Carnet n°193 Notes journalières
Ce qui est devant nous – un paysage – une promesse – un présage peut-être…
Se répétant – comme si le neuf pouvait naître de la litanie…
Tout s’arrache – ou finit par se retirer. Serait-ce – à la fin – la délicieuse solitude…
Quel âge avons-nous ? Et en quoi cela bouleverserait-il l’éternité…
Ce que nous confions n’est, peut-être, qu’un rêve – qu’un désir d’exister – une manière autre de vivre…
Ce que nous avons mis des années – des siècles peut-être – à découvrir péniblement – soudain – c’est là tout entier – offert non comme une quelconque récompense mais comme une sorte d’encouragement à l’abandon…
Nous pactisons avec n’importe quoi pourvu que l’alliance nous permette d’échapper à ce que nous n’aimons pas – à tout ce que nous fuyons comme la peste…
Devenir, à la fin, à peine moins bête qu’à ses débuts – trop rarement. Plus aigri et plus ignorant – trop pétri de certitudes – plus sûrement…
Sur quel Dieu étrange chevauchons-nous pour aller ainsi sans rien voir – ni rien comprendre…
Que connaissons-nous de la terre – que connaissons-nous du ciel – et qu’avons-nous appris sur nous-mêmes… à peu près rien…
L’abîme du monde – du cosmos – n’a rien à envier à celui que nous portons. Mais, sans doute, est-ce le même qui, à nos yeux, présente deux visages…
Pas d’épaule amie sur laquelle on pourrait poser son œuvre et sa fatigue. Il faut tout porter seul jusqu’à la grâce…
Moins à comprendre qu’à sentir – moins à vivre qu’à goûter…
Savons-nous réellement faire usage du corps…
Pourrait-on, au moins un instant, éprouver la manière dont l’esprit s’est glissé dans la matière…
Et si la fin annonçait la réparation et la réconciliation avec le monde – l’extinction de cette peur et de cette rage que nous portons depuis si longtemps…
Devenir enfin ce dont nous avons toujours rêvé. Et le vivre pour la première fois – à la manière des simples…
Ce que nous rendons plus présent – presque rien – un regard – un geste – une manière d’être là – plus attentif…
Des nuages gris – un ciel venteux – des arbres au-dessus du toit de verre. Et le petit homme qui regarde – qui ne demande rien – ni au ciel – ni au monde – ni aux arbres – qui regarde seulement – comme si la contemplation suffisait…
L’Amour – simplement – comme un grand trait de lumière dans le vent – la nuit et le jour – comme des lèvres entrouvertes – un visage qui vous salue – une main qui vous retient – un air que l’on entonne pour soi – sans raison – une manière d’être seul sans jamais refuser d’être ensemble…
Nous ne possédons rien – pas même le jour – pas même l’orage. Un regard, peut-être, sur les choses et les visages – qui nous semblent de moins en moins étrangers…
Heureux comme un oiseau qui va de branche en branche – d’arbre en arbre – et dont le ciel est le seul refuge…
Vents et ruisseaux d’autrefois – derrière nous ; à suivre son chemin sans jamais se retourner. Hier s’en est allé. Demain ne sera un jour nouveau. A cet instant, une seule certitude ; nous respirons…
De passage – toujours – comme les mille autres atomes du monde. Ici par l’élan d’un Autre – les caprices d’un vent mystérieux – sans autre raison que la volonté du silence…
Nous pouvons bien parler – dire mille choses – dire n’importe quoi – ce qui nous passe par la tête – personne n’écoute notre chant – nos rengaines – la beauté du jour…
Sur le pas de la porte – le silence – seulement – attentif – s’écoutant à travers notre voix…
Marchepied d’un Autre pour que chacun puisse se hisser…
Tout dans l’apparence d’un destin – le souvenir – l’origine – le possible. Mais rien qui ne soit sans danger…
Nous témoignons – comme les fleurs – d’une fragilité mortelle…
Nous aimerions, parfois, des horizons moins pathétiques. Mais qui sommes-nous donc pour dénigrer les couleurs prises par l’innocence…
