Carnet n°150 L’époque, les siècles et l’atemporel
Regard* / 2018 / L'intégration à la présence
* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…
Un jour, un rêve et l’immensité de la plaine à explorer. Le ciel, les arbres et toutes les figures de la solitude. Quelques livres – quelques lèvres – où puiser la force d’aller – et de poursuivre la marche sans s’effaroucher des malheurs. La nuit, le jour et l’âme terrée dans son abri – quelques branches recouvertes de lumière. Le chemin, quelques heures – quelques décades peut-être – pour jouir de son sommeil ou s’en extirper…
A corps – et à cœur – perdus au milieu de ce qui dure…
Une blessure, un chemin. Et l’ombre d’une rivière qui monte en silence vers la ligne où nous nous tenons. Sur la frontière où se rejoignent le monde et l’infini – la poussière et le soleil…
La terre et le ciel – limpides. Et le vide pour horizon. Ainsi se tient l’œil sensible au regard qui (en lui) efface les offenses et les ténèbres – le monde – le souvenir et la peur…
Un sursaut dans la lumière – comme un fouet sur l’âme – un incendie de papiers froissés – pour faire naître l’essence d’un langage voué à l’émerveillement…
Comme l’eau d’une rivière où s’écoulerait nos rires et nos larmes jusqu’à l’océan – jusqu’aux sources premières de la goutte. Emportant, avec eux, les obstacles, les murs et les tentations – l’arsenal des poètes et tout l’attirail des hommes…
Un trou, un trottoir, un bruit. Et le pas si pressé des hommes qui creusent leur tombe et étendent les bras avant même d’avoir entrevu la lumière…
Un rêve, une parole, un soleil. Et ce froid si vif – si brûlant – qui nous empêche de voir, de croire et de voyager au-delà du connu…
La tristesse comme un cadenas accroché à nos grilles – à nos lèvres – trop hautes – trop muettes – pour attendre la fin de l’automne enceinte déjà par quelques monstres féroces…
Paix au milieu des anonymes – de ceux que nul ne voit – et que nul ne connaît – et dont chacun, pourtant, se sert comme d’un décor…
Herbes et vents constellés de rêves étrangers sur lesquels on pose des chaînes et un peu de lumière pour attirer et piéger les yeux…
Un cercle que vient lécher le ciel – gardien d’un secret amoncelé dans les entrailles qui suscite tant de convoitise chez les hommes…
Vague tribu – et cette agitation des esprits en sommeil qui croient marcher et emprunter des chemins alors qu’ils rêvent – et ne s’excitent que dans un songe – téméraires par procuration dans un monde de fantômes et de silhouettes – ombres, tout au plus, levant les pieds, les bras et les poings dans la brume et la nuit…
Une parole brève – une lune suspendue – et les lignes de vie attentives aux larmes et aux printemps – à la figure triste des âmes, des bêtes et des hommes qui se balancent entre les feuillages caduques des grands arbres de l’été – et aux paumes de l’hiver tendues vers nous et nous suppliant de brûler les restes de notre effroi…
Rumeurs d’un monde – rumeurs d’un songe – plus vieilles que le temps…
La nuit veille sous nos masques – s’éreinte à déchirer le peu d’espoir sous la croûte épaisse de la désespérance en calfeutrant la fenêtre à travers laquelle le jour se lève et grandit…
Sur notre peau, ce grain de lumière à peine décelable que l’homme entaille avec approximation pour y dégoter un silence impossible…
Les routes s’élargissent et se perdent – dessinent une sorte de carrefour – un centre où tout arrive – où l’on tourne en rond comme les bêtes d’autrefois sur le grain ou autour d’un puits pour offrir aux hommes un peu d’eau ou matière à leur pitance…
Mille bouches – mille victuailles. Et l’appétit rassasié qui fait naître le regain du ventre – le désir d’une autre faim – celle de s’étendre et de se répandre sur les rives et les mers du monde. L’enfantement et le recommencement de la descendance. Mille bouches supplémentaires qui se rassasieront de victuailles et enfanteront, à leur tour, mille générations nouvelles…
Tout n’est qu’expression – expression du silence ; unique créateur, unique spectateur et unique toile de fond du manifesté – de l’ensemble des phénomènes…
Une présence intouchable ; la sagesse. Et un regard sensible à tout ce qu’il pénètre ou effleure ; l’Amour…
Pêcheurs, flâneurs, laboureurs, chasseurs, travailleurs, voyageurs. Une foule de visages, assoiffés de bonheur et de sang, qui recouvrent et saccagent la terre…
Silencieux – immobile – on attend la métamorphose. La conversion de la férocité en poème. Le jour et ses percées franches dans la nuit. Et dans le ciel – et sur la terre – la constellation de l’innocence. La sérénité et l’ampleur de la sève incandescente. Le souffle du Divin sur nos vies. La vision parfaite, en quelque sorte, sur l’effondrement des siècles et nos visages étonnés…
