Carnet n°219 Notes journalières
Rien qu’un œil – une écoute – dans le silence – au-dessus des variables du monde…
Les clés du mystère…
Un seul jour éparpillé en autant de fragments nécessaires…
La masse indistincte – sans visage – à gesticuler dans la fosse…
Et du temps qui s’échappe – en apparence…
Des champs d’écume – à perte de vue. La surface d’un océan – une épaisseur opaque. Et un chant – une parole – comme une fenêtre – une éclaircie – un peu de lumière – un peu de ciel offert – pendant un court instant…
Chaque jour – tout revient – le soleil comme la nécessité de la page – la parole qui jaillit du silence pour s’imprimer sur la feuille blanche…
Les mille gestes que réclame le quotidien terrestre…
Le monde tel qu’il est…
Rien – pas même un élan – pas même une ressemblance – quelque chose d’inconnu, à chaque fois, et qui se répète – comme l’exacte contrepartie de l’oubli…
L’absence lézardée – de part en part – comme une étoffe que l’on déchire – un visage lacéré – une blessure nécessaire…
Le gouffre, à présent, exposé – la faille douloureuse soudain devenue béance criante. Manière de faire aboutir le réel – l’essentiel – la voix, puis, plus tard, le silence – comme un baume – une épaisseur réparatrice – dense et légère – le seul remède aux souffrances du monde – aux souffrances de vivre…
L’attente d’une lumière ou d’un souci – le labeur de l’homme – à creuser jusqu’à la source…
Le soleil convoqué à heure fixe pour une étreinte – la sauvagerie dans le sang – le temps – le rêve – l’espérance – les voies humaines les plus communes…
Présent là où la besogne doit se faire – l’attention portée à l’exacte place – le travail incessant de la tendresse – la percée progressive de la lumière…
La parole entre la lune et le sang – comme une flèche censée faire exploser la mémoire et le temps…
Des jours – et personne – un peu de ciel dans la tête – et le silence du monde devant soi. La vie sans la moindre image. Le soleil concentré dans l’âme…
Au commencement du monde – l’heure exquise – puis, la lente dégradation – ce que n’avaient pas prévu les Dieux dans leur ivresse – dans leur vertige…
Au premier jour déjà – l’enfance déclinait. Et au premier automne – le tourbillon du sommeil s’était déjà installé. Le reste ne fut qu’une progressive asphyxie – et l’attente distraite (et douloureuse) de la mort…
Des pierres et des larmes – nous-mêmes – ces visages durs – perdus déjà peut-être – incorruptibles – qui ne se laisseront jamais défigurer par le silence – arc-boutés sur leurs cris coincés au fond de la gorge – la poitrine suffocante – l’esprit trop fier pour oublier – s’abandonner – se laisser pénétrer par l’ambition de l’Amour – notre seul territoire – pourtant…
De la vieillesse sans célébration – l’intimité, peu à peu, réduite à l’intérieur silencieux des lèvres – à cette forme de silence desséchant – le souffle chaotique – l’œil sans étonnement – presque éteint – aussi épuisé que l’âme inutile – abandonnée au fil des saisons…
Ce qui circule entre le bleu et l’être – ce qui maintient vive la flamme de chacun – malgré la nuit – le froid – malgré les eaux noires et la terre qui, peu à peu, nous ensevelit – nous étouffe – nous condamne à trouver une autre issue…
Ce qui monte vers les terres mensongères – le bleu sans tache – un langage clair – l’identité sans usurpation – un monde sans folie – une humanité sans illusion. Et ce qui nous rassure – ce qui nous protège – ce que nous édifions – tous ces actes (et tous ces gestes) inutiles – ce à quoi nous occupons notre vie – les (trop longues) prémices du réel labeur de l’homme…
Nous sommes – comme cette flamme ensevelie – pas même une espérance d’île au milieu des ténèbres – la barque qui fera naufrage (avec tout le reste) – des tourbillons de sommeil dans la nuit agitée – sans remède…
Immobile sous la lampe – comme ces pierres à l’ombre de la mémoire – dans la respiration d’un silence étranger – presque hors saison…
Ce qui résiste – le grand écart qui nous fera chuter…
Comme un retour nécessaire à la source – au plus simple – au geste originel…
