Carnet n°237 Notes journalières
Le jour aussi peuplé que le sommeil – mais de nature presque exclusivement solitaire…
Ni fumée – ni alcool – pas même un refuge – un espace ouvert – exposé – sans le moindre rempart…
Au cœur de la vie – à la merci de ce qui passe (à proximité)…
Dans les recoins d’une figure possible – la seule perspective ; la soustraction comme une forme de déploiement à l’envers jusqu’au plus rien aussitôt converti en envergure infinie – en présence intensément vivante…
Entre la lumière et le langage – l’émergence du geste juste – comme une passerelle – l’effacement de tous les obstacles – l’empêchement transformé en possibilité…
Des mots – des pages – façonnés par la main où, malgré les apparences, le recours à la langue est secondaire…
Malgré la profusion et la truculence – pas si loin du silence…
Des gesticulations tantôt sensuelles – tantôt sévères – mille à chaque instant – ce que l’on touche – ce que l’on embrasse – ce que l’on repousse et rejette – les mêmes visages au fil du temps – selon les postures et les circonstances…
La main et la bouche – selon les jours – selon les heures – prêtes à toutes les cajoleries – à toutes les infamies…
L’extérieur – comme un prétexte au déploiement de ce qui nous habite (provisoirement)…
L’être – comme le lien entre ce qui semble séparé par tant de frontières…
Nous – ici – avec cet air surpris – dérangé – peu consentant – chaviré – enivré – à terre – par le moindre mouvement…
Il faudrait vivre dans le silence – à l’extrême marge du monde – et faire la part belle à l’invisible – pour devenir vivant – pleinement acquiesçant…
Au-delà du monde – soi – comme en deçà – la même chose – exactement – malgré les différences apparentes…
Un cœur immense – près des lèvres entrouvertes – près de la main tendue – près de l’âme offerte – près de chacun d’entre nous – à chaque instant…
Et ce brouillard qui nous empêche de voir derrière toutes les mâchoires serrées qui se dressent autour nous…
Le vent et l’horizon – et, par-dessus, des lignes courbes – écrites au feutre noir…
L’habitude – la marche – l’ascèse ; des gestes et des travaux quotidiens…
La psyché – trop étroite (bien trop étroite) pour demain – et même pour l’instant suivant – et qui voudrait (malgré tout) prévoir la couleur du temps…
Il ne faudrait rien attendre – rien imaginer – goûter seulement ce qu’offre le jour – oublier hier – oublier plus tard – vivre dans la seule présence vivante possible – accompagné du bleu immense (et lumineux) pour aller sur cette terre – et ces chemins – trop souvent obscurs – trop souvent bornés…
Le monde – à travers nous – comme une terre d’emprunt – passagère – fort éloignée de notre pays natal…
De la rage – de la misère et des rires – en proportions variables ; rien de plus banal – chaque matin, un peu de lumière – puis le soleil couchant – pendant des dizaines de milliers de jours – ce que nous jugeons (trop souvent) comme une épopée – et qui, pourtant, ne représente à peu près rien – à l’aune de l’histoire de la matière…
Des chaises vides – autour de soi – les vivants attablés – très loin derrière – de l’autre côté du monde…
Ici – seulement – ceux qui ont faim de lumière – de vérité ; presque personne (en réalité) – des visages qui passent pendant un court instant – parfois tristes – parfois rieurs…
Les amis des grands arbres et des pierres – les amis des bêtes qu’exploitent et assassinent ceux qui vivent de l’autre côté…
Et sur cette terre – rien pour les défendre – faire valoir leurs droits – notre sensibilité – sauf, peut-être, l’essentiel ; le plein acquiescement y compris aux refus – aux résistances – au règne (éternel) de tous les contraires…
Un regard – seulement – sur tous les paysages changeants…
Aux limites du corps – de l’âme – du monde – de l’esprit – au-delà desquelles tout est vide – autant qu’en deçà – là où il semble y avoir quelque chose…
Tout est soi – en vérité…
Nous – apparemment présents – au détriment de l’intelligence – comme s’il n’y avait (aujourd’hui) qu’un seul règne possible – celui de l’ignorance déguisée tantôt en bêtise – tantôt en folie…
