Carnet n°46 L'être et le rien
Journal / 2013 / L'exploration de l'être
Le monde est notre aire de jeu. Tantôt jardin. Tantôt décharge à ordures. Tantôt champ de bataille. Tantôt socle d’édification vers le ciel. Mais l’essentiel est ailleurs. A l’intérieur. Dans la maison de l’être. A la fois caverne et flamme vive. Sphère transparente qui accueille le monde. Et lumière qui l’éclaire. Là où le temps s’étire jusqu’à la rupture, l’abysse de l’Absolu. En surplomb du temps. Et des heures.
L’espace n’est jamais singulier. Nul ne peut s’approprier l’être. Il suffit de l’habiter. Pour (y) être.
Il ne s’agit nullement de rendre libre le personnage. Mais d’être libre du personnage. Inutile en effet de se défaire de nos conditionnements pour en revêtir d’autres. Il s’agit d’être au-delà de tous conditionnements.
Au bord de la source, on peut s’abreuver déjà. Apaiser cette soif autrefois si inextinguible.
La grande tristesse, prémices à la joie éternelle. Comment, en effet, ne pas être triste à l’idée d’être seul à jamais. Que l’Autre nous sera à jamais inaccessible… Que toute rencontre n’est qu’avec soi-même. Qu’il n’y a en réalité qu’Un sans second ?
Le mensonge est un refuge saugrenu. Impropre, bien entendu, à nous sauver du mal qui nous habite et nous ronge. Il révèle notre manque d’honnêteté et de lucidité. S’y adonner nous enfonce plus encore dans l’illusion de ce que nous croyons être. Et nous éloigne de ce que nous sommes. Il semble pourtant l’une des fonctions principales du mental, menteur patenté et diabolique usurpateur qui se refuse à reconnaître l’inexistence de l’ego et craint par-dessus tout de se voir démasquer…
En définitive, on ne peut se fier à rien. Ni à personne. Aucun état, aucun être, aucune situation, aucune ressource, aucune capacité. Aucun espoir. Rien n’est en mesure de nous aider. Il n’y a aucune garantie. Et de ce sentiment d’extrême vulnérabilité où nous plonge cette absence totale peut alors naître la puissance de l’être. Et le sentiment d’invulnérabilité, d’innocence et de plénitude qu’il procure indépendamment de tout contenu phénoménal.
Eternité, hors du temps. Etreté, hors du monde.
L’essentiel ne peut être exprimé. Il se réalise. Et se vit. On ne peut qu’encourager ceux qui le cherchent à poursuivre leurs investigations. Et donner quelques indications à ceux qui se sentent authentiquement et profondément habités par cette quête.
Tout (tous les phénomènes) doit être vu du point de vue de la compréhension. Et de sa maturation. Et admettre son mystère. Le laisser agir. Et s’y abandonner. Ainsi tous évènements, états, situations sont parfaits tels qu’ils sont. Toutes interventions visant à en modifier le cours tient (et provient) de l’idéologie (fabriquée par le mental qui hiérarchise les états selon ses préférences). Et cette ou ces interventions sont elles aussi parfaites telles qu’elles sont. Inutile donc d’en ajouter de supplémentaire. Ni de les blâmer. Tout est toujours parfait tel qu’il se présente.
Dieu (la vérité) se manifeste dans son absence ressentie. Comme dans sa présence habitée.
L’essentiel se goûte. Tout le reste appartient au cirque que l’être n’approuve ni ne désapprouve. Qui est là simplement. Simplement là à observer ce qui se passe sans jamais intervenir ou y être d’une quelconque façon engagé. Le cirque n’est ni bon ni mauvais, ni bien ni mal. Il est là, lui aussi, simplement. Et il se déroule sous ce regard qui observe et constate sans aucun commentaire, jugement ou parti pris.