Ce que les ruines nous annoncent – nous révèlent – non pas la malédiction du temps – mais son absence déterminante – le lieu où les choses sont réunies pour transformer les combinaisons – les incessants échanges de matière et d’énergie que nous additionnons dans un sentiment illusoire de continuité…
Le vent des cimes et du silence – sur les voyageurs – les oiseaux – la lune – ce qui prétend exister – ce qui secoue – martèle – déchire – manière d’effacer toutes les certitudes – invitation à s’incliner – à ôter l’apparence et l’inutile – la tentative appropriée pour retrouver le regard simple – innocent – des origines. La nudité parfaite que nous avons – toujours – trop recouverte – trop habillée…
De l’ombre à rebours – comme un lent décompte vers la lumière – le monde devenant, peu à peu, comme autrefois – un immense jardin – l’infini terrestre sans visage – un caillou dans le cosmos – et dans cette confusion des échelles – au cœur de ce cafouillage, soudain, la naissance d’un regard plus lucide qui donne à voir autrement – de manière plus simple – plus large – plus souterraine…
Ce qui demeure – partout – en attente d’Amour – ce qui émane de l’intérieur – le même appel – la même nécessité – quels que soient le lieu et la forme…
Ce qui s’élève avec le rire – dans le vent – les bras ouverts – des gestes – une voix – et qui retombe sur la terre avec délicatesse – comme de la neige sur les chemins noirs – comme une épaisseur sur le froid – pour initier une autre manière de vivre et d’habiter le monde…
Rien sur les pierres – pas même le temps – pas même la chair – plus légers – envolés – comme les portes et l’angoisse. Tout s’est ouvert au ciel. Et le silence est devenu le sol – comme au premier jour du monde…
Un jour et une nuit sans rive – comme un centre tournant autour de lui-même – qu’aucune main ne peut saisir – qu’aucun bras ne peut hisser sur notre épaule. Nous portons autre chose – le poids du sommeil et la promesse de l’invisible – les clés des saisons indolores – rien qu’un changement de peau apparent…
Ce que l’invisible nous révèle du bleu – du temps – du sentiment. Quelque chose qui change d’humeur et de visage – des fragments assemblés avec un peu de joie ou d’orage – l’innocente étrangeté du monde – rien qu’une surface – qu’une étoffe – avec au-dedans – partout éparpillé – le mystère…
Le rideau – obscur – épais – misérable – comme de la boue accrochée aux yeux – aux pas – au-dedans de la tête…
La tristesse orageuse de l’homme – l’inertie de l’âme – comme un écart que rien ne peut combler – que rien ne peut effacer…
La nuit – comme son propre visage qui se reflète dans celui de l’Autre – deux miroirs sombres qui se font face…
Rien qu’un lieu – pas même une énigme qui mêle la source et la voix – le silence et le foisonnement – la trace du périple et le triangle externe – étendu – ce qui subsiste après l’homme – l’envergure…
Entre l’effroi et l’apaisement – le désenchantement du monde – l’éloignement des yeux. Les vertus invisibles du regard – ce qui s’allège avec l’hiver. Le fond de l’esprit face à la mort. Ce qui arrive, un jour, après avoir vécu trop près des hommes…
Le martèlement de l’âme dans la (trop grande) proximité de la chair. Des fables sur les pierres qui se déversent dans les têtes – avec un peu de sable autour…
Des rêves et du langage – l’alphabet de l’illusion. Les balbutiements d’un questionnement. Le début, peut-être, d’un autre voyage…
Des questions – plus bas – qui s’entassent. Et la nuit par-dessus qui donne aux yeux – à l’esprit – cette épaisseur opaque. L’indifférence de la réponse pourvu que la faim soit satisfaite…
Devant les Autres – la tête face au sommeil. Là – tout à côté – parallèle au monde. Le visage au-dessus du théâtre – au-dessus du cirque. La parole enjambant les Dieux endormis – la torpeur des hommes. L’âme sensible – parmi la tragédie des bêtes et des choses…
Ce que l’on griffonne parmi les ruines – poussière sur laquelle on soufflera bientôt – sur laquelle aucune larme ne sera jamais tombée…
Le ciel à l’envers – et la tête en bas – le front enfin à hauteur d’herbe. Des lignes – des choses – un visage – que l’on oubliera aussitôt le tombeau fermé…
