Carnet n°53 Le grand saladier
Journal poétique / 2014 / L'exploration de l'être
Le vent noir que l’on respire. Et qui nous étouffe. Et l’aurore nue que nos doigts n’auront qu’effleurée. Et les guerres rouges que nos mains rejettent. Et dont nos yeux nous protègent. Et les ombres diaphanes. Et les cœurs gris qui encerclent notre vie. Et la menace partout du dénuement. Et les ombrelles mensongères des demoiselles d’honneur. Et les noces mièvres des amants dépossédés d’eux-mêmes. Et les suintements de la pourriture dans notre chair. Et les raccommodements ciselés à la hâte. Et les seaux d’excréments répandus sur le sol. Et la folle clameur des foules. Et le silence des morts. Tout cela nous effraie. Nous glace les sangs. Mais nous continuons à vivre, n’est-ce pas ?
Liminaires
L’écriture — mes dérisoires fragments — ne sont que la partie visible du travail de l’être à l’œuvre dans les profondeurs. L’essentiel ne peut être relaté. Ni donné à voir. Il rayonnera en son heure par tous les pores de notre pleine vivance.
Il y a des jours moins clairs que les épines qui nous écorchent les yeux.
Il y a le silence des heures. Et l’heure du silence où tout pourra s’éteindre après moi. Et je sens dans mes paumes le monde renaître déjà.
Il y a aussi d’horribles cris dans mon cœur. Et ma bouche reste muette. Je ne saurais dire que le silence qui m’enveloppe. Et le bruit silencieux des chaînes que mes pas fébriles ont traînées.
Nous sommes fondamentalement (en arrière-plan) un espace d’accueil et de contemplation. Transposées à l’avant-plan, ces caractéristiques deviennent — pour le personnage — disponibilité et attention bienveillante.
*
Nous regardons tous le ciel. Et parfois nos souliers.
Les toits se superposent sous la voûte.
Le ciel. Les nuages. Et le soleil.
Et les brumes sur les collines quadrillant les parcelles sombres et lumineuses.
*
En vérité, je suis un petit personnage nu cherchant à habiter l’espace nu. Et réciproquement. Je suis aussi l’espace nu cherchant à habiter un petit personnage nu. L’avant-plan et l’arrière-plan qui se cherchent pour être totalement unis (ré-unis).
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Dans nos mains, la terre que nous nous offrons. Lambeaux de nature que nous dévorons. Fragments de matière qui s’auto-ingèrent. Des champs et des prés à perte de vue. Assemblage fantaisiste. Quadrillage parfait. La nature soumise au diktat de l’esprit humain.
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La grande guérison de l’âme qui s’ouvre à l’Ineffable. Et se penche sur ses propres manifestations. Dans le ciel et la poussière enfin réunis, les pas ne font qu’un. Etre plein en accord avec tous les mouvements.
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Le visage d’un homme mûr. Rides et cernes sur de petites moustaches broussailleuses. Un anonyme commun.
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Il semblerait que le réel soit composé de pléthore de mondes à la fois superposés, entremêlés et adjacents dans une étrange et incroyable imbrication (que je serais bien incapable de représenter…), mondes qui seraient des plans projectifs, représentatifs et abstractifs créés et explorés par le mental — cet instrument puissant et merveilleux. Ainsi le monde organique composé de matière, le monde des idées composé de concepts et le monde de l’imaginaire et des rêves composé de représentations formeraient l’essentiel des mondes accessibles à l’être humain (les mondes astraux et chamaniques étant « réservés » aux esprits humains les plus souples et les plus désencombrés) ce qui n’écarte pas, évidemment, l’existence de quantités d’autres mondes, plans et univers difficilement intelligibles, abordables et perceptibles par les Hommes. Et en arrière-plan de cette foison de mondes, la conscience, créatrice du mental, lui-même créateur des différents mondes et outil de navigation en leur sein. Une des grandes confusions de l’Homme serait de vivre le plan organique sur le mode des idées et des représentations au lieu de l’appréhender sur le mode de la sensorialité (tactile principalement). Seul le monde organique semble lié au mode sensoriel, ce qui n’exclut nullement que le monde des idées et des concepts et celui des représentations et des rêves et a fortiori tous les autres ne soient pas en mesure d’induire ou d’évoquer des sensations… à ce propos, ces sensations provoquées sont-elles créées à partir de la mémoire qui en a emmagasiné un stock grâce au plan organique ou ces sensations se réduisent-elles simplement à l’idée de sensation ? Ainsi rêver de manger une glace à la crème chantilly ou lire la description savoureuse d’une glace à la chantilly n’aura sans doute aucun effet si sur le plan organique on n’en a jamais mangée. L’évocation abstraite par les mots, l’imaginaire et le rêve n’induit donc une sensation qu’à condition de l’avoir déjà vécu sur le plan organique. Mais quant est-il pour des sensations que nous ne pouvons explorer sur le plan organique ? Ainsi par exemple, lorsque le chamane se transforme en aigle, a-t-il la sensation de voler ? Ou a-t-il l’idée de la sensation de voler ? Je ne sais pas. Allons un peu plus loin ! Et ne pourrait-on pas faire l’hypothèse que nous avons stocké en mémoire une infinité de sensations liée au fait que nous avons déjà vécu (pas en cette existence humaine évidemment) toutes les formes de tous les plans, mondes et univers existants ? A dire vrai, l’idée ne semble pas si saugrenue… mais reste, bien sûr, indémontrable et invérifiable sur le plan de la compréhension humaine…
