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LES CARNETS METAPHYSIQUES & SPIRITUELS

A propos

La quête de sens
Le passage vers l’impersonnel
L’exploration de l’être

L’intégration à la présence


Carnet n°1
L’innocence bafouée

Récit / 1997 / La quête de sens

Carnet n°2
Le naïf

Fiction / 1998 / La quête de sens

Carnet n°3
Une traversée du monde

Journal / 1999 / La quête de sens

Carnet n°4
Le marionnettiste

Fiction / 2000 / La quête de sens

Carnet n°5
Un Robinson moderne

Récit / 2001 / La quête de sens

Carnet n°6
Une chienne de vie

Fiction jeunesse / 2002/ Hors catégorie

Carnet n°7
Pensées vagabondes

Recueil / 2003 / La quête de sens

Carnet n°8
Le voyage clandestin

Récit jeunesse / 2004 / Hors catégorie

Carnet n°9
Le petit chercheur Livre 1

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°10
Le petit chercheur Livre 2

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°11 
Le petit chercheur Livre 3

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°12
Autoportrait aux visages

Récit / 2005 / La quête de sens

Carnet n°13
Quêteur de sens

Recueil / 2005 / La quête de sens

Carnet n°14
Enchaînements

Récit / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°15
Regards croisés

Pensées et photographies / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°16
Traversée commune Intro

Livre expérimental / 2007 / La quête de sens

Carnet n°17
Traversée commune Livre 1

Récit / 2007 / La quête de sens

Carnet n°18
Traversée commune Livre 2

Fiction / 2007/ La quête de sens

Carnet n°19
Traversée commune Livre 3

Récit & fiction / 2007 / La quête de sens

Carnet n°20
Traversée commune Livre 4

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°21
Traversée commune Livre 5

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°22
Traversée commune Livre 6

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°23
Traversée commune Livre 7

Poésie / 2007 / La quête de sens

Carnet n°24
Traversée commune Livre 8

Pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°25
Traversée commune Livre 9

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°26
Traversée commune Livre 10

Guides & synthèse / 2007 / La quête de sens

Carnet n°27
Au seuil de la mi-saison

Journal / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°28
L'Homme-pagaille

Récit / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°29
Saisons souterraines

Journal poétique / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°30
Au terme de l'exil provisoire

Journal / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°31
Fouille hagarde

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°32
A la croisée des nuits

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°33
Les ailes du monde si lourdes

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°34
Pilori

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°35
Ecorce blanche

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°36
Ascèse du vide

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°37
Journal de rupture

Journal / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°38
Elle et moi – poésies pour elle

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°39
Préliminaires et prémices

Journal / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°40
Sous la cognée du vent

Journal poétique / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°41
Empreintes – corps écrits

Poésie et peintures / 2010 / Hors catégorie

Carnet n°42
Entre la lumière

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°43
Au seuil de l'azur

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°44
Une parole brute

Journal poétique / 2012 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°45
Chemin(s)

Recueil / 2013 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°46
L'être et le rien

Journal / 2013 / L’exploration de l’être

Carnet n°47
Simplement

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°48
Notes du haut et du bas

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°49
Un homme simple et sage

Récit / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°50
Quelques mots

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°51
Journal fragmenté

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°52
Réflexions et confidences

Journal / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°53
Le grand saladier

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°54
Ô mon âme

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°55
Le ciel nu

Recueil / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°56
L'infini en soi 

Recueil / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°57
L'office naturel

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°58
Le nuage, l’arbre et le silence

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°59
Entre nous

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°60
La conscience et l'Existant

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°61
La conscience et l'Existant Intro

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°62
La conscience et l'Existant 1 à 5

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°63
La conscience et l'Existant 6

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°64
La conscience et l'Existant 6 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°65
La conscience et l'Existant 6 (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°66
La conscience et l'Existant 7

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°67
La conscience et l'Existant 7 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°68
La conscience et l'Existant 8 et 9

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°69
La conscience et l'Existant (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°70
Notes sensibles

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°71
Notes du ciel et de la terre

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°72
Fulminations et anecdotes...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°73
L'azur et l'horizon

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°74
Paroles pour soi

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°75
Pensées sur soi, le regard...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°76
Hommes, anges et démons

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°77
La sente étroite...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°78
Le fou des collines...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°79
Intimités et réflexions...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°80
Le gris de l'âme derrière la joie

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°81
Pensées et réflexions pour soi

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°82
La peur du silence

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°83
Des bruits aux oreilles sages

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°84
Un timide retour au monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°85
Passagers du monde...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°86
Au plus proche du silence

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°87
Être en ce monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°88
L'homme-regard

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°89
Passant éphémère

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°90
Sur le chemin des jours

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°91
Dans le sillon des feuilles mortes

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°92
La joie et la lumière

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°93
Inclinaisons et épanchements...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°94
Bribes de portrait(s)...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°95
Petites choses

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°96
La lumière, l’infini, le silence...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°97
Penchants et résidus naturels...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°98
La poésie, la joie, la tristesse...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°99
Le soleil se moque bien...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°100
Si proche du paradis

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°101
Il n’y a de hasardeux chemin

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°102
La fragilité des fleurs

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°103
Visage(s)

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°104
Le monde, le poète et l’animal

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°105
Petit état des lieux de l’être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°106
Lumière, visages et tressaillements

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°107
La lumière encore...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°108
Sur la terre, le soleil déjà

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°109
Et la parole, aussi, est douce...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°110
Une parole, un silence...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°111
Le silence, la parole...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°112
Une vérité, un songe peut-être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°113
Silence et causeries

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°114
Un peu de vie, un peu de monde...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°115
Encore un peu de désespérance

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°116
La tâche du monde, du sage...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°117
Dire ce que nous sommes...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°118
Ce que nous sommes – encore...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°119
Entre les étoiles et la lumière

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°120
Joies et tristesses verticales

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°121
Du bruit, des âmes et du silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°122
Encore un peu de tout...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°123
L’amour et les ténèbres

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°124
Le feu, la cendre et l’infortune

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°125
Le tragique des jours et le silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°126
Mille fois déjà peut-être...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°127
L’âme, les pierres, la chair...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°128
De l’or dans la boue

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°129
Quelques jours et l’éternité

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°130
Vivant comme si...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°131
La tristesse et la mort

Récit / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°132
Ce feu au fond de l’âme

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°133
Visage(s) commun(s)

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°134
Au bord de l'impersonnel

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°135
Aux portes de la nuit et du silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°136
Entre le rêve et l'absence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°137
Nous autres, hier et aujourd'hui

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°138
Parenthèse, le temps d'un retour...

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°139 
Au loin, je vois les hommes...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°140
L'étrange labeur de l'âme

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°141
Aux fenêtres de l'âme

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°142
L'âme du monde

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°143
Le temps, le monde, le silence...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°144
Obstination(s)

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°145
L'âme, la prière et le silence

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°146
Envolées

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°147
Au fond

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°148
Le réel et l'éphémère

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°149
Destin et illusion

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°150
L'époque, les siècles et l'atemporel

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°151
En somme...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°152
Passage(s)

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°153
Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°154
A quoi bon...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°155
Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°156
L'autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°157
La beauté, le silence, le plus simple...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°158
Et, aujourd'hui, tout revient encore...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°159
Tout - de l'autre côté

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°160
Au milieu du monde...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°161
Sourire en silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°162
Nous et les autres - encore

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°163
L'illusion, l'invisible et l'infranchissable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°164
Le monde et le poète - peut-être...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°165
Rejoindre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°166
A regarder le monde

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°167
Alternance et continuité

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°168
Fragments ordinaires

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°169
Reliquats et éclaboussures

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°170
Sur le plus lointain versant...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°171
Au-dehors comme au-dedans

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°172
Matière d'éveil - matière du monde

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°173
Lignes de démarcation

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°174
Jeux d'incomplétude

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°175
Exprimer l'impossible

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°176
De larmes, d'enfance et de fleurs

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°177
Coeur blessé, coeur ouvert, coeur vivant

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°178
Cercles superposés

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°179
Tournants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°180
Le jeu des Dieux et des vivants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°181
Routes, élans et pénétrations

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°182
Elans et miracle

Journal poétique / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°183
D'un temps à l'autre

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°184
Quelque part au-dessus du néant...

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°185
Toujours - quelque chose du monde

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°186
Aube et horizon

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°187
L'épaisseur de la trame

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°188
Dans le même creuset

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°189
Notes journalières

Carnet n°190
Notes de la vacuité

Carnet n°191
Notes journalières

Carnet n°192
Notes de la vacuité

Carnet n°193
Notes journalières

Carnet n°194
Notes de la vacuité

Carnet n°195
Notes journalières

Carnet n°196
Notes de la vacuité

Carnet n°197
Notes journalières

Carnet n°198
Notes de la vacuité

Carnet n°199
Notes journalières

Carnet n°200
Notes de la vacuité

Carnet n°201
Notes journalières

Carnet n°202
Notes de la route

Carnet n°203
Notes journalières

Carnet n°204
Notes de voyage

Carnet n°205
Notes journalières

Carnet n°206
Notes du monde

Carnet n°207
Notes journalières

Carnet n°208
Notes sans titre

Carnet n°209
Notes journalières

Carnet n°210
Notes sans titre

Carnet n°211
Notes journalières

Carnet n°212
Notes sans titre

Carnet n°213
Notes journalières

Carnet n°214
Notes sans titre

Carnet n°215
Notes journalières

Carnet n°216
Notes sans titre

Carnet n°217
Notes journalières

Carnet n°218
Notes sans titre

Carnet n°219
Notes journalières

Carnet n°220
Notes sans titre

Carnet n°221
Notes journalières

Carnet n°222
Notes sans titre

Carnet n°223
Notes journalières

Carnet n°224
Notes sans titre

Carnet n°225

Carnet n°226

Carnet n°227

Carnet n°228

Carnet n°229

Carnet n°230

Carnet n°231

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Carnet n°233

Carnet n°234

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Au jour le jour

Octobre 2020

Carnet n°264
Au jour le jour

Novembre 2020

Carnet n°265
Au jour le jour

Décembre 2020

Carnet n°266
Au jour le jour

Janvier 2021

Carnet n°267
Au jour le jour

Février 2021

Carnet n°268
Au jour le jour

Mars 2021

Carnet n°269
Au jour le jour

Avril 2021

Carnet n°270
Au jour le jour

Mai 2021

Carnet n°271
Au jour le jour

Juin 2021

Carnet n°272
Au jour le jour

Juillet 2021

Carnet n°273
Au jour le jour

Août 2021

Carnet n°274
Au jour le jour

Septembre 2021

Carnet n°275
Au jour le jour

Octobre 2021

Carnet n°276
Au jour le jour

Novembre 2021

Carnet n°277
Au jour le jour

Décembre 2021

Carnet n°278
Au jour le jour

Janvier 2022

Carnet n°279
Au jour le jour

Février 2022

Carnet n°280
Au jour le jour

Mars 2022

Carnet n°281
Au jour le jour

Avril 2022

Carnet n°282
Au jour le jour

Mai 2022

Carnet n°283
Au jour le jour

Juin 2022

Carnet n°284
Au jour le jour

Juillet 2022

Carnet n°285
Au jour le jour

Août 2022

Carnet n°286
Au jour le jour

Septembre 2022

Carnet n°287
Au jour le jour

Octobre 2022

Carnet n°288
Au jour le jour

Novembre 2022

Carnet n°289
Au jour le jour

Décembre 2022

Carnet n°290
Au jour le jour

Février 2023

Carnet n°291
Au jour le jour

Mars 2023

Carnet n°292
Au jour le jour

Avril 2023

Carnet n°293
Au jour le jour

Mai 2023

Carnet n°294
Au jour le jour

Juin 2023

Carnet n°295
Nomade des bois (part 1)

Juillet 2023

Carnet n°296
Nomade des bois (part 2)

Juillet 2023

Carnet n°297
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31 décembre 2017

Carnet n°133 Visage(s) commun(s)

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Une main à l’horizon que le désarroi rattrapera un jour. Et ce soleil immense au milieu du regard. Et ces chemins – ces mille chemins – entrecroisés où les âmes se mêlent à l’automne, aux chants des pierres et à la ronde folle des feuilles qui ont parcouru l’Amour en une seule saison. Comme si chaque désir annonçait déjà le silence...

Et cette beauté sur chaque visage. Et cette lumière au cœur des circonstances. Comme si les soucis et la tristesse n’étaient que l’apparence du monde. Des guirlandes noires – un mince rideau d’infortune – qui voilent le miracle de vivre et le silence – et cette joie au milieu des visages et des circonstances...

 

 

Et cette couleur hivernale qui s’immisce dans les bruissements de la chair et les frémissements de l’âme. Comme si la blancheur était notre seule raison de vivre – et de croire (encore) au silence...

D’autres couleurs existent peut-être après la mort – que nous ne connaissons pas – et qui repeindront, à l’instant venu, ce qui remplacera le cœur – et ses battements anciens qui ensorcelèrent quelques visages et terrifièrent le monde – à juste raison...

Et bientôt, nous verrons, appuyés contre cet étrange regard, les âmes et les cœurs par millions chercher et se perdre dans la brume – allant, d’un pas hésitant, pour retrouver la beauté – et la certitude – de la neige...

 

 

Le blanc, le noir et le gris. Le rouge, la tristesse et la mort. Et cette invention de la terreur devant l’invisible. Et ces âmes – toutes ces âmes, si transparentes, étonnées de ne rien voir... Comment pourraient-elles deviner l’innocence du monde devant ces traces de vie si sanglantes – et ces songes macabres aux reflets dorés – qui cachaient, sans doute, des rêves moins funestes...

 

 

Personne à notre table. Quelques visages passagers – presque inconnus. Et leurs paroles – et leurs sourires – et leurs désirs – (presque) incompréhensibles. Et quelques rêves aussi pour supporter la solitude. Et cette présence parmi nous insoupçonnée par tous...

 

 

Fantômes vivaces au visage fugace et martial – et à l’âme si enfantine – cherchant leur destin parmi les pierres – entre les songes et les visages. Et le rêve d’un autre monde peut-être. Et celui de l’innocence aussi – enseveli au fond des ombres et de la peur – et qui sourit à ceux qui osent affronter tous les reflets du miroir...

 

 

Mains jointes ou bras en croix, agenouillés devant les visages – atroces et innocents. Gestes liés à tous les instincts. Armés d’outils piochés, presque au hasard, dans l’arsenal des fous. Balbutiant quelques paroles. Offrant quelques excuses (de vagues prétextes en vérité) aux mille victimes et aux mille bourreaux de l’assemblée. Murmurant une prière (quelques prières parfois) et se cachant derrière leurs doigts mutilés – recroquevillés sur leur maigre recours et leur pauvre assise. Cantonnés au plus haut degré de la solitude. Regardant partout sans rien voir. Ni les intentions ni les âmes. Refusant l’évidence – toute grâce – et les invitations du silence. Ne sachant ni vivre ni aimer. Ni mourir ni s’abandonner. Et vivant malgré tout – avec cette tristesse au fond de l’âme que rien – ni personne – ne pourra consoler...

 

 

Qui sait regarder les infinies couleurs du silence – et y plonger corps et âme...

 

 

Aux sombres mélanges de couleurs répond toujours l’éternelle transparence du silence. Comme le seul miroir du monde et des âmes. Comme l’unique possibilité d’accéder à la lumière au-delà des apparences...

 

 

Notre main partout qui s’empare, frappe et caresse. Les visages, les corps, les âmes. Le monde et la terre – leurs trésors et leurs merveilles (et leurs rebellions aussi parfois). L’or et les désirs plus que tout. Et jusqu’aux souvenirs cachés au grenier. Et jusqu’au silence même qui jamais ne se laisse attraper...

 

 

Un feu sur les pierres dont les flammes éclairent les visages. Et le doute qui creuse – qui s’approfondit et s’insinue plus loin – jusqu’au lieu de toutes les évidences qui nous fera aimer le feu, les pierres, les flammes et les visages – et jusqu’à leurs ombres qui nous ont toujours effrayés...

 

 

Un œil, un cœur et mille champs de bataille où faire frémir la peur, vaincre la violence et faire fleurir l’Amour...

 

 

La terre, mille choses. Et autant de ruines, souillées de rêves, promises au silence...

 

 

Là où danse et virevolte l’écume, au milieu du désir qui partout édifie ses cathédrales. Et jusqu’au cœur de la chambre où nous attendrons la mort avec les lèvres balbutiant encore leur soif. Comme si l’océan, toujours, était hors de portée...

 

 

Et nous circulons – avançons et reculons – montons et descendons – sans même savoir ce qui nous agite – et ce que nos mains et nos âmes, si affreusement gesticulantes, cherchent au-dedans de cette nuit posée entre les rives et le silence...

 

 

Et nous voilà (tout) fourbus au milieu de notre âge avec cette chair vieillissante – et si frémissante encore. Et ce regard frais et neuf – rieur toujours – si étonné de voir les prières non exaucées et cette décrépitude dans un coin du miroir. Et cette nuit sans cesse recommencée. Et cet invisible si prompt à se cacher toujours plus loin, fuyant cette main fatiguée qui se tend – à l’infini – pour le saisir. Et ce silence des jours sans visage. Et cet Amour – et cette éternité – que notre voix appelle encore...

 

 

Et le désir qui façonne le monde – et dont le chant pourtant, ne rêve que de silence. Comme si l’impossible ne pouvait arriver. Comme si nous nous heurtions toujours au mur de l’impensable...

 

 

On n’apprend – et n’enseigne – que ce qui voile la vérité. On ne peut atteindre la lumière et le silence que dans l’absence totale de savoir...

 

 

Une joie sensible dans l’évidence du jour. A la verticale du plus commun. Comme la mort permanente parmi nous qui frappe à toutes les portes...

 

 

Et ces longues journées qui s’étirent au-dedans de la nuit. Comme de la sueur au milieu du noir. Et au cœur du noir, cette flamme somnolente, presque éteinte, qui espère encore – et qui ne rêve que du plus haut soleil lorsque les âmes quitteront l’obscurité et les ténèbres – lorsque ces longues journées pourront enfin s’étirer au-delà de la nuit...

 

 

Les larmes – et la pluie noire de l’âme. Comme le signe évident d’une tristesse – et d’abysses peut-être infranchissables. Et la preuve, sans doute, d’une sensibilité vive qui s’étonne de ce monde invivable – et ne peut souffrir ses horreurs – ni l’absence que les hommes creusent de leurs mains ignares et laborieuses...

 

 

Et ce silence, si prometteur, qui s’invite dans l’exil du monde – la réclusion au-dehors de toute frontière – lorsque l’âme s’abandonne à l’impossibilité des vivants...

 

 

La joie, le silence et la folle espièglerie du sage. Comme une présence douée d’Amour et de vie. Vouée à toutes leurs couleurs, à toutes leurs exigences et à toutes leurs malices. Et libre de toute image et de toute pensée – de tout visage et de toute convention – allant, immobile, sur les chemins. Hors du monde et si présent au monde. Offrant, avec humilité et effacement, sa vie, son rire et ses larmes – et quelques paroles parfois – mais le plus souvent, un simple regard et la justesse de ses gestes – dans la pure gratuité de la rencontre... Comme un miroir nu – dépouillé – révélant exactement ce qu’il convient...

 

 

Et dans cette brume – cette mystérieuse brume terrestre – le jour apparaît déjà entre les barreaux des rêves et les visages impatients. Comme si les couleurs à l’intérieur (mille fois repeint déjà) indifféraient les âmes. Comme si, sans même le savoir, nous parlions depuis toujours au seul interlocuteur possible – à cette présence nécessaire pour traverser la solitude et l’interminable hiver du monde...

 

 

Et cette voix encore – si claire – dans le brouhaha. Comme une respiration – une vigie – dans notre poursuite acharnée des horizons. Comme une main tendue dans le noir. Un fil, incassable, nous reliant, par-delà les routes et les visages, à tous les silences présents depuis la première aube du monde...

 

 

L’ultime parfois tarde à venir comme si nos vies – comme si nos pas – n’en finissaient jamais de recommencer...

 

 

Nous pleurons – et mendions au souffle quelques instants supplémentaires au plus près de cette odeur de mort qui s’approche de notre visage. Et la vue de l’autre rive nous terrifie. Comment pourrions-nous nous satisfaire de ce bref séjour – et de cette attente d’un ailleurs impossible à comprendre depuis cette terre...

 

 

Serions-nous comme le poème abandonné sur la page – livrés à nous-mêmes et à l’absence de l’Autre... Comment pourrions-nous échapper à cette solitude – et la vaincre sans larmes et sans rage – et exister ainsi, sans rien savoir de notre si bref passage...

 

 

Et malgré la peur – la peur terrifiante – l’âme danse en équilibre sur le silence. Comme si le monde n’était qu’un rêve – et les visages qu’un miroir nécessaire...

Et dans cette ronde incessante des kermesses et des funérailles, on aperçoit des rires, haut dans la nuit, essayant de dissiper les peurs et les larmes. Et des pleurs juchés sur le sang et la mort. Et des hommes tristes oubliant le miracle de vivre, le buste penché sur leurs rêves – et tous les désastres de leur vie. Et des hommes joyeux, oubliant la permanence du funeste, attablés ensemble comme s’ils allaient échapper aux catastrophes et aux hécatombes. Et ce regard (enfin) qui se glisse partout sur les visages – au-dedans de la joie et de l’insouciance – au-dedans de l’espérance et de la mélancolie – pour nous inviter au silence au milieu de toutes ces danses un peu folles...

 

 

Debout parmi les fleurs. Tête offerte au ciel et au soleil. Et l’âme agenouillée dans la foule des humbles. Ainsi persiste en nous ce qui demeure – donnant à notre visage la couleur des circonstances...

 

 

Et cette parole qui perce ce que nous ne pouvons (encore) nommer – et qui surgit peut-être de ce silence ancestral (originel sans doute) pour dire notre joie d’être au monde et au cœur de la lumière sans rien comprendre – sans rien savoir ni de l’un ni de l’autre – et notre bonheur un peu hébété d’aller ainsi vers ce qui ne nous a jamais (vraiment) quittés et qui nous a (déjà) retrouvés. Comme si la naissance, l’existence et la mort n’étaient qu’un jeu pour les visages de l’infini – dont chacun ne serait qu’un reflet changeant voué à toutes les retrouvailles...

 

 

Et si la profondeur n’était que la surface du silence. Et s’il y avait d’autres mondes – d’autres âmes et d’autres terres – plongés sous l’écorce du temps et de l’éternité. Et qu’il nous faudrait les voir et les saluer – les rencontrer et les comprendre – pour percer toute l’épaisseur de notre visage commun – et pour nous rejoindre au point de tous les ralliements, en ce lieu qui, un jour, nous enfanta tous – et nous dispersa en nous enjoignant de nous retrouver pour la seule joie de nous chercher et de nous réunir – à la fois si identiques et si différents...

 

 

Nous vivons comme si nous étions un puzzle inachevé – et que tous nos visages en étaient les éléments – agencés patiemment (agencés inlassablement) par le silence qui, un jour, achèvera de les réunir pour que chacun puisse célébrer le Bien commun – cette joie éparpillée sur les lèvres de notre figure commune...

 

 

Notre marche, notre destin et notre visage semblent moins réels que le silence. Et c’est pourtant à partir – et au cœur – de cette forme d’irréalité qu’il nous faut rallier la vérité et l’inexplicable...

 

 

J’entends, au cœur des tombeaux, le chant un peu triste des âmes s’élever au-dessus des vivants. Perceptible jusqu’à la frontière de l’autre monde. Avant que le silence ne recouvre leurs plaintes – et les pleurs de ceux qui partiront un peu plus tard...

 

 

Que nous puissions tous regarder (regarder pleinement et profondément...) le monde et ce que chacun porte comme un éclat pour comprendre et remercier – et être capables d’aimer tous les visages qui viennent vers nous. Pour être capables de vivre, d’être et de participer de notre plein gré à l’ensemble que nous formons. Pour que nous n’ayons plus peur ni des jeux, ni des gestes – et que nous puissions apprivoiser tous les miroirs et tous les reflets afin de vivre ensemble et de célébrer, dans l’Amour et la joie, nos plus dignes (et permanentes) retrouvailles...

 

 

Qu’est-ce donc que cette chose qui persiste au fond de chaque visage – et au fond de chaque destin – par-delà les circonstances et la mort. Et qui demeure au cœur – et autour – du réel... Et si c’était cette puissance originelle, intacte toujours, unie secrètement au silence. Cette présence immobile – éternelle et lumineuse – que nous avons tant de mal à percevoir et à reconnaître. Et à laquelle nous ne pouvons encore nous abandonner pleinement...

 

 

Et ce monde qui n’est que l’excroissance de notre visage – et le reflet de notre âme. Comme si nous vivions, multiples, au-dedans de nous-mêmes. Prisonniers en quelque sorte du miroir et des apparences...

 

 

Des visages et des chants. Comme les éléments du même corps et de la même voix. Ceux de l’invisible et du silence, indemnes toujours du temps et de la marche du monde...

 

 

Il existe mille chemins – et mille manières de laisser le sublime nous pénétrer. Et qu’une façon de le rendre vivant : l’innocence et l’humilité de l’âme – ce lieu le plus tangible, et le plus palpitant, du silence...

 

 

Et l’ombre du monde qui nous pousse à la fuite ou au combat. Comme s’il n’y avait d’autres armes dans l’obscurité. Et cet instinct forcené qui nous fait entrer dans la danse – participer aux batailles funestes de cette terre – et nous adonner encore aux mille jeux de l’illusion...

 

 

Et, sans doute, devrons-nous marcher encore mille ans pour assécher notre soif – et dessiner les ailes de notre départ pour le cercle de l’invisible – ce lieu, en amont de toute racine, fréquenté par les innocents...

 

 

La terre. Et l’ordre (impitoyable) du monde. Et ces herbes – et ces arbres – et ces bêtes – indifférents au brouillard et à l’ignorance – et au destin que leur façonnent les hommes. Comme si, à leurs yeux, la vie et la mort n’avaient guère d'importance... Comme si être était bien suffisant pour supporter la violence et l’odeur de la charogne. Comme s’ils avaient su abandonner leur sort sans frémir (et sans fléchir) aux mains tenaces du hasard. Confiants en cette lumière – et en ce silence – qu’ils devinent, sans doute, derrière les sévices et l’extermination. Prêts à se livrer aux eaux tumultueuses de l’existence. Et à laisser l’Amour arriver à son rythme – qu’ils savent inféodé aux mille circonstances du monde et à leur lente pénétration des âmes...

 

 

L’âme et le monde comme une carte posée devant nos yeux. Et que nous déchiffrons avec peine comme si les apparences, toujours, nous voilaient le plus précieux...

 

 

Et les mille barrières – et les mille frontières – érigées par la violence et la peur ne pourront entraver notre désir d’innocence qui, un jour, les dissipera d’un seul regard. Et nous pourrons alors aller libres dans les mille restrictions de la terre – et ses mille interdits – parmi la foule aveugle et docile sans nous soucier des lois et de leurs chiens de garde intraitables...

 

 

Nous cherchons ce qui flotte dans les eaux profondes sans nous soucier de ce qui jamais ne pourra émerger à la surface. Comme si nous étions affublés d’une forme de cécité – d’un défaut (flagrant) de perspective...

 

 

Nous vivons dans les étroites limites de nos rêves. Dans les restrictions de notre aveuglement. Nous vivons entre des murs – et derrière des barreaux – sans voir (ni sentir) que l’infini partout en nous, révolté – surpuissant – au-dedans et au-dehors – n’aspire qu’à se débarrasser de toute frontière pour aller libre au-delà du connu – et rejoindre cette part en lui qui va depuis toujours, joyeuse et sans entrave, au cœur de tous les impossibles...

 

 

Des rêves fermés – sans écho – qui rebondissent dans le noir – et qui traversent nos têtes avant de se ficher dans le néant – rejoindre le silence dans ses profondeurs...

 

 

J’ignore peut-être ce que je sais – ce silence inscrit si profondément dans le silence... Comme une impossibilité à faire advenir le plus sacré à vivre. Comme une porte fermée au-dedans de nous – et que ni le hasard ni les vents ne réussiront à ouvrir...

 

 

Nous sommes inentendus. Et tous les visages se confondent. Comme si, en nous, la nuit faisait tournoyer les voix et les miroirs. Comme si nous ignorions que les ténèbres n’étaient que provisoires dans notre insatiable faim...

 

 

A la pointe des saisons, ce soleil à la verticale du regard – caressant les visages et dessinant sur les âmes le vol de l’oiseau. Comme un peu d’air pur dans l’atmosphère viciée du monde. Comme le seul refuge peut-être parmi tous ces rêves obscurs...

 

 

Les herbes fraîches du matin mélangées à la rosée et au brouillard. Et cette odeur de terre sortant des racines. Et ce ciel voilé par tant de rêves. Comme si nous imaginions la vie (et le monde) plutôt que les vivre...

 

 

Sans jour et sans lendemain. Abandonné au fond du puits – au fond des heures, interminables, qui passent et se ressemblent. Hésitant encore entre le rêve et la certitude. Comme si après ne pouvait attendre...

 

 

Nos vies comme un point abstrait dans l’irréalité du monde. Comme un vent léger au-dedans du souffle possible. Un soupir entre nos lèvres écarlates – bleuies à force d’attente. Comme un passage éclair dans la brume – entre l’herbe et le soleil. Et les funérailles bientôt qui scelleront le corps et la terre, le socle de marbre et la tombe et le retour implacable de l’âme et la nuit alentour – infranchissable...

 

 

Les yeux grands ouverts sur les abysses et les ténèbres. A contre-jour du ciel – de ce bleu infini qui transcende les limites – et perce l’épaisseur de notre soif. Comme si la nuit était notre mesure – et l’avidité notre seul obstacle...

 

 

Une promesse parmi les reflets – tous les reflets – du miroir. Comme une sphère de cristal (parfaite) qui obscurcirait davantage les ténèbres. Et mille esquives encore – et autant de rêves où l’ailleurs est préféré aux circonstances, si souvent dramatiques – et si souvent ennuyeuses. Comme une leçon jamais apprise – rabâchée pourtant depuis des siècles parmi les ombres, la cendre, les ruines et la mort. Assaillis – submergés – par cette ignorance magistrale où les apparences et les couleurs voilent toute possibilité de lumière. Ajournant ainsi la compréhension à des lendemains moins prometteurs...

 

 

Une main à l’horizon que le désarroi rattrapera un jour. Et ce soleil immense au milieu du regard. Et ces chemins – ces mille chemins – entrecroisés où les âmes se mêlent à l’automne, aux chants des pierres et à la ronde folle des feuilles qui ont parcouru l’Amour en une seule saison. Comme si chaque désir annonçait déjà le silence...

 

 

Et ces images – ces mille images – au-dedans qui frappent à la vitre pour revivre la rencontre – les mille rencontres de notre vie – et les quelques gestes d’Amour volés à l’indifférence. Comme si nous ne pouvions guérir de l’enfance. Comme si les visages – quelques visages – nous manquaient. Et leur regard – et leurs tendres accolades aussi...

 

 

A travers la fenêtre ouverte sur la nuit, nous regardons la danse étrange des ombres – cette curieuse procession avancer dans le noir, bras levés et têtes songeuses. Comme si le ciel – comme si le jour – n’existaient pas. Et au-dedans, nous entendons l’écho solitaire de notre parole. Comme une prière lancée au silence – un murmure adressé aux passions et à la plénitude – pour que nos gestes demeurent au plus près du regard – au cœur de cette solitude indifférente à la ronde des ombres...

 

 

Un chant, une rivière, un horizon. Et le bruissement des racines plongées au cœur de l’Amour. Comme un rêve – un désir tenace – dans notre nuit passagère...

 

 

Quel est le lieu le plus accueillant de l’étreinte... Serait-ce cet espace – ce silence – où viennent mourir tous les bruits et tous les gestes... Là où le désir d’être aimé se résorbe dans l’Amour... Là où les couleurs se perdent en transparence – et où les souffles prennent la figure du vent pour fouler des terres encore inconnues...

 

 

L’absence nous est étrangement sensuelle. Comme si les visages inconnus étaient dotés du pouvoir de nous aimer davantage... Mais nous rêvons, bien sûr, immergés dans le mensonge et l’illusion d’une promesse impossible – et pourtant déjà mille fois vécue. Comme si nous rechignions à grandir – et refusions de sceller nos jours (et notre destin) à la solitude...

 

 

Un océan inconnu entre nos rives – entre nos rêves et nos songes de papier. Au-dedans d’une brume qui voile l’horizon. Au cœur d’un vent porteur d’infortune. Et nous voilà le visage découvert – et infiniment triste – à l’image de cette marche épuisante qui ne nous aura livré aucun secret. Dos au mur – dos à tous les murs en quelque sorte. Prisonniers d’un désir de traversée – impossible à réaliser. Et nous voilà bientôt terrassés par un battement de paupière, un bruissement d’ailes et l’arrivée prochaine des déferlantes, rêvant de plage et d’écume blanche avant même la tempête. Comprenant soudain que l’île dessinée par nos yeux trop fébriles – et trop rêveurs – n’existe sur aucune carte – ni sur aucun chemin. Et que l’océan – notre désir d’océan – n’était que la condition de notre départ – de notre abandon aux marées qui se languissent (depuis toujours) de notre présence...

 

 

Et toutes ces infimes secousses de la terre. Et tous ces tremblements du ciel. A peine entrevus – à peine ressentis. Comme si nos yeux – et notre âme – ne pouvaient voir au-delà de la fenêtre – au-delà des collines – retranchés entre leurs murs – à l’abri des bourrasques et de toute possibilité d’envergure et d’embellies. Plongés au cœur de la nuit – à la lisière des possibles – où les fleurs remplacent le sang – là où les blessures ne sont jamais durables. Comme un instinct de préservation au milieu des siècles et de la mort. Comme la preuve que notre perpétuation compte davantage (à nos yeux) que le défi – et l’héritage – de la lumière...

 

 

Et si nous vivions enterrés là, sans le savoir, parmi les ombres et la mort – presque entièrement ensevelis par les rêves. Buvant, chantant et dansant pour oublier la funeste attente de la fin. Nous promenant – et nous pavanant – au hasard des rencontres. Jouant avec les visages et tous les reflets du miroir. Caressant quelques étoiles en rêvant d’or et d’abondance. Fouillant partout et édifiant de longs murs et d’étranges tours. Comme si nous creusions notre propre tombe (et celle du monde) sans pouvoir franchir la mince frontière entre les abîmes où nous sommes plongés et le seuil de toute lumière...

 

 

Et cette beauté sur chaque visage. Et cette lumière au cœur des circonstances. Comme si les soucis et la tristesse n’étaient que l’apparence du monde. Des guirlandes noires – un mince rideau d’infortune – qui voilent le miracle de vivre et le silence – et cette joie au milieu des visages et des circonstances...

 

 

Et ces dents blanches qui croquent la vie. Et ces mains qui frappent le bois pour imprimer la cadence à nos pas – à nos cris – à nos chants. Et nos voix qui reprennent en chœur, avec quelques notes légères – et mille sourires, la petite chanson du malheur...

 

 

Nous surgissons du néant – de cette matrice inconnue que nous prenons pour le néant. Et nous grandissons, devenons des ombres et avançons sous celles des autres en créant d’autres ombres sous lesquelles vivront – et marcheront – d’autres visages. Ainsi est née, se propagea et se prolongea la nuit. Du néant – supposé originel – qui enfanta les ombres – génitrices et pourvoyeuses d’autres ombres. Et dans cette obscure promiscuité, rares sont ceux qui eurent la force (et le courage) de quitter le funèbre cortège pour aller dans le noir vers l’âpre solitude afin de s’abandonner à l’incertitude et à la possibilité de la lumière...

 

 

Un jour, le grand vent tournera pour laisser jaillir l’Amour qui attendait dans la pénombre – reclus dans un coin du tableau. Invisible depuis le monde. Et, pourtant, à l’affût depuis toujours derrière les visages – mais ne se révélant qu’à ceux qui ont su s’effacer – et laisser la place vacante...

 

 

Un jour, nous pourrons refaire le monde. Et non, comme autrefois, le repeindre d’idéologies nouvelles et de couleurs inédites. Et nous pourrons nous y exercer (pleinement) lorsque nous saurons (enfin) lui redonner cette transparence des origines – cette blancheur diaphane – comme si l’histoire n’avait été qu’un prélude – une esquisse préparatoire – un brouillon maladroit taché de sang, d’erreurs et de ratures – les indécisions et l’ignorance de nos vies...

Et nous attendrons patiemment cette fresque-lumière où le soleil effacera les ombres, les mensonges et les tempêtes – les masques, le noir et la cécité – pour redonner le goût du possible, des merveilles et de l’enchantement. Et le silence alors dansera partout – au-dedans et au-dehors – avec l’innocence et les âmes défaites – enfin joyeuses – enfin dociles au Divin qui émergera avec la fin des rêves...

 

 

Nous rêvions déjà, enfants. Mais l’innocence s’en est allée. Et ne subsistent à présent que la peur et le réel – et le cauchemar de vivre parfois – que nous voilons d’un sourire pour tenter, maladroitement, de vaincre la désespérance et la mort – et offrir au monde un visage moins triste et moins rugueux...

 

 

L’ombre, l’arbre et le cœur. Une ligne commune. Un même horizon pointé vers le silence. Et un rêve de jour posé sur toutes les cimes du monde – caché entre l’aile et l’étoile. Fuyant à grandes enjambées tous les fracas de la terre...

 

 

Un peu de braise encore au fond de la nuit. Comme une lumière fragile affaiblie par les bruits et les mots – mais qui survivra à toutes les absences...

 

 

Nous n’irons, sans doute, jamais aussi loin que l’Amour. Mais peut-être devrions-nous (au moins) essayer... Et quelques-uns tenteraient sûrement leur chance s’ils savaient que quelque chose veille – et les attend – au seuil de ce rivage (apparemment) inaccessible – et qu’il pourra accueillir toutes leurs bassesses et leurs lâchetés – les rehausser et les célébrer – afin de les hisser jusqu’à lui...

 

 

A nouveau, la colère et l’espoir. Comme si nous n’en finissions jamais avec cette longue attente – cette immense fatigue des vivants. Comme si le refus et la violence pouvaient nous extirper hors de nous-mêmes...

Nous n’en finirons donc jamais de nous rejoindre. Et c’est au cœur de ce silence – de cette vibration invisible entre l’écoute et les bruits du monde – au cœur de cette présence posée au creux des gestes – et au cœur de cette joie imperceptible au fond de l’âme – que nous pourrons atteindre ce seuil, (apparemment) si infranchissable, de nous-mêmes...

 

 

Un discours, une discorde. Comme si nous ne pouvions prétendre qu’au refus et au commentaire. Comme si l’épaisseur du monde ne pouvait être percée ni contournée. Comme si notre faim ne savait (encore) trouver d’apaisement...

 

 

Sans doute aurions-nous dû commencer par la fin pour rejoindre l’origine. Mais qui aurait pu nous prévenir de l’inutilité des pas avant le commencement de la marche...

 

 

Et nous voilà à repeindre mille fois les contours de notre vie – à embellir la surface – les éléments du décor – comme si, au fond, le contenant avait plus d’importance que la substance. Comme si, au fond, le contenu nous était encore inaccessible...

 

 

Et l’absence des foules. Et la docilité des âmes. Comme si nul, en ce monde, n’était encore prêt à vivre la belle (et terrifiante) liberté – et à s’avancer sans peur et sans regret vers lui-même – pour revêtir (enfin) son vrai visage...

 

 

Nous croyons en des étoiles trop lointaines pour être présents à ce qui nous attend – et à ce qui passe devant nos yeux. Voilà, sans doute, pourquoi nous trébuchons sur la moindre pierre. Pour être plus attentif, il faudrait découvrir l’enchantement de chaque pas – et l’envergure du regard posé sur le plus simple...

 

 

Aux côtés du merveilleux – et des merveilles du monde, nous voilà sanglotant comme si quelque Diable nous avait ôté la vue – et, avec elle, la possibilité de l’émerveillement. Et c’est le drame – le drame inguérissable – que nous partageons avec tous les hommes...

 

 

Le plus laid souvent nous accuse alors que la beauté nous contemple en silence. Et irradie jusqu’à nos pauvres yeux. Et malgré sa grandeur – et sa simplicité – nous ne voyons que le malheur et le jugement – ce qui gratte et irrite dans notre aveuglement...

 

 

Il y a partout des royaumes. Et nous errons à travers tous les territoires en mendiant un peu d’attention à quelques mains et à quelques visages. Comme si nous vivions nus au milieu des plus belles étoffes. Comme si nous n’avions encore compris l’envergure de l’homme – et de son destin – presque magiques lorsqu’il sait s’asseoir, humble et enchanté, sur son trône de vent...

 

 

Ces nuits – toutes ces nuits – de folle aventure où le sommeil nous fait glisser dans le rêve. Pourquoi donc l’âme ne sait-elle transformer les jours en liberté et en merveilles. Pourquoi donc restons-nous encore assis, les yeux fermés, sur tant de possibles...

 

 

Du vide. Et des entraves. Nul autre bruit en ce monde. Le tintement de nos chaînes et nos larmes trop bruyantes sur tous ces chemins sans éclat...

 

 

Et dire que nous sommes suspendus au temps, aux lèvres, aux visages et aux mains – les nôtres sans doute qui se reflètent dans tous les miroirs – et qui n’ont rien à offrir sinon quelques peines, quelques drames et quelques supplices supplémentaires...

 

 

Nous sommes le plus miraculeux du monde – et de l’homme. Et nous vivons comme si nous ne le savions encore – ou pire, en feignant de ne plus nous en souvenir...

 

 

Tout au long de notre vie – et au fil du partage de notre cheminement intime, nous avons privilégié l’écriture dans un monde qui glorifie l’image. Nous avons privilégié le silence dans un monde qui célèbre le bruit et la fureur. Nous avons privilégié le quotidien et le commun – le plus ordinaire – dans un monde qui n’encense que l’esbroufe et le spectaculaire. Et nous avons privilégié la gratuité et l’innocence – l’authenticité et la recherche de lucidité – dans un monde qui ne jure que par l’apparence, le mensonge et la distraction – la ruse, le profit et le commerce. Voilà ce que fut notre perspective (la seule envisageable)... Et voilà comment nous avons modestement contribué (et de manière infime) à réenchanter la vie et le monde – et à leur redonner leur valeur originelle – hors mode et indépassable... Ce fut notre manière (la seule possible pour nous) d’affirmer – et de promouvoir – le règne de l’être et de l’âme sur l’esprit et la matière en cette ère matérialiste (si calamiteuse) où le rêve de notoriété et l’appât du gain ont évincé le goût (notre goût si naturel) pour l’humilité, le respect et le sacré, si nécessaires aux mille choses du monde et au vivre-ensemble – et où l’indigence séculière a fini par tout envahir – et prédominer partout – en excluant et en anéantissant tout ce qui ne participait à sa misérable gloire...

Peut-être sommes-nous nés pour d’autres siècles où l’intelligence et l’Amour n’auraient d’égal – plus aucun rival – où la vie et le réel ne nécessiteraient ni représentations, ni commentaires ni mensonges – et où tous les visages n’aspireraient qu’à être et à aimer – et à célébrer ensemble leur solitude et leur gratitude – et le miracle d’être nés...

 

 

Grandir encore – et s’effacer davantage – parmi les voix et les visages. Adresser encore quelques murmures. Et demeurer au plus près du silence. Comme un baume – le seul possible – sur notre espoir et notre désespérance...

 

 

Là-bas, caché encore parmi les songes et le sommeil, ce rêve de nulle part – en tous lieux du réel...

Et bientôt nous ferons face au jour comme si le soleil ne nous avait jamais quittés. Comme si la nuit n’avait été qu’un mauvais rêve – un simple désir de lumière...

 

 

Et cette intensité – et cette épaisseur – des jours que nous aurons à peine effleurées... Comme si nos lèvres – notre âme et notre vie – n’avaient eu suffisamment soif d Absolu. Noyées encore sous trop de désirs. Avec cet espoir d’être ailleurs – d’être un autre – et cette prétention, un jour, d’y parvenir...

 

 

Peut-être, après tout, n’aurons-nous guère réussi à émerger des racines – de ces instincts sombres de la terre – attisés par les vents de la faim. Une chose, pourtant, est sûre : il nous sera encore offert mille tentatives pour nous extirper du désastre – et embellir le destin de l’homme et du monde. Nous demeurerons en ces lieux, sous des allures différentes, tant que l’obscurité résistera à la beauté des fleurs et des visages – tant que l’ignorance entravera le passage de l’innocence – tant que l’invraisemblable ne pourra voir le jour...

 

 

Dieu jamais ne cédera à nos exigences. Il pardonnera tout – et pardonne déjà nos absences (toutes nos absences). Mais à la fin, il nous faudra prendre la relève – substituer à nos infamies le privilège du regard – celui que nous réservions à un Dieu étranger – au visage trop humain pour être réel... Et de visage en visage, nous irons vers l’invraisemblable – cette figure que nous avons façonnée comme un mythe offert aux naïfs et aux ignares.

Et nous sommes déjà au bord de l’incompréhensible. Et un seul pas suffirait à la transformation – à la métamorphose. Les masques alors seraient brûlés. Et apparaîtrait notre vrai visage – ce silence au goût d’éternité – cette poésie au goût d’innocence. L’art le plus sacré. L’esprit et la matière doués d’intelligence et d’Amour, voués à la célébration de la rencontre (de toute rencontre)...

Et entre la terre et la lumière émergent déjà les yeux sans nom – cette bouche et ces mains aimantes. Les arbres, le ciel et les oiseaux – et les plus humbles bêtes – le devinent à notre sourire. La vie transmutée en grâce. La fin du rêve. Le monde enfin voué à la joie et à l’oubli. Nos plus belles retrouvailles...

 

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24 décembre 2017

Carnet n°132 Ce feu au fond de l'âme

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Nous porterons la nuit jusqu’à l’émergence du jour – et jusqu’au plus haut soleil. Et nous la porterons partout dans les rues et les âmes désertes, dans les cœurs qui pulsent et le sang qui circule sans fin. Et jusque devant les visages les plus distraits, en traversant toutes les morts et tous les destins...

Et dans le vent, la boue et la poussière, nous la soulèverons – et la redresserons comme un totem. Et autour de nous continueront de pousser l’herbe et les fleurs. Et les arbres de se courber à son passage. Et les hommes de sortir de leur désert pour écouter son chant appeler la lumière. Et aux derniers instants du crépuscule, tous les élans rouges tomberont en éclats. Et le jour – le soleil – pourront arriver – et se montrer. Les heures alors n’auront plus cours. La poussière deviendra une fête encensée par tous les pas. Et nos visages riront parmi les étoiles défaites. Le monde pourra enfin vivre – et se tenir debout...

 

 

Et aux pleurs se mêlera bientôt le rire. Comme l’évidence d’un ciel plus accueillant que notre tristesse...

 

 

Chantons plus fort – et plus anonymement – notre joie d’être parmi les morts et les vivants – parmi toutes ces âmes amères, si souvent, de vivre seules auprès des fleurs de ce grand désert...

 

 

Et ce feu balbutiant qui fait naître en nous cette parole. Comme si nos élans naissaient d’une terre antérieure au soleil. Comme si ni les larmes, ni les armes, ni les fêtes ne pouvaient ôter le sel de la poussière...

 

 

A tant veiller les morts, nous nous enivrons de cette espérance de vivre... de vivre encore – mieux et davantage...

 

 

Portons le monde et nos chevelures emmêlées, et ces fleurs, et ces pierres, et ces étoiles comme l’aveu de notre Amour – soulevé par les ailes du vent vers les terres de l’abandon. Et notre impuissance à épouser la terreur des regards pourra enfin célébrer notre chant. Et nous pourrons aller ensemble – entonner notre hymne à pleine voix – et nous embrasser parmi les rudes décors du monde avant que le silence ne nous foudroie. Et peut-être pourrons-nous dire alors que notre nuit n’aura pas été (totalement) vaine...

 

 

Une fleur en plein hiver. Et le monde encore au printemps de l’enfance. Turbulent, épuisant les jours, les fleurs, les pierres, les âmes et les étoiles. Balafrant la chair. Déniant l’Amour et la mort pour quelques jeux – et quelques regards – sans importance...

 

 

La vie – le monde – leurs rumeurs et leurs mensonges – nous ressemblent. Et ils s’éteindront au premier jour de l’hiver – lorsque après nous être défaits de l’orgueil, nous revêtirons la nudité du silence et que nous pourrons danser – et tourner – heureux et libres au milieu des visages et des saisons. Et nous prendrons alors la couleur – et la douceur un peu âpre – de la neige. Et nous aurons la gaieté de l’oiseau – et la candeur des blés. Et nous aimerons la vie – le monde – leurs rumeurs et leurs mensonges. Et nous traverserons avec eux tous les soleils pour nous enivrer du vent qui fait tournoyer les visages et les saisons...

 

 

Les siècles – et ce monde – sont perdus peut-être... Vaincus et anéantis par l’ignorance et la haine. Mais tant que brûlera ce feu au-dedans des âmes – au-dedans de l’origine des siècles et du monde, nul ne disparaîtra. Ni les visages, ni la foi. Et pas davantage les infinies possibilités du renouveau... Ainsi s’asséchera, de saison en saison, la haine – et s’amoindrira l’ignorance...

Les cris, les chants et les pierres sont parfois nécessaires à la délivrance – autant que les jeux et les impasses – pour débusquer, au fond de chaque destin, et tapi en tous lieux, ce qui ne peut ni décroître ni périr...

Et ainsi nous aimerons tous les visages, tristes et enchanteurs, de la lumière...

 

 

Quelques âmes poursuivent l’ascension de la lumière. Et je vois leur visage, rougi par les vents, qui se cramponne à cette lueur qui persiste dans l’absence – et se dresser pour voir ce qui se cache derrière le mur – et découvrir, d’un regard tourné en eux-mêmes, la fin des labyrinthes...

 

 

Nous sommes le nom peut-être qu’un autre épelle pour précipiter sa rencontre...

 

 

Nous ne sommes peut-être qu’une âme passagère en tous lieux parmi les autres. Et qui a pris figure en ce monde pour aimer – et nourrir – les visages de sa main – et verser sur leurs larmes, et leur si vaine espérance, quelques mots – quelques paroles. Comme une caresse pour dire les nécessités de la vie et les exigences du silence. Et pour dire aussi que nous n’avons pas été seuls – et qu’un Autre – mille Autres peut-être – étaient là aussi à creuser le passage...

 

 

Et toutes ces routes grises dans le noir du monde qui cherchent leur blancheur. Comme si la neige – comme si la mort – ne suffisaient pas...

 

 

Et ces larmes sur toutes les tombes – et ce sang qui ruisselle parmi nous – et ce regard au plus près de notre ombre charnelle... Qui donc est là – qui nous voit et nous entend – pour aller avec nous si fraternellement sur ces chemins privés d’Amour...

Et en pensée, nous étions avec toi. Et avec eux. Comme avec tous ceux qui le réclamaient en feignant l’indifférence...

Nous sommes nés ainsi – pour aimer et accompagner. Et nous qui avions cru que vivre était comprendre – mettre un mot – le doigt – au plus proche de la vérité, comme nous nous trompions...

Vivre n’aura été qu’un poing dressé contre le monde – et lancé sur tous les visages qui nous ont fait face alors qu’il aurait fallu peut-être – qu’il aurait fallu sans doute – s’attendrir et s’agenouiller, sourire souvent, pleurer parfois et disparaître – s’effacer en silence pour laisser la place vacante...

 

 

Dressés au fond de l’âme, cette lumière et ce silence que nos mains idiotes cherchent encore au-dehors en fouillant parmi les immondices et les visages – parmi toutes ces merveilles trempées de sueur et d’espoir – et qui, comme nous, cherchent l’Amour...

 

 

Nous pourrions vieillir, mourir et disparaître autant de fois que nécessaire, nous serons toujours, et à chaque instant, auprès du silence. Au cœur de cette lumière que nous avons tant cherchée...

 

 

Au rythme de la vie et du monde, nous allons – sans même le savoir – vers le silence et l’immobilité. Comme si nous étions emportés à notre insu vers ce que tantôt nous nions et tantôt nous désirons. Comme portés par une innocence encore inconnue malgré nos gestes pesants et nos paroles suppliantes qui rêvent toujours de ce qui brille loin de notre visage...

 

 

Et le destin reculera – et capitulera peut-être – lorsque nous saurons nous défaire de toute ambition. Le désir alors se transformera en silence. Et la nuit s’éclairera – et deviendra jour peut-être (avec un peu de chance). Et nous rirons de ce sort promis à toutes les exigences. Et nous y consentirons. Et nous pourrons (enfin) aller dans la vie – et vers la mort – sans craindre la souffrance des allées et venues, des chutes et des ascensions. Et droits et humbles – autant que nous en serons capables – dans cette honnêteté et cette innocence...

 

 

Que l’on nous aime – qu’on nous le montre et qu’on nous le dise – et nous voilà tout frémissant d’ardeur, de désir et d’espoir. Comme si la promesse d’un visage pouvait nous consoler du monde...

 

 

Seul devant la nuit avec cet étrange sourire. Comme si la lune pleurait avec tendresse sur notre incompréhension...

 

 

Et des cris et des aurores perdues en guise de mur devant lequel se dresse – et s’exalte – la paresse...

 

 

Et toutes ces âmes solitaires qui cherchent et pleurent assises au fond de leur chambre, éclairée peut-être d’une lumière, en parcourant le monde de leurs souvenirs et de leurs désirs à travers cette mince fenêtre qui dévoile l’intimité des autres. Et je les imagine belles et curieuses ces âmes – et assoiffées sans doute de rencontres, rêvant d’Amour et de soirs plus doux et caressants. Levant les yeux peut-être pour regarder la lune et les étoiles, là-bas au loin, qu’un autre sans doute regarde aussi, scellant ainsi une sorte d’union invisible – un mariage insensé – où la chair et l’âme pourraient s’aimer à distance, et sans se connaître, par le fil fou et fragile de l’intention et de la pensée...

 

 

Dans notre rire, les musiques d’autrefois et le silence d’avant notre naissance. Comme le jour et la nuit réunis sur nos lèvres (enfin) réconciliées. Et le premier chant de l’homme peut-être...

 

 

Entre la terre et l’aube, cette buée sur la vitre. Et nos yeux tristes qui questionnent encore la nuit...

 

 

L’ignorance, la magie et les pièges du monde. Et les âmes révoltées – et soumises à notre incompréhension. Comme si nous ne pouvions danser qu’autour de nous-mêmes – et vivre qu’en oubliant la mort...

 

 

L’herbe et la poussière – et les âmes misérables – inlassablement harcelées, chavirées et balayées par les vents. Et les vies à la dérive. Et les frémissements de la chair entre les promesses et le silence. Comme voués à la perpétuité de la soif et de la source...

 

 

Au bord du monde, le ciel gris et les chevelures ignorantes ruisselant de pluie et d’éclats – espérant le chant à venir et la fin des rêves pour que la terre devienne enfin réelle – et que les âmes puissent conduire les vies à la dérive vers un refuge – un lieu prémonitoire – où la terreur et la soif seraient bannies et pardonnées...

 

 

En croyant porter le jour, nous amenons la nuit. Et en croyant transmettre la lumière – quelques bribes de savoirs – nous offrons la cécité. Que faudrait-il donc faire pour ne plus leurrer les destins... Peut-être donner à entendre le silence aux visages pour qu’ils ne s’effraient plus ni de la vie ni de la mort – et qu’ils puissent affronter les circonstances sans soutien ni certitude, l’âme plongée au cœur de l’inconnu...

 

 

Les hommes entre la terre et le vent. Au cœur, pourtant, de tous les soleils. Et les âmes courageuses au fond du silence. Et les regards, enfoncés dans la solitude, qui s’interrogent... Comment pourrions-nous ne pas aimer le monde...

 

 

Les cris et les chants des hommes aux mains caressantes et hargneuses – ignorantes – qui creusent leur destin parmi la boue, la fureur et la poussière en levant un œil parfois sur ce qui les contemple...

 

 

Au cœur des visages mutiques – et de l’indifférence – à vivre pour rien, pourrait-on croire... Mais Dieu veille en nous, bien sûr – silencieux et sage – et si joyeux dans notre solitude...

 

 

Nous aurons vécu enclos dans la solitude – et tenté de déchiffrer la vie, le monde et la mort sans oser y poser nos lèvres, effrayés par la poussière (funeste) qu’auront soulevé nos pieds à l’approche des menaces et du danger...

 

 

L’enfance originelle du monde comme les feuilles mortes à l’automne cherchant un abri – un refuge contre le vent. Comme une façon peut-être d’asseoir leur éternité parmi nous...

 

 

Des fleurs, des pierres et des étoiles par millions – par milliards. Et autant de visages – et autant de morts – pour balbutier leur nom et noircir tous ces livres de millions de signes. Ecartelés, si souvent, entre le noir et la lumière – et accouchant parfois du plus beau silence...

 

 

Sans ombre et sans regret parmi les voix et les regards. Parmi les vents et les chants qu’auront lancés les hommes contre tous les visages de la terre. Aussi triste que la neige et la mort en hiver lorsque les oiseaux frémissent et que les rumeurs du monde, cinglantes si souvent, traversent nos pudeurs...

 

 

Les jours et les visages. Une présence claire entre l’oubli et l’absence. Et quelques ombres furtives le long des murs – et derrière les frontières – fragilisés par l’Amour...

 

 

Assis obscurément dans notre nuit, balbutiant et balafrant comme si vivre n’était miraculeux. Comme si le soleil allait assurément revenir demain. Comme si la mort était encore lointaine...

 

 

Ecoutons. Et apprenons du silence...

 

 

Ah ! Cette folle beauté des brasiers – et de tout ce qui consume nos vies, le monde, l’orgueil et les désirs, la prétention et l’ignorance ! Annonciatrice de tous les feux de joie...

 

 

Et partout ces danses et ces chants qui célèbrent la vie – la moitié de la vie – en oubliant la laideur, la tristesse et la mort. Et qui exaltent notre exil et notre solitude. Comme une façon maladroite peut-être de rendre grâce – et de remercier – le versant sombre des choses que nul ne veut voir – que nul ne veut connaître ni habiter...

 

 

Mille saisons au fond de sa masure ouverte sur le monde, le ciel et les Dieux. Auprès des plus humbles visages que compte la terre. Dans la compagnie du vent et du silence. A écrire, chaque jour, quelques lignes. Mille lignes peut-être... Comme un remerciement – une gratitude – à cette grâce de vivre la solitude au milieu des forêts et des collines – avec ces frères rencontrés au hasard des chemins, tachés parfois de mousse et de lichen, lançant parfois leurs bras noueux vers le soleil, montrant parfois leur museau en sortant des bois. Et ces mille pas, chaque jour, qui exercent leur ardeur – et leur joie – à gravir et à dévaler les pentes – au sommet de toute présence vécue dans la plus belle humilité...

 

 

Ici-bas, tant de songes et de cris. Et tant de mains et de bouches qui s’agitent. Et là-haut, tant de présence et de solitude. Comme si le monde n’était qu’un rêve...

 

 

Nous porterons la nuit jusqu’à l’émergence du jour – et jusqu’au plus haut soleil. Et nous la porterons partout dans les rues et les âmes désertes, dans les cœurs qui pulsent et le sang qui circule sans fin. Et jusque devant les visages les plus distraits, en traversant toutes les morts et tous les destins...

Et dans le vent, la boue et la poussière, nous la soulèverons – et la redresserons comme un totem. Et autour de nous continueront de pousser l’herbe et les fleurs. Et les arbres de se courber à son passage. Et les hommes de sortir de leur désert pour écouter son chant appeler la lumière. Et aux derniers instants du crépuscule, tous les élans rouges tomberont en éclats. Et le jour – le soleil – pourront arriver – et se montrer. Les heures alors n’auront plus cours. La poussière deviendra une fête encensée par tous les pas. Et nos visages riront parmi les étoiles défaites. Le monde pourra enfin vivre – et se tenir debout...

 

 

Un jour, viendra celui par qui les visages oublieront leur nom et pourront rassembler leur âme en une seule figure – éclatante d’Amour dans la nuit. Comme si le noir n’avait été qu’un balbutiement, presque innocent, de la lumière. Un préalable inévitable – et sans importance...

 

 

Les lois de l’âme ne sont celles du monde. On ne peut les inscrire ni dans les livres ni dans le marbre. Elles s’imposent aux gestes instinctifs et naturels devenus innocents et changent selon les circonstances et les visages. Et en dépit de leur impossible permanence, elles demeurent inféodées à l’Amour – et se déclinent en mille sensibilités – et en silence – au gré des paysages et des rencontres...

 

 

Vivons à pleine voix – et en plein regard – comme si le monde, la terre et les hommes étaient innocents. Comme s’il n’y avait ni ignorance ni impasse. Comme si la nuit était le miroir (le parfait miroir) du jour. Comme si nos balbutiements étaient la lumière. Comme si le silence était notre seule compagnie. Comme si nous avions (enfin) compris que vivre était un miracle – et une possibilité pour aimer...

 

 

Et si nous devions tous mourir mille fois – des millions de fois – des milliards de fois – avant de pouvoir renaître plus sages...

 

 

L’or n’est que l’ombre des arbres au crépuscule. La vie – la vie pleine et la joie – demeurent en amont de toute richesse et de toute saisie – en amont de tout rêve et de tout langage. Et nos poches – et nos âmes – seront toujours trop étroites pour les recevoir. Il faudrait un cœur – et une sensibilité plus haute et plus large que le ciel pour les accueillir – les vivre et les goûter comme notre seul miel...

Et c’est à cette unique ambition – et à cette unique tâche – que l’homme devrait se livrer. L’abandon de l’or en serait, sans doute, facilité – et (bien) plus supportable. Et chacun pourrait alors sérieusement envisager – et se résoudre à – cette nouvelle perspective...

 

 

Un jour, viendra le temps où l’oubli sera notre seule mémoire. Et nous pourrons aller sans souvenir – sans malice et sans espoir – vers ce qui nous attend. Au seuil du silence – au seuil de cette vie sage et immobile – qui accueille toutes les renaissances et toutes les résurgences du printemps. Comme des visages enfin sereins et grouillant d’ardeur – et des âmes éprises du soleil dans le vent et cette longue nuit – interminable peut-être...

 

 

Et ce feu si rouge – si vif – au milieu des braises et des flammes. Au-dedans de tout, en vérité : des pierres, des arbres, des âmes, des visages et des étoiles. Comme un lointain écho – et le prolongement peut-être – de ce brasier immense du fond de l’univers sorti des entrailles des origines...

 

 

Les mots. Comme une peinture, grasse, épaisse et subtile à la fois, colorée de mille teintes et de mille nuances. Et le poème comme un tableau – une fresque immense sur la terre minuscule. Et, chaque jour, nous plongeons nos doigts – nos mains – nos bras – notre âme et notre corps entier – dans la couleur et l’étalons à grands gestes – et en petites touches simples et délicates – pour dire le monde, la vie, le temps, la mort, le silence, l’infini et la vérité et dessiner un gigantesque espace de joie – et l’offrir (humblement) à la tristesse des âmes qui passent, indifférentes (par excès d’ignorance sans doute...) sans rien dire et sans rien aimer – et sans rien savoir de ce trésor inaccessible qu’elles portent (en elles) comme tous les cœurs sensibles de cette terre...

 

 

La fleur et la pierre sont souvent plus poétiques que les hommes dont l’âme est trop occupée à se façonner un destin, si risiblement glorieux. Leur instinct naturel les pousse à faire fleurir – et à chanter – ce qu’elles ont de plus précieux à offrir : leur essence brute et sans mensonge...

 

 

Quelque chose monte en nous que nous ne pouvons voir. Une innocence – un regard – un silence – qui brûle les songes et les fantômes. Comme une lumière – une intelligence – vouée à son propre règne qui construit et détruit tout sur son passage au gré de ses exigences à l’égard du monde et des visages...

 

 

Et les yeux de l’enfant solitaire qui caressent le ciel et le monde de ses prières. Cherchant peut-être – cherchant sans doute – un ami invisible pour échapper à la folie des regards et aux diableries des visages. Et comme une façon, peut-être, de tromper l’ennui et l’attente de la mort...

 

 

Au plus haut degré de l’absence, l’homme sans doute. A l’égal de la pierre. Comme une masse à la paresse immobile. Une inertie placide et sans attente. Et la furie gesticulante des siècles qui brassent les songes et le vent en rêvant à la gloire des horizons – et dont les pas, aveugles au ciel et au silence, prolongent la nuit...

 

 

J’aimerais une terre – une simple terrasse peut-être – oublieuse d’elle-même, sensible aux âmes, éveillant le désir à l’Amour – et qui dévoilerait aux visages ce lieu où le monde deviendrait beau et silencieux. Je fais parfois ce rêve, accoudé à la balustrade des jours, les yeux plongés dans la nuit et le chant qui reste au fond de ma gorge. Serais-je donc le seul, en ce monde, à rêver d’Amour...

 

 

Pris entre la neige et le feu – prisonnier de cette route trop longue où les hommes dévisagent les âmes comme si l’innocence n’existait pas, je regarde l’étoile lointaine. Et je cisaille la nuit de mes baisers trop voraces. Et ma voix s’élève pour célébrer le jour – et le peu de temps qu’il nous reste à vivre. Et j’ouvre la main à la sève rouge qui coule entre nos doigts. Et je porte mes lèvres au soleil – sans un mot – sans un cri – pour que le monde regarde plus haut que ses lois et ses interdits...

 

 

Le poème comme une résonance à ce qui ne peut se dire. A ce silence parmi nous qui pourtant blesse encore les âmes. Comme si seul le bruit avait quelque chose à nous apprendre...

 

 

Un peu de joie – un peu de paix et de sommeil – dans ce qui nous échoit, serait-ce donc là le seul rêve des hommes...

 

 

Au début du monde peut-être y avait-il l’enfer... Cette chaleur invivable dans laquelle seules les pierres, malheureuses combinaisons d’atomes, pouvaient fleurir. Puis, la fournaise a pris une improbable tournure. Et du brasier, devenu plus supportable, est née la chair, cette matière dotée de souffle... Et malgré l’hostilité du décor, l’enfer perdit de sa superbe. Et quelques millénaires passèrent... Et l’enfer, progressivement, se transforma de façon inattendue, presque inespérée, en paradis à la fois rude et merveilleux, chargé de fruits et d’abondances – et de mille créatures minuscules qui proliférèrent – offrant à la terre et à ses habitants un agréable et moelleux tapis – riche, mouvant et vivant. Et ces mille créatures bientôt se multiplièrent et se transformèrent, évoluant, pas à pas, vers les balbutiements d’une intelligence – d’une verticalité. Ainsi émergea l’homme aux derniers instants de cette longue histoire. Et quelques secondes – quelques siècles – suffirent pour qu’il saccage ces merveilles et transforme la terre en désert – en tristesse – en lui donnant l’un des visages de l’enfer dont nous sommes nés... Comme la récurrence – la résurgence cyclique – peut-être d’une forme de malédiction originelle...

 

 

Nous croyons bâtir un destin – et écrire une histoire. Et c’est pourtant à la fin du monde que commenceront les siècles. Lorsque la chair et l’âme auront découvert la plénitude d’une existence sans heure – affranchie des luttes, des horreurs et du temps. Nous retrouverons alors l’âge d’or d’avant la naissance du monde et de l’univers – d’avant la naissance des mondes et des univers – cette éternité où le sommeil et la somnolence sont bannis...

 

 

Si loin de tout, l’homme dans son sommeil, sa démesure et sa prétention. Et dans son atroce insensibilité au monde. Gesticulant comme un pantin affamé et indifférent...

Et il est rude – et insupportable parfois – de vivre parmi ces visages sans âme. Comme si nous étions seul(s) au monde – encore (un peu) vivant(s) parmi le sang, les fantômes et la mort...

Et cet Amour qu’il nous manque parfois pour aimer ces visages, ces mains sournoises qui blessent et entaillent et toutes ces lèvres qui, derrière leurs sourires, geignent, crient et sucent le sang des vivants et des morts...

 

 

Ces heures où le temps se resserre comme si nous allions mourir l’instant suivant. Comme si le monde (notre monde), les siècles et notre vie allaient s’effondrer. Et le souffle nous manque pour vivre – et respirer. Et chancelants, exsangues et défaits, nous appelons le sommeil et y sombrons pour quelques instants – pour quelques heures – comme un court et médiocre répit dans notre angoisse pour ajourner notre faiblesse et notre impuissance à affronter l’âpreté des circonstances...

 

 

La misère et le malheur ont mille visages. Et sur les lèvres, le même sourire indélicat comme un sel sur notre tristesse et nos blessures...

 

 

Et ces froissements de rêves qui n’accoucheront que du néant. Comme si nous pouvions croire encore aux histoires du monde et des hommes...

 

 

Et nous partirons, sans doute, sans un regard sur ce qui demeurera après notre mort. Comme si seule comptait la nouvelle saison, si terrifiante encore depuis ces rivages...

Et chaque pas célébrera l’entêtement de la vie et la permanence de la mort. Comme une âme enfin libre – et réduite à l’évidence du silence...

 

 

A l’affût – et à l’orée – de tout – de tout ce qui fut, est et sera. Comme un sang offert – livré à une perpétuelle rencontre amoureuse. Comme un sourire – une invitation – lancé(e) à tout ce qui hante le ciel, la terre et le poème. Pour offrir un voyage sans égal – et une (réelle) raison d’espérer aux siècles et aux visages...

 

 

Le monde et le temps sont plus vastes au-dedans. Et ceux du dehors ressemblent à des fables de haute trahison qui n’enchantent que ceux qui croient (encore) à leurs désirs et à leurs promesses. Des histoires que l’on raconte aux enfants pour qu’ils ferment les yeux et s’endorment. Et pour que le sommeil dure toute la nuit...

 

 

Et dans la cambrure de l’âme, je décèle une faiblesse – comme un creux – une déformation – le miroir de notre soif – l’envers du poème peut-être... Comme un silence qui sourd entre les lignes – et toutes les lèvres suppliantes – qui rêvent d’une autre nuit – aussi belle que le jour – aussi grande que le ciel – et moins triste que les destins abandonnés à leur sort...

 

 

Tant de visages en nous, nés de l’enfance, nous insufflent des rêves un peu fous de gloire et d’innocence. Comme si nous n’avions jamais quitté l’âge des jeux et des songes. Comme si la nuit du monde et des choses avait enfoncé en nous l’aveuglement... Et où comptons-nous ainsi marcher à présent – et poser notre voix et notre cri... Encore plus bas sans doute, là où le jour ne peut ni éclore ni se montrer...

 

 

L’encre en nous – sur nos pages – plus rouge que noire. Plus désespérée qu'espérante lorsque l’aube se rapproche, que les voix murmurent et les yeux se détournent. En surplomb des bruissements d’âme et de feuilles – au-dessus de toutes les crêtes et de tous les déserts de ce monde parmi le silence – et les visages, si naïfs parfois – dont nul ne peut épeler le nom...

 

 

L’ultime viendra comme une évidence couronner la sueur, l’exercice et les efforts inutiles. Comme une grâce se livrant – s’offrant – à l’âme et à la chair épuisées par tant de recherches et de foulées parmi le plus connu – et le plus familier – si étrangers pourtant à tous les Dieux d’Orient et d’Occident. Et les blessures alors se refermeront. Et la lune deviendra terne et grise – autant que les étoiles anciennes. Et nous scellerons l’éclat et la profondeur pour vivre parmi les vivants et les morts dans le plus simple degré de la jouissance – dans le silence clair et sans effroi qu’auront délaissé nos ascendants. Et le ciel alors deviendra brillant – comme la seule gloire possible, affranchie des rêves et des images. Et nous nous tiendrons debout avec l’ultime pour seule ossature, seul décor et seul visage. Et nous deviendrons – et nous réjouirons de – tout ce qu’il nous offrira...

 

 

Nos vies – nos recherches – ont des allures de monstre maniaque et impotent. Comme des amas de chair, d’os et de sang attachés à quelques livres, à quelques sourires et à quelques cendres – et qui ne découvriront, en fin de compte, que le néant. Et, pour les plus chanceux et les plus tenaces, sous le néant, le silence et le vide le plus joyeux...

Mais quelle tristesse, au fond, pour toutes ces âmes – et tous ces pas – si avides et si pressés...

Si nous avions su, nous aurions, dès le premier jour – au premier printemps raisonnable, plongé notre cœur dans le présent, libéré nos gestes du doute et du désir, et serions restés là à attendre, la tête bien sagement posée sur le séant, la fin des bourrasques, la fin des orages, la fin des larmes et du monde pour voir arriver cette éclaircie impromptue, venue sans préparation ni annonce, comme la seule possibilité de notre vie et le seul résultat envisageable de nos, si vaines et laborieuses, recherches...

Mais qui aurait pu savoir, avant de lancer son premier pas, que le sourire et la joie étaient déjà là (tout entiers) sur notre visage que la vie, le monde et la mort ont toujours effrayé... Il n’aurait fallu qu’un souffle – qu’un baiser peut-être – suffisamment puissant et confiant (en nous) pour se résoudre, dès les premiers instants, à quitter le rêve et le mensonge du temps et du labeur pour embrasser le silence, et la grâce, à pleine bouche...

 

 

Je veille. Nous veillons. Et pourtant personne sous notre regard. Comme si le monde n’était qu’un rêve. Comme si le monde n’existait pas. Comme si les silhouettes n’étaient que des fantômes. Et, sans doute, demeurerons-nous ainsi – seul(s) à jamais...

 

 

Regardez donc les feuilles des arbres mourir à l’automne ! Regardez donc comme elles vont dans l’allégresse, emportées, folles et légères, dans la danse du vent qui les mène, en de joyeux tourbillons, vers leur dernière terre. Regardez donc comme elles s’y posent, ivres et sereines, heureuses d’être réunies et éparpillées dans un merveilleux désordre sous celui qui les a fait naître – au cœur du vivant et parmi le terreau des heures et des saisons prochaines...

On ne peut, bien sûr, en dire autant des hommes qui s’en vont, malheureux (malheureux comme les pierres), rejoindre, dans une longue et triste procession, leur petit carré de terre bien aligné entre les murs d’un cimetière. Loin, si loin, de la vie. Et plus éloignés encore à cette heure qu’au cours de leur funeste séjour parmi les vivants...

 

 

Nous vivons comme si nous portions le monde et ses blessures. Le sang des morts et la peine des vivants. Plongés dans un gouffre au-delà de la folie sans voir – ni sentir – le visage et les bras qui nous soulèvent pour alléger – et guider – notre marche aveugle et triste...

 

 

Au plus nu du jour peut-être – lorsque nous dessaisissons la nuit de sa torpeur – et que nos lèvres frémissantes balbutient une prière... Comme si soudain, nous nous retrouvions hébétés – et incertains – en pleine lumière, doutant de la consistance du réel – propulsés en un lieu inconnu au milieu de nulle part – hors du monde et hors du temps. Et que nous regardions autour de nous avec la plus grande franchise sans rien voir d’autre que le silence et l’âpreté permanente de la mort...

 

 

Aux heures sombres du destin – au plus près peut-être de la mort qui guette – se délitent les jours. Et la nuit même, sans doute, se retire. Et nos yeux s’avancent dans le noir, suspendus à l’âme inquiète, au fond de leur orbite. Et ils se retournent – et voient cette flamme qui donne au cœur et au monde leurs élans et leur justesse. Et quelque chose en nous tombe à genoux – et attendrit la dureté de nos paupières et de nos mains. Comme si s’ouvrait une fenêtre sur le ciel et les abîmes – et que nous regardions à travers – et posions un pied sur le rebord sans craindre ni la chute ni l’envol...

 

 

Et cette présence – cette part – cet espace – en nous qui ignore, qui devine sans savoir, qui sait sans comprendre et comprend sans s’interroger en regardant la vie s’éteindre – et aller vers ce qu’elle ne pourra jamais atteindre...

 

 

Des ombres, des marches et de l’innocence encore malgré l’ignorance arrogante des âmes et la rudesse des visages. Et ces mains et ces dents si carnassières lors des étreintes. Et ces vivants aux allures de fantôme. Et ces morts au visage immobile – et au sourire énigmatique. Comment pourrions-nous ignorer encore ce qui nous habite de façon si résolue...

 

 

La résonance du rêve et des Dieux. Comme le seul obstacle, peut-être, au jour. Dans ce face-à-face – ce corps-à-corps – inégal entre le sommeil et l’oubli...

 

 

Cet antre – et cet Autre – qui nous séparent de nous-mêmes. Toujours. Comme si nous divisions – et nous nous partagions – indivisibles que nous sommes. Comme envoûtés par les bras de la paresse et les rites de la séduction. Comme si nous voulions désespérer la solitude. Comme si nous renâclions encore à réunir tous nos visages...

 

 

Et la nuit nous vint comme un songe. Et le sommeil nous prit – et fit de nous des alliés. Et, à présent, nos rêves ont un goût de larme et de tristesse. Comme si le jour n’existait pas. Comme si nous l’avions inventé en même temps que la peur et l’espoir...

 

 

Et ces rêves en escalier par milliers – par millions – qui nous font monter et descendre – sombrer au plus noir – et grimper aux rideaux du moindre jour. Nous assenant la peine et la joie comme si nous méritions d’espérer et de souffrir encore...

 

 

A l’exacte place où se tient le mystère, nous vivons. Et nous arpentons le monde comme s’il n’y avait aucune énigme – aucun trésor à découvrir – ni aucune joie (véritable) à ressentir – avant de quitter, un jour, les lieux – pour rejoindre d’autres terres, voilées par d’autres espoirs et d’autres chimères. Comme si nous n’avions encore compris après toutes ces errances, tous ces malheurs et toutes ces existences que nous portions la porte et la clé – la question et toutes les réponses...

 

 

Au-delà du jour se dessine le silence. Comme deux ailes supplémentaires – nécessaires à l’envol du monde. Comme une crête permanente au carrefour du crime et des promesses – et au cœur même des caresses et du fracas...

 

 

Sans doute ne retiendrons-nous que le bleu (infini) du regard parmi toutes les couleurs de la terre. Et son cadre d’or surplombant la cime des jours aux abords des paupières fermées – si coutumières de la grisaille et de la nuit...

 

 

Il y aura toujours une main – et des visages – au bord des routes et des chemins. Comme le miroir de notre solitude qui exige une réponse – un geste – une présence – une caresse – n’importe quoi pourvu qu’on la console du monde – et de ses malheurs...

 

 

Les jours-folie où les lignes deviennent courbes, traits hachés, taches presque invisibles. Où les visages rient et pleurent sans se douter de la lumière et de la mort qui approchent. Où les histoires, les territoires et les frontières perdent leur intérêt et leur sens. Où toutes les aventures – et jusqu’à l’ouverture sur l’ailleurs, l’impossible et l’impensable – savent s’extraire de l’emprise des songes.

Et ces jours-folie sont une bénédiction dans notre sortilège commun. Et ils nous rassurent – et nous offrent presque la certitude d’exister – sur cette terre incertaine où le noir perle – à chaque virage –et sur chaque courbure – et où le ciel s’essouffle devant la figure distraite et l’indifférence des hommes. Comme un baume (un peu de baume) sur le cœur pour traverser la monstruosité hallucinatoire du monde jusqu’à l’heure prochaine – jusqu’au prochain jour...

 

 

L’horizon n’est sensuel – et prometteur – que dans les rêves. Et sa réalité brute finit toujours par rattraper le retard des pas. Comme si le songe ne pouvait se résoudre à ses (misérables) ronds dans l’eau. A ses chimères, à ses fantasmes et à ses attentes. Comme si l’aube avait mandaté le monde pour nous extraire de ses leurres et de ses appâts...

 

 

Un monde, une chambre et mille questions. Et mille grimaces face au désert et à l’absence, si criante, de réponse. Et le courage d’aller encore malgré la peur, l’incertitude et l’ignorance...

 

 

Tant qu’il y aura des mots pour dire – et célébrer – le silence, la violence ne pourra terrasser l’Amour. Et lorsque le monde (enfin) délaissera la violence, le langage deviendra inutile. Les gestes puiseront leur nécessité – et leur justesse – dans l’innocence. Et la lumière sera notre seul visage.

Le gris alors se transformera en rose. Le rouge en vert. Et le bleu en infini et en transparence. Et la terre pourra tomber en cendres – et être délaissée pour des rivages sans couleur...

 

 

Quand saurons-nous donc lire les visages et les paysages de ce monde... Quand saurons-nous voir les courbes de l’horizon, les mille points de passage, les cercles de joie dissimulés au cœur des plus grands drames, la cime secrète au fond des impasses et la beauté cachée derrière les traits les plus vils et les plus grossiers... Quand saurons-nous acquiescer à l’aventure, à l’ordinaire, au commun et à l’inconnu – à toutes ces merveilles insoupçonnées...

Quand saurons-nous jeter nos chaussons trop confortables pour aller nu-pieds – et sauter à pieds joints dans l’existence... Quand oserons-nous vivre, être et aimer un peu... Et qu’attendons-nous pour y consentir – et nous offrir à ce qui passe – et célébrer toutes les présences au cœur du sacrilège et du mensonge...

Quand aurons-nous donc le courage de tordre le cou aux prétextes, aux illusions et aux masques étroits et mortifères... Quand saurons-nous devenir nous-mêmes (et bien davantage...) pour aller confiants et sereins sur les chemins – en traversant la vie, le monde et le temps avec pour seul appui notre unique ermitage : le silence, la joie et la lumière... Quand saurons-nous enfin devenir des hommes – des âmes douces et conscientes – attentives et respectueuses – et profondément aimantes – au-delà de la laideur et de la beauté apparentes – au-delà des images, des représentations et du jugement – innocents et libres parmi les circonstances, les âmes et les visages de ce monde...

 

22 décembre 2017

Carnet n°131 La tristesse et la mort - l’épreuve de la lumière

Récit / 2017 / L'intégration à la présence

Et ces vents – et ces souffles – sur l’horizon qui emportent tout : la vie, les rêves, le jour, la nuit et les visages, fiers ou geignards. Ne laissant sur les plaines que la mort et la poussière. Et ces cris – et cet effroi – sur les lèvres des vivants...

Et d’autres cauchemars nourriront notre nuit. Et nous chanterons encore entre nos rêves et le silence. Comme si le sommeil n’existait pas...

 

 

Un nom parmi tous les noms

Un visage parmi tous les visages

Un mort parmi tous les morts

Parti(s) rejoindre, à parts égales peut-être – qui sait...

Une autre terre – un autre monde

Et l’infini – cet espace sans nom et sans mort

Notre visage commun.

[En hommage à Solias – le 18 octobre 2017]

 

 

Que d’images encore qui nous hantent... Et la mort, partout, qui se déchaîne. Comme si vivre n’était qu’espérer – attendre l’improbable fin de la souffrance...

 

 

Le ciel et les jours gris. Les cours et les cœurs calcinés. Et partout les jardins à l’abandon. Serait-ce donc cela vivre parmi les hommes...

Qui pourrait bien nous faire quitter la solitude des collines...

 

 

Et ces piles d’images engrangées dans la mémoire... Et ces millions de signes – hiéroglyphes du passé – accumulés qui alourdissent le regard et le souvenir... Et cette ignorance encore si criante de tout... Comme si nous aspirions, malgré nous, à travers ces amas de représentations, à avaler le monde et la vie – pour mieux les comprendre à seule fin de mieux les goûter et d’en faire un plus profitable usage...

Mais qui sait, sur cette terre, que nous sommes déjà la vie et le monde – et peut-être tant d’autres aussi... – et qu’il nous faut les accueillir avec la plus grande nudité pour saisir leur vérité. Et que notre seul engagement n’est ni d’en user à notre convenance ni d’en jouir mais de les vivre et de les aimer sans rien choisir ni décider...

 

 

Reclus déjà en nous-mêmes, comment pourrions-nous échapper à la solitude...

 

 

Un destin, un voyage. Mille chemins et mille découvertes. Et autant de questionnements. Comme une boucle sans fin où la curiosité et l’interrogation ne cessent d’attiser cette faim insatiable de connaître...

 

 

Survivrons-nous à notre destin... Qui peut savoir...

Et qui peut connaître le poids de l’âme sur notre vie et notre chemin...

La vie, peut-être, n’est qu’une impasse qui ouvre sur le questionnement. Et le questionnement, la seule voie possible vers la délivrance. Ensuite, en ouvrant une autre perspective, le regard change de main... Et l’impasse disparaît. Les murs – tous les murs – s’effondrent. Et ne reste que l’espace qui se mêle, peu à peu, au regard. Et ensemble ils deviennent présence – celle qu’attendaient notre embarras et notre si dévorant besoin de liberté...

 

 

Serions-nous trop métaphysiquement austères et pesants pour nous livrer aux mille danses du monde ? Serait-ce cette conscience aiguë de la mort et cette sensibilité, si vive, aux mille misères des vivants qui refréneraient nos élans...

Peut-être, après tout, ne sommes-nous nés pour y participer mais pour nous en faire le témoin – en comprendre la trame, les jeux et les enjeux – et offrir notre témoignage et nos balbutiements de compréhension à ceux qui vivent et vouent leur vie et leur âme – toute leur vie et toute leur âme – aux mille danses, si joyeuses et si funestes, du monde...

 

 

Nous avons cherché en vain – tous autant que nous sommes. Et nous n’avons rien trouvé – quelques babioles – et quelques consolations peut-être – comme une maladroite façon de passer le temps et de traverser les jours... Mais rien ni personne n’a jamais su parfaitement refléter notre visage. Et, à présent, la solitude a tout envahi : la vie, le cœur, l’âme, la maison, le jardin et jusqu’à ces rues désertes et peuplées de fantômes... Et pourtant, quelque chose en nous espère encore la rencontre...

 

 

Et nous voilà de retour, mal fagotés – à la mode d’aucun temps – d’aucune époque – devant le monde qui nous dévisage comme si nous n’existions pas – comme si nous n’avions jamais existé... Le regard, la présence et l’Amour sont absents dans les yeux des hommes. Leur âme est trop sombre. Et si verte encore... Et voilà que cette indifférence nous rappelle à nous-mêmes. Nous enjoint de regarder – et de trouver en nous – ce qui regarde et ce qui attend. Et de les distinguer pour pouvoir répondre aux besoins de l’un et aux exigences de l’autre. Et de cette distinction pourront alors émerger progressivement le regard et la compréhension de notre mystère si profondément lié à celui du monde et de la vie...

 

 

Le temps aussi nous oubliera. Tout continuera. Sera comme avant et changera – se transformera et se renouvellera. Mais la chair aura disparu, prise par la mort – défaite et recomposée – et renaissante bientôt, ici ou ailleurs qu’importe... Et le regard demeurera. Seul et sans support peut-être – ou dans les yeux d’un autre, à peine frémissant – à peine balbutiant comme notre (pauvre) parole qui tente de dire ce qu’elle ne peut comprendre – et ce qu’elle effleure seulement peut-être...

Et, sans doute, regarderons-nous encore avec cet éclat et cet effroi au fond des yeux... Et, sans doute, continuerons-nous de rester silencieux – sans voix – face au silence et à toutes les énigmes du monde dans cette perpétuelle ignorance de nous-mêmes...

 

 

Et ces vents – et ces souffles – sur l’horizon qui emportent tout : la vie, les rêves, le jour, la nuit et les visages, fiers ou geignards. Ne laissant sur les plaines que la mort et la poussière. Et ces cris – et cet effroi – sur les lèvres des vivants...

 

 

Et d’autres cauchemars nourriront notre nuit. Et nous chanterons encore entre nos rêves et le silence. Comme si le sommeil n’existait pas...

 

 

Terrassés par les mouvements du monde et le silence. Dans cette incompréhension de tout. Et nous marchons – et marcherons encore – en claudiquant pour chercher un refuge – un lieu où l’on pourrait échapper aux tourments de vivre et à la mort. Et nous errons – et errerons encore – entre nos murs borgnes, sur nos terrasses et nos jardins en friche parmi toutes ces ombres que le soleil peine tant à pénétrer...

 

 

Le rideau noir est tombé. Demain n’existera pas. Demain n’existera jamais. Mais l’instant est encore trop cruel – trop pur sans doute – pour s’y abandonner. Un autre jour peut-être, nous irons sans carte ni certitude rejoindre l’éternité...

 

 

Ici, tout se déchire – et s’efface. Tout s’en va – emporté ailleurs – on ne sait où... dans la nuit qui s’étire toujours plus loin – jusqu’au bout de l’horizon sans doute – ou dans le jour – cette promesse de lumière qui aveugle encore nos yeux si lourds d’espoir – et si tristes de ce pauvre séjour – de cette malheureuse expédition – avec ses mille départs et ses mille abandons – et nos mille rêves de rencontre. Et nous voilà chavirés, sombrant dans la solitude et la désespérance... aussi seuls et désespérés qu’au jour de notre naissance...

Et de déchirement en déchirement, que restera-t-il de notre vie ? Que deviendrons-nous lorsque tous ces lambeaux nous auront été arrachés ? Le néant nous disent les hommes. La lumière – le regard et la présence – nous disent les sages. Et nous autres, ni vraiment hommes ni vraiment sages, nous continuons à regarder la vie et le monde – et les mille circonstances – nous déchirer sans même l’espoir d’une accalmie – sans même l’espoir d’une fin – allant toujours entre le néant et la lumière vers ce regard – vers cette présence...

 

 

Des rêves de chemins. Et des espoirs de montagne. Et cette glu qui nous cantonne dans la plaine parmi ces visages étrangers – presque abstraits. Alors nous faisons briller, au centre de la page, quelques taches noires pour ne pas désespérer davantage – et garder espoir d’ouvrir, un jour, les yeux sur l’aridité des ténèbres et sur le soleil déjà présent au-delà des horizons – au cœur même de notre tristesse...

 

 

Nous attendons le monde – et chaque matin – et chaque recommencement – en espérant davantage... Comme si nos larmes pouvaient être asséchées par les visages et le soleil qui, chaque jour, revient...

Que serions-nous sans les miroirs ? Et comment vivrait-on sans leurs mille reflets ? Avec, sans doute, un peu plus de noir au fond des yeux – avec un peu plus de noir aux fenêtres – et avec l’âme encore plus sombre, plus sombre que jamais, et aussi seule que nos joues humides et grises de cendres face aux ruines, si indécentes, de nos vies – ces constructions si dérisoires bâties pour échapper à la mort et, peut-être, à l’ennui... Aujourd’hui nous ne savons plus. Nous sommes las. Et la mort est déjà là qui nous emportera bientôt...

Et, pourtant, entre les ombres, les ruines et les cendres – et au cœur même des charniers – la lumière nous sourit déjà – présente partout jusque dans nos yeux incrédules et nos larmes. Et devant cette évidence, nous rions et nous pleurons sans même savoir si c’est la tristesse ou la joie qui nous traverse... Nous ne savons pas. Et nous ne sommes peut-être plus... A peine un regard – à peine une attente – à peine ce qui vient sans doute – cette offrande inespérée : ce grand soleil inconnu et incertain – plus fragile que nos jours – et plus fragile que nos vies...

 

 

L’or des chemins – et l’or des visages – ne soulèveront que quelques pierres – quelques collines ou quelques montagnes peut-être... Mais sur la balance, les frondaisons resteront immobiles. Le silence narquois. Et la lumière plus vive – et plus brillante – que d’habitude. Comme pour nous interdire d’y toucher – et de nous en servir pour agrémenter notre existence...

 

 

Ouvrir son âme à la vérité, au bleu du ciel, aux sourires des visages, à la lumière du jour et au silence, il n’y a, sans doute, pour l’homme, de plus belle espérance...

Et de cette ouverture – de ce passage de l’âme du néant et des ténèbres à l’évidence du jour – pourront naître le chant des bêtes et des pierres et les révérences gracieuses, et infiniment reconnaissantes, des arbres et des fleurs. Et tous comprendront que nous avons fini par rejoindre (par retrouver) notre destin après nous en être si atrocement écartés – et qu’il nous appartient désormais d’y plonger pour aller entre les nuages et les cimes – entre la brume et la nuit – en embrassant les circonstances offertes par les Dieux et les paysages de la terre...

 

 

La mort est toujours présente parmi nous. Au côté de la lumière. Et ce sont elles qui nous guident inlassablement sur les chemins. Comme une invitation à les rejoindre – et à les traverser – pour retrouver notre premier visage...

 

 

Comment rendre hommage aux morts sinon en vivant de la plus présente façon – et en se mettant au service de ce qui est et du silence – pour faire émerger (retrouver peut-être) cette joie qui nous faisait tant défaut à l’heure de leur départ...

 

 

D’autres passants nous appellent. Et nous voilà déjà à répondre à leurs demandes – et à leurs exigences. Comme si nous n’en finissions jamais de renaître et de servir...

Et, sans doute, ne sommes-nous nés que pour cela... La vie n’a d’autre mission – ni d’autre message – à nous offrir : aimer et aider jusqu’à nos dernières forces...

Mais qu’il est âpre – et parfois même difficile – de s’y livrer sans rechigner lorsque se dressent devant nous les visages si archaïques des hommes et la fureur, si féroce, des bêtes à dévorer la chair...

 

 

Le monde, sans doute, restera une fable où les masques et les mensonges continueront à prendre possession de tout. Dévoilant le strict nécessaire pour vivre, exister et briller encore – et briller davantage – et exploiter et se servir plus encore. Et voilant l’essentiel, le silence et la vérité – la misère et l’hébétude des visages – et la souffrance des âmes dont on nie le droit de savoir et le besoin de liberté...

Et les hommes continueront de marcher, effarouchés, sous le joug des promesses – et sous le joug de l’espoir – sans porter leurs yeux derrière les secrets que les puissants inventent – et que les masses – la foule et les peuples – reprennent en chœur...

Et il nous faudra, pourtant, un jour – chacun – vaincre le sacre de l’ignorance pour se libérer des faux présages – et découvrir ce que nous sommes. Le monde alors se transformera – pourra se transformer. Et l’essentiel, le silence et la vérité seront respectés – et encensés. Et les visages et les âmes pourront enfin connaître la joie...

 

 

Il n’y a rien dans la mémoire : des images et des idées – mille choses inutiles – fonctionnelles tout au plus... Le monde n’a besoin d’aucun souvenir. Il n’aspire – et nous n’aspirons – qu’à l’Amour. Et l’Amour ne se construit. Il se découvre dans la plus haute nudité de l’âme – et dans le plus grand dépouillement de l’esprit – lorsque tous deux savent entrer ensemble dans la prière et le silence... Le monde, les rondes et le regard alors se libèrent en laissant le passé en ruines – en cendres – inutile...

 

 

Combien de morts sacrifiés sur l’autel des désirs... Et combien de morts ensevelis dans les charniers du rêve et de la passion... Et combien de vivants, suffisamment sages, pour s’en éloigner – abandonner le monde à ses instincts – et laisser l’attente se transformer en silence...

 

 

Par la fenêtre, le jour est arrivé. Et dans le regard, cette beauté que seule l’âme innocente peut transmettre... Et les berges – tous les rivages – soudain s’éclairent. Le sable, les puits et la mer. Et sur les visages se dessine cette douce clarté de l’aurore. Et la maison entière s’illumine. Comme si la nuit – et les malheurs – n’avaient jamais existé...

 

 

Comme le bleu parfois nous trompe à l’heure de l’infini... Comme si émergeait entre les pierres un visage défiguré que l’on transformerait en idole aux allures de saint originel et immaculé... Et les lignes – noires toujours – pourraient encore se croiser devant nos yeux crédules – et nous pourrions voir, au loin, s’échapper une épaisse fumée, nous prendrions toujours la cendre pour des ailes et les cris pour un chant comme si tout était encore habillé de songes et de neige entre les ombres et les nuages – au plus près, pourtant, de l’envol et du silence. Comme s’il nous était impossible d’imaginer que les jours puissent être laids sous tout ce gris. Comme si nous espérions encore que la pluie puisse se transformer en soleil...

 

 

Le silence devient plus intense. Moins pollué, peut-être, par ces bruits et ces cris à l’intérieur qui ne peuvent toujours supporter la mort – et qui espèrent encore la rencontre et les gestes véridiques de l’Amour...

Et pourtant, au creux de toutes les âmes – tristes – défaites, j’entends ce rire immense qui perce sa route entre les étoiles – brillantes toujours dans les rêves des hommes. Et qui attend notre visage et notre silence...

 

 

Dans l’obscurité, il y a une inquiétude – celle de l’ignorance, de l’incertitude et de l’inconnu. Le noir est (toujours) parfait dans l’abîme. Et il conditionne notre vie : la grande cécité de l’âme qui devine pourtant à travers quelques rares rais de lumière qui lui parviennent de l’autre côté du monde – de son versant lumineux – que l’obscur n’est pas la règle – et que l’aveuglement n’est pas la loi – et qu’il existe des courbes, des allées, des étoiles, et même des mondes, aussi clairs que le jour et aussi blancs que l’innocence...

 

 

A qui resterons-nous fidèles sinon à notre visage (en devenir) – et à notre seul visage à venir. Les siècles – et la mort même – ne sauraient nous pousser ailleurs...

 

 

Humble dans le noir – après la fin de ce grand orage qui résonne encore, je regarde la nuit ici – là-bas – qui s’étire au loin – et que nous réussirons peut-être à franchir ensemble...

 

 

Le soleil terrestre à qui est-il destiné ? Aux corps ? Aux visages ? A la chair vivante ? Aux peaux qui se lézardent en attendant la mort ?

 

 

J’ai quelques lignes, quelques pages et, peut-être même, quelques livres à offrir. Mais je n’ai qu’une parole – celle qui nous fera entrer dans le silence...

 

 

Creusée à même la rive, cette lumière bleue – presque oisive – qui s’avance, à présent, sans bruit...

 

 

Qu’apprenons-nous dans notre chambre – et sous le ciel de cette terre ? Qu’apprenons-nous des oiseaux qui passent – et de leur chant à l’aube... Qu’apprenons-nous de nos espérances – et de ces mille mains qui réclament leur pain – et un peu de paix peut-être versée parmi les réjouissances... Qu’apprenons-nous des mots... Et que saurait nous dire encore la parole des poètes...

 

 

La beauté du monde et des visages. Comme une évidence. Et leur cinglante réalité aussi. Et que pouvons-nous espérer sinon qu’ils nous révèlent, avec leur vérité, notre vrai visage...

 

 

Et nous voilà soudain – et depuis toujours – aussi désarmés que l’agneau devant le couteau du boucher qui, à l’abattoir, ôte la vie pour offrir la pitance à quelques bouches affamées... Et nous voilà réduits à cette chair offerte en pâture à ceux qui ont faim...

 

 

Et si nous faisions tous semblant de ne pas savoir pour supporter l’insupportable de cette vie, le poids du monde et les crocs (tenaces) de la mort qui s’avance vers nous... Comme des enfants mimant la réalité pour survivre à ses jeux. Comme des bouches et des mains agrippées à la chair et au sang, mais qui attendraient, en vérité, qu’on leur ôte le voile qui les sépare de la lumière – de ce ciel bâti par les innocents pour leurs frères prisonniers des rêves de la terre...

 

 

Distraits par les récoltes des saisons, nous plongeons les mains dans le sable, encore humide de sang, en regardant vaguement les étoiles – et en nous disant que nous sommes encore là à ramasser quelques riens alors que peut-être, la vérité – quelque chose de plus grand – nous attend quelque part – en un lieu que personne ne connaît – et dont personne, sans doute, ne revient... Et nous songeons alors à notre solitude parmi tous ces visages familiers – mais si étrangers encore – comme si nous vivions depuis toujours sans connaître personne... Et nous avancerons – continuerons d’avancer – ainsi – inconnus de nous-mêmes – et inconnus parmi les inconnus – vers ce qui, comme nous l’espérions, nous sauvera peut-être...

 

 

A qui appartenons-nous ? A quels maîtres offrons-nous notre besogne de forçat... Et tous ces efforts à creuser, à fouiller et à amasser le sable à qui les destinons-nous... Avons-nous seulement une idée, même vague, de ce que nous sommes – et de ce que nous pourrions être, et faire, une fois libérés de notre joug...

 

 

Entre le ciel et la brume, cette chambre où nous faisons les cent pas – pas perdus, pas tristes et pas de fureur – en attendant je ne sais quoi... La mort peut-être...

 

 

Entre le rêve et l’attente, à quelques encablures du ciel. Et cet étonnement de l’enfant face à la main qui s’avance – face à la lumière. Et plus tard, cette voix presque silencieuse – et cette foulée innocente – comme si nous nous promenions nus dans le monde...

 

 

Rêver plus haut que la beauté pour offrir au monde un miroir où seraient reflétés, au côté de la laideur, un visage attentif et quelques mots bienfaisants. Un peu de lumière sur tant d’ombre et d’obscurité...

 

 

Nos traits plus assoupis que le soir vieillissant. Et ce cœur qui bat encore dans les épreuves. Comme une vie sans retour – à la progression méthodique – effarouchée à la moindre alerte – à la moindre menace. Et ce grand sommeil qui nous emportera. Et la mort qui arrachera leurs rêves à tous les somnambules...

 

 

Quand donc émergerons-nous, avec le réveil, de cette paillasse où la paille sert à tous les usages...

 

 

Qu’y a-t-il donc au bout de la mer ? Ainsi peut-être s’interrogent les vagues emmenées toujours plus loin entre les rives et l’écume – et qui, un jour, mourront sur le bord d’une plage. Et au cours de leur long voyage, quelques-unes peut-être découvriront la nature de l’eau pour aller, vivre et mourir, dans la joie d’un seul regard – celui qu’elles porteront sur elles et sur l’horizon au loin, là-bas, qui a déjà fraternisé avec le ciel...

 

 

Le froid arrive avec l’hiver – et la bise. Et nous voilà grelottant sur la jetée au bord de l’infini – aussi seuls et aussi humbles qu’au cours de la traversée brève des mondes. Et le pardon appuyé contre la joue, avec quelques larmes comme un remerciement silencieux à la terre qui nous a accueillis. Et nous rions et nous pleurons en laissant ivre, et perdu peut-être, le cœur de l’homme qui bat encore en nous. Et nous nous défaisons de tout son poids et de tout son embarras pour aller aussi nus que le souffle premier qui, un matin, au premier jour des saisons, nous enfanta...

 

 

Le cœur des pierres plus sage que celui des hommes. Plus léger et moins froid que nos passions qui ont délaissé le jour pour voler – et avaler – un peu de chair qui flottait à la dérive, sans doute, entre son port et ses attaches. Et entre nos doigts, encore un peu de sang. Et sur nos joues, ces larmes tièdes comme une offense à ce qui, un jour, nous chassa du ventre des rivières – des entrailles si réconfortantes de la terre... Notre seule faute aura peut-être été de prêter nos jours à la paresse – à cette somnolence. Comme des âmes si peu éprises de l’invisible – ce qui sous la chair, et derrière les larmes, nous hante depuis les premiers jours...

 

 

Et la mort – et la tristesse – frappent encore. Comme si nous n’avions pas d’âge. Comme si le temps et le silence nous filaient entre les doigts – et nous laissaient accroupis entre le désir de vivre (de vivre encore un peu) et l’oubli...

 

 

Le vent et la nuit auront usé nos mains et notre cœur. Et, pourtant, nous nous baignerons encore dans l’eau des rivières – et pleurerons toujours sous la pluie. Et, un jour peut-être, tremblerons-nous (un peu) moins en regardant les flots, les souffles et le noir emporter les âmes au-delà de la mort – en cette terre où l’Amour et le ciel accueillent tous les visages sans se soucier de ce qu’ils ont été – sans demander devant qui – ni devant quoi – ils ont souri et pleuré...

 

 

Aurons-nous réussi à effleurer la beauté malgré la laideur présente sur la terre – et au fond de nos âmes – entreposée là peut-être par quelques Dieux soucieux de mêler à notre destin quelques herbes maléfiques pour offrir au monde et à nos jardins des allures de purgatoire. Comme un juste retour du gris – d’une blancheur enlaidie de rayures noires – qui donnent à nos vies cet air de triste détention...

 

 

Où glisser la parole ? Entre l’âme et le silence. Et sous le sommeil des paupières. Dans les interstices qu’aucun monde – ni qu’aucun visage – ne saurait emplir et combler...

 

 

Et se dressera toujours en nous – et face à nos yeux étonnés – le silence. Ce grand silence du ciel incompris. Et sur le visage des plus chanceux – et des plus sagaces – couleront quelques larmes comme le signe d’une grâce, d’une compréhension et d’un remerciement...

 

 

Entre tous les néants, il y aura toujours le silence. Son accueil et son invisible Amour. Et quelques visages humbles et admirables pour nous inviter (et nous inciter parfois) à les rejoindre – à mettre nos pas dans ceux qui ont su leur dédier leurs jours...

 

 

Au-dedans des fleurs et au-dedans des gestes, et parfois au cœur des livres et des visages, se cachent, entre la pluie et le soleil des jours, en-deçà et au-delà de tous les ciels gris, une pépite – un trésor – le silence et la candeur de quelques âmes affranchies du monde, des instincts et des querelles. Et c’est à eux que nous devons la beauté des paysages et des existences encerclés depuis toujours par la laideur, l’indifférence, l’ignorance et la mort...

 

 

L’Amour, peut-être, sépare le soleil du sommeil. Une simple syllabe qui écarte les visages les uns des autres pour ne pas éveiller ceux qui dorment – et ne pas (trop) attrister ceux dont les yeux ont su regarder au-delà de la lune et des étoiles – tous ceux dont les rêves ne sont plus étrangers à cet étrange silence et à cette dévorante clarté, présents au cœur des exigences du monde et des circonstances...

 

 

Un jour, nous nous redéploierons en autant de visages nécessaires pour que nous soient arrachés nos masques et notre misère. Et pour que nous reprenions notre marche, et notre envol, au cœur même des imprévus sur les plaines tristes où les arbres et les figures ont été exilés de leur sol...

 

 

Un jour, nous serons démasqués par nos propres secrets. Et la nuit – et la mort – deviendront un grand fou rire. Un immense fou rire. Et les âmes se feront mille clins d’œil, s’embrasseront sans frémir et riront, elles aussi, d’avoir été trompées par quelques ombres et quelques illusions...

 

 

Et gonflés de lumière, nous irons encore au gré des vents. Nous continuerons nos rondes et nos retraits – nos replis et nos déploiements. Mais sur le visage, sur les noms, sur les lèvres et au-dedans des gestes, le soleil aura laissé son empreinte – quelques marques du silence que nous achèverons de transformer en beauté. Et la nuit – et la mort même – ne pourront plus nous attrister. Nous serons Un – réunis partout toujours – tous ensemble. Et à notre présence s’adossera le monde...

 

 

La patience de la terre et la précipitation du monde. Comme deux ailes mal unies – dissociées – incapables de faire naître le moindre envol...

 

 

Criblés de misère et d’espace – de morts et de silence, nous continuons à marcher – à poser un pied devant l’autre. Nous continuons à vivre – et à sourire au cœur des défaites et des simagrées. Allant en des lieux parmi des visages, tantôt réels tantôt imaginaires. Ôtant nos masques et nos espoirs – nous rapprochant inexorablement de ce que nous cherchons...

 

 

Entre les pierres, l’herbe, les arbres et les bêtes si familiers de la nuit – et si étrangers aux visages des hommes allant la faux à la main, la hache sur l’épaule et le fusil en bandoulière mettre à exécution leur faim et leurs ambitions – tous leurs délires. Marchant vaillants, et si conquérants, de leurs pas décidés – en maître – comme une autorité ignare et insensible qui parcourt le monde, les forêts et les prairies peuplés d’âmes sans un regard – sans Amour et sans poésie...

 

 

[Paroles de Solias]

Dans cette nuit, sois le visage du jour. Sois celui qui est – qui chante et sourit malgré la désespérance et la tristesse des âmes. Sois celui qui aime dans cette foule de figures indifférentes et haineuses. Sois celui qui aide – et accompagne – de ses mots, de ses gestes et de sa présence. Sois celui qui offre – et donne avec justesse à ceux, tous ceux, si nombreux, qui demandent et mendient...

Sois celui par qui arrivera le jour. L’un de ceux, innombrables, qui ont essayé d’apporter avec eux l’Amour et la lumière. Sois celui qui, ignorant, échappe à l’ignorance...

Et demeure humble – aussi humble que les plus humbles de ce monde (et davantage même si tu en es capable...) – pour que ta modeste existence offre aux plus orgueilleux, aux plus inattentifs et aux plus indifférents le miroir nécessaire – et ce que les bêtes et les hommes réclament à travers leurs plaintes et leurs cris...

 

 

Mille détours, et autant d’impasses parfois, pour finir par s’abandonner au silence – et se laisser cueillir par l’insaisissable. Nos errances – et celles du monde – comme le terreau – la préparation à la découverte de l’indicible...

 

 

Et ce mutisme face à la douleur. Et face à la souffrance. Comme une percée du silence dans le plus insupportable à vivre...

 

 

Dans notre tête, un monde où il ne ferait bon naître. Où vivre aurait des allures d’agonie plaintive. Et où la mort même pourrait être bannie... Insupportable...

Mieux vaut encore le bégaiement des âmes, les balbutiements des hommes et la certitude de la fin...

 

 

Dans les bouches noires, il y a des rires, quelques mots et des langues presque analphabètes qui cachent un effroi plus grand – et plus vif – que l’Amour promis à tous les âges...

 

 

Des phrases, des étoiles, un ciel. Et cette voix atone, et envoûtante, qui annonce la venue de l’innocence – et le sacre prochain de l’Amour et du silence. Et tous ces bruits – et tous ces rêves – qui s’impatientent avec ferveur. Comme si nous pouvions faire émerger quelques chose qui n’est jamais né...

 

 

Il y a plus d’un état derrière l’aveuglement – et dont l’ignorance toujours est le pilier. Et mille poèmes – et mille silences – ne sauraient faire éclore ce qui ne peut arriver avant l’heure...

 

 

Aurions-nous pu faire autrement nous qui n’avons su faire... Aurions-nous pu vivre autrement nous qui n’avons su vivre... Aurions-nous pu être autrement nous qui n’avons su accueillir ce qui nous a été offert...

 

 

La mort en hiver. Et cette joie pourtant qui demeure. Comme un vent – comme une rosée – sous un soleil noir. Et ce rire dans l’haleine des disparus qui accompagne nos larmes. Et cette lumière jusqu’au cœur du tombeau. Et cette flamme qui brûle la chair et les os – et les transforme en poussière. Et cette cendre qui appelle nos vies – et nos œuvres – à sourire devant la mort. Comme si le printemps allait revenir bientôt...

 

 

Nous vivons comme si Dieu n’existait pas dans la douleur. Ni dans la tristesse ni dans la mort. Comme si Dieu n’avait voulu – et espéré pour nous – que la joie et le bonheur. Mais comment pourrions-nous le rencontrer si la souffrance n’existait pas. Comment pourrions-nous ôter le superflu – ces couches impotentes qui voilent toute possibilité – si les circonstances ne répondaient qu’à notre désir d’être heureux. Nous serions comme les pierres – engluées dans l’indifférence – enfermées dans leur gangue de terre – sans la moindre peine ni la moindre question – insensibles sans cet effroi nécessaire à la compréhension...

 

 

Dans la proximité de la mort, la pluie sera toujours noire pour les yeux. Mais au cœur de chaque larme versée, l’âme saura reconnaître cette lumière promise aux innocents...

Il faut avoir beaucoup pleuré pour devenir sage – et qu’apparaisse le rire au milieu des vivants et des morts. Le silence sera notre seul appui. Et en son cœur, l’écoute saura déjouer les pièges des images et de la mémoire – et de cette fausse espérance d’un paradis. L’âme jamais n’aura d’autre allié pour se recueillir, joyeuse et sereine, parmi tous ces désastres...

 

 

Dévorant, puis dévoré par la vie, le désir, l’espoir, les souvenirs, les vivants et les morts. Ainsi vit-on, puis nous enterre-t-on dans la terre. Et ainsi persiste notre image dans la mémoire de quelques âmes...

Il faut beaucoup de silence – et une innocence d’envergure – pour échapper à tout appétit... Ce que l’on nomme la sagesse peut-être – lorsque l’on sait se tenir serein parmi les bouches et la faim – et sensible et accueillant auprès des mains qui saisissent, des dents qui déchirent la chair et des estomacs qui avalent, se nourrissent et recrachent les surplus...

 

 

Ce regard – et nos âmes – prisonniers de nos vies si passagères. Contraints de passer encore et encore d’un état à l’autre – d’une existence à l’autre – au gré des ignorances et des compréhensions. Comme condamnés à une étrange éternité où se côtoient tous les visages, toutes les malices, toutes les merveilles et toutes les abominations – déclinés en un arc-en-ciel changeant et bigarré comme les variations infinies d’un même paysage offert à une seule présence, éparpillée en mille yeux différents, et si maladroitement étrangers, sur mille chemins parallèles et entremêlés...

 

 

Nous pleurons comme si le monde pouvait nous consoler... Et comme si le silence et l’éternité attendaient nos larmes pour se montrer enfin...

 

 

Et cette voix qui nous parvient entre les lignes sombres de l’horizon – entre le silence, les bruits et les cris du monde. Comme un parfum discret, et tenace, au cœur du poème – au milieu des visages – parmi cette glaise encore suintante de sang...

 

 

Les insurmontables difficultés du monde. L’indécision et la paresse trop fervente des hommes. Et le labeur mécanique de leurs mains. Comme si nous ne pouvions échapper à ce que nous avons bâti... Et comme si subsistait l’espoir de vivre...

 

 

Jamais parti. Jamais revenu. Le lieu de la rencontre...

 

 

Nous avons ri et nous avons pleuré. Et il est temps à présent de regarder, de comprendre et d’aimer...

 

 

Jour après jour, le temps qui passe comme un éclair. Dans cette brume et sur ces peaux violacées à force de coups. Et si nous touchions la mort avant qu’elle ne se dérobe... Et si nous embrassions l’éternité avant de mourir... Et s’il nous prenait (enfin) l’envie de vivre comme des fous en attendant la sagesse...

 

 

Aux confins de l’esprit – de la mémoire peut-être – des voix m’appellent – et me chuchotent leurs secrets. Plus réelles, plus belles et plus sensées que celle des vivants. Et je dialogue avec elles. Et je les écoute me parler du silence et de l’éternité. Et je les questionne – et elles me répondent, le plus souvent, avec ma propre voix, étrangement calme et un peu déformée. Et je m’assois dans ce curieux soliloque où tous les visages sont égaux, et presque invisibles, et où seules comptent l’authenticité de la parole et l’honnêteté de l’âme. Et j’entends la vérité (partielle sans doute) se livrer par pans entiers sans savoir si elle émane de la plus grande folie ou de la plus haute sagesse. J’apprends ce qu’elle m’enseigne – et m’en remets au silence pour m’éclairer sur ces incroyables leçons de vie où les frontières, toutes les frontières, sont franchies ou effacées – où l’Autre n’est plus un visage étranger mais une part de soi méconnue et où le « je » n’a davantage de réalité que la brume qui se lève le matin pour célébrer l’ignorance et la lumière du monde...

 

 

La solitude a notre visage. Et il rend notre destin plus réel que nos songes – tous ces rêves communs où nous avons plongé nos têtes et le monde...

 

 

Quelque chose toujours disparaît ; un parfum, une respiration, un visage, un destin. Et de cet effacement, quelque chose (d’autre peut-être...) apparaît ; un destin, un visage, une respiration, un parfum. Et dans cette continuité, aux allures discontinues, demeure un regard en amont – en surplomb de toute présence. Comme l’évidence que l’éternité habite au-delà – et au cœur – de l’évanescence. Comme si le fugace était le prolongement de ce qui dure – et qu’en son centre, et partout alentour, demeurait ce qui ne peut mourir...

 

 

Peut-être n’aurons-nous été qu’un signe – qu’un visage – qu’une main tendue – dans un monde de fantômes...

Peut-être n’aurons-nous eu d’autre destin que celui d’apprendre à vivre et à aimer... Peut-être n’aurons-nous vécu que pour nous dévoiler et dire ce dévoilement... Peut-être n’aurons-nous découvert que la part de Dieu accessible à l’homme... Peut-être n’étions-nous destinés à d’autres usages – et que notre place était entre cette soif et cette lumière – dans cet imparfait visage...

Et peut-être irons-nous, à présent, dans la joie après avoir été rongés, et rompus, par la tristesse et la mort... Et peut-être serons-nous invités à y demeurer jusqu’à la fin du poème – jusqu’à la fin des jours – sans que nous épargnent, bien sûr, la traversée du monde et la continuité de la tristesse et de la mort...

Et peut-être serons-nous amenés comme chacun – chaque être, chaque homme, chaque bête, chaque plante, chaque pierre et chaque étoile – à poursuivre inlassablement notre route par-delà les circonstances...

 

18 décembre 2017

Carnet n°130 Vivant comme si...

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

A la frontière de mille mondes – à la frontière, peut-être, de tous les mondes – l’oubli est la seule droiture – la seule espérance. Entre ici et là-bas. Entre les jours et les instants qui passent. Entre la brume et l’horizon. Nous vivrons toujours au milieu de tous les gués. Entre l’herbe rase et la cime des plus hauts arbres avec partout autour de nous, les bruits – les mille bruits – de la terre et le silence – et cette prière que l’on n’entend que de l’intérieur lorsque s’éteint l’écho des horizons et que l’âme devient enfin mûre pour s’abandonner sans résistance – et retrouver son envergure ancienne. La main alors devient juste. Et, comme la parole, elle célèbre et sert ce qui se trouve devant elle...

 

 

A force de vivre, nous engorgeons la soif. Au lieu de dénicher le secret de tout désir...

 

 

A l’envers de tout, il y a cette cambrure de l’âme qui cherche sa verticalité. Et que nos pas piétinent – et que nos gestes tordent – au lieu de redresser...

 

 

Tous les départs laissent un goût de jour inachevé...

 

 

Au-delà du visible, il y a l’horizon. La perpétuelle nuit du monde. Et en-deçà, on ne sait pas... Le silence et la vérité peut-être... Ce que les hommes appellent Dieu – l’invisible – l’innommable...

 

 

Il nous manquera toujours un pas pour atteindre la vérité. Le dernier...

 

 

L’origine de l’apparition tient peut-être en quelques mots : le mystère, le silence, le désir et l’Amour. Ou, dit autrement : la lumière, l’ennui et le goût de l’Autre et de l’ailleurs...

 

 

[Lassitude – presque poésie*]

Je n’ai qu’une seule famille – et qu’une seule patrie : l’écriture. Et je m’y sens bien seul. Les autres ? Je ne sais pas ce qu’ils font – à quoi ils passent leur vie... Je n’ai connu – et ne connais – personne. J’ai vécu seul – et la solitude parmi les hommes. J’ignore à quoi se suspendent les autres visages. Je vois – et j’ai vu – leurs yeux quémander l’Amour – mendier n’importe quoi. Moi, je continue d’errer sur ma branche – sur ma feuille – à la recherche d’un regard – d’une présence – d’un oiseau qui s’envolera – et viendra peut-être se poser près de moi...

* En clin d’œil-hommage à Roberto Juarroz

 

 

Tout labyrinthe est chaotique. Et profondément intime. Et on ne s’y meut que pour y échapper – ou voir ses murs disparaître. Et si d’autres s’y promènent – ou y habitent quelques fois, ils ne sont jamais des alliés – mais des obstacles supplémentaires pour rendre plus âpre encore notre épreuve, excepté, bien sûr, le silence et l’invisible qui le parcourent avec nous (depuis toujours), juchés tantôt sur notre âme tantôt sur nos épaules. Discrets et légers en toutes circonstances mais perceptibles déjà avec les premières souffrances – avec les premières larmes...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

J’attends le soir. J’attends la rosée – le passage des oies sauvages – le sourire des pâquerettes à l’aube, encore toutes ensommeillées de la nuit. J’attends le jour. J’attends le chant du merle. J’attends que l’or émerge des visages. Et mon attente parfois est comblée. Et, un jour, la mort m’emportera...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

J’aimerais partir parfois. Et pourtant je reste là – presque immobile. Pendant des heures – pendant des jours. J’attends une chose qui ne vient pas...

 

*

 

Autrefois j’étais en colère que rien n’arrive. Aujourd’hui, je m’en amuse. La solitude aussi a ses joies...

 

 

Le désir de poursuivre toujours s’impose. L’après – et la suite impatiente des chemins, des jours, de la mort... Et pourtant, tout nous précède déjà. Avant même le premier pas, notre fin est scellée. Et pourtant, de toute évidence, cette fin ne finira jamais. Pas davantage que nous n’en finirons d’aller...

Toujours nous marcherons ainsi dans l’incertitude de cette fin interminable avec la compagnie permanente de l’éternité à nos côtés – posée là quelque part au-dessus de nos têtes – et cachée par notre désir fou d’aller un peu plus loin et un peu plus haut – vers cet après qui n’en finira jamais...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

Il y a peu de visages dans ma vie. Celui des chiens, celui de l'herbe et celui des arbres. Et celui du ciel qui, chaque jour, me rend visite. Souvent il s’arrête sur le seuil de la porte comme s’il hésitait à entrer dans la maison. Parfois il s’assoit à mes côtés. Et nous restons assis en silence pendant des heures – comme de vieux amis, l’un, sans doute, un peu plus sage que l’autre... La parole ne compte pas. Seule la présence – notre présence – est essentielle...

 

 

Au bout du compte – au bout des pas, nous nous soumettrons toujours à la cécité de cette marche avec l’invisible bénédiction de ce qui demeure...

 

*

 

Peut-être, et en fin de compte, serons-nous toujours ce pas et ce cri lancés au silence qui nous reviendront comme un écho déformé pour nous inviter à poursuivre... Le malheur serait d’y consentir avec la faim vissée au cœur... Et le bonheur, peut-être, de s’y soumettre sans appétit – et avec l’âme obéissante – et joyeuse d’offrir sa foulée...

Ainsi toujours nous roulerons des sommets jusqu’aux vallées – et remontrons péniblement vers les cimes pour retomber de nouveau avec l’acquiescement sage – et, sans doute, hilare – du silence.

Et de visage en visage s’approchera irrémédiablement le désert – la grande solitude du désert – où nous marcherons et crierons plus encore en alignant les errances comme autant de cris, de pas et d’incompréhensions. Comme livrés à notre insu à l’absurdité de cette marche – et à sa beauté, à ses jeux et à ses joies aussi – dans la plus grande proximité de la sagesse et avec son incompréhensible consentement...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

J’aimerais être aussi présent que le ciel auprès des visages que je croise parfois. Mais il y a un silence trop pesant entre nous – avec trop de pensées et trop de gestes – et beaucoup trop de désirs encore – pour que notre présence et notre silence – plus légers – si légers – soient compris et entendus...

 

*

 

La plupart du temps, les visages m’ennuient ou me blessent. Je n’ai pas encore la sagesse du ciel. Devant eux, je ne sais rester indifférent...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite et fin)]

Il y a sur ma table quelques livres. Quelques feuilles blanches, un stylo à bille et un vieil ordinateur. Et j’écris, chaque jour, à la lumière du ciel. Et lorsque les jours se font trop sombres – ou trop gris, j’allume la petite lampe posée près de la fenêtre. Elle offre à mes lignes la lumière que je n’ai pas su capter du silence...

 

 

[Lassitude – presque raison*]

En définitive, la vie n’est sans doute qu’une longue suite de désappropriations – des plus extérieures aux plus intimes – des plus grossières aux plus subtiles... Et qu’une continuelle invitation à s’y livrer sans tristesse ni espoir de réappropriation – avec un esprit toujours plus vierge, libre et ouvert...

Et Dieu sait pourtant que nous résistons de toutes nos forces à cet appel incessant de l’innocence... Des années, des vies, des siècles – et des millénaires peut-être – sont nécessaires pour nous soumettre par la force des choses – et, en général, plus résignés que consentants – à ce processus et à cette perspective. Comme si nous étions contraints de passer de la croyance d’être maître de notre vie, de nos gestes et de notre destin et propriétaire de nos biens, de nos terres et de nos pensées à l’évidente certitude que nous ne sommes que de simples et provisoires passants – et de dérisoires instruments destinés à servir – et à être utilisés selon les exigences de la vie et du monde – selon les nécessités du réel dans le grand dessein de Dieu (pour parler un peu pompeusement)...

* En clin d’œil-hommage à Roberto Juarroz

 

 

[Lassitude – presque raison (suite)]

Lorsque nul ne vous offre rien – aucune main ni aucun visage – excepté, bien sûr, ceux de la vie à travers les incessantes offrandes du monde, il est parfois difficile de vivre – et d’offrir sa présence, son amour et sa générosité – sur cette terre peuplée de bouches affamées et plaintives – si féroces et réclamantes...

 

*

 

Et nous aussi qui nous plaignons (ne serait-ce que de cet état des choses...) et réclamons de temps à autre, nous devons recevoir. Et c’est à notre seule présence (à cette présence – à cette part mystérieuse en nous) qu’il revient d’écouter nos plaintes et d’offrir ce que nous demandons...

 

 

[Lassitude – presque raison (suite)]

S’accepter – soi, ses défaillances, ses bassesses, ses manquements et ses lâchetés – dans la difficulté, la misère et l’épreuve, il n’y a d’aide plus efficace, de meilleure thérapie et de plus juste accompagnement...

S’auto-aider (si l’on en est capable – et parfois, il est vrai, nous n’en avons ni la force ni le courage...) sera toujours la voie la plus directe et la plus efficiente pour nous extraire – et nous sauver provisoirement sans doute – des affres et des gémissements de l’individualité...

 

 

[Lassitude – presque raison (suite et fin)]

Être – et vivre – aussi nu et innocent que les bêtes, ces chers et si précieux amis, avec peut-être, en surcroît, cet affranchissement des instincts...

 

*

 

Que pourrions-nous faire – et que pourraient faire le corps et l’esprit – sinon se laisser porter (et mener) par les circonstances et les usages puisque toute résistance au cours des choses sera, tôt ou tard, balayée et anéantie...

 

 

Humble parmi les humbles avec encore, au fond de l’âme, un peu d’orgueil. Cette maladie, peut-être incurable, des hommes...

 

 

Et cette odeur de mort qui flotte un peu partout... Et cette main qui coupe les têtes – et aiguise sa faux sur tous les squelettes – en suivant à la lettre les consignes des Dieux. Et l’homme, blessé par tous les départs et tous les au-delà, qui s’échine à résister en s’arc-boutant de toutes ses forces contre cette main qui s’approche – et s’abattra bientôt...

 

 

Au premier son du langage, le silence tenait encore debout. Avec les alphabets, il commença à vaciller. Aujourd’hui – et depuis si longtemps déjà – les langues le piétinent – et l’oublient – pour inonder le monde d’informations et de nouvelles. Et lui qui, dès l’origine – dès les premiers borborygmes et les premiers dialectes – n’attendait qu’une parole pour le célébrer...

 

 

Quand deviendrons-nous enfin las des kermesses et des foires d’empoigne ? Quand serons-nous enfin capables d’étendre notre pas jusqu’au silence pour que le désir et la violence éclatent en lumière – et que notre parole devienne l’un de ses éclats...

 

 

Il y avait – il y a – et il y aura toujours des morts. Des milliards de morts et quelques vivants à l’oreille sourde – et à l’œil ignorant – qui ne connaîtront peut-être jamais la beauté de la vie et de la mort – et la justesse des mille naissances et des mille effacements...

 

 

Nous survivons en haillons – et qu’importe les parures et les colliers... – sans savoir qu’il nous faut être nus pour vivre – et célébrer la mort et le vivant – et goûter la lumière – et ce peu de silence qu’il reste parmi tous ces bruits et les éclats, si ternes, de nos vêtures...

 

 

Au milieu de tout ce qui passe, s’enlace, se mord et s’efface. Et au milieu du silence et de la lumière malgré les bruits qui courent et la nuit qui s’avance – et qui dure encore – et qui durera peut-être toujours. Comme une éternité – une présence si belle et si vaillante – au milieu du noir. Au milieu des jours. Au cœur de chaque instant...

 

 

Visages, villes et cités bravant la poussière – cette fierté de l’homme à ajourner la cendre – eux aussi, un jour, mourront – balayés par les vents et ensevelis sous la terre...

 

 

C’est l’âme – et son secret – qui portent les bêtes et les hommes partout sur leurs citadelles et sur leurs routes – dans leurs jardins et dans leurs refuges. Au nom du silence – au nom d’un seul instant. Les laissant défier les visages, déjouer les pièges, braver les épreuves et avancer coûte que coûte, contre vents et marées, pour suivre leur sillage...

 

 

Et dans l’éclat de la nuit et les jardins à l’abandon – et parmi toutes les affres de la terre, le nom de l’homme. Et derrière, invisible encore, la malice des Dieux. Et enfouie plus loin encore, la souveraineté du silence. La seule – notre seule – raison de vivre...

 

 

Tant qu’un doigt montrera la lune au cœur de la nuit, les hommes croiront en la hauteur, en la grandeur et en l’inaccessibilité du ciel et de la lumière en s’imaginant devoir suivre un mouvement ascendant en empruntant je ne sais quel(le)s improbables échelles ou escaliers, seule issue possible, à leurs yeux, pour échapper à l’étroitesse et à la misère de leur existence... Ainsi la vie, le monde et l’infini demeureront imaginaires – de purs fantasmes. Pour y remédier, il conviendrait d’inverser la perspective – et de définir le réel, et, en son cœur, le silence, comme l’unique point d’entrée. Ainsi seulement l’homme pourra embrasser l’Absolu...

 

 

Les civilisations encore debout malgré l’heure tardive. Plus hautes et plus vaillantes qu’autrefois, s’imaginant approcher – et ouvrir peut-être – un ciel qui n’existe pas – et qui n’a, sans doute, jamais existé que dans leur imaginaire et leurs ambitions. Ignorant toujours avec détermination tous les en-bas salvateurs – oubliés et piétinés par la nuit et les mains et les prunelles toujours aussi avides d’en-haut, de promesses, d’espoir et d’ailleurs...

 

 

Grandeur et misère. En haut et en bas. L’indéchiffrable chemin de l’homme entre la chute et l’ascension. Les résistances et le délitement de l’orgueil. La progressive nudité. Le pas à pas laborieux vers l’innocence. Et la découverte inespérée du silence – et l’Amour et la lumière, ces compagnons (de toujours) cachés plus profondément encore...

 

 

Et cet hiver – et cette froideur – qui recouvrent tout. Terre, nature, villes, visages et jusqu’aux âmes grelottantes – comme trempés dans l’eau glacée. Comme si l’homme n’avait qu’un seul rêve : mieux-vivre – améliorer cette existence si étroite et dérisoire. Et qu’importe qu’il blesse, tue, exploite, assassine, envahisse, subtilise, arrache et anéantisse pourvu que ses (pauvres) rêves se réalisent...

 

 

Comment confier aux vivants l’étreinte de l’invisible – ses délices et ses promesses (véritables) – et les partager avec eux ? Impossible sans doute... sinon, peut-être, en incarnant, de la plus humble et silencieuse façon, son visage ...

 

 

A l’usage des hommes et des bêtes – des vivants et des morts – c’est ainsi que j’aimerais être lu – et que l’on parcourt mes livres. Pour sentir que le rêve d’une autre vie et d’un autre monde est possible. Et que nous avons tous notre place – et notre part et notre labeur à offrir pour qu’il se réalise...

Parvenir à cette libération des âmes, mon humble besogne n’a d’autre dessein – et je n’ai d’autre souhait pour la vie terrestre, le vivant, le monde et les hommes...

 

 

La fin de la terre apparaît déjà dans le feuillage du jour nouveau. Et bientôt, peut-être, pourrons-nous boire auprès des Dieux dans la fraîcheur de l’oubli et l’effacement de tous les sommeils...

 

 

Ce qui nous sépare reviendra, un jour, avec une envergure inimaginable – avec une envergure inestimable – reliant tout sur une même toile comme la trame unique du jour et de la nuit – comme la trame ancienne de toutes nos oppositions et de toutes nos contradictions. Et tout sera pris dans ses filets – jusqu’à nos pires rêves d’individualité...

 

 

L’ultime poème naîtra, sans doute, après la mort. Dans ce mélange des extrêmes. Cette union des regards. Comme mille caresses qui seront peut-être enfin comprises... Et de cette fin, une clarté pourra émerger. Un sourire. Une envie de soleil bien plus propice que les étoiles – et tous nos rêves de lumière. Les vivants alors pourront apprendre à rejoindre leur exacte place – auprès des Dieux fondateurs...

 

 

Mourir en lambeaux mais dans l’allégresse. Dans un chant qui durera par-delà les siècles – et par-delà les millénaires. Comme le don permanent du sacré scellant la fin du fracas, des crimes et des tourments. Comme la seule invitation possible : celle de l’innocence et de la lumière – et la célébration de ce grand Amour qui s’offre déjà à tous...

 

 

A combien d’hommes encore hésitants au carrefour des promesses, le sage devra-t-il répéter sa parole... Et combien de crimes et de caresses (idiotement mimétiques) devra-t-il pardonner – et oublier d’un geste, presque machinal, pour que les foules entendent raison et participent au grand chantier du silence... Et combien de siècles – ou de millénaires – devra-t-il encore attendre pour que tous soient capables de rejoindre ces lendemains qui chantent déjà derrière leurs paupières closes...

 

 

Un matin, hors des chambres secrètes, le regard pourra s’éveiller de sa torpeur – et l’horizon briller et tomber en cendres – devant la justesse d’une parole, l’ampleur du silence et la sagesse des poètes. Nous ne serons plus alors qu’à quelques encablures de la neige. Et un souffle puissant, presque originel, pourra nous défaire du noir et de la mort – et de tous ces liens funestes que nous avons cru nécessaires à notre survie...

 

 

Aucune fin, fût-elle rompue par la douleur, ne nous éloignera de notre destin – de notre seule raison de vivre : cet Amour et ce silence. Cette lumière déjà présente au cœur de nos mains suppliantes...

 

 

Le monde-folie qui brille dans nos rêves saugrenus – et que nous bâtissons de nos mains laborieuses – n’est qu’une ligne, à peine tremblante, sur le sable de la terre. Et qu’importe que nous le transformions en palais ou en mouroir... Et qu’importe nos chants de lumière et nos champs de bataille, un jour, les torrents balaieront ses terrasses, ses cités et ses jardins aux prises avec le souffle et les courbures du ciel – aux prises avec tous les Dieux...

Et nous serons là, témoins de toutes les magies, de toutes les forces et de toutes les écritures pour raviver ce feu qui nous emportera plus loin – vers cet ailleurs que l’homme a tant désiré en secret – et qu’il a déjà foulé maintes et maintes fois sans parvenir à la nudité nécessaire pour se hisser jusqu’à la promesse de toutes les pertes et réussir (enfin) à vivre de façon moins bestiale et pitoyable...

 

 

Et vivre avec (encore) un peu de sagesse – et en silence – anonyme et invisible entre tous – parmi toutes ces bêtes furieuses – au cœur de l’immonde qui s’étale et envahit jusqu’aux plus belles aspirations de l’âme, faudrait-il, pour accomplir une telle prouesse, ne plus s’appartenir...

 

 

A quelles impasses offrirons-nous encore nos jours... Comme si le chemin – et la vie qui passe – étaient (toujours) insuffisants à combler nos attentes...

 

 

A cheval entre le désir et l’oubli – la nostalgie et le silence – le jour et la nuit – la solitude et la neige du partage...

 

 

Face au ciel (définitivement) malgré les visages et les brûlures qui froissent la peau – et toutes les sources encore si frémissantes de la terre...

 

 

Au bord de l’Autre. Là où l’Amour sauve de tous les périls. Là où le silence répond à tous les rêves. Là où la lumière roule sous les paupières...

 

 

Au bord de l’estuaire, face à la mer. Au milieu des montagnes et au cœur des villes, face au ciel. Partout l’infini s’offre – et nous affronte. Et pourtant nous capitulons toujours devant notre ignorance de l’Absolu...

Et cette main, si impuissante, qui écrit ses poèmes comme si les mots pouvaient encore nous sauver...

 

 

Un cri émerge parfois entre les pierres. Comme si notre voix pouvait nous consoler de la solitude. Comme si notre résistance pouvait échapper à l’oubli...

Nous ne sommes, sans doute, que les restes d’un vieux rêve que nul n’entendra jamais – et que nul ne prendra jamais la peine de redresser pour que nous puissions voir, un jour, arriver la lumière...

 

 

Aujourd’hui, tout nous a quitté. Et, désormais, nous n’entendrons plus que le vent dans les ramures de l’âme, esseulée par tant de départs. Et nous irons seuls – plus seuls que jamais – parmi les herbes folles qui côtoient le soleil et la rosée. Nous irons là où les vents poussent le pollen – jusqu’au bout de la terre – en cette extrémité où les étoiles se pencheront peut-être vers nous pour nous dire que nous n’avons jamais été seuls – et que rien n’a disparu – et qu’un jour, bientôt sans doute, tout sera retrouvé – et que l’âme pourra respirer la même joie que toutes les fleurs du monde – et que l’innocence est le seul pays – et que le silence, un jour, rassemblera tous les visages dispersés... Alors peut-être serons-nous (enfin) capables de nous rejoindre...

 

 

Plus qu’une étoile, un sourire. Plus qu’un sourire, une parole. Plus qu’une parole, un geste. Et plus qu’un geste, une présence. Ainsi toujours peuplerons-nous la terre et le silence...

 

 

Nous n’avons soif que de nos envies. Et la source jamais ne se tarit. Et la source, pourtant, toujours nous abreuve de silence. Et partout, tout demeure déchiffrable qu’à travers le désir. Comme si nous ne comprenions ni notre nature ni notre destin...

 

 

Quelqu’un se lève dans la foule et parle en imaginant construire, à travers son discours, une idée, un édifice – un monde peut-être – ignorant que sa parole n’est qu’un souffle – qu’une onde infime – dans le silence. La vérité ne s’apprend. Pas davantage qu’elle ne se bâtit. Elle s’offre toujours au plus silencieux. La sagesse, sans doute, est à ce prix...

 

 

Il est possible que nous n’y entendions rien. Mais qui pourrait bien nous apprendre à écouter...

 

 

Et parmi cette soif, ces rêves et ces désirs, qui serait assez sage pour s’asseoir en silence – et laisser souffler et tourner les vents, paumes humbles et ouvertes au soleil... Et dans ces bruissements d’étoiles, qui serait assez sage pour percevoir, entre la mort et l’horizon, l’immobilité (tranquille) des pierres qui se réchauffent au milieu de la fureur et des cris... Et qui saurait plonger au cœur de toutes les détresses, entre les gorges et les poignards, pour voir s’avancer l’Amour...

 

 

Nous vivons entre les noms, les désirs et les titres de propriété. Entre les ambitions et les soucis. Et nous lançons nos rêves jusqu’aux cimes de l’automne, étonnés de voir arriver l’hiver – et de ne rien trouver dans nos poches – pas même le nécessaire pour affronter la mort...

 

 

Il est étonnant, presque frappant, de constater qu’à côté du monde naturel, existe un monde parallèle : le monde humain avec ses propres activités, ses propres lois, ses propres codes et ses propres mœurs. Un univers monstrueux et invasif – éminemment conquérant et agressif – qui s’étale et envahit l’espace (la totalité de l’espace) en détruisant le monde naturel – en le réduisant à l’adaptation permanente, à la fuite, à l’anéantissement et à la mort – et en le condamnant, tôt ou tard, à disparaître...

Et quelle étrange et affligeante merveille de voir les hommes, tels des insectes ou des brins d’herbe, penchés sur leur modeste besogne, participer à leur insu, au fonctionnement et au développement de ce grand monstre mortifère...

Et nous qui ne quittons presque jamais nos collines – ce petit coin de terre enclavé au milieu des forêts et des prés, nous sommes littéralement frappés par cet univers humain – par ces villes et ces réseaux tentaculaires – aux allures affreuses et dévorantes. Et nous ne pouvons nous empêcher de ressentir un immense malaise et une forme de tristesse à la vue de cette féroce monstruosité en marche...

Comment les hommes qui vivent en de tels lieux et qui participent aux mille activités de ce monde pourraient-ils ne pas se sentir prisonniers, esclaves et dépressifs ? Rien qu’à traverser ce genre de contrées bruyantes et surpeuplées, je me sens profondément oppressé et mélancolique...

Et ce qui me frappe aussi, ce sont ces pauvres lieux d’habitation, serrés les uns contre les autres ou à proximité des routes saturées par le trafic – et tous ces noms qui s’étalent partout dans les rues, sur les panneaux publicitaires, sur les murs des usines, sur les devantures des magasins et sur les véhicules professionnels (en tout genre) – et tous ces pauvres hommes à la figure triste et résignée – presque totalement éteinte – qui vaquent machinalement à leurs affaires comme si ces lieux et cette existence étaient les plus naturels du monde...

 

 

Vivre sans cette présence qui nous donna la vie – et sans ces couleurs qui l’égayèrent, comment pourrions-nous (encore) tenir debout – et nous faire vaillants dans les tempêtes... A demi-morts déjà avant l’heure de l’agonie...

 

 

Et les vents toujours tourneront en redressant nos courbures. Comme si nous étions nés le dos voûté – et l’âme trop penchée – presque invalides pour sentir – et marcher vers – le ciel. Et chaque pas nous défera de cet embonpoint de sédentaire, trop riche de certitudes pour aller sans parure – traverser la nuit – et venir se coucher en ce lieu où la nudité s’habille d’innocence...

 

 

Nous avons travaillé comme les bêtes – pire que les bêtes sans doute – pour n’effleurer que quelques étoiles – et pouvoir dormir au chaud et à l’abri après le souper. Et nous avons bâti une vie – et créé un monde – à l’image de nos peurs et de nos désirs. Et, à présent, nous y étouffons sans savoir où – ni vers qui – nous tourner... Comme si nous n’avions envisagé le pire avant de l’édifier... Et combien d’entre nous s’imaginent encore construire – contribuer à la construction – d’un monde merveilleux... Pauvres hommes façonnant leur propre désert. Et l’hiver comme l’unique saison des jours. Et nous aurons beau espérer encore, nous continuerons à trembler dans la sueur et le froid...

 

 

Nous nous sommes enfoncés dans un lointain sommeil. Et les plus sages se sont retirés – sont partis avant que les rêves n’envahissent leur âme... Et nous sommes seuls à présent – démunis face à l’invasion des songes. Et nous dormirons encore. Et la nuit sera plus profonde qu’autrefois. Et quelques étoiles continueront de briller. Et nous aurons la même vaillance – le même courage et la même idiotie – d’emboîter le pas à leur passage – et d’espérer voir leur brillance retomber sur nous en pétales. La torpeur n’en a pas fini avec nous. Et elle jubile déjà de cette ignorance qui, peut-être, durera toujours...

 

 

Le jour encore, si tenace, dans cette nuit interminable. Si proche que nos lèvres pourraient goûter son sel – et boire sa lumière. Mais nous préférons nous pencher sur notre inutile labeur – et aiguiser l’intelligence (ces balbutiements d’intelligence) – pour construire des lendemains moins éprouvants et plus enchanteurs – et nous protéger (vainement) des griffes du monde et du fiel des visages. Il suffirait pourtant de lever les yeux – de les poser un peu plus haut et un peu plus loin – pour voir les premières lueurs – les premiers signes du jour...

 

 

Un nouveau sursaut d’espérance, et nous voilà bientôt dégoulinant de ferveur. Et nous voilà, un peu plus tard, plus profondément enfouis dans le noir. Comme pris dans les sables mouvants de la terre. Comme un long chemin – un interminable enlisement qui enfonce inéluctablement notre visage et notre âme dans les profondeurs...

 

 

Pourquoi sommes-nous donc si peu entendus ? Peut-être n’avons-nous su dire ? Peut-être n’avions-nous pas les mots ? Peut-être l’indifférence était-elle trop forte ? Peut-être aurait-il fallu ajouter des gestes à la parole ? Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment présents ? Peut-être – qui peut savoir...

L’absence, sans doute, est le pire des maux. Et sous son règne, il est vain d’espérer sauver le monde et les hommes.

Mais qu’aurait donc offert notre présence ? Notre retrait – et notre silence – auraient-ils été davantage compris ? Auraient-ils enfanté un soleil plus lumineux et plus réconfortant ? Les hommes auraient-ils quitté, l’espace d’un instant, leur labeur et leurs rêves pour lever les yeux vers le ciel ? Et auraient-ils réussi à goûter la joie et l’infini ? Auraient-ils senti l’imminence de l’aurore ?

Qui peut savoir ce qu’aurait été notre vie – et ce qu’aurait été celle du monde – si nous avions vécu, et agi, autrement...

 

 

A quelle joie pourrions-nous prétendre nous qui ne savons pas ? Et où pourrions-nous aller pour échapper à la mort ? N’y aurait-il que le silence pour nous combler...

 

 

Et à l’aube de chaque jour, cette nuit qui n’en finit pas... Comme si nous naissions avec les yeux clos, vivions dans l’ombre et mourrions sans le moindre espoir de lumière...

 

 

Et entre les pierres sèches, ce sang qui coule encore comme si nos mains ne pouvaient deviner les drames – et l’imminence de la catastrophe – qu’elles ont aveuglément façonnés...

Et cette soif douloureuse qui assèche tout ce qu’elle fouille – et soulève : terre, corps, visages et jusqu’aux âmes les moins imparfaites...

Et ces tourbillons gigantesques où tout est englouti – jusqu’aux séjours les plus tranquilles – et jusqu’à la figure sereine des sages...

 

 

Le parfum et l’épaisseur des existences jamais découverts – jamais apprivoisés. Comme une promesse attachée à un fil accroché à un bâton que Dieu et les circonstances – et parfois même notre propre main – agitent devant nous et qui s’éloigne d’un rien à chaque pas supplémentaire...

Et cette odeur pestilentielle des horizons qui continue à nous séduire. Comme si sentir avec plus de subtilité était (toujours) hors de (notre) portée...

 

 

Et la vie comme au premier matin de l’hiver, rude et glaciale – presque invivable pour les vivants en dépit de quelques flammes, oubliées là peut-être par Dieu pour donner aux bêtes et aux hommes les nécessités – quelques réconforts et quelques joies – pour survivre à son absence...

 

 

Et cette chair dévorant la chair. Et ces âmes ignorant les âmes. Comme s’il (nous) était impossible d’échapper aux instincts...

 

 

Et tous ces visages – et toutes ces portes – austères – fermés à toute grâce – qui jalonnent les parcours. Et qui les attristent si souvent... Comme si nous ne pouvions vivre libres des impératifs du monde et des nécessités de la terre...

 

 

La neige pèse parfois plus lourd que la chair et la mort réunies. Et toutes ces querelles dans cette nuit unique. Et la démarche pesante des âmes. Comme si le soleil n’en finissait jamais de s’éloigner...

Une histoire parmi mille histoires. Ainsi croyons-nous en notre valeur – et en notre importance – allant d’une foulée boitante sans nous souvenir de notre première envergure parmi ces malheurs, par milliers, qui invitent au silence – et avec cet étonnement à vivre si proche de l’oubli...

 

 

Des ténèbres. Et mille mensonges. Et mille sommeils. Comme si nous étions des somnambules perchés haut sur le fil du ciel tendu entre les abîmes...

 

 

Dire la vie, la mort et l’infini est – et sera toujours – insuffisant. Il faut être ce que l’on écrit sinon le poème se fait trop léger, élégant peut-être, mais sans consistance – sans vérité. Il faut tremper sa plume dans la chair, le sang et le ciel pour prétendre à la poésie. Et les plus sages toujours demeureront silencieux – partageant l’invisible – l’innommable – avec leur âme si discrète et attentive...

 

 

Arbres et âmes dénudés – accablés pourtant par la légèreté des fleurs – et leurs danses gracieuses avec les vents. Le pesant toujours se dresse trop fier – et trop plein de désirs – face au ciel, attendant sans doute l’approbation de quelques visages sans jamais succomber aux charmes du dépouillement, de la simplicité et de l’anonymat...

 

 

Des morts encore. Quelques danses. Et un peu de poussière. Et nous croyons ainsi pouvoir échapper à la tristesse... Ne voyons-nous donc que nos heures – et sommes-nous si inattentifs – pour aller si gaiement... Sommes-nous donc à ce point insensibles au monde – à ses mille tourments et à ses mille tournures funestes et dramatiques...

Seuls les sages qui ont découvert les secrets de la mort – et qui en sont revenus – peuvent se réjouir – et sourire sans mélancolie face à l’insupportable misère des vivants...

 

 

Vêtus de terre au milieu d’un champ d’orties près duquel brûle, chaque matin, tout ce qui se dresse encore assoiffé de lumière. Et nos ruines – toutes nos ruines – en contrebas du monde...

 

 

Là, seul et étendu au milieu de son âge, vacillant d’espoir et de prières, ce crieur d’éternité. Cette sentinelle attendant la fin de la nuit – la fin de toutes les nuits – et guettant l’aurore en plein jour pour faire avancer la parole – sa parole peut-être – entre le silence, le ciel et la cacophonie du monde – dans cet interstice que voilent les étoiles, tenu(e)(s) par un Dieu à notre image, aussi rieur que taciturne...

 

 

La vie – et la mort – à la verticale du silence. Et adossé à son faîte, l’Amour – cette parabole de joie...

 

 

Nous vivons comme si la vie était donnée. Comme si vivre consistait à s’absenter. Comme si nous avions les mains liées par nos exigences et les nécessités du monde. Et pas à pas, nous nous rapprochons pourtant du mystère et du cimetière – et de toutes les morts qui jalonneront notre parcours – en avançant malgré nous, cahin-caha, sur ces étranges et sombres chemins vers l’unique lieu du silence – cette présence encore à peine entrevue...

 

 

Ne cherchons pas à expliquer. Trempons nos lèvres dans le calice. Et ouvrons nos veines au silence pour devenir plus sages – et aussi beaux et sauvages que le parfum de l’herbe coupée à la belle saison. La nuit alors sera stoppée – et dix mille feux pourront briller sur la terre nouvelle – auréolée et célébrée par nos œuvres silencieuses...

 

 

A la frontière de mille mondes – à la frontière, peut-être, de tous les mondes – l’oubli est la seule droiture – la seule espérance. Entre ici et là-bas. Entre les jours et les instants qui passent. Entre la brume et l’horizon. Nous vivrons toujours au milieu de tous les gués. Entre l’herbe rase et la cime des plus hauts arbres avec partout autour de nous, les bruits – les mille bruits – de la terre et le silence – et cette prière que l’on n’entend que de l’intérieur lorsque s’éteint l’écho des horizons et que l’âme devient enfin mûre pour s’abandonner sans résistance – et retrouver son envergure ancienne. La main alors devient juste. Et, comme la parole, elle célèbre et sert ce qui se trouve devant elle...

 

 

Une lumière devant nous, encore obscurcie par la promesse des horizons. Et le fleuve ultime. Et la dernière rive bientôt où le vent soufflera sur l’âme pour en extraire la substance terrestre – si instinctive – et lui (re)donner le goût de l’innocence – cette nudité nécessaire à l’accueil – et à la célébration – du silence...

 

 

Et la parole (poétique) n’en finira jamais de relier les mondes – tous les mondes si différents, si enchevêtrés et parallèles – et tout ce qui semble séparé sans l’être véritablement, bien sûr... Comme le seul trait d’union possible, avec le silence, entre le rêve et le réel – entre le jour et la nuit – tous aussi grandioses, nécessaires et prometteurs les uns que les autres. Et c’est ainsi seulement, dans cette réconciliation, que nous pourrons vivre...

Comme un chant dans l’épaisseur du temps offert à tous – pour combler chaque instant – et l’éternité à venir – et nous faire oublier peut-être ce passé si désastreux...

 

18 décembre 2017

Carnet n°129 Quelques jours et l'éternité

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Effacer le dehors. Et effacer le dedans. Pour faire éclore, jour après jour, ce rire sur le rien...

Apprendre de la pierre, aimer la terre et désapprendre le temps. Pour que demeurent l’écume et le vent. Et nos lèvres silencieuses ouvertes aux voix, au ciel et aux oiseaux – et à la candeur de tous les visages...

 

 

La vie, le monde et la mort n’auront épargné personne. Mais ils nous auront laissé cette soif et cette curiosité – ce goût ineffaçable pour l’inconnu et le silence...

 

 

Entre la pierre et l’écume nous naissons. Et agonisons sans fin. Aussi pour vivre un peu – vivre davantage – et découvrir notre éternité, il faudrait y déterrer le silence...

 

 

Ce que nous apprenons du sang sera, un jour, livré à la terre. Et ce que nous apprenons du ciel et de l’âme – du grand silence – traversera la mort et les siècles. Et c’est dans cette compagnie que nous vivrons – et apprendrons à aimer – bien plus longtemps que l’éternité...

 

 

Effacer le dehors. Et effacer le dedans. Pour faire éclore, jour après jour, ce rire sur le rien...

 

 

Apprendre de la pierre, aimer la terre et désapprendre le temps. Pour que demeurent l’écume et le vent. Et nos lèvres silencieuses ouvertes aux voix, au ciel et aux oiseaux – et à la candeur de tous les visages...

 

 

L’innocence sur nos visages – et dans nos rêves – plus forte – et plus dressée que jamais. Comme pour assaillir – et renverser – le cauchemar et les songes de notre vie...

 

 

Nos vies comme une enfance lancée au ciel qui retomberait sur terre avec fracas. D’où peut-être notre sentiment d’exil et notre désespérance...

 

 

Entre la vie et les mots (la parole poétique), le plus grand silence. Comme caché par nos bruits et nos chemins – notre fureur, nos élans et nos envies d’ailleurs – et les heures neuves partout qui brûlent l’horizon...

 

 

La poussière des chemins s’accumule au fond des yeux – et au fond de l’âme. Et alourdit jour après jour – siècle après siècle – notre silhouette et notre marche déjà si pesantes...

 

 

Et l’âme – cette éternelle exilée – bannie du monde et des siècles depuis toujours. Comme si les hommes devinaient – le danger qu’elle représente – et qu’elle porte en elle – et qui menacerait la marche insensée du monde et des siècles s’ils l’acceptaient – et la laissaient s’épanouir...

 

 

Empressons-nous de dire le silence – sa beauté – sa justesse et son amplitude – avant de nous y coucher...

 

 

Un peu de vent encore dans les arbres – et sur notre vie, si lasse, malgré l’immobilité et le silence qui ont gagné notre âme. Qui l’ont peu à peu emplie en la vidant de ses désirs et de ses élans. Et qui la réconfortent à présent d’une joie qui efface tous les espoirs et toutes les peines...

 

 

Quelqu’un pleure quelque part. J’entends sa tristesse – et sens ses larmes couler sur ma joue. Comme s’il n’y avait plus qu’un silence entre nous – un frisson – une sensibilité – un espace moins grand qu’un pétale... Et je découvre l’Amour qui s’approche – et qui comble les interstices laissés par la peur. Et je pleure de ces yeux inconnus entre nous qui nous rapprochent – et nous lient comme des frères en un seul visage. Et notre cœur s’est arrêté – dilaté à présent – effaçant les frontières. Et nous pourrons désormais nous attrister – et nous réjouir – d’aller ensemble dans la mort – et par-delà nos restrictions – vers notre seule envergure...

 

 

Une chair, un visage, un destin. Et la longue errance – et la lente progression sur l’échelle de l’absence ; du degré zéro à la plus éclatante présence...

 

 

Nous vieillirons peut-être ensemble avant d’être, un jour, (bien sûr) fauchés par la mort. Mais l’Amour demeurera – aussi vert qu’aujourd’hui...

 

 

Caché au-dedans, inaccessible encore, le silence... Une présence comme une lumière déjà éprise de l'âme qu’il suffirait d’arracher à la paresse. Et nous serions aussitôt engloutis dans une halte – et un recommencement – sans fin...

 

 

La souffrance, comme l’espoir, est une parure. Un voile léger – parfois épais – sur la lumière. Pour la voir, il convient de s’en dévêtir – et de la laisser tomber, encore orgueilleuse, à nos pieds...

 

 

Autour du sang, il y a la chair. Et autour de la chair, il y a l’âme. Et au-dedans de tout, la lumière...

 

 

On ne choisit rien. Ni de vivre ni de mourir – ni sa vie, ni sa mort – ni la souffrance, ni la joie, ni le silence, ni les visages, ni les circonstances. On se laisse saisir – et l’on se prête à l’usage...

 

 

Forêts, filles de l’enfance et de la neige. Le premier visage et la première fleur nés du printemps. Les signes que le silence et la lumière – et leur patiente attente – sont possibles...

 

 

Pourquoi faire naître, chaque matin, l’aurore alors qu’il nous est impossible de l’atteindre – et de la rejoindre. Comme si nous vivions sous un vieux drap sale et gris qui ne laissait passer le soleil – la lumière – qu’à travers ses trous – nos déchirures...

 

 

Nous n’avançons qu’à reculons vers notre tombe. Et la mort, un jour, nous attrapera par derrière. Et nos yeux – et notre front – trop penchés par la peur ne la verront arriver...

 

 

Nous nous enfonçons parfois dans une seule ombre que nous prenons pour un soleil. Et l’horizon, peu à peu, devient gris. Et la nuit, peu à peu, devient plus noire. Et le jour même s’assombrit...

 

 

Un rêve – des rêves – sans regard. Et un regard sans aucun rêve. Voilà deux perspectives – et deux univers – diamétralement opposés au sein d’un même monde. Et pour passer de l’un à l’autre (du premier au second), il suffit d’un instant qui se transforme, très souvent, chez les hommes, en années, en siècles, en millénaires...

 

 

La beauté des paysages et de la terre. La folie des pas, des mains et du monde. Et la vanité de tous nos gestes. Et cette cadence féroce et ce poids immense qu’il nous reste sur les bras. Et l’âme pudibonde, timide et fière qui n’aura jamais su s’y prendre – qui n’aura jamais su s’y faire... Pourrions-nous regretter, un jour, d’avoir été des hommes ?

 

 

Mille routes qui ne font, en vérité, qu’un seul chemin. Et mille figures qui ne feront, un jour, qu’un seul visage. Le seul monde qui pourra naître de notre enfance...

 

 

Il y a encore de la buée sur nos yeux ensevelis par l’ignorance. Un peu d’eau et quelques songes qu’asséchera, un jour, le soleil...

 

 

Livrés aux pièges communs plutôt qu’à la délivrance de l’inconnu. La certitude et le temps, voilà les erreurs monumentales de l’homme...

Il faudrait se livrer, corps et âme, à l’incertitude pour voir émerger les premières neiges – et la première magie – de l’aurore délivrée de l’ignorance et des secrets...

 

 

Rien à célébrer sinon la danse, l’ombre et le silence. Les mille danses, les ombres par milliards et le seul, et même, silence. Partout se livrant aux mêmes supplices et au même réenchantement...

 

 

A qui sont donc destiné(e)s ces pages – ces milliers de fragments – si seul le silence peut les entendre et les recevoir... Faudra-t-il attendre qu’il emplisse les esprits pour que les hommes daignent enfin y jeter un regard...

 

 

Il est des hommes aux tournures et aux tourments exagérés. Ils y plongent comme dans une cuirasse en se croyant importants et protégés... Mais, en vérité, ils y vivent à l’étroit sous le joug de la peur et des croyances. Et ils y meurent sans avoir vu – ni goûté – la joie et la lumière de la nudité cachées par le heaume de leur armure…

 

 

Un torrent, une lave, un ciel. Et tout nous emporte. Et tout sera emporté... Engloutis par les courants et les marées jusqu’à ce lieu où ne peut pénétrer que la poussière, laissant les rêves, les remparts et la sève au cœur des débâcles – au cœur des tourbillons enfantés par les vents complices du désordre...

 

 

L’on croit vivre là où il n’y a que peurs, doutes, déroutes et balbutiements. Et une soif encore incomprise...

 

 

Les visages ruisselants. Les barques à la dérive. Et les chants du premier matin du monde. Cette aube à l’heure imprécise avec ses souffles et ses avalanches de lumière qui bousculent – et recouvrent – tout à la ronde ; les peines, la faim, la terre, les terreurs, le monde et la mort pour faire émerger (enfin) le premier homme...

 

 

L’homme, en définitive, sera toujours plus mortel que vivant...

 

 

Nous vivons à l’ombre des morts. Et sous leur ciel gris. Et nous mourrons comme eux – et comme tous les anciens vivants – sans rien voir – ni rien comprendre – du jour et de la lumière. Dans une nuit sans remède – et sans guérison...

 

 

Le sang et la chasse. Aussi absurdes que notre torpeur et notre indignation. Comme un visage innocent offert aux griffes funestes (et inexcusables) du destin et de la mort...

 

 

Les jours des hommes aussi blêmes que leurs nuits. Nulle différence dans la boue. Cette fouille interminable soumise à l’ardeur des élans et à la mort. Bras levés parmi les chants, les cris, les balbutiements et la chair – si proches pourtant du feu, de la fleur et du désert...

 

 

Les (longues) heures de veille parmi la poussière – guettant, entre l’horreur et la mort, l’aurore promise par les sages. Voilà la rude tâche des innocents plongés au cœur du monde et des vivants...

 

 

Une clé, un passage – ceux de la liberté nous avait-on dit. Et nous voilà avançant – et chantonnant – parmi les ruines et les débris d’un monde que nous avons cru nôtre – et qui, sous prétexte des saisons et des mille printemps à venir, nous aura, peu à peu, assassinés. Laissant la chair ornée de balafres et de sortilèges. Aussi comment pourrions-nous échapper à ce désastre – à ce gâchis – sinon en déchirant l’aube, les regards, les rêves et les promesses – en nous défaisant de cette nuit et de notre visage ancien à l’ignorance si têtue...

 

 

Rien ne nous ressemble davantage que la joie, l’Amour et le silence. Cet œil, cet accueil et cette danse posés au cœur de tout – et au-dedans même de ce que nous avons cru sans importance...

 

 

Entre la neige et l’oiseau, il y a un arbre – et une branche – qui nous sauvent du désespoir. Et du froid si vivace des regards et des saisons. Et il y a ce feu au-dedans de l’âme – et au-dedans du cœur – qui abrite notre dernier espoir...

 

 

Les dessins de la terre montent jusqu’aux étoiles – à travers l’homme, ses rêves, ses bras. Et nul ne tient (ni ne détient) les fils du temps et la clé des songes. Qui s’est donc invité au seuil du regard et de la vie immobile ? Serait-ce Dieu, éminemment présent, en notre visage ? Serait-ce le hasard aux mains si discrètes et agiles ? Qui sommes-nous donc – et quand saurons-nous nous retrouver – perdus que nous sommes aujourd’hui avec ces yeux un peu à l’écart de la foule – qui essayent de dénicher quelque chose – un espoir – une croyance peut-être – qui délivrerait notre destin de ses attaches...

 

 

La vie, le monde, l’infini rêvés – fantasmés plus que tout sans doute. Et la vie, le monde et l’infini réels et réalisés. Et au croisement de ces trois routes, notre tâche. Et notre destin d’homme. Ceux auxquels nous rechignons encore...

 

 

Gorgés de plus d’un espoir – et de plus d’un soleil – nous nous abreuvons (nous croyons nous abreuver). Sans cesse nous étanchons notre soif d’histoires, de leurres et d’illusions. Mais, en vérité, nous nous assoiffons pour des siècles – et pour l’éternité peut-être – qui seront, sans doute, plus noirs que nos rêves...

 

 

Celui qui sait transformer les briques en brasier – et le brasier en cendres – sera sauvé des constructions – de l’enfer de toute construction. Et pourra aller libre dans la joie et la nudité – danser à loisir avec l’innocence et vivre, serein, dans l’étreinte du silence...

 

 

Ni rien voir, ni rien comprendre, ni rien aimer. Ainsi vivent les hommes, penchés sur leurs briques –les mains ardentes œuvrant à leur labeur interminable, voués jusqu’à la mort à leur espace étroit et calciné – sans rien sentir ni rien connaître. Ni la vie, ni la rosée, ni le sang, ni la joie, ni l’enfance, ni la mort, ni l’infini. Une vie en-dessous de toute vérité gouvernée par l’hallucination et le délire...

 

 

Des ratures plus belles que nos épreuves. Et cette vérité qui se cache derrière nos apparentes erreurs. Les tentatives de l’homme aussi belles que ses oublis. Comme l’imparfaite possibilité de la perfection... Ce destin en nous qui se cherche... Dieu en cette chair fébrile et frémissante profitant de nos doutes et de nos hésitations pour nous apparaître plus présent et plus vivant – plus sage et plus clément – que nous ne l’imaginions...

 

 

Et ce silence enfoui dans le terreau des siècles. Et cette lumière déjà présente sous le fumier des hommes. Comme s’il nous appartenait de découvrir peu à peu ce que cachent les apparentes immondices pour percer (enfin) tous les secrets...

 

 

Le haut des pas et le bas des rêves. Et entre les deux, la vérité qui se dessine déjà...

 

 

Nous vieillirons en reclus. Plus barricadés qu’autrefois derrière quelques souvenirs et quelques rêves encore tenaces. Et l’asphyxie sera le dernier élan. Comme le sacre de notre étroitesse...

Gageons que la mort invite les vents à déblayer l’espace de ses ombres originelles et légendaires – et qu’elle nous aide à sortir de ces lieux sordides où la mémoire emprisonne les désirs – et cantonne notre vie – nos années et nos siècles – à l’errance – à ce destin de fantôme prisonnier de ses propres retranchements...

Comme si le silence n’avait, en définitive, qu'effleuré nos âmes – aussi muettes aujourd’hui qu’autrefois...

 

 

En regardant le monde, on constate avec évidence que tous les êtres font et défont – se font et se défont – se montrent et se démontrent – montent et se démontent – bref essayent d’exister un peu... en attendant la fin – en attendant la chute... Et quelque chose en moi a toujours répugné* à participer à ce merveilleux et navrant spectacle. Je me suis toujours tenu à l’écart en regardant mi-navré mi-songeur – mi-affligé mi-narquois – le corps et l’esprit esquisser leurs pauvres et timides pas de danse – et se résoudre à leurs nécessaires et incontournables élans. Mais je n’ai jamais aspiré à prêter ma vie, mes actes et mon labeur à l’effervescence et au brouhaha, un peu vains, du monde et des hommes si soucieux d'aménager leurs vitrines... Et même l’écriture, la métaphysique et la poésie – si essentielles à mes yeux – je ne les ai toujours exercées que pour moi seul en offrant humblement ma modeste et solitaire besogne à travers une minuscule fenêtre (très peu fréquentée, bien entendu) sans volonté d’attirer la lumière des projecteurs...

* Bien qu’une part, de moins en moins enthousiaste au fil du temps, y ait toujours un peu aspiré aussi...

Tant de choses, de projets et d’activités existent déjà – et sont créés chaque jour. Et chacun d’eux cherche à exister – à se montrer et à s’exposer – dans le fatras ambiant surchargé – en aspirant à son quart d’heure de gloire – qu’il m’a toujours semblé vain d’y ajouter les pauvres fruits de mon labeur... Comme si le monde n’était qu’une accumulation perpétuelle, un peu inutile et puérile, de ces mille choses, de ces mille activités et de ces mille projets. Aussi ai-je toujours préféré vivre et travailler seul et dans mon coin, en parfaite autonomie – dans la discrétion et l’invisibilité...

Et je ne saurais, aujourd’hui encore, me prononcer sur « la valeur » de cette perspective et de ce travail solitaire. Et je serais toujours aussi en peine d’en connaître la justesse et l’utilité... Je me suis pourtant toujours adonné à la tâche avec passion et ferveur mais je préfère laisser à l’éternité le soin de sceller l’inimportance comme l’improbable « grandeur » de mon emploi... Ce que l’histoire humaine – la petite histoire des individualités et la grande histoire du monde – en retiendront m’a toujours peu importé...

 

 

Ne pas ajouter sa pelle aux pelles du monde. Ne pas ajouter son tas aux tas du monde. Et ne pas ajouter sa voix à celles du monde. Vivre dans la discrétion et la nudité en se consacrant à l’essentiel et aux inévitables nécessités terrestres, organiques et existentielles avec autant d’intelligence et de sensibilité que nous en sommes capables...

Epargnons le monde de nos indigences et de nos scories. Et gardons-nous de nous inquiéter au sujet de notre utilité (celle de notre existence comme celle de notre œuvre). Le monde bénéficiera, d’une façon ou d’une autre, du plus précieux de notre vie et de nos modestes offrandes et contributions...

Vivons et travaillons plutôt à notre tâche comme si nous réalisions un mandala de gestes et de paroles infiniment effaçable – et indéfiniment effacé – accompli simplement pour la joie d’être accompli – et pour célébrer l’évanescence, le silence et l’éternité...

 

 

Au-delà des commentaires, des analyses, des anecdotes et des billets d’humeur, l’essentiel de mon écriture – la plupart de mes fragments – ont toujours été des viatiques. Des bagages personnels pour emprunter des chemins et accomplir un voyage (qui ne le sont pas moins) mais dont le contenu est offert à ceux qui daignent (et daigneront) s’y pencher. Ils y trouveront sans doute là quelques affaires dont ils pourraient faire usage au cours de leurs (propres) pérégrinations...

 

 

A l’affût des rêves et des jeux encore... Comme si nous ne pouvions vivre sans nous distraire – ni fuir ce face-à-face (avec nous-mêmes) si nécessaire... Aussi comment pourrions-nous dénicher le trésor – tapi au fond de cette vie que nous avons transformée en sordide destin...

 

 

Les hommes vivent – et avancent – comme s’ils gravissaient un escalier sans fin. Et qu’importe ce qu’ils y trouvent – et ce qu’ils détruisent pour s’en emparer... Et qu’importe ce qui demeure pourvu que la marche suivante soit atteinte – et qu’elle offre un agrément et un espoir plus grands que ceux offerts par la marche précédente...

 

 

Tout glisse sur nos paumes – sur notre vie et sur notre âme. Et ce que la mémoire retient n’a (presque) aucune valeur. Sur son assise pourtant se construisent les existences et les destins – un semblant de joie et de certitude – sans comprendre que nous bâtissons sur du sable – et que nous sommes constamment cernés par la furie des vents – et que nos édifices, un jour, tôt ou tard, s’écrouleront – et disparaîtront engloutis par les vagues du temps...

 

 

On s’élève et l’on redescend avant de s’immobiliser définitivement. Sans même un souffle auquel s’accrocher. Sans même un visage ou une voix pour se souvenir – et se rappeler des jours et des siècles meilleurs, et plus enviables peut-être. Sans même un regard auquel s’identifier. Ainsi allons-nous vers le plus précieux – cette indicible présence au goût d'éternité...

 

 

Toujours l’Amour veille dans les parages. Et nous, nous préférons nous cacher dans tous les recoins de l’ombre. Comme si la nuit était inévitable. Comme si nous espérions que notre fuite perpétuelle, nos secrets et notre terreur parviennent, un jour, à l’éclairer...

 

 

Gains et grains enfouis dans la neige. Entreposés dans les greniers. Et, parfois, sous les matelas. Avec notre main recroquevillée sur ses privilèges. Comme pour protéger des trésors qui n’en sont pas – des trésors qui n’en ont jamais été – de simples outils, en vérité, pour notre survie et notre espoir de jours meilleurs...

Et ces voix sans mot – et ces chants sans grâce – et tous ces appels (toutes ces invitations) du ciel, interdit de séjour depuis toujours. Comme si les horizons – et le monde même – étaient maudits...

Et ce sable entre nos doigts qui s’écoule – et dont nous ne savons que faire. Et ce silence dans la nuit et sur ces visages menaçants, à l’affût de nos failles, prêts à bondir sur ce que notre main abandonnera...

Et tous ces jours qu’il reste à sauver de notre désarroi. Et cette malice entre les dents de la nuit, haletante, assoiffée toujours de notre sang...

Souvenez-vous donc des royaumes et des soleils d’autrefois... Souvenez-vous donc des rumeurs et des désaveux... Et n’oubliez pas que tout recommence toujours à la fin des mondes – et que nous ne pourrons y échapper – et qu’au dernier printemps, il nous faudra mourir aussi...

 

 

L’étoile est dans l’œil. Et le silence aussi... Et nous avons marché, aveugles, sans rien voir – et sans rien même deviner. Comme si la chair ne pouvait s’ouvrir – et s’offrir – qu’aux horizons. Comme si nous retenions l’âme prisonnière de nos rêves. Comme si l’infortune était notre perpétuel destin...

 

 

L’histoire n’est qu’un puits où l’on jette les morts. Et l’avenir qu’un songe que nous ne connaîtrons, sans doute, jamais – et où les nouveaux-nés mêmes pourraient ne pas voir le jour... Que nous reste-t-il alors ? Un peu d’espoir ? Que Dieu nous en préserve... Le présent où nous sommes – et qui nous effraye tant depuis que le monde l’a aboli – et s’en est affranchi – pour nous offrir ses lois tournées vers l’avenir et le passé ? Que nous reste-t-il donc ? A peu près rien... Et pourtant, dans ce néant – dans ce miracle proche de l’apocalypse – l’essentiel toujours est préservé...

 

 

Nous aurons essayé de nous élever – tous autant que nous sommes – hors du rang – au-dessus de tous les paniers de crabes nés des instincts impitoyables du monde. Et pourtant nous tomberons – et finirons à la renverse – entre quatre malheureuses planches de bois – ou en cendres, bien au chaud – et bien seuls – et dans le noir – au fond d’une urne que les vivants, un jour, finiront par oublier...

Et resteront un peu d’ombre – et un rêve de lumière peut-être... comme à chaque fois que l’un d’entre nous est emporté par la mort...

La vie, peut-être, n’a d’autre dessein – ni d’autre ambition – pour l’homme...

 

*

 

Nous avons cherché partout. Et nous voilà de retour après notre long voyage, l’âme et le visage tout froissés – les yeux et le cœur plus perdus que jamais, et moins vifs qu’autrefois – espérant toujours jusqu’au dernier soir de la vieillesse découvrir le secret que nous cache la mort...

 

*

 

Et au retour de la belle saison, nous voilà revenus, une nouvelle fois... émergeant de la terre ou des cendres au premier jour de notre premier printemps, ouvrant les yeux comme pour la première fois sur un monde – déjà mille fois visité – et sur des visages – déjà mille fois entrevus – après notre bref séjour au-delà de la mort...

Comme une vie entêtée – un souffle continuel – pour découvrir ce que nous portons en secret – et que nos yeux et notre âme n’ont su voir encore. Comme un éveil perpétuel – et infiniment recommencé – à nous-mêmes...

 

*

 

Et nous voilà bientôt debout – ivres de notre ivresse à vivre – et si aveugles encore à toutes les illusions, à tous les pièges et à tous les soudoiements. Et nous voilà encore à essayer de nous élever – hors du rang – au-dessus de tous les paniers de crabes nés des instincts impitoyables du monde jusqu’au jour, peut-être, de notre (définitive) disparition – de notre effacement inespéré dans le silence...

 

 

Et tout ce bleu déjà envahissant l’espace. Et la transparence du noir. Comment pouvons-nous ne pas voir le miracle ; la lumière et l’admirable mélange des couleurs qui s’imposent partout... sur les pierres, les arbres et les visages... au loin, dans le ciel et sur les horizons... et au-dedans, au cœur de l’âme et du regard... Pour ne rien voir – ni s’émerveiller – faut-il donc avoir les yeux – et le cœur – encore enfouis dans l’espérance d’une autre terre, au-delà de tous les cieux communs, et dans les promesses mensongères des théologies... Faut-il être idiot et avoir le nez encore planté dans la complexité des lignes et l’apparente diversité des visages et des barreaux... sinon pourquoi refuserions-nous de franchir cette frontière qui nous sépare...

 

 

Sans limite et sans âge autres que ceux que nous nous imposons...

 

 

Incarner avec justesse la danse des vivants – et l’innocence de la mort – avec cette passion miraculeuse pour le silence... Vivant, on ne pourrait rêver davantage... Et la solitude n’aura, sans doute, rien d’autre à nous offrir avant que nous soyons capables de rejoindre – et d’habiter – l’infini et l’éternité...

 

 

Au-dedans même du sortilège éclot – peut éclore – la plus fabuleuse promesse de lumière. La seule délivrance possible en vérité... La vie n’a rien d’autre à nous proposer, hormis peut-être quelques niaiseries et quelques bagatelles...

Mais plonger au cœur de la malédiction sera toujours le dernier geste de l’homme, une fois affranchi de toutes les billevesées...

 

 

Un conseil, d’une navrante évidence, aux vivants – et peut-être même aux morts – à tous ceux qui sont : faire, si tant est qu’il y ait à faire, ce qui leur semble juste et nécessaire... Et à ceux qui rechigneraient à tout mouvement, rappelons que les circonstances toujours amènent à répondre ou à nous soumettre à quelques élans...

 

 

Tant de choses entre nos mains – et dans nos têtes – errent à la recherche de leur appartenance. Et nous leur offrons notre poigne – et notre nom. Une vie de servage et de fers sans même comprendre que nous appartenons tous au silence...

 

 

Une encre plus rouge que noire dans laquelle coule encore le sang des vivants... Et ces lambeaux de chair que nous feignons de ne pas voir. Comme si la lumière pouvait éclore de cet oubli...

 

 

Pour être recevable, la parole ne devrait oublier personne – et se faire le porte-voix de ceux que l’on assassine en silence – de ceux qui ne savent pas ou qui n’ont plus la force de dire... Ainsi seulement leurs murmures et leur résignation – et toutes leurs douleurs – seront entendus par ceux que la souffrance et la mort n’effraient plus – et par ceux qui ont jeté leurs armes pour une écoute infinie.

Et ce sont leurs mots qui résonneront en ce monde – et que l’on entendra derrière les cris et l’indifférence des visages. Et ce sont eux qui finiront par rallier les masses aux causes perdues et aux enjeux infimes – et infinis – de ce monde. Aucune ère de joie – et aucun monde nouveau – ne pourront éclore sans ces porte-voix du silence qui jamais ne rechignent, à travers l’Amour qui les porte, à exposer aux yeux de tous les crimes et la possibilité de la lumière...

 

 

Encore des songes et des errances qui nourriront la faim et notre goût immodéré pour la poussière. Comme un excès d’ignorance livré aux instincts. Le pitoyable destin de l’homme...

 

 

L’inhumain inscrit dans l’épaisseur de la chair. Comme le pilier central, peut-être, de notre nuit qui offre à l’âme la cécité nécessaire pour vivre parmi les cris et la faim. Clouant ainsi le monde au pilori de l’abjection jusqu’aux premières ondes du silence – jusqu’aux premières trouées de lumière...

 

 

Un destin plus rauque – et plus atone – que notre voix. Un chemin parmi le simple des choses et la candeur éternelle du monde. Couchés là parmi les herbes dans quelque jardin familier au milieu des cris et des bêtes qui s’avancent vers nous par milliers – plus sauvages et indomptables que leur faim et leur malice provisoires – et qui nous pousseront un peu plus loin... jusqu’à la lisère peut-être du désert où les rêves et les espoirs ne seront plus d’aucun secours...

 

 

L’ultime jaillira – pourra jaillir – lorsque nous saurons froisser avec indifférence l’or de nos poches et de nos livres. Lorsque nous saurons renoncer au soleil – et à tous nos rêves de lumière – pour affronter le gris et la pluie, inévitables, des jours qui passent... Lorsque la profondeur et le silence seront préférés aux parures et au tapage. Lorsque l’éclat de l’âme aura sur nos vies plus d’incidence que l’infamie de nos ambitions. Alors peut-être saurons-nous oublier ce que nous fûmes et ce que nous serons pour plonger au cœur de ce que nous sommes depuis toujours...

 

 

Avant le sang, il y avait le silence dans nos veines. Et la joie d’aller – et de danser – parmi les fleurs et les arbres sur les ruines d’un monde ancien avec un souffle nouveau – presque enfantin et printanier. Puis le silence a été perdu – oublié peut-être – oublié sans doute. Et a jailli alors ce rouge, brûlant et fumant, dans nos artères. Et sous son autorité, le feu s’est propagé dans les corps, sur les visages, sur les routes et dans les rêves. Partout. Et le monde, peu à peu, s’est enflammé. Et sur la terre et dans les âmes, le feu a grossi – et s’est multiplié. Et les êtres et les choses – et la vie même – sont devenus un immense brasier. Et tous depuis cherchent le silence d’autrefois – le silence des premiers temps – le silence parfait d’avant le sang...

 

 

Nous veillons – et attendons – depuis toujours sans savoir ce qui va arriver – sans savoir ce que nous veillons – ni même ce que nous attendons... Et les jours passent. Et les visages passent. Et la vie passe. Et les siècles passent. Et la mort finit par tout emporter. Et nous demeurons ainsi à la même place, presque immobiles – et presque toujours aussi inattentifs – en jetant parfois un œil sur l’horizon en comprenant que rien n’arrivera jamais – que les circonstances et les saisons seront toujours les mêmes (à quelques variations près...)...

Et nous continuerons à veiller ainsi éternellement en regardant défiler, ni vraiment surpris ni vraiment rassurés, les jours, les visages, les saisons, la vie, le monde, les circonstances, les siècles et la mort sans savoir ce qui va s’approcher – sans vraiment savoir ce que nous veillons – ni même ce que nous attendons...

Et au plus nu du destin, peut-être serons-nous rappelés vers le plus originel silence. Et nous comprendrons alors le secret de cette longue veille – de cette interminable attente...

 

 

En nous traversant, la nuit fait plus de bruit (bien plus de bruit) que le jour qui arrive toujours en silence pour nous surprendre. Et tous nos cris jetés depuis des siècles contre les murs de cette obscurité (si angoissante et si envahissante) auront épuisé notre voix. Et lorsque le jour jaillira – pourra pleinement jaillir – nous resterons silencieux. Et nous le regarderons nous envahir sans un cri – sans un mot...

 

 

L’ordonnance du silence. La seule prescription peut-être... Et le grand remède, sans doute, à la maladie des vivants. Le seul, en tout cas, capable de nous offrir une pleine guérison...

 

 

Un jour, peut-être, dirons-nous en songeant à notre bref séjour terrestre : « Oh oui ! Que la terre est belle ! Et tant de choses merveilleuses existent en ce monde ! Mais la chair, les êtres et les hommes sont encore trop immatures pour y vivre sereins et à leur aise. Ce lieu est magnifique ! Et il recèle un potentiel fabuleux ! Mais les âmes, et en particulier les plus sensibles à la beauté et à l’innocence, ne peuvent y demeurer sans se blesser ou se corrompre... ».

 

 

Contre notre prunelle, le silence encore – immobile – impassible – sans désir. Ne réclamant pas même son dû. Nous regardant avec bonté. N’exigeant aucun pas – ni aucun geste – vers lui (ni même vers quiconque d’ailleurs...). Nous attendant simplement avec patience et sagesse...

Combien d’entre nous savent se faire aussi sages – aussi ouverts et patients – que le silence ? Combien d’entre nous savent être – et vivre – ainsi, sans attente ni réclamation, parmi les arbres, les bêtes et les hommes ?

 

 

Nous aurons porté notre destin – celui des hommes et celui du monde – sur toutes les routes. Et nous aurons traversé, avec ce poids sur l’épaule et sur l’âme, tant de pays et de frontières... Mais il nous faudra, un jour, les abandonner pour franchir l’ultime contrée – et les derniers confins. Nous devrons être aussi nus et légers que l’innocence pour rejoindre ce pays de l’enfance – ce lieu de toutes les origines...

 

 

Villes, monde et jardins repeints mille et mille fois selon nos exigences. Et bâtis, détruits et reconstruits autant de fois sans rien offrir de bien nouveau à la terre, aux bêtes, aux hommes et aux âmes. Comme si la couleur importait davantage que le regard. Comme si les quelques jours d’une vie importaient davantage que l’éternité. Comme si nous n’avions encore compris le secret qu’abritent tous les décors...

 

 

Des saisies et des étreintes. Quelques coups et quelques caresses. L’Autre et le monde à l’usage des vivants. Et cette incompréhension à vivre dans l’indifférence des mains et des visages. A ronger, si seul(s), sa solitude et sa misère. A vivre parmi tant d’espoirs et de promesses – et parmi tant de morts. Se prêter aux nécessités de la chair, des circonstances et du monde. Se soumettre à tous les rêves et à tous les désirs. Essayer d’exister un peu et de devenir. Oublier la parole des sages et des prophètes. Ignorer le silence et l’infini – l’éternité et la joie. Et oublier l’Amour et la lumière. Et ramper encore parmi les lèvres et les dents – parmi toutes ces lèvres et toutes ces dents – sans rien comprendre...

La vie, sans doute, n’aura été que cela pour les hommes – la plupart des hommes...

 

 

Et nous devrons vivre encore parmi tous ces visages si indifférents à la proximité des Dieux dans les bruits et les cris qui recouvrent tout – et que nous ne savons parfois plus même écouter – ni même accueillir – depuis le silence. Si démunis face à cette envahissante armée des ombres qui pullule et se propage comme du chiendent – et qui impose ses lois – ses pauvres lois – dans tous les recoins et tous les fossés du monde... Et rêver encore d’une terre plus juste et moins barbare – et d’un monde plus fraternel et moins calamiteux. Comme un sel permanent sur notre plaie de vivre...

Voilà pourquoi il est parfois préférable de s’exiler sur quelque colline épargnée par le monde et par les hommes – et y vivre à sa juste place dans l’attente, sans impatience, de l’éternité – avec tous les maux et la bonté à venir – et y mourir dans l’allégresse – pour savoir, et pouvoir enfin, accueillir tous ces lambeaux de vie – tous ces lambeaux de chair – magnifiés par la solitude et le silence...

 

 

Qu’aurons-nous donc appris des chemins et des carrefours – des visages et des pentes contre lesquels nous aurons adossé nos jours – et parfois notre âme... Qu’aurons-nous appris des saisons – et de cette nuit qui dure encore... Qu’aurons-nous appris du crime et des hommes qui végètent dans cette paresse – et cette indolence – (presque) insupportables... Qu’aurons-nous appris de la pluie, des cris et des larmes qui coulent sur les joues innocentes... Qu’aurons-nous appris des êtres, du monde et de la vie – entraperçus au cours de ce bref séjour... Qu’aurons-nous appris du soleil et des heures sereines... Qu’aurons-nous appris du silence et de la beauté – toujours fragiles – et toujours fugaces – entre nos mains si pesantes... Qu’aurons-nous appris de la lumière... Et combien de temps devrons-nous vivre encore ainsi dans l’ignorance – dans cette indigence de la compréhension... N’entendons-nous donc pas l’éternité derrière – et au cœur de – tous ces bruits et ce fatras réclamer notre entendement... Combien de déluges, de misères et de déserts devrons-nous encore traverser pour, un jour, entendre ses appels – et la rejoindre...

 

 

Jusqu’à nous, un jour, il faudra se hisser après avoir été avalés par l’abîme. Dans cet espace en surplomb des paupières. Dans cet espace qui a fait vœu de silence et d’éternité. Et un instant – un seul instant – ou quelques jours peut-être – nous en sépare(nt)...

 

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18 décembre 2017

Carnet n°128 De l'or dans la boue

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Labour, vent, ciel en friche. Et le soleil caressant les étroites parcelles de la terre. Source et astres rôdant parmi les moissonneurs et les âmes vagabondes. Et le silence comme unique baiser sur les visages tristes et grimaçants...

Qu’est-ce qui en nous brûle encore – et est plus vivant que le monde – et plus durable que la vie... Qu’est-ce qui en nous ne s’éteindra jamais – et demeurera par-delà les siècles et la mort...

 

 

Qu’est-ce qui en nous brûle encore – et est plus vivant que le monde – et plus durable que la vie... Qu’est-ce qui en nous ne s’éteindra jamais – et demeurera par-delà les siècles et la mort...

 

 

Du noir au noir, la lumière chante encore...

Histoire après histoire – néant après néant – malgré les désirs et les désillusions accumulés, ces mêmes traces sur la neige et les visages. Le goût du tragique et l’éternité...

 

 

Des songes et des cicatrices encore. Comme le règne de l’illusoire sur nos vies défaites et espérantes...

 

 

Plus près du carrefour que nos rêves – et que la caresse et le crime appris pour survivre, les fracas de notre vie...

 

 

Et tout ce bleu qui suinte des horizons. Au bord du gouffre. Et derrière le ciel. Et le souffle et le sang qui se déploient dans nos veines. Qu’attendons-nous sinon la chute, l’asphyxie et l’annonce des plus grands désastres...

 

 

Marcher encore sur le fil jamais rompu du silence. Aiguisant chaque pas – et chaque prière – au bord du précipice. Affûtant la vie aux lames âpres de la mort. Conduisant le regard au plus près des paupières. Espérant la lumière plus inaccessible que l’or. Notre seule matière à vivre...

 

 

La réponse s’insinuera à l’écart des fosses animales. La paume tendue et la tempe battante. Les jouets éparpillés et les jardins à l’abandon – livrés aux herbes folles et aux bêtes sauvages...

 

 

La première aube repose au-dessus de nous. Et attend notre ultime soupir pour récompenser notre patience – cette longue veille parmi les fouilles – la fureur des fouilles – et leur maladresse – et les larmes et la mort. Et il nous suffira alors, au terme de tous les abandons, d’ouvrir les yeux...

 

 

Le silence est. Est là depuis toujours. Etait déjà là avant notre naissance. Et sera là après notre mort. Mais nous n’avons su l’entendre – et le célébrer – de notre vivant...

Et la rencontre n’aura lieu qu’à la fin de l’orage lorsque les mots et les visages – lorsque les rires, les jeux et le monde – ne seront plus d’aucun secours – et qu’à la consolation nous préférerons la vérité. Nous irons alors vers lui. Et le soleil – l’unique soleil – rayonnera au fond de notre âme admise et réconciliée...

 

 

Lire et dire le chemin. Lire et dire l’histoire. Lire et dire l’origine et la fin. Déchiffrer les signes, la vie, le rêve, la mort et le mystère. Côtoyer Dieu, le ciel, le silence et la joie. Devenir plus humain que les hommes – que toutes ces bêtes si peu affranchies des instincts...

 

 

Moribonds encore parmi les rêves et les peintures. Cherchant un peu de joie – un peu de souffle – pour prolonger l’agonie – et la rendre plus vivable – et plus désirable que la mort. Ainsi survivent les hommes si peu soucieux du monde et de la vie – et si peu enclins à plonger dans leur condition pour échapper aux malheurs – à cette misère d’être vivant...

 

 

Une main, une voix, des signes, le langage. Et de ces penchants ne naîtra qu’une circulation du monde et du temps. Quelques battements sur le tambour des saisons. A peine assez pour vivre – et apprendre à aimer. Incapables de nous faire franchir les murs de l’éternité – et nous faire rejoindre cet ailleurs – ce nulle part – où l’âge, la vie, la mort et la pensée se côtoient sans peur – en se mêlant en un seul visage – en un seul rêve peut-être – comme le gage (l’unique gage possible) pour (ré)concilier la rondeur du monde, la nudité de l’être et la sécheresse des lignes – et les transformer en une volupté perçante et incorruptible. La seule possibilité de rencontre en vérité...

 

 

A la source du repos, l’arbre et la neige retrouvés. La transformation de la peau en ciel – et des visages en acquiescement perpétuel. Le flamboiement des âmes à l’horizon. Au cœur du secret où les ombres s’habillent de lumière – et où le silence n’est qu’un chant pour lui-même...

 

 

Le retournement du rêve sur lui-même. La place vacante transmutée en désir d’abord, puis en silence. Et dans cet espace silencieux, la plus haute présence initiant l’œil – et les visages – à l’indéfinissable réalité du monde...

 

 

Labour, vent, ciel en friche. Et le soleil caressant les étroites parcelles de la terre. Source et astres rôdant parmi les moissonneurs et les âmes vagabondes. Et le silence comme unique baiser sur les visages tristes et grimaçants...

 

 

Et on voit les hommes et les âmes aller par deux, main dans la main, rejoindre la solitude et la mort en espérant encore un regard, une présence, une chaleur – un soleil peut-être – qui n’éclairera que leurs ombres – et les enfoncera davantage dans leur détention...

 

 

Et si, une fois de plus, il nous fallait dire, nous dirions le silence... Ce petit mot qui signifie – et décrit – ce si grand espace où nous savons si peu vivre. Et l’entendrions-nous penchés sur nos peines, capturés par nos rêves et nos écrans, graissant, en quelque sorte, la patte à la malice des siècles, je crains qu’il nous faille plus qu’un songe – et plus qu’un désir – pour l’écouter et nous y fondre...

 

 

Et ce cri du monde si puissant – et si inaudible pourtant aux oreilles de tous les visages qui s’avancent – passant du noir au gris, puis du gris au noir comme si quelque chose en nous n’y entendait rien... Comme un murmure – un clapotis familier – dans les bruits tenaces et arrogants des hommes. Comme un espoir peut-être (de libération qui sait ?) sur le sable et les pierres sombres et menaçantes des chemins où végète entre ses barreaux l’âme triste et solitaire...

 

 

Plus légères que le vent, nos âmes peut-être... Et le poids de la chair et du sang dans le destin – et le festin – du monde... Comme si pour vivre, il nous fallait oublier – ne pas se rappeler (surtout) l’incertitude du ciel et des saisons – et les amas d’os qui s’amoncellent sous la terre...

 

 

Nous avons vécu, inspirant et expirant, seconde après seconde, jour après jour, siècle après siècle. Et qu’avons-nous vu ? Qu’avons-nous appris ? Qu’avons-nous compris ? Et qu’avons-nous aimé ? A peu près rien ni personne... Qui se cachait donc au-dedans de nous pour donner à notre visage cet air d’incompréhension et d’insensibilité...

 

 

Et ils se jetteront sur notre dépouille comme ils se sont jetés sur notre corps vivant sans laisser la moindre chance à la fleur que nous abritons d’éclore et de s’épanouir... Sans laisser la moindre chance au silence de nous défaire... Affamés toujours de ce que nous pouvons – de ce que notre vie et notre mort peuvent – leur offrir. Gloutons terrestres. Chair de désirs et de rêves se nourrissant de chair, de rêves et de désirs... Ainsi tourne le monde autour de la lumière, s’emparant de tout – et suçant la substance de tout ce dont il s’empare...

 

 

Qui se souviendra de notre vie en regardant quelques photos, en lisant quelques lignes ou en écoutant le silence – oubliés depuis si longtemps ? Qui saura se souvenir de notre œuvre en parcourant les collines, en croisant les arbres, en conversant avec les bêtes ou en contemplant la beauté des fleurs et des pierres sur quelque chemin de campagne ? Qui se rappellera que quelqu’un déjà pensait à eux avant de mourir...

 

 

Là où nous pleurons, le cœur est plus vif. Et l’espace sans limite plus abordable. La lumière, souvent, n’attend que les larmes pour se montrer. Mais elle ne s’invite pleinement que lorsque nous avons asséché toute illusion et tout espoir de la voir arriver...

L’abandon demeurera toujours l’unique chemin de la délivrance...

 

 

L’homme face à la vie. L’homme face à la mort. La vie face à la vie. Et la mort face à la mort. Et réciproquement jusqu’au jour où l’on s’éveille vivant – plus vivant et plus réel – et plus lucide que jamais – parmi la vie et la mort – et parmi les morts et les vivants. Et profondément silencieux. Avec la certitude de l’éternité présente au-dedans de tout...

 

 

L’arbre, le souvenir, le soleil. Et cette main – et cette faim – qui auront caressé – et dépecé – la chair cachée entre les pierres. Et la pluie, la brume et la tristesse. Comment oublier cette existence vécue parmi les hommes et les vivants... parmi tous ces poignards sous la gorge au milieu des rires et des cris – parmi la foule et les yeux indifférents. Vivre n’aura donc été que cela...

Comment pourrions-nous nous en satisfaire... N’avons-nous donc pas vu les cimes, les feuilles à l’automne, les tombeaux et la chair rouge mutilée... Avons-nous vraiment cru, en vivant ainsi, œuvrer à notre destin d’homme... Dieu, le silence et la joie n’étaient-ils donc pas visibles depuis la terre qui nous a vu naître – qui nous a élevés et nourris – et qui a fini par nous recouvrir... N’étions-nous donc pas là – absents peut-être au monde et à la vie – absents à nous-mêmes – pour succomber à l’effroi et aux contingences de la survie sans pouvoir réaliser l’indigence de notre condition – essayer de nous en extraire – et faire quelques pas vers ce que nous sommes – et nous attend...

Le sommeil, fils de l’ignorance, n’aura, au fond, servi que notre dérisoire perpétuation...

 

 

L’homme – et la question de l’homme si peu vivante au cours des siècles. Comme si l’histoire humaine pouvait se résumer à la survie, aux luttes, à la conquête – et à la défense – de territoires, aux massacres, aux pillages et aux guerres fratricides... et à quelques mesures – quelques progrès – pour organiser le fonctionnement collectif, le quotidien et le bénéfice des tueries, perpétrées au nom du profit – cette sauvagerie qui a toujours tu son nom... 

 

 

Au fond, peut-être, ne vit-on, ne travaille-t-on et n’organise-t-on sa vie – et n’écrit-on allez savoir... – que pour tromper la mort et l’insupportable sentiment de vide et de solitude. Quelques gesticulations comme une médiocre tentative – et un dérisoire pied de nez – pour échapper au silence et à l’immobilité. L’infime essayant de s’extraire de l’infini – et de l’oublier... Elans, sursauts et essais voués au néant – et prêtant, sans doute, autant à rire qu’à pleurer...

 

 

Ces voix qui crient, se lamentent et implorent sont-elles les nôtres ? Et ces visages crasseux – balafrés de souffrance – et tous ces pleurs sont-ils les nôtres aussi ? Mais alors pourquoi ne nous en apercevons-nous pas ? Si nous osions les regarder – les regarder profondément – les regarder pleinement – nous le sentirions avec une telle évidence. Et les massacres, les peines et les plaintes – toute cette misère – cesseraient sur le champ...

 

 

Face aux questionnements existentiels – et à la question métaphysique, centrale et récurrente, de notre condition de vivant, comment osons-nous fuir ? Comment osons-nous les évincer – ou les corrompre – pour des interrogations contingentes qui relèguent l’existence à une histoire de survie et de rêves (médiocres) de mieux-vivre et de reconnaissance (très souvent) ? Ne sentons-nous donc pas nos tremblements à chaque pas ? Ne voyons-nous donc pas la fin annoncée – toute proche – l’arrivée éclatante de la mort, partout – à chaque instant ?

Faut-il donc pour ne rien voir – ni rien vouloir comprendre – avoir les yeux scellés à la plus profonde ignorance et éprouver une peur viscérale de ne pas être ce que nous imaginons – de ne pas être destinés à ce à quoi nous nous échinons jour après jour, siècle après siècle... ? Comme si nous n’étions encore prêts à admettre la vanité de nos existences et de nos constructions pour échapper à notre condition animale – à notre destin d’entités organiques saupoudrées de quelques prémices d’intelligence...

 

 

Vie, temps et énergie, voués à la seule question – et à la seule réponse – indispensables pour vivre sa condition d’homme alors que l’humanité (presque toute l’humanité) ne s’échine qu’aux contingences, éminemment prosaïques, de la survie et du mieux-vivre...

Où est l’homme ? demandait Diogène (en se moquant de Socrate). Je l’ignore. Une seule certitude peut-être : nous le cherchons encore aujourd’hui...

 

 

L’âme si lente – aux avancées si laborieuses. Comme étrangère à ces siècles de fureur et de vitesse... D’où peut-être son éviction du monde humain...

 

 

Tant de pertes et d’effroi – tant d’espoirs et de supplices – avant de pouvoir goûter l’innommable – l’inespéré...

 

 

Aurons-nous su dire avec notre vie – avec nos gestes et notre présence – ce que les mots – notre parole – auront peut-être réussi à atteindre ? Espérons seulement que notre existence aura su se livrer à cet exercice de lumière et de haute voltige...

 

 

La mort n’est, sans doute, terrible – et terrifiante – que pour les vivants. En effet, que savent les morts du passage dans l’au-delà (et de leur retour parmi nous)...

 

 

Impuissants face à la vie. Et impuissants face à la mort. Plongés (toujours) au cœur de cette invitation perpétuelle des circonstances à l’abandon...

 

 

La perte toujours jusqu’au plein désossement de ce que nous espérons et croyons être – jusqu’à la chute et l’envol simultanés accomplis sans appui ni filet...

 

 

Souvenez-vous de ce que nous aurons vécu – seuls et ensemble... Souvenez-vous de nos rires et de nos larmes... Souvenez-vous de nos vies et de tous nos espoirs livrés au monde et aux chemins – offerts à l’outre du temps... Souvenez-vous de cette malice au fond de nos yeux, aveuglés et percés mille fois par les circonstances... Souvenez-vous de ce si peu à vivre que nous aurons gaspillé à je ne sais quoi... Souvenez-vous des saisons et des visages – et de notre impuissance à les satisfaire (et plus encore à les combler)... Souvenez-vous de ces fêtes organisées en l’honneur de ceux qui nous auront entourés – et de ceux qui nous auront quittés – et qui ne sont plus depuis bien longtemps... Souvenez-vous de ces jours – et de tous ces siècles – passés à attendre Dieu sait quoi... Souvenez-vous de nos élans et de nos bâtisses, de nos bêtises et de nos bassesses, de nos œuvres et de nos territoires – et de tous ces chemins inexplorés et inconnus... Souvenez-vous – souvenez-vous de tout – et oubliez – oubliez tout – pour nous rejoindre dans ce silence où tout s’abîme et renaît ni meilleur ni moins bon qu’il ne l’était...

Et identiques – et un peu différents peut-être – nous irons encore – ensemble et aussi seuls que nous l’étions autrefois...

 

 

Autrefois, il y avait une route offerte à chaque instant que nous n’avons su voir – et que nous n’avons su emprunter. Et elle est là encore qui nous attend. Et elle sera toujours là demain. Plus tard. A jamais...

 

 

Un chant, un pardon, un regard, une présence toujours nous accompagnent où que nous soyons – qui que nous soyons – et quelle que soit notre existence. Notre vrai visage...

Penchez-vous donc un peu, inclinez-vous davantage, laissez-vous cueillir et sachez vous abandonner, et vous les apercevrez – aussi intacts qu’hier – aussi intacts qu’aux premiers jours. Demain peut-être les retrouverez-vous...

 

 

Le petit poète – moins que rien – moins que quiconque – le plus seul des hommes peut-être – et le plus humble sûrement – assis dans son pas, sa parole, ses lignes et sa marche solitaires. Loin de tout – loin de tous – offrant, dans ses gestes et ses pauvres poèmes, sa chair et son âme – le peu qu’il a découvert – ce chemin de l’ineffable. Les livrant à l’indifférence du monde et des hommes en ignorant toujours si son œuvre (misérable) et son destin (si dérisoire) auront quelques incidences... Soumis comme l’herbe, l’arbre et la fleur à l’humilité et à l’anonymat – au sort insignifiant des sans-grades dont l’existence et le labeur sont pourtant des chants célébrant la beauté et le silence – la solitude et la misère des vivants...

 

 

Au commencement, il n’y avait ni verbe ni visage. Rien qu’un grand silence. Et un ennui – et une solitude peut-être – inimaginables – qui donnèrent naissance à quelques pas de danse. Comme une ronde offerte à elle-même pour emplir un vide irremplissable... Et de cette danse – et de cette ronde – jaillirent le monde et la vie – les pierres, l’herbe, les fleurs, les arbres, les bêtes et les hommes. Et de cette fête insensée naquirent des générations, des mariages et des civilisations. Mille unions – mille luttes – et mille constructions – à la fois tristes et festives qui donnèrent à la vie et au monde leurs couleurs – et leurs rythmes à l’histoire de la terre et du vivant... Et nous n’en sommes, sans doute aujourd’hui, qu’aux prémices du spectacle...

 

 

Au commencement (de l’homme et du monde), un balbutiement – quelques balbutiements. Des velléités de langage pour répondre aux besoins de survie. Et, bientôt, l’accumulation et l’échange d’informations – puis de savoirs – pour satisfaire les nécessités et les désirs – combler les exigences de nos existences – et assurer notre perpétuation – qui se transformeront très vite en appétits, en impératifs et en caprices pour donner libre cours (et légitimer) nos exactions – exploitations, destructions, massacres et anéantissements – à seule fin de vivre mieux et plus longtemps. Puis apparurent l’usage tendancieux et l’asservissement progressif et insidieux du langage pour communiquer des événements et des nouvelles toujours plus insipides et anecdotiques, pour offrir davantage de distractions et de divertissements aux peuples et manipuler les foules, ignares et crédules, à l’intelligence toujours aussi balbutiante...

 

 

Des pierres sèches et brutes partout – puis polies à la main – puis usinées – pour l’habitat – et délimiter les frontières (et les fortifier) – et morceler cet espace originellement vierge de toute démarcation... Ainsi sont nés les territoires géographiques, et avec eux, une myriade d’autres territoires (psychiques, affectifs, intellectuels...) toujours plus personnels et étroits. Comme un démembrement continu et dévastateur de l’unité – de toutes les formes de l’unité originelle...

 

 

Une fenêtre, du sang, un destin. Et une kyrielle d’éclaboussures, de balafres et de cicatrices en attendant la mort. Vivants de chair à l’âme si exsangue. Moribonds jusqu’à l’heure du trépas...

 

 

Une terre, une vie. Et mille tourments encore... Et cette folle attente du printemps – d’un soleil – n’importe lequel pourvu qu’il réchauffe – et qu’importe qu’il n’éclaire que l’espoir et les horizons... Nous sommes si pauvres. Nous sommes si seuls. Nous sommes si démunis face à la vie, face au monde et à la mort – devant tous ces visages qui ne nous regardent pas... ou si peu... ou si mal...

Mais une autre terre – plus haute et plus basse à la fois – et un autre ciel – plus vaste et plus lumineux – nous attendent. Et nous sommes si peu à les voir...

 

 

Entre l’âme et la chair, ce doute qui envahit nos vies – et tout l’espace nécessaire à sa disparition. Comme une nuit qui nous promettrait la splendeur et ne nous offrirait que la peur et la détresse. Un destin de malheurs, si proche pourtant de la joie...

 

 

Je marche sans visage sur un chemin qui ne m’appartient pas. Et nous sommes des milliards à vivre ainsi. Inconnus – et perdus – à nous-mêmes. Comme empêtrés dans une longue errance entre le début et la fin – impossibles – du silence...

 

 

[Court hommage à Claude Esteban]

L’originelle ingénuité de l’être qui éprouve notre ardente patience...

 

 

Une terre, un ciel, un soleil, des nuages. Partout – où que nous soyons – et où que nous allions – ici et ailleurs – nous serons toujours le jouet de notre histoire – et celui de tous les visages présents. Malgré leur multitude, jamais il n’y aura d’autres terres, d’autres ciels, d’autres soleils et d’autres nuages que ceux qui sont là devant nous à l’instant où nous sommes...

 

 

La vie et le monde sont un mirage. Malheureux pour les uns (la plupart). Et incompris par tous (presque tous). Notre visage est ailleurs depuis toujours. Et cet oubli est la source de toutes nos peines et de tous nos tourments. Et nous vivons ainsi, depuis notre naissance – depuis des siècles – depuis notre origine – dans le leurre de notre propre histoire...

 

 

En ce monde – en cette vie, rien ne pèse en définitive sinon le désir et la mémoire. Comme une charge – un fardeau – inutiles dans nos existences, bien sûr – mais plus douloureusement encore dans la compréhension de notre vrai visage – si léger – si transparent – si invisible toujours...

 

 

Et nous reviendrons toujours aussi neufs qu’autrefois nous qui n’avons jamais cessé d’être pour chercher encore ce qui nous échappe sous l’apparente diversité des traits et des visages – et pour rencontrer celui (et tous ceux) qui se cachent quelque part, entre les pierres – et savoir s’ils nous ressemblent – et vivent comme nous – avec la même entaille dans la chair, et le même cri – et la même espérance – au fond de l’âme, avant la fin des jours – avant que nous soyons appelés en d’autres lieux pour poursuivre notre interminable fouille...

 

 

C’est parce que le jour se tient droit que la nuit peut basculer – et se coucher sous nos pas...

 

 

Inscrire sa vie – ses gestes, sa parole et son nom – (modestes entre tous) non dans la marche du monde et des siècles mais dans le silence le plus vivant – le lieu de tout véritable destin...

 

 

Entre l’immédiat et l’inaccessible, cette vérité insaisissable que sont la présence et la poésie – et la tâche (la mission peut-être...) essentielle de l’homme, mais fort oubliée(s) depuis toujours...

 

 

La vie appelant la vie – le jour appelant le jour – la nuit appelant la nuit – et la mort nous appelant tous – ainsi est (et évolua) le monde. Ni moins triste, ni moins joyeux, ni meilleur ni pire qu’autrefois. Le même sans doute malgré quelques différences (infimes) entre les époques, offrant toujours la (même) possibilité de se découvrir...

 

 

Présence – et présence au monde – plus invisibles que notre voix – et que notre nom – si ostensibles, et si vains, face au silence – et face à la vie qui va, qui vient, qui tourne, qui repart et s’efface... N’aurons-nous donc été que cela ; un orgueil, une arrogance et une (médiocre) tentative d’exister. Et quelques pas supplémentaires, sans doute, dans l’ignorance...

 

 

Quelques voix. Quelques cris. Quelques morceaux de ciel. Presque rien. Et le désir encore. Et pour les âmes, cette route blanche interminable...

Et la présence de la mort (et du silence) au-dedans des voix, au-dedans des cris, au-dedans des morceaux de ciel. Au-dedans de tout. Et au-dedans même des âmes et des désirs – et sur toutes les routes blanches, vertes, rouges et noires de l’univers...

 

 

Etrangers à nos propres rêves – et à notre propre lumière. Comme des ombres hagardes, errantes, assoiffées de n’importe quoi...

 

 

Une rive, des confins, un sommeil. Et un veilleur, entre regard et solitude, qui guette l’impossible...

 

 

Le vide, l’existence, le monde. Et notre désastreux désir de tout ordonnancer. Comme si nous pouvions ranger la vie, les êtres, les choses et la vérité dans des tiroirs – et les utiliser à notre convenance... Avons-nous donc oublié qu’ils ne sont qu’un entremêlement de tous les usages, de tous les commencements et de toutes les fins – la continuité du possible et de l’impossible – la persévérante poursuite du vent et de l’indicible à travers les pierres et les visages...

 

 

Nous sommes au centre du lieu qui n’en est pas un – hors de tout lieu – où les pierres et les visages ne sont que des passages – et des passagers – qui naissent, passent, tournent, s’enlisent parfois et meurent avant de revenir ou de partir pour d’autres terres...

Nous sommes le seuil – et la frontière – de toutes les apparitions...

 

 

Quand saurons-nous donc voir derrière les pierres et les visages la transparence – la seule certitude de notre existence. Cette présence invisible qui leur donne leurs airs et leur arrogance – et jusqu’à la fierté maladive de leur ignorance...

 

 

 

Tout recommence. Toujours. Le jour, la nuit, les étoiles, les pierres, les montagnes, les visages. Tout apparaît. Prend forme. Prend vie. Trace sa route. Se perd. Et s’efface jusqu’au prochain recommencement...

 

 

Une voix – quelques traits – à peine perceptibles dans le silence. Et qui se donnent pourtant des airs d’importance. Et qui se pavanent avec arrogance parmi le petit peuple des visages. N’ont-ils donc pas vu – ni mesuré – la distance qui les séparait de la plus lointaine étoile...

Foule infime d’une galaxie éphémère qui croit briller dans sa vitrine sans voir ni le fond – ni l’obscur – des abysses où le cosmos est plongé. Et qui n’a d’yeux que pour la lumière qu’elle a inventée sans même se douter du soleil magistral – souverain – qui l’habite, l’entoure et l’a créée...

 

 

Nous vivons – et crions notre envie de vivre (et d’exister) en oubliant que nous sommes une poussière sur un (malheureux) caillou perdu au milieu des étoiles. Et qu’un seul soleil mérite notre voix – et notre fierté – celui qui brille dans la nuit la plus obscure mais qui peine (rechigne sans doute) à se lever devant notre si arrogante (et aveuglante) ignorance...

 

 

Cette succession d’instants – vécus de la plus présente et immobile façon – constitue pourtant une vie (des vies peut-être...) perçue(s) dans la durée d’une manière si bêtement linéaire et continue. Révélant cet apparent paradoxe du temps : son inexistence évidente (et pourtant si peu comprise) et l’ipséité si répandue – cette illusion de la continuité...

 

 

Toutes ces heures où nous n’aurons su être – écouter et agir. Comme paralysés dans notre attente de ce qui n’est pas venu – et qui, peut-être, ne viendra jamais...

 

 

Ce silence partout. Comment faisons-nous pour ne pas l’entendre – et faire la sourde oreille à ses si sages consignes... Le monde nous aurait-il arraché l’âme – et le peu d’intelligence que nous aura offert la terre... Une voix pourtant nous parvient au-delà des brumes – au-delà des horizons. Comme une allégresse derrière – et au-dedans de – la mort...

 

 

La vie, le temps, la joie, l’Amour, Dieu et la mort. Le silence, l’infini et l’éternité. Ces grands mystères au fond de l’âme des hommes qui cherchent la clé – leur délivrance – au-dedans de ce qui ne peut éclore encore...

 

 

Rien n’existe en dehors des pierres et des visages. Et pourtant, quelque part, quelque chose nous attend que l’on ne trouve que (trop) rarement sur les figures qui nous font face. Mais en les retournant – ou en les fouillant – peut-être le découvrirait-on... Qui sait où Dieu a caché notre mystère...

 

 

Des vies, des soirs, des fables. Ces petites aventures qui font nos vies. Qui les agrémentent. Et les éloignent, si souvent, du plus présent...

 

 

L’oiseau nous promet son chant. Et le ciel, sa lumière. Mais que dirons-nous à l’enfant dont le visage ne côtoie que la faim et la poussière. Sera-t-il pris par la mort avant de les entendre et de les voir...

 

 

Un geste, une tendresse, un instant côte à côte devant le monde et la mort avant même que ne nous vienne l’idée du silence...

 

 

Pas un seul instant de cette vie consacré à l’étude – et au face-à-face avec la plus lancinante question. Comme si une main, un visage, un jardin et les promesses d’une aurore improbable (nous) suffisaient...

 

 

Il pleut encore. Et sur nos pages mouillées se dessine le visage de Dieu – hilare et trempé – comme ses lèvres qui parfois embrassent notre âme. Comme un silence perçant toutes les murailles – et pénétrant le fief triste où nous agonisons en espérant le réconfort d’un soleil improbable...

 

 

A peine levés – à peine debout – qu’il nous faut tendre la joue et nous agenouiller devant tous les pouvoirs – et devant tous les puissants qui se partagent la terre – et le monde – comme une miche de pain réservée à ceux qui mettent davantage en avant leurs dents (et leur appétit) que leur âme. Ah ! Innocents, pauvres foules et peuples malheureux que l’on évince de tous les festins...

 

 

J’ai crié ton nom puis je l’ai oublié – parti peut-être avec ce peu d’espérance qu’il me restait... Je t’ai appelée mille fois du fond de cet abîme. Je t’ai souhaitée belle et aimante. Et éminemment présente. Et tu ne m’as pas répondu. Peut-être ne te faisais-je pas encore suffisamment pitié... Peut-être – sans doute – n’étais-je pas encore digne de ta venue... Et tu m’as ainsi laissé dans le noir pendant mille siècles... Et un jour, au pire de l’attente – alors que je n’espérais plus rien, ni la mort ni même ton arrivée éclatante – tu es venue. Et je t’ai vue pour la première fois. Et j’ai su enfin qui tu étais...

 

 

Un monde, des couloirs, des portes. Tout un univers d’écriteaux, d’étiquettes et de visages. Et parmi eux, la mort qui nous absente – et le silence qui nous offre d’être plus vivant...

 

 

Nous sourcillons de petits riens. Et d’inquiétude en tourment, nous allons – nous nous enfonçons plus profondément – dans la contrariété. Cette forme d’inassouvissement du désir qui ne cesse de nous éloigner de ce rêve un peu fou de tranquillité...

 

 

Ce froid si sauvage de l’hiver au cœur des saisons – au cœur des visages. Au cœur de tout ce qui passe – et qui nous laisse et nous abandonne comme si nous n’existions pas. Comme si nous n’avions pas droit au chapitre – ni à la parole – pour dire cette effroyable solitude qui nous consume...

Et ce monde clos, aveugle depuis si longtemps, qui compte les jours. Et nos tâtonnements timides et voraces pour assouvir la bête qui, en nous, crie et s’avance...

 

 

Hier, aujourd’hui et demain. Cette éternelle rengaine des jours. La petite ritournelle de nos vies...

 

 

Un désir d’été, voilà ce qui nous traverse au cours de ce long hiver. Et un besoin – un rêve – affamé de soleil, voilà notre songe le plus tenace au cours de cette longue nuit...

 

 

Des hommes, des arbres et des âmes sont passés. Et nous n’aurons vu que les étoiles briller au fond de leurs yeux – et au fond de leurs rêves. Un peu de lumière dans l’obscurité...

 

 

Nous faisons tous fausse route sur l’horizon. Mais nous ne connaissons d’autres terres. Et le ciel en nous a perdu tout espoir de se retrouver...

 

 

Nous vivons – et œuvrons. Nous croyons vivre et œuvrer mais nous ne faisons, en vérité, qu’amasser de la poussière – ajouter de la poussière à la poussière. Et sans même le voir ou le comprendre, nous sommes fiers de ces amas. Comme si la poussière pouvait nous protéger – et nous aider à nous extraire de la misère et de la solitude. Comme si la poussière pouvait nous sauver de l’abandon et de la mort...

Et nous crions notre joie et notre colère. Et rien – ni personne – ne voit nos blessures. Et rien – ni personne – ne peut nous guérir. Nous portons tous sur nos épaules la vie, les mains, les visages, le monde – le poids éreintant de l’Autre, du temps et de la mémoire – des souvenirs et des rêves. Et nous croyons avancer mais nous ne faisons, en vérité, que tourner autour de nous-mêmes – autour de cette faille qui nous cisaille, qui nous éventre et nous soulève vers un silence que nous ignorons encore...

Et cette lumière – ce salut peut-être – cherchés partout – demeurent toujours au-dedans – au fond de la bête sauvage – au fond de cet espace inconnu et impartagé – que nous abritons depuis si longtemps – et ils n’appartiennent à personne – et moins encore à ceux qui croient les détenir et qui en usent à de si médiocres (et détestables) fins...

Et de fable en fable – de mensonge en mensonge – d’hypocrisie en hypocrisie – les mythes du monde et des hommes s’étalent – et s’étendent – recouvrent jusqu’à la plus fragile espérance – et jusqu’à la plus lointaine lumière...

Et le noir – épais – dense – indélébile – a fini par tout envahir pour devenir notre réalité – la seule vérité possible...

 

 

Nous œuvrons, comme les bêtes, à notre propre ignorance. Et à notre propre désespérance. Bouts de terre – bouts de chair – à peine pensant...

Et les étoiles – et le plus vif soleil – pourraient briller partout, au-dedans comme au-dehors, au fond des rêves et de la lumière – sur tous les horizons – nous ne verrions rien. De la poudre pour les yeux qui chercheraient de l’or – et fouilleraient dans la boue sans le voir...

 

 

Et tout sera fini – et tout même était déjà fini avant que nous ne naissions et ne commencions à marcher... Les naissances, les chemins et la marche ne sont que d’inutiles tentatives pour trouver ce qui a toujours été là – ce qui ne nous a, au fond, jamais quitté. Et que nous le découvrions – que nous finissions par le découvrir – n’a (et n’aura jamais) d’importance... La vie, le monde, les êtres ne sont qu’un jeu de dupe – un leurre pour les ignorants – une façon de plonger dans l’infortune, l’incertitude et la découverte en croyant y échapper...

 

 

Nous nous racontons – ne cessons de nous raconter – mille histoires pour croire à notre réalité – oublier et légitimer notre vaine – et merveilleuse – présence. Mais nous ignorons – continuons d’ignorer – ce que cachent le ciel et la terre – et cette lumière, toujours inaccessible, au fond de l’âme.

Nous sommes – et resterons toujours – des jouets – des pantins – sous le joug des nécessités et de la mort. Des marionnettes aux fils rompus livrées à elles-mêmes et à leur ignorance...

Face à l’Absolu et aux visages, nous n’aurons, en définitive, crier que notre faim et notre incompréhension. Et pourtant nulle trace d’humilité dans nos plaintes et notre effroi. N’y brille que cette arrogance des ignorants qui imaginent savoir...

 

18 décembre 2017

Carnet n°127 L'âme, les pierres, la chair et les visages

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Chevelures emmêlées à la suie, aux étoiles, à l’enfance, aux pierres, aux chemins, au printemps, à la boue et à la mort. Vies sans aveu qui passent... Jours sans regret qui s’éteignent en silence... Songes balafrés par les exigences de l’Amour... Âmes trop fragiles qui balbutient quelques mots au jour perdu – enfoui si profondément – dans la nuit. Chants – hymnes – obscurément – aveuglément – dédiés au regard...

L’obscure veille où poussent l’humus des siècles, les saisons, la haine et les hommes, les plaintes puériles et le vieillissant soumis à des lieux sans mémoire. Comme un trésor – une légende peut-être – enraciné(e) au creux du plus sordide...

 

 

L’aveuglement tenace de la pierre – et celui, plus atroce encore, de la chair – parmi les étoiles. Et ce soleil d’envergure si lumineux déjà...

 

 

Mille mondes et mille chemins. Et autant de destins portés par – et tendus vers – l’indicible. Le (seul) lieu de l’Unique. Notre socle commun originel. Et pourtant que de fardeaux et de noms voués à l’errance – insensibles au souffle premier – et à ses éclats qui se consument, sans impatience, au fond de l’âme...

 

 

Ce qui fut, bien sûr, sera encore. Et ce que nous sommes demeurera toujours...

 

 

Et cet éveil émergeant du sommeil. Et cette lumière naissant du plus obscur. Comme si le salut, enfoui au fond de l’âme, apprenait (progressivement) à enjamber le lointain (et ses promesses) pour se redécouvrir indemne – aussi intact qu’au premier jour des visages...

 

 

Des corps innombrables, des esprits et des cœurs retrouvant leur fratrie – leur printemps – leur visage unique et éternel...

 

 

Ce que nous fuyons finira par nous rattraper... Et, un jour, toutes les routes – et toutes les issues – seront bloquées pour qu’il pénètre le plus tendre de l’âme – le seuil de toutes les blessures – là où la chair est la plus fragile. Et de ce face-à-face, si souvent douloureux, nous ressortirons plus libres – peurs et entraves dégagées de leur suie, de leurs songes et de leurs monstres inoffensifs...

 

 

A nos côtés – au plus proche – au-dedans et partout alentour – penché sur nous, sur notre âme et notre visage si souvent, ce silence – ce soleil – ce feu – cette lumière. La face de Dieu, trempée de rires et de larmes – infiniment tendre – agenouillée à nos pieds – tenant notre main et enveloppant – et encourageant – chacun de nos pas...

 

 

La lumière précède le souffle dont les pierres, la chair et les visages ne sont que les éclats – et dont l’ultime aspiration est de retrouver leur origine. Dans une boucle sans fin d’oublis et de retrouvailles, d’allers et de retours, d’effacements et de recommencements – le seul jeu véritable au cœur de tous les jeux inventés par les pierres, la chair et les visages...

 

 

De rares rencontres avec les visages. Et de permanentes avec ce feu qui les anime – notre socle commun plus facile à repérer – à accueillir et à accepter – que l’apparente diversité des traits – que cette chair partagée en autant de figures nécessaires inaptes, le plus souvent, aux subtiles retrouvailles...

 

 

L’eau et l’argile. Le vent et la poussière. Et les âmes légères tournoyant dans la matière alourdie par les rêves et les désirs. Ronde fleurissante de silhouettes au bord de l’infini, tantôt frémissantes, tantôt agonisantes – jetées ici et là, partout. Enlaidissant et embellissant le monde au gré de leurs danses fébriles – presque frénétiques. Et cherchant partout leur ancrage – à retrouver la terre qui, au premier instant de la nuit, les a exilées...

 

 

Les chants du monde. Et toutes les rengaines – et les petites ritournelles – de l’être – et ses jeux – entre – et parmi – les pierres, la chair et les visages...

 

 

Prières blanches. Inutiles pour rendre grâce au ciel et aux siècles. Le silence toujours préférable. Cet acquiescement irréfutable aux circonstances...

Créatures d’hiver devenues Dieu à présent. Silhouettes, pensées et voyages partis en fumée. Et effacés les gouffres cachés parmi le gravier noir. L’accompagnement invisible du sans nom. Et cette présence plus précieuse que l’or, oubliée – et enfouie pourtant partout – au cœur de l’eau, de l’argile, du vent et de la poussière – et au-dedans des pierres, de la chair et des visages...

 

 

Les mots – la parole poétique. Du vent pour l’âme. Pour la secouer (la malmener parfois), la caresser et l’ouvrir. Et de ce passage – de ces mille passages peut-être – ne restera rien sinon cette ouverture – cette possibilité d’ouverture...

 

 

De la marche et de l’écriture ne restera aucun pas – aucune ligne. Quelques incidences sur l’âme peut-être... La seule chose essentielle sans doute – et qui saura traverser la mort...

 

 

Ombres aussi vivantes que la mort. Et l’aube – cette aube inconnue – qui pousse nos pas vers elle. Escaliers, escalades, pentes de tous les délires. Moins valides que l’immobilité...

 

 

Tours défaites à mi-hauteur. Et le temps du sablier qui s’écoule toujours entre deux rêves. Traversée à contretemps des heures vers la grande catastrophe – et ce qui nous délitera plus encore. Cette grande douleur de ne plus savoir – cette impuissance face aux circonstances – et nos résistances tenaces avant l’abandon, l’effacement et la transformation du néant en espace de joie...

Forces au même visage contre le temps, vouées à la pénétration de l’impénétrable...

 

 

Le plus vrai – comme le plus sensible – tremble au fond des visages. Serpente entre les pierres et au-dedans de la chair. Semence originelle, sûre de la continuité de sa source, qui cherche sa descendance. Le sacre de sa substance éparpillée au cœur de l’eau, des rivières, des fleuves et des océans...

 

 

Terrasser l’espoir et les dragons – ces chimères des jours heureux. Le dessein de la mort nous rappelle – et nous ramène – à l’inéluctable face-à-face avec notre condition et notre destin : le plus durable au cœur de l’éphémère – l’immuable, source de toutes les circonstances...

 

 

Visages fascinés par la chair encore endormis sur les pierres. Comme une grande arche vouée à la terre – et la célébrant d’un sommeil rêveur...

 

 

Plus haut que nous, les rêves. Et plus dangereux aussi. Regardez-les donc agiter nos mains – leur faire prendre la pelle et les armes... Regardez donc à quels desseins – et à quel destin – ils nous soumettent...

 

 

Nous sommes nés un jour. Une nuit peut-être... Nous avons vécu quelques heures. Quelques siècles peut-être... Avons agité nos mains. Et nos âmes peut-être... Avons fait couler quelques larmes. Et un peu de sang peut-être... Et nous sommes morts, aussi peu vivants que ce que nous aurons vécu – que ce que nous aurons réussi à vivre peut-être...

 

 

La nuit avale le peu de jour qu’il reste dans nos vies. Comme un ogre à l’appétit colossal, recrachant les os et quelques poils. Et ce cœur perdu au fond de l’âme que nous n’avons su ressusciter. Et c’est la mort qui nous arrachera ce qui reste...

Et cette inconscience de notre vie qui réclame encore notre présence...

 

 

Les merveilles innocentes – sans maître toujours. Et que nous nous approprions pour les transformer en gain, en grains, en armes – en substance maléfique. Comme si le pouvoir infime né de leur possession pouvait nous aider à lutter contre la mort...