Personne aux funérailles – l’azur – le vent – quelques oiseaux – de grands arbres et l’herbe fidèles. Pas la moindre face humaine. Le même cercle de solitude que de son vivant…
Le bleu – encore – comme une lumière à peine aperçue – à peine décrite. Le prolongement de la figure et de l’étoile. Et la danse ininterrompue sur la route des ombres – ce que nous inventons pour nous sentir vivants – faussement libres – malgré le jeu du monde et du temps…
Rien de ce que nous traversons – l’interrogation pulvérisée – le sang et la cendre – l’axe déroutant de la rencontre – ce qui impose l’éloignement et la solitude. Quelques traces dans le sable sale et piétiné – une succession de pas qu’effaceront les prochaines vagues…
L’envol comme le prolongement naturel de la chute – et non comme miracle – ni comme ascension hasardeuse ou inattendue…
La voix de la parole – et non l’inverse – ce qui tend à la rencontre – les racines – quelque part – au cœur du silence – en soi – comme la douleur et la lumière…
Rien à poser dans les bras de l’Autre – dans la main du monde. Un regard seulement – qui s’éloigne. Une assise au-delà des lieux – des ombres – des postures – dans ce que rien n’épuise. Hors du temps qui se succède à lui-même. Hors du sable et des songes – dans l’imperceptible aux yeux humains…
De brisure en brisure – jusqu’à la dislocation totale – parfaite…
Loin – très loin – de la colonie moutonnante…
La célébration de la soustraction jusqu’aux cendres – jusqu’aux racines du vide – après le douloureux (et salvateur) labeur du vent…
Rien que des traces invisibles dans le silence…
Le jour et la solitude – comme seul repos – seule nécessité de l’âme…
Avec le monde – rien que des ombres à partager. Et rien que des tombes à la fin du temps prêté – donné pour (presque) rien…
Des figures et des chemins – immobiles. Des existences sans vertige – sans métamorphose…
L’image du monde – des Autres – et ce rire – et cette colère – qui n’en finissent pas – et qui n’en finiront, sans doute, jamais…
Trop peu d’étreintes sur la pierre…
Trop de douleur et de gestes insensés…
Rien que le déplacement des ombres – ce que s’échangent les âmes…
L’enchantement d’un Autre – en nous – dans ce corps gisant – presque de la jubilation à vivre si peu – dans la proximité de la mort…
Le cœur chamboulé – bancal – déchiré – défait par trop de présence grise – de faces opaques et désenchantées – le manque criant de soi en l’Autre – l’approche terne des saisons – les yeux sans interrogation – l’âme fate et sans réponse – de la terre partout comme une épaisseur brunâtre dans laquelle s’empêtrent les gestes et la possibilité de la lumière…
Ce que la nuit dilapide – ce que l’esprit peut comprendre – Dieu entre nous et la vérité – le monde en-dessous – et la tête en flammes – ce qu’il nous arrive d’entendre…
Main dans la main avec tous les délires…
Des fragments de source dans la parole…
Notre solitude la plus solide…
On se lève – perdu – déjà le jouet d’un Autre – du monde – des Autres – de quelques-uns. Le cœur brûlant au milieu de l’hiver – long – interminable – la seule saison en ces terres oublieuses des âmes…
Pas même une enfance – des chemins trop prévisibles – édifiés par de faux sages – tous ceux qui voudraient qu’on leur ressemble ou qui aimeraient se maintenir au-dessus de nos têtes…
Et puis – soudain – toute cette solitude offerte – conquise peut-être – patiemment édifiée avec les briques de l’invisible…
Ça se tord – ça s’enlace – ça se heurte – au-dedans. Et l’on a vite fait d’attraper quelques lettres pour jouer avec – découvrir un bout de vérité – se tenir debout – seul face au monde – seul face à la foule. On ne dit rien – on n’aboie pas (jamais) avec la meute – on reste silencieux – on est là – présent – à vivre – à respirer, peut-être, pour la dernière fois…
Des fissures qui dessinent sur notre âme – notre visage – une géographie particulière. Des trous à la place des pensées – des failles grandissantes – mobiles – qui s’élargissent sous les assauts du vent et de l’oubli. L’âme libre – aussi folle que la main qui tente d’agripper autour d’elle quelque chose – un peu de sable – pour avoir l’air moins nue devant la source – invisible – introuvable – au milieu de l’absence – au milieu des Autres – ces fantômes…
