Carnet n°55 Le ciel nu
Recueil / 2014 / L'exploration de l'être
La secrète alchimie de la terre et du ciel. Réunis en notre cœur, ils s’étendent en tous points. Axes cardinal, longitudinal. Azur et nadir. Finesse du regard. Flottement des prunelles. Espace fixe. Mouvance des formes. Décret naturel de notre état.
Ce qui nous éconduit des sommets et nous porte au plus bas nous livre à nous-mêmes. Et cette offrande nous révèle le sens de toutes ascensions.
Temps incertain
Nul ne peut nous dérober à nos pas.
Comment pourrait-on dérouter notre destinée ?
Notre âme-même ne nous appartient pas.
Nulle part. Voilà notre origine. Et notre destination.
Et nous autres, malheureux, nous nous acharnons
A maintenir le cap en chemin. Quelle désorientation !
Ni terre ni ciel. De la lumière et des nuages.
Des larmes et des lèvres closes.
Et parfois un rire sans borne.
Nos songes ne sont que des éboulis à la rencontre des cimes.
Aussi nul de sert de crier sous l’avalanche.
Les bois de l’homme sont impénétrables.
Un arbre pourtant (une branche parfois)
Suffit à faire naître la hache exploratrice –
L’outil salutaire des dévastations.
Dans notre décor d’infortune, nous sommeillons.
Partons donc sur le chemin explorer nos coulisses.
En bordure de ciel
Des carrières d’étoiles empilées
Où patientent les âmes trop sages
Inintrépides.
Comme une fleur dans le vent,
Comme un oiseau sur sa branche,
Nous attendons l’heure propice des saisons.
Nous n’échapperons pas à la rosée sur les pierres du chemin.
Des ombres. Des lumières.
Et notre main tremblante
Effleure l’interstice
Où sommeille notre vrai visage.
Dans la trame labyrinthique,
Les créatures cherchent leurs fils.
Dénouent leurs liens jusqu’à l’origine.
Une mémoire de pierre
Sous le linceul de la terre
Et un bout d’aile déchiquetée
Voilà les parures de l’envol !
Un cri dans l’aube attend notre bouche.
Une plaine, nos mains tendues.
Un soleil à chaque horizon.
Un espoir de vent.
Et un feu sous notre chair.
Quand les cieux s’estompent
Les yeux éblouis par le pavé rugueux
Sur l’ineffable marelle des enfants sages
Sautant de la terre au ciel
La craie s’efface sous la pluie
Et les pas cherchent leurs traits
A la saison des rires.
Les yeux au bord de l’abîme
Et de grands bruits à l’horizon
Appellent la joie à effleurer nos lèvres.
Les yeux frondeurs sur l’azur
Le front planté d’étoiles
Et les semelles toujours jonchées de gravas
L’horizon s’ouvre aux mains ouvertes.
Le chemin est un dédale de forêts sombres.
Et l’on s’éreinte à la coupe,
Taillant à la hache
Jusqu’à l’obscur de nos pas.
A notre mort, le vent dispersera nos cendres.
Et tous les visages s’éloigneront,
En protégeant leur front de cette poussière.
Quel œil ne réclame sa braise ?
Et quel homme ne rêve-t-il pas de dessiller sa prunelle ?
Sur cette terre, nul horizon. Et au fond du ciel, nul asile.
Mais une échelle à chaque pas. Et toutes les passerelles du chemin.
Jetons nos paumes et notre orgueil de parvenu.
Laissons le destin nous dévêtir
Et nous initier à la traversée sauvage des défroqués.
Ouvrons nos mains au mystère.
Et la lumière se glissera entre nos lèvres.
Un instant
Comme un éclair
Brise la brume
Et le ciel gris des temps incertains.
Semelles de vent
Et bouche ouverte au soleil
Un pas encore dans l’abîme
Et l’autre déjà ruisselant de joie.
Derrière la transparence des formes,
L’essence unique se révèle.
Sans terre ni ciel.
Un pas après l’autre.
Un monde sans limite,
Voilà notre horizon.
Et notre regard.
A chaque pas, défaisons les frontières.
Sans nous soucier des empreintes qu’effacera le vent.
Les mots défaillent. Se succèdent d’abîme en perte.
