Carnet n°243 Notes journalières
Dans le défrichement illusoire du monde – la tête penchée – l’âme près du sol – à peine existante – à chercher dans les livres un peu de courage – un surcroît de vitalité – la langue oubliée des Dieux – ce qui nous consolerait de vivre – l’exacte contrepartie de nos malheurs…
Dans l’antre des monstres et des Dieux – ensemble…
Au plus près du refus – juste derrière – en vérité – là où la connaissance indiffère – devient caduque – là où l’acquiescement est la seule règle – la seule loi – là où nous sommes déjà – sans même le savoir – malgré nos résistances – malgré notre inertie…
A présent – en ce lieu où le sens prend tournure – sans démenti possible – autant que la plus haute absurdité – dans l’éloignement de ceux qui se disent nôtres – de ceux qui nous ressemblent – dans l’abandon des têtes amies – des têtes alliées – de toutes nos tribus imaginaires…
De dérive en dérive – jusqu’à l’exclusion – jusqu’aux frontières dépassées du monde – jusqu’à l’autre bord – jusqu’à l’autre rive – jusqu’aux antipodes d’ailleurs – ici même en réalité…
Parfaitement immobile – en quelque sorte…
La main parfaitement alignée sur l’âme – le centre – l’infini – ce que Dieu attend et ce qu’il est capable de réaliser – à travers nous…
Tout qui s’enchaîne – jusqu’à la beauté – jusqu’au parfait silence ; la complétude – comme notre seul désir – celui par lequel tout arrive et se succède…
Lâcher l’inutile – abandonner ce qui persiste à s’acharner – se glisser dans la fièvre et les tourments – devenir le mal lui-même – et demeurer au cœur de tous les centres…
Se libérer alors devient la seule possibilité – l’élan naturel au-delà de la volonté – au-delà des exigences du monde et des Dieux…
Notre seule réalité – sans doute…
Des herbes et des âmes chavirées – piétinées – abandonnées à leur sort – à leur inconsolable solitude – à ce salut qu’elles ignorent – cette manière de se tenir debout – dressées et fragiles parmi les Autres – au milieu d’une nuit qui jamais ne dit son nom…
Seul – sans manque – sans attente – sans réponse – sans remède – comme un tertre – comme un peu d’air – au milieu du ciel – comme un trou – un peu de terre – à même le sol – tombé là sans que le hasard, ni les Autres s’en mêlent…
Des visages – des pieds et des tombes – au cœur d’un incroyable tohu-bohu…
Du feu – le miroir central et les reflets périphériques – brisé – dilués dans les paysages – une sorte de rupture et de flou – quelque chose de fort peu raisonnable – comme une sensation – une impression de mort au milieu des couleurs – comme une âme vivante au milieu d’un écho très ancien…
Dans les ténèbres obstinées – le jour qui veille – attentif – derrière tout ce qui a l’air triste et sombre – derrière tout ce qui affiche une noirceur apparente et trompeuse…
Les lèvres de l’Amour dans nos veines buvant, malgré elles, le sang des Autres – amoureusement – pas même révulsées par la grossièreté (inévitable) de ce monde…
L’âme triste – les poignets harassés – à force de se hisser vainement au-dessus de ce qu’on ne cesse de nous offrir – comme un manque – une quantité jugée toujours insuffisante – ce qui nous emplit, pourtant, jusqu’à la garde – jusqu’à l’écœurement – jusqu’au franc débordement…
Le cœur et le ventre pleins – repus et sans joie – sans l’émerveillement nécessaire que seule la frugalité reconnaissante peut offrir…
Immobile – comme le jour – malgré l’affairement alentour – la gesticulation des vivants…
Au milieu des vents – au milieu du sable – la peau et le cœur emmêlés – quelque chose d’une apparence – comme une matière qui tressaille…
Ce qui danse sous nos carapaces…
Le monde entier dans nos yeux immobiles…
Mille mouvements et mille rythmes au-dedans du vide…
Rien ne peut mourir dans le regard tant tout semble inexistant – partiellement là – parfaitement relié au reste – de mille manières…
Le vent sait ce que lui confie le vide et le vide rit de ce que lui confie le vent ; et nous autres, l’un et l’autre – et, très souvent, plus l’un que l’autre – alternativement – comme si trouver son équilibre était la chose la plus difficile au monde…
Nous sommes la chance du monde – et sa malédiction ; les intentions de l’âme et la vie blessée à mort…