Tout se précise dans le renversement de la folie ; la terre, le monde, la vie, la mort, les visages – et l’humilité nécessaire à l’effacement de toute emprise. Les jeux inévitables et l’innocence retrouvée au fond des yeux…
La nuit comme miroir. Reflet d’un sommeil fécond. Le lieu de l’ignorance et des catastrophes. Et la possibilité du jour timide qui s’annonce…
L’effroi dessiné sur nos visages plongés, tels des insectes, au cœur de la grande toile – vie et monde – secoués par les vents furieux – enfantés par un souffle inconnu. Fils, liens mystérieux et destins tragiques…
Fleurs, mémoire, griffes, bouches et crocs plantés dans la chair – douloureuse – gesticulante – offerte – prêtée peut-être – aux uns et aux autres. Yeux fermés posés contre les murs – défaits par l’horizon. Quelques signes – et quelques grimaces – façonnés par la stupeur et l’interrogation. Le ciel et le silence. Et Dieu introuvable jusqu’au cœur de la tombe. La vie, la mort et le prolongement de tout. Le recommencement permanent du même destin livré aux supplices et à l’incompréhension…
Potences triomphantes partout. Du sang, des agonies et quelques bougies allumées dans la nuit pour mendier au monde – aux hommes – au ciel – une explication – un sens – une réponse moins âpre et moins rêche que le silence…
Ce qui bouge à travers nous n’a la couleur de nos ratures – et pas davantage l’odeur de notre corps. L’élan peut-être du silence qui cherche à nous exposer l’origine du bruit et la nécessité des danses. Comme une pierre aussi légère que l’air – posée un peu partout – et traversant le ciel pour nous montrer la voie…
L’hallucination et le délire comme unique spectacle. La croyance mastiquée jusqu’à l’usure. Et le froid vif arrachant au cœur le droit de vivre et le feu nécessaire à la découverte – et à la traversée – d’un monde infini replié dans celui-ci plus terne, plus triste et moins définitif…
Un secret au fond d’un seau que chacun porte comme une charge – comme une douleur…
Tout s’enchaîne et se débat dans un puits qui peut-être – qui sans doute – n’existe pas. Une sorte de gouffre dessiné par l’ignorance – aux parois rouges et grises recouvertes de boue et de sang – au centre duquel patiente le ciel – le plus vrai du monde – l’être libéré des chimères – celui qui vit au milieu des visages – au milieu des destins – qui est tout et personne. Cette présence au parfum de joie au cœur de toutes les vies – au cœur de toutes les tristesses…
Un peu d’innocence à naître sur la neige qui s’est substituée au sable et à l’attente…
Une voix, des graines à foison. Chaque jour, le même élan – le même tourbillon – du langage qui cherche un chemin sur la page – et à faire revenir (ou, à faire naître, parfois) sur les visages le même silence…
Le miroir du monde – le miroir de toutes choses – jusqu’à l’effacement des noms sur les destins…
Quelques gribouillis sur les eaux boueuses du temps…
Assoiffé de cette ampleur véhiculée par le monde – de cet infini suspendu au visage de l’éphémère…
Une fenêtre, un paysage. La tête et ses numéros – la tête et ses spectacles qui font tourner les pas et les âmes au milieu de leurs combats. Et un rire, soudain, qui surprend les ombres qui passent – et les larmes abondantes qui coulent sur les joues. Un air de tristesse et d’incompréhension retenu au fond de la gorge. Quelque chose aux allures de menace – une prière, peut-être, au fond de la peur. Le triomphe du silence sur le désarroi – et ses filles de misère qui ligotent toutes les mains tendues vers n’importe quoi…
Un long chemin à suivre – pas à pas – au milieu des visages et de la mort – au milieu des mains qui martèlent leurs rêves sur l’asphalte et le béton fabriqués par les hommes. La main tremblante et la nuit parcourue – et retournée dans tous les sens parmi les rires et les larmes de ceux qui vivent et espèrent encore…
Tout s’enfuit – tout s’en va au fond d’un long couloir sombre – aux rideaux opaques – aux murs hauts et sans fenêtre. Tout s’éclipse le moment venu – disparaît et s’efface avant de revenir habiter la mémoire et le monde d’après sous d’autres traits – et avec la même ambition – et le même appétit de découvrir le secret de tous les passages…
Tout se trouble à notre arrivée. Tout s’éloigne durant la traversée. Le sommeil succède au temps. Et l’espoir aux souvenirs…
Rien ne dure – pas même les ombres qui en nous – devant nous – partout – s’agitent. La vie passe. Et le soir arrive déjà. Et avec lui surgit l’hiver…
La solitude, si riche autrefois, se dépeuple. Elle devient rude – aride – puis se dessèche. Les yeux alors voient la mort s’approcher – et lui font face. La terreur incise notre faim et notre angoisse.