Et sur la chair se resserre la peau des vivants.
Nos silences apaisent les tourments de la terre.
Les derniers soubresauts du sol à l’agonie.
Et nous nous découvrirons bientôt orphelins.
Nous attendrons l’heure propice qui brisera nos sortilèges.
Comme les pierres sous le soleil. Les fleurs sous la neige.
Impatients d’éclore de la gangue qui ensommeille nos siècles.
Sous le ciel
Le ciel abrite un secret
Un monde englouti qui ne peut disparaître
Une foison d’orchidées
Pour les sages et les innocents
Un butin d’étoiles qui se tissent en silence
Depuis la nuit des temps
Et qui éclosent chaque matin à l’aube
Pour tous les yeux vierges de la terre.
Nul abri où poser ses paupières
Nul autre abri que la lumière
Mais des larmes coulent sur nos joues.
Comme le sable recouvre les oasis.
Etre Présence
Là simplement
Pour l’Autre
A Soi-même
Y a-t-il plus belle offrande ?
L’éternité
Attend et scrute
L’insaisissable dans nos mains.
Rien que ces instants
Qui s’évanouissent dans le vent.
Les jours comptés
Et les tours jetés
Aux orties du temps.
Au cœur de toute gravité
Trône en secret la déconsistance
Sur son lit de vent
Le sourire aux lèvres
Et les ronces à ses cheveux
Où s’écorche le souci des jours
Qui passent.
Y a-t-il un cœur derrière chaque ombre ?
Un cœur qui palpite à l’unisson des étoiles ?
Brisons le vent — cette icône de glace —
Pour y glisser nos yeux incandescents.
Un bel olivier poussera bientôt sur le terreau de nos craintes.
Et sur son ramage s’envolera une colombe.
Un ciel transparent jusqu’à ses pieds,
Traversé par quelques nuages indolores et innocents qui nous surprendront.
Et que nous accueillerons d’un sourire — les lèvres entrouvertes —
Comme une averse rafraîchissante.
Une terre sans miracle. Tel est notre oasis. Et notre mirage.
La délivrance de notre désert. Et de nos espoirs.
Il pleut toujours des pierres sombres et des éclats d’étoiles.
Des graviers de lumière aux pieds de nos grottes obscures.
Des simagrées sous la roche.
Comment échapper à l’aparté monstrueux qui leste les peuples ?
Sous la glace immonde des corps coule la sève.
La source des visages innocents.
Sous la peau
Des continents à explorer
Le forage léger des transparences.
Seul, un regard en haillon s’émerveille.
Et se réjouit de la beauté des étoiles.
Effaçons nos refus.
Et tous les obstacles disparaîtront.
Des fossés de complaisance. Et des ornières savoureuses.
Des pas et des impasses. Un territoire à creuser.
La matière de tout voyage.
Chaque cœur se disloquera ainsi sous la cognée du vent.
Et s’émiettera en pierres. Et sous les ruines, mille cimetières s’évanouiront.
Et nous pourrons enfin marcher ensemble parmi les fleurs
Dans des allées d’herbes folles.
L’origine des jours n’attend aucun siècle pour éclore.
La déroute est en définitive le seul chemin.
L’unique voie de la délivrance.
Le vent. Une rose. Et tous les pétales, un jour, éclatent au soleil.
Chemin
Nulle embellie à notre sourire
Les gestes fugaces s’estompent
Ne restent qu’un craquement sans apparat
Quelques crachats sur le sol rugueux
Et l’horizon toujours lisse derrière la vitre.
De l’entrave naît le ciel. Que l’on peut déjà entrevoir entre les barreaux.
Pourquoi se défaire de nos malles
Dont le contenu nous ignore
Ce trésor que nous délaissons avec superbe
Pour des guenilles d’or et de diamants ?
Des pas trop lourds sur la terre. Ainsi marchent les hommes dans leur sillon.
Croyant suivre l’azur derrière leur horizon. Espérant l’atteindre. Et le reculant toujours.
L’azur survient par mégarde. Il ne peut se dévoiler aux prunelles laborieuses et avisées. Et aux pas geignards.
Il se révèle à ceux qui se sont délestés jusqu’à l’os. N’épargnant ni leur chair. Ni leur âme.
