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LES CARNETS METAPHYSIQUES & SPIRITUELS
26 juillet 2018

Carnet n°156 L’autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Nuit, sang, étoiles. A jamais le décor – et le destin – de l’homme. Une existence entière vouée à l’espoir et aux tremblements…

Nous autres, en haillons, à regarder la mort tout saisir – et tout emporter – jusqu’à nos dernières guenilles – jusqu’à nos masques inaptes à nous protéger…

Mirage et miracle – ce jardin avec ses fleurs, ses privilèges et ses abris. Avec l’alliance – toujours aussi vivace – entre les ombres et l’absence. Et ce besoin d’Amour et de liberté si vif – si criant – au fond de la gorge…

 

 

Obstiné – silencieux – devant la fenêtre – plongé dans cette attente incrédule de tout ; de la fin du monde, de la fin du temps et du sang versé – et de l’innocence peut-être – à savourer (naïvement) ce mirage comme s’il était plus rassurant que le réel…

 

 

Assis en tailleur – avec, sur les lèvres, cette brûlure à la saveur indéfinissable – faite de manque et de sel. Comme un versant du monde entièrement occulté. Et de l’autre côté du mur, les effluves de la plus haute sensibilité. Et, ici, l’absence (presque impardonnable) – et ce besoin viscéral d’un Amour plus grand que la bassesse et le merveilleux qui nous entourent…

 

 

Absence encore – exil et recul parfois – devant tout ce qui ruisselle. Et la honte d’être un homme parmi les vivants qui submerge les veines – derrière la vitre qui nous sépare du monde – de sa fange et de ses malheurs…

 

 

Percé de part en part par la peur d’aller – et de vivre – dans cette nuit insensée – et, pourtant, célébrée par (presque) tous les hommes. Réduit à la posture de l’oiseau perché sur un fil – sur la branche la plus haute d’un arbre – dont le regard survole tous les jeux (si sordides) du monde…

 

 

Nuit, sang, étoiles. A jamais le décor – et le destin – de l’homme. Une existence entière vouée à l’espoir et aux tremblements…

 

 

Nous autres, en haillons, à regarder la mort tout saisir – et tout emporter – jusqu’à nos dernières guenilles – jusqu’à nos masques inaptes à nous protéger…

 

 

Mirage et miracle – ce jardin avec ses fleurs, ses privilèges et ses abris. Avec l’alliance – toujours aussi vivace – entre les ombres et l’absence. Et ce besoin d’Amour et de liberté si vif – si criant – au fond de la gorge…

 

 

Et cette clarté un peu folle que l’on voit rayonner derrière le gris du monde et des visages. Et ces arrière-cours en deuil – en larmes – devant la mort qui arrache, un à un, ceux que nous aimons.

Le destin des pas. La survivance malgré l’usure et la fatigue. Les défaites qui s’entassent dans les poches et les besaces vidées, peu à peu, de leur or. Le sommeil et l’obstination des voyageurs. Et la voix de cet enfant, en nous, qui appelle – qui crie peut-être – au milieu de l’hiver.

L’innocence bafouée. Et l’infortune des bêtes et des têtes que l’on sacrifie pour faire tourner le monde.

Ah ! Que notre peine est grande à vivre au milieu des vivants…

 

 

Le froid et le silence au terme de tous les voyages. Et ces existences – toutes ces existences – aux allures d’impasse. Comment ne pas être bouleversé par cette dimension si illusoire de la vie et de la mort…

 

 

Quelque part – en des lieux incertains (et, sans doute, moins cruels) – une chose nous attend – mille choses peut-être – l’Amour, l’enfance, un poème. Des siècles – un instant – de joie et des retrouvailles. L’innocence d’après la perte. Le jour qui se lève. La vie enfin libre – démaillotée – affranchie des tremblements et de la barbarie. Et une traversée sûrement plus sage (et plus sereine) des circonstances…

 

 

Quelque chose – à peine un murmure. Une ombre – un souvenir. L’attente d’un jour nouveau. Le reflet de la lune – d’une enfance lointaine. Un mot – un poème. Presque rien qui s’attarde au fond de nos têtes…

 

 

Sauvage encore au milieu des visages. Plus près du gris et du silence que du soleil et des rires qui naissent de la fréquentation des foules. Farouche – craintif – et moins seul parmi les arbres, les pierres et les bêtes. Amoureux de ces rencontres glanées au hasard des chemins buissonniers…

 

 

Petits pas légers – presque des sautillements – dans cette foulée lourde et grave. Poèmes et visage austères. Lignes et corps denses – telluriques – rocailleux. Et cette joie qui ne sait pas toujours où se poser…

 

 

L’invention d’un langage qui ne doit ses trouvailles qu’au silence…

 

 

Personne ne nous attend. La parole livrée au monde n’est offerte, en réalité, qu’à ce qui demeure muet et sans exigence au fond de l’âme…

La main court – les mots s’impriment – et se déversent parfois – sans l’appui d’un effort – sans l’ambition d’un regard.

Tout s’exacerbe hors du sommeil. Le temps se rétracte – se dilate et disparaît. L’autre versant du monde se découvre – et se rencontre. La solitude est habitée – autant que la joie. Les pages se tournent. Le poème s’écrit – le poète célèbre et destitue.

L’âme s’exerce à l’immobilité dans la course.

Tout s’exalte – puis retombe en jachère…

 

 

Vivants aux pieds de plomb et d’argile.

Fuites et voyages. Délices grossiers du corps et du langage. Et lèvres frémissantes – complices des épreuves.

Un peu de noir – un peu de nuit – dans l’exercice acrobate – sur ce fil suspendu entre l’herbe et le rire – entre la vie et ce que les hommes appellent l’infini.

Un peu d’ombre – un peu de sang – dans la lumière de la chambre – sur la page qui s’écrit à l’abri des hommes – à l’abri des jeux – à l’abri des Dieux.

Impersonnel(s), en somme, malgré toutes les dérives. Et si seul(s) au cœur de l’hiver – au plus près de cette source que fréquentait notre enfance…

 

 

Le temps et les couleurs donnent au monde, aux pierres et aux visages la souplesse d’un décor – et ce poids dans les têtes qui s’imaginent plus éclairées. Des mots, des lampes, des pas. Quelques sauts minuscules, en somme, pour tenter de vivre sur ce géant à l’envergure silencieuse

 

 

Un passage, un écran – mille écrans – et autant d’obstacles. Et quelques peines ajoutées à la débâcle. Et cette chair sans cesse violentée pour (nous) prouver que nos paumes – et que nos âmes – sont vivantes. Comme une marche – pieds nus – sur les braises d’un feu très ancien. L’illusion d’un spectacle et d’une traversée pour tenter d’offrir un peu d’épaisseur à notre vie – et la faire peser (de tout son poids) sur l’histoire en cours et le destin du monde…

 

 

Rien n’arrive, en vérité, sinon la déchéance et l’effacement. Le regain du recommencement et de la fin. La petite ritournelle des pas, des chants et des idées dans un monde sans surprise. Un peu de vie – et quelques riens – qui ne laisseront aucune trace sur ce qui ne peut être ni construit, ni démontré…

Et comme tous les hommes, nous aurons essayé. Et ce qu’il restera de nos œuvres – de nos tentatives – ne résistera pas à la première pluie…

Longue est la liste des morts qui ont voulu, agi et vécu comme veulent, agissent et vivent les vivants d’aujourd’hui. Et que reste-t-il de leur labeur – de leurs efforts – de leur furtive traversée ? Quelques briques provisoires et mal empilées (forcément provisoires et mal empilées), une ou deux lignes dans les manuels et les anthologies, quelques dates parfois mémorables (il est vrai) – quelques inventions primordiales pour les hommes – mais si anodines à travers les siècles et au regard de la grande histoire du monde – un simple décor, en somme, éminemment passager – comme le contexte toujours changeant, et sans cesse remplacé, des existences – que viendront parfaire, puis détruire toutes les générations suivantes…

Et, pourtant, une autre vie est possible – hors des arènes du monde – hors des arènes du temps – en ce lieu où les idées n’ont plus cours et où la magie s’est invitée – dans cette rencontre (encore improbable) entre la part la plus grossière et la part la plus invisible du réel…

 

 

Un pardon – et tout est envisageable. La vie, l’effacement et le songe. Le poème, la marche et l’enfance. La neige et le silence sous les paupières dessillées. La parole d’un autre temps. Le lieu de l’impossible qui rend si probable la réalisation de tous les possibles. Une lampe – une simple lampe – sur le sable noir où nous croupissons…

 

 

Nous avons soif d’un autre chant – et d’un peu de lumière – dans notre si vieux gémissement…

 

 

Tant de néant, de paresse et de désinvolture – et dans cet enchevêtrement, une promesse – une lumière qui nécessite un retrait – un exil – un écart où glisser le regard et le langage – le monde et le poème…

 

 

Un fragment de chemin – et un peu de lumière – offerts à la poussière – et à ce qui veille discrètement – presque secrètement – en son cœur…

 

 

Tant de traces aujourd’hui disparues. Comme des pas sur le sable. Comme tous ces jours vécus sous la tutelle du temps et le joug de l’horizon…

 

 

Humble – et l’âme portée à tous les voyages et à toutes les faims (et les plus nobles en particulier). Assis sous le regard des puissants et de ceux qui savent – qui prétendent savoir – avec la mine boudeuse – recluse dans sa honte et son ignorance – mais le cœur si vaillant encore face au défi de connaître…

 

 

Quelque chose encore – toujours – se révèle à travers nos dérives, nos voyages, notre faim. Comme un espace sous la peur. Une envergure dans le sang. Une folie à contre-jour du temps. Un peu de joie – une caresse – une attention – oubliées au milieu de nos aventures…

 

 

Nous avons l’âge du temps, du feu et des rencontres. Nous avons l’âge du ciel, des jeux et des rêves. Nous avons l’âge des Dieux, de l’oubli et de la première étreinte qui dure encore…

 

 

Aujourd’hui tout s’enfuit – jusqu’au rire – jusqu’à la mort qui patiente sous la chair – et jusqu’au présent, depuis trop longtemps, tombé dans l’oubli. Ne restent plus que quelques lignes – un poème – pour pardonner le monde – et apprendre à aimer…

 

 

Nous n’aurons emprunté, en fin de compte, qu’un modeste chemin – et prêté l’oreille qu’à une écoute déjà existante avant la naissance du monde. Nous n’aurons réalisé que quelques tours dans notre cage ouverte – dans la poussière de notre cachot – les yeux collés au monde comme à la solitude. De dérisoires foulées, en somme – presque endormies – au milieu du silence…

 

 

Nous sommes morts déjà mille fois – sautant de l’aube à la tombe – de la tombe au silence – puis du silence au renouveau – la tristesse serrée contre le corps – les rêves et la faim cousus au revers de l’âme. Comme des ombres au cœur du vide – allant d’étoile en étoile – poussées tantôt par les vents, tantôt par la beauté des visages. Yeux fermés et mains tendues vers le premier sourire rencontré…

 

 

Nous n’avons choisi ni la blessure, ni la tristesse, ni le silence. Et notre vie n’aura servi qu’à de vaines cérémonies – sous la contrainte de l’homme – sous la contrainte du monde. Berceau d’un chant qui n’aura su se défaire des yeux, des masques et des désobligeances. Des années – tant d’années – consacrées à l’entretien des jours – jamais à la découverte, ni à la réparation de l’essentiel. Comme un modeste passage – un immense gâchis. Une effroyable perte de temps, en somme…

 

 

Nous naissons au monde les yeux grands ouverts – parsemés d’étoiles étranges et de cette lumière ancienne qui n’aura su nous affranchir de ce retour…

Orphelins depuis toujours, nous cherchons à travers mille itinéraires, le regard du père et la tendresse de la mère que nous avions cru embrasser dans notre enfance. Et c’est cette faim – dessinée dans tous les livres et sur toutes les cartes du monde – qui nous pousse au voyage…

Et l’impossible est à la mesure de notre quête et de nos sanglots – et de cette peur de faillir encore – d’errer mille fois supplémentaires sans réussir à étendre la main sur cette aube si belle – si mystérieuse – si étrangère…

 

 

Ce que tu regardes et ressens, donne-en la substance – jamais l’interprétation…

 

 

On se bat – et se débat – sans jamais se livrer. Et on finit par étouffer sous mille couches de craintes et de sang. Comme des remparts contre le rire et l’enfance – contre l’abandon et l’innocence. Toute une vie, en somme, à œuvrer à cette mort à petit feu

On se bat contre le monde – contre le temps – on se débat avec le monde – avec le temps – contre et avec ce que l’esprit et la mort, un jour, finiront par effacer…

 

 

Rien ne laisse indemne – et, en particulier, cette soif d’une autre vie

 

 

On cueille le monde, les arbres, les fleurs – et jusqu’à la beauté des visages. On cueille la vie en blessant l’Autre – en réfutant sa douleur et son existence. Et chacun s’émerveille de ces mille petits trésors amassés à la pelle – et remisés au fond des tiroirs – en se croyant autorisé à jouir de ses acquisitions – de ses privilèges. Mais nous oublions l’essentiel ; le respect, la gratitude et la retenue nécessaires pour prélever – et faire usage de – ce qui ne nous appartient pas…

 

 

Né(s) pour entonner un chant – et offrir une lumière – restés coincés au fond de la gorge. Allant de piètre découverte en piètre amoncellement – dérivant, avec toujours moins de résistance, sur les eaux tristes du monde – dans cette brume qui nous cache la simplicité – et la beauté du silence…

 

 

A petits pas lents – à l’exact endroit où est née cette source qui enfanta le monde – qui, étrangement, nous en éloigna au fil de siècles de plus en plus inquiétants…

 

 

Nous avons lu mille livres – mille poèmes. Nous avons écouté la voix des lettrés, des savants et des sages. Et, pourtant, reste en nous cette soif – et cette intranquillité à vivre au milieu de tout ce qui change – et que nous ne comprenons pas. Avec cette oreille de plus en plus attentive à ce qui s’approche – et de plus en plus sensible aux murmures, si précieux, du silence qu’il nous faut apprivoiser plus encore…

 

 

Une ardeur persiste au milieu du monde – au milieu du temps. Au milieu des livres et des signes de sagesse. Une ardeur persiste en dépit du calme et de la solitude. Comme un allant à vivre encore au-delà du silence…

 

 

L’imperceptible toujours entre la nuit et ces traces qui s’évertuent à se frayer un chemin vers le jour…

 

 

Rien d’inquiétant en ce désert. Le murmure d’une autre langue et d’un autre ciel. Le silence dégagé des frontières de ce monde si paresseux et gesticulant…

 

 

Le feu, l’instant et la rencontre. Comme un éblouissement à travers ces livres – ces lignes – rassemblés en un seul geste pour devenir ce frôlement à l’envers du ciel – à l’envers de l’âme – à l’envers des choses. Cette joie enfin libre qui acquiesce à l’écume et à la mort – aux finitudes ignorantes – au monde et à la violence de ces mille petits riens qui blessent encore la chair et nous empêchent de rejoindre l’origine – l’aire commune de toutes les enfances

 

 

Une parole, un visage pour dire l’impensable – les privilèges de l’homme et l’abandon à toute forme d’étreinte. L’encre et le geste pour sceller la joie dans tous les cercles éphémères. Quelques feuilles – un silence – comme la preuve que la vie – l’autre vie – est possible dans cette existence où rien n’a d’envergure – où tout disparaît. Et un souffle encore après la mort pour réinventer la clarté nécessaire au salut de l’Autre – au salut du monde…

