Carnet n°224 Notes sans titre
Des mots comme du magma – la profusion des choses de l’âme – des choses de la tête. Ce qui, sans cesse, renaît – se réinvente. La prolifération du vivant – la matière humaine. Ce qui jaillit du silence et que l’on transforme en son – et en sens – en paroles pas toujours nécessaires…
Une étendue – bien plus vaste que la superficie du monde. La géographie de l’âme et du silence. Ce que nous explorons – en général – trop timidement…
L’oreille collée aux géants du ciel – ces anciens Dieux humains tombés en désuétude – messagers d’un autre monde fait de temples, de prières et de silence – d’offrandes à la terre – de gratitude et de respect – lorsque l’aurore n’était pas un territoire à conquérir – lorsque les gestes avaient encore du sens et des allures de caresse – avant que l’ambition de l’homme n’enfante tant de monstruosités…
De la poussière au creux de la main – solitaire au bord du fleuve – nulle part sur la carte étrange – trop restreinte – des vivants. Mains dans les poches. Des sourires comme des anneaux – une alliance avec l’invisible. Dieu et l’immensité au fond de l’âme. Et ce sang sauvage qui bat (toujours) entre les tempes…
Un peu de lumière – comme pour la première fois…
Rien qu’un nom – à présent – que le voyage, peu à peu, efface…
Des heures – des jours – sans livre – sans miroir – sans secret – sans lèvres à embrasser – sans oreilles à qui raconter – à contempler – en soi – le visage de l’Amour que la solitude a fini par dessiner…
Au milieu des pierres – au fond de l’âme – le même silence – le même sourire – l’acquiescement universel – peut-être…
Dans le sang – l’ambition et la conquête éteintes – le feu similaire au jour. Des lieux comme des univers – ce que nous portons sur nos épaules – dans notre âme – dans notre tête. Le ciel contemplé et le cœur fou de joie…
Le sol – comme le langage – griffé obscurément – défiguré jusqu’aux racines – sens dessus dessous…
Zone devenue (presque) végétative – privée d’enfance et d’avenir – sans parfum – sans soleil – comme suspendue au-dessus du gouffre…
Aire aride – en quelque sorte – sur laquelle se déversent le sang et la pluie – un peu de ciel et la substance des survivants provisoires – en vain – en pure perte…
La seule réalité possible – indigente – inchangeable…
Rien – sans ardeur – sans ongles – à force de fouiller – de gratter la terre…
Seule la pierre sur laquelle on est assis nous soutient – existe comme le prolongement de soi – ou plutôt nous comme sa continuité – une sorte d’excroissance de la terre…
Tentative grossière d’aller vers le nuage – de tendre vers l’inconsistance et la légèreté…
Le tragique sous l’indifférence des étoiles inaccessibles. La tristesse des volutes et des arabesques – de toutes ces marches fébriles…
Voyage ou séjour qu’importe ! Des chemins – des haltes – du repos – mille mouvements vers l’immobilité…
Des couleurs dans la tête à la transparence. Des amas à la nudité la plus authentique…
Et des feuilles – des milliers de feuilles – sur lesquelles on jette (toujours) trop de confidences…
Le ciel vers nous qui se penche – en nous – comme l’hôte unique – le seul que l’on puisse accueillir – et recevoir comme un ami…
Au-dedans – ce qui jaillit comme la foudre – inopinément – comme des graines jetées au hasard des pas – tout au long du voyage…
Une terre de sueur et de sillons où le silence n’est, aux yeux des âmes rustres, qu’une absence de bruit…
Le grain et le gain comme seules ambitions. Et un peu de chaleur dans le ventre et dans les bras d’un Autre comme seules consolations…
Des yeux perdus – presque (entièrement) abandonnés par les Dieux…
A rêver – à pleurer – à mourir – à même le sol – le visage tourné vers la terre…
Des fables et des boucliers pour faire face à la violence du monde – à la tristesse des existences…
Corbeaux noirs dans la ronde – sous la lune – au milieu des vents tourbillonnants…
Des temples – des pyramides – un tas d’édifices – des civilisations construites pour essayer de s’élever – de transcender la condition animale – et qui n’en sont que le prolongement – le médiocre déploiement…
