Carnet n°209 Notes journalières
Des mains trop grossières nées de la lumière – d’un désir d’apparaître, de sentiers et de cités heureuses…
La vision idyllique de l’âme – sans ses abîmes – et ce que nous devons traverser pour nous rejoindre…
Se poser à chaque ouverture possible – offerte par la géométrie du monde – essentiellement faite de ruines, de prétentions, de fonctionnalités et de scintillements. Dans cette ressemblance avec ce que porte notre âme…
Des mots comme des ailes vers l’inconnu – en ces lieux où nous serons toujours davantage nous-même(s)…
Un savoir déchargé – une justesse. Une manière de se tenir entre les rives – au-dedans de ce sang qui coule en nous – entre la terre et le bleu – à notre place…
Plus qu’un homme – en présence…
Plus qu’un nom – un geste…
Plus qu’une musique – le silence…
Ce qui devrait nous rendre plus proche – plus lisible…
Un peu de bleu dans l’âme et sur la page…
Quelque chose qui s’invite malgré nous – et que nous ne pouvons ni corrompre, ni pervertir (fort heureusement)…
La sincérité de la page – qui dévoile un monde – mille mondes – une âme – mille âmes – un instant – mille instants – aussi mystérieux – aussi inconsistants – aussi authentiques – que la table sur laquelle on écrit…
Ce qui – en nous – se dissipe dans la clarté…
Tout s’effondre et s’efface. Ne restent plus que l’attention et l’Amour – et ces quelques traces sur la page. Le reste est parti – s’en est allé avec nos adieux et nos larmes – avec ce qu’il nous restait d’intimité…
Il y a de la nuit – immobile – en quantité – dans ce qui nous revient – des trous comme des plaies – et notre petitesse devant l’envergure de l’énigme. Et notre cœur fragile – friable – vivant – palpitant – et ému (si souvent)…
Dans l’intimité des choses – la dissipation des nuées – le temps et l’imaginaire – la chute et le silence – l’être et le monde à égales distances. Et l’âme, selon les instants, qui penche vers sa préférence…
Tout se retire – même la voix des livres. L’âme entre l’illusion et le temps – et nous autres déjà prêts à sauter dans l’imaginaire…
Des fables – et ce que nous sommes – peu fiables – trop friables. Si passagers. Et, au fond, ce qui demeure…
Des mondes parallèles – presque cloisonnés par la psyché – et indistincts depuis l’esprit. Une unité – une mesure – mille carrefours et autant d’embranchements. Des sentiers parcourant le même espace. Des clairières et des batailles. Ce que l’intériorité nous révèle…
Le même regard – le même visage sur la joie et la tristesse. Et d’étranges mains qui distribuent les cartes – le jeu – le sommeil – la mort – la vérité. Quelque chose comme une signature. Une forme de prélude incompréhensible…
Des mots – des sons – des cages. Et ce qui traverse les mirages et la frénésie…
Le silence plus proche de l’argile que de la parole écrite et prononcée…
Les abords d’un autre langage fait d’âme, de gestes et de sang…
La nuit du temps – et les noms que l’on pose sur les visages. Une forêt – des cités – des civilisations. Quelque chose de l’homme – entre l’élan et la boiterie – entre la chute et l’envol. Comme un regard sur le monde décoché depuis les plus hautes cimes…
Du sable – des enfants – des portes fermées – et des masques fragiles face à la nuit qui dure…
Et toutes nos gesticulations avant d’être, un jour, transformés en statue…
Parfois, le jour nous offre la désolation – la résultante d’orages trop violents – mille évidences…
Le monde comme une longue respiration – quelques tombes – et tout ce bleu étrangement déguisé…
Un peu de nuit et le silence…
Des Dieux qui nous poussent et entrechoquent nos têtes. L’aube qui se dresse dans le froid et dans nos âmes trop sombres – trop absentes…
Cet étrange sommeil à la surface des apparences. Comme si l’esprit s’était retiré – comme si l’esprit n’habitait que le faîte et les profondeurs…
L’absence et l’obscurité – les seules mamelles que tètent les bouches du monde – du dehors…
Une pluie sombre et la tête trop légère – trop étourdie – inattendue au milieu des rêves et des prières…
Il faudrait réinventer le songe – lui donner des airs de retraite – de repli hivernal – un intervalle de repos – une possibilité de ressourcement – avant de revenir au monde – de retrouver le réel – de pénétrer au cœur du silence – de redevenir présence vivante – attention sans faille – aire d’accueil de toutes les formes de réalité…
