Carnet n°256 Notes journalières
Le jour – comme tombé en enfance – retrouvé – comme un jeu – une pierre – oublié(e) depuis trop longtemps au fond d’une poche…
L’essentiel porté – depuis la première heure – à notre insu…
Et durant tant de siècles – ce vivre – sans lumière – sans joie – sans consistance…
Nos empreintes – dans la terre souillée de sang…
Ce que la nuit a dérobé à l’espace…
Le silence, peu à peu, remplacé par le monde – puis, dévoré par lui – englouti – effacé – en un instant…
Notre vie – comme un amas d’heures étrangères…
Un amoncellement d’idées – de chair et d’herbes mortes – ingérées puis expulsées…
Ce que la main prélève – ce que l’esprit et le ventre entassent – ce que la tuyauterie rejette…
Une vie d’accumulation – de surplus et de superflus…
Une vie d’assemblages et de déchets…
Nous – comme des bêtes parquées – façonnées avec de la glaise – à même la roche…
Et cette neige sur la langue – comme un long manteau de glace – une poussière blanche sur les flammes – une couche de lumière par-dessus la tête et les pages…
Une si singulière manière de rayonner et de se soustraire – à la fois offrande et effacement…
Nous – dans la nuit – à travers le sens (partiel) donné au monde et aux choses…
Dans la buée – la brume – inventées…
Ce qui passe – ce qui s’achève – sans joie…
Nos rêves – comme un envol dans le bleu promis – si loin – si haut au-dessus de nos têtes…
A notre table – entre nos tempes – le monde et le vide – la promesse d’un passage et mille possibilités – ce qui se choisit – et le reste à la renverse – s’écoulant sur sa pente…
La beauté – la conscience et la nécessité – à l’œuvre…
Bleu – comme le jour – comme le ciel et l’envol – le cœur encore sous la lampe et l’avalanche…
La pointe de l’âme – dans la main – sur le visage – comme un diamant offert qui raye les vitres derrière lesquelles nous nous obstinons à vivre…
Un passage de la tête au monde – long – long et infiniment tortueux – labyrinthique – dans lequel on s’égare – dans lequel on s’éternise…
Plus impasse que dédale – le plus souvent – en vérité…
Trop de portes qui s’ouvrent sur la nuit – trop de monde alentour…
Trop de bouches et de ventres à remplir – trop de têtes à vider – trop de cœurs embarrassés ; il faudrait un feu immense – un brasier impérissable – pour brûler ce qui, sans cesse, vient nous envahir – ce qui, sans cesse, vient nous encombrer…
Des flammes – du vent – et une pluie réparatrice pour que la terre incendiée nous soit propice…
Tout nous éloigne d’un monde – d’un sens – cachés – les mains et les yeux fermés – à deviner le réel au lieu d’apprendre à goûter le mystère – au lieu d’apprendre à approcher nos lèvres de la terre – du ciel au sous-sol – l’esprit trop médiocrement incarné depuis notre (première) naissance…
Nous – nous approchant, avec trop de crainte, du pays sans homme – sans norme – sans géographie – sans généalogie – cet espace dans lequel gravitent tous les cercles – cohabitent tous les mondes réels et inventés – cette aire vivante où se rejoignent l’esprit et la chair – les âmes – les fleurs – les pierres – les arbres et les bêtes – toutes les formes de la création à tous les âges – tous les états et toutes les combinaisons possibles de l’invisible et de la matière…
Nous – dans la nuit des ombres – sans couleur – dociles – murmurant sur la pierre d’étranges prières – dans la crainte d’un pouvoir surhumain – céleste – comminatoire – écrasant…
Un peu de lumière – entre deux éloignements ; et la distance soudain parcourue en un éclair – comme nos yeux – comme nos mains – retrouvant la poche matricielle – l’antre où fut enfanté le jour…
Une fleur – un champ de fleurs – dans la tête – comme une terre propice à l’innocence – au labeur singulier de l’incarnation – à la besogne saisonnière de la mort…
Le monde – comme une pierre posée sur la peau invisible des Dieux ; un passage ouvert – façonné avec application – avec une ferveur intense et (quasi) religieuse – comme un pacte – une étrange alliance entre le silence – l’éternité – ce que les hommes considèrent, sans doute, comme le plus sacré – et nos faiblesses – notre obsolescence si particulière…