Le ciel – jamais – ne s’atteint en rehaussant le sol – ni en le dominant – bien au contraire ; il convient de le servir et de grandir en humilité – de fréquenter la poussière – de côtoyer ce qui n’a de valeur aux yeux des hommes – de devenir ce presque rien nécessaire pour accueillir le ciel en soi…
Des pierres – et, sur elles, des troupeaux. Qu’importe les formes – la taille des visages – le nombre de pattes – la foule geignarde et peureuse qui se cache – qui s’abrite des tempêtes – qui refuse l’air frais – les eaux vives – la nuit – le froid et la neige sur les chemins – cloîtrée dans sa crainte (pathétique) de la solitude et le manque d’audace. A peine vivante – en somme…
L’ombre comme notre seule cachette – sorte de grotte à découvert qu’un seul rai de lumière peut effacer…
Le soleil sur nos déroutes – nos restrictions – nos impossibilités…
Et cette voie – au-dedans – qui rapproche la tête du cœur et l’âme des Dieux…
Les yeux et la langue – humbles – proches du silence – de moins en moins angoissant – de plus en plus désirable…
Condamnés au sang – aux plaies – à la douleur. L’élan qui permet la respiration et le cri – le son et le souffle jaillissant de la matière…
Des gouttes d’aurore parmi les larmes et la pluie. Clin d’œil de la lumière à défaut de soleil et de joie…
La preuve que nous ne sommes oubliés ni par le ciel – ni par les Dieux…
L’espérance tarie au fond de la poitrine – peu à peu transformée en force présente – en confiance – en gratitude – en lucidité – nécessaires pour demeurer dans le cadre infini de l’instant – porteur de tous les possibles – bien au-delà de l’imaginaire…
L’âme davantage éclairée que le front. La poitrine rayonnante qui guide le geste et la parole – ce qui jaillit de la nécessité et de la joie – unique manière d’être juste – plus humain – comme quelque chose qui se dresse pour s’élever au-dessus du rêve – des idées – des images – des représentations – et venir frapper ou embrasser, avec précision, ce qui doit être secoué ou ce qui doit être étreint…
Soi – ce que nous croyons – puis un Autre – puis un Autre – mille fois – des milliards de fois – comme une succession inévitable de visages…
Le monde – des vallées – des montagnes – des amas qui se forment et disparaissent. Des lacs et des ravins – ce qui se dessine – ce qui s’efface – ce qui, sans cesse, se transforme – sans le moindre désir – sans la moindre nostalgie…
La multitude des destins inachevés – inachevables – à jamais…
Des siècles de fureur dans la nuit silencieuse. L’humus né des ventres et des saisons. Du feu – partout. Et le désert que l’on peuple peu à peu. Des cités et des civilisations. Du bruit et de la lumière inventée – et presque rien d’autre pour attester notre présence…
L’absence et la lenteur des explorations autour – et au-dedans – du (mystérieux) centre que nous croyons être…
Des yeux aussi froids et durs que la terre gelée. Ni âme – ni Amour. Rien que des hurlements d’affamés – et des mains armées pour satisfaire la faim…
Un peu de lune au-dessus de la tête. De la pluie sur les sandales – et de la boue en dessous…
Le soleil qui se dresse – presque sur la pointe des pieds – pour toucher ce bout de ciel – si loin – si haut placé. Et entre nos tempes – les mêmes nuages aux formes et aux couleurs changeantes qui passent et repassent…
A peu près tout ce que nous aurons vu au cours de notre traversée…
A présent – nous circulons sans marcher – de pic en pic – à la manière des ogres chaussés de bottes magiques – la tête imprégnée des rêves des Dieux et les jambes si longues qu’un seul pas suffit à enjamber plusieurs océans – l’âme au-dessus – flottante – surplombant les mille mondes – les mille histoires enchevêtrées et inextricables – l’attente de tous les peuples – de tous les visages – les rivières et les lacs – les plaines immenses où l’on prie et où l’on meurt – tous les enfers et tous les paradis – tous les purgatoires et tous les jugements derniers – que nous avons inventés – et que nos mains et nos lois ont institués un peu partout – dans tous les lieux où nous nous sommes imposés…
