Carnet n°118 Ce que nous sommes - et ne pouvons être - encore
Recueil / 2017 / L'intégration à la présence
Ni aube ni lumière. La fin de toutes les nuits. L'effacement des ombres. Le recommencement permanent de la première heure...
Ni alliance ni solitude. Le faîte magique où apparaissent – et se délitent – toutes les rencontres. Le lieu de l'Unique...
Le plus invisible, sans doute, du chemin...
Et la nuit, peut-être, la plus infranchissable...
Ni roc ni pente. Pas même un sacrifice. Le rêve de tout homme...
Ni sève ni fente. La plus permanente, et transparente, sexualité. L'Amour sincère le plus désintéressé, qui offre, à chaque instant, ses mille sensualités – et les plus grands délices à toutes les formes de nudité...
Ni feu ni trame. La pierre où nous avons gravé nos noms qui s'efface(nt)... Nos plus beaux jours. Comme une lumière promise – une lumière inachevée...
Ni neige ni voyage. Pas même une épreuve. Comme un jardin ininterrompu, dénué de rêves et de clôtures. La lampe de toutes les aurores...
Ni parole ni murmure. Pas même un poème. Un peu de vie. Un peu de mort. Le chant de l'oiseau. Et la fin des querelles. Comme un silence interminable. Une fontaine – et son eau rafraîchissante – offertes à tous les visages...
Ni insecte ni créature. Ni monstre ni terreur. Un cri qui s'efface – et meurt au fond des gorges. Un amas de poussière. Et le sacre des saisons et de la soif. Le mariage des heures. La conjugaison de l'hiver et du printemps. La mort tombée en oubli. Et la tendresse des lèvres muettes, insensibles aux songes et aux fantômes. Les plus beaux rivages de la joie...
Ni page ni dédicace. Pas même un honneur. Le plus nu des silences. Le plus humble de l'herbe. Le plus discret de l'âme...
Ni pas ni piétinement. Pas même une attente. Comme le glissement de la main qui efface la craie blanche sur le tableau des saisons. Comme un doigt levé dans le vent qui célèbre la pluie...
Ni don ni héritage. Pas même un testament. Le don permanent de la joie et du silence – qui s'offrent à tous les héritiers, dépositaires autrefois de la commune folie des hommes...
Ni élan ni lenteur. Le rythme du silence. Et la valse des jours inchangés...
Ni aube ni lumière. La fin de toutes les nuits. L'effacement des ombres. Le recommencement permanent de la première heure...
Ni caresse ni supplice. La fin de tous les adages – et de toutes les promesses. La joie comme recours à toutes les demandes et à toutes les questions. Et le silence comme unique réponse...
Ni flèche ni indication. Ni panneau ni direction. Le désert le plus simple ouvert à toute forme de solitude – même les moins méritoires. L'éviction progressive des eaux inutiles. Des bagages et des prouesses. Des passages mensongers et des océans prometteurs. Le glissement, implacable, des pas vers la seule possibilité – la seule voie restante : l'effacement. La disparition des surfaces et des profondeurs. La venue soudaine du point le plus dense des horizons, au croisement de toutes les verticalités. L'espace sans âge. L'infini inclôturé. L'immensité vierge et sans repère où viennent mourir tous les rires et tous les visages...
Ni orage ni blessure. Le plus doux du ciel. Comme une flèche – un couteau noir – aux ailes chantantes... Comme un vent furtif – le baiser fugace du destin. L'aventure la plus oubliée – et la plus décriée par les hommes...
Ni ordinaire ni inconnu. Et pas le moins du monde commun. Le plus sage des pas. Et le plus simple des jours. Comme la lumière du crépuscule qui donne à notre silhouette une allure de géant débonnaire dont l'envergure n'effraye que les enfants – et les âmes craintives des énigmes et des mystérieux desseins du ciel...
Une poignée de jours et quelques nuits pour effacer les heures – et oublier le temps. Pour manger dans la main de la seule promesse valide... Vivre le plus sacré de la lumière. Le plus furtif passage de l'éternité dans le silence. L'instant où le soleil ignore qu'il se trouve au plus haut du ciel – dans l'azur sans rayure – ni rature – aussi vierge d'espoirs que de nuages. L'instant – et ses mille frères – à jamais neufs – à jamais recommencés...
