Carnet n°152 Passage(s)
Regard* / 2018 / L'intégration à la présence
* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…
Des tempêtes, des virages. Le signe des chemins – le signe du voyage – entre mille débuts et leur impossible fin…
Des fables et de l’arrogance. Le jour et le vide. Et plus bas, suspendue à la surenchère, la pendaison des croyances. La victoire du simple sur l’inutile…
Quelques torches – quelques flammèches – offertes aux dormeurs pour faire naître à hauteur d’homme le privilège des Dieux…
Vivant élémentaire voué au plus simple exercice : celui de l’homme et de l’âme en accueil qui décèle dans toute expérience la part magique – la part divine – au-delà du vivre humain…
Un jour nouveau. Comme le parfum retrouvé d’une aurore lointaine. Le sang et le silence entre la chair et ses blessures. La fin de tout rituel – de tout refus. L’Amour qui s’offre ; le don perpétuel du regard et du renouveau…
Deux âmes endormies sous la peau. La langue rêche et la gorge sublime – façonnées par la même main qui refuse le sommeil et la finitude – et l’étroitesse des frontières et des drapeaux. Nue dans son désir de contraires et de multitude. Dessinant partout le silence et l’entrelacement…
Partout où l’on rêve – et où l’on s’en remet au sommeil – renaît la douleur. La main qui décapite la vie – le monde – le poème – et les appels, pourtant si tenaces, du silence…
Désastres et chaînes de la destruction toujours. Visage caché au fond de l’âme. L’innocence émiettée – éparse à présent – inapte à restaurer l’écoute nécessaire. Fibres mêlées où s’accrochent l’espoir et la déraison – la damnation et la mémoire d’un jour ancien – d’un souffle premier…
Lames vives – familières des supplices. Insensibles au plus humble – et aux restes d’humanité qui pleurent au milieu de l’effroi et du sang…
Nous espérions tremper notre plume dans une encre moins noire – moins épaisse et moins cruelle. Mais le monde, à notre grand désespoir, a continué à laisser ses gestes se fixer à la mort…
Rien. Un peu de vent et de soleil sur le sommeil immense des hommes. Et une parole claire – taillée à la serpe parfois – dans la continuité du silence pour inviter à sortir du rêve et de cette nuit insensée – et franchir les hauts murs (illusoires, bien sûr) derrière lesquels végète le monde…
Un espace, un songe et l’ardeur des pas pour retrouver l’essentiel – le lieu de l’âme et celui de toutes les naissances. Un trajet – souvent long et difficile – pour apprendre à vivre et à être un homme…
Tout s’approche – le soir et la mort – la mémoire et l’avenir – la tristesse et la nuit – sur le fil où nous nous tenons – bancals et ignorants. Apeurés par les vents et l’abîme – et tous ces visages indifférents suspendus à ce bleu si lointain…
Et tout s’agite dans notre attente. Dans ce désir inassouvi d’un autre lieu – d’un autre ciel – d’un autre jour…
Le blanc comme la promesse d’une lumière délivrée de la parole et du poème. La possibilité d’un silence majestueux – ininterrompu – souverain…
Quelques incidences sur le jour. La chair rouge – violacée – à force de coups – à force d’espoir et de volonté. Puis, le temps passe (finit par passer) – et ressurgit l’abandon – cette lumière que l’on croyait partie – perdue – annihilée…
Sages l’azur et la fièvre des premiers jours. Rebelles aux lois, aux épouvantes et aux combats des mains belliqueuses et suppliantes. Dressés comme des christs – comme des totems – dans le feu et l’hiver. Offrant l’Amour, le silence et le mysticisme – toute la vocation de l’homme. L’issue finale à un monde dénaturé par le rêve des puissants, la gloire des seigneurs et la terreur – si docile et effrayante – des peuples…
Ce qui demeure dans la cendre et le chant des oiseaux à l’aube. Ce qui surgit du silence et de l’horizon, mille fois, dévasté. Ce qui se retient avant de dévaler les pentes les moins tangibles du monde. Les fleurs, la douceur et les rires, si naïfs, de l’enfance…
Le vertige le plus fondamental. L’œuvre du silence et des vents. La pierre, la fleur et la passerelle précaire où nos pas en déséquilibre jouent les funambules entre la naissance et la mort sur le fil des incertitudes…
Sur nos épaules, l’âme se grise des vents et des horizons – de cette furtive promenade parmi les visages – dans ce décor provisoirement planté dans le sable…