Mais revenons sur le plan organique et tâchons de construire une typologie des sens en fonction de la distance entre les objets et le corps qui les ressent ou les perçoit afin de voir où nous mène cette réflexion… en matière de sensorialité, le goût est activé lorsqu’une forme est portée à la bouche ou ingérée (autrement dit lorsqu’une forme entre dans le corps). Le sens tactile lorsqu’une forme entre en contact avec le corps, l’odorat lorsqu’une forme est à proximité du corps, l’ouïe lorsqu’une forme émettant un son est peu éloignée du corps et enfin la vue lorsqu’une forme peut se trouver à bonne distance du corps (par temps diurne et clair). Notons en aparté que seuls la sexualité amoureuse et l’acte de manger font usage simultanément des cinq sens… comme si sur le plan organique, c’était-là les activités qui permettaient le plus de proximité entre 2 formes, la première donnant potentiellement naissance à une troisième forme (la procréation) et la seconde faisant disparaître une forme au profit d’une autre (ingestion et digestion des nutriments). Lorsque l’on met en relation cette classification triviale et évidente avec l’arrière-plan que l’on nomme aussi regard impersonnel, écoute impersonnelle ou espace d’accueil de tout ce qui se manifeste, il semblerait que l’on puisse affirmer que ce regard ou cette écoute soient « restreint » par l’ouïe ou la vue, par l’existence du corps, d’une matérialité limitante… Sans eux, qu’adviendrait-il du regard et de l’écoute ? Seraient-ils infinis ? Ne pourraient-ils se manifester ? Dans ce dernier cas, la conscience infinie aurait-elle créé cette multitude d’entités à la seule fin de pouvoir « se goûter » à travers ses manifestations ? Et au-delà de se percevoir et de se goûter à travers tous ces organismes, le fait qu’elle enjoint chaque entité à l’habiter (habiter l’arrière-plan) en percevant autour de lui — jusqu’aux limites de sa matérialité — n’est-ce pas une façon pour elle de quadriller tout le territoire, l’espace infini ? Ce qui expliquerait, entre autres, le besoin humain de percevoir l’ensemble de l’univers, par l’astrophysique par exemple… Que faire avec cette idée que l’arrière-plan ressenti est restreint par la forme matérielle de celui qui l’habite ? Si tous les mondes ne sont que des projections, alors ce raisonnement perd toute validité. Il devient absolument caduc. La conscience — présence — regard — écoute — est l’être qu’il y ait objet (donc perception de l’objet) ou absence d’objet (conscience sans objet pure). Le réel ne serait donc que ce qui est perçu ou ressenti. Le reste n’est qu’abstraction. Et il convient donc de découvrir puis d’habiter Ce qui perçoit ce qui en nous perçoit et ressent…
Note supplémentaire à propos des différents plans du réel. Pour un même plan, le mental peut accéder à différents degrés de compréhension et à différents niveaux de profondeur de regard… ce qui complexifie d’autant l’incroyable imbrication de tous ces plans…
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Fonte des glaces. Réchauffement climatique. Des pans entiers de banquise s’effondrent. Des montagnes de neige s’affaissent. Indifférence générale de l’humanité retranchée dans sa petite sphère de confort technologique.
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Les livres sont des bavardages inutiles. Il conviendrait simplement d’exprimer une parole jaillie du silence que l’on comprendrait en un éclair. Et qui serait intégrée définitivement à toutes les sphères de l’être…
Je n’aimerais écrire que des mots essentiels qui souligneraient le silence d’où ils viennent, permettant à ceux qui les lisent ou les entendent de retourner leur regard vers la source même de Ce qui perçoit. Je tâcherais désormais d’être moins bavard…
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Deux enfants regardent au loin. Leur horizon perceptif. Leur avenir restera muet.
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Une formule semble juste pour tenter de résumer mon parcours et mon cheminement (quelle qu’en soit l’étape) : chercher sans fin à être pour être sans fin. Chercher jusqu’à l’obsession un peu folle à habiter le plan où l’on peut goûter indéfiniment l’infini immuable et éternel…
L’écriture n’a sans doute été au cours de ces longues années qu’un outil de compréhension et d’élagage. Un instrument de désencombrement afin de dépouiller l’être de ses couches inutiles.
Etre ne s’encombre d’aucun bagage. Ni d’aucune charge. Il s’agit d’être nu et dépouillé. Et de laisser se manifester tous les mouvements…
Tout est la manifestation de l’être. Mais pour le goûter, le ressentir et l’habiter, il convient de se dépouiller de tout…
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Un oiseau sur un fil électrique. Attendant ses congénères. Une solitude désemparée sous le ciel.