 

 

Avides de mots et de rencontres – avides d’un autre monde et d’une autre lumière – présents ici même où tout – chaque visage – chaque existence – se mêle au gris et à la poussière. Ombres à peine – brûlées par ce feu – par ces pas – que tout habite et qui ne laissent, pourtant, qu’un peu de cendre à leur départ. Scellées ensemble dans le souvenir de quelques survivants et dans l’âme de ceux qui poursuivent leur voyage après la mort…

 

 

L’autre vie au-dedans de celle-ci où tout ruse et s’épuise. Et cet Amour plus grand que notre faim pour que nous puissions rester ensemble – indemnes et invaincus par la violence et la maladresse – par les outrages, les circonstances et la mort – par toutes ces folles tentatives de séparation – inutiles – si inutiles – devant l’étendue du silence…

Un – multiple – changeants et inchangé – au-dedans du même visage…

 

 

Nous peinons à durer – à rester assis sur ces pierres froides – à contempler en silence l’aube qui vient – à se fondre avec modestie dans les paysages – à saluer le jour qui monte – la nuit interminable – à acquiescer aux jeux du monde – le cœur, peut-être, trop éloigné de l’âme pour remercier l’eau, le feu et le sable – et le bruissement des choses – venus, comme le langage, pour nous aider à vivre…

 

 

On reste, on se perd, on se retire avec ce léger tremblement dans la voix qui trahit notre crainte des adieux…

On cherche, on insiste, on s’obstine dans la croyance d’un lendemain – dans la possibilité d’une issue…

 

 

Sentier d’hier où l’on guettait un signe – la preuve d’une embellie – le règne de la splendeur sous les courants et l’attente. Un peu de joie, peut-être, dans cette façon de nous tenir inquiets devant ce qui recule – et se défait – malgré le labeur acharné de nos mains façonnantes et protectrices…

 

 

De l’écume – quelques traces du passage. Puis, le noir – le sable où tout s’enlise – où tout s’impatiente et agonise. Rien – le feu, l’éclair et l’instant n’auront, peut-être, été qu’un rêve…

 

 

Au-dedans, comme éteintes, ces voix qui, autrefois, nous appelaient pour nous inviter à choisir une pente – une sente. Muettes à présent. Défaites, peut-être, comme notre vocation à jeter un peu d’encre sur le monde. Le ciel et la braise trop proches, sans doute, pour offrir une parole…

 

 

D’ombre et d’étreinte – ce que nous sommes – au fond de notre cri. Et le silence après la honte et le pardon. Quelque chose comme un feu et un regard – un mélange – une sorte d’entre-deux au milieu de la peur et de l’absence – au milieu du jour et du sommeil…

 

 

Chaque jour – mille mots supplémentaires – riche(s) de rencontres et de signes de lumière et de partage. A dire l’invisible penché sur notre âme et notre labeur. A dessiner un chemin, une parole, un soleil – et mille silences encore incompréhensibles. Ce que nous attendons comme ce qu’attend le monde, peut-être ; le secret livré sur nos pages – une terre, un visage, un ciel – et ce que nous deviendrons après la mort…

 

 

Tout recommence sous le feu obscur des saisons. Le temps, la pierre, l’écorce. Le monde et les voyages. L’ivresse du jour attablé parmi nous – au cœur du silence…

 

 

Gestes et regard d’une seule présence – d’une seule immobilité. L’ombre – mille ombres peut-être – et toutes les déclinaisons du sommeil…

 

 

Demain – un autre jour possible sur l’échelle du temps. Fragment d’un voyage où les seuls mouvements sont celui de l’éternité qui dure – et celui de notre pas pour la rejoindre…

 

 

Invisible dans l’infinité des gestes – ce regard dans lequel tout s’emmêle.

Une manière de rire de ce qui s’effondre et se retire. Une manière de vivre au milieu de la mort.

Comme un éclat – une lumière – qui scintille dans le noir et le sommeil. Le seul soleil, peut-être, dans ce long hiver – dans cet étrange rêve qui dure… 

 

 

A côté de soi – peut-être pour toujours. Perdus – magnifiques, en somme, dans le vertige de vivre…

Submergés par tant de sensations et de sentiments qu’il nous est impossible de comprendre…

 

 

Sans cesse nous convoquons ce qui ne peut nous visiter. Comme une ombre qui appelle la lumière pour survivre encore un peu…

Nous épousons le nécessaire – le frémissement d’un désir – l’appel d’un visage – et de quelques lignes, peut-être, sur la page – pour aller moins seul(s) – et moins triste(s) – sur cette rive sans Amour…

Nous travaillons à l’infime pour que nous éclabousse l’infini. Ainsi rêve le presque rien pour que se révèle, à travers ses gestes et quelques paroles (longuement mûris – et jetés pourtant à la hâte sur les hommes) le plus invraisemblable…

Fidèle(s), en somme, à tout ce qui passe. Dans l’évidence d’une multitude sans visage – et dans la proximité de têtes trop fières, sans doute, pour être du moindre secours.

Seul(s) pour préserver ce qui peut l’être – et ce qui se porte comme un secret au fond du cœur. Marchant à même le sol – sans aile – sans Dieu – sans parure – nu(s) au milieu du monde à livrer ce qui ne peut encore être entendu…

 

 

Tout s’enfuit – ailes devant. La chair, le monde, la vie. Jusqu’à la mort. Jusqu’à la parole des poètes. Comme l’incidence du jour sur le feu et les tourments…

 

 

Nous sommes là encore – avec un sourire et une fenêtre à la place des étoiles. Et ce désir si étrange de vivre…

 

 

Nous avons chanté – et retenu la soif pour avoir l’air aussi nomade(s) que les voyageurs. Nous avons prié à l’ombre des grandes idoles et des plus hautes vertus. Et, pourtant, rien n’a changé ; ni l’ombre, ni le feu. Le désert et les flammes où se vivent toutes les aventures – toujours aussi vivaces…

 

 

Une fable – mille fables – et autant d’âmes perdues, de paupières fermées et d’objets à acquérir. Et édifiés au cœur de la maison, ce grand totem et cet épouvantail pour célébrer l’avenir de l’homme et l’effroyable pillage du monde…

 

 

Nous aimerions vivre au-delà de l’homme – au-delà du temps – loin des cages du monde – dans cet après respectueux et réparateur – affranchi des mélanges et de la mêlée…

 

 

Le vent dure autant que nos yeux, les blessures et les cérémonies. Et tout s’aggrave, pourtant, au cœur de ce monde rivé à la mémoire…

 

 

Un pays, un vent – ce qui se tient sous le pas. L’itinéraire d’une attente. La transformation des questions et de l’angoisse en quiétude perceptive. Le sort des visages. Le destin de toutes les fouilles. Et quelque part, la conviction d’un possible – d’une issue à toutes ces empoignades pour donner à nos vies un peu de repos – le répit nécessaire à l’expérience de l’Amour…

 

 

Nous osons vivre alors que tout est perdu d’avance. Nous allons – enjambons – et édifions malgré le règne implacable de la chute et de l’effacement. Et, malgré cette défaite permanente, nous désirons encore – comme pour survivre à l’impuissance et à la perte…

Vivants, malgré nous – et nous initiant à toutes sortes d’expériences. Comme une longue préparation – un apprentissage laborieux – nécessaires pour découvrir ce que nous devinons déjà, entre deux aventures, dans cette folie qui emporte tout…

 

 

Il n’y a rien de l’autre côté ; la même vacance – les mêmes voix – et la même douleur de ne pas savoir. Tout est inconnu – et se glisse dans le sommeil et le langage. Des jeux et des yeux qui nagent entre les eaux du monde et le silence. Quelques cris, quelques chants et de vagues prières pour destituer la nuit. Rien, en somme, qui ne vaille d’être vécu…

Ce que nous cherchons est à même le pas – à l’envers du regard – à cet instant privé d’après et d’autrefois. La vraie vie est au milieu du songe, des idées et des images. Et le présent et l’incertain au cœur des impasses et des impératifs de tout voyage…

 

 

Quelque chose en nous – un espace peut-être – accueille – et pardonne – l’absence et les excès – la rage et la tristesse – et jusqu’à notre incapacité (ou notre impossibilité) provisoire à le découvrir – et à nous y abandonner…

Rien, ni personne n’est nécessaire pour le trouver. Et chaque expérience fait grandir en nous le désir de le rejoindre…

 

 

Néant et abîme au-dedans et au-dehors – emplis de fables et d’efforts pour tenter de faire face au vertige – à cet infini, à peine, deviné…

 

 

Le silence et la tendresse n’ont besoin de notre vacarme – ni de nos désirs, ni de nos élans. Le monde même n’est nécessaire. Être (leur) est déjà bien suffisant…

 

 

Ces milliards de respirations et de rythmes simultanés – comme le souffle unique et le mouvement permanent de ce géant que nous sommes tous ensemble – tantôt merveilleux, tantôt monstrueux – et, si souvent, déchiré et écartelé – selon la direction et les pas – mais toujours lui-même – égal à ce qu’il est – devenant – tentant de devenir peut-être – ce que nous sommes nous-mêmes en nos regards additionnés

 

*

 

La poésie est l’intime porté à l’universel – l’infime porté à l’infini – et la boue et le mystère de vivre portés au sublime. Le plus exact endroit de la grâce, en somme…

Le regard poétique – lorsqu’il sait se montrer juste et sage – et presque entièrement impersonnel – est, sans doute, le lieu le plus proche de la vérité

 

*

 

Tant de vies et de visages – et pourtant, partout, l’évidence de la solitude et de la mort…

 

 

Tout est pris et assiégé – jusqu’aux plus humbles – jusqu’aux visages les plus effacés…

 

 

Tout se retire – et nous retourne – pour tenter de nous faire découvrir la couleur du jour gravée à l’envers du monde. La nuit première – lorsqu’elle était encore claire – éclairée peut-être – vierge de rêves et d’étoiles…

Mais la terre s’est emparée de la blessure, de l’espace et du souvenir. Et, aujourd’hui, il ne nous est (presque) plus possible de l’imaginer…

 

 

Nous vivons (croyons vivre) sur quelques pierres – polies avec patience – pour y déposer notre souffrance et notre infortune – et y bâtir quelques édifices pour conjurer le malheur. Mais les yeux ont tout dévisagé – et les mains tout défiguré. Et le désir d’un autre monde – d’un autre destin – a fini par se briser. Ne restent plus que le rêve et le souvenir – et cet espoir encore si vaillant d’une impossible aventure…

 

 

De pierres et de braises – cette ardeur mystérieuse au milieu des miroirs et de la poussière qui nous pousse à nous attarder (encore un peu) malgré la certitude de la fin…

Le piège et le chemin à découvrir. Des arbres et des voix qui nous interpellent. Le sommeil et ce désir, si puissant, d’échanger ce qui tremble contre un peu de rêve…

 

 

Le vide se révèle à l’issue du chemin – derrière le miroir brisé – sous le peu qu’il reste à nos pieds…

 

 

Nous ne connaissons que la solitude et le rêve d’un ailleurs – que nous espérons plus vivable. Et nous nous y accrochons, faute de mieux – la bouche tordue par la peur et la souffrance de cet entre-monde…

Nous naviguons – presque sans carte – au bord de l’innocence – aux frontières de cette enfance promise – sacrifiées pour une gloire inutile – désuète – meurtrière et sans valeur.

Nous aimons ce qui nous rassure – tous ces yeux, toutes ces mains et tous ces corps qui offrent leur réconfort. Nous vivons dans une forme de mendicité permanente. Et nous nous en remettons à la chance pour échapper à la violence et à la douleur. Infidèles, en somme, à ce qui nous constitue – si éloignés encore de l’espace, de l’Amour et de la lumière – et, pourtant, au cœur déjà de ce qui nous hante depuis le commencement du monde…

 

 

Sang et chemin sans rédemption. L’œil et le poème abandonnés à l’ardeur, au refus et à la révolte – livrés au désordre et au chaos. Désirs inassouvis – en larmes – entre la pierre et l’infini – aboyant comme de beaux diables sur tout ce qui traverse nos vies – sur tout ce qui traverse le ciel. Et le silence foudroyé – remisé au fond de l’âme – au fond de la parole – au fond de l’oubli…

 

 

De remparts et de brume, toutes ces créatures au cœur enfoui – indigent – si proches du mensonge et de l’illusion. Opaques jusque dans leurs tréfonds. Et à l’ignorance, pourtant, si pardonnable…

 

 

S’effacer encore – comme la page accueille l’encre et la parole – comme l’espace accueille le bruit, la neige et l’ignorance des visages…

 

 

Temps, rêve et absence inventés (peut-être) pour survivre à cet effroi d’exister…

 

 

Nous aurions aimé plus de rires et d’aventures – plus d’extases et de joie – dans notre vie – dans cette longue (et douloureuse) dérive…

Mais qui peut se targuer de pouvoir inventer son voyage…

 

 

Ecartelés – sans tête ni foi – entre la déchirure et le miracle…

 

 

Vivre n’aura donc été que cela ; un point de passage – un point de rupture – indéfini – inachevé – inachevable peut-être. Le règne du rêve et de la mémoire. Un espoir – une tentative – quelques vibrations – et un peu d’encre jetée sur la page…

 

 

Partout, il y a des ruines, des flammes et des cris. La vie et la mort. Et cette chute permanente malgré l’attirail du monde – malgré l’arsenal des hommes. Et quelques âmes pour s’en émouvoir et s’en effrayer – pour inviter et célébrer l’impossible – avec quelques rudiments sensibles et quelques fragments de ciel à explorer encore…

 

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17 juillet 2018

Carnet n°155 Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Du temps, des ravins, des dépouilles. L’or et la question de vivre. La saveur, l’infini et la mort. Et mille fleurs déjà sur nos pages – à notre porte…

A l’écart du sommeil – libre des jeux du monde – au-delà des cendres et du scintillement – là où la parole s’écrit d’un seul trait de lumière…

Une vie, un silence. Comme un poème pour affronter l’impossible…

 

 

Un autre feu sous les pierres brûle quelques reliquats de rêve. Et une fenêtre pour regarder, avec émotion, le monde et les hommes – leur chute inévitable – l’effacement annoncé – et l’arrachement (violent sans doute) du peu qu’il restera après la mort…

 

 

Tout s’estompe à présent. Les voix geignardes, le tumulte et les caprices. Tout ce qui palpite – les monstres et les erreurs. Et ces visages enfantins qui se séduisent pour conjurer la solitude. Ne reste qu’un lieu indéfinissable – et ce regard – et cette main qui, parfois, se tend pour secourir le possible – et révéler l’évidence dissimulée au cœur de la faim et du sommeil…

 

 

Subsiste un souffle mystérieux dans cette glaise suante – dans cet amas de poussière et de souvenirs – de désirs et de prières. Quelque chose – presque rien – né des semences du monde – de ce (fabuleux) mariage entre le ciel et les abîmes – qui s’attarde encore un peu sous le soleil pour assister à la saison des récoltes. Comme un morceau de terre anodin – insignifiant presque – qui joue avec les vents avant d’être livré à la mort…

 

 