Et cette lumière faible – innocente – empêtrée dans cette obscénité du vivre – si triviale et merveilleuse – unique viatique des vivants à la course fébrile et hésitante – à l’affût de tout espoir – de toute issue – en quête de ce qui les fit naître…
L’errance des esprits trop sédentaires pour voyager hors des frontières – hors des repères édifiés par la pensée. Inquiets des chemins – prisonniers de l’épaisseur de cette terre – comme la certitude la plus réelle peut-être…
Un sentier, une courbe et l’allant de tous les départs. Et l’ardeur des foulées pour rejoindre l’ailleurs – la promesse d’un autre jour – d’une autre terre où la liberté rimerait avec l’Amour…
Vivant du peu au fond de nos fibres. Cette énergie amassée depuis la naissance du monde. Tête légère – appuyée sur le rêve d’un séjour au milieu du ciel et du silence – loin de cette nuit imparfaite – et de ses sphères et de ses chants qui ensorcellent les hommes…
Un refus, un doute, une résistance. L’aptitude du rêve à éloigner du réel. Le regard plongé au cœur de ce qui soulève du monde…
L’interdit et la foi. Le jour pris comme cible – et comme promesse – pour se détourner du plus vrai à notre portée. L’insuffisance et la cicatrice des premiers pas posés dans le mensonge – ajournant la délivrance – presque impossible – des hommes. Ainsi la vie passe et s’enracine la nuit…
Un précipice au bord du doute. Et si peu de foulées convaincues de la nécessité d’avancer – d’inventer la passerelle ou l’envol. Préférant regarder du haut des falaises la chute du monde et la mort s’avancer…
Quelque chose se précise de notre vivant – et enfonce le clou sur notre tombe. Le goût – et la possibilité – d’un ailleurs plus incertain que le monde et la terre sous nos pieds…
Mains liées au rêve et au marbre des stèles. Pieds esclaves d’un désir impossible de liberté. Le parcours des hommes – presque immobile – et celui des âmes sautant à pieds joints de l’autre côté du monde…
La passage des siècles et l’immobilité. Le savoir et la connaissance. L’Amour et la sagesse comme l’esprit et le cœur de toute aventure. Et ces pas qui roulent sur les pierres. Et ces visages tout étonnés de ne voir que la lune briller au milieu de la nuit…
Miracle du silence comme une lueur – une main tendue – dans l’asphyxie du monde…
L’accoutumance de la pensée et du corps à la danse asymétrique – étroite – qui prive de l’envergure et du miracle de vivre – seul – ici – ailleurs – partout – parmi la foule ou quelques visages – sur la terre – au milieu du ciel – ivre – vivant et agenouillé devant la beauté du jour – au cœur de la pluie et de l’hiver – l’âme acquiesçante au voyage, au silence, au piétinement – à la découverte de contrées plus réelles et moins sauvages – et à l’Amour qui s’avance et se partage avec ce qui tremble et va mourir…
La poésie du ciel si riche – si féconde – incomprise sur cette terre si prosaïque – si indigente – si limitée…
Des tempêtes, des virages. Le signe des chemins – le signe du voyage – entre mille débuts et leur impossible fin…
Nous passons sous silence ce qui, un jour, prendra fin. Quelque chose, l’absence et les mensonges du temps. Les vies brèves, l’enfermement et la nuit entière livrée au hasard. Le sourire et les départs. La joie et la tristesse de n’être personne…
Les jours – comme les rêves – se succèdent – et s’impatientent du passage, de la fin et de l’aveu (toujours possible) des anges cachés au fond de l’oubli – dans cette mémoire première enfouie dans l’esprit du monde…
La chute des siècles – terrassés – terrorisés par l’appétit du monde. Et l’envergure incomprise des abîmes et du silence. Et plus loin – là-haut – quelque part – la continuité des vents et le sourire éternel des Dieux survivants…
Nous devenons un autre – nous-mêmes – sous les cendres. La lueur d’une flamme plus ancienne. La nuit parfaite et le jour retrouvé. Le temps d’un passage – de quelques saisons. La chute du temps dans l’immensité…
Briques, gestes, figures. L’arsenal du monde pour célébrer le prolongement du printemps, des naissances et du silence…
Le chemin d’une innocence à venir…
D’autres noces nous feront revenir. Celles de l’intime et de l’immense dans un regard mêlé de rien et de lumière…