Peut-être ne nous réveillerons-nous plus…
Poussière, nuit, silence. La trajectoire de l’infime vers l’infini. Et ses mille points de passage où il faut (toujours davantage) se dépecer – et s’effacer jusqu’à l’anéantissement final – jusqu’à la dissolution de tous les restes du destin…
Lumière, porte, chemin. Lignes d’un seul jour – d’une seule vie. Traits informes – malhabiles – qui, peu à peu, dessinent notre vrai visage – et la nuit – et le jour alentour – au-dedans – partout où l’âme s’immisce…
Le même silence qui, autrefois, s’impatientait en langage – en mots foisonnants jetés sur n’importe quoi – contre n’importe qui…
Tout s’éreinte, s’abîme et se casse – jusqu’au plus sombre des rêves – jusqu’au ciel – jusqu’au silence infranchissable…
Les frontières comme un vertige étagé – des tronçons de terre lacérés par la faim et le manque – et le désir de possession à l’épreuve de l’invisible qui veille et guette nos défaillances…
Prisonniers d’un monde – de chaînes – d’une folie à hurler. A la recherche d’un rêve, d’un point, d’un coin d’herbe verte pour échapper à l’affrontement. Acquiescer à tous les délires pourvu qu’ils nous délivrent de l’amer – de l’étrangeté de vivre en exil au cœur d’un monde voué à la désespérance…
Le ciel d’une nuit parfaite – et si déplaisante, pourtant, pour les yeux inaptes au consentement…
L’âme agenouillée au milieu des débris, des gravats, des éclats – soudée à tous les recoins du monde qui protègent de la violence. Le sommeil et la mort plutôt que la lumière – si vive – si aveuglante – et le clignotement de quelques étoiles en guise de paix et de silence…
Un front, une porte, un ciel. Et tous les orages – et les vents qui s’abattent et dévastent les yeux englués dans la brume – sur les horizons. Quelque chose, pourtant, se détache – et glisse, peu à peu, du rêve vers le réel. Quelque chose – un infini peut-être – comme le revers de tout destin qui se cache au cœur de l’effacement. A l’envers du temps et des visages rompus par nos pas qui s’avancent – au-delà des barrières qui encerclent la mort…
A corps – et à cœur – perdus au milieu de ce qui dure…
Une blessure, un chemin. Et l’ombre d’une rivière qui monte en silence vers la ligne où nous nous tenons. Sur la frontière où se rejoignent le monde et l’infini – la poussière et le soleil…
Boîtes, angles, ponts, boussoles. L’attirail des hommes sous les nuages qui voyagent sans carte ni précipitation – attentifs au ciel – naviguant sans crainte au milieu des étoiles – libres, en somme, au cœur de leur destin…
Source du feu et des malheurs jetés – presque au hasard – sur la paresse des visages. Le sort des voyageurs. Les vagues qui chantent. Les flammes, la glace et la mort. Les vents qui hurlent – et que croise, parfois, le regard. L’œil, la route et le destin des noms qui se querellent et se dévisagent. Un peu d’écume dans le silence. Les plis d’un monde ignorant – et ignoré du plus sublime – qui abhorre l’incertitude…
Un reflet, une ville endormie. Et au milieu du sommeil, le regard de l’homme posé au-dessus du monde – appuyé au jour et au silence – qui contemple les bêtes et la peur – les visages griffés et le bruit des bottes par milliers – par millions peut-être – fiévreuses sur les routes qui serpentent autour de la même prière…
Un jour, un rêve et l’immensité de la plaine à explorer. Le ciel, les arbres et toutes les figures de la solitude. Quelques livres – quelques lèvres – où puiser la force d’aller – et de poursuivre la marche sans s’effaroucher des malheurs. La nuit, le jour et l’âme terrée dans son abri – quelques branches recouvertes de lumière. Le chemin, quelques heures – quelques décades peut-être – pour jouir de son sommeil ou s’en extirper…
Visages anonymes – passés inaperçus – sur ces routes où défilent le hasard et le moins célébré. Des yeux, des mains et des grimaces au bord des chemins – avachis – exténués – enfermés dans l’espoir d’un espace moins exigu que le monde.