Aux angles du ciel – l’air – les anges, peut-être – sur la trace des Dieux – au-dessus des empreintes humaines – labiles – dérisoires – que les vents et les pas (de plus en plus lourds) des générations successives effacent – ce qui nous est de plus en plus égal à mesure que l’innocence et le besoin de soustraction nous gagnent – se fortifient ; barreau après barreau sur l’échelle de l’humilité – de la désagrégation – de la transparence…
Aux angles de la terre – le même air – le même ciel – notre présence sans les Dieux trompeurs – sans les Dieux inventés – sans les Dieux imaginaires…
Nous – clairvoyant(s) – dans la fumée du temps brûlé – avec des amas d’images déversées à nos pieds – devenues inutiles – obsolètes – superflues…
Nous – nu(s) (de plus en plus) – sur le gravier des chemins – le vent qui pousse nos pas et nos épaules – vers les prochains lieux – sous les prochains faix – à travers mille rencontres – à travers mille circonstances…
Devant nous – pas la moindre ligne – pas le moindre horizon – un instant après l’autre – quelques virages peut-être – quelques virages sans doute – pas le moins du monde anticipés…
Rien qu’un peu de vent sur nos terres fragiles ; le souffle d’ailleurs qui nous caresse – qui nous traverse – qui nous purifie – comme une langue étrangère disposée à nous apprivoiser…
Et l’esprit surpris dans son espace – sans surveillance – qui accumule vainement les paroles…
Sans personne – sans âge – sous la pluie – à interroger, en soi, l’homme – l’inconnu – l’infini – non pour trouver son chemin mais pour faire corps avec chaque instant – chaque chose – chaque visage – le moindre repli – la moindre aspérité…
Nous – nous apprivoisant – nous familiarisant, peu à peu, avec nous-même(s)…
Caché dans la forêt – parmi les bêtes et les broussailles – à attendre l’aurore – le silence – au-dedans…
Toute une vie à remuer la terre – à inventer des histoires – à enjoliver les circonstances – pour satisfaire l’impérieux besoin de l’esprit – devenir un homme parmi les Autres – semblable(s) en (presque) tous points…
Eloigné du monde – des hommes – grilles et geôlier de sa propre cage – à la porte ouverte – aux barreaux disposés si loin les uns des autres que la liberté et la détention semblent étroitement liées…
Repères plutôt que réclusion – possibilités plutôt que parenthèse…
Du vide et du sable – partout – jusque dans la conscience – et ces vents – si puissants parfois – qui soufflent – qui tournent – qui font danser les êtres et les choses…
Nos pauvres jambes et nos pauvres gestes – secoués – fouettés – sans résistance…
Le sang – la douleur – le jour – la joie – intimement…
Nous – ruisselant de tristesse jusque dans notre triomphe…
Dieu – présent – qui s’est aventuré jusque dans nos plus lointains déserts – au plus profond de nos gouffres – nous attendant partout – à chaque angle – à chaque recoin – à chaque instant – à toutes les étapes du voyage…
Accompagné(s) tout au long du chemin – de bout en bout – d’une extrémité à l’autre…
Sur cette ligne qui traverse les corps – les têtes – les âmes – tout l’espace – les moindres anfractuosités du royaume commun…
Pays de la joie et du recevoir – au-delà des confins et des neiges infranchissables – au-delà des couleurs et de la violence – au milieu de nulle part – au milieu de l’immensité…
Voyageur – parmi les vents – sans itinéraire – sans chemin – au-delà des lieux et des empires artificiels – sans souveraineté – au-delà de ceux qui se prétendent humains…
Pèlerin sans destination – sans naissance – dont les pas ne laissent aucune trace sur le sable – à peine un peu de poussière soulevée…
Les jours contrariés – les âmes à contrecœur – une musique sans accent de sagesse – les heures – comme toutes nos vies – désemparées…
Dans le tumulte apparent du monde qui s’affiche au-dessus du sommeil – à la frontière de notre chair assoupie – presque morte déjà…
Calligraphie des jours – calligraphie du monde – nos signes infimes – dans la tête – dans l’âme – sur les pages ; danse des mains ; des gestes sacrés qui dessinent le ciel à proximité – accessible et rieur – relié naturellement au souffle – à la respiration ordinaire – à l’existence la plus quotidienne…
Parmi les feuilles et les herbes – notre feutre – notre pas – l’âme ouverte sur ce que les hommes apparentent au mystère – à Dieu – au plus énigmatique ; le balancement du ciel – en nous – entre la chair et le temps – oscillant, sans cesse, entre le passage et l’éternel – entre la délicatesse et la pierre – dérisoires et indestructibles – selon l’opacité du masque et la densité des rêves…