Là où l’on croit habiter – là où l’on croit vivre – ce trou de misère cerné par la nuit – avec, au-dessus, quelques étoiles et, de temps en temps, un peu de ciel bleu – histoire de donner à l’indigence une once d’espoir et de dignité…
Dans la désolation du seuil – plus haut, le ciel – plus bas, les ténèbres – et, de part et d’autre, l’abîme…
Ainsi – dans cette disposition géographique – dans cette disposition intérieure – les yeux n’ont guère le choix – vers l’ouverture sans hésitation – autant que l’âme…
Du noir disposé autour de toutes les lampes – et cet étroit faisceau de lumière pour découvrir la route – se frayer un chemin – orienter ses pas – dans l’obscurité…
Faudrait-il être fou pour se laisser mener par le hasard – quelques (vagues) intuitions…
Qui peut savoir…
Des yeux et la providence – voilà tout ce que nous avons…
Ce que nous regardons – peut-être – n’existe pas. Plus image que poème – plus possibilité que (réellement) consistant…
Ce qu’il restera – à jamais – le monde d’avant le monde – ce que nous avons toujours trop habillé – le vide – simple – sans prétention – souverain et majestueux – sans parure…
Ce à quoi nous avons recours – un peu d’aide – un peu de rêve – selon les jours…
Inerte (presque inerte) – comme tout ce qui vit – comme tout ce qui a l’air de vivre – dans la proximité de la matière – embourbé – enlisé en elle – comme un obstacle – un socle – une forme de stabilité – une fausse certitude qui nous sert d’appui…
Pris dans une sorte d’errance immobile – une lenteur – un suspens – quelque chose qui, tôt ou tard, finira par tomber en ruine et se transformer en poussière grise – rien de vraiment important – ni après – ni pendant – une simple forme où sont emprisonnés les élans ; le mouvement premier de l’Amour ; de la lumière incarcérée et obscurcie – comme une manière de durer davantage – d’augmenter (de quelques instants) le temps du passage…
Dans le moment intériorisé du monde – ce qui existe (un peu) – un instant – entre deux possibilités – entre deux néants…
Ce qui demeure le temps du geste – et celui – trop long – du souvenir…
Ce qui est – devant nous – en nous – qui sommes l’unique frontière – le seul obstacle à la réunification de l’ensemble – de toutes ces parties apparemment éparpillées…
Autour de nous – quelques traces anciennes – tribales – du temps où l’homme était (réellement) vivant – un animal comme les autres – humble et inquiet – sans pouvoir – sans espoir – comme un étrange mélange de peurs et de possibilités – une manière authentique – si vraie – si juste – d’être au monde – ce que nous avons oublié nous qui vivons comme des maîtres – comme des traîtres – si corrompus – si oublieux de l’origine commune…
Nous nous rejoindrons un jour – lorsque « ensemble » voudra dire (signifiera vraiment) notre unique visage…
Nous n’aurons alors plus besoin de masques – nous pourrons vivre nus – comme des frères – dans la même innocence…
Toutes nos solitudes rassemblées en un seul éclat – comme un feu – immense – au cœur de l’hiver…
Une fumée blanche dans le ciel – légère – si légère – pour avertir les Dieux – pour que se rapproche l’inconnu – pour que s’éclaircisse le mystère – pour pouvoir enfin vivre (tous) ensemble…
Une vie durant – à cette place étrange – dans le lieu de l’attente – là où nous ne pourrons jamais être – là où nous ne pourrons jamais vivre – à cet endroit qui n’existe pas – qui nous fait tomber dans deux illusions ; celle de l’ailleurs et celle de plus tard…
Un enfer que la psyché appréhende comme une possibilité – un (réel) espoir – la seule issue, croit-elle, à l’indigence de vivre – à la misère quotidienne du monde – une manière de glisser de rien en rien – de néant en néant – sans jamais être personne – sans jamais rejoindre l’horizon – la terre ferme ; une absence permanente – inapte à toute forme de conversion – à toute forme de transformation – comme une impasse qui se parcourrait et s’abîmerait dans tous ses recoins ; pas même une perte – une fable qui s’auto-entretiendrait pour que perdurent toutes nos histoires – toutes nos croyances – toutes nos chimères – la somme (stérile) de toutes nos inexistences…