Les portes qui se referment. Le vent qui cingle et ravive le désir de voyage. La mer, le temps et les voilures toujours amarrées aux quais. La caresse rêvée d’un ailleurs. La prudence de toute avancée. Les ruines, la fuite et l’imaginaire. Quelques départs et la mort qui s’avance – qui s’approche. La fougue, la grève et les tournants à chaque ligne nouvelle. Le recommencement, en somme, du même horizon – du même pas – du même destin – plantés entre le réveil, les mirages et cette douloureuse sensation d’exister…
Nous marchons avec, au front, cette ardeur des exilés qui savent que toute vie est un voyage – un mensonge – un retour (presque) impossible vers la seule patrie acceptable – ce lieu caché en chaque lieu – cet air de fête et ce rire jetés en contrebas de la tristesse. L’angle sous les larmes et la désinvolture des pas. La lumière au milieu de la fenêtre. L’âme adossée au mur affrontant ses démons et les épreuves du temps. Le visage de l’horizon enfoui sous les couleurs de l’immobilité et de l’évidence. La joie à naître au fond de l’incertitude…
La main d’une étoile posée sur le ciel ouvert – défait des ombres et des cris étouffés au fond de la gorge. La lumière triomphante qui a précédé cette nuit glaciale – interminable…
Lèvres et visages tissés de soleil et de certitudes. Allumés par la main indécise – délicate – magistrale – de l’aurore – inquiète de nous voir batifoler sans conscience au milieu du doute et de la rosée…
Un jour, une lampe. Et l’évidence d’un Amour plus vaste que la peau – et plus clair que le sang – qui s’offre à nos poitrines rampantes au milieu de l’effroi et des simagrées – parmi les visages et les épines du monde…
Place vide. Et l’ombre qui nous retient comme des doigts agrippés à notre veste. Murs pareils aux autres. Choses entendues et secrets révélés. Et la langue qui profane l’univers, le ciel et le silence – et la joie grave (et si discrète) de ceux qui savent…
Le frémissement de la chair le long du poème. Et l’âme tout émue par le silence posé sur la table – entre les lignes. L’invisible en marche – en avance sur nos pas. Une bougie, le mystère et la mort qui frappe encore après la fin de l’espérance. Le vent, la nuit et le noir. Et ces peurs insurmontables. Le réel plus large – et plus intrépide – que nos chuchotements. Une présence délicate que nul jamais n’a su voir. Ce qui remue au fond de la gorge. Le monde en mouvement et la joie de tout accord…
Absence, manque, trous recouverts d’angoisse, de tentatives et d’attente. Le moins réel de notre vie. Quelque chose entre le désespoir et l’envie sur fond de solitude – (presque) inavouable…
Quelques mots – quelques lignes – en marge de la lutte et de l’attente. Et tapies sous l’angoisse, quelques déchirures. Et derrière elles, la magie du plus quotidien et le ciel (devenu) accessible. Le mystère (enfin) révélé des drames et des naissances. Un souffle lucide entre le silence et la faim de l’homme. Le seul voyage possible à travers le monde et les destins…
Chants, prières. Et ce qui s’élève vers le plus vivant du mystère. Une voix, quelques bruits, quelques pas – un geste au-dedans de ce qui cherche pour renverser les yeux vers le seul univers possible – vers le seul univers existant – suspendu au souffle et à l’attente de jours plus tendres…
La nuit, le jour – et partout, l’incendie de se résoudre. Les fenêtres et le silence. La joie, la voix et le mystère. La quête enfantée avant le renouveau – avant chaque renouveau. La fibre de l’homme, en somme. Le rêve de chacun avant que ne nous fourvoie – et ne nous attriste – le monde…
