Carnet n°47 Simplement
Journal poétique / 2014 / L'exploration de l'être
Je marche à petits pas sur le sentier des collines. Les nuages et le vent accompagnent ma course lente. Qui m’attendra ce soir ? Je saluerai le soleil de ma couche — et les branches du cerisier en fleurs — suspendus à la fenêtre.
Le gage éternel de la joie : la souffrance et son aiguillon douloureux.
Les maux glissent à mes pieds meurtris. Sur le chemin des peines, nulle consolation. Les cieux racoleurs sont notre dévastation. L’essentiel se défait toujours de l’accessoire.
Laisse-toi mener. Sois simplement là.
Simplifie le regard.
Ecoute les mouvements. Et laisse agir. Ne change rien. Laisse-toi conduire. N’alimente pas les pensées. Sois. Fais face à ce qui est là.
Où vas-tu, toi qui marches ? L’ailleurs serait-il plus propice qu’ici ? Plus tard serait-il mieux que maintenant ? Que cherches-tu à fuir ? Qu’espères-tu donc qui ne soit déjà ? Rien ne manque.
L’espoir t’éloigne de ce qui est.
La source de la plénitude est en toi.
Sois honnête envers le chemin. Il n’y a aucune erreur. Les pas te placent toujours à l’endroit exact.
Tes idées sur la vie sont un poids inutile. Tu es vivant. Sois simplement disponible à ce qui se présente.
Tes idées t’enchaînent à une image de la réalité. Regarde la vie sans mémoire. Et tu libèreras le regard de ses encombrements.
Assieds-toi et regarde. Observe ce qui vient, ce qui va. Où es-tu, toi, qui ne bouges pas ?
Les paysages sont le reflet de ta beauté.
Ce qui est t’invite à la source du regard.
Le regard est ce que tu es. Le centre où tu demeures. Tout se passe en toi.
Oublie ce que tu connais. Regarde avec innocence.
N’écarte rien. Tu es tout ce qui est là.
Tu n’es pas ce qui se meurt. Tu es ce qu’il reste lorsque tout a disparu.
Si le monde t’envoûte encore, entre dans la danse et tournoie. Jusqu’à la disparition du centre.
Le silence est le seul poème.
Il n’y a rien à désirer, tout est là.
Si tu désires encore… Que se cache derrière ton désir ?
Etre ne s’apprend pas. Tu es déjà.
Autorise-toi à vivre ce qui est là. Sois simplement vivant.
Va vers ce qui te porte. Ne résiste pas. Sois comme l’eau. Suis ta pente naturelle.
Assieds-toi en silence. Et écoute.
Au cœur du monde, le silence. Au cœur du silence, la paix. Et dans la paix du cœur, la joie éclaire le monde.
Seul un cœur libre et ouvert — sans idéologie ni attente — peut offrir au monde l’amour et l’intelligence dont il a besoin.
La seule nécessité est celle qui est là.
L’heure invite à la présence. Le monde au regard. Et sa fureur au silence. Et du silence habité peuvent naître la joie et la paix.
Tout invite à l’abandon.
Le ciel n’attend rien de nous. Il nous aime sans exigence.
Tu n’es ni ceci. Ni cela. Tu es.
Le trésor est dans le regard. Toujours. Jamais sous le pas. Ni dans la main.
Tout ce qui surgit est juste.
Tes peurs ont le visage de la bonté.
Laisse l’ennui refléter ton vrai visage.
Le rien apprivoisé invite au vide. Et le vide à te découvrir.
Les malheurs sont les évènements dont tu as besoin pour comprendre.
On pense. Donc on n’est pas. La présence s’habite sans penser.
L’auteur de tes actes n’est pas celui que tu crois. Ils sont l’œuvre d’une force qui t’actionne.
Quand les désirs s’éteignent, l’être survient.
Laisse tout s’éteindre pour rayonner.
L’aube réparatrice de la longue nuit.
Ne t’oppose pas à ce qui surgit. Laisse faire et agir.
Demeure en toi-même. Tiens-toi à la source du regard. Laisse tout suivre sa pente naturelle. Et se dérouler à son propre rythme.