Être et langage. Silence et poème. Un retrait, puis un écart pour échapper au monde et à sa folie. Seul dans l’herbe – en haut de la pente – à contempler et à rire – et à offrir quelques lignes – une parole – une joie et une nudité solitaires – à tous les découragements à vivre

 

 

Muet – seul – déjà ailleurs – avec devant soi toute une vie à inaccomplir

 

 

L’un d’eux – avec des ombres – une peau – un visage mille fois balafré – et une chair mille fois estropiée. Mains ouvertes – mains en prière – dans le noir – qui offrent au monde, comme les fleurs, leurs secrets…

 

 

Aimer l’obole et la nécessité – l’Amour et la furie qui n’épargnent personne. La désolation et le baiser si tendre sur le front de ceux qui s’acharnent encore…

 

 

Entre le vol et l’absence – entre la chute et ce qui demeure – la joie à notre portée…

 

 

Ce qui se résout d’un air si grave – soleil dans l’âme – et la larme à l’œil. Indécis. Timide. Vaillant. Si humain, en somme…

 

 

Un corps – ce qui reste de l’homme. Et ce regard sans assise – cette présence sans appui. Et un peu de tristesse encore sur ce versant de la terre…

 

 

Penché sur le monde et le défilement des jours qui donnent aux hommes leurs rides et leurs soucis – et quelques caresses parfois. Avec cette stupeur devant les visages et la mort…

 

 

Une aire, des rêves, des jeux. Un peu de sang et de souffle pour se croire vivants et s’adonner aux vieilles traditions de l’homme. Splendides et féroces – et presque sans tête. Debout et endormis – sous l’emprise des jours – et d’un soleil trop lointain. Sacrifiés pour l’éternité qui durera jusqu’à la mort…

 

 

Un visage peut-être – mais sans épaisseur. Vivant comme la brume et l’arc-en-ciel. Distrait à côté du monde. En surplomb peut-être. Hagard – hébété – dans les bras d’un autre Amour…

 

 

Une parole – mille paroles – pour défaire l’impossible et inviter l’impensable. Aussi vaine(s) que la danse – que toutes les danses – du monde. Notre dernière solitude, peut-être, entre les hommes et l’innocence…

 

 

Troublante la vérité qui ne (nous) laisse rien – ni signe, ni message – pas le moindre appui…

Et nos vies, comme du lierre, qui s’agrippent aux murs invisibles – inexistants – à peine rêvés peut-être. Et ces jours qui passent pourtant. Des années – des siècles – et toute l’histoire du monde – balayés d’un seul geste lorsque se précise l’instant – l’éternité sans doute – entre l’angoisse et la joie – entre l’effroi et le silence. Immobiles – immobilisés en quelque sorte – dans ce qui demeure aux racines des existences…

 

 

Nous, aujourd’hui. Et demain, quelques autres. Les mêmes danses. Le même spectacle…

 

*

 

Ah ! Mon Dieu ! Tant de livres et de tablettes depuis l’origine du langage qui engrangent les concepts, les images, les commentaires, les vérités ! Pour comprendre le monde et découvrir ce que l’on est, comment faut-il s’y prendre ? A quelles lignes peut-on se fier ? De toute évidence, n’accorder du crédit qu’à celles qui furent enfantées dans la joie et le silence entremêlés

 

*

 

Au bord du monde – aux marges du temps. Saisons en prime – et le rêve rompu. Debout – la tête humble – à apprivoiser l’incertain…

 

 

Sans nous – sans propos – au-delà même des labours profonds, le silence et la blancheur de la voix dans leurs vaines tentatives poétiques…

 

 

L’enfouissement et le mystère. Et tous les savoirs sabotés – pour lire sur les lèvres rouges – à peine perceptible – le silence. La terre, les bêtes, les hommes – le calme et la joie dévastés – suspendus par grappes entières dans cet oubli du monde. Et l’ombre en écho offerte à ceux dont la main cherche l’Absolu – et qui doivent recommencer mille fois leur voyage pour se perdre dans la durée. Indécis et opiniâtres comme les jours – relégués (presque toujours) à l’infime et à la fouille au milieu du temps…

 

 

On abandonne les pistes – tous les assemblages. Ce que nous avions engrangé à tous les âges dans la prévision d’une aventure – d’un cataclysme. On se défait – et on se désengage. Et sur la route subsistent un sourire – une danse – le réel d’avant les naissances…

 

 

Noyés de vie – noyés de tombes – comme des enfants perdus dans la nuit – apeurés face aux visages – livrés aux tentations et à la gouvernance de ce qui s’épuise. Seuls, en somme, pour échapper au monde et retrouver l’aube qui persiste au fond des cachots – partout présente – jusqu’aux fenêtres de l’hiver…

 

 

Rien – une simple joie au milieu de ce qui s’attriste. Un soleil ardent – vivace – dans le noir et la jungle où survivent (à peine) les bêtes du monde. Des destins croisés avec la constance des saisons. La fabrique du temps et tous les Dieux imaginés par les hommes…

Une distance avec les cartes, les signes et les paroles ivres de ce qu’elles encensent. Une défaite magistrale – comme le sacre de tout voyage. L’allure et la tête détournées de leur emploi. Au-delà de toute pensée – au-delà de toute promesse. Guidé par ce qui demeure et ce qui passe. Au milieu des eaux – sur cette île oubliée que font grandir les pas – les passages et l’innocence…

Un climat, peut-être, hors de l’étourdissement et de la distraction. Un sourire et un étonnement à l’égard des attentes anciennes – à l’égard de ce qui vient – à l’égard de ce qui monte et de ce qui descend en empruntant mille voies – mille escaliers – mille routes qui serpentent entre le ciel, la terre et les abîmes…

Un socle posé au milieu des vents et des rires – des grimaces et des infortunes. Un regard sur les dalles, les tombes et les visages qui gesticulent dans les allées – dans toutes les impasses. Une présence au cœur des carnavals où la chair et la sueur s’emmêlent – et s’épuisent en gestes inutiles – en tentatives ridicules…

Une aire – une fenêtre – où tout vient parader, se distraire et mourir. Le sol qui recueille le sang, la pluie et les larmes de quelques âmes. Et cette main qui, parfois, se pose sur les lèvres pour que cessent tous ces tourbillons illusoires…

 

 

Visite au loin – au-delà des yeux et des portes fermés. Et, pourtant, tout demeure à l’identique – ici – ailleurs – partout ; les arbres, les visages, les jardins – le sort, la faim et le sommeil de ceux qui s’échinent à résister. Le monde, les siècles et le temps. La terre aux paysages si changeants. La ronde, un peu triste, des âmes qui s’inclinent à tous les passages. La bêtise et l’ignorance des hommes. Toutes les tragédies du vivant…

 

 

Un imaginaire débraillé – ouvert devant soi comme la carte d’un trésor. Des pages – des livres – par milliers comme autant d’ailes et d’étoiles – poussives et fécondes – qui exaltent le sens et invitent à mille vagabondages. Des signes comme des boussoles pour se frayer un chemin – et mille passages – dans l’obscurité des plans – horizontaux presque toujours. Des cris, des larmes et quelques rires – un peu de chair et de sang parfois – et un peu d’âme aussi (plus rarement) – comme pour offrir aux yeux, aux visages et aux existences, une porte sur l’oubli et une sente fragile vers l’aube promise par tous les sages…

 

*

 

Il y a le cœur perceptible du vivant. Et celui – plus invisible – qui bat en chaque chose. Et c’est dans l’écoute de ce double rythme que l’on peut entendre les souffles conjugués du monde et du silence – et (accessoirement) s’y accorder…

 

*

 

Invisible – dense – légère – omniprésente – verticale – cette présence – si proche de l’esprit – et si éloignée, pourtant, de l’expérience humaine commune…

 

 

Vie, prières, souffrances et extases vécues à même la chair du monde – au cœur du souffle et du regard plus divins que terrestres…

 

 

Entre deux rives, le passage. L’expérience combinée du monde et du ciel…

 

 

Là où s’achève l’homme, commence le Divin. Et là où meurt le Divin, naît la barbarie…

Et nous autres, au milieu du gué – lançant quelques gestes et quelques paroles pour survivre à cet écartèlement – à cet inachèvement – et inviter le monde à vivre sa dernière heure

 

 

Cette voix au fond de nous – au cœur d’un ciel – d’une présence – ligotés par tant de rêves et de désirs – par tant d’ignorance. Comme une perte vertigineuse – presque inimaginable – dans le temps – et un sursaut – un regain d’ardeur – pour briser les murs – et le labyrinthe où les hommes et les bêtes vivent coincés depuis le début du monde…

 

 

Une descente – longue – âpre – qu’il faut emprunter après l’assouvissement du désir de l’or – l’extinction de la faim et l’effacement des chimères et des miracles. Le rapprochement des pas et de l’âme vers le mystère…

 

 

Un jour, l’horizon s’éteindra comme la course des pas – comme tous les voyages…

 

 

Un fardeau, un renoncement. Rien – ni au-dehors, ni au-dedans. Un murmure – un cri à peine perceptible. Les errances d’un autre voyage. Des tombes, des terrains vagues et l’obstination des pas. Partout, le grand calme des solitudes. Et ce vent qui veille dans l’acharnement des foulées. Et le silence encore que nous n’avons su retrouver…

 

 

Nous avons couru tantôt à grands pas, tantôt à foulées feutrées. Nous avons vécu – nous avons fouillé – et découvert toutes les ombres du monde. Nous avons cheminé plus que de raison – emprunté mille chemins – traversé mille contrées – et déblayé mille impasses. Et nous voilà, à présent, en haut – sur cet escalier sans fin – au-dedans d’un rêve ininterrompu peut-être – avec le même sommeil et la même solitude – le ciel toujours aussi lointain et la souffrance un peu moins douloureuse – en partie apprivoisée – à nous demander encore pourquoi Dieu a créé le vivre et l’espoir du jour – et cet allant inépuisable à vouloir percer tous les mystères…

 

 

La parole aura beau dire encore et encore, le silence aura toujours le dernier mot…

 

 

Nuit, motifs, espace, signes, ondes, nouvelles, foudre, rivières, foulées. Un arbre, un visage et le ciel alignés – libres – dans le mensonge comme dans la droiture d’une parole authentique…

 

 

La source, le sang et le miroir. Eléments du voyage et de la mémoire – nécessaires à la découverte de notre identité…

 

 

Une mémoire s’avance – nous revient à pas menus sur le fil du temps – gonfle – traverse la tête – se pose en arrière du front – nous invite à la marche à rebours pour retrouver l’origine – la racine première des allants et des découvertes…

 

 

Après le pas, l’éloignement et la lente dissolution du point d’interrogation magistral gravé à l’arrière des crânes. L’ombre circonscrite, les murs vacillants, et bientôt délabrés. Et cette lumière qui se hisse au-delà de la dernière étoile. La fin du trajet. Et le surgissement du silence scellé dans l’envers du décor. Le déchirement de la détention et du visage criblé de flèches et de plaies. La traque incessante et le manque désagrégés. La vie et la souffrance transpercées. L’origine du monde et la chambre – ce lieu de tous les supplices – réunies – enfin rassemblées. Le souffle qui se dresse au-dessus du noir. La sagesse et le sillage réconciliés. La fin de l’aveuglement. Et la vie – la vraie vie – qui peut enfin commencer…

 

 

L’écriture, sous la dictée du ciel, se fait plus docile – plus précise. Mots de nulle part – affranchis des ambitions humaines – pour offrir à l’infime une fenêtre – la seule possibilité de délivrance peut-être…

 

 

On écrit à présent comme roulent les pierres. Dans la nécessité des instincts – gouverné par la pesanteur du monde – vers un vide où convergent toutes les choses et tous les visages…

Des poèmes, comme la roche, arrachés à notre poitrine. Un pont entre le ciel et l’océan. Un peu de magie pour la traversée et le franchissement (si douloureux) de l’écume…

 

 

Mille mots – une parole sans cesse répétée – pour dire ce qui ne peut être dit – pour essayer de nommer ce qui ne peut se révéler – et être goûté – que dans l’écoute, l’attention et le silence – dégagés des noms et des visages – libres de tous les qualificatifs…

 

 

Quelques lignes – une pensée – comme un recours – un refuge précaire – face aux tourbillons du monde. Une fenêtre dans la superficialité ambiante sur ce qui, en nous, s’interroge et aspire aux profondeurs pour découvrir le secret des danses – le secret de toutes les existences…

 

 

Dire le peu – le plus simple – la joie d’exister. Le souffle et le silence – et ce qui nous déchire. Les gorges muettes – l’obscurité qui, partout, règne en maître. Le manque, l’envie et les traversées. Ce qui nous guette au-dessus des bruits et de l’effroi. Les hommes, les bêtes et la mort. Les berges où tout s’égare. Les souvenirs inutiles – et les obstacles que l’on ne parvient parfois à enjamber. Notre maladresse, la lueur – et la tristesse – dans les yeux de ceux qui s’en vont. La terre et les âmes tremblantes. Le poème, l’abîme et le néant. Tout ce que nous avons essayé pour être des hommes – et naître au ciel. A peu près tout. Si peu de choses, en somme…

 

 

Tout arrive – et se livre à notre front boudeur. Les tremblements et l’immensité. Les malheurs, les étoiles et la douleur. Le sang et ce regain d’âme qui manquait à notre vie. La solitude, les poches percées et ces mains pleines de cet or offert aux presque rien – à tous ces êtres de passage qui s’interrogent et que l’on dévisage – toujours inquiets – jamais satisfaits par la réponse des hommes…

 

 

Des lampes, des cœurs et mille mains tendues – et le monde – cette pieuvre – qui rétrécit les rives et les rêves en exaltant les désirs d’un après – d’un ailleurs – plus confortables…

Comment vivre parmi les hommes sinon en restant à l’écart – loin des crachats et des cachots – loin des masques et de ces eaux (trop) tourbillonnantes où tout a l’odeur de la hâte et de la conquête. S’exiler, en somme, en ce lieu posé en amont du théâtre – à l’abri du sang qui coule pour rassasier la faim…

 

 

Une pierre, l’instant de vivre pour répondre au seul appel vital – dans cette forêt – au milieu des bêtes au regard si doux – si clair – et bien plus lucide que nous ne l’imaginons. Seul avec la nuit et la folie en partage. Debout dans l’hiver. Immobile – stoïque sous notre charge – allant à travers le monde sur les chemins des collines comme sur les pages – à contre-sens de la déraison commune…

 

 

Rien – sur la plus haute marche de l’homme peut-être. Ni lampe, ni neige, ni étoile. Ni ange, ni visage. Pas même un bruit. Pas même un songe. La leçon du sang apprise jusqu’au fond des veines. Oubliés, à présent, les délires, la douleur et l’huile sur le feu qui ont exalté la décadence du vivre ensemble. Le vide – simplement – le vide. Le silence et la blancheur. Et cette nécessité de la parole pour s’assurer d’un témoignage – d’une preuve, peut-être – pour avoir l’air un peu moins fou que ces pauvres hommes en contre-bas qui s’échinent encore à la besogne dans l’espoir d’accéder, un jour, à quelque hauteur…

 

 

Nous veillons sur cette vieille plainte qui monte du ventre du monde. Les bras ballants et les mains vides – sans rien à offrir sinon notre regard – et cette présence infime – anodine – presque invisible pour ceux qui ne savent voir encore. La vie, la terre et une partie des vivants à nos côtés sur ce versant fragile – blanc – intact – où viennent mourir tous les reflets sombres – calcinés – de l’autre monde…