Tout se déchire – et devient incertain – en particulier au cœur des drames qui donnent à notre visage cette tristesse insondable – et l’élan nécessaire, peut-être, pour déterrer ce qui dure – et ce que nul ne peut entamer, dérober ni corrompre. Cette joie – cette lumière – ce soleil – au milieu de tout ce qui crie – au milieu de tout ce qui geint et se répand en prières inutiles…
Chemin faisant, la poussière s’accumule – s’agglomère sous les souliers du vent – sous les semelles du temps. Dans cette mémoire engrangée sur les sentiers du monde. Les désastres, le feu et les déserts. Et la cendre sur nos yeux souillés de larmes. Les pieds nus dans les drames, la rosée et le sang…
L’âpre métier de l’homme livré aux malheurs et à l’espoir – condamné à renouveler son destin pour aller moins triste – et plus sage – parmi les têtes si lasses de tourner en rond – parmi ces visages sans âme – au cœur des jours – au cœur de ces fêtes absurdes et sans importance…
*
Chacun – tout au long de sa vie – sur son petit coin de terre (ou son petit carré de page) – offre son plus précieux*. Dispense, malgré lui, aux uns et aux autres les dons singuliers* qui lui ont été accordés.
* d’apparence positive ou négative – voué(s) à créer, à protéger ou à détruire – qu’importe !
Et chacun vit – et agit – ainsi en infime et anodin maillon – essentiel – et pourtant remplaçable – apportant sa pierre à l’édifice commun – et contribuant à l’interminable construction de la demeure partagée – cette monstrueuse et incontournable entité en perpétuelle évolution que nous appelons le monde…
*
Au fond de l’inachevé, cette terre haute et cet œil unique – indéfinissables – que nul ne regarde – et dont tous les jeux nous distraient et nous éloignent…
Un cœur, un poêle, un plafond. Et la mémoire qui empile les peines – et les couvertures sur ses blessures. Et que nul jamais ne prend la peine d’embrasser. Une solitude enfouie au fond du sourire – entourée de hauts murs blancs et de cette joie d’aller plus libre au milieu du monde et des visages…
Des boîtes, des bains et mille pétales jetés au milieu de la nuit. Un regard, quelques signes et les étoiles infiniment brillantes qui persistent au-dessus des toits…
Aucun rêve – des myriades d’étoiles et de légendes. Le mythe des vivants et de la mort. L’élan nouveau vers une terre plus aimante. Le vertige du savoir couronné par le néant et la certitude d’une sagesse analphabète…
Des tirades – quelques signes reconnaissables sur la page. Le destin d’une œuvre aux frontières de l’ineffable – incomprise – trop écorchante – trop chavirante pour les âmes accrochées aux plaisirs et au hasard des rives où l’arrogance est devenue le masque de l’ignorance et de la bêtise (presque entièrement) assumées…
Gouttes, larmes, joyaux. La soif de tous les départs. Et l’amorce d’un appétit intarissable – cette part de rêve en nous repliée sous le désir et l’ambition…
La fougue du plus sauvage luttant à mains inégales contre le sérieux du savoir et du langage. La folie de la parole face à l’écoute patiente – presque sensuelle – quasiment charnelle – des mondes et des récits de voyage. Cette sagesse cachée sous les instincts. L’écho d’un délire – de mille délires – et d’une absence. La preuve (un peu vague sans doute) de l’Amour qui se cherche sur les visages…
Une vallée, des yeux, des jalons. Et les chemins comme les fleuves transportant l’eau et les larmes – et les âmes happées par les courants puissants et dévastateurs – fuyant le destin et les noyades inévitables – allant, de détour en méandre, vers l’infini des océans.