Comme le jour – pris dans un vent étrange – quelque chose de léger – comme une plume blanche – un murmure – une lumière douce dans un jardin inconnu…
L’annonce, peut-être, de l’ultime défaite…
L’arbre près de notre souffle – qui respire l’air des hauteurs – qui éclaire le chemin des marcheurs et ce qui se résigne à trembler sur le seuil des découvertes – en offrant sa droiture – son honnêteté – en guidant (à peu près) tout vers sa propre ascension…
La mer – devant nous – et l’âme sur l’échine du monstre – entremêlant à la chair ses ressources…
Des bouts de corde – et le plus sombre – toujours – recommençant sans cesse – réinventant les masques et les itinéraires – la vie et la mort de plus en plus recombinées et substituables…
D’un voyage à l’autre – de fuite en tempête – parmi les Dieux scrutateurs – transporté ailleurs comme l’on était autrefois hissé…
Sous le regard – au-dessus de l’abîme – le vent apparent – le souffle des Dieux moqueurs – ce qui règne – ce qui pleure – ce qui contraint le monde – tous les peuples du monde – à naître dans la broussaille – les doigts comme des herbes folles – et la tête aussi frêle et hostile qu’une brindille porteuse d’épines…
Des pierres à même le sol – le bois – les étoiles – ce qui nous blesse et nous assaille. Et cet œil tourné vers le plaisir – et l’autre scrutant la source…
Des éclairs – des éclats de ciel – et la terreur de ceux qui ont le front baissé vers la terre – et l’âme tournée vers le passé…
Le tragique du monde. Et la nuit désespérante – si souvent…
Devenir comme la joie innocente – ce qui demeure lorsque l’âme – le monde – la vie – se dérobent – lorsque sur notre visage ne restent que le ciel – quelques traces de ciel – un peu de terre pour recouvrir le sillon des habitudes – et un peu de vent pour sécher nos larmes…
De haute lutte – sans que la poésie jamais n’intervienne – un peu de lumière dans l’ombre – une nuit (bien) trop profonde – le désir trop précis d’un autre visage – d’un autre monde…
Une fuite davantage qu’un voyage…
Une liberté sans beauté – chargée d’ennui – de balises – d’interdits…
Une tentative davantage qu’un (réel) élan vers la source…
Ce qui nous retient ici-bas – une respiration trop angoissée – une absence de souffle – le feu qui s’éteint avec la fin (très progressive) de tous les chantiers…
Rien de Divin – la mémoire galvanisée – l’ignorance partout célébrée – du bavardage – des peurs – la route à découvrir – ce qui nous pénètre pour notre plus grand malheur – le sommeil des vivants et le mystère (inentamé) de la mort…
Dieu devant nous au lieu d’être plongé au fond du cœur – le souvenir d’une présence sous le front – le corps occupé à sa douloureuse traversée – aux mille rencontres délétères – sans rayonnement – la vie tremblante devant les Autres et les circonstances successives…
Dans les plis des yeux – la nuit – le monde – piégés dans l’argile…
Les eaux qui courent sur la feuille – sur la peau…
L’âme frileuse devant les terres trop désertes – les routes trop peu fréquentées…
La terre – les livres – au centre de l’esprit que l’on tarde à découvrir…
En nous – comme une lumière trop timide pour (vraiment) éclairer…
Une rivière – un seuil – ce qui retarde la venue de la lumière…
Du sommeil et de la pluie jusqu’au véritable jour de notre naissance – l’échine droite et froide…
Le masque de la mort et un costume de cendres – pour effrayer – et précipiter la fin de – ce qui respire encore – ce qui vit encore un peu…
De l’ombre – dans un passage éphémère – comme une masse légère et sombre poussée par les vents…
Et le cri des Autres qui s’est, à travers les siècles, patiemment perfectionné…
Notre visage face à tous les visages – de cérémonie en cérémonie – sans même qu’une seule (vraie) parole ne soit échangée…
Un air de printemps – l’ardeur d’un nouveau matin – un chant sans artifice – glorieux – presque inaudible – la tête nouée à une corde blanche – de haut en bas – jusqu’au sable qui recouvre le sol – les poings ouverts – la parole aussi libre que le geste…
Quelque chose du triomphe silencieux – invisible…
