Carnet n°74 Paroles pour soi
Journal / 2016 / L'exploration de l'être
Quelques fleurs jaunes éparses sur les collines parsemées de thyms, de romarins et de brachypodes rameux. Comme les sentinelles d'or solitaires du singulier parmi l'ordinaire. Le reflet discret et éclatant de l'innocence et de la maturité au sein du commun – encore trop vert pour se faire le reflet du Divin...
Le monde(1) contemporain est un univers d'abondance et de rebuts. Et la vie, un espace de frugalité et de recyclage sans fin. Dans leur insatiable quête de facilité – de confort et de praticité – les hommes n'ont eu de cesse, au cours de leur histoire(2), de s'éloigner de la vie. De ses lois et de ses règles.
Avant qu'ils ne saccagent et ne détruisent entièrement(3) la terre, il est temps – vraiment temps – qu'ils apprennent à respecter (profondément) le vivant. Et à s'inspirer de ses cycles et de son fonctionnement pour édifier et organiser leurs sociétés...
(1) Le monde humain.
(2) De leur fulgurante évolution...
(3) Et de façon irréversible...
Demain viendra un jour écrit le poète ou le philosophe(1). Oui, mais quand ? ajouterait le clown (le philosophe et le poète savent aussi se faire pitres(2)...).
(1) A votre convenance et selon vos préférences...
(2) Ou, à défaut, faire le pitre...
Dire la vie, le monde et les hommes. Dire Dieu, le ciel et la terre. Tel est sans doute notre travail. La tâche à laquelle Dieu, le ciel et la terre, la vie, le monde et les hommes nous ont assigné. Mais à quelle fin ? Si peuse pressent au dessus de nos pages... Comme si ces milliers de notes et de fragments restaient lettres mortes... presque sans aucune résonance auprès de nos congénères.... Ces lignes seraient-elles destinées à ceux de demain ? A ceux d'après-demain ? A ceux qui viendront plus tard encore... ? Nous n'en savons rien. Pour l'heure, nous nous contentons d'écrire (comme nous l'avons toujours fait au cours de cette existence...). De dire ce que nous inspirent Dieu, le ciel et la terre, la vie, le monde et les hommes. Gageons simplement que les uns et les autres y trouveront au moment opportun les réponses à ce qu'ils cherchent*...
* En fouillant dans ces milliers de pages, ils pourront sans doute y dégoter quelques pistes, quelques repères et quelques conseils. Et même quelques pépites et quelques vérités appréciables...
L'escalier du néant est l'exact contrepoint des escaliers de la gloire. Les hommes se précipitent tous – à peu près tous – sur les seconds et laissent le premier désespérément vide. Dommage ! dit Dieu. Les seconds mènent aux feux de la rampe. Et de l'enfer*. Et le premier au sous-sol inconfortable et nauséabond qui se transforme, dès la porte franchie, en ciel infini qui déverse sur les rares postulants de l'en-bas – et en leur cœur – une pluie ininterrompue de joie, de paix et d'Amour. Quant aux autres – aux postulants de l'en-haut – ils ne récolteront que tristesse, envie, avidité, jalousie et frustrations. Ennuis, désillusions et incomplétude. Pauvres hommes ! dit Dieu. La route sera encore bien longue avant qu'ils ne découvrent mon visage...
* L'enfer de l'individualité et de l'égocentrisme – et leur cortège d’infamies...
Chacun – et chaque forme – avance vers son destin(1). La terre(2) et le vent(3) font naître les circonstances et proposent les situations. Et le ciel(4) en dispose et orchestre la multitude en impulsant les gestes, les paroles et les pas de chacun...
(1) Sa destinée de forme.
(2) Le monde phénoménal.
(3) L'inévitable cours des choses...
(4) La conscience – l'espace de perception sensible et impersonnel.
Le ciel nous dit sa joie d'être à l'écoute. Et la terre celle d'être entendue*...
* Il serait plus juste d'écrire : « Et la terre sans voix – toujours sans voix – nous fait comprendre sa joie d'être entendue »... En effet, la terre ne semble pouvoir s'exprimer qu'à travers le cours des choses – son évolution – et à travers le ciel(1), seul à être en mesure de relater son état...
(1) Ou autrement dit, la conscience...
Les vivants sont comme la rosée. Nous ne sommes pas attentifs(1) – pas vraiment attentifs – à leur présence. Et n'avons pas conscience – pas vraiment conscience – de la brièveté de leur existence. Et à leur mort, nos souvenirs ne sont qu'un rêve. Qu'un songe brumeux qui nous égare. Ou nous attriste...
Être là – pleinement présent – à ce/ceux qui nous entoure(nt), il n'y a de plus beau présent. De plus belle attention à offrir. Comme un don sacré et divin(2)...
(1) Il n'est pas rare que le psychisme les considère – ou du moins les appréhende – au quotidien comme des éléments mobiles et éternels du décor...
(2) Dans la mesure où le Divin est la conscience-présence – l'attention impersonnelle – à l’œuvre dans l'ensemble du manifesté à travers la perception sensible de chaque être. Et de chaque forme.
En tes joutes stériles prends garde aux blessures orgueilleuses ! Renonce à ces ineptes combats ! Et pars affronter l'inconnu. Pour te défaire de toute victoire. Et que l'indicible puisse habiter les terres familières que ton cœur a toujours désertées...
Dieu s'égosille. De son silence, il appelle les hommes à fouler le territoire. Les anges décochent leurs flèches. Et s'arc-boutent contre les murs – invisibles – du paradis pour en accroître la surface. En maintiennent les portes grandes ouvertes. Peine perdue. L'éden demeure désert – quasiment désert – peuplé de rares visages qui s'interrogent à voix basse sur le sort des hommes.