Ces pas sont les nôtres. Et la trame où tout a commencé. Le cercle, la vie, le monde. La fougue et la fuite du temps. Le miracle de toute naissance. Le prolongement du merveilleux et du silence livrés à l’envers de l’âme et aux appétits…
Sur la table, mille ruisseaux se creusent au fil du temps. Mille ciels et mille chemins sur la page où nos yeux se promènent. Comme un défi hasardeux à la mort. L’invitation à goûter ce qui vient – le dedans de l’âme coutumière du plein silence…
L’apaisement comme un ciel au-dedans de la misère – parmi ces voix entaillées jusqu’aux viscères – livrées aux rêves et aux prières – marchant, hagardes, au milieu des pierres et du vent…
Le peu – le presque rien – aux frontières de ce qui est présent – toujours – et qui ne laisse aucune trace de son passage…
Le simple – l’éphémère – trône ici comme un geste inutile – une vague à peine qui s’efface sur la berge. Une parole lancée à la mer. Un pas à mi-hauteur du langage…
Et nos vies muettes à l’écart du sacrifice – authentiques jusque dans leur goût pour ce qui manque à leur défaite…
Des fables et de l’arrogance. Le jour et le vide. Et plus bas, suspendue à la surenchère, la pendaison des croyances. La victoire du simple sur l’inutile…
Quelques torches – quelques flammèches – offertes aux dormeurs pour faire naître à hauteur d’homme le privilège des Dieux…
Vivant élémentaire voué au plus simple exercice : celui de l’homme et de l’âme en accueil qui décèle dans toute expérience la part magique – la part divine – au-delà du vivre humain…
Gifles, flocons, silence. Et ces petites sentes d’infortune qui égarent et blessent davantage qu’elles ne prouvent notre vaillance. A deux doigts d’un appel – d’une fulgurance ; l’effacement et l’immobilité du voyage. La crête dans le rêve et le songe au sommet des cimes. La poussière et le plus bref à disparaître. La boue et l’ignorance. Et la sagesse d’une âme à la main blanche comme la neige…
Des poèmes comme des passages – des traces éphémères dans le silence – pour exalter la joie et le goût du vivant au milieu des peines et de la mort…
Tout se pare d’immensité avec la fin de l’accessoire. Comme le retour (célébré) à l’espace et au temps illimités…
Caducs et inutiles – tout édifice – toute construction. Le moindre trait – le moindre amas – est un rêve – une illusion. Gesticulations insensées et folles tentatives de ceux qui s’échinent, à travers leur vie et leur œuvre, à défier le silence – l’infini du seul visage – le palimpseste à jamais vierge où naissent et meurent tous les mondes…
*
Monde en marche – à la dérive peut-être – qui impose ses lois, son mouvement – une direction. Monstre colossal – pesant – massif – mu par une force instinctive – une puissance originelle (presque) inépuisable – roulant cahin-caha des ténèbres vers la lumière – anéantissant les impasses – toutes les impasses – creusant son sillon à même les corps et les existences – amassant et écrasant tout sur son passage. Se nourrissant de toutes les tentatives et de toutes les expériences – implacablement lancé vers son but ultime…
Et dans ce monde à la mécanique un peu folle, quel chemin pour la soif, la sensibilité, l’intelligence et le serment des retrouvailles – et le silence et le soleil nécessaires à l’immobilité des pas et au rassemblement des visages…
Et quelle place pour la vérité et la parole des poètes qui rivalisent avec l’ardeur des foules – enivrées par le progrès – dopées par l’angoisse de vivre – et pas même conscientes de marcher vers leur perte – de sacrifier la vie, leur vie – toutes les vies – pour une gloire absurde et stérile – et la réussite d’un monde qui marche le cul par-dessus la tête…
Rien ni personne – pas même la parole des poètes ni l’expérience de quelques sages – ne pourra réfréner cet engouement – cette course folle…
« En vain » sera peut-être le dernier mot…
Il y a – et il y aura toujours – mille rêves et mille vies brisés que rien ne pourra sauver du désarroi et de la mort…
Folie destructrice qui enchaîne davantage qu’elle ne libère. Hommes en fuite. Pensée uniforme. Bien-pensance. Et la nuit qui commence à peine…
Et l’intuition d’une tristesse qui pourrait durer jusqu’à la fin des siècles…
Une longue marche consacrée au plus facile et à l’espérance au détriment de l’essentiel ; cette soif de silence…
Des images et des mots parvenus jusqu’à nous. Le renforcement des mythes. La continuité des fables et des mensonges. Et l’Absolu en toile de fond de cette nuit et de ces délires qu’engraissent notre paresse et notre lâcheté…
