Carnet n°42 Entre la lumière
Journal poétique / 2011 / Le passage vers l'impersonnel
A la vaine pitance du monde, il opposait ses mains ouvertes. Son âme déployée. Son renoncement sans faille. Et l’éclat si faible de ses prunelles. Il plantait ses graines à la volée. Sur des terres sèches et fragiles - peu propices à la moisson. Ignorant que le vent se chargerait des labours. Et pressentant pourtant la venue prochaine de la récolte où entre les ronces, une foison d’orchidées verrait bientôt le jour. Mais comment faire pousser l’aile qui manquait à son pas ? Faire descendre le ciel fut sa réponse.
Il n’avait de contour à ses yeux. Mais au fond du regard, une prunelle encore aux abois.
Si tu veux t’enterrer, garde-toi des ombres.
Dépasse l’audace. Et tu trouveras le vrai courage.
Il voyait les âmes virevolter au-delà des sépultures. Ravies de se retrouver après tant de frontières et d’égarements.
Qui peut vivre sans chute ni envol ? Sans espoir ni crainte ? Où poser son pas ? A l’exacte place ? Mais en quels lieux ? Tant de mondes se côtoient.
Il trouva une vieille jarre d’avant la naissance des âges où il prit refuge. Et la coulée du temps s’envola. Incalculable.
Il serra contre son cœur une fleur sans histoire. Sans passé. Et le ciel put enfin éclore.
Un monde disjoint dans les prunelles. Et mille éclats du monde dans la main.
Il voyait les êtres se serrer les uns contre les autres. Se servir les uns des autres, croyant parvenir à leur fin. Pieds, mains, tête, bras, jambes. Chaque membre plaidant sa cause. Et œuvrant (à son insu) pour le même corps en mouvement.
De l’entrave naît le ciel. Que l’on peut déjà entrevoir entre les barreaux.
Le souci de soi mène toujours aux prunelles alentour. Et le reflet des prunelles à la désillusion. La désillusion à la fouille. Et au cœur de la fosse, que se passe-t-il ? Il nous faut creuser pour connaître la réponse.
Egaye-toi de la transparence. Et n’aie crainte de l’obscurité que dissipe la lumière.
O Hommes, bouts de moi-même
Où courrez-vous de ce pas ?
Où croyez-vous fuir ainsi ?
Ne sommes-nous pas inséparables ?
Toute vie est la vérité qui se creuse. Et nous révèle.
Lorsqu’ELLE prendra la place que tu t’es octroyé, tu deviendras pleinement toi-même.
Il errait entre folie, normalité et sagesse. Rêvait de vie océane. Et de monde clos. Pourchassait les frontières et les masques ternis jusque dans les sous-sols et les caves. Retournait les joutes. S’enivrait de fureurs. Déblayait les musées et les hécatombes. Soulevait la mémoire d’une main lancée vers le ciel. Recouvrait la terre d’une colère noire. Lave éructante. Marchait jusqu’à plus soif. Jetait aux vitrines son regard de flamme. Brûlait ses guenilles. S’écartait des visages trop timides. Des bouches factices. Des ombres policées. Des faces hargneuses. Des masques plombés. Les vitriolait en silence. De l’intérieur. Dévisageait les parois qui l’enserraient. Martelait de son rire ses cavités sordides. Pleurait le visage dégoulinant de sable. Camouflant ses songes, ses rêves et ses secrets d’alcôve.
Il pérégrinait toujours sans destination. La besace clairsemée – avec un mince espoir de neige sous les paupières – et les semelles enhardies par l’azur. Oublieux des brumes et des brimades. Les étoiles et les prunelles dans l’ombre. Clarifiant l’espace. Egayant les interstices de ses pas. Galopant sans retenue vers un ailleurs encore indicible.
Que la source est fragile
A nos paupières endormies
Et que nos jarres sont lourdes
Sur nos épaules aguerries
Comme si le ciel nous frappait
De son poids à chaque foulée
Et que l’azur sombre nous égarait
Dans son labyrinthe
Enchaînés à notre sillon,
Nous marchons la silhouette courbée
Toi qui as grandi sur le toit du monde
Pour te hisser jusqu’à la cime des arbres
Et découvrir le ciel à tes pieds
Fut-ce un rêve de glace ou de papier ?
Il marchait sans tituber sur les trottoirs gris, sans se heurter aux passants décharnés, sans se cogner aux vents qui cinglent, sans s’étrangler de la beauté de ses pas, à peine étonné des silhouettes avachies sur le bitume errant à la recherche d’un soleil, toujours aveugles à l’azur des prunelles. Il s’invitait à la marche pour dénicher l’œil de la mort, lui arracher sa faucille et s’en faire une béquille pour aller le cœur plus libre, sans complaisance pour le chaos et la cohérence des pas, sûr d’avancer à l’heure précise où les passants patienteront encore intranquilles vers leur destination.
La grande affaire est là devant nos yeux. Et sous nos pas. Si proche de notre main qui ne saisit que du sable.
Il effaçait ses certitudes. Et ses habitudes. Etait sans égard pour ses tournures, ses périphrases et ses postures qui ancraient leur poids dans le marbre de papier, aussi léger (pourtant) qu’une feuille poussée par le vent.
Il exécutait sa tâche sans relâche. Ignorant que le joug s’effacerait dans l’abandon.
Il est des cieux éparpillés qui émiettent la mémoire et nos pas sans recours. Qui nous enfoncent au-delà des terres, ravis de nous ouvrir au mystère, qui nous traversent à la hâte et nous laissent un arrière-goût de nuages et d’espièglerie au fond des yeux.
Il s’abandonnait aux grains d’azur que ses pas impatientaient de leur poids, en baissant les yeux vers le ciel qui recouvrait ses chemins d’orage sans lui révéler – d’un éclair mystérieux – celui qu’il était.
Il cherchait encore sa demeure en tous lieux. Mais restait suspendu aux murs de pierres sans découvrir la maisonnée qui l’habitait. Il rêvait pourtant de devenir le seuil du refuge pour tous ceux qui cherchent un abri, tous ceux qui ont quitté leur ghetto et erré trop longtemps le visage penché sur leurs souliers. Il rêvait de les redresser d’une main agile et de les instruire de l’autre à l’hôte qui les appelle en silence depuis des siècles.