Sous les sommets communs – et emboîtés – des vallées patiente l'apogée des sous-sols aux allures repoussantes. A la réputation sulfureuse. Seul accès pourtant au ciel. Et à la lumière des hauteurs. Pour voir le jour originel pour la première fois.
Tantôt vifs et primesautiers, tantôt languides et indolents, les hommes s'enlisent en leurs tourbillons...
Au nombre – et au surnombre – nous préférons l'Un. Et la relation de qualité. L'homme des foules est hypocrite et superficiel. Infidèle au monde et à lui-même. Seul l'homme des solitudes, libre des influences et des séductions, ancre ses actes et sa parole en ses profondeurs. Et demeure authentique.
La matière se combine. Et l'esprit se pénètre. De Saint Martin, je crois, avait vu juste... En lisant quelques fragments de l'Homme de désir, je trouve quelques perles. Et une certaine familiarité* avec ce philosophe inconnu. Appartiendrais-je moi aussi à cette étroite lignée d'illuminés gnostiques ?
* Voire parfois une certaine connivence...
En marchant les yeux baissés et l'âme humble sur les chemins de solitude, pensées, soucis et préoccupations disparaissent. Et le poids du monde s'efface. Et les jambes légères – si légères – montent et descendent les sentes avec aisance et intuition...
Quelques fleurs jaunes éparses sur les collines parsemées de thyms, de romarins et de brachypodes rameux. Comme les sentinelles d'or solitaires du singulier parmi l'ordinaire. Le reflet discret et éclatant de l'innocence et de la maturité au sein du commun – encore trop vert pour se faire le reflet du Divin...
Le ciel est notre dojo(1). Et les nuages nos seuls maîtres. Le reste – tout le reste – n'est que contingences et accointances superflues(2).
(1) Lieu où l'on pratique la voie...
(2) Relations lénifiantes et nécessités utilitaires...
La solidité et la stabilité de la roche et des pierres. La beauté et l’évanescence des nuages. La grandeur et la patience des arbres. La force et le courage des animaux. La bêtise et la barbarie des hommes. Leur fausse sagesse, leurs œuvres et leurs manœuvres d'apprentis-sorciers et leur ignominie recouvrant leur potentiel d'Amour et d'intelligence – la puissance du Divin – caché(e) en leurs profondeurs qui n'aspire qu'à éclore...
Dieu a octroyé sa part* à chacun. N'offrant à l'homme qu'une ébauche mal esquissée de lui-même. Et qu'il lui appartient, bien sûr, de compléter et de parfaire jusqu'à devenir son exact reflet. Son plus fidèle dépositaire. Et son plus dévoué représentant...
* L'une de ses parts...
L'esprit et la bouche de l'homme se font mensongers pour le protéger de la vérité. De ses facettes et de ses éclats tranchants. Lorsque celle-ci fond sur vous, elle vous ôte tout appui. Et peu d'hommes peuvent vivre ainsi...
Les artifices et le maquillage voilent les apparences. Les masques cachent les visages. Mais jamais les cœurs qui transparaissent à travers tous les stratagèmes. Et toutes les tromperies...
Lorsque la beauté et l'innocence naissent – parviennent à naître – de l'hostilité et de la désolation, notre cœur s'émeut profondément. Comme s'il reconnaissait la part indestructible – la part inaliénable – de lui-même...
Petite annonce du cœur spirituel : petit être sensible et intelligent cherche désespérément un semblable pour l'aimer...
En ce monde, il n'y a – le plus souvent – que des cœurs et des visages hideux et grossiers. Pour se résoudre à les aimer, il faut soit être aveugle ou aveuglé, soit percevoir derrière chacun d'eux la part divine – la part de grâce, de beauté et d'innocence – recouverte par une épaisse couche de pelures et d'immondices qui appelle en silence du fond de son cachot...
La part enfantine – et presque angélique – de la moue et du refus qui voile la dimension divine d'accueil et d'acceptation. D'ouverture infinie qui reçoit – qui reçoit tout – sans rien rejeter.
L'homme ancestral doit mourir pour que naisse un monde nouveau. Et il est aujourd'hui à peine sorti de l'enfance. Ah ! Comme j'aimerais assister à son agonie ! A ses vains sursauts de résistance et à ses pauvres soubresauts convulsifs avant que le trépas ne l'arrache à sa barbarie...
L'Amour s'affranchit de tout. Des pièges, des chausse-trappes, des ruses et des mensonges. Des usages, des lois et des convenances. Du mépris, de la haine et de l'indifférence. L'Amour s'affranchit de tout. Excepté de lui-même...
Marcher sur la terre(1) et laisser cheminer la compréhension(2) sans détruire, sans amasser ni accumuler le moindre objet(3) ni la moindre pensée(4). Voilà le signe d'un esprit libre, sage et mûr. Peu d'hommes en ont été, en sont et en seront capables...
(1) Laisser le personnage libre de ses pas... vaquer à ses nécessités...
(2) La laisser cheminer en soi...
(3) Excepté, bien sûr, ceux qui sont ressentis comme absolument nécessaires...
(4) Ne rien s'accaparer – rien ni personne, bien évidemment...
Marcher dans la nature. Et noter les pensées qui nous traversent sur ce carnet – cet éternel petit carnet – qui nous accompagne, je ne connais d'activité plus stupide et inutile. Ni plus sensée et nécessaire...
Nous y a-t-on contraint ? Non, bien sûr. C'est une disposition de l'âme qui nous y a invité. Et une force irrépressible qui nous y enjoint... Et chaque jour*, nous nous y livrons par nécessité et obéissance...
* ou presque...
Vivre dans la plus parfaite solitude de l'Être. Sans ennemi parmi les êtres du monde. Œuvrant avec Amour – autant qu'il nous est possible* – selon les exigences des situations.