Il y a de très vieilles douleurs dans les couloirs de l’univers – de très vieilles douleurs et des âmes en fuite – et des âmes en quête – quelque chose d’incompris (et d’incompréhensible par la raison) – quelque chose à défaire et des liens à réaliser ; se rendre compte de nos mensonges et de nos inventions – des ciels et des gouffres que nous avons artificiellement construits…
Des idées autant que des ombres…
Un monde où l’être est absent – en apparence ; un plénipotentiaire déguisé qui prend un malin plaisir à incarner son contraire…
Des existences où, en vérité, il est impossible de mourir – et où la mort demeure très largement incomprise…
Debout – à travers toutes les naissances…
Debout – sans jamais la moindre fin…
Nous – dans le jour – avançant confusément – vivant comme si l’innocence n’était qu’un mythe – un idéal hors d’atteinte – une crête invisible au milieu des vents…
Nous – croyant vivre – et ne cessant de mourir – en vérité – les Dieux et la douleur mélangés – et la joie (imperceptible) présente au milieu des danses…
Des traces sur nos lèvres – sur les chemins – la lumière tenace malgré le défilé des saisons et des visages…
Ce que nous achevons sans courage…
L’encre et sa cargaison de baume et de venin…
Le monde aussi subtil que nos pages…
Une interminable leçon de modestie…
Dans le caprice des heures – empêtrés – à la manière d’un feu dans le noir – dans la nuit – visible mais inaccessible – pris dans les nécessités de vivre et l’incroyable vigueur des choses de la terre…
Sans loi – sans nom – dans une veille sans intention – sans ambition – soudés à l’Amour et au langage – aux jeux du monde et des Dieux interprétés par l’esprit…
La tête en sang – dans le vertige de l’imaginaire – comme un enfant soudain séduit par la fraîcheur de l’eau – la tendresse de l’herbe – la beauté des nuages – toute la poésie du monde…
Au-dedans des ronces – solitaire – à manier le silence comme la seule véritable épiphanie – à la fois perpétuelle et récurremment différente…
Les signes du corps – de l’âme – du destin – alignés sur la page – pointant sans violence – sans hardiesse – vers le ciel – l’Absolu – le seul repère…
Toutes les morts additionnées – indéchiffrables – comme des sentinelles autour du sommeil – comme une monstruosité apparente et opportune – comme un piège dans l’espace – la seule issue possible – sans doute…
Du temps – ce que l’on imagine être le temps – de l’Amour – les mains vides ; ainsi marche-t-on sans souffrance – le parfum de la mort sur les lèvres – comme une fleur nécessaire – délicate – comme une chose que l’on chérit – la condition du changement – des possibles – de la joie…
Le visage des jours sur l’âme et les mains – flétri(es) – comme la peau d’un ancêtre que l’on aurait revêtue – un peu hiératique – un peu surannée – quelque chose comme un reste de neige – le manteau du passé que l’on aurait traîné trop longtemps derrière soi et qui aurait pris la couleur de la poussière – la couleur des chemins…
Un sourire gris sur la figure – comme une tristesse figée – comme un masque qui découragerait le monde et la joie…
Un peu de vent sur les yeux – comme une prière – un poème – le langage silencieux des Dieux – sans commentaire – sans explication – comme une caresse – un enchantement – avec l’envergure du rêve et la précision du geste – invitant le Divin dans les mains – sous les paupières – et la terre dans le sang – à se mélanger – à devenir l’élixir – pour instaurer la beauté partout où l’âme et le regard se posent…
Inaccomplis – le monde comme le mystère – et tous nos secrets – ce que nous conservons à l’abri des regards – derrière notre désinvolture familière…
L’allure légère et le geste éternellement neuf…
Au-dedans de tout – et que nul, jamais, ne pourra ériger en statue…
Ce qui – lentement – glisse vers la blancheur…
Plus personne pour que l’Amour s’incarne…
Un jour – comme mille autres – le ciel au-dessus – la pierre en dessous – quelque chose comme une âme bancale – maladroite – malhabile face au vent – face au monde – face aux hommes ; comme une sorte de virginité corrompue…
L’étoile en haut – arborée – comme le signe d’une défaite – la possibilité d’un rêve incarné – ce à quoi l’on s’exerce lorsque l’on imagine ailleurs préférable à ici – lorsque l’on imagine après préférable à maintenant – la preuve que quelque chose cloche – en nous – un lieu terrible – sauvage – séparé de tout – où rien ne peut (véritablement) s’emboîter…