Allant jusqu’à froisser tout espoir de lumière et qui avancent tremblant dans le noir, effrayés de tant folie, poussés et guidés à chaque pas par une folle nécessité…
Errant ici et là sans repère, sans certitude, sans identité ni destination. Rien. Et libres jusqu’à l’ivresse.
Le peuple des berges à l’horizon plat. Et fixe. A l’ascension accumulative.
Et le peuple des flots. Toujours à la dérive.
Ayons l’audace de nous laisser surprendre.
D’aller les yeux fermés vers notre enfantement.
Ne craignons ni les découragements, ni les infortunes.
Ni la folie, ni le désespoir. Laissons-nous traverser.
N’ayons crainte de nous fourvoyer.
Au fond des ornières. Au fond des fossés,
Des ailes nous attendent.
Pour nous envoler vers le fol azur
Qui s’impatiente de notre venue.
N’écartons rien. Remplissons-nous de tout ce qui se présente.
Et tout s’effacera. Notre dénuement sera alors richesse.
Invitant tous les possibles dans nos mains ouvertes.
La grande âme du monde s’ouvre à notre besace
Et la voûte étoilée invite nos pas au sentier éternel
Prenons garde en chemin de ne rien amasser.
Le sang des prémices à l’orée de notre bouche.
Les chants du monde recouvriront bientôt notre voix.
Ayons le cœur assez large pour nous ouvrir à la sente qui nous précède.
Murs de briques ou de vent.
Mais quelle différence pour nos mains nues ?
Et notre chair écorchée ?
Pourquoi s’enlaidir de tant de parures alors que la grâce se porte en haillons ?
Le monde offre ses mille spectacles.
Et nos yeux demandent vers quelle folie se tourner.
Le pas innocent. Et la semelle toujours complice.
Nulle marche n’est épargnée.
Quelques étoiles dans la poussière.
Et le firmament naîtra bientôt sur l’asphalte.
Sans destination, les pas découvrent la direction.
Sans intention, les gestes deviennent justes.
N’imitons jamais les sages.
Cheminons en notre compagnie.
Les frontières ne sont que le commencement d’un autre territoire.
Et leur absence appelle l’infini. Le point ultime du monde
Qui devient le lieu de la présence.
Les frontières réclament leur part d’ouverture.
A-t-on déjà imaginé une ligne sans espace ?
Oublions les promesses de l’azur.
Négligeons les empreintes que nous nous sommes efforcés de conserver.
Ôtons toutes nos armures. Et marchons nus.
Réclamons notre dû de tendresse et d’alcool. Et partons.
Abandonnons nos parcelles et nos barricades. Nos terres infertiles.
Délaissons nos fauves et nos molosses carnassiers, gardiens des temples d’antan.
Oublions les joutes d’autrefois. Et les querelles où nous excellions.
Oublions l’amertume. Négligeons les accaparements.
N’engrangeons que les forces du vent. Et allons. Libres, nous serons.
Abandonnons les mains à leurs supplications.
Abandonnons les visages à leurs grimaces.
Soyons dignes sous l’averse. Et honorons les chemins que nos pieds nus traversent.
Nous sommes l’appel. Et le nom que nous avons cherché sur les chemins.
Le sens que nous avons creusé de nos mains. Le regard qui nous contemplait
Lorsque notre faim fouillait parmi les livres et les visages sans grâce.
Ne singeons pas les sages.
Ne jugeons point les imbéciles
Œuvrons à notre regard avec cœur
Et à notre cœur avec ardeur
Prodiguons-leur soins et tendresse
Accueillons leur pusillanimité
Et leurs battements étroits
Ôtons leurs voiles
Avec patience
Et marchons sans prudence
Notre pas lucide s’aiguisera.
Le ciel n’attend aucune offrande de la terre.
Mais des gestes justes. Une main habitée par le regard. Et la présence.
Nulle étoile ne peut satisfaire notre ciel.
Mais l’azur s’étend déjà à nos pieds.
Oublions la consistance du regard. La cohérence des pas.
La solidité du monde. Et abandonnons-nous au chemin
Qui scellera la victoire sur toutes les débâcles.