* Selon les caractéristiques du personnage et des créatures...
Puissions-nous vivre nus et sans secret. Pleinement transparents. Jusqu'à en devenir invisibles. Se réaliser en un effacement si pur et si complet qu'on en devienne pleine présence...
En ce monde prévalent l'apparence et la fonction. Et si rarement l'être...
Lorsque notre marche ne sait se faire présence, elle peut devenir – et devient très souvent – un profond entretien avec soi. Ou à défaut, une longue méditation sur la vie, sur le monde et les hommes. Déterminants (en tout cas) pour rejoindre nos profondeurs. Et pouvoir à nouveau vivre en présence.
Ces notes – toutes ces notes – écrites au cours de ces nombreuses années tentent de répondre ou invitent à répondre à toutes les questions* qu'un homme peut se poser. Et que se pose naturellement tout chercheur de vérité – tout postulant à la liberté et tout aspirant à la vraie vie – avant que ne s'effacent tous les questionnements et toutes les interrogations pour goûter le silence – situé au delà de toute question et de toute réponse. Pour vivre la vérité et la vraie vie sans besoin de certitudes et d'explications...
* ou du moins aux questions essentielles...
Entre le ciel et le livre*, je perçois de multiples correspondances. Comme si chacun était le reflet de l'autre. Lorsqu'il m'arrive d'ouvrir un ouvrage en promenade, je ne peux m'empêcher de regarder le ciel au cours de ma lecture. Et j'y lis – et y ressens – de mystérieux échanges. Et d'évidentes résonances...
* Livres de sagesse et de compréhension et livres de poésie...
Le contemplatif n'est pas un être inactif. Sa méditation guide – et accompagne – tous ses gestes. Gestes pleins, simples et sans avidité. Gestes de joie et d'Amour qui s'offrent par nécessité. Et pour la joie et l'Amour...
Ecrire comme disposition de l'esprit à contempler. Et à relater l'essentiel. L'écriture n'a chez moi d'autre fonction. Ni d'autre ambition. Comme une invitation à s'y laisser mener. Et à s'y perdre. Pour goûter et vivre l'ineffable...
Devant le ciel* et les grands espaces naturels, comment ne pas sentir le dérisoire de nos existences, l'insignifiance de nos vies étroites et l'incongruité de nos ambitions mesquines ? Et comment ne pas sentir l'infini que nous portons en nous – et que nous sommes profondément ?
* Et, accessoirement, face à l'immensité de l'univers...
Être au service des êtres. Et de l'Existant. Serviteur de la terre et du ciel. Petite main de Dieu. Voilà, en vérité, le seul travail – et la fonction réelle – de l'homme en ce monde.
Chaque être – et chaque chose – en ce monde(1) ne prend-il pas déjà soin de lui ? Et ses interactions naturelles avec les autres formes de l'Existant ne sont-elles pas suffisantes(2) pour sa croissance, son entretien, son épanouissement et l'actualisation de son potentiel(3) ?
(1) Et le monde lui-même d'ailleurs...
(2) Tout au long de son existence...
(3) Potentiel karmique diraient certains, potentiel divin diraient d'autres... pour que chaque être – et chaque forme – vive les circonstances qui lui sont nécessaires afin de s'éveiller à lui-même et à sa nature profonde...
L'homme – nous le savons bien – intervient (et aime intervenir) partout et en toute chose pour faire durer et rendre l'existence plus aisée et confortable. Mais en dépit des apparences, ces agissements semblent non seulement inutiles mais engendrent aussi – très souvent – de profonds déséquilibres. Et de nombreux dégâts.
Certes quelques progrès – parfois nécessaires (et parfois même inestimables) – ont été réalisés. Mais combien de préjudices ont-ils provoqués ? Bien sûr, il semble évident que ces progrès suivent le cours de l'histoire – et plus globalement le cours naturel de l'évolution(1) – afin sans doute(2) de faire advenir en ce monde l'Amour et l'intelligence – le règne du Divin. Mais il nous semble pourtant que dans bien des cas – et en particulier dans la vie quotidienne –, il serait plus juste de nous garder d'intervenir à tout instant et à tout propos. Et de nous laisser aller (avec moins de retenue) au non-agir...
(1) L'évolution de l'Existant.
(2) On le sait bien ou on le devine...
Il serait même sage de ne se résoudre à intervenir qu'en cas de réelle nécessité. Et non pour obéir aux exigences du psychisme et à son lot de peurs et de désirs pour orienter le réel selon nos goûts, nos caprices ou nos extravagances. Notre seule motivation devrait être le Bien commun. Et nous devrions sans doute nous abandonner à l'action comme d'humbles et désintéressés intervenants « rectifiant » avec parcimonie et de façon pertinente le cours naturel des choses – et des êtres – lorsque les situations y invitent ou l'exigent. Comme des acteurs en réserve qui laissent le premier rôle au cours naturel des choses et des êtres et qui n'entrent en scène que lorsqu'ils sont en mesure d'offrir (de façon appropriée) un surcroît d'Amour et d'intelligence aux situations et aux protagonistes concernés...
Observer l'incessant mouvement et le perpétuel changement de tout depuis l'Eternel inchangé – etinchangeable. Depuis l'absolue permanence – et l’absolue immobilité – du regard silencieux.
Être au monde – être présent au monde – et prendre soin de chaque être de ce monde comme l'on serait au chevet d'un mourant. Ce que le monde et ce que les êtres sont profondément et ce que jamais ils ne cesseront d'être en vérité*...
* Même lorsque dans quelques décennies, l'espérance de vie aura considérablement augmenté ou lorsque dans quelques siècles, on pourra vivre peut-être quelques centaines ou quelques milliers d'années...
A la bêtise et aux instincts barbares, il n'y a qu'une réponse : l'Amour.