Pourquoi se défaire de nos malles
Dont le contenu nous ignore
Ce trésor que nous délaissons avec superbe
Pour des guenilles d’or et de diamants ?
Les stigmates de la différence s’effaceront dans la main de Dieu.
N’écarte rien. Remplis-toi de tout ce qui se présente. Et tout s’effacera. Ton dénuement sera alors richesse. Invitant tous les possibles dans ta main ouverte.
Aie l’audace de te laisser surprendre. D’aller les yeux fermés vers ton enfantement. Ne crains ni les découragements, ni les infortunes. Ni la folie, ni le désespoir. Laisse-toi traverser. Le désencombrement est déjà à l’œuvre.
Nulle règle ne peut égaler l’absence de règles. Le pas toujours juste.
N’aie crainte de te fourvoyer. Au fond des ornières. Au fond des fossés, des ailes t’attendent. Pour t’envoler vers le fol azur qui s’impatiente de ta venue.
Des pas trop lourds sur la terre. Ainsi marchent les hommes dans leur sillon. Croyant suivre l’azur derrière leur horizon. Espérant l’atteindre. Et le reculant toujours. L’azur survient par mégarde. Il ne peut se dévoiler aux prunelles laborieuses et avisées, aux pas lourds et geignards. Il se révèle à ceux qui se sont délestés jusqu’à l’os. N’épargnant ni leur chair. Ni leur âme. Allant jusqu’à froisser tout espoir de lumière et qui avancent tremblant dans le noir, effrayés de tant folie, poussés et guidés à chaque pas par une folle nécessité… errant ici et là sans repère, sans certitude, sans identité ni destination. Rien. Et libres jusqu’à l’ivresse.
Avant d’entrer dans la grande demeure, tout doit-il voler en éclat ? La porte serait-elle donc si large et si étroite, si proche et si lointaine pour notre œil rivé à son seuil ? Comment la franchir ? Serions-nous donc le passeur, la porte, le passage, et l’espace alentour ?
Sans programme ni projet, il s’égayait de toute opportunité.
Le peuple des berges à l’horizon plat. Et fixe. A l’ascension accumulative. Et le peuple des flots. Toujours à la dérive.
La grande âme du monde s’ouvre à ta besace
Et la voûte étoilée invite tes pas au sentier éternel
Prends garde en chemin de ne rien amasser.
L’horizon le couvrait de glace. Effaçant tous miroirs et tous reflets. Et son âme opaque avançait, cristallisant tous les mouvements. Incapable encore de s’étioler à la chaleur de l’astre.
L’horizon se couvrait de taches. Traces éphémères que son regard ciselait. Incapable de se défaire de la mémoire pour aller le cœur plus lisse.
Ouvre-toi au destin. Embrasse la multitude du chemin. Dépose tes peurs. Et efface-toi après l’heure du besoin. Avant que sonne l’heure du tocsin.
Meurs sans certitude à tout ce qui t’efface. A tout ce qui t’ébranle et t’enlace. Meurs d’abnégation. Jusqu’au renoncement. A tes lèvres alors naîtra l’abondance de l’évidence. Accueille et unis-toi à tout surgissement. Ne sois que cela, ce rien qui passe et se détache.
L’abondance du grain
Dissimule la récolte des champs de rien
Qui poussent sur notre route
Insaisissable dans les interstices du regard
Mille éclats d’histoires dans ses terreurs. Et autant de rêves brisés qui l’adossaient à un rire énorme. A un rire sans fin, éclatant de vie et de fureur (et de bonté aussi peut-être) pour tous ceux qui n’ont su voir derrière sa chair tremblante les brûlures espiègles et dévorantes, l’amour cherchant sa voie, l’âme cherchant sa sœur, et un visage sans doute à reconnaître et à aimer d’une folle manière. Un visage à découvrir et à consoler de mille caresses, à entourer d’une présence sans âge, tirant sa source d’un temps si lointain, d’une autre rive où les hommes aux plus proches de leur mystère et de leur enfantement n’avaient de lignées. De cette époque peut-être sans genèse où les drames éclataient en pétales et en feuilles de vigne – qui sait ? Qui sait ce qu’il cherche encore ? Et qui a vu ses lèvres offertes et la lumière derrière ses larmes ?
Ne cherche le mystère de tes ailes. Mais allège ton pas.
Il traversa un temps éclatant d’orages et de mystères et s’y enfonça, délaissant ses abris - ses vieilles parois éculées où il se cognait tant jadis. Et se laissa gagner par la déroute sans voir - malgré l’opacité de ses prunelles - s’éclaircir l’horizon.
Au-dedans des cieux racoleurs, il voyait l’espoir et la destination précise. Mais lui s’en moquait. Il n’avait d’yeux que pour le cœur de nulle part, là où la déroute ensemence et nourrit la graine d’azur à éclore. Il craignait l’égarement sous son pas si peu juste, ignorant que la perte conduit en tous lieux, agrandit notre maisonnée jusqu’aux horizons les plus reculés, nous crée un soleil en guise de tête et une lune en sourire, nous fait renifler l’amour et l’intelligence – le regard déchiré de présence – et les oreilles aussi larges que furent nos infortunes pour égayer enfin notre visage et apprivoiser le monde réconcilié.
Il apprit à mourir à tant de visages sans un cri pour découvrir le ciel rieur et une larme sur sa joue. Quelques pleurs au fond d’un abîme étincelant où les âmes se moquent de nos maladresses, de nos prouesses et de nos labeurs.
Les vagabonds des terres sordides, impuissants à s’initier aux pas des clochards célestes. Entre route triste et long voyage. Une clarté trop envahissante pour s’abandonner à la brume des yeux.
Démunis-toi du connu. Traverse incertitudes, doutes et effarement. Et derrière les peurs inébranlables de l’effacement surgira le territoire. Laisse-toi apprivoiser. Submerger. L’enfantement et l’évidence sont déjà à l’œuvre.
Le sang des prémices à l’orée de ta bouche. Les chants du monde recouvriront bientôt ta voix. Aie le cœur assez large pour t’ouvrir à la sente qui te précède.
L’éternelle découverte du rien. Après tant d’amassements… l’ultime insaisissable…
*
Dans l’oscillation du soleil et des ténèbres, les peurs se démasquent.