Sur le sol – les yeux qui cherchent le monde qui s’édifie – les choses qui, sans cesse, se réinventent – les bouches muettes – la paresse – l’inertie – le labeur acharné – la multitude des foyers – entre l’eau et le feu – cette terre qui peut prendre tous les noms – sous le ciel – les étoiles – et le regard des Dieux…
La lumière recouverte – comme dépossédée de son origine – de sa puissance – avec son consentement éclairé (si l’on peut dire) – jouant, peut-être, à se faire peur – engluée de la tête aux pieds dans les ténèbres – dans le noir imperfectible du monde – avec ces pattes qui ruent et courent dans tous les sens – avec ces bouches qui crient – qui mordent – qui avalent – avec ces mains qui saisissent et assassinent – avec ces ventres et ces âmes jamais rassasiés…
Suspendus au-dessus du vide sans la moindre étoile – matière saisie et saisissante – dévorée et dévorante – aérienne et souterraine – avec laquelle rien ne s’achève – avec laquelle rien ne commence – comme la continuité de l’histoire – de l’évolution – de la recherche aventureuse – simplement…
Petites mains et fragment d’âme du Divin – les bruits qui naissent du silence – la multitude engendrée par le Seul. L’essentiel qui enfante le spectacle et la fantaisie – le monde en dépit de la douleur liée à l’extrême grossièreté de la matière…
Et dans nos veines – cette folie qui court. Et dans la gorge – ce souffle ardent. Et nos pas qui vont partout où il est possible d’aller. Et notre cœur – fébrile – qui cherche ce qui lui manque – qui traverse le monde – la vie – les océans – à la recherche du (saint) Graal…
Des têtes possédées – moins libres que les arbres – qui vont et viennent – qui se déchaînent – qui font trembler le sol et les âmes – qui suivent tous les soleils que pointent les doigts – qui creusent – qui labourent – qui voyagent – pendant des siècles – pendant des millénaires – sans jamais rien découvrir – sinon le manque et la douleur – sinon le froid – la solitude du monde et le provisoire de toutes choses – et qui continuent de chercher sans rien trouver – sans rien comprendre…
Des yeux – comme des jours – trop sombres pour y voir clair…
Dans la voix – le ton de la supplication – de la détresse – la fin de l’espérance…
La nuit – longue – sans promesse de lumière – sans lendemain possible…
Seul dans le froid et l’obscurité…
Des siècles d’attente et d’absence – quelque chose que l’on imagine – en secret – et qui ne vient pas – et qui ne pourra jamais venir de cet endroit que les yeux scrutent sans plus y croire…
Ailleurs – autrement – tout serait, peut-être, possible – on ne sait pas – on ne pourra jamais savoir…
Compagnon de personne – feu allumé au-dedans du front – des ouragans serrés contre soi – les hanches souples et les paupières mi-closes – la marche décidée – vers nos préférences – les arbres – la forêt – le désert – l’absence de l’Autre – comme une terre plus libre – un soleil véritable – à l’abri de rien – sous le regard des Dieux aux aguets – plus puissants (bien sûr) que toute la volonté du monde…
A regarder l’être nous envahir – et le devenir s’éloigner…
La soif et la terre mélangées – le froid qui cingle l’esprit – l’absence qui, peu à peu, se dessine – le monde frémissant – les pieds et l’âme pataugeant dans la même boue. Le lent glissement vers le souvenir pour échapper à l’hiver et à l’humidité. La tête qui s’enflamme – des couches de rêves superposés comme une couverture indigne. Et la glace partout autour de soi – des murs et des visages de glace – infranchissables – l’enfer que la matière a créé tandis que nos pieds cherchent une issue – et que nos mains essayent de panser nos blessures – aussi anciennes que la folie de ce monde…
Les pieds nus dans la neige – des larmes – et nos forces qui s’amenuisent. La poitrine qui lutte contre le froid – l’échine grelottante. Et sur les épaules – le poids du monde et des hauteurs jamais atteintes – la culpabilité du solitaire qui n’a, peut-être, jamais réellement quitté l’enfance…
Des gouffres sans rivage – au milieu du silence – toute une géographie à explorer – l’âme et les yeux aussi neufs que les visages et les fleurs – éphémères…