L'Amour, en vérité, est – et sera toujours – la seule réponse. A toute question. A toute situation. A toute chose.
L'écriture me vient comme un envol. Et c'est peu dire de la légèreté de ces fulgurances que mon être et ma main – si terrestres – alourdissent malgré leur dévouement et leur fidélité...
Le jour et la nuit remplissent leur fonction. Et au crépuscule et à l'aube, ils reprennent leurs échanges. Et deviennent (enfin) des espaces de récréation où l'on peut goûter au calme des heures. Et au merveilleux de la terre et du ciel enfin assagis. Avec l'approbation des astres qui se saluent...
Aux réclamations du temps, oppose l'instant. Et tu ne seras plus – plus jamais – l'esclave des heures. Et des jours.
En l'instant plein, le monde et la vie révèlent leur pleine saveur.
Nous sommes tous des idiots aux jours comptés. Mais il y a l'Amour qui nous aime – et qui nous accueille – tel que l'on est...
Sur l'asphalte vert, partout, la mousse est accueillante. Et j'entends les grands éclats de rire de mes pieds nus qui parcourent la place autour du grand arbre que mes mains joyeuses saluent avec candeur. Et le ciel s'ouvre sur notre passage.
La joie est la clé de toutes les portes. L'Amour le seul passeport. Et l'innocence la seule vêture. Et pourtant, je vois les souliers vernis de mes congénères parés de flanelle et de leurs plus belles dentelles qui peinent à quitter leur parquet de bois précieux. Et leur tapis luxueux. Je vois leurs grands yeux tristes sur le balcon chercher tantôt la lune tantôt le soleil derrière l'horizon. Et l'espoir dans leur cœur de trouver un jour la joie, l'amour et l'innocence – les heures pleines – qu'écrasent les aiguilles de l'horloge et les bibelots dans le grand salon.
Il y a en nous cette profondeur qui invite aux hauteurs. A la joie. A la légèreté et à la consistance. A l'intensité. A la paix. A l'Amour et à l'intelligence. Elle œuvre sans relâche. Et rien ne saurait la détourner de sa tâche avant que nous goûtions(1) l'ineffable. Cette force – et cet appel – mystérieux, je les ai toujours sentis(2) en moi – en mon for intérieur. Dès la plus tendre enfance. Eux seuls ont guidé mes pas au cours de cette existence. Me priant – ne cessant jamais de me prier – de les délivrer de leur cachot. De mes trop grossières et ordinaires caractéristiques humaines... Et aujourd'hui encore ce sont eux qui orientent ma foulée. Et qui dessinent mon chemin pour les faire advenir avec plus de force et de stabilité. Pour qu'ils transparaissent à travers moi(3) avec plus de clarté et d'évidence. Et inlassablement, ils polissent et façonnent le réceptacle – l'heureux et docile réceptacle – que je suis devenu pour rayonner avec plus de puissance en ce monde.
(1) Que nous le goûtions à chaque instant...
(2) Sentis vivants...
(3) Leur humble et dévoué serviteur.
C'est au cœur des collines – et sous le ciel immense – que mon cœur se réjouit. Se réjouit d'être au monde. Et c'est là que mon âme puise toute sa vigueur.
En ce jour de printemps – à la chaleur presque estivale –, le vent, les insectes et les herbes sauvages nous accueillent. Et nous offrent le spectacle de leur vitalité.
Après l'austère – et la belle – saison du silence et du repos, le vivant piaille d'impatience. Et s'affaire avec effervescence à son renouveau. Et à son efflorescence. Devant nos yeux, le monde prolifère, parade, invente, bâtit, rivalise d'exubérances et d'originalité, offre ses cris, ses danses et ses pirouettes. Et ses nouvelles parures printanières dans une pagaille harmonieuse et insensée*.
* Et un peu envahissante parfois...
L'existence terrestre est misérable, indigente et sans envergure. Et bien des êtres – bien des hommes – vivent dans l'obscurité de façon obscure, avec le cœur noir, au cœur des déserts et des abysses qu'ils décorent de quelques guirlandes et de quelques lampions pour apaiser (ou oublier) leur peine.
Comment leur dire l'indicible ? Comment pourraient-ils imaginer qu'existe un regard qui réenchante le monde – et la vie ? Un regard plein et innocent. Un regard infini et tendre qui accueille le monde et ses formes – toutes les créatures – avec un amour et une bonté sans pareils. Un regard si profond et si léger qui offre à tout ce qui est vu une beauté et une grâce incomparables. Comment pourraient-ils imaginer que tout en ce monde est beau, bon et grand ? Que le cœur s'émeut de rien et de ces petites choses que l'on croit dérisoires ou insignifiantes. Et que les larmes coulent sans raison(1) devant tant de beauté, de bonté et de grandeur. Comment pourraient-ils imaginer que tout est digne d'Amour ? Et que le merveilleux est partout même dans ce qui nous paraît abject ou immonde. Comment leur expliquer qu'ils sont tout cela. Ce monde – jusqu'à la plus petite chose de ce monde. Et le regard qui les contient...
Ah ! Hommes ! Si vous saviez... Mais je sais qu'une chose en vous le sait déjà. Et le sent. Comme elle devine qu'un rien vous en sépare(2) pour que vous puissiez le goûter. Et le vivre...
(1) Ou pour ces mille raisons...
(2) Ou, plus exactement, leur en prive l'accès...
Il est facile de déceler l'immonde et la barbarie derrière la bienséance, les usages, les règles et les conventions, la politesse, les sourires et la gentillesse apparente des comportements. Pourquoi les hommes ne le voient-ils donc pas ? Parce qu'ils sont aveuglés par l'idéologie et les représentations. Elles leur bouchent tant la vue qu'ils ne peuvent accéder qu'à l'apparence. Et à la surface des choses. Toute profondeur leur est empêchée...