Quelque part – là où l’on s’imagine vivre – parmi les ombres…
De brisure en rupture – autant de soustractions nécessaires – jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien – pas même un nom – juste un regard égal sur toutes les variables (et toutes les variantes) du monde…
Autant de visages autour de soi – et pas un seul d’humain. L’œil qui se retourne sur personne – à courir le long des miroirs – reflets encore – sans la moindre présence…
Du silence et du sommeil – en quantités égales – et (approximativement) la même épaisseur – ce qui laisse présager un long et rude labeur…
De la blancheur et de l’écume…
Tout s’use excepté le vide – le regard – l’innocence…
Des yeux – une âme – un regard – des mains – tournés vers l’invisible…
Nulle part ailleurs – où prédominent (toujours) les images…
Des pas dans la poussière – quelques traces sur la neige – la vie bras ouverts au vent. Une chambre dans la lumière…
D’un soleil à l’autre – silencieusement…
Une âme – une table – du papier. Et l’encre jetée sur la feuille par le ciel – à travers la main – ce qui guide le feutre patiemment – avec fougue – comme la seule activité possible – salutaire. Et le reste offert au nécessaire – à l’essentiel – à l’être – à ce qui contemple…
Encore trop de zones imprécises pour s’offrir pleinement – entièrement (et de manière permanente) au silence…
Mille signes – mille pages – mille livres. Un peu d’âme et de sang – de la chair et de la sueur – ce que nous avons été – et ce qui restera pendant quelques saisons – le temps d’un soupir – le temps d’un souffle retenu…
Toute la besogne possible au cours de notre (très) bref passage…
Du monde – à la rescousse de rien – de personne…
Des gestes pour soi – en sa propre absence…
Des chemins qui s’ignorent…
Des reflets de visage dans le miroir qui s’inclinent…
Le garant d’aucune exigence – ce qui pousse sur le sable avec les fleurs…
Partout – toujours – les mêmes têtes de l’ignorance et de la cruauté – les pires, sans doute – celles qui s’imaginent savantes et généreuses…
De l’entente ignorée – bannie – interdite presque. Le combat des fronts appuyés les uns contre les autres – béquilles et lances – tout à la fois…
Comme un soleil gris – annonciateur et pourvoyeur de toutes les pluies à venir – dans l’âme – les veines – sous la peau – partout où règnent le manque et le rêve – de la tête aux pieds – jusqu’à l’épuisement – jusqu’à la mort…
Personne – ni devant – ni derrière soi. Seul sur les pierres – à regarder le ciel – le monde – le désert – à écrire sur le sable que nul n’existe – qu’il n’y a personne (pas la moindre âme) sur ces rives – et voir cela comme une offrande – le privilège (parfois douloureux, bien sûr) d’un regard qui cherche sa nature – son envergure – l’infini amoureusement silencieux…
Il y a des époques où tout sommeille – où même les monstres et les Dieux sont endormis. Et malgré les protestations – l’agitation – l’effervescence – ces siècles ont les yeux clos…
Du dedans – un autre jour – comme un soleil téméraire qui s’avance vers la main – vers la tête – malgré la nuit enveloppante et les ombres alentour…
Nous n’affrontons que nos fantômes que nous prenons pour les pires démons du monde. L’Autre – c’est nous – en plus réel – en moins déformé par notre prisme pathologique – le socle de nos images et de nos idées – de toutes nos (trop) trompeuses représentations…
Un peu d’encre sur la matière lisse – pour vider ce qu’il reste dans l’âme – comme un transfert du dedans vers le monde – un peu d’intériorité offerte au vent…
La volonté éteinte – pas une seule pierre dans la poche. La légèreté du souffle – la fluidité du sang. La voix et la nécessité de la parole comme seules rugosités…
Les mains vides – les fleurs à leur place – le long des berges sauvages – dans le prolongement des grands arbres de la forêt…
La somme des douleurs – et les flots de larmes qu’elles ont suscités – perdus – au fond de la mémoire peut-être – dans un recoin de l’esprit qui saura les retrouver le moment venu…