Nos vies – dans leur linceul de ronces – épines au bout de la langue – au bout des doigts – l’esprit engoncé dans sa gangue de feuilles et de tiges – le cœur irrespirant – devenu (presque) obsolète à force de jeux – de mensonges – de parodies…
Le sourire feint aussi large que l’enfer – le monde, en nous, qui cherche en secret son chemin – malgré la prégnance des fables et de l’illusion…
Notre dernier élan – notre dernière semence – peut-être – avant l’extinction de la douleur – l’envol de l’âme – notre présence – notre guérison – ici-bas – au milieu des Autres…
Partout – la nuit – la brume – le monde – les yeux rangés tantôt en dessous – tantôt au-dessus – plus rarement au-dedans – comme l’horizon unique de tous les regards – changeant – partiel – selon les points de vue…
La terre des Dieux baignée de poussière et de larmes. Nos lèvres et nos âmes – pressées les unes contre les autres – plongées dans la masse commune et rassurante – détenues…
Nous autres – pris dans les sables mouvants de tous les continents inventés…
Des pierres dans le lointain…
Une marche depuis les hauteurs…
Des pèlerins fatigués de la pensée…
Rien – un peu de cendre – quelques restes d’os calcinés – des bouts de nuage descendus vers le sol – transformés. La vie et la mort occupées ensemble – défiant le temps et la sagesse ancestrale…
Quelques traces de silence dans l’ombre éclatante – perceptible parfois…
Comme l’étrange avant-goût du vide à venir…
Le fond de la mémoire (presque) totalement déserté…
Rien qu’un peu d’eau, peut-être, jetée sur nos (pauvres) rêves…
Rien – quelques ruines – seulement – vestiges désolés d’édifices qui, en leur temps, furent beaux – enviés – dressés vers le ciel – avec fierté – façonnés et entretenus par nos efforts constants…
Aujourd’hui – de la poussière – de petits tas de poussière – que le vent balaiera – éparpillera – transformera en couche fine et grise – presque imperceptible – sur laquelle des doigts (pas encore nés) esquisseront peut-être d’autres dessins – d’autres projets – de nouveaux édifices – sans doute…
Trop d’existences – de circonstances – de rencontres éphémères – avec des visages sans nom – sans âme – sans principe – sans (réel) ressenti au fond du cœur – ou alors dissimulés derrière des masques et des émotions feintes ou déguisées…
Avec son lot de frustrations et de désirs inassouvis – des espoirs plein les yeux – le cœur (presque toujours) mal équilibré – la vie comme un échafaudage précaire…
Ici et là – des choses entassées – des amas sur le point de s’effondrer…
Dans le rythme apaisé du langage – le silence – des pas qui glissent – des gestes spontanés – sans répétition…
Le monde sous le front – sur la page – exposé là où tout devient visible – paisible – inutile – sans importance – derrière (très loin derrière) la primauté de l’instant et l’envergure des circonstances présentes…
Des dérives sombres lorsque nous explorons une pente glissante – lorsque nous côtoyons des visages rongés par l’expérience et le souvenir – des étoiles hissées trop haut – des horizons trop éloignés – des poings dressés au lieu de sourires – des cris en guise de poésie – des esprits trop rationnels ou trop désordonnés – le monde tel qu’il est avec ses mythes – ses histoires – ses mensonges – ses rives étranges – malfamées – et ses peuplades ignares et conquérantes…
Tout un univers qui nous restera – à jamais – étranger…
Des âmes de pierre cachées derrière la chair et le sang – la solitude et l’errance comme seules possibilités – les seules conditions de l’envol et des hauteurs…
L’exil au-delà des terres humaines…
D’un regard à l’autre – sans lumière – sans voyage – les yeux égarés sur deux rives différentes…
Naufragé d’une innocence ancienne – très antérieure à l’oubli…
Du sang sur les pierres et les visages – des restants de nuit – la solitude de l’errance – le monde hélé qui ne répond pas et qui s’absente plus encore…
Les mêmes sanglots tout au long du chemin…
Les fossés de l’espérance, peu à peu, creusés par le sommeil – et si rarement comblés par l’évidence de l’absence de temps…