 

 

Et dans cette ignorance du destin, nous allons aussi effrayés et criards qu’au jour de notre naissance. Et avec, au fil des chemins, toujours moins d’innocence. Perdus par la route – et l’espoir des routes – qu’arpentent les visages – tous les visages – mangés déjà par la cendre. Et la mort toute proche – si proche – qui nous appelle encore – et la lumière – cette lumière ignorée – qui implore une halte, un rapprochement et une nudité nécessaires à sa venue (plus qu’improbable)...

 

 

Décharnés par le monde et la lumière, nous réclamerions encore un peu de chair pour rassasier notre appétit – assouvir notre goût si prononcé pour la terre. Aveugles encore à la grâce du dénuement. Encore sourds à tous les silences...

 

 

La présence – la conscience – immobile et attentive comme l’araignée au centre de sa toile qui attend que les âmes soient prises au piège. Une seule différence pourtant (mais de taille) : nous sommes à la fois l’insecte, la toile et l’araignée – les trois facettes de notre vrai visage...

 

 

Apprendre l’effacement et l’anonymat. La gratuité sans visage. Le geste et la parole sans auteur. La grande humilité. Âpre exercice au délicieux parfum d’innocence...

 

 

Douce. Et invincible pourtant. Comme la première pierre. La roche originelle. La présence, unique soleil parmi tous les astres de chair. Le seul visage malgré la nuit, les vents et toutes les aurores perdues...

 

 

Le poids de nos bras, de notre cœur et de nos peines, disparu – effacé par la tendresse du regard – et sa puissance inoffensive. Et effacé le sommeil d’avant la naissance du monde. Ne reste plus, à présent, que la légèreté de l’âme ravie – radieuse – qui danse avec les ombres sur ses chemins blancs...

 

 

Et la chair rouge où naissait la tristesse, transparente à présent – et traversée par les rires. Envolée vers le fleuve où s’égaye la poussière. Mise à nu enfin. Délivrée du sang et des écorces. Offrant une ombre plus légère qu’autrefois...

 

 

Torrents, laves et vents lavant tous les secrets des hommes – et asséchant leur écume. Défaisant l’espoir de la terre et délivrant de la soif et de la terreur. Porteurs de la fin de toutes les nuits...

 

 

Soulevé le vent – et soulevée la foule qui cherchait de sa foulée haletante un rêve de chemin, des mains caressantes et des âmes soumises. Et plus qu’un visage – et plus qu’un destin – une promesse d’attention et une torpeur suffisante pour consoler de la tristesse...

 

 

Chants parmi la boue et la mort. Fleurs et vies épanouies au cœur de toutes les fêtes malgré le désert, les larmes et le sel sur les plaies – malgré l’indigence et la poussière...

 

 

Poètes et prophètes méconnus. Sages peut-être que la foule ignore. Et que le silence presse dans leurs œuvres pour qu’éclate la vérité sur les pierres et les étoiles – et qu’elle soit visible depuis la terre par quelques visages qui guettent la lumière...

 

 

Chevelures emmêlées à la suie, aux étoiles, à l’enfance, aux pierres, aux chemins, au printemps, à la boue et à la mort. Vies sans aveu qui passent... Jours sans regret qui s’éteignent en silence... Songes balafrés par les exigences de l’Amour... Âmes trop fragiles qui balbutient quelques mots au jour perdu – enfoui si profondément – dans la nuit. Chants – hymnes – obscurément – aveuglément – dédiés au regard...

 

 

Songe d’une vie immobile. Infiniment silencieuse. Vouée à la lumière et à l’Amour malgré l’insolence des mille printemps à naître, la brume si épaisse des yeux, le vent, les promesses et la mort à venir – plus fidèle au silence que tous les visages...

 

 

La chair et le cœur incompris dans leurs élans. Fouilles, déraison, liberté. Folles embrassades dans le brasier. Vies où perlent l’eau, le sperme et le sang sur les désirs et les visages...

L’obscure veille où poussent l’humus des siècles, les saisons, la haine et les hommes, les plaintes puériles et le vieillissant soumis à des lieux sans mémoire. Comme un trésor – une légende peut-être – enraciné(e) au creux du plus sordide...

 

 

Une parole – et une âme – toujours plus oscillantes que le silence...

 

 

Silence, chemins et anecdotes. Quelques rondes, quelques larmes et quelques pas de danse au cœur de l’indicible – de l’inavouable...

 

 

Cette foule de petits gestes quotidiens – perçus communément comme anodins, insignifiants ou rébarbatifs – et que l’on peut pourtant accomplir en présence, dans un esprit de (profond) respect et de (profonde) gratitude, pour célébrer la beauté du monde et le merveilleux de la vie – et honorer le silence...

 

 

Le premier visage – et l’ultime – au bord du sommeil – au bord de la nuit – et au bord de la chair et de la neige. Source des fleurs et des forêts. Source de toutes les aurores et de tous les mondes. Mais si timide encore parmi les cris, le sang et la paresse...

 

 

Un rire, une musique. La magie de la terre enfantée par la nuit...

 

 

La jeunesse du destin (de notre destin) et des continents. L’enfance du monde – et des créatures qui tètent encore le sein de leur mère. Et l’ombre – la nuit – plus denses que leurs silhouettes. Et plus épaisses que leur gerbe de sang...

 

 

Et cette vie secrète au-dedans de la chair – et au-dedans de l’âme. L’invisible en – et parmi – nous. L’amour serpentant entre nos gestes, nos prières et nos lamentations. Le ciel plus grand que tous nos cœurs désunis...

 

 

A tout réclamer sans cesse, nous ne savons plus vivre de rien... D’un peu de vent – et d’un peu de pluie – sur le visage. D’un peu de soleil et du simple spectacle des fleurs. Dans la compagnie des arbres, des bêtes et du silence. Nous avons presque oublié ce qu’est être vivant...

 

 

Vie immobile en quête d’un printemps interminable. De saison en saison – de haut en bas – et de bas en haut – à l’affût des découvertes, des opportunités et des réminiscences de la mémoire, nous cherchons partout les fantômes du mieux-vivre et de l’expansion dévastatrice. La paume caressant, écorchant et saisissant le peu offert par le destin. Ecrasés par le fardeau accumulé par les années et les siècles et le poids de la mort. Aux aguets d’un souffle, d’un trésor, d’un visage qui jamais ne tiendront leurs promesses – jamais à la hauteur de notre espérance, nous nous enfonçons dans les profondeurs d’une nuit sans fin...

 

 

Une nuit de silence plus sombre qu’ailleurs...

 

 

Sans voix, sans un mot, sans un souffle. Défaits par les rumeurs et l’horizon. Le plus désastreux de la chair et les promesses de royaumes et de soleil. Le sable et l’écume toujours entre les dents...

 

 

La main ouverte – presque autant que le cœur – et presque aussi large – offrant au monde son chant, ses feuillets – noircis de mille traits –, son désert et son silence. Un peu de lumière...

 

 

Un Amour mille fois meurtri par la terre et les hommes. Par la chair et l’histoire du monde. Par les mille naissances et les dix mille morts. Par le massacre et l’agonie de tous les peuples...

 

 

Ne cherchons plus ni l’Amour ni le secret des saisons. Creusons nos vies. Désenfouissons l’inutile. Erodons le superflu. Entendons la vie – son souffle, son désir et son allégresse. Soyons plus vivants que nos pas – et plus vifs que les morts et les vivants. Tâchons de percer notre ultime secret – et de découvrir notre ultime visage. Et sachons nous faire humbles devant les prophéties, inentendues, des poètes...

 

 

La nuit portée autant par les ombres que par les étincelles de la foule aveuglée par la folie et la faim – par les rêves, les rumeurs et les pas haletants – par les luttes, la torpeur et son impitoyable désir de destin...

 

 

Brume où suintent encore l’espoir, la désespérance, le désir et la mort. Et la haute fouille dans ce qui s’élèvera en nous...

 

 

Le cœur jamais épuisé des chemins. Et l’Amour encore si timide – presque hésitant – parmi les fresques de la terre et la tendresse de la chair – et des âmes – fragiles – balbutiant dans la nuit...

 

 

La neige aussi têtue que la mort, les rumeurs et les fêtes données en l’honneur de la gloire (du monde et des hommes) pour célébrer le printemps et la résistance provisoire des visages...

 

 

Le chemin des alliances possibles – aussi tristes que les têtes couronnées, et soudain décapitées dans leurs élans par la révolte des peuples. Et, sans doute, moins prometteuses aussi...

Seuls le feu – et ce bleu dans le regard – tapis au fond de tous les lieux, pourraient nous délivrer des mariages et des conquêtes – et nous faire abdiquer avant que nos âmes, prises dans le jeu des batailles, ne soient tranchées par le couperet des malheurs – et ne roulent dans les fossés de l’histoire et du temps...

 

 

Le même mystère sous la pluie et le soleil. La même énigme reliant – et réunissant – les âmes, les visages et les mains. Et cette indifférence face à la nuit – face au mirage et au bleu du ciel infini. Et ces errances – toutes ces errances – sur l’échelle de l’absence. Et ces chants qui veillent au moindre désir pour éveiller – susciter peut-être – l’Amour et le silence...

 

 

L’œil, le silence, le feu et la neige. Comme autant d’indices – et autant d’étoiles peut-être – pour délivrer de la nuit et de la sève rouge qui coule lorsque la mort nous appelle...

 

 

Chair aimée et chair aimante. Proies de tous les appétits – déchirées par le sommeil...

 

 

L’interminable agonie du monde et des siècles – des hommes et des bêtes. Le parachèvement de l’horreur. Et l’entêtement des jours, des souffles et des désirs face à la mort...

 

 

L’avenir fécondant la mort. La poursuite des siècles. Partout, la célébration de l’horreur. Et les âmes – toutes les âmes – où ne cesse de rejaillir l’origine. Et cette innocence encore parmi la peur...

Entre le merveilleux et l’effroi. Toujours...

 

 

Ô homme, dis-moi, où avais-tu donc posé les yeux en sautillant – mi-joyeux – mi-infirme – claudiquant peut-être – sur tes chemins de délices ? N’as-tu donc pas vu – et guetté sans doute – cette étrange clarté par la fenêtre au soir de ta vie ? N’as-tu donc pas entendu les chants du printemps au cœur du plus froid de l’hiver ? N’avais-tu donc pour seul espoir que la délivrance offerte par les foules et les peuples ?

Il n’y a de nuit plus longue que pour celui qui espère...

 

 

Et le Diable partout dont nous tenons toujours la queue... Comme le seul appui – le seul réconfort peut-être – après tant de siècles de malheurs. Comme si nous ne connaissions – ne pouvions encore connaître – l’origine du mal – cette chaleur des Enfers que nous prenons pour un paradis en nous réchauffant (maladroitement) dans la proximité des flammes – comme une mince consolation à la froideur, si saisissante, du monde...

 

 

Face aux maîtres du passé – savants philosophiques, métaphysiques, existentiels et spirituels – nous sommes sans voix. Mais nous avons peut-être sur eux un avantage : l’horreur des siècles qui nous séparent – comme un fouet (possible) pour rattraper, avec urgence, notre retard...

 

 

Lorsque la lumière vient contredire l’évidence – et la puissance – du chaos... Comme un baume – un apaisement définitif – sur notre misère de vivant. Avec cette clarté du visage, invincible face aux ombres et au plus obscur de la nuit...

 

 

Un espoir encore – plus que de résuscitation – de silence. Et une joie vivace pour l’âme malgré les périls, les défis, les enjeux et les invitations de la mort. La part en nous la moins funeste – la plus innocente. Et ce goût – notre goût – inaltérable pour la liberté et l’infini...

 

 

Le labour et les blés du monde. La récolte des damnés. Quelques terres émergeant des eaux noires. Et l’abondance du grain comme seule consolation à l’exil et à l’absence...

 

 

Mains tendues vers l’alphabet – hiéroglyphes du langage – incompréhensibles. Incapables de sceller ensemble l’Amour et les étoiles – l’innocence et le sommeil barbare des tribus et des peuples...

 

 

Le silence immobile – immuable – parti et revenu. Aussi intact que le bec de l’aigle planant au-dessus du monde. L’Amour et la mort poursuivant (inlassablement) leur combat...

 

 

Et ce frisson devant l’écuelle. Comme un chant célébrant sa détention. La chair nourrissant la chair. La mort servant la vie. Et la vie servant la mort. Et le verbe implorant l’aurore d’arriver. Permanents dialogues entre les ténèbres et la lumière – entre le sang et l’innocence. Et l’interrogation continuelle de l’homme...

 

 

Crâne à la main. Posé sur les genoux. Livres et bougie sur la table de travail. Plongé dans une (intense) réflexion sur la condition du vivant. L’éternel s’interrogeant au cœur de l’évanescence sur l’atemporel et la brièveté des jours...

 

 

Pulvérisée la passion devant la mort. Et, préalablement, par le temps qui passe – et qui s’évertue à déchirer – et à effacer – la vigueur du sang et l’ardeur de l’âme à s’initier au monde et aux siècles...

 

 

Qu’est-ce qui a pu donc nous trahir dans notre attente, interminable, de la joie... Est-ce le silence... Est-ce l’âme... Est-ce l’homme – et ses promesses... Est-ce le jour qui n’est parvenu à percer la nuit... Est-ce la nuit qui s’est refusée à tout assaut... Est-ce nous, trop simples – trop touffus – et trop pleins d’espérance... Est-ce le temps... Est-ce les siècles... Pourquoi notre attente n’a-t-elle su distinguer la lumière – et la rejoindre...

 

 

Le temps aussi vaste que nos murs. Aussi haut – et aussi épais. Infranchissable sans doute mais que l’on pourrait pourtant percer pour unifier les territoires – et découvrir, dans l’unité, l’espace commun affranchi des frontières et des séparations. L’unique lieu de la réconciliation (de toutes les réconciliations)...

 

 

Sous les saisons, ce feu – ce désert – ce silence habité par toutes les grâces – et dont la pluie, le soleil et les nuages ne sont que les passagers. Aussi provisoires que les visages...

 

 

Dans le chaos général, le foisonnement des labyrinthes intimes qui crient leur faim et leur effroi. Et cachés derrière, les tremblements des âmes vouées à la solitude et au froid...

 

 

Et cette foule et ces drames – joueurs invétérés du rêve qui continuent de hanter le monde – nos vies (toutes nos vies) – et nos âmes. Livrant au réel le plus âpre, et ardent, combat. Clouant les êtres et les choses à la nuit. Marchant aveuglément et dépeçant – et redépeçant encore bien au-delà de la mort. Susurrant la buée et le mensonge dont les vivants se parent pour aller arpenter, en claudiquant, tous les déserts à seule fin de fuir ce qui les appelle – et les étreint déjà...

 

 

L’interminable attente de toutes les fins. Avant tous les recommencements. Et le renouvellement perpétuel du monde, des âmes, des pierres et des visages. L’éternelle renaissance de la chair...

 

 

Rives brunes où les âmes suffoquent. Où l’eau a la couleur de la mort. Où les roseaux sont taillés pour assouvir la faim. Où les lames dépècent la chair et les âmes. Où les pas s’enlisent dans la recherche du même soleil. Où les bêtes et les hommes meurent – ne cessent de mourir – meurent encore et meurent toujours – au cours de leur fugace traversée – mille fois recommencée pourtant sous d’autres traits, sous d’autres auspices et en d’autres lieux. Comme une nuit sans fin cherchant sa délivrance – son salut – un peu de lumière...

 

 

Lumière encore. Lumière toujours. Jamais éteinte...

 

 

Et qui se tient donc dans la prunelle – et contre elle parfois – et derrière si souvent... Serait-ce notre chance – notre âme arrachée aux barricades et aux citadelles – le vide – le rien – le vrai nom de l’homme... Serait-ce ce qui échappe à la terre, aux saisons et aux asiles de la première heure – un doigt – une main peut-être – pointé(e) vers la lumière – quelques marches dont on ne sait si elles montent ou descendent – la sœur – la mère peut-être – la mère sans doute – de toutes les ombres – cette forme indicible que nous sommes – et qui ne se dévoile que dans notre parfaite étreinte...

 

 

Que pourrait-on offrir à l’usage des vivants ? Un baiser. Une attention. Un geste parfois. Un peu de silence sûrement...

 

 

Dieu parfois – si souvent – aussi racoleur que les rêves. Ainsi les hommes ont-ils bâti les religions pour faire croire – et espérer. Et détourner maladroitement des instincts...

 

 

Comme une barque promise à l’océan qui devrait (préalablement) suivre les rivières et les fleuves – toutes les rivières et tous les fleuves – et voguer sur tous les ruisselets et les marigots pestilentiels où croupissent les morts et les vivants – et où se sont échouées les barques de nos aïeux emplies encore de leurs os et de leurs rêves. Et atteindre tous les ports provisoires – et attendre la marée – et la lune qui brille dans le ciel sombre pour guider notre naufrage – avant de se laisser porter vers l’autre rive, inexistante peut-être – et invisible sûrement aux yeux encore trop frileux des flots...

 

 

Là où nous sommes tombés, nous retomberons encore. Jusqu’au fond de l’abîme. Jusqu’au néant. Jusqu’à l’enfouissement. Jusqu’à l’ensevelissement acquiesçant. Seul gage – et unique possibilité – de l’envol...

 

 

Lieu interdit à la paresse autant qu’à la volonté. Où profondeur et ouverture se côtoient – s’entraident et se complètent – pour accueillir – et rendre vivants – le silence et l’Amour...

 

 

L’obscurantisme de tout – de tous. Partout. Et cette lumière que l’on s’évertue à effacer – à oublier. Inattaquable. Inébranlable. Indemne toujours malgré toutes nos tentatives pour l’éradiquer...

 

 

L’ombre. Et ses mesures. Interminables. Cette folie si familière des hommes...

 

 

L’or, la cendre et la poussière. Le silence, la joie et la lumière. Comme les deux faces d’un même visage séparées par l’ignorance...

 

 

Absence et présence éparses. Eparpillées entre le silence et les visages – entre les yeux perdus et l’espérance...

 

 

Au bord du vertige toujours. Là où l’abîme et le silence sont inséparables...

 

 

Demain sera peut-être un autre jour à célébrer... Loin du culte que l’argile voue au ciel et à l’invisible détachés de la terre. Proche de – identique peut-être à – celui que l’argile voue au ciel et à l’invisible cachés au-dedans d’elle-même...

Il n’y a de Dieu absolu séparé du monde. Là où sont la chair et le sang – là où sont la fleur et la pierre – est le divin. Le seul divin possible pour les hommes...

 

 

Une blessure. Des blessures. Le plus exact reflet de l’âme. Une joie, un silence, une lumière, son plus loyal miroir...

 

 

Une rivière, des fleurs, des pierres. Un peu d’herbe, quelques arbres. Un coin de terre où construire un abri – une masure pour se protéger du froid et de la pluie. Pour vivre son exil un peu à l’écart des hommes. Au cœur du monde et du silence...

 

 

Nous avons connu le sang et l’amour – les forces et les faiblesses de la chair. Nous avons connu la gloire, la solitude et la misère. Nous avons vécu... Comment allons-nous mourir à présent... Saurons-nous traverser la frontière qui sépare ce que nous croyons être la mort de ce que nous croyons être la vie sans un cri – sans un seul cri – et sans effroi... Saurons-nous rejoindre la cendre et la poussière, le front brûlant de ferveur et d’amitié pour le sommeil et la torpeur autant que pour l’Amour et le silence... Irons-nous les bras ouverts – ou les bras en croix – vers cette joie et cette paix qui demeurent par-delà les siècles – par-delà les rêves et les désirs – par-delà le sang et les livres de sagesse... Saurons-nous supporter patiemment – et avec vaillance – cette insupportable éternité...

 

 

Le cœur plus épais que le sang. Et la lumière plus tenace que l’espoir...

 

 

Le temps arrêté enfin par les visages et le sombre de l’homme traversant les heures. Stoppé net dans son élan par le sourire impérissable – et le chant continu du monde – célébrant le passage et l’éternité...

 

 

Encore un baiser peut-être avant le silence – la fin inexorable des jours. Et encore quelques joies – et quelques douceurs – dans cette si grande peine à vivre. Comme un regard qui n’en finirait jamais de compter les années et les siècles qui passent sur les visages...

 

 

Demain sans doute serons-nous encore vivants... Et dans mille siècles continuerons-nous de voir ce qui vieillit autour – et au-dedans – du regard. Cette chair mille fois ressuscitée – et ce monde mille fois défait et reconstruit – impérissables.

Et une fois de plus – et comme toujours – nous irons à la fois curieux et inquiets vers l’après – tous les après – et vers l’impossible – le destin soumis à la terre et aux visages, l’âme éprise de ce qu’elle ignore et connaît déjà, l’allure vissée aux circonstances et aux rythmes naturels des pas et du monde et le regard voué (comme à son origine) au plus grand silence...

Et nous irons ainsi mille fois – dix mille fois – des milliards de fois encore – jusqu’à l’impossible fin des temps – par-delà les mondes engloutis et renaissants – dans l’inquiétude et la joie – rejoindre ce qui, un jour, nous enfanta. Jamais vraiment partis – ni jamais vraiment arrivés. Entre tous les gués. Recommençant toujours la foulée, la marche et le chemin comme au premier pas – avec peut-être toujours plus de ferveur et d’innocence dans cette attente interminable de ce qui est déjà là – et de ce qui jamais ne s’achèvera...

 

18 décembre 2017

Carnet n°126 Mille fois déjà peut-être. Et mille fois, sans doute, à recommencer

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Des rencontres. Mille rencontres. Et les éboulis du temps qui transforment les visages en ombres – les ombres en durée – et les durées en siècles – là où s’ébruitent, entre les heures, l’instant et l’éternité que les yeux – et les âmes – s’échinent encore à chercher ailleurs...

Des prières encore – mille prières – dans cette enfance du monde – et l’hiver de l’homme peut-être. Comme une fumée sortant des bouches et grimpant à travers le gravier et les haleines noires. Comme un rêve obscur – poussif – presque enfantin – jeté au ciel. Comme une danse offerte du fond des âmes à l’ineffable sans nom. A cette présence suspendue au fond – et autour – de tous les gouffres...

 

 

L’or des visages caché au fond de l’âme – au croisement exact entre les plis de la terre et le bleu du ciel – donne au monde cette couleur incomparable. Tantôt vert-pomme, tantôt vert-printemps, tantôt verdâtre selon la configuration des étoiles, des reliefs et du regard...

 

 

Nous, au commencement du monde (et de la vie), si seuls – si petits – si fragiles – si dérisoires – et comme jetés sur terre. Puis apprenant à nous retrouver – et à nous unir – lancés alors, presque rassemblés, dans l’infini – prêts (enfin) à rejoindre l’envergure du ciel et des océans...

 

 

Des rencontres. Mille rencontres. Et les éboulis du temps qui transforment les visages en ombres – les ombres en durée – et les durées en siècles – là où s’ébruitent, entre les heures, l’instant et l’éternité que les yeux – et les âmes – s’échinent encore à chercher ailleurs...

 

 

Nul ne périra jamais sous la foudre. L’orage et l’éclair ne sont que la promesse d’une fin – et d’un ailleurs. Le début peut-être d’une autre lumière...

 

 

L’épine et l’échine, singularités de l’homme et de la ronce. De la bête et de la rose. Comme le signe des ravages du temps sur nos patientes tentatives pour nous adapter à notre triste condition de mortels – de survivants. L’évidence des armes et de la servitude. Et ce goût pour le sang et les guerres et cet instinct de préservation malgré la beauté de toute faiblesse – ce dos voûté par le monde et les circonstances déplorables – et défavorables le plus souvent...

 

 

Tant de mystères irrésolus éclaircis. Vie, monde, bêtes et hommes, disettes, malheurs et prospérité. Seules inconnues encore : le destin, l’âme, le souffle et la possibilité du Divin. Thématiques sans doute d’un autre siècle que le nôtre...

 

 

Des prières encore – mille prières – dans cette enfance du monde – et l’hiver de l’homme peut-être. Comme une fumée sortant des bouches et grimpant à travers le gravier et les haleines noires. Comme un rêve obscur – poussif – presque enfantin – jeté au ciel. Comme une danse offerte du fond des âmes à l’ineffable sans nom. A cette présence suspendue au fond – et autour – de tous les gouffres...

 

 

Un peu de cendre – et un peu d’âme encore. Quelques restes – ultimes survivants peut-être – agglutinés au sang et à la mort. Comme un peu d’espérance née avec la nuit – presque recouverte aujourd’hui par l’ignorance – et ses ombres qui perdurent encore – et la violence de toutes nos conquêtes et de toutes nos batailles...

Et cet Amour à naître au-dedans de soi que nous a confié le silence au début des origines – avant la naissance des premiers visages...

 

 

Après mille chemins – dix mille chemins – parcourus, après mille œuvres – dix mille œuvres – édifiées, après mille visages – dix mille visages – rencontrés, après mille aventures – dix mille aventures peut-être – et autant d’acharnements, de désirs et de désillusions, le néant toujours. Et la possibilité du renoncement. L’invitation permanente de l’abandon et de l’effacement. Seul pas nécessaire – et seul territoire indispensable au franchissement de l’unique frontière. L’impénétrable est à ce prix...

 

 

Le bruit des livres à nos tempes ouvertes. Comme la possibilité du vrai, plus réel que nos vies et nos songes. Un peu de lumière versée dans le sang noir et la semence des jours futurs...

 

 

Plus rien ni personne après la mort. Le silence simplement. Le même silence qui nous aura fait naître, vivre, chanter, pleurer, espérer et mourir – et que nous n’aurons su voir – ni entendre – ni habiter – de notre vivant...

 

 

Tout homme porte en lui – et est peut-être – cette blessure inguérissable qui cherche sa guérison. Comme un manque – une incomplétude – à remplir – à combler – qui s’acharne sur mille choses avant de comprendre qu’il porte en lui – et est aussi – son propre remède : cet Amour – ce grand Amour – qui soigne et guérit toutes les plaies (passées, présentes, réelles, illusoires et imaginaires...).

 

 

La langue – la parole poétique – est comme un couteau entre la plaie et le silence. Parmi les vents au-dessus des abîmes où nous croyons – ou avons cru – être plongés. Une résistance à tous les sommeils pour clore cette conversation interminable entre la mort et l’infini...

Après l’anéantissement, les yeux grands ouverts enfin peut-être...

 

 

Une parole brûlante – fébrile – pour annoncer la fin des frontières entre l’étoile et la pierre et le tutoiement du soleil à venir. L’aube de toutes les innocences...

 

 

Et cette fouille automnale interrompue par l’hiver. Laissant les hommes à demi-morts – à demi-vivants – eux qui n’ont jamais su vivre (vivre véritablement) cherchant d’une main cette sagesse cadenassée – verrouillée – et refusée par l’autre. Usant leur rêve jusqu’à l’obsession sans trouver la moindre joie – ni la moindre lumière – en tamisant leur sable et leur limon...

Comme des anges – de pauvres diables en vérité – au destin maudit jusqu’à l’acharnement...

 

 

Comme un rêve où nous dormons (tous) encore. Et avec un rêveur qui nous enfoncera toujours davantage dans le sommeil. Et au cœur – et au fond sans doute – du cauchemar, cette minuscule fenêtre sur le monde – ce même monde – mais éclairé d’une autre lumière – plus vraie que celle qui brillait dans l’attente de notre réveil...

 

 

Qui donc, en nos yeux, pourrait-il voir la fin de la fable – les tout premiers pas du réel et de la vérité ?

En ce monde où l’aveuglement – et la plus haute cécité – sont célébrés autant que l’or – et où la fouille et la nudité sont reléguées aux marges et aux marginaux, nous ne pourrons (sans doute) compter que sur nous-mêmes...

 

 

Un élan, une paupière, un sommeil. Et la mort – et l’ignorance – qui partout s’avancent et avalent. Comme si le réel était interdit – nous était encore interdit... Comme si les hommes pensaient que seul le rêve pouvait enfanter – et faire fructifier – le monde...

 

 

Au carrefour de la mort et du silence, cette joie – cette liberté – toujours présentes – toujours offertes. Et dont les vivants, qui ne désespèrent jamais des promesses, ne sucent que l’espoir...

 

 

Moins de robes, de parures et d’apparat – moins d’orgueil, de titres et de médailles – sont nécessaires à la venue – et à la possibilité même – de la lumière. Sans cet (indispensable) élan de nudité, nous continuerons à boire le lait de la nuit – ce jus de sang et de souffrance. Cette liqueur abjecte née des guerres et des molosses sanguinaires qui se sont succédé sur la terre...

 

 

Une marche, des étoiles. A peine assez pour accomplir quelques pas de danse parmi les cris et les plaintes jetés par-dessus les toits vers l’inconnu...

 

 

Les poètes, seules fréquentations possibles avec les arbres, les pierres et les bêtes. Compagnons, si pleins de joie et de verve, dans notre silence...

 

 

Cette terre en nous si pugnace – et ses eaux noires, ses rêves et ses instincts si féroces – comme si rien – presque rien – en ce monde ne pouvait nous laisser penser que nous appartenons aussi – qu’une part en nous appartient aussi – à la lumière...

 

 

Mendiants immatures au corps repu et usé – et aux guenilles malodorantes à force de prières – à force de promesses (non tenues) – à force de sueur et de sang. Levant faiblement les yeux vers une absence – un Dieu inexistant – au lieu de creuser dans les profondeurs de l’âme pour pouvoir entonner leur chant de joie – et participer à l’offrande – et au secours de leurs frères gémissant – et agonisant parmi les tombes, les promesses et les prières...

 

 

Et l’eau du monde et nos larmes qui coulent encore – et qui creusent davantage nos tombes. Et nous, pauvres de nous, geignards et ruisselant de peines, qui n’avons plus même la force de résister aux massacres et à la tristesse...

 

 

La poésie ne peut se lire que poétiquement. Toute autre lecture (analytique, explicative, lexicographique...) n’en est pas vraiment une. La poésie n’a nul besoin d’explication et de commentaire. Elle ne réclame que le prolongement d’elle-même : la continuité de la poésie – et sa transposition à tous les espaces du monde et de la vie... Vivre poétiquement dans un monde poétique, voilà pourquoi l’on écrit – et on lit – la poésie...

 

 

En ville, trop (beaucoup trop) de bruit et d’agitation(1) et trop (beaucoup trop) de présence – et de proximité – humaines. A la campagne, trop (beaucoup trop) d’archaïsme(2) et d’exploitation animale. Aussi je ne me sens à mon aise que dans le silence et les espaces naturels et sauvages – là où les lois essentielles de la terre et du ciel sont respectées – et cohabitent en parfaite intelligence...

(1) Agitations de toutes sortes (psychiques, corporelles, sensorielles, émotionnelles...).

(2) Archaïsme perceptif et comportemental...

 

 

Plus de mots que de couleurs. Et plus de mots que de chaleur. Et cette fébrilité des lèvres à vouloir remplir le silence – et à nous éloigner, malgré elles, de la lumière. Comme si le langage – et les rencontres – toutes nos gesticulations pouvaient affaiblir notre solitude – et nous consoler de notre peine à vivre. Comme si notre volubilité, nos jeux, nos faux-semblants et notre apparente gaieté pouvaient nous faire oublier la mort...

 

 

Ce simulacre d’union entre les hommes – entre les hommes et les femmes – entre les hommes et Dieu. Alliances, circoncisions, baptêmes de l’apparence. Mensonges éhontés. Franche rigolade aux airs si solennels. Pas même les premiers pas – pas même les prémices – d’un véritable rapprochement. Au mieux quelques paresseuses velléités d’appartenance. De simples collusions pour échapper illusoirement à la solitude, à la fouille en soi du Divin et à la découverte de notre socle commun...

 

 

Les dépossédés sans manque aucun – ni d’envergure ni de joie. L’âme – et le visage – simples et nus se laissant déposséder – et creuser – par le monde et les circonstances – se laissant habiter par l’incertitude et l’inconnu – se laissant aller au plus naturel – et s’abandonnant à la lumière – à cet éclat du Divin enfoui en leurs profondeurs...

Perles humaines ignorées, le plus souvent, des foules et du commun – brillant pourtant de mille feux, humbles et incandescents, sous la houlette – et le sourire – d’un ciel ravi – et plus qu’acquiesçant... Et qui mourront comme elles ont vécu, anonymes et oubliées comme les parias d’une terre aveugle et ingrate – et plus qu’ignorante... Recluses sur la rive où ne passent – et ne fanfaronnent – que les joueurs et les rêveurs – le bon peuple des ensommeillés...

 

 

Les dés entre les mains des joueurs, parieurs invétérés – suppôts des intérêts et du malheur auxquels nous remettons nos vies. Le destin des bêtes et des hommes – ce peuple ignare qui ne cherche que la protection des puissants, quelques miettes, quelques gains (misérables et dérisoires) et la possibilité de rêver – et d’espérer plus encore...

 

 

Et cet entrelacement de l’âme et de la pierre – de l’innocence et des vents noirs – comment pourrions-nous nous fier à une seule boussole – à une seule sagesse – pour séparer l’ombre de la lumière – et nous extraire de cet amas... Plus sage – et plus simple – serait sans doute d’aimer (tout entier) ce joyau brut – ses mille reflets, ses mille failles et ses mille aspérités...

 

 

Ce qui restera à notre mort ? Rien – à peu près rien. De toute évidence, beaucoup moins que ce que nous pouvons (ou pourrions) vivre – sentir et célébrer – aujourd’hui...

 

 

Et ces corps qui se traînent sur leur rive. Et ces âmes assoupies – et ces esprits endormis à leur suite. Comme des ombres égarées d’un songe qui ignorent encore celui qui les rêve...

 

 

Un silence, une danse. Et soudain mille êtres – et mille voix – éparpillés dans la nuit. Et la naissance de tous les chemins pour retrouver la lumière – et la célébrer. Et, en attendant, la mort partout qui frappe – et efface les visages – mille visages aussitôt remplacés par d’autres – aussi fous, aussi aveugles, parfois un peu moins – essayant de déchiffrer, à travers quelques signes jetés sur la terre et le blanc des pages, les êtres, les voix, les danses et le silence. Edifiant des jeux et des routes – des horloges et des cathédrales – pour déchirer la nuit où ils croient avoir été engloutis...

Des cœurs chancelants – et des âmes tenant à peine debout, en vérité, mendiant la paume tendue quelques éclats de lune auprès des figures, des fleuves et de la terre – auprès du ciel et des étoiles – gorgés (toujours) de sang et de rêves. Refusant de mourir – et d’aller aveugles vers l’autre monde qui n’est qu’un recommencement – le prolongement de celui-ci, libéré pour un temps (quelques instants sûrement) de la chair et des saisons – un gouffre identique – le même qu’ici-bas – aux parois de moins en moins glissantes peut-être – au fond duquel s’élancent les mêmes voix et les mêmes danses – et où brillent la même lumière et le même silence. A la lisière de tous les possibles – à la lisière de tous les ailleurs...

 

 

Nous sommes. Et sommes entendus au-dedans de ce regard toute la nuit durant – Un et sans fin – accablés, sauvés et ressurgissant toujours entre les rives – entre l’ombre et la lumière – au milieu de tous les gués malgré la peur, les rêves et la faim – dans la joie et le silence, entrecoupés, si souvent, de larmes et de fureur...

 

 

Et cette écriture aussi jaillissante que la vie – la vie même, en vérité, transposée en signes. Quelques pas et quelques danses – infimes et infinis – merveilleux – aussi nécessaires qu’inutiles – aussi précieux que dérisoires – dans le silence pour le célébrer, avec faste et humilité, dans la joie et la tristesse. La nécessité du vivant à l’œuvre partout – et dans tous les sens – pour honorer sa présence – et son existence autant que son essence...

 

 

Se livrer à la rédaction (spontanée, bien sûr) de quelques lignes lors de nos promenades quotidiennes au cœur de la nature – au cours de nos longues marches contemplatives et méditatives au sein de la nature sauvage – ces espaces géographiques les plus désertés par les hommes – bref, au cœur du monde (non humain), il n’y a, je crois, de plus grande joie d’écrire... Notes à la profondeur, aux ressentis et au rythme incomparables...

 

 

Le corps est la terre – un infime fragment de la terre. Et pour vivre de la plus saine façon – et se ressourcer (si nécessaire), nous avons besoin d’un rapport – et d’un contact – directs et quotidiens avec la nature et ses énergies naturelles. L’esprit, lui, est la présence (la conscience). Et pour être (devenir peut-être...) sa plus parfaite incarnation – ou, du moins, son reflet le moins encombré, nous avons besoin, bien souvent, de silence et de nudité – de fréquenter autant qu’il nous est possible un espace suffisamment dépouillé et silencieux...

 

 

La vie aussi mystérieuse que la mort. Et, sans doute, plus secrète malgré son apparente exubérance. Corps épars – corps fragmentés en autant de lieux – et de visages – nécessaires...

 

 

Le dernier mot (et, peut-être, le meilleur) viendra après notre mort. Et gageons qu’il célèbre – et consacre (ne sait-on jamais...) – cette œuvre modeste...

« Rien... Pas davantage aujourd’hui qu’hier sans compter que demain n’existera jamais... Rien qu’une présence invisible peut-être... » pourrait être (pourquoi pas ?) notre plus belle épitaphe – inscrite en lettres de sable sur la terre qui recouvrira notre dépouille. Comme notre ultime message – offert aux morts et aux vivants...

 

 

Et après la mort, où irons-nous ? Vers quel lieu – vers quel silence – serons-nous conduits ?

 

 

Ce partage des eaux entre le silence et la terreur – la promesse et la vérité. Et nos frêles embarcations toujours portées à la dérive...

 

 

La houle des mots errants – emportés, eux aussi, au plus bas – là où luit la lune – dans ce sommeil rouge – cette marche somnolente dans la pluie et le froid. Là où les hommes raidissent leur pas...

 

 

De notre vie – de notre œuvre – ne restera qu’un invisible mausolée – et quelques mots peut-être pour les plus obstinés. Les autres passeront sans un regard – sans un mot – et poursuivront leur errance et leur sommeil en continuant à s’adonner à leurs misérables ébats sous la lumière d’étoiles toujours aussi lointaines...

 

 

Notre dernière sentence naîtra avec la lumière – au jour dernier de notre errance. A l’heure de la satiété – lorsque le silence aura détrôné la vigueur du sang. Et elle ira au gré des vents – et au gré des neiges – dans le jour finissant avant que n’éclose la première aube de l’homme...

 

 

Grain des abysses – grain de lumière. Le même fragment vu du dehors – et vu du dedans. La même étoile – la même poussière – parcourant le jour et la nuit. Tombant et se relevant. S’effondrant et se redressant encore parmi le désespoir et le néant – et parmi les sourires. Et tournoyant toujours au rythme des manèges. Avalée par les tourbillons dérisoires des mondes. Chevauchée fabuleuse et ridicule – bruissements inaudibles – dans l’œil impavide du silence. Comme un temps virevoltant entre les rives de l’immuable...

 

 

Drapeaux à la main – fièrement dressés devant eux – et des sacoches pleines de rêves et de désirs, d’idées, d’or et de sortilèges, avançant aveuglément – tournant en rond autour du mystère – de tous les mystères – sûrs de leur marche et de leur épopée... Ah ! Que les hommes me font rire...

Pour vivre, nous devrions plutôt nous inspirer de l’herbe et de la pierre – de l’arbre et de la fleur – des bêtes et des nuages, nos vies – et le monde – deviendraient alors bien plus vivables...

 

 

Un chemin, des chemins. Une pierre, des montagnes. Et cette marche inépuisable dans les ténèbres. Il suffirait pourtant de regarder l’eau – et la suivre jusqu’à l’océan. Et la voir renaître encore – et recommencer son périple jusqu’au fleuve du silence pour nous extraire de cette attente fébrile – nous épargner ces élans inquiets vers ce qui nous hante – et pouvoir (enfin) traverser cette indigne, et merveilleuse, cécité qui, sans cesse, pousse nos pas vers des rivages impossibles...

 

 

Egarés – et anéantis bien souvent – entre l’histoire et le silence par l’incessant renouvellement des jours et le mystère – la question irrésolue. Comme si nous étions un seul – mille fois disloqué et rassemblé – et des milliers – des milliards se succédant sans rien comprendre au voyage et aux voyageurs. Comme un silence inaudible – inaccessible – malgré la source intarissable des élans, des questions et des inquiétudes. Comme une folle nudité captive des songes dont nous la parons...

Et nous avançons – et avancerons peut-être – toujours ainsi – plus noirs que nus – portés davantage par la promesse que par le serment de voir le jour – et de comprendre l’origine du rêve, des pillages et de l’errance...

 

 

Nous bâtissons, nous nous bâtissons. Et tout sera emporté dans le lit de la misère : sable, briques, limon, pluie et poussière charriés par les eaux boueuses. Et la pendule – et l’étoile – au-dessus de toutes les têtes. Comme un orage interminable entre la terre et le ciel parmi quelques spectres (toujours aussi) impérissables...

 

 

Tout s’établit le temps d’un souffle. Et repart – et disparaît – le temps d’un soupir. Ne demeure que l’impérissable – la demeure des Dieux – cette présence – cette façon d’être là, intouchable, malgré la pesanteur et la beauté des visages...

 

 

L’air du temps jamais ne pourra affaiblir – affadir – ni meurtrir la vérité. Hors des siècles toujours. Hors des appétits et des lois du marché. Incorruptible à jamais...

 

 

Rebelles aux lois – rebelles aux vents. Au côté de la vie qui passe. Rendant grâce au temps perdu – au temps volé à l’espérance. Nous existons les épaules légères – et suspendu à notre cou, un chapelet de pardons offerts à tous les yeux ébahis dans le noir. Comme une parenthèse entre l’écume et le ciel – entre les pavés et ce qui sédimente l’essentiel. Moribonds déjà. Inexistants presque. Et pourtant si éternels...

 

 

Au creux du jour défait, emportée la promesse aux marges de l’errance vers ce large illimité où le silence rejoint la parole – cette neige qui mène au-delà des cimes – au-delà des croassements – au-delà de l’hiver et de la terreur. Et cette attente brûlée qui se consume à présent là où l’on demeure...

 

 

Blessés par le temps – blessés par les vents – nous désirons encore. Et l’on s’avance – rampant peut-être – entre les tombes et les chiens pour danser dans les bourrasques et les heures... Fidèles aux bruits – et aux habitudes – malgré les blessures et la béance toujours aussi vive. Et toujours aussi insoucieux du silence...

 

 

Serrés dans nos habits trop étroits – si étriqués pour notre envergure – nous saluons les têtes d’une main disgracieuse – et ébouriffons les cheveux des anges cachés parmi les serpents de l’éden. Comme un jeu – et un trou supplémentaire creusé dans l’abîme. Une façon de braver la nuit et la mort – de chanter quelques louanges à travers la fumée épaisse qui s’élève vers l’ailleurs. Et le jour – notre besoin de jour – plus fort que nos rêves...

 

 

Un fardeau aussi lourd que la douleur, allégé parfois par quelques mots. Une parole – une lumière – à la frontière de l’inexprimable...

 

 

Une vie, une chair et une âme peut-être, écrasées sur la pierre. Blessées. Et le sang qui coule aussi vif que l’eau des rivières vers l’autre rive caressée par la lumière...

 

 

Un pont – mille ponts – toujours nous sauveront de l’errance. Et rien jamais ne pourra défaire ce sourire accroché à nos lèvres tordues par la misère, la souffrance et l’incompréhension face à l’étrangeté de vivre – et malgré cet œil – notre œil – larmé devant les portes fermées et les clôtures de l’indicible...

 

 

Regard et espérance défaits par la lune et les pendules dont les heures et les rêves alourdissent la charge déjà si lourde – si épaisse – de nos vies. Une légèreté plus vive que la pesanteur de nos âmes. Comme la promesse d’un envol – d’un soulèvement – possible vers le plus intime...

De seuil en seuil, ainsi franchirons-nous les frontières de l’invisible nudité – de l’espace sans circonférence...

 

 

Aux mille yeux du souvenir, préférons l’oubli. Aux mille jeux à venir, préférons le silence présent aujourd’hui. Ainsi serons-nous – apprendrons-nous, peut-être, à devenir – plus sages et plus vivants...

 

 

Au faîte de l’âme, peut-être reviendrons-nous un jour... Lorsque l’abandon sera préféré aux promesses – et que l’effacement aura recouvert tous nos rêves, la nudité alors sera perçue comme le plus haut de l’âme – et la possibilité pour l’homme d’être aussi beau – aussi blanc et léger – que la neige. Mais il faudra (pour y parvenir) faire tous les deuils exigés par l’innocence avant que n’arrive le soir – et que nous efface la mort...

 

 

L’impossibilité du sommeil offerte par la lumière. Comme la garantie d’une attention permanente – d’une conscience et d’une responsabilité sans esquive ni échappatoire. Comme une veille continue parmi les dormeurs et la somnolence...

 

 

L’absence n’est, sans doute, qu’une parenthèse – un ajournement provisoire du soleil. Et, peut-être, aussi, une forme d’attente interminable au cœur de la nuit...

 

 

Notre voix – toutes nos voix – ne seraient-elles que l’écho d’un silence interminable... Plaintes, cris, murmures, gémissements, appels voués à l’impossibilité du rebond – à une réponse bien plus qu’improbable. Comme des paroles inaudibles agonisant dans l’infini...

Et partout, tous ces bruits à la charnière du vide et du silence...

 

 

L’Absolu inscrit dans la pierre. Et nos mains tremblantes. Et notre chair palpitante sous la pluie. Et notre âme toujours aussi percluse de terreur et de froid...

 

 

Par-delà les murs – et par-delà l’horizon – la même herbe, tantôt rase et brûlée, tantôt verte et pleine d’ardeur. Les mêmes hyènes. Les mêmes baisers. Les mêmes espoirs. Les mêmes eaux. Et la même nuit. Et plus loin, au-delà de la pluie – et au-delà de tous les soleils, le jour et l’océan. L’infini du regard où dansent toutes les silhouettes enfermées entre les murs et l’horizon...

 

 

Les ailes – et les alliés substantiels – du désir. Toute cette clique versée dans le devenir. Attelage trop fier – et trop aveuglé sans doute – pour faire halte – et quelques pas en arrière. Pour s’asseoir en silence et attendre que se défassent tous les territoires et toutes les gloires. Et au bout de toutes les défaites, voir arriver la folle humilité de l’innocence – et à sa suite, l’Amour et le silence. La seule présence affranchie du temps et de la faim...

 

 

Des bouts d’étoffe joints comme une peau – mille fois – des milliards de fois – décousue – déchirée – et patiemment raccommodée. Et nul – ou si peu – pour comprendre l’unité parfaite des corps. Des bouts d’idées et de rêves comme un espace – mille fois – des milliards de fois – fragmenté – et amoureusement recollé – et réuni. Et nul – ou si peu – pour comprendre l’unité parfaite des esprits. Des bouts d’émotions et de sentiments comme une seule sensibilité – mille fois – des milliards de fois – assemblée et désassemblée. Et nul – ou si peu – pour comprendre la parfaite unité du cœur... 

Combien de déchirures, de combinaisons et d’assemblages nous faudra-t-il expérimenter pour nous éveiller à notre vrai visage – à notre seule et commune figure...

 

 

Mille fois martyrisés – et meurtris – au cours des siècles, la chair et le vivant. Leur longue agonie. Et pourtant nulle égratignure sur l’âme lorsque arrive le silence...

 

 

Mille songes entreposés entre l’âme et le silence. Et ce bruit assourdissant et terrifiant qu’ils font à leur sortie – si fiers de leur entrée en scène. Comme des enfants se prenant pour des rois...

 

 

La mort et la solitude encore... Comme les deux axes essentiels – primordiaux – du silence. La disparition et l’effacement permanents des phénomènes (corps, monde, terre) et l’invitation continuelle à la présence unitaire de l’Un...

 

 

Paradis, déluges et prophéties d’un côté. Attente et sommeil de l’autre. L’homme enserré – comme pris en étau – entre la torpeur terrestre (et les quelques douceurs offertes par la terre) et sa funeste (et presque apocalyptique) condition de penseur métaphysique...

 

 

Tout au bout de la vieillesse, l’enfance de l’homme. Et l’innocence, peut-être, retrouvée. Ce visage sans âge. Cette figure éternelle. Et les mille faces du monde (enfin) réconciliées...

 

 

Toute individualité doit affronter le monde, ses éléments, ses phénomènes et ses circonstances alors que la présence – toute forme de présence – impersonnelle les accueille et s’en fait (simplement) le témoin.

 

 

[Modeste parenthèse d’épanchement individuel]

Après tant d’années de quête, de recherche, de fouille et de découvertes (infimes certes...), quelle surprise et quel accablement de constater que nous éprouvons toujours autant de peurs, de peines, d’attentes, de solitude et de résistances... Comme si nous ne pouvions guérir définitivement de notre condition d’homme – et voir s’effacer (de façon tout aussi définitive) notre propension à vivre les affres de l’individualité...

Un seul changement notoire – infiniment modeste sans doute, mais peut-être néanmoins décisif : nous accueillons – pouvons et savons accueillir – sans trop de craintes ni de blâmes ces manifestations apparemment inévitables...

 

 

Un peu d’attention – un peu d’Amour – et un peu de reconnaissance – n’est-ce pas ce que nous cherchons tous de façon si maladroite sans voir – sans comprendre ni sentir – que nous en sommes (potentiellement) les plus grands – et les plus sûrs – dépositaires...

 

 

L’écriture, les arbres, les collines et les chiens sont parfois les seuls compagnons de notre solitude...

Toujours aussi peu de visages dans notre existence. Et même, le plus souvent, aucun...

Comme un nomade qui traverserait les heures, la vie et le monde avec pour tout bagage une maigre besace, un bâton, un carnet et la présence, fidèle, de quelques comparses...

 

 

Il est parfois difficile d’être différent – atypique. Pour nous, la solitude est plus vaste – plus profonde – plus durable. Presque permanente...

 

 

Il est étonnant (mais sans doute pas autant que nous pourrions l’imaginer) qu’il faille pour vivre bien – pour vivre à son aise (à titre individuel) – concilier des choses – et des dimensions – si différentes – et presque antinomiques en apparence : être à la fois autonome et capable (si nécessaire) de faire appel aux autres, être à la fois humble et capable de puiser quelques ressources au fond de cette intelligence infinie et de cet Amour prodigieux qui animent les profondeurs de notre âme, savoir vivre pleinement – et autant – sa solitude que la compagnie du monde, faire preuve de point trop de crédulité et pouvoir s’abandonner sans crainte ni résistance aux circonstances, ne rien décider, être ouvert à toute situation et à toute rencontre sans rien attendre ni exiger et manifester une verticalité déterminée et sans faille, ne rien savoir (être totalement ignorant) et être (à peu près) certain de fréquenter une certaine forme de connaissance et de vérité...

 

 

Il n’y a pas d’homme en ce monde. Simplement peut-être, quelques silhouettes ignares et bruyantes – les facettes encore incomprises et mal-aimées de notre propre visage...

 

 

Et ces hommes – tous ces hommes –, partout, qui se croient maîtres et propriétaires. Rois de tous les peuples. Comme j’ai du mal à les aimer. Et ils sont pourtant comme des enfants sur leur parcelle de sable...

 

 

Fais face – accueille ta tristesse – réconforte ta solitude – et accompagne-toi. Voilà ce que me dirent deux arbres postés l’un à côté de l’autre alors que je déambulais sur un sentier en traînant ma mélancolie et en soliloquant à haute voix. Je n’ai, je crois, jamais entendu de plus judicieux conseil ni dans les livres, ni auprès des hommes, ni auprès des sages...

 

 

Ecriture, chiens, marche, nature et bâton. Poésie, métaphysique et présence. L’éternel chapelet de nos jours – et de notre solitude...

 

 

« Ignorance » est le premier mot – le premier substantif – la première instance. Et « aveuglement » les seconds. Et de cette inconnaissance – et de cette cécité – sont nées toutes les réalisations de la terre et de l’homme...

Et c’est avec ces deux caractéristiques fondamentales (de notre condition) qu’il nous a fallu composer tout au long de l’histoire terrestre et humaine. Et c’est avec elles que nous avons cheminé – et évolué... Et malgré les horreurs et les atrocités permanentes, nul ne peut contester les lents – mais indéniables – progrès* réalisés par le monde (aussi bien sur le plan individuel que collectif) depuis des siècles, des millénaires et des milliards d’années. Aussi comment imaginer que nous soyons capables de nous diriger vers la lumière – et accéder à l’Amour et à l’intelligence (tragiquement cachés dans le dernier lieu où nous aurions l’idée de les chercher) si nous n’en étions déjà pourvus avant notre naissance...

* En dépit des écueils, des excès, des errances, des corruptions...

En définitive, la vie – et le monde – ne sont – et ne seront sans doute jamais – qu’une lente – et longue – actualisation de ce potentiel glissé (en nous) par notre origine...

 

 

Une danse, un jeu – mille danses, mille jeux – entre la nécessité et l’actualisation de notre véritable nature...

 

 

Un œil (malicieux entre tous), un chemin – mille chemins – un ravin – mille ravins. Et une longue route sinueuse serpentant entre les âmes et les fossés, montant et descendant, creusant et contournant. Interminable même après que l’œil – et l’origine – aient été retrouvés...

 

 

Et nous vivons dans cette ignorance – et cette incertitude – de tout ; du commencement, de la fin, de la vie, du monde et de nous-mêmes. Ah ! Quel étrange périple – et quel horrible et fabuleux destin – offerts à l’homme et à la terre !

 

 

Le jour creuse en nous autant que la nuit. Et chacun cherche son expansion – son salut – son renouvellement. Nous ne sommes que le (modeste) théâtre où s’affrontent l’ombre et la lumière – où alternent la brume et le soleil – le ciel gris et le printemps. Condamnés pour toujours à la veille silencieuse et aux supplices de l’exil et de la déportation...

Et nous ne serons atteints qu’au cœur du plus fragile – là où l’âme est la plus tendre. Sur la passerelle entre les deux rives, infiniment réconciliatrice...

 

 

Ce qui expire ne mérite peut-être notre attention – cette attente de la certitude. Nous devrions plutôt embrasser ce qui nous manque pour convertir l’intime aveuglé en regard – notre désir en Amour – et le temps en silence. Peut-être alors serons-nous capables de vivre, d’échanger et de nous embrasser sans lamentation...

 

 

Entre les heures, impénétrables, qui se balancent au rythme du temps – au rythme des saisons qui passent – l’instant soulève notre bouche – et notre joie – couchées par la tristesse et le souvenir – l’enthousiasme et le lendemain – comme un pantin écartelé entre l’intime et l’habitude...

 

 

Une veillée ni vraiment funeste ni franchement gaie. Une attente provisoire parmi les bougies de la chambre – close depuis des siècles. Trop aveugle encore pour allumer les feux nouveaux qui éclaireraient les pas, le regard et la fumée qui s’élève depuis le faîtage de l’âme, si recroquevillée parmi toutes ces morts et ces annonces de fin et d’apocalypse...

 

17 décembre 2017

Carnet n°125 Le tragique des jours et le silence

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Nous avons l’âge de la terre. Celui des siècles puérils et sanglants. Mais nous avons aussi la fraîcheur intacte et éternelle du ciel – sa sagesse et son silence – pour panser les blessures du temps...

Un jour, une vie, mille siècles. Et cette longue nuit – inépuisable – du monde et des hommes où les bouches, trop pleines de rêves et de temps, n’ont jamais su épeler l’infini et l’éternité...

Ni poème ni hasard. Un peu d’encre – et un peu de sable – entre le sang et la mort parmi les saisons qui passent...

 

 

Et partout la mort virevoltante. Triomphante toujours des œuvres et des siècles. De tous les vivants... Et qu'il nous faudra apprivoiser pour aller pas à pas (avec elle) jusqu'au jour – jusqu'au lieu – où elle nous débarrassera de tout effroi...

 

 

La force vaine des messages, des cris et des poèmes. Plaintes inutiles à l’ombre de la mort. Comme une bouche – des bouches – si pleines de lune – et aveugles toujours au soleil si lointain...

Et tant d’espoirs encore au fond de l’absence. Comme des grilles parmi les branches et la roche voilant ce jour porteur d’éternel...

 

 

Nuit antique – originelle sans doute – enveloppée d’une grisaille que nous croyons divine – et qui n’est que le reflet dense – épais – de notre ignorance...

 

 

Et nous vieillirons sans doute parmi les feuillages au bord du soleil – de cette sagesse accessible seulement des profondeurs – parmi les vents, les songes et le lierre – loin – si loin encore de cette mystérieuse fontaine...

Et peut-être entreverrons-nous avant la mort par la fenêtre de notre chambre – infime débarras au sein de la maisonnée – au sein de l’univers – la lune et quelques rais de lumière. Et peut-être verrons-nous l’eau noire de la terre couler le long de nos rives obscures et s’effacer nos rêves et notre sommeil. Comme un long glissement, presque inespéré, vers le fleuve du silence...

 

 

Une voûte sombre – étoilée de quelques rêves et d’un peu d’espoir. Des yeux clos – voilés déjà – qui enfantent le bruit et mille rougeoiements – la terreur et la douleur. Comme si l’ombre, l’impossibilité et la mort étaient l’unique possibilité des siècles – notre seule éternité...

 

 

Il y a dans le cri de l’oiseau – le chant des jours – et le grognement des hommes – toute la sève du monde – et la peur et la solitude de l’âme promise à la chute parmi la lumière si pâle des lampes – impuissantes à éclairer nos rivages et leurs mystères...

 

 

Cascades de vie où la mort s’invite chaque jour. A chaque heure. A chaque instant du jour. Comme une implacable litanie parmi le bouillonnement des eaux, l’impatience des âmes et nos rêves de lumière et d’éternité. Comme une terre encore trop gorgée de craintes, d’espoir et d’angoisse malgré nos existences déjà si miraculeuses...

 

 

Et tant de sommeil encore parmi les étoffes rouges. Et ce sang qui ruisselle et offre à la terre cette odeur âcre de la mort. Et l’âme – nos âmes – si brûlantes encore...

 

 

Et où serons-nous lorsque arrivera le jour...

 

 

Quand saurons-nous enfin accueillir la mort comme l’un des plus bels horizons – et comme l’un des plus prometteurs aussi...

 

 

Assis tout le jour – de l’aurore au crépuscule. Plongés dans le sommeil en attendant la fin (improbable) de la nuit. Comme si la patience et l’espoir de la délivrance suffisaient. Comme si le silence et l’éternité pouvaient nous être offerts en récompense...

 

 

La vie, quelques traces de couleur dans la nuit immense qui nous habite – qui nous entoure et nous entrave. Et un peu de joie et mille malheurs. Et le corps – et le cœur – blessés – meurtris presque par chaque circonstance. Comme une longue agonie – un long délitement – jusqu’à la mort qui prolongera, sans doute, notre destin – notre infortune de vivant...

 

 

Le destin de l’homme entre le repos et le clocher – entre le manque et le cri – sur cette aire de brûlure et d’absence – de tristesse et de sommeil. Là où résonnent parfois les cloches de l’autre rive qui nous donnent à rêver – et à espérer plus encore...

 

 

Les mains peut-être encore trop pensives pour que mûrisse l’idée du jour et du désert. Et l’âme trop gorgée de rêves – et trop proche du sol – pour espérer les premiers pas de l’exil vers l’envol...

Plus simples pourtant que l’ombre et le sommeil. Et plus clairs que toutes les nuits où notre âme nous a consolés de nos interminables errances...

 

 

Au fond qu’aurons-nous fait ici, tous ensemble, sinon voiler davantage la nuit déjà si opaque...

Un peu de joie – quelques malheurs et quelques drames inévitables où nous aurons enfermé notre âme et fait couler un peu plus de sang, d’espoir et de désespérance sur les mains et les chemins déjà si tristes – et si noirs de promesses...

Quelques caresses – et quelques gifles – qui résonnent encore dans la mémoire. Un peu d’encre – et un peu de sable – pour participer aux édifices. Quelques pas – et des retours innombrables vers ce qui nous aura toujours éloignés du silence...

Quelques rivières – quelques jardins – et quelques routes – traversés à l’ombre des feuillages. Quelques visages que nous aurons aimés. Le froid et le trouble que nous aurons ensemencés au lieu de l’Amour. Et ce flanc – et ce front – offerts de façon si permanente à l’absence qui aura éloigné toute possibilité de chaleur et d’innocence...

Notre mort ne sera un sacrilège. Peut-être le simple prolongement de notre nuit portant en elle son secret – et notre seul salut ; cet exil de la terre...

Notre seul espoir peut-être : mourir au croisement de ces deux routes – l’une encore si trouble – et l’autre déjà si lumineuse... Et les réunir au fond de notre âme pour que s’amorce la réconciliation...

 

 

Aurons-nous suffisamment aimé sans mendier attention et caresses... Aurons-nous su être présents au cœur des ombres et de l’absence sans rien blâmer ni exiger... Aurons-nous su être seuls – et creuser la solitude jusqu'au rougeoiement de la lumière... Aurons-nous répondu d'une égale façon aux appels – à tous les appels – déchirants de la chair et aux attentes de l’âme... Aurons-nous été suffisamment humains... Et aurons-nous (surtout) réussi à être un peu plus que des hommes...

 

 

A notre mort, notre souvenir ne sera sans doute plus qu’un élan pour aller vers soi-même – et rejoindre ce que nous sommes. Quelques-uns auront lu nos pages – et peut-être même quelques-uns de nos livres – mais le silence demeurera le seul guide – l’unique direction – et le seul pays à célébrer...

 

 

En définitive, nous n’aurons édifié – et déconstruit – que ce qui existait déjà. Quelques pas en avant – et vers le haut – et quelques pas en arrière – et vers le bas – pour atteindre – et accéder enfin à – notre vrai visage ; à cette figure intime et éternelle – à cette figure si impersonnelle d’un Dieu auquel nous n’avons jamais cru...

 

 

Un souci de soi encore, comme une ombre nouvelle peut-être, mais si ancienne en vérité, faisant obstacle toujours au plus simple de nous-mêmes – à cette nudité de l’être – à cette humilité sans pareille – à ce regard si souverain qui perd le sens de toute individualité...

 

 

La lumière, sans doute, s’initie – et s’achève – dans l’ombre. Et c’est peut-être même au cœur de l’obscur que lui est offerte la possibilité d’être toujours plus elle-même...

 

 

Avant le feu de l’homme, celui des origines. Le même feu en vérité – éparpillé en autant d’étincelles et de figures nécessaires...

 

 

Presque oubliée déjà notre vie si ancienne – ces années d’orgueil et de paresse où nous nous pavanions avec cette insolente beauté et cette prétentieuse intelligence en croyant séduire un public indifférent...

A présent, ne reste que la solitude – la grande et merveilleuse solitude des collines – et celle du soir. Et le silence – immense – et si réparateur qui a effacé passé et souvenirs. Comme une terre vierge qu’il nous faudra renouveler jusqu’à la mort...

 

 

Le cœur vif – et si étincelant – des fleurs aux saisons du renouveau et de l’exubérance. Et tout recroquevillé à l’automne. Et absent – comme effacé – au milieu de l’hiver. Comme l’âme primesautière des hommes qui progressivement se fane...

 

 

Attentif toujours à l’éblouissement de l’âme au cœur de la présence – lorsque la peur du noir et le désir de lumière se sont éteints. Comme un Dieu humble – et presque incarné. Très proche en tout cas du pays de l’Un malgré la folie des visages imperturbables...

 

 

Ce qui déchire l’ombre et la nuit. Voilà peut-être, au fond, l’œuvre de la lumière. Son présent le plus inestimable...

 

 

Le temps simple des âmes – et des mains – sans tristesse. Voilà à quoi nous œuvrons, nous autres, à l’ombre du soleil...

 

 

Dans l’ombre opaque d’un Dieu inventé naissent – et grandissent – les âmes. Et elles doivent d’abord s’en libérer – et le détruire – pour pouvoir plonger dans leur obscurité. Et au cœur de cet abîme pourra alors éclore la seule lumière – le seul Dieu au visage de chair...

 

 

Ni désir ni pensée. Mais une présence à l’envergure infinie. Le privilège peut-être des âmes mûres rompues au silence et à la solitude...

 

 

D’indigestes paroles peut-être, inattrayantes sans doute, mais enfantées par la moins vile des intentions – et avec l’acquiescement du plus pur silence. Comme une modeste offrande aux plus déshérités des hommes – si proches de cette lumière qu’ils ont cherchée désespérément – et peut-être déjà à son seuil...

 

 

Corps passagers voyageurs – touristes presque seulement – soumis à l’esprit pourvu d’un goût fort prononcé pour l’ailleurs et la nouveauté. Et l’âme parfaitement immobile dont personne n’entend ni les cris ni les plaintes – et dont la stature ne peut encore recevoir le silence et la lumière. Voilà peut-être pourquoi les existences – tant d’existences – ont des allures d’errance. Comme une longue dérive sur un rivage immuable qui rapproche pourtant, quels que soient les voyages et les pas, de son centre – plus immuable encore...

 

 

Nous cherchons tous, et partout, avec fureur – et de façon si bruyante et fébrile – avant de découvrir la fouille au cœur du silence et de l’immobilité. La seule voie possible – le seul chemin valide – vers la fin des voyages et la célébration des pas...

 

 

Une faim, un chemin – mille chemins – et l’inépuisable continuité du destin. Comme un pas – mille pas peut-être – vers nous-mêmes dans cet inexorable rapprochement vers notre vrai visage...

 

 

Le langage plus proche de la mort que la parole assise dans le silence...

 

 

Et l’attente qui transforme parfois le destin en séjour. Comme un repos (sans doute nécessaire) dans la nuit. Comme une halte dans cette quête infatigable de nous-mêmes. A la fois si proches de l’inconnu et si loin encore du plus familier...

 

 

L’échange d’un désir contre une promesse. Et l’échange d’une promesse contre un désir. Et voilà l’homme enfermé – pris à son propre piège. Il suffirait pourtant de comprendre ce que cachent l’un et l’autre pour s’en affranchir – et transformer l’attente en silence et en liberté...

 

 

A nos lèvres – et à nos âmes – s’est suspendu peut-être le plus inutile. Gageons que le silence – et comment pourrions-nous en douter – y replace l’essentiel...

 

 

Le monde n’a le même éclat – ni la même saveur ni le même parfum – dans la solitude. Plus riches, plus intenses et plus profonds. Et plus propices, sans doute, au silence et à la joie. Que l’on y chemine ou que l’on s’y promène, on est loin (suffisamment loin) des visages et des distractions (du monde) pour s’y déplacer avec l’âme humble – presque en recueillement. Et on le (et s’y) découvre toujours comme pour la première fois – à chaque nouveau pas – comme le lieu de tous les possibles – et les mille reflets de soi-même – dans un sentiment d’unité presque inégalé...

 

 

Ne rien faire à moins de consentir au désastre... Et même si nous refusons de participer à la moindre activité, nous contribuerons à la débâcle... Que nous agissions ou demeurions à l’écart, tôt ou tard, le désastre adviendra...

 

 

Tant de saisons contraires où nous nous serons déchirés. Et c’est en lambeaux – et presque inexistants, mais enfin réconciliés – que nous laisserons s’approcher la lumière...

 

 

Nous n’accosterons qu’une fois franchis tous les fleuves – et achevés tous les chemins – qui se seront interposés entre le port – le nôtre – et l’océan, cette aire commune si infréquentée – ce désert – ce grand silence...

 

 

Et toutes ces transformations (odieuses) que nous imposons à la terre et à ses habitants. Présents empoisonnés de tous nos délires – et de toutes nos ambitions. Agissements parés des plus viles et absurdes intentions qui, si elles se réalisaient, réduiraient en cendres le peu qu’il reste de la terre, rongée déjà à petit feu par notre hégémonique colonisation...

 

 

Ce qui n’a de prix – et dont on ne peut faire commerce, voilà ce que nous devrions désirer... Le reste n’est qu’indigne réponse à notre survie – à notre pauvre subsistance. Avons-nous donc oublié que la vie – et ce que nous sommes – sont plus grands – bien plus grands – que le corps – et bien plus haut que les peurs et les caprices de l’esprit...

 

 

Ce que tu écris, on ne peut le lire que dans la solitude de la chambre – dans la lumière des collines et dans le gris de l’horizon. Lorsque l’âme crie son manque – et cherche une joie que ne peut lui offrir le monde...

 

 

Une joie de vivre plus souterraine et silencieuse que nos faces rouges à force de rire – à force de sang. Et plus inébranlable que notre mélancolie passagère...

 

 

Vivre jusqu’à la (dé)raison la plus sauvage. Ainsi les hommes ont-ils façonné le monde de leurs craintes – et de leur volonté d’échapper à leur animalité. Et qu’ils ont rendu plus barbare – bien plus barbare – que les pires élans destructifs naturels de la terre et de ses créatures...

 

 

Un ciel encore ombragé malgré les rires, les jeux et l’apparente joie de vivre. Trop immatures encore sans doute pour regarder le sombre – et l’obscur – y plonger tout entier – et laisser s’approcher le soleil...

Ainsi vivent les hommes gorgés de surface et d’espérance – d’orgueil et d’ignorance – loin, si loin encore, de la profondeur indispensable au dévoilement de la lumière...

 

 

Et ces eaux dormantes où s’écoulent les rêves et les jours. Comme si la nuit était infranchissable. Et les rives de la lumière (encore) inaccessibles. Et, un jour, nous verrons le monde emporté – et submergé – par les songes et le sommeil. Comme une barque à la dérive s’enfonçant dans la brume épaisse de l’océan au-dessus duquel brille pourtant le plus vif soleil...

 

 

Encore un lieu qui ne sera qu’un rêve – qu’une promesse – qu’un mensonge. Encore des visages – et mille rencontres. Et la pluie interminable...

 

 

Boue, poussière et torrents. Tous dévalant les pentes – leurs pentes – avec fureur et fracas pour se heurter au haut mur des étoiles avant de sombrer, peut-être, dans l’inconnu définitif – et salvateur – infiniment salvateur comme nous le disent les sages... Mais au fond peut-être, n’est-ce là qu’une nouvelle infortune – mais si prometteuse pourtant...

 

 

Si humble devant l’incertitude – le sentiment de n’être personne – et l’évidence de notre ignorance. Comment avons-nous pu autrefois nous montrer si orgueilleux et aller sur les chemins avec tant d’arrogance sinon pour dissimuler (au monde et à nous-mêmes) cette si grande faiblesse à exister...

 

 

Et cette lumière anuitée – prodigieuse dans le sommeil. Patiente au-delà du possible, enterrement après enterrement – funérailles après funérailles – jusqu’à l’effacement de la mort – l’effritement de notre dernière tombe, de notre dernier rêve et de notre ultime somnolence...

 

 

Du bruit – mille bruits – encore gonflés de sommeil. Et le monde qui va, comme un songe tenace, au-delà de lui-même – en aval de la nuit – malgré l’incandescence du soleil et la beauté intacte des étoiles...

 

 

A travers tout, nous irons. Comme un seul passage – et mille passagers. Comme une seule embarcation – et des milliers de barques – jetées contre les vagues à la boussole fixée sur l’infini...

Langue et mains barbares balancées par-dessus bord. Ambitions et songes sombrant au fond des eaux. Marins nus sur leur humble chaloupe naviguant sur l’océan...

 

 

Aux confins des mains, l’horizon et le silence. Et nos paumes qui agrippent déjà le sable. Dans un toucher et une appropriation presque fatals. Offrant une errance perpétuelle entre les rives du monde et celles de l’infini – dans un labyrinthe de corps et de désirs. Comme des vivants égarés – et sans urgence – lançant leurs messages inintelligibles vers un lieu silencieux – et toujours sans réponse. Comme un lierre foisonnant – et inépuisable – suspendu au-dessus du vide. Et c’est pourtant ainsi que nous vivons – et cherchons – encore étrangers au plus familier soleil...

 

 

Les hommes, vivants peut-être. Mais souvent (trop souvent) aussi éteints que la mort. Et au milieu des sourires (idiots et mensongers en général), des pleurs (factices et authentiques) et de l’incompréhension (totale et généralisée), cette lumière – comme une intelligence à naître – qui se cherche encore parmi les plis sombres et épais de l’ignorance. Dans un tourbillon de tentatives que nous célébrons – et qui nous font, malgré tout, aimer les hommes...

 

 

Dans le savant désordre du monde – ce chaos apparent – règnent l’exubérance, la nécessité et l’harmonie. Ce dont nous avons besoin (ce dont nous avons exactement besoin) pour nous extraire de la barbarie – et aimer ses figures et ses fruits dont les graines feront naître peut-être une beauté plus visible que celle du silence...

 

 

On ne célèbre jamais autant que dans l’humilité et le silence. Sans faste ni ostentation. Dans cette forme de gratitude et de prière invisibles...

 

 

Dans l’absence – notre absence – une main déjà nous porte – nous aime et nous guide vers son visage – cet éclat de beauté et de silence que nous sommes déjà (bien sûr) mais vers lequel elle nous pousse davantage pour que nous puissions le devenir, sans doute, de façon encore plus pleine et plus durable...

 

 

Par-delà nos murs – et par-delà nos nuits, le ciel et la mer – bleus – magnifiques – déjà unis – déjà réconciliés avec la terre, ses créatures et ses affres noires...

 

 

Hommes. Passagers si peu téméraires que leur ombre pourtant n’effraye pas...

 

 

Le silence. Comme un angle mort parmi les choses – et au-dedans du regard – qui ne se dévoile pas même lorsque l’on s’en approche. Il faut le devenir pour le découvrir – et qu’il nous apparaisse comme la seule réalité tangible de ce monde – le seul espace vivable dans cette odieuse tyrannie de la terre et des instincts – dans cette vie magnifique et merveilleuse, et pourtant si peu recommandable...

 

 

Douce peut-être sera la nuit jusqu’à la fin. Dans cette somnolence courbée par les bruits, les larmes et les circonstances. Mais elle demeurera toujours aussi sombre – aussi noire – aussi infranchissable – tant que ne nous aura pas été révélée sa lumière – cette étincelle embryonnaire lovée au cœur du regard, accessible à chacun, qui n’en est peut-être qu’un éclat – mais si magistral et si infini déjà...

 

 

La main mendiante – et pourtant si libératrice lorsqu’elle se fait humble – et qu’elle s’avance, sensible et tremblante, pour accueillir et caresser les visages et les circonstances...

 

 

Les peurs et les rêves de chacun (craintes, angoisses, désirs et ambitions de bonheur, de bien-être, de paix, de parentalité...) contribuent au cauchemar collectif (celui de la terre, du monde et de la société). Additionnés, ils forment, entretiennent et font prospérer notre commune tragédie – cette horreur à laquelle bon nombre d’entre nous rêvent d’échapper...

 

 

L’oreille contre la neige devient moins sensible aux bruits du monde et du temps. Comme si le vacarme et la masse sombre des heures – et leurs tintements – étaient amoindris par l’ouïe collée à la blancheur – à l’innocence – de l’écoute...

 

 

Qui peut savoir qui nous sommes – et (plus fondamentalement encore) ce que nous sommes. Un peu de chair, des émotions, des sentiments, des désirs tenaces – presque obstinés. Des liens, des liaisons, des échanges – innombrables. Des lieux, des pays, des mondes, des peuples. Tout un arsenal. Du sang et un peu d’âme. Et l’espoir jamais rassasié de nous découvrir – de savoir ce qu’il reste lorsque tout nous a été enlevé – et que nous avons tout abandonné...

A ce propos, rien de ce que l’on entend n’est ni totalement vrai – ni totalement faux. Nous sommes tout cela – et bien davantage encore. Ce qui semble évident – visible – et ce qui l’est un peu moins. Nous sommes tout – tout ce qui existe – et rien de cela. Nous sommes Dieu et ses anges – le Diable et ses démons. Nous ne sommes rien. Et ne pourrons le savoir qu’en nous approchant de – et en accueillant – (tout) ce qui nous traverse – et nous entoure – pour comprendre – voir et sentir – que la vie – notre vie – toutes les vies – et leurs mille combinaisons – et leurs mille liens – et leur infinité – se manifestent (et se manifesteront toujours) au-dedans de notre regard – de notre présence...

 

 

Il n’y a d’issue ni à la vie ni à la mort. Être encore un peu – être pour toujours au milieu de tous les gués...

 

 

Poésie de l’indicible. Philosophie de l’ineffable. Être plus simplement au cœur de ce qui voit – et de ce qui se vit. L’invisible éprouvation d’exister – d’être plutôt que rien. Il n’y a, sans doute, d’autre possibilité d’être vivant...

 

 

Nous avons l’âge de la terre. Celui des siècles puérils et sanglants. Mais nous avons aussi la fraîcheur intacte et éternelle du ciel – sa sagesse et son silence – pour panser les blessures du temps...

 

 

Nous sommes le vent et la poussière. Et la face espiègle d’un Dieu ensablé entre le cosmos et le néant. Nous sommes le jour et la nuit. Les saisons et les couleurs. Et le noir – l’immonde – et leurs blessures. Egarés quelque part – et à l’abri toujours – entre les rives (et les rêves) du monde et ceux de l’infini. Entre les mille fossés du temps et l’éternité du devenir...

Nous sommes le passé. Et nous sommes l’oubli. Le songe d’un Dieu rêveur. Et sa plus pénétrante réalité. Nous sommes ce qui a été conçu et l’inconcevable qui l’a créé...

Nous sommes ni tout à fait ceci – ni tout à fait cela. Et, plus que tout, bien davantage que nous ne pouvons l’imaginer...

 

 

Cette recherche de soi dans le monde. Et du monde en soi. Le plus sacré de cette quête qui nous anime malgré nous – et qui prend, si souvent, des allures d’enlisement pour les plus obstinés et des airs de séjour touristique pour les autres...

Mille façons de voyager à travers mille continents et mille époques – et à travers le monde et soi-même, bien sûr – vers un seul lieu possible : le lieu de l’Unique et de l’unité aux mille paysages et aux mille visages où nous accosterons, un jour, pour l’éternité...

 

 

Toutes ces craintes – toutes ces joies – toutes ces souffrances – toutes ces impasses – et tous ces bâillements – au cours de cette ineffable traversée. Ah ! Que nous rirons, un jour, de nos errances et de nos doutes – de nos drames et de nos larmes – lorsque nous toucherons (enfin) au but...

Et nous ne regretterons rien de ce que nous aurons vécu. Et nous aimerons plus que tout nos erreurs, nos bassesses et nos défaillances – et celles des autres qui cheminent encore...

 

 

Jusqu’où pourrions-nous étendre le soleil si nous connaissions l’horizon – et l’impossibilité des frontières...

 

 

Un nouveau chant – un nouveau passage. Et le silence déjà qui nous accueille. Comme un miroir souriant à nos déboires et à nos tentatives. Comme le reflet de notre (vrai) visage, fragmenté depuis l’origine – et rassemblé – réuni – enfin en lui faisant face – et en le retrouvant. En nous retrouvant face à lui – face à nous-mêmes – face à nous devenus si accueillants, si souriants, si inséparables...

 

 

Une œuvre plus tremblante que les mains – et plus troublante que les marais. Un rêve de progéniture pour donner, peut-être, un peu de sens à sa vie – et, sans doute, un fond d’utilité. Comme une façon de remettre à plus tard ce que l’on n’a pu mettre en œuvre soi-même. Comme une manière un peu grossière d’offrir à son existence quelques responsabilités et quelques joies – un peu de consistance et une raison de vivre presque animale – et la possibilité de survivre à la mort...

 

 

Une écriture pénétrante – élargissant les possibilités de l’horizon. Comme un avant-goût de l’infini – et, peut-être, une promesse de silence...

 

 

Rien ne peut s’accomplir que nous ne connaissons déjà. La nouveauté ne sera jamais qu’une combinaison du possible à partir d’éléments existants...

 

 

L’encre, un jour, s’effacera. Les pages se déliteront – et retrouveront la poussière. Les mots engrangés dans l’âme demeureront alors le seul véhicule de la lumière. Et les circonstances, comme toujours, joueront leur rôle pour que le silence devienne accessible – et soit, un jour, habité...

 

 

Ni poème ni hasard. Un peu d’encre – et un peu de sable – entre le sang et la mort parmi les saisons qui passent...

 

 

Le feu aussi obstiné que le vent. La lumière aussi tenace que l’ombre. Ainsi sommes-nous nés – et avons-nous survécu aux siècles, partagés entre le maléfice et la promesse – entre l’égarement et la possibilité d’un chemin...

 

 

Les yeux toujours posés contre la vitre malgré la lumière. Comme si la fenêtre ne pouvait se briser. Comme s’il nous était seulement possible d’élargir le regard – et lui faire traverser ces frontières infranchissables. Comme si nous devions faire muer – et transformer – la perception, l’identité et le sentiment d’appartenance – et leur offrir la possibilité d’un au-delà d’eux-mêmes ici, ailleurs, partout...

 

 

Un désert, cette terre peuplée d’ombres. Un grand rêve obscur. Et nous voilà déjà partis sur les chemins – plongés dans cette longue errance. La plus tragique peut-être de l’histoire du monde...

 

 

Face tournée contre la terre – et nuque sous l’orage. Ainsi attendons-nous l’éclaircie sans imaginer la possibilité d’une autre terre, d’un autre climat, d’un autre soleil...

 

 

Clandestins toujours en nos frontières. Comme esseulés par l’infranchissable. Et l’attente de cette crue qui nous ramènera, peut-être, vers le seul rivage commun...

 

 

L’audace de l’impossible. Si puissante – et si souveraine – face à l’étroitesse de nos désirs, leur couardise et leur manque d’envergure et de perspective...

 

 

Terriblement vivants encore malgré la pluie, les menaces et la mort. Empêtrés dans cette vie organique, si irréconciliable, qui enjoint à l’esprit – aux esprits – de lutter et de se battre. Et nous, pauvres de nous, qui continuons à nous vautrer dans cette indépassable dimension de la terre, voués aux combats sans merci – et sans gratitude jusqu’à la mort...

Et, sans doute, devrons-nous encore mourir mille fois – des milliards de fois peut-être – pour nous éveiller à l’autre versant de la vie ; le plus précieux toujours hors de portée pour les mains, les bras et les têtes – ce que l’âme seule peut découvrir au cœur – en-deçà et au-delà – de toutes les batailles...

 

 

Des clowns insatisfaits et entêtés – et plus qu’ignares. Voilà de quoi le monde est constitué. Et il n’y a, le plus souvent, ni raison ni matière à rire... Jonglages, astuces et fanfaronnades. Des jeux et des spectacles en attendant Dieu sait quoi...

 

 

Un sentier, une porte ouverte, une escale. Une parole parfois. Et quelques rares sourires parmi l’indifférence. Comme un feu immuable – et si fragile pourtant – qui cherche partout un discernement – un peu de discernement – pour faire naître l’Amour et le silence – cette joie de la fouille et de la découverte – cette joie du partage et d’être ensemble aussi différents que nous sommes Un seul...

 

 

L’obscur vertige des vivants entre la boue et la poussière. Sur les rives de l’improbable et de l’incertitude. A pas comptés sur le fil ténu – et fragile – de l’existence. Condition métaphysique et vérité humaine.

Et au-delà de toutes les solitudes, la lumière unifiée des vivants – et le courage des êtres qui transgressent les lois et les conventions – les perspectives et les religions – et qui sabotent toute velléité de repli sur soi pour la plus parfaite – et lumineuse – unité...

L’inévitable voyage de l’homme, son défrichement, son exil et son envol possible vers le silence – cet Amour acquiesçant qui ouvre les bras au monde, à sa lumière et à son potentiel comme à ses mains de glaise qui pillent et égorgent encore...

 

 

Entre poésie, philosophie et spiritualité. Simple témoignage de l’humain et de l’inhumain – cet en-deçà et cet au-delà de l’homme...

 

 

Voyageur humble et sans appui. Et regard immobile et acquiesçant. Il n’y a, sans doute, de plus belle façon d’être – et d’être au monde. Ni de plus juste ni de plus digne...

 

 

Les hommes. Quelques frissons d’absence dans l’écume. Et partout au-dedans – et aux alentours – et là-bas, au loin, l’océan (serein et immobile) à perte de vue...

 

 

Et cette interminable saison hivernale où les hommes frissonnent – et se réchauffent à grand-peine entre eux. Brûlant leur attente dans je ne sais quelles distractions. Une existence. Et mille billevesées qui détournent de la lumière – et de la promesse de toute chaleur...

 

 

Une tombe creusée parmi les danses et la mort. Âme et cheveux en bataille. Encore trop instinctifs sans doute pour se soumettre avec docilité au silence. A la ronde immobile du monde et du temps...

 

 

Du sable et des figures encore avant la mort. Mille tentatives tenaces d’exister. De braver cette funeste finitude – ou de la nier peut-être – pour se sentir vivant. Quelques cercles dans l’eau du monde, de la vie et des pages. La poursuite du naufrage – de tous les naufrages...

 

 

Les larmes, bien souvent, sont dans l’œil. Mais nul ne sait les voir (ou si peu) dans l’âme. Envahissantes. Submergeantes comme dans un puits sans fond – assoiffé de cette source qui échappe à la tristesse – située au-delà de toutes les mélancolies – dans l’abandon de tout espoir – au fond des yeux secs à force de désespérance...

 

 

Un jour, une vie, mille siècles. Et cette longue nuit – inépuisable – du monde et des hommes où les bouches, trop pleines de rêves et de temps, n’ont jamais su épeler l’infini et l’éternité...

 

 

Peut-être retrouverons-nous, un jour, le chemin – la maison – la lumière – au cœur de l’obscurité lorsque l’âme saura s’éloigner du lointain – et se rapprocher du plus familier, plongé – gisant – au cœur de nulle part – en ce lieu si invisible des horizons...

 

 

La prunelle et la paupière (des hommes) à moitié closes, rivées aux printemps, là où s’étire le ciel infranchissable – plus qu’inaccessible. Dans ce rêve de lumière et de candeur où ne fleurissent que les mythes, l’horreur et le mensonge. Dans ces crissements de songe qui blessent la terre et ne font qu’effleurer l’horizon...

Et, pourtant, je vois encore quelques scintillements dans la nuit – et dans les rêves. Ce feu, jamais éteint, qui attend un signe – notre venue – notre absence (délibérée) – pour embraser l’âme et le monde. La nécessité des vivants...

 

 

Comme un regard invisible – attentif et bienveillant – sur les êtres et le monde. L’hôte sensible et sans exigence...

 

 

Etrangers du plus commun espace. Fragments d’un seul tenant s’ignorant pour le pire sans voir – ni même deviner – l’unité sous-jacente – invisible – dont l’évidence ne frappe que les yeux unis – réunis – sensibles et réconciliés avec les jeux, les affres et les désastres de la fragmentation...

 

 

Le tragique des jours. Et le silence. Comme unique réponse – et seul baume pour panser – et guérir peut-être les peines, les saccages et les catastrophes du monde et de l’existence...

 

17 décembre 2017

Carnet n°124 Le feu, la cendre et l'infortune

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Et dans nos mains, d’autres mains qui ne nous appartiennent pas. Et dans notre âme, d’autres âmes plus belles et plus réconfortantes. Et en ce monde, d’autres mondes plus sensibles à la beauté. Comme si la vie – toutes nos vies – n’étaient qu’un mensonge – et une possibilité offerte pour qu’éclate la vérité – et se dévoile (enfin) l’infinie diversité dans le plus vaste, et le plus intime, des regards à l’envergure plus ample que les mains, les âmes et les mondes...

 

 

La marche des siècles (toujours plus hermétiques) de plus en plus déchiffrable. La pierre, l'horreur et le mal de vivre. Et cette dérive permanente de l'histoire. Comme un mythe aux relents de catastrophe touchant – presque – à son but...

 

 

Le bâton du pèlerin bientôt remplacé par le silence et l'immobilité du regard reliant tous les chemins à l'infini...

 

 

La mémoire de l'ombre (si vivace) refuse de sombrer dans l'oubli. Elle interroge toutes les âmes et assombrit la nuit (déjà si opaque). Comme si elle rechignait à capituler face à la puissance souveraine de la lumière et de l'effacement. Et, sans doute, est-ce cette résistance que l'on entend battre dans les veines du monde, les poings qui martèlent leur tyrannie et le sang qui coule encore sur la chair et les visages...

 

 

L'incertitude sereine n'explique ni la beauté ni les drames. Elle accueille simplement ses hôtes – tous ses hôtes – sans les trier. Comme la preuve possible – toujours possible – de l'épanouissement de tous les passages, de tous les élans et de toutes les déconvenues...

 

 

Le cri de l'âme devant la pensée qui se heurte à ses propres limites – parois infranchissables entre lesquelles elle s'effondrera, un jour, avant de se laisser glisser au fond de ce qui la fit naître...

 

 

Et ce vieux monde tout boursouflé – et tout essoufflé – qui mendie aux hommes sa perpétuation – et sa renaissance. Et qu'ils brûlent – et qu'ils balafrent – et qu'ils assassinent – comme si la beauté pouvait naître (ou renaître) du sang, des cendres et des cicatrices...

 

 

Un monde, des princes – quelques princes entourés de leur armée et de leur milice – et le peuple – le peuple immense composé de bras, de poings et de quelques têtes parfois – esclaves depuis toujours des lois et des autorités – dans l'attente d'être affranchis... Et dont la liberté ne naîtra ni de leur union ni de leurs forces mises en commun mais de l'effroi et de la lassitude nécessaires pour que chacun trouve le souffle suffisant pour s'extirper de ses propres chaînes...

 

 

Le bleu du ciel – et le bleu des rêves – toujours impuissants face aux forces noires du monde et des instincts. Il faut – et faudra toujours – l'élan d'une lumière intérieure doublé d'un souffle suffisant pour les affronter, et plus tard les dissoudre, afin de pouvoir transformer l'obscurité des abîmes...

 

 

Quelques terreurs encore lors de notre lente, et inattentive, déambulation entre les tombes. Comme l'écho peut-être de l'effroi des morts qui parcourt l'échine des vivants – ces oublieux de toutes les fins – et de l'inévitable et permanent processus de l'effacement...

 

 

Le monde comme un atlas ouvert sur la table – la petite table posée au milieu des gouffres cosmiques – où se battent quelques ombres – quelques soldats – et où se querellent toutes les âmes sans porter leur regard au loin – et au-dedans – où brille pourtant, à travers le noir et l'obscurité, la lumière ancienne et à venir...

 

 

La paix des jardins – et la joie des forêts et des collines – voilées par le bruit des bottes et des engins de construction – par tous ces élans dévastateurs lancés vers les impossibles retrouvailles avec l'horizon...

 

 

Les noces abjectes et dévastatrices entre les rois, les peuples et la terre. Et celles invisibles – et illisibles peut-être – entre les mendiants – les dépossédés – et la joie – porteuses toujours de silence et d'Amour – de cette lumière inespérée. Comme un miracle (un petit miracle) parmi la haine et les atrocités...

 

 

L'homme est l'enfant de la peur et des instincts. Et il vit ainsi jusqu'à la mort sans savoir que Dieu a déposé en ses profondeurs un éclat de son visage – une goutte d'éternité – qu'il s'acharne encore à découvrir à l'extérieur – en saccageant le monde de ses élans et de ses découvertes successives – toujours aussi pitoyables et inutiles...

 

 

Est-ce l'éternité qui rapproche de la mort ? Ou la mort qui rapproche de l'éternité ?

 

 

D'un pays à l'autre – d'un visage à l'autre – nous déambulons à la recherche d'un éclat – d'une intensité – d'une lumière – parmi les ombres. Comme étrangers encore à nous-mêmes...

 

 

Des ponts, un ciel et ces faces si noires nées d'un soleil ancien – demeuré au seuil de l'invisible. Ainsi vivons-nous avec cette blessure que nous prenons pour une eau pure. Et ainsi errons-nous jusqu'au seuil de tous les passages et de tous les abandons...

 

 

Des pages, des livres et des bibliothèques bâtis sur cette indigence – cette misère – qui cherche la lumière parmi les ombres, les orages et les outrages – parmi l'absence et les peines. Et qui se trouve déjà au fond des yeux si mal dessillés...

Des chants tristes, en vérité, en quête de joie et de beauté qui ne se révéleront (pourtant) qu'aux fenêtres des âmes solitaires pour clore leurs errances – et l'usage d'une parole inutile – désormais guidée(s) par le silence...

 

 

Un gris encore parfois – et une tristesse à sa suite – nous font mordre la poussière. Mais ce que nous prenions autrefois pour un désastre révèle, à présent, sa splendeur. Le plus humble – et le plus bas – enfin célébrés par l'âme qui a vu, derrière le sang et la chute, le plus digne à vivre – et le plus sacré peut-être du vivant. Ce silence – et cette beauté – au-delà du courage et de la volonté. Comme un retour inespéré vers soi-même...

 

 

A l'âge de la profondeur désirée, la bêtise – encore bien trop souvent – fait loi. L'indigence – et la misère – exacerbées – à leur faîte peut-être – devant le souvenir, les regrets et la mort (si près du visage) qui s'approche à grands pas...

 

 

Il faudrait ranger notre voix – et faire taire notre parole (ou la laisser lentement s'éteindre) pour que la sagesse se mêle – plus définitivement – à notre sang – et que la lumière balaye la main de la nuit – et l'horizon encore si sombre parfois. Le silence alors pourrait habiter nos lèvres, nos pas et notre âme pour guider le jour jusqu'à nos yeux – et investir notre peau et nos étoiles. Ainsi seulement serons-nous capables de revêtir son ineffable manteau jusque dans nos rires et dans nos larmes – et marcher moins tristes sur tous nos chemins de boue et de poussière...

 

 

Des chemins, des yeux et des poignards. Et ce qui naîtra plus tard de toutes ces errances et de toutes ces plaies. Comme une foudre à venir née des orages passés, innombrables bien souvent – et si salvateurs malgré les secousses et les cicatrices...

 

 

La rançon des siècles. Le silence et la joie. Toute cette beauté ignorée depuis nos premiers pas...

 

 

Célébrons – sachons célébrer – les funérailles permanentes. La mort. Les effacements. Les outrages et les abandons. Tout ce qui mène au seuil de la délivrance – et nous aide à franchir l'ultime frontière de nous-mêmes – cet infini si partagé...

 

 

Et ces démons – tous ces démons – partout (les nôtres sans doute) qui hurlent encore – et que le silence, à présent, recouvre de rires et de douceur – de cet Amour et de cette dérision si nécessaires pour vivre dans tous les recoins de ce monde peuplé de chemins et d'ombres – de chagrins et de chimères – et voués dès les premiers pas à l'infernale solitude...

 

 

En ce monde, il y a peut-être, en définitive, plus matière à rire qu'à pleurer...

 

 

L'émerveillement et la curiosité, aire, source et chemin de tous les silences et de toutes les joies...

 

 

Quelques blessures encore dans la joie. Comme les éclats d'une beauté supplémentaire...

 

 

Nourris de joie et de beauté par le silence, comment pourrions-nous nous soumettre encore à la parole si elle ne naissait de lui – et le célébrait – pour tenter d'offrir au monde – et à la ronde – davantage de joie et de beauté...

 

 

Les yeux devenus regard et le cœur devenu Amour sont la chair (la plus tangible) de l'âme – cet éclat de Dieu impérissable. La quête de toute existence et le commencement de tout renouveau. La digne continuité du monde et le sacre d'un ciel apprivoisé – enfin à notre portée. Une flamme – un feu – pour embraser le monde et transformer le vivant en lumière...

Comme un soleil dans le sommeil pour nous éveiller des ombres. En alternance avec la pluie – un peu de pluie – pour soutirer à nos larmes bien davantage qu'un désir d'éclaircie...

 

 

Comme une pluie parmi le plomb. Et un bouquet de joie dans la tristesse. Comme une nuit cerclée de diamants et de lumière. Et un feu sous l'averse. Pour que le silence – et ses caresses – se glissent au-dedans de la peur et puissent bruisser – tel un soleil blanc – au cœur de l'âme et de ses raidissements...

 

 

Ecrits confidentiels bien sûr et vaguement poétiques peut-être, nés dans la solitude et l'intimité du silence. Et lus par quelques âmes sans doute dans les mêmes conditions. Ils ne pourraient tolérer d'autre manière ni d'autre approche. Et cette exigence écarte toujours les yeux curieux sans faim de rencontre (décisive) et de lumière...

 

 

Un monde où ne pourraient vivre que les enfants et les poètes. Si lumineux qu'il écarterait naturellement l'obscurité – et si innocent qu'il brûlerait sur place tous les désirs et la tristesse – et bannirait à jamais le sérieux, la gravité et l'ambition pour décourager tous les postulants plongés encore dans la bassesse et l'ignominie...

 

 

Perdus encore toute moisson – et toute récolte – les fruits de ce rude labeur qu'est se chercher... Et à la place du grain – promesse d'agapes, de galettes et de vin, de nappes blanches posées sur les tables et de partage – l'enfouissement dans la partie la plus anguleuse – et la plus mystérieuse sans doute – de la solitude. Face à la vacance magistrale du rien, du désert et du sentiment de n'être personne. Cette part si insaisissable de nous-mêmes, la moins personnelle sans doute – et la plus douloureuse aussi – que jamais n'achèvera de révéler (et de laisser s'épanouir) notre misérable – et triste – individualité rompue pourtant à elle-même comme à toutes les débâcles et à tous les abandons. Mais sans doute – mais peut-être – encore insuffisamment...

 

 

Tous les passages et toutes les ignorances. Comme un soleil inespéré dont nous ne percevons que l'ombre, le feu et les vents...

 

 

La nuit encore malgré l'inquiétude première – et ses traînées de pas fébriles – cherchant la réponse à toutes les énigmes qui nous firent naître. Comme un cri – et une angoisse – discontinus dans le silence...

 

 

Une fleur – et peut-être encore un souvenir – pendus au fond de l'âme. Comme une espérance inguérissable de nous voir, un jour, franchir la mort sans encombre...

 

 

Une joie humble, éclose du plus proche – et du plus lointain – de cette lumière du rien – ce vide en nous – et que nous sommes – et qui était autrefois si encombré...

 

 

Derrière les désirs, l'attente de l'ultime éblouissement. La mort du temps. L'enchantement simple de ce qui passe. Le plus haut degré de l'humilité. Notre vrai visage enfin découvert...

 

 

Et tous ces bavardages qui cherchent encore le silence. Comme la plus grande ironie de ce monde peut-être. Dieu en nos visages ne reconnaissant plus sa (propre) figure...

 

 

Une gorgée de silence encore parmi les fleurs avant de retrouver l'effroyable vacarme des visages...

 

 

Un seul cri, un seul chant, un seul poème. Celui du silence qui ne rêve que de se rencontrer – et de se retrouver au milieu des rires et des larmes – au cœur du monde et de chacun...

 

 

Apprivoiser l'inconnu ? Jamais. Se laisser surprendre – et défaire – toujours par les mille étonnements qu'il nous offre. Par sa venue, si discrète, et pourtant permanente au cœur de nos vies, au cœur de nos craintes et de nos cris. Comme une façon d'inviter en nous le plus grand silence...

 

 

Le regard. Un espace, une envergure, une circonférence – et une présence de l'indicible où naissent et s'effacent toutes nos gesticulations. La figure de Dieu qui s'amuse de notre façon de le chercher avec nos têtes, nos idées et nos croyances – et qui aimerait peut-être – et qui aimerait sans doute – que nous nous lancions à sa poursuite d'une manière plus humble et plus joyeuse – et plus innocente, bien sûr – comme un jeu dans tous les jeux, comme un visage en tous les visages, comme un rire et des larmes parmi tous les rires et toutes les larmes. Comme le seul chemin caché au cœur de tous les chemins et les seules retrouvailles au cœur de toutes les retrouvailles. Comme une main présente déjà au creux de toutes les mains. Comme le pays de la joie au milieu de nos infortunes – et pour nous dire peut-être (aussi) l'impossibilité de l'ailleurs...

 

 

L'imperceptible pureté du pays infréquenté qui longe, de bout en bout, les contours de notre peur. Et dont la nef gît au-dedans de nos profondeurs. Seule région de cocagne dans ce monde dévasté – déserté – cet immense et minuscule désert peuplé d'ombres et de fantômes où seules fleurissent les mains implorantes et désolées...

 

 

Nous préférerions mourir plutôt que laisser s'effondrer nos édifices, s'éparpiller nos amassements (nos pauvres richesses) et voir s'effacer notre fortune. Si ignorants encore que nous sommes du fabuleux pouvoir de la défaite...

 

 

Derrière nos masques, la peau la plus fine – la plus transparente – et la plus fragile. Et derrière encore, lorsqu'elle se laisse transpercer, on devine toute proche la figure de Dieu – et son rire inépuisable à nous voir mendier partout sa présence. Comme un soleil ineffaçable sous nos paupières – et dans notre sommeil – qu'aucun rêve jamais ne pourra atteindre. Comme un exil en nous accessible seulement depuis l'immobilité la plus humble, une fois tous les chemins abandonnés...

 

 

L'herbe, la cendre. Et l'absence éparse déjà. Mille âmes rencontrées. Et le sang – et le silence encore si animal. Comme si nous étions – et errions – dans l'ombre d'un soleil limité – les yeux perdus déjà – et le cœur toujours chaviré par les étoiles, les étals et les promesses jamais tenues. En attente de la foudre – d'un feu – pour incendier nos états – tous nos états – et nous défaire en simple appareillage. Une nudité peut-être à la voilure minuscule – et puissante pourtant – tendue par les vents pour aller sur l'océan et découvrir le bord du ciel où nous sommes déjà présents. Comme le seul miroir de nos blessures laissées par le voyage – et leur effacement soudain pour nous rendre un peu plus sages – et, peut-être, un peu moins sauvages...

 

 

Un désir de sommeil encore parfois nous étreint malgré le jour et la lumière. Comme le songe, le plus tenace peut-être, de l'homme. Ce goût pour les mythes et les histoires. Ce besoin si malicieux d'échapper au réel. Un oubli de ce qui est – et de l'essentiel – au profit de chimères. La préférence de l'individualité et de l'illusion au détriment de l'impersonnel et de la vérité. La prégnance, toujours aussi vive, de l'espoir et de l'avenir qui relègue l'instant et le présent aux fossés de l'impossible...

 

 

Quelques circonstances nous rappellent parfois le cri que nous poussions autrefois dans notre grotte, enclavée entre la peur et le désir. Dans l'attente d'un éblouissement impossible...

 

 

Quelques âmes – et quelques livres parfois – accompagnent notre destin. Cette longue glissade vers nous-mêmes. Cette chute inéluctable vers notre centre – ce lieu de toutes les présences – et de tous les envols possibles. Le cœur de l'être nu – défait de toutes les viles pelures que nous avons cru nécessaires à notre survie...

 

 

Les yeux, la bouche et l'âme couchés au-dedans de l'épave – et qui fut (pourtant) autrefois une fière chaloupe défiant les eaux furieuses du monde – et reléguée aujourd'hui au rêve. Comme un songe brumeux au-dessous des océans – avec notre morgue emportée au large par quelques courants salvateurs...

 

 

Le bleu d'une autre pierre – plus grande que celle où nous nous tenons – plus belle aussi – et plus prometteuse sans doute. Ainsi allons-nous sur les chemins – sautant d'une pierre à l'autre – jusqu'à ce que la poussière nous avale. Et ainsi se prolongent nos errances. Comme un vaisseau fantôme glissant sur les eaux sombres du monde...

 

 

Tant d'élans et de mouvements pour franchir l'immobilité – ce rivage – ce seuil de tous les voyages – cet horizon où rien ne peut finir...

 

 

La nuit plus soucieuse des étoiles que du jour à venir – et de ce soleil invisible depuis ses rives. Comme un désert. Comme un hiver interminable. Comme une bouche prête à accueillir – et à ensemencer – toutes les blessures – et toutes les brûlures – pour voir son rêve – tous ses rêves – s'accomplir. Comme une absence bercée par le climat – et le va-et-vient perpétuel des marées. L'avant-poste des saisons. Le chemin antérieur aux premiers pas...

 

 

Les fruits, l'écume et la mort. Seul décor – et seul spectacle – bien souvent pour les âmes raidies comme du bois mort. Comme une double peine dans cette nuit qui dure encore...

Du sang mêlé de sable noir et des bruissements de chair toujours aveugles au jour qui montera plus tard...

 

 

Sommeil et absence. Heures et jours qui s'étirent par-dessus l'aube manquée – manquée toujours. Comme si elle n'était que le prolongement de la nuit. Marquée au fer rouge des tremblements et des rameaux de buis qui flagellent notre espérance – et nos existences assoupies...

 

 

Le langage comme un tourbillon d'étoiles dans la nuit la plus égarée – plus proche du rêve et du souvenir que du jour encore impossible...

 

 

Nous vivons comme des astres encerclés par les hauts murs d'un jardin – l'éden peut-être – autrefois si innocent – et qu'une craie tremblante – et mal assurée – pourrait délivrer des songes – et de tous nos désirs de ciel moins noir. Comme une route dans l'obscur finissant sa course dans un fleuve sinueux – et parfois capricieux – dont les méandres nous jetteraient, après un long périple, dans l'océan – cette étendue de lumière si lointaine encore...

Le chant des naufragés, voilà notre seule espérance. Lui seul saura faire plier l'ombre et le rêve parmi l'argile, encore rouge, des visages sur des pentes inaccessibles aux mains et aux fronts déjà courbés devant la mort...

 

 

Une solitude – une lumière – à gravir par mille chemins. Et au bout de chaque sente, l'abandon nécessaire. L'humilité – la grande humilité – de l'âme. Les chagrins et les peines, innombrables, remisés dans l'oubli. Et l'innocence indispensable pour se laisser mener par l'ultime élan avant le saut – le grand saut – dans l'indicible et l'inconnu – ce mystère où se cache (sans doute) l'Absolu – le remède à tous les sommeils...

 

 

Encore quelques heures – quelques jours – ou quelques siècles peut-être – à attendre sous les arbres parmi les visages rudes – et abrupts – et les haleines froides – à s'effrayer des cris, des épaules et du sommeil – de toutes ces ombres ravagées par leur rêve de soleil parmi quelques prières maladroites jetées à un ciel aussi noir et ignorant que ses adorateurs et ses postulants...

 

 

Entre l'écume et le rocher toujours – sur l'assise précaire – et si mal assurée – avec ces vaines tentatives des mains à saisir et à prier – à quémander partout quelques indulgences pour excuser – et se faire pardonner peut-être pour – tant de désirs et de maladresse...

 

 

Une voix, un abîme, une prière. Voilà la pauvre litanie – et le triste chemin débroussaillé par l'âme des hommes. Et le silence du ciel toujours aussi inaccessible...

 

 

Risquer la mort pour un peu d'ombre. Manquer le silence pour quelques bruits plaisants – et le son de quelques cloches encourageantes. Tourner le dos à la lumière pour un regard et l'éclat de quelques prunelles en pâmoison – et vaguement admiratives peut-être...

Le monde ne mérite sans doute que notre âme s'y attarde – et s'essouffle plus que nécessaire en y cherchant ce qu'elle ne peut y trouver. L'Absolu – et l'infini – sont les seules contrées à explorer. Et une fois investies, notre présence au monde se transforme en une (simple) formalité guidée par l'Amour et les nécessités. On est présent parmi les créatures sans espoir ni exigence. Assujetti simplement à l'inévitable et aux circonstances...

 

 

Un Dieu encore si hésitant entre nos rives. Happé toujours au fond des gouffres mais que l'aube parachèvera, un jour, en Amour. Voilà, sans doute, la véritable besogne de l'homme. Faire éclore – et laisser s'épanouir – cette part divine enfouie en lui depuis les origines pour qu'elle grandisse – et se retrouve aussi intacte – et aussi parfaite – qu'avant tous les commencements. Ainsi seulement seront abolies toutes les frontières entre le dedans et le dehors. Et ainsi seulement Dieu pourra briller en tous lieux à travers notre visage...

 

 

Un gouffre, une nuit, un Amour pour que s'achève l'inachevé – et que perdure l'inachevable. Cette vérité dans l'ombre de tous les mythes et de tous les mensonges...

 

 

Des vallées, des chemins, des pierres. Le terreau de toutes les larmes. Et l'écume et le rêve encore pour affronter les vents et leurs affronts. Cette résistance de l'ombre avant la grande tristesse et l'abandon. Et le retour à des lumières moins mensongères. Comme une manière nouvelle – et toujours renouvelée – de se pencher vers le plus bas afin d'accueillir le ciel (tout entier) – et sa parfaite envergure pour embrasser la terre...

 

 

Tout naît – et peut éclore – de cette flamme enfouie en nos profondeurs – dont la naissance échappe aux siècles mais dont la lumière ne peut s'épanouir que dans l'inévitable besogne de l'homme. Cette quête obsédante et inépuisable d'identité, d'Amour et de vérité...

 

 

Des existences et des destins ensablés. Et au cœur de l'âme, ce jour infatigable qui n'attend aucune réponse mais la fin de tous les périples pour s'extraire des pierres – et rejoindre l'impartageable...

 

 

Une lampe entre les feuillages pour guider et accueillir les hôtes – tous les hôtes – de la nuit. Pour acheminer les barques – toutes les barques – au milieu de leur feu – de ce passage étroit entre nos voix si tremblantes – et si sensibles encore à cette si singulière obscurité de la terre...

 

 

Vents, fugues et gîtes. Abris précaires et provisoires dont il nous faudra sortir un jour pour défier la terre, les ombres et la haine. Echapper à cette mort que nous prenons pour une fin. Et transformer l'ignorance en compréhension afin de vivre l'infini dans l'intime (le plus intime) et le plus humble des jours...

 

 

L'espace, le monde et des déchirures encore malgré ce feu qui nous presse de comprendre. Comme la seule fouille nécessaire pour échapper à la nuit et à ses atrocités...

 

 

Ceux qui partent reviendront toujours. Tout voyage s'achève dans le retour. Il n'y a d'autre lieu pour se retrouver...

Soi-même, seule aire de tous les départs et de tous les chemins – de tous les périples et de toutes les destinations...

 

 

Le sang neuf de la mort. Et cette soif – et ce courage – de revenir encore. Comme pour achever ce que l'on a, souvent, à peine commencé. Comme si n'existait que ce qui passe – et repasse encore...

 

 

Une flèche, un visage, un butin, une étoile – un territoire peut-être. A chacun son rêve, son chemin et son désespoir jusqu'au jour où l'on quitte le troupeau pour chercher la foudre – et se mettre à chanter dans la solitude et la boue. Ainsi commence la fin de toutes les nuits...

 

 

Un cœur, des poignards, des plaies. Un désert, du sable, des pierres. Et la mort. Ainsi débutent – se poursuivent – se succèdent et s'achèvent les saisons. Dans le feu, le sang et les larmes. Et dans la solitude. Terreau rouge du soleil à venir où il nous faut d'abord apprendre à vivre avant de vouloir en émerger...

Comme une passerelle composée de mille barbelés suspendue au-dessus du vide sous la clarté d'un astre encore chancelant parmi tant de rêves et d'étoiles...

 

 

L'herbe et la cendre parmi la peur si animale. Comme des yeux familiers de la lumière – égarés sur la terre parmi le sang et l'odeur de la mort...

 

 

A nouveau les morsures de l'ombre comme si nous voulions avaler la moitié d'un soleil dévoué à l'inattendu – à ce qui s'approche sans jamais pouvoir arriver. Comme si les pierres et la mort n'avaient pu (encore) nous livrer tous leurs secrets...

 

 

Au bord du vertige sans doute – mais encore insuffisamment outillés pour affronter le feu. Et le miroir peut-être de nos blessures...

 

 

A la fenaison, nous préférons le cumul des terres et l'ivresse du grain. Et cette odeur d'incendie après nos maigres récoles pour revigorer la terre – et faire renaître plus tard l'abondance. Comme un long sommeil – une longue absence – dans nos rêves de fortune...

 

 

Aujourd'hui, la mort s'en est allée – et la vie se fait enfin vivante. Comme si rien en nous ne pouvait naître sinon l'Amour...

 

 

Transformer le sang en eau et en nuages. Et la chair en âme pour nous extraire de cette fascination inguérissable pour le corps – et alimenter les fleuves, les rivières et les puits afin de rejoindre notre désir d'océan...

 

 

Je parle à l'homme. Je parle aux bêtes. Je parle aux arbres. Je parle à l'herbe et aux pierres. Et seul le silence m'entend – si invisible encore parmi ses passagers...

 

 

Encore un peu de brume et déjà un soupçon d'innocence sur cette terre gorgée de sang et de soleil, vouée à l'impatience des hommes et à la crainte des bêtes, si impuissants face au mystère qui, au fil des siècles, s'est épaissi et a perdu son importance. Comme si l'Amour et l'éternité n'étaient destinés qu'aux âmes réconciliées avec les vents, le hasard (improbable) et le sourire timide des visages où percent encore l'envie, la peur et le désir de siècles meilleurs...

 

 

Un sourire parfois nous retient de pleurer devant cette barbarie et cette solitude. Face à ce monde insensible au voyage, à la beauté, au silence et à la grâce des âmes en attente...

Et pourtant parmi la disgrâce, nous tenons encore debout. Résistant aux outrages des hommes et aux affronts des siècles, le front à peine incliné devant les horreurs du temps et l'âme forte d'un autre appui... courant toujours parmi les bruits à la recherche de ce plein silence...

Et cette absence qui triomphera toujours avant de sombrer dans la foudroyance d'un soleil qui éclairera tous les horizons – et leurs mensonges...

 

 

Entre l'amour, la mort et le rêve toujours. Pris – et secoués – si souvent par la hargne des saisons avant de chuter – définitivement peut-être – dans le silence. Le plus haut – et le plus indicible – du silence...

 

 

Et cette odeur d'hiver et de désolation qui colle à nos souliers. Où pourrions-nous donc aller avec ces frusques aux couleurs de mort sinon essayer de traverser la chair et le sang qui abreuvent encore la terre... Où pourrions-nous donc nous réfugier sinon au-dedans de l'âme qui vibre partout – de l'intérieur aux périphéries – à cette lumière qui défait le rouge, le vide et le noir des existences...

 

 

Une vie. Et une terre et des visages toujours à l'abandon...

 

 

Derrière les rideaux veillent encore ce feu – et cette lumière. Par-dessus les toits – et l’horizon des collines – on les voit briller. Et au fond de l’âme, éclairer encore. Comme un phare, une bouée et les vagues qui nous emporteront vers le large – en ce lieu si proche de nous-mêmes – et au cœur, sans doute, de toute chose...

 

 

Des chemins et des morts – des mots et des vivants – que célèbre le poète. Et que méprisent les foules de peur, sans doute, de voir le confort et la futilité destitués par l’âpre labeur nécessaire à la lucidité. Comme si le monde – et la vie – ne voulaient goûter qu’une seule part d’eux-mêmes ; la plus apparente – et la plus mensongèrement lumineuse – pour s’affranchir (inutilement, bien sûr) des griffes et des aspérités du sombre sommeillant, et si vivace pourtant, en chaque chose – et en chacun...

 

 

Et cette pierre accablant la chair – et cette âme au visage vertical donnant la force de traverser les eaux ténébreuses du monde, fidèle peut-être qu’à son désir d’éternité...

 

 

La silencieuse assemblée des arbres accueillant avec dignité la foule des volatiles : rapaces, passereaux, oiseaux de bon et mauvais augures – et leur ouvrant les bras. Comme un refuge salutaire pour la vie sauvage en déperdition – vouée à l’extinction par le trop grand désir des hommes à se protéger de ce qui blesse encore – et qui, en l’éradiquant, nourrissent toujours davantage la violence et la mort...

 

 

Et dans nos mains, d’autres mains qui ne nous appartiennent pas. Et dans notre âme, d’autres âmes plus belles et plus réconfortantes. Et en ce monde, d’autres mondes plus sensibles à la beauté. Comme si la vie – toutes nos vies – n’étaient qu’un mensonge – et une possibilité offerte pour qu’éclate la vérité – et se dévoile (enfin) l’infinie diversité dans le plus vaste, et le plus intime, des regards à l’envergure plus ample que les mains, les âmes et les mondes...

 

 

Des portes noires – fermées. Et des bêtes qui hurlent dans la nuit. Et la peur des âmes, des cris et de la mort qui s’approche. Au plus dense – et au plus intense – de la terreur pour que la vie révèle toute sa beauté – et nous offre le droit – que dis-je ? le privilège – de vivre un peu plus vivant entre le début et la fin de tous les ouvrages qui naissent et s’effacent le temps d’un souffle...

 

 

Et ce feu ardent qui brûle sous la pluie. Comme un soleil misérable parmi les gouttes. Et ce nom – impossible à entendre – et ce silence partout délabré par la peur et les chants qui montent des entrailles pour envahir la nuit qui enterre encore ses morts...

 

 

Attendrons-nous le plein délabrement de nos vies pour nous abandonner au plus urgent – à cette immobilité qui demeure lorsque les élans n’ont plus d’autre volonté que le silence...

 

 

Et nous dormirons encore sur ce lit de glaise, voués à la peur et aux représailles en attendant la mort... Comme si nous ne pouvions mêler nos gestes et notre voix au silence – à cette part de la vie – et à cette part de l’âme – qui nous font oublier, par leur accueil, les craintes, les effritements et l’inévitable effacement du monde et des visages...

 

 

Qu’aurons-nous aimé au fond sinon ce désir de paix et de silence avec nos yeux encore trop attachés aux rives bruyantes (trop bruyantes) de ce monde...

 

 

Aujourd’hui comme le reflet d’hier – et plus que le socle – le miroir de tous les lendemains...

 

 

Un jour, une vie, une éternité à attendre ce qui ne viendra pas – ce qui ne viendra peut-être jamais. Des siècles d’impatience inutiles. Plus tard, sans doute, ferons-nous un feu où nous laisserons brûler nos désirs, les morts et les vivants et notre espoir de délivrance...

 

 

L’attente peut-être plus proche du regard que le geste qui essaye de rendre la vie et la mort plus supportables. L’attente comme le reflet du silence – et de l’immobilité – à venir...

 

 

Le cœur et la main encore à l’ouvrage comme un défi inutile au temps et à la mort. Comme si nous ignorions que le feu, la cendre et l’infortune régneront toujours...

 

17 décembre 2017

Carnet n°123 L' Amour et les ténèbres

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

L'impossible attachement – et l'impossible innocence – du cœur. Chaviré toujours entre les eaux et la neige qui surplombent nos terreurs. Entre les ombres, l'Amour attend. Et guette le dénuement nécessaire pour se montrer. Une fleur, un flocon, un nuage. Tant de présages de l'aurore – et, en son cœur, ce si merveilleux silence...

 

 

Un peu de noir encore – un peu de noir toujours – dans la lumière. Comme une fatigue – une lassitude – passagères dans l'Amour...

 

 

Du ciment et des drapeaux. Et toutes ces mains conquérantes et bâtisseuses qui s'affairent dans la sphère étroite du monde, posé au bord du vide – entre le temps compté (compté bien sûr...) et le silence. Comme une ceinture d'ombres enserrant les peuples – et (leur) voilant l'azur et le soleil – l'illusion de toute conquête – l'illusion de toute frontière...

 

 

Un murmure, une folie, un silence. Et soudain, la mort qui surgit – et nous convoque au bord de la solitude parmi ces ombres si peu vivantes. Et notre parole encore toute frémissante de mots et d'étoiles...

 

 

Et ces visites que nous faisions autrefois aux visages de la terre, au gré du hasard – au fil des plus humbles chemins. Et cette attente, si impatiente, jadis du soleil comme un songe lancé aux étoiles, si lointaines, par une fenêtre à peine entrouverte...

Et ces cieux à présent lisses de tout désir où la nuit – et le rêve – n'ont plus cours – où la lumière a remplacé l'horizon – où le silence, à hauteur d'âme enfin, n'est plus encerclé par les murs et la cendre – où la mort n'est plus un abîme – et où les adieux – tous les adieux – ont des allures de retrouvailles...

Comme un veilleur éveillé dont les yeux ne scrutent plus le lointain dans la nuit mais ce qui s'approche dans le jour...

Comme si le ciel avait insufflé à nos doigts – et à notre bouche – cette parole et cet Amour que nous espérions découvrir dans le monde et sur le visage des hommes...

Comme si le silence avait ensemencé l'âme, la terre, le ciel et les chemins – et éloigné le chant de la terreur en déterrant notre chevelure de ses eaux glacées – et en nous ouvrant à l'éblouissement – et à l'enchantement simple – de la lumière...

 

 

Un pays, un soleil. Et la craie, vigoureuse et encore si tremblante, qui dessine un nouveau monde sur l'ancien pour effacer la braise, les cendres et les larmes – et ces travées de visages tristes – et ces ombres errant sous la voûte à la recherche d'une nuit moins épaisse – d'un vent plus léger et d'une brûlure moins vive – d'un réconfort sans doute pour délivrer du malheur...

 

 

Comme un silence – une lumière – couchés sur les rives de l'âme, insoucieuse du gel et de la pluie – et de tous les désastres à venir...

 

 

La vie comme une pente où se coucher – et renaître – pour désosser le temps et les saisons – et faire glisser ce grand Amour au-dedans de soi – sur cette jetée où nous appelions au secours – et à la rescousse – tous ces visages noyés d'indifférence – et où nos rêves – tous nos rêves – élargissaient le sommeil et l'horizon...

Et debout à présent, la bouche murmurante – presque silencieuse – gorgée de soleil et défaite de toute mémoire devant le ciel, la neige et les étoiles – devant l'herbe, les ailes et les rivières – devant les fleurs, les hommes et la mort – devant toutes les beautés de la terre...

 

 

De l'abîme au silence. De l'ombre à la vérité. De la croyance à la lumière. Du désespoir à l'éternité. De l'ignorance à l'infini. Tel est – ou devrait être – le voyage de l'homme...

 

 

Entre les ombres, l'Amour attend. Et guette le dénuement nécessaire pour se montrer...

 

 

Et tant de cris encore dans l'horreur. Comme le signe de notre impuissance – et la preuve que l'aurore est toujours aussi lointaine...

 

 

Et les ombres toujours dans le soleil. Et cette longue nuit d'insomnies et de sommeil. Et cette ivresse. Et cette neige qui recouvre les cimes et les premières lueurs du jour. Et ce printemps – tous ces printemps – qui toujours s'achèvent dans l'hiver. Et ce silence – et cette solitude – encore entrelacés dans les ténèbres dont nul jamais n'a réussi à s'extraire. Comme des âmes – comme des cœurs – voués inlassablement aux larmes, à l'amoncellement et à la mort...

 

 

Un mot – une parole – comme un cri (unique) pour dire l'urgence de se délivrer des ombres – et des chaînes blanches qui emprisonnent encore nos printemps...

 

 

Un feu brûle pourtant à égale distance entre le ciel et notre chevelure. Comme un horizon lavé – et blanchi par le soleil et nos aveux. Comme un cœur solitaire et perdu qui cherche encore l'Amour – ce grand Amour – derrière chaque désir...

 

 

Comme une lumière – un Amour – un silence – qui s'approche avant que la mort ne frappe – et ne nous terrasse. Un juste abandon à la terre avant que les vivants n'entonnent leur chant funèbre – et que le ciel ne nous convoque – et ne nous reprenne...

 

 

Encore quelques larmes et un peu de poésie pour dire – et célébrer peut-être – la mémoire inépuisable de ce grand Amour qui ne pourra nous oublier. Et ces ténèbres si noires recouvertes d'innocence. Et quelques vérités peut-être avant de rejoindre la tombe – avant que la terre à jamais nous ensevelisse...

 

 

Une fleur, un flocon, un nuage. Tant de présages de l'aurore – et, en son cœur, ce si merveilleux silence...

 

 

Des champs de morts encore. Et cette semence vouant les visages à la puanteur. Et ces vies – toutes ces vies – comme des barques allant sur les eaux noires pour retrouver au fond des rêves un peu de joie – et ce soleil plus grand que l'espérance...

 

 

L'impossible attachement – et l'impossible innocence – du cœur. Chaviré toujours entre les eaux et la neige qui surplombent nos terreurs...

 

 

Un vide et un élan dessinent un visage – et un chemin – au-delà des limites et du vertige. Comme un univers porté par des bras – parfois gagnés par la lassitude...

 

 

Et cet attrait intense – inépuisable – pour l'immensité – et l'abîme en-dessous – et en surplomb parfois – que l'encre tente vainement de remplir alors qu'un peu de présence suffirait sans doute pour contenter l'espace, le monde, les hommes et l'âme. Comme un pont jeté entre ce que nous sommes et ce que nous fuyons – entre la vie et la mort – jamais rassasiées...

 

 

Nous sommes l'aube – et ce crépuscule finissant. Et cette âpreté et ce labeur à transfigurer l'espace et la matière pour offrir aux âmes ce bout d'aile qui leur manquait pour se définir – et se déjouer de toute pesanteur...

Comme une ombre enfin apprivoisée par la lumière qui soudain s'efface – et, avec elle, ses mille raisons d'être...

 

 

Nous sommes cette hauteur au-delà de la ligne de crête – et au-delà de tous les horizons. Et ce vent si gauche – et si furieux – qui éparpille notre visage – tous les visages – sur la roche fracturée par les séismes – tous nos séismes – et la dérive naturelle des continents...

 

 

Comme des bêtes errant entre les ombres – entre les tombes. Entre la tendresse et la cruauté. En équilibre mouvant – infiniment instable – sur le sable, vouées à la nuit et à l’anéantissement – et pourtant déjà éclairées par tant de soleils...

Comme un puits qui partout cherche son eau et sa lumière...

 

 

Libérée des souffles et des lendemains, l'âme au faîte du jour entre la brume (exquise) et ses anciennes douleurs. Ce qui migre de la fécondité (sauvage) vers le silence – la face sereine du Divin. Le sacre de tous les sacrés qui échappent autant à la terre et aux instincts qu'aux grains et au labeur des hommes...

 

 

Des chemins, des rails, des destins. Et des abattoirs. Cimetières de tous les visages – et de toutes les histoires racontées pour fuir et oublier la mort. Des vies et des cargaisons de tout ; de rêves, de désirs et de souvenirs perlés parfois d'oubli roulant vers leur tombeau après quelques moissons – quelques récoltes – quelques rires et des pleines charrettes de peines et de larmes...

 

 

Rien jamais ne sépare. Ni la vie, ni le monde, ni la mort. Unis si secrètement à l'invisible – et à l'éternel...

 

 

Chaviré encore par les eaux ténébreuses de l'hiver...

 

 

Un jour nouveau, porté non par la chance et le hasard mais par la nudité de l'être qui offre au visage – à tous les visages – cet air si radieux. Comme un soleil – une joie infiniment contagieuse...

 

 

Ecouter encore ce sang qui se répand – et ce cœur qui bat dans les veines – et les murmures émerveillés de l'âme – et le monde encore si empreint de haine...

Route étroite entre les ravins – avec au bout du silence, cette lumière plus douce que le jour – et cette vérité qui patiente au-delà des tombes parmi les visages et les étoiles...

 

 

Encore un désir entre les larmes. Et quelques oiseaux de mauvais augure posés sur l’épaule. Et des tas de gravats et d'aigreur. Et la lune – et l'aube – qui s'acharnent encore malgré nos lambeaux d'espérance. Entre l'innocence et les ténèbres toujours...

Avec encore quelques étoiles parmi les larmes...

 

 

Au son d'une autre cloche, nous verrions sans doute le sourire des anges derrière les lèvres et les gestes des hommes. Un peu d'innocence dans l'ivresse et l'ignorance. Un peu de grâce dans la maladresse. Un peu de lumière dans ce qui s'avance et s'apprête à mordre. Et un peu de silence peut-être dans l'âme défaite...

 

 

Encore un peu de sable dans la main – et cette rage murmurante au milieu du front. Comme un sommeil qui se prolonge encore...

 

 

Les hommes – les vivants – rassemblés autour d'un feu sous les étoiles. Parmi les fumées, les rêves et la cendre que disperse l’espièglerie des vents. Comme si les cris et les songes étaient insuffisants pour nous hisser jusqu'au silence – et décrocher les âmes de leur piquet...

Comme une ombre au milieu de la lumière. Comme un silence – un trésor – dissimulé encore parmi l'or et la poussière...

Comme un soleil lointain qui décline à l'horizon – et que nous ne verrons peut-être pas se lever demain...

 

 

Du temps, du labeur et des mains vides malgré les fronts – si chargés de rêves – baissés contre la terre – et les pelles qui s'acharnent encore à remplir quelques sacs de sable et de poussière...

 

 

Nous vivons dans une insulte permanente au sacré avec des ombres – et le diable peut-être, allez savoir... – plein les mains – et plein les poches. Égrenant les songes – et égrenant les pas – tout au long de l'enfance – de cette enfance qui n’en finira peut-être jamais...

 

 

Le cœur manque de tout. Et plus encore de silence...

L'âme crie sa faim et nous lui offrons l'indigence – le trésor et le sable des saisons, des moissons et de la chasse. Comme l'évidence des ténèbres – et notre aveu d'impuissance face à la folie – et face à l'absence. Et notre plainte – notre chant – n'atteindront peut-être jamais la grâce et le silence...

Nous pourrions renaître mille fois – des milliards de fois – toujours la misère nous écarterait de cette aurore qui tombe déjà ailleurs sur la neige d'un autre monde – d'une autre vie – en frôlant nos âmes si affamées – et recluses depuis toujours dans leur oubli et leur champ de fleurs et de peines...

Et nous sommes pourtant déjà portés à bout de bras par le silence – et lovés au creux de toutes les lumières. Mais l'innocence nous manque encore pour troquer nos songes et nos étoiles contre un peu de solitude...

 

 

Et ces pas si lourds. Et ces heures si sérieuses. Et ces livres si obscurs. Et ces gestes si pauvres que jamais nous ne pourrons atteindre la lumière – et remplacer nos rêves par le silence...

Il faudrait inverser les saisons – et nous offrir la démesure de l'hiver – extraire l'exubérance du printemps – la folie joyeuse de l'été – et nous en recouvrir – et écouter la sagesse de tous les automnes pour les retrouver...

 

 

Toutes ces possessions (le terme « appropriations » serait sans doute plus judicieux...) dont il faudra nous défaire... Et ce rien encore auquel il ne faudra nous attacher... L'innocence est à ce prix...

Et une fois notre dû payé, pourront s'offrir le silence et la lumière. Ce que nos pas trop pressés – et si couards – et nos gestes si vifs – et si affamés – ont cherché partout pendant des siècles – pendant des millénaires – en nous enfonçant (progressivement) dans un sommeil imperturbable...

Et des rêves et des poignards encore, il faudra nous arracher pour voir se déliter l'espoir du renouvellement de la chair, de la renaissance du corps et de la résurrection de l'âme, alors seulement s'ouvrira le désert – et s'inviteront l'instant et le soleil à toutes les fêtes qui célébreront, en silence, le vide et le rien – et les circonstances – toutes les circonstances, si fugaces, qui les traversent...

 

 

Ecrire. Ecrire encore. Ecrire toujours dans ce corps-à-corps entre le silence et la parole. Quelques pas entre la présence et le vide pour laisser ouvert et libre ce passage où pourra se glisser la lumière pour éclabousser d'un peu de blancheur et de joie toutes ces pages saturées d'encre, de mots et de bruits...

 

 

A deux pas de la joie – et assis au milieu des malheurs. Ainsi vivent – et meurent – les hommes...

 

 

Et dans la chute – et dans la fuite – le rêve encore. Comme la rengaine de l'illusion – de toutes les illusions. Et cette terre – et ce temps – creusés par la faim et l'avarice. Et l'éternel retour entre les songes et les chimères. Cette maladie de l'enfance de l'homme qui croit vrai ce qui ne l'est pas – et ignore toujours l'invisible – la trame de toute chose où il s'imagine prisonnier. Et pourtant, un chant et quelques prières s'élèvent encore parmi le néant, la faim et la poussière dans ce monde de malheurs, de misère et d'effroi...

 

 

Et nous parlerons encore – et nous parlerons toujours – à ce qui, en chacun, attend la lumière...

 

 

Et soudain un apaisement parmi les déchirures et les abandons – innombrables. La douceur d'être – et son silence – et sa virginité – au-delà – et au-dedans même – des malheurs, du bruit et de la ruse. Comme un aperçu peut-être de ce qui clôt tous les chemins – et toutes les errances...

 

 

Ni cercle ni poussière. Et la marche se poursuit encore. Comme une gloire – une lumière – au cœur de l'inconnu qui se dresse aujourd'hui – et apparaissait déjà autrefois dans chaque foulée. Comme le terme peut-être du voyage – de tous les voyages – malgré les pas qui foulent encore la terre et continuent de s'agiter – et de se presser – parfois devant les promesses de l'horizon...

 

 

Le parfum de l'immensité. Le goût du silence. La soif d'infini. Le chant de la lumière. L'immobilité enivrante du destin. Et cette promesse du regard – et des pas sereins parmi les visages et l'atrocité. Et cet Amour qui se dessine avec plus de vigueur dans l'âme autrefois si fébrile – si ravagée – et si vide – et si humble – aujourd'hui, prête à aller parmi les brûlures et la poussière sans blâmer les horreurs de ce monde – et de cette vie – et l'odieuse – l'atroce – complicité des hommes...

 

 

Comme un chagrin lointain emporté vers l'océan – vers l'infini. Comme une enfance – une innocence – si longtemps ignorée qui retrouve sa route et son pays. Ce que la nuit dissimulait – et ce que nos jours réalisaient en rêve. Cette indifférence aux gouffres. Et ce printemps né de notre obscurité...

 

 

Beauté, lumière et allégresse pour célébrer le chemin – tous les chemins – l'ombre et le néant – au-delà de l'ignorance, du mépris et de l'indifférence. Cet Amour – ce grand Amour – où peuvent fleurir à présent toutes les grâces malgré l'inhumanité de ce monde – et le sang qui coule encore...

Là où le rien et le néant rejoignent le sacré. Là où la lumière s'unit au silence. Là où nous attendait l'Amour qui peut à présent jaillir – et tout accueillir malgré la haine, la prétention et l'ignorance qui partout sévissent encore...

 

 

Derrière l'apparence, le mystère. Et après le devenir, le silence. Cet Amour – ce grand Amour – qu'ont cherché les hommes – et qui accueille à bras ouverts – et efface ce qu'on lui offre sans jamais blâmer – ni jamais meurtrir – les gestes, les âmes et les intentions...

 

 

Surpris encore parfois par la nuit. Comme si les ombres – et le noir – ne pouvaient nous quitter définitivement. Fidèles peut-être au puits que nous sommes – et que nous avons toujours été – posé entre le ciel et la terre – cherchant encore – cherchant toujours – son eau et sa lumière...

 

 

Une fenêtre sous les toits. Un arsenal contre le mur. Et l'ennui des hommes. Et leur guerre et leur sommeil malgré les gouttières gorgées – débordantes – de lumière...

Vivre avec ce grand mal – cet ennemi mortel – si vivace encore au fond de l'âme...

 

 

Chaque jour, contempler les naissances et les drames – l'eau qui coule – les égorgements et les larmes. L'incessant labeur des existences – entités condamnées et punitives peut-être – dont les bruits – et le vacarme – prêtent toujours autant à rire...

 

 

Les débris de notre château parmi les ruines (parmi nos ruines) résisteront longtemps encore au temps et à l'oubli. Comme si leur persistance – leur insistance – encourageait l'ajournement de notre plus grand désastre – et qui sera aussi, ne l'oublions pas, notre seule échappée possible...

 

 

A toute heure du jour, les bruits du monde, infernaux – les éclats de voix – les éclats de rire – comme des bouts d'étoiles enguenillées que dispersent les vents. Et que j'entends arriver – s'éloigner et disparaître – par la fenêtre entrouverte. Et que ma main recouvre de mots. Et que mon âme prend soin d'accueillir et d'entourer d'un peu de silence...

 

 

Peupler l'attente de rêves – et l'agrémenter d'espoir et de rires, les hommes ne savent vivre autrement. Et malgré leurs bruits, leur misère et leur violence, ils demeurent endormis – et s'enfoncent, avec toujours plus de mollesse, dans leur sommeil. Dans une sorte de ronronnement paresseux – et de vivre doucereux – si illusoires – et si tragiques...

Avec trop de discordes encore au fond de l'âme pour s'abandonner à l'étreinte et recevoir sans orgueil (ni malice) le plus précieux du silence... Un amas de songes, de bruits et d’indolence qui les conduira à nouveau vers la chute, inévitable, et l'absence. Comme les seules possibilités – les seules litanies peut-être – du monde et des siècles. Une approche – et une perspective – presque impardonnables...

 

 

Encore un peu de bleu pour dessiner le ciel et l'océan. Et donner quelques couleurs – et un peu de blanc – à la terre. Et souligner sa noirceur et lui offrir, plus tard sans doute, la lumière en attendant le délitement des promesses – de toutes les promesses – et l'effritement du soleil – de tous les soleils. Avec, espérons-le, encore un peu de joie autour du silence...

 

 

La mémoire désespérante du rêve qui maintient captive l'armée des ombres. Le sortilège sans doute le plus insensé de l'histoire du monde...

 

 

Une nuit, un geste et une passerelle jetée entre le passé et l'inconnu sur les eaux sombres qui coulent – et couleront encore...

 

 

Nous sommes les créateurs du monde et du langage, nés de ce silence que nous avons oublié...

 

 

Nous devrions apprendre à nous absenter jusqu'à ce que les noms perdent leur importance – jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul visage ; le nôtre, bien sûr, souriant en silence parmi tous les yeux encore affamés...

 

 

Y a-t-il encore un peu de place pour l'homme entre l’ennui et le silence – parmi ces choses, ces idées, ces sentiments et ces êtres – empilés à la diable dont il faudra, un jour, apprendre à nous défaire...

Entre la vie et la mort, entre l'or et la poussière, entre le souvenir et les heures prochaines, qu'y a-t-il donc que nous n'avons su voir...

 

 

Une parole encore – presque inaudible – dans le silence parmi la fureur des autres voix. Le cri d'un homme – arrivé peut-être au bord de la lumière – qui se jette dans le bruit des autres hommes peu soucieux de mélanger leurs pas au hasard – et croyant voir le jour là où il n'y a que le jeu et le sommeil – et parfois la pensée mortifère...

 

 

Et cet élan maladroit – et cette passion maladive – des hommes qui vouent leur existence entière à essayer d'effacer le silence en le remplissant, de bric et de broc, avec cet amas insensé d'êtres, de choses et d'activités. Comme si l'infini – l'illimité – et leurs mystères – leur semblaient trop vertigineux – impensables presque – pour y consentir – y consacrer leur vie et s'y abandonner. Comme si le monde, les hommes et les bêtes se heurtaient sans cesse à leurs limites – si franchissables pourtant... Et déniaient par leurs actes et leurs paroles – et par leur vie même, toute transcendance – toute possibilité de verticalité...

 

 

Et pourtant nous continuons à écrire – et continuerons sans doute demain à nous consacrer à cette humble tâche – comme si les mots nous avaient toujours précédé dans le silence. Comme s'ils en émergeaient depuis toujours – et y retournaient inlassablement – avant même que nous vienne l'idée de les écrire – et que nous soient offerts le désir (et la force) de les suivre. Comme les prémices – l'avant-goût peut-être – de cette rencontre inoubliable – de ces retrouvailles avec ce qui ne nous a jamais (vraiment) quitté – avec ce que nous avons oublié pour rejoindre le monde – et aller sur ses chemins – en croyant qu'ils nous livreraient ce que nous avons toujours cherché malgré nous...

Oui, sans doute écrirons-nous encore – mais plus silencieusement peut-être – pour célébrer la lumière qui nous a guidé jusqu'à elle en défaisant nos ailes et notre fièvre d'infini – en nous délivrant des peines et de cet élan, inépuisable, vers elle. Elle qui, un jour, nous terrassa, au faîte de cette quête, pour nous livrer au plus humble des jours – et à ce qui passe – et dure toujours sans même que nous nous en apercevions – ce trésor dans chaque grain de poussière – ce que nous n'osions à peine regarder autrefois de peur de salir notre rêve de joie – et de nous y enliser pour toujours : ce vide innocent plus frais et candide que la rosée des jours – que nos matins gris et brumeux et tous nos printemps à venir...

 

 

Fils du vent et de constellations lointaines – écartelé encore – écartelé toujours – entre les rives et les étoiles – entre la nuit et le silence. Comme une lumière possible. Comme une lumière à naître peut-être...

 

 

Un pas, un jeu, un oubli. Et le recommencement de toutes les naissances – et de toutes les vies – jusqu'à la frontière au-delà de la mort – au-delà de toutes les morts – pour devenir l’œil, l'eau, le vent, les marées, les rives et l'océan – cette aire d'innocence qui honore – et brûle – tout ce qui s'y jette. Heureux palimpseste toujours du monde, des circonstances et de la lumière...

 

 

Libéré de la pensée et de l'impensable. Libre du possible et de l'impossible pour se réduire – et s'étendre – enfin à l'infini et à l'invisible – et mettre (essayer de mettre) quelques mots sur l'indicible...

 

 

L'exil et l'expropriation du commun pour retrouver la solitude et les humbles – et joyeuses – terres de l'ordinaire et du quotidien...

 

 

D'une voix à l'autre notre oreille s'égare – et notre âme se perd peut-être. On ne peut résister aux bruits. Mais on peut demeurer fidèle au silence – et à la sagesse muette du ciel...

 

 

C'est encore tout souillés de rêves que nous avançons vers la lumière. Et c'est elle qui décide de l'heure de la grande nudité pour s'offrir. Nos prières toujours seront vaines. Aussi inutiles que nos cris. Seules les circonstances – et le sort qu'elles jettent à notre âme – dictent notre destin – son rapport et ses liens avec elle. Et elles seules peuvent offrir sa venue et son règne. Cette entrée discrète – presque secrète – dans la joie et le silence...

 

 

L'apparente exubérance de la terre saute aux yeux des naïfs. Mais s'ils voyaient – s'il leur était offert de voir – la folle témérité du silence – et les prodiges – les danses et les palettes de couleurs – innombrables – de la lumière, ils succomberaient aussitôt au tournis de l'ordinaire sur les visages...

 

 

Nous vivons comme des orphelins sous l'emprise du malheur – ignorant la matrice qui nous fit naître – et sa main, si tendre, qui toujours accompagne nos foulées si timides – et si timorées – vers elle. Nous croyons nous abandonner à la volonté, au destin ou au hasard alors que nous vivons déjà sous son règne depuis nos premiers pas...

 

 

Un chemin, une falaise et une mer à traverser. De la poussière, des promesses et des poignards – des vents, des griffes et des visages – que nous essayons de combattre et de séduire alors qu'il faudrait les apprivoiser – puis nous en défaire et leur abandonner ce que nous croyons être notre destin. Comme le gage de notre innocence – et la promesse certaine, mais lointaine encore peut-être, de la venue du silence et de la lumière...

 

 

Un coin de terre pour poser son visage. Et un coin de ciel pour y déposer son âme. Ensuite nous pourrons laisser les chemins décider de leur destin...

 

 

Et ce vide – et ce rien – qui viennent (et qui sont là, bien sûr, depuis toujours) – et qui rient – qui rient – de notre (apparente) infortune, de notre ignorance et de nos tentatives (si ridicules) pour les fuir, les remplir ou les saisir. Comme un beau visage si proche – et si lointain – riant toujours de bon cœur avec nous pour nous dire – nous apprendre peut-être – que rien, au fond, n'a d'importance. Que la lumière n'est pas si différente de l'ignorance et de la maladresse. Que le bruit n'est pas moins que le silence. Et que la nuit équivaut au jour... Que jamais nous ne pourrons nous défaire – ni nous emparer – du vent et du sable – de la joie et de la sagesse. Que jamais nous ne pourrons échapper au soleil et à la poussière. Et que la vie – et le monde – continueront encore et toujours d'aller à leur manière...

Comme une tendresse douce – et éclatante – qui ne peut nous quitter. Présente toujours dans le malheur comme dans le bonheur, si passagers – dans l'absence comme dans la présence – partout où nous allons – partout où nous sommes allés et partout où nous irons. Comme pour nous dire peut-être qu'il n'y a, au fond, jamais ni d'errance ni de perte...

 

 

Nos petits papiers, bien sûr, ne sont pas des trésors. Ils ne sont rien. Des soupirs parfois. Un cri étouffé dans l'atrocité. Une main – une pauvre main tendue – vers l'indigence pour dire au monde – et à ce silence enfoui encore en lui – de ne pas désespérer – et d'aller, s'ils en sont capables, au-delà de l'espoir et de la désespérance pour voir un jour – le jour le plus inattendu sans doute – au milieu des larmes et de la plus grande incertitude, arriver la lumière et le silence...

 

 

De la poussière, du feu et de la mort. Les hommes, décidément, n'auront rien compris – ni rien appris – de leur passage... Sans doute devront-ils revenir mille fois – des milliards de fois peut-être – pour apprendre à échanger leurs armes et leurs larmes contre quelques fleurs – et transformer la poussière, le feu et la mort en vent, en joie et en sourire pour que se dessinent sur leur visage fatigué – et sur leur âme heureuse de cette traversée (et heureuse de tous les passages) – une lumière et un silence...

 

 

Comment dire à un dormeur qui se croit éveillé qu'il rêve ? Voilà l'impossible enjeu – et le périlleux défi (dans le meilleur des cas) de toute communication... Deux options se présentent alors : entrer dans son rêve ou le réveiller. Et dans les deux cas, notre interlocuteur aura sans doute toutes les peines du monde à comprendre – et à admettre – qu'il était en train de dormir et/ou que le sommeil l'habite encore... Le plus sage serait peut-être d'abandonner cette piètre alternative – et de patienter : de le laisser s'extraire de ses songes – et de sa nuit – de le laisser s'éveiller à son propre rythme...

 

 

Et ce joyeux désespoir qui parfois encore nous étreint. Comme s'il fallait que l'âme se mêle à la neige – et que nos paupières conservent une trace de notre passage...

 

 

Et si nous attendions la fin du sommeil – et l'extinction des cris – à l'abri dans le silence de l'âme...

 

 

Et si le froid et la bestialité – et la cruauté parfois – ne nous avaient enjoint d'échapper à la nuit, où serions-nous à présent... sur quel chemin errerions-nous encore... Pleurerions-nous toujours au bord du sommeil...

 

 

Et si nous mourrions sans avoir (r)éveillé nos frères, dans quelle contrée renaîtrait-on ?

 

 

Et si la mort n'avait pas l'envergure qu'on lui prête. Et si elle n'était qu'une façon de se séparer – et de s'absenter – plus encore...

 

 

L'arbre met en lumière ce que souvent la parole obscurcit. Le monde naturel toujours plus proche de la vérité que tout discours – et que toute oreille savante et intellectualisante...

 

 

L'ombre entre l'obscur et la lumière est, bien sûr, une clarté potentielle – une nitescence en devenir qu'un refus des masques et une lucidité exigeante guideront jusqu'à l'étincelle, l'embrasement et le feu du plus lumineux qui sommeille (encore) en elle...

 

 

Une main dans le sommeil qui des ténèbres implore l'Amour. Et qui attend la réconciliation de nos mille visages et l'effacement de la jointure inutile et imparfaite – la ligne de démarcation – entre la terre et le ciel – cette frontière illusoire qui nous sépare du monde et de nous-mêmes...

 

 

Seul encore entre les affres et les passerelles. Comme si le monde était toujours aussi inhabitable. Comme si les yeux cherchaient encore la douceur assise au bord de l'âme – et à l'immuniser contre la violence – avant de l'autoriser à s'extraire de sa gangue et à poursuivre sa route parmi la haine, les âmes ignorantes et les instincts si assassins...

 

 

Et derrière l'horizon, entre le ciel et la terre, on voit déjà le jour se lever – et évincer la nuit et les étoiles – pour éclairer le monde et faire oublier ces siècles de terreur et d'effroi – ces ténèbres – qui maintiennent encore les hommes prisonniers de la barbarie...

 

 

Nous vivons encore (trop souvent) comme des aveugles brandissant leur sabre devant l'abîme. Comme des âmes tremblantes et terrorisées par la lumière avec quelques idées imprimées sur la chair et cette fièvre au fond des yeux que nous implorons pour nous délivrer de nous-mêmes...

Il suffirait pourtant d'un regard célébrant la fin des chemins – l'extinction des questions et des guerres – pour voir l'innocence remplacer l'ignorance. Et il suffirait peut-être d'un sourire, d'une parole, d'un poème ou de mille rencontres pour offrir à cette quête – et à cette angoisse – l'ivresse de l'Amour et du silence – le goût de l'Autre en soi – et le goût de soi partout ailleurs – pour délaisser les ténèbres où nous sommes plongés et ouvrir (enfin) les portes de l'Amour et de la félicité... Là maintenant, en cette heure, aujourd'hui ou dans mille ans peut-être. Aussi sûrement que nous ne formons qu'un seul visage, celui de l'Amour et du silence, malgré ce noir et ces siècles de terreur qui durent encore...

 

17 décembre 2017

Carnet n°122 Encore un peu de tout, d'incertitude et de silence

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Rien ne disparaît dans le silence. Ni l'herbe ni la beauté. Ni les arbres ni le désespoir. Ni les oiseaux ni la souffrance. Ni les pierres ni le bruit. Ni les hommes ni la mer. Mais leur visage – tous les visages – prennent la couleur du ciel et de la lune. Et toutes les paroles deviennent des caresses – et des fenêtres sur l'incertitude. Comme un faîte – une lumière – au fond des abysses – au cœur de la nuit...

 

 

Ces bruits et ces festins du jour que le silence – et les pas – déclassent. Et ces lois de la nuit qu'ils enfreignent. Comme une liberté – un grand feu de joie – dans la lumière...

 

 

Ni question ni hospitalité. Un seul silence sur nos dissemblances pour que s'épuisent les luttes et le doute...

 

 

Ce peu de mort que craignent les hommes. Et qui nous ravit – et nous réjouit (au plus haut point). Et qui nous donne à espérer presque autant que le silence. Discrète avant-porte de l'humilité et de l'innocence – ce qui manque si cruellement à ce monde englué dans l'orgueil, la prétention et le savoir – si risibles pourtant...

 

 

Cette folle passion de l'Absolu. Dévorante jusqu'à l'anéantissement de toute vigueur – de tout élan. Jusqu'au seuil de cette puissance insensée qui viendra revigorer notre âme si exsangue – et la faire renaître au centre même de l'énergie et de la lumière – après tant de luttes, de deuils, d'abandons et d'obscurité...

Là où nous abdiquerons naîtra cette intensité. Et là où mourra la volonté naîtra cette inépuisable ardeur...

 

 

[Modeste hommage à Edmond Jabès]

Marges, questions et ressemblances. Dialogue, partage et hospitalité. Et ces mots qui retracent l'écorce du monde au milieu de l'ombre. Comme une mémoire et une main faites pour effacer le parcours et le désir d'un commencement parmi les jours de pluie et de soleil. Le pacte de tous les printemps. La voix de l'encre. Le fond de l'eau. Et la clé de voûte où nous bâtirons, un jour, notre demeure...

 

 

Le simple déroulement du temps. Le cycle des jours. La ronde des saisons. Et la danse éphémère des visages. Ce presque rien dans le silence...

 

 

Les murs et ce froid glacial qui parcourt les échines et la terre. Et ces âmes trop en peine pour se redresser qui glissent sur la pente des malheurs. Comme si l'aube était trop haute... Et la lumière encore impénétrable depuis les fenêtres du crépuscule...

 

 

Comme si nous refusions d'embrasser la solitude – notre solitude – toutes les solitudes du monde. Comme si nous préférions rester muets devant tant de beautés – tant de promesses – devant ce corps-à-corps du poème et des saisons – devant cette étrange clarté qui brille au fond des âges et dans l'âme des bêtes humaines...

 

 

Entre la fatigue, l'or et le charbon, cette fièvre – ce volcan – prêts à s'éteindre pour un peu de sommeil – et un plus grand feu encore peut-être – aperçu en rêve. Et que l'on voudrait voir apparaître avant que nos cheveux blanchissent – avant les premières magies de la vieillesse qui nous feront aimer (et regretter moins sûrement) notre danse imperturbable parmi les voix abandonnées à leur sort – et les chemins qui s'apprêtaient à nous sourire enfin...

 

 

Le rien nous poussera encore jusqu'à la chute. Jusqu'à la fin des crépuscules – et jusqu'au début de l'aurore. L'incertitude ensuite prendra le relais. Elle s'invitera – et dessinera sur les jours ses imprévisibilités. Et nous danserons alors joyeux parmi les visages hébétés – et inquiets – dans les feux et la lumière de l'incertain. Et nous vivrons aussi vieux que les étoiles – et aussi frais que l'herbe coupée – à chaque instant de liberté offerte...

 

 

L'innocence à l'essor rudéral que l'on voit éclore et s'épanouir parmi nos ruines et nos désastres. Comme un avant-goût du silence et de la lumière. Et l'évidence de leur puissance et de leur capacité à se répandre – et à croître – dans tous les espaces laissés délibérément vacants...

 

 

Une fièvre – un feu – encore derrière le visage radieux – ouvert – qui a su abandonner aux vents ses blessures – rapiécées, à présent, par le silence...

 

 

Dormir encore au-dedans des pierres sur toutes ces routes frémissantes – et affamées de soleil. Aller partout où les étoiles et la gaieté nous appellent. Et mourir sans hâte de n'avoir su découvrir les promesses – le sortilège – ce qui hante notre âme depuis nos premiers pas – notre premier sommeil...

 

 

Des cercles, des triangles, un mystère. Des rectangles et des carrés horizontaux où se glisse secrètement l'énigme verticale couverte de songes, de buée et de cris – et dont le faîte effleure les nuages – et la rosée de tous les matins à venir...

 

 

Et le sable où sombrent nos rêves – tous nos rêves – et où se poseront, un jour, nos âmes redressées... Et ce souffle qu'emboîtera notre talon – comme le seul élan possible après le silence...

 

 

Quelques plumes encore sur la grande nappe blanche où se côtoyaient les hommes et les Dieux. Nos aveux et le renoncement. L'envol impossible. Icare – tous les Icare – livrés à la poussière. Abandonnés à la terre – au plus humble des jours...

 

 

Et ce soleil – ce grand soleil – qui n'en finira jamais d'inviter nos pas au silence... Comment ne pas rire aujourd'hui de toutes ces lettres, un peu ridicules, qui dansent sur la page. Posées là par quelque vent mystérieux, échappées peut-être de la bouche d'un Dieu moqueur – et hilare (sans doute) de voir notre obéissance – notre soumission si docile et hiératique à ses impératifs et à ses exigences. Et le monde – et le langage – si sérieux que l'on en oublie parfois le fou rire – originel – si indispensable (pourtant) pour alléger le poème et la parole – et la vie même – et leur offrir le privilège – que dis-je ? – la grâce – d'aller libres – et sans loi – vers ce que le monde ignore encore si obstinément...

 

 

Et ce courage d'aller seul – toujours seul – malgré la nuit, l'ivresse, l'ignorance et les tempêtes. Malgré les rires qui éventrent, les yeux qui dévisagent et foudroient, les épaules qui se haussent et les âmes qui se détournent à notre passage...

Ce courage des solitaires en dépit de tous les soleils à venir qu'ignore (encore) chacun de leurs pas... Comment ne pas leur tendre la main, ne pas les aider à effacer leur faim et à s’extirper de leurs rêves... Comment ne pas guider leur foulée jusqu'au dénuement pour qu'ils puissent traverser les orages et les contrées désertes – pour que leur âme découvre enfin ses racines – l'invisible que cherchait leur courage dans la nuit parmi l'indifférence, les moqueries et les yeux assassins...

 

 

Dans une fleur minuscule, le soleil présent déjà tout entier. La beauté et le silence malgré la bouche des ruminants, la main – et la faux – trop lestes, si souvent, des hommes. Comme si elle avait su apprivoiser la joie malgré la mort et le destin...

 

 

Et cette colère – et cette rage – qui nous auront fait détester les ombres pour un plus grand silence encore – ce lieu où se dissolvent l'ambition et la tristesse. La source de tous les (re)commencements...

 

 

Cette richesse du rien qui offre tout – tellement plus que ce que convoitait la faim – notre faim – et ce dont s'emparait la main – notre main – si avide...

 

 

Et ces lignes qui osent s'écrire – et s'inscrire – au seuil de toutes les joies – sans le moindre doute ni le moindre soupçon. Comme une urgente nécessité à percer la bêtise et à creuser le néant – à traquer avec courage et ténacité le miracle où nous vivons – cette présence qui sommeille encore derrière tant d’absence et de dérisions...

 

 

Des siècles de malheurs qui nous auront poussés et hâtés – effacés en un seul instant...

 

 

Une marche florissante qui, d'ombre en espérance, nous aura menés à l'effacement. Jusqu'aux portes du silence où la lumière brille plus vive que dans nos rêves – et plus vive que l'or que nos mains ont dû abandonner – et qu'auront, sans doute, ramassé quelques âmes et visages moins pressés...

 

 

Et cet abandon au fond de la tristesse qui libère des larmes – et offre de devenir ce que nous avons toujours délaissé avec obstination – par ignorance et excès d'orgueil – cramponnés à nos vies si blanches... Comme des oiseaux privés d'ailes se souvenant soudain qu'ils en sont pourvus – et qu'elles gisent là quelque part, inutilisées, parmi les plumes...

 

 

Meurtri par quelques souvenirs indélicats – et pourtant sans importance. Avec ce désir d'être ailleurs – d'être un autre. Comme un besoin forcené de se fuir encore malgré le silence et la lumière. Comme si nous ne pouvions échapper ni aux blessures ni à la guérison. Et moins encore à ce que nous sommes...

Comme une ligne permanente – un étroit sentier – entre le monde et le rêve – entre le réel et le fantasme. Comme une force irréductible qui nous pousse à ressasser – et à se resserrer plus encore... Comme un désir d'oubli auquel nous ne pouvons consentir. Comme un sommeil au bord de l'infini dont nous ne pouvons nous extirper...

 

 

Et cette solitude qui n'en finira jamais de nous sourire – et de nous éblouir. Comme des enfants immatures pris entre leur désir d'être seuls et leur besoin – leur attente – de caresses...

Et tous ces colliers de prières inutiles que jamais n'exaucera le destin. De l'espoir – et de la poudre aux yeux – seulement. Comme une maladroite façon de contenir ses larmes...

Et cette vie si prudente qui nous interdit l'aventure. Comme si nous avions passé l'âge des jeux et des délires – de ces histoires que nous aimions nous raconter autrefois pour avoir moins peur – et nous défaire de l'ennui – de cette attente de jours plus joyeux et de ciels plus bleus qui ne viendront peut-être jamais...

Et pourtant, au cœur même de cette tristesse, l'oubli et les vents nous gagnent – franchissent tous les obstacles que nous nous sommes évertués à empiler pour empêcher – ou retarder – leur passage. Comme si la lumière et le silence habitaient aussi la mélancolie...

Et aux abords de cette attente, l'infini aussi patiente...

 

 

Un océan de douleurs persiste encore – avec ses ombres – dans l'âme criante au cœur de sa nuit. Comme si la lumière ne pouvait se lever entière – pleine – lorsque les pas se font si tristes – et que les larmes se retiennent au bord des yeux...

 

 

Visage parmi les visages. Souffle parmi les souffles. Rire parmi les rires. Et quelques larmes parfois dans le silence...

Et cette lumière qui traverse la nuit – cette longue nuit presque sans étoile...

Comme un chemin gorgé d'eau et de larmes. Une pluie sombre – et dense – parmi les ombres. Peut-être encore un peu de désespérance – c’est-à-dire encore un peu d'espoir d'être ailleurs – un autre – d'être celui que l'on n'est pas encore – et que nous pourrions peut-être ne jamais devenir...

Comme si rien ne pouvait être saisi – décidé – arrêté – et que tout s'échappait encore ; la vie, le monde, le destin. Et que seul persistait le regard sur nos rires et nos pleurs – et sur notre visage défait par tant d'incertitude...

Comme un bruit – persistant – entre les étoiles. Sur les chemins et dans nos errances. Et au cœur même de la lumière. Comme le signe distinctif du vivant – et la présence en nous d'un monde peut-être inguérissable...

 

 

Ni voix rebelle ni outrage au sein de la lumière. La trace – la place – jamais défaite des réjouissances et du désastre. Et de la tristesse aussi. Ce que jamais nous devrions haïr ni blâmer – et moins encore refuser...

 

 

Un temps – une éternité peut-être – que l'on se fréquente – et ce monde et cet élan en nous qui débordent notre peau – et élargissent nos frontières jusqu'à rompre – et jusqu'à briser parfois – le cœur... Et qui rapprochent toujours l'âme de son souffle premier – et de cette présence en nous qu'elle ignore...

Comme si rien ne pouvait écorcher la surface de la mémoire. Comme si la pesanteur naturelle enfonçait lentement les eaux remuées du temps – et les convertissait en strates – en vents – en abîmes où se noieraient tous nos jours – passés, présents et à venir...

Et cette carte nouvelle que les jours auront dessinée – et que nous ne verrons peut-être pas. Trop pressés par les foules, le temps et nos fausses exigences d'oublier nos pas, les chemins et le ciel d'automne pour pousser la porte d'autres rêves – et d'autres rives – plus libres et plus grands que ceux auxquels nous autorisent à croire les hommes...

 

 

Un peu d'espace – un peu de lumière – encore où l'on pourrait se réfugier pour être un peu (ou, du moins, essayer...) au lieu de passer sa vie à dévisager la nuit – sans le moindre espoir de la voir, un jour, se dissiper...

 

 

Quelques objets – quelques souvenirs – un peu d'espérance et quelques désirs enfoncés dans l'abîme où vivent les hommes. Une existence entière à attendre la lumière dans le noir sans qu'un seul rai jamais n'effleure notre âme. Comme un grand manège – souterrain – qui tournoie – et fait tournoyer – sans être capable jamais d'extraire du néant...

 

 

Faire nôtre ce qui nous effraye, nous malmène et nous anéantit pour que dansent toujours en nous la vie, les objets, les hommes, les bêtes et la mort. Pour que jamais ne s'efface notre chant dans le silence – et sur les chemins où la lumière a été abandonnée – et où elle ne peut pénétrer encore...

 

 

Encore un exil au milieu de la nuit – et au milieu des visages inexpressifs – lointains depuis toujours...

 

 

Faire plier le rêve sous la langue pour libérer le réel, la lumière et la parole – et quelques autres trésors oubliés...

Comme une brèche où ne pourrait s'enfoncer qu'un seul monologue – celui du silence dont nous avons oublié les paroles...

 

 

Nous sommes le monde – le monde peuplé de tout ce que l'on ignore – des vivants, des morts – et de tous ceux qui ne sont pas nés encore. Comme un rêve éphémère fait de songes, de boue et de désirs. Comme un enchevêtrement d'absences – et une folle envie de vie et de présence. Et cette lumière, enfouie depuis toujours, que nous n'avons jamais su voir...

 

 

Pris déjà – depuis toujours sans doute – par cet élan qui ensorcelle la chair – et dénude l'âme de ses embarras. Porté déjà – depuis toujours – par cette lumière qui éventre les songes – et nous abandonne au bord du néant – et nous y plonge ensuite pour convertir nos rêves et nos peurs à l'évidence – à cette présence qui anime nos gestes et nos pas depuis la première nuit – depuis notre premier sommeil...

 

 

Des tombes et des vivants – toujours malgré la nuit. Malgré la vie. Malgré la mort. Malgré le silence et la lumière. Comme une présence – une ronde interminable – sources de tant de pleurs – et sources de tant de rires. Comme une pulsation qu'ignorent le sommeil et l'oubli...

 

 

Des roches, des murailles, des broussailles. Et le chemin invisible qui traverse la nuit – toutes les nuits. Et qui découd les étoiles du ciel. Et offre progressivement à chacun le goût de l'hiver et du silence – la solitude amoureuse de la terre, des ombres et des visages – et la certitude d'une lumière au fond de chaque ignorance...

 

 

Comme si le silence nous narguait encore parmi les bruits – parmi la colère et les éclats de voix. Comme s'il voulait être écouté encore et encore – et que nous lui rendions grâce au milieu du vacarme – au cœur de l'affreuse cacophonie du monde où les âmes maladroites cherchent toujours leur délivrance...

 

 

On écrit parfois ce que l'on cherche encore de façon si gauche – si malhabile. Comme si nos mains ne pouvaient saisir ni le vent ni la poussière. Comme si notre âme n'était pas même capable de saisir ce que cache si sournoisement l'horizon : cette lumière – ce silence – dont nous ne pourrons jamais ni nous défaire ni nous emparer...

 

 

Vivre encore – vivre toujours – entre l'absence et les cris – entre tout ce qui s'échappe – comme si le vide et la chute étaient inévitables. Et nous tomberons tôt ou tard – et frapperons, en vain, à toutes les portes. Et nous nous relèverons – et continuerons à aller seuls – sans aide et sans un regard – pour appuyer d'abord – et déposer ensuite – notre tristesse et notre détresse – quelque part – là où tout s'affaisse – là où rien ne peut être posé – là où rien ne peut être dissimulé : dans ce silence et dans ce monde où tout s'échappe et nous abandonne...

 

 

Une carte, un horizon. Et quelques désirs que les saisons feront agoniser. Et l'automne bientôt. Et l'hiver à sa suite avant que le silence ne recouvre tout : ce peu de cendres que nous laisserons à notre mort...

 

 

Le silence ne pliera sous aucun désir – sous aucun cri – sous aucune menace. Il effacera lentement ce que nous avons mis des siècles à bâtir. Et édifiera pour nous un chemin d'abandons : la seule voie – la seule délivrance – possibles...

 

 

Des poches pleines. Et des cloches qui sonnent. Et partout des mains qui aiguisent leur couteau – et comptent leurs pièces. De l'eau qui coule – qui coule un peu plus loin – qui coule sous les ponts. Et quelques siècles – et quelques tombes – plus tard, les poches seront toujours aussi pleines (et peut-être même davantage...). Les cloches sonneront encore au milieu du jour – au milieu de la nuit et des couteaux. Et les yeux se fatigueront toujours à compter l'or et les lingots. Et l'eau coulera encore – et continuera à déposer toutes ses chimères sur les rives où vivent les hommes...

 

 

Viendra le jour où nous nous abandonnerons à la mort et au silence... Et disparaîtra alors la nuit – et disparaîtront alors toutes les nuits...

 

 

Attendre le silence – et lui demander (oser lui demander) quand adviendra le jour des retrouvailles...

 

 

Un jour, la main saura se faire plus légère que la plume. Le regard plus vif que l'orage. Et le cœur aussi large peut-être que le ciel. L'âme alors ne sera plus de ce monde. Elle pourra y demeurer encore – y habiter quelque temps – mais ses gestes et son silence seront portés par un élan antérieur : la certitude de la lumière...

 

 

Une marche, un souffle, un silence. Et la mémoire qui s'efface – laissant soudain le champ libre à l'incertitude et à l'inconnu...

 

 

Un peu de joie sur les épaules pour absoudre la tête noire – la vider de son jus – et la faire disparaître pour que ne subsiste qu'une innocence sur un talon docile et vierge – prêt à toutes les ruades et à tous les silences...

 

 

Une bouche – un cri – qui cherchent leur silence. Et au cœur de celui-ci, un plus grand silence encore qui effacerait les lèvres et les plaintes – toutes les lèvres et toutes les plaintes – avec un goût de neuf peut-être sous la langue pour que la parole puisse enfin éclairer – et l'esprit oublier ses repères et ses chemins...

 

 

Un livre ouvert sur la lumière. Une parole dans le silence. Et les jours deviendront beaux – et vivables enfin. Et la vie alors pourra commencer...

 

 

Ici et là, peut-être, une réminiscence dans l'oubli – dans l'effacement magistral. Une ombre dans la transparence. Une opacité – un peu de noir – dans la lumière. Une profondeur dans les eaux bleues et claires. En ces lieux qui nous échappent encore. Comme une tristesse – un peu de boue – dans la joie. Et apprendre à tout effacer pour avoir enfin l'envergure de ses ailes...

 

 

Un peu de pluie, un peu d'écume, un peu de joie pour réunir toutes nos manœuvres – pour que la raison dérive jusqu'aux hauts-fonds de l'océan – pour retrouver la côte et le port, si lointains encore, où nous aimerons nous perdre plus intensément... Pour voguer plus haut – et voguer plus loin – sur la queue du vent – au creux des vagues – vers l'azur et le grand large – partout où l'eau devient la fille du rire et de l'incertitude – partout où l'innocence et la lumière se joignent au silence pour rejoindre la terre – ses rivages et ses visages encore hébétés par ce peu de pluie, ce peu d'écume et ce peu de joie...

 

 

Dans mille ans, nous vivrons peut-être encore sur le dos du monstre – en ignorant son autre face, si belle et lumineuse... Et nous serons (toujours) bien en peine d'imaginer le silence – la beauté du silence – à l'origine de tous les visages...

 

 

La terre, le monde, les hommes. La vie. Et l'apparence et les distractions qui dissimulent leur vrai visage – et la présence des mille réalités perceptibles depuis le silence...

 

 

Rires, aventures, bavardages. Et cette manie – et cette rengaine – de l'illusion qui nous fait croire que la terre – ce grand désert – est un monde peuplé de visages. Comme si le temps existait – et avait quelque importance. Comme si la terre n'était qu'un labyrinthe de murs et d'étoiles. Comme si la lumière pouvait être donnée – et éclairer les hommes...

 

 

Rien ne disparaît dans le silence. Ni l'herbe ni la beauté. Ni les arbres ni le désespoir. Ni les oiseaux ni la souffrance. Ni les pierres ni le bruit. Ni les hommes ni la mer. Mais leur visage – tous les visages – prennent la couleur du ciel et de la lune. Et toutes les paroles deviennent des caresses – et des fenêtres sur l'incertitude. Comme un faîte – une lumière – au fond des abysses – au cœur de la nuit...

 

 

Un feu qui cherche l'aurore. Ainsi naissent les voyages – tous les voyages – et se dessine progressivement la route...

 

 

Comme une fenêtre en plein ciel qui dissipe la foudre et la solitude – qui enflamme la mort, le sinistre et l'inutile – et convertit le monde et les visages en sourire – et notre absurde confiance en joyeuse incertitude pour que nous ne puissions plus jamais nous rendre complices des yeux ignorants et des mains assassines...

 

 

Sommeil, refus et ignorance. Toute la nuit nous aura été offerte ainsi. Trois mots qui auront soulevé le monde, déplacé les montagnes et emporté tous les visages. Trois mots qui auront fait tanguer notre folle embarcation vers des horizons impensables – secouée et ballottée par des vents emplis de songes et de douleurs. Comme une longue dérive – une lente débâcle – un long gémissement – parsemé(e) de quelques prières maladroitement psalmodiées – qui nous aura enfoncés dans le malheur – et éloignés, au fil du voyage, de la beauté, du silence et de la lumière que la terre, le monde, la vie et les hommes réclamaient depuis leur premiers pas dans le sommeil, leurs premiers pas dans le refus, leurs premiers pas dans l'ignorance...

 

 

Le bleu et le silence partout malgré le bruit et la grisaille. Malgré la faim – et les bouches si avides de ciel, les lèvres trop goulues et le gris si saillant de notre nuit. Comme un défi – presque surnaturel – à la pesanteur du monde et à la gravité, si tenace, des âmes...

 

 

A l'ultime question répondra le silence. Et à l'ultime désir, la lumière. Comme la fin du rêve – la fin de tous les rêves. La transmutation des pentes – et de l'horizon – en ciel implacable. L'effacement des différences et des distinctions – et leur conversion en humilité docile éparpillée en un seul visage...

 

 

Tout – toujours – commence dans l'effroi et la terreur. Se poursuit au gré de l'incompréhension, des trahisons et des abandons. Et s'achève dans le silence. Voyage de douleurs et de joies entre la périphérie – la surface – et le centre de toutes les profondeurs...

 

 

De drames en catastrophes, nous avançons irrémédiablement vers la lumière – ce centre de nous-mêmes si ignoré. Et cette réalité que nous imaginions réelle – si réelle – perd peu à peu sa consistance – sa vérité. Elle s'éparpille et s'efface. La vie, le monde et jusqu'à notre visage alors deviennent incertains – le versant fuyant de l'incertitude. Et ce qui arrive – défile et passe comme un courant d'air – frais toujours de notre innocence. Rivière d'une eau toujours inconnue. Grand corps mouvant sans frontière ni démarcation.

Ainsi devient-on silence et lumière sur les ombres – sur toutes nos ombres – si évanescentes. Reléguant l'angoisse et la hantise – le rêve et le devenir – à un souvenir qui s'oublie déjà. Comme un regard inamovible sur des pas et des passagers toujours plus provisoires...

 

 

Des tuiles, des feuillages, l'horizon. Chemins qui se faufilent entre les champs et les maisons. Au bord du ciel toujours, sur cette terre que jamais nous ne connaîtrons...

Des pierres, du vent, des visages. Quelques frissons. Comme des reflets incertains de nous-mêmes. Un songe né peut-être du silence...

 

 

Chant solitaire toujours parmi les voyageurs pour honorer les naufrages et l'océan. Et parfois aussi quelques étoiles qui brillent encore dans la mémoire. Comme un écho du silence célébrant le ciel et l'écume...

 

 

[Modeste hommage à Marie-Claire Bancquart]

Un matin, une famille, un travail, une patrie. Et un territoire – et quelques âmes – peut-être à défendre. Et alors que partout l'on égorge et l'on brûle, d'autres n'ont pas honte de s'adonner aux diversions du rêve – d'élever l'étendard de l'innocence hébétée – nourrie d'incompréhension – pour tenter d'exister à leur place de vivant – pour saluer les morts et tous les visages – et tenter de transformer les drames et les larmes en sourire – et en espoir de délivrance – et œuvrer ainsi au rassemblement de toutes les humbles figures de la terre...

 

 

Et ces pauvres jours encore qui n'apporteront que le gris et la tristesse. Comme l'inlassable rengaine du malheur...

 

 

Tant d'opportunités et de misères dans cette errance – dans cet exil – que ne connaîtront jamais les âmes sédentaires – et les esprits étroits (de fait) barricadés derrière leurs principes et leurs valeurs – derrière leurs murs et leurs barbelés – dont les yeux – et le sourire – ne peuvent se poser que sur leur maigre bande de terre – cette région d'inhospitalité où ne poussent, entre les habitudes et les parterres de fleurs bien alignées, que la lâcheté et la méfiance : toute l'indifférence et la désespérance du monde...

 

 

Le silence et la nuit. Inséparables peut-être comme le ciel et les étoiles. La parole et le poète. Le rire et la tristesse – la joie et les larmes sur chaque visage...

Et notre âme si crispée encore devant la lumière. Et l'espoir – cet espoir – si tenace que nos pas, un jour, puissent nous y mener...

 

 

Un passage toujours entre les passages – entre tous nos passages. Un peu de vent volé à l'enfance. Quelques silhouettes sur les talus aveugles au déroulement du temps, à l'odeur de la fête et à l'hiver qui grimpe aux barreaux de l'échelle. A cette vie qui passe entre l'horloge et le silence – entre nos peines, trop lourdes pour être hissées, et la lumière...

 

 

Nous aurons toujours un pas de retard sur le rêve, l'horizon et la lumière. Comme un refus opiniâtre de la belle saison. Une hésitation entre l'abîme et ce qui nous appelle un peu plus haut...

 

 

Comme une esquisse dans la nuit qui dessinerait dans le noir le plus haut soleil – cette lumière inchangée qui sommeille encore sous les paupières...

 

 

A la lisière de tout ce qui ne nous appartient pas. Au cœur de la bonne parole – de cette nuit qui déborde le hasard – et de ce carré blanc cousu de fils d'or où nous posons la tête, nos rêves, ce désir d'ailleurs – l'herbe, les figures de la terre, la solitude – et l'incertitude du ciel qui se reflète partout comme un soleil inimaginable...

 

 

Au bord de la mort toujours malgré l'éternité...

 

 

Comme deux visages, l'un inquiet et soumis aux aiguilles du monde et de l'horloge – et l'autre serein et joyeux – impavide – presque indifférent à tous les désastres...

 

 

Un mur – des murs peut-être – long(s) – tenace(s) – infranchissable(s). Des portes et des couloirs. Et l'horizon à perte de vue. Et le vent en nous insufflé comme un ventre qui respire – un amas d'os recouvert de chair qui désire, aime et se plaint. Comme une peur insurmontable scellée à l'âme qu'abrite la structure – le squelette animé. Et le chemin et la marche interminables... Mais qui sait seulement si nous avons commencé à mettre un pied devant l’autre – et où nous mèneraient nos pas si, par malheur, le destin nous faisait avancer...

 

 

La vie comme un malheur nécessaire peut-être pour aimer la chair, la célébrer, la laisser libre et l'abandonner à son destin de matière au hasard des chemins pour un espace – une envergure – invisibles – et plus grandioses encore – ce feu – cet infini – que l'on sent battre dans nos veines comme un cœur – comme un Amour inépuisable...

 

 

La couleur inévitable des âmes et des destins qui donne à nos vies ces teintes si insensées – ce bariolé inextricable comme une pluie et un soleil entremêlés de noir et de lumière...

 

 

Lorsque la nuit s'enfoncera – et s'effacera – dans l'océan, disparaîtront les horizons – et ce désir d'être ailleurs – d'être un autre. Nous aurons alors un goût de sel sur des lèvres sans nom et sans visage. Et nous deviendrons l'eau, l'écume et les marées où navigueront toutes les embarcations – et toutes les vagues et toutes les rives où elles viendront s'échouer...

 

 

L'ignorance comme une herbe nocturne qui épuise le vent. Comme un soleil noir en-dessous du ciel. Comme un désir jamais contenté. Comme un arbre mort qui attend la foudre pour s'embraser – devenir cendres – dissiper les ombres et voir arriver, au loin, la lumière – ce grand feu qui se dessine déjà dans tous les rêves...

 

 

La vie comme un précipice où nous sommes jetés. Comme une grande roue souterraine. Et parmi les morts, ce chant silencieux. Comme un aveu d'impuissance. Et le signe peut-être que la fin n'est qu'un recommencement plus sage – une possibilité pudique – et infiniment discrète (presque secrète) – de voir naître en nous ce grand Amour dont nous ont tant parlé les prophètes – et quelques éveillés sans chapelle – et qui sévit déjà partout au-dehors – dans cette vie – dans ce profond précipice – pour faire fleurir la chair – et ce dont elle a besoin pour éclore – croître – et grandir en sagesse : les prémices possibles d'un envol pour sortir de l'abîme et retrouver cet Amour – ce grand Amour, dépouillés (enfin) de toute prétention – avec l'humilité – la profonde humilité – de ne pas savoir et d'aller vers lui sans aile ni espoir...

 

 

A l'aube de tout voyage, cette terre ensorcelante. Et sur notre couche, l'étreinte des amants que le feu brûlera longtemps après leur mort. Comme le premier pas, maladroit bien sûr, vers l'éternité et le silence...

 

 

Aussi infidèles à l'habitude qu'à l'incertitude, la source des vents, la fleur étrangère à sa beauté et le visage défait – et familier de la sagesse – prêts à célébrer leur entrée, si discrète, dans le silence...

 

 

Des joues, des joutes et des larmes. Et un peu de poésie pour apaiser la faim, adoucir les mains – et les rondes – et offrir le silence à tant de maladresse...

 

 

Sur sa branche aussi patiente l'oiseau. Comme tous les fronts – et les visages – agenouillés sur la terre qui attendent la lumière...

 

 

Les eaux, les danses et les chemins secrets que parcourt l'innocence. Comme le plus discret – Dieu peut-être – Dieu sans doute – s'immisçant dans les circonstances, les fringales et les tournoiements d'un monde apparemment sans douceur et sans autre ambition que sa perpétuation...

 

 

Sans âge ni maître – cette puissance et cette envergure dans le défilé du monde – au-dedans des êtres et des choses – gouvernés par le hasard, les instincts et les nécessités – qui se faufilent entre les ronces – et dessinent leur chemin à travers les herbes et les rêves – si impatients de découvrir leur printemps au milieu des luttes et de la mort...

 

 

Un peu de vie – un peu de joie – avant la mort. Parmi la faim et le désir, la misère et l'ignorance. Et la grâce au cœur de la malédiction. Et le silence et la lumière à naître. Et quelques prières parfois au milieu des charniers...

 

 

Personne, nulle part, jamais ne nous attend. Et l'Amour pourtant jamais ne nous abandonne...

 

 

Aimons ceux dont la présence nous éclaire autant que ceux dont l'ignorance nous presse d'ouvrir les yeux. Ainsi tous seront aimés...

 

 

Tout sera dit avant d'entrer dans le silence. Ensuite la présence remplacera la parole. Et nos pas deviendront lumière – cette lumière qu'aura tant cherché le langage...

Et nous marcherons peut-être encore dans cette grande nuit parmi les voyageurs et les cris – dans la frivolité et la noirceur des survivants – tous, postulants à l'agonie – ces marcheurs du monde si désespérés...

 

 

L'automne – l'hiver – jamais ne quitteront la parole – notre parole. Saisons du dépouillement et du dénuement plus propices au silence – et à la lumière – que l'efflorescence et la frivolité de leurs sœurs plus précoces...

Et nous bavarderons peut-être encore aux abords de la source avec le silence et le printemps. Et nous épuiserons les livres et la parole pour avancer, nus et tremblants, vers la saison des origines – vers le seul astre restant – au cœur de la terre dépouillée de ses songes – de ses étoiles – une cape de joie sur notre nudité et une écharpe de silence nouée à notre visage...

Et nous verrons peut-être aussi les ombres nues aller – et se perdre – dans la neige épaisse qui aura recouvert les routes dénudées par l'hiver – parmi les pierres encore brûlantes de soleil...

 

 

Un visage, un ciel, une solitude. Comme un soleil noir défait par les vents, les rivières et la blancheur, éblouissante, de la terre. Et un peu de neige encore sur nos barques – toutes nos embarcations – pour qu'elles soient saisies par la lumière – et qu'elles émergent du fond de l'océan – et s'abandonnent aux rives du silence...

 

 

Une chaise, une lune, un monde. Quelques soupirs et quelques adieux avant que la terre ne tourne – ne s'enlise – et ne retrouve le soleil...

Comme un doigt pointé avec maladresse vers le moins tangible – et le plus invisible – de cette terre avant que l'hiver et la neige ne recouvrent encore les âmes et la chair – ce qui, en ce monde, cherche la lumière – et s'agenouille, se redresse et s'émerveille déjà dans son attente...

 

17 décembre 2017

Carnet n°121 Du bruit, des âmes et du silence

– Et si peu d'espérance pour le monde –

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Un cortège, des étoiles. Et ce silence qui crisse entre les pas. Et la paume ouverte des hommes en prière. Comme un frisson qui parcourt l'échine de toutes les âmes. Comme une terre entièrement apprivoisée...

Il reste tant à découvrir. Et tant à dire. Et pourtant tout existe déjà – et tout a déjà été dit. Et ce silence qui nous fait encore tressaillir...

 

 

Un soleil à venir peut-être. Et ce vent – et ces bruits – qui n'en finiront jamais. Et cette soupente où se cachent nos ombres – toutes nos ombres. Et ce lieu, en nous très retiré, qui ne connaît que le silence...

 

 

La naissance du plus précis – et de l'impossible réalisé. Et la langueur des âmes dans cette nuit interminable. Peut-être ne parviendrons-nous jamais à infléchir le temps...

 

 

Ces rumeurs – cet écho – du monde qui se faufilent entre les âmes. Et les abreuvent. Comme des mensonges hors de prix qui alimentent l'illusion – le désir – et le devenir – du monde. Comme le plus grand drame peut-être des vivants...

 

 

Et ces sauts exténués sur les pierres pour franchir l'horizon – l'impensable – que n'habite pourtant l'hôte que nous cherchons...

 

 

Ce cercle dont nous ne sortirons peut-être jamais malgré la présence, partout, de la lumière et du silence. Comme un destin voué aux pas que nul ne pourrait arracher aux routes et aux chemins...

 

 

Ce trop – ce surplus – de monde – posé là – qui se balance devant nous, attaché à une perche tenue par nos désirs – et que nous suivons pas à pas – comme un chien, fidèle à l'ombre de son maître – sans pouvoir, bien sûr, jamais nous en saisir – ni jamais nous en emparer, alors que le rien est là déjà, depuis toujours, présent partout à chaque instant de notre séjour et de nos errances. A chaque foulée de notre marche interminable...

 

 

Un secret, un voyage. Et cet écho qui n'en finit pas de nous perdre – d'égarer notre main – notre âme – et notre fouille jusqu'à la pointe du silence – et de ses aveux. Comme une confiance à aller – à marcher indéfiniment – et une évidence à dénicher, un jour, quelque part l'impossible. A le trouver au bout de tous les épuisements...

 

 

Et ce crépuscule – et cette nuit – aussi lumineux que l'aurore. Et ce puits – et cet immense labyrinthe des surfaces – qui nous enfoncent dans la lumière. Et ce silence – ce grand Amour – qu'offrent nos lèvres par-delà la joie et l'ivresse affranchie des désirs. Et cette puissance qui gît déjà sous les ornementations et la paresse – sous cette chair où s'exercent les apparences et la diversité. Et ce visage dévoré de beauté qui vient couronner toutes les laideurs, toutes les bassesses et les lâchetés. Comme le sacre de notre ignorance défaite enfin...

 

 

Des ailes, des voiles, des allées. Tant de simulacres à travers les siècles. Essais, tentatives, impasses. Diverses errances – presque anachroniques – qui se résolvent par les détours – et le retour progressif vers l'origine – ce qui a enfanté tous les visages, toutes les détresses et tous les désirs de se retrouver...

 

 

Des visages minuscules – et pourtant vertigineux. Cette lumière, impensable, derrière tant de mensonges et d'insignifiances. Comment aurions-nous pu imaginer aux premiers instants de la marche – aux premiers pas de la quête – la cachette incroyable de ce trésor (si rageusement convoité)... Comment aurions-nous pu imaginer que cette crasse et ces crépuscules le dissimulaient avec tant de vigueur et d’âpreté... Comment aurions-nous pu imaginer qu'il nous faudrait nous défaire – nous dépecer – de tout – de toutes ces couches et de tous ces embarrassements pour le dégoter – et qu'il nous serait offert, malgré nos efforts (si risibles), avec autant de naturel et de facilité. Comment aurions-nous pu imaginer que rien ni personne ne pourrait nous en détourner – qu'aucune instance ne saurait nous arracher à ce que nous sommes depuis toujours...

 

 

Cette chose en soi – maladive sans doute – pathologique peut-être – originelle sûrement – qui, quoi que nous fassions et vivions – doit être touchée – atteinte – trouvée. Un goût – une qualité – un seuil de profondeur et d'intensité en-deçà duquel la vie – et le monde – nous semblent presque indignes d'être vécus et expérimentés. Et qui impulse, encore aujourd'hui, à notre foulée un rythme puissant et forcené – presque inépuisable – et qui nous a toujours tenu éloigné de toute paresse – de toute forme d'avachissement de l'âme et de la chair. Comme une épectase jamais comblée – jamais rassasiée. Comme une extase – une ataraxie – fragile et éphémère à renouveler indéfiniment...

Autrefois, cette chose en soi animait intensément notre quête – et ses avancées. Et elle demeure aujourd'hui encore quotidiennement, presque à chaque instant, malgré notre familiarité avec le silence et la lumière. Comme si subsistait un reliquat de cette puissance – ou un mode de fonctionnement peut-être – un feu – une énergie infatigable – qui a toujours propulsé et accompagné nos pas – notre marche inlassable pour tendre vers – goûter – et ne jamais quitter – cet état d'exaltation – cette envergure de présence... Et qui nous confine aujourd'hui encore à une forme d'intranquillité (insupportable) dès que nous avons le malheur de nous en éloigner (ou de nous en croire éloigné) pour quelque obscure raison – et qui nous enjoint aussitôt de faire notre possible – tout notre possible – pour la retrouver. Comme si nous étions encore et toujours animé par les plus hautes – et mystérieuses – exigences de l'homme...

 

 

Un peu de bruit. Un peu d'agitation. Voilà ce que réclament les hommes. Et voilà ce qui les contente. Ravis toujours des spectacles qu'on leur offre – n'osant peut-être espérer davantage de la vie et du monde... Passer simplement d'agréables moments plongés dans quelques distractions pour échapper, un court instant, à l'indigence et aux servitudes quotidiennes. Avec de telles ambitions, on ne s'étonnera donc guère de voir si peu de nos congénères emprunter la voie du questionnement – et marcher d'un pas déterminé et résolu sur quelque chemin métaphysique et spirituel...

 

 

Le grain de sable pour le visible – et le quark peut-être pour l'invisible (à l’œil humain). Cette matière dont nous sommes faits. Amas et combinaisons éphémères voués aux mouvements et aux interactions – aux échanges et à l'effacement. Et aux renouvellements toujours. Et le mystère de ce souffle momentané et épuisable pénétrant la chair. Et cette présence infinie et éternelle au-dedans et au-dehors de tout...

Voilà les pièces de ce puzzle complet et mouvant – et jamais achevé – qui se fait et se défait – et qui compose et décompose les visages au gré des vents – à travers des siècles presque sans importance...

 

 

Il reste tant à découvrir. Et tant à dire. Et pourtant tout existe déjà – et tout a déjà été dit. Et ce silence qui nous fait encore tressaillir...

 

 

L'homme, cette horrible et terrible chose qui ignore encore. Et dont les peurs et les instincts dictent les actes. Si peu soucieux – et si peu concerné – par le mystère et les trésors qu'il abrite. Et qui demeure en somme – et jusqu'à présent – une indigne créature...

 

 

Une couche, un chemin. Quelques joies et quelques malheurs à glaner au fil des pas. Au cours de ce long sommeil...

 

 

Quelques instants de vie à l'image de cette eau glacée qui, un jour, s'évapore – et disparaît en ne laissant que quelques gouttes – un peu de buée – sur les vitres du temps...

 

 

Quelques gestes, un tombeau. Et la main avide qui en voulant s'emparer saisit la pelle avec laquelle elle creuse le trou où elle sera enterrée...

 

 

Après tant de malheurs et d'errances, il ne restera que la couleur de la neige, sans trace. Et cette enfance jamais atteinte – et couronnée pourtant de toutes les grâces. Et ce feu brûlant dans nos veines qui nous fera essayer encore...

 

 

Des rêves et des pas. Un peu de magie dans le noir. Et, parfois, la visite impromptue de l'oiseau qui veille au-dessus des merveilles. Ce songe d'un ailleurs que les hommes ont transformé en mythe – en promesse pour les jours – et les siècles – à venir. Et que les religions et les prières tentent de faire advenir à chaque nouveau trépas...

 

 

Fils du ciel et des instincts. Matière en marche immuable et recombinée des milliers, des millions, des milliards de fois, embarquée dans tous les voyages. Et ce souffle presque invisible au fond des haleines, surpris toujours de son sort – et du destin qu'on lui réserve. Et lui qui aimerait s'afficher sans patrie – et voir arrachés tous les noms sur les visages – continue cahin-caha à proposer, inflexiblement, l'ivresse et le grand départ – le seul voyage auquel il aspire...

 

 

Un chemin, une croix. Une longue marche, une colline et une crucifixion. Et la résurrection arrivera plus tard – et se déroulera sans témoin. Dans la solitude, le silence et l'humilité. Et les hommes auront beau prier, ils n'y assisteront qu’au-dedans de leurs propres pas – au sommet de leurs renoncements. L'innocence sera la première station. Et la joie et la liberté viendront couronner leur délivrance. Vie et mort alors perdront tout leur sens. Et l'éternité et le silence remplaceront toutes les ambitions...

 

 

Comme une joie infinie qui ne fait que passer sur les hommes mais qui, en réalité, traverse à chaque instant toutes les âmes...

 

 

Un soleil et du remue-ménage. Comme une folle tentative d'en saisir la chaleur – et d'en enfermer la saveur pour toujours...

 

 

Un cortège, des étoiles. Et ce silence qui crisse entre les pas. Et la paume ouverte des hommes en prière. Comme un frisson qui parcourt l'échine de toutes les âmes. Comme une terre entièrement apprivoisée...

 

 

Guerre, deuil et joie. Ainsi chemine-t-on jusqu'au chant le plus profond. Des plus viles besognes au silence. Du plus gauche – et du plus obscur – à la lumière suspendue, depuis toujours, à nos larmes...

 

 

D'heure en heure s'ouvriront peut-être tous les passages. Et palpitera enfin le cœur enfoui dans toutes les âmes recouvertes de chair...

 

 

A égale distance entre les anges et les ordures vivent les hommes, enfermés. Enfants sauvages apeurés derrière leurs vestiges et leurs lunes mortes, errant sur tous les terrains vagues – et confinant leur marche funèbre – et sans retour – jusqu'aux palais les plus sordides. Gaspillant – et sacrifiant – leurs heures à d'inutiles éblouissements...

La nuit, on les voit courir – rejoindre leur cercle – se répandre – et se suspendre – au-dessus des eaux muettes et glauques – aveugles à toute lumière – tournant inlassablement autour d'un phare secret et indéchiffrable...

Comme condamnés à l'errance à perpétuité... tantôt dans les bas-fonds sombres et immobiles tantôt au-delà du plus vif soleil...

 

 

Quelques songes tiennent encore en équilibre sur nos épaules. Et ils seront, peut-être, enterrés avec nous dans la tombe....

 

 

Seul se défait ce qui doit l'être pour que demeure l'irremplaçable. Ce goût – et ce bleu – du ciel dans notre regard...

 

 

Ne pas oublier – ne jamais oublier – la joie qui partout patiente – et s'exaspère (parfois) de nos maladresses...

Et ce grand hasard – ce grand Amour – qui, si souvent, nous oublie alors que notre bouche crie sa faim – et que notre main frappe ou caresse. Comme s'il voulait fouler aux pieds notre grande adoration – et notre grande dévastation – du monde...

 

 

De jeu en absence – d'absence en absorption – comment pourrions-nous rejoindre cette présence qui en nous travaille secrètement à se révéler... Et si loin de tout appui – et de la folie du monde – comment pourrions-nous lui échapper...

 

 

Beauté. Silence. Simplicité. Et cette joie offerte par la lumière. Comme le digne refuge des âmes autrefois errantes – et si aimantes aujourd'hui. Et le secret – si mystérieux – désossé à présent jusqu'à la moelle qui donne au regard cette incroyable transparence – et au cœur cette si fabuleuse innocence...

 

 

Le monde – sa beauté et sa violence – apprivoisés. L'effacement des rêves – de toute étoile. Et cette douceur au fond de l'âme qui offre ses baisers aux hommes. Horizons et ciel réconfortés par les anciens oracles devenus réalité aujourd'hui. Et toute la terre, à présent, pénétrée de silence...

 

 

Un jour manifeste parmi tant d'étoiles – et malgré les songes funestes – fébriles et tenaces – des hommes. Comme un pan de nuit qui s'affaisse sous la cognée délicate du jour. Et le plus anodin – et le plus futile – soudain transformés en beauté – et en silence sage et accessible. Comme un baume – un surcroît poétique – offerts aux blessures et aux violences – à l'obscurité, presque insoutenable, de ce monde...

 

 

Et notre vie – toutes les vies – qui sortent à présent des légendes pour lécher cet espace hors du temps – ce lieu affranchi du langage (de tous les langages). Comme un arbre enraciné à notre tombe – à toutes nos tombes – qui lance soudain ses branches vers le ciel – et s'élance vers la lumière. S'éloignant du noir – et des fosses communes – qui l'ont vu grandir...

 

 

Quelques chants et un peu de tristesse parfois nous détournent du silence. Comme un bruissement de l'âme secouée par quelques rires – quelques moqueries. Comme un reliquat imprécis du hasard peut-être qui ébroue ce reste de songe trop longtemps endormi – trop profondément enfoui peut-être – et qu'on laisse s'écouler, comme notre vieillesse en devenir, à l'orée de cette mort qui s'abattra le jour venu – et nous fera glisser sans trop de hâte au fond de tous les silences...

 

 

Une langue aimante parmi toutes ces bouches hostiles et ces dents sournoises qui traquent leurs proies et les dévorent avant même de s'en emparer...

 

 

Une œuvre de feu – une œuvre de joie peut-être – parmi la tristesse et les larmes. Et les poignards sortis de leur fourreau...

Et le silence sur toutes les crêtes abruptes et dans tous les paysages couverts de rage – et gorgés de sang. Comme deux ailes frémissantes emportant les cris et le langage – les peines et les angoisses dissimulées dans tous les intervalles de la nuit...

 

 

Ces bruits – tous ces bruits – au-dedans de l'âme et du silence...

 

 

Sur les pierres, le silence des retrouvailles malgré les gorges et les mains conspiratrices acharnées à détruire la terre – et à anéantir les arbres et les bêtes – pour quelques pièces supplémentaires...

 

 

Le silence sera notre ultime testament. Et le dernier legs – le dernier lys – de la terre...

 

 

Des étoiles et des alliances. Quelques menaces et quelques coups – à foison en vérité – qui offrent à la terre un destin insupportable. Du sang et cette danse tragique des ruminants – ces bêtes sorties des étables, des usines et des maisons. Et la mort plus funeste encore...

 

 

Au détriment du ciel, de la beauté et de l'innocence – de cette innocence si vive et nécessaire, les grimaces et les mensonges – l'avidité et l'ambition – et la vengeance parfois. Le pire de l'homme qui partout exacerbe la détresse...

 

 

La parole comme un miroir – et les mille reflets de notre visage. Tous les portraits du monde réunis en quelques signes...

 

 

Chimères, frénésie et stupeur. La terreur et la certitude du pire. Comme rempart – et défi – à la beauté – à toutes les beautés – que nous convoitons – et dont nous nous emparons de façon si déloyale et agressive...

 

 

Un chemin, mille perspectives pour une seule fin – toujours...

 

 

Attachés à ce destin sans vigueur, sans valeur, sans vigie où triomphent la fureur, la terreur et la mort, le cri et l'élan primitifs des bêtes qui rampent, à pas lents, vers le silence qu'aucune lumière n'est capable d'éclairer encore...

 

 

Des chemins et des passages parmi les dédales trop fréquentés où ne s'aventure jamais aucun visage. Et qu'empruntent pourtant les sages – et quelques poètes solitaires – dévisagés par les foules et défigurés par le monde qu'elles ont créé. La sagesse et la poésie comme deux ailes, fragiles, qui toujours éloignent des atrocités et des monstruosités nées de l'ignorance...

 

 

Mains rouges à force de coups et d'attente – fébriles – et rompues à tous les désastres. Et le cœur noir – immobile – somnolent dans toutes les impasses privées de lumière où l'espérance a remplacé l'Amour...

 

 

Inattentif au jour comme à la nuit. Les yeux rivés sur le lointain – la promesse. L'âme enfermée – attachée au plus obscur du monde. Livrée à ses instincts de bête enragée – et affamée de lumière – que l'on prive de toute pitance...

 

 

Un jour peut-être verrons-nous, parmi les ruines, les âmes s'agenouiller devant la lumière...

 

 

Rien ne demeure entre nos rêves. Pas même l'ombre d'une (quelconque) réalité. Pas même l'espoir d'une forme de lucidité pourtant si nécessaire...

 

 

Ce rouge primitif qui aura tout envahi – submergé les âmes et la terre – gorgé les sols – et éclaboussé jusqu'aux étoiles...

Et cette œuvre qui danse entre les rêves – et se fraie un passage parmi les âmes. Et ce bleu – ce silence – et cette lumière – qu'elle célèbre au-dedans même des veines – et au cœur de cette longue nuit que les hommes prennent pour un grand soleil...

Et cet exil et cette joie si proches qui confinent le sage – tous les sages – à une forme d'étrangeté et de familiarité inextricables – où le monde – et les hommes – deviennent simultanément des visages inconnus et des éléments de leur propre visage...

 

 

Un ciel, une terre, un océan. Et l'âme – échappée de son enfermement ancien – qui s'y glisse et frissonne...

 

 

D'un seuil à l'autre – d'un cri à l'autre – d'un deuil à l'autre – ainsi chemine-t-on vers l'immobilité et le silence...

 

 

Je n'existe que dans le regard de celui qui ne tue pas. Dans le regard de celui dont l'âme est défaite. Dans le regard de celui qui ne s’appartient plus. Je n'existe que dans cette main offerte qui panse et offre ce qu'elle reçoit – le plus précieux qu'ignorent les hommes...

 

 

Une langue. Quelques paroles. Cris d'abord – échos de la quête. Echelle ensuite vers l'inconnu – le plus vaste en nous infréquenté. Et silence enfin – et accueil de tous les rivages – et de tous les visages qui, de leur cachot, grimacent et crient. Et manière, peut-être, d'annoncer le chemin – et de baliser singulièrement chaque traversée pour que les chambres noires, un jour, s'éclairent – et que cessent tous les bégaiements...

 

 

Entre le dénuement et l'innocence se pose – et se posera toujours – le silence. Et son règne lumineux – sans crainte des bruits et des âmes...

 

 

Et ces larmes si fécondes – annonciatrices de toutes les joies...

 

 

Marchandises et machinations. Et la sordide réification de la chair et des âmes. Et partout le sang qui coule avec la pluie et les rivières. L’œuvre de nos odieuses – et pathétiques – civilisations humaines. Du bruit, des instincts et de la fureur. Cet appétit – et cette colère – indomptables – inconsolables peut-être – qui déchirent et éventrent la terre, les bêtes et les hommes. Et qu'aucun Dieu ne pourra apaiser. Mais qu'une longue agonie, peut-être, saura effacer jusqu'au plus âpre dénuement...

 

 

Entre déchirure et damnation, l'étroit chemin du langage et de la délivrance qui borde les charniers et les cimetières – le parvis des églises et le seuil des maisons où patientent les foules en larmes...

 

 

Et cette terre dévorée dont le souffle a été coupé – dérobé... encore capable, pourtant, de faire entendre son cri – ses gémissements. Une clameur sourde – presque inaudible – qui sort de la bouche et de l'effroi des arbres et des bêtes – et qui indiffère toujours les hommes, trop occupés à compter les bienfaits procurés par leur mise à sac sordide et leur sauvage exploitation...

 

 

Des bras, des fourches. Des seaux, des pioches. Et ces sourires si heureux de piller la terre – de mutiler ses membres pour apaiser leurs désirs, leur faim, leur appétit de confort et leur crainte de manquer. Et qui, du haut de leur règne – du haut de leur trône – ne savent plus distinguer, parmi les saccages et les carnages, le superflu du nécessaire – et confondent encore (et comme toujours) progrès et humanité – profit et animalité – en continuant à tout dévaster pour alimenter leurs effroyables chimères...

 

 

Des bruits encore parmi l'herbe et les lilas en fleurs. Parmi les roses et les fruits posés sur les tables – à l'abri d'aucune menace – d'aucun climat – où s'amoncellent les chagrins et les déchirures – et le besoin mortifère de se dresser plus orgueilleux encore malgré les larmes et les blessures...

 

 

Une nuit, des cicatrices. Signes de toutes les indifférences – et du combat inutile de l'homme pour vaincre – et corrompre peut-être – les horizons. Ce qu'attestent les sentiments – tous nos sentiments ; peurs, désirs, infamie. La banalité si commune des hommes que fustigerait toute sagesse...

 

 

Une lanterne, une pelle, une horloge. Les outils de toutes les balivernes pour éclairer peut-être la fouille et le temps. Les travaux des champs et la besogne des ouvriers et des usines. Toute l'indélicatesse des hommes. L'absurdité et le gâchis. La terre transformée en désert couvert de mines, de puits et de chemins – ceinturé de murs et de barrières. Les montagnes sculptées à la dynamite. L'or, les océans, l'air, l'eau et les grands espaces confinés – soumis à toutes les convoitises – transformés en instruments de règne et de pouvoir. Les premiers pas et les derniers soupirs de nos absurdes civilisations que fera peut-être éclater, un jour, l'arrivée impromptue (si dévastatrice et salvatrice) du silence...

 

 

Misère et tenailles apparemment invincibles. Souvenirs et tirades absurdes. Eglises et musiques enivrantes, si promptes à massacrer le silence. Et cette nuit magnifique – maléfique – idolâtrée dans la solitude des chambres – sur les murs des salons – et dans les rues et sur les esplanades des villes. Et ce grand embarras dont se chargent les âmes et les bras. Et les pistes de danse où tournoient inlassablement les têtes et les pas...

 

 

L'herbe et la danse silencieuse des étoiles. Et nos âmes assoupies qui sommeillent encore parmi les rêves...

 

 

Inquisitions, perquisitions, expulsions. Châtiments. Meurtres, massacres et tueries. Expropriations. Empreintes de haine et de domination. Le lot commun – et le sort – que nous réservons à ceux que l'on prive d'existence et de paroles – à ceux dont la place, le langage – et la dignité – n'ont pas été reconnus.

Quel étrange – et atroce – océan – et quels effroyables vents, vagues et marées avons-nous créés là avec cet Amour vaincu – pendant – invisible, à notre bandoulière. Inapte encore à estomper la rage et la faim – à apaiser les embarcations d'infortune plus soucieuses de croître – et de conquérir encore – que d'accoster en des terres inconnues – et si libératrices pourtant...

 

 

Des croyances, des épreuves, des examens si nécessaires à l'essor des contrées, au prestige des visages, à la gloire des noms et des conquêtes. Civilisations insensées et sans morale vouant un culte à la puissance et à l'aveuglement. Et tombeau de toutes les innocences – de la lumière et du silence. Reléguant l'Amour au désir, à l'attachement et aux fantasmes de la jouissance et de la propriété...

 

 

Le silence humble, et si admirable, des bêtes face au destin – aux épreuves et aux circonstances, si souvent façonnées (fomentées) par les hommes – qui relègue (confine) la parole humaine à d'indignes et puériles gesticulations de l'esprit face à la peur et à la souffrance...

 

 

Le mythe et les mensonges de la prospérance(1), voilà où (nous) mènent le progrès(2) et la croissance(3) – cette course folle et insensée vers le confort et l'abondance...

(1) Prospérance : espérance et errance de la prospérité...

(2) Le progrès technologique.

(3) La croissance économique.

 

 

Il faudrait s'écarter des digues et des cités – et aller à cloche-pied au hasard des chemins pour remonter à rebours ce que nous avons abandonné depuis si longtemps...

 

 

Des cordes et des glissements. L'infortune des experts – et de toute prédiction – pour s'extirper du hasard – mettre la pensée en congé – et se libérer de tant d'horreurs...

 

 

L'atrocité cessera avec l'innocence – présente déjà sous nos gestes – et à l'origine de la main et des premiers pas...

 

 

La vie, un chant. Quelques forces à réunir avant la lutte – le combat – pour adoucir les bouches et les mœurs – reléguer les chagrins au souvenir – et faire fleurir le miel sur les destins. Voilà l'âpre – et rude – besogne des poètes, des sages et des enfants...

 

 

L'automne, la foule et les pleurs inconsolables de la terre sur les dépouilles – les charognes rongées par le temps, l'inconscience et l'insouciance des hommes...

 

 

Nager toujours entre la lumière et les eaux sombres sans ménager ni les mirages, ni les bourgeois, ni l'inertie ni la bien-pensance des élites. S'éloigner du pouvoir et du règne de la domination. Se faire discrètement sauvage – et incivique – parmi les foules et les conventions meurtrières. Vivre en fantôme anonyme. Et œuvrer à sa tâche dans la solitude et le silence pour qu'adviennent, un jour, l'invisible et l'enchantement...

 

 

Assis au-delà des rivages – au-delà des époques – au-delà même du ciel visible parmi la mélancolie et la rage de voir la vie, la terre et le monde se transformer en lieux gauches, inutiles et assassins où la mort – sans promesse – devient le prolongement de tout – de chaque geste et de chaque parole. Où les cris et les pleurs deviennent la seule couleur de l'épouvante. Où le parfum d'après n'est qu'une ligne horizontale sur les tombes. Et où le rêve et le froid ont partout détrôné l'innocence et la joie – la promesse et la certitude des beaux jours...

 

 

Comme un cri au milieu de l'écho. Comme une pierre jetée au fond de l'océan. Comme le vent et les rivières prolongeant les destins. Comme l'illusion et les promesses de tous les rivages. Comme le sang qui coule en silence dans les veines – et qui tache les mains, la terre et le sort des bêtes et des hommes qu'aucun rêve ne pourra interrompre. Comme une marche lasse et pressée qui empile les barreaux sans être capable encore d'en percer les mystères – et d'en déchirer les secrets – pour qu'éclate, un jour, la vérité...

 

 

Un ciel bleu encore incompréhensible – insaisissable. Et des pèlerins par millions attachés aux graviers et aux bornes des chemins, amoureux des songes et des promesses – aveugles à la beauté – et à l'hurlante nécessité du silence – voués aux murmures et aux confidences des sages qui ont déjà foulé toutes les pierres – et apprivoisé le sable de tous les sentiers. Des foulées d'infortune en somme avec les yeux enfoncés dans les livres et les cailloux, refusant la grâce du vent et des arbres, déjà présents à la lumière...

 

 

Partisans de la lune et des ombres. Des étoiles et des passages ouverts par leurs aïeux. Insensibles aux vents et aux rivières qui parcourent la terre et le grand ciel – et réunis en un seul tenant – que les âmes, pourtant, distinguent encore – pour leur plus grand malheur...

 

 

Comme un feu qui ignore la flamme et le bois. Qui ignore le vent et la forêt – la cendre et l'étincelle qui l'a fait naître. Sensible qu'à la chaleur et aux yeux admiratifs qui le contemplent. Ivre de lui-même – fasciné simplement par sa folie et son étrange, et passagère, beauté...

 

 

Comme une arme agrippée par une main tardive qui galope à travers les siècles – qui saute par-dessus les destins – et bouscule les montagnes. Comme un sang inerte – asséché – qui rêve de sommeil et de jardins fleuris où pourraient pousser le songe et la sauge, l'eau et le pain bénis. L’élixir de jeunesse. Comme des cavaliers que n'emporterait jamais la mort. Comme un oiseau au vol frémissant parmi les feuillages de l'azur. Comme deux étrangers se retrouvant – et s'embrassant jusqu'à la mort – jusqu'au désir fou de s'unir malgré la terreur et les prières des âmes trop frileuses – si soucieuses que l'éternité dure encore un peu...

 

 

Ce qui fleurit dans le sang – ce que le ciel encourage – et que les signes ne peuvent dévaster. Ce qui libère des murs, des croyances et des carnages. Ce que les ailes portent malgré le poids des âmes et des chagrins. Ce qui se réjouit dans les limites et l'effacement. Ce que les frontières et la nuit interdisent. Ce germe en nous que nos poignards lacèrent. Comme si le meilleur, en nous si enfoui, dormait encore – et se délectait de tant d'ignorance...

 

 

Quelques mots pour enfoncer plus encore le secret. Comme si le cercle était impénétrable, les mains non traîtresses et les ventres non gorgés d’exigences. Comme si la marche ennoblissait les pas. Comme si le silence n'était pas terré derrière nos peurs. Comme si la terre se vouait déjà à la sagesse. Comme si l'antériorité du regard n'était qu'une fable. Comme si l'homme pouvait espérer encore...

 

 

La lumière, le sel du jour. Transformée en spirale – en labyrinthe peut-être – par nos yeux si noirs – si obscurs...

 

 

Avant l'oubli, il y a (il n'y a que) le malheur, la tristesse et la mort. Et après, la fin des abominations, la joie, le silence et la lumière. L'exil et la solitude – cet écart – cet éloignement – qui nous rapprochent du monde et des hommes. Cette distance – cette unité et cette réconciliation – qui nous rendent plus sages et plus vivants pour aller sereins – et sans inquiétude – parmi la foule, les malheurs, la tristesse et la mort...

 

 

Errance, exil et vide. Entre la nuit et le jour passent toutes les heures – et se dirigent les pas de tous les voyages – vers une seule direction...

 

 

Mille interstices où se faufiler entre le doute et l'interrogation – les savoirs et le mystère – l'incertitude et l'inconnu. Entre le silence et l'Amour...

 

 

Des pages et des miroirs. Des morceaux de nous-mêmes livrés en pâture à l'indifférence des foules, au silence et à l'incompréhension...

 

 

Ce silence obstiné dans l'écriture – et dans notre vie – qui donne à notre parole – et à nos gestes – cette incomparable blancheur. Comme le signe récurrent d'une transparence souveraine qui offre à nos livres – et à notre existence – des allures de fantôme...

 

 

Le destin – et ses ombres noires – qui se jettent sur notre vie. Comme précipitée vers la mort. Et cette déchirure qui persiste jusqu'au seuil du silence – la lumière...

 

 

Qui donc témoignera de ce passage... Si ce ne sont les noms, ce sera le silence. Le faîte de toute existence qui fut aussi son origine...

 

 

Le sang comme mesure de l'homme. Et le silence comme celle de l'infini. Et entre il y a le monde qu'il nous faut déconquérir – et les stigmates de la souffrance qu'il nous faut apprivoiser...

 

 

Le sable, le vent et la mort. Injonctions et impératifs du monde – et destin de l'homme. Soumis au désert et à la soif...

Labyrinthe illusoire – quasi fictif – où nous sommes retranchés – et qu'il nous faudra apprendre à effacer pour vivre dans la joie et le silence malgré la persistance du sable, du vent et de la mort qui n'auront plus alors qu'un goût de rêve, encore parfois – il est vrai – mêlé de sueur et de sang...

 

 

Au commencement est l'étranger. Puis viennent la peur et l'effroi avant que le silence nous convertisse en hospitalité...

 

 

Un chemin, un bâton, un viatique. Et le silence et la solitude du parcours. Du début à la fin. A chaque étape et bien longtemps après que ne s'achève le voyage. Et peut-être – et sans doute même – pour toujours...

 

 

Un chemin, une pierre. Des portes – innombrables – fermées. Et mille impasses. Le désert. Le néant et le désespoir. L'errance récurrente – quasi permanente – parmi l'impossible et l'impensable. Et le mystère irrésolu. Comme une énigme insoluble que nous portons à chaque pas – et au cours de tous les voyages. Et cette fenêtre accompagnante – invisible – enfouie dans un recoin de l'âme – où nous attendent la lumière et le silence...

Et cette hantise du sortilège où nous plonge notre ignorance. Comme si notre destin était de croire – et d'avancer sans savoir...

Et cette tyrannique paresse qui, sans cesse, nous soumet à la mendicité. A user de nos mains comme d'une tenaille pour arracher au monde notre pitance – et à en disposer comme d’un sac pour amasser – et nous emplir de ce qui nous manque. Clochards pas même célestes. Des doigts qui auront tout sacrifié : la terre, notre destin et jusqu'aux promesses du ciel – de ce ciel si incompréhensible – si insaisissable...

Et cette semence qui pousse dans nos larmes – entre le front et la main – sur ce sable que nous avons pris pour de l'or – parmi le sang et la mort. Et par-delà les siècles et les âges, le secret de cet Amour inchangé – de ce silence sur la page et les visages – de cette lumière encore voilée par trop de rêves et de sommeil...

 

 

De nulle part nous arrivons – nous surgissons. Et vers ce même lieu – inexistant – nous nous dirigeons – et en lui nous sommes immanquablement destinés à revenir. Avec tant de pertes en chemin. Mille deuils – mille abandons – nécessaires pour accoster sur ses rivages – ses mille rivages – qui scelleront notre destin au silence...

 

 

Du bruit partout. Des âmes encore. Et le silence toujours...

 

17 décembre 2017

Carnet n°120 Joies et tristesses verticales

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Qui sommes-nous sinon cette danse, ces cris et le silence... Qui sommes-nous sinon ce sang, ces souffles et cette furie, si violente et passionnée, des bouches et des mains... Qui sommes-nous sinon le désir et la fin de tous les règnes – et ce visage simple et indemne, épargné par les instincts...

Des toits, des montagnes, un ciel. Des arbres, des villes, la terre. Des hommes, des bêtes, des âmes. Et ce sang – et cette glaise – parcourus par les vents. Et derrière les rires et les pleurs de tous les visages, notre visage...

 

 

Une main blanche sur la roche dure et froide. La nuit et le sang gelés, charriés par les torrents. Dévalant les pentes et dévoilant la nudité parmi les couronnes neigeuses et les haleines encore haletantes...

 

 

Le reflet des paysages dans le miroir. Et nos baies vitrées éventrées par le présage des oracles. Offrant aux mains lestes une promesse de lune – et aux mains innocentes la clarté de l'Absolu...

 

 

Une averse sur notre solitude. Une fraîcheur dans l'obscurité. Comme une nuit – notre nuit – suspendue à la lumière. Et une ligne de crête où brillent encore quelques étoiles. La longue descente – notre longue descente – vers l'océan...

 

 

Entre le mirage et le miracle, la peau fine des espoirs. Le sacre maudit des promesses. Et les plus viles injures – et les pires menaces proférées contre le destin...

 

 

La présence poussée hors de nos frontières. Offrant le champ libre à l'absence la plus inintelligible et aux plus serviles soumissions...

 

 

La beauté éphémère du jour. Et le recommencement inespéré, chaque matin, du soleil. La survie poétique malgré l'âpreté des combats, la permanence du sang dans les veines – et sur les peaux balafrées – et la timidité des âmes rompues au sommeil...

 

 

Le parallèle des histoires au creux des destins – affranchi de tous les hasards...

 

 

La parole (poétique) comme seule réponse possible. Qui se glisse ouvertement entre le silence et la désespérance, si interrogative, des âmes...

 

 

L'ombre du cri et l'écho des pas. Ce que nous pardonne le soir. Cette fuite insensée. L'exil et le refus de la plus grande familiarité. Ce que nous ne pouvons vivre encore...

 

 

Ce qui soulève les montagnes – et agite les corps sous les draps matinaux. Ce que nous cherchons dans tous les creux et parmi les eaux les plus vives de la terre. Cette douceur qui bat aux tempes. La calèche des heures oisives – infiniment sereines. L'infini des océans qui accompagne nos pas – chacun de nos pas. Et cet espace entre les destins où sommeillent encore nos âmes...

 

 

Quelque chose nous attend – qui nous a été donné avant notre naissance. Et qui subsiste par-delà les existences. Et que notre ignorance a chassé d'une main trop leste. Et que nos pas et notre âme à présent s'évertuent à retrouver...

 

 

Un jour, la chair deviendra le lieu de toutes les promesses. Le terrain de l'envol. L'espace où se précipiteront les âmes pour rejoindre l'aurore...

 

 

Aujourd'hui, nous errons encore entre les montagnes et l'océan parmi les routes, les visages et les cités. Parmi les âmes en prière qui patientent dans le bruit des bottes – le vacarme et l'amoncellement des pas, ignorant l'usage des meurtrières où se terre pourtant (et depuis toujours) notre silence. Cette immobilité tant recherchée...

Et nous vivons comme des monstres aux mains vides tournoyant dans la nuit et les siècles. Enveloppés de vapeurs, de désirs et d'espoirs. Cherchant dans la parole et sur les visages une présence qui nous échappe encore...

 

 

Seuls dans l'immensité. Et nous respirons encore... Et nos pas cherchent les traces des plus sages expériences – en se recueillant (parfois) en d'étonnantes révérences devant les assemblées réunies à l'aube. Et nos bouches émettent – laissent jaillir – quelques paroles. Epellent – et égrainent – le nom des rivières et des montagnes. Dénoncent les guerres et l'infamie humaines. Et crient leur soif, contentée, de temps à autre, par le chant des ruisseaux et l'ascension des collines. La solitude dans l'immensité...

La peur alors se rétracte. Le désir de sagesse se fait plus vif – élargit jusqu'aux plus sombres horizons. Et éclaire les plus étroits passages vers l'autre rive. Le courage et la colère disparaissent. Et, soudain, nous y sommes (déjà) – avec sur nos épaules, et dans notre maigre besace, le cri et l'innocence des bêtes – et Dieu et son, si sage, silence. Et nous veillons – et veillerons encore – affublés de trop d'impatience et d'espérance, la venue, sans doute, trop tardive des hommes...

 

 

Comme l'innocence des premières fois – mais revisitée, indéfiniment revisitée, par la sagesse et le silence. La maturité de l'âme – et l'Amour dans la main sereine et immobile...

 

 

Les chagrins en jachère. La tristesse enfouie sous la terre où poussent désormais les fleurs. Avec sur chaque pétale, la marque de Dieu et du silence...

Après tant de chemins et d'errances – et de contrées parcourues – où nous avons enfoncé nos malheurs et nos désirs – et fait fleurir l'espoir d'autres régions – et d'autres rivages – nous avons appris l'immobilité qui ne nous avait pourtant jamais quittés – mais que nous avions oubliée... Et les volontés – et les exigences – se sont retirées. Et à présent ne demeurent plus que cette terre vierge, le sourire et la fêlure de l'argile – et ce long fleuve (éternel) où nos pas seront comptés...

 

 

Une heure. Une lumière où s'éloignent les désirs – et où s'estompent les songes. Comme une aurore. Le sillage d'un navire, imperturbable, qu'accompagne le cri des oiseaux. Une ligne furtive sur la mer – recouverte par les eaux...

 

 

Ceux qui nous habitent ne pourront mourir. Un jour, pourtant, nous les abandonnerons au silence – à cette lumière impénétrable depuis les rives. Et nous deviendrons leurs visages. Ce qui en nous traversera les jours et les siècles...

 

 

Des pas et des paroles chargés de silence. Et, au loin, le sourire inattendu de la lune. Et les mains qui applaudissent tous les astres qui louent notre humilité et notre dévouement pour la lumière...

 

 

Ce que nous avons construit – et construirons encore – s'effacera. Ne subsistera que cette demeure inhabitée, insoucieuse des voix et des directives qui poussent les hommes à bâtir – comme une malhabile façon de combler la solitude et le silence – et d'essayer de guérir l'âme froissée par tant d'insignifiances et d'impuissance...

 

 

Ici ou là-bas, qu'importe... Tous les échos, à présent, s'amenuisent – meurent déjà – happés par cette solitude silencieuse – effacés par cette lumière hors des siècles sur la jetée que prolonge l'infini...

 

 

Un plateau, des songes et des victuailles. Cette terre sans recours. Et nos yeux, si fatigués déjà qu'épuiseront plus encore l'espoir et les chemins. Nous ne parviendrons, sans doute, au bout de la route. L'exténuation nous terrassera bien avant le début du voyage...

 

 

Nous avons oublié les calculs des hommes et du soleil. Cette litanie des temps anciens récusant les Dieux et encensant Copernic et Galilée – et toute la clique des figures trop fièrement mathématiques et philosophiques, nourries d'équations, d'algèbre et de géométrie – et de phrases trop lourdes, trop longues et trop alambiquées – infréquentables – infranchissables... Nous avons préféré affronter les cauchemars de l'incompréhension et la désespérance – traverser les solitudes de part en part – et nous réfugier dans le ventre des rivières et du vent qui ont effacé les blessures et les éclats laissés par la foule – ces hordes de visages privés de tous les soleils – et de cette lumière inaccessible aux calculs...

 

 

Quelques efforts, un peu de volonté, jamais ne nous aideront à nous hisser jusqu'au soleil. Sans doute sauront-ils nous faire toucher le visage, un peu rugueux, de la lune – converser avec quelques étoiles lointaines – et visiter quelques planètes encore inconnues. Mais jamais ils ne parviendront à nous emplir – et à nous apaiser – de cette lumière qui s'offre spontanément – et si naturellement – à l'innocence – et à tous ceux qui ont su abandonner leur âme au silence...

 

 

Le silence comme une rengaine sans parole où nous serons jetés un jour. Et qui recommencera à chaque heure – à chaque instant – jusqu'à l'improbable fin des temps...

 

 

Une chambre, une nuit. Enfermées depuis toujours dans l'espace clos des désirs – entre les frontières de la haine, ces vies si minuscules où se glissent les cris et les gémissements comme des appels au secours – et des grimaces dans l'obscurité – lancés à la lumière pour qu'elle nous sauve de notre sommeil...

 

 

Un matin aussi sombre et hasardeux que la nuit. Des ombres, des voix, des cris. Le sommeil qui persiste jusqu'à midi – jusqu'aux heures les plus chaudes du jour. Et qui nous consumera jusqu'au soir. Semaine après semaine. Année après année. Ainsi, sans doute, traverserons-nous la vie, les siècles et tous les âges. Dans cette somnolence sournoise et diabolique. Comme de fragiles – et provisoires – survivants du temps...

 

 

Cet autre pas ravi du silence, des échos et des bruits qui s'avance sans un mot parmi les visages...

 

 

Un seul jour peut-être à travers les siècles où le silence saura nous apprivoiser...

 

 

Ce deuil de nous-mêmes que nous portons, sans même le savoir, à travers nos rires et nos angoisses – le tapage de nos vies confinées – la fierté et le luxe, si ostentatoires, de nos postures et de nos accoutrements. Et cette honte, si tenace, qui respire derrière nos éclats... alors qu'un peu de silence nous ouvrirait, sans doute, aux joies simples et discrètes de l'innocence – à une existence humble et authentique – à ce que nous sommes profondément – et qui nous manque si cruellement aujourd'hui...

 

 

Quelques paroles dessinées sur le sable, prêtes et ouvertes aux joies de l'effacement. Comme un murmure offert au silence qui sait déjà...

 

 

Le sang. Et le cœur encore avide de tortures, sous la tutelle de toutes les dominations – menaces, exactions, saccages, massacres, tueries – ne cessera son œuvre odieuse et terrifiante qu'avec l'extinction du délire et des fantasmes – la fin de l'usurpation – le retour à de plus saines et naturelles ambitions...

Et ces cris comme un aveu d'impuissance. La continuité de cette longue nuit d'épouvante. La face la plus sombre – et la plus rouge – du monde et des hommes, offerte à la terre déjà gorgée de mort et de dépouilles...

 

 

L'homme comme un animal réfractaire à l'éducation – aux mille éducations – nécessaire(s) à l'avènement d'une véritable civilisation – portée par l'Amour et la beauté – le silence et la lumière...

 

 

Qui sommes-nous sinon cette danse, ces cris et le silence... Qui sommes-nous sinon ce sang, ces souffles et cette furie, si violente et passionnée, des bouches et des mains... Qui sommes-nous sinon le désir et la fin de tous les règnes – et ce visage simple et indemne, épargné par les instincts...

 

 

Des toits, des montagnes, un ciel. Des arbres, des villes, la terre. Des hommes, des bêtes, des âmes. Et ce sang – et cette glaise – parcourus par les vents. Et derrière les rires et les pleurs de tous les visages, notre visage...

 

 

Une terre et un ciel sans broussaille ni nuage. Un océan sans rivage. Une plage déserte. Un monde, un feu, des cris. Une tristesse. Et derrière les larmes, cet énorme fou rire comme si seule la dévastation pouvait être consumée...

 

 

Et sous les abysses, cette étoile à naître que nos mains enfanteront à la fin de tous les désastres...

 

 

Un jour, un voyage. La fin annoncée des désirs – de tous les désirs. Un soupir et une colère suivis d'une interminable tristesse – réduite bientôt en cendres par la beauté émergeante, enfouie depuis toujours au fond de l'âme et des paysages. La lente avancée du silence – et le sacre prochain de l'innocence...

 

 

Un phare peut-être au milieu de la mer. Au milieu de nulle part. Une vigie inconnue au dedans de tout ; choses, bêtes et hommes. Tous les visages de la terre...

 

 

Une main levée qui frappe – qui se protège et implore. Une main avide et sournoise qui saisit et s'empare – qui vole, prête et caresse – et qui offre parfois, sans même le savoir – sans même le vouloir – ce qu'elle cherche à travers la multitude de ses gestes...

 

 

Le silence. L'autre versant du bruit et de la parole. L'autre versant du monde que nous ne savons voir encore...