Debout encore – dans cette vaine attente – sur ce seuil qu’ignorera toujours le commun…

 

 

Les bruits des hommes – âpres – visqueux – pénétrants – disharmonieux. Et ceux de la terre – vol et chant des oiseaux – vent dans les feuillages – course intrépide et tranquille de la pluie et des rivières – comme les notes d’une symphonie orchestrée par le silence et la lumière où le monde et la nature, malgré leur rudesse, résonnent dans la joie et l’harmonie…

 

 

Ephémères toujours – qu’importe les destinées…

 

 

Humble dans la proximité – et l’énumération – des choses, des visages et des sentiments qui peuplent le monde…

 

 

Tout se compose – se décompose et se recompose – de mille manières – en mille matières – en mille souffles – en mille agissements. Et rien ne nous émeut davantage que la proximité d’un seul visage qui ravive le sentiment d’unité sous-jacent à toutes les figures du monde…

Toute part porte – et est – le cœur de l’Absolu…

 

 

A ceux qui s’extasient devant la splendeur de la vie – et, parfois, devant la justesse de nos lignes (bien plus rarement, il est vrai), nous répondons que la vie et la poésie ne sont pas grand-chose ; un peu de rien dans l’infini – quelques taches sur la page – et que seuls le silence – le blanc – et la lumière – donnent au noir (toute) sa beauté…

 

 

Un peu d’azur – un peu de sang – dans tous les domaines. La nuit aux prises avec le jour. Et le jour aux prises avec les parois sans prise de l’autre rive. La faim et les chemins éternels. Le silence emmêlé aux chevelures. Un peu de joie – ce qui se dérobe – les risques encourus et toutes les pertes à venir…

 

 

Une main, une parcelle et le vaste monde où tout s’empile – s’engrange – s’efface et revient. Et une présence au cœur de ce qui demeure, si souvent, impénétrable…

 

 

Cœur et raison de l’innombrable à califourchon sur l’immesurable. Si près de ces mains et de ces âmes qui tiennent le jour comme un enjeu – et n’y voient que quelques mesures à prendre…

 

 

Lieu où l’obscur livré à l’au-delà devient éclat – blancheur consumée. Transparence et déchirement. Quelque chose d’inouï comme un silence au cœur de ce qui bouge et s’émeut. La dimension de l’homme, peut-être, affranchi des règles et de la volonté. Les restes, sans doute, d’une innocence incomparable…

 

 

Appuis, enclos, domaines. Et ces os entassés en amas sous la terre qui livrent aux hommes un secret encore incompréhensible. La vanité des élans, de l’agir, des tentatives borgnes et des croyances qui laissent espérer une issue possible…

 

 

Personne – une pièce vide – et une fenêtre qui laisse passer un peu de lumière pour éclairer les ombres qui s’agitent les mains tendues vers elle – si désespérément…

 

 

Chemins encore parmi les crêtes et les constellations étrangères – inapprivoisables. A la rencontre des limites de l’homme…

Des élans et des sauts depuis le premier soleil – le primitif endroit où naquirent tous les visages et toutes les étoiles. Sommets d’un sous-sol peut-être où ce qui s’élance a la couleur de l’or et l’ardeur des apprentis – des inexpérimentés.

Fruits des flammes et de l’invisible. Source des danses, des arabesques et du fumier – et de tous les charniers sans doute. Graines d’un seul jour et des mille répliques sur l’asphalte du monde…

 

 

Entre le rêve et la souffrance, l’infini. Et la longue désespérance – et la chute, lente et inévitable, de la chair prise en étau entre la gueule des loups et le ciel – entre l’expérience encore immature des malheurs et la joie possible – toujours recouverte par ce qui rend presque indestructible la pensée.

Un goût d’autrefois et de silence au fond des visages atterrés…

 

 

Le déplacement du regard d’un point à un autre – du plus familier à ce qui demeure inconnu. De dislocations en partage – de fragmentation en ellipses. Du plus certain à ce qui est offert à l’impuissance et à l’abandon…

 

 

Une vie, un silence. Comme un poème pour affronter l’impossible…

 

 

Ce qui est pris est redonné – et rendu au centuple dans cet art, apparemment cruel, du passage. De semailles en renversement. De l’agitation à l’innocence contemplative. De l’obstination à l’effacement. Le gage que quelque chose, en nous, est peut-être plus vivant que notre âme…

 

 

A la fin du voyage, la résolution du mystère. Et l’invitation du poème comme hommage inapproprié presque toujours – pour remercier l’abondance des obstacles qui nous firent prendre d’autres routes – et nous abandonner, en fin de compte, au glissement violent vers le bord – vers le fond – le lieu des limites et de la dérobade apparentes – transcendables et transcendées par ce qui nous hante – et l’œil serein qui accompagne, depuis toujours, nos dérives et nos défaillances…

 

 

Remparts – rouges et blancs – où tout affrontement s’annule au contact de son autre versant – excluant l’infaillible et les dérapages…

Un chemin d’équilibre et de renaissance. Une trajectoire indéfinissable qui mène de l’abstraction au corps – et de l’illusion au centre de tout ; monde, langue, visages et choses pulvérisés au cours de cette lente ascension vers l’apesanteur…

 

 

L’âme, les mots et la tête expulsés de leur territoire. La destruction de toute étincelle. Et le silence, partout – à perte de vue – dans le noir, la peur, la folie et les abîmes. Et l’encre et la lumière – à peine naissantes – d’un autre jour…

 

 

A l’écart du sommeil – libre des jeux du monde – au-delà des cendres et du scintillement – là où la parole s’écrit d’un seul trait de lumière…

 

 

Des générations pour que se perpétuent la fureur, la barbarie et le mensonge – la peur et l’illusion…

 

*

 

Venus de nulle part, nous ne sommes rien. Ne faisons rien – ne nous déplaçons jamais. Nous sommes – à peine – un rêve peut-être…

 

*

 

Du temps, des ravins, des dépouilles. L’or et la question de vivre. La saveur, l’infini et la mort. Et mille fleurs déjà sur nos pages – à notre porte…

 

 

Un soupir encore – venu de cette ère d’autrefois où nous devinions, entre la perte et le souvenir, l’ampleur du désastre soulevé par l’amour.

Le bleu – la beauté d’un regard aussi précieux que le partage et le feu combiné des élans. La saveur de l’étreinte avant le retour – inévitable – de la solitude et des sanglots – vieux, sans doute, comme la première histoire du monde…

 

 

Un désir – une allégresse. Quelque chose comme un silence né au cœur de la matière – entre l’âme et la main. Quelque chose comme un peu d’encre jetée presque sans raison sur la page pour conjurer la mort et les malheurs – rendre l’exil moins triste – la solitude plus supportable – et survivre, peut-être, à l’absence de tout partage…

 

 

Déjoués les tours et la magie-simulacre. Défaites les mains – et vide, à présent, l’horizon parcouru. A portée d’accroche – à portée du temps. Rien qu’un fil – rien qu’un rêve peut-être – au milieu de ce qui se détourne à notre passage…

 

 

Un rivage de faux-semblants où le regard n’est qu’une parure – une demande – une mendicité. Et qu’importe que les yeux y répondent – que les mains se tiennent – et que les corps s’abandonnent, l’âme restera seule…

 

 

On entend parfois gronder la révolte dans les pires résignations – l’être debout – submergé par la trame – asphyxié par les nœuds – qui redresse la tête pour résister au sang et à l’infamie – et survivre à cette part du monde invivable qui l’enserre et le blesse…

 

 

Ardentes la force de vivre au-delà du délire et des apparences – et la force d’aimer au-delà des visages et du connu

 

 

Rien – un regard sur les eaux mortes, les habitudes et les danses – et la sauvagerie qui guette sur tous les chemins…

 

 

Authentique cette humilité en surplomb de l’orgueil et de la matière agissante. Aussi belle et secourable que l’infini posé sur les pierres où gesticule et s’impatiente le monde…

L’œil vif sur toutes les routes, les églises et la clameur des jours…

 

 

Pluie, orage et soleil dans le ciel sans témoin – au-dessus des rives où les allures sont folles et les chemins vertigineux…

 

 

Désengagé des siècles où tout s’apparente à la faim – où la marche ressemble à une course folle – où la raison (trop de raison) a mené à suspendre partout des étoiles, des gages, des pièges et des récompenses – où la vie ne livre qu’aux épreuves et à l’exercice de la mort – où la liberté est devenue détention – et où Dieu s’est, peu à peu, transformé en image – en promesse – en mensonge – jamais en expérience…

Libre des parcours, des frontières et des franchissements, la parole du poète – qui apaise sa faim en d’autres lieux – sur les rivages d’un autre monde – sur une terre de plein midi où les figures et les fleurs sont familières de tous les soleils – où la langue fréquente les bêtes et les arbres autant que le ciel et les vagabonds – où la route est une poitrine ouverte – une main qui donne et caresse – où l’âme sait se libérer du vertige et du passé – et où le vivant est un frère à secourir et à aimer…

Libre la parole du poète – qui, les deux pieds dans le sang et la chevelure hors d’atteinte, fait de ses gestes et de sa parole un pont vers le silence et le réenchantement…

 

 

Des sentiers, un chemin. Prisonnier toujours du même destin. Et à portée d’âme – à portée de main – offerte toujours la même chance d’affranchissement…

La terre, le ciel. Quelques pas dérisoires – presque sans épaisseur. Et la liberté du langage qui nous sauve de toute forme de détention…

 

 

Toute trace – à jamais sortie des entrailles – comme un rêve de jour – un rêve de splendeur – aussitôt effacée par le monde – et portée à une dérive interminable…

 

 

Quelque chose nous emporte – presque rien – en deçà des vagues. Une part de vie – une part de sang – un peu d’âme, peut-être, sauvée de l’horizon. Le goût d’un monde aux marges du noir. Cette folle envie de lumière. Et l’ardeur – et la ténacité – de ce que les chemins et les visages ont blessé – presque à mort…

 

 

Tout est sombre et sévère dans notre vie – et jusqu’à ce rire qui ne peut éclore qu’au milieu de la nuit…

 

 

Parti – et revenu – mille fois. Un œil sur les pas et l’autre sur les affaires du monde. Une plaie, un écart, une modestie – au-delà du jour et des étoiles. Et ce feu qui donne aux allants leur si belle ardeur…

 

 

Imbibé de vie et de monde – en suspens – ce regard impuissant qui ne sait plus vers qui se tourner – ni à quel saint se vouer. Témoin du délabrement de l’enfance contrainte de dévaler mille pentes vers une vieillesse inévitable…

Des rires, des saisons et de la cendre rencontrés partout – au loin – si près de notre incapacité à vivre.

Voyageur sans ferveur – pleurnichant souvent – butant et butinant ici et là – au gré des occasions. Pusillanime et facétieux, malgré lui, devant les faces noires et les âmes barricadées – aux portes du monde peut-être…

Imbécile(s) que nous sommes…

 

 

Celui qui nous aime n’a aucun nom. Mais il a nos mains et notre visage – enroulés autour de nous-mêmes. Indécelable, bien sûr, avant d’avoir connu la grande tristesse

 

 

Nous avons erré partout ; et nous n’avons rencontré personne. Peut-être n’avons-nous su voir… Peut-être n’avons-nous su voyager… Peut-être étions-nous trop aveugles (et trop fiers) pour nous pencher sur le plus simple et la tristesse…

 

 

Pauvres hommes, en réalité, qui frappent aux mêmes portes depuis toujours sans réaliser que le lieu – et le visage – qu’ils cherchent se tiennent, depuis le commencement du voyage, au cœur de ce qu’ils portent comme un secret – au milieu du regard – perceptible partout – et par tous – dès que les yeux réussissent à s’ouvrir – et à s’inverser…

 

 

Nous avons voyagé – et n’avons vu que la peur dans le monde et les yeux. Presque personne. Des fantômes – quelques silhouettes – fourbus à force d’instincts et de rêves. L’insatisfaction des regards et la détermination des pas à aller plus loin – et à fuir plus encore…

 

 

L’âme si frémissante à regarder tout ce qui se pose devant elle. Pierres, arbres, bêtes et rivières qui mènent à la seule voie possible – à ce réel perché au-dessus du monde – au-dessus des rêves…

 

 

Des gestes qui ont l’élégance de la patience. Mus par l’innocence et la persistance du renouveau. Sages, en somme, parmi les outrages et les mensonges – parmi la frénésie, la malhonnêteté et les habitudes du monde…

 

 

Un peu perdu(s) – et si seul(s) – parmi ces visages qui ne nouent entre eux qu’une quotidienneté extérieure – et que contente tout partage apparent. Exilé(s), malgré soi, en ces terres de solitude et de profondeur qui ne semblent être, nulle part, l’objet d’aucun désir…

 

 

De la neige et de la cendre sur l’âme. Comme le privilège, peut-être, des solitaires au cœur insatisfait…

 

 

Des haltes et des éloignements. Et nul port d’attache pour ceux qui errent – et qui, si souvent, s’égarent en ces lieux où l’immonde cherche dans la chance la seule issue pour échapper à son visage…

 

 

Seul(s) à s’y morfondre – et jusqu’à s’en réjouir. En bas – en haut – au cœur des jeux et des complots – sans prêter ni l’âme, ni le flanc aux flammes et aux jugements – à cette pagaille insensée où s’enlise le monde…

 

11 juillet 2018

Carnet n°154 A quoi bon – la vocation du monde et des hommes peut-être…

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Rien. Une nuit, du sommeil, un silence. La pluie. L’épreuve de la solitude et de l’absence. Un désert, un abîme, quelques larmes. Et le monde – et la mort – inventés avec le premier élan – et le premier espoir – pour survivre à tant de néant…

Un corps, une lisière, une langue. Comme les seuls instruments – nécessaires à la poursuite du voyage – à ces foulées, parfois si réticentes, sur l’herbe rouge – sur ce pauvre sol de la terre…

Et l’attente encore face aux heures – face aux rêves et aux miroirs. Quelque chose d’infime dans cette nuit indéchiffrable. Un peu de chair, un peu de sable, à peine l’apparence d’un visage. Quelques bruissements, un geste parfois, la caresse de l’inconnu dans l’ombre de cette parole si étrangère…

 

 

Un Amour timide – effarouché par l’illusion et la brièveté du temps – l’insensibilité des âmes – la faim et l’inertie du monde. Confronté aux menaces et aux périls permanents qui, partout, exaltent le crime et la mémoire – sans doute, les plus vieilles traditions de la terre…

 

 

Choses encore – partout – et ces mains qui se lèvent – et s’étirent – pour saisir l’inutile – amasser le superflu – et l’entasser sur des morceaux de monde qui forment déjà des amas gigantesques – et d’illusoires remparts – qui jamais ne pourront nous délivrer du vide…

 

 

Tout arrive – s’élève – s’effondre – et se désagrège déjà. Jusqu’aux traces de vie – jusqu’à la parole des poètes. Comme un vent permanent qui efface tous les dessins du monde esquissés sur le sable. Comme une main sur nos épaules nues – fragiles. Comme une caresse – mille caresses – et quelques secousses peut-être – sur l’œil crotté – souillé de voiles et de choses – de monde et de souvenirs – incapable encore de déceler dans le sommeil la lumière pauvre et pacifique

 

 

Rien. Une nuit, du sommeil, un silence. La pluie. L’épreuve de la solitude et de l’absence. Un désert, un abîme, quelques larmes. Et le monde – et la mort – inventés avec le premier élan – et le premier espoir – pour survivre à tant de néant…

 

 

Du temps, des vœux, des désirs. Des voix dans l’ignorance creusée à même le passage – à même le parcours – qui serpente entre les âmes – entre les rêves – au milieu de l’intelligence et de l’espace.