Une couverture d’étoiles sur nos existences de bohémien – des songes et des rires – un peu de silence – quelque chose du vent qui porte – jusqu’à nos ombres les plus familières…
Une distance invisible qu’il nous faut parcourir – d’une seule enjambée…
Un peu d’enfance derrière soi – histoire de se détacher du monde – du rêve – de la folie trop ardente – trop bestiale – trop hostile – des hommes…
Derrière les murs – en silence – le secret ; devenir davantage qu’un homme…
Nous surgissons d’un ciel bien réel – si peu évangélisé – vierge de toutes nos traces – affranchi de toutes nos croyances – aussi innocent et aventureux que nos destins successifs…
Ce sable – tout ce sable – que nous n’aurons pas eu la force de remuer – comme si l’invisible n’avait d’importance – comme si le silence ne pouvait remplacer l’enfance – comme si le ciel surgissait à la moindre prière…
Quelle distance nous restera-t-il à parcourir aux dernières lisières de l’aube – le même espace, sans doute, qu’au début du voyage…
Cette lumière oubliée à force de courir – pris (toujours pris) dans le tumulte terrestre – mille tourbillons de matière – cette effervescence sur toutes les pentes – sur toutes les sentes – cette marche forcenée – sans destination – sans restriction – comme un pèlerinage autour du même centre – le plus sacré – ce que nous ignorons…
Avec – toujours – cet étrange silence entre nos rêves – entre nos pas – au fond de l’âme…
Giflé par les vents qui dénudent – loin – très loin – des murs – de la destination (toujours trop précise) – parmi les bruits et les fleurs – entraîné, peu à peu, vers les seuls tremblements autorisés – la tête déjà hors du monde – comme posée sur ce qui ressemble à une frontière – un amas de pierres solidifiées – aux confins, peut-être, du ciel espéré…
Un horizon de neige où la moindre foulée enlaidit l’espace – le corrompt – et semble défigurer l’âme – le faîte où l’élan devient caduque – inutile – en ce lieu où se dénouent tous les désirs – toutes les chimères…
A descendre – obstinément – malgré nous – comme la seule voie – la seule pente – possible…
A nous parcourir au cours de ce long voyage qui nous défait – qui nous dénude – qui nous découvre – en dessinant, peu à peu, notre vrai visage…
Le vent – la nudité – le plus tangible de la lumière – ce mouvement permanent – de haut en bas – comme un bond au-dessus du plus commun ; un élan qui porte au-delà des croyances – plus haut que l’espoir – là où l’homme peut (enfin) devenir lui-même…
Rien que des mots (quelques mots) – des gestes (quelques gestes) – un tas de pierres – nos vies à tous, nous qui nous nous ressemblons tant…
Très loin – comme une frayeur supplémentaire – l’horizon qui se rapproche – une terre de plus en plus familière – accessible – la course sur le sol recouvert parfois de fleurs – parfois de neige – selon ce qui traverse la tête…
Ce que l’âme répand derrière elle – tout ce que nous offrons au monde – à notre insu…
Seul – comme se dénouent toutes les entraves – comme se résolvent toutes les énigmes…
L’aube derrière tous les désirs et toutes les peurs…
Le sommeil ajourné – ce que l’invisible nous révèle – la joie derrière le cri – et le silence en guise de voix…
A la lisière du tremblement – le monde – cette terre si ancienne – ce que fut notre demeure à travers les saisons – un horizon planté devant un ciel changeant – bariolé – porteur de miracles et de désastres – aux couleurs presque toujours prometteuses…
Et notre course – éreintante et mystérieuse – sous le feuillage sombre des grands arbres de la forêt…
L’ombre à nos pieds – au fond de l’âme – seule présence, parfois, à nos côtés – qui accompagnera toujours notre silence et notre volonté d’infini…
Plus loin – plus tard – peut-être – jamais – sans la moindre existence – le temps et l’imaginaire toujours chimériques – une sorte de fantasmagorie de l’enfance…
La seule terre de ceux qui espèrent encore…
Rien qu’un ciel qui crisse sous les pieds – une manière d’aller dans le sens du vent – à contre-courant de ceux qui pointent le doigt dans d’autres directions…
Le souffle et l’oubli – notre seule façon de vivre…