 

 

Jamais nous ne viendrons à bout des vents. Jamais. Mais nous pourrions leur abandonner nos voilures. Nous y gagnerions, incontestablement, en simplicité et en innocence. Et nos chemins deviendraient enfin naturels, livrés non au hasard et aux instincts mais au destin et aux visages – aux virages et aux paysages (véritables) du voyage...

 

 

Des bruits et des blessures. L'humanité criante et implorante – immensément fragile, pugnace et déterminée – tantôt vive et ivre de désirs et de liberté tantôt agenouillée, famélique et pitoyable, défaite par ses propres instincts...

 

 

Cette lumière et ce silence qui frôlent les âmes – et la chair – sans jamais les atteindre. Comme si elles ne pouvaient être touchées – et meurtries – que par les coups et les cris. Les brimades et les caprices incessants du monde et des hommes...

 

 

Tout est là déjà qui s'enfuit. Les élans, les éléments et leurs conjurations. Le destin, les circonstances et ce qu'elles consacrent. La beauté et la mort. La grâce et les sortilèges. Les joies et les malheurs. La lumière et le silence. Les fondements – et la nature même – de notre identité. Tout ce qui accompagne nos dérisoires foulées sur les chemins...

 

 

Ce qui vient, s'éteint et va mourir. Et qui meurt déjà et s'efface malgré notre inquiétude et nos larmes. Cet essentiel si dérisoire devant la vie – devant la mort – si magistrales à leurs heures. Et si tragiques malgré nos rires. Ces torrents – ces avalanches – et ce mince filet d'eau tranquille qui s'écoule sans bruit – si anonyme – si impersonnel – parmi les visages que l'on devrait sans doute en sourire de notre vivant – et à notre mort – et peut-être bien plus longtemps après encore...

 

 

La longue déroute. La longue défaite de nos vies et de nos âmes. Les existences et les circonstances furtives qui nous laissent un goût amer mais qui nous frappent insuffisamment pour fracasser nos repères, nos croyances et nos certitudes – et nous ouvrir à une forme d'hébétude permanente, si nécessaire au sourire et à l'acquiescement joyeux que réclame notre si brève traversée des jours...

 

 

J'aime ces âmes rétives et tristes qui s'interrogent – et refusent les mensonges, les faux-semblants, les facilités et les jeux, si sanglants, du monde. Ces âmes terrées avec tant de hargne dans leur solitude qui regardent les hommes avec honnêteté sans jamais désespérer de voir, un jour, l'ignorance et la bêtise remplacées par l'innocence et la lumière...

 

 

Et ce rire parmi nos certitudes qui dévaste nos croyances et nos (si) risibles allégeances. Cette soumission au pire pour éviter l'effroyable que rien jamais ne pourra contenir sinon la lumière...

 

 

Aux premiers jours – aux premiers pas – apparaît déjà ce qui doit être enfanté et bâti... Et qui est né bien avant la première aurore...

 

 

En fin de compte, nous n'hériterons que du silence. Et de ce regard sans inquiétude sur la vie et le monde. Tout autre legs est – et sera toujours – partiel et apocryphe – qu'une aide à vivre plus doucereusement – qu'une manière plus aliénante encore de lier nos vies et nos mains aux compromissions – qu'un ajournement de la seule liberté possible – comme un détour inutile vers notre réelle figure...

 

 

Entre l'inspir et l'expir, le souffle et la parole, la parole et le silence – entre l'aube et la nuit – le jour et le crépuscule – cette lumière qui ne peut mourir. Des milliards de fois recommencée dans cet étroit passage hors du temps...

 

 

Tout n'est qu'abstraction et furtives traversées dans le silence. Brèves apparitions. Incertitudes et échos illusoires peut-être qui passent, le temps d'un souffle, dans le regard...

 

 

Après la fête, il ne restera sans doute que quelques tréteaux rongés par le temps et la pluie, oublieux des nappes et des victuailles – et de toutes les espérances qu'ils portaient... Et nous irons dès lors dénués de souvenirs et de désirs parmi les herbes folles des jardins abandonnés – laissés en friche – sur des sentiers invisibles qui se dessineront à notre passage et s'effaceront aussitôt – à l'instant même où notre pas foulera les herbes suivantes. Avec partout, autour de nous, la danse sereine des insectes, des bordées de chants presque inaudibles, des parterres de fleurs fragiles et éphémères, le silence des arbres et le ciel aussi vaste que notre oubli et notre lumière...

 

 

Tout s'efface – et est perdu déjà – avant même que nos mains ne s'en saisissent. Et pourtant rien jamais ne disparaît. Tout recommence toujours l'instant suivant pour que demeurent les chemins, les pas et le silence...

 

 

Le vertige de toute présence. Comme le reflet de la lumière – et le plus juste écho du silence. Comme un silence – des silences – dans le silence. Comme une lumière – des lumières – dans la lumière. Comme une présence – des présences – dans la présence. Comme une boucle immense portée – et nourrie – par tous les visages qui, à chaque instant, renaît et recommence...

 

 

[Modeste hommage à Alain Suied]

Nous sommes ce que jamais nous ne pourrons connaître... Le lieu de tous les passages. Ce visage au dedans de tous les visages. Ce rivage au cœur de tous les rivages. L'infini du ciel. Cette lumière qui éclaire le jour et la nuit – au fond de toutes les âmes et de tous les paysages. Cette trame tissée peut-être de rêves, de vérité et d'illusions...

Et une fois trouvée sans doute serons-nous enfin capables d'aller sereins parmi les songes et les foules, abrités des plus fabuleux déserts...

Comme un silence au milieu des rires. Et un rire au milieu du silence...

 

 

Comme un moine attaché à sa cellule et à son labeur, je traverse les jours, les joies et la solitude de l'âme...

 

 

L'âme vouée au triste – à cette sensibilité si vive. Comme une fumée blanche et fragile sur la chair que ni le monde ni la terre ne peuvent libérer. Et qui n'a qu'une espérance ; le ciel et son accueil. Comme une lumière dans ses tremblements qui la détacherait de ses ombres...

 

 

User l'os jusqu'à la rupture – jusqu'au parallaxe – pour découvrir la chair enfin nue, libérée de son support. Comme une âme défaite de son ciel – et de toute espérance. Un regard grandiose d'infinie simplicité. Ce vers quoi mènent tous nos élans. Et tous ces jours passés à s'extraire de sa gangue noire. Cette propre perte qui nous appelle au dedans de nous-mêmes. Cette apocalypse si proche...

 

 

La rencontre d'un poète – d'une sensibilité (proche de la sienne) est une joie – et une fête pour l'âme. Le pari qu'une autre vie – plus belle – et qu'un autre monde – plus vivable – sont (encore) possibles...

 

 

Cette chose en nous qui se débat entre le vide et le néant. Entre la joie et l'accablement – et qui jamais ne retombera sur ses pieds comme si le ciel – et les Dieux sans doute – avaient retiré tout appui et les tapis – tous les tapis – où elle aurait pu se tenir debout. Comme s'ils avaient pour elle d'autres projets – plus ambitieux ; l'incertitude et l'inconnu. Le sacre de l’incertain et du silence...

 

 

Le jaillissement de l'insoupçonné entre – et au dedans même de – nos certitudes. Comme le plus exact parmi toutes nos vaines croyances. Ce que rien ni personne – pas la moindre circonstance – ni même la mort – ne pourra nous arracher : cette vérité insaisissable de chaque instant...

 

 

Et ce rêve de vie – et ce rêve de mort – qui nous les insuffle ? Et devrait-on les refuser ? Le vide comme remède – et absolution – à toutes les promesses – à toutes les pensées.

 

 

Cette boue, ces cordes et ces peaux décharnées, agonisantes dans les eaux sombres. Et cette poussière qui n'en finira jamais de renaître... et de mourir encore. Et l'autre versant du monde – et de la vie – que nous ignorons toujours. Combien de siècles nous faudra-t-il traverser pour arracher à notre âme ce destin – et ces oripeaux ? Combien de vies – et de lits de mort – devra-t-on souiller avant de pouvoir parcourir l'espace sans y jeter nos rêves, nos ombres et nos terreurs ?

 

 

Et nous errons encore au milieu du désert – au milieu de nulle part – de tous ces lieux qui ressemblent à des cités – où les hommes ne sont que des ombres sur leur orbite – qui tournoient de façon si hasardeuse. Des cellules vides où ne règnent que la brûlure du manque et la solitude – toutes les absences. Où l'accueil se cantonne à recevoir – et à prendre si souvent – ce qui nous est nécessaire alors qu'il faudrait plonger au cœur de l’âme pour faire naître le seul Amour possible – la seule humanité nécessaire – pour créer un monde différent du monde – des lieux et des cités gorgés de présence afin de nous guérir, peut-être, de toutes les absences...

 

 

Seul. Et le néant encore malgré la lumière et le silence. Comme la marque la plus tangible – indélébile peut-être – de notre existence. Rien ni au dedans ni au dehors. Que des ombres et des mondes. Et rien que des peurs malgré la présence, partout, de l'invisible...

 

 

Que deviendrons-nous, nous autres qui n'avons jamais été... Demeurés sans doute – enfermés plus sûrement encore – et aveugles à toute évidence. Mais libres de devenir... Et nous finirons (probablement) comme un fruit pourrissant dans le silence. Détaché de l'arbre – et retrouvant sa source pour d'autres périples et d'autres voyages. Une intelligence à naître peut-être parmi la bêtise, les agonies et le secret des Dieux...

Et nous guetterons ainsi, à chaque nouveau printemps, les nouvelles pousses sous les arbres fruitiers parmi l'herbe et les chaises vides abandonnées là par le monde et les hommes...

 

 

Peut-être ne sommes-nous, après tout, que ces pages, cette main et ce labeur qui couchent les mots sans voir – ni comprendre – d'où ils viennent ni où ils vont... Comme un aveugle voué à sa tâche – et la preuve peut-être qu'une vie suffit à la vie – et qu'un homme se suffit à lui-même – et que le monde n'a besoin de personne – et qu'il nous faut aimer notre solitude et notre impuissance pour que notre labeur, notre main et nos pages demeurent dans la joie, le silence et le dénuement...

 

 

Le temps comme un tatouage peut-être qu'effaceront les siècles. Et qui meurt déjà au fond de chaque instant...

 

 

Les visages qui tournent en rond autour du même cercle : leur figure sans nom où viendront, un jour, se poser les âmes...

 

 

Quelques pas sur le tapis rouge qui serpente entre les arbres. Invité là par la forêt et quelques nymphes des collines peut-être. Convié à la cérémonie grandiose du silence à laquelle seule peut se rendre la solitude – notre solitude...

 

 

L'autre côté du monde où tout est oublié. Comme le reflet, le plus fidèle, de la nudité originelle – où les âmes passent à travers les siècles pour éclairer l'autre versant – le côté sombre où nous habitons...

Et au milieu des reflets, ces routes épaisses où s'agglomèrent (encore) le sang et la sueur – le fruit de nos rêves et de nos angoisses. Et ce soleil sur les pierres sèches et les âmes décharnées qui cherche à pénétrer ce qu'elles abritent derrière leur fierté maladive et leurs faiblesses – ce qu'elles ont, sans doute, de plus fragile et de plus précieux...

Et notre visage prisonnier de tous les miroirs – et des mille reflets trompeurs que lui renvoient le monde et ses figures légendaires... Comme des paysages infranchissables – une pente insensée – qui nous feraient glisser du côté de la nuit et des ombres. Comme voués à une éternelle bascule qui nous ferait tomber sur les pierres dures et froides derrière les murs et la vigie encore indistincte. Avec ce goût de sang et d'impuissance dans la bouche et au fond de nos âmes meurtries...

 

 

Les joies verticales au carrefour de toutes les horizontalités. La lumière qui court parmi les âmes et les visages. Et le silence où tout est ressenti ; formes, mouvements, mort, naissance, élans, essais, échancrures, nudité de l'ascendance, gravité de la chute. Infini et évanescence. Temps et éternité. Rêves, images et agissements parmi la roche et les feuillages. Vents et dialogues. Plaintes, murmures et gémissements. Et la voix même du silence derrière notre silence...

Comme le jeu, les jouets et le joueur réunis en une seule main dans la solitude de la chambre...

 

 

A hauteur de lumière – à hauteur de poussière – tout est vu. L'ombre et le soleil. Les corps, les âmes et leurs élans. Ce qui cherche le silence – et ne peut lui échapper...

 

 

Léger. Trop penché. Assis. Debout. Perché. Partout l'équilibre pourvu que nous résistions à la tentation du socle – à cet appui qui nous enlise – et nous fait chuter – quel que soit le mouvement...

 

 

Le dialogue ininterrompu entre l'âme et le silence malgré le vacarme et les cris – les assoupissements et les renoncements durables (bien que provisoires) à la lumière. Comme si le ciel savait déjà ce qu'ignore la terre – et lui en offrait le privilège malgré ses résistances, ses refus et son ignorance...

 

 

Aujourd'hui nous pouvons sourire de nos déboires – de cette défaite perpétuelle qui a parcouru (et qui parcourt encore) nos jours – du premier au dernier – de toutes ces pentes où nous avons glissé – avec notre âme derrière nous qui résistait (de toutes ses forces) à tant de facilité pour nous tirer vers la montée... De toutes ces sentes – et de toutes ces impasses – où nous ont poussés notre embarras et notre curiosité. De nos efforts pour échapper aux précipices et conduire nos foulées loin de l'abîme. De cette vie – ces petits riens – qui, au bout du compte, ne nous auront rien appris. Ni à vivre ni à aimer. De cette longue glissade vers le néant qui nous a éloignés de l'autre versant du monde et de la vie : le vide – et leur sommet commun, la lumière et le silence – accessibles de l'en-bas – par tous les en-bas – comme une verticale insensée où la chute et l'ascension se rejoignent...

Aujourd'hui nous pouvons aimer notre dénuement – cette dépossession de tout qui abrite – et offre – les plus grandes richesses, insaisissables par notre main – et plus encore, sans doute, par notre cœur... Cet hiver au creux – et au cœur – de toutes les saisons. Ce soleil, si fragile, à toute heure du jour et de la nuit. Ce silence obstiné que ne peuvent entamer ni les bruits ni le monde. Cette lumière indomptable qui éclaire les plus épais brouillards. Cette marche incessante parmi les foules et les visages – les cités et les déserts. Toutes ces merveilles qui se transforment sans jamais mourir...

 

 

Le sombre et lumineux poète des jours et du silence. Et des apparents paradoxes...

 

 

Délits et délires. Comme des embarcations de lumière pour les âmes en transit...

 

 

Une invitation à l'immobilité parmi les routes et les visages. Et une main ouverte et précise – sans volonté propre – respectueuse et soumise aux circonstances. Comme le signe – la preuve – irréfutable d'une compréhension – et le défi continuel de chaque instant...

 

 

Nous sommes toujours un peu moins que nos prétentions. Et tellement plus lorsque nous les abandonnons. Nous sommes alors – devenons enfin peut-être – le ciel et le soleil. La pluie et les visages. Les rires et les pleurs. Et toutes ces mains tendues – toutes ces mains levées qui s'accordent – et s'écartent – à notre passage. Les chemins et les fleurs. Les pierres et la tristesse. Et cette grande joie – un peu mélancolique – de l'âme. Ce qui est là devant nous, le regard et ce qui passe. Ce qui s'éloigne et est déjà loin. Ce qui n'arrive encore – et ne naîtra peut-être jamais. Tous les possibles. Les circonstances d'ici et d'ailleurs. Tout ce qui nous terrassera – et nous effraye tant déjà. Tous les désirs, tous les rêves et tous les destins. Ce qui ne nous fera jamais mourir. Ce visage indemne et tous ses tressaillements nés de notre rencontre avec le monde...

 

 

Autrefois, il y avait des idées et des édifices. Une longue liste d'espoirs et d'activités – de projets et de choses à faire... A présent il ne reste pas même quelques ruines – ni élan ni velléité. Qu'un vent et une poussière libres de leurs parcours – et de leurs détours. Et un sourire ineffaçable sur nos lèvres. Cette figure qu'aucune chair – qu'aucun visage – qu'aucune circonstance – ne pourrait corrompre ni ternir...

 

 

Quelques fantômes encore pour exalter la fièvre, la peur et l'anonymat, si singulier, des ombres. Hommes réfugiés hors des surfaces – hors de toute épaisseur – que l'on voit prier – mendier – réclamer le peu nécessaire pour vivre. Une main tendue vers le rêve et l'enfant qui cherche une caresse et une chevelure à aimer – un peu de courage, de réconfort et de légèreté pour affronter les jours et les malheurs...

 

 

Une soif si ancienne – ancestrale – tournée à présent vers la pluie. Comme le signe non d'une résignation mais d'une possible compréhension. Le gage que les malheurs – tous les malheurs – sont une source – une rivière – un fleuve – auxquels s'abreuver. Et la preuve que toute fontaine est le lieu où coule une eau apaisante capable de désaltérer l'âme et la chair assoiffées...

 

 

Aux âmes désarmées, tout sera offert. La mer, la fleur et la rosée. L'herbe et le plongeon. Le rire et l'abandon. Le printemps au cœur de l'hiver. Le soleil et la pluie. Le sourire venu d'ailleurs. Le sel sur les anciennes fadeurs. La grâce. Le sang dans les veines. Le bonheur et la félicité du poème. L'aveu et les rendez-vous. La fin de tous les sommeils...

 

 

A la verticale du monde, cet autre sommet – inconnu – incompris – délaissé – qui s'offre aux innocents – aux âmes que les couteaux n'effrayent plus – et aux hommes et aux bêtes sortis de leur torpeur...

 

 

Cette saison derrière toutes les saisons. Ce visage derrière tous les visages. Cette lumière au fond de toutes les nuits. Et ce silence reclus dans toutes les paroles. Offerts à tous sans exception...

 

 

Nous sommes plus grands que nos ombres. Plus clairs que ce que nous cachons. Plus vifs que la lumière. Plus intrépides que nos lâchetés et nos pas prudents dans le noir. Mais pour y prétendre, nous devons nous démunir – et fréquenter l'en-bas – et le plus humble – puis nous redresser – et aller dans cette verticalité offerte par l'abandon – et tremper nos pas – chacun de nos pas – dans l'innocence. Alors tout nous sera donné – et révélé. Ce visage sans borne que nous dissimulons derrière nos désirs et nos ambitions...

 

 

Sous le sable, ce savoir qui ne nous appartient pas. Cette puissance sans détenteur. Cette lumière et ce silence dont nous serons à jamais les locataires. Ce qu'il restera lorsque le sable aura glissé – et se sera écoulé – entre nos doigts si malhabiles...

 

 

La pluie et le soleil encore. Au fil des saisons qui passent. Et ces vents frondeurs entre nos âmes, qui s'abattent sur nos mains et nos fronts rageurs. Et la poussière fidèle. Et le monde. Toute notre vie. La vigueur des fouets et des désirs. Les peurs recroquevillées sous la chair. Le devenir et l'ambition de croître plus encore. Ces larmes sur les visages. Et ces nuages dans le ciel gris – défait. Comme un masque dont il faudrait nous affranchir...

 

 

Ce qui jamais ne nous appartiendra mais qui est nôtre depuis toujours. Le dedans et les alentours. Cet infini sans frontière. Ce lieu sans ombre ni limite. Ce silence – cet Amour – cette lumière. Le soleil et ses tremblements. Tous les plis et les interstices de l'espace. Notre seule mesure – celle que nous pouvons vivre sans rien perdre ni gagner entre la pluie, le vent et le soleil. Ce qui demeure derrière les amassements et les abandons. Ce qui se conserve, intact, sans s'engranger parmi les ombres et la brume. Ce ciel sans âge où les anges et les démons cohabitent et se querellent sans jamais blesser – ni meurtrir – la chair et les âmes malgré le sang et les larmes versés...

 

16 décembre 2017

Carnet n°119 Entre les étoiles et la lumière, ce grand soleil inespéré

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Les bourgeons et le printemps. Ce dont nous ne pouvons nous défaire. Cette attente sans fin des promesses...

L'ailleurs, accouché des désirs, que l'on voit naître ici, au plus proche de notre attente...

La nuit et le jour introuvables parmi les figures du temps. Le chant des fous. Les rumeurs du monde. Ce que nous avons oublié depuis trop longtemps...

Les messages et les secrets. Ce que chaque rencontre porte malgré elle. Le cri des Dieux et le silence. Le plus fraternel du jour...

Le plus puéril de l'homme et le plus mature de l'enfant. Ce qui nous précède – et arrive sans bruit derrière nous...

 

 

Comme un puits de lumière où nous serons jetés un jour quoi que nous fassions – et quoi qu'il arrive...

 

 

Le plus sensible de l'âme...

 

 

La mer et les rivages. La chambre de l'âme. Cet Amour privé de mains et d'étoiles qui attend en silence dans la poussière. Notre soif et notre haleine. Ce qui nous effraye et dont nous n'avons (pourtant) rien à craindre...

 

 

Ce qui frappe à la porte – et se cache derrière les rideaux. Cette fissure, si fraternelle, de l'âme. Les jeux et les plaisirs d'un Dieu sans malice...

 

 

Les bourgeons et le printemps. Ce dont nous ne pouvons nous défaire. Cette attente sans fin des promesses...

 

 

L'ailleurs, accouché des désirs, que l'on voit naître ici, au plus proche de notre attente...

 

 

La nuit et le jour introuvables parmi les figures du temps. Le chant des fous. Les rumeurs du monde. Ce que nous avons oublié depuis trop longtemps...

 

 

Les messages et les secrets. Ce que chaque rencontre porte malgré elle. Le cri des Dieux et le silence. Le plus fraternel du jour...

 

 

Le plus puéril de l'homme et le plus mature de l'enfant. Ce qui nous précède – et arrive sans bruit derrière nous...

 

 

Les couleurs et la blancheur fidèle des retrouvailles. L'angoisse et le mystère. Les erreurs et le remords. L'inexprimé de tout. Cette part (de soi) que l'on ne peut perdre – ni même retrouver peut-être...

 

 

L'honnêteté et la tristesse du cœur abandonné à ses élans. Ce que le silence ne peut encore, si souvent, ni réparer ni fournir. Cette lumière enfouie dans tous les replis...

 

 

L'infortune – et ce que nous cachons au grenier. Comme un fruit – à la saveur intacte – abandonné là depuis des siècles. Dans cette entaille où la foudre ne frappe que trop rarement...

 

 

Ce lieu où rampe – et s'agrippe – la vie. L'immobilité – et le socle de tous les mouvements. L'origine et la fin du langage. Les danses. Et le silence qui nous attend...

 

 

Ce que contemple l'oiseau sur sa branche. Ce qui brille, si terne, dans la poche des hommes. L'exil de Dieu. La promesse de tous les royaumes...

 

 

Ce qui s'écoule de la chair rompue par la force et les armes. Ce qui suinte de la douleur. Le vacarme du monde. La peine des âmes. Et les larmes qui tombent partout sur le sol et l'adversité. Cette incompréhension de nous-mêmes...

 

 

Ce que la parole ne peut délier. Ce qui s'inscrit dans le plus vif silence...

Ni au dedans ni au dehors. Ce qui en nous veille, immobile...

 

 

Ce que le monde dérobe – et ce dont la vie nous prive. L'insaisissable à notre portée...

 

 

Le front bas et l'âme brûlante. Ce qui jouxte l'enfer. Le nom, le sang et les poitrines décimées effacés par les mains de l'orgueil. L'interminable continuité des jours...

 

 

Le plus tendre dont on ne peut s'emparer – et qui ne peut s'offrir. Ce qui se creuse – et se découvre – à mains nues. Ce que côtoie, à chaque instant, l'innocence de l'âme...

 

 

Le plus familier de l'homme – et ce qui lui est le plus étranger. Ce dont le monde, parfois, ne peut même se douter. L'inimaginable...

 

 

Le plus vaste de l'aube – et le plus invisible aussi. Ce qui s'étend jusqu'au crépuscule et traverse toutes les nuits...

 

 

Ce que la nuit ne peut cacher au jour. Et ce que le jour a toujours su – et ce qu'il incarne et a pris soin de dissimuler un peu avant notre naissance. Le chemin, la patience et la folie nécessaires pour le retrouver. Chaque foulée. Une vie entière. Et des siècles parfois. Un seul instant pour découvrir cette lumière...

 

 

Ni langue ni combat. Pas même une promesse. Le plus désarmé de l'espoir. Le plus bel exil. La fin des dictatures. Ce que nous vivions, enfants, avant la malédiction de la terre. Le moins déplorable, peut-être, du destin...

 

 

Cette partie oubliée de l'exil où se dessine l'aube la plus inattendue. N'importe quel matin...

 

 

L'équilibre du présent. Ce qu'enterre la mémoire – et ne peuvent faire advenir ni le futur ni les heures prochaines. La fin de toutes les prophéties. Et le jour encore qui se lèvera demain...

 

 

Les couleurs du monde, du ciel et de la neige. L'esquisse de tous les visages abandonné au sable et aux marées. Le temps à rebours. Le passé décomposé. Ce qui germe – et se libère – dans le poème. Toute vocation à naître...

 

 

Le rêve, les fruits et les fleurs. La suspension du printemps. Les mille saisons réunies en une seule danse. La promesse vivante de tous les Dieux. Ce que nul ne peut manquer. L'épuisement – et l'abandon de tous les chemins...

 

 

L'or et le soleil de la parole. Ce qui fonde et balaye les empires. L'insistance des vents. Ce à quoi nous sommes tous condamnés. La danse éphémère des papillons...

 

 

Ni havre ni détour. La continuité des existences – et de toutes les errances peut-être...

 

 

La promesse des jours. Ce qui reste après avoir brûlé nos secrets. Cette matière noire, et périlleuse parfois, aux justes proportions du ciel. Nos racines les plus inattendues. Cette trame tissée d'Amour et de désirs. Le moins maléfique du silence...

 

 

Nous sommes peut-être des visages au milieu de nulle part. Le monde couché au dedans des rivières. Le plus authentique du vent et des déserts. L'homme debout juché sur l'âme de tous les Dieux...

Et nos vies comme du bois mort – des écorces flottantes errant dans le silence...

Nous oublierons nos anciennes naissances – et le reste de notre vie. Comme une maison sans mur – un bâton tournoyant dans le vent. Comme une chaise vide posée sur les dunes désertes – dans l'immensité. Comme un mirage pour tous les séants et tous les visages. Le plus inespéré, sans doute, de la soif...

 

 

Un lieu comme nul autre. Un lieu comme mille autres. Et l'ardeur de la faim qui inquiète les bouches – et noue les estomacs. Le souffle de l'aurore sur la misère et l'infamie des siècles – sur la misère et l'infamie de tous les siècles. Et le lieu-dit de la sagesse, peut-être...

 

 

Ce qui est fidèle – et ne peut se dompter. Le plus clair des visages enfouis encore dans la nuit. Ce qui brille dans le noir comme de l'or...

 

 

Ce qui se chante mais ne s'atteint pas. L'espérance de toutes les morts. Ce qui nous délivre de tous les tombeaux...

 

 

Une forêt, une musique. La symphonie des siècles et des âges. Et le silence des jours qui passent...

 

 

Ce qui danse dans l'abîme après notre mort. L'oraison et les prières du silence...

 

 

Un jour, nous oublierons qu'il y a des matins et des cris insoutenables dans le monde. Nous jetterons au feu notre espérance, vivrons de peu – et peut-être même de rien – pour aller ensemble vers le plus pur des chants – et délivrer les foules et les oiseaux de leur cage. Nous libérerons alors la parole et l'innocence – et les poserons sur toutes les épaules et toutes les âmes – pour que tous les matins deviennent un seul jour – et les cris, un seul (et même) silence...

 

 

Un jour, le vieil océan ne sera plus. Et défaites nos angoisses. Envolées – et balayées par les vents. Et fondront sur nous toutes les mains de l'aube. Comme des caresses sur l'âme. Et la résuscitation des presque-vivants... Et la vie, l'Amour et la mort ne formeront plus qu'un seul corps – qu'une seule bouche. Et l'impossible sur les lèvres resurgira comme la seule évidence...

 

 

Ce qu'ignorent les vivants et ne peuvent encore deviner les morts. La transparence du mystère – et sa résolution. L'extinction des questions et le couronnement de toutes les errances. Le plus lumineux du langage et du silence...

 

 

Ni haine ni révolte. Le plus joyeux de la soumission. Le plus humble de la joie. Le plus ancillaire des dévouements. Ce qui offre aux vivants la perspective de l'inanimé. Le plus juste destin des créatures. Notre seul visage...

 

 

Un jour, la nuit nous réunira pour éparpiller nos rêves – et ressusciter cette liberté que nous avons troquée contre la servitude...

 

 

Ni fouet ni pierre précieuse. La flèche – et la main – de l'archer guidées jusqu'au silence. Et qui se dressent soudain pour fendre la nuit – et toucher avec la plus belle assurance – et la plus grande certitude – le visage de l'Amour. La figure hébétée de tous les Dieux...

 

 

Ni union ni séparation. Les plus étranges entrelacements. La bouche dénudée du désir et de l'orgueil. L'empreinte de l'invisible sur la chair. Le mariage inattendu de la conscience et du monde. Tous les fruits – et tous les baisers raisonnables et sauvages – de cet Amour si ancien...

 

 

N'importe quoi, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment – avec n'importe qui... Ce qui naît, vit et meurt dans la douleur. Et les plus grandes joies. Tout ce qui ne nous appartient pas...

 

 

Ce qui reste après l'amour. Le visage de la tristesse. L'âme séparée de sa tutelle. La raison et le hasard. Les soupirs et la damnation. L'ange qui boîte – et traîne le pas. Les incendies et les révolutions. Ce qui nous écrase – et veille sous le poids des baisers. Le croisement de tous les chemins. Les mille carrefours de l'invisible et du vivant. Cette frontière que ne peuvent franchir ni les âmes ni les étoiles...

 

 

Les fardeaux, les nuages et les coupoles de tous les mondes. Le plus tendre qui habite sous notre toit. Ce qui se laisse effleurer par la pluie et les vents. L'homme aux abois. Tous les messages de la terre. Et la promesse de tous les Dieux. Ce que ne pourra nous dérober la mort...

 

 

Ni règne ni partage. Ce qui nous porte à l'affliction. Les couronnes d'épines. L'espace que parcourent les pieds sur la colline. La croix et les châtiments. Ce qu'honorent toutes les églises. Tous les prêches. Et les aubes trop précoces...

 

 

Ce qui ne peut déterrer l'ombre – et qui la libère pourtant. Les murmures et les présages. Le plus innocent au dedans de l'homme que piétinent – et ravivent à la fois – nos ambitions. Le plus doux qui s'avance vers nous – et que nous giflons de la plus cinglante façon. L'inusure devant laquelle capituleront le temps, les conquêtes et les humiliations...

 

 

Le plus rare et le plus commun. Ce que le temps dévoile sous les rides – et derrière les paupières. Cette lumière qui traverse les heures, les siècles et les fois les plus chancelantes...

 

 

Nous ravalerons notre destin à l'heure venue. A l'instant du trépas. Au jour de la fin des siècles – de la fin du temps – pour aligner le hasard et la lumière sur la même ligne d'horizon. Et nous verrons alors venir – et se célébrer – l'agonie des soldats et le règne flétrissant des guerres. Le renoncement de tous les combattants. La fin des privilèges et des candidats. L'émergence de tous les postulants à l'innocence...

 

 

Entre le silence et la main, nous glisserons un glaçon sur notre langue – comme un suspens momentané de la parole – pour que résonne au fond des gorges cette douce mélodie du temps privé d'avant et d'après... Comme un oiseau sans cage sur les branches du printemps. Une pierre jetée au fond d'un étang. Ce que désirent les sanglots – tous les sanglots. Ce nom oublié dont se souviennent pourtant nos rêves les plus intrépides...

 

 

Un nom dans la nuit qui retentit comme un éclat. Un morceau d'étoffe sur la rage des paupières – sur cette fougue animale aux allures de promesse. Comme un instinct voué à toutes les peurs – et au sacre flamboyant du jour...

 

 

Nous aimerions embrasser tous les visages pétris dans la honte et les malheurs. Et voir les lèvres s'extasier de l'Amour dans la nuit sombre. Et apercevoir là-bas, au loin, se balancer – et mourir – entre les lueurs allumées dans la pénombre ce désir infini de sommeil...

 

 

On ne se souvient de cette vieille nuit – et reclus dans ses replis, le jour venu. Comme si la lumière effaçait nos chemins – rêvés peut-être... Ce glissement de la torpeur vers le silence – cette vivacité, si sensible, qui en nous depuis si longtemps sommeillait...

 

 

Nulle fenêtre où l'on s'endort serein. Un peu de repos et quelques chandelles (tout au plus). Une maison et quelques amis de passage. Comme une étrange façon d'oublier l'obscurité et la solitude – et d'ajourner notre rêve, encore si hasardeux, de lumière...

 

 

Des étreintes et des passages par milliers – par millions peut-être. Et le seuil toujours infranchi du silence. L'ombre régnante toujours sur les corps et sur les âmes. Et cette lumière inatteignable parmi les mythes, les mensonges et les calomnies avec ses sentiers et ses forêts – et ses clairières cachées où nous pourrions faire halte avant d'étendre notre foulée vers l'inaccessible...

 

 

Ni feuille ni ardoise. Pas même une craie pour dessiner sur le tableau la route – et les contours de l'itinéraire. Quelques ponts – et quelques passerelles – vers ce que Dieu, et quelques hommes, tiennent pour le plus sacré et le plus éternel ; cet étrange pays, caché au dedans des âmes et des malles, que nous habitons déjà...

 

 

La foule et le silence. Ce que jamais ne pourront oublier nos pas...

 

 

Le plus fugace, sans doute, de l'éternel. Et le plus fragile. Ce qui, pourtant, jamais ne s'achève – et recommence indéfiniment. L'accès, peut-être, le plus précaire à l'infini...

 

 

Entre les étoiles et la lumière, ce grand soleil inespéré...

 

 

Ni alliance ni trahison. Ce qui fonde toutes les lois. Le plus sincère de la loyauté. Et le plus authentique. Ce que nul, ici-bas, ne peut corrompre...

 

 

Ni décès ni baptême. Ce qui dure au fond de l'âme – à travers les siècles...

 

 

Nous pourrions éteindre les heures – renoncer aux psaumes et aux miracles pour revêtir la foudre – l'éclat du tonnerre, la brillance du diamant et la douceur, un peu sauvage, du brocard. La foi de l'aile et de la paume...

 

 

Aux heures lasses où les foules – et les destins – se hasardent sur les trottoirs et où les vieux se réchauffent aux flammes des cheminées, nous pourrions passer des siècles – le reste de notre vie – attentifs au plus humble de la lumière. Entrelacer les paumes et nous ravir des troubles passagers. Recevoir le monde comme un mirage – et surprendre les hommes au cours de leur furtif passage...

 

 

Quelques mots murmurés dans la nuit aux mains jalouses de tous les soleils. Comme un bruissement de feuille. Le chant d'un oiseau qui monte dans la brume...

 

 

Comme l'aurore – et son épée tranchante – qui lacèrent les maigres espoirs du monde. La main tendue des hommes. La mendicité de la terre encore aveugle aux offrandes – et aux mille trésors offerts par l'inconnu et le silence...

 

 

La loi et l'innocence. Comme le corps et les vents sur l'âme. Ce que voile le sommeil. L'absence du plus sacré en nous. Comme une discorde et des dissemblances. Un poing qui s'abat sur la table. Le défi d'une vie sans grimace. Le soleil revenu après la pluie...

 

 

Sans un adieu à nos frères. Sans même une main levée en guise de salut. Un silence aux allures de remerciement. La poursuite des jours et de l'ineffable. Une porte ouverte sur les paysages – et les chemins sans fin. Comme un retour – comme un départ – dans l'étrange continuité – et la transformation incessante – de la terre et des visages. Et quelques détours, peut-être, nécessaires...

 

 

Un jour, nos cheveux deviendront gris – et les traits creusés – et obscurcis – par tant de printemps. Et nous oublierons les cimes et les bras tendus vers nous – les années et les ornières – les rues, les âmes et les mains – la langue même et le rouge des passions – pour nous allonger sur la neige des plus hauts ciels parmi les anges et les visages réconciliés...

 

 

Ni sort ni sortilège. Le plus vif de cette terre. Ce qui frôle nos mains et notre visage. La pelle et le pétale. Les rafales consolatrices du vent...

 

 

Un jour, nous deviendrons des géants aux ailes fragiles. Ce trésor enfoui dans les jardins. La couleur des saisons que nous ferons nôtres. Cet amour plus vieux que la terre. L'infinie sagesse parmi les pierres...

 

 

Ni récit ni anecdote. Pas même une lampe au dessus de la porte. Ce qui gît dans l'obscur de l'âme. La nuit changée en aurore. Ce qui se rebelle et fraternise avec l'ombre la plus réfractaire...

 

 

Ni royaume ni empire. Comme un champ de blé – une prairie sauvage – abandonné(e) aux appétits...

 

 

Ni avec ni sans nous. Parmi et au delà des foules. Sur chaque visage. Et au dedans de tout ce qui naît. Le ciel brûlant et cette paume, comme un poème, qui se laissent bénir – et éventrer par les yeux – et toutes les âmes encore si indociles et orgueilleuses...

 

 

Tout ce qui se donne – et ne peut s'offrir. La beauté des fleurs. La candeur des sourires. Et la tristesse des pèlerins. L'âme encore brouillonne qui aimerait s'emparer – et jouir – plutôt que s'abandonner au hasard et au destin...

 

 

Un jour, nous pourrons confier aux Dieux nos secrets et nos trouvailles. La violence des mains et des âmes – de nos mains et de notre âme. Leur silence et leur socle de joie. Nos refus et nos répudiations. La tristesse de l'exil. Notre soif si gorgée de désirs. Nos rêves et nos songes. Et le plus innocent, vivant encore – vivant toujours – dans cet horrible fatras...

L'improbable, l'impalpable. Le plus méconnu...

 

 

Ce à quoi ni la vie ni la mort ne peuvent accéder. Cette défloration de l'âme orchestrée par les événements. Notre présence au monde. Ce que nous portons comme un secret – et que nous révèlent les circonstances...

 

 

Ni recul ni sursaut. Le poids, si léger, de tous les silences. Cette présence sans usage...

 

 

Tant de rires et de pleurs que nous avons supportés. Et d'âme en âme, la paix s'est éloignée. Epargnons-nous à présent les rancœurs – cet amas de tristesse. Cherchons plutôt la lumière – cette joie cachée au dedans de l'âme – et dans les plus sombres, et humbles, recoins de la terre. Ce que jamais ni les jours ni les hommes ne pourront nous offrir...

 

 

A ceux qui passent, ignares, et parcourent le monde – et ses plaines – sans un sourire – sans un regard en arrachant à la terre quelques poignées d'or en échange de leur silence ou de leur labeur... A ceux qui gisent au fond de leur cachette en guettant Dieu du coin de l’œil... A ceux qui s'échinent à la rude besogne de la fouille en se cassant les ongles et les dents, la vie s'offre d'une égale manière, distribuant ses offrandes selon l'honnêteté du cœur et des pas – et au prorata de l'innocence éprouvée... Ainsi s'exercent (depuis toujours) les plus justes émoluments et la plus exacte prodigalité...

 

 

Ni temps ni chemin. Là où se retire la nuit au milieu des drames, des danses et des cris. Là où s'éveillent le jour et le regard des nouveaux-nés. Là où rayonnent le silence et le souffle de l'innocence...

 

 

Ni haine ni ami. Ce que draine le nécessaire. Ce qui se partage sans un bruit – sans un mot. Ce qui guérit les blessures, la mémoire et les sacrifices. Ce qui pardonne et annule la mainmise du temps. Le seuil, peut-être, de tous les miracles...

 

 

Un jour, le sablier nous consolera de ces heures perdues – cet amas de temps creusé dans les veines de l'éternité. Et seront oubliées les joies menues des jours qui passent. Les falaises, infranchissables, qui nous séparent de la mort. La chair cognée qui s'effrite – et se dilapide – sous la force des aiguilles – et le pouvoir de l'horloge. La fin inexorable des saisons...

 

 

Comme une caresse sur la poussière. Un souffle qui éparpille les craintes et les menaces. Le tic-tac incessant qui célèbre l'instant. La fin des pas et des traces. Le règne des chants inaudibles. La fulgurance (magnifique) du trait spontané. Le geste magistral – et définitif – indéfiniment recommencé...

 

 

Ni brume ni regard. Un peu d'asphalte où se perdre encore... Des étoffes et des replis. La craie des rêves qui continuera peut-être à dessiner sur la terre ces horribles horizons noirs. Les gouffres et l'abîme où nous serons jetés. Des liasses d'innocences perdues – éparpillées dans des mains qui ne sauront qu'en faire...

 

 

Un dé où sera jeté le hasard. Des aiguilles pour l'horloge. Des sentiments et des galaxies. Une présence encore sautillante dans les paysages. Des larmes et des angoisses. La défiance des renégats. L'insolence des solitaires. La fatalité peut-être. Ce que Dieu nous permettra encore...

 

 

Ce qui arrive – et se passe – au seuil – et au dedans même – de l'impossible. Cette impatience qui prend le large. Les jambes de la pensée. Les fantômes encore balbutiants de la terreur. L'ardeur, les chemins et les errances. L'indifférence des visages. La promotion du monde et de tous les délires. Et l'âme peut-être enfin agenouillée au cœur de notre destin...

 

 

Nous pourrions nous taire – et célébrer la parole dans le silence (le plus circonspect des silences). Mais la main, encore trop fébrile et trop sincère – et l'âme si soucieuse du monde (et de partage) s'emploient, malgré elles, à délivrer (avec la plus grande naïveté) tous les messages de la terre, du ciel et des Dieux encore si railleurs. Comme une promesse intenable – une incompréhension – offerte aux railleries, à l'ignorance et à la pédanterie des foules...

 

 

La condition silencieuse du labeur. Comme un poème étonné. Une caresse médusée. L’œuvre d'un autre peut-être...

 

 

Un jour, peut-être, nous pourrons nous atteler à la besogne. Et offrir un chant – quelques riens – aux plus rêveurs. Percer les poches et les emplir de quelques pierres lavées par la lumière. Tendre le visage à tous les coups – et le cou aux égorgeurs. Et ce jour-là, Dieu (sans doute) aura pris notre place – après nous avoir autorisé à quitter les lieux – et à errer dans une autre vie – et d'autres costumes – parmi d'autres visages et d'autres pleurs...

 

 

Ce qui défile sans disparaître. Ce qui brille sans se ternir. Derrière la pluie, l'étoile grossière. La hache et le sel. Les tonneaux remplis à ras bord. Les cadenas. La trame où se terre la vérité. Les plus redoutables circonstances. La mort et l'eau glacée. Ce que sèment les vents, les prières et les malheurs. Ce que le monde et les hommes s'acharnent depuis si longtemps à découvrir...

 

 

Ce qui dans le malheur nous défait – et nous recompose. L'inertie et l'impudence des années. La folie de tous les siècles. L'heure qui sonne en contrebas des églises. Cette eau qui ne peut s'évaporer même dans les plus brûlantes passions – et les plus torrides enfers...

 

 

La nuit assiégée par la douleur. Toutes ces larmes qui éventrent les âmes pour rejoindre les fleuves et le silence. Cette oppression des jours qui nous rabaissent et nous écrasent. Et cette pente impraticable, infranchissable peut-être, où jamais nous ne prendrons de la hauteur. La prison, l'exil et la faim. Et cette joie qui brûle au fond du cœur. L'union de la vie et de l'entendement. Le plus incroyable des paris...

 

 

Au pire de l'affolement – comme enfouie dans le doute – cette trace d'autrefois où le feu, le ciel et le poème étaient liés à la puissance et à la multitude des unions. Cet effroi sous la peau fatiguée qui enfonçait les événements et les hésitations – et la nuit même – au fond de notre silence. Cette hantise obstinée pour dénicher la vérité et percer – et mettre à jour – ses secrets...

 

 

Comme un hurlement devant le miroir. La désespérance des âmes face au sang versé par la mort et les intentions. La source, sans doute, la plus sordide de nos gestes...

 

 

Demain nous pourrons dire adieu à l'espoir – à l'esprit. Et parler à voix basse devant la lumière. Prescrire le jeu et la prière. Guérir les entorses et les gémissements. Prouver à tous que nous sommes vivants...

Et les morts se lèveront peut-être pour saluer notre franchise – et cette longue route d'abnégation. La fortune et les pistes désertes. Le feu des bibliothèques et ce chagrin enfoui sous la cendre. Et les étoiles, peut-être, s'agenouilleront à nos côtés pour célébrer les parjures, les sortilèges et la lumière – nos remblais et nos débarras. Et l'herbe rouge encore tremblante de nos fureurs...

Nous repousserons les limites de la vie et de la mort. Nous éloignerons les frontières qui parcourent les terres et les souvenirs – le temps et les océans. Nous détruirons tous les domaines et tous les édifices. Et les montagnes s'émerveilleront de la beauté des fleurs et des naissances. Des plus belles aspirations de la terre...

Et les hommes, peut-être, resteront bouche bée devant le grand incendie des mensonges et des interdits...

 

 

Aujourd'hui, nous admirons les paysages – et louons notre fascination, encore si vive, pour le ciel. Nous applaudissons – et donnons la main à ces étranges domaines et au silence derrière la parole – derrière le poème. Nous nous réjouissons de tout – sans blâmer ni les offenses, ni les outrages ni la mort. Nous allons parmi les ruines et les feuillages – parmi la peur et la haine des visages en souriant aux malheurs et aux tristes figures. Nous vivons du fond des âges – du fond des puits qui encerclent l'aurore. Notre exil est doux et patiente notre attente. Le jour viendra bientôt. Le jour est déjà là. Et nos yeux regardent sans sourciller ce qui s'approche, la main ouverte à l'inconnu...

A cette lumière qui parfois nous ignore, nous tendons la main. A la fureur des visages – et des bustes fiers penchés sur l'avenir, nous offrons un sourire. Aux mille danses du jour – et aux caprices des enfants, nous consentons. Nous dilapidons notre présence – et l'effeuillons à travers quelques lignes – quelques paroles. Nous buvons à la coupe le silence. La vie arrive – et passe. Et les jours s'en vont. Et règnent encore mille lumières dans l'obscurité. Et une étrange lueur dans l'incompréhension. Nous mourrons, nous le savons à présent, auréolé de la vérité – et nous nous retirerons humblement avant de revenir, sans doute, encore plus humble et célébrant...

 

 

Ce souffle entre le sommeil et le silence. Cette beauté venue repeindre le langage. Cette nuit transformée en royaume. Comme une lampe dans la brume – un flambeau parmi les visages. De quoi prémunir – et réveiller peut-être – les dormeurs...

 

 

Quelqu'un attend un silence – un sommeil qui ne vient pas... Un drap d'amertume et d'épines sur un matelas de fleurs. Et le somnambule, soudain, tend la main et découvre une lampe au milieu de la cave parmi les rêves et les gravats – le sombre halo des soleil noirs.

Il traverse la solitude. Annule le règne des finitudes qui blessent – et meurtrissent les corps. Hisse la nuit sur sa couche. La défait de ses parfums et de ses étoiles – et se demande où est la voûte. L'écho lui répond alors aux marges du regard. Et, soudain, l'oiseau noir – et le ciel sombre – deviennent pure éblouissance...

 

 

Gravée entre la chair et l'âme, cette lumière. Cet éden sans passé – sans mémoire. Au cœur de tous les parcours et de tous les songes impérissables...

 

 

L'exigence de vivre et la contemplation. Le nécessaire et l'essentiel qui s'étalent au dedans du regard et sous les yeux. La beauté et le silence. La vie sans impératif...

L'infini en un seul visage. La complétude et la réconciliation que nous avions tant espérées. Ce que nous auront fait découvrir les vents, les hommes, les fleurs et les montagnes. Le chant des oiseaux, les ravins et le sang versé. Les plus beaux sourires et la perfidie des jours. Le mariage des blessures et de la neige. Et nos plus illusoires idoles...

Comme la caresse d'une main qui ne nous aura jamais quittés...

 

16 décembre 2017

Carnet n°118 Ce que nous sommes – et ne pouvons être – encore

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Ni aube ni lumière. La fin de toutes les nuits. L'effacement des ombres. Le recommencement permanent de la première heure...

Ni alliance ni solitude. Le faîte magique où apparaissent – et se délitent – toutes les rencontres. Le lieu de l'Unique...

Le plus invisible, sans doute, du chemin...

Et la nuit, peut-être, la plus infranchissable...

 

 

Ni roc ni pente. Pas même un sacrifice. Le rêve de tout homme...

 

 

Ni sève ni fente. La plus permanente, et transparente, sexualité. L'Amour sincère le plus désintéressé, qui offre, à chaque instant, ses mille sensualités – et les plus grands délices à toutes les formes de nudité...

 

 

Ni feu ni trame. La pierre où nous avons gravé nos noms qui s'efface(nt)... Nos plus beaux jours. Comme une lumière promise – une lumière inachevée...

 

 

Ni neige ni voyage. Pas même une épreuve. Comme un jardin ininterrompu, dénué de rêves et de clôtures. La lampe de toutes les aurores...

 

 

Ni parole ni murmure. Pas même un poème. Un peu de vie. Un peu de mort. Le chant de l'oiseau. Et la fin des querelles. Comme un silence interminable. Une fontaine – et son eau rafraîchissante – offertes à tous les visages...

 

 

Ni insecte ni créature. Ni monstre ni terreur. Un cri qui s'efface – et meurt au fond des gorges. Un amas de poussière. Et le sacre des saisons et de la soif. Le mariage des heures. La conjugaison de l'hiver et du printemps. La mort tombée en oubli. Et la tendresse des lèvres muettes, insensibles aux songes et aux fantômes. Les plus beaux rivages de la joie...

 

 

Ni page ni dédicace. Pas même un honneur. Le plus nu des silences. Le plus humble de l'herbe. Le plus discret de l'âme...

 

 

Ni pas ni piétinement. Pas même une attente. Comme le glissement de la main qui efface la craie blanche sur le tableau des saisons. Comme un doigt levé dans le vent qui célèbre la pluie...

 

 

Ni don ni héritage. Pas même un testament. Le don permanent de la joie et du silence – qui s'offrent à tous les héritiers, dépositaires autrefois de la commune folie des hommes...

 

 

Ni élan ni lenteur. Le rythme du silence. Et la valse des jours inchangés...

 

 

Ni aube ni lumière. La fin de toutes les nuits. L'effacement des ombres. Le recommencement permanent de la première heure...

 

 

Ni caresse ni supplice. La fin de tous les adages – et de toutes les promesses. La joie comme recours à toutes les demandes et à toutes les questions. Et le silence comme unique réponse...

 

 

Ni flèche ni indication. Ni panneau ni direction. Le désert le plus simple ouvert à toute forme de solitude – même les moins méritoires. L'éviction progressive des eaux inutiles. Des bagages et des prouesses. Des passages mensongers et des océans prometteurs. Le glissement, implacable, des pas vers la seule possibilité – la seule voie restante : l'effacement. La disparition des surfaces et des profondeurs. La venue soudaine du point le plus dense des horizons, au croisement de toutes les verticalités. L'espace sans âge. L'infini inclôturé. L'immensité vierge et sans repère où viennent mourir tous les rires et tous les visages...

 

 

Ni orage ni blessure. Le plus doux du ciel. Comme une flèche – un couteau noir – aux ailes chantantes... Comme un vent furtif – le baiser fugace du destin. L'aventure la plus oubliée – et la plus décriée par les hommes...

 

 

Ni ordinaire ni inconnu. Et pas le moins du monde commun. Le plus sage des pas. Et le plus simple des jours. Comme la lumière du crépuscule qui donne à notre silhouette une allure de géant débonnaire dont l'envergure n'effraye que les enfants – et les âmes craintives des énigmes et des mystérieux desseins du ciel...

 

 

Une poignée de jours et quelques nuits pour effacer les heures – et oublier le temps. Pour manger dans la main de la seule promesse valide... Vivre le plus sacré de la lumière. Le plus furtif passage de l'éternité dans le silence. L'instant où le soleil ignore qu'il se trouve au plus haut du ciel – dans l'azur sans rayure – ni rature – aussi vierge d'espoirs que de nuages. L'instant – et ses mille frères – à jamais neufs – à jamais recommencés...

 

 

Comme des Tziganes, fous de joie et riches de toutes les tribus de la terre, dansant autour d'un feu. Comme une lumière si proche du ciel et des étoiles, happée par le mystère et la main naturelle de l'homme. Comme la célébration du plus vivant en nous délesté de ses exigences...

 

 

Comme une folie ancienne habillant toutes les danses. Une soudaine compréhension du silence laissant s'effacer toutes les ambitions et toutes les rancœurs...

 

 

Ni trouble ni écho. La connaissance la plus juste de l'ignorance – de toutes les ignorances – qui balaye les habitudes et les mœurs les plus rudes et les plus autoritaires. Un commencement d'intelligence. L'avenir possible du monde...

 

 

Ni sang ni défi. Le plus subtil de l'incarnation. L'éviction de l'espérance. Les linéaments d'un temps aboli – vaincu...

 

 

Comme l'arrivée d'un nouveau silence venu célébrer l'ancien – celui auquel nous sommes restés sourds et insensibles pendant des siècles – pendant des millénaires. Comme l'évidence d'un nouveau départ – la possibilité infinie d'une chance nouvelle...

 

 

Ni arme ni refuge trouvés au bord du chemin. Ce battement sourd aux tempes qui délivre des prières – et invite aux pas de côté – et qui s’offre à ceux qui délaissent la route – toutes les routes – pour le ciel du dedans – cet havre naturel, et éternel, qui nous attend...

 

 

Ni lueur ni veille au fond des impasses. La porte dérobée de l'infini. L'aire de tous les silences. Le seul salut de l'âme...

 

 

Ni épée ni solitude. Le murmure fantasque des vents. Le centre de tous les ralliements. Le cœur de toutes les absences. La tombe de tous nos oublis. Le socle du moindre désir. Et l'étrange réenchantement du monde...

 

 

Ni barque ni rive. Quelques provisoires banquises où patientent les rêves. Et les vents qui effacent les corps – et la profondeur des âmes. Le lieu où naissent les océans, les peuples oubliés et nos songes les plus lacustres. L'aire de toutes les dérives...

 

 

Ni alliance ni solitude. Le faîte magique où apparaissent – et se délitent – toutes les rencontres. Le lieu de l'Unique...

 

 

Comme une fleur qui attend l'aube – la venue imparfaite du soleil et de la rosée. L'espérance de la terre pour toutes les créatures qui la peuplent...

 

 

Ni plomb ni or. Le plus sûr des alliages. L'alliance de tous les visages. Le terreau de la joie. La réponse au mal des siècles. Le destin du monde et des âmes...

 

 

Le lieu où se défait l'âpreté de la terre. La dureté et l'orgueil des hommes. Et l'aveugle stupidité des bêtes. Là où naissent les étoiles, annonciatrices de la lumière ancienne – et continuellement originelle...

 

 

Ni espace ni douleur. Pas la moindre souffrance. L'unique possibilité de l'inerte et de l'animé – de tous les enchevêtrements. Là où se querellent le froid et la nuit. Là où l'on dévalise les heures pour en extraire le plus vif – et le plus précieux. Ce que l'âme et l'os portent caché en leurs profondeurs – jusqu'au plus secret de leur moelle...

 

 

Ni corps ni dimension. Une présence à l'incomparable envergure. La plus haute marche des sommets. Le plus étrange faîte du monde, ouvert – et accessible – à tous les escaliers des profondeurs – à toutes les routes serpentant sous les horizons – à toutes les impasses et à toutes les aires des pires, et plus dramatiques, en-bas...

 

 

La gloire de toutes les solitudes. La célébration du plus invisible caché au fond de la chair. La passerelle de toutes les âmes. Le secret passage du plus subtil qui sommeille derrière les désirs les plus grossiers...

 

 

Ni acte ni volonté. Pas même un rétrécissement du temps. Ce qu'abritent le plus simple du geste et la parole surgie du silence. Cette joie d'aller vers le plus nécessaire – l'inexorable...

 

 

Ni doute ni sursaut. Ni balancement ni hésitation. Le pur jaillissement. Comme une flèche de lumière décochée par l'innocence et la nécessité des circonstances...

 

 

Ni page ni poète. Une parole née des origines. Venue du plus loin de l'âme pour effleurer le moins frustre de l'homme – cette flamme qui brille au dedans de tout...

 

 

L'inaltérable. Comme la clarté à venir des eaux boueuses. La forme des vasques, des bouches et des amphores. Et jusqu'au plus nauséabond des marécages. La source, la pluie et la rosée. Et la forme prochaine des nuages. Et jusqu'à la dernière goutte des flaques asséchées. Le plus précieux de la vie qui nous anime – et que nous habitons...

 

 

Le plus impérissable des bagages. Ce que l'on ne peut ôter ni aux bêtes ni aux hommes. Leur vrai visage qui patiente au dedans de l'âme. Le ciel et les océans réunis. Ce qu'il reste lorsque tout a été perdu, jeté et abandonné aux ruisseaux que forme la pluie pendant l'orage...

 

 

Ni joie ni silence. Le plus haut degré de la lumière. L'étreinte la plus juste – et la plus déterminante. Ce qui sans cesse nous anime et nous traverse. Le plus brûlant du soleil qui s'approche à pas lents. La gloire et l'éphémère parvenus à leur faîte. La célébration de toutes les tempêtes. Le mariage insensé du vent, du ciel et de la chair. L'appel de toutes les voix. La clé éminemment précieuse de l'inhabitable...

 

 

Le plus secret de la lumière. Et le pire du monde que nous ne pourrons éviter peut-être...

 

 

Ni étoile ni sourire. Ni peine ni obscurité. L'authenticité comme seule exigence. Le moins précis du ciel. L'infini sans tourment...

 

 

Quelques larmes peut-être avant de mourir. Le signe d'un cœur transpercé – ému par ces retrouvailles. Comme le nom des morts inscrit sur la pierre blanche...

 

 

Comme un feu sur un visage endormi où butineraient quelques abeilles. Comme la fin du jour – et le crépuscule dédicaçant ses heures – et ses feuillets – à la lumière de la lune qui se reflète sur la table et le bord des horizons...

 

 

Ni tendresse ni dureté. Ce que nous portons comme un effroi – et qui s'avère pourtant le plus joyeux de l'impersonnel...

 

 

Ni soif ni insulte. Le plus beau du silence...

 

 

Comme un oiseau tombé du nid que les anges emportent au loin – là où ne brille qu'un seul soleil. Là où la nuit s'est dissipée – bien au delà des étoiles...

 

 

Comme une page muette – blanche – immaculée – et une neige sans trace. Plus haut que toutes les cimes – et plus prometteur que l'espoir. Notre bouche hurlant son silence. Comme une fenêtre éclairée par ce qui nous brûle le plus intensément...

 

 

Comme l'herbe piétinée par un colosse. Comme l'or offert par la rosée. Comme la grimace malicieuse des Dieux. Notre plus vieux testament...

 

 

La venue de toutes les aubes. Leur entrée fracassante dans notre âme si familière des plus sombres crépuscules. Comme une main arrachée à la piqûre de l'ortie – et à l'épine du plus ardent chardon – pour la délicatesse du coquelicot...

 

 

Un jour, un siècle. Un instant d'éternité à chaque heure abandonnée – livrée à elle-même et à la rectitude des horizons. La plus belle offrande du destin...

 

 

Comme une brèche dans l'horizon, ouverte par les vents. Et notre instinct muselé par la peur. Comme la crainte de la fascination qui peuple nos veines. Et le cœur sensible circulant sous notre incompréhension...

 

 

Comme le plus imprévisible du hasard jeté hors d'atteinte par la plus évidente certitude. Et le sort de la langue scellé par le silence. Le savoir le plus hébété...

 

 

Entre la paix et l'inquiétude peut-être... Comme un nid inachevé. Une compréhension récente. Et un cœur si malhabile encore...

 

 

Ce que l'on ramasse sur les chemins de pierres ; quelques peines, la solitude et le grand désarroi, l'absence bordée de malheurs, les pièges (inévitables) du monde, l'attente insensée de l'Autre. Les rêves comme défi à la gravité et l'usure du corps. Toutes nos défaillances...

 

 

Comme l'or de toutes les alliances et de la nudité. Le temps hors jeu. Le pillage des heures. Toutes les douleurs du monde. Et le fourvoiement des pas...

 

 

Comme un sursaut. Une chance offerte à l'immonde – à cette désolation qui enchaîne les os et ajourne les retrouvailles. Le plus périssable des gestes. Ce qui nous parcourt sans nous briser. Tout ce qui nous porte à la réconciliation...

 

 

Ni rite ni force. La plus fébrile des torpeurs. Comme une fièvre – un soleil – étreignant notre trajectoire. La pauvreté la plus enviable. Le terreau de l'impossible...

 

 

On cherche encore pour échapper peut-être à ce destin de roi. Pour nous complaire encore un peu dans le sortilège – la malédiction de l'âme. Pour réunir nos frayeurs et les offrir à la mendicité de l'Autre – à l'indigence, incurable, du monde. Comme un visage – un pauvre visage – dans la foule des visages. En attente d'un effondrement qui ne viendra pas, ou plus tard, lorsque la mort aura réuni les conditions du silence...

 

 

Au détour d'un regard, l'amenuisement des forces. Et l'anéantissement des rêves. L'abandon qui s'avance parmi tous les refus. La capitulation tant redoutée comme délivrance. La fin des guerres, des luttes et des batailles. La fin des affrontements et des confrontations. La lente – et irréversible – transformation du face-à-face en accueil. La puissance au bout de tous les élans et de toutes les ardeurs...

 

 

Ni ce qui meurt, ni ce qui s'attend. Le plus fragile parmi les peurs. Le plus indicible de la joie...

 

 

Seul encore face à la mer, au bout de cette jetée dont on ne revient pas. Comme un adieu, interminable, à ce qui nous aura éloigné de l'océan – cet autre Amour de la terre – cette couleur du monde à présent dégagée de toute tristesse...

Et ce silence derrière l'attente. L'infini du désir comme une digue parfois infranchissable. La beauté et l'effondrement...

 

 

Ni rideau ni lumière. La place nette, défaite de tous les rêves. Et la fraîche caresse du vent...

 

 

A vif et pour soi seul, quelques mots que l'on prononce pour l'enfant à naître – et le monde juché sur ses épaules...

Fragments contemplatifs sans exigence de loyauté...

 

 

Le plus invisible, sans doute, du chemin...

 

 

Un peu de sève. Un peu de rêve. Un peu de jour aux lèvres malgré le sang et le silence. Et cette voix qui serpente entre les âmes et les objets cherchant sans doute son socle – une invitation – pour échapper à la nuit...

 

 

Comme le tressaillement d'un visage qu'une main caresse. Comme la mort esquissée sur tous les destins. Comme l'eau, rompue à tous les paysages, qui coule et s'éloigne de sa source pour mieux la retrouver...

 

 

Au bout du doigt – au bout du jour, ce réveil que nous n'attendions plus. Cette aurore qui aura gagné toutes les rives. Cette lumière qui, à présent, éclabousse le monde...

 

 

Comme une pluie – comme un désastre – venu(e) ensemencer les pierres. Comme une larme de joie coulant sur la terre. Comme le dernier écho d'une parole. Le prix, peut-être, de l'inabordable...

 

 

Quelques syllabes pour rappeler au regard l'absence des visages. L'enfouissement des jours et de la parole. Le repos nécessaire du silence...

 

 

Indéfiniment la présence. Ce qui gît derrière la nuit et les images. Ce qui emplit l'âme et la tête – le corps et le cœur – l'abandon franchi. Le dedans et le dessous du monde et de toute chose. Ce qui ne peut disparaître. Ce qui ne peut mourir lorsque tout a disparu...

 

 

Ce qui nous entrave et ce qui nous libère. La continuité de tout mouvement. Le bout des pas. Le fond de toute brutalité. Le vent et le silence au delà des murs – et au delà des falaises. La surface qui creuse son sillon. Ce qui brûle encore après les cendres. Le recommencement de tous les printemps...

 

 

Comme une aile noire porteuse de lumière. Un cri inaudible dans le silence. Le plus tendre des jours. Le ravissement qui embrase l'âme. Le baiser des amants sur leurs draps de sable. Les pierres du chemin où dansent toutes les nuits. La promesse de l'oubli. Et l'envol enfin devenu possible...

 

 

Ni sol ni silence. Ce qui nous hante après la pluie. Ce qui guérit le sang et les blessures. La marche lente de l'âme affaiblie. Le feu caché derrière les rêves. Ce que nul ne peut meurtrir...

 

 

Ni route ni barrage. Le chemin, la chaise et la maison. Ce qui nous entoure et nous encombre. Ce que nous abandonnons au silence. La parole au fond de l'âme que Dieu seul entend. Toutes nos foulées et toutes nos expressions. Le plus doux de notre agonie...

 

 

Ce que nous ne pouvons serrer dans nos bras. Ce qui se tient au cœur de tout. Le lieu – le centre – de tous les nulle part. La clé suspendue au cou de toutes les âmes. Ce que nous piétinons sans cesse ni vergogne. Le défilé triste des jours. Et l'aube prochaine qui arrive...

 

 

Le plus amoureux du silence. Ce que ni nos yeux ni nos mains ne peuvent déterrer. Ce qui accompagne tous nos détours. Les plus belles floraisons du ciel...

Et la nuit, peut-être, la plus infranchissable...

 

 

Le jour encore qui s'étire pour que jamais n'arrive le soir. Pour que demeure, toujours, cette aurore éternelle...

 

 

Ni adieu ni mouchoir. Ni ailleurs ni plus loin. Le seuil de toutes les portes. Ce qui nous attend à chaque rencontre. Le secret des circonstances. Les plus doux visages du cortège. Ce qui nous éloigne de la procession des malheurs...

 

 

Ni terre ni glace. Ce que révèle la poussière. Ce que nous montre le doigt pointé vers la lune. La neige et le temps. La chambre de tous les délices. Ce que jamais ne parviendra à soulever notre cœur...

 

 

Ce que nous apercevons derrière les vitres de la nuit. Derrière le ciel noir et les étoiles qui embrument l'âme et les pas. Les vents libres des querelles, de l'espace et des reliefs. Et l'éclat rouge, si incandescent, du soleil...

 

 

Le chant de l'oiseau. Le murmure des saisons. La simplicité des jours. Et le cœur chaviré de silence. Comme les signes de notre présence sur terre. Le secret de tous les Dieux parmi les visages...

 

 

Ni souffrance ni humiliation. Le plus digne de l'humilité. La profondeur du regard sur l'infini. Et les merveilles du monde suffocant encore dans leur gangue de chair...

 

 

Ni dogme ni croyance. Ni livre ni parole. Le socle de toutes les libertés. Une présence sans bassesse ni arrière-pensée. La joie et la nécessité du geste. L'infini de la main sur l'horizon. Le plus rare des visages. La fine pointe de l'âme. L'offrande des sages parmi les hommes. Le présent le plus admirable offert à la terre. La grande espérance du monde. Et sa plus belle possibilité. Ce que nous aimerions tous être – et recevoir...

 

 

Ce que révèle le cœur de toute absence. L'inconnu des jours que nous cachaient nos habitudes...

 

 

Des pages blanches offertes aux Dieux qui y déposent quelques signes. L'évidence – et la preuve – de notre présence. Le mariage insensé, mais prometteur, de l'invisible et de la chair. Le plus favorable du destin...

 

 

Ni rôle ni posture. L'âme innocente ouverte aux circonstances. La bouche aimante, la main et le monde reliés – et réunis – par les fils presque magiques de ce qui ne peut être détruit... Le sang et les visages de la terre manœuvrés par l'ardeur – et la sagesse – du silence...

 

 

Et l'or des visages, peut-être, offert à notre curiosité...

 

 

Au dedans des yeux ouverts, l'intérieur du gouffre où sont arrachés les mensonges et l'illusion. Toutes nos complaisances. Là où tout est broyé ; souffrance et rejet. Là où la solitude perd son effroi...

 

 

Ni cécité ni aveuglement. Le plus nu de la lumière. Ce que les limbes – la clarté, si vive, des limbes – nous cachent encore...

 

 

Vivant parmi la cendre. Au cœur d'un feu sans fin...

Ni prière ni imploration. L'attente patiente de ce qui, peut-être, ne viendra jamais...

 

 

Ni eau ni soif. Ce qui arrive avec la première heure. Cette marge entre le désir et le souvenir. Ce qui mène à la lumière – et, parfois, à l'écriture...

 

 

Ni labeur ni besogne. La suite naturelle des pas. La fin de tout orgueil. Ce que dessine la lumière avec nos ombres. L'invisible du tableau. Le silence du poème. Ce dont nul ne peut être l'initiateur...

 

 

Au plus proche et au plus lointain. Ce que nous ignorons avec le plus de ferveur. Et ce que nous épions sur tous les visages. Un trait inoubliable d'intelligence. La parole vive d'un Amour. Une sensibilité sans exigence...

 

 

Ni baume ni déchirure. La plus parfaite complétude. L'Amour et la joie sans honte. Un sourire – et des lèvres – sans visage. Le plus accueillant de l'âme et de la main. Notre seul désir peut-être...

 

 

L'élucidation des mystères. La fin de toutes les questions. Le prix de l'innocence. Et tout ce que nous aura ôté notre quête. La destination de tout voyage. Et l'ultime étape infiniment recommencée...

 

 

Les promesses de toute fissure et de tout délabrement. Le fond de l'eau où nos barques – toutes nos barques – ont coulé. Notre origine la plus lacustre. Ce qui existe avant la naissance des larmes – et avant même la naissance de l'eau. Ce que nous ne pouvons imaginer. Toutes les embarcations des destins. La fin de toutes les errances et de toutes les expéditions...

 

 

Ni support ni possession. Ce que nous laisse la furie des vents. La plus haute nudité...

 

 

La route et le pont. Le plus beau rêve. La plage et l'océan. Tout ce qui invite au voyage. Le vent, les marées et les courants. Ce qui se cache derrière le miroir – et le reflet des visages. Ce que nous n'avons encore jamais osé traverser...

Un îlot – une lumière dans les eaux de la nuit...

 

 

Les lignes et les mains du poète. Celles qui éclairent et saluent. Celles qui étreignent – et invitent à l'écoute et aux caresses. Celles qui frappent les murs pour que résonne plus fort l'écho. Celles qui peut-être, ne sait-on jamais, pourraient sauver le monde en déblayant ses frontières pour offrir cette lumière dont nous avons tant besoin...

 

 

Ce qui demeure et ce qui surgit. Ce qui habite le fond de l'âme et des étoiles. Ce qui apparaît après avoir façonné les gangues de glaise – et ce qu'elles portent en leurs profondeurs. Ce dont ni les hommes ni le monde ne peuvent se passer...

 

 

Ce qui monte des pierres aux nuages. Ce qui dévale toutes les pentes. La cime des arbres et le faîte des montagnes. Ce que contiennent les rêves et la pluie. Le plus semblable à notre portée...

 

 

Ce qui passe – et ce qui traîne lorsque l'on se morfond sous les nuages. L'imprescriptible...

 

 

Ni plaine ni clôture. Ce qui pousse sur les plus humbles pâturages. La fenêtre où se dessinent tous les possibles. Ce que nous n'enfouissons jamais dans les tombes...

 

 

Comme un bouquet de rumeurs et d'innocences tombé par mégarde. Et qui patiente pendant des siècles en guettant l’arrivée des passants sans prétention qui le transformeront en silence avant de le jeter aux mains si fébriles des foules...

 

 

La mémoire et les paysages. Les songes et l'oubli. Ce que dissimule notre affairement. Nos mains cisaillées par l'infortune. La patience des pierres. La terre gavée de corps, morts au dedans et vivants à la surface. Ce que Dieu nous a chuchoté avant notre naissance – et que nous avons oublié, bien sûr... Et nos fouilles frénétiques et hasardeuses pour le dénicher parmi les malheurs et les débris...

 

 

Au plus bas de l'âme et au plus haut de ce que la main peut atteindre. Les boulets et les faïences. Notre âge le plus enfoui. Là où le regard s'abîme en attente. Là où finissent l'espace et la mémoire. Au creux du moindre désir. Parmi les traits du plus simple et les plus humbles visages...

 

 

L'être et l'ombre qui tournoient. Sur la terre où tout s'amoncelle et se soustrait. Les fables, les mythes et l'azur. Nos plus beaux renoncements...

 

 

Là où l'univers et les rythmes questionnent. Là où ils insinuent le doute. Au plus proche de nos lèvres. Ce que l'âme finira, un jour, par découvrir...

 

 

L'espace – et l'infini – dénués de rêves. Là où tout se dérobe. Là où s'affichent, concentrés, les âmes et le monde libérés de leur pesanteur. Au centre de tous les univers...

 

 

Quelques travaux sur la lumière pour dire le plus court chemin de l'âme vers la prière. Le pas qui offrirait à l'homme son salut – et toutes les grâces de sa naissance. Ce qui nous fait si cruellement défaut...

Comme un puits intarissable où toutes les âmes pourraient (enfin) venir s'abreuver...

Pour que le monde retrouve ce que nous avons de plus précieux. Notre plus commun visage – caché derrière les traits les plus grossiers et les plus vils – et serviles – sourires. Celui qui rêve d'être découvert – et libéré de cette tristesse – de tous les malheurs des hommes et de la terre...

 

16 décembre 2017

Carnet n°117 (Tenter de dire) ce que nous sommes – et ne pouvons être...

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

La beauté et la joie. L'émotion poignante – insurpassable – d'être un visage parmi les visages. Et un sourire unique et commun sur toutes les lèvres...

Ni mort ni vivant. Le balai des âmes prises dans la danse, les poussières du temps et le silence...

Ni perte ni abandon. Un juste recueillement. Notre état, sans doute, le plus naturel...

Ni preuve ni miracle. L'éloquence du plus grand silence. Comme l'évidence que Dieu et les hommes peuvent cohabiter sans que nul ne s'en aperçoive...

 

 

Un long chenal où se faufiler jusqu'à la mort. Et l'esprit indocile qui rêve encore de conquêtes et de traversées – de beaux et longs voyages sur d'impétueux océans...

 

 

Les arbres attendent – érodent notre impatience. Nous invitent à nous asseoir à leur côté pour regarder – contempler sans empressement – le monde et le silence.

 

 

Ni mort ni vivant. Le balai des âmes prises dans la danse, les poussières du temps et le silence...

 

 

Ni peuple ni voyage. Un inexplicable quiproquo qui offre à la parole d'éclairer – la possibilité de résoudre une évidence au visage d'énigme. Comme un leurre pour ensemencer – et légitimer – toutes les histoires du monde – ce à quoi est occupé l'essentiel des hommes...

 

 

Et cet espoir qui nous traque encore – et qui nous ensommeille de ses promesses comme si nous avions encore le temps d'espérer...

 

 

Au bout de la tristesse, la remontée d'un silence qui ne nous aura jamais quittés...

 

 

L'homme, collectionneur de peines et d'hystéries qu'il place haut dans son orgueil. Comme la légitimation de tous ses désordres...

 

 

Ni preuve ni miracle. L'éloquence du plus grand silence. Comme l'évidence que Dieu et les hommes peuvent cohabiter sans que nul ne s'en aperçoive...

 

 

La force des saisons. Et la persistance du silence. Comme une terre, encore tout étourdie de ses danses, sourde à l'évidence et aux invitations. Et cette beauté qui jamais ne s'éteindra comme un feu entêté – comme un feu obstiné sous la pluie...

 

 

Dans l'étoile, le rêve et la folie. Ces maladies incurables de l'homme – enraciné(es) à sa souche. Comme un éclat dans le noir pour affirmer son existence – et donner à son espoir quelques fragiles lueurs – et le soin de dessiner son destin – son improbable sortie des ténèbres... Comme un chant lointain, presque inaudible, jetant ses louanges sur l'espérance d'une aurore plus qu'incertaine...

 

 

Quelques bruits encore dans le silence que rien ne pourra entamer...

 

 

Au creux du même songe, éternel sans doute, le visage enfantin des hommes dont les rêves sont plus puissants que les jours. Mendiant à toute figure – et à la plus mystérieuse d'entre elles – ce peu d'espérance pour vivre (survivre) encore un peu... Comme des pantins ignorant le castelet, les autres personnages et le marionnettiste auxquels ils sont reliés par des fils invisibles et inconnus...

 

 

Encore une chimère qui ensevelira les vivants – et fera grossir l'amas de squelettes enfouis sous la terre. Ainsi se peuplent – et se perpétuent – les cimetières. Et grandissent, au fil des siècles, les cyprès impuissants – et insensibles aux massacres...

 

 

Un tournesol dans la lumière. Comme un soleil déjà éclos sur la terre. Comme un surplus de clarté sur l'horizon...

 

 

Debout, appuyée – presque chancelante – contre le silence, cette lumière d'autrefois sacrifiée par l'orgueil et ses parades. Et les ténèbres où se sont dangereusement penchés les hommes...

 

 

Passeur de rives peut-être mais dont le socle est l'immobilité. Ce silence, parfois si désespérant, de l'espace où s'entassent, se pressent et se cognent, si souvent, les vivants...

 

 

La capitulation du jour n'est pas la défaite des vivants. Ni la victoire de la nuit et du néant sur la lumière. Elle est la possibilité du suspens – la découverte de l'interstice où peut se glisser notre destin – la porte (éternelle) de l'instant où affleure le silence – ce pacifique, et innocent, combattant...

 

 

La parole peuplée de ciel, de fleurs et de langage. Bruit peut-être mais reflet, plus sûrement, du silence le plus incompris...

 

 

Le peu d'air qu'auront soulevé nos mains... Et le peu de chair qu'elles auront aimé... Nous aurait-il fallu un plus grand silence pour être vivant – et vivre davantage...

 

 

Contre la nuit qui s'étire – et s'étend –, nulle parole. Un long silence jusqu'à la naissance du jour. Et, sans doute, bien plus longtemps après encore...

 

 

Une tristesse – une amertume – naturelles sans l'ombre d'une gaieté – sans l'ombre d'une frivolité. Comme la beauté des pierres immobiles. Epaisses, noires et austères – incorruptibles...

 

 

La voix familière des vents, à présent, n'est plus que silence rejoignant le chant discret des rivières... Un hymne sans louange célébrant les beautés de la terre. Et la douceur de tous les visages enfouis encore dans leur gangue dure et noire...

 

 

Ni exil ni voyage. Un séjour, invisible peut-être, en ces terres dépeuplées où l'absence est la marque du vivant – la preuve de l'existence des foules – et des visages – endormis à l'ombre des promesses où l'obscurité, pourtant, côtoie la lumière et le silence. Comme une matière inerte, posée là, animée seulement par les mains aveugles du hasard...

 

 

Ni jour ni rencontre. Pas même un désenchantement de l'âme. Bien au contraire, une joie folle dans le silence. Et des pas dansants – et exubérants – emportés par le tourbillon des circonstances. Comme un ogre soumis à une triple identité : celle de l'enfant (l'enfant-roi, l'enfant-tyran, l'enfant-martyr), celle du jouet (bout d'étoffe, morceau de bois muni de roulettes) et celle de la chambre, ce lieu de tous les pouvoirs, de tous les jeux et de tous les interdits... Dans cette ombre de soi qui ravit les forêts et le silence – avec cette sauvagerie qui enchante la terre – et cette liberté, et cette sagesse, qui réjouissent le ciel...

 

 

Ni cercle ni bâton. Une ronde de feu à la fumée blanche où se consument nos terreurs. Un âtre où ne fleurissent les cendres. Un brasier de joie...

 

 

Ni sang ni chair. Un abîme où nous avons tant perdu. Un faîte où se reposer des heures. Le toit et la béance de tous les mondes. Ce lieu où nous pouvons être – et vivre – enfin...

 

 

Ni saison ni chemin. Un instant où glisser son âme – et son destin. Où l'on peut pavoiser humblement parmi les fleurs, le soleil et les étoiles. Un refuge contre la malice et l’orgueil. Un long silence où viennent mourir les ombres. Comme une eau sereine et fuyante où viennent se noyer les songes et la violence. Une place où la joie peut (enfin) exploser sans craindre les rires et les moqueries – le fiel des bouches encore affamées...

 

 

Une voix en exil peut-être parmi les hommes mais dont le silence est la terre chaleureuse et accueillante – cette étrange entité au sein de laquelle tout naît, passe et disparaît...

 

 

Ni terre ni ciel. Ni plaine ni océan. Un trou de lumière peut-être où tout – jusqu'au silence – est aspiré...

 

 

Avec des mains vides et tristes. Ainsi naissent, vivent et meurent les hommes. Passant de contrée en contrée, du rire aux pleurs, et de vie en vie peut-être – traversant les cités et les déserts, les malheurs et l'espérance sous le joug de la faim...

 

 

Des visages animés – et ébahis – par l'horizon mais si tristes lorsque arrive le crépuscule – et que le dernier élan les couche sur la terre...

 

 

Chair, sang et souffle dispersés – éparpillés dans les mille visages de la lumière. Et les mille paroles du même silence pour indiquer la route – et offrir à chaque fragment de rejoindre le lieu de tous les rassemblements – là où sont nés tous les désassemblages...

 

 

Le temps et le silence, ces deux grands mystères irrésolus, offerts à l'acuité, médiocre, des hommes. L'un livrant à l'espoir et menant à la nuit. Et l'autre ouvrant à l'instant et conduisant au jour... A quelle voie, pensez-vous, nous a livrés la stupide intelligence des hommes ?

 

 

Ni parcours ni trajet. Un instant d'écoute – aussi vive que la lumière. Et cette présence silencieuse, et sage, au fond de l'âme...

 

 

Les hommes englués dans cette furieuse folie du devenir avec ses espoirs, ses impasses et ses errances alors qu'être, sans doute, suffirait...

 

 

Un visage debout parmi les ombres. Et un sourire humble et compréhensif sur la foule des silhouettes couchées et rampantes...

 

 

Ni espace ni continent céleste. La présence simple de la terre. Et l'âme, si peu sournoise – presque trop naïve (pour ses jeux) – qui attend l'innocence. La fin de toutes les nuits. Et la venue, progressive, du jour silencieux...

 

 

Nous fleurissons les tombes de nos aïeux. Et de nos enfants quelques fois. Nous célébrons la richesse et la fortune. Les jours de victoire et de liesse. Mais qui prend soin de notre âme et fait fleurir sur nos carcasses et les rebords de nos fenêtres le besoin de silence... ?

 

 

Nuages, pesants et pressants, passant devant l'étoile obstruent tout ciel nouveau. Invitent les larmes et les fleurs à renaître parmi les couleurs et les désastres de la terre. Et soumettent les visages et les âmes à un destin d'éternel recommencement...

 

 

Ni arme ni tourment. Un ciel à paraître... Un destin de fleur et de lucarne pour tous les visages pris – et caressés – par la lumière. Comme l'aube – et l'éternel recommencement – de tous les silences...

 

 

Ni vent ni labour. Un champ infini de lumière. Et la naissance d'un soleil silencieux...

 

 

Abandonner sa main aux désirs éteints des larmes. Franchir le seuil de toutes les équivalences. Et boire à la coupe la joie dans la timide témérité des pas et du langage pour que se dessine encore et encore le jour – et qu'arrivent toujours le silence et la lumière. Pauvres âmes innocentes et dociles...

 

 

Dans les latrines du désir gisent l'étron de l'ambition et la pestilence des songes – balayés – évacués – par la chasse d'eau de l'innocence...

 

 

Les âmes oppressées, disent-elles, par le silence et la lumière. Effrayées par la figure d'un Dieu méconnu. Comme façonnées par l'ignorance et l'ingratitude des hommes. Soumises – et promises – comme toujours à tous les songes et les sortilèges...

 

 

Ces âmes défaites – et décrépites – au visage de fin du monde que la finitude effraye presque autant que l'immortalité...

 

 

La terre et le ciel ne sont, peut-être, qu'un songe qui condamne l'âme à l'espérance. Aussi mieux vaut être vivant qu'espérant (bien que l'un n'empêche nullement l'autre...). Et silencieux plutôt que bruissant de rêves et de désirs... L'innocence à saisir en toute occasion. Comme le gage d'un silence habité – vivant et éminemment joyeux...

 

 

Ni preuve ni garantie. Pas même la moindre certitude. Ainsi s'habite – et se vit – la vérité. Dans la plus grande solitude. Et le plus léger, et fragile, silence. Dans l'étrange évidence de retrouver son vrai visage – cette figure hors du temps échappant aux saisons, aux siècles et aux circonstances, totalement vierge et nue – et entièrement dépouillée de tout artifice et de tout support... Cette présence purement – et éternellement – originelle...

 

 

Les ombres du cœur malade qui ensemence l'horreur et désarme le silence. Et dont les battements – chaque battement – piétine(nt) les élans – et les velléités mêmes – d'innocence. Pourvoyeur d'effroi, de stupeur et de haine. Alimentant la mécanique des instincts et de la vengeance et propageant ainsi partout le règne de la violence...

 

 

Irradié par le silence. Comme un bouquet d'innocences offert aux visages et aux saisons. Et aux siècles, imperturbables, qui passent...

 

 

Encore des soirs et des images – les promesses d'une nuit sans fin, attisées par des désirs impossibles à satisfaire. Le goût de l'Autre dans la bouche et au fond des yeux comme le socle, toujours possible, de l'amour et des réjouissances, communes ou solitaires qu'importe... Ce rêve – ce mirage – d'exister – d'être vivant en ce monde parmi les bruits, les chants et les cris – parmi les murmures, les secrets et les mensonges – si près du gouffre et des tombeaux – et de tous les abîmes où nous jettent les hommes et toutes les mains du destin. Comme une lumière lointaine, à venir sans doute, sur les visages, tristes ou gais qu'importe..., scellés – scellés depuis toujours – au plus obscur et au plus grossier de la terre...

 

 

L'hébétude et l'abandon, les prémices des beaux jours malgré la persistance provisoire des songes, des désirs et des malheurs – toujours présents sur les visages... Et à paraître, plus tard, le silence. Et la joie – toutes les joies – dissimulée(s) dans ses replis...

 

 

Situations, événements et circonstances nous plongent au cœur de nous-mêmes. Eveillent notre nature profonde*. Et révèlent toujours le plus vrai visage de notre âme...

* Notre nature profonde de forme avec ses apprentissages et ses conditionnements...

 

 

Il n'y a plus d'espérance aujourd'hui. Peut-être simplement l'attente du grand silence qui recouvrira (bientôt) notre parole et nos élans pour que nous puissions goûter et célébrer ensemble – humblement et dignement – la plus belle (et permanente) innocence...

 

 

Ah ! Les corps et les êtres ! Ces petites choses balayées par les vents du monde et les implacables nécessités du vivant et de la matière...

 

 

Dans les charmes, autrefois, du silence, nous naissions sans peur. Vivions sans peine. Et mourions sans même nous en apercevoir. Avec les savoirs, dérisoires, sont nés les craintes, la conscience (grossière) de notre finitude et l'espoir d'une issue. Le rêve d'échapper aux circonstances – et de se libérer de ces tristes horizons... Et dans ce naturel, et légitime, voyage, nous n'en sommes aujourd'hui qu'aux premiers pas... Une longue – et peut-être interminable – marche nous attend...

Et il n'y a, sans doute, d'autre sens à attribuer à la présence de l'espèce humaine sur terre – ni d'autre voie pour s'extirper du genre humain, né de la plus grossière animalité, elle-même née du vivant le plus rustre et élémentaire, enfanté par de simples combinaisons de matière...

 

 

Quelques mots pour dire le plus funeste du monde ; l'ignorance, la bêtise et les instincts – sources de tous les maux – et le plus merveilleux de l'être ; cette innocence silencieuse et aimante qui accueille jusqu'à ses plus funèbres et terribles contempteurs... Et l'homme pris, dès ses premiers pas, dans cet obscur entre-deux...

 

 

Sur les plus terribles horizons, une lueur toujours offre l'espoir – cette odieuse chimère qui refuse le poids et la beauté des circonstances présentes – et qui nous condamne à l'attente d'un après plus vivable (très improbable)...

 

 

Tout passe – la vie, le temps, les circonstances, les êtres et le monde... – sans que nous sachions nous y plonger (tout entiers) ni nous extraire de la mélasse, si souvent infâme, du réel... Et moins encore nous réfugier – et nous adosser à ce regard en surplomb – à cette présence vivante (les nôtres depuis toujours évidemment), témoin – simple et souverain témoin – de tous les passages...

 

 

Ni feu ni lanterne. Un retrait. Un effacement qui se transforme bientôt en présence humble et souveraine. Salvatrice face à tous les maux – et à tous les malheurs des siècles, impitoyables, auxquels les hommes ont toujours rêvé d'échapper...

 

 

Ni tour ni chemin de ronde. Un dénuement total qui ouvre à – et offre – l'inimaginable puissance de l'être – cette présence fabuleuse que peinent tant à concevoir – à rejoindre et à vivre – les hommes...

 

 

Ni lutte ni admonestation. Et moins encore de jugement. Ce presque rien – qui est tout, en vérité – infiniment accueillant... Comme si la puissance – toute la puissance – des désirs s'était transmutée en regard – en accueil – en présence... Si proche qu'elle en devient invisible pour la plupart... Et si évidente et naturelle que l'on s'imagine devoir la conquérir – et l'acquérir – alors qu'il nous faut, au contraire, nous défaire toujours davantage... Et lorsque tout s'est effacé – et a disparu – c'est cela qu'il reste – cette présence indicible et inimaginable à laquelle ne peuvent prétendre ceux qui ne se sont encore dépouillés du faux, de l'inutile et du superflu...

 

 

Au fond peut-être du jour, ce silence qui nous échappe encore... Comme la vie – et le temps – qui s'enfuient devant la main trop saisissante – et trop avide de conquérir et de s'approprier – et les âmes en déficit d'humilité et d'innocence...

 

 

Ni succès ni gloire. Le grand effacement. La reddition de l'orgueil. L'anéantissement de l'après et de l'espoir. La capitulation du désir et du besoin de certitude. L'abandon, que l'on aimerait définitif, à l'instant – éternellement recommencé – dans l'innocent accueil de ce qui vient ; vents, tempêtes, visages, coups, circonstances, défaites, voix, cris, rumeurs, malheurs... qui nous apparaissent sous les traits du plus précieux – et de l'inévitable – où se marient, avec la plus grande sagesse, l'Amour, l'oubli, l'union et l'hospitalité...

 

 

Tenter de dire ce que nous sommes – et ne pouvons être...

Un oiseau infime posé sur une branche. Le vol majestueux de l'albatros au dessus de l'océan. Le sillage des navires. Le furtif passage des nuages. Le chant des rivières. L'arbre à la sève frémissante au printemps. Le visage décharné, et angoissé, des vieillards à l'approche de la mort. Les cris et le chahut des enfants. Toutes les expressions du monde. Et leurs infinies vibrations. Et les vents où tout tournoie... Et le rire de l'innocence qui à tout – et à tous – ouvre les bras. Et le silence que nul n'entend encore...

Les rivages où meurent les bêtes. Les eaux tumultueuses des fleuves. La parole des poètes. Tous les livres ouverts à la lumière. L'herbe et les frondaisons de la terre. Les larmes des mères sur la tombe de leur(s) enfant(s). L'air du large. La danse à l'automne des feuilles mortes. Les précipices et les chemins. Les fleurs et le goût des fruits mûrs. Les prières et les lamentations des prophètes. Les murmures et l'infini. Et l'Amour et la beauté. Et le silence, bien sûr...

 

 

Ni amour ni victoire. Un parfum de légèreté... Une présence. Un tourbillon de joie insensé. Le merveilleux du monde et le miracle de l'homme, cachés derrière l'atrocité des siècles. Et les mille visages de la terre qui ne forment, à présent, plus qu'un seul sourire...

 

 

La beauté et la joie. L'émotion poignante – insurpassable – d'être un visage parmi les visages. Et un sourire unique et commun sur toutes les lèvres...

 

 

Nous pourrions être surpris par la puissance et la magie de la poussière. Et son étonnante présence dans notre vie. Comme la marque, sans doute, la plus fidèle de notre appartenance. Comme un visage furtif dans la joie et le silence...

 

 

Tout être sans la moindre saisie ni la moindre volonté d'appartenance... Cette boue grise – et merveilleuse – qui se remodèle sans cesse en s'unissant parfois au souffle – et qui se décompose et se recompose encore... Et cette lumière, merveilleuse elle aussi, qui anime et contemple toutes les danses...

 

 

Aimer encore. Aimer toujours. Et s'y perdre jusqu'à l'effacement du temps et des visages – jusqu'à l'effacement de toute trace – de tout passé – de notre passé si orgueilleux et encombrant... Pourrait-on rêver de plus léger – et de plus merveilleux – destin... ? Et n'est-ce pas celui dont Dieu rêve pour les hommes – et toutes les figures présentes sur la terre – qui rechignent tant à l'obéissance et à la soumission (joyeuse) – à s'ouvrir à cette (possible) délivrance de l'âme, incarcérée depuis si longtemps dans son illusoire et fallacieuse identité...

 

 

Une route aussi blanche que l'innocence où s'éreinte, en vain, le réel qui serpente entre nos âmes. Et où s’enlisent les cœurs oppressés, et avides de nouvelles terres, qui exhortent à la conquête et refusent de s'abandonner – de se soumettre à toute forme de capitulation...

 

 

Ni perte ni abandon. Un juste recueillement. Notre état, sans doute, le plus naturel...

 

 

Ni sagesse ni folie. Pas même une volonté raisonnable. Le plus honnête chemin de l'âme. Notre présence – et notre appartenance – les plus familières...

 

 

Tout passe – s'anime et s'envenime un peu – avant de s'apaiser et de retrouver le silence... Tout l'éphémère l'atteste – et la présence, en lui, de l'éternité. Comme des sauts continus – et une ronde perpétuelle – voués à tous les recommencements... L'évanescence du monde bondissant au sein de la plus parfaite immobilité vivante – le sensible, son feu et ses cabrioles naissant et rejoignant toujours l'infinie et sereine immensité des origines...

 

 

Ni aubaine ni consolation. La voie implacable, et incontournable, de l'homme. Et le destin le plus raisonnable de la terre. Ce à quoi nous invite Dieu – et nous incitent, sans cesse, nos profondeurs. Ce à quoi nous conduiront tous nos exils et toutes nos errances... L'unique possibilité malgré l'épaisseur de la nuit et les griffes de l'ignorance... Cette lumière originelle à laquelle nous sommes attachés...

 

 

La fin des jours sonnera la mort, bien sûr. Mais avec elle aussi, la possibilité du retour.... Comme à tous les instants – comme à chaque instant – de cette vie avec un pas en surplomb vers cette lumière que nous sommes depuis toujours...

 

 

Et le noir – et la folle obscurité de l'ignorance et l'obstinément gris – rejoindront, eux aussi, les pentes enneigées – cette lumière blanche où tout se décompose pour renaître en soleil – où les souvenirs, et la mémoire même, s'effacent pour se métamorphoser en innocence...

 

 

Ni pluie ni fumée. Ni ciel ni désastre. L'éternel de notre visage... Et cette lumière éparpillée au fond de toutes les âmes...

 

 

Esprits et âmes inertes. Voués à la monotonie des heures et à la paresse ronronnante des jours. Pris comme la pierre dans l'immobilité des siècles. Comme des terres incultes, en friche, abandonnées au souffle hasardeux des vents où serpente, entre les ronces et les herbes folles, un mince filet de vie ; les nécessités et les contingences de la vie quotidienne ensommeillée dans le confort – et agrémentée par quelques plaisirs indigents...

 

 

Ni angle ni recoin. Une aire de pleine liberté. Ni cri ni tapage. Le seuil, indépassable, de l'écoute. Ni ombre ni murmure. Un espace de lumière. La terre d'accueil des âmes innocentes caressées par le silence...

Ni rire ni larme. L'attente, sans impatience, du plus clair – et du plus précieux – de l'existence. Comme une flamme, intacte, qui brûle les désirs. Cette présence souveraine qui règne sans partage. Les yeux de la lumière...

Ni eau ni pente. Un gouffre sans faille qui avale les doléances – et redonne à l'âme son équilibre. Le socle, éminemment fragile, de la justesse...

Ni cri ni tourment. La sereine quiétude de l'instant qui efface des siècles d'horreurs et de frustration. Et qui délivre du sentiment d'incomplétude et d'inachèvement...

 

 

Ni ciel ni haillon. Ni plume ni orage. Pas même une prière...

 

 

Ni dégoût ni mépris. Au cœur de la plus parfaite lumière. Nu comme le sont les bêtes mais avec l'âme si proche de Dieu. Notre visage le plus commun enveloppé – et débordant – d'Amour et de silence...

 

 

Ni ruine ni dédale. Ni voie ni édifice. Pas même une route – ni même un labyrinthe – où se perdre... Une eau tranquille. Le lit de toutes les rivières où viennent mourir nos vestiges et nos secrets. La voie magistrale du silence et de l'accueil sans omission où rien ni personne, jamais, ne se sent meurtri ou oublié...

 

 

Ni foule ni horde. Ni semonce ni bataille. La plus haute solitude. Et la plus vive paix de l'âme...

Ni halte ni chemin. Une aire continue de transparence, à la fois immobile et mouvante. Fugace et permanente. Insécable et éternelle...

 

 

Comme une trace de vie infime sur la corniche de l'éternité. Face à l'océan rieur – et parfois si mordant (presque sarcastique) à l'égard des hommes et des âmes recluses. De tous ces prisonniers, esprit et corps, enchaînés à leurs fers...

 

 

Comme des mains liées au néant qui plongeraient dans l'abîme qui n'est, en réalité, que la porte d'un autre ciel – plus vaste que celui dont nous sommes si familiers... Comme un saut, à la fois infime et magistral, au dedans – et hors – de soi, nécessaire à la cessation de la cécité et au silence...

 

 

[Lointain hommage à Claude Roy]

A la lisère des heures – à la lisière du temps –, une nuit plus claire. Et des millions d'étoiles. Et ce goût ineffable du présent... Un instant. Un instant seulement pour offrir nos mains et notre âme au silence et redonner au monde cette part de soi – cette lumière du ciel si longtemps oubliée...

 

 

Comme des fragments de lumière enfin réunis après avoir été, si atrocement, éparpillés... Comme la réunion de la terre et du ciel – de l'invisible et de la matière – des songes et du réel. Comme un jour de plein soleil constellé d'étoiles. Comme une chair et une main frémissantes sous les caresses du silence...

 

 

Un jour, sans doute, sonneront les cloches de l'éternité. L'instant et les mains alors deviendront si proches qu'ils dessineront ensemble la fin de l'obscurité. Et la lumière dansera partout avec le vent et les âmes pour annoncer – et célébrer à la ronde – une fête sans fin. La venue des délices et des réjouissances – ce paradis promis par les pasteurs et les prophètes des temps anciens. Et nous verrons alors le monde et l'invisible marcher main dans la main comme une procession sans âge avec, au creux de toutes les lèvres, le goût d'un infini et d'une promesse retrouvés. Comme le sacre triomphal et inespéré de tous les destins...

Et chanter – et annoncer – ce possible – et encourager les élans –, voilà peut-être la tâche secrète du poète. Et vivre cet inespéré, la besogne humble et quotidienne du sage. Quant à la vie, comme de coutume, elle se chargera du reste pour que la chance puisse sourire enfin, un jour, au monde et aux hommes...

 

 

[Modeste hommage à Cesare Pavese]

Comme une grâce amoureuse de sa propre ferveur malgré l'aube déserte. Comme un sourire chaste, une fraîche caresse – un frisson pénétrant au cœur de l'âme...

 

 

Un monde réconcilié avec le parfum des fleurs et le sourire des enfants. Avec ce que l'âme, sans doute, porte de plus précieux...

 

 

Comme une navigation diffuse au dedans de nos plus étranges méandres. Comme le goût du sel sur nos lèvres. Enfoui dans le plus nocturne des jours... Comme un fossile, intact, d'avant notre naissance, abandonné sur la grève par les marées et les promeneurs...

 

 

Ni cirque ni spectacle. Pas même un numéro de jonglage ou d'équilibriste. Le réveil de l'eau stagnante au cœur des marécages. L'intuition du ruisselet, curieux (enfin) de sa source, rejoignant, après tant d'impasses et de détours, l'océan...

 

 

Ni rivage ni forêt. Ni îlot ni désert. Pas même un décor. Le souffle nu – et invisible – du vent. Et le furtif passage des nuages. Comme une onde discrète encerclant et inondant toute possibilité. Les mille destins du monde et des âmes...

 

 

Ni masque ni parure. La plus simple – et discrète – vêture. Le goût de l'invisible comme suspendu à la chair. Et l'infime du langage pour en témoigner...

 

 

Ni foule ni sanglot. La langue brute des promesses – des mille promesses – à tenir. Et la certitude de la joie...

 

 

Ni lueur ni pénombre. La danse chavirante de la lumière. Et le gage, peut-être, d'un rire incompris – et incompréhensible. Tonitruant – et presque incongru – dans le silence et l'espérance, encore indécise, des foules. Inexplicable malgré les larmes et les malheurs. Et, bien sûr, infiniment salvateur et contagieux...

 

 

Ni chair ni peau. Pas même une ossature. Une main immense et invisible suspendue au dessus de tous les mondes. Et de tous les vides. Une extension, sensible, du ciel sans fil ni attache. La seule réalité tangible parmi les corps – et au dedans même de la matière. Une pluie ininterrompue de lumière. L’incompréhensible incarné – vivant et vibrant en toutes choses et serpentant entre elles à l'infini...

 

 

Ni fuite ni invasion. Le retour à la juste place de l'incompris. De l'oublié. De ce que nous avons tenté d'évincer pendant des siècles. L'hôte de tous les hôtes. Le tenancier de tous les pensionnaires. L'origine du monde et des saisons. Le maître de tous les lieux – celui par qui tout est arrivé...

 

 

Ni âme ni destin. Le sacre permanent de l'innommable. Comme un cœur ouvert sur toutes les lunes qui balaye le temps et le hasard... Et les premiers effrois de l'aurore lorsque meurt la nuit...

 

 

Ni brume ni brouillard. La fin des ombres et des promesses embrouillées – si intenables. Le règne d'un soleil sans rival. L'effacement des pas craintifs et dociles. Le recommencement d'une besogne inachevée. La condition naturelle du monde et des hommes. Le sort de toute existence. La prédiction de toutes les fois. Le gage – et le présage – de tous les Dieux. Le chant des origines et de toutes les sources. Notre divine réalité ; cet océan peuplé d'îles, de flots et de créatures où alternent les tempêtes et les eaux calmes par delà les rives et les mille embarcations de fortune...

 

 

L'abolition du temps et des seigneurs. Le sacre permanent de l'innocence...

 

 

Ni parole ni gémissement. Pas même un souci d'ailleurs. Le glissement implacable dans l'Un sans visage. Et le goût de soi éparpillé en autant de bouches que compte l'univers. Un ciel sans étoile qui apaise tous les désirs de fortune sans insulter ni la soif ni la gorge asséchée des hommes – et qui redonne aux arbres, aux herbes et aux bêtes l'espoir – et la saveur – des plus doux printemps. Les mille échos du silence...

 

16 décembre 2017

Carnet n°116 La tâche du monde, du sage et du poète

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Ni pluie ni soleil. Un temps, indéfiniment, incertain. Mais qui livre aux jours et aux âmes une fraîcheur inespérée. Ce que nous guettions autrefois, avec tant d'espoir, par la fenêtre derrière le ciel gris et nuageux...

Redire encore et encore ce que nous avons toujours été – et ce que nous avons toujours su – malgré l'ignorance et la haine. Comme une parole lointaine, infiniment répétée, pour s'assurer qu'elle soit entendue. Comme le silence chuchoté à sa propre oreille...

 

 

Passablement défaites par le temps, la couleur des pages et la voix du poète. De plus en plus blanches et silencieuses. Comme arrivées à l'extrême de leur possibilité... Au seuil, peut-être, de l'innocence. Au bord, sans doute, de la lumière...

Avec toujours moins à dire que le moins bavard des silences. A la frontière de la plus grande extase et du plus définitif effacement... Au cœur de cette joie, détachée du désir, que cherchent tous les hommes...

 

 

Sous la férule du silence, sans doute, les plus belles paroles. Celles qui se prononcent dans la plus parfaite innocence, sans même le souci d'être entendues...

 

 

Quelques mots que le poète adresse au silence. Comme une gratitude envers celui qui s'est partagé...

 

 

Ni paix ni violence. Ni grâce ni souffrance. L'instant seul malgré le défilé, improbable, des heures...

 

 

Le rien. L'incertitude totale du monde. Et la fenêtre des possibles, entrouverte, où viendront s'effacer tous les destins...

Ce qui s'approche, et que l'on voit arriver, ne viendra peut-être pas... Ou arrivera plus tard lorsque les circonstances l'exigeront...

Et ce qui doit nous rendre visite se montrera aussi sûrement que ce que nous ignorons. Avec autant de certitude qu'est grande notre ignorance de la vie et du monde...

Une existence – et un destin – livrés aux (seules) nécessités des jours et au silence...

 

 

Nos vies. Quelques anecdotes dans l'épais, et risible, récit du monde. Quelques gouttes dans l'une des minuscules rivières de l'univers, pas même conscientes de l'infini qui les a fait naître – qui les alimente de façon permanente – et dans lequel elles se jettent continuellement...

 

 

Ni mot, ni faim. Pas même un poème – ni même un morceau de pain – à offrir. Un regard posé là – et sans appétit – que jamais les circonstances ne viennent contredire... Comme une vacuité lisse – et pleinement acquiesçante à tous les désirs, à toutes les frénésies et à toutes les formes d'absence...

 

 

Le langage universel est le silence. Et il (nous) faudrait, sans doute, traduire tous les signes et toutes les langues du vivant, et jusqu'aux plus rares dialectes, en sabir – en socle unique de compréhension. Comme une tour de Babel inaudible, en quelque sorte, mais enfin efficiente...

 

 

Ni désir ni image. Le plus éternel. La fragile évidence d'être vivant. L'émotion pure d'exister... Et la certitude d'une présence éminemment lointaine, et si proche pourtant, accueillant ce qui passe : le monde, la terre, la vie, les bêtes et les hommes, l'illusion du temps et tous les visages de l'invisible. Ce que nous croyons savoir. Ce que nous croyons être et ce que nous sommes... Notre double identité : l'être et ce qui est, indivisibles – unis dans leur fabuleuse diversité de traits...

 

 

La souffrance n'est absurde. Et moins encore un sacrifice. Elle est le signe d'une possible transformation. Le gage d'une joie à venir. Un pas initiatique dans la découverte de ce que nous sommes. Une tentative de percer – et de mettre à jour – ce que nous croyons – et avons cru – être... Une opportunité de quitter la croyance et l'illusion. L'invitation perpétuelle de la lumière à l'innocence et à la vérité...

 

 

Entre terre et ciel, la promenade furtive de l'homme. Un bref et superficiel séjour voué au labeur et aux agréments (assez indigents) où la métaphysique et le spirituel – et tout questionnement d'ailleurs – sont bannis. Relégués (au mieux) à l'adolescence et (avec un peu d'espoir) à l'instant de la mort.

Pas de quoi amorcer la moindre fouille – ni creuser et suivre la moindre piste. Pas question donc d'approcher le réel et la vérité ni même de vérifier la longueur et la couleur de la barbe de Dieu...

 

 

Ni question ni réponse. Ni quête ni vérité. Juste un éloquent silence...

 

 

Une poésie – et même une écriture – non métaphysique est comme un rideau sans fenêtre. Une (simple) décoration sans perspective...

Dans la poésie métaphysique, la parole tient lieu de poignée pour ouvrir la lucarne, notre si minuscule lucarne, et voir – et sentir – le monde et l'horizon si vivants et s'avancer, au loin, le silence et la lumière qui les recouvriront bientôt... Voilà, sans doute, la plus noble vocation du poème...

 

 

Il n'y a rien à dire sur le monde. Et rien à lui réclamer. Simplement, peut-être, lui offrir le silence – ce grand monstre inquiétant et repoussant mais dont la présence assurément éclaircirait ses ambitions, refonderait ses projets et ses programmes, aiguiserait, sans doute, sa curiosité et ses interrogations et octroierait à son peuple, ne sait-on jamais, un goût plus prononcé pour la beauté et l'innocence – pour l'honnêteté et la vérité, si nécessaires pour transformer sa marche folle et insensée...

 

 

Un séjour, des espoirs, des démons. Et la naissance – la perpétuelle continuité – de la tristesse. Comme la seule possibilité de voir éclore, un jour – plus tard – beaucoup plus tard – la lumière et le silence...

 

 

Le secret des ombres ? Hormis notre ignorance, elles n'en ont guère... Un destin fait non de hasards mais de forces mécaniques peut-être...

 

 

Des siècles peu soucieux de silence et d'oubli où l'on expose, dans toutes les vitrines, ses bruits et son nom comme la seule gloire possible. Le sacre de la plus haute ambition de l'homme. Tristes millénaires...

 

 

Ni jeu ni pouvoir. Un goût de l'Autre, à jamais irréversible où le silence, seul, est célébré...

 

 

Parole après parole, on se défait du silence pour le rejoindre plus sûrement peut-être...

 

 

Une agonie, plus belle que nos vies, nous invitera, un jour, à une fête inoubliable organisée en notre honneur... Le temps de parvenir jusqu'à l'innocence...

 

 

Chercher l'invisible derrière la matière. Et la joie qui se cache dans les circonstances. Cette danse inévitable, partout, du silence...

 

 

Au fil des jours se dégagent, peut-être plus obstinément, la joie et la lumière que rien ne pourra déchirer – ni les ombres ni la nuit. Comme la plus lente – et la plus éclatante – victoire sur tant de siècles d'obscurité et de malheurs...

 

 

Ni pluie ni soleil. Un temps, indéfiniment, incertain. Mais qui livre aux jours et aux âmes une fraîcheur inespérée. Ce que nous guettions autrefois, avec tant d'espoir, par la fenêtre derrière le ciel gris et nuageux...

 

 

Homme de silence et de simplicité, juché sur la plus haute rosée de la terre. A califourchon entre le soleil et les étoiles... Evadé de la gangue noire des illusions où sont enfermés les hommes. Un pas de danse. Une parole claire. Et pas l'ombre d'un soupir. Un murmure, né de la lumière, adressé au vaillant, et malheureux, peuple de la terre...

 

 

Redire encore et encore ce que nous avons toujours été – et ce que nous avons toujours su – malgré l'ignorance et la haine. Comme une parole lointaine, infiniment répétée, pour s'assurer qu'elle soit entendue. Comme le silence chuchoté à sa propre oreille...

 

 

Ah ! S'il nous était possible de ne pas être mêlés aux complots de cette sordide réalité... Mais qui a dit que nous n'en sortirons pas indemnes...

 

 

Un matin de pluie et d'amertume ? Non, cette longue nuit où se sont enfoncés les hommes qui attriste (un peu) l'âme sage qui attend sans impatience le soleil de la mi-journée en espérant qu'il saura éveiller quelques visages, trop longtemps endormis peut-être... Mais comment pourrait-elle ignorer que le sommeil est, bien souvent, le prélude de tout réveil...

 

 

Le silence est un visage sans lèvres. Et la lumière un œil sans nom. Et nous sommes cette étrange figure que nul ne voit et qui effraye tant les hommes. Cette présence, invisible, qui embrasse le monde. Et dont les baisers, infiniment répétés, finissent par éveiller les âmes. Ce que les hommes, depuis les origines – dans leur crainte et leur ignorance – appellent Dieu...

 

 

Ni désir ni parole. Pas même un silence. La table – l'établi – du poète où se pose ce qui meurt – et où s'élance ce qui doit naître. Comme le signe peut-être que la lumière ne peut mourir... Qu'il existe une piste – et que des traces sont perceptibles – pour qu'advienne l'effacement, et, à sa suite, plus tard, peut-être le silence...

 

 

Entre le désir et le souvenir, l'homme saute à cloche-pied sur sa marelle en comptant les points – et les heures creuses où il s'enchaîne depuis des siècles... Et on le voit lancer son palet toujours un peu plus loin en croyant ainsi pouvoir atteindre le ciel, cet inconnu – cette infime possibilité de lumière...

Et après le ciel, qu'y a-t-il ? se demande-t-il parfois. Serons-nous enfin parvenus au paradis – à cet éden tant espéré ? Serons-nous arrivés à la fin du voyage ? Non, lui dit le sage. Nos yeux seront désormais ouverts mais il nous faudra encore reprendre le chemin – refaire le voyage maintes et maintes fois jusqu'à ce que les noms inscrits à la craie sur le bitume de la terre, et les frontières et les étapes, s'effacent. Disparaissent...

Et au jour du grand silence, nous comprendrons enfin le jeu du temps, des désirs et du souvenir... Et nous dessinerons alors une autre marelle, plus grande peut-être, différente sans doute, ou nous inventerons un autre jeu pour offrir à la lumière et au silence la joie d'être vivants – et de se perdre et de se retrouver encore et encore aussi beaux qu'aux premiers jours de tous les recommencements...

 

 

Des barreaux plus innocents que les mains qui jettent dans les cages... Qu'auront donc vu les hommes, victimes et bourreaux, de l'innocence ? Ils mourront, sans doute, comme ils sont nés avec cette infecte barbarie au fond de l'âme...

 

 

Au dedans, cette voix qu'ignorent les cris du dehors...

 

 

Dire la fraîcheur du matin. La mort qui guette partout. La beauté des arbres. La hache des bûcherons. L'infini des jours et la marche sans fin. La terreur et la misère des hommes. L'effroi et la solitude des bêtes. Dire la vie, le monde et la lumière. Tourner – tourner sans cesse – autour d'un silence inconnu... Et éveiller lentement notre visage à l'atroce beauté des saisons. S'établir au cœur des incertitudes. Et aimer – et contempler – encore ces amas de poussière qui tournoient dans les vents... Et cette âme, si belle au fond qui attend le silence – et la lumière qui saura l'éclairer sur l'abjection et l'infamie, l'éternelle traversée des heures, et l'instant, à peine né, qui s'efface déjà – et les circonstances que déploient l'univers et le cours des choses... Ce si peu d'existence qui nous est offert pour apprendre à vivre...

 

 

Tout dénouement annonce les prémices d'un nouveau recommencement. L'éternel retour des choses qui meurent – et renaissent encore... L'évanescence du passage. Et la certitude de l'effacement. Le fil rouge, en quelque sorte, de l'Existant...

 

 

Les vies. Comme de courtes vacations où chacun tient son rôle – et remplit sa mission.... Quelques traits dans le destin du monde – et dans le grand dessein de l'univers...

 

 

Tout a été dit déjà. Aussi que pourrions-nous dire qui n'a jamais été exposé ni annoncé ? Le silence réclamerait-t-il encore une parole ? Et laquelle ? A moins, bien sûr, que nous ayons encore mal entendu – et mal interprété ses consignes...

 

 

Encore une ligne – encore un chemin – où se perdront quelques mots – où se perdront quelques pas... Comme une danse – une ritournelle – irrésistibles du corps et du langage...

 

 

Et si le monde – l'histoire du monde – nous était conté(e) par les pierres, les arbres et le silence – saurions-nous entendre leurs murmures et leurs secrets ? Saurions-nous nous asseoir paisiblement à leur côté pour écouter le récit des siècles raconté par ceux que l'on croyait inaptes au langage – et qui ont pourtant tant de choses à nous dire – et tant de vérités à révéler à ceux qui se sont toujours imaginés les uniques dépositaires de la parole et de l'intelligence...

 

 

Y aurait-il une joie à partager dans le silence que nul ne ressent encore... Et un Amour – et une lumière – que nul ne pourrait corrompre ni assombrir... Comme les vestiges intacts, et toujours neufs, des origines que les hommes n'ont cessé de fuir pour se mettre en quête de bien pâles et indignes nouveautés...

 

 

Il y a peut-être un pas que jamais nous ne saurons accomplir... Celui qui se réalise sans raison. Pour la simple joie d'aller sans destination...

 

 

Nous allons sur les chemins de la terre parmi les catacombes comme si la mort n'existait pas. Comme si la mort n'était qu'un rêve – qu'une ligne d'horizon lointaine – alors qu'elle est là, éminemment présente, à chaque pas – à chaque souffle ; la mort des autres que nous feignons de ne pas connaître – et à laquelle nous nous pensons étrangers... et la nôtre dont chaque instant nous rapproche...

 

 

Une joie peut-être à dire ce que nous ne pouvons encore comprendre du silence...

 

 

A nouveau, quelques pas dans la brume. Comme prisonnier toujours des jours bas et des reliefs de la terre... Une inclination, peut-être, de l'âme, à se morfondre dans sa dimension la plus humaine – à prêter le flanc à la stupidité de l'attente – et à l'espoir de jours meilleurs où régnerait à jamais un temps clair et clément...

 

 

La grâce d'un instant de présence. Comme la preuve, possible, d'une éternité réellement vécue... Avec ce regard clair et confiant si caractéristique... Cette joie tranquille. Et cette âme qui n'attend ni n'espère (plus) rien... Simple témoin acquiesçant à ce qui passe et s'efface aussitôt... Comme un infini au dedans de la chair, spectateur désincarné, et sans exigence de certitude, d'un monde ni réel ni fantomatique – indéfinissable...

 

 

La compagnie d'un poète. Comme une main amicale et réconfortante sur l'âme solitaire – et un peu perdue – qui cherche désespérément sa propre confiance et son propre chemin parmi les vents et les visages, parfois si hostiles, de ce monde...

 

 

Un soir de lune blanche comme pour dire aux hommes et au ciel d'attendre le silence...

 

 

Vaine est la vérité que l'on crie aux hommes car l'on verrait aussitôt quelques-uns s'en emparer et en user comme d'une hache pour nous fendre le crâne et verser sur la terre un sang inutile...

 

 

Le silence sera toujours le plus utile – et le plus fidèle – allié de la vérité que l'on verserait (tout entière) dans chaque geste juste en oubliant, bien sûr, la renommée – ou la gloire, toujours possible – de son auteur...

 

 

Baignés encore de nuit, je vois les hommes déambuler au hasard sur les chemins de la terre, l'âme et la peau trempées d'espoirs et de terreur... Comme une armée d'intrépides aventuriers voués à la malédiction de l'incarnation. Vivants de chair promis à tous les sortilèges...

 

 

Ni vertige ni avancée. L'ombre mutilée, presque agonisante, qui s'éparpille en éclats. En poussière dans la lumière. Comme une trêve, une rémission peut-être, dans le provisoire des siècles...

Ni trappe ni fenêtre. Ni vent ni séjour. L'abandon d'un pas, autrefois si fier, aux portes du jour. Et le soleil derrière la vitre qui dessine un ciel sans étoile. Une clarté, encore imprécise, qui inonde tout ; abîmes et puits de lumière. Notre seule gloire peut-être...

Ni tombe ni regard. L'éternité qui se repose des siècles dans le plus éphémère...

L'âme et le ciel emportés dans le même trou de lumière...

Ni œil ni aile. Ni chemin ni ornière. Une présence à laquelle tout s'abandonne – et dans laquelle tout s'efface...

 

 

Nos vies, nos âmes submergées par ce lointain qui s'est approché – et que nous avons accueilli comme le plus familier... Ce visage – notre visage – que nous avons cru perdu – et que nous cherchions partout si désespérément – et qui est venu au terme de tous les abandons...

 

 

Ni voix ni oiseau. Ni chant ni parole. Pas même un murmure. Un grand silence où tout s'estompe – et que nos désirs dissimulaient, intact, au fond de l'âme...

Et nous sourions aujourd'hui de toutes ces murailles que nous érigions pour nous en défaire, ou le rendre plus vivable, et qui gisent à présent en contrebas parmi la poussière que les vents balaieront comme le reste – comme tout ce que nous avons abandonné dans le grand puits de l'oubli, là où la mémoire ne peut pénétrer – là où la mémoire même se défait...

 

 

Surgie de nulle part – et, peut-être, de partout – voilà la présence qui s'immisce, qui s'infiltre et se propage en tous lieux. Dans le regard d'abord, puis dans l'âme et le cœur et dans la vie et le monde enfin... En – et parmi – nous qui l'avions tant espérée – et qui n'avons jamais rechigné à nous dépecer jusqu'à effacer les noms sur la chair – et jusqu'à nos plus infimes désirs...

Et, à présent, partout des ombres, des cris, des chants et des cascades de lumière. Comme les reflets de notre vrai visage. De ce que nous n'avons jamais cessé d'être – et que nous serons encore jusqu'à la fin des siècles. Et, sans doute, bien plus longtemps encore... et que nous serons peut-être même pour toujours : cet étrange entremêlement de tout dans le silence...

 

 

Dans un silence, inaudible bien sûr, nous serons jetés un jour...

En attendant, gardons-nous de blesser la chair qui n'est, sans doute, que la périphérie de l'âme... La frontière mensongère qui, comme nous le croyons si naïvement, nous sépare du reste du monde mais qui n'en est, en réalité, que le prolongement...

Meurtrir et tuer sont des actes ordinaires, et habituels, en ce monde mais ils constituent, en vérité, une atroce auto-mutilation. Et nous le saurons tous, un jour, lorsque nous aurons rencontré notre vrai visage... Et les massacres et les tueries alors cesseront sur-le-champ... Et aimer et chérir – et prendre soin – deviendront aussi naturels, et nécessaires, que respirer... Les seuls actes et la seule perspective possibles...

Et au fil des siècles (et des transformations perceptives), nous serons toujours plus nombreux à offrir notre présence, de plus en plus légitime dans l'esprit des peuples, à ce monde gangrené par les pires maux de la terre – et exacerbés par le vivant, et l'homme à sa tête, encore si puéril et immature : l'absence, l'ignorance, la haine et la cruauté. Toute cette barbarie – et toute cette tyrannie – que nous croyons aujourd'hui encore indispensables à notre survie...

 

 

Peut-être aurons-nous tous, un jour, l'occasion de véhiculer cette parole qui encense et ensemence l'Amour... et la possibilité de le transposer en gestes... Et ce jour-là, nous nous réjouirons d'être des hommes. Et le vivant se réjouira d'être en vie. Et la terre se réjouira de notre présence... Comme une grande famille (enfin) réunie dans la joie, la lumière et le silence après tant de guerres atrocement fratricides... Que pourrions-nous espérer d'autre ? Ne serait-ce pas là le plus beau destin du monde...

Et la tâche la plus digne, et la plus urgente, du poète serait sans doute de livrer, dans ses dérisoires lambeaux d'écriture, ce goût pour un au-delà des horizons communs – et de s'approcher au plus près de cet Amour si maladroitement incompris, et voué jusqu'à aujourd'hui à l'indifférence du monde et des hommes...

 

 

L'arbre et le monde, comme la joie et la poésie, se déploient – et se déploieront toujours – dans le plus grand silence...

 

 

Soyons présents là où se glisse le vent. Là où le silence perce les ténèbres pour se faire joyeux... Il n'y a d'autre endroit pour vivre – pour aimer et comprendre un peu... Comme un étroit interstice dans lequel le monde – et les hommes – refusent de plonger et de disparaître... Là est cette vie pleine à laquelle nous aspirons...

 

 

Et le bleu, peut-être, nous dira le jour. Et le scintillement pâle des étoiles, la nuit. Et peut-être serons-nous (enfin) réveillés à l'heure de la grande éclipse... Présents de l'aube au crépuscule, témoin impartial de l'obscurité et de la lumière, insoucieux du sang versé par les vivants...

 

 

Un dernier soupir – un dernier sourire peut-être – nous fera frémir. Comment savoir le dernier accueil que nous réserverons au monde...

 

 

Danses, facéties, et même quelques rires, aperçus – et entendus – non loin du tombeau qui s'approche à grands pas. Comme une ombre immense sur tant de frivoles gaietés – sur ces infimes soleils que les hommes aiment tant coller sur les murs de leurs ténèbres pour essayer de repousser la mort – et l'oublier – comme s'ils ignoraient qu'elle finira, un jour, par tout emporter...

 

 

Une lumière imaginée, ou imaginaire peut-être – allez savoir... – vient s'immiscer au dedans de tout. Et au fond de l'âme d'abord qui en a tant besoin...

 

 

Marcher avec le temps collé aux basques – et avec ces souvenirs et ces mille projets gravés sur la peau – comment l'âme pourrait-elle connaître l'innocence...

 

 

Nous sommes nés loin des miracles. Comme les fruits, amers sans doute, d'un songe que nous n'avons choisi. Les acteurs d'un mythe voué(s) à la mort – et qu'aucune marche ne sauvera... Le centre de ténèbres infranchissables dont seul le regard pourrait nous délivrer... Mais comment pourrait-on y consentir en demeurant prisonnier de l'apparent paradoxe du vivant...

 

 

Ni gloire ni célébration. Ni yeux ni main pour encourager et applaudir... Une solitude monumentale, et merveilleuse, où se glisser. Y bâtir son nid (rugueux) et son aire d'envol... Et le courage qu'il nous manque parfois pour y poser notre âme... Mais le chant des oiseaux sera là encore, une nouvelle fois, pour nous exhorter à émerger de la paresse et des enlisements. Comme des anges venus, peut-être, guider notre chute. Comme une bénédiction offerte à tous les honnêtes aventuriers...

 

 

Des lambeaux d'écriture comme des fragments de prière inutiles. Déchirés par l'usure et la récurrence du langage. Posés là devant l'indifférence du monde et des hommes comme les vestiges d'une ère où l'écriture était libre et joyeuse et la parole des prophètes entendue...

 

 

Et toutes ces têtes attentives aux autres que nous ne connaîtrons jamais, ensevelies par les foules et l’insensibilité des siècles... Et qui nous auront pourtant jeté, parmi les cris et les bruits de ce monde infâme, quelques signes de joie, quelques larmes, le goût pour un au-delà des horizons et ce désir inespéré de silence... Comme la preuve – et un avant-goût peut-être – d'une lumière encore lointaine – encore si lointaine pour les hommes...

 

 

Ce dont s'honorent peut-être les pierres, le silence des âmes...

 

 

La bouche entrouverte dans le silence, muette devant la beauté, à peine entrevue, du monde qu'aucune parole ne pourrait satisfaire – mais qu'une présence saurait apaiser – et dont les gestes sauraient, sans doute, amoindrir les tourments, l’inquiétude et les interrogations...

 

 

L'homme poignardé, pense-t-il à la moindre occasion, par le silence et la solitude alors qu'en vérité, ils le soulèvent. Et l'invitent au plus haut faîte du monde...

 

 

Aucune menace ne pèse sur nous sinon peut-être l'ignorance – et ses cascades de malheurs qui (nous) enchaînent au pire de l'homme...

 

 

Nul calvaire pour les insoumis. Les promesses de la solitude. Et, plus tard, les joies du silence...

 

 

Enfoui dans cette crainte de nous-mêmes, le plus beau – et le plus pur – de notre visage. La réponse à toutes les énigmes. Le plus sûr allié du monde. Et la plus généreuse promesse, sans doute, de silence et de lumière, ensevelis aujourd'hui sous des couches d'espoirs et de mensonges, nos plus fourbes et illusoires atouts pour nous découvrir...

 

 

Le jour où nous saurons nous agenouiller – et nous livrer à une contemplation auréolée de cette gratitude de l'âme entrée en grâce, nous nous tiendrons plus debout que jamais... et serons plus vivants – et plus réels – qu'au cours de tous ces siècles où nous nous serons tenus le buste droit et fier face à la terre apprivoisée – et dominée à force d'exactions et d'anéantissements...

 

 

L'humanité. Une armée d'âmes défaites et fragiles. Une procession de fantômes, poings levés et mains saisissantes posés devant soi, qui avance sans rien voir, sans rien aimer ni comprendre. Et qui arrache à la terre, et à son peuple, leur liberté et le droit de choisir leur destin. Et qui anéantit et exploite, par delà ses mille querelles, toutes leurs parcelles – et jusqu'au plus sensible de l'Existant. Et par ses méfaits, épuise – ruine presque – toute possibilité de lumière en l'ajournant à un après, plus qu'improbable...

 

 

Et cet invisible – et ce minuscule – qui partout nous sauvent de l'infamie. De cette fatale stupidité qui emporte nos cœurs et nos âmes. Et qui agite nos gestes et nos pas dans un hasardeux et dévastateur aveuglement...

 

 

Après nos ripailles et nos gloires viendra le temps du tremblement... L'aube d'une ère magnifique qui encensera l'humilité, mère de l'innocence, qui, seule, pourra offrir à notre visage la nécessité du respect et de la gratitude (naturels) – et à notre âme la joie silencieuse et discrète de notre appartenance et de notre filiation... ce socle invisible sur lequel pourra naître – et croître (enfin) – l'Amour...

 

 

Nous sommes, sans doute, cette évidence de matière, de chair et de souffle entremêlés et de silence. Tout dans nos vies – dans nos âmes – et sur nos visages – l'atteste. Reflets limpides de notre apparente et secrète appartenance...

 

 

L'étrange appel du monde qui nous condamne avant même que nous ne surgissions... Comme l'évidente, et si compréhensible, malédiction du vivant... A peine nés que déjà coupables – et soumis à tous les sortilèges de l'incarnation...

 

 

La besogne, si nécessaire, de l'invisible et de quelques anonymes pour révéler le grand œuvre du silence... Cette joie fragile, insaisissable, en filigrane de nos vies – comme la promesse de notre labeur – à laquelle ne participeront jamais ni le peuple ni les puissants, et moins encore, sans doute, les célèbres et les nantis...

 

 

La certitude de l'incertain qui partout inscrit sa marque – et son sceau – presque invisibles aux yeux des hommes. Et qui engorge pourtant tous les recoins du monde et de notre vie – et investit tous les replis de l'âme et du cœur... Comme l’empreinte mystérieuse de notre indéfinissable identité...

 

 

Un éclat, une pureté, un éblouissement. Cet instant du jour où se rejoignent tous les possibles et l'acquiescement joyeux. Cette part de silence en nous, peut-être, oubliée... Comme le crochet invisible qui tisse la toile dont nous sommes faits... et qui compose ce que, dans notre ignorance, nous appelons le monde...

 

 

Traversé à l'improviste, parfois, par le silence. Cet hôte imposant, et si souvent embarrassant que nous ne savons que faire alors qu'il suffirait d'y glisser son âme – et de la laisser y vivre à son aise...

 

 

Tant de prophéties – et de paroles même – finiront en silence. Mais pourrait-on seulement rêver pour elles de plus beau destin...

 

 

Ce que nous aimons et appelons de nos vœux comme ce que nous rejetons et fuyons comme la peste ne finira jamais. Et nous serons toujours cette éternité qui accueille le temps et les mille choses qui passent... et qui reviennent sous d'autres traits – et d'autres visages – sans jamais pouvoir s'éteindre ni s'effacer. Condamnés, en quelque sorte, à cette étrange perpétuité...

 

 

L'immobilité et l'infini, seuls témoins du mouvement et de la finitude. La conscience silencieuse et éternelle comme l’unique présence en ce monde...

 

 

Des livres, des bâtons et des chiens. Il y en a, je crois, dans tous les recoins de la maison... Dieu sait que j'aime le dépouillement mais j'apprécie tant leur présence qu'ils m'accompagnent partout – et presque à toute heure du jour...

 

 

Cet Autre en nous qui ne se reconnaît dans notre visage si hostile – si fermé – et que désole chaque regard méfiant jeté à l'inconnu... Et qui appelle pourtant de ses vœux toutes les réconciliations...

 

 

Vivant, certes, dans la respiration du monde mais si peu attentif et sensible au souffle venu du ciel... Comme amputé... Incomplet. Inapte encore à trouver l'entendement. La voie de l'entremêlement et de l'union entre la matière et le silence... Notre si commune identité...

 

 

Nous mourrons avec nos mystères et nos secrets – et avec ceux du ciel – plus opaques et irrésolus que jamais... Et il nous faudra un cœur – un sang et un souffle – nouveaux pour émerger de notre long sommeil que ni le monde ni le poète ne pourront nous offrir...

 

 

Gorgés d'espoirs et de victuailles peut-être, mais l'âme, si exsangue, que toute marche devient impossible. Comme une boursouflure alimentée par les jours et la paresse. Comme le signe, atroce, d'une invalidité métaphysique...

 

 

Ni soleil ni linceul. Une eau limpide et sereine. Et des bras ouverts aux circonstances. Comme un oiseau – une rivière – à la gorge immense contemplant les feux de la terre et les miracles – tous les miracles – du ciel. Comme une bouche peut-être, à la fois béance et miroir de toutes les horreurs infligées et de toutes les merveilles offertes... Comme un appel, une invitation – un chant discret et continu parmi les bruits et le brouhaha des hommes...

Ni peine ni sang versé. Comme des lèvres sur lesquelles se serait effacée l'espérance – et où tout, à présent, pourrait se poser... Comme la marque, évidente, d'une innocence possible – d'une joie et d'une présence sans discontinuité. Comme un soleil privé d'ombre et sans déclin. La figure éternelle d'un Dieu sans malheur...

 

 

Un cri dans le chaos pour redonner illusoirement au monde un peu d'ordre. Quelques certitudes. Satisfaire peut-être un besoin d'espoir. Faire émerger une promesse (certaine). Que nenni... Une blessure supplémentaire... Une résistance plus vive encore à l'ordonnancement (furieux) du joyeux bordel qui nous anime – et qui nous compose et régit le monde. Cet étrange entrelacement des pôles et des extrêmes – et de leur infinie palette de teintes et de nuances où chaque mélange de couleurs obéit à ses nécessités et aux desseins de l'univers orchestré par un Dieu hilare mais confiant en notre clairvoyance pour résoudre ce mystère – et le laisser s'exercer sans que nous y jetions quelques troubles supplétifs inutiles qui complexifieraient un tableau déjà bien assez insaisissable et incompréhensible...

 

 

Au bord du dénuement, une étincelle. Les prémices d'une vérité incomplète – et infiniment renouvelable. Comme l'écho permanent d'un silence ininterrompu. La grâce et la lumière, encore si inaccessibles aux hommes. La besogne du poète. Et l’œuvre, si discrète, du sage...

Et nous irons ainsi enveloppés sur toutes les routes – et vers l'inconnu dont nous ne connaîtrons jamais le visage... Et, sans même le savoir, nous nous habillerons de ses yeux – et nous nous recouvrirons de ses rires, et de ses larmes parfois, avant qu'il nous soit offert, un jour, d'habiter son silence...

 

 

Ni trace ni larme. Pas même une empreinte. Ni soleil ni silence. Pas même un héritage. Simplement ce visage dont nous avons déjà tous les traits... Et qui s'en ira dans la nuit – et qui reviendra avec le jour. Et qui connaîtra encore l'abîme et la lumière – les malheurs et l’innocence – jusqu'à l'impossible effacement du monde. Jusqu'au bout, interminable, de tous les chemins...

 

16 décembre 2017

Carnet n°115 Encore un peu de désespérance

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

On ne nous dit rien du jour. Ni rien de la nuit. On nous empale avec des clous et des promesses. Des paroles et des mensonges insensés. On nous enjoint de vivre et de croire. D'essayer de survivre et d'espérer. On nous livre à nous-mêmes. Et cet abandon est notre chemin. Notre seul atout. L'unique salut possible...

Des cendres et de la poussière. Une chair exposée à toutes les brûlures et à toutes les indigences mais adossée, toujours, au soleil...

 

 

Peut-être le monde n'est-il, après tout, qu'un cri continuel dans le silence... Une sorte de grognement plaintif et curieux, né de l'hébétude et de la peur... Comme les sanglots d'un nouveau-né qui n'en finirait pas de hurler son incompréhension et sa douleur d'être vivant... Et que rien ne saurait consoler...

L'accouchement – la naissance – est une délivrance, avait-on dit à sa mère. Qui aurait donc pu lui avouer la vérité ? Qui aurait pu lui dire que la naissance est le commencement d'une longue agonie – d'une longue détention – d'une vie de peines et de misères qui ne peut se libérer qu'avec la vérité – avec la compréhension sensible de notre nature et de notre origine – avec la découverte de notre vrai visage ?

 

 

Le vent et la mort balaieront encore la terre comme au premier jour de la genèse... L'Amour, la lumière et le silence, eux, étaient là, déjà, depuis toujours. Et seront là encore lorsque tout aura été défait, effacé et enfoui dans les sables du temps...

 

 

Il y a mille absences et mille silences qui éloignent de la véritable absence – et du véritable silence : le plus vil et le plus ignorant qui écartent, toujours, le plus haut auquel nous pouvons prétendre...

 

 

Après la mort, les restes d'une vie distribués d'une égale façon entre le silence et les vivants... Pour l'un, la part la plus sage et pour les autres, ce qui leur revient : le plus partageable – quelques babioles dont ils feront un médiocre usage...

 

 

On aimerait parfois se glisser dans l'infini. Et s'effacer dans le silence. Comme une délivrance. Une façon de s'extirper de toutes ces chaînes. Un espoir de (pleine) vivance. Comme un défi lancé à notre douloureux visage dont le reflet envahit le miroir... et que le monde continue de frapper – et d'effacer à coups d'insolences, de brimades et d'indifférence... et que nul ne voit excepté celui qui sait faire face au miroir, au visage et à son reflet sans jamais s'exposer au regard... Ce silence en nous qui contemple le plus infime rêvant d'infini...

 

 

Le vertige est un abîme. Une chute dans l'inespéré. Un envol vers l'infini. Un saut du regard dans ce qui le contemple. Un retour ignoré vers ce qui sait – et ne peut trahir – et dans lequel tout finit par se noyer... Comme une réconciliation avec notre plus haute ignorance : l'innocence et l'oubli, les ailes de la vérité...

 

 

Un mur, une fenêtre et l'espoir à enterrer au dessous des peines et des soucis. Dans les profondeurs insoupçonnées de l'oubli. Comme l'appel (bienveillant) de l'infini et de sa sœur jumelle, l'éternité pour que les retrouve ce qui s'érige, ce qui sépare et s'efface... L'infime rappelé à l'innocence et à l'espace sans restriction...

 

 

Ni terre ni eau. Une lumière naissante qui efface la brume des âmes et le sang sur les visages. L'asphyxie des vies retirées – assombries par l'ombre puissante des rêves. Comme une invitation au plus simple pour redonner au monde le sacré, oublié et piétiné depuis les origines, par les siècles, l'instinct des bêtes et les songes des hommes...

 

 

Peut-être aurons-nous l'honneur de voir naître le jour – et s'effacer ces affreuses nuits de tempête et de silence...

 

 

Ne pas témoigner de l'indicible. Incarner son possible visage... Sans doute est-ce cela être sage... Vivre sur terre, humblement auréolé d'une lumière intacte, parmi les bêtes et les hommes...

 

 

Rien ne peut éclore sans le silence. Ni la pluie, ni les jours ni les pleurs. Pas même le chagrin de son absence...

 

 

Au dedans de nous, cette lumière – infirme – comme séparée, coupée de son fleuve, large et solide, où elle pourrait s'écouler libre et heureuse, remplacé par des ruisselets, étroits et sombres, de peurs et de longs canaux souterrains où se déversent les égouts : l'espoir et le souvenir...

 

 

Dans le brouillon de notre vie, que de ratures encore, de gribouillis d'encre noire et de paroles muettes à force de silence... Quelques feuillets emplis de traits dérisoires que personne n'a pris – ni ne prendra – la peine de lire. Indéchiffrables, impartageables, illisibles peut-être... Comme si nous étions les seuls, toujours, à pouvoir écrire – et tourner les pages de notre infime, et presque inutile, existence... Palimpseste ignoré où tout ce qui se note s'efface (presque) aussitôt... Comme une invitation permanente à l'innocence (la blancheur de la page) et à la lumière (l'accueil sans restriction des circonstances – du flot permanent de la vie et du vivant). L'infini du regard sur l'immaculé perpétuel de la feuille où ne cesse de s'inscrire et de disparaître une foule de signes et d'événements – tous plus insignifiants les uns que les autres...

 

 

Ce regard infiniment curieux et solitaire d'avant le langage qui confère aux yeux l'émerveillement silencieux – béat et reconnaissant – que la parole vient, si souvent, corrompre...

 

 

Quelques notes pour dire l'homme à l'homme. Les fondamentaux qui fondent et façonnent l'humanité. La traversée du monde et de l'inhumain pour éveiller à un au-delà de l'homme déjà présent en lui mais encore infécondé... Une façon peut-être de donner vie à cette part en nous qui sommeille...

 

 

Qu'offririez-vous à celui qui ne sait* donner un peu de lui-même ? Rien, ou à peu près rien, n'est-ce pas ? Aussi, voilà, sans doute, pourquoi le monde est toujours ce qu'il est...

* Qui ne peut ou, pire, qui ne veut pour mille mauvaises raisons...

 

 

Les loups sont derrière les visages. A peine dissimulés par nos yeux de chien docile. Les crocs – et la bave rageuse – cachés par les sourires de façade. Hobbes transposé en une perspective plus vaste : le monde est un loup pour le monde. Et la vie qu'une chair à écorcher. Une matière dont on se repaît...

Corps repus et âmes faméliques. Ainsi vivons-nous, nous autres, folles créatures de la terre. Chair massacreuse de la chair...

Et nul soleil à l'horizon. Le sombre régnera encore pendant des siècles avant que les visages et les âmes ne découvrent l'innocence...

 

 

L'inouï né du langage que la vie même a du mal à imaginer... Comme si cohabitaient en nous, et ici-bas, deux univers, le vivant et l'imaginaire, aux passerelles rares et délicates... Et je ne sais lequel est le plus fabuleux... Mais ce que l'on ne peut ignorer, en revanche, c'est que le poète est l'une de ces précieuses passerelles...

 

 

Et nous mènerait-on au plus proche du plus fabuleux – de la vérité, il nous faudrait (encore) effectuer les derniers pas. L'essentiel du voyage...

 

 

Le poème, né peut-être de l'oubli du langage. Et de son usage le plus courant. Comme l'évidence que la parole ne vient ni de la terre ni des hommes...

 

 

Le monde n'accorde aucune place au poète et au penseur à l'exception peut-être d'une fonction de décorum dans l'oisiveté des jours et d'un regard, presque accessoire, sur le monde. Voilà les seuls rôles qu'on leur attribue... Si le poète et le penseur – et bien davantage qu'eux-mêmes, leurs œuvres – aspirent à exister, ils doivent se faire – s'inventer – une place, invisible souvent depuis le monde, entre l'herbe et les nuages, au cœur des forêts et des collines (et des montagnes parfois)... plus rarement au cœur des cités – et se laisser guider par le ciel et le silence – et se montrer loyaux et fidèles à l'innocence pour qu'émerge une parole, inentendue peut-être, mais si belle et si sage qu'un jour, plus tard, dans quelques siècles, les peuples se réuniront pour l'écouter. Et s'inspirer de sa sagesse et de sa beauté...

 

 

Hommes et bêtes. Les cris d'une bouche affamée. Une dépouille que s'arrachent – et dont se repaissent – les vivants. Et un crâne désossé par le temps. Un bref passage. Un court séjour sans grande incidence...

Seul subsiste, peut-être, un regard sur les silhouettes qui passent. Et un silence sur des paroles prononcées à la hâte – et qui s'effacent. Et qui éloignent plus encore du monde – et de cette beauté que nous cherchons partout...

 

 

La terre offre – se donne presque entièrement. Et le monde s'empare, les hommes saisissent et amassent... Comme des bouts de chair – des organes – inconscients et insoucieux du corps auquel ils appartiennent... Et qui sucent les parcelles, les vident de leur sang et les abandonnent en espérant (naïvement) que la terre pourra les régénérer et les renouveler indéfiniment...

 

 

Le monde agenouillé. Agonisant presque. Enveloppé de son linceul noir. Et peut-être que la lumière – et l'enchantement – viendront de ses eaux claires qui coulent sans discontinuer sur les jours. Il n'y a d'autre espérance pour la terre. Et il n'y a d'autre espérance pour les hommes...

 

 

Il y a partout cette misère, ces malheurs et cette solitude que nul ne peut dire – et que nul ne veut entendre... Et puis, au dedans, au dessus, en dessous, partout, il y a la joie et le silence. Et la beauté des âmes qui patientent sans bruit dans la pénombre...

 

 

Le travail des astres sur les âmes. Le travail des âmes sur le monde. Le travail du monde sur les corps. Et l'esprit qui ne voit rien... Et l'esprit qui ne comprend rien... Comment pourrait-on vivre ainsi parmi les hommes...

Il nous faut une lucarne, une colline, un espace où respirer et laisser naître la joie. Vivre loin des hommes, au plus près du monde et des âmes. Sous les astres. A notre juste place sous les étoiles...

 

 

La lumière – le silence – sont une présence parmi les hommes. Et parmi les bêtes. Sur cette terre envahie par le noir et les larmes. En ce monde où l'obscur et l’absence dirigent les corps et les âmes... Et les recevoir – et les accueillir –, il ne peut y avoir de plus grande joie. Et de plus grand salut. N'est-ce pas ce que nous espérons tous... et ce à quoi aspire la tristesse de nos visages...

 

 

Elle est là, à présent. Et je n'aspire qu'à rester auprès d'elle, immobile et silencieux...

Beaucoup l'ont entrevue. Mais n'en comprenant ni l'envergure ni les exigences, l'ont abandonnée. L'ont livrée à elle-même en quelque sorte – et à son Amour, immense pour nous, mais si impuissant tant que nous ne savons le recevoir – et l'accueillir...

L'Amour ne peut se propager qu'ainsi – à travers nous qui l'accueillons et le faisons vivre...

 

 

Avant les mots, il y a la lumière. Le langage, lui, en voulant éclairer, obscurcit. Recouvre le monde de noir, d'espérance et de désespoir. D'incompréhension. De couches de plus en plus opaques. Et, très vite, infranchissables...

Et après les mots, il y a le silence. Et la parole qui accueille la lumière pour la restituer en petites notes gaies et colorées. Et la poésie, bien sûr, est l'un de ses visages...

 

 

L'encre est plus vagabonde que l'âme. Et la parole toujours moins lumineuse que le silence. Et le noir plus aisé, et envahissant, que la joie...

La présence s'offre à celui qui n'a pas – qui n'a jamais – rechigné au long labeur de l'âme. A son lent travail pour s'extraire des mots et des images. Pour se libérer de leur opacité. Et de leur indéracinable noirceur. L'innocence alors se faufile (peut se faufiler) dans l'espace laissé vacant. Et à sa suite viennent, sans effort, la lumière, la joie et le silence...

 

 

Cet ailleurs dont nous ne reviendrons pas. Comme un long voyage – une longue errance – qui nous éloignerait durablement (définitivement peut-être) de nous-mêmes... Ainsi cheminent les hommes, stupidement... Comme s'ils pensaient pouvoir échapper à ce que nous sommes... Ici, là-bas, partout présent où que nous soyons...

 

 

Ni aveuglement ni cécité. Une pleine ignorance qui rend inintelligible le silence... Et laisse la main d'une bestiale cruauté s'emparer du monde. Et exterminer ses peuples.

Une victoire ensanglantée qui ne cache sa joie – et savoure le progressif anéantissement du monde. Sa – presque totale – capitulation. L'homme dans tout son délire et sa splendeur...

 

 

Dans le secret du monde, une pudeur. Comme un instinct de survie. Qui ne se dévoile qu'au fil de la compréhension et de la sensibilité, les gages les plus sûrs du respect et de la gratitude nécessaires...

 

 

Peut-être le monde est-il dépeuplé – et nous seuls le savons... Mais à qui appartiennent donc tous ces visages s'ils ne sont les nôtres...

 

 

[Humble hommage au modeste Jean-François Mathé]

Surgi de ce monde, sous des dehors, le temps par moment s'efface sous le ciel passant. Comme sur la corde raide, au fil de l'eau. Une navigation plus difficile ou bien une absence, comme une contraction supplémentaire du cœur – des instants dévastés par l'inhabitant...

 

 

Il faudrait peut-être effacer le temps pour s'absoudre de ses cruautés. Devenir des âmes affranchies des heures. Libérées du souvenir et de l'espoir...

 

 

Quelle est la place du poète, du prophète et du mystique* dans ce monde aux goûts – et aux aspirations – si prosaïques et matériels... Seraient-ils nés pour d'autres siècles...

* Terme usité par des individus si peu, naturellement, sensibles au spirituel...

 

 

En épousant le temps, le monde, la vie, on célèbre l'éternel – cette blancheur invisible sur chaque visage. Cette joie qu'enserrent les âmes, encore si frileuses... La vocation de l'homme, du temps, du monde et de la vie. Les noces secrètes du sauvage et de l'innocence. Notre plus bel amour...

 

 

Vivre. Une manière peut-être d'éclore à la lumière parmi tant d'ombres et de larmes. A cette joie que l'âme devine au fond de sa tristesse...

 

 

Au détour d'une phrase, un visage. Au détour d'un visage, l'annonce parfois d'un autre chemin... Comme une farandole sans fin. Inexplicable... La mariage de la chair et du langage, de la vie imaginée et de l'imaginaire vécu. Comme la réconciliation peut-être de nos deux figures... Et le sacre de toute union. La célébration des voix et des routes nécessaires pour rejoindre cette unité si longtemps oubliée...

Comme un dialogue – une entrevue silencieuse – entre soi et soi où toutes ces parts oubliées de soi-même se retrouveraient – et se réuniraient – pour entonner un seul chant, prodigieux et magnifique – si précieux qu'aucune âme ne pourrait y résister...

 

 

Un silence, sans doute, nous est promis pour clore la quête si bruyante de l'âme. Une joie, sans doute, nous est promise pour effacer cette interminable tristesse. Et une lumière enfin, sans doute, nous est promise pour éclairer cette si longue et sombre errance...

 

 

Le poète écrit comme l'artiste peint, modèle et façonne. Comme le soleil brille et les vents soufflent et tournent. Sans raison et pour les plus hautes nécessités...

 

 

Le plus abominable et le plus fabuleux. Toujours côte à côte. Inséparables. Inextricablement liés. A jamais. Et en défaire les nœuds est la tâche du penseur. Et en célébrer le merveilleux, la tâche du poète. Et les accueillir (tous les deux), la tâche du sage... Et se livrer à cette triple besogne, le travail – la mission peut-être – de l'homme qui rêve de mettre l'Absolu à la portée de la terre et de l'humain – et qui aspire à célébrer son envergure au quotidien afin de se hisser jusqu'au regard d'un Dieu que nous avons cru si étranger et inaccessible...

 

 

Le cri n'appartient peut-être qu'à la nuit qui dort. La parole à l'aube naissante. Et le silence au soleil du plus haut jour... Les hommes avec leur langage, leurs plaintes et leur soif, n'en ont donc pas fini avec leurs rêves et leur sommeil. Et avec leur envie d'étoiles...

 

 

Le souffle du macabre sur nos âmes grises... Comme un funeste chemin, né de la terre, entre le corps et l'infime possibilité du ciel. Un pari à peine envisagé – et rarement tenu. Une défection sans choix du plus grossier vers l'invisible – l'impensable...

 

 

On ne nous dit rien du jour. Ni rien de la nuit. On nous empale avec des clous et des promesses. Des paroles et des mensonges insensés. On nous enjoint de vivre et de croire. D'essayer de survivre et d'espérer. On nous livre à nous-mêmes. Et cet abandon est notre chemin. Notre seul atout. L'unique salut possible...

 

 

Les peuples se taisent – et se sont toujours tus – pour écouter les programmes, les promesses et les mensonges des rois. Et ils meurent depuis toujours, décimés, bêtes et dociles, sur des champs où le labeur et les guerres flamboient. Comme des troupeaux stupides vouant une confiance aveugle (et puérile) à ceux qui les mènent vers l'épuisement et la mort.

Vivre à l'écart des peuples – à l'écart des foules – c'est commencer à s'extraire de l'imbécillité. Les premiers pas vers la douloureuse solitude nécessaire à la fouille et aux chemins de sa propre reconquête. Les premières foulées, en quelque sorte, aux avant-goûts de liberté...

Il faut être – et vivre – comme des enfants rebelles, le front posé contre la vitre – avec le regard fixé au loin sur l'inconnu du dehors, qui rêve d'une vie sans fers – et refuser les interdictions, les autorisations, les mises en garde et les remontrances de l'autorité (établie)...

La solitude des grands chemins, il n'y a d'abord d'autre liberté avant que n'éclose cet invisible sursaut du regard...

Plus qu'un éloignement du monde, un retrait – un désert nécessaire pour se dégager, aussi pleinement que possible, de l'humanité servile et malléable avant de succomber, un jour peut-être, aux dignes retrouvailles...

 

 

Il n'y a d'effluves plus joyeuses que celles de la grande solitude réconciliée où les visages, si éparpillés autrefois – et si solitaires malgré l'étouffant voisinage, se raccommodent (enfin) en une figure unique dont chacun prendrait les traits...

 

 

La perte toujours. Comme incessante invitation à l'abandon. Le plus sûr chemin de la délivrance – cette liberté d'être, à la fois uni et au dehors. Si extérieur(e) au fatras, si souvent égarant et inextricable, de l'intériorité que quelques mots résumeraient admirablement : le coeur-monde et le regard infini, si peu soucieux des élans et des aléas – des soubresauts et des volte-faces... Ce visage libre, et si oublié, que nous sommes depuis toujours...

 

 

Un surplus de monde comme un écœurement. A l'image de l'odieux gavage que l'on réserve, en certaines régions, à de malheureux palmipèdes...

 

 

Rassasiés de haine et de rancœur avec des peurs et des désirs en pagaille – et cette méfiance de l'Autre, comment pourrions-nous construire un autre monde... Voués, évidemment, à l'absurde et vain exercice tant que demeurera l'individualité...

 

 

Et cette ensorcelante lumière qui nous guide jusqu'à la pleine extraction de nos liens. Jusqu'à leur complète métamorphose en aire harmonieusement commune...

 

 

L'addition des absences ne forme qu'un vide. Une béance irremplissable... Il faut ôter l'inconscience et les automatismes de l'absence pour espérer les voir, un jour, se métamorphoser en présence...

 

 

Et ce désir d'écrire plus haut – et plus loin – dans l'infini. Dans cet élan de silence que tout contrarie... Invisible et inaudible, bien sûr, à force de volonté. Et qui traverse les hommes – leur absence, si évidente, et leur exil du monde à force d'y être trop présents... Comme un jet, livré à sa seule puissance, qui ne rebondit sur aucun espace. Abandonné, en quelque sorte, à la tyrannie espiègle du vide – et dont nul jamais ne se fera l'écho... Une parole (pourtant) joyeuse dans son retrait, et pas même mendiante, dite pour elle seule et que n'entendront, bien sûr, jamais ni les vivants ni les morts...

 

 

Peut-être n'y a-t-il, au fond, que des pas, du bruit et le silence... Et quelques plaintes pour dire l'effroi et l'incompréhension...

Ni maison ni main tendue. Une solitude immense qui ne sait cohabiter qu'avec elle-même...

Ni pente ni montée malgré l'illusion du temps et du mouvement. Mais une immobilité sereine, et sans doute hilare, ravie des jeux et des phénomènes malgré les larmes et le sang. Comme un avant-goût de ce que nous sommes. Cette chair et ce visage fragiles et éternels. Ce soleil adossé aux promesses et aux désastres...

 

 

Une parole, à nouveau, pour dire le silence. Et le silence pour seul écho de la parole. La plus parfaite et fabuleuse réponse à ce que nous ignorons encore. A cette orgie de questions insolubles...

 

 

Dieu si extérieur à soi lorsque l'on ne sait (encore) qu'il nous habite... Quelle est donc cette part de soi qui résiste – et refuse sa venue... ? Comme si nous ne pouvions nous empêcher de repousser ses avances et lutter contre son désir (légitime) de prendre notre place – cette place, en vérité, qui est la sienne et lui revient... Qui est donc l'usurpateur ? Et comment est née cette dimension sombre et ignorante qui s'y substitue en faisant feu de tout bois pour le détrôner et se propager partout – et que nos illusoires, mais si consistantes et pugnaces, individualités sans cesse alimentent... et qui, en la nourrissant, lui permettent de se répandre en tous lieux comme la peste. Comme une terrifiante et dévastatrice gangrène...

 

 

Quelle somme de souffrances nous faudra-t-il endurer pour nous extraire (pleinement) de nous-mêmes – et devenir ce visage infini, et si doux, que nous n'avons (pourtant) jamais cessé d'être... ?

 

 

Une inutile couleur demeure parfois sur la transparence. Celle de l'âme qui enveloppe les circonstances et teinte encore leur accueil...

 

 

Patienter jusqu'à la mort sans autre espoir que vivre (vivre encore un peu) et retarder l'heure du départ. Ainsi vit l'essentiel des hommes sans autre perspective que l'horizon et le tombeau...

 

 

Toute vie porte en elle son agonie. Et le regard que l'on porte sur elle, tous les deuils à venir...

 

 

Les hommes ne s'adressent qu'aux hommes. On les voit se parler, ou plutôt, déverser les uns sur les autres leurs peines et leurs espoirs. Et relater leurs infimes aventures. De pauvres histoires en vérité... Et qu'importe que nul ne les écoute – et que nul ne soit entendu... Presque personne n'écoute... Presque personne ne sait écouter...

Mais je n'ai jamais vu aucun homme, ou si rarement, même dans la plus grande intimité, s'adresser aux arbres, aux fleurs, aux bêtes, aux pierres et aux nuages. De temps en temps, on entend, il est vrai, une plainte, un murmure ou un cri, lancé(e) à Dieu – au ciel – à ces grands inconnus auxquels l'on confie (parfois) ses secrets mais sans jamais rien comprendre à ce grand silence...

 

 

Qu'importe que l'âme soit ouverte ou close, elle sera emportée un jour, tôt ou tard, vers le noir le plus dense – là où naît la lumière. Et c’est dans ses bras que s'achèveront toutes les danses...

Et nous n'avons rien d'autre, sans doute, que cette espérance...

 

 

Un jardin, un secret. Là où commencent toutes les aventures. Là où s'achèvent tous les chemins. Là où nous sommes déjà sans le savoir... Au centre – au point le plus dense – où rayonnent toutes les lumières sur les abîmes qui nous habitent – et nous entourent...

 

 

Peut-être que la prochaine parole – et que l'ultime parole – seront plus silencieuses... Voilà notre seule espérance, poète : renouer de notre vivant avec nos origines...

 

 

On blâme – et condamne – la bêtise des hommes tant que l’on espère encore (et davantage) de l'humanité... Tant que l'on ignore qu'elle est leur bruit naturel – leur sceau en quelque sorte, le chant inévitable de l'homme, ni plus laid ni moins gracieux, en définitive, que le pépiement et le gazouillis des oiseaux...

Et que pouvons-nous y faire si la bêtise est le bruit naturel de l’homme...

On peut, bien sûr, s'en protéger, ou du moins s'en prémunir (en l'évitant ou en s'éloignant), comme l'on fermerait la fenêtre face à une nuée de mouches et de moustiques pour s'épargner piqûres et agacements...

 

 

Ami et compagnon de personne. Porteur de rien. Ni de rêve, ni de désir, ni d'ambition. Et pas même d'espoir. Voyageur sans destination. Passager sans famille ni destin. Passant sans attache, rivé à aucun fief. Une solitude errante et immobile, livrée à elle-même et aux bonnes grâces du vent, où nulle part – et tous les lieux – prennent (finissent par prendre) des allures d'infini...

 

 

En bordure de ciel, des étoiles nous ont vu naître – et passer nos mille vies inutiles, parfois rieuses comme si être là parmi elles, et tous ces visages inconnus, était déjà bien suffisant...

 

 

Dans l'oubli du silence demeurera, à jamais, notre ultime souffrance... Et se cacher dans, ou parmi, les étoiles n'y changera rien... Les yeux enfouis dans les matins gris et brumeux seront peut-être notre seul jour...

 

 

Derrière le silence, il y a l'infini. Et derrière l'infini, la lumière. Et devant, la foule des visages qui patientent. Ne sachant trop ce qu'ils attendent...

Des simagrées, un peu de poésie peut-être... Des espoirs (à la pelle). Des larmes, inévitables bien sûr... Les saisons qui passent. La pluie, le soleil et le temps. Des envies d'ailleurs, très souvent... L'âme du monde. Ses secrets plus sûrement. Des passants. De nouveaux visages. La mort quelques fois – et qui vient toujours clore, bien sûr, la fin des jours... Des vies toutes simples. Le plus bête – et le plus humain – sans doute de l'existence...

Et nous pourrons dire au crépuscule de l'hiver que les hommes et les siècles seront passés aussi vite qu'un bref orage d'été...

 

 

Des cendres et de la poussière. Une chair exposée à toutes les brûlures et à toutes les indigences mais adossée, toujours, au soleil...

 

 

L'ombre plus épaisse que la lumière. Mais où la clarté transparaît dans les interstices, lui donnant cette texture bigarrée, et presque grise, qui offre à la terre et au monde cette allure si reconnaissable...

 

 

L'homme, si craintif, plongé dans cet effroi permanent de la mort. Comment peut-il, à ce point, ignorer que vivre est plus dangereux que mourir – et que la mort scellera toujours ce qui n'a pas été vécu pour l'emporter vers ce que nous devrons vivre encore...

 

 

Ce monde odieux où tout nous est refusé (la chair, l'attention, l'Amour et la joie...) – et où il nous faut, si souvent, nous battre et lutter (et ruser quelques fois) pour s'emparer et se servir afin de se voir très partiellement, et très médiocrement, satisfaits... Ou alors, patienter dans la solitude et le dénuement pour que grandissent, en nous, le silence, l'infini et la lumière afin de pouvoir (enfin) incarner ce qui nous manquait* si cruellement...

* Ce que nous croyions qui nous manquait...

Il n'y a, malheureusement, d'autre alternative pour l'homme...

Et dans notre impossibilité temporaire d'aller parfois vers l'un ou l'autre – dans cet abîme et cet effroi où la vie nous plonge de temps à autre, il nous faut peut-être, et comme toujours, tourner notre regard vers les bêtes, ces frères si précieux, qui mieux que quiconque (et mieux que nous autres en tout cas) savent demeurer si étrangement placides et sereins malgré les conditions inconfortables et les situations atroces, abominables et désespérées dans lesquelles les laissent ou les relèguent la vie et les hommes...

 

 

Toute forme naît d'un entremêlement* d'énergie...

* Mélange, entrechoquement, union, fusion, cassure, fission, ajout, retrait etc etc.

 

 

Être à la fois l'hôte et l'invité permanents sans jamais nier (ou rogner sur) ses nécessités et ses besoins fondamentaux. Ne jamais déroger à ce principe essentiel – à cette loi naturelle de l'innocence et de la présence... S'y conformer en tout lieu et face à toute forme (qu'elle soit minérale, végétale, animale ou humaine...) – et quel que soit l'environnement... Nous éviterons ainsi la facilité de la tyrannie – la pente naturelle de ceux qui dominent et s'approprient – l'habitude de ceux qui s'imaginent maîtres et propriétaires...

 

 

Une nuée d'hommes, comme des insectes qu'ils prétendent nuisibles, qui envahissent la terre – tous les territoires. Qui transforment les reliefs et les paysages selon leurs désirs et leurs appétits. Qui saccagent, exploitent et anéantissent pour asseoir leur domination sans l'once d'une hésitation. Sans l'once même d'un remord. Et qui, dans leur marche folle et insensée, si aveuglée, ne sont plus même capables (mais l'ont-ils déjà été...) de percevoir la dévastation, l'infamie et la désolation qu'ils ont instaurées partout – et dont souffrent le monde, tous les peuples et les vivants de cette terre en sursis...

 

 

Les oiseaux, installés en nous depuis l'aurore, nous invitent à fuir. A nous cacher de l'innommable dans le plus précieux. Le seul salut qu'il nous reste peut-être avant la grande dévastation...

Et les bêtes et les arbres qui meurent par millions l'ont compris bien avant nous. Il n'y a d'autre espoir que la mort pour que cessent le saccage et les désastres... Il n'y a d'autre espoir que de laisser les hommes à leur carnage, seuls avec les malheurs qu'ils ont, eux-mêmes, enfantés...

La terre est – et a toujours été – plus sage que l'humanité. Elle sait – et a toujours su – trouver la voie de sa préservation. Et livrer l'homme à lui-même, aujourd'hui, sans autre appui que sa bêtise et ses folles ambitions, est le signe de son intelligence...

L'extinction du monde et de l'homme est en marche. Et sur leurs cendres naîtra – pourra naître – un monde nouveau, moins impatient, plus clément et respectueux du Bien commun et des lois du vivant, plus soucieux du silence et de l'infini que de conquête, de pouvoir et de profit... Un monde plus juste et solidaire, pacifié et réconcilié avec toutes les parts, tous les visages et toutes les âmes qu'il porte en lui... Le reflet de cette intelligence et de cet Amour que n'auront réussi à trouver les hommes...

 

 

Et pendant que paressent les hommes, le poète, penché sur sa besogne, œuvre à son chant, inaudible – presque invisible – comme un soleil noir qui repeint les grandes lignes de la terre sacrifiée. Comme une lucarne, minuscule, pour dire – rappeler sans doute – que la lumière ne s'éteindra malgré l'inertie, l'obscurité et l'obscurantisme du monde. Comme un espoir lancé aux corbeaux funestes qui ravagent les plaines de leurs cris, de leurs rires et de leurs insatiables appétits...

 

 

Un infâme et perpétuel ronronnement... Serait-ce donc cela vivre pour les hommes...

Et l'homme qu'est-il donc ? Qu'un rire stupide et affamé dans le silence qui ne comprendra jamais sa terreur. Qu'un œil incapable encore de se voir disparaître – et renaître au gré des peurs et des désirs – dans cette lumière inconnue...

On pourrait sourire évidemment de ce carnage et de cette ignorance (qui jamais ne disent leur nom...) mais l'ampleur du désastre et des malheurs où l'humanité nous a plongés invite davantage au cri d'effroi et d'indignation – de vaine colère sans doute – avant de pouvoir succomber, un jour éventuellement, à l'appel généreux du réveil...

 

 

Une frugalité du langage nous inviterait sans doute au silence. Et la parole vaincue, harassée par tant d'espace, s'initierait alors à cette lumière qu'elle porte sans le savoir – sans qu'elle puisse même s'y installer ou s'en défaire. Comme ligotée en quelque sorte malgré les ténèbres qu'ont inventées les hommes...

 

 

Ni question ni réponse. Ni murmure ni plainte. Pas même un cri. Ni Dieu ni anges. Pas même la présence du monde et des hommes. Une défection totale. Un abandon. Comme un avant-goût du silence où nous serons bientôt plongés...

Et des fleurs par milliers sur les chemins. Et des arbres par milliers sur les collines. La terre et les forêts merveilleusement renaissantes... Et des âmes par milliers retrouvant (enfin) ce qu'elles n'ont jamais quitté – mais sidérées, à présent, par tant de lumière – et cette disparition, si inattendue, des ombres... Ce paradis si proche des êtres qu'ils demeurent, pour la plupart, incapables de voir...

 

 

Le langage sera toujours trop pauvre – et trop terne – pour décrire le silence – et dépeindre la lumière... Quant à s'y installer, inutile d'y penser... Mieux vaudrait arracher à la langue, ses pics et ses fourches, la soustraire à toute ambition, alors peut-être saura-t-elle s'y plonger – et s'en faire l'écho... Il n'y a d'autre espérance pour le poète (et pour les hommes) que cette parole née de tous les abandons...

 

 

Le monde, un oubli et le renouveau possible de toutes les sources. Le gage – la certitude – d'une continuité... Comme un trait – un mouvement – une histoire – ininterrompus – et interminables dont le retour à l'origine ne serait qu'un passage – qu'une étape dans la récurrence et l'infinitude du cycle...

Ni délire ni récit. Ni mythe ni mensonge. La seule vérité peut-être...

 

 

Fuir ce monde où le sourire n'est qu'un effort pour ne pas haïr ce qui nous est inconnu – et ce qui nous blessera tôt ou tard... Pour ne pas prêter le flanc à la désespérance et à la solitude qui se jetteront sur nous, quoi que nous fassions, au fil des circonstances... Et nous pardonner cette lâcheté...

Mieux vaut encore les larmes qui, de solitude en désespérance, nous ouvriront les portes incongruement joyeuses du silence. Cette aire de joie infinie dont la beauté nous échappe encore...

 

 

Encore un peu de désespérance. Comme un nuage – quelques nuages – sans importance – sans conséquence – passagers comme tout le reste, dans un ciel de bleu et de joie parfaitement immobile et dégagé malgré les ombres – toutes les ombres – dont nous ne pourrons peut-être jamais nous défaire...

 

16 décembre 2017

Carnet n°114 Un peu de vie, un peu de monde, un peu de joie

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Au bout du chemin, une étoile. Au bout de l'étoile, un rêve. Au bout du rêve, un autre chemin. Et un rêve, peut-être, de chemin interminable...

N'être, peut-être, plus rien sinon une présence – et une main – sans visage... Un réconfort passager, providentiel sans doute, pour l'âme et la chair... La réponse à tous les silences – et aux mille questions – recroquevillées derrière... Être, peut-être, celui que l'on n'attendait plus mais que l'on espérait encore en secret... Comme une eau pour la soif. Un soleil sur la tristesse. Un acquiescement aux circonstances. Un Amour parmi les cris et l'espérance...

 

 

Nous n'écrivons qu'à celui qui nous connaît – et que nous ignorons. Qui gît – se cache peut-être – derrière chaque figure. Nous n'écrivons qu'à celui qui offre la beauté et le silence. Et ce n'est qu'à lui que s'adressent nos lignes, nos carnets, nos ouvrages. Toutes nos œuvres. Les autres peut-être parfois les lisent. Y jettent un regard. Un rapide coup d’œil. Mais ce ne sont des lecteurs. De vrais lecteurs. Imposteurs peut-être d'eux-mêmes... C'est à celui qu'ils ignorent et qui les connaît pourtant que nous écrivons. C'est à lui – et à lui seul – que sont destinées ces pages...

 

 

Un corps brisé. Un cœur brisé. Et une âme qui a perdu de sa superbe. Et sa prétention. Au sein desquels l'orgueil et les regrets (et les remords peut-être) n'ont plus cours. Plus de place. Et trop peu de temps pour s'y attarder... Au sein desquels la prière est vaine. Autant que l'espérance... Au sein desquels on ne peut plus croire. Au sein desquels on ne peut voir – et sentir et vibrer – que ce qui est là devant soi – et qui dure quelques instants – suffisamment encore pour nous blesser. Et briser un peu plus le corps, le cœur et l'âme qui ne s'en remettront probablement pas... Et de ces blessures, de ces fêlures et de cette urgence (née du manque de temps) naîtra peut-être, espérons-le, notre plus précieux face-à-face...

 

 

Un soleil, sans doute, viendra demain. Aussi beau que celui d'aujourd'hui – mais que nous espérons, bien sûr, moins prometteur...

L'espérance – y compris celle de la joie – n'a aucune place en notre cœur...

 

 

Il y a peut-être, au fond de l'âme, une blessure sacrée (et secrète) à laquelle il ne faut toucher. Pas même tenter de guérir – ou de nous en délivrer... C'est elle qui nous offre – et offre conjointement au monde – cette force d'aller vers le plus précieux – et d'en recouvrir les chemins sur lesquels nous rêvons de ne plus errer...

 

 

Nous ne briserons jamais l'essentiel. Nous nous déferons simplement du moins précieux dont l'usage pourtant nous fait croire qu'il importe... Mais nous n'avons, en vérité, pas plus besoin de lui que de nos souvenirs – et que de cette vieille peau d'autrefois qui nous donnait des airs juvéniles et une faim insatiable pour les visages, la chair et le monde... Des coquetteries d'adolescence, caduques à présent, au crépuscule des jours, avec l'approche imminente de la mort – de l'inéluctable face-à-face avec la vérité...

 

 

Nous pourrions dire encore et encore ce dont nous avons besoin, les malheurs du monde et de l'âme, notre insatiable faim et les petites joies des hommes. Nous pourrions dire encore et encore ce qui nous manque, ce qui nous blesse et nous fait, cruellement, défaut..., il y aura toujours un pas supplémentaire – le pas suivant – à réaliser... Et ce long voyage qui attend chacun pour que la parole mue – et se transforme en réalité. En expérience directement vécue – et indicible sans doute...

 

 

Mille fois dire, sourire et pleurer. Mille fois prévenir, secourir et aider. Mille fois se livrer à ce que nous croyons de plus utile, et le plus précieux encore nous échappera à moins que nous sachions nous effacer devant la nécessité de dire, de sourire et de pleurer – la nécessité de prévenir, de secourir et d'aider... De nous livrer au plus utile sans une once d'orgueil et le visage défait de toute exigence... Il n'y aurait alors, sans doute, de plus grande beauté – et de plus grande joie – à vivre...

 

 

Il n'y a de plus haute réjouissance que celle d'être nu... Mais non comme l'imaginent, sans doute, les esprits concupiscents...

 

 

La parole sait se faire plus libre, exploratrice et inventive que le désir. Son univers si immatériel le lui permet alors que le désir, bien qu'il puise, lui aussi, ses racines dans l'immatérialité, ne s'inscrit – et ne trouve son assouvissement – bien souvent, que dans (et auprès de) la chair et la matière. Dans le palpable le plus grossier et limitatif...

 

 

En ce monde, tant de trésors inutiles que l'on vénère, que l'on encadre, que l'on protège dans une vitrine ou un coffre-fort, que l'on étale avec orgueil et ostentation et de façon parfois si vulgaire et dispendieuse comme l'expression, ignorée bien sûr, du plus sacré : le silence et la nudité dont nous sommes, déjà tous, pourvus – et que nous dissimulons, sans le savoir, sous des couches de parures (de toutes sortes) censées nous embellir mais qui, en vérité, nous enlaidissent et recouvrent la beauté naturelle que nous portons au cœur – et au plus vif – de notre innocence...

 

 

Le corps sur la terre. Comme de la matière s'enfonçant en elle-même. Et le regard si haut, au dessus – bien au dessus – de la plus lointaine étoile. Et l'homme – l'esprit de l'homme – comme une distraction insensée...

 

 

Récits et bavardages. Ainsi se confia le monde pendant des millénaires. Radotant des histoires mille fois vécues et qui le seront mille fois encore au cours des prochains millénaires. Des histoires éternelles. Immuables en quelque sorte, agrémentées d'infinies variations – et auxquelles viennent se greffer d'infimes nouveautés... La même histoire depuis les origines, étrangement accélérée depuis la naissance de l'homme dont l'esprit, malgré ses peurs et son fort besoin de routine, ne peut souffrir trop de rengaines à la fois – et qui n'aime rien tant que la répétition des mêmes légendes et des mêmes mythes qui se montrent avec un visage – et des couleurs – apparemment inédits...

 

 

Le silence qui nous aura tant fait souffrir – et que l'on aura tant blâmé, saurons-nous, un jour, être joyeux en sa présence – si joyeux et reconnaissant que nous ne nous lasserons plus jamais de le célébrer...

 

 

Un jour, un homme. Le monde, un cirque. Et les mille spectacles. Les mille jeux des arènes. Et les mille yeux spectateurs. Et les mains joueuses et sanglantes. Et les mains haineuses et applaudissantes. Jusqu'à la fin des jours. Jusqu'à la fin de l'homme. Jusqu'à la fin du monde. Le même cirque toujours...

 

 

Après tant de silence, je ne sais (plus) quoi dire... L'été approche. Les mains – et la chair – moites de la chaude saison. La neige – et la solitude – fondues avec le retour des beaux jours.

Saurais-je résister aux foules et à la vulgarité des rires, des barbecues et des loisirs... Saurais-je rester fidèle à ces pas venteux, fragiles et solitaires, qui m'ont conduit en ce lieu paradisiaque et inespéré qui donne à mon désert des airs de refuge et des allures joyeuses – une aire de franche et pure beauté où seul le silence est célébré...

 

 

Une ombre, parfois, vient chatouiller la lumière pour lui demander d'éclairer plus fort, de resplendir plus loin et d'approfondir son cercle et sa présence... Il en va, et elle le sait, de l'avenir des ténèbres, des âmes obscures et du noir qui borde – et encercle – les cœurs. L'ombre – cette ombre – aimerait tant voir les larmes se transformer en rires. Et la tristesse se métamorphoser en joie... Il n'y a, sans doute, pour elle rien de plus important... Et à sa requête, la lumière répond. Annonce qu'elle viendra lorsque l'ombre aura suffisamment creusé, fouillé, aplani et dénudé le terrain où elle pourra venir (enfin) se poser...

 

 

Pourquoi se refuser au plus proche qui est là, présent mais invisible, pour partir là-bas, au loin, à la recherche de ce que nous ne trouverons qu'ici, lorsque les yeux auront vu leur propre visage – et cette folie et cette sagesse si belles, enfouies derrière, à peine dissimulés par l'orgueil, si vif, du front et des prunelles...

 

 

Peut-être arriverons-nous plus tard à la fête – à cette fête grandiose née du silence... Nous avons pour cela tous les jours – et tous les siècles. Et l'éternité sans doute. Le temps nécessaire – le temps qu'il (nous) faudra – pour que les souvenirs et les rêves – et l'espoir – nous laissent enfin tranquilles – et que l'espace, laissé vacant, ouvre nos yeux sur ce qui n'a jamais cessé de nous appeler – et d'attirer notre regard...

 

 

Où sont donc passées les étoiles ? Le ciel est vide à présent. Sans doute se sont-elles toutes plantées au fond des yeux... Et je les vois briller dans les rêves des hommes, si perclus de noir et de douleurs...

 

 

Jour et nuit ont disparu. Ne reste plus que ce rire dans l'infini – et la lumière – des lèvres qui se moquent bien des yeux et de la chair. Et sur lesquelles le silence s'étend pour couronner davantage, sans doute, le mariage insensé des couleurs. Et la transparence qui a envahi les heures...

 

 

Présence noire, hautaine dans le souvenir qui vire, à présent, à l'éclat. Pourquoi donc nos yeux n'ont-ils pas su voir ce qui était déjà là...

 

 

Plus de mot. Et plus de langage. Une parole retenue trop longtemps peut-être... Et le silence. Rien qu'un long et grand silence pour contempler le jour...

 

 

La vanité de nos désirs, de nos rêves et de nos œuvres. Vains tourbillons édifiés par tant d'efforts inutiles. Du vent qu'emportera le vent... Et le silence encore... Ce silence que nous cherchons depuis des lustres pour apaiser – et guérir – notre désarroi – notre absurde et infructueuse besogne – et qui est là, présent toujours, serviable entre tous... A portée de plume, à portée de main et de regard, si proche que nos yeux, inféodés à nos folles et futiles distractions, sans cesse s'en détournent...

 

 

Le malheur tient, en définitive, à peu de choses (à si peu de choses) : l'inattention et l'ignorance. Et qu'une vie entière pourtant ne suffit pas, bien souvent, à effacer... Il faut des siècles parfois pour s'en défaire. Et voir arriver progressivement, au fur et à mesure de leur effacement, la joie née de la présence, cette absence si évidente de nous-mêmes...

 

 

Quelques mots pour résister à l'oubli de l'oubli. Et qui s'effaceront, eux aussi, un jour... Bientôt. Avant même, peut-être, qu'ils ne soient lus – et qu'ils n'aient creusé la nécessité de l'homme...

 

 

Quand donc te montreras-tu, humble et étincelant, au bras de l'innocence ? Réussiras-tu préalablement à étrangler passionnément – et amoureusement – cette rage et ce désarroi nés de la fréquentation des hommes ? Le monde mérite ce non sacrifice – l'effacement des dialectes et des rêves. Ce que tu peux modestement lui offrir, poète...

 

 

Si joyeusement, et furieusement, métaphysique. Et si tristement humain... Le poète n'en revient pas de cet écartèlement. De ce poids démesuré du questionnement, de la fouille et de ses infimes et infinies découvertes sur son existence. Et de cette indigence à vivre parmi les hommes. Et de l'inversion totale des masses – et des mesures – pour les foules humaines...

 

 

Il y a, au fond de notre âme, une porte (invisible par les yeux) et un désert qu'il nous faut franchir pour accéder à notre vrai visage. Et à la joie. Afin d'aller sur les chemins du monde et parmi la solitude et la folle exubérance des hommes sans le moindre blâme ni le moindre chagrin. S'y trouve non l'espérance mais l'Amour – l'Amour brut qui ne souffre aucune exigence... Et une vie parfois, trop souvent, ne suffit à pénétrer les lieux – et à en percer les mystères. Des siècles sont nécessaires... Voilà peut-être pourquoi l'homme a inventé le temps...

 

 

Et si nous remontions les jours – et errions sur les chemins en quête du premier visage aimé, oublié par tant de siècles macabres*...

* Et parricides sans aucun doute...

 

 

N'être, peut-être, plus rien sinon une présence – et une main – sans visage... Un réconfort passager, providentiel sans doute, pour l'âme et la chair... La réponse à tous les silences – et aux mille questions – recroquevillées derrière... Être, peut-être, celui que l'on n'attendait plus mais que l'on espérait encore en secret... Comme une eau pour la soif. Un soleil sur la tristesse. Un acquiescement aux circonstances. Un Amour parmi les cris et l'espérance...

 

 

Nous vivons peut-être parce que sans la chair, l'être ne pourrait s'incarner – être si vivant et rayonner en ce monde. Et il nous faut, à présent, faire avec ses peines et ses moiteurs, ses morsures et ses blessures pour retrouver (non sans mal parfois) les délices de la plus parfaite nudité...

 

 

Jouissance, si souvent grossière et écœurante, du tout. Et joie, frugale et rayonnante (infiniment rayonnante), du rien... Voilà ce qui différencie, principalement, l'homme du sage dont les âmes ne s'abreuvent à la même source...

 

 

Plus que le soupir et l'espoir, le silence... Et la beauté, infatigable, des âmes sur leurs noirs chemins...

 

 

Nos débuts d’après-midi sont des instants de rencontre. L'écriture n'est qu'un prétexte à retrouver la présence – et à se glisser plus profondément en elle. Dans ce vide éclatant où les poètes, bien des poètes, sont accueillis – et où l'on prend le temps de les recevoir aussi pleinement qu'il nous est possible... Et leur langage se mêle au nôtre... Et cette union accouche d'une parole, plus digne dans le silence et le brouhaha du monde. Une parole à laquelle les hommes n'ont accès... Un temps de cloître et de méditation poétiques où ne sont invitées que l'innocence et la beauté...

 

 

Une écriture peut-être plus vivante que la vie... Moins dévastatrice que ses ombres et ses élans... Et aussi belle, espérons-le, que le silence et la face d'un Dieu sans pénitence...

 

 

Par dessus le jour, le ciel s'en est allé... Plus loin que la plus lointaine étoile. Et plus proche (de nous) que notre dernier souffle... Invisible encore. Intarissable toujours. Et si peu soucieux de nos grimaces et de nos simagrées... Et notre sourire comme un léger tressaillement dans le silence...

 

 

Abandonnons-nous au silence comme l'été ouvre – et fend – la robe légère du printemps. Avec une étrange et délicieuse volupté...

Que le gouffre ne nous effraye pas... Du noir, une nuit, les abysses, un océan d'étoiles derrière lesquels patientent les fleurs et la lumière. Et ce visage que nous avons oublié depuis si longtemps...

 

 

L'accueil est l'extension du silence. Et l'Amour celle de l'ultime sensibilité. Comme la caresse d'une main invisible. Le baiser d'une présence infiniment réconfortante... Ce qui manque, sans doute, le plus au monde. Et ce qu'il réclame pourtant dans son étrange folie et avec ses manières rustres et grossières – et son habitude de piétiner, et de fracasser parfois, sans même le savoir les âmes et les destins...

 

 

Serions-nous surpris si à notre mort, la vie, une nouvelle fois, se présentait pour nous faire tourner encore et encore parmi tous les destins. Dans cette ronde infernale – et éternelle – des heures et des visages. Dans un temps soumis aux peines et à la décrépitude avant la survenue, infiniment recommencée, de l'instant. L'éternité. La fin et le commencement de toutes les danses...

 

 

D'un poète mort, apparemment mort, depuis hier, depuis quelques années ou quelques siècles – et quand bien même plusieurs millénaires nous sépareraient – si nous savons accueillir sa parole – et lui faire la place et le silence nécessaires – et si elle sait toucher notre âme et faire vibrer ses cordes sensibles –, la rencontre le ressuscitera – et fera de lui le plus vivant que nous connaissons. Le visage le plus familier. Et une amitié – un compagnonnage – naîtront dans un lieu d'éternité... Et pour peu que nous soyons nous-mêmes un peu poète, un lien mystérieux se tissera entre nos lignes. Et nous continuerons à rendre hommage à – et vivante – cette parole que nos pages prolongeront...

 

 

Le sacré de la terre – et de nos pas qui la foulent. Le sacré du regard qui contemple le monde. Et le sacré du silence et de la parole qui les célèbrent...

 

 

Au bout du chemin, une étoile. Au bout de l'étoile, un rêve. Au bout du rêve, un autre chemin. Et un rêve, peut-être, de chemin interminable...

 

 

Un sourire peut-être pour la fin des rêves. L'impossible miracle qui donne aux yeux des hommes cette couleur si triste...

 

 

L'urgence du silence pour égayer et adoucir – rendre plus vivables – nos siècles si bruyants...

 

 

Une chaise, une fenêtre, un arbre. Au carrefour de tous les chemins. Et à la verticale de toutes les horizontalités, la voie du silence. Et au bout, la présence partout – sur les chaises, les fenêtres, les arbres et les chemins – au cœur de toutes les horizontalités...

 

 

Et au bord du sommeil, le silence aussi... Plus vif que dans les rêves. Mais moins leste qu'au réveil...

 

 

Hors du temps, le sommeil le plus souvent. Et parfois la rêverie. Mais nul pour savourer l'instant – cette éternité au dedans des heures...

 

 

En ruines et poussière tomberont nos édifices. Mais qui pourrait bien arrêter les mains bâtisseuses...

 

 

Ni vitrine ni revendication. Pas même un espoir de liberté. Des lignes et des pas. Quelques embrassades – et des accolades plus rarement... Le vent rageur des horizons et le silence comme manteau, abri, porte-voix et échafaud... La chair enguenillée et l'âme aussi nue qu'un ciel sans nuage. Que le bleu d'un ciel immense. Irréprochable...

 

 

Ni homme ni visage. Pas même une figure familière. Un inconnu. Anonyme, toujours, dans la foule. Ni mendiant ni seigneur. Un œil et un sourire, une larme parfois, une rage le plus souvent, un peu à l'écart, qui marche loin du peuple, des élites et des prosateurs dans les forêts et les collines avec les chevreuils et les renards. Et sans même un ciel où poser la tête... Sans même un rêve à creuser... Seul avec son désir de silence et le chant des oiseaux qui accompagne ses pas...

 

 

Se retirer plus loin en soi. Plus loin encore que là où naissent les amours... Au cœur d'un silence impartageable. Là où s'est réfugiée la plus haute solitude. Là où ne règnent plus que l'Amour et l'innocence...

 

 

Un matin comme tous les autres matins. Un jour comme tous les autres jours. Une vie comme toutes les autres vies. Une mort comme toutes les autres morts. Mais où étais-tu donc, homme ? Je n'ai pas vu ton visage... N'ai pas senti le souffle léger, imperceptible presque, de tes pas si pressés... Comme si tu avais relégué l'essentiel aux orties – comme un rebut d'un temps affairé, occupé à l'inessentiel... Comme si tes pantoufles et tes foulées barbares avaient remplacé le sauvage si nécessaire... Inutile à présent de te lamenter, homme... Que tu apprennes seulement à tes larmes à préparer les graines de la récolte prochaine pour que le naturel et le primordial te deviennent indispensables...

 

 

De cette fidélité au silence, que pourrait-il naître ? Un pas de danse esquissé au bord du ciel peut-être... Une révérence devant les fleurs, la pluie et les visages... Un baiser à l'éternel – sur le front de l'éternel... Et une caresse sur la chair, douce (si douce), de l'infini... Un perpétuel retour au silence... Que pourrait-il donc bien naître de cette fidélité au silence...

 

 

Ni plainte ni brame. Immergé dans l'incertain sans un regard – ni même un cri – pour le mépris et le désamour. L'exil et la réclusion nécessaires. Le retrait comme seule possibilité parmi ses congénères – ses chers contemporains, bipèdes mous et taciturnes qui s'enveloppent d'ivresse et de mensongères gaietés... Une solitude d'omission qui soustrait, un à un, les mensonges et les thuriféraires de l'illusion... Une solitude qui n'aime rien tant que le silence et la pluie, la simplicité des jours, la compagnie des arbres et des bêtes et la présence, invraisemblable, de la plus belle innocence...

 

 

Un silence, une présence, un espace. Et une danse qui fait naître des tourbillons. Un univers. De la matière, un souffle. Et bientôt une espèce et un peuple naissent. Des civilisations et des nations prospèrent et déclinent, remplacées par d'autres. Puis un peuple et une espèce s'éteignent, remplacés par d'autres... Et depuis l'origine – et jusqu'à la fin – de la chaîne, sans doute interminable, le silence qui attend, toujours, d'être retrouvé...

 

 

Mes paroles et mes lignes ne sont destinées aux hommes. Je ne m'adresse à eux mais à ce qui, en eux, peut comprendre mais n'est pas né encore...

 

 

De cette profonde intensité du silence, nous ne reviendrons pas... Ne nous en remettrons pas... Et n'en sortirons pas indemnes... Marqués par cette lumière brûlante, si brûlante, qui découdra sur la chair et les mots l'indélébilité des ombres...

 

 

On lit la poésie sans rien vouloir comprendre. Pour voir peut-être la lumière et goûter le silence au bout de l'incompréhension, cachés entre les lignes – entre les mots. On ne lit la poésie pour rien d'autre... Pour retrouver peut-être ce goût de soi éparpillé dans la vie et sur le visage des Autres... Et se laisser gagner – et submerger parfois – par la douceur et la puissance du silence et de la lumière que nos jours ont délaissés...

 

 

Plus légère que la peur et l'effroi – et même que notre destin qui ne pèse pas bien lourd déjà, l'innocence...

 

 

Courir jusqu'à l'aurore à en perdre souffle... au point de ne plus savoir où se trouvent le jour et la nuit que nous n'avons pourtant jamais quittés – et que nous ne quitterons jamais malgré la lumière présente déjà, cachée dans les replis (les plus secrets) de l'âme, – et que nos pas cherchent encore dans le noir...

 

 

L'avenir n'est pas demain. Ni après. Ni dans mille ans. Et pas davantage dans dix mille siècles ou des milliards de millénaires. L'avenir n'est pas... Il est un songe. Un rêve peut-être... Une soif absurde de nouveautés et de visages inconnus. L'espérance insensée d'une lumière et d'une réconciliation, inévitables...

 

 

Aux sons des tambours ancestraux et des rumeurs, enflammées par les bouches et les vents racoleurs, l'homme cherche le frugal baiser des rois, la magie des figures et la gloire et les honneurs des champs de bataille... Oublie la honte, les regrets et les malheurs causés par son bras funeste... Condamne la perte et le sacrifice. Et s'immole en place publique sur l'autel de la plus haute trahison : l'ignorance de son propre visage...

 

 

Au cœur (de l'homme), l'élan macabre qui initie les danses – toutes les danses – les joyeuses et les funestes. Toutes les tragédies. Et derrière, l'ultime désir : la joie et la liberté. La réconciliation du sauvage et du secret. Son état le plus naturel...

 

 

La vie. Ni réconfort ni exil. Un tremplin vers soi-même où chaque pas initie un retour vers le plus proche. Et le plus impérissable. Cette figure si négligemment oubliée... Ce réel perdu à force d'inattention...

 

 

Ni renoncement ni espérance. Un sursaut salvifique du néant vers la lumière. Du dérisoire vers l'essentiel. De soi vers l'effacement... Un retour sur soi – et vers soi – permanent... Comme une boucle sans fin, de la plus terrifiante absence à la plus fabuleuse présence, infiniment renouvelée...

Ni ampleur ni amplitude. Un infini. Une résonance perpétuelle...

 

 

Penser serait-ce avilir le silence ? Serait-ce trahir la vérité – et déchirer la beauté et l'innocence ?Sans doute serait-il préférable de moins écrire – et de parler moins encore... De rester à cheval entre deux instants... dans un temps éternel, posé dans les interstices des heures – là où ne peuvent se faufiler ni la pensée ni la raison – trop grosses, trop grasses, trop grossières... et ne rien faire sinon contempler et aimer ce qui arrive dans nos vies (si) minuscules, et souvent trop minutées, ligotées par hier et par demain – par tous ces jours, ces matins, ces soirs et ces nuits où il nous faut faire quelque chose... et penser à la suite et à autrefois, se projeter et se souvenir, pour se croire vivant alors que la vie – la vraie vie – est ailleurs... dans le silence, la beauté et l'innocence – dans la vérité d'être et d'aimer. Dans la simplicité d'un geste. La nécessité d'une parole pour dire l'innocence, la beauté, le silence et la joie, toute simple, de vivre et d'aimer – et se rappeler peut-être leur présence...

 

 

Rejoindre plutôt que franchir. Rejoindre plutôt que se protéger. Ne pas interrompre la continuité du vent, des voix et du silence. Ouvrir les fenêtres plutôt qu'édifier des murs, des clôtures et des barricades... S'émerveiller du simple des jours – du plus simple de nos jours et du peu d'événements – bien suffisants déjà pour emplir un cœur – et une vie entière... Ne pas renoncer à l'Amour pour des lèvres et des corps passagers, éminemment futiles, envahissants parfois et toujours encombrants... Ne pas rompre le silence dans la nuit qui nous entoure. Ne pas jurer ni s'impatienter de voir la prochaine aurore, et le soleil, à nouveau, briller... Ne pas corrompre les étoiles et l'ultime des rêves où l'or ne trouve aucun refuge... Recevoir ce qui nous est donné... Ce qui vient – et ce qui nous échoit : des bruits, des mains et des visages, le rire, la joie, quelques malheurs et quelques larmes parfois... Et embrasser tendrement le monde aussi précieux que le visage de Dieu... les deux faces de cette figure que nous sommes...

 

 

Ce désir toujours du plus infini... et l'attente de cette éternité qui ne vient pas... Voilà peut-être pourquoi courent, et pleurent, encore les hommes. Jamais rassasiés. Toujours affamés...

 

 

Plus souverain que le monde, le silence... Ce ne sont ni les rois ni les peuples qui offrent les plus belles conquêtes... Ce ne sont les penseurs, ni même les poètes, qui offrent les plus belles paroles... Il n'y a qu'à se pencher devant soi, la tête légèrement inclinée, avec le cœur par dessus, pour s'émerveiller du monde et du silence... C'est ce qu'il y a de plus silencieux en nous qui donne à ce que nous regardons – et à ce que nous touchons – des allures de reine et des airs de fortune... Et les plus petits riens comme les plus admirables figures et les plus magistrales circonstances en sont parés d'une égale façon...

 

 

Des êtres de rêves et de chair. Des âmes un peu perdues, déboussolées peut-être... qui errent sur les chemins en quête de mille choses. Et ces acquisitions, elles le savent bien, ne freineront jamais leurs errances... Et elles continueront à s'y livrer inlassablement. Eternellement peut-être... Edifiant ainsi, par leur nombre – et leurs envies colossales, une ronde... une danse perpétuelle qui donne au monde sa texture et sa couleur... Comme un songe de rêves et de chair composé d'âmes un peu perdues qui ignorent qu'elles sont le fruit du rêve et de la chair... Et qui montrent bien peu d'empressement à rejoindre l'abîme où elles sont nées – cette lumière et ce silence qui les ont fait naître...

 

 

L'âge d'or, si ancien déjà, est né, bien sûr, avant ces siècles de soufre et de plomb. Et sans doute s'en sont-ils nourris – et quelque peu inspirés – pour que l'âcre et le noir – l'insupportable et l'étouffement ne recouvrent complètement les visages et les territoires... Et que la terre demeure suffisamment vivable pour que son peuple puisse encore espérer le revoir un jour...

Ah ! L'odieuse, et interminable, saison de la faim, de la terreur et de l'espérance...

 

 

Un rêve hardi de lumière dans le soir pesant – et sur les horizons sombres et poisseux où se déverse continuellement la substance de l'homme : sueur, sang, larmes, sperme, urine qui donnent à la terre sa puanteur – et sa malédiction peut-être...

Une lueur en nous, pourtant, ne s'éteindra jamais...

 

 

Ami des grottes et des libertés en cage, tueur, complice et comploteur, comment l'homme pourrait-il entendre les cris de la terre et réconforter les visages en quête de plus tendres rivages...

 

 

Ce monde atroce que le temps féconde. Où les corps s'entassent. Et qu'inondent les larmes... Mais nulle autre terre pour l'homme. Seules ces vallées sauvages où fleurissent le labeur et la guerre – où coulent la sueur et le sang – comme une contrée de misère, un champ de bataille et un tombeau permanents...

 

 

Un désert de bruits et de mensonges. Peut-être, après tout, n'est-ce que cela le monde...

La vie (pourtant) est plus puissante que la mort. Et plus tenace. Et plus atroce aussi peut-être... On s'y couche à la fois plus fragile et plus vaillant... On s'y étreint, s'y promène et s'y éteint avec l'espérance vissée au cœur... comme une malédiction... une volonté de braver la mort, de nous en défaire et d'émerger de ses linceuls trop blancs et trop étroits pour notre destin et notre envergure afin de retrouver l'innocence, les rires et l'insouciance de l'âge d'or, cet éden oublié – et saccagé par les siècles qui voudraient nous faire croire en l'éternité, à la beauté sans cesse renouvelée des saisons et des visages malgré les malheurs, les massacres et la terreur...

Ainsi perdurent l'illusion et l'espérance des hommes...

 

 

La poésie est une voix infime parmi les bruits de la terre pour nous amener (nous ramener sans doute...) au silence. Nous rappeler une fois de plus que la gloire de l'homme ne se trouve ni dans les honneurs ni dans les médailles (et moins encore dans les titres et les propriétés...). Que le plus précieux est toujours à portée de regard... Et que nous n'avons besoin (pour le rendre accessible et familier) que d'innocence et de simplicité – ce que les hommes (avec leur affreux vocabulaire) appellent fragilité, naïveté et pauvreté. Ainsi seulement saurons-nous retrouver cet éden, cet espace oublié, abandonné à la puissance, à la domination et à l'autorité des mensonges...

 

 

Il faudrait moins écrire – et parler moins encore... Être et aimer suffiraient sans doute... Mais comment se réduire au silence... Il faudrait comprendre toute son amplitude, sa justesse et sa générosité pour s'y abandonner avec confiance. Sans la moindre résistance. La main, le geste et la parole deviendraient alors utiles – et si secourables. Enfin essentiels en quelque sorte...

 

 

La vie, le monde et la parole sont des éclats. Des fragments incontestables d'un corps plus vaste – d'un plus grand qu'eux-mêmes. Et des bouts – des morceaux de lumière – d'un silence qui ne se suffit pas... et qui, pour mieux se retrouver – et se célébrer peut-être – semble avoir besoin de se morceler en bruits, en peurs, en désirs, en espoirs...

La vie, le monde, la parole ne sont que cela. Une possibilité de se retrouver – et de se réconcilier sans doute...

Et une traversée, longue parfois – éprouvante souvent – douloureuse toujours – de la vie, du monde et de la parole est proposée à l'homme. Et aux vivants. Comme une invitation à un retour possible. A un retour inévitable...

 

 

Un silence, une parole, un silence. Comme une nécessaire respiration... pour rendre vivant ce qui doit l'être : l'homme, le poète et le poème. L'essentiel du monde pour que soit préservé le plus précieux ; les rivières, les arbres et les bêtes. L'herbe, le chant des oiseaux, le bruit de l'eau qui court, la beauté des océans, des nuages et des visages, le rire des enfants, le soleil et les soirs d'été, la pluie et le vent... Toutes les merveilles de la terre. Les saisons. Et le ciel irréprochable...

 

 

Un peu de vie, un peu de monde, un peu de joie. Un peu de tout cela...

 

 

Au seuil de l'invisible, le monde (enfin) lumineux. La terre – et ses instincts si noirs – comme un joyau. Le reflet de la conscience. Le seul jamais que verra l'homme peut-être...

 

 

Ni crainte ni effroi. Une longue hébétude scellée par l'incompréhension et l'étonnement face à notre mystère irrésolu...

 

 

Les grands chemins par la fenêtre. Et la petite voix des songes comme boussole à chaque carrefour. Et le silence, toujours inentendu, qui invite à s'asseoir auprès des arbres. Et à attendre l'improbable fin des siècles... A demeurer auprès des étoiles et des chiens. Et à écouter le chant des rivières et le murmure des foules au loin qui jamais n’achèveront leur besogne... Impassible face à la fureur des rêves et à la violence (guerrière) des pas et des mains. Au plus proche de l'innocence et de la beauté pour ne jamais oublier l’œuvre – et la possibilité – de la lumière...

 

 

Les hommes. Telles des ronces mouvantes et sonores dont la parole et les gestes indigents enlacent – étranglent et lacèrent – la chair trop tendre et fragile de l'âme, inapte à la survie en ce monde où l'enserrement et le piquant font loi...

 

 

Ni cri ni murmure. Une parole et le silence. Ni saisie ni enlacement, un geste lent et accueillant. Ni furie ni indifférence, une présence qui réconforte notre besoin, si déchirant, d'Amour...

 

 

Rien jamais ne montera de la terre. Et rien jamais ne descendra du ciel. Mais un regard pourrait les unir – et leur offrir sa présence – son Amour – pour libérer leur puissance et décupler leurs élans... Ainsi la nuit pourra s'effacer. Et le jour pourra naître... Et les âmes tendres enfin se réunir en un seul visage apaisé et reconnaissant...

 

 

L'usage de la vérité ? Laissons donc cela à l'infini et au silence. Sachons simplement nous en faire l'hôte – l'humble dépositaire – et le fidèle laquais. Quant au reste, tâchons sagement de rester des hommes honnêtes et soucieux de ses lois...

 

 

Ni blessure ni couperet. L'éternelle innocence pour libérer le plus faible – et le plus précieux – des malheurs et du sang. Et du joug de la puissance et des plaintes. De l'odieux déferlement du pouvoir sur les sans-voix et le silence... Pour se réunir, tous ensemble, sous la férule de la plus délicate et parfaite virginité... Ainsi seulement pourront naître la joie et la liberté. La réalisation de cet Amour que nous avons cru impossible...

 

 

Ni colère ni tempête. Un silence olympien. Ni fièvre ni désert. Une accalmie sereine – et juste – face aux marées et aux déferlantes des peurs et des cris. Ni refuge ni échappatoire. Une aire infinie où les âmes et les visages (enfin) peuvent se réconcilier... Ce que nous réclamons depuis des siècles. Depuis le premier jour. Depuis le premier enfantement. Depuis la naissance du premier visage...

 

 

Ni bruit ni stupeur. Le plus beau – et le plus profond – du silence. Comme un écho apprivoisé où ne résonnerait que le plus familier – ce visage si longtemps oublié. Comme un présent pour clore des siècles de terreur...

 

 

Encore un peu de gris – et un peu de noir parfois – comme pour souligner la couleur. Et honorer la lumière... Et le monde sous sa coupe. Comme une fin jamais achevée. Comme un recommencement à renouveler toujours...

 

 

Un Amour. Comme le vertige d'une naissance... Comme une épave – un fantôme – sur le sable et le blanc imparfait des galets sur la grève... Comme une nuit de hasard juchée sur la plus belle étoile... Comme un vent qui emporterait tout – et nous laisserait l'essentiel – et le miracle, peut-être, d'être vivant...

 

15 décembre 2017

Carnet n°113 Silence et causeries

– Quelques vanités parmi l'essentiel –

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Un visage, une larme. Un geste, un sourire. Un oiseau dans le ciel. Et le silence. Et ses révérences toujours incomprises...

Ni effort ni labeur. Une évidence spontanée qui se glisse partout où la place sait se faire vacante. Après tant de peines et de siècles, le juste retour des choses qui offre au visage – et à toutes les figures du monde – une beauté, un sourire – un éclat d'éternité et la malice (joyeuse) des yeux qui savent...

 

 

Et toujours ce cri infini – interminable et démultiplié – avant que l'on nous couche dans le silence – ou que nous nous couchions, préférablement, en lui avant notre mort...

 

 

Et le silence, indemne encore, malgré nos mains rouges qui agrippent la chair pour la porter à notre bouche, qui avale – et se repaît – sans jamais tarir son insatiable appétit...

 

 

Et le silence toujours plus éloquent et nécessaire que la parole. Et toujours plus juste que toutes les tentatives du langage – que nos plus grossières et subtiles expressions...

 

 

Le silence. Comme ultime raison. Comme ultime explication et ultime espace. Bouclant ainsi le parcours – indéfiniment recommencé peut-être – de l'origine à la fin...

 

 

Comment l'homme, la parole et le monde pourraient-ils s'égarer en ces contrées où le silence est la seule origine, la seule orientation et la seule destination... Faudrait-il qu'ils soient bloqués – et empêtrés – dans leurs chantiers poussifs – et relégués à l'intervalle interminable situé aux prémices de la marche...

 

 

Le silence s'infiltre partout. Et recouvre tout. Comme l'unique présence – et si vivante lorsque l'être sait l'incarner...

 

 

Le silence, le cri, la plainte, la parole et le silence. Parcours – et étapes – universels de la forme et de la faim. Du manifesté soumis à la dimension presque totalement illusoire de l'individualité incarnée...

 

*

 

Jamais complètement guéri peut-être de nos anciennes frontières. Et de nos sortilèges passés... Comme un mal incurable, amoindri mais nécessaire, sans doute, pour rester un homme parmi les hommes – et demeurer sensible au sentiment individuel de l'incarnation... Et pour donner au visage lisse et infiniment aimant quelques traits et stigmates humains – quelques plaies et cicatrices inguérissables...

 

 

Le fantasme d'autres visages nous console parfois des jours. Et nous offre pour quelques instants – et, parfois, pour l'existence entière (chez certains) – la possibilité infime d'une autre vie...

Et tous ces visages que nous croyions effacés – et qui veillent secrètement au fond de l'âme – ressurgissent au moindre clin d’œil du destin...

Comme si nous ne pouvions nous satisfaire des figures et des paysages familiers et quotidiens. Et qu'il nous fallait sans cesse renouveler la nouveauté des visages (et ce qui traverse nos yeux)...

 

 

Il y a des errances en l'homme qui erre qui côtoient davantage le silence – et qui parfois même frôlent la vérité – que tous nos indignes chemins de raison...

 

 

Y a-t-il plus grande solitude que celle de l'homme seul ? Oui, sans doute, la question, en lui, irrésolue... Et le regard, cette chose en nous, qui en est à l'origine...

 

 

Et dans cette existence – ce bref passage – que pourrions-nous désirer d'autre que le silence... et forger le chemin qui y mène – l'accès permanent... Le destin – notre destin – en est à la fois la possibilité, la voie et la clé...

 

 

Une nuit. Et un matin plus inexorable que notre effroi. Et que nos cris sur la grève solitaire et silencieuse...

 

 

Le besoin d'Amour – et ses dérives – plus puissants que sa présence, évidente, cachée au dedans de nos désirs – et qui s'offre à tous. Et à chacun en particulier...

 

 

Un seul nuage parfois cache le ciel. Et son immensité. Donnant à la terre des allures de cellule, grise et recouverte. Des airs de tombeau éternel. Au fond duquel il (nous) est impossible de voir – ni même d'imaginer – le paradis...

 

 

L'illusion du cœur – renforcée et confortée par celle des yeux – est la geôle la plus infranchissable. On y naît, on y vit et l’on y meurt sans même deviner la dimension chimérique de sa détention...

 

 

La terre et la mort, invisible, des bêtes. L'agonie muette des forêts. Et un chemin qui serpente parmi les détresses. Du cœur au ciel, franchissant l'arrière du regard sans s'attarder sur les visages et les saisons. Une transparence qui s'étend peu à peu à tous les paysages du monde et aux cris mêmes des vivants...

 

 

Bénir la main et les yeux sages, invisibles dans la foule des poings et des paupières fermés...

 

 

Vivre, pour l'homme, ne serait-ce donc que cela... souffrir et espérer que cesse la souffrance...

 

 

Etrangers plus à nous-mêmes qu'au monde... Comment pourrions-nous dès lors nous montrer hospitaliers envers celui que nous ignorons... et dont dépend pourtant notre bienveillance à l'égard du monde...

 

 

Un rêve parfois peut suffire s'il contient l'ultime des désirs. Le chemin alors pourra – et saura – nous guider – et nous accompagner – au bout de nous-mêmes... Derrière où se cache ce que nous avons toujours, secrètement, le plus désiré...

 

 

Des bouches. Et une langue indigente, presque exsangue, mendiant ce qu'elle ne peut révéler... Ni silence, ni sagesse pour les hommes aux lèvres grossières – et à l'âme plus vulgaire encore...

 

 

J'imagine parfois ces fragments – ces milliers de fragments – mis bout à bout. Comme une question interminable posée au silence. Et le rire – le rire immense et tonitruant – qui ponctuerait sa fin comme un monumental point d'interrogation...

Quelques ondes – quelques vibrations – minuscules dans l'infini du monde et la foule des littératures. Comme un bruit dérisoire – presque imperceptible. Un souffle dans les vents. Un point – un trait peut-être – dans l'éternité. Rien de comparable à la beauté et à l'immensité du silence – et à sa folle continuité...

 

 

Un visage, une larme. Un geste, un sourire. Un oiseau dans le ciel. Et le silence. Et ses révérences toujours incomprises...

 

 

Les vaticinations du poète aussi peu utiles que les cris de la foule. Et moins bouleversantes, sans doute, que les soins – et les pleurs – de la mère auprès de son enfant malade...

 

 

La besogne de l'homme, du savant et du poète, elle aussi, moins utile que le silence. Et que son labeur invisible sur les âmes...

 

 

Aux cris, aux plaintes et aux pleurs, aux prières, aux paroles et aux vaines demandes d'explication répondra toujours le silence. Comme l'unique réponse sensée et recevable... Et comme la plus digne – et la plus vaste – à laquelle nous pourrions prétendre...

 

 

Jouissance n'est pas joie. L'une se répète (et doit inlassablement se répéter) alors que l'autre dure sans raison... L'une s'obtient et l'autre s'offre... Les hommes, en général, préfèrent la première à la seconde. Elle est moins difficile à acquérir et n'exige que peu de prélude...

 

 

Mieux vaut vaincre le sommeil que la mort. La sagesse est – et sera toujours – plus grande et plus utile que l'immortalité...

 

 

Seul dans la petite chambre d'écriture où l'infini se précipite – et où la foule des silences offre à la vie ses plus belles – et ses plus hautes – rencontres...

Vivre ainsi dans la compagnie des poètes et des sages – et avec quelques recueils de poésie, rien, en ce monde, ne saurait me combler davantage...

 

 

L'humble virginité qui accueille... Indemne des taches et des traces. Palimpseste vivant des phénomènes que ne pourront jamais ternir le monde – et les bouches et les mains de son peuple. Fragile, docile et soumise à tous les remous et à toutes les tempêtes. Et plus secourable que les églises. Plus lumineuse que le soleil. Plus nécessaire que tous les édifices. Et si modeste et invisible pourtant... Notre vrai visage si doux, si lucide et si vivant à l'abri des rêves et des illusions, de tout ce qui blesse et se flétrit, de tout ce qui s'efface et disparaît... Indicible et éternelle. Ce que nous devrions désirer le plus ardemment...

 

 

L'écriture, excessive si souvent (chez moi), est comme un tombeau que fréquente patiemment la lumière. Et comme un désert, banni par les foules, que côtoie amoureusement le silence...

 

 

Notes et personnalité. Simples, denses et un peu hermétiques. Si discrètes. Et, sans doute, inattrayantes et si peu compréhensibles par les hommes...

 

 

Sur les jours interminables, le silence. Et plus encore dessous. Et peut-être éternellement après...

La vie et la mort, non comme punition et/ou délivrance mais comme possibilité infinie de gagner l'autre rive où le silence est l'unique présence...

 

 

Le silence est notre visage. L'avant-poste et le dernier rempart contre la barbarie...

 

 

Et pourrions-nous dire le plus beau – et le plus vaste – et l'exprimer de notre voix la plus juste et la plus suave, nous serions encore loin (très loin) du plus pâle silence...

 

 

Pour dire le monde, il faudrait d'abord se taire. Et en avoir fait le tour – et l'avoir pénétré – pour que puissent jaillir, peut-être, quelques éclats de beauté – quelques fragments aussi justes que le silence...

 

 

Peut-être qu'un vertige, quelque part, nous attend... Dans un songe – un ciel d'autrefois. Un temps où il ferait bon naître – et être vivant. Un espace encore inexploré où viendraient s'éteindre les jours et les siècles. Dans le baiser d'un enfant ou les bras d'une femme peut-être...

Un vertige, quelque part, nous attend pour donner à notre vie lourde et grise – si pesante – un refuge – un espoir d’ailleurs, même vague et plus qu'incertain, que nous mâcherons, sans doute, jusqu'à la fin du jour – jusqu'à la fin des siècles – jusqu'à ce que le calendrier et les heures sur les aiguilles de l'horloge aient été consumés par nos élans d'espérance...

 

 

Le désamour – et ses suffocations – sont les préludes de l'Amour. Les prémices de l'extase. De cette joie que nous avons cherchée et espérée en embrassant celles et ceux qui passaient à notre portée en pensant qu'ils nous en feraient grâce – mais qui n'en étaient, bien sûr, que les illusoires dépositaires...

 

 

Le chien est plus fidèle et loyal que l'homme car, peut-être, moins soucieux de son amour...

 

 

Allongé sur le sol, et plus exactement sur le tapis, de la petite chambre d'écriture, j'attends la parole. Sa traversée fulgurante dans l'esprit nu et simple, démuni de tout désir. Je l'attends sans vraiment l'attendre. Je me fais réceptif à sa venue possible. Et dans cette attente, infiniment patiente, quelques livres – quelques recueils de poésies – m'accompagnent... Et une mince liasse de feuilles blanches, posée à mes côtés, espère l'acquiescement du ciel, ses échos et la danse, si printanière, de la main qui retranscrira ses murmures...

Et ces instants me sont presque plus savoureux que l'écriture, presque toujours soumise aux impératifs de la nécessité – et à la furie parfois de la retranscription...

Il est plus facile de se faire poète, et en particulier poète silencieux – et infiniment contemplatif – que scribe qui, même s'il se sent libre, n'en reste pas moins l'esclave des exigences de l’infini...

 

 

La métaphysique, si lourde – si épaisse – apprendra, au fil des chemins (et de la compréhension, bien sûr) à se faire infiniment plus légère. Presque invisible. Comme le cadre, imperceptible, dans lequel s'exécuteront les gestes, les pas et les paroles de plus en plus denses – mais dégagés de toute pesanteur. Dans une sorte de transfert progressif d'intensité de l'esprit – et de la pensée – vers l’attention et le mouvement...

 

 

Il faut du temps à un homme pour apprendre à être libre. Libre et joyeux. Et vivre une liberté et une joie nullement concernées par les circonstances. L'existence – toutes les existences – ne sont, en définitive, que cet apprentissage...

 

 

Celui qui écrit pour la gloire ne connaîtra, sans doute, la postérité. Celui qui écrit par nécessité la connaîtra peut-être si son œuvre contient l'essentiel de l'homme... Ces écrits-là constituent ce que nous avons à la fois de plus précieux et de plus tragique – le plus fragile et le plus éternel du visage humain...

 

 

Le poète écrit pour faire advenir le plus proche invisible en certitude. En réalité vivante... Et transformer le lointain en familier... Ainsi procède également le sage...

Sages et poètes, lorsqu'ils parviennent à exposer l'inconcevable et à réunir l’irréconciliable, devraient être célébrés davantage que les rois – et que l’œuvre, si banale, des peuples laborieux...

 

 

Le monde est un théâtre – un décor – dont les yeux ne peuvent pénétrer les coulisses. Il faut un regard pour accéder aux loges, comprendre le jeu des acteurs, les grossièretés et les subtilités de la mise en scène, percevoir l'inanité et la stupidité, si souvent, des répliques et mettre à jour (ou deviner) les intentions de l'auteur... L'éclairage et la compréhension sont à ce prix. Comme d'ailleurs le jeu juste de l'acteur – ce rôle auquel nul ne peut échapper en arrivant sur la scène du monde...

 

 

Apte ni à la grâce ni à la pesanteur. Ainsi sans doute est l'homme, si peu naturel, si peu métaphysique et si peu spirituel, vaquant au nécessaire (devoirs, fonctions, exigences quotidiennes...) et essayant, plus ou moins vainement, de convertir le reste (le reste infime si souvent) en plaisirs et en agréments... De triviales et grossières occupations en vérité...

 

 

Silence et causeries. Quelques vanités parmi l'essentiel...

 

 

Le poids du durable sur nos vies si évanescentes. Et celui du grave sur nos jours si légers...

 

 

Dans le plus précis des siècles et des jours. Dans le plus précis des heures, l'instant inquantifiable. Incommensurable...

 

 

Un passage incertain entre les étoiles. Comment résister à ce songe si plein de promesses : l'accès simple et aisé à la lumière... Comment s'y refuser ? Faudrait-il être stupide ? Et pourtant, le rêve et le désir toujours resteront rêve et désir... Et la lumière un fantasme dans l'obscur...

Des millénaires que l'homme s'y prête obstinément...

 

 

Horizon et ciel bleus, gris et noirs se succédant inlassablement. Des milliards de fois, ils l'auront été... Et des milliards de fois, ils le seront encore... Comme un cycle éternel... La ronde perpétuelle du monde et des couleurs...

 

 

Entre soi et soi, se terre sans doute la plus insoluble et mystérieuse énigme. Et la plus magistrale... Au regard de laquelle les autres ne font figure que d'indignes distractions...

 

 

Des monceaux de phrases. A la fois amas indigne et montagne sacrée dont nul jamais peut-être ne prendra la peine de retirer les scories ni de gravir les mille chemins... Tant pis...

 

 

La respiration permanente du monde et du vivant. Râle faible – et presque moribond – ou souffle puissant selon les cycles et leur vitalité, entrecoupé de provisoires instants de répit et de silence...

 

 

Toujours moins à dire que le silence. Mais un élan, irrépressible, pousse pourtant les mots sur la page. Comme ascèse et exercice quotidiens. Une façon de retrouver, avec délice, la présence – le vide accueillant – et voir ce qui s'y jettera... Curieux, sans doute, de découvrir ce que recèle encore le puits intarissable...

 

 

Ni joie ni souffrance. Un long engourdissement peut-être... L'implacable mécanique des instincts. Et du destin. L'actualisation de notre potentiel – et de notre vérité...

 

 

On écrit comme le soleil, sans doute, se lève chaque matin. Pris par les cycles inexorables et l'habitude, peut-être, de voir le jour...

 

 

Ni monde ni peine. Quelques larmes au milieu des rires pour se prouver peut-être que l'on est vivant. Et que l'homme en nous n'a pas entièrement disparu...

 

 

L'horizon et le ciel. Définitifs. Eternels sans doute. Et aucun ami parmi les hommes. Et aucun appui en ce monde. Aucun socle sur lequel bâtir une œuvre... Le moindre édifice abandonné sur le champ, voué dès l'instant suivant à l'oubli. Et l'absence des hommes et de l'âme... Vécu presque inhumain mais avec lequel on se trouve (bien) plus à son aise que parmi les visages, l'espoir et la bêtise...

Ni gloire, ni sagesse ni vérité. Mais la certitude de vivre la possibilité du presque inhumain – l'au-delà de l'homme peut-être... Comme un irrépressible appel – et une évidence à se laisser mener vers le ciel et cet horizon inconnus – et indéfiniment renouvelables...

Ni plainte ni partage. Quelques notes seulement pour témoigner de cette expérience, intensément réelle, d'intra et d'extra-réalité où ne règne qu'une présence – une infinie présence – sur l'ensemble des visages qui ne forment plus qu'une seule figure infiniment fragile et provisoire...

Ni pas ni danse, pas même un chemin. Une parfaite immobilité au bord du monde qui accueille – et avale – tout mouvement...

Ni hier ni demain. L'effacement total du temps. Ni ailleurs ni plus loin. Le ici permanent... à l'instant où nous sommes...

Ni voix ni livre. Et moins encore de savoir. L'ignorance absolue dans laquelle se révèle peut-être le plus haut – et le plus fin – de l'intelligence : l'Amour irréprochable – désincarné et impersonnel – qui reçoit sans condition – sans exigence ni impératif – ce qui vient – et arrive vers nous, nous qui ne sommes même plus sûrs d'exister – mais d'être, sans doute, au plus près (au plus proche) de l'être le plus parfaitement nu...

Ni poète ni penseur. Un cœur qui écrit... Une main sans auteur. Une parole née du silence qui court sans raison sur la page pour la joie d'être – et la joie d'écrire. Pour célébrer, dans la plus haute solitude, ce que l'homme peut atteindre...

Ni émotion ni sentiment. Une joie pure et sereine – incroyablement sereine. Ce qui se rapprocherait peut-être le plus d'une douce extase affranchie de la chair – admirablement intense et apaisée. Comme un abandon à ce que nous avons de plus sacré...

Ni noir ni couleur. Jour et nuit entremêlés. Ombres et lumière d'un seul tenant. Chair et silhouettes agglomérées...

Ni plainte ni explication. Le fait – la réalité brute et nue – relatés sans artifice par notre plus sûre identité... Le vrai sans exigence qui mêle, sans affect, la laideur et la beauté du monde...

Pas même un face-à-face avec Dieu – et avec la vérité. Pas même une oraison ou un désir à exprimer. L'unité incarnée peut-être avec ce qui se meut, se meurt et se plaint... L'éphémère éternel retrouvant son étrange et précaire éternité... L'indicible que l'on tente de dépeindre avec quelques pauvres signes – quelques mots dérisoires... L'accès au plus haut peut-être accessible à l'homme. Ou un songe... ou une errance peut-être... – qui peut savoir...

Une expérience qui rend la vie, les bêtes, le monde et les hommes étrangement lointains et familiers. Comme un fragment infime de ce que nous sommes – et que le silence renonce à expliquer...

 

 

Le silence est la seule prière. L'espace d'accueil réconfortant de tous les rêves, désirs et ambitions. La seule réponse possible à toute existence. Et la célébration même, fort encourageante, de tout ce qui existe – et qui est né de ses élans... Voila la seule gloire authentique à laquelle nous pouvons – à laquelle nous pourrions –, chacun, prétendre...

 

 

Quelques mots encore avant le silence peut-être... Non le définitif mais celui qui sait se taire et acquiescer aux circonstances. Celui qui aime de façon indifférenciée ce qui lui échoit et ce qui sur lui vient s'échouer. Celui qui consent sans rien omettre ni rien rejeter. Celui qui efface et oublie sans jamais meurtrir. Celui de notre vrai visage aux mains honnêtes et justes – et infiniment secourables. Celui que le monde – et tous les vivants du monde – réclament à cor et à cri, terré derrière leurs plus odieux désirs et leurs plus sécrètes ambitions. Celui qu'ils sont – et que nous sommes – lorsque nous saurons (enfin) nous réconcilier...

Et tant de cris sont parfois nécessaires pour le rejoindre – le retrouver...

 

 

L'Amour, seule loi qui pourra nous sauver de l'ignorance et de la haine. Et de leurs infinies déclinaisons : prétention, désirs, ambitions, convoitises, mépris, orgueil, arrogance...

 

 

L'homme n'est, bien sûr, ni le plus haut – ni même le plus précieux – du vivant comme il aime, si souvent, à le croire dans sa trop égocentrique stupidité. Il est une ébauche, encore mal dégrossie, – la continuité d'une tentative pour accéder au plus haut et au plus précieux de l'Existant. Et permettre à sa grossièreté, évolutive et merveilleuse déjà, de revêtir les caractéristiques fabuleuses de la conscience : l'Amour et la lumière inscrits dans le plus pur silence. Et l'homme n'est qu'une étape, modeste sans doute, dans ce projet insensé : mettre l'inouï à la portée du plus vulgaire...

 

 

Le poète, vigie de l'infini et de l'éternité. Gardien, sans accaparement, du sacré en attendant des jours meilleurs. Doigt pointé vers la vérité insaisissable. Fine pointe, peut-être, de l'homme. Inestimable secours dans l'égarement. Et promesse sans doute – et salut peut-être – pour toutes les errances...

Témoin – modeste témoin – du monde et de l'infini. Des siècles et du silence. Ne vouant un culte qu'au plus précieux atemporel...

 

 

Pour tout dire ; la misère et la volupté de vivre, le monde, ses égarements, les hommes, leurs errances, le désir, la volonté, la paresse et l'inertie... Pour tout dire de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous serons, peut-être faudrait-il d'abord se taire... Et faire du silence son interlocuteur, son ami, sa demeure... Et lorsque tout sera compris, et entrevu en un éclair, les mots alors pourront venir... Et ce qu'ils diront n'aura que peu d'importance pourvu qu'ils invitent au silence...

 

 

Qu'un prélude consacre nos funérailles ! Belles, joyeuses, grandioses. Et absolument silencieuses. Comme les prémices du retour à la mère nourricière, meurtrière et guérisseuse, qui aura tant fait pleurer les hommes...

 

 

Tant de paroles, de larmes et de feuillets noircis pour comprendre l'incompréhensible et saisir l'insaisissable... Une passion qui aura exténué les hommes... Mais qui s’avérera bien plus utile que nous le pensons. Au bout de l’épuisement, l’abandon – la seule clé nécessaire à la compréhension de l’indicible...

 

 

Le tutoiement du ciel. Plus délicieux que celui de la chair du monde que l'on ne côtoie, bien souvent, que pour se nourrir davantage – et, peut-être, parfois un peu mieux...

Le tutoiement du ciel est une grâce permise par l'âme plus vive que le corps. Par l'âme plus innocente que l'esprit. Qui offre la possibilité d'un retour vers la terre promise ici-bas au milieu des visages, des fleurs et des larmes. Parmi les bêtes et les hommes, ces créatures si orgueilleusement terrestres...

 

 

Habiter cet espace où nulle circonstance n'est invitée... Où les rires n'ont pas plus de sens que les larmes... Où le cœur est si proche du monde qu'on l'entend battre dans chaque poitrine... Et où le regard, posé au lointain, veille en silence sur le fracas des siècles qui s'effacent lentement...

 

 

Le monde n'est peut-être qu'une méprise. Un essai. Une tentative sans conséquence. Le pari, un peu fou, d'un Dieu assis au bord de l'ennui...

Il n'y a donc rien à craindre de sa disparition pour peu que nous sachions remonter l'origine, reconnaître ce que nous sommes – et vivre silencieux, et sans doute hilares, auprès de celui qui nous a enfantés...

L'histoire – l'histoire du monde – n'est qu'un trait infime serpentant entre le néant et le rire d'un Dieu fainéant... Pas de quoi soulever les cœurs et l'orgueil de notre condition. Il y aurait plutôt matière à se faire humble...

 

 

Le temps pourrait filer, les saisons se succéder dans une ronde imparfaite, les bêtes opérer leur mutation, si attendue, et les hommes s'enlacer enfin après tant de drames, de guerres et de larmes, nous n'aurons été, au fond, que nous-mêmes, créatures et destins liés, mollement ou furieusement évolutifs, voués, quels que soient les parcours et les itinéraires, au plus magistral silence... Et que nous le teignions de joie ou de sombre importe peu... Hier, aujourd'hui et demain n'auront été qu'une épreuve – l'exercice de notre propre fin...

 

 

Ni crainte, ni regret ni désastre. L'empreinte de Dieu dans les pas de l'homme. Et les foulées d'un monde sans importance... Une farce peut-être qui ne réclame que de grands éclats de rire...

Et nous mourrons ainsi... sans une once de compréhension. Et sans une once de vérité. En ayant tenu pour sage la plus grande folie – et pour folle la plus grande sagesse. Comme des cœurs inachevés – et des âmes à polir encore...