Sur la terre mille soleils ne pourront éclore
Muette demeurera l’ardeur du printemps
Entre nos paupières mi-closes
Eructons nos songes
Défaisons l’abîme de nos pieds écorchés.
Pour fouler le territoire.
L’immobilité au bord de tous les chemins nous guidera. Et égayera notre pas.
Humilité
Tant de traversées rieuses. D’âpres saisons.
De déserts. Et de sols chargés de passants.
Tant de pas harassants. De soleils inhabités.
De larmes versées. D’horizons parcourus.
Et de bouches agrippées.
Tant de mains tendues. De poings serrés.
Et la danse incessante des pas.
Cette danse s’arrêtera-t-elle un jour…?
Et pourrons-nous trouver notre vrai visage avant le terme du voyage ?
Embrasser nos lèvres cachées dans les replis de l’azur ?
Tant de visages. Et de supplices émiettés.
Tant de rivages. Et de contrées. De pas hébétés sous l’averse.
De rires gorgés de soleil. Tant de ciels parcourus.
D’égarements et d’impasses. D’averses et de saisons froides.
Tant de silence. Et d’espace. D’amassements et d’encombrements.
Reconnaîtrons-nous notre sourire parmi les silhouettes sans grâce
Qui s’affolent au seuil de l’abîme ?
Dans quel horizon avons-nous dissimulé notre mystère ?
Des orages. Et des soleils.
Et nous voilà baignant dans l’azur pluvieux.
Parmi les arcs-en-ciel. Dans l’éphémère manifesté.
L’épure des cimes. Le recouvrement des gouffres.
L’aplanissement des circonstances.
Et voilà le terrain dégagé, le pas ouvert aux évènements.
Derrière l’ombre oscillante
Le silence
Patiente
Et scrute
Notre présence.
A l’orée du cercle, l’œil s’éternise. S’égare. Se remplit.
S’étiole. Oublie les frontières. Se réjouit déjà de l’espace.
Un ciel s’efface toujours pour un autre plus vaste.
Un pas sur les pierres
Une marche de sable jusqu’à l’horizon
Et les silhouettes d’argile
Attendent leur émiettement.
Dans la terre se déniche le ciel. Et inversement.
Le ciel ne peut se trouver en levant les yeux.
Mais en les abaissant au plus bas.
Alors le ciel s’ouvre et descend.
Le cœur s’approfondit et se creuse.
Et aussitôt le ciel s’y engouffre. Et l’âme s’élève.
Pour enfin vivre à hauteur d’homme.
Au cœur de l’antre
Se dévoilent les origines
Qui façonnent le chemin
Et la promesse d’une aube moins épaisse.
Ne cherchons rien.
Ecoutons et laissons-nous atteindre.
Les ombres en déroute.
Comme une armée vaincue par un seul combattant :
Le ciel engouffrant toutes les peurs et tous les assauts. Toutes nos vaines tentatives.
La nudité est la seule gloire.
Le signe et la parure de la vraie richesse.
Le seul costume digne d’être porté.
L’œil est l’entrée en matière.
Porte où se meurent les substances.
Territoire où se révèle l’essence.
On ne peut dessiller les yeux de force.
Ni à coup de décret. Ni à coup d’arguments.
Mais laisser entrevoir un autre regard.
Un regard qui prend sa source à l’origine.
Au seuil de l’aube sans nom. Quel soleil pourrait briller plus fort ?
Nulle rive à atteindre. Nul territoire à conquérir. Nul ordre à légitimer.
Mais un espace à accueillir. Et se laisser désencombrer.
Renoncer au désir même de nudité.
Notre destination : l’oubli et l’effacement. Le terreau des beaux jours.
La secrète alchimie de la terre et du ciel.
Réunis en notre cœur, ils s’étendent en tous points.
Axes cardinal, longitudinal. Azur et nadir.
Finesse du regard. Flottement des prunelles.
Espace fixe. Mouvance des formes.
Décret naturel de notre état.
Ne faisons allégeance qu’à nous-mêmes.
Et nous deviendrons serviteur de tous.
Ouvrons-nous à la présence.
Et laissons-nous habiter.
S’abandonner
De l’innocence naît la candeur du jour.