Là – sur le sol où guérir – malgré la présence des yeux qui foudroient – qui encensent – qui égarent – malgré les hommes allongés et l’attraction du sommeil – sur ce fil étroit tendu entre les extrémités du monde – sans confins ni au-dessus – ni en dessous – avec l’océan qui, peu à peu, remplace le cœur…
Au fond de soi – le mystère immergé – parfois émergeant comme une rugosité étrangère – inconnue – sur le lisse apparent du monde. Une manière de voir au-delà du néant et de l’absurdité – comme l’évidence de la pierre sous nos pieds et de la montagne devant nos yeux. Quelque chose d’infiniment tangible…
Seul face à l’océan – là où le désert sévissait autrefois – grâce à l’humus voyageur – aux saisons migrantes – au jour bienfaisant qui tente de rectifier l’ombre et la folie des hommes – leurs gestes sans mesure – injurieux – porteurs d’absurdes conséquences – prêt à féconder – partout – l’inespéré – sur les sols les plus stériles – sur les terres les plus exsangues – en redonnant au sauvage – au plus naturel – le rôle premier – grâce aux vents des plaines qui portent avec eux des graines nouvelles – et des graines anciennes – et qui les déposent là où il leur est possible de pousser – de croître – de fleurir – dans les failles et les trous – dans les moindres interstices – grâce aux pluies qui favorisent l’efflorescence et l’abondance – grâce aux montagnes qui retiennent l’eau qui coule pour former, peu à peu, des lacs – puis, des mers et des océans…
Ainsi pouvons-nous nous tenir – seul(s) et vaillant(s) – face à l’immensité – au milieu des incessants changements du monde…
Rien que du néant comme voisinage – des crimes et des pantomimes qui, inlassablement, répètent le même geste ; la mise à mort de la tendresse pour que se déverse le sang – pour que se répande le rêve…
Toute notre démesure – toute notre folie…
Des bras chargés de démence…
Des songes et de la cendre – partout – conséquences (atroces) de l’ignorance…
Des tempêtes sur le socle édifié pour nos (piètres) aventures – pour notre (si bref) passage…
Le monde à portée de vent – à portée des Dieux – isolé sur son archipel – abandonné au milieu des eaux. Quelque chose de la bêtise et du courage – de l’enlisement et de la détermination – les principaux attributs de l’homme – peut-être…
Ce que l’on invente pour ne pas devenir (totalement) fou ; l’oubli – le déni – le mensonge. Mille histoires au lieu de la vérité – le grand mirage plutôt que la réalité…
Mille musiques dans la tête plutôt que le ciel – plutôt que le vide et le silence…
Tout ainsi – ce qui se dissimule sous les masques et les parures – les visages du monde maquillés – transformés – méconnaissables…
Ce que l’on arpente pour réduire la distance qui nous sépare – pour adoucir les différences. Mille tentatives d’alliance et de ralliement pour aller moins seul – comme si l’Autre était capable de nous accompagner…
Aucun raccourci pour échapper au grand mirage…
Des pas au-dedans – un long périple (intérieur) – une marche harassante ponctuée de ciel – d’oiseaux – de repos et d’illusions. Des yeux qui, peu à peu, se dessillent – des flammes – si hautes parfois – que l’on imagine vivre sur un bûcher – et assister à sa propre immolation. Et du vent – si fort – si permanent – qui, inlassablement, balaye le sol et l’esprit de leurs encombrements. Victoires et défaites alternées – puis emmêlées – puis de moins en moins nécessaires. La nécessité à l’œuvre – la nécessité en actes – de plus en plus naturel – de plus en plus spontané – de plus en plus simple – vers l’effacement…
De la joie et du silence – de plus en plus – Dieu et la solitude comme unique compagnie. Le monde abandonné – de plus en plus lointain. Le chemin qui se dessine – jour après jour – sans la moindre volonté. Plus vraiment un chemin d’ailleurs – pas même une sente – absolument rien du voyage. Des pas – ou plus exactement – un pas après l’autre – sans la moindre certitude – pas même assuré qu’ils soient réels – aussi incertains que notre regard – notre existence – notre identité…
Comme une main qui s’approche timidement – Dieu vers l’âme – prête à se laisser caresser – à se laisser pénétrer – à se laisser habiter…
Plus qu’une alliance au-delà des miroirs – des retrouvailles (inévitables)…