La vie est une sombre – et fragile – étincelle sous la lumière.
Et – disons-le ouvertement et sans animosité – la lumière des villes et des écrans, les néons des vitrines, des bars et des salles de conférence, les lampes des salons et des bibliothèques, les réverbères des rues et l'obscurantisme des cœurs et des esprits ne favorisent pas son embrasement(1) dans la lumière.
La vie(2) terrestre – et celle des hommes – demeure encore (bien souvent) un prolongement de la nuit noire ancestrale...
(1) Ni celle du monde...
(2) Et le monde.
Ne fais halte dans les contrées d'abondance et de foisonnement. Elles contentent le cœur avide, frivole et frileux. Mais écœurent l'esprit et assoupissent l'âme. En t'y installant, elles t'endormiraient pour l'éternité.
Nous allons bientôt devoir quitter les collines* pour d'autres horizons. Peut-être – espérons-le – pour d'autres lieux sauvages...
* Dans quelques semaines, nous ne pourrons plus nous acquitter du paiement de notre loyer. Et face à cette indigence pécuniaire, nous n'aurons d'autres options que de dégoter un petit terrain isolé – situé au cœur de quelque région désertique et perdu au fond des bois pour y installer une yourte ou une cabane ou nous initier aux joies de la réfection de ruines...
Rencontre impromptue en ce début de printemps* avec deux chasseurs parcourant les collines au volant de leur 4x4 . Ils m'informent que nous sommes – mes chiens et moi – dans une réserve de chasse et qu'il est interdit de s'y promener. Piqué au vif, je leur rétorque que l'espace naturel appartient à tous. Et qu'il n'est pas – absolument pas – la propriété des chasseurs. Sûrs de leur bon droit, ils se lancent alors dans quelques explications propagandistes et apocryphes à visée pseudo-pédagogique sur le rôle hautement écologique des tueurs de « gibier » et leur participation à la protection des espèces animales... [arguments abominables puisqu'ils ne veillent en réalité qu'à s'assurer que les zones naturelles soient suffisamment peuplées d'animaux pour assouvir leur passion meurtrière la période de chasse venue]. Leur pauvre diatribe à l'égard des opposants à la chasse achevée, ils redémarrent le moteur de leur voiture, et s'éloignent sur la piste étroite et cabossée qui monte vers la crête. Je ramasse ma besace, mon bâton et nous poursuivons notre chemin dans la réserve de chasse comme si cette affligeante rencontre n'avait pas eu lieu (ou presque)...
* La période de chasse est close depuis bien longtemps...
A l'issue de ces médiocres échanges*, je ressens une intense colère. Une chose en moi éprouve – et a toujours éprouvé – une haine farouche pour l'appropriation, l'abus de pouvoir, les lois iniques et les mensonges. Mais aussi pour l'autorité, la contrainte et la restriction. Ah ! Comme je déteste être obligé, limité ou rappelé à l'ordre par des règlements (et des êtres) stupides et illégitimes ! Et comme je déteste cette sanguinaire engeance ! Plus le monde et ses pitoyables représentants m'obligent à respecter leurs règles absurdes et inadmissibles, moins je m'y soumets...
* Et même si cette rencontre s'est déroulée sans grande agressivité...
Et il m'arrive parfois – et même fréquemment à certaines périodes(1) –, dans un geste de rage un peu puéril mais qui apaise momentanément ma hargne, de mettre en pièce et de jeter à terre quelques postes de tir (utilisés pour la chasse aux sangliers) ou d'arracher(2) sur des dizaines de kilomètres toutes les pancartes afférentes à la chasse(3) qui parsèment les collines en essayant de nous persuader, de façon honteuse et outrancière, que ce territoire est le pré-carré d'une poignée de rustres à carabine.
(1) Lorsque nous croisons en nombre ces abominables représentants de l'activité cynégétique...
(2) En prenant soin de les prendre avec moi pour ne pas polluer l'environnement...
(3) Chasse gardée, réserve de chasse, fédération départementale de chasse etc etc.
Je ne suis pas fier – pas tellement fier – de ces misérables et vindicatives « exactions » mais je n'en rougis nullement. Je n'y vois qu'une pauvre et vaine tentative d'effacer de façon symbolique l'appropriation des territoires par une minorité qui impose ses lois sanglantes à tous (hommes et animaux). Et un moyen peu approprié et peu intelligent d'apaiser ma colère contre cette odieuse et archaïque communauté*...
* Peu de « communautés » – et, plus précisément, les idées, les actes et les comportements de leurs membres – ont le pouvoir de faire naître en moi une telle colère : les chasseurs, les fachos et les exploiteurs-profiteurs de tout poil...
Les choses du monde(1) et les choses de l'esprit(2) ont perdu(3) leur attrait. Aujourd'hui, seuls le cœur, l'être, l'innocence et l'authenticité à l'égard de l'Existant(4), l'Amour et l'intelligence trouvent grâce à mes yeux.
Le reste me fait l'effet d'un costume inutile et dérisoire. Bon à ranger au fond d'un tiroir. Ou mieux, à déchirer – et à transformer en chiffons – pour lustrer – et servir – le réel. Afin de le faire briller.
(1) Les affaires et les préoccupations ordinaires des hommes.
(2) Les idées et les préoccupations intellectuelles.
(3) Ont réellement perdu leur attrait...
(4) Les êtres, les choses et l'environnement.
Je ne suis ni un aventurier ni un bâtisseur. Ni un marginal ni un rebelle. Et moins encore un homme de conventions ou de traditions. Je n'aspire qu'à vivre en paix parmi les arbres et les nuages. Auprès de mes chiens. Et à l'écart des hommes. Dans un confort rustique et fonctionnel* au cœur de la solitude et de la nature. Avec la visite occasionnelle de quelques frères pacifiques...