En tous points les brumes obscures se dissipent. Laissant libres les perspectives.
Il y a derrière la lune un horizon sans tenaille.
Et à son seuil, des lèvres saillantes qui avalent et recrachent.
Une bouche béante qui laisse toujours neuf. Et sans blessure.
Et sur terre, quelques doigts maladroits qui la désignent
Et des myriades de prunelles hagardes
Qui regardent (partout) sans comprendre…
A la saison du désamour, ne nous précipitons pas vers notre refuge.
Nos allées charbonneuses. Nos contrées scintillantes.
Faisons face de toutes nos lèvres.
Et le baiser nous sera donné.
Nul abîme à parcourir.
L’abandon est le seul franchissement.
Les arcs-en-ciel se jouent de nos rêves.
Et nos ponts n’enjambent que des rives mortes.
De la terre, le ciel n’est accessible qu’à l’innocence.
Aux lèvres émues et silencieuses.
Ebahies par tant de splendeur.
La terre se couvre de mirages quand nous implorons le ciel.
Emiettons nos grimaces. Et la grâce nous sera accordée.
Retirons-nous de tout orgueil.
Revenons au centre de tous les cercles.
Ne pressentons-nous pas le manque qu’il nous faudra combler à mains nues ?
Il n’y a qu’un seul sillon à creuser. La pente où la vie nous a placés.
Mais pourquoi nous a-t-elle posés là ? Renonçons à comprendre.
Et avançons. Suivons notre sente.
La réponse se dessinera jusqu’à l’extinction de toutes questions.
Mille gestes ne pourront nous sauver de notre désarroi.
Mais un regard saura nous éclairer.
Ne clamons pas notre innocence.
Ecoutons et devenons silence.
Ce qui nous éconduit des sommets et nous porte au plus bas nous livre à nous-mêmes.
Et cette offrande nous révèle le sens de toutes ascensions.
Au cœur du labyrinthe, une forêt de palissades.
Et un horizon dévoilé derrière toutes les brumes.
A qui goûte le simple, un banquet de saveurs orgiaques est offert.
Et dans notre main du sable que nous avions pris pour de l’or.
Aujourd’hui, nos yeux regardent nos doigts avec reconnaissance.
Nous savons à présent où se lève le soleil.
Il nous plairait de toute évidence d’estomper les siècles.
De renoncer à toutes ces orgies de temps où l’on s’ensommeille.
Pour nous éveiller à la rosée toujours fraîche des heures.
Parsemons nos allées de beauté.
Et les fleurs pousseront sur les terres les plus arides.
Parsemons nos prunelles de beauté.
Et nous verrons partout fleurir le monde.
Il n’y a de grimaces hideuses. Mais une souffrance parfois terrible
Qui défigure le visage des hommes.
Que leur âme ne prend encore la peine de soulager.
Il suffirait pourtant de 3 fois rien pour les convertir à des lèvres tendres.
A une bouche aimante pour apaiser leur peine.
Et ce trésor est en eux-mêmes encore enfoui sous la tristesse.
Exténuons les siècles jusqu’au firmament des âges.
Jusqu’aux horizons maudits des perspectives.
Dégorgeons les panses. Déversons les entrailles des mille projets terrestres.
Acérons l’œil neuf qui patientait sous les prunelles carnassières.
Et allons libres des entraves qui obstruaient les chemins !
Abandonnons le faire. Délestons-nous des identités.
Faisons face à l’insupportable nudité. A l’inconfort de ne rien être.
Et nous verrons briller au fond de notre cœur notre vrai visage. Notre seule réalité.
Alors nous pourrons reprendre le faire et l’habiller des multiples masques qu’imposeront les situations.
Mais nous aurons suffisamment fréquenté la peur et la joie,
Regardé dans les yeux la vérité pour s’en amuser et accueillir ce qui se présentera.
Il faudrait savoir habiter ses pics comme ses abîmes.
Et abandonner ses forteresses à leur gardien invisible.
Pour régner sur le royaume de l’innocence.
On ne peut rien dire du Tout.
Mais moins que rien.
Il y a le silence.