Du ciel dans nos gestes – dans notre vie – seule manière – seule issue, sans doute – pour échapper à tous les désastres nés de l’absence…
Du silence au-dessus du monde – et des rires sur les courbes imparfaites – sur la danse des vivants – et sur les aurores qui se lèvent à l’horizon…
La voix ingénue qui lance ses prières vers le ciel…
Les nuits sans deuil – le même chemin jusqu’au couchant…
Des vallées – des routes – des saisons – et notre hamac posé dans la forêt…
Les fruits de la splendeur dans l’âme – gorgée de joie…
A la hauteur idéale pour que cessent les pleurs et la nostalgie des terres (et des visages) d’autrefois. Le passé enfin arraché et les yeux, peu à peu, dessillés pour se libérer du délire ordinaire de l’homme…
Le souffle libre et la liberté du vide et de l’innocence – impossibles à pervertir…
L’instant et l’existence sans anxiété…
La découverte, peut-être, d’un nouveau littoral…
Tout un peuple dans nos veines. Le cœur horrifié – inconsolable – amer face à cette impuissance devant le monde – la multitude. Et l’âme dans le sang – entre la faim et l’ardeur – entre l’hésitation et la fuite sans panache. Des ailes dans le dos pour tenter l’envol – et la certitude du néant – de l’absence de Dieu – sur tous les versants explorés…
Partout – pieds nus – à aller avec la faim là où l’on pourrait l’apaiser. Comme des bottes dans le sang et le regard (toujours) emprisonné – comme une course vaine – insatiable – sous le joug d’une ardeur qu’aucune force – qu’aucune résistance – ne saurait briser…
De la matière et de la nuit – plongées ensemble au fond d’un puits – au fond de l’âme. Et ces traces présentes dans le langage des hommes…
Rien qui ne puisse échapper au temps ; le tic-tac de l’horloge – des jours – des saisons. Et le feu dans la ronde des pas…
Tout accroché à la même ceinture – et ce glaive suspendu au-dessus des têtes – le frisson (le grand frisson) au-dessus du sommeil…
La vie tantôt comme une île lointaine – tantôt comme un songe – une cage aux grilles modulables…
Le monde de la terreur – pris dans les filets du pire – dont les maîtres sont des bourreaux – les plus atroces – les plus ingénieux – que la terre ait connus…
Le parfum d’un ailleurs dans le silence – des contrées inconnues – un souffle neuf dans la poitrine – l’arc-en-ciel plutôt que l’attachement à une bannière. Des horizons qui glissent sur le regard. Rien qui ne s’entasse. Le cœur au bout des doigts – et dans les yeux, cette lame qui tranche l’inutile. Des tas autour de soi que dispersent les vents. Choses et visages – en fragments – tombés là après leur bref séjour à nos côtés. Plus de lutte – ni de rêve – l’accueil – la joie d’être – ce qui se goûte puis s’oublie. Le monde adouci – passé au tamis de la tendresse…
Dans la même cellule – sous la voûte – durant mille nuits – mille saisons – parmi mille soleils – sans un seul miroir – sans un seul visage. Le ciel large et libéré de la frayeur. L’homme assis sur la pierre et la liberté qui, peu à peu, se déploie dans l’âme…
Des ombres fugaces devant l’éternité…
Des flammes dans les yeux pour découvrir le point culminant – le faîte qui se dresse dans l’abîme – là où les pas sont nécessaires…
Une âme et un corps, peu à peu, fragilisés – la bouche de plus en plus silencieuse – et cette indolence face à l’immensité…
Le souffle qu’il nous manque pour échapper aux rêves des Dieux – aux lois du temple – à la hiérarchie des institutions – aux conventions communautaires…
L’ardeur insuffisante pour être – et vivre – comme le premier homme – l’esprit vide et lucide – la gorge affranchie du langage – l’âme fidèle aux seules exigences de la terre – suffisamment mûr, peut-être, pour se mettre à l’écoute du ciel – et devenir (pourquoi pas ?) le plein silence…
Sur un socle pierreux – les pieds dans la poussière des chemins – l’âme aussi grise que le visage – épuisé par cette longue marche – le cœur immobile qui célèbre, à présent, le vent – la neige – le plus sacré. L’être – la tendresse du regard sur le provisoire – le plein acquiescement du silence…