 

 

On croit écrire, malgré soi, de la poésie là où il n'y a, le plus souvent, que pensées grossières et épaisses laborieusement métaphoriques... Paroles sans intérêt ni importance... Une pseudo littérature de dénigrement et de complaisance pas même bonne à jeter aux pourceaux...

 

 

Le seul voyage nécessaire n'est peut-être que celui de notre désapprentissage. Le lent, et âpre, effacement de nous-mêmes...

 

 

L'homme exilé du monde est, bien souvent, le candidat idéal pour rejoindre les terres du ciel. L'habitant potentiellement le plus proche du paradis (à la fois) terrestre et céleste...

 

 

Ni désir ni traque. Pas la moindre envie. Une béance où l'on se glisse – et se laisse aller à l'oubli... Une remontée à rebours du temps pour qu'éclose, à travers les heures, l'instant... Pas même un passage. L'éternité peut-être à la portée des siècles où le labeur n'a jamais porté ses fruits – et où l'effort et l'espérance se sont montrés tout aussi vains... Un glissement spontané vers ce que nous n'avons jamais quitté... Un lieu de présence où égratignures du corps et plaies de l'âme n'affectent que l'espérance qui, en cette aire, n'existe plus...

 

 

L'Amour sans blâme ni dentelle que la chair ne corrompt plus. Mais qui la célèbre pourtant au plus haut point de la jouissance : la joie extatique de l'innocence qui est, sans doute, la volupté la plus secrètement convoitée...

 

 

Ni mot ni parole. Rien qu'un silence... Et plus qu'un silence, le silence... Comme le règne du plus durable parmi le provisoire. Du plus certain parmi l'incertitude et l'improbable. Et du plus lumineux parmi tant d'ombres. L'inéluctable couronnant l'imprévisibilité des chemins...

 

 

Ni ignorance ni compréhension. Ni savoir ni méconnaissance. Mais un intervalle (de lumière) où peut se glisser l'infini des possibilités... Et où n'advient qu'une seule circonstance à la fois, aussitôt effacée et remplacée par une autre. Indéfiniment jusqu'au règne du grand silence, et à sa suite, la récurrence des cycles du monde, de ses bruits et de ses circonstances, entrecoupés au terme de chaque évolution, et avant que naisse la suivante, par cet étrange espace silencieux...

 

 

Plutôt qu'offrir au doute – et à la plainte – le privilège du langage, se taire. Faire vœu de silence. Et offrir la parole...

 

 

Une pierre morte à la fin du jour. Et la convalescence lente, impossible peut-être, des arbres tristes...

 

 

Ni jour ni nuit. Le silence – et un soleil – interminables où se succèdent sans fin les circonstances implacablement entremêlées...

 

 

Une fraternité d'âme existe entre les cœurs insoumis – et rebelles à l'ordre établi et à l'autorité du monde. Comme une intuition – le pressentiment peut-être d'une joie, d'une fraternité et d'une unité que les hommes, et leur maladroite organisation, ont toujours été bien en peine de faire naître – et de révéler...

 

 

Ni espoir ni sagesse ancienne. Et pas même un orgueil. Une présence sans attribut. Libre de tout – et y compris d'elle-même... Un feu tranquille – une lumière auto-entretenue – qui n'exige rien ni du monde ni d'elle-même... Et qui ne se soucie pas même des ombres – ni de son jeu ni de son pouvoir sur elles...

Pas d'indifférence pour autant, mais un complet acquiescement qui abandonne tous les phénomènes (êtres, choses, formes, situations, circonstances...) à l'implacable – et juste – cours des choses en leur offrant la liberté d'agir selon leurs caractéristiques (conditionnements, apprentissages etc.)...

 

 

Ni homme ni femme. Un genre indéterminé. Inutile. Le plus inouï sans doute auquel l'homme peut prétendre. Et le plus sage. Au delà de tout ce que l'on peut imaginer et espérer... L'indicible au cœur de la chair et de la matière. L'ineffable au sein de l'incarné. L'invisible dans le manifesté le plus grossier...

 

 

Ni église, ni croix ni chapelle. Et aucune religiosité bien sûr. Pas le moindre signe extérieur d'une quelconque appartenance. Parmi les vêtures, nécessaires parfois, le plus simple toujours. Ce qu'il y a, au fond, de plus nu en chacun. Ce qu'il reste lorsque tout s'est effacé... Mais comment qualifier l'inqualifiable...

Des siècles de commentaires ne suffiraient à le définir. Mais après des milliards de pas – et des milliards de vies peut-être –, un seul instant pourrait nous le faire découvrir. Et nous offrirait alors, à l'effacement du temps, l'éternité pour le vivre...

Et de le savoir, nous voilà bien avancés... Oublions ces phrases. Et soyons plutôt attentifs au pas présent – et à ce qui surgit à l'instant où nous sommes...

 

 

Ni effort ni labeur. Une évidence spontanée qui se glisse partout où la place sait se faire vacante. Après tant de peines et de siècles, le juste retour des choses qui offre au visage – et à toutes les figures du monde – une beauté, un sourire – un éclat d'éternité et la malice (joyeuse) des yeux qui savent...

 

 

A toutes les morts s'ajoutera le silence... Beau pour les uns, solennel pour les autres. Incompréhensible pour la plupart, frustrés par cette trop subtile réponse...

 

 

Des millénaires de philosophie et de poésie bien en peine de guérir l'immaturité. L'ignorance, source (continuelle) de tous les maux – et des malheurs que nous avons nous-mêmes enfantés...

 

 

Ni abri ni refuge. Une présence simple où les circonstances font peut-être office d'école dans ce long – et douloureux – apprentissage de l'effacement. Et le monde comme miroir de nous-mêmes aux facettes si trompeuses. Le vide et l'incertitude comme seuls socles – et seuls maîtres...

 

 

Ni caresse ni déchirement. Un silence voluptueux. Et une absence qui se glisse dans l'effacement. La plus sûre demeure...

 

 

Et tous ces poètes qui n'auront crié que leur faim... sans parvenir ni à assouvir leur appétit ni à en découvrir l'origine rassasiante... Mais comment les blâmer... Au moins auront-ils essayé de laisser émerger en eux le plus grand qu'eux-mêmes alors que d'autres, la plupart des hommes, ne se seront contentés que de se repaître de chair et d'apaiser leurs instincts...

 

 

Ni souvenir ni espoir de jours meilleurs. Ce qui s'approche... Ce qui est là, maintenant... Et ce qui s'efface... et qui revient, paré d'autres vêtures, parmi les visages...

 

 

Ni peur ni mensonge. Pas même un instinct. Notre vrai visage libéré de tout stigmate... La face de Dieu auquel nous n'avons cru – et que nous sommes pourtant bien plus que toute autre chose...

Le plus haut de l'âme. Le plus profond du cœur. Et le plus vaste du regard. Le plus précieux dont nous n'aurons jamais à nous défaire...

 

 

Héraclite et Démocrite, les deux faces d'une même figure. Celle de l'homme. Ni totalement triste ni pleinement rieuse. Une farce peut-être, à la fois grise et lumineuse, dans la lumière. Et le soleil du monde que les hommes continuent à chercher – et à vouloir saisir – en dehors d'eux-mêmes... L'errance perpétuelle de l'humanité, encombrée d'inutile peut-être mais porteuse de la seule révolution possible, envisageable, pour retrouver notre vrai visage...

 

 

Ni yeux ni lèvres. Pas même un sourire. Une face rougie non de honte mais à force de lumière. Comme une chair – et une âme – incandescentes, éblouies par leur propre feu. Mais si humbles – et si discrètes – qu'elles peuvent marcher parmi la foule sans s'honorer de – ni revendiquer – l'origine du rayonnement. Comme une grâce purement – et strictement – impersonnelle... Le miracle que l'homme espérait depuis des siècles...

 

 

Ni force ni enjeu. Une puissance inoffensive qui jamais ne frappe au hasard. Qui ne s'abat que pour éclairer – et éclaircir. Et faire disparaître l'absurde et le superflu. Comme un poing, violent parfois et tenace, mais toujours secourable...

 

 

Et sans doute, est-il temps, à présent, de se taire. De laisser le silence à son œuvre pour que nos âmes soient plus vite éblouies par ses exploits, sa justesse et son amplitude...

 

15 décembre 2017

Carnet n°112 Une vérité, un songe peut-être

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Un jour, une vie, un siècle. Ou peut-être l'éternité pour comprendre. Et apprendre à aimer. Il n'y a d'autre rêve – ni d'autre ambition – pour l'homme, la terre et le monde. Ni d'autre possibilité... L'existence n'est – et ne sera toujours – qu'une longue découverte – et qu'un long apprentissage – de soi-même...

L'exercice des jours. Des pages et des pas quotidiens. Métaphysiques, philosophiques, poétiques et spirituels. Une marche et des notes – une simple marche et de simples notes – creusées dans l'expérience humaine...

 

 

Quelle sera la dernière révérence de la pâquerette ? Le dernier chant de la mésange ? Et la dernière parole du poète ? Et à qui seront-ils destinés ? Mais le monde s'en soucie-t-il seulement...

 

 

L'exercice des jours. Des pages et des pas quotidiens. Métaphysiques, philosophiques, poétiques et spirituels. Une marche et des notes – une simple marche et de simples notes – creusées dans l'expérience humaine...

 

 

Et dans le chaos du monde, peut-être un dernier espoir... Le regard – et la main – de Dieu agissant, de façon plus décisive, à travers les créatures... Mais encore faudrait-il qu'elles y soient réceptives... Pas d'autre espérance donc que la sensibilité de la terre au Divin...

 

 

De l'âme – et du visage – au plus près de la roche naît parfois le déclic – l'élan nécessaire – pour éradiquer l'orgueil. Eliminer la prétention. Effacer les désirs et les ambitions. Et voir enfin advenir l'innocence requise pour s'abandonner à la grande liberté des jours sur l'horizon...

 

 

Un jour, une vie, un siècle. Ou peut-être l'éternité pour comprendre. Et apprendre à aimer. Il n'y a d'autre rêve – ni d'autre ambition – pour l'homme, la terre et le monde. Ni d'autre possibilité... L'existence n'est – et ne sera toujours – qu'une longue découverte – et qu'un long apprentissage – de soi-même...

 

 

Et du soleil peut-être naîtra, un jour, le plus bel horizon...

 

 

Un cri infiniment prolongé. Et un cahier d'infortune pour consigner le ciel, les jours et le mal des siècles. Ses expériences. Son apprentissage du vrai. Son côtoiement, sa fréquentation et son plein dévoilement possible... Le miracle d'être. La joie d'aimer. Et les malheurs des hommes et du monde. Et toutes leurs peines inconsolables. L'humilité jamais acquise. L'éternel retour de la matière – et des choses de l'esprit. Le doute encore parfois... Les saisons si belles. La terre merveilleuse. La nature féconde. Irremplaçable. Le bonheur tout simple d'exister. La parole du poète. Le passage, toujours fugace, des nuages. Et le chant, si fragile, des oiseaux...

 

 

Un jour peut-être nous souviendrons-nous des orages – et des naufrages – de tous les naufrages où nous avons failli laisser notre peau... Et des bruits imperceptibles de l'âme, à la fois prisonnière et libératrice de notre destin. Du poids si vif du monde. Des charges indéfectibles de notre vie. Des devoirs. Et de l'exigence des circonstances. Des peurs. Des terreurs. Et de la frayeur d'être né, si vulnérable – si différent – parmi tous ces visages inconnus – et à reconnaître plus que tout comme les siens – malgré l'hostilité, l'indifférence et le goût du sang encore présents au fond de presque toutes les âmes... Alors peut-être serons-nous saisis – et comprendrons-nous le sens de cette marche interminable, de tous ces pas parmi la honte, les masques et les préjugés. Parmi tant d'ignorance et de haine. Parmi toutes ces mains qui se jettent encore sur nous malgré notre innocence – et le sourire si doux de nos lèvres qui éclaire le monde et notre visage... malgré le vent, les restes d'orgueil et la poussière qui collent encore à nos souliers...

Quelques pas de plus – quelques foulées supplémentaires – pour aller, fragile et serein, vers demain qui arrivera peut-être...

 

 

L'effacement et le silence sont – et seront toujours – les seules réponses au doute et à la cruauté. Aux mille questions lancées vers ce que nous ignorons...

 

 

Un écho, un rappel, une réponse peut-être à ce que nous avons oublié dans l'innocente beauté des jours qui s'avance vers nous. Pour donner à notre destin des instincts de lumière. Des pas sans promesse. Et la joie d'aller sans destination...

 

 

Comme une éclaircie parfois sur nos horizons noirs. Et nos rêves, si rouges, de lumière... L'innocence encore. L'innocence toujours plus belle que nos ambitions de mort... Que nos saccages pour agripper quelques poignées de terre... Et que l'or entassé dans nos poches... – et dont nous n'avons jamais su que faire...

 

 

S'abandonner (encore) pour offrir le plus fragile de nos mains à ceux qui saignent encore. A ceux qui massacrent encore. A ceux qui espèrent encore malgré la laideur qu'ils enfantent – et la misère qu'ils répandent sur la terre et les visages devenus, à force de coups et d'espoirs déçus, infertiles. Et inaptes peut-être à la joie...

 

 

Peut-être demain sera-t-il un jour plus clair... Peut-être demain aurons-nous oublié la misère d'aller si orgueilleux sur les chemins... De côtoyer la mort – et de la célébrer encore – de nos gestes trop sérieux – et de nos pas privés de lumière...

 

 

Se réduire à moins que rien. Moins qu'un désir. Et moins qu'un songe. Aussi beau que le chant du merle à l'aube. Que l'herbe et l'arbre sous la pluie. Que le soleil – sa lumière et sa chaleur – qui inondent notre vie. Moins que rien, c'est à dire presque tout – et plus encore peut-être que l'infini et l'éternité réunis... Notre vrai visage enfin ruisselant d'innocence et de joie... Le vrai destin de la terre – et celui des hommes – de tous les hommes – peut-être bientôt...

Le sage inlassablement y travaille – mêle son labeur à celui du ciel et des étoiles pour que règne le moins que rien – et ses traînées d'or et de poussière – enveloppés de silence...

 

 

Et sur la feuille blanche – et délavée, peut-être, par le temps –, les signes d'une présence. La beauté des cercles noirs, presque effacés, dans le silence... La certitude du vrai parmi tant de mensonges et de paroles égarantes – jamais navrées de l'indigence dont elles se nourrissent – et dont elles recouvrent les âmes... L'innocence enfin du poète livrant à la terre – et aux hommes – ses riches récoltes de riens. Petites herbes gaies dans la grande forêt sombre du monde et l'immense besogne – et l'infime labeur – des peuples et des rois...

 

 

L'exercice des jours dans le sacre permanent de la beauté et du silence...

 

 

Et dans le silence encore, les bourrasques pourront frapper. Et les promesses – et les mensonges – tenter d'en percer l'insaisissable épaisseur. Mais nul jamais ne pourra s'en prémunir – et nous empêcher de rejoindre cette présence qui a tout enfanté – y compris, bien sûr, les vaines tentatives pour l'abattre – et le réduire à néant...

Insubmersible silence toujours. Indestructible. A jamais. Au delà des guerres et des échecs, des victoires et des avertissements. Au delà même des siècles qui jamais ne pourront l'interrompre – et moins encore l'avilir – et corrompre sa présence...

 

 

Le silence des jours encore qui remplace nos cris. Et accompagne – et consacre – la longue agonie des hommes. Comme une promesse éternelle. La perpétuelle réponse à nos doutes et à nos questionnements...

 

 

D'heures noires et d'herbes rouges nous faisons parfois l'expérience. Jamais sans mal. Jamais sans cri. Et l'espoir d'autres spectacles. Et presque sans jamais comprendre que nous participons aux couleurs de la terre et du temps...

 

 

Les rêves obscurs – autant que les souvenirs – viendront encore faire ruisseler les eaux frémissantes. Et n'était-ce pas là, sur leur fier promontoire, que vivaient autrefois les hommes, à la fois témoins et acteurs des plus odieuses rivières...

 

 

Tous ces édifices, ces rêves et cette terre voués à l'oubli. Et cette histoire sans trêve effacée à chaque nouveau pas...

 

 

Il n'y a peut-être, en définitive, qu'une seule chose qui importe : la lumière, en nous, qui demande à éclore...

 

 

En l'homme, le même désir (depuis toujours). La même espérance. Et le même anéantissement. L'échec perpétuel. Et la fugacité des traces – et des visages – qui n'auront su se livrer à l'oubli et à l'abandon...

L'orgueil fou des origines encensé par les siècles. Et le malheur indéterminé à dates fixes. Et le destin brisé. La condition naturelle de l'homme...

 

 

Et si les vivants étaient déjà presque morts – peut-être simplement rattachés à la vie par un fil fragile – ténu – : l'espérance et le désir d'un vivre mieux... Les yeux barricadés derrière un ailleurs et un après indistincts. Impossibles à faire advenir... Vouant les pas à une marche sans fin – et le corps et l'âme à une fatigue interminable...

Et pourtant l'infini toujours nous attend. Et les dieux factices – et sans visage – toujours nous consolent. Reléguant le périple à une étrange éternité faite de hontes et de répétitions. Et où l'ignorance règne davantage que ne rayonne l'Amour qui nous cherche – et que nous cherchons – pourtant depuis toujours...

 

 

L'appel encore, exhumé des terreurs où siège dangereusement l'indicible. Où l'impossible se répand sur les chemins et les visages, plus égarés qu'autrefois. Un lieu qui n'échappera aux rêves. Et aux cris. A l'absence. Et à l'hébétude des âmes... Dieu toujours (aussi) incompris parmi les hommes...

 

 

Ce monde comme le reflet d'un autre monde. Plus intérieur. Et plus lumineux sans doute que nos rêves auraient terni...

 

 

Plus clair sans doute que le soleil, le rêve de la lumière auquel on aurait retiré les ombres du réel... Plus attrayant donc mais aussi, bien sûr, plus mensonger...

 

 

Le vrai lieu, toujours introuvable, conserve ses secrets – l'itinéraire des désastres où viennent se rencontrer le jour et les songes, la nuit et ses chimères – et la beauté des étoiles, des larmes et des visages... Un pas de plus vers l'abîme. Un pas de plus vers le soleil – à l'exact endroit où percent – et se croisent – le réel et le regard où agonisent les heures... Ici... à l'instant même où je vous parle...

 

 

Des pages. Encore des pages pour se sentir peut-être plus vivant. Assis, invulnérable, au plus haut de la solitude. Goûter indéfiniment à cet éclat de joie que ni les hommes ni la terre ne pourront nous arracher... Vivre cet espace. Pénétrer cette lumière. Et devenir, le temps de l'écriture, l'égal d'un Dieu moqueur. Côtoyer la sagesse hilare qui se joue de nos soucis et de nos batailles. Devenir pour un instant plus vaste que l'infini, plus durable que l'éternité et moins bavard que le silence. Laisser les mots décrocher la parole de ses limbes pour devenir le seul espace vivant sur cette terre de mort et de sommeil... Voilà peut-être pour quoi écrivent les poètes...

 

 

La poésie n'est qu'un signe de joie. Un éclat d'éternité. Une lueur – une flamme – mettant l'infini à la portée de l'homme. Une réponse à la soif. Le sacre de l'inutile et du rien. La plus haute richesse peut-être dans ce monde d'indigences...

 

 

Le cadavre des hommes – la dépouille des mortels. Et la danse des âmes partout – entre et au dedans... Pas tristes le moins du monde de toutes les fins et de tous les recommencements...

 

 

La poésie, le sucre et le tabac. Comme une joie peut-être à portée des lèvres... Drogues douces qui rendent l'âme prisonnière de son désir – et de sa patrie peut-être. Comme si le monde – et sa présence au monde – l'avaient exilée pour des seuils – et des horizons – plus âpres et inhospitaliers qui vouent le manque – le besoin déchirant – à nous rehausser – à revenir à des sommets plus vivables et satisfaisants...

 

 

L'envol simplifié ne garantit que des chutes. Inévitables... D'une fréquentation inassidue des faîtes que nous espérons – et que nous aurions espérés plus définitifs...

 

 

J'aime ces heures où convergent la présence et le naturel de l'âme... L'eau alors suit sa pente. Et se fait humble – et radieuse (si radieuse) – dans l'éternité... Cascade de joie où se glissent les larmes et les rires. Et la certitude d'un Dieu aimant, soucieux du fond de nos désirs...

 

 

Ne plus rien dire d'autre que le silence. La pensée effacée. L'émotion pure d'exister...

 

 

Plus le temps passe, et plus j'aime être – et écrire le plus simple. La quintessence peut-être qui constitue l'existence...

 

 

Le pas suivant, consolateur toujours du précédent lorsque l'âme quitte la présence – et s'égare pour quelque temps dans les affres illusoires de la solitude et l'espérance de l'Autre...

Je crois, en définitive, que la solitude, la marche et l'écriture m'auront appris l'essentiel. A vivre mieux en ma compagnie parmi les hommes ou en leur absence...

 

 

L'Autre essentiellement – presque toujours – considéré comme une gêne, un obstacle ou un moyen. Et les hommes voudraient nous faire croire en l'existence de la fraternité et à la possibilité du geste désintéressé... Quel orgueilleux mensonge... Peut-être assistons-nous aujourd'hui à quelques maladroites prémices... Tout au plus... Plus tard peut-être en serons-nous capables lorsque nul ne sera plus soumis aux exigences de l'individualité...

 

 

Les hommes me font rire – continuent de me faire rire – avec leurs mille activités. Qu'y a-t-il donc à faire, en ce monde – en cette vie – sinon être et aimer ?

Une présence, un regard et un geste parfois suffisent...

 

 

Nous aimons la solitude. La compagnie des arbres et des chiens. La proximité des pierres et de l'herbe. Les fleurs des chemins. Et lorsqu'il nous arrive de croiser une vache, un cheval ou un âne, c'est pour nous une fête... Nous nous empressons alors de le (ou de la) saluer, de lui donner quelques nouvelles du monde – et parfois quelques conseils (ma foi ! peut-être pas si utiles...) avant de rester là ensemble – silencieux pendant de longs instants. Puis nous quittons notre hôte, non jamais sans un regard – et parfois même un adieu, pour repartir sur nos chemins solitaires...

 

 

Une incidence parfois sur les jours. Comme une lumière qui tarde à venir... Trop soucieuse peut-être des incapacités humaines – et de la faiblesse des âmes, inaptes encore à la recevoir. Et qui, si elle se manifestait pleinement, les ferait éclater sans doute. Réduirait les esprits en cendres et les cœurs au néant. Détruirait le peu qui a été construit pour nous envahir totalement...

 

 

Quelque chose en nous cherche. Creuse. Et se faufile. Défait ce qui doit l'être. Efface. Et anéantit ce qui reste. Comme pour assembler ce qui doit être réuni. Et disperser ce qui nous égare – et nous dissocie afin d'ouvrir un chemin à ce qui doit arriver...

 

 

Une étrange étoile, parfois, brille au dessus – et au dedans – de ce qui nous relie. Comme un fragment de lumière pour encourager nos tentatives de réassociation...

 

 

Tout apparaît. Et s'efface déjà. Danse vive – et pas lents – de toute forme en ce monde. Traces fragiles – faillibles – évanescentes dans cette présence durable. Douce. Implacable...

 

 

La fragilité des siècles – et des âmes – face à l'éternité. Et leur ronde – presque anecdotique – qui s'efface, insignifiante – et de façon discrète – dans l'infini. Appels, plaintes et cris sans valeur. Sans effet. Paroles et efforts vains. Et le rire, seul peut-être, pour nous sauver du désespoir. Et acquiescer au jeu sans concession... Le rire comme prémices peut-être à toutes les joies. Et comme continuité de l'apaisement. L'unique voie à emprunter pour les siècles à venir. Chemin définitif serpentant jusqu'au fond du temps aboli, se succédant à lui-même au cours d'une éternité sans fin...

 

 

Un passage peut-être entre les éclipses qui effacent les frontières – et donnent au jour et à la nuit les mêmes couleurs mystérieuses. Comme la promesse d'une énigme enfin résolue. Un chemin où glisser son âme hésitante... Un espoir, pas si mensonger, de lumière et d'éternité... Le seul salut pour la terre, sans doute, et son peuple d'aveuglés...

 

 

Encore quelques pas sur la terre boueuse. Dans les songes marécageux. Sous des étoiles qui n'éclairent plus les âmes – et ne leur offrent plus cette folle – et si nécessaire – envie de lumière...

Quelques pas encore parmi les moribonds errant sous les lampadaires – et qui ne vouent un culte qu'au ronronnement triomphant... Et que les foules apaisent – et remercient pour avoir obéi aux injonctions des masses : oublier l'Absolu ou l'avilir sous des titres et des hiérarchies – et se faire dociles sous les brimades comme des esclaves consentant à des maîtres exigeant le plus vil et le plus absurde...

Encore quelques pas parmi la mort, les macchabées et les tueries sanglantes avant que n'adviennent (enfin) le silence et l'effacement...

 

 

Et dans ce sommeil, plus longue est la nuit. Etoilée peut-être de rêves – de songes interminables – mais privée, assurément, de jour et de lumière. Comme si l'espoir portait à la démesure du temps et à son infranchissable continuité...

 

 

Le monde – la pensée – ne pourront nous sauver des étoiles. De cette distraction du réel. Il nous faudrait une hache – une hache immense – ou un baiser peut-être... pour écarter les songes – et les dissiper. Nous extraire de cette nuit que nous prenons pour un jour de plein soleil...

Une aube peut-être viendra nous surprendre en plein rêve. Et nous saurons alors, peut-être, distinguer le songe du réel – et attendre, patiemment, l'heure du réveil...

 

 

Peut-être, un jour, mille obstacles nous feront abdiquer. Et barreront la route des promesses et des voluptés. Eradiqueront les désirs pour les enfouir dans leur origine. Et nous nous retournerons alors – et avec nous, nos yeux et notre âme, pour les confronter à la mère des enfantements, secrètement gardée – discrètement lovée – au fond du regard, détaché de toutes les scories. Oublieux de tous les espoirs. Nu jusqu'à l'ivresse de toutes les fins qui bordent les frontières de l'abondance où nous n'avons, malgré les disettes et les carences, jamais cessé de vivre – et de vouloir proliférer pour assurer la pitance – et le confort – à notre progéniture – à cette armée de descendants bercés de trop de caresses et d'aisance pour aspirer à s'extraire des délices mensongers – et rejoindre les vents violents des territoires mouvants aux mille éclats – et aux mille aspérités – qui porteront l'âme en ce lieu que nous sommes – et que nous n'avons, en vérité, jamais quitté – mais vers lequel il nous faut revenir – et où il nous faut habiter – pour vivre – et aller – libres parmi les obstacles, les désirs, les promesses et les voluptés...

 

 

La vie, comme le langage peut-être, est un flux incessant qui se renouvelle en se nourrissant de ses anciens chemins et de ses anciens territoires. Sentes creusées à même la roche – à même l'esprit – transformées bientôt en vastes – et profonds – sillons. Comme le large lit des flots à venir – des cycles permanents et des ritournelles du vivant et de la parole dont la source encore échappe, trop peu visible – enfouie peut-être derrière – et sous – l'origine apparente – pour être découverte – et tarir l'abondance afin de donner à la vie et au langage leur plus pure et quintessente dimension ; les traits les plus simples, les plus essentiels et nécessaires – reléguant le reste, les excès et les scories, aux poubelles du temps et de l'oubli...

 

 

Une étoile peut-être annoncera l'avenir. Et dissipera les songes et l'espérance. Fera de nous des vivants moins orgueilleux et plus sensibles. Des âmes enfin prêtes à vivre et à aimer. Des fragments de lumière plus sages et plus ouverts. Plus attentifs à l'Autre et plus secourables. Des cœurs et des visages moins assoupis. Des éclats de Dieu plus aimants. Une figure éternelle en nous retrouvée. Et des astres peut-être moins sombres...

 

 

Une étincelle suffirait à enflammer l'illusion. Et à réduire l'orgueil en cendres pour qu'apparaissent dans le regard, la réalité brute – le réel nu – et la beauté de la terre, de la pluie et des visages. Notre socle commun...

 

 

La poésie. De la lumière au milieu de l'encre noire. Et sur les pages couvertes de suie, le soleil et les horizons clairs promis à la figure attentive et sensible autant au jour qu'à l'obscur... Quelques raies – et quelques caresses – sur l'âme apeurée et fragile, plus soucieuse du vrai que de la beauté des pas et des empreintes sombres laissées par les hommes...

 

 

Une lueur toujours brille malgré l'invasion des territoires. Les figures ternes. Et les larmes sur les visages...

 

 

Dans le ventre du monde, immense, s'amoncellent les jours et les siècles. Les gloires passées et les rêves d'antan. Les guerres et les batailles. Les victoires et les défaites. Et les espoirs – tous les espoirs – si vains du lendemain... Comme un ogre à la bouche béante qui avale ce qu'on lui jette... Et qui se repaît des restes d'un festin que nous n'avons encore découvert... Et qui, en attendant, s'empiffre en languissant, sans doute, des banquets à venir où la lumière sera le seul mets – et le seul plat dont nous nous rassasierons indéfiniment...

 

 

Le silence aguerrit – et sauve de tous les espoirs. Et de toutes les solitudes. Remet, en quelque sorte, les pendules à l'heure en brisant les aiguilles qui enfonçaient dans notre chair nos désirs d'ailleurs et nos envies d'après... Comme s'il faisait place nette pour qu'advienne le réveil – et que soient reçus cette éternité que l'on n'attendait plus – et cet infini que nous croyions avoir perdu, égaré – enseveli sous des couches de chiches (et médiocres) ambitions...

 

 

Une porte, une clé, l'infini. Et le désert peut enfin s'étirer, recouvrir le monde et l'évincer de l'espace où tout s'est retiré pour que demeure l'éternelle vacance... L'abîme lumineux où viennent se jeter les phénomènes : désirs, formes, ambitions, êtres, choses, émotions... pour que règne le regard nu, lisse, immaculé. Et l'Amour qui s'offre, entier, en autant de fragments nécessaires...

 

 

Et le temps qui s'acharne sur les jours. Sur les hommes. Et sur le peuple des bêtes apeurées...

 

 

La lumière est la hantise de l'homme. Et l'épouvante sa loi. Une béance infranchissable pour transformer la terreur en joie...

 

 

Il n'y a peut-être qu'un seul soleil que nous ne connaîtrons pas. Et qui effacerait pourtant tous les malheurs. Et le gris, presque indélébile, dont nous avons recouvert la terre... L'herbe, l'arbre, la fleur, la bête et l'homme n'ont d'autre espoir pour s'extirper de cette longue nuit...

Et un sourire – et un baiser aussi peut-être – pourraient nous sauver de ces pleurs et de ces plaintes. De toute cette terreur accumulée depuis des siècles – et que nos pas fébriles, et si désespérés, ont pétrifiée...

 

 

Un pays, une route et un doute, enfin, qui allègent notre espérance. Qui ramènent – et fixent – la certitude de l'incertain. Et la font loi. Rendant le pas d'abord hésitant puis, au fil des chemins, plus libre et plus joyeux. Plus dense et plus léger au milieu des vagues et des tourbillons. Plus familier des eaux qui ruissellent partout sur nos vies. Moins exigeant à l’égard du ciel et des océans. Acquis enfin à la présence de l'unique paysage que foulent nos souliers...

 

 

Les grands vents de la terre cinglent – et giflent – les visages. Frappent les bêtes et les hommes. Font tournoyer les vies et les destins. Les anéantissent encore et encore. Et les font réapparaître ici et là, ailleurs parfois... et renaître toujours. N'obéissant qu'à leur puissance implacable, à la force éternelle des transformations et des renouvellements et aux souffles discrets d'un Dieu libre et adorateur – et infiniment juste – et, sans doute, un peu joueur aussi...

 

 

Partir encore. Et se retrouver partout projeté sur les horizons en mille fragments pourtant indissociables... terrifiés par l'éclatement de leur ossature. Comme un pantin à l'armature – et à l'âme – déstructurées. Déchirées par les mille tempêtes du destin et les vents cajoleurs parfois... Et pas même soucieux – ni capable – de se réunir. Se laissant docilement éparpiller. S'abandonnant à l'infaillible – et infatigable – volonté des Dieux et du réel. Mais réconforté – admirablement réconforté – par la certitude de l'âme qui relie les éclats – et les rassemble en une indicible unité...

 

 

Peu d'amis chez les hommes. Presque aucun... Et tant parmi les arbres et les bêtes...

 

 

Une parole encore indistincte peut-être. Mal ciselée. Chargée et parée de trop de mystères et de lourdeurs. Et si proche pourtant du plus simple, du silence et de la lumière...

 

 

L'invention du mal, de la solitude et des malheurs comme le reflet, peut-être, des origines. Et de la continuité des siècles...

 

 

Que pourrions-nous avoir de plus à dire que le silence...

 

 

Un corps – et un monde – pleinement habités. Voilà ce que nous pouvons espérer pour la terre... La plus bénéfique des possibilités. Et le gage (absolu) de notre familiarité avec la lumière...

 

 

L'espoir moins banni que le jour. Prolongeant ainsi l'exécrable continuité de la nuit...

 

 

Une semence peut-être moins hasardeuse que le destin. Et le goût âcre du sang dans la bouche. Comme le signe d'une possible punition des Dieux. Ainsi perçoit l'homme, dans son éloquente stupidité, la triste – et inévitable – continuité des jours, la poursuite ancestrale des guerres et des générations et la mesure d'une transcendance vindicative aux comptes vaguement apothicaires...

 

 

Un désert, une ombre et des monceaux de sable à récolter. Et dans les gestes – et l'informe amas – pas une once de lumière. Et pas même la promesse du silence. Sagesse remisée à plus tard... lorsque sous le sable sera déterrée la poussière. Et sous la poussière, le feu des origines... Dans quelques milliers d'années peut-être – au bord de la fin des siècles – si la terre existe encore et que les descendants de l'homme se montrent moins stupides que leurs aînés...

 

 

Tant de lubies et de manies ici-bas. Partout l'obsession. Qui du sexe ; qui de la propreté ; qui des nombres ; qui des images de soi, reflets fragiles et trompeurs – et infiniment périssables – dans les yeux de l'Autre – insoucieux toujours de ce qui n'est pas lui ; qui de la raison et de la pensée ; qui des jeux – des mille distractions inventées par l'homme pour jouer – et vivre la vie et le monde comme un amusement perpétuel qui n'a pourtant les traits que de la fuite et du mensonge ; qui, plus rare, du mystère de l'existence et de la métaphysique...

Un monde d'obsédés possédés par l'obsession de l'étrange – et énigmatique – sentiment d'exister... Un monde aux mille visages dépossédés pourtant de l'essentiel dont les lubies et les manies à la fois éloignent et rapprochent du grand mystère que chacun, à son insu et à sa façon, s'acharne à vouloir percer et découvrir...

 

 

Obsédé et possédé à la fois par la question ultime qui taraude l'homme – et fait naître tous ses élans, des plus infimes aux plus majeurs : le mystère de son existence. Et dans ce voyage – long et douloureux périple si souvent – apparaissent bientôt – et progressivement – tous les attributs manquants : le silence, l'infini, l'éternité, la lumière, l'Amour et la joie. Le propre – et l'essentiel – de toute délivrance. Et l'extinction définitive des questions, du mystère et des obsessions...

 

 

Peut-être n'avons-nous, en définitive, rien d'autre à faire que percer notre secret... Et pourtant que de chemins qui ressemblent à des dérives...

 

 

Peut-être avons-nous sur l'atome – et la matière – quelques avantages : le questionnement, le goût de la découverte et la capacité d'émerveillement... Mais nous nous dispersons – et nous nous égarons – trop souvent dans notre si dévorante passion pour les histoires – et notre amour inconsidéré pour les mythes, les légendes et les mensonges. Avec cette fâcheuse manie de nous y enfouir – et de nous y enterrer presque entièrement – comme l'atome et la matière se glissent, malgré eux, dans toutes les formes interagissantes et expansives de l'univers...

 

 

Peut-être n'y a-t-il jamais eu, au fond, de questions... Mais un questionneur unique se laissant déborder par ses éparpillements – et pris au jeu de son propre mystère, enfanté probablement par l'oubli... Ainsi sont nés, sans doute, nos interrogations – et les mille chemins, tordus et tortueux – à la fois inutiles et nécessaires – pour retrouver l'origine du seul mystère – de l'unique questionneur...

 

 

La vérité ne nous laissera indemnes. Avant même d'y prétendre, la vie nous aura défait de tout ce que nous aurons cru précieux... Et lorsqu'il ne restera rien – pas l'ombre d'un désir – pas l'ombre d'un mensonge – pas l'ombre d'un résidu de ce que nous avons cru être, de ce que nous avons espéré et de ce que nous avons rejeté, elle nous cueillera comme un fruit mûr qui tombe et que la bouche avale, sans mal (et sans effort)... Nous deviendrons alors la vérité insaisissable... Et nous la vivrons à chaque instant, nouvelle, sans le moindre doute ni le moindre appétit pour d'inédites acquisitions...

 

 

Et le silence encore pour réponse à toutes les oraisons. Effaçant le miel et le fiel qui coulent sur les bouches. Offrant un sourire éternel – et rendant inutile la parole et vaines les explications...

 

 

Le silence. L'éternité. Les prémices peut-être de notre vrai visage (retrouvé). L'Amour offert sans raison. A la merci de toutes les gloires. Et de toutes les joies. Mais humble – si admirablement humble – lorsqu'il se fait secourable...

 

 

Une place – et ce lieu si passionnément convoité – toujours seront ouverts à celui qui s'approche... Et bien qu'il ne les ait jamais quittés (même s'il en eut longtemps le sentiment), sa nudité – son entrée en nudité – lui en ouvrira pleinement les portes – et l'accès. Comme une maison – une demeure – l'espace entier de l'habitat – s'ouvre soudain à un visage reclus pendant des siècles dans un placard, sombre et étroit, au fond de la cave...

 

 

Et dans notre âme, ces bruits – et ces eaux – qui hurlent encore malgré le soleil – et les yeux éblouis sur la terrasse. Si proches d'un ciel réconciliateur. D'une lumière sereine et pacificatrice. Et qui s'effaceront peu à peu à chaque jour de la nouvelle aube...

 

 

La succession des nuits. De l'obscur au clair. Avant la première aurore. Et le jour immense. Et sur les lèvres, ce sourire inconnu, presque trop large pour notre visage...

 

 

Au bon plaisir peut-être des lettres – et des mots –, la parole saugrenue – primesautière – qui saute par dessus la portière pour aller seule – et enivrée – sur la route du silence... Pas même apeurée du défi – et de l'enjeu dans lequel elle se trouve, à son insu, impliquée...

 

 

Poète métaphysique peut-être, mais si peu doué pour les foules et le silence. Trop chargé encore, sans doute, d'un langage dont il ne peut se défaire... Avide d'une parole et d'une sagesse (silencieuses) qui tournent inlassablement autour de lui, insaisissables... Et auxquelles il ne parvient guère à s'abandonner...

 

 

La vie, la terre, le monde nous auront tant donné. Et les chemins offert, insidieusement, ce que nous avons cherché avec tant de rage et de maladresse... Et pourtant que de visages tristes et d'âmes inassouvies, insensibles à tant de présents... Aveugles au plus urgent comme au plus essentiel... Des ombres dans le sable gesticulant sur les plus prodigieux joyaux – et le plus fabuleux trésor – que nous mettrons, sans doute, des centaines de milliers d'années à découvrir. Comme le signe évident d'un oubli ancestral – à la fois originel et durable – du plus désirable et du plus précieux...

 

 

Le cœur plus vieux que le visage. Et l'esprit, pourtant, toujours neuf. Et les cris de l'âme qui ne comprend rien au temps... Réunir les trois, le cœur, l'esprit et l'âme, en un seul regard – en un seul regard atemporel – éternellement frais –, voilà la clé universelle de l'éternité – et de la compréhension, sans cesse renouvelée, de notre figure – et de notre nature – infinies...

 

 

La fleur, l'arbre et la bête possèdent du Divin que l'homme ignore... Et il y a chez eux plus de grâce que chez les hommes sourds à toute quête...

La fleur, l'arbre et la bête ne cherchent pas. Ils en sont, sans doute, incapables. Aussi acceptent-ils, contrairement aux hommes toujours plus ou moins geignards, leur destin. En toute ignorance peut-être mais de façon si pleine qu'ils ne peuvent s'en écarter...

L'homme qui cherche a passablement compris sa destinée... Il la pressent. Et devra parcourir le monde – et dénicher l'être au dedans, après un long voyage souvent, pour l'incarner avec plénitude et justesse. Le Divin de l'homme n'est pas ailleurs...

 

 

L'abscons – et le touffu – parfois nécessaires (chez moi) pour décrire le plus simple et le plus épuré : la grandeur et l'immensité, simplissimes, de la nudité et du rien... Un travers peut-être irréfutable de mon esprit tiraillé par son goût pour le foisonnement et l'exhaustivité... et qui, en souhaitant tout dire, ne dit, souvent, plus rien... Embrouille tout, complexifie et abîme le silence qu'il vénère pourtant... Et qu'il croit parfois, et toujours à tort, avoir fait sien...

 

 

Aucune règle à vivre ne tient face au silence. Aucune leçon. Ni aucun guide de sagesse. Sentences et aphorismes ne sont que des lois provisoires pour les esprits immatures, trop verts encore pour comprendre l'incompréhensible, toujours en recherche – et qui espèrent, stupidement, parvenir à quelques insaisissables vérités...

 

 

D'un bruit à l'autre. D'une parole à l'autre. D'un jour à l'autre. Et peut-être qu'entre – et au dedans – se faufile le silence. Ce silence dont nous avons, comme le monde, le temps et le langage, tant besoin...

 

 

Le cri, la plainte et la prière ne sont, en définitive, qu'un besoin de silence...

 

 

Serait-ce en poursuivant le nécessaire qu'advient l'essentiel... Comment en douter en parcourant l'histoire du monde...

Et même aujourd'hui, en cette ère si débilitante et si riche de promesses, où le superflu* semble pourtant tenir les rênes, le superfétatoire aurait-il le visage des nécessités de demain – et des essentialités plus lointaines encore...

* Distractions, narcissisme et virtualité à outrance...

 

 

Les vivants ensevelis sous l'inutile. Et à leur mort, sous la terre. Pas plus nécessaires souvent que leur vie... Les visages gagnés par l'incompréhension et une étrange hébétude, légèrement curieuse et inquiète. Comme les signes les plus marquants (et décisifs) de l'humanité, follement gesticulante et à peine pensante et expressive... Des bêtes douées d'un esprit et d'une parole, jusqu'à aujourd'hui, presque inutiles...

 

 

Ni route ni chemin. Pas même un décor. Un rêve peut-être tout au plus... Un songe geignard... brunâtre... sans consistance où s'élancent – et s'échouent – pourtant les ombres et les silhouettes de chair paraît-il, mais dont le sang n'est peut-être que d'encre et de papier – ou de brume et de rosée – comme des nuages munis de membres et d'une tête légèrement pensante... Pas même une parole. Ni le moindre discours nécessaire... Peut-être quelques gestes indispensables à la survie et à la perpétuation des espèces. De cette vie navrée, et navrante, mais si douce et si belle malgré les malheurs, la honte et les tentatives... Et que l'on ne peut défaire – et qui se défait pourtant... Et dont on ne peut s'extirper – et à laquelle nous n'avons, malgré les apparences, jamais vraiment été associés... Ni route ni chemin. Pas même un décor. Un rêve peut-être...

Et un matin, sur la grève brumeuse – et légèrement triste et pluvieuse –, le réveil que nous n'attendions plus – et que nous espérions, malgré tout, depuis les premières heures de la nuit...

 

 

Imaginons à présent la soif, l'eau et le puits... Et la bouche. Et les lèvres entrouvertes, avides de la source. Et dans l’œil caché derrière les rebords de l'infini, la naissance et l'assouvissement de tous les désirs. Et les mille instruments et récipients nécessaires à la cessation des besoins... Le ciel, le silence et la fin de tous les rêves... Ainsi peut-être pourrait s'achever notre songe...

 

15 décembre 2017

Carnet n°111 Le silence, la parole et le mal des siècles

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Des visages, des ombres et du silence...

La marche insensée des siècles. Et le sommeil passager des hommes. Quelques ombres – quelques traces – dans l'éternité...

L'époque, comme tous les autres siècles, en est encore à la faim de soi. Et aux appétits du monde... Quand donc pourra régner la faim de l'Autre – et le sacre de tous les visages ?

 

 

Ne voyez-vous donc pas le manque sur notre visage ? Et derrière nos rires – presque insolents ? Et toutes ces larmes de terreur et d'incompréhension – et cette rage que nous retenons pour ne pas faire plier notre front sous la tristesse ? Combien d'entre nous, seraient-ils prêts à vendre leur âme pour un peu d'espoir, un peu de lumière, la promesse – même improbable – de jours meilleurs ?

 

 

L'aube pourrait revenir demain, nous mourrons les yeux grands ouverts sans avoir rien vu – sans avoir rien découvert : ni le jour, ni les matins clairs, ni le silence, ni la lumière sur les visages, ni le bleu qui attend dans le souffle des âmes déjà soumises – déjà conquises – et promises, pourtant, à la délivrance...

 

 

Quelques mots peut-être pour dire le silence. L'intégralité du tout... Et l'absence éclatante des yeux – et du cœur – trop tristes pour participer au bonheur – et célébrer ce que l'âme seule peut honorer de sa présence...

 

 

On imagine (toujours) l'âme voyageuse. Elle n'est pourtant qu'une passagère, presque immobile, dans l'éternité...

Nous ne traverserons jamais que des eaux sombres. Et des mares infimes – et infâmes – croupies par des siècles de piétinement...

 

 

Un nouveau soleil pourrait arriver – et remplacer l'ancien à la lumière – et aux couleurs – toujours aussi vives, on ne se douterait de rien... Nos yeux n'y verraient que du feu – un nouvel astre nécessaire à la vie et à la croissance du grain. Jamais une possibilité pour l'âme d'échapper aux ténèbres de nos mains – et à l'enfer noir – brûlant et dévastateur – où nos pas ont plongé la terre...

 

 

Un sang indigne de la lumière... Oui, peut-être...

Mais l'âme n'habite aucune chair. Les hommes l'ont-ils oublié ? Pourraient-ils seulement sentir, un jour, leur âme couler au fond de leurs veines ?

 

 

Peut-être n'y a-t-il rien d'autre à dire que le silence... Et rien d'autre à faire que le goûter – et l'honorer... Et aimer la terre, les bruits, les bêtes et les hommes – et la lumière qui brille derrière chaque visage...

 

 

Qui sait que le poète est à la frontière de tous les âges, de tous les temps, de l'éternité... Qu'il côtoie toutes les voix et emprunte tous les chemins... Qu'il glisse dans sa besace, sa plume et son carnet, le soleil et les ombres, les arbres, l'herbe et les visages, les nuages, les larmes et la joie – et parfois la tristesse et le désespoir du monde, des bêtes et des hommes... Qu'il murmure une parole née de tous les silences et du vacarme qui accompagne ses pas... Qu'il est soldat, prêtre et magicien...Qu'il soigne – et répare parfois – les corps, les cœurs et les âmes décousus et mal embrassés... Qu'il est celui par lequel passe la parole – et que sa présence est aussi belle – et nécessaire – que les fleurs sauvages, les montagnes, le blé des champs et la lumière sur notre désespérance... Qu'il est la question – et parfois, la réponse et le silence... Et qu'il livre la lumière – le peu dont nous avons besoin pour vivre et pour aimer... Qu'il n'est rien – ne fait pas grand chose souvent – sinon polir inlassablement ce qui brille en chacun – et en lui-même d'abord – comme un soleil encore noir attend la main de Dieu – et les vents tragiques du destin – pour s'extraire de sa gangue épaisse et sombre – et éclater dans la pluie et l'ignorance du monde et des hommes comme un bouquet de joie sans égal – à partager indéfiniment...

 

 

Le fracas du temps et des étoiles dans le silence imperturbable. Et triomphant toujours...

 

 

Danser jusqu'au vertige. Jusqu'à l'éclatement des repères. Jusqu'à la disparition du tourbillon. Jusqu'à la grande ivresse du regard...

Danser toujours. Jusqu'au seuil du silence avant que ne surgissent tous les effacements...

Ainsi seulement serons-nous vivants – et notre pas plus léger et lumineux que la terre. A l'égal peut-être des vents et du soleil. Lumière mouvante dans l'espace déserté par les dieux et les hommes...

 

 

Le plus grand danger serait peut-être de se taire... De rester silencieux face à la barbarie – et de refuser de mettre la parole au service de la beauté et du silence... De laisser la laideur et l'infamie envahir les siècles – et en triompher... D'abandonner la sagesse aux vautours et aux âmes guerrières et mercantiles...

 

 

Depuis toujours, le monde s'abandonne aux terreurs des siècles. Peurs, brimades, angoisses, tortures, exactions, esclavagismes contre lesquels s'insurgent – se sont toujours insurgés – les poètes, les sages et les philosophes : les hommes sensibles, animés d'une perspective salutaire pour le monde, qui n'usent jamais de l'histoire et du progrès à leurs propres fins mais pour que la sagesse et l'intelligence triomphent – et qu'elles soient partagées par le plus grand nombre...

Aujourd'hui, pourtant, dans le sens même de l'évolution, la déraison, le foisonnement des mots imbéciles et des expressions toutes faites, l'usure du langage, la dépréciation de la parole, leurs usages dépravés et avilissants – mortifères – voués à ensemencer le doute, le rêve et l'ambition – la folle envolée des désirs et des songes... Le plus vil de l'homme – l'animal en lui encore si frémissant – bondissant partout avec ses instincts en bandoulière, à la ceinture et sur son front si orgueilleux... Et tout ce fatras humain – êtres, ambitions, sentiments, actes, langage – voués au commerce et à la guerre... Et qui envahissent tous les territoires ; le monde, les bêtes, les arbres et la terre à seule fin de vaincre et de dominer – et d'avilir plus encore la beauté, l'innocence et la gratuité du geste – de reléguer le plus précieux aux marges, aux fossés et aux mains d'une poignée, de plus en plus esseulée, de dissidents qui luttent, impuissants si souvent, contre l'infamie généralisée pour éradiquer tous les désastres et toutes les perversions de ce monde...

 

 

Des années – et des existences – de paille. Vouées sans doute à l'étincelle qui mettra le feu à toutes les granges du monde... Et déjà l'éclat des flammes dans notre œil comme le reflet du délire et de la trahison... Et le goût amer des hommes entre nos lèvres entrouvertes, hébétées, inertes... incapables de résister à l'horreur – et de crier contre l'infamie, brûlées, elles aussi, par tous les désastres... Et l'âme, âtre silencieux et dévasté, où ne tourbillonneront bientôt que les cendres et les braises attisées par les vents et le souffle, triste et noir, d'un soleil finissant...

L'homme – et une civilisation – en perdition sombrant dans le plus vil qu'ils ont, l'un et l'autre, édifié... Un juste retour des choses sans doute avant la fin des temps... avant le renouveau improbable d'une ère plus joyeuse – et plus propice au silence et à la sagesse originelle des espèces...

 

 

Un soir, une étoile, la nuit. Et le jour éternel qui n'en finit pas... Qui n'en finira jamais... Le destin des ombres. Et l'obscur encore... Comme d'infimes taches dans la lumière. Et le bruit des siècles dans l'éternité. Et le silence toujours, si vivant...

 

 

Les yeux dorment encore dans le silence. Et les bouches parfois crient dans l'éternité. Mais quand donc apprendrons-nous à être sages... présents, silencieux et sans exigence... Indifféremment heureux malgré le monde et le temps...

 

 

Des hommes curieux des matins clairs. Et des âmes éprises d'Absolu et de lumière. Moins soucieux du destin du monde et des horizons que du silence – et du soleil – à l'orée de tous les cœurs – et de tous les pas.

 

 

Rien à chercher – plus jamais – pour celui qui s'est découvert – et retrouvé. Le silence durera jusqu'à la fin des siècles. Ensevelissant les morts et les vivants sans l'once d'une tristesse. Joyeux toujours des aléas et des circonstances...

 

 

En quel lieu pourrait être jetée la parole pour que le monde l'entende – et qu'elle trouve un écho secourable, vivifiant, pour que l'âme s'en saisisse – et s'abandonne aux exigences des heures...

Et nul doute – nulle peur – ne pourra jamais assaillir celui qui saura la recevoir...

 

 

Au commencement du monde, peut-être, le réel... Le fait pur – le geste clair – des origines. Sans peur ni reproche que le doute n'a encore étreint – et que les bêtes et les hommes ont corrompu à force d'hésitation – et que les pas incertains et les paroles mal assurées ont fini par obscurcir. D'où peut-être l'aveuglement vivace, les terreurs et la permanence du noir qui, depuis les premières naissances, repeint la terre et les élans de son peuple, trop infantile encore – trop infantile toujours – pour entrevoir derrière le voile, épaissi au fil des jours et des siècles, l'incroyable – et originelle – lumière...

 

 

La parole est impersonnelle. Et, comme le reste ; actes, gestes, pas, intentions, monde, terre et univers, dépourvue d'individualité malgré quelques traces – quelques signes discrets (ou parfois ostensibles) des apprentissages et des expériences au fond des têtes et au creux des mains. La continuité des origines malgré l'ignorance – et l'illusion où nous sommes – et où la terre a été plongée...

 

 

Un avant ? Un après ? Jamais... Des pas seulement. Et un chemin sans fin. Et un sourire béant – immense et tenace – au milieu du visage. Et le rire peut-être des étoiles au loin... Et le soleil – et le ciel – rieurs malgré les malheurs et les promesses d'éternité... Et le silence toujours des âmes incomprises et ignorantes... Et le silence encore lorsque s'efface l'illusion... Un pas, un chemin et la continuité implacable des jours...

 

 

Hanté par le plus simple jusqu'au néant. Et derrière le néant – cet immense obstacle –, le plus grand rien. La plus prestigieuse dépossession. L'indicible effacement qui éclaire toutes les âmes. Et offre au monde – à la vie et aux pas – une consistance et une épaisseur – inespérées. Et un goût inoxydable pour le silence et l'éternité. La découverte, presque irréelle, de notre incroyable identité...

 

 

Vivre non comme des survivants... des aveugles mendiant auprès du ciel, de la terre et des étoiles – et auprès des visages affables ou furieux mais si aveugles et ignorants – un soleil et une bonne fortune. Mais comme des âmes assurées et pleines malgré la prédominance partout de l'incertitude et des débâcles certaines... Avec au front – et au cœur – la grâce des humbles et l'accueil éternel des Dieux pour les malheurs. Avec les lèvres – et les mains – innocentes malgré les coups et les déconvenues. Malgré la peur et la violence qui séviront encore... Comme des êtres effacés – et sans nom – guidés par l'instant et la lumière. Et la force implacable des circonstances...

 

 

Vivre selon la volonté des jours et les facéties du destin. Parmi la douceur parfois des visages et des mains et l'hostilité, si fréquente, du monde et des foules. Sous la gouvernance du ciel guidant discrètement l'âme sur les chemins... en s'ouvrant à la fonction ancillaire des origines – et du soleil aujourd'hui si triomphant... La figure émerveillée non des trouvailles – non des richesses – non des découvertes – mais de la douce et folle docilité des gestes et des foulées, œuvrant humblement à leur besogne – et à leurs tâches – dictées – et exigées parfois – par les rencontres et les événements... 

 

 

Un jour, une étoile et un ciel si profond que l’œil – et l'âme – s'y sont égarés. Et s'y sont enfouis. Perdus à eux-mêmes peut-être... Mais si vastes à présent qu'ils peuvent goûter à l'unique appartenance des visages. Sûrs de la seule figure que rien, jamais, ne pourra effacer...

 

 

Rien de plus, peut-être, que l'éternité. Et l'infini qui s'invite – et sourit – sur les visages... Et un jour de plus, chaque matin, pour s'en persuader et l'annoncer au monde... Et un jour de plus, chaque matin, pour que les hommes puissent y goûter eux aussi...

Un jour de plus, infiniment recommencé chaque matin, parce que nous ne cessons d'oublier – et parce que les hommes, malgré notre parole et nos invitations, continuent de se livrer à leurs pitreries sans fin – et à leurs guerres impitoyables, mais provisoires sans doute..., avant de voir arriver peut-être, un jour – l'infini et l'éternité...

 

 

Sous la gouvernance du soleil et des étoiles, le ciel infiniment transparent. Et la terre encore chargée d'espoirs et de malheurs d'où s'élance le cri des hommes. Et le besoin de silence, si féroce, des âmes...

 

 

Plus juste et plus beau – plus grand et plus secourable – que le silence, vous ne trouverez pas... L'infini et l'éternité sans rivaux...

 

 

A travers les siècles, la rémission peut-être du langage. L'extinction progressive des mots, des bruits et des rumeurs. Au profit du silence. Et de son inévitable sacralisation...

 

 

Rien de ce qui est amassé – ou écrit – ne compte. Rien ne résistera aux siècles. Et à l’œuvre du temps. Seuls importent la parole et l'acte présents. Le silence. Et la certitude de l'effacement...

 

 

Un jour, un siècle, une épreuve. Et l’innocence à faire naître au fond de l'âme. Et la lumière, plus vive, aux portes du monde. La tâche infinie de l'homme...

 

 

Au souvenir immense – ineffaçable – des désastres anciens (et que l'on oublie pourtant si souvent...), l'homme ajoute l'indigence d'aujourd'hui et les malheurs contemporains. Et façonne, de ses mains noires et de ses folles ambitions, un avenir pitoyable et calamiteux – désastreux – perlé déjà d'infinis dégâts et de tristesse. Un monde de mollesse et d'images, de confort sirupeux et de néant qui emprisonnera les têtes et les cœurs au fond d'un cachot doré, séparé du réel par de grandes vitres inviolables – infranchissables – où les corps seront jetés en pâture à la fainéantise et à l'immobilité et où l'esprit et l'âme seront privés de la lumière qu'ils espèrent (pourtant) depuis des millénaires... Un monde de fin du monde. Et la poursuite de la débâcle et des holocaustes...

L'humanité n'aura peut-être été, en définitive, qu'une maladroite tentative... Trop d'instincts encore et si peu d'intelligence mise presque toujours au service de l'animalité...

Transformer l'inertie, le repli sur soi et la barbarie en pensées et gestes de lumière – et en pas éclairés – est une tâche immense – irréalisable peut-être – pour l'homme dont l'ambition n'a jamais été que de survivre – ou de vivre mieux... Terreau inapproprié – et bien trop peu propice au respect, au partage, à l'entraide, à la solidarité et à la création d'une communauté terrestre réconciliée qui permettraient à la grande famille de l'Existant de vivre de façon pacifique et harmonieuse...

 

 

L'homme, le monde et le combat infini – et à jamais recommencé – entre l'obscur – les instincts – et l'Amour, l'intelligence et la lumière...

 

 

L'homme, le monde. Des guerres sans merci. Et une lutte, peut-être, infranchissable... Prisonniers toujours de la faim et de la chair. Du corps à nourrir et à protéger. Et l'esprit, esclave et instrument de son règne peut-être insurpassable, façonnant un monde où la matière et les instincts resteront, sans doute, indétrônables...

 

 

Après la terreur (la terreur originelle), les instincts de survie, le combat, les batailles et les guerres jamais achevées. Puis, la paix fragile et provisoire des corps, le labeur incessant, les constructions tous azimuts, le commerce, la prospérité et l'abondance de vivres. L'expansion mutilante et dévastatrice. Et le repos des guerriers... Le confort moelleux et assoupissant. La jouissance du monde. Et les petits bouts – et les petits parcelles – chichement – et laborieusement – accumulés. Le sommeil et la paresse. La recherche du plus encore... Et la fuite du réel à travers les jeux et les distractions. Le labeur et les loisirs invasifs. Mortifères. Profondément inhibiteurs du plus vaste en l'homme. L'insolence des idéologies. La léthargie des peuples. L'embrigadement et l'emprisonnement des esprits. La poursuite de la décadence malgré l'apparence du progrès. Et le plus encore recherché, la pléonéxie et la protention au détriment de tout questionnement. La relégation de la métaphysique, de la philosophie et du spirituel aux confins du monde. Aux marges sociétales. Le plus encore comme seule perspective, dominante – écrasante. Et la fin annoncée – la fin toute proche – de la civilisation humaine, livrée à la bêtise des masses...

Comment quelques sages, quelques penseurs éclairés et quelques hommes de bonne volonté pourraient-ils avoir la force de résister à la déchéance progressive – à la déchéance sans cesse – et insidieusement – appuyée par les foules et « les élites » (par la folie furieuse et déraisonnable des foules et « des élites ») et inviter l'humanité à se ressaisir – et à transformer ses élans – pour offrir à tous – offrir à chacun – une terre plus vivable, un monde plus épanouissant et une existence plus riche de sens et de lumière... Trop peu nombreux sont-ils sans doute pour peser dans la balance qui penche, depuis toujours et si dangereusement, vers le néant dont nous n'avons, en définitive, jamais réussi à nous extraire...

 

 

Quelles activités, en ce monde, échappent-elles aux appétits de l'esprit et de la chair ? Très peu de toute évidence... Peut-être, la parole et l'acte gratuits. Le geste secourable et désintéressé...

 

 

Des hommes en miniature. Comme des jouets. De minuscules véhicules du destin aux mains des dieux terrestres dans le grand silence du cosmos...

 

 

Des querelles, fausses, de chiffonniers se disputant, pour de rire, les restes d'une caresse – d'une carcasse. Et qui sont, en réalité – et en espérant qu'ils s'en aperçoivent bientôt – les doigts d'une seule main – les cellules d'un même corps – voués à la joie et au partage...

 

 

Des cris, la mort et le silence. Aurions-nous décrit – et résumé – là, en trois mots, notre destin. Notre sort – bouclé – en tous lieux : des origines à ici-bas, de ce monde à l'au-delà et du visage – presque singulier – à la figure tutélaire des dieux...

 

 

Ni souffrance, ni cauchemar, ni absence. Des pas, une marche interminable et des larmes – et des rires – emportés par les vents rageurs qui sévissent partout – sur toutes les terres comme sur tous les océans...

 

 

Il n'y a pires blessures – et pires offenses – que celles que l'on ignore. Et que l'on enfouit en des lieux inconnus si densément recouverts par l'oubli. Plaies éternelles – impossibles à cicatriser – qui, à la moindre étincelle, au moindre changement de vent, au plus petit écart entre le cap et l'orientation des pas – et même du visage prenant le soleil – et la lumière – sous un angle différent, jailliront en vagues énormes, immenses – infranchissables – vouant notre vie – et notre destin – à une perpétuelle errance – aux tempêtes – et à une houle quotidienne ombragée – submergée de cris et de détresse – d'incompréhension et d'incapacité à panser – et incapables encore, bien sûr, de guérir les plaies du passé qui ont (ré)ouvert la béance d'aujourd'hui et qui l'élargiront pour la transformer en gouffre où nous tomberons plus tard. Demain peut-être. Bientôt assurément...

 

 

Pourrons-nous, un jour, rayonner dans la beauté – et l'extrême folie – du soleil – et vivre dans leur rayonnement permanent... Bouche muette – défaite –, cœur et âme chavirés, peau et chevelure flamboyantes – si rouges – au bord presque de la transparence, regard brûlant – et humble à la fois – prêts à livrer leur sort à l'innocence. Consumés dans le grand embrasement du silence. Délivrés enfin de nous-mêmes...

 

 

De grands oiseaux de passage – pas le moins du monde rapaces, évidemment... – effaceront tous les noms à notre mort. Celui des visages, celui des arbres et des poètes. Celui des amours et des prophètes pour s'établir en nos terres délaissées – abandonnées au désert et à l'innocence peut-être – et offrir au monde une langue silencieuse – des visages ineffrayés, des arbres majestueux et millénaires et l’œuvre de poètes inconnus. Des amours perdus et des prophètes sans bâton, sans message ni disciple – et sans errance pourtant – comme arrivés à bon port au lieu où les sacrifices et les espoirs sont vains – et les efforts inutiles – pour redonner au monde – et à la terre – la figure légendaire de leur origine...

 

 

Un espace, un silence, un sourire. Et une lueur – un lieu peut-être pour mourir. Et nettoyer le jour que nos désirs et nos terreurs ont ravagé pour partir le cœur moins tranchant – et l'âme plus belle peut-être...

En résonance avec le pardon et l'infini joyeux du rire pour naître enfin au jour. Et abandonner la nuit à ses ombres. Attacher la mort à son piquet. Et vivre encore un peu...

 

 

Dire serait-ce mourir un peu à chaque fois... Amoindrir les plaintes. Donner aux cris une plus juste assise. Une plus vaste écoute... Et se voir s'effacer peu à peu avant de pénétrer dans la bouche affamée du silence pour se taire, enfin, définitivement...

 

 

Des siècles d’amertume offerts aux dieux qui ont jeté sur nos vies toujours plus de désirs et de blâmes. Suffocant la chair de fantasmes et d'interdits. Ligotant la liberté et l'âme, menottes aux poignets, dégringolant, un à un, les barreaux de l'échelle des promesses...

Arriverons-nous, un jour, au lieu de tous les rassemblements où l'effacement présidera enfin aux destinées de tous les hommes – et de tous les vivants...

 

 

Arrivé peut-être à la destination précise où tout s'efface – et où rien n'a plus d'importance... Arrivé peut-être en ce lieu que nous n'avons jamais quitté – et qui attendait pourtant que nos pas nous y mènent – et y poussent notre regard... Ce lieu de tous les enfantements et de tous les silences... Ce lieu où tout éclot – et dont on ne peut partir... Ce lieu que nous sommes, bien sûr, depuis toujours...

 

 

Comment pourrions-nous écouter et comprendre avec ce si peu de silence – et vivre – vivre, être et aimer – dans cet espace de confinement envahi par le bruit si machinal des pas et du langage – de la parole usée et des gestes mécaniques qui s'enchaînent sans raison. Poussés seulement peut-être par l'habitude des jambes, des mains et des lèvres si peu vivantes...

 

 

Dire une parole qui ne sera pas – qui ne sera peut-être jamais – entendue... Et offrir dans ce geste – presque entièrement gratuit – presque totalement désintéressé – ses tripes, sa chair, sa peau et son âme. Comme un silence adressé à lui-même pour célébrer notre seule existence commune...

 

 

Cette terreur partout derrière les paupières closes qui ne devinent l'évidence de la lumière. Et la présence, si peu familière, du silence...

 

 

Ce vers quoi nous allons est-ce une rivière, une limite, un mur, une frontière, un océan ? Est-ce un jour toujours plus lointain ? Une source, un rideau de lumière où se cacheraient tous nos visages – et la figure même des dieux enfantés ? Est-ce un mirage, un désert, une langueur encore plus inhospitalière, un refuge peut-être pour les âmes éperdues – et éprises d'Absolu ? Un échafaud, un cimetière, un peu de cendre, un peu de terre ? Est-ce un champ de silence, une aire moribonde, un puits d'éternité ? Un coin de ciel sur le bitume ? Et qu'importe après tout... Saurons-nous seulement y accéder – et quitter la terre des presque vivants ? Combien de fois devrons-nous mourir pour y poser notre innocence – et faire de ce lieu – de ces lieux peut-être – l'exact contraire des promesses – et des contrées que nos pas et nos mains ont ensanglantées en les traversant...

 

 

Siècle après siècle, le même destin qui s'acharne... Les mêmes désirs, les mêmes désastres, les mêmes délices. Et les âmes, partout, en larmes sur le bas-côté des chemins. Horrifiées par la mort triomphante...

 

 

La terre, infime point dans l'espace. Et l'homme, infime poussière sur ce point. Nos âmes pourront-elles, un jour, se relever de leur effroi, de leur folie et de leur furieuse espérance... Et sauront-elles embrasser le silence – s'unir et fondre dans l'infini – pour arriver au lieu où l'enchantement détrône le malheur... Où l'horloge fige ses aiguilles... Où l'infime et le minuscule endossent leur envergure céleste, devenant alors le plus précieux du point – et de la poussière – et le plus vaste du cosmos. Englobant – et enveloppant – les choses et les existences – toutes les choses et toutes les existences – non pour en triompher mais pour leur révéler leur identité – et les porter au plus haut – et en tous lieux, unis et infiniment démultipliés, comme le rêvaient autrefois leurs folles ambitions – mais amputées, bien sûr, du sang, de la domination et de la mort...

 

 

Un monde. Et peut-être davantage. Une infinité sans doute... Ici, ailleurs, partout. Au dedans comme au dehors. Peuplés à l'identique et différemment. Entrecroisés en de multiples points. Reliés par d'invisibles passerelles. Et réunis pourtant en un seul espace. Et explorables du seul dedans, libéré des peurs, des désirs et des appartenances. Voilà le périple – et les découvertes – qui attendent l'âme voyageuse – curieuse des contrées – et soucieuse de les unifier... Avec l'Amour et le silence au bout du voyage – au bout de tous les voyages et de toutes nos foulées innocentes...

 

 

A la fin des siècles parsemés d'espoirs et de malheurs, un seul jour. Innocent. Définitivement... Et à sa suite, des cargaisons d'instants qui passeront, sans doute, les uns après les autres. Indéfiniment... Et qu'importe qu'ils soient tristes ou joyeux, porteurs encore d'infortune et de rires, s'ils sont vécus un à un, sans mémoire ni exigence avec un cœur vierge, une âme neuve et un regard ouvert, accueillant chaque circonstance comme un fragment – le fragment manquant – et l'éclat révélateur d'eux-mêmes. Comme une mère à la fois enfantant et composée de ses propres fils, désireuse de les voir revenir vers elle...

 

 

L'amour, la mort et la vérité. Comme des marques indélébiles sur notre vie. Et les désirs de l'âme d'en percer les mystères pour faire des jours – de chacun de nos jours – une fête. Le sacre de l'éternel. Et la célébration de la beauté en dépit de la damnation des siècles où nous avons toujours vécu – et dans laquelle nous vivrons encore...

 

 

Tout nous est si étranger... Pourquoi l'homme ne comprend-il donc pas que l'herbe, les étoiles, les bêtes, le ciel, les saisons et l'infini – et l'infime – du monde, de la terre, de l'univers et des visages ont leur place – et leur mot à dire – dans – et sur – notre vie... Et qu'il nous serait tellement bénéfique de les entendre – et de livrer leur parole à notre âme...

En les écoutant – et en leur octroyant la place qu'ils méritent – et qui leur appartient, ils nous offriraient la réconciliation, la joie, la sérénité et l'Amour que nous cherchons depuis toujours...

 

 

L'époque, comme tous les autres siècles, en est encore à la faim de soi. Et aux appétits du monde... Quand donc pourra régner la faim de l'Autre – et le sacre de tous les visages ?

 

 

Des visages, des ombres et du silence...

La marche insensée des siècles. Et le sommeil passager des hommes. Quelques ombres – quelques traces – dans l'éternité...

 

 

Le soleil d'autrefois – si vif encore – presque intact mais déjà si ancien – qui n'éclaire plus même les yeux – et à peine les chemins – mais auquel les âmes se sont habituées. Rendant difficile – peut-être impossible – le besoin – la nécessité – d'une autre lumière...

 

 

Les maladies de l'âme plus invisibles que celles du corps. Plus insidieuses. Et bien plus dévastatrices pourtant... Tant de dégâts et d'horreur déjà perpétrés. Irréversibles sans doute... Précipitant l'agonie du monde. Et la mort des siècles bientôt...

 

 

Les flots ardents des siècles et du langage, voués aux mouvements, aux cycles et aux bouches labiles – légèrement entrouvertes. Comme en attente d'un silence encore incapable de se faire entendre...

 

 

L'ombre peut-être se réjouit du soleil qui l'éclaire. Et qui lui prête vie un instant avant qu'elle ne retrouve les profondeurs – la nuit de l'abîme où ne résonnent que les cris et les pleurs – le silence de l'attente – et nos voix muettes, asphyxiées peut-être, qui réclament leur délivrance...

 

 

Mourir serait-ce se retrouver un peu – se défaire de la chair et des exigences qui nous séparent de nous-mêmes... L'abandon comme unique chemin livré non à la bonne fortune du hasard mais à la réalité tranchante – et décapante – qui ôte de notre âme – et de notre être – le peu – l'excès – de ce que nous avons amassé pour nous sentir plus vivants que les morts – mais qui nous a, pourtant, éloignés de la pleine vivance de n'être personne... Avec l'oubli pour nous empêcher de redevenir ce que nous avons toujours été – ce vers quoi nos ambitions nous poussaient – afin de retrouver celui que nous étions à l'origine...

 

 

La nuit – et ses anges (taciturnes) – nous auront peut-être éclairés de ce qu'il faut de lumière – clarté chiche et pauvre – pour nous rappeler notre destin – le sens et la destination de notre marche interminable... L'élan nécessaire vers une aspiration plus lumineuse – et la force indispensable pour nous extraire de l'obscurité où nous errons depuis des siècles...

Peut-être est-ce cela la lumière de la nuit... et le baiser des anges taciturnes sur nos lèvres – et nos âmes – endormies, guidées par le souffle clair du silence. Le rêve – et l'ambition – de Dieu pour un autre monde...

 

 

Rien de plus égal – et de plus constant – que le malheur... Et ses visées de lumière pour ceux qu'il frappe... Les condamnant toujours à une longue – et épuisante – traversée des siècles. A petits pas. Les yeux encrés de noir qui s'allègent au fil des chemins. Et l'âme plus franche – et plus nette aussi – évacuant ses peines et délaissant ses espoirs au profit d'abord de la terreur – de la saine terreur d'exister – et de l'effroi de la solitude avant de déterrer (progressivement) en son cœur – et au centre même du regard – l'innocence – la salvifique innocence – et ses traînées de rires et de joie. La certitude du silence. Avant de revêtir – et de se couvrir enfin de – la seule identité authentique : l'œil et la main infinis de l'éternel Amour nécessaires pour participer à l'unique vocation du malheur : la lumière ; faire advenir ici-bas le règne insurpassable de la lumière...

 

 

Du matin au soir, la présence. Jusque dans la nuit sans étoiles. Joyeux parmi les cris et l'absence. Au plus haut – et au plus beau – de la solitude. Un malgré la foule et les visages...

Un sourire, un pas et ce grand Amour à offrir... Comment pourrions-nous refuser cette authentique figure – et répugner à la revêtir pour aller ainsi parés humblement – nus – sur les chemins où le monde nous appelle – et la réclame...

 

 

Et pourquoi le soleil ne pourrait-il briller plus fort... L'âme serait-elle si fermée à la lumière pour ne pas voir le rayonnement insensé – l'éclatante clarté – le grand embrasement qui l'attend – et qui enflamme déjà le monde...

 

 

Des siècles sans retenue – aux ambitions convoiteuses – alors que règne déjà le silence. Et que partout brille la lumière. Et resplendit la beauté...

 

 

D'un lieu peut naître la magie qui s'est déjà glissée dans le regard. Et qui repeint le monde comme une toile blanche posée là par un Dieu malicieux...

 

 

L'heure est venue d'abolir le temps. La mémoire. Le passé. Le défilé des jours tristes. Et la promesse d'un ailleurs secourable. Le mensonge d'un après salvifique... De vivre à présent ce que la vie n'aura avalé – ce qu'il reste lorsque tout est parti – et s'est effacé – avant que demain n'arrive peut-être...

 

 

Je rêve de jours moins orgueilleux que nos batailles, moins mensongers que nos promesses, moins affamés que nos désirs. Je rêve de jours plus beaux – et plus clairs – que notre nuit – et plus valides que nos siècles infirmes. Je rêve qu'une lumière est possible dans le plus sombre de notre vie – et le plus obscur de notre âme. Et qu'un silence peut tout effacer – jusqu'à nos prétextes et nos fausses raisons. Jusqu'à notre goût pour la mort et les ténèbres. Que l'éternité peut remplacer les heures – et les aiguilles de l'horloge – et que l'infini saura triompher des songes et des frontières... Je rêve de jour dans l'obscur de l'abîme où les hommes nous ont plongés et dont les sombres ambitions sont venues creuser – et prolonger – le destin terrible, né peut-être, des noires profondeurs des origines...

 

 

Et seuls demeureront, sans doute, les innocents... Et la beauté de leur visage sans haine et sans espoir. Reléguant la fin des siècles à un nouveau promontoire, ouvert sur l'infini – et à une ère d'éternel recommencement où les sourires remplaceront les larmes. Et l'Amour et la présence, les armes et l'ignorance. Où tout sera vu pour ce qu'il est : le reflet radieux de notre visage malgré la pluie et la brume qui séviront encore...

 

 

Un siècle, un instant où s'effacera le goût du sang. Une époque nouvelle pour le sacre des innocents... Où l'humilité sera reine et l'Amour fera office de loi. Où les hommes et les bêtes iront ensemble comme une fratrie retrouvée – réconciliée... Un monde où il fera (enfin) bon d'être vivant...

 

 

Du sable, des songes et des merveilles. Et l’œil aveugle à l'inquiétude – et à l'abomination des frontières. A la malice du climat et des hémisphères qui mêlent les saisons à la terre, les pierres aux nuages et le feu des tempêtes aux visages... Aux instincts espiègles des destins dont la ronde endort les yeux et les âmes enfantines et ravit le monde et le regard des sages...

 

 

Sur les tempes, le vent agile. Et entre les jours, le destin se faufile... Visages toujours constellés de songes et d'espoirs. De murs et de rêves infranchissables. La vaine ambition de l'homme face aux forces de la terre et à la puissance d'un Dieu, peut-être infréquentable... Et les pas ensablés des foules qui piétinent avec, partout, le regard comme seul horizon – unique perspective de libération...

 

 

Des Dieux, du rêve et de la sagesse. Comme le lieu commun de tous les élans. De tous les espoirs. Et de toutes les tentatives. Fuites, envolées, renonciations. Débâcles, infortune et abandon. Le seuil de toute liberté...

 

 

L'horizon sanglant des siècles remisé. Banni enfin des arènes. Les cimetières gorgés d'os et de sang gommés d'un surplus d’innocence, envahissant toutes les âmes et tous les recoins du monde. Et les guerres transformées en batailles. Et les batailles transformées en jeux. Et les jeux transformés en vents balayant les restes, la poussière et les combattants. Et les armées anéanties, paralysées, suffocantes à présent de rires. Dansant d'allégresse devant le nouveau pouvoir – et la mort lente des anciens dictateurs – et le retrait des lois sanglantes et dominatrices. Partout l'effacement du monde, des foules et des visages pour un seul règne : la figure éternelle d'un Dieu enfin reconnu – enfin apprivoisé... Et la marche triste des silhouettes, devenue(s) hilare(s) à force de sagesse. Et les ombres poignardées reléguées à l'enfouissement définitif – rédhibitoire. Tous réunis – tous présents enfin – pour annoncer l'avènement des nouveaux siècles...

 

 

Un autre monde, bien sûr, est possible... Avec un peu de patience. Le silence. Et le sacre de l'innocence. Et il se construit déjà dans l'esprit du sage – et sur le visage commun de l'humanité défaite des rites, des savoirs et des ritournelles ancestrales... Et le monde ancien peut-être – qui sait ? –, un jour, le verra naître...

 

15 décembre 2017

Carnet n°110 Une parole, un silence et, derrière peut-être, une vérité

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

A travers les étoiles, une lumière déjà présente...

Marcher, sourire, vivre. Aller dans le calme des heures où les tempêtes n'ont plus prise ni sur les jours ni sur le cœur. Où l'âme, vive, ne s'inquiète pas même du lendemain...

Oublier. Courir dans le silence à gorge déployée. Et écrire un peu. Dire cette lumière qui jamais n'encombre l'âme...

 

 

A travers les étoiles, une lumière déjà présente...

 

 

Marcher, sourire, vivre. Aller dans le calme des heures où les tempêtes n'ont plus prise ni sur les jours ni sur le cœur. Où l'âme, vive, ne s'inquiète pas même du lendemain...

 

 

Oublier. Courir dans le silence à gorge déployée. Et écrire un peu. Dire cette lumière qui jamais n'encombre l'âme...

 

 

Du simple au double, il y a multiplication. Et addition des surplus jusqu'au bord, peut-être, de l'infini... Mais du simple au rien, il n'y a qu'un pas. Un retrait. Une étoile jetée au gouffre. Un charme ancien – originel sans doute – oublié... Un ciel, immense, agonisant sur la mer. Un soleil rouge et triomphant. Une extase de l'absence. Un nouveau départ dans la marche continuelle et le monde ininterrompu...

 

 

Nous pourrions mourir de ne pas savoir si la neige, demain, tombera. De ne pas voir une fois encore les oiseaux – et entendre leur chant à l'aube. D'imaginer, un instant seulement, le soleil dénigrer les horizons – et s'effacer pour toujours. De rêver de visages et d'absence... Et nous pourrions aussi mourir de ne pas avoir vécu – ou de n'avoir vécu (tout cela) qu'en songes...

 

 

Un rêve, un amour, une vague promesse. Et l'éternité d'un jour qui dure encore...

 

 

Oublieux des saisons, des moissons et de l'or même qui s'écoule des poches percées. Libre sans doute pour le restant des jours...

 

 

Un visage, un songe, un chemin. Et l'ignorance de ce qui nous sépare davantage de nous-mêmes. Notre propre perte sûrement nous apprendra à en sourire... Demain peut-être serons-nous nous mêmes, un visage, un songe, un chemin... avant que la mort ne vienne tout bazarder... et le silence, plus tard, effacer toutes les traces de notre si bref passage...

 

 

Parmi les bouches – et les souffles – amers – désespérants –, un désir, un silence, un oubli. Le recommencement peut-être des jours. L'absence et les égarements du lendemain. Et l'infini révélé dans un murmure comme l'ultime présent du vent dans la compagnie, triste, des ombres et de la mort...

 

 

Un toit, un arbre et le présage, immérité peut-être, de la lumière. Et l'avenir qui se dessine à grands traits. Et les aubes chantantes où perce déjà le silence...

 

 

Et si le monde pouvait encore nous donner... à nous qui n'avons plus rien à offrir sinon une main tendue – et l'espoir de voir le ciel nous rassasier, emplir nos poches de lumière – boire un peu de vin et mourir sans effroi les yeux rivés à la terre...

 

 

Perdu encore dans les eaux grises du jour. Sous le soleil lointain qui s'offre aux horizons. Trop fatigué peut-être – trop lucide sans doute – pour accomplir un seul pas supplémentaire... Nous agoniserons ici, à l'ombre de toutes les espérances, sous le ciel bas et opaque. Avec cette lumière qui, seule, pourra éclairer la nuit, repousser les ombres et l'espoir. Et nous initier à la mort perpétuelle. Seule voie possible vers la liberté – vers la délivrance posée en un lieu affranchi du jour et de la nuit – de la désespérance et de l'oubli – de l'effacement et de la vie, éternellement recommencés...

 

 

Et parmi ces yeux qui nous regardent, combien sont-ils attachés à la souffrance et au silence de la cécité ? Pourraient-ils rêver de voir qu'ils ne verraient rien... sinon peut-être la douleur de vivre et le noir, partout, envahissant jusqu'au renoncement sans doute de la clarté... Des yeux fermés que le chagrin et la mort même ne sauraient entrouvrir...

 

 

On entre en vie peut-être comme l'on entre en scène avec ses costumes et ses répliques apprises dans un décor presque inconnu sous des yeux inattentifs, assoupis sans doute, et parmi des mains qui applaudissent mécaniquement (ou par politesse) et des bouches qui lancent leurs sifflets. Comme si la vie était un théâtre de monologues et de silence, ânonnés ou proclamés avec force (ou talent – qu'importe...) devant une foule toujours lasse et indifférente...

 

 

Un jour, un sommeil et des songes toujours plus noirs qui ouvrent sur des matins de suie. Avec au centre du cercle, une lueur revêche – rétive à la saisie – sous un couvercle de verre. Et nos mains brûlantes encore d'un soleil ancien, comme amputées, incapables d'arracher la lumière à son (triste) destin et à ses remparts de glace. Vouées peut-être encore pour quelques siècles à tous les malheurs...

 

 

Des hommes. Et un cri unique lancé depuis les falaises de la peur au ciel éternellement moqueur...

Dans un silence que nous ne savons pas lire... Dans un langage pur – défait peut-être de toute grossièreté – que nous ne savons toujours pas traduire... Comme des analphabètes en nos propres terres. Comme des exilés de notre origine – enfantés sauvagement dans l'ignorance et l’incompréhension...

 

 

Rien ne tient entre nos mains. Tout s'affaisse dans le jour. Et la nuit avale ce qui reste... Ne demeurent, comme toujours, que le vent et la poussière. Et nos rêves d'innocence. Et notre envie si folle de lumière. Comme un trésor à portée d'âme. Le seul peut-être – le seul sans doute – de ce monde que la mort ne pourra nous arracher... Et qui brillera encore dans toutes les nuits... Et qui brillera toujours après la fin des siècles... Après la longue agonie de ce monde malade et la disparition de tous les espoirs...

 

 

Cette présence si discrète parmi nous. Dans les yeux et sur ce qu'ils effleurent. Et au plus profond même de ce qu'ils caressent et de ce qu'ils ignorent. Partout rayonnante – et si invisible pourtant...

 

 

Que guettes-tu, toi qui n'attends rien ? Le jour qui arrive. Et la nuit qui s'en va. Les lumières, les larmes et les cris à l'horizon. Le jour qui repart. Et la nuit qui s'avance. Le noir qui enfonce les yeux, la joie et les rires de l'âme au fond de la gorge. Les chants, les querelles et les appels dans les belles – et hautes – frondaisons. La peur, l'amour et la colère – et l'incompréhension toujours – sur les visages. Le sourire, léger – et un peu triste – des enfants et le silence, gêné – si malhabile – des vieillards. La mort qui se cache – et qui couche les corps dans la terre. Et le jour et la nuit qui reviennent toujours...

 

 

Partout la nuit. Et déjà le jour pourtant... Là depuis tous les commencements. Et bien avant même sans doute... Dans les yeux – le cœur – et sous le front bas des hommes qui ont su apprivoiser, dans le noir, l'innocence – et les visages – tous les visages – l'absence et l'orgueil inutile des noms et des titres – et le souffle des vents sous les épaulettes et les médailles accrochées sur les torses. Et qui ont tout embrassé – et qui ont tout effacé pour que demeure le jour...

 

 

La nuit encore – la nuit toujours – parmi les siècles et les visages devenus lacustres à force de pluie – à force de larmes. Et le soleil déjà haut dans le ciel – et si bas dans les âmes – si insaisissable par les mains noires qui se lèvent et implorent encore...

 

 

Ne pas réduire, jamais, la peur au silence. L'accueillir toujours. La laisser se déployer et pousser ses cris au centre – au cœur même – de l'écoute. L'envelopper de cette présence qu'elle réclame. La rassurer de la permanente certitude de l'Amour. Et l'en entourer. Ainsi seulement s'effaceront les peurs et le cri des âmes infantiles...

 

 

Au bord du jour, de l'autre côté de la lumière, les âmes demandent – réclament encore – la certitude du silence...

 

 

Une flaque, un jour et la nuit qui s'avance. Et le reflet de la lune dans le regard. Aussi intacte que le soleil prisonnier dans la vaste étendue du dehors...

 

 

Partout des mains plus soucieuses de saisir et de salir que de caresser. Que d'offrir au monde – et aux âmes – cette liberté qu'ils réclament depuis toujours – bien avant même leur naissance sans doute...

Ne pas leur donner l'espoir. Jamais. Ne pas les délivrer. Impossible. Les aider peut-être à trouver l'accès – le recours possible au secourable...

 

 

Un gris sur l'absence. Une fadeur – une routine – empalée. Un cri muet – frelaté de souffrance sans doute. Des gestes machinaux. Une parole qui ne sait plus dire (mais l'a-t-elle déjà su...). Des lèvres blanches, absentes elles aussi. Silencieuses. Une existence minuscule – minimale – pas même anecdotique, cloîtrée dans l'attente, aux horizons noirs – fermés. Et la mort enfin qui viendra clore les quelques pas et la faiblesse du souffle. Une vie parmi tant d'autres – aussi risible et aussi belle...

 

 

L'existence ? Ni défi, ni enjeu, ni épreuve. Un jeu pour les âmes – et les lèvres – discrètes. Un récital de cris et de murmures. Une scène d'absents et d'absence. Un peu de lumière dans le néant peut-être... mais si pâle – si peu joyeuse. Trop puérile encore pour s'émanciper – affirmer sa vraie nature – assumer son véritable destin. Un rêve dont il faudrait extirper les mensonges... Une averse pour les rires qui viendront plus tard peut-être...

 

 

Une clé, un champ, un songe. Et les pas envoûtés qui accourent, franchissent les monts et les obstacles. Sautent par dessus les rivières, les visages et les océans. Piétinent, tassent et massacrent la terre pour quelques rêves passagers – quelques chimères – quelques fantômes – fuyant dans les paysages. Impossible, bien sûr, à rattraper. Foulées lasses – et presque moribondes bientôt – qui laisseront les corps inertes, un jour – dans quelque temps – mourir dans un fossé sous des étoiles qui brilleront encore...

 

 

Et toute la beauté du monde est là pourtant... Partout où l'âme passe, si légère... Partout où sautille le regard, vidé de sa prétention personnelle à exister – et à devenir... Partout où la lumière a remplacé les larmes et la pluie...

Partout il y a cette lumière – et ce silence – qui ne fascinent – et n'effrayent – que les paupières lourdes d'orgueil et de chagrin – et que ne voient jamais les hommes, trop affairés encore à courir dans leur nuit mensongère...

 

 

Une route, un rêve et un éclat de lumière dans le regard, songeur, qui parcourt le monde à petits pas – ou à grandes foulées parfois... Yeux bandés à la route, tête déjà à l'horizon – ailleurs – posée au lendemain, incapable de s'asseoir et d'attendre sur le bord du chemin pour voir arriver le plus simple du destin. Et à sa suite, le cortège improbable de l'innocence escortée par la joie et la lumière. Et surprendre l'âme, heureuse enfin, rassasiée de tous les trésors, délaisser les sentiers, les visages et l'horizon pour s'avancer, immobile, aux portes – si longtemps interdites – de l'éternité où l'infini l'attend depuis des siècles...

 

 

Le poète, comme le marcheur et le vagabond, creuse l'espace – et la lumière – de son sillon. Et en éclabousse ses pas et ses pages. Minuscules perles – infimes poussières – lumineuses parmi les espoirs et la désespérance, si noirs, des hommes...

 

 

Laissons le destin nous offrir ses chemins – chemins non de hasard et de promesses mais de vérité. Et laissons-les nous ouvrir à l'innocence, puis à la lumière – à ce pour quoi nous sommes nés : une vie immense d'ivresse au regard lucide et serein – affranchi des désirs, des songes et du lointain. Immobile sans doute. Soucieux toujours de toute rencontre – du pas et du visage de son Prochain...

 

 

Un passage peut-être entre les eaux. Un gué entre le ciel et la terre parmi les cris et les bourrasques sordides. Parmi les hommes et le vent tiraillés – et soumis à la colère du soir. Aux promesses désenchantées du lendemain où les oiseaux se moqueront encore de leurs essais – de leurs vaines tentatives d'envol... Refusant – refusant depuis toujours – le pas naturel de la terre et la sagesse des océans. De devenir leur jointure – et l'élan de leur union...

 

 

Et ce cri qui jamais ne percera la clameur des foules et des océans. Et qui restera muet. Tapi au fond de la gorge, encore rieuse malgré les épreuves. Comme s'il attendait l'âme pour le transformer en silence...

 

 

Le silence cernera toujours notre visage – et notre âme comprenant (progressivement) sa chance... Et pourtant, le vent – et l'océan – se fracasseront encore contre la vitre. La fenêtre fermée – fermée depuis toujours...

 

 

Mi-bête mi-homme. A cheval entre l'humanité et la sauvagerie. En selle – au galop dans les plaines où les instincts font office de lances, d'épées et de boucliers contre une armée semblable de fantômes alourdis de chair et de sang. Brûlant l'innocence au fond de l'âme – et dont les fumées noires enlaidiront encore la terre...

 

 

Le monde. Un spectacle pour les yeux, peut-être trop assoupis – trop étrangers à la beauté sans doute – pour y déceler l'innocence des âmes – et l'invisible – et rude – besogne de Dieu parmi les bras, les mains et les yeux si avides de jeux et de sang...

 

 

Nous sommes devenus immobiles – et sans voix – comme si un arbre – l'ombre d'un arbre peut-être – avait poussé dans notre tête. L'avait envahie de ses feuillages. Et avait pris racine bien en deçà des épaules pour que nous puissions pousser – pousser aussi haut que possible, les cheveux en pagaille – ébouriffés par la brise du soir... et voir arriver derrière les nuages, un soleil – une lumière – qui ne viendra peut-être jamais...

 

 

On se tient seul dans cette déesse aux mille bras, aux mille bouches, aux mille infortunes... Et il nous faut pourtant la compagnie des visages. Et plus encore celle du silence pour durer un peu parmi ces mains et ces faces grouillantes – presque sans cœur – qui agrippent à peine un peu de lumière parmi les horizons noirs – et les rideaux sombres qui recouvrent la terre... Un peu de ciel au coin des yeux et l'espérance de la bonne fortune pour seuls repères. Le chemin – et le voyage – âpres – âpres toujours – pour les âmes peu soucieuses de revanches et de défis, plus sensibles au soleil qu'aux ombres – et qu'à la pluie interminable dans cette longue traversée des jours – cette longue nuit peut-être infranchissable...

 

 

Une ombre, un désir, un espoir. Et le faible tressaillement des eaux sombres... Et une lumière devinée malgré la pluie et les pleurs... Demain peut-être un autre horizon... Et, plus tard encore, l'innocence à retrouver, enfouie sans doute sous trop de malheurs...

 

 

La pluie a notre visage peut-être... Un peu d'innocence au fond du cœur. Le goût des autres. Et leur bonheur aussi – allez savoir... Et ce reflet, si fragile, dans la tristesse qui espère tant de sa besogne : le renouveau des choses – et la grandeur du monde. L'infinie beauté de la terre...

 

 

La pluie, une prière et une promesse peut-être d'embellie... avant de regagner les heures calmes – défaites – et l'âme morose, désabusée par tous les climats. Et le renouvellement si routinier des saisons...

 

 

Un peu de tranquillité ? Non, des eaux stagnantes simplement après la pluie, le vent et les bourrasques. Après les tempêtes, les averses, l'inquiétude et les malheurs. Un peu de répit seulement pour l'âme passagère – et triste – si triste de tous les paysages. Espérant un ciel qui ne vient pas – une lumière qui n'a peut-être jamais existé...

 

 

Et il y a aussi une joie – et une lumière – dans le silence, rebelles à toute rétractation qui, en accueillant l'ombre, l'effacent...

 

 

Sempiternelles variations autour de l'ombre et de la lumière. Comme pris dans la danse éternelle de la trame – et ses permanentes secousses. Jouet perpétuel des vents dans le soleil encore si intermittent...

 

 

Debout, d'abord médusé, face au silence. Fragilisé par les vents, les gorges moqueuses et la solitude des territoires. Avant de s'y coucher à son aise. Et de le transformer en maison d'hôtes accueillante – en refuge parfois contre le monde – en jardin d'éternité – pour offrir à l'infini son envergure quotidienne...

 

 

Un sourire, un jeu, un silence. Et la lumière qui embrasse le bout des lèvres, timorées autrefois jusqu'à en perdre souffle...

 

 

Un mystère rétréci jusqu'à son centre. Jusqu'à l'effacement de toute énigme. Libérant le silence de ses terreurs. Et l'infini de ses frontières. Et le regard enfin apaisé, affranchi des pesanteurs...

 

 

Un pas, un chemin et la beauté enfin révélée aux yeux autrefois si circonspects – et si railleurs...

 

 

Pas à pas vers les confins de l'origine. La matrice de la grâce et des siècles qui a enfanté tant d'incompréhension. Et l'incertitude comme seul repère – le socle de tous nos élans...

 

 

Une fleur, un visage et la voûte aux étoiles illuminée d'un sourire. La face de Dieu, béate, devant la fragilité du monde. Terre et hommes aimés d'une égale façon...

 

 

Un soupir, un geste, un désir. Et la peur de voir s'effacer la lumière dans le regard. Et le doute encore plus rude de la réalité...

Et si la grâce et la beauté disparaissaient, l'âme serait-elle corrompue – exilée de l'innocence peut-être... Pourrions-nous vivre de plus grand drame...

 

 

Un lit, une fenêtre et l'espoir de revoir le jour le lendemain. La misère enfanter le goût de la lumière. Les pleurs se transformer en fleurs. Et partout le rire conquérir les âmes...

 

 

L'instant, seul dissident du temps. Reléguant les heures, les jours et les siècles aux catacombes. Millénaires, éboulis dans l'éternité. Néant dans l'infini. Ah ! Invisible révolutionnaire...

 

 

Une table au coin du jour. Et l'âme qui se repose à la fenêtre du temps. Attendant peut-être l'aurore – ou la nuit – allez savoir... – hier ou demain. Plus tard qui ne viendra jamais. Et le visage des morts qui ne reviendront plus...

 

 

Les yeux, fenêtre de l'âme, dit-on où l'on ne voit que les craintes se succéder et les songes tressaillir dans le doute – et l'incertitude charnelle d'exister... Et l'angoisse, plus forte encore, de devenir – et d'essayer de percer son mystère. Et l'espoir – la lueur – chavirés par des siècles de tempête et la platitude de la lumière, inchangée, sur l'horizon...

 

 

Sur le cœur, parfois une éraflure s'ajoute aux vieilles cicatrices, mal refermées bien sûr, qui dessinent sur la chair rouge – tendre – l'image du malheur et des saisons mal vécues – et l'évidence du peu de temps qu'il reste pour vivre et aimer. Et apprendre à être un peu... Pour s'affranchir des vaines blessures, des craintes et des espoirs de l'âme... Se simplifier jusqu'au plus pur – jusqu'à l'Amour – jusqu'au grand Amour qui efface et pardonne en secouant le passé et l'avenir au dessus du puits de l'oubli. Pour apercevoir enfin la lumière comme après un long tunnel franchi...

 

 

Peut-être parce que le silence jamais ne s'efface, les bruits courent encore – courent toujours – à jamais – à sa surface...

 

 

Déniche donc le voile qui assombrit – et donne à tes jours une allure de mort. Fouille parmi les fleurs arrachées – et asséchées depuis longtemps – les rêves d'une autre vie plus légère – et plus lumineuse sûrement... Et cueille ce noir qui t'entoure. Et embrasse-le à pleine bouche. Laisse-toi avaler – et disparaître. Deviens l'obscurité – ce néant qui t'épouvante – et t'éventre si souvent... Laisse-toi enfin recueillir dans les bras, si vifs, de l'abandon. Sois ce qui t'effraye. Sois sans recourir aux rêves. Approche-toi du simple – du plus simple. Et deviens lumière...

 

 

La marque, d'abord fragile, du temps sur les visages avant qu'il ne passe son soc – et repassant chaque jour, n’y creuse de larges (et profonds) sillons. Comme l'empreinte épaisse – et définitive – de son sceau...

Le vivant vieillissant voué, bien sûr, à la mort. A l'effacement. Poussière aux mille visages – et aux mille masques de pierre sur une terre chargée de chagrins et de regrets...

 

 

Cette aura noire qui partout nous accompagne, auréolée pourtant de lumière – et dont le centre brille d'un éclat plus pâle – aussi gris et terne peut-être que le quotidien humain...

 

 

Le corps, la nature et les énergies terrestres. L'esprit, la conscience et l'infini. L'espace, le silence et le ciel immense. Nul besoin de fréquenter le monde des hommes gouverné par le psychisme, qui n'est qu'une forme restreinte et crispée – qu'une forme corrompue – de l'esprit. Vivons plutôt au milieu de la nature et des grands espaces. Ne quittons jamais la terre, les fleurs, l'herbe, les arbres et les bêtes. Allons toujours à pas lents, au rythme des jours et des saisons, sous le soleil et le vent, sous la pluie et les étoiles. Accomplissons de manière naturelle les tâches et les actes quotidiens. Demeurons au plus simple des choses. Au plus simple de la vie. Dans la plus grande simplicité de l'âme. Et vivons dans le plus vaste – et le plus ample – silence et l’acquiescement libre et bienheureux du cœur. Vivons toujours au plus proche de la terre et dans la présence (ou la proximité) permanente du ciel. Vivons en hommes sages...

 

 

Oublier les pas qu'un songe peut-être aura défaits pour se tenir là, présent au plus simple des jours dans la belle lumière de l'apprivoisé sans certitude...

 

 

La faim plus cruciale que le désir d'assouvissement. L'insatiable appétit pour ce qui ne peut se dévorer...

 

 

Dans le voisinage de la couleur, quelques bruits. Et à côté du silence, et à sa verticale, la lumière sur les ombres – et leurs mille visages épars – disjoints.

 

 

Sensible jusqu'à l'atome. Lumineux jusqu'au plus pur. Et envoûté plus encore par le silence. Rompu déjà. Effacé bientôt. Au plus près sans doute du merveilleux...

 

 

Un puits, un désert, un sermon. Et une délivrance promise possible – ou encore, peut-être, un mensonge...

 

 

Les murmures du temps encore si las d'arriver – et dont on n'entend que le silence à la surface des jours lisses – sans aspérité. Morts. Eteints avant même que naissent les voix qui nous les ont chuchotés. Paroles muettes, interdites, trop tranchantes et sentencieuses pour être écoutées.

Et à leur extinction, un début de lumière peut-être qui s'annonce...

 

 

Il n'y a peut-être – il n'y a sans doute – ni après, ni ailleurs. Mais un présent éternel à vivre ici. Là où se pose le regard pour un instant. Là où l'on est tout simplement présent...

Autre part – plus tard – ne sont qu'un songe. Un mensonge. Une résistance. Un refus insensé de ce qui nous arrive maintenant, aujourd'hui, là où nous sommes...

 

 

Dans nos yeux, une poussière blanche, agglomérée peut-être, qui crée un voile sombre – lourd – opaque – derrière lequel on voit danser le monde – la silhouette incroyablement frivole et virevoltante du monde...

 

 

Par dessus la terre, le ciel si visible depuis le monde. Et par dessous, les étoiles anciennes – mortes – enterrées là depuis les origines. Et l'homme partout au milieu des paysages, fouillant la terre et explorant le ciel. Si surpris de son existence – et de cette présence miraculeuse. Et l'oubliant dès le premier regard – dès les premiers pas... Voué peut-être jusqu'à la fin des temps à son destin de créature des cavernes découvrant progressivement la pierre, le feu, le livre, la lampe, l'informatique, les réseaux... Et de découverte en découverte, remontant peu à peu, et malgré lui, le fil des origines – la lumière jamais née – immuable – éternelle...

 

 

Le vent, un oiseau, un destin. Et, au loin, la lumière si belle sur les collines. La silhouette d'un chat glissant dans le jardin. Le cri des enfants. Le murmure d'une voix lointaine. Les nuages en cortège dans le soir tombant. Et quelques larmes sur le visage grave – et si angoissé – du vieil homme à l'approche de la mort. Avec des regrets en pagaille. Et le soulagement – et l'espérance sans doute – de l'au-delà. L'âme peut-être enfin libérée de la pesanteur. Affranchie du corps, de l'effritement permanent de la matière, de la volatilité des désirs et des sentiments. Et le calme, autrefois tant désiré, accessible peut-être... Le beau temps – et les jours solaires – après des années – après des siècles – de pluie, d'ennui et d'épouvante...

 

 

La pluie, les saisons et la fenêtre de l'atelier ouverte – toujours ouverte – sur l'horizon. Et la possibilité, toujours plus évidente – et presque palpable aujourd'hui – de la lumière...

 

 

Les chants anciens des troubadours et des nones veillant Dieu assises en prière dans leur cloître. Et le regard, un peu perdu mais confiant, de l'enfant qui attend sa mère. Et l’œil, terrifié, des bêtes que l'on mène à la mort. Comme autant d'offrandes de la terre, si bruyante, au silence. Et le sacrifice permanent des étoiles pour que le soleil brille dans le jour – et que sa lumière soit visible jusqu'au soir...

 

 

Un nouveau jour peut-être plus loin – demain sans doute – viendra nous rassurer. Effacer cette peur si insensée de l'improbable – l'incertitude des heures à venir – et la venue certaine de siècles plus obscurs que les millénaires anciens...

 

 

Parfois la neige nous révèle le plus sombre. La nuit – la mort – inévitables. Le deuil impossible de l'espérance. Et une lucarne au loin, plus haut dans l'innocence, l'étincelle et la présence au cœur de l'oubli. Lovées au creux de l'absence... Et par la fenêtre, la course, toujours incessante, des nuages filant ici et là, au gré des vents qui les font naître et les effacent... formes provisoires d'une matière unique – et changeante – toujours renouvelées par ses cycles...

 

 

Et peut-être n'y a-t-il, au fond, rien de plus que le silence... Un silence absolu – infranchissable – inaccessible – qu'aucun bruit, qu'aucun cri, qu'aucune parole ne peut atteindre – ne peut toucher et avilir. Inabordable. Inentachable... Et dans ce silence, une présence – une lumière – invisible et infinie. Imperceptible elle aussi qu'aucune ombre – et qu'aucune larme – ne peut ternir et abîmer... Comme le sacré ultime présent au cœur du sacré ordinaire – quotidien – que les hommes ont désacralisés – et illusoirement détrônés au profit d’idoles au corps d'images et d'argile – au profit de monstres de papier au visage sans épaisseur et aux lèvres – et au langage – mensongers...

 

 

Des rires aussi bénins que les jours sur lesquels rien ne peut être bâti. Et moins encore arriver le silence...

 

 

L'exil n'est – et ne sera jamais – à la portée du premier venu. On ne peut d'ailleurs y consentir. On y est poussé malgré soi, à l'insu de son désir insensé d'appartenance. L'exil exige beaucoup de l'âme – et un peu des circonstances. La première, il la souhaite sensible, triste et amère. Inconsolable. Et suffisamment faible – et sage – pour se laisser porter par les secondes.

L'exil est la plus sûre porte d'entrée vers la solitude qui est l'anti-chambre de la rencontre avec soi, qui annonce les prémices de la réconciliation et l'émergence des premières trouées dans l'infini...

 

 

D'un autre monde peut-être jaillit la lumière. Et si un jour elle venait à s'enflammer, nous n'aurons été que l'étincelle et le petit bois accumulé dans l'âtre...

La persistance de la flamme, invisible mais brûlante encore malgré la pluie – malgré le froid et les orages – malgré les vents si vifs – restera, quant à elle, toujours un mystère. Une présence peut-être sans cause – et sans origine. Et la clé sans doute du monde et de nos vies qui perdure malgré tous les néants où nous cessons de les jeter...

 

 

Peut-être mourrons-nous avant de voir le jour... et avant de voir s'effacer la peur... et disparaître le rêve et le mensonge... Peut-être même sommes-nous déjà morts... Et peut-être n'avons-nous pas même vécu... Et peut-être ne sommes-nous pas même nés... Mais alors qui parle – et cherche à comprendre... à percer la mystérieuse nuit où nous sommes plongés – à s'extirper de cette énigmatique obscurité qui nous habite et nous entoure... à espérer encore la lumière qui ne vient – et qui s'espère seulement peut-être... Serait-ce donc la lumière, s'étant oubliée – ayant oublié jusqu'à sa présence – jusqu'à son origine – toujours inconnue, sûrement improbable, qui cherche à se rejoindre – à se retrouver au plus haut – au plus clair d'elle-même – yeux et âme grands ouverts...

 

 

Toute promesse n'est qu'un oubli du présent. Et un mensonge sur ce qui n'existera peut-être pas. Et même sur ce qui, au fond, ne pourra jamais exister...

 

 

La lumière – le silence – sont comme des incongruités dans notre vie. Des passagers clandestins que nous trimballons, malgré nous, dans la boue et la poussière des chemins. Des étoiles incrustées dans notre chair alors que nous déambulons, hagards, au cœur du vacarme et de la nuit.

 

 

Prophète du simple et des jours tranquilles où le humble et le naturel s'affichent jusque dans les détails. Où la lumière et le silence président au milieu de l'ordinaire. Où les mains sont aussi proches de l'herbe que des étoiles. Où le cœur est plus secourable que les bouches et les pas téméraires qui ne rêvent que d'or et de puissance. Où le rien est plus honoré que la gloire. Où hier et demain s'abandonnent aux bras de l'instant – à la présence – à notre présence – si simple parmi les arbres et les hommes. Si vivant parmi les vivants de la terre...

 

 

Les lèvres toujours pâles dans le silence. Et l'âme toujours plus blanche – presque transparente – indifférente – inavide des couleurs et des rumeurs qui repeignent le monde. Présente ici parmi tous les visages alors que partout l'ailleurs est préféré...

 

 

Derrière nos fronts mortels se cache l'impénétrable – le non-né que nous cherchons sur tous les horizons... Et qui n'est assoiffé ni de rêves ni d'illusions – ni de gloire ni de puissance. Et qui n'a pour nous d'autre ambition que l'innocence et l'Amour...

 

 

Et pourquoi ne pourrions-nous sourire à la mort qui s'avance – et qui compte les pas et les jours avant de nous voir plonger en elle – et de se voir, elle, plonger en nous... nous encore si pleins de doutes et de peurs et, elle, si sereine devant l'inéluctable... et si soucieuse de notre destin... N'est-ce pas elle qui a essayé de nous familiariser, à chaque instant du jour, à ses infimes passages – et de nous convier, au fil des circonstances, à ses mille paysages...

 

 

Et si le silence, seul, pouvait éveiller la foule silencieuse si gorgée de cet autre silence – si lourd – si chargé de mensonges et de paroles non-dites – empêtré de tant d'épaisseurs – de toute la pesanteur stupide et hébétée des presque vivants...

Il n'y a peut-être – il n'y a sans doute – d'autre espoir pour émerger de tant d'absence...

Les bruits, les discours et tout ce que nous avons bâti – tout ce que nous bâtissons et tout ce que nous bâtirons – ne sont – et ne seront toujours – que le prolongement du même désir...

 

 

Le feu parfois nous délivre des épreuves. Et en crée de nouvelles. Comme l'air, l'eau et la terre... Mais saurons-nous seulement un jour oublier les éléments – les ôter de nos désirs et de notre âme – pour nous satisfaire du plus pur – de ce qu'il reste lorsque tout s'est effacé – lorsque les particules et les assemblages ont été consumés, dispersés dans les vents et les océans et enfouis dans toutes les profondeurs. Serons-nous capables, un jour, de rester là, présents face à tous les désastres – face à tous les désordres – face aux émiettements et à toutes les dispersions, immobiles malgré les désirs, les peurs et les résistances – et toujours impavides, généreux et accueillants à l'égard des reconstructions, des recombinaisons et de l'incessante transformation des appétits...

 

 

Ce goût en nous pour le plus juste. Pour cette intelligence libre des rêves et des tentatives. Pour cette générosité sans exigence. Pour ce que nous n'avons jamais cessé d'être malgré les siècles – et ce que nous n'avons jamais cessé de chercher malgré notre ignorance. Cette présence – cette lumière – au cœur de tout – entourant partout le monde, les êtres et les choses. L'inespéré, le mystère et le sacré. Le sacre du plus infime et de l'infini. Cette joie peut-être d'être enfin nous-mêmes...

 

 

J'aimerais parfois être bercé par un autre ciel. Un autre soleil. Et une autre terre déblayée des songes et des frayeurs. Et de l'espérance d'un ailleurs – et de la possibilité même de l'existence d'un autre ciel, d'un autre soleil et d'une autre terre... Un monde présent à lui-même. Un esprit présent autant au monde qu'à lui-même. Un cœur défait de tout espoir. Une présence implacable et souveraine qu'aucun rêve ne pourrait détruire...

 

 

Les larmes du poète sont le signe de son effroi – et de son espérance – pour le monde. La preuve fragile – mais tangible – que la sensibilité sait se montrer lucide... L'affirmation incontestable qu'une chose en nous est infiniment présente. Et qu'elle cherche la clé de sa délivrance – et aspire à l'offrir lorsqu'elle l'a trouvée...

 

 

Pourrions-nous vivre indéfiniment dans la joie et le silence, une chose en nous résisterait à la mort et au temps qui passe – et ferait fi de leur inexistence...

Une chose en nous pleurera toujours l'émiettement et l'effacement – la disparition et la progressive et permanente absence... Une chose en nous se recroquevillera toujours face à la violence derrière les mains – derrière les mots – pour gommer, à chaque fois que nécessaire, notre désoubli de la souffrance et sa rage folle devant la persistance de l'ignorance, si visible, sur les visages...

 

 

Le poète inconnu des songes et de la sagesse. Anonyme partout sur la terre – dont le visage aujourd'hui borde le ciel et le silence – et que la lumière a empalé un soir de disgrâce... Et qui n'a plus cessé dès lors de crier au monde et aux figures ensevelies sous l'ignorance – et encore si gorgées de haine, de paresse et d'absence – la nécessité de l'essentiel – l'Amour (son amour peut-être...) et sa folle ambition pour les âmes, les vies minuscules et le destin, si fragile, des vivants...

 

 

Goûter le silence peut-être une dernière fois – et y déposer son âme à jamais – pour affronter les siècles infréquentables, les malheurs et la pluie interminable sur les visages ignares et suppliants...

 

 

Rien, bien sûr, n'est parfait ici-bas. Ni le monde, ni la vie, ni les êtres. Mais tout est au mieux de ce qu'il peut être – au vu des conditions dans lesquelles s'actualisent les potentiels...

 

 

Le murmure des anges comme une promesse de silence peut-être...

 

 

Nous cherchons réponse à nos malheurs. Aux cris que nous font pousser la vie et la mort... A ce mystère que nous tenons caché entre l'âme et la chair... Une voie – un passage (même étroit) – vers cette lumière au fond de la nuit promise par tous les sages et les prophètes... Une explication aux mille questionnements de l'homme... Une consolation peut-être pour toutes ces larmes versées...

 

 

Il y a des heures plus heureuses que les passants de cette terre. Et plus sereines, bien sûr, que leurs pas angoissés...

 

 

Le silence ne peut consoler du pire. Mais offrir un éclairage sur tant de malheurs... Dans la lumière se dessineront toujours les prémices de la cessation. Sans elle, l'ignorance ne pourrait abdiquer...

 

 

Ne nous laissons jamais emmailloter par la torpeur – le ronronnement tranquille (et si aisé) des jours. Nous serions à demi vivants – et presque morts déjà. Et nous mourrions avant même les premiers pas de la délivrance... Refusons la paresse et le confort assoupissant. Restons vifs, alertes et aux aguets. Attentifs toujours. Et sensibles plus encore à chaque instant – à chaque nouvelle circonstance – au moindre événement...

 

 

Il n'y a peut-être rien de plus urgent que d'aimer en ce monde où les hommes préfèrent se laisser aller à l'indifférence et à la haine. Ni rien de plus précieux et insensé en cette terre où la vie et la mort ne sont qu'une pelote de sang, de poings et de chairs déchirées...

 

 

Un homme, un silence, une vérité. Et les bouches encore muettes, et les oreilles sourdes et les yeux toujours aveugles à la lumière...

Jamais pourtant nous ne regretterons la parole... D'avoir au moins essayé... Ni pour soi ni pour les autres qui ne formons, bien sûr, qu'un seul espace – qu'un seul regard – à éclairer...

Une parole, un silence et, derrière peut-être, une vérité...

 

 

Et sans doute serons-nous partis avant la fin du jour – avant que les visages ne reçoivent la paix qu'ils réclament depuis des siècles... Et peut-être que tout cela – la vie, le monde, les autres et soi-même – n'auront été qu'un rêve – qu'une folie passagère dans l'éternité – dans la nuit sans fin… Et qu'un espoir fragile dans notre furieuse déraison et cet appétit, si vorace, de lumière...

 

 

Plus tard encore viendra une autre nuit. Aussi longue – et aussi belle – que fut la nôtre... Et dans le jour suivant, peut-être enfin la lumière...

Et nous assisterons alors, pleinement innocents, à toutes les naissances – et à la course, toujours impitoyable, de la mort... Une grâce enfin réconciliée offrant à l'espace – à l'infime espace – caché entre l'âme et la chair, un merveilleux silence – la fin des questions et des appétits – le début, sans doute, d'une ère nouvelle...

 

 

Viendra peut-être après l'impossible conversion du cœur, l'intégration à la présence de toutes nos impossibilités : rêves, résidus de désirs, rebuts d'individualité... Et ce qui restera aura des allures de lumière... Une présence inféodée à aucun souci ni à aucune volonté... L'être dénudé de tout artifice... La joie pure et l'Amour qui s'offre sans effort ni restriction à travers toutes les circonstances...

 

15 décembre 2017

Carnet n°109 Et la parole, aussi, est douce dans le silence

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

A la fenêtre, le jour. Les ombres. Et le temps qui passe... Avec au dedans du regard, cette lumière inchangée...

Le jour se creuse. Et malgré la pluie, le chemin s'éclaire sur les visages endormis – et les âmes encore allongées dans la nuit. La lumière déjà – la lumière toujours – malgré les saisons qui n'en finissent jamais de nous défaire...

Les simples jours de l'homme. Jamais perdus. Jamais effacés malgré la démesure. Malgré la déraison...

 

 

Les simples jours de l'homme. Jamais perdus. Jamais effacés malgré la démesure. Malgré la déraison...

 

 

A la fenêtre, le jour. Les ombres. Et le temps qui passe... Avec au dedans du regard, cette lumière inchangée...

 

 

Le jour se creuse. Et malgré la pluie, le chemin s'éclaire sur les visages endormis – et les âmes encore allongées dans la nuit. La lumière déjà – la lumière toujours – malgré les saisons qui n'en finissent jamais de nous défaire...

 

 

Une attente encore. Un goût d'inachevé dans la bouche... Et le cri des lèvres muettes, inaudible bien sûr – qui attendent la lumière... Et l'espèrent, sans doute, plus encore... La devinant présente – toujours présente – à son odeur tenace malgré le gris des jours – et la persistance du noir...

 

 

Et sur l'horizon, le parcours du soleil. Et cette lumière encore au fond des yeux que nous n'avons su voir...

 

 

Être toujours. Encore plus simple qu'autrefois. Encore plus humble que l'herbe – le jour – et la vie défaite par l'inévitable. Et plus sagace que l’œil qui s'étire – et qui s'en va sur l'horizon mille fois parcouru...

 

 

L'absence de signe et la solitude sont la marque évidente – certaine – de la victoire du silence. La suprématie de la lumière sur le besoin – notre si maladif besoin – de côtoyer les silhouettes grises – noires parfois – de la terre. Et d'entendre leur voix frêle réclamer notre présence...

 

 

On n'échappe à l'éphémère. Mais en s'y jetant tout entier, éclot l'éternel. Et les eaux grises – ternes – s'illuminent. Et nos joues s'empourprent de honte. Si nous avions su... la solitude – et le silence – nous y auraient, sans doute, menés plus tôt...

 

 

L'inhabitable tient (tout entier) dans notre absence. Et c'est lui – et lui seul – qui rend le monde invivable. Et les hommes si peu fréquentables... Nous sommes les seuls responsables. Les autres – tous les autres – sont innocents...

 

 

Au bout de soi encore, l'ombre et la lumière. Leur affrontement farouche. Leur incessant combat. Leur résistance à la présence de l'autre... Et notre main – et nos lèvres – éventrées – déchirées toujours. Et plus haut, et plus loin encore, le regard – le soleil – qui réunit, panse et rafistole les plaies, les déchirures et les âmes soumises à l'éternel entre-deux...

 

 

Le silence – la beauté – partout chavirés par les siècles et la faim indigne des hommes qui déforme leur bouche en abîme – et où viennent se perdre toutes les volontés – et toutes les résistances à l'abomination...

 

 

Dire serait-il donc aussi vain que se taire ? Pourquoi alors ne pas succomber au silence...

 

 

D'une lucarne, un grand ciel apparaît... Et d'une bouche, assise dans le silence, toutes les vérités...

 

 

Ah ! Cette beauté – cette incroyable beauté – qui, à chaque instant, s'offre à l'innocence. A cette présence vierge – et libre du temps et de la mémoire. Et la joie insensée qu'elle fait naître malgré la rudesse – la dureté – des mains et des angles – malgré la fierté si vive sur le visage des hommes...

Se laisser ainsi bercer fidèlement – librement – sans crainte ni résistance – par les vents du jour – des années – des siècles. Libres – libérés – des courants et des flots. Laissant le destin – et les destins entremêlés – décider des lieux, des rencontres et des noms – des élans fragiles et incertains du corps et de l'esprit – des heurts et des effacements – qui les conduiront inéluctablement, à pas lents, au cours de leur fugace traversée du monde, vers l'anéantissement – le jour inespéré du départ – et le grand silence réparateur...

 

 

La lumière en soi, plus flamboyante que le jour. Comme l'écho d'un soleil plus grand encore...

 

 

La marche lente des ombres traversées par le silence – et la fulgurance de la lumière – pour éclairer l'apparence – et le plus obscur du dedans. Et les révéler au plein jour...

 

 

Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'être humain ? demandent le penseur et le philosophe. Comment faire éclater cette lumière silencieuse que presque tous ignorent ? demandent le poète et le sage.

Et les hommes, ignares – insensibles à toute requête – iront encore sans tête – et sans cœur – porter des coups et ensevelir leurs morts. Boire le vin nouveau et s'enivrer de songes et d'étoiles. Faire fructifier le fruit de leur labeur et de leurs aînés. Perpétuer la tradition des rêves et des ancêtres. Recouvrir le ciel – la promesse de lumière – de leurs chimères... Tapis encore si misérablement dans leur imbécillité animale...

 

 

Vivre sans pareil. Inégaux jusqu'au fond de l'âme. Entre songe et lumière. Entre espoir et terreur. Au plus près de l'herbe et de la roche. Têtes ensevelies déjà...

 

 

Comment pourrions-nous être, vivre – et survivre même – à tant d'absence...

Des sacs gorgés de denrées et de victuailles pour les festins – les agapes à venir. De l'or sous les matelas. Des espoirs plein les poches. Des filiations possibles. De l'envie. Des désirs. De l'ambition. Des rêves de fortune et de prospérité sans doute... Des armes et des stratégies à foison...

Et pas un seul espace de silence – pas un seul espace de lumière – pour s'interroger – faire face au mystère – découvrir le destin de l'homme et de la matière... Et infléchir l'avenir, sombre sans doute, de la terre et de son peuple. La connaissance – et la vérité – ignorées. Piétinées à chaque foulée. Enfouies sous la crasse, les instincts, la bêtise et la colère...

Que faudrait-il donc faire pour effacer tant d'absence – et la convertir en regard – en yeux clairs ? Aller sans doute au bout des songes. Jusqu'au fond de chaque rêve. Pour découvrir le noir, et en son cœur, cette présence – cette lumière qui brille encore...

 

 

Le dilemme, comme toujours, est en l'homme. En l'esprit obscur. Opaque et indécis. Partagé. Coupé de sa plénitude. Arraché au réel – et au panorama complet de l'existence et de l'Existant – du magma énergétique. Et dans le cœur fissuré. Lézardé et hésitant. Inconscient de sa nature, de son territoire – et de ce qu'il abrite derrière la peur, les désirs, les ambitions personnelles et la vengeance...

 

 

Soigner la carence – l'incomplétude – consiste à se défaire, à se dessaisir et à s'ouvrir. A devenir plein – entier – vide et libéré de soi pour retrouver – et revêtir enfin – son vrai visage. Présence, infini et silence – lumière aux mains d'or parmi les ombres – et la suie de la terre...

 

 

Ecrire serait-ce s'accompagner jusqu'au plus proche de la lumière... Serait-ce inviter le grand silence à la table des heures pour respirer l'infini et conduire chacune de nos foulées là où ne règne que l'éternité...

Ecrire serait-ce se faire la main humble, modeste, minuscule de Dieu. Une petite voix, vive et insistante, dans le cœur taiseux – et taciturne – et le brouhaha. Dans l'absence et la cacophonie infernales de ce monde...

 

 

Se détourner de soi ? Comment pourrions-nous refuser notre visage – et échapper à celui de Dieu (dé)posé sur nos épaules vacantes – et notre tête abandonnée...

 

 

On rêve de jour – et de lumière encore – encerclés par la nuit interminable. Eventrés – et désossés – nous rêverions encore... Voués pour toujours peut-être à l'impossibilité et aux recommencements...

 

 

Point de halte. Et point de souffrance. Une lumière toujours vive – et toujours joyeuse – écrite – inscrite sans doute – sur la peau même du malheur. Dans l'obscur des heures douloureuses. Et des jours discontinus – et sans fin. Un havre dégagé des rêves et des folles ambitions du temps...

 

 

Une fois. Rien qu'une fois. Mourir – et laisser les heures effacer les ombres et le devenir pour rejoindre le silence. Le grand silence qui nous attend...

 

 

Cœur minéral devenu vivant. Chair sensible aux fantômes, aux murmures des foules et aux rumeurs du monde. Tremblant face aux menaces, aux tressaillements des silhouettes et aux lames dissimulées derrière les visages. Assoiffé de lumière pourtant mais noyé – submergé – dans les larmes et le sang... Incomplet encore... Et si naïf toujours devant le roc et les pierres – devant tous les rocs et toutes les pierres de la terre...

 

 

Quelques instants pour vivre. Et pour comprendre... Mille fois peut-être recommencés. Approfondis et affinés sans doute... pour vivre, un jour – un instant – l'éternel de l'Amour. Et pouvoir aimer sans fin...

 

 

La faim des siècles sera peut-être – sera sans doute – interminable tant que nous n'aurons assisté au complet désastre – à la débâcle définitive – du monde, agrippé par les cœurs – et les mains – si avides. Tant que nous n'aurons compris l'absurde vanité de nos pas. Tant que la lumière n'aura été vue, indemne toujours, de la folie... et goûtés son feu et son silence. Et que sa sagesse n'aura fleuri sur nos visages hébétés – aujourd'hui encore si affamés et grimaçants...

 

 

La pluie drue sur les paysages. Et par la fenêtre s'envolent les oiseaux – et le visage de Dieu rayonnant. Dansant dans les gouttes et la lumière sombre de la fin du jour. Insoucieux de la couleur du ciel. Présents – et infiniment joyeux toujours – parmi le soleil et les orages...

Et le courage, magnifique, des bêtes sous l'averse. Le corps trempé et battu par le vent. Mais l'âme si innocente s'abandonnant au déluge. Accueillant tous les désastres du monde et du temps...

 

 

Il n'y a aucune raison de s'éreinter au travail de la lumière. C'est à elle d’œuvrer sur notre âme – et de la débarrasser de ses superflus pour qu'elles sache s'en faire le miroir – et le reflet...

 

 

A la fenêtre des jours, l'âme condamnée à l'attente. A la pluie, au soleil et au temps qui passe... Plus juste serait de rejoindre l'infime lucarne de l'instant où tout – et jusqu'au devenir – s'efface...

 

 

Et le silence encore sur nos lèvres muettes et dans nos yeux ahuris par tant de présence – par tant de beauté – par cette lumière qui avance – et creuse en nous son puits mystérieux et infréquenté – pour que s'écoule la source entre nos rives d'ignorance...

 

 

A l'ombre du temps fleurissent les plus beaux jours. Et les plus belles rencontres...

 

 

Les schémas mentaux et de routine éloignent toujours de l'essentiel. Et les résidus d'orgueil, d'ambitions et de fatuité écartent toujours du plus simple.

Et cette odieuse façon de refuser – et d'évincer – la réalité de notre mort et la finitude du monde (de notre monde)... et cette manière maladive – presque indéracinable – de s'agripper à notre individualité et de résister à l'incertitude – à l'inconnu et à la nudité (perceptive) sans repère aggravent plus encore notre séparation avec le plus simple et le plus essentiel...

Quand donc pourrons-nous réellement devenir innocents ? Et quand l'être nu pourra-t-il être pleinement habité ?

 

 

Une voix. Un bâton. Et le silence pour guider dans la nuit. Sortir des forêts sombres. Et rejoindre à l'orée de tous les songes, la lumière. Les délices de la transparence et la nudité.

Vivre l'espace sans même l'espoir d'une revivance. Vivre le jour, les pieds déjà posés dans la nuit prochaine. Vivre encore un peu parmi les fleurs – parmi les siens et tous ces visages encore inconnus. Vivre sans que n'advienne jamais demain. Se perdre encore un peu. S'abandonner définitivement avant l'heure du grand départ. Et être – et survivre peut-être à l'abandon...

Et embrasser le corps, la dépouille et le squelette à venir. La peur de disparaître. Et l’absence criante de tout – de tous – et de nos propres enlacements... Se résoudre à la survivance de la peur et de nos résistances, à l'espoir même de l'Amour et à la présence affreuse – et jubilatoire – de l'inconnu...

Oublier le gain et la perte – et la possibilité même du souvenir. Se réduire au souffle qui reste. Et au visage sans nom. A la bouche muette. Aux lèvres silencieuses et pardonnées. Au regard encore clair malgré les danses – si vives – sur l'horizon. A la présence – à la seule présence – en nous si mystérieuse. Être encore un peu – et peut-être pour toujours...

 

 

Heurter l'impossible le jour du naufrage... Et pourtant, les vents continueront de souffler. Et les tempêtes de lézarder les eaux. Et les navires, les barques et les silhouettes de rejoindre les rivages. Seul toujours au milieu de l'océan...

 

 

Notre défaut d'innocence et d'humilité renaît de toutes les furies – et de tous les coups de grâce portés à son socle – et à son mât de cocagne fièrement planté sur l'horizon à la vue de tous les passants... Et nous oblige au mensonge... à la déraison... à l'odieuse exposition d'un visage insuffisamment nu pour accueillir – et mériter – les balafres merveilleusement salvifiques de la vérité...

 

 

Abandonner. S'abandonner pour s'approcher au plus près – au plus proche – de la nudité. De l'être nu. Et voir – et accueillir – enfin la lumière et la vérité. Les vivre – et peut-être même les refléter... Devenir enfin rien – tout – ce que nous n'avons jamais cessé d'être malgré nos refus et notre ignorance...

 

 

Chanter la vie, la mort et la joie – chanter la lumière et le silence – n'est rien. Entends-tu, poète ? Vis-les d'abord passionnément. Intensément. Sens-les. Eprouve-les jusqu'aux tréfonds de ta moelle. Jusqu'à en perdre raison. Jusqu'au bout de tous les silences... Alors naîtront peut-être tes plus beaux – et tes plus justes – chants que tu porteras ni pour la gloire ni pour la fortune mais pour honorer et célébrer en soi – et autour de soi – le cœur le plus vivant...

 

 

Sur le visage de l'Autre, un dessin que nous ne savons voir. Les traits de la lumière que nous ignorons... Et sur notre figure, la même esquisse : l'ébauche de la même perfection...

 

 

Embrasse la terre. Le plus humble visage des chemins. Regarde par dessus ton épaule l'horizon – et l'illusion – arriver. Et se défaire dans tes yeux clairs. Et l'innocence – et la vérité – se coller à tes paupières et à tes pas neufs toujours aussi dédaigneux des chimères...

 

 

Combien de jours – combien de siècles – réclameras-tu pour retrouver – et rejoindre – la lumière ? As-tu oublié sa présence, accessible toujours à chaque instant ? Qu'attends-tu pour regagner les terres de l'innocence où le soleil brille sur toutes les ombres – et où les yeux et les noms s'effacent sur tous les visages... Crois-tu réellement pouvoir vivre – et goûter – l'éternité et l'infini autrement...

 

 

Un homme qui s'interroge, qui explore et découvre (un peu)... Voilà sans doute seulement ce que j'aurai été... Un visage un peu solitaire – à l'écart des foules et du tumulte – livrant son modeste témoignage sur le peu que lui ont appris le monde, la vie, l'être – l'esprit, le cœur et la vérité...

 

 

Ecrire inlassablement. Comme si quelque chose cherchait (encore) à éclore... Une présence – une lumière – une liberté peut-être parmi tant de signes obscurs, d'absence et d'embarras...

 

 

De toutes les mains qui pèsent sur le tombeau, choisis la plus sage. Celle qui s'appuie sur le socle – notre socle – par nécessité. Et non pour satisfaire aux exigences des foules.... Celle-là seulement saura te montrer le ciel – et guider tes pas vers ta propre résurrection...

 

 

L'aube trop précoce porte en elle les relents de la nuit. Une lumière amoindrie, voilée de restes d'obscurité... Et elle offrira au jour, indéfiniment peut-être, des pelletées de nuits prochaines avant de voir éclore l'aurore véritable – et la fin, assurée, de tous les crépuscules....

 

 

Un pont. Un chant en guise de passage. Le silence de l'oiseau querelleur. Et au loin, là-bas, sur l'horizon, la lumière inaccessible encore...

Des pas qui défont le silence. Au lieu d'y inviter. Et d'aider l'âme et la main à s'en approcher...

 

 

Un souffle. Un silence. Quelques pas dans la neige. L'empreinte passagère de l'homme effacée par les jours et les Dieux moqueurs...

 

 

Le goût de l'Autre, encore amer, dans la bouche. Et le suintement de toutes les espérances. Et l'abjecte haleine des circonstances. Et plus loin – et plus haut – encore le parfum du silence... Et la beauté de la lumière dans la nuit environnante...

 

 

Et dans la plus profonde des nuits, nous attend aussi, quelque part, une fenêtre éclairée... Un visage. Un sourire. Une présence déjà amoureuse de nos lèvres et de nos gestes. Et qui ne rêve que d'horizon franchi pour coller à nos pas le plus merveilleux – et l'inespéré même – bien avant que ne soit atteint le seuil, si lointain, du silence...

 

 

La barbe – la longue barbe blanche – des vieillards n'est jamais une preuve de sagesse. Sur le visage, il faut voir un œil familier du regard. Et sur les lèvres, un cœur perceptible. Et si l'un et l'autre se montrent humbles et innocents – et incroyablement discrets – la sagesse alors peut s'y trouver...

 

 

Rien jamais n'avilira le silence. Pas même le vacarme des siècles...

 

 

Malgré tous les visages à nos côtés, la solitude toujours sera présente. Et victorieuse de tous nos liens. Elle nous enfoncera peu à peu en son cœur pour effacer nos heures d'attente fébrile suspendues aux lèvres muettes – aux mains inertes – aux âmes absentes. Et aux yeux déjà posés ailleurs. Et à l'espoir qui nous entoure – et qui nous condamne à l'enfermement en cadenassant la seule voie possible de la délivrance...

 

 

Tout nous sépare. Les rives, les rêves, les visages et les lèvres portées par des ambitions inconnues. Le temps, la mort, la terre et l'espoir. Tout nous sépare toujours jusqu'à ce que nous nous retrouvions ensemble, unis, partout dans le silence...

 

 

La présence d'autrefois – si pleine – si joyeuse et silencieuse – aujourd'hui presque effacée par la lassitude et le bruit. Par l'inattention de l'âme – sa contraction incompréhensible sur elle-même – et les élans du cœur porté à la fuite en avant. Par le visage étroit et imbécile. Et le retour inéluctable des sursauts de l'individualité...

Le réveil des songes, de l'après et de l'espérance est la marque d'une absence, passagère peut-être – et d'un silence et d'une innocence inhabités. De leur non intégration encore aux abîmes – aux fenêtres et aux délices – de l'instant. L'évidence de la fragilité de la présence, jamais définitive, et de la parfaite nudité de l'âme, du cœur et du regard – toujours préoccupés ou encombrés par quelques élans et quelques aspects du monde et de la chair...

 

 

La marche forcenée – et inéluctable – des jours, du monde et des choses dont les pas – inlassablement – piétinent les corps, les âmes et les destins...

 

 

Un souffle. Un soupir. Quelques pas. Et l'effroi de l'âme et des visages. Et quelques pas plus loin. Un silence. La joie et l'espoir de la lumière. Et la marche encore... La foulée rieuse – et espiègle – avant la rencontre irrévocable avec l'abîme aspirant le néant en son centre. Les faux sourires. Et la gaieté apparente. Et quelques pas encore, plus nets – et plus légers – vers le plus simple et le plus nu qui nous habite – qui nous a toujours habité... Puis, la joie rayonnante – plus vraie – plus pure – dans le grand silence des lèvres et de l'âme. Quelques larmes en guise d'offrande – de remerciement... Et l'éternité enfin peut-être...

 

 

L'éternité – toujours plus vieille que nos rides – que nos âges même ancestraux – et que nos siècles d'insolence – nous attendra encore au cours des mille prochains millénaires lorsque notre jeunesse aura fané – et que notre âme, enfin mûre, sera prête à embrasser le silence... et qu'il sera temps enfin d'offrir la lumière – et ses secrets – à la foule – à tous les peuples de la terre...

 

 

L'homme s'accroît, augmente, additionne les surplus. Et se réjouit de ses fausses routes. Oublie d'enlever, de ôter, de soustraire. De limer la graisse qui l'encombre... De râper jusqu'à l'os ses ambitions pour que rayonne ce qui reste – le plus simple – l'inamovible et l’irremplaçable : l'être dans sa nudité la plus éclatante.

 

 

La sagesse n'est que la peau retournée de l'homme. Le monde vu du dedans. L'âme blanche et silencieuse marchant sur la crête des âges entre le vide et le temps. Le recours systématique à la lumière. Et le silence enfin rayonnant...

 

 

Voix muette – et analphabète parfois. Et pas complice de l'indigne cruauté. Tous deux, à la botte de la loi...

L'ignorance et l'infamie, sœurs jumelles qui offrent au monde – et aux bouches affamées – leur rictus de colère et d'effroi – leur pain et leur cargaison de chair, encore sanguinolente, qu'aucun silence n'apaisera...

 

 

Au bord de l'oubli, un soupir que l'on avait négligé. Encore fébrile et affamé de silence que la lumière restitue au temps. Et au monde peut-être réconcilié...

 

 

L'étoffe des songes, impénétrable – imperméable aux cris qu'ils initient. Et au silence qu'ils ambitionnent en lançant leurs pas – et leurs bruits – dans la misérable chambre du monde, pièce infime et ridicule aux volets clos... Drame minuscule joué en intérieur avec ses poupées de cire aux bouches articulées mais au langage incompréhensible...

 

 

Monde de chair et de visages où les âmes, toutes froissées, végètent – s'abritent peut-être des violences sous les plis de la peau. Et dans les recoins, profonds et inaccessibles, du cœur. Où la lumière, interdite, n'est dessinée que par les intentions, encore obscures sans doute, des hommes et par le goût, presque inné, des poètes pour le silence et la beauté...

 

 

Un souffle. Une parole. Un mot lancé à la foule anonyme. Aveugle peut-être... Sourde en tout cas. Qui n'écoutera – ni ne recevra – le langage aussi infime et puissant que les montagnes. Aussi vif que l'eau claire qui se jette dans les rivières. Aussi vaste sans doute que l'océan. Et peut-être aussi ignoré que le ciel dont il chante les louanges...

 

 

Face au temps paradé qui s'étale comme la foule aux yeux sombres dans les rues des capitales – et sur les écrans – tous les écrans – sales d'une lumière mensongère et horizontale où la beauté cherche partout ses devantures – et ses étoiles – pour se nourrir de mains levées, pouce à la verticale, et d'applaudissements, le poète n'a à offrir que son silence... et les petits tintements des mots pour résonner dans l'âme... Un peu de misère, noble certes (mais misère tout de même), face aux marées submergeantes de l'indigence et la pauvre folie des hommes...

 

 

A mi-chemin peut-être, s'arrêter. Et lancer son silence aux étoiles pour revenir, plus défait encore – plus silencieux sans doute – devant le visage du monde...

 

 

L'aube au doux visage apparaît déjà à travers les étoiles et la longue nuit qui s'étire – et s'étend de tout son long sur nos âmes...

 

 

Faire face et s'abandonner. Attitudes incontournables. Et voie magistrale de l'apprentissage... Professeurs admirables – et maîtres incontestés – pour apprendre à vivre la condition terrestre et devenir un homme. Pour se familiariser avec notre dimension divine qui n'aspire qu'à être et à aimer...

 

 

La honte et l'ignominie peintes en rouge – et en lettres capitales – partout sur les chemins et les visages. Sur les devantures et la porte des âmes. Tatouées peut-être sur les bras – et les fronts orgueilleux et querelleurs pour rappeler aux hommes la fragilité du monde – et celle du cœur, fait lui aussi, de chair et de sang... et sa grande aspiration peut-être à se laisser mener par les vents vers son fol espace d'oxygénation : le grand Amour – et sa tendresse sur les âmes inconsolables – et sur les corps martyrisés et, peut-être, inguérissables...

 

 

Faudrait-il attendre le déferlement des cloches – leur furie sourde éclatant aux oreilles, la fin de la nuit et le réveil des âmes moribondes et assoupies – maltraitées peut-être depuis la nuit des temps – pour s'émerveiller du présent, encore intact, et se réjouir des promesses – même fumeuses – d'une aube plus lumineuse...

 

 

La vie toujours merveilleuse dans notre immobilité...

 

 

Pourquoi condamnerait-on le monde ? Pourquoi lui reprocherait-on son incapacité et son impuissance ? Serait-il donc le seul initiateur de l'espérance – et de la promesse de parvenir, un jour, à pousser les portes de l'horizon ? N'existerait-il pas un souffle sournois qui se serait glissé dans ses rêves – et dans ses pas – bien avant même sa naissance ? Qui serait donc le coupable originel ? Le saurons-nous un jour ? Et si le monde n'était responsable que d'une atroce – et inévitable – complicité ? Ne serait-il pas alors préférable, en attendant une impossible réponse, d'accueillir le monde dans ses bras – et de sourire ensemble devant la mort qui s'approche...

 

 

Le cœur nomade toujours, cherche, avec les yeux, l'étoile parmi les jours – parmi les nuits – et sur chaque visage malgré la pluie qui frappe aux fenêtres des âmes sédentaires... A pas gris, à pas joyeux – et le front déjà plissé sous la lumière – cherchant partout le soleil parmi les charrettes grises des hommes remplies d'or, de tristesse et de victuailles – inaccessible encore...

 

 

Et s'il n'y avait, en définitive, rien à chercher... Ni même rien à comprendre. Mais à poser simplement les yeux là – et le cœur par dessus – pour regarder – et aimer – ce qui vient – et arrive à tous...

 

 

Le malheur tient sans doute moins à nos excès et à nos dérives qu'aux clameurs des profondeurs et des horizons qui poussent nos pas sur les chemins – vers leur destin – et à notre main qui, en voulant caresser la lune, ne saisit que du sable – et d'autres songes encore qui la mèneront un peu plus loin...

 

 

Encore un peu d'azur – et de vaines promesses – pour l'âme confinée à l'obscur...

 

 

Poésie, philosophie et spiritualité. A égale distance entre la nuit et les premières lumières du jour...

Et le cœur toujours bohémien, indigent presque, malgré la lourdeur des feuillets. Et leur richesse encore obscure – encore invisible peut-être... qui confine le pas au nomadisme des couleurs – et l'âme à la beauté changeante du ciel et à la noirceur, encore si brûlante, de la terre...

 

 

Quel autre avenir que la mort... Et quel autre espoir que l'éternité... Voilà, sûrement, à quoi en sont réduits les vivants... Et à ceux qui seraient tentés d'oublier – de fuir ou de refuser – cette réalité, rappelons que nous serons tous contraints, un jour, d'y faire face – et de nous y abandonner...

 

 

L'endroit où nous vivons a des allures (permanentes) de chantier... Les choses sont entassées là à la diable. Prêtes à l'usage ou au départ... Comme si nous allions partir – reprendre la route ou mourir – le lendemain... Tels des passants perpétuels – des éternels passagers provisoires que le voyage fugace – ses départs, ses pas, ses retours et ses attentes parfois – n'effraient plus...

Quelques foulées seulement... Voilà à peu près tout ce que nous aurons réalisé en cette vie... Voilà peut-être, en définitive, ce qu'aura été l'essentiel de notre existence...

 

 

Ici même commence l'aventure – la fin des songes déraisonnables – la vraie vie que nous avions tant espérée... Et qui sera là encore, disponible – accessible – demain. Et dans mille ans – et jusqu'à la fin des siècles. Toujours secourable...

 

 

Si douce dans la nuit, la lumière présente déjà sur les visages...

 

 

Une parole libre. Certes un peu tremblante... Maladroite parfois. Trop souvent peut-être... Occupée encore à chercher partout la lumière sur la terre et parmi les siècles où les peines ne côtoient que la noirceur. Trop affairée sans doute à déblayer ces scories – les siennes et celles du monde – pour briller dans les yeux des hommes. Et pour paraître même sur les étagères des librairies...

Une parole libre offerte à travers une étroite – et imperceptible – fenêtre – l'infime lucarne des dépossédés de raison et d'ambitions qui ont, pourtant, tant à dire – et qui le disent avec cette fougue – ce feu – dans l'urgence de ceux qui se savent condamnés...

 

 

Là où commence la frontière, s'achève la joie. Se lézarde la lumière. Et meurt le silence... Les visages alors accourent, se battent et défendent leurs parcelles – indûment acquises. Et la fureur – et la misère – renaissent comme au premier jour du monde... Tristes, obscures, bruyantes, malheureuses...

 

 

Ah ! Tous ces textes plus furieux – et plus incandescents – que la lave et la boue brûlantes – et si vives – des volcans – ces entrailles du monde bouillonnantes, qui jaillissent des sous-sols pour épouvanter – et noircir – le monde d'abord avant d'accueillir les plus fertiles forêts – et les plus beaux paysages – des lieux si propices à l'homme et à la vie. Une sorte de paradis né des enfers souterrains bien antérieurs à tous les malheurs de la terre...

 

 

Il faut à l'homme des rêves et des icônes pour vivre – et survivre au réel. Sans eux, l'humanité espérerait moins – et agoniserait davantage. Clouée aux quatre coins de la toile posée sur la petite table du monde...

 

 

Qu'elles se montrent lourdes – et insistantes – ces fêtes présomptueuses du printemps*. La célébration du renouveau – de l'éternel retour plus exactement – par de vieilles têtes désabusées à la chevelure grise (ou même blanche très souvent) dont la jeunesse s'étire depuis des années – depuis des siècles peut-être – et qui n'honorent plus rien ni personne (excepté eux-mêmes, bien sûr) de leurs gestes et de leurs paroles fatigués...

* et parmi elles, celle du printemps des poètes...

 

 

Je vous écris du jour qui sommeille parmi toutes les nuits. Je vous écris du soleil qui ne fréquente ni la terre, ni les yeux ni le cœur des hommes. Je vous écris de ce pays inconnu dont ne rêvent que les illettrés. Et je vous souhaite toute la sagesse du monde depuis les rives que nul n'aperçoit – pas même en songe – et qui hantent pourtant tous vos souvenirs, oubliés sans doute aujourd'hui... Je vous aime – et vous salue – moi, le non apôtre de la charité – le chantre de l'Amour perdu qui, un jour peut-être, sera retrouvé... Et nous demande de prier ensemble, mes frères, pour qu'il le soit – et qu'il vous saisisse – et vous ravisse – là où vous habitez... Et espérons, ensemble aussi, qu'un jour, un enfant si neuf – si innocent – vous prenne la main pour vous montrer la lune, le ciel et le chemin de la sereine – et secrète – ivresse...

 

 

Qu'aucun jour ne soit effacé pour qu'apparaisse l'éternité...

 

 

On n'en finit jamais d' apprendre le provisoire et l'éternel. La roue sans fin dans l'immobilité...

 

 

Et cette errance perpétuelle des esprits et des corps qui arpentent inlassablement l'espace – le monde. En quête de paix...

Tant de foulées pour découvrir cette joyeuse – et sereine – tranquillité sur les visages et les chemins. Et que nous voudrions voir collée au fond de notre âme – pour que jamais elle ne se défasse ou nous soit retirée...

 

 

Il suffirait peut-être de regarder les hommes – et le monde – avec les mêmes yeux que ceux avec lesquels l'âme s'attendrit en voyant les petits des êtres de ce monde*...

* Nouveaux-nés, bébés animaux, enfants...

 

 

Un besoin, un appel, un désir, un sursaut. N'importe quoi pourvu que cela arrive... crie l'homme dans son ancestrale inaptitude au silence et à l'immobilité...

 

 

Jamais les mots ne pourront dire la vie. Peut-être la célébrer... Peut-être inviter la joie dans le vécu... Mais la comprendre sûrement jamais...

 

 

Qui est là lorsque nous y sommes à peine... Comme une présence – un léger tressaillement – sur les visages. Un sourire parmi tant d'absence...

 

 

Et dans le tumulte des eaux sauvages, une paix aussi nous attend...

 

 

Aucun doute que la parole, un jour, se tarira. Effacée sur les lèvres. Et effacée sur la page. Affranchie d'un destin bruyant de moins en moins nécessaire. Et déjà asservie au silence – et au cœur extatique dont la joie jamais ne se nourrit de langage...

 

 

Dans ces heures nocturnes, plus noires que l'encre, un silence – une lumière – nous attendent aussi... Fragiles sans doute. Et rendus plus vulnérables encore par notre bavardage. Et l'agitation des lèvres et de la main sur la page. Mais présents – indéniablement présents...

 

 

De chair et de sang. Voilà de quoi est fait l'homme jusqu'à présent...

Matière composée de sang, de chair et d'instincts. Et de chair et d'âme, je l'espère bientôt... De chair, d'âme et de lumière juste avant de voir le silence tout envahir...

 

 

A la boutique du temps, les vitrines sont bien garnies. Et la réclame édifie le souvenir en monument. Quant aux projets et aux promesses, ils y tiennent, bien sûr, bonne place. Et l'on voit les hommes – tous les hommes – se précipiter à la devanture. Patienter inlassablement dans l'interminable file d'attente en attendant leur concession au cimetière, égrenant les heures – et égrenant les jours – presque trop pressés de manquer le rendez-vous...

 

 

Là où bat notre désir, jaillissent aussi la joie et le silence. Et les mille chants de l'âme réconciliée...

 

 

Quel homme n'a-t-il jamais crié du fond de son silence – du fond de sa solitude ? Et qui a déjà entendu le cri d'un autre ? Et accueilli sa voix frêle ? Pourquoi est-ce donc toujours le silence qui nous écoute, nous ouvre les bras et reçoit ce qui a besoin d'être reçu – plaintes, colères, incompréhension, désespoir, amertume peut-être... ? N'aurions-nous pas encore compris que le silence – et les bruits mêmes de nos lèvres – paroles, grognements, gémissements, hurlements d'effroi... – toujours nous invitent au seul lieu possible de l'écoute ? Quand saurons-nous donc enfin habiter l'espace de tous les accueils... ?

 

 

La parole, cet autre versant du silence qu'il faudra gravir non par le sommet mais par le plus bas de l'entendement... jusqu'à ce que se tarisse le langage – et que l'oreille se dilate à tous les horizons, à la braise des bouches comme à la furie des lèvres jusqu'à l'extinction – jusqu'à l'absorption de tous les bruits et de tous les sons...

 

 

Un puits. Une saison. Un amour. Et l'espérance, encore vivace – presque avide – de la lumière qui nous cueillera, un jour, au bout de tous les silences. Alors le jour deviendra clair. Et au fond du puits, durant toute la saison, l'amour se convertira en soleil – et en visages millénaires – impérissables pour que le monde soit éternellement aimé...

 

 

Et la parole, aussi, est douce dans le silence...

 

15 décembre 2017

Carnet n°108 Sur la terre, le soleil déjà

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Comme la vie qui va – qui vient – et la mort qui nous enlace...

Et rien jamais ne dira plus le désarroi que le silence. Et la beauté – et la joie d'être (au monde) aussi...

Comme un livre ouvert, immense, sur l'infini... Comme une page sans fin où s'écrit notre histoire – toute notre histoire. Avec ses songes et ses gribouillis – et ses ratures si belles – qui font de nous des hommes...

Et rien, jamais, ne pourra naître après la pluie... sinon peut-être le chant des jours – et les murmures du soleil à nos oreilles attendries – encore si impatientes de la lumière – et le silence sur nos lèvres...

 

 

L'enfant, là-bas, assis sous l'étoile, a-t-il encore ton visage... Ou la vie l'a-t-elle déjà transformé en figure d'os et de mort...

 

 

Comme un jour accompli par le grand Amour...

 

 

Et sur ses lèvres tristes s'effondra l'ombre des mots. Et la parole alors put naître. Et avec elle, le grand silence...

 

 

Les cloches sonnent, assourdissantes, dans les têtes. Les assomment de leurs bruits – et de leur écho sans fin – alimentés par les résonances. Et les étourdissent jusqu'au silence... Et, là-bas, plus loin, au fond des peurs, caché derrière l'amoncellement, le cœur abandonné. Livré en pâture aux injonctions et aux paroles indigentes du monde...

 

 

Un livre que l'on ouvre – une parole que l'on boit – comme une lumière qui déchire la nuit...

 

 

Après l'hiver viendra la nuit. Puis une autre nuit encore... Interminable peut-être... Et les déserts s'empliront d'un plein silence à la fin des temps...

 

 

Comme la vie qui va – qui vient – et la mort qui nous enlace...

 

 

Et rien jamais ne dira plus le désarroi que le silence. Et la beauté – et la joie d'être (au monde) aussi...

Comme un livre ouvert, immense, sur l'infini... Comme une page sans fin où s'écrit notre histoire – toute notre histoire. Avec ses songes et ses gribouillis – et ses ratures si belles – qui font de nous des hommes...

 

 

Et rien, jamais, ne pourra naître après la pluie... sinon peut-être le chant des jours – et les murmures du soleil à nos oreilles attendries – encore si impatientes de la lumière – et le silence sur nos lèvres...

 

 

Et si le silence pouvait accueillir la parole si frêle des ombres errantes, le soleil sur nos pages serait-il condamné à l'exil ? Ou brillerait-il plus fort sur nos lèvres – et verrait-on sa lumière resplendir, plus vive, entre nos lignes ?

 

 

La pluie révèle l'âme de la forêt – autant peut-être que l'âme du monde – comme les larmes – et les rires – révèlent le plus vrai d'un visage... Elle nous dévoile le soleil caché – ignoré sans doute – qu'ils portent, l'un et l'autre, dans leurs plis, si savamment enroulés sur eux-mêmes, trop timides – trop effarouchés peut-être – pour s'exposer à la lumière du jour...

 

 

Une lumière sombre parfois m'enlace – et m'enserre – comme si elle jaillissait du plus profond, noir, obscur, abyssal... Née peut-être de la nuit première – originelle. Comme une ombre dans la clarté, elle s'étend – se répand – sur mes jours et mes pages malgré la lueur intacte du regard dans l'âme et sur le visage...

 

 

Les vivants piliers du langage anéantis par la parole (poétique) et le silence. Arrachés à leurs règles – à leurs conventions – pour libérer la page. Et laisser éclater le soleil...

 

 

J'écris couché dans l'herbe. Ou sur les chemins boueux des collines. Au plus proche toujours de la terre. Et pas si éloigné, pourtant, des étoiles – et du grand soleil. A égale distance peut-être entre la lune et les oies sauvages...

 

 

Un cri. Un pont. Et une jetée où viennent s'enlacer les hommes pour conjurer le sort – et se protéger peut-être du désert qui partout avance – et éclabousse les âmes de son sable...

 

 

Un poète. Une lumière. Et partout les ombres qui guettent – et attendent la chute inévitable... Et la joie danse pourtant parmi les pleurs... Et la grande roue tournoie malgré les larmes... Et le monde s'en va, aspiré par les grandes vagues de l'horizon... Et un oiseau – une tache – toujours sauront raviver – et égayer – la main libre – lumineuse – du poète...

 

 

Encore les couleurs. Les mille couleurs du temps. Et la vie bigarrée. Et le monde taché de brun. Et les mains – et les visages – couverts de sang. Et les sols gorgés de sombre et de rouge. Et l'encre noire – et l'âme presque blanche – du poète. Et les rêves diaphanes du monde – des hommes. Et la lumière partout qui se reflète dans la transparence des heures...

 

 

La part si vivante des choses que les yeux ignorent... que les pas piétinent... que les mains lacèrent... et que les cœurs obscurcis – insincères – assassinent. Reniant jusqu'à la possibilité même de son existence. Détruisant – anéantissant – le plus beau – et le plus fragile – sous prétexte d'utilité. Ah ! Âmes imbéciles...

 

 

L'herbe qui tremble toujours sous la pluie... Et l'appétit animal... Et les souliers du marcheur... Et les frayeurs de la nuit sans lune... Avant que ne reviennent le soleil et les beaux jours. Avant que ne reviennent le soc et le labeur – la faux – du paysan qui la tranchera nette...

 

 

Une lumière. Un regard clair dans lequel les ombres passent... et où tout s'efface – jusqu'à nos plus infimes terreurs...

 

 

Le monde – les hommes – aiment le pouvoir de l'or. Jamais sa lumière. Peut-être, au fond, la lumière n'intéresse-t-elle que les âmes ? Et voilà sans doute pourquoi le monde – les hommes – ont l'air si sombres – si pauvres – si affamés...

 

 

Et si la bouche, affamée encore peut-être..., avalait le pain, les mots, la chair et buvait l'eau, le sang, la pisse... Jamais rassasiée, hurlant partout ses appétits d'ogre avide – si friand de délices...

 

 

Et tournent les vents. Et s'abattent les foudres. Et dure l'éternité le temps d'un soupir...

 

 

Et vivrait-on mille ans, la paresse toujours nous fermerait les yeux... Et l'horizon toujours serait noir d'ambitions... Et la convoitise toujours entaillerait les visages... Et jamais nous ne serions vivants...

 

 

Le signe d'une présence à travers les lignes – à travers les mots. Une lumière sur la page parmi les griffures – et les petits cercles d'encre noirs. Un cœur qui bat dans la proximité des étoiles, sensible à l'herbe, aux bêtes des prés et des forêts, à l'infini dans leur œil – à leur cri horrible et à leur silence au jour du départ. Un sourire face aux visages – et aux jeux des enfants sages et turbulents. Une accolade sur les épaules lasses. De petits coups de butoir sur les carapaces – et les âmes trop frileuses – et les cœurs trop ambitieux. Une humilité et une sagesse. Un poing levé et une main proche de la caresse. Un reflet de l'éternité. Voilà ce que j'attends du poète...

 

 

Le temps est précieux car il nous offre de vivre – de vivre mille choses, mille rencontres, mille expériences – et de comprendre (de comprendre peut-être qu'il n'y a rien à comprendre...). Et l'instant l'est peut-être plus encore car il nous offre d'être et d'aimer ce que nous vivons et ne comprenons guère...

 

 

La poésie naît du silence. Et après elle revient le silence. Et une parole plus sage et silencieuse. Une lumière claire – et sans éclat – qui dissipe les malentendus du langage...

 

 

Notes, opuscules et carnets constituent – et offrent – une œuvre modeste. Une lumière peut-être... Une présence humble – précieuse – délicate et savoureuse pour leur auteur... Et peut-être aussi pour celui qui, en les parcourant, y découvre son propre visage*...

* Et qui, nous l'espérons, en fera usage...

 

 

Et si l’accolade n'était qu'un prélude – qu'un prétexte – à la voie des étoiles. Et le baiser, un murmure attendri de la lumière... Et pourtant, un jour, le silence balaiera toutes nos prétentions à l'Amour...

 

 

Du sang. De la glace. Et nos dérives prépubères... Rien, jamais, ne pourra naître sous les étoiles... sinon quelques songes. Un mythe. Une légende insecourable...

Et là-bas, incertain, l'appel discret des nuages. Et le goût de l'Autre en soi – et celui de soi en l'Autre –, amer. Perdu peut-être à tout désir... Et la pluie encore qui revient comme une triste litanie...

La vie hors d'atteinte. A moins que l'âme ne s'ouvre au plus bas. Au plus humble. A la candeur du jour. Et au chant de l'oiseau dans le lointain...

Et si le désenchantement n'était qu'un voile d'amertume déguisant la lumière... Une coulée grise sur l'émerveillement... Un oubli peut-être du silence...

Et si le cri n'avait pour écho – pour réponse – que la beauté du silence... Et qu'en lui, tout se comprenait : les larmes, la colère, les questions et la faim même de vérité...

Et parmi les frôlements infimes du monde, reconnaissons ceux auxquels notre âme a su s'ouvrir... Ceux qui ont creusé les belles excavations de leur suintement – évidé le cœur de ses attaches – recoloré le gris de leur présence... Puis, oublions-les. Et recommençons jusqu'à ce que toutes les silhouettes se confondent – et ne forment plus qu'un seul visage : le nôtre souriant dans la lumière...

 

 

Un repos. Un silence. Une solitude. Et la joie innocente des jours.

Les heures blanches où le soleil ne rougit plus... Où le vent sème les graines à tout va... Où le gris, la tristesse, la mort s'assèchent faute de postulants... Où la présence discrète – victorieuse – a décimé tous les combattants... Et où, partout, elle pousse et recouvre le jour d'un océan d'étoiles...

 

 

La vie comme une rivière de lumière sans île – sans rivage – où les hommes seraient l'eau et le vent. Et le limon emporté jusqu'à l'océan...

 

 

Pressons les jours d'ouvrir notre vie à la grandeur que nous avons tant espérée...

 

 

Un chemin. Un silence. Et la mort – pas même sournoise – à la fin des pas. A la fin du jour. Et les arbres et les visages rencontrés... Et les pierres sur lesquelles on s'est assis... Et le vent qui a tout emporté... Et les ombres qu'il nous reste jusqu'à notre dernière foulée...

 

 

L'horizon dégagé n'en est pas moins chargé de rêves qui alourdissent le pas – le chemin – et le voyage vers la lumière...

 

 

Vers qui les vents emporteront la parole... Dans quelle bouche la déposeront-ils... Et si l'âme pouvait l'entendre... Ah ! Que se réjouirait alors le poète de son obscure besogne...

 

 

A la tombée de la nuit poussent, parfois, les plus belles fleurs... que les mains délicates n'osent cueillir... Et qu'elles laisseront mourir aux premières lumières du jour...

 

 

Et ces rêves pugnaces malgré la lumière. Et ces ombres féroces toujours tapies derrière le silence. Saurons-nous donc, un jour, embrasser le grand soleil – et laisser les rêves et les ombres à leurs soupirs...

 

 

C'est en parcourant les étoiles que l'on voit le plus sombre de la nuit. Et là-bas, au loin, la lumière qui s'avance...

 

 

Des rêves de lumière à foison. Mais combien prennent-ils leur source – et s'enracinent – dans le plus obscur – le plus insensé – du monde... Et y trouvent leur élan – le souffle – le rebond peut-être – nécessaires pour s'en extraire – et convertir les songes en pas – et en chemin de clarté...

 

 

On croit trouver alors qu'il n'y a, le plus souvent, que découverte – voire même parfois, de toute évidence, simplement redecouverte...

L'être est un puits où tout miroite... Un ciel où tout est donné – et qu'il faut escalader à la courte échelle, barreau après barreau, suspendu au vide...

Et l'infime n'est qu'un pas dans cette ascension. Un aspect – une dimension – de l'infini qui s'est oublié – et qui doit – et qui est amené progressivement, au gré des pentes, à se reconnaître – à se retrouver aussi intact – aussi plein qu'à son origine – bien avant la naissance de tout ce fatras : l'infime, l'échelle, le chemin, la montée et les retrouvailles...

 

 

On peut résister à tout. A la paresse des pas dans la montée. Aux vents de l'hiver. Au soleil des jours nouveaux. Aux promesses. A la pluie. Aux cris – et aux mains – qui nous appellent. A l'insistance de l'amour dans nos veines. Aux périls. Aux malheurs. Au venin des paroles – des persiflages. A la beauté d'un visage. A la mort qui avale. Aux trésors de la terre... Mais on ne peut résister au poids de l'innocence dans nos pas – et à la joie sur le chemin de la lumière...

 

 

Le noir toujours nous retrouve sous le halo de la lune. Au fond des chimères. Sous le froid des paupières. Près du jour que nous avons cru levé. Dans l'herbe rousse, brûlée de trop de soleil. Et sur notre âme toute froissée...

 

 

Un jour, les circonstances n'émietteront plus notre âme, assise dans le silence...

 

 

La parole poétique s'offre à l'âme inéclose – en devenir. Chrysalide aux ailes futures dans le vent de l'innocence... Les chenilles, vers amorphes, elles n'en perçoivent l'utilité. Quant aux papillons, ils n'en ont plus guère l'usage... Ils vivent déjà libres – et poétiquement – au dessus des cocons et des charniers – loin de la pourriture indigeste dont se nourrissent les larves...

 

 

Assoiffé de désirs, mais à quelle fin si tu ignores la faim réelle qui t'habite...

 

 

L'heure creuse – creuse son antre – son trou – pour désosser la mémoire. Ouvrir les ailes de l'instant. Redonner aux jours leur lumière – et aux siècles peut-être leur éclat...

 

 

Les heures passent. Et la mort, déjà, s'enroule sur nos jours. Asphyxie l'âme à petit feu. Creuse les visages. Et réunit bientôt la foule autour du défunt. Nous n'aurons décidément pas vu le temps passer...

 

 

Défricher le silence à coups de pelle alors qu'un battement d'ailes, sans doute, suffirait...

 

 

Que pourrait nous dire – nous apprendre – la mort sinon l'effacement. L'éternel retour aux fenêtres du temps. La grâce offerte de l'instant. Et le champ de l'éternité ouvert à nos fronts bas et querelleurs encore si avides d'espérance...

 

 

Une extase comme un feu peut-être nous consume. Laissant quelques cendres déjà ailleurs, portées par le vent. Et ce regard si loin des braises malgré le cœur enflammé... ailleurs, lui aussi... non, peut-être partout... dans les flammes, la cendre, la poussière et l'océan...

 

 

Cette fracture en nous que la joie recolle – efface. Comme si la chair n'avait jamais existé. Comme si l'âme se portait seule – libre et légère. Comme si le monde n'était plus ce tas d'os et de sang mêlés de désirs et de méfiance. Comme si la mort n'était plus cette épreuve – l'ennemie à redouter – mais la tendre amie de l'innocence...

 

 

Que pourrait nous dire – nous apprendre – la mort sinon le désir infini – le désir insensé – de vivre. Et les malheurs – et la misère – que nous épinglerons sur nos blouses blanches... Pauvres médailles en vérité. Mais les seules, sans doute, que trouveront les vivants...

 

 

Ivres de vie et d'espérance dans l'infime piétinement – le grand massacre – du monde, de l'heure, de l'instant, des visages, nous effleurons la terre, les corps, les indices et le mystère même de notre existence, les yeux plongés dans la brume et l'évidence de l'horizon...

 

 

Au cœur de l'intime, il y a le cri – et la faim – universels. Et derrière leurs voiles, l'innocence et la lumière impersonnelles. La tâche du poète est de parcourir ce chemin – et de l'offrir à travers sa parole – sa présence...

 

 

Il faut savoir être seul, nu et sensible pour vivre – goûter et savourer – le plus intense – et le plus profond – de la vie, de la terre, du monde et des visages. Et pour ouvrir un livre de poésie – l'ouvrage d'un homme – et sentir battre son cœur si vivant en soi...

 

 

Et parmi ces bruits fugaces, tant de voix inentendues...

 

 

Pour n'avoir su dire les mots – écouter – et confier les secrets... Pour n'avoir été qu'absence, je nous pardonne...

 

 

Et si nous nous retrouvions derrière le haut mur du silence pour écouter les pierres, les vagues, les visages. Et acquiescer enfin à leur fièvre – à leur folie. Et nous coucher parmi la foule – ses murmures et ses plaintes. Humble et présent à tous les désastres...

Peut-être n'y a-t-il d'autre voie pour être un homme – une figure infime dans l'immensité – parmi l'ivresse dévastatrice des mains... Pas même inquiet des silhouettes grises qui s'approchent de l'horizon – et enserrent notre cou de leurs désirs et de leur fureur...

 

 

Et si jamais les événements n'assassinent, qu'est-ce donc que cette blessure inguérissable – ce malaise sourd qui s'étend – et s'ébruite parfois à travers une porte impudique laissée entrouverte peut-être malgré nous... Et d'où vient ce sang – tout ce sang – qui coule sur notre vie, sur nos jours – et nos mains lasses de panser et de porter leur lame...

 

 

La solitude isole – et libère – cette part en nous qui rêve de liberté – et qui n'aspire qu'à rejoindre le monde en restant intacte malgré ses coups... Et elle la fait grandir jusqu'à ce que nous en soyons capables...

Mais peut-être existe-t-il d'autres chemins – et d'autres folies – par lesquels nous aimerions nous faire dépecer pour qu'arrive plus vite l'innocence...

 

 

Habillés de peau et de barrières... Et si nous nous trompions de guerre, d'adversaire, de frontière...

 

 

L'infini toujours sera plus présent – et plus vif – dans la main qui protège que dans celle qui égorge... Et la lumière plus proche des yeux qui pleurent que des lèvres qui sourient – et applaudissent – aux massacres...

 

 

Une larme dormante sous les paupières... mais qui inonderait le monde – la terre – les visages – si amers – si désespérés – non de tristesse mais d'amour et de lumière...

 

 

La vie et l'Amour – leur puissance et leurs élans – si forts en nous sortent pourtant en petits jets dérisoires – infimes – si minuscules. Comme freinés par notre étroitesse et notre obscurcissement...

 

 

Un jeu. Une tourmente. Des tempêtes dans l'eau dormante des jours. Et le cœur – et la plume – chavirés du poète qui, malgré lui, ensanglantent la lumière. Et assassinent le silence. Et qui jamais ainsi ne délogeront la furie de l'innocence – et libéreront la grande nuit de ses étoiles...

 

 

Et cet appel incessant du silence et de la lumière qui monte des plus hautes profondeurs de l'âme. Et qui se couche – se répand partout – à travers les mille choses du monde – et les mille voix des poètes – pour crier leur détention – leur besoin d'être reconnus pour pouvoir (enfin) embrasser le cœur – et la main – de l'homme...

 

 

A mille ombres pareilles – si minusculement différentes – répond le soleil singulièrement – et toujours d'une unique façon...

 

 

Ah ! Toutes ces beautés si diverses du monde ! Et tous ces élans si singuliers vers la lumière ! Quelle joie ils nous offrent ! Comme s'ils redonnaient à la terre – et à son peuple – leur intelligence – et la promesse de la grâce et du silence – de l'infini et de l'éternité – peut-être (enfin) accessibles – à portée de regard...

 

 

Le vent immuable. Les vagues de la terre. Et l'ondulation – si archaïque – des destins parmi la mort et l'éphémère...

 

 

Et dans le silence aussi, bien sûr, il y a une solitude inconnue. Merveilleuse...

 

 

Ne pas prêter l'oreille – jamais – aux mensonges. A la calomnie des jours, des bouches, du temps qui passe – et à l'incertain qui n'est qu'effroi, terreur, espoir...

Se taire – toujours – devant les cortèges. Tous les cortèges. Et voir – et écouter – là-bas, au loin, arriver amoureusement le silence qui dessine déjà sur nos lèvres sa fièvre sereine – sa lumière...

 

 

Vivre un peu. Aimer du bout des lèvres. Dormir beaucoup. Passionnément. Jusqu'à la folie. Rêver. Se couvrir de songes. S'y convertir jusqu'à y enfouir son âme. Raviver – et aller naïf – si naïf – vers – l'espoir. Maudire. Emietter les liens. Les raccommoder parfois avec au front cette si faible lumière... Et disparaître, un jour, dans les replis de la nuit... Homme – ombre – qui passe – simplement...

 

 

Le vent – la pluie – offerts aux plus humbles jours. Et la moue sur notre visage, espérant un autre ciel – plus vaste – plus lumineux peut-être... – moins triste sûrement – comme pour égayer notre âme en attente – et lui donner à espérer plus encore... Comme une pauvre rengaine. Une malheureuse litanie que la mort même ne pourra effacer. Et qui durera encore et encore jusqu'aux dernières heures de la nuit...

 

 

Pour corrompre le jour, il faut des yeux mensongers – recouverts de tous les songes – enfoncés dans les rêves – la nuit. Qui n'effaceront pourtant jamais la grande ambition de la lumière. Son règne manifeste déjà... Et son arrivée, éclatante, sous les paupières enfouies encore dans tous les recoins sombres de l'ailleurs...

 

 

La vie. Un lit de lumière où s'écoulent aussi les ombres. L’infamie. Et la terreur née d'être vivant...

 

 

Faiblesses. Fragilités devenues orifice béant... Se laisser pénétrer – traverser – chambouler jusqu'au tréfonds. Jusqu'à mettre tout sans dessus dessous. Jusqu'à écraser – évincer – les repères – les pensées. Jusqu'au grand désordre – la grande pagaille. Jusqu'à l'ivresse du grand départ. Jusqu'à l'effacement des frontières – leur explosion peut-être... Jusqu'au plus bas – et jusqu'au plus haut – de la lumière... Puis, vivre l'accueil dans la transparence la plus insensée... Devenir ce qui nous pénètre – nous traverse – jusqu'à la célébration – jusqu'au sommet de la plus haute unité... Puis, enfin, le silence... et la joie – et la lumière – qui partout s'invitent – s'infiltrent – pour nous faire vivre – goûter – ce que nous attendions – ce que nous espérions – depuis des siècles pour que demeurent, à jamais, l'éternité et l'infini – la béance lumineuse de notre visage – et le monde – et les figures – noirs, encore tremblants de terreur, qui s'y engouffrent...

 

 

[Modeste hommage à Alexandre Hollan]

Et ces traits noirs – immenses – tremblants – qui peignent la lumière. Où nos âmes sont absorbées – fascinées par le vide, l'infini, le blanc et la transparence des couleurs... Et la beauté de l'arbre – chêne centenaire – millénaire peut-être – sur le jour ouvert... Arbre et poète célébrant le ciel de leurs feuillages dansant à chaque heure du jour, unis dans la belle – et envoûtante – solitude des collines...

 

 

De fable en fable se créent les mythes. Les légendes. Bien en peine, toujours, d'éclairer – et de percer – le mystère de notre naissance. Et la vérité brûlante sur nos lèvres qui cherche leur délivrance...

 

 

Lorsque le Bien commun et le sens de l'Autre auront définitivement pris le pas sur les instincts de conservation, l'homme aura enfin réalisé un pas immense. Et franchi peut-être le seuil le plus décisif de l'histoire de la terre – et du vivant. A l'origine, sans doute, du plus prometteur avenir...

 

 

Poésie et spiritualité. Portes infimes – minuscules fenêtres – ouvertes sur l'infini par lesquelles s'infiltre la lumière. Et qui finira, un jour, bien sûr par jaillir sur notre vie...

 

 

Présent. Accueillant ce qui vient... Et laissant même le rien – lorsqu'il s'invite – régner sur nos jours... Et terroriser parfois même notre crainte de le retrouver...

 

 

Et cet Autre en nous qui ignore que nous l'avons délaissé – abandonné à l'espoir dans les jeux sanglants, la peur et les ambitions. Et qui agonisera bientôt sur les pentes de l'horizon... Et qui se cachera peut-être avant que nous le retrouvions... Qu'il nous pardonne...

 

 

Et cette quête – et ce cri éperdu – de l'âme que nous ne pouvons secourir. Et qui deviendra lasse peut-être à force d'abandon. Et qu'une main, sans doute née du ciel, hissera, le jour venu, jusqu'au soleil...

 

 

Un jour. Un silence. Une joie. Et l'éternité pourtant durera toujours dans ces fleuves de douleur... Et les malheurs et la terreur... Où l'heure et le sang s'écoulent entre les rives, invisibles, du silence... Et les barques fragiles des hommes. Et leurs visages en pleurs – en sueur – aveugles aux rivages. Inconnaissants du ciel – et de l'océan à venir où les cueilleront pourtant, un jour, la joie et le silence...

 

 

Dans le silence, une présence. Et en cette présence, le silence où nous pourrions tout vivre – tout éprouver et accueillir – jusqu'à la mort. Jusqu'aux larmes des vivants. Jusqu'à l'effroi – et au cri – des visages égarés dans le malheur. Jusqu'aux plus sombres jours de terreur. Et jusqu'à la nuit même qui nous avale...

 

 

Un mur. Une fenêtre. Et derrière la baie vitrée, les jours qui passent. Egaux ni en joie ni en soleil. Où le monde roule comme les pierres sur le lit de toutes les misères... Et dont le bruit égare les âmes – et émeut le poète...

 

 

Saupoudrée encore de nuit et d'étoiles, l'âme crie sa faim... et son goût inassouvi pour la lumière. Et le silence partout qui s'avance pour allumer les lanternes – et éclairer les petits pas sombres dans le noir interminable...

 

 

L'obstination si pugnace du silence à révéler notre visage...

 

 

Nos vies. Entre terre et ciel. Des éboulis sur la pente du silence...

 

 

Ce sont les draps de la nuit qui nous emporteront... vers les marées, les étoiles, l'horizon. Assoupis toujours. La tête enfouie dans l'oreiller, emplie de songes, qui ne côtoie la lumière qu'en rêves. Mais le cauchemar peut-être, un jour, prendra fin... Et nous nous éveillerons, émerveillés, dans la lumière – dans le jour naissant – avant peut-être la fin des temps...

 

 

La terre sombre. Le ciel gris. Immense. Opaque. Et au loin, là-bas, l'espérance du soleil qui jamais n'illuminera les jours...

 

 

Les jours quotidiens. Simples. Humbles. Austères. Magnifiques. Offrant leur joyeuse frugalité... Savourés dans le silence et la solitude.

Si proches de l'homme et pourtant si merveilleusement familiers du Divin...

Peut-être est-ce cela être sage : figure ordinaire et silencieuse parmi la foule des visages, baignée d'une joie lumineuse et invisible...

 

 

On ne s’enquiert jamais du monde... Des nouveaux horizons... Des nouveaux visages... Que des circonstances qui éprouvent notre vie – la déchirent, l'éventrent et la foudroient... Que des anciennes figures défaites, mal en point, qui s'effacent – et disparaissent... Que des nouvelles singulières – anodines – quasi anecdotiques – qui emplissent l'âme d'assurance – de réconfort – et qui enflamment la joie des portefeuilles... Des événements infimes – et minuscules – pour des vies – et des cœurs – qui ne le sont pas moins... Des existences obscures faites de petits pas dans la poussière...

 

 

Vent, feu, flamme et poussière. Seul décor de la terre... Et lueur amorphe – jamais éteinte pourtant – dans la lumière infranchissable. Visage de l'homme cherchant sa délivrance à tâtons...

 

 

Sur la terre, le soleil déjà... Et les songes, les visages, les papillons. Et le ciel noir – et bas – qui obstinément s'obscurcit... Et la lumière immobile, passagère pourtant, qui se dessine par intermittence...

 

 

On aura beau crier tout le jour, jamais la nuit ne s'effacera. On aura beau percer le mystère, les étoiles lui resteront fidèles... On aura beau éreinter le courage, l'innocence brillera toujours au fond de notre âme tapie dans le noir.

 

 

A l'orée des heures – et à leur lumière aussi peut-être – le silence attend notre pas. La fin des songes. Le cœur et les bras ouverts à la pluie, au soleil, aux saisons qui passent. Et à l'éternel défilé des visages...

 

 

L'univers immense – infini peut-être – n'est pourtant qu'un point infime dans l'esprit. L'esprit contient l'univers qui contient l'homme qui peut s'ouvrir à l'infini qui l'entoure – et qu'il contient... L'infini créant ainsi l'infime pour se retrouver infiniment démultiplié au dedans de lui-même...

 

 

Les arbres. Le vent. Et les songes qui n'en finissent jamais de tournoyer. Et les visages, pris dans la danse, s'élevant dans la tourmente, décollés de l'horizon avant même qu'il ne soit atteint... soulevés comme de la poussière. Et la lune – et le soleil –, au loin, attentifs – impassibles pourtant – qui lancent leurs rais pour déchirer – et déchiffrer – leurs ombres. Comme les plus sûrs garants de la lumière – de cette lumière si incomprise...

 

 

Le silence. Toujours plus majestueux – et intrépide – que la parole... Toujours plus profond que le langage... Toujours plus rieur et savoureux que nos vains murmures... Indéfinissable – et mystérieux – et pourtant si indispensable au monde et au poète...

 

 

Ah ! Ces amis de papier – poètes des jours et de la mort – poètes des grandes batailles et des horizons quotidiens – dont je m'entoure – et me nourris... Et qui allument en moi – ravivent peut-être – non l'espérance mais le souffle même – ardent – de la vie – et la fréquentation du silence – et les accointances avec la lumière et l'infini – le cœur vivant – si vibrant – de l'homme...

 

 

Couvert de salive et d'horizons, voilà l'homme qui avance à contre-pas vers la lumière... Vouant un culte au désastre avant même sa première danse. Et voilà qu'il marche à présent à tâtons dans l'obscur, à la chandelle de ses ambitions, sur la crête insensée des peurs où le monde l'a plongé... Et qu'adviendra-t-il à la prochaine foulée ? Ténèbres, ciel gris ou soleil ?

 

 

Peut-être espérons-nous davantage de l'amour – de ses baisers volages, volés sans doute à l'éternité : une présence – un visage – inaltérables. Insoumis aux rondes de l'éphémère. Eternels peut-être... qui nous ôteraient les larmes et le poignard – l'espoir et la désespérance – parmi toutes ces têtes si aveuglément amoureuses...

 

 

On voudrait donner au monde, un sourire. Une joie peut-être. Une raison d'espérer le meilleur. La possibilité de la lumière... Et lui, trop aveugle – aveuglé sûrement – ne devine – ne voit peut-être – que les larmes sur les visages – et notre visage. Et cette noirceur au fond des yeux qui n'invite qu'à la désespérance – aux cris – aux gémissements – et à la volonté malhabile d'y échapper... Reléguant l'offrande à l'oubli. Et à des jours moins sombres peut-être...

 

 

C'est insulter la soif que d'oublier – de refuser – d'abreuver les lèvres... De ne pas offrir à la bouche ce qu'elle réclame... Et que demande-t-elle sinon la joie et le silence. La vérité neuve – intacte – lézardée jusqu'à présent au fond des gorges. Et la lumière enfin qui sommeille dans les yeux – et au fond de l'âme assoupie sur les pierres du temps...

 

 

L'exil toujours se profile pour celui qui ne sait s'habiter... La lumière est – et sera toujours – un pays sans frontière et sans chemin. Ouvert à celui qui marche – et qui va, d'un pas difficile – douloureux parfois – de l'exil jusqu'à son centre. Pour qu'à la fin du jour s'éteignent (enfin) la nuit, les songes, les horizons, le marcheur et l'émiettement du territoire. Ainsi se découvre la vérité – notre nature infiniment unitaire...

 

 

Et parmi les oiseaux, là-bas, et les fronts posés contre la neige, derrière les ailes et les yeux hagards, se dessine déjà le nouveau monde avec ses arbres gonflés de lumière, ses charrues – sans mule et sans bœuf – qui fleuriront la terre et ces visages – tous ces visages – cernés de silence et de beauté... 

 

14 décembre 2017

Carnet n°107 La lumière encore – encore un peu de lumière

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Entre le sang et la neige, nos ombres maladives. Et notre âme apeurée... Et entre les tenailles grises des jours, la lumière éclatante. Magistrale...

Un cœur quelque part nous attend, immense et lumineux. Et viendra le jour où nous troquerons nos peurs et notre recroquevillement contre ce feu – cet Amour infini – qui brûle, sans impatience, depuis si longtemps...

L'homme-soleil. L'homme-lumière. Et sa peau écarlate – brûlante – dans le froid des plaines – et parmi la haine des hommes. Et cette fleur en nous qui s'assèche malgré les larmes – et la rosée fraîche – toujours fraîche – des heures...

 

 

Des rires d'enfants dans le jour. Aussi pâles et légers que les larmes sur nos joues. Une gaieté – une tristesse – éphémères dans la lumière. Et le monde poursuivant ses élans – et les vents hurlants dans le souffle de l'infini...

 

 

Monde d'absents – et d'absence – auquel offrir une présence. Et redonner aux yeux, une lueur – le goût de la vérité... Une clarté – née de la lumière, si vive, du regard. Une écoute attentive. Et une caresse parfois sur l'âme peureuse et endormie...

 

 

Le dimanche, jour des retrouvailles, des fêtes impromptues et des rencontres sur des nappes tachées de vin – et parcourues de rires. Où l'insouciance et la gaieté rivalisent pour dissiper la misère – et la solitude – des hommes.

Et les solitaires, vigies d'une présence incarnée dans ce monde d'ombres et de fantômes, hilares peut-être – joyeux sans doute – mais voués, derrière les apparences, aux plus grandes tristesses, oubliant – et piétinant – le cri et la faim de l'âme...

 

 

Et si la nuit avait été enfantée par le jour pour que nous puissions regarder les étoiles – et faire grandir (en nous) l'espérance – et la possibilité – de la lumière...

 

 

Un jour. Une nuit. Et si c'était la même lumière qui les éclairait... La même promesse et la même espérance d'apercevoir la clarté parmi les ombres qui nous hantent...

 

 

La couleur de l'âme si sombre. Et, pourtant, déjà si pleine de lumière...

 

 

Aux heures du jour plus blêmes que la neige, nous pourrions nous endormir, le cœur assoupi parmi les âmes ensommeillées au bras des plus belles nuits où les cauchemars auraient des allures de rêves...

 

 

Est-ce que les âmes, aussi, rêvent de lumière... N'avez-vous jamais surpris leur cri dans notre silence... Et leurs mains jointes, en prière, derrière les barreaux de notre absence... Et nos cœurs qui, pour elles, ont dessiné l'espoir – et la promesse lointaine – d'un envol possible – et sur lesquels coulent leurs larmes inconsolables...

 

 

Et si le silence avait des ailes sous lesquelles nous nous tenions, accroupis, pas même sensibles aux vents plaintifs du ciel...

 

 

Et si nous étions, en définitive, plus attachés à l'ombre, au destin, au hasard qu'à l'espoir et au soleil... Et si nous étions, en définitive, plus sensibles au noir, à l'obscur de la terre qu'au bleu et à la blancheur transparente du ciel...

 

 

La couleur dominante de l'âme – plus forte que les larmes – et plus forte que les rires. Et qui s'imposera à travers les circonstances pour nous forger un destin...

 

 

Et cette fêlure en soi que les années auront transformée en faille – et qui, à présent, s'emplit de lumière...

 

 

Un cœur quelque part nous attend, immense et lumineux. Et viendra le jour où nous troquerons nos peurs et notre recroquevillement contre ce feu – cet Amour infini – qui brûle, sans impatience, depuis si longtemps...

 

 

Entre le sang et la neige, nos ombres maladives. Et notre âme apeurée... Et entre les tenailles grises des jours, la lumière éclatante. Magistrale...

 

 

Pour voir l'infini se révéler dans notre vie – et nos infimes grains de poussière, il faut attendre la lumière – et qu'elle efface les soleils anciens qui les recouvraient – et leur donnaient cet air si sombre – si minuscule...

 

 

Une ombre tapie au fond de la chair. Et si c'était l'invitation du soleil à la lumière... L'appel du long – et grand – chemin que devra emprunter l'âme pour retrouver le jour...

 

 

La cloche sombre de la nuit. Epouvantable... Et si le noir et l'obscur, aussi, s'offraient à notre émerveillement...

 

 

On ne désespère jamais assez de soi, du monde et des hommes pour que se dessinent – et puissent éclater – un jour l'innocence et la lumière dans nos esprits ombrageux...

 

 

Se débarrasser des ombres. Les laisser s'effacer et disparaître pour que ne subsiste que l'essentiel : le regard-présence – l'être nu ouvert au monde et à l'infini...

 

 

Le trou, la faille, la béance – cette absence laissée par la présence d'autrefois, aujourd'hui disparue, qui creuse l'âme, au fond des entrailles, pour se redécouvrir – et se retrouver. Et aller sereine – et à petits pas tranquilles – dans la folle fureur des jours et les rumeurs, si inoffensives, du monde...

 

 

L'homme, la vie, le monde. Un (même) front ravagé par les désastres – et encerclé par la lumière...

 

 

L'homme-soleil. L'homme-lumière. Et sa peau écarlate – brûlante – dans le froid des plaines – et parmi la haine des hommes. Et cette fleur en nous qui s'assèche malgré les larmes – et la rosée fraîche – toujours fraîche – des heures...

 

 

Après le temps des frissons, la grande peur s'est installée. Lovée entre l'espoir et les jouissances d'autrefois. Invincible peut-être... Indéracinable sans doute... à moins que l'innocence la bouscule – et l'enlace de ses bras tendres – effaçant jusqu'à son origine...

 

 

Parmi le brouillard, l'aube promise qui, elle aussi, peut-être s'envolera... Et avec elle, la promesse d'un ici plus réconfortant...

 

 

Nos doigts – et nos cœurs – piqués de rouge ne sortiront indemnes des luttes – des batailles. Leurs cris – leur appel – persisteront longtemps après la défaite. Et une âme libre – une âme simple – les entendra peut-être un jour – les prendra sous son aile – et les accompagnera parmi la poussière et les étoiles jusqu'aux chemins de l'innocence où les couleurs – toutes les couleurs – du monde brilleront – et se mélangeront – dans la lumière...

 

 

Le silence du ciel éclairé de soleil et parsemé d'étoiles. Et sur la terre, toujours, le bavardage des hommes – qui se querellent à propos du sexe des anges...

 

 

La victoire de la lumière, à portée de regard. Et pourtant, partout le sombre cri des ombres qui envahissent les territoires...

 

 

Que pourraient donc faire le poète et l'homme sage ? Déshonorer les mensonges et l'indolence des élites ? Décapiter les ombres ? Ecouter les cris jetés depuis la fausse commune ? Mais pourraient-ils seulement se boucher les oreilles... Chanter les louanges d'un autre monde – d'un rivage plus vivable où nous pourrions vivre (ensemble) – et se serrer les uns contre les autres sans étouffer ? Attendre et patienter avec innocence dans le silence la fin des renégats ? Oui, peut-être...

 

 

Saurons-nous aller plus loin que nos ombres... Franchir ce seuil où les souvenirs s'effacent... Passer la porte où les lieux et les noms perdent leur importance... Habiter cet espace – ce petit coin de ciel que les anges nous ont réservé – où l'identité n'est que question de lumière... où les âmes s'unissent aux vents, aux herbes et aux nuages – au feu, à la glace et au sang – et à tous les visages – sans jamais les blâmer... où les rires et les larmes dansent dans les mêmes bras réconciliés... où les cris et les ombres ont perdu leur attrait... Et où Dieu, les bêtes et les hommes peuvent (enfin) se reposer après leur long voyage...

 

 

La grandeur impartiale du monde se dresse devant soi. Avec ses mille têtes tendancieuses qui protègent leur territoire... A qui pourrions-nous donc adresser nos prières pour voir les murs s'effondrer...

 

 

Les poètes disent la vie qui s'effile. Le défilé triste des jours. Leur amour perdu. Leur espoir de le retrouver. Leur inquiétude de l'existence. Leur quête parfois... La vie intime des doigts et des souliers dans les rues des villes – et sur les chemins boueux des campagnes éclairés par un pâle soleil. Les merveilles des jours simples. Le bonheur de lire. Celui, plus complexe, d'écrire... Le goût de l'herbe et celui des bêtes. L'absurdité du monde. Et la folie des hommes. Ils disent tout cela – et bien d'autres choses encore – puis, ils s'en vont, aussi anonymes et sensibles que leurs pages qui resteront peut-être encore un peu parmi nous...

 

 

Un poème né des ombres de la terre que le soleil et le vent effeuilleront comme la pâquerette...

 

 

Il n'y a peut-être aucun feu sous les étoiles pour les allumer – et les maintenir vivantes... Mais une lueur née du fond de la nuit qui côtoyait autrefois le premier soleil... Et c'est cette étincelle originelle que les hommes à la fois saccagent et recherchent de leurs pas usés – la main levée, implorante, devant les étoiles...

 

 

Dans la chaleur grise des corps – et la sueur qui perle sur la peau, rien de nouveau... Un peu d'écume autour du soleil. Et le front des bêtes baissé sur le sol... Un monde de chair, oublieux des premières lumières, voué (tout entier) au labeur et aux kermesses...

 

 

Une voix plaintive – implorante – presque imperceptible parmi les cris. Et l'homme qui se redresse, soulève sa main, lourde de sang, pour désigner la première étoile – mensongère, bien sûr – et qui s'affaisse bientôt pour nettoyer les larmes de ses joues. Seule promesse peut-être de lumière...

 

 

Il n'y aura d'autres adieux. Les morts s'en sont déjà allés – et ressusciteront, sans doute, en d'autres terres. Et nos mains – et nos lèvres – ne les toucheront plus... Un seul espoir peut-être demeure avant la fin du jour : se souvenir de leur amour...

 

 

L'homme, traversé par le malheur et l'interrogation qu'il néglige (pourtant) comme un ouvrier insoucieux de ses outils... A quoi donc ses mains – et son cœur – sont-ils occupés pour les ignorer – et refuser de voir la belle œuvre qu'il pourrait façonner...

 

 

Et parmi les jours peut-être, un seul jet de lumière. Mais si puissant – si décisif – qu'il éclairerait toutes les ombres passées – et celles qui se montreront demain, ignorant encore que la clarté les fera fuir – ou les réduira en cendres – en poussières étincelantes...

 

 

On vit, on rit, on pleure sans même savoir que nous portons cette fêlure (inguérissable peut-être...) – Et qu'elle est notre plus grand trésor bien avant que n'arrive la lumière...

 

 

Parmi les rochers et les silhouettes de la nuit se lève le jour. Et se dresse l'herbe drue des montagnes. Et s'envole l'oiseau. Et, au loin, là-bas, les hommes qui sommeillent encore...

 

 

Et la peau encore pleine de soleil glisse parmi les ombres de la nuit. Et se joue de toute froideur. Insensible au regard des hommes – si glacé. Dessinant aux contours de sa joie une si vive clarté qu'elle illumine jusqu'à la danse triste des âmes qui la frôlent...

 

 

La lumière encore qui partout s'infiltre – et se repaît de sa joie d'aller libre parmi les humeurs sombres et les âmes grises...

Et cette roche fragile – si fragile entre nos doigts – dont nous aimons tant emplir – et combler – notre vie et nous entourer – et qui se transformera, bien sûr, un jour en sable...

 

 

La vie, le monde et les hommes. Des vagues et du sable. Des songes. Des tempêtes et des eaux calmes. Bleus, rouges, jaunes, noirs comme pour conjurer le mythe – peut-être mensonger – de l'origine incertaine... Et cette faim insatiable de lumière pour offrir aux ombres cette joie si particulière...

 

 

Seule l'âme profonde reçoit – peut recevoir – avec sensibilité. Et accueille – peut accueillir – le monde sans sélectionner ses élans. Les autres dansent, picorent ou s’apitoient sur la crête des circonstances noires, grises et blanches... gaies parfois mais malheureuses, au fond, de ne pouvoir déchirer le voile de l'apparence, percer le mystère des couleurs et déchiffrer – et parcourir – l'échelle des profondeurs...

 

 

Et si le jour n'avait que la nuit pour se reposer des couleurs... et pouvoir déposer, pour quelques instants, ses malheurs...

 

 

Du plus charnel des magmas, nous ne tirerons rien. Ni l'exil, ni la descente vers l'abîme, ni la fréquentation des sommets... Un surplus de joie peut-être – et une incision dans la vérité – lorsque dans la chair, ouverte, vibrera l'appel de la lumière...

 

 

Un temps libre pour l'être – et la joie. Un temps hors du temps pour que Dieu nous ouvre les bras. Un instant égaré parmi les heures où nos foulées nous éloignent – et écartent l'éternité. Un instant volé à la folie et à la fureur pour laisser entre nos dents – et au fond de notre âme – un éclat. Et dans notre main son parfum – et la possibilité de la lumière...

 

 

Sentez-vous cette absence en nous, implorante, qui crie – qui ne cesse de crier – son besoin (infini) de présence et de lumière...

 

 

L'instant toujours offrira davantage que ce que la vie et la mort nous prennent... La lumière et l'éternité n'était-ce donc pas cela que nous espérions...

 

 

Et si seul notre silence savait nous rendre victorieux... Et si seule la lumière sur nos apparentes défaites savait nous rendre humbles et sensés. Et sensibles au chaos du monde et à la misère des combattants...

 

 

Un pas après l'autre vers la mort. Un battement d'aile après l'autre vers la vie. Instant après instant dans la lumière. L'immuable et la course infinie vers l'éternel...

 

 

Ô poète ! Infatigable apôtre de la parole. Et chantre éternel du silence...

 

 

Un esprit – et un mode de vie – disruptifs. Et une existence (entière) vouée à la protention. L'homme n'est décidément pas un animal comme les autres, porteur à la fois de tous les dangers et de toutes les promesses... Comment le monde pourrait-il l'ignorer...

 

 

Ah ! La longue et funeste liste des songes dont jamais le cœur ne viendra à bout...

 

 

Nous ne sommes qu'un souffle parmi la foule – les visages et les lèvres tristes. Et nous aurions pourtant tant à dire – et tant à offrir aux âmes grises : un peu de joie, une promesse de réconciliation et la possibilité de la lumière...

 

 

Du sang et de la fureur. Et des âmes suppliantes protégeant leur visage en lançant leurs poings à la ronde. Et l'appel déchirant de Dieu posté en leurs rivages lointains que les hommes continuent d'ignorer...

 

 

Je n'aurai jamais tant dit – et même chanté – la misère de l'homme, la noirceur du monde, les instincts de la terre... Et le merveilleux, déjà présent, qui pourrait surgir de cette fange – de ce néant rose recouvert de cris, de grimaces et de mains suppliantes... Et la lumière, partout, qui s'éreinte à percer les âmes...

Et nous aurait-on dit qu'un autre âge serait possible – et que les visages toujours s'agiteraient dans l'éphémère – et que le monde (entier) serrerait sa détresse comme un enfant béni par l'orage – et la foudre des prunelles – et que la convoitise serait la fille de l'ignorance... Et nous aurait-on dit mille choses supplémentaires... aurait-on eu le courage d'être plus vivant... aurait-on vécu avec une rage moins stérile... et aurait-on pu s'approcher avec plus d'innocence de la lumière...

Nos (propres) découvertes toujours seront les plus nécessaires compagnons de nos pas – de notre longue marche vers nous-mêmes – pour rejoindre, incrédules, la lumière que nous sommes...

 

 

Un soir, il posa sa joue contre la vitre, au plus près de la grandeur naturelle de l'été. Et son visage, offert avec tant d'innocence, s'illumina. Reflet encore timide de cette lumière qu'il avait cherchée pendant des siècles sous les étoiles muettes d'un ciel hermétique – impénétrable – mais attentif toujours à sa foulée – et à ses élans maladroits – soutenant toujours sa silhouette dans les vents hilares de la terre – pressant ses pas d'arriver, à contre courant des foules et des visages, au plus proche de son seuil et lui ouvrant l'accès à ses horizons cachés, comme pliés entre la vitre et son regard. Alors il vit l'ineffable. Et le ciel l'invita à y demeurer. Ses jours devinrent légers – aussi frêles et pâles que ses nuits. Mais rassuré par l'ogre pacifique – et sa voix transparente – qui autorisèrent sa main, son cœur et ses pages à se laisser éclabousser par leurs paroles – et leur silence – et à devenir parmi les hommes, les ombres et les bêtes, le doigt pointé vers le soleil...

 

 

D'un baiser à l'autre, d'un sol rugueux à l'autre, l'âme en exil se faufile entre les ombres noires... Crie, appelle en vain. Se rétracte. Se recroqueville. Et là, au cœur des eaux sombres, à l'instant fatidique du repli embryonnaire – régressif entre tous (quasi originel) – survient par dessus les larmes de honte, d'espoir et de crainte, l'inespéré sans peur ni vergogne... Et avec lui la joie douce et le tendre Amour. Et la lumière irrétractable...

 

 

Un monde – une solitude – à franchir en laissant l'âme chahutée – malmenée – chavirée mille fois dans les eaux dormantes du soir pour s'approcher à pas lents, presque par mégarde, du rivage lointain – incertain – à portée d'ailes pourtant dès la naissance des flots, des rivières et des âmes – accessible à tout instant de la traversée...

 

 

Loin des parures et des lumières, le plus simple toujours resplendit, anonyme et solitaire...

 

 

A présent que la lumière resplendit – et s'étend dans tous les recoins de l'âme – et jusque dans nos plus sombres jours –, les songes peut-être nous serviront de couverture. Comme un voile léger pour recouvrir l'étincelance de nos étoiles encore si vivantes – criant parfois leur désarroi devant la paresse de nos mains à les soulever – et la mollesse de nos bras à les porter plus haut dans le ciel...

 

 

Entre cris de guerre et chants d'amour, l'homme – et l'âme – partagés. Eternellement partagés. Et qu'importe nos dévotions et nos lamentations – et la proximité du ciel et des orages – la lumière toujours fera pencher notre main – et notre voix – du côté de la beauté et de la nécessité... et qu'importe ce que nous ferons – et ce que nous dirons – pourvu que la grâce habite nos lèvres et notre geste...

 

 

Entre monstres rebelles et ogres assoupis, le désir et la promesse toujours se faufilent. Et au bout de leurs chaînes pourtant chante l'oiseau – et la lumière attend la sagesse de nos derniers pas...

 

 

Malgré la pâleur des étoiles, l'homme espère encore. Jamais rassasié des horizons illusoires...

 

 

Souillés de désirs et d'interdits, comment pourrions-nous apercevoir – et nous ouvrir à – l'innocence... Il faut avoir sali tous les chemins de ses affronts, avoir bousculé tous les visages (et à commencer par le sien...), dépouillé le pur de ses dorures et de ses images, nous être vautrés dans la boue et les immondices – la plus vile fange de la terre – et en être revenus pour nous asseoir, nus, au bord de l'abandon... L'innocence alors nous cueillera comme la main (sage) cueille la fraise rouge, mûre à point pour se laisser croquer – et disparaître dans le gouffre d'une bouche sauvage – mais nécessaire – éminemment salvatrice – et se laisser dévorer par les sucs gastriques d'un estomac qui ne l'est pas moins... Et de cet engloutissement – de cette dévoration – et de cette disparition – naîtront le goût de l'innocence et le retour vers l'infini et la lumière... Ou leur initiation peut-être...

 

 

Il en est des cœurs comme des hommes. La plupart aiment décorer leurs contours d'une encre belle et effaçable... D'autres, moins nombreux, sont prêts à tatouer leur peau de symboles indélébiles... Mais rares, bien rares, sont ceux qui exigent d'être marqués au fer rouge des circonstances afin de vivre au plus près de leur exigence – de leur ambition – mûrs sans aucun doute, un peu fous peut-être..., pour quitter les songes, les parures et les décorums et s'initier à la vérité brute des chemins... Et à ceux-là seuls, la vie, la joie et l'Absolu, un jour, ouvriront les bras...

 

 

Es-tu prêt à t'écorcher – à te dépecer de tes songes – pour te présenter nu, le cœur à vif et tremblant et passer le front humble et bassous la grande arche des élus – pour que l'innocence te désigne comme l'un de ses serviteurs... Oui ? Alors tu es mûr pour l'âpre voyage – et la découverte du Divin... La grande et belle vie modeste des sages et des saints anonymes... Mais ne te méprends pas cependant... Le chemin sera long et éprouvant – obscur et solitaire... Mais pour peu que ton souffle soit puissant, que les épreuves ne t'effraient pas et que tu ne manques point de courage, un jour, tu verras arriver – et se dessiner – la lumière...

 

 

Un joyau – une parole simple – dans l'emphase. Voilà ce que j'attends du poète... Un silence dans l'abondance – et l'enthousiasme – de ses cris... Un suspens dans ses pauvres consignes et ses inutiles injonctions...

 

 

Qu'as-tu donc fait du vivant des naufragés ? Et que feras-tu à leur mort ? A quoi donc ta révolte – et ta haine des tempêtes, des navires et des marins – auront-elles servi ? N'aurait-il pas été plus sage de t'allonger nu – et serein – sur la grève – et de contempler les barges, au loin, s'éloigner des rivages et disparaître à l'horizon... Ne finirons-nous pas tous, un jour, par sombrer dans l'abîme qui jouxte l'infini...

 

 

Et si nous n'avions que nos ailes et nos mains, aidées par un cœur vaillant, pour ignorer les couleurs du monde, fendre son épaisseur et l'inviter à la transparence... Alors peut-être, à force de patience et d'obstination, la lumière finira par le transpercer de part en part... Et ses créatures par resplendir comme jamais sur les chemins de la terre...

Mais le plus souvent, devant l'ampleur de la tâche, nous préférons attendre, recroquevillés sur la plage déserte, la sagesse d'un ciel moins noir...

 

 

Le funèbre du temps – et ses joies minuscules – éclairés, à jamais, par la lumière...

 

 

Un coin d'herbe. Un bout de ciel. Les sautillements – et les soubresauts – du monde jouant à cache-cache – à chat perché peut-être – avec les remous sombres des vagues terrestres. Et Dieu – ce grand inconnu des jours – ne désespérant jamais de revoir les âmes s'impatienter de son absence...

 

 

Et si ce monde – cette grande joute étoilée – qui vénère tant le poing levé – et l'amassement du sable dans les travées, n'aspirait, en réalité, qu'au grand repos de l'âme – et à la main ouverte...

 

 

Et si les mots n'apparaissaient que par petits bouts colorés dans le grand noir du monde, lancés – jetés peut-être – par l'ambition du silence et la main si vive de la lumière... Et s'ils ricochaient sur les cœurs comme les vagues sur les falaises... et finissaient leur course sur le sable blanc de la page désertée par les estivants – abandonnés là comme des rebuts – les ordures peut-être de l'infini – que nul jamais n'a pris soin de ramasser...

 

 

Un pas. Un visage. Une parole. Un silence. Quelques pas. Quelques visages. Quelques paroles. Et quelques silences. Et si c'était là les seules choses – infimes – que nous aurions vues – vécues – et découvertes peut-être – durant notre séjour. Au cours de notre brève traversée...

Un chemin. Des fenêtres et des portes par milliers. Restées closes peut-être. Recouvertes d'ombres et d'horizons – qui nous auraient obturé la vue. Et voilé la lumière qui nous attendait – et que notre âme s'impatientait de retrouver...

 

 

Ah ! Comme il est étrange que les songes – tous les songes – aient ainsi façonné la terre. L'aient dilatée. Et lui aient offert une sente si étroite pour l'éclairer – et lui permettre d'accéder à la lumière... Comme si le cœur, les yeux et les mains s'étaient emparés du plus vil versant – et s'y accrochaient désespérément, suspendus à une corde se balançant dans le vide, éloignant l'espoir de toute ascension et renvoyant les sommets – le rêve de la lumière – au plus sombre de l'espérance. Et jusqu'à l'impossibilité même de se révéler...

 

 

Un jour. Un pas. Une parole. Une joie. Et un soleil sauvage pour éclairer leur destin...

 

 

Ecrire, souvent, pour célébrer la joie. Et honorer la vie – et l'être joyeux. Pour leur offrir – leur redonner – le privilège de battre à nouveau au côté du monde. Ecrire, parfois, pour raviver les jours. Accompagner la marche triste des heures. Et leur restituer cette lumière que notre cœur sombre éloigne...

 

 

Et si nous étions, en réalité, les seuls détenteurs de la lumière et de la parole... Et les seuls responsables de la noirceur de la terre – et du mutisme – et de la cécité – de son peuple, aveugle au jour et au soleil – voué à la frénésie et à l'obscurité depuis ses origines... Et qu'il nous appartenait de lui offrir le silence. Et, à travers lui, la guérison et la clarté de l'âme...

 

 

Aux sombres indices des heures ne répond que la clarté du jour. Et le soleil chantant sur les toits et les collines harassés de lumière...

 

 

Et si les matins cachaient une autre rive, plus proche du soleil...

 

 

L'homme perdu peut-être – égaré sans doute dans le dédale des songes et de la mémoire. Le grand labyrinthe des images, des titres et des ambitions. Voué, malgré lui, au culte du rêve, des morts et du mensonge. Occupé (tout entier) à sa faim et à ses cris. Oublieux – si oublieux – de son premier désir et de sa soif, si ardente, de lumière...

 

 

Les fenêtres du temps. Vitre claire et volets grands ouverts où perce l'éternité à chaque instant...

 

 

Des lèvres. Un sourire. Un visage. Un oiseau qui s'envole. Et un arbre dressé dans la lumière. Et rien de plus. La joie n'a nul besoin de circonstance pour rayonner...

 

 

[Hommage mimétique à Pascal Commère]

Piéton métaphysique à la mélancolie rieuse traînant son sillage dans le crépuscule.

Comme un chat lové contre la vitre et le soleil. Comme une ombre passagère sur le front plissé d'un visage. Comme un chien qui attend, fidèle, la main de son maître. Comme une herbe caressée par le vent au bord d'une route. Comme un enfant aux mille caprices. Comme un rocher recouvert de neige. Comme une âme en quête de plus loin. Comme un cri qui jouxte le silence..., l'homme, un jour, reniera son sort, succombera aux déchirements et s'effacera dans la main – pas même suppliante – du destin. Ainsi ira le monde – et plongerons-nous, les traits ivres et hagards, dans le dessin infini de la lumière...

 

 

Et tous ces enfants de la lumière, inondés de larmes et de peurs, attendant la débâcle de l'ombre, les yeux rivés sur l'éphémère...

 

 

Une fleur. Un élan vers le ciel. Une larme. Une rivière. Et l'âme, impatiente, déjà tournée vers le silence...

 

 

Et parmi tous les chants silencieux de la terre, la lumière s'élance comme un cri – se jette sur les âmes comme une pierre lancée dans une marre oubliée – et encore ravagée d'écume... Et les pend aux crochets du ciel comme d'étranges cerfs-volants – chahutés – malmenés par l'incroyable furie des vents...

 

 

Une extase. Un oubli. Et voilà soudain l'innocence reléguée à un vulgaire promontoire surplombant l'océan de chairs piquées de blâmes et de peines, inconsolables... Voué aux vaines expositions comme un roc inutile où le regard, balayé par la fureur des vagues, ne peut trouver assise – où rien ne peut être bâti – et où les larmes coulent sans espérance malgré la lumière, au loin, qui s'avance...

 

 

Et si la lumière œuvrait malgré la nuit et la cécité des âmes... Et si nous nous en emplissions de quelques gouttes à chaque vie malgré nos refus et nos résistances... Mais combien nous faudrait-il de siècles – de millénaires peut-être – pour voir la coupe – et nos cœurs – déborder ?

 

 

Quelque chose gît là, abandonné... Et qu'il suffirait pourtant de recueillir pour voir la lumière arriver...

 

 

Au dedans. Au bord. Au fond. Partout sur – et dessous – la surface. Devant et derrière l'abîme où nous croyons avoir été abandonnés – et jusqu'à travers les miasmes de l'espérance – la lumière nous attend. Et il arrive même que nos visages parviennent à la refléter...

 

 

Et si sous la surface du monde vivaient les profondeurs – et mille autres mondes – et l'âme enjouée de cette reconnaissance – et tout un peuple que nous ne connaîtrions qu'à travers les mythes et les rêves... et qui seraient pourtant tellement plus vrais – tellement plus réels – que les silhouettes fantomatiques qui errent sur la terre sans autre but que leur perpétuation...

 

 

L'interminable chemin des délices, prison dont les barreaux nous sont encore inconnus – et où nous nous réveillerons pourtant, un jour, si endoloris que nos pas franchiront les grilles d'un seul souffle...

 

 

Des morts au milieu des vivants. Et des vivants au milieu des morts. Et la ronde inlassable des âmes...

 

 

Entendrions-nous les plus sages paroles – et les plus inspirants silences, la vie – le monde – la terre – resteraient inchangés... Il nous faudrait boire – et nous noyer – indéfiniment à la source des heures – à l'origine du temps – pour voir surgir la lumière et la couleur – et découvrir la grâce des premiers pas dans le silence. Et, à travers la gorge silencieuse, goûter la beauté – l'ineffable beauté – de l'instant...

 

 

Et cette voix en nous qui crie son amour – sa haine – sa fatigue – qui l'entend ? Et le goût de l'errance – et le refus des chefs et des cadres – et la faim si vive de lumière, qui y voue ses heures – et son courage ?

 

 

Et si le monde n'était qu'un rêve – qu'un chant, presque inaudible, dans le silence où nous enfoncent les dieux, les prières mensongères et la volonté des titans...

Et comment pourrions-nous voir la beauté, la grâce et l'intelligence dans l'ignoble entassement de la chair – et des choses – et à travers l'opaque épaisseur des songes – des mensonges – et les mains lestes qui s'abattent sur les visages et qui amassent l'or et le sable de la terre... Comment pourrions-nous voir la paix et le silence... Il faudrait nous percer les yeux peut-être pour que Dieu se révèle dans cette laideur...

 

 

Une fenêtre ouverte sur l'espérance – et l'homme qui se tient derrière ses barreaux... volant, en rêve, jusqu'au lieu de tous les envols – aux confins de la terre que Dieu lui a réservée – mais privé d'ailes – et bavant – et éructant – dans sa détention. Loin, très loin, encore de pouvoir faire naître l'innocence – la clé de sa geôle – et ainsi faire éclater sa délivrance...

 

 

Une étoile. Comme un songe, une promesse, un espoir de voir, un jour, briller un ciel moins noir...

 

 

Comment pourrions-nous franchir les grilles de ce mur absent... Comment pourrions-nous échapper au territoire... – et fuir notre présence... Comment pourrions-nous renier ce que nous sommes... et nous en extraire... Tout à la fois aire, espace, frontière, détention, élans et désirs d'ailleurs, barreaux, geôlier, prisonnier et liberté... Voués à jamais à l'impossible tâche de se voir – et de se reconnaître dans l'unité – et de vivre les mille liens de la solitude et de l'abandon – pour se retrouver identiques – aussi semblables et divers qu'aux premiers instants des origines – mais libres de ce que nous avons cru être et de ce qui semblait nous entraver...

 

 

Le regard est l'espace où l'âme et le monde se rencontrent. Et le lieu où ils s'unissent dans le silence si l'innocence les précède... Et de cette union naît la joie – la plus haute réjouissance de l'être...

 

 

A l'origine qu'avions-nous en tête sinon le silence et l'Amour, entravés, au fil des pas, par tant de bruits, de haine et d'ignorance qu'effaceront, peu à peu, l'innocence et la lumière...

 

 

Le monde. Un mythe ? Un songe ? Et si nous faisions de lui un lieu de lumière... éclatant d'innocence et de beauté où l'on deviendrait le miroir et les visages – l'infini miroir, la figure entière de son peuple et son reflet...  

 

14 décembre 2017

Carnet n°106 Lumière, visages et tressaillements

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Des mains qui amassent. Et des vies qui s'encombrent d'un surplus de monde. Et un cœur qui efface pour que le rien devienne trésor... Un regard étincelant sur le brin d'herbe et l'oiseau. Et la beauté si saisissante du monde et des visages...

Et si nous pouvions nous surprendre cherchant à tâtons, au cœur du jour, la lumière... naîtrait sans doute (aussitôt) un grand rire... Et nous regarderions notre visage défiguré par la peur s’émerveiller soudain du grand soleil déjà présent à nos côtés – illuminant le fond de l'abîme où nous avons cru être jetés...

 

 

Il faut avoir traversé la nuit pour en témoigner. Et avoir laissé le vent balayer l'épais rideau des songes qui nous cachait le jour – la lumière...

 

 

La vie pleine n'est accessible qu'au regard vide, à l'âme innocente et au cœur sensible. Le premier si lointain et si vaste et les deux autres si proches – si unis aux tremblements du monde...

 

 

Tant de questions animent l'homme (l'homme véritable). Et aucune réponse n'est capable de le satisfaire. Et de combler son désir d'infini et d'Absolu. Seule la lumière saura éclairer ses interrogations et dissiper sa soif de réponse en lui révélant l'accès à sa nature intensément lumineuse...

 

 

Et si un seul homme se levait pour nous dire la vérité, l'entendrait-on ? Je crains que nous ne restions sourds à sa parole. Plus sage peut-être serait de laisser aux fleurs le soin de nous y ouvrir...

 

 

Le monde. Une ombre – quelques ombres – sur la jetée que nous croyons plus réelles que l'espace – l'espace lumineux – qui les accueille et les éclaire...

 

 

L'eau et la sauterelle, l'herbe et la rivière, plus vives et nécessaires que la parole désenchantée du monde – bien trop affairé avec ses rêves de gloire et ses parures enfantines perlées d'une gaieté insouciante – presque mensongère – pour s'occuper de métaphysique – et répondre aux questions les plus fondamentales. Les fadaises toujours plus séduisantes que la vérité...

 

 

Un sursaut d'espérance dans la nuit. Et l'homme qui croit ainsi avancer – et se rapprocher de la lumière... Mais ses pas seront toujours sous les étoiles. Et l'horizon inaccessible... C'est au dedans que l'homme doit s'ouvrir pour que la clarté s'embrase – et rayonne sur les chemins. Le monde alors se révélera avec le jour naissant – et la nitescence toujours plus vive du cœur. Comment pourrions-nous accéder autrement à la lumière – et la fréquenter...

 

 

Le malheur ne tient qu'à l'espérance d'un ailleurs et d'un plus loind'un meilleur et d'un autrement... Et l'apaisement – et la réconciliation – toujours naissent de l'instant nu, dépouillé de tout rêve et de tout propos, qui ouvre la vie aux heures blanches où le vent s'infiltre pour balayer tous les songes.

 

 

Des mains qui amassent. Et des vies qui s'encombrent d'un surplus de monde. Et un cœur qui efface pour que le rien devienne trésor... Un regard étincelant sur le brin d'herbe et l'oiseau. Et la beauté si saisissante du monde et des visages...

 

 

Les eaux grises du monde et ses berges marécageuses. Et au cœur de l'étendue, l'îlot lumineux sur son infime tertre, à proximité des nuages. Clarté franche – et innocente – parmi la noirceur des visages et les mains fuyantes qui n'agrippent que le sable et le limon des rives mortes – si peu vivantes – où la vie s'étale exsangue – et asphyxiée. Comme une trouée d'air pur dans l'odeur de mazout et les fragrances (nauséabondes) du labeur et de l'appropriation. Comme une aire de liberté parmi les bras prisonniers des saisies et de l'espérance...

 

 

L'immense puzzle mouvant de l'Existant. Le cœur si penché – si proche – comme immergé au dedans. Et l’œil si libre de la trame...

 

 

La présence ouvre à la rencontre. Temps – instants – de présence où tout devient rencontre... Où tout est vu, éclairé et accueilli – le moindre frémissement – le moindre tressaillement de l'âme et du monde. Joie et beauté indicibles de l'accueil et de la réunification...

 

 

Pourquoi s'élancer sur les routes alors que veille au dedans le seul trésor...

 

 

Et si nos blessures aussi n'étaient que des songes... Crispations glacées devant l'incertain...

 

 

Jamais les peurs ne pourront nous conduire jusqu'à l'aire des confiances où règnent la quiétude et le cœur serein...

 

 

L'innocence est le lieu de tous les désirs. La clé et le passage vers l'autre rive où patientent la lumière, l'infini et l'éternité. Et le véhicule pour nous y mener...

 

 

Et si tous les visages en lambeaux – défigurés et privés de lumière – étaient les nôtres. Et si nous les aidions à traverser les eaux noires du monde – et à accéder à l'autre rive, serions-nous enfin tous reconnus comme les enfants de la lumière...

 

 

Et si nous trempions nos mains et nos lèvres dans la candeur et l'innocence, notre geste et notre parole seraient-ils enfin justes et beaux – à l'égal des ambitions de Dieu pour le peuple infime de la terre...

 

 

Rien ne résiste à l'effacement. Ni les peurs, ni les désirs. Ni, bien sûr, les songes et les ambitions. Après l’effacement, rien ne demeure. Ne subsiste que le regard innocent...

 

 

L'être infini. Et nos visages dérisoires sur leur infime parcelle de terre. Dieu, selon notre posture, doit parfois en rire – et d'autres fois, en pleurer. Mais comment pourrait-il ne pas toujours s'en émerveiller ? Je devine – et vois parfois – derrière ses lèvres hilares ou ses (chaudes) larmes, l'éternel sourire de ses yeux tendres...

 

 

Comment pourrions-nous craindre Dieu et la vie en voyant le miracle de leur Amour derrière – et en dépit de – la noirceur de nos gestes infirmes ? Comment pourrions-nous rester aveugles à tant de merveilles ? Et à ceux qui ne savent voir, apprenons leur à mieux regarder...

 

 

Seule la lumière fera fondre nos banquises imparfaites. Et les réduira en résidus naturels. Et seule l'innocence saura les initier à leur sort – et à leur voyage – pour les mener à bon port...

 

 

Qu'importe notre visage et notre âme – et leur nature solaire ou ombrageuse... – pourvu que l'on acquiesce à leurs élans spontanés, ils trouveront leur place – et joueront leur rôle – en ce monde. Et découvriront, au fil de leur mission, la promesse d'un autre ciel – cette lumière si inespérée...

 

 

Ressentir tous les frémissements du monde et tous les tressaillements de l'âme – jusqu'aux plus infimes, serait-ce donc cela avoir un cœur ? Et s'ouvrir à ce regard – à cette présence en nous – qui les exacerbe – et être capable de les fréquenter – serait-ce donc là l'unique voie pour nous rapprocher de notre lumière...

 

 

Les malheurs, souvent, aggravent la cécité. Pour mille malheureux aux yeux borgnes – toujours plus borgnes –, un seul regard clair qui aura vu, derrière les malheurs, le sourire tendre de la lumière...

 

 

Un homme, une ombre. Un tapis, une terrasse. Une fête, un lieu charmant. Et le monde que l'on plie à la hâte dans quelques cartons d'invitation et de belles brochures au parfum de réclame. Et l'âme que l'on froisse sans même se douter qu'elle existe – et qu'elle a plus de poids que l'homme, l'ombre, le tapis, la terrasse et le monde additionnés dans un geste grossier et machinal...

 

 

Et ce rouge sombre qui sèche sur l'écrin blanc de la neige... Sur cette terre de massacres et de flocons où l'âme est maudite. Où les haches et le glaive fissurent la lumière promise – et la promesse même de toute lumière...

 

 

Attendons le jour où les vents ne pourront plus porter notre carcasse – et auront asséché nos désirs, alors peut-être l'âme s'éveillera de sa nuit, éventrera le coton des oreillers maculés de sang et de rêves pour se glisser dans les plis du soleil où elle reprendra quelques forces avant de monter à l'assaut de la lumière... Il n'y a d'autre espoir pour voir la terre – et son peuple – lavés de leurs batailles et de leurs poussières...

Et nous attendrons tous, la joue posée contre le jour, la fin de notre (longue) nuit...

 

 

Et si les vents n'étaient que le souffle de Dieu chargé de nous débarrasser de nos maigres et encombrants bagages... Et si l'innocence naissait de cet abandon... Et si la joie, la grâce et la beauté s'invitaient dans la pureté de ce geste de confiance... Les hommes alors, sans doute, seraient bien surpris d'apercevoir dans leur regard, dans le monde et dans leur vie ce Dieu auquel ils n'ont jamais cru – et qu'ils ont piétiné et délaissé pour des idoles monstrueuses...

 

 

Et si la neige sur l'aurore était plus blanche que nos pas dans la nuit... Et si Dieu avait raison d'insister – et d'écraser notre joue sur la vitre sale de la fenêtre par laquelle nous regardons le monde – et espérons tant de lui... Et s'il avait raison de frapper l'âme du bâton prometteur de la tristesse pour que nos larmes coulent – et que le sang cesse d'abreuver la terre – et de tacher nos poches si indigentes – et si garnies... Et si nous avions la sagesse d'écouter sa parole – et ses consignes – et de nous abandonner à son silence – et aux volontés si naturelles de la chair, alors la nuit, peut-être, prendrait fin – et se lèverait l'aurore sur l'horizon – sur tous les horizons de cette terre saturée de songes, de neige et de sang...

 

 

Dans sa petite chambre d'écriture, le poète – le penseur – écrit comme le jardinier cultive son jardin. Quotidiennement. Et à l'abri des regards – sans que nul ne sache ce qu'il a planté ni ce qu'il fait pousser... On aperçoit parfois le poète – le penseur – sortir de son atelier avec quelques feuillets à la main comme l'on voit, de temps à autre, le jardinier sortir de son potager avec un panier ou une caisse chargé(e) de provisions. Le premier offre ses lignes, ses notes et ses livres comme le second offre ses salades et ses légumes pour la soupe du soir et, parfois (lorsque leur âme est joyeuse) quelques fleurs pour égayer le cœur d'une femme – ou éveiller à la grâce le cœur du monde. Ainsi le poète – le penseur – et le jardinier livrent, presque chaque jour, les fruits de leur patient labeur : de belles et savoureuses réjouissances pour le corps et l'esprit. Des pleines brassées de fraîcheurs, parfois un peu étranges et biscornues, que l'on ne trouve ni sur les étals des marchés ni dans les rayonnages des librairies, mais qui, assurément, sont saines et naturelles – et qui font toujours les délices de l'âme...

 

 

Toi, lecteur, qui ouvres ce livre – et en parcours les pages – sens-tu l'âme de leur auteur ? Et ses infimes tressaillements ? Aperçois-tu ton visage à travers ces lignes ? Je te le souhaite... C'est pour toi – et toi seul – qu'elles ont été écrites. Et il convient de t'en saisir pour que te soit révélé(e) ta propre lumière – et le chemin qu'il te faudra emprunter pour t'en approcher et la fréquenter afin qu'elle puisse rayonner à travers ton être*...

* Afin que ton cœur, tes lèvres, ton visage et tes mains puissent en devenir l'exact reflet...

 

 

La lumière encore. La lumière toujours. Partout. Au dedans comme au dehors. Devant et derrière. Au dessus et en dessous. Et jusque dans tous les recoins – et les replis – de l'ombre...

 

 

De petit mot en petit mot. De petite note en petite note. Ainsi s'écrivent nos livres. Et se dessine humblement notre œuvre...

 

 

Notre petite chambre d'écriture. Le modeste atelier du poète où viennent se réfugier le cœur et le monde incompris. Le cœur et le monde endoloris par tant de coups et de paresse...

 

 

De l'homme au monde, pris (piégé souvent, du moins, le croit-il...) dans la trame des événements et des existences, à la conscience-monde (à l'être-présence), ainsi, je crois, se dessine la métamorphose universelle... La promesse offerte à chacun de réaliser – et de vivre – sa véritable nature. Et sa plus profonde identité...

 

 

Dans la foulée fraîche des heures, les hommes s'enlisent. Et dans leur miroir se reflète l'ombre de leur visage. Mille ans pourraient passer. Et rien ne changerait. Du sable et des rêves tachés de sang...

Et ce vent sur notre visage qui creuse son sillon de lumière...

 

 

Quand donc, Ô Dieu, effaceras-tu leur visage – et libéreras-tu la grève de leurs poussières...

 

 

Les hommes, le corps solide, ventru, énorme. Et l'âme si décharnée. Comme écrasée par la graisse du cœur, dégoulinante (si souvent) d'abjections...

 

 

Ah ! Si les pierres du monde pouvaient parler, nous connaîtrions enfin l'histoire de la terre. Et l'on devinerait le sort de nos pas – et la mort (infâme) qui nous est promise...

 

 

Mais quel est donc ce sang qui sort de la bouche des hommes ? Naîtrait-il des entrailles de la terre ? Et qu'est-ce donc que cette montagne de corps ruisselants ? Et tous ces visages – et tous ces chemins – tachés de rouge...