L’épaisseur du trait dans cette marge du monde inhabitée. Du vent et de la clarté au milieu de la phrase – au milieu de la page – comme manière de s’opposer à cette odeur de sommeil qui ressemble tant aux effluves de la mort…
Ce qui se creuse au cœur de l’âme – cette trouée qui, peu à peu, s’élargit…
Ce bleu sans fondement qui perce la croûte tendre – toutes les peaux de la terre – pour offrir au monde un soleil approprié – et remplacer le rêve par une lumière sans chimère – un ciel sans étoile…
Dans l’effondrement du temps – nos vieilles dépouilles – nos rêves de lumière – les heures sanglantes – l’encre noire des traits sur la page – les armes factices et toutes les âmes de la terre…
Ce qui peuple l’homme – le monde – les forêts…
Rien qui n’appartienne au silence – ce qui s’apparente à la route – au périple – au voyage…
De ciel et de silence. Et de terre et d’instincts tout autant – ces âmes si peu sages qui pillent tout ce qui apaise la faim…
Personne ici – que des fantômes qui se dressent. Peu de livres – très peu – peu de sagesse – quasiment jamais – et beaucoup de faim – presque exclusivement…
Mille parenthèses possibles – dans le souffle qui nous a fait mortels ; l’aube qui se dresse dans le silence – la nuit qui s’ouvre – le monde en miettes – et ce qu’il faut à l’âme pour retrouver son innocence…
Des mots qui brûlent au soleil – qui contredisent le temps – l’histoire en marche – les corruptions du miroir…
Plus notre image que notre essence – en vérité…
Reste – en soi – ce que rien ne peut dissiper – la présence sans nom qui avale les visages et la nuit – l’enfer et toutes nos pauvres consolations…
En tout – la beauté du monde et l’âpreté – la magie et la malice. Rien qui ne soit de trop – de la nécessité et du provisoire…
Chaque chose à sa place dans la ronde (incessante) des phénomènes…
Rien ne devrait s’interposer entre l’élan et le geste – la pensée et la parole – le silence et la page. Rien qu’un regard et la prolifération de tous les possibles…
L’œil, la sagesse et la folie…
Jamais aucune incongruité – jamais aucune anomalie…
Comptable de rien – pas même des erreurs et de l’abîme – ces inventions de la psyché…
Des histoires qui s’impatientent et se déploient. Des pages qui brûlent. Des racines trop présentes. Des singularités à l’origine (toujours) trop lointaine. Des regards à la ronde. Et le constat – jamais démenti – d’une incessante circulation dans l’enceinte où nous sommes confinés…
Une ronde permanente jusqu’à devenir – dans le même instant – le centre de l’œil et le cœur de l’action…
Une chambre et des alphabets – ce qui a initié notre naissance – notre mise au monde – et cette manière si singulière d’y être présent…
On n’écrit rien – on ne construit pas – on témoigne (simplement) de ce qui semble passer…
Pas même une chambre – pas même un vêtement – juste une présence – un œil et une main…
Ce que l’on note chaque jour – comme l’on écrirait à un inconnu…
La page comme une fenêtre – un souterrain – des fenêtres – des souterrains – la cité du silence et la foire aux bavardages – des murs et des passages – mille trous à creuser au fond de l’âme…
Ce qui gouverne la main qui court sur la page – à l’instar de ce besoin de silence et de solitude qui dicte nos pas – et décide du lieu du jour ; l’irrépressible aspiration à vivre l’existence – l’Absolu – la vérité – ensemble (et de manière aussi intense et permanente que possible)…
Rien que des exigences – de l’essentiel et des nécessités – cela seul est primordial – vital – déterminant…
Le feu – le silence et la lumière. Et mille larmes – une profonde sensibilité – pour offrir un peu de tendresse à ce qui vient…
Rien ne résiste à la nécessité – celle des assemblages (provisoires) et des effondrements (définitifs)…
La ronde des choses et des visages…
Et le regard sur les murs et les chemins – édifiés et détruits…
Les visages sans cesse outragés par la domination et la mort – par la violence du monde et les limitations de la matière…
Le vide – le manque et la douleur. Et ce que la foule tient pour une promesse formulée par quelques sages…
Par la fenêtre – derrière le soleil – on voit la terre noire – et derrière encore – le sourire des Dieux…