Comme des Tziganes, fous de joie et riches de toutes les tribus de la terre, dansant autour d'un feu. Comme une lumière si proche du ciel et des étoiles, happée par le mystère et la main naturelle de l'homme. Comme la célébration du plus vivant en nous délesté de ses exigences...
Comme une folie ancienne habillant toutes les danses. Une soudaine compréhension du silence laissant s'effacer toutes les ambitions et toutes les rancœurs...
Ni trouble ni écho. La connaissance la plus juste de l'ignorance – de toutes les ignorances – qui balaye les habitudes et les mœurs les plus rudes et les plus autoritaires. Un commencement d'intelligence. L'avenir possible du monde...
Ni sang ni défi. Le plus subtil de l'incarnation. L'éviction de l'espérance. Les linéaments d'un temps aboli – vaincu...
Comme l'arrivée d'un nouveau silence venu célébrer l'ancien – celui auquel nous sommes restés sourds et insensibles pendant des siècles – pendant des millénaires. Comme l'évidence d'un nouveau départ – la possibilité infinie d'une chance nouvelle...
Ni arme ni refuge trouvés au bord du chemin. Ce battement sourd aux tempes qui délivre des prières – et invite aux pas de côté – et qui s’offre à ceux qui délaissent la route – toutes les routes – pour le ciel du dedans – cet havre naturel, et éternel, qui nous attend...
Ni lueur ni veille au fond des impasses. La porte dérobée de l'infini. L'aire de tous les silences. Le seul salut de l'âme...
Ni épée ni solitude. Le murmure fantasque des vents. Le centre de tous les ralliements. Le cœur de toutes les absences. La tombe de tous nos oublis. Le socle du moindre désir. Et l'étrange réenchantement du monde...
Ni barque ni rive. Quelques provisoires banquises où patientent les rêves. Et les vents qui effacent les corps – et la profondeur des âmes. Le lieu où naissent les océans, les peuples oubliés et nos songes les plus lacustres. L'aire de toutes les dérives...
Ni alliance ni solitude. Le faîte magique où apparaissent – et se délitent – toutes les rencontres. Le lieu de l'Unique...
Comme une fleur qui attend l'aube – la venue imparfaite du soleil et de la rosée. L'espérance de la terre pour toutes les créatures qui la peuplent...
Ni plomb ni or. Le plus sûr des alliages. L'alliance de tous les visages. Le terreau de la joie. La réponse au mal des siècles. Le destin du monde et des âmes...
Le lieu où se défait l'âpreté de la terre. La dureté et l'orgueil des hommes. Et l'aveugle stupidité des bêtes. Là où naissent les étoiles, annonciatrices de la lumière ancienne – et continuellement originelle...
Ni espace ni douleur. Pas la moindre souffrance. L'unique possibilité de l'inerte et de l'animé – de tous les enchevêtrements. Là où se querellent le froid et la nuit. Là où l'on dévalise les heures pour en extraire le plus vif – et le plus précieux. Ce que l'âme et l'os portent caché en leurs profondeurs – jusqu'au plus secret de leur moelle...
Ni corps ni dimension. Une présence à l'incomparable envergure. La plus haute marche des sommets. Le plus étrange faîte du monde, ouvert – et accessible – à tous les escaliers des profondeurs – à toutes les routes serpentant sous les horizons – à toutes les impasses et à toutes les aires des pires, et plus dramatiques, en-bas...
La gloire de toutes les solitudes. La célébration du plus invisible caché au fond de la chair. La passerelle de toutes les âmes. Le secret passage du plus subtil qui sommeille derrière les désirs les plus grossiers...
Ni acte ni volonté. Pas même un rétrécissement du temps. Ce qu'abritent le plus simple du geste et la parole surgie du silence. Cette joie d'aller vers le plus nécessaire – l'inexorable...
Ni doute ni sursaut. Ni balancement ni hésitation. Le pur jaillissement. Comme une flèche de lumière décochée par l'innocence et la nécessité des circonstances...
Ni page ni poète. Une parole née des origines. Venue du plus loin de l'âme pour effleurer le moins frustre de l'homme – cette flamme qui brille au dedans de tout...