 

 

Et si derrière le haut mur dressé devant la vie, il n'y avait ni tombe ni cyprès – que l'on ne plante (sans doute) que pour les vivants et les rassurer de l'incertain voyage... Et si tout continuait – et recommençait différemment – avec peut-être simplement un nouveau visage...

 

 

Et si l'affreux béton gris dont nous recouvrons la terre était l’œuvre du Diable. Son appel insistant – son invitation perpétuelle à la mort – et dont nous serions les anges noirs... Le bras funeste et grossier dérobant au monde la beauté des forêts...

 

 

L'homme, le corps repu. Et l'âme, abandonnée, qui crie sa faim...

 

 

Et si la nuit – notre nuit – n'était pas le voile le plus sombre... Et si un démon plus obscur – et plus ténébreux encore – avait investi la place – l'antre vacant et inoccupé du cœur – pour plonger le monde dans la noirceur – et l'obliger à crier sa faim de lumière...

 

 

Et si la mort, blanche comme le jour, n'avait davantage de lumière à nous offrir... Et si les heures n'ouvraient ni à la montée ni à l'envol... Et s'il n'y avait que l'instant pour nous délivrer – et le ciel pour nous accueillir...

 

 

Alors que poussent sur la terre les murs et les barrières qui cherchent en vain à protéger – et à mettre à l'abri – nos poussières, et si l'espoir, en définitive, reposait (tout entier) sur le vent – et ses souffles libérateurs...

 

 

Du sable et des rêves tachés de sang. Voilà à quoi nous reléguons nos vies. Et voilà ce que nous offrons au monde et à la terre. Et pas une main levée pour dissiper les songes – et briser les épées. Et pas une seule âme dressée pour crier son innocence...

 

 

Le poète n'écrit rien. Ne produit rien. Il est le terrain de la parole. Le réceptacle sensible des tressaillements du ciel. Et la main de l'âme qui les restitue... C'est au lecteur toujours que revient le plus âpre labeur. Suivre la parole – et lui redonner un visage pour y voir le ciel dansant. Et que se dessine la lumière sur les pages pour éclairer son âme et son propre visage...

 

 

Si nous savions écouter la terre, elle aurait tant à nous dire... Les arbres et les rochers nous parleraient des nuages. Les rivières nous parleraient de la pluie, des falaises et de la rosée. Et notre visage saurait ce qu'il est, ravi de sa demeure – et heureux parmi ses frères sous un ciel enfin réconcilié...

 

 

Hymnes sauvages et chants naturels à la fois exacerbés et corrompus par la voix – et l'ambition – humaines, si grasses des plus vils et des plus nobles instincts de la terre (la survie et la persévérance dans son être) et encore si éloignées de la lumière...

 

 

Encore un songe qui n'aura ébloui que les yeux. Et piétiné l'innocence. Encore un songe qui en nous éloignant de la lumière nous en rapprochera...

 

 

Une voix discrète, à peine audible, s'élève dans la nuit. Celle du poète – son cri – indifférent à l'indifférence des hommes. Inentendu sur terre mais dont les vibrations déchirent le ciel – seul témoin à reconnaître la nécessité – et la sagesse – de sa parole...

 

 

Une nuit en plein jour où les hommes ne distinguent plus même les étoiles. Où la noirceur est si acclamée qu'elle devient lumière. Où les silhouettes – toutes les silhouettes – sont grises et les âmes obscurcies – et égarées – par tant d'errances. Où dans tous les panthéons, la figure du fou a remplacé celle du sage. Où les marchands sont adulés et les poètes méprisés. Où les foules ne se lassent jamais de vénérer et d’idolâtrer les ombres...

 

 

Être seul et contemplatif. Voilà, évidemment, de quoi réjouir l'âme. Assis dans l'herbe parmi les insectes et les nuages. En compagnie des arbres et du ciel. Voilà de quoi sentir le cœur du monde palpiter. Voilà de quoi être au plus proche de la vie pleine – sentir vibrer les sentiments les plus bruts et les plus naturels de l'homme – et laisser la main courir sur son carnet – se livrer à quelques notes et épanchements...

 

 

Tout ce qui est naît, pousse, grandit, évolue et disparaît dans la plus parfaite impersonnalité. Plongé tout entier dans son destin. Et l'homme, doté par la nature (et par Dieu sans doute) de quelques velléités d'intelligence n'échappe pas à cette loi bien qu'il s'imagine libre et doué de libre arbitre (quelle idiotie...) – et qu'il pense, dans sa grande et belle ignorance, pouvoir se façonner un destin. Mais son existence et son histoire (tout entières) sont pourtant, elles aussi, pleinement plongées dans les charmes et les mystères de l'impersonnel. Fruit à la fois des instincts de la terre et de la volonté énigmatique du ciel. Conscience et énergie liées d'une inséparable façon...

 

 

Ah ! Le beau regard du premier homme ! Si plein d'émerveillement pour les beautés de la terre, si curieux de son mystère et doté de cet insatiable appétit de comprendre. Et bientôt corrompu (corrompu malgré lui) par la violence des instincts et la force des désirs du monde. Et bientôt envahi par la peur et les doutes – par l'impératif de survie et le recroquevillement*...

* Recroquevillements perceptif et existentiel...

 

 

La nuit, le monde endormi. Et pas davantage éveillé durant le jour... Emporté par ses tourbillons ravageurs. Rabâchant ses songes. Les améliorant à l'occasion – à chaque nouvelle opportunité. Se rapprochant (continuellement) de ses fantasmes. Poursuivant inlassablement son sommeil...

 

 

Hommes et monde, pantins de la conscience, unique marionnettiste dont le jeu et les fils pénètrent si profondément – et si intelligemment – chaque fibre (et chaque cellule) de ses marionnettes qu'il leur fait croire qu'elles sont maîtres de leur destin... Quel merveilleux et diabolique stratagème pour que les hommes et le monde s'éveillent à eux-mêmes – et finissent, un jour, à force d'expériences et de compréhension, par se reconnaître pleinement en la conscience...

 

 

Les mots faibles – vacillants – qui s'entrechoquent au fond du crâne – et sortent des lèvres en logorrhée. Qui jaillissent et s'élancent à l'assaut du monde – à l'assaut des visages – pour les convaincre, les rallier, les corrompre. Et, au loin, l'homme sage assis en silence. Mastiquant sa parole inentendue. Belle pourtant de tant de vérités...

 

 

S'asseoir en silence. Et regarder les désastres et les merveilles du monde. La grâce et le saccage des vies...

 

 

Que l'homme est beau – et que son visage est doux et lucide (un peu effrayé peut-être parfois) lorsqu'il se retrouve seul et nu – sans accessoire ni outil. On aimerait alors embrasser sa tristesse, sa solitude et ses interrogations. Lui ouvrir grande la porte des retrouvailles. Et offrir à son âme le silence – le beau silence – qu'elle réclame...

 

 

Le silence, bien sûr, aura toujours plus à offrir que le langage. Et la parole – la parole simple et profonde – qui émane du silence (qui sait y trouver appui et s'y coucher avec modestie) est – et sera toujours – plus riche que les discours complexes et argumentatifs orchestrés par la raison...

 

 

Et si le silence avait raison de caresser notre visage... Et si seulement notre âme savait parfaitement s'y coucher, le monde alors deviendrait plus séduisant que les songes...

 

 

Sur notre visage – et dans nos pages, s'exprime toute la couleur de notre âme...

 

 

Il n'y a, je crois, de plus beau tressaillement que celui de la liberté innocente... Son ombre même semble portée par la grâce...

 

 

Et si l'ambition et la convoitise n'étaient que le désir d'une reconnaissance – d'une égalité – d'une extinction... Mais qui donc a décrété que nous n'étions pas égaux face au silence – si humbles – si blêmes – si innocents...

 

 

Lorsque la nuit aura la candeur du jour, aurore et crépuscule se confondront. Et les âmes iront, légères, dans les heures blanches...

 

 

Aucun œil penché sur nos pages. Pas même une ombre. Ni même une silhouette. Et le ciel, hilare, qui applaudit... Sachant, sans doute, que la renommée – et le vain prestige – entachent presque toujours l'innocence – arrachent l'âme à son humilité et la redressent... Et sans innocence – et sans humilité – comment pourrait naître la parole – la parole poétique – si nécessaire à la terre malgré le mépris et l'indifférence des hommes...

 

 

Et si tous les hommes mêlaient leurs larmes... et si tous les poètes unissaient leur cri, les étoiles sur la terre seraient-elles plus vives ? Scintilleraient-elles davantage ? Et le ciel devant nos yeux serait-il plus bleu ? Et l'avenir du monde moins sombre – et les êtres assurés d'aller plus libres et plus joyeux vers leur destin ?

 

 

Et si le monde, soudain, devenait plus doux que les songes, échapperions-nous aux rêves ? Et ces larmes – toutes ces larmes – sur notre visage triste se transformeraient-elles en confettis de lumière ?

 

 

L'âme triste, souvent, est la muse du poète. Mais ses larmes jamais n'effacent le sourire – et la tendresse – de son visage. Et sa main toujours continuera de courir sur l'innocence de la page. Et les jours gris – les heures noires – et le monde si plein de chaos et de beauté – et la joie – et la grâce des années – et l'infini rempliront toujours son silence...

 

 

Tant d'heures – et d'instants – étranges et différents dans une journée. Comme une vie entière qui défilerait en un seul jour...

 

 

Une vie entière parfois brisée – brisée à jamais – par un instant – un seul instant de malheur. Et qui invite la noirceur jusqu'à la fin des jours...

Et une vie entière parfois arrachée – arrachée à jamais – aux malheurs par un instant – un seul instant – de grâce et de présence. Et qui invite le cœur à s'évider – et l'innocence et l'éternité jusqu'à la fin des temps...

 

 

Et si les hommes se tenaient la main – et si les sages et les poètes versaient sur les lèvres leurs paroles, les larmes couleraient-elles devant tant de beauté – devant cette chaîne ininterrompue de chair et d'émotions ? L'innocence et la joie seraient-elles enfin accessibles ? Dieu n'a sans doute pour les hommes d'autre rêve... Et voilà peut-être pourquoi, il encourage le labeur des sages et des poètes...

 

 

La mauvaise foi du monde. Mal inguérissable sans doute tant que l'individualité et les représentations seront à la manœuvre dans l'esprit des hommes...

 

 

Les hommes toujours (en apparence) sûrs de leur posture et de leurs bons droits. Et les affichant avec assurance, fierté et ostentation malgré la déficience évidente de leur savoir, la faiblesse de leur argumentation et leur confiance (en eux) étroite, bancale et mal assurée... Comme des coqs et des grenouilles postés devant l'humble et sereine quiétude d'un bœuf sage...

 

 

J'abhorre la morgue crasse et prétentieuse de l'humanité. Ah ! Faites donc que Dieu m'entende – et qu'il leur fasse fermer leur clapet – et ravaler leur maladif orgueil !

 

 

Aujourd'hui, qui en ce monde (numérique) malade de réclame, de conquête et d'égotisme, ne dispose de sa vitrine pour afficher – et exposer à la terre entière (et peut-être bientôt à l'ensemble de l'univers...) sa misérable existence, ses dérisoires richesses, ses pauvres exploits et ses découvertes sans envergure ? Partout le foisonnement de l'indigence, du spectaculaire (mensonger) et de la médiocrité... Partout le triste spectacle de la bêtise offert à la stupidité des hommes...

 

 

Au fil de sa fréquentation du monde et de l'humanité, l'innocence originelle s'est corrompue. La force des instincts s'y est substituée. Et est devenue loi... Et l'homme sage doit y faire face. Et y répondre parfois (lorsqu'il y est acculé) de la même façon – à la manière des bêtes...

 

 

Ce monde a insidieusement aboli la curiosité et le questionnement naturels, le goût de l'effort, le geste désintéressé, l'innocence et la sagesse. A présent, les hommes ne jurent plus que par leurs contraires – et ne se gavent – et ne s'occupent plus – désormais que d'opinions, de jugements, d'idées faciles, de prêt-à-penser, de confort, de facilité, de commerce, de réclame, d'astuces, de stratégies, de jeux et de distraction. Voilà à quoi ressemblent aujourd'hui le monde et la vie des hommes sacrifiant sur l'autel de la bêtise et de l'ignorance les plus belles caractéristiques – et les plus beaux atouts – de l'humanité...

 

 

Un bureau à ciel ouvert. Un carré d'herbe. Un coin de ciel. Et le cœur – et la main – qui s'offrent à leur vocation. En de telles conditions comment pourrait-on ne pas aimer sa besogne ? En de telles conditions comment le travail (mais en est-ce vraiment un ?) pourrait-il ne pas être épanouissant ? N'offre-t-il pas un poste naturel et sur-mesure adapté à notre entière idiosyncrasie ? A mille lieues des emplois rébarbatifs, alimentaires et sans intérêt de notre époque...

 

 

L'écriture parfois se fait présence. Compagnie nécessaire à la solitude. Comme un surplus d'être à nos déficiences... Offrant peut-être aussi la certitude de la réalité (d'une certaine réalité) de l'existence – que quelque chose en nous vit – et éprouve – des événements pas tout à fait fictifs – des faits et des circonstances qui induisent des ressentis et des impressions qui peuvent être couchés sur le papier – des notes qui attestent que nous sommes vivants – que quelque chose en nous est présent au monde...

 

 

Aujourd'hui, de quels métiers une société – une communauté d'hommes – ne pourrait-elle se passer ? De paysans pour offrir à manger (et répondre aux besoins alimentaires), d'éducateurs pour inculquer les savoirs, d'artisans pour fabriquer les objets d'usage courant, de médecins (herboristes et guérisseurs) pour soigner les corps, de chercheurs pour continuer à répondre aux plus belles aspirations de l'homme, et de poètes – et de sages – pour dire l'indicible et l'invisible. Métiers auxquels on pourrait peut-être (éventuellement) ajouter quelques postes de techniciens pour faire fonctionner les appareils et les machines...

Et n'allez pas croire que cette courte liste et l'usage de termes un peu désuets fassent de moi le chantre d'un quelconque passéisme. Ils soulignent simplement que l'homme (l'homme naturel) a besoin, en définitive, de peu de choses pour vivre. Et que le monde actuel (et futur sans doute) avec ses millions d'emplois de toutes sortes (dans tous les domaines) et ses millions d'objets et de choses produites et consommées ne répond qu'aux exigences capricieuses de nos esprits immatures et ne fait, en vérité, qu'alimenter l'absurdité de nos existences...

 

 

En définitive, je suis comme les bêtes. Je ne peux vivre qu'à l'écart des hommes – dans les forêts et les collines. Et je ne peux me résoudre à les fréquenter pour mille raisons (et toujours pour mille justes et bonnes raisons). Et comme les bêtes, seule la compagnie du ciel et des arbres m'enchante...

 

 

Le regard lointain. Et le cœur proche. Au plus près du monde – uni aux gestes, aux situations et aux circonstances. Ainsi vit l'homme sage...

 

 

A l'échelle géologique, que représente, pour la roche et la couche terrestre, une civilisation avec ses routes, ses cités, ses monuments et ses bâtiments ? Que représente une ville avec ses rues, ses édifices et ses trottoirs ? Et que représente une simple habitation (si importante à nos yeux) avec ses murs, ses terrasses et ses jardins ? A peu près rien. Une mince couche de vernis que les vents, un jour, balaieront et effaceront pour laisser réapparaître la roche et la couche terrestre aussi neuves qu'au premier jour...

 

 

Depuis la naissance du monde, la même histoire, indéfiniment, se répète. A peine soucieuse de changer d'habits et de décors et pourtant, contrainte malgré elle, d'en endosser toujours de nouveaux...

 

 

Un homme face au ciel. Seul et interrogatif. Le regard irrésistiblement attiré par l'infini et la lumière. Qu'y a-t-il de plus émouvant en cette humanité...

 

 

La besogne obscure du poète. Et ses lignes claires sur le blanc de la page. Tentant d'arracher à la noirceur du monde – et de l'âme – un peu de lumière...

 

 

On pourrait pourchasser les ombres. Mais à quoi bon ? dit la lumière. Laissons-les s'effacer... Et nous en serons à jamais débarrassés. Mais avant qu'elles ne disparaissent, sachons nous montrer patients...

 

 

Au milieu des bêtes, le jour clair. La fête. Et la danse du vent. Les révérences de l'herbe. L'acquiescement silencieux des arbres. Et l'approbation du ciel et des nuages. La musique de l'eau sur les roches et les galets des rivières. Le consentement entier de l'univers.

Et au milieu des hommes, la nuit qui avale. Le froid et la peur qui gagnent le fond des âmes. Et le cœur asphyxié qui s'atrophie...

 

 

Et si, un jour, l'aube s'ouvrait définitivement... Mais n'est-elle pas déjà ouverte ? dit la lumière. Les portes du silence ne te sont-elles donc pas accessibles ? Où as-tu donc posé les yeux – et ton cœur – pour qu'elles te demeurent invisibles ?

 

 

L'angoissante approche du monde à notre fenêtre. Traversant portes closes et volets fermés. Pénétrant tout jusqu'à la moelle. Et l'extra sensible jamais ne pourra se barricader. Il se laissera dévorer jusqu'au dernier os...

 

 

L'homme, ce passant pressé aux folles idées. A l'existence plus stupide que celle du brin d'herbe, moins belle que celle de la fleur, moins vive que celle de la bête et moins vaste que celle de l'étoile. A l'esprit – et au regard – si borgnes – si éteints qu'il ne devine pas même l'infini et la lumière qui l’accueillent et l'éclairent...

 

 

Qui es-tu vraiment – et où es-tu donc –, présence, parmi les nuées d'hommes et d'insectes – et les grandes étendues d'herbe verte ? Moi qui t'apercevais – et te fréquentais – dans l'infini clair du ciel, pourquoi ai-je tant de mal à te voir – et à t'approcher – sur la terre noire et surpeuplée ?

 

 

Ah !Cette si parfaite normalité qui cache tant de déficiences : intellectuelle, sensible, émotionnelle, métaphysique, relationnelle, spirituelle, compréhensive, perceptive... Et dire que parmi les hommes, une belle moitié n'en a pas même conscience – et que l'autre dissimule sa différence (et ses particularités) pour ne pas se singulariser et sortir du rang... Quel égarement lorsque l'on sait la longue et rude besogne qui nous attend...

 

 

Lorsque je vois un être – un homme – faire son possible – faire de son mieux – en offrant toute son âme pour aider et accompagner d'autres êtres – d'autres hommes – (et qu'importe ce qu'ils sont...) sans fanfare ni trompette, animé par sa seule foi en la vie – par sa seule foi en le monde –, mon cœur s'émeut. Et les larmes coulent sans que je puisse les retenir. Et me vient l'envie – presque irrépressible – de l'embrasser et de le serrer contre moi...

 

 

Au lieu de célébrer l'Amour et la gratuité, l'homme vénère la valeur et la ruse... Et qui plus est, donne à tous les (faux) airs de partage et de fraternité les couleurs du désintéressement et de la générosité... Ah ! Mon Dieu ! Quel pitoyable animal...

 

 

Il y a souvent (en nous) une foule de souvenirs qui nous blessent (encore) et quelques images qui savent nous réconforter avant que l'innocence – le regard innocent – ne panse nos blessures et n'offre pleinement sa joie. Effaçant presque totalement* la fatalité des souvenirs douloureux et la nécessité d'images réconfortantes...

* Hormis peut-être dans nos jours et nos périodes les plus sombres où nous sommes (presque) incapables d'habiter l'innocence – le regard innocent... 

 

 

Philosophie, existence, poésie et spiritualité. Notes d'un homme sur l'Absolu, la vérité, l'infini, la vie, l'éternité, le monde, la nature, les hommes, les bêtes, le chemin, la présence et l'impersonnalité...

 

 

[Eléments de portait(s) (im)personnel(s) ?]

Qui suis-je ? Un auteur parfaitement inconnu. Un passant. Un passager provisoire. Un funambule aux semelles plantées dans le roc. Un visage anonyme. Un instant dans l'éternité. Un souffle rauque et léger dans l'infini. A peu près rien. Personne. Une ombre fragile dans la lumière. Un cri sans écho peut-être... Un gravillon sur le chemin – et dans la sandale du marcheur. Une lueur sur l'horizon. Une lanterne dans la nuit. Une question sans réponse. Pas même un message. Une incongruité peut-être... Une secousse. Un léger tressaillement dans l'air. Un parfum oublié. Une silhouette que l'on oubliera. Un labyrinthe. Un puzzle vertigineux. Un désastre. Une modeste hécatombe. Un prophète ignare et ignoré. Un jeu sans rôle ni drôle. Un rêve. Un cauchemar peut-être... Un oubli. Une erreur. Une plaisanterie de mauvais goût. Dieu. Un pantin. L'infini. Et le silence enfin retrouvant son origine...

 

 

L'univers d'un être se réduit, le plus souvent, à quelques visages... Homme ou bête, jeune ou vieux, riche ou pauvre, célèbre ou anonyme qu'importe... Le monde se réduit simplement à quelques visages. Et les autres – le reste du monde – ne sont qu'un décor (presque) sans importance...

 

 

En nous se cherche cette présence incomparable que les jours – et les siècles – nous révèlent...

 

 

Une voix qui s'éteint dans l'aurore. Et le soleil resplendissant – plus resplendissant encore peut-être de cette absence...

 

 

Et si nous portions l'eau du puits à nos lèvres, la pluie serait-elle moins noire ? Et la gorgée plus fraîche que nos lampées avides à nos mares – et à nos flaques – croupies et asséchées...

 

 

Et si le lointain n'était que le songe du plus proche... Le rêve de Dieu de nous voir parcourir le monde pour retrouver la source de toutes les existences... Pour que nous puissions nous y rafraîchir – et nous y abreuver...

 

 

Les oiseaux de passage s'effacent dans la couleur des saisons. Et des collines ils s'envolent vers des terres plus claires – plus transparentes peut-être – plus proches sans doute de la main de Dieu. Comment les oiseaux pourraient-ils ignorer que le ciel est leur destin ?

 

 

Et si la bouche – et si nos lèvres – n'étaient faites pour parler. Ni même pour manger. Mais pour sourire et embrasser...

 

 

Et si l'âme n'était que le visage singulier des profondeurs impersonnelles... Une facette – l'une des innombrables facettes – de sa figure infinie...

 

 

Et si nous pouvions nous surprendre cherchant à tâtons, au cœur du jour, la lumière... naîtrait sans doute (aussitôt) un grand rire... Et nous regarderions notre visage défiguré par la peur s’émerveiller soudain du grand soleil déjà présent à nos côtés – illuminant le fond de l'abîme où nous avons cru être jetés...

 

 

On ne vit jamais qu'une fois la vie – l'instant – tout au long de l'éternité... Et cela serait mal connaître les dieux, la terre passante et le ciel vaillant et indéchiffrable que d'oser vivre – et affirmer – le contraire. On vivrait alors, sans doute, bien bête et déprimé – et presque sans âme – jusqu'à la fin des temps...

 

 

Une averse drue dans la campagne. Une pluie fine au coin des yeux – et la chevelure dégoulinante. Et dans le ciel gris, les nuages espiègles qui se jouent des couleurs, repeignant les âmes, les visages et les paysages de leurs doigts lestes – étalant à grands seaux leur palette née des océans. Et sous leurs pinceaux toujours chanteront les rivières et les oiseaux...

 

 

Et si le silence de l'herbe était plus juste que la parole poétique. Et si le monde était plus vrai que ces lignes... Et si, malgré tout, nous avions raison de continuer à dire le monde – à nous ouvrir au silence de l'herbe – et à lire les livres des poètes...

 

 

Le feu et le froid des jours. En égale proportion sur nos vies. Et, plus tard, les cendres et la glace recouvrant – et encerclant – le monde. Et les corps ensevelis. Et les têtes – et les mains – surnageant dans la poussière glacée et brûlante, jetant leur cri au silence...

 

 

La vie toujours sera moins sourde au silence qu'à la parole...

 

 

Et si, pour une fois, nous préférerions le silence et la beauté aux fracas du monde et des armes...

 

 

Et si les mots n'étaient que le tricycle de la pensée. Et qu'il nous faudrait apprendre à vivre – et à pédaler – sur des machines moins puériles – puis à nous défaire des engins – pour aller seul – et sans appui – dans les bras de la nuit... Le jour – et nos vies – alors peut-être deviendraient plus clairs...

 

 

Et si nous étions tous, en réalité, la main de Dieu, tantôt sombre, tantôt lumineuse... Frappant parfois les têtes, éviscérant les corps et déchirant les cœurs de son épée. Et d'autres fois, les caressant, les soutenant et les réconfortant de son eau – ou de son huile. Mais guidant – et accompagnant – toujours les âmes sur leur chemin vers leur fief éternel...

 

 

Poète du feu clair. Et des jours sombres. Aux paroles sans malice et à la vérité brute offertes à l'éphémère... 

 

14 décembre 2017

Carnet n°105 Petit état des lieux de l'être, du penseur et de la parole poétique

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

J'écris comme un nouveau-né. Et comme le premier homme. A la fois innocent et interrogateur. Emerveillé par les beautés de la vie et du monde. Et par le miracle de la lumière. Et surpris par la laideur et la noirceur des créatures qui, sans même le savoir, y sont plongées...

 

 

Dans l'arène du temps, songes et souvenirs au corps à corps se débattent et s'étreignent. Laissant s'échapper le plus humble (et le plus rusé) des gladiateurs : l'instant – toujours présent – toujours victorieux...

 

 

Le besoin d'amour livré aux caresses du corps. Et aux griffes du cœur. Voué à toutes les débâcles jusqu'à l'abandon. Jusqu'à l'extinction – et à l'arrivée simultanée de l'Amour...

 

 

Cœur nomade au doux visage trempé par des larmes de gratitude...

 

 

Le cri puissant des bêtes dans la nuit. Réveillant la terre endormie. Sommeillant d'indifférence. A la fois surprise et contrainte d'entendre l'effroi et la terreur nés des mains assassines de l'homme.

 

 

L'indifférence, le mépris et les ambitions. Les rumeurs, les ragots et les blessures. Et le monde piégé dans la ronde infernale initiée par la danse des identités. Voué au tourbillon sans fin...

 

 

Le manège lugubre des années entaillant les visages. Et flétrissant les corps malgré l'invitation permanente à la fraîcheur de l'instant – et au regard toujours neuf posé sur la beauté tragique de la danse et la valse joyeuse des danseurs...

 

 

Aux rythmes chantants des fleurs et des poètes répond le silence. Répond toujours le silence. Et le ciel enchanté...

 

 

Il n'y a de plus beau – et valeureux – guerrier que l'innocent... Et de plus belle – et valeureuse – armée que le peuple des innocents... A eux seuls, ils désarment le monde et les foudres du ciel...

 

 

La curiosité et l'interrogation sont les prémices de l'émerveillement. Et le limité – le sentiment du limité – une porte étroite sur l'infini...

La contraction questionnante et cherchante est toujours l'issue. La seule délivrance possible à toute forme d'aliénation. A toute forme de privation et d'incarcération...

Et Dieu sait que nous sommes tous prisonniers de mille manières... Et qu'il n'y a d'autre voie pour que l'être – sa lumière et son silence – nous révèlent notre nature fondamentalement libre et joyeuse...

 

 

Des mots humbles pour une littérature modeste... Et des notes nécessaires. Bien plus indispensables, sans doute, que la parole mensongère des romanciers...

 

 

Traduire en mots le silence et la profondeur poétique de l'être et du monde. Voilà, sans doute, le travail (le véritable travail) du poète...

 

 

Regard de l'être. Et yeux des créatures. Ah ! Quelle connivence ! Et quelle complicité ! Mais qui connaît – et qui peut réellement connaître – les liens mystérieux qui les unissent...

 

 

Dans le silence de la forêt, le chant des oiseaux. Et leur envol vers l'azur (dans un admirable élan de grâce et de beauté)... Comme si les oiseaux savaient vivre selon leur nature et les lois naturelles... Comme si leur chant et leur envol étaient une célébration. Et une permanente gratitude adressée au ciel et à la terre pour les remercier de porter leur destin...

 

 

On n'écrit jamais que pour soi – afin que le lecteur découvre son véritable visage...

 

 

Le silence. Au commencement et à la fin des mondes. Eminemment présent durant notre passage. Et pourtant presque inaccessible à ce monde si bruyant...

 

 

L'être invulnérable. Inattaquable quels que soient les circonstances, l'état et la posture des êtres du monde. Et infiniment présent, attentif et bienveillant à l'égard de toutes les manifestations...

 

 

Les hommes. Comme d'infimes papillons de nuit errant dans la grande et froide obscurité de l'univers. Attirés – et piégés – par les feux et les néons du monde. Les lumières des cités. La longue liste des fausses promesses...

 

 

Les lèvres se sont tues. Comme si la parole s'était tarie. Recouverte par le silence. Laissant la main inerte et libre. Et le cœur pas même prisonnier de l'innocence. Ciel pur et foulées légères malgré les instincts indéracinables de la terre. Indemnes. Intacts toujours malgré la boue et la poussière...

 

 

Il faut parfois beaucoup de silence autour de soi pour sentir – et goûter – le silence en soi. Comme il faut parfois beaucoup de rudesse autour de soi pour sentir – et goûter – l'Amour en soi. Et d'autres fois, il nous faut exactement le contraire...

L'Absolu – et l'accès à l'Absolu – ne connaissent aucune règle. Tout sans cesse y invite. Et tous les chemins sont possibles ; chacun étant parfaitement adapté à chaque sensibilité cheminante...

 

 

Les événements seront toujours les événements. Et hormis leur impact sur notre compréhension*, que pourraient-ils offrir à notre âme ?

* La compréhension de notre nature véritable, éternelle et absolue...

 

 

Le cœur vierge et azuré. Pleinement vierge et azuré. Et l'âme libre et innocente. Totalement libre et innocente. Aussi comment le geste, le pas et la parole pourraient-ils échapper à l'infini... ?

 

 

Cet abominable instinct du ventre. Son avidité. Son attrait – et son goût bestial – pour la chair. Imaginez un instant ce que seraient la terre et le monde sans lui...

 

 

J'écris pour l'homme seul. Pour celui que la solitude n'effraie pas. Et que sa condition interroge. J'écris pour l'homme seul et démuni. Curieux et perplexe. Débarrassé des artifices et des facilités technologiques et communautaires... Et je ne vois dans le monde que des hommes soucieux de fuir leur solitude et leur condition naturelle, prêts à recouvrir du premier voile venu leurs maigres velléités métaphysiques... Aussi pour quelle raison me plaindrais-je d'avoir si peu de lecteurs*... Je ne veux – et ne peux – m'adresser qu'à l'homme seul... Et le monde, bien sûr, n'en est guère peuplé...

* Et n'avons-nous pas, à ce titre, les lecteurs que nous méritons...

On peut s'adresser aux foules. Leur délivrer une information. Un message ou ce que vous voudrez... Mais on ne peut communiquer qu'avec l'homme seul qui est – et sera à jamais – notre unique interlocuteur. Et s'il se montre curieux, prompt à s'interroger et disposé à s'engager dans une réelle démarche compréhensive, il réunira les conditions parfaites pour la rencontre...

 

 

J'écris comme un nouveau-né. Et comme le premier homme. A la fois innocent et interrogateur. Emerveillé par les beautés de la vie et du monde. Et par le miracle de la lumière. Et surpris par la laideur et la noirceur des créatures qui, sans même le savoir, y sont plongées...

 

 

Qu'adviendrait-il du monde si l'élan naturel de l'impersonnel et la gratuité des gestes remplaçaient l'égotisme et l'avidité ? Sans doute la vie terrestre connaîtrait sa plus belle et faste période... Et on y décèlerait, bien sûr, les signes manifestes de l'Amour. Et la venue incontestable de son règne sur terre et au sein des créatures terrestres...

 

 

La beauté – et la puissance – insaisissables des vents qui balayent le monde et font frémir les cœurs. Qui donc en connaît l'origine ?

 

 

N'oublie le jour – et la lumière – qui t'appellent. Ne renonce jamais à l'infini et au silence pour quelques compagnies et bruits plaisants qui flattent et apaisent l'âme de façon mensongère...

 

 

Comment décrire l'ineffable ? Comment témoigner de l'être nu ? Qu'est-il ? Profondément silencieux. Joyeux en toutes circonstances. Affublé d'un éternel sourire. Infiniment vide et vierge. Dégagé de tout encombrement. Libéré des doutes, des questionnements et de toute métaphysique (les ayant si pleinement intégrés – et transcendés – qu'il s'en est affranchi). Infiniment ouvert et présent, accueillant avec Amour tout surgissement et tout phénomène. Et y répondant toujours avec justesse – et de façon naturelle et spontanée – lorsqu'ils nécessitent un geste ou une parole. Totalement engagé dans ses actes (uni à eux autant qu'au monde) et, pourtant, sans la moindre exigence (ni la moindre attente) à l'égard des êtres, des événements et des situations. A la fois léger et profond (doté d'une incroyable consistance). Et à la fois humble et souverain. Et toujours authentique. Offrant sa présence, son accueil, son intelligence et sa lumière sans même le désirer... Comme un soleil* qui éclaire et réchauffe le monde et ses habitants...

* Dont la nature est de briller... mais dont le rayonnement éclaire et réchauffe à son insu...

Être capable d'habiter l'être ainsi, de la plus claire et modeste manière, offre à l'âme – et au cœur humain – la plus grande joie. Au monde la plus belle présence... Et aux hommes et à la terre le plus sûr chemin pour s'assurer un avenir plus sage et lumineux...

 

 

Être un (pleinement un) avec ce qui est dans l'instant. Et dégagé de toute exigence. Ainsi vit l'homme sage. Et ainsi s'éprouvent l'unité et la grande liberté...

 

 

En ce monde, je n'aime rien tant que ceux qui ne produisent et n'exploitent* rien ni personne... Ceux qui préfèrent donner plutôt que prendre... Ceux qui aiment servir plutôt qu'utiliser à leur profit... Ceux qui offrent leur aide de façon désintéressée... Et, parmi eux, ceux qui savent offrir leur présence et leur lumière sans jamais juger ni rejeter l'obscurité du monde...

* Ni hommes, ni bêtes, ni arbres, ni plantes, ni même aucun élément de l'Existant...

 

 

L'âme au cœur du monde. Au cœur de la vie. Parmi la foule des êtres et des choses. Voilà son habitat naturel. Et le plus bel écrin pour qu'elle rayonne et puisse offrir ce qu'elle a à offrir...

Dieu – l'infini et l'Absolu – le silence et l'éternité – sont partout. Ils ne sont pas plus présents dans les monastères que dans les bordels. Pas plus présents dans les temples que sur les chemins des collines ou sur les places des marchés. Pas plus présents dans les déserts que dans les villages de campagne ou dans la lumière et l'agitation des cités...

 

 

Pour pouvoir – et savoir – accueillir le monde – et sa grande diversité – sans jugement, il convient d'abord de s'être pleinement accepté. D'avoir autorisé tous les aspects de sa propre individualité à être, à s'exprimer et à se manifester selon leur nature, leurs nécessités et leurs exigences. Et de cette pleine – et totale – acceptation peut naître alors un accueil du monde sans tache – une présence éminemment bienveillante et tolérante (y compris à l'égard des dimensions qui auraient autrefois heurté notre sensibilité et n'auraient pu résister à nos préjugés et à nos aprioris)...

 

 

L'innocence, la lumière et la joie sont une grâce impersonnelle à laquelle l'homme peut s'ouvrir. Aucune volonté ni aucun effort ne sont nécessaires. Il suffit de vivre et de laisser le souffle et l'élan qui nous animent nous y mener naturellement... Ainsi naît la sagesse (la sagesse véritable) qui ne s'encombre d'aucun habit, d'aucun artifice, d'aucune idée, d'aucun principe ni d'aucune vérité. Et qui n'éprouve pas même le besoin de revêtir les traits qu'on lui prête communément. Et qui se moque bien de passer pour ce qu'elle n'est pas aux yeux des âmes inattentives, naïves ou ignorantes...

 

 

L'être nu – l'être plein – débarrassé du vain et narcissique fardeau du désir de montrer, de s'exposer et de prouver resplendit par sa seule présence. Et par la seule puissance de son rayonnement. Presque invisible pour les âmes et les yeux encore soumis aux lois et aux caprices, aux mensonges et aux grossières stratégies de l'individualité...

L'être nu offre à l'homme une âme juste. Aussi simple, naturelle et resplendissante que la fleur et le soleil. Dont la splendeur et la beauté n'échappent qu'aux cœurs aveugles et immatures...

Le plus nu, le plus naturel et le plus simple toujours rayonnent avec grâce et puissance. Pourquoi ? Parce qu'ils sont. Parce qu'ils sont – et vivent – pleinement sans accessoire ni artifice (dont ne se servent que les êtres encore soucieux de paraître pour se sentir exister)...

 

 

L'être. Seule richesse de l'Existant. Seule richesse du vivant. Seule richesse du monde, des hommes et des créatures terrestres...

Il n'y a rien à amasser sur cette terre. Rien à exploiter*. Rien dont on puisse s'emparer. Mais il y a toujours mille choses qui s'offrent. Mille choses que l'on peut célébrer. Mille choses dont on peut faire un usage respectueux afin de répondre aux exigences du vivant...

* Exploiter est toujours le signe d'une indigence. L'exploitation souligne toujours la pauvreté de celui qui exploite pour tirer profit... Et qui pourrait nier que celui qui essaye de s'enrichir doit se sentir bien pauvre et démuni pour s'y résoudre...

 

 

Une vie simple et naturelle. Profonde et intense. Une vie authentique en – et de – présence où chaque geste – et chaque parole – est porté(e) par l'Amour et l'exigence des circonstances.

La conscience – et la vérité – ne servent peut-être, en définitive, qu'à être présent au monde. Et à aimer sans condition ceux qui le peuplent... Mais pour accéder à cette grâce (à la grâce de l'être nu), il convient d'abord de laisser la vie éduquer l'esprit et le cœur. De leur faire progressivement abandonner la peur, le refus et le jugement*. Ainsi seulement pourrons-nous fréquenter l'innocence – et habiter l'accueil infini du regard impersonnel...

* Et quelques autres aspects de l'individualité ; les savoirs, l'orgueil, l'illusion de l'identité individuelle etc.

 

 

L'intégration de l'individualité à l'Absolu – à travers son accueil inconditionnel – voilà peut-être ce qui se joue (pour nous) aujourd'hui. La fusion de l'individualité avec l'être nu. Et non, comme nous le pensions (un peu hâtivement), la conversion du cœur et des yeux égotiques (si naturels et si répandus chez les hommes) en Amour et en regard impersonnels... A quelles fins ? Sans doute pour que les gestes et la parole de la chair – et de l'âme – apparentes incarnent (de la plus parfaite façon) l'impersonnel en toutes circonstances...

 

 

Tant de visages rencontrés. Et combien nous ont-ils véritablement bouleversés ? Tant de cœurs croisés. Et combien en avons-nous réellement aimés ? Où avions-nous donc posé les yeux ? Vers qui étions-nous tournés pour ne pouvoir rencontrer un seul visage – un seul cœur ? A quoi – à qui – donc pensions-nous pour oublier d'être présents ? Vers quel rivage nous dirigions-nous pour marcher ainsi le pas pressé et le cœur – et les yeux – si inattentifs ?

 

 

Il est aisé de savoir si l'on vit (et si l'esprit vit) dans l'impersonnalité ou à travers le psychisme. Il suffit de répondre aux questions suivantes :

– penche-t-on(1) vers le mouvement ou l'immobilité ?

– penche-t-on(1) vers l'accumulation ou l'effacement ?

– penche-t-on(1) vers la distraction (et/ou l'abstraction) ou vers l'attention ?

– est-on(1) occupé par l'avant(2) et/ou par l'après(2) ou est-on(1) présent à ce qui est ici et maintenant ?

(1) Et l'esprit penche-t-il/est-il...

(2) Le passé et l'avenir...

Si à l'une de ces questions, vous répondez par les premiers éléments, vous vivez (et votre esprit vit) clairement à travers le psychisme. En revanche, si à toutes ces questions, vous répondez par les seconds éléments, il y a de grandes chances pour que vous viviez (et que l'esprit vive) l'impersonnalité*...

* Un vécu « conscient » dans (à travers et depuis) l'impersonnalité...

 

 

Depuis l'origine de l'humanité, on a toujours appris aux petits de l'homme à survivre dans le monde. Puis, très progressivement, on leur a inculqué certains savoirs pour comprendre leur environnement afin qu'ils puissent vivre de façon plus plaisante et sécurisante.

Jamais l'éducation et les enseignements n'ont eu pour dessein de leur apprendre à s'interroger sur la nature de la condition humaine. Ni même de les inviter à comprendre l'existence et le sens de leur bref séjour terrestre. Comme si la part animale et instinctive de l'humanité était encore trop prégnante et prépondérante pour que l'interrogation métaphysique devienne centrale et reconnue comme une nécessité afin d'offrir aux hommes une dimension humaine digne de ce nom...

Peu d'hommes, en définitive – et les moins instinctuels sans doute – ont été amenés à travers l'histoire à s'interroger naturellement sur eux-mêmes, sur l'existence, sur le monde et leurs congénères – et sur la possibilité (pourtant si évidente) d'un au-delà d'eux-mêmes. La société humaine n'a jamais incité les autres (ceux dont l'interrogation métaphysique n'était pas naturelle) à s'y pencher... Pas davantage qu'elle n'a pensé, au fil des siècles, à instaurer des enseignements – une forme d'éducation – pour les faire accéder aux questions fondamentales si nécessaires pour comprendre (et vivre) le sens et la nature de leur humanité...

 

 

La vérité – et la beauté – sont toujours éminemment simples, nues et naturelles. Elles n'ont besoin d'aucun ornement ni d'aucune parure pour resplendir. D'aucun masque pour les embellir et paraître davantage qu'elles ne sont... Et elles se moquent bien d'être ignorées, jugées ou calomniées par les yeux et les âmes ignares et immatures...

 

 

Aujourd'hui, on s'expose, en prenant la pose, avec beaucoup d'entêtement et d'espérance, dans toutes les vitrines du monde. Comme si la terre (la terre des hommes) était devenue une immense galerie marchande où chacun vient défiler et montrer ses pauvres petites merveilles pour se rassurer quant à sa valeur...

 

 

Des sandales, un bâton et l'herbe des collines. Voilà à peu près tout ce dont nous avons besoin dans notre vie...

 

 

Il y a cette sensibilité si nécessaire à la vie, au monde et à la parole des poètes. Et qui fait si cruellement défaut aux hommes...

 

 

Que deviendra notre parole à notre mort ? Et qui s'en souviendra ? Quelques âmes peut-être sauront la dénicher au détour d'un chemin en posant leurs yeux fatigués sur l'herbe modeste d'un fossé ou en interrogeant un coin de ciel ombrageux... Alors oui, peut-être se souviendront-elles de cette parole lue à la hâte un soir de tristesse...

 

 

Qui sait si la parole du poète ne se dissimule pas dans quelques recoins obscurs du ciel ? Et si Dieu n'en fait pas tomber, de temps à autre, quelques miettes dans les yeux (implorants) de quelques âmes tristes et solitaires...

 

 

Les yeux penchés sur le ciel, le monde et le brin d'herbe ont abandonné la vérité des livres et des bibliothèques pour une innocence bien plus juste – et bien plus nécessaire – que la profondeur mensongère des mots...

 

 

On aimerait tant trouver des solutions et des explications satisfaisantes à notre existence alors que l'innocence suffirait...

 

 

L'humilité, la discrétion et la sensibilité ne sont jamais les marques de la faiblesse. Elles sont le signe d'une prédisposition de l'âme à l'Amour et à la vérité...

 

 

On aimerait parfois offrir au monde une parole plus poétique. Mais elle nous arrive ainsi : un peu lourde, un peu pataude et enveloppée de l'épais manteau de la pensée.

Il est inutile et douloureux de dénoncer – et de rejeter – ce que l'on est. Et tout aussi vain et funeste d'aspirer à devenir un autre.

Ne pas s'accepter de toute son âme serait comme refuser le plus précieux présent que Dieu nous a offert...

 

 

Dans le refus du monde et de la vie sociale se cache, très souvent, une résistance à la bêtise et au mensonge. Et, presque toujours, une forme de sagesse qui cherche la vérité...

 

 

Il n'y a qu'à regarder le monde à la manière de Dieu. Et apparaîtraient aussitôt sur nos joues des larmes – de grosses larmes – et sur nos lèvres un tendre sourire. Et nous serions aussi tristes et aussi heureux – aussi impuissants et émerveillés – que nous le sommes aujourd'hui, si mal à l'aise, dans notre posture d'homme...

 

 

Dieu est déjà présent dans le regard des hommes et des bêtes. Un rien – quelques pas peut-être – suffirai(en)t pour qu'ils le découvrent...

 

 

Quel homme s'adresse-t-il à l'homme ? A cette part mystérieuse. A cette part oubliée que le monde – et les siècles – piétinent. A peu près personne... Comme si Dieu et l'humanité habitaient depuis toujours deux rivages lointains – deux aires sans correspondance d'un même lieu...

 

 

Où donc se terre la sagesse sinon dans cette folie incandescente du cœur et des jours...

 

 

Et si la poésie n'était qu'un cri infâme et implorant... Qu'un désespoir entendu ni par les hommes ni par le ciel... Et qui reviendrait se coucher sur nos lèvres silencieuses...

Et si la poésie naissait d'un amour que nous aurions perdu bien avant notre naissance... Et qui s'échinerait à retrouver son origine que ni le monde ni les hommes ne pourraient lui restituer... Et qui devrait parcourir mille fois le tour de la terre, traverser tous les déserts et toutes les plaines pour pouvoir revenir vers celui qui l'a lancé... et s'enfoncer au plus vif du cœur pour trouver enfin la réponse dans l'âme silencieuse (si proche de l'Amour)...

 

 

La chair du monde si épaisse. Et pourtant que son âme semble frêle et fragile. Presque invisible. Et c'est elle pourtant qu'il nous faut aimer pour supporter la lourde carcasse du monde et ses humeurs de chienne enragée...

 

 

Tant de voix déjà se sont élevées pour crier leur amour. Et leur vérité. Et le silence toujours a été la réponse. La seule réponse. Aussi pourquoi notre voix serait-elle davantage entendue... Nous aussi, il nous faudra patienter. Attendre la lumière du silence qui dissipera notre parole pour éclairer – et offrir l'Amour et la vérité...

 

 

L’évanescence des jours et le haut mur de la mort que l'âme, légère et dansante, franchit sans peine. Ni obstacle ni tremplin. Simple et sage invitation à nous asseoir en notre fief imprenable où l'instant et l'éternité entremêlent leur souffle et leur beauté...

 

 

La parole jamais ne devrait être définitive. Elle se fanerait comme une fleur coupée. Elle devrait être libre. Et fraîche comme l'instant, aussi vive que la vie, pour prétendre à l'éternité...

 

 

[La poésie]

Tant de mots pour dire la misère et la joie de l'homme. Pour dire la solitude, la barbarie et l'espérance. Pour dire le besoin d'Amour et d'infini. Et le silence toujours au cœur de la parole. Comme au cœur de la réponse... Laissant toujours sans écho les cris, les plaintes et les réclamations...

 

 

Le poète n'a de lecteurs. Il n'a qu'un lecteur à la fois. Et qu'une parole pour chacun. Celle qu'il aura choisie pour lui seul dans le fouillis des mots....

 

 

Une paix inconsolable. Voilà peut-être ce qu'éprouve Dieu en nous voyant...

 

 

Outrancière, la jetée où nous promenons nos délices. Aussi inappropriée que le promontoire où nous crions notre supplice. Une petite alcôve au fond du jardin – et au fond de l'âme – suffirait à les abandonner. Et à les offrir à Dieu. A les remettre entre les mains sages qui les ont façonnés...

 

 

La poésie n'est jamais plus poésie que lorsqu'elle refuse d'en revêtir les habits et les allures trop guindés – une forme trop légère et trop dansante – ou, au contraire, trop grave et trop sombre... La poésie n'est jamais plus poésie que lorsqu'elle s'ignore poésie...

Ainsi en est-il, bien sûr, également des êtres et des hommes. Ils ne sont jamais aussi proches de ce qu'ils sont que lorsqu'ils oublient leurs intentions et leurs ambitions. Et qu'ils s'abandonnent à ce qu'ils portent en laissant jaillir, sans contrainte, leurs élans...

 

 

Il faudrait un Amour insensé pour convertir la sauvagerie du monde. Et le cœur, heureusement, est pourvu de cette belle folie...

 

 

Est-ce donc le ciel ou les ombres de la terre que je vois danser dans nos yeux sauvages...

 

 

Demander au soir où a glissé le jour... Et demander à l'aube où elle a rangé la nuit... Serait-ce donc les aiguilles qui dirigent le cours des astres ou nos yeux fatigués qui n'ont jamais su voir le ciel – la grande lumière qui éclaire la totalité du tableau...

 

 

Je crois entendre un monstre soupirer dans la nuit. A moins que cela soit mon cœur qui étouffe dans l'obscurité – la geôle étroite – sans bourreau ni gardien – où il se croit enfermé... Que Diable ! Qu'on lui jette donc un peu de lumière ! Et il verra – et sentira – l'Amour qui l'étreint déjà. Et on le verra bientôt sortir de sa vaine et illusoire détention...

 

 

Quelle que soit la couleur de ton âme, laisse-la resplendir. Et bientôt partout la transparence s'invitera. Et bientôt partout la lumière s'infiltrera. La joie alors deviendra ton seul éclat...

 

 

Ce qui nous touche – et nous bouleverse parfois – un visage, une parole, un paysage – pénètre toujours ce qu'il y a de plus réjouissant en nous. Comme si l'on poussait une petite porte dérobée, cachée au fond de l'âme. Et qu'importe sa couleur, si l'on sait en franchir le seuil, une terre de joie et de lumière se dessinera. Un espace où l'infini et l'éternité deviennent les seules mesures. Une aire qui nous ouvrira à une présence qui égaiera longtemps – et peut-être même jusqu'à la fin de nos jours – la vie si minuscule où nous croyons être abandonnés...

 

 

Parler de spiritualité, de présence (de Dieu) et d'Absolu est la marque d'une âme immature (et en chemin), excepté, bien sûr, lorsque la situation ou les circonstances l'exige(nt). Le sage (et l'âme mûre) vivent ces dimensions humblement et discrètement (presque secrètement) sans jamais les évoquer (sauf lorsqu'on le leur demande évidemment...).

Cette capacité à vivre ces dimensions de l'intérieur de façon profonde et quasi permanente leur permet de laisser jaillir des gestes et une parole toujours parfaitement justes et adaptés aux événements. A la fois consistants, pleinement engagés et dépourvus d'attente. Et de cette justesse et de cette quiétude rayonnent le plus simplement du monde, sans la moindre volonté ni la moindre ostentation, l'Absolu et la présence du Divin. Comme la preuve irréfutable qu'ils habitent – et sont pleinement familiers de – cet espace si essentiel et si peu fréquenté par les hommes...

 

 

Le monde a disparu. Il n'y a plus ni hommes, ni personnages, ni héros. Il n'y a plus que la douceur d'être. Et le souffle clair du vent sur le visage de Dieu...

 

 

Pour les plus rustres des hommes, écrire et déféquer appartiennent peut-être au même registre. L'un et l'autre, effectivement, enjoignent l'expulsion. Et contraignent à froisser – et à assombrir de taches sombres – quelques feuilles de papier. Et je ne saurais quoi leur répondre... Peut-être, après tout, ont-ils raison... Et si, en vérité, c'était la même encre qui coulait...

 

 

Lorsque le silence et la vie s'emparent des mots naît la poésie. La main et le verbe alors se font infinis. Et toujours invitent l'âme à les rejoindre...

 

 

Dans la besace du Diable, les mêmes armes que dans celle de Dieu. Avec des munitions un peu plus sombres peut-être... Mais surtout avec des mains qui se les approprient (avec empressement et avidité) pour en faire un usage personnel...

 

 

Entre la terre et le ciel – entre la naissance et la mort – errent – et doutent – les vivants. Accablés – et parfois surpris – par les messagers du vent. Paumes ouvertes et mains crispées sur tant de mystères et d'incompréhension...

 

 

La clé de l'inhabitable, voilà ce que nous cherchons désespérément sur la terre comme au ciel... Il suffirait pourtant d'un pas pour plonger dans l'innocence. Et trouver la parfaite demeure. En haut et en bas – de la cave jusqu'au grenier – et devant et derrière – sur cette si jolie terrasse...

 

 

Au bout de nous-mêmes. Qu'y a-t-il donc au bout de nous-mêmes ? Et la question comme une rengaine s'étale – envahit le cœur jusqu'au dernier pas – jusqu'au dernier souffle. Et la réponse, si évidente, nous aura effleurés tout au long du voyage. Pleinement présente à chaque instant – se rapprochant toujours davantage à chaque questionnement – et toujours offerte au fond de chaque silence...

 

 

Qui donc retient la foule dans ses draps nauséabonds ? Quelle terreur l'accable pour aimer ainsi sa fange ? Pourquoi se résigne-t-elle ainsi à refuser l'inconnu – et à se tenir à l'écart du mystère ?

Comme si les yeux, le cœur et le regard étaient définitivement clos. Sombres spectres de la misère et de la désespérance collés à notre âme...

 

 

Et si la parole du poète n'était que le cri de l'homme... Et la peine de tous – la peine de chacun – cherchant sa délivrance... La pointe fine du monde émergeant des instincts et des grognements sourds de la terre. La facette la plus étincelante du borborygme originel – taillé dans la chair incomprise – et lancée vers le ciel...

 

 

Et cette lumière, si crue sur les contours, avalée par l'obscur des visages. Et la densité, si vive, de l'âme aveugle aux reliefs. Comme submergées par le soleil – le grand soleil noir du monde – réduisant la vision des hommes aux ombres des silhouettes. Comment l'Amour pourrait-il donc naître en ces terres...

 

 

L'agonie saura-t-elle nous sauver de cette vie si éteinte – presque morte ? Ou est-ce à la vie de nous initier à la vie pleine ? L'instant sera-t-il jamais habité ? Serons-nous un jour animés d'un désir suffisant de lumière pour nous abandonner à l'éternité ?

 

 

[La conscience, l'être et l'Existant]

L'Existant* est une trame d'énergie composée de formes reliées et imbriquées en perpétuel mouvement et en permanente interaction. La conscience, un espace lumineux immuable, infini et éternel qui accueille et éclaire l'Existant. Et l'être, une présence sensible qui relie les deux afin de leur offrir une parfaite unité...

* L'univers, le monde, les phénomènes...

 

 

L'instant profond comme exilé des heures. Exilé du temps et exilé du monde. Que nul ne peut soumettre à la furie des aiguilles ni à la folie besogneuse des hommes. Qui échappe à toute mainmise et à toute saisie pour aller libre – et ouvrir, d'un geste clair et innocent, la fenêtre de l'éternité...

 

 

Dans la nuit sombre, je n'aperçois que quelques lueurs – vives et intenses – parmi une galaxie d'étincelles à venir. Une lumière embryonnaire au milieu de l'obscurité...

 

 

L'abandon au fond du gouffre des terreurs. Lucarne blanche dans la noirceur – invisible aux yeux des hommes, flottant parmi la désespérance. Et seuil de l'être – et de l'innocence – à qui sait l'entrouvrir et se glisser dans la lumière – l'assise transparente du regard...

 

 

Le cri des hommes et des bêtes n'est peut-être que le murmure de Dieu qui souffre... Son appel pour que cessent l'ignorance et la barbarie. Une invitation incomprise au silence... Une grâce demandée au monde pour qu'il reconnaisse sa maladresse et découvre (enfin) sa beauté et sa lumière. Mais qui se soucie du cri, de la souffrance et de l'ignorance des hommes et des bêtes ? Et qui entend nos prières et la requête incessante de Dieu ?

 

 

Aller aussi nu que les bêtes. Et s'en remettre à la vie. Aussi confiant en l'être qu'en la terre malgré l'ignorance des créatures et la mécanicité de leurs gestes, de leurs pas et de leurs paroles qui semblent parfois des obstacles insurmontables à la confiance... Et en dépit de notre goût pour l'indépendance et de notre existence farouchement autonome, comment pourrions-nous ne pas abandonner notre sort entre leurs mains ?

 

 

Comment le regard, immobile, pourrait-il participer à l'agitation infernale de ce monde – et à ses danses folles et furieuses – et, si souvent, barbares ? Il les accueille et les contemple. Y consent par nécessité. Et se réjouit peut-être des plus naturelles et des plus essentielles... Mais n'allez pas imaginer qu'il acquiesce sans tristesse ni stupeur aux plus infâmes et aux plus inutiles...

 

 

Et si le monde n'était pas le monde ? Et s'il n'était qu'un songe... à la fois, ou tour à tour – selon les circonstances – rêve plaisant et atroce cauchemar...

 

 

Tous ces noms derrière les visages et les corps – et les mains – qui s'activent – et qui resteront à jamais inconnus et anonymes. Pas même essentiels, sans doute, à ceux qui les entourent. A peine un rouage infime (et aisément remplaçable) dans l'odieuse machinerie du monde. A ceux-là, moins encore qu'aux autres – et moins encore qu'à quiconque –, jamais nul ne s’intéressera. Jamais nul ne saura ce qu'ils sont (et ce qu'ils ont été) – ni ce qu'est (et ce qu'aura été) leur vie. Et peu les pleureront à leur mort. Ainsi vit l'écrasante majorité des hommes et la totalité des créatures terrestres. Poussière parmi les vents. Grain de sable sur la terre des vivants...

 

 

La vie ne se tient ni dans – ni entre – les lignes du poète. Elle se trouve au dedans et au dehors. Pleine et entière. Et celui qui écrit – et celui qui sait lire la poésie – ne peuvent l'ignorer. Aussitôt la page achevée, ils referment le livre pour rejoindre la vie. La goûter, la contempler et l'accueillir. Voilà peut-être à quoi l'on reconnaît le poète et le lecteur de poésie...

 

 

Dans la main claire du matin, un oiseau minuscule sur la branche d'un prunier en fleurs. Je l'observe par la fenêtre grande ouverte. Et je ne sais qui est le plus surpris : lui, moi ou Dieu qui nous regarde...

 

 

Qui se souviendra du jour la nuit venue ? Le cœur peut-être si familier de la lumière...

 

 

Tout (presque tout) amène à croire au règne de la noirceur. Et pourtant c'est la lumière toujours qui nous y conduit. Et nous invite à percer les apparences pour découvrir partout sa présence souveraine...

 

 

Et si notre geste n'est habité, lequel pourrait l'être ? Et si notre parole n'est ni juste ni lumineuse, laquelle pourrait l'être ? Et si notre présence n'est ni pleine ni entière, qui pourrait devenir pleinement vivant ?

 

 

Une clarté de plus en plus simple et lumineuse. Ainsi se dresse, toujours plus humble, l'âme innocente...

 

 

Où pourraient bien se réfugier l'esprit et l'âme sinon au plus profond du cœur et du regard pour continuer à aller, parmi la noirceur des visages, sur cette terre si dévastée ?

 

 

Parmi les oracles du matin, la rosée, fragile, nous prédit l'arrivée prochaine de l'innocence. Son règne à venir – lointain peut-être – lorsqu'elle aura su vaincre le grand monstre noir qui a envahi chaque recoin du cœur et de la terre. En attendant, elle nous invite à la rejoindre pour grossir les bataillons pacifiques de son armée inoffensive. L'Amour ne pourra croître qu'ainsi. Et avec lui, la paix du monde...

 

 

Et qui viendra à bout de nos blessures sinon le cœur réconcilié avec les vents – et leurs grandes mains noires qui assassinent...

 

 

Qu'y a-t-il, en ce monde, de plus beau – et de plus réconfortant – qu'une fleur, un sourire, un livre ouvert qui nous attend...

 

 

Notre visage saura-t-il retrouver la fraîcheur de l'innocence parmi les bras noirs et puissants – et les cœurs si avides de pouvoir ? Et l'âme saura-t-elle l'aider dans son refus des combats ? Sauront-ils voir dans l'Amour l'unique espace de l'accueil – la seule voie de la délivrance...

 

 

J'aime les livres, la poésie et les poètes. Leur compagnie offre à l'âme sensible une dilatation permanente – si nécessaire pour vivre avec le cœur – et le regard – larges et ouverts dans ce monde d'étroitesse et de crispation...

 

 

Le grand rêve du jour que la nuit n'atteindra pas... Et nous aurons beau sommeiller encore – sommeiller toujours –, la lumière, un jour, s'infiltrera... 

 

14 décembre 2017

Carnet n°104 Le monde, le poète et l'animal

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Une pierre immobile. Un chemin fuyant. Une eau vive. Un ciel immense et secret – insaisissable. Des visages à foison. Et des cœurs impénétrables. Comment le poète pourrait-il renoncer à sa tâche ? Toute la matière du monde est là. Présente. Eminemment présente. Et les mots toujours les célébreront pour les inviter – et les initier – à leur nature infinie, silencieuse et éternelle...

 

 

Est-ce du bleu que le ciel descendra... Est-ce du vert que la terre s'élèvera... Où pourraient-ils donc se rejoindre si le cœur ne sait accueillir les couleurs... S'il ne sait transformer le rouge du sang et de la chair en jaune solaire – étincelant – et atténuer son éclat en blancheur innocente – presque transparente – pour s'ouvrir à tous les mariages et à toutes les unions...

 

 

Goûter à l'ineffable. A l'originelle vacuité – transparente et infinie – immobile et inchangée – où viennent se loger ses inévitables expressions. Furtifs phénomènes d'un monde infiniment précaire...

 

 

Clarté vive dans les taillis sombres de l'âme et du monde. Comme une étoile affranchie des naissances et des extinctions...

 

 

Et les hommes encore incapables d'ôter leurs mains – et leur cœur – des profondeurs de la terre. Et de s'empêcher de gesticuler à sa surface... Comme si le ciel de l'âme – invisible et pourtant si proche – leur était toujours inaccessible...

 

 

Le poète est un paysan du ciel et des horizons infréquentés. Et de l'autre rivage peut-être... Laboureur parfois. Infatigable sous la pluie. Et humble cueilleur de pensées sauvages. Fréquentant en toute saison les arbres et les nuages, la terre et l'azur, l'infini et la beauté comme l'obscur, la crasse et la laideur. Et croisant, de temps à autre, les hommes sur quelques chemins déserts... Allant à chaque instant du jour, de l'aurore au soleil couchant, dans l'innocence et la joie. A petits pas jusqu'à la mort dans tous les paysages...

 

 

Ce si peu de lumière dans le cœur de l'homme qui pourrait pourtant éclairer – commencer à éclairer – l'affolante cécité du monde, de ses gestes et de ses pas qui soulèvent la poussière noire de la terre...

 

 

Entre l'abîme du passé et l'horizon à venir, il y a – et il y aura toujours – l'instant et la foulée présente... Et le cri de l'âme parfois, encore incapable d'y demeurer...

 

 

La terre – ses climats et ses paysages – façonnent incontestablement le corps et le cœur des hommes. Sans doute que leur rudesse et leur noirceur naturelles, nées de cette origine, se renforcent aussi par cette assidue fréquentation...

A ce titre, il serait loisible de penser que les habitants des pays tempérés auraient tendance à se montrer moins âpres que les populations des contrées hostiles (à l'environnement et aux températures plus extrêmes). Mais, en vérité, « cette loi » s'avère peu pertinente – voire fausse car la dureté apparente d'une région ou d'un peuple peut être parfois largement compensée par un sens profond de l'accueil et de l'hospitalité...

Dans le même registre, on pourrait penser que les citadins, habitués à vivre dans un univers policé (bien que difficile et éprouvant) auraient tendance à avoir des mœurs plus délicates et « civilisées » que les populations rurales – et à se montrer plus agréables et amicaux... Ce qui s'avère juste à certains égards... Mais nous ne devons pour autant occulter les conséquences délétères (très fortement délétères) de la proximité et de la promiscuité (sans compter la surpopulation) engendrées par la vie urbaine qui crée un esprit de repli et de méfiance et une forme, à peine contenue, d'agressivité et de violence... Comme nous ne devons oublier la rage narcissique, distractive et virtuelle sans précédent née un peu partout (ici et ailleurs, en ville et à la campagne autant que dans la brousse, les savanes et tous les déserts de cette planète) avec l'ère technologique contemporaine qui a exacerbé les désirs et l'individualisme égotique – et standardisé les goûts et la consommation sur la totalité du globe...

Et bien que la rudesse de la terre façonne (en partie) le corps et le cœur des hommes –, nous ne pouvons nier que la brutalité, l'âpreté et les aspérités humaines naturelles demeurent partout – et jusqu'à aujourd'hui – aussi prégnantes quel que soit le lieu où les hommes résident... Comme l'attestent, avec évidence, les postures, les attitudes et les comportements si peu aimables de l'humanité...

 

 

L'eau* toujours suit sa pente naturelle. Inexorablement descendante. L'arbre*, lui, au contraire, est amené à croître vers la lumière. Soumis indubitablement à une lente et progressive ascension. Quant à l'homme, sans doute, se situe-t-il entre les deux... Autant irrésistiblement porté à la facilité qu'incontestablement voué aux efforts – et animé par un besoin d'élévation...

* Dans leur forme apparente... Il est évident que l'un et l'autre obéissent aussi à des cycles plus complexes dans lesquels se succèdent différentes phases, tantôt ascendantes, tantôt descendantes... Ainsi, par exemple, l'évaporation de l'eau dans l'atmosphère et la chute des feuilles de l'arbre et leur enfouissement dans le sol...

 

 

La sagesse sera toujours, quelle que soit l'époque, le plus précieux trésor du vivant (et de l'Existant). Et nul ne peut ignorer que l'évolution du monde (quel qu'il soit...) – et la paix et la joie de son peuple – toujours en dépendront...

 

 

Depuis sa sortie des cavernes et jusqu'à sa (sans doute) très lointaine révolution spirituelle, l'adage et la posture naturelle de l'homme (ordinaire) à l'égard de la terre, du monde, de la vie et des êtres (et à l'égard d'à peu près toute chose, à dire vrai...) pourraient se résumer ainsi : on s'empare, on se sert et on exploite jusqu'à l'épuisement – jusqu'à l'anéantissement...

Et comment pourrait-on mettre ainsi ses quelques vagues signes d'intelligence au service de ses instincts sans être encore une créature profondément animale...

 

 

Les hommes. Des yeux excentriques et borgnes sur le petit balcon des jours alors que sommeille dans les profondeurs – les abysses du cœur – le grand œil innocent. L'admirable regard...

La cécité la plus grande sera toujours celle de l'âme...

 

 

Sans énergie, aucun mouvement possible, bien sûr... Et aucun accès à la conscience*... Voilà peut-être l'une des clés de leur indissociable union. Et de leur permanente alliance...

* pour les formes (perceptives)...

 

 

Entre le souvenir, la distraction et l'attente. Ainsi est l'esprit humain. Jamais (quasiment jamais) présent à ce qui est... Vivant presque toujours dans une forme d'inconscience. Et, au mieux, dans une conscience éminemment partielle – et profondément sommeillante...

 

 

Sur notre lit de mort, avant notre ultime soupir, peut-être nous exclamerons-nous, avec un peu de tristesse et de soulagement dans la voix : « Ah ! Vivre n'était donc que cela... ». Et peut-être regretterons-nous alors notre assidue superficialité, nos vains et ridicules combats et nos incessantes mesquineries... Et peut-être regretterons-nous aussi nos bassesses, nos lâchetés et notre maladif orgueil... Et peut-être pleurerons-nous nos absences – notre absence à la vie – tous ces instants où nous n'avons su être présents à nous-mêmes, à l'Autre et au monde – tous ces instants où nous n'avons su être là pour ceux qui nous étaient chers... nous blâmant peut-être de n'avoir su incarner cette si indispensable présence...

 

 

La poésie est une sensibilité vive de l'âme. Une résonance profonde du cœur aux plus infimes vibrations du monde. Et qu'importe ce qui les traverse, peine, joie, grâce, souffrance... Et qu'importe les événements, leur nature et leur apparence, tout est vécu – et ressenti – avec force et intensité... Âme et cœur pénétrés jusqu'au cœur même de leur moelle. Et traversés de toutes parts... Secoués par les ondes et les tremblements qui leur enjoignent de trouver une issue – un exutoire ou un tremplin – pour l'exposer au monde et témoigner de l'épaisseur – et de la puissance – des événements sur l'être... et célébrer leurs profondeurs respectives et leur parfaite unité...

La poésie est une célébration. Tristesse, merveilles, désespoir, beauté, horreur... Et qu'importe ce qui surgit... Tout mérite d'être vécu, accueilli et porté aux nues pour honorer la vie, le monde, la mort et le vivant et réaffirmer notre gratitude à l'égard de l'âme et du cœur – de l'être et de la conscience – qui accueillent et reçoivent tout ce qui les traverse...

 

 

Au creux du temps s'est écrasé notre plus vieil amour. Le moins chaste et le plus versatile. Celui qui ne manquera à personne... Et de son cadavre en naîtra peut-être un plus neuf, plus constant et plus profond...

 

 

Nous n'épargnerons personne avec nos espoirs... Mais combien pourrons-nous en sauver ? Nul sans aucun doute...

 

 

L'impuissance est la clé de l'abandon. Et l'abandon, le seuil de l'infini où l'Amour devient l'unique puissance au plein pouvoir...

 

 

Et pourquoi ne pas simplement rire du grand désastre du monde et de notre vie...

 

 

Qu'abandonne-t-on en se fuyant ? L'essentiel sans doute... Et qu'abandonne-t-on en étant simplement présent – vide, vierge et pas même soucieux de fréquenter l'innocence ? L'accessoire et l'inutile – la futilité de notre vie née de la croyance en notre individualité...

 

 

Jamais nos constructions et nos œuvres ne nous survivront. Tout s'effacera presque aussitôt. Et les ruines seront emportées peu après notre dépouille. D'autres œuvres et d'autres constructions naîtront, bien sûr... Et seront, elles aussi, balayées à la mort de leurs initiateurs.

Monde toujours neuf où les élans – et les édifications – se succèdent – et se bâtissent sur un passé toujours vierge... Comme si chaque nouveauté portait déjà en elle toute l'antériorité de l'histoire... Comme si chaque nouveauté portait déjà à sa naissance l'origine – et l'ensemble de la continuité...

 

 

Et si l'accolade et l'étreinte n'étaient qu'un geste né d'un désir de soi où l'Autre n'est qu'un prétexte au rapprochement... Comme une présence aux mille bouches et aux mille bras simplement avide d'elle-même – et soucieuse d'éveiller chacune de ses parties à son intégralité...

 

 

Les poètes ont, me semble-t-il, (à peu près) tout dit sur le monde, sur la terre et sur les hommes. A peu près tout dit sur la vie, sur la mort et sur l'amour. Leur cœur – et leurs lignes – ont exploré toutes les émotions et tous les sentiments suscités par la nature, l'âme, les bêtes, le ciel, Dieu et l'infini. Que reste-t-il donc à dire ? L'infinie présence du silence peut-être... Et comment pourrait-on l'exprimer sinon en prenant soin d'être – et de se taire...

Le silence toujours sera plus beau – et plus juste – que toute parole...

 

 

Rien ne peut être gravé durablement. Ni sur le bois, ni sur la pierre, ni sur le marbre. Ni dans le cœur, ni dans l'esprit des hommes. Mais dans le silence peut-être... Comme le sceau invisible de l'éternité sur l'éphémère...

 

 

Tant de beaux et magnifiques inconnus en ce monde meurent sans funéraille. Et sans même avoir entendu quelques louanges de leur vivant... Herbes, fleurs, arbres, bêtes, hommes, nuages, rosée aux élans anonymes – et parfois merveilleux – œuvrant humblement à leurs tâches l'espace d'un instant ou pendant des siècles sans la moindre attention ni le moindre regard...

Mon âme voudrait leur témoigner, ici, son amour et sa gratitude d'avoir existé. Et rendre hommage – et célébrer même – leur départ. Leur effacement dans le grand silence qui saura (enfin) les accueillir comme des rois et des reines – et les remercier pour leur présence, leurs actes et leur beauté magnifique et inconnue...

 

 

Le désarroi est l'invitation de l'astre à sa venue. L'invitation à abandonner l'espoir de toute rencontre. Et à s'en remettre à l'effacement – au grand effacement – nécessaire au scintillement et au rayonnement de l'étoile qui offre la joie...

 

 

Tout est si lié – et si étroitement relié – en ce monde que le regard doit quitter l'étroite partie à laquelle il croit être uni pour apercevoir l'ensemble – la totalité. Et que le cœur doit creuser – et s'immerger – en ses mystérieuses profondeurs pour ressentir – et vivre – l'ensemble – la totalité – des liens de l'unité...

Le monde, la vie et la conscience n'ont, je crois, de plus essentiels secrets à livrer... Et les percer – les goûter et les laisser nous habiter – nous offrira une paix et une joie profondes. Et fera de nous des âmes sages en ce monde...

 

 

Qui sait – et qui a conscience de – ce que nous sommes ? Qui connaît notre existence ? Qui est sensible et s'intéresse (réellement) à notre travail, à notre œuvre et à notre plus profonde intimité ? Qui partage ou aimerait partager le plus essentiel et le plus fondamental de notre vie ? Nul sans doute...

Et, au fond, que partagent les hommes entre eux ? Une table, une couche, un écran et quelques tâches quotidiennes de façon approximative... Et qu'échangent-ils ? Quelques paroles futiles et de bons procédés... Et que s'offrent-ils ? D'infimes marques d'attention et d'affection – et une présence partielle et malhabile – et infiniment superficielle...

En définitive, les hommes ne connaissent, ne partagent, n'échangent et n'offrent à peu près rien...

Il n'y a, le plus souvent, entre eux, que gênes, réclamations, plaintes, mensonges, stratégies, désirs et d'infinies frustrations qui finissent par faire naître la colère et la haine, ou l'indifférence, et une absence encore plus criante et désespérante...

 

 

Nulle réponse ne pourra émerger du monde. La seule issue (à toute situation jugée problématique) naîtra de notre inconditionnel accueil...

 

 

On ne fréquente le monde (humain) que par incapacité. Par carence d'autonomie. Par impossibilité de pouvoir soi-même subvenir à ses élans et à ses désirs... Sinon il n'y a aucune raison de fréquenter le monde... Et ceux qui seraient enclins à avancer d'autres arguments se méprennent. Ni la fraternité, ni la convivialité ou tout autre noble sentiment n'existent sans qu'ils soient corrompus par un désir de satisfaction égotique...

On peut néanmoins, bien sûr, aimer le monde, les êtres et les hommes mais l'Amour (l'Amour vrai) s'offre sans raison selon l'exigence spontanée des situations. Jamais il n'est intentionnel. Et moins encore il n'use et ne fait commerce de concepts, de bons sentiments, de représentations, de calculs ou d'arrière-pensées...

 

 

Le pathétique et l’orgueil de toute expression – de tout ce qui s'expose. A la fois comme un cri désespéré et un vain appel...

 

 

Plus on s'offre, plus on invite l'Autre à donner – et lui donne l'envie, à son tour, d'offrir... Mais il y a des êtres – et des hommes – qui, quoi qu'ils reçoivent, n'accordent et ne concèdent jamais rien...

 

 

Et si le monde n'était qu'une fable – un songe dont nous serions les rêveurs...

 

 

La vie. Montagne indéchiffrée – indéchiffrable peut-être... – que le sage a pourtant escaladée de l'intérieur. Habitant désormais ses sommets et ses profondeurs... Et qui a réussi à faire la jonction entre la vie, le monde et la conscience devenus aujourd'hui inséparables...

 

 

Hormis quelques spécialistes, qui s'est déjà interrogé sur la nature fondamentale des fonctions régaliennes (de l'Etat) ? Et comment ne pas rire ou désespérer de cette amère nécessité ? Police, justice, armée (et, accessoirement, la monnaie) constituent les piliers essentiels de toute société humaine. Et sans elles – et leurs impératives régulations des actes et des comportements aussi naturellement qu'essentiellement irrespectueux et voués (presque tout entiers) aux conflits, aux agressions et aux litiges (et accessoirement aux échanges et au commerce), nul regroupement humain ne saurait exister – et perdurer... Et comment ne pas déceler dans cette triste nécessité la dimension encore très fortement animale de l'homme...

 

 

A la frontière de l'infime, l'infini. Et à leur jonction, l'intime universel. Grandiose et magistral...

 

 

Et que cherchons-nous ainsi arc-boutés contre les vents, le nez sur nos souliers et le cœur déjà derrière l'horizon ? Y aurait-il là-bas quelques attirantes et mensongères promesses ? Comment peut-on, à ce point, oublier l'envergure de la foulée présente – et l'incroyable tremplin de l'instant, seul espace en mesure de nous propulser sur l'aire infinie et éternelle à laquelle notre cœur aspire depuis sa naissance – et bien avant même peut-être son incarnation...

 

 

Le grincement des dents naîtrait-il de la peur de l'horizon – et de son inévitable rapprochement ? Ne serions-nous pas plus sereins assis dans la quiétude de l'instant...

 

 

Porterions-nous l'espoir d'une terre inaccessible – d'un pays de cocagne où les vents seraient joyeux – et porteurs de joie pour les âmes libres – libérées de la lourdeur des mondes...

 

 

Que le monde invite davantage – et soit plus attractif – que les mots, le poète peut le comprendre... Mais que l'infini silencieux qui sourd entre ses lignes – et l'incessante invitation à la vie pleine (à la vie pure) ne soient perçus, il ne peut s'y résoudre... Et l'admettre serait pour lui reconnaître la cuisante défaite de l'esprit et du langage... Et comment pourrait-il accepter l'inutilité de sa tâche auprès des hommes ? Que les étoiles, les bêtes, les arbres et le ciel l'entendent, il le sait... Mais comment pourrait-il renoncer à ce que l'âme – et le cœur – des hommes y deviennent plus sensibles...

 

 

Une page blanche. Aussi pure et silencieuse que le ciel immense – infini. Et quelques notes griffonnées dans l'impérative nécessité de le révéler – et de le célébrer dans la danse honorante du langage... Ainsi œuvre, chaque jour, le poète... Dans l'espoir (parfois trop confiant) que la terre – et les hommes – entendront son divin message en sachant pourtant que les yeux – et les mains applaudissantes – des foules jamais ne pourront l'écarter de sa solitude ni de son, si féroce, désir de vivre, à travers les mots – et plus essentiellement encore à travers les gestes et les pas – dans la pureté silencieuse de l'immensité et les rivages infinis de l'éternité et de la solitude... Être est à ce prix... Et jamais la parole, les foules et le silence ne pourront l'en dissuader...

 

 

Une pierre immobile. Un chemin fuyant. Une eau vive. Un ciel immense et secret – insaisissable. Des visages à foison. Et des cœurs impénétrables. Comment le poète pourrait-il renoncer à sa tâche ? Toute la matière du monde est là. Présente. Eminemment présente. Et les mots toujours les célébreront pour les inviter – et les initier – à leur nature infinie, silencieuse et éternelle...

 

 

Trop de poésie tue l'éternel. Trop de poésie recouvre le silence. Trop de poésie rend inaccessible l'infini. Aussi le poète doit-il parfois se taire... Et le penseur jeter ses feuillets – et les laisser brûler dans l'impatience des jours. Pour attendre indéfiniment – et sans fébrilité – dans l'être et la solitude de voir la foule le rejoindre... Qui est-il, après tout, sinon un messager de l'aurore... Un frêle rouge-gorge dans la plaine rouge et tachée de sombre où s'éreintent en vain tant de troupeaux, de torrents et de rapaces... Qui est-il après tout ? A peine un espoir... Pas même une promesse. Une issue incertaine – et si infréquentée – à l'effacement des crépuscules...

 

 

Dans son antre sombre et étroit, à quoi rêve donc le poète ? Et qui sait que son âme fréquente l'infini, le silence et l'éternité ? Et combien se pressent sur ses lignes pour le rejoindre ? Sa vie peut-être semble trop sombre – trop étroite – ou trop austère peut-être... Et bien que ses mots parfois respirent la lumière, sans doute sa joie est-elle encore trop fragile pour inviter la foule sur son chemin...

 

 

Le monde n'est qu'un prétexte pour la foule qui ne sait pas... Et la terre, une aire d'expérience pour les novices... Et le sage, lui, n'a plus même le désir – et l'exigence – de s'y montrer. Comme si le monde et la terre n'étaient plus nécessaires à l'être en joie...

 

 

Monde de papier que les hommes chiffonnent... Monde de papier sur lequel ils s’essuient les pieds – et nettoient leurs mains rouges – couvertes de sang... Monde de papier qu'ils brûlent pour nourrir leur infâme feu de joie... Monde de papier qu'ils transformeront bientôt en cendres et en sombres confettis... Sans entendre la terre pleurer – et s'attrister du destin qu'ils lui façonnent. Sans entendre la peur et les hurlements de ses créatures à l'agonie, salies, chiffonnées et noircies par leurs viles ambitions...

 

 

L'homme est encore trop profondément animal et immature pour abandonner son pragmatisme utilitariste et s'ouvrir à la métaphysique et aux questions fondamentales. Pour tenter de répondre (avec assiduité et opiniâtreté) aux mystères de sa nature et de sa condition...

 

 

S'affranchir de l'être et du monde ? Mais comment pourrait-on échapper à soi-même... Jamais nous ne pourrons nous défaire ni de l'être ni du monde...

 

 

D'un seul trait dessiner le monde. Et l'effacer... Comment oserait-on se substituer ainsi à Dieu ? Et pourtant, le sage et le poète ont eu l'audace de se jucher jusqu'à la place laissée vacante – et qui attendait leur venue... Et en ce faîte du monde, Dieu, le sage et le poète portent le même regard – et sans doute sont-ils ce même regard... – sur l'univers et l'infime peuple de la terre...

 

 

On s'émerveillerait de ne pas avoir l'âge de son visage... Il suffirait d'un peu d'innocence – et de goûter la fraîcheur neuve – toujours neuve – du regard pour vivre cette évidence. Mais nous nous croyons trop rusés – et sommes trop pleins d'habitudes, de savoirs et de certitudes pour nous loger au cœur de l'éternité...

Le temps ne passe que dans l'absence de regard. Dans l'esprit trop touffu – et trop peu mûr – pour lui substituer l'instant et l'éternité.

 

 

Aux ambitions de la bouche et de la couche, préfère celle de la fleur capable de vivre le silence et la beauté...

 

 

Ah ! Ces prosaïques soucis que le cœur délaisse aussitôt le regard arrivé à destination, emboîté en quelque sorte à la présence présente et à l'infini silence qui rendent les pas si légers – et le passé et l'avenir inexistants. Et où l'Amour fait naître une absolue confiance en chaque événement...

 

 

Jamais le sage ne s'alourdit d'inutiles fardeaux... Son chemin toujours est simple et lumineux... Et les visages et les paysages qu'il dessine à petits traits sur son carnet invitent les foules à défricher, elles-mêmes, leur sentier de lumière et de simplicité...

Mais qui serait assez fou pour troquer les jouissances du monde contre le dénuement et une vague promesse de joie...

 

 

La vie s'égraine à l'envers. De la mort à la naissance. Puis, saute les années et les siècles pour faire coïncider la destination avec l'origine. Et ainsi boucler la première boucle... avant de nous préparer à la suivante.... Et ainsi, de boucle en boucle, pour nous redécouvrir indéfiniment...

 

 

Comme une eau stagnante, la vie des hommes s'évapore. Et à la fin des mondes ne restera que traces et poussières. Les mêmes sans doute qu'aux origines...

 

 

Le poète. Une voix – une parole – anonymes qui s'élèvent dans la nuit. Un murmure peut-être... Comme un infime trait de lumière aux origines mystérieuses – profondes et impersonnelles (éminemment impersonnelles) – jeté dans la noirceur du monde par une main et des lèvres innocentes. Comme un bruit léger dans le silence. Comme un mince tremblement dans la matière lancé dans l'inconnu pour l'inconnu. Quelques mots – quelques lignes peut-être – comme une modeste correspondance sans expéditeur ni destinataire. Pour la simple joie de dire, d'exprimer et de célébrer l'existence – et le plus humble – dans l'immensité de l'univers – dans l'indicible vacuité. Pour dire aux peuples de tous les mondes qu'ils existent – et qu'ils sont être, Dieu et présence – et bien davantage peut-être... – dans un espace – une lumière vivante et invisible éclairant ce qu'ils ont toujours pris pour un néant...

 

 

Présence, nature et métaphysique. Une parole. Quelques mots. Pour essayer d'exprimer la même beauté que la mousse et la fleur parmi les rochers et les sols infertiles de la terre...

 

 

Le silence des débuts si angoissant demeurera. Et à la fin expliquera tout... Et nous comprendrons alors sa justesse et sa beauté. Et les nôtres que nous n'avons eu de cesse de vouloir retrouver. Et celles des bruits mêmes qui tentaient vainement de l'effacer...

 

 

Le cœur, le monde, le ciel, le regard. Voilà, en quatre mots, tout est dit... Et autorisons-nous à en ajouter deux supplémentaires pour les relier – et apprendre à les unir : l'âme et la vie...

 

 

Sur le lit de l'espérance naissent les pires cauchemars...

 

 

Jamais les enjambées sauvages n'atteindront l'horizon. Elles ne feront qu'enlaidir – et obscurcir – la terre déjà bien laide – et déjà bien sombre...

 

 

L'heure intime rapproche le cœur de la vie. L'âme du monde. L'être de l'Existant. Elle est notre plus sûr passeport pour les terres de la joie. Et ainsi seulement seront foulées les contrées de l'unité. Et deviendront libres nos pas...

 

 

Y a-t-il une passion plus dévorante que celle de l'Absolu ? Inépuisable jusqu'au contentement de l'ultime faim – jusqu'à l'effacement de tout appétit...

 

 

Une poudrière noire au fond de l'âme. Et un feu, soudain, s'embrase. Et tout explose. Flammes rouges et dansantes. Dévastatrices. Et bientôt les cendres. Et, plus tard, sous les cendres, la naissance de la première fleur. Comme le jaillissement inespéré du printemps après des siècles d'hiver et de terreur...

 

 

Plus loin que la lumière, l'infini. Et plus loin que l'infini, le silence. Voilà... Tout est dit... Et voilà ce que l'on espère... Et voilà ce qui nous attend...

 

 

Oui à tout. Même à l'horreur et au refus. Et la vie, plus dansante, nous emportera... plus libres – tellement plus libres...

 

 

Les songes sont dangereux. Bien plus dangereux que la vérité. Et bien qu'elle soit âpre et abrupte, sa morsure sera toujours moins douloureuse que le sourire mensonger des rêves...

 

 

La faux et l'écume. Et les vents hilares... Et le silence derrière qui veille à la danse et aux effacements...

 

 

Goutte dans l'océan, consciente à présent de sa nature, se laissera mener, lucide et consentante – et éminemment joyeuse – à travers tous les cycles de l'eau...

 

 

Les jours défilent comme les paysages à la fenêtre des trains. Emportés dans un voyage dont nous ne savons rien. Ni la gare d'origine ni la destination. Emportés peut-être – emportés sans doute – pour l'éternité dans une course sans fin... Mais les yeux – et le cœur – pourraient faire halte – et rejoindre l'instant et le regard, et nous nous laisserions mener l'âme plus sereine et plus joyeuse. Plus sensible aux visages et aux paysages du voyage. Et insoucieux – si insoucieux – des routes et des escales...

 

 

L'âme emportée vers ses chimères par les vents complices. Et la liberté du voyage à portée du cœur... Un seul pas suffirait pour aller partout unis aux vents – pour nous en affranchir et libérer notre foulée de leur souffle. Et devenir âme joyeuse et sereine dans les bourrasques et les tourmentes...

 

 

La poésie trop explicative – et trop soucieuse d'exhaustivité – se fait indigne et médiocre philosophie. Et nul ne la lit. Trop lourde pour le cœur. Et trop faible pour l'esprit...

Mais, en vérité, je ne saurais dire qui, du monde ou de l'esprit, est le plus lourd... Seul sans doute le cœur peut les réunir – et révéler leur épaisseur comme leur profondeur... Et inviter ainsi l'âme et l'Amour à les rendre plus légers. Comme un fardeau – un inévitable fardeau – de plumes souriantes...

 

 

Grâce à la vie, l'âme peut se faire l'intermédiaire entre l'être et le monde. Être au regard lointain et au cœur uni...

 

 

Le regard et le cœur innocents. Vierges de tout contenu et de tout embarras. Au cœur de l'être nu. Ainsi devrions-nous vivre – et aller sur les chemins du monde*...

* et de la vie...

 

 

La poésie. Quelques traces de doigts dans la poussière que les hommes ignorent – et que les vents effaceront...

Il n'y a pour la poésie (comme pour d'ailleurs toute chose en ce monde) d'autre destin. Aussi le poète devrait s'émerveiller des plus hautes réjouissances qui lui sont offertes avant d'écrire – et de les célébrer (si dérisoirement) sur ses pages...

 

 

Il est extraordinaire de constater que la vie et le monde œuvrent à un incessant réajustement pour maintenir (ou restaurer) un équilibre général minimal nécessaire à leur survie. Equilibre sans cesse défait – et menacé – par les perpétuels échanges et interactions qui recombinent de façon permanente leurs éléments...

 

 

La proximité des sages caresse l'âme. La pénètre et l'enveloppe. L'invite – et l'encourage – à chercher sa propre sagesse...

 

 

Es-tu présent ? Ou glisses-tu sur la vie comme sur un sol glacé – emporté par les tourbillons des pas et des vents ?

 

 

Les hommes. Des cœurs las. Et presque sans substance. Sans folle envie de vivre. Mais sans impatience, pour autant, de mourir. Des cœurs peut-être... Qui sait ? A moins, bien sûr, que les apparences ne nous aient trompés...

 

 

Dire – et crier – la solitude de l'homme est insuffisant... Comment le monde, murmurant ou hurlant cette même solitude pourrait-il l'entendre ? Il nous faut marcher jusqu'au plus sombre de ses profondeurs – et traverser ses eaux noires jusqu'au rivage de la lumière – pour la comprendre – et la vivre sans tristesse. Et pouvoir la célébrer dans la joie de l'inévitable...

 

 

Je ne connais de plus grande joie que l'amitié d'un livre. Et juste au dessus – et plus joyeux encore – la proximité et le parfum de l'herbe et des étoiles...

 

 

Les hommes convertissent l'or en amour. Mais l'Amour (l'Amour vrai) ne peut, bien sûr, se convertir en or...

 

 

Et s'il n'y avait, en cette vie, que la matière brute des jours et du monde. Et l'Amour...

 

 

Et si l'on instruisait l'âme de sa corruption... Et si l'on instruisait le cœur de ses crispations et de ses perversions, saurait-on enfin accueillir l'Amour – et devenir l'un de ses dignes serviteurs ? Le monde deviendrait-il plus clair – et plus libre de sa noirceur ? Quand saurons-nous donc être véritablement des hommes...

 

 

Mille pas plus éternels que la pierre. Mille baisers plus beaux que le cœur en chamade – et bientôt émietté. Et le silence toujours plus solide que toutes nos paroles...

 

 

Et si les poètes offraient avec leur cœur et les nuages, l'Amour, la lumière et le silence dans leur parole claire – et leurs lignes parfois trop sombres et trop touffues... Et si les poètes avaient raison... Les lecteurs pourraient-ils goûter la liberté, la joie et l'éternité ? S'ouvriraient-ils à la grâce des jours ? Existeraient-ils avant de vivre ? La gratitude aurait-elle plus de poids que les appétits ? Et l'Absolu plus d'épaisseur que les soucis ? Être deviendrait-il enfin plus essentiel que devenir ?

 

 

Ô sombres élans, vers quel obscur abîme nous plongerez-vous encore...

 

 

La bible. Un peu plus de deux mille pages. Bien en peine – toujours plus en peine – de remplir le vide laissé par un peu plus de deux mille ans d'histoire...

 

 

Le fil de l'écriture – comme le fil de l'histoire – rompus par mille silences incapables pourtant de nous faire goûter, à travers leur beauté et leur justesse, la vérité. Faudrait-il donc désespérer des livres et des années ? Ou est-ce l'aveuglement des hommes qu'il faudrait blâmer...

 

 

Et cette voix inconnue – et anonyme – dans les livres des poètes qui nous cherche – et nous révèle... Comment pourrait-on y être sourd – et refuser de l'entendre ? Comment pourrait-on la dédaigner – et lui intimer l'ordre de se taire – et préférer nous rassasier de bruits et de jeux si propices à son éloignement – à son effacement... L'homme serait-il donc plus animal que les bêtes si ouvertes à la beauté et au silence...

 

 

Présence, métaphysique et poésie. Voilà de quoi mon âme, chaque jour, se nourrit. Et avec la compagnie de l'herbe et des arbres – et les chemins que nous arpentons – la proximité et la fréquentation des hommes ne nous sont (presque) plus nécessaires...

 

 

Chemins de vie et d'écriture. Tant de foulées pour approcher le silence. Et faire du cœur et des pas son sanctuaire...

 

 

La vie pure – la vie pleine – et leurs secrets révélateurs sont – et seront – toujours en soi. Que faudrait-il donc pour se détourner des pistes du monde – et être enfin capable de tourner les yeux vers soi...

Qui saurait éclaircir et apaiser notre âme si nous ne savons nous-mêmes y pencher le regard...

 

 

En cette vie – et en ce monde – tout se mélange – avance et évolue. Tout semble se mélanger – avancer et évoluer. Et pourtant l’œil reste toujours neuf... Et ce qui était n'est plus. Et ce qui sera n'est pas encore... Et pourtant, malgré la métamorphose apparente, la nature du réel – et la lumière qui l'éclaire – demeurent inchangées. Energie et conscience à jamais unies malgré le remodelage incessant des combinaisons...

 

 

Après ces paysages, il y aura d'autres paysages. Après ce chemin, il y aura d'autres chemins. Après ce monde, il y aura d'autres mondes. Après cette vie, il y aura d'autres vies. Comme si l'après était partout – et permanent. Et pourtant le temps n'existe pas...

 

 

La vie paisible n'est pas celle que l'on croit. Elle ne naît – et ne peut naître – que du cœur silencieux...

 

 

Ah ! Ces inépuisables – et indociles – élans qui ne cherchent, en vérité, que leur extinction – et qui n'aspirent qu'à la grande liberté...

 

 

Il y a des êtres – et des âmes – trop sensibles et trop peu armés pour vivre en ce monde. Et fréquenter l'épaisseur si grossière de leurs congénères...

 

 

La société du travail(1) est un travers civilisationnel, né des nécessités organiques et animales – et renforcées par l'organisation collective des hommes devenue, au fil des siècles, toujours plus complexe, monstrueuse et dévastatrice. Ainsi, le temps voué au labeur (et au transport pour se rendre à son lieu de travail), l'énergie que les individus y consacrent et les préoccupations et les soucis engendrés(2) par toute activité professionnelle sont – et ont toujours été – éminemment aliénants.

(1) Le travail tel qu'il était appréhendé et effectué autrefois, tel qu'il est appréhendé et effectué aujourd'hui et tel qu'il risque d'être appréhendé et effectué demain – et il y a de grandes chances que l'activité professionnelle devienne dans les décennies à venir encore plus omnipotente, centrale et phagocytante dans l'existence des individus...

(2) Préoccupations et soucis durant les heures de travail mais aussi après la besogne journalière achevée...

Ils contraignent les hommes à y passer l'essentiel de leur journée – et de leur existence – et à s'y vouer corps et âme. Et ne leur laissent qu'un maigre répit (fin de journée, nuit, week-end et vacances) qu'ils consacrent, l'essentiel du temps, aux tâches et aux contingences quotidiennes (innombrables), au repos, au sommeil et (éventuellement) à quelques pauvres loisirs indigents et lénifiants à seule fin de récupérer quelques forces – et de retrouver quelque énergie – ou pour s'offrir quelques plaisirs et distractions médiocres afin de compenser l'incessante pressurisation professionnelle dont ils font l'objet et/ou pour tenter d'égayer leur existence si morne et affligeante – afin de trouver le courage et la force de poursuivre leur labeur le jour suivant...

Ainsi, entre le travail, les contingences matérielles quotidiennes, le repos et les loisirs, les hommes ne disposent plus de l'énergie, de l'espace et du temps nécessaires pour s'interroger et s'engager dans un cheminement intérieur et spirituel* afin de vivre – et ressentir – la vie pleine...

* Notons néanmoins que si les hommes disposaient de plus de temps, très peu seraient disposés à s'interroger et à s'engager dans une démarche de compréhension... On les verrait plutôt plonger dans la mollesse et l'inertie et se livrer à des activités strictement distractives et occupationnelles afin d'échapper au vide et à l'ennui...

 

 

Le regard vierge. Le cœur innocent. Et l'âme libre. Ainsi devrions-nous vivre – et aller sur les chemins du monde à chaque instant. Sans (même) nous soucier de la légèreté ou de la lourdeur du corps et de l'esprit...

 

 

Le ciel inchangé. Le passage et le vol, éternels, des nuages et des oiseaux sous la sereine quiétude du soleil et des étoiles... Et la terre, si changeante, soumise aux caprices de son peuple où rien, jamais, n'est certain... où la lave, les nuées de soufre et les océans peuvent tout recouvrir ou laisser provisoirement la place au règne des créatures qui ne sont pas même assurées de pouvoir façonner – ou garantir – leur destin...

 

 

Je ne suis – et n'ai jamais été – ni un penseur ni un poète. Et, sans doute, pas même un auteur... Simplement un homme qui s'interroge... qui écrit – et partage – ses intuitions, ses impressions, ses pensées, ses ressentis, ses explorations et ses découvertes. Mes notes n'ont rien – et n'ont jamais rien eu – à défendre... ni idées, ni postures, ni fonction, ni groupe, ni idéologie...Voilà peut-être pourquoi mes livres ne ressemblent à rien... ou, du moins, à pas grand chose... et qu'ils ont l'air si humbles – et même naïfs à certains égards... 

 

14 décembre 2017

Carnet n°103 Visage(s)

– De l'être et du monde –

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Et j'ai bu à la source du silence. Et mes mots se sont apaisés... Et est apparue la joie dans mes cris – et mes gestes – désespérés...

Et la nuit – plus sombre que les ombres – s'est extirpée malgré la nuit qui dure encore...

Et si l'audace – et le courage – n'était de vivre. Ni même de rester vivant... Mais de s'avancer, tremblant, devant la vérité...

Et j'ai vu la lumière, plus vive que le plus grand soleil... Et j'ai vu la tristesse lui résister – ineffaçable peut-être... Et l'âme grise, presque couchée sous son poids, implorer le grand effacement – freinant de toutes ses forces devant l'immense abîme...

 

 

Une mésange sous la pluie drue – et le vent froid de l'hiver. Comment le cœur pourrait-il ne pas être chaviré...

 

 

Et si la poésie était comme un ciel aux doigts d'or – incapables de percer les nuages où crient – et se morfondent – les hommes...

 

 

Nous n'aurons donc à jamais pour apprendre à vivre – à comprendre et à aimer – qu'un seul essai... interminable...

 

 

Je n'aime les poètes. Je n'aime que ceux qui cherchent, de leurs doigts empruntés, l'innocence dans leur fouillis. Et je n'aime ceux qui disent l'avoir trouvée. Je n'aime que ceux qui hésitent encore...

 

 

Combien y a-t-il de poètes parmi les hommes ? Et combien d'innocents parmi les poètes ? Aussi pourquoi voulez-vous que nous fréquentions le monde...

 

 

A petits pas dans le jour. Et le soleil se lève déjà. Et le soleil bientôt disparaît. A petits pas dans la brume des jours...

 

 

[L'être, l'homme et le monde]

L'être, l'homme et le monde. Vivre l'être en soi – et le sentir et le voir en l'homme et dans le monde. En laissant l'homme et le monde libres de vivre en son sein, dans sa proximité ou son absence. Voilà peut-être, à présent, le défi...

 

 

On peut avoir confiance – une confiance totale – en la vie. En sa profonde justesse. Et en la pertinence absolue des circonstances. Et il est même nécessaire de la lui accorder pour vivre sans tourment (sans trop de tourments). Mais on peut beaucoup plus rarement offrir sa confiance aux êtres – et aux hommes – qui n'en sont que les instruments. Les outils instinctuels et mécaniques dévoués (presque entièrement) à leur(s) propre(s) mouvement(s), aveugles à leur environnement et aux formes alentour et inconscients, le plus souvent, des enjeux dans lesquels ils se trouvent impliqués...

 

 

Les jours et les paysages de la terre sous toutes les couleurs. Voilà ce qui nous fera aimer leur palette. Et tous leurs visages. Et les voir depuis le ciel innocent nous offrira toujours, bien sûr, le meilleur point de vue mais aussi – et surtout – la plus belle lumière...

 

 

Accueillir chaque instant du jour, chaque circonstance (même infime – presque invisible...) et chaque visage – accueillir chaque parole – celle du monde comme celle du poète – avec attention, profondeur et sensibilité. Avec cet esprit nu et curieux si nécessaire à la rencontre. Il n'y a d'autre façon d'être vivant. Ni de sentir partout le sacré de l'existence...

 

 

Et dans le bruissement sourd des saisons, soudain, le silence...

 

 

Et j'ai bu à la source du silence. Et mes mots se sont apaisés... Et est apparue la joie dans mes cris – et mes gestes – désespérés...

Et la nuit – plus sombre que les ombres – s'est extirpée malgré la nuit qui dure encore...

 

 

Et si l'audace – et le courage – n'était de vivre. Ni même de rester vivant... Mais de s'avancer, tremblant, devant la vérité...

 

 

Et si du silence intarissable cessait de couler la parole... Et s'il n'était plus nécessaire de dépeindre la noirceur de la terre... ni de désirer une autre couleur pour le monde – et le cœur des hommes... Et si nos lèvres n'aspiraient plus qu'à embrasser le silence...

Et si l'oubli était notre fortune pour renaître neuf à chaque renouveau... Et si l'innocence, à chaque instant, nous pressait d'y consentir... pourrait-on accéder au lieu où tout s'efface ? Pourrait-on vivre dans l'oubli du monde, des hommes et des heures – et jusqu'aux noms gravés sur les stèles de pierre – et jusqu'au nom gravé sur notre propre chair ?

Et si le miracle, à chaque instant, avait lieu... pourrait-on jamais se souvenir – et dire le monde, les hommes et les heures toujours neufs et nouveaux ?

 

 

Ce que vous êtes ne nous regarde pas. Pas davantage que ce que nous sommes. Allons donc dans l'ignorance de chacun... Et arpentons ainsi chaque chemin jusqu'à l'ultime point de ralliement. Jusqu'à ce que notre visage se confonde avec tous les visages. Jusqu'à ce que nous ne rencontrions partout que notre seul visage...

 

 

Et si la jouissance n'était qu'une joie masquée – trop naïve encore pour quitter les objets de notre désir – et s'afficher au bras de n'importe quel visage...

 

 

Et si à force de visages – de trop de visages – et de pas mécaniques, le monde – la vie – le monde nous ôtaient le plus précieux... Et si le désert – et l'immobilité dans le désert – étaient le lieu (le seul lieu) de la rencontre. L'antichambre du paradis...

 

 

Tout oublier. Tout effacer. Pour renaître, encore et encore, à chaque instant... Et se faire plus vivant qu'à l'instant précédent... Et bien plus vivant qu'autrefois lorsque nous marchions – ne pouvions même faire un pas – sans pouvoir nous dessaisir des lourdes charges du souvenir et de la pensée...

 

 

Et j'ai vu la lumière, plus vive que le plus grand soleil... Et j'ai vu la tristesse lui résister – ineffaçable peut-être... Et l'âme grise, presque couchée sous son poids, implorer le grand effacement – freinant de toutes ses forces devant l'immense abîme...

 

 

Les hommes semblent passablement heureux. Sans doute parce qu'ils affectionnent particulièrement la ronronnante immobilité de leur existence (vécue dans la superficialité des représentations...) – et pourvu qu'elle leur soit confortable... et/ou parce qu'ils se contentent (dans tous les sens du terme) de se lancer d'infimes (et dérisoires) défis, en général, aisément accessibles et réalisables...

Mon inaltérable tristesse pourrait-elle alors s'expliquer (en partie) par mon irrépressible – et inépuisable – besoin de ressentir la vie dense, intense et profondément exaltante – et de ne jamais m'en éloigner... Et par le fait de n'avoir, en réalité, jamais été confronté* qu'à un seul défi (mais de taille – sans doute le plus grand qui soit...) : vivre l'être et la joie dans leurs profondeurs indéracinables...

* confronté de façon permanente...

Et l'on comprendra donc aisément, au vu des difficultés de cette très périlleuse et ambitieuse entreprise, que la tristesse m'envahisse lorsque mon âme – son immaturité – et les circonstances parfois dévastatrices m'en privent, m'en détournent ou m'en éloignent...

 

 

Aucune histoire personnelle (quelle qu'elle soit...) n'est vraiment – ni particulièrement – intéressante. Aussi grandiose ou insignifiante – aussi célèbre ou anonyme soit elle... Sans doute n'est-elle significative que pour celui qui la vit... Mais toutes, néanmoins, réclament écoute et attention – et méritent d'être entendues car n'est-ce pas de ces histoires – de chacune de ces histoires – que naît – que peut naître – le sentiment de l'impersonnel ?

 

 

Et si le regard était plus familier de la pierre que du visage. Mais pas moins proche, bien sûr...

 

 

Ces derniers temps, mon écriture se fait (presque) somnambulique. Comme si elle cherchait à s'extirper de son rêve – et à m'extraire de cette vie cauchemardesque... Mais malgré ses ambitions, je crois qu'elle nous y plonge plus profondément encore... Comme s'il était plus aisé de se laisser glisser dans l'automatisme et la mécanicité des jours et des pas que de se faire réel dans la réalité...

 

 

Rien ne pousse – rien ne peut pousser – sous ce qui est recouvert. Et pourtant, ce qui doit émerger – et grandir – empruntera toujours un autre chemin pour voir le jour... Comme si la nécessité était toujours plus forte – et puissante – que les obstacles... Pour quelles raisons ? Sans doute parce que la nécessité est menée (et guidée) par l'intelligence – la grande intelligence* – et qu'elle aspire à la liberté – à retrouver son état naturel de liberté... Et sans doute parce que les obstacles naissent, le plus souvent, de la peur et que la contrainte, par définition, les régit... Et qui peut nier que la peur et la contrainte sont, presque toujours, une offense à l'intelligence et à la liberté...

* Celle de la conscience...

 

 

Lorsqu'il arrive que la joie se fasse moins présente, l'écriture, comme autrefois, peut devenir à la fois expulsion – décharge de l'encombrement – et taille claire dans les fouillis de l'âme et les futaies denses de l'esprit et du cœur pour défricher un passage. Et offrir au pas – et à l'être – un chemin plus simple et lumineux...

 

 

Au cours de notre promenade en ce jour pluvieux de fin d'hiver, plusieurs colonies de grands oiseaux migrateurs (des grues cendrées peut-être...) sont passées, par vagues successives, au dessus de nos têtes. Fendant le vaste ciel, si haut dans l'azur. Et annonçant leur retour à grands cris. Et d'assister, émerveillé, à ce spectacle grandiose et émouvant*, quelques larmes ont coulé sur mes joues...

Le vivant infime dans l'immensité... Comment pourrait-on ne pas être bouleversé...

* Très émouvant...

 

 

Je n'aspire à rien. En particulier en matière d'écriture. Ni à être penseur ni à être poète. Mais la perspective sensible et spirituelle et la densité métaphysique sont si permanentes et si profondément inscrites en moi que l'écriture se transmute presque toujours en pensées – et en notes – vaguement poétiques...

Ainsi se construit – et s'est toujours édifiée – cette œuvre informe et hybride – ni vraiment philosophique ni vraiment poétique... Mais incontestablement sensible, métaphysique et spirituelle. A l'image, sans aucun doute, de ce que je suis – de ce qu'est l'homme – et de ce que nous sommes tous au fond – au delà de toute étiquette...

 

 

Quelques mots chaque jour que je dépose précautionneusement sur la page. Comme une maigre récolte – quelques poussières d'or – dans ma vie si misérable et indigente. Presque famélique...

 

 

L'humanité, en général, ne cherche guère la compagnie des hommes intelligents. Elle aime – et préfère – s'entourer de personnalités gentilles et calmes – sincèrement gentilles (autant que l'on puisse l'être...) et profondément calmes et apaisantes... Pour quelles raisons ? Sans doute parce que la gentillesse et la quiétude ne sont pas si fréquentes (bien que l'intelligence ne le soit pas non plus...) – et sans doute aussi, plus sûrement, parce qu'elles sont les reflets humains de l'Amour et de la paix du Divin. Et que l'on y accède par la plus haute intelligence qui ne se montre ni forcément brillante et impressionnante – mais qui n'est jamais froide, insensible et prétentieuse comme peut l'être, si souvent, celle des hommes intelligents...

 

 

La franche camaraderie et la joyeuse convivialité – si communes dans les groupes et les regroupements humains, je ne les ai jamais vécues avec mes congénères. Sans doute ai-je toujours été une figure trop solitaire pour m'y prêter – et m'en accommoder... Mais je les ai souvent goûtées avec les bêtes, les arbres, les nuages et les rochers. Bref, avec mes frères naturels... Avec les merveilleux représentants de ma communauté (naturelle)...

 

 

Celui qui refuse de participer à la vaste comédie humaine et à sa longue liste de pantalonnades et de mascarades* (et qui, de fait, n'y participe pas) ne peut se permettre (moins encore que quiconque...) de jouer avec lui-même. Il ne peut se mentir ni se permettre d'être son propre complice – le compère, en quelque sorte, de son auto-tricherie – ni s'engager indéfiniment dans une fuite en avant mensongère. Comme il ne peut s'autoriser à jouer avec la vérité – et à se cacher derrière une fausse représentation de lui-même...

* Mascarades posturales, comportementales et langagières...

Sans les compensations offertes par la vaste comédie humaine, les conséquences pour l'honnête solitaire seraient, on ne peut plus, fâcheuses et préjudiciables... L'honnête solitaire ne peut se dissimuler ni se trahir sans en payer, presque aussitôt, le prix : le sentiment d'une vie vaine (et gâchée) par malhonnêteté et un éloignement de soi qui confine au dégoût et à l’écœurement. Et qui peuvent mener, par manque de probité et amoindrissement de la lucidité, à l'anéantissement...

Bref, l'honnête solitaire n'a, par nature, d'autre choix que de se montrer honnête dans sa solitude en affrontant (ou en faisant face) aux circonstances et aux élans qui se manifestent et qui lui échoient sans jamais rogner sur son impératif devoir de lucidité – et en s'efforçant (autant que possible) dans un esprit d'abandon* de vivre – de sentir et d'accueillir – l'ensemble de ces mouvements avec profondeur et intensité... La joie (la joie qui s'est peut-être éloignée pour quelque temps...) ne saurait trouver d'autre chemin pour le pénétrer...

* Ce qui pourrait sembler paradoxal...

 

 

Ce dont nous avons besoin en cette vie : du souffle et du courage... Ensuite, lorsque l'on « accède » à l'être et à la vérité, l'existence devient plus aisée... Les circonstances peuvent, bien sûr, se montrer toujours âpres et difficiles... mais les événements sont vécus avec un cœur plus innocent – et plus proche de ce qui se manifeste (et parfois même uni à ce qui advient... ) – et avec un regard ouvert – et plus lointain – comme étranger au cours des choses...

 

 

Il convient, dans notre vie, de ne jamais permettre au tragique de triompher de l'Absolu. Il nous faut, au contraire, traverser le tragique – et en comprendre la triste apparence autant que la malheureuse origine pour que l'Absolu puisse supplanter – et effacer – nos angoisses (naturelles et compréhensibles) de créatures fragiles, dérisoires et éphémères...

 

 

L'Amour, toujours, a raison du poids obscur du monde. Cette phrase lue dans le beau recueil de Georges L. Hendel, « De la terre et de sang, de ciel et de feu » devrait nous accompagner à chaque instant. Et, en particulier, dans le plus noir – et le plus triste – des jours...

 

 

Et si le doux visage de l'innocence nous attendait derrière l'horizon... Et si son front était penché sur chacun de nos pas... faudrait-il alors attendre demain... plus tard – dans un siècle peut-être... ou dix mille ans allez savoir... – pour s'agenouiller devant lui. Et tendre la joue à son baiser réconfortant...

Et si l'eau – et ses ondes nées de notre cri – pouvaient seulement atteindre ses rivages – ou faudrait-il attendre que le silence les y dépose...

 

 

Sensible autant aux appels incessants de l'Absolu qu'à la misère et aux plaintes permanentes (quasi permanentes) des êtres de ce monde... Et cette sensibilité, il va sans dire, rend notre paix et notre joie fragiles – et extrêmement précaires – au quotidien...

 

 

Il est nécessaire de vivre – et de ressentir – de façon suffisamment profonde et permanente l'insignifiance, la précarité et l’évanescence de notre condition et de notre destin – et de percevoir, dans le même temps, le dérisoire (risible et tragique) de nos gesticulations et de nos vaines tentatives pour essayer de l'oublier, de s'en cacher ou de s'y soustraire pour abandonner les fausses promesses et les fausses solutions du monde et s'engager (s'engager réellement) dans une quête d'Absolu (et y percevoir la seule issue possible) afin d'amorcer un indispensable (et incontournable) cheminement intérieur perceptif et sensible*...

* Ce que d'aucuns appelleraient une voie spirituelle...

 

 

Es-tu ? Aimes-tu ? Non ? Alors à quoi donc es-tu occupé ? Qu'as-tu de si essentiel à faire pour ne pas être – et ne pas aimer ?

 

 

Chez les hommes, les représentations (mentales) sont, bien sûr, centrales. Nul ne peut ignorer qu'elles impulsent – et gouvernent – un très grand nombre d'actes, de comportements, de gestes et de paroles... Mais, en dépit de leur prépondérance et de leur intérêt – et des bénéfices qu'elles peuvent procurer..., elles ont le désavantage d'appréhender le réel à travers un filtre, et par conséquent, d'en priver l'accès direct, et peuvent aussi être très aisément influencées, manipulées et contrôlées. Ainsi est l'esprit (le psychisme). Et ainsi peut-on prendre le pouvoir sur lui...

Rien de tel ne pourrait se produire avec la conscience (inféodée, en quelque sorte, à la vérité*) – avec un esprit innocent – une perception vierge de toute idée et de toute image... Même si l'on essayait de l'influencer, de la duper, de jouer avec elle ou de la contrôler, on n'y parviendrait puisque l'esprit libre, vierge et ouvert a la capacité à demeurer vide (désencombré de toute idéation et de toute représentation) grâce au mécanisme permanent de l'accueil et de l'effacement – accueil des phénomènes et des mouvements présents dans l'instant et leur effacement presque instantané...

* et non, bien sûr, aux représentations de la vérité...

Mais pour autant, je ne saurais imaginer un esprit humain – fut-il vierge et sage (aussi proche de la conscience impersonnelle soit-il...) ne pas se voir partiellement (ou même infinitésimalement) influencé et conditionné dans la vie quotidienne (dans la vie dite de tous les jours) par ses apprentissages et ses bagages antérieurs – par les résidus représentatifs les plus enfouis et les plus tenaces – les plus indélébiles peut-être... offrant sans doute, l'essentiel du temps, des gestes et des paroles parfaitement libres et justes mais peut-être parfois (en particulier en cas d'inattention ou de circonstances douloureuses pour le psychisme) encore quelque peu teintés (ou biaisés) par certaines représentations d'ordre personnel... Ainsi, je crois, est l'esprit humain...

 

 

Cette fêlure (sombre) dans notre vie – et dans nos pas – que la voix étouffe pour paraître claire. Et que notre cœur, aidé par nos lèvres complices, recouvre d'éclats de rire... Comme si nous avions peur de nous y attarder – et d'y tomber en penchant nos yeux sur cette faille – tête et buste arc-boutés contre leur petit muret de pierres... Faille que notre oubli – et notre aveuglement – transformeront bientôt, de façon aussi prévisible que certaine, en gouffre dangereux et (encore plus) effrayant...

 

 

L'homme, malgré lui, cherche l'infini et le silence. Mais l'esprit, si peu familier de l'immobilité et de la grande liberté, les redoute, les fuit et les craint comme la peste. Voilà sans doute le dilemme de l'homme. Et l'origine de son écartèlement permanent...

 

 

Un instant, une existence, une éternité. A quelle aune veux-tu vivre – et mesurer ta vie ? Est-ce donc de ton hésitation que naissent tes empêchements* ?

* Tes empêchements à vivre...

 

 

Malgré tes ambitions et tes aspirations secrètes, demande-toi comment tu pourrais à la vie ajouter la joie si tu ne sais pas être...

 

 

Un visage – une vie – sans fantaisie. Mais exige-t-on de la goutte d'eau qu'elle soit fantasque – rocambolesque peut-être... N'y a-t-il donc que les hommes, trop familiers des marécages quotidiens, pour inventer des histoires – et bâtir des rêves surprenants ? La terre se soucie-t-elle d'être routinière...

 

 

Pourquoi honorer la lumière – et effacer l'ombre qui pèse de tout son poids sur le monde et notre existence ? Pourquoi ne pas les embrasser toutes les deux – et les chérir comme notre plus sûr visage ?

 

 

Nous pourrions vivre mille ans – dix mille ans – sur la terre, le cœur – et les yeux – resteraient clos si le souffle, né du ciel, n'investissait l'âme – et lui enjoignait de résoudre son mystère...

 

 

L'existence est, par nature, métaphysique. Comment les hommes, si occupés à leurs (si) prosaïques contingences, ont-ils pu l'oublier ? Comment peut-on vivre sans s'interroger sur ce mystère – et sans essayer de le résoudre pour y voir – y vivre et y être – plus clair ?

L'instinct animal serait-il encore trop présent – et prégnant – chez l'homme pour qu'il ne rêve que de rassasier sa faim et ses appétits de territoire ? Et cette consternation à le voir s'échiner avec maladresse (avec tant de maladresse) à l'aisance, au prestige et à l'abondance afin d'essayer de contenter ses espoirs de vie meilleure... Comment peut-il ignorer à ce point que la joie, la paix et l'Amour qu'il cherche, malgré lui, si obstinément jamais ne pourront naître de la terre et de ses malheureuses acquisitions...

 

 

Et si un saut infime dans l’œil ouvert séparait la joie du désespoir... Et si un instant – une éternité – une vie toute entière peut-être... – suffisait pour y consentir... La joie alors serait à portée de regard même pour les cœurs les plus tristes...

 

 

Et si, malgré toute la tristesse et la noirceur du monde, nous ne naissions que pour connaître la joie – et vivre parmi les vivants avec le cœur innocent... Et si c'était là le plus secret présent offert au corps et à la terre...

 

 

Un regard et un cœur, voilà qui est (bien) suffisant pour être – et pour aimer et comprendre... Un espace, un univers et des mouvements, et voilà de quoi être au monde – et de quoi contenter l'Amour et la compréhension... Aurions-nous besoin d'autre chose ? Vivre n'est-il pas déjà réuni (tout entier) dans ces quelques mots...

 

 

Et si la vie – et le monde – n'étaient qu'un rêve pour nos yeux malades... Et l'être, une étoile inexistante – un astre éteint et mythique... Un songe né de l'espoir d'une vie meilleure. Accessible qu'à la fin des temps... ou aujourd'hui peut-être, à la seconde même où l'instant nous effacera (et avec nous nos terribles et ténébreux désirs de lumière...)... Ou à la fin des mondes lorsque nous pourrons enfin émerger du long sommeil où nous aura plongés l'existence...

 

 

Les secrets d'un visage sont dans sa solitude et ses silences. Les plus sûrs – et les plus justes – reflets de l'âme...

 

 

Il faut laisser le monde – et ses mille vents contraires – caresser le cœur silencieux pour voir l'âme vibrer à ses élans et à ses tourbillons – et qu'elle puisse ainsi offrir à la main le privilège d'en témoigner...

 

 

L'homme, le monde, la terre, le vivant et l'Existant. Toujours entre l'horreur et le fabuleux. Entre l'abomination et le merveilleux. Entre le dérisoire et l'essentiel. Entre la malédiction et le miracle. Entre le tragique et la grâce. Entre le pathétique et le fou rire. Entre la joie et le désespoir... Quels autres sentiments pourrions-nous avoir en vivant – et en existant – et en nous voyant vivre et exister ? Et comment pourrions-nous ne pas nous balancer, à chaque instant, entre ces mille extrémités ? Et comment notre vie pourrait-elle ne pas être (tout à la fois) ce curieux et incroyable mélange ?

Y aurait-il donc trop de qualificatifs pour nous définir – pour définir l'homme, le monde, la terre, le vivant et l'Existant ? Un seul et même visage pourtant si complexe, si divers et si complet... Figure aux mille facettes faussement adverses et trompeuses réunies autant en chacun qu'en les réunissant toutes en tous (sans exception)...

Et quel curieux et incroyable sentiment de voir – et de sentir – le réel se mêler partout avec lui-même et chacune de ses parties (et jusqu'au plus infime élément)... se transformer sans cesse au contact permanent des autres. Et de sentir toute l'étrangeté du regard à l'égard de ce mouvant et monstrueux enchevêtrement...

 

 

l'homme sauvage, instinctuel et tribal succède l'homme social, supposé civilisé, vaguement intellectuel et accessoirement pétri d'orgueil et de prétention. Auquel succède l'homme métaphysique. Auquel succède l'homme spirituel qui perd progressivement son assurance, ses certitudes et de sa superbe... Auquel succède l'homme naturel, humble et conscient à la fois de son insignifiance(1) et de l'infini(2) qu'il porte en lui... Et après l'homme naturel ? Je l'ignore... Peut-être la conscience sans inclination identificatrice à la forme... Voilà sans doute l'évolution de l'homme la plus aisément repérable au cours de son existence (sur le plan individuel) mais aussi au fil des siècles (sur le plan collectif)...

(1) L'insignifiance de son individualité...

(2) L'infini de la conscience...

 

 

Aussi serein que la montagne inébranlable... Aussi humble que l'herbe des fossés... Et, au loin – et au dedans –, la terre et le ciel unis au regard et au pas. Et l'âme innocente plus libre – et plus joyeuse – que jamais...

 

 

Rien qu'une ombre parfois suffit à nous éveiller de nos songes... Et de ce passage furtif naît – peut naître – le grand déblaiement. Et au loin, là-bas, la lumière. La venue (encore) incertaine de l'aurore...

 

 

Aurions-nous perdu la raison – ou en manquerions-nous sérieusement – pour croire – et ne pas sentir (et vivre) le Divin en nous ? Et faut-il être encore trop animal – à mi-chemin entre Dieu et la bête – pour se résoudre à espérer ?

 

 

Au bord du ciel, j'ai vu les oiseaux s'envoler. Et quelques anges malicieux accrochés à leurs ailes...

 

 

La fin de l'aube ne sera, évidemment, pour demain. Mais dites-moi, quels yeux ont-ils déjà eu le privilège de la voir naître...

 

 

Et si nous n'avions qu'à attendre la fin de la pluie... La fin du jour... Et la fin de la nuit... Et si nous n'avions qu'à être là – infiniment présent – et accueillant – à l'égard de la violence et de l'ignorance – et de tout ce qui arrive sans que nul n'ait même conscience de son bref passage – de son bref séjour... Et si c'était cela avoir les yeux – et le cœur – sages...

 

 

Vivre avec un peu d'instinct ? Oui, pourquoi pas... Être – et vivre – sans se soucier de son destin, serait-ce donc cela être libre ? Non, peut-être pas... Que faudrait-il alors ? Fuir à grandes enjambées... ? Se cacher dans les nuages... ? Non, je ne le pense pas... Contempler – et aimer – les visages et les paysages – tous les paysages et tous les visages ? Oui, peut-être, après tout, est-ce cela vivre avec l'âme d'un sage...

 

 

Le paradis n'est pas différent de l'enfer. On y accède par la même porte mais avec les yeux découverts...

 

 

L'existence d'un homme se construit au gré des circonstances et des opportunités. Et son destin s'accomplit à la force des ambitions et en fonction des besoins du monde – et de ce qu'il représente pour lui*.

* A la fois ce que représente l'individu pour le monde et ce que le monde représente pour l'individu...

L'homme sage – et l'honnête solitaire –, eux, n'ont, pour ainsi dire, ni existence ni destin parce qu'ils n'abordent pas la vie selon cette perspective. Parce qu'ils n'ont d'ambition... Et parce qu'ils restent sourds aux opportunités, aux besoins (non essentiels) du monde et plus encore aux représentations excepté, bien sûr, lorsque les circonstances l'exigent...

 

 

L'éclatante solitude de l'homme, si coutumier des liens et des rapports sociaux indigents et superficiels et des marques d'attention et des gestes affectifs impulsés essentiellement par les nécessités circonstancielles et celles de leurs initiateurs – si peu concernés, en général, par l'existence et la réalité de l'Autre que nous en venons à oublier que cette solitude en est une – et que nul jamais ne pourra nous en extraire...

 

 

L'existence de l'homme est, le plus souvent, une vie de compensation où l'essentiel des gestes et des pas ne sert qu'à consoler de (et/ou à oublier) la tristesse métaphysique naturelle (et fort compréhensible) de notre condition...

 

 

Et si les sages et les grands hommes (et non les plus célèbres) n'étaient, en réalité, que d'infimes créatures. Aussi insignifiantes que les autres. Mais si ouvertes au mystère – si curieuses et si engagées dans sa résolution – qu'elles se seraient, à force de persévérance, laissées pénétrer par l'infini. Et que le grand silence, convaincu par leur ouverture, leur vacuité (née du déblaiement nécessaire) et leur maturité, aurait fini par éclairer...

 

 

De gloire et de fortune. Comme un rêve oblique. Opacifiant la vérité. Et égarant le pas vers elle...

 

 

Ah ! L'infini besoin d'Amour de l'homme... Qu'il ne connaîtra qu'avec l'effacement de ses appétits – après l'extinction de son ultime faim...

 

 

Il n'y a que l'Amour qui puisse panser la plaie béante de notre existence. Apaiser notre cri insistant. Notre cri permanent. Et satisfaire notre ambition secrète de découvrir – et de fréquenter – l'Absolu...

 

 

Dieu n'habite le ciel. Et n'a pas élu demeure dans les nuées. Du moins, pas comme le croient les hommes... Il n'est pas assis, sage, hilare ou triste, sur quelque trône invisible et nuageux... à rire ou à désespérer... Il est là, au plus proche de la terre. Au plus proche du regard. Au plus proche de la main et de l'âme. Il est au dedans de tout. Et partout alentour. Et aussi loin que possible de l'ombre de la terre – et de l'ombre du regard, de la main et de l'âme. Il est là, présent, infiniment sage et silencieux. Infiniment patient à veiller sur le monde. A œuvrer secrètement à sa venue sur terre, dans le regard, la main et l'âme. Offrant sa lumière – et son Amour – à toutes les ombres. Prêt à s'immiscer dans l'espace qu'elles laisseront vacant et libre... Oui, Dieu n'habite le ciel. Et n'a pas élu demeure dans les nuées...

 

 

Et si tous les visages du monde découvraient leurs liens – et leur appartenance, Dieu, les êtres et le monde deviendraient aussitôt le même visage. Immensément doux et clair. Aux lèvres silencieuses et au sourire généreux. Et les mains se serreraient sans doute les unes contre les autres – et s’aggloméreraient peut-être pour former une paume immense – ouverte, accueillante et secourable...

 

 

Et dans ce gâchis immense – et la célébration insensée de la fable et de la folie, que de merveilles, d'innocence et de merveilleux... Comme si le monde – son horreur et sa noirceur – ne pouvaient effacer la joie qui sourd entre ses intervalles... – cette joie libre – libérée des beautés et des atrocités du monde...

 

 

Et si la joie, la paix, l'intensité et l'exaltation de l'âme et la profondeur du cœur ne tenaient qu'à nous... Et ne se trouvaient qu'en nous... Et si nous pouvions tous y accéder... Que le monde alors serait beau ! Et que la vie alors serait douce...

Et je vois partout, dès à présent, les premiers signes de l'aurore. Et sa venue prochaine, éclatante et silencieuse, parmi nous...

Qu'un seul cœur puisse s'y livrer, et tous les cœurs seraient sauvés... Qu'une seule âme puisse y consentir, et toutes les âmes finiraient, un jour, par la rejoindre...

 

 

Nul ne peut tuer Dieu, la joie et le merveilleux. Ni les hommes, ni le monde, ni la terre. On peut simplement les oublier – et en être (provisoirement) privé...

 

 

Des astres lointains ? Peut-être pas... Au plus proche du désastre peut-être...

 

 

Et si, en réalité, nous n'avions que l'Amour à offrir... Une présence ouverte et accueillante – vierge et innocente... N'est-ce donc pas ce que réclament tous les visages ?

Et qu'est-ce donc que cet Amour – cette présence ? Et n'y a-t-il, en ce monde, de plus belle obole ? Comment pourraient rivaliser avec eux les plus grandes richesses, tout l'or du monde et les plus somptueux cadeaux ? Ils feraient sans doute pâle figure devant l'éclat souverain de celui qui sait offrir cet Amour – cette présence...

 

 

Du silence – rien que du silence – dans nos jours heureux. Et une marche sereine. Le visage et la foulée libres de la fureur folle des vents... Être, vie et pas sans la moindre écorchure. Sans la moindre velléité de désir. Sereins et silencieux. Innocents. Et presque invisibles. Presque inexistants malgré l'infini au dedans qui resplendit et s'émerveille...

 

 

– Qu'as-tu donc à offrir, petit poète – petit penseur ? Qu'offrent donc tes notes et ta parole ?

– Je l'ignore... Peut-être, comme la fleur et l'étoile, l'occasion de s'interroger...

– Et penses-tu ainsi répondre aux désirs du monde et des hommes ?

– Comment pourrais-je le savoir...

– Y portent-ils un quelconque intérêt ?

– Bien peu y penchent leurs yeux et leur âme... Mais j'ose espérer, comme la fleur et l'étoile peut-être, que l'homme et le monde sauront un jour faire éclore ce qu'ils ont de plus précieux... Ainsi seulement, je crois, l'avenir de l'homme, du monde, de la fleur et de l'étoile sera assuré... Et comme la fleur et l'étoile, nous y aurons modestement – très modestement – contribué...

 

 

La vie quotidienne n'enflamme ni ne sert la passion. En particulier, passé un certain âge..., à moins, bien sûr, d'être entièrement présent au Divin en soi... L'existence et le monde deviennent alors une danse extatique où le regard immobile et serein laisse l'âme et le cœur tournoyer avec fougue sur la piste des jours...

 

 

Comment pourrait-on définir ces notes ? De la philosophie poétique... Des élans maladroits vers le silence et l'infini... Des échos un peu gauches – et bien plus maladroits encore – de ce même silence et de ce même infini... D'honnêtes et de lucides consignes (autant qu'elles puissent l'être...) à l'intention de ce qui, en chacun, chemine vers l'Absolu... Des reflets de l'âme adressés à l'âme de tous les hommes... Franchement qui peut savoir ce que sont ces notes...

 

 

Et s'il y avait un visage – un vrai visage – sous tous nos masques, enfilés les uns sur les autres et revêtus pour nous protéger de tous les visages : le trésor commun impartagé connu seulement des sages...

 

 

Et dans le silence, soudain, quelques notes si douces. S'offrant au silence. Et le révélant... Comme un souffle divin caressant l'âme. Et l'ouvrant à sa nature – et autant à son origine qu'à sa destination. L'étoffe de l'être enfin défaite – l'être enfin mis à nu... Comme une grâce adressée au ciel innocent. Et au cœur suffisamment mûr pour l'entendre – et la recevoir...

 

 

Là-bas, sur le sol miné de pierres, une silhouette fragile et apeurée s'efface – et disparaît parmi les corps. Glissant au dedans de la terre. Et une main dans le ciel haut et profond soudain la tire vers lui pour soupeser l'innocence de l'âme nécessaire à l'envol...

 

 

Un visage contre la lune. Endormi. Serein, sans doute, parmi les étoiles. Tout entier à ses rêves, si proches des songes du jour. Et encore, bien sûr, incapable d'en percer les secrets...

 

 

Un oiseau infime sur sa branche scrute l'infini. Sans savoir que le ciel – le ciel tout entier – se tient partout au dedans. Son âme peut-être l'ignore mais son aile l'a deviné... Ses battements n'ont su trouver les frontières au dehors. Et le silence à présent l'appelle au dedans...

 

 

Les hommes – visages membrés – ombres dansantes – et gémissantes parfois – dans la nuit. Unis au même destin que le tragique enflamme et soumet à la fuite et aux ébats. Et l'on voit les hommes, à force de secousses et de tremblements, dilater leurs errances. Refuser l'évidence des liens et de l'intimité...

Ainsi joutes et accolades – rixes et étreintes – coups et caresses – proliféreront encore dans le silence jusqu'à ce que le cœur devienne (enfin) Amour et pure innocence...

 

 

Et si les hommes, une nouvelle fois, se trompaient sur leur destin... Et si c'était l'âme qui portait les corps et les visages. Et même le monde entier...

 

 

Et si la nuit n'était qu'un oubli du jour... Une ombre dans la mémoire défaillante... Un jeu espiègle – un peu étrange et un peu funeste – nécessaire pour le rejoindre...

 

 

Il n'y a que le vent pour destituer l'éternel de la pierre... Et caresser la longue chevelure des étoiles... Il n'y a que le vent pour bâtir – et destituer – les montagnes et les empires... Et effacer l'orgueil des édifices... Il n'y a que le vent en ce monde où les élans tentent de côtoyer le ciel...

Et à force de rafales peut-être oublierons-nous le monde... Et à force de rafales peut-être répondrons-nous (enfin) aux invitations de l'innocence... A moins, bien sûr, que les vents tournent... Et s'ils tournaient que pourrions-nous faire sinon tout recommencer à l'envers...

 

 

Et si parmi toutes les couleurs – et toutes les teintes – du monde – et parmi toutes ses formes parfois si complexes et saugrenues, il n'y avait, en réalité, que la lumière qui attestait leur existence. Et leur vérité. Il nous faudrait alors rejoindre la clarté. Et savoir habiter le regard clair... Sinon comment pourrions-nous voir – accueillir et aimer – le monde – ses mille formes et ses mille couleurs...

 

 

Le temps est céleste. Comme le sont la vie et le monde. Autrement tout serait recouvert de sombre et d'ignorance... Et malgré les silhouettes dansantes, la nuit serait sans fin...

 

 

Les vivants ne sont que des morts en sursis. Et malgré le tragique, je ne vois que des masques et des rires sur l'inquiétude. Comme si la nuit ne pouvait être traversée... Et la tragédie effacée par les pitreries désespérées... Et pourtant qui – quel visage – peut-il encore ignorer que derrière la nuit toujours se cachent le jour et la lumière...

 

 

Qui aime se souvenir des trous infimes et des béances des silhouettes, des failles de l'âme et des gouffres au fond desquels gisent les hommes ? Comment a-t-on pu oublier (avec tant d'aisance et d'inconscience) que les trous, les béances, les failles et les gouffres sont des fenêtres – des invitations à percer la matière sombre des corps et des pensées – et la matière sombre du monde et des espoirs ? Et qu'il conviendra toujours de les traverser pour retrouver notre nature originelle : l'infinie et lumineuse vacuité que cache, si bien, notre apparence...

 

 

Et si nous n'étions – et si nous n'étions tous – que des anges aux ailes coupées. Et privés d'envol... Et si nous étions tous tombés sur la terre par excès d'ignorance et de pesanteur... Et qu'il nous fallait à présent marcher – et vivre – parmi les vivants de ce monde et les aimer pour, un jour peut-être, parvenir à rejoindre le peuple innocent des anges et des étoiles...

 

 

Et si, en réalité, le ciel n'était brumeux que dans les yeux... Et si partout alentour, il n'était que transparence et lumière...

 

 

Et si, en réalité, l'âme (notre âme) – ses élans et ses errances – étaient collés sur notre visage. Aussi visibles que le nez au milieu de la figure. Et que chacun pouvait y déchiffrer notre vérité malgré le sourire gêné et pudique de nos lèvres – et la complicité de nos mains si enclines à la dissimuler...

 

 

L’œuvre artistique qui – plus que toute autre création et manifestation de l'Existant – saurait faire naître chez ceux qui la côtoient, la regardent, l'écoutent ou la lisent un regard vierge et innocent – quasi impersonnel – serait à jamais le plus grand chef-d’œuvre de tous les temps...

Pour créer une telle œuvre (en mesure de faire naître ce genre de prouesse...), il faudrait, bien sûr, un immense talent (et peut-être même du génie...) mais aussi – et surtout – une pure et totale innocence...

Et nous autres artistes, nous pourrions bien nous évertuer – et même nous acharner – à accomplir une telle œuvre, si le talent nous fait défaut – et que notre cœur et notre âme sont encore trop chargés de désirs et d'ambitions, nous échouerions lamentablement...

Mais est-il seulement possible de créer une œuvre si ambitieuse – et si triomphale ? Je ne connais (mais peut-être est-ce par manque de culture...) de précédent dans l'histoire du monde et de l'art... Certaines œuvres, il est vrai, s'en approchent ou parfois même l'effleurent... mais elles doivent sans doute se faire extrêmement rares... Et si ce genre d’œuvre existait, pourrait-elle seulement offrir à quelques-uns de ses auditeurs de vivre, ne serait-ce qu'un instant, la grâce de l'impersonnel... ? Rien n'est moins sûr si le cœur et l'âme ne savent se montrer réceptifs...

Quant à moi, pauvre scribouillard de l'infini, dont le talent manque presque autant que l'innocence..., je suis triste parfois de ne pouvoir réunir ces conditions – et de ne pouvoir même espérer qu'un jour puisse se réaliser cette possibilité...

Il est vraisemblable de penser qu'en ce monde, peu (très peu) d'hommes et d'artistes sont en mesure de réunir talent et innocence... Et je crains que seules l'étoile et la fleur – à l'instar de toutes les autres expressions du silence (de toutes les autres manifestations de l'Existant) en soient capables... A ce titre, elles sont, comme toutes les créations de la terre et du vivant, des œuvres d'art exceptionnelles bien que peu aient la capacité de le reconnaître... et moins encore, bien sûr, d'en témoigner, de les célébrer ou de s'en inspirer pour voir jaillir dans leur vie la beauté de l'impersonnel... Ces choses si banales sont pourtant, par nature, les plus grandes œuvres jamais créées car pleinement innocentes et naturellement nées de l'infini et du silence...

Voilà peut-être de quoi inciter les artistes – et les poètes – à se faire aussi humbles et désintéressés que la fleur et l'étoile – aussi purs et innocents que toutes les choses naturelles de ce monde...

Et pour ma part, malgré mon ambition (idiote et encore très fortement immature) à réaliser une œuvre de cette envergure, je ne suis pas même un philosophe poétique... A peine sans doute une sorte de vague métaphysicien amateur sensible au spirituel... Aussi comment pourrais-je avoir la prétention de pouvoir faire naître, un jour, un tel chef-d'œuvre...

 

 

Le silence du brin d'herbe. Et le silence du ciel. Imperturbables malgré nos questions sur l'innocence et la beauté...

Il nous a fallu de longues années pour comprendre le silence. La grâce et la justesse de sa réponse à toute forme d'interrogation....

Herbe et ciel – infime reflet de l'infini et infini miroir de l'infime – agissent toujours de concert. Et leur connivence nous invite à nous interroger... puis, à dépasser notre interrogation pour devenir (enfin) réceptifs à leur silence qui éclairera – et fera naître en nous la clarté et l'innocence nécessaires pour contempler, dans le plus grand silence, le monde et ses beautés...

 

 

Le désir de clarté est (encore) un empêchement. Un reflet résiduel de l'ombre...

 

 

Comme un funambule perché sur une balançoire posée sur un fil qui réalise de merveilleux sauts périlleux en soufflant vers le ciel des bulles d'air légères... si légères... – et sous les yeux ébahis de la foule en contrebas, émerveillée par ce défi à la pesanteur. Peut-être est-ce ainsi que nous devrions vivre... Et nous verrions aussitôt la terre (et le ciel silencieux et complice) applaudir à ce pied de nez lancé à la gravité du monde si lourd... si lourd...

 

 

Et si les visages – tous les visages – du monde n'étaient qu'une ronde (une ronde à la folle et bruyante allure) dans les mains sereines et silencieuses du Divin en soi...

 

14 décembre 2017

Carnet n°102 La fragilité des fleurs

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Des taches dans la lumière, nées peut-être des ombres mêmes du soleil et de la joie. Des vibrations dans le silence, à peine entendues – noyées peut-être dans le rythme (presque incongru) des pas. Des traits infimes – quasiment invisibles – jetés contre l'horizon, la frontière mensongère de l'infini. Et des instants dérobés à l'éternité, immobile et sereine. Le monde, après tout, n'est peut-être que cela...

Et j'ai vu les hommes disparaître sur les odieux chemins du crépuscule. Entraînés par leurs pas mécaniques vers la mort. Une larme toujours intacte sous les paupières. Enferrés dans leur nuit d'épouvante. Epaisse. Inextricable... Tristes – si tristes – de quitter la terre sans avoir aperçu (ni, bien sûr, découvert) les prémices de l'aurore, offerte pourtant à chaque instant à leurs yeux insensibles...

Que fait donc la fleur pour être heureuse qui t'est (encore) inaccessible ? Être – et devenir – en silence dans la grâce imparfaite des jours...

  

 

Lovés contre la paroi utérine du monde, le silence et la joie des danseurs, vivant à en perdre souffle...

 

 

Des taches dans la lumière, nées peut-être des ombres mêmes du soleil et de la joie. Des vibrations dans le silence, à peine entendues – noyées peut-être dans le rythme (presque incongru) des pas. Des traits infimes – quasiment invisibles – jetés contre l'horizon, la frontière mensongère de l'infini. Et des instants dérobés à l'éternité, immobile et sereine. Le monde, après tout, n'est peut-être que cela...

 

 

Et j'ai vu les hommes disparaître sur les odieux chemins du crépuscule. Entraînés par leurs pas mécaniques vers la mort. Une larme toujours intacte sous les paupières. Enferrés dans leur nuit d'épouvante. Epaisse. Inextricable... Tristes – si tristes – de quitter la terre sans avoir aperçu (ni, bien sûr, découvert) les prémices de l'aurore, offerte pourtant à chaque instant à leurs yeux insensibles...

 

 

Que fait donc la fleur pour être heureuse qui t'est (encore) inaccessible ? Être – et devenir – en silence dans la grâce imparfaite des jours...

 

 

Que font donc les hommes – et les bêtes – sinon regarder le défilé triste des jours – et attendre la mort... sans pouvoir (encore) vivre un seul instant d'éternité qui les guérirait pourtant de leur maussade contemplation et de leur longue – et inutile – attente...

 

 

La naïve – et angélique – passion des hommes pour les enfers... Et dire que le paradis est si proche... Il suffirait de quitter le chemin des pensées (et les promesses et l'espoir qu'elles suscitent...) – et d'effacer le complexe de l'esprit pour une candeur (une innocence) simple – et indéfiniment renouvelée – pour que les portes puissent s'ouvrir. Et s'y engouffrer – et investir l'éden – serait alors un jeu d'enfant. A la portée du premier innocent venu...

 

 

L'oubli et l'effacement. Alors que le premier rend l'esprit triste et fâcheux, le second le rend léger, libre et heureux. Et alors que l'un naît d'une incapacité, l'autre voit le jour d'une sorte d'agile maturité qui offre les plus grandes possibilités...

 

 

Les hommes passent l'essentiel de leur existence à attendre. Et à espérer. A souhaiter voir arriver à leur fenêtre l'espoir de l'horizon...

 

 

Plus le temps passe – et la compréhension s'affine – moins les hommes nous semblent être des hommes(1). Et moins nous-mêmes, nous nous sentons humains(2)...

(1) Des animaux humains peut-être...

(2) Mais plutôt, dans un (très modeste) au-delà de l'homme, comme un regard conscient soumis à des individualités consternantes (la sienne comme celles du monde)...

 

 

Ah ! Que nous sommes tristes (et si navrés) parfois d'être un homme – et de sentir (encore) en nous cette vile appartenance au monde... Tous ces élans nous semblent si absurdes et insensés. Si irrespectueux et dévastateurs que nous parvenons à peine à nous en faire le témoin. Quant à y participer, nous nous en sentons, de toute évidence, de moins en moins capables...

 

 

Et cette œuvre bancale et fragile – massive et inaudible – pourquoi continuer à nous y livrer – et à l'offrir au cœur insensible du monde ? Nous l'ignorons. Une seule certitude peut-être : un élan mystérieux – et apparemment inépuisable – nous y contraint...

 

 

N'en finit-on donc jamais avec soi ? Et comment pourrions-nous nous en débarrasser (et avoir même la folle idée de nous en défaire...) puisque n'est-ce pas cela même que nous sommes...

 

 

Les hommes sont-ils réellement disposés à servir ce/ceux qui les entoure(nt) et à lui/leur offrir (autant qu'il leur est possible) la joie et le bien-être qu'il(s) réclame(nt) ? Ou sont-ils trop occupés à satisfaire leurs propres besoins – et à essayer de résoudre (ou d'apaiser) leurs propres tourments ?

Serait-ce donc la tête et le cœur trop lourdement penchés sur eux-mêmes la plus grande entrave à l'Amour* ?

* A sa venue comme à son plein rayonnement sur terre...

 

 

Marcher tout le jour – à chaque instant du jour – sur les chemins inconnus de l'âme et du monde, y aurait-il sur cette terre de plus belle – et appréciable – activité ? Et de plus merveilleux – et utile – emploi ? Avec le vol – et le chant – des oiseaux et du cœur pour seule compagnie. Et pour uniques collaborateurs en ces lieux de délicieuse besogne...

 

 

Il n'y a que dans l'innocence – dans l'innocence toujours fraîche du regard et des jours – que la parole arrive toujours neuve – naturelle et spontanée – malgré l'inévitable récurrence des heures et des chemins...

 

 

Les velléités acquiesçantes des hommes dont la silhouette et l'âme vouées – et rivées même* – depuis toujours au refus, inaugurent les timides avant-pas de l'ouverture à la conscience et à l'infini...

* Quasiment vissées...

 

 

Exténué – et dépité – par cette vie inconsciente et aveugle, trop délibérément légère et frivole, vouée (toute entière) à la ruse et au mensonge – et se livrant inlassablement aux plaintes et aux réclamations... Quelque chose en nous se hérisse – et se rétracte – incapable de souffrir cet odieux et permanent spectacle (d'en être le témoin et moins encore, bien sûr, l'acteur)... Nous qui rêvons (depuis toujours) d'un monde d'Amour et de silence, nous voilà contraint de fréquenter, presque à chaque instant du jour, cet immense bureau des plaintes et des réclamations à ciel ouvert. Et d'assister, impuissant et écœuré, aux gesticulations et aux vociférations des êtres et des hommes qui passent leur vie (leur vie entière) à jouer des coudes et à se bousculer pour resquiller quelques places et se faire entendre dans l'interminable file d'attente...

 

 

Tel un marcheur parmi les ombres, j'avance, à petits pas solitaires, vers la lumière...

 

 

La solitude est – et sera à jamais – notre seule signature. Lourde et misérable dans la misère de ce monde d'abord... Puis, légère et radieuse dans l'enchantement né de la joie d'être seul...

 

 

Serions-nous donc si las – et si fatigué – pour ne plus pouvoir ainsi souffrir – et supporter – toutes les expressions du silence ? Sa présence en nous serait-elle encore insuffisante ? Où diable est donc passée notre capacité d'accueil ?

 

 

La lassitude et la saturation ne naissent des événements. Mais de notre folle volonté d'achèvement... De la course insensée des pas née de l'inépuisable élan du cœur – si avide de voir l'horizon arriver qu'il nous oblige à une fuite en avant perpétuelle...

Il en est également ainsi du désarroi. Aucune circonstance n'en est responsable. Seules nos attentes – et nos exigences – en sont la cause...

 

 

Et des nuages – et des passants – que pourrions-nous dire... Le ciel sait déjà tout... Et même du silence de la terre... Voilà pourquoi il faut nous en remettre à la beauté (silencieuse) des fleurs...

 

 

Il n'y aura peut-être – il n'y aura sans doute – de plus fabuleux jour qu'aujourd'hui... Comment l'esprit peut-il donc, à ce point, l'ignorer...

 

 

Enfin nous voyons... Mais la main indélicate a déjà tout effacé. Ne restent que le regard – et la larme rédemptrice. Qui, bien sûr, ne pourront (jamais) sauver le monde. Peut-être simplement en faire naître un nouveau... Voilà notre seule espérance...

 

 

La parole (poétique) se déverse parfois en flux puissants. Comme un jaillissement – un débordement – le signe même de la vie foisonnante et intarissable. Et d'autres fois, elle s'écoule en silence. Et en petites taches simples et lumineuses...

Le cœur – et la main – du poète n'ont le choix de la parole – ni de sa nature ni de son débit. Giclées fraîches ou brûlantes. Coulées légères ou envahissantes. Nées tantôt des encombrements (résiduels) de l'âme tantôt du vierge infini...

 

 

La poésie est, en définitive, l'expression façonnée par la contemplation sensible de toutes les autres expressions du silence. Créée, sans doute, pour rejoindre – et révéler – l'origine... Oui, sans doute, est-ce, parmi tous ces bruits, sa plus haute vertu. Et sa plus digne besogne...

 

 

La prémonition du courage enjoint aux poings de se serrer. De se lever et de se livrer à toutes les batailles. Alors que celle de l'innocence invite à regarder, hébété (mais à peine surpris), les mains et les cœurs ensanglantés. Et à les panser jusqu'à la dernière goutte de sang...

 

 

La naissance n'est peut-être (après tout) que le début de l'agonie. Ainsi pensent sans doute les hommes. Mais elle est plutôt (et plus sûrement encore...), pourrait-on dire, la poursuite (sans cesse recommencée) de notre interminable continuité...

 

 

Les mots évoquent davantage qu'ils n'invoquent... Le cœur saisit davantage qu'il n'accueille... Voilà sans doute les raisons pour lesquelles le monde et le langage sont si tristes. Et si démunis face à l'impuissance de leurs désirs...

 

 

Que l'on crie – ou que l'on murmure – dans le silence, qui, en définitive, nous entendra ? Ne serait-il pas préférable – et plus sage – de s'asseoir dans l'hébétude et patienter jusqu'à ce que le silence nous saisisse – et nous fasse comprendre notre nature profondément silencieuse...

 

 

De la grande joie, que reste-t-il aujourd'hui ? Un souvenir béat – ravageur et puissant – peut-être... qu'il conviendrait sagement (bien sagement) d'oublier pour repartir à neuf, et avec une grande innocence – et une plus sûre virginité – afin de l'accueillir – et sans la moindre exigence – quand à nouveau elle se présentera à notre âme humble – désireuse de la recevoir mais si peu avide de sa présence...

 

 

Que la flamme se tienne haut dans les yeux humbles – et le front baissé sur la terre. Alors l'âme, enfin digne et honnête – franche – pourra accueillir la lumière...

 

 

L'archipel du silence, connaissez-vous en ce monde de plus belles terres ? Oui, peut-être... parmi celles qui savent honorer la fragilité des fleurs...

 

 

Et si le rien avait raison – avait toujours raison – contre tous les gestes et toutes les paroles. Et si le rien avait raison – avait toujours raison – même contre la beauté et le silence du monde et du ciel... Et le cri d'effroi des hommes n'y changera rien... Alors que pourrais-tu faire, poète, pour y inviter...

 

 

Le vertige sombre de la pesanteur. N'est-ce donc pas un piège – et une franche rigolade – pour l'âme si légère...

 

 

[Hommage à Maurice Regnaut]

Marche donc, homme ! Continue donc de marcher... Mais tu pourras bien crier, geindre ou gesticuler sur les chemins – et pousser même la folie jusqu'à l'écriture, ne sais-tu donc pas qu'il te faudra, où que tu ailles, affronter le ciel couchant... Et revenir le front bas et la foulée modeste... encore et encore... par delà tous les trépas...

 

 

Et qu'est-ce donc ce bruit que font les hommes ? Ah ! Oui ! Bien sûr ! Comment ai-je pu oublier la fureur bruyante des pelles entassant le sable des édifices...

 

 

Rien, en ce monde, n'est plus avouable que la beauté des fleurs... Et plus pardonnable que leur innocence...

 

 

Et si le monde, en réalité, nous était interdit... Et refusés ses plaisirs et ses futilités. Comme ses abjections et ses bassesses... Et qu'il nous serait simplement autorisé d'en goûter la beauté et le silence...

 

 

Et si après la découverte de l'infini, du silence et de l'éternité – et les premiers pas vers l'Amour, l'individualité, en réalité, s'invitait pour se coucher de tout son long sur le monde et notre vie... Après tant de foulées fébriles et désespérées pour s'en défaire, quel désopilant – et étrange – chemin, n'est-ce pas ?

Serait-ce là le signe des exigences de son intégration ? L'élan presque saugrenu – mais inévitable – pour (enfin) réunir l'Absolu et le relatif – qu'ils fondent à tout jamais l'un dans l'autre – et permettre ainsi à la manifestation de rejoindre la source – et le cimetière – de toutes les origines et de tous les enfantements ?

La conversion du cœur et du regard ne serait-elle alors que la pleine intégration des individualités du monde à la présence ?

 

 

Les hommes avancent et courent comme s'ils pédalaient sans discontinuer – et sans jamais s'arrêter – craignant peut-être (craignant sans doute...) de tomber et de voir s'effondrer leur monture. Comme s'ils appréhendaient l'arrêt (hormis le temps nécessaire au repos) comme un risque. Sans y déceler une occasion – et un temps – salutaires de distanciation pour s'interroger sur leur marche, l'allure et l'orientation de leurs pas, l'itinéraire emprunté, les chemins et les paysages traversés, les visages accompagnateurs, la destination et les horizons désirables ou accessibles – et éventuellement les remettre en cause et les rectifier (si cela s'avérait nécessaire...)... Comme si leurs œillères et le cocher fou de l'esprit apeuré jamais ne les autorisaient à faire halte, à regarder sur les côtés, à emprunter un autre chemin ou à changer de trajectoire... Comme s'ils avaient la profonde et stupide croyance que l'existence se limitait à marcher... à poser un pied devant l'autre (sans jamais s'arrêter) en n'importe quel lieu – et en traversant n'importe quelle contrée – pourvu que leur foulée leur donne le sentiment d'avancer et de progresser (et qu'importe alors l'itinéraire et la destination...)... Et sans voir – ni comprendre, bien sûr... – qu’aucun pas ne pourra jamais conduire à ce qu'espèrent leurs foulées... Comme si cette attitude humaine si commune révélait avec évidence les instincts de l'homme vissés (avec force) aux lois de la terre (et de l'énergie) incapable encore de relever la tête pour se laisser mener par les instances de la conscience...

 

 

Une présence, des gestes et des actes qui ne s'encombrent d'inutiles bavardages mais qui savent faire émerger (lorsque cela s'avère nécessaire...) une parole juste et aimante, voilà seulement ce dont nous avons besoin, nous autres, êtres et hommes...

 

 

Vivre dans un monde où il n'y a que le corps et l'esprit comme s'il n'y avait ni esprit ni corps – excepté, bien sûr, lorsque ces derniers se manifestent avec insistance pour réclamer écoute, attention et Amour –, voilà, je crois, le défi actuel offert à notre âme...

 

 

En marchant dans le ciel couchant sur une route de campagne déserte (au retour de notre promenade), j'ai soudain entendu un bruit derrière moi. Je me suis retourné et n'ai vu qu'une poignée de feuilles mortes, balayées par le vent, avancer dans ma direction. Et moi qui croyais que c'était mon âme – un peu fatiguée – qui me suivait en geignant – et en traînant les pieds... Et malgré mon amour des arbres (et des feuilles mortes), j'ai été, je dois bien l'avouer, un peu déçu... Mais peut-être, après tout, était-elle là, présente, à m'escorter parmi les feuilles – aussi démunie, triste et fidèle que ses sœurs...

 

 

L'âme de l'eau si nomade. Entre terre et ciel toujours. Flaque, rivière, océan, rosée, pluie et nuage. Allant par tous les creux du monde et selon les appels du climat et des saisons...

 

 

A marcher si vite – et à tant écrire – avec le cœur parfois en désir, abriterais-tu encore quelques rêves secrets ?

 

 

Tant de voix virulentes en ce monde pour qu'une seule, innocente, puisse éclore peut-être...

 

 

[La femme, l'homme et le poète]

Les yeux – le visage et le corps – séducteurs des femmes parées de leurs atours, juchées parfois sur leurs étroits talons. La silhouette – et l'allure – fières et guerrières des hommes au buste et aux bras taillés pour la conquête. Et le sourire idiot – et le regard et l'âme si innocents – du poète, né pour un autre monde...

 

 

Et comment le poète pourrait-il habiller sa parole sinon en la mêlant à la voix silencieuse de l'infini pour frapper à la porte (étroite) du monde muet – et analphabète – à force de craintes et de labeur. Et sourd à force de coups et de fatigue...

 

 

Et j'entends partout la voix du poète dans les chants de la terre. La mélodie du vent, des arbres et des rivières. Et jusque dans leurs plaintes. Et leur silence...

Un monde de poésie – et de chants poétiques – où les hommes ont (pourtant) réduit le langage à la réclame, aux notices, aux modes d'emploi et à l'idéologie...

 

 

Si le jour n'offre tout son or – et une once supplémentaire de soleil – ou si je suis incapable de les recevoir, mon âme désespère – et pleure – sous son abominable couvercle de plomb...

 

 

La route comme une longue saignée grise dans les paysages. Comme une vilaine cicatrice sur la peau du monde. Dénaturant – et fragilisant – la vie – et la terre – si profondément naturelles et sauvages...

 

 

Lorsque les appétits se sont éteints – autant que la faim des séductions et des (ré)jouissances – et que les petites compensations ont perdu leur attrait –, être un homme en ce monde est d'une infinie tristesse... Rien – sinon l'être et la présence du Divin en nous – ne saurait nous consoler...

Ah ! Divine et indicible – magistrale – solitude partagée. Et pourtant impartageable. Diabolique – presque incongrue – tant on est seul et nombreux à la fois à la vivre...

Que l'on vive seul ou entouré (et même accompagné), la solitude est à peine croyable sur cette terre... Et si l'âme est sensible – et a perdu tout esprit d'attirance, de conquête et de mendicité –, le cœur et le corps doivent se contenter de l'indifférence – et de l'indigente affection – de ce monde...

Passant parmi les passants que Dieu seul peut combler...

 

 

Ah ! Qu'il est seul le poète... Aussi seul que les astres et les grands arbres... Aussi seul que l'être et le vieux sage assis sous leurs ombres silencieuses...

 

 

La fleur et la lune. Organes essentiels de la terre. Et instances merveilleuses du monde. Un regard sensible pour les contempler. Et les aimer. Rien d'autre – absolument rien d'autre – n'est nécessaire...

 

 

Seules la fleur, l'écriture et la joie sauvent le poète – et l'âme sensible – du désespoir. De cette incompréhension d'être au monde parmi tant d'âmes noires – si noires – recluses derrière leurs masques et leurs grimaces. Inaccessibles. Si inaccessibles. Et si insensibles au monde, à la joie, à l'écriture et au poète comme à la fragile beauté des fleurs...

 

 

L'humilité de l'âme dissout l'orgueil naturel du cœur – et la posture crispée et conquérante de l'esprit (née de sa peur...) toujours soucieux d'afficher sa puissance, son habileté à la confrontation et à la lutte et sa farouche capacité à se défendre contre ce qu'il considère (et a toujours considéré) comme l'hostilité (apparemment inévitable) du monde et la pugnace adversité de ses créatures...

 

 

Qu'y a-t-il donc derrière les silhouettes prometteuses, le sourire affable des visages et les paroles flatteuses ? De l'ombre – encore et toujours de l'ombre... Rien que de l'ombre cachée derrière cette apparente lumière – si lisse et si fausse. Plus éloignée encore de la vraie (lumière) que le sombre du peuple – du peuple infime – qui s'interroge sur l'obscur et la clarté du monde sans craindre d'exposer aux visages ses vraies couleurs...

 

 

Y a-t-il plus déchirants appels que ceux du silence – appels, bien sûr, que nous n'entendons pas... ?

 

 

Il n'y a d'ombre plus juste – et plus insolite – que celle du clown, figure du rire et de la misère dans ce monde triste et loufoque. Incongru à force de sourires, de masques et de mensonges – et où la joie semble si feinte qu'elle en devient presque inaccessible – et où la gaieté, plus abordable, l'a remplacée...

 

 

Un regard – un plein regard – dans un monde d'âmes décharnées. Et exsangues – si exsangues à force de voir leur sang sucé par tant de viles – et misérables – créatures. Si tristes d'être cantonnées à leur geôle et de sentir par la haute lucarne entrouverte le vent – le grand vent – de la liberté. Et de deviner, à sa fraîcheur, l'immense territoire dont elles sont privées...

 

 

La fleur est plus libre que l'homme. Et plus belle et plus innocente aussi. Elle vit son destin dans l'abnégation et l'oubli d'elle-même. Voilà pourquoi elle est si heureuse. Contrairement à l'homme qui n'en a que l'air...

 

 

Lorsque le sourire cache la misère, celle-ci s'étend – et se renforce – insidieusement... N'y a-t-il pas de pire mensonge que celui qui nous oblige à nous trahir ?

Nulle joie ne peut éclater sur un visage si traître qui en coloriant le cœur d'une teinte mensongère nie sa vérité. Et niant sa vérité piétine ses élans – ses timides mais opiniâtres élans – vers la lumière...

 

 

Devant la beauté des fleurs, que les mots sont vains... Et que nos bavardages nous éloignent du silence... Faudrait-il donc s'habiller de pétales pour toucher l'innocence – et vivre dans la proximité du plus grand infini ?

 

 

A perdre haleine, nous courrons alors que la fleur se repose de son destin... Être – et vivre – sans désir ni ambition, serait-ce donc là son secret*...

* L'un de ses secrets...

 

 

La fleur, ouverte – toujours ouverte – à l'aurore. Resplendissant au soleil pendant tout le jour. Modeste et apaisée au crépuscule. Et légèrement assoupie. Heureuse – simplement heureuse – d'avoir vécu – et offert au monde sa présence, sa beauté et son parfum. Et aux âmes délicates et attentives – et aux êtres sages (et peut-être un peu fous allez savoir...) le courage et la grâce de son existence exemplaire...

 

 

Je n'ai jamais eu, je crois, de plus délicieuses amies que les fleurs. Les fleurs sauvages des champs... Et j'ai pour elles, comme pour l'herbe des fossés et des plaines à l'abandon, les arbres anonymes des forêts et les milliards de feuilles mortes à leurs pieds, une infinie tendresse. Et une profonde gratitude. Tous m'offrent – et me laissent puiser en eux – le courage d'aller aussi fragile et innocent que possible vers le destin éphémère qui nous est promis...

 

 

La tension – le souffle peut-être – en nous qui nous pousse. Et nous écarte. Et qui nous éloigne peut-être (et qui nous éloigne sans doute...) de ce que nous cherchons avec le plus d'insistance... De quel mystère est donc né cet élan qui nous mène sur toutes les routes (et par monts et par vaux) à la recherche de ce qui est déjà là – et qui a toujours été là – sans jamais pouvoir nous y conduire ? Cette force serait-elle à l'origine (en partie à l'origine) de notre enfantement et du destin prometteur – mais tragique – du monde ? Et pourrions-nous seulement espérer nous en défaire ? Je crains que cela soit impossible tant elle semble impliquée – et intriquée – dans la merveilleuse – et terrifiante – malédiction du vivant* – d'être vivant...

* Et, plus largement, de l'Existant...

 

 

Un monde de marchands et de guerriers où les vitrines et les arènes engorgent les cités. Où pourrait donc bien vivre le poète ? Et où pourrait-il installer son modeste atelier sinon dans la proximité des arbres et des nuages...

 

 

L'homme est un serial killer par mégarde, irrespect et inattention. Bien davantage par ignorance que par intention. Ce qui n'en fait pas moins de lui le plus grand tueur de tous les temps...

 

 

Des âmes apeurées, avides et intéressées (vaguement intéressées), voilà ce que nous rencontrons en ce monde... Simplement des âmes qui nous croisent avec méfiance (ou indifférence) et qui s'emparent – avec plus ou moins de ruse et de célérité – de ce que nous avons de plus intéressant à offrir avant de reprendre leur route au plus vite, aussitôt leur forfait commis...

 

 

La marche – et la découverte – lentes sur les chemins de l'âme et du monde. Des activités et un rythme si peu répandus – et presque incongrus – en cette ère de vitesse et de zapping distractif*... Et pourtant... Et pourtant...

* de zapping sensationnaliste et distractif...

 

 

Tel un ressort à l'implacable mécanique, chaque être – et chaque chose – de ce monde retrouve (a vite fait de retrouver) sa nature – ses élans et son rythme spécifiques – après que quelque importune main ou circonstance l'en ait (pour je-ne-sais-quelles obscures raisons...) privé(e) – ou éloigné(e)... Nul n'échappe ainsi aux caractéristiques et au destin de sa forme, à ses apprentissages et à ses conditionnements...

 

 

Un fait. Une circonstance. Une note. Une pensée. Une intuition. Une nouvelle note. Un silence. Un regard. Une émotion. Une sensibilité. Et, à nouveau, une note. Comme si l'âme – et le cœur – si sensibles et poreux au monde emplissaient l'esprit. Et comme si ce mouvement – ce remplissage (involontaire) enjoignait aussitôt à l'esprit d'agiter la main – et de saisir le carnet et le crayon – pour s'en défaire. Et éviter ainsi la surcharge – et l'encombrement – à la fois de l'esprit, de l'âme et du cœur... pour laisser (encore et encore) les vagues du monde nous pénétrer jusqu'au silence...

 

 

L'oiseau et la fleur nous apprennent à jamais nous croire – ni à nous installer – en terrain conquis. A ne jamais nous asseoir avec assurance (et un air de fausse assurance) en un lieu (quel qu'il soit). Et à ne jamais avoir la prétention d'en être les maîtres ou les propriétaires...

La fleur et l'oiseau nous enseignent la grande humilité et la profonde beauté de la fragilité, de l'éphémère et de l'incertitude – si nécessaires pour s'ouvrir à l'innocence et à l'Amour – et s'en faire les dignes (et loyaux) représentants parmi les êtres – et les hommes – de ce monde.

L'oiseau et la fleur nous apprennent à ne pas nous comporter comme des dictateurs et des occupants dominateurs, sûrs de leur autorité et de leurs bons droits... mais comme des êtres humbles et fragiles soumis aux aléas des circonstances (si souvent changeantes) et profondément attentifs, vivants, confiants et joyeux.

Et c'est là une grande (et admirable) leçon de sagesse qu'ils nous offrent... et qu'il nous appartient de comprendre – et de vivre – malgré nos craintes (éventuelles) et notre si évidente vulnérabilité...

 

 

Tenir en son cœur cette secrète humilité... Voilà qui fera de nous des hommes heureux. Et ouverts – véritablement ouverts – à toute rencontre...

 

 

Malgré sa faim insatiable – ses débuts prometteurs, ses élans enthousiastes et ses petites satisfactions –, notre besoin avide de rencontres ne trouvera – ne finira par trouver – que le désarroi et la solitude. Le désarroi et la solitude nécessaires pour se rencontrer. Ainsi Dieu nous immerge d'abord dans le monde avant de nous en éloigner pour se (re)trouver. Et rejoindre l'être. Et pour, un jour peut-être, regagner la terre des êtres...

 

 

Alors que le monde – et les hommes – crient haut et fort, le sage se tient – et sait qu'il convient de se tenir (et de s'en tenir) – au plus bas et au plus faible. Car il a (profondément) compris que seule cette posture peut faire naître l'innocence – et pourra ouvrir les portes de l'Amour afin de s'abandonner à sa puissance éminemment nécessaire et consolatrice...

 

 

La chair clouée au monde sera délivrée de sa potence lorsque le cœur saura s'y unir... Le cœur et le monde – le monde et le cœur – retrouvant leur moitié oubliée et indispensable... L'esprit alors se libérera du corps. Et ce jour-là, les étoiles brilleront plus fort – et plus claires – dans la nuit. Et le lendemain, l'aube pourra enfin voir le jour – et naître au monde... Mais que d'hommes et d'étoiles mourront (encore et encore) avant que n'advienne leur grande aurore...

 

 

Les hommes (toujours) plus soucieux de l'éclat de l'or (et de ses promesses de bonheur...) que des giclées brunes et rouges sur l'asphalte et le sol noir et marécageux de la terre – si souvent nécessaires pour s'en emparer – et le voir briller entre ses mains...

Ah ! Quelle grâce – et quelle réjouissance – ils nous offriraient s'ils savaient – s'ils pouvaient – coudre leurs yeux et leur cœur à la chair du monde...

 

 

Et si les étoiles – et l'espoir des horizons – dans le cœur des hommes pouvaient s'éteindre – ou sommeiller pendant quelque temps – pour qu'arrive – et s'offre (enfin) la lumière... Mais que faudrait-il donc faire sinon attendre (sans trop d'impatience) que se manifeste l'heureux présage...

 

 

Le monde évince, enfouit et détourne (presque) toujours les questionnements métaphysiques et les interrogations fondamentales de l'homme. Ou, au mieux, il les réduit à des questions (prosaïques) d'organisation et de fonctionnement. Et les enjeux et les problèmes de l'homme deviennent alors insidieusement les problèmes et les enjeux du monde... Et les enjeux et les problèmes du monde deviennent, de façon tout aussi insidieuse, les problèmes et les enjeux de l'homme... excluant ainsi définitivement (ou, du moins, durablement) de la vie de chaque homme les questions philosophiques et existentielles les plus essentielles et, par conséquent, toute possibilité de voir se résoudre (ou se régler) les difficultés du monde...

 

 

L'officialité d'un statut, d'une activité ou d'une fonction (etc etc.) alimente – et renforce – la représentation identitaire. L'image que l'on a de soi – et celle que le monde pose sur nous... Contrairement aux fonctions, aux activités et aux statuts officieux qui diluent, amoindrissent et/ou complexifient cette image (fausse, bien sûr)... Et qui se montrent toujours plus fidèles à la complexité du réel en offrant un plus juste (car plus vaste et plus vague) aperçu de notre (profonde) identité tout en exposant le dérisoire de notre image et l'incapacité (quasi totale) des représentations à nous définir... L'officieux défie donc les apparences – les transperce et les transcende – autant qu'il nie le simplisme et l'immobilité de notre réalité (apparente)... Et en cela, il sera toujours plus vrai que l'officialité pour tenter de nous cerner – et de définir ce que nous sommes...

 

 

La vie est rude et fort éprouvante pour le corps. Nous ne le savons que trop bien, n'est-ce pas... Et qui peut ignorer que cette existence finira mal ? Mais qu'en est-il de l'esprit et du cœur ? Eux aussi sont – et seront toujours – mis à rude épreuve au cours de l'existence. Qui peut le nier ? Mais qu'adviendrait-il si l'un et l'autre savaient être à l'écoute de l'âme – et se faire réceptifs à ses secrets ? Pourraient-ils alors devenir libres et pleinement heureux au delà des souffrances et de la mort (et des cycles incessants des renaissances) ? Oui, peut-être s'ils savent (et se montrent disposés à) se laisser guider par l'Amour et le regard – et s'ils sont prêts à s'aventurer sur la voie de l'innocence et de la vérité... Alors peut-être... lorsqu'ils auront délaissé (et abandonné) ce qu'ils doivent délaisser (et abandonner), lorsqu'ils auront compris ce qu'ils doivent comprendre et qu'ils auront été pleinement intégrés au regard et à l'Amour, peut-être alors leur sera-t-il offert de connaître les jeux et les joies de l'infini et de l'éternité et les exigences et les responsabilités (immenses) de la conscience... Mais qui peut véritablement le savoir sans avoir emprunté, lui même, ce rude – et inévitable – chemin...

 

 

Au dos du monde, une béance qu'il nous faut explorer – et apprivoiser – pour découvrir notre vrai visage. Ainsi seulement peut naître l'Amour...

 

 

Quel souffle anime donc le cœur – et la main – du poète ? Est-ce donc le même que celui qui enjoint au couteau du boucher d'égorger – et de découper – les bêtes à l'abattoir ? Et s'il n'était que son autre face – la part la moins sombre du même visage...

 

 

La nuit n'est plus sournoise que le jour. Et sans doute est-elle moins vaste et moins profonde... Et c'est néanmoins vers elle que se penchent les hommes – nés pourtant de la rencontre des étoiles...

 

 

De la poussière sur le tapis. Voilà sans doute la seule œuvre que nous enfanterons – et léguerons au monde... Quelques étoiles grises portées par la main de quelques hommes parmi un vaste et sombre tas, abandonné à l'oubli – et à la furie des vents. Et bientôt éparpillé au sein du grand mystère...

 

 

Nous mourrons, bien sûr, comme nous sommes nés. Irrésolus... Enfantés et effacés par le même mystère (le nôtre, bien évidemment...). Quelle amère – et merveilleuse – ironie lorsque l'on comprend le sens – et le jeu – de cette divine énigme...

 

 

Le souffle – et les vents – du monde nous poussent vers des errances auxquelles seuls échappent la fleur, l'arbre et le rocher. Si libres – et si légers – sur leur assise...

 

 

Et si les chemins n'étaient que des détours – et des péripéties nécessaires – à l'enracinement. A la découverte du lieu insécable qui nous unit au ciel – et à ses contrées infinies. Afin de pouvoir libérer la foulée – et la rendre plus joyeuse et célébrante. Ravie toujours des jeux et des danses. Des élans, des enlisements et des errances. Détachée du tragique et de la quête (vaine) de la liberté...

 

 

Et si les fleurs n'étaient que les yeux infimes du ciel infini... Plus aptes à la beauté et à l'innocence – à la grâce et à la sagesse que le regard des hommes embrumé – toujours embrumé – dans l'épaisse fumée des songes...

 

 

Ecrire pour soi ? Bien entendu ! Comment pourrions-nous écrire pour un Autre... Comme si le ciel pouvait s'adresser à la terre dépeuplée...

 

 

Se défaire de ses peurs*. Serait-ce là notre plus prioritaire besogne (et le plus improbable tour de force que nous pourrions accomplir...), pour s'ouvrir, comme la fleur, à l'inconnu, à l'infini et au mystère ? Pour aimer les vents qui fouettent notre visage – qui font naître nos élans et poussent nos pas vers les pentes et les chemins afin de marcher pour la simple joie d'aller – et de vivre pour la simple joie de se prêter aux jeux du monde ? Que pourrions-nous faire – et espérer – d'autre que de nous défaire de nos peurs* pour vivre comme la fleur...

* De ses peurs, de ses croyances et de ses espoirs...

 

 

En observant l'humanité – et le genre humain – leurs activités et leurs engagements, leurs rêves et leurs ambitions, leurs postures et leurs comportements (depuis leurs premiers pas), on est naturellement amené à penser que les hommes sans descendance font non seulement acte de civisme et de salubrité publique mais offrent au monde (lorsque ce don est pleinement conscient et consenti...) un profond geste d'Amour et de sagesse...

 

 

Le monde, la vie, les êtres, les choses, les pensées, les émotions, les événements et les circonstances – toutes ces (incroyables) expressions du silence – pour quelles raisons se manifestent-ils ? Qui peut – franchement – qui peut savoir ? Ne sont-ils que de simples instances provisoires nées des souffles divins (et de la conscience) et de leurs danses folles avec l'énergie – entretenues, propagées et renouvelées par leurs propres élans ? Ne sont-ils que de simples mouvements temporaires orchestrés de façon totalement impersonnelle malgré le sentiment des individualités à les diriger... ? Qui peut – franchement – qui peut savoir ? Ce que l'on ne peut ignorer en revanche, c’est que nul ne peut y échapper... et qu'il nous faut – et faudra toujours – composer avec eux. Inlassablement. Indéfiniment. Et éternellement aussi sans doute... Et ce que l'on ne peut ignorer, c'est qu'il nous est impossible de les éliminer et de les faire disparaître. Pas davantage qu'il est en notre pouvoir de les éloigner ou de nous en éloigner... Aussi pour vivre avec eux (en leur inévitable présence) avec intelligence (et en bonne intelligence...), il nous faut encore et toujours – et comme à l'accoutumée – les accueillir et les aimer avec le cœur uni – le cœur pleinement uni à ce qu'ils sont autant qu'à ce qu'ils expriment et manifestent – et avec le regard lointain et distant – avec un regard totalement impersonnel (lui aussi) – absolument non concerné par leur évolution et le déroulement de leur histoire... Comme si, en définitive, nous devions (comme toujours) nous faire les plus parfaits représentants (possibles) de l'Amour et de l'intelligence... Bref, en un mot, être avec le cœur uni au monde et le regard détaché du monde...

 

 

Etrangers au monde ? Et comment pourrions-nous ne pas l'être sans avoir encore noué notre cœur à ses malheurs... Pensons-nous vraiment qu'il nous soit possible d'éviter ses souffles et ses élans dévastateurs ? Pensons-nous vraiment qu'il nous soit possible de nous en débarrasser ?

S'unir – être Un – nous sauvera – et nous épargnera des vaines alliances et des défections inévitables. Et de la défaite assurée des ententes et des collisions. Il n'y a d'autre voie pour être au monde. Et se familiariser avec notre nature profondément terrestre (et énergétique). L'autre part – celle du ciel et de la conscience – alors deviendra libre des jeux sanglants et des danses joyeuses et envoûtantes... Ainsi – et n'en déplaise aux hommes – doit-on être – et marcher sur la terre...

 

 

Le plus souvent, les poètes crient leurs malheurs. Et leur incompréhension. Et, parfois, la férocité et l'absurdité (apparente) de ce monde. Plus rarement, ils confient leurs élans – et leurs sursauts désespérés pour tenter de s'extraire de leurs ornières et de leurs enlisements. Et plus exceptionnellement encore, ils savent jeter, dans leurs dérisoires taches d'encre, la joie, la lumière et le silence. Pour quelles raisons ? Sans doute parce que les poètes sont des hommes (presque) comme les autres... Malgré leur sensibilité – et parfois leur clairvoyance –, peu, en définitive, accèdent – savent accéder – à l'abandon et à l'effacement nécessaires...

 

 

Moi qui aspirais autrefois à haranguer les foules et à extirper les assoupissements et le sommeil du monde, voilà aujourd'hui que je ne m'adresse plus qu'aux fleurs, aux arbres, aux rochers et aux nuages. Et avec le ciel et le silence, il faut bien l'avouer, je n'ai trouvé, sur cette terre, de plus attentifs visages à ma parole...

 

13 décembre 2017

Carnet n°101 Il n'y a de hasardeux chemin...

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Entendez-vous les cris de la terre ? Ou n'êtes-vous attentif qu'à l'espoir plaintif des hommes ? Mais pourquoi ne sentez-vous donc pas leurs voix intimement liées – nées de la même terreur ?

Il n'y a de jours ensommeillés. Il n'y a que des yeux – et des cœurs – assoupis...

Le miel et le bourdonnement de l'abeille... Le parfum et les pétales de la fleur... L'eau et le chant de la rivière... La parole et les livres du penseur et du poète... Chacun à sa place – occupé à son humble tâche. Œuvrant naturellement à ce pour quoi il est né... Modeste instrument du cours des choses dans le destin du monde...

  

 

Regarder les oiseaux du jardin picorer, en cette triste et froide saison, les graines et le beurre offerts à leur appétit et à leur détresse me réjouit le cœur. Et de les voir ainsi, si vivants et joyeux, mon âme s'émeut et s'attendrit...

 

 

Entendez-vous les cris de la terre ? Ou n'êtes-vous attentif qu'à l'espoir plaintif des hommes ? Mais pourquoi ne sentez-vous donc pas leurs voix intimement liées – nées de la même terreur ?

 

 

Lorsque l'âme – et le cœur – deviennent sensibles se révèlent l'incroyable épaisseur du monde, les puissantes et subtiles vibrations du réel et la mystérieuse résonance des profondeurs. Et c'est également ainsi qu'émergent le délicieux sentiment d'être profondément vivant, les premières – et précieuses – effluves de l'être et les timides manifestations de la présence en nous...

 

 

Le poids écrasant du temps sur les visages – et sa grande maladresse à transformer le cœur en âme mûre (plus mâture) – révèlent l'incroyable puissance des résistances psychiques, bien plus vaillantes que les dérisoires et inutiles protestations du corps face aux années qui passent...

 

 

Derrière les lèvres rouges et bavardes, les gestes et les visages faussement assurés et la lueur d’orgueil si vive – et pourtant si fragile et chancelante – qui brille au fond des yeux des hommes, ne voyez-vous donc pas l'appel incessant de la peur, le cri déchirant de la misère et le besoin viscéral d'un amour inconnu et réconfortant ?

 

 

Pourquoi l'homme est-il donc si triste à l'énoncé du verdict implacable de la mort ? N'a-t-il pas vécu ce qu'il lui fallait vivre ? N'a-t-il pas compris ce qu'il lui fallait comprendre ? N'a-t-il pas aimé comme il aurait dû aimer ? N'aurait-il donc pas découvert ce qu'il aurait dû découvrir pour vivre pleinement chaque instant d'éternité ? Que pourrait-il donc regretter que ne regrettera jamais l'homme sage ? Aurait-il vécu dans l'oubli de l'essentiel...

 

 

Un instant de vérité et de sagesse nous immunise contre des siècles – et des siècles – d'égarement et de folie...

 

 

Toujours les pas sont possibles. Même à l'ombre du soleil. N'est-ce pas ainsi que marchent les hommes ? Dans cette obscurité, il ne faut s'attendre à de franches foulées, claires et lumineuses... Il convient d'être sages – et assez patients pour voir les errances et les piétinements se transformer peu à peu en découvrant (progressivement) la lumière...

 

 

L'oiseau haut dans le ciel voit-il la misère – et l'enlisement – des hommes ? Ou est-il tout entier occupé à savourer sa gloire née de son audacieux défi à la pesanteur ?

Est-ce donc le poids du corps – ou celui de l'âme – qui rend les pas sur terre si légers ?

 

 

Toujours attendre l'élan – l'élan intérieur naturel – né de la nécessité ou de la joie avant d'agir et de parler. Sinon le geste et la parole seront toujours aussi inutiles et corrompus...

 

 

La parole n'est-elle pas, en définitive, qu'un geste de l'esprit ? Tout, en ce monde, n'est-il pas, en réalité, qu'une expression du silence – une manifestation née de la présence lumineuse et éternelle aussi infiniment inventive qu'attentive...

 

 

Une profonde et inépuisable aspiration à trouver la joie – et les conditions de sa survenance, voilà ce dont l'humanité a besoin... Et pourvu que ce souffle sache résister à toutes les tempêtes, les hommes sauront peu à peu (et contre vents et marées) s'extirper de leur détention – et accéder à la lumière...

 

 

Avant de découvrir (et d'arpenter) le chemin de la lumière, l'homme imagine être un passant – un simple passant – dans le monde. Au fil de la marche, il croit être un passager du monde vers le silence avant de découvrir, peu à peu, qu'il n'est peut-être (après tout...) qu'un passager du silence séjournant pour un très court instant dans le monde...

 

 

Heureux celui qui peut vivre – et passer toute son existence – sans participer (ni de près ni de loin) aux massacres et aux saccages – à l’infamie et à la mascarade des hommes. Et comment pourrait-il s'y prêter puisqu'il a compris – profondément compris – que le corps était intimement lié (et relié) à la terre (aux sources et aux ressources de la terre) – et que l'âme (le cœur et l'esprit) penchaient indubitablement du côté de la conscience...

 

 

Le martèlement sourd et implacable des heures fragmentant le jour. Et l’œil parfois inquiet – et l'âme parfois désireuse – si désireuse – de rompre le rythme journalier de cet indéboulonnable emploi du temps quotidien*...

* Emploi du temps automnal et hivernal (quelque peu modifié au printemps et en été avec l'allongement des jours...).

 

8h30 : réveil ;

9h : courte promenade en compagnie des chiens ;

10h : assis devant notre bureau dans la petite chambre d'écriture ;

13h : brève pause déjeuner et accomplissement des contingences quotidiennes du foyer ;

14h : retour dans la petite chambre d'écriture ;

15h30 : départ pour le périple du jour (une longue marche dans la nature) en compagnie des chiens – et de notre carnet ;

18h30-19h : retour de notre escapade oxygénante ;

19h-19h15 : préparation (longue et minutieuse) du repas pour les chiens – et accessoirement pour nous(1) ;

20h : dîner ;

20h30 : avant dernière sortie avec les chiens (brève promenade hygiénique) ;

21h : début de soirée distractive commune(2) ;

22h30 : premiers temps de la soirée distractivo-informative solitaire ;

23h30 : ablutions quotidiennes et ultime sortie canine du jour ;

Minuit : reprise de la soirée distractivo-informative agrémentée assez régulièrement par l'écriture d'un (ou de plusieurs) fragment(s) ;

Et (enfin) aux alentours d'1 heure du matin : extinction des feux.

(1) S. et moi...

(2) avec S.

 

Chaque jour, le même programme et les mêmes horaires (bien que le contenu journalier change systématiquement). 365 jours sur 365 sans week-end, sans vacances ni jour de congé. A full time life. Ainsi est notre vie...

Notre quotidien (le contenu prosaïque de notre existence) est, comme le révèle cet emploi du temps, essentiellement* consacré à l'écriture, aux chiens, à la marche (dans la nature) et à l'entretien (élémentaire) de la maisonnée. Quant à notre quotidien plus intérieur, il pourrait, lui aussi, se résumer à quelques mots : présence (métaphysique et spirituelle), joie et solitude parfois émaillées (comme tout un chacun...) de quelques (inutiles) préoccupations, soucis et contrariétés...

* Sinon même exclusivement...

 

 

L’œil – et l'esprit – rivés sur leur environnement et leur entourage immédiats. Accaparés par leur(s) fonction(s). Affairés à – et enferrés dans – leurs mille activités quotidiennes. Préoccupés par ce qu'ils voient, vivent et éprouvent comme par ce/ceux qui les entoure(nt). Prisonniers, en quelque sorte, de leur perception et de leur univers étroits. Aveugles et insensibles au monde – à son immensité comme à sa diversité – et à la grande liberté de l'inconnu. Incapables (encore) de s'interroger sur les mystères de l'existence et de leur présence au monde. Et moins encore capables de les percer. Ainsi sont, malheureusement, l’œil et l'esprit humains...

 

 

Peut-être suis-je simplement trop naïf et empêtré dans la gravité pour comprendre – réellement comprendre – et accepter le jeu des hommes et de la vie. Et bien trop fragile et sensible pour y participer...

 

 

Au fond, le monde n'est-il pas simplement là pour nous révéler tous nos visages ?

 

 

Et si l'absence n'était que le prélude – et l'invitation – du silence... L'appel – et la voie étroite – pour accéder à la présence... L'élan qui nous manquait pour les rejoindre. Et les habiter...

 

 

Qui pourrait éteindre la lumière dans les yeux clos ? Et qui pourrait l'allumer ?

 

 

Les élans – et les souvenirs – de l'ombre seraient-ils trop puissants – et trop vivaces – pour nous mener au havre transparent...

 

 

Cette tristesse, si démunie, qui sourd dans les yeux des hommes – et cette colère intarissable – pourraient-elles être effacées par quelques taches de couleur jetées sur la feuille ou sur la toile ? L'art est-il capable de guérir l'âme ? Et pourrait-il la sauver de son abîme ? Que peuvent – et que doivent donc – faire le peintre et le poète ? Ne devraient-ils pas seulement encourager le cœur – et ses élans vers la lumière ? Oui, sans doute est-ce là leur principale besogne... La joie ne peut s'offrir... Elle s'invitera plus tard lorsque l'âme aura retrouvé son fief : l'infini, le silence et la liberté – et que la vérité pourra pénétrer le cœur nu, enfin mûr pour la recevoir...

 

 

L'emploi du temps. A quoi donc les hommes emploient-ils les heures ? Aux nécessités et aux exigences du réel et du monde... Aux plaisirs et à l'assouvissement des désirs... Dans l'oubli magistral de l'essentiel : être, aimer et comprendre. Tâches malheureusement, si souvent, délaissées...

 

 

Que peut la parole sans l'aveu du silence ? S'essayer à la poésie... Marteler la vérité à coups d'aphorismes... L'étayer de trop péremptoires citations... Voies inutiles sans l'appétit du vrai, le souffle ardent de la curiosité, la soif – et le goût – de la rencontre et de la connaissance et la résonance profonde (et silencieuse) du cœur...

 

 

Des heures plus heureuses dans la grisaille des jours que dans celle du cœur. Ô divins instants de joie...

 

 

Le geste est – et sera toujours – plus important (et effectif) que la parole. Comme l'être est – et sera toujours – plus essentiel que le geste...

 

 

Certains voient – ou aimeraient voir – dans les mots des armes redoutables pour asseoir une opinion, une pensée, une idéologie. Idioties ! Les mots ont la puissance des fleurs... Comment peut-on l'ignorer ? Ils n'ont rien à défendre. Ni rien à démontrer. Et lorsqu'ils savent se faire (pleinement) innocents, ils se présentent (à nous) nus, simples et sans arrière-pensée. Et à travers leur fragilité – et leur beauté – brille la vérité du monde qui nous laisse sans voix...

 

 

Tant que les jours gris ne sauront égayer ton cœur – et que tu demeureras insensible à leur beauté –, tu ne connaîtras la grande joie au delà des couleurs...

 

 

Sache écarter d'un geste malicieux – et effacer d'un sourire tendre (et immensément ravageur) – les monstres rebelles de l'orgueil et tous les visages sans éclat des créatures ambitieuses pour accueillir l'innocence – et recevoir, en guise de remerciement, ses hôtes humbles et honnêtes – si puissamment authentiques...

 

 

Ah ! Quelle joie de retrouver, le front modeste et l'âme innocente, les chemins nus des collines... la besace sur l'épaule et le carnet dans la poche, impatient – presque fébrile – de témoigner des merveilles du monde et du cœur en laissant la main tournoyer dans la danse offerte par le ciel immense...

Et les mots innocents. Et l'éclat des étoiles. Et la mélodie du vent dans les feuillages. Et la révérence malicieuse des herbes et des fleurs sous les nuages jouant avec le soleil. Et la résistance modeste des pierres. Et la pluie chantante ruisselant sur les chemins...

Ah ! Quelle joie – et quelle réjouissance – pour l'âme et les pas ouverts aux délices de la terre comme à la lumière et au silence de l'infini...

 

 

Connais-tu le chemin – et le pays – qui transforment les îles glacées de la solitude en terres fraternelles – vouées à l'unité (et la célébrant) ? Connais-tu le chemin – et le pays – qui transforment les pas rageurs – presque incandescents sous le feu (et la braise ardente) de la volonté en foulées tranquilles et sereines – et en posture verticale sans attente à l'égard de l'horizon ? Connais-tu le chemin – et le pays – qui transforment l'ambition et les désirs en accueil innocent ?

Traverse donc les déserts et les enfers de l'esprit et du monde. Avance sans jamais t'arrêter ni te retourner. Et lorsque tu arriveras au lieu où tous les noms s'effacent, ils se révéleront...

 

 

Il n'y a de jours ensommeillés. Il n'y a que des yeux – et des cœurs – assoupis...

 

 

Les froides et pluvieuses journées assombrissent l'âme et le monde. Autant que les beaux jours égayent leur visage...

Il y a entre l'âme et le monde d'évidentes correspondances qui vibrent et résonnent dans une parfaite unité. Et que seuls le cœur – et le regard –, qui connaissent leurs secrets et qui sont capables de les transcender, peuvent décrypter – et accueillir de façon parfaitement équanime...

 

 

C'est la profondeur du cœur – profondément aimant et sensible – qui donne au monde – et à la vie – leur épaisseur. Et qui offre la possibilité à l'âme de les goûter avec intensité...

 

 

Le respect (profond) et la gratitude sont les marques d'un esprit sensible. Et la justesse des gestes – et des paroles – celle d'un esprit sage. Voilà tout – à peu près tout – ce que l'homme peut devenir – et réaliser. Et voilà seulement ce que Dieu lui demande – et l'invite à accomplir...

 

 

Le miel et le bourdonnement de l'abeille... Le parfum et les pétales de la fleur... L'eau et le chant de la rivière... La parole et les livres du penseur et du poète... Chacun à sa place – occupé à son humble tâche. Œuvrant naturellement à ce pour quoi il est né... Modeste instrument du cours des choses dans le destin du monde...

 

 

Tout en ce monde est à la fois si dérisoire et si précieux. Aussi inutile que nécessaire. Mais l'essentiel est – et sera toujours – l'être – et ce qui est. Et, en la matière, l'homme ne se différencie des autres éléments de l'Existant : son être – et sa façon d'être – sont plus importants (et déterminants) que ses gestes et ses paroles...

Ressentir profondément – et vivre – cette vérité nous conduit à être présent – infiniment présent – et à privilégier la présence – notre présence à ce qui est (à l'être, au geste et au pas que nous accomplissons) plutôt qu'à s'interroger sur l'utilité et la pertinence de notre travail et de notre œuvre ou sur celles des chemins que nous empruntons...

Ainsi le travail et l’œuvre auxquels nous nous consacrons (l'écriture, par exemple, pour nous) peuvent être négligés, interrompus ou même abandonnés si les gestes qu'ils réclament n'obéissent plus à la nécessité et à la joie (à la célébration de l'être) ou qu'ils ne se réalisent plus que dans l'éviction du ressenti de l'être – et de ce qui est...

 

 

Être. Contempler avec l'âme tendre et le cœur aimant. Et agir – et parler –, si nécessaire, avec justesse et parcimonie en laissant la main et les lèvres s'exprimer de façon délicate et respectueuse...

 

 

Mais, au fond, que pouvons-nous y faire si notre main aime à se laisser aller à l'écriture (de façon aussi libre que pesante parfois...) sans que l'esprit l'y invite – et sans même que celui-ci lui demande de témoigner de ses expériences, de ses découvertes et de ses intuitions ? Comme si le ciel, immense et intarissable, court-circuitait la pensée et se passait de toute autorisation pour se déverser continuellement en petites giclées noires sur notre innocent carnet...

 

 

Affecté par les circonstances des jours. Ah ! Que le cœur est fragile et vulnérable... La sensibilité de l'âme (toute entière) soumise au poids – et poreuse aux aspérités – du monde... Mais n'est-ce pas ainsi que l'on s'ouvre à l'Amour – et que l'on peut rejoindre la terre, les êtres et la misère de ce monde, armé d'un esprit plus vif (et plus clair) – et d'une main plus secourable ?

 

 

L'homme à l'égal de Dieu lorsque les yeux redeviennent innocents – et parviennent à se glisser dans l'infini du regard...

 

 

Et si le livre (poétique) n'était que la consécration des heures pleines du poète... Et si l'on évinçait ses cris d'effroi, de tristesse et de surprise, que resterait-il du poète – et du poème ? Un vif instant de joie peut-être... Aussitôt recouvert par le brouhaha du monde. Et aussitôt effacé par le retour serein – nécessaire et apprécié – de l'innocence...

 

 

Et si la parole n'avait, à présent, plus rien à décrire ni à décrier... Plus rien à dire ni à investir sinon le plein silence des heures, la joie célébrante de l'instant parmi les nuées noires de la terre et du cœur... Et si, à présent, elle s'effaçait pour oublier les jours tristes – et la quête fébrile – du poète... Et si, à présent, elle renonçait pour qu'il puisse goûter, dans le silence des jours, le cœur et la main libérés de leurs griffures – et de leurs pâles et noires empreintes sur la page – le contentement béat et hébété de l'âme devant l'innocence du monde...

Et si le ciel n'attendait, à présent, que le silence du poète pour se révéler...

 

 

Et si nous n'étions, nous autres hommes et poètes, que des fantassins désarmés devant l'innocence et la beauté... Et si nous n'aspirions, en vérité, qu'à devenir des apôtres du silence et de la paix... Et si nous décidions de nous taire – de nous taire à jamais, le ciel serait-il plus accessible ? Et le monde plus vivable ?

 

 

Et si nous demandions au ciel de descendre sur la terre... Et si nous demandions à la terre de se faire aussi belle – et aussi sage – que le ciel, les hommes s'en apercevraient-ils ? Y adhéreraient-ils avec plus de diligence ? Et les êtres seraient-ils enfin meilleurs – et vivraient-ils en paix ? Je crains – je crains malheureusement – que notre requête soit insuffisante... Voilà pour quoi notre main doit continuer à écrire – se livrer à son humble tâche. Murmurer sur ses pages les infimes échos des grands secrets du ciel – et du silence. Forger modestement son œuvre. Et continuer à l'offrir...

 

 

Qui pourrait nous faire renoncer à notre besogne sinon la mort... sinon la fin de l'enchantement... sinon le plein – et généreux – silence du monde – et l'improbable clairvoyance des hommes...

 

 

Il n'y a de plus sage émissaire que le silence pour dire la beauté et l'innocence de la terre et du ciel... Il n'y a de plus sage émissaire que le silence pour dire sa propre beauté et sa propre innocence... Peut-être alors devrions-nous nous taire – et nous laisser porter par sa beauté et son innocence... en abandonnant nos pages à l'infortune des hommes...

 

 

Il n'y a de jours plus hasardeux qu'hier et demain... Et d'aujourd'hui même, nous ne sommes plus certains...

Inutile donc de vouloir construire des cathédrales... Laissons plutôt la main œuvrer à son geste modeste et quotidien... Et si malgré tout, un jour, une cathédrale s'édifiait – finissait par se bâtir – à la force humble et journalière du poignet, évitons ardemment de nous auréoler de gloire. Et laissons plutôt l'édifice à son rayonnement silencieux – s'essayer à pénétrer le cœur des hommes – et à son infortune entre les mains du temps...

 

 

Et si la parole (poétique) n'était, en réalité, que l'épanchement du silence, triste – si triste – de ne pas être entendu... Navré – si navré – des bruits des hommes (et du monde) qui l’avilissent et refusent de le reconnaître – et de le célébrer... Et si la parole (poétique) n'était qu'un cri – un cri désespéré – du ciel pour qu'il descende dans les yeux des hommes... et jusqu'à hauteur de soulier pour retrouver les plaines sauvages abandonnées au vacarme et à la violence...

 

 

Et si la parole du poète n'était qu'un doigt – qu'un doigt infime de Dieu pourvu de mille – de dix mille – mains peut-être...

 

 

Et si la nuit des hommes n'était qu'un jour affreux dans la longue – et éternelle – vie de Dieu. Et si elle n'était qu'un mauvais songe – une vile pensée – dans l'innocence des infinies possibilités...

 

 

D'hier et de demain, l'esprit – et la main – n'ont plus rien à dire. Et d'aujourd'hui, ils peuvent encore se montrer bavards... Mais qu'en sera-t-il lorsque l'innocence et le silence auront recouvert – totalement recouvert – l'incertitude des jours. Et que brillera, rayonnante, la paix sereine de l'instant...

 

 

La main laborieuse et maltraitante – exploiteuse – de l'homme n'interrompt sa besogne que le temps du repas et du repos. Hormis ce temps sacré (et nécessaire), jamais elle ne renonce. Œuvrant avec acharnement jusqu'à ce que la mort (ou la faiblesse de la vieillesse parfois...) ne l'arrache à son vil labeur...

 

 

L'innocence – l'âme innocente – est – et sera toujours – le plus parfait habit. Comment pourrait-on (d'ailleurs) s'habiller autrement... N'est-ce pas, ici-bas, et en particulier dans ce monde de parures mensongères et de misérables haillons, la vêture la plus adaptée pour vivre inaperçu – presque invisible – parmi les visages masqués et le cœur – et la chair – dissimulés derrière les étoffes épaisses des costumes et des armures. Et pour être (enfin) capable de les accueillir – et de les aimer...

 

 

Mais où les jours s'en sont-ils allés ? demande l'homme aux portes de la mort. Où sont-ils donc passés ? Et la camarde, soucieuse toujours d'éclairer – et d'enseigner –, montre là-bas, près de l'arbre millénaire, le vieux sage accroupi à ses besoins...

 

 

Et si l’œil et le cœur n'étaient qu'un seul (et même) corps éparpillé, à la fois si proche et si lointain – si haut et si bas – qu'il ne pourrait être que le témoin du monde – et la chair sensible célébrée et malmenée – en attente d'être pénétrée par la lumière...

 

 

L'étreinte de la chair sur les eaux éteintes. Et le sang, comme la sève des arbres, bouillonnant d'ardeur...

 

 

Parce que le monde ne pourrait aller seul, Dieu l'accompagne. Et parce que nous sommes les deux, nous pouvons à la fois aimer et aller sur les chemins...

 

 

Vivant – pleinement vivant – malgré l'appel des ombres lointaines...

 

 

Tout au fond, la vérité du cœur recouverte par tant de mensonges. Voilà pourquoi nous devons nous dévêtir – et aller nus (l'âme nue) sur les chemins...

 

 

Sur la table du poète, la feuille blanche soudain maugréa. Refusant d'être salie. Et d'un revers de main, le vent effaça les griffures noires de la parole...

 

 

La faim qui se lève dans la main déjà haute ne sera rassasiée qu'avec la conquête du lieu où les noms s'effacent. Et la faim parvenue à son origine alors deviendra joie...

 

 

Nulle âme au carrefour des chimères. Terrées encore dans la faim ou envolées déjà dans les nuées innocentes...

 

 

Pourquoi la main s'acharnerait-elle encore à l'écriture poétique alors que l'on sait (pertinemment) que la seule vraie poésie ne tient qu'au regard – et au cœur – innocents et silencieux ?

Le poème (écrit) n'est, sans doute, qu'un surplus de joie. Comme le jaillissement expressif irrépressible de l'âme traversée par la grâce...

 

 

Miroitement des pétales de jade sous le soleil couchant...

 

 

Les mots simples d'un regard simple. Célébrant la beauté et l'innocence. Encourageant le cœur à vivre – et à honorer – la simplicité du silence et de l'infini. Paroles humbles et discrètes pointées vers notre éternité... Il n'y a d'autre grâce pour l'écriture...

 

 

« Ah ! L'horrible solitude ! » se plaignent les hommes. « Nul n'est jamais seul ! » répond le philosophe. « Il n'y a que solitude... » ajoute le moine. « Il n'existe ni solitude ni non solitude » surenchérit le sage. « Oui ! Encore faudrait-il le comprendre – et le vivre » conclut le clown...

Avez-vous remarqué que le clown – à quel point le clown – toujours fait le lien entre la sagesse et les hommes...

 

 

La vérité et la sagesse n’intéressent guère les hommes. Mais l'intelligence et la beauté* les ont toujours fascinés... Voilà un curieux (mais très apparent) paradoxe, n'est-ce pas ?... Et pour quelles raisons ? Sans doute parce que la vérité semble (trop) inaccessible et se montre toujours discrète lorsqu'elle se fait authentique... Sans doute parce que la sagesse est une caractéristique trop floue et trop difficile à définir avec exactitude... Et sans doute parce que l'intelligence et la beauté sautent aux yeux – et bien qu'elles obéissent à quelques critères subjectifs, elle sont éminemment perceptibles et évidentes...

* Et le pouvoir dans une moindre mesure... sans doute parce que les hommes croient qu'ils offrent la force et la puissance... qu'ils octroient une plus grande liberté et permettent l'assouvissement des désirs...

 

 

La violence du monde où les armes, devenues crocs et griffes des hommes, sont utilisées (comme chez les bêtes) pour défendre – et étendre – les territoires mais aussi (contrairement à la jungle animale) pour affirmer une (illusoire) supériorité identitaire... Triste monde...

 

 

Dans nos cils pourrait se former (et se reformer encore) le givre, jamais nous ne capitulerons face aux vents glacés du monde...

Pour vivre selon les exigences de l'Amour, le cœur doit être brûlant. Et son feu vif et permanent...

Et devant les obstacles et les difficultés, gare à la tentation de l'indifférence et du désert...

 

 

Tant d'ambitions et de secrets sous les paupières closes jamais n'enfanteront l'innocence et l'honnêteté – la lucidité vierge – nécessaires à la sagesse...

 

 

L'Amour ne peut naître que dans un sillon effacé. Aplani à force d'innocence. Disparu dans l'espace – et les paysages – lisses de l'accueil et du monde...

 

 

Peut-on – et pourrait-on – se tenir éternellement absent devant soi ? Que le monde serait (mais ne l'est-il pas déjà ?) noir – presque incongru... Comme une tentative nécessairement vouée à l'échec... Et seuls alors quelques dissidents parmi les hommes pourraient nous aider à embellir la vie – et à offrir au monde non plus seulement des promesses (de fausses promesses, bien sûr...) mais une couleur de vérité, sage et appropriée – et la présence qu'elle nécessite...

 

 

Et si les hommes n'étaient, en réalité, que des anges avortés – et rejetés dans la matière sombre du monde, atterris là par manque d'élan – et par omission de vérité et de sagesse – inaptes – trop inaptes – encore à l'Amour – et à percer ses (divins) secrets ?

 

 

N'y aurait-il, ici-bas, plus beau chant que celui du vent et de la rivière mêlant leurs voix aux vacarmes du monde...

 

 

Et si nous n'étions que des anges privés d'ailes et d'Amour...

 

 

Ô poète, que ta main ne s'applique qu'au sauvage et à la démesure ! Qu'au désordre du monde et au chaos de la pensée ! Aucune œuvre d'éclairage et de clarification n'est nécessaire... Et entre tes lignes féroces et désordonnées – brouillonnes et bouillonnantes – l'Amour, la vérité et la sagesse triompheront. Seront perçus peut-être... Et qu'importe s'ils ne le sont pourvu qu'elles attisent la soif – et le goût de la simplicité...

 

 

Les heures blanches du jour. Aussi pâles – et désirables – que l'éphémère de la nuit... Et les bruits sourds qui cognent à la porte de l'éternité... Et la lumière malhabile dans l'âme endormie...

Tous ces signes – et tous ces appels – dans la maladresse de nos mains fébriles pourraient-ils nous faire plus présents – et plus vifs dans la torpeur, terrible et insensée, du monde ?

Et je ne vois qu'un espoir pour la lumière – son retour d'exil et son entrée fracassante dans notre vie : l'âme libre et le cœur innocent. Mais n'est-ce donc pas à cela que l'homme, l'être et la conscience s'acharnent inlassablement...

 

 

Tous les poètes dont les mots ne dépasseront jamais le cri, l'horizon et la promesse de l'envol alors que le silence suffirait à faire naître l'élan azuréen...

 

 

L'urne à venir sera-t-elle encore (et comme toujours) le puits – le puits éternel – des secrets, des mensonges et des promesses ? Quand le monde sera-t-il donc assez mûr pour se libérer des désirs, des ruses et de l'espoir ? Se libérer de la malice et des tromperies de la représentation ? Assez mûr pour se créer une vie libre, sensée et éclairante – portée par davantage d'Amour et d'intelligence ? Sans doute lorsque l’innocence et la lumière seront suffisantes à le guider. Mais n'est-ce pas à cette tâche qu’œuvrent inlassablement les hommes et la conscience...

 

 

La présence œuvre à la poétique du monde. A la révéler. Et le poète à la survenance de l'innocence. Clés – impérieuses et précieuses clés – offertes aux hommes pour extirper le noir de leurs gestes – et le funeste de leurs pas. Pour y ensemencer le respect (profond) et la délicatesse nécessaires à l'avènement du silence et de la beauté – au sacre de l'Amour et de la lumière...

 

 

Le regard immobile et sédentaire – pleinement innocent – offre à l'âme et au pas de retrouver leur nature profondément libre et nomade. Ainsi marche-t-on sur les chemins, à la fois ancré à la présence – à son accueil et à son effacement – et ouvert aux circonstances de l'instant. Et, il va sans dire qu'ainsi parés, le cœur et la foulée se font profondément légers...

 

 

Occupé aux mille activités du monde – et à jouir de ses (mille) agréments, peut-être, après tout, n'est-ce que cela un homme... Un esprit et une main affairés aux contingences et aux plaisirs... Un amas de peurs, de désirs et d'espoirs, borgne et quasi insensible, voué tout entier à ses besoins... Une tête à peine pensante et mémorisante – et quasi analphabète – aux idées et aux images épaisses et grossières, dédiée aux ruses et aux mensonges... Un cœur sommeillant et une âme assoupie consacrés au repos et à la léthargie... Oui, peut-être, après tout, n'est-ce que cela un homme...

 

 

Le regard vierge est le terreau des infinies possibilités. Tout peut s'y dérouler librement – et sans encombre. Et se transformer selon la lumière et l'innocence du cœur...

 

 

Ah ! Les infimes remous de l'individualité et les vagues vives du monde – et leurs déferlantes puissantes parfois – dans l'immensité sereine du regard. Sur le vaste océan de quiétude accueillant indifféremment les tempêtes d'alcôve et de bocal et la furie dévastatrice des vents sur les eaux frémissantes – et faussement calmes – des jours...

 

 

Les hommes arpentent, creusent et fouillent en quête d'aisance (de plus d'aisance) – et, accessoirement, pour essayer de percer les secrets de leur existence. Mais qu'y aurait-il donc à la source de soi qui leur échappe...

 

 

Le regard(1) semble si impersonnel, l'instant si atemporel et la vie – et le monde – si fragiles et éphémères, comment l'esprit(2) peut-il, à ce point, se leurrer et verser dans l'imposture de l'individualité et de la temporalité – et vivre au quotidien comme si les êtres et les choses étaient éternels ? Voilà un grand mystère... Serait-ce pour lui une façon d'exister (de se mettre en avant et de faire croire qu'il est indispensable...) et une manière de se rassurer (bien que cette perspective soit, pour lui, source de nombreuses angoisses...) ? A moins, bien sûr, que son absolue prédominance en ce monde ne révèle simplement les difficultés de la conscience à se manifester dans – et à l'aide(3) de – la matière et l'incroyable lenteur avec laquelle elle est capable d'y pénétrer...

(1) La perception sensible...

(2) Et, en particulier, le psychisme humain...

(3) En particulier avec – et à travers – le cerveau...

 

 

Que d'ombres et de râles – de cris et de désespoir – dans le sombre vivier du vivant, incapable encore d'éclore à sa réalité... Si démuni face à la marée des mains saisissantes et à la houle des poings serrés...

 

 

Le sens de la beauté se tient (tout entier) dans la vérité... Et la vérité se dissimule (très souvent) derrière la beauté la plus aveuglante... Et il appartient à l'âme de les percer (l'une et l'autre). Puis, de les révéler au monde...

L'épaisseur d'une parole rogne parfois, il est vrai, sur sa beauté. Mais jamais elle ne rechigne à révéler la vérité. Ainsi parfois s'affrontent le poète et le penseur sur le choix des mots. L'un aspirant au vrai (et à son exhaustivité) alors que l'autre ne rêve que d'une beauté concise et légère dans laquelle l'âme saurait puiser le substrat de son existence – et accéder à ses mystérieuses origines...

Mais poésie et philosophie ne seront jamais, en définitive, que des invitations à s'interroger. A laisser éclore en nous la beauté et la vérité. Une façon d'offrir à l'âme – et au monde – de se connaître. Et de s'aimer... L'une et l'autre n'ont, je crois, d'autres ambitions pour les hommes...

 

 

C'est dans l'austère – et le simple – des jours et au cours de nos plus solitaires saisons que l'âme est appelée – et invitée – avec le plus d'ardeur à se rencontrer... Et de cette rencontre naît la certitude du Divin. L'évidence de sa présence (et du merveilleux) en – et parmi – nous. Voilà pourquoi la solitude, l'isolement et la simplicité sont si convoités – et appréciés – par les hommes en quête de vérité – et tous les chercheurs de Dieu...

 

 

Et si les poètes, en définitive, n'ajoutaient que de la couleur à la transparence... Et si les philosophes ne faisaient qu'en épaissir l'opacité... Et si les hommes, trop occupés à défricher leur terre pour quelques graines supplémentaires, étaient tous (ou quasiment tous) insensibles à la lumière...

La parole ne serait-elle alors utile qu'à celui qui l'initie... ? A moins, bien sûr, qu'elle ne sache aussi éclairer modestement (et entre mille autres choses) celui qu'elle traverse et qui sait percevoir la lumière entre les lignes...

 

 

Ah ! Que le silence – même infime – sur le monde nous semblerait bénéfique – et même salvateur... Rien qu'un instant de silence pour surprendre – et hébéter – les yeux et inviter le cœur à l'innocence... Que la terre alors serait douce à habiter... Et que le monde – et la proximité des hommes – nous sembleraient vivables (tellement plus vivables...) dans cet intervalle où le bruit et la folle agitation seraient suspendus...

 

 

Après les aveux impuissants de la philosophie, les vaines consignes du religieux et les communes – et inutiles – ruades dans le monde, le recours poétique semble constituer l'ultime instance pour accéder au silence...

 

 

L'exubérance envahissante et criarde du vivant – et en particulier celle des hommes – nous laisse sans voix. Et nous invite, le plus souvent, à nous éloigner (au plus vite) tant l'affairement, les gesticulations et les hurlements(1) nous insupportent. Nous ne pouvons décidément souffrir la proximité(2) du monde et des hommes. Ni d'ailleurs nous éloigner durablement(3) de notre espace de solitude serein habituel au risque d'être, par saturation et excès de stimuli, d'une humeur réellement massacrante(4)...

(1) Eclats de voix et bavardages bruyants chez nos congénères.

(2) La trop grande proximité...

(3) Pas plus d'une heure ou deux...

(4) Au sens figuré comme au sens propre...

 

 

Là où s'entassent les corps et les mots, la lumière ne peut pénétrer. Là où naît – et s'impose – le silence, elle éclaire... Il appartient donc à l'âme de se défaire de ces charges inutiles. Et de s'extirper autant de leurs irrésistibles attraits que de leurs griffes sournoises...

La simplicité et l'innocence sont – et seront toujours – le terrain le plus propice à l'éclatement de la matière et à l'effacement du poids de l'invisible, (tous deux) nécessaires au parfait rayonnement de la lumière...

 

 

L'effroi est le premier pas de la joie. Son entrée fracassante dans notre vie. Le saisissement émotionnel est la preuve que l'âme est vivante. Mais pour transformer cette simple existence (à peine une survie...) en pleine vivance (et en Amour), mille pas – dix mille pas peut-être... – sont nécessaires... Et chaque foulée – à la fois profonde et ascendante – scellera deux mouvements agissant selon le principe des vases communicants : l'épure de l'encombrement (de tout encombrement*) laissant progressivement la place au ressenti grandissant de l'être – et de sa présence éclatante en nous...

* Encombrements psychiques et émotionnels...

 

 

J'entends parfois le murmure des âmes adressant leurs requêtes à Dieu, désolé de ne pouvoir encore se faire entendre... Comme si un mur immense – et invisible – les séparait. Les laissant dans des aires irrapprochables... Comme si l’œil aveugle – si aveugle encore – avait scindé l'espace, l'Amour et la lumière en deux hémisphères hermétiques et irréconciliables...

 

 

De nos battements sauvages, aucune aile ne pourra pousser... Nous aurons probablement entièrement ravagé la terre avant que l'envol nous saisisse – et nous porte vers des rivages moins sombres et dévastés...

 

 

L'eau bruissante des saisons nous mène vers la mort. Vaste étendue stagnante d'où jaillit – des profondeurs – le sang neuf des âmes s'élançant vers les jours nouveaux...

 

 

L'arbre, nichoir de l'oiseau et poumon de la terre. Silhouette fragile et massive – puissante – s'élançant vers la lumière. Digne toujours sous le ciel et le soleil. Si nécessaire à la vie. Digne toujours malgré la hache des hommes et jusque dans la cheminée où on le jette. Jamais las de servir le monde. De réchauffer – et d'éclairer – autant ceux qui le vénèrent que ceux qui l'exploitent... Merveilleuse – et magnifique – figure du vivant dont les hommes sont si peu dignes...

 

 

A l'orée des saisons épaisses, la lumière... Et malgré les querelles continuelles des hommes et des oiseaux, le monde semble plus beau. Et plus dansant. Tel un balai sous le soleil orchestré par les étoiles...

 

 

Et si nous n'étions tous sur terre que des anges envoyés là par un Dieu impuissant... Et qui aimerait tant qu'on l'aide à renaître – et à se faire pleinement vivant – en notre cœur et dans nos bras... Et si nous n'étions que cela en vérité... Des exilés d'un royaume inaccessible (et mystérieux) soumis à la pugnace éternité de ses élans. Sommés en quelque sorte de le retrouver quoi qu'il nous en coûte...

Et si la poésie – et le silence – étaient la nourriture essentielle – et nécessaire à ce retour...

 

 

Et si le monde n'était qu'un temple ouvert – et offert – à la célébration. Et une aire d'amusement follement récréative où le jeu serait l'égal de la louange. Et où les prières ne seraient que des prémices...

 

 

Il y a chez les hommes une cicatrice qui ne peut s'effacer. Une vieille blessure – originelle sans doute – qui se ravive à chaque circonstance. Une incompréhension peut-être à être vivant... Et ce n'est que de cette faille, fouillée et creusée en tous sens, que naît – que peut naître – la réconciliation avec ce mystère...

 

 

L'art est – et sera toujours – le plus beau – et le plus vivant – de l'homme avant qu'il ne découvre le silence...

 

 

Le monde s'efface dans nos larmes. Et pourquoi donc en serions-nous attristés ?

 

 

C'est en nos failles – et en nos faiblesses – que se trouve la résolution de notre mystère. La gloire – et le succès –, eux, n'offrent qu'un contentement opaque et dérisoire – éminemment passager – qui prive les yeux – et le cœur – du salvateur élan de la fouille...

 

 

Petits et grands poètes – célèbres ou anonymes (et qu'importe...) sont nos frères de quête – et de célébration (plus rarement...) dont les œuvres nous accompagnent comme un cri dans le silence. Comme une tentative de délivrance... Un partage de solitude... Et un hébétement parfois avant d'être saisis par la grâce de l'être et du monde...

 

 

Que l'art tente de percer le mystère de notre présence, il n'y a à en douter... Mais qui sait que le silence y répond – et nous apaise ? Pourrait-on rêver pour l'artiste de plus beau succès que de se faire sage – et de réduire son œuvre à l'écho simple du silence...

 

 

Le livre (poétique), porte des secrets du monde. Et parfois clé de l'enchantement...

 

 

Une poésie de mots ? Oui, bien sûr, pourquoi pas... Mais une poésie de silence, quel ravissement... Et quel tremplin pour l'âme, assurée d'entrevoir – et d'effleurer – le ciel pendant le bref instant de la lecture (ou de l'écoute)... Et de le retrouver bien longtemps après, à chaque fois que nécessaire, si elle sait se montrer fidèle...

 

 

L'heure peut se faire glorieuse. Mais sans le ravissement de l'âme, la gloire n'est qu'une vile – et courte – satisfaction... Il faut le silence (tout entier) – et toute sa force et son ampleur – pour toucher – et vibrer – à la grâce de l'instant – et à sa profonde et consistante intensité – car nul ne peut ignorer que la joie et l'âme y sont plongées pour l'éternité...

 

13 décembre 2017

Carnet n°100 Si proche du paradis

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

A la fenêtre du jour, le gris s'invite encore parfois. Et nous ne pouvons alors que consentir à la grisaille. Et accueillir la morosité – et le restant de nuit – dans notre œil encore si malhabile. Et embrasser le tout d'un regard innocent et transparent. Il n'y a d'autre lumière...

 

 

A la fenêtre du jour, le gris s'invite encore parfois. Et nous ne pouvons alors que consentir à la grisaille. Et accueillir la morosité – et le restant de nuit – dans notre œil encore si malhabile. Et embrasser le tout d'un regard innocent et transparent. Il n'y a d'autre lumière...

 

 

Et lorsque le festin de la joie a tout dévoré, que demander au ciel pour égayer les jours ? La lumière saura-t-elle encore percer l'œil si las ?

 

 

Au plus précieux du jour, le réveil de l'âme engourdie par la paresse des instincts et les somnolences de la terre où le monde nous a plongés...

 

 

Au plus profond de la terre, le savoureux silence. Ignoré des hommes...

 

 

A peine surpris par le désir des jours que l'on abandonne comme l'herbe fauchée des fossés. Et qui trouvera bien acquéreur parmi la foule des créatures terrestres...

 

 

Au plus proche se trouve le plus vrai – et le plus juste – de nous-mêmes. Sous le matelas des songes où l'âme s'est endormie. Et sur lequel le cœur fait des bonds insensés...

 

 

La terre abrite nos pas aussi sûrement que le ciel préside aux destinées de l'âme. Et nous, pauvres pachydermes, nous piétinons dans l'âpre et grise poussière, l’œil rivé sur les étoiles pour guider notre lourde carcasse. Ah ! Quel chemin d'équilibriste dans cet entre-deux d'épouvantes et de merveilles...

 

 

Quelques empreintes de lumière sur la terre noire. Serait-ce la sagesse des anciens parvenue jusqu'à nous dans la foulée si grossière des hommes...

 

 

La petite main indélicate de l'homme fouillant – et exploitant – tous les interstices de la terre. Et la grande et belle main invisible de Dieu fouillant parmi ses immondices – et celles de la terre qu'il a saccagée – à la recherche de l'âme rédemptrice...

 

 

La seule rédemption naîtra de l'Amour. Et l'Amour ne pourra naître qu'avec l'innocence. Et l'innocence ne pourra voir le jour que lorsque le cœur – et le regard – auront su accueillir (et effacer) tous les amas d'immondices – tous les encombrement entassés jusqu'au dernier jour du crépuscule – et soudain devenus vains aux premières heures de l'aurore...

 

 

Ah ! Que l’œil – et le cœur – se montrent coutumiers ! Et si prévisibles sur les jours imparfaits... Et que le regard aime la rythmique régulière autant que les dérèglements désordonnés (et imprévus) des vents malicieux qui poussent nos heures mensongères – et nos gestes familiers – hors de leurs frontières...

 

 

Le gris, après tout, n'est pas une si affreuse couleur. Nuancé – et parfois même lumineux – pourvu que le regard sache demeurer clair, innocent et attentif...

 

*

 

[Dialogue à bâtons (cor)rompus]

Chaque jour, le même rythme endiablé de la main vouée toute entière à la belle (et inutile) besogne de l'écriture. S'escrimant à rédiger de nouvelles notes. De nouvelles pages. De nouveaux opuscules. De nouveaux livres. Et offrant au monde peut-être (sans doute ?) une œuvre (modeste) supplémentaire. Oui ! Très bien. Et après ?

Et nous voilà soudain plongé dans une sombre réflexion. Toutes ces lignes et toutes ces pages qui nous laissent sans voix – et presque sans force – sans compter, bien sûr, la cadence infernale des activités quotidiennes qui s'enchaînent les unes après les autres tout au long de la journée – et entreprises (surtout – Ô damnation !) dans un esprit de devoir et d'achèvement...

Ecrire et vivre... ! Happé dans cette course folle... Pour quelles raisons ? Lorsque nous nous livrons à ces activités avons-nous le sentiment d'être ? Ou avons-nous le sentiment de nous en éloigner ? Qu'offriront donc nos pages – et nos gestes – si nous en oublions l'essentiel... ? Que devrait-on faire alors ? Arrêter de vivre ? Arrêter d'écrire ? Non ! Bien sûr ! Et comment le pourrions-nous ? Faisons simplement ce qui nous est nécessaire et naturel mais ne sacrifions jamais la (divine) présence sur l'autel de notre besogne... Qu'avons-nous donc à prouver ? Aurions-nous encore quelques rêves secrets ? Pour quelle raison devrait-on effacer la joie et les intenses instants de vie pure de notre rythme – et de notre emploi du temps – journaliers. Oui, bien sûr... mais que faire de la force de la mécanicité qui gouverne encore parfois l’enchaînement automatique des gestes et des pas ? Et que faire lorsque notre cœur inattentif se soumet à leurs mouvements ? Aimons-les ! Aimons-les sans condition ! Quoi donc ? Notre inattention ? Oui ! Notre impuissance face à la force des automatismes ? Oui ! Quoi d'autre ? Tout ! Il convient de tout aimer ! Et à commencer par notre entière individualité ! Tous ses aspects ! Et toutes ses caractéristiques ! C'est leur union avec le cœur – et leur intégration profonde – qui cherchent à se réaliser (en nous) à présent... Et nous veillerons – nous veillerons ensemble –, dans un esprit d'abandon, à demeurer aussi attentifs et innocents que possible...

 

 

Si les êtres savaient ce qui se cache derrière les gestes offerts et les gestes reçus – et ce qui impulse et éprouve véritablement ce qui est donné et accueilli, les yeux – comme les cœurs – s'éclaireraient presque aussitôt. Et le monde deviendrait alors immensément doux. Et, sans doute même, un incroyable paradis...

 

 

Il est aisé de constater que la perception – et le ressenti – de l'épaisseur existentielle – de la consistance de la vie et du monde – (à travers chaque situation, chaque rencontre, chaque parole et chaque chose vue, goûtée, touchée, écoutée, lue, entendue etc etc) varient incontestablement, pour les yeux et le cœur humains, selon la disposition intérieure, le contexte environnemental et la présence (ou l'absence) d'êtres et d'objets de soutien et de réconfort (dont l'homme aime tant à s'entourer...).

Il semblerait que plus l'homme s'inscrive dans une posture de solitude et se trouve dépouillé de béquilles et d'accompagnement artificiels (devenus aujourd'hui des éléments si coutumiers et habituels – dans cette civilisation de réseaux, d'assistanat et de déresponsabilisation fort peu propice à l'autonomie – que peu se rendent compte de leur dimension factice)... bref plus l'homme vit sa solitude sans artifice, plus sa sensibilité se fait vive et aiguisée. Et plus il est enclin à ressentir – et à recevoir – l'incroyable épaisseur (et consistance) de la vie et du monde à travers chacune des mille situations de l'existence... Et plus son âme est capable de s'ouvrir – et de vibrer – à chacune des mille rencontres avec l'Existant...

 

 

Alors que notre existence au monde (notre existence au monde naturel) nous invite de façon (quasi) systématique à nous interroger sur notre présence terrestre et à répondre aux grands questionnements (et enjeux) métaphysiques afférents, le monde humain (depuis ses origines) semble, au contraire, nous en détourner de façon presque aussi systématique. Le monde humain a simplement l'air friand de bras et de cerveaux pour le faire fonctionner à plein régime – et répondre à ses élans expansionnistes et à ses ambitions de gloire et de fortune...

Mais derrière cette vitrine des instincts terrestres – si tristement et basiquement humaine – n'y aurait-il pas une dynamique – et une perspective – plus profondes ? Oui, bien sûr... On peut aisément supposer que la conscience veille au sens de l'évolution terrestre (et de l'évolution du vivant) en créant progressivement, malgré les inévitables inerties, les innombrables résistances, les capacités restreintes et la lenteur d'actualisation du potentiel du vivant supérieur (dont l'homme est la fine pointe aujourd'hui), les conditions de l'émergence (à terme*) d'une civilisation pleinement consciente portée par l'Amour et l'intelligence...

* A très long terme...

Notons néanmoins qu'au fil de ce lent et long processus* – au cours duquel les hommes s'escriment à faire tourner le monde en pataugeant dans des organisations et des modes de fonctionnement guère plus évolués (et guère moins barbares), malgré les apparences, qu'au début de l'histoire humaine, il semblerait que l'humanité se détourne, sur le plan collectif, des questions et des enjeux métaphysiques précédemment évoqués. Et que seuls quelques rares individus, en général peu intégrés à l'humanité ordinaire, manifestent un réel intérêt pour le champ philosophique et spirituel. Comme si le monde humain, instrumentalisé en quelque sorte par la conscience, se vouait presque exclusivement (et, à son insu, bien sûr) à la laborieuse actualisation de l'ambitieux projet précédemment cité et en bénéficiant, plus ou moins grassement, des avantages du progrès et des avancées technologiques sans être capable, sur le plan individuel, de s'engager dans une réflexion – et une perspective – à même de percer ces grands mystères.

