Carnet n°204 Notes de voyage
Emotion fracassante – parfois – littéralement. Poussée jaillissante désinhibée – incontrôlable. Véhémence insensée – presque maléfique. Oui – au fond – quelque chose de démoniaque – comme une force noire émergeant des profondeurs – des plus lointaines origines…
Sorte de magma du centre premier – du noyau ancestral – expulsé – et qui déferle comme si nous étions un cratère et ce qui nous entoure quelques coteaux à plaindre – et bientôt dévastés…
La terre et le feu entremêlés – fusionnels – éruptifs – intensément destructeurs…
Ce qui apparaît comme une étrangeté – et qui est là, pourtant, enfoui depuis le commencement – avant même la naissance du monde…
Au-dedans d’une aire qui ressemble – à s’y méprendre – à l’enfer…
Comme un sac – une manière de voir le jour – de remplir ce qui ne ressemble à rien – pour lui donner une forme présentable – présumée présentable – mais qui, en vérité, le corrompt et l’enlaidit…
Tout ce qui habille – orne – décore – n’est que voile supplémentaire…
Tout ce qui traverse finit par ressortir – aussi sûrement que finit par être expulsé ce qui a été ingurgité…
Tant et si bien qu’à la fin – il ne reste plus rien… Mais avant la fin – nous ne savons vivre ainsi – dans le dépouillement – comme espace vide – comme une aire d’accueil et de déblaiement permanents…
Une autre forme de vieillissement – comme des rides à l’intérieur et des lambeaux de chair qui pendent – au-dedans de l’enveloppe dont nous avons pris soin – un assèchement aussi – comme un vieux cuir râpé…
Une indigence – un malaise – une détresse – que l’on se garde bien d’exposer…
Et nous mourrons ainsi – dépecé de l’intérieur – exsangue – sec – aride – comme un vieux sac vide et retourné – inapte au renouvellement… Tout juste bon à nourrir les vers et à occuper la tombe qu’on lui a réservée…
Triangle de pierres pointant vers le lointain – l’horizon invisible – une autre terre – un autre monde – à l’autre extrémité de soi…
Plus l’on creuse en soi, plus la solitude semble épaisse – centrale – première – incontournable ; le seul mode possible de l’être – libre et intensément jubilatoire…
Le bleu comme une pointe vers ce qui n’apparaît pas – invisible pour l’œil – cet espace où se rejoignent toutes les frontières…
Des mots comme des pierres – des visages comme le silence – rien n’est ce qu’il a l’air d’être. Tout est beaucoup plus vaste. Et notre manière de tout réduire – de tout simplifier – complique (grandement) la tâche de l’œil et de l’esprit…
Des routes comme des précipices vers lesquels chacun glisse inexorablement…
Des visages ni sympathiques – ni antipathiques – ni amis – ni ennemis. Des visages simplement – qui nous jaugent – qui nous toisent – comme ils jaugent et toisent le monde – à leur manière – qui n’a, bien sûr, rien à voir avec nous – avec ce que nous sommes – seulement avec ce dont nous avons l’air – c’est seulement cela qu’ils remarquent – et c’est à cela qu’ils se réfèrent pour nous regarder…
Il ne faut en avoir cure – vivre comme si ces visages qui nous lorgnent n’étaient que des personnages fictifs – ensommeillés – d’infimes cyclopes à la vue défaillante puisant seulement dans leur mémoire – rien de réel, en somme…
Des routes qui se croisent – des routes qui divergent – ainsi sommes-nous fixés sur ce que deviendront nos voyages – les aventures d’un soir – d’un instant – d’une vie – matière à s’écarter – à s’éloigner – à disparaître derrière le premier horizon…
L’approfondissement de la solitude – creuser – creuser – en soi – comme impératif et jubilation…
Seule perspective possible…
Unique voie de connaissance. Et la jouissance de l’être à perfectionner – à affiner – à enrichir – cette relation à soi qui est, en définitive, une relation à tout…
Arbres – rivières – vent – roches – collines – solitude et silence – étreinte du dedans et du dehors – l’âme intensément vive et sereine. Toute l’énergie du monde qui nous traverse…
Puissance et douceur sans usage…