Incompris – dans nos trop lourdes vêtures – les cailloux du monde plein les poches – à passer d’un côté à l’autre du chemin comme s’il nous fallait (absolument) marcher (et avancer) – comme si l’allure et les pas ne comptaient pas davantage que les lieux traversés…
Lourdes silhouettes dans l’argile – un souffle à peine – pour nous rappeler notre appartenance à cette lointaine généalogie du vent – et un espace ténu – perdu – dissimulé au fond du cœur – pour nous souvenir de notre parenté avec le ciel – avec ce bleu étrange et infini – indifférent à la direction prise par les voyages – aux étapes et à la destination que nous nous astreignons à rejoindre…
Nous n’implorons personne – que le désert avance – seulement – et que nous sachions nous résoudre à toutes les absences – que lui en nous et nous en lui – apprenions à nous apprivoiser – à devenir l’autre sans la moindre étrangeté…
Une déchirure – immense – qui sépare le monde – l’océan – en deux parts inégales – incomparables – le grossier et la souffrance d’un côté et l’invisible et la joie de l’autre…
Et nous autres – coupés en deux – obligés de se réunir – de se rejoindre – de retrouver l’unité originelle…
Une place entre le monde et le ciel – quelques millimètres de frontière qui occupent toute la place – l’essentiel de notre vie – nos refus – nos résistances – nos désaccords – une étendue dédiée aux pierres et aux vagues – aux fracas contre la roche – aux luttes inévitables entre les formes – au lieu d’oublier nos querelles – de façonner ensemble les conditions de la réconciliation – de réunifier les contraires – d’œuvrer à la superposition de la surface et des profondeurs – du centre et de tous les lieux qui ne s’avèrent être, en réalité, que des périphéries…
Parfois – devenir – ce que la mort nous préfère – une onde – une vibration – un courant plutôt qu’une chose définie – circonscrite – à attraper ; une fenêtre immense plutôt qu’une hache ou une minuscule trappe cadenassée…
Toutes les vertus du silence – en toute discrétion – sans la moindre bannière – sans la moindre préférence…
Ce qui s’impose – ce qui fait tout voler en éclats autant que ce qui nous soustrait…
De moins en moins – tels serait, peut-être, la direction – le sens involontaire de la marche – jusqu’au seuil où tout s’inverse – où tout est identique – où tout s’achève et recommence – où dans l’acquiescement joyeux du plus rien, tout est offert…
Tout, un jour, finit par nous déserter. Ni Dieu – ni sens – ni message – et moins encore d’explication ; le quotidien – tout mélangé – ensemble – et tous les gestes naturels qui s’imposent…
Au fond – dans le monde – dans les yeux – rien ne change – ça a juste l’air de vieillir – comme la peau et la chair – une apparence en déclin…
Et la vérité (inchangée) du regard premier – ensoleillé et venteux – à travers les siècles – dissimulé (avec une grande intelligence) dans le cœur de chacun…
Nous – désorientés par la magie du changement – l’avenir que l’on dessine à grands traits trop clairs – comme les eaux trop prévisibles d’un fleuve – comme ce que l’on édifie à chaque carrefour central dans la croyance en un improbable déploiement métaphysique ou l’espérance de circonstances plus favorables…
La tête si lasse – si lointaine – absente en quelque sorte – les yeux perdus dans la vaine élaboration des possibilités…
A essayer de devenir – comme si l’on pouvait ainsi se réaliser…
Nous dansons – la tête déjà ailleurs – déjà plus haut – déjà plus loin – comme si le monde et l’espace antérieur étaient de vieux souvenirs – de simples étapes sur l’itinéraire – une manière provisoire (et presque involontaire) d’apprendre, peu à peu, à embrasser le jour…
A s’imaginer pouvoir comme si nous étions le soleil ou un grand magicien – le réel avant l’aube – les règles d’un jeu trop cruel – la lumière guérissante – les bras incroyablement tendres de l’Amour – quelque chose d’infrangible – l’œil capable d’inverser tous les règnes et toutes les lois du monde…
Plus originel que la matrice initiale – plus vivant que la Vie – plus divers que l’infinité des visages – plus divin que Dieu, en quelque sorte – et, en tout cas, bien davantage que ce que l’on pourrait imaginer…
Rien qu’une étreinte fervente – le ciel en fusion – le partage impossible qui se réalise…