Et l’infini si semblable à notre écho. Et cette liberté promise à la faim immodérée de soi – et de l’Autre – réunis – comme un ruisselet soucieux de sa source – et l’absence vouée à sa propre fin.

L’attention retrouvée entre deux notes – entre deux paroles – entre deux pensées.

Un peu de sable sur l’œuvre en cours. Le recueil du temps et du poème. L’humble livre des jours. Le plus simple à l’épreuve des visages et des saisons. Et ce grand silence à la place du monde…

 

 

Quelque chose – un instant – une hypothèse. Les remous d’une idée – d’un mirage peut-être – portés par le destin (éphémère toujours) d’une parole – de quelques syllabes tracées à la hâte comme l’on défriche un chemin au milieu des feuillages. Un cri craintif – une plainte contenue. Dans la parfaite ressemblance avec quelques hommes – avec quelques sages peut-être – d’autrefois où la vie se tissait sans drame des origines à la fin – avec des bruits de chaînes pendues aux souliers usés par tant de marche – par tant de pas. Et l’ombre minuscule et le souffle inspirant pour trouver quelque part la clé des secrets…

 

 

Un corps, une lisière, une langue. Comme les seuls instruments – nécessaires à la poursuite du voyage – à ces foulées, parfois si réticentes, sur l’herbe rouge – sur ce pauvre sol de la terre…

 

 

A l’épreuve d’un temps éprouvé – trop affirmatif dans la bouche de quelques âmes – en fuite comme toutes les autres – dans le refus du répit – le refus de la source qui enfanta l’ombre avec le grain – et les barreaux avec la condamnation à chercher sans fin ce qui circule avec le sang – de part en part – sur les chemins – de vie en vie – dans l’effroi – à la porte, toujours close, du mystère…

 

 

Et l’attente encore face aux heures – face aux rêves et aux miroirs. Quelque chose d’infime dans cette nuit indéchiffrable. Un peu de chair, un peu de sable, à peine l’apparence d’un visage. Quelques bruissements, un geste parfois, la caresse de l’inconnu dans l’ombre de cette parole si étrangère…

 

 

Le désir d’une confiance insubordonnée – affranchie des clameurs et des promesses. Comme une bouée – comme un phare – sur ces eaux sombres – sur ces eaux si éphémères…

 

 

Des grilles encore. Et derrière, l’énigme à résoudre. Le visage de l’effondrement. Le rire – et la pierre où s’élève l’angoisse. Les jeux et le temps fertile. La chair féconde, les briques, les murs et quelques rêves étranges. Avec au-delà – le bleu grandiose du ciel d’avant – immobile – sans limite – impérissable…

 

 

Une vitre, une bouche. Et la buée fragile entre le désir et l’horizon…

 

 

Et la mort comme la frontière qui sépare ceux qui rêvent de ceux qui ont rêvé. Les vivants – orgueilleux presque toujours – et les morts – plus humbles et moins naïfs dans leur sommeil…

 

 

Sans âge – sans chemin – à peine une ébauche de visage – un œil – une oreille – posés parmi les pierres. La chevelure défaite par les vents. Un regard sur les étreintes. Et la main, comme les fleurs, plongée dans le poème – cet art si précieux de vivre en déséquilibre entre ce qui est et ce qui vient. La vie en itinéraire – et la mort comme le ciment des adieux perpétuels à ce qui passe – et s’efface l’instant d’après…

 

*

 

Très touttrès rien. Et ce vague à l’âme. Et cette fragilité hors de propos…

 

 

Les soubresauts du vivre individuel à l’épreuve du monde, des émotions et des circonstances – qui résiste presque toujours – et, parfois, de façon si vive – à l’effacement…

 

 

Et ce si rien – ce presque rien – qui s’imagine (si souvent) être autre chose…

Toujours à geindre, à résister, à bâtir, à revendiquer – à enchaîner les rires, les larmes et les commentaires – sans cesse soumis aux exigences et aux gesticulations du vivre. A la prétention d’être un visage – d’être quelqu’un…

 

*

 

Chacun, en ce monde, prend et donne. Mais il est rare, au quotidien, que ces mouvements se fassent parfaitement et naturellement synchrones avec le (ou les) mouvement(s) (complémentaire(s) ou opposé(s)) d’une autre (ou de quelques autres) entité(s) individuelle(s). Comme si chacun prenait et donnait à son rythme propre – et en des espaces et des temps spécifiques – qui coïncident rarement à ceux des autres. D’où, peut-être, l’attrait et la magie des respirations communes et collectives – si recherchées par les hommes…

 

*

 

Confronté(s) toujours aux vieilles lunes de l’ignorance qui font office de lampe – de médiocre lumière – pour éclairer les pauvres rêves et les pauvres gestes des hommes – presque entièrement responsables de l’infortune du monde…

 

 

L’aveu d’un possible au bout d’un bras lourd de tous les présages anciens – totalement inutiles aujourd’hui…

 

*

 

Une peine – un appel – posés au cœur du silence. Et cet écho très haut – très loin – dans l’âme frémissante. Comme un chant au milieu du noir et des visages. Et, soudain, quelque chose chute dans la stupeur – comme une évidence. Et les mains délaissent (presque aussitôt) toutes les décevantes trouvailles engrangées dans les besaces pour laisser les yeux contempler la beauté du jour qui se lève dans les cœurs et les paysages. Comme un peu de répit dans le cours, si souvent mouvementé, du voyage…

 

 

Une blancheur au milieu de la nuit. Quelques silhouettes qui arpentent les collines. Un feu et un ennui derrière les volets clos des chambres communes. Et l’esprit libre – nomade – qui saute par-dessus les habitudes et le temps pour aller s’asseoir là où personne ne l’attend – au-dessus de l’abîme – sur quelques pierres qui font face aux falaises. Porté par cette main – si haute – qui le pousse à l’aventure, à la solitude et à l’errance – et, peut-être, vers ces retrouvailles tant espérées…

 

 

Délires et songes d’une âme à moitié nue qui se repose de ses mille tentatives d’envol – et de tous ces carnages accomplis dans le rire et l’indifférence. Blessée encore par la faim et le feu – et espérant toujours trouver un lieu plus propice à l’intelligence et à l’Amour. Rêveuse d’une ère de fin des temps où l’être saurait remplacer la souffrance et la certitude par l’étonnement et l’innocence – et où vivre aurait (enfin) le goût de l’enfance et du sourire…

 

 

Un vent brut – sauvage – dépouillé de toute ambition et de toute mémoire – affranchi du rêve et du désir – nu en quelque sorte – qui gifle le monde et les visages – et secoue les âmes – pour leur révéler ce qui se cache derrière le pire, les masques et les mensonges ; ce plus précieux – toujours – à notre portée…

 

 

Ciel, monde et mort. Et toutes ces naissances soumises à la marche et à la pesanteur. Et ce gris dans l’œil confiné à l’attente. Bouches frémissantes dans les rumeurs du temps et la légende des Dieux. Mains ouvertes à ce qui roule et s’avance – aux destins et aux âmes qui frissonnent dans la nuit – à cet étonnement dans l’haleine des hommes éclairés par le souffle, si faible, des étoiles. A quelques encablures seulement de ces profondeurs incertaines – de ce lieu si vague – si imprécis – où le monde, le ciel et la mort s’unissent en un seul visage qui nous est plus familier que le nôtre – si apparent et trompeur…

 

 

La boue, les cimes, l’immensité. Un monde, des abîmes. Et le silence où tout vacille – jusqu’à la peur – jusqu’à la souffrance – jusqu’à notre désir de délivrance…

 

 

Aux sources de l’attente – aux sources des élans – aux sources de tous les souffles créés par le monde – cette combinaison de matière et de ciel – demeure une arche haute – immense – indicible – aux portes de chaque visage. Dans l’âme des êtres et des choses. Au croisement de tous les chemins empruntés par tous les croyants et les indécis – par tous les sages et les imbéciles…

 

 

Une route – et mille chemins. Et ces chants pour atténuer l’attente – raviver l’espoir de rencontres nouvelles – agrémenter la routine et bouleverser les habitudes – et défier, peut-être, la certitude de nos vies plus ou moins errantes – plus ou moins ferventes – souffrantes au milieu des mirages et des promesses – impatientes de voir s’approcher un ciel tardif et lointain – et, sans doute, inéluctable…

 

*

 

La beauté – et la préciosité – du monde et des initiatives humaines – antagonistes si souvent – qui forgent, malgré elles, l’avenir de tous. Comme une immense chorégraphie où chaque danseur contribue à l’équilibre – fragile toujours – de l’ensemble en mouvement…

 

*

 

Jaillissements, grincements et effacements sur les graviers. Plongeons dans le noir des abîmes. Et, en attente, ces vies à cloche-pied sur ce qu’il reste de désir et de sang…

 

 

Une pierre, un arbre, un visage – et cet élan trop timide pour oser pénétrer le sol jusqu’aux racines où se terre l’origine du monde…

 

 

Nous-mêmes dans le progrès – maltraitants et maltraités avec les outils façonnés par nos propres mains – agissantes – et dociles aux injonctions du monde – soumises à son ambition – et à sa puissance incontrôlable. Esclaves, en somme, d’une inévitable atrocité…

 

 

Nous travaillons – la tête baissée – dans l’habitude d’un même désir – inchangé – et indétrônable sans doute ; celui que l’on espère voir se réaliser – les mains plongées dans le labeur – et qui, pourtant, ne s’accomplira ni par l’effort, ni par la volonté…

 

 

A mi-parcours toujours entre ce qui vient et ce qui a été abandonné – sans même jouir de l’instant qui s’achève…

 

 

Dérives altières – caresses perdues. Et cet Amour amputé par le désir – encerclé par nos bras trop proches du reflet des étoiles – pour briller sur la terre…

 

 

A quand la beauté et la lumière… A quand la fin du mystère – et le silence dans la continuité des élans…

 

 

Un dedans orageux – un chemin incertain – et des vies multiples – autant que nos visages. Pris par le rythme fou des tambours percutés par les mains – par les pieds – qui cherchent une issue ordinaire. Et immobiles plus que tout dans la vérité changeante – insaisissable – crucifiée au milieu des fronts – entre les tempes – partout où les rêves demeurent vivaces…

 

 

Terre, pluie, prières. Et le même chant dédié aux Dieux et aux étoiles pour susciter la certitude et l’abondance…

 

 

Partout, la prétention – et la perpétuation, si tenace, des mensonges. Le regain des jours et du désir. La parole affranchie de toute volonté – de toute expertise. Et ce dédain à l’égard de l’Amour, de l’histoire et de la mort. La vie, les choses et le monde sans cesse réinventés…

 

 

Merveilles en lambeaux – espoir réaffermi dans son illusion. Perte encore. Chemin et effacement toujours. La marche et les croyances tenaces. Et un rire immense – presque saugrenu – derrière les miroirs et les reflets. Et la vérité – éclatante – au-dedans d’un monde malade – voué à l’habitude et aux répétitions – inguérissable sans doute…

 

 

Un espace, un cri, une vérité peut-être – inaudible depuis ces rives trop bruyantes…

 

 

Un baiser – une caresse – offerts à la somnolence. Un silence – l’éternité – invisibles dans ces milliards de gestes trop adorateurs du monde…

 

 

Absence et froid au cœur des foyers. Illusion et danses autour d’un feu qui, peut-être, abrite la vérité. Cercles concentriques au noyau inaccessible. Doutes, peurs et chemins jusqu’au seuil où s’élève le plus déroutant. La magie des pierres et les reflets du temps. Une pause et un poème – un peu de répit pour l’immonde – l’atroce – qui arpente nos profondeurs – et invite nos mains (consentantes) à arracher les viscères pour les porter à la bouche des victimes et des bourreaux. Le voyage et la mort en signes – et en évidence – récurrents comme les siècles dans lesquels s’attardent (trop longuement) les hommes…

 

 

Quelque chose – comme une légèreté – se tient dans notre obstination. Un regard – toujours entre deux âges – entre le rire et la maladresse. Une peau, peut-être, que l’on porterait à l’envers de notre misère – à l’envers de notre destin…

 

 

Abandonné par les arbres, les visages et le silence – quelque chose – une relique sans doute – s’offre à la solitude ; l’eau acrobate et l’urne des secrets peut-être…

 

 

Le visage prosterné qui, autrefois, rêvait d’apprivoiser tous les soleils cachés au fond du sommeil – cette forme de réel atrophié – amputé par l’attente et le désir…

Accroupi, à présent, pour recevoir l’obole – la paix promise – le cœur de toutes les époques – la clé de tous les déguisements – ce que nous cherchions vainement dans les eaux troubles du monde…

Un mélange de grâce et d’incertitude. Comme un manteau de joie et de silence par-dessus nos guenilles…

 

 

L’allégresse de la solitude affranchie des blessures et de l’exil. Comme un chemin – un écart peut-être – entre le rêve et l’angoisse…

La distance nécessaire avec l’ombre pour offrir à l’espace le peu qu’il nous reste – le peu qui a survécu aux grands chamboulements de la traversée. La soustraction de tous les possibles pour célébrer le réel – et lui restituer sa place – son envergure – et sa fonction au sein d’un monde que seuls les rêves et les mythes inspirent…

 

 

Impassible – immense – le regard sur les joutes, les jeux et les confidences. Sensible, pourtant, à l’impudeur des témoignages, aux épreuves et à l’ampleur de l’expérience. Acquiesçant à tous les rires et à toutes les sueurs. Et heureux de se voir, parfois, invité à la dernière heure…

 

 

L’incessant recommencement de toute chose – livrée aux menaces, aux périls, aux épreuves – hantée par ses rêves et sa (propre) fin. Idolâtre, malgré elle, d’une aube mystérieuse – inconnue – flottante, peut-être, au milieu du monde et des pas – sur tous les visages – et dans le sable même sur lequel tout se bâtit…

 

 

Dans l’ombre d’un rien – silencieusement – tout s’écoule…

 

 

Et ces hommes qui, comme les poètes, cherchent leur destin dans le silence de l’âme et des pages. Titubant – ivres du même sommeil – ivres du même soleil. Epuisés par les rêves et les rumeurs d’un monde trop prévisible. Marchant inlassablement vers ce lieu – vers cet ailleurs – en eux-mêmes. Défiant le temps, les mirages et l’illusion – entre délires parfois et insomnie. Obsédés par la même quête – fascinés par la même lumière – cheminant vers l’abandon et l’effacement – pour découvrir, un jour peut-être, la beauté de l’éphémère – et la grâce de l’éternité – dissimulé(e)s au cœur de l’innocence…

 

 

L’humilité et l’innocence aujourd’hui. Et demain qu’adviendra-t-il ? Aurons-nous la sagesse de nous effacer plus encore…

 

 

Souffle, vécu, expérience. Le même rêve qui – lentement – nous emporte vers la mort…

 

 