Cette chose qu’on appelle l’être à défaut de pouvoir le nommer autrement (tant il est indescriptible et impossible à étiqueter, bref inobjectivable) semble tout à fait permanent, immobile et silencieux. Chacun peut le pressentir. Et la « sagesse commune » en a l’intuition quand elle se représente le « sage » assis dans une immobilité silencieuse parfaite. Mais il est totalement idiot de vouloir que les formes (et donc les personnes et les personnalités) adoptent dans une démarche stupide et simiesque cette permanence silencieuse et immobile (si elle n’est pas encore habitée). Les formes, elles, sont mues par le mouvement (l’énergie). Le mouvement incessant. L’être, lui, observe cela. Ces formes en permanents mouvements. Sans jamais les contraindre. Mais au contraire en les laissant libres. Il en est le témoin totalement impartial. Seul le mental voudrait parvenir à cette êtreté en essayant vainement de singer au mieux le pressentiment qu’il en a ou trop souvent l’idée ou l’image qu’il s’en fait. Et ce pressentiment ou l’intuition de ce qu’il est provient sans doute d’un souvenir. D’une nostalgie. Ce que les chrétiens peut-être appellent le paradis originel. Comme si l’être était notre source et que nous l’avions oublié. Avant de l’habiter de nouveau, il nous en reste qu’un très lointain et énigmatique souvenir qui ne cesserait de nous pousser à le retrouver. D’où les mille et une actions que nous posons consciemment ou inconsciemment chaque jour. Et la folle agitation de ce que nous appelons le monde. Mais bien sûr, l’être est toujours là. Il était, est et sera à jamais. Toujours égal (à lui-même pourrait-on dire). Simplement nous ne le goûtons plus. Nous ne l’habitons plus. Voilà pourquoi nous nous agitons follement. Voilà pourquoi le monde tourne… mais de ce manège ou de ce cirque n’émergera jamais l’être. Jamais. Seul le désintérêt (souvent progressif) pour cette danse perpétuelle, ses mirages et ses vaines promesses fournit le terrain propice à la dé-couverte - redé-couverte ? - de l’être. En un sens, tout mène à l’être. Toutes actions, tous mouvements aussi lointains qu’ils puissent sembler de la « spiritualité » ou de l’idée que l’on s’en fait sont des tentatives pour le retrouver.
Une fois l’être goûté, une fois cet espace ou cette présence habitée ne serait-ce que brièvement ou temporairement, le reste - tout le reste - semble d’une incroyable fadeur. Honneurs, gloires, succès, richesses, adulation, bonheurs, plaisirs perdent totalement leur attrait. Et l’on n’a de cesse de vouloir y retourner. Retrouver cette source à laquelle rien – absolument rien – ne peut être comparé car au-delà de la joie et de la paix qu’elle peut procurer (ainsi perçu par le mental), quelque chose fait que l’on ressent une parfaite complétude comme si nous retrouvions enfin notre véritable demeure, notre véritable nature.
La nature (et la vie) ne se soumettent aux diktats d’aucun roi. Derrière l’apparent chaos règnent l’ordre, l’harmonie et la perfection que rien ne peut entacher.
Au cœur du monde dépeuplé. Parmi les arbres, les herbes et les bêtes. Habitant le ciel et la terre. Marchant sans destination précise. Laissant le vent guider ses pas vers nul ailleurs. Au cœur de la présence immuable. Le corps brinquebalant pourtant, porté par les mille mouvements, allant là où on le réclame. Pris dans la masse merveilleuse et chaotique, fragile et si puissante. Vie d’incessants mouvements, tirée ici et là. Conduite tantôt vers le haut, tantôt vers le bas, tantôt à droite, tantôt à gauche. Et l’esprit silencieux et tranquille, dégagé de toutes implications, observant ce décor mêlé et changeant, le furieux engrenage agrippant et malaxant les chairs en les soumettant à ses lois implacables.
Ces orgies de temps où tu ne t’appartiens pas. Absorbé par les phénomènes. Captif d’un monde imaginaire. A la périphérie de toi-même, tu erres. Pour te distraire du vide que tu es. Incapable encore de supporter le rien, tu t’agites en vain. Quand naîtra le désintérêt de l’abondance (et du remplissage), tu plongeras au-dedans. Remontera en toi-même. Et en tes profondeurs, tu réaliseras l’être, espace d’accueil de tous les phénomènes. Afin de t’habiter pleinement.
Demeure au-dedans. A la source même du regard. Et tu sauras qui crée le monde.
Laisse libres toutes choses. Observe leurs mouvements incessants. Tu es ce regard où tout prend place.
Tu es l’être. Lieu permanent de l’attention silencieuse. Et de la paix.
Assieds-toi dans l’innocence et le silence. Libre de tes repères et tes références habituels. Et regarde la puissance et la fragilité des phénomènes du monde (manifesté). Regarde comme toutes les formes s’emploient les unes les autres à survivre. Prends note de leurs stratégies. Observe leurs collisions, leurs collusions et leurs déformations incessantes ignorant qu’elles sont un seul et même corps mû par l’énergie, soumis aux lois du jeu, de la nécessité et de la célébration. Et au mûrissement de la compréhension. Eclairé par la seule présence de l’attention.
Semences du ciel
Haute voltige du regard. S’immisçant en tous lieux.
Acrobate de la terre et du ciel. Immobile sur son fil. Se laissant caresser par le vent. Jouant avec les charrettes de phénomènes qu’il amène, pousse ici et là avant de les emmener ailleurs. Toujours indemne de tous les mouvements.