Nous – agenouillé(s) devant nos pieds joints – les poignets ligotés – l’âme en éclats – buvant, à petites gorgées écœurées, le sang des Autres versé dans la jarre posée sur l’autel construit à notre intention – et qu’il nous faudra, un jour, transformer en vasque vide – en soleil sans mensonge – sans apparat – sans trahison ; en nudité irradiante – avec nous sur la braise – debout – sur le sol métamorphosé en silence et en prières ardentes…
Nous – assiégé(s) par le froid et l’indifférence – tous les assauts – à l’intérieur – ce qui, en apparence, nous éloigne des hommes – ce qui, en vérité, accroît notre humanité…
Le jour et la nuit – enfants nés de la même matrice…
Habillés de chair – l’œil et la main – prêts à célébrer tous les rites – à servir de suppliciés – exécuteurs et matière sacrifiée sur tous les autels humains que l’on dresse au fond des poitrines assiégées…
Des mots – la parole et du silence – intimes – infiniment accordés – rapprochant leur visage – s’unissant – faisant oublier leurs différences apparentes – mêlant leurs forces – leur souffle – leurs rouages – devenant seul(e) en l’autre – suffisamment pour négliger le reste du monde…
De notre poitrine jailliront bientôt le miracle et l’émerveillement – ce qui, d’une certaine manière, nous éloignera des hommes, et d’une autre, nous en rapprochera…
Entre les barreaux d’un ailleurs – inventé peut-être – Dieu – notre sourire – ce qui se mélange – ce qui efface nos lignes – tous les contours – toutes les frontières…
La main et le sang – animés par la même force – fragiles dans leurs dissemblances – ce qui s’apparente à l’homme – au cœur – au monde – à l’enfer…
Notre posture – les uns en face des autres – des coups et des étincelles – quelque chose qui s’immobilise – qui s’affaisse – puis, le foudroiement de l’arc-en-ciel – ce qui semblait tenir – ce qui semblait exister – ce qui semblait pouvoir durer – sans raison apparente – comme un chant – une ode provisoire à la magie incarnée – aux combinaisons alchimiques entre l’invisible et la matière ; le réel en songe – la multitude illusoire offerte aux yeux ; le cœur et l’esprit cadenassés – s’enfantant – se libérant – se rejoignant – l’un dans l’autre…
Toutes les rêveries dans la tête des Dieux…
Nos mille gesticulations dans le vide et le silence – tous les visages et toutes les dimensions de ce que l’on ne peut nommer…
Le regard – comme la vie – furtif…
Sur la braise – à pieds joints – le ventre et la bouche en feu – rayonnants – comme la faim féroce – du soleil dans le sang – et ce qui manque à l’âme pour déchirer le voile…
Homme – peut-être – à jamais…
Ici ou ailleurs – qu’importe les visages – ce qui défile – la nuit déguisée en jour – la misère qui n’épargne personne – notre manière de vivre…
Tout ce qui nous semble familier nous demeurera, bien sûr – à jamais, étranger…
Nous – l’âme plongée au cœur des sévices humains – au milieu des visages sans nom – incompris – incompréhensible(s) – dans notre solitude et notre étrangeté – dans notre si singulière façon d’être au monde – impartagée…
Sur la peau trop noire – et trop rugueuse – du monde – des jours – nos âmes harassées – distordues – égarées – parmi les substances et les instincts – les incessantes gesticulations des vivants…
Le silence – en nous – que nos mains frôlent comme si elles effleuraient la part la plus étrange du ciel – une figure inconnue dont nous aurions oublié la généalogie…
Liquide(s) – comme la source – ce que nous croyons solide et consistant – comme ce qui coule en nous – comme ce que nous étions autrefois – comme ce que nous deviendrons bientôt…
Dos au monde – sur l’étendue – les yeux en face – et l’immensité partout…
Ce qui nous pénètre – ce que l’on charrie – l’Amour et toutes les révolutions…
Nos gestes – comme des lambeaux de vide – des tourbillons d’air dans l’espace – d’infimes et dérisoires secousses – (presque) en continu…
Les bras contre le corps du monde…
Nos feuilles qui se noircissent sous le labeur tranquille (et quotidien) de la main…
L’âme tout entière occupée à sa tâche – l’esprit présent – attentif à la transformation des états – des décors – des circonstances ; fleurs et beauté – neige et tristesse – colère et sagesse…