Juste être – goûter – le souffle – et les gestes nécessaires…
Tout le monde résumé dans cette manière d’être…
Ainsi tout devient le lieu de la rencontre et de l’unité…
Parcelles de terre – bouts de ciel – l’âme légère et dense – le cœur qui s’ouvre – partout le foyer tendre et indéfiniment éphémère – à chaque instant surgissant. Le temps aboli. L’être jouissant dans le cours des choses. L’éradication des frontières…
Le Je suis sans commentaire, peut-être… Immuable – présent – à l’accès fragile et incertain – le vide nécessaire – le vide absolu indispensable pour être…
Le goût de soi – le goût du monde – au-dedans – sans séparation…
Et sur les joues, des larmes de gratitude – l’individualité reconnaissante – cette part de soi infime – accueillie dans l’unité et la profondeur de l’être – vide – serein – sensible – inaltérable – désengagé…
Le monde enfin parfait – comme si tout était impeccablement orchestré et agencé – beauté fugace – presque sans importance tant l’essentiel appartient au regard – à la vacuité permanente…
Bouts de soi – partout – réunifiés au centre…
Tout dans le grand Tout – en soi – en quelque sorte…
Presque indicible, en somme…
Moins éclatant que le rêve – entre le blanc et la transparence…
Assujettis autant à nos viscères qu’à notre âme…
Instincts, inclinations et sensibilité…
Des cités – des champs – des routes – du bruit – des hommes ; la grande civilisation de la laideur…
Ce que nous avons créé ; du confort et de l’absurdité – une direction inscrite dans nos gènes. Un allant commun – profond – contre lequel rien ni personne ne peut résister…
Une marche aveugle et forcenée dirigée de manière souterraine. Dans une mécanique limpide – et, sans doute, extrêmement lucide – une forme de clarté qui doit composer avec l’aveuglement et les instincts terrestres – le sol de la surface…
Un aller direct – un voyage sans retour possible. Ligne droite avec des accélérations et des ralentissements – mais l’allure appropriée – toujours adaptée aux possibilités et aux résistances…
Nous sommes – littéralement – actionnés. Chacun ainsi est gouverné avec, très souvent, l’illusion de ne pas l’être – de se considérer comme le seul maître d’œuvre du trajet, du rythme et de la destination…
Sublime stratagème de l’esprit qui a distillé et répandu, avec une folle intelligence, cette incroyable illusion dans chaque psyché…
La nuit – le jour – le même sommeil…
Des instances de partage – la tête déchirée – une route aussi longue qu’infréquentée – l’engagement magistral de l’âme – un désir brûlant (et continu) d’Absolu – un rêve exagérément lumineux – une manière, peut-être, d’apprendre à vivre au-dessus de soi…
Une réalité partielle – partiale – dégradée. Des yeux sans exigence – presque aveugles. Des bouts de mensonges collés les uns aux autres qui ressemblent, à s’y méprendre, à un collier de vérités – une manière, peut-être, de vivre sans être présent ni à soi, ni au monde – ni en soi, ni à ses côtés – en-dessous du seuil de l’esprit – en deçà de la frontière qui sépare l’absence de la conscience élémentaire…
L’homme a une formidable (et ingénieuse) aptitude à transformer le beau, le vaste et le rude (la Nature) en espace étroit, laid et confortable (la société humaine)…
Rien de plus épouvantable que la masse – le nombre – la production industrielle…
La quantité – presque toujours – l’ennemie du Beau et du Bien…
L’humanité – du bruit – le plus puéril et des instincts – des jeux et une gaieté d’apparat…
Des dérivatifs à l’ennui – le plus commun – ce refus, si répandu, du tête-à-tête solitaire et non distractif…
L’homme et l’art de répandre la laideur…
Je suis comme les bêtes patientes qui attendent le départ des hommes – le retour du silence…
L’errance et le cheminement – la profondeur et l’austérité – la solitude et la joie – le silence – manière de vivre ce que l’on porte ; une certaine forme d’atypicité…
Une certaine radicalité métaphysique – intransigeante avec la frivolité existentielle qui n’est pas, bien sûr, la légèreté de l’être…