Une larme, parfois encore, coule sur notre joue – et se glisse entre les lignes pour dire la beauté de tout apprivoisement – et la beauté de toute liberté – réunis, après mille danses, en un seul mot – en un seul silence…

 

*

 

La parole et l’esprit trop doux – et trop fiers – ne peuvent dire l’orage des vies – ni résoudre le mystère. Pas davantage qu’ils ne peuvent révéler le secret qui se cache au fond de chaque goutte de pluie…

 

*

 

Dans la houle permanente du renouveau, du prolongement et de la finitude. Le couperet, bien en évidence, au-dessus des têtes. Voués à la vague autant qu’à la grève. L’écume, l’horizon et l’océan comme seuls appuis – et seuls refuges. Et le silence où viennent mourir tous les cris et les échos…

La goutte et l’infini, en somme, réunis pour le même voyage…

 

 

Ailes, caresses, arrachements. Livrés au sang et à la faim – à ce qui respire autant qu’à ce qui s’élève au-dessus du monde – au-delà des étoiles et des horizons – parmi les reflets si changeants des siècles. Comme des destins d’occasion – recyclés mille fois déjà – qui serpentent entre les rives et les rêves pour parfaire les gestes et parvenir au bout de chaque traversée…

 

 

Epaules et têtes nues – chair décharnée – criblées de flèches et de souvenirs – au ras d’un sol déjà mille fois parcouru – à l’itinéraire invalidé par mille exploits et mille dérisions. Inaptes au franchissement des siècles et du temps. Sacrifiés, en somme, sur l’autel des vivants…

 

*

 

A quoi rêvent les fleurs ? Et à quels désirs se soumettent les pierres ? A-t-on déjà vu l’Amour transcender les hommes – et la haine semer l’innocence sur les chemins ? Serions-nous donc coincés entre l’illusion et la raison pour ignorer ces questions – et ne pouvoir y répondre…

 

*

 

La vie évoque les saisons et la multitude. Et la solitude, la mort et le désert. Et, pourtant, les hommes et les fleurs se glissent partout – dans toutes les danses du monde – et sous tous les soleils de la terre…

 

 

Mille mains – mille gestes – mille bouches – mille mots. Et un seul visage – un seul regard pour tout contempler…

 

 

Tout brûle – et s’évapore – en ce monde. Les souffles et les rumeurs – les jeux et les supplices – le sable et les horizons – les existences et les légendes – et jusqu’à la promesse de tous les Dieux…

 

 

Un puits où jeter les rêves, les offrandes et les ancêtres. Un trou où enterrer les vivants, les souvenirs et quelques cris encore tenaces. Un fil sur lequel danser pour échapper à la mort assise de tous les côtés – et s’avancer, l’âme innocente, dans la gueule du monde – dans la gueule des siècles – dans la gueule du temps – dévoués enfin (presque tout entiers) à la vocation de l’homme…

 

 

Loin – asphyxiée – cette obole d’autrefois – offerte par des mains tremblantes – trop suppliantes, peut-être, pour s’affranchir de la peur et des promesses lancées par un Dieu inventé par les hommes…

A présent, nous demeurons silencieux – mains jointes, parfois, devant la grâce et la rudesse. Nuit tournée dans tous les sens, puis inversée – et qui laissa, un jour, jaillir la lumière. La passion rongée, peu à peu, par l’errance. La faim convertie en solitude. Le monde défait comme un continent inutile. Acquiesçant à toutes les tournures et à toutes les chutes. Seul et vivant dans le presque mourir, dans l’incertitude et le plus sacré du vivre. Au bout d’un chemin peut-être – au croisement de la fleur et du poème – entre quelques flammes et quelques blessures anciennes – dans le vertige et la célébration de ce qui respire. Né peut-être enfin à nous-même…

 

 

Choses vues à travers l’alphabet – et quelques expériences aussi rebutantes que déroutantes. Des visages et des défilés. La profusion de la chair dans l’intimité du secret. La confusion et l’arrogance. La bêtise, les ombres et la guerre – prétextes à tous les acharnements. Le monde et les chemins. La vie qui va, la vie qui vient. Des fenêtres ouvertes sur la mort. Et le désir de l’au-delà dans tous les recoins de l’âme. La visite des Dieux. Mille livres et mille poèmes. Le ciel sans voix devant l’ignorance. Et l’infime sans éclat devant l’infini et le silence. Ce qui arrive – ce qui passe – et ce qui s’efface. La poursuite des jours, la nuit et la lumière. Et cette peur si animale – et cet espoir si humain. Les os que l’on enterre et qu’on laisse pourrir dans tous les charniers. Des caresses, des symboles et des mensonges. Bref, tout l’attirail des hommes face à l’angoisse et à l’indéchiffrable…

 

 

Dans ce pays de silence où tout s’accueille…

Et cette voix truculente qui cherche sa sente dans l’économie du langage…

 

*

 

Ce fut la lutte – puis l’exacte place des bras. Ce fut la langue – mille mots de braise – mille mots d’éclat – puis le silence. Ce fut l’enfance – longue – interminable – puis la sagesse de tout quitter. Ce fut la bête avant de devenir l’homme…

Ce fut le vent – et ce fut la faim – puis, au bout du siècle, la fouille et le chagrin. Ce fut la marche – la fuite – puis l’assise, toujours incertaine, sur le bleu si imprévisible du ciel. Ce fut la vie (notre vie) – puis la fin du souffle. Ce fut notre voyage vers l’infini…

Bien peu de chose(s), en somme…

 

*

 

Que connaissons-nous du monde ? Que connaissons-nous des foules ? Et que connaissons-nous du désir et de l’importance d’être un homme ?

 

 

Quelques confidences en guise d’aveu. Quelques mots – quelques lignes peut-être – sans réelle envergure. Le témoignage d’un emploi – et d’une place – peut-être sans équivalent. L’honnêteté et la franchise d’une fouille et d’un chemin – confrontés aux petits aléas de l’existence. Ni plus ni moins la vie de n’importe quel homme…

 

 

Le simple – le plus simple – à la lisière du dicible – présent, en nous, comme le seul désir – comme la seule promesse – sans autre raison que d’être là – existant au fond de la complexité et des complications – apparentes…

 

 

Enfant, nous étions là déjà – la bouche hébétée et le cœur chagrin – chaviré par tant de danses. Assis dans cette torpeur – et cette incompréhension du monde et du voyage. Inconsolable à jamais – sans doute…

 

 

L’usure du monde et l’utile des choses. Tant de nécessités façonnent la terre, les hommes et les siècles. A parts égales, peut-être, avec le mystère…

 

 

Un peu de brume sur l’écume. L’aveuglement sur le presque rien des vies – dans le presque rien des têtes – plongées au milieu du feu et de l’océan – où le vent n’est qu’un rêve pour rejoindre l’autre versant du monde – l’autre versant du temps…

 

 

Quelques feuilles – quelques poèmes – posés là sur les pierres – insensibles au langage – destiné(e)s aux édifices de l’homme…

Des chantiers partout sur la terre – comme un jeu – le simulacre d’une grandeur – le symbole d’un peuple érigeant sa gloire et sa légende. L’envahissement et la colonisation portés par les rêves – et l’ambition de l’or. Le mythe de la liberté. L’œuvre de la déraison et de milliards de fantômes trop fertiles – et trop peu sages – pour savoir associer l’être, l’existence et le devenir. Le prolongement du labeur des anciens. La continuité de l’histoire. Quelques chimères pour défier la mort. La construction des ruines prochaines – et l’émergence, bientôt, d’une nouvelle apocalypse – dans le cycle sans fin des recombinaisons…

 

 

Des chemins, des larmes, des abandons. Les hauts lieux du rêve et de la misère. Et quelques têtes dressées au-dessus des mirages pour contempler le désastre et révéler l’inutilité des luttes et des résistances – passives, en somme, au milieu des combats – comme figées par la puissance et la vanité de tous les élans…

 

 

Profil bas devant les pentes où roulent les pierres, les crânes et la folie – le sang, les ombres et les poèmes. Muet face au labeur des hommes et des astres où le hasard a, peu à peu, été refoulé. Désengagé de l’œuvre en cours, tête et mains, pourtant posées entre les enclumes et les marteaux. L’âme rétive et l’esprit forcé à l’acquiescement. Ici – et, sans doute, déjà ailleurs – en surplomb du monde qui, depuis toujours, tourne en rond…

 

 

Errances – partout – et tentatives. Sous l’emprise des rêves et des désirs. Au fond d’un sommeil. Au fond d’un trou. Sur une corde où dansent mille silhouettes et mille fantômes. Sous les étoiles – immergés – dans le règne des créances et des dettes – avec l’abondance et le progrès que l’on agite sous le nez des peuples à peine sortis des cavernes – à peine sortis de l’enfance – dont les bras bêchent encore la terre et dont les yeux, parfois, se penchent sur quelques livres mais dont les pieds avancent toujours avec maladresse sur tous les chemins de l’infortune

Et, pourtant, comme chacun, nous vivons et agissons – happés par les inéluctables nécessités du vivre. Et, comme tous les autres, nous participons à la marche inexorable du monde – dans la croyance, parfois, d’une vague utilité – et sans même pouvoir échapper à quelques illusions et à un peu d’arrogance et de vanité. Fidèle, en somme, à la condition de l’homme – et loyal envers ce qui, dans notre vie, œuvre à notre insu…

 

 

Incapable de vivre sans livre, sans arbre, sans poésie – sans chien(s), sans écrire ni marcher quotidiennement dans les collines. Incapable de vivre sans le sacre journalier (presque permanent) de l’ordinaire. Et incapable, bien sûr, de vivre au milieu du monde, des hommes et du plus commun…

 

 

Un cœur – une sensibilité pure – en résonance avec tout ce qui bouge et respire – et crucifié(e) encore si souvent…

 

 

Pourrissant déjà, tout élan – vers l’or – vers le mystère – essoufflé avant d’atteindre sa destination. Il faudrait renoncer au but – et s’appliquer davantage à fouiller le pas – chacun des pas – qui abrite ce que nous cherchons ; le silence, la paix et la joie – hors du monde – hors du temps…

 

 

Hymne à l’errance, à l’ardeur, aux cibles et aux flèches – aux mensonges – aux chiens fous de l’ignorance – bave aux lèvres et babines retroussées – prêts à mordre pour protéger quelques chimères. Hymne aux mains plongées dans les gueules – dans le feu – parées aux attaques. Et à tous ces yeux qui répandent la haine. Et à l’apesanteur (si souveraine) de l’immobilité qui règne au-dessus des atrocités – et au-dedans de chacune d’elle (pour celui qui sait voir)…

 

 

Des hauts, des bas et des travers. Et ces horloges dans les têtes qui précipitent le temps. Les circuits et les parcours – tous les cycles, tantôt longs, tantôt courts. La faim – toutes les faims – qui traversent les jours et enjambent les rivières gorgées toujours de pluie, de sang et de larmes. La marche des mondes – la démarche des fous. Et ce poids insensé sur les épaules. Le sommeil, les croix et la vérité. Dieu, les hommes et les arbres. Les bêtes – tout le bétail – les peuples – tous ces troupeaux que l’on mène vers la mort…

 

 

Enchevêtrées de rêves et d’éclats, ces âmes frondeuses qui parcourent la terre en prêtant le flanc à tous les combats – et qui dressent la tête dans toutes les épreuves – cherchant le pain, la lune et la paix sur tous les chemins – et au cœur déjà mille fois brisé par l’horizon…

 

 

Un souffle encore – et mille choses à goûter, à défendre, à répandre pour se donner l’illusion d’exister…

Ce qui bouge – serpente et gesticule – au milieu des eaux…

 

 

Un goût d’ailleurs – un précipice. Le temps, en nous, célébré comme l’or du monde. Le sommeil, la blancheur des âmes et la mort ; ce que nous révélera, plus tard, la vérité – entre rires et sanglots…

 

 

Marche encore – vertige entre l’écume et la braise – poussés par le vent, le désir et le rêve. Inconscients des ombres à nos côtés. Offrant un peu de folie à l’habitude – à la routine. Ligotés à tous les possibles et à toutes les infortunes. Encore vivants – à genoux – debout parfois – entre ces murs – en ce lieu où nous ne sommes personne…

 

 

Un jeu, un songe. Et entre les lignes, un instant de clarté. Et un rire pour ne pas trop désespérer du déséquilibre – et de la chute prochaine – inévitables…

 

 

On peut tout redouter sans voir, en nous, le seul péril. On peut chanter à s’en arracher la gorge sans découvrir – partout – la justesse du silence – et l’exactitude de la faim promise à l’assouvissement. La clé perdue au milieu des épines, de la fièvre et des disgrâces – et la mort de tous ceux qui auront essayé…

 

 

Le sommeil, la terre et la faiblesse des cris. L’ardeur des poings fermés, l’écrasement de la terre et la révolte vaine des peuples soumis. Un ciel, des souffrances. Et le témoin – sans charge – des morts et des survivants qui peinent depuis toujours sous la pluie – au milieu des chants – dans la douleur d’exister…

 

 

Devenir simple regard – simple présence – parmi les herbes et les civilisations grandissantes et déclinantes – la source de tous les courants où glissent le monde et les pas. Le silence qui accueille les cris et les chants. L’origine – et le plus humble sur lequel pousse l’abondance. Quelque chose comme une joie – pour vivre au milieu de la tristesse et des vivants…

 

3 juillet 2018

Carnet n°153 Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Quelques masques – un peu de nuit – sur le visage – et sur beaucoup d’autres serrés dans le retrait – le long des routes. Seuls avec leurs mensonges. Le froid recroquevillé au fond de la gorge – sous les aisselles. Le prix de la fatigue. Le désir d’un autre jour – et l’espérance d’une autre couleur. Et la vérité enfermée au milieu des têtes – au milieu des rêves – portée comme une chimère…

Rien de nouveau. Le vent, la pluie, le soleil. Le froid et la solitude des âmes. Et ces visages – entre chair et cœur – enfoncés dans la nuit. Le temps qui s’écoule comme l’eau des rivières sur ces rives endormies. Les hommes, les bêtes et la terre serrés – ensemble – si indissociables dans l’infortune grandissante du monde. Et cette présence parmi eux – parmi nous – comme une main secourable et bienfaitrice tendue vers la tristesse – et toutes les existences tremblantes et apeurées…

 

 

Quelque chose se penche – et résiste à la multitude, aux haleines désespérées et au froid qui se glisse entre les murs. Quelque chose s’approche – et circule – qui a la valeur de l’intime et la voix plus chaude que celle de nos invectives. Quelque chose tremble – et s’agite – face aux déconvenues.