L’enfance et les saisons qui coulent dans nos veines à la place du sang – rien au lieu du regard de l’Autre…
Des mots dans la nécessité – sous le soleil…
Et du silence pour occulter – pour couronner – le vacarme des hommes…
Notre nuit à tous – en vérité – vilipendée – exécrée – honorée, puis, bien sûr, effacée – pour accueillir le plus tangible…
Les bras dans le vent – comme l’âme – libres – sans message – tournant comme des girouettes – les yeux fixés sur l’Amour…
Nous – à l’ère du vieillissement – dépouillé(s) – de plus en plus – comme les arbres en hiver – la seule saison qui vaille – pour nous – en continu – avec un peu de neige – un brin de magie – sur le chemin – sans la moindre empreinte à la surface – les feuilles qui recouvrent notre vie – notre voyage – notre destin…
Le dialogue douloureux – entre nous – les attributs d’un jeu sans âme – d’un affrontement sans cœur – rude et artificiel…
Le jour au creux de l’éphémère…
Le passage – les passants – au cœur de l’immuable…
La douleur, peu à peu, remplacée par la joie…
A la verticale de la tête – cette lumière – comme une poussière d’or jetée en l’air…
La face – l’essence – le silence – comme les joyaux les plus sacrés de l’invisible…
Trois anneaux passés aux doigts…
L’être éternel déguisé en tous les paraîtres provisoires…
Rien – jamais – séparé du reste…
Fragment de terre redressé – bout de ciel provisoirement planté dans le sol…
Entre-deux un peu perdu – traversé par le souffle…
Terre peuplée de mille Dieux – de mille démons – la cosmogonie commune de la psyché – archers et remparts en tête…
Entité fragile et armée – à la tuyauterie gorgée de sang – au-dedans corrompu par les instincts auxquels se mêlent, si souvent, la peur et la cruauté…
L’ignorance comme un bloc – un feu qui alimente la faim – qui anime la main gantée qui tient le poignard – l’outil des alliances et de la mort – l’instrument que l’on plante ici et là pour marquer sa substance et son territoire…
L’atroce continuité des temps anciens qui, d’ici et d’ailleurs, nous semblent interminables…
A même la terre – les espèces – les bêtes – à genoux – sur le sol – rampant – priant – labourant – sous le même ciel – replié dans le sang – et se déployant, parfois, lorsque l’âme – le ventre et les mains – parviennent à se dépeupler…
A peine vivant – le temps qui imprime ses traces sur la peau – la bouche de plus en plus fermée – l’âme qui s’ouvre peu à peu – la tête écartelée entre les habitudes (les sillons creusés par la mémoire) et la possibilité d’une réelle présence…
Vide – comme si les générations précédentes n’avaient jamais existé – comme si le monde n’était peuplé que de notre visage – et de quelques fantômes…
Ce que nos vertèbres portent depuis le premier gisement de chair ; notre corps – installé dans l’absence – depuis (presque) toujours…
A l’écoute des siècles à venir – trop lointains – imaginés – imaginaires – qui n’existeront jamais…
Des trous – comme des intervalles – des fenêtres – des lieux de repos – des lieux d’enfouissement – des lieux de découverte…
Et au fond – et au-dessus – l’eau et l’infini – la vie libérée – la vie réunie – et tous nos pas – et tous nos visages – qui rejoignent les extrémités – qui repeuplent les berges et les marges – ce que nous avons, depuis trop longtemps, déserté…
L’âme sous la neige – et le visage recouvert aussi – sur lesquels crissent les pas des Autres – et glissent leur chair – leurs désirs et leur amour – maladroits et insincères…
Le monde qui, peu à peu, se défait – les os – solides pourtant – sur le point de se briser sous la charge – le poids accumulé et le nombre de passages…
Une vie souterraine – à contre-jour – à contre-cœur…
Hors de soi – hors du monde – quelque chose de l’enfance et de l’infini…
Le jour – comme notre plus beau visage…
Un peu de chair sur une ossature verticale – avec, au-dedans, un cœur – un peu de souffle…
Et l’immensité qui convoque tous les possibles…
Au centre et aux extrémités de soi – sur la peau – sous la chair – sur la terre – dans le ciel – au-dessus – en dessous – au cœur même des éléments – l’invisible – le territoire originel de l’Amour…
Ce qu’aucune main ne peut saisir…
Ce qu’aucun ventre ne peut engloutir…
La matière qui s’offre – la matière qui s’expose…
