Carnet n°223 Notes journalières
N’importe qui – personne – le signe à la fois de l’échec et de la providence…
Pas même au soir de sa vie – pas même dans le jour déclinant – dans le milieu peut-être (qui peut savoir…). Le tournant – le retournement…
De l’eau tiède au bain glacé – la tête immergée avec l’âme – ensemble – dans ce long glissement – cette courte chute…
Les yeux paniqués – un cri (ou mille peut-être) – puis, le silence – jusqu’au bout de l’effacement…
La vie simple – comme n’importe quel homme – excepté les histoires communes…
Le récit de soi éparpillé – miettes et confettis – instrument lointain pour les fêtes et les festins d’autrefois – poussière grise à présent…
Le regard et le geste juste – ce qui importe – simplement…
Autour de la même fêlure que rien – jamais – ne peut combler…
Des couches inutiles de choses et de visages – des gestes que l’on s’impose – pour tenter de recouvrir la plaie – cette fracture en nous-même – comme un oubli du plus essentiel…
La lourdeur et l’habitude – et ces pas qui ripent sur la corde – comme une impossibilité à traverser la peur – l’inconnu – à accéder à l’autre versant du monde – comme un rêve – seulement…
Tout – comme l’eau et le sable – les reliefs qui se dessinent – ce qui passe – ce qui s’entasse – et la grande pagaille lorsque le vent s’en mêle…
Jeu de la matière – jeu de la nécessité. Le monde visible et les courants souterrains et aériens – les canaux invisibles…
Le cours ordinaire des choses – l’œuvre du silence…
Le monde rétréci – le temps effacé – comme dans un bocal qui, peu à peu, s’élargit. Une symphonie de couleurs – des dégradés – du plus sombre jusqu’à la transparence – avec le ciel derrière – rien que du ciel – pas de visage – pas de vis-à-vis – pas de morosité – comme si l’immobilité – l’immensité – le silence – avaient tout avalé – les bruits – les mouvements – l’exiguïté de l’espace…
Un chemin – et quelques miettes laissées par les Dieux – pour contenter (très médiocrement) la faim…
Le corps – ses nécessités – ses lois – inévitables. La mémoire et l’esprit – ses craintes et ses espérances – inévitables eux aussi. Et le peu qu’il nous reste – ce sur quoi l’âme s’acharne…
Une oscillation – comme un va-et-vient – quelque chose d’imprécis – d’infiniment restreint – presque rien en vérité – et pas même la possibilité d’accueillir…
La seule liberté est l’obéissance consentie – le oui sans résistance – même aux mille non réactifs et spontanés – l’acquiescement à se laisser mener…
Le dehors et le dedans comme seuls maîtres…
La vie assignée – ancillaire – soumise aux forces qui animent l’âme et le monde…
Des rangées de monde – alignées – côte à côte – disparates – assemblées sans grâce – sans cohérence apparente – selon les nécessités (impérieuses) de l’invisible…
La mer – des corps – des cris – de la nuit partout – des fenêtres fermées – des visages ; aucune place pour la grâce – la lumière étouffée par le gris – à l’intérieur…
De l’écume aux reflets sombres…
Rien qu’un peu de vent sur un espace neutre – un décor aux allures tantôt de jardin, tantôt de désert. Des noms et de la chair. Et au-dessus, le ciel – blanc – immaculé – presque irréel…
Nos vies – ce que nous appelons nos vies – comme des histoires – de simples – de minuscules – histoires…
Rien que des cris – et le vent – et le froid – et la nuit. Le berceau du plus sauvage…
Dieu impuissant face à la matière…
Le silence sans mémoire – sans geste de salut…
Le vivant déchiquetant et déchiqueté…
Le souffle inquiétant de la mort qui rôde au-dessus – au-dedans – encerclant – enserrant tous les survivants provisoires…
Ce qui rampe – lentement – vers la liberté…
Au-dedans – le secret recouvert d’inutile – le mystère creusé dans la masse – et mélangé à la matière…
Se défaire – ôter – pour découvrir la lumière…
Le sang – la chair – n’ont pas de nom. Il n’y a que nos visages pour se croire singuliers – et prétendre à une distinction. On leur a (trop) appris à différencier les formes et – à présent – ils ne voient plus que toutes sont prises dans la même masse – mêlées – mélangées – ensemble – inséparables – sous la même emprise malgré leurs efforts de différenciation…
Rien – en vérité – ne peut être ôté ; ce que l’on arrache – l’infime part que l’on arrache – découd – défait – tous les fils de la trame…