Tout qui avance – tout qui s’efface – la grande faille qui s’ouvre – les secrets qui se retirent – l’infini qui recouvre ses visages – et le déploiement du grand corps à sa suite…
Rien qui ne puisse être saisi – nous échapper ; le vide acquiesçant – partout – triomphant – l’unique présence – l’unique existence ici-bas – en ce monde – et dans tous les ailleurs possibles…
Dans cette perte totale – fanatique – le grand départ et l’origine retrouvée – l’aube et la lumière jusqu’à l’impossible fin du voyage ; l’itinéraire – tous les itinéraires – éclairés d’une autre manière…
La beauté au-delà du rêve – l’Absolu au-dedans – le passage des choses – éphémère(s) – ce qui se balance au-dessus du néant – au-dessus de la nuit – l’esprit sans impatience – la marche mesurée au gré des circonstances…
Au centre du cercle – la terre où se posent nos pas – au milieu du désert et des eaux naturelles – partout à la fois – ici et là – en haut et en bas – au-dessus et en dessous – sans que rien ne puisse s’enfuir – sans que rien ne puisse être retenu prisonnier…
Du vent et de la buée – un seul regard – vaste et profond – présence permanente aux lèvres tendres et aux dents sévères – intraitables – acérées comme des lames – détruisant tout ce qui s’attarde après avoir été (royalement) accueilli – après avoir été (très largement) remercié – trop (beaucoup trop) désireux de prolonger son existence – son passage – trop (beaucoup trop) insoucieux des autres objets – des autres visages – de toutes les autres formes sur la longue liste des choses du monde (qui ne cesse de se réécrire)…
La grande migration océane – d’ici à la fin (toujours impossible) du chemin – l’éternel voyage – l’eau errante et circulante – et toute la saveur du monde goûtée depuis le regard-soleil…
Des pactes et des prières – des alliances ; tout le commerce du monde et l’illégitimité de toute morale dans le grand cirque des échanges ; les têtes intéressées – corrompues – détournées de l’œuvre originelle – de l’offrande spontanée qui ni ne ruse, ni ne calcule – qui se donne tout entière – spontanément – de manière parfaitement gratuite (sans la moindre arrière-pensée)…
Nous sommes ce que l’on attendait plus – le rire derrière la farce – le rire derrière la douleur – le rire derrière le rire – l’envers du monde et de ses pauvres décors de carton-pâte – l’envers des visages – de tous les costumes – de toutes les façades – le dedans de tous les vivants – la caresse sur toutes les chairs engagées – l’espace où tout se meut – inconfortablement – si souvent…
Dans l’éternel décalage entre le regard et le monde – ce qui s’abrite au fond du cœur – à l’abri des insignifiantes tempêtes qui agitent la terre – les têtes – la surface même des apparences ; rien de profond – rien de consistant – rien même de suffisamment vrai pour appartenir au réel ; des ombres – un peu de volonté – accueillies comme le reste – avec Amour – respect et attention – dans une écoute pleinement ouverte – disponible – sans embarras – sans intention – dans cette forme incroyable de présence qui transforme les routes et les montagnes en visages – les joies et les malheurs en chair à célébrer – et qui aime tant la nuit – et les choses sombres – qu’elle renonce à les éclairer avant qu’elles ne consentent à voir le jour…
Le cœur creusé par le regard – au-delà de l’os – jusqu’au tombeau – jusque derrière la mort – tout au long du voyage – sur ce fil interminable que le monde tisse avec celui des Autres…
Parfois jeté aussi bas que les ordures – d’autres fois lancé aussi loin que les idées – mais toujours devant nos pieds – en vérité…
C’est l’issue impensable qu’il convient de vivre…
Au bord du monde – seul – au-delà de tout désir – au-delà de toute pensée – sans autre témoin que celui qui vit…
Dans les mains des Autres – ni aux cieux – ni en enfer – dans l’entre-deux du monde dont on ne peut rien dire…
Ni providence – ni malédiction – dans l’écheveau complexe – des milliards de fils entremêlés…
Toutes nos lampes enfilées en collier sur la poitrine – comme si l’on pouvait éclairer nos pas – la marche – trouver une direction – précise – déterminée – comme si nous étions les principaux acteurs de la lumière – comme si l’artifice avait la moindre incidence…
L’identité-soleil – au-delà de la volonté – au-delà de nos intentions (et de nos efforts) d’éclairage…