* A moins, bien sûr, que nous traversions aujourd'hui, une période particulièrement critique...

Voilà, en tout cas, un curieux paradoxe... à moins, bien sûr, que la conscience ne perçoive une indispensable complémentarité entre la démarche collective visant à faire advenir les conditions terrestres d'un monde pleinement conscient et la démarche individuelle des rares hommes qui cheminent pour habiter – et vivre – au sein de cette pleine conscience...

 

 

[L'homme et l'arbre]

L'arbre et l'homme. Une merveilleuse fraternité au goût de trahison. Le cœur avide – et la main exploiteuse – déchirant la belle amitié...

Et, au loin, le sage assis – seul et en silence – au pied de l'arbre. Le cœur si plein d'Amour et de gratitude pour son aîné exemplaire. Son frère protecteur...

Et l'homme et le monde. La même trahison...

 

 

Pour comprendre et aimer* ce qui nous est inconnu, il faut nous en approcher. Et demeurer au plus proche. Rencontrer. Et sentir rayonner l'invisible – et vibrer l'unité de ce qui est devant soi. Et s'unir. La compréhension et l'Amour peuvent alors naître naturellement...

* Qui sont les nobles missions de l'être (et de l'homme)...

 

 

La profonde humilité de l'homme sage, conscient de son ignorance et de son insignifiance malgré la belle lumière qui brille dans ses yeux – et l'infini et le silence que fréquente assidûment son cœur – offre à travers sa présence – et ses gestes lents – l'Amour que le monde réclame. Et aux hommes la plus grande leçon de sagesse...

 

 

La vie simple et lumineuse du sage. Balayant, à petits pas, le sol de la maison. Fendant quelques bûches pour la flambée du jour. Et épluchant, à gestes lents, les légumes pour la soupe du soir...

Mais comment les hommes si pressés – et si pleins de désirs obscurs et si affairés à leurs activités technologiques – pourraient-ils y être sensibles ? Comment pourraient-ils être touchés par la grâce – et la simplicité radieuse – du quotidien ?

 

 

Les grands intervalles suspicieux où les hommes – et les jours – sont jetés. Et qui des abîmes de la méfiance appellent au secours. Implorant une main improbable – et hasardeuse – de les délivrer. De les aider à s'extraire de la fosse pour rencontrer le grand cœur fraternel du monde (et de l'humanité)...

 

 

Toujours heureux celui qui se voue à une plus grande œuvre que lui...

 

 

Les yeux humbles – si humbles – penchés sur la terre alors que brille au dedans la lumière infinie du ciel ouverte aux plus hautes cimes. Etmodestement – si modestement – glorieuse...

 

 

[L'homme et l'arbre – suite]

Arbre de résonance et bois d'harmonie. Quels jolis termes, utilisés par les luthiers, pour célébrer le chant de l'arbre et de la forêt. Et la symphonie silencieuse de l'univers dans ce monde humain si cacophonique...

 

 

La lente élévation des arbres vers la lumière. Et leur plein épanouissement. Ah ! Si seulement les hommes savaient s'asseoir, parfaitement immobiles, à leurs pieds. Et patienter là sagement (et en silence) en se laissant simplement bercer par le vent, la pluie et le soleil...

 

*

 

Mourir à la tâche dans l'accomplissement serein et silencieux du geste. N'est-ce pas ainsi que les poètes, les artistes et tous les hommes de vocation rêvent de quitter ce monde ?

 

 

Le regard solitaire des hommes, œuvrant ou pensant (profondément) à leur destin terrestre. Interrogateurs et sereins face au grand mystère qui les habite et les environne. Hormis peut-être le geste solidaire, qu'y a-t-il de plus émouvant dans cette humanité ?

 

 

Le silence misérable et indigent entre les hommes – si souvent pesant et inconfortable – presque insupportable – et si peu propice au partage de l'essentiel, devient (peut devenir) merveilleux – presque magique – lorsque le cœur – et le regard – savent l'habiter. Et lui redonner son caractère profondément sacré. On sent alors que Dieu est là. Pleinement présent en chacun – et au milieu de l'assemblée.

 

 

Pénétrer au cœur du monde et de l'invisible irradiant. Tel est le secret des sages. Et de leurs gestes lents et silencieux...

 

 

Lorsque le regard se fait humble – et le geste simple, la gloire devient invisible. Et la joie rayonne partout. Au dedans comme au dehors. Et elle se fait si vive qu'elle inonde tout ce qu'ils touchent...

 

 

Il n'y a de cœur plus tendre et amoureux que celui du sage... Dieu – et l'Amour – y sont présents tout entiers...

 

 

Le respect est la main du cœur. Et l'humilité celle du regard. Ainsi vêtu, l'Amour ne peut disparaître. Et il grandira encore jusqu'à emplir l'âme entière. Jusqu'à ce que l'humilité respectueuse rayonne partout. Le sage sait qu'il n'y a d'autre voie pour l'homme – et pour le monde.

Et dire que les siècles – et notre civilisation – immatures n'ont jamais encensé que l'exploitation et l'orgueil...

Un long chemin nous attend. Dieu et le sage, bien sûr, ne peuvent l'ignorer...

 

 

Remettre les compteurs à zéro – et repartir à neuf –, voilà qui nous est offert à chaque instant. Mais pour que cette perspective devienne réelle – et que notre cœur et notre regard puissent se faire innocents (pleinement innocents), une lente et longue marche est souvent nécessaire pour se défaire de ses savoirs, de ses entassements et de ses encombrements – et être (enfin) capable de s'extraire de sa fausse identité...

 

 

Au cœur du monde, le silence immuable des forêts. Merveilleux. Majestueux. Et retentissant lorsque les lèvres bavardes et le bruit des tronçonneuses ont déserté les lieux...

 

 

Il n'y a que Dieu en nous qui puisse s'agenouiller devant notre orgueil. Et le faire plier. Même si, bien sûr, le monde et les circonstances l'aident dans sa tâche en s'y appuyant de tout leur poids...

 

 

Le monde si bruyant que l'on en oublie parfois le silence. Le monde si encombré et efflorescent que l'on en oublie parfois l'espace. Le monde si sombre et ignorant que l'on en oublie parfois la lumière. Le monde si étroit et infime que l'on en oublie parfois l'infini. Le monde si plein de diversité et de créatures que l'on en oublie parfois la présence de Dieu et l'unité...

Il n'est pas toujours aisé d'être un homme en ce monde. Et moins encore un homme dont la grande aspiration est d'embrasser l'Absolu...

 

 

Les petits doigts espiègles des anges sur notre vie. Aidant la grande main invisible et silencieuse de Dieu dans son œuvre...

 

 

Le silence des hommes n'est pas celui de Dieu. Un abîme creusé par les bruits du cœur et de l'esprit les sépare. L'âme l'apprend au cours de sa traversée...

 

 

Qu'y a-t-il donc au plus près du cœur et des étoiles ? Une âme errante cherchant son chemin...

 

 

Le silence – le cœur silencieux – de l'arbre et de l'ermite. Plus proche de Dieu que celui des bigots bavards et des âmes recluses et fermées – immatures – si nombreuses en ce monde.

Pour accéder à la lumière, à qui donc s'adresser sinon au cœur solitaire...

 

 

Pourquoi – et pour qui – donc t'inquiètes-tu, âme éprise ? Es-tu si sourde au silence – et si aveugle à la présence de Dieu pour craindre – et frémir sur les routes du monde ? Es-tu si insensible à la grâce pour refuser le chemin qui t'est offert ? As-tu donc oublié, dans ton ignorance, la patiente sagesse de l'arbre ?

 

 

Le si délicieux silence du jour...

 

 

As-tu songé, homme, à quelle rude et insensée besogne tu livres tes jours ? Crois-tu vraiment que ce que tu cherches appartienne au monde ? Pourquoi la vie de l'arbre et de l'ermite te laisse-t-elle si indifférent ? Et pourquoi n'a-t-elle à tes yeux que si peu de valeur ? Penses-tu vraiment que leur présence silencieuse soit moins précieuse que tes folles et criantes gesticulations à chercher la joie ? Imagines-tu la trouver en quelque lieu que leurs pas ont eu la sagesse de ne pas fouler ? Seraient-ils plus idiots que toi ? N'as-tu donc pas vu leur visage baigné de rires et de lumière ? Ô homme, pauvre de toi...

 

 

Si dense est l'épaisseur du monde. Invisible pourtant aux hommes qui, de leurs errances, en parcourent la surface en tous sens. Et si transparente malgré le mensonge de leurs yeux opaques. Et que seul le regard, vide de tout décor et de toute parure, est capable de percevoir. De percer et de pénétrer afin d'en révéler la dimension profondément sacrée et lumineuse...

 

 

Ah ! Cette entité inaltérable en nous – amas inextricable de désirs et d'émotions – qui continue à se plaindre, à espérer et à gesticuler ! Nous qui croyions pourtant que son silence était le signe de sa définitive disparition... Nous qui croyions pourtant l'avoir pleinement acceptée – et nous en être ainsi défait –, voilà qu'elle surgit à présent à la moindre occasion en nous laissant désappointé et démuni...

Comment pourrait-on la déraciner ? Et est-ce seulement possible – et même envisageable ? Que faudrait-il donc faire ? Sans doute, et comme toujours, l'accueillir, la laisser libre et l'aimer... Voilà peut-être aujourd'hui notre tâche principale. Notre ouvrage à remettre indéfiniment, et à chaque instant, sur le métier...

 

 

Ah ! Cet esprit – ce pauvre esprit – tendu tout entier vers l'accomplissement ! Si familier – et prisonnier – de l'effort et du labeur, incapable de s'accorder le moindre instant de répit ni même le moindre espace de plaisirs et d'agréments... Penché inlassablement sur ses pauvres tâches. Et voûté – et croulant – sous son désir fou d'achèvement...

Et, pourtant, lorsque le regard à nouveau se défait des idées, des soucis et des préoccupations (que l'esprit a fait siens) – et qu'il retrouve une forme de vacuité minimale, l'innocence revient. Et avec elle, la joie et le goût du merveilleux qui illuminent tout ce que touchent les yeux – et le cœur...

 

 

Déchargé des contingences du corps et de l'esprit – et de leur lourd cortège d'exigences, de besognes et de soucis, que reste-t-il donc à l'homme ? Rien. L'ennui, l'insupportable vacuité et la triste désolation pour l'homme ordinaire. Et à la fois tout et rien – le regard plein (l'être-présence) – pour l'homme qui s'est éveillé à sa nature éternelle et infinie...

 

 

Une vieille croix de pierre patinée par le temps et les intempéries. Et mangée par la mousse et le lichen. Semblable au tronc du vieil arbre qui s'est installé à ses côtés. Même allure. Même aspect. Même épaisseur. Et même couleur. Presque identique que l'on pourrait les confondre. Et prendre l'un pour l'autre... Comme si ce symbole – et l'idéologie religieuse qu'il représente – étaient devenus si naturels et proches de la terre, ou, au contraire, si abandonnés à eux-mêmes et aux affres du temps (et de l'oubli) qu'on ne verrait plus la moindre différence entre l'arbre et la croix. Et mon cœur, à dire vrai, hésite. Et ne saurait se prononcer sur l'option la plus vraisemblable. Peut-être, après tout, les deux sont-elles justes...

 

 

Une existence de solitude. Une vie de non événement où aucun fait n'a lieu – où seuls les gestes et les pas se déroulent (selon un rythme tantôt régulier, tantôt erratique) dans le regard, le plus souvent, joyeux et unifié aux mouvements mais parfois, il est vrai, simple témoin, assistant, de façon lointaine et indifférente, à leur implacable mécanicité...

 

 

Comment résumer notre connaissance en quelques mots ? Le monde, amas d'énergies combinatoires soumis au temps (et à l'évolution) – unis à la conscience – et créés et, sans cesse, remodelés par cet espace de lumière infini et éternel qui en pénètre – et en éclaire – les éléments...

 

 

Le mensonge, voilà la pire chose qui pourrait nous arriver...

 

 

[Modeste bilan et regard rétrospectif]

A bien y réfléchir, j'aurai passé l'essentiel de ma vie à chercher la vérité. Avec obstination. Avec abnégation. Sacrifiant(1) à cette quête à peu près tout(2)...

(1) Mais est-ce vraiment un sacrifice ? Je ne le pense pas...

(2) Vie professionnelle, vie sociale, vie familiale...

J'aurai aussi passé l'essentiel de ma vie à essayer de me faire le plus lucide et honnête possible dans cette quête et dans la retranscription de mon cheminement* à travers les milliers de notes écrites pour en témoigner...

* Mon cheminement vers la compréhension...

J'aurai enfin passé l'essentiel de ma vie à dénoncer les horreurs et les absurdités commises par les hommes et à les inviter – autant que je l'ai pu – à s'interroger, à se remettre en question et à rechercher leur identité profonde et atemporelle pour faire advenir dans leur existence – et en ce monde – un peu plus de sagesse : des pas et des gestes portés davantage par l'intelligence et l'Amour que par les instincts presque indéracinables de la terre.

Voilà donc à quoi j'aurai consacré l'essentiel de mon existence. Autant dans mes actes journaliers que dans l'écriture (quotidienne) de mes fragments. Et pour quel résultat en définitive ? Je ne saurais dire... J'ai néanmoins la certitude (mais peut-être est-ce là une fausse impression...) que l'homme que j'ai été au cours de cette existence n'aura eu de cesse, dans sa grande naïveté peut-être..., de voir sa perception se transformer – et évoluer vers, je crois, plus d'ouverture, de largesse et de profondeur... Et peut-être même (allez savoir ?) vers davantage d'intelligence et d'Amour...

Et qu'importe après tout... J'ai le sentiment – et sans la moindre prétention, bien sûr – d'avoir toujours été fidèle à ce qui m'a toujours – et très précocement – habité et animé. Et d'avoir progressé autant que j'en ai été capable dans la direction qui m'a été dictée... Je n'ai à ce titre aucun regret (pas davantage d'ailleurs que dans les autres domaines de l'existence). J'ai réalisé autant qu'il m'a été possible* ce pour quoi je suis né... Et ce sentiment est pour tout homme (quel qu'il soit...) une grande source de joie tant il offre la certitude d'avoir répondu aux exigences de son destin...

* Et une intuition me dit que le chemin ne s'arrêtera pas de si tôt...

 

 

La naissance et la disparition, à chaque instant, de millions de phénomènes (êtres, formes, mouvements...) – et leur peu de poids (et d'influence sur les autres phénomènes) au cours de leur brève existence – ainsi que la façon dont chacun de ces phénomènes apparaît, fait (humblement et, malgré lui) ce qu'il a à faire et disparaît en s'effaçant de l'Existant (comme d'ailleurs de l'esprit des vivants) peuvent laisser penser que ces phénomènes n'ont que peu d'importance... Comme si, finalement, ils comptaient sur le plan individuel autant que sur le plan collectif (l'ensemble des phénomènes additionnés) presque pour rien... un peu comme si le monde phénoménal n'était qu'un jeu – qu'un simple jeu – de la conscience... Et j'ose néanmoins imaginer que ce presque rien fait toute la différence entre le néant et l'absurdité – la pure gratuité dérisoire en quelque sorte de l'Existant – et la célébration du merveilleux et de la joie (la joie d'être – d'être au monde et en vie) et la présence jubilatoire et malicieuse de l'intelligence et de l'Amour qui jouent à cache-cache* et nous éclairent...

* Avec nous-mêmes comme avec eux-mêmes... Et les deux, bien sûr, se confondent...

 

 

Le monde, source de frustrations et obstacle à la joie. Bien des hommes le croient – et l'appréhendent ainsi... à tort, bien sûr. Ils oublient (ou ne peuvent encore comprendre – et admettre) que l'origine du malheur est en nous : l'ignorance (du vrai), l'illusion de l'identité personnelle, les croyances, les craintes, les espoirs etc etc. Comment pourraient-ils savoir que sans ces dimensions encombrantes, la vie – et le monde – sont un paradis... ?

 

 

Le butin des hommes est maigre. Dérisoire. Et pourtant, ils poursuivent leur quête fébrile – et leurs exactions. Le monde a-t-il connu plus stupide animal ?

 

 

Nous aimerions partager la lumière. Mais nous ne participons, malgré nous, qu'aux noirs et communs sanglots de la désespérance...

 

 

Quand donc s'achèvera le temps des semailles, des moissons et de la jouissance ? L'ère du labeur et de l'exploitation – du profit et de l'usage plaisant et récréatif ? On aimerait tant entrevoir derrière l'épais rideau noir de la raison et des instincts, les premiers pas de l'être, de la joie et de l'Amour qui s'offrent – qui s'offrent toujours – dans la plus parfaite gratuité et la plus profonde oisiveté du cœur...

 

 

Ah ! Hommes ! Que l'horizon vous semble lointain... Je le vois à votre silhouette – à vos pas et à vos yeux – tristes et fatigués... Dieu ne vous a encore révélé le trésor des bas-côtés et des fossés où il est bon de se retirer pour voir, au loin, la joie s'approcher – et contempler, le cœur serein, la course folle et insensée... Quittez donc le manège des allures folles et des pas endiablés ! Retirez-vous du monde ! Et trouvez refuge sur une terre solide et sacrée à l'abri des mensonges et des obscénités ! Voilà, hommes, ce que l'on peut vous souhaiter...

 

 

Ah ! Que les hommes – et le cœur – sont pauvres lorsque les yeux gouvernent... Et que la main se fait blessante... A mille lieues encore de la lumière qui saura, un jour peut-être, les éclairer. Leur offrir la joie – le plus haut contentement et la plus grande richesse. Et transformer leurs gestes avides et brusques en caresses aimantes et tendres...

 

 

La beauté de la vie – et du monde – est cachée au dedans du cœur de l'homme. Et celui-ci est encore clos. Voilà pourquoi ils ne peuvent l'apercevoir. S'ils la voyaient – et s'ils comprenaient la nature (profonde) des liens qui les unissent, ils cesseraient sur le champ leurs massacres et leurs saccages...

 

 

Le noir de l'homme – et du monde – cisaillé par la lumière. Et leur misère entrecoupée par de courts instants de joie. Et la lumière du regard – et du sage – cisaillée parfois par l'obscur et la sombre folie des yeux et du cœur. Et leur joie parfois entrecoupée par de brefs moments de tristesse...

 

 

La rencontre avec un être – ou une œuvre – vrai(e) et profond(e) – consistant(e) – laisse sur l'âme une empreinte tenace. Et parfois indélébile. Comme si elle ouvrait, sans en avoir l'air (et parfois même sans que nous nous en apercevions...), une porte dans nos profondeurs. Nous révélant, si nous sommes curieux – et un tant soit peu disposés à y regarder de plus près –, des aspects – et même des pans entiers – de notre vérité. Comme si ces rencontres – si belles, si rares et précieuses – étaient une invitation – une permanente invitation – à découvrir la richesse de l'être...

 

 

Et si la gloire n'était pas ce que tu croyais, homme... Y as-tu seulement songé ? De simples pas dans le silence. Si légers... si légers...

 

 

En ce monde, l'horreur carnassière se repaît de la chair alors que brille partout le festin de la lumière...

 

 

Tant de tours splendides – et déjà croulantes – bâties sur le mensonge... Et en soi, la haute vigie des cimes. Innocente et rayonnante. Inaccessible à toute édification. Et que seule peut pénétrer l'âme des sous-sols, aussi proche de l'herbe que des étoiles, qui emprunte l'humble et solitaire escalier de l'en-bas...

 

 

Le mensonge et l'imposture sont le propre de l'esprit. Et l'on voudrait nous faire croire que l'on peut accéder à Dieu par la croyance... Quelle imbécillité !

 

 

Nous n'avons que notre pas. Et devant nos yeux, le chemin... C'est ainsi que l'on traverse le monde – et l'existence – pour accéder aux contrées de la vérité.

 

 

Celui qui parcourt le monde, découvre et apprend à connaître les routes et les paysages de la terre. Celui qui laisse l'âme arpenter son chemin, accède au ciel. Et découvre Dieu.

Dieu, le ciel, la terre et le monde ne sont jamais séparés. Mais seule la sente céleste permet au cœur de l'éprouver...

 

 

L'exercice de la simplicité et du dépouillement n'est, bien sûr, qu'un prélude à la nudité. Une retraite solitaire en un lieu isolé ou une longue marche nomade et itinérante sont d'excellents apprentissages. Mais ils n'ont de réelle valeur que lorsque l'esprit de l'homme devient capable de – et parvient à – les transposer dans son quotidien le plus familier. Le regard – et l'existence – se font alors simples et épurés – et les pas (et les gestes) naturellement humbles dans la vie la plus ordinaire et habituelle...

Tant que les désirs, les croyances et les espoirs les plus grossiers persistent dans l'esprit, l'homme est incapable de ressentir – et de recevoir – la présence silencieuse. Pour l'éprouver – et la vivre – une nudité minimale – et un taux d'encombrement psychique suffisamment faible – sont nécessaires...

 

 

L'innocence est – et sera toujours – la condition de la nudité perceptive.

Aux prémices de la marche, l'homme qui cherche éprouve souvent le besoin de se débarrasser des objets extérieurs – et de vivre, parallèlement à son processus de désencombrement intérieur*, dans un lieu dépouillé. Jusqu'au jour où la nudité perceptive est suffisante pour vivre en n'importe quel endroit (et dans n'importe quel milieu) même les plus chargés et les plus encombrés. Au gré des pas. Et selon les chemins et les vents du monde... même si, bien sûr, une existence simple – et un environnement et un habitat dépouillés – ont, en général, sa préférence...

* Désencombrement du cœur et de l'esprit.

 

 

Le monde est une métairie des songes éclairée par quelques étoiles (pâles et lointaines) où font halte tous les passagers. Et tous les marcheurs. Paysans aux sabots et aux rêves trop épais pour poursuivre leur route... Et qui y séjournent, le plus souvent, jusqu'à leur mort...

Pour continuer le voyage, il convient de se déshabiller – de se défaire de toutes ses frusques. Il n'y a d'autre possibilité pour découvrir – et marcher sur – le chemin de l'innocence car il nous faut nous présenter nus (totalement nus de la tête aux pieds) aux portes du royaume divin – et pouvoir ainsi pénétrer les terres du silence et de l'infini...

 

 

La vie – la mort, partout – à chaque instant – dansant dans les bras de Dieu. Et les corps vivants – meurtris. Et les esprits ravis – anéantis – continuellement. Et ni les yeux communs, ni le regard divin ne peuvent y échapper. Incapables de stopper la danse permanente, folle et insensée. Contraints d'assister, sans le moindre répit, à la ronde éternelle – funeste et joyeuse...

 

 

Pourquoi dire au monde ce qu'il ne peut – ni ne veut – entendre ? Pourquoi la parole s'acharnerait-elle à déchirer le vil silence des hommes pour les ouvrir à celui qu'ils refusent de découvrir – et de connaître ?

Et si nous décidions, à présent, de nous taire. De ne plus nous faire l'humble émissaire des infimes échos du ciel qui nous traversent...

Et si nous décidions simplement d'être. De contempler – et de goûter – le monde en silence...

Mais je sais – et je sens – qu'une voix en nous – la part peut-être (la part sans doute...) la plus humaine de notre être – gronde et se rétracte à l'idée de ne plus servir la terre...

 

 

Et si nous n'étions qu'un écho – qu'une image déformée peut-être – de la vérité...

 

 

Et si nous pouvions nous taire un instant – un seul instant –, Dieu serait-il davantage entendu ? Ne frapperait-il pas à d'autres portes pour qu'on l'entende ? Ah ! Qu'il est parfois difficile d'être un homme dans le monde – un bruit dans le brouhaha – lorsque Dieu (et le silence) vous demandent de vous faire leur modeste émissaire – et que vous n'avez pour accomplir votre tâche qu'un cœur – et des yeux – encore si imparfaitement humains... Mais c'est pourtant avec cet élan – et ces singularités – qu'il vous faut être homme du silence parmi les fureurs (crépitantes) de la terre...

Aussi pourquoi refuserions-nous d'être nous-mêmes...

 

 

Le souvenir, l'image et la pensée sont l'indigence de l'esprit encore inapte au silence et à l'infini...

 

 

Contrairement à l'ambition – à ses sillons noirs et à ses empreintes rouges si vivaces, l'innocence ne laisse de trace... Cœur et terre indemnes toujours au cours de son règne modeste et discret. Eloigné – si éloigné – des désastres laissés par le passage si tenace des désirs...

 

 

Toute question est (et doit être) métaphysique. Et toute réponse – et toute poésie – se faire spirituelles. Sinon à quoi bon le langage...

Pour quelles autres raisons userait-on des mots ? Pour parler de la pluie et du beau temps ? Des souvenirs et des heures qui passent ? Pour noter la liste des courses et comparer la couleur et le prix des articles ? Pour demander si le repas est suffisamment salé et où se trouve la sauce pour assaisonner le plat sur la table ?

Pourquoi corrompre la parole – et lui réserver ce sort pitoyable ? Pourquoi ne pas voir – ni même s'interroger sur – le réel et le regard (que nous portons sur lui) derrière les mots qui les désignent ? Serions-nous encore si primitifs et instinctuels – si prosaïquement animal – pour ne pas entrevoir le mystère – et le sacré – du monde et du langage ? Serions-nous encore si fermés à – et coupés de – la belle et mystérieuse réalité de l'être et de l'Existant ?

 

 

Et pourquoi donc cette colère – cette rage sourde et parfois explosive – qui gronde (encore) dans toutes ces notes ? Et pourquoi cette impatience – et ce désir fou – de voir se dissiper l'ignorance ? Pourquoi ne pas respecter son rythme naturel d'extinction ? Quelle caractéristique encore trop humaine persiste donc dans cette volonté ? Le regard, Dieu et le silence sont-ils courroucés par cette lenteur et cette incapacité...

 

 

Le gris et le noir effrayent – et font sombrer les âmes dans la désolation autant que le rose et la lumière attirent – et laissent espérer... Et pourtant, le regard se moque bien de la palette et de ses nuances. Comment pourrait-il ignorer que l'accueil de l'obscur et de la clarté – du désespoir et de l'espérance – est le seul gage de joie ?

 

 

Et si l'envers de la nuit n'était pas le jour ? Mais le grand sourire des yeux intrigués – et ouverts au mystère des couleurs...

 

 

Quand le questionnement prosaïque – si bêtement utilitariste – cédera-t-il donc la place à l'interrogation métaphysique ? Et quand l'Absolu – et l'essentiel – remplaceront-ils les nécessités contingentes et le superflu dérisoire dans les conversations usuelles et la vie quotidienne des hommes ?

Ah ! Que j'ai hâte... et que je paierais cher – tout l'or du monde – pour assister à de pareilles transformations... Mais pour l'heure, nous devons malheureusement nous contenter des mêmes bavardages, des mêmes anecdotes stupides et sans intérêt, des mêmes paroles sans épaisseur et des mêmes plaintes alimentés par les mêmes joutes grises (et incessantes) des lèvres et des poings sur l'horizon. Bref, rien – absolument rien – de nouveau sous le soleil de la terre...

 

 

Ecris – et vis – simplement pour la joie. Pour la joie d'être (et pour la joie de l'être, bien sûr...). Jamais pour les éventuelles leçons que ton cœur pourrait encore avoir envie d'offrir aux hommes. Ni pour entendre quelques louanges improbables à l'égard de ta sagacité et de ton impatiente sagesse que ton âme pourrait encore avoir envie de dénicher dans les yeux du monde...

Apprécie – et célèbre donc (en toi et pour toi-même – autant que pour le ciel et le silence) la liberté du penseur, la solitude du poète et l'heureuse fortune du marcheur – du passant sensible – indifférent à l'indifférence et à l'insensibilité des hommes...

 

 

Pour que l'Amour, fine pointe de l'intelligence, ne s'affaisse – et ne disparaisse de ce monde, l'homme ne doit enterrer la pensée – et l'interrogation profonde (et épaisse) sous l'autel des émotions. Ni assécher la sensibilité intuitive au profit d'une pensée froide et rationnelle profondément aveugle et réductrice. L'avènement progressif de la lumière dans l'esprit et le cœur est à ce prix. Sans sensibilité ni émotions, il ne peut réellement y avoir d'intelligence. Et sans intelligence, l'Amour ne peut éclore...

 

 

Le gris limpide du ciel immense sur les collines – et l'horizon noir – offre aux yeux l'un des plus beaux spectacles de la terre. Le cœur s'en réjouit. Et le regard contemple en silence...

 

 

En ville, les trottoirs et les vitrines surchargés, les yeux fermés et indifférents et le balai incessant des pas pressés. Et à la campagne, les détonations – et la présence abjecte – des chasseurs, les pétarades des motos (tout terrain) traversant les collines et le ronronnement bruyant des tracteurs. Mais où donc faudrait-il aller pour être (un peu) tranquille ? Où pourrait-on se réfugier ? Nulle part en ce monde, bien sûr... Notre seul abri est – et sera toujours – le silence du cœur, l'innocence de l'âme et la clarté du regard...

 

 

Ah ! Que me sont doux le chant des oiseaux et de la rivière et la caresse du vent dans les feuillages. Ah ! Que j'aime la solitude et le silence des collines... Il n'y a pour moi, en ce monde, de plus hautes réjouissances...

 

 

Inutile d'entraîner son âme à l'exercice des jours. Plus judicieux serait de la familiariser à la joie spontanée de l'instant. Et de lui en offrir la clé : l'innocence...

 

 

Que l'esprit et le cœur, à chaque instant, s'émancipent des heures, des souvenirs et des élans vers l'après. Et l'âme sera guérie de l'incertitude. Et de ses angoisses...

 

 

A cœur vaillant, dit-on, rien d'impossible. Mais qui sait qu'au cœur innocent seront épargnées toutes les batailles – et s'offrira la joie... ?

 

 

La permanente célébration de la vitesse et de l'innovation révèle le profond irrespect des hommes à l'égard des rythmes lents et des cycles récurrents de la terre. Comme si, en ce monde, s'affrontaient l'esprit – et ses désirs insensés de nouveauté et d'immédiateté – et la matière – et ses patientes constructions.

Il ne s'agit pas, ici, de dénoncer l'un et de se faire l'aveugle partisan de l'autre. Pas davantage que de se faire le chantre de l'immobilité et des traditions terrestres et le contempteur de l'évolution et du progrès du monde. Il s'agit plutôt de pointer les excès et les dimensions fortement délétères de la modernité en marche qui piétine la nature même de la terre – et fait preuve, très souvent, d'un profond mépris à l'égard de la matière et de l'organique au risque de les exterminer – et de les voir, en particulier dans cette folle période de révolution technologique, se transformer profondément et/ou disparaître définitivement...

Nul ne peut nier que les êtres, et en particulier les hommes*, ont longtemps souffert des lenteurs, des inerties et des « imperfections » organiques et matérielles, mais, pour autant, il serait idiot – et condamnable – de les éliminer (ou même de s'en défaire de façon si systématique et magistrale...). La raison principale tient à la double identité des êtres et des hommes, savant mélange d'esprit et de matière. Si la modernité venait à détruire leur dimension matérielle et organique, à la réduire presque à néant ou à la transformer radicalement (et sans même que l'esprit et la dimension spirituelle – si peu présente et si peu active aujourd'hui comme depuis l'origine du monde – puissent l'orienter avec intelligence, la pondérer et en corriger les excès et les abus), c'est la nature même des êtres, des hommes et du monde qui serait corrompue. Et c'est l'ensemble du peuple de la terre qui en pâtirait d'une substantielle façon...

* plus conscients de leurs déboires...

 

 

En cette tranquille après-midi hivernale, nous avons croisé (nous avons eu l'infortune de croiser...) une horde de chasseurs affairés à leur sanguinaire et abjecte occupation : une battue aux sangliers. Hommes en nombre – et en gilet orange – et meute hurlante de chiens ! Ahhhhhhhhh !!!!!! Comme je hais les chasseurs ! L'une des plus sombres et tristes engeances de l'humanité (avec, bien sûr, quelques autres...), porteuse des aspects les plus sordides de l'archaïsme et des traditions...

Mais dans cette rage et cette désolation qui m'envahissent dès que j'ai le malheur d'apercevoir l'ombre répugnante (et même lointaine) d'un fusil, une chose pourtant me réjouit (me réjouit au plus haut point) : dans leur infâme bêtise, ils croient tuer des animaux alors qu'en réalité ils ne font, sans doute, qu'ôter la vie à d'anciens chasseurs (et, en particulier, à d'anciens chasseurs humains). Et cette idée me fait jubiler (une jubilation certes un peu infantile et vindicative)... Comme une pauvre et dérisoire compensation à la colère impuissante qui me traverse à chaque fois que j'ai la malchance de croiser ces odieuses troupes de viandards armés, ignares et affamés...

 

 

En ce début de 21ème siècle, le mode de vie, l'environnement, l'habitat et les comportements humains demeurent en bien des contrées de ce monde – et jusque dans nos terres modernes et prospères – et en particulier dans les campagnes reculées – profondément moyenâgeux malgré la standardisation des désirs (et de la consommation) et l'invasion massive (un peu partout) des nouvelles technologies. Comme si les hommes appartenaient encore aux temps les plus indécrottablement traditionnels, primitifs, archaïques et ancestraux... Bref, des bêtes à peine sorties de leur caverne...

 

 

Conflits et alliances, voilà, bien sûr, ce qui régit les relations en ce monde. Relations entre les êtres et entre les formes. Et j'attends avec impatience le jour où l'innocence adviendra. L'Amour et l'unité alors les remplaceront... Et la paix régnera partout. Dans tous les échanges – tous les rapports et les liens – entre les différents éléments de l'Existant...

En attendant, que pouvons-nous faire sinon nous armer de patience... en contemplant, navrés et impuissants, les tristes spectacles de la terre. Et les affreuses – et toujours plus monstrueuses – exactions des hommes...

 

 

Ah ! Que j'aime être – et vivre – loin du monde. Loin des hommes et de leurs misérables et stupides activités. De leurs folles et bruyantes gesticulations d'exploiteurs ignorants et instinctuels soumis au règne de la bêtise, du psychisme et des représentations étroites et mensongères. Dans la quiétude silencieuse de l'âme et du cœur, que le monde aime tant à venir déranger...

 

13 décembre 2017

Carnet n°99 Le soleil se moque bien des nuages. Et la pluie ne l'affecte pas...

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Aux saisons folles qui se chevauchent... A la furieuse déraison des hommes... A la neige qui tombe en mai... Aux blessures que les pas infligent... A l’oiseau qui veille sur sa branche en attendant le printemps... Aux morsures du froid et des bouches affamées... Aux rondes incessantes des cœurs et de la terre..., le poète consent. Traduit les danses et les postures en cercles infimes – en petites griffures noires sur le papier. Et il n'a d'autre ambition : se faire plume dérisoire dansant dans les vents du monde et le grand ciel infini...

 

 

La vie est une infinie succession de gestes et de pas effectués tantôt dans un brouillard opaque et poisseux tantôt dans une brume légère et colorée. Mais éclairés d'une lumière toujours plus vive qui offre au regard une clarté toujours plus grande...

 

 

Lorsque les êtres – hommes et bêtes – obéissent à leurs instincts, on peut aisément les manipuler. Et en faire des jouets. En revanche, lorsque l'Amour et l'intelligence les gouvernent, rien ne peut les corrompre. Ils n'attendent ni ne cherchent rien. Ils agissent selon la situation. Et tous leurs actes naissent de la lumière qu'ils portent. Certes, on peut encore les piéger en créant artificiellement une situation afin de les attirer – et de les voir surgir dans les circonstances (encore que leur clairvoyance sait, en général, se prémunir contre ce genre de ruses...), mais jamais ils ne prêteront le flanc à une quelconque instrumentalisation...

 

 

La postérité d'une œuvre ? La postérité d'un livre ? Et après ? Ces pages ont-elles transformé – réellement transformé – le cœur des hommes ? Ont-elles réussi – et réussissent-elles encore – à les ouvrir à l'Amour et à la lumière ? Après les avoir lues, sont-ils capables d'aller sur les chemins du monde avec l'âme plus sage et innocente ? Et deviennent-ils, à leur tour, d'infimes instruments – et de modestes faire-valoir – de l'Amour, de la lumière et de la sagesse ? Non ? Alors à quoi bon la postérité...

Mieux vaut une œuvre modeste – et moins ambitieuse – qui frappe chaque lecteur de sa justesse. Qui traverse son cœur et son âme pour l'ouvrir à lui-même – et à la vérité qu'il porte en ses profondeurs...

 

 

L'hostilité de la terre et l'adversité – et l'indifférence – du monde (des êtres et des hommes) peuvent faire naître chez l'esprit et le cœur sensibles et solitaires, en particulier au cours des plus âpres saisons, un douloureux sentiment d'isolement et d'exil. Comme s'ils ne pouvaient, en ces lieux de sauvagerie glacée, compter que sur leur propre vitalité – et leurs propres Amour et lumière – pour trouver un peu de réconfort...

 

 

A l'heure où se couchent les bêtes, on voit les hommes revenir de leur longue journée de labeur. Amorcer les préparatifs de leur soirée et de leur stupide – et toute aussi longue – veillée distractive – passée devant la foule de leurs écrans bleutés...

 

 

N'écris que ce qui mérite d'être gravé dans la pierre. Ce conseil – et ce critère – effectivement limiteraient notre parole. Et son flot incessant. Mais nous aurions beau essayer de nous y plier, nous ne pourrions nous y tenir... La preuve, n'est-ce pas, avec tous ces commentaires superflus...

 

 

Toutes ces notes méritent-elles d'être écrites – et d'être lues? Qui peut savoir ? Et qui peut répondre ?

 

 

La solitude, la simplicité et le dépouillement ouvrent à l'innocence sensible qui ouvre, elle-même, au silence et à l'infini qui offrent l'Amour – l'être-Amour. Alors que la compagnie des hommes, leurs bavardages, leurs amassements et leur agitation éveillent la méfiance, la colère et l'orgueil qui nous cantonnent, malgré nous, au rejet, à la protection, aux jugements intempestifs et à la mesquinerie qui, à leur tour, nous ferment les portes de l'être et de l'Amour, faisant de nous des êtres aussi misérables que les autres. Et malgré ce sentiment, je sens derrière, à peine dissimulé, l'Amour qui nous enlace. L'Amour qui nous aime (tels que nous sommes) et qui nous pardonne...

 

 

Qu'est-ce qui, en ce monde, égaye ton cœur ? Que jamais tes pas ne s'en détournent...

 

 

Aux saisons folles qui se chevauchent... A la furieuse déraison des hommes... A la neige qui tombe en mai... Aux blessures que les pas infligent... A l’oiseau qui veille sur sa branche en attendant le printemps... Aux morsures du froid et des bouches affamées... Aux rondes incessantes des cœurs et de la terre..., le poète consent. Traduit les danses et les postures en cercles infimes – en petites griffures noires sur le papier. Et il n'a d'autre ambition : se faire plume dérisoire dansant dans les vents du monde et le grand ciel infini...

 

 

Mes lèvres embrassent le ciel. Et dans le ciel, la lune et le soleil célèbrent l'innocence de ma bouche. Alors que la terre me répudie. Et que les hommes ignorent – ou se moquent de – ma parole.

 

 

Le monde – et le livre (le livre poétique) – ne sont qu'un immense – et admirable – miroir dont les yeux des hommes se détournent, bien trop soucieux de voir briller – et resplendir – dans le regard de l'Autre leur silhouette dansante. Bien trop soucieux de cacher – et d'oublier – les larmes qui coulent au dedans de leurs pommettes souriantes – et rougies à force de coups et de mensonges...

 

 

Je laisserais volontiers mes grands amis les poètes juger de ma parole. Non de sa beauté. Mais de sa justesse. Mais mes chers amis ne sont plus. Disparus. Emportés par les siècles mensongers. Aussi le ciel est-il aujourd'hui le seul juge – et le seul témoin – auquel je confie ma parole. Et auquel je laisse le soin de décider de son destin ; l'abandonner dans quelques fossés et quelques tiroirs poussiéreux (dont on perdra la clé) ou la placer devant ceux dont elle pourrait aider le cœur...

 

 

Jamais n'accumule. Départis-toi de tout – de toutes sommes. Ôte et soustrais. Défais-toi des accumulations et des savoirs. Honore le rien. Et célèbre ce qui reste...

 

 

A quoi donc sont occupés les hommes ? Regardez-les. Et demandez leur ! Et ne soyez pas (trop) triste de ce que vous verrez – et entendrez... Sachez vous montrer patient ! Infiniment patient et bienveillant ! N'est-ce pas ainsi que l'on se comporte à l'égard des enfants...

Ne dites rien aux hommes qui pourrait les blesser... Ne les importunez pas avec des propos sur la vérité – et d'autres sujets essentiels ! Ne blâmez pas leur stupidité et leur manque d'intérêt... Ne vous attendez pas au moindre élan d'enthousiasme et de compréhension... Soyez simplement sans jamais faire taire celui que vous êtes... Et aimez votre solitude...

 

 

Dans l'intense passion de la pierre, il y a des pas légers et des empreintes délicates. Et des ailes d'envergure qui conduiraient la roche la plus dense au centre de tout comme au plus loin de l'univers. Qu'importe donc l'itinéraire ! Et qu'importe donc la matière ! Pourvu que le souffle soit présent, l'élan mènera au lieu où conduisent tous les voyages – et toutes les existences...

 

 

L'orgueil est l'obstacle le plus haut – et le plus infranchissable – à l'innocence, à la bonté et à la reconnaissance honnête et amicale de l'Autre – de sa présence, de ses qualités et de son œuvre sur notre vie...

 

 

L'écriture est une pelote – une pelote sans fin – dont on tire les mots comme des fils. Mais qui saurait dire à quoi ressemblera l'ouvrage une fois achevé ? Et qui pourrait dire à qui il est destiné – et l'usage que l'on en fera ?

 

 

J'appartiens – et ai fait allégeance – à la confrérie de l'herbe, des bêtes et des étoiles. Et comme mes condisciples, je serai à jamais banni de la société des hommes. Et qu'importe... si vous saviez comme notre cœur se réjouit de vivre loin de leurs cités...

 

 

Lorsque l'on chante les louanges de la terre – et que l'on célèbre les chants du ciel, la (petite) musique des hommes sonne à nos oreilles comme une dissonance. Et on ne peut mêler sa voix à leur fanfare. A leur concert bruyant et cacophonique. Notre labeur, tout entier, est dédié au silence et à la symphonie de l'univers...

 

 

On ne peut parler aux hommes de l'Absolu – de l'espace lumineux, infini et silencieux. Ni même leur demander de l'imaginer. Comment voulez-vous qu'ils le perçoivent ou le devinent... Autant exiger d'un aveugle ou d'un être qui a toujours vécu dans l'obscurité de découvrir – ou de se faire une idée – de la lumière cachée derrière le sombre et épais rideau noir qui l'a toujours entouré... Aussi il est inutile d'assommer les hommes de longues descriptions et de savants commentaires sur le merveilleux et l'extraordinaire du soleil – et de sa clarté...

 

 

Ah ! Que le ciel est doux – et bon – lorsqu'il laisse notre main courir en silence sur son carnet. Nul ne le voit mais le ciel – et Dieu – y consentent. Et leur acquiescement est un grand réconfort pour l'âme exilée de la cité des hommes...

 

 

Seul sous le ciel avec la main et le carnet dociles à ses impératifs et à ses exigences est l'une des grandes joies de cette existence.

Aussi inconnu et joyeux que l'herbe et la fleur des fossés...

Et marcher ainsi, humble et anonyme, sur la terre en gardant par devers soi l'immense richesse de l'âme et le grand savoir méconnu du ciel sans que nul ne le sache est un délice impartageable...

 

 

Que ressent donc le jeune chevreuil lorsqu'il doit aller seul dans le vaste monde – affronter ses dangers et faire face à ses peurs – pour apprendre à devenir libre et invulnérable malgré son innocence et sa fragilité ?

 

 

Ah ! Que les sentiers battus et les routes balisées sont aisés d'accès ! Et qu'ils sont faciles d'emprunt ! Mais si encombrés ! Si pauvres ! Et sans surprise ! Mieux vaut marcher sur les chemins de traverse, imperceptibles, le plus souvent, depuis les grands axes passagers. Voies insolites et désertes aux itinéraires et aux parcours tortueux, abruptes et difficiles (presque impossibles parfois) mais si riches en découvertes*...

* Sur soi et sur le monde...

 

 

L'homme a besoin – et se sert consciemment ou non – des autres, et en particulier de ses congénères (mais aussi, bien sûr, des objets et des activités) pour s'offrir une forme de consistance – une sorte d'épaisseur – que lui donnent le sentiment d'avoir un rôle et une quelconque utilité et l'assurance (fausse bien évidemment) d'une existence pas totalement vide et inexistante, pas totalement misérable et solitaire qui le renverrait, s'il en était dépourvu, à un vide existentiel – à un vide originel – absolument insupportable à ses yeux. Et l'homme est ainsi disposé à se plier à tous les efforts grégaires pour éviter ce qu'il considère comme un échec monumental et le malheur suprême... Quelle ironie lorsque l'on sait que ce vide – que cette vacuité – est non seulement une part substantielle – sinon l'essentiel – de ce que nous sommes mais aussi la porte qui nous y mène pour le vivre dans la plus grande joie...

 

 

A la source inouïe du mensonge se tient l'orgueil. L'origine de tous les désastres...

  

*

  

Parmi les plus hautes flammes de l'incendie l'innocence s'est réfugiée. Cherchant dans le ciel l'espace nécessaire pour être accueillie. Et trouver la force de rejoindre la terre enfumée. Irrespirable...

 

 

Les malheurs tiennent aux eaux boueuses. Et aux mares croupies. La joie, elle, n'a besoin de support. Elle se tient debout – et droite – lorsque l'innocence, toujours renouvelée, devient son socle, discret et invisible...

 

 

Qu'une seule âme soit sauvée des précipices et des cataclysmes. Et les êtres – et le monde – survivraient. Et retrouveraient l'ascension à l'exact endroit où leurs pas malhabiles ont magistralement échoué...

  

*

  

Papiers déchirés. Et l'arbre mutilé deux fois... Alors que la parole – imprimée en petits cercles noirs et serrés – aurait pu libérer les hommes, l'arbre et le monde... Et aujourd'hui, toutes les écorces – et toutes les peaux – sont à vif. Abandonnées au sort des mutilés...

 

 

Alors que pousse, discrète, une fleur sur l'escalier, les pieds de l'homme ont déserté l'ascension. La montée n'est plus que rêve. Fantasme confiné à l'obscur des caves. Et la lumière – l'idée de la lumière – un songe. Une ombre parmi les ombres.

Et autour de la fleur discrète, bientôt le lierre s'invitera. Et l'entourera – et l'étouffera de ses serres lentes. Recouvrant le gris du béton. Et l'espoir de tout soleil...

 

 

Partout le rectiligne à la surface. Monde de traits. Vertige de l'horizontalité où le vertical se confine – et se cantonne aux tours de verre et aux piles de billets entassés dans le noir des coffres – et dont on a jeté la clé dans les douves profondes des châteaux abandonnés à la faim cupide des mains bâtisseuses. Et au loin, un arbre, survivant, pleure devant le désastre...

  

*

  

Quelle chimère le cœur ne pourrait-il entendre...

 

 

Un livre. Tant de codes aisés et déchiffrables indéchiffrés. Et le poète pleure parfois ce grand gâchis de la parole. Pourquoi donc ses cris ne sont-ils entendus que par l'herbe et les étoiles ? Pourquoi les yeux – et le cœur – des hommes ne peuvent-ils s'affranchir de leur clôture ? Le monde serait tellement plus doux s'ils pouvaient entendre – libérer et rendre vivant – l'infini et le silence du langage – et de la présence – poétiques...

 

*

 

Les ombres espiègles se penchent – et jouent avec la lumière comme si elles devinaient la joie de l'étreinte. Et la libération possible dans la proximité de la clarté. L'extraction de l'obscurité ne vient-elle pas toujours du soleil ?

 

 

Ramures et passerelles anéanties. Ecrasées par la faim de l'homme. Et sa terreur de l'horizon. Monde de reclus et de tourelles où l'on enferme le bois pour se chauffer. Et où l'on détruit les ponts pour se protéger des étrangers – et de l'inconnu. Offrant le triste spectacle des frontières et de la désolation...

 

 

Pourquoi, homme, ne mets-tu fin à la marche folle des bulldozers soumis à ta fureur et à tes appétits bâtisseurs ? Ne vois-tu donc pas la dévastation née de ta faim ? A quelle gloire funeste succombes-tu donc pour être aveugle aux saccages ? Ah ! Homme ! Pauvre fou ! Tu es si soucieux de progrès et d'artifices que tu en oublies la beauté (naturelle) du monde – que tu la piétines et que tu la sacrifies – pour édifier partout la laideur... Quand donc, le sais-tu, le cauchemar prendra-t-il fin ? Faut-il que l'eau et l'air disparaissent pour que tu délaisses (enfin) tes engins – et tes ambitions de malheur ? Et que tu aies la sagesse de contempler, désolé et pleurnichant, l'abomination... Pourquoi n'as-tu pas l'intelligence de t'asseoir dès à présent au pied de l'arbre – et l'humilité nécessaire pour laisser la terre – et les êtres – choisir leurs paysages et leur destinée ?

 

 

Mieux vaut vivre que mourir, disent les vivants. Mieux vaut mourir que vivre, disent les morts. Mieux vaut être sage, disent les sages. Mais, en vérité, qui sait ? Qui peut savoir ? 

 

*

  

L'homme peut mourir en paix et sans regret, quel que soit son âge, pourvu qu'il ait le sentiment d'avoir pleinement vécu. Et accompli ce pour quoi il est né...

 

 

La bêtise humaine ? Une connerie orbitale qui devrait nous sidérer. Mais non ! Elle ne cesse de nous plonger toujours plus profondément dans les abysses cosmiques (et sans fond) de la stupidité hébétée et impuissante qui tourne indéfiniment en rond sur elle-même... et autour de tout...

 

*

 

L'homme. Semblable à la nuit qui dort...

 

 

La bouche des hommes inclinée vers la source. Buvant la joie à pleine gorgée. Quand – et où – ai-je donc fait ce rêve ?

 

 

Et j'ai vu, au loin, les étoiles se pencher sur les hommes. Et tomber avec eux dans la nuit...

 

*

 

Belle du jour endormie dans les buissons comme sur un lit de pétales dont la lune éclaire le visage. Comme une offrande au peu de sacré qu'il reste sur terre que les hommes n'ont eu ni la force – ni le courage – de piétiner : la grande innocence de l'âme dont nos mains continuent d'ébouriffer la chevelure...

 

 

Trois traits sur l'horizon. Trois lacérations. Les empreintes du sabre laissées sur la peau de la terre. Trois déchirures devenues failles avec le temps. Et l'horizon gris qui avance avec sa brume désespérante... Et les yeux des hommes, fermés... si las qu'ils resteront clos à jamais...

 

 

La lucarne des jours ensommeillés – au halo sombre – et aux lèvres mortes – accueille pourtant le restant de soleil épargné par les mains mutilatrices. Et, au loin, le soleil intouchable... Et devant nos yeux, la vitre embuée qui nous voile son éclat. Et nous fuirons encore, rampant comme des ombres, sur le sol lumineux...

 

 

Papiers froissés dans la chambre close aux rideaux ébouriffés. Comme un voile transparent sur la cruauté. Et l'arbre, au loin, toujours qui se penche pour surprendre les yeux défigurés par la magie incestueuse des couleurs sur la peau. Et le vaillant troupeau qui s'enfuit là-bas dans la brume des collines...

 

 

Et derrière la vitre brisée, le monde n'a disparu. La même terre. La même eau. Et le même ciel. Et l'arbre, toujours fier, qui nous regarde. Et qui ouvre les bras à nos mains comploteuses, insoucieuses de la poussière. Et qui demandent encore malgré l'empreinte de la suie sur les doigts capricieux...

 

 

Une aile – un ciel – gît parmi les taches de sang. Une croix derrière la haie du cimetière. Et les nuages au loin qui s'approchent. Et soudain surgit la plainte des hommes, démesurée à force de trop de silence... Que la lumière, lointaine, ne pourra contenir... L'horizon, de nouveau, se couvrira de brume. Les oiseaux s'envoleront pour une terre moins sombre – et moins rouge. Et l'oubli, une nouvelle fois, effacera toutes les traces...

 

 

Le soleil se moque bien des nuages. Et la pluie ne l'affecte pas. Le rayonnement intact sous les gouttes. Les critiques – et les temps mauvais – n'attristent que les silhouettes tristes, enfoncées encore sous l'horizon...

 

 

Le funambule accroché par un fil – un fil ténu – aux pierres et aux nuages avance dans le vent. Suspendu au dessous du monde. Picore ce qu'on lui lance depuis les montagnes et les gratte-ciels. Ne craint ni la chute ni les sommets. Il se tient là au milieu de nulle part. Il monte et descend – se balance parfois sur son trapèze – sans que nul ne le voit. Aurait-il trouvé son équilibre ?

 

*

 

Lorsque votre seul salaire vient de la joie que vous offre votre labeur et que nul ne sait à quoi vous œuvrez obstinément chaque jour, il peut arriver, de temps à autre (en particulier lorsque vous traversez une mauvaise passe), de ressentir pendant quelque temps (instant ou période) un sentiment de lassitude et de découragement*. Et dans ce dénuement et cette impuissance, vous ne savez vers quoi – ni même vers qui – vous tourner sinon vers votre besogne quotidienne pour trouver un peu de réconfort mais aussi – et surtout – la joie et le courage de reprendre dans l'allégresse – et l'oubli de soi –, les gestes et les pas nécessaires à votre tâche...

* voire même d’abattement.

 

 

Ne compare (jamais) ta vie au récit des sages. Tu serais déçu. Et désappointé. Et peut-être même découragé... Aie la sagesse d'être toi-même. Et d'avancer à ton rythme vers la compréhension avec tes propres caractéristiques – et selon les circonstances et les conditions de ton existence sans jamais te départir de la plus grande honnêteté...

L'honnêteté est essentielle. Elle est même primordiale. Toujours tu dois te montrer honnête. Honnête à l'égard de ce que tu es (de ce que tu crois être...). Honnête à l'égard de la vérité et de la compréhension (de tes représentations de la vérité et de tes fantasmes au sujet de la compréhension). Et honnête enfin à l'égard de ton cheminement vers la vérité (de ce que tu considères comme tes pas – et le chemin que tu crois devoir parcourir pour y accéder – de tes apparentes avancées aussi bien que de tes apparents reculs et stagnations)...

 

 

Que laisseront nos misérables et merveilleux tours de piste ? A peu près rien. Des empreintes sur la neige que feront fondre tous les renouveaux...

 

 

Le monde – et les hommes – si affairés. Si débordants d'activités et d'occupations, de préoccupations et de soucis qu'ils délaissent, malgré eux, l'essentiel. Essentiel qu'ils cherchent pourtant avec avidité et maladresse (et, le plus souvent, inconsciemment) à travers chacun de leurs gestes et de leurs pas dans le monde et la vie phénoménale* : le sentiment d'unité, la joie, l'exaltation, l'intensité et la paix inconditionnelles et inaltérables. Il faut les voir jeter leurs forces – toute leur énergie – dans la bataille – et leurs querelles de panier de crabes – devenant, à force de coups et d'endurcissements, presque totalement fermés et insensibles à la possibilité de l'innocence. S'éloignant ainsi de la seule voie possible de réalisation : le cheminement intérieur et perceptif, ce que d'aucuns appelleraient le travail spirituel et son double inséparable : la connaissance de soi...

* la plus basique et conventionnelle (travail, carrière, famille, vie affective et amoureuse etc etc.).

 

 

La lune éternelle – presque irréelle – comme posée sur la grande arche noire – et suspendue à je-ne-sais-quel fil invisible. Un pur instant de poésie... Comme un silence inespéré dans l'incessant brouhaha du monde – et un peu de lumière dans la longue nuit des hommes...

 

 

Poésie quotidienne. Poésie éternelle. Clin d’œil – et porte – du silence... Libre. Si légère et consistance. Gratuite. D'une épaisseur de pierre parfois... Et si lumineuse pourtant... Si méprisée par les hommes – et en particulier par les hommes ordinaires – aux prises avec le prosaïsme des soucis, les exigences de la chair et les rêves d'expansion et de fortune.

Poésie quotidienne. Poésie éternelle. Fenêtre quasi magique sur le réel. Et sur sa puissance cyclique et routinière. Comme une bulle d'air au cœur de la pesanteur. Et seuil accessible où viennent se lover l'espace infini et éternel et la lumière pour ouvrir – et éclairer – le cœur. Et faire de la terre un pays sacré, de la vie un chant d'amour et de l'homme une âme légère...

 

 

La solitude est la grande ennemie du monde. Mais elle est (pourtant) la meilleure amie – et la plus sûre alliée – de l'âme.

 

 

Un visage endormi reflète l'innocence magistrale – et originelle – de l'être. Et lorsqu'il se repose détendu et souriant, on devine, comme une évidence, la quiétude et l'apaisement consentant – et presque hébété – de la conscience incarnée, heureuse d'avoir revêtu une enveloppe de chair...

 

 

Jouer avec le monde est l'affaire du commun. Jouer avec la vie est l'affaire des ignorants, des monstres et des criminels. Jouer avec la matière est l'affaire des artistes et des esthètes. Jouer avec les idées est l'affaire des penseurs et des philosophes. Et jouer avec rien sans rien (ni personne) la grande et folle affaire des ermites et des sages... Ah ! Mon Dieu ! Que la conscience joue – et se joue d'elle-même – à travers nous...

 

 

La diversité est, bien sûr, une stratégie de survie* de l'Existant et du vivant. Mais elle est aussi un leurre – souvent infranchissable – pour les yeux naïfs, aveugles à l'évidence de l'unité...

* Une stratégie d'adaptation et de survie...

 

 

L'homme banni ou exilé du monde se retrouve (enfin) face à son destin. A l'enjeu métaphysique de sa présence terrestre qu'il a, le plus souvent, négligé ou oublié dans sa faim insatiable du monde...

Le monde devenu rêve peut alors s'effacer. Et l'homme devient prêt à se chercher. Et à se rencontrer. Même si, bien sûr, le voyage peut s'avérer lent, long et douloureux...

Mais on ne peut initier cette quête que lorsque la nostalgie, le regret, le désir et l'espoir du monde se sont éteints. S'ils restent vivaces, une partie de l'âme refusera d'abandonner le monde. Et ses champs de plaisirs terrestres continueront à la maintenir captive. Et à la soumettre à leurs illusions et à leurs (fausses) promesses jusqu'à leur complète extinction... 

 

*

 

[Le noir, la lumière et la couleur]

Participe à la nuit qui bouge. Et aux jours éteints...

 

 

Les traits du jour ne pourront freiner – ni effacer – l'infamie du monde. Ses élans et ses funestes détours. Mais ils éclaireront peut-être la nuit de l'homme en égayant le cœur de ceux qui s'en approcheront...

 

 

La couleur jetée sur la toile blanche du ciel. Comme un infâme bouquet de barbaries lancé à l'innocence. Et, soudain, l'éclat de la lumière révélé sur la terre et les horizons noirs. Sombres. Et maculés de rouge. Comme un soleil encore timide et lointain mais qui porte en lui la promesse de la clarté – et l'espérance du bleu dans les pas de l'homme...

 

 

Et si la couleur avait raison de s'obstiner à repeindre le noir... Et si le blanc avait raison d'effacer la couleur... Vie en patchwork dans l'obscur du cosmos et de la création. Et transparence de la lumière et de la conscience sur les nuances saillantes de la palette. Comme si Dieu était le peintre. Le monde le tableau. Et les êtres la peinture...

 

 

Le sommeil grandissant des hommes. Avalant tous les élans de beauté. Effaçant toute possibilité d'innocence. Noircissant la terre de tous ses désastres...

 

 

Et si le noir était le commencement de la lumière. Et si le gris reflétait la venue lente de l'esprit dans la matière sombre du monde...

 

 

Et si le noir n'effaçait ni le vrai ni la beauté. Mais soulignait leur présence... Le cœur de l'homme alors serait sauvé. Il lui suffirait d'attendre. Et de se retourner pour laisser la lumière se pencher sur ses taches...

 

 

Vivre sur une terre sans lumière – et sans soleil – serait insupportable. Un cauchemar aussi affreux que de plonger dans les abysses noires du cœur sans la moindre promesse de clarté. Comme si l'on ôtait à l'homme la moindre espérance de sagesse après l'avoir livré aux instincts de la terre. Nous deviendrions fous. Promis à une rage folle et désespérante. Insurmontable...

 

 

Une lumière au loin. Les pieds – et le visage – immergés dans les eaux sombres. Et une main qui se lève comme une folle espérance dans le ciel ténébreux...

Adossé aux silhouettes grises – immobiles et trempées – de ses congénères. Voilà le sort de l'homme à l'orée des chemins. Au dessous même de l'horizon. Avant le premier pas. Et la découverte de la foulée libératrice...

 

 

L'émergence d'une tête dans les rues assoupies des cités fait naître un espoir, incapable pourtant de percer la glace où gisent, enfoncés, les vivants. Aussi malhabile que le souffle chaud des haleines... Il faudrait le miracle d'un désir féroce, insurpassable, pour s'extirper des marécages noirs et givrés. Et la main forte et agile d'un Dieu intérieur pour briser la malédiction lacustre...

 

 

Il n'y a de nuit indulgente. Le sommeil emportera tout. Et recouvrira le reste. Il nous faut attendre l'aurore – et le jour – pour apprendre à aimer. Et à pardonner l'obscur des cœurs où les âmes sont emprisonnées...

 

 

Nous sommes morts. Presque enterrés. Et pourtant jamais notre œil ne s'est fait aussi large. Et notre souffle plus vivant. A présent, nous regardons le monde – et les corps – depuis la crête invisible au dessus de l'horizon. Et nous rions de la vie et de la mort depuis les rivages de l'éternité.

 

 

La magie des mains dans le grand ciel coloré...

 

*

 

Et si l'avenir du monde – et de la terre – tenait tout entier dans notre sensibilité – et notre ouverture – au souffle du ciel. A son travail incessant sur notre âme... Mais les hommes, encore trop prosaïques et immatures, n'y entendent rien. Comment pourraient-ils y être réceptifs....

 

 

Les collines – à perte de vue – jusqu'à l'horizon. Comme d'immenses vagues terrestres nées des entrailles du monde. Et figées aujourd'hui dans le grand océan de la roche et des forêts...

 

 

A quoi tiennent les malheurs de la terre sinon à ses forces naturelles et à la main indélicate de l'homme parachevant, en quelque sorte, la puissance destructrice des origines...

 

 

L'esprit (le psychisme) aime – et ne peut s'empêcher de – s'emplir de souvenirs, de pensées, de rêves et de représentations. Comme il aime – et ne peut s'empêcher d' – entourer le corps d'êtres et d'objets. Il s'offre ainsi une forme (illusoire) d'épaisseur existentielle et une source (tout aussi illusoire – mais provisoirement suffisante à ses yeux) de sécurité, de soutien, de confort et de réconfort. L'esprit ne peut agir autrement...

Cette inclination à s'emplir et à s'entourer est une manière naturelle, essentielle et primordiale (bien que réactive à ses peurs fondamentales...) de se sentir exister. La présence d'images et d'idées (en lui) et la présence d'êtres et d'objets (autour de lui) le rassurent, lui donnent le sentiment d'adoucir la rudesse du monde, de remplir la vacuité de l'existence et d'échapper, en partie, au sentiment de solitude. Et en amassant et en s'entourant ainsi, il croit pouvoir vivre – et traverser l'existence – de façon plus confortable. L'esprit de possession naît de ce besoin irrépressible... Mais l'on peut dire que ce dont l'esprit s'entoure – et ce qu'il fait sien – (êtres, objets, rêves, pensées, représentations etc etc.) ne sont, d'un certain point de vue, que de simples accompagnants...

Et en dépit de « cet entourage » et de « cet accompagnement », nul homme ne peut ignorer que le corps ira seul* dans la mort. Et l'esprit – s'il est lucide – sait pertinemment que rien ni personne (aucun objet, aucune idée, aucune « possession » ni aucun être), de la naissance à la mort du corps, ne pourra véritablement combler son sentiment de solitude car la solitude ne peut être effacée d'une quelconque façon puisque l'esprit est, en réalité, la conscience, le seul et unique sujet en ce monde d'objets...

* Et avec ce qui le compose...

 

 

Terre de bavardages. Terre de mensonges et de rumeurs. Terre de clinquant et d'amnésie où l'on encense le spectaculaire et l’esbroufe. L’apparence et l'inconsistant. Où l'on nie la vérité – et déprécie le sérieux et l'authenticité de la parole. Reléguant ainsi la pensée et la poésie à l'exil et à la clandestinité. Triste époque...

 

*

 

Un cadre dans le ciel. Comme une ouverture immense. Et la nacelle des songes qui s'envole aussitôt. Laissant la fleur éphémère à la beauté éternelle de la terre. Et l'âme enjouée. Heureuse des partances et de son bref séjour dans le monde aux côtés de l'innocence retrouvée...

 

 

L’œuvre des hommes. Des traits et des taches sur le grand buvard de la terre. Et que le ciel efface aussitôt. Comme l'éternel brouillon de la perfection sur le palimpseste transparent... Le travail indéfiniment recommencé de l'ascension vers le lieu où Dieu se trouve déjà. Et à portée de regard, bien sûr, – caché tout au fond – pour chacun... Comme si l’œuvre des mains et les empreintes des pas ne comptaient presque pour rien... Comme si la gloire n'était sous l'emprise d'aucune âme. Ni d'aucune ambition. Des dessins sur le sable, dévastés à chaque nouvelle vague et effacés à chaque nouvelle marée... Alors que dire au ciel... et que dire aux hommes... Les laisser, sans doute, à leurs sages – et furieuses – besognes...

 

 

Nous croyons construire. Nous croyons édifier et façonner le monde. Mais qui sait que Dieu – et le ciel – effacent d'un souffle – et d'un léger revers de main – tout labeur. Et que l'effort est toujours vain. Et que la joie est toujours dans le geste séparé de son ambition. Pourquoi le monde – et le ciel – ne l'ont-ils donc pas encore révélé aux hommes ?

 

 

Superposons le ciel et la souffrance, dit le sage. Et pourquoi diable n'y a-t-il aucune intersection se demandent les hommes (avec tant de naïveté)...

Et pourquoi donc la mer emporte-t-elle nos édifices ? Et pourquoi donc l'infini nous ferme-t-il ses portes ? Regardez davantage – et avec plus d'acuité – répond le sage. Ne voyez-vous pas dans l'effacement le clin d’œil – et l'invitation – de l'infini ? Ne sentez-vous pas la joie inaltérable de l’évanescence – et du geste dépouillé d'intention ? Ne comprenez-vous donc pas que Dieu – et l'infini – y sont déjà présents ? Ah oui ! Peut-être... marmonnent les hommes (guère convaincus)...

 

*

 

Les hommes s'éloignent de notre parole comme si elle était ingoûtable. Impartageable peut-être... Comme si l'innocence seule pouvait s'y faufiler pour rejoindre le ciel – et le goût inaltérable de la grande joie sensitive...

 

 

L'absorption et l'amassement(1) sont les reflets étroits – et corrompus – de l'unité(2).

(1) Et en particulier l'amassement psychique...

(2) L'unité de la conscience avec le monde phénoménal et objectal...

 

 

La connaissance est, à certains égards, le contraire du savoir. Alors que ce dernier naît de l'accumulation, la première ne se révèle que dans l'effacement... Quant à la sagesse sans doute pourrait-elle être définie comme la connaissance laissant jaillir spontanément, à chaque situation, le savoir (et le savoir être) naturellement acquis par l'expérience et l'apprentissage nés de notre existence au monde...

 

*

 

Des empreintes et des griffures sur la glace brisée. Comme une écorchure dans l'opacité. Impuissante à fendre l'épaisseur qui voile la lumière. Jamais le dégel et la transparence n'appartiendront aux siècles. Et jamais les échafaudages et les engins de perforation n'auront d'effet. Le cœur – et les saisons – toujours se chargeront de faire fondre les couches superflues. Aidés par la puissance de la main – et le souffle – de Dieu...

 

 

Des oiseaux sur une branche. Des nuages dans le ciel immense et gris. Et la constance de la terre vouée toute entière à sa tâche...

 

 

Sur la page, dans le ciel comme sur l'horizon, les mêmes marques de prétention. Et, en filigrane, l'empreinte invisible de l'innocence célébrant l'être et le monde...

 

 

Le monde. Comme un poulpe noir aux reflets argentés et aux tentacules monstrueux et pensants – légèrement pensants – pris dans les mailles du filet tiré par les hommes, encore plus bestiaux et décérébrés que leur malheureuse proie...

 

 

Et partout le corps abondant des hommes qui se repaît de la chair abondante du monde. Si aveugles et insensibles aux particules infimes de lumière. Refusant le festin offert par le labeur acharné des anges et des étoiles...

 

 

Du premier au dernier jour sur la terre, l'inflexibilité du programme opacifiera les yeux. Et reléguera aux caves obscures la radieuse invitation de la lumière. Et pourtant l'on entend les hommes – certains hommes... parmi ceux que l'on dit éclairés... – parler du silence et de la clarté du regard. Et nous inviter à les retrouver... Mais comment pourraient-ils y prétendre ? Autant demander à un fou enfermé dans une pièce sombre, le visage enfoncé jusqu'au cou dans un entonnoir, de s'extirper de l'obscurité et de l'ignorance et de décrire – et de célébrer – le soleil et la sagesse...

 

 

Toutes les échelles et toutes les grues du monde – et même nos édifices les plus hauts – ne sauraient nous aider à atteindre le ciel. L'âme humble, elle, sait qu'elle n'a qu'à regarder le bout de ses souliers pour que l'envol devienne instantané...

L'innocence est l'aile de l'infini. Et la parfaite humilité, le marchepied de la gloire silencieuse. Et les hommes n'auront plus, le jour venu, qu'à remiser leurs échelles et leurs grues – et à abandonner leurs édifices aux gouffres du temps. Le soleil sera présent dans leurs yeux dès la fin du crépuscule...

 

 

Dans les hautes ramures de la terre, l'encens, les bougies et les banderoles impromptues à la gloire du Père et des origines suspendues là depuis des siècles par les hommes comme de vaines prières. Les intentions nobles sont insuffisantes à percer le ciel – et à en faire retomber les bienfaits sur la terre. Le ciel doit descendre au plus bas et soulever les âmes au plus haut. Ainsi seulement les belles aspirations pourront se transformer en regard innocent et en actes justes portés par un Amour profondément azuréen...

 

 

Pris dans la trame comme la mouche dans la toile grise et magique de l'araignée qui emprisonne le corps et rend les ailes et les élans inutiles. Presque encombrants tant ils épuisent sans délivrer...

Plonger dans la brisure, il n'y a d'autre délivrance...

 

 

Sombre est la terre. Et lumineux est le regard. Quant aux hommes, ils seront toujours en équilibre précaire entre l'opacité et la transparence... sur le chemin qui mène des instincts noirs aux gestes de lumière...

 

*

 

Rien ne nous appartient. Ni le corps ni ce que les hommes appellent leur existence. Et moins encore l'âme et le cœur, présents intentionnels offerts à leur acuité curieuse. Et à leur incoercible besoin de compréhension et d'identité. Ainsi est né et s'achèvera le monde...

 

 

La chute sera toujours plus grandiose – et plus prometteuse – que l'ascension. Et toujours elle sera une surprise – et un présent inespéré – pour l'homme si coutumier de l'effort et de la vaine (et harassante) montée des sommets. Et pourtant... Dieu sait qu'il est aisé de laisser libre la foulée. Comme il sait que les hommes, malgré leur esprit de lutte et de conquête, ne se privent jamais de la laisser filer au gré des instincts sur les voies de la facilité... Mais bien plus ardue est la liberté du pas juste et éclairé. Le seul pourtant que Dieu – et la terre – réclament...

 

 

Grande est la source de joie. Immense. Bien plus forte que la férocité du monde...

 

 

Même ici, dans cette campagne reculée, on ne peut échapper à l'humanité... Faudrait-il donc s'extirper de sa propre humanité pour que l'humanité ordinaire – les animaux humains à l'esprit opaque et aux mains indélicates – nous laissent enfin indifférents...

 

 

Le poids des soucis. Charge pesante et insurmontable parfois sur la balance de la lumière qui fait immanquablement pencher du côté du sombre et de la tristesse. Et que l'innocence d'un claquement de doigt – et d'un simple clignement d’œil – peut effacer pour nous faire basculer sur le versant de la joie.

 

 

Une pensée, une croyance tenace, un souci, un espoir. Et nous voilà déjà absents à nous-mêmes. Comme si l'être s'éloignait du regard. Et que nous retombions dans ces deux petits yeux tout bêtes. Et si aveugles...

 

 

L'homme n'est, bien souvent, qu'un ventre qui espère de l'horizon. Comme si la lumière n'éclairait que sa faim insatiable – et les indigents et merveilleux trésors que le monde recèle. Ah ! Pauvre de nous qui n'avons pour lui qu'un seul rêve : qu'il devienne un œil dans la lumière et une main aimante et secourable. Et je crains malheureusement que nous serons morts bien avant que ne s'achève l'infâme besogne – et que ne s'éteigne le fantasme...

 

13 décembre 2017

Carnet n°98 La poésie, la joie, la tristesse et l'inhumain

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Dans la main du sage, une étoile s'est posée. Comme une brûlure de joie sur la chair fragile. Comme un soleil infime venu éclairer – et réchauffer – l'espace alentour, le cœur meurtri des hommes et l'âme toute froissée du monde.

Le rouge-gorge et la mésange m'ont appris l'innocence. Et m'ont offert le courage d'aller, vulnérable, parmi les hautes frondaisons de la terre...

Avez-vous remarqué la silhouette agenouillée du sage... Ses yeux baissés devant les arbres... Sa bouche muette devant les splendeurs de la terre... Avez-vous remarqué son front modeste – et ses lèvres tendres – baiser les sols rugueux du monde... Avez-vous remarqué sa façon de se lover contre les pierres et la roche dure des collines... Et son ombre docile se plier à toutes les exigences... Et la bonté de son cœur... Et la timidité de son âme... Croyez-vous vraiment qu'il soit apeuré ? Pensez-vous qu'il craigne le divin courroux ? Oh ! Non ! Grand Dieu ! Pas le moins du monde... Regardez donc ses yeux fous et caressants – et cette lumière qui irradie du plus profond de la joie – et qui enlace le monde – et tous ses chemins – de son grand Amour...

 

 

Un soleil – un infime soleil – suffit parfois au délitement de l'ombre...

 

 

Ah ! Si seulement la poésie pouvait devenir nourriture pour l'homme, elle contenterait alors (presque) toutes les faims...

 

 

Herbe rouge et soleil bleu pour celui que l'éclatement n'aura sidéré. Et qui aura su transformer l'effroi en hébétude.

La surprise et la grâce ne s'offrent qu'aux yeux innocents. Les autres toujours verront, à travers leurs craintes et leurs espoirs, l'herbe verte et le soleil brûlant recouvrir la terre noire et désespérée.

 

 

Le miroir, le reflet et les visages grimaçants aussi innocents que les pierres blanches du chemin...

 

 

L'émiettement de l'horizon n'égaye que les cœurs innocents. Les autres, on les voit s'agenouiller devant les ruines, verser des torrents de larmes, inconsolables et désespérés... Et se relever bientôt pour reconstruire tous les édifices à l'identique – et plus beaux et plus grands encore chez les plus ambitieux...

 

 

Entends-tu, mon ami, le silence de ton oreille chaste ? Que ton écoute se fonde en lui, et tu pourras (enfin) accueillir le monde si obscène et si bruyant...

 

 

Ah ! Que les cieux semblent lointains aux hommes impropres à la sagesse... En quel recoin Dieu s'est-il donc retiré pour demeurer ainsi invisible à leurs yeux...

 

 

Tel un oiseau picorant quelques graines dans un vaste champ, le poète – dans un mouvement inverse – lance sa parole – sa pauvre parole – dans l'infini silencieux. Et qui l'écoute sinon les étoiles... Et qui l'écoute sinon l'univers qui accompagne son chant...

Les hommes, eux, délaissent l'oiseau et le poète, trop occupés à brûler la terre. Leur compagnie est trop peu lucrative. Que valent – et que rapportent – donc l'oiseau et le poète ? A peu près rien...

Et tant pis alors si l'infini qu'ils chantent n'éblouit que les étoiles...

 

 

Dans l'intimité de l'oiseau et du poète, les étoiles – et le grand ciel inconnu – se dévoilent. Confient leurs plus ardents secrets que les hommes, voués tout entiers à leur stupidité animale, continuent de tenir pour un grand mystère...

 

 

Que craignons-nous ? Et pourquoi avons-nous si peur ? L'inconnu – et l'incertitude – ne sont-ils pas les plus belles contrées en ces terres si fréquentées – et si prévisibles – où les hommes creusent de larges sillons à force de les arpenter ? Chemins si routiniers qu'ils ne savent plus même voir... Mais les ont-ils seulement déjà vus ?

 

 

Le rouge malhabile sur les lèvres des femmes. Comme une invitation à goûter le sang. Et l'âme qui bat au fond des veines...

 

 

Malgré les rires, les étoiles et les paillettes, le cœur – et la terre – des hommes sont noirs. Inguérissables tant que les guirlandes orneront – et recouvriront – l'accès à la porte inconnue devant laquelle ne patientent que quelques âmes insurgées. Quelques cœurs dissidents exilés des fêtes tristes offertes à la morosité.

 

 

L'école et l'université ne forment plus la jeunesse à devenir des hommes. Elles n'offrent plus une éducation digne de ce nom – avec ses impératifs de savoirs et ses exigences visant à répondre aux grands défis des interrogations humaines – questionnements philosophiques, métaphysiques et spirituels – et à l'enjeu primordial d'un vivre-ensemble – hommes, bêtes et plantes – plus respectueux et harmonieux.

L'école et l'université ne visent plus qu'à former des agents de production dans tous les domaines investis par les hommes (production agro-alimentaire, production industrielle, production de services et production « intellectuelle »...). Bref, elles se cantonnent désormais à leur apprendre les compétences nécessaires pour faire fonctionner le monde et la société.

Voilà sans doute l'un des grands drames de l'humanité – symptomatique à bien des égards de l'indigence contemporaine...

Et tant que l'on ne replacera pas les fondamentaux humains au centre de la vie et de la société – et au cœur même de l'existence de chacun – le monde poursuivra sa marche inhumaine (de plus en plus inhumaine), glissant vers une technicité de plus en plus monstrueuse. Ouvrant ainsi la porte aux pires systèmes et aux plus infâmes organisations et à une forme de dégénérescence en mesure de corrompre jusqu'aux plus essentiels fondements de l'humanité*...

* Et façonnant ainsi un avenir bien sombre...

 

 

Nul, en ce monde, ne peut être blâmé pour ses attributs, ses caractéristiques et ses penchants. Et pas davantage pour ses comportements, ses actes, son degré d'intelligence, ses capacités réflexives, sa sensibilité, la manière dont il mène son existence et la façon dont il est amené à évoluer...

La vie a doté chacun différemment. Et personne – pas même, bien sûr, l'individu concerné – n'en est fautif ni responsable. Chacun mène la barque de ses jours et fait son possible selon les dons qui lui ont été offerts et les instruments qui lui ont été fournis... Selon ce qu'il porte... Selon son idiosyncrasie, l'intelligence et la sensibilité qui lui ont été accordées.

Et il semble que chacun, à travers ses gestes, ses pas et ses paroles (quels qu'ils soient) participe de la plus juste façon – et malgré lui – à l'économie générale du monde et de l'univers. Occupant ainsi la place (au sens le plus large du terme) dont le monde a besoin même si certains attributs, certaines inclinations et certains agissements, en particulier ceux qui se montrent fort délétères et meurtrissants, peuvent heurter notre sensibilité et notre intelligence...

Il en est tout simplement ainsi... Nul en ce monde (et dans cet univers) n'a la capacité de choisir – et de décider de son rôle et de sa fonction. Chacun est contraint de s'y prêter. Et de s'y plier quoi qu'il lui en coûte en usant des outils dont on l'a pourvu pour mener à bien – si l'on peut dire – ce pourquoi il est né... Et qu'on le veuille ou non, il ne peut en être autrement... Et malheureusement, l'accès à la conscience (à la lumière et à l'Amour) ne diffère pas, en la matière, des autres attributs dont chacun hérite* à la naissance...

* Héritage lié, sans doute, à l'histoire antérieure de la probable entité qui habite chacuncapable de traverser la mort pour passer d'existence en existence...

 

 

Ecrire pour l'humanité ? Quelle idiotie ! Lorsque l'on est témoin du comportement des hommes – et que l'on comprend réellement à quoi ils aspirent –, on serait parfois tenté de se couper la main. Ou, de façon moins violente, de réserver notre parole aux âmes en chemin et aux cœurs respectueux en quête d'innocence et de vérité. Les autres, je crois – et sans le moindre mépris (ni la moindre condescendance) – n'en sont pas encore suffisamment dignes...

 

 

Il m'arrive parfois de faire un rêve. Un rêve de fin des temps – au futur antérieur improbable... 

Arrivés à l'orée des mondes, les hommes surent. Comprirent – et reconnurent – la maladresse aveugle et la barbarie de leurs pas. Et la terre flamboyante put alors s'embraser. Et guérir dans la lumière neuve du regard – et des jours. Ainsi le monde – et l'humanité – furent sauvés de tant de désastres...

 

 

Dans les drames – et les hautes déconvenues – se jouent les pas de l'homme. La survenue possible de l'innocence. Et le désir de lumière.

Chérissons, hommes, la souffrance terrible de la terre dont nous nous relèverons plus clairs après nous être agenouillés...

 

 

Sous la coupe du plus infime des jours, nos bras seront toujours légers – et nos pas toujours dociles et joyeux – pourvu que l'innocence ait pénétré le regard. L'ait débarrassé de ses lourdes sacoches pour l'investir tout entier. Il n'y a d'autre espérance, homme. Et prions la terre – autant que le ciel – pour que notre cœur – et notre âme – sachent l'accueillir...

 

 

Une parole trop peu humaine ne peut servir la bêtise(1). Pas davantage qu'elle ne peut l'aider(2) à accéder à la lumière. Et les oreilles sourdes – et les esprits aveugles – n'y verront qu'un amas supplémentaire d'obscurité qu'ils prendront pour un trait de folie. Ah ! Qu'il est donc difficile d'écrire à l'intention des hommes...

(1) encore que...

(2) et là encore, rien n'est moins sûr...

 

 

Encerclé par la nuit profonde, que la lumière semble lointaine... Comment les yeux pourraient-ils voir ce que leur cachent leurs entassements ?

 

 

Par la fenêtre, je ne vois que de sombres figures. Et, au loin, le ciel lumineux. Et la promesse de l'aube suivante...

 

 

Ah ! Si seulement le jour et la lumière pouvaient nous être contés par la nuit – et les obscurs précipices du cœur ? Et pourtant, ce sont eux – mais qui le sait ? – qui nous les révéleront...

 

 

Ne te défais jamais, ô poète, de ce regard ! Que ta main devienne lasse et ta parole paresseuse devrait peu t'importer... Tant que demeurera le regard, tu ne pourras mourir, poète ! Et lorsque le silence aura suffisamment enveloppé ton âme, la parole ne sera plus nécessaire... Ta présence suffira... Elle deviendra aussi claire que le ciel – qu'assombrissaient pourtant autrefois tes petits cercles d'encre noire dans leur désir si ardent de le révéler aux hommes...

 

 

Que notre âme se fait donc joyeuse dans la tristesse – et la noirceur – du monde ! Et pourtant rien ne lui plaît davantage que de rester seule avec le ciel – et auprès des cœurs solitaires qu'elle accompagne, sans même le savoir, de sa retraite silencieuse...

 

 

J'honore l'épais brouillard des jours qui m'isole des hommes. Et le vent vif et hurlant qui éloigne leurs cris et leurs plaintes – en les cantonnant dans la plaine grise où ils ont bâti leur cité. J'honore aussi la vie sage des arbres. La joie radieuse de l'herbe. Et l'accueil des pierres qui offrent à mes pas la souveraine assurance du silence. Et à mes gestes la grâce – et la légèreté – de l'infime, humble et enfin réconcilié avec la belle – et grande – solitude de l'infini...

 

 

Les adieux des hommes ne sont qu'un au revoir magistral dont les cérémonies distillent un faux parfum d'éternité. Et qui occultent la flamme intarissable de la continuité par delà la vie et la mort que les âmes (pourtant) traversent sans encombre...

 

 

La bêtise, les craintes, la raison et le prosaïsme des hommes dépoétisent la vie et le monde. Et les confinent à la réification utilitaire. Ainsi naissent l'horreur et la misère...

 

 

La chair toujours se nourrira de la chair. Mais lorsque l'esprit sera libre des appétits et des dents carnassières, l'Amour présidera à tous les festins...

 

 

Au plus près du silence des pierres. A l'abri de la folie bruyante des hommes. Et le geste lent de la main qui célèbre la sagesse de la terre dévastée par leur furieuse barbarie...

 

 

L'Absolu – sa lumière et sa tendresse –, l'innocence et le simple, voilà ce que j'honore. Voilà ce que je célèbre – et ce que je chéris (par dessus tout) en ce monde d'anecdotes et d'ignorance, de noirceur et de violence, de ruses et d'inutiles complications. Et que les hommes ont portées à leur plus haut degré d'ignominie...

 

 

Arrêter d'écrire ? Pour quelles raisons y concéderions-nous ? L'écriture nous vient comme un souffle naturel. Aussi nécessaire que l'air que nous respirons...

 

 

Au bras de l'Amour que pourrait-il arriver ? Les bouches pourraient continuer à lancer leurs flammes, les insultes à pleuvoir, les esprits et les poings à jeter leurs ruses – et leur véhémence –, notre figure resterait intacte. L'âme toujours sortira indemne des circonstances. Et malgré les coups, les brimades et les malheurs qui s'abattent – et s'abattront toujours – sur la chair et les cœurs, nul (et rien) ne pourra jamais entacher le sourire inaltérable de nos lèvres. Pas même les cris et les grimaces qui tordent parfois notre bouche...

 

 

L'Amour, la fine pointe de la lumière...

 

 

Dans le jour naissant, la lumière monte de l'horizon. Haute clarté frappant l'ombre des silhouettes. Les ridiculisant à midi avant que le grand soir ne leur offre une envergure démesurée – et que les yeux du monde observent, fascinés, prisonniers – éternels prisonniers – de l'illusion optique...

 

 

Les hommes, misérables détenus des joutes tribales. Encerclés par la haine et la violence des lames. Insensibles à la voix qui murmure – et qui invite à déposer les armes. A s'agenouiller dans l'herbe rouge gorgée de sueur et de larmes. Et à ouvrir les bras – et le cœur – au ciel innocent...

 

 

Et même le plus calme des jours ne saurait nous inviter au silence.... Il faut avoir fait bruisser les pierres – toutes les pierres – sur tous les chemins du monde pour découvrir son ampleur. Et la vaste étendue intérieure où il loge depuis toujours...

 

 

Au pouvoir – et à ses sommets –, les mots succéderont aux poings avant que le silence n'étende partout son règne...

 

 

Et je vois à présent, avec clarté, le sage Hölderlin, fou aux yeux des hommes, dénicher la parole chérissante – la belle parole silencieuse – dans sa vie paisible avec l'aide (complice) du ciel – et des étoiles taquines. Je le vois rentrer dans sa chambre chez le bon vieux Zimmer à Tübingen après un orage d'été. Pousser la porte et s'asseoir à sa petite table pour rédiger sans empressement les notes éparses glanées lors de sa longue marche dans le jardin. Parcourant la ville et la campagne alentour depuis le petit banc de bois – ou parfois depuis sa fenêtre –, se postant seul parmi les pavés et les pierres face aux grands arbres de la forêt, contemplant le ciel peut-être ou méditant en silence devant les beautés naturelles des saisons.

Et j'aime cet homme – et sa parole, tous deux doux et discrets, fréquentant davantage les Dieux – les divinités anciennes – et leur silence que la foule agitée des ombres et des visages. Et je vois chez lui toute la beauté de l'homme – et l'admirable solitude – si encline à ouvrir l'âme au chemin du ciel et des étoiles sans même juger nécessaire de démentir la folie – ni même les folles accusations des hommes...

 

 

La douce – et tendre – mélancolie de l'âme face à l'inconsolable tristesse du monde. Et la joie – et la lumière – sous-jacentes qui éclairent le provisoire des états et des sentiments pour que demeure intacte (à jamais) la paix sereine de l'âme...

 

 

Plus la main se détache du regard des hommes, plus la parole devient libre et spontanée. Naturelle. Comme une pluie d'été légère, elle tombe, insoucieuse, sur les chemins de la terre. Se moquant bien des yeux – et des plaintes – du monde. Elle n'attend plus ni l'approbation ni l'admiration. Ne craint plus ni les jugements ni l'incompréhension. Elle tombe – et court comme l'eau vive d'un ruisselet qui trouve naturellement son chemin à travers les creux des paysages, se mêlant aux infimes flots qu'elle rencontre sur sa route pour rejoindre le grand fleuve qui la mènera à l'océan infini et au ciel plus vaste encore, n'espérant pas même, à travers quelques nuages, retomber sur la terre inconcernée des hommes...

 

 

Qu'est-ce qui nous relie – et nous attache – au passé sinon le souffle des songes dans le regard vierge ponctuellement détourné de la foulée présente ?

 

 

Un livre est un ami qui saisit votre main pour la poser sur le plus sensible – et le plus tendre – du cœur. Près de la béance où se sont entassées toutes les circonstances du monde. Mais il peut devenir aussi l'allumette qui embrasera le charnier des événements si souvent lourdement accumulés. L'origine du grand feu qui illuminera l'âme et la fera devenir plus claire – comme un grand soleil réconfortant. Une lumière qui effacera toutes les hontes et toutes les hésitations pour guider les pas vers le silence innocent et l'infini joyeux qui savent guérir tous les maux des hommes. Et tous les malheurs de la terre...

 

 

Dans la main du sage, une étoile s'est posée. Comme une brûlure de joie sur la chair fragile. Comme un soleil infime venu éclairer – et réchauffer – l'espace alentour, le cœur meurtri des hommes et l'âme toute froissée du monde.

 

 

Le rouge-gorge et la mésange m'ont appris l'innocence. Et m'ont offert le courage d'aller, vulnérable, parmi les hautes frondaisons de la terre...

 

 

Et nous assistons aujourd'hui à la gloire des titans parvenus à leur apogée. Comme suspendue – attendant la chute fomentée par la main de Dieu – et le souffle des anges – qui ont pleinement investi le cœur des innocents – et qui feront tomber tous les empires sans une seule goutte de sang versée en rendant raison patiemment à la folie furieuse et dévastatrice des hommes. Convertissant leurs ambitions et leurs désirs en innocence – et la puissance de leurs gestes en mains accueillantes... dociles autant aux exigences naturelles de la terre qu'aux nobles aspirations de l'infini...

 

 

Avez-vous remarqué la silhouette agenouillée du sage... Ses yeux baissés devant les arbres... Sa bouche muette devant les splendeurs de la terre... Avez-vous remarqué son front modeste – et ses lèvres tendres – baiser les sols rugueux du monde... Avez-vous remarqué sa façon de se lover contre les pierres et la roche dure des collines... Et son ombre docile se plier à toutes les exigences... Et la bonté de son cœur... Et la timidité de son âme... Croyez-vous vraiment qu'il soit apeuré ? Pensez-vous qu'il craigne le divin courroux ? Oh ! Non ! Grand Dieu ! Pas le moins du monde... Regardez donc ses yeux fous et caressants – et cette lumière qui irradie du plus profond de la joie – et qui enlace le monde – et tous ses chemins – de son grand Amour...

 

 

Le poète ne craint rien. Il aime. Se laisse cueillir comme l'herbe des fossés. S'offre au soleil comme la rosée... Et se courbe pour que rayonne l'infini. Et ses mots alors ne sont plus que silence...

 

 

Pourquoi nos bouches continuent-elles de s'ouvrir malgré la beauté du silence ? Aucune injonction ne saurait leur ordonner de rester closes... Nos lèvres continueront de s'agiter en dépit de la surdité des hommes... Peut-être parce que nous rêvons que la parole puisse atteindre les rivages inaccessibles de l'horizon... Peut-être – qui sait ? – avons-nous encore ce rêve malgré le silence du monde...

 

 

[Humble hommage à Hölderlin... et à ses 36 années de folle liberté...]

Les yeux posés – et roulants de fièvre – et de folie peut-être ? – sur le Neckar, rivière paisible s'écoulant devant la tour de Tübingen au couvre-chef d'ardoise. Livré aux bons soins d'Ernst et de sa fille Lotte, pleurant la Diotina et la couvrant de ses folles paroles – et de son si sage silence...

Poète des temps anciens où les Dieux fréquentaient les hommes, où la nature leur livrait ses chants, et où l’œil était vif – et l'oreille perçante – suffisamment pour que la sagesse se mêle aux chemins, devenus fous, aujourd'hui, à force d'ignorance...

Poète de la solitude peignant l'antiquité autant que les saisons. Délivrant son message déraisonnable aux nations infantiles – et aux cœurs encore trop durs – encore trop verts – pour savoir écouter avec humilité la folle leçon de la parole et du silence. Balayant les siècles et les noms pour aller, humble et joyeux, vers l'effacement – vers la désexistence si sage des poètes qui, mieux que quiconque, connaissent – et fréquentent – l'étreinte du temps et la secrète noblesse du néant...

 

 

Quels rivages atteindras-tu, homme, de tes foulées pesantes ? Marcheras-tu encore nus pieds et tête nue parmi les cataclysmes ? Tes pas refléteront-ils toujours le sang que tu as versé au cours de ton voyage – au cours de ta funeste traversée ? Quel fleuve te faudra-t-il encore traverser pour mêler ta voix à la leçon inaugurale des siècles ? Combien de fois encore demanderas-tu ? Combien de fois encore ta main percera-t-elle les entrailles de la terre – et saisira-t-elle le sable des contrées ?

Les yeux fermés – et les chevilles rougies par le sang des dépouilles et celui des meurtriers. Dans l'infâme boue des images. Et l'orgueil des insoumis. Rien ne t'aura précédé. Et rien jamais ne finira. Combien de temps erreras-tu encore dans ces vallées tristes – dans ce monde défait par tes gestes indignes ? Combien de fois t'étendras-tu encore sur le flanc – mort ou sommeillant – sans jamais pouvoir refléter – ni même toucher du doigt – l'étoile ?

Combien de fois passeras-tu encore, prenant part à l'eau fuyante – ruisselante – et aux holocaustes. Combien de pierres jetteras-tu encore ? Sauras-tu, un jour, percer ces mondes qui s'élargissent sous tes pas ?

 

 

L'odieuse pollution humaine. Multiple et protéiforme. Envahissant tout. Partout. Et (surtout) jusqu'aux plus infimes recoins du cœur. Raz de marée dévastateur dont la nocivité a déjà presque ravagé l'essentiel...

 

 

Notre parole. Comme d'infimes drapeaux à prières dont les mots s'effilochent aux vents. Offrant au monde la paix, la joie et l'Amour portés par la puissance d'intention de leur auteur et les ondes mystérieuses du ciel et de la terre...

 

 

Le vacarme des hommes : le vrombissement permanent des automobiles, le bruit strident des machines et les sirènes hurlantes des villes retentissent à des lieux à la ronde. Entamant la douce tranquillité des collines. Et parfois même jusqu'au silence de l'âme...

 

 

L'affreuse – et odieuse – colonisation de l'homme envahissant tous les espaces. Se répandant sur terre comme une lave dévastatrice. Anéantissant tout à son passage. Détruisant et morcelant les territoires. Ecrasant le monde de sa puissance. Et condamnant les êtres à la fuite, à l'esclavage et à la mort...

 

 

[A l'homme barbare...]

Délaisse un instant tes activités. Ce à quoi tu es occupé... Et quitte tes compagnons d'infortune grégaires... Isole-toi quelque temps. Rejoins la nature (un lieu encore un peu sauvage) et marche jusqu'à ce que tu découvres un endroit à ta convenance – pourvu qu'il soit paisible – et à l'écart des hommes. Lorsque tu l'auras trouvé, assieds-toi. Et sonde ton cœur. Découvre ce qu'il abrite – le sentiment le plus puissant qui l'anime. Et lorsque tu en auras une idée même imprécise – mais suffisamment évidente – regarde autour de toi. Regarde la terre, regarde la vie, regarde le soleil et regarde le monde. Et interroge-toi. Sont-ils si différents de toi ? Ce qu'ils abritent ne brille-t-il pas du même éclat ? Derrière les ruses et la malice – et même derrière l'horreur et la sauvagerie – ne sens-tu pas la force de l'Amour qui rayonne malgré tous les instincts de la terre ?

 

 

Je te l'aurais (déjà) dit mille fois, homme ; ne cherche que l'impossible...

 

 

Qu'y a-t-il donc derrière le point aveugle que ne franchissent (jamais) les hommes ? Le sais-tu, poète ? Oui, répond-il, mille mondes – et la fleur impénétrable qui distille son parfum de silence...

 

 

Serais-tu si malhabile, homme, pour parodier le cri de l'Amour ? Ne vois-tu donc pas la flamme silencieuse qui brille partout – et qui n'a besoin ni d'extases ni de plaintes langoureuses pour enflammer les yeux ?

 

 

A la source se tient le silence que nul n'habite – et que nul n'entend. Voilà pourquoi le vacarme – et le tohu-bohu – persistent jusqu'à nous percer les tympans...

 

 

Combien de millénaires devras-tu vivre, homme, pour que s'ouvrent les portes du silence et de l'instant éternel ? Combien de figures devras-tu piétiner pour reconnaître partout ton propre visage ? Combien de chemins devras-tu emprunter avant de découvrir la grande – et belle – immobilité ?

Es-tu si naïf pour prier les Dieux inventés et les fausses idoles ? Crois-tu (vraiment) qu'ils intercéderont – et défendront ta posture – ta parole et tes gestes – si indigents ? Quels démons te gouvernent pour te plier ainsi à tous les instincts de la terre ? N'as-tu donc aucun cœur, homme ? N'as-tu que des mains et des appétits ? Où sont donc passés l'esprit et la lumière ? As-tu oublié que tu fréquentais Dieu, les anges et les hautes nuées autrefois avant de succomber à l'orgueil – et de chuter dans la glaise et la poussière ? As-tu oublié l'origine de ton enfantement ? Es-tu devenu si misérable pour t'éloigner de ta source – et rompre avec elle ? Crois-tu que l'Amour t'ait écarté de son champ ?

Dépèce-toi donc, homme, pour te délivrer de l'espoir et de la chair. Dépèce-toi jusqu'au dénuement ultime. Et tes yeux – et ton visage – deviendront regard d'innocence et de lumière. Le seul Dieu que le monde – et les prophètes – aient jamais connu...

 

 

Autrefois, les hommes adulaient les prophètes. Ils étaient, certes, crédules et ignorants mais leur naïveté devinait la véracité des promesses. Aujourd'hui – et depuis bien des siècles –, les hommes dénigrent les prophètes – et dénoncent leur parole qu'ils relèguent à la niaiserie ou à la folie. Et ils blâment – et méprisent – la croyance des naïfs.

Les hommes, à présent, se prennent pour des princes et des Dieux mais l'humilité et la clairvoyance leur font défaut. Une poignée – parmi les plus curieux et les plus avisés – aspire à quelque assurance – et à des preuves de l'existence de Dieu. Et (surtout) à les découvrir par eux-mêmes (ce qui est sage...) – et par la voie de la raison (ce qui l'est un peu moins...). Mais l'aveuglement – et l'orgie de délices dont la terre les a abreuvés – ont progressivement détourné l'essentiel des hommes du besoin de comprendre – et de savoir. De retrouver ce dont la parole des prophètes témoignait. Ainsi vivent – et vont – les hommes. Et ainsi vit – et va – le monde...

Gageons seulement que l'humanité, encore adolescente aujourd'hui, parvienne à délaisser son manque d'intérêt et à effacer sa prétention (toute juvénile) pour grandir. Et se souvenir de l'Amour et de la lumière dont lui parlaient les prophètes en son jeune âge. Et qu'elle y accède, un jour, pour révéler, à sa maturité, ce pourquoi elle est née... Il n'y a, je crois, pour elle – et pour le monde – d'autre voie. Ni d'autre espoir...

 

 

Dans l'innocence, l'Amour et la nécessité font lois. Invitant toujours la couleur la plus naturelle de l'âme à s'exprimer. Et à l'instar de toutes les formes expressives, ainsi procède, je crois, également la parole poétique...

 

 

Le chant des oiseaux, la solitude et les sentiers des collines me sont plus familiers que le bavardage des hommes et l'agitation bruyante des foules et des cités. Mon âme s'enchante de fréquenter les premiers. Et rue – et se cabre – presque toujours en présence des seconds...

 

 

Laisser la vie – et le monde – faire vibrer la corde de l'âme. Notes sensibles. Peintures simples de l'enchantement. Nuages, rivières, arbres, pierres et visages. Révélant l'émotion (la profonde émotion) d'être vivant. Et d'être au monde. Yeux parmi les yeux dans un seul regard...

 

 

Et si les hommes n'étaient pas tout à fait prêts – et disposés – à entendre notre parole ?

 

 

Mots et paroles parfois morts avant même d'être accouchés... Mais qui, en ce monde, se soucie vraiment du visage – et de la vitalité – des nouveaux-nés à la chair de papier ?

 

 

Le pas est – et sera – toujours la plus juste mesure de l'homme. Comme l'éternel retour est le propre de la terre. Et qu'importe que les temps changent – et aspirent aux grandes enjambées – et aux bottes de sept lieues –, l'éclairage, comme toujours, fait défaut...

 

 

Qui sait – et qui se souvient – que la lumière ne naît ni des pas ni des paysages – mais de leur incidence sur l'âme ?

 

 

Partout la vie vibrante. Et la vie débordante. Et partout la vie abîmée et suffocante. Et la vie brisée. Partout la vie enfantée, célébrée et anéantie par les mêmes forces... La faisant tournoyer dans une danse permanente – dans une danse éternelle – à la fois joyeuse et funeste. Triste et merveilleuse...

 

 

La marche et l'écriture ne sont des activités. Elles sont un mode de vie. Une façon particulière d'être au monde... Comme la solitude, l'innocence et la nudité ne sont des états – et moins encore une posture – mais un penchant naturel de l'âme, soucieuse d'être – et de demeurer – au plus proche de sa source. De l'origine de toute chose – de la vie et du monde...

 

 

Pour entendre pleinement l'âme de la forêt – et s'unir à son souffle et à ses vibrations –, il faut oublier que l'on est un homme. Et se faire aussi immobile et silencieux que les arbres. Sinon on ne perçoit que son propre bavardage et le rythme mécanique des pas...

 

 

Là où l'on croit voir des hommes, il n'y a, le plus souvent*, que chair borgne et affamée vaguement mémorisante et expressive...

* et sans être, le moins du monde, insultant...

 

 

La sagesse d'un homme jamais ne résidera dans ses qualités particulières (fut-il un surhomme doté de dons remarquables...) mais dans la bonté et l'innocence consécutives à son acceptation pleine et entière – à son acceptation joyeuse et sans condition – de ce qu'il est et de ce qu'est le monde avec leurs travers et leurs limitations...

 

 

L'esprit toujours écartelé entre le mouvement et l'immobilité. Penchant tantôt du côté de l'énergie et de la vie phénoménale tantôt du côté de la permanence et du regard* (de la perception pure – et vierge de tout reliquat)...

* De la conscience...

 

 

A voir la façon dont les hommes ont toujours vécu et se sont toujours comportés hier comme aujourd'hui – la manière dont ils ont toujours tissé des liens entre eux (mais aussi avec le monde), il ne fait aucun doute que s'ils étaient dotés de quelques onces supplémentaires d'Amour et d'intelligence, ils pourraient (enfin) tomber les masques et livrer leur cœur. Et chacun serait alors capable de lire dans le cœur de l'Autre comme dans un livre ouvert. Et même chez les plus obtus (et les plus réfractaires à la transparence) naîtrait presque immédiatement un sentiment de proximité et d'unité révélé par la prise de conscience de leur similitude et du lien évident de parenté avec l'ensemble de l'humanité – autant qu'avec l'ensemble du vivant et de l'Existant. Et tous les cœurs solitaires et apeurés – tous les cœurs meurtris, blessés et fragmentés – guériraient presque aussitôt – et se recolleraient enfin unis – enfin réunis...

 

 

La vaine prière des hommes, mains jointes et le cœur fermé, appelant Dieu – et lui demandant d'intercéder en leur faveur sans comprendre que l'Amour les habite déjà – en leurs profondeurs. Et qu'il suffit, pour le voir couler à flot, de se défaire de l'idée de soi et d'ouvrir son cœur, en toute simplicité, à l'honnêteté et à l'innocence...

 

 

La perpétuelle litanie des songes. Ecartant l'innocence et le silence. Obstruant toujours le ciel immense...

 

 

Dans notre main infime – et nos yeux infirmes et si gourmands – se tient déjà l'infini.

 

 

Pourquoi demander à l'horizon – et aux étoiles lointaines – de nous ouvrir à un ciel que nous habitons déjà ? Faut-il que l’œil voit tout de travers pour initier le moindre pas...

 

 

Les heures pleines du jour. A chaque fois que sonnent le glas et les cloches du renouveau. A chaque instant où l'innocence veille, attentive, dans le regard...

 

 

Inutile de chercher Dieu derrière l'horizon. Et pas davantage dans le ciel. Cherchons plutôt du côté de l'herbe. Et du côté du plus humble. Fouillons le cœur des yeux. Et les yeux du cœur. Il gît là, immense, et attend patiemment que nous le relevions. Mais nous ne pourrons y consentir qu'après nous être agenouillés devant l'herbe – et le plus humble...

 

 

L'époque est critique, nous dit-on. Mais toutes les époques ne l'ont-elles pas toujours été ? Aujourd'hui, l'infamie ne se trouve aux portes des cités. Elle a déjà – et depuis bien longtemps – dangereusement gangrené le cœur des hommes. Le seul remède est de le voir. De l'admettre. Et d'y consentir. Voilà le premier pas pour s'extirper de l'éternelle infamie... Dieu – et les vents de la terre – nous aideront à faire les premiers pas. Et se chargeront de nous aider à faire les pas suivants. Jusqu'aux cités de l'innocence et de l'Amour. Les siècles alors pourront s'effacer... Et la fin se rapprochera avant que n'émerge le prochain renouveau...

 

 

Pourquoi diable les ombrelles ont-elles surgi partout pour nous cacher l’œuvre implacable de la faux ? Fallait-il donc que les yeux soient tristes et apeurés... Et à présent entendez-vous les rires dans les champs et les banquets ? Et voyez-vous les regards ensommeillés qui se croient à l'abri... ?

 

 

Il n'y a, ici-bas, en ces lieux de misères terrestres, que de salvifiques précipices. Le cœur meurtri et la chair déchirée seront toujours des prémices. Le premier signe des auspices célestes...

 

 

L'hiver est venu. A recouvert tous les paysages. Et sur le sol gelé – et les branches blanches des arbres dénudés –, la mésange et le rouge-gorge picorent le beurre et la graine offerts par l'âme désolée. Attendant gaiement – et sans impatience – le renouveau de l'herbe et des champs. Les premiers jours du printemps.

 

 

L'inhumain. Tel que le demeure l'homme(1). Et tel que le devient le regard(2). Et la parole poétique(2)...

(1) Dans son sens le plus ignoble...

(2) Dans son sens le plus noble...

 

 

Le cœur présent observant. Et à l'écoute dans une parfaite immobilité. Attentif, disponible et bienveillant. Accueillant le moindre surgissement. Le recevant à bras ouverts à la fois comme un enfant et comme un roi. Et lui offrant l'inébranlable assurance – la certitude totale – de son Amour. De son Amour éternel et inconditionnel.

Être cœur présent, voilà « la plus belle arme » – et le meilleur instrument – pour être au monde. Et offrir aux êtres ce qu'ils réclament et ce dont ils ont besoin... Être au côté – dans la proximité – d'un cœur présent n'est-ce pas ce à quoi chacun aspire en cette vie ? N'est-ce pas ce que chacun aimerait vivre – et recevoir ?

Et lorsque les âmes mûriront, elles comprendront qu'elles n'ont plus à chercher la proximité (extérieure) d'un tel cœur, mais qu'elles sont, elles-mêmes, ce cœur. Et qu'elles peuvent apprendre à le découvrir – puis à le devenir avant de le vivre à chaque instant...

 

 

Entre l'inhumain sauvage et bestial et l'inhumain au delà de l'humain, il y a l'homme. Il devrait y avoir l'homme. Celui que cherchaient Platon et Diogène*. Et que nous n'avons, malgré les siècles, toujours pas trouvé. A l'exception peut-être de quelques rares – et précieux – spécimens...

* En se moquant, à la fois du disciple de Socrate et des hommes...

 

 

Sommes-nous l'être et la présence ou pouvons-nous seulement, en tant que forme, y accéder ? A moins, bien sûr, que nous soyons à la fois l'être et la présence et toutes les formes qui, en eux, existent et peuvent s'y ouvrir...

 

 

En cette froide après-midi d'hiver, assis sur le chemin, – et après avoir effectué approximativement la moitié de notre promenade journalière et écrit, sur notre petit carnet, à peu près la moitié de nos pages quotidiennes, je songe en souriant au nombre de kilomètres et de pages que nous aurons parcourus et noircies au cours de notre vie... Mais la sagesse du poète, du penseur et du marcheur se mesure-t-elle ainsi ? Non, bien sûr... sinon nous serions sage depuis déjà bien longtemps...

 

 

La pauvreté et la poésie. L'herbe et l'infini, voilà, en vérité, mes seuls amis...

 

 

La vie. Mille vies en une seule. Le monde. Mille mondes en un seul. Et toutes et tous vécus – et expérimentés – par un seul : l'être – l'être aux mille visages...

 

13 décembre 2017

Carnet n°97 Penchants et résidus naturels d'individualité

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Et si nous étions les bras de la nuit berçant nos plaintes et nos cris. Et tous les gémissements des visages apeurés... Et si nous étions le poing, le bruit de la peau qui éclate et la joue meurtrie... Et si nous étions le jour, la nuit et toutes les figures de glaise affolées par l'obscurité. Et la lumière, au loin, qui vient... qui monte de nos profondeurs... Et si nous étions le sommeil et le réveil. L'âme assoupie autant que le cœur à vif... Et si nous étions la vie – toute la vie – les dix mille naissances et les dix mille morts de l'instant... Et la chair qui tremble et l'horizon rouge des nouveaux-nés... Et la terre noire gorgée de sang... Et si nous étions l'espoir et la désespérance des yeux... Et si nous étions les plus belles – et les plus pâles – lumières de la nuit. Et la plus fabuleuse histoire du jour... Et le grand mythe du monde... Et si nous étions ce que nous sommes autant que ce que nous croyons ne pas être... Et si nous étions tout cela... et bien davantage encore...

 

 

De quoi sont donc faites les semelles du monde pour qu'il aille ainsi de son pas lourd et dévastateur ?

 

 

Les pierres noires des immondices. L'amas monstrueux balayé par les vents. Et avalé par la bouche invisible du regard. Effacé par l'ogre débonnaire au sourire pacifique.

 

 

Le visage – et le cœur – incompris des hommes. Et leurs poings meurtriers. Accueillis – et embrassés à pleine bouche...

 

 

Et si nous avions raison de continuer à parler du silence... Et si nous avions raison de continuer à éclairer la parole... Et si nous avions raison de poursuivre nos petits cercles de papier... Et si nous avions raison d'ignorer où mènent les pas...

« Oui, bien sûr » acquiescent nos lèvres sages...

 

 

Et si les jours n'étaient que notre reflet... Et si leurs couleurs n'étaient offertes que par les anges de la nuit... Saurons-nous, un jour, débusquer la lumière et le silence sur les lèvres de Dieu ?

 

 

La nuit appelle l'âme qui ne rêve que de jour. Et nous sommes prêts pourtant à les recevoir l'une et l'autre, le cœur égal. Malgré la balance déséquilibrée...

 

 

Chaque pas rapproche du jour s'il sait accueillir la noirceur – et l'ombre – de la foulée...

 

 

Connais-tu le don que Dieu t'a offert – et que les circonstances et tes pas doivent te révéler ? Si tu l'ignores (encore), sois à l'écoute de ses frémissements et de ses élans – de tous ses efforts pour voir le jour. Et s'il ne s'impose à toi au fil de la marche, cherche davantage – et avec plus d'acuité – sinon ton destin sera malheureux...

 

 

Le destin de l'arbre n'est-il pas de croître sous la lumière ? Et celui de l'homme d'éclaircir – et d'éclairer – son cœur ?

 

 

Accéder à la lumière est une tâche aisée. Longue bien souvent, mais qui se réalise de la plus naturelle façon qui soit... Il suffit de laisser les pas nous éclaircir...

 

 

La solitude sans distraction est un trésor inestimable. Elle permet de se frotter – et de se confronter – à soi. Elle sera toujours la plus belle – et la plus efficace – façon de se rencontrer. De percer d'abord son individualité, puis de découvrir ce qu'elle abrite – ce qui se cache derrière, à peine dissimulé...

 

 

Des vents et de la poussière. Il ne restera rien d'autre à l'heure du grand départ. A la fin des jours. A la fin du monde comme à la fin des temps...

A chaque vie – et à toute mort, des vents et de la poussière.

Ainsi se construisent – et disparaissent – les mondes...

Des vents, de la poussière et un univers en marche – une organisation et un fonctionnement à améliorer – une aire toujours plus harmonieuse à construire, voilà ce que nous léguerons toujours à nos enfants. Et à partir de cet héritage, ils bâtiront un empire plus vaste et plus puissant. Toujours plus beau et harmonieux. Poursuivant, sans même le savoir, l’œuvre de leurs aînés. Génération après génération...

Ainsi s'édifient les mondes et l'univers. Et ainsi tendent-ils vers leur achèvement...

Des vents, de la poussière et un système à parfaire jusqu'à la fin des temps. Et qui, bien sûr, s'effondrera, lui aussi, à maintes reprises au cours de son élaboration... jusqu'à son anéantissement final. Puis naîtra un nouvel univers – et de nouveaux mondes – qui se perfectionneront, eux aussi, jusqu'à leur complète éradication. Suivis encore par l'émergence d'un autre univers qui donnera naissance à d'autres mondes... Et ainsi indéfiniment...

Et nous assisterons éternellement – et étrangement impassibles (malgré la participation de l'esprit et des mains de plus en plus habiles...) à toutes les édifications et à tous les émiettements. A l'inlassable besogne des vents et de la poussière unissant leurs forces pour s’agglomérer... avant de désintégrer leurs œuvres – et de s'éparpiller... Soumis au cycle éternel – au cycle sans fin – de l'énergie...

 

 

Sans perspective de paix et de clarté, le cœur – et les jours – de l'homme commun s'affaissent – et finissent, tôt ou tard, par s'effondrer. Ainsi en est-il également du cœur – et des jours – de l'homme sage sans l'intense luminosité et l'innocent silence de l'instant...

La lumière (ou, au minimum, l'espoir de lumière...) et la sereine quiétude de l'âme (ou, au minimum, la promesse d'une certaine tranquillité...) sont les dimensions les plus fondamentales de l'être. Et la nourriture la plus essentielle du cœur de l'homme – et ses moteurs les plus puissants. Elles semblent constituer, en vérité, leurs principales raisons d'être...

 

 

Lorsque la tristesse frappe votre âme misérable, ne relevez pas la tête pour chercher une lueur sur l'horizon. Ne faites pas un seul pas pour y échapper. Laissez la noirceur vous pénétrer. Laissez-la vous traverser. Faites corps avec elle. Devenez la noirceur. Et laissez le cœur s'assombrir. Le regard ainsi retrouvera sa clarté...

 

 

Revenir sans cesse, et à chaque instant, à l'innocence, à la virginité perceptive et à la sensibilité ouverte du cœur sinon notre vie, nos gestes et nos pas perdent leur justesse, leur beauté et leur puissance...

Seule l'écoute (la pleine écoute) dans le non-savoir et le dénuement offre la grâce, l'exactitude et la force – puisées à la source même de l'impersonnel...

 

 

Le simple n'a jamais à démêler le complexe, le compliqué et « le problématique ». Mais à accueillir ce qui est pour faire naître le geste – ou la parole – juste. Parfaitement approprié(e) aux circonstances présentes. Et à leur grande exigence parfois...

La tâche du simple n'est ni de simplifier, ni d'argumenter, ni de justifier, ni de défendre une posture ou une position. Mais d'être. D'être présence disponible et accueillante.

Mais le simple – et ses actions justes – ne peuvent advenir que dans un cœur innocent et une virginité perceptive ouverte à ce qui se manifeste dans l'instant. Sans dogme ni idéologie. Sans a priori ni arrière-pensée. L'action peut alors se faire naturelle et spontanée. A la fois ample et précise. Totalement dégagée de l'inhibition et de la peur, de l'avidité et de la convoitise. Et donc totalement adéquate à la situation telle qu'elle se présente...

 

 

Ah ! Tous ces petits maîtres et ces grands experts prétentieux qui s’enorgueillissent de leurs qualités, de leurs titres, de leurs vertus ou de leur supposée sagesse ! Qu'ils sont nombreux en ce monde ! Et comme ils laissent indifférent – ou qu'ils font rire – le vieil homme qui ne sait rien – absolument rien. Mais dont les gestes et la parole pourtant sont toujours justes et éclairés – doux ou fracassants selon les circonstances – mais toujours appropriés car ils naissent du maître du vieil homme – et du maître de tous : le grand rien...

 

 

Encore une nouvelle journée que nul autre ne pourra vivre...

 

 

La persistance du gris dans la joie. Qui l'aurait imaginé ? L'éternel retour de l'ombre. Mais le gris n'est-il pas une couleur comme les autres – avec ses différentes teintes et nuances ? N'appartient-il pas, lui aussi, à l'arc-en-ciel du monde et de la vie ? Et n'est-il pas soumis aux mêmes règles de récurrence que ses sœurs plus joyeuses et colorées ?

 

 

Saturation. Overdose d'écriture, de marche et de chiens. De la même soupe quotidienne ingurgitée jusqu'à l’écœurement. Et de cette course folle – et pourtant tranquille – des pas...

Aspiration au silence et à l'immobilité. A la cessation de tout mouvement.

Mais comment pourrions-nous arrêter la vie – et le monde ? Comment pourrions-nous empêcher la terre et les astres de tourner ?

 

 

Chaque jour, nous vivons la même journée. Chaque jour – depuis des années – nous vivons les mêmes contenus (existentiels), les mêmes activités et le même rythme quotidien à d'infimes variations près. Sans vacances ni jour de congé. A l'instar des moines et des animaux... Répétant inlassablement les mêmes gestes – et les mêmes pas – quels que soient le temps et les saisons – qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige...

Il est donc peu étonnant que l'esprit (l'esprit étroit) ressente périodiquement – et très ponctuellement (en général) – l'envie de quelques changements, de quelques aménagements et de quelques agréments dans cette routine quasi séculaire – dans cette vie faite que d'essentiel et de nécessités... et presque sans distraction...

Comment blâmer l'esprit étroit qui râle de temps à autre... Et que pouvons-nous faire sinon entendre ses doléances...

Mais quel étrange sentiment pourtant... puisque cette existence – si libre et dégagée des contraintes sociales et des exigences humaines habituelles – nous convient parfaitement... Pour rien au monde, nous n'aimerions changer de vie ni voir nos activités remplacées par d'autres... Et pourtant, malgré la joie que nous offrent habituellement les jours, il nous arrive de nous plaindre... En particulier, lorsque l'impersonnel n'est plus habité de façon suffisante et ses vertus trop faibles pour accueillir avec joie et innocence ce qui vient – et ce qui doit être vécu. L'émerveillement et la sensibilité sont alors, nous le savons bien, comme coupés de leur source. Et la lassitude finit par nous gagner pour quelques heures ou quelques jours... Lassitude néanmoins vite balayée lorsque, de nouveau, nous savons l'accueillir comme il convient...

 

 

Toute vie est l'histoire d'une longue agonie. Et de la folle – et souvent désespérée – aspiration à trouver son centre inaltérable et éternel...

 

 

Les dix mille gestes du quotidien si souvent merveilleux. Mais parfois vécus misérablement lorsque le cœur saturé n'y voit plus que corvées et source d'exaspération...

 

 

Il y a comme une froideur et une dureté dans ma silhouette. Comme d'ailleurs sur mon visage et dans ma parole. Une sorte de rugosité. Le reflet, sans doute, d'une méfiance et d'un orgueil naturels qui cachent (pourtant) une infinie tendresse pour le monde – pour tous les êtres de ce monde. Carapace que l'on peut percer sans mal dès les premiers échanges pour peu que mon interlocuteur sache se montrer ouvert et – relativement – innocent. Ce qui, malheureusement, n'arrive pas toujours – et loin s'en faut. Tant pis pour nous...

Outre la transparence naturelle de mon visage qui jamais ne peut trahir la réalité de mes sentiments, il dispose aussi, je crois, de la faculté à refléter la figure – et les sentiments – de mon interlocuteur. Comme une sorte de double miroir. Fidèle autant à mon intériorité (à mes états d'âme) qu'à l'état d'esprit et aux intentions – si faciles à percer – de ceux qui me croisent, m'abordent ou me font face...

 

 

L'hostilité du monde – l'indifférence et l'adversité des êtres et des hommes – obligent à faire face et à s'éloigner (au plus vite) pour échapper aux relations animées par la défense (crispée) des intérêts personnels et la violence. Et s'extraire de leurs griffes perfides – et souvent monstrueuses – qui entament parfois jusqu'à l'innocence...

 

 

La bêtise, la grossièreté, la mesquinerie et l'animosité partout. A chaque coin de rue. Comme si le monde n'était peuplé que de visages sans innocence...

 

 

Que connaît l'homme sédentaire installé dans une existence d'abondance et de confort à la vie nomade ? Que sait-il de cette vie d'aventures (et de mésaventures) passée sur les routes et les chemins du monde, le sac ou le baluchon sur le dos, le visage et les cheveux au vent – et les pieds dans la terre et la poussière ? Que peut-il savoir du voyageur obligé d'affronter le soleil et la chaleur, la pluie, la neige et le froid – contraint de marcher sous le regard hostile ou l'indifférence des foules – confronté, sans cesse, à la faim, à la soif et à la fatigue – et vivant sans autres ressources que sa vitalité et le maigre contenu de sa besace ?

Que peut connaître l'homme sédentaire calfeutré, en toute saison, dans la douce tiédeur du foyer, et dans l'abondance de vivres et d'agréments, de l'existence nomade vécue dans le dénuement et la vulnérabilité ?

Et bien que l'esprit aspire, en général, au mode de vie du premier, les conditions d'existence du second s'avèrent, en réalité, bien plus justes. Et bien plus vivantes. Tellement plus propices à l'éveil du cœur – et à l'innocence de l'âme. A la découverte de la vie profonde et intense...

Certes, d'un certain point de vue – et aux yeux de l'homme sage –, la façon de vivre importe peu (chacun suit son inclinaison naturelle et compose avec les circonstances – ou s'en remet à elles), mais quel homme à l'existence sédentaire saurait-il vivre avec la simplicité, le dépouillement et la précarité du nomade – et surtout avec le même état d'esprit ? Et combien auraient le courage d'échanger leur confort contre les affres et les incertitudes du chemin ? Très peu de toute évidence...

 

 

Le rouge-gorge et la marguerite ont-ils davantage confiance en la lumière du ciel qu'en la main de l'homme ? Je l'espère... De tout cœur, pour eux, je l'espère...

 

 

Nos diableries ne feront jamais de nous des diables. La main de Dieu – et son souffle – veillent à ce que nos ruses entaillent le cœur – suffisamment (juste ce qu'il faut...) – pour percer son néant. Sa profonde vacuité. Et faire naître – et accueillir – ainsi l'Amour. Connaissez-vous d'autre voie pour l'homme sur cette terre ?

 

 

Notre visage – et notre cœur – peuvent supporter tous les vents et tous les affronts pourvu qu'ils aient balayé toutes nos prétentions...

 

 

Ayons le cœur assez vaste pour que toutes les incidences se manifestent. Et que la lumière puisse éclairer – et l'Amour rayonner – partout...

 

 

L'emphase de la parole cache parfois son néant. La magnificence et le flot abondant ne sont plus alors que le décor d'une scène vide où le silence même n'est pas respecté. Mieux vaut le simple qui trace sa route sans artifice, insoucieux de la beauté du langage, mais qui sait transpercer le cœur – le pénétrer et le traverser – pour qu'éclose la fleur éternelle de l'Amour...

 

 

Le monde, des arbres et des hommes. Quelques chemins dans les nuages. Des bois et des collines. Des pierres, de l'herbe et l'horizon. Et toujours le ciel inconnu ignoré de ses créatures. Bon sang ! Pourquoi donc s'éreinter à la parole ? Le silence ne demeurera-t-il pas (à jamais) l’œuvre ultime ?

 

 

Et si la terreur au fond des yeux était la preuve de l'innocence des hommes... Et si leurs ruses n'étaient qu'une malhabile façon de sauver la face... Pourquoi donc l'indigence est-elle si méprisée... Pourquoi si peu savent y voir la graine de l'innocence à venir...

 

 

Un oiseau empoté aux ailes infirmes, voilà ce que tu es, homme ! Aussi maladroit sur terre que dans le ciel infréquenté !

Un grain de poussière devenu monstre minuscule qui se donne des airs et des manières de géant titanesque. Et que la glaise pourtant recouvrira un jour s'il ignore sa destinée céleste !

Un peu de modestie, homme ! Et un peu de respect pour tes frères ! L'humilité te sauvera de tes lourdeurs – et de tes pas dévastateurs. Sache donc te réconcilier avec la terre. Et ton envol t'ouvrira de nouveaux auspices – plus clairs et prometteurs que l'ambition gigantesque de tes foulées dérisoires...

 

 

Qu'abrite donc le frêle corps de l'oiseau – et son chant infime à l'aube ? Qu'abrite donc l'arbre dans sa sève et ses hautes frondaisons – et l'herbe dans sa tige tendre ? Qu'abritent donc les bêtes – leurs parades et leurs cris qui montent du fond des instincts ? Qu'abrite donc l'homme – et sa main besogneuse et meurtrière qui sait parfois se faire si caressante ? Qu'abrite donc le monde – et ses infimes créatures – si peureuses et endiablées ? Qui sait ce qu'ils abritent ? Ne voyez-vous donc pas que Dieu les habite tout entier...

 

 

Même dans la nuit la plus belle se cache l'obscur. Et même dans le jour le plus clair, l'ombre et le noir resplendissent...

 

 

Ah ! Que les vents se font plaintifs en ce monde... A moins que ce ne soient les cris et les gémissements des bêtes et des hommes que l'on entend un peu partout...

 

 

Et dire que nous sommes tous pris – englués jusqu'au sang – dans ce magma monstrueux. Heureusement que le cœur est immense – et composé de cette matière poreuse et inaltérable. Et que le regard sait se poser au loin sur la branche la plus haute du monde comme l'oiseau fragile et inconnu...

 

 

Assis au sommet de l'herbe, que la cime des grands arbres paraît lointaine. Si haute. Si inaccessible... Mais qui sait que le regard, tel un passereau malicieux, peut sauter d'un bond agile sur la branche la plus élevée. Et que le ciel que l'on invite descend au plus bas de la terre... Et que les vent s'empressent alors de s'engouffrer dans nos tours et nos amas d'immondices pour pulvériser nos entassements – et permettre au regard de devenir plus clair...

 

 

Que jamais le monde ne s'efface sous la cognée de notre main pugnace – et sous la longue coulée de notre parole mensongère. Que la terre nous rabaisse afin que le ciel nous élève.

Il n'y a, pour nous, d'autre espoir, homme...

Pourquoi ne s'agenouillerait-on pas au côté de l'herbe ? Pourquoi ne laisserait-on pas les vents balayer nos fausses identités ? Pourquoi faut-il donc toujours que nous relevions la tête, homme...

Notre espoir est-il si grand pour vouloir atteindre l'horizon ? Pourquoi se méprend-on toujours sur la promesse de puissance ? Comment pouvons-nous encore ignorer que le dénuement et l'innocence sont le gage de toutes les forces...

 

 

La parole poétique. Une goutte infime de beauté et d'infini dans le vaste – et noir – océan du monde. Et dans les petits marécages pestilentiels du cœur. Comme si le ciel s'adressait à la terre pour qu'elle délaisse ses batailles et ses ambitions. Qu'elle se détourne de ses querelles insensées. Et qu'elle efface le sang qui la maintient prisonnière de ses propres entrailles afin qu'elle puisse s'ouvrir à l'innocence...

 

 

La présence (chez l'homme sage) et la détermination (chez l'homme commun) sont les éléments les plus déterminants de l'action. De son accomplissement. De son achèvement comme de sa réussite...

 

 

La vie – et l'Existant – sont, bien sûr, essentiellement énergie, mouvements et interactions. Cycles et transformations. La lumière, l'infini, le silence et l'éternité, eux, sont, fondamentalement immobilité, permanence et unité. Et bien que l'esprit – et le cœur – de l'homme commun aspirent inconsciemment aux seconds, ils penchent presque exclusivement du côté de l'énergie. Quant à ceux de l'homme sage, bien qu'ils ne peuvent échapper aux mouvements phénoménaux – en particulier dans la réalisation des gestes élémentaires de la vie quotidienne – ils penchent assurément vers l'immobilité, la permanence et l'unité...

 

 

L'oiseau si frêle – et fragile – sur sa branche dans le grand vent glacé de l'hiver m'émeut – et réchauffe davantage mon cœur que la présence des hommes autour de moi. Son chant dans l'adversité des jours est plus beau – et plus poignant – que toutes les paroles et tous les applaudissements du monde...

 

 

En cette terre si fragile, le ciel inaltérable. Comment les hommes peuvent-ils (encore) l'ignorer ?

 

 

Quel visage le regard ne saurait-il accueillir ? Toutes les figures de la terre – les plus infimes comme les plus imposantes – les plus belles comme les plus hideuses – sont reçues comme des reines. Comme des reines inestimables – et irremplaçables...

Et qu'importe leur masque et leurs ruses... Et qu'importe même la nature de leurs lèvres – et le parfum de leur haleine, un seul baiser suffit à délivrer leur âme de leur sort. De leur destin de prisonnière...

 

 

Seule l'âme libre est caressée – et caressante. Les autres sont bien trop occupées – et préoccupées par leur libération pour sentir la grâce du regard – et le miracle ignoré et incompris d'être au monde...

 

 

Le cimetière des eaux claires. Où mènent donc les vents sur l'asphalte – et sur la longue piste des déserts ?

 

 

Il faut être humble pour entendre les saisons chanter. Pour renier les eaux dormantes du soir. Et ouvrir les bras au visage de la nuit. L'âme doit être vive et délicate. Et transparente à la clarté. Aux étincelles des abysses comme à la pleine lumière du jour.

 

 

Qui donc appelle l'homme du fond de son puits ? Avant sa chute ne l'avez-vous pas entendu chanter les louanges de la terre ? Ne l'avez-vous pas vu se gaver de ses délices ? Et à présent qu'il sait son âme recluse, qui pensez-vous qu'il supplie...

Et lorsque l'âme se joint aux mains du ciel, que pensez-vous qu'il advienne ?

 

 

Lorsque la bouche du ciel répand son souffle (et ses énergies), croyez-vous qu'il puisse interrompre les vents de la terre ? Ou n'est-il pas plutôt amené à se mêler à toutes les haleines du monde – et à toutes les lèvres silencieuses ?

 

 

Une barque immobile à l'horizon. Et si le rameur – tous les rameurs – s'étaient noyés... Croyez-vous que l'on entendrait les cris victorieux du silence ? Non, bien sûr... Les vents sans doute continueraient de balayer les flots. Et l'on verrait encore d'infimes vaguelettes à la surface de l'infini silencieux...

 

 

La terre, un océan de marbre et de glace. Caressé par les vents libérateurs. Et le visage de Dieu qui veille à toutes les tempêtes. A tous les précipices. Et à tous les naufrages. Pour que dure (toujours) le silence des rivages...

 

 

Malin celui qui sait percer la destinée des visages et des chemins. Mais souverain celui qui sait accueillir tous les pas – et toutes les lèvres...

 

 

Et si un seul mot pouvait nous sauver... Et si un seul geste pouvait nous encourager... Et si un seul pas pouvait nous ouvrir à l'impossible chemin... N'ayez crainte, mes frères ! Le silence partout veille où vous irez – partout où votre foulée épaisse s'enlisera...

 

 

Unir tous les fragments. Se faire silence parmi les bruits et l'agitation. Rassembler l'émiettement bruyant des visages dans l'unité sereine et silencieuse. Accueillir la foule dispersée. Et lui offrir le geste – et la parole – qu'elle réclame derrière la foule des désirs et des attentes en demeurant discret – ou mieux invisible. Voilà une œuvre de sagesse.

Mais quels yeux – et quelles mains – sauraient-ils s'en faire l'écho ? Et combien sauraient-ils entendre leurs foulées légères qui jamais ne surgiront de derrière l'horizon mais du regard vacant qui aura su percer le jour dans la nuit – et la nuit dans le jour... ?

 

 

Les eaux bleues du ciel. Et leurs vagues immenses. Qui sait – qui saurait – s'y perdre pour surnager avec délice dans les eaux noires de la terre ?

 

 

L’œil n'a aucune aptitude à changer le monde. Mais le lieu d'où – et la façon dont – il regarde lui permettent de se transformer en regard qui, lui, en revanche, dispose d'un immense (et étonnant) pouvoir de métamorphose...

 

 

Les bêtes – animaux de tout poil – bafoué(e)s et exploité(e)s jusqu'au sang par la vile main de l'homme. Cette dictature esclavagiste avec ses chaînes, ses tortures et ses holocaustes me donne la nausée. Et fait naître en moi une rage sourde et silencieuse – si impuissante...

 

 

Seuls le regard vierge et le cœur innocent se promènent – peuvent se promener – avec joie et liberté dans tous les paysages et rencontrer tous les visages du monde. Et eux seuls savent piocher, ici et là, au fil des chemins, quelques traits obscurs ou lumineux que la main transforme en paroles.

Ces lignes – et toutes les notes de ces carnets – ne sont le fruit que de ce mariage entre l'âme (le regard et le cœur unis), la main et le monde (ses visages et ses paysages).

 

 

L'obscur a beau peser dans la balance, nous pencherons toujours du côté de la lumière...

 

 

Être au service du monde, des autres et de ceux/ce qui nous entoure(nt), combien d'entre nous en seraient-ils capables sans la moindre gratification* narcissique ?

* Et quelle que soit la nature de cette gratification...

 

 

L’œil neuf et la main vierge toujours font naître une parole libre et inconnue...

 

 

Il n'y a de plus beau voyage – et celui-ci n'a de plus belles choses à offrir – que lorsque le pas ignore où il va... L'inconnu et l'incertitude sont – et seront toujours – le terrain des plus admirables rencontres...

 

 

[Aveu d'impuissance]

Que pouvons-nous faire ? Ceux qui doivent souffrir souffriront... Ceux qui doivent mourir mourront... Et ceux qui doivent pleurer pleureront... Notre présence jamais ne consolera personne. Pas davantage que nos gestes et notre parole... Mais un silence disponible et profondément accueillant saura peut-être inviter quelques âmes à trouver l'unique chemin de la guérison...

 

 

Ah ! L'insensibilité du monde à l'égard de ma poésie. Mais peut-être – mais sans doute – n'en est-ce pas une...

 

 

Le front baissé et humble. Au plus proche de la terre. Comme collé à nos pas de poussière. Mais le cœur et l'âme si libres – si légers. Et le regard si proche de la lumière et du ciel souverain.

Le geste et la foulée modestes et dociles. Et la vaste étendue au dedans qui leur offre leur justesse. Et à l'âme une joie infinie...

Comment l'homme ambitieux, si gorgé de prétentions, pourrait-il jamais connaître ce noble sentiment ?

 

 

Tout est composé et, dans le même temps, défait par tout. Comme si chaque chose était à la fois supportée et abîmée par toutes les autres... Quel terrible et monstrueux magma que cette matière – et cette non matière – incessantes que sont la vie, les êtres, le monde et les choses...

 

 

Comme les agriculteurs, mes journées se déroulent au rythme des bêtes. Comme eux, je vis auprès des animaux(1). Je vis avec et, en partie, pour eux. Je prends soin d'eux et veille à leur bien-être (ce qui, en revanche, n'est pas si fréquent chez les paysans...). Mais contrairement à eux, je ne les exploite d'aucune manière ni ne tire profit de leur présence (ni, bien sûr, de mon travail à leur intention). Bien au contraire, je me fais – et me suis toujours fait – un devoir (telle est ma nature...) d'être à leur service et de me plier à leurs exigences sans autre revenu que leur satisfaction et leur joie en leur offrant ce que leur nature réclame autant que les meilleures conditions d'existence(2) possibles...

(1) Principalement les chiens, il est vrai...

(2) Promenades à foison (plusieurs fois et plusieurs heures par jour...), repas cuisinés variés et adaptés aux besoins caloriques, jeux quotidiens, bisous, câlins et tendresse à volonté, accès à tous les canapés de la maison (et même, bien sûr, au lit), relation riche d'interactions et de complicité et, bien sûr, visites régulières chez le véto et traitements médicaux en cas de pathologies ou de blessures etc etc.

 

 

En voyant l'infâme bêtise des hommes – et du monde –, on pourrait penser (à tort) que les hommes ont un pois chiche en guise de cerveau. Mais non ! La situation est bien plus désastreuse et dramatique ! Les hommes n'ont aucun pois chiche dans la tête ! Ils ont le cerveau d'un pois chiche ! Ce qui est fort différent ! Et ce qui, avouez-le, nous porte – et peut confiner le monde – à une forme bien compréhensible de désespérance...

 

 

Avec qui aime-t-on être – et passer du temps ? Avec qui aime-t-on partager le plus essentiel et le plus précieux ? Y réfléchit-on suffisamment avant de s'entourer ?

 

 

Les bêtes – et les hommes – auxquels on met des chaînes et que l'on pousse à l'ouvrage ! Et que l'on réduit à la peur et aux brimades en les persuadant que leur existence entière est vouée au labeur, à la servitude et à l'esclavage ! Ah ! Quelle infamie !

 

 

Combien d'arènes et de combats en ce monde ? Combien de cris et de déchirements ? Combien de larmes et de sang versés ? Et parmi les belligérants et les spectateurs de ces odieux spectacles, combien seraient-ils capables de s'ouvrir au silence – et au sourire sage et inaltérable du vieil homme assis au pied d'un arbre, à l'écart du tumulte ?

 

 

L'infranchissable horizon du silence...

 

 

Les dangers – et les périls – du monde peuvent bien s'abattre encore et encore... Les poings, les crocs et l'acier des lames déchirer la chair – et mutiler les visages, jamais ils ne perceront la tendresse des yeux clairs...

 

 

Les feuilles légères du jour – et la main libre – qui dansent dans le vent. Obéissantes et dociles à la magie de la terre et aux souffles du ciel. Entonnant avec la pluie leur chant magnifique...

 

 

Le silence du jour. Et les heures sereines (et intactes) sur les collines. Et au loin, là-bas, dans les vallées et les plaines défigurées, l'orage des hommes. Et les oreilles sourdes au tonnerre des poings qui martèlent partout la terre et les visages.

Pourquoi participerait-on aux luttes et aux massacres ? Pourquoi prêterions-nous nos lèvres à l'indifférence du monde ? N'est-il pas plus juste de se tenir à l'écart ? Qu'ajouterait notre présence à l'adversité et à l'insensibilité des hommes ? Nous serait-il seulement possible d'y remédier alors que nous n'avons parfois pas même la force d'y assister ?

 

 

Où se perdent donc les mots, la violence des poings qui s'abattent sur la table et la douceur des caresses sur les visages ? Y aurait-il seulement une âme – une seule âme – au monde prête à les entendre – et à les recevoir ?

Le silence efface les bruits. Tous les bruits : les paroles vraies et les mensonges – la tendresse et la colère qui n'affectent que les âmes en chemin, inaptes encore au grand silence...

 

 

Un tronc énorme et couvert de mousse gît sur le sol. Comme un immense géant vert terrassé par la main dérisoire de l'homme.

 

 

Le ciel vaste et lumineux. Et les nuages gris magnifiques – tout en nuances (presque en dégradé) – sur les collines boisées. Je pourrais passer des heures à les contempler en silence...

 

 

La magie d'un lieu. La magie d'un être. Ne vous est-il donc jamais arrivé d'être envoûté ? Prêt à tout donner – et presque jusqu'à votre vie entière – pour rester dans leur proximité – et pouvoir goûter, à chaque instant, leur présence lumineuse* ?

* Oui, à plusieurs reprises avant de découvrir que nous étions tous porteurs de cette lumière...

 

 

L'univers, la terre, le monde, les êtres et les hommes sont-ils une ébauche malhabile ou une œuvre parfaite ? Qui sait ? Qui peut savoir ? Notre cœur balance souvent, n'est-ce pas, au gré des spectacles et des circonstances... Mais qui peut nier qu'ils sont une composition remarquable au potentiel riche et prometteur – et au devenir incertain ? Une réalisation, sans doute, à actualiser et à parfaire...

 

 

Lorsque la vérité éclate, le monde s'effondre – et le quotidien perd toute importance... avant de réapparaître (l'un et l'autre) sous une autre lumière...

L'honnêteté est l'une des principales conditions de l'émergence de la vérité. D'autres qualités peuvent aussi, bien sûr, la favoriser. Et parmi elles, la curiosité* et la persévérance alimentées par un besoin irrépressible – une nécessité absolue – de percer le mystère de l'être, de la vie, de l'existence et du monde – tiennent une place essentielle et prépondérante...

* Le goût d'apprendre, de savoir, de connaître...

 

 

Aurons-nous, un jour, la force et la beauté du rouge-gorge et de la pâquerette ? Et saurons-nous devenir aussi innocents pour aller comme eux, si vivants, dans le grand vent frais des saisons ?

 

 

Le sol nu et gelé de l'hiver. Et la caresse réconfortante (mais insuffisante) de l'ombre des grands arbres dépouillés...

 

 

Et si l'ombre et l'obscurité nous étaient contées par la lumière, saurait-on (enfin) les reconnaître ? Ainsi parle l'homme en chemin...

Et si la nuit était plus claire, notre vie serait-elle (seulement) plus belle ? Ainsi parle l'homme commun...

Et lorsque tous demandent au vieux fou assis au pied d'un arbre : « Et si nous pouvions voir ? Montrez-nous donc la lumière ? ». « Voyons » répond simplement l'homme sage...

 

 

Le sol gelé sous les pas caressants. Et l'on entend pourtant, à chaque foulée, ses craquements de douleur. Blessé au moindre effleurement...

 

 

Dieu nous épie jusqu'au fond des yeux. Et nous, nous l'ignorons – toujours aveugles à sa présence...

 

 

La main scélérate du froid s'abat sur les paysages. Et enferme la joie du rouge-gorge au fond de son cœur sage...

Arbres et visages recouverts par la neige et les vents glacés. Bêtes et hommes frigorifiés au cœur de l'hiver. Silhouettes froides ne pouvant compter que sur leur propre vitalité...

 

 

Et si nous étions les bras de la nuit berçant nos plaintes et nos cris. Et tous les gémissements des visages apeurés... Et si nous étions le poing, le bruit de la peau qui éclate et la joue meurtrie... Et si nous étions le jour, la nuit et toutes les figures de glaise affolées par l'obscurité. Et la lumière, au loin, qui vient... qui monte de nos profondeurs... Et si nous étions le sommeil et le réveil. L'âme assoupie autant que le cœur à vif... Et si nous étions la vie – toute la vie – les dix mille naissances et les dix mille morts de l'instant... Et la chair qui tremble et l'horizon rouge des nouveaux-nés... Et la terre noire gorgée de sang... Et si nous étions l'espoir et la désespérance des yeux... Et si nous étions les plus belles – et les plus pâles – lumières de la nuit. Et la plus fabuleuse histoire du jour... Et le grand mythe du monde... Et si nous étions ce que nous sommes autant que ce que nous croyons ne pas être... Et si nous étions tout cela... et bien davantage encore...

« Oui, bien sûr » acquiescent nos lèvres sages...

 

 

La marche des siècles rêve – a toujours rêvé – de franchir l'horizon. Et l'époque aspire à un ailleurs dont on ne revient pas... une sorte d'humanité améliorée et reliée à mille réseaux qui marquera, sans doute, une étape décisive, à la fois tragique et prometteuse, où l'on assistera à une forme de fragilisation – voire de dégénérescence – de l'organique naturel et à une forme d'abêtissement de la cognition et, dans le même temps, à un formidable accroissement des capacités et à une actualisation substantielle des potentiels...

 

 

Chaque événement, chaque rencontre – et, en définitive, chaque chose – a le pouvoir, en particulier lorsque l'on y est sensible et attentif, de révéler – d'éveiller ou de raviver – en nous une parcelle ou un pan inconnu(e) que nous avons oublié(e) ou négligé(e)... Comme si, en réalité, toute vie, à travers ses incessantes interactions, n'était qu'un chemin – le seul chemin possible – pour se découvrir, se rencontrer et se connaître... Découverte, rencontre et connaissance progressives* de l'ensemble des aspects de notre individualité (ce que d'aucuns appelleraient nos caractéristiques personnelles) avec nos particularités et nos fondamentaux universels et jusqu'à, bien sûr, notre identité impersonnelle (ce que certains définissent par le fameux et célèbre JE SUIS...).

* de plus en plus fines, de plus en plus larges et de plus en plus profondes...

 

 

Nul ne peut arracher un homme à sa besogne. A son œuvre. A sa vocation*. A ce pour quoi il se lève chaque matin... Chaque parcelle de son esprit, chaque fibre de son corps – toute son âme – y sont consacrées. Et y sont vouées jusqu'à la mort...

* Quelle qu'elle soit...

 

Et je crois qu'il n'y a pour un homme(1) de plus grande joie que de mourir à la tâche – et de plus grande fierté que de savoir que son travail(1) lui survivra par delà la mort... et par delà les siècles(2)...

(1) Quel qu'il soit...

(2) Lorsque son labeur et son œuvre s'y prêtent et que les circonstances, bien sûr, leur sont favorables...

 

 

Une œuvre à réaliser – et à léguer aux hommes ? Un message à transmettre au peuple de la terre ? La belle affaire... Foutaises ! Prétentieuses foutaises ! Que notre ambition et le monde aillent donc au diable ! Sachons plutôt rester humble, vierge et innocent. Voilà le plus grand service que nous pourrions offrir à chacun...

 

 

Que reste-t-il de la pâquerette lorsque vient l'hiver ? Rien. Elle nous quitte sans laisser la moindre trace. Ni œuvre. Ni message. Ni adieu. Et bien qu'elle ait travaillé chaque jour de sa courte vie – en se donnant toute entière – à son dérisoire et merveilleux labeur de pâquerette, elle s'en va comme elle est arrivée – et comme elle a vécu – avec humilité et discrétion...

Et n'y a-t-il pas sur cette terre de plus belle destinée ? Vivre comme la pâquerette qui, chaque jour, se penche humblement – mais de toutes ses forces – et avec toute son âme – sur sa modeste besogne sans rien attendre ni du ciel ni de la terre – et sans rien attendre de ses sœurs (pas le moindre geste ni la moindre parole d'approbation ou d'encouragement)...

Ô Dieu, puisses-tu faire de nous – de nous tous – d'admirables pâquerettes...

 

 

La vie des hommes. Entre nécessités, devoirs, plaisirs et réconfort. Et il n'y a, malheureusement et bien souvent, pas davantage...

 

 

Et si, en définitive, seules la marguerite et la pâquerette savaient habiter le monde avec poésie...

 

13 décembre 2017

Carnet n°96 La lumière, l'infini, le silence et l'éternité

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Les battements d'ailes du jour fragile. Aussi vulnérable et éphémère que la rosée et le papillon...

Terre d'étreintes et de cicatrices où chaque caresse (reçue et donnée) – et chaque blessure (endurée et infligée) – éveille l'âme. Terre de marche où chaque foulée rapproche de la joie. Et du haut pays inconnu et infréquenté...

La lumière, l'infini, le silence et l'éternité ne se trouvent au bout des pas. Ni dans le ciel. Ni derrière l'horizon. Mais dans le regard uni à la foulée présente... Et seuls le cœur innocent et le regard vierge peuvent faire accéder à cette indicible présence...

 

 

Terre d'étreintes et de cicatrices où chaque caresse (reçue et donnée) – et chaque blessure (endurée et infligée) – éveille l'âme. Terre de marche où chaque foulée rapproche de la joie. Et du haut pays inconnu et infréquenté...

 

 

L'innocence sera toujours le pas décisif. Et à jamais recommencé pour accéder au territoire. A la vaste étendue où l'infini et le silence, l'éternité et la joie perdent leur caractère de promesse pour embrasser à pleine bouche la réalité des lèvres – et du cœur – débarrassés de leur crasse. Et épouser chacune des foulées...

 

 

Les instincts de la terre – et la violence du monde – inhibent l'innocence. Retardent son émergence et son règne. Elle seule pourtant saurait empêcher de s'y prêter – et de s'y soumettre. Et seules, bien sûr, les âmes innocentes ont la sagesse de s'extirper du cercle vicieux et infernal de la haine et de la vengeance – contribuant ainsi à leur enrayement...

 

 

La misère, le dérisoire et le pathétique de toute chose. De tout geste et de toute existence. Et dans le même temps, leur incroyable puissance, leur potentiel fabuleux et leur dimension extraordinaire et merveilleuse. Comme si l'Existant portait simultanément en lui toutes ces caractéristiques. Aussi est-il bien naturel que l'esprit – les êtres et les hommes – oscillent sans cesse entre le rire et les larmes. Entre la joie et la tristesse. Entre la résignation et l'espoir...

 

 

Dans le silence des jours, le soleil de l'aube impose son rayonnement. Illumine le cœur. Caresse l'âme et le monde. Accueille tous leurs élans et leurs tremblements. Veille, majestueux – et magistral – sur sa fabuleuse création...

 

 

Consentir à l'erreur apparente, c'est s'ouvrir à l'innocence. L'accueillir – et l'effacer –, c'est se faire l'égal des Dieux...

 

 

L'innocence jamais ne blesse, n'entaille ni n'entame. Elle laisse les lames et la peau se livrer à leurs jeux. Soigne les coups et les bosses. Panse les plaies si nécessaire. Ecoute – et allège – les regrets et les plaintes. Et invite surtout – et toujours – les joueurs à la rejoindre...

 

 

[Modeste hommage à Santoka]

Sous le chapeau de paille, la solitude et les instincts se bousculent. Les plaintes* et les griefs. Toutes les joies et les peines du jour. L'expérience pure de l'homme et du Divin. Et, à petits pas, la marche continue...

* Même si Santoka avait élevé au rang de principe de ne jamais se plaindre...

 

 

Rien ne saurait atteindre la flamme de l'innocence. Et nul ne saurait l'éteindre ou l'embraser. Egale et discrète en toutes circonstances. Et fidèle, toujours, à son essence – et à sa double besogne : l'effacement et la virginité.

 

 

Dans la parole, un feu flamboyant. Comme le reflet de la lumière dans le silence.

 

 

Ombres inertes. Ombres couchées. Et ombres au souffle court. Comme égarées dans la nuit. Et le soleil brut – et vierge – qui patiente dans le halo sombre de l'obscurité. Prêt à embraser les ténèbres lorsque le cœur saura (enfin) se faire l'âtre du jour...

 

 

Toutes ces âmes qui parcourent la vie et le monde en tout sens cherchant partout ce qu'elles portent. Et que les circonstances leur dévoilent peu à peu...

 

 

Le ciel gris et opaque – vaguement lumineux – guide les pas furieux vers des horizons moins sombres. Mais que l'ailleurs ne pourra jamais contenter... Pourquoi donc les hommes peinent-ils tant à s'ouvrir aux circonstances présentes et aux mille visages sous leurs yeux ? Pourquoi sont-ils si hermétiques – et si peu disposés à rejoindre la lumière du regard qu'ils abritent – et qui les habite... ? Où croient-ils aller – et que pensent-ils trouver – en courant ainsi les yeux clos ? Ont-ils seulement conscience du fugace et de l'extrême fragilité de la vie ? Je crains que non. S'ils le savaient, leur foulée se ferait plus légère et respectueuse. Et leur route plus sensée et silencieuse...

 

 

Et si, en réalité, nous n'effleurions que le ciel... L'âme et les gestes à son orée. Le cœur encore si noir que nous ne pourrions l'arracher à la terre...

 

 

Une coulée d'encre sur l'innocence de la page. Comme une infime griffure sur l'infini. Un léger tressaillement dans le silence.

Et si, pourtant, nous avions raison de continuer à écrire. De prolonger le souffle de la terre. Et son élan désespéré vers le ciel. Pour qu'il devienne plus familier dans le cœur des hommes. Et qu'il puisse se déverser davantage – quelques gouttes – quelques onces supplémentaires – dans leurs gestes et leurs pas – et dans leur existence si misérable et indigente. Dieu n'a-t-il pas pour eux cet incroyable – et impossible – dessein ? Et n'est-ce pas le destin qu'il nous a choisi pour l'aider dans sa tâche – animer notre souffle menu pour qu'il se mêle à tous les vents et à toutes les haleines du monde et rendre ainsi nos élans plus dignes de lui... ?

 

 

L'âme transpercée par les circonstances du jour. Et traversée par l'écho infini des émotions. Aire d'accueil et de résonance de tous les élans – et de toutes les vibrations – de la vie et du monde. Vivre ainsi, n'est-ce pas toucher au plus haut du merveilleux – et au plus aigu de l'inconfort ? N'est-ce pas accéder au plus pur de la vie ? N'est-ce pas être pleinement homme, conscience assujettie aux affres de la terre – et libre (pourtant) de ses tourments ?

 

 

La vie – et le monde – à travers leurs circonstances – pétrissent l'esprit et le corps – et traversent le cœur afin d'offrir à l'âme l'innocence nécessaire – et qu'elle réclame – pour accéder à son territoire – le fief inviolable du silence et de l'infini qu'elle seule peut – et sait – pénétrer...

 

 

Une existence entière de solitude sans parvenir (pourtant) à en découvrir le cœur... Ainsi vivent les hommes. Toujours au bord d'eux-mêmes... Essayant toujours – et désespérément – de combler l'abîme avec quelques yeux et un peu d'attention. Ignorant encore que seul le regard qui les côtoie – et qu'ils effleurent – à chaque instant saura pleinement les contenter...

 

 

L'obscur et les ombres sans cesse traversent l'innocence et la lumière. Le regard peut demeurer clair et vierge. Mais le monde pourra-t-il jamais transformer – et éclaircir – la part sombre de sa nature et la noirceur de ses élans ?

 

 

Le sourire léger et frivole peut égayer l'instant. Et même quelques heures. Comme un soleil d'hiver un peu pâle adoucit pour un moment la froideur saisonnale. Mais seul le sourire profond et consistant de l'âme réchauffe – peut réchauffer – durablement – et en profondeur – le cœur, le cœur mélancolique et la terne grisaille des jours.

 

 

Tout s'efface dans l'innocence : le passé, les événements, les circonstances, les idées, les émotions, les visages... Tout s'efface – et disparaît – pour que ne reste que la joie sereine de l'accueil...

 

 

Et si, un jour, les mots devenaient muets, qu'adviendrait-il ? La parole serait-elle silencieuse ? Non, je crois qu'il est impossible de se taire... Le cœur, à travers les lèvres et le petit crayon qui danse sur la page, ne pourra jamais renoncer à la célébration du silence. A ses petits cercles d'innocence dans l'infini.

Ainsi est la vie. Infiniment joueuse, célébrante et joyeuse. Et jamais ses traits infimes – et ses minuscules pas de danse – ne s'éteindront. Comme s'ils étaient, sans cesse, portés à la gloire – et à l'invitation – de l'instant... que le regard, aussitôt, efface pour que dure éternellement la ronde...

 

 

La parole poétique est comme une flèche d'or légère... légère – à peine visible – posée sur l'arc de l'âme. Et que le silence décoche pour atteindre sa cible : transpercer le cœur de l'homme afin qu'il éclate en bouquet d'innocence dans l'infini... et retombe en pétales d'Amour sur le monde...

 

 

La lumière, l'infini, le silence et l'éternité – ce que les hommes appellent Dieu – n'attendent qu'une seule chose : se retrouver dans – et malgré – l'obscurité, la finitude, le bruit et l’éphémère du monde. Que leurs canaux distributeurs – les êtres de ce monde – sachent rejoindre leur origine. L'initiateur de toutes les danses obscures, bruyantes et fugaces en son sein...

 

 

Le fleuve sans fin de l'écriture alimenté, sans cesse, par le ciel, les nuages, la rosée et tous les minuscules ruisselets de la terre...

 

 

Ce sont les vents qui se chargent du destin de notre parole... Et eux seuls...

Un auteur – un poète – un penseur – doit toujours laisser les vents balayer sa parole. Les laisser décider de son destin. Les laisser maîtres de la faire fleurir dans le cœur des hommes ou de l'abandonner dans le froid glacial des plaines désertes et des fossés.

Ces notes – toutes ces notes écrites depuis des d'années – se plieront à leurs exigences et à leur volonté. Nous n'intercéderons – ni n'interviendrons jamais en leur faveur... Les vents ont toujours été – et seront toujours – notre seul et unique éditeur. Et tous nos fragments sont entre leurs mains...

 

 

Le lent – et douloureux – travail du désencombrement de la vie sur notre cœur pour l'initier aux délices du dénuement. Et à la joie de l'innocence. Afin qu'il découvre – retrouve – goûte et vive (enfin) – sa nature silencieuse et infinie – et son caractère profondément unitaire...

 

 

Es-tu encore gêné, au cours de tes brèves incursions dans le monde, par les yeux – tous ces yeux – naïfs et fermés ? Martèles-tu encore de tes poings si vifs l'épaisseur si dense des volets ? Ou passes-tu en souriant devant les fenêtres closes qui, un jour – n'en doutons pas – finiront par s'ouvrir ?

Es-tu encore pressé – avide et soucieux d'accomplir et d'achever les tâches auxquelles tu te livres ? Tes pas sont-ils encore portés par une irrépressible fébrilité ? Ou ton allure a-t-elle trouvé la quiétude et la sérénité ?

Tes gestes et ta foulée se font-ils par nécessité et pour la seule joie d'être réalisés ? S'effectuent-ils sans dessein ni attente ? Es-tu simplement attentif aux circonstances et aux ressentis présents ? Ou es-tu encore porté – préoccupé et absorbé – par l'après ?

Es-tu encore emporté par la vitesse ? Ou la lenteur s'est-elle imposée dans l'immobilité du regard joyeux et serein ? Sais-tu rester indifférent et impassible face l'inertie et au piétinement des heures ? Ou ronges-tu encore ton frein pour progresser (coûte que coûte) dans ta marche vaine et stupide en lutant de toutes tes forces contre la lourdeur, la résistance et le sens des pas à seule fin de te voir avancer ?

 

 

La parole naît de l'infini. Et dans l'infini, elle meurt – et s'efface. Mais ce sont les chemins qui l'initient – et la font émerger. Et l'innocence du cœur qui la révèle... Comme si l'infini n'en finissait jamais de se parler... Et nous, nous ne sommes que les dépositaires et les témoins – les multiples dépositaires et témoins – de cet étrange et mystérieux soliloque...

 

 

La lumière, l'infini, le silence et l'éternité. Espace premier. Aire originelle de tout phénomène, de toute forme et de tout mouvement. Et aire d'effacement et d'extinction où tous viennent s'éteindre.

Présence lumineuse, infinie, silencieuse et éternelle... Et toujours, bien sûr, à portée de regard...

 

 

Le ciel est notre essence. Et la terre notre nature.

Notre essence est l'immuable lumineux, infini, silencieux et éternel. Et notre nature est énergie, diversité et interactions – cycles, mouvements et transformations...

Et il nous appartient de vivre la terre et le ciel de façon unifiée. Ou, plus exactement, de vivre dans l'unité de notre essence et de notre nature...

 

 

L’impossibilité est impossible pour l'homme sage. Non qu'il soit doté de pouvoirs magiques ou qu'il soit un surhomme en mesure de réaliser quelques incroyables prouesses (encore que... certains peut-être en sont capables...). Mais parce que l'homme sage agit toujours sans volonté, simplement guidé par l'exigence des circonstances présentes. Rien donc lui est impossible puisque ces gestes ne sont animés, à chaque instant, que par ce qui est dans l'instant...

L'impossibilité ne peut exister – et advenir – que chez les ambitieux, animés par leurs rêves et leurs désirs – arrivés au faîte de leurs capacités et de leurs ruses… à bout de souffle peut-être... et dont l'essentiel des prétentions restera impossible à satisfaire... Mais qui essaieront pourtant, coûte que coûte, d'abattre ou de franchir les obstacles pour transformer leurs aspirations en réalité – ou qui resteront, pendant quelques instants, les yeux tristes et les bras ballants devant le grand mur de l'impossibilité avant de se résigner – et de se rabattre sur un possible plus envisageable – un impossible à leur portée...

 

 

La lumière, l'infini, le silence et l'éternité ne se trouvent au bout des pas. Ni dans le ciel. Ni derrière l'horizon. Mais dans le regard uni à la foulée présente... Et seuls le cœur innocent et le regard vierge peuvent faire accéder à cette indicible présence...

 

 

[Poncif universel]

Nul ne peut tout faire. Chacun fait son possible... Et mine de rien – et au delà des forces créatrices et destructrices que chacun porte et qui se manifestent dans tous ses actes, lorsque l'on additionne – et met bout à bout – tous ces gestes, l’œuvre du monde se construit...

 

 

Ce que ces notes révèlent ? Que je ne suis ni vraiment poète, ni vraiment philosophe (ou penseur). Mais un cœur – une âme – sensible – en cours de désopacification – qui témoigne modestement de son expérience du monde et de l’existence humaine.

 

 

Ce matin, les grands corbeaux noirs volent, enthousiastes dans le vent glacé de l'hiver. Je les regarde, émerveillé – et me demande combien d'entre nous auraient l'instinct – et le courage – de s'élancer ainsi nus, humbles et majestueux dans le ciel – et de parcourir, l'âme si vive et joyeuse, les grandes étendues froides du monde ?

 

 

Vivre au rythme des jours et des saisons. Uni aux cycles éternels et naturels du monde...

 

 

Le givre a recouvert les collines et les arbres – et offre une beauté féerique aux paysages. Mais plonge aussi les bêtes – animaux des prés et des bois – dans un inconfort glacé. Et malgré le charme incontestable de ce spectacle hivernal, mon âme est plus sensible au dénuement des êtres face à l'hostilité saisonnale qu'à la splendide blancheur de la terre et à l'émerveillement légitime – mais toujours un peu mièvre – qu'elle suscite, en général, chez les hommes...

 

 

La brume incontestable dans le regard des hommes. Mais leur cœur parfois rayonnant qui resplendit, presque avec innocence, dans leurs yeux rieurs – et sur leurs lèvres souriantes...

 

 

Le pire des exils est, sans doute, celui du cœur. Mais tout exil n'est pourtant qu'un éloignement provisoire. L'éloignement est toujours passager – même s'il peut être durable... L'être finit toujours par rejoindre l'origine. Le lieu qui l'a enfanté. Son éternelle demeure...

En vérité, l'éloignement n'est qu'un jeu. Jamais on ne peut réellement se quitter. Jamais on ne peut réellement s'échapper ni s'extraire de soi-même... Quel que soit notre état – et l'endroit où nous habitons –, nous nous appartenons – et nous sommes nous-mêmes. Nous serons toujours nous-mêmes. A jamais...

L'exil – l'éloignement – ne sont qu'une distraction. Une sorte de pirouette de l'être. Comme l'ignorance, l'obscurité, l'étroitesse, le limité, la finitude, l'agitation, le bruit et l'éphémère ne sont qu'un déguisement de la lumière, de l'infini, du silence et de l'éternité...

 

 

La lumière, l'infini, le silence et l'éternité sont l'espace immuable. L'être-présence est la capacité à habiter cet espace – et à le rendre vivant. Pleinement vivant à travers l'Amour. Et l'on n'accède – ne peut accéder – à cet espace – l'habiter et le rendre vivant (pleinement vivant) – qu'avec un cœur, une âme et un regard totalement vierges et innocents.

Tout travail spirituel vise à nous désencombrer pour accéder à cette virginité et à cette innocence. A nous familiariser avec elles, puis à les vivre à chaque instant. Le reste – la lumière, l'infini, le silence et l'éternité – arrivent alors naturellement. Et peuvent se déployer en nous sans restriction...

 

 

Une présence attentive et disponible. Tendre et chaleureuse...

 

 

Après avoir balayé les communes ambitions, après avoir été obsédé par la grande aspiration des hommes ; la vérité, et après avoir franchi, une à une, les étapes de la connaissance (de soi) qui mène – et ouvre – à l'Amour et amène à fréquenter – ou à côtoyer parfois seulement... – la lumière, l'infini, le silence et l'éternité, l'esprit de l'homme sage, libre de tout désir et débarrassé de toute volonté, ne vit plus désormais que l'instant. Il vit chaque instant comme il arrive. Rien de plus. Et rien de moins. Voilà, si l'on peut dire, à quoi se résume – et se cantonne – pour lui l'existence...

La vie de l'homme sage est toujours simple, humble et fonctionnelle quels que soient son caractère et la nature de son personnage...

 

 

L'innocence sera toujours le meilleur garde-fou contre la démesure et la déraison...

 

 

[Souvenir]

Les questions de l'homme, brûlantes, sur sa peau. Que les vents embraseront à l'orée du chemin avant la rude ascension des épreuves... Ah ! Que la lumière semble lointaine à l'homme qui marche...

 

 

[Souvenir – suite]

Le souvenir n'est qu'une visite – une infime incursion – du passé dans l'esprit. Un détour inutile dans l'heure présente. Aussi à quoi bon se remémorer sinon pour se distraire, échapper aux circonstances du jour et essayer de déterrer une joie – ou une tristesse – pour égayer l'instant ou raviver une blessure qui – l'avons-nous oublié ? – vit déjà, si elle n'a pas été pleinement accueillie, dans toutes nos foulées présentes...

L'homme sage ne se souvient pas. Son passé est mort. Mort et enterré. Son esprit est un palimpseste qui sans cesse accueille – et efface. Disponible – et disposé toujours à recevoir ce qui se présente...

 

 

Les battements d'ailes du jour fragile. Aussi vulnérable et éphémère que la rosée et le papillon...

 

 

Qui peut douter – un seul instant – que l'innocence sortira victorieuse de tous les combats ? Et qui sait que la puissance du monde deviendra alors salutaire ?

 

 

A la fin des siècles, l'aube se lèvera enfin... Et avec elle, la lumière que nous attendons depuis des millénaires. Ne sommes-nous pas nés pour voir le jour ?

 

 

La main si simple. Ouverte à ce qui passe... aux grondements sourds du cœur encore mal dégrossi, aux restants de plaintes, à l'écho lointain des désirs anciens comme aux joies du jour libéré de ses chaînes, à la virginité de l'âme qui danse avec les heures et à la beauté intense de l'instant...

 

 

Lorsque le ciel descend, la terre devient transparente comme si l'infini la recouvrait... La terre devient silencieuse sur les tombes et les vivants. Et l'instant nous foudroie comme si nous étions éternels... Les anges pourraient bien passer devant nos yeux clairs, Dieu et les hommes pourraient bien nous appeler du fond de leur joie ou de leurs tourments, nous les regarderions – et leur tendrions toujours la main pour qu'ils nous rejoignent...

 

 

La lumière ? Et après ? L'infini ? Et après ? Le silence ? Et après ? L'éternité ? Et après ? Le monde et le regard enfin rassemblés. Présents. Infiniment présents. Quelle incroyable – et mystérieuse – expérience...

 

 

La saveur indicible du simple. Sa consistance et sa légèreté. Les cris et les coups ont beau encore régner partout en maîtres sur le monde, quel visage le regard ne pourrait-il recevoir ?

Être présence. Être bouche aimante – et main secourable malgré l'indifférence et l'adversité du monde...

 

 

Le cœur – et le geste – de l'homme se font paresseux dans la nuit. Ils s'enfoncent dans ses profondeurs. Et seront bientôt pleinement encerclés par le froid et les vents de la solitude. Que pourrait bien faire l'homme sage pour leur venir en aide ? Rien. Il sait que cet encerclement est une bénédiction. La seule route possible vers l'Amour...

 

 

La séparation morcelle le cœur. L'Unité toujours passe par l'émiettement. Cherchant derrière l'effritement et la poussière le puits insondable – et invisible – où tout s'abandonne. Et lorsque les derniers fragments – les ultimes morceaux – se détachent, il apparaît alors resplendissant. Puits de lumière et d'infini, silencieux et éternel, qui offre son eau joyeuse : l'Amour sans condition.

Et l'homme sage sait s'abreuver à ce puits. Il en est même l'un des seaux – un infime baquet ou une louche dérisoire parfois... – dont il verse autour de lui le précieux liquide au cours de sa marche infatigable sur les chemins du monde...

 

 

L’œil commun – l’œil clos et l’œil de l'horizon – ont besoin de lumière. La lumière de l'après et de l'ailleurs. La lumière de l'au-delà. La lumière de l'espoir. Et cette lumière doit être tangible dans leurs pas – et à portée de regard – pour offrir à leurs foulées l'élan nécessaire et la destination sinon ils sombreraient dans la nuit profonde – les abysses mélancoliques –, se recroquevilleraient et finiraient, tôt ou tard, par dépérir. Cet espoir – palpable – de lumière est leur bouée. Leur seule bouée. Et l'unique étoile dans l'obscur de leur cécité...

L’œil sage – l’œil ouvert et dessillé – lui, n'a nul besoin de lumière. Et qu'importe son inclination (naturelle) pour l'ombre ou la clarté... il peut traverser – et même vivre – dans les ténèbres comme dans le rayonnement du plein soleil, sa foulée sera toujours sereine et joyeuse – éclairée par sa propre lumière...

 

 

Les bagages dont aiment se charger les hommes... S'ils savaient les merveilles qui les attendent une fois libres de ces encombrements, ils s'en débarrasseraient sur le champ...

Ah ! Que la foulée est lente, lourde et laborieuse aux premiers pas du voyage...

 

 

Quel homme sait que Dieu est là à chaque instant – si près de son visage – à l'orée des yeux – à peine dissimulé derrière les gestes pesants et la parole plaintive... ?

 

 

Tant d'hommes parcourent l'horizon – s'enfoncent dans le lointain – alors que le seul horizon qui vaille – et auquel mènent tous les autres – se trouve derrière les yeux...

 

 

La parole poétique ne vénère rien. Elle évoque simplement le merveilleux du monde et le silence...

 

 

Lorsque le langage devient inhumain, la parole ne peut être comprise. Et le silence s'impose alors comme l'unique témoin. Et l'unique interlocuteur. Comme si le silence devenait notre seul partenaire. Ou, plus exactement, comme s'il se faisait infime partie de lui-même s'entretenant avec le plus vaste qu'il est...

Cette communication est merveilleusement belle – et émouvante – et tragiquement solitaire comme si, en définitive, nous pouvions nous passer du visage des hommes. De leurs yeux et de leurs oreilles insensés – inaptes encore à comprendre...

 

 

Dieu – la lumière, l'infini, le silence et l'éternité – peuvent se passer du monde qui est à la fois leur création, leur jouet et leur instrument – et dont ils usent à diverses fins : comme objet récréatif, comme objet de célébration et comme objet d'exploration et de découverte afin de trouver le chemin de leurs propres retrouvailles...

 

 

Le vent sur la neige pour qu'éclosent tous les matins vierges de la terre. Et, au loin, sur une branche, un oiseau qui s'envole, laissant tomber quelques éclats de givre sur le sol gelé. Et l'empreinte encore fraîche de son vol dans le ciel...

 

 

De quoi rêves-tu, homme, dans ton lit de poussière ?

Es-tu encore fasciné par les étoiles qui brillent dans ta nuit ?

Que seras-tu – et que feras-tu – à ton réveil ? Le sais-tu ?

 

Pourras-tu encore ignorer la fragilité – et le dérisoire – de tes pas dans la neige ?

N'as-tu encore compris le fugace de la vie – empreinte légère sur les eaux noires de la terre ?

Te faudra-t-il encore ânonner ta leçon pendant des siècles ?

Ne crois-tu pas, homme, qu'il est temps d'ouvrir les yeux ?

 

 

La couleur brune du ciel dans ton regard

Comme un puits où tu aimes à te perdre

Colores-tu vraiment la terre de ton cœur sombre ?

Et si la nuit n'était qu'un reflet ?

Y as-tu songé, homme ?

 

La couleur toujours est provisoire sur la transparence.

Et la lumière jamais ne se teinte.

 

Quelques taches – à peine visibles – sur l'infini

Quelques ondes dans le silence

Et quelques cercles dans l'éternité.

 

Est-ce donc là ta seule ambition, homme ?

 

 

Sur le chemin, des pierres, des feuilles mortes, des arbres et quelques visages parfois – et qui nous mènera à d'autres chemins avec d'autres pierres, d'autres feuilles mortes, d'autres arbres et d'autres visages. Et nous marcherons ainsi jour après jour – semaine après semaine – sur tous les chemins de la terre. Nous marcherons ainsi éternellement. Croisant toujours sans nous arrêter – et souvent même sans les voir – la foule des pierres, des feuilles mortes, des arbres et des visages. Tout le peuple de la terre dont nous resterons à jamais étrangers. Aussi étrangers que nous le sommes à nous-mêmes...

Tu seras toujours, homme, ton plus magistral inconnu... Et tant que tu ne perceras ce mystère, la lumière, l'infini, le silence et l'éternité ne susciteront chez toi le moindre intérêt – et ne pourront s'inviter dans tes pas...

 

 

[Comme un léger relent d'individualité...]

Il arrive encore, bien sûr, que l'individualité se manifeste. Et pourquoi ne la laisserait-on s'exprimer ? N'aurait-elle pas droit au chapitre ? Serait-elle trop indigne pour occuper une place dans cet opuscule au registre fortement impersonnel ? Serait-elle trop commune pour exister – et figurer – au sein de la lumière, de l'infini, du silence et de l'éternité ? Non. Bien sûr que non...

L'être étroit a, lui aussi, une parole à faire entendre... Et il aimerait s'afficher – et s'affiche d'ailleurs toujours – tel qu'il est... Mais il regrette parfois (dans son immaturité) de ne pas être reconnu pour ce qu'il est... Et qu'est-il à ses yeux ?

Il est d'abord ce que l'on appelle un haut potentiel – un être doté d'une forme de surdouance intellectuelle et émotionnelle – une catégorie qui ne représente que 1 à 2% de la population ;

Il est engagé, corps et âme, dans un cheminement spirituel profond et authentique* – et il semble évident que bien moins d'1 % de la population ne soit concerné par ce genre de démarche et de perspective... ;

* Que l'on pourrait qualifier de profond et d'authentique...

Il est végétarien – une catégorie qui ne représente, elle aussi, que 1 à 2% de la population... – et est extrêmement sensible au bien-être animal* (de la fourmi à la baleine en passant par la vache, la mouche, le chien et le moustique...) – ce qui, au vu de la façon dont les animaux sont considérés par l'essentiel des êtres humains, semble plutôt rare... ;

* Et, plus globalement, au bien être du vivant et au respect de l'Existant (hommes, bêtes, plantes etc etc).

Et il est enfin animé d'un fort penchant libertaire ; il déteste – et ne peut se résoudre à alimenter – et à vivre dans – un monde où la normalité, les conventions, l'argent, le travail, l'autorité, l'ordre établi, les loisirs, les distractions etc etc – avec leur lot de bêtise, d'ignorance, de violence et de grossièreté – constituent les valeurs les plus fondamentales...

Haut potentiel végétarien extrêmement sensible au vivant et aux penchants libertaires profondément engagé dans une perspective spirituelle impersonnelle... Aussi comment voulez-vous qu'il fréquente l'humanité ? Et qu'il trouve quelques affinités avec la foule des hommes ? Qui pourrait véritablement le comprendre ? Et que peut-il y faire s'il est – et se sent – si différent et atypique ? Il en est ainsi. Et il vit (à titre personnel) avec cette solitude et ce sentiment de différence...

 

 

L'oiseau messager. Le ciel à l'écoute. Et la terre en attente mais dont l'oreille, encore maladroite, est fermée à la parole. Et le silence lourd et aveugle – à l'ossature pesante – finit par tout recouvrir – le ciel, la terre, l'oiseau et son message.

Le silence léger viendra plus tard lorsque tous sauront l'accueillir. Après que la terre et le ciel aient reçu l'oiseau – et entendu sa parole...

 

 

La danse bruyante et interminable des ombres dans l'infini, le silence et la lumière offre aux yeux – et au cœur – un parfum d'éternité. Comment Dieu a-t-il eu l'audace de créer cette incroyable chorégraphie – et ces danseurs magnifiques animés par la ruse et la malice qui font tourner le monde avec eux ? Comment pourrait-il les blâmer ? Et comment pourrait-il empêcher – et même renoncer à – leurs pas et à leurs gestes endiablés qui égayent la terre ? Il faudrait qu'il soit bien stupide – et bien ingrat – pour se défaire de cette danse folle...

 

 

Instant après instant. Jour après jour. Semaine après semaine. Année après année. Ainsi se déroule la vie, identique et différente. Et ainsi va-t-elle implacablement de son rythme mécanique – sans que rien ne puisse l'arrêter... Voilà comment voit l’œil commun...

Entre hier et demain. Entre la naissance et la mort. Entre le premier souffle et l'ultime expiration, un instant aussi bref qu'un éclair dans le ciel. Voilà comment voit l’œil qui s'ouvre...

L'éternité toujours, éternellement recommencée à chaque instant... Voilà comment voit l’œil sage...

 

 

A l'inconnu du jour, le ciel offre sa grâce. Et à l'âme une profonde émotion. Bouleversée par les danses – toutes les danses – du monde.

 

 

Et si le spectacle n'était que dans les yeux ? Y as-tu songé, homme, avant de lancer ton pas ? Avant de jeter ton geste dans la noirceur du monde ?

 

 

La lecture est une caresse sur l'âme... Quel homme refuserait-il de se laisser envelopper par la parole ? Et de se laisser guider – et porter – par elle ? Il faudrait être fou – ou idiot – pour renoncer à cette opportunité et à ces délices...

 

 

Et si la lumière n'était que l'offre perpétuelle de l'infini ? Et si le silence n'était que l'invitation permanente de l'éternité ? L'homme alors, sans doute, délaisserait ses activités obscures, bruyantes et dérisoires pour contempler le jour...

 

 

La persistance des jours sombres. Quelle aubaine pour les vendeurs de peur, de sommeil et de mort...

 

 

La seule brimade que Dieu peut infliger aux hommes est le silence – qui est aussi, ne l'oublions pas, sa plus sûre – et magistrale – récompense... La terre, elle, se charge du reste : du juste retour des coups et des blessures infligés...

 

 

La terre est un temple offert aux yeux impies... Et la mécréance ne serait rien si elle n'enflammait ses colonnes. Et condamnait aux flammes la foule des visages...

 

 

Pourquoi chercher Dieu ailleurs qu'ici ? N'est-il pas dans notre âme silencieuse ? N'est-il pas dans notre cœur innocent ? N'est-il pas dans nos paroles les plus tendres – et nos gestes les plus généreux ? N'est-il pas partout où l'ambition et la prétention se sont effacées ? Il serait pourtant si simple de fréquenter l'Amour...

 

 

Tous ces êtres qui, à chaque instant, sont avalés par la bouche béante de la mort. Anéantissant les corps. Et les vouant à d'implacables transformations. Engloutis par les forces en présence et les éléments de l'Existant. Utiles aux puissances créatrices – aux puissances de vie. Libérant, pour quelques temps, le regard de la matière qui, après quelques tours dans la lumière infinie – et le silence éternel, s'y réassocie. Poussé inlassablement par l'élan des désirs et des projections. Alimentant sans cesse le cycle sans fin de la vie...

 

 

Les yeux du monde sont, bien souvent, une invitation au mensonge et à la tricherie. Ainsi agissent – et vivent – les hommes dans leur fantasme insensé de paraître davantage que ce qu'ils sont... Mais en fréquentant les terres sournoises de la duplicité, ils ne dupent, en réalité, qu'eux-mêmes. En se livrant à leurs supercheries, les hommes croient sauver la face mais, en vérité, ils s'éloignent toujours davantage du pays des innocents. En se prêtant ainsi à leurs tromperies – et à leurs bassesses –, ils s'enfoncent toujours plus profondément dans l'obscur. Abandonnant l'honnêteté – et la rectitude du cœur – nécessaires au rapprochement de la lumière et de la vérité...

 

 

Les hommes, en général, n'ont aucun goût pour la lumière, le silence, l'infini et l'éternité – qui sont, à leurs yeux, trop (beaucoup trop) éloignés de leurs aspirations animales. Ils les craignent, au contraire, comme la peste. Terrifiés de devoir dévoiler leur insignifiance et leur vacuité – leur inexistence individuelle... Trop occupés à tenter de combler (vainement, bien sûr...) leur béance, – en cherchant, malgré tout (comble de l'ironie...), à atteindre la lumière, le silence, l'infini et l'éternité – par des voies navrantes et inappropriées en s'investissant dans une foule d'activités dérisoires et instinctuelles – obscures, bruyantes, limitées et provisoires qui les rassurent autant qu'elles les frustrent – et qui les maintiennent, malgré leur aspiration inconsciente à les trouver, dans les griffes redoutables de la terre noire. Incapables encore de hisser leur cœur – et leur regard – dans la clarté silencieuse, infinie et éternelle du ciel – pourtant à leur portée...

 

 

Les pas brumeux du jour sur l'horizon noir. Et les forces mécaniques nées de la grande nuit à l’œuvre qui partout assombrissent les souffles et les élans...

 

 

Avez-vous jamais entendu le soleil se plaindre de son existence, de son activité ou de son rayonnement ? L'avez-vous jamais entendu se plaindre de devoir se lever chaque matin et de devoir se coucher chaque soir ? Avez-vous jamais entendu la terre et la lune protester d'avoir à emprunter chaque jour le même itinéraire ? Les avez-vous jamais entendues maugréer d'avoir à tourner inlassablement ? Non, bien sûr... Le soleil, la terre et la lune font, chaque jour, ce pourquoi ils sont faits comme au premier matin du monde...

Et il y a de la joie, de l'émerveillement et de la beauté (une immense beauté) dans ces cycles sans fin. Et leur plein accueil... Et comme eux est l'homme sage. Il suit sa pente naturelle – et obéit aux circonstances présentes. Voilà pourquoi son existence reflète une joie si sereine. Et voilà pourquoi ses pas et ses gestes ont la grâce des astres – et qu'ils portent en eux la puissance de l'univers...

 

 

Et si le monde pouvait se passer de la parole... Et si, soudain, tout pouvait baigner dans le silence et la lumière... Et si tous les visages pouvaient enfin reconnaître leur nature infinie et éternelle, le monde serait alors un paradis. L'exact reflet de son origine...

 

 

Partout la joie de l'éphémère crie son éternité. Malgré les barrières et les frontières. Malgré la pagaille des mille chantiers du monde. Malgré l'obscure ignorance qui règne sur tous les chemins de la terre.

Et pourtant... malgré la tristesse noire – et l'hébétude chancelante – des visages... malgré l'incompréhension du cœur – ses peurs et ses lâchetés... malgré la moue – et la parole malhabile – des lèvres, tout éclate en joie...

 

 

Et si la vérité nous était servie, à chaque instant, sur un plateau d'argent... Et que nous préférerions nous agenouiller sous la table – et soulever tous les tapis du monde – pour ramasser quelques miettes de lumière...

 

 

Et si la parole n'était qu'un prétexte au silence... Et si tous les visages n'étaient que la glaise de Dieu, lumineuse malgré ses taches brunes...

 

 

L'ambition maladive du cœur emprisonne l'âme. Et la fait dépérir. Et si nous étions capables, d'un claquement de doigts, de faire sauter toutes les chaînes – et d'effacer tous les barreaux –, serions-nous libres (pour autant) ? Non, bien sûr... Jamais nous ne le serons tant que persistera au fond du cœur l'espoir de la délivrance. Tant que l'âme n'aura épousé l'innocence qui détient la seule clé du ciel. Tant que le cœur et le monde agiteront devant nos mains avides le vil trousseau des horizons, la lumière, l'infini, le silence et l'éternité ne pourront éclore dans notre vie...

Sans innocence, nul ne peut découvrir la liberté. Les hommes pourraient s'y essayer mille fois. Dix mille fois. Ils pourraient s'éreinter à la chercher pendant une éternité, ils ne trouveraient rien...

Autant tenter de surprendre la lune dans son sommeil...

 

 

Et si la parole ne pouvait être encore perçue par les cœurs trop verts... Qu'importe, après tout, si les étoiles nous entendent. Qu'importe... Nous savons que la lumière, l'infini, le silence et l'éternité emprisonnés derrière les visages frémissent en entendant notre voix. Bouillant d'impatience de rejoindre leur aire originelle – et de retrouver leurs pleines connexions avec ce qui vibre derrière toutes les figures du monde...

 

 

Le sommeil bruyant frappe la terre. Et le cri des yeux encore clos qui cherchent leur route en amassant l'herbe et les pierres sur la roche. Laissant ainsi filer la lumière et le silence...

 

 

L'émiettement du silence sous les pas trop furieux. Et trop pressés. Et l'effacement de la lumière au profit de la nuit où s'enfoncent, sans même la voir, tous les visages ensommeillés.

Pourquoi donc fréquenterions-nous les hommes ? Attendons-les plutôt patiemment au seuil de tout apprentissage – lorsque les mains auront délaissé l'espoir – et les cœurs la lumière des horizons – enfin prêts à marcher vers l'infini.

Et nous serons là, les bras accueillants, lorsque le silence et l'éternité seront offerts à leurs derniers pas...

 

 

Ainsi passent les jours. Et s'écoule la vie jusqu'à l'ultime souffle. L'esprit assis à la table des heures... Scrutant pendant des siècles l'espoir d'une lumière sur l'horizon. Se remémorant les instants glorieux d'autrefois qui furent beaux peut-être... Répétant, chaque jour, mille gestes – et prononçant quelques paroles à des visages inconnus et familiers qu'on ne sait plus voir – et que l'on n'a même, sans doute, jamais vraiment regardés. Ignorant tout du cœur et des âmes. Et les piétinant tous sans exception, les siens comme ceux qui errent, hagards et apeurés, sur les chemins du monde... Insensible – si insensible – au merveilleux qui vibre – et rayonne – partout... Ainsi vit l'homme. L'esprit de l'homme – si étranger à l'infini et au silence...

Mais qu'importe que le temps s'écoule, l'éternité demeure...

 

12 décembre 2017

Carnet n°95 Petites choses

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

De la pluie et du silence. Le jour, parfois, n'a rien d'autre à offrir... 

Il n'y a peut-être de paroles plus vraies que celles que l'on ne prononce. Qui restent tapies dans le secret de l'âme et du cœur. Et qui montent en silence vers les étoiles pour éclairer davantage celles qui brillent dans le ciel de chacun...

Le jour a plié sous la nuit. Et le sang à présent recouvre les étoiles. Et le cœur hurlant que l'on arrache à la possibilité de la lumière...

Peut-on avoir les yeux plus proches de la vérité que lorsque le cœur ignore tout – et qu'il sait être ce qui advient...

 

 

Jamais la nuit n'est sans rappeler le jour. Et jamais le jour sans rappeler la nuit. Tous les horizons nuancés du monde et de la vie...

 

 

Le courage infini – et qui force l'admiration – des minuscules papillons de nuit aux ailes blanches volant par centaines – par milliers peut-être... – dans la nuit glaciale de l'hiver. Mais pourquoi diable le destin les pousse-t-il ainsi à endurer pareille épreuve...

 

 

A l'aube monte des entrailles de la nuit – et de la veille – le parfum du jour. Et dans le cœur éveillé, une pluie de lumière...

 

 

Un seul visage pourrait nous offrir l'Amour. Et nous, nous le cherchons encore parmi ses ombres... Il suffirait (pourtant) de se pencher avec plus d'attention sur son propre visage... Et on l'apercevrait... Il s'y repose à peine dissimulé... Mais non ! Nous préférons rester aveugles – et sourds à ses consignes... Trop occupés encore à courir sur tous ses rivages lointains... Mais leurs bras jamais ne pourront nous y mener à moins, bien sûr, qu'ils nous abandonnent – et nous invitent à nous retourner sur nous-mêmes...

 

 

Et le silence, soudain, se mit à nous parler. Murmurant quelques tendres paroles. Et offrant une douce – et irrésistible – invitation à sa présence. Imperceptible aux oreilles communes. Mais si belle – et si puissante – que le cœur mûr ne put y résister. Et il s'en fut rejoindre l'admirable silence qui l'accueillit, l'embrassant de sa bouche éternelle et l'entourant de ses bras infinis...

 

 

De la pluie et du silence. Le jour, parfois, n'a rien d'autre à offrir...

 

 

Serions-nous donc tous ces visages qui nous habitent. Comment le cœur peut-il encore en douter ?

 

 

Le doux balancement des pas portés par les vents du hasard et de l'inconnu...

 

 

C'est le même visage qui offre et reçoit. Les deux faces du même visage qui pansent et meurtrissent. Et un souffle – un souffle ténu – les sépare. Comme un seul regard seulement peut nous faire pencher vers l'une ou vers l'autre...

 

 

La vétusté des jours malgré les décors – et l’environnement – luxueux et flamboyants. Et dont on aperçoit déjà les dégâts – et les premières ruines – dans les vies. Et sur les visages...

 

 

Une floraison d'étoiles avant la traversée. Voilà ce qu'emporte l'homme dans sa foulée. Et qu'il dilapide au fil des pas. Piètre cargaison que lui dérobent les jours, les chemins et l'obscur des heures.

L'abandon et l'innocence seront toujours la destination de toute marche. Le seuil – et l'aire d'invitation – de l'infini et du silence...

 

 

Si nos yeux, notre cœur, notre âme et notre main n'étaient présents, qui s'occuperait de nous ? Et qui veillerait sur ce monde malade ?

 

 

L'homme au regard triste dont la source des larmes est la lumière...

 

 

Dans la neige des jours, nous attendons, grelottant, le feu de l'âme. Le grand brasier du cœur. Qui embrasera la vie. Et réchauffera la solitude terrible du monde et des hommes qui gémissent et se morfondent sous la glace – et les congères – dont le dénuement et l'impuissance les ont laissés les recouvrir. Et qu'ils n'ont jamais réussi à percer de leur poing trop fragile...

La glace est l'enveloppe naturelle du cœur. Du cœur de l'homme ordinaire. Comment vivre autrement dans le grand froid du monde ? Il faut beaucoup d'audace et d'innocence pour laisser fondre cette carapace. Et offrir son cœur nu – et sans protection – aux vents glacés de la terre. Il faut même beaucoup de courage. Et un peu de folie...

Qui se déshabillerait ainsi pour aller nu dans la neige ? Le cœur doit être brûlant – immense et brûlant – pour traverser cette épreuve car lorsqu'il ôte ses horribles frusques, il sait qu'il ne pourra plus jamais revêtir le moindre haillon – et qu'il devra aller nu jusqu'à la fin des temps...

 

 

La fête est toujours triste parmi les hommes. Pourquoi seuls les herbes, les pierres et les étoiles, les arbres et le vent, le ciel, les bêtes et la rosée savent me réjouir – et enchanter mon âme ?

 

 

Il n'y a d'âme plus belle – et plus grande – que celle d'un brin d'herbe – si souvent misérable et insignifiant en apparence – mais qui accepte – et plonge tout entier dans – son destin. Dieu lui offre alors son humilité, sa force et sa beauté. Et il lui offre le silence. Et l'infini des jours... Voilà pourquoi son âme est si belle. Et si grande...

 

 

Il n'y a de jour plus beau que lorsque l'âme resplendit dans son écrin ; la vie. Et qu'elle s'offre à tous comme toutes les autres beautés innocentes de la terre...

 

 

Seul avec un recueil de poésies. Des notes aussi belles que le printemps. Et aussi tristes que la pluie. Et ce jour-là, baigné autant de rires que de larmes, est béni car peut-être sera-t-il le dernier – qui sait si nos yeux, demain, verront le jour...

 

 

Cette âme si douce qu'elle savait voir la sagesse des fleurs. Qu'elle pouvait leur parler – et les écouter... Quel homme se laisserait-il enseigner ainsi par la sagesse de l'éphémère et de la fragilité ?

 

 

Pourquoi attendre la fin de la nuit pour s'éveiller ? Nous serons déjà debout – et partis depuis bien longtemps – au réveil du monde...

 

 

Les plus belles chapelles – comme les plus hautes cathédrales – gisent, invisibles, au fond du cœur. Voilà pourquoi on voit l'âme si souvent s'y glisser. Et qu'on l'entend parfois chanter ses louanges. Dieu et les anges ne sont alors jamais très loin... Et les plus sensibles les écoutent pendant des heures célébrer l'office avec elle. Ce sont leurs murmures d'amoureux portés par les vents que nous entendons lorsque nous savons nous faire silencieux... et qui nous offrent leur Amour et leur beauté lorsque nous regardons la vie et le monde comme pour la première fois...

 

 

Au milieu des montagnes, le silence et la course lente des nuages. Et au loin, dans la plaine, l'agitation des cités et les cris des hommes.

Le poète marche, chaque jour, pour regagner son pays où les âmes sont rares et belles. Où les chants sont humbles et silencieux. Aussi humbles et silencieux que les arbres et les rochers. Où les étoiles brillent avec modestie dans la nuit. Et où la lune et le soleil sont vénérés pour leur lumière... Ô douce patrie du poète...

 

 

La compagnie des herbes et du ciel, des bêtes et des poètes me console de mon manque de goût pour le monde. Non que je n'aime les hommes... mais il m'est impossible de vivre à leur côté...

 

 

La vie est poétique. Ou elle est misérable. Elle ne peut être vécue que sur ces deux modes... Et toutes les manières de vivre n'en sont que des déclinaisons...

 

 

La joie toujours vient du cœur. Jamais des événements...

 

 

Une chose en nous abhorre le mensonge de l'opulence et de la fête collective. Elle y décèle avec trop d'évidence l'affreux masque qui voile la condition naturelle de l'être – et du vivant terrestre : la solitude et le dénuement. La misère qui, seule, ouvre à la sensibilité qui mène à la joie. Et à la richesse de l'Amour...

 

 

La poésie – la belle et grande poésie céleste – me semble parfois de la poudre d'or jetée aux pourceaux qui l'abandonnent sur un coin de table ou l'oublient parmi les volumes vulgaires qui encombrent les étagères poussiéreuses de la bibliothèque. Ou qu'ils remisent dans l'armoire aux trésors comme de vieilles reliques sacrées en n'osant à peine en parcourir les pages. Empêchant, dans un cas comme dans l'autre, de laisser courir la parole parmi les herbes et les étoiles. De la laisser pénétrer le cœur – la part impénétrable du cœur. Et de la laisser se hisser jusqu'à l'âme pour l'inviter au voyage – et découvrir d'autres terres et les rivages magnifiques et infréquentés du silence. Comme si l'on enterrait le sacré de la parole au lieu de lui offrir l'attention – et la présence – nécessaires pour qu'elle embrase l'être et le porte jusqu'au seuil de l'infini...

 

 

En matière poétique, il s'agit moins de dire que d'évoquer. Moins de révéler que d'encourager. Ainsi œuvre, je crois, la parole du poète. Comme un infime reflet dans la lumière. Un infime débris dans l'infini. Comme un mince souffle dans le silence...

 

 

Nous marcherons jusqu'à l'épuisement. Jusqu'à l'extinction et l'effacement. Pour atteindre le lieu de toutes les destinations. Et ce souffle inébranlable – qui nous anime – donnera son allure au pas. Et lui offrira le seul destin pour lequel il est né... Il n'y a d'autre voie pour l'âme, l'homme et l'être unis – toujours unis dans – et par – la même foulée...

 

 

L'anoblissement naîtra au fond du cœur que l'âme innocente aura investi. Pleinement investi. Le silence et l'infini deviendront alors la seule étendue. La seule présence. Et la seule foulée...

 

 

Il n'y a, en général, d'amour sincère. Mais le cœur peut apprendre à se faire honnête. L'Amour alors adviendra, clair et authentique. Infini et lumineux...

 

 

La demeure du vagabond n'est faite ni de paille, ni de bois, ni de briques. Elle gît, fragile, au milieu des vents. Elle est de la nature même du silence et de l'infini. Et aussi ouverte à l'herbe et au ciel que les plus hautes terrasses de la terre. La demeure du vagabond est inaltérable. Et inaccessible aux souffles du monde comme à la main avide et bestiale de l'homme.

 

 

Ne comprendrons-nous donc jamais ce qui nous habite – et nous anime ? N'accueillerons-nous donc jamais ce qui nous échoit ? Le cœur – et la main – de l'homme ne sont faits que de refus et de résistances... Un instinct d'autruche qui le confine, le plus souvent, à un destin de cloporte... alors que, partout, sous le désert apparent – et la rudesse de cette terre infertile –, éclosent – poussent et brillent – les fleurs de l'infini éclairées – et guidées – par la belle lumière du silence.

 

 

Il n'y aura jamais qu'un seul regard sur soi et sur le monde. Celui que l'on porte sur eux... Et tous les yeux – et le cœur – des êtres et des hommes n'en sont que les fragments – les infimes fragments – tantôt honnêtes, lucides et ouverts, tantôt clos, étroits et mensongers...

 

 

Être – et savoir être – en sa propre compagnie, voilà qui nous sauve de tous les désastres de la vie et du monde. Et qui leur seront, en dépit des apparences, toujours du plus grand secours...

 

 

Je ne connais rien de plus réjouissant en ce monde que d'être là, pleinement présent, à contempler les heures – et ce qui advient à chaque instant. Le cœur et le regard si vides. Et la vie si pleine quelles que soient les circonstances – que le tout ou le rien se présente à notre porte...

 

 

Il n'y a d'injustice. Jamais. Il y a seulement des événements douloureux et nécessaires. Et un immense gâchis. Si nous savions regarder – réellement regarder –, il y aurait la joie de l'accueil. Toujours il y aurait la joie de l'accueil. Et tant de merveilles à goûter...

 

 

L'homme sage ne sait pas. En vérité, il ne sait rien. Il n'a jamais rien su* et ne saura jamais rien. Il est vide de tout savoir et de toute connaissance. Il n'est que présence et contemplation. Il observe simplement ce qui arrive. Et l'accueille comme il se présente. Et de cette écoute pleine et totale, dépourvue de tout jugement, de toute arrière-pensée et de toute exigence naissent son geste et sa parole – lorsque les circonstances l'exigent. Et si elles ne réclament rien, il sait demeurer immobile et silencieux...

* Même si autrefois il a cru savoir beaucoup...

 

 

L'homme sage ne vaque qu'aux nécessités essentielles (et fondamentales) du corps, de l'esprit et de l'environnement. Et il n'obéit qu'aux exigences de la vie et du monde qui se présentent dans l'instant... Ses pas, ses gestes et sa parole y sont voués tout entiers... Et qu'il agisse, parle ou demeure silencieux et inactif, il est présence – présence dans le silence et l'infini du cœur et du regard...

 

 

Nous vivons – à peu près tous – comme d'infirmes indigents (maladroits et empotés) assis sur une mine d'or – la plus grande sans doute que nous puissions trouver en ce monde (et aussi ailleurs sans doute...). Et nous ne le voyons pas. Ne le sentons pas. Et n'en avons parfois pas même l'intuition... Et cet aveuglement – et cette ignorance – sont notre plus grand malheur. Le nôtre comme celui des êtres et du monde. Voilà pourquoi nous nous plaignons sans cesse – et que nous nous querellons continuellement pour quelques pauvres épluchures de pommes de terre...

Une vie dérisoire de larmes et de poings serrés – de blessures et de coups –, alors que la joie partout attend notre innocence pour se révéler...

 

 

Une présence et une attention disponibles, voilà ce que nous pouvons offrir de plus précieux...

 

 

Quels que soient les circonstances et notre degré de compréhension, nous ne serons jamais qu'en notre propre compagnie...

 

 

Combien d'êtres en ce monde offrent-ils un univers poétique, artistique et spirituel ? Très peu sans doute... Mais chacun n'offre-t-il pas ce qu'il peut... Quelques gestes d'attention – et quelques marques d'affection, en général...

 

 

Poussières d'étoiles traînées dans la boue. Puis, poussières d'or et de lumière. Voilà résumée, en quelques mots, toute l'histoire du monde. Et le déroulement complet de l'union de l'être avec la matière...

 

 

Une terre de roches, de soufre et de nausées. Et les contrées éternelles de la joie et du sourire. Indemnes (toujours) de toutes les laves et de toutes les explosions...

 

 

Dans les replis de la lumière, Dieu veille notre arrivée. Lorsque l'abandon aura fait son œuvre... Et que l'innocence aura remplacé les ambitions...

 

 

Vivre dans les replis de la grisaille dont aucun hôte ne pourra vous extirper. Et s'impatienter de l'abandon qui ne viendra pas. Y a-t-il plus grande misère que celle-ci ? Et dire que l'infini – sa joie et sa lumière – ne sont qu'à quelques pas...

 

 

Le monde ne peut offrir sa lumière. Mais le regard peut éclairer les yeux. Et tous les visages rencontrés. La clarté naîtra toujours du fond de l'obscurité...

 

 

Les falaises sont, sans doute, l'un des espaces les plus meurtris de cette terre. Pourtant elles resplendissent de beauté. Pour quelles raisons ? Parce qu'elles se laissent façonner par la mer et le vent. Voilà pourquoi l'on aime venir les contempler et admirer leur relief sauvage et torturé – admirable... Voilà pourquoi l'on aime venir s'y promener pour regarder, au loin, l'horizon – et le soleil se coucher. Cet abandon magnifique aux éléments fascine les hommes... Peu d'entre eux ont la beauté et la sagesse des falaises. Leur existence ressemble davantage à un tas de sable – minuscule et dérisoire – sur la plage construit par des mains malhabiles et laborieuses. Mais chaque grain de sable n'est-il pas né, lui aussi, de l’œuvre de la mer et du vent sur les plus hauts rivages de la terre ?

 

 

Un matin de neige invite l'âme taciturne à célébrer l'innocence. La mélancolie et la tristesse aussi seront accueillies dans la pureté du regard...

 

 

L'horizon souverain jamais n'aura raison de l'infini. Même si le mythe – et l'utopie – appartiennent, eux aussi, au réel...

 

 

Certains jours, le cœur – et les mots – sont gris. Comme un ciel d'hiver. Et sans que nul ne sache pourquoi... Mais les nuages n'ont-ils pas leur raison d'être autant que le soleil ? Et le décor et les ornements ont-ils quelque importance dans le regard de l'homme sage ? Rosée et brouillard n'épouvantent jamais son âme...

 

 

La folie jamais ne vient du vent. Mais du cœur malade de l'homme. Comment guérir l'inguérissable ? Il faudrait une lumière inconnue pour dissiper les ténèbres naturelles...

 

 

Aujourd'hui, le petit crayon danse sur le parquet des jours. Laissant quelques rayures sur le bois que le temps recouvrira de poussière – et effacera. Dans un siècle, ces minuscules empreintes seront gravées sur le plancher. Et peut-être aussi dans la chair du monde. Comme si elles leur appartenaient. Comme si elles en faisaient partie... Et dans mille siècles, nul ne se souviendra ni des entailles ni du sol vermoulu. Abandonnés, tous deux, aux vertiges du temps...

 

 

Dans nos yeux, le mur où viennent se cogner les plaintes et la colère. L'impuissance du cœur et des poings. Et l'imploration des larmes. Et de l'autre côté, la bouche hermétique du silence. Et les bras de Dieu, grands ouverts...

 

 

[Modeste hommage à l'herbe, ma tendre amie...]

Le roseau ne percera jamais le secret du grand chêne. Mais l'herbe, à ses pieds, connaît sa force et sa bravoure. Comme elle connaît l'intelligence du roseau. Et dans sa grande sagesse, elle sait vivre à l'ombre des deux...

Nul jamais ne voit l'herbe. Ni n'en parle. Comme nul jamais ne remarque sa beauté simple et naturelle. Et son âme admirable. Quel homme la foule avec précaution et s'y couche, le cœur palpitant, comme s'il s'agenouillait devant le plus humble et le plus parfait des souverains, toujours discret et accueillant ? Nul en ce monde sans doute... Non ! On l'arrache et on la coupe pour la soumettre à nos instincts et à nos caprices. Et elle, elle s'abandonne en silence à nos mains et au tranchant de la faucille. Ah ! Quelle noble sagesse...

 

 

La terre et le soleil vifs. Etincelants. Et la terre et le soleil noirs. Funèbres. La couleur toujours vient de l'âme. Mais d'où – de quel lieu secret – naît la lumière – cette présence éternelle et ineffable ? Et qui sait que lorsqu'elle prend sa source du plus profond du regard, elle apporte avec elle la réponse, l'effacement du doute et l'extinction de toutes les questions ?

 

 

Les pas posés sur l'horizon. Et le regard si loin. Si haut. Et le cœur si proche. Collé – uni – au monde et à la terre...

Et l'âme du vieil homme sage, si familière de l'origine, ne sait pas même jusqu'où s'étendent son geste et sa parole... Ils vont – et rayonnent – selon la nature du relief et la clarté dans l'esprit des hommes...

 

 

Et si l'écriture – la poésie – n'était qu'une offrande de la terre aux étoiles. A celles qui peuplent le ciel comme à celles qui gisent au fond de l'âme. Pour les inviter à briller plus fort dans la longue nuit qui les entoure...

Et si l'écriture – la poésie – n'était destinée aux lèvres et aux visages. Ni même au cœur assoupi. Mais à l'infini qui sommeille en chacun – et qui rêve en secret de revoir la lumière du jour...

 

 

Il n'y a peut-être de paroles plus vraies que celles que l'on ne prononce. Qui restent tapies dans le secret de l'âme et du cœur. Et qui montent en silence vers les étoiles pour éclairer davantage celles qui brillent dans le ciel de chacun...

 

 

L'océan glacé du monde traversé par les souffles du ciel. Aussi comment pourrait-on blâmer les petites coquilles de noix fabriquées par les hommes pour aller dans la furie des eaux de la terre... Et comment pourrait-on condamner leur naufrage...

 

 

Les lois n'existent que pour inhiber, réprimer et réprimander les abus, les excès et la corruption du cœur. Si l'innocence de l'âme gouvernait les hommes et le monde, toute loi deviendrait inutile. Et seules les règles naturelles – et fondamentales – inaliénables et irréductibles – de l'énergie et de la conscience auraient droit de cité : les mouvements et les cycles de la première et l'Amour de la seconde...

 

 

Ces notes ne sont parfois que des appels de détresse que je lance au ciel. Et des consignes que j'offre à ma propre confusion. A ma propre immaturité comme à ma propre incompréhension. Pour nous aider à traverser quelques épreuves liées, le plus souvent, à l'indifférence du monde et à notre solitude.

La joie – la joie de l'être – ne nous quitte pour autant dans ces instants plus sombres mais elle se montre insuffisante pour faire naître une écriture libre et joyeuse – une écriture née d'un surplus de joie... Ces notes d'encouragement et de réconfort viennent, sans doute, de ce reste de joie infrangible – inaltérable – comme une manière peut-être de se requinquer, de se ressourcer et de se régénérer pour retrouver un seuil plus satisfaisant et pouvoir à nouveau goûter sa pleine intensité – et son débordement – nécessaires à un cœur et à des notes plus libres et plus joyeux...

 

 

Nous ne sommes rien ni personne. Un regard – une présence – lorsqu'ils savent être habités. Quant à ce que nous avons toujours cru être – et à ce que nous croyons être encore parfois (de temps à autre) –, il ne s'agit que d'un amas instable, indéfini et informe d'émotions, de sentiments, de pensées, d'apprentissages, de conditionnements et de réactions reliés, connectés et interagissant continuellement avec les autres formes et amas alentour.

En définitive, nous sommes à la fois présence sensible et perceptive et ce qui est – la conscience et l'Existant de l'instant ici et maintenant – ce que les hommes ont coutume d'appeler Dieu, la vie, le monde, les êtres, les événements et les circonstances.

Nous sommes cette entité unie – et unifiée : la conscience-monde. La conscience et l'étant. L'être et ce qui est. Inséparables à jamais...

 

 

Le jour a plié sous la nuit. Et le sang à présent recouvre les étoiles. Et le cœur hurlant que l'on arrache à la possibilité de la lumière...

 

 

La vérité n'a de dogme. Pas davantage que la silhouette de l'homme avalée par la nuit. Derrière l'ombre, la lumière toujours préside à la destinée des circonstances. Le monde émerge ainsi de sa matrice. Voué tout entier à son plein retour vers son origine...

 

 

Le silence ne dissipe rien. Ni les cris, ni les larmes. Pas même la persistance des feuilles mortes. Et c'est lui, pourtant, qui éclaire tous les spectacles. Et qui impulse – et oriente – leur déroulement...

 

 

La lumière impénétrable du silence perce toute l'épaisseur du monde. Met à jour sa nudité. Et sa transparence. Révèle sa nature et son inconsistance : de la buée dans les rayons du soleil.

 

 

L'absence n'est qu'une présence qui se cherche. Qui se laisse absorber par l'épaisseur du monde – et s'enivre de ses vapeurs. Et qu'elle piétinera – et émiettera – pourtant, un jour, pour arriver à son seuil...

 

 

L'infini n'est jamais loin du monde. Le monde n'est peut-être même que l'infini déguisé qui s'amuse – et se joue de sa propre naïveté... Comme si la lumière s'était soudainement sentie obligée de s'accoutrer d'une folle façon en revêtant le sombre costume de la nuit avec quelques étoiles en guise de paillettes...

 

 

Nous pourrions passer mille ans sur la terre. Les mêmes cris – et les mêmes cloches – retentiraient toujours. Des millénaires pourraient passer... Et nous verrions les mêmes mains tournées vers le ciel, implorantes...

 

 

Et si les étoiles dans la nuit n'étaient que l'ombre percée de lumière...

 

 

La muraille des jours n'est composée que de nos cadavres. De vieux désirs satisfaits que nous avons entassés là pour nous distraire du silence. Et échapper à sa lumière éblouissante. Comme si nos yeux – trop immatures encore – préféraient l'aveuglement...

 

 

Nul – aucun bruit ni aucune obscurité – ne peut vaincre le silence et la lumière. Comment l'infime pourrait-il monter à l'assaut de l'infini qui le contient et lui donne vie – et qui, sans lui, n'existerait...

 

 

Le relatif est toujours dépendant du relatif. Et sous la tutelle de l'Absolu. Et bien qu'il ne puisse totalement se libérer, il peut apprendre à devenir libre. Mais cette liberté (relative) n'advient que lorsque l'Absolu est habité. Le relatif suit alors ses orientations naturelles sans être freiné ni poussé par quelques vaines ambitions...

 

 

Les marques indélébiles du temps sur les vies et les visages. Et qui s'effaceront, pourtant, en franchissant le mur de l'éternité...

 

 

L'indélicatesse et la curiosité imbécile des yeux soucieux du plus loin et de l'ailleurs – de l'au-delà. Incapables de se poser devant eux. Ni même, bien sûr, de se retourner en surplomb d'eux-mêmes. Si peu ouverts à la sagesse si proche...

 

 

Et si le faîte du monde était au plus bas. Juste au dessus du ciel qui nous attend... Mais comment blâmer les yeux des hommes tournés maladroitement – et si misérablement – vers l'espérance de l'en-haut...

 

 

La démesure du temps et des hommes embrassée par les lèvres délicates de l'instant. Puis, avalée par sa bouche invisible. Ne laissant que la lumière sur les pierres et les fleurs de la terre. Et un immense sourire sur les lèvres de celui qui sait voir le monde...

 

 

L'invisible est imperceptible aux yeux malades. Mais, comme toujours, le cœur est le grand remède. Qui d'autre saurait guérir cette profonde cécité ?

 

 

Les mains scellées à la terre transforment le sable et les pierres en bitume et en étroits carreaux que les hommes étalent sur le sol. Puis, passent les pieds – et les roues – qui les martèlent et les écrasent. Et les voilà, peu à peu, transformés en gravats et en poussière.

Les ruines de la terre seront toujours celles des hommes. Et malgré les chantiers, les hécatombes et les cimetières pousseront toujours sur la roche l'herbe et les fleurs. Ultimes survivants parmi les décombres...

 

 

Le plus brisé de cette vie est plus proche de l'unité que toutes les édifications. Et Dieu sait que nous aimons les construire prétentieuses... Quelques larmes d'abandon suffiraient, sans doute, à lui faire franchir le seuil...

 

 

Vie de misère. Et vie de lumière. Le regard toujours est la clé qui ouvre la porte aux précipices et aux sentiers aériens. A l’œil chagriné d'ombres et de grisaille et au cœur panoramique.

Et que la lumière se manifeste au point le plus dense de la misère est le lot du commun...

 

 

A chaque saison, sa parure. La terre toujours se couvre selon les circonstances ; d'herbe et de fleurs au printemps, de feuilles et de lumière en été, de feuilles mortes et de couleurs en automne, de froid et de dénuement en hiver.

Et l'homme, aveugle aux cycles (naturels), marche, les poches opulentes – et du même pas gris et cadencé – en toute saison. Voilà pourquoi la terre – ses merveilles et sa beauté – lui sont si étrangères...

Celui qui aspire à se libérer de ses chaînes (la terre pour les hommes) doit les respecter. Les accepter sans condition. Et se vouer tout entier – et l'âme enjouée – à son esclavage. Ses chaînes lui deviendront alors égales. Et les moins nécessaires s'effaceront. Ainsi toujours s’acquiert la liberté...

 

 

La lumière n'a besoin de nul trait pour briller. Eclairer. Et s'émanciper. Jamais l'ombre et l'obscurité ne sont nécessaires à son rayonnement. Pas davantage que le limité, les frontières et les bruits sont utiles à l'infini et au silence. Tous trois resplendissent indépendamment de ce qui les traverse. Ainsi est l'Absolu : lumière, silence et infini. Unique souverain de lui-même et de toute apparition en son sein...

 

 

Le sauvage inaliénable de la vie que l'homme tente de mettre en cage... Mais pourquoi donc n'en perçoit-il pas les dangers ? Pourquoi le monde ne comprend-il pas que ces postures anti-naturelles reviendront frapper, tel un énorme boomerang, leurs initiateurs ?

 

 

Un être – un homme – encore incapable de s'offrir l'Amour (à lui-même) ne pourra rien (vous) donner. Il sera si friand d'attention, d'encouragement et de réconfort qu'il en ramassera toutes les miettes à sa portée. Et s'en emparera avec avidité. Et il est fort probable qu'il ne vous fréquente, pour l'essentiel, que pour celles que vous pourriez lui accorder...

 

 

La figure du moine errant en Extrême-Orient soumis continuellement aux âpres exigences des chemins, obligé, chaque jour, de mendier sa nourriture et de dormir, chaque nuit, en un lieu différent (bas-côté de la route, grotte, clairière, cabane, petit ermitage...) est aux antipodes de celle du sédentaire repu, jouissant du confort, des agréments et de la sécurité (apparente, bien sûr...) de son existence encadrée et de son habitation.

Alors que le premier vit perpétuellement dans l'incertitude, le dépouillement (voire le dénuement), les aléas et la vulnérabilité, le second se repaît dans la certitude, l'abondance, l'assurance et le sentiment (mensonger, bien sûr...) de sécurité. Alors que l'un est vivant – et en alerte – se laissant pénétrer – et traverser – par tous les événements du monde, l'autre ronronne à l'abri des mésaventures et s'assoupit dans une existence éteinte et lisse – une existence si peu vivante.

Certes, l'environnement et le mode de vie importent peu pour l'homme sage. Sa quête s'étant totalement effacée, il vit selon sa nature et les circonstances sans rien vouloir ni chercher. Mais il en est autrement pour l'homme qui marche... Et au delà de ma préférence (personnelle) et de ma sympathie naturelle à l'égard du premier, le chemin du moine errant est bien plus propice – de par sa nature, ses exigences et ses caractéristiques – à découvrir – et à faire émerger – la grâce et la joie du silence et de l'infini que la léthargie du sédentaire repu et somnolent enfermé dans son petit trou doré...

 

 

Seul face au jour. Seul face à la nuit. Et les heures qui passent tantôt tranquilles, tantôt espiègles...

 

 

La main proche du rêve – comme collée à l'horizon – alourdit l'espoir. Encombre le cœur de ses chimères. Eloigne, une fois de plus, l'innocence et l'infini. Et retarde leur venue.

Combien de fois les doigts devront-ils saisir le sable – tous les sables – de la terre avant de s'ouvrir à l'heure présente – aux circonstances devant nos yeux, porteuses d'or et de lumière – et que nous avons (pourtant) toujours pris pour du plomb – et des événements sans importance... ? Pourquoi donc l'horizon, au loin, semble plus prometteur que la terre sous nos pieds ? Défaut de sensibilité et de vision, sans doute, opaque et aveuglant. Et ces mains étroites qui jamais ne sauront dénicher l'Absolu dans la poussière...

 

 

Sur les terres de l'aurore, la lumière diffuse ses secrets après nous avoir révélé les nôtres. Enveloppes rudes que nous n'avons su ouvrir pour saisir les dignes pépites. Le séant par dessus la tête posée sur tant de merveilles...

 

 

Sur la moquette jaunie par le temps et les taches, nous nous agenouillons les mains tournées vers le grand désarroi. Sans savoir où poser la tête. Aveugles à la fenêtre du ciel près de laquelle sommeille notre cœur assoupi. Sourd aux plaintes et aux poings de l'âme qui tambourinent à la porte. Hermétique à ses demandes – et à sa grande aspiration. Incapable d'élargir le chenal obturé et obscurci pour lui offrir les plus dignes retrouvailles avec la clairière immense et silencieuse de l'infini...

 

 

En ce monde, chacun œuvre à une tâche – et à une entreprise – bien plus hautes que lui-même. Comme agrippé et emporté par l'un des (innombrables) courants tantôt destructeur, tantôt édificateur qui participe à la construction et à l'évolution du vivre – et de l'être – ensemble aux effets infimes et dérisoires sur la totalité (au niveau individuel) mais qui, en s'additionnant, contribuent sur le plan collectif à des avancées magistrales et déterminantes...

 

 

La mort jamais n'est un maléfice. Elle mène à la renaissance. A la résurrection. Et donc porte au plus haut de la joie.

Sentir l'éphémère de chaque instant – et de chaque chose en ce monde infiniment fragile et périssable. Et, dans le même temps, le cœur éternel qui leur prête vie. Qui les enveloppe, les transforme et leur offre l'espace nécessaire pour se dérouler – et s'étendre jusqu'au silence et à l'infini.

 

 

Je vois dans les yeux de certains hommes, l'immense lassitude – la grande fatigue – de ceux qui offrent au delà de leurs forces. Et toujours, bien sûr, dans un au-delà d'eux-mêmes... comme s'ils étaient portés par un élan – et chargés d'une mission – bien trop vastes pour leurs bras trop faibles – incapables de venir à bout de l'immense désastre provoqué par les hommes – et les instincts de la terre. Et qui ont transformé les injonctions du cœur en devoirs – et en astreintes – auxquels ils ne sont plus à même de se soumettre. L'âme – et le corps – trop épuisés pour obéir à leurs impératifs démesurés... Et qui continuent pourtant – qui s'acharnent jusqu'à l'épuisement – jusqu'à l'effondrement – et jusqu'à la mort – à poursuivre leur belle et impossible besogne bien après que ne se soit éteinte la joie des pas et des gestes... Il y a chez eux un admirable courage, un entêtement un peu fou et une impossibilité au renoncement qui les maintiennent debout. Et qui les porteront jusqu'à leur dernier souffle...

 

 

Découvrir l'absence de vérité dans l'absence de savoirs et de certitudes. Et, dans l'instant même de cette découverte, vivre la vérité – la ressentir avec une telle force et une telle évidence dans le bref moment de son apparition – et de son écoulement toujours fugace – avant de retrouver son absence toute aussi évidente et criante...

 

 

Comme toutes les choses essentielles de ce monde, la vie, la joie, la tristesse, le silence, l'infini et tant d'autres merveilles, la vérité est fort heureusement insaisissable. Nul, bien sûr, ne peut s'en emparer et dire – proclamer d'un air triomphal – : Ca y est ! Je l'ai ! Je la tiens !

Et dans nos sociétés malades, vouées tout entières à la saisie, à l'appropriation et aux excès narcissiques, cette impossibilité est un grand soulagement. Autant qu'une chance offerte à chacun de le vivre – et de le sentir – par lui-même...

 

 

Dans la grande symphonie des jours – et des siècles – où l'on aime s'afficher et parader, je n'aime rien tant que ces heures – et ces instants – où il ne se passe rien. Où il n'y a personne. Aucun visage pour dire, se réjouir ou s'attrister. Des heures et des instants sans apparat ni trompette qui ont (pourtant) un parfum d'éternité. Où l'Absolu, le silence et l'infini règnent en maîtres incontestés sur une terre en friche – belle et fertile – où tout peut arriver. Où le rien – et le plus anodin – sont des lumières – les lampions magiques de la grande fête à laquelle Dieu et la vie nous ont conviés...

 

 

La vie n'est qu'une barque qui passe sur l'océan de l'éternité. Et l'homme, peut-être, qu'un sillon sur l'étendue infinie...

 

 

Peut-on avoir les yeux plus proches de la vérité que lorsque le cœur ignore tout – et qu'il sait être ce qui advient...

 

 

Ah ! Si vous saviez, hommes, qu'en abandonnant vos misérables délices, il vous serait (enfin) loisible de goûter l'inoubliable saveur du rien ! Le plus anodin vous semblerait alors plus admirable que les plus hautes de vos – si rares – (ré)jouissances...

 

 

Marcher du pas de l'ogre alors que la terre est silencieuse. Où vont donc les hommes de cette foulée gigantesque ? Le regard, sans doute, aveugle à la beauté pour courir ainsi vers l'ailleurs... Et derrière la foule pressée et impatiente, on aperçoit le sourire du vieux sage adossé, un peu à l'écart, à un arbre. Et dans ses yeux le reflet de tous les voyages...

 

 

La joie surgie de la béance que nous avons laissée grande ouverte. Et dans laquelle les vents ont tournoyé pour nous mener au point le plus dense de l'immobilité. Et les siècles, à présent, ne pourront jamais plus nous asservir...

 

 

La corruption est l'un des plus grands maux de l'humanité. Le cœur, si craintif, distille ses mensonges à la ronde. Et voilà l'homme si corrompu que son regard même le trahit...

 

 

L'éclat du noir sur la page blanche. Comme une griffure insensée – une offense à l'innocence. L'infini et le silence ont-ils (vraiment) besoin d'être contés ? Je crains que les bruits n'invitent que d'autres bruits. Et les commentaires, d'autres commentaires. Entaillant ainsi le silence. Et nous éloignant toujours plus de l'infini...

 

 

Dans la grande froideur des jours, l'âme s'éveille, ragaillardie. Plus vive face à la beauté déchirée – et déchirante – du monde. Et plus sensible aux infimes – et fragiles – élans de la vie.

 

 

Ombres qui passent dans la lumière. Comment pourraient-elles éclairer davantage le cœur qui les accueille ? Ce sont elles, pourtant, qui ont contribué à son éveil. Et elles encore qui aiguisent aujourd'hui sa sensibilité...

Que les ombres – toutes nos ombres – en soient remerciées. Et que la lumière les célèbre à jamais dans le jour grandissant...

 

 

Pourrait-on jamais devenir ce que nous sommes ? Tant de siècles ont déjà passé... Et la lumière patiente encore dans l'obscurité...

Un chemin de pluie. Et la foulée pressée et imprécise vers l'arc-en-ciel. Aveugles toujours aux mille clairières – et à la lumière qui inonde les pierres. Mais comment pourrait-on blâmer les hommes ?

Le monde n'en finira jamais de renaître... Et la lumière restera intacte bien après la fin des temps. Et sera là encore à la naissance des nouveaux mondes. Jusqu'au réveil magistral des yeux affamés... Présente pour toujours au plus dense de l'obscurité comme au plus haut de la clarté. Infiniment éternelle...

Et même les aubes sauvages ne pourront la dérober... Et malgré les malheurs qui jamais n'épargneront les âmes, les pas craintifs et intrépides arriveront, un jour, à destination...

 

12 décembre 2017

Carnet n°94 Bribes de portrait(s) impersonnel(s)

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Une voix qui chante dans l'air frais du matin. Un chien, au loin, qui aboie. Le souffle lent du vent dans les feuillages. Les battements du cœur. Et les danses du monde. Réunis en un seul point... Au point le plus dense et le plus ouvert de l'écoute où tout apparaît et s'efface sans jamais se briser. Où même les étoiles – les poussières et les galaxies les plus lointaines – sont invitées...

La vieillesse sur un visage. Les empreintes forcenées des jours et du malheur. Les marques inguérissables de la vie. Et au milieu, comme un pied de nez au temps et à la souffrance, la clarté du regard. La lueur impérissable de l'innocence, toujours fraîche et vivante, au fond des yeux comme le reflet inépuisable – et inaltérable – de l'éternité...

 

 

[Prologue]

Toi, moi, le monde, les hommes et le ciel appartenons-nous à la même tribu ? Sommes-nous soumis au même règne ? Qu'est-ce qui nous relie ? Qu'est-ce qui nous rassemble ? Qu'avons-nous de commun ? Et qu'est-ce qui nous différencie ? Pourrions-nous dresser, en quelques mots, notre portrait ?

 

*

 

Au bord de la nuit – aux confins de ses ultimes frontières –, la naissance du jour. Et le lever du soleil. Et sur les lèvres, l’irrésistible sourire de l'hésitation. Mais qui aurait l'audace de se croire capable de résister à la puissance des cycles et des processus naturels ? Faut-il donc être fou pour s'imaginer pouvoir, ne serait-ce qu'un instant, s'y opposer ou s'y soustraire ?

 

 

Les mains de l'ogre gisent par terre. Inertes. Et pourtant soufflent encore dans le cœur quelques vents ardents qui poussent sur les chemins. Et vers l'horizon inaccessible...

Mais pourquoi les pas auraient-ils une fin lorsque la faim s'est apaisée ? Les feuilles renoncent-elles à naître, à croître et à tomber sur le vieil arbre sage ?

 

 

[Petit clin d’œil à Sun Tzu]

L'ombre du bâton cache parfois la main qui le fait tournoyer. L'anonymat du combattant rend alors ses coups plus décisifs...

 

 

Abattre des arbres vieux de plusieurs dizaines – ou centaines – d'années en quelques secondes – ou en quelques minutes... Parcourir le monde en quelques heures... Accélérer artificiellement la croissance des plantes... Réifier les êtres de ce monde... Produire à échelle industrielle à toute heure du jour et de la nuit...