Regard décroché de toutes formes. Assis en sa source. Enveloppante et non localisable. Laissant s’étirer tous les mouvements. Jusqu’à leur épuisement. Témoin de toutes les naissances. Et de toutes les morts. Dégagé des collisions, des collusions et des déformations des mille formes de ce grand corps mouvant. Et jamais accusateur des ruses et des stratégies qu’elles fomentent pour assurer leur survie illusoire - dont elles se croient maîtres.
La fleur s’éveille sur le vieil arbre dépouillé.
En ton cœur s’éveille la joie de l’être que tu laisses à présent t’habiter. Après l’avoir comblé de tant de chimères et d’échafaudages. Comme autant de barricades avant le temps du grand ménage où le vent l’a dépouillé de l’inécessaire.
Présence nue. Dépouillée de tous désirs. De toutes intentions. Laissant jouer la perfection du monde à l’œuvre.
En tes terres, le ciel fait éclore les graines qu’il avait enfouies il y a très longtemps - une éternité sans doute - et que tu avais pris soin de recouvrir malgré toi cherchant partout la fumure adéquate, obstruant ainsi toute percée. Et la survenance de la lumière.
Remonte le regard jusqu’à son origine. Et tu trouveras l’espace que tu n’as jamais quitté. Tu t’étais seulement éloigné à sa périphérie, attiré et absorbé par les objets que tu croyais en dehors de toi-même. Mais tu comprendras que c’est toi seul qui les éclairais et leur donnais vie. Tu es ce regard et tout ce qu’il éclaire.
Ce silence fait d’ombres qui glace ton âme. Apeuré de l’inexistant. A l’affût de terroristes imaginaires. Soumis à la consistance et à la permanence de l’éphémère.
L’heure se creuse au-dedans. Exilé à la périphérie, tu végètes. Et te dessèches. Il faut te laisser mourir d’ennui et de nostalgie avant de renaître à toi-même. Au cœur de l’être. Au centre de l’espace non localisable. L’attention un instant se distrait, absorbée par le lointain et l’imaginaire. Laissons-la s’égarer. Se perdre. Elle reviendra vers son centre. Sa source. Sa demeure inaltérable pourvu qu’on ne la soumette pas au diktat de la volonté. Pourvu qu’on la laisse libre d’obéir à son propre mouvement.
Le souverain du temps ne craint ni les jours ni les années. Ni la vieillesse ni la mort. Il habite l’éternité.
L’éveil s’émancipe du temps.
Le cours des choses
Matière déformable à l’infini. Incessants entremêlements. Matière qui se répand et s’étend. Expansions, dilatations, resserrements, enchevêtrements, écartèlements, déchirures, émiettements, dissolutions. Transformations, évolutions, re-formations de la matière. Renaissances de formes indéfinies. Magma mouvant re-sculpté. Nature éternelle de la roche.
L’oiseau se courbe sous le vent pour laisser passer la nuit.
Sur la branche se réfugie le pingouin qui a peur des cachalots.
La vague se brise et retourne à l’océan. Avant de renaître un jour. Peut-être…
Aucune fin à l’espace. Tout s’insère en lui.
La puissance (l’énergie) n’a d’intention. Elle se répand et s’amuse dans l’espace.
L’herbe est aussi puissante que l’éléphant. Mais beaucoup d’yeux restent dupes…
Le cœur du jour (la plénitude) n’est accessible qu’aux va-nu-pieds. A ceux qui se sont délestés de tout. Mais pourquoi diable alors les pauvres cherchent-ils la respectabilité ? Parce qu’il faut d’abord avoir été riche (de cette fausse abondance) pour qu’elle perde tout attrait.
L’environnement est ton prolongement. Quand rien ne vous sépare, les résistances et les conflits cessent. Et sous Ton regard, l’Un se célèbre et s’amuse.
La liberté de la matière est dans la danse. L’immersion de chaque structure dans le mouvement. Et celle du regard lorsque la ronde n’a plus d’importance.
L’estrade attire les paons qui croient voir leurs plumes dans les yeux des foules.
La terre et le ciel s’abreuvent à la même source. Mais qui a étanché sa soif ? Celui qui la connaît y demeure impassible.
Le magma (la matière) se déforme en gémissant. Mais qui en connaît l’origine demeure silencieux.
Enracine ton regard à la source. Habite-la sans trace ni attache. Libre de toute volonté d’y demeurer. Et tu seras indifférent aux cours des rivières.
Le chemin intérieur débute à la périphérie et ramène toujours à la source. Au centre même de l’espace.
La sandale n’est jamais à l’abri du pied. Car elle en est le prolongement naturel. Comme le ciel est le prolongement de la terre. Toute matière est le prolongement d’elle-même. Et se tient toujours au sein du regard non-localisable.