Devant chaque porte – une main – à mendier quelques petits riens – des restes dans l’assiette – et sous les fesses, un coussin de clous – des épines et des échardes plein les paumes – et ces larmes résignées – invisibles – sur les joues – ravalées lestement pour avoir l’air moins seul – plus présentable – suffisamment fier – moins que pitoyable…
Notre nature d’homme avec ce visage partagé – déchiré – brisé en mille éclats – en mille volontés – en mille désirs – contradictoires…
De temps à autre – une fenêtre – comme un voyage (immobile) – mille choses qui passent – qui bruissent – dans le silence – des battements de cœur qui émeuvent le regard – et des épines qui viennent encore parfois se ficher dans le cœur…
Vide – le panier des rêves – comme le soir qui tombe sur la route – le début d’une nuit plus légère – plus lumineuse…
Sans gloire – sans hasard – le même visage – à travers les épreuves – qui, peu à peu, s’efface – s’éclaire – révèle cet Amour et cette lumière – trop longtemps cachés – trop longtemps oubliés…
Ce chant qui – en nous – éveille la beauté – qui ouvre les yeux de ceux qui attendent impatiemment à leur fenêtre – comme un baiser glissé sans bruit dans le silence…
Une prière autour du cou – perpétuelle et silencieuse – sans exigence – comme un peu de neige sur la soif du monde – une main tendre et délicate sur la peau du jour – la fraîcheur de l’eau dans la gorge sèche – du feu au fond de la mémoire – un peu de légèreté dans l’âme…
L’habitude et le mensonge que reflète le miroir – pas un visage – pas même le soupçon d’un avenir – le passé plié en couches successives – embrouillé – et qui tourne (encore) la tête des moins aguerris – des plus naïfs…
De la terre à l’errance – le même chemin à suivre – longtemps – pendant des jours – pendant des années – pendant des siècles – jusqu’à la fin…
Et Dieu dissimulé parmi nos visages – derrière – et, chez quelques-uns (trop rares encore), au milieu de l’âme – rayonnant – infiniment perceptible – à travers les yeux et les mains – comme une sensibilité – une tendresse – vivantes…
Rien du rêve – plutôt un sourire parmi les fleurs – un livre très ancien écrit dans la poussière – sur la pierre, peu à peu, pulvérisée – usée par les vents et la pluie – fidèle, en somme, à l’insaisissable vérité…
L’heure la plus belle – la plus sauvage – la plus solitaire – vécue depuis le centre de tous les cercles – réunis – unanimement…
Rien – pas même un nom – le silence…
Dans un monde qui n’existe pas – là où il n’y a jamais rien eu – nous y sommes – pourtant…
Ce que l’on nous promet – à toutes les fins – la même alternative – le même verdict – le paradis ou l’enfer – ce que nous avons nous-même(s) créé dans notre tête si naïve – la continuité de ce séjour et de l’ensemble des voyages antérieurs – déployés…
Nous ne franchirons jamais rien ; il n’y a jamais eu de frontières – l’étendue entière était déjà là – présente partout…
L’obscurcissement et le sang – le même désir involontaire – la même tête – la même parodie de fête – le même simulacre d’existence – le sacre de l’apparence ; ce qui ressemble à un guet-apens qui, en définitive, ne piège que le vent…
Nous ne sommes que l’histoire – il n’y a de contenu – une étendue bleue – seulement – parsemée de terre et de trous – des reflets – ce qui, rassemblés, ressemble à la vie – avec son ignorance et ses substances circulantes…
Nous n’avons rien à craindre – des images et des illusions…
La vérité est au-delà – plus loin – plus vaste – plus féroce que la soif – ce manque si vif de soi…
L’absence souveraine – déclarée…
Une obscure passion pour la lumière – le monde fragmenté – en morceaux – comme si les points de vue – si infimes – avaient morcelé le réel – comme s’il nous fallait retrouver notre envergure initiale – nous abandonner à l’infini en devenant (exactement – parfaitement) la seule chose que nous sommes – cette intelligence fine – aiguë – cette part inséparable de son autre moitié – l’Amour – cette tendresse sensible et délicate ; et le tout comme une aire de bienveillance surmontée d’un halo tranchant – extraordinairement précis…
Rien qu’une prière – un état d’esprit – pour faire naître le souffle, puis l’acte – le geste de plus en plus juste – la parole de moins en moins nécessaire – le silence acquiesçant – cet éloignement inévitable du monde – des hommes – de l’ordinaire commun…