Garde-toi des méprises. Renonce à trouver leur extrémité. Derrière, tu verras l’origine du voile se déchirer.
Devant les masques et les remparts du monde, il avait la candeur aux abois. Et l’innocence foulée par la poussière des pas trop orgueilleux. Il n’avait qu’un rêve : disloquer les regards (tous ces regards de glace) pour ranimer la lueur emmurée, la flamme abandonnée au confinement des parois glacées. Et l’éveiller au feu.
Il s’étonnait des blessures. Innombrables. Et de la chair indemne. Des identités mille fois piétinées. Et de la présence en nous inaltérable.
Au royaume des confins, mille limites. Et à son seuil, il voyait fleurir les donjons qui perçaient tous les nuages. Aussi larges que les nouveaux horizons. Et au royaume des remparts, il devinait l’étroite geôle où se claquemuraient les peurs. Et les douves où se mêlaient le sang et la sueur. Et où l’on jetait les cadavres. Pauvres dépouilles crispées. Martyrs involontaires de bourreaux aux gestes inconséquents. Appelés à chaque assaut à traverser le royaume étroit pour gagner l’empire de la liberté.
Une étrange raison le ramena à la déraison. Il comprit alors l’harmonie du chaos. Et le silence complice et malicieux.
L’effacement des tombes donne des ailes à tous les cadavres. Et toutes les âmes dansent dans le ciel. Toujours invisible aux yeux des vivants.
Murs de briques ou de vent. Quelle différence pour nos mains nues ? Et notre chair écorchée ?
La terre des brumes dessille les yeux. Et le sol trop ferme les maintient hagards.
Présence hors sol jusqu’au-delà de l’espace. Vision globale qui ne distingue, ni ne transperce. Comment faire éclore l’absence de frontières ? Regarde non de ton œil mais du fond des âges alors la vue te sera donnée. Et l’espace offert. Et ta joie sera grande de te retrouver. Un sourire aux lèvres. Et le monde bientôt décroché que tu pourras nourrir de ta parole. Pour le soustraire à l’ignorance et qu’il puisse enfin s’habiter.
Les songes ne sont qu’éboulis à la rencontre des cimes. Aussi nul de sert de crier sous l’avalanche.
Le choc n’est jamais sans limite. Mais il se souvient des ondes. Accueille-les sans crainte avant de les remonter jusqu’à la source.
Devant la sagesse millénaire et les paroles ancestrales de son peuple, nul envol possible. La maladresse prend toujours racine à l’ombre des êtres. Et toutes les impasses y fleurissent. Regagne donc le désert. Et attends l’élan que t’offrira le ciel. Il ne s’expose qu’aux marcheurs solitaires et sans repères. Perdus déjà à eux-mêmes.
La survie s’invite en notre désert. Et les prophètes attendent à l’abri des ombres. Aussi nul ne sert de crier au-delà des dunes.
Les bois de l’homme sont impénétrables. Un arbre pourtant (une branche parfois) suffit à faire naître la hache exploratrice – l’outil salutaire des dévastations.
Ecoute davantage l’écho que le cri. La déformation réelle des jours te répondra. Laisse-la s’échapper. Une autre - plus juste - te sera offerte.
Nul abri sous l’averse. Rien que des gouttes au cours de la traversée.
Tu as le soliloque singulier. Mais tant de voix t’échappent (encore) pour tenir ton rôle.
Nulle parole ne s’enhardit autant que dans le silence.
Dans ton décor d’infortune, tu sommeilles. Pars donc sur le chemin explorer tes coulisses.
Tu encombres trop l’abîme pour dénicher l’espace. Amincis tes flancs. Et tu égayeras l’abîme. Tous les seuils de l’azur.
Quelques étoiles dans la poussière. Et le firmament naîtra bientôt sur l’asphalte.
Heureux l’homme doué d’irraison. A pas décomptés, il se promène où va le vent. Avec tous les airs dans la tête.
Emmure tes silences pour que naisse l’écho. Et ton oreille deviendra sourde aux rumeurs.
Comment défaire ses ailes des barreaux ?
A quel horizon te destines-tu ? Le paysage variera selon tes perspectives.
Le chemin est ton ivresse. De bout en bout, une fiole en tête.
Garde la sente humide pour tes glissades car l’aube sera ton enlisement.
Pourquoi s’enlaidir de tant de parures alors que la grâce se porte en haillons ?
La vigilance est ton plus haut rempart. Monte sur tes créneaux et offre-toi aux flèches. De ce présent naîtra ta récompense. Une liberté sans blessure.
Habite la présence. Et tu seras partout l’hôte approprié.
Minuit. Midi. Quelle importance ? Le soleil éclaire l’en-bas. Et l’en-haut s’est déjà dispersé.
*
Une parole sage ne vaut que par sa justesse. Jamais par son étendue, sa profondeur ou son éclat.
Une vie pleine et assagie. Voilà à quoi il aspirait.
Il y a plus de sagesse à manger une pomme d’un geste plein que d’écrire le monde, la bouche affamée ou de le dévorer d’une dent hargneuse.
Quand la vie se détourne, pose ton regard où elle s’établit. Et ton geste suivra.
Les plus beaux livres ne s’ouvrent que d’une main. L’autre soutient le cœur abîmé qui se panse et s’ouvre.
Le rire borgne du monde n’oblige aucune lèvre à s’ouvrir. Et le silence distingue les bouches complices des prunelles innocentes.
Le pas innocent. Et la semelle toujours complice. Nulle marche n’est épargnée.
Jamais ne distingue entre l’aurore et le crépuscule. Mais crains les yeux aveuglés par le jour. Et le scintillement des nuits magiques.
Le monde offre mille spectacles. Et les yeux demandent vers quelle folie se tourner.
N’imite jamais les sages. Regarde-toi. Et chemine en ta compagnie.
Les mots peuvent-ils faire chavirer un destin ? Oui, magistralement lorsqu’ils nous enjoignent de les quitter.
Il s’enchaînait au bas des églises. Près des tombes où se réunissent les vivants. Pour voir les âmes - libres - s’envoler dans le vent.
Ses mots s’éparpillaient dans sa bouche. Leur donnant toute leur inconsistance. Le monde y voyait des bouffonneries. Et Dieu une invitation à la vérité.