On croit vivre – en vérité – on nous anime – pièce d’un puzzle mouvant. Main d’un Autre qui tire les ficelles. Ça respire même sans volonté. Ça regarde – pas même médusé – la masse rampante et monstrueuse. C’est l’œil au-dedans aveugle au regard du dessus – qui surplombe. Ça ne jouit qu’aux alentours de ce que l’on imagine être ses propres membres – sans nous réjouir de l’ensemble qui avance en beuglant – aveuglément – qui tourne, en vérité, sur lui-même – incapable encore – à travers ses milliards d’antennes – de se tourner vers le ciel – l’infini – cette présence sidérante…
Rien que des voix et des noms prétentieux. Des vies routinières – mécaniques – sans bouleversement – trop confortables – trop ronronnantes – trop ensommeillées…
Ça court ou ça s’enfonce – on ne sait rien faire d’autre – le mouvement fébrile ou l’enlisement. De l’air et du sable – ce qui nous constitue – ce qui est devant nous – sous nos pieds…
Rien – des traces sur le jour naissant. La main de Dieu qui décide à travers la nôtre qui tremble…
L’empreinte des démons et du langage. Quelque chose d’épais fait de syllabes et de malédiction…
Le cours intranquille – le cours tourbillonnant – des choses – et tous les faux repères que nous créons pour nous donner l’illusion d’une existence distincte de ce fatras – comme si nous pouvions avoir (ou nous offrir) la moindre épaisseur…
Un enchevêtrement de sang, de ronces et de roches avec un peu de ciel au fond de l’âme et une cascade d’eau fraîche entre les tempes – et, au-dehors, tous les vents de la terre…
Et ce feu – partout – qui finit par tout consumer – par tout transformer en cendres – les choses en soi – toutes les choses du monde…
Tout finit par disparaître – au fond du silence. Ce que nous appelons le jour – la mort – l’esprit – la vérité – rien ne peut résister à l’abîme éternel – qui rappelle à lui toutes les choses qu’il a enfantées…
Le mystère dans sa boucle récurrente – impossible à arrêter…
La mort – comme les pages d’un livre qui se tournent lentement sur les visages – derrière les masques – celui du rire comme celui de la grimace – le squelette ardent qui, peu à peu, se dessine – à traits de plus en plus épais – comme une étendue blanche qui se déploie – et qui grignote, jour après jour, le noir de nos vies – le noir de nos âmes…
Du monde et du dénuement…
Vivre à l’épreuve des faits – sentir l’âpreté – la bouche pleine de terre – autant dans le ventre que dans l’âme – de son vivant avec cette matière – la même qui nous recouvrira à nos funérailles…
Rien au-dedans – aussi vide qu’au-dehors. Le même silence – la même solitude – l’ordinaire des choses – ce qui passe sans jamais s’arrêter. La vie – le temps – le rire – à petites doses – celles que l’âme réussit, parfois, à attraper…
Ce qui a l’air d’être et ce qui est – tâchons de faire la différence…
En vérité – rien ne peut être saisi. Il nous faut seulement être – et vivre en s’abandonnant aux événements – au cours des choses – laisser son existence aux mains du destin – et le laisser célébrer ce qui s’offre – sans attente – sans exigence…
N’être que soi – personne – face à rien. Ni chose – ni visage – pas même un murmure. Le goût du ciel et du silence dans l’âme – simplement – il semblerait que nous n’ayons rien d’autre…
Quelques restes de nerfs à vif et un fond de tristesse – pour ne pas oublier la misère du monde – le malheur d’être né sur terre – ce si bref séjour dont on ne tire (en général) aucun avantage – aucune leçon – aucun bénéfice – un temps mort et morne – douloureux et triste (à mourir)…
Regardez donc les arbres – les bêtes – les hommes – la misère des vivants malgré les rires – les fêtes – le décor et les conditions d’existence que l’on essaye de rendre moins âpres – plus confortables – malgré toutes les tentatives pour oublier la vieillesse, la maladie, la solitude, la peine, la douleur, le manque, l’ignorance et la mort – malgré notre acharnement inutile à transformer les apparences – rien n’est en mesure de nous soustraire à l’indigence et à l’infortune…
Des larmes sans pourquoi – pour d’invisibles raisons – les plus essentielles – les plus vitales – celles pour lesquelles on serait prêt à mourir…