Le vide des cieux couchants
Et l’innocence de l’aube
Déchargée de tout horizon
Défont le sens de toutes promesses
Les ruses et les élaborations de l’esprit trop soucieux de certitude
Avide de guider le hasard et les circonstances
Vers des contrées plus sûres et moins rebelles
Moins rétives à la raison
S’affairent à parer à toutes éventualités
A tout surgissement de la matière
Dans le vaste jeu du monde
Au contraire, il faut nous dessaisir de tous accaparements de territoires
De tous assujettissements des êtres
Que l’on empile — de façon si vaine et coutumière — comme des trophées
Symboles de nos chimériques victoires
Sur la perte et l’impossible deuil de nos limitations
Il nous faut au contraire détrôner
Toutes solidifications des frontières toujours souveraines
Aux pays des contes où les mythes
S’étendent et s’étalent jusque dans les profondeurs de l’obscurantisme
De toutes les croyances profanes et sacrées — toujours encensées par le monde
De tous les dogmes auxquels se prêtent et se livrent les hommes
Soumis à l’enchevêtrement des conditionnements
Ainsi seulement pourrons-nous être sauvés de tous espoirs
De tous les chemins de sacrifices et d’artifices
Pour nous enfoncer dans une vérité insaisissable
Aux enjeux métaphysiques d’une puissance inédite
Nous vouant et nous ouvrant aux territoires les plus infréquentés
Où les risques demeurent nuls et sans prise sur les destins
Où la gloire et les riens se chevauchent et s’emmêlent avec fantaisie et sans certitude
Où l’intelligence et l’amour brillent d’un feu jamais à l’agonie
Tirant leur source d’une étincelle jamais née
Aussi vive et impénétrable que la lumière sans origine
Qui offre au monde une présence infiniment tangible.
Un ciel sans combat. Témoin de l’hostilité qui habille la terre. Un ciel si pur.
Contemplant tous les costumes et les parures de ceux qu’il a engendrés,
Habillant et déshabillant tous les personnages. Vêtements si changeants.
Spectacles infinis d’un seul regard. Toujours unique.
Nos rêves d’azur ne sont rien. Qu’un songe limité dans l’espace que nous sommes.
Mirage de tous les escaliers. La corde raide demeure invisible et mystérieuse.
Et vers son faîte, on se hisse déjà.
De piège en piège, la lumière captive réapparaît, plus intacte qu’au premier jour.
Délices des mains, coureuses de surfaces !
Délice des pieds, arpenteurs d’hémisphères !
Et nul être pour savourer, se délecter de tant de paysages !
Un regard unique et enveloppant qui dé-cisèle nos discriminations !
Rien ! Ou presque ! Alors que reste-t-il ?
Le monde s’efface d’un trait d’irraison. Ou de sagesse.
Tout s’émerveille de beauté. Dans la solidité du regard.
Et la précarité des yeux.
Nous ne sommes pas ce qui se meurt.
Nous sommes ce qu’il reste lorsque tout a disparu.
Au cœur du silence
Une pierre, du sable.
Une montagne, un chemin.
Mais où allons-nous de ce pas impatient ?
L’ailleurs serait-il plus propice qu’ici ?
Plus tard serait-il mieux que maintenant ?
Que cherchons-nous à fuir ?
Qu’espérons-nous qui ne soit déjà ?
Nous qui nous enorgueillissons, qu’avons-nous réalisé d’inoubliable ?
Qui voit le labeur des astres sur notre destin ?
Qui voit la rosée du matin ? Et la brume sur la montagne ?
Qui voit le vol des oiseaux dans le ciel ?
L’eau des rivières qui s’écoule éternelle ?
Et les nuages dans l’espace sans âge
Qui offre un escalier à ceux qui restent humbles et émerveillés ?
Observons ce qui vient, ce qui va.
Où sommes-nous, nous, qui ne bougeons pas ?
Il n’y a rien à désirer.
Rien ne manque. Tout est là.
Le silence est le seul poème.
Autorisons-nous à vivre.
Soyons simplement vivant.
Allons vers ce qui nous porte.
Ne résistons pas. Soyons comme l’eau.
Suivons notre pente naturelle.
Nous ne sommes ni ceci. Ni cela. Nous sommes.
Au cœur du monde, le silence.
Au cœur du silence, la paix.