Fruits d’une alliance entre le sourire et le silence. La tête jamais haute – à humer, partout, l’essence du monde. Modeste privilège, peut-être, des pas métaphysiques…
Avec nous, la force et la fébrilité. Aux forêts, la patience des siècles. Nous ne les dominerons qu’un temps ; elles nous survivront bientôt…
Une allée où tout apparaît avec la lumière du jour – comme, peut-être, le lieu le plus central du monde…
Dans la forêt – nous vivons au cœur de la plus belle cathédrale dont les fidèles ne craignent jamais le ciel – qui les fréquente (d’ailleurs) toujours en ami – en compagnon soucieux de leurs besoins…
Nous rêverions d’être prêtre dans ce temple sacré. Pasteur des pierres et des bois. Et nous laisserions les oiseaux nous instruire de leur prêche – et le silence envahir les lieux pour que nos cœurs se dilatent et deviennent de hautes – de très hautes – colonnes de joie…
Nous ne voyons pas (nous n’avons jamais vu) la beauté du monde – nous ne voyons (nous n’avons toujours vu) que ses usages – comme de pauvres bêtes tributaires de leurs organiques nécessités…
Ce que nous sommes – en attendant la grâce – des ventres et des esprits à remplir – des êtres aliénés par la matière, les histoires et les images…
Pas de Graal sans solitude – et maintes querelles à vivre ensemble…
Relation vivante qui se passe de chair. Un regard – des mots – du silence. Et quelques gestes discrets et tendres…
A se détourner, sans cesse, d’un silence bienfaiteur – comme si les bruits, l’agitation et la foule donnaient aux hommes le sentiment d’être vivant – l’illusion d’appartenir au monde…
Tout entier avec ce qui nous unit…
A écrire comme si la joie pouvait déborder du feutre – couler sur la page – se répandre sur le monde – emplir le cœur de chacun…
Ah ! Si nous avions cette force de soustraire à la misère ; mais nous ne sommes qu’un vase aux bords étroits…
Nous vivons d’un peu d’eau – d’un peu d’herbe – et, plus essentiellement, de silence, de présence et de langage. Les ingrédients nécessaires à notre joie…
A la source, peut-être, des destins – cachés sous une pierre, le soleil et la vérité…
Un grand cri de l’âme pour remercier ce qu’aucun – heureusement – ne sait – ni ne peut – saisir…
Offrande au plus absent de nous-mêmes – au plus humble – en larmes – à genoux – fou de joie et de gratitude…
Ce que nous jugeons trop lointain n’est, peut-être, dû qu’à la paresse du cœur…
Nous aimerions, parfois, passer de la discrétion à l’exil pour ne plus être obligé de faire la grimace et de lever les yeux au ciel devant tous ces visages dont le comportement nous déplaît ou nous révulse…
Devenir un soleil caché – minuscule – rayonnant dans le silence et la solitude – pour lui-même – et quelques visages de passage – respectueux – humbles – fragiles – sincères…
Frère de l’Autre dans cette grande fratrie hétéroclite…
Notre bonté se rétracte à force d’intransigeance (celle du monde favorisant la nôtre – et inversement, bien sûr)…
Je ne parviens plus à voir en l’homme la moindre promesse d’humanité. Je ne perçois plus que la bêtise, l’avidité, l’étroitesse, la veulerie, la paresse et la ruse au service des instincts…
Mes congénères n’ont plus de visage – ils appartiennent à d’autres règnes…
Sable, roches, herbes, fleurs, arbres, nuages, forêts, prairies sauvages, bêtes de tout poil – dont la nature me rappelle celle du premier homme – humble – farouche – indocile – éminemment vierge – bien plus humaine que celle des hommes qui se prétendent civilisés…
L’horizon, au fil des pas, change de couleur. Nous marchons – et nous sommes déjà ailleurs – à porter l’habitude dans son allégresse – à vivre la joie et la tristesse au même instant…