Pour vivre – et nous sentir à notre aise – nous devons vivre à distance de l’humanité – au sein d’une zone de confort dans laquelle nous ne puissions ni voir, ni entendre la moindre manifestation – la moindre activité – la moindre présence – humaines…
Autant dire – vivre loin de tout – ou, à défaut, vivre (plus ou moins) inconfortablement…
Barrières – clôtures – frontières – délimitations et obstacles – partout. Fractionnement de l’espace et du temps – séparation et appropriation – dichotomie entre moi, nous et le reste du monde…
Le monde – son organisation – son fonctionnement – tous les systèmes mis en place – sont toujours (quelles que soient les époques) l’exact reflet de ce que nous sommes – de ce que chacun est – à l’intérieur*…
Ce qui se passe entre nous – existe d’abord en chacun de nous…
* La guerre, le commerce et le capitalisme qui organisent le monde aujourd’hui sont ainsi de parfaits reflets de notre intériorité actuelle…
D’autres chemins que ceux du monde…
Là où la pierre devient la flèche – ce qui pointe vers le plus désirable…
L’espace – le bleu – l’immensité. Et tout qui se rapproche sans cesse…
Le coup de génie de l’esprit qui a oublié son envergure dans la contraction – en faisant croire à ce qui est contracté (chaque chose – chaque visage – chaque forme de l’Existant) qu’il est le seul – le centre – et en le faisant pointer irrésistiblement vers l’infini – définissant son envergure comme la seule destination à atteindre (par chacun)…
Quel incroyable stratagème… expliquant bien des choses en ce monde – à peu près tout, je crois…
De l’ombre – sur les bords – au fond – du regard. Une épaisseur d’autrefois – plus résistante que les autres – nourrie depuis des siècles – et qui s’arc-boute de toutes ses forces pour échapper au grand déblaiement…
Tout est là – plus ou moins rangé dans la mémoire – comme une boîte qui s’ouvre par intermittence malgré la vacuité. Parfois un rien suffit – et le souvenir jaillit tel un mauvais génie – tel un ressort… Aussi convient-il de rester alerte et vigilant pour rompre sur-le-champ tous les fils naissants…
Le labeur des hommes – chacun occupé à sa tâche – l’essentiel du temps. Mais, au fond, quel est le véritable travail de l’homme ? Est-ce seulement de contribuer à faire tourner le monde – à faire fonctionner (entretenir – améliorer – etc etc) le système collectif…
Dans ce qui occupe l’essentiel de nos journées – être – marcher – écrire – il n’y a d’activité agissante et productive – ni d’activité d’exploitation et d’instrumentalisation du vivant ou de notre environnement…
Ces activités quotidiennes ne soustraient rien au monde – elles n’y ajoutent rien non plus (un livre de temps à autre – mais qu’est-ce qu’un livre ? – à peu près rien – ça ne compte pas…). Elles semblent se situer, à la fois, en deçà – au cœur – et au-delà des nécessités organiques et psychiques – et n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec une quelconque forme de consommation (nous n’écrivons pas des livres de divertissement)…
Être est, bien sûr, une non-activité – une façon d’être présent au monde et à soi-même – une manière d’être conscient – une forme de présence habitée de façon, plus ou moins, permanente… Ecrire relève de l’esprit – de l’esprit de l’être qui célèbre, joue et danse avec les formes (les mots et les sens en l’occurrence dans ce cas précis) – mais aussi de l’esprit-témoin et de l’esprit d’exploration qui cherche et débroussaille… Quant à la marche, elle relève, évidemment, du corps – de ce fragment de matière (et d’énergie) qui est – et a besoin de – mouvement – mais aussi de contacts et d’échanges avec les autres fragments de matière (et d’énergie) – sol, roches, arbres, air, eau…
En définitive, rien que de très naturel…
Être – marcher – écrire – comme manière de vivre simplement – le plus simple – avec simplicité – notre humanité (et ce qu’elle porte)…