* Avec un poêle à bois, une douche, un ordinateur connecté, quelques livres et quelques feuilles de papier...
Ecoute ton cœur profond. Et il répondra à chacune de tes interrogations. Il te dira où vivre, comment vivre et avec qui... Entends-le. Et sois-lui fidèle. Ton bonheur – ton bonheur phénoménal* – en dépend...
* Bonheur phénoménal ou terrestre : sentiment de paix et de contentement induit par l'écoute des besoins individuels (les besoins du personnage) qui donne le sentiment d'être en accord avec soi et en harmonie avec le monde...
En ce monde – et en cette vie – tout, bien sûr, interagit. Tout, bien sûr, se meut, change et évolue. Tout, bien sûr, occupe une place. Et une fonction. Et est voué de façon progressive ou abrupte au dysfonctionnement. Et à la disparition.
Seule la présence – l'indicible regard silencieux – échappe à cette ronde. A cette ronde furieuse et perpétuelle de caresses et de frictions. De mariages et de fracas.
Ah ! La paix du regard ! Et l'infernale et inépuisable fureur énergétique ! Il est peu dire que ces deux-là – apparemment inséparables – forment un duo bien étrange ! Et bien mystérieux !
Ah ! L'inéluctable défilement des saisons. Le printemps, saison du renouveau et de l'efflorescence. L'été, saison de la lumière et des exubérances. L'automne, saison de la douceur et du déclin. Et l'hiver, saison du silence et du repos.
J'aime les deux dernières. Elles s'accordent à mon âme foncièrement solitaire. Et à mon cœur plutôt mélancolique...
En lisant l'ouvrage de Michel Jourdan, Vivre en solitude(1), j'apprends (entre autres choses(1)), que le mot « anachorète » trouve son origine dans le grec « anakhôrein » qui signifie « se séparer(2) ». En rapprochant ce terme de « religare », à l'origine du mot « religion », et que l'on pourrait traduire par « relier », je note – avec une certaine joie et une certaine malice – que l'ermite (et plus généralement le solitaire) – qui fuit ou s'éloigne de la compagnie des hommes ne se sépare en réalité qu'en apparence des apparences pour se retirer profondément en lui afin de se relier plus intensément – et plus intimement – à Dieu, à l'Autre et au monde...
Encore – et comme toujours – délaisser la surface et les apparences pour les profondeurs. Profondeur des résonances et des ressentis. Profondeur du regard et du cœur...
(1) En dépit de son intérêt incontestable, d'une bibliographie riche et fouillée et de la résonance ressentie avec la « grande famille » des ermites exposées dans ce livre, le ton de cet ouvrage est trop catégorique. Trop partisan et péremptoire. Un plaidoyer (un peu trop) virulent et tendancieux, à mon goût, pour la vie érémitique (même si l'on peut comprendre – et parfois même s’associer à – cet esprit de résistance face à la crasse età l'uniformisation des masses grégaires et à la tyrannie de la normalité et des standards sociaux dans les sociétés humaines). Bien que la solitude réunisse maintes conditions propices à la rencontre avec soi et l'infini que l'on porte en soi, elle n'est pas exempte d'écueils et parfois de restrictions. Et elle ne constitue pas, à mes yeux, l'unique voie de la délivrance même si elle doit être vécue – et semble même incontournable – au cours de certaines phases du cheminement (cheminement intérieur de la compréhension ou vers la compréhension – comme cela vous agrée...).
(2) Ou « se retirer » ἀνά, ana (« à l’écart ») et χωρέω khoreo (« je vais »).
Trouver refuge sous le feuillage d'un arbre pour se protéger de la pluie, je ne connais d'abri plus merveilleux. Et plus accueillant. Ah ! Quelle tendresse – et quelle gratitude – j'éprouve pour mon protecteur... Les larmes jailliraient presque tant je suis ému par cet accueil. Et cette entraide naturelle...
Lorsque je suis contraint de marcher parmi les fleurs sauvages(1) – réunies en larges et épais massifs – qui ferment l'accès à un sentier, mon pas se fait léger et sautillant pour éviter de les meurtrir (autant que possible). Et en passant l'allure légère et précautionneuse, je les prie d'excuser ma lourdeur. Et les désagréments occasionnés par mon passage.
J'aimerais parfois être un oiseau transparent. Vide et sans substance(2). Ne dégradant rien. Et ne blessant personne. Ne fendant pas même l'air pendant son vol...
(1) Ou parmi la multitude de limaçons des tiges (agglutinés en nombre) qui recouvrent les vastes étendues herbeuses...
(2) Il est aisé de déceler dans ce fantasme l'analogie – l'évidente analogie – entre l'oiseau sans substance et le regard silencieux, éminemment présent mais dont la présence n'affecte jamais le réel – pas la moindre parcelle du réel...
« Vaurien » est le seul statut – et le seul emploi – dont je serais fier en ce monde. Dans ce pauvre monde qui marchande et monnaye toutes choses, allant jusqu'à convertir en or* les plus essentielles. Et les plus impalpables...
* A donner une odieuse valeur monétaire...
Le rien et le peu sont nos biens les plus précieux...
Mon œil est très sensible au relief. Et aux lignes d'horizon*. Et la joie m'envahit lorsqu'ils reflètent l'harmonie.
* Et à la topographie en général avec une préférence marquée pour les milieux à la fois accidentés et arrondis...
De nos jours, peu de sociétés peuvent se vanter d'avoir un ministère de la culture. Certes... mais lorsque l'on sait à quoi l'on réduit (en général) la culture et comment fonctionne le marché de l'art(1), on a vite fait de déchanter...