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A force de rien (ne rien faire, ne rien vouloir, ne rien être…), on prête aux insignifiances toute notre attention. Et les choses les plus infimes prennent des allures merveilleuses. On s’extasie alors de tous ces petits riens qui constituent l’essentiel du manifesté…
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Un homme observe le monde. L’Existant passé au crible. Le Manifesté dévoilera-t-il son intimité ?
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Rester avec le matériau brut de la vie. Et observer. Voir ce qui se passe… voir comment cela fonctionne… voir qui crée quoi et comment… comprendre les mécanismes. Et les ressentir. Voir comment le noyau primordial — l’être pur — se voit encombré ou entaché de couches, d’images et d’écrans… comment tout est stimulé à chaque instant créant dans le rien quantité de mouvements…
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Une silhouette passe devant une maison à la porte close. Aux volets fermés. On ne perce pas ainsi l’intimité du monde.
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Voir, comprendre et ressentir à quel point le petit être en nous (l’être périphérique) est fragile, vulnérable et démuni. Et combien il a besoin de notre amour et de notre présence…
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Un homme s’éloigne à bicyclette, un violoncelle accroché derrière son dos. A en juger pas son accoutrement, la recette de son spectacle de rue lui procure à peine de quoi se nourrir.
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Le rien du Tout.
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Un homme à une tribune. Il lit ses notes. Tente-t-il de nous expliquer le monde ?
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L’Autre Parole qui s’habille de silence.
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Une vieille femme assise sous une tonnelle, enveloppée dans une longue couverture de laine. Le regard absent. Plongée sans doute dans quelques souvenirs.
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Les joncs se courbent sous le vent. Et le chêne se gonfle d’orgueil. La tempête révèle la nature profonde des êtres. La singularité primordiale de leur forme.
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L’effervescence d’une rue de centre-ville. Les bus, les voitures, les bicyclettes, une myriade de deux-roues motorisés, la foule des badauds. Et un homme assis par terre, abandonné à sa solitude, qui semble avoir délaissé tous les spectacles.
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Tout ce qui nous détourne de la rencontre pleine avec soi devrait être banni. Ou du moins délaissé… tant d’heures et de rencontres inutiles où l’on joue à la comédie du vivant… quelle tristesse de remplir notre être et notre existence de grimaces, de gesticulations insensées et de faux sourires qui éloignent la présence souveraine ! A moins, bien sûr, de jouer à jouer. De célébrer le jeu. Et d’en rire jusque dans nos silences…
N’ignorons jamais le cœur de l’essentiel ! Il s’habite dans la pleine vivance. Comme un embrasement de l’âme et des riens de ce monde ! Comme une apothéose du rien qui offre la joie et la plénitude ! Et le sentiment si dense d’exister avec légèreté ! D’être sans aucun qualificatif pour le vêtir…
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Des livres sur un étal. Que nous vendent les libraires ? Du rêve ? Un antidote à l’existence ? Des guides pour exister ? Une fuite incessante de nous-mêmes ?
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L’aube chemine à travers la nuit.
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Un amoncellement de briques et de toits. Une ville parmi d’autres. L’immonde promiscuité des corps. Et des regards qui ne se croisent même plus.
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Les destins adjacents se croisent, se frôlent, se touchent et échangent sans jamais se rencontrer. Le lieu de la rencontre est en soi-même. Absorbé par l’unité commune, on peut dès lors accueillir le monde.
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Deux enfants courent dans les sous-bois. Un grand sourire sur les lèvres. Ils jouent. Offrent au monde la beauté de leur insouciance. Quels adultes deviendront-ils ? Garderont-ils en mémoire ce jour de novembre où ils s’amusaient avec innocence ?
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Nous ne sommes qu’un lourd bonheur devant un tas de cendres.
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Des élèves dans une classe. Savent-ils seulement à quoi sert le savoir ? Combien sont là pour apprendre à connaître ? A faire les premiers pas vers la Connaissance ?
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Ce si peu de silence que le monde nous octroie…
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Une banlieue grise sous un ciel gris. Comme une chape de plomb sur des existences déjà bien ternes.
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Dans ce monde d’apocalypse, l’annonce de la mort des anges est passée inaperçue. Les Hommes sont bien trop occupés. La plupart tente de s’arracher à eux-mêmes, d’échapper à l’impitoyable et tranchant face-à-face, les autres cherchent Dieu dans les livres. Tous ignorent qu’Il se penche vers eux pour leur murmurer à l’oreille une vérité insaisissable. Ils n’entendent que le son hagard de leur propre voix. L’écho leur répond parfois et ils s’imaginent percer là quelques profonds mystères.
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Un jeune garçon penché sur un livre. Le regard concentré. Qu’apprend-il d’essentiel ?