L'inaltérable. Comme la clarté à venir des eaux boueuses. La forme des vasques, des bouches et des amphores. Et jusqu'au plus nauséabond des marécages. La source, la pluie et la rosée. Et la forme prochaine des nuages. Et jusqu'à la dernière goutte des flaques asséchées. Le plus précieux de la vie qui nous anime – et que nous habitons...
Le plus impérissable des bagages. Ce que l'on ne peut ôter ni aux bêtes ni aux hommes. Leur vrai visage qui patiente au dedans de l'âme. Le ciel et les océans réunis. Ce qu'il reste lorsque tout a été perdu, jeté et abandonné aux ruisseaux que forme la pluie pendant l'orage...
Ni joie ni silence. Le plus haut degré de la lumière. L'étreinte la plus juste – et la plus déterminante. Ce qui sans cesse nous anime et nous traverse. Le plus brûlant du soleil qui s'approche à pas lents. La gloire et l'éphémère parvenus à leur faîte. La célébration de toutes les tempêtes. Le mariage insensé du vent, du ciel et de la chair. L'appel de toutes les voix. La clé éminemment précieuse de l'inhabitable...
Le plus secret de la lumière. Et le pire du monde que nous ne pourrons éviter peut-être...
Ni étoile ni sourire. Ni peine ni obscurité. L'authenticité comme seule exigence. Le moins précis du ciel. L'infini sans tourment...
Quelques larmes peut-être avant de mourir. Le signe d'un cœur transpercé – ému par ces retrouvailles. Comme le nom des morts inscrit sur la pierre blanche...
Comme un feu sur un visage endormi où butineraient quelques abeilles. Comme la fin du jour – et le crépuscule dédicaçant ses heures – et ses feuillets – à la lumière de la lune qui se reflète sur la table et le bord des horizons...
Ni tendresse ni dureté. Ce que nous portons comme un effroi – et qui s'avère pourtant le plus joyeux de l'impersonnel...
Ni soif ni insulte. Le plus beau du silence...
Comme un oiseau tombé du nid que les anges emportent au loin – là où ne brille qu'un seul soleil. Là où la nuit s'est dissipée – bien au delà des étoiles...
Comme une page muette – blanche – immaculée – et une neige sans trace. Plus haut que toutes les cimes – et plus prometteur que l'espoir. Notre bouche hurlant son silence. Comme une fenêtre éclairée par ce qui nous brûle le plus intensément...
Comme l'herbe piétinée par un colosse. Comme l'or offert par la rosée. Comme la grimace malicieuse des Dieux. Notre plus vieux testament...
La venue de toutes les aubes. Leur entrée fracassante dans notre âme si familière des plus sombres crépuscules. Comme une main arrachée à la piqûre de l'ortie – et à l'épine du plus ardent chardon – pour la délicatesse du coquelicot...
Un jour, un siècle. Un instant d'éternité à chaque heure abandonnée – livrée à elle-même et à la rectitude des horizons. La plus belle offrande du destin...
Comme une brèche dans l'horizon, ouverte par les vents. Et notre instinct muselé par la peur. Comme la crainte de la fascination qui peuple nos veines. Et le cœur sensible circulant sous notre incompréhension...
Comme le plus imprévisible du hasard jeté hors d'atteinte par la plus évidente certitude. Et le sort de la langue scellé par le silence. Le savoir le plus hébété...
Entre la paix et l'inquiétude peut-être... Comme un nid inachevé. Une compréhension récente. Et un cœur si malhabile encore...
Ce que l'on ramasse sur les chemins de pierres ; quelques peines, la solitude et le grand désarroi, l'absence bordée de malheurs, les pièges (inévitables) du monde, l'attente insensée de l'Autre. Les rêves comme défi à la gravité et l'usure du corps. Toutes nos défaillances...
Comme l'or de toutes les alliances et de la nudité. Le temps hors jeu. Le pillage des heures. Toutes les douleurs du monde. Et le fourvoiement des pas...
Comme un sursaut. Une chance offerte à l'immonde – à cette désolation qui enchaîne les os et ajourne les retrouvailles. Le plus périssable des gestes. Ce qui nous parcourt sans nous briser. Tout ce qui nous porte à la réconciliation...