Il m'arrive de rêver à un grand ministère(2) du Regard – et de l'art – poétique. Et je suis persuadé qu'il ferait bon vivre dans ce genre de société qui aurait la clairvoyance d'ériger la sensibilité et l'intelligence au rang de priorités(3)...
(1) Quel mot horrible (mais réaliste) pour une discipline si noble – et quasiment divine...
(2) Comme existait à l'époque de Kamo no Chômei un bureau de la poésie au Japon.
(3) A condition, bien sûr, qu'elle n'institue pas le regard et l'art poétiques en système légal et obligatoire mais comme le simple reflet collectif de l'intériorité profonde de chacun (ou d'une grande partie) de ses membres. Et comme une invitation au silence et à la beauté...
Qui songe à la brièveté – et à la fragilité – de l'existence devant son bol de café, en allant aux toilettes ou au travail, en allant faire les courses ou chercher ses enfants à l'école ? Et mieux encore, qui les ressent ? Et qui éprouve (profondément) l'absence de temps en habitant à chaque instant l'éternelle présence ?
Une phrase de Timothy Leary – un trublion iconoclaste et psychédélique américain du 20ème siècle – découverte dans le livre de Michel Jourdan m'a fait beaucoup rire. Il évoque les valeurs de notre société (sécurité, confort et travail) qui « menacent de détruire la vie libre de cette planète » et qui n'apportent aucune réponse aux questions essentielles. Et il s'interroge sur « ce qui viendra après ». Et conclue sa sentence douce-amère et non exempte d'humour ainsi : « le confort et le plein emploi sont-ils le sens unique de la vie ? Le code génétique évolue-t-il depuis trois milliards d'années, seulement pour nous permettre d'ouvrir de nouvelles autoroutes ? ».
Non, aurait-on envie de lui répondre, les autoroutes sont simplement le reflet d'une médiocre – mais nécessaire – étape. Et comme vous, cher Timothy, nous attendons avec impatience la suite des événements. Et les prochaines étapes*...
* Sans doute encore pleines de pauvres inventions à court terme mais également pleines de potentiel et de promesses à moyen et long termes (cf l'ouvrage La conscience et l'Existant)...
Nos seules richesses sont en nous(1). Et nos seuls biens devraient être sur nous(2). Et les quelques autres nécessités – les commodités d'usage courant exigées par le quotidien – chez nous(3). Et il serait heureux d'offrir le reste aux plus nécessiteux que nous rencontrons...
(1) En notre for intérieur.
(2) Que l'on porte sur soi.
(3) Là où nous logeons.
Ah ! Mon Dieu ! Comme le regard peut s'encombrer vite et à tout propos ! Le moindre événement, le moindre souffle, le moindre bruit, et le voilà chargé de mille ressentis, de mille émotions, de mille pensées...
Lorsque le regard se laisse aller à l'avant plan – ou lorsque le monde phénoménal revient « à la charge » en devenant quelque peu invasif, il convient de rester attentif – et vigilant – afin de demeurer dans la nudité perceptive. Sans rien saisir ni amasser. Sinon le « piège » – le piège du monde, du mental et de la pensée – se referme aussitôt... Mais n'oublions pas que nous pouvons nous extraire de ce « piège » à tout moment. Dès que l'attention réintègre le regard nu...
En cette fin d'après-midi printanière, alors qu'il ne nous reste que quelques kilomètres à parcourir, j'aperçois un insecte aux ailes vertes et noires qui gît, immobile, sur le dos au milieu du chemin. Mort. Je m'arrête et m’assois à ses côtés. Et je me mets à lui parler avec douceur et simplicité – presque avec cérémonie*. Je suis si surpris par cette mort « prématurée » survenue en ces premiers jours de printemps que je lui demande s'il connaît les raisons de ce départ alors que les beaux jours – et la belle saison – ne font que commencer... puis très vite, je le rassure et lui dis qu'il a vécu ce qu’il devait vivre en tant que petit insecte ailé... Et qu'à présent d'autres cieux – et d'autres terres – l'attendent. Qu'il ne doit pas s'inquiéter. Que tout ira bien. Et que d'autres habitants du regard seront là pour l'aider. Et l'accompagner... Puis nous restons en silence pendant quelques instants. Avant de me lever, je lui adresse une dernière pensée. Puis je reprends mon chemin, l'âme gaie et (pourtant) un peu chavirée par le destin éphémère de ce frère minuscule...
* Une cérémonie naturelle, bien entendu...
J'éprouve une grande – et parfois même une immense – tendresse pour ces minuscules et dérisoires fragments. A mes yeux, ils sont le reflet d'une infime part du ciel que je peux voir et habiter. Et le reflet d'une infime part de la terre que j'habite et dont je suis composé...
Agenouille-toi devant le regard poétique. Et pleure. Tes pauvres notes patienteront. Viendra le temps où tu pourras t'asseoir en son sein de façon pleine et souveraine. Avec une parfaite humilité. En magistral représentant céleste.
Cette terre accueille tes pas. Comme l'herbe et les pierres des chemins. Rends leur grâce de ton passage.
Au cours de cette existence, j'ai arpenté bien des chemins*. Et de cette humble marche ne subsiste que l'usure des pas. Et l'épure du regard.
* Chemins de vie, chemins du monde (quelques chemins du monde), chemins de campagne et chemins des collines...
Marche solitaire sur les chemins fraternels... Et je me souviens avec tendresse des premières foulées, des paysages sombres, des visages funèbres et des ornières rencontrés au cours du périple que mon cœur jugeait avec hostilité. Il n'avait su – n'avait pu – encore pénétrer le cœur du monde et de la vie. La profondeur des âmes et des êtres...
Le regard à la fois tendre et pénétrant, caressant les paysages. Et s'unissant à eux. Ô divine perception...
Il nous faut d'abord passer par la grande humilité avant de laisser (de pouvoir laisser) resplendir en toute liberté – et à sa pleine mesure – toute la splendeur et la beauté de l'individualité*.