Le regard ne s’atteint pas. Il s’habite quand il s’est désencombré de l’inessentiel. Le superflu alors vous quitte. Et ne reste rien. Et ce rien est le dernier pas vers le plein - la plénitude - que vous cherchiez vainement à atteindre par l’accumulation de l’accessoire.
Nulle trace n’est nécessaire. Nulle empreinte à suivre. Ni à laisser. L’art de l’éphémère. Laisser passer les mouvements. Passer sans trace.
Aussi vaste que l’espace. Aussi léger que le vent. Aussi transparent que la lumière.
L’art du furtif. Et du juste. Habitant léger de la seule permanence du regard.
Rien n’est nécessaire. Le corps a ses propres lois. Laissons faire l’intelligence de la matière. Naissance des formes, déploiements, déformations et transformations enfin. Danse perpétuelle des éléments. Combinaisons infinies. Mariage des contraires. Harmonies des déséquilibres. Merveille de la précarité. Puissance de la matière. Excès et manque.
Rien à montrer. Rien à transmettre. Rien à apprendre. Rien à enseigner. Etre. Silence. Plénitude. La célébration s’invite d’elle-même. A son heure.
Laisser s’éteindre les bruits. Les distractions et les désirs. Le silence sera le dernier invité.
Quand le silence s’habite, nul hôte n’est nécessaire.
Le silence demeure le plus puissant des actes. Et des enseignements. Mais peu le comprennent. Encore soumis au diktat du bruit, des besoins de compréhension et des désirs d’accomplissement impulsés par le mental.
Force (et puissance) du mouvement. Légèreté (et transparence) de la présence. Justesse de tout acte.
L’eau bleue des forêts serpente vers sa source. Et la rivière s’endort. Assagie.
Morceaux de terre démunis que délaisse la main sage.
Où va la brume que le vent dissipe ?
Vers le simple, tu te penches. Pour retrouver l’assise naturelle de ta condition. Et ta forme peut enfin se mouvoir avec aisance dans l’enchevêtrement du monde.
Plus tu te délestes, plus tu jouis de l’être. Mais inutile de renoncer, il suffit d’attendre que tout se détache. Alors l’être occupe tout l’espace. Imperturbé. Imperturbable. Souverain. Retrouvant le fief que l’on s’était malencontreusement octroyé.
La girafe ne peut habiter la banquise. Ni le pingouin la savane. A chaque forme correspond un environnement naturel (approprié) que l’instinct - conditionné par la forme elle-même - enjoint d’habiter.
On ne se sent jamais aussi seul que parmi les hommes. Au milieu des arbres, la solitude n’existe pas. Sous le ciel, la solitude n’existe pas. Parmi les bêtes, la solitude n’existe pas. Au cœur de la nature, la solitude n’existe pas. La solitude est une invention mentale - que renforce la proximité humaine - avec son lot d’images et de représentations.
Aucun frère ne peut te sauver de toi-même. Mais le monde - dépeuplé des hommes - peut te guérir.
Désapprentissage du vouloir. Familiarisation avec le rien. Education au simple. Et à la vie contemplative. Emiettement progressif des images et représentations. Développement du ressenti corporel. Diminution des pensées. Oscillations entre espaces personnel et impersonnel. Entre présence et personnage. Entre centre et périphérie de l’être. Approfondissement de l’écoute. Diminutions des résistances. Abandon à ce qui est. Liberté plus grande du personnage. Insertion dans les mouvements présents. Obéissance de l’action aux nécessités. A la célébration. Et même parfois au jeu.
On veut bien jouer. Participer au grand jeu de la célébration et de la nécessité. Jouer dans l’essentiel habité. Jouer à tout. Avec Tout. Et même avec frivolité. Pourvu que le jeu soit authentique. Mais on se refuse à jouer au jeu des faux-semblants et du mensonge auquel se livre le monde pour donner consistance à une existence qui en est dépourvue. On se refuse à jouer au jeu des images et des représentations fabriquées par peur de se regarder soi-même. On veut bien jouer dans le silence. Jouer par plaisir. Ou par résonance. Pour célébrer le monde, céder à un mouvement naturel. On veut bien jouer pour la joie. Mais pas par mimétisme aveugle. Pas pour plaire. Ou ne pas déplaire. Ni pour séduire. Et encore moins pour faire semblant. Et faire bonne figure dans les bals costumés où l’on se cache d’abord de soi-même. Où l’on camoufle sa misère derrière un masque par crainte d’être exclu par le regard du monde.
Tu aimes ceux qui ont affronté leur misère. Yeux dans les yeux. Et l’ont fréquentée suffisamment et avec tant de courage qu’ils ont appris à se moquer de ce que peut penser le monde. Ceux-là sont rares. Si peu parviennent à se libérer de l’image qu’ils voudraient voir briller dans les yeux alentour. Encore soumis au diktat de la représentation et de ses chimