Carnet n°170 Sur le plus lointain versant du monde
Regard* / 2018 / L'intégration à la présence
* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…
Passagers – comme le monde – comme le temps. Prêts davantage à refuser qu’à consentir…
Accueillir sans jamais retenir. Être plutôt que devenir. Laisser la main vide et le geste se désapproprier. Rêver moins et vivre davantage. Aimer ce qui file entre les doigts – autant que la solitude et nos muselières. Être celui que rien ne retient…
Séparations, élans, fenêtres – ce qui fonde, peut-être, la tragédie humaine – et nous offre – simultanément – la possibilité de nous affranchir de la condition terrestre et de l’apparente existence du temps…
Il y a ce souffle – et sur ce souffle, un bâillon. Et en amont – et au-delà – le silence. Et ce qu’il nous faut de liberté, bien sûr, pour faire de notre respiration une passerelle – la jointure, en quelque sorte – entre le voyage, l’origine et la destination – le champ commun nécessaire pour vivre, à chaque instant, dans cette unité sans mémoire, sans élan, sans finalité…
Il y a ce qui est là – toujours précédant. Et ce qui demeure au-delà de ce qui s’en va. Le même espace, en somme – unique – tantôt vide, tantôt peuplé de choses et de visages – dont il faut s’affranchir pour goûter l’innocence originelle ; l’être, l’Amour et le silence – et faire éclore (en soi) la sagesse indispensable pour vivre – avec le cœur plus serein – au milieu de l’illusion…
Partout – le même sable et les mêmes grimaces. Sur toutes les routes du monde – la même allure et mille rythmes différents. Mille choses, en somme, qui portent tantôt au découragement et à la désespérance, tantôt à l’émerveillement – et qui constituent, peut-être, notre seul trésor pour débuter la marche – apprendre à inscrire nos pas dans une perspective plus innocente – et ouvrir notre existence à une envergure plus large que celle que nous proposent ordinairement les hommes…
Il nous faut plus que survivre pour contenter l’âme…
Un peu de ciel dans notre quête pour donner aux foulées l’allant nécessaire auxretrouvailles. Et un souffle porteur d’infini et d’éternel pour être capable de vivre – le cœur plus libre – le cœur plus joyeux – le cœur plus serein – au milieu de la multitude et de la finitude qui composent (et façonnent) le monde…
Solitude poussée jusqu’au soleil. L’âme émue et le corps sollicité par mille défis – par mille contingences – par mille sortilèges…
L’esprit sorti du rêve – libéré (presque entièrement) de l’illusion…
La tête posée entre le ciel et la page – penchée sur la parole qui pourrait, un jour (sait-on jamais...), aider à tarir toutes les fictions – et toutes les larmes – du monde…
Trouble encore – le visage penché et souillé de rêves et de crachats – comme si vivre consistait à se balancer sur une corde au-dessus de l’abîme – à quelques centimètres à peine au-dessus du monde – entre les vents, les visages et les mensonges…
Rien ne brille au fond des yeux sinon cette tristesse et cette envie – ce que l’âme seule ne parviendra, sans doute jamais, à dissoudre…
Des fenêtres proches du ciel et des pierres – à égale distance, sans doute, entre la nuit – alentour – et la paresse – au-dedans…
Fixer l’homme et le monde d’un seul trait. Et dessiner – en esquisses légères – le franchissement du gué…
Abandonner derrière soi l’espoir et la foi – cette confiance que nous accordions au grouillement de la multitude, à ses balbutiements maladroits et à ses linéaments de routes et d’édifices bâtis pour découvrir la vérité…
Amputer les bruits – plonger au cœur des destins – et assouplir l’âme pour effacer ces restes de tristesse – le supplice récurrent des jours…
Devenir ce portrait où la vie, le monde et le silence pourraient (enfin) ôter leurs masques – et se rejoindre en un seul visage – celui du rire et de la sagesse – si nécessaire(s) pour vivre au milieu de l’hébétude et de l’ignorance – au milieu de l’effervescence et de l’illusion…