Qui a conscience que la lenteur est la seule allure respectueuse de l’œuvre du temps car, elle aussi, va de son rythme naturel ? Et qui sait que « le cas par cas » est le garant d'un travail de qualité où l'on fait la part belle à chaque geste, précis, mesuré et attentif. Et où l'on respecte la vie et le monde autant que ce que l'on crée, fabrique ou façonne ?

Mais l'esprit dans sa folie de l'immédiateté, son incapacité à accueillir la frustration et son incessante aspiration à combler le manque ne l'entend pas de cette oreille. Voilà pourquoi les hommes – et le monde qu'ils ont façonné – soumis, tous deux, au diktat de l'esprit et des désirs – courent sans cesse – et de plus en plus vite – et fabriquent en masse, les yeux rivés – toujours rivés – sur leur absurde volonté de croissance, de développement et d'expansion...

 

 

La sagesse d'un homme – et d'un peuple – se mesure, sans doute en partie, à sa lenteur et à son silence*. La lenteur révèle son respect du temps – et de son œuvre sur la vie et la matière. Et le silence son inclinaison à la contemplation et à la présence. Et son goût pour le parfum de l'infini et de l'éternité...

Le silence et la lenteur (la lenteur des gestes et de la foulée – qui n'empêche nullement, bien sûr, la vivacité d'esprit) sont indéniablement les marques d'une certaine sagesse, d'une forme de gratitude et d'ouverture. Et la vitesse et l'agitation bruyante sont, au contraire, le reflet d'une certaine forme d'ignorance, d'irrespect et d'insensibilité.

* Un silence non culturel...

 

 

Ah ! Que la terre serait douce – mais sans doute plus âpre – sans la présence des hommes !

 

 

Nos fragments (nos fragments d'existence et d'écriture) sont les éléments d'une seule et même pièce – d'un seul et même puzzle : la vie humaine enchevêtrée dans le monde (et les instincts) et ouverte à l'infini (et à la conscience), d'abord ignorante et fermée, luttant et résistant avant d'apprendre progressivement à découvrir sa nature fondamentale – et à devenir ainsi plus ouverte et accueillante...

 

 

L'infini et l'éternité dans l'Amour et la lumière, voilà le rêve secret de tous les êtres – et de tous les hommes ! Et tous les pas et tous les gestes de ce monde ne sont faits que de ce désir... Et bien que peu en aient conscience, chacun n'aspire, en vérité, qu'à cela : retrouver cette envergure originelle.

 

 

Qui sait voir cette part sombre en nous qui se délecte de l'obscur – et qui aime la pénombre ? Qui sait voir cette part sombre si rétive à l'offre de la lumière qui sait pourtant si bien l'éclairer ? Et qui lui permet de rester tapie dans l'ombre. Et de continuer à chérir le noir. Et même à le faire rayonner... Comme si la lumière savait – avait compris – que l'obscur ne peut totalement s'éteindre. Que son existence est primordiale à l'équilibre – et à l'évolution – du monde et de la vie. Et que sa place est (presque) aussi essentielle que la sienne...

 

 

Dans les banquets, les salons feutrés et les repas de famille, la vérité est rarement sur les visages. Il faut baisser son regard jusque sous la table – et pénétrer dans les alcôves – pour en apercevoir quelques miettes. Sous ces angles-là, le visage des hommes apparaît. Et l'on voit, derrière le reflet des mille facettes, la sombre et stupide figure de l'humanité. Plus bête que méchante. Plus apeurée que cupide. Plus naïve que maline. Et plus perdue et désorientée qu'elle ne le croit... Et derrière ce masque pitoyable étouffe le seul vrai visage de l'homme : l'Amour, la tendresse et la lumière qui resplendissent parfois – et par intermittence – lorsque le cœur, pour un instant, sait se faire honnête et qu'il brille au fond des yeux – et dans la parole innocente des lèvres authentiques...

 

 

La vie exiguë – et l’exigu de toute existence – ne sont, en réalité, que la contraction de l'infini. Une sorte de crispation. Un mal passager – bien que durable chez la plupart – dont l'infime finit – peut finir – par guérir en s'ouvrant (le plus souvent de façon progressive) à la fois à ce qu'il contient et à ce qui l'entoure et le dépasse... Bref lorsqu'il devient sensible au triple lieu où siège l'infini...

 

 

Qui, en ce monde, connaît l'enjeu de toute vie ? Et le défi de tout homme ? Et qui sait s'y prêter avec conscience, honnêteté et persévérance ?

 

*

 

[Plongée dans la condition naturelle et la solitude ordinaire de l'homme – Consignes pour l'homme qui marche]

 

Vers quel regard – et quel cœur – se tourner sinon vers les siens ?

 

 

L'indifférence du monde devrait toujours nous inciter à se pencher sur soi comme son meilleur ami. Le plus fidèle et le plus bienveillant qui soit... Et jamais nous donner le sentiment qu'il nous faut essayer de percer – toujours en vain, bien sûr, – quelques trouées d'attention dans le mur hermétique et inaltérable des regards et des cœurs...

 

 

Tout individu – tout être qui se prend pour quelqu'un – est le champ à la fois de tous les possibles et de tous les conflits. Simultanément – ou tour à tour – aire d'invitations, de plaintes et d'exigences qui n'en a – et n'en aura – jamais fini avec le monde...

La lucidité, l'honnêteté, le courage et la persévérance seront les outils les plus précieux pour s'extraire de cette indigence. Il n'y a d'autre voie pour s'extirper de cette misère existentielle. Et pour prétendre à la vraie vie – et aux jours grandiosesAux instants de vie pure, à l'Amour et à la joie. A la complétude et à l'unité.

 

 

L'innocence et la lumière jamais ne s'offrent d'un claquement de doigt. Comme toutes les choses de ce monde, elles se méritent, elles aussi... Et se gagnent à la sueur des pas. Mais contrairement à la plupart, on ne peut se les approprier*. Ni les posséder*. Il nous est seulement possible de les côtoyer, de les fréquenter – et, au mieux, de les habiter. Instant après instant. Et pour les recevoir – et les vivre – ainsi, il convient d'être mûr. Et la maturité s'acquiert lorsque l'abandon, l'effacement et l'ouverture deviennent les maîtres-mots de notre existence...

* Même si, en vérité, on ne peut rien s'approprier ni posséder en ce monde. Contrairement à ce que l'on imagine, nous ne possédons pas les objets... Les titres de propriété sont des illusions... Les objets qui nous entourent et dont nous pensons être les détenteurs, nous en avons, en réalité, simplement l'usage pour quelque temps... Nous pouvons en jouir, bénéficier de leur agrément et en faire ce que bon nous semble, nous pouvons les entretenir, prendre soin d'eux ou les négliger... mais jamais ils ne pourront nous appartenir... Jamais nous n'en serons les propriétaires...

 

 

Le silence des jours est impuissant à nous faire accéder à celui du cœur. Il peut, certes, nous aider à apaiser provisoirement ses exigences. Mais il est préférable de laisser d'abord s'éteindre les élans de l'âme... Et lorsque celle-ci sera devenue suffisamment silencieuse, les bruits des jours et du monde n'auront alors plus guère d'importance...

 

 

Les plus décisives rencontres comme les plus grandes gloires sont solitaires. Et anonymes. Et bien que personne (excepté soi-même, bien sûr...) ne puisse en être le témoin, elles mènent toujours au firmament de l'homme...

 

 

Qui a cure de notre vie ? Qui s'en soucie réellement ? En dépit des apparences – et de ce que nous croyons –, nous ne sommes pour l'essentiel du monde – et même pour le monde entier – qu'une insignifiance. Nous ne sommes rien. Presque rien. Une quantité négligeable dont le monde peut se passer. Et que l'on peut remplacer sans mal – et sur le champ – par un autre... Nous ne sommes – et ne pesons – pas davantage qu'un brin d'herbe parmi tous les brins d'herbe de la terre.

Ne nous laissons pas bercer d'illusion par notre entourage, sa présence, ses yeux doux ou ses paroles mielleuses, réconfortantes ou rassurantes. Si nous n'étions pas présent, avec qui seraient les êtres qui nous entourent ? Si nous venions à disparaître – et quand bien même aurions-nous, à leurs yeux, quelques valeurs –, croyez-vous vraiment que leur cœur s'arrêterait de battre ? Ne continueraient-ils pas à vivre – et à poursuivre leur existence ?

Ainsi sont la vie, le monde et leurs créatures. Et il n'y a pas à en juger. Ni à s'en plaindre. Pas davantage à vouloir qu'il en soit autrement... Il convient seulement d'être lucide et honnête avec ce qui est. Avec la réalité. Voir et accepter les choses telles qu'elles sont – et tout ce que la vie et le monde peuvent susciter en nous de désirs, de frustrations, de sentiments et d'émotions (quelle que soit leur nature...), voilà la première exigence pour celui qui marche et aspire à la vraie vie. A sa joie et à sa splendeur.

 

 

Se tourner vers soi – de façon égocentrique ou non, cela n'a, à ce stade, guère d'importance. Voir qui l'on est, à quoi l'on aspire, ce que l'on croit, ce que l'on pense, ce que l'on espère, ce que l'on craint. Regarder ce qui nous anime... Comprendre comment le corps et le psychisme fonctionnent... Et répondre par soi-même à leurs exigences – à toutes leurs exigences. Comme si nous étions le seul être au monde (ce qui est toujours le cas en dépit des apparences...) à pouvoir nous satisfaire. Ne compter sur aucun autre que soi, voilà la deuxième étape...

 

*

 

Les plus belles paroles comme les actes les plus généreux que nous offrons au monde ne sont presque jamais entendus. Ni appréciés à leur juste valeur... Comme si nul n'était capable de les recevoir... Comme si chacun avait besoin, au préalable, pour y être réceptif d'emprunter par lui-même le chemin des découvertes... Il n'y a, je le crains, d'autre voie pour comprendre – et devenir sensible à la beauté, à la générosité et à la justesse de la vie et du monde. A la beauté, à la générosité et à la justesse de leur présence, de leurs gestes et de leurs paroles...

 

 

Qui écoute – qui sait écouter – dans la cacophonie ambiante où les voix, les cris et les gémissements se mêlent aux sirènes des cités, aux haut-parleurs et aux fonds musicaux des marchés et au vacarme incessant des engins de chantier et de construction ? Qui sait entendre le silence ? Et écouter – et accueillir – les bruits – tous les bruits – depuis cet espace silencieux ?

 

 

Le silence sans envergure n'est qu'une voix muette sur un visage éteint. Que la mort, discrète, est en train d'effacer...

Pour être vivant – pleinement vivant –, le silence toujours doit être sensible et habité...

 

 

Les arbres, les herbes et les nuages sont les plus grands poètes de ce monde. Toujours ouverts à la terre et au ciel. Toujours ouverts au soleil et à la pluie des jours. Suffisamment vides pour se laisser traverser par les vents qui balayent les plaines et les vallées. Et toujours humbles pour aller chaque jour, de leur foulée anonyme, vers l'infini et la lumière. Voilà pourquoi leurs œuvres sont si belles et si profondes. Si bouleversantes d'innocence et de vérité...

Ceux qui écrivent devraient suivre leur exemple. Et prendre note de ces caractéristiques et de cette candeur. Leurs paroles seraient alors plus vives et plus sensibles. Plus belles et plus silencieuses. Plus dignes d'être exprimées. Et de figurer dans ce monde...

 

 

Je devrais apprendre à me taire. Et à extirper l'indigeste de ma parole. Mais toujours elle m'oblige à souiller le silence en le commentant de mille façons. Pourquoi m'y enjoint-elle, elle qui sait si bien que nous ne pourrons jamais l'atteindre ainsi...

 

 

La vieillesse sur un visage. Les empreintes forcenées des jours et du malheur. Les marques inguérissables de la vie. Et au milieu, comme un pied de nez au temps et à la souffrance, la clarté du regard. La lueur impérissable de l'innocence, toujours fraîche et vivante, au fond des yeux comme le reflet inépuisable – et inaltérable – de l'éternité...

 

 

Il y a encore beaucoup d'encombrements et de scories au fond de mon cœur pour que la parole se déverse ainsi chaque jour... Mais aussitôt que mon carnet les ramasse, d'autres surgissent... Comme si ma présence au monde et à la vie les enfantait sans cesse. Comme si tous les événements – les plus infimes comme les plus imposants – traversaient mon âme. Mon âme si sensible. La pénétraient. Et l'alourdissaient de leur poids. En aggravaient l'encombrement. Et la faisaient déborder – déborder partout – et jusqu'à remplir mon cœur. L'obligeant, en quelque sorte, à écrire sans cesse pour se défaire de ces charges pesantes et inutiles...

Le silence parfois, il est vrai, me délivre en un instant de tous ces encombrements. Lorsque mon cœur – et mon âme – retrouvent l'innocence. Et peuvent revêtir ses habits de grâce et de légèreté... Plus rien alors n'est nécessaire : ni vivre, ni écrire. Ni effacer ni se débarrasser. Lorsque la parfaite vacuité de la pleine présence est habitée, être regard devient alors la seule réalité. La seule voie. Et la seule délivrance. Tout – tout le reste – devient secondaire. Et (presque) sans importance...

 

 

La parole – qu'elle soit offerte par les lèvres ou la plume – n'aura jamais l'envergure et la puissance d'une présence – et d'un geste – justes. Elle peut, il est vrai, toucher profondément le cœur – l'ébranler – et même le chambouler comme elle peut l'inviter à s'ouvrir à l'innocence et à l'infini... Mais elle n'aura véritablement d'effet sur le vécu – et le quotidien – de celui qui la lit (ou l'entend) que lorsque son âme s'en sera emparée. Et qu'elle pourra s'en emplir totalement. Ainsi seulement la parole pourra prétendre avoir été utile – avoir achevé sa tâche et réalisé, en quelque sorte, sa mission – en contribuant parmi mille autres choses et événements à la rude – et mystérieuse – besogne de la compréhension en rendant possible et effective l'ouverture à l'innocence et à l'Amour – à l'infini et à l'Absolu – ressentis et vécus dans l'univers relatif du monde, des êtres et des hommes...

 

 

La mécanicité des gestes, la fébrilité des pas et la réactivité des paroles peuvent, elles aussi, se vivre – et se goûter – en présence...

 

 

Il faut (très souvent) parcourir un long chemin avant de pouvoir contempler les visages – tous les visages – du monde à la lumière de l'innocence. Et cet éclairage, parfait en quelque sorte, offre à la fois l'Amour et la lucidité nécessaires au silence, au geste et à la parole que les visages, consciemment ou non, attendent ou réclament...

 

 

A quoi ressemble notre journée ? Voilà une question à la fois étrange et très simple. Chaque jour, nous répondons aux nécessités essentielles du corps – si lié à la terre et à la nature – à travers la satisfaction des exigences physiologiques et quelques heures de marche dans les grands espaces naturels. Chaque jour, nous répondons aussi aux nécessités essentielles de l'esprit – si lié à la conscience – à travers la présence (la présence contemplative) et l'écriture (de quelques fragments). Et chaque jour, nous répondons enfin aux nécessités minimales du foyer (hygiène et propreté de base de l'environnement de vie).

Le reste, à dire vrai, n'a guère d'importance. Et n'a que peu d'intérêt. Il est constitué des éléments les plus grossiers de notre idiosyncrasie. Et bien que cette dimension si singulière et anodine de l’existence représente chez la plupart des hommes l'essentiel de ce qu'ils appellent « leur vie » et qui est, en général, composée de très nombreuses activités valorisantes, narcissiques et distractives auxquelles ils consacrent une grande part de leurs efforts et de leur temps, elle est chez nous presque totalement inexistante et complètement anecdotique. Elle se limite principalement à l'amour – et à la présence – des chiens dans notre existence et à quelques moments récréatifs vespéraux consacrés, le plus souvent, à quelques recherches sur internet sur des sujets aussi multiples que variés et au visionnage de séries anglo-saxonnes en version originale (parfois jusque tard dans la nuit...). Voilà, si l'on peut dire – et bien que ces instants ne soient antinomiques – ni incompatibles – avec les nécessités essentielles du corps et de l'esprit, les seuls instants de distraction journaliers que nous nous accordons...

Il est peu dire que les nécessités essentielles mobilisent la quasi totalité de notre attention. Et de notre énergie. Et occupent la quasi totalité de notre journée. Oui, ainsi est notre vie. Routinière sans doute... peu attrayante peut-être... mais indéniablement tournée, je le crois, vers l'essentiel de l'homme...

 

 

Lorsque le vent se calme, le silence, à nouveau, se fait entendre dans la plaine... jusqu'à l'arrivée des prochaines bourrasquesMais qui sait entendre le silence malgré le vent Et qui le sent resplendirdans la furie des souffles ? Et qui sait demeurer silencieux durant la tempête ?

 

 

L'abandon est, sans doute, l'une des plus belles preuves d'amour (et de confiance) qu'un être puisse accorder en ce monde. Preuve d'amour (et de confiance) à l'égard de la vie. A l'égard de l'Autre et du monde autant qu'à l'égard de Dieu et de l'infini...

 

 

Ah ! Le cœur humain qui, sans cesse, balance entre le besoin rassurant de la routine doucereuse et la nécessité de l'aventure intense et exaltante. Il en est ainsi avec la vie comme avec l'amour. Comme si l'esprit était toujours pris entre deux feux ; la petite chaleur ronronnante des jours et le grand brasier de la passion. Cherchant l'une et l'autre. Et ne pouvant jamais les réunir. S'ennuyant parfois à mourir dans la première. Et se consumant avec ardeur et jusqu'à la folie – et presque jusqu'à la mort parfois – dans le second.

Dans ce dilemme, l'homme est pris au piège. Selon sa nature, il sera essentiellement amené à vivre une existence routinière ou une vie aventureuse avec, il est vrai, quelques escapades, plus ou moins fréquentes et plus ou moins longues, dans la posture qui lui est la moins familière. Et ce piège – cette tendance naturelle (avec ses éventuelles alternances) – perdurera tant que l'individualité ne se sera effacée. Tant que l'impersonnalité ne se sera imposée avec force...

Peu d'hommes le savent mais seule l'impersonnalité offre l'occasion de ressentir – et de vivre – simultanément une paix profonde et une grande intensité. Et bien qu'elle aussi n'échappe pas totalement à quelques rythmes et cycles mystérieux qui offrent tantôt au cœur – et à l'âme – une folle exaltation et un incroyable sentiment d'ivresse (d'ivresse lucide...), de puissance et de potentiel et qui tantôt les enveloppent d'une parfaite – et totale – quiétude, d'une confiance et d'une sécurité absolument inébranlables, l'une et l'autre peuvent être – et sont en général – réunies (et vécues) –, à des degrés plus ou moins forts, dans le même instant...

 

 

[Petit hommage au Christ]

Il se laissa menotter par les sombres liens des jours qui défigurèrent son visage. Et agenouillèrent son honnêteté. Et les vents offrirent ses restes au ciel qui les dévora. Et nul ne fut surpris, au troisième jour, de voir le tombeau ouvert. Et sa figure indemne, ivre de vie et de lumière, descendre parmi les hommes...

 

 

L'obscur n'est pas une malédiction. Il est une étape de la lumière vers elle-même. Vers son plein rayonnement. Toujours gourmand, à ses débuts, de son éclairage et de son énergie qu'il avale – et dévore – d'abord pour se nourrir, puis, pour s'élancer vers sa propre extinction...

 

 

Il n'y a de parole plus belle que l'expression d'une fleur. Quelle que soit la saison, on la devine présente – éminemment présente – parmi nous. Naissante, vivante, coupée, agonisante ou desséchée, elle sait toujours se faire le reflet de l'infini. Et nous rappeler, avec tant de grâce et de légèreté, la fragilité du monde et la fugacité de la vie.

Et toujours les prairies sauvages seront plus belles – et nécessaires – que toutes les bibliothèques du monde...

 

 

Toutes les portes – et tous les cœurs – du monde pourraient rester clos, les vents, en leur temps, feront sauter tous les cadenas et feront s'effondrer tous les murs pour que l'ouverture à jamais soit la dernière demeure d'où nous puissions contempler jusqu'à la fin des mondes – jusqu'à la fin des temps – les herbes et les étoiles, la course des astres et des hommes dans la lumière radieuse du jour et de la nuit...

 

 

La lumière oblique rétrécit le champ de vision. Aveugle nos sens. Et offre au monde un éclairage éblouissant et tendancieux. Mensonger pour tout dire... Alors que la pleine lumière élargit la perception, exacerbe notre acuité et resplendit partout sur la terre sans laisser jamais le moindre recoin de pénombre où nous pourrions nous réfugier...

 

 

La cloche au loin sonne les heures. Les instants que l'on soustrait à notre vie. Et l'espérance dans le cœur des hommes pour offrir à leurs jours un air de fausse gaieté...

N'ouvrons jamais la porte aux promesses ! Elles nous précipiteraient dans l'infâme abîme de l'espérance. Le trou insondable de l'obscurité où les cœurs et les mains suppliantes prient en vain... Croyez-vous vraiment que la lumière advienne ainsi ?

 

 

Une voix qui chante dans l'air frais du matin. Un chien, au loin, qui aboie. Le souffle lent du vent dans les feuillages. Les battements du cœur. Et les danses du monde. Réunis en un seul point... Au point le plus dense et le plus ouvert de l'écoute où tout apparaît et s'efface sans jamais se briser. Où même les étoiles – les poussières et les galaxies les plus lointaines – sont invitées...

 

 

Nul ne peut éteindre la flamme qui brille au fond des yeux – et du cœur – de chacun. Qu'elle se fasse le reflet de l'ombre ou de la lumière importe peu... Elle resplendira – et rayonnera – de ce qu'elle porte – et vers ce qu'elle cherche – jusqu'à son extinction. S'en suivra peut-être (s'en suivra sans doute...) un intervalle de silence et de transparence où le sort ne penchera ni vers les ténèbres ni vers la clarté avant la naissance d'une nouvelle flamme. Gageons seulement que de naissance en naissance, la lumière saura la guider (progressivement) jusqu'à elle...

 

 

Des trouées de lumière dans le ciel bas et nuageux. Le gris – la vaste étendue grise – percé(e) de toutes parts pour éclairer la terre – et le cœur – des hommes. Les encourager à s'extirper de leur long sommeil. A s'extraire de leur longue nuit. Et pourtant, on voit partout les visages penchés – penchés toujours – sur leurs souliers et l'horizon mortifère si proche des yeux. L'âme baignée d'espoir et le nez enfoui dans la terre, continuer à ronronner dans leur existence fébrile et assoupie. Marcher à petits pas – et sans perspective – vers l'avenir sombre. Aveugles à la clarté intérieure – et à celle alentour – poursuivant l'ombre comme des chiens fidèles...

 

 

La solitude – et le soleil – impartageables de l'extase. Inutile de clamer nos réjouissances haut et fort – et sur tous les toits ! Les hommes ne comprendraient pas... Et comment le pourraient-ils ? Nous devons rester humbles et discrets. Demeurer en présence. Maintenir en notre cœur l'innocence. Et offrir modestement notre silence (notre silence sensible et vivant), nos gestes et notre parole aux circonstances présentes...

 

 

Des instants d'Absolu – intenses et exaltants – qui ouvrent au sublime (et à la puissance de l'innocence)... et qui s'enchaînent indéfiniment les uns après les autres... Une vie d'infini et d'éternité où l'Amour et la lumière règnent sans partage. Apaisent toutes les faims. Abreuvent toutes les soifs. Eclairent toutes les ombres. Dissipent l'obscur. Et le transforment en clarté rayonnante. N'est-ce pas là le rêve de tout homme ? Et n'est-ce pas celui que Dieu a dessiné depuis l'aube des temps pour le peuple de la terre ?

Ici-bas, l'homme ne sera qu'un humble éclaireur sur ce chemin de lumière. Un modeste franc-tireur qui ouvrira le passage pour découvrir l'autre rivage – et témoigner de son existence aux habitants de la terre. L'homme sera les premiers pas du monde avant qu'il ne s'y engouffre tout entier...

Voilà sans doute le véritable dessein – et la véritable ambition – de Dieu pour les hommes – et tous les êtres de l'univers...

 

 

Au passage de l'Absolu, nulle citadelle ne résiste. Le vent et la poussière du monde se transforment aussitôt en souffle et en or. Les jours et les années en chemins. L'instant en porte ouverte – en porte grande ouverte – sur l'infini du ciel. Et le cœur en Amour inébranlable – et inaltérable – qui s'offre aux passagers misérables qui poussent partout leurs peines sur leurs sentiers de misère.

Tout s'ébranle – et s'effondre – au passage de l'Absolu. Tout s'efface pour laisser place à l'Amour et à la lumière qui s'infiltrent – et pénètrent – partout où le cœur sait rester ouvert. L'innocence devient alors la seule arme. Et le seul souverain... Et tout disparaît et réapparaît – toujours plus lumineux – dans sa présence...

 

 

Ah ! Si les hommes savaient... S'ils pouvaient reconnaître, un instant – un court instant –, le regard qui les habite, ils déposeraient leurs outils et leurs armes sur le champ... Ils laisseraient la terre fleurir et offriraient des bouquets d'innocence et de vérité à tous les visages rencontrés...

 

 

Ne jamais cracher sur les visages. Ne jamais blâmer les êtres et les hommes. Ni même leurs gestes ignorants et barbares – et leurs paroles sans épaisseur... Ils ne comprendraient pas. Ils se sentiraient offensés. Et s'effondreraient en larmes. Ou s'offusqueraient. Et sortiraient aussitôt leur épée ou leur glaive.

Toujours souffler la lumière. Et accueillir l'ombre sans colère. Toujours laisser les yeux rieurs et insouciants. Et les laisser pleurer et implorants. Toujours laisser les mains mutiler et se servir. Et les laisser panser et secourir... Car, eux aussi, comme le regard aimant et la parole juste et profonde, sont au service de la lumière... même si les êtres et les hommes – l'essentiel d'entre-eux – n'en ont encore conscience...

Regarder, écouter et recevoir. Comprendre et s'émouvoir. Jouer et célébrer. Aimer, veiller sur et être présent aussi, bien sûr... Voilà à quoi nous devrions peut-être nous résoudre...

 

 

La forêt noire des songes où l'homme se perd. Aveugle à la lumière des arbres et des chemins. Insoucieux des clairières de l'âme où il serait pourtant si doux – et si bon – de s'installer pour regarder l'herbe et les pierres. Les nuages et les pas sombres des créatures sans visage. Et la luminosité intacte du ciel. Il y aurait tant de choses – et de mondes – à découvrir à l'ombre des hautes frondaisons et sous l'autorité silencieuse de l'infini. La clarté et l'innocence nous ouvriraient (enfin) toutes les portes des labyrinthes vertigineux où nous errons depuis la naissance de la nuit...

 

 

Sur les dalles de marbre et de béton, la foule s'impatiente, enrage et piétine. Et sur la terre des chemins, les pas de l'homme sage qui avance – déroule sa foulée légère – en silence. Rien ne saurait l'écarter de la grâce et de la lumière. Entamer son assurance tranquille et sereine. Ni le reflet de la folie – ni celui de la terre – dans ses yeux clairs. Ni la destination provisoire de la marche. Imperturbable toujours malgré les reliefs, les échos et les éclats du monde.

 

 

Lorsque le rendez-vous est pris avec l'infini, Dieu descend de sa chaire. Et s'immisce partout – et jusqu'au plus bas – où le regard se porte. Présent autant dans les yeux, le cœur et l'âme de celui qui regarde que dans les silhouettes, les élans et les soubresauts des formes et des créatures regardées...

 

 

Le pari du monde a été pris. Sa marche incontestable en atteste. On a beau en dénigrer les errances, la lenteur et les atermoiements, abhorrer les paysages traversés et les chemins empruntés – façonnés à la serpe sauvage tenue par des mains ignorantes et grossières – par des mains inconscientes – et refuser de se joindre aux foulées mécaniques et mercantiles, Dieu n'en est pas moins présent derrière les figures de l'ombre qui dirigent leurs troupes et actionnent les bras et les souliers de cette immense armée sans visage au service de son dessein...

 

 

Le monde n'est qu'une terre de feu et de sang – de cendres et d'océans rouges – peuplée de roches, de plantes, de bêtes et d'hommes – de la glaise armée et couverte d'instincts –, baignée pourtant d'une parfaite lumière mais encore si diffuse et opaque qu'elle en devient (presque) invisible aux yeux de ses créatures...

 

 

Peut-on vivre sans être ? Non, probablement pas... Et peut-on être sans vivre ? Oui, on peut le supposer... Être sans incarnation, serait-ce donc là le plus haut degré de réalisation ?

 

 

Cette couleur de l'âme qui nous est si familière – et qui resplendit sur notre visage. Qu'importe ce qu'elle est – et le teint qu'elle nous donne – pourvu qu'on la respecte...

 

 

La chaleur feutrée des jours et la présence rassurante du monde – et son brouhaha – assoupissent l'esprit déjà ronronnant. Endorment l'acuité. Ôtent à l'attention et à la sensibilité leur sens aigu. Anesthésient le cœur – et sa part la plus innocente. Verrouillent, en quelque sorte, les portes du silence et de l'infini. Comme si elles distillaient leur poison. Asphyxiant les profondeurs de l'être – et le recouvrant d'un couvercle hermétique. Le coupant de sa source – et de sa nature originelle – au profit d'exigences archaïques et infantiles et de quelques vêtements d'apparat. Soustrayant à l'âme toute joie. Et la privant de la beauté – en particulier celle du plus simple – et de plus fragile – de cette vie qui s'offrent, à chaque instant, dans leur plus parfait dénuement...

 

 

Qui a conscience – réellement conscience – de tous ces événements, de toutes ces décisions, de tous ces gestes et de tous ces actes qui, à chaque instant, détruisent la vie ? De ces circonstances innombrables qui déciment en permanence les êtres et les existences par dizaines, par centaines, par milliers et par millions – qui brisent les cœurs – et meurtrissent les esprits et les âmes ? Comme si la terre, le monde et leurs créatures – bêtes et hommes – devaient souffrir, mourir et renaître encore et encore pour parvenir à s'ouvrir à la perfection de leur origine. Remettre encore et encore leur ouvrage médiocre et imparfait sur le métier pour apprendre à découvrir – et à être – ce qu'ils sont. Comme si la source – la source de toute chose et de toute existence – aspirait à transformer l'obscurantisme et la noirceur – la maladresse et la mécanicité de ses créatures – de sa création – en Amour et en compréhension. Pour qu'elles puissent retrouver le chemin de la rectitude, de l'innocence et de l'infini. En puisant, sans cesse, dans leur potentiel pour l'actualiser et le distiller à chaque opportunité afin de les libérer de leurs fers, de leurs chaînes et de leurs épées... Ah ! Quelle folie ! Et quel incroyable et ambitieux défi – quasi impossible – que s'est lancé là la conscience en investissant l'univers – et le minuscule espace terrestre ! Et quelle âpre et patiente besogne pour accomplir son rêve insensé !

 

 

La couleur du destin serait-elle aussi celle de l'âme – cet être des profondeurs – qui nous habite – et nous anime – et qui offre sa teinte (et sa tonalité) aux circonstances et aux visages que nous rencontrons au cours de notre courte traversée ?

Ah ! Quel étrange patchwork coloré que cet univers – et ce monde ! Comme un incroyable (et fabuleux) arc-en-ciel composé d'une infinité de couleurs qui se côtoient et se mélangent...

Et que dire de la lumière – et de son rôle essentiel – qui éclaire le tableau de toutes parts – et de l'intérieur même de chaque fibre de cette grande fresque colorée ?

 

 

[La cité des morts]

Si l'on rassemblait tous les morts du monde et de l'univers depuis leur création, il n'y aurait, sans doute, assez de place pour aligner les tombes – et les corps – les uns à côté des autres. Ils s'amoncelleraient peut-être jusqu'au ciel. Transformant les lieux en une sorte d'immense planète d'os, de chair, de plumes et d'écailles ; en une gigantesque et morbide tour de Babel inutile – et toujours aussi impuissante à pénétrer le ciel – et ses secrets. Et cette cité des morts serait, sans doute, la ville la plus peuplée que le monde et l'univers aient connue...

 

 

Regardes-tu le monde, les êtres, l'inconnu et leurs mystères avec les yeux et le cœur ou avec tes représentations ? Dans ce dernier cas, je crains que tu ne sois frappé d'aveuglement, voire de cécité. Quoi que tu regardes, tu ne vois rien. Absolument rien. Tu colores simplement ce tableau de néant avec ce que tu veux – ou aimerais – y voir...

 

 

Cet incroyable enchevêtrement de tout. Cette somme gigantesque d'énergie entremêlée déguisée en matière, en corps, en chair, en souffles, en idées, en émotions et en sentiments circulant sans cesse, se heurtant, se cognant, se brisant, se mélangeant, se transformant et s'effaçant continuellement. Et renaissant toujours à la fois si identiques et si différents. Quel magma monstrueux ! Et quelle étrange et mystérieuse créature que l'Existant guidé à la fois par ses propres nécessités et la main – et le cœur – tout aussi étranges et mystérieux – de la conscience !

 

 

Malgré la présence des hommes – ou, peut-être, à cause d'elle –, le désert s'étend... Qui peut nier la solitude éternelle du monde et de la conscience, respectivement unique objet et unique sujet de l'univers ? Et à quel moment le rapprochement adviendra-t-il ? Une seule certitude peut-être... Il sera lent, long et difficile... mais inéluctable – et indispensable pour que chacun vive – et célèbre – l'Unité...

 

 

Il n'y a d'instant plus beau que lorsque l'infini se révèle – et glisse partout où se posent le cœur et le regard...

 

 

Nous ne sommes jamais celui que nous croyons. Qui n'a jamais ressenti au fond de son âme la queue du Diable s'agiter ? Et des ailes pousser sur les contours indéfinis de son cœur ? Croyez-vous vraiment avoir l'envergure de votre corps ? Et de votre pouvoir indigent sur cette terre ? Nous sommes bien davantage... Si vous saviez... N'avez-vous jamais franchi les frontières de l'esprit ?

Jamais les étoiles ne pourront vous conter votre histoire. Ni la lune ni le soleil vous révéler votre identité... Hissez-vous jusqu'au silence. Et posez-lui vos questions. Et sa réponse – silencieuse, bien entendu... – vous subjuguera. Et effacera vos doutes et vos interrogations... Et vous saurez alors ce que vous êtes...

 

 

Cet inconnu en nous qui sommeille. Et que les circonstances toujours éveillent... Visage aux mille facettes tantôt sombres tantôt claires que la lumière ensoleille. Et qu'un instant – un seul instant – d'innocence nous ferait découvrir pour aller ensemble – tous ensemble – réconciliés sur les chemins inconnus...

 

 

L'être que tu dévisages dans le miroir, est-ce bien toi ? En es-tu certain ? Regarde donc avec plus de finesse et d'acuité ! Sens-tu ce qui regarde en toi – conscient à la fois de ce qui voit et de ce qui est vu ? Yeux, visage et reflet...

 

 

On pourrait bien offrir deux heures (ou six heures un quart*) de discussion philosophique aux feuilles mortes. Je crains qu'elles n'y trouvent guère d'intérêt... Et il en est des hommes comme des feuilles mortes. Aussi pourquoi s'offusquer du peu d'attention accordée à nos pauvres petites notes...

* Petit clin d’œil à Gombrowicz...

 

 

Le visage froid et hautain parfois – comme un masque de peur et d'indifférence – voile notre âme souriante. Et notre cœur aimant et secourable. Autant que notre main généreuse. Et donne à nos traits la dureté du marbre et de l'acier qu'aucun regard ne saurait percer...

 

 

La délicate attention des jours qui nous soumettent à leurs promesses. Quel cœur asphyxié de grisaille pourrait y résister ? Demain semble un songe si lointain... Qui n'a jamais rêvé de voir la fée de l'espoir transformer ses citrouilles en carrosses ? Ses larmes en caresses ? Sa souffrance en joie ? Et ses soucis en étoiles et en paillettes d'or ? Qui n'a jamais imaginé que les jours pourraient ainsi transformer son existence ?

 

 

Ah ! Mon Dieu ! Comme l'on est – et se sent – à l'aise en sa compagnie ! Certes, un peu seul parfois... mais que cette présence est douce... Et comme elle nous est chère... Être pour soi toujours le plus tendre des compagnons... Eh oui, figurez-vous – et ne vous en déplaise – l'Amour toujours advient ainsi...

 

 

Certains aiguisent leur épée. Et d'autres leur âme. Les premiers, en général, sont des guerriers. Et les seconds des poètes... A chacun ses armes, n'est-ce pas ?

 

 

Qui doit se soucier des êtres – et du monde – mal en point ? De ceux qui souffrent en silence ? De ceux qui crient ? De ceux que le monde délaisse et abandonne ? De ceux que l'on oublie – et combien sont-ils oubliés ? Toi. Et toi seul. N'attends rien du monde et des hommes. Et ne leur demande rien. Jamais. Agis sans rien espérer. Tourne-toi vers ce qui se présente – et arrive – selon les circonstances et l'exigence des visages sans jamais oublier d'être à ton égard le premier secours...

 

 

Avide de circonstances et de rencontres, de sensations et d'émotions bénéfiques à ton être. A ton individualité. Voilà comment tu es, homme ! Rejetant – et oubliant – toujours la moitié de la vie, la moitié du monde et la moitié de toi-même. Tu l'ignores encore... mais ce regard infirme t'ampute de toutes les joies...

 

 

La sagesse de l'homme ? La sagesse des êtres et du monde ? La maturité du cœur et de l'esprit ? Non ! Pas encore ! Patientez ! Et revenez dans quelques siècles – dans quelques millénaires... et peut-être serez-vous surpris...

Et derrière les visages et les bâillements d'ennui, la conscience s'amuse, patiente et hilare, avant de pouvoir se retrouver... Intacte et indemne après tant d'oubli, d'absence et de crispations. Le jeu fut – et sera – sûrement très long, éprouvant et salutaire mais nul ne peut douter, un instant, qu'elle se sera follement amusée durant tous ces millénaires...

 

*

 

La mort efface la vie. La fait tomber dans la béance – dans la main droite de la nuit. Quelques tours d'astres plus tard, la voilà qui réapparaît dans la main gauche du jour. Et lorsque les astres auront fini de tourner dans nos yeux fatigués par tant de longues veilles, la conscience effacera la mort. Et avec la vie, le jour et la nuit continueront de jongler...

 

*

 

Que peuvent dire les mots que le silence ne sache déjà ? Que le cœur demeure clair... et la parole le restera...

 

 

Un instant de présence. Un seul instant. Pour qu'éclate l'opacité du cœur – et du monde. Et que resplendisse leur transparence dans l'innocence et la lumière...

 

 

La tristesse est une compagnie lointaine. Et qui s'éloigne toujours davantage de notre refus. De notre porte fermée. Et plus elle s'éloigne, plus elle nous pénètre. Nous étouffe. Nous submerge. Et dévaste notre vie. Là est son paradoxe apparent...

Peu savent accueillir la tristesse comme la reine des passagesLa gardienne de l'autre rive où la joie perce – et anéantit – toute la mélancolie de l'âme. Et l'accompagne jusqu'au rivage de la lumière où le regard patiente, indemne. Faisant à la fois couler sur nos joues des larmes intarissables face au spectacle attristant des hommes et du monde et dessinant un immense sourire – confiant et inaltérable – sur la clarté toujours plus resplendissante des jours...

 

 

Dans la parole du poète s'invite tout ce que la vie et le monde ont créé ; les hommes, l'Amour et le silence ; les fleurs, les arbres et la rosée ; les bêtes, Dieu et la souffrance ; les étoiles, les nuages et la poussière ; la mort, le ciel et l'infini. Et tout se mêle et s'enlace en danses tristes et chatoyantes. Et toujours la joie et la lumière s'infiltrent dans cette parole... Et toujours elles finissent par avoir le dernier mot...

Dans la parole du poète se reflète le ciel comme un miroir posé devant nos grands yeux tristes et perdus...

Mais la parole du poète est aussi faite de ses larmes. Pour que celui qui la reçoit y découvre son visage. Et le jette au ciel comme il lancerait de la poussière d'or dans les étoiles. Pour éclairer la terre d'une lumière plus vive. Et plus légère. Et accompagner nos pas – chacun de nos pas – si fragiles et si misérables vers le pays de la joie.

 

 

Le monde pourrait bien se regarder mille ans devant un miroir – et attendre l'aube prochaine –, la terre resterait inchangée. Pour voir émerger les premiers soubresauts d'une ère plus prometteuse, il faudrait enfoncer la tête au plus profond du cœur et laisser le regard pénétrer l'âme et les yeux pour déceler – commencer à déceler – la lumière diffuse que les paupières closes n'ont jamais su voir. Et qui était là pourtant, attendant qu'on la remarque – et qu'on l'accueille – pour manifester sa présence. Et sa puissance de rayonnement... La délivrance, nous le savons bien, viendra toujours de l'intérieur...

 

 

Chaque au revoir n'est qu'un Adieu où il sera bon de se retrouver, les yeux enfin dessillés non pour saluer – saluer seulement – les visages. Mais pour les aimer...

 

 

Une pluie de sommeil. Et voilà les jours – et notre visage – engourdis. Tétanisés par le temps et les rêves gris. Incapables de s'ouvrir à la lumière – et au soleil – qui luisent et resplendissent partout au dedans, insoucieux (comme toujours) des songes et des nuages qui parcourent la terre...

 

 

La lumière jamais ne fuit les jours. Mais toujours le cœur y résiste... Enfermé entre les parois sombres de son antre obscur. Rassuré par la présence des ombres qui dansent sur les murs à la lueur de sa flamme chancelante... Et qu'un grand vent frais attiserait pour abattre les cloisons et dissiper les silhouettes dansantes. Alors le jour serait vu. Et l'infini deviendrait la seule demeure où le cœur et le monde pourraient se voir – se rencontrer et s'unir – pour célébrer leurs longues retrouvailles...

 

 

L'esprit de désir, d'attente et d'exigence ne connaît que la tristesse et la misère. Et qu'importe qu'il vive dans la richesse, la pauvreté ou le dénuement, son existence n'est que plaintes et frustrations. En revanche, le regard – et le cœur – vierges et innocents savent accueillir – aimer et s'unir à – tout ce qui survient. Voilà pourquoi, ils peuvent goûter la grâce de l'instant et la joie de l'inconnu quelles que soient les circonstances...

 

 

Croyez-vous vraiment que le corps et l'esprit – si denses – si profondément telluriques – et si sagement et sauvagement terrestres – puissent s'ouvrir à l'infini – à la légèreté et à la grâce du silence ? Oui, absolument. Et sans conteste...

 

 

La nature, la vie et le monde sont le seul temple du mystique naturel. Nul besoin d'église et de chapelle (ou de tout autre édifice religieux...) pour se recueillir en silence et célébrer l'infini et le Divin. Seuls les mystiques de pacotille et les immatures ont besoin d'édifier de tels lieux – et de venir y prier – pour se rappeler le sacré de toute vie et de toute chose en ce monde...

 

 

Qu'espérais-tu donc des chemins ? Et de la parole du poète ? Sinon l'annonce de cette fête...

 

 

[En aparté – comme pour soi-même...]

Conserve donc ta sève – et ton ardeur, poète... pour que les jours fleurissent de ta parole...

 

*

 

[Epilogue]

Toi, moi, le monde, les hommes et le ciel se moquent bien de contempler leur portrait sur les murs – les hauts murs – de l'ignorance. Ils doivent – et nous devons – nous laisser mener par les pas errants du cœur – et des jours. Nous laisser dépouiller par l'infini. Et nous hisser jusqu'aux terres du silence pour découvrir – et chérir – tous les visages. Et reconnaître que la perte d'un seul (d'un seul d'entre eux) est le drame de tous. Alors ce jour-là, les portraits n'auront plus d'importance. Chaque visage sera le nôtre...

 

12 décembre 2017

Carnet n°93 Inclinaisons et épanchements naturels

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

J'entends la solitude – toute la solitude – du monde. Je l'entends partout crier sa misère et sa détention. Mais il nous est impossible de lui venir en aide. La solitude est la condition même de l'Amour – et du sentiment inébranlable de l'Unité – qui seront sa seule délivrance... 

Offre à chacun de tes pas un souffle d'innocence et de vérité. Et tu pourras marcher sans une once de lourdeur et de souffrance dans les plus sombres recoins du cœur et de la terre. 

Nul besoin d'ami – et nul besoin d'amour – lorsque le ciel partout fraternise. Nul besoin d'élan – et nul besoin d'horizon – lorsque l'infini vous enlace... 

 

 

Il n'y a que des jours miraculeux. Chaque instant même est un miracle. Sachons nous en souvenir lorsque nous sommes trop soucieux et préoccupés par nos caprices et nos exigences – et que nous en oublions la grâce de vivre. Ou lorsque la joie nous quitte et que nous nous obstinons à marcher à petits pas tristes presque totalement enveloppés par le sombre et lourd voile de la morosité que nous traînons partout comme une malédiction...

 

 

Tout en ce monde a un prix. Excepté peut-être l'Amour et la joie. Mais, eux aussi, en vérité, en ont un : l'effacement de soi.

 

 

Après le silence, les mots dansent encore. Réclament leur part de joie. Aspirent, eux aussi, à participer aux réjouissances. A célébrer la vie, le monde et l'infini.

 

 

Derrière les collines, il y a un soleil que le cœur ne peut atteindre. Mais s'il reste ouvert, il s'y installera. Et inondera l'âme d'une joie et d'une lumière sans pareilles.

 

 

L'écorce du cœur est plus impénétrable que celle de la terre. Et pourtant de cette entaille seulement peut naître l'innocence de tous les édifices...

 

 

La rudesse du monde n'est rien face à celle du cœur. Et si cette dernière demeure, la première jamais ne pourra disparaître...

 

 

Certains hommes ont une existence parfaite. Chez eux, tout est en ordre. Rien jamais ne dépasse... Tout est absolument parfait : le métier, la vie sociale, le conjoint, les enfants, la famille, l'entourage, l'allure, la garde-robe, la coiffure, la maison, le jardin et jusqu'à la couleur des poils de leur chien... Mais bon sang ! Que leur vie est ennuyeuse ! Et triste ! Triste et ennuyeuse à mourir...

 

 

A chaque instant, la vie nous frappe de sa grâce et de ses coups. De minuscules pichenettes en vérité qui, le plus souvent, nous contrarient et nous irritent. Mais la vie nous laisse, l'essentiel du temps, selon les circonstances et la nature du cœur, de longs instants de répit doucereux et ennuyeux – de longs intervalles de routine mortifère et paresseuse jusqu'à ce que la mort nous porte le coup fatal...

Et qu'apprenons-nous de l'existence – et de ses enseignements permanents ? Peu de choses en réalité... Les hommes sont, le plus souvent, de piètres élèves dont la peur et les instincts (renforcés par les événements) font presque toujours obstacle à l'apprentissage – et à la progression de la compréhension...

 

 

L'attention est une présence qui veille sur le monde et les êtres. Et la source des gestes – et de la parole – qu'ils réclament ou dont ils ont besoin. Elle offre ainsi toujours la plus juste façon de prendre soin d'eux.

Dans cette perspective, ce que l'on appelle l'égocentrisme n'est, en réalité, qu'un regard sélectif et autocentré (un regard, par définition, essentiellement tourné vers soi) qui n'a qu'une vision très floue et partielle (voire parfois même inexistante...) de ce qui l'entoure – et qui induit naturellement des actes tournés vers ses propres besoins, demandes et intérêts ; ce que l'on a coutume d'appeler l'égoïsme.

Mais que cette attention soit infiniment restreinte et biaisée (comme avec l'égocentrisme) ou pleine et totale (comme avec le regard impersonnel), elle invite toujours à veiller – à prendre soin et à agir en conséquence – pour le bien-être de ce qui se trouve devant ses yeux en essayant de changer ou de transformer certains aspects ou certaines conditions qu'elle juge inapproprié(e)s.

En dépit de ce constat, il existe néanmoins une différence majeure entre l'attention restreinte et autocentrée (si répandue chez les hommes) et l'attention large, ouverte et impersonnelle (telle que peuvent la connaître les sages et les éveillés) : la place accordée au psychisme et le poids de ses élans.

L'attention large, ouverte et impersonnelle considère toujours les élans psychiques comme des mouvements non personnels. Elle leur accorde, par conséquent, la même valeur qu'aux autres mouvements et phénomènes (ceux que l'on considère habituellement comme ne relevant pas de la sphère personnelle). Elle se résout simplement à répondre à leur demande de façon neutre, juste et appropriée comme elle le ferait pour tout autre besoin ou réclamation.

En revanche, l'attention restreinte et autocentrée est victime, en quelque sorte, de son identification au corps et au psychisme. Elle considère, en effet, qu'elle est, pour une grande part, le corps et le psychisme. Elle se sent donc naturellement encline à la discrimination entre ce qu'elle croit être (une individualité séparée) et ce qu'elle croit ne pas être (le reste du monde). Et comme le corps et le psychisme sont essentiellement portés par la peur, le désir et la projection, cette identification renforce, exacerbe et exagère son inclination naturelle à veiller et à prendre soin en transformant les besoins et les désirs en caprices, en exigences et en anticipations afin d'essayer, avec plus ou moins de succès, d'éradiquer toute peur et de satisfaire le moindre désir...

Voilà sans doute pourquoi le monde est ce qu'il est. Et hormis quelques changements, le plus souvent apparents et superficiels, rien ne pourra véritablement changer si l'attention demeure étroite et focalisée... D'où la nécessité impérative de la souffrance (liée, pour l'essentiel, à l'attention autocentrée et à l'identification au corps et au psychisme) qui induit, tôt ou tard, une interrogation qui mène au cheminement spirituel qui débouche, lui-même, sur une transformation de la perception – et donc de l'attention – qui deviendra progressivement (et naturellement) plus large, plus fine, plus profonde et plus ouverte... et qui se transformera, au final, en attention impersonnelle, non identifiée et non autocentrée...

Et voilà, en quelques mots, bouclée, je crois, la boucle du monde et de la conscience...

 

 

A toute heure, le soleil du jour. Et même jusque dans la nuit la plus sombre...

 

 

Malgré leurs sourires et leurs cils racoleurs, les ombres ne pourront nous secourir. Au pire, elles sauront nous consoler. Et nous distraire. Au mieux, elles nous précipiteront dans l'abîme. Seuil de toute lumière...

 

 

Personne, je crois, n'entendra jamais la parole que nous dictent le vent et les arbres – ni les confidences des herbes et des nuages – que nous recueillons alors que nous arpentons les chemins déserts du monde. Seuls le cœur – et le ciel – s'en émouvront... et s'en enivreront toujours...

 

 

Le poids de la mémoire. Et ses lourdes charrettes de souvenirs que l'effacement fait disparaître. Déblayant ainsi l'esprit pour l'ouvrir à la légèreté de l'innocence.

 

 

Il n'y a rien à posséder – ni à amasser – en ce monde. Il convient simplement de recevoir ce qui nous revient – tout ce qui nous échoit. De célébrer sa venue. D'honorer sa présence avant de le voir s'effacer dans le silence et l'infini.

 

 

Livrons-nous à la joie du chemin. Et de l'inconnu. Enfonçons-nous dans le silence. Effaçons-nous dans l'infini. Pour indéfiniment nous rassasier de présence...

 

 

L'Amour et l'infini baignent le monde. Et l'infime ne peut le voir – et y accéder – que lorsqu'il s'est vidé de toute substance – et que l'innocence a pu remplir ses yeux – et son cœur – jusqu'à ras bord.

 

 

J'entends la solitude – toute la solitude – du monde. Je l'entends partout crier sa misère et sa détention. Mais il nous est impossible de lui venir en aide. La solitude est la condition même de l'Amour – et du sentiment inébranlable de l'Unité – qui seront sa seule délivrance...

 

 

La crainte de la mort peut s'expliquer de bien des façons. Mais au delà de la peur de la disparition du corps et du chagrin à quitter le monde – la terre, nos repères et ceux qui nous sont chers – il me semble que l'effroi de la perte du potentiel de conscience (la perte du potentiel d'accès à la conscience serait plus juste...) constitue notre plus grande angoisse...

 

 

Tout se fane en ce monde. Les fleurs, la jeunesse, la beauté. Tout se défait et disparaît. Sauf, bien sûr, l'Amour et la fraîcheur, toujours neuve, du regard...

 

 

La poésie jamais ne fera renaître le monde de ses cendres. Les ruines et la poussière resteront. Mais elle peut embraser le cœur. Et offrir sa lumière pour laisser au monde des empreintes moins noires...

 

 

Qui saurait combler la part manquante ? Et qui a conscience de cette absence qui ronge à l'origine pourtant de tous nos pas fébriles et inassouvis ? De quoi s'agit-il exactement ? Quel homme peut prétendre ne pas aspirer à retrouver la complétude et l'Unité sans lesquelles sa vie, ses gestes et ses paroles se trouvent comme amputés – infirmes et inguérissables ? Et comment croire que l'Amour et l'Absolu nous soient inaccessibles ? Chacun d'entre nous les cherche bien sûr, à son insu, passionnément et aveuglément. Mais combien sont habités par le souffle nécessaire pour mener à terme leur recherche obstinée du Divin ?

 

 

Le poète et le penseur célèbrent la vie, l'infime et l'infini. Leurs textes dénoncent les supercheries, le mensonge, les illusions et l'hypocrisie. Leurs paroles invitent les hommes à délaisser leurs chimères et à affronter leur misère pour que se révèlent la lumière, la joie, la beauté et la vérité. Et ils n'ont que faire de la sollicitude des hommes. De leurs promesses. Leur indifférence, leurs dénigrements et leurs encouragements n'ont de prise sur eux. La solitude du penseur et du poète – et la liberté de leur parole – sont à ce prix...

La vie, l'Amour, Dieu et l'Absolu. L'infini, la beauté, la vérité et la liberté sont leurs seuls désirs. Leurs seules passions. Et rien ni personne ne saurait faire obstacle à leur farouche et sauvage détermination. Ainsi sont – et vivent – le poète et le penseur...

 

 

Qui ne sent la grâce de nos vies et de nos pas ? Qui ne voit la beauté de la moindre herbe qui recouvre la terre et du plus anodin visage qui la parcourt ? Et qui est aveugle à la lumière que nous sommes ?

Si nul ne le voit – et si nul ne le sent – qu'on instruise donc les hommes ! Qu'ils consultent la sagesse des anciens – et non celle de leurs aînés, le plus souvent, trop immatures pour en être pourvus ! Qu'ils se laissent encourager par leurs paroles ! Et qu'ils se laissent surtout guider par leur curiosité – et leurs propres interrogations !

La vie, nous le savons bien, y œuvre sans cesse mais le regard de l'homme, pris dans la pâte opaque des instincts et des représentations, peine toujours à sortir de l'obscurité. Que faudrait-il donc faire ? Accueillir et patienter serait sans doute le plus sage...

 

 

Offre à chacun de tes pas un souffle d'innocence et de vérité. Et tu pourras marcher sans une once de lourdeur et de souffrance dans les plus sombres recoins du cœur et de la terre.

 

 

La récurrence des jours et des saisons – et tous les cycles du monde, de la terre et du ciel – nous apprennent l'impossibilité de l'achèvement. L'éternel retour de toute chose. Et nous invitent inlassablement à la présence toujours neuve du regard qui jamais ne se laisse emporter par le sempiternel mécanisme de la fuite, de l'effacement et de la renaissance.

 

 

Les fantasmes des jours ne sont que les rêves sombres d'un visage endormi. D'une âme qui dort – et qui se croit éveillée...

 

 

Tout désir est à la fois le prolongement des instincts et un cri, un appel, une volonté farouche de se libérer de toute chose – et de tout désir. D'accéder (enfin) à la pleine liberté.

 

 

Toutes ces notes sont des consignes inutiles que nul homme, sans doute, ne sera amené à lire. Et qui jamais ne pourront se voir appliquées. Excepté si celui qui les tient entre ses mains y voit, comme dans un miroir, son propre visage éclairé par une lumière opportune et adéquate...

 

 

De mots bavards en mots bavards, j'en oublie parfois le silence... Comme il m'arrive parfois d'oublier dans la marche (de pas en pas) d'être pleinement présent. Et déjà arrivé au lieu de toutes les destinations...

 

 

L'homme, être éternel de l'entre-deux. A la fois marqué par les instincts – la malédiction des instincts – et la conscience – la grâce de la conscience. Dont les gestes malhabiles et ambivalents révèlent la double origine – la double appartenance. Et l'éclairage incomplet comme si l'essentiel encore lui manquait...

 

 

La lumière ne pourra s'éteindre. Mais les yeux pourraient bien – qui sait ? – à jamais rester fermés...

 

 

En cette ère de grandeur et de folie narcissiques et consuméristes, chacun rêve de bâtir la maison de ses rêves, grande, luxueuse, confortable et à son image alors qu'un simple abri contre la pluie, le vent et le froid serait nécessaire. Et contenterait l'homme sage.

 

 

Le cercle inexorable des édifices que nous construisons. Qui nous emprisonne. Et qui finira par nous asphyxier – et nous écraser. Anéantissant tout dans sa chute...

 

 

Lorsque je vois les agriculteurs s'éreinter tout le jour sur leurs parcelles, juchés sur leurs énormes et bruyantes machines, passant leur temps à semer, à récolter, à labourer (quelle idiotie !), à sarcler et à gorger leurs champs de pesticides (quelle infamie !) et donc, en définitive, à exploiter – et à abîmer – avec outrance et abjection la terre, je me dis qu'il est plus aisé, plus poétique et moins préjudiciable (beaucoup moins préjudiciable) d'être un paysan du ciel marchant sur les chemins, le cœur vide et joyeux, écrasant parfois – et presque par mégarde – quelques viles parcelles édifiées par les hommes, et cueillant dans le silence de l'âme et des pas – et lorsque le ciel et les saisons le décident – quelques fleurs d'innocence et d'éternité. Et nul ne pourrait nous faire l'affront de penser que cette offrande au monde et aux hommes est moins essentielle que la nourriture que nous ingurgitons. Et même, sans doute, bien plus saine que les infâmes produits agro-industriels que nous servent les exploitants agricoles (et les sbires de la chaîne de transformation et de distribution alimentaire)...

 

 

En revenir toujours à la simplicité et aux éléments naturels. En toutes choses. Pour l'ensemble de l'existence. La totalité des sphères de la vie. Alimentation, sommeil, hygiène, travail, activités, déplacements, rythmes... Sauf, bien sûr, lorsque les circonstances exigent que nous ayons recours à des procédés moins naturels...

Peu d'hommes en ont conscience, mais la vie humaine – et le monde humain – sont devenus affreusement artificiels au fil des siècles. Entraînant le corps, l'esprit et l'âme dans un univers toujours plus envahi et saturé d'images, de représentations, de symboles, d'idées, de protocoles, de machines, de gadgets, d'écrans et de virtualité qui nous éloignent toujours davantage de la vie naturelle à laquelle une part substantielle de notre être appartient. Et cet odieux foisonnement d'artifices (et d'artificialité) ne nous aidera d'aucune façon – en particulier si nous continuons d'en faire usage comme nous nous y sommes toujours prêtés – à accéder à la seconde part substantielle qui nous compose : la conscience. Son Amour, son silence et son infini.

Il ne s'agit aucunement d'opposer le passé et la modernité. Ni de se faire le chantre d'un quelconque passéisme. Il s'agit plutôt de respecter profondément notre nature (et donc la vie et le vivant) et notre double appartenance à la terre et au ciel – au monde organique et à la conscience. Et d'user par conséquent du progrès et des avancées technologiques de façon intelligente et appropriée pour créer les conditions d'une évolution naturelle équilibrée, respectueuse et harmonieuse et garantir aux hommes, aux êtres et au monde un avenir porté par davantage d'Amour et d'intelligence, voie bien plus prometteuse que l'ère apocalyptique et décadente que leur façonne aujourd'hui l'humanité...

 

 

Comment font donc les insectes pour aller – et survivre – dans le vent froid de l'hiver ? Dans quelles secrètes ressources puisent-ils pour traverser la froide saison ? A les voir ainsi affronter la nuit et les heures glaciales du jour, je suis à la fois peiné et admiratif. Et impuissant à les aider – et à accompagner leur farouche détermination à faire face à l'adversité hivernale.

Et lorsqu'ils trouvent refuge dans la maison, je n'ai pas le cœur, bien évidemment, à les repousser. Je leur offre modestement la maigre chaleur du foyer. Et même si beaucoup d'entre-eux finissent par succomber – de façon naturelle je le suppose –, ils périssent, au moins, à l'abri du vent, du froid et des prédateurs. Le plus paisiblement du monde – je l'espère – même si, bien sûr, l'agonie, la faiblesse, le dénuement, la douleur et la mort ne se vivent sans doute jamais de façon tranquille et apaisée...

 

 

Les heures blanches du jour où l'âme s'enfonce avec une douce volupté. Et les grandes plaines du monde balayées par le vent frais de l'hiver où elle s'élance avec bonheur et sérénité...

 

 

Nul besoin d'ami – et nul besoin d'amour – lorsque le ciel partout fraternise. Nul besoin d'élan – et nul besoin d'horizon – lorsque l'infini vous enlace...

 

 

En ce monde, tout est utile – et participe aux cycles et à l'émerveillement. Même les pas (du marcheur) qui émiettent les feuilles mortes. Et les enfoncent dans la terre. Eux aussi aident à la fructification de la vie. Et à la joie.

 

 

Un pas après l'autre. Un mot après l'autre. Un jour après l'autre. Voilà toujours comment arrivent – et se dessinent – l'horizon et la joie...

 

 

L'horreur n'a de visage. Mais ceux qu'elle défigure ne sont anonymes. Même si le sang – et le souffle – n'appartiennent à personne. Pas davantage que la chair que nous partageons...

 

 

Le soleil se couche sur les rives du monde sans que la lumière ait embrasé les yeux des hommes – et leur cœur – encore enfermés dans leur nuit. Et brillerait-il toujours, à chaque instant de la nuit, sur les merveilles de cette terre, ils ne pourraient l'apercevoir. Pas avant que l'âme n'ait trouvé son propre feu...

 

 

Aux rencontres éphémères, préfère l'éternité. Et tous les visages s'éclaireront à leur approche...

 

 

Les pas cadencés jamais ne transformeront le désordre de ce monde. Au contraire, ils aggraveront toujours la fureur et le chaos...

 

 

L'écriture – et en particulier l'écriture poétique – devrait toujours être une joie. Jamais un blâme ni une tristesse. A la limite peut-être un cri qui cherche la lumière...

 

 

Qu'y a-t-il derrière le visage de l'Amour ? Rien ni personne. Parfois seulement un peu de chair... Mais dans ses yeux, il y a l'infini. Dans ses lèvres, le silence. Et Dieu, toujours, dans son souffle.

 

 

En dépit des innombrables mouvements et gesticulations, des nombreux changements, des transformations et des nouveautés permanentes, je sens derrière l'agitation fébrile et l'effervescence du monde, des siècles et des siècles d'inertie qui le condamnent à l'immobilité – à une quasi immobilité. Et qui entravent sa marche vers le destin – et la destination – qui lui sont promis. Le condamnant à avancer à lente – à très lente – foulée. Comme un géant monstrueux – bruyant et excité –, criant, bavant et gesticulant mais contraint de progresser à pas de fourmi sur l'une des minuscules sentes de l'univers.

Il en est, bien sûr, du monde comme de la vie des hommes, foisonnante et exubérante mais, elle aussi, presque immobile où les jours et les années font simplement office de siècles...

 

 

Être, vivre, prendre soin de ce qui nous entoure, marcher et écrire. Voilà qui constitue, d'un certain point de vue, l'essentiel de notre vie. Mais, en réalité, nous ne sommes rien. Nous vivons simplement ce qu'exige l'instant. Nous veillons sur ce qui se présente – et vient à nous. Nous n'allons nulle part – ni ici ni ailleurs. Nous nous laissons naturellement porter par les pas et les vents qui nous poussent. Et nous n'écrivons absolument rien, nous recueillons la parole qui nous traverse. Bref, nous n'existons pas – et ne faisons pas grand chose. Presque rien. Nous nous contentons d'habiter le regard avec innocence et humilité. En laissant nos yeux, notre cœur et notre âme fréquenter la présence. Et en abandonnant nos gestes, notre foulée et notre voix aux exigences et aux nécessités de la vie et de la terre...

 

 

Engorgé de silence. Et pourtant que la parole encore se fait vive...

 

 

A chaque instant, l'éternité nous attend... Pourquoi donc les yeux – et le cœur – des passants ne savent-ils le voir ? Qu'attendent-ils ? La fin du déluge ? Sont-ils si idiots pour croire qu'ils ne mourront avant ? Et qu'importe le nombre de fois où leurs paupières se fermeront pour regarder – et réapparaître – ailleurs, tant que les yeux – et le cœur – resteront clos, nul jamais ne pourra voir... Sans doute faut-il une éternité pour s'ouvrir à celle de l'instant...

 

 

Il y a, chaque jour, dans notre vie de longs instants de poésie...

Lorsque nous nous éveillons le matin, la tête encore embuée des songes de la nuit, et que nous nous attelons aux nécessités du corps et aux premières tâches du jour en laissant libres toujours les vagabondages de l'esprit et les automatismes corporels...

Lorsqu'après notre courte sortie matinale dans la campagne alentour, nous nous asseyons à notre table dans la petite chambre d'écriture...

Lorsque nous entrecoupons notre besogne matinale, assis derrière notre vieil ordinateur à retranscrire les fragments recueillis la veille au cours de notre longue promenade, pour aller couper du bois (fendre quelques bûches pour le feu du soir) ou pour étendre le linge, en petits gestes attentifs et appliqués, dans le jardin derrière la maison...

Lorsque peu après midi, nous allons dans la cuisine pour préparer notre repas – et le prendre sur la table du salon...

Lorsqu'après le déjeuner, nous nettoyons la vaisselle et passons le balai, avec lenteur et attention, dans la pièce principale chargée toujours de poussière, de terre, d'herbes et de poils laissés par les chiens qui entrent et sortent à toute heure du jour (et de la nuit)...

Lorsqu'en début d'après-midi nous nous allongeons sur le tapis de la petite pièce d'écriture pour écouter, avec bonheur et légèreté, quelques extraits poétiques que nous avons enregistrés – ou pour contempler, dans une heureuse béatitude, le silence et les heures blanches du jour...

Lorsqu'après ces instants de douce rêverie, nous quittons la maison pour aller nous promener pendant quelques heures sur les chemins alentour, marcher à pas lents sur les sentiers des collines et des forêts accompagnés par les chiens – la joie d'être ensemble – et de les voir heureux de courir partout suivre leurs sentes olfactives – et que notre main dépose sur le carnet qui nous accompagne quelques paroles – comme un surplus de joie – offertes par la compagnie du ciel et de la terre...

Lorsque le soir nous rentrons à la maison, l'âme ivre de nature et d'énergies, que nous allumons le feu dans la cheminée – et que nous regardons danser les flammes, réunis ensemble sur le tapis, en nous réchauffant après notre longue course dans la pluie et le froid...

Lorsqu'après le dîner, nous allons contempler les étoiles pendant quelques instants...

Et lorsqu'avant l'heure du coucher – et que les chiens dorment déjà sur les canapés qui entourent le lit, nous goûtons la quiétude du soir et de la nuit. Et toute la simplicité du jour – et de l'existence...

Oui, il y a, chaque jour, dans notre vie de longs instants de poésie...

 

 

L'homme peut être catégorisé de bien des façons. Et il existe, en ce monde, quantité de classifications et de typologies humaines. Mais, en définitive, une seule d'entre-elles me semble juste. Et essentielle. A même de définir l'homme de façon simple et pertinente dans tous les aspects de l'existence (et de la spiritualité) : celle qui détermine sa posture générale face à la vie, au monde, à l'inconnu (et au processus de perception et de compréhension*).

* Perception et compréhension de ce que nous sommes, de ce qu'est la vie et de ce qu'est le monde...

Et nous pourrions, de manière schématique, la résumer ainsi : il existe, en ce monde, deux catégories d'êtres humains : les ronronnants et les explorateurs.

Dans la première catégorie, on trouve, en général, des êtres de nature frileuse et tempérée, marqués par la peur (des peurs de tout ordre...) et une forte aversion pour le risque (toutes les formes de risque...) qui se montrent très enclins au ronronnement et aux schémas routiniers (inchangés et quasiment inchangeables). Des êtres qui se bornent au connu et au certain, très peu portés par le dépassement (dans tous les domaines de l'existence et de l'esprit), par l'exploration des limites (toutes les limites possibles...) et le franchissement des frontières (sous toutes leurs formes...). Des créatures d'habitudes et de certitudes que rien – quasiment rien – ne peut faire changer et évoluer. Pas même la vie, les circonstances et les rencontres qu'ils appréhendent, le plus souvent, comme une menace et un risque potentiel (plus ou moins élevé) – et qu'ils s'évertuent à éviter et à fuir ou, au mieux, à sélectionner celles qui pourront leur offrir des opportunités bénéfiques, garanties et sécurisées...

Dans la seconde catégorie, on trouve, en général, des êtres animés par la fougue et la passion – par un appétit et un souffle profonds et mystérieux – dotés d'une espèce de folie et d'une propension à l'excès..., très enclins à l'exploration et au dépassement (de tout ordre là aussi) qui peuvent, bien sûr, être porteurs de craintes – et même d'angoisses – mais qui s'orienteront toujours, et presque à leur insu, vers la recherche (tous azimuts souvent...), la découverte (en toute chose et en tout domaine...), le changement et la transformation. Et qui se laisseront façonner – et transformer – par la vie, les circonstances et leurs rencontres (souvent profondes et innombrables...). Des êtres avides de tout pour s'extirper – essayer de s'extirper – plus ou moins consciemment, de leur condition étroite et mortifère pour avancer progressivement, là aussi à leur insu, vers une forme de transcendance. Vers l'infini et l'Absolu. Bref, vers leur nature véritable (et originelle)...

 

 

Avoir l'humilité et la constance de l'herbe sous le ciel du jour et les étoiles de la nuit...

 

 

Lorsque la poussière – toute la poussière du monde – se transforme en or – et s'offre au cœur innocent –, le plus vil, le plus infime et le plus anodin de cette vie dévoilent (enfin) leur vrai visage : joie, merveille et pure beauté...

 

 

L'innocence est une virginité lucide. Un espace – une présence transparente – qui accueille inconditionnellement tout ce qui se présente sans jugement ni distinction. Avec une parfaite neutralité. Mais toujours avec Amour et tendresse. Et qui éclaire ce qu'elle reçoit. Et le transforme en or.

L'innocence est une grâce – et à la fois le fruit d'un âpre processus de déblaiement* et d'une attention de chaque instant, libre et dégagée – en surplomb – en mesure d'assurer la revirginisation permanente de l'espace de perception et l'effacement continuel de tout ce qui le traverse.

* Déblaiement de nos scories et de nos encombrements : idées, peurs, représentations, doutes, désirs, croyances, espoirs...

L'innocence est la porte qui mène au silence et à l'infini. A Dieu et à l'Absolu qu'elle met à la portée de chacun. Prête à s'ouvrir à chaque instant à tous – à tous les êtres à l'âme et au cœur suffisamment nus et mûrs...

 

 

La vie est un seul jour. Long. Interminable. Et recommencé chaque matin... A l'image peut-être de la conscience qui n'est qu'une seule vie. Interminable elle aussi. Et recommencée, éternellement, à chaque nouvelle naissance...

 

 

Le vide régnera toujours dans l'âme – et le cœur – innocents. Quels que soient les chemins et les circonstances. Pourvu que l'attention soit présente, l'effacement toujours contribuera à la virginité de l'accueil...

 

 

Des jours grandioses et glorieux ? Non, bien sûr, pas au sens commun... Et pourtant. Oui, les jours sont grandioses et glorieux. Des jours humbles et ordinaires. Intenses et exaltants que nul ne saurait corrompre. Et qu'aucune circonstance ne saurait ternir. Des instants de vie pure auxquels rien ne peut être ajouté. Et que tout l'or du monde – comme les plus grands prestiges et les plus grands pouvoirs de la terre – ne pourraient offrir... Une vie simple et dépouillée. Une vie nue. Sans trace. Sans exigence. Ni prétention...

 

 

Honnête. Droit dans ses bottes. Le pas léger. Sans intention. Ni destination. Le cœur aimant. Sincère et disponible. Et l'âme innocente. Voilà comment pourrait se décliner la vie nue.

 

 

Yeux clos ou ouverts, toujours l'innocence brillera dans le silence de la foulée et du visage.

L'innocence est l'état naturel – et originel – du cœur que la soif de l'or et l'esprit de conquête ont corrompu. Mais derrière toute ambition se cache aussi le grand rêve de la tranquillité...

 

 

Instants magiques où l'on ne sait si l'on regarde le monde ou si le monde nous regarde. A moins, bien sûr – évidemment – que nous soyons l'un et l'autre regardés...

 

 

Ces longs instants silencieux où le ciel nous accueille – où il fond notre regard dans le sien. Et les pierres et les herbes que notre foulée caresse sur les chemins...

 

 

Tout resplendit d'une lumière parfaite. Même dans le soir qui tombe. Même dans la nuit la plus sombre... Le regard est en paix. Le monde entier baigne dans un Amour infini. A cet instant, nous savons, avec certitude et évidence, que Dieu habite la terre...

 

 

Les hommes sont, le plus souvent, des murs aveugles tournés vers leur agrandissement et leur embellissement. Obsédés par l'ajout incessant de nouvelles briques. Toujours plus belles. Toujours plus solides et prestigieuses pour offrir au monde leur profil le plus avantageux – et mieux s'en protéger. Hermétiques à l'herbe, au ciel et à l'horizon. Comme, bien évidemment, à tous les murs et murets alentour...

Univers de maçons et d'édifices prétentieux et malhonnêtes où nous vivons enfermés. Existence d'emmurés – et de détention – où nous finirons, tôt ou tard, asphyxiés. Et écrasés, sans doute, par la chute (inévitable) de nos malheureuses édifications. Nous finirons tous ensevelis sous les décombres. Enterrés parmi les ruines et la poussière. Seul legs que nous offrirons à la terre...

 

 

Ne jamais imiter. Comprendre – et accueillir – ce que l'on est. Totalement. Demeurer sans référence, sans modèle ni déguisement. Dans la vérité brute – et sans artifice – de ce que nous sommes... Toujours faire avec ce que l'on est. Avec tous les aspects – et toutes les parts – qui nous composent. Et les accepter toutes. Pleinement. Sans condition. Pour parvenir à être véritablement soi-même. Au plus juste de soi-même. Et à y demeurer. A s'y maintenir quelles que soient les circonstances afin de participer à la justesse du monde. A sa plus parfaite justesse...

 

 

Lorsque l'écriture sait se faire le reflet du ciel et de l'infini (et non lorsqu'elle s’escrime encore, dans son immaturité, à les chercher...), elle constitue un surplus de joie ou d'énergie. Dans le premier cas, elle est le jaillissement irrépressible de l'expression. De l'expression célébrative. Et dans le second, elle devient l'expulsion nécessaire du trop plein – ou de l'encombrement – pour retrouver l'équilibre (précaire) de la virginité et de l'innocence indispensables à la nudité de l'accueil perceptif.

 

 

Jamais l'âme ne quitte l'enfance. Chez l'homme, elle reste longtemps – très longtemps – puérile avant de pouvoir devenir innocente...

Il suffit de regarder en soi – et il suffit de regarder le monde – pour apercevoir le comportement infantile et immature des hommes. Dans tous les domaines... Qui, même caché derrière son honorable statut d'adulte sensé et raisonnable ou retranché derrière les plus hautes fonctions et responsabilités – n'a-t-il jamais rêvé en secret – et désiré de toutes ses forces – l'approbation, l'appui, le réconfort ou les conseils d'un père, d'une mère, d'un aîné, d'un maître ou d'une quelconque autorité ? Quel homme n'a-t-il jamais aspiré – toujours dans le plus grand secret (mais est-ce si honteux ?) – à remettre ses choix et ses décisions et même à placer sa vie entre les mains – et le pouvoir – d'un plus grand que lui afin de s'épargner d'avoir à assumer totalement ses actes et se prémunir d'avoir à diriger son existence en toute indépendance ?

Quant à l'enfance éternelle de l'âme, il semble évident que le passage de la puérilité à l'innocence correspond, ni plus ni moins, au processus naturel du cheminement spirituel. A la transformation progressive de la compréhension et de la perception (sensibles et vécues) de notre nature véritable. Autrement dit, à l'extinction de la croyance en notre individualité pour l'ouverture à l'infini et au silence – au ressenti habité de la présence impersonnelle, portée par l'Amour...

 

 

Vivre comme l'herbe insoucieuse de son sort. Indifférente à la pluie et au soleil des jours. A la foulée qui la piétine, à la bouche qui l'arrache comme à la main qui la coupe. Se dressant, vaillante, dans la lumière. Fidèle toujours à sa nature et à son destin.

 

 

Le modeste poète marche, chaque jour, dans le vent froid de l'hiver. Le carnet dans la poche ou tourné vers le ciel. La page blanche ouverte à la lumière. Seule présence au milieu de la forêt silencieuse...

 

 

Le carnet accompagne nos pas. Chaque instant de la marche. Chaque découverte. Chaque pépite dénichée. Chaque instant de vie pure et de silence. Mais il assiste aussi, bien sûr, aux épanchements du cœur et de l'âme. A leur ouverture progressive au vide et à l'innocence. A la joie – et aux peines parfois – du chemin. Chaque jour, grâce à la main fidèle, il s'en fait le témoin pour dire le rapprochement inévitable, à chaque foulée, du ciel et de la lumière...

 

 

Qui peut s'opposer au déroulement implacable du destin des êtres – et du monde ? Nous avons beau, chacun, y contribuer – et y participer –, la puissance et l'envergure nous font défaut, l'essentiel du temps, pour en remodeler la trajectoire et en refaçonner la tournure – et les virages... Aussi nous reste-t-il, comme à l'accoutumée, qu'une seule possibilité pour accompagner les êtres et le monde – et adoucir éventuellement les affres de leur destin : être (ou se faire) présent, accueillir ce qui vient à nous, prendre soin et veiller au mieux sur ce/ceux qui nous entoure(nt)...

 

 

Le passage inébranlable – et fulgurant – des jours et des saisons. Le déroulement inépuisable du temps ordonnant le défilé permanent des morts et des naissances sous les yeux hébétés et impuissants, tantôt ravis tantôt désespérés. Et dans le regard clair – et souriant – de l'âme sensible à la présence. Et à chaque instant d'éternité.

 

 

Être poète, c'est être un regard – et un cœur – sensibles et ouverts au moindre frémissement. Aux plus infimes élans – et aux plus invisibles tressaillements – de la vie, de l'âme et du monde. L'écriture n'est pas indispensable. Et moins encore intentionnelle. Mais il lui arrive, il est vrai, de jaillir pour témoigner de cette grâce...

 

 

La démarche lente. Les yeux humbles et caressants posés sur le chemin. Et l'âme vive. Et sensible. Le cœur vierge. Et le regard clair. Sans tache. Souverain. Ainsi vit – et chemine – l'homme sage.

 

 

L'heure s'efface toujours pour un instant plus clair. Et que les yeux – et le cœur – le trouvent sombre ou lumineux importe peu pourvu que l'âme sache voir – et se laisser guider par la lumière du regard...

 

 

Le corps et l'esprit toujours expriment la sensibilité vive – et, bien souvent, non perçue – de l'âme. Ils en sont à la fois la fleur – et le vêtement qui s'expose aux yeux du monde et habille l'univers du visible pour que chacun offre son attention, ses gestes les plus précieux et des soins appropriés. Afin que nous puissions tous découvrir les vastes trésors cachés de l'invisible et en pénétrer les profondeurs...

 

 

La terre est-elle aussi solide et aussi stable que nous le disent – et nous le font croire – les hommes ? Le monde est-il réellement tel qu'il a l'air d'être – et tel qu'on nous le présente ? Les vérités qu'on nous assène depuis l'aube des temps ont-elles quelque épaisseur ? Un semblant de véracité ?

Inutile de tenter de répondre à ces questions tant que l'esprit, les idées et les pensées demeureront notre seule bouée – et notre seul gouvernail – pour manœuvrer dans les méandres de l'existence (et essayer de nous sauver de ses précipices)...

Seul le regard vierge et innocent – indemne de toute représentation – saurait nous éclairer... en laissant, sans aucun doute, sur nos lèvres un sourire de béatitude hébété et silencieux...

 

 

Vie et mort prises dans la même danse. Et les âmes qui tournoient – qui continuent de tournoyer – dans le silence, secouées si souvent par les soubresauts des existences...

 

 

Si Dieu n'était qu'un songe face à l'éternité, l'âme ne pourrait s'extirper du mauvais rêve – du cauchemar terrifiant – que représentent les hommes...

 

 

Malgré le regard – la permanence et l'éternité du regard (et sa présence ressentie et incontestable) –, comment ne pas être angoissé devant l'échéance de la fin ? Et bouleversé lorsque vient son heure ? Quel homme peut accompagner les formes et les êtres – et en particulier ceux qui lui sont chers – et aller lui-même vers la mort sans tressaillir – et sans que son âme soit rongée de tristesse ?

 

 

En ce début d'ère de trans-humanité (et voire même de post-humanité), il serait judicieux de s'interroger sur la figure que le monde pourrait offrir à l'homme augmenté ? Sera-t-il une sorte de surhomme avec des capacités cognitives, mnésiques et intellectuelles beaucoup plus développées (ce qui, au vu de l'intelligence actuelle, ne serait, évidemment, guère difficile...) ? Avec un corps plus résistant et plus performant muni d'organes et de composants synthétiques et interchangeables ? Avec des capacités sensorielles décuplées, plus fortes, plus fines et plus profondes ? Avec des modes communicationnels moins grossiers – et plus invisibles ? Deviendra-t-il un être doté de plus de puissance et d'envergure ?

Et si tout cela advenait – et cela adviendra sûrement – qu'en sera-t-il du cœur et de l'âme ? De la sensibilité émotionnelle et affective ? Cette dernière pourrait-elle seulement être étendue et élargie ? Il y a de grandes chances que l'on n'y parvienne de façon naturelle... Se contentera-t-on alors d'agir artificiellement sur les gènes et grâce à la chimie (encéphalique et physiologique) pour parvenir à quelques résultats et offrir ainsi au monde, d'une manière bien étrange et fort peu naturelle, davantage de paix, d'amour et d'intelligence ? Qui peut aujourd'hui réellement savoir ce que sera l'homme de demain – et l'avenir que nous préparons pour le monde – et pour l'humanité – avec nos recherches contemporaines tous azimuts sur les nouvelles technologies qui sont, disons-le clairement, assez révolutionnaires (les plus révolutionnaires et les plus décisives sans doute depuis les premiers pas de l'homo sapiens sur terre) ? Et quels usages ferons-nous de toutes ces promesses de progrès ?

 

 

La dureté, la rugosité et la froideur de la matière sur la chair. Voilà la condition – l'âpre et rude condition – du vivant dans son environnement terrestre naturel. Aussi comprend-on, bien sûr, les raisons qui ont depuis toujours poussé l'esprit à transformer la matière pour la rendre plus agréable et confortable. Et à rechercher la tendresse, la douceur et la chaleur dans les relations et le monde non objectal (en particulier dans les rapports entre les êtres et les choses de l'esprit)...

 

 

Nous vivons à peu près tous comme si les êtres et les formes étaient éternels alors que nous sommes tous en sursis, soumis à un équilibre extrêmement fragile et précaire. Et que seuls le regard (la lumière) et la substance (l'énergie) sont éternels... Et n'allez pas imaginer que les hommes en ont conscience... Peut-être en ont-ils simplement la vague intuition... ou, au mieux, en ont-ils le pressentiment...

 

 

Un jour, un jeune homme, lettré et tourmenté par l'infamie de la terre et ses propres penchants sans doute, quitta son foyer pour parcourir les chemins du monde, bien décidé à répondre à une question qui le rongeait depuis sa naissance (et depuis l'aube des temps peut-être...) : l'existence du mal – et des malheurs...

Alors qu'il progressait dans sa quête, perdant chaque jour un peu plus l'espoir de trouver une explication, il croisa, par une froide matinée d'hiver, un vieil homme assis sur un muret de pierres. Le jeune homme, éreinté et désespéré par sa longue marche infructueuse, s'assit à ses côtés. Et ils restèrent ainsi, pendant de longs instants, sans parler, nouant une sorte de dialogue silencieux.

– Croyez-vous au mal ? En l’existence du mal ?

– Le mal ? Comme concept ? Ou comme incarnation ?

Le jeune homme ne sut répondre. Le vieil homme le regarda alors en souriant.

– L'ignorance est la source de tous les maux...

Et sur le visage du jeune homme se dessina aussitôt un sourire. Il s'empressa de saluer son hôte (d'un hochement de tête respectueux) et s'en fut pour méditer, sans doute, la réponse. Et tâcher, peut-être, d'y remédier...

 

 

La mélancolie est la tristesse de l'âme – son état naturel en quelque sorte – lorsqu'elle n'a pas su trouver sa demeure : la lumière et sa joie. Et qu'elle se morfond dans l'ignorance, l'incompréhension et l'impuissance. Incapable encore de la dénicher en elle-même en dépit de ses efforts – et après s'être souvent démenée pour la dégoter en ce monde... L'abandon sera ici, comme toujours – et comme pour presque toutes les choses de cette vie – la porte de la délivrance...

 

 

Ce souffle inépuisable qui nous tient, qui nous anime et nous maintient en vie, source de tous les élans. Né peut-être – né sans doute – de l'alliance éternelle – et inaltérable – de l'énergie et de la conscience. Qui traverse les âges, le temps et la mort. Qui pénètre la matière, la chair et l'esprit. Qui jaillit, tournoie et se déverse partout, ici et là. Puissant. Et indomptable. Incontrôlable. Et infini. Que seul le silence – la présence silencieuse – peut accueillir. Et apaiser. Sans pour autant jamais affaiblir – sinon en investissant pleinement l'esprit – sa farouche détermination à se déployer en tous lieux et en toutes choses et à persévérer dans son étrange et mystérieuse besogne...

 

 

L'épée et le goût du sang ne peuvent rivaliser avec l'innocence. Avec la fine lame de l'innocence. En dépit des batailles apparemment perdues, c'est elle que cherchent les hommes à travers toutes les horreurs qu'ils commettent.

L'innocence est – et sortira – toujours victorieuse de toutes les guerres car tous les combattants n'aspirent, en vérité, qu'à une seule chose : la paix – la grande paix de l'âme...

 

12 décembre 2017

Carnet n°92 La joie et la lumière

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

La nature chante la terre. Et le ciel. N'entendez-vous pas les louanges des forêts adressées au soleil ? Ne voyez-vous pas l'attente fébrile de l'herbe au passage des nuages ? Et qui peut être sourd aux grognements des hommes qui partout crient leur désir d'infini ? 

La lumière jamais ne se révèle comme nous l'avions imaginé. Elle apparaît – et se montre – toujours telle qu'elle est. Indemne de tous nos fantasmes. 

Il n'y a de souillures dans la lumière. Seulement des ombres éclairées dont bientôt les traces s'effaceront...

  

 

La douce tranquillité des heures – et des jours – qui passent. Et l'émotion toujours vive de l'instant...

  

  

L'écriture. Notes éparses. Bribes du ciel. Fragments de la parole. A l'image peut-être de la vie et de la terre qui s'offrent par petits bouts. Trop vastes. Trop infinis sans doute pour se livrer tout entiers en une seule fois...

 

 

L'assise inerte des années. Branlante et poussiéreuse face à la lumière, toujours neuve et fraîche, du soleil. Mais n'est-ce pas la même aurore, chaque jour, que nous apercevons ?

 

 

Après avoir marché tout l'après-midi dans le vent frais de l'hiver, notre âme – et notre corps –, chaque soir, se réfugient au coin du feu. Hypnotisés par la chaleur et la lumière des flammes qui dansent dans la cheminée. Se réchauffant – et se consolant peut-être parfois de la carence de l'astre intérieur...

 

 

Comme les astres, les corps et l'esprit tournent autour d'une orbite immuable. Soumis aux cycles incessants du haut et du bas, du proche et du lointain, du jour et de la nuit. Se déplaçant selon leurs exigences. Et au gré des activités afférentes... Comme tout ce qui existe en ce monde, nous ne sommes, en définitive, que les infimes corps célestes de l'univers...

Seuls le cœur et le regard – la présence sensible – échappent (peuvent échapper lorsqu'ils s'ouvrent pleinement au silence, à l'infini et à l'Amour) aux danses tournoyantes des formes et des élans d'énergie. Et avec les forces mécaniques des mouvements, il y a fort à parier qu'ils en sont les principaux chorégraphes...

 

 

La vie – et le monde – jamais ne se lassent de leur ronde incessante. Quant au cœur, il lui arrive (et il lui arrive d'ailleurs fréquemment) de se sentir saturé lorsqu'il se voit envahi (et parfois même submergé) par les vagues perpétuelles des événements. Voilà sans doute pourquoi il cherche sans cesse la paix et le repos avant de pouvoir accéder à l'infini – à l'aire céleste de l'accueil inépuisable et permanent...

 

 

Quel goût ont donc les lèvres de pierres ? Et comment franchir le grand mur des visages ? Et dire que nous ne sommes entourés que par des ombres et des silhouettes de sable...

 

 

La vie, les êtres et le monde sont un paysage qui nous invite à percer les mystères du décor...

 

 

Le gouffre s'est retiré. A la place trône l'assise instable des vents. L'Amour et la quiétude du cœur. Et un peu plus haut – en surplomb – la présence. Le regard sans trace. Le souverain inamovible régnant sur les siècles. Et qu'importe qu'ils soient d'ombre ou de lumière...

 

 

Les grandes enjambées du temps nous poussent vers le néant. Et au milieu de la course – et à chaque intervalle – et au cœur même des abysses, nous attend le petit tertre de l'instant qui ouvre sur l'éternité.

 

 

Il n'y a à la fois de plus sévère réprimande et de plus parfait acquiescement que le silence. Selon, bien sûr, la nature du cœur. Et, plus essentiellement encore, selon sa maturité...

 

 

Ne vous êtes-vous jamais demandé si les vivants enviaient peut-être parfois la quiétude des morts ? Et si les morts ne regrettaient pas, quant à eux, leurs élans d'autrefois et la grâce sensible du corps ? Et qui d'entre nous sait qu'existe une voie médiane : vivre la paix de l'âme dans les élans et les grâces de l'esprit et du corps – vivant avec le corps – et mort sans lui... Mais toujours présent...

 

 

La nuit anonymeLa nuit sans visage des jours fraternisant contre le sable et la lumière. Etoiles défigurant l'Amour...

 

 

Où va donc la vie lorsqu'elle se retire – lorsqu'elle quitte les visages ? Et où – et comment – réapparaît-elle ? Comment s'y prend-elle pour donner naissance à d'autre visages – pour leur donner souffle – et les animer ?

Pourquoi la vie – et le vivant – n'obéiraient-ils pas aux mêmes lois que les autres formes et mouvements d'énergie – apparaissant lorsque les conditions leur sont propices et s'éteignant lorsqu'elles disparaissent ?

D'où vient le souffle – et la respiration ?

Il aura fallu à la terre des milliards d'années pour voir émerger le vivant. Combien de temps faudra-t-il à l'homme pour créer une autre forme de vie – intelligente et autonome ? Et que penser de toutes ses gesticulations actuelles pour faire émerger la virtualité – les prémices peut-être (les prémices sans doute...) d'un nouveau monde. D'une ère nouvelle. Et d'une nouvelle forme de vie...

Et quand bien même l'homme réussirait ce défi incroyable, il ne poursuivrait, en réalité, qu'un très ancien processus qui chamboulerait, bien sûr, la vie et le monde comme tant d'autres révolutions terrestres par le passé – et qui complexifierait sans aucun doute les liens et les échanges entres les formes existantes – mais se rapprocherait-on pour autant de l'origine première – de la source de toute création – la conscience ? La ferions-nous advenir en ce monde avec plus d'aisance ? Avec plus de rapidité ? Et échapperait-on à la création expansive – à cette forme de déterminisme quasi mégalomaniaque qui règne dans le monde énergétique... ? Tant de questions, bien sûr, sans réponse...

 

 

Le monde est un agglomérat de matière qui court – qui s'agite et s'élance – partout dans le regard impassible. Si proche. Et si accessible aux êtres perceptifs. Et pourtant impénétrable (quasiment impénétrable) tant qu'ils demeureront prisonniers de leur vision étroite...

 

 

Nomade des jours sédentaires. En dépit des rites journaliers, le cœur demeure frais. Ouvert et disponible. Sans attache malgré les petites ritournelles. Mais comment les hommes enfermés dans leur vie étroite – si certains de la solidité de leur existence, de leur palais ou de leur taudis pourraient-ils le comprendre ? Esclaves de leurs pauvres biens, de l'espoir et des promesses que leur a chuchotées la vie, ils se cramponnent à l'horizon immuable des désirs. Vouant leur existence à satisfaire leur irrépressible envie d'un ailleurs – et d'ajouts – plus salutaires...

 

 

En ces jours d'hiver, un soupçon de mélancolie. Si douce – et si tendre – qu'elle ne pourrait entamer la joie qui nous porte...

 

 

La poésie peut se faire lumière. Mais parfois, elle fait ombre à la vérité qui se cache derrière la beauté des paroles. Aussi sachons, nous autres lecteurs, voir son rayonnement sans succomber à l'éblouissement des mots et des émotions suscitées...

 

 

L'époque encense les romans. Et les romanciers. Place la fiction au dessus de la poésie. Et la méprise. Signe révélateur de cette ère de mensonge où l'on croit que le déguisement révèle le vrai alors qu'il le fait disparaître. Qu'il l'évince et l'efface. Mais les yeux d'aujourd'hui rêvent tant d'un ailleurs plus vivable qu'ils s'imaginent que l'artifice pourra, l'espace d'un instant, les soustraire à la misérable réalité où ils croient être enfermés...

 

 

Les heures calmes du jour avant le grand départ sur les chemins où le visage de Dieu attend notre saine foulée. Et les horizons noirs où continuent de s'enfoncer les hommes. L'aurore – et les matins clairs – ne sont pas prêts de voir le jour. Nous succomberons tous avant la fin de la nuit...

 

 

La poésie – comme toute démarche artistique authentique – est d'abord le reflet de l'être qui se cherche. Puis, lorsque la rencontre a lieu, elle devient le reflet éblouissant de la lumière.

Si l’œuvre n'est sous l'emprise de la quête – et si elle ne sait restituer la réponse, pourquoi donc faire jaillir l'expression ? Ne serait-elle pas alors qu'une simple étoile décorative collée au plafond pour se donner l'illusion d'être en plein ciel, ou pire peut-être par dépit et résignation... pour se persuader qu'un ciel factice est capable de remplacer le vrai qui, lui, semble si inaccessible...

 

 

A quoi bon la lumière – la lumière du jour – la lumière des lèvres – la lumière des gestes – et la lumière des livres – si les yeux sont obturés ? La délivrance ne naîtra qu'avec la cessation de l'aveuglement. Et l'effacement de la cécité ne pourra se produire qu'au dedans même du regard...

 

 

Les jours assassins. Et la nuit souveraine de l'homme. Malédiction ou promesse pour le monde ?

 

 

Partout la terre est en feu et en cendres. Partout le béton recouvre les parcelles. Partout les murs et les barbelés fragmentent l'espace. Et défigurent les territoires. Partout la terre est dévastée par l'ambition de l'homme. Sa violence et son irrespect. Et le monde nous parle d'intelligence, d'humanité et d'humanisme ? Fieffés aveugles à la prétention – et aux mensonges – détestables...

En voyant la barbarie à l’œuvre dans le monde, il y a toujours (chez moi) une colère sourde mêlée de tristesse qui gronde sous la joie... Comme si se cachait – à peine dissimulé – derrière chaque note – et chaque mot – un petit marteau inutile pour frapper les esprits. Et tenter vainement d'en extirper l'horreur et l'aveuglement...

 

 

Les pas, les paysages et les paroles viennent – et se dévoilent – au jour le jour. Il n'y a d'autre façon de vivre et d'écrire. Ni d'autre manière de traverser l'existence et le monde.

 

 

Les chemins de l'automne et de l'hiver, voies de la tristesse et de la mélancolie. De l'abandon et de la solitude. Comme un juste retour des choses après l'effervescence, le foisonnement et la folle gaieté du printemps et de l'été.

 

 

Nous sommes à la fois les rayons et les canaux de la lumière (et de la vérité). Des passages obscurs et obturés ou des passages vides et dégagés qui laissent plus ou moins passer – se diffuser et rayonner – leur clarté...

 

 

Le cœur vide peut jouir de la luxuriance du monde. Et de toute l'abondance de la terre. Mais la sobriété, en général, a ses préférences. Le strict nécessaire contente habituellement ses exigences naturelles...

 

 

On reconnaît un homme sage à la sobriété de son pas. Et de son allure. Les gestes peuvent bien se faire lents ou vifs, la parole douce ou impétueuse, l'âme – et la mèche – consensuelles ou rebelles, si le cœur sait rester ouvert et innocent, le silence n'en est pas moins habité. Et malgré les particularités, la vacuité et l'effacement toujours demeurent...

 

 

Tout geste, toute action et toute activité portent en eux leurs limites. Et bien que nos efforts puissent les repousser, elles finiront tôt ou tard par être atteintes. Seuls le cœur et le regard – l'Amour et l'intelligence sensible – sont infinis en ce monde. Absolument sans limite...

 

 

Dieu – et le silence – obéissent à d'autres lois – à d'autres règles – que celles qui régissent la communication habituelle – et le besoin expressif (si souvent grossier) – des hommes. Les bavardages, les plaintes, les demandes d'explication aussi bien que les prières de supplication ou d'intercession seront toujours vains. Et inappropriés.

Le silence sera toujours la réponse. A toutes les demandes. A toutes les questions. Et il sera toujours inentendu. Et incompris. Seuls le cœur silencieux – et la parole, en particulier la parole poétique – qui sont les reflets du silence (du silence du Divin et du silence poétique qui, lorsqu'ils sont correctement habités, se confondent...) seront d'une quelconque utilité pour ressentir la présence éminemment vivante – et vibrante – de Dieu et du silence...

 

 

La nuit, croyez-moi, n'en a pas fini de nous éclairer...

 

 

La nature chante la terre. Et le ciel. N'entendez-vous pas les louanges des forêts adressées au soleil ? Ne voyez-vous pas l'attente fébrile de l'herbe au passage des nuages ? Et qui peut être sourd aux grognements des hommes qui partout crient leur désir d'infini ?

 

 

L'heure – et la vie – s'en sont allées au delà de l'horizon. Et à présent les hommes pleurent, agenouillés devant leurs ruines...

 

 

Le monde séjourne dans nos yeux l'espace d'un instant. L'espace d'un souffle ou d'un bâillement. Puis il tombe dans l'oubli. Et lui qui aimerait tant trouver refuge dans notre cœur. Si fermé. Ignorant toujours la clé qui pend tristement à ses côtés...

 

 

Le vent n'est que le frémissement du temps que nous n'avons su accueillir. Et qui ébouriffera notre vie pour ne pas avoir vu son précieux chargement...

 

 

J'aimerais parfois avoir l'âme aussi souple que l'herbe courbée par la rosée du matin.

 

 

Je ne suis qu'une âme accueillant la parole. Qu'une main ingrate noircissant la lumière qu'elle reçoit... Et toutes ces empreintes obscures – toutes ces griffures sur le papier – ne sauraient (même si j'en avais le plus ardent désir...) restituer la joie qui m'est donnée...

 

 

Il n'y a de souillures dans la lumière. Seulement des ombres éclairées dont bientôt les traces s'effaceront...

 

 

Ne défie l'Amour. Ni la vérité. N'aie pas cette folie ! Sois-y sensible. Et ton cœur s'ouvrira à leur présence. Et l'existence, crois-moi, deviendra grandiose...

 

 

Le feu gronde dans la vallée. Et les figurines – et le décor – sont de papier. De minuscules flammèches emporteront le monde. Et nous autres, nous nous tiendrons là, présents, à la fois tristes et heureux de l'autodafé où, sous la cendre, tous les palimpsestes se réécriront... Espérant seulement, cette fois-ci, que la lumière éclaire davantage les âmes et les mains. Et l'encre noire des destins.

 

 

Chaque jour est le grand voyage. Nul besoin d'ailleurs et de contrées exotiques. Le chemin des heures toujours montre la route. Et toujours mène vers le lieu mystérieux et sans mystère où naissent le temps et le monde pour contempler, l'âme et l’œil posés au cœur de l'infini, leurs rondes incessantes...

 

 

Il n'y a (pour moi) de plus grand pèlerinage que de marcher dans la forêt en compagnie des feuilles mortes...

 

 

Les étoiles sont minuscules dans le ciel. Et leur lumière est si faible. Peut-être – qui sait ? – ont-elles été autrefois des hommes...

 

 

Comme un rapace, la mort fend le ciel et s'abat sur la terre. Et lorsqu'elle nous agrippe – et nous tient dans ses serres – inutile de se débattre, nous serons emportés...

 

 

La ville est une forêt de visages. Et pas une seule âme vivante. Pas une seule main tendue. A l'inverse, dans le désert, la moindre pierre – la moindre herbe – vous accueille. Tout vient à votre rencontre. Vous salue et vous reçoit comme le plus noble prince de la terre...

 

 

Le regard jamais n'écarte de la vie. Au contraire, il nous y plonge au cœur... Et qu'importe si le monde – et ses contrées – sont peuplés ou déserts, le sensible – et ses vibrations – sont partout...

 

 

Dans le goût de l'herbe, des fleurs et des nuages, il y a toute la poésie du monde. La beauté n'est pas ailleurs. Elle est partout pour celui qui sait voir...

 

 

Les chemins, au bout du compte, ne nous auront accordé que leurs promesses. Et le vent souffle encore dans le ciel...

 

 

L’espérance est la voie des damnés et des immatures. Comment refuser le sourire des fleurs et la splendeur des arbres au printemps ? Faudrait-il attendre la fin des saisons ?

 

 

Il n'y a de plus haute joie que le ciel et les chemins. Et la poésie des jours qui s'offre partout où le cœur passe, désemmuré. Et les livres, parfois, peuvent y conduire...

 

 

La gourmandise voudrait que l'on s'empiffre. Et l'on voit partout le monde s'engorger de victuailles alors qu'une seule bouchée de silence nous rassasierait jusqu'à la fin des jours...

 

 

La terre se meurt sous le pas des hommes. Et nul n'entend le cri rauque de son agonie. Le seul souci est d'avancer... Et qu'importe que tout soit emporté vers l'abîme. Et l'on nous dit que l'homme est éclairé ? Oui, bien sûr. Partout sa lanterne sombre l'accompagne...

 

 

L'inépuisable secret des jours diffuse à chaque instant son parfum. Où pourrait-on trouver plus de saveur ?

 

 

Il y a, à chaque heure du jour – à chaque instant – un grand étonnement à marcher sur la terre, à fréquenter le monde, le ciel et les arbres, à côtoyer les herbes et les hommes, à déambuler partout sans savoir où vont les pas...

 

 

Le bruit n'effraye le silence. Mais il agace – peut agacer parfois – les esprits bruyants pour qui le silence n'est qu'une idée. Et non une réalité vivante...

 

 

Plus la haine et la barbarie du monde grandissent – avancent et progressent en nos cœurs et sur les contrées de la terre – plus le silence devient précieux. L'unique et ultime réponse – la seule réponse possible en réalité – à l'ignorance en marche...

 

 

La nuit n'a pas le même reflet dans les yeux. Mais toute la palette de l'obscur – et ses nuances – y sont présentes (et représentées). Et l’œil se doit d'être suffisamment clair pour les distinguer...

 

 

Le besoin d'Amour est proportionnel à son absence. Plus on l'offre, moins on le réclame jusqu'au jour où l'on comprend que nous n'avons que l'Amour à offrir. Et rien – absolument rien – à demander...

 

 

Qu'offre l'homme ? Qu'octroie-t-il entre le bref espace qui court de la naissance à la mort ? Un peu d'affection. Quelques marques de tendresse. Quelques gestes d'attention. Quelques regards émus. Ses biens et ses terres, parfois, à ses enfants. Un peu de temps à ceux qui lui sont chers... Quelques pièces – un peu d'or – en échange de quelques services, monnayés le plus souvent, pour remercier d'une présence, de soins, de conseils, d'une attention discrète et feutrée...

Tout au long de sa courte existence, l'homme offre peu de choses, en vérité. Mais nul n'est étonné de le voir, le plus souvent, les poches pleines – et le cœur fermé – chargés de pleines brassées de ce qu'il a réussi à amasser – et à dérober parfois – ici et là, au fil des rencontres. De maigres et pauvres trésors en réalité... Puis, l'homme meurt sans rien emporter dans sa tombe (comme le dit l'adage) excepté sa misère et son avidité. Sans avoir connu l'Amour. Et le partage. La saine présence du cœur qui accueille – et donne jusqu'au plus précieux de sa chair – et de ses fruits...

 

 

L'heure ingrate du jour arrive toujours dans un moment d'inattention. Lorsque l'on se surprend à redevenir quelqu'un. Un individu qui ne peut s'empêcher de se plaindre, de réclamer et d'exiger... écrasant toujours sous sa botte l'innocence, la candeur et l'émerveillement. Et marchant d'un pas bien trop grossier pour fouler le sol délicat de l'Amour et du silence et accéder au royaume de l'infini où Dieu sans cesse s'offre – à chaque instant – à travers les gestes et les événements les plus infimes et les plus anodins. Et nul, bien sûr, ne peut nous sauver de cette ingratitude. Il convient seulement de nous effacer après avoir reconnu – et parfois contenté – les caprices de l'individualité...

 

 

Chacun rêve d'un environnement sécure. Et d'une existence qui se plierait à la moindre de ses volontés. Même les moins capricieux. Même les plus instables et les plus déjantés... Et malgré nos efforts, ce rêve n'est qu'un fantasme sans réalité. Les événements, les voleurs, la souffrance, la maladie, la vieillesse et la mort sont là, bien sûr, pour nous le rappeler. Aussi devant cette impasse, il n'existe qu'un seul refuge : l'infini et le cœur silencieux. Mais quand donc les hommes le comprendront-ils ? La vie et le monde ont beau y œuvrer sans cesse, le travail est loin – très loin – d'être achevé... Et au vu du nombre (à peine croyable...) de caprices et d'exigences avec lequel nous continuons à traverser les jours – et l'existence –, la route, il va sans dire, est encore bien longue...

 

 

Le silence – la présence silencieuse et vivante – sera toujours le plus juste – et le plus bel – accompagnement. Et la réponse la plus appropriée et la plus généreuse à toute demande et à toute sollicitation. Mais face à la vie – et au vivant – il arrive qu'il ne puisse être perçu. Et compris. Et cette absence de compréhension est même assez fréquente et répandue... La parole et le geste alors s'avèrent nécessaires. Mais pour que l'un et l'autre se fassent l'exact reflet du silence – de la présence silencieuse et vivante –, ils doivent naître de ce silence – de cette présence silencieuse et vivante. Sinon ils ne sont que des bruits et des gesticulations réactives et impuissantes. De vaines tentatives de remplissage. Une maladroite et inopérante façon d'aider, de rassurer et de veiller sur ceux qui sollicitent ou réclament un soutien, un réconfort ou un éclairage...

 

 

La parole muette – la parole silencieuse – des anges. Comme un tendre murmure dans le cœur. Une longue caresse sur l'âme. Mais pourquoi Diable ne l'avons-nous pas entendue plus tôt ?

 

 

Il y a, en ce monde, autant de quoi pleurer que se réjouir ! Selon la pente du cœur jaillissent les larmes ou les rires. Ah ! Mon Dieu ! Que les jours colorent notre âme...

 

 

L'ombre, sans bruit, se délecte de l'obscur. Et derrière – et partout alentour – les grands éclats de rire du silence qui veille à la totale – et parfaite – dévoration. Pour qu'éclosent la joie et la lumière...

 

 

Nous ne choisissons de rêver. Ce sont les songes qui s'abattent sur nous – et nous foudroient – avant de nous dévorer. Et de songe en songe, il finira peut-être par ne plus y avoir personne sur cette terre... Ah ! Que le monde alors sera doux... Et qu'il sera bon d'aller, nu et innocent, dans la belle réalité...

 

 

La tumeur naît de l'ambition. Du désir jamais éteint des retrouvailles avec la puissance qui nous a quittés. Qui nous a abandonnés à la faiblesse et aux cris. A la révolte vaine qui transforme nos vies en désastre. Et nos cauchemars en songes d'amour qui ne pourront jamais voir le jour. Ah ! Quel supplice est-ce alors de vivre...

 

 

Ne succombe au monde. A ses attraits mensongers. Regarde-les, les yeux dans les yeux. Et démonte leur mécanique pour découvrir leur essence. Et goûter à leur réelle saveur...

 

 

Le chant de l'homme n'est qu'un cri. Un murmure dans le vent que le ciel recueille. Mais qu'il ne transformera en lumière que lorsque la parole se sera tue...

 

 

Ne partage tes songes avec les indigents. Offre-les aux fleurs et aux étoiles. Abandonne-les aux fossés des chemins. Donne-les au ciel et au silence. N'en conserve aucun. Oublie-les. Et ta vie deviendra réelle...

 

 

L'Amour est absent au creux des lèvres. Et dans les plis de la main. Mais lorsque le cœur parvient à transparaître derrière la parole et les gestes, il resplendit partout sur les visages silencieux.

 

 

Le monde, semble-t-il, n'a que faire de la poésie. Il n'aspire qu'aux jeux et au pain. Et nul ne sait qu'il se trompe. Pourquoi ne voit-il pas dans la bouche et la main des hommes le cri impuissant qui appelle – et réclame – l'infini ? Le chemin de la délivrance est-il donc si difficile à trouver ?

 

 

Que pèsent les os, l'âme et la chair face à la soif de l'or ? Les cœurs marchands ont gravé la réponse sur les plaques dorées qui ornent les devantures, les vitrines et les grands salons où le prix du sang se négocie. Le monde n'a qu'à bien se tenir – et en rangs serrés – devant les portes du grand cimetière qu'ils ont bâti derrière les murs des grandes tours du commerce et de la finance où l'argent coule à flot, sacré seule loi – et seul roi – de la terre. Les algorithmes ont beau avoir remplacé les tiroir-caisses, c'est le même sang toujours qui se déverse. L'argent a beau n'avoir d'odeur, celle de la mort pestilentielle flotte partout où règnent les contrats et le commerce de la chair. Et jusque, bien sûr, dans le sourire des dents carnassières...

 

 

Il n'y a de gloire plus douteuse – et plus désastreuse – que celle à laquelle le cœur aspire. Et que la main docile contente...

 

 

Derrière la blancheur des sourires et le teint frais ou hâlé qui voit le givre des visages – inaltérable – que ne pourront jamais effacer les soleils – tous les soleils – du monde ? L'astre intérieur – sa chaleur et son Amour – seront, comme toujours, l'unique remède...

 

 

Les yeux sages seraient-ils donc les seuls à voir la puissance des instincts qui traversent les êtres – et qui s'abattent sur le monde, écrasants et dévastateurs ?

 

 

Comment aider les êtres à se libérer d'une détention qu'ils ne ressentent pas ? Comment aider les êtres à se libérer d'une geôle qu'il reconnaissent parfois mais à laquelle ils pensent ne pouvoir échapper ? C'est là, bien sûr, tâche impossible. Même les plus grands éveillés ne pourraient y prétendre... Et nous n'avons, bien évidemment, pas la prétention d'en être... Nous, nous nous contentons d'offrir quelques humbles conseils à travers notre écriture, notre existence et notre présence... Mais comment nos pauvres consignes pourraient-elles leur être d'un quelconque secours si nul n'admet son emprisonnement ou si chacun refuse, de toute son âme, de faire face à son statut de détenu... Nul ne saurait s'acquitter à leur place du travail – et du face-à-face – qu'il leur faut accomplir par eux-mêmes. Comment nos pauvres consignes pourraient-elles seulement les intéresser... Ceux qui ne réclament rien, ceux qui croient ne pouvoir échapper à leur incarcération comme ceux qui s'imaginent libres doivent apprendre à marcher seuls vers leur libération. Et la vie – et le monde – les aideront, n'en doutons pas un instant, dans cette ingrate – et indispensable – besogne...

 

 

Il est amusant – et à la fois ahurissant – de voir le temps et l'énergie (la somme incroyable d'heures et d'efforts) que les hommes consacrent (et que l'on consacrait nous-mêmes autrefois...) à s'embellir, à montrer leur meilleur profil, à se présenter sous leur meilleur jour, à plaire et à séduire. Bref, à exposer les grandeurs et les splendeurs de leur existence, leurs minces prouesses et trouvailles et leurs admirables qualités (beauté, intelligence, amabilité, gentillesse, noblesse du cœur etc etc.) pour essayer de dérober un bref instant d'attention et un vague – et illusoire – sentiment d'admiration. Que d'enfantillages dans cette quête éperdue et désespérée d'amour ! Et quelle vanité puérile offrent donc les immatures tournés, tout au long de leur existence, vers le superflu au détriment toujours de l'essentiel ! Mais n'est-ce pas là, en définitive, le destin de l'Amour qui se cherche ?

Nul – hormis de rares individus – n'a conscience que ce temps et cette énergie pourraient s'orienter vers la quête de la vérité. Vers la compréhension et la connaissance. Et qu'ils se transformeraient, lorsque ces dernières s'accompliraient, en énergie pure et en disponibilité vouées à la seule affaire essentielle et primordiale en ce monde : l'Amour – l'Amour sensible et infini – lucide et clairvoyant – qui s'offre à tous à chaque instant, dévalant toutes les pentes et franchissant tous les obstacles pour se propager – et rayonner – partout où il passe... Et le processus, bien sûr, est déjà en marche... Qui peut douter que chacun, un jour – lorsque les enfantillages auront cessé –, accédera à l'Amour pour en devenir le digne et parfait représentant...

 

 

Construire une œuvre plutôt qu'être et vivre. Quelle ambition insensée ! Que Dieu nous en préserve ! Il est tellement plus juste – plus doux et savoureux – d'être et de vivre – d'aller, nu et innocent, sur les chemins du monde et de l'existence sans rien attendre du ciel, de la terre et des hommes que de s'éreinter à la besogne pour voir simplement les yeux et les lèvres du monde louer pendant quelques instants (et le plus souvent de façon hypocrite et superficielle), nos qualités et nos mérites – nos pitoyables qualités et nos misérables mérites – alors qu'en réalité, nous n'avons fait que suivre notre pente...

 

 

La poésie est une fenêtre – l'une des innombrables fenêtres – que Dieu a dessinées sur la terre pour éclairer les hommes. Et que certains ouvrent pour y boire la lumière à petites gorgées...

 

 

Le destin sombre des hommes éclairé parfois par un rire ou un visage. Par un peu de lumière. Comme un bol d'air frais – une minuscule bouffée d'Amour – qui ravive la faible lueur tapie au fond des yeux. Que faudrait-il donc au monde pour que rien n'efface jamais le grand sourire sur nos lèvres ?

 

 

La lumière s'offre à tous. Mais si peu savent la recevoir – et la laisser traverser l'âme – pour la restituer sans ombre...

 

 

Pour l'essentiel des hommes, demain ne sera qu'un jour de plus. Pour les mourants, il est la promesse (peut-être) de revoir le soleil – la lumière – et de sentir la tendre caresse de sa chaleur sur leur peau. Et pour les sages, demain n'est qu'un mot. Une incongruité qui invite à faire le pas suivant (et à continuer la marche) en détournant l'esprit de sa présence. Et qu'importe si la séduction opère, les sages ne s'en offusqueront pas... Toujours ils laisseront l'esprit et les pas libres d'aller selon les circonstances et la tournure des événements...

 

 

Jamais le sage ne se demande ce qu'il a fait – ou ce qu'il fera – de sa vie. Ni où sont passées les heures. Ni ce qu'elles seront à l'avenir. Il regarde toujours, en souriant, tous les effacements...

 

 

Les apparences dessinent tous les portraits du monde. Mais qui entend le cœur battre sous les visages ? Et qui sait voir Dieu derrière les clins d’œil et les grimaces ?

 

 

La vie, portée par son désir ardent d'elle-même, se propage. Se mord. S'avale. S'entraide. Et s'efface. Comme pour renaître plus forte encore – plus forte toujours – de son désir ardent d'elle-même...

 

 

Les beaux jours ne nous seront d'aucun secours si le cœur est encore noir au printemps. La lumière devra, comme toujours, venir de l'âme enjouée. Et généreuse dans son accueil – et dans son Amour – de l'ombre qui ronge les yeux et de l'obscur du monde et des saisons qui ravage la terre...

 

 

Le danger – et les plus grands périls – ne sont dans le monde que l'on aperçoit par la fenêtre de la chambre close. Ni sur les chemins de la terre pourtant parfois si hostile. Mais dans les yeux fermés – et rongés de tristesse. Voilà le grand bourreau des cœurs qu'on laisse s'avancer et qui fera dépérir l'âme à petit feu...

 

 

La joie et la lumière sont partout au dedans alors que le monde peine tant à sortir des ténèbres. Et qu'importe le goût des lèvres – et les paroles ! Qu'importe la puissance des bras – et des désirs ! Qu'importe les yeux hostiles et fermés ! Et qu'importe même le destin des arbres et des hommes ! Pourvu que la joie et la lumière demeurent, la terre toujours refleurira. Plus belle. Et plus saine. Et toujours moins gorgée de meurtres et de saccages car derrière la joie et la lumière – et toutes les ombres qui les recouvrent – toujours veilleront l'infini et le silence qui jamais n'abandonneront les silhouettes irresponsables à leur sort indigne...

 

 

Il n'y a de jours plus heureux que ceux que l'on oublie. Que l'on efface dans la présence vivante. Toujours neuve et vierge de toutes les histoires... Sans passé. Et sans avenir. Mais debout. Toujours ouverte et disponible à ce qui passe ici et maintenant...

 

 

Le tambourin des jours sur lequel frappe la vie non pour nous tanner le sort et la peau. Mais pour les adoucir. Et pour que s'ouvre en nous la résonance du ciel afin que la terre s'enivre de joie et danse indéfiniment dans les pas de Dieu et du silence.

 

 

Que chacun fasse donc ce qu'il a à faire ! Telle est, je le crains, l'implacable consigne de l'existence ! Et c'est ce que chacun, conscient ou non, fait en cette vie ! Jouet – et instrument – dociles et infaillibles des souffles et du grand désir qui poussent inexorablement le monde – et chacun de ce monde – vers son destin. Qu'on le veuille ou non, chacun selon sa place et sa fonction – selon sa nature, ses compétences et ses prédispositions – s'y résout. Participant, malgré lui, avec acquiescement ou résistance – avec lucidité ou illusion – à l'incroyable et effarant jeu des souffles et du grand désir...

 

 

Nul ne peut arrêter le monde – et sa marche folle – d'un hochement de tête ni d'une main levée. Pas davantage que l'on peut éliminer la poussière que les vents soulèvent – et déposent sur notre vie...

 

 

La lumière jamais ne se révèle comme nous l'avions imaginé. Elle apparaît – et se montre – toujours telle qu'elle est. Indemne de tous nos fantasmes.

 

 

Les jours pèsent parfois sur notre cœur. L'encombrent par mégarde si nous ne sommes attentifs à la force des retrouvailles avec nos ombres et nos vieux démons qui asservissaient autrefois notre existence. Et la transformaient en malheureux esclavage et en longue – et vaine – mendicité.

 

 

Il y a toujours de quoi se réjouir dans l'orage et la tempête. L'éclair peut-être nous foudroiera-t-il... Et les vents pourraient bien œuvrer – qui sait ? – au déblaiement...

 

 

Les fresques – toutes les fresques du monde – jamais ne pourront nous faire accéder à la beauté – et à la vérité – du silence. Toute œuvre – toute création – serait-elle donc vaine ? Non, bien évidemment. Mais tâchons de ne pas oublier, nous autres artistes, que seul l'élan créatif – la poussée de l'expression – peut nous en rapprocher. Et nous les faire goûter avant qu'elles puissent, un jour peut-être, investir entièrement notre âme. Le cœur, l’œil et la main s'en feraient alors les reflets. Et de ce silence – de cette virginité innocente – la beauté et la vérité jailliraient naturellement...

 

 

La grandeur du monde est sous-jacente à l'apparence. Ainsi en est-il également, bien sûr, du cœur et du ciel...

 

 

La joie et la lumière ne sont pas sans ombres. Mais elles aussi sont accueillies – et éclairées. Aussi que peut-on craindre lorsque l'Amour et le silence président aux destinées...

 

 

La main n'est jamais aussi puissante – et dévastatrice – que lorsqu'elle est soumise aux désirs et aux ambitions périphériques du cœur. Et jamais elle ne sait se faire aussi douce et aimante que lorsque l'innocence et le silence s'imposent pleinement dans l'âme...

 

 

On devrait tous aller nus et sans but sur les chemins. Marcher sans sac, sans bâton ni destination pour voir le jour apparaître. Le monde retrouverait alors un goût d'innocence et de douce aventure. Et le cœur brillerait partout de son Amour. La pluie et le soleil perdraient toute importance à nos yeux. Chaque visage rencontré deviendrait le nôtre. Et la joie et la lumière brilleraient jusque dans les plus obscures catacombes...

 

 

La vie, le monde et les événements font toujours de nous ce que nous sommes. Il nous appartient seulement d'apprendre à le découvrir. Et à le devenir.

 

 

En définitive, rien en ce monde – en ce monde de bruits, de bavardages et de petites tractations – ne vaut la compagnie – et la conversation – des arbres et des nuages.

 

 

Le courage – et le silence résigné – des êtres et des bêtes face à la barbarie des hommes. Rien, je crois, ne m'émeut davantage en cette vie.

 

 

J'attends avec impatience le jour où les hommes mettront fin à toute forme d'exploitation – et qu'ils arboreront avec fierté et ostentation leur abomination de la barbarie signant ainsi la fin de l'agriculture intensive, de l'élevage, de la chasse et de moult autres horreurs... En attendant, il convient de s'armer de patience et de sang-froid. Autant, bien sûr, que de douceur et de bienveillance...

 

 

La mort d'une fourmi ou d'un arbre représente peu de chose dans l'univers. Elle n'est rien. Presque rien. Pas davantage d'ailleurs que la mort d'un homme. Et pourtant... Et pourtant...

Malgré notre ignorance et notre aveuglement – nos représentations étriquées, subjectives et autocentrées –, tout ce qui nous entoure est précieux. Comment pouvons-nous ignorer que l'univers tout entier – et jusqu'à ses plus infimes visages – attend, depuis toujours, notre lumière – notre Amour et notre compréhension ?

 

 

Le ciel, la lune et quelques étoiles, n'est-ce pas là le plus beau soir du monde ? Pourrait-il seulement exister de plus merveilleuse soirée...

 

 

Inutile de se tuer à la vérité. Il convient seulement de laisser mourir le vieil homme qui la cherchait – et qui croyait pouvoir la trouver...

 

 

Le monde n'a que faire de nos paroles, de nos œuvres ou du parfum sous nos aisselles. Il se fout comme de la guigne de nos faiblesses, de nos vêtements ou de nos qualités. Et il se moque bien de savoir si nous sommes riches ou pauvres, éduqués ou illettrés. Le monde ne demande – il ne réclame – que l'Amour. La présence inconditionnelle de l'Amour. Voilà ce que chacun cherche en secret. Et tous les pas, tous les gestes et toutes les paroles du monde ne sont que des appels. Un cri unique suppliant son attention auquel toujours répondra le silence – avec, bien sûr, toujours plus de vérité...

 

 

L'Amour jamais ne se lasse. Mais le cœur parfois, hélas, se fatigue...

 

 

Tu ne trouveras nul abri contre les assauts du monde et des jours. Mais si ton cœur devient innocent, il saura les désarmer...

 

 

Nous appartenons tous à la lumière. Et c'est l'ombre pourtant, le plus souvent, qui nous tient...

 

 

La poésie – lorsqu'elle sait se faire parole – révèle la beauté, la vérité et le silence. Mais les hommes ne sont attachés qu'à la laideur, au mensonge et au bruit. Aussi toute poésie n'est qu'un cri silencieux que nul ne peut entendre. Excepté peut-être les âmes sourdes et aveugles au monde – dont la sensibilité a dépassé ses attraits...

 

 

Dans le désert, le vent s'élance à travers les dunes. Et l'horizon bruit – et tous les horizons bruissent – de son souffle. Comme si l'infini enfin était à portée de main – dans chaque grain de sable...

 

 

Les loups et les hommes. Ce sont leurs dents que l'on voit luire dans la nuit. Et le cri de la faim que l'on entendra jusqu'aux premières heures du jour...

 

 

Ne nous endormons pas sur nos lauriers. Echangeons notre sommeil contre l'épine des roses. Et nous serons surpris, au petit matin, de nous éveiller en plein jour...

 

 

L'âme toujours est prête pour le grand voyage. Seuls le cœur et l'esprit y rechignent. Résistent jusqu'à leurs dernières forces au vent frais qui nous appelle pour nous emporter vers la joie et la lumière qui transformeront le monde en contrées pacifiques – en terre bienheureuse de l'innocence. N'entendez-vous donc pas son invitation – et l'appel du grand large ?

 

 

Ah ! Que j'aimerais parfois que le silence recouvre le monde... La joie et la lumière inonderaient alors toutes les vallées. Et déchireraient la nuit où la vie toujours continue de donner la mort... Et les cœurs – et les mains – ensanglantés se lèveraient soudain pour remercier le ciel d'avoir exaucé leurs vœux les plus secrets... Et le monde alors n'aurait plus qu'un seul visage... Et nous pourrions enfin tous nous agenouiller avec gratitude devant l'Amour – et ses miracles...

 

 

Le silence sans cesse frappe à la porte des jours. Mais les sirènes des siècles – et leurs ombres grises – hurlent – hurlent toujours – à la mort. Recouvrant depuis les premières heures de la nuit son invitation silencieuse.

 

 

Un seul instant pourrait ôter le vil et sombre manteau de la nuit qui recouvre notre vieux corps – et notre vieux cœur – meurtris et frigorifiés. Et dénuder nos épaules pour les envelopper du drap clair de l’innocence. Ah ! Qu'il serait doux alors d'être vivant...

 

 

Laisser – laisser toujours – l'homme aller, à chaque instant, vers son destin sur les routes du monde et de l'existence sans que l'âme jamais ne quitte la joyeuse et tranquille demeure de l'innocence...

 

12 décembre 2017

Carnet n°91 Dans le sillon des feuilles mortes

Recueil / 2016 / L'intégration à la présence

Je n'aime rien tant que ces heures paresseuses où l'âme se remplit de lumière. En ces heures oisives, on ne rêvasse pas, on est – et l'on vit – au plus près – et au plus juste – de la vie. Celle qu'ont oubliée les hommes – et leur main besogneuse – qui rêvent de gloire et de prestige.

Il faut avoir l'âme – et le cœur – suffisamment innocents pour vivre sous la lumière du ciel et se laisser porter par les souffles de la terre avec la candeur, l'humilité et la beauté d'une feuille morte...

Après ce jour viendra un autre jour. Après cette terre viendra une autre terre. Après cette nuit viendra une autre nuit. Après ce soleil viendra un autre soleil. Et nous assisterons, impassibles et silencieux, à tous ces élans. Aux petits remue-ménages comme aux grands bouleversements. Le cœur acquiesçant à toutes les circonstances. Et l'âme toujours ravie des cycles, des révolutions et des résistances...

 

 

Et si les hommes n'étaient que les feuilles de la terre ?

 

 

Au loin, là-bas sur les collines, les arbres immobiles et les nuages passagers unissent leur force pour donner sa puissance à la terre. Et offrir au monde et au ciel leur beauté.

Ces éléments naturels – presque anodins – révèlent pourtant la grâce et la fragilité de l'interdépendance des formes de ce monde, l'intelligence de l'invisible et l'admirable nécessité – et sophistication – de leurs réseaux...

Aussi comment ne pas s'émouvoir de cette splendeur et de l'incessante mise en œuvre de l'Amour et de la lumière ici-bas. De leur profond dévouement et de leur incroyable sagacité à pénétrer la matière dont l'esprit – et le cœur – sont à la fois les représentants et les témoins...

Et devant ce spectacle grandiose – et la magnificence du vivant et de l'inerte (apparent) merveilleusement reliés – comment ne pas s'interroger sur les hommes – ces créatures sans cœur ni tête à la main ignare et balbutiante – qui poussent leur pas – et leurs bras – barbares vers l'horizon en actionnant leurs petites manivelles pour faire tourner le monde à leur avantage – avec encore (et toujours) plus d'aisance et de célérité. Aveugles aux saccages et aux massacres déclenchés (et encouragés) par leurs ambitions obscures – instinctuelles et désastreuses – irrespectueuses de la terre et du ciel. Et grandes pourvoyeuses de mort...

 

 

La poésie est une présence. Une présence dans le silence, ouverte au monde d'où éclosent – et s'échappent – parfois quelques paroles. A mille lieux de l'incessant bavardage des hommes.

 

 

Le plus grand – et admirable – guide de sagesse ne se trouve dans aucun livre (fut-il considéré comme sacré...). Il ne peut s'imprimer sur aucune page... Il émane du silence – du plus profond du silence – pour irradier l'espace du cœur – et l'investir entièrement (et jusqu'à ses plus infimes recoins) avant de pouvoir s'imprimer dans nos tréfonds et s'exprimer dans chacun de nos gestes – afin d'offrir aux lèvres, aux mains et aux pieds une parfaite justesse.

Nul ne trouvera jamais l'intelligence, l'Amour et la sagesse hors de soi. Mais on peut les découvrir dans le silence – et le cœur parfaitement habité. En vérité, aucun être, en ce monde, ne peut se prétendre intelligent ou pleinement animé par l'Amour. Pas davantage d'ailleurs qu'il n'existe d'homme sage. Il n'y a – et ne peut y avoir – que des gestes, des pas et des paroles justes – parfaitement justes – portés par le silence, la rectitude et l'innocence du cœur selon l'exigence des circonstances et de l'esprit...

 

 

Aucun rôle ni aucune fonction parmi les hommes. Sans aucune intention ni aucune mission à accomplir en ce monde. Mais une simple prédisposition à l'observation et à la dénonciation des abus et des excès, des failles et des dysfonctionnements, de l’iniquité et de la barbarie agissante partout à l’œuvre sous nos yeux... Et une forte inclination à inviter le cœur et l'esprit à s'interroger, à se remettre en question et à se débarrasser de leurs schémas étriqués – de leurs vieilles lunes – pour essayer de faire advenir davantage d'intelligence et d'Amour dans les pas, les gestes et les paroles des hommes et du monde...

 

 

Les terres boueuses et les marécages nauséabonds sont plus propices à révéler la lumière que le calme et le luxe inconscients des jours. Le cœur y est plus vif. Et plus sensible. Plus enclin à s'ouvrir et à s'abandonner.

 

 

Jamais le voyage n'est un long périple. Il suffit simplement de faire un pas. Un simple pas – un pas de côté, un pas en surplomb, un pas plus profond – pour toucher à la destination de tout voyage : le cœur du regard.

 

 

Le visage éternel de l'Amour, invisible et souriant, léger et délicat, transforme – et transporte – tantôt avec douceur tantôt avec rudesse la matière la plus dense – et la plus lourde – de ce monde.

 

 

L'humilité d'une feuille morte. Quel homme pourrait y prétendre ? Même chez les plus effacés se cache une fierté invisible qui luit dans la modestie des yeux...

 

 

Au commencement, vivre est plus essentiel que comprendre. Puis, lorsque l'on estime avoir suffisamment vécu, comprendre devient alors plus essentiel que vivre. Et lorsque la compréhension arrive, être et aimer deviennent bientôt les seules préoccupations. Jusqu'au jour où tout se mélange – ou, plus exactement – vivre, être, comprendre et aimer deviennent une seule et même chose. Un seul et même acte...

 

 

Comment le voyageur solitaire sans foyer, sans ami ni appui – sans même une main pour le secourir et des lèvres ou une épaule pour le réconforter pourrait-il s'égarer et se sentir démuni si partout il sait – et sent – qu'il marche dans les bras de Dieu ?

 

 

Devant tous les malheurs, toute la souffrance et la misère de ce monde, sentir soudain un sourire sur son visage. Un sourire délicat et aérien – empli de compréhension et de bienveillance – se transformant même parfois en un rire immense, innocent et spontané – presque en fou rire – qui éclate comme un orage d'été pour dire au monde l'indicible – toute la joie de la terre et du ciel réunis partout en un seul visage – que les horreurs de cette terre ne pourront jamais atteindre. Et qu'elles ne pourront jamais abîmer. Pour lui rappeler que le plus nu – et le plus fragile – de cette vie ne peut mourir. Que Dieu toujours lui offrira l'innocence et l'éternité pour le prémunir contre toutes les hostilités.

 

 

L'innocence est la fenêtre de tous les possibles. Y entre tout ce que la vie – et le monde – ont créé. Y entrent aussi Dieu et l'infini. Il n'y a de lieu d'accueil plus vaste – et de plus clair espace pour recevoir...

 

 

Être compte bien davantage qu'écrire. Mais lorsque l'écriture sait se faire le reflet de l'être, les livres deviennent alors – comme les fleurs des prés, les nuages et toutes les merveilles de la terre – l'une des plus précieuses invitations à être. Et qui peut nier qu'inviter est – avec l'Amour et l'accueil – l'un des plus beaux et admirables gestes que puisse offrir un homme ?

 

 

Du côté du vivant, je ne vois que la terre, les fleurs, les arbres et les bêtes. Les hommes, eux, ont franchi l'autre seuil. Ouvrant ainsi la porte au plus funeste de ce monde : le pouvoir, la richesse, le prestige et la prétention, risibles et terribles hochets qui n’apaisent qu'un temps les caprices des enfants turbulents – plus bêtes que méchants. Et leur funèbre appétit de mort...

On les voit partout éventrer les êtres et le monde à leur passage. Et quitter les lieux avec un air de satisfaction et de suffisance. Abandonnant le plus fragile au silence du ciel. Et aux mains impuissantes de la terre. Et nul ne sait qu'ils se trompent. Tous ignorent que Dieu est là. Présent non pour eux – et honorer leur pauvre puissance et leur gloire à quatre sous – mais pour tous ceux qu'ils égorgent et dont ils sucent le sang... Ceux-là seuls seront invités au royaume de l'innocence. Ceux-là seuls pourront goûter ses joies, sa paix et son Amour. Les hommes, eux, ne récolteront que les fruits de leur ignorance, de leur haine et de leur barbarie...

 

 

Le poème – comme la fleur, le vent et la rosée – œuvre à l'émerveillement. A son avènement et à son règne sous la pluie et le soleil des jours.

 

 

L'humilité et l'innocence, voilà la plus grande richesse. Et le pouvoir le plus précieux. Rien d'autre n'est nécessaire pour ouvrir les portes – toutes les portes – de la terre et du ciel. Et que nous soient offerts leurs plus fabuleux trésors...

 

 

Souffrir de l'inessentiel en ignorant ce qu'est – et où se trouve – l'essentiel, voilà ce qui mine – et ronge – le cœur de l'homme.

 

 

Il faut être animé d'une folle et dévorante passion – d'un feu flamboyant et incandescent – pour être en mesure d'emprunter la longue – et parfois difficile – voie de la compréhension et pour être, un jour, amené à comprendre. Puis, lorsque la compréhension se réalise, cette passion se transmute alors naturellement en énergie inépuisable qui permet l'Amour. Alors que vivre – qui constitue la principale – sinon l'unique – activité des hommes – ne nécessite que l'instinct. Et, peut-être éventuellement, l'ambition...

 

 

Le manque d'honnêteté et le mensonge sont les instruments sournois des ambitions narcissiques. Une façon de s'offrir – et d'offrir aux yeux du monde – et à bon compte – une image – et une réputation – de bonheur, de grandeur et de dignité. L'ambition et le mensonge comptent parmi les pires poisons de ce monde. Et tant que l'homme ne saura les effacer dans son cœur, la misère et la souffrance continueront de régner sur la terre.

 

 

Des vivants et des morts ne restera aucune trace. Le monde n'est que vent et poussières. Ce qui n'empêche nullement les êtres – et en particulier les hommes – de s'affairer, de bâtir et d'édifier. Gesticulations irrépressibles et absurdes – et vanité – des ignorants...

 

 

Il faut avoir l'âme – et le cœur – suffisamment innocents pour vivre sous la lumière du ciel et se laisser porter par les souffles de la terre avec la candeur, l'humilité et la beauté d'une feuille morte...

 

 

En vérité, nous sommes pauvres. Infiniment pauvres. Et pourtant l'on voit partout les hommes, dans un geste compensatoire désespéré (et démesuré), se gargariser – et se féliciter – de leurs misérables richesses. Des infimes trésors que leurs mains mendiantes ont réussi à dénicher dans la plèbe et le plus vil de cette terre...

 

 

Vivre, en dépit des quelques facilités acquises par les hommes, n'est souvent qu'un acte de survie. Qu'une succession de gestes de conservation... Vivre pleinement est une toute autre affaire. Il s'agit de faire face aux sortilèges du vivant et de la terre. D'affronter, les yeux dans les yeux, nos instincts et nos peurs archaïques (et animales) pour être en mesure de les effacer. Et pouvoir ainsi répondre aux incessantes invitations de la conscience. Et parvenir enfin à l'habiter parmi – et malgré – les instincts et la bêtise du monde.

 

 

Le regard vide et serein. L'âme innocente et légère. Et le cœur aimant et chantant. Voilà comment nous allons sur les chemins. Et au fil des pas, toutes les couleurs du ciel et des saisons nous accompagnent. Et lorsqu'il nous arrive de traverser l'obscur – et même le plus noir – des jours, toujours nous glissons un sourire sur nos lèvres...

 

 

A quelles tâches consacres-tu tes jours ? A quelles divinités ton cœur est-il suspendu ? Si elles ne t'offrent le loisir de voir le ciel et de sentir le vent sur ton visage, elles ne méritent peut-être pas ton dévouement...

 

 

Sur cette terre admirable, nous aimons parcourir les contrées hostiles et merveilleuses. Cheminer sous le vaste ciel, les rayons flamboyants du soleil et la magnificence des étoiles. Traverser – et accueillir – tous les paysages qui s'offrent à nos pas. A notre cœur et à notre regard.

 

 

L'infranchissable, voilà ce que connaît – et ne cesse de fréquenter – l'homme. La finitude de l'homme. L'horizon en est le plus parfait symbole. Mais il existe aussi une autre dimension en l'homme : l'infini qui ne connaît aucune limite. Qui peut tout franchir – traverser et atteindre – en un instant...

 

 

La nature sauvage – les grands espaces déserts et vierges de toute présence et de toute manifestation humaines – m'offre les plus grandes – et les plus hautes – réjouissances. Aucun homme – ni aucun être – en ce monde ne pourrait ainsi combler mon cœur...

Et lorsque dans ces paysages grandioses, le soir tombe sur nos derniers pas, mon âme se serre avec tendresse. Heureuse de retrouver la chaleur du foyer après notre longue marche dans le froid, le vent et la pluie de l'hiver. Et triste de quitter la beauté et la grandeur des chemins, des forêts et des collines.

 

 

La poussière honorée de nos pas – et de nos visages – sur la terre bientôt enveloppés dans le linceul de notre tombe. Et l'Amour infini de la lumière baignant – et éclairant – le monde. Et toutes ses infimes particules...

 

 

Si l'on décidait de créer un délit de débilité, combien d'hommes seraient-ils condamnés ? Et combien finiraient-ils leurs jours en prison ? Mais ne le sont-ils pas déjà, condamnés et derrière des barreaux ? Oui, bien sûr... Mais pour que cette peine soit non plus seulement effective dans l'existence mais pour qu'elle voit le jour dans la société des hommes, encore faudrait-il que les moins idiots d'entre eux puissent édicter les lois ?

 

 

Il n'y a d'incidence plus heureuse que la lumière. Lorsqu'elle surgit, elle ne vous frappe ni ne vous blesse. Elle s'avance lentement avant d'éclairer – et d'exploser dans toute votre âme. Irradiant le cœur de toute sa clarté. Puis, elle vous redépose dans l'obscurité du monde...

 

 

Un oiseau dans la neige. Une feuille dans le vent. Voilà comment s'invite l'infini en ce monde. Et voilà sa façon d'appeler l'infime à le rejoindre. C'est souvent un exercice rude. Et une aubaine délicate. Mais toujours un instant – et un spectacle – bouleversants...

Lorsque l'on sait – et que l'on sent – que l'infini et l'éternité toujours s'habillent de parures éphémères – que sans cesse ils revêtent les habits du provisoire, la lumière éclaire alors la finitude de ce monde. Les êtres peuvent bien périr, leur âme toujours leur survivra à travers les âges et les saisons.

 

 

Puiser dans l'Absolu ? Non, il se donne. Et offre à toutes les finitudes un air de gaieté. Des allures légères sur l'horizon sombre de la mort. Illuminant même l'obscur de la souffrance et les ténèbres de ce monde.

 

 

La poésie est un cri. Un chant. Un murmure parfois. Un silence qu'on lance au ciel sans espoir qu'il atteigne ses rivages. Et qui tombera peut-être – qui sait ? – dans le cœur de quelques hommes pour y faire son lit de lumière...

 

 

Je n'aime rien tant que ces heures paresseuses où l'âme se remplit de lumière. En ces heures oisives, on ne rêvasse pas, on est – et l'on vit – au plus près – et au plus juste – de la vie. Celle qu'ont oubliée les hommes – et leur main besogneuse – qui rêvent de gloire et de prestige.

 

 

Rien en ce monde n'est plus beau – ni plus joyeux – que d'offrir l'Amour. Une présence, des gestes et des paroles d'Amour puisés à la source intarissable. Et lorsqu'il arrive – et il arrive toujours à un moment ou à un autre dans nos existences si peu innocentes et si encombrées... – qu'il vienne à nous manquer (non qu'il se soit tari mais parce que l'accès à sa source nous est empêché pour quelques obscures raisons...), réserver alors le peu qu'il reste à l'esprit – et au cœur – préoccupés ou meurtris pour les panser, les veiller et les réconforter. Et leur permettre ainsi de retrouver le chemin de la source – et d'y accéder – pour qu'ils puissent à nouveau y puiser jusqu'à plus soif – et se remplir jusqu'au plein débordement – afin de continuer à offrir l'Amour à la ronde – une présence, des gestes et des paroles d'Amour à tout ce qui passe devant leurs yeux ouverts et attentifs...

 

 

Et pourquoi Diable ne pourrait-on aller libre sur les chemins ?

 

 

La course éperdue des hommes vers les étoiles alors que brille au dedans l'ardent soleil...

 

 

Le regard clair et innocent offre aux gestes et à la parole sa justesse et sa beauté. Sa tendresse, son Amour et sa lumière. Bref, tout ce dont le monde a besoin...

 

 

Contempler la danse joyeuse des feuilles dans le vent d'automne. Heureuses d'avoir vécues le temps d'une courte saison. Et s'en allant gaiement vers la mort.

Combien d'entre nous seraient-ils capables d'une telle allégresse, d'une telle légèreté et d'une telle innocence ? Bien peu, de toute évidence...

 

 

L'innocence est l'arme absolue. L'espace redoutable où viennent mourir toutes nos ombres...

L'innocent est le plus redoutable des guerriers. Il désarçonne tous les assaillants. Et réduit à néant leur agressivité. Et leurs attaques. On ne peut rêver de plus grand soldat. Ni de plus belle armure...

 

 

Le carnet dans notre poche est, bien souvent, le seul compagnon de nos jours. A la fois humble, discret et indispensable. Unique témoin de nos pas, des paysages traversés et des chemins parcourus. Aire de recueil de notre marche et de nos explorations. Et aire d'envol de la parole vers le ciel et la terre des hommes.

 

 

Malgré le masque aimable de la bienséance et des aménités, les hommes n'offrent, bien souvent, que des yeux implorants, des gestes de grande mendicité et des pleines brassées de mécontentement...

 

 

Ecrire – recevoir et accueillir la parole – n'est pas un véritable travail. Cette étrange activité nécessite – et exige – pourtant une attention constante pour maintenir le cœur vide, ouvert et innocent afin qu'il puisse se laisser traverser par l'infini et le silence qui ne manqueront pas dès lors d'y déposer quelques traces. D'infimes gouttes. Ce sont ces empreintes – et elles seules – qui s'inscrivent sur la page. Voilà peut-être comment l'on pourrait résumer, le plus simplement possible, notre humble besogne. Ni métier ni véritable travail. Mais une simple disposition de l'âme – une vocation peut-être – à se laisser toucher par le monde et le ciel et à retranscrire dans le silence et l'humilité leur essence et leurs couleurs...

 

 

La maison du bout du chemin est la frontière du ciel sage. La ligne invisible que ne franchissent jamais les hommes. Et où débutent pourtant les forêts et les collines sauvages...

 

 

Un sourire. Un simple sourire dans le silence des jours. Mais qui pourrait effacer toutes les tristesses du monde...

 

 

Le pas léger et délicat des flocons dansant dans le vent, ivres de bourrasques et de nuages. Recouvrant la terre – et tous les paysages du monde – de la robe éclatante du ciel et de l'innocence.

 

 

Les cheveux ébouriffés par le vent. Et la tendre caresse du ciel sur notre visage.

 

 

A ceux qui pourraient s'offusquer d'entendre – ou de lire – toujours les mêmes paroles (ici et ailleurs...), on pourrait leur rétorquer en paraphrasant Jean Sulivan et Georges Haldas : « si nous nous répétons, c'est que nous passons souvent par les mêmes chemins... ».

 

 

Pour écrire une parole nue et innocente, il convient d'être – et de vivre – dans le dépouillement et l’innocence. Et de savoir s'effacer dans le grand silence de l'infini. Sinon la parole est bavarde et encombrée. Intentionnelle et tendancieuse. Bref, inutile...

 

 

Ce que l'on fait – ou ce que l'on écrit – ne compte pas. Seul ce que l'on est mérite quelque attention. Sauf peut-être lorsque nos actes et nos réalisations – ou notre écriture – invitent davantage à être que ce que nous sommes...

 

 

Les pieds légers – et ancrés à la terre – et le cœur – et les bras – ouverts (littéralement) au ciel. Je ne connais de posture plus juste – plus belle et plus symbolique – pour l'homme.

 

 

Tout peut arriver. Toujours. A chaque instant. Et tout est bienvenu. Ce qui arrive – et arrivera – est – et sera – pleinement accueilli. Ni mot d'ordre ni règle mais un impératif – une nécessité ressentie – dans la vérité, l'innocence et l'ouverture du cœur.

 

 

Aller en silence au hasard des chemins. Le regard vide et innocent. Le cœur aimant. Et la main secourable lorsque les circonstances l'exigent. Voilà à quoi se livre, chaque jour, l'homme sage. Ignorant tout du pas suivant...

 

 

Quoi qu'il advienne – et quoi que l'on fasse – laisser libres les élans du corps et de l'esprit. Et ne jamais négliger l'être. La qualité de présence en serait inévitablement amoindrie. Et affecterait immanquablement notre être. Et nos actes. Notre activité, nos gestes, nos paroles et nos pensées s'en trouveraient altérés. Comme amputés de l'essentiel. Mais rien de grave pour autant. Ne jamais oublier qu'il ne faut nous accrocher à aucune règle ni à aucun dogme. Laisser faire. Et laisser être. Toujours. Pour être. Et devenir libre*...

* Libre de toute chose, de tout phénomène et de tout mouvement...

 

 

Le dérisoire de ce monde – et de cette vie – malgré le débordement partout du merveilleux. Dans chaque geste. Et chaque circonstance.

 

 

La brume des matins clairs laisse le geste libre et l’œil impassible. Mais au dedans brûle le cœur aimant. Les bras pourraient tout accueillir. Et les pas savent se faire vifs et légers sur les chemins...

 

 

Ah ! Toutes ces découvertes dont nous serons à jamais les seuls témoins...

 

 

Recevoir avec Amour et innocence, il n'y a rien d'autre à faire en cette vie – et en ce monde.

 

 

Offrir au jour – et à ce/ceux qui passe(nt) – ce que l'on a de plus précieux...

 

 

Pas même le jour ne pourra nous offrir les étoiles...

 

 

Le vent et les nuages – ces nobles seigneurs du ciel – auxquels le peuple de la terre a fait allégeance arpentent inlassablement monts et plaines. On les voit, chaque jour, distribuer leurs richesses. Et balayer le monde au gré du temps et des saisons...

 

 

Les hommes – et le monde – submergés. Anéantis par le désir des siècles...

 

 

Le visage du ciel m'est plus familier que celui des hommes. Sa compagnie m'offre bien plus de joie que toutes les fêtes du monde...

 

 

Les guerres des hommes. Des tempêtes d'alcôve qui, malgré tout, éclaboussent les murs de sang. Abreuvent la terre de larmes. Et assombrissent le ciel et l'horizon...

 

 

Les soirs démesurés où la lune resplendit à la fenêtre. Offrant sa lumière à la pénombre de la pièce.

 

 

Toujours s'impose ce qui doit advenir... Et toujours il porte en lui le nécessaire et l'essentiel...

 

 

Nous ne sommes malades que de nos rêves. Ombres bruissantes qui assombrissent la terre. Et que seul le ciel, de sa main claire et franche, pourra écarter pour guérir le monde de ses maux et de ses bruits...

 

 

La poésie ne s'ouvre qu'à l'innocence. Et à ses vents magiques qui déblayent le cœur et l'esprit de leurs maléfices terrestres... afin de les ouvrir au silence et à l'infini.

 

 

Malgré son foisonnement, mon écriture se fait discrète. Presque invisible. Qui en ce monde sait que ma main, chaque jour, tient registre du ciel et des saisons ?

 

 

Sur le visage – et dans les gestes – des hommes, je ne lis – et ne vois – bien souvent que l'arrogance et l'incompréhension, la lassitude et la méfiance, la peur et l'esprit de conquête. L'Amour n'y est guère présent. On y surprend seulement parfois quelques pauvres élans de tendresse...

 

 

Toujours l'ombre et l'obscurité seront dans les bras de la lumière...

 

 

Les êtres éveillés. Quelques bosquets de lumière sur la terre noire du monde. Et dans la grande forêt sombre des hommes...

 

 

L'humanité, un seul visage de stupéfaction. Un seul œil pointé vers l'horizon. Un seul cœur tourné vers lui-même. Et toujours les mêmes larmes...

 

 

C'est le monde – et ce sont les années – qui, jour après jour, façonnent notre vrai visage. Sur – et sous – lequel brillera toujours l'immuable lumière. Et qu'importe les sombres masques que nous pourrions revêtir...

 

 

Les horizons farceurs. Je n'aime rien tant que la malice de la vie et du monde – et les facéties du ciel. Leur espièglerie. Et leur fabuleuse habileté à nous surprendre. A bousculer nos certitudes. Et à nous ouvrir à leur essence : l'innocence.

 

 

Pourquoi est-ce donc si douloureux de voir ses représentations (ses représentations de soi, de la vie et du monde) mises à mal et ébranlées ? Ce que ne cessent pourtant de mettre en œuvre la vie, le monde et les autres... Parce que nous croyons que les premières nous constituent fondamentalement... et parce que les secondes nous offrent des repères rassurants... Et nul n'aime se voir ainsi remis en question et déstabilisé...

Sans ces représentations de soi (et sans ces représentations de la vie et du monde), l'identité (personnelle) et nos certitudes s'évaporent. Se dissolvent. Et l'esprit (le psychisme) ressent alors un tel vide – et un tel inconfort – qu'il ne peut admettre que notre individualité, la vie et le monde ne correspondent – et ne correspondront jamais – à notre idée de ce qu'ils sont... qu'ils n'ont, en vérité, aucune existence propre aucune existence réelle...

L'accès à l'impersonnalité – et à l'infini – est pourtant impossible sans l'effacement de cette croyance en notre identité individuelle et sans l’anéantissement de nos certitudes sur la vie et le monde...

 

*

 

[Petites feuilles]

 

La simplicité – et la vérité – d'une parole ne s'encombre d'habillages...

 

 

Le cœur emprisonné n'en demeure pas moins innocent...

 

 

Allongé sur le sol, je regarde le ciel. A moins que ce ne soit lui qui nous regarde...

 

 

L'infini d'une parole. Voilà ce que je demande au poète. La beauté, nous la laissons bien volontiers aux esthètes...

 

 

La pluie est sourde au temps qui passe. Et à la fin des saisons. Mais au dessus brille un soleil inépuisable. Les feuilles des arbres le savent bien. Ce sont elles qui me l'ont chuchoté un jour d'averse.

 

 

La menace est toujours une promesse de beau temps. Qu'elle se réalise ou non, nos espoirs et nos certitudes auront déjà vacillé...

 

 

Les feuilles jamais ne dénaturent l'arbre. Elles célèbrent, au contraire, sa nature. Et lui donnent sa gaieté. Mais peut-on en dire autant des hommes qui peuplent la terre – et qui s'agrippent désespérément à ses rochers ?

 

 

L'infini vous touche. Et vous pénètre. Transforme, en un instant, vos mains en cœur immense. Et les siècles en néant.

 

 

L'innocence est le berceau de la lumière. Mais qui le sait ? Les hommes partout continuent d'agiter leurs forces irascibles – leurs bras de violence et leurs jouets ambitieux. Recouvrant la terre – et toutes ses plaines – d'obscurité.

 

 

L'ambition est le jeu – et le jouet – illusoires des hommes. Et la terre – et le monde – leur terrain d'agrément. Qui connaît la sagesse des feuilles mortes à l'automne ? A-t-on déjà vu une seule d'entre elles dévorée par quelques projets prétentieux ?

 

*

 

De larges chemins parcourent la terre. Mais aucun ne mène à la destination. Ils nous conduisent en des lieux où naissent d'autres chemins qui nous mènent en d'autres lieux. Il en est de même avec la vie. Elle nous pousse de circonstance en circonstance sans jamais nous conduire au but. Comment peut-on s'échapper de ces étranges labyrinthes ? En habitant l’œil qui sait se poser en surplomb – dans l'innocence vierge du regard – qui contemple dans une fraîcheur toujours nouvelle les chemins du monde, les saisons de la terre et les différents âges de la vie qui passent...

 

 

L'ombre est ce qui passe dans la lumière. Dans l'immuable clarté du regard qu'aucune ombre jamais ne pourra ternir. Qu'aucune ombre jamais ne pourra assombrir et éteindre. L'ombre n'est que cela : le passage furtif de l'obscurité dans le scintillement permanent du soleil.

 

 

L'éveil. Comme un champ de lumière pénétrant les abîmes du cœur et les profondeurs de l'âme. Les préparant à recevoir les graines – toutes les graines – du monde. Les autorisant (enfin) à devenir terre fertile où elles pourront être semées...

 

 

Lorsque mes yeux ne fréquentent l'infini, que mon visage ne reçoit la caresse du vent et mon cœur ne connaît l'exaltation, mon âme se dessèche. Et dépérit. Comme la feuille et la fleur, elle exige toute la chaleur de la terre – et toute la lumière du ciel – pour vivre. Et aller, chaque jour, sous la pluie et le soleil du monde.

 

 

Comme un matin clair chassant la nuit. Comme un éclair zébrant le ciel sombre. La lumière investit tous les lieux. S'infiltre partout où règne l'obscurité.

 

 

Les vents tournoient – ne peuvent tournoyer – que dans un cœur ouvert. Débarrassé du lourd couvercle des pensées et de la raison. Et dans cet espace vide – et dénudé – s'empressent alors de s'inviter la joie, la vie et le monde – et toutes leurs danses parfois encore un peu effrayantes...

 

 

Dans l'âme sereine, les passions frémissent sans tressaillir. Emportent le cœur au loin sans le bouger (pourtant) d'un pouce. Invitant le monde toujours à s'agenouiller partout devant lui...

 

 

Après ce jour viendra un autre jour. Après cette terre viendra une autre terre. Après cette nuit viendra une autre nuit. Après ce soleil viendra un autre soleil. Et nous assisterons, impassibles et silencieux, à tous ces élans. Aux petits remue-ménages comme aux grands bouleversements. Le cœur acquiesçant à toutes les circonstances. Et l'âme toujours ravie des cycles, des révolutions et des résistances...

 

 

As-tu remarqué sur le chemin jonché de feuilles mortes – et à travers les branches des grands arbres dénudés, le sourire – et le visage radieux – du ciel ? As-tu noté l'allégresse du grand départ – et la joie de l'effacement – à l'automne ?

 

 

La ville est sombre. Toutes les villes le sont. Alors que brille dans le désert une lumière qui n'éclaire que le sable. Et que personne ne voit pourtant...

 

 

Nous ne sommes rien que des ombres qui passent. Et le grand soleil qui éclaire leurs pas – et leurs gestes – furieux sur le long mur qui obstrue l'horizon.

 

 

Il n'y a d'impasse que dans les ténèbres. Au fond desquelles brille une lumière que l'obscur des jours nous révèle...

 

 

Les herbes et les bêtes sont plus à plaindre que les hommes. Dieu leur a retiré ce qu'il a offert aux êtres humains. Et même si brille dans leurs yeux une innocence plus claire – et plus évidente – et que l'horreur se lit sur tous les visages et les rivages de la terre, les hommes les devancent (toujours) de quelques pas sur l'obscur chemin de la lumière.

 

 

Les feuilles parfois sont tristes de retrouver la terre. Mais tous les arbres sourient de ce départ. Ils savent qu'elles traverseront l'hiver qui parcourt la plaine à grands pas. Qu'elles se reposeront de leurs élans et de leur floraison avant d'être ensevelies afin de devenir à la saison nouvelle la source que le ciel aidera pour faire refleurir le monde...

 

 

Du cœur habité naissent la vie simple et l'enchantement. Et la lumière nécessaire pour habiter – et éclairer – le monde.

 

 

Les flammes dansantes dans la cheminée réchauffent la pièce sombre, froide et humide de l'hiver. Eclairent – et égayent – nos longues soirées passées dans la pénombre et l'obscurité...

 

 

Le grand frisson et les grandes passions fébriles de la jeunesse bientôt remplacés, chez la plupart, par la tranquille et doucereuse monotonie des jours. Et chez quelques-uns, rares (trop rares peut-être...), par la flamme ardente de la quête qui, un jour, lorsque l'infini et l'Absolu les pénétreront pleinement, se transformera en feu incandescent et inépuisable : l'Amour éternel.

 

 

Le regard présent. Simplement là. Comme posé – ou planant – partout, observant sans passion ni jugement – ce qui passe. Absolument tout ce qui passe. Parfaitement neutre et impassible. Et le cœur tendre. Vierge et ouvert. Eminemment innocent et aimant. Qui accueille avec attention et bienveillance – avec Amour et délicatesse – tous les passants éphémères. Et leurs plus infimes élans.

 

 

Contrairement à ce qu'essayent de nous faire croire les religions, il n'y a de sauveur ici-bas. Ni même ailleurs... Juste des êtres qui peuvent non se sauver – mais découvrir ce qu'ils sont. Et comprendre qu'il n'y a rien ni personne à sauver en ce monde. Qu'il n'y a ni victime, ni bourreau, ni pécheur. Mais simplement des élans d'énergie plus ou moins sauvages et mécaniques – et plus ou moins portés par la conscience. Des élans d'énergie dans l'Amour. Dans l'Amour que chacun est sans même le savoir. Et que chacun peut apprendre à devenir – à devenir pleinement – pour accueillir ces élans – tous ces élans – et leur ouvrir la voie de la compréhension qui mène à la conscience et à l'Amour...

 

 

Ces fragments – toutes les phrases et les notes de ce carnet – m'ont été dictés par les feuilles mortes alors que nous nous promenions ensemble sur les chemins de l'automne. Ce sont leurs paroles – et leur sagesse – qui nous ont été offertes... A nous, à présent, d'aller comme elles avec plus de clarté et d'innocence – avec plus de douceur et d'allégresse – dans le vent d'automne qui nous poussera vers la terre...

 

11 décembre 2017

Carnet n°90 Sur le chemin des jours

– Sous le ciel de Bashō

Recueil / 2016 / L'intégration à la présence

N'être rien. Qu'un souffle ténu dans le vent et la lumière parmi les rochers et les étoiles.

Dans les pas du marcheur et les empreintes du petit crayon sur la page se tient le plus fragile de cette vie. Et le plus impérissable. La grande offrande des jours, la grâce de la terre et la lumière du ciel que chacun peut accueillir le temps de son bref passage...

Pieds légers sur l'abondance du monde et la fécondité de la terre – orteils vissés aux sentiers des brumes – et le cœur infini franchissent les obstacles d'un seul bond. L’œil toujours vagabond. Et le regard présent – infiniment présent – et toujours fidèle à sa patrie. Digne et humble habitant de l'éternité allant inlassablement au gré des vents et des saisons sur les chemins précaires. Le visage – et le cœur – attentifs aux moindres sursauts de l'âme et du monde. Et le pas toujours humble et insoucieux des élans et des acrobaties malgré la main – et le geste – secourables.

 

 

Homme de l'herbe et des nuages. Homme du ciel et de la rosée. Aussi vide et accueillant que l'espace. Fréquentant la terre et l'infini. Marchant à petits pas dans la brume du matin. Et saluant le monde d'un geste innocent. Avec ses yeux rieurs et son sourire discret qui illuminent les paysages.

 

 

Face au monde, l'indicible désarroi que l’accueil transforme en joie.

 

 

Vide dans le matin doré. Vide dans le jour ensoleillé ou sous la pluie interminable. Vide au crépuscule sous le halo pâle de la lune.

Vide est la clé. Et la demeure. Le seuil de toute joie dans la marche lente de l'homme sur la terre.

 

 

Pieds légers sur l'abondance du monde et la fécondité de la terre – orteils vissés aux sentiers des brumes – et le cœur infini franchissent les obstacles d'un seul bond. L’œil toujours vagabond. Et le regard présent – infiniment présent – et toujours fidèle à sa patrie. Digne et humble habitant de l'éternité allant inlassablement au gré des vents et des saisons sur les chemins précaires. Le visage – et le cœur – attentifs aux moindres sursauts de l'âme et du monde. Et le pas toujours humble et insoucieux des élans et des acrobaties malgré la main – et le geste – secourables.

 

 

Dans le vide, tout se construit. Et à partir de ce socle, les mondes s'édifient. Leurs merveilles comme leurs atrocités...

 

 

Dans l'antre exigu de l'âme tournée vers elle-même, nulle place pour les vents frondeurs. Nulle place pour la pluie et le soleil. Nulle place pour les rires et les visages. Comme une cave sans fenêtre à l'air vicié. Isolée du ciel et des plaines du monde où la lumière – et la joie – ne peuvent pénétrer.

 

 

Être le Bashō des jours sédentaires comme des jours nomades. Dans l'opulence et le foisonnement du monde comme dans l'hostilité des déserts. Dans l'aisance des foules comme dans la simplicité des chemins des forêts et des montagnes. Dans l'abondance des cités comme dans la joyeuse aridité de la solitude. Aller toujours, à petits pas, au gré des vents, la foulée vive et tranquille. Alerte et éclairée. L'âme humble. Et le regard simple parmi les herbes et les nuages. Avec dans le cœur, la flamme incandescente...

 

 

Le pas et le visage singuliers mais l'âme toujours universelle...

 

 

L'homme aux semelles de nuage et au visage de vent parcourt monts et plaines sans effort, libre du dedans comme du dehors. Il ne cherche rien. Il laisse les chemins et les paysages le traverser. Son âme est radieuse. Et déjà si pleine du Divin. Un sac, un bâton et un carnet, à petits pas dans l'air frais du matin, arpentant les vallées et les collines du jour et quittant la forêt au crépuscule pour regagner, le cœur riche et léger, son humble masure.

 

 

Entendre le chant de l'oiseau qui monte vers le ciel. Et nous voilà à danser dans la joie et l'air frais du jour.

 

 

Au cœur de l'innocence et de l'infini, le silence laisse l'âme radieuse et insouciante vaquer aux tâches du jour.

 

 

Les jambes et les bras – les mains et les pieds – ne sont que le prolongement de l'âme innocente et du silence. Joignant l'infini à chaque geste – et à chaque foulée sur les chemins. Offrant au visage sa joie et son sourire. Et laissant les pas fouler l'herbe et les étoiles. Les rochers et les nuages. Faisant de la marche, du monde et du regard la permanente demeure...

 

 

L'insecte et l'étoile, la pierre et l'homme n'ont qu'un seul Dieu : le regard de l'infini et du silence dont notre main et notre visage doivent apprendre à se faire les instruments...

 

 

Dans nos sombres vallées, l'horreur n'a de visage. Mais sa main est meurtrière. Et sa bouche carnassière. Et la foule demeure impuissante à freiner ses gestes. A l'arracher à son origine.

 

 

Chaque jour, à grandes enjambées sur les chemins de pierres. La belle moisson du regard. Et la mince récolte d'or et de miel que le crayon dépose avec précaution dans le petit panier d'osier de la page.

 

 

L'air est vif sur les grands chemins. Le pas allègre. Le visage radieux sous le soleil d'hiver. Et la page blanche aussi accueillante que le ciel lumineux.

 

 

Le regard est tendre. Le visage souriant. Mais le cœur reste sauvage. Les cheveux ébouriffés comme l'herbe des prés. Et l'âme encore effarouchée comme un lutin des bois caché derrière le tronc d'un arbre que la solitude de la forêt n'effraye pas.

 

 

La prière du marcheur est aussi lente à atteindre le ciel que les pas à rejoindre l'horizon. Celui qui marche sait que Dieu ne se trouve ni plus haut ni plus loin. Mais dans la juste foulée.

 

 

Braise des yeux n'est qu'avidité de l'âme. Malgré sa splendeur et sa vivacité, la lumière est toujours douce dans le regard...

 

 

Un sac de toile, un bâton, un bol, une couverture et une longue pèlerine pour marcher sous la pluie. Ainsi chemine le pèlerin de vent. Aveugle aux impasses et aux virages. Sourd aux cris et aux applaudissements. Allant de son pas léger sur les pierres et dans l'herbe des chemins. Ne demandant jamais sa route et ne s'égarant jamais (mais peut-on réellement s'égarer dans la joyeuse errance de la marche ?). Indifférent aux lumières des hommes et des cités. N'offrant sa confiance qu'aux nuages, aux étoiles et aux visages des sentes. Se laissant docilement mener par les vents de la terre sous la pluie et le soleil du monde.

 

 

Le regard est identique sur le bitume des routes, le béton des trottoirs et la terre des chemins. Même si les yeux, bien sûr, ont leur préférence...

 

 

La vie, la marche et le voyage sont des passeurs d'âme. Ils invitent celui qui chemine à se débarrasser de tout superflu. A se vider de tout encombrement pour aller plus nu et plus libre. Comme une façon d'exhorter l'âme à prendre son envol. A rejoindre la terre de l'infini et du silence afin de marier le ciel à chacune des foulées.

 

 

Le cri des bêtes dans la nuit m'éventre l'âme. Un déchirement du cœur. Inconsolable. Inguérissable. Et j'attends avec impatience que se fissure le ciel d'épouvante qui recouvre leurs jours (et que l'aveuglement des hommes ignore...) pour les voir enfin délivrés de l'abomination...

 

 

Quatre chiens de toutes tailles et de toutes couleurs. Quatre admirables corniauds en pleine liberté – sans laisse ni collier mais toujours prompts à répondre à mes rares directives – courant à perdre haleine – et à mes côtés – dans tous les fourrés et les fossés des collines ou marchant d'un pas tranquille sur les sentiers des forêts et sur les routes – petites et grandes – des lieux que nous arpentons, traversant à l'occasion les villes, les villages et les hameaux à la queue leu- leu tantôt à droite tantôt à gauche de la chaussée ou en ordre dispersé selon la densité du trafic automobile et piétonnier.

 

 

Humble équipage de fiers vagabonds aux allures magnifiques (et émouvantes) traînant leurs guêtres sur tous les chemins de la région sous le regard parfois amusé ou admiratif – mais le plus souvent indifférent – des passants et des automobilistes. Avec pour seuls compagnons, les pierres, les arbres et les nuages. La solitude, les grands espaces et le ciel pluvieux ou ensoleillé. Chaque jour, quel que soit le temps, nous battons ainsi la campagne. Cheminant au gré des vents (et des odeurs) en voyageurs libres et insouciants.

 

 

Un seul soleil dans les pas du jour. Et l'âme – et le corps – en pâmoison...

 

 

De quelle ivresse l'âme en extase pourrait-elle se défaire ? Chemins et paysages ensoleillés malgré le froid et la grisaille des jours.

Le cœur brûlant – et l'âme extatique – réchaufferaient et éclaireraient la lune et tous les visages pris dans les glaces du monde. Et les ténèbres même seraient illuminées...

 

 

Dans les pas de l'innocence, l'âme invulnérable...

 

 

La montagne n'est le songe d'un seul homme. L'eau des rivières aussi façonne les vallées...

 

 

L'infini ne s'installe que dans le pas vulnérable. Et le cœur nu et innocent. Portes de l'Amour où s'invite l'inconnu. Et le grand mystère des jours.

L'infime pas de l'homme dans l'immensité. Et la minuscule enjambée des siècles dans l'éternité.

Qui est Dieu ? Et qui est le maître de l'univers ?

 

 

Vide éternel de l'absence. Vide éternel de la présence. Le vent toujours pousse – et recouvre – les pas et les visages. Les efface dans l'infini, l'éternité et le silence. Et jamais les cris – et l'appel – de l'homme ne seront entendus...

 

 

Le pas – et le souffle – incandescents. Brillant dans la grisaille des jours. Brûlant de l'ardeur du soleil. Ouverts à l'éternité et à la flamboyance du regard.

 

 

Que le jour emporte la nuit. Et tout brillera dans la lumière. Jusqu'aux plus sombres recoins du cœur sous la clarté vive de la première étoile...

 

 

Le feu ardent des pas aussi se jette dans la nuit et la lumière...

 

 

Jamais l'ultime trésor ne pourra nous être dérobé. Il brillera à jamais sur les jours. Et les ténèbres du monde.

 

 

Le pas – et le cœur – vierges, voilà la condition de la joie. Et de la parole poétique. Frêles étincelles dans la nuit de l'homme.

 

 

Comme la mouche aux ailes fragiles, la parole s'envole. Et se brisera, un jour, contre la vitre de l'éternité.

 

 

Une poignée de châtaignes pour le souper. Mangées au coin du feu. Un festin pour égayer le cœur. Et éclairer notre longue veillée dans l'air frais et pluvieux de ce soir d'hiver.

 

 

La poussière des chemins. Le divin or de la terre. Comme de minuscules étoiles dans les pas de celui qui marche et cherche l'Absolu. Et comme d'infimes soleils dans l'âme – et sur le visage – de celui qui fréquente le Divin.

 

 

En cette froide soirée, je regarde, sur le sol de la cuisine, un petit insecte allongé sur le dos, pattes immobiles recroquevillées sur le ventre aux mouvements d'antennes à peine perceptibles, attendant la mort en silence. M'offrant ainsi le déchirant et désolant spectacle de l'agonie. Et me révélant, avec tant d'évidence, la double impuissance du vivant. Celle des créatures qui souffrent et meurent dans une solitude impartageable. Et celle des êtres qui les entourent qui ne peuvent les aider malgré leur bonne volonté – et leur désir d'assistance et de réconfort. Comme si la vie nous invitait simplement à être présent et à veiller sur le monde – et les êtres – avec tendresse et attention. Nous renvoyant ainsi à notre plus essentielle fonction en ce monde : aimer, accueillir et prendre soin. Et malgré notre ignorance, nos manquements et nos lâchetés parfois, ne doutons pas un instant que chacun sur cette terre fait son possible pour assumer ce rôle – et accomplir cette tâche...

 

 

Les yeux des êtres, leur cœur et leur corps (et celui du monde) sont (respectivement) le regard, l'Amour et le corps de la conscience. Et bien qu'ils l'ignorent, les yeux, le cœur et le corps des êtres apprennent progressivement à s'extirper de cette ignorance. Leur bouche, leurs mains, leurs bras et leurs jambes sont leurs principaux instruments. Les outils indispensables leur permettant de découvrir graduellement leur nature véritable.

 

 

Une maison ouverte à tous les vents. Tel est le regard. Et telle devrait être notre vie...

 

 

L'horizon dans la brume. Et les yeux rieurs balayant l'adversité des jours et l'hostilité des chemins. L'âme inébranlable accueillant les vents du monde. Et dansant dans les bourrasques...

 

 

La mystérieuse alchimie du regard. Transformant les jours. La nuit en lumière. La misère en joie. Les foulées grossières en pas de danse insouciants. La terre en contrée divine. Et ses créatures – toutes ses créatures – en apprentis malhabiles du ciel.

 

 

Vide, nu et joyeux. Toujours plus vide, plus nu et joyeux. Pas après pas. Et l'âme si légère qui danse sous les étoiles...

 

 

Au cœur de l'hiver, un vieil arbre dans une clairière caressé par les rayons pâles du soleil. Comme un vieux sage ombrageux et solitaire méditant dans le froid – et la paix – du jour.

 

 

Allant sur les chemins, le cœur et l'âme aussi vastes que l'espace. Aussi nus que le vent. Aussi clairs que le soleil. Ne comptant ni les pas ni les heures. Se laissant simplement mener par la grande liberté et les joyeuses exigences des servitudes de la terre...

 

 

Ah ! Qu'il est bon de pisser au vent, verge au soleil ! Se faire, pour un instant, fontaine du jour arrosant la terre...

 

 

Fréquenter les chemins et les forêts, les abeilles et les chevreuils nous en apprend bien davantage sur la vie, Dieu et l'infini que toutes les pérégrinations dans le monde, parmi les hommes et leurs pauvres leçons de choses...

 

 

Quelques notes par jour. Comme une modeste offrande à la terre. Une dérisoire obole au monde. Comme quelques poussières d'or jetées aux hommes – toujours misérables, et les mains mendiantes, malgré leurs richesses...

 

 

Odieux clapiers des lapins à la campagne. Affreux clapiers des hommes à la ville. La même vie de misère et d'indigence ! Une existence d'enfermement et d'amputation – d'attente et de servitude – avant la délivrance peut-être de la mort...

 

 

Le retour à la maison à foulées discrètes sur le chemin vespéral pour ne pas importuner – ni effaroucher – les habitants de la forêt, libérés, à cette heure tardive du jour, du vacarme incessant des hommes.

 

 

Marcher en tout lieu. Errer ici et là. Aller là où les vents nous mènent. Et n'avoir d'yeux que pour l'infini. Le devinant partout. Dans chaque pierre. Dans chaque herbe et chaque visage. Et jusque dans la poussière de ses pas...

 

 

N'en déplaise aux hommes, la pluie n'est le chagrin de Dieu. Mais des larmes de rire – de son immense fou rire – versées pour égayer le cœur du monde.

 

 

Nuages sous les pas. Et entre les oreilles. Ciel descendu dans l'en-bas pour alléger – et égayer – les chemins de la terre.

 

 

Il me vient parfois de drôles de pensées en marchant. Ombres furtives dans le ciel noir de l'esprit. Graines infertiles sur la terre de la poésie que le vent léger pousse dans les fossés. Et que la feuille jamais ne verra éclore...

 

 

La petite fumée noire des soucis que les vents du monde alimentent. Et épaississent. Et que le cœur clair balaye d'un délicat – et implacable – revers de main. Comme emportée par les bourrasques salvatrices d'une brise légère...

 

 

Le jour éphémère a recouvert la nuit. Qui sait que chaque seconde de lumière éclaire des siècles d'obscurité...

 

 

Vivre comme une vieille vache paisible dans son pré. Occupée à manger, à chier et à dormir. Se laissant simplement distraire, de temps à autre, par le passage des trains. Et éclairer par le fugace passage des jours.

 

 

Être en contact direct avec le réel, le regard et le cœur ouverts, il n'y a d'autre façon d'être pleinement vivant sur cette terre. Ni de manière plus juste de s'en faire le témoin...

 

 

Lorsqu'au plus rude des jours, le monde – un seul être du monde – vous offre son sourire – un immense sourire spontané et innocent –, il éclaire le jour. Et les heures à venir. Et peut-être même votre vie entière... Il vous redonne foi en la bonté et en la gentillesse des êtres et des hommes. Et peut-être même en l'existence de l'Amour sur cette terre...

 

 

La marche (et le mouvement) du corps. La contemplation silencieuse de l’œil (et du regard). Et l'Amour et la réjouissance du cœur. Ainsi vit l'homme sage. En adepte du minimalisme essentiel du vivant et de la lumière...

 

 

Sous l'égide du ciel, des nuages et des forêts vit l'homme sage. A la fois discret et solitaire. Affectueux et fraternel...

 

 

L'absence, l'ignorance et l'inattention sont les mères de tous les maux. Et la présence, la conscience et la lumière, la matrice de toutes les réjouissances...

 

*

 

[Les souffles manquants]

L'homme qui chemine l'impénitent marcheur vers l'éternel – se sent parfois meurtri – et démuni – face au monde et à ses impitoyables chemins. Qui n'a jamais ressenti cette faiblesse – et cet abandon – durant son éprouvant voyage ? Et qui n'a jamais entendu cette voix – si singulière – l'inviter à remettre ses blessures et son dénuement aux mains du ciel avec l'espoir qu'il en fera bon usage – qu'il guérira nos peines et nous redonnera le souffle nécessaire pour poursuivre notre route ?

 

 

Le cœur chaviré, balançant entre les étoiles. Et emporté vers l'infini. Avalé par la bouche claire du ciel. Rendant légère la course de l'obscur dans les mains de Dieu...

 

 

La fleur des montagnes n'a qu'un seul royaume – et qu'un seul souverain : l'infini. Malgré l'éphémère des jours et le vent froid de l'hiver.

Elle sait que le ciel est notre miroir le plus juste. Le plus vaste et le plus profond. Et que toutes les âmes s'y reflètent sans frémir. Incapable de les faire tressaillir malgré les souffles et le vacarme de la terre.

 

 

Les mains, les bouches et les yeux sans épaisseur aux gestes pesants ou légers ne sont rien – que des ombres fantomatiques – face à la sensibilité, à la justesse et à la générosité de la main, de la bouche et des yeux pleinement présents. Dont la seule proximité illumine. Et dont les gestes si pleins – et emplis d'Amour – apaisent et réconfortent avant même qu'ils ne vous touchent...

 

 

Le cœur de l'homme sage n'est pas fait pour vivre parmi les hommes*. Ni avec ni auprès d'eux. Mais pour se tenir au plus proche des nuages et des forêts. Au plus près des herbes, des bêtes et des étoiles. Ouvert aux vents et aux chemins. Disponible – et disposé à les recevoir – à chaque instant du jour et de la nuit. Attendant dans l'humilité, l'innocence et le recueillement les bras – et le baiser – de Dieu. La pleine attention de la pure présence.

* Tant que persisteront leur agitation, leur immaturité et leur prétention...

 

 

Ô mon âme, où cours-tu ainsi, toi qui cherches un refuge ? Pour-quoi t'obstines-tu sur les chemins de la terre ? Pourquoi refuses-tu d'ouvrir les bras à la présence silencieuse du ciel ? Qu'attends-tu ? Les vents n'ont-ils pas suffisamment soufflé ? Le monde aurait-il encore quelques grâces à t'offrir ? Rêves-tu encore de routes ensoleillées ? Crois-tu que les étoiles pourront te secourir – et hisser jusqu'à elles ta vieille carcasse abandonnée à l'indigence des hommes ? Es-tu encore si naïve, mon âme ?

 

 

La marche parfois épuise les pas. Le cœur et le regard de l'homme. Aussi convient-il de faire une halte. D'autoriser l'âme à délaisser sa sente. Et lui offrir le repos des étoiles. Le sommeil des justes à l'orée du ciel avant qu'elle ne reprenne son périple. Et son ascension.

 

 

Comme toutes les choses de ce monde, la marche et l'écriture sont des activités sans fin. Après chaque nouvelle foulée – et chaque nouvelle phrase – arrive inéluctablement la suivante. Kilomètre après kilomètre – et page après page, le périple – et l’œuvre – se poursuivent. Voués jusqu'à la fin des jours aux petits cercles sur leurs dérisoires chemins de terre et de papier.

 

 

Peut-être sommes-nous, en réalité, le seul auditoire attentif à nos misérables épanchements ? La seule main secourable pour panser nos pauvres meurtrissures ? Les seules lèvres capables de nous réconforter de leurs paroles et de nous offrir le baiser – et l'Amour – que nous attendons depuis des siècles ?

Peut-être sommes-nous aussi la seule preuve de l'existence du monde, de la terre, du ciel et des étoiles ? Peut-être que sans notre regard, n'existerait que le néant – et peut-être même moins que le néant... : le mystère total et absolu sans la moindre lumière pour l'éclairer ?

 

 

La course interminable des jours. Et l’œil fatigué. L'âme assoupie. Adossé au tronc d'un arbre, nous attendons la fin de la nuit...

 

 

Un seul rêve. Un songe obscur autorisant l'âme à marcher jusqu'aux étoiles. Pour achever, au réveil, son impossible périple...

 

 

Aux hommes, la terre. Et aux sages, le ciel. A chacun son domaine. Et sa besogne. Nul, ici-bas, ne peut prétendre pleinement à l'un et à l'autre*. La terre offre ses plaisirs, ses luxes et ses contraintes. Et le ciel, ses joies, sa paix, sa simplicité et ses exigences. Mais aller vers la première ferme automatiquement l'accès au second. Et réciproquement, bien sûr...

* En tout cas au cours de la marche (et de la quête)... et jusqu'à ce que le lieu de toutes les destinations soit atteint...

 

 

L'âme défaite par l'incommunicabilité et l'incapacité des êtres à s'entraider. Comme si chacun était enfermé derrière les barreaux d'une cage éloignée des autres par des milliers de kilomètres. Et malgré l'unité du cœur et de l'esprit, il reste, à dire vrai, une longue (une très longue) route à parcourir pour qu'elle devienne effective dans la réalité de nos faits et gestes...

 

 

Ô divine âme malheureuse, je t'en prie, cesse tes gémissements ! Tes jérémiades et tes apitoiements ! Redresse-toi ! Et sors de ton antre pour faire face aux vents frais du monde et au grand air vif des chemins ! Rechausse tes sandales ! Et poursuis ton périple !

Et mon âme, docile et attentive, se remit debout. Reprit son bâton et sa marche sur le chemin des jours...

 

*

 

Du cœur chamboulé par les événements et les souffles manquants émergent progressivement le courage – et la sereine tranquillité – des pas.

 

 

Un seul destin pour l'âme aux prémices – et aux intervalles – ténébreux : la chute et l'abandon avant l'envol – et la reprise de l'envol – vers la lumière...

 

 

Chaque matin, devant nos yeux – et notre visage – attentifs, la terre, les arbres et le ciel. Le chant des oiseaux qui monte vers la petite pièce où l'on écrit – où l'on reprend, le plus souvent, les notes de l'après-midi précédente. Et le passage fugace des nuages sur l'horizon à travers la fenêtre. Voilà le décor de la page, qui attend la main – et le cœur – sages. Et l'innocence du regard. Prête à recevoir la vie. Les infimes traces de l'infini. Les discrètes empreintes du silence. Et l'indicible parole du Divin. Recueillies la veille lors de notre longue promenade dans la campagne alentour.

L'après-midi, nous quittons la maison pour partir sur les chemins. Nous ouvrir – et nous offrir – aux bras de la vie sauvage. Aux sentiers des forêts et des collines. Aux verts pâturages et à leurs troupeaux magnifiques. Aux fossés et aux pentes de la terre. A la vie silencieuse du ciel et à la nature florissante des paysages.

Dieu – et notre carnet – nous accompagnent discrètement. Partout. Et tout le jour. Et nous allons ainsi ensemble jusqu'au crépuscule. Vides, libres et joyeux sur les sentes minuscules de la terre et de l'existence. Et toujours, bien sûr, en admirable compagnie...

Ainsi passent les jours. Et s'écrivent nos pages. Modestement. Au rythme lent du marcheur et de la main contemplative qui recueillent la beauté des paysages que le cœur vif et innocent reçoit avec gratitude en remerciant, à chaque instant, les grâces de la terre et la lumière du ciel pour leurs miracles et leur générosité.

 

 

Ni la terre ni le ciel n'épargne des peines. Mais alors que la première n'offre que des promesses mensongères en nous jetant, tôt ou tard, vers les sombres contrées de la désillusion et de l'amertume, le second nous livre à l'abandon et à la lumière nécessaires pour éclairer la marche et le chemin. Et nous ouvrir ainsi à l'imprévisibilité des paysages. Et à l'intrépidité des pas...

 

 

La marche des hommes à travers les jours. Et à travers les siècles. Le même pas lent et lourd. La même foulée besogneuse. Le même cœur hébété et distrait. Et la même âme effarouchée. Soumis au cycle éternel de l'ascension et de la chute avant de découvrir – et d'endosser – les ailes invisibles du titan pacifique...

 

 

N'être rien. Qu'un souffle ténu dans le vent et la lumière parmi les rochers et les étoiles.

 

 

Vivre la virginité innocente du regard et la grande simplicité du cœur dans l'invraisemblable prolifération du monde. Et ses odieux entassements. Vivre le silence dans ses bruits et sa fureur. Vivre l'infini dans ses restrictions et ses limitations. Vivre ainsi dans la compagnie des hommes nous semble parfois impossible. Une tâche hors de portée en particulier lorsque l'abondance phénoménale et objectale, l'agitation et l'absorption crispée des esprits nous entourent – et nous envahissent – au point de nous submerger. Et de nous engloutir.

Notre âme – encore naïve peut-être... – rêve toujours de grands espaces vides et épurés où elle pourrait s'installer pour vivre dans le dépouillement et la simplicité. Et répondre ainsi à son infini – et irrépressible – besoin de nudité...

 

 

Seuls le coassement tranquille des grenouilles de l'étang, la danse sereine des herbes et des étoiles et le passage bonhomme des nuages dans le ciel apaisent notre âme si sensible – et rétive – à la folle agitation du monde. Et à la course fébrile des hommes et des aiguilles.

Seuls les pas sur les chemins de terre et sur le petit carnet rythment le jour. Et offrent à l'âme une sereine allure. Seuls les bras des arbres et les caresses du vent savent nous réconforter de la frénésie absurde de ce monde.

 

 

La bastide des yeux et des étoiles dans la vaste cour des arbres, des herbes, du cœur et des nuages. Voilà la demeure – la véritable demeure – de l'âme. Son roc serein et imprenable où elle peut se laisser aller à tous les souffles du monde et à tous les vents de la terre. Sans corrompre sa nature ni craindre l'étouffement et les blessures. Voilà le seul lieu où elle peut éclore et s'épanouir pleinement – et grandir jusqu'à l'infini sans redouter la mort.

 

 

Ce soir, nous sommes rentrés à la maison en compagnie de quelques vaches (une vingtaine peut-être) regagnant (elles aussi) leur bercail – et allant de leur pas lent et majestueux sur la petite route menant à l'étable. Ah ! Mes amis ! Quelle joie de les retrouver – et de partager avec elles les derniers virages de notre promenade après cette longue journée de travail passée au grand air...

 

 

Dans les pas du marcheur et les empreintes du petit crayon sur la page se tient le plus fragile de cette vie. Et le plus impérissable. La grande offrande des jours, la grâce de la terre et la lumière du ciel que chacun peut accueillir le temps de son bref passage...

 

 

En cette vie, quelques souffles durant la traversée. Et les instants de pure – et pleine – présence...

 

 

Sur la crête des jours – et dans leurs profondeurs abyssales – se promène le cœur du sage. Oreille et œil éteints au soufre. Lèvres entrouvertes et silencieuses murmurant leur gratitude au regard éternel comme au plus fragile de cette terre.

 

 

Hommes et bêtes à cheval sur leur posture maladroite et malhabile. Inappropriée pour goûter l'ineffable. L'ineffable de cette vie et de ce monde. Gestes instinctifs et circonstanciés tout juste bons à s'emparer des miettes grises et des marécages. Et à permettre aux mains de continuer à cisailler le cœur et les âmes. Et au sang d'abreuver la terre.

 

 

Dans la poésie, entre les mots – ces notes bavardes aux empreintes noires – se cachent le silence et la lumière. Accessibles au cœur vierge et à l'âme innocente. Les autres n'y percevront que l'obscur de l'écriture et la frénésie de la parole.

 

 

Toi qui marches à présent en toute saison sur les sentes printanières de la vie, as-tu oublié l'odeur des feuilles mortes à l'automne lorsque tes pas se faisaient fébriles et funestes – et la désolation des arbres sur les routes hivernales où ta tristesse cherchait un réconfort ?

 

 

Qui se souvient que la vie, la nature et le monde sont d'extraordinaires créations ? Qu'ils sont les expressions les plus magistrales de la beauté et de la vérité ? Les plus fabuleuses œuvres que nous connaîtrons jamais. De l'art pur...

Il arrive, il est vrai, que le plus haut – et le plus clair – de la poésie, de la musique, de la peinture et de la sculpture (et de quelques autres arts...) parvienne à rivaliser avec eux. Pendant quelques instants. Mais inutile de visiter les musées, les galeries, les salles de concert, les bibliothèques et les librairies, l'art est partout dans la vie, la nature et le monde.

Peu d'hommes savent les voir ainsi. Comme des chefs d’œuvre absolus. Ils se comportent à leur égard comme des consommateurs culturels. Et les fréquentent comme la plupart des amateurs d'art qui découvrent les œuvres des artistes. Avec un œil las et indifférent. Incurieux et blasé. Sans être habités par le goût – et l'esprit – de la découverte, de l'exploration et de la rencontre. Sans une once d'intelligence, d'ouverture et d'innocence. Sans être en mesure d'être bouleversés par la beauté et la vérité – la grâce et le génie – de ce qui se trouve devant leurs yeux.

En définitive, seul l'art (le grand art) d'être – le regard innocent et infini – est capable de voir – et de goûter – la vie, la nature et le monde comme les plus extraordinaires et merveilleux chefs d’œuvre jamais réalisés. Comme les sublimes reflets de la conscience. De sa beauté et de sa vérité autant que de son intelligence et de son Amour.

 

 

Les étranges reflets des jours et la transparence du monde sur l'horizon...

 

 

Rien n'offre autant de joie – et n'aide davantage le cœur d'un homme – qu'un geste unifié au monde. Un geste plein porté par l'Amour et la tendresse. Et un pas serein allant, ouvert, sur le chemin des jours.

 

 

Dans la brume des jours et l'épaisse fumée du monde, les pas cherchent leur chemin. Leur destinée peut-être... Et l'on voit partout les hommes marcher à la queue leu leu. Tournant désespérément en rond depuis des siècles et des siècles. Sans l'ombre d'une lumière à l'horizon...

 

 

Seules deux voies s'offrent à l'homme : la voie de la terre et la voie du ciel. Si les souffles intérieurs et les aspirations le poussent vers la première, il consacrera son existence au monde et à ses chemins obscurs et tortueux. S'ils le portent vers la seconde, il s'engagera alors dans la quête de la vérité et la recherche de la lumière.

En vouant sa vie et ses forces au monde et à ses chemins (quitte à s'y égarer ou à s'y perdre...), l'homme fermera provisoirement la porte à la voie du ciel. En revanche, s'il se livre sans relâche à la vérité et à la lumière – et parvient à découvrir sa véritable identité –, la voie de la terre s'éclairera et deviendra plus ouverte. Et éminemment plus vivable... Il ne s'y jettera plus l'âme – et la tête – baissées. Mais se laissera porter, sans attente ni résistance, par les courants en présence...

Et bien que nul n'ait le choix d'emprunter la voie de la terre ou celle du ciel (car, de toute évidence, l'on débute très souvent, en ce monde, par la première pour arriver à la seconde...), à chacun de voir, en son for intérieur, quelle est la route la plus juste – et la plus appropriée...

 

 

Dans le ciel, nulle place pour l’œil territorial. Le peuple de la rosée et des nuages nous oblige à le jeter. Et à nous défaire de nos derniers barbelés. A devenir suffisamment nus pour franchir le seuil de l'infini.

 

 

Ô homme qui marche, n'oublie pas – n'oublie jamais – qu'un seul pas est nécessaire pour franchir l'abîme entre l'obscurité et la lumière, entre le bruit et le silence, entre le territoire circonscrit et l'infini. Un seul petit pas accessible, à chaque instant, au cœur innocent...

 

 

Sur les chemins de montagne, la brume et le brouillard isolent du ciel et du vaste monde. Comme s'ils figeaient les pas et les paysages. Les éternisaient. Comme s'ils rendaient immuable chaque foulée. Et immobile la longue marche sous les étoiles. En nous donnant le sentiment de poser à chaque instant le même pas sur la même parcelle de la terre. Comme s'ils faisaient disparaître les lieux, les paysages et le temps – aussi bien que la destination et le marcheur. En les engloutissant dans la foulée présente et la marche impérissable...

 

 

La nudité, le dépouillement et l'innocence sont toujours source de joie, de légèreté et de liberté dans notre marche sur les chemins de la terre et de la vie. Alors que la possession, la saisie, l'accaparement et l'amassement l'alourdissent et l'entravent. En reléguant notre foulée à la morosité, aux soucis et à l'absorption préoccupative – bref, à une forme insidieuse de détention. Comme s'ils nous rendaient prisonniers, en quelque sorte, de nos encombrements – de ce que nous croyons devoir posséder pour traverser le monde et l'existence sans encombre...

 

 

[Petit conseil au marcheur par temps hostile...]

A chaque instant, revenir au pas – et au geste – présents. Retrouver le regard – et laisser libres les élans du corps et de l'esprit. Et plus que jamais au plus noir des jours...

 

 

Je note (avec un certain effroi) que persistent – et se manifestent parfois – dans notre marche sur les chemins du monde et notre écriture quelques intentions, quelques velléités expressives et quelques volontés d'apparat. Comme un désir de montrer et de prouver – et même d'asseoir – la valeur de notre individualité... Et cette aspiration égotique à vouloir exposer sa grandeur personnelle*éloigne autant notre être de l'intelligence et de l'Amour (impersonnels) que les possessions et les encombrements censés rendre notre voyage plus aisé font obstacle à la légèreté, à la liberté et à l'aisance de la marche. Triste et amère ironie de l'égocentrisme narcissique qui révèle le contraire de ce qu'il aimerait afficher...

* Et, dans ce cas précis, sa grandeur spirituelle...

 

 

Y a-t-il un monde plus souterrain que les ténèbres ? Oui, la lumière qu'elles abritent. Et qui les entoure...

 

 

J'ai parfois l'impression d'être un pauvre bougre errant, chaque jour, dans la brume des chemins. Sur des routes déjà mille fois empruntées. Que mon œil las ne sait plus ni découvrir ni éclairer. Un petit homme aussi ignorant et perdu que les autres, guidé par ses conditionnements étroits. Et répétant inlassablement les mêmes gestes et les mêmes paroles depuis des siècles – et (sans doute) jusqu'à la fin des temps. Une misérable créature, à dire vrai, que le regard de l'infini et du silence ne peut aider. Impuissant à refréner et à endiguer – et moins encore à faire disparaître – son affreuse et inépuisable mécanique d'automate. Et en dépit de ce sentiment détestable (qui invite à la détestation), je sens derrière cette réalité l'Amour qui se cherche encore. Et la porte sacrée qui y conduit : l'accueil sans condition. L'acceptation totale de toutes les manifestations et de tous les aspects du monde et de soi-même (en tant que forme) – ainsi que de toutes leurs caractéristiques.

 

 

Où est donc passée la foulée joyeuse ? Le regard vif et éclairé ? L'infini et le silence ? Les a-t-on perdus en chemin ? Ont-ils glissé dans quelques fossés ? Se sont-ils envolés vers des contrées plus innocentes ? Et des cœurs plus silencieux ?

Oui, avouons-le sans honte, le ciel de Bashō nous est parfois inaccessible. Et il arrive que l'azur s'assombrisse sous les nuages où nous cheminons encore. Humble toujours doit être le pas dans la marche immuable des jours...

 

 

Mes amis d'autrefois, Bashō, Han Shan, Ryokan, Issa et quelques autres nobles mendiants – ermites et poètes de tous les royaumes de la terre et du ciel – traversaient-ils, eux aussi, parfois quelques brumes opaques et infranchissables ? Et leur arrivait-il de s'enliser dans quelques marécages ? Oui, sans doute, à en juger par la couleur sombre de certaines de leurs notes et de certains de leurs poèmes plus orageux et tristes que leurs paroles habituelles – toujours claires et lumineuses – qui ont si bien su sillonner à travers les siècles et les ténèbres du monde pour arriver jusqu'à nous.

Qui peut se dire à jamais épargné par la grisaille des jours et la noirceur des pas ? Pas même sans doute l'âme la plus pure – et le cœur le plus innocent...

Mais nous savons tous que l'accueil et l'effacement sauront, comme à l'accoutumée, nous guérir de ces obscurs empoisonnements. Et qu'il nous faut pour y parvenir retrouver le grand Amour et le profond pardon du regard à la terre...

La terre, nous le savons bien, ne peut pardonner à la terre. Elle ne connaît que le poing vengeur. Seul le ciel peut convertir les yeux à l'infini de l'Amour. Et offrir à la main – et au geste – une plus grande douceur. En les arrachant (progressivement) à la loi du Talion, à l'ignorance et à leur corruption...

 

 

Marcher – et écrire – nous lave des miasmes de la sédentarité (existentielle et psychique). Et nous permet de refluidifier les énergies naturelles. D'épurer l'âme afin de l'ouvrir encore et encore au passage de l'innocence obturé (sans cesse) par les amassements continuels du corps, du cœur et de l'esprit. Bref, d'être suffisamment vide pour (ré)apprendre, à chaque instant, à (re)devenir le parfait reflet de la présence divine quels que soient la forme apparente du corps, les circonstances, la marche et les encombrements du chemin et du marcheur...

 

 

La paix, le silence et la solitude du regard – de la marche et de la prière – portés non par quelques intentions ou quelques volontés, orientés ni vers le dedans ni vers le dehors ou vers je-ne-sais-quelle-divinité mais ouverts à ce qui se présente... au plus infime comme au plus magistral accueillis d'une égale façon. Ouverts – simplement ouverts – à l'inconnu. A l'inconnu de chaque événement comme au grand mystère des jours...

 

11 décembre 2017

Carnet n°89 Passant éphémère

Journal poétique / 2016 / L'intégration à la présence

Ne sommes-nous pas, en définitive, que de simples allumettes que Dieu fait craquer dans la nuit – dans la longue et froide nuit des hommes – en attendant le grand embrasement du monde ?

Le poète est un troubadour de l'âme et des saisons. Un voyageur sans bagage libéré des voyages et de l'horizon dont les pieds effleurent la terre. Le cœur si vif – et généreux – qu'il épouse le miracle des jours, l'abondance des chemins et les vastes floraisons du ciel. Sourd aux remontrances des hommes. Et aveugle à leurs abris de paille. Né pour embrasser les herbes, la foudre et les ténèbres. Et embraser le monde, les yeux et tous les pas des hommes, des infimes – et incandescentes – étincelles qu'il jette dans ses paroles. Et dans le silence même de sa présence.

 

 

Ne sommes-nous pas, en définitive, que de simples allumettes que Dieu fait craquer dans la nuit – dans la longue et froide nuit des hommes – en attendant le grand embrasement du monde ?

 

 

Un visage. Un regard. Et nous voilà soudain éperonné ! Comme si la grâce – toute la grâce – du ciel nous foudroyait brusquement. Et se déversait dans tous les replis de l'âme...

 

 

En sursis. Et dans les bras de l'éternité. Voilà, bien sûr, la condition des êtres de ce monde...

 

 

Dire ce que vit – et expérimente – l'homme au cours de son existence (durant son bref passage sur terre) face aux assauts du monde. Et aux invitations incessantes de la conscience. Dire ce que l'esprit, le corps et le cœur traversent dans cet entre-deux, voilà qui a toujours profondément animé mon écriture...

 

 

Tout ici-bas se manifeste – et se positionne – dans l'ambivalence et la relativité. Et tout est soumis à une mobilité permanente. L'instabilité et le changement incessant, voilà, de toute évidence, ce qui caractérise les êtres et les choses de ce monde...

 

 

Les instincts et la conscience. Voilà la condition de l'homme qui laisse œuvrer tantôt les premiers tantôt la seconde. Offrant ainsi des gestes infirmes et maladroits. Incomplets et ambivalents. Un résultat mitigé. Et un avenir – et une promesse pour le monde – mi-figue mi-raisin...

 

 

Le monde est seulement ce qui est là devant soi. Le reste n'est qu'une idée du monde. Et ce qui est devant soi change constamment. Comme si le monde entier – dans son extrême diversité – défilait de façon permanente – et par petits bouts – devant nos yeux tout au long de notre existence...

 

 

Nous laissons bien volontiers les trésors – tous les trésors – du monde aux princes de la terre. Aux seigneurs. Et à leurs innombrables serfs et vassaux. La pierre, l'arbre et le nuage nous suffisent amplement. Et, avouons-le, ils nous comblent pleinement... Les joyaux du ciel y resplendissent, intacts...

 

 

Le silence de la forêt. Le bleu du ciel. Et les rayons du soleil qui caressent l'âme dans sa solitude radieuse. Extatique...

 

 

Marcher à petits pas. Explorer. Et témoigner de cette marche et de cette exploration comme un modeste éclaireur dans la longue nuit de l'homme, voilà qui convient parfaitement à mon existence. Et qui correspond peut-être à mes attributions en ce monde...

 

 

Ce que l'on rencontre n'est pas essentiel. Seules deux choses importent : la manière dont nous laissons le monde arriver à nous. Et la façon dont nous l'accueillons...

 

 

La vie – et le monde – ressemblent aux châtaignes ramassées à l'automne. Durs, piquants et hermétiques (quasiment inaccessibles dans leur bogue) sur les chemins boueux et noyés dans la brume. Et brillants et porteurs de promesses et d'agréments sur les sentes lumineuses éclairées par le soleil. Et, en définitive, ils s'avèrent (toujours) délicieux – et savoureux – lorsque nous réussissons à les ouvrir et qu'il nous est offert de les déguster avec un peu de beurre, assis tranquillement devant le feu de la cheminée...

 

 

Who are you ? Just a whisper in the wind. Qui es-tu ? Juste un murmure dans le vent.

J'ai soliloqué en anglais – et à haute voix – une bonne part de l'après-midi en marchant dans la forêt. Ce fut divin. Very pleasant. Like a strange meeting with another – forgotten and distant – part of me. It was really magic. And absolutely delicious...

 

 

Avoir pour uniques bagages, la clarté du jour et l'innocence. Pour traverser les profondes ténèbres du monde...

 

 

Il convient sûrement d'avoir fait le deuil de toutes ses exigences à l'égard de l'humanité pour être (enfin) capable de sourire aux hommes de façon innocente et naturelle. Sans masque, sans hypocrisie ni arrière-pensée... Sinon, hormis en de rares occasions et avec quelques rares individus..., il est fort probable que tous ceux que nous croisons ou rencontrons continuent de nous donner l'envie de hurler, de pleurer ou de poursuivre notre route sans un sourire. Et sans même un regard...

 

 

N'être que de passage. N'être qu'un passager. Avoir le sentiment profond – et durable – de n'être qu'un passant éphémère. Eprouver dans son cœur – et sa chair – la brièveté de l'existence (celle des êtres, des choses et du monde). Ressentir la fugacité de tout. Et l’évanescence de tout phénomène. Passant éphémère – et provisoire – de l'être, de la vie et du monde. Et sentir avec la même acuité – et la même évidence (avec la même certitude peut-être...) l'éternité du regard. L'indestructible permanence de la perception – qui revêtira sans doute d'autres habits dans d'autres décors et en d'autres circonstances...

Ainsi peut-être se vit la conscience d'être...

 

 

Vivre sans jamais se départir du fugace de notre être et de notre existence. Et de la fragilité du monde. Vivre sans jamais quitter le silence, la profondeur et la consistance du regard. Et le consentement ouvert, l'émerveillement et la gratitude du cœur. Voilà le seul équipement nécessaire pour traverser la vie et le monde avec l'âme joyeuse et tranquille. Eminemment confiante. Et aller partout, le pas léger et sans crainte, sur les chemins – sur tous les chemins – où les vents nous pousseront...

 

 

L'encombrement psychique* et l'élan vers l'après (tout contenu mental, toute volonté et toute projection vers l'avenir) envahissent de façon substantielle l'espace de perception. Et entravent presque totalement le ressenti présent.

* Idées, pensées, sentiments, émotions etc etc.

Lorsque ces phénomènes surgissent, il convient donc de maintenir (plus que jamais) le regard en surplomb. Et peut-être même de se hisser aussi haut et aussi loin que possible dans l'espace de perception d'arrière-plan pour retrouver la virginité et l'innocence du regard et être capable d'accueillir pleinement ces phénomènes, de les reconnaître pour ce qu'ils sont – des encombrements et des élans – et les voir ainsi s'effacer et disparaître...

 

 

L'élan du désir est si puissant que ses effets sur le monde perdurent longtemps après que son souffle s'éteigne. La volonté et l'intention ont beau disparaître, la mécanique des mouvements née de l'élan originel continue de tourner pendant un temps plus ou moins long. Et ne peut s'arrêter qu'avec l'extinction de l'ultime mouvement qui signe l'achèvement de ce long – et complexe – déroulement. Cette cessation ne peut advenir, bien sûr, que si aucune autre intention – ni aucun autre désir – n'émerge durant cet intervalle. Un peu à l'image du verre empli d'eau et de terre que l'on agite, l'eau trouble persistera jusqu'à ce que l'ultime particule de terre retombe au fond du verre – et l'eau claire ne pourra réapparaître qu'à condition que la main délaisse le récipient et son contenu...

De façon plus générale, il semblerait que l'intention et le désir s'ajoutent au mouvement intrinsèque de la grande roue du monde et de la vie. Comme s'ils le prolongeaient et l'accéléraient. Et parvenaient à la faire tourner avec encore plus de force et de célérité. Monde et vie qui ont sans doute été activés par le souffle originel (supposé de la conscience) dont la puissance inouïe est parvenue à faire naître – et émerger – l'Existant à partir du vide et du néant. Et cette naissance – et cette mise en branle – possédaient à l'origine un potentiel d'énergie incroyable comme l'attestent les innombrables mouvements qui perdurent jusqu'à aujourd'hui – et qui ne sont pas prêts de s'éteindre – créés à la fois par cet élan initial et leurs propres forces (nées de cette impulsion première) et alimentés, de façon incessante, par la puissance additionnelle des désirs et des intentions (obéissant aux nécessités ressenties)...

 

 

Le minuscule carré de la page blanche sur le petit carré de bois (la table sur laquelle on écrit) où viennent se poser quelques infimes traces de l'infini. Et par la fenêtre, je vois le sourire discret et silencieux du ciel. Ni affligé ni approbateur. Acquiesçant simplement à la nécessité de la parole...

 

 

Dieu est le grand absent des siècles. Les hommes l'ont cherché avec maladresse. Avec une infinie maladresse. Puis, ne le trouvant pas, ils l'ont rejeté – et destitué – pour le remplacer par quelques affreuses idoles. Et malgré ces offenses et ces injures – malgré cette indifférence –, Dieu est là. Présent. Toujours présent. Accueillant les rares âmes éprises d'Absolu. Et attendant les autres. Toutes les autres. Incarnant avec sublime et humilité – avec puissance et délicatesse – l'Amour qui ne peut périr dans l'infini et le silence de ses bras ou-verts – toujours ouverts – aux ombres et aux lumières (à toutes les ombres et à toutes les lumières) de ce monde...

 

 

Qu'a-t-on écrit qu'on ne sache déjà ? Tant de traces obscures – et de notes sibyllines – pour cheminer vers – et vivre – et inviter les quelques yeux qui lisent ces pages à goûter – un seul petit mot : être. Tant de détours et de circonvolutions – tant d'amassements et de scories – pour être enfin capable d'entrer dans – et de se laisser pénétrer par – le courant éminemment simple et nu de l'innocence, porteur d'infini, de quiétude et d'émerveillement... Ah ! Ecrire ! Quelle insensée et ingrate besogne...

 

 

Être. Vivant. Entre les nécessités quotidiennes (du corps, de l'esprit et du foyer) et l'infini de la conscience. Ni place, ni statut, ni fonction particulière en ce monde. Et moins encore parmi les hommes.

Simple passager. Modeste et éphémère passant de l'éternité, habitant la terre – et posé en ces lieux pour quelque temps (de brefs instants en vérité)...

La simplicité et le dépouillement de cette (humble) perspective ne constituent sans doute pas aux yeux des hommes une existence digne et respectable. Cette vie leur semblerait même stupide voire inhumaine. Si peu attrayante. Et si peu prestigieuse. Aussi peu enviable que celle d'un domestique, d'un clochard, d'une vache, d'un chien ou d'un moustique. Qui comprendrait qu'elle seule (pourtant) me permet d'être au monde ? Qu'elle seule me réconcilie avec l'idée – et la réalité – d'être vivant sur cette terre ? Qu'elle seule m'offre la possibilité d'un plein épanouissement dans cet univers de sauvagerie et de futilité – dans cette vie d'infimes et d'infinis détails – où les apparences dissimulent la vraie vie et la vérité – la profondeur abyssale du cœur et la consistance (et l'intensité) infinies de l'être ...?

 

 

Ni fuite ni consolation. Mais un face-à-face à la fois merveilleux et inconfortable avec l'âpre réalité tantôt rude et hostile tantôt sublime et exquise. Avec dans les yeux le regard infini. Et dans le cœur la gratitude. Et avec l'âme toujours humble et innocente...

 

 

A qui s'adresse la parole ? Et vers qui va-t-elle de son pas léger ? Sans doute est-elle destinée aux cœurs lourds – et chargés – privés de lumière. Et qui la cherchent partout avec maladresse et gravité sans être encore capables peut-être (sans être encore capables sans doute...) de la découvrir à travers leurs propres yeux tournés vers leur visage et celui du monde. Pour regarder cette misère et cette beauté comme une grâce – une bénédiction – un enchantement simple. Et s'en réjouir.

La parole – la parole vivante – n'a d'autre mission que d'éveiller les êtres – et le monde – à eux-mêmes. A cette misère et à cette beauté que chacun porte. Afin de les hisser au plus haut comme les seules étoiles dignes de briller sur cette terre....

 

 

Je cherche en l'homme cette part infime – ce minuscule espace – agonisant, moribond – presque éteint aujourd'hui – capable d'innocence et d'émerveillement. Porté par l'interrogation et la curiosité. Qui cherche à comprendre son mystère... Les autres dimensions de l'homme sont presque sans intérêt si cette part est occultée, niée ou condamnée...

J'attends le jour où elle deviendra centrale chez chacun. Alors une ère nouvelle pourra éclore. Annonciatrice de toutes les promesses de l'humanité.

Mais qui aujourd'hui est animé – réellement animé – par l'interrogation ? Qui se questionne ? Qui cherche à comprendre profondément ce qu'il est, ce qu'est la vie et ce qu'est le monde ? Qui éprouve la nécessité – l'impérative nécessité – de lire la parole vivante de la poésie pour y dénicher – ne serait-ce qu'un instant (un bref instant) – la fraîcheur du regard et la tendresse du cœur ? Qui est capable dans le plus ordinaire des jours – dans le plus simple de l'existence et le plus anodin des instants – d'être réellement présent à la vie et au monde – et à leurs événements les plus ténus – et d'embrasser leurs visages et leurs lèvres avec candeur et délicatesse ? Qui peut dire humblement qu'il fréquente les rives de l'innocence et de l'émerveillement ? Et qui sait aller, le cœur ouvert – et l'âme humble et simple – sur les chemins de cette terre ?

Qui sait ouvrir la fenêtre au ciel candide ? Et le faire entrer dans ses jours ? Qui a le cœur suffisamment innocent pour s'émerveiller du feuillage d'un arbre caressé par le vent ? Pour s'émouvoir de la longue agonie des insectes aux derniers jours de l'automne ? Et pour marcher sur l'herbe avec délicatesse afin de ne pas la meurtrir ? Qui est capable de recevoir sans exigence ni arrière-pensée les visages que les vents lui font rencontrer ? De veiller avec humilité et gentillesse sur les êtres de ce monde malade – et à l'agonie – dont les lumières n'éclairent que les mensonges et l’obscénité ? Qui est humain – suffisamment humain – en ce monde ? J'ai beau chercher partout. Je ne vois pas un seul homme à la ronde...

 

 

La fleur du Divin cherche le cœur fertile de l'homme. Et sa main innocente pour lui offrir sa première éclosion. Elle sait que l'épanouissement du monde en dépend. Mais que peut-elle faire en attendant sinon regarder patiemment la maladresse des hommes qui éprouvent toutes les peines du monde à transformer leur fumier en terreau généreux...

 

 

Aller du pas humble et lent du marcheur. Il n'y a de plus belle – et de plus appréciable – allure pour traverser la vie et le monde...

 

 

L'assise nue et verticale efface l'horizon. Et transforme l'élan (et son énergie) en regard innocent posé sur l'instant.

 

 

Bogues, oursins des forêts aux perles châtaignières qui agrémentent notre repas automnal. Et qui subjuguent les papilles de notre âme profondément tellurique et sylvestre (et végétarienne, bien entendu...) si rétive aux fruits de la mer, des rivières, des bêtes et du vent...

 

 

Et si, en réalité, nous n'étions que des gitans aux paupières sombres et aux allures de mendiant ? Des voyageurs à la roulotte fatiguée et au visage noirci par la poussière des chemins – mais l’œil vif, plus éclairé qu'autrefois, où Dieu danse (à présent) en tapant des mains pour tous les passants éphémères – pour tous les nomades et les bannis – de la terre ?

Et si, en réalité, nous n'étions que des vagabonds des sentiments à la bouche avide et aux lèvres amorphes ravalant leurs nausées et cachant sous la table un discret – mais magistral – doigt d'honneur pointé vers le monde ?

 

 

Passager sensible et vulnérable au cœur inébranlable à l'existence guère plus glorieuse et essentielle (mais pas moins précieuse) que celle de la mouche, du papillon et de la sauterelle.

 

 

Le cœur innocent – et l'âme vagabonde – établissent leur fief là où se pose le pas. Et l'effacent avant le pas suivant. Bien avant que l'esprit, toujours frileux et casanier, ne s'y jette pour s'y installer...

 

 

L'âme nomade au cœur sédentaire connaît sa demeure : l'éternel présent, l'innocence, la virginité et l'infini du cœur et du regard. Et elle s'y ancre sans jamais fermer la porte aux chemins où les vents la poussent. Traversant toujours avec grâce et confiance les paysages provisoires du monde et de l'existence.

 

 

Il n'y a de chemin fébrile pour le cœur innocent. Yeux et paysages vierges où l'impatience a glissé pour se transformer en émerveillement.

 

 

Le monde nous habite bien davantage que nous l'habitons. Et dans cette perspective, il n'y a nulle part où aller. Aucun lieu – ni aucun être – à visiter. Il n'y a qu'un accueil du monde. Une aire de réception suffisamment vide et vaste pour recevoir avec attention ce qui vient à notre rencontre...

 

 

Les grandes ombres de glace parcourent le monde. Et obstruent tous les paysages. Emprisonnant les sourires. Et les transformant en rictus de terreur...

 

 

La terre et l'existence ne sont que les prémices de l'infini. La porte basse qu'il faut franchir le buste – et la tête – baissés. L'âme humble. Et le cœur incliné vers le plus faible – et le plus fragile – de cette vie.

 

 

Le poète est un troubadour de l'âme et des saisons. Un voyageur sans bagage libéré des voyages et de l'horizon dont les pieds effleurent la terre. Le cœur si vif – et généreux – qu'il épouse le miracle des jours, l'abondance des chemins et les vastes floraisons du ciel. Sourd aux remontrances des hommes. Et aveugle à leurs abris de paille. Né pour embrasser les herbes, la foudre et les ténèbres. Et embraser le monde, les yeux et tous les pas des hommes, des infimes – et incandescentes – étincelles qu'il jette dans ses paroles. Et dans le silence même de sa présence.

 

 

Il y a des ombres en chacun que la lumière ne peut atteindre. Mais qu'elle transforme en clarté lumineuse. En flèches acérées et salvifiques, déguisées en incongruités rêches, en moues grimaçantes et en gestes impitoyables comme d'infimes bouts de roche friable et cassante qui se détachent d'un immense sourire. A mille lieux de l'indifférence des masques de pierre et de cire que dissimule la face souriante – rude et impénétrable – inhumaine – des hommes.

 

 

Pour le cœur innocent et lumineux, la spontanéité du geste remplace la raison.

 

 

L'âme passagère ne s’émeut de la beauté des chemins. Elle a connu la nuit. La mélancolie des jours. Et la longue traversée de l'obscurité. Elle sait que derrière les merveilles du monde se cache l'encre noire de la folie et du désespoir. Et la main funeste du souffle né des abysses. Elle sait qu'un jour, ces merveilles disparaîtront, emportées dans la bouche imprévisible des ténèbres.

L'âme passagère ne se fie qu'aux gestes éphémères. A leur lumière. Et à leur beauté ensorcelante. Et c'est avec cette ivresse qu'elle parcourt la terre et embrasse les visages. Avec cette ivresse qu'elle reçoit les sourires tristes et la parole des lèvres confuses. Avec cette ivresse qu'elle lance partout, parmi les merveilles et les atrocités de ce monde – et jusqu'aux plus obscurs recoins du cœur et de la terre – ses infimes gouttes de beauté et de lumière.

 

 

La foi est une espérance. Un cri que l'on jette à l'avenir par dessus la nuit. Un pacte avec le diable pour qu'il nous abandonne et nous oublie. Pour qu'il nous délivre des malheurs et des promesses sombres du ciel noir qui a toujours recouvert nos jours. La confiance, elle, est une lumière sur les pas et les gestes présents. Une ouverture sans crainte aux soleils et à l'obscur des chemins. Un acquiescement à l'incertitude. La conviction sans faille que chaque foulée dans les ténèbres, dans les flammes ou la flamboyance des jours sera une joie et un embrasement de l'âme. Un rapprochement inévitable vers la vérité. Et sa lumière.

 

 

L'indigeste du monde parfois nous foudroie. Et plombe nos gestes et nos pas. Alourdit notre silhouette. Et l'asservit au marbre de la terre. Nos lèvres ont beau espérer l'envol et l'azur, la plèbe – et son empreinte – freinent tout élan. Remisant l'envolée à la morsure de la poussière.

Il est de ces jours funestes plus lourds que le plomb – plus froids que le plus vil métal – que l'âme doit accueillir pour les transformer en or – en plumes d'or auxquelles Icare n'aurait pas même songé en ses plus glorieux jours...

 

 

L'infini du silence. Et le silence de l'infini. Matrices infatigables des mondes que les passagers traversent le temps d'un souffle...

 

 

Les yeux d'en face sont peut-être clos. Mais ils sont faits de la même lumière que les étoiles qui illuminent l'obscurité de la nuit.

 

 

Un pas dans le silence. Et voilà le monde qui s'enfuit. Un pas dans la lumière. Et le voilà englouti. Silhouettes et noms qui s'effacent dans l'infini...

 

 

Le cœur nomade s'enhardit de son pas. Jusqu'à l'immobilité...

 

 

La poésie est une prédisposition au silence. Et à l'infini. A l'innocence sous ses habits de kermesse et ses costumes de magicien. Une sensibilité vive qui déniche la chair tendre du monde sous ses carapaces d'écorce et ses armures d'écailles.

 

 

La parole émerge du fond des abysses hissés jusqu'aux étoiles. Comme une bouffée d'air pur dans l'air bas et vicié – irrespirable – du monde.

 

 

La longue et triste chevauchée de la nuit. A brides furieuses et serrées. Puis, la première éclaircie. Et l'étirement de l'obscurité qui recouvre les jours avant l'abandon des chemins. L'oubli du nom. Et la disparition des silhouettes. Et la lente émergence du soleil. Ses caresses réconfortantes sur l'âme effrayée et indécise. Puis, les premiers pas dans la lumière. Et l'ivresse extatique. Le chamboulement des horizons. La marche radieuse et rayonnante. La compréhension de l'incompréhension. Puis, l'oubli de la compréhension. L'assise instable et inconfortable. L'immobilité et la fuite des jours avant le règne des circonstances présentes et l'effacement des pas. Et leur renaissance toujours nouvelle. Puis, rien. Simplement l'infini et le silence, la virginité innocente du regard et le renouvellement incessant de tout. La brève chevauchée du jour qui s'efface et réapparaît. Et l'humilité simple de la marche joyeuse et sans fin...

 

 

Le monde. Etabli de l'être. Zone d'apprentissage et d'expérimentation pour les novices. Et aire de salut. Minuscule fief en déperdition à sauver des ténèbres et du néant...

 

 

Ombres furtives sur l'horizon. Passants éphémères caressés par la pluie et le soleil du monde dont le passage fugace – envahi par les contingences et les inambitieuses aspirations – ne leur offre guère l'occasion de percer le mystère de l'âme. Ni de goûter l'éternité du ciel présent au cœur de chacun...

 

 

L'escalier branlant et délabré – poussiéreux – disparaît dans le cercle rouge des lèvres. Emporté par les souffles muets de l'effacement...

 

 

La parole muette des hommes au goût de soufre et de liqueur interpelle la nuit. Les bouches crachent leurs cris dans la longue agonie des jours. Et s'écrasent dans le silence, anéanties. Sans l'ombre d'un écho. Sans même la grimace des visages alentour. Renvoyant le monde à sa solitude. Et à son désespoir. Façonnant la terre pour que se dévoile l'étroit passage de l'abandon.

 

 

Le désespoir fou des bras enlaçant l'ombre des silhouettes démunies – si faibles devant la nuit écrasante qui suce leurs forces. Et la vaillance du monde, inépuisable, cherchant partout une preuve de son existence. Le signe irréfutable de son authenticité. Et des gestes d'encouragement. Et qui ne rencontre que des yeux clos et des bouches mutiques. La misère effroyable derrière les masques de cire. Et la rengaine des jours tristes.

 

 

Les yeux sages dévoilent l'indigence folle des hommes derrière la fausse gaieté des visages. Leur hébétude, leur incompréhension et leur ignorance qui suintent à travers les pas instinctifs. Aucune larme, aucune détresse, aucun appel n'échappe à leur acuité. Mais comment pourraient-ils aider ces passagers du malheur ? Le naufrage – et la submersion de toutes leurs terres – seront leur seule bouée. L'océan emportera tout. Et l'archipel insubmersible naîtra de cet élan de dévastation... Seraient-ils donc les seuls en ce monde à ne pas l'ignorer ?

 

 

La poésie. Minces rais de lumière dans l'obscurité du monde. Pour éclairer, un court instant, les ténèbres de l'âme et le chemin de fuite vers la clarté...

 

 

Ombres fuyantes dans leur course aveugle. Et la fumée épaisse des songes et de l'espoir. Jusqu'au mur infranchissable – rédhibitoire – qui immobilisera la foulée. Les vents se chargeront du reste. Et l'océan – la vie océanique – accueillera les naufragés. Et l'effacement de tous les pas.

 

 

Sur le tapis des jours, nulle ombre. Nulle silhouette. La bouche du ciel a avalé les vents maudits – et le souffle des malheurs. Et, au loin, la course des nuages s'éternise. Le soleil apparaît. Comme s'il émergeait de la trame même du tapis. Caressant les premières heures du jour...

 

 

La lumière et le silence du ciel sont un don. Et le silence et la lumière de la terre, une offrande pour que le jour se fasse radieux. Et que les pas puissent éclore dans la joie à l'aube naissante...

 

 

La béatitude radieuse – rayonnante et irradiante – du regard sur le silence des jours. Et la sereine tranquillité des heures. Comme une longue et exquise caresse du ciel sur le grand corps de l'Existant et de l'existence...

 

 

Les mots bavards ne peuvent rivaliser avec la bouche – et la parole – silencieuses. L'infime parcelle ne peut contenir l'infini. Au mieux peut-elle s'en faire le reflet...

 

 

L'éternité n'attend que notre passage. L'herbe, les fleurs, les nuages et les bêtes l'ont compris bien avant nous...

 

 

Tout au long de notre courte vie, nous n'ébauchons que des esquisses. Des tentatives que nous jetons au ciel pour lui demander d'éclairer le brouillon de notre existence. Et son silence nous surprend comme s'il voulait nous faire comprendre qu'il était toujours parfaitement satisfait de nos pauvres gribouillis...

 

 

Chaque jour, nous écrivons de petites choses. Elles s'invitent à notre table et nous les inscrivons sur notre carnet à la lumière du ciel. Petites choses qui viennent – et parlent – du monde, de la vie, de l'infini, du silence, de Dieu, de l'Absolu, de l'homme et de la vérité. Chaque jour, elles nous traversent. Et notre âme se sent obligée de les recevoir en leur déroulant le petit tapis rouge de la page. Nous, nous préférerions nous taire. Et rester silencieux.

En vérité, nous rêvons en secret de dénicher dans les profondeurs du ciel et de l'infini, la Parole définitive. La Parole absolue qui éclairerait, une fois pour toutes, les ombres, les interrogations et les demandes d'éclaircissement des hommes pour que nous puissions enfin nous taire. Et rester silencieux. Chaque jour, nous cherchons cette parole. En vain. Elle s'obstine à demeurer silencieuse. Cachée au plus profond du silence. Inaccessible sans doute... Aussi, notre âme – et ces pages – continuent-elles leur ingrate – et impossible – besogne en livrant chaque jour les petites choses qui s'invitent à notre table et que nous inscrivons sur les pages de ce carnet à la lumière du ciel. Et avec peut-être l'approbation du silence...

 

 

Les magnifiques élans du pétale vers le ciel. Répondant, chaque jour, à l'aube à la même invitation...

 

 

Lucarnes closes dans la nuit que nos efforts renforcent. Et qui éclateront pourtant, un jour, au soleil...

 

 

La fête des jours où les hommes s'égayent célèbre la nuit. Et les ignorants sommeillent encore... Assoupis dans les bras du refus et de l'ennui. Plus loin, à l'orée du monde, le sage, adossé à un arbre, regarde le ciel. Il a parcouru tous les chemins de la terre en quête de l'homme. A la recherche d'un œil dessillé. Et il n'a rencontré que des rires bestiaux, des paroles – et des gestes – sans portée et des visages enfantins regardant la nuit – et se croyant en plein jour...

 

 

Un pas vers le ciel. Un autre vers le monde. Ainsi s'immobilise le commun. Seul le sage sait convertir les pas. Réunir la terre et le ciel dans la même foulée.

 

 

La poussière est le terreau de l'enlisement. Voilà ce que disent les ignorants. Qui sait qu'elle est le terrain de l'envol ? Quel œil – et quel cœur – sont-ils assez humbles pour y dénicher l'or le plus précieux ?

 

 

Le monde est la trouvaille des hommes pour légitimer leur corruption. L'intention est le berceau de la maladresse. Et pourtant il n'y a qu'un seul soleil...

 

 

Trottoirs des villes, allées funestes où l'ennui lèche les vitrines comme un ours affamé de miel...

 

 

Les hommes rêvent de feux d'artifice grandioses. Et la terre n'a à leur offrir qu'un lent embrasement. Et la rude besogne de la dispersion des cendres...

 

 

Le monde, sans le regard, est gris. Et sombre. Un décor obscur de silhouettes effarouchées. Battues par les vents. Aspirées par le noir de la terre. Et enfermées sous un ciel bas et opaque. Asphyxiant. Infranchissable. Lorsque le regard éclot – et s'impose –, le monde s'éclaire. Le décor s'illumine. Les silhouettes perdent leur allure de fantôme. L'effroi devient interrogation – et curiosité au delà des visages et de l'horizon. La terre et le ciel se métamorphosent alors en aire de joie. La lumière perce toute opacité. Et la transparence devient loi...