Un monde dégradé et dégradant – voilà à quel triste spectacle nous assistons – impuissants…
Il faudrait être fou ou sage pour aimer les hommes. Et je ne suis, sans doute, ni assez fou, ni assez sage pour m’y résoudre…
Ma pente naturelle serait de m’éloigner – de trouver la distance (grande – très grande) qui me séparerait du monde pour pouvoir, à nouveau, aimer les hommes…
Un voyage – un chemin – aux allures d’exil – avec l’espérance de retrouvailles très lointaines…
Le fossé, au fil du temps, s’est tant creusé que je n’ai plus le sentiment d’être un homme, ni même d’appartenir à l’humanité…
Comme si nous n’habitions plus le même monde…
Comme si nous étions devenus des étrangers – presque des ennemis – contraints de cohabiter sur le même sol…
Je vis comme ces bêtes sauvages qui s’enfuient à l’approche du moindre visage pour échapper à la folie du monde bâti par les hommes – et ne pas finir serviles – attachées – aliénées – offertes à leurs jeux barbares…
Le regard profond d’un homme défiguré par la noirceur…
Sur la falaise des Dieux – hésitant encore à sauter…
Routes qui nous ont mené en ce lieu précis…
Etrange itinéraire qui a, peut-être, manqué de lumière…
Visage que l’Amour aura à peine effleuré…
Vaillant encore – malgré l’absence alentour – et qui a juré fidélité à toutes les nécessités du voyage…
Le silence aurait pu tout illuminer – au contraire, il a tout assombri…
Le silence aurait pu tout éliminer – au contraire, il a exalté le pire…
Et les murs – à présent – sont trop hauts – trop massifs – pour rejoindre le monde…
Aurions-nous franchi l’infranchissable…
Ne reste plus qu’à aller – l’âme digne – vers toutes les bouches qui nous dévoreront…
Théâtre des Autres de plus en plus étranger – et que je vois s’éloigner sans regret…
Où voudrait-on que l’on dirige nos pas…
Ce qui semblait une impasse nous invite encore – et semble avoir quelques surprises à nous réserver…
Peut-être marchons-nous à reculons… Peut-être allons-nous la tête à l’envers. Les miroirs ne suffisent plus à refléter la réalité défaite…
Les repères sont désorganisés…
Rien n’y fait ; on glisse sur sa pente…
Et qu’avons-nous à perdre ; nous ne sommes déjà plus rien…
Tout s’écarte – à présent – à notre passage. L’absence a débarrassé le monde – les yeux – l’Amour – les visages – le silence. Même la lumière s’est éloignée. Ne restent plus que ces deux pieds qui – lentement – s’enfoncent – qui, peu à peu, divergent – qui échappent, à présent, à tout tracé…
Seul avec la nuit – et cette mystérieuse obscurité au fond de l’âme…
Face à ce qui ne peut nous dévêtir davantage…
Si – il reste toujours quelque part des encombrements – des trésors inutiles…
On va – on se laisse aller – guider par ce qui nous pousse et nous invite…
L’inconnu nous convie – pourquoi aurions-nous peur ; le fond du gouffre a, sans doute, déjà été atteint…
Seules la voix – en nous – et l’écriture nous accompagnent. Courageuses complices sans lesquelles nous ne serions plus – parti depuis longtemps de l’autre côté – sur l’autre versant – en contre-bas du monde…
Ne crains rien – nous irons ensemble, me disent-elles, le temps est venu d’aller au-delà du monde – là où les yeux et les idées ne sont que des obstacles…
Se tenir devant le monde sans ciller – qu’y a-t-il de plus difficile… On a vite fait de vouloir tendre la main – faire une grimace – lancer un juron…
Des visages comme des ombres – presque comme des ombres – si l’on se souvient qu’ils sont l’œuvre du labeur patient de la lumière. En cas d’oubli, on ne voit que du noir – des habitudes – des instincts…
Je mourrais, je crois, si l’on me privait de feuilles et d’écriture – je gratterais le sol – je grifferais la terre – je griffonnerais sur le sable – j’enfoncerais mes doigts partout pour tracer quelques traits – de pauvres hiéroglyphes encore plus indéchiffrables qu’aujourd’hui…