Ce qui, en nous, se redresse – ce qui, en nous, se déploie…
L’infini – l’éternité – le silence…
L’âme sur son socle – tous les cercles réunis et assemblés…
Tous les possibles dans les mains de la tendresse…
Contre le vent – lové(s) au centre de la spirale – des tourbillons – le désordre vivant…
Le sommeil dans nos bras…
Les rêves et le monde – le réel – regardé(s) comme pour la première fois – accueilli(s) et aimé(s) de la plus simple manière – comme des parts anciennes oubliées – enfin – et fort heureusement – retrouvées…
Nous et l’âme – sans affres – sans désordre – sans désastre – sur la pierre – avec, sur les joues, quelques larmes séchées et un peu de poussière – l’or du monde – des existences – des chemins – collé partout – sous les semelles – sur la peau – jusqu’au fond du cœur – les yeux enfin aptes au regard – l’esprit – le cœur et les mains – enfin aptes à recevoir…
Nous – pleinement vivant(s) – au bord de la source – sans nom – sans âge – (presque) éternel(le)(s)…
Derrière chaque pierre – des visages qui se cachent pour pleurer…
Nos âmes dans la poussière – piétinées – pulvérulentes…
La tête démunie – les yeux habillés de vide et de rêves…
Dans le cœur – des bruits – un peu de vacarme – comme un air de fête – un peu de fureur concentrée peut-être…
Entre la lumière et le temps – les heures tapies – dissimulées – soustraites aux yeux trop avides du monde qui voudrait les fixer sur les aiguilles des horloges – au milieu des jours et des saisons qui défilent sur le calendrier…
Nous – sous les yeux des Autres – puis leur échappant – nous libérant, peu à peu, du sommeil et du rêve des vivants…
Assis près des hautes fenêtres qui surplombent le monde et les vents…
Les paupières closes derrière lesquelles dansent tous les songes…
Un éclat de rire sur le réel – le séant entre l’arbre et le livre – sur le sol recouvert tantôt d’herbes – tantôt de feuilles – notre feutre fidèle à la main – le vide en nous – et au-dehors – à sa place, en somme – l’œil encore rouge du manque de sommeil et des larmes anciennes causées par la tristesse d’être au monde…
Apparemment homme parmi les hommes…
Trop d’étoiles sur la terre – le monde sur le dos – tous les ascendants à la ceinture – et nous – sur le pont – à danser avec les choses – les êtres et les ancêtres – parmi toutes les peines accumulées – intériorisées – dans la lumière – à nous éreinter sans que jamais ne frémisse le moindre vivant – le moindre mort…
Un seul geste – un tas de feuilles sous le coude – l’infini qui réclame sa part – qui offre sa voix et son envergure pour que le blanc – un peu de silence – s’invite – et ouvre un passage entre les signes tracés à l’encre noire – vers une étendue où pourraient enfin s’évanouir toutes les peines – un lieu où pourraient enfin s’épanouir toutes les âmes…
Et nous – encore au creux du temps – à genoux – dans le silence – la chair sur cette pente raide où finissent par glisser tous les âges…
Loin – très loin – du dernier sommeil…
La nuit ouverte – fenêtre derrière le dos – sous l’ombre gigantesque de la terre – entre l’étoile et le crachat – notre destin effiloché – notre âme en fuite – nos empreintes (modestes) sur la page et le silence – à portée de main – offrant, peut-être, à l’Autre un étroit passage…
Le faux Dieu des hommes – tremblant derrière leurs gestes – apeuré malgré son grand âge et son expérience (supposés) – blotti contre lui-même – au milieu d’un long silence – en plein sommeil – sans doute – ce qui précipite, trop souvent, ses adeptes vers le sol et l’engourdissement…
Des vagues – des saisons – de la lumière…
La beauté – la mort – notre faiblesse…
Un regard – un peu d’espace – pour respirer et contempler – seul(s) – ensemble…
Une manière de vivre – au milieu du monde – au sommet – dans nos profondeurs – en surplomb et en deçà de l’enchevêtrement – plus léger et solitaire – malgré l’attraction et la gravité du monde…
Au-dessus des rouages et de la mémoire – ce dont a viscéralement besoin la monstrueuse machinerie inventée par les hommes…
Une façon, à la fois, de s’effacer et de déployer sa présence – de s’éloigner et de s’affranchir de l’ogre – du mastodonte mécanique…
Dans les mains – le vent plus dense – et plus sauvage – des dernières heures…
La liberté visible déjà avant l’échéance…