Vertige d’aujourd’hui sur les fêlures d’autrefois. Encre sur la page – page sur la table – et table posée à même la terre – en ce lieu où le monde ressemble à une forêt originelle – à un jardin immense ouvert sur le ciel premier – l’infini primordial – libre (depuis toujours) des masques et des mensonges…
Orages et sang en ces contrées où les visages exploitent la terre et mille autres visages pour se donner l’illusion d’être davantage que des bouts de chair impuissants et malmenés – relégués à la boue, à la plainte et à la mort. Des faces boursouflées par l’ambition et le désir de puissance qui tentent (maladroitement) de constituer un trésor – profondément funeste et tragique…
L’indigence affamée, en quelque sorte – engendrée par le manque (le sentiment du manque) – qui génère toujours plus de malheurs et de désolation…
A tous les départs, le partage des eaux – le limon amoncelé sur les rives – l’embarcation préparée – en partance. Les cris et l’excitation. Et la faim – magistrale – impérieuse – d’un ailleurs – d’un autrement – et, parfois, celle d’un autrefois où les voyages confinaient – l’avons-nous oublié ? – à la plus féconde immobilité…
Oubliés – aux premiers instants de la marche – cette stupeur et cet émerveillement devant tout ce qui nous semblait si neuf – si nouveau – presque féerique ; cette abondance et ces possibilités infinies de vivre tout – et partout à la fois…
L’œil innocent, en somme – cette enfance sans mémoire…
Le long des rives – ce grand soleil – et ces fenêtres qui ouvrent les yeux et font courir la main sur la page. Comme une marche – presque immobile – entre les rêves et cette aurore espérée…
A quel voyage sommes-nous destinés – nous qui n’avons le choix ni des lieux, ni des embarcations, ni des bagages…
Infimes l’œil, la peau et le labeur – autant que semblent infinis le regard, l’œuvre et l’envergure…
Bousculer et interrompre le monde – d’une parole – d’un seul trait esquissé sur la page – pour dire aux hommes de regarder et de s’interroger en se laissant guider et éblouir par ce qui viendra les effleurer…
Se libérer du monde – se croire libéré du monde – pour plonger les pieds joints dans un autre rêve – dans un autre mythe…
Captifs – toujours – de la même illusion…
Ni Amour, ni vérité. Ni même l’idée – et moins encore la croyance – d’un Dieu. Quelque chose sans état – quelque chose sans certitude – au-delà des états et de la certitude. Une question – une fleur – un coin de ciel peut-être – ou plutôt un regard – une présence – un silence vivant – sur mille questions – sur mille fleurs et mille coins de ciel – à notre portée. Ce que nul ne peut ni résoudre, ni habiter sans avoir plongé dans sa captivité et s’être suffisamment effacé… L’en deçà et l’au-delà des yeux de l’homme après que l’identité ait vacillé…
Au-delà des exigences de simplicité et de frugalité joyeuse. Au-delà de tout désir et de toute requête. Ce que nous offrent naturellement les circonstances. Ce qui se présente à nous spontanément…
Accueillir – simplement – ce qui est là – en soi – devant soi – si provisoirement…
Muselé(s) par le mystère, la question et la mémoire – autant que par l’incapacité (physique et psychique) à s’extraire de sa détention. Livré(s), en quelque sorte, à mille captivités qui restreignent l’existence – et confinent notre envergure à une foulée modestement humaine…
Nous avalons chimères et cendres jusqu’à en mourir parfois. Ventres gorgés de désirs qui avancent leurs mains vers tous les fantômes du monde – sans jamais entrevoir l’illusion qui les maintient prisonniers…
Passagers – comme le monde – comme le temps. Prêts davantage à refuser qu’à consentir…
Accueillir sans jamais retenir. Être plutôt que devenir. Laisser la main vide et le geste se désapproprier. Rêver moins et vivre davantage. Aimer ce qui file entre les doigts – autant que la solitude et nos muselières. Être celui que rien ne retient…
Très tôt – dans le passage – livré(s) à ce qui délivre de la détention – et qui dure jusqu’au ciel parfaitement ouvert…
Emporté(s) ailleurs – là où le jour se tient à toutes les lisières – celles du monde – celles de la nuit et de l’ignorance. Un pas – une aire – une origine – pour apprendre à se libérer de toutes les géographies…
Nous errons avec tant de soif au bord de toutes les rivières. Et nous nageons à même le sable comme si l’océan était lointain…
Il neige sous ces cieux trop vifs – trop brûlants. Et c’est l’âme – tout entière – portée par le vol qui brise – qui peut briser – la glace…
Le cœur posé sur la page – mille livres entre les mains – pour offrir au monde des rêves moins terrifiants – et une envergure plus fréquentable…
Tout vient du silence – passe et y replonge – sans nous déranger le moins du monde…
A vivre au milieu des mots – là où la parole n’a aucune importance…
Abris, luttes et sable. Quelque chose qui pourrait passer – à mieux y regarder – pour un étrange silence – là où demeurent, avec l’éternité, quelques traces majeures – l’empreinte des Dieux et celle, plus modeste sans doute, des hommes de bonne volonté…
Sur le plus lointain versant du monde – à vivre libre – à vivre seul – au milieu des livres…
Mille jours parallèles – la tête attentive aux lignes écrites sur la page comme aux arbres et aux bêtes qui nous entourent. A fréquenter les Dieux de la solitude – si différents de ceux qui habitent les régions surpeuplées…
A être l’égal du jour – et à rire de tous les jeux inventés pour avoir l’air moins bête et plus fréquentable…
Errances, peut-être, entre la naissance et la mort – au milieu des vents qui s’acharnent – destructeurs pour les uns, réparateurs pour les autres. Défiant le temps et la bêtise des hommes…
Au bord du silence qui jouxte la joie et l’innocence. Arrivé peut-être – qui sait ? – en ces terres si convoitées…
L’infini, bien sûr, est notre envergure (même si les destins semblent infiniment captifs et étrécis). Et malgré nos yeux et nos cages, tout jouit de cette ampleur…
Et tous ces morts – et tous ces feux – à nos fenêtres ! Comme si le monde était destiné à la brûlure et à l’effacement…
Tristesse – encore – des destins soumis à la ruine. Et le rire des Dieux devant la persistance et l’obstination des hommes…
Nous sommes ce qui demeure – ce qui persiste et s’efface. Nous sommes – au-delà de tous les contraires. Ce bleu et ces tiges nues qui se dressent sur le sol. L’eau et les destins qui s’écoulent. L’étoile lointaine – l’étoile chantante – et ces rives désolées – implorantes si souvent. Le jour et le labyrinthe. Les âmes suffoquées et suffocantes. Ce qui apparaît à la fenêtre au printemps. Ces plaines mornes – presque décourageantes – en hiver. Le fruit des saisons et du temps qui passe. La raison et la mort. Le silence et cette infernale obsession de vivre. La solitude et le regard si touchant de l’enfance sur ce qui n’a de nom. La folie et la promesse de tous les Dieux. Tout, à vrai dire – si peu de chose(s) – presque rien, en somme…
N’être personne – à peine un visage – à peine quelqu’un qui passe. Une forme d’abandon à ce qui demeure. Un sourire léger – presque imperceptible – sur les lèvres. Une silhouette furtive – discrète – anonyme – dans l’infini. Ce dont rêvent, peut-être, tous les sages…
A découvrir dans le plus tragique, notre vrai visage – celui qui se dresse face au néant de tous les mondes – souriant – pour lui-même – devant l’éternité…
A danser seul là où il n’y a que foule et ivresse…
Présence ici – là où n’existe aucun ailleurs. Et partage – partout – là où les hommes et les étoiles se laissent inspirer – et éduquer – par les fleurs…