En vieillissant – ce que nous avons oublié – ce que nous avons perdu – de l’enfance ; il faut le retrouver avant l’heure dernière – au plus vite – le plus tôt possible – avant que la nuit et le passage ne nous dérobent le plus précieux…
Un équilibre entre mille mondes possibles…
Un regard sur ce qui se cache derrière les noms et les visages…
Le bleu nous dévisage secrètement – de manière à ne pas nous importuner – à la façon des Dieux et des chats – discrètement – sans jamais être vu…
Des blessures encore – des douleurs parfois. Ce que l’esprit secoue dans la mémoire – ce que les circonstances déterrent sous le sommeil et la torpeur…
La nuit variable et ses étranges frémissements…
Et ce qui rôde autour de nous en attendant la joie…
Un pied dans chaque monde – les pas dans la course des vents – la poitrine qui se gonfle avec le reflux des océans – le visage au plus près du soleil…
Et l’âme qui sautille – insouciante – d’étoile en étoile…
Entre l’en deçà des frontières et le sans limite – des pas avec la même tentation que la possibilité des mots – l’infini – l’impossible – l’indépassable…
Et des gestes au-dedans déjà d’un royaume illimité…
La rencontre et l’évidence – ce qui se faufile entre l’envisageable et l’égarement…
Mille chemins qui serpentent entre les fosses…
La posture de l’homme au-delà de la joie…
Se tenir les deux pieds sur terre – bien au-dessus des fables – entre les loups et la lune – à hurler comme les monstres et les suppliciés – à marcher sous la pluie des mythes – l’âme encore trop immature pour replanter un peu de ciel sur le sol…
Derrière les barreaux du sang – le désastre à nos pieds – la haine portée encore à bout de bras. Et ces larmes qui coulent face l’impuissance et au temps – face aux ricanements des Dieux…
L’impossibilité d’être un homme…
La faim grandissante dans le ventre qui s’élargit – et se répand dans le reste – quelque chose comme une ombre et une marche sombre – un désir de soleil impossible…
Un rêve – le plus haut – anéanti…
Rien que du sommeil et des saisons. Le temps qui traverse la torpeur…
Des Dieux – des portes – des histoires. Et la lumière qui brille depuis l’origine de tout…
A présent – il n’y a plus que des cendres et des paroles perdues…
L’affrontement et l’oubli – sur ce qui nous a terrassé – le cours insipide de la nuit…
Des mots presque indéchiffrables sur la page. Des traits et du sens éminemment singuliers…
Le juste équilibre des éléments selon les choses et les visages – en fonction de leur rôle et de leur usage…
Du sang et des montagnes en passant par mille ombres et le langage – l’or, l’horloge et la nuit…
La commune mesure du monde…
Jamais aussi haut qu’en nous-même – au faîte de soi – au-dedans de l’individualité humble (dans la plus haute humilité imaginable) – celle qui ne sait pas – celle qui n’a jamais su – celle qui ne saura jamais…
Ces chemins qui se suivent – et tracent, en nous, leur sillon. Du sang et un peu de transparence – mille émotions et cette voix qui chante…
L’aube et l’habitude en toutes saisons…
Tout prend forme – disparaît – avant d’être remplacé – jusqu’au jour où plus rien n’apparaît – où plus rien ne s’invite – où même le temps et la mort n’existent plus…
Tout est arraché avant d’être vu de l’intérieur – puis, l’éclatement des frontières efface la séparation entre le dedans et le dehors – entre le centre et les marges – entre le fond et la surface…
Tout alors arrive – tout alors peut arriver – n’importe quand – n’importe où – n’importe comment – à n’importe qui…
Tout est mélange – et mélangé…
Ainsi se franchit le jour – et disparaissent les restes de l’homme – ces misérables reliquats d’humanité…
Infimes bouts d’énergie – animés par la peur, la faim et l’ignorance – occupés tout au long de leur existence à mendier et à vociférer…
Rien – et, souvent, cela (nous) suffit…
La langue des apôtres d’une religion très ancienne – la plus naturelle – celle que nous avons oubliée depuis (trop) longtemps…
Une poignée de paroles que l’on jette derrière son épaule…
Et – aveuglement – on suit l’itinéraire – on écoute la voix se déployer – l’espace et le silence nous envahir – devenir ce rien indéchiffrable…
Proche jusqu’à ne plus rien voir – jusqu’à ne plus rien distinguer. Tout être – tout aimer – d’un seul tenant…