Et ces visages tristes – recroquevillés sur le sable des rivages – abandonnés là par la danse furieuse et incertaine des flots…
Festins (à peine) interrompus par les doléances (ou les louanges plus rares) de ceux que l’on écarte des banquets – envieux parfois mais, le plus souvent, trop révoltés et réprobateurs pour être écoutés – et reconnus comme les porte-drapeaux d’une vérité plus belle (et plus vraisemblable) que celle imposée par le monde et ses visages orgiaques et indifférents – trop insensibles et arc-boutés sur leurs privilèges pour accepter la différence…
Mains, flaques, mépris. Et cette invitation à croire en la valeur de l’arrogance – ce vernis de certitude sur le sable de l’ignorance…
Statues incompréhensibles – immobiles – rafistolées par la colle de quelques idées – de quelques dogmes et idéologies – pour se convaincre d’être nés du bon côté de la frontière – séparant d’un grillage (et de mille barbelés parfois) la barbarie – le sauvage proclamé – et la bien-pensance – la raison et le plus sage…
Nous dessinons en gestes imprécis ce que le silence s’acharne à nous révéler ; l’inutilité des images, l’étrangeté (ou l’absurdité) de la parole et la vérité apophatique de notre présence – si indiscutable…
Une danse au cœur de mille danses. Un chant au milieu de la parole et du silence. Un cœur parmi les mains tendues – suppliantes. Une présence face à la mendicité des âmes et du monde. Notre vrai visage enfin révélé derrière le miroir, les reflets et les apparences…
*
Conscience et vie terrestre. Un seul regard – sensible et invisible – posé hors du magma (énergétique) et immergé au cœur du mélange, de la diversité et de la récurrence – de cette entité évolutive et intra-active…
Epoque et monde (triste monde et triste époque) de l’individualité, de la réussite et du spectacle qui imposent leurs valeurs et leurs paradigmes – et n’offrent aucune alternative à ceux qui y vivent ou fréquentent les hommes ; narcissisme, marchandisation (à outrance) et représentation (show permanent) saupoudrés d’humour, de sensationnalisme et de fausse décontraction où l’apparence et la promesse trop facile (de bonheur) prévalent sur la profondeur et le réel – et sur la lucidité nécessaire pour faire face aux circonstances et à la complexité d’être au monde…
*
Dire encore ce que les mots ne peuvent révéler. Le refus – et l’absurdité des principes et des idoles. La vacuité de la parole et de la pensée. L’indigence de toute forme d’expression. L’impossibilité de vivre. Le silence – et les bruits de l’Absolu et du monde réunis. Le fil des jours et l’éternité. Le rêve plongé au cœur de l’homme. Ce qui traverse le ciel, la mort, les peines et les prières. Le bonheur – que dis-je ? – la joie d’être et du plus simple. L’effacement – et le bannissement du mensonge – au profit de l’incertitude et de la vérité. La perte – et la disparition des noms et des visages. L’insaisissabilité de toute existence…
L’aube entre quatre murs – prisonnière – aperçue par la fenêtre de la nuit – délivrée du pire…
La naissance du jour au fond de l’œil survivant – désobstrué…
La vie offre l’ivresse des départs et de la continuité – et assez de force et de courage pour la traverser (de bout en bout) et affronter les tempêtes et les orages – les épreuves du monde, du vent et des visages – mains posées sur la terre – yeux et bras levés vers le ciel silencieux – et l’âme chavirée par les élans – poussée à hue et à dia vers la mer et tous les recommencements…
L’aumône dressée dans la pénombre. Le jour déraciné. La poitrine lancée comme un soleil vers ce qu’arrache la mort. Lumière et soif. Le cœur fragile – pétri par les eaux dormantes qui s’écoulent – lentement – entre les rives où sommeillent les hommes. Le vent et le corps surpris par les rires et les larmes. Le destin d’un peuple livré aux périls et aux mensonges. L’aventure de toute existence, en somme…
Peuple du bord du monde – initié au très-bas et à l’enfance – l’innocence rare – pleine presque toujours – au cœur de l’âme – qui inscrit ses pas dans l’ordre des jours – et obéit aux marées et aux vents qui poussent les visages vers des lieux déjà mille fois traversés…
Un hivernage solitaire sur le versant d’un vide moins cruel qu’on ne l’imagine. Un ciel, un souffle, un rivage. Une fenêtre sur les étoiles d’autrefois – si lointaines à présent. La courbure d’un rêve au milieu d’un désir – presque éteint. La joie d’un destin scellé dans l’incompréhension et le silence…