* du personnage.
Je regarde avec beaucoup de bonheur les tableaux de Jean-Louis Mendrisse. J'aime son trait (et son graphisme*), les formes simplifiées de ses portraits, la composition complexe de ses toiles et le monde intimiste à la fois réaliste et onirique qu'il offre à notre regard.
* Qui n'est pas sans rappeler parfois le style de certaines œuvres de son père, Jean Mosnier... Comme une sorte de prolongement et de renouveau dans la filiation...
Bon nombre d'artistes offre un univers poétique. Mais le grand art consiste à faire naître le regard poétique chez le spectateur, l'auditoire ou le lecteur... Tâche qu'il est possible d'accomplir à condition de travailler avec une profonde nudité de l'âme pour que le geste – et l’œuvre – puisse se faire l’exact reflet de la grâce...
Ah ! Toutes ces parts de nous-mêmes qui ne demandent qu'à être aimées et écoutées. Et à grandir sous le regard bienveillant qui les épanouira...
Mon métier ? Cueilleur de pensées célestes que je dépose à ma fenêtre pour offrir au monde un peu de grâce et de beauté. Quelques fleurs par jour suffisent. Il ne faut pas encombrer le regard des hommes si l'on souhaite les ouvrir à l'infini...
Quelques riens sous mes pas que j'honore – et vénère – comme si je marchais sur le visage de Dieu.
On pourrait marcher dans le désert. Le regard suffirait...
Il y a une telle paix – et une telle joie – dans ce regard d'Amour qu'il invite au silence. Et à la contemplation. Et dans ce silence contemplatif, on peut goûter et admirer les merveilles de la terre. Les remercier, leur rendre grâce et honorer leur présence. Et leur offrir l'espace et la tendresse – tout l'espace et toute la tendresse – dont elles ont besoin pour qu'elles s'épanouissent...
Au plus fort de la présence, j'entends parfois Dieu se pencher vers moi et me dire de sa voix silencieuse : « Ah ! Que je t'aime, petit bonhomme, avec tes habits élimés, tes vieilles sandales et tes cheveux hirsutes ! Avec ton cœur humble et ton regard pur*. Et comme j'aime ta marche lente avec ton bâton, ta besace et ton carnet ! Toi qui apprends à fréquenter mes terres, peut-être seras-tu bientôt suffisamment mûr pour rejoindre les sages et les anges à mon service qui œuvrent avec humilité et ardeur au rayonnement du ciel sur la terre. Peut-être continueras-tu d'écrire mon visage et le merveilleux du monde... ou peut-être te confierais-je d'autres missions – et d'autres tâches – pour ensemencer le cœur des hommes...
* Ton regard nu...
Avant que ne se flétrissent les visages, offre des gestes et des paroles* qui adoucissent les esprits. Et réconfortent les cœurs et les corps. Et à ceux qui sont mûrs, offre ce que le chemin t'a appris. Accompagne leur pas vers l'innocence.
* Sans jamais oublier d'être toi-même...
L'humilité – et la beauté – d'une fleur sous le ciel qui sait se faire l'exact reflet de toutes les merveilles de la terre. L'homme devrait être ainsi... Et lorsqu'il le sera, les frontières du ciel et de la terre s'effaceront. Et pourra naître – et s'épanouir – le règne de l'innocence et de la beauté.
Ô homme, garde-toi de tout mensonge. Conserve en ton cœur l'honnêteté et l’authenticité. Qu'elles guident tes gestes et tes paroles. Sois-leur fidèle en toutes circonstances. Et sois-en certain, le temps que le cœur s'épure, l'humilité et l'Amour suivront...
Offre-toi à ta pleine et juste mesure. Et jamais tu ne connaîtras la trahison.
Sous le ciel clair, les pas se font radieux...
Vivre avec ce qui est là. Qui va et qui vient. Mais a-t-on réellement le choix ?
On ne sait ce que sera la vie – et le monde – dans un instant(1). Comme on ne sait si le regard sera habité(2)... Et qu'il le soit ou non, la vie et le monde seront ce qu'ils seront... Pourvu que tu demeures à l'écoute des situations, que ton âme sache rester humble et nue et ton cœur honnête et authentique, il n'y a aucune raison de s'inquiéter. Tu traverseras les circonstances avec justesse. Comme il convient...
(1) Ni, bien sûr, a fortiori demain, le mois prochain ou dans 10 ans. Ces références temporelles n'ont aucune existence réelle puisqu'elles ne sont que de simples constructions mentales...
(2) Ni de quelle façon, avec quelle profondeur et quelle stabilité...
Ah ! Mon Dieu ! Quel spectacle ahurissant pour le regard – pour notre regard – témoin (unique témoin) de l'infinité des formes et des mouvements de ce monde ! Qui observe et contemple les manœuvres et les trajectoires – la danse tantôt folle tantôt sage – des hommes, des nuages, des pierres, des montagnes, des rochers, des arbres, des oiseaux, des arbustes, des insectes, des herbes, des étoiles, des planètes, des galaxies, des molécules et des atomes de l'univers. Tous inexorablement soumis à leur destin. Et au cours naturel des choses. Tous, jouets et terrains de mille entrelacements et de mille entremêlements. Tous, soumis aux échanges et aux combinaisons. A la création et à la destruction. A l'édification, à la chute et à la disparition. Dans une implacable et inépuisable mécanique. Ah ! Quel incroyable et insensé magma énergétique que ce monde !
Et puis il y a le silence – et la tendresse – du regard qui les goûte, qui célèbre leurs jeux, leurs cabrioles, leurs coups, leurs morsures, leurs accolades et leurs caresses et orchestre avec maestria la symphonie en orientant imperceptiblement leur marche...