Il n’avait de table où poser sa nappe. Et moins encore ses couverts. Aveugle aux mille assiettes que Dieu lui offrait.
Il pouvait bien s’égarer. A présent ses pas devinaient la direction.
Il se rêvait jusqu’à l’effacement. Et à cet instant, les dieux lui offrirent une estrade.
La bouche muette enseigne le vide. Un silence si plein pour le ciel.
Sans destinée précise, les pas découvrent la direction. Sans intention, les gestes deviennent justes.
Les frontières ne sont que le commencement d’un autre territoire. Leur absence appelle l’infini en expansion.
Le point ultime du monde devient le lieu de la présence.
Les yeux pourfendent. Alors que le regard réunit. Et les mots transpercent. Alors que le silence enveloppe.
L’erreur qui n’abrite aucun mensonge est le lieu où naît la vérité en marche.
L’horloge ne trompe que les yeux fatigués. Les yeux hagards ignorent les aiguilles.
Les yeux jouissent de la multitude. Et le regard de l’unité. Ainsi convient-il de les réunir pour devenir homme de la terre et du ciel.
Les cimes sont les brins d’herbes où se posent les anges. Et les croyants imaginent que leurs prières caressent la barbe des dieux.
Tout geste est Dieu en action. Toute parole est silence en mouvement. Tout pas indique la direction. Rien d’inégal en ce monde. Et aucun sens pour le justifier. L’ordre du monde est là. Présent en chaque chose. Et toutes les situations l’attestent.
Les frontières réclament leur part d’ouverture. A-t-on déjà imaginé une ligne sans espace ?
Ne couvre pas le vacarme des hommes de tes cris. Mais de tes silences.
La nuit n’appelle aucun destin. Et le jour a déjà un soleil.
Il ne s’agit pas de traverser le miroir. Mais de remonter sa source pour percer le mystère.
Les ténèbres n’ont d’oasis. Pétrifiés par le soleil de pierre, la marche attise notre soif.
*
A quel supplice faut-il s’offrir pour que la dignité nous redresse ?
L’horizon - toujours ravageur pour le pas - émiettait sa foulée. Encerclait sa marche. Enlisait sa silhouette dans son sillon mille fois creusé.
On peut bafouer la loi des Hommes. Mais nul n’échappe aux lois du ciel. Elles pourfendent toute bassesse. Pourchassent la trahison jusque dans notre moelle.
Le ciel s’évaporait parfois à son regard (trop) concentré. Faisant apparaître d’autres cieux, plus bas, plus sombres voilant la majesté et l’étendue du premier.
De contrées en contrées, nos pas nous égarent. La vérité est si proche qu’elle en devient invisible.
Tout savoir est un écran qui ôte au regard sa justesse. Ne surimpose rien au réel. Mais fais corps avec lui. Fais-lui face sans voile. Et tu seras élément de la vérité.
Oublie les promesses de l’azur. Néglige les empreintes que tu t’es efforcé de conserver. Ôte toutes tes armures. Et marche nu. Un jour, la vérité se tiendra dans tes pas.
Le réconfort advient sans prémices. Au seuil de l’abandon, poursuis ta marche.
Défais tes espoirs. Et tes regrets. Marche sans te retourner. Et sans un regard pour l’horizon. Défais l’écran de tes prunelles. Et l’œil neuf surgira.
Réclame ton dû de tendresse et d’alcool. Et pars. Abandonne tes parcelles et tes barricades. Tes terres infertiles. Délaisse tes fauves et tes molosses carnassiers, gardiens des temples d’antan. Oublie les joutes d’autrefois. Et les querelles où tu excellais. Oublie l’amertume. Néglige les accaparements. N’engrange que les forces du vent. Et vas. Libre, tu seras.
Abandonne les mains à leurs supplications. Abandonne les visages à leurs grimaces. Sois digne sous l’averse. Et honore les chemins que tes pieds nus traversent.
Je suis l’appel. Et le nom que tu as cherché sur les chemins. Le sens que tu as creusé de tes mains. Le regard qui te contemplait lorsque ta faim fouillait parmi les livres et les visages sans grâce.
Abreuve-toi de mes silences. Nourris-toi de ma présence. Et nous marcherons ensemble. Silencieux et présents. A chaque pas.
Déshabille l’homme. Et tu trouveras derrière les os un cri et une âme vibrante. Délaisse le cri. Il se suffit à lui-même. Il cherche (vainement) l’écho de sa propre parole. Accueille l’âme. Réconforte-la un instant. Puis laisse-la s’effilocher au vent. Elle trouvera son destin.
Ne singe pas les sages.
Ne juge point les imbéciles
Œuvre à ton regard avec cœur
Et à ton cœur avec ardeur
Prodigue-leur soins et tendresse
Accueille leur pusillanimité
Et leurs battements étroits
Ôte leurs voiles
Avec patience
Et marche sans prudence
Ton pas lucide s’aiguisera
Ferme les yeux aux jours abondants. Oublie les escaliers de la gloire. Et contemple tes pas sur le sable. Tes empreintes dans le désert. Ne juge pas la hauteur de la dune qui te fait face. Avance un pied après l’autre sans te soucier des oasis et des palmeraies. Des caravaniers criards dans les souks. Néglige leurs marchandises. Redresse ton ossature. Tu habites déjà le ciel. Et chaque maison sera bientôt ton foyer.
Il y a une âme secrète au fond de chaque chose. Et de rares yeux pour leur rendre grâce.
Une éternité sépare le soupir du silence. Qu’un souffle ténu qui n’aspire qu’à mourir.
Ne néglige aucun bagage. Pars avec ce que tu es. Le voyage œuvrera à ton délestage.
La grâce s’invite. Mais jamais ne s’apprivoise. Elle nous frôle parfois avant de nous quitter pour des yeux plus sages.
Tu as percé tous les mystères. Mais l’énigme demeure intacte. Jette donc tes livres pour regarder le monde. Et la vie en face. Et tu en pénètreras le secret.
L’éradication de la brume. Voilà à quoi l’homme devrait œuvrer !
Le ciel n’attend aucune offrande de la terre. Mais des gestes justes. Une main habitée par le regard. Et la présence.
Quelle terre pourrait assombrir le ciel ?
La vérité apparaît nue. Jamais elle ne se drape de paroles.