Toujours – ce que nous sommes…
A peu près rien – cette infinité…
Entre l’errance et l’immobilité…
Un peu de vapeur – des nuages – simplement…
Rien ne peut être vécu – rien ne peut être dit – dans sa globalité. L’instant et le fragment comme seules mesures possibles. Et de l’autre côté – sur l’autre versant – l’être goûtant en silence le Tout – plus que palpable…
On croit vivre ; en vérité – on accumule les sommeils…
On croit être quelqu’un ; en vérité – nous ne sommes personne – nous sommes tous les vivants – tous les visages du monde…
On croit être limité – nous sommes l’infini – le plus que possible…
Nous croyons être maîtres et possesseurs – mais il n’y a de propriétaires – en vérité…
Nous pensons être des hommes ; pas même des visages – des phénomènes passagers – des nécessités soumises aux circonstances – ouvertes à toutes les opportunités…
L’effleurement de l’invisible – puis, la réconciliation – le silence qui s’approfondit. Au centre de l’être – au centre du monde – un chant comme un remède au temps – à l’anéantissement de la matière – au pourrissement des vivants sous la pierre…
Tous les drames sont des miroirs – et toutes les joies aussi…
Moitié de terre – un quart de ciel descendu – beaucoup de vide et quelques accessoires pour jouer avec le monde – tenir la place que les Autres nous accordent ou celle que l’on croit arracher au destin – dans cette (illusoire) invention de soi-même – fantôme dans son propre labyrinthe…
Ici – et dans la trame d’un autre lieu – dans cette double proximité – l’une géographique et l’autre non localisable…
Il ne reste rien – de rien – aujourd’hui – hier – demain…
Vains efforts pour que subsistent quelques vestiges. Comme le reste – ils seront engloutis par la nuit – le néant – l’oubli – excepté, peut-être, l’écho très lointain de la première parole – ce cri inarticulé de l’être – surpris et émerveillé – lorsqu’il prit conscience de son potentiel créatif dans son jeu avec le réel…
Ce qui se préserve – le regard et l’oubli…
Tout le reste se dissipe ou n’est que pure invention…
Cette obscure étrangeté du monde…
Rien qu’un trou au fond des yeux dans lequel tout finit, un jour, par s’abîmer…
Le monde ; de la terre – des fables – quelques visages – mille objets – très peu de choses, en somme…
Rien que des mondes dont nous sommes l’interface – un même espace – en vérité – abandonné au silence – aux yeux – aux mouvements – à la cendre – à la joie – à l’absence – à tout ce qui fait de nous les preuves vivantes de notre ascendance…
Nous n’appartenons à aucune autre histoire que celle de l’origine – mille fois déployée – mille fois repliée – et qui enchaîne les éternités comme des instants…
Tout vacille – est incertain ; et, pourtant, nous sommes là – encore – toujours – malgré le monde – tous les assauts et toutes les incertitudes du monde – positionnés autour du même axe – autour du même centre – cette présence silencieuse…
Une seule voix pèse – parfois – plus lourd que mille années de compagnonnage – de proximité singulièrement étrangère…
Et nous avançons ainsi – par à-coups – par révélations soudaines – comme attirés par une étrange lumière qui nous guide à travers un labyrinthe de miroirs…
Navigation errante sur les rives – à tourner entre les sommeils – entre mille sommeils – autour du même océan. Le vent – partout – qui pousse. Et le silence – à peine – entrevu au-dedans…
Tout change – vite – varie – se dresse – nous redresse – explose – nous torpille – presque à chaque instant – un nouvel horizon – quelque chose qui surgit – qui fleurit – un nouveau bout de chair – une nouvelle étoile…
Et, parfois, une grande inquiétude à se laisser perpétuellement entraîner dans la danse – comme des résistances de la psyché face à l’incroyable liberté de l’esprit…
Et des tremblements et de la joie – pourtant – à participer à cette matière virevoltante…
Devenir cet étranger – personne – n’importe qui – une vague silhouette qui passe – presque une absence…
Ce que l’on nous arrache jusqu’à l’oubli…
Ce qui s’oppose – ce qui résiste – aimerait une terre plus juste – des apparences plus équitables ; la preuve (flagrante) d’une méconnaissance d’une justice invisible et souterraine…