Sur le seuil d’un autre monde – inquiet – grimaçant – puis, condamné à vivre sur la pierre – seul face au ciel – avec toutes ses interrogations…
De la matière du sol au ciel – et même la tête en est pleine. La seule espérance ; la possibilité de faire un peu de vide au-dedans…
Dans le linceul – enfin seul – en plein ciel…
Des tourmentes et des portes trop incertaines…
Ça avance – péniblement – ça devient ce que ça peut. De temps à autre – une prière – histoire de se remettre d’aplomb – de retrouver des rails plus confortables – de dénicher une destination moins triste – de suivre un chemin mieux balisé – de rendre le voyage moins périlleux…
L’aventure – toute tracée – de l’homme…
Des lieux – mille lieux peut-être – au nom inconnu – au nom sans importance – des pierres aux marges des chemins – parfois de l’autre côté du monde – là où les hommes (bien souvent) perdent la tête – là où tout bouge sans cesse – là où tout se confond – où tout tourne à l’envers de la raison – sur l’autre versant de l’esprit – sur cette pente escarpée, sans cesse, balayée par les vents – là où les pieds sont inutiles – au cœur de cet espace où il (nous) faut cheminer avec l’âme – les mains devant soi – paumes ouvertes – sans mendicité – sans prière – offerte(s) simplement…
Ce que nous avons sous les pieds – dans les mains – sur les épaules – entre les tempes – au milieu du visage – au fond de l’âme ; la même chose – la même matière – différentes facettes de l’invisible…
L’essentiel – sans les histoires que nous y ajoutons – à la manière des rêves qui tournent dans la tête…
Du vent – face au visage – plaqué contre le front – et qui pousse – et qui pousse – et, soudain, après mille siècles de lutte (acharnée), la résistance qui cède – et des larmes qui coulent sur les joues…
La tendresse et la tristesse nées de l’abandon…
Le commencement, peut-être, d’une vie nouvelle…
Jamais plus loin que le mur qui nous fait face – et, souvent, cela suffit – une vie à l’étroit – sans rien à l’intérieur – creuse en quelque sorte. Et plus rarement – l’âme libre – curieuse – aventurière – tenace – qui, peu à peu, découvre l’étendue du monde – l’immensité au-dedans – l’infini qui se conjugue en soi – sans la nécessité de l’espace – sans la nécessité de l’Autre – sans la nécessité du temps…
A attendre là – sans bouger – que le reste du monde nous emplisse – comme un sac sans fond – comme un sac, sans cesse, affamé…
Ce que l’on aimerait – rien qu’un grand silence au fond de soi – indifférent aux tourbillons d’air qui nous entourent…
Entre – le mot qui résume à peu près tout – disons l’essentiel…
Il n’y a rien derrière les mots – les mêmes murs que devant nous…
Nous ne vivons pas – en réalité, nous sommes enfermés…
Rien qu’une corde et quelques rêves. Certains se hissent à la force des bras – d’autres jouent les funambules – mais, dans les deux cas, il n’y a rien – ni personne – sur la corde. En vérité – il n’y a ni corde – ni rêve – une simple (et mystérieuse) matérialisation de l’invisible qui se prolonge indéfiniment – et sur laquelle les choses et les silhouettes dansent comme des reflets – comme des images – comme des tourbillons d’air dans le vide…
Du sable – comme du rêve – un peu partout. Le monde qui continue de tourner – la parole en boucle – comme (presque) toutes les sphères – sur son orbite…
Le cycle étrange de la poésie – ou ce qui s’en approche – des galaxies inconnues qui jouxtent le sol le plus trivial – l’étreinte de l’étrange et de l’ordinaire…
Un peu de vent – un peu d’air pur là où l’on vit – au milieu du sable et du rêve…
Tant de fureur et d’ignorance – l’esprit effervescent – perdu au cœur de sa propre géométrie – cherchant à tâtons – les paumes contre les murs – un chemin dans le noir…
Trop peu de soleil au-dedans de la tête. Et trop de possibles aux alentours – comme autant de manières de s’éloigner – de se fourvoyer – de s’enfoncer dans le noir. Comme autant d’étapes nécessaires – sans doute…
Des pas – à reculons…
De plus en plus proche de soi – de la lumière…
Et le monde derrière – au-dessus – qui s’éloigne…
Du silence – tantôt comme un mur – épais – infranchissable – tantôt comme une verrière – le lieu de la chaleur et de la lumière…