Et au cœur de notre vie – un monde – un regard sans doute – finit toujours par s’accrocher à nos grands yeux tristes – la vision d’une autre terre – d’un Dieu – à l’innocence éprouvée – un monstre terrifiant et pacifique venu, peut-être, engloutir nos rêves…

 

 

Nous avons l’impudence de ronronner dans le silence – offerts tout entiers au sommeil et à l’abondance. Fidèles aux murs, à la lune et aux étoiles – à cette tradition millénaire du rêve alors que le jour tend, depuis toujours, la main à notre tristesse…

 

 

Et, soudain, cette envie d’hiver sous la cendre comme la promesse d’un silence – d’une enfance – d’un peu de neige sur les restes de ce feu qui a tout consumé – le monde – la vie – et jusqu’à notre présence, si incertaine, parmi les vivants – parmi les morts et ceux qui espèrent encore…

 

 

Des guerres et des orages traversés, nous ne revenons jamais indemnes. Mille jours et toute l’histoire du monde dans un poème. Et plus loin – et partout – jusqu’entre nos lignes peut-être – le sang et le silence retrouvé. Ce goût de vivre – et cette joie – au milieu de l’ombre et de la chair…

 

 

Debout – près de la source – parmi ces rêves – à regarder l’eau des rivières et la boue des flaques converger vers le même avenir…

 

 

Quelque part, en nous, résonnent ces jours de fête d’autrefois où les voix et le silence régnaient en maîtres sur les figures. Où les bruits et les pages soulignaient la même énigme. Où la mémoire était l’enfance du feu – les prémices de l’élan nécessaire pour vaincre le doute et la peur. L’arrière-pays du plus simple caché au fond de nos visages épouvantés…

 

 

Mort – et ces ruines abandonnées au fond de la chambre. Délaissées sur le froid des pierres noires – polies par la pluie et le temps. Et, en nous, sur un seuil mille fois franchi, la couronne de l’Amour – la couronne de l’innocence – enchevêtrée au plus clair silence. Le goût de l’Autre peut-être – porté par une main levée au milieu de notre chant – et ce qu’il faut d’astreinte et de désir pour voir l’obscurité disparaître…

 

 

Terres noires dans ces restes de lumière. Et l’ébauche d’un trait – d’une parole peut-être – pour revendiquer l’Amour et la justesse des larmes dans ce monde si hivernal où les têtes s’affaissent dans la poussière et la boue au lieu de se redresser vers le seul pays natal

 

 

Brûlant seuls – toujours – au milieu de l’effroi – parmi ces chants inaudibles – immortels – que seules les âmes innocentes peuvent libérer. Libres sur ces sentiers délaissés. Silencieux au milieu des visages effrayés par tant d’exil – le poème et le poète anonymes…

 

 

Une berge, des fantômes, quelques pas. Et ces chemins méprisés par les foules en quête d’un autre jour – d’un peu de lumière dans l’abîme. Le visage de l’absence. Nous-mêmes, peut-être, depuis toujours…

 

*

 

Ce que la vie et le monde – à travers les circonstances, les rencontres et les visages – nous font (vainement) gagner en connivences fragiles et en fausses certitudes, nous le perdons – presque aussitôt – en solitude et en sensibilité. Comme si le sentiment de confort et de sécurité (illusoire, bien sûr) entamait systématiquement notre capacité à vivre en conscience vivante – ouverte sur l’incertain – et réceptive au merveilleux et à l’atrocité de ce qui s’avance vers nous…

 

*

 

Vers quelles terres s’enfuient les conquêtes du jour ? Serait-ce dans l’imaginaire et la folie que s’éloigne ce qui se tient, tremblant, entre nos mains ?

 

 

Le monde, la folie et le poème. Tout végète – et se meurt – sous l’égide des maîtres. Mieux vaut le cri et la révolte – et plus encore le silence – que la soumission et les ruines des siècles…

 

 

Des larmes encore sur les bûchers fumants. Et ce rire comme une halte à peine visible entre la souffrance et la mort. Une joie dans les restes de ce qui respire…

 

 

Quelques masques – un peu de nuit – sur le visage – et sur beaucoup d’autres serrés dans le retrait – le long des routes. Seuls avec leurs mensonges. Le froid recroquevillé au fond de la gorge – sous les aisselles. Le prix de la fatigue. Le désir d’un autre jour – et l’espérance d’une autre couleur. Et la vérité enfermée au milieu des têtes – au milieu des rêves – portée comme une chimère…

 

 

Un langage nouveau comme une terre à déchiffrer – offre aux yeux des visages inconnus – des paysages insoupçonnés – le poids d’une autre mesure – et la perspective des Dieux éclairée peut-être…

 

 

Le sol, les danses et la mort. Et cette grimace – comme un sourire – comme une trace, à peine visible, au fond de l’humilité. La présence des Dieux sur la blancheur et la nuit éventrée. Quelque chose à la saveur incertaine – au visage méconnu – au-dedans de ce qui est né – au-dedans de ce qui gesticule sur la terre et agonise sur les chemins – et que jamais le hasard ne pourra délivrer…

 

 

Un monde de roche, de vigueur et de lacune où le combat et l’ignorance sont devenus les aires du sacrifice. Avec le chant et le sang qui montent du ventre du monde à travers mille siècles sans surprise. La mission première, sans doute, de la terre féconde. L’honneur et l’absence de l’homme. Et l’âme de l’ombre – promise au jour – qui s’enfonce lentement dans les ténèbres…

 

 

Quel sera le cri – la parole peut-être – de ce jour nouveau au souffle si ardent ? Et que nous dira-t-il du naufrage et des survivants – et de cette vie morte avec la fin du temps ?

 

 

Trébuchements et déroutes sous l’attention d’un seul regard. Le rouge et le noir – l’âme et le sang – écoutés d’une même oreille pour immobiliser le voyage – défaire le secret qui se tient dans les veines – et révéler la réponse à tous les mystères…

 

 

Une saison – un parfum – une couleur – lissés à l’automne sur la même feuille. Puis, la descente progressive vers le sol. Et l’hiver bientôt – magnifié par la neige. La peau neuve d’un temps fatigué.

Effacé(s) par le mystère – emporté(s) par l’innocence nouvelle. Et la guérison de l’âme avec le froid survenu dans cet immense désert…

 

 

Extases et fureurs sous la même lumière. Esclaves d’un bonheur né de victoires passagères. Choses vues et entendues – à peine comprises sans doute. Danses rayonnantes – et bientôt épuisées – au milieu des pierres et des visages où se mêlent la mort et ce reste de superbe porté par nos yeux si flamboyants au cœur de la misère…

 

 

Soupirs immortels au milieu de l’Amour. Règne de l’attention et du partage dans cette ivresse à ne rien dire – à laisser les âmes s’épuiser – et se guérir – dans la proximité de quelques poèmes lancés comme des mains dans la nuit – comme un secours dans la détresse – le seul recours, peut-être, pour l’esprit des hommes endormis…

 

 

Un destin vertigineux – des mains tristes – et, au fond de l’âme, ce soleil exsangue – moribond – exténué par trop d’assauts et de sang versé…

Un néant – et quelques doutes aussi noirs que les règnes d’antan – que le sacre des siècles barbares. La misère du regard si familier des discordances – et de cette différence affichée comme un étendard. L’infime à bout de souffle devant l’absurde envergure du monde – face à la souveraineté de la déraison – presque joyeux – et agenouillé – en ce lieu où semble renaître la possibilité de l’Absolu…

 

 

La nudité du regard et du silence – la nudité des visages et des yeux plongés au-dedans du monde. L’approfondissement d’un secret au milieu des fronts trop douloureux pour révéler ce que l’âme dissimule depuis la nuit des temps…

La blancheur des lignes, le mouvement des astres et l’éphémère des corps – puisés dans l’infini…

 

 

Un pilier – mille piliers – un palier – mille paliers – pour l’homme indécent dénué d’esprit et de grâce qui s’échine à toutes les ascensions – si peu soucieux de la découverte de l’âme dans le monde – et du monde dans l’âme – et si insensible à cette beauté obstinée qui se cache derrière le désespoir de chaque visage – et l’ampleur de notre fascination pour le jour suivant…

 

 

Une déchirure, un poème. Et mille jours de silence pour effacer la douleur – les traumatismes d’une vie insecourable…

 

 

L’oubli, la mort et le froid. Et tant d’années passées à s’éloigner de l’inexorable…

 

 

Lointain le vertige d’autrefois où la complainte et la complaisance s’exerçaient sans risque – dans la certitude d’un avenir – la promesse d’une caresse…

A présent, la voix est muette – et la main sincère dans son geste – juste pour tout dire – dans la proximité d’une nuit et d’une terreur qui n’effrayent plus…

 

 

On survit simplement – au ras des jours – au ras des choses – terrés comme des bêtes dans le noir et l’incertitude – souriant bêtement devant des visages sans importance. Heureux des rêves inventés par le monde pour nous soumettre à l’épreuve – avec pourtant, au fond de l’âme, l’espérance d’une défaite. Adulte, en somme – si atrocement adulte et résigné – dans cette intimité de la misère…

 

 

Parmi nous, la mort ressuscitée à chaque instant du jour dans le corps et dans l’âme – et sur le visage de tous les survivants en sursis…

 

 

Une lampe gît quelque part en nous – éclaire un peu cet archipel où sont entassés les vivants. L’homme, les plaines et les montagnes. Et quelques bêtes et plantes en partage – sacrifiées. Avec autour des spectacles – des spectacles permanents – l’eau, le vent et l’incertitude. Et au cœur de la terre, la clé de tous les voyages – et celle de tous les séjours sédentaires – pour apprivoiser la douleur et les visages – la solitude, la promiscuité et la mort…

 

 

Le commerce des vivants – un péril pour le monde – un peu de gloire pour les hommes (quelques hommes) – et la grande misère pour tous les autres…

 

 

Un vide si radical au milieu de l’inhospitalité. L’écoulement fade – morose – des jours qui s’enchaînent sans fin. Le défaut du regard posé sur le plus simple des choses – le plus simple du monde. Puis, un jour, la solitude qui détrône l’orgueil des poses. La vérité qui brûle le simulacre. Et le silence qui emplit la part manquante – cet abîme et ce doute où nous nous tenions atterrés…

 

 

Paroles chantantes – bruissantes d’un autre jour – pénétrantes peut-être – dans le vide et le silence. Avec l’étrangeté de ce langage né d’un ailleurs rehaussé en soi – et célébré comme le seul ciel – le seul horizon possible dans la décadence des siècles…

 

 

Oiseaux d’une aube ensemencée par le jour et nos mains laborieuses. Graines lancées dans le tintamarre des plaintes et les voix fortes – immatérielles – des vents. Et en suspens, notre âme – entre l’Amour – cet Amour tant espéré – et le monde – ce monde de mirages et de convoitises. Rassemblant l’œil et la course – la furie et les délices – l’immobilité et la danse – la sauvagerie des gestes et l’infini. Mariages – fusions – et réunifications des contraires. Effacement des effusions et des arrogances pour une humilité portée (vaillamment) par le silence – et la certitude du jour au milieu de la nuit et des errances…

 

 

La continuité d’un destin et des malheurs affranchis de l’espérance. La vie d’un homme et cet écoulement inexorable vers le plus simple. L’épopée d’un monde – de mille mondes – d’un visage – de mille visages – voués à la lumière et à la perte. Au franchissement du plus haut seuil : l’effacement.

L’aurore d’une parole dont le silence est aussi essentiel que l’écoute et les gestes – et les vocations peut-être – qu’elle fait naître…

 

*

 

Le regard de l’Autre* invite presque systématiquement au masque – masque qui offre, le plus souvent, un aspect lisse, agréable et harmonieux – attractif pour tout dire – comme un air de bonheur tranquille qui donne le sentiment d’une existence sereine et sage – imperturbable. Bref l’image d’une présence au monde épanouie et équilibrée – enviable et exemplaire – parfaite en quelque sorte…

* sa présence ou sa fréquentation…

Mais comme l’on se fourvoie, bien sûr, devant ce voile trompeur. Sous l’apparence et le vernis, on trouve partout la même figure – celle de l’homme assoupi, empli de rêves et de désirs – dévasté par l’ignorance, la solitude et la frustration – englué dans la paresse et la couardise – perdu et malheureux – seul et misérable en somme…

 

 

Le monde s’empare de ce dont il a besoin. Et il se sert ainsi chez chacun. Quant au reste, il nous laisse nous débattre avec ce qui, en général, nous échappe. Et nous travaillons ainsi sans répit, notre vie durant, à prendre et à donner mille choses qui n’appartiennent à personne

 

*

 

La poésie est un état d’ouverture et de rencontre avec le silence et l’incertain – avec le plus vil et le plus merveilleux que nous portons comme le monde – comme chacun…

 

*

 

Rien de nouveau. Le vent, la pluie, le soleil. Le froid et la solitude des âmes. Et ces visages – entre chair et cœur – enfoncés dans la nuit. Le temps qui s’écoule comme l’eau des rivières sur ces rives endormies. Les hommes, les bêtes et la terre serrés – ensemble – si indissociables dans l’infortune grandissante du monde. Et cette présence parmi eux – parmi nous – comme une main secourable et bienfaitrice tendue vers la tristesse – et toutes les existences tremblantes et apeurées…

 

 

Rien qu’un cœur – une âme peut-être – pour échapper aux bruits et à la brume du monde. A ce vacarme – à cette pagaille – comme quelques flammes – un feu allumé – à la périphérie de cet immense cercle de glace…

 

 

Un grain dans l’espace. Et quelques paroles brûlantes – rouges – incandescentes – au milieu du silence. Lancées sur les terrasses du monde – dévasté par l’ambition et la gloire de quelques fronts – insensibles à la folle ressemblance des âmes…

 

 

Le langage comme le jour d’après le jour. Un silence à même l’écho d’une parole. Nuit et feuillage au milieu des dissemblances. Pages et édifices bâtis sur les paumes de la désespérance. Un peu de vent pour faire éclore les graines depuis trop longtemps abandonnées au fond des esprits paralysés par la peur et la paresse…

 

 

Feu défait – serrures déverrouillées. Injustice et temps enjambés d’un seul saut. Intérêts nuls. Comme une perte infime – négligeable – dans l’immensité des siècles – d’une seule époque peut-être. Ciel et oiseaux de passage. Foulées lentes entre quelques arbres millénaires. Mille bouches, mille bêtes, mille glaives. Et l’innocence toujours invaincue…

 

 

Debout – haut dans la douleur – ce regard où convergent le langage et l’infini – le poète, les bêtes et les hommes. Le soleil et l’abandon. Toutes les respirations du monde…

 

 

Au fond du jour – distrait par la mort des choses et la fuite du temps – cette fragilité qui émerge à l’issue de tous les combats – ce visage si beau sur la peau des vivants à l’âme féroce – reclus dans leur désenchantement. Le goût d’une ère nouvelle dans le voisinage des pierres, des rires et des étoiles après tant d’années à livrer le pire aux anonymes – la bouche tordue – et l’esprit si vague – comme endormi…

Loin, à présent, de ces traditions pesantes – rigides – si promptes à égorger au nom d’un Dieu – d’une vérité mensongère. Et, entre nous, ce visage apaisé – comme le signe d’un rêve ancien accompli – la mission de l’homme peut-être…

 

 

Des batailles, des tombes. Quelques fleurs – et quelques larmes – pour honorer les morts. La jeunesse d’une nuit galvanisée par la promesse d’un honneur et la récolte d’un gain – d’une trêve, peut-être, dans cette lutte sans fin…

 

 

Les choses – comme les visages – voyagent. Dérivent de port en port. Se perdent – découvrent des îles – découvrent des cages – et finissent par s’égarer dans leur quête de plus paisibles rivages…

 

 

La joie et la tristesse invitent à la même racine ; celle d’une douceur à découvrir – d’un silence entre l’ombre et le souffle – l’envergure d’une dynastie sans roi ni bataille – sans refus ni rejet – dont nous sommes (tous), bien sûr, les sujets pacifiques et sans arme…

 

 

Au plus près de la mort – cette perte – cette évasion – qui offre aux limites et aux frontières une autre couleur – et aux adieux un autre nom. Au bord d’une espérance que jamais les larmes ne pourront ternir. Le parfum d’un autre désert – moins sauvage – et plus printanier sans doute – avec des jardins comme des murmures pour dire aux hommes les merveilles du monde, de l’inintelligible et du langage. La vie et les vivants célébrés comme le signe – la trace et la promesse – d’un seul Amour – à partager avec l’innocence et ce qu’il nous reste d’ardeur…

 

 

Terre, visages, enfance – recueillis par les lèvres d’un Amour plus grand. Le monde morcelé au creux de la main. L’esquisse d’un sourire. Et à la fenêtre, la lumière feutrée – discrète – du jour – la naissance d’une aube plus innocente…

 

 

Précieux l’intervalle, au quotidien, entre le regard et le souffle des nécessités. Entre le silence et l’élan. La source de chaque geste – de chaque pas – sur les chemins et le petit carré blanc de la page…

 

 

Le chant imparfait des départs – et des retours – inapte à égayer ce qui vit – ce qui survit sans doute à peine – à l’absence – au fond de l’âme…

 

 

Herbe, sang, pensées. Et ce grand suaire étendu sur les corps et les âmes dans ce monde de roulis et de chaos – enfantés par les caprices d’une terre élémentaire – trop primitive sans doute – et le désir un peu hasardeux – et trop mécanique peut-être – d’un ciel cherchant partout un appui à ses dérives…

Sable, feu et monde chevauchés par le vent sauvage – né du souffle prodigieux des origines. Et ces visages tournés vers l’innocence – brûlés avant l’heure de la reconnaissance. Sacrifiés, en somme, par cette tradition humaine ancestrale ; la promesse faite aux vivants d’un autre lieu accessible seulement après la mort – ou à la fin des temps…

 

 

L’usage des heures à d’autres fins que celles de la guerre et de la mort – à d’autres fins que celles de l’assouvissement des désirs et de la faim.