Une communauté mensongère – un simple rassemblement de visages nécessiteux – des âmes apeurées et mendiantes qui quémandent à l’Autre – aux autres – assurance, sécurité et agrément. Et rien de plus – malgré quelques amitiés circonstancielles (apparentes) et quelques affinités électives (provisoires)…
A la source de tous les visages – et ce que l’on voit – des bêtes conditionnées et télécommandées (de l’intérieur) par leurs instincts…
Des formes agencées – enlacées. L’harmonie architecturale du réel – l’harmonie des mouvements. Le monde comme une interminable arabesque – des lignes – des courbes – organisées de façon antagoniste et complémentaire. La structure de l’ensemble – et la structure de chaque élément…
Ce qui est là – une aventure quotidienne – inégale – disparate – surprenante…
Le jeu des jours…
Ce que nous avons fait n’existe pas. Tout, à chaque instant, recommence – et est, à l’instant suivant, à recommencer ; le neuf – la nouveauté – sans la moindre référence passée…
Haute flèche sur l’horizon. Et toutes ces têtes alignées. Dieu et son bétail – l’Un – le remarquable – et l’indistinct – la multitude…
Il est un autre lieu que le monde – et un autre temps que celui des horloges et des saisons. Des instants remarquables et un silence qui invitent à la solitude et à l’intériorité – une manière de vivre sans la présence – ni l’espérance – des Autres…
L’Autre existe-t-il seulement ? Ou n’est-il, à l’instar du monde (qui n’est qu’un collectif d’Autres), qu’une incertitude inconnaissable – entre chimère et consolation – entre compromission et nécessité…
Une fenêtre – le ciel – un jour comme un autre. Et quelque chose qui se dissimule au fond de l’âme…
Des instants de liesse et d’incompréhension…
Le goût du monde sous la langue…
Et des mots d’une grande trivialité…
L’air bleu qui, parfois, nous surprend au réveil…
Des pas – des heures – quelque chose comme une attente – on ne sait pas bien ce que nous attendons – ce que nous espérons peut-être – la tête est confuse – dépeuplée – presque en mode automatique – des images qui défilent – des idées aussi – qui ne sont pas les nôtres – tout un cortège de poncifs et d’imbécilités qui collent si bien à notre vie que nous les imaginons singuliers – réels – adaptés – comme des aspirations profondes – presque des nécessités…
Mais il n’en est rien, bien sûr…
Des inepties nées de la machine à rêve – rien de plus – des choses tout juste bonnes à jeter avec le reste…
Rouvrir la faille – redevenir le vide – et laisser tout glisser – tout engloutir…
Le neuf et le néant – ce regard si simple sur le monde – sur ce qui arrive – sur ce qui a lieu – sans s’attarder jamais sur ce qui n’est pas – sur ce qui n’est plus…
Le jeu, l’ivresse et la récompense – ce qui rend la psyché addicte et docile – et incroyablement prévisible – comme actionnée par ses propres circuits internes – pas si éloignée d’une certaine forme de folie…
Et à l’opposé – presque à l’opposé – l’envergure de l’esprit – dégagé et désengagé – libre – autonome – sans besoin – non agissant – pas si éloigné d’une certaine forme de sagesse…
Et l’on glisse – ainsi – d’un mode à l’autre – d’un monde à l’autre – d’une perspective à l’autre – entre le réel et l’imaginaire en passant par mille autres mondes parallèles – entre le conditionnement et la liberté – entre l’automatisme et l’indépendance…
Du relatif à l’Absolu – dans un basculement plus ou moins volontaire – plus ou moins permanent…
Simple étape – humaine – existentielle – encéphalique – dans le cheminement vers l’infini – le non-né – l’origine – l’incréé…
Ce que nous nous échinons en vain à retracer…
D’une solitude à l’autre – ainsi plongeons-nous au cœur de notre destin…
Le sommeil – comme une couleur – une patrie – les seules, sans doute, qui soient…
On perce, parfois, le plus épais – avec un peu de patience…
Tout semble à la fois étranger et possible. Rien – pourtant – qui ne déroute…
A travers mille pluies – d’un soleil à l’autre…