Et dans la paix du cœur, la joie éclaire le monde.
Le trésor est dans le regard. Toujours.
Jamais sous le pas. Ni dans la main.
Le vent s’engouffre par la fenêtre du hasard. Du moins le croit-on ?
Seule la nécessité tient lieu de socle. Le jeu n’est pas celui du hasard.
Mais du merveilleux et de la joie qui invitent à la célébration de l’Existant.
Reflet de l’Unité commune.
La serpillère dans le seau.
Le bol dans l’évier.
Et la main qui dessine le jour.
Le silence de la maison.
Les bruits du monde à la porte.
Et le recueillement de nos mains sages.
Les saisons passent sans bruit.
Nous nous tenons à côté du vent.
Sous l’étoile qui nous observe.
Couchés dans l’herbe, nous regardons les arbres chanter l’univers.
Nous sommes seuls avec l’Infini qui se penche vers nous.
L’heure devient féconde dans le silence.
La brume sur la montagne se dissipe au soleil.
Comme nos rêves disparaissent à la lumière.
Retirés des affaires du monde. Et présents à l’univers.
Au soleil éternel et au ciel immuable, les nuages disent qu’ils passent.
Repasseront demain peut-être… Un jour sans doute…
Seuls parmi les étoiles on s’endort. Seuls parmi les herbes on se repose.
Seuls sous la pluie on danse. Seuls dans le vent nous sommes.
Et le monde s’agite dans notre paix.
La fleur se soucie-t-elle de son logis ?
L’étoile s’inquiète-elle d’éclairer le voyageur ?
Le silence est leur demeure. Et la paix leur seul labeur.
Au sein du ciel demeure l’immensité.
Les nuages et le vent accompagnent notre course lente.
Qui nous attendra ce soir ? Nous saluerons le soleil de notre couche.
Et les branches du cerisier en fleurs suspendues à la fenêtre.
Le ciel et la terre se rencontrent au loin.
Et sous les pas de celui qui marche.
Un jour vient le temps où l’on pose son bâton
Pour s’assoir sur la mousse verte de la forêt,
Près du cabanon que l’on a bâti à la hâte
Dans une clairière isolée
Où seuls le vent, les oiseaux et les herbes sont invités.
Où avons-nous posé le bâton qui guidait nos pas ?
Nous l’avons oublié sur les chemins qui nous égaraient.
Nous nous sommes assis dans l’herbe pour enlever nos bottes fatiguées
Et nous étendre parmi les nuages passagers.
A présent, nous marchons où le vent nous pousse.
Les saisons sont les mêmes partout.
Simple. Toujours plus simple devient la vie.
Un thé. Un bol de soupe. Le linge qui sèche au vent.
Le printemps sur la montagne. Les arbres de la forêt.
L’herbe des chemins. Un rocher pour regarder le ciel.
Notre vie s’efface dans l’Infini.
La vaisselle s’égoutte dans l’évier.
Les feuilles des arbres dansent dans le vent.
Assis sur la terrasse, nous écoutons le soir tomber.
Le piaillement des oiseaux et la serpillère sur son fil
Participent aux mêmes chants du monde.
Au même mouvement de l’univers qui naît et s’éteint dans le silence
Que notre cœur abrite avec humilité.
La lune dans le ciel nous regarde.
Et nous n’avons aucun mot à lui offrir.
Le temps s’est étendu à nos côtés.
L’heure s’est allongée au creux de notre main.
Nous reposons en silence à l’écart des affaires du monde.
Nous vivons ce que le destin place devant nous.
Un jour, il offre. Le lendemain, il retire.
Nous le laissons choisir les paysages.
La direction et les pas sont toujours justes.
N’effaçons rien.
Laissons tout se défaire.
Vivons simplement au plus proche — dans l’intimité même — de ce qui est.
Le monde pèse beaucoup plus lourd que le ciel dans nos soucis.
Et qui sait aujourd’hui que nous avons le cœur si léger ?
La terre sacrée est celle où nous nous tenons.
Et le ciel n’est pas devant nos yeux.
Nous sommes l’Infini qui contient et enveloppe le ciel et la terre…
Nous sommes l’Infini qui accueille le monde. Et l’éclaire.