Un vide, un silence, un pas, une page – chaque jour – pour vivre loin des hommes – loin des siècles et de l’époque – auprès des vents et de l’enfance qui dénigre toujours les masques et les postures – et au plus près de la joie et de la vérité affranchies des Dieux et des dogmes – dans le plus simple et le plus humble qui nous est proposé – dans les prémices d’un effacement, sans doute, inexorable…

 

 

Un chant suave – secourable – s’élève au milieu des peurs, des frontières et des barbelés – traverse cette nuit si pleine de lunes et d’étoiles – grandit sous la pression des rêves et du sang dans les veines – s’écarte des barricades et des ornières – s’étale plus loin encore jusqu’au dernier horizon. Arrive enfin au cœur de l’inattendu pour percer la trop grande certitude des hommes…

 

 

Murs, fenêtres. Et cette chambre où convergent tous les malheurs – et tous les remous du monde. Seuils, frontières et escarcelle où s’invitent tous les désirs – et la plume (ambitieuse) qui rêve de poser le ciel au milieu de ses pages – et au milieu des feux allumés par les hommes…

 

 

Parmi ces pierres étranges – silencieuses – mille dormeurs perdus dans la contemplation des rêves. Une main dans l’herbe et le sang – et l’autre (alternativement) sous la tête et sur les yeux. Pinces, tenailles et poignards rangés dans leur fourreau – prêts à l’usage et aux rencontres futures…

 

 

Cages posées entre l’homme et ce que fut l’enfance. Grilles et fenêtres peintes (et mille fois repeintes) aux couleurs et au parfum – d’un ailleurs – d’une cime rêvée – et introuvable bien sûr. Murs et horizons confondus pour le plus grand malheur de ceux qui y vivent – enfermés. La fumée d’un mythe – d’une légende – vissé(e) au milieu du front. Et la mort, bientôt, aussi inapte que la vie à offrir l’élan – et le pas – nécessaires pour s’affranchir des lieux et du mensonge…

 

 

La nuit – partout – sur ces cendres encore fumantes. Et quelques fleurs – chichement dénichées au hasard des chemins – au hasard des rencontres. Mains, âme et visages griffés. Destins gris et blessés aux rêves poussifs – au souffle trop rare pour résister aux invectives de la paresse et de l’inertie – et trop faible pour sauter par-dessus la nuit, les cendres et les fleurs…

 

 

Un voyage – mille voyages – au cœur d’une étroite cellule. Des pas qui tournent en rond. Et des ongles sales – noirs – à vif – esquintés – qui creusent et griffent la poussière et les visages pour trouver une improbable issue…

 

 

Une parole inépuisable qui s’ébroue – et s’échoue dans l’indifférence – en livrant au monde – aux hommes – les contours – et la substance peut-être – du silence – le message, si souvent inaudible et incompris, des Dieux, des bêtes, des arbres et des pierres – de tous ceux que l’on condamne (faute de sensibilité et d’intelligence) au mutisme – à l’exil du langage…

 

 

Nous cessons de voir, de peser, d’incriminer pour comprendre – pour être – et offrir l’Amour à ce qui semble impardonnable…

 

 

On invente une neige – un autrefois – un avenir plus salutaire – un poème – tout un monde peut-être – pour défier le temps et raffermir nos mains accrochées à la moindre espérance – pour trouver la force de croire encore à la venue d’une aube incertaine – à la présence d’un regard moins lointain – comme une fenêtre au milieu du sang et des habitudes qui ouvrirait un lieu dans notre enclos pour donner plus belle allure – et une envergure suffisante – à notre attente…

 

 

Quelques mots – un peu d’air – pour rendre plus respirables les saisons – et plus dignes peut-être – plus aimables sûrement – les visages – tous les visages – qui se tiennent devant nous…

 

 

Nous consentons aux bruits et à la furie des vagues qui bercent toutes les enfances. Nous crions au milieu des arbres devant le silence des morts. Nous avançons, tête lasse, dans le pressentiment de notre chute – incapables encore d’aimer et de regarder le monde dans les yeux – la bouche peut-être trop fière – et trop muette – pour goûter le plus humble de la solitude et le plus sombre de la vérité…

A la lisière de la mort et de ce qui demeure après elle. Aux frontières de l’éternité, nous vivons au cœur de cet espace abandonné…

 

 

Encore un matin de cri et de sursaut. Encore un jour sans étonnement. Un lieu d’habitude et de pensée. Entre le souvenir et les heures prochaines. Et le labeur de l’encre révoltée – jetée sur les pages comme une manière de faire avancer le langage, à défaut des pas, vers la vérité – et faire naître dans la parole une liberté qui se refuse à nos gestes…

 

 

Une terre lourde – et des yeux noirs – complices des jeux, des interdits et des guerres accomplies pour résister au réel et donner plus d’ampleur à nos rêves un peu fous…

 

 

Sur un coin de crête, l’attente (encore trop impatiente) des hommes – de la montée longue et difficile des âmes jusqu’à cet abri si précaire où l’innocence est la seule exigence – la seule loi…

 

 

Nous contemplons la terre – les rues étroites et les visages hagards – les errances – les dérives – les passants – les voyages furtifs – la plèbe et les montagnes – et cet Amour caché au fond de chaque heure qui, comme nous, constate partout son absence…

 

 

Une grandeur à peine. Des ailes dans la véhémence des vents sans trêve. Des yeux, des âmes, une trajectoire. Et le parcours des jours. Un petit rien qui se dresse – et s’élève – au-dedans de ce que nous avons cru perdu – inutile. Un regard peut-être sur ce qui se défait – sur la chute et la persistance des miracles. Une joie simple dans le sillon quotidien. L’effacement des repères et des visages. Le goût – et le parfum peut-être – du ciel descendu – enfin accessible. L’humilité de n’être plus personne…

 

 

Nous livrons un passage à ceux qui s’étonnent encore…

Des lignes – des livres – un murmure – un balbutiement peut-être – pour dire ce qui nous habite – ce qui nous hante – et cette joie toujours – insaisissable – qui nous effleure…

 

 

Partout – la pesanteur et le sens du mystère – le sentiment secret de l’appartenance. L’inconnu et l’hébétude. La tristesse, l’ignorance et la plénitude (parfois). La fougue, l’impatience et les briques qui s’empilent. Le rêve – l’éternité. La peur et l’effritement des édifices. Les échanges, les jours – le temps qui s’étire – qui se rétracte – et la chute. Les danses – la défaite permanente des élans et des tentatives. Le regard prodigieux vers lequel tout converge – les échanges et les rencontres – toutes les attentes. L’infinie possibilité des combinaisons – le silence. Et l’immobilité toujours souveraine…

 

 

Donner aux fronts anonymes – et aux âmes recluses dans leur chambre – la flamme féconde et le regard nécessaire à tous les souffles…

 

 

Les naissances, l’agonie et la mort. Toute la continuité du monde…

 

 

Cœur nomade enclavé entre le souffle et l’inertie – entre la violence et le désir d’aimer. La misère et le cri étouffé au fond de la gorge – et cette ardeur à vivre soumise à la mémoire qui – comme une gueule – comme une main – avale, frappe et caresse tous les visages du monde…

 

 

Poète d’un autre jour – d’un autre chant – d’une autre terre où la faim a été rompue – vivant à l’envers des hommes – à contre-courant des rêves et des désirs communs. Seul, en somme, au milieu de toutes les solitudes – avec le silence et la nuit posés discrètement sur un coin de la table…

 

 

Chiens, abîmes, ascendance imparfaite – disgracieuse. Incidents de parcours. Et le souvenir des temps anciens où nous rêvions de faire table rase du monde – un pied dans la révolte, l’autre dans la nonchalance. Jeune, fécond, fébrile. Affamé bien davantage que chercheur d’or. Depuis toujours au bord d’un automne qui précisera, plus tard, l’itinéraire – la suite des pas – le périple à travers les peurs – à travers la terre. Le déclin (progressif) du mépris et de l’angoisse jusqu’à la découverte de cette chose en soi – cette présence rigoureuse et exigeante qui invita, un jour, les foulées à se perdre – et les yeux à regarder l’autre versant de l’inquiétude : la joie et l’Amour inscrits en lettres d’or au cœur du silence – et à aimer cette solitude comme le seuil de tous les passages pour que cessent enfin la fouille et le voyage…

 

 

Nous nous hâtions autrefois – de désirs en astres retrouvés – dans l’ombre si noire des bonheurs nocturnes. Anxieux des regards – des yeux alentour – oubliant l’Amour pour nous attarder (plus que de raison) dans des ports lugubres et passagers – effleurant les secrets d’une résurgence possible – mais bien trop prématurée, sans doute, pour notre cœur d’alors – si vacillant – si docile et réceptif aux instincts premiers – et inguérissables – du monde…

Modeste, à présent, surnageant sans crainte à travers l’ardeur pathologique des siècles. Effacé – et effaçant tout ce que nous imaginions certain – nous-mêmes au milieu des vagues – devenues aujourd’hui le seul courant vivable – et la seule condition pour se fondre dans l’océan…

 

 

Un voyage – une courte voilure – affranchie de l’ancien temps – navigue – navigue – en se traînant parfois sur quelques vieux rêves oubliés – en s’extasiant encore des ports, des grèves et des vagues. A appris, peu à peu, à devenir la carte, la mer et la boussole – la course un peu folle de tous les voyageurs en partance vers les rives les plus proches – et plus lointaines, pourtant, que tous les bouts du monde. S’est progressivement transformée en point de passage – en contrées vers lesquelles convergent tous les rêves et tous les drames…

 

 

Une autre écume sur le cœur battant. Un autre jour pour éclairer la solitude – et sa nécessité. Et le refus des âmes trop penchées sur les rêves et leurs eaux dormantes…

 

 

L’hiver remplace l’étoile. Et le bruit du vent dans les feuillages, les visages. Avec l’univers entier dans le brin d’herbe contre lequel s’est appuyée notre joue. Tout un monde de bêtes, de bruits et de fantômes…

Et le silence comme une délivrance. Et la mort comme une merveille. Le feu au détriment des passions tristes. L’instant et le renouveau qui remplacent le temps. Et la pluie – comme les larmes – qui révèlent la beauté du monde et du regard. L’immobilité qui redresse l’innocence abandonnée depuis des siècles pour contempler, sans exigence, tous les pas vagabonds – les traces éphémères dessinées sur le sable qu’effacera chaque nouvelle marée – chaque nouvelle respiration…

 

 

Un souffle, un fossé, des cendres. A hauteur de nuit. Et dans la brume et le crépitement de quelques songes, une main – et une parole – discrètes qui portent le monde et le langage aux lisières du silence…

 

 

Une chute. Un temps-catastrophe où tout s’opère et s’engage sans notre volonté. Et parmi les menaces, le défi d’un équilibre à trouver. L’alternance de la vie et du poème – puis leur timide communion dans la fraîcheur d’un retrait – d’un effacement…

 

 

Le monde – et le poids des cendres dans le souvenir. Et les pas, à présent, si lourds – si pesants devant la nuit qui, comme un vitrail, s’est invitée dans nos cathédrales – offrant son ombre aux silhouettes à genoux qui prient sur les parvis…

 

 

Une main froide – et généreuse pourtant – s’élève au-dessus du monde pour désigner le ciel d’un geste – et d’un silence – qui semblent trop lugubres (bien trop lugubres) pour les foules – incapables d’en saisir le message, la valeur et le merveilleux…

 

 

Nous dirons aux enfants de l’indigence que les routes et les âmes étaient trop sombres – les pas trop timides – et le soleil inflexible. Nous leur dirons la vanité des tambours et des cercles de feu. L’absurdité de l’encens et des prières lancées vers les Dieux. Nous leur dirons la peur et la paresse des peuples. Et tous les yeux tendus vers les chimères et les étoiles. Nous leur dirons le temps et notre joie à vivre malgré la mort et la terreur. Nous leur dirons notre courage et notre incompréhension – notre folie et nos erreurs. Nous leur dirons notre désir d’être quelqu’un – et notre ambition de bâtir sur les sables de la terre. Et nous leur dirons enfin l’évidence de n’être personne – d’être passé en coup de vent – et d’avoir vécu pour presque rien

 

 

Nous avons inventé la soif, les tremblements et la parole pour avoir l’air davantage que ce que nous sommes. Un tumulte né de la source. Une onde accrochée au gain et au grain. Un espoir – une esquisse à peine – de présence au milieu de la solitude et du monde…

 

 

Quelque chose glisse en nous – chute – comme le plus essentiel – au fond de ce qui demeure. Un temps, un chant, un songe – quelques pas tremblants. Le rêve, sans doute, de tout voyageur…

 

 

Une vision – un semblant de vie. Des orages – un éclair – et la lumière plus loin. Une enfance peut-être mêlée à la crainte de vivre. Des heures, des jours – quelques siècles à patienter – à dériver au milieu de n’importe quoi – dans le vent – vers la source de tout désir. Et le brouillard et l’absence partout – le rire un peu rêche des lèvres – et leurs grimaces – qui donnent aux hommes et aux âmes cette laideur si atroce…

 

 

Des foulées, des chemins – et mille boues supplémentaires pour dissiper le jour – et entamer la confiance. Une crainte à la mesure des destins. Ni début, ni fin. L’enclave et l’impasse – et le déclin de tout voyage. La marche qui dure – et ne finira jamais. Comme une existence – mille existences – vécues – envolées – disparues – anéanties – condamnées à errer autour du même centre aux lisières du premier mystère…

 

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