Des ombres mobiles – par milliers – autour de soi. Silhouettes furtives de la forêt alors que les hommes sommeillent loin des arbres – œuvrant à leurs pauvres récoltes…
Qui donc est présent à nos côtés… Qui donc nous accompagne lorsque nos pas sillonnent ces terres sylvestres…
De moins en moins humain – de plus en plus vivant et minéral – pierre sensible peut-être…
Je passe – nous passons – dans notre propre regard. Défilé incessant dans la perception immobile…
Moins du côté de ceux qui œuvrent que du côté de ceux qui contemplent…
Pas l’âme d’un créateur, ni celle d’un bâtisseur…
Plus proche de la roche que de l’étoile filante…
Plus près de celui qui observe en surplomb que de celui qui invective et ferraille dans la foule…
Plus près de celui qui sue seul et en silence à sa tâche que de celui qui baguenaude et se pavane dans le monde…
Il n’y a de monde – et, pourtant, presque tous feignent d’y appartenir…
Je suis comme l’arbre et la bête – en retrait – circonspect face aux histoires – aux chimères – humaines. Sans doute sommes-nous trop différents des hommes pour être en accord avec leurs jeux et leurs lois – et ressentir le moindre sentiment d’appartenance à leur communauté…
La destruction des mythes – et cette violence inhérente. Comme la volonté d’anéantir le monde. Les heures sans grâce – terribles – de l’éructation…
Le visage du tyran investi – rehaussé – hégémonique – dévastateur…
Le débordement des énergies – la moindre aspérité sur la ligne vécue comme une contrariété – et, aussitôt, l’explosion de la colère – le déchaînement des forces intérieures – la véhémence éruptive…
Sujet au cœur de ce qui ressemble à une abomination…
Le versant sombre – noir – hitlérien – de l’âme. Ce dont nul ne se vante – ce dont nul ne se glorifie – bien sûr – mais qui existe – qui peut advenir – et qui advient contre notre gré – dans une pulsion instinctive – profonde – lointaine – irrépressible…
On frappe – on casse – on brise – on balance – on défenestre – on assassinerait pour un regard – pour un soupir – pour une parole – pour un silence ; tout serait prétexte à anéantir…
Un grand bruit cannibale au-dedans – une faim exagérée – et des pieux plein les poches – plein les mains – et dans le sac une cargaison de flèches empoisonnées ; et ça lance – et ça balance – et ça décoche – à tout va – jusqu’à l’extinction du souffle colérique – jusqu’à l’effondrement du monde peut-être…
La matière – et la manière – la plus noire d’exister. Et c’est là – en nous – à l’affût – prêt à bondir sur la moindre tête ; et ça s’élance sans la moindre inhibition…
Des heures particulières où les Dieux noirs – en nous – exultent et gouvernent . Les grandes liesses de la nuit. L’abdication de l’esprit au profit de la violence pure – la concentration, peut-être, des forces démoniaques. Et le malheur ou la fuite pour ce qui nous entoure – exutoire, si souvent, à cette folie passagère – à cette folie ancestrale – à cette folie irrépressible…
Un toit – une croix – le nécessaire et la croyance. L’espérance de pouvoir échapper, un jour, aux contingences du monde – à la vie matérielle – à l’existence terrestre – dont on se doute bien, sans même être un grand esprit, qu’elle n’est la panacée – un médiocre purgatoire tout au plus…
Et notre labeur est d’y vivre sans (trop) rechigner…
Une manière authentique d’approcher la vérité – pour qu’elle se transforme, à chaque instant, en évidence vécue – jamais en concept – ni en objet d’étude…
Ça roule – ça s’entrechoque – on ne peut se fier à ce qui passe – à ce qui gesticule…
La route encore – qui serpente – qui s’étire – sur laquelle on frôle d’autres destins – des visages étrangers – inconnus – qui passent à vive allure…
Rien ne peut s’ébruiter dans le jour – sous le règne du jour. Le silence est la seule matière – la seule présence possible. Le reste – tout le reste – est trop fugace pour émettre le moindre son – inventer un langage audible. Et si d’aventure, on réussissait – par je ne sais quel miracle – à faire du tapage, l’épaisseur du silence étoufferait aussitôt la diffusion du bruit…