Les mots indiquent une sente sur laquelle les Hommes – la plupart des hommes – s’égarent.
Nulle parole n’a la puissance de déplacer nos écrans – nos miroirs – où vient se refléter le monde – notre monde.
[La vérité]
La vérité n’a besoin de mots. Mais de silence. Elle n’a besoin de connaissance. Mais d’espace. La vérité n’obéit à aucune règle. Elle n’a ni loi. Ni principe. Elle jaillit de l’ineffable. Nos regards n’en saisissent que les reflets. La vérité ne peut se saisir. Mais s’offre au regard mûr. On se perd dans ses replis et ses recoins. On s’enlise sur les chemins qui nous y mènent. On s’approprie l’in-appropriable. On se pare des guenilles dont elle se défait. Nous sommes la vérité. Elle nous est si proche que nous restons toujours à son seuil. Nous ne sommes pas. Nous n’existons pas. Voilà la vérité. La vérité n’exige rien. Elle tranche. Nos illusions. Nos incartades. Nos soumissions. A travers nos rires, elle s’esclaffe. La vérité est partout. Mais n’a de centre. Elle n’exige rien. Mais offre les circonstances et les situations pour se révéler. Elle se cherche à travers nos quêtes. Et se joue de nos gloires de sable. On la côtoie longtemps avant de l’apprivoiser. Mais elle demeure rebelle à toute captation. Tout accaparement. Elle se dissimule derrière les formes les plus grossières, les évènements les plus ordinaires, les gestes les plus triviaux. La vérité s’appartient. Sois en simplement le modeste serviteur.
Tant que tu n’auras apprivoisé la mort, la vérité ne pourra briller derrière tes prunelles.
Les circonstances nous honorent. Toujours. Nous invitent à leurs exigences. On a beau détourner le regard. Si l’on ne s’y soumet, elles insistent. Persistent jusqu’à nous soumettre à l’obéissance.
Au fond des gouffres, naît toute transformation.
[Mises en garde]
Garde-toi de tous spectacles. Et ouvre les yeux. Garde-toi de tous jugements. Et écoute. Garde-toi de toute rancœur. Et laisse ton cœur s’ouvrir. Garde-toi de tous mensonges. Marche l’esprit droit et digne. Garde-toi de toute rigidité. Et accueille ce qui te semble étranger. Garde-toi de toute immobilité. Et avance. Garde-toi de toute avancée. Et contemple ce qui est sous ton regard. Garde-toi de comprendre. Et éprouve. Garde-toi de toute parole. Deviens silence. Garde-toi de toute tranquillité. Agis selon les circonstances. Garde-toi de toute agitation. Accueille avec gratitude. Garde-toi de toute exigence. Contente-toi. Garde-toi des rêves. Vois d’un œil nouveau. Garde-toi des abondances. Et marche nu pieds. Garde-toi des ascétismes. Jouis de toutes offrandes. Garde-toi des conseils. Et prête l’oreille à la sagesse que tu portes. Garde-toi de tout orgueil. Et efface-toi. Alors tu deviendras la vérité. Modeste et éclatante.
Epargne-toi le malheur des âges. Et les affres du temps. Demeure présence.
L’horizon recouvre toutes les surfaces. Mais la profondeur est transparence.
Nulle étoile ne peut satisfaire ton ciel. Mais l’azur s’étend déjà à tes pieds.
Ne t’agenouille devant aucun géant. Poursuis ta marche minuscule. Et ouvre ton regard. Et tu deviendras immense.
Disculpe-toi des disgrâces. Elles reflètent ton invisible beauté.
[Formules]
Nulle injonction ne peut te compromettre. Tant elle nous révèle… La peur du mot devient salutaire… Les formules se conjuguent. Toujours à l’imparfait… Deviens la vie. Et te sera révélée sa vérité… Inutile de pourchasser la vérité. Comme si elle pouvait s’attraper… On veut saisir. Alors qu’il faut se laisser prendre. La vie se répète. Toujours neuve. L’œil enferme tandis que le regard ouvre. La vision ne peut être que panoramique. Un regard d’arrière-plan. Inverse ton regard. Sois attentif à sa source. Et la vérité du monde s’éclairera. Garde-le ouvert sur toutes choses. Et tu sauras voir.
Il avait installé un vieux divan au fond de ses yeux. Un épais et moelleux canapé où le monde pouvait venir se poser et trouver un peu de réconfort. Il l’avait placé là après maintes luttes acharnées et stériles jusqu’au jour où il comprit (enfin) qu’il pouvait s’assoir à son aise en tous lieux du monde. Ce jour-là, il n’eut plus rien à défendre, à conquérir ni à prouver. Et le canapé s’était placé là de lui-même. De façon inespérée. Comme par miracle.
Quand l’odieuse saison se blottira-t-elle contre ses lèvres ? Pour qu’il l’embrasse… ou la dévore.
Se défaire de tous les pétales
Et de toutes les fringales
Pour boire minuit à la coupe
Dans un verre de cristal
La prunelle lucide
Qui distingue la nuit du jour
Sans les nommer
Réconcilie la lune et le soleil
Dans l’œil des foules
Marche sans bruit
Au bord du jour
Sait mourir à l’éphémère
Les lèvres libres de tous linceuls
Le pas simple et ample
Dans une paire de godillots
Peut-être mal ficelés
Mais la semelle souple
Et la foulée toujours juste
Assise au bord de tous les silences
Ses yeux et ses pas fouillaient sans relâche. Mais l’aurore des guerriers laissait sa bouche inerte. Le zénith des peuples laissait son œil indemne. Et le crépuscule des scribes n’avait de prise sur sa main. Toutes les lèvres muettes gardaient leur mystère. Mais ses doigts gourds restaient ouverts. Il devinait que la clarté serait son unique salut. Et sa marche, sa seule patrie. Sans tache ni attache, il continuait d’avancer, encore si mal à l’aise dans les paysages. Rêvant toujours pourtant de devenir l’hôte de chaque maisonnée.
Sous le soleil de bras trompeurs, des lunes mortes. Et des astres perdus à jamais.
Il claudiquait sur l’asphalte mouillé. Glissant dans ses escarcelles quelques lunes flétries.
Il vivait sans compter les jours. Et les tours de passe-passe qu’on lui avait joués. Sans un regard pour le passé. Oubliant jusqu’à la malice du peuple. En adepte (encore) maladroit de la mémoire fugace.
Il végétait sur tous les horizons avec toutes ses passions en bandoulière.
Vers quels gouffres te jettes-tu encore ?
Le monde est (parfois) si plat qu’on en oublie l’abîme.
Les chimères encerclaient sa prunelle. Recouvrant le monde de tous les linceuls.
Seul l’œil moribond voit clair avant que naisse la vision.
Sa peur (qui venait du fond des âges) réveillait parfois le monstre qu’il croyait endormi. Il le voyait se redresser, prêt à mordre. Mais un jour en s’approchant, il vit que sa bouche carnassière lui souriait. Et il fut secoué d’un rire énorme devant le sourire de cette mâchoire qui l’avait toujours effrayé.
L’espace est en creux de toutes choses. Et l’horizon se morfond sous la chair. Ne l’entendez-vous donc pas s’impatienter ?
Il n’y a nulle part où aller puisque nous sommes (déjà) partout.
Le souffle d’une voix ne peut suffire s’il ne prend sa source dans les profondeurs [de l’être]. Alors la parole peut devenir respiration. Puis silence.
Il y a dans cette brume tant de langages. De paroles houleuses. Et un si juste silence.
Au fond des rêves existe un tourment. Et au fond du ciel, une extase. Quant à l’homme, il marche entre les deux, le cœur toujours déchiré.
La tête penchée de trop d’absence, il se traînait toujours sur les chemins. En étrennant ses jours. Comme son plus rude malfaiteur.
Le silence se pare de mots. Non pour se dire mais pour se laisser entendre.
La liberté naît du silence.
Il aurait aimé musarder la tête hors des territoires. Toucher le ciel de ses paupières. Couvrir les plaies des hommes d’une douce transparence. Se hasarder au-delà des murs qui encerclaient ses pas, prendre appui sur les nuages pour se perdre jusqu’aux frontières de contrées impratiquées et se reconnaître enfin dans le visage de tous ceux qui passent. Il aurait aimé échapper à tous les jougs, lancer ses clefs à la foule qui l’entourait, se hisser au-dessus de tous les mâts de cocagne pour crier au monde la beauté de l’azur. Il aurait aimé marcher jusqu’au cœur de la terre, étendre son pas au-dessus de tous les abîmes et se répandre dans l’océan. Il aurait aimé se défaire de ses prunelles trop fières, s’aveugler à toutes les ambitions. Il aurait aimé vivre tout simplement. Apprendre à mourir à chaque instant avant que la terre ne recouvre ses pas. Il aurait aimé dire aussi combien il avait aimé tous ceux qu’il avait croisés avant que l’oubli n’efface leur nom. Mais il n’était personne. Et tous l’avaient deviné déjà.
Il revêtait toujours sa robe de faîte pour grimper vers l’azur. Mais un jour, il décida de s’arrêter à mi-hauteur sur la branche la plus basse d’un hêtre, invitant le ciel à s’y poser.
Il donna au ciel mille poèmes. Et tous les yeux des hommes sur terre se sont détournés.
Après avoir marché jusqu’au bout de la route, croisé tant de visages apeurés et de regards faméliques. Après avoir goûté à tous les sels du monde, un jour, il s’assit pour contempler ses pas. Il n’avait pas bougé. Ou peut-être avait-il fait le tour de la terre ? Il n’en savait rien. Alors il troqua ses peurs et sa faim pour un rire sans borne. Les hommes vinrent alors vers lui pour lui parler de leurs rêves et du sable des chemins. Et lui, au terme de chaque histoire, leur offrait un sourire silencieux.
Tout se reflète dans le silence. Et tous les miroirs nous révèlent.
Il regarda dans tous les miroirs. Et vit tous les visages du monde qui se regardaient. Avec une âme assise à leur côté qui pleurait. Un sourire inimaginable dans les yeux.
Il avait écumé tous les chemins du monde. Et exploré tous les livres de la terre. Aujourd’hui, il n’avait plus grand-chose à faire. Plus grand-chose à voir. Alors il s’assit au bord du monde pour regarder le ciel et tous les hommes qui marchaient vers lui. Certains s’arrêtèrent dans l’espoir de trouver une échelle. Et dans leurs yeux faméliques, il vit le ciel en attente. Et au fond de chaque prunelle, le fol espoir de le découvrir un jour.
Il avait désarçonné toutes les envies pour s’égayer à la vie. Et découvrir son ossature, sa fibre, ses nervures. Son essence de vent.
Il se barricadait encore parfois devant l’infâme. Explorant un chemin inviolable. Indéchiffrable. S’égarant souvent dans quantité d’artères impraticables.
L’écriture se méfie des chemins encombrés où l’on pousse ses pages par charrettes entières. Elle est une source de joie vive quand elle jaillit avec confiance, abandon et naturel, s’acheminant par jets – brefs et discontinus – et accueillie sans nulle règle (imposée).
Il disait la vie qui le traversait. Et l’habitait. Il ne savait dire autre chose. Il disait le monde qu’il rencontrait – avec encore tant de difficultés. Il disait la vie pour rien. Pour elle à qui il devait tout. Il disait la vie pour les hommes qui regarderaient ses pages, les yeux baissés sur leurs songes. Il disait la vie pour les mendiants. Et tous les yeux affamés. Il disait la vie pour rien. Comme un don qui s’ignore. Une insuffisance à vivre. Il disait la vie comme un voyage. Un voyage qui commencerait avant la naissance et s’achèverait avec soi. De l’origine à soi, il connaissait les nombreux chemins. Toutes les impasses et les errances. Il aurait aimé établir une carte impossible. En fixer les repères, les cols et les frontières. Mais il connaissait l’aveuglement des hommes aux légendes. Qui savait encore lire les cartes aujourd’hui ? Il pressentait qu’il mourrait comme un vieux scribe, son lourd livret sur les genoux, espérant seulement qu’à son dernier souffle il aurait suffisamment de force pour jeter ses secrets aux vents. Et les voir s’éparpiller sous les pas des vivants afin qu’ils éclairent quelques foulées et quelques itinéraires.
Il s’interrogeait sur les besaces. Et les lourds fardeaux. Sur les bagages trop nombreux des hommes. Sur leurs itinéraires si variés. Sur le vent qui mêlait son souffle à tous les pas. Et soulevait les yeux à chaque carrefour pour trouver la route.