A ce qui passe – et s’extasie des passages. Et à ce qui demeure au-delà du néant et des prières…
A vivre – peut-être – tout simplement. Et plus encore avec ce qui est – et ce qui existe en deçà des apparences. Le socle commun – la jointure de toutes les différences…
A nos fenêtres – l’ombre porteuse de lumière. Et ce qui se cache – plus discret encore – au cœur de tous les tapages. Ce presque rien – ce qui fait, peut-être, du silence l’espace du monde le plus précieux…
Tremblant encore sans le refuge de l’idéologie. A vivre dans l’ignorance après toutes ces années d’existence – après toutes ces années de quête. Être toujours le jouet de ce qui vibre – au-dehors comme au-dedans. L’aire où se heurtent – et où se rassemblent parfois – l’émotion, les désirs, les rêves et les instincts. Et le seuil, peut-être, au-delà duquel tout devient silence et incertitude – beauté et innocence – clarté, sans doute, malgré l’absence d’éclat et les captivités successives…
Ce qui se goûte, chaque jour, loin du monde – loin des allants et des convictions – loin du labeur misérable des hommes. Un feu et une tendresse où le désir n’est plus – ou ce qui se désire est déjà là – avant même le geste ou la parole nécessaire pour satisfaire l’envie ou la faim…
Condamné(s) à vivre comme l’herbe et les bêtes vouées, tôt ou tard, à être dévorées. Mort(s) depuis longtemps, en quelque sorte – bien avant d’être livré(s) aux bouches du labyrinthe…
Tout pourra venir – nous sommes déjà couchés dans le silence avec, sous notre front, tous les chants du monde…
Nu devant ce parterre de visages impassibles – devant cette foule impitoyable. Si nu que nous ressemblons aux arbres et aux bêtes qui n’existent (presque) pas aux yeux des hommes – et dont la chair ne sert qu’à assouvir la faim et les exigences du monde…
Une terre, des pas, des vents, des paroles. De maigres baisers offerts au monde, en vérité…
Le jour – moins âpre que ces graines infimes jetées par poignées entières à ceux qui sont rongés par la faim – à ceux que la faim dévore littéralement tant les désirs les emprisonnent et les privent d’innocence et de mains ouvertes…
Il y a une forme d’éblouissance au cœur de la noirceur. Et une lumière qui brûle au fond de chaque blessure. Comme une couronne par-dessus les épines – et un silence qui recouvre le temps…
Et l’infini et l’éternité à l’issue des chemins – la grande immobilité pour clore le voyage – comme l’ultime manière de mettre fin à toutes les tentatives…
Toute chose est la terre – notre âme – le chemin – la poésie de l’inclassable où tout penche vers le silence…
On n’ose ni la prouesse, ni l’excentricité avec ce trésor posé en équilibre sur l’âme (et sur les mille choses inutiles dans l’âme). On est – simplement – attentif à ce qui passe – patient dans les tourbillons et les malheurs passagers. En retrait dans les profondeurs de la solitude. Hardi et à moitié plongé dans le danger. Le regard en suspens – humble – confiant – pas si éloigné de l’autre versant de la désespérance…
Tout semble si près du cœur et de la colère. L’ivresse et le sang – les hommes et le rêve. La vie entière, en somme – et toutes les tentatives de fuite hors du monde…
Inexprimable – comme ce qui se cache sous ce long manteau de chair. Entre la pierre et l’ombre des vallées. Dans l’épaisseur d’une nuit chargée de l’odeur de la mort…
A se baigner si près de cette rive première où le soleil a corrompu l’œuvre – et l’empire – du Diable. Où l’Amour a épousé la souffrance pour inviter les hommes à transcender la prière et la mort…
Bercé(s) par le rire, les bruits du monde et les vaines paroles des hommes…
L’or et le vide soulèvent le même allant – et le même vertige de la possession – chez tous ceux qui se définissent – et construisent leur existence et leur chemin – à partir du manque…
Ni homme, ni voix. Le silence le plus anonyme…
Celui qui – sans fléchir – regarde les jeux comme s’il s’agissait de danses tribales et de jets de pierre sans incidence sur ce qui se tient à l’écart – le rire – toujours – à portée des lèvres…
Tout s’écarte – tout s’éloigne – tout se brise. Et ne restent plus que cette solitude grandissante – la gravité au fond de l’âme – et ces paroles qui dansent sur la page…
Le destin brisé en bas de la pente – ce grand bain de vie où nous sommes plongés – et cet éclat de rire qui s’obstine malgré les malheurs…
La forme – l’apparence – le nombre – ce que les hommes imaginent réels. Ce qui nous a mille fois blessés – et qu’il nous faut quitter, à présent, pour approfondir l’espace et accroître la lumière. La seule option possible, en vérité, pour continuer à marcher dans la poussière – et à piétiner sur nos pages au seuil du silence – parmi les visages – au milieu du monde et de l’ignorance…
Vents, cris, fièvre, paresse – ce monde, au loin, qu’est-il donc pour que l’on ne voit que sa folie…
Et la solitude qui – à jamais – sera notre seul rempart…
Tantôt à rire, tantôt à pleurer sous l’œil – et la lampe – des Dieux. L’attention parfois distraite du gouffre par une lueur discrète – par une beauté d’âme peut-être – dans le regard. Comme si la solitude était la pointe de l’obscurité – le faîte du dédale où sont enfermés les hommes…
A genoux – sur cette terre où tout est inversé – où la nuit est prise pour le jour – et le rêve pris pour le monde – où les chaînes sont considérées comme les portes de la liberté – et la faim comme le seul destin possible pour l’homme…
A voyager aussi vite – et aussi loin – que les vents. A mendier – ou à voler – tout ce qui est permis. A vivre mille ans sans rien comprendre – ni rien aimer. Comme si l’humanité était une fatalité – une sorte de promontoire ultime pour les bêtes ayant appris à se dresser sur leurs pattes arrière…
Assis – seul – au milieu des larmes – entre le secret impossible à révéler et le destin triste de l’univers – sous le fléau porté haut – bien plus haut que la mort…
Là où se tient le mythe – la terre à creuser – le secret à faire émerger de son trou – pour que la violence des rives s’estompe à mesure que s’impose – et s’intensifie – la nécessité du silence…
Il y a mille façons de se tenir vivant – et de se maintenir debout – face aux malheurs. Mais il n’existe qu’une seule manière de transformer la misère et la tristesse de notre condition en matière céleste – en sereine solitude…
Plus humble que désespéré – à vrai dire – face au temps et au silence. Face à la folie du monde et à la colère qu’elle engendre parfois…
Résigné à vivre avec ce caillot de sang qui confine tantôt aux délires, tantôt à l’ivresse de croire encore possible une fin plus heureuse – une fin plus sereine…
Ecoutons ce que les malheurs ont à nous dire – et faisons la part belle au sourire de l’âme face à l’inexorable…
A genoux – en équilibre – sur cette ligne traversée par les eaux et les vents – réceptacle des ombres et tremplin vers la mort. Socle et frontière de tous les possibles où l’espérance – à jamais – restera vaine…
Silence et grandeur – toujours – derrière le moindre désir – malgré les excréments élevés au rang de seuil infranchissable des appétits…
Faim et souffrance à même ces rives bordées de lumière. Et là où nous traverserons – et sombrerons, un jour, avec la mort…
Ivresse encore – et dans cette ivresse – le vertige possible à l’approche du vide – du silence – cette chose sans nom que les hommes ont toujours essayé de remplir et de nommer pour lui donner un visage moins redoutable – une allure plus aimable et familière…
Tout est fuite et faim. Tentatives, un jour, livrées au silence – voué, à la fin du temps, à tout recouvrir ; le monde, les visages, le vertige et les chemins…
Ce qui monte de l’ardeur au sang – du sang au visage – du visage à la main – de la main à l’âme – de l’âme au chemin – et du chemin à l’infini – le même désir de silence et les mêmes obstacles déclinés de mille manières…
Sur terre – dans la chambre – sur les champs de bataille – au fond de l’âme et de la tombe – ailleurs – plus loin – jusqu’au ciel – jusqu’aux frontières impossibles de tous les au-delà – le même mystère et la même ardeur à essayer de le déchiffrer…
Ainsi pouvons-nous saluer ce qui cherche – ce qui creuse – et ce qui demeure impassible – à tous les degrés de l’échelle des découvertes…
Ce qui nous envahit – corps et âme – a la même ampleur que ce que nous cherchons – et, sans doute, le même visage – caché – simplement – par quelques voiles épais – par quelques voiles tristes et inévitables…
Englués dans une paresse qui jamais ne transformera le monde, la vie et l’esprit – ni ne fera renaître les morts. Ensommeillés – couchés de mille manières – avachis en mille poses différentes – longues – langoureuses – apaisantes – et assez rassurantes, sans doute, pour nous faire oublier (provisoirement) les morsures et les blessures infligées par le monde, l’indigence des destins, la chute prochaine et la mort, un peu plus tard, inévitable…
Le grand génie humain de la somnolence où l’on ne sait si vivre consiste à rêver le monde et l’existence ou à leur échapper par le rêve…
Rien à orchestrer sinon l’accueil du jour – et les rapides préparatifs du départ – pour que tout continue une fois les funérailles achevées…
Sous la voûte, cette myriade d’atomes combinés – de formes codées – déchiffrables – prévisibles – qui s’enfantent – et se perpétuent – dans la misère et le miracle…
Cité lointaine encerclée de murs et de nuit où tout flotte – et se mélange à la mort – omniprésente…
Neige et boue – corps presque invisibles – dociles – toujours prêts à courber l’échine et à se plier aux règles et au pouvoir dominant…
Rives noires soumises aux rêves des Autres – façonnées par des millions de visages identiques…
Le nombre comme phare de la normalité – et cénotaphe érigé contre toute forme de révolte et de résistance. Fossoyeur de tous les élans singuliers et salvateurs…
Tout est chemin – monde – visage penché – main servile – défaut perceptif à force de maintenir les yeux baissés sur le mensonge…
Fantômes pas même surpris par la décadence – et l’impéritie du rêve…
Couchés – debout – agenouillés – le cycle récurrent des visages – de tous les visages du monde – pris successivement dans l’enfantement, les tentatives et la soumission…
Tout est monde – apparences vivantes. Et tout prendra fin dans la fosse commune…
Histoire d’un jour – histoire d’un siècle – histoire éternelle de ce qui fait date et s’inscrit dans le temps…
Il n’y a nulle réponse sage à l’ignorance, à la brimade, à la folie. Il n’y a qu’un accueil possible, un consentement à l’inéluctable et une attente patiente – et peut-être inutile – pour que cessent, un jour, l’inconscience et la barbarie…
Les mots sont aussi inutiles que les plaintes et les larmes. Et, pourtant, nous n’avons rien d’autre à offrir. Le silence ne sait encore nous contenter…
Et l’encre dans son brouillard – mille fois jetée sur la page – pour exhorter l’âme et le monde à d’autres prouesses – moins futiles, sans doute…
Tout est nuit – et soleil timide – intermittent – encore trop vagabond, sans doute, pour s’imposer au monde – et le gouverner…
Voyages multiples dans les mille galaxies du monde – si lointaines. Départ et visite de toutes les âmes – et retrait parfois – tantôt pour amasser le monde et ses richesses (provisions, plus ou moins, prometteuses qui laissent espérer aux plus crédules un avenir meilleur), tantôt pour échapper aux foules, aux larmes et à l’enfer édifié par les hommes au nom du bonheur (fallacieux et mensonger, bien sûr) de quelques-uns…