Entre ciel et pierres – la lumière – la neige – et une poignée de cendre sur les fleurs – ce qui recouvre (presque) la totalité de la terre…
Trop de sommeil et d’orgueil – volés aux Dieux – comme si nous n’étions l’auteur d’aucun cri – plainte et colère mêlées ; une succession d’heures grises et de jours sombres – au milieu des Autres – endormis – prétentieux – trop braillards – eux aussi…
Trop d’instincts – la terre comme une chambre – un lieu à usage multiple – où l’on enfante – où l’on pleure – où l’on se réfugie – où l’on essaye de préserver l’homme – l’homme d’autrefois – sans réellement savoir celui que l’on pourrait devenir…
Trop de noir et de fêtes – de postures lascives – trop de temps et de pensées – trop de tête et de sommeil ; sur le métier, nous nous remettons tout entier(s) – dans l’espoir, peut-être, d’apercevoir un autre reflet – plus clair (imaginons-nous) – dans le miroir…
Une esquisse – un dessin à parfaire – au lieu d’effacer les contours – les frontières – tous les confins – et la brillance de nos yeux fébriles – de nos yeux trop fous…
Rien qu’un peu d’air – un peu d’espace – une manière si singulière d’être vivant – humble – à peine visible – et si densément présent – comme une lumière dans le noir – une âme vivante parmi les pierres et les visages…
Pas le moindre bagage – en vérité ; aussi puissant et démuni que le vent…
Un souffle seulement qui durera pour nous mener peut-être – pour nous mener sans doute – jusqu’à la fin du voyage…
La solitude qui nous convoque – qui nous invite – comme le plus précieux des hôtes – qui nous tend la main comme si elle nous attendait depuis longtemps. Et cette joie qu’elle offre à celui qui la rejoint sans crainte – sans réticence…
Sur les lèvres – ce grand sourire ; et dans le cœur – la certitude de la plus belle rencontre…
Juste un geste – de temps en temps – une parole jetée sur la page. Une respiration sans pensée – l’être derrière – et au-delà – du visage – sans mémoire – sans attente…
Dans les bras d’un Dieu parfait – sans désir…
Nous devenons ce que la chambre propose ; une chose – mille choses – parmi le large éventail des possibles – des destins – et, plus tard, sans tête ; le règne le plus profond – la loi la plus naturelle – sur la peau – au cœur de la chair – dans les tréfonds de l’âme – comme ce qu’impriment sur la terre – autour de nous – tous nos gestes – tous nos pas – toutes nos paroles – sans témoin – sans auditoire…
Comme le silence caressant le silence – l’infini devinant l’infini – l’éternité en elle-même…
Ce que nous sommes – notre plus beau (et notre plus vrai) visage – ce que nous rêvons tous, sans doute, d’incarner…
Le monde – provisoire – sur le socle du temps…
La vie – en nous – qui surgit du secret enfoui au fond de l’âme…
La lumière – derrière – prête à jaillir, elle aussi, lorsque le moment sera venu – lorsque nous cesserons notre labeur inutile…
Le silence – comme un dard – une couverture – qui use d’étranges stratagèmes pour nous envahir – retrouver sa place – son règne ; obligé d’affronter le plus terrible et le plus lénifiant – nos vieux rêves de tranquillité – ce que nous confondons, en général, avec la torpeur ou le sommeil…
Le chant humain face aux ombres qui s’avancent pour pénétrer nos territoires – comme un cri – un effroi – devant une armée de figures inconnues – hostiles et mystérieuses – incroyablement conquérantes…
Le visage bientôt encerclé – immobilisé par mille hampes taillées comme des lances – prêtes à transpercer la chair…
La vie – comme une pente – particulièrement glissante – particulièrement dangereuse – au cours de laquelle on finit (tôt ou tard) avec le corps et l’âme empalés – comme si le prédateur devenait, au fil des circonstances de moins en moins avantageuses, le gibier d’une mâchoire plus puissante ou d’un esprit plus rusé…
Quelque chose – toujours – glisse d’un monde à l’autre – sans la moindre résistance – sans le moindre artifice – sans la moindre difficulté…
Les pas de celui qui avance – malgré lui – sans désir – sans volonté – sans destination – par simple obéissance à l’ordre naturel – par soumission (et fidélité) aux lois intemporelles qui le gouvernent…