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Pas d’écriture. Pas de présence ressentie. Saturation dans l’accompagnement de fin de vie de G., mon vieux compagnon. Lassitude des promenades et des paysages. Ennui. Solitude un peu désemparée — en cette période, l’isolement me pèse mais toute fréquentation humaine m’est encore plus intolérable. Ma relation au monde (dans sa présence comme dans son absence) est une totale impasse. Inactivité complète. Gestion pénible des travaux domestiques. Arrêt du tabac. Arrêt du sucre… tous ces éléments deviennent incroyablement pesants. Et affadissent plus encore l’existence déjà insipide du personnage.
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Un vieil homme assis dans un canapé boit une tasse de thé. Un livre ouvert posé sur un étroit guéridon à proximité.
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L’abîme céleste qui nous sauve des heures.
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Une jeune fille assise sur un muret de pierre joue de la guitare pour quelques amis ravis qui forment un demi-cercle autour d’elle.
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Contempler la beauté du ciel changeant. Les oiseaux passant haut sous les nuages. Moi qui ne fréquente plus guère mes congénères, ai-je encore figure humaine ?
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Une carte géographique posée sur une table. Le monde — une partie du monde — tracé(e) sur une surface plane. Un quadrillage de routes encerclant des parcelles. Comme une représentation labyrinthique de nos itinéraires… Mais qui sait réellement où nous allons ?
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Je suis sans ressource devant mon dénuement. Je dois m’extirper de ma tanière pour m’offrir aux lèvres de l’abandon.
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La puissance, la beauté et la rudesse des paysages sauvages reléguant l’Homme au rang d’entité dérisoire et vulnérable.
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En être réduit à la part la plus nue de soi. S’y confronter. Et s’y résoudre pour s’ouvrir aux aspects les plus vrais de soi-même. Aux caractéristiques fondamentales de son être agissant…
Faire face aux parties les plus tendres et les plus fragiles de nous-mêmes pour nous ouvrir au cœur compatissant qui sommeille à l’intérieur et qui a besoin d’être pleinement habité pour éclore au monde…
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Des silhouettes et leur ombre. Réunies par petits groupes. A la fois reliés et séparés. Et un homme seul qui contemple ses congénères.
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Violence, conflits, guerres, massacres, ignorance, mesquinerie, instinct de survie organique, besoin de puissance et de destruction… pour apprécier et aimer ce monde-là — une part substantielle de la vie terrestre — et se réjouir d’y habiter, il faut être inconscient (aveugle) ou extrêmement conscient (très avancé sur les plans perceptif et spirituel). Entre ces deux pôles, on ne peut que le blâmer. Et détester y vivre.
Entre les aspects délétères et fortement mortifères précédemment énoncés, on peut aussi entrevoir quelques beautés et quelques merveilles — facteurs de réjouissance — tels que l’amour, la paix et l’intelligence et leurs extensions* (le respect de l’Existant, la bienveillance, l’entre-aide, la coopération, la fraternité et la solidarité) comme de rares îlots de douceur et de générosité dans un océan de puissance et de destruction.
* quand elles sont détachées de leurs miasmes les plus grossiers, autrement dit lorsqu’elles ne deviennent pas des instruments intégrés à une stratégie adaptative n’ayant pour fonction qu’assurer la survie des organismes et leur expansion (même s’il existe, il est vrai, une certaine beauté dans ce genre de mécanisme).
De l’inconscience à la complète conscience, on apprend pas à pas à comprendre le monde. Et à l’accepter. A accueillir la fluctuation de ses états et sa lente évolution. Et l’on comprend au moins deux choses essentielles : le monde ne peut être autrement que ce qu’il est, les êtres ne peuvent agir autrement que de la façon dont ils agissent et nous ne pouvons nous réduire à ces créatures fragiles qui se débattent dans ce panier de crabes impitoyables, nous sommes aussi la conscience impersonnelle dans laquelle se déroulent tous les mouvements de ce que nous appelons usuellement le monde.
Dans le monde manifesté (à l’avant-plan), il y a — pour l’essentiel — du karma qui s’épure et une foison de situations pour comprendre notre vraie nature, saupoudrées de menus plaisirs, de minuscules bonheurs et de quelques instants de répit. Le reste en cette existence terrestre n’est que le jeu espiègle de la vie et la célébration de l’Existant.
*
Dans nos mains, une cité merveilleuse que nous transformons en enfer…
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En cette vie terrestre, je ne perçois qu’une immense détention où les créatures en sont réduites à se défendre les unes des autres. Et à s’entre-dévorer. Comme si la vie organique n’était qu’un pitoyable, effroyable et incontournable purgatoire pour nos âmes encore si grossières.
On (l’Homme) a beau essayer d’en atténuer la violence ou de transformer certaines régions et domaines en paradis (artificiel), ce monde — cet univers organique — n’en est pas moins régi de façon ontologique par la puissance et la destruction.
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Un enfant marche la tête baissée le long d’un mur. Un long mur de séparation. Allant vers son destin circonscrit. Trop limité pour s’épanouir réellement.
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Mon maître du jour (et sûrement pour bien longtemps) est une petite abeille morte de froid et d’épuisement qui gisait seule sur le toit de ma voiture après avoir œuvré tout au long de sa brève existence pour sa communauté et que j’ai trouvée au retour de notre promenade vespérale. Après s’être livrée aux mains du destin, elle avait su s’abandonner avec courage aux bras de la mort… et la vision de ce petit corps recroquevillé dans l’immensité m’a ému jusqu’aux larmes…
La jungle et la forêt vierge sont la vie. La pelouse impeccablement tondue et le parterre de roses décoratifs, l’esprit humain.
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Un soldat casque vissé sur la tête, fusil-mitrailleur à la main déambule dans une rue jonchée de blessés et de cadavres. Au-dessus, un balai d’hélicoptères comme de gros insectes nécrophages emportent les corps mutilés.
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Que rencontre-t-on face à soi-même ?
Derrière les bruits, les pensées et l’idée de solitude se terre le silence. Et qu’y a-t-il derrière le silence ?
Un espace en nous qui appelle notre attention. Qui demande à être pleinement habité. Il n’y a d’autre issue à la paix.
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Un réalisateur tourne une scène d’amour. Une histoire de femmes voilées dans un pays lointain. Irréelle.
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Le silence, le non-agir et l’abandon… portes simultanées qui ouvrent à l’ultime rencontre.
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Une colombe au loin s’envole. S’éloigne du cataclysme et du carnage.
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Mort de P. aujourd’hui. Le petit chien trouvé sur la route que j’avais confié à mes parents.
Ô Ciel, pourquoi as-tu pris notre visage ? Ne vois-tu pas notre peine — que nous portons sur nos épaules comme un lourd fardeau ? Pourquoi as-tu pris notre visage ? N’y a-t-il pas d’autres chemins ? Tu nous as faits si faibles et si fragiles. Que goûtes-tu à travers notre insignifiance ? A quelles embellies nous destines-tu ? Ô Ciel, pourquoi prends-tu tous ces visages ? Celui des faibles et celui des forts, celui des victimes et celui des bourreaux, celui de la vie et celui des morts ; à quel jeu t’amuses-tu ? Combien d’entre nous savent que nous sommes à la fois les jouets, le jeu et le Joueur ? Le goûté, le goût et le Goûteur… ? Pauvres de nous qui croyons n’avoir qu’un seul visage… nous ne goûtons que les larmes…
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Une femme tient à la main un bouquet de fleurs en regardant l’objectif mi-effrayée mi-séductrice. Comme inhibée dans ses désirs.
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La vie se savoure à travers notre regard. Notre psychisme. Et notre corps. On la laisse et elle nous laisse en paix. On peut dès lors apprécier chaque instant. Le louant pour ce qu’il est. Ne souhaitant rien lui ajouter ni lui retrancher. Laissant les choses suivre leur cours et leur destinée. Sereines et éparpillées. Dans notre regard immobile et impassible. Confiant et bienveillant. Souverain.
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Un gangster prend une femme en otage. Il braque sur elle un revolver et tente d’échapper au groupe de policiers qui l’entourent.
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44 ans. Oui, déjà. Mais l’esprit toujours neuf de l’adolescence…
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Dans un dessin animé, un étrange mouton noir aux cornes somptueuses se lie d’amitié avec une abeille dans un décor féerique.
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Que deviendront nos amours mortes ?
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Une mère joue avec son enfant. Ils chahutent sur un canapé dans de grands éclats de rire. De la gaieté dans les yeux.
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Passager clandestin de sa propre vie. Le naufrage assuré…
Un silence glacé autour de moi. Et l’écho froid de ma voix qui n’en finit pas d’interroger…
Ô âpre Solitude, vers quelles contrées me mènes-tu ?
Sur la robe rouge de l’oubli il s’étendit. Et attendit la mort. Mais rien n’arriva. Et il dut se défaire plus encore…
Oublie tout ce que tu es — tout ce que tu crois être, oublie tout ce que tu sais — tout ce que tu crois savoir pour t’ouvrir aux lèvres nues de l’innocence.
La part sombre et le versant raide et sec de la joie avant de pouvoir l’habiter pleinement…
Pour agir, laisse jaillir la spontanéité du geste ou du pas. Dans le non-agir, soit immobile et tranquille. Laisse les phénomènes apparaître, suivre leur cours et disparaître.
L’eau vive des moribonds coule sur notre source. Engorgeant nos fontaines où le peuple a toujours refusé de s’abreuver.
Dans nos secrets alpages dorment nos troupeaux. Le berger a déserté les lieux pour regagner la plaine des hommes. Il nous appartient donc de créer le berger nouveau pour aller libres et unifiés par monts et par vaux et pouvoir s’établir en toutes contrées.
Le couvercle gris des jours comme une chape de plomb sur nos âmes captives.
*
Une femme entre deux âges promène son chien accompagnée d’un homme à casquette. Les deux ombres se chevauchent. Mais les regards ne se croisent pas. Comme perdus au loin. Dans un avenir commun improbable peut-être…
*
En un instant le soleil se lève.
En un instant la mort s’approche.
Mais qui voit le lent mouvement de l’astre ?
Et le lent mouvement de la faucille ?
Quelle aurore t’a vu naître ?
Et le soir tombe déjà
Par la fenêtre
Le petit homme regarde la pluie tomber.
Et des larmes coulent sur ses joues.
[à Hosai]
Une pluie intermittente dans nos yeux fragiles.
Et s’ils ne reflétaient plus jamais le soleil ?
Une ombre accourut
Et me vola mon âme.
La joie s’est invitée
Puis est repartie
La tristesse a tout recouvert
Des yeux hideux dans la brume cherchent le chemin.
Personne ne pourra les égayer
Nous nous sommes égarés
Désormais nous avancerons à reculons
Jusqu’à la source
*
Une horde de spectateurs, téléphone portable à la main, photographient les célébrités qui gravissent les marches d’un célèbre festival de cinéma. Chacun se sent autorisé à faire son show.
*
Des larmes sur ma feuille
Et ma main (aussitôt) dessine un soleil
Une ardeur de limace
Sur le sol rugueux
Et les épines du ciel
Où donc poser le pas ?
La terre est une idée
Le ciel est une idée
Où suis-je ?
Les semelles misérables
Mais qui est là qui nous regarde sans défaillir ?
Qui est-t-on ?
Sous le ciel, la même misère
Et au crépuscule, les mêmes larmes
Les songes du jour
Les rêves de la nuit
A quelle heure sommes-nous éveillés ?
Des coups, des brimades
Des destins en laisse
Où est donc la liberté ?
Et si elle était dans les yeux impassibles ?
Si la grande aurore nous était contée
Nous ne saurions la voir
Il faut des yeux nus pour la goûter
L’heure s’éternise
Et nous la quittons
Pour suivre notre étoile
Au loin brillent nos rêves
Mais la lumière est partout
Qui donc regarde l’obscurité ?
Le silence des heures
La nature muette
Et les bruits furieux dans notre tête
Les étoiles dansent dans nos yeux
Et nous les cherchons sur les chemins
La sombre parure de l’âme qui voile sa nudité
Pourquoi a-t-elle choisi pareil accoutrement ?
A présent, elle ne se reconnaît plus.
Et elle a oublié même son mensonge.
La pluie tombe
Les hommes tombent
Où a-t-on caché le soleil ?
Où avons-nous mis nos ailes de papillon ?
Les hécatombes se jouent de nos cris. Et de nos peines.
Elles se moquent de nos masques. Et de nos grimaces.
Demain elles nous engloutiront. Nous reste le rire…
*
Un homme seul assis à une table tourne les pages d’un livre.
*
A feu et à sang
Notre cœur parmi les gens
La nature solitaire est notre unique refuge.
Par-delà la terre
Par-delà la joie
On piétine sur le bitume
Nous n’avons ni la patience
Ni la constance de l’horizon
Nos pas toujours se dérobent
Le mouvement est leur nature
Et l’immobilité celle du regard
Mais où avons-nous fourré nos yeux ?
L’archipel du lointain, voilà notre rêve
Demain s’invitera plus tard
Et nous vivons recroquevillés
Ecrasés par les instants qui passent.
*
Une ville en contre-bas dans la plaine. On la voit s’étendre sur les monts alentour. Partout l’odieuse expansion en marche.
*
Les feuilles d’automne
La forêt tranquille
Et l’âme mélancolique
A la montagne des jouissances
Le tombeau des peines
Sous l’arbre on médite
Un rouge-gorge sur une branche
Les nuages dans le ciel
La prunelle ravie
Et le cœur en paix
Instants de ravissement que le ciel ne peut assombrir.
Le cœur défait
L’âme échevelée
Et le vent surgissant par-dessus nos têtes
Laissent l’œil innocent.
*
L’enseigne d’un hôtel de luxe à l’intérieur cossu et sophistiqué. A l’entrée, un portier au sourire gigantesque œuvre à sa tâche.
*
Il y a la longue — trop longue — liste des livres qui endorment. De ceux-là, inutile de parler. Il y a aussi la courte — très courte — liste des livres qui entaillent la chair ou égorgent. Ils dissèquent notre âme (nos faiblesses et notre veulerie) avec une tranchante lucidité. Et nous voilà écorchés au scalpel. Inutile d’y chercher la moindre source de réconfort. Et puis il y a les livres rares — trop rares — qui offrent la joie. Et plus rares encore, ceux qui nous invitent à la grâce… et parmi eux, les exceptionnels qui nous y ouvrent.
*
Un homme marche sur un sentier forestier. Les bois encerclent sa marche. Aimerait-il se perdre ? Ou se retrouver ?
*
Je ne suis qu’un oiseau sans cage. A qui la vie a coupé les ailes. A qui la vie a oublié de dessiner des ailes. Et qui en a (pourtant) la nostalgie. Je ne partirai jamais d’ici. La trajectoire est plate. Et circulaire. Et mon destin, la chute. Le sol ne se souviendra pas de moi. Et le ciel balaiera mes restes d’un coup de vent. Ornières et poussières j’aurais été. Et à jamais resterai.