On ne se libère de rien – et moins encore de ses nécessités…
Nous ne sommes, peut-être, que des murs qui respirent. Briques mal assemblées d’un grand labyrinthe illusoire que le regard et les vents traversent – franchissent – survolent – avec une aisance déconcertante – et qu’ils défont avec moins de force qu’il ne faudrait à Dieu pour nous jeter par terre…
Quelques chose suinte à travers nos fissures – un peu de salive impatiente…
Nous ne sommes qu’un chantier que nul ne peut achever – un projet tenace qui s’effondre – presque toujours – au même endroit – et que la providence rebâtit pierre après pierre…
Eboulis permanent – et indéfiniment reconstruit…
Avec un peu de temps – et de patience – peut-être parviendrons-nous à devenir le sol – la terre sur laquelle s’érigent tous les miracles…
Eclats d’une force – en nous – qui subsiste…
Plus que pierre – certains sont poutre – charpente – clé de voûte ; ils prennent appui sur les autres – et croient ainsi être au-dessus – et plus à même de s’élever – d’effleurer le ciel – l’inconnu – ce qui n’appartient à la terre. Mais ils se trompent, bien sûr…
Le ciel est aussi près de l’herbe que de l’arbre – question triviale de perspective…
La joie n’est accessible qu’au plus humble – en chacun – qui s’agenouille. Qu’importe la place et la hauteur ! L’humilité est la seule posture – le seul point d’accès…
L’esprit de la fausse virginité qui se souvient malgré lui – encombré encore d’amas hétéroclites – tas de ferraille – gestes tendres – paroles partagées – anciens festins – qui pèsent plus lourds que les pas et les circonstances présentes…
On n’en aura jamais fini d’apprendre à vivre – d’apprendre à être. Les circonstances y veillent – l’exigent – nous y soumettent…
On croit, parfois, se résoudre – s’alléger. On ne fait, en vérité, qu’alourdir et complexifier les nœuds…
Il faudrait tout abandonner – poser l’œuvre réalisée – l’œuvre en cours – l’œuvre à faire – et s’asseoir en silence – un peu à l’écart – s’étendre sur les pierres – regarder le ciel – attendre la mort – ne plus espérer ni l’Amour, ni la joie – ne plus s’éreinter à l’espérance – s’offrir au grand repos de l’âme…
On s’épuise à trop vouloir façonner la suite – à trop vouloir deviner l’allure du prochain virage…
Nous sommes en train de fuir – d’ignorer le présent – à force d’imaginaire…
Mais que sommes-nous à cet instant – qu’une âme qui s’expose – qu’un désir d’ailleurs – qu’une volonté d’échapper au pire…
La marche aussi lourde que le cœur – que l’esprit – que la terre sans visage…
Rêve d’un marécage où s’enlisent tous les voyages…
Souvent, l’étreinte et la distance ne suffisent à la guérison. Et l’on vit – et l’on meurt – avec ce mal incurable au fond de l’âme…
Comment oublier que vivre est d’abord une blessure – une blessure profonde – réelle – comme un refus inaugural – que l’on ne parvient que trop rarement à transformer en regard guérissant – et en joie indiscutable – souveraine – inconditionnelle…
Et ce silence – en nous – qui voit tout passer – le défilé incessant des états – la ronde permanente des phénomènes ; événements, émotions, pensées, sentiments – le grand cirque des joies et des peines…
Les hauts et les bas – simples dénivelés du destin…
Tout passe comme un rêve…
Quatre planches qui dérivent jusqu’aux eaux noires de la mort – avec posées dessus de petites figurines de glaise malmenées par les forces intérieures et les souffles du dehors. Mal en point – en déséquilibre toujours – sur ce grand fleuve sans soleil…
Rétrécissement de la lumière dans l’œil triste et fatigué. Sans la moindre perspective…