Au-delà du possible règne l’extinction des jours qui se succèdent – soutenue par quelques âmes inquiètes et téméraires au regard lucide – prêtes à esquisser quelques pas – et quelques lignes – dans les rêves et l’indifférence du monde – prêtes à placer l’envol au cœur du sommeil et des impasses – au cœur de l’impossible…
Devant nous résonnent – et pérorent – le plus tangible – toutes les voix du monde galvanisées par l’aveuglement et la chute des empires – le passage du temps sur la terre si proche du rêve – la fin des siècles – l’effacement de l’histoire – les gémissements des hommes et des bêtes. Et le silence foudroyé par tant de certitudes…
Incantations vaines dans le silence. Spectateur impuissant du combat asymétrique entre l’ombre et l’invisible – entre le temps et l’éternité…
Nous survivons à peine aux règles édictées par la folie de ce monde. Nous marchons – et marcherons encore – à contre-sens – dans la déroute des repères et des saisons. Le rêve pointé en chaque foulée vers un ailleurs possible – et la raison (et le privilège humain) crucifiés au milieu du front…
*
La mort jamais fortuite des rêves. Un pied dans le poème et l’autre dans le silence. A mi-chemin entre l’abîme – le ciel inventé – et le réel.
Au cœur du plus long passage entre l’homme et l’infini qui le porte…
Rien de moins que l’intime et l’immense. Le regard et l’atemporel au cœur du rien. Et quelques pas – quelques traces peut-être – dans la parole affranchie du langage (et de ses si prosaïques usages)…
La trame où tout a commencé. Le monde, les naissances et les mille vitrines pour exposer son visage – ses drames – ses expériences – ses aventures. La petite ronde des hommes, en somme, au milieu des rires et de la mort…
L’infortune et la disgrâce de toute manœuvre pour faire coïncider le rêve et le réel. Le chemin de mille désastres. Le voyage – le passage – et ces milliers de jours d’attente et de vaine espérance…
Quelque chose de plus confus que nos traces dans la neige. Comme un amalgame de poussière et de lumière à l’envergure insaisissable – tantôt infime et dérisoire, tantôt infinie et majestueuse – souveraine toujours dans la proximité du pire et à l’approche de la mort. Geignarde et géniale sur son parcours – sur ce chemin abscons – obscur – comme une main tendue sur le fil des rêves. Tantôt souriante, tantôt pétrifiée devant les visages, les mensonges et les frontières du monde. Anodine et légendaire au milieu des grimaces et des fantômes. Et, plus que tout, familière d’une permanente défaite…
Quelque part, un enfant au rêve incertain – accroupi parmi les destins – végète dans la main d’un plus grand que lui – près d’une fenêtre (presque) insoupçonnable sur le ciel et le chant des oiseaux. Il vit là, inquiet, en se balançant au rythme des vents et des injonctions humaines – au rythme des ordres mécaniques scandés par la bouche noire de quelques seigneurs (élus par le peuple) – posés un peu plus haut – au-dessus de cette grisaille obscure et maléfique – où glissent tous les visages et tous les gestes – tous les baisers lancés à l’espace et à cette force que nous ignorons…
Magie des mains tremblantes – respectueuses et ivres du même désir. Le rien et l’impossible rêvés d’une vive ardeur. Et le silence en point de mire…
Sur les rives rouges du passage, un incident, parfois, nous retarde. La grâce d’un décalage. L’exactitude d’un contrepoint. Quelques embardées – des virages – qui prennent souvent des allures d’errance et d’incartade – et qui, un jour, feront office de délivrance…
Nous n’avons rien sinon, peut-être, un bout de terre et un étrange vague à l’âme pour s’affranchir du rêve et s’éloigner du monde. Un goût pour l’ailleurs que le voyage, peu à peu, transforme en inconnu. Et le silence des jours – et la lumière de notre solitude – pour aller courir sur d’autres rivages…
Quelque part encore – un autre jour – une douce lumière – l’incertitude des visages. Le silence d’un ailleurs retrouvé…
Le cri, le chant ; la même rengaine au fond de ce qui brûle et se cherche. La vérité au fond de la gorge oscillant entre les étoiles et les fous – ces hommes – ces vaisseaux embarqués sur des eaux trop sombres (et trop tumultueuses) pour guérir du sommeil et s’affranchir du monde et des ignorants. Un seul guide, la plaie et la chair déjà gorgées de joie…