Simple – à genoux devant tant de siècles incompris – incompréhensibles – avec cette foi des innocents revenus du monde et de la mort – et avec, sur les lèvres, ce sourire incorruptible…
Tout prend place, à présent, au centre de nous-mêmes ; le blanc, la nuit, le vent – l’encre, la pluie, les larmes et les visages. Et ces chants terribles au milieu des carnages…
Le bonheur discret et énigmatique, en somme, de ceux qui ont choisi le silence…
Une pensée lointaine – exercée hors du langage. Quelque chose comme une avancée dans la fuite – un retour vers l’essentiel et le plus urgent. Un silence – une innocence aux pieds nus offerte à la main du poète qui retranscrit sur ses pages le baiser joyeux (et impérissable) d’une aurore jamais compromise…
A l’écart du plus inavouable – ce désespoir et cette incompréhension des foules et des têtes enfouies dans la misère. La dévastation née du temps – aggravée par le monde et la présence des hommes. Ce lieu de la tristesse où tout revient mille fois, agonise et recommence…
Le seul voyage possible entre le jour et ce qui s’efface – entre la terre et l’infini. L’éternité à portée de l’éphémère…
L’enfance d’un ailleurs aux murs blancs – et défraîchis par des siècles de solitude – abandonné(e) au ciel, à la lumière et au silence d’un temps toujours neuf depuis l’origine du monde…
Nous regardons la fin du temps, l’horizon au loin et ces vies rompues – défaites d’avance par cette langueur – cette tristesse à vivre en deçà du seuil vivable – loin – si loin – de la joie – inaccessible depuis ces rives où la cendre n’engendre que l’espérance d’un possible et d’un ailleurs – jamais leur franchissement…
Et cette angoisse à vivre entre la terre et le ciel – dans l’indifférence juvénile des peuples. Couronne de la différence posée sur la tête…
Avec un Dieu immobile terrassant les fronts obstinés dans leur sillon. Le miroir de la mort face aux yeux baissés – terrorisés à l’idée de devenir et de s’écarter du chemin tracé par leurs aînés. Puis, le désert et le souffle naissant – et cette aurore jaillissante au milieu de la violence et de l’effroi. La naissance, en quelque sorte, du privilège atemporel pour ceux qui ont su traverser la misère des siècles – et l’indigence de leur époque…
Rien. Un peu de temps qui s’écaille sur nos jours trop rêches. Et l’évidence d’une perte inconsolable. Dieu en nos murs – au cœur de nos jardins – inaccessible sans la fébrilité d’un élan…
Tout se rue – tout accourt vers la lumière. Les rêves et les yeux posés sur l’asphalte sans promesse. Les vœux et la chair partagée qui s’essouffle sous les coups. L’esprit abandonné à ses délires. Nos mains pressées les unes contre les autres. Les siècles arrogants et les époques sans éclat. Les vieux, l’enfance et tout ce qui se sent étranger au bonheur célébré par le monde…
Les juxtapositions s’enchaînent avec malice. Rampent – pénètrent et salissent le monde et la langue. Déblaient les fausses évidences et les tournures lumineuses. Les convertissent en obscurité et en non-sens.
Juxtapositions joyeuses et incertaines. Un peu folles pour tout dire et épuiser l’esprit – et apprivoiser ce qui se tient au-delà de la raison – au-delà de la pensée – ce soleil – ce silence – soulignant la valeur inouïe – presque insensée – de toute existence libérée des lois, du vent et de la nuit – libre d’aller où bon lui semble – réconciliée avec l’envergure d’avant le monde et la parole…
Foules et feuilles toujours silencieuses. Au fond des draps et de la détresse. Tremblantes au cœur d’un bonheur mâché jusqu’à l’os – et (pourtant) à peine susurré. Feignant le rire là où il faudrait pleurer. Appuyées sur tant de fausses certitudes. Arrogantes et attendant, malgré elles, le pardon. Inconscientes, confiantes et tristes face à leur dispersion et leur émiettement à venir. Avec cette passion muette au lieu d’être chantante – et le désir trop puissant de la terre – et la nuit si encombrante pour espérer la moindre percée – la moindre accalmie. Les yeux trop lourds – trop chargés sans doute – pour voir au-dedans – au loin – partout – arriver, avec l’aurore, l’achèvement d’une époque, la fin des siècles et l’ère nouvelle – et toujours fraîche – de l’atemporel et du recommencement…