Carnet n°252 Notes journalières
Parfois – devenir – comme si nous pouvions nous transformer malgré le sommeil…
La tête lasse – à écouter toujours la même voix – à se soumettre toujours au même rêve…
L’avenir triste – fidèle à notre immaturité…
Nous – dans l’entrebâillement de la porte…
Le monde – devant soi – avec cette mine patibulaire – cet air insistant – la mâchoire d’une bête carnassière…
Plus loin que ce qui nous sépare – ce qui nous console – le visage dénoué – défait de l’ombre – le sourire franc – oublieux de tous les mensonges – de toutes les (fausses) gloires passées…
Notre sort entre les mains d’un Autre…
Le destin que l’on nous réserve…
Quelque chose comme un élan – un franchissement – la résultante d’une tête, peu à peu, abolie…
Un peu de soleil à la place du sang – la part secrète de l’homme – la part secrète du monde – le jour en soi – la brillance des pierres et des étoiles sur notre chemin – les signes (évidents) d’une vie plus claire…
Une existence plus souveraine – moins encline à la fièvre et à la folie…
Le corps et l’âme – bien davantage qu’une enveloppe…
Ce que l’on soustrait au cœur – absurdement…
De la poussière envahissante – au-dedans…
Quelque chose en creux – comme une farce…
Un mélange de honte et de dérive…
Ce qui nous cisaille et nous englue dans une forme de silence vicié – une sorte d’étouffement – comme un délire jusqu’à l’asphyxie…
La joie – au milieu de tous les vertiges (terrestres)…
L’oubli de soi en plein silence…
Sans mémoire – au centre des cercles…
Authentique ; les masques – les malheurs et les bonheurs trop communs – jetés à terre…
Dans le sang – le cœur du monde – ce qui nous maintient vivant – ce qui nous pousse au-dehors – ce qui nous invite au-dedans…
En creux – la découverte (progressive) de notre visage – cette longue errance vers nous-même(s)…
La vérité – enfouie au fond de l’âme – couchée parmi les pierres – dissimulée au cœur du ciel – avec nos joies et nos peines – ce qui nous incite aujourd’hui à esquisser un sourire – quelques pas de danse…
Et cette présence discrète au milieu de la poitrine…
Semblable à l’arbre – avec toutes nos alliances avec le monde – le silence – la parole…
Nous – dans la ferveur toute proche ; ce que l’on creuse – ce qui crève – sous notre regard…
La chair souillée par le désir et l’excès de jouissance…
L’âme dévoyée par la nuit célébrée – célébrante…
Sur nos pages – pas un seul rêve ne résistera…
Ce que la souffrance attise – ce qu’elle détourne – ce qu’elle disperse…
Un visage – mille choses – une seule saison…
Dans l’âme – le ventre – ce qui nous porte à la faim ; en nous – ce qui nous corrompt – ce que nous avons (depuis trop longtemps) oublié…
Sous les secousses – le ciel descendu…
Dans les replis où l’on se cache – des tempêtes – trop de soleils mensongers – la force des habitudes qui tient notre angoisse en laisse…
Plus haut – de nouveaux jeux – un air de fête – une vaste étendue sur laquelle nous pourrions vivre sans artifice – une présence sensible au-dessus des pierres…
Le monde à moitié endormi – sous nos paupières – le début, à peine, du jour…
Tous nos malheurs – toutes les saisons de notre enfance – rassemblés dans une seule larme – l’esquisse timide d’un sourire…
Nous – l’essentiel – dans le même espace – avec le ciel et le silence au-dessus – quelques oiseaux de passage – l’envol d’une parole…
Notre vie – aux marges des rives communes – parmi les signes et les sens – au milieu des alphabets, étalés devant nos yeux, avec lesquels nous essayons de reconstituer la vérité…
Le jour – comme un saut dans le vide – le sourire des Dieux devant nos grimaces – ce que le feu nous réserve…
Nous – dans la fange – jusqu’au cou – à théoriser sur la lumière et la liberté – en pataugeant dans l’obscurité…
La terre – du noir – des grilles – la boue et l’aveuglement – l’impossibilité de l’affranchissement…
De la blancheur qu’en rêve – de l’écume – de la bave – nos gesticulations et nos crachats…
Du sang – partout – où nos pas sont allés…
Nous – dans les flammes et l’enchevêtrement des ronces…
A notre table – dans notre tête – dans notre vie – rien – du vide – un peu de passage – seulement…
Du ciel et quelque chose de la rivière – ce qui coule le long des rives – le long des rides de notre visage…
De l’eau – de la pluie – des larmes…
Ce que l’on aimerait retenir pour offrir aux fleurs un surcroît de vigueur – un surcroît de beauté…
L’absence – le faîte de la tristesse ; à ses côtés, la mort paraît presque aimable – enviable ; l’impossibilité du retour – la présence qui n’est conjugable qu’au passé ; le temps où nos mains se touchaient – où nos âmes se surprenaient – vivantes…
A présent – personne – rien que du vide inhabité…
Ce que le jour – autrefois (il y a si longtemps) – a déposé sous notre front – au fond de l’âme – mélangé à la chair – au sang et au souffle qui circulent – à toutes les substances qui entrent et sortent – qui jouent avec le monde autant que le monde joue avec elles…
La saveur vivante que l’on goûte (en général) les yeux fermés…
Rien – le sens – les mains posées sur le monde – contre la vitre – comme un bout de chair inutile – condamné à l’impuissance…
L’apparence d’un outil – d’une caresse possible – seulement…
Des fleurs – sans crainte – comme un sourire – une invitation – la nature du vivant offerte à l’air – à l’Autre – comme un rappel – une caresse – la seule perspective possible si le monde pouvait échapper à la folie ambiante – un aperçu de ce que l’on est – profondément – en apparence – ce que nul (bien sûr) ne peut renier ; une beauté fragile et éphémère – un peu de ciel et de matière – le souffle (puissant) de la vie…
La texture et la couleur de notre visage – de notre voyage ; bien davantage que l’âme et la chair…
Nous portons – avec cette terre – l’esprit de la naissance – la douleur et la légèreté de toutes les morts – tous les rêves d’un autre monde – et l’âme – sage – sans âge – enfouie – cachée – surplombant la pierre et le sable – volant parmi les oiseaux et les fantômes – au cœur de l’invisible – sur tous les chemins – à travers le ciel…
Ce que nous réalisons spontanément – sans la moindre application – tout au long du passage – présent(s) – conscient(s) – les gestes aussi légers que l’air – aussi denses que la pierre – comme une grâce sans cesse renouvelée – au fil des jours et des saisons…
De la sueur – encore (beaucoup trop – sans doute) – comme le signe principal de notre présence…
Du temps consumé par la fièvre et l’ardeur…
De la peau, peu à peu, brunie par le soleil…
Des gestes – des tourbillons d’air dans l’espace…
Du bruit – quelques mots – une parole (très) ordinaire…
Mille choses dont on pourrait se passer…
De la roche – puis de la pierre – puis du gravier…
Le règne permanent du devenir ; la poussière…
Nos misérables existences – toutes nos pauvres lois – et ainsi jusqu’à la mort…
Pas la moindre empreinte – du sang – le parfum de la terre – de l’air (par brassées) et de la sueur – cette odeur de l’homme instinctuel et besogneux…
D’un jour à l’autre – sans preuve…
Sur les traces de l’oubli…
Le monde pourchassé par la langue – comme des mains avides de compréhension…
Nommer comme rêve – comme possibilité – comme détention…
L’outil des prosaïques et des poètes…
A l’intersection de tant de perspectives – comme si le réel pouvait être saisi – et ses pourtours circonscrits…
Jeu de dupe – jeu de l’esprit – velléités et tentatives imaginaires – seulement…
Là – dans cette folie inconnue – sans la moindre malice – à marcher à l’envers de l’aurore – à inspecter les alentours – les secrets – toutes les cachettes possibles…
Le dénominateur commun des vivants…
Toute une vie à fouiller dans les broussailles – à remuer le sable – à ôter le rêve et la cendre du réel – à se sentir moins humain (bien moins humain) que la plupart des hommes – dans une recherche à la fois franche et oblique – ardente – véhémente parfois – prêt à tout retourner – à tout incendier – à tout anéantir – pour qu’à travers nos grilles – un peu de fumée – se révèlent quelques lambeaux de vérité…
Au large – toujours plus loin – comme le mentionnent (si mensongèrement) tous les oracles – alors qu’au centre se creuse – s’approfondit – se sculpte l’écrin – le socle de ce que nous cherchons – quelque chose d’oublié depuis le premier jour…
Nous – pâles icônes d’un Dieu ruisselant – sobre – inhibé – excité – conscient – sans douleur – à notre (imparfaite) image – fort heureusement…
Espace vivant – présence incompréhensible – apophatiques – à la fois première et ultime chose éprouvée – lieu habité – ce autour de quoi tournent toutes les vies – tous les mondes – toutes les choses inventées…
Le temps décomposé – les enjeux déjoués – les épreuves démontées…
A la violence et au tumulte succéderont, sans doute – bien vite, les caresses et la paix…
L’urgence du voyage – vital – au milieu des siens – les arbres…
Pierres et nuages – herbes et buissons – le royaume des bêtes et des solitaires – dans une commune respiration…
Dans notre bouche – le sang du monde ; dans notre sang – ce qui a vécu – l’air et le soleil apprivoisés – transformés – en soi – devenus chair et respiration d’un Autre – comme le prolongement, sans cesse, réinventé du souffle et de la pierre…
A pieds joints dans la nuit – dans les braises…
A se rouler au milieu des éclaboussures – le soleil en tête – trop faible – trop lointain – pour pénétrer l’âme – se soustraire à la peau écarlate – brunie – brûlée – et à la chair – cette matière hautement putrescible…
Invincible – pourtant ; et cet espace – cette présence – en soi – éternels…
Matrice de l’œil et de la main – des rites et de toutes les dépravations ; le jour – la liberté célébrante – la misère et les fers désespérants – ce que l’on s’attache à conquérir – la tristesse de nos déséquilibres – de nos obsessions – de nos ressassements…
Le monde habillé d’espérance et de désespoir…
Des mots sans tenue – sans promesse – sans la moindre verticalité – autour desquels s’enroulent (pourtant) toutes les vies – tous les visages ; un abîme – un néant que l’on tente de remplir – de peupler – d’habiter ; du néant supplémentaire – en couches vaines et épaisses que l’on empile les unes sur les autres en attendant un Dieu moins exigeant – plus accessible – un frémissement de l’âme – un tremblement de terre – un changement de sillon engendré par le hasard – la nécessité – une secousse suffisante – une étincelle dans l’esprit ; un phénomène conséquent – suffisamment pour transformer notre perspective…
Ici – et partout ailleurs – la même chose – rien – un peu de ci – un peu de ça – tout – l’infini – sans la moindre importance…
Au centre de la matrice aux périphéries parfois désaccordées…
De l’œil et de la chair – dispersés – continu et discontinue…
Une sorte de chant – comme des vibrations – au fond de la poitrine…
Nous – dans les rouages d’un ogre – d’un monstre – mécanisme(s) des Autres…
Au cœur d’une machinerie grinçante qui écrase et soumet – qui crache et vomit sans discontinuer des débris – des scories – qu’un jour, à coup sûr, nous deviendrons…
Ce qu’éructe le feutre – l’âme et la chair blessées – le cœur qui saigne – le cœur qui soigne – le sang cadenassé – l’impossibilité de l’homme – les regrets de la main agrippée à tous les arcs-en-ciel créés par l’esprit ; illusions – bien sûr…
Plus loin que soi – au-delà même de ce que certains appellent la source – le monde liquide – le monde évaporé – semblable à mille autres mondes – et (comme les autres) singulièrement différent – aux marges du cœur – à la périphérie du silence – là où l’on nous somme de nous dépouiller avant de franchir le seuil – de pénétrer l’espace étrange et mystérieux – sans frontière – où tout est accolé – où tout se rejoint – où rien jamais ne peut être séparé excepté (bien sûr) le regard engagé – lointain – entremêlé aux choses – infiniment présent – et libre, pourtant, des phénomènes et des circonstances – affranchi des mondes – des naissances – de toutes les formes d’illusion et de temps…
Nous – comme des éclairs – le socle de la lumière – le cercle autour du monde – autour du verbe. Et au cœur même de l’obscurité – la force claire – originelle – l’assise première de tout ce qui naît – de tout ce qui passe ; l’Amour et le regard – ce qui engendre toutes les transformations – toutes les révolutions – toutes les alternances – tous les passages…
D’une saison à l’autre – hors du temps – où l’heure est l’égale du jour – le jour l’égal de l’année – l’année l’égale du siècle…
Au creux de l’arbre – comme l’ombre recluse – soudain éclairée – qui se rabougrit plus encore – à l’opposé des fruits qui mûrissent – gorgés d’eau et de soleil – dégoulinant de sucre et de chaleur…
Et nous – au milieu – derrière la clôture – tendant la main pour goûter l’obscurité – la maturité – la diversité qu’offre le monde et découvrant, peu à peu, la danse absurde des choses et du temps – l’emboîtement et l’entremêlement du noir et du jour – l’immense écheveau gris (aux mille nœuds – aux mille nuances) dans lequel nous évoluons…
A vif – dans la nécessité des mots – le rouge du cœur – du sang – des révolutions ; ce qui nous tient en haleine – ce qui nous maintient vivant – jusqu’à la métamorphose silencieuse – cette transformation radicale – invisible depuis l’extérieur…
Rien pour imaginer le monde – et (presque) tout pour y vivre ; la douleur comme un jeu – une énigme – une épreuve – un défi – nos allées et venues parmi les drames – les larmes et la tragédie – le feu et le sang – le ciel au-dessus de l’agitation – et, au-dedans, cette respiration de l’homme – du vivant – tous les souffles de la terre et les âmes à l’envergure variable…
Et à l’origine de ce fatras – cette source immuable – cet espace parfois habité – parfois dépeuplé – dont les courants invisibles nous nourrissent et nous transportent…
A la verticale de la faim…
Le monde à la recherche de l’or – de l’âme – de la beauté et de la lumière…
Et ce que l’innocence finit, un jour, par imposer – malgré elle – malgré nous ; le vide – l’Amour – le silence…
Des hanches obsolètes – le ventre enflé – des substances stagnantes – une semence asséchée…
Trop de feu et de cruauté…
Et ce repli – cette faiblesse – ce resserrement dans le sang – pour demeurer vivant – inutile et vivant – comme le prolongement caduque d’une chair vieillissante – au bord de la mort – plongée dans l’attente et l’agonie…
Ce que la nuit précipite – en nous – la peur cinglante de mourir – le jour – sous des couches de temps accumulées – l’homme debout – sans rancune – sans perspective – errant en lui-même – dans l’apparence extérieure de l’espace…
Le jour renouvelé – comme la vie et la mort – la lumière inscrite sur la peau – de moins en moins épaisse – de moins en moins frontière – au fil des années – à mesure que les appels et la vocation (naturelle) se précisent et s’intensifient…
Nous – colonne du monde et socle des Autres…
Au-dedans – repliés – notre source – notre gisement – les courants terrestres – aériens – océaniques – qui portent les choses et les visages – au-delà de l’absence – au-delà des rivages existants…
Nudité sans généalogie – antérieure au temps – au monde régi par les jours – les siècles – les millénaires…
Une présence – comme une écoute ; un silence vivant – un espace infiniment sensible – inscrit – engagé – partout – qu’importe la texture et la densité du vide et de la matière…
Habitable – à chaque instant – par tous…
Rien que du temps – une mémoire de l’absence – la totalité du vide – plus loin (bien sûr) que nos visages pétrifiés…
Le jour penché – à travers le monde au-dehors – sur nos actes (jusqu’aux plus insignifiants)…
Nous – au bord – dans la nuit – à compter les heures passées – les heures restantes – à nous souvenir et à imaginer la chair – la peau et les os – puis le squelette – peu à peu – ce qui glisse si promptement – en quelques milliers de jours – en un éclair – vers la neige – la tombe recouverte de terre ; la tristesse – l’existence – la vérité – inhumées…
Ce qui se cogne – ce qui s’use – aux extrémités – la parole intérieure – comme un silence abandonné – livré au monde – et s’éloignant, peu à peu, du tumulte – des querelles – de toutes les possibilités du monde – de tous les usages du temps – comme le centre d’un cercle qui, progressivement, se rapprocherait…
L’espace à apprivoiser – à faire sien ; et la terre commune – à partager…
Derrière chaque pierre – l’âme du monde – des larmes – et ce qui ne pourra jamais se réduire à la poussière…
Ce qui nous saccage – le parti pris des Dieux – le monde – ce que nous confondons (trop souvent) avec la cruauté – cette sauvagerie ignorante (en apparence) – ce pour quoi nous sommes venus – ce pour quoi nous sommes vivants – ici-bas…
Rien qu’un espace – une source – un regard – et mille danses autour – au-dedans…
Les fleurs et les fruits d’un immense jardin sauvage…
Trop rouge – comme le sang et l’animosité du monde…
Et ce bleu – si infime – encore incapable d’investir les âmes – de retrouver son territoire – le vide derrière les visages – toutes les parcelles libres auxquelles nous aurons pris soin, au préalable, d’arracher le nom…
Les ombres dévastatrices – contre le soleil – à proximité de la source – partout où se frottent les peaux – la chair – les visages…
Sensibles à la leçon des Dieux – la tête plongée dans tous les livres du monde – dans la croyance d’une conversion possible…
Les vents – merveilleux – qui transforment les songes en immenses fenêtres – qui déploient le rire sur toutes les aventures – qui délivrent d’un regard (exclusivement) posé sur les pierres – qui invitent toutes les couleurs à désobscurcir nos yeux mécaniques – rougis par les soucis et les malheurs…
Du côté des étoiles – la chair frémissante – l’âme au milieu des danses terrestres – de tous les vertiges – flirtant avec les vivants et les morts – présent(s) au cœur de tous les passages proposés – apaisant ce qui tente de s’enfuir – guidant ce qui tente de s’affranchir – comme une fenêtre ouverte sur le monde – un bout de ciel parmi nous – un peu de sagesse blottie contre le front – à l’abri des saisons et des âges – si fragiles – si provisoires…
Nous – parmi les Autres – avec la gravité et le sommeil en commun…
Tout s’insère dans la lumière ; cris et prières – mots et détours – invitations et rejets – l’espace – la densité du monde – le silence – notre présence – la vérité – tous les jeux et toutes les illusions du temps…
Nous – au sommet de la beauté – l’innocence à la ceinture – nu(s) – debout parmi les vents – fragile(s) et authentique(s) – éternel(s)…
En nous – la dépossession – l’œuvre de l’invisible – la liberté, peu à peu, dépiégée – entre l’Absolu et le néant – sur cet étroit chemin qu’ignorent les yeux…
Nous – avec la lune là-haut – bien au-dessus de nos têtes – étrangement mystérieuse – comme si elle reflétait une lumière lointaine – étrangère – inconnue – comme si elle annonçait le début prometteur d’un autre cercle – incroyable – insensé – inaccessible…
Le temps désacralisé – soudain plus vaste – aux contours visitables – dont on aurait brusquement comblé les profondeurs…
Une image – seulement – bien moins effrayante pour l’âme et la chair…
L’esprit contre la porte – à écouter sans crainte les bruits du jour – la rumeur des siècles – le murmure des rêves – le chant des étoiles – comme un léger et lointain clapotis – un peu d’ombre innocente…
Conscient(s) – debout – comme si la joie avait besoin de notre présence (et de nos gestes) pour être rassurée…
Le nez (pourtant) encore dans la matière – de la terre sous les pieds – de l’air sous les aisselles – et le vent qui circule partout – au-dehors et au-dedans – comme un souffle divin dans un intervalle terrestre provisoire ; la vie – le temps d’un claquement de doigts ; les existences – de naissance à trépas – en un clin d’œil…
De tentative en tentative – jour après jour – une longue suite de pas pour rapprocher les rives du ciel – l’horloge du pied – et tout réunir – en soi – en désordre – dans un esprit de fête où chacun pourrait (enfin) devenir le regard et la danse – l’enchantement et la tendresse unifiés – inséparables…
Sans solennité – sans faux-semblant – la terre – la chair – la vie – contraintes de persévérer dans leur œuvre – de poursuivre leur trajectoire naturelle – d’acquiescer aux forces extérieures – aux puissances internes dominantes – à l’absurdité apparente de ce monde…
Soumises aux blessures – aux alliances – aux trahisons…
La gorge – presque toujours – nouée par l’angoisse…
Tiraillées entre la réalité et l’attrait pour l’ailleurs – ces contrées de vent – de vide et de joie – où la terre – la chair – la vie – ne sont que les éléments provisoires d’un mauvais rêve – sans importance…
Nous – dans la brume – le désert – le rêve des Autres – comme un objet – un cadavre – un bout de chair à dévorer – quelque chose qui nous précipiterait vers la mort – ailleurs – un pays sans méfiance qui aurait éradiqué tous les dangers…
Nous – devenus nos propres os – nos propres lois – hors du monde grâce au manque – au-dessus des couches de déchets accumulés – ce sur quoi l’esprit et la chair s’éternisent par défaut de compréhension et de volonté…
Nous – au milieu de l’oubli – comme quelques Autres – sur cet archipel dont on ne revient pas…
Ce que nous foulons – avec la terre – des liens qui enserrent le cœur – l’âme – le cou et les poignets – la mobilité (presque) entièrement entravée et cette liberté intérieure que nous n’avons jamais (réellement) éprouvée…
L’expérimentation de la solitude et de la nudité…
Le monde en appui sur nos épaules…
Cette farce inventée pour se persuader d’exister – la poursuite chimérique de ce que nous appelons notre vie…
Nous – déjà – dans l’œil de la mort – silencieux – prêt(s) à tout – bien au-delà du vivant…
La terre – sous nos pieds – dans nos bras – étreinte et piétinée – et dont notre chair n’est que le prolongement…
Un peu de bleu et le souffle suffisant ; ce qu’il nous manque, sans doute, pour vivre – décemment…
A l’intérieur – en soi – cet ogre – ce monstre – ce silence – cet Amour ; nous – instruments de tous…
Présents – en demi-cercle – poreux et pénétrant là où on leur ordonne de s’imposer…
Nous – durs et secrets – au centre de cet espace sans frontière – sans intervalle – témoins de la perpétuelle continuité des phénomènes – assistant au défilé – et à la transformation permanente – des entités – au déroulement de tous les spectacles – simultanés – successivement – les uns empiétant (presque) toujours sur les autres…
Un reste de joie ancienne déniché dans l’œil à jeun – l’âme vierge – et qui se dissipera avant nos premiers pas sur la vaste étendue blanche…
D’un silence à l’autre – sans rien comprendre…
Nous – plongé(s) dans le temps ancestral – celui des hommes et des Dieux chimériques – à l’époque de tous les supplices terrestres où tout tournait autour de l’axe du manque – entraîné(s) par la roue perpétuelle des désirs – entre la pluie et le soleil – entre les rires et les larmes – entre le désespoir et toutes les illusions – avançant à tâtons – craintif(s) et frileux…
Le monde devant nos yeux – ce périple – ce rêve – cette histoire – que nous n’avons cessé de réinventer…
Notre impuissance – la terre infranchissable – ce que les circonstances éveillent au cœur de nos entrailles…
Nous seul(s) – approchant…
L’ère liminaire de l’aube – des Autres célébrés – de soi – les lèvres muettes – la pensée défaite – la langue intérieure soudainement libérée – comme un voyage à travers nos continents les plus reculés – le seul périple – en vérité – de notre cœur à l’être – à travers tous les chemins possibles – à travers toutes les voies imaginables…
Dieu et l’esprit – dans notre chair – ce qui ne fait, bien sûr, aucun doute…