Le vide derrière ce qui a abusé nos sens…
A rejoindre les courants ascensionnels – l’évaporation des eaux vers les hauteurs – comme une manière de pousser la dernière porte – de franchir le dernier seuil…
Le soleil à notre rencontre – et nous l’approchant – puis, peu à peu, le devenant – comprenant (progressivement) que nous n’avons jamais cessé de lui appartenir – d’être l’un de ses (innombrables) composants – et son entièreté aussi – malgré notre ignorance – nos origines apparentes et nos absences si fréquentes…
La présence effacée – comme un soleil assassiné – une aurore pervertie par la persistance du sommeil – un voile jeté sur la seule fenêtre de la maison…
Nous – dépossédé(s) – hors du cercle – resserré(s) par l’urgence de l’échéance – les yeux fous – la tête baissée – la liberté transformée en un (pitoyable) masque – en foulard asphyxiant – comme une manière de haleter sans pudeur – de s’essouffler – de s’éreinter à courir derrière le ruissellement naturel des eaux – mille tourbillons d’air – le monde entier s’enfuyant vers l’immensité – irrésistiblement attiré(s) par l’étendue des neiges éternelles – l’une des formes paroxystiques de l’oubli et du pardon offerte à toutes les créatures terrestres…
A notre rencontre – les lignes et les lèvres ouvertes – offertes – tendues – exposées à ce qui passe – à la merci du premier venu – de tous ceux qui cherchent une vérité (trop) facile – un court instant de (fausse) complicité – quelques dogmes à se mettre sous le coude ou à rabâcher…
Le soleil – entre les dents – mâché et remâché comme s’il s’agissait d’une substance commune – d’un aliment ordinaire à portée de toutes les bouches…
Le sol – sous les jours – sous les pas – prêt à être foulé par les malheurs (tous les malheurs) et la lumière…
Riche d’une joie sans condition – sans pareille – déterminante dans notre manière de nous tenir debout – face au monde – face au vent – les mains ouvertes – à notre place – quelle que soit la nature des circonstances – quels que soient l’état d’esprit et l’état du monde…
Vivant – discret – presque invisible – dont les cris sont presque toujours transformés en taches d’encre sur la feuille – habité par l’Amour (autant qu’on lui en laisse l’occasion) – avec le vent pour seul costume – la tête métamorphosée tantôt en miroir – tantôt en regard – selon l’intention de la figure qui nous fait face – du visage qui se tient devant nos yeux…
La joie inscrite dans les tréfonds de la blessure – inarrachable et nécessaire – souveraine à chaque souffle – à chaque battement de cœur – pleinement vivante…
Et nous – au-dessus du monde et de la plaie – inguérissables…
Ce que l’on confie au monde – l’espoir d’une guérison – un peu de nos blessures ; quelque chose de la soustraction – une manière de s’abstraire de la tyrannie des masques – le cœur palpitant – et le cri enfanté du fond de la douleur – au cœur de la plaie…
Comme une perspective au-delà du cercle des conventions – en deçà de la nudité…
Personne – comme au sommet de l’oubli – au faîte du cœur humain – à l’inverse de tous les règnes du monde – de ce qui est habituellement proposé…
La chair de la terre et l’invisible du ciel – comme combinés – à parts inégales et changeantes – selon les pas et les intentions…
Ce que nous conservons ; la survivance – le désir de perpétuation – l’inclination à la saisie et au salut – le besoin de sauver son âme et sa peau…
Dans le sang – dans la tête – pas le moindre signe de trahison – une fidélité à notre longue généalogie…
Nos limites – ni la chair – ni le clan – ni la mort ; la nature même de l’envol et du miracle…
Le jour défait du voile – affranchi de nos prières – de la puissance du désir…
La lumière dans son essence – inscrite déjà dans notre moelle – et s’imprimant jusque dans nos gestes et notre respiration…
La transformation du corps – du cœur – le prélude du véritable voyage – ce qui fait que tout semble si provisoire – que tout n’aspire qu’à s’éterniser ; de la tête au fait – sans jamais discontinuer – avec l’achèvement – possible – comme un état intermédiaire – un maillon – un simple maillon – dans la chaîne interminable ; davantage un concept – une vérité abstraite qu’un état – qu’un ressenti…
Une chose – une expérience – éprouvée – parmi mille autres – dix mille autres – une infinité…