Rien d’effacé – jamais – tout en soi – à l’état de possible (ou d’imaginable)…
On reste – en soi – devant les portes du monde – devant l’absence manifeste – le sommeil et la confusion – l’ignorance et l’aveuglement – les mille petites lampes inutiles – sans portée – quelque chose d’infime…
Plus un fardeau qu’une possibilité…
Le plus modeste – en nous – que l’on dénonce – que l’on tente (en vain) de redresser – que l’on voudrait rendre plus présentable – au lieu de le laisser envahir tout notre être – jusqu’à nos plus infimes recoins – jusqu’à ce qu’il imprègne toutes nos (absurdes) prétentions…
Le seul visage – en soi – celui de l’innocence – cette figure antérieure à l’enfance – celle qui n’a jamais consenti au monde – à cette (inévitable) corruption du premier jour…
Tout s’éloigne – tout s’efface – à présent. Ne reste plus que ce vieil abri au fond de soi – le premier – l’originel – celui que nous avons découvert avant tous les autres – cette chambre ouverte sur les vents dont les fenêtres (toutes les fenêtres) sont tournées vers le jour – le silence – l’infini – notre visage au-dedans qui, parfois, se reflète sur les choses et les figures du monde…
La mort – comme une route d’ombre et de sang – et comme chemin de rapprochement ; ce qui bougeait, à présent, ne bouge plus – comme un écart, peu à peu, réduit entre ce que nous sommes et ce à quoi nous ressemblons…
L’absence – comme le monde alentour – jamais le centre – jamais le regard – l’attention innocente…
Tout s’écarte – s’éloigne – puis pourrit – non à cause du temps – qui, bien sûr, n’existe pas – mais à cause de l’acharnement des choses entre elles – cela seul abîme – corrompt – dégrade ; l’humus et la régénérescence du monde – la ronde tragique des vivants – de la matière rongée – égorgeante – ballottée…
De plus en plus étranger au monde – comme un éloignement (naturel) de l’absence – les pas qui vont sans volonté vers le lieu du silence – du réel – de la vérité – là où la sensibilité et la lumière s’offrent sans effort – là où il est impossible de vivre sans elles…
Après la perte et l’oubli – le plus vaste étalé. L’air frais – nouveau – pour couronner le naufrage…
Comme un Autre – là où l’on est – sans refuge – sans cachette – sans mystère – offert (presque entièrement) aux flammes – à tous les incendies du monde…
A force d’errer – on glisse – imperceptiblement – vers soi – de plus en plus près – on se rapproche du centre – au fil des pas – au fil des cercles concentriques…
Des histoires – des ombres – de la brume – effacées d’un seul geste – lent – continu – progressif – la manière de disparaître après l’invention de soi (sans cesse consolidée à mesure que les années passent) – le lent déclin malgré la force (persistante) des rêves – unique façon, sans doute, de se tenir debout au milieu des Autres et des massacres – au cœur de cet étrange décor aux gestes funestes…
Notre nom sans la mémoire. Des lèvres muettes devant cette invention. L’impossibilité de l’avenir. Ce qui a lieu – à cet instant même…
Le réel célébré sans rituel – sans décor – sans sacrifice – sans massacre…
La flamme et l’accueil dans le regard – sans le moindre artifice – sans la moindre ornementation…
En l’état – sans intention – là où le vent (nous) pousse…
Faire face et obéir à ce qui s’impose…
Sans appui – sur cette corde tendue entre les seuils – du plus grossier au vertige de l’invisible. La plus haute simplicité – la nudité la plus élémentaire – sans exercice – sans apprentissage. Au plus proche, peut-être, de ce que l’homme peut espérer approcher…
La résultante naturelle de mille soustractions…
La conscience et la vie brute qui arrive – qui nous traverse – qui s’efface…
La solitude sans les songes – le sang naturel de l’homme. Le ciel sur la pierre. La faim réduite – l’accomplissement du silence. La grande humilité – la souveraineté radieuse…
Rien – sauf, peut-être, l’apparence d’un visage…
Plus souvent le geste que le mot…
Et des pages, pourtant – les quatre saisons – le silence d’avant le monde – la fête de l’âme (enfin) comprise. La solitude partout à la ronde – comme le seul territoire possible – presque un fief – un rempart contre le rayonnement de la bêtise…