Il faudrait un rire salvateur – comme une tornade qui emporterait tout – et nous avec… Peut-être alors, reviendrait la lumière. Peut-être alors, le ciel s’éclaircirait. Et le regard pourrait répondre au rire en lançant quelques éclats de joie sur cette terre sans visage…
Un monde sans mirage – miraculeux seulement – sans personne pour se réjouir – sans personne pour s’attrister…
Des âmes et des mains – simplement – magnifiquement exultantes…
Dieu jouant avec nous comme deux mains battant les cartes – distribuant le hasard – les nécessités – l’infortune et la chance – à tous les joueurs présents autour de la table…
Les mille visages de la solitude ; et ses deux versants – celui de la joie qui donne le sentiment d’un privilège – d’une grâce – et celui de la désespérance qui donne le sentiment d’un exil – d’un abandon…
On a passé sa vie à soustraire ; et, à présent (à presque 50 ans), on accumule les « sans » ; sans logement – sans travail (au sens où ce terme est si étroitement utilisé de nos jours) – sans compagne – sans enfant – sans famille – sans ami – sans désir – sans projet – sans rien (ou si peu) ni personne…
A se demander si nous existons encore…
Et le rêve de l’Amour et de la lumière – brisé lui aussi…
Plus rien, vous dis-je. Pas même le néant…
Sans attente – et, pourtant, je sens encore au-dedans quelques espérances implorantes…
Homme encore un peu, sans doute…
Seul dans la nuit qui gronde et tourmente…
Seul au coude-à-coude avec les ténèbres – dans cette course vaine…
De projet en rupture – d’extase en désespoir – sur les petites montagnes russes de l’être…
Comme si vivre ou ne pas vivre revenait (exactement) au même…
Que me semble loin le temps du regard où mon âme et le monde s’y baignaient. Grande étendue de lumière sans remous où tout avait un goût de félicité…
Aujourd’hui, il n’y a plus ni alliance, ni consolation. On ne peut compter que sur son âme affaiblie et fatiguée. Et sur la page comme seule amie que, chaque soir, notre main retrouve…
Rien d’autre – comme si notre temps était passé – et, avec lui, notre chance…
Tout s’use – étoffe effilochée – déchirée en lambeaux qui pendent – pitoyables…
La lumière est devenue noire. Et le silence presque angoissant. Un Autre m’habite. Ce n’est pas moi qui note ces phrases – c’est celui qui souffre qui prend ma main – qui saisit le feutre pour tracer ces mots sur la page…
L’obstination – l’entêtement – ou l’habitude peut-être…
Riche – seulement – d’une œuvre sans lecteur – pathétique…
Sous le regard désolé de mes amis de papier…
Qu’importe – trop forte est la nécessité d’écrire – pas même le besoin de laisser quelques traces. Voir la tragédie se dérouler – simplement – avec cette distance, sans doute, indispensable – un exutoire pour l’âme triste ou joyeuse…
Des notes pour soi – comme des paroles que l’on s’adresserait à défaut d’autre visage…
Une compagnie salvatrice – comme une manière de se tenir la main – et de sentir, sur la page, un cœur vivant – un cœur qui bat encore…
Le pas et le cœur plus fermes – l’âme moins titubante – l’ascèse de la solitude – le privilège de l’exil. Le labeur du monde et de la sensibilité à l’intérieur…
Passant – comme un courant d’air – à proximité du point obscur – de ce centre approximatif entouré d’espérance…
Une marche – des forces qui s’épuisent et se régénèrent. La même énergie qui circule au-dedans et alentour. Dessus et dessous – à travers le souffle et les mouvements…
La gorge nouée au point de devoir respirer par l’Autre. Entremêlement pathologique – obscur – mortifère – qui confine à l’embarras – au manque lorsque l’absence se prolonge – et à la déchirure lorsque l’abandon devient définitif…
Comme une infirmité à vivre – étouffante…
Un peu d’air sur cet amas de peurs. Et, soudain, la déflagration – et des lambeaux d’angoisse qui retombent au fond de l’âme…