Ni rite ni force. La plus fébrile des torpeurs. Comme une fièvre – un soleil – étreignant notre trajectoire. La pauvreté la plus enviable. Le terreau de l'impossible...
On cherche encore pour échapper peut-être à ce destin de roi. Pour nous complaire encore un peu dans le sortilège – la malédiction de l'âme. Pour réunir nos frayeurs et les offrir à la mendicité de l'Autre – à l'indigence, incurable, du monde. Comme un visage – un pauvre visage – dans la foule des visages. En attente d'un effondrement qui ne viendra pas, ou plus tard, lorsque la mort aura réuni les conditions du silence...
Au détour d'un regard, l'amenuisement des forces. Et l'anéantissement des rêves. L'abandon qui s'avance parmi tous les refus. La capitulation tant redoutée comme délivrance. La fin des guerres, des luttes et des batailles. La fin des affrontements et des confrontations. La lente – et irréversible – transformation du face-à-face en accueil. La puissance au bout de tous les élans et de toutes les ardeurs...
Ni ce qui meurt, ni ce qui s'attend. Le plus fragile parmi les peurs. Le plus indicible de la joie...
Seul encore face à la mer, au bout de cette jetée dont on ne revient pas. Comme un adieu, interminable, à ce qui nous aura éloigné de l'océan – cet autre Amour de la terre – cette couleur du monde à présent dégagée de toute tristesse...
Et ce silence derrière l'attente. L'infini du désir comme une digue parfois infranchissable. La beauté et l'effondrement...
Ni rideau ni lumière. La place nette, défaite de tous les rêves. Et la fraîche caresse du vent...
A vif et pour soi seul, quelques mots que l'on prononce pour l'enfant à naître – et le monde juché sur ses épaules...
Fragments contemplatifs sans exigence de loyauté...
Le plus invisible, sans doute, du chemin...
Un peu de sève. Un peu de rêve. Un peu de jour aux lèvres malgré le sang et le silence. Et cette voix qui serpente entre les âmes et les objets cherchant sans doute son socle – une invitation – pour échapper à la nuit...
Comme le tressaillement d'un visage qu'une main caresse. Comme la mort esquissée sur tous les destins. Comme l'eau, rompue à tous les paysages, qui coule et s'éloigne de sa source pour mieux la retrouver...
Au bout du doigt – au bout du jour, ce réveil que nous n'attendions plus. Cette aurore qui aura gagné toutes les rives. Cette lumière qui, à présent, éclabousse le monde...
Comme une pluie – comme un désastre – venu(e) ensemencer les pierres. Comme une larme de joie coulant sur la terre. Comme le dernier écho d'une parole. Le prix, peut-être, de l'inabordable...
Quelques syllabes pour rappeler au regard l'absence des visages. L'enfouissement des jours et de la parole. Le repos nécessaire du silence...
Indéfiniment la présence. Ce qui gît derrière la nuit et les images. Ce qui emplit l'âme et la tête – le corps et le cœur – l'abandon franchi. Le dedans et le dessous du monde et de toute chose. Ce qui ne peut disparaître. Ce qui ne peut mourir lorsque tout a disparu...
Ce qui nous entrave et ce qui nous libère. La continuité de tout mouvement. Le bout des pas. Le fond de toute brutalité. Le vent et le silence au delà des murs – et au delà des falaises. La surface qui creuse son sillon. Ce qui brûle encore après les cendres. Le recommencement de tous les printemps...
Comme une aile noire porteuse de lumière. Un cri inaudible dans le silence. Le plus tendre des jours. Le ravissement qui embrase l'âme. Le baiser des amants sur leurs draps de sable. Les pierres du chemin où dansent toutes les nuits. La promesse de l'oubli. Et l'envol enfin devenu possible...
Ni sol ni silence. Ce qui nous hante après la pluie. Ce qui guérit le sang et les blessures. La marche lente de l'âme affaiblie. Le feu caché derrière les rêves. Ce que nul ne peut meurtrir...
Ni route ni barrage. Le chemin, la chaise et la maison. Ce qui nous entoure et nous encombre. Ce que nous abandonnons au silence. La parole au fond de l'âme que Dieu seul entend. Toutes nos foulées et toutes nos expressions. Le plus doux de notre agonie...