Je laisse derrière moi des milliers de pages que personne n’a pris le temps ni la peine de lire. Je laisse derrière moi une œuvre qui tentait de gravir la lumière. Et je n’ai pas su même éclairer mes pas. Ni la marche aveugle et funeste des hommes.
Mes pas n’ont que raclé la terre. Je savais à peine me tenir debout. On ne peut envoler un destin voué à la boue. Et à l’enlisement.
Aujourd’hui, le ciel recouvre mes songes. Je ne saurai bientôt plus rêver. Le réel a eu raison de moi. Et mon âme est inconsolable.
A l’orée des viscères, la bête se cache. Immonde et féroce, elle me dévore déjà.
On ne rencontre en vérité que des ombres. Et des âmes mortes. Et moi qui aspirais à l’Amour. Et à la pureté des rencontres. Des fluides, des poils, des odeurs. Et des âmes retranchées, voilà ce que nous offre l’amour. Et je pleure en silence sur nos cœurs recroquevillées qui n’ont pas su — et ne sauront sans doute jamais — goûter à l’Infini et à la lumière. Pauvres créatures que nous sommes, misérables jusque dans nos élans.
Nous souffrons le monde. La phrase est belle. Et juste. Et dire qu’avant de nous accoucher, c’est nous qui l’avons mis au monde.
Comme enfermé au dehors, je ne peux m’immiscer dans le monde des hommes. Trop brutal. Trop barbare. Pas de place pour les cœurs innocents. Pour les âmes pures. La boue et la bestialité y sont trop présentes. Quand des ailes pousseront sur mon âme affaiblie ? Dans mes yeux apeurés ? Ô anges, soutenez mon regard ! Et aidez-moi à vivre parmi les cieux ! Et des larmes coulent sur mes cils crottés de matière et de fange…
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D’immenses gratte-ciels. Une forêt de béton et de verre. L’homo citadinus sur son territoire. Univers factice créé selon les exigences et les caprices de son esprit de fuite. Façonné par son horreur de la nature sauvage. De la vie brute et foisonnante.
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On se défait des regrets. Pas de l’amertume de n’avoir pas su exister…
Nous ne sommes en réalité qu’un amas de blessures incicatrisables. Et un corps perclus de douleurs. Et l’on nous exhorte d’être heureux ! Faut-il être fou, inconscient ou idiot pour ne pas voir le mal qui nous habite, nous ronge… et pèse de tout son poids sur nos âmes frêles et solitaires ?
La souffrance et la mort rôdent. Et nous avons l’inconscience de ne pas vouloir les voir. D’y faire face. De les apprivoiser ou de les dompter. En vérité, nous craignons plus que tout la pleine liberté. Nous nous contentons d’une liberté entre les murs. Une liberté de détention. Une pitoyable liberté en vérité ! Et nous vivons ainsi le corps emprisonné. Et l’âme ligotée. Pauvres créatures que nous sommes…
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Un homme et une femme sur la place d’un marché devisent tranquillement. Ils échangent quelques nouvelles. Parlent de leurs proches. S’enquièrent de la santé de l’entourage de l’autre. Simulacre de rencontre. Croisement commun du peuple.
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Ecrire un livre, c’est dé-voiler son âme. Ouvrir un livre, c’est rencontrer l’âme de son auteur. En ce monde, il n’y a de plus puissantes rencontres. Elles invitent à l’ultime rencontre. Celle que l’on fait avec soi et l’Infini que nous portons en nous.
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Un restaurant bondé. Au centre de la salle, une table immense autour de laquelle sont réunies une trentaine de personnes bruyantes. Et extraverties. Mais sous l’apparence conviviale de camaraderie, les regards sont tristes et seuls. Perdus.
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Je ne suis qu’un clou blessé parmi la rouille. Minuscule bout de métal voué aux coups et à l’abandon.
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Une barque minuscule sur un fleuve tranquille. Un homme rame à travers les flots. Au loin, on aperçoit une immense forêt et des montagnes. L’Homme, point dérisoire dans l’immensité naturelle.
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Le vent noir que l’on respire. Et qui nous étouffe. Et l’aurore nue que nos doigts n’auront qu’effleurée. Et les guerres rouges que nos mains rejettent. Et dont nos yeux nous protègent. Et les ombres diaphanes. Et les cœurs gris qui encerclent notre vie. Et la menace partout du dénuement. Et les ombrelles mensongères des demoiselles d’honneur. Et les noces mièvres des amants dépossédés d’eux-mêmes. Et les suintements de la pourriture dans notre chair. Et les raccommodements ciselés à la hâte. Et les seaux d’excréments répandus sur le sol. Et la folle clameur des foules. Et le silence des morts. Tout cela nous effraie. Nous glace les sangs. Mais nous continuons à vivre, n’est-ce pas ?
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Un jeune garçon pleure dans une chambre close. De quelle souffrance se sent-il responsable ?
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Les seigneurs des manteaux me harcèlent. Et je succombe sous leur poids. La nudité sera mon ultime vêtement. Ensuite je mourrai. Et le vent soulèvera mes ailes d’enfant sage. Sous mes moignons d’ailes d’adulte jamais né.