Il y a – au fond de soi – des terres inabordables – des rives noires – des régions infréquentables – et derrière, une immensité abandonnée parfois à Dieu, parfois au Diable…
Une manière de vivre – toujours – en deçà des possibles – quelque chose d’étriqué – une bande étroite sans retournement – sans virage – sans tournant – sans dérapage – possibles ; la voie la plus plate qui soit où la destination – ce qui est vécu et expérimenté – est parfaitement prévisible – où ne peuvent se dessiner que des existences tristes à pleurer – des vies bancales – minimales – intensément organiques et instinctuelles – sous le joug d’un psychisme éminemment grossier – presque animal…
Le plus fragile de soi – exposé aux quatre vents. La marque et la signature de l’individualité – presque une incapacité à être au monde…
L’eau qui coule – les demi-saisons de l’âme. Tout passe – d’une rive à l’autre – tout se précipite jusqu’aux chutes du temps. Le visage plongé – le visage émergeant – au gré des heures – au fil de la course noire…
Ce qui se creuse – en nous – en notre absence…
A l’altitude adéquate malgré l’étouffement progressif des désirs. Ce qui compte davantage que l’ambition. Plus haut – il y a l’impossible. Et plus bas, les enfers…
L’extase presque machinale à force de rêveries. Des images douces et tendres – enveloppantes – qui viennent combler les manques de l’esprit. Une manière comme une autre d’essayer d’approcher la joie…
Le dédale des heures collectives – une immense esplanade déserte – et des yeux apeurés qui regardent partout – des souliers qui courent dans tous les sens à la recherche de quelques visages. Des murs aplatis que forment les conventions et les interdits intégrés par la psyché. De longs couloirs invisibles où il faut avancer avec prudence – avec précaution. Des obstacles – et l’allure naturelle – et la foulée libre – qui jamais ne se soucient des lois du monde…
Feuilles en guise d’instinct – de survie – d’offrande ; l’arbre et le poète – et la lumière comme seule nécessité…
La pierre noire – des cités sombres – la même source – et, parfois, le même échéancier – ce que la lumière apprend à polir ou à contourner. L’impossible qui nous surprend toujours. Et certains jours – à deux doigts d’y parvenir…
Les heures réfractaires – les heures marécageuses – les heures à n’en plus finir. Le jour comme seul appui – comme seule raison de vivre. Et l’immensité à nos pieds – quelque chose de fragile – de provisoire. Comme le regard – jamais acquis…
La hauteur – comme manière de vivre au milieu du monde – retiré mais non inaccessible – accueillant à ses heures ceux qui ont fait le chemin…
Un espace au milieu du monde – dans le retrait d’un tertre encerclé par les collines – lieu naturel exposé aux vents et abrité des yeux trop curieux…
Posé un instant – un jour – une saison – une vie entière. De passage – toujours – quel que soit le sol – le territoire…
Des yeux sans mémoire – une tête sans discours – le seul langage des gestes qui en disent aussi long que nos silences…
La seule amplitude est au-dedans – le jeu de la distance avec le monde et les visages – avec les ombres et les choses…
Ce qui nous maintient vivant – ce qu’il nous reste à faire – à réaliser – pour nous rencontrer. Il n’y a d’autre nécessité ; la joie – la grâce – ne sont offertes que par surcroît…
Il n’y a jamais d’erreur – seulement des détours incontournables…
Des monts – des merveilles – et quelques mots qui, par leur célébration, corrompent et ternissent – et qui ne parviennent, au mieux, qu’à évoquer – ou à raviver, peut-être, le souvenir. A celui qui lit d’œuvrer au labeur complémentaire pour retrouver la beauté du réel…
Nul intermédiaire – le face-à-face direct – le ressenti sans filtre – le réel sans adjuvant ; l’âme et les choses du monde – le regard – la sensibilité – l’univers et les réalités parallèles. Ce que l’on vit – ce qui nous est offert – sans aucune autre possibilité…