Ce que nous ne pouvons serrer dans nos bras. Ce qui se tient au cœur de tout. Le lieu – le centre – de tous les nulle part. La clé suspendue au cou de toutes les âmes. Ce que nous piétinons sans cesse ni vergogne. Le défilé triste des jours. Et l'aube prochaine qui arrive...
Le plus amoureux du silence. Ce que ni nos yeux ni nos mains ne peuvent déterrer. Ce qui accompagne tous nos détours. Les plus belles floraisons du ciel...
Et la nuit, peut-être, la plus infranchissable...
Le jour encore qui s'étire pour que jamais n'arrive le soir. Pour que demeure, toujours, cette aurore éternelle...
Ni adieu ni mouchoir. Ni ailleurs ni plus loin. Le seuil de toutes les portes. Ce qui nous attend à chaque rencontre. Le secret des circonstances. Les plus doux visages du cortège. Ce qui nous éloigne de la procession des malheurs...
Ni terre ni glace. Ce que révèle la poussière. Ce que nous montre le doigt pointé vers la lune. La neige et le temps. La chambre de tous les délices. Ce que jamais ne parviendra à soulever notre cœur...
Ce que nous apercevons derrière les vitres de la nuit. Derrière le ciel noir et les étoiles qui embrument l'âme et les pas. Les vents libres des querelles, de l'espace et des reliefs. Et l'éclat rouge, si incandescent, du soleil...
Le chant de l'oiseau. Le murmure des saisons. La simplicité des jours. Et le cœur chaviré de silence. Comme les signes de notre présence sur terre. Le secret de tous les Dieux parmi les visages...
Ni souffrance ni humiliation. Le plus digne de l'humilité. La profondeur du regard sur l'infini. Et les merveilles du monde suffocant encore dans leur gangue de chair...
Ni dogme ni croyance. Ni livre ni parole. Le socle de toutes les libertés. Une présence sans bassesse ni arrière-pensée. La joie et la nécessité du geste. L'infini de la main sur l'horizon. Le plus rare des visages. La fine pointe de l'âme. L'offrande des sages parmi les hommes. Le présent le plus admirable offert à la terre. La grande espérance du monde. Et sa plus belle possibilité. Ce que nous aimerions tous être – et recevoir...
Ce que révèle le cœur de toute absence. L'inconnu des jours que nous cachaient nos habitudes...
Des pages blanches offertes aux Dieux qui y déposent quelques signes. L'évidence – et la preuve – de notre présence. Le mariage insensé, mais prometteur, de l'invisible et de la chair. Le plus favorable du destin...
Ni rôle ni posture. L'âme innocente ouverte aux circonstances. La bouche aimante, la main et le monde reliés – et réunis – par les fils presque magiques de ce qui ne peut être détruit... Le sang et les visages de la terre manœuvrés par l'ardeur – et la sagesse – du silence...
Et l'or des visages, peut-être, offert à notre curiosité...
Au dedans des yeux ouverts, l'intérieur du gouffre où sont arrachés les mensonges et l'illusion. Toutes nos complaisances. Là où tout est broyé ; souffrance et rejet. Là où la solitude perd son effroi...
Ni cécité ni aveuglement. Le plus nu de la lumière. Ce que les limbes – la clarté, si vive, des limbes – nous cachent encore...
Vivant parmi la cendre. Au cœur d'un feu sans fin...
Ni prière ni imploration. L'attente patiente de ce qui, peut-être, ne viendra jamais...
Ni eau ni soif. Ce qui arrive avec la première heure. Cette marge entre le désir et le souvenir. Ce qui mène à la lumière – et, parfois, à l'écriture...
Ni labeur ni besogne. La suite naturelle des pas. La fin de tout orgueil. Ce que dessine la lumière avec nos ombres. L'invisible du tableau. Le silence du poème. Ce dont nul ne peut être l'initiateur...
Au plus proche et au plus lointain. Ce que nous ignorons avec le plus de ferveur. Et ce que nous épions sur tous les visages. Un trait inoubliable d'intelligence. La parole vive d'un Amour. Une sensibilité sans exigence...
Ni baume ni déchirure. La plus parfaite complétude. L'Amour et la joie sans honte. Un sourire – et des lèvres – sans visage. Le plus accueillant de l'âme et de la main. Notre seul désir peut-être...
L'élucidation des mystères. La fin de toutes les questions. Le prix de l'innocence. Et tout ce que nous aura ôté notre quête. La destination de tout voyage. Et l'ultime étape infiniment recommencée...
Les promesses de toute fissure et de tout délabrement. Le fond de l'eau où nos barques – toutes nos barques – ont coulé. Notre origine la plus lacustre. Ce qui existe avant la naissance des larmes – et avant même la naissance de l'eau. Ce que nous ne pouvons imaginer. Toutes les embarcations des destins. La fin de toutes les errances et de toutes les expéditions...
Ni support ni possession. Ce que nous laisse la furie des vents. La plus haute nudité...
La route et le pont. Le plus beau rêve. La plage et l'océan. Tout ce qui invite au voyage. Le vent, les marées et les courants. Ce qui se cache derrière le miroir – et le reflet des visages. Ce que nous n'avons encore jamais osé traverser...
Un îlot – une lumière dans les eaux de la nuit...
Les lignes et les mains du poète. Celles qui éclairent et saluent. Celles qui étreignent – et invitent à l'écoute et aux caresses. Celles qui frappent les murs pour que résonne plus fort l'écho. Celles qui peut-être, ne sait-on jamais, pourraient sauver le monde en déblayant ses frontières pour offrir cette lumière dont nous avons tant besoin...
Ce qui demeure et ce qui surgit. Ce qui habite le fond de l'âme et des étoiles. Ce qui apparaît après avoir façonné les gangues de glaise – et ce qu'elles portent en leurs profondeurs. Ce dont ni les hommes ni le monde ne peuvent se passer...
Ce qui monte des pierres aux nuages. Ce qui dévale toutes les pentes. La cime des arbres et le faîte des montagnes. Ce que contiennent les rêves et la pluie. Le plus semblable à notre portée...
Ce qui passe – et ce qui traîne lorsque l'on se morfond sous les nuages. L'imprescriptible...
Ni plaine ni clôture. Ce qui pousse sur les plus humbles pâturages. La fenêtre où se dessinent tous les possibles. Ce que nous n'enfouissons jamais dans les tombes...
Comme un bouquet de rumeurs et d'innocences tombé par mégarde. Et qui patiente pendant des siècles en guettant l’arrivée des passants sans prétention qui le transformeront en silence avant de le jeter aux mains si fébriles des foules...
La mémoire et les paysages. Les songes et l'oubli. Ce que dissimule notre affairement. Nos mains cisaillées par l'infortune. La patience des pierres. La terre gavée de corps, morts au dedans et vivants à la surface. Ce que Dieu nous a chuchoté avant notre naissance – et que nous avons oublié, bien sûr... Et nos fouilles frénétiques et hasardeuses pour le dénicher parmi les malheurs et les débris...
Au plus bas de l'âme et au plus haut de ce que la main peut atteindre. Les boulets et les faïences. Notre âge le plus enfoui. Là où le regard s'abîme en attente. Là où finissent l'espace et la mémoire. Au creux du moindre désir. Parmi les traits du plus simple et les plus humbles visages...
L'être et l'ombre qui tournoient. Sur la terre où tout s'amoncelle et se soustrait. Les fables, les mythes et l'azur. Nos plus beaux renoncements...
Là où l'univers et les rythmes questionnent. Là où ils insinuent le doute. Au plus proche de nos lèvres. Ce que l'âme finira, un jour, par découvrir...
L'espace – et l'infini – dénués de rêves. Là où tout se dérobe. Là où s'affichent, concentrés, les âmes et le monde libérés de leur pesanteur. Au centre de tous les univers...
Quelques travaux sur la lumière pour dire le plus court chemin de l'âme vers la prière. Le pas qui offrirait à l'homme son salut – et toutes les grâces de sa naissance. Ce qui nous fait si cruellement défaut...
Comme un puits intarissable où toutes les âmes pourraient (enfin) venir s'abreuver...
Pour que le monde retrouve ce que nous avons de plus précieux. Notre plus commun visage – caché derrière les traits les plus grossiers et les plus vils – et serviles – sourires. Celui qui rêve d'être découvert – et libéré de cette tristesse – de tous les malheurs des hommes et de la terre...