Des voix dans le lointain – comme un souffle de liberté sur les contingences et la tragédie. Une fenêtre ouverte sur le monde plongé dans le pathétique – nourri de fables – de mensonges – d’espérance. Le visage de l’éternel, peut-être, qui s’avance. L’Amour, peut-être, qui s’approche – à travers la parole qui annonce la venue du silence qui détrônera, peu à peu, l’espace et le temps…
Après les luttes et la souffrance – la résistance au plus naturel – le sacré et la célébration. La fin heureuse des héros et des tyrans. La discrétion et l’humilité de celui dont les yeux ont appris à s’ouvrir…
La terre – couleur de mort – parfum d’enfermement et d’espérance. Un peu d’espace entre les murs pour produire de quoi manger – entretenir le feu – inhumer les dépouilles. Une existence de labeur et de prières pour tenter d’atténuer l’âpreté et la misère…
Un autre air – une autre envergure – hors les masques. Quelque chose qui échappe au monde – à l’histoire. Le plus simple – le plus naturel – affranchis de l’abstraction – loin des faux sourires et des aménités mensongères – au plus près des visages et de la possibilité de la rencontre…
Présence-éclair – lumineuse – pénétrante – au milieu des étoiles et des âmes endormies – qui veille autant sur ceux qui ont les yeux clos que sur ceux qui ont les yeux ouverts…
Nappe nue – aux dimensions inconnues – à l’envergure incalculable – épaisse et légère – comme le lit d’un fleuve céleste porté par les ailes invisibles des oiseaux – et qui effleure le monde – les pierres – les visages – et qui pénètre tout ce que les siècles ont enfanté – et qui disparaît en portant avec elle son énigme…
L’éternité n’attend le temps des fenaisons…
La pierre sous l’apparence du monde – et mille choses cachées sans compter ce que l’on y dissimule délibérément. Les cent pas au-dessus – l’espérance d’un événement – d’une rencontre – Dieu nous ouvrant les bras peut-être…
Au pied de l’arbre – le même jour qui s’avance – malgré la torpeur ou la fébrilité matinale…
De la boue – en quantité – épaisse. L’autre dimension de la beauté immergée dans la matière – opaque autant que le rêve est limpide – et qui se meut avec lourdeur autant que le rêve est volatil…
Rien ne bouge – en vérité – simple imitation du mouvement. Juste un feu pour brûler les choses et les croyances – nos folles certitudes – puis l’émergence du commencement une fois que l’essentiel est achevé – malgré la récurrence de la chair et du sang…
Dans l’œil du monde – l’opacité et la faim – ce qui enfanta toutes les prouesses des siècles – l’infortune érigée sous prétexte de confort – le sang répandu et la mort donnée de manière industrielle (et presque aseptisée)…
Les merveilleuses intentions – les merveilleuses inventions – du (bon) peuple humain…
Du sable jusqu’à l’infini…
Du bleu jusqu’à l’origine…
Et – partout – le même silence – notre nature – le regard – ce qui sent – ce qui goûte – ce qui contemple…
Chez d’Autres (la plupart) – rien qu’une main pour attraper les rêves – une tête avec des élans – et un ventre comme une outre à remplir. Sur toute la surface – terne – pas la moindre faille – pas la moindre brèche – où pourrait pénétrer le ciel – un peu de tendresse – l’appel d’un ailleurs – une autre envergure…
Inaptes au franchissement des seuils – à la splendeur – à l’immensité du premier jour…
Un passage aux airs d’exil. Des cieux qui ne ressemblent pas à ceux que nous avons connus. Des visages plus qu’étrangers – hostiles – haineux – assassins. Des gestes et des actes qui interdisent et refoulent – qui forcent à la résistance et à la rébellion – ou, parfois, à la fuite. Des lieux sans Dieu – sans pardon – sans familiarité – possibles…
Une existence d’emprunt où l’on s’efforce, pourtant, de trouver le juste itinéraire…
Une terre provisoire – sans possibilité de certitude – où tous les bagages sont vains – excepté, bien sûr, les impédiments de la naissance – où aucune fête ne mérite notre présence – où aucune histoire n’est digne d’être racontée…
Juste une pierre pour poser son séant – un abri contre la pluie et le froid – et un carré de ciel au-dessus de la tête…
Les mains exercées aux gestes quotidiens et à la prière – et l’âme à la présence – en nous – qui, peu à peu, se déploie pour trouver sa juste envergure…