Un chemin vers le silence – des fenêtres – peu de visages – presque aucun – l’érosion des structures – l’effondrement de la mémoire – l’oubli à la place de l’interrogation…
Une âme de plus en plus blanche…
Des gestes au détriment du rêve…
Les ombres rassemblées – et brûlées – une à une…
L’étendue qui se répand pour détrôner le sommeil et l’absence…
La vie et ses joies – sa poésie. Peu d’objets sous la lampe. Des saisons qui passent. Des pas et des étreintes. Quelques pages. Ce que les jours entament – émiettent – déchirent. Et ce rouge qui se vide, peu à peu, jusqu’à la dernière goutte – jusqu’au dernier instant…
Tout est déjà ailleurs – non par manque de courage – mais par obéissance à l’éphémère…
Le réel – partout – variable – espiègle et rude – dont l’âpreté blesse la chair – toute matière – ce qu’il est – et l’éparpille en lambeaux…
Bouts de soi – bouts des Dieux – admirables fragments de silence…
De la brume – l’imaginaire et ses abîmes – le réel et la mort – ce qui nous fait face – impitoyablement – ce contre quoi on ne peut lutter – la lumière qui n’est plus la lumière – à peine une clarté – quelque chose de trop lointain pour être visible – et s’approcher…
Il n’y a plus ni chemin, ni langage – un pas et une parole à la fois. Rien qui ne se suive – juste une étoile – comme une étoile – une modeste étoile – à chaque instant – jetée dans la nuit…
Il nous faut apprendre à mourir avant la mort – à nous effacer avant l’effacement naturel – vivre cela – de son vivant…
Aller au bout de l’ivresse – du désordre – de l’exaltation. Transcender l’attente…
Aller au-delà de l’extase et du vacillement…
Embrasser l’inimaginable…
Nulle part – ni au-dehors – ni au-dedans…
Là où il est impossible de fuir – là où l’on est – où que l’on soit…
En pleine lumière avec pour seules ombres celles que l’on porte…
Rien que cette poussière – ces décombres – ces désastres. Le monde tel qu’il est – sans la moindre espérance. Et cette clarté invisible au-dessus – le signe que la nuit n’a pas tout envahi – n’est peut-être qu’une apparence – une matière de surface…
Quelque chose se dépose – se disperse – s’installe – s’efface – on ne sait ce que c’est ; l’aurore – un songe – la source – une présence – comme une tendresse au milieu du tumulte et de la faim…
Une manière de se quitter – de glisser – hors du cadre – de descendre plus bas que les enfers – de se hisser au-delà des rêves – de participer au chant de la source et du mystère – de célébrer ce qui demeure et la fragilité de ce qui passe…
Rien qu’un peu de terre et d’âme – ce que nous sommes. Et pas grand-chose d’autre. Si – ce que nous y ajoutons – inutilement…
Un peu de feu dans le brouillard – le signe que tout n’est pas que gris et néant…
Tant de différences – en définitive – entre ce que nous sommes et ce dont nous avons l’air…
Ce que nous léguons – et léguerons – au monde – des restes de vent et de poussière – à peu près rien, en somme…
La tête inversée – dans la paume – comme une offrande – un sourire face à l’absence – la trace discrète d’un silence retrouvé. Comme une fleur et un peu de ciel mélangés. Une manière, peut-être, de faire couler quelques larmes – de faire naître quelques chants – d’offrir ce dont l’Amour a besoin pour éclore dans notre sommeil…
Ce qui nous enchante lorsque personne ne nous voit – lorsque l’on est seul dans les bras de la solitude – lorsqu’il n’y a plus personne pour se lamenter ; nos larmes qui ont la douceur de l’Amour…
Rien qu’un regard et des gestes tendres – le vide – le cœur sensible et l’oubli. Une âme et des mains sans colère – sans violence – sans la moindre tache de sang…
Peut-être sommes-nous les derniers voyageurs du dernier train sur le dernier quai de la dernière gare du dernier monde… Qui sait… qui peut savoir…
Ce qui différencie les êtres – la quantité de ciel dans l’âme et la tête. Des univers, parfois, les séparent – un infini – comme entre l’étoile et la pierre noire…
Au fond de chaque abîme – il y a – pourtant – un soleil. Si penché parfois que l’on ne remarque que le sommeil – ce qui nous glace les sangs – ce qui nous fait frémir – ce qui nous plonge dans la stupeur – ce qui nous donne envie de hurler et de tendre la main pour frapper – secouer – secourir – accompagner – ce qui peut encore échapper à l’habitude et à la torpeur…