Le sang au service de la lumière – et non sous le joug de la faim et de la main meurtrière…
Si peu de chose – un regard – un sourire – le monde déserté. Le visage d’un autre lieu qui se dessine – ni l’ombre – ni l’ailleurs – un vieux restant d’Amour qui (enfin) se libère – qui (enfin) se déploie…
Rien – le réceptacle du jour et de la blessure. Le monde qui revient – sans courage face à la rouille et aux ruines à rebâtir. Et ce soleil – ce grand soleil promis – introuvable au-dedans…
De l’herbe – du ciel – du sang – et – absolument – rien d’autre jusqu’à l’horizon…
Ça a l’air d’être un homme – mais ce n’est rien – bien davantage que cela – quelque chose qui, à présent, refuse de se battre – malgré les apparences – quelque chose sur le point de renoncer – qui offre au ciel la part belle et ce qui était – en lui – le moins libre – le plus insoumis…
De la tendresse – à présent – comme le nectar le plus ensoleillé des fleurs – dispensée à ce qui arrive – à ce qui passe – à ce qui se présente avec, souvent, les deux mains liées derrière le dos…
Des cortèges qui vont et viennent – et qui font halte parfois – qui n’ont jamais su – ni même essayé de deviner – le sens de cette marche incessante – absurde. Des pas – de simples pas – qui s’enchaînent les uns après les autres – le groupe – la troupe – les têtes autour de soi – qui rassurent et impriment la cadence. Le front baissé sous la couche des autres fronts – comme une épaisseur infranchissable – le destin de l’homme, nous a-t-on dit, lorsque nous avons rejoint – à notre insu – à notre naissance – la longue procession des ignorants…
Un peu de ciel sur le sol – pour rendre plus vivante – plus vibrante – la chair – pour que le feu remplace les lampes et que le monde devienne (enfin) un refuge…
L’homme pourra-t-il, un jour, être comme l’oiseau dans le vent – une aile pour la peine des Autres – un sourire (un simple sourire) – un jour de liesse dans la tristesse incorruptible des siècles – celui que le monde attendait…
Ni ombre – ni malheur. Un souffle joyeux et rafraîchissant. Une âme plutôt qu’un corps – un peu de silence et de poésie à la place de la faim – un esprit ouvert plutôt qu’une main méfiante et armée – celui qui pourrait – sans crainte – sans honte – s’annoncer comme un (réel) représentant de l’espèce humaine…
Tout – dans l’espace – comme un pauvre contenu – des choses mobiles – terriblement – qui s’accumulent – qui s’empilent en couches hétéroclites – l’écorce du monde – changeante – avec du noir – la nuit – par-dessus. Souvent (trop souvent) – rien de déterminant pour le jour et le silence – pour la joie et la justesse des gestes…
Des âmes à genoux qui prient – qui ne savent comment faire – ni à qui s’adresser. Juste des mots tristes – triviaux – pleins d’espérance – aussi pauvres que ce que contient l’espace – la même matière…
De l’eau – comme sur des lèvres assoiffées. Le jour – comme la source. Et les pas – le feu de l’âme – pour dessiner un chemin. Rien à emprunter à l’Autre – personne à imiter. Dans la solitude qui cherche – qui débroussaille – qui innove et invente – sur la voie véritable…
Le feutre sur la page – comme un bâton sur le sable – un geste dans l’espace et une voix dans le silence – une manière de danser dans le monde avec le mystère…
Ni angle – ni calcul – ni mur – ni pierre – pas la moindre parole…
Tout est déjà pris dans la trame – comme nos mains – nos lèvres – qui s’essayent à l’invention – à l’aventure – à repousser les seuils et les confins – dans un je ne sais quoi de désespéré – avec cette part obscure de l’âme sur la langue – au bout des doigts…
Tout dans tout – et toutes les portes fermées. Le destin ouvert – presque libre – affranchi des peurs les plus grossières – le sang et le souffle – sûrs – provisoires – énergiques – avec le sablier renversé dans la tête – avec les grains du temps éparpillés dans la tuyauterie – en suspens – laissant les pas et les mots franchir toutes les lisières successives – sans un nom – sans personne – juste avec des larmes – comme les seules traces possibles sur la pierre…