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Des hommes seuls, tristes et pensifs devant leur verre assis au comptoir d’un bar. Atmosphère de solitude confinée. Et oppressante. Dégoulinante de misère.
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Les ailes ne protègent de rien. Pas — surtout pas — de la misère de vivre. La boue et les nuées ont scellé leur pacte obscur. Et sur le parchemin nous piétinons. Etonnés de tant de mystère. Nous aurons au moins appris de l’incompréhension.
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Une porte de chambre d’hôtel entrouverte par laquelle on aperçoit une femme de ménage s’affairer autour d’un lit.
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Les nuages rouges de l’agonie.
Et le cri persistant de l’ombre.
Comme un resserrement du cœur et de la chair.
L’émiettement du cerveau.
Que le vent fougueux emporte au loin.
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Un couple déambule bras dessus bras dessous sur le trottoir d’une route littorale. Canotier sur la tête. Flânerie de touristes en goguette. Silhouettes nonchalantes et un peu désœuvrés s’évertuant à tuer le temps de la villégiature en profitant de la vue et des paysages. Du plat bonheur de marcher côte-à-côte. Et d’être ensemble.
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L’aube est là
Et nous la quittons pour des jours moins fastes
Des jours aussi obscurs que la nuit profonde
Que nous n’avons jamais vraiment voulu quitter.
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Deux hommes agressent un automobiliste dans sa voiture. Violence des coups. Nul abri pour se protéger de la violence du monde.
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La nudité sublime du monde
Couverte de haillons et de guenilles
Plaies béantes infligées par les hommes
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Dans une rue d’une gigantesque mégalopole, un homme pressé, téléphone portable collé à l’oreille et attaché-case à la main s’engouffre dans un taxi. La course incessante et stérile du monde.
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Sommes-nous les songes que nous n’avons jamais faits ?
Que nous n’avons jamais osés faire ?
Et la pluie continue de chanter sur les toits d’automne.
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Deux instituteurs bavardent dans une cour de récréation. Autour d’eux, une myriade d’enfants joueurs et enjoués.
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Sur la terre rouge des malheurs, le sang se déverse. Et le vent rougeoyant des augures mensongers. Comme un clou dans ma poitrine. Pétrifié de honte et d’angoisse, je devine mon sort livré à la barbarie. Comme les yeux de l’océan devinent la caresse perfide des vagues. Poissons et naufragés partageant la même demeure. J’accoure vers ce lieu isolé que je n’ai jamais quitté. Après m’être éparpillé dans des lieux dont on ne revient pas, je me terre là où se niche le cœur. J’aimerais secourir ce qui en moi ne peut l’être. L’extinction de la voix qui m’a sauvé. Et dont le souvenir hante mon corps. Mon âme s’entortille de douleur en son absence. Mon cri devient silence. La paix recouvrira bientôt tous les malheurs. A moins que je ne sois déjà mort ? Un lieu, un corps. L’âme. Et l’espace. Comment dissoudre la matière ou la réconcilier pour ne faire qu’Un ? Les chimères de l’âme. En quête de reconnaissance. Et d’espace. Extorsion de matière et d’espérance pour retrouver le fil perdu qui ne nous a jamais quittés. L’horizon se défait de nos sombres rêves. Puit noir prêt à accueillir la lumière que nos yeux avides effacent aussitôt qu’elle surgit. Les briques noires dont on s’entoure. Et qui obstruent l’espace. Qui blâmer ? Les gestes ? Ou la vue ? Et voilà que nous oublions le regard en surplomb ! Adossé à la citadelle hasardeuse, j’attends que s’ouvrent les portes. J’y attendrai des jours et des nuits. Dans une fébrile excitation. Je m’endormirai exténué d’attente et d’espoir. Je m’abandonnerai enfin aux portes closes. Et la citadelle aussitôt s’effacera. Révélant le royaume que je n’aurai jamais quitté. Comme si ma vue se fatiguait de ne jamais se trouver. De se chercher sans fin en elle-même. Et de ne goûter que son propre reflet sans jamais s’appartenir. Sans jamais s’habiter en glorieuse souveraine. Lasse de n’y dénicher que ses massacres et ses défaites. Comme étrangère à elle-même dans un monde d’ombres et de fantômes arrogants. Qui souffle la braise ? Et les orages sur nos vies incandescentes ? Et qui souffle la mort ? Comme si les vies grises ne pouvaient trouver d’autres ciels. Enterrés dans notre gouffre, nous cherchons à sortir de l’abîme. Nous gesticulons dans notre trou en quête d’une issue. Pour notre plus grand malheur, il n’y a pas d’issue. Et pour la joie des yeux et leur jeu espiègle, il n’y a jamais eu de trou… Et nos ailes poussives continuent de soulever la poussière sans atteindre le moindre ciel. Creusant davantage notre ornière. Le mental — le plan mental — est une atroce illusion d’optique. Effroyable et malicieuse. Nous existons peut-être… mais sous d’autres cieux.