La vie – si changeante – ne se laisse saisir. Elle s’éprouve à chaque pas. A chaque regard.
Il était comme un cartographe égaré sur le chemin, rêvant de s’émerveiller des paysages, avec les yeux penchés dans son sac à la recherche d’une boussole.
Où est la terre qui saura m’accueillir ? Perdue dans le désert de mes pas ?
Il tournait en rond à sa recherche, une aile mal ficelée dans le dos. Comme si le ciel lui était étranger.
Pourquoi me repousse-t-il ainsi ? Dois-je m’élancer, à contre cœur, encore si malhabile ? Et où poser mon aile ?
A quelle heure se lève le soleil quand nos yeux ne voient que la nuit ?
A quelle heure se coucheront les ombres qui nous appellent de leur abîme ?
Derrière la toile, il ne voyait qu’un guerrier nu, sans pagne ni arme, qui le dévisageait avec innocence. Et face à lui, il était déjà perdu.
Les ombres ne s’escortent qu’à mains nues. On les raccompagne vers la porte où elles n’ont jamais vu le jour. Tout apparat est vain. Et la cérémonie des adieux interminable.
Une foule de gestes contredit les visages ; les lèvres stupéfaites, l’œil docile, la mimique grimaçante, la cheville impatiente, l’étonnement des sourcils. Les masques peuvent tomber. Et la parole musarder hors des bouches intranquilles. Le corps parle en silence. Et la vérité des âmes guette notre absence. Non pour trahir. Mais pour exposer à l’Autre nos yeux déshabillés.
Les circonstances nous affolent. Mais quel rire se cache derrière nos peurs ?
La vie sans danger se tient droite devant nous. Alors pourquoi plions-nous l’échine ?
*
Toi qui cherches la lumière, invite l’aube à repousser la nuit. Mais j’entends déjà ton murmure, habitant de l’ombre : comment fortifier la clarté du jour ?
Le râle naît de l’obscur. Et s’éteint dans la lumière. Entre, on éclate en soleils, le visage ruisselant de pluie.
Il est des jours neufs qui effacent tous les noms sur les stèles. La longue liste qui ravive tous les souvenirs sans parvenir au seuil originel. Incapable de franchir les premiers frémissements de la mémoire.
Le mémoire se désemplit. Se vide peu à peu de toutes ses empreintes sous l’impérieuse butée de la présence.
Jamais le cirque des phénomènes ne désemplit. Et les spectateurs, toujours plus nombreux, applaudissent à la volée sous l’œil des sages qui sourient de tous spectacles.
Nul n’échappe à sa propre compagnie. Tantôt ombre et fardeau, tantôt cerceau de feu et de lumière.
Allège ta mémoire. Et tu rendras ton pas plus léger.
La famine du cœur laisse toujours les yeux affamés.
Après tant d’égarements, il trouva l’unique passage : entrer en lui-même. Il explora ses paysages avec crainte et attention et se mit bientôt à pleurer, si étranger aux indigènes qui peuplaient ses contrées. Il voulut d’abord les décimer puis se résolut à les recevoir dans son antre malfamé. Il resta à leurs côtés. Les apprivoisa. Devint l’un des leurs jusqu’au jour où ils disparurent. Sans laisser de trace. Sans un mot d’adieu. Ensuite vint le grand désert. Les terres de glace et de solitude. Il dut alors apprendre à se réconforter, entourant son âme de ses bras frêles. Il eut des visions – d’atroces visions. Et des rêves – des rêves fabuleux. Il s’en enveloppa sans précaution, croyant que ces images seraient de puissants alliés avant de comprendre l’engeance dont il s’était entouré. Il dut les abattre à mains nues pour se retrouver à nouveau seul. Comme le plus nu - et le plus fragile - des hommes, franchissant - sans le savoir - l’avant-seuil du territoire impersonnel.
Le cœur assoiffé de lumière, ses ombres erraient à la recherche d’une main, guettant l’impossible étreinte. Toujours aveugles aux bras tendus vers elles.
La nuit creusait ses angoisses. Le désossait jusqu’à la moelle. Et sa chair corrompue tremblait devant l’océan, les vagues déferlant sur ses berges trop frêles.
Il dévisageait la pluie sans compter les heures. Le regard perdu dans l’espoir d’un soleil à venir, incapable - encore - de contempler la joie contenue dans chaque larme.
Quand il observait l’univers qui l’habitait, il voyait une cave sombre. Et des escaliers à ciel ouvert. Comme une invitation à explorer les abysses et à grimper à tous les arcs-en-ciel.
Il voulait que sa parole force le silence. Mais il dut plier sous sa voix.
Il plantait ses graines à la volée. Sur des terres sèches et fragiles - peu propices à la moisson. Ignorant que le vent se chargerait des labours. Et pressentant pourtant la venue prochaine de la récolte où entre les ronces, une foison d’orchidées verrait bientôt le jour.
Il aurait aimé se vendre à la criée. Mais la marée l’avait déjà emporté.
Il ne s’étonnait plus du scintillement des étoiles dans les yeux un peu fous des foules. Il y décelait la présence du ciel. Visible jusque dans la plus inflexible opacité.
Il se déboutonnait devant chaque fleur. Prenant garde de ne léser aucune ornière.
Il avait les godillots encore errants. Mais le cœur toujours casanier.
L’énergie se sustente de sa propre source.
La joie et la tristesse sont deux ailes inégales qui poussent les hommes à tournoyer maladroitement au-dessus de leur tête.
Il dévisageait un monde encore inapproché. Le pas toujours glissant entre l’abîme et le passé.
Les mots avaient perdu leur fonction. Non leur beauté. Ils étaient devenus instruments de connaissance. Témoins involontaires de ses pas en territoire inconnu.
Les grilles s’ouvraient. Mais il restait prisonnier de barreaux imaginaires.
L’oreille attentive ne se distrait de rien. Pas même des yeux qui la contemplent.
Le regard étonné défixe l’habitude de toute matière. Il nous agenouille sur la terre des possibles. Et nous façonne - sans choisir - dans le marbre trop rigide, le pas souple et juste qu’appellent les circonstances.