Langue morte autant que les eaux noires venues engloutir le monde – les songes – toute vérité. Le délaissement et les tyrans. Et ce bon peuple à la parole facile – aux visages tirés par des siècles de rondes et de mirages et les mille légendes des tribus d’autrefois. Et, à présent, l’attente du chant et du silence véhiculés par le plus simple…
Comme un dragon aux ailes délicates – le jour – et sa langue furieuse – incomprise…
Tant de traces sur l’écume qui ne connaîtront que le blanc des abîmes – et cette peur de venir s’échouer parmi d’autres drames sur la couleur des océans…
Quelque chose nous attend – plus vif que le soleil noir de la pensée – plus austère que tous les rêves mis bout à bout – plus simple que la complexité du langage – et moins oisif que nos vains voyages. Une présence au milieu de l’ombre et de la stupeur. L’éternité comme défi à la mort et aux vivants. Une envergure plus apte que le feu à éclairer l’ignorance et le monde – et cette pluie si familière qui donne à nos jours cet air de désenchantement…
Un soupçon d’Amour encore pour offrir à l’existence et aux vivants l’amplitude nécessaire pour accueillir la grâce, le miracle et la lumière…
Est-ce le jour ? Est-ce la nuit ? Que pourrait bien nous dire l’âme endormie…
Un précipice, un voyage. L’aventure sur les rives – et les eaux – les plus sauvages. Les parois et l’hésitation à l’approche du ciel – ensablé entre l’écart et la roche. La magie, le merveilleux et le vivre, parfois trop téméraire, enjambés d’un seul saut…
Vivre sous le regard pacifique des grands chiens – libre de jouer entre les tombes – au milieu des rêves et des étoiles – affranchi des danses de la terre. Au cœur d’un jeu – d’une existence – d’un Amour – écrits en lettres d’or et de sable par des Dieux malicieux et cajoleurs…
L’aube encore à tous les seuils – et jusque dans le sommeil des impunis…
Regard plongé au fond des lignes – au fond de l’infini. Joueur de flûte et de silence entre la terre – ses serpents vifs – et si hideux parfois – et le ciel dégagé – parmi les traditions et les rêveurs – les hommes – les mains sur l’archipel des hauteurs. Porté par presque rien, en somme. Les cheveux remués par les vents et les courants d’un autre monde – d’un ailleurs plus espiègle et éternel que la terre si triste (et provisoire) des vivants…
Le vertige de l’errance – là où le regard quitte les pieds – la tête – et ces lignes dessinées pour vaincre la mort…
En l’homme, peut-être deux ciels – celui du haut – du rêve – et celui du bas – de l’enfer promis à la déroute et à la défaite. Et entre les deux, une corde où dansent les pas – et mille soleils déposés par le hasard…
Voix, chaînes, chemins. A la lisière de toutes les épreuves. Et le destin soumis à la violence et à la sauvagerie des instincts. Foulées brèves – hésitantes – au milieu des chants et de ce qui tremble…
La main appuyée sur la pelle qui aura servi partout à élargir l’infâme et le trou où nous serons enterrés. Et le jour d’après où l’Autre marchera pour assouvir sa faim…
Un angle, des rives et les paupières closes toujours qu’embrassent l’ombre et la mort. Et ce bleu au fond du jour – au centre du regard défait des livres et des horizons. Silencieux – en attente – au milieu des pierres et des étoiles – guettant l’aurore dans les yeux et les foulées de l’homme…
Siècles, sève, intervalles. Et cette transparence sans rive entre les murs et le froid. Et le soleil né des désastres qui – lentement – vers nous s’avance – et qui – lentement – en nous se redresse – pour célébrer l’ivresse et la joie sur les tombes – au cœur des saisons qui passent…
Du soleil, des étoiles, des parures. Et cette parole comme un rituel exauçant tous les rêves du langage pour dire la vanité de l’abondance, l’illusion des cérémonies et le règne indiscutable du silence parmi nous…
Quelque chose s’approche – des rires et des traits singuliers. L’inattendu dans l’élan le plus familier. Le jeu de la mort sur nos visages fatigués. La danse du silence, peut-être, sur la ronde des condamnés. La joie à travers la porte qui ouvre sur la grande salle où agonisent les suppliciés. L’enfer du songe où se noient tous les désirs. La trame où se terrent toutes les âmes. Le mystère des Dieux qui se déchaînent sur notre voyage…
La ligne où tout meurt et s’écartèle pour offrir un plus paisible destin. L’abandon au vide et à ce qui nous rassemble. L’espérance des retrouvailles…
Assis en silence au milieu du pardon. La tête sur les genoux. Et les mains vides qui accueillent le monde et les visages. La couronne de la différence reconquise. Et la soif mêlée à l’eau – abandonnées sur le sable. Le simple et la joie promise au bout des doigts. Et la douceur d’une présence. L’invisible et l’ombre réunis. Une certaine grâce de vivre, en somme…
Le quotidien, voilà l’essentiel de l’homme. Et le silence, un jour, qui tiendra lieu de langage…
Un nom. Et mille jours à endurer pour que brille l’impossible. Et un jour sans nom pour voir jaillir l’impensable…
Tout est dit – et révélé – en un seul geste – en un seul mot. Toute la posture de l’homme dévoilée…
Seul dans cette nuit parmi ces corps grelottants. Seul dans le froid sur ces routes épiques. Seul avec l’âme – cet autre en soi – venue réchauffer notre désert – notre passage…
Silence (parfois déconcerté) devant le salut espiègle des masques – d’un monde mort – inanimé – sous l’apparence du mouvement – pris dans une danse à l’allure aimable – presque souriante – assise au milieu des déboires et des circonstances – mue par l’habitude et l’inconscience…
L’enfance d’une autre parole – née d’un trébuchement – d’une chute presque silencieuse – passée inaperçue au milieu de l’absence – de tant d’absence – sous le regard attentif venu détrôner le hasard, la quête et l’ignorance…
Exposés, à présent, au rang de la terre, cette innocence et ce ventre, autrefois, gonflé de faim. A même l’herbe, les oracles et les armures – à même les signes de l’homme. Et l’arrivée discrète du silence après un long périple à travers le temps – mille siècles de fouille et d’épuisement…
Vive est l’invitation au voyage. Et permanente la résistance au changement. Tout est en ordre et la beauté peut bien attendre. Les rêves multiples – inassouvis – ordonnent une trêve – une parenthèse dans la traversée – et ajournent la suite des pas. La vérité et le bout du monde devront encore patienter…
Au bord du temps – au bord du monde – ce que l’on tient pour un silence souverain – le royaume des sages – et l’ordinaire des éveillés peut-être – a parfois des airs de tromperie – de fausse évidence. Restent un feu et un abîme – et le son de quelques cloches encore disharmonieux. Restent l’esprit et sa fange de désirs, une mémoire au fond de l’oubli et des absences au cœur de ce qui vient. Un regard et une présence aussi – constellés d’un peu d’ombre et de nuit. Des intervalles et quelques ornières. Et des murs (infranchissables parfois) sur les pierres affranchies. Des pelletées de violence dans l’âme. Et des idées sur le blanc des pages. Une lumière et un peu de noir au cœur de l’éternel et du voyage…
Ce qui vient glisse entre nos mains. Et, pourtant, tout s’acharne à revenir… Mais nous n’avons plus la force d’attraper les choses – ni la force de nous accrocher au destin. Et pas même celle de nous abandonner…
Aussi défaits, impuissants et végétatifs que le monde, en somme…
Vertige du vide et des abîmes. Vertige du monde et du silence. Deux versants d’un même faîte – et cette crête où s’enlisent les pas…
Rien ne guérit de l’espoir autant que les malheurs. Rien ne s’achève et, pourtant, que les murmures du silence, parfois, nous semblent lointains…
Nous allons là où les mains façonnent notre destin – et nous offrent une ligne de fuite – un espace de prolongement. Et nous avançons ainsi avec le ciment des ancêtres sur nos certitudes – et l’orgueil du visage – vers un horizon impossible à réenchanter…
Tout passe – captif de sa fin. Et tout recommence avec l’oubli du ré-enfantement. Et tout nous arrive de cet effort à revenir…
Insensibles aussi longtemps que l’âme sera gorgée d’images. A peine vivants tant que le monde sera perçu depuis la discorde et l’habitude. Si loin encore des promesses de l’homme…
Humble et renversé – comme un regard innocent sur le monde…
Entre l’orgueil et l’ingratitude, l’homme au service du plus servile. L’oubli et l’indifférence dans leur combat contre l’authentique. Le déchirement du souvenir et des âmes. Et le blanc et le noir de la vérité, bientôt, mélangés en incertitude…