 

 

La vérité emporte tout sur son passage. Masques et costumes, images et idoles, pensées et gesticulations. Folie et sagesse. Tout s'écarte à son arrivée. Tout s'enfuit. Et s'efface. La vérité emporte toujours tout sur son passage...

 

 

En nos terres lointaines, nul augure. Nul présage. Seuls les auspices présents se montrent hospitaliers. Mais toujours les vents continueront de souffler. Et de nous faire tournoyer...

 

 

Les mains de Dieu aux fenêtres du monde. Et ses lèvres brûlantes éclairant – et balayant – les sombres souffles de la terre. Comme une invitation à la fin des crépuscules. Et à la promesse de l'aube...

 

 

Inutile de se retirer du monde. Au contraire, il nous faut l'épouser. Accueillir ses souffles et ses danses. Et les disperser dans l'infini pour l'inviter au plus joyeux du silence.

 

 

Des notes claires sur la page. Aussi inutiles et essentielles que la rosée dans la brume du matin.

 

 

Le silence est le plus haut du monde. Le point de concentration le plus dense de ses bruits. L'apothéose de sa fureur...

 

 

Et si le souffle des vents n'était que l'haleine de Dieu caressant les plaines de la terre – et pénétrant la bouche – et le cœur – des hommes pour les déblayer de leurs interrogations et de leurs vains édifices ?

 

 

Aux songes dormants, nulle autre issue que les ténèbres déguisées en élans. Et les transformant bientôt en désillusion. Et en désespoir. Rideaux sombres de la lumière derrière lesquels se cachent Dieu et l'innocence. La joie pure offerte à tous les êtres de la traversée...

 

 

Nul abri dans la lumière comme le clament parfois les âmes passagères. Ne leur en déplaise, la lumière est une tour invisible. Une vigie dans le désert. Un phare immense – un phare infini et insaisissable – dans les ténèbres du monde. Et les profondeurs noires du cœur.

 

 

J'aime entendre chanter le petit crayon sur la page. Et le voir danser – aller et venir – dans son petit théâtre de papier comme s'affairent les hommes sur la scène du monde. Je laisse libres – entièrement libres – sa voix et ses pas. Et il trouve immanquablement son chemin. Comme s'il était guidé par les lèvres du silence. Participant comme les hommes, les étoiles et la poussière à la grande chorégraphie de l'univers.

 

 

Une étoile dans le silence. Et voilà soudain le monde qui s'anime et danse dans la nuit. Un seul astre. Et tout s'embrase...

 

 

La parole libre et vivante portée par le vent des plaines, les nuages et l'eau des rivières. Et recouverte par le fracas du monde. Mais je sais que l'herbe et les étoiles nous entendent. Derrière le ciel et l'horizon, je devine leur accueil. Et leurs louanges silencieuses.

 

 

Deux chemins s'offrent à l'homme : le chemin des songes et le chemin des sages... Sur le premier marche la foule – l'immense foule du monde – à pas avides et impatients. Et presque aucune âme sur le second... Quelques empreintes anciennes recouvertes par la mousse et les ronces où se faufilent de rares cœurs innocents... On voit au loin leur silhouette adossée à un arbre, penchée sur la rosée ou chercher la sente des nuages...

 

 

Une vie d'arbre, de nuage et de rosée. Voilà où te conduira le chemin des sages...

 

 

Nous sommes de piètres élèves, nous autres, qui ânonnons notre leçon – la même leçon depuis des siècles – devant les yeux de l'éternité. Et dans notre nuit, la même équation insoluble notée à la craie blanche des soucis sur le grand tableau noir de la vie. La fleur, l'étoile et l'oiseau, eux, en ont percé le mystère. Ils brillent, chantent et offrent leur beauté sans la moindre question. Sans la moindre demande d'explication...

 

 

Deux grands yeux tristes nous regardent timidement derrière la fenêtre. C'est l'hiver qui arrive, à pas lents, avec le vent frais de la fin d'automne. Il attend sagement un geste. Une parole accueillante pour chasser les dernières feuilles mortes et entrer dans notre existence. Il attend notre approbation – un acquiescement – un réconfort peut-être... – pour franchir le seuil de la maison. Il sait que cette année nous l'accueillerons à bras ouverts. L'âtre du cœur est brûlant. Et nombreuses – et denses – les bûches sous la remise. Suffisantes pour le recevoir sans craindre ses morsures et le long voile sombre qui assombrit les jours et offre au soir des airs de désolation. Il sait que nous n'abandonnerons personne en cette saison. Ni le silence, ni les oiseaux, ni le ciel, ni les insectes, ni les hommes. Tous auront leur place parmi nous. Et nous les accueillerons avec la même joie. L'hiver peut bien pointer le bout de son nez. Nous lui ouvrirons la porte. Et lui souhaiterons, comme à tous les autres, la bienvenue...

 

 

Laisser le corps, l'esprit et l'homme flotter dans les eaux troubles de l'entre-deux. Entre le rocher et le nuage, entre l'herbe et l'étoile, portés – et emportés parfois – par les vagues de la terre et du ciel sous le regard vif, tendre et apaisé de l'innocence. Ainsi demeurent les yeux sages. Assis au bord du monde et de l'infini.

 

 

Êtres et hommes, créatures de solitude et de silence terrées derrière leurs peurs. Animées par leurs besoins. Et tournées vers leurs désirs. Infatigables pourvoyeuses d'histoires et de drames...

Mais qui connaît vraiment les êtres – et les hommes ? Qui sait réellement ce que cache le fond de leur âme ? Et comment vivre ensemble malgré nos faiblesses, nos lâchetés et nos manquements ? Et qui que nous soyons, n'y sommes-nous pas tous contraints en vérité ? Oui, bien évidemment...

Au-delà des sensibilités et des perspectives – et quel que soit notre degré de maturité et de compréhension –, voilà le grand sujet auquel nous sommes tous confrontés. Et la seule vraie question que devrait se poser l'esprit. Comment être – et vivre – ensemble de façon harmonieuse et respectueuse malgré nos imperfections ? Et bien que chacun fasse son possible – et parfois même de son mieux – il n'y a, depuis l'aube des temps, aucune réponse claire et évidente...

 

 

Déposer quelques mots sur le tapis de l'aube – là où le ciel s'essuie les pieds avant d'entrer dans l'infini. Puis, délaisser cette petite prison de papier pour aller courir dans l'herbe. Avec le vent et les nuages. Je ne connais, en ce monde, d'activité plus douce. Et plus fraternelle. A l'égal peut-être de la belle – et ingrate – besogne des mères qui veillent avec patience et assiduité sur leur enfant malade.

 

 

La vie ne serait-elle que le miroir de notre âme passagère ? Bouts de verre cassés – et ébréchés – que nous nous efforçons de recoller – de rafistoler de nos petites mains besogneuses et de notre cœur assidu ? Mais pourquoi donc aurions-nous peur d'y voir notre visage ?

 

 

La cour des miracles est close depuis des lustres. Et après l'avoir piétinée, les hommes y ont enterré leur intelligence. Et dans leur idiotie, ils ont accordé leur confiance aux promesses. S'éreintant chaque jour à débroussailler leur chemin pour qu'elles éclosent au prochain virage. Mais, de pas en pas – et de virage en virage –, les chimères toujours les devancent. Les promesses toujours s'envolent un peu plus loin. Et les hommes, dans leur furieuse déraison, continuent de courir à perdre haleine – et le plus précieux de cette vie – jusqu'au bout de l'horizon, la main tendue pour les attraper...

 

 

Une claire absence. Et nos yeux qui ne savent regarder. Enferrés dans la buée de la tristesse. Et le cœur sourd aux plaintes – meurtri par les poings serrés. Aveugle, lui aussi, aux beautés éphémères de la terre et de la vie.

 

 

Un souffle – un souffle seulement – sépare la vie de la mort. Mais nous autres, nous respirons notre existence durant comme des agonisants. Le cœur asphyxié par la maladresse, le vil labeur et les mensonges. Essayant (vainement) de reprendre souffle à chaque foulée en humant la fragrance viciée des promesses. Nous éloignant toujours davantage de l'air pur de l'innocence. Une seule bouffée pourtant suffirait à nous sauver de cette odeur de mort qui flotte un peu partout...

 

 

Que cache le cœur de l'homme au fond de sa misère – au fond de sa noirceur ? Une lumière infinie et captive (qui ne peut éclore). Mais que sa joie parfois laisse éclater en infimes gouttelettes lumineuses. Comme de minuscules étoiles dans sa nuit interminable.

 

 

Le terreau de la page – comme celui du monde – est le reflet du ciel. L'espace vide et infini dans lequel s'invitent – peuvent s'inviter – toutes les danses...

 

 

Derrière l’œil en somnolence – et les paupières closes – se cache la vérité. Et sa lumière aveuglante qui fascine les yeux emmurés dans la profondeur noire des songes...

 

 

Des ombres dans la nuit. Des silhouettes nocturnes qu'un regard – un seul regard – peut transformer en lanternes éblouissantes – et ivres de lumière – dansant en plein jour...

 

 

La noblesse des paroles et des gestes n'est rien sans l'innocence claire du regard. Et la transparence délicate du cœur. Les lèvres rouges et les lèvres blanches sauront y abreuver leur soif. Et les âmes grises et confuses comme les âmes légères aux yeux et aux ailes d'or sauront y trouver les encouragements et le réconfort nécessaires.

 

 

Dans la nuit écarlate, j'ai vu des songes affreux et des désirs de soleil. La ronde macabre des bouches affamées et des mains tendues et menaçantes. Et derrière les ombres – et au dedans des silhouettes – une lumière sans pareille. Prête à embraser la nuit et les chemins rouges de la misère. Nul ne le sait peut-être, mais le jour ne pourra naître autrement...

 

11 décembre 2017

Carnet n°88 L'homme-regard

Récit / 2016 / L'intégration à la présence

La joie est le plus haut du bonheur. Et la paix le plus haut de la tranquillité. Nul besoin des circonstances lorsque le cœur a su s'ouvrir – et se laisser pénétrer... Le plus simple – et le plus ordinaire – s'y jettent alors avec innocence. Et avec un émerveillement presque magique – presque surnaturel – comme s'ils suivaient quelques pistes invisibles à la raison. Chemins mystérieux de pépites dont eux seuls ont le secret. Et qu'ils dénichent à la volée, sans effort, pour nous les offrir aussitôt.

La vie et le monde suffisent à nos élans. Et à notre joie. Le sacré qu'ils recèlent comble tous nos appels. Le Divin n'est pas ailleurs. Et il est jusque dans les plus infimes détails... Et le cœur nu et simple, dépouillé de toute exigence et éminemment sensible au réel, s'en trouve bouleversé... Touché par ce sublime. Accédant au plus haut degré de la beauté. Invitant l'innocence du regard et la tendresse des gestes à se faire encore plus délicates – et encore plus présentes – pour les êtres de cette vie et de ce monde...

 

 

Le cœur si proche de tout. Comme uni au monde. Non ! Comme s'il était le monde. Et le regard si lointain. Si peu concerné par ses frasques et ses petites ritournelles.

 

 

Mot après mot. Note après note. Page après page. Livre après livre. Brique après brique. Geste après geste. Pas après pas. Chemin après chemin. Paysage après paysage. Ainsi se dessinent les œuvres, le monde et l'existence. A chaque instant. Seconde après seconde, heure après heure, jour après jour, année après année, siècle après siècle. Et sans doute aussi, bien sûr, vie après vie – et éon après éon – jusqu'à l'impossible fin des temps... Ah ! Quelle insensée – et incroyable – besogne au souffle inépuisable...

 

 

Inutile toute parole qui ne prend sa source dans le silence... Et mensongère si elle n'est pas entendue depuis ce même silence... Du bruit superflu et anecdotique...

 

 

Tout événement a une (et, bien souvent, de nombreuses) incidence(s). Le plus ténu comme le plus magistral... La feuille qui tombe à l'automne comme la furie des ouragans. Le plus mince soupir d'ennui comme le bruit de l'eau de la rivière. Le regard de terreur des bêtes à l'abattoir comme le souffle léger du vent sur le pétale de la fleur des champs.

Et seuls le regard – et le cœur – innocents savent accueillir le monde. Et ses événements. Les plus infimes comme les plus imposants...

 

*

 

Il avait dans les yeux toute l'étrangeté du monde. Et l'on n'aurait su dire s'il nous ressemblait... Oui, sans doute étions-nous tous deux aussi étranges que le monde. Et aussi étrangers à lui. Aussi étrangers à l'un et à l'autre qu'à nous-mêmes...

 

*

 

Que sommes-nous sinon ce regard sensible à l'éclatante innocence ? Si souverain. Et si démuni face à la puissance et à la sauvagerie du monde...

 

 

Après ce soleil viendra un autre plus lumineux pour éclairer la longue nuit du monde. Puis, un jour, les ténèbres ressurgiront. Et avec elles, apparaîtra un nouveau soleil. Perpétuant ainsi l'inépuisable jeu de l'obscurité et de la lumière.

 

 

L'âme se terre en une terre lointaine et admirable. Invisible. Etrangère aux instincts de l'homme qui la cherche avec maladresse – avec tant de maladresse – jetant partout son cœur rageur et ravagé. Elle habite une contrée si proche et si familière. Et pourtant inaccessible tant que le cœur n'aura renoncé à ses folles ambitions. Tant que le silence et l'innocence n'auront effacé ses rancœurs et ses rengaines. Tant que les lèvres et les gestes éructeront leur médisance et leur haine. Tant que la colère ne se sera apaisée, l'âme – et ses contrées – ne pourront se dévoiler...

 

*

 

Il y avait (encore) de l'ombre dans son cœur que la lumière ne pouvait atteindre...

 

 

Il avait une demande d'Amour que Dieu ne pouvait combler. Il aurait aimé faire disparaître l'effacement des corps. Il aurait voulu que jamais ils ne s'éteignent. Il n'avait encore compris qu'à leur mort, Dieu leur dessinait d'autres traits...

 

*

 

Si fragile. Et si misérable. Et pourtant... Et pourtant... Dans le cœur ne peut s'effacer l'infini.

 

 

Le monde est sans fin. Mais seul l'infini demeure.

 

 

L'éphémère et la récurrence, le renouvellement et l'unicité des traits sont les lois – les grandes lois – de ce monde. Et seul le regard innocent peut se défaire de ces ruses...

 

 

En ce monde, nul, bien sûr, n'est épargné par la misère et l'indigence. Par la solitude, l'impuissance et le dénuement. On a beau les dissimuler – et les recouvrir – avec tout l'or du monde – et les plus grands prestiges qu'ont inventés les hommes –, ils brillent, luisants, comme le nez au milieu d'un visage.

Cette pauvreté – et cette fragilité – sont pourtant merveilleuses. Précieuses et admirables. Et non la splendeur des étoffes – et des décors – qui les déguisent... Plus le luxe se manifeste avec ostentation et tapage, plus grande est la honte de cette misère. Quelle ironie ! Il n'y a de plus affreux déguisements !

Cette misère est pourtant si belle – et si émouvante – lorsqu'elle sait aller nue. Sans autre parure qu'elle-même. Et elle n'est jamais aussi resplendissante que lorsqu'elle sait être accueillie comme une reine...

 

 

Il y a chez l'homme un besoin infini de ciel et d'Absolu auquel il tente de répondre en ramassant quelques maigres – et pitoyables – trésors dans le monde.

Il y a dans le regard cet infini et cet Amour que l'homme prête, en général, au ciel et à Dieu. Et cet Amour et cet infini lui sont aussi indispensables que l'air que nous respirons. Ils offrent la joie de vivre en homme debout. Et laissent éclore la part la plus belle de notre humanité pour guérir le monde de son obscurité – et de ses ombres – que nous avons jusque là toujours laissées fleurir. Et qui n'ont fait qu'étendre ses marécages...

 

*

 

Il fait froid – et le cœur est glacé – dans la pénombre.

 

 

Un besoin infini d'infini, voilà ce qu'éprouve le cœur triste. Et le ciel – à travers le regard – y répond pour adoucir sa peine...

 

*

 

Ah ! Pauvres de nous ! Que pouvons-nous faire, nous autres, infimes et impuissantes créatures, minuscules maillons – et dérisoires rouages – du monstrueux mastodonte – de cette odieuse machine à broyer qu'est le monde – qui finira par nous écraser nous aussi... Comment pourrions-nous échapper à ce funeste destin ? Comment pourrions-nous nous extirper de ce grand corps puissant dont nous faisons partie ?

Ne nous leurrons pas. Il n'y a qu'une seule issue : le silence, l'infini et l'Amour qui pourront offrir leur lumière à chacune des minuscules cellules que nous sommes. Et qui pourront alors éclairer à leur tour ce grand monstre sauvage et insensé...

 

 

N'est-il pas inouï d'être en vie ? D'être vivant en ce monde – avec son cortège de peines, bien sûr, inévitables... Qu'y a-t-il de plus inouï que cette existence ? De plus incroyable que cette haute réjouissance vécue dans le plus ordinaire – à hauteur d'herbe et de poussière – sur cette terre de misère et de sauvagerie ? L'avons-nous oublié pour aller ainsi chaque jour de notre pas mécanique et mortifère – et le cœur toujours en plainte ? L'esprit est-il donc si sombre et si obturé – si empli de maladresse, d'histoires et d'espérance – pour qu'il ne sache plus goûter à l'extraordinaire privilège d'être vivant ? D'être parmi ces merveilles, ces horreurs et ce néant ? Pris à la fois par l'hébétude, l'incompréhension et l'enchantement. Pourquoi ne sommes-nous plus capables – l'essentiel du temps – de nous ouvrir à cette grâce ? De nous offrir à la vie avec curiosité et émerveillement ? Et de nous réjouir d'être simplement vivant en ce monde ?

 

 

L'existence appelle un consentement innocent à vivre. A s'abandonner à la vie. A sa fureur. A ses débâcles et à ses déluges. A sa douceur. A ses joies et à ses merveilles aussi. Pourquoi ne se souvient-on pas du miracle de vivre ? L'avons-nous oublié ? L'avons-nous remisé sous nos exigences insensées et capricieuses ? Vivre appelle un consentement innocent à vivre. A s'abandonner à la vie. A nous y enfoncer. Et à nous y perdre jusqu'à l'éclatement – jusqu'à l'effacement – de toute identité...

Dans cette existence, nous avons, bien sûr, tout à perdre. Et nous perdons toujours face à la vie. Toujours. Voilà sa beauté ! Voilà sa splendeur ! Nous perdons tout : la jeunesse, les espoirs, la vigueur des traits, les amis, les amours... Tout fuit. Tout s'enfuit. Et finit, un jour, par disparaître et s'effacer... Et il nous faut rire de cette défaite permanente. De cette défaite perpétuelle. Tout perdre et en rire. Il n'y a d'autre issue...

Laisser le monde tantôt éclaircir tantôt assombrir les paysages de cette existence. Et ne jamais se départir de ce sourire même dans les pleurs et les pires circonstances... S'abandonner à l'innocence. Embrasser l'herbe et la poussière avec innocence. Avec l'innocence de l'Amour. Et livrer son cœur – et son regard – aux étoiles. Et au ciel infini. Pour que la joie fleurisse partout. Jusqu'aux plus sombres recoins de cette existence. Jusqu'aux plus sombres recoins de cette terre. Je ne vois d'autre façon d'être un homme...

 

 

Être regard infini et Amour. Oui, bien sûr... Mais sans jamais oublier d'être dans le monde, un homme parmi les hommes. Un être parmi les êtres...

 

 

Il y a dans les yeux de chacun – de chaque être – toute la vie. Dans les yeux de chacun – de chaque être – il y a aussi le monde entier, l'être dans toute sa plénitude et toute la lumière de la conscience. Recouverts parfois – trop souvent hélas – par les instincts et la malice, nés de la peur et de l'indomptable sauvagerie du monde. Saurons-nous le voir la prochaine fois que nous croiserons un visage ?

Lorsque nous pourrons reconnaître ces attributs – tous ces attributs – à chaque rencontre – même dans les plus infimes et les plus anodines (et Dieu sait que nous faisons toujours mille rencontres à chaque instant...), l'Amour aura suffisamment empli notre cœur pour ne plus (jamais) prêter nos lèvres et nos gestes à la malveillance, à la violence* et à la colère*.

* Sauf peut-être, très ponctuellement, de façon réactive et épidermique... dans un moment d'inattention... emportés par une brève irritation ou un irrépressible accès clastique...

 

 

Ah ! Toujours si plein d'espoir à chaque virage. A chaque nouvelle vie. Jusqu'à l'éclatement de tous les horizons...

 

 

Comment pouvons-nous croire, un seul instant, que la terre et le monde nous appartiennent ? Chacun, bien sûr, en a plus ou moins conscience... Mais qu'en est-il lorsque nous nous claquemurons derrière nos murs, nos portes et nos barbelés ? Et Dieu sait que la soif avide et la frilosité nous habitent de façon quasi permanente. Qui peut nier que nous cadenassons nos territoires derrière des verrous presque à chaque instant de notre vie ?

 

 

Mon esprit est un incorrigible farceur. Il rêve que l'on nous dise en nous voyant écrire sur les chemins – le regard dans le ciel ou les yeux posés sur un arbre, une herbe ou un nuage – ou en traversant quelque hameau ou quelque village paisible avec le carnet à la main : « Oh ! Un poète ! Je vous en prie, entrez ! Installez-vous ! Et restez le temps qu'il vous plaira ! Pendant des siècles si cela vous agrée... mais, je vous en prie, racontez-nous la vie et le monde ! Parlez-nous du ciel et de l'infini ! ».

Ah ! Qu'il m'amuse – et me réjouit presque – cet esprit avec sa naïveté et sa présomption que les fantasmes perdront... Il ignore encore – refuse toujours d'admettre – que le monde n'a que faire de nous accueillir. Que l'on soit poète, instituteur, médecin ou charpentier, personne ne nous attend. Le monde appelle seulement ceux dont il a besoin. Et les êtres sont suffisamment divers – et en nombre – pour que nul ne soit réellement indispensable et irremplaçable... Et aujourd'hui personne ne se soucie du poète. Personne ne le réclame. Personne n'éprouve la nécessité – l'impérative nécessité – de le rencontrer – de lire ou d'écouter sa parole. Le ciel, l'infini, la fleur, l'herbe et le nuage à quoi cela peut-il bien servir ? Ont-ils quelque valeur ? Peut-on les convertir en or ? Non ? Alors qu'elles aillent donc au diable toutes ces balivernes ! Et voilà comment l'on ferme la porte au poète. Et ce désert, il faut bien l'avouer, le laisse plutôt songeur...

 

 

Celui qui ne sait voir le ciel et l'infini dans l’œil d'un chien ou d'une vache n'a encore rencontré Dieu...

Lorsque tous les horizons – jusqu'aux plus infimes – se transforment en perspective divine, on trouve Dieu – le ciel et l'infini – partout... Dans la goutte d'eau, le pistil du pissenlit, la mousse sur le rebord de la fenêtre comme dans la parole du poète, les rides d'un vieillard ou le rire d'un enfant...

 

 

La vie – comme tous les écrans de nos appareils cathodiques*, informatiques et numériques – est une fenêtre sur le monde. Comme ses colistiers, elle constitue en quelque sorte une interface entre l'esprit et le grand corps mobile de l'Existant dont les mouvements – ce que l'on nomme les phénomènes – sont transformés en informations qui vont, à leur tour, influer sur les pas, les gestes et la parole des corps infimes qui le composent (les êtres de ce monde)... créant ainsi une boucle infinie...

* Autrefois...

 

 

Et soudain dans le cri du monde, un silence. Une extase...

 

 

Le poème est le témoin – et l'interface – entre le silence exprimé et le silence accueillant...

 

 

Le flux intarissable de la logorrhée et le défilé des instants – et de la parole – poétiques accueillis sans distinction sur le petit carré blanc de la page. Hymne inépuisable à la vie – et à son foisonnement – autant qu'au silence et à l'infini.

 

 

Qui est là pour accueillir les rires ? Qui est là pour accueillir les pleurs ? Qui est là pour bercer avec tendresse ? Qui est là pour recueillir la tristesse ? Qui est là pour embrasser avec innocence ? Toujours l'infini et le silence...

 

 

Qui s'éloigne de nos jours sinon la morsure vivace des ténèbres... Qui s'éloigne de nos jours sinon les griffures de la tristesse... Qui s'éloigne de nos jours sinon la longue nuit où nous étions endormis...

 

 

A la présence éclatante de l'infini répond – répond toujours – la profondeur du silence.

 

 

Le jour radieux s'éveille à la fenêtre de l'âme. Au cœur voué au mystère qu'il a découvert dans l'ouverture et la lumière...

 

 

La douce étreinte de l'âme sur la chair vissée aux mains et aux poings du monde qui agrippent, arrachent et blessent sans jamais pouvoir lui ôter sa tendresse.

 

 

Ma parole ne s'adresse aux hommes. Mais au silence de leurs yeux craintifs et interrogateurs. Et à l'infini qu'ils portent comme une triste malédiction...

 

 

S'ouvrir serait-ce laisser l'Autre – et le monde – aller de leurs pas sans un sourcil levé, sans une ombre au fond des yeux avec les bras ouverts et innocents qui s'ouvrent à leur innocence ?

 

 

Habiter le monde en silence. Sans un bruit. Sans une parole. En laissant les lèvres excessives déverser leurs joies et leurs peines dans le silence infini du petit carré de la feuille blanche...

 

 

Derrière le ciel nuageux, on devine un soleil. Comme des lèvres bercées de tendresse. Comme un visage radieux baigné de silence et d'infini...

 

 

La parole poétique est un surplus d'Amour. Quelques gouttes excédentaires de silence et d'infini que le ciel a déversés dans l'âme pour que le ciel de chacun – le ciel de chaque homme – puisse s’agrandir. Et découvrir – et fréquenter – sa splendeur.

 

 

La faute* n'incombe ni à la terre ni au ciel. Il n'y a – il n'y a jamais eu et il n'y aura jamais – de faute. Il y a seulement une grande maladresse. Comme si l'ombre s'ajoutait à l'inexpérience de l'âme. Mais point de faute. Toujours indemnes demeureront le silence et l'innocence...

* Ce que d'aucuns appellent le péché originel...

 

 

La terreur des instincts à l'approche de l'Amour. Comme pétrifiés par leur agonie prochaine. Et leur implacable effacement.

 

 

Dieu – et le ciel – cherchent un refuge en notre cœur. A ce qu'il devienne suffisamment vide – et spacieux – pour l'habiter. Ils n'ont trouvé d'autre voie pour s'installer sur terre. Et éclairer ce monde.

L'homme cherche Dieu. Mais Dieu aussi, ne l'oublions pas, cherche l'homme. Et il n'existe qu'un seul espace où ils puissent se rencontrer – où ils puissent se retrouver – : le cœur. A la fois canal humain du Divin et espace divin de l'homme.

 

 

Le monde prête à l'indigence la robe de la richesse. Et il n'y a, avec l'illusion de l'individualité, de plus grande imposture ! Et l'ironie veut que ce soit elles qui fassent tourner le monde...

 

 

Notes jaillies du surplus d'être et de joie. Et non comme autrefois – il y a bien longtemps – pour pallier leur déficit. Et tenter de le remplir...

 

 

Pourquoi écrit-on ? Parce que le monde ne sait écouter... Pour être en mesure d'entendre, l'homme doit se retrouver seul. Seul face à lui-même avec la page comme miroir devant les yeux...

 

 

Même la terre, l'herbe et le rocher ont besoin de l'Amour – de toute la chaleur et de toute l'innocence – de la main qui les touche – qui les caresse ou s'en empare...

 

 

Tout système – toute organisation (prison, hôpital psychiatrique, société etc etc.) – infantilise ses membres. Comme il affadit et endurcit l'existence et les relations – en les rendant à la fois plus douces et plus âpres...

La solitude, le dénuement et l'hostilité du monde aguerrissent. Obligent à l'autonomie, à l'inventivité et à la débrouillardise. Et lorsqu'ils n'occasionnent pas (trop) de dégâts psychiques et qu'ils n'incitent pas notre cœur, nos gestes et nos lèvres à nous transformer en loup impitoyable et instrumentalisateur afin de nous hisser en bonne place dans le panier de crabes, ils nous enjoignent de chercher en nous-mêmes d'insoupçonnables ressources pour apprendre à vivre en notre compagnie, puis à nous aimer avant de pouvoir (enfin) aimer – et accueillir – la vie et le monde tels qu'ils sont – et se présentent à nous...

 

 

Que pèse le monde dans la balance ? Tout dépend, bien sûr, des circonstances et de la tournure de l'esprit...

 

 

Le monde s'enfuit derrière les jours. Laissant la longue nuit des hommes s'avancer...

 

 

Il n'y a d'espoir et de passé glorieux que pour l'âme incertaine. Et le cœur terrifié par l'indigence des jours et les mystères de l'inconnu...

 

 

Être et écrire. Le premier ne nécessite rien. Absolument rien. Quant au second, il suffit d'un stylo, d'un carré de feuille blanche et d'un surplus d'être qui ne peut naître que dans le silence...

 

 

Le grand appel de la passion. Le grand appel de la raison. Le grand appel des désirs. Et sous l'azur barbelé, le grand rapace s'élance vers l'horizon limité. Dans un élan inachevé. Dans un battement d'ailes infirme. Impuissant à combler la vacuité des abîmes. Impuissant à percer le ciel bas et opaque. Forces vaines de l'intention et des instincts inaptes à pénétrer l'impénétrable auquel seule la terre vierge peut s'ouvrir...

 

 

On ne peut forcer l'infini. On le laisse nous pénétrer en se libérant des chimères, en s'agenouillant devant les herbes de la terre et en offrant la place aux messagers vulnérables. Et lorsque tous abandonnent les lieux, l'infini s'invite. Et investit l'espace.

 

 

Nous ne sommes rien. Nous ne possédons rien. Nous ne représentons rien. Nous ne sommes qu'un regard sensible sur les jours qui passent et le monde qui danse dans la brume.

 

 

Ecouter – et accueillir – le monde surgir, rugir, frémir et disparaître. Voilà à quoi œuvrent, si l'on peut dire, les yeux – et les gestes – de l'homme sage. La transformation – et son invitation – demeurent discrètes. Et silencieuses. Presque invisibles...

 

 

L'émerveillement. Et l'enchantement simple du plus ordinaire. Et du plus infime. A chaque instant du jour, la joie grave – et si légère – des yeux devant l'araignée qui tisse sa toile sur l'abat-jour de la lampe, devant le mince rai de lumière qui caresse le coin d'un tapis et les grains de poussière qui s'amoncellent sur la table comme de petites étoiles grises.

Et le regard frais et tranquille – à la fois vif et apaisé – sur les collines boisées autour de la maison, sur la vache du pré voisin qui broute l'herbe grasse derrière sa clôture, sur les chamailleries énergiques – presque furieuses – des oiseaux dans les arbustes et les bosquets et sur les nuages – immenses et paisibles passagers – à la robe blanche (presque crémeuse) qui parcourent le vaste ciel avec nonchalance et bonhomie.

Contempler ainsi la grâce de la terre – et de ses paysages. Et les accueillir avec toute la tendresse qui leur est due... Et voir sur tous les visages fissurés par les larmes et les drames qui attristent les yeux et le monde l'admirable beauté – l'incandescente beauté qui ouvre l'âme – et le cœur. Et qui brûle l'horreur et la fragilité – la malédiction des vivants – pour les transmuter en grâce. En grâce qui appelle l'Amour.

Aussi comment ne pas s'agenouiller avec émotion et humilité (avec une grande émotion et une profonde humilité) devant tant de splendeur...

 

 

La vie et le monde suffisent à nos élans. Et à notre joie. Le sacré qu'ils recèlent comble tous nos appels. Le Divin n'est pas ailleurs. Et il est jusque dans les plus infimes détails... Et le cœur nu et simple, dépouillé de toute exigence et éminemment sensible au réel, s'en trouve bouleversé... Touché par ce sublime. Accédant au plus haut degré de la beauté. Invitant l'innocence du regard et la tendresse des gestes à se faire encore plus délicates – et encore plus présentes – pour les êtres de cette vie et de ce monde...

 

 

Le monde, la vie et la mort, main dans la main, nous défont des croyances et des certitudes. Œuvrent sans cesse à ouvrir le cœur et le regard à l'innocence et à la virginité. Inlassablement nous invitent à réinvestir – et à réhabiter – l'espace en nous que nous avons abandonné aux ronces et aux orties des désirs et des espoirs et que nous avons recouvert de cet affreux béton pour en faire le socle de nos édifices hideux afin de nous protéger du monde, de la vie et de la mort. Ici-bas, tout œuvre sans relâche pour que le cœur et le regard retrouvent l'espace divin et puissent enfin redonner au monde, à la vie et à la mort leur dimension profondément divine et sacrée...

 

 

Les phénomènes (événements, émotions, pensées, gestes, pas et paroles etc etc) et la longue série de mouvements qu'ils déclenchent adviennent – et se déroulent – pour l'essentiel presque totalement à notre insu selon les circonstances mais également selon les caractéristiques et les penchants du corps et de l'esprit. Ils se manifestent de façon mécanique et impersonnelle. Presque de façon autonome. Comme s'ils obéissaient à leurs propres forces sans que le cœur – et le regard – puissent les infléchir ou les stopper. Comme si l'un et l'autre étaient cantonnés en quelque sorte à leur rôle d'observation et d'accueil. D'écoute et de présence...

Mais n'oublions (pour autant) que seules ces fonctions primordiales et essentielles sont en mesure d'atténuer de manière naturelle la force de ces mouvements et de ralentir – et d'apaiser – la fureur de leur mécanique en marche... permettant ainsi d'adoucir, d'enrayer, d’interrompre ou d'effacer la longue chaîne de phénomènes induite par leur déclenchement et leur implacable déroulement...

 

 

La source intarissable du silence...

La fréquenter – et l'habiter –, il n'y a d'autre façon de trouver la paix et la joie que tout homme cherche obstinément...

 

 

Vivre avec la délicatesse d'un rouge-gorge se posant sur la frêle brindille de l'existence. Et entonnant son chant – son chant discret et mélodieux – pour l'infini du ciel et le cœur de quelques âmes alentour. Vivant de rien. Et pour rien. Vivant de presque rien et pour presque rien. Mais s'y livrant tout entier pour la joie et la beauté. Pour remercier – sans même le savoir – la vie. Et rendre grâce au monde, à la terre et au ciel tels qu'ils s'offrent...

Vivre ainsi – tel que le rouge-gorge –, je n'y parviens pas toujours. Hélas... Mais je m'évertue, presque malgré moi, à lui ressembler. A traverser la vie et le monde comme lui et le nuage. Comme la fleur des prés et la feuille de l'arbre. Comme l'insecte sur son minuscule carré de verdure. Les gestes au plus près de la terre. Et le cœur – et l'âme – réjouis du monde et du ciel. Sensibles et ouverts autant à l'infime qu'à l'infini...

 

 

Faire corps avec tout ce qui nous hâte, nous happe et nous précipite. Faire corps avec tout ce qui nous agite, nous irrite et nous effraye. Faire corps avec tout ce qui nous épuise, nous blesse et nous meurtrit. Pour ne former qu'un seul... Qu'une seule entité. Et ne jamais oublier de laisser le cœur – et le regard – hors de la tourmente. Dans la paix et le silence. Il n'y a d'autre voie pour éviter de sombrer dans la débâcle. Et d'être dévasté par elle...

 

 

Depuis l'aube des temps, les hommes ont toujours usé de la violence. Et lorsqu'elle se montrait (pour une raison ou pour une autre) inapte à faire advenir leur volonté, ils ont toujours eu recours à la ruse. Aucun homme n'ignore que les êtres se plient à la force, à la puissance et à la menace. Et comme la plupart aspirent à façonner le monde à leur goût – et à le soumettre à leurs désirs –, ils continuent à demeurer de farouches adeptes de la force, de la puissance, de la violence, de la ruse et de la menace. Aucun homme n'est suffisamment stupide pour ignorer que les êtres s'orientent naturellement vers la liberté, l'indépendance et le confort lorsqu'ils ne sont plus soumis à l'oppression, aux coups et aux brimades. Mais peu, en revanche, sont suffisamment éclairés (et suffisamment matures) pour comprendre que, de chemin en chemin, les êtres se dirigent aussi naturellement vers la vérité et l'Amour...

Aussi brimer les êtres et brider leurs élans revient, en réalité, à les empêcher de satisfaire leurs profondes et légitimes aspirations. Mais aussi – et surtout – à les empêcher d'actualiser leur potentiel et à bloquer leur processus naturel de développement, d'ouverture et de compréhension. Et donc, en définitive, à les priver – et à priver le monde – des bienfaits qu'ils procurent en se réalisant... Voilà comment les hommes – et leur comportement stupide – contribuent à retarder l'évolution naturelle des êtres et du monde... Tristes contrées où les instincts continuent de faire loi et de faire barrage à l’avènement de la conscience, de l'Amour et de l'intelligence...

 

 

Le plus humble, le plus fragile et le plus solitaire, voilà ce que j'aime par dessus tout en ce monde. Et voilà – en dépit des apparences – ce que l'Amour préfère – et privilégie – sur cette terre. Nous aimons ceux qui portent ces caractéristiques bien davantage (sans doute) que ceux dont les ruses, les protections et les compensations adoucissent la pauvreté, la vulnérabilité et l'isolement...

 

 

Laisser les bras du vent s'accrocher au monde. Et son souffle déblayer à chaque instant ses éclats. Pour nettoyer le cœur et le regard – et y faire place nette – afin que jamais l'innocence ne déserte les lieux...

 

 

Ô êtres du monde ! Mes frères ! Mes compagnons d'infortune ! Prisonniers dans la même cellule sombre, étroite et sordide, ouverte sur le ciel, ne l'oubliez pas, que le regard et le cœur peuvent habiter pour libérer l'âme de sa détention ! Et adoucir les misères du corps et les peines de l'esprit à jamais enfermés entre les murs(et derrière les barreaux)de la grande cage du monde...

 

 

Ah ! Mon Dieu ! Que l'on est petit, fragile et misérable sur cette terre ! Et toute notre beauté – et toute la beauté du monde – est là, présente dans cette vulnérabilité et cette insignifiance... Alors pourquoi les hommes s'acharnent-ils à se mentir ? Pourquoi s'obstinent-ils à essayer de faire croire le contraire ? Ignorent-ils que cette insignifiance et cette vulnérabilité ouvrent à l'innocence ? Et que l'innocence est la terre vierge – et le terreau fertile – qui offre au cœur et au regard l'infini, l'éternité et la puissance – la toute puissance bienveillante de l'Amour ?

 

 

Les êtres et les hommes. Ni pleinement innocents. Ni totalement assassins...

 

 

Quelques taches d'encre noire sur la page blanche pour offrir un peu de lumière – une modeste clarté – à l'obscur – et au sombre – de notre vie. Pour tenter peut-être de nous délivrer des ombres...

 

 

[En hommage à Ossip Zadkine]

Dans le trou défiguré de l'absence, le rayonnement soudain de la lumière. Dans la béance infirme, le déploiement de la grâce. Mains levées au ciel, implorantes. Et l'assise basse comme clouée au sol. Dans l'entre-deux de l'herbe et des nuages. Et soudain le surgissement invisible de l'ange, fracturant le corps – et pénétrant le cœur – effaçant les brisures – toutes les brisures – du monde. Et ses offenses, terribles, comme une longue traînée de soufre dans le silence de nos pas.

 

 

La lumière si vive sur les montagnes. Et dans les yeux frondeurs. A contre courant des pas cadencés. Où la liberté sautille de cil en cil – d'herbe en herbe – comme sur un chemin buissonnier. Ignorant où elle va mais nous y menant avec allégresse...

 

 

La joie est le plus haut du bonheur. Et la paix le plus haut de la tranquillité. Nul besoin des circonstances lorsque le cœur a su s'ouvrir – et se laisser pénétrer... Le plus simple – et le plus ordinaire – s'y jettent alors avec innocence. Et avec un émerveillement presque magique – presque surnaturel – comme s'ils suivaient quelques pistes invisibles à la raison. Chemins mystérieux de pépites dont eux seuls ont le secret. Et qu'ils dénichent à la volée, sans effort, pour nous les offrir aussitôt.

 

 

J'éprouve une affection particulière pour les hommes qui ne participent à aucune activité productive et marchande. Et parmi eux, je n'aime rien tant que ceux qui vivent comme les fleurs des fossés, allant d'heure en heure, au jour le jour. Ouverts à la rosée – et à la brume – du matin comme à la traversée des astres sur l'horizon. Heureux – toujours heureux – des exigences du ciel et des saisons.

 

 

Chez un être, je regarde d'abord les éraflures et la patine de la vie – et des événements – sur le cuir du visage. Et sa façon toute particulière de transformer cette texture – et ses ombres – en infimes taches de lumière...

 

 

Il n'y a d'horizons – et souvent pas l'once d'une ouverture (d'une petite ouverture de lumière) – sur l'ancestral chemin de nos aïeux. Tout a été recouvert de terre et de labeur. Tout a été avili par la main exploiteuse. Et les infimes trésors ont déjà tous été ramassés...

 

 

En ces lieux nouveaux (où nous avons emménagé depuis peu...), rien ne me réjouit davantage que nos longues promenades quotidiennes en forêt. En particulier lorsque les arbres, les collines et le bruit du vent entourent notre solitude, nous faisant presque oublier, pendant un instant, les trop nombreuses routes et habitations qui parsèment cette campagne retirée et enclavée où la mainmise de l'homme, comme partout, a défiguré – et dévasté – les paysages.

 

 

Dieu sait que j'aime les chiens – et apprécie leur compagnie (quatre habitent actuellement la maison...) mais il est peu dire que je déteste entendre l'affreux cri guttural des chiens de chasse. Chaque jour, on les entend hurler pendant de longs instants à des kilomètres à la ronde, enfermés dans leur chenil immonde ou poursuivant sous l'autorité et la folie furieuse de leurs maîtres quelques inoffensifs chevreuils ou sangliers. Et, à chaque fois, mon cœur se serre avec tristesse et impuissance...

 

 

La présence et l'attention d'un homme en disent davantage sur lui que ses propos, sa fonction, son œuvre ou son statut etc etc. Sa façon d'être et de veiller sur ce qui est devant lui et ce/ceux qui l'entoure(nt) nous en apprend bien plus que tout ce qui habille – et permet de déguiser et d'embellir – sa manière d'être au monde.

Il peut y avoir, bien sûr, des absences et des humeurs passagères mais sa manière d'être présent à l'Autre, aux êtres et aux choses – et la manière dont il en prend soin de façon quotidienne et habituelle – révèlent profondément ce qu'il est mais aussi, bien sûr, le degré de conscience, d'Amour et d'intelligence qu'il sait et est capable d'incarner...

 

 

Ce soir, en rentrant à la maison, j'ai vu deux feuilles sur la route tombées d'un grand platane qui se donnaient la main pour courir dans le vent. On aurait dit qu'elle ne voulaient se séparer pour aller vers la mort. Aujourd'hui, je n'ai fait – je crois – de plus belle rencontre...

 

 

Au cours de nos pérégrinations au hasard des chemins de campagne, au gré des routes et des rues des villages que nous traversons, lorsque nous apercevons la bouille d'une vache, d'un cheval, d'un âne, d'une brebis ou d'un chien, notre visage s'illumine aussitôt. Et sans le moindre effort. Et nous le saluons immédiatement avec chaleur et enthousiasme. Mais il nous suffit d'apercevoir quelque silhouette humaine pour que nos yeux se plissent, que nos lèvres se pincent et que notre bouche se torde. Et nous ne pouvons nous empêcher alors de faire une vilaine moue. Et nous n'y pouvons rien... Cette grimace, elle aussi, arrive avec naturel et spontanéité. Que voulez-vous ? Nul ne choisit ses accointances et ses affinités. Seuls le caractère, la vie, la nature et les circonstances nous les offrent... Et qui peut-on blâmer s'ils nous ont accordé une sympathie naturelle – quasi congénitale – pour les quadrupèdes... ?

 

 

La virginité fertile du sol que la vie – et le monde – peuvent ensemencer. Et sur laquelle les hommes peuvent bâtir – et édifier. Parvenir à faire du regard et du cœur cette terre vierge et généreuse pour que le silence et l'infini puissent s'y installer afin de rayonner à travers le monde sur tous les êtres et les hommes de cette terre. Afin qu'ils puissent (enfin) l'habiter – s'y développer et s'y épanouir – dans la joie, la paix et l'Amour...

 

 

Il est parfois difficile de ne pas répondre aux sirènes du monde qui sans cesse nous appellent. Et qui sans cesse nous ramènent sur les rivages de l'individualité...

 

 

Tirets et points de suspension sont la marque d'une écriture lourde et inachevée. Le reflet de notre lourdeur et de notre inachèvement. Et il convient de les aimer tels qu'ils sont. Qui en ce monde est réellement capable de s'en défaire ? Et qui peut prétendre les avoir totalement effacés ?

 

 

Il n'y a rien en ce monde de plus précieux – et de plus beau – que les arbres, les nuages et le vent. Leur présence est non seulement nécessaire à la terre. Mais elle comble toutes ses exigences.

 

 

Le plus vivant en ce monde – et le plus vivant en nous – ne se trouve ni dans les paysages, ni dans le ciel ni dans les yeux. Mais dans l'âme innocente et le cœur silencieux et sensible que certains êtres – les plus simples et les plus humbles souvent – savent incarner et faire rayonner, presque malgré eux, dans leur vie. A travers leur présence. Ces êtres rares et précieux – sont – et vivent comme – de minuscules soleils dont la lumière illumine le monde. Et quand bien même leur terre se limite à quelques millimètres ou à quelques arpents, leur chaleur réchauffe – et éclaire – ce qui les entoure comme ceux qui les côtoient.

 

 

La poésie est souvent un cri. Un cri de rage parfois. Un cri de désespoir le plus souvent. De temps à autre, elle parvient à se faire lampe. Question jetée dans la nuit. Plus rare, lorsque sous ses habits de dentelle, elle sait se transformer, malgré elle, en grâce et en lumière. Comme un pont de soleil éclatant, fragile et transparent, éclairant pendant un instant les abysses du cœur, les ténèbres du monde, l'horizon sombre et la beauté inaccessible de l'autre rive...

 

 

Dans la neige sombre du soir, il avait pris soin, juste avant de mourir, de cacher son cœur. Il y resta durant le long hiver de la terre et des hommes. Pendant des siècles. Pendant des millénaires peut-être... Puis, on le découvrit aux premières heures du printemps lorsque le soleil timide fit fondre la neige – l'épaisse couche de glace où s'était retrouvé emprisonné le monde. Et parmi les os épars, il était encore là, le cœur du poète, vivant. Toujours vivant. Et éclatant de vie et de joie. Aussi brûlant que celui du christ et celui du rouge-gorge que les hommes ont oubliés eux aussi. Abandonnés dans la plaine déserte de l'innocence. A mille lieux de leurs vallées livrées aux mains des instincts et couvertes de la suie noire de la désespérance que leurs cris, leur sang et leurs larmes n'ont jamais réussi à effacer... Combien de saisons – combien de printemps et d'hivers – devra-t-il encore s'écouler pour que la terre, le monde et les hommes reconnaissent (enfin) l'innocence – et la laissent distribuer ses offrandes ?

 

 

Il n'y a de plus froid soleil que celui de la raison. Et il n'y en a de plus doux – et de plus réconfortant – que celui du cœur aimant, présent et attentif, qui veille avec innocence – et un incorruptible désintéressement – sur le monde. Et ses plus infimes élans...

 

 

La liberté n'est dans le pas qui danse, qui piétine ou creuse son sillon. Pas davantage qu'elle n'est dans la main qui frappe ou caresse ou dans le bras qui porte et soulève ou écrase et anéantit. Elle se trouve dans le regard désengagé des pas, des mains et des bras. Et dans le cœur sensible qui veille à tous les gestes en s'y associant...

 

 

Il n'y a de chemin où le cœur s'égare. Partout où il va – partout où il pénètre – sa présence réconforte. Et sa lumière éclaire...

 

 

A l'heure vespérale du retour, nous avons croisé au détour d'un petit sentier boisé, de drôles de figures : des arbres au tronc et aux branches recouverts de lichens et affublés de longs et épais filaments de mousse. Comme si nous traversions une étrange forêt de lutins verts à la peau de dragon coiffés à la diable. Et nous sommes passés – à la fois émerveillés et intimidés – devant leur silhouette – et leurs yeux – impassibles et silencieux...

 

 

Seul face à l'infini du ciel, les yeux sur l'horizon, les pieds englués dans la fange – et la misère – de cette terre et le cœur triste, impuissant et démuni face à l'hostilité et l'inhospitalité du monde, voilà ce que tout homme devrait naturellement ressentir s'il ne s'entourait de pitoyables compensations et n'était si enclin à oublier sa condition naturelle.

Ce sentiment, l'homme sage l'a connu. Il a même constitué le contexte originel de son interrogation et de son cheminement perceptif et sensible. Le point zéro en quelque sorte de son processus spirituel. Et à partir de ce socle, son irrépressible besoin de comprendre – et son inaltérable aspiration à s'extraire de cette indigence existentielle – lui ont permis de faire face aux écueils et aux déboires, aux épreuves et aux impasses du chemin – et des jours.

Cette constance et cette pugnacité – encouragées par la forte inclination de la vie à déblayer notre existence de ses encombrements – lui ont, peu à peu, ôté le superflu des idées, des représentations, des croyances et des espoirs pour laisser place (très progressivement) à la virginité et à l'innocence perceptives. Et ainsi, le « seul face à l'infini du ciel, les yeux sur l'horizon, les pieds englués dans la fange – et la misère – de cette terre et le cœur triste, impuissant et démuni face à l'hostilité et l'inhospitalité du monde» a pu alors se transformer en « seul le regard infini*, les pas, les gestes et la parole portés par le silence, et le cœur aimant, joyeux et en paix, accueillant – réconfortant et éclairant – humblement toute la maladresse et l'immaturité de ce monde »...

* Ou, parfois, seul dans le regard infini...

 

11 décembre 2017

Carnet n°87 Être en ce monde

Journal / 2016 / L'intégration à la présence

Seule présence dans le jour naissant, le silence de l'aube. Le silence partout. Dans la fureur du monde. Dans le cri des hommes et leurs mains qui frappent les enclumes et les visages. Le silence encore dans le chant des oiseaux et la caresse du vent sur les herbes des plaines et les arbres des forêts. Le silence toujours au sommet de l'Amour, dans l'agonie des pas et des murmures et dans le sable, la terre et la poussière où l'on inhume les corps. Et le silence toujours. Indéfiniment jusqu'au crépuscule des temps. Et le silence encore après sans doute...

Il y a des visages et des gestes précieux. Il y a des sourires, des paroles et des silences qui gravent leur lumière dans notre cœur. Et dans notre chair. Ils sont comme un soleil qui efface le plomb – et les ombres – de notre vie. Il n'y a de plus belles – et émouvantes – rencontres... De celles rares – trop rares – qui offrent l'Amour. Et qui vous invitent avec douceur – avec délicatesse – à prendre le maillet et le burin pour libérer le cœur de la gangue qui l’asphyxie. Ainsi éclosent – et se perpétuent – l'Amour et la lumière passant – et se transmettant – de cœur à cœur...

 

 

La rage née des petites frustrations accumulées – et se mêlant à la grande – et magistrale – insatisfaction* – se transforme bientôt en langueur qui recouvre les jours. Monotonie et fadeur de l'absence entrecoupée de maigres et dérisoires plaisirs. Si communes aux existences tièdes. Et aux âmes frileuses et terrées dans leur chagrin dévastateur. Bien au chaud – mais si mal à l'aise – entre ses griffes rassurantes et sournoises...

* Le sentiment d'incomplétude...

Et que de ravages et de saccages au-dedans... Et que de morsures et de griffures infligées à la ronde lorsque le cœur à bout de force – à bout de souffle – lui offre l'occasion de s'exprimer... Que de conflits et de guerres, de brimades et d'atermoiements avant qu'il ne soit prêt pour le grand voyage. Et qu'il ne parte sur les chemins inconnus en quête de la réponse à l'énigme de sa magistrale insatisfaction...

 

 

La seule incongruité en ce monde est de ne pas aimer. Et la seule extravagance de ne pas en ressentir l'impérative nécessité. Caractéristiques pourtant si communes – et si banales – parmi les hommes...

 

 

La terreur des yeux naïfs et la tranquillité des yeux innocents face à la puissance et à l'insoutenable violence du monde où les dominants et les prédateurs imposent leur pouvoir et leur hégémonie et infligent leurs brimades et leurs exactions sans tressaillir. Sans même qu'une voix s'élève pour s'opposer à la cruelle nécessité de la barbarie et de l'ignorance. Pour en stopper l'horreur et l'ignominie et en dénoncer les dérives et les excès... Pas même celle des yeux sages qui en comprennent les terribles exigences...

 

 

Celui qui est porté par le souffle métaphysique est – et sera toujours – irrésistiblement amené à cheminer vers – puis à côtoyer – l'être, le Divin et l'Absolu. Qu'importe son existence, son entourage et son environnement, il apprendra peu à peu à vivre – à penser et à agir – avec profondeur, consistance et vérité. Et finira immanquablement par fréquenter l'Amour et l'intelligence.

 

 

L'inépuisable – et illusoire – fantasme d'un monde (phénoménal) de silence et de paix. Quelle posture immature... Comment pourrait-on y accéder puisqu'il n'existe – et ne peut exister. Plus sage serait d'habiter le regard – et l'espace – de silence et de paix qui accueillent les bruits et l'agitation de ce monde inévitablement bruyant et effervescent...

 

 

On voit partout les êtres avancer leurs lèvres – et leurs mains – mendiantes avec leur manière sournoise ou franche. Et l'Amour – intègre – qui se donne. Qui se donne à tous sans compter...

 

 

Où s'échappent ces jours lointains que la mémoire blesse de ses oublis ? Et dont l'effacement pourtant nous délivre de leur poids...

Le déclin silencieux du soleil sur les collines effaçant les instants du jour. Comme remisés dans la pénombre de la mémoire et du crépuscule naissant...

 

 

Un jour mourront naturellement les exigences et les attentes qui accompagnent notre existence. Alors s'ouvrira spontanément en nous l'accueil inconditionnel du réel et du monde dont l'ignorance, la barbarie et les excès nous sembleront nécessaires. Comme des étapes incontournables d'un processus inexorable. Et il nous deviendra alors naturel de laisser libres leurs élans...

 

 

N'ayons crainte. Jamais l'essentiel ne nous quittera. Et toujours ce qui nous est nécessaire adviendra... Peu importe notre existence, notre mode de vie et nos fréquentations, ils se manifesteront sans l'ombre d'un doute pour nous faire découvrir – et vivre pleinement – ce que nous n'avons jamais cessé d'être. Ce que nous n'avons jamais cessé de chercher depuis l'aube des temps...

 

 

En ce monde où l'on se tient loin de chez soi, nous sommes encerclés par les paysages désertiques et les cités surpeuplées, par les longues routes interminables et les cœurs inhospitaliers qui nous réduisent à l'exil. Et à la poursuite de notre longue marche. Avec parfois, il est vrai, quelques mains tendues et quelques lèvres accueillantes qui adoucissent temporairement la rudesse des chemins. La solitude et l'adversité du voyage. Voilà sans doute pourquoi tant d'hommes renoncent à leurs recherches. Et à leur quête... Devant ses difficultés, ils se résignent à s'installer là où les mains et les lèvres se font les moins féroces...

 

 

La probité ne se laisse appâter ni par le gain ni par le plaisir. L'homme droit et honnête n'aspire qu'à la vérité. Qu'elle éclate – qu'elle puisse éclater – dans la tranquille clarté des jours...

 

 

Dieu – l'être présent en notre cœur –, les rares objets qui nous entourent (et dont nous avons l'usage...) et les quelques livres posés sur notre table solitaire nous donnent l'étrange sentiment d'être l'homme le mieux accompagné du monde...

 

 

Mes livres n'ont jamais vraiment intéressé les hommes. Maintes raisons pourraient être invoquées : écrits confidentiels très peu « grand public », contenus exigeants et fort peu distractifs, absence de visibilité etc etc. Mais deux d'entre elles me semblent réellement déterminantes. La première tient sans doute au fait qu'ils se sont toujours situés à la frontière de plusieurs genres littéraires ; journal, récit autobiographique, aphorismes, pensées et réflexions et de plusieurs domaines ou disciplines peu « apprécié(e)s » par les hommes : existence, philosophie, poésie et spiritualité. La seconde tient sûrement au fait qu'ils se sont toujours situés dans une sorte d'entre-deux en essayant d'abord de relater le passage de l'homme ordinaire vers les contrées de l'intériorité puis de décrire le passage de l'homme intérieur vers le Divin. Itinéraires – et processus – naturels si peu présents parmi les hommes* qu'ils ne peuvent revêtir à leurs yeux le moindre intérêt...

* Excepté, bien sûr, chez les êtres, très rares en ce monde, en quête d'Absolu et de vérité...

 

 

Le fol élan de l'accomplissement – et la folle exigence de l'achèvement – présents dans l'esprit des hommes orientent les pas vers le monde – le monde à l'achèvement et à l'accomplissement impossibles – au lieu de les inscrire dans le regard. Dans la juste et parfaite perspective du regard.

Toutes les formes, tous les phénomènes et tous les mouvements qui traversent l'espace donnent le tournis – encombrent et saturent les yeux, l'esprit et le cœur de l'homme (et des êtres de ce monde). Tant d'élans et de cabrioles ne peuvent être accueillis que dans le regard ayant pleinement investi l'ensemble de l'espace perceptif.

 

 

Le monde et les hommes – l'esprit et le cœur – sous l'emprise d'un mastodonte à la chair de papier gonflé par le souffle des désirs et de l'espoir. Et à la mécanique instinctive. Qui harcèle les hommes – et les êtres – de ses directives insensées. Il n'y a en ce monde de joug plus puissant...

 

 

Quoi de plus émouvant qu'une parole poétique abreuvée à la source silencieuse qui s'offre au monde – comme le parfum des fleurs et la beauté des paysages – pour (lui) redonner le goût du silence...

 

 

La récurrence du monde – et ses phénomènes cycliques – sont une danse célébrative toujours nouvelle que l'esprit a pourtant tendance à considérer soit comme un rituel immuable et rassurant soit comme une source de corvées dont il aimerait s'épargner la pénibilité...

 

 

Les hommes dévoilent rarement leur vrai visage. Ils craignent tant la solitude et ont tellement peur de passer pour de tristes grincheux, de fieffés malotrus ou des êtres sans grâce qu'ils revêtent le masque accort de la sociabilité – figure et sourire agréables et de circonstances pour paraître aimables et plaisants. Dignes d'être fréquentés et aimés... Costumes et carapaces impénétrables qui évincent l'authenticité et relèguent le lieu de la rencontre à de superficiels et insipides échanges sans dissimuler pour autant la tristesse, l'ennui, les failles, la peur, la morosité et l'incompréhension*...

* L'incompréhension d'être en vie et au monde...

 

 

Du vaste monde – et de l'infini du cœur – ils ne verront rien. Enfermés dans leurs circuits étroits. Hommes et bêtes rivés – et attachés – à la place et à la fonction auxquelles on les a assignés...

 

 

Il n'y a de firmament plus généreux que celui offert au croisement de la terre et du ciel...

Il n'y a de ciel plus boisé – et plus épais – que celui offert par les songes. Il n'y a en ce monde d'azur plus impénétrable...

 

 

La bouche – et la parole – bavardes. Intarissables malgré le silence des jours.

 

 

Des cris dans le silence. Les hommes s'égosillent en vain. Dieu n'attend d'eux ni plaintes ni explications. Mais un cœur habité – et silencieux – pour que jaillissent la présence et l'écoute. Alors cesseront les cris, les plaintes et les explications...

 

 

Il n'y a de lieu où habiter là où règnent le tragique et l'éphémère. Seul l'espace en surplomb peut accueillir le cœur et le regard. Voilà l'unique demeure. Ouverte et éternelle.

 

 

Des siècles de néant et de terreur ont recouvert l'Amour. Et l'ont empêché d'éclore. L'obligeant à pénétrer lentement les esprits pour voir le jour...

Se défaire de toutes les exigences – celles de l'esprit comme celles du monde – afin de retrouver l'innocence et la plénitude de l'effacement. Sa joie et son ravissement. Il n'y a de façon plus juste – et plus belle – d'être au monde. Et de porter nos yeux sur lui...

 

 

Il y a en ce monde peu – très peu – de lieux et d'êtres qui nous enthousiasment. Et qui nous donnent l'envie de nous arrêter pour les habiter ou les fréquenter. L'essentiel du temps, ils nous incitent à passer notre chemin. A poursuivre notre route et notre voyage...

 

 

L'esprit – et le cœur – des hommes si indifférents et si insensibles – si éloignés les uns des autres – que l'on en arrive parfois à se demander s'ils ne forment vraiment qu'une seule entité... Et pourtant... Et pourtant... En dépit des apparences, nous pouvons non seulement l'envisager mais le ressentir...

 

 

Rien que le silence et l'infini. Et le monde sans cesse renaissant...

Il n'y a d'heures plus radieuses que lorsque l'âme s'émerveille avec innocence...

Lorsque l’œil caresse le monde, sa tendresse lui est pleinement rendue. Et l'on voit bientôt l'un et l'autre s'unir en une incroyable volupté...

 

 

Seules les âmes crédules et immatures imaginent qu'il est nécessaire de s'armer pour traverser la vie et le monde. Les autres savent bien qu'il est préférable de se départir de ses armures et de ses boucliers. De ses lances et de ses épées...

 

 

Il n'y a d'horizon plus bas – et plus plat – que celui de l'espérance. Terres trompeuses où se cache un abîme immense. La chute en révèle le mensonge. Et ouvre à la magnificence du présent éternel.

 

 

Présence. Gestes quotidiens nécessaires accomplis avec lenteur et sagesse. Longsinstants silencieux et poétiques parsemés de quelques notes – et de quelques paroles – pour en témoigner. Rien ne saurait me combler davantage...

De longs espaces de solitude et d’harmonie savent guérir l'âme blessée par la folle – et exigeante – compagnie des hommes et l'inépuisable inhospitalité du monde...

 

 

Le monde – jungle sauvage – que les hommes ont transformé en créature monstrueuse dont la violence toujours éventre la terre. Et blesse – et éviscère – les êtres et les âmes...

 

 

Il n'y a d'artistes – et d'auteurs – plus malfaisants et qui éloignent davantage de la vérité que ceux qui s'évertuent à caresser l'esprit dans le sens du poil...

 

 

Créatures en sursis, oublieuses de l'échéance, menant une existence mécanique d'automate dont l'esprit nie la précarité et l'évanescence des corps – et du monde – tout en pressentant, malgré elles, l'éternité de l'esprit et du cœur...

Difficile de vivre l'esprit en paix avec la mort suspendue partout alentour. Et qui nous guette – et qui s'approche – en se moquant bien de nos lèvres blanches...

 

 

Jamais les pas silencieux dans la forêt n'épouvanteront l'âme des arbres et des bêtes. Au contraire, ils la rassurent sur l'innocence présente dans le cœur des hommes...

 

 

Que de cœurs, d'yeux et de mains insecourables sur cette terre ! Comment les hommes – et les êtres – peuvent-ils donc survivre à tant de solitude ?

Si l'on ne m'avait offert de ressentir l'être – la présence de Dieu – en mon cœur, je crois que j'aurais quitté ce monde depuis bien longtemps...

 

 

On voit les silhouettes courir sur l'horizon. S'affairer avec fureur et tapage à leur tranquille besogne. Et le ciel en surplomb qui reste silencieux...

Fureurs endiablées aux sourires enjôleurs et aux pas – et aux lèvres – frénétiques emplissant le monde de leurs danses futiles. Brassant l'air et occupant l'espace à seule fin de voir briller au fond des prunelles une jolie grimace singeant les traits de l'Amour... Amour pourtant qui les attend au creux de l'abîme solitaire qu'elles craignent tant de traverser...

 

 

Chairs frottantes – et esprits et cœurs accrocheurs – dissimulent fort mal leurs envies de plaisirs et de réconfort. Et le fief où, résignés, ils réfugient leur solitude inépuisable et désespérée...

 

 

L'odeur de la souffrance et de la misère qui suinte par tous les pores du monde. Et que seule efface la funeste fragrance de la mort...

 

 

L'odieuse appropriation des hommes. Non pour satisfaire l'essentiel et l'indispensable mais pour se parer des draps absurdes du pouvoir, de la richesse et du prestige...

 

 

Lorsque le monde ne se montre hostile et inhospitalier, il affiche son indifférence et son insensibilité. Combien de créatures vivent-elles, agonisent-elles et crèvent-elles sans un regard ni la moindre main levée ? Sans même pouvoir s'appuyer sur une épaule secourable ou réconfortante au cours de leur misérable existence et de leur affreuse agonie ?

 

 

Quelle sombre exaltation habite donc les yeux fous des hommes...

 

 

Si nous sommes nus – et savons le demeurer –, tout nous appartiendra. Et ainsi vêtus, il ne fait aucun doute que nous ferons usage du strict nécessaire...

L'esprit, le corps et le cœur se satisfont toujours de peu lorsqu'ils habitent l'innocence...

 

 

Arc-boutés contre les murs de leur fief indigent et dérisoire, les hommes – et leur absurde et risible prétention – me font sourire... Mais cette humeur légère ne se manifeste que parce que je retiens mes sanglots et mes hurlements... De toute façon, personne n'entendrait ni mes pleurs ni mes cris... Aussi avons-nous pris le parti d'en sourire...

 

 

Quoi qu'il arrive – et quoi qu'il se passe –, il s'agit toujours d'une affaire entre soi et soi. Il ne peut en être autrement en cette vie. Et en ce monde...

 

 

Passant éphémère et dérisoire certes... mais pas totalement étranger à l'essentiel...

 

 

Un pas en appelle toujours un autre. Après un pas toujours arrive le suivant... La mort même ne saurait (nous) en délivrer... Ainsi avance – tourne et s'édifie – le monde sous le regard silencieux de l'infini.

 

 

Une percée dans le ciel nuageux appelle une autre lumière à éclairer l'obscurité du monde. A laquelle les yeux des hommes resteront aveugles comme à leur habitude...

 

 

Les instants crasseux de la saisie, de la menace et de la discorde effrayés par les hauts murs de l'Amour. Craignant de s'y écraser. Et ignorant que celui-ci n'érige – ne peut ériger – ni frontière, ni rempart ni barricade. Que ses bras accueillent tout sans distinction. Et que cet accueil transforme aussitôt toute traversée en effacement...

Seule présence dans le jour naissant, le silence de l'aube. Le silence partout. Dans la fureur du monde. Dans le cri des hommes et leurs mains qui frappent les enclumes et les visages. Le silence encore dans le chant des oiseaux et la caresse du vent sur les herbes des plaines et les arbres des forêts. Le silence toujours au sommet de l'Amour, dans l'agonie des pas et des murmures et dans le sable, la terre et la poussière où l'on inhume les corps. Et le silence toujours. Indéfiniment jusqu'au crépuscule des temps. Et le silence encore après sans doute...

 

 

Infime créature au ciel infini que les vents poussent et font chavirer. Mais dont le regard pénètre – et accueille – le monde entier. Dérisoire pelote de glaise dont l'esprit fréquente – et habite – l'indicible. Le mystérieux espace où tout est enfanté...

 

 

Tant de sourires et de mensonges. Tant de cris et de murmures. Tant d'histoires, de gestes et de grimaces si inconvenants face à la mort. Face à la gravité – et à la brièveté – des jours. Et face à l'Amour...

Le silence sera toujours la plus belle réponse – et la plus belle parure – face au monde. Et à ses offenses...

Habiter le silence restera à jamais notre seule façon d'être au monde. La plus juste. Et la plus digne...

Dans le silence, le monde s'efface. On accueille simplement ce qui advient – et se manifeste – sans autre souci que de se maintenir dans cet accueil silencieux. Qu'importe les bruits, les cris, les agissements et les réactions, on s'en tient à ce silence. Et à ce qu'il dure tant que nous demeurerons...

 

 

Les êtres – et les hommes – ne nous apprécient – et ne nous aiment – jamais pour ce que nous sommes. Pour nos caractéristiques singulières à moins qu'ils n'en tirent profit ou avantage d'une quelconque façon ou qu'elles coïncident avec quelques-unes de leurs attentes et/ou correspondent avantageusement à quelques-unes de leurs représentations. En général, ils apprécient – et aiment – simplement que nous nous comportions à leur égard de façon plaisante, agréable, respectueuse et bienveillante et/ou que nous fassions valoir avantageusement leur individualité et/ou leur donnions un quelconque sentiment d'utilité... Et qu'importe que ces marques de gentillesse, de respect et de bienveillance ou que ces postures de séduction narcissique soient feintes pourvu qu'elles soient apparentes et ostensibles... Bien sûr, certains êtres, et en particulier certains hommes, aspirent à ce que ces attitudes se manifestent avec sincérité (et parfois même avec profondeur...), mais il est si aisé de les flouer – et de duper leur esprit – qu'une sincérité apparente, la plupart du temps, les contente...

Les hommes éprouvent déjà toutes les peines du monde à percer les mystères de leur propre individualité – et de leur propre intériorité –, comment pourraient-ils mettre à jour l'énigme que représente(nt) l'Autre – les autres ? Comment pourraient-ils connaître – et ressentir avec clarté – leurs intentions, leurs désirs et leurs arrière-pensées dissimulés, le plus souvent, dans les arcanes et les méandres parfois alambiqués du cœur et de la psyché ?

Pour les hommes, l'Autre et l'être sont – et resteront à jamais – d'inaccessibles inconnus...

 

 

Qu'ils en aient conscience ou non, l'être œuvre secrètement – et silencieusement – dans le cœur et l'esprit des êtres – et des hommes. Et oriente les vents du monde pour qu'ils leur façonnent des événements et des circonstances à leur mesure... Ainsi se réalise, ici-bas, la besogne – et la mission – de l'être : éclore – et s'épanouir – partout. Et en chacun...

Aussi inutile de vouloir précipiter la conscientisation de l'être et son processus d'actualisation. Ils adviendront en temps voulu lorsque l'esprit et le cœur seront suffisamment mûrs pour les recevoir...

 

 

L'interminable chemin de l'ombre parcourant tous les paysages de l'esprit, du cœur et du monde. Visitant indifféremment leurs méandres obscurs et leurs allées lumineuses...

 

 

Ce que l'on sait – et ce que l'on connaît –, inutile de l'exposer à travers des discussions, des débats, des enseignements ou même à travers quelques livres (que nous pourrions être tentés d'écrire...). On le porte en soi. A jamais. Et ce qui se perd – et s'oublie – ne mérite pas que l'on s'y attache.

L'essentiel – et le fondamental – jamais ne peuvent disparaître... Être. Être simplement. Et être se vit – et s'éprouve – ici et maintenant avec ce qui est dans la situation présente... Tout le reste n'a aucune importance...

 

 

L'inépuisable sourire silencieux que n'effaceront jamais ni les jours ni les nuits du monde...

 

 

La terre est dépeuplée. Personne sans le regard. Pas même l'ombre d'une présence fantomatique. Aussi est-il juste, l'essentiel du temps, d'appréhender – et de traverser – le monde et l'existence comme si tous les visages étaient aveugles(1). Comme si notre regard et notre présence – et l'être qui anime nos profondeurs – constituaient l'unique sujet(2) dans les paysages et les décors du monde... Et l'on verrait ainsi son cœur se défaire naturellement – et presque aussitôt – des peurs, des inhibitions, de la colère et des attentes – bref de tout le superflu qui l'encombre inutilement. Nous verrions aussi émerger – et fleurir – nos aptitudes et nos prédispositions naturelles. Et nous verrions enfin s'instaurer, presque à notre insu, le juste équilibre entre ce qui nous est essentiel et ce qui nous est nécessaire...

Ainsi notre vie, notre chemin d'existence et notre cheminement intérieur (vers la vérité et notre nature profonde) se réorganiseraient naturellement pour que jamais nous ne nous écartions de nous-mêmes – et de ce qui nous est fondamental et indispensable. Et nous sentirions alors s'effacer peu à peu notre individualité pour que l'être – l'être qui habite nos profondeurs – puisse éclore, s'épanouir et rayonner de façon de plus en plus pleine et magistrale...

(1) Ce qu'ils sont d'une façon ou d'une autre... totalement ou partiellement...

(2) Ce qu'ils sont lorsque l'identification égotique a été éradiquée...

 

 

Ah ! Qu'il est doux d'habiter à nouveau le regard vierge et innocent ! Comme si nous rentrions au bercail après des siècles de voyage, d'errance et de circonvolutions sur toutes les sentes de la terre. Et que nous retrouvions enfin notre fauteuil posé sur la terrasse originelle pour nous y installer en silence – et en paix – afin de contempler avec émerveillement toutes les danses étranges du monde – toutes les danses funestes et merveilleuses des êtres qui peuplent ce monde...

 

 

Vers quelles réjouissances te hâtes-tu ? Vers celles qui peuplent – et abreuvent – le monde et qui ensommeillent les esprits ? Ou vers celles qui fleurissent dans la solitude et le silence ? Dis-moi de quoi tu te réjouis, et je te dirais qui tu es...

 

 

Des pas, des paroles et de la poussière, n'est-ce pas là résumée toute notre vie...

 

 

L'eau, le feu et le vent (l'air) offrent leurs bienfaits à la terre lorsqu'ils se donnent avec mesure (et parcimonie). Mais lorsque la puissance les anime et qu'ils déferlent en quantité, ils dévastent, anéantissent et déblayent la terre – ils la purifient en quelque sorte – pour qu'elle se renouvelle. Et trouve un nouvel épanouissement...

 

 

La dureté du monde, l'insensibilité des êtres et l'indifférence des hommes. Quel âpre et rude destin pour les créatures de glaise qui s'éveillent à la conscience...

Qu'elles reçoivent donc nos plus vifs et nos plus sincères encouragements dans le lent et difficile cheminement qui les attend... Et quels sont les meilleurs encouragements – les plus justes et les plus puissants – que nous pourrions leur offrir sinon nous montrer bienveillants – aussi bienveillants que possible – à leur égard. Et présents et sensibles – autant que nous en sommes capables – à leurs appels, à leurs demandes et à leurs interrogations...

 

 

L'homme, créature impitoyable dans un monde impitoyable. Au sommet de la hiérarchie des instincts. Si réfractaire – si peu réceptif – à l'intelligence et à l'Amour qui le délivreraient pourtant de l'ignorance et de la barbarie...

 

 

On n'échappe à rien en ce monde. Tout nous agrippe – et nous façonne – avant de nous abandonner. Jusqu'à ce que nous comprenions ce que nous sommes : regard innocent dans le silence et l'infini...

 

 

Il y a à l'entrée du village, près de la maison (où nous avons emménagé depuis peu...), une vache solitaire dans un pré ceinturé de barbelés. Et quelle que soit l'heure à laquelle nous empruntons la petite route qui longe ses pâturages, on la voit paître ou ruminer – vaquer à ses tranquilles occupations – avec une apparente indifférence comme si elle ne se sentait guère concernée par les événements du monde alentour. Mais en dépit de cette indolence, il y a dans ses yeux – dans ses grands et beaux yeux de ruminant pacifique – un amour et une innocence mêlés de tristesse et de résignation – une flamme de la plus belle et plus profonde humanité qui ferait pâlir plus d'un homme en ce monde. A la fois mère tranquille et mère courage dont la présence, l'attitude et le regard m'émeuvent profondément. Et qui m'offre la joie, la sensibilité et le soutien nécessaires pour commencer ma journée dans le monde des hommes...

 

 

Un chant d'oiseau dans l'aube brumeuse. Comme le jaillissement de l'eau dans le désert. Comme le jaillissement de la joie – et de la couleur – dans la blancheur un peu terne des jours...

 

 

Des ruines émerge la mémoire que l'oubli efface. Et l'effacement ouvre à la splendeur du présent. En aiguisant les sens à l'émerveillement innocent...

 

 

Où s'en sont allés tous les visages croisés ? Et tous les visages aimés ? Etaient-ils seulement composés de chair et de sang ? Avaient-ils seulement quelque réalité ? Qui donc les habitait ? Découvrirais-je un jour celui qui animait leurs traits et faisait jaillir leurs rires et leurs pleurs ? Comment a-t-il pu quitter leur visage ? Et où s'en est-il allé ? Serais-je un jour capable de le retrouver ?

 

 

Etrange monde que celui où nous vivons à la bassesse aveugle si commune – si avérée. Et si prompte à se répandre comme une lave dévastatrice et empoisonnée...

Avec quelle indigence blesses-tu encore la vie ? Faut-il que tu sois profondément endormi ou meurtri pour te livrer ainsi à la barbarie – et ne pas trouver la force de jeter toute cette misère aux orties...

 

 

Le monde nous happe. Et nous nous laissons cueillir sans un bruit. Sans une main levée. Pour n'avoir bientôt que le monde pour souci. Comment pouvons-nous donc nous abandonner à ce point ? Pourquoi ne fuyons-nous pas ces lieux marchands où tout jusqu'au désespoir se négocie à prix d'or ? Pourquoi ne trouvons-nous pas la force d'échapper à cette vie où l'amour, la joie et la mort se vendent pour quelques pièces jetées ?

 

 

Le plus juste ne survient ni de l'Amour qui se cherche ni des bonnes intentions. Mais des noms qui s'effacent...

 

 

Lorsqu'il n'y a encore d'innocence, l'exigence est le maître mot – et le maître d’œuvre – de notre existence. Et nous restreignons alors l'espace en le soumettant à nos aspirations et à notre volonté.

L'innocence est le seul garant d'un espace vierge, ouvert et infini. Apte à recevoir – et à accueillir sans résistance – tout ce qui le traverse...

 

 

Ah ! La vanité de tout discours ! De tout propos ! De toute parole ! Et leur si peu d'incidence sur le cœur – et la vie – des hommes ! Tant de bruits inutiles et de fadaises... Comme il est vain de dire, de juger, de critiquer, d'analyser et d'expliquer. Mieux vaut demeurer silencieux. Et préférable – et bien plus fécond – de contempler et de s'émerveiller. D'être. En glissant de temps à autre une parole poétique – née du silence.

Et lorsque je songe à mes misérables notes, à toutes ces pages écrites depuis déjà tant d'années, je me dis qu'elles ne sont bonnes qu'à mettre au feu... Quelques brins de paille pour allumer un grandiose – et magnifique – feu de joie...

 

 

La solitude, bien sûr, est inégalable. Mais si l'on me demandait – ne sait-on jamais ? – de choisir mes fréquentations, j'opterais plus volontiers pour les morts que pour les vivants. Pourquoi ? Parce que leur compagnie me semble bien plus plaisante. Bien moins encombrante. Et bien moins dommageable et contrariante. Les morts sont source de beaucoup moins de soucis, de tracas, de dégâts et de désastres que les vivants...

 

 

Le savoir – la volonté de savoir et ses innombrables instruments – naissent de la peur. La connaissance – la connaissance de soi et l'aspiration à la vérité – naissent également de cette peur. Mais on ne s'y attelle que lorsque l'on comprend que le savoir est incapable d'éradiquer la peur... Nous ressentons alors intuitivement que seule la connaissance est en mesure de l'effacer. Et nous avons raison : lorsque nous comprenons réellement ce que nous sommes – et ce qu'est le monde –, la peur disparaît naturellement...

 

 

Lorsque l'aube se cache sous nos paupières sombres – à l'abri, tapie dans l'ombre – que l'innocence nous semble lointaine. Et inaccessible...

 

 

La vérité ne naît jamais de la parole. Elle jaillit du monde – de tous les êtres et de toutes les choses du monde – qui invitent – qui invitent toujours – le regard à retrouver son innocence...

Les livres sont vains. Bien plus vains que l'herbe et les fleurs des chemins. Les livres sont un détour – comme une récréation – vers le ciel. Et sous leurs airs anodins, l'herbe et les fleurs nous en disent toujours plus long sur l'infini et le silence que toutes les pages du monde...

 

 

Un minuscule carré d'herbe verte sous un coin de ciel bleu. Et tous les horizons alentour et au-dedans... Voilà qui est bien suffisant pour être au monde et habiter l'infini...

Mais l'homme pourra-t-il jamais découvrir – et connaître – le monde et l'infini ? Pourquoi se sent-il si peu concerné par eux – et par l'Absolu – l'Absolu qui habite toute chose ? Pourquoi se cantonne-t-il à cette existence misérable et étriquée ? Et pourquoi – lorsqu'il se met à les chercher – se croit-il obligé d'aller fouiller là-bas aux confins de l'ailleurs ?

 

 

Aux paroles indigentes du monde, à ses gestes sournois et furieux et à ses pas mécaniques et sans âme, acquiesce d'un sourire silencieux. Mais que jamais ton visage ne trahisse ton âme ! Qu'il lui demeure fidèle en toutes circonstances...

 

 

Notre vie. Un amas – et une succession – de petits riens que l'esprit (le psychisme) transforme, selon sa nature, en admirables merveilles ou en détritus dérisoires. En mont de merveilles un peu illusoire ou en monceau de détritus un peu exagéré... Mais pour Dieu – et le regard –, ces petits riens sont toujours d'infimes – et essentiels – grains de sable enchanteurs et miraculeux qu'il habite – et emporte avec lui dans le silence et l'infini...

 

 

Et dans cette longue nuit qui nous emporte, on voit les mains se lever, les bouches cracher leurs cris rauques de résistance, les pas s'agiter et les yeux – et les cœurs – s'affoler. Aucun être – aucun homme – n'est, bien sûr, épargné. Nous claudiquons tous, aussi apeurés, sur le fil fragile de l'existence qui mène inéluctablement à la mort. Et qui pourrait avoir la force de se livrer – corps et âme – à l'abandon et à l'effacement ? Celui qui en a ressenti l'impérative nécessité pour y avoir entrevu la seule issue possible à la peur et à la tristesse – à toute la misère d'être au monde. Et qui a épuisé toutes les duperies et les faux-semblants pour y échapper...

 

 

L'encombrement est source de soucis et de tristesse. Et l'innocence, source de joie et d'émerveillement. Pesanteur, crispation, malheurs et morosité d'un côté. Légèreté, tranquillité, profondeur et consistance de l'autre. Et passer des premiers aux seconds est la grande affaire de l'âme. Et nécessite, le plus souvent, un lent et long processus de dépouillement du cœur et de l'esprit. Avis donc aux amateurs... Mais qu'ils sachent que le souffle métaphysique qui les anime doit être puissant pour ne pas se décourager face aux innombrables obstacles et difficultés qu'ils rencontreront...

 

 

Il y a dans les pétales d'une fleur des champs, une pierre sur un chemin, un brin de paille, un visage triste ou un sourire innocent davantage de beauté et de vérité que dans toutes les pages – et toutes les paroles – du monde... même les plus belles et les plus émouvantes – même les plus admirables...

Qui serait assez idiot – et assez aveugle – pour penser ou croire le contraire ?

Quant aux autres fadaises humaines (toujours plus nombreuses...) et à toutes les billevesées commerciales et distractives (de plus en plus envahissantes...), il se serait absurde et vain d'espérer y trouver la moindre parcelle de beauté et de vérité... Elle ne recèlent que laideur et mensonge...

 

 

Le poète – et le philosophe – ne choisissent ni leur plume ni leur encre. Pas davantage qu'ils ne choisissent leur table et leurs paysages. Ils sont comme l'ouvrier et l'artisan qui manipulent les outils à leur disposition sur l'établi ou le chantier que la vie leur a offert. Une seule certitude peut-être : l’œil et le geste s'aiguisent à force de travail sans en n'avoir pourtant jamais fini avec leur besogne...

 

 

Un livre doit réconcilier et ouvrir. Profondément et authentiquement. Sinon il n'est qu'un amas de lettres mortes...

 

 

Nous avons déjà tant à faire avec nous-mêmes qu'il serait sage de laisser le monde prendre soin de lui – et s'occuper de ses affaires... L'innocence que nous arborerons constitue – et constituera toujours – l'aide la plus précieuse – et le meilleur secours – que nous pourrions lui offrir...

Œuvrer sans relâche – et dans un esprit d'abandon – à faire naître – et à nous maintenir dans – cette innocence est donc le meilleur service que nous puissions lui rendre...

 

 

Invisibles traces d'une âme sans éclat côtoyant pourtant l'essentiel, familière de l'infini et du silence, de la profondeur du regard et de l'épaisseur du monde, que nul n'aura vu passer. Et qui s'effacera comme elle a vécu : dans l'insondable solitude de l'anonymat. Et dans l'admirable – et merveilleuse – humilité de l'innocence...

 

 

Être. Être simplement là pour accueillir ce qui se présente à nous. C'est ainsi que nous prenons soin du monde. Et que nous veillons sur lui. Non avec idéalisme, ambition et prétention. Mais avec réalisme et humilité au fil des événements et des circonstancesqui se manifestent dans le regard...

 

 

L'infini et le silence – Dieu et l'Absolu – ne peuvent constituer une fin en soi. Et bien qu'ils représentent sans doute le saint Graal pour l'homme en quête, ils ne sont, en vérité, que des instruments – les plus simples, les plus vastes et les plus puissants – au service de la conscience et du monde dont se sert l'homme-regard pour être parmi les êtres et les hommes...

 

 

Dieu aime le simple et le fragile. Et on les trouve partout. A chaque instant. Dieu est dans les détails – dans tous les détails – de notre existence. Et le plus anodin en est la plus évidente vitrine (même si Dieu, bien sûr, ne tient boutique et n'a rien à vendre...). Toujours il est là qui se tient devant nous – et qui nous attend – avec ses bras ouverts immenses et tendres...

Le Diable, dit-on, est dans les détails. Mais rien n'est plus faux. Seul notre esprit démoniaque aime à critiquer, à se plaindre et à ergoter pour mille diaboliques raisons... C'est Dieu, en vérité, qui est dans les détails... dans le vent qui caresse les feuilles des arbres, dans une tasse de café posée sur un coin de table, dans la rosée du matin, dans la beauté d'un visage endormi sur l'oreiller, dans le soleil qui se lève à l'horizon. A chaque instant, mille détails nous rappellent sa présence. Et nous invitent à goûter à la tendresse de son Amour. Et il n'y a rien de plus délicieux pour l'âme envahie par son regard qui se pose sur le monde – sur tous les détails de ce monde – comme une longue caresse innocente sur un corps ensommeillé. Comme traversée par une douce et langoureuse extase...

 

 

L'homme-regard. L'innocence et l'Amour au service de l'être et du monde. Non de façon théorique, idéaliste et présomptueuse. Mais dans le plus simple, le plus ordinaire et le plus quotidien. Dans les plus infimes détails de cette existence...

 

 

La précieuse – et merveilleuse – présence d'un visage dont le nom s'est effacé. Gardien à la fois du plus simple et du plus sacré qu'il mêle en gestes lumineux – et en paroles éclairantes – dans le plus ordinaire des jours. Le plus grand réconfort à toute la misère du monde...

 

 

Il y a des visages et des gestes précieux. Il y a des sourires, des paroles et des silences qui gravent leur lumière dans notre cœur. Et dans notre chair. Ils sont comme un soleil qui efface le plomb – et les ombres – de notre vie. Il n'y a de plus belles – et émouvantes – rencontres... De celles rares – trop rares – qui offrent l'Amour. Et qui vous invitent avec douceur – avec délicatesse – à prendre le maillet et le burin pour libérer le cœur de la gangue qui l’asphyxie. Ainsi éclosent – et se perpétuent – l'Amour et la lumière passant – et se transmettant – de cœur à cœur...

 

 

Un jour, bien sûr, les innocents finiront par mourir. Comme les autres. Comme tous les autres. Comme les naïfs, les obscurs et les ténébreux. Mais l'innocence, elle, est éternelle. Quant à l'obscurité et aux ténèbres, elles sont, ne l'oublions pas, les premiers pas de la lumière. Et l'on peut voir partout l'innocence et la lumière aller sur les chemins – à travers tous les paysages – pour que l'Amour jamais ne s'éteigne...

 

 

L'Amour est comme une couronne de lumière posée de façon discrète – de façon presque invisible – sur les âmes simples et innocentes qui la portent avec humilité pour réconforter – et éclairer – toutes les ombres qui passent en ce monde...

 

 

En écrivant, on invite Dieu – et tous les anges – à venir se poser sur la page blanche. Et ce sont leurs paroles – et leur dialogue silencieux – qui s'inscrivent sur notre feuille. Nous, on se contente d'écrire sous leur dictée. Le plus gros du travail – de cette belle et inutile besogne – est de les écouter. De les écouter de la plus fine et de la plus juste des façons... Et l'on n'y parvient que lorsque l'on s'est effacé. Le silence alors révèle ses trésors que l'on note sans empressement sur notre petit carré de papier.

Et à travers chaque mot et à travers chaque phrase – et entre chacun d'eux – c'est le silence qui se confie... Et il a plus à dire que toutes les paroles – et tous les bavardages – du monde. C'est lui seul qu'il convient d'écouter. Il est partout. Sur toutes les pages et sur tous les visages. Il est dans le ciel comme dans les plus obscurs recoins de la terre. Il est en nous, partout, à chaque instant lorsque nous savons nous faire silencieux...

Et si nous pouvons le surprendre à travers nos lèvres, et toutes les lèvres et toutes les choses du monde, nous comprendrons alors qu'il ne s'entretient qu'avec lui-même – dans un étrange et merveilleux soliloque. Et il n'y a, en vérité, rien de plus facile pour l'entendre : il suffit simplement d'être à son écoute...

 

 

Porter le monde contre son cœur. Et lui offrir notre regard et nos gestes tendres et désintéressés...

 

11 décembre 2017

Carnet n°86 Au plus proche du silence

– Quelques bruits dans l'infini –

Journal / 2016 / L'intégration à la présence

Entends-tu les cris de la terre – et les hurlements des jours – recouverts par le silence des âmes obtuses et apeurées ?

Ne mêle tes pas aux instincts du jour. Laisse-les aller leur chemin. Regarde-les s'ébrouer – et se cabrer – chercher partout quelques mains conciliantes et quelques yeux approbateurs et complices pour leur offrir un tremplin ou une arène. Et regarde leur désarroi lorsqu'ils ne rencontrent que leur propre écho dans l'espace nu. Regarde-les sans saisie. Et vois comment ils s'éteignent – et s'effacent – dans le silence.

Un regard de braise et d'innocence. Vif et frais. Lucide et tranchant. Mais baigné d'un Amour et d'une candeur éblouissante. Et d'une virginité toujours nouvelle...

 

 

Le monde est un sombre abîme où se terrent les hommes – et toutes les âmes apeurées – effrayés par la violence apparente de la terre. Et le silence infini du ciel. Il n'y a pourtant rien à craindre. Ni de la terre ni du ciel. Nous en sommes à la fois les fils et le père. Mais notre trouble est si profond que nous en avons oublié jusqu'à notre identité. Nous nous affublons de noms – et nous nous attribuons des fonctions, des titres, des parcelles et des tâches à accomplir – à seule fin de combler cette ignorance – ou cet oubli peut-être...

 

 

Terres immergées de l'innocence où il nous faut plonger. Pour les faire remonter – et leur faire gagner l'altitude des sommets. Plus nous les hisserons haut, plus l'eau fraîche de l'Amour se déversera sur les chemins du monde...

 

 

L'âme du monde – et l'âme des êtres et des hommes – ne sont pas à sauver. Mais à libérer des forces obscures et écrasantes de la terre qui les emprisonnent. Un peu d'Amour et de lumière sauront les faire émerger des ténèbres. Puis, l'Amour appelant l'Amour et la lumière appelant la lumière, elles se hisseront naturellement jusqu'aux contrées célestes.

 

 

Un regard de braise et d'innocence. Vif et frais. Lucide et tranchant. Mais baigné d'un Amour et d'une candeur éblouissante. Et d'une virginité toujours nouvelle...

 

 

Pas de geste ni de pas justes sans Amour. Et sans lumière. Sinon les créatures œuvrent comme des mécaniques obscures et sans âme, les yeux et les mains rivés à leur tâche...

 

 

L'exercice des jours n'est ni une épreuve ni une ascèse. Et moins encore une marche forcenée ou une sorte de purgatoire au seuil de quelques contrées hadéennes et paradisiaques. Il est une permanente invitation au regard innocent de l'instant. Vierge de tout commentaire et de toute considération. Et Dieu – l'éveil ou l'éden – ne se trouvent hors de ce regard. Et de cette invitation...

Aussi est-il vain de courir après quelque chimère. S'arrêter serait le conseil préalable. Et la condition souvent nécessaire au ressenti de l'être. A la présence de l'être.

La grande illusion de l'homme en matière d'éveil et de vérité tient à son inclination – et à son goût – pour le mouvement. L'homme dont le corps et le cerveau sont composés d'énergie est amené à croire qu'il doit avancer – et progresser – pour les trouver ou les atteindre alors qu'il lui faut, au contraire, s'immobiliser pour ressentir, écouter et contempler, portes d'accès les plus à même de l'ouvrir à l'être. En matière métaphysique et spirituelle, l'homme doit donc abandonner la sphère des mouvements, des phénomènes et de l'énergie pour celle de l'immobilité, de la permanence et du regard.

Notons cependant que l'homme ne se trompe qu'à moitié (on pourrait même dire qu'il ne se trompe aucunement) puisque le contact et les liens avec les mouvements et les phénomènes énergétiques – ce que nous avons coutume d'appeler le monde, les événements et les circonstances – semblent nécessaires pour éveiller l'esprit à l'interrogation et aux choses métaphysiques et spirituelles à travers l'expérience (phénoménale) qui lui permet de progresser en leur sein et de s'ouvrir peu à peu à l'être. A la présence de l'être.

 

 

A l'homme instinctuel succédera l'homme métaphysique auquel succédera l'homme spirituel qui pourra enfin amorcer une ère terrestre nouvelle. A moins que le crétinisme ambiant promeuve l'homme virtuel et synthétique gavé de divertissements et immergé dans les gadgets et relègue l'interrogation et les questionnements philosophiques au rang de non nécessité. Alors s'ouvrira sans doute une période débilitante, décadente et apocalyptique qui signera la fin du règne de l'humanité dont l'histoire, malgré les excès et les abominations, laissait pourtant envisager un avenir prometteur mais que la stupidité finira pas faire sombrer...

 

 

Tous ces mots, toutes ces notes, toutes ces pages. Pour quoi ? Pour qui ? Je n'en sais rien. Scories peut-être du déblaiement. De l'interminable processus qui mène au dépouillement et à l'innocence. Amas de griffonnements abandonnés aux orties du temps pour découvrir – et dévoiler – l'être. Et la nudité de l'espace et du regard innocent...

 

 

Tout s'échappe. Et s'efface. Le temps, les êtres, le monde, les idées. Et même l'instant, bien sûr...

Seule demeure la présence. La présence à ce qui est dans l'instant. Et qui laisse s'échapper le temps, les êtres, le monde, les idées et l'instant. Et qui les efface aussitôt qu'ils disparaissent...

 

 

Demeurer dans la virginité du cœur et du regard. Et observer les vagues du monde s'emparer du corps et de l'esprit. Les frotter à tous les corps et à tous les esprits de la terre et du ciel. Et les faire participer à tous les tourbillons enchanteurs et à toutes les valses funestes – et funèbres. Quelle fabuleuse chorégraphie pour le cœur et le regard qui savent se mettre en aplomb des paysages. Dans la contemplation impartiale – et non agissante – des joutes, des coups et des brimades, des caresses, des parades et des pitreries qui s'entremêlent et s'enchaînent en d'interminables séries...

 

 

Que de cris sans réponse en ce monde... Et qui sait écouter les échos ramenant à leur genèse ? Et qui sait la traverser pour retrouver l'origine silencieuse du monde ?

 

 

Dieu – la présence – sont parfois considérés comme une compagnie pour le cœur humain solitaire. Mais en vérité, ils sont bien davantage qu'une simple compensation... Ils sont le seul sujet en ce monde infini d'objets (individus et choses du visible et de l'invisible...) qui rayonne – qui peut rayonner – à travers les yeux – et le cœur – des êtres qui savent se faire sensibles et réceptifs au regard impersonnel. Et à l'Amour.

 

 

Avec leurs constructions, leurs machines, leurs inventions envahissantes et leur organisation hégémonique et dictatoriale, les hommes dénaturent profondément les paysages et l'ensemble de la vie terrestre. Mais ils corrompent – et affadissent – également la vie humaine. En la rendant trop superficielle, trop douce et trop dépendante du collectif et de ses innombrables réseaux, ils la privent de ses instincts, de sa profondeur et de ses espaces de solitude indispensables.

Le confort – et ses excès – invitent – ont toujours invité – les hommes au sommeil et au ronronnement. Leur propension à assoupir la profondeur des ressentis, l'interrogation et l'envie d'apprendre, de découvrir et d'explorer (à titre individuel) endort les esprits. Et sauf peut-être à mourir d'ennui dans cet univers restreint, frileux et incarcérant à la mécanique bien huilée qui raviverait sans doute une forme de questionnement et une irrépressible aspiration à sortir de la somnolence des jours, il est évident que l'essentiel des hommes passent la quasi totalité de leur existence dans une sorte de léthargie doucereuse. Englués dans une vie de surface, languide et anesthésiante, sans épaisseur, sans consistance ni profondeur.

 

 

Dans le calme du soir, la belle – et grande – solitude se fait de nouveau sentir. Et l'âme se réjouit de retrouver l'être – et la sérénité qui l'entoure... On la voit heureuse, ravie – presque en extase – de pouvoir se laisser à nouveau pénétrer en profondeur...

 

 

Le monde humain occupe – et habille – l'espace terrestre. Et je n'aime ni la posture des hommes à l'égard de la terre – ni les vêtements dont ils l'ont affublée...

 

 

Entends-tu les cris de la terre – et les hurlements des jours – recouverts par le silence des âmes obtuses et apeurées ?

 

 

Dans l'air morose des jours, l'être veille aussi sûrement que dans la gaieté des jours radieux. Toujours égal à lui-même. Et toujours imperturbable malgré la ronde incessante des saisons.

 

 

Rien de plus émouvant qu'un homme en quête. A la recherche de son identité profonde... Et rien de plus beau lorsque l'être se dévoile... Mais que dire lorsque la rencontre a lieu – et que le silence s'impose ? Et combien d'hommes y accèdent-ils véritablement ?

 

 

Dans le calme des heures crépusculaires, qu'il est heureux de se retrouver seul, silencieux et serein... Et qu'il est délicieux de sentir la solitude, le silence et la sérénité de la nuit naissante... Lorsque l'agitation diurne s'est tue – et que les contingences quotidiennes et les inévitables activités du jour sont achevées, nous pouvons enfin nous abandonner pleinement à l'être. A la présence de l'être.

La journée – et chaque instant du jour – se prêtent aussi, bien sûr, à vivre en présence. Au plus proche de l'être. Mais il est plus difficilement accessible. Et sa qualité est moins tangible. Moins palpable. Trop happé – et trop préoccupé – sans doute par notre souci de mener à bien – et à terme – notre programme journalier pour être en mesure de le ressentir avec aisance. Et avec clarté. Comme si continuaient à trotter dans notre esprit la course folle et stérile de l'horloge et l'absurde impératif de nos exigences à l'égard du réel – et de ce que nous appelons notre existence...

 

 

Les êtres. Puits intarissables de misère et de souffrance au fond – et autour – desquels règne l'indicible. L'espace vierge et infini de l'être – de la conscience et de la lumière – qu'ils sont lorsqu'ils délaissent le triste et sombre abîme qu'ils croient être...

 

 

Mourir à la vie sans faille pour renaître à l'innocence. Et à la virginité de l'horizon.

 

 

Aucun élan sinon les nécessités du corps, les exigences du jour et les souffles naturels de l'esprit...

 

 

Chacun – et chaque forme – en ce monde est le maillon d'innombrables chaînes inter-reliées – et savamment interconnectées – qui est amené tantôt à utiliser, tantôt à transformer, tantôt à redonner, tantôt à offrir ou à transmettre ce qu'il reçoit (et ces actions peuvent, bien sûr, se mêler ou s'additionner de façon parfois complexe...). Ainsi chacun – et chaque forme – participe, malgré lui, à l'incessante transformation des chaînes auxquelles il appartient et à la création de nouvelles chaînes. Chaînes qui, rappelons-le, constituent ce que nous avons coutume d'appeler le réel (phénoménal) qui n'est rien d'autre, en réalité, qu'une gigantesque trame, une sorte de grand corps énergétique en perpétuel mouvement – soumis à un perpétuel remodelage et à une perpétuelle métamorphose...

 

 

Être. S'effacer dans la lumière de la présence. Et laisser le monde – et le cours des choses – libres de leurs mouvements s'épanouir dans l'espace nu qui leur est offert. Et qui, tôt ou tard, s'effaceront dans le silence et l'infini. Voilà, si l'on peut dire, à quoi œuvrent* l'âme et le cœur innocents...

* Si tant est que ce terme soit approprié...

 

 

Et toi, homme, qu'aimes-tu ? J'aime la poésie, la métaphysique et le silence. J'aime la solitude et les longues marches dans la nature sauvage en compagnie de mes chiens. J'aime les arbres et les petits sentiers des forêts et des collines. J'aime le ciel et les nuages. J'aime le souffle du vent dans les feuillages. J'aime l'herbe et les pierres des chemins et les feuilles mortes qui jonchent les paysages. J'aime les grands espaces nus de la terre et de la maison. J'aime le chant des oiseaux. Et leur vol dans l'azur. J'aime contempler les heures calmes du jour et du crépuscule. J'aime la nuit étoilée et silencieuse. J'aime l’honnêteté et l'authenticité des êtres. J'aime la parole qui court sans bruit sur mon carnet. J'aime les baisers de l'innocence. Et la présence des âmes simples et humbles. Bien des choses en ce monde ravissent mon cœur... et même la grossièreté et la prolifération des créatures – et des hommes – ainsi que leurs lois et leurs élans stupides – m’émeuvent parfois...

 

 

Ne mêle tes pas aux instincts du jour. Laisse-les aller leur chemin. Regarde-les s'ébrouer – et se cabrer – chercher partout quelques mains conciliantes et quelques yeux approbateurs et complices pour leur offrir un tremplin ou une arène. Et regarde leur désarroi lorsqu'ils ne rencontrent que leur propre écho dans l'espace nu. Regarde-les sans saisie. Et vois comment ils s'éteignent – et s'effacent – dans le silence.

 

 

Nul programme. Nul emploi du temps. Nulle tâche à accomplir. Simplement les gestes et les pas de l'instant qui se manifestent – et se réalisent – dans l'innocence de l'attention. Dans la vacuité du regard. Dans l'espace nu. Vierge d'intentions, de souvenirs et d'arrière-pensées.

 

 

La douceur, la tendresse et la joie tranquille de l'être qui se déploie dans l'âme – et le cœur. Vibrant dans l'innocence du regard à l'unisson du silence...

Quelle grâce... Et quelle plénitude... Rien ne saurait donner au cœur d'un homme un sentiment plus admirable...

 

 

En notre cœur essentiel, dépouillé de ses rengaines et de ses couches crasseuses et superflues, règne notre identité secrète. Et il appartient à chaque homme – et à chaque être – de se défaire de ses strates encombrantes pour la découvrir : la faire émerger des terres profondes et silencieuses. Et la faire naître au monde.

Il n'y a d'autre voie pour sortir l'âme et la terre de leurs marécages. Et leur offrir le destin que le ciel a dessiné pour elles...

 

 

Les mots qui surgissent n'ont d'autre destin que d'offrir l'innocence et l'infini au cœur mûr et attentif. De l'encourager dans son périple. Et de lui indiquer l'âpre route à suivre pour les découvrir...

J'aimerais parfois que le silence recouvre ma parole. Il se fait toujours plus juste. Et plus direct. Mais bien peu d'hommes savent l'entendre. Et l'écouter. Aussi dois-je continuer à écrire. Même si la main des hommes reste toujours aussi réfractaire à tourner mes pages...

 

 

Seul, nu et apeuré sur l'effroyable et inhospitalière banquise du monde, voilà de quoi éprouver l'âpre nature de la terre. Et la condition de toute créature. Mais n'est-ce pas là une grandiose – et merveilleuse – invitation à s'interroger sur ce que nous sommes et ce qu'est le monde ? N'est-ce pas là la voie royale pour découvrir l'être et son infinie profondeur ? En tout cas, Dieu n'en a, semble-t-il, pas trouvée de meilleure – et de plus directe – pour l'homme...

 

 

Nous agissons et organisons le monde – et l'existence – selon nos représentations et nos fantasmes.

L'esprit instrumentalise, malaxe, transforme, malmène et martyrise la chair du monde pour quelques agréments et quelques bénéfices. Ignorant – ou refusant de voir et d'admettre – que ces agissements créent de l'inconfort, du désagrément et de la souffrance dans l'esprit des Autres – dans l'esprit de ceux que nous considérons comme les Autres... Sans compter, bien sûr, la souffrance que nous infligeons (sans même en avoir conscience) à ce que nous considérons comme notre propre chair – notre propre corps – pour qu'il soit digne – et à la hauteur – de notre vaine et illusoire représentation de nous-mêmes...

 

 

Quel tragique destin que celui de ne point explorer et de ne point découvrir... Existence de sommeil et de repos pour l'esprit et le cœur assoupis. Comme une pause – une courte pause – sans doute rendue nécessaire après quelques difficiles périples et quelques mésaventures douloureuses vécus dans l'antériorité des pas présents. Comme une parenthèse dans le voyage avant de reprendre l'ascension de nous-mêmes – cette âpre montée où l'on voit partout l'être régner. Sur tous les sommets et toutes les vallées...

 

 

Le printemps n'en finira jamais de renaître dans le regard défait des saisons...

 

 

Le silence peut-être... Mais nulle complicité avec la barbarie. Qui avant de pouvoir s'effacer dans le silence a besoin de lumière : d'un éclairage et d'une compréhension.

 

 

L'ignorance – et sa main barbare et grossière – ne pourront se dissoudre que dans l'étreinte de l'être. Une étreinte d'abord douloureuse, éveillant la sensibilité de la chair, puis se propageant peu à peu à celle du cœur et de l'esprit. Enfin prêts – enfin mûrs – à recevoir l'initiation : la leçon inaugurale de l'apprentissage. Voie magistrale de la compréhension menant à l'être. Et à sa lumière.

 

 

Que l'inconnu s'avance. Et il sera reçu. Accueilli sans peur ni résistance. Non par l'esprit frileux et calculateur d'autrefois transformant ses prédécesseurs en certitudes – en terres cartographiées pour qu'elles deviennent familières, mais par le regard – et l'espace – de silence et d'infini qui le laisseront faire ses tours, ses pitreries et ses cabrioles – qui le laisseront mordre ou cajoler selon les nécessités et la tournure des circonstances – sans manipuler ni jouer avec ses expressions. Et leurs exigences.

 

 

Aucune horreur ne sera épargnée aux êtres – et aux hommes – pour s'affranchir de leur laideur. La beauté sous-jacente ne saurait émerger autrement...

 

 

On se réjouit de cette merveilleuse – et inégalable – connivence avec l'innocence des âmes simples et humbles. De cette communion délicieuse dans l'unité du cœur. Inaccessible à la prétention. Et à l'idiotie de ses parades et de ses amassements.

 

 

Encerclés par l'abîme, nous voilà enfin prêts à recevoir la défaite. Et son sacre. Ultime seuil pour s'ouvrir à l'innocence qui transformera les pas – et le monde – en inconnu joyeux...

 

 

Il n'y a de volonté plus grande que celle du silence et de l'infini dans lesquels l'Amour, la joie et la paix vous sont donnés. Mais, en vérité, ils ne vous sont pas donnés, vous êtes simplement devenu capable de vous ouvrir à leur présence.

D'aucuns diraient que Dieu vous ouvre les bras. Mais il serait plus juste de dire : vous qui pensiez être séparé du Divin, vous voilà étonné et ravi – en extase – de voir qu'il était toujours là, pleinement présent – au cœur même de votre être. Et de votre regard. Et vous comprenez alors que vous ouvrir à vous-même n'était rien d'autre que vous ouvrir à lui. A lui présent en vous. Et le ressentir et le vivre n'était rien d'autre que votre tâche initiale – votre mission première – à laquelle succéderont sans doute d'autres tâches et d'autres missions pour le faire éclore dans le cœur – et les yeux – de chacun (afin qu'il resplendisse partout)...

 

 

Ne romps pas le silence pour quelques bruits d'apparat. N'abandonne pas l'infini pour quelques parcelles indignes et sans intérêt. Montre-toi tel que tu es. Mais ne corromps jamais l'innocence.

 

 

L'homme cherche le silence et l'infini. Mais comment trouver cet espace que nous sommes (que nous sommes déjà malgré l'ignorance qui nous étreint...) sinon en nous y ouvrant ? Et comment nous y ouvrir sinon en nous défaisant de l'accessoire qui l'encombre : de tous ces entassements dont le monde – et les hommes – nous ont fait croire qu'il fallait s'emplir – et s'entourer...

Le dépouillement est – et sera à jamais – la voie magistrale pour accéder au silence et à l'infini – et y glisser son cœur et son regard. Mais les hommes le craignent comme la peste. Rares sont ceux qui pressentent qu'il mène à l'humilité, à l'innocence et à la vacuité indispensables pour que le silence et l'infini puissent se dévoiler. Et nous habiter pleinement. Pour qu'ils soient en mesure de réinvestir l'espace que nous leur avons dérobé pendant le temps de notre sommeil et de notre recherche (pour les retrouver).

 

 

L'être est – et se dévoile – toujours sans malice et sans déguisement. Sa probité est absolue. Jamais il ne joue. Et jamais il ne ment.

 

 

Il n'y a d'heures – et de jours – funestes que pour le cœur en grisaille. Pour l'être, l'instant est toujours radieux malgré la pluie – et les averses – qui attristent l'âme. Saisons froides et fastes printaniers sont égaux à ses yeux. Il accueille tout ce qui apparaît. Et l'efface aussitôt. Sans jamais trahir ce qui s'éteint en lui...

 

 

Pour quelles raisons les hommes vivent-ils ensemble – vivent-ils côte à côte serait plus juste – sinon pour le maigre réconfort d'une compagnie – plus ou moins fantomatique l'essentiel du temps – qui leur donne le sentiment d'échapper à la solitude si souvent considérée comme une fâcheuse et tragique condition pour traverser l'existence et faire face à l'adversité du monde ?

 

 

Qui perçoit l'incessante invitation des jours à nous ouvrir à l'innocence et à l'infini ? Et qui les entend frapper à notre porte à chaque instant de notre existence ? Et nous, peureux et frileux, nous leur claquons la porte au nez pour nous barricader – et nous claquemurer – avec arrogance et terreur (une terreur bien souvent inconsciente...) derrière nos misérables savoirs et nos pauvres richesses...

 

 

Voir – et sentir – l'être au cœur de chaque créature et de chaque forme, vibrant de vie et parfois de terreur et de joie. Le voir – et le sentir – étonné de se retrouver provisoirement confiné dans un corps et un esprit si étroits. Si personnels et singuliers. Si insignifiants et anecdotiques. Si mesquins et exigeants. Et si tapageurs... Presque désolé de se voir accoutré de tels vêtements, lui si familier de l'innocence, de l'infini et du silence. Vêtements dans lesquels il se sent si souvent à l'étroit – comme gêné aux entournures – et dans lesquels il devra s'habituer à vivre pendant quelque temps avant d'en changer encore et encore... jusqu'au jour où il saura enfin retrouver – et réhabiter – l'espace originel...

 

 

L'Amour est un espace. Une présence infrangible, insécable et infinie qui s'offre inlassablement à tous les visages du monde (êtres et choses du visible et de l'invisible) sans jamais choisir ni s'épuiser.

Être, présence et Amour. La trinité unitaire, inépuisable et éternelle. Quelle joie lorsque qu'elle vous traverse ! Et qu'il vous est offert de l'incarner – et de la faire rayonner ! Grâce divine accessible à la part divine de chacun...

Mais les hommes – l'essentiel des hommes – encore englués dans l'ignorance (et qui ne l'est pas – intégralement ou encore partiellement ?) sont coupés de cette part divine qui les habite. Aussi donnent-ils – essayent-ils de donner – le change en singeant et en mimant les gestes de l'Amour – et en offrant maladroitement des signes et des manifestations de sa présence. Mais ils demeurent toujours prisonniers de l'étroitesse égotique de leur perception. Aussi n'ont-ils d'autre choix que de feindre l'Amour. Et souvent même à leur insu...

Comment peut-on démontrer la véracité de ces propos ? Rien de plus aisé... La preuve la plus tangible tient à la superficialité, à l'égotisme et à la réversibilité de ces comportements ! Si l'on venait à contrarier les hommes dans leurs plans, leurs attentes ou leurs calculs (plus ou moins conscients), qu'adviendrait-il de ces élans simiesques ? Ils se transformeraient aussitôt en reproches, en rancœur, en rancune ou en haine, révélant ainsi, de façon évidente, le travestissement de l'Amour, son indéniable rétrécissement, sa corruption et son inconscient renversement.

L'essentiel des hommes qui n'a conscience de cette présence divine en eux n'est donc pas en mesure de connaître – ni de fréquenter – l'Amour. Sans accès à cette part divine, aucun accès possible à l'Amour ! Aussi n'ont-ils d'autre choix que de l'imiter dans l'inavouable dessein d'être aimés et de le recevoir. Signe d'une grande immaturité...

Celui qui le fréquente – ou qui y a déjà goûté – sait que l'homme qui accède à cette part divine devient aussitôt Amour. Et qu'il cesse sur le champ de le quémander partout de façon aussi incessante qu'inappropriée...

Accéder à cet espace d'être, de présence et d'Amour, voilà sûrement le saint Graal pour l'être – et pour l'homme ! Et aussi, sans doute, l'une des grandes missions de chacune des formes sensibles et perceptives de ce monde...

 

 

Que d'événements et de rencontres dans le silence...

 

 

Plus vaste que le ciel et la terre, l'infini qui nous habite. Et qui les accueille.

 

 

L'être est la présence vivante de l'infini et du silence. Et qui s'incarne – qui peut s'incarner – dans (et à travers) les yeux et le cœur des êtres qui peuplent le monde...

 

 

Vus depuis les yeux des créatures, l'enfantement, la naissance, la vie et la mort sont une épreuve. Une souffrance. Vus depuis l'infini et le silence, ils sont une danse. Une nécessité naturelle du vivant. Et la promesse peut-être de leur règne accompli en ce monde.

 

 

Il n'y a que des amis à l'ombre de l'innocence...

 

 

Lorsqu'elle prend ses aises sur la terre, la grâce enfante une métamorphose. Elle transforme les yeux et le cœur en regard. Et le singulier – et le limité – en infini. Les hommes diraient sans doute qu'elle transforme le jugement en amour et en attention. Et la naïveté et l'ignorance en intelligence.

 

 

La chandelle que nous tenons serrée près de nos yeux – et de nos lèvres – apeurés n’éclaire – ne peut éclairer – l'obscurité de notre abîme. Elle aide simplement à s'extirper des ténèbres. De l'espace confiné – infime parcelle de l'espace lumineux – où nous nous tenons. Elle fait office de guide vers la lumière et l'infini que nous avons toujours habités. Et vers la présence vivante de l'être que nous avons toujours été...

 

 

Combien d’œuvres sortiront-elles des abîmes de l'anonymat ? Qui pourrait le dire ? Et, au fond, quelle importance... Si les êtres qui leur ont donné vie ont touché l'infini, le silence et la lumière, leur labeur – et leur besogne – n'auront pas été vains...

Les yeux et le cœur du monde sauront trouver d'autres appuis. Et d'autres encouragements. La terre et le ciel regorgent de trésors pour nous éveiller à nous-mêmes...

 

 

Le mince sourire des lèvres pincées. Comme un murmure discret et silencieux nécessaire pour laisser s'échapper la vie que l'on a trop longtemps retenue. Et les grands éclats de rire pour couvrir les pleurs que l'on n'a jamais osé laisser éclater... Bien des hommes vivent ainsi recouverts par une souffrance épouvantable – une souffrance indicible et inexprimée – qu'ils déguisent pour ne pas quitter la terre des vivants. Pour ne pas sombrer dans les bras de la désespérance... Pour retarder la chute à laquelle ils savent qu'ils ne pourront échapper...

 

 

Je suis un être distant et fraternel, en retrait et inflexible dont la démarche et le cheminement singuliers, la soif métaphysique et l'inclination à l'excès (voire même à l'outrance) aspirent à l'Absolu pour les hommes que le relatif contente. Infréquentable – et inentendable – donc par l'essentiel de l'humanité...

 

 

Occuper et habiller l'espace n'est pas l'habiter. Et seul ce dernier suscite chez moi quelque intérêt...

L'infini et le silence sont l'espace. Et l'être et la présence habitent cet espace. Ils l'habitent pleinement. On pourrait même dire qu'ils constituent l'espace vivant. Les formes – les êtres et les objets de ce monde –, eux, occupent et habillent cet espace. Quant aux êtres et aux hommes familiers de l'être et de la présence, il leur est offert, bien sûr, de l'habiter. Et, bien souvent, ils l'occupent de façon humble et discrète. Et ils ne sont, en général, guère enclins à l'habiller. D'ordinaire, l'épure et la simplicité ont toutes leurs faveurs...

 

 

N'être, ne vivre et n'exprimer que l'essentiel. Vierge de tout superflu. Et sans autre élan que les nécessités naturelles... Ni idéal. Ni ligne de conduite. Mais un impératif incontournable impulsé par l'innocence, l'infini et le silence.

 

 

Quel geste, quel pas et quelle parole – quelle infime insignifiance – pourraient-ils être dignes du silence ? Ceux qui naissent en son cœur. Qui en jaillissent naturellement et de façon directe – et qui s'accomplissent sans détour ni déguisement...

 

 

Obscurs anonymes à la faim insatiable – et au somptueux désarroi – rêvant de lumière dans leurs ténèbres sauront un jour reconnaître la lumière qu'ils sont. Mais de grâce, qu'ils sachent patienter dans leurs limites ! Ainsi seulement connaîtront-ils l'infini...

 

 

Le malheur n'est envisageable que par un esprit encombré et embrumé. Absorbé par la tristesse, la frustration et l'amertume. L'innocence – et l'esprit innocent – ne peuvent envisager le malheur comme ils ne peuvent d'ailleurs rien envisager : ni le temps, ni les êtres ni le monde. Ils vivent ce qui se présente, se laissent pleinement traverser par ce qui se manifeste et demeurent parfaitement tranquilles – et à l'écoute – jusqu'à son effacement. Et jusqu'à l'arrivée prochaine d'un autre événement – d'un autre phénomène – dont la nature et la couleur ne les concernent – et ne les affectent – d'aucune façon.

 

 

Le regard innocent de l'infini et du silence nous ouvre à Dieu. Et à son éternelle virginité. Mais il nous rappelle, en réalité, à nous-mêmes. A notre seule véritable identité. Celle que nous avons toujours magistralement ignorée malgré son indéfectible présence. Et, de toute évidence, cet oubli et cette absence – et cette spoliation identitaire – ont toujours empêché (et retardé) l'accès à cette vérité...

 

 

Ecarte la ruse, le mensonge et le déguisement de ton chemin. Sois franc quoi qu'il advienne. Ne te départis jamais de cette droiture. Et de cette exigence. Et l'honnêteté et l'authenticité te mèneront inexorablement à l'innocence qui t'ouvrira alors naturellement les portes de l'infini et du silence...

 

 

Mes pages sont accessibles – et s'offrent – à travers une minuscule vitrine. Une infime – et obscure – fenêtre devant laquelle les têtes passent sans un regard. Elles préfèrent – et n'ont d'yeux que pour – le clinquant et le sensationnel, le divertissement et le confort aisé et accessible. La solitude, l'authenticité, les épreuves et les malheurs exigés par la vérité n'attirent – et n'ont jamais attiré – les foules. Quant à en faire recette, il ne faut, bien sûr, pas y compter... Mais cette indifférence générale n'affaiblit pas – bien au contraire – l'offre et l’œuvre (l’offre et l'œuvre infimes) du poète démuni dont la besogne ne paye pas même le pain...

En d'autres circonstances – et qui adviendront sans doute ultérieurement lorsque le silence aura tout recouvert et qu'il s'imposera sans conteste comme l'unique partenaire – et l'unique témoin – peut-être sera-t-on amené à apposer une petite pancarte sur la porte de la petite boutique : « Déstockage hors commerce avant fermeture définitive ». Et nul ne sera étonné d'apercevoir peu après un grand rideau métallique baissé sur la devanture... Le petit poète s'en sera allé... il aura définitivement quitté les lieux pour l'effacement – le plein effacement – dans le silence et l'infini...

 

 

J'ai si peu d'amis – et de frères – parmi les hommes. Et tant parmi les pierres, les arbres et les bêtes. Âme exilée du monde et recluse au dehors. Simple créature de la vie et de la nature...

 

 

Dans l'effacement, tout apparaît à une autre lumière. Rien ne change véritablement. Mais le regard se fait plus franc et plus clair. Plus vaste, plus fin et plus profond. Jusqu'à ce que le silence et l'infini l'emportent au delà de l'obscurité et de la pénombre. Au-delà du long apprentissage de l'effacement et de l'innocence dans l'espace infini et silencieux de la présence vivante : l'être sans qualificatif.

 

 

A ses yeux, la vie n'était qu'un carré de terre ouvert sur le vaste monde. Un carré de terre où il aurait aimé bâtir une humble cabane, un minuscule carré de pierres – de taille modeste – avec un étage. Qu'il aurait aménagé avec quelques planches servant de table, d'étagères et de lit – sur lequel il aurait posé un mince matelas et une couverture. Le reste de la maisonnée aurait été du même tonneau – pensé et construit avec la même frugalité. Simple, agreste et épuré. La cuisine aurait été composée d'un évier, d'un poêle à bois et d'une petite étagère pour poser quelques vivres, quelques verres, quelques assiettes, quelques couverts, une casserole, une poêle et une grande marmite munie d'un couvercle. La salle d'eau aurait été équipée d'une petite douche alimentée par une pompe à eau manuelle reliée à une cuve attenante à la maison qui aurait récupéré l'eau de pluie tombée par une étroite gouttière. Et sur la table auraient traîné quelques feuilles, un carnet, un stylo et un vieil ordinateur portatif alimenté par un panneau solaire fixé sur le toit. Voilà à quoi il aurait aimé réduire son existence. Et cet abri posé sur ce fief lui aurait été pleinement suffisant pour vivre. Pour vaquer à ses tâches naturelles. Il aurait ainsi passé ses journées à arpenter le monde autour de son étroit carré de terre en empruntant les mille chemins des forêts et les mille sentiers des collines alentour en s'arrêtant régulièrement pour sortir son mince carnet – quelques feuilles découpées et assemblées par un vieil élastique – afin d'écrire quelques paroles jaillies du silence .

Sa vie aurait été simple, modeste et frugale. Et éminemment joyeuse dans cette solitude. Dans cette forme d'exil du monde. Elle se serait résumée à peu de choses – à si peu de choses : être, vivre, marcher et écrire. Et ses longues années passées loin des hommes lui auraient permis d'apprendre le retrait, l'humilité et l'effacement. Il n'aurait pas eu beaucoup d'amis parmi ses congénères. Mais partout des frères naturels à qui il aurait rendu visite chaque jour pour s'entretenir avec eux dans le silence. Nuages, pierres, arbres, herbes et bêtes auraient compté parmi ses plus fidèles compagnons. Il aurait vécu ainsi longtemps. Et aurait fini, comme les autres hommes – et les autres êtres de ce monde – par mourir.

Et il lui arrivait d'imaginer que bien des années – et peut-être même quelques siècles – après sa mort, on aurait découvert sur la table de sa petite maison de pierres laissée à l'abandon, une énorme liasse de feuillets noircis de sa petite écriture sauvage témoignant de son humble existence. Unique trace de son passage sur terre. Unique preuve de son étrange aventure intérieure. Et seul legs à l'humanité.

[…] Et aujourd'hui qu'il m'est offert de lire ces quelques pages – ses bribes de notes –, l'émotion est forte. Et profonde. Et je ne peux retenir mes larmes. Si j'avais connu ce petit homme, je l'aurais profondément aimé. Et sa parole me laisse à penser que nous nous connaissons – que nous nous sommes toujours connus – sans même nous rencontrer. Qu'un étrange lien nous unit – et continuera de nous unir – par delà les siècles...

Et à présent qu'à mon tour, je prends la plume – que je reprends en quelque sorte le flambeau de cette œuvre anonyme et inconnue – je poursuis l'obscure besogne de cette lignée (à laquelle nous appartenons malgré nous...) pour que jamais ne s'éteigne le labeur des chercheurs solitaires dont la forme est humaine mais dont le cœur et l'esprit ont fréquenté – et côtoyé – l'espace infini et silencieux de l'être, toujours si étranger aux hommes...

 

 

Vie de représentation et d'apparat. Vie de nécessités et d'occupations. Vie d'obligations et de distractions. Existence frivole, futile et superflue où la complicité, le partage et l'authenticité ont été évincés au profit de la cohabitation et de la coexistence – du triste et inévitable vivre côte à côte – anéantissant l'être – son intensité et sa profondeur. Et soulignant avec force – et tant d'évidence – la solitude – l'inaltérable solitude – de chacun. Et la merveilleuse et inexpugnable solitude de l'être.

 

 

L'existence. Danse frivole et joyeuse aux allures de farce macabre. Avec les hommes en habit de polichinelle et aux masques funéraires sous les sourires et les grimaces de circonstances...

 

 

Les autres – ceux que nous considérons comme les autres – le reste du monde – sont à titre personnel le miroir et l'écho – les révélateurs – de nous-mêmes. Des multiples parts et pans de nous-mêmes. Mais sur le plan de la conscience et de l'impersonnel, ils sont les éclats – les fragments indissociables – d'un seul et même corps auquel nous appartenons tous. Et auquel nous donnons vie à travers l'être et la présence...

 

 

Un seul regard sur le monde à travers les yeux des êtres et des créatures éveillés. Il n'y a – et il n'existe – rien d'autre... Le reste n'est qu'un décor changeant du grand corps. Avec des yeux encore ensommeillés et mi-clos qui peinent à s'ouvrir...

Aussi les cœurs timides et effarouchés n'ont rien à craindre... Ils peuvent se laisser aller à être ce qu'ils sont. Ils peuvent se sentir libres de faire ce qui leur est naturel et d'agir à leur manière (parfois si singulière) – sans risquer de se tromper, de se fourvoyer et d'être jugés et critiqués par quelques âmes désobligeantes. Et si d'aventure ces âmes misérables exprimaient encore quelques remarques fâcheuses et manifestaient encore quelques regards déplaisants, nos cœurs timides et effarouchés sauraient désormais que ces désapprobations, ces cris et ces protestations n'ont davantage de poids – et de réalité – que les jurons marmonnés par un rêveur profondément endormi...

 

 

A l'être, à l'infini, au silence et à l'Amour, on ne peut rien ôter ni ajouter. Ils demeurent inchangés. Et inchangeables. Eternels. Les créatures de ce monde ne peuvent (seulement) qu'y accéder. Et en obturer ou en faciliter l'accès...

 

 

Les fruits et les abris naturels de la terre n'ont jamais su contenter les hommes. Le monde s'est édifié – et a évolué – à partir de cette éternelle insatisfaction. Depuis l'aube de l'humanité, la terre – et la vie terrestre – se sont ainsi transformées. D'ailleurs, les recherches humaines ont toujours essentiellement concerné le confort et l'amélioration de l'Existant. Depuis que l'homme est homme, seules quelques rares âmes – éprises d'Absolu – ont opté pour une autre voie – et d'autres recherches...

Mais il semble évident que la quête des premiers et la perspective des seconds se rejoindront un jour. Dans un avenir très lointain sans doute... Les uns œuvrant, à leur insu, à l'avènement très progressif des caractéristiques de l'être et de la conscience dans le monde – et sur le plan collectif – et les autres y ayant déjà accédé à titre personnel (même si ce terme semble peu approprié...) contribueront à orienter et à faciliter le travail des premiers en empêchant ses dérives, ses écueils et ses excès...

 

 

Jamais la supplication n'enfantera la maturité... Mais l'absence d'écho peut faire naître le désespoir nécessaire...

 

 

Le silence et la solitude si souvent perçus par l'esprit commun comme un inconfort et une source de malaise et d'angoisse – et si souvent considérés comme une malédiction – sont pourtant une bénédiction pour l'âme. Ils constituent les conditions propices à sa quête. Et à son épanouissement. Ils représentent en quelque sorte son camp de base à partir duquel elle pourra prétendre à l'ascension des hauteurs et des profondeurs pour rejoindre son fief : l'infini.

 

 

On ne peut échapper à l'être qui, partout, cherche à éclore. Nul ne peut refuser ou se soustraire à l'origine qui l'a enfanté. La matrice s'offre – et ouvre ses bras – à tous. Sans distinction. La maturité – et son lot de caractéristiques – sont les seules conditions nécessaires pour le retrouver...

 

 

Comment échapper à l'abondance, au sommeil et au ronronnement ? On ne peut y échapper. On s'en extrait. L'interrogation est le premier pas. A travers les méandres intérieurs, elle mène à l'innocence qui est la condition indispensable au silence et à l'infini de l'être qui accueille – et surplombe – le monde où les êtres croupissent dans l'abondance, le sommeil et le ronronnement en rêvant mollement (ou parfois de façon furieuse...) de s'extirper de leurs griffes et de leurs sables mouvants...

 

 

Aucun acte, aucun geste, aucune parole, aucune activité ni aucune œuvre ne peut rivaliser avec l'être. Au mieux peuvent-ils s'en faire le reflet. Et fournir quelques indices – et quelques encouragements – pour y accéder... Voilà tout ce que l'on peut faire pour aider le monde...

 

 

Infini écrin de tout dont la lumière et la douceur illuminent et adoucissent l'obscurité et la violence des ombres. Et qui permettent à l'être enfoui en leur cœur d'éclore – et de s'ouvrir à sa présence.

Etrange périple de la lueur – de cette flamme oubliée – sortant des ténèbres – et de leurs pénombres – pour retrouver l'espace infini et lumineux. Dans une boucle implacable aux sombres méandres...

 

 

L'indigence des mots. L'indigence des gestes. L'indigence de tout face à l'infini et au silence. Face à la présence lumineuse de l'être. Mais, en vérité, nous n'avons que cela pour être au monde. Il nous est impossible d'être dans l'Absolu. Nous ne pouvons être que dans la vie. Et parmi les créatures. Nous ne pouvons être que dans l'infime parcelle où le corps se trouve. Nous ne pouvons être que dans les détails infimes – et si essentiels – de l'existence et du monde. Nous n'avons que cela pour être. Et faire rayonner sa présence.

Être dans l'Absolu n'est sans doute que l'apanage de l'être. Et peut-être celui des dieux, des grands êtres et des éveillés du monde du sans forme...

 

 

Comment les hommes pourraient-ils entendre le silence clair et puissant avec leurs sons de cloches et de sirènes et le bruit des pelles et des engins qui creusent les tombes où ils seront enterrés et qui édifient d'affreuses stèles à la gloire de leur postérité éphémère ?

 

 

Pour quelles raisons écrit-on ? Pour quelles raisons l'écriture nous saisit-elle et nous confine-t-elle derrière notre table (même si nous écrivons sur les chemins l'essentiel du temps...) ? Toujours pour mille mauvaises raisons derrière lesquelles se cache, malicieuse et mystérieuse, la volonté de dire l'indicible...

 

 

Au commencement était l'origine dont les bras se sont multipliés. Et desquels sont nées d'innombrables matrices enfantant d'autres bras et d'autres matrices. Façonnant la glaise pour en faire des visages et des yeux qui s'interrogèrent sur la glaise, les bras, les matrices et leur origine. Et dont les mains industrieuses inventèrent d'autres bras et d'autres matrices, d'autres visages et d'autres yeux. Mais de combien de bras et de matrices, de visages et d'yeux faudra-t-il peupler la terre pour que l'origine, un jour, leur devienne familière ?

 

 

Une bouche qui sait taire son nom – et son histoire – et qui n'a que faire de l'avenir de sa chair a plus à dire de son silence que toutes les lèvres bavardes. Et malgré les apparences, sa présence a sur le monde un poids plus conséquent... Présence plus essentielle que toutes les jacasseries du monde...

 

 

Le monde peut bien s'affairer – et s'agiter – pour se façonner un avenir, l'infini et le silence seront toujours la destination. La seule – et unique – destination. Et qu'importe que l'être – et sa présence infinie et silencieuse – se vivent à travers le regard d'un seul ou d'une multitude, lui seul est, goûte, ressent et regarde à travers la chair et les yeux du monde...

Et qui aurait la folie de croire que l'être et le monde fonctionnent différemment ? Qu'ils sont autre chose que ce lien mystérieux et indéfectible qui les unit. Et qu'ils ne sont, en réalité, qu'un jeu incroyable à l'issue sans importance...

Qui peut douter un seul instant que le monde – et les créatures qui le peuplent – ne sont voués à disparaître – et que d'autres les remplaceront aussi sûrement que les mondes passés ont disparu et que d'autres leur ont succédé ? L'être et le monde – l'être et l'Existant – obéissent aux lois naturelles qui les régissent. Et qui les soumettent à l'extinction et au jaillissement cycliques – et éternels. Nés des mystères de leurs profondeurs...

Lorsque le silence et l'infini s'emparent du regard, les bruits, l'agitation et l'abondance de ce monde d'infimes détails perdent leur importance...

 

 

L'être et le monde. Eternellement animés par les mêmes ressorts. Et dont seuls les formes et les vêtements se transforment...

 

 

Être malgré la somnolence, l'obscurité et l'ignorance. En dépit du monde, de sa fureur, de ses gesticulations et de ses insistances. Comment échapper à l'être ? Il est impossible de s'en extraire. Nous sommes. Et serons éternellement...

La vie et le monde ne sauraient nous éloigner de l'être. Leur attrait, leurs distractions et leurs illusions peuvent nous en détourner de façon provisoire. Mais ici-bas, tout nous rappelle à lui. Et nous invite à le retrouver. Et nous finissons, tôt ou tard, par le rejoindre sans cesser jamais, bien sûr, d'être à la vie et au monde. Jusqu'à ce que l'un et l'autre – être et être à la vie et au monde – se confondent en une inextricable unité scellant ainsi l'Absolu et la vérité aux plus infimes détails du moindre phénomène...

 

 

La voie abrupte de la métaphysique et de la poésie menant à l'être. Aire – et itinéraire – infréquentés. Trop rudes et trop solitaires – trop peu attrayants – pour les yeux des vallées, adeptes inconditionnels des séminaires et des voyages organisés...

 

 

Comment accueillir la grâce d'une rencontre – et l'aubaine d'une parole – sinon en se laissant pleinement traverser et emporter par leurs élans ? Et l'on ne serait guère étonné de se voir mené au cœur de l'être – immergé en ses profondeurs –, seule aire où la rencontre – et la parole – pourront être pleinement reçues – et entendues...

 

 

L'œuvre est dense. Presque rebutante. Quasiment impénétrable. Difficile donc de s'y aventurer – et de feuilleter ces pages – sans ressentir un malaise – une forme d'oppression engendrée par la luxuriance et le foisonnement. Aussi comment y accéder ? Et comment s'y retrouver ? Il conviendrait sans doute de la parcourir au hasard. Y dénicher quelques paroles à l'irrépressible résonance enfouies – perdues peut-être – sous les amas et les entassements. Parmi l'abondance des expressions, des instants, des intuitions et des idées. Et les laisser accompagner nos jours – et nos pas. Les autoriser à cheminer en nos profondeurs... Voilà peut-être le mode d'emploi le plus approprié pour monter à l'assaut – et s'emparer – de ces pages que personne – ou si peu – sera amené à lire...

 

 

Un jour, la poussière, la mousse et les ronces recouvriront les fruits de notre labeur. Tous nos édifices. Toutes nos prétentions. Aussi pourquoi s'acharner à entreprendre, à bâtir ou à construire une œuvre ? Pour laisser quelques traces de notre modeste passage ? Quelle vanité ! Ne serait-il pas plus juste de traverser le monde – et l'existence – sans bruit – ni même se soucier des marques et des empreintes que laissera immanquablement aux êtres – et aux hommes –, et à notre insu, notre humble et bref séjour sur terre ?

 

 

Chaque matin – et à chaque instant du jour –, il convient de vider la mémoire – et de dénuder l'esprit. De se dessaisir des idées, des émotions et des éventuels désirs et craintes qui se seraient invités de façon importune afin de retrouver l'innocence – et la virginité – du regard. Unique porte d'accès au silence et à l'infini...

 

10 décembre 2017

Carnet n°85 Passagers du monde vers le silence et l'infini

Journal / 2016 / L'intégration à la présence

A plat ventre sur l'horizon, les hommes s'épient et se querellent. Couchés sur leurs arpents. Et quelques parcelles volées à l'éternité.

Parmi les guirlandes accrochées aux murs de la misère et les colliers suspendus au cou triste des hommes, je n'ai vu l'ombre d'un sourire. Pas l'ombre d'une joie profonde ni d'une saine réjouissance. Mais derrière tous les yeux, j'ai vu briller une folle espérance...

Insensibles à l'aube naissante, les hommes rêvent d'un soleil rouge et immense – étincelant – pour couvrir l'ombre de leurs pas. Et leurs gestes meurtriers. En attendant, ils se terrent – et patientent – au fond de leur terrier – et du tombeau – qu'ils ont creusés de leur main animale.

 

 

Pas passagers sur une terre d'abîme que creusent les mains avides. Sur une terre d'horizons noirs qui attend que l'innocence la déblaye de ses miasmes pour que resplendisse la lumière. Et toute la clarté des profondeurs.

 

 

Des ombres, des saccages, de la glaise malaxée, des routes et des édifices que l'on bâtit pour répondre aux rêves d'aisance et de célérité. L'imposture des hommes édifiée à la gloire de leur nom et de leur espèce qui décime – et anéantit – à tout va. A tout rompre. Blessant la chair de la terre pour la postérité du monde. Jeux de massacres et de mutilations dont la terre triomphera – dont elle finira par triompher – par l'éradication (par l'auto-éradication) de sa gangrène proliférante...

 

 

S'asseoir sur le roc dur de la terre et laisser les caresses du ciel bercer les yeux de l'innocence.

 

 

L’œil de l'instant efface toutes les ombres de la mémoire et du temps.

La naïveté des songes et des images, la crédulité et l'impétuosité des certitudes balayées par l'innocence. Laissant l'âme à la fois défaite et rieuse. Rassurée aux bras de l'inconnu.

 

 

Créature sans masque où se reflète la vérité. Et toute la lumière du monde. Laissant les hommes bouche bée et le cœur confiant malgré la circonvolution des pas autour de l'être.

 

 

La promiscuité et l'entassement des créatures les unes sur les autres. Comme un amas informe de matière animée et gesticulante qui s'étend – et envahit l'horizon. Tour de Babel bancale et improbable, impropre à mener à l'immensité verticale. Edifice infirme tout juste bon à enflammer l'espérance malhonnête des hommes avides de Dieu et du ciel.

 

 

Avec les yeux de l'effacement, les bras servent le monde et le ciel.

 

 

Aux esprits apprentis et réfractaires à l'effacement, rappelons que rien ne dure en cette vie – et en ce monde. Ni l'agrément ni le désagrément. Pas davantage que le plaisir et la souffrance qu'ils engendrent dans l'esprit.

 

 

Yeux mécaniques et étrangers rivés aux tâches du jour. Absents au monde et à eux-mêmes comme si leur âme, trop effrayée par cette existence épouvantable – et rendue plus épouvantable encore par les folles exigences du monde – s'était retirée dans les plus inaccessibles profondeurs de l'être.

 

 

Le harcèlement opiniâtre et l'avidité goulue des créatures du monde animées – guidées et poussées – par l'infatigable tyrannie de l'estomac et des instincts sexuels. Se poursuivant les unes les autres jusqu'au dernier souffle. Jusqu'à la dernière once d'énergie. Et lorsque ces appétits sont provisoirement assouvis, on voit chez les créatures les moins grossières – et en particulier chez les hommes – d'autres désirs – et d'autres élans – surgir et envahir avec voracité les aires du divertissement, de l'agrément et des plaisirs. Ah ! Quelle misère terrestre...

 

 

Labeur et distraction. Superficialité et abondance objectale. Voilà le quotidien – et l'existence – du commun. Comment ces infimes parcelles du monde parviennent-elles à rivaliser avec l'infini et l'Absolu ? Je n'en sais rien. Sans doute faut-il être aveugle, idiot et immature pour s'en satisfaire – et s'en contenter...

Je ne comprendrais décidément jamais les hommes. Ils habitent une terre qui m'est si peu familière. Et je me sens si étranger parmi eux...

 

 

Sur les terres de l'innocence, nulle question. Mais l'esprit se demande – ne peut encore s'empêcher de se demander – ce qu'est une existence phénoménale satisfaisante. A cette question, l'esprit répondrait : une vie en harmonie avec ses valeurs et ses principes fondamentaux et respectueuse des besoins essentiels de l'individualité. Et si d'aventure on posait la question à l'innocence, elle resterait sûrement silencieuse. Et esquisserait peut-être un sourire discret. Et l'on comprendrait aussitôt qu'à ses yeux, il n'existe rien sur lequel on puisse s'appuyer pour offrir une réponse juste et satisfaisante. Qu'il n'existe que ce qui est ici et maintenant. Et qui s'efface aussitôt. Et rien d'autre. Jamais rien d'autre. Qu'il n'existe, en vérité, ni individualité, ni attentes, ni besoins, ni valeurs, ni principes. Que « ces réalités » ne sont que des idées exprimées par l'esprit qui s'identifie à une individualité apparente mais inexistante. Et qu'il n'y a donc pas lieu de s'en soucier. Qu'il convient simplement de les accueillir au même titre que toutes les autres pensées et représentations de soi et du monde comme des phénomènes – des mouvements passagers – qui nous traversent. Qui traversent l'être d'innocence et de silence que nous sommes...

 

 

La valse éternelle des corps et des visages – des mains et des cerveaux – servant le monde. Instruments éphémères et interchangeables de la conscience œuvrant au destin auquel elle destine le monde...

 

 

Rien. Ni volonté. Ni possession. Ni appropriation. Ni territoire. Ni appartenance. Une simple – et pleine – présence. Vide. Attentive et ouverte à ce qui la traverse...

 

 

A l'innocence claire des yeux, rien ne s'oppose. Toute traversée se transforme aussitôt en effacement. Dans un processus de revirginisation éternelle.

 

 

La fin du crépuscule n'est que le commencement d'une aube nouvelle. Cycle sans fin des jours. De la lumière et de l'obscurité jusqu'au jaillissement de l'éternelle aurore...

 

 

Le poète n'est pas, comme l'écrivait René Char, le conservateur des infinis visages du vivant mais l'explorateur – et le passeur – de l'inconnu. Et parfois le point de jonction (l'un des rares points de jonction) par lequel les âmes peuvent accéder, pour un instant, à l'autre rive...

 

 

L'innocence et la curiosité des enfants perdues sans soute à jamais par les hommes soucieux de labeur, de territoire et de prestige. Devenus si adultes qu'ils en deviennent idiots. De sots prétentieux dont le sourire dans les yeux a disparu. Et qui mourront dans leurs tourments sans même se souvenir de la grâce de leurs blanches années.

 

 

L'odieuse tyrannie des territoires où les seules règles sont la force et la puissance.

 

 

Que pourrait-on te souhaiter pour t'affranchir du monde, de tes ombres et de vos éternels tourments ? Du malheur et de l'insoumission. Des jours sans regret. Et qu'un vent indomptable souffle sur ton âme pour franchir les frontières du connu – et des terres certaines...

 

 

Lorsque tombe le soir sur les brumes de la terre, à quoi songent donc les hommes ? Dans quel rêves sombrent-ils après les chimères du jour ?

 

 

Sur les chemins du monde, la campagne offre son visage dénaturé. Mutilé par l'emprise – et la mainmise – de l'homme. Par la mécanisation, le bitume des routes, les champs, les prés et les clôtures barbelées. Paysages défigurés par la colonisation de l'habitat et l'exploitation de toutes les parcelles où le naturel et le sauvage n'ont plus le droit de cité. Appropriation et usurpation de l'espace qui condamnent les animaux – et les solitaires – à l'adaptation, à l'exil et à la mort.

Et les hommes dans leur médiocrité myope et ignorante n'en ont pas même conscience... Les yeux rivés sur leurs rêves d'expansion, de croissance, de profit et d'abondance – le cœur joyeux et assoiffé de conquête et de domination –, ils continuent de massacrer les êtres et la terre au détriment de tous, bien sûr, mais sans même se rendre compte que les dégâts engendrés par leur cupidité stupide finiront aussi par les anéantir...

 

 

Existence – et monde – d'incessantes contrariétés (pour l'esprit) auxquelles il faut sans cesse s'abandonner pour retrouver les terres vierges de l'innocence...

 

 

Les hommes sont de misérables créatures, « victimes » du vivant devenus esclaves malheureux et consentants d'un système ignoble et d'une organisation abominable qu'ils se sont éreintés à édifier pour échapper aux lois du vivant. Et aux conditions même de la vie...

Et dans cette tentative de transcender leur animalité (leur nature instinctive et organique), seules deux options s'offrent à eux : soit ils parviennent à accéder à cette dimension supra humaine au prix de lents et de longs efforts – et en dépit des affres et des horreurs qu'ils créent – soit tous y laisseront leur peau, anéantis par leur propre abomination...

Et que l'espèce humaine réussisse ce défi – ce grand défi – ou qu'elle vienne à disparaître relève à mes yeux mais aussi sans doute aux yeux de la présence-conscience de la simple anecdote. D'autres espèces avant l'homme s'y sont brûlé les ailes comme l'illustrent les 6 grandes extinctions massives dans l'histoire de la vie sur terre. Aussi, avec ou sans les êtres humains, la terre – et l'existence terrestre – ne cesseront, comme l'atteste avec force et évidence leur évolution, de se diriger vers la conscience pour asseoir pleinement en ces contrées l'intelligence et l'Amour (afin d'en devenir l'exact – et parfait – reflet)...

 

 

Gestes mécaniques de l'absence. Yeux impassibles et mains froides de l'au revoir qui, nous le savons tous, sera un adieu. Et cette insensibilité mâtinée de pudeur pressent peut-être la dimension impersonnelle et éternelle de l'être. Et de toutes les âmes du monde...

 

 

Le soleil triste des heures malmenant – et jouant avec – l'espoir. Jusqu'à son complet anéantissement pour que s'ouvre l'astre éternel et lumineux de l'instant.

 

 

Les heures tristes du jour que l'innocence égaye de sa présence. Et les heures innocentes que nous transformons en aire de massacres. Et en charniers. Tombeau de notre fébrilité et de notre prétention où nous serons jetés à notre mort.

 

 

Ne redoute l'insurmontable. C'est de ses rivages que poindront l'aurore et la vérité. Et jamais de l'infinie mélasse du monde où les yeux sont empêtrés...

 

 

Extirpe-toi des songes. Et du crépuscule. N'agis pas. Laisse-toi agir. Le souffle et la vérité toujours te mèneront à bon port. Ne crains ni les vents ni la main de Dieu qui les pousseront vers tes voiles.

 

 

L'hilarité frivole des hommes naît de l'inconscience. Et de leur fuite du Vrai. S'ils savaient – ou se résolvaient à voir –, les larmes remplaceraient les rires et la futilité. Mais qui songe à se tenir debout devant la vérité ? Celui dont les désirs et les peurs ont été effacés par le monde. Celui-là ne craint ni les obstacles ni l'adversité. Et ses pas finiront toujours par le mener vers les rivages du silence et de l'infini.

Dieu attend les morts autant que les vivants. Mais ces derniers relèguent cette évidence aux dernières heures de leur agonie. Ils traversent l'existence avec cette promesse que chacun de leurs pas piétine. Et qu'ils recouvrent de la poussière de l'espoir.

 

 

Dans le ciel gris du monde résonnent discrètement les pas de l'homme sage dont la présence rayonne. Et s'efface aussitôt à son passage. Traversée silencieuse que nul n'aperçoit excepté les âmes attentives – lorsqu'elles ouvrent les yeux et délaissent pendant quelques instants leur allure – et leurs pas – vissés aux rives du ciel.

 

 

Qu'il est difficile de vivre en homme libre de sa condition dans un monde de jougs, de fers et d'esclaves ! Les hommes ont vite fait de vous parer d'anneaux et de chaînes – ou d'une auréole mensongère. Voilà pourquoi l'on doit vivre libre des hommes et de sa condition d'homme libre. Voilà pourquoi il nous faut vivre discrètement – presque secrètement – notre liberté. Et loin de tout sentiment d'appartenance humaine.

L'homme sage ne doit se considérer ni comme un homme ni comme un sage. Il ne doit rien considérer. Il doit être. Être présence silencieuse et regard d'innocence qui laissent le monde, les hommes et sa propre individualité libres de leurs considérations...

 

 

Aux portes de l'allégresse, nul combattant. Mais d'anciens guerriers à l'âme – et au corps – nus et aux armes remisées dans la défaite qui patientent à son seuil. Encore trop impatients de pénétrer l'espace de joie et de silence pour que Dieu daigne les laisser entrer. Sa main habile devra encore les dépouiller de quelques résidus du monde et de l'esprit trop enthousiaste des nouveaux arrivants.

 

 

L'innocence sera toujours – et restera à jamais – la clé de l'infini, de l'Amour et du Divin. Et bien des oripeaux devront encore être ôtés aux postulants. On ne s'improvise pas ainsi âme vierge et défaite. Un long processus est souvent nécessaire. Il est le gage d'un total – et parfait – dépouillement de l'être. Et quels que soient les souffrances endurées, les impasses, les manquements et les renoncements, la virginité – l'ultime saint Graal – sera toujours au bout de tous les chemins...

 

 

En ce monde, une route mène toujours à une autre route. Le seul chemin est un cheminement qui mène à l'être à travers les terres de l'intériorité. L'être est un espace vivant – une présence – qui s'explore avec la tête(1), le cœur(2) et le corps(3). Et au fil des découvertes, de la compréhension, de l'imprégnation et du dépouillement, cet espace s'ouvre sur l'infini et le silence. Le royaume de la présence. Les contrées de l'innocence, de la virginité et de l'Amour.

(1) L'esprit et l'intelligence.

(2) La sensibilité émotionnelle.

(3) Les ressentis énergétiques et la sensibilité corporelle.

 

 

Que le monde s'efface dans le silence des jours pour que s'éveille – et rayonne – la présence de l'être...

 

 

La terre, le ciel et l'esprit se métamorphosent à chaque instant. Ils se transforment au gré du soleil, des nuages, des humeurs et des saisons. Ils ne sont que des phénomènes passagers dans l'attention. Ils habillent quelques parcelles de l'espace. Et changent inlassablement de vêtements. Et aussitôt qu'ils s'en défont, d'autres parures – et d'autres ornements – apparaissent. Mais jamais ils ne peuvent dégrader l'espace d'attention et de présence. Ils lui offrent simplement leurs couleurs de façon provisoire...

 

 

Bruits du corps. Bruits du monde. Plaintes et cris. Stratégies, mesquineries et bassesses de l'esprit. Chairs meurtrissantes et barbares. Chairs meurtries et déchirées. Combinaisons agressives et conquérantes. Parcelles en lambeaux et agonisantes. Accueillis sans distinction dans l'innocence.

 

 

Œil attentif et mains délicates ignorant l'horizon pour la parcelle du monde que foulent les pas...

 

 

Monde de conflits et de copinages égotiques. Monde strictement darwinien où collisions et collusions s'entremêlent. Univers à l'âme lacunaire où l'accès à la conscience est obturé malgré ses timides percées dans l'esprit.

 

 

Le monde (phénoménal) est une chaîne infinie de causes et d'effets que chacun alimente et que chacun subit. Qui génère dans l'esprit plaisirs et souffrances. Et qui contribue à l'éveil de la compréhension – et à son plein épanouissement – pour qu'advienne – et resplendisse – le règne de l'Amour.

 

 

Je ne comprendrais jamais cette forme de schizophrénie (au sens commun du terme) – et plus exactement cette espèce de dissociation – chez les hommes, capables à la fois de s'attendrir devant les animaux – et notamment les animaux dits de ferme – et savourant – et se délectant – sans le moindre scrupule de leur chair dans leur assiette. Tout comme ces paysans et ces exploitants agricoles* qui donnent un nom à « leurs » animaux, qui s'en occupent toute leur existence – bien souvent abrégée – et qui les envoient sans le moindre frémissement à l'abattoir. Ou comme ces familles qui laissent leur chien toute leur vie dans un chenil – ou pire attaché à sa niche par une courte chaîne – et qui se disent proches des bêtes. Et des exemples de cet acabit, il y en a à foison...

* Qui exploitent la terre...

De cette triste – et absurde – réalité humaine, un esprit indulgent et peu avisé pourrait conclure que les hommes savent ce qu'ils font. Et qu'ils agissent de façon juste et appropriée. Mais, bien sûr, il n'en est rien : les hommes sont des animaux idiots, superficiels et insensibles. Et ils se comportent comme des créatures sans conscience. Nous ne le savons que trop bien...

 

 

La méditation telle que la pratiquent aujourd'hui les hommes – une infime minorité malgré l'engouement qu'elle suscite de nos jours – est une activité que l'on glisse après les heures de bureau entre une séance de sophrologie et un cours de natation (ou de fitness). On s'y adonne pour se sentir mieux – moins stressé etc etc. Mais la vraie méditation n'est pas une activité. Et elle n'a rien à offrir à l'individualité. Elle est une présence qui met l'individualité en suspens. Ou mieux, qui l'efface et la fait disparaître...

 

 

Il y a quelque chose de profondément bouleversant – et d'éminemment tragique – dans le geste d'un homme vieillissant qui s'accroche désespérément à ses avoirs et/ou à ses savoirs (selon ce que fut sa vie...) et qu'il considère souvent comme ses dernières richesses – les ultimes vestiges de son existence. Ultimes remparts, à ses yeux, contre le dépouillement et la perte d'identité (égotique) qu'amènent inéluctablement la vieillesse et l'approche de la mort, si fréquemment considérées par les hommes comme un néant... Et il arrive couramment qu'il y jette ses dernières forces pour les conserver. Comme un acte de résistance face à la perte et à l'abandon inexorables.

Et il y a pourtant de la beauté et de la justesse – et même de la grâce – dans cette fragilité, ce dénuement et cette impuissance. Peu d'hommes savent – et ressentent – que ce processus est une invitation à l'effacement qui ouvre sur l'infini. Les hommes l'ignorent mais la vie, elle, le sait. Voilà sans doute pourquoi elle enjoint à chacun, au crépuscule de son existence, de se démunir de tout – de toute possession et de toute identité – pour traverser la mort avec la plus grande innocence et la plus grande virginité possibles afin sans doute de renaître encore – et toujours – plus vierge et innocent... Et au vu de l'immaturité des êtres – et des hommes – et de leur (de notre) inclination à résister au courant de l'impersonnalité (au courant de la conscience impersonnelle), il est évident que bien des vies semblent nécessaires pour que le détachement devienne réel et total. Pleinement consenti et conscient...

 

 

Sentir la forêt respirer comme un être aux mille corps. Et glisser son souffle – et son âme – dans son silence...

 

 

Aux interstices du monde vit le poète. Entre l'herbe et l'arbre, il accoutume son œil au silence. Discourt avec les paysages, le vent et les nuages. Fréquente la nature, Dieu et l'Absolu. Et s'endort – et meurt – anonyme parmi les hommes.

 

 

Un regard lucide et sans concession. Mais sans exigence. Et une présence innocente naturellement parée des draps de l'Amour qui enveloppe et adoucit – qui anéantit presque – son tranchant.

Le couperet de la vérité n'écorche – ni ne tranche – jamais les corps et les têtes mais leurs illusoires possessions – leurs stupides chimères – pour offrir les plus hautes réjouissances. Et pourtant que de cœurs blessés dans la foule qui craint les blessures. Et qui n'ose s'avancer, effrayée qu'on lui coupe l'herbe sous le pied...

 

 

Dans cette vallée de sueur, de larmes et de sang où le monde s'éreinte à la vile tâche du gain que faut-il attendre des yeux des hommes ? Une approbation ? Une amitié ? Un peu de considération ? Non, ils n'en ont ni le goût ni le loisir... Qu'ils s'éveillent de leur vie de songe ? Qu'ils accèdent à leur vrai visage et aux délices de l'être ? Non, ils n'en ont ni l'envie ni la volonté... Ils continueront encore pendant des siècles à façonner la misère de cette terre qui a fini, à force de coups et d'hégémonie, à force d'entailles et de meurtrissures, par devenir leur exact reflet...

 

 

La folle nuit sans étoile que les hommes éclairent de leurs artifices. Et pas un seul d'entre-eux, bien sûr, n'entrapercevra la lumière...

 

 

Parmi les guirlandes accrochées aux murs de la misère et les colliers suspendus au cou triste des hommes, je n'ai vu l'ombre d'un sourire. Pas l'ombre d'une joie profonde ni d'une saine réjouissance. Mais derrière tous les yeux, j'ai vu briller une folle espérance...

 

 

Le souvenir s'attache à emplir l'esprit. Et à l'épuiser de ses promesses. Mais l’œil ne verra peut-être le jour du lendemain. Et moins encore la nostalgie tapisser de joie les dentelles fragiles – et délicates – du cœur. La joie toujours se trouve dans le pas présent.

 

 

Approche-toi de la lumière. Mais que tes doigts crochus se gardent bien de s'en emparer. La joie brûlante te réduirait en cendres. Portes-y tes lèvres. Et imprègne-toi de sa chaleur. Et tu pourras alors traverser le monde – et l'existence – sans craindre leur froideur et leur obscurité.

 

 

Être, être et être. Il n'y a, je crois, rien d'autre à faire en ce monde. Et ailleurs aussi sans doute...

Être. C'est ainsi que s'édifie le monde. Et qu'il s'achemine vers le destin auquel l'être le destine.

Faire. Et déjà le destin se corrompt. Se fourvoie en impasse. Et en atermoiement. Et le voilà bientôt vacillant, prêt à sombrer dans l'abîme...

L'être est sans ami. Mais tous sont ses frères et ses enfants. Aîné et père de toute une colonie qui cherche d'abord son attention. Et son approbation. Puis son Amour et sa présence.

 

 

Ne confie rien aux hommes. Laisse tes confidences sur le bord des routes. Et sur les sentiers étroits des forêts. Elles resteront sans doute inconnues à ceux qui ne quitteront jamais la grande place des marchés et des cités. Ne t'en soucie pas. Après tout, seuls, peut-être, les solitaires en chemin en sont dignes...

 

 

Que l'assise est vaste. Et si étroite à la fois. Espace infini à l'accès restreint et exigu. A la montée âpre et rude – si exigeante. Et sur laquelle tant se perdent et s'égarent.

 

 

Seul demeure l'être. Le reste n'est que tentatives, ébauches, esquisses. Brouillons préparatoires...

 

 

Ne t'endors qu'à condition que l'être veille de toute sa présence.

 

 

Que les joues s'empourprent, que les mains et les pas s'agitent, que les lèvres se tordent, se plaignent et crient, rien de plus naturel pour le visage dont l'esprit est le maître. Mais que la bouche reste silencieuse, voilà le signe de la sagesse*.

* Ou celui du courage ou de l'idiotie si l'esprit est encore immature...

 

 

Dans le silence du monde, la clameur des cités et les amours couchantes du crépuscule, j'entends sous les rires, les murmures et les gémissements, les cris de la solitude. Ses appels déchirants et désespérés qui montent des abysses vers les draps froissés des étreintes, vers les rues et les chemins sombres et déserts et les hautes tours où chacun veille en silence dans la torpeur – et l'incompréhension – des jours.

 

 

Du monde n'écarte rien. Pas même l'ignominie et les immondices. Elles aussi ont besoin de ton silence. Et elles aussi s'effaceront dans l'innocence...

 

 

L'écriture est chez moi une hémorragie de l'âme. Une vaine – et impossible – tentative de dire la vérité et les chemins qui y mènent. Contrainte dans sa folle utopie de recommencer chaque jour en empruntant d'autres sentiers – d'autres mots et d'autres tournures – pour exprimer le même indicible. Vouée à sa tâche de Sisyphe poussant son encre sur tous les sommets de la terre et roulant dans tous les fossés du monde.

 

 

L'époque contemporaine est l'instant faussement glorieux de l'homme. Le climax de son évolution annonçant à la fois sa perte et son dépassement. L'avènement naissant de l’apocalypse et de la post-humanité.

 

 

La dimension métaphysique et spirituelle de l'homme si éteinte – si délaissée – par le commun. Comment peut-on négliger à ce point cette part si substantielle de notre identité ?

Les hommes sont bien trop occupés à travailler, à faire fonctionner le monde, à se distraire et à tirer profit, à consommer et à amasser. Et à améliorer leurs conditions d'existence (confort, bien-être, accroissement de l'espérance de vie etc etc).

Vie égotique de (quasi) détails et de futilités édifiant un monde sans épaisseur. Mais derrière les apparences, la conscience œuvre à son labeur et à son jeu. Besogne laborieuse mais rendue possible par l'incroyable potentiel et l'extraordinaire inventivité de la vie – et du vivant – et par la lente imprégnation de la conscience dans les esprits. Tâche dont les hommes – espèce essentielle mais sans doute transitoire – se sont faits les exécrables et prodigieux représentants agissant, édifiant et façonnant la vie et le monde comme les dociles et serviles serviteurs de la conscience. Et en dépit de leur nature profondément animale et instinctuelle et de leur dimension conservatrice et frileuse, leur insatiable curiosité et leur soif inextinguible d'explorations et de découvertes les poussent inexorablement vers les contrées que la conscience a dessinées pour le monde et la vie terrestres...

 

 

Une présence. Une seule présence. Un regard – un seul regard – sur tous les paysages du ciel et de la terre. Sur la vie et ses créatures qui s'éveillent peu à peu à leur nature divine.

 

 

Dans l'air frais du soir, le cœur de l'homme sage se fait silencieux. Plus silencieux encore. Et il se réjouit de cette présence en lui qui contemple le calme de la nuit.

 

 

De quoi avons-nous réellement besoin ? D'un regard qui contemple dans le silence. Et qu'importe les paysages ! Tous défileront – et défilent déjà – dans nos yeux sages...

 

 

Silence du cœur. Sagesse des yeux. Justesse des gestes. Et pas une seule égratignure sur la chair du monde...

 

 

La sagesse de l'homme sage est son silence. Enveloppe qui accueille le monde, la folle clameur des jours – et toutes leurs danses.

 

 

Ah ! Si l'être pouvait se conter ! Mais comment y parvenir ? L'être n'est-il pas indicible ? Oui, bien sûr, il ne peut se dire... L'être est. Il s'habite. Et se vit. Le reste n'est qu'habillage, parure et tentative.

 

 

Les grands bouleversements sont des invitations à l'être. Puis des percées en lui. Ensuite on devient silencieux. Qui pourrait dire l'indicible ? Et pourquoi le dirait-on – ou essayerions-nous de le dire – puisque nul ne peut l'entendre ni l'atteindre ainsi... Pour exprimer l'être – et témoigner de sa puissance –, il suffit d'être. Être est – et demeurera à jamais – la seule façon de dire l'être... Aussi tout commentaire et toute explication sont de vaines tentatives – presque une offense – dont l'être ne s'offusque, bien sûr, d'aucune manière... Indicible éternel. Et inattaquable. Indemne – toujours indemne – de toute chose... Merveilleux et accessible. Et pourtant si difficile à atteindre – à vivre et à ressentir. Si proche et pourtant si éloigné. Enigme à la simplicité déconcertante que les hommes peinent tant à découvrir.

Et l'étrange cheminement de l'homme sage est presque aussi indicible que l'être qu'il habite à présent – et qu'il a tant cherché autrefois, cheminant partout, parcourant la vie et le monde en tous sens, éprouvant tant de difficultés et de souffrances et rencontrant tant d'épreuves et d'obstacles. Et pourtant, ce cheminement est, lui aussi, d'une navrante simplicité. Si simple et si naturel que l'on s'étonne aujourd'hui des incroyables et complexes circonvolutions qui l'ont amené à le découvrir. Et à trouver assise en son sein...

 

 

L'esprit animal de l'homme si réfractaire à la conscience. Si rétif à se laisser pénétrer par l'intelligence et l'Amour.

 

 

Heures radieuses de l'aube emportées par les tourbillons du jour qui renaîtront au crépuscule lorsque l'effervescence des hommes se sera tue. Et que l'on pourra de nouveau entendre le silence et le chant des oiseaux.

 

 

Heures centenaires figeant les corps. Et les visages en d'affreuses grimaces. Rictus des lèvres révélant l'effroi. La crainte de vivre. Et le goût de la mort qu'infligent le cœur animal et les mains grossières.

 

 

Le silence veille dans la torpeur comme dans le brouhaha du monde. L'indicible toujours est présent au cœur de la vie.

 

 

Les heures sombres de l'attente où le silence salvifique s'insinue. Sauvant les âmes de leur sourd désarroi.

 

 

La fureur des yeux et des mains emportés par les vents implacables d'une terre inconnue. Et qui s'abattent sur le monde. Le désarçonnent. Et le fracassent en éclats – et en parcelles sauvages...

 

 

Le silence du jour pulvérisé par les cris des hommes. Et la terre effrayée qui détourne la tête. Et qui regarde ailleurs... Indifférente aux bouches du monde. Et aux mains sanglantes qui l'éventrent.

 

 

Dans le repère de l'infortune combien d'âmes ai-je vues s'envoler pour retrouver le silence et l'infini que la terre leur avait dérobés...

 

 

A plat ventre sur l'horizon, les hommes s'épient et se querellent. Couchés sur leurs arpents. Et quelques parcelles volées à l'éternité.

 

 

Que pourrait dire le jour à la nuit pour qu'elle soit moins sombre ? Et que pourrait dire la nuit au jour pour qu'il soit plus silencieux ?

 

 

L'horreur n'est pas un sortilège. Mais un abus des instincts et des songes que les hommes peinent à faire taire.

 

 

Réduis ton écoute au silence. Et tous les bruits se dissiperont...

 

 

Insensibles à l'aube naissante, les hommes rêvent d'un soleil rouge et immense – étincelant – pour couvrir l'ombre de leurs pas. Et leurs gestes meurtriers. En attendant, ils se terrent – et patientent – au fond de leur terrier – et du tombeau – qu'ils ont creusés de leur main animale.

 

 

La nuit des hommes n'est pas sans rappeler leur ombre qui s'allonge sur les rives de la terre. Mais point de sauveur à l'horizon ! Rien que des ombres et la longue nuit noire qui s'étend. Et se prolonge.

 

 

A l'orée de la terre, le chant minuscule d'un oiseau s'élève, innocent, dans le ciel. Bientôt rattrapé – et recouvert – par le vacarme des hommes. Mais pourquoi Dieu – et le silence – n'entendent-ils donc pas la différence ?

 

 

L'infini sans le silence est un songe. Et le silence sans l'infini un effroi. Mais lorsqu'ils s'unissent, l'Absolu est présent. Comme l'attestent avec évidence les yeux de l'homme sage.

 

 

L'Absolu du poète n'est pas celui des hommes*. L'un est infini et silencieux – éminemment sensible, palpable et lumineux alors que l'autre n'est qu'un rêve bruyant et inaccessible – bâti de longues phrases et d'équations obscures...

* Ni celui des scientifiques et des philosophes...

 

 

Dans le sommeil de l'esprit, les songes nous emportent comme dans le sommeil du corps. Mais lorsque le corps les entend, ils se font plus vifs et plus ardents. Ils deviennent si puissants – si irrésistibles – qu'ils agitent nos têtes et soulèvent nos mains qui se mettent aussitôt à construire et à édifier pour leur donner chair. Les rêves du jour et les rêves de la nuit demeureront à jamais les uniques souverains des hommes endormis...

 

 

Les hommes peuvent bien rêver leur accomplissement ou accomplir leurs rêves. Pour le silence, il n'y a de différence. Songes de brume et songes de chair sont inaptes à l'atteindre...

 

 

Que dire au silence ? Rien. Que tu te taises d'abord pour l'entendre... Et lorsque l'infini t'enveloppera de son silence, ta bouche restera muette...

 

 

Cœurs bouffis d'allégresse. Et l'âme qui se morfond dans cette joie mensongère...

 

 

Il n'y a ni base ni sommet. Il n'y a aucun repère. Mais une écoute enveloppante qui accueille. Et au sein de laquelle le monde naît, passe et s'éteint. Et renaît encore... Et de cet espace seul peuvent se vivre le silence et l'infini. La paix, la joie et la grâce de l'être. Inutile de chercher Dieu ailleurs...

 

 

Le silence des songes pour celui de l'infini. Processus – et échange – naturels pour le cœur mûr. Et les yeux de l'homme sage.

 

 

Que l'heure – et les jours – s'effacent dans le silence. Et tu seras délivré du temps.

 

 

Au fil de nos pérégrinations sur les chemins du monde, on se rend compte à quel point les hommes ont massacré – et saccagé – la terre.

Sur les routes passagères, trop de visages nous ramènent – et nous rappellent – à nous mêmes. Nous obligent à marcher le cœur étroit – ou distrait – et les yeux sur nos souliers.

Seules les sentes désertes permettent à l'âme de s'ouvrir à elle-même avant de pouvoir s'abandonner au ciel. A son silence et à son infini.

 

 

Le visage toujours neuf et paralysant de la souffrance déjà ancienne qui s'abat chaque jour sur les âmes en peine...

 

 

Un seul cœur. Un seul Amour. Un seul esprit. Une seule intelligence. Un seul corps. Une seule substance. Mais une infinité de membres et de combinaisons...

 

 

Heures craintives ineffaçables dans la mort auxquelles on devra faire face encore – encore et encore – jusqu'à l'affrontement des peurs, les yeux dans les yeux. Et à l'issue duquel l'âme sortira victorieuse de ce néant glacé et inoffensif...

 

 

Dans l'espace clair des jours brille une lumière. Une invitation à sortir du grand sommeil pour s'extirper de la longue nuit du monde.

 

 

L'absence du monde est l'appel de l'être à sa présence.

 

 

Les êtres se prêtent à des joutes impartiales où la ruse et la puissance apparentes triomphent de l'innocence apparente. Mais l'innocence de l'être – la véritable innocence –, au cœur même des combattants, veille au sens des combats. Laissant les corps se déchirer pour terrasser la domination des puissants et la naïveté des faibles qui sommeillent en chacun...

 

 

Le monde, les êtres et le temps se faufilent dans l'esprit. Ils y plongent (et y sombrent) – sans doute à travers le système neuronal et synaptique et la mémoire qui les transforment aussitôt en idées et en images. Et cet espace de représentations est le socle à partir duquel agissent les hommes. L'essentiel des hommes. Les autres sont soit des idiots soit des sages...

 

 

L'invisible d'abord nous blesse et nous effraye. Puis il nous désarçonne. Et lorsque nous gisons le visage contre le sol, il s’empare de nous pour nous polir jusqu'au néant. Et lorsque le rien a enfin tout balayé – et recouvert –, il nous chevauche. Et nous partons alors ensemble pour des contrées inconnues...

 

 

Le ruisselet des montagnes et l'océan s'entrecroisent en une aire commune : les rivières, les fleuves et les nuages. Gouttes d'eau éternelles qui voyagent à travers les paysages.

 

 

Les hommes regardent le ciel sans comprendre qu'il les et se regarde à travers leurs yeux. Et ignorant cette vérité, les voilà qui cherchent Dieu derrière les montagnes – et l'horizon.

 

 

Le mirage éternel et invincible des jours – et du monde – dans les yeux ignorants qu'un instant – un seul instant – de vérité pourrait anéantir...

 

 

L'ombre et le songe sont les enfants de la mémoire qui, à leur tour, enfantent la main grossière et frileuse et le cœur sauvage. Réfractaires à l'innocence et pourvoyeurs de barbarie et de mort. Si étrangers aux exigences de la terre et aux aspirations du ciel. Et c'est pourtant avec eux que les hommes édifient le monde...

 

 

L'âme vierge est soumise au ciel. Elle en est la fidèle servante. Mais son innocence et sa porosité sont si grandes qu'elle se plie à toutes les volontés. C'est de cette faiblesse dont les hommes s'emparent. Et qu'ils exploitent. Et une fois que la peur et l'avidité l'ont assiégée, la voilà enchaînée. Devenue, malgré elle, instrument meurtrier et victime ensanglantée livrée à la barbarie...

 

 

L'ennui s'invite sur les jours creux – et vides – des hommes. Et l'on voit l'impatience s'affoler de ce désarroi. De cette porte aux allures d'impasse que les hommes fuient comme la peste. Avec toutes leurs ombres accrochées à leurs basques. Et qui pourtant les délivrerait de leurs craintes inutiles s'ils avaient le courage et la maturité d'en franchir le seuil.

 

 

D'une chimère à l'autre et d'un meurtre à l'autre, invisibles – à peine perceptibles par le cœur et les yeux –, ainsi se bâtit – et se prolonge – la vie des hommes. Leur œuvre et leur longue nuit. Incapables de voir – et d'extirper – le songe et le sang de leur chemin d'épouvante...

 

 

Quel être – et quel homme – n'a-t-il jamais vécu la monotonie des jours* – le cycle routinier* de l'existence ? Et quel être – et quel homme – n'a-t-il jamais été le témoin de l'emballement soudain des événements, né parfois d'une circonstance anodine, qui déclenche une longue série de mésaventures et de péripéties douloureuses (et cauchemardesques) et qui fait basculer l'existence sur un versant inconnu que nous n'aurions jamais imaginé découvrir ou emprunter ? Chacun en ce monde l'a, je crois, déjà expérimenté... Une fois l'avalanche passée, la vie, en général, reprend son cours – plus ou moins habituel – avec parfois quelques changements liés aux circonstances. D'autres fois, elle nous projette dans un environnement et un mode d'existence totalement nouveaux auxquels l'esprit une nouvelle fois s'habituera. Et qu'il transformera, au bout de quelque temps, en habitudes routinières...

* Tels que les appréhende l'esprit ordinaire inscrit dans une perspective temporelle...

Ainsi fonctionne l'esprit. Et ainsi fonctionne la vie qui œuvre inlassablement à bousculer – à déstabiliser et à anéantir – notre perception figée de l'Existant et de nous-mêmes pour apprendre peu à peu à nous familiariser avec le regard vierge et neutre de l'impersonnel accueillant ce qui surgit – et ce qui est – dans l'instant sans mémoire, sans repère ni référence...

 

 

L'homme sage s'endort à l'interstice des saisons. Et à son réveil toujours le soleil resplendit. Comme si ses yeux – indemnes des paysages, de leurs couleurs et de leurs parures – restaient accrochés à la lumière le temps du sommeil et de l'imperturbable cycle des astres.

 

 

Comment le poète qui touche un autre ciel de ses terres solitaires – et retirées – pourrait-il rendre compte de l'itinéraire – et en informer les hommes entassés dans leurs vallées surpeuplées – et éclairées par un ciel d'un autre âge ?

Voici l'itinéraire. Et les conditions du cheminement (décrits dans un langage simple et accessible) : l'esprit* mène à l'interrogation. L'interrogation mène à la métaphysique. La métaphysique mène à la spiritualité. La spiritualité mène à l'être. Et l'accès à l'être transforme notre relation à la vie et au monde mais aussi, bien sûr, nous amène à les transformer d'une – plus ou moins – substantielle façon...

* L'esprit suffisamment outillé et équipé sur les plans cognitif et sensible...

 

 

Aux ombres naissantes, offrons le néant de l'espace. Et nous serons libérés de la mémoire. De nos désirs et de nos songes. Et nous pourrons enfin marcher dans l'obscurité du monde. Et vivre parmi les âmes sombres des hommes et l'abondance envahissante de la terre.

 

 

Un seul pas. Et nous voilà déjà embarqués dans l'effroyable voyage. Ballottés de rive en rive. Accrochés aux maigres récifs encerclés par la furie du monde où nous ne pourrons poser qu'un regard intranquille sur les océans ravageurs de la terre.

Voyage sans escale. Et sans intervalle entre les pas d'où le regard seul peut émerger parmi les vagues incessantes du hasard apparent – converti en programme codé – que seule l'intelligence peut décrypter. Et dont seul l'Amour peut nous délivrer...

Il n'y a – et il n'y aura jamais – de terre promise que pour l'âme innocente parvenue à se hisser sur l'archipel du silence et de l'infini où l'être règne sans fin. Et sans partage. L'océan – et ses furieuses marées – emporteront tout le reste...

 

10 décembre 2017

Carnet n°84 Un timide retour au monde

– A côté des hommes –

Journal / 2016 / L'intégration à la présence

Hommes sans yeux ni bouche. Visages mal cousus avec les fils grossiers et broussailleux de la terre. Ebauches de graine à la conscience endormie. Assoupie par les ripailles et l'interminable nuit des âmes recluses...

Au bout des doigts, le silence des montagnes – et des hauteurs célestes – qui s'engouffre dans la plaine parmi ses bruits et son tapage. Et dans le cœur, une larme que les lumières du monde laissent captive. Et indemne...

De ce monde pléthorique et foisonnant, goûte – ne goûte que – la profondeur silencieuse et secrète dont le monde lui-même a oublié l'existence. Présence mystérieuse sous la chair fragile des corps et des visages.

 

 

L'homme – et la parole – cheminent à petits pas vers le silence. Et la vérité. Avant de pouvoir baigner en leur sein. Puis, de l'indicible – et à travers l'être – ils peuvent rayonner dans le monde. Comme de clairs et justes échos de l'Infini...

 

 

En réalité, les êtres – et en particulier les hommes – habillent l'espace de matières, de couleurs, de bruits, de vibrations et de paroles. Voilà ce que réalise – et vit – l'essentiel des créatures terrestres sur le plan phénoménal. Seul l'être – à travers la compréhension, la perception sensible et la présence – permet d'habiter l'espace (et non plus seulement de l'habiller...).

 

 

Ce que tu vis – et expérimentes –, d'autres au même instant le vivent – et l'expérimentent. Et d'autres par le passé l'ont déjà vécu – et expérimenté. Ce que tu perçois, ce que tu vois, ce que tu penses, ce que tu espères, ce dont tu rêves, ce que tu goûtes et ce que tu touches, d'autres au même instant le perçoivent, le voient, le pensent, l'espèrent, le rêvent, le goûtent et le touchent. Et d'autres l'ont déjà par le passé perçu, vu, pensé, espéré, rêvé, goûté et touché...

Cette perspective semble juste – et vraie – en apparence... Mais elle s'avère bien trop figée – et donc fausse – car il est évident que le réel et l'Existant, la perception, le processus de compréhension sensible et l'intériorité ne sont jamais identiques ni pour les individus ni d'instant en instant... Aussi comment pourraient-ils l'être dans l'Absolu et au fil du temps ?

Il semblerait que la perception et le processus de compréhension sensible s'inscrivent à la fois de façon simultanée à travers tous les êtres doués de perception à un instant donné mais également au fil de l'évolution terrestre – au fil de l'histoire et du parcours des êtres – selon leur structure cognitive, leur degré d'encombrement perceptif et leur degré de sensibilité... trois aspects déterminants dans la façon d'appréhender ce qui est (dans l'instant)...

 

 

Le regard au service de l'énergie. Et l'énergie au service du regard. Voilà le signe d'une certaine maturité d'âme. Loin de l'énergie à la botte des exigences psychiques et du psychisme, victime subissante – et impuissante – des assauts énergétiques*.

* Assauts énergétiques des formes et de leurs mouvements...

 

 

La proximité des hommes – leurs bruits, leur voix et leurs paroles – sont, bien sûr, les signes évidents – éminemment tangibles – de la présence humaine. Elle offre aux hommes – et à bon compte – l'assurance d'un sentiment d'appartenance à l'humanité. Et au monde humain. Mais cette proximité constitue aussi, le plus souvent, un obstacle pour explorer – et découvrir – notre intériorité – ce que l'on pourrait appeler notre véritable humanité : cette identité profonde située au delà – bien au delà – de notre figure humaine et qui se trouve éminemment liée à la perception vierge de la conscience impersonnelle totalement dépouillée des caractéristiques et des références de notre espèce.

 

 

Homme du ciel, des éléments naturels et des grands espaces sauvages, peu habitué – et particulièrement mal à l'aise dans un cadre strictement humain saturé de repères, de références et d'objets créés par les hommes. Dans cet univers, on se sent prisonnier. Et à l'étroit. On se sent enfermé. Confiné à un espace de détention particulièrement restreint et étouffant qui éveille en nous une sensation insupportable de claustrophobie.

Mais où pourrions-nous aller ? Où pourrions-nous donc vivre ? Existe-t-il encore sur cette terre des lieux vierges ? Des lieux préservés de la présence des hommes, de leur omnipotence, de leur prédominance, de leurs bruits, de leurs machines et de leurs édifices ? Je crains qu'il faille nous exiler en quelques régions inhospitalières aux conditions géographiques et climatiques hostiles. Et encore... Existe-t-il seulement un seul endroit en ce monde que les hommes n'ont pas foulé ? Un seul endroit où ils n'ont pas planté leur drapeau, instauré leurs lois et imposé leur autorité et leur hégémonie ? Ah ! Que les hommes m’agacent et me chagrinent ! Et comme j'abhorre leur ignorance, leur irrespect, leur sans-gêne et leur maladive inclination à la colonisation et à l'appropriation...

 

 

Plus les années passent, plus j'éprouve un amour profond – un amour quasi indéfectible – un mélange d'attrait irrésistible et d'attachement sans faille – à l'égard de l'immensité et des espaces dépouillés – totalement épurés. Vierges de tout amassement (hormis, bien sûr, quelques nécessités incontournables). C'est un souffle puissant – une aspiration irrépressible – qui m'anime et m'attire vers la virginité et l'infini, identité véritable des êtres – et des hommes – qui se cantonnent, l'essentiel du temps, à vivre en infimes créatures recluses dans un corps – et un psychisme – étroits et dans un cadre restreint, incapables de pressentir – et moins encore de ressentir avec force et évidence – la dimension incommensurable du cœur et de l'esprit...

 

 

A cette heure tardive, les hommes dorment dans les draps chiffonnés de l'ennui et de la routine – assoupis, le jour comme la nuit, dans leur existence de braves gens. De pauvres – et misérables – créatures terrestres. A cette heure nocturne, les désespérés désespèrent en pleurant sur leur longue nuit, les solitaires se morfondent dans leur solitude fantomatique, les noctambules festoient dans le bruit, l'alcool et les plaisirs pendant que les poètes – les rares poètes à l'âme claire et innocente – contemplent l'immensité du ciel étoilé en célébrant d'un regard – et de quelques mots – l'infini. Le ciel sans limite dont ils sont si familiers...

 

 

Facilité et confort. Les hommes n'ont cessé depuis leurs origines d'y consacrer l'essentiel de leur vie. De leur énergie et de leurs efforts. Un grand nombre d'inventions et une part conséquente du progrès technique y ont d'ailleurs toujours été dédiés...

 

 

Être un homme parmi les hommes, c'est, bien souvent, se condamner à devenir un acteur en représentation perpétuelle. Et à se voir bientôt incapable de vivre sans les yeux du monde. Sans le regard quasi permanent d'un public et de spectateurs excepté lorsque l'on souhaite faire relâche et s'adonner au repos – et s'offrir quelque répit – pendant de courts épisodes journaliers en se soustrayant à la foule et à tout entourage humain. Cette incessante proximité avec l'Autre nous offre l'occasion de nous montrer et d'afficher nos minuscules exploits, nos infimes créations et nos dérisoires trouvailles mais aussi de trouver une (ou des) oreille(s) – plus ou moins attentive(s) – pour parler des misérables événements de notre existence et exprimer nos plaintes, nos griefs et nos doléances. Bref, de faire de sa vie un spectacle et de l'exposer aux yeux des autres. De mettre en scène en quelque sorte notre vie minuscule et insignifiante. D'en faire une médiocre représentation. Une petite – et ridicule – pièce de théâtre aux accents tragi-comiques que nul ne s'évertuerait à jouer s'il vivait seul. Il est évident que personne ne s'amuserait par plaisir ou de façon contrainte à endosser les différents rôles de la vaste comédie humaine s'il vivait dans une parfaite solitude. Sans partenaire, sans acteur ni spectateur. Qui serait, en effet, assez fou – ou assez idiot – pour se jouer sa propre comédie ? Bien peu, de toute évidence...

Voilà pourquoi la solitude me semble si appropriée. Et si bénéfique. On n'y joue aucun rôle. On s'adonne au nécessaire et à l'essentiel sans besoin d'approbation ni d'encouragement. Sans même être blâmé ou critiqué. Les gestes, les pas et les paroles peuvent alors se faire simples et épurés, désencombrés de tout superflu et de tout artifice. On ne joue pas. On est. Oui, on est simplement soi-même en toute simplicité. Sans effet de manche, sans ostentation, sans masque ni costume, sans fioriture, sans mensonge ni secret, sans dissimulation ni non-dit, sans sifflet ni applaudissement. Bref, une vie de grand art. L'art d'être. L'art simple et dépouillé de l'être que nul comédien – même doté du plus grand talent – ne saurait incarner...

A ce propos, il me semble d'ailleurs que toutes les formes artistiques et expressives – ainsi que toutes les recherches humaines – tendent vers cet art suprême en cherchant à percer – le plus souvent inconsciemment – le mystère de l'être pour le dévoiler et le transposer à toutes les dimensions de l'existence afin de le vivre au quotidien – à chaque instant de la vie quotidienne – même si l'essentiel des hommes et l'immense majorité des artistes et des chercheurs n'en ont pas réellement conscience...

 

 

Les pas de l'homme. Et l'appropriation de l'espace qu'il convertit en territoire. Bien davantage – et avec bien plus de puissance et de conséquences, évidemment, que n'ont jamais pu s'y livrer les autres espèces terrestres. L'ère anthropocène a, bien sûr, exacerbé, accéléré et statufié d'une incroyable façon la fiéfisation du monde et l'hégémonie tyrannique de l'humanité sur la terre. Et sur l'ensemble de ses habitants. Aujourd'hui, pas une seule parcelle du globe n'échappe aux lois, aux règles et aux contraintes dévastatrices que les hommes ont érigées à seule fin de servir leurs intérêts, leur utilité, leur confort, leur agrément et leur bien-être. Mais les hommes n'ont pas encore réellement compris la dimension délétère et destructrice de leurs agissements, de leurs attitudes et de leurs comportements. Et en dépit de quelques récents – et tardifs – sursauts de conscience et d'un potentiel d'intelligence et d'Amour – très fortement inexploité jusqu'à aujourd'hui, quel homme contemporain pourrait-il avouer sans tressaillir qu'il est le digne représentant d'une espèce extrêmement nuisible – et sans doute même la plus nuisible que la terre ait connue ?

 

 

Mener une vie simple et naturelle – éminemment rustique – hors du monde devient extrêmement difficile. Les hommes simples vivant dans la solitude et la sagesse, à l'écart de leurs congénères, se raréfient. Et il est aisé de remarquer que le confort et les facilités offerts par le monde contemporain – et les promesses (sans cesse renouvelées) d'une vie encore (et toujours) plus facile et confortable – séduisent l'immense majorité des hommes.

Cette vie paisible et artificielle, exempte de risques et de désagréments, cette vie quasiment non vivante où le danger, l'effort, la peine, la douleur et la frustration sont bannis, où tout se doit d'être luxe, calme et volupté est une existence fantasmée depuis bien longtemps par les hommes livrés, depuis leurs origines, aux difficultés de la vie phénoménale ainsi qu'aux affres, aux contraintes et aux restrictions de la matière, de l'organique, de l'environnement et du climat. Bref, tous – ou quasiment tous – aspirent à une vie somnolente et ronronnante qui loin de les délivrer des souffrances existentielles et métaphysiques les plonge davantage – comme l'atteste l'indigence réflexive, compréhensive et perceptive contemporaine – dans des conditions d'existence standardisées et formatées éminemment pauvres et uniformes. Des existences tièdes et frileuses, sans aspérité, sans consistance ni profondeur. Et au lieu de se dégager des contingences matérielles et organiques, ils s'y trouvent plongés au cœur, incapables de mettre à profit le temps libéré des nécessités vitales pour s'interroger et se transformer en êtres de réflexion et d'interrogation. Pour se transmuter en êtres métaphysiques. En êtres de conscience dont les actes et la présence sur terre seraient animés, guidés, voués et dévoués à l'intelligence et à l'Amour... Mais non ! Tous – quasiment tous – sont beaucoup plus enclins à s'enfoncer dans la distraction, le divertissement et les passe-temps (plus ou moins sensationnels selon les goûts et les tempéraments) et à passer leurs jours à jouir des avantages du progrès, du confort et de la facilité en continuant à profiter, à consommer et à amasser les richesses du monde. Et l'époque actuelle qui connaît de faramineuses percées technologiques et le développement tous azimuts de la virtualité, de l'Existant virtuel et de ce que nos chers contemporains appellent « la réalité augmentée » exacerbe d'une extraordinaire manière cette inclination en permettant aux hommes d'accéder au confort et à la facilité de façon aisée et permanente dans toutes les sphères de l'existence. Peu sont – et seront sans soute – capables de s'en extraire. L'immense majorité s'y est déjà engouffrée et, sans doute, s'y enterrera. Gageons simplement que les autres sauront sortir de cette impasse...

Il y a chez moi une dimension foncièrement naturelle et agreste – presque archaïque – qui fait la part belle à la solitude, à l'autonomie, à la rusticité et aux espaces déserts et sauvages, peu compatible avec l'effervescence et la prédominance humaine actuelles. Peu compatible avec les artifices et les nouveautés virtuelles du monde contemporain. Cette dimension est profondément ancrée dans le vivant – sans être pour autant esclave des contingences organiques et matérielles. Et cette part substantielle de mon être – ou de mon âme – refuse le progrès actuel de la modernité et son lot de gadgets en tous genres destinés à nous faciliter la vie*. Je n'ignore pas les avantages qu'ils offrent mais à trop nous en satisfaire (et à trop nous en accommoder), j'ai le sentiment que nous nous éloignons du vivant mais aussi de l'être et de la conscience. Aussi ai-je l'impression qu'il nous faut dans notre existence à la fois demeurer en contact avec la vie – et le vivant sensible et organique – et user des nouvelles technologies numériques et virtuelles avec perspicacité et sagacité de façon à nous inscrire dans une perspective qui les transcenderait – et qui nous rapprocherait progressivement de l'être, de l'Amour et de l'intelligence...

* A ce titre, le smartphone et ses nombreuses applications, le GPS, la climatisation et toute la kyrielle de gadgets contemporains sont de parfaites illustrations...

 

 

Monde de contraintes et de degrés de liberté dont seul peut s'extraire l'être en présence. Capable d'habiter la conscience impersonnelle comme espace d’accueil perceptif neutre non identifié au corps et au psychisme...

 

 

De l'être et du monde, voilà le grand défi de l'homme. Réunir – et unifier – ces deux aspects fondamentaux de l'existence qui semblent si souvent incompatibles...

 

 

A la petitesse – et à la mesquinerie – des jours, oppose la grandeur – et la magnanimité – du regard. Non, ne leur oppose rien. Accueille-les simplement avec Amour et innocence...

 

 

La virginité et l'innocence sont le reflet de l'épure du regard et de l'Amour. Et la diversité celui de l'infini. Pour l'homme de Dieu, l'enjeu est d'être – et de demeurer – en présence en portant un regard et un Amour infinis sur la diversité, le foisonnement, l'encombrement et l'égotisme mesquin et calculateur du monde phénoménal. De réunir à chaque instant le nouménal et le monde des formes et des phénomènes. D'unifier l'impersonnel et le particularisme apparent en une parfaite unité. En termes chrétiens sans doute pourrions-nous dire : être à la fois le fils et le Père. Et accueillir inconditionnellement le fils – tous les fils(1) – dans le regard du Père(2)...

(1) Que constituent tous les êtres et toutes les formes de l'Existant...

(2) Dans le regard de Dieu...

 

 

Lorsque les êtres sont happés par les minuscules – et innombrables – tourbillons du quotidien, leur esprit – et leur cœur – sont totalement absorbés par le (ou les) mouvement(s) en cours. Et cette absorption les rend totalement inattentifs. Quasiment hermétiques – comme absents et insensibles – à leur entourage et à leur environnement. Et rien – presque rien – ne pourrait les détourner de leur élan. Au cours de ces instants – très nombreux – et qui représentent, en réalité, chez la plupart des hommes, l'essentiel de la journée – et de la vie –, il leur est impossible de ressentir un quelconque sentiment de proximité avec eux-mêmes, avec les êtres comme avec les choses. Prisonniers en quelque sorte de leur propre absence.

 

 

La curiosité – la saine curiosité – des hommes est le révélateur de leur besoin de compréhension. Les hommes sans curiosité ne rencontrent jamais – et ne pourront jamais rencontrer – personne. Ni les autres ni eux-mêmes. Toute leur vie, ils se cantonneront à vivre en créatures instinctuelles conditionnées par les mêmes représentations psychiques restreintes et égotiques.

 

 

En ces terres récalcitrantes à l'ordre et à la raison (humaine), l'harmonie prend souvent la forme d'un chaos savamment organisé et orchestré. Et pour goûter cette harmonie dans le monde humain et dans la nature – notamment lorsqu'ils demeurent sauvages ou se montrent particulièrement hostiles (réellement ou en apparence), il convient de quitter le rivage du psychisme et des attentes. Et de livrer le regard à l'innocence et à l'immédiateté perceptive.

Mais nous sommes si habitués à une existence lisse et routinière – sans aspérité – et en correspondance avec nos attentes, nos habitudes, nos lubies et nos manies, nous sommes si conditionnés par les jours organisés et programmés et nous sommes si identifiés au corps et au psychisme et si impliqués dans les situations phénoménales à titre personnel que nous éprouvons les pires difficultés à vivre l'imprévu, la contrariété et la frustration.

Le psychisme est si enclin à rejeter l'inconfort qu'il nous arrive fréquemment en présence d'événements perturbants, dérangeants ou porteurs de dangers ou de désagréments non seulement de manifester des réactions émotionnelles vives et disproportionnées mais aussi de devoir observer une pause – un moment de suspens parfois relativement long (de quelques secondes à quelques minutes – et pouvant même aller parfois jusqu'à plusieurs heures*) pour accueillir – et effacer – l'événement, la frustration et les réactions émotionnelles qu'il a engendrées afin de retrouver une certaine innocence – et une certaine virginité – du cœur et du regard.

* Pour des contrariétés conséquentes...

Dans ces circonstances, accueillir et effacer ce qui est dans l'instant devient un exercice délicat – voire impossible. Il nous faut alors intégrer et composer avec cette obstruction qui ralentit considérablement le rythme de l'accueil et de l'effacement. L'un et l'autre – l'encombrement et son rythme de dissolution – deviennent alors des paramètres additionnels – au même titre que l'événement, la contrariété initiale et la réactivité émotionnelle spontanée déclenchée par la situation jugée « problématique » qu'il convient de respecter – et d'accueillir – pour permettre au regard et au cœur de retrouver leur vacuité, leur virginité et leur neutralité bienveillante.

 

 

L'être et la présence silencieuse. Espace d'accueil inconditionnel dans lequel tout naît, se déroule et s'efface. L'homme qui découvre cet espace accède au Divin. Et celui qui est capable de l'habiter à chaque instant – et de vivre depuis cet espace – est un sage.

Mais, à dire vrai, très peu d'hommes y parviennent. Et depuis l'origine de l'humanité, rares – très rares – sans doute sont ceux qui ont été en mesure de goûter l'indicible de manière stable et profonde. Et de façon quasi permanente...

 

 

L'essentiel des hommes estime être en droit de vivre en paix et dans un environnement sécure et paisible. Le jour où l'humanité manifestera la même exigence pour tous les êtres et toutes les créatures de la terre, le monde deviendra plus – beaucoup plus – vivable. Mais au vu de la lenteur de l'évolution des représentations et des mentalités humaines et de l'imprégnation de la conscience dans les esprits, cette transformation ne se fera pas en un jour... Elle se réalisera, comme toujours, de façon graduelle et laborieuse en effaçant peu à peu les traditions ancestrales anthropocentriques et égotiques et les nombreuses résistances au changement.

Le cheminement de l'Amour et de l'intelligence en l'homme – et dans le monde – à l'instar de tous les phénomènes évolutifs et de tous les processus de transformation sera sans doute jusqu'à son terme une longue route sinueuse, semée d'embûches et d'impasses, soumise à l'inertie, à l'opposition, aux révoltes, aux hésitations et aux atermoiements. Mais au vu de l'histoire du monde, il ne fait aucun doute que l'existence terrestre puisse un jour se faire le digne – et parfait – représentant de la conscience...

 

*

 

Terres de brouillard que le soleil tarde à éclairer. Terres d'infatigable indigence que les hommes inlassablement alimentent de leurs niaiseries futiles et de leur refus interrogatif. Terres merveilleuses offertes à la grossièreté des cœurs et à l'avidité malhabile des mains appropriatrices qu'un regard juste pourtant pourrait illuminer...

 

 

La lumière du monde naît du regard. Et sa beauté jaillit – peut alors jaillir – du silence de la perception.

Que serait le monde sans le regard ? Un songe ? Un souvenir ? Une chimère sans consistance ? Qui perçoit le monde ? Et qui le goûte ? Sinon la conscience sensible...

 

 

Agiles partisans du malheur qui pour d'infimes – et illusoires – parcelles d'agrément transforment le monde en champs de bataille et en charniers perpétuels.

Au lieu de restreindre l'aire – et l'intensité – des massacres, l'humanité les étend, les amplifie et les exacerbe de la plus ignoble façon en galvanisant ses troupes – les hommes – cette armée de petits soldats. De pauvres pantins, en vérité, animés – et manipulés – par leurs instincts archaïques et bestiaux qui n'ont su encore s'extraire de la glaise dont ils sont composés pour accéder au ciel – au ciel infini – de la conscience.

 

 

Se familiariser avec l'assise sans cesse renaissante du regard innocent quels que soient l'état du monde, les circonstances et les mouvements psychiques et émotionnels, voilà sans doute le travail auquel nous sommes conviés aujourd'hui. L'exercice auquel il nous faut à présent nous livrer...

 

 

Le regard assis dans l'immobilité de l'espace, on s'incline devant le passage des nuages et la fugace traversée des êtres – et des hommes – sur l'horizon.

 

 

La conversion du cœur est la transformation de l'esprit et du cœur égotiques en regard et en Amour impersonnels. Elle semble constituer la quatrième – et ultime – étape du processus de compréhension perceptive et sensible de l'homme. De l'homme en quête de sa véritable identité.

 

 

Grandeur et décadence d'une espèce charnière et sans surprise : l'homme. L'humanité – et les sociétés humaines – ont toujours été peu ou prou à la croisée de l'animalité et de l'esprit où les instincts, le cœur et l'intelligence n'ont cessé de s'affronter et de cohabiter (tant bien que mal...). Et depuis les origines de l'homme, nous avons assisté à des siècles – que dis-je ? à des millénaires – d'une lente évolution qui fit connaître – et qui fera encore connaître – à la terre – et à la vie terrestre – mille changements et transformations inexorablement orientés vers la conscience. Et voués à l'avènement de son règne sur terre malgré les innombrables écueils, excès et résistances que le monde a connu – et connaîtra encore...

 

 

Terres de mythes et de légendes que les hommes alimentent de leurs songes. Terres d'abondance qui relèguent l'essentiel au superflu. Terres d'ignorance où l'intelligence est bannie, cantonnée aux esprits marginaux qui explorent l'être, la connaissance, la vie et l'esprit hors des sentiers battus – en des lieux fort éloignés des routes fréquentées par les masses. Terres d’indifférence et d'inimitiés où le conflit, la haine et l'insensibilité chassent l'Amour hors de leurs frontières pour asseoir leur souveraineté. Et c'est pourtant en ce monde qu'il nous faut vivre. Et que l'être doit s'épanouir...

 

 

Le sage vit dans un silence ouvert aux bruits et à la parole. Dans un désert ouvert aux êtres et au monde. Dans un Amour ouvert à la haine et à la violence. Voilà pourquoi il est à la fois si étranger et si sensible aux affres et aux vicissitudes de la terre. Et si bienveillant à leur égard...

 

 

Les hommes sont des êtres de passage oublieux de leurs origines – de la matrice qui les a enfantés – autant que de leur destination. Attachés simplement à jouir – et à embellir les décors – de leur bref voyage.

 

 

Il faudrait dire le monde depuis le silence. Sans s'attarder sur ses bruits, ses maladresses et ses lourdeurs. Il faudrait oublier notre visage à forme humaine et que la parole s'adresse aux hommes. Il faudrait dire l'être – et l'âme du monde – et les offrir aux étoiles, aux vents qui parcourent les plaines, aux nuages, aux pierres, aux arbres, aux herbes, aux fleurs sauvages et aux êtres qui peuplent la terre. Et tous écouteraient cette parole depuis le silence qui les habite – et les anime. Et tous s'émerveilleraient de cet infime écho jaillissant du silence parmi les bruits de l'univers. Et même les hommes – certains hommes – pourraient l'entendre s'ils accédaient, pendant quelques instants, à l'espace silencieux du cœur...

 

 

De l'efflorescence et de la profondeur terrestres à la hauteur et à l'immensité célestes, il y a un abîme que le pas de l'homme sage peut franchir. Et lorsque le cœur les réunit, le silence – la joie et la paix – de ses gestes et de ses paroles rayonnent. Et retentissent partout où, en chacun, veillent, attentifs, l'être et la présence.

 

 

Être vivant parmi les ombres. Debout parmi les corps agenouillés. Et silencieux parmi les bruits et les grimaces.

 

 

Le monde jailli de la matrice silencieuse que les hommes ont toujours pris pour le néant. Ah ! S'ils savaient écouter l'Amour qui sommeille dans le silence de leur cœur bruyant et agité...

 

 

La terre n'est qu'un amas de sable rougeoyant. Et l'océan qu'une marre où s'élancent les navires, petites coquilles de noix propulsées par de minuscules hélices. Les forêts ne sont que d'infimes pelouses. Les montagnes, de petits tas de pierres. Les fleuves, de minces filets d'eau claire et fuyante. Et les êtres – et les hommes –, de dérisoires créatures de glaise animées et gesticulantes. Voilà ce qu'est le monde à hauteur de géant ! Et aux yeux de géants plus gigantesques encore, la terre n'est qu'un grain de sable sur la grève infinie de l'univers. Et peu d'hommes, dans leur vie quotidienne, sont capables de revêtir les yeux du géant. Sur leur grain de sable, ils se sont appropriés d'insignifiantes parcelles, y ont bâti de microscopiques édifices et monuments, y ont édicté des règles et des règlements – fort nombreux et compliqués –, y ont instauré une organisation, et ils appellent cela le monde. Mais pourquoi donc les yeux – et le cœur – des hommes sont-ils si étriqués ? Quand donc seront-ils capables de voir les êtres, la terre et le monde avec le regard et l'Amour infinis du géant qui sommeille en leurs profondeurs ?

 

 

Les hommes sont des passants futiles et superficiels. Des voyageurs prosaïques de la surface. Qui jamais ne se laissent égratigner ni traverser par le monde qu'ils visitent d'ailleurs à la hâte sans rien découvrir ni explorer. Pantins routiniers animés par les instincts et les habitudes. Et maladroitement guidés par les poncifs et les représentations basiques et apparentes de l'Existant. Entités non poreuses – quasiment hermétiques – inaptes à toute rencontre avec eux-mêmes et avec les êtres. Avec le monde et le réel. Incapables de s'interroger et d'élargir leur esprit et le cadre de leur pensée. Et d'ouvrir leur cœur. Simplement enclins à profiter et à tirer parti. A consommer et à amasser le monde pour s'octroyer quelques menus plaisirs. Et à s'établir en quelque lieu tranquille où ils pourront se divertir à loisir et tromper leur ennui en attendant la mort...

Il n'y a chez la plupart des hommes aucune quête sinon celle de la tranquillité phénoménale. Ni aucune aspiration à la connaissance de soi et à la connaissance du monde. Aucun appel ni aucun souffle pour les porter vers la vérité. Et par conséquent, il n'existe chez eux aucune progression de la compréhension et de la perception sensible.

Toute leur existence, ils demeureront de simples animaux humains dotés de capacités cognitives légèrement supérieures à celles de leurs congénères à quatre pattes qu'ils emploieront d'ailleurs à la manière des bêtes, de façon à peine plus sophistiquée, à seule fin d'assouvir et de satisfaire leurs besoins et leurs désirs... Des êtres presque totalement immatures et, de toute évidence, encore insuffisamment équipés et outillés sur les plans cognitif, intellectuel et sensible pour actualiser le potentiel métaphysique et spirituel qui les habite et pour ressentir l'irrépressible appel du Divin – et de la conscience – en eux...

 

 

L’œuvre des catacombes et des holocaustes s'abîme dans la mémoire. Dans la mémoire archaïque du monde. Mais dans l'esprit des hommes, nulle trace. Le sang continue de se mêler à la terre. Et sur les os des charniers poussent toujours les fleurs des allées et des jardins...

 

 

Hommes sans yeux ni bouche. Visages mal cousus avec les fils grossiers et broussailleux de la terre. Ebauches de graine à la conscience endormie. Assoupie par les ripailles et l'interminable nuit des âmes recluses...

 

 

Ce que l'aube te murmure, ne t'éreinte à le crier aux hommes – et au monde – pas encore rassasiés de leur crépuscule. N'en conserve qu'une infime trace. Et efface le reste dans le silence. Sois – et ne cesse d'être – comme la rosée du matin, toujours fraîche, humble et innocente dans le paysage. Et guère étonnée de s'évaporer avec les premiers rayons du soleil.

 

 

Au bout des doigts, le silence des montagnes – et des hauteurs célestes – qui s'engouffre dans la plaine parmi ses bruits et son tapage. Et dans le cœur, une larme que les lumières du monde laissent captive. Et indemne...

 

 

Malgré leur esprit naïf, il n'y a d'innocence dans les rêves des hommes. J'y ai trempé mes lèvres. Du songe au goût de sang dont on aurait extirpé la sueur...

 

 

Dans les manteaux du monde, des guets-apens crasseux jetés au hasard des routes que la peur réinvente. Où se prendront toujours les mains avides et peureuses. Et les hommes marchant à pas de loup dans les combes et sur les crêtes. Partout où l'innocence a été défaite comme une injure à l'intelligence. Simulacre d'esprit insatiable de ruses et de stratagèmes. Univers vorace de prédateurs à l'âme – et au cœur – d'agneau que le berger feint d'abandonner à leur sort pour quelques siècles et qu'il veille pourtant des sommets invisibles. Et qu'il récupérera à l'âge des maturités pour les mener sur de plus paisibles pâturages...

 

 

Dieu veille en l'homme assoupi autant qu'en l'homme sage. Mais le premier se croit seul – et seul maître du monde et du ciel – alors que le second s'efface dans son silence et sa lumière. Voilà pourquoi la sagesse et la grâce resplendissent chez l'un et que les ténèbres recouvrent les gestes et les pas de l'autre. Obscurcissant tout ce qu'il touche. Et tout ce qui l'entoure...

 

 

Les âmes passagères traversent la longue nuit des hommes. Inertes sous l'emprise de la terre. Comme exilées des vastes plaines azuréennes.

 

 

Les hommes progressent sur la terre en ordre dispersé et en hordes claniques avec les instincts vissés à la ceinture. Bras armés et langage brut affûtés voués à la conquête – et à la défense – des territoires. Mains outillées destinées à la construction. L'esprit friand de représentations, de hiérarchisation et d'organisation consacré à l'appropriation et au confort. Cœur cadenassé inapte à l'innocence. Créatures bestiales et rusées aux aspirations archaïques et sans envergure. Et pourtant parmi ces monstruosités se dissimule un joyau. Un espace inexploré. Une graine qu'il suffirait de découvrir – et d'arroser. Et à laquelle il suffirait d'offrir un terreau propice et quelques rais de lumière pour que s'épanouissent l'Amour et l'intelligence. Seuls feuillages que l'on aimerait voir pousser sur la terre...

 

 

L'homme s'égare partout où il passe. Dans les méandres obscurs de la raison. Sur les chemins boisés du monde qu'il bétonne et transforme en cités. Dans les songes qu'il déverse à foison sur la terre. Dans les prières muettes qu'il adresse au ciel. Pour échapper à l'ennui et à la solitude – à cette solitude implacable – qui l'écrase. Et l'enferme. Dans les sillons – et les sillages – du vent, l'homme s'enlise. Et se perd. Il bâtit des villes et des églises. Edicte des lois et des principes. Enseigne ce qu'on lui a appris. Explore et découvre quelques vallées et quelques théories nouvelles. Se les approprie. Erige des barbelés autour de ses parcelles. Et enfante une descendance pour entretenir – et étendre – son fief. Ainsi la vie – et la misère – de l'homme se perpétuent. Et se propagent.

 

 

Derrière les visages exsangues, un sourire irréel – un sourire inhumain – offre sa joie aux cœurs tristes – à tous les cœurs tristes – du monde. Faisant parfois oublier aux hommes la misère qu'ils cachent sous leur long manteau sombre.

 

 

L'instant – et le temps – ne pourront s'éteindre. L'être le sait comme le sentent peut-être les créatures – et les hommes – arrivés à leur crépuscule, agonisant seuls – et les yeux ouverts – sur leur couche ou sur le sol de cette terre inhospitalière pour les corps, attendant la fin de la lumière dans l'immobilité de l'avant mort, le cœur peut-être enfin apaisé – et libéré de toutes les volontés.

 

 

La terre ne peut oublier le corps. Comme le ciel ne peut oublier le cœur, l'esprit et l'âme. Aucune expression ne peut échapper à son origine. Elle en est à la fois l'infime élément. Et le complet – et parfait – dépositaire. Et leur union scellera toujours la souveraineté de l'unité.

 

 

Monde de bruits et d'infimes détails émergeant du silence et de l'infini. Univers de phénomènes enfantés par l'Absolu. Sans oublier, bien sûr, le Divin qui veille en chacun, attentif toujours à ce qu'il s'éveille à lui-même...

 

 

Ne transmets rien. Ni ta sagesse ni ta connaissance. Passe en silence. Et efface les ombres de ta présence. Ainsi seulement sera révélée aux êtres leur nature divine. Et la dimension sacrée du monde et de l'Existant.

 

 

Dans nos pas, un ange s'envole vers un Dieu invisible que les âmes humbles peuvent apercevoir à chaque foulée. Avec l'approbation silencieuse de l'indicible. Et de toutes les pierres du chemin.

 

 

Le langage jouxte le silence. Il en est l'excroissance alors que la parole en est le reflet.

 

 

Lire sur les visages – et dans le cœur – de l'humanité comme dans un livre ouvert que Dieu aurait écrit. Et que les hommes s'éreintent à remplir de leurs volontés et de leurs désirs. Et à noircir de leurs chagrins. Palimpseste originel vide et ouvert – espace silencieux – sur lequel les pas et les gestes griffonnent quelques aventures. Dérisoires spectacles dont nul ne s'étonne. Porteurs de rires, de larmes et de grimaces que Dieu veille à éclaircir...

 

 

Cœur blessé par l'hypocrisie et la rudesse des mains de l'homme. Par la souffrance des bouches maladroitement cousues au silence – et que l'on réduit au cri. Et par l'innocence des yeux que l'on condamne aux larmes.

La souffrance et l'impuissance sont pourtant la matrice de l'abandon dans laquelle se défont les désirs et se préparent à éclore la grâce, la paix et la joie.

 

 

L'inconnu et l'incertitude s'éreintent à nous percer. Et à s'établir en nous pour voir – et vivre – le monde et l'existence à travers l'être et le regard de l'innocence. Avec l'âme et le cœur humbles et dépouillés.

 

 

La parole tend vers la vérité qui lui échappe aussitôt qu'elle tente de s'en saisir. Au mieux peut-elle se faire le reflet de sa présence. Et guider les hommes vers les terres instables et arides où ils pourront la goûter en les invitant d'abord à déblayer les contrées d'abondance et de certitudes qui entravent et retardent sa venue. Tel est – et devrait être – l’œuvre du poète. Et la besogne du philosophe. Inlassables – et infatigables – arpenteurs de l'être et de l'inconnu. Du sacré et de l'Absolu. Mais qu'ils se gardent bien dans leurs sévères et indigestes discours de cartographier les paysages et les chemins – et de baliser l'itinéraire. Qu'ils sachent que leurs rébarbatives tirades ne sauraient aider les hommes à défricher leurs trop denses et trop riches arpents. Qu'ils se contentent donc d'encourager les cœurs – et d'inviter les âmes – à se démunir de tout superflu et à vivre autant dans l'innocence que dans le fugace – et l'éternel – de l'instant.

 

 

La virginité et l'innocence sans cesse renaissantes sont le terreau propice de l'impersonnel. Et sur elles seules peuvent pousser la paix et la joie. L'émerveillement de l'inconnu. Et la grâce de chaque instant. C'est à cette tâche que l'homme est convié. Et c'est à cette seule condition que l'être peut pleinement s'épanouir...

 

 

Il y a dans le ciel un instinct brut et sauvage dont la terre s'est fait le reflet sans être parvenue encore à percer l'insondable mystère de l'Amour qui habite ses profondeurs.

 

 

Hommes. Lourds passagers d'un voyage sans trace dont les surprises étonnent et désarçonnent mais que le cœur ne parvient à convertir ni en interrogation, ni en découverte. Et moins encore en compréhension. Âmes grises et opaques – superficielles et plombées – glissant à la surface du monde, hermétiques à la profondeur et à la légèreté que Dieu a dessinées sous l'apparence des visages et de l'Existant pour qu'elles s'y fondent et puissent le rejoindre. Afin d'asseoir son règne sur la terre.

 

 

On n'écrit – et ne vit – à son aise que dans un espace paisible, vide et dépouillé où trônent parmi la vacuité quelques nécessités quotidiennes. Le cœur, l'âme et l'esprit vierges, voilà les conditions d'une écriture – et d'une existence – innocentes. Mais le monde nous cantonne trop souvent au foisonnement, à l'efflorescence, à l'abondance, aux heurts et aux conflits. Et c'est dans ce fatras et cette violence qu'il nous faut apprendre à vivre avec le regard clair, vide, vierge, ouvert et innocent...

 

 

La fureur – et le mystère – des jours inconnus qui s'avancent vers le silence dans le vacarme des pas. Parmi le long cortège des silhouettes errant sur les chemins des plaines et des collines.

 

 

Comment reprocher à l'aube de ne pouvoir éclore ? Comment dire adieu à notre crépuscule sans fin ? Nous qui sommeillons dans le silence parmi les bruits... comment pourrions-nous épouser l'espace vacant que nous avons encombré de nos jouets, de nos outils et du mobilier superflu de nos aînés ?

 

 

Un cri – un grognement sommaire – en guise de salut jaillit des forêts désertes où se sont retranchées les âmes – toutes les âmes – exilées du monde. Et que les hommes ont reléguées à la solitude et à la sauvagerie des marges. A l'isolement des contrées périphériques. Comment pourraient-elles cohabiter avec les yeux et les bouches des villages et des cités et se fondre parmi le peuple du bitume et du béton, des places et des carrefours où la liberté et le naturel agonisent sous les pavés et entre les murs et les clôtures des jardins artificiels, écrasés par les regards désapprobateurs de la normalité frileuse et bornée. Et où le pathologique – et l'obsession de l'ordre et de l'uniformité – font loi...

 

 

Que de consolations et de tourments pour les cœurs exigus et les mains peureuses qui craignent les contrées inconnues du silence et de l'infini...

 

 

Le monde est un décor que la conscience – aidée des énergies auxiliaires – façonne et fait évoluer. Et dans lequel se glissent trop souvent, en cette ère d'hégémonie spécifique, les caprices des hommes. Leurs exigences frileuses, leurs découvertes d'explorateurs et leurs inventions d'apprentis-sorciers. Mais la conscience semble offrir sa complicité, sa confiance et son approbation – et même sa voix – aux recherches et aux investigations des créatures dont elle a fait ses jouets. Ses incontournables instruments de jeu...

 

 

Embrasse le quotidien qui ordonne la récurrence des gestes – et ne promet que la lassitude – si le regard ne sait se faire présence vierge et innocente. Devenant alors un espace inaccessible aux yeux prisonniers des certitudes et des habitudes. La maturité naîtra de la familiarité avec cet accueil. Et la libération naîtra de cette maturité...

 

 

Se défaire des résistances et des frontières de l'immobilité pour que circulent librement tous les vents – et tous les souffles – de la terre. Et demeurer dans le silence immobile de la présence renaissante et sans support. Ainsi vit l'homme sage. Laissant l'existence – et le monde – à leur destin. Totalement libres d'emprunter – et d'explorer – les chemins auxquels la terre et le ciel les destinent. Et leur permettant de se déployer sans obstacle ni opposition. Ainsi l'homme sage se dégage-t-il de l'approbation et de la désapprobation. A la fois pleinement attentif à leurs mouvements et profondément dégagé des circonstances et de leur évolution...

 

 

On naît, on apprend et l'on se construit une individualité parmi les hommes avant de pouvoir envisager de se défaire de notre figure humaine – des caractéristiques et des références de notre espèce – pour reposer d'abord de façon inconfortable et malhabile dans l'espace vacant du monde et pour se familiariser peu à peu – pas à pas – avec les rivages d'un silence inhumain et infini. On apprend ainsi à fréquenter Dieu – et ses contrées célestes – avant d'y établir l'assise de notre regard. Le monde – et les hommes – deviennent alors une part de nous-mêmes – tantôt infime tantôt magistrale selon les circonstances – dont nous accueillons les gestes et les expressions sans exigence. Comme d'insignifiantes traces de poussière dont l'essentiel rayonne en des lieux inaccessibles pour les yeux...

 

 

Le balancement des heures. Et l'ingratitude du temps qui fatigue – et ronge – la chair et transforme les os en poussière. Merveilleuse mécanique pourtant qui ouvre à l'incertitude, à la précarité et à l'instant.

 

 

Vivant ignare qui ignore. Et pourtant en ses profondeurs, l'être silencieux sait – et reconnaît, parmi les fausses théories, sa nature et son origine qu'il feint d'oublier dans une amnésie passagère afin peut-être de donner à l'esprit le sentiment fallacieux d'une existence singulière. D'une saveur particulière. D'un surcroît – illusoire et trompeur – de consistance et de vérité...

 

 

De ce monde pléthorique et foisonnant, goûte – ne goûte que – la profondeur silencieuse et secrète dont le monde lui-même a oublié l'existence. Présence mystérieuse sous la chair fragile des corps et des visages.

 

 

L'étrange et fabuleuse question de l'identité étreint secrètement tous les esprits. Et résonne à travers les plaines – toutes les plaines – du monde en un cri démultiplié : qui suis-je ? Interrogation angoissée, polymorphe et insoluble qui habite tous les êtres. Et anime tous leurs élans jusqu'aux confins du ciel, seule aire où peut éclore la réponse. Seul espace où peuvent s'éteindre tous les questionnements...

 

 

Visages de sable caressés par les vagues de l'innocence dessinant mille paysages sur les rives étroites de la terre. Et s'effaçant avec les marées. Les cœurs et le monde devraient respirer aux rythmes de l'océan – aux rythmes de l'infini – s'offrant jusque dans ses plus infimes détails sur toutes les grèves et les jetées.

 

 

Le désert est le point de rencontre entre l'interrogation et le chemin naissant de la réponse. Le carrefour crucial que les hommes infréquentent...

 

 

Hommes, amas de terre et de poussière frémissants et interrogatifs. Déçus par leur insignifiance. Et cheminant à travers le monde – et l'existence – en quête de l'étendue – de la vaste étendue – qui pourrait répondre de façon parfaite à leur dénuement et à leur légitime aspiration de complétude.

Le monde, dédale d'allées funestes où errent – et s'égarent – les âmes fantomatiques vouées à l'après et aspirant à l'ailleurs. Aveugles au chemin que foulent leurs pas présents si pressés...

 

 

Les nuages sont notre seul appui – et notre seul modèle – sur cette terre si solide. Et si fragile. Voyageurs passagers du ciel aux origines terrestres balayés par les souffles des vallées offrant au monde leurs gouttes délicates. Présence discrète et essentielle servant l'azur et les profondeurs avec la même grâce. Et la même humilité.

 

 

Un coin de terre où asseoir son sac et son séant, ouvert à quelques chemins qui traversent le monde. Et l'immensité du ciel dans le regard. Voilà – voilà simplement – ce dont l'homme sage a besoin...

 

 

L'erreur des yeux qui aspirent à transformer la matière. Et à éradiquer ses restrictions... Et dont seul le regard peut se libérer dans l'accueil inconditionnel de sa présence, de ses lois et de ses exigences...

 

 

Effacer les amassements et les traces pour renaître, à chaque instant, à l'innocence.

 

 

Vie de labeur et de distractions vouée aux nécessités, à la futilité, à l'éphémère, à la promiscuité, à l'amassement et à la surface du monde (et de l'esprit) où l'être, l'Absolu et le Divin ne peuvent éclore. Ainsi, depuis l'aube de l'humanité, l'homme n'a jamais eu goût à abandonner ses contingences, ni jamais eu la maturité et l'aspiration – le temps et l'énergie – de délaisser (même partiellement) ses fadaises, son archaïsme et son fonctionnement ancestral et instinctuel pour explorer et découvrir, à travers l'interrogation, la métaphysique et la spiritualité, ses origines, le sens profond de son humanité, sa nature véritable, ses liens avec la conscience et ce que d'aucuns pourraient en quelque sorte définir comme sa mission divine sur terre... L'homme n'a jamais encore été en mesure de s'extirper de ses nécessités, de son ignorance, de sa myopie et de ses chimères, sources de toutes ses gesticulations terrestres...

 

 

L'Autre comme objet – et source – de gênes et de plaisirs. A la fois obstacle et instrument de réconfort et de compensation à la misère et à la solitude de la condition terrestre – et humaine – dont les yeux envoûtent, inhibent ou donnent des ailes. Et dont on s'accommode par lâcheté et/ou par habitude. Comme une façon illusoire de se croire – ou de s'imaginer – des êtres aimables. Des êtres dignes d'être aimés. Comme une manière de se persuader que nous ne sommes pas que des créatures au visage et aux mœurs détestables. Et cette proximité couarde et instrumentalisante a vite fait de tourner en parodie affective. Qui confine l'être – et les êtres – à mille lieux de l'Amour...

 

 

Pourquoi notre esprit est-il encore (si) affecté par la léthargie, l'amassement et l'abondance ? Pourquoi est-il encore (si) peiné par la proximité du monde et des hommes – et par toute manifestation et présence humaines ? Seraient-ils des reflets trop évidents de l'énergie, des souffles de la terre et du psychisme encombrant l'être et le vide – l'infini et l'innocence du regard* ?

* L'infini et l'innocence de la conscience (l'Absolu)...

 

 

Vois – ressens et habite – l'espace derrière l'efflorescence et les entassements du monde. Regarde – appréhende et considère – l'infinité des combinaisons (énergétiques) comme des émanations du silence.

 

 

De la nature et du silence. Et l'être et la présence s'habitent – et rayonnent – avec aisance. Des hommes, du bruit et des bavardages. Et le psychisme s'anime, gesticule et vocifère...

 

 

Des cris dans le silence à l'accueil sensible et silencieux des cris, il y a un abîme que l'homme sage franchit d'un seul pas...

 

 

Les rengaines et les heures lasses usent la patience et l'esprit. Anéantissent l'espoir de toute échappée. Invitent au couloir étroit de l'abandon, seuil de l'accueil où poussent la paix et la joie que nous pourrons alors faire fleurir dans le quotidien du monde.

 

 

Assis devant le jour. Couché dans la nuit claire des âmes, l'homme sage n'attend plus. N'espère rien. Il fréquente le silence et l'infini. Tous les songes d'autrefois remisés dans le néant. Et lorsque l'aube se lève, ses yeux sont frais. La journée – chaque instant de la journée – peut alors éclore dans l'innocence. Le monde peut bien tourner – continuer à tourner encore et encore –, il laissera libres les chemins.

Chaque matin, il ira à petits pas puiser l'eau à la source pour extirper le sommeil de son visage. Chaque jour, il contemplera la terre depuis les sentiers que sa silhouette a coutume de fréquenter. Ecrira peut-être quelques notes pour dire sa joie. Et la journée s'achèvera dans le silence, les yeux ouverts sur l'horizon et le calme du soir.

Pour l'homme sage, demain n'est qu'un songe. Il n'y pense pas. Le cœur – et le regard – ancrés dans le présent. Vides, vierges et innocents. Accompagnant le monde de son silence. Et parfois d'un sourire discret. Humble devant les hommes et l'éternité.

Des yeux enjôleurs et des mains stratèges, il ne se soucie pas. Et aux cris et aux plaintes, sa quiétude répond. Toujours il laisse passer le monde. Et sa vie d'homme. Son existence de passant éphémère. Il écoute et n'écarte rien. Agit au gré des circonstances et des nécessités. Ne s'occupe pas même d'être là. La présence veille pour lui. Elle, qui a pris sa place, répondra aux exigences. L'homme sage n'est plus – et n'a même d'ailleurs jamais été – ni homme ni sage. Il s'est effacé. A cessé d'être là même si aux yeux du monde, sa silhouette continue chaque matin d'aller puiser l'eau à la source, d'emprunter les sentiers des forêts et des collines et de contempler dans le crépuscule naissant la quiétude de l'horizon.

 

 

Infimes – et dérisoires – élans de la terre vers le ciel ne sachant pas même reconnaître dans ses gestes la présence du Divin.

 

 

Les odieux – et sempiternels – tourbillons qui happent – avalent et usent – les corps. Et qui malmènent – empoisonnent ou foudroient – le cœur et l'esprit sous le regard attentif et bienveillant du silence et de l'infini.

 

 

Dans leur détention, l'esprit et le cœur aspirent secrètement à la libération. Et à la liberté. Ou pire, ils se croient – ou s'imaginent – libres. Mais la maturité exige que nous soyons lucides de notre incarcération. De la voir sans sourciller. De la vivre – et de l'accueillir – sans condition pour s'en défaire. Et en être libres...

 

 

Monde mis en scène par nos paroles, nos rires et nos pleurs. Oreilles envoûtées – et que nous ensorcelons – avec nos histoires pour éluder la seule question fondamentale : l'identité de l'être.

 

 

Le bout du monde impassible aux rumeurs qui nous entourent n'est que le prolongement de la terre où courent – et se propagent – d'autres murmures inaudibles à nos oreilles. Mais qu'attendent donc les hommes de cet égarement de la parole ? Seul l'inconnu – le mystère de l'inconnu – tapi dans le cœur des êtres et identique en toutes contrées les libérerait des commérages et des futilités du langage.

Que la parole fouille donc nos songes ! Et que chacun se mette en quête du joyau commun recouvert par nos rêves immatures. Et croyez-moi, hommes, la marche honnête des braves gens ne sera d'aucun secours ! Pas davantage que la course sanguinaire des fanatiques ! La sagesse sommeille toujours dans la faille que nous avons ignorée depuis les origines. Et il convient à présent de la découvrir. Et de l'honorer. Sinon le monde vacillant – gonflé d'artifices et d'abjections – s'effondrera sous nos assauts. Et la témérité prétentieuse de notre œil borné.

 

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