Carnet n°171 Au-dehors comme au-dedans
Paroles confluentes* / 2018 / L'intégration à la présence
* Fragments du dedans et du dehors – de l’homme et du silence – qui se combinent simultanément dans l’âme, sur le visage et la page…
Un grand voyage sur cette terre sans (véritable) promesse. Quelques pas – quelques chants – au milieu des pierres. Des souliers prêts à franchir le moindre seuil – à se glisser dans la moindre faille – à saisir la moindre opportunité…
Et, pourtant, ici – ailleurs – nulle différence entre les visages et les paysages. L’homme, le monde, les arbres et les bêtes. La même solitude. Le même désastre et le même désarroi malgré les alliances et les rassemblements…
Quelques bruits passagers dans ce qui disparaîtra bientôt…
Exister à l’envers des territoires – là où l’espace est si vaste qu’il autorise toute forme d’expression. Chemins et paroles façonnés de mille manières sans jamais importuner l’esprit, ni détériorer les formes alentour…
Tout – partout – se gonfle d’importance – là où ne restera bientôt ni stèle, ni souvenir. Un peu de sable – quelques graviers peut-être – qui se mélangeront – discrètement – à la cendre et à la poussière…
Un grand voyage sur cette terre sans (véritable) promesse. Quelques pas – quelques chants – au milieu des pierres. Des souliers prêts à franchir le moindre seuil – à se glisser dans la moindre faille – à saisir la moindre opportunité…
Et, pourtant, ici – ailleurs – nulle différence entre les visages et les paysages. L’homme, le monde, les arbres et les bêtes. La même solitude. Le même désastre et le même désarroi malgré les alliances et les rassemblements…
Quelques bruits passagers dans ce qui disparaîtra bientôt…
A rire et à pleurer au milieu de toutes les folies du monde…
Pour découvrir la joie, il convient d’aller au fond des choses – et commencer par scruter ce qui nous hante et nous habite…
Dans cette perspective peut naître une proximité – capable de se convertir (progressivement) en silence et en effacement…
Tout alors pourrait (nous) arriver – chaque événement serait accueilli dans cet espace plus serein – dans cet espace moins engagé…
Le passé recouvert d’une seule pierre – si léger dans la mémoire. A prononcer quelques paroles qui semblent irréelles malgré le poids du langage que vient épaissir chaque syllabe…
A vivre seul(s) – et réuni(s) autour de soi – à marcher lentement jusqu’au dernier soleil de la terre…
Le rythme soigneux – coordonné – jusqu’à l’embrasure de la porte. Les pas caressant l’argile – et embrassant presque les visages – tandis qu’en bas – partout ailleurs précisément – se défont les gloires et s’engrangent les souvenirs et les malheurs…
A trop dire ce qu’il (nous) faudrait vivre, nous en oublions les mille usages possibles des chemins – tous égaux, bien sûr, en dépit des hiérarchies érigées par les hommes – et si nécessaires (pour mille raisons) au monde et à tous ceux qui s’y abandonnent – corps et âme…
Exister encore – moins dans le pas et le geste – moins sur la page – que dans l’effacement…
De plus en plus invisible, en vérité. Drapé – seulement – d’un discret silence…
A nos pieds – mille pierres – mille fleurs – mille bêtes – et au-dessus de notre tête, mille oiseaux. Et les siècles qui nous regardent comme si nous étions une parcelle invisible de l’espace – la continuité du monde. Quelque chose d’infime et d’immense – un fragment sans frontière – sans contour – assemblé au reste – suffisamment transparent pour que nos dernières aspérités n’apparaissent ni comme des obstacles – ni comme les reliquats (peu engageants) d’un visage humain…
A ce qui s’écarte du vide, le solide et la zizanie. Et à ce qui s’éloigne du vrai et du poème, l’illusion et les malheurs sur toutes les pierres (noires) du monde…
Tout est mot – mur – archipel – espace enclavé – effleurement du silence au fond de l’abîme. Rien, en définitive, qui n’invite à la liberté…
A vivre si loin – enfermés – où tout est soumis à la finitude et à la décadence – où rien ne peut s’échapper sans la proximité de l’Amour…
Absence, tristesse, brouillard et folie. Un visage – mille visages – quelque part – en ce monde. Et tous, sans doute, blottis dans la même main de l’espérance…
De la multitude, ne conserve que l’essence et l’ampleur. Oublie ses gestes et ses grimaces ; ne te fie – jamais – à ses enfantements. Nourris-toi – seulement – de son ardeur…
A contempler ce que d’autres – la plupart – dénient et assassinent. Prêt, sans doute, à mourir pour que l’aube demeure accessible. Idiot, fragile et malhabile parmi les visages. Mais humble – nécessaire – et même précieux – au milieu des arbres et des pierres. A poser sa bouche sur toutes les bêtes et toutes les fleurs pour dire son amour à ce qui respire…
Passeur de poèmes et de silence aux jours comptés par l’éternité qui nous attend. Seul, en vérité, sur tous les chemins où la solitude est célébrée…
Ce qui nous porte – seul(s) et ensemble – vers l’enfantement. Comme des notes éparses – décollées du silence – pour répondre à la nécessité du monde – et appelées, un jour, à rejoindre la partition que ni le vide ni les visages n’effrayent – cette pièce sans fin parmi les pierres et les vents…
Docile – contemplatif – soumis à l’angoisse et aux défaillances jusqu’à l’effondrement final…
Ce qui nous habite est, sans doute, plus essentiel – et plus impératif – que le monde et l’azur constellés de rêves, de frontières et d’interdits…
L’écuelle vide peut-être – et les traits de la pauvreté sur la silhouette et le visage – mais l’âme et la gorge gonflées de l’essentiel – ce qui fait de l’homme le lieu du passage – et de l’esprit et du monde les impératifs de la découverte – les plus urgentes nécessités de l’existence (et de l’exploration)…
A vivre dans le frisson croissant du verbe et du silence – affranchis de la faim et de l’espérance…
Aucun secours offert – mais la main tendue à travers (presque) chaque ligne – pour inviter à plonger dans la détention, le manque et l’indigence – et pouvoir, ainsi, échapper à l’errance et aux faux espoirs du voyage…
Nous aurons essayé de peser sur tout sans que rien – jamais – ne cède…
A l’instant du jaillissement – en amont du désir – là où l’innocence est inégalable – insurpassable – et capable de faire exploser toutes les certitudes, tout ce qui arrive – tout ce qui est vécu – prend place au-dedans – et devient précieux et magistral – parfait, en quelque sorte, jusque dans ses défaillances…
Briser les destins et les soumissions sans blesser quiconque, ni rien endommager – voilà, peut-être, le rôle premier du poème face au rêve – face à l’illusion et aux sortilèges qui asphyxient et gangrènent le monde…
A tout préférer sans rien cueillir. A instituer la présence comme le seul privilège – et tout le reste en nécessités, plus ou moins, vitales. A veiller là où la plupart sommeillent. A demeurer silencieux au milieu de tous les bavardages. A exceller davantage dans la chute que dans l’ascension. A tout soustraire pour aiguiser le regard. Et à se demander encore dans quelle matrice a pu être enfantée l’ignorance…
Le manque – sans cesse – nous condamne à la faim. Et soumet les âmes, le monde et les existences à un appétit toujours plus vorace – toujours plus féroce…
Union discrète – secrète – avec les choses et les bêtes – asservies par les hommes – converties, depuis toujours, en vils instruments pour assouvir leur faim et leurs ambitions…
Ce qui nous engage – du plus aisé au plus inaccessible – de l’obscurité à cette lumière traquée partout depuis les abîmes et les ténèbres. Espace où tout se poursuit – choses et visages égaux – presque sans importance pour transformer, peu à peu, le voyage en silence acquiesçant…
Tout détruire – jusqu’à la plus parfaite innocence – jusqu’à la plus parfaite fécondité. Illusions, rêves et certitudes à convertir en présence sans dogme…
L’ombre et l’âme – vivantes en nous – prêtes à nous livrer aux malheurs et à l’inexprimable – à tout ce dont nous avons besoin pour vivre la vérité libérée des dogmes et des croyances…
S’effacer encore. L’innocence comme le fruit le plus désirable du silence – infiniment partagé entre les visages défaits – affranchis du monde, des ténèbres et du poème…
Silence et regard – comme un orage intransigeant qui frappe tous ceux qui ont toujours été effrayés par le bruit et la lumière – et qui apaise tous ceux qui ont toujours espéré un peu de ciel et d’intensité dans leur nuit…
Quelque chose d’étrange et de bienheureux dans cette haute solitude et cette douleur pleinement habitée – qui accouchent, chaque jour, de mille fragments fiévreux – impatients – perfectibles dans leur révolte et leur insoumission aux règnes ordinaires…
Ce qu’il faut allumer de feu, en nous, pour faire reculer les ombres…
Creuser jusqu’à l’os pour découvrir le dedans et l’au-delà. Et creuser encore jusqu’à déboucher sur le vide, le silence et l’effacement, voilà peut-être, au fond, le véritable travail du poète. Le reste – tout le reste – n’est offert que pour apaiser (provisoirement) le manque et la souffrance – ce que tous les hommes réclament avant d’être capables de s’engager (pleinement) dans l’aventure intérieure…
A mourir et à renaître encore – comme toutes les eaux souterraines…
Poète nocturne et du jour morcelé – à proclamer – et à célébrer, à la moindre occasion, ce qui nous détruit, ce qui nous susurre, ce qui nous décrypte. A tendre vers nous ses mains impétueuses – ses lignes orageuses – à lancer partout son cri et sa révolte – pour que s’estompe la discorde et offrir la lumière à tout ce qui tremble (encore) devant l’inconnu…
Nous avons initié ce qui préexistait depuis toujours. Aux hommes, à présent, de prendre la relève – d’écrire la suite – d’inscrire dans leur sang le règne de l’innocence et d’instaurer l’éternité au cœur de tous les royaumes éphémères…
Nous n’aurons fait que souligner (et dénoncer) la vanité des tentatives. Et promouvoir la nécessité de l’Amour et du silence…
Lignes usinées entre le feu, la pierre et la mort dont le sens importe peu pourvu qu’elles soient capables de révéler en nous le plus sage – le plus tendre – le meilleur…
Le plus sacré au fond de la solitude qui a pris, au fil des siècles, des allures d’épave éventrée…
Un mystère. Et mille fureurs endiablées pour fouiller l’espace du monde et du cœur…
Tout était déjà là avant de naître…
L’existence ne peut constituer un jeu à somme nulle – elle est une manière (parmi mille autres) de retrouver ce que nous étions à l’origine – de creuser sous les couches et les masques pour dénicher au fond de ce que nous sommes devenus ce qui ne peut mourir – ce qui dure à travers toutes les morts – au-delà de toutes les pertes…
Une vie blanche – étincelante – en deçà et au-delà de ce gris puissant qui donne à nos vies cette apparence de cage et cet air de tristesse au fond desquels nos mains s’échinent – vainement – à rompre toutes les grilles qui les entourent…
Et si nous allions moins aveugle(s) vers le lointain – prêt(s) à transformer les heures quotidiennes en inconnu – et l’inconnu en visage familier…
Ce qui s’efface et s’oublie – les visages et les chemins. Tout ce qui s’écoule du haut vers le bas. Tout ce qui ruisselle et se précipite. Paroles et prières – plaintes et caresses. Le monde et le temps. Mille choses entre la pierre et la source. Ce qui tremble et s’étreint jusqu’aux dernières heures du souffle…
Tout est bleu – la terre – le monde – les vents. Tout a la même couleur que le rêve – les pierres, les visages, les prières – et la même allure que la mort au printemps. Aussi indécent, sans doute, que le langage qui s’essaye maladroitement au silence…
Tout va et vient – comme les ricochets dans un rêve dont les rives seraient jointes au milieu de l’écho. Tout arrive – et passe – de l’herbe au désert – du désert au sable – et du sable aux arbres qui retrouvent un regain d’ardeur au printemps. Tout a valeur d’exemple, de temps et d’étincelle – mais rien – jamais – ne parvient à traverser la mort suffisamment loin – ni suffisamment longtemps – pour que s’effacent le monde et le poème – et pour que le rire puisse remplacer radicalement la tristesse…
Des paupières, des pudeurs, des départs…
Ce qui manque à toutes les vies et à tous les destins pour que les danses, les fouilles et les fuites deviennent plus joyeuses – pour que les traversées et les exils se fassent plus intimes et magistraux – infiniment plus vivables – que ce qui demeure partout ; le rêve et les habitudes dont les frontières n’ont jamais été, comme nous l’ont fait croire les hommes, le réel et la mort…
Perdus – et éperdument ballottés – comme ces feuilles dans le vent dont nul ne prend la peine de déchiffrer les danses. Comme ces souffles qui passent de bouche en bouche – jamais certains d’appartenir à ceux que les apparences désignent comme les ascendants ou les géniteurs…
Nés et vivant comme ces nuages appelés, sans cesse, à se transformer selon les circonstances – devenant tantôt pluie, tantôt brouillard, tantôt rosée – parfois invisibles, parfois ravageurs. Jamais confinés au même destin – ni à la même étiquette…
Vies ensanglantées – âmes inexistantes – qu’aucune parole – jamais – ne pourra sauver…
Etoiles – très haut – dans le ciel. Et – sur terre – mille brins de paille aux yeux fermés. Appelés à se refléter sur toutes les eaux troubles du monde. Seule perspective convertie, presque toujours, en mode de vie. Comme un silence – presque impossible – dans nos bouches et nos existences si bavardes…
Ce que nous pourrons peut-être, un jour, transformer en larmes – puis, un peu plus tard, en soleil vivant…
Soupirs et respiration d’un Autre, en nous, agacé – impatient, sans doute, de nous voir nous émanciper…
Comme une mer dévorée par ses propres vagues – ni grandes, ni puissantes – mais suffisamment nombreuses pour se croire souveraines…
Qu’y a-t-il donc à choisir pour nous qui sommes coincés entre le crime et la mort… Existe-t-il une autre option que l’écriture et le silence… La page et le retrait seraient-ils donc les seules issues pour échapper à la folie de ce monde…
Des mots qui penchent pour faire, peut-être, contre-poids au monde et aux hommes qui se tiennent trop droits dans leurs bottes et leurs certitudes. Comme une manière de rééquilibrer la balance – pour qu’elle puisse s’incliner vers ce qui se fait humble – vers ce qui s’agenouille devant le silence…
Une forme de cri, au fond, contre les bruits qui saturent l’air, la terre et les esprits…
Tout a le cœur noir – fragile – enfoncé – et les mains blanches – et les lèvres légèrement souriantes pour nous faire croire à la réalité (et à la force) du mensonge. Mais, en vérité, nul ne sait. Et rien ne peut être prouvé…
Il n’y a, sans doute, ni monde, ni existence. Des formes, des bruits et des élans – seulement. Une sorte de mélasse monstrueuse en mouvement. Et un regard possible. Et une présence – presque toujours – incertaine…
Des murs, des portes, un espace – et une liberté à réinventer – sans cesse…
Tout s’en va – une nouvelle fois. Et le cœur, comme à l’ordinaire, se resserre – s’attriste de ces départs – de tous ces appétits pour l’ailleurs. Comme si nous avions un goût immodéré (presque irrépressible) pour l’intranquillité – et, au fond de l’âme, le pressentiment que rien n’existe là où nous ne sommes pas…
Toujours quelque part – sans réellement savoir où. Toujours quelque chose – sans réellement savoir quoi. Toujours vivant – toujours présent – là où se pose le regard. Et l’Amour – partout – qui s’offre lorsque les visages et les destins affichent leurs nécessités…
Tranquillement éternels – nous rappelle, parfois, cette voix en nous, si sage – et à qui nous demandons, sans cesse, mille preuves supplémentaires…
Elémentaire – comme débarrassée de ses couches d’étoiles – cette âme si ancienne dont le monde a mille fois brûlé le cuir. Vierge et seule, à présent, sur la roche – face à l’infini…
Jamais plus d’espace qu’au-dedans – là où l’envergure et la hauteur sont exemplaires – étirées de toute leur longueur – du haut vers le bas – et du bas vers le haut – de la gauche vers la droite – et de la droite vers la gauche – jointure, en quelque sorte, du zénith, du nadir et des quatre points cardinaux. Là où l’azur n’est plus qu’une terre – et où le sol n’est plus qu’un ciel – au-delà de toutes les frontières – au-delà des mains et des poitrines qui se heurtent à toutes les parois si hautes – à toutes les parois si nocturnes – du monde…
Composées de cette glaise et de ce souffle provisoirement unis – ces silhouettes de sang – enfantées, presque par mégarde, par le suintement du ciel. Visible(s) comme ces visages et ces lignes qui s’échinent à l’évidence…
A nos pieds, cette parole improbable qui dessine les contours de la soif – l’attirail des hommes sur leurs épaules fragiles et angoissées – et les obstacles érigés au-dedans – allant cahin-caha aussi loin que le permettent les yeux – aussi loin que le permettent l’âme et l’esprit…
Raideur à nous élever au-dessus des danses. A pleurnicher – toujours – engoncés dans l’obscurité – au milieu de la misère où l’esprit et le monde nous ont plongés…
Quelques détours dans la cendre – voilà résumé, en quelques mots, l’essentiel du voyage de l’homme…
Un monde et une âme – éclairés à la bougie – découverts par des visages de terre – aux yeux presque fermés – à la grammaire si frustre – subjugués par les apparences – ensevelis par mille croyances – et dont la prétention confine au sous-sol malgré les discours et les protestations…
L’illusion dans le sang – le mouvement des ténèbres – d’ici à ailleurs – de plus loin jusqu’au retour. Et cette boue dans les yeux – sur le visage – qui obstrue l’âme et encombre le souffle. Misère partout – au-dehors comme au-dedans. A se débattre dans le sable et la cendre. Perdus, en somme. Livrés à nous-mêmes et à quelques funestes instincts comme si le silence n’était qu’un mythe – une parole abstraite – un espace inaccessible destiné à ceux dont les croyances ont su inventer – et dessiner peut-être – la figure d’un Dieu improbable…
Souffrance entre les tempes – toujours – alors que le jour, le monde et l’existence ne sont que vide et silence…
D’où vient donc cet aveuglement sinon de la tête trop pleine d’idées, d’images, d’espoirs et de rêves…
Qu’ignorons-nous donc de la terre, des saisons et des visages pour n’y déceler que ruse, ignorance et impéritie…
Figures en devenir – amenées à franchir toutes les rives et tous les rêves posés en elles comme des obstacles…
Le silence – à proximité – depuis toujours. Partout – au-dedans comme au-dehors…
Flammes et miroir sur le visage – et au cœur de la parole – pour brûler et refléter (tout) ce qui doit l’être…
Images de soi dans l’Autre qui nous semble si semblable et différent…
Tout mène au silence et à la découverte de notre visage. Seuls l’apparence et le rythme nous différencient. Le reste – tout le reste – n’est qu’Un à la figure immense et au souffle éparpillé…
Rien ne naît – ni ne meurt. Tout est expression provisoire. Instincts, nécessités et liberté vivante d’apparaître et de s’effacer. Sang, semence, figures et paroles. Profils multiples du même silence – d’un centre doué d’une incroyable ubiquité…
Ce qui est mort en nous – le goût du paraître et de la collection – remplacé par une maigre parcelle de terre pour répondre aux nécessités du ventre – et la joie innocente pour danser, libre et serein, au milieu des déserts et des visages…
Cent jours d’aventures pour renverser la révolte et la haine – et convertir nos terres à l’enfance et à la poésie. Le silence et le chant de l’âme, en quelque sorte, parmi tous les bruits du monde…
Un regain de tendresse pour faire face à l’inconscience et à la barbarie – et compenser la cupidité des hommes – partout à l’œuvre…
L’âme, l’écume et l’exil. Mille assauts contre la houle – anéantis par les siècles – la souveraineté des siècles – portés par chaque époque…
Sève encore – dans ce retrait – où les mains se dressent face au soleil – pour faire obstacle à la misère – à toutes les misères – propagées par le monde. Tendresse sans masque – sans ruse – plantée à chaque carrefour pour défendre l’enchantement face à la désillusion et à la désespérance des hommes…
Mille étoiles dessinées d’une main tremblante. Des voyages fébriles et des itinéraires aux allures d’incendie. Un monde de passions tristes et de bras funestes. Quelque chose qui semble si étranger à l’Amour – et dont les racines puisent dans la plus profonde ignorance…
La continuité, en quelque sorte, de l’aveuglement originel à travers mille siècles – mille millénaires peut-être – d’histoire…
A l’abri entre les lignes et le silence – entre les livres et les bêtes – quelque part au milieu d’une forêt de signes et de feuillages – au pied des mots et des troncs qui laissent filer la parole – très haut – au-dessus de tous les mythes inventés par les hommes…
Heures et saisons lucides parmi tant de rêves. Feu là où s’entasse le bois mort. Vents et rivière là où les visages s’arc-boutent sur leurs rives. Joie et poèmes là où tout est triste et démuni. Un peu de lumière dans la cendre et la poussière…
L’éveil discret – et magistral – de l’homme là où le sommeil fait office de loi…
Et cette terre – cette boue – dans chaque pas vers le pays natal. Comme un tronc à travers le chemin – mille obstacles qui empêchent l’eau de s’écouler naturellement sous les ponts – entre les rives si désolantes où survivent les hommes…
Le mystère accueilli – et désossé – dans l’âme qui a su rejoindre l’état antérieur au monde – le silence qui a précédé la naissance des souffles…
Quel monde se cache-t-il donc sous les paupières pour que celui qui existe sous nos yeux offre tant de peines et de malheurs… A quels miroirs sommes-nous donc attachés pour que – partout – les reflets soient si ternes – si tristes – si sombres…
Et cette indignation – et cette colère – à l’égard des figures et des drapeaux qui envahissent les routes – qui morcellent la terre en territoires et la recouvrent de sang et de bitume…
Tout nous pénètre jusqu’à l’os – et nous fait vaciller. Tout nous traverse et se glisse – partout – en cette aire où la blancheur devient transparence – où la transparence devient innocence – où l’innocence devient silence…
Monde et visages colorés – chatoyants – éminemment plus joyeux qu’autrefois…
Des yeux sur la pierre – et mille prisons sous les paupières – à défier le feu et le temps – à enfanter mille ravages pour tenter d’échapper aux malheurs, aux désastres et à la mort…
Le vain exercice des hommes – plus pressés que voyageurs – qui, pour la plupart, mourront sur la route avant de comprendre…
Toute ombre nous précède. Et la lumière – toujours – se dresse à la verticale derrière nous. Ainsi avançons-nous sur tous les chemins du monde. Noir en tête et clarté en fin de cortège. Véhicules banals, en somme, d’un périple débuté bien avant notre naissance. Piégés, en quelque sorte, de tous les côtés – en haut, en bas, à gauche, à droite, devant et derrière. Silhouettes lentes amenées à se déplacer – inlassablement – du jour vers la nuit – puis de la nuit vers le jour. Pantins d’un au-delà aux ficelles, toujours aussi, mystérieuses…
Troubles et tumultes. Eaux mortes et précipices. Profondeurs secrètes et dérives jusqu’à l’épuisement – jusqu’à l’étouffement. Et quelque chose aux abois qui se rompt – presque toujours – en chemin…
Propagandes placardées partout – et portées en évidence. Enseignes suspendues à tous les cous – et dressées au-dessus de toutes les têtes. Comme si le monde pouvait être sauvé par les idéologies qui gouvernent déjà tous les actes et tous les rêves…
L’idée d’un sommeil qui rêverait d’être réel – et qui offre, pourtant, au monde la certitude du mythe – la certitude d’une illusion – exaltés par des yeux – presque totalement – fermés…
Dédale et pentes. Murs ici et là. Quelques buissons et un maigre abri pour trouver refuge et se protéger du froid et des intempéries. Mille visages. Mille démons – au-dehors comme au-dedans. Et des chemins qui ressemblent à des tentatives. Un monde où tout s’édifie sous l’emprise du désir et des instincts. Un parc – un espace grillagé où tout ce qui s’élance et s’aventure vers son destin prépare, sans même le savoir, sa ruine et sa fin – l’effacement de toutes les frontières…
Le pensé, en définitive, angoisse et terrorise davantage que l’impensable…
La source de la peur se tient – toujours – au fond de l’esprit qui s’essaye, par crainte (le plus souvent), à l’anticipation réflexive (et faussement rassurante)…
Tout est à la mesure de l’infini – cette envergure qui a revêtu, aux yeux des hommes, les habits de l’utopie, de la croyance ou de la mort. Quelque chose d’insensé – d’inimaginable – de trop lointain pour apparaître comme une vérité…
La vie et la mort s’invitent partout comme si nous ne pouvions rester seul(s) et immobile(s) – pleinement serein(s) – dans l’espace et le silence.
Et ça naît ! Et ça crie ! Et ça court ! Et ça gesticule en attendant la fin – et le retour éternel de toutes les choses du monde – sous d’autres traits…
Feuilles noires – parsemées, ici et là, d’espace et de silence – de cette lumière qui élève la parole non en promontoire mais en plongeon dans le plus ordinaire – dans le secret et l’infini qui se mêlent pour danser dans nos jours les plus quotidiens…
Se résoudre au sang et à la ruine. Se résoudre au bruit et à la chair. Vivre librement – à genoux – téméraire(s) – en l’honneur de ce qui nous a façonné(s) de manière si humaine…
Terre, eau, feu, vents et lumière. Et silence à la fin. Repris loyalement par la source dont le rôle est d’enfanter…
Détours et simagrées – encore – comme si la voie directe nous était impossible – interdite peut-être…
Le silence comme une couronne posée en déséquilibre sur ce à quoi nous ressemblons en apparence – un mélange d’ardeur et de faim…
Choc entre le rêve et la droiture – entre le désir et l’infini – entre le monde et l’impossibilité du silence…
En ce pays qui n’est pas – et que nous sommes pourtant…
A rire – à désirer – et à exaucer encore – le front meurtri – le front plissé – le front téméraire et querelleur. A vivre et à mourir comme s’il nous importait peu d’être – et de nous découvrir. Voyager – toujours – de récolte en couronne – de jour en jour – jusqu’à la nuit fatale où s’effacent (provisoirement) toutes les emprises. A frémir et à se courber. Occupés à repeindre inlassablement la voûte de mille idéologies, tantôt anciennes, tantôt nouvelles. Malades de toutes nos certitudes. A lever les bras vers ce qui nous a toujours aimés – en secret – et sans même que nous le sachions… Le silence caché au fond de l’âme – au fond des yeux – derrière toutes nos danses et nos pitreries…
Un regard permanent et silencieux. Et mille jeux mécaniques – bruyants et provisoires…