Le poète ne choisit sa voix. C’est elle qui choisit les mots qu’il profère. Qu’il les crache ou les susurre lui importe peu. Pourvu que la vérité - et le rythme de la découverte - soient respectés.
Comment faire pousser l’aile qui manquait à son pas ? Faire descendre le ciel fut sa réponse.
Il s’acheminait le pas soucieux vers un territoire sans nom. Après la traversée d’un désert si décourageant. Infranchissable.
Pas de mots raccourcis pour décrire nos détours.
Depuis l’aube des temps, une pluie de misère tombe sur cette terre. Chacun a sa goutte. Et bien peu y voient la venue du soleil.
L’horizon se prélasse sous nos paupières. Et dire que nous le cherchons partout sur la terre.
Dans la foule de ses yeux immenses
Seul un clochard aux pieds nus lui souriait.
Un arbre pousse sans jamais s’étendre au-delà de lui-même. Comme s’il savait déjà que le ciel était son territoire.
Dans la mémoire d’avant les âges, un bourgeon atrophié attendait qu’on l’arrose. Et lui ne comptait que sur la pluie.
Les cloches sonnaient sur tous les horizons. Mais son œil clos et son front trop rageur ne pouvaient les entendre. Et l’espace se retira.
Il s’agenouillait avec encore trop d’orgueil dans les yeux.
Le pas apeuré ne peut indiquer la direction. Il contamine le sens de toute marche. Seul l’œil avisé peut conduire la semelle en tous lieux. L’abri est dans le regard. Pourquoi dès lors aurais-tu peur ?
Il s’imaginait géant. Mais n’effectuait que des pas de lilliputien. Comme une fourmi au pays de Gulliver.
A la grande heure, la mort viendra nous chercher. Glisse vers son devenir. Et entends-la sonner à chaque instant.
Oublie les empreintes. Et les plaies ciselées par les circonstances. Abdique la mémoire. Aiguise l’aisance de toute incertitude jusqu’au seuil de l’émerveillement. Entends le cri du destin qui t’appelle. Et vas. Le cœur sans crainte ni chamade. Poursuis l’œuvre qui naîtra entre tes mains.
N’écarte rien de la sente. Poursuis l’accueil jusqu’à la désespérance. Et tu franchiras le territoire où la joie est souveraine.
Il devinait un horizon derrière les pierres. Un feu encore brûlant sous les cendres. Un autre monde derrière le monde. Et il appelait ses pas et ses prunelles à les chercher encore.
Il s’avançait sans relâche. S’exténuant à chaque pas. Ne percevant encore la nécessité de la halte.
La gravité de l’abîme n’effleure aucun geste malgré le malheur qui s’avance à pas comptés. Et lui continuait de marcher, le sourire intact sous le front, pressentant que l’autre rive serait atteinte ainsi.
*
Il est un lieu habité qui console.
Au-dedans de soi demeure la matrice des matrices. N’en force pas la porte. Mais laisse-la s’ouvrir à tes pas.
Partout en ce monde, il voyait des neiges sales. Des flocons atrophiés. Il aurait tant aimé voir l’azur immaculé descendre au plus bas.
Il avait pris le matin crépusculaire pour une aube radieuse. Et les saisons se mirent à s’affoler. Les hautes futaies n’étaient encore à portée. Une foule de crevasses l’en séparait. Mais peut-être n’avait-il jamais vu le ciel d’aussi bas…
Aux mille regards assassins, un seul sans éclat.
Oublie la consistance du regard. La cohérence des pas. La solidité du monde. Et abandonne-toi au chemin qui scellera la victoire sur toutes les débâcles.
Il divaguait dans l’incessant mystère de son ombre. Impuissant toujours à se défaire de son emprise.
Une fraîche ondée sur l’âme pour éteindre le feu de ses pas.
Ce rien d’espace qui prolifère.
Il refusait de se laisser égorger dans les précipices du monde. Dans toutes les ruelles indigentes où les esprits se crispaient et s’affolaient, abandonnant leur âme à l’errance.
Perdu dans le désert des espaces mouvants. Toujours soumis aux mirages miroitants.
*
Nulle embellie à ton sourire
Les gestes fugaces s’estompent
Ne reste qu’un craquement sans apparat
Quelques crachats sur le sol rugueux
Et l’horizon toujours lisse derrière la vitre
Sous les dentelles mille soleils ne pourront éclore
Muette demeure l’ardeur du printemps
Entre tes paupières mi-closes
Tu éructes tes songes
Défais l’abîme de tes pieds écorchés.
Et tu fouleras le territoire.
Une terre lézardée par des bourrasques meurtrières. Et un territoire bientôt anéanti.
A la vaine pitance du monde, il opposait ses mains ouvertes. Son âme déployée. Son renoncement sans faille. Et l’éclat si faible de ses prunelles.
Il s’inventait des amis sans destin pour apprivoiser ses parcelles. Humble jusqu’au dernier temps de l’effacement.
Il est un temps où l’on s’absente de soi-même. Non par dégoût ni résignation. Mais par inclination naturelle.
Renonce à toute prétention. A toute intention. Seules les circonstances ordonnent. Et tu verras tes gestes jaillir de la situation.
Un décalage dans le bitume s’effaçait. Et défaisait sa croix.
Il est des gestes habités et des paroles simples qui tirent leur source de l’origine. Touchant avec justesse et profondeur. Et d’autres portés par l’absence et la surface du monde qui effleurent à peine. Traversant les âmes sans les atteindre.
Celle qui en tes pas te consume pour retrouver la place que tu t’es approprié.
Des murs à la basse saison. Et les cimes atteintes au sommet du jour. Est-ce bien Toi que je vois surplomber à l’horizon ?
Un bouquet d’herbes jaunes entre les dents, il s’extasiait. La majesté aux lèvres et sur l’épaule, il pouvait (à présent) s’égarer sur les chemins.
Le champ tenace des récriminations n’avait plus de prise. Plus vivant que le monde, la conscience !
Au bord de toutes les ruptures.
Jamais n’oblitère la joie.
Efface la frontière de tes pas. Elle n’aura de prise sur les hommes suivants. Fissures aussitôt recouvertes par le vent.
Déglutis ton espérance. Ou éructe-la ! Et avance sans crainte. L’immobilité au bord de tous les chemins te guidera. Et égayera ton pas.