Il n’y a rien à rejeter. Rien à blâmer. Tout ce qui arrive est juste.
Laisse les circonstances faire naître et mourir les mouvements. Et agis aussi spontanément que possible.
Seules les circonstances ordonnent.
Le désir rétrécit le monde.
Le ciel s’enivre de notre joie.
La poésie se lit avec les yeux de l’amour et de l’innocence.
Le soir, à l’orée des tables, on boit sur des nappes vieillies par l’alcool. On s’affaire là pour remplir l’ennui, oublier les lendemains sans bouteille où l’on vomira son dégoût des jours vides.
Les pleutres ne voient pas le ciel. Ils y couchent leurs rêves lointains.
La poésie est une caresse éphémère. Un long baiser sur les lèvres de l’absente.
On s’écharpe dans les rues. Et l’on se rue dans les bois. Et sous le vent des armistices, on attend la débâcle.
Les poèmes se couchent sur les âmes pour les reposer de la furie des jours qui sucent le sang de leur grands corps fatigués.
La boulimie des heures nous laisse sans repos jusqu’au grand soir où les anges nous invitent à retrouver le ciel.
Il n’y a pas d’étincelle dans la nuit qui nous fait face. Il y a des lucioles au loin qui éclairent nos pas vers demain.
Chaque heure est un carrefour sans chemin. A la croisée se tient celui qui est debout. Ivre d’espoir et d’horizon, les pieds collés à la sente, attendant les craquelures du ciel.
Maintenant n’est pas venu. Il se cache derrière nos espoirs et nos regrets.
L’horloge nous cloue au supplice.
On s’interroge sur hier et sur demain. Sur les jours où les pierres étaient ou seront dans nos poches. Et maintenant qu’allons-nous en faire ?
La lumière éblouit les yeux. Engonce le cœur dans sa gangue. Et le printemps s’échappe.
L’horizon et l’ailleurs sont des menteurs. Ils nous cachent le maintenant qui est là.
Les colombes cadenassées par nos terreurs agonisent aux pieds du ciel. Et nous nous croyons libres ?
Esclaves les fers aux pieds reculant l’envol au lointain. Esclaves les faire en tête reculant le jour au lendemain.
L’heure est mensongère. Elle ne contient que des instants. L’instant est mensonger. Il ne contient que maintenant.
Le vent s’engouffre par la fenêtre du hasard. Du moins le croit-on ? Seule la nécessité tient lieu de socle. Le jeu n’est pas celui du hasard. Mais du merveilleux et de la joie qui invitent à la célébration de l’Existant. Reflet de l’Unité commune.
L’aube sans fondement survient souvent après une longue nuit d’aveuglement.
Sans attente ni idéologie, le cœur est libre et ouvert. Tu peux alors marcher vers le monde sans crainte des blessures.
Un arbre sous le préau où tu attendais l’impossible.
L’escale où tu pars pour d’autres voyages. Pour accéder à l’autre rive.
Au bas de l’échelle, tu patientes. Le ciel bas étouffant la matière. Les désirs suffocants sous la chair. La liberté habite l’ailleurs.
La liberté patiente sous les désirs. Et le vent scie déjà les barreaux.
La brume sur la montagne. Et mes rêves se dissipent.
La serpillère dans le seau. Le bol dans l’évier. Et la main qui dessine le jour. Je suis en paix.
Le silence de la maison. Les bruits du monde à la porte. Et le recueillement de mes mains sages.
L’instant délicat se faufile entre deux pensées. Derrière l’instant, la présence toujours souveraine.
L’aube s’attache sans raison à la nuit. Le jour passe comme un rêve. Je vis à côté de moi-même.
Les saisons passent sans bruit. Je me tiens à côté du vent. Sous l’étoile qui m’observe.
Le vent dans les arbres couvre les bruits du monde que je n’entends plus. Seule la pluie arrose les pensées.
Couché dans l’herbe, je regarde les arbres chanter l’univers. Personne à mes côtés.
Je suis seul avec l’infini qui se penche vers moi. Et me dit : il n’y a personne ici-bas.
Le monde agite ses bras fatigués. Et le vent pousse les rengaines dans le caniveau. Seules les étoiles chantent.
Quand le froid se fait trop vif, ma capuche de laine me protège des griffes de l’hiver. Et mon âme se réchauffe près du ciel.
L’homme se courbe parmi ses congénères. Seul l’arbre est digne et solitaire.
Les arbres sont des amis silencieux. Leur présence est réconfortante.
Je peux vivre sans les hommes. Mais je ne pourrais vivre sans les arbres et les chiens qui m’offrent l’amour et la chaleur dont j’ai besoin.
Il pleut sur le monde des rengaines et des blessures qui invitent au retrait. Seul dans ma cabane, je suis en paix. Au dehors, le vent charrie les plaintes. Et le cri des hommes titubant sur l’asphalte. Je suis à l’abri sur le chemin de terre.
Neuf mois de gestation pour naître au monde. Quarante années pour naître à soi-même sous le ciel indifférent aux jaillissements sur les contrées inégales.
L’âme s’épuise à chercher ici-bas alors que le ciel est l’unique boussole. Au-dessus de nos têtes, l’espace immuable.
La grandeur du trait s’efface dans le silence. La parole jaillit, le nuage passe. Près de l’arbre je me tiens.
La lune saisit la main que le sage tendait vers elle. Et l’obscurité se dissipe sur les visages.
Dans la porte entrouverte, des paysages inconnus. Le ciel s’engouffre toujours dans le regard de celui qui sait voir.
Par la fenêtre l’arbre se penche. Il salue le vol des hirondelles. Le printemps demeure l’éternelle saison.
La tête engoncée dans leurs chaussures, les hommes cherchent leur route. Heureux les va-nu-pieds. Leurs sandales de vent suivent le ciel.
Le monde est vide. La sève monte. Les mains s’agitent. Mais le repos est aussi dans les gestes et les ramures.
Assis devant la rivière, je regarde le cours des choses. La berge tranquille où je me tiens. Le ciel où je me repose. Le vol des oiseaux parmi les nuages. Et le frétillement des poissons dans la nasse.
Dans la forêt, je me perds. Au pied de l’arbre je demeure. Parmi les feuilles et la terre, je suis en paix.
L’heure est féconde dans le silence.
Natif des sommets, je ne peux vivre dans la plaine. Je sais que les pigeons n’éliront jamais l’aigle comme roi.
La brume sur la montagne se dissipe au soleil. Comme nos rêves disparaissent à la lumière.
L’esquisse d’un pas est une danse dans le silence.
Toi qui contemples le ciel, dis-moi : que dure le vol d’un oiseau ?
Peux-tu saisir le nuage qui passe ? Qu’attraperait ta main avide ? Et si tu laissais mourir ton indigence…
Que peuvent les hommes ? Savent-ils effacer le vol de l’hirondelle ?
Les saisons s’écoulent sans bruit devant la terrasse. Je me tiens immobile à ma place.
Les choses suivent leur course funeste devant le ciel imperturbable. Et moi qui habite l’azur et la terre, je me défais en silence.
Un trait dessine le monde. Un autre l’efface. Un battement de cils séduit les hommes. Un revers de main les anéantit. Je suis le cours des choses. Et la demeure immobile. Le ciel impassible qui voit mourir chaque trait les uns après les autres.
Les nuages sont sans parole. Mais ils enseignent davantage que les livres.
Ô Ciel ! Dis-moi où se cache la vérité. Où as-tu mis mon regard ?
Est-ce que l’herbe s’offusque qu’on la piétine ? Elle se courbe un instant puis se redresse vers le ciel.
Mousses et lichens. Assis sur un rocher. Là où demeure la paix. Je suis.
Je médite sur la montagne. Mais où est perché mon regard ?
L’épuisante mission de Dieu auprès de ses créatures.
Retiré des affaires du monde. Et présent à l’univers.
Au soleil éternel et au ciel immuable, les nuages disent qu’ils passent. Repasseront demain peut-être… Un jour sans doute…
Assis à ta place, tu contemples le monde. Hommes et bêtes qui vaquent à leurs affaires. Et le ciel au-dessus de leurs têtes.
Qui voit le labeur des astres sur notre destin ? Qui voit la rosée du matin ? Et la brume sur la montagne ? Qui voit le vol des oiseaux dans le ciel ? L’eau des rivières qui s’écoule éternelle ? Et les nuages dans l’espace sans âge qui offre un escalier à ceux qui restent humbles et émerveillés ?
La fleur se soucie-t-elle de son logis ? L’étoile s’inquiète-elle d’éclairer le voyageur ? Le silence est leur demeure. Et la paix leur seul labeur. Au sein du ciel demeure l’immensité.
L’insoutenable secousse du monde qui donne naissance au solitaire…
Seul parmi les étoiles je m’endors. Seul parmi les herbes je me repose. Seul sous la pluie je danse. Seul dans le vent je suis. Et le monde s’agite dans ma paix.
Le monde ne peut échapper au glaive et au complot. Installe-toi dans l’innocence et le retrait. Alors les archers, les flèches et les donjons révèleront leurs pétales derrière l’indéfectible parfum de larmes et de sang.
Toi qui t’enorgueillis, qu’as-tu réalisé d’inoubliable ?
Quel est ton rôle toi qui vis à l’écart du monde ? L’arbre et la fleur se soucient-ils de leur fonction ? Ils sont. Et cela (leur) est suffisant.
Quel est ton rôle toi qui regardes la pluie tomber ? Comme l’herbe, je recueille la rosée. Je bois l’eau du ciel. Droit dans mes bottes crottées.
Je marche à petits pas sur le sentier des collines. Les nuages et le vent accompagnent ma course lente. Qui m’attendra ce soir ? Je saluerai le soleil de ma couche — et les branches du cerisier en fleurs — suspendus à la fenêtre.
Le ciel et la terre se rencontrent au loin. Et sous les pas de celui qui marche. Un jour vient le temps où l’on pose son bâton pour s’assoir sur la mousse verte de la forêt, près du cabanon que l’on a bâti à la hâte dans une clairière isolée où seuls le vent, les oiseaux et les herbes sont invités.
Où ai-je posé le bâton qui guidait mes pas ? Je l’ai oublié sur les chemins qui m’égaraient. Je me suis assis dans l’herbe pour enlever mes bottes fatiguées et m’étendre parmi les nuages passagers.
J’ai marché longtemps sur les chemins. J’ai perdu la boussole qui m’égarait. A présent, je marche où le vent me pousse. Les saisons sont les mêmes partout.
Le monde a refusé les ailes que je lui tendais. Elles n’étaient que de cire et de papier. A présent je me tiens assis parmi les étoiles. Et le silence a tout enveloppé.
La vaisselle s’égoutte dans l’évier. Les feuilles des arbres dansent dans le vent. Assis sur la terrasse, j’écoute le soir tomber.
Les livres, la nature, le monde, l’expérience d’être vivant… tout enseigne à être.
Le piaillement des oiseaux et la serpillère qui sèche au vent participent aux mêmes chants du monde. Au même mouvement de l’univers qui naît et s’éteint dans le silence que mon cœur abrite avec humilité.
L’oiseau qui sous la pluie cherche un abri ne sait où aller. Je lui prêterais volontiers mon cœur s’il pouvait s’y réfugier.
Face aux grands arbres de la forêt, je me souviens sans nostalgie de mon errance sur les chemins. Et du lent mouvement vers la lumière. A présent je me tiens assis.
Une pierre, du sable. Une montagne, un chemin. Mais où vais-je donc de ce pas impatient ?
Un oiseau sur une branche construit son nid. Et moi, de mon abri, je contemple le monde.
La lune dans le ciel me regarde. Et je n’ai aucun mot à lui offrir.
Les feuilles dansent dans le vent. Et je les accompagne en silence.
Où as-tu posé tes jambes, toi qui marches avec la tête ? Où as-tu posé ta tête, toi qui marches avec les jambes ? Où as-tu posé ton cœur, toi qui marches avec la tête ? Où as-tu posé ta tête, toi qui marches avec le cœur ? Il n’y a qu’un ciel d’amour immuable. Le cœur est partout où se tiennent les jambes. Et la tête n’existe pas…
Le monde se déploie dans mes ailes immobiles. Et je laisse l’envol se défaire dans ma tranquillité.
Où que j’aille, je n’irais jamais aussi loin que l’herbe qui pousse sur le bord du chemin.
Le vent agite les feuilles des arbres. Les pensées et les émotions agitent le corps et l’esprit. Comme le ciel imperturbable, j’accueille et laisse les mouvements naître et s’éteindre dans le silence.
La pluie frappe à la fenêtre. Le soleil caresse la vitre. Assis sur le tapis, je me tiens immobile
Le corps immobile sous les nuages. Le vent a tout balayé : les espoirs, les croyances, les idées. Mes rêves comme la pluie sont tombés. Le sol à présent est dur et froid. Et mes pas s’enracinent dans la terre. Ce qui est là se dissipe. Le silence devient éternel.
Je balaye devant ma cour. Rien. Le vide a tout emporté. Et le vent à présent soulève la poussière.
Il faut partout se taire pour qu’advienne le silence. Mais nulle parole ne peut l’entacher.
Les désirs se sont éteints. Le monde s’est dissipé. Je me tiens tranquille dans la lumière du jour. Et lorsque le soir tombera, je me coucherai dans le silence et la joie.
Il n’y a rien à dire. Rien à faire, ni à penser. Quand les désirs de l’âme ont cessé, la tranquillité s’habite.
Les grands yeux du monde se sont clos. A présent je marche sur la terre déserte. A découvert parmi les ronces et les herbes. En ma demeure, je repose.
Simple. Toujours plus simple devient la vie. Un thé. Un bol de soupe. Le linge qui sèche au vent. Quelques pas sur la colline. Et le printemps sur la montagne. Les arbres de la forêt. L’herbe des chemins. Un rocher pour regarder le ciel. Ma vie s’efface dans l’infini.
Le temps s’est étendu à mes côtés. L’heure s’est allongée au creux de ma main. Nous reposons en silence à l’écart des affaires du village.
Je vis ce que le destin place devant moi. Un jour, il offre. Le lendemain, il retire. Je le laisse choisir les paysages. La direction et les pas sont toujours justes.
Pour l’âme éprise d’Absolu, la nature est plus propice et accueillante que la société des hommes.
Le ciel reflète notre vrai visage avec plus de justesse que tous les yeux du monde. L’infini peut alors se déployer dans le regard.
Qu’y a-t-il à faire sinon contempler le vide et ce qui le traverse ?
Je m’étends contre la roche dure et froide. L’abeille butine à mes pieds. Le ciel est descendu dans mon regard. La joue posée sur l’herbe. Le cœur battant sur la terre. Le monde devient familier. On accueille l’insignifiance. Et la préciosité de toutes choses. L’Hôte qui ne pouvait souffrir de voir sa place usurpée ouvre enfin ses portes.
Qui se soucie du mystère ? Les hommes préfèrent résoudre leurs énigmes.
Vouloir se soustraire à la main de Dieu en agitant vainement les bras. Voilà qui est ignoré celui qui tire les fils !
Que mes pas touchent le sol ou que je côtoie les nuages, je ne refuse pas les paysages. Je ne réfute pas la direction. J’observe sans intention — ni résistance — le passager et la traversée.
Quand on n’espère rien, on laisse le cours des choses se réaliser. On laisse devenir mais on ne devient rien.
Quand on ne sait rien, ne croit rien, ne prétend rien, n’aspire à rien, n’espère rien alors on sent avec force et certitude les ailes de la vérité battre en nous. On est suffisamment nu pour s’ouvrir à la compréhension. Et ce qui surgit ou ne surgit pas est juste. Actes et paroles. Silence et inaction.
Que le corps se repose de son labeur coutumier. Que les yeux usés par les paysages se ferment. Que l’esprit se vide de tous les encombrements pour s’ouvrir au regard sans âge.
La grâce est toujours à portée de regard pour l’œil vide.
N’efface rien. Laisse tout se défaire.
Oublie tout. Et tu sauras. La vérité se révèlera dans ton absence de savoirs, de croyances, d’intention, de prétention et d’espoir. La vérité ne peut s’habiter que nu, en laissant advenir le jaillissement spontané et l’extinction naturelle de toutes choses.
L’oiseau et la fourmi laissent-t-ils une trace dans le ciel et sur la terre ? Pourquoi laisse-rais-je une empreinte de mon passage ?
Le poète nu retient son souffle devant la beauté du ciel. Mais peut-il se déshabiller davantage ?
L’herbe des chemins et l’eau des rivières sont les seuls biens du vagabond. Le ciel est sa seule richesse. Quoi d’autre pourrait le combler ?
On ne désire rien que ce qui est devant nous. Avons-nous besoin d’autres choses ?
Je salue l’écureuil qui, chaque matin, me rend visite. Ai-je déjà eu plus fidèle ami ? Il ne se soucie pas davantage de moi que du ciel au-dessus de nos têtes. Et je lui sais gré d’ignorer notre présence.
Un bâton dans la brume. Je marche sur la montagne. En bas le village disparaît.
Assis sur la montagne, je guette l’arrivée du soleil. Mais le ciel se soucie-t-il de la nuit et des nuages ?
Que chante la pluie pour accompagner ma tristesse ? Ah ! Que souffle le vent d’automne !
Où loges-tu, toi qui habites le ciel ? Je laisse au corps le soin de trouver un abri.
Où se loge la tête ? Ailleurs. Où se loge le corps ? Ici. Où se loge le cœur ? Partout.
Qui le monde verra mourir ? Personne. Toutes les formes s’éteignent dans le regard.
Les chaises sont vides. Les visages s’en sont allés. Le vent a tout emporté. Le monde a disparu. La vie passe comme un rêve. Suis-je toujours vivant ?
Où suis-je, moi qui ne peux disparaître ? Où vais-je, moi qui suis toujours là ? Les pas s’agitent, les corps se meurent. Et je demeure en paix.
La pluie tombe du toit. La réalité se jette partout. Dans mon regard, le soleil et les yeux hagards. Le visage offert et les mains ouvertes.
Quels sont ce rôle et cette grimace que je dois revêtir pour tenir une place dans le monde ? Pourquoi le néant a-t-il besoin de costumes et de comédie ?
On se dirige à petits pas vers le néant. Sachons habiter le vide avant qu’il nous accueille.
Le monde pèse beaucoup plus lourd que le ciel dans nos soucis. Qui sait que nous avons le cœur si léger ?
Tu erres mais tu ne peux te perdre. Le ciel toujours au-dessus de ta tête qu’en un regard, tu peux habiter.
Que dire de l’étoile que nous suivons ? Qu’elle nous mène vers la nuit profonde où l’on s’éveille à la lumière.
Je marche sans me soucier de la direction. Je laisse mes pas choisirent les paysages. Et je les regarde au loin suivre leur pente.
Il n’y a d’horizons heureux. Voilà ce que nous apprend la marche ! Au bout de la route, on est mûr pour ouvrir enfin son regard au ciel. Et de constater avec effroi et étonnement qu’il a toujours été là… avant même nos premiers pas.
L’herbe qui m’accueille est plus secourable que les bras de mes frères. Elle n’attend rien de moi. Et je lui sais gré de me recevoir sans rien demander. Je ne perçois en elle pas l’ombre d’un désir. Et lorsque je la quitte, mon cœur s’emplit de gratitude et d’une main délicate, je la redresse.
Mon bâton, ma besace et ma barbe errent chaque jour sur les chemins. En quête d’un visage réconfortant. Mais seul le vent sèche mes larmes. Et seul le ciel m’ouvre ses portes. Je suis l’invité de l’Hôte unique. Et c’est nu que je me présente à lui. La nature est notre abri et l’azur notre demeure. Toutes nos errances nous l’enseignent.
Le ciel est notre nature. Infini et immuable.
Impassible, je regarde les nuages traverser le ciel. Les hommes et les bêtes vaquer à leurs affaires sur la terre. Les choses lentement se déliter. La vie s’écoule tantôt tranquille. Tantôt agitée. Et le regard est en paix.
La Parole comme de l’or tombé du ciel lorsqu’elle prend naissance à la source. Autrement, des bavardages futiles qui occupent l’espace.
Le silence se défait de toutes matières.