Zone délimitée autour du même point – qui se densifie sous le coup de l’éclatement. Comme une reconstitution – une resolidification – un élargissement – un approfondissement – de la blessure…
Des mots – des visages – un peu vagues – ordinaires – presque sans importance. Des figures que l’on rencontre – des paroles sans connivence – quelque chose de trivial – d’affreusement commun…
Et l’âme jamais écoutée – jamais assouvie – et que la nuit finit par ensorceler…
Un rire balaierait cette poussière…
Un coup de serpe sur le manque et la soif…
Et l’acharnement de la faux qui nous rendrait muet…
Injoignable tant l’affrontement est féroce – tant la survie est en jeu…
Une parole sensible pourrait tout faire chavirer…
On croit vieillir ; mais, en vérité, on attend…
On imagine – on élabore des plans – on s’éreinte – en pensée – en actes parfois – à trouver une issue. On brasse de l’air et des idées. On vit sans conséquence. Et puis, un jour, la mort nous fauche…
Nous avons – exactement – le même poids que le vide. Et, parfois (trop rarement), son envergure…
Tout se referme sur l’encre. Et la page suivante, peut-être, ne pourra jamais s’écrire…
Après les tentatives, la nuit – moins frêle qu’à l’accoutumée. Comme si nos forces diminuées lui avaient restitué son épaisseur…
Debout – à peine…
Une longue fatigue – puis le déséquilibre, puis le terrassement…
Ensuite, on l’ignore…
Rien, peut-être, qui ne vaille la peine…
Rivières – lacs – roches – herbes – arbres ; notre quotidien sauvage – notre refuge journalier en terre d’exil…
On aimerait parfois aller comme l’eau fraîche – infatigablement…
Temps d’averse sans refuge – nul abri – ni au-dehors, ni au-dedans. Où que l’on soit – des trombes d’eau qui déferlent – à chaque instant. Plus qu’une douche froide – une submersion – un plongeon au fond des abysses…
L’homme contemporain s’ennuie faute d’aventures et d’explorations nouvelles – plus de terra incognita pense-t-il… Aussi cherche-t-il le grand frisson à travers quelques indigents loisirs à sensation…
Qu’il plonge donc en lui-même et qu’il affronte ses pires démons – et il verra s’il n’y a pas là matière à frissonner – à vivre les plus grandes peurs – à côtoyer mille fois la mort et la folie – à devoir lutter sans cesse pour rester en vie…
Il n’y a, sans doute, de plus terrible épreuve – ni de plus belle aventure – pour l’homme…
Plongeon dans le noir – la terreur – l’inconnu…
A chaque instant – l’incertitude paroxystique – et la surprise de tous les revirements…
Mille Diables qui se déchaînent – mille bouches carnassières – mille couteaux acérés – prêts à vous déchirer – à vous lacérer – à vous dévorer… Et vous, nu et tremblant – entre coups et esquives – entre lutte et vaine négociation – l’âme vaillante et fragile qui s’incline et se redresse – qui s’incline encore – prête, elle aussi, à lutter jusqu’à la mort – jusqu’à la capitulation…
Pas d’allié, ni d’alliance possible. Seul contre tous – seul contre soi – le duel atemporel – le plus grand défi de l’homme…
*
Il ne faut rien croire – n’être certain de rien – ne se fier ni aux mots tendres, ni aux promesses. S’engager, donner et jouir dans l’instant du partage – puis, tout brûler – ne rien conserver – pas même le souvenir…
La beauté de la solitude qui, peu à peu, se retrouve. Cette force – cette joie – cette intensité – d’être avec soi – au cœur de l’essentiel – sans compromission – sans renonciation – l’être pour lui-même…
Il faut tout vivre – tout goûter – tout expérimenter – le pire et le meilleur – l’abominable – le plus terrifiant – le plus commun – le plus rare – le plus haut et le plus bas – pour commencer à savoir – un peu – ce qu’est vivre – ce qu’est l’homme – ce qu’est vivre en homme…