Nœuds, routes, chemins et croisements au centre desquels traînent tous les pieds – se perdent tous les hommes – et s’étend le plus terrifiant désert…
Ni flamme, ni prophétie. Quelques mots – à peine – pour offrir à l’ignorance mille versants à explorer, le goût de soi et le souci de l’Autre comme viatique – et la nuit entière à éclairer…
Tout pourrait être volé – anéanti – en partance – demeureraient l’essentiel et le silence – cette innocence sans attache ouverte à toutes les circonstances – ouverte à tous les dénuements…
Tout pourrait être joie ou douleur – rien ne remplacerait ni le regard, ni la solitude – nécessaires pour vivre au milieu de l’hiver – là où tout s’est enfui – poussé par le rêve et la faim…
Tout est perçu à partir du soleil et de la chute – inévitables. Et sous la tristesse apparente brille cette lumière joyeuse née de l’esprit acquiesçant – sans illusion ni sur l’œuvre possible des pages sur le monde et les âmes, ni sur ce qui pourrait advenir en ces lieux où l’absence est le socle de tous les élans, de toutes les lois, de tous les empires…
Ce qui nous hante – le sang, le rêve et la neige – le rouge, le noir et le blanc. L’exaltation et toutes les saisons déclinantes. Et le silence qui, un jour peut-être, parviendra à s’inscrire dans nos gestes et sur nos pages. L’innocence retrouvée des premières heures – la simplicité de l’enfance…
Ce qui est nu – et nous emporte bien plus loin que tous les voyages façonnés par le rêve…
Mille regards en soi bouleversés par tant de sommeil. Profondeurs à peine éclairées par quelques lampes à la clarté trop raisonnable pour percer le secret que dissimulent tous les jeux…
Monde et esprit transformés en sentes étroites sur lesquelles on chemine entre mille périls – entre le rêve et la tragédie – entre l’abîme et la possibilité d’un ciel toujours aussi épais et énigmatique…
Qu’importe les rêves ! Et qu’importe l’ivresse ! Qu’importe le sommeil et les offenses pourvu que les ténèbres demeurent – suffisamment – confortables…
Tout – tantôt s’exalte – tantôt se cache – à notre passage selon le degré d’innocence du regard et celui de l’effacement dans nos gestes et nos pas…
A quand une lumière pleine, un rythme lent et un monde plus vivable…
Une perspective où tout se mêle – et où la lumière est – toujours – infidèle aux reflets des visages et des chemins…
Un quotidien minuscule – insignifiant – où tout est si tragiquement remplaçable et mortel…
Une chevauchée infime où tout dérape et se précipite vers le trou destiné à accueillir ce qui est bancal et ce qui flanche – tout ce qui n’a encore trouvé sa pleine mesure…
Tout est fait pour laisser l’apparence diriger le monde alors qu’il faudrait creuser toutes les profondeurs pour que puissent émerger la blancheur et la transparence…
Habitudes et hasard au gré des jours…
Âmes dans leur coin – comme punies par le manque de persévérance des hommes…
Existences banales où s’ensocle – et s’enferre – l’humanité – à s’exercer à mille labeurs inutiles – à relever mille défis infantiles – à jouer des coudes – et à parfaire les murs – déjà hauts – et toutes les certitudes imbéciles – du monde…
Nul frémissement au lever du jour. Enfoncés – engloutis – pleinement dans l’illusion et la nuit triomphantes…
D’une feuille à l’autre – d’une existence à l’autre – à pousser le même visage vers ses frontières – vers cet étrange espace qui confine toutes les histoires à un passage – à une traversée infiniment nécessaire…
Un jardin – immense – de fleurs et de fruits. Mille pierres – mille couleurs – et autant d’herbes folles. Quelques visages. Quelques soupirs. Et la même ambition qui vient tout ternir et empoisonner…
Terre et visage d’un autre monde où toutes les pentes mènent – inéluctablement – au plus juste et au plus simple. Jamais ni au mensonge, ni à la corruption…
L’Amour et la présence d’un seul regard – en tous lieux…