Au bout du chemin – l’enfouissement ou l’envol – la disparition – l’absence…
Et cette voix – en nous – rassurante – fascinante – évidente – qui crie au mensonge…
Qui sommes-nous réellement nous qui ignorons – nous qui ne voyons pas – nous qui sommes étrangers à toute forme de sensibilité – nous qui ne sommes pas encore (véritablement) des hommes…
Tant de mots – de gestes – de vent – pour si peu de chose – en somme…
Mille tourbillons d’air dans le vide…
A peine un souffle sur le visage de Dieu – entre les lèvres de la vérité…
La docilité de l’âme devant l’esprit peureux – effrayé – condamnée à l’obéissance…
Des yeux devant nos lignes – comme un guetteur au regard tendre – fasciné par l’appel – le ciel – l’Absolu ; un frère (bien) au-delà de la terre et du temps…
Nous croyons voyager – les paysages changent – bien sûr – mais seul le regard se transforme…
De l’exiguïté au miracle – du refus à l’acquiescement…
De la terre à la terre – en passant par ce que certains considèrent comme le ciel…
Nous-même(s) – du silence au silence…
Notre vie – toutes nos vies – comme une manière incessante de quitter l’origine – et d’y revenir ; de jaillir de la matrice – et d’y retourner…
Dieu partout – jusque dans nos gestes – jusque dans nos livres – jusque dans nos tombes – tendre et hilare – malgré la peine – la douleur – l’obscurité et la mort…
Si nous savions – nous délaisserions aussitôt le repos – la torpeur – le sommeil – pour embrasser la vie – le monde – les joies et les malheurs ; tout ce qui nous échoit – avec justesse – avec précision…
Imbibé(s) de prières et de ciel – dans le sillage de ces longues années stériles et silencieuses – sur ces berges où l’on récolte ce que tous les Autres – tous les vents – ont semé – la bouche pleine de sable – la mémoire encore trop vive pour se tenir (réellement) debout – être présent(s) – et soutenir d’une main attentive l’œuvre de Dieu – l’œuvre des hommes – tout saisir puis, tout jeter au loin – comme si ce labeur d’un autre âge – ce labeur extérieur – ne nous concernait pas – comme si nous étions le premier homme – sans la moindre généalogie – naufragé(s) sur une île déserte – seul(s) – loin de la terre et du ciel – obligé(s) de renoncer au repos pour se mettre en marche – pour se mettre en quête peut-être – pour découvrir ce qui se cache au fond de l’âme – au cœur du silence – lorsque toutes nos croyances et toutes nos idoles – lorsque tous nos désirs et tous nos rêves – nous ont quitté(s) – et que dans notre nudité, nous nous retrouvons – à force de ténacité et d’abandon – sur le seuil du jour – modeste(s) et innocent(s) – enfin prêt(s) à rencontrer – à retrouver – l’impensable…
Absent – désert – l’espace – comme nos pas – qu’importe les visages et le sourire ; nous n’existons pas – nous n’aurons jamais existé…
Des vagues et des âmes – fragiles – féroces…
Des larmes, parfois vraies – parfois comme un simulacre…
Des histoires – des rumeurs – nouvelles et anciennes…
Des mensonges hors du cercle – et d’autres (dont nous sommes) qui préfèrent la solitude et le mutisme…
De la peine au vide – du bavardage au silence…
Plus solitaire que jamais – et plus heureux aussi – comme si nous étions le seul hôte à accueillir – le seul être à aimer – en tout cas le premier (avec toute sa communauté) avant tous les autres qui suivront (avec la leur)…
Nous – dans l’effacement des frontières – l’élargissement du territoire – vaste – si vaste – sans la moindre limite – avec tous les horizons réunis devenus centre – en un seul espace…
Pas de rencontre – l’étrange prolongement de soi alors qu’à l’extérieur, rien n’a changé – l’apparence – des contours et des confins – toujours – et, au-dedans, la même étendue avec des trous – des bosses – des aspérités – ce que nous appelons des individualités – apparemment distinctes – apparemment différentes – incroyablement changeantes et provisoires – comme une illusion – une perception de surface sans la moindre profondeur – sans la moindre perspective…
Des yeux – un cœur – par milliers – unique ; le jour recouvert de larmes – de rire – de neige ; la même lumière qui, lentement, éclaire les âmes – les esprits – notre apparence – si sombres et si nocturnes – couleur de mort et de chagrin…
Comme un air de tristesse et une offrande de joie – d’une extrémité à l’autre – (enfin) réunies…