Trop de mythes – d’histoires – de légendes. Trop de récits pour tenter de donner un sens à ce qui – très aisément – s’en passe…
De l’espace – de la terre et du feu – sans la moindre équation à résoudre…
L’instant où tout a lieu…
Le monde comme un dédale. Et l’invisible sans la moindre géographie…
Rien que des choses qui s’entassent – qui s’empilent – en vain…
L’innocence, elle, ne s’encombre de rien. La plus légère – et la plus belle – manière d’aller de par le monde – aussi vide et accueillant que l’espace et le silence – l’extrême pointe de la solitude peut-être – prête à recevoir ce que les Autres appellent le reste…
A bonne distance du monde – là où la solitude et le silence sont (encore) possibles – les yeux dans le couchant – le ciel bas – très proche – recouvrant la soif d’un ailleurs – le front déjà au-delà – au seuil de ce qui dépasse le sentiment d’exister – aux confins, peut-être, d’une naissance hors du sang…
Du jour – comme un monde nouveau – au-delà du noir énigmatique – un peu effrayant…
Une migration impromptue de l’ombre vers la clarté – de la matière vers l’invisible – comme seule réponse possible à la nécessité – au besoin de justesse – à tous les impératifs du réel…
La fiction – par séquence – disparaît – n’a plus de raison d’être. Le rêve – les apparences – comme le prolongement de l’ombre en quelque sorte – s’estompent – s’effacent peu à peu. Tout explose et s’accélère – comme un feu dans la tête à l’assaut des images – des repères – de tout ce qui nous a toujours consolé de l’ignorance et de l’incompréhension…
Du temps entassé – des os et des ombres contre les parois. Toute la virtualité du monde. La nuit de moins en moins manifeste. L’invisible qui nous traverse – qui nous parcourt – qui nous constitue – vibrant – en première ligne – à présent…
L’éternité – sous le masque de l’éphémère…
L’essentiel vêtu d’oripeaux – la vérité sous ses multiples bannières – le jeu du ciel donnant au silence tous les visages. La nuit et la lumière – main dans la main – complices de tous les mélanges – de l’opacité jusqu’à la transparence – des larmes jusqu’au rire – et inversement – sans tristesse – sans gravité. Le voyage des atomes – des vibrations – des courants – le plus simple et l’arc-en-ciel – comme, peut-être, la poésie la plus ancienne…
De mort en mort – presque sans âge – porteur d’un si long passé – ce qui change sans changer – ce qui roule en contrebas du monde – ce que l’on récupère – ce que l’on entasse – ce que l’on perd – le même jeu millénaire – l’éternité sans repère…
Le souvenir d’autres rives – sans hallucination – de très hautes – aux confins du visible – en partie immatérielles – et de très basses où les instincts étaient vils – la seule loi possible – enfoncés dans la matière la plus grossière…
Et – à présent – ce rivage inconnu – peuplé de visages humains – cette terre étrangère où tout est mélangé – en demi-teinte – comme un axe médian qui ne connaît aucune extrémité – où rien ne se hisse réellement – où rien ne dégringole véritablement – où tout se mêle, d’une quelconque manière, à la moyenne – la commune mesure – en somme…
Un soleil au bout des doigts – que l’âme maintient vivant – nourri par le feu qu’elle abrite – pour qu’un peu de ciel habite la main – et donne au moindre geste une envergure et une justesse…
Une route – une page – une vie peut-être – qui se dessinent en marchant – en traversant chaque expérience…
Chaque brûlure vécue comme la conséquence de l’épreuve du feu…
Le destin cloué dans la chair vivante pour que la parole demeure fidèle à l’essentiel – à la vérité…
La douleur et l’âpreté comme garants du refus du bavardage et de la frivolité – de l’inutile et de l’inconséquent…
Le signe – presque la signature – d’une existence – d’une écriture peut-être…
Devant soi – comme un monde à l’envers. Les baisers du soleil à la pluie – et la main délicate du vent qui ouvre toutes les portes de l’âme pour que communiquent le dehors et le dedans…
Tout – comme un miroir qui dilate le regard – les yeux de la joie sous les paupières – rien qui ne puisse leur résister – pas même le rêve – pas même la mort…
Un silence parmi mille paroles lancées par ceux qui ne comprennent pas – et qui n’en ont pas même conscience – des ignares et des aveugles dans le fracas – donnant, chacun, sa version du monde selon les éclats tombés autour de lui…
Et l’on voudrait nous faire croire que la sagesse vient des livres – et qu’elle s’apprend ainsi – en écoutant ceux qui se tiennent éloignés de toute vérité…
Pour commencer (un peu) à voir – il faut laisser le silence nous dépouiller de tous nos mensonges…
Tout vient obscurcir (ou effacer) ce que l’on prononce lorsque les mots se tiennent trop éloignés de la vie – lorsqu’ils n’aspirent qu’à séduire (et à tromper) le monde. Le silence est une chance – celle (entre autres) de découvrir ce que cachent les visages et le langage – comme l’écho d’une origine lointaine – avant que naissent les élans – juste avant que ne commence l’histoire du monde…
Tout s’effondre – et est balayé. Rien ne reste – rien, bien sûr, ne peut rester – excepté ce qui regarde dont le socle se situe hors du monde et du temps – loin des blessures et des blessés – le centre même de l’infini – le centre même du silence…
L’Absolu quotidien – l’extrême liberté sans que la volonté s’en mêle – le grand acquiescement à l’émergence du plus naturel – du plus spontané – y compris, bien sûr, les refus et les résistances – non dogmatique – et non théorisable – vécu dans l’instant avec l’esprit vide et ouvert – et qui, pour le rester, doit (sans cesse) soustraire – et effacer – ce qui inlassablement vient l’encombrer – le souiller – le corrompre…
Une vie sans règle – presque sans visage. Une parole – un univers – des chemins qui se croisent – celui de la page et celui des forêts – les signes de l’invisible. De l’envergure au-dedans qui se marie à l’immensité du dehors – sur toutes les hauteurs. Et des ombres – encore quelques-unes – dans le sang. La sauvagerie du fauve hors les murs. Une existence toute simple – avec de moins en moins de tête…
Ce que l’on soustrait – en même temps que s’effacent les barreaux…
Personne – au centre de la solitude…
Du rêve au destin qui s’immisce – qui s’installe – qui s’aventure au cœur de notre vie – présent dans chacun de nos gestes – jusqu’au plus infime – jusqu’au plus anodin…
La ligne de crête sur laquelle on marche – le pas juste et quotidien – entre le rêve et la chute – entre l’alourdissement et le sommeil – au milieu des ombres – sous les yeux de quelques Autres parfois (trop rarement peut-être) – les pieds sur leur fil – confiants – parcourant les cimes – caressant le sol – marchant indéfiniment au-dessus de l’abîme…
Sur la pente de l’errance magnifique – où ni le temps – ni la pierre que nous foulons – n’ont d’importance. Les jours – la mort – la fiction des visages – la légende de l’amour – ont beau se réinventer – nous nous tenons à distance – à l’écart – entre les hauteurs et les fossés – jamais sur la route des cimes – ni sur les sentes souterraines – la poitrine – comme l’âme – plongée au cœur de l’invisible – de ce que l’on est bien en peine de noter sur ces pages – faute de mots – faute de langage approprié peut-être. Le vide lucide derrière la multiplicité et l’enchevêtrement des identités – des têtes dans le miroir qui jamais ne se ressemblent et dont aucune n’est absolument la nôtre…
De la chair sans consolation – matière brute fragile – indécise – trop grossière pour l’éternité – avec des yeux trop fermés pour qu’elle se dévoile…
A vivre comme si nous n’existions pas…
Défaits – brisés maintes et maintes fois – puis toujours renaissants – prisonniers du cycle combinatoire. Et l’invisible – mêlé – au-dedans – presque entièrement recouvert – relégué à l’impotence – à l’impuissance – incarcéré sous des couches de sommeil millénaires…
Une identité – mille identités – à effacer. Un monde – mille mondes – à briser – avant de renaître – de retrouver l’air libre…
La folie souterraine et l’apprentissage soustractif de la liberté – jusqu’à vivre la chair simple – pure – naturelle – et l’esprit posé bien au-delà de l’intelligence humaine – dans la proximité d’un (ineffable) infini…
Des siècles et des siècles de pesanteur pour découvrir, peu à peu, la légèreté du souffle dans son sarcophage d’argile…
Des parcours comme celui du fleuve – vers l’immensité. Et la matière prise dans la récurrence du cycle…
La nuit sans ajout – sans embellie – brute et sauvage. Le monde pris entre ses tenailles barbares. Le signe de l’indéchiffrable. Et autant de preuves sur nos visages énigmatiques…
Aucune réponse au mystère – à la réalité. Ni temps – ni appartenance. Le jour à découvrir – ou, à défaut, à réinventer. La seule question qui vaille…
Une géographie à explorer en commençant par la chair – le cœur et l’esprit suivront – puis, le langage pourra témoigner – si nécessaire…
Le silence – comme un malentendu – le plus sacré que ridiculisent toutes nos interprétations…
Seul – dans sa chambre – avec l’immensité au-dedans – face aux yeux. Et la langue volage qui s’aventure au cœur des alphabets – qui combine des sons – qui compose des mots – des phrases – du sens – quelque chose d’imprécis – d’incroyablement sommaire – indigne (presque toujours) de la blancheur de la page – du (petit) carré de vide qui s’offre avec innocence…
De la terre au milieu du sang – du ciel au milieu de l’âme. Et les soubresauts du voyage pour obtenir le juste mélange…
Des lignes entre la lune et les loups – des hurlements sous une clarté trop faible – presque symbolique seulement. Des pas sur l’horizon d’à côté – hors de soi. Tout un itinéraire trompeur – balisé – inutile. Une marche autour d’un soleil inventé. Une existence mensongère où l’on occulte – où l’on ignore – la seule rencontre possible – le seul dialogue nécessaire. La tête éloignée de l’essentiel et l’âme (plus que jamais) hivernante…
Des saisons nouvelles dans l’esprit qui respire – dans un seul battement d’ailes libres – loin du théâtre du monde – loin de l’illusion du temps – au-dessus des brumes abyssales – si épaisses qu’elles protègent la torpeur de ceux qui dorment et rendent (quasiment) fous ceux qui cherchent le jour…
Une lumière nouvelle, peut-être, sur l’univers en marche…
Être au monde dans l’oubli du monde. Présent – sans personne – des larmes sur les joues – comme la preuve d’une sensibilité vivante – dans la tendresse, sans doute, d’un plus grand que nous…
Au cœur d’une joie si particulière…
Les hommes – debout – face à nous – comme des ombres prisonnières – éclairées par une lumière légèrement oblique. Nuit aveugle – nuit ivre – nuit ignorante – inapte à déceler la blessure sous le songe – et le feu frémissant dans la pénombre – tout juste capable d’exacerber la cruauté. Des têtes et du sang sur les pierres – l’atroce visage de la mort comme seul trophée…
L’âge des instincts – détrôné par celui de la raison – détrôné par celui de l’innocence…
Le monde entier présent à travers nos blessures. La guérison, elle, dépend de ce qui habite la solitude…
Dieu sans prière – sans imploration. Présence au-dedans – naturelle – invisible – discrète – permanente – dans les tréfonds autant que sur la peau et dans l’air que nous respirons – et cachée, très profondément parfois, dans l’âme – et derrière le visage – de l’Autre…
Le corps décadent – à genoux – parmi les ruines du monde – dans sa lutte mortelle contre le temps. Et l’esprit au-dedans – prolongement de la chair – si mordu – si rongé – lui aussi – et l’esprit au-dessus si peu concerné par l’exercice de vivre. Regard tendre et silencieux – simplement – sur ce qui s’acharne et espère – sur ce qui s’abandonne et disparaît…
Dans les contours brûlants d’une parole – matière incandescente – quelques mots nés de la lumière…
Un feu dans l’âme pour éclairer tous les seuils où nous nous tenons…
Des rives enfouies au-dedans de la terre – cachées derrière l’écran opaque de la mort – étrangement suspendues au ciel. Et des yeux – et des pas – qui cherchent – qui avancent – qui aimeraient découvrir l’escalier d’or – la passerelle des promesses – ou, au moins, quelques souterrains salvateurs…
Une part de mystère – et tous les chemins qui y mènent…
Des foulées curieuses – incrédules – puis, un jour, rassasiées – sans nécessité de contrées nouvelles – qui ont appris, peu à peu, à ralentir – puis, l’immobilité – l’assise du séant sur le sol – l’intérieur comme seul axe vertical – à la hauteur appropriée – avec dans la tête mille questions qui ne trouvent que la désillusion – et la longue (et lente) traversée de la tristesse jusqu’au silence – jusqu’au sourire – jusqu’à la main tendue – jusqu’aux bras ouverts – vers ce qui s’avance…