.

 

 

Temps

Vous avez quelques jours devant vous, quelques jours pour vous, pour faire ce que vous avez envie de faire, rien de plus, pour avoir le temps, suffisamment de temps pour être libre de ne rien faire. Cela fait des mois que vous attendez ces quelques jours. Et aujourd’hui, vous y êtes, c’est le grand jour ! Alors vous restez encore quelques instants au lit ! Ce matin, vous avez le temps. A travers la fenêtre, vous apercevez le soleil qui est déjà haut dans le ciel. Le temps passe si vite, mais vous ne vous en souciez guère, le temps est infini ce matin. Aujourd’hui l’éternité vous attend. Et soudain, votre journée se dessine avec l’envie naissante de fixer le bonheur de ces instants. Vous vous levez. Vous allez chercher votre vieux cahier, fidèle et discret confident de vos longues absences, et vous vous mettez à votre table de travail. Vous ouvrez votre cahier et vous commencez à écrire ; écrire le temps de vivre, écrire le temps d’écrire, écrire le temps d’oublier, écrire le temps … avant de mourir.   

 

 

Ecriture et réalité

Jamais il ne vous faudra confondre l’écriture et la réalité. L’écriture n’est que l’arrière-cour du réel où vous tirez la leçon de vos jours. L’écriture n’est que la cave sombre de vos journées.

 

Entre l’écriture et votre vie d’occultes transactions s’opèrent qui les enrichissent l’une et l’autre mais chacune doit conserver son rang et sa place. Et il vous faudra vivre votre vie et votre écriture comme si la première était l’actrice du monde, la grande joueuse devant l’éternel et comme si la seconde n’était que sa spectatrice et sa confidente, sa chroniqueuse mondaine en quelque sorte.

 

Aujourd’hui, vous sentez que votre écriture s’est transformée, qu’elle s’est muée en une chose nécessaire et presque vitale. Mais il vous faudra maintenir l’écriture à distance et ne lui accorder plus de prestige ni d’autorité qu’elle ne voudrait s’en donner car l’écriture n’est pas la vie. La vie est ailleurs. La vie habite sans doute une région encore inaccessible pour vous. Vous devrez donc poursuivre votre chemin hors de l’écriture, emprunter un chemin plus ancré dans la vie, approfondir votre connaissance des contrées existentielles découvertes et partir à la recherche d’autres encore inconnues. La vie s’y trouve sûrement. Et il vous faudra sans doute marcher longtemps avant de la rencontrer… Peut-être l’avez-vous d’ailleurs déjà effleurée lors de vos promenades ? Peut-être même vous a-t-elle déjà souri ? Et vous, sot que vous êtes, vous deviez encore avoir la tête dans les étoiles à suivre l’un de vos chemins de mots, et vous êtes passé sans la voir. Alors, à l’avenir, soyez plus attentif à la vie, cherchez-la davantage et avec plus de soins ! Restez vigilant ! Soyez à l’affût du monde !

 

Jamais l’écriture ne pourra vous servir de corde pour vous hisser jusqu’à la vie, ne voyez en elle qu’une façon de trouver une meilleure prise pendant l’ascension. L’alpinisme est un sport à haut risque. Et l’existence comme la haute montagne recèle mille dangers. A chaque instant, au moindre faux pas, la chute vous guette. La chute abyssale, la longue glissade vers le gouffre du désespoir et sûrement la mort au fond du gouffre.

 

L’écriture n’est qu’une façon de mettre en scène votre vie, qu’une façon supplémentaire de vous envelopper dans votre égotisme. D’ailleurs ce que vous écrivez, cent fois, mille fois, des millions de fois peut-être, d’autres avant vous l’ont déjà écrit… alors au fond quelle importance ce que vous écrivez ?  Il n’y a aucun crédit à accorder à l’écriture. Vous écrivez, c’est un fait, vous éprouvez l’impérieux besoin d’écrire, mais au fond est-ce qu’écrire a quelque importance ? Au diable donc ce que vous écrivez ! Fuyez comme la peste ce sentiment absurde et pernicieux que développe bon nombre de ceux qui écrivent. Et promettez-moi de ne jamais vous sentir écrivain ! Promettez-moi de ne jamais espérer appartenir un jour au cercle étroit des lettrés et des auteurs reconnus. Je vous en conjure, prenez garde à ne pas vous ensevelir sous cette mascarade puérile, insensée et égocentrique. Ne prenez jamais plaisir à jouer aux martyrs de la page blanche, ne vous enchaînez pas aux délices perfides de l’inspiration, prenez soin de ne jamais vous enfermer dans l’écriture car vous vous couperiez de l’essentiel ; vous négligeriez la vie, la vraie. Alors, je vous en conjure, levez-vous, éloignez-vous de vos phrases, écartez-vous de cette quête pesante du mot juste, refermez votre carnet et rejoignez le monde, retrouvez la vie ! Oui ! Prenez soin de vivre, de poursuivre votre existence ! Ne désertez jamais la vie ! N’abandonnez jamais la chance de vivre et le bonheur d’être, celui d’écrire suivra, soyez en sûr ! Pour bien écrire, il vous faudra d’abord bien vivre, non une vie riche d’évènements, une existence foisonnante d’aventures, mais une vie intense où vous saisirez chaque seconde qui passe pour en extraire l’entière substance, non dans le dessein dérisoire de l’écrire mais afin de comprendre la vie, d’apprivoiser votre existence et de mieux les vivre toutes deux. Parce que la vie et votre existence méritent qu’on les empoigne ainsi, tout en elles nous invite à recueillir leur saveur. Une existence simple pourra vous combler de bonheur et de joie pour peu que vous sachiez entendre le souffle de la vie. Alors, je vous en conjure une dernière fois, oubliez vos ombres d’écriture, quittez votre table et vos crayons et regagnez le monde, rejoignez la terre des hommes, retrouvez la vie, retrouvez votre vie ! Construisez votre existence et vos livres, croyez-le, se bâtiront d’eux-mêmes. Vivez ! Et la vie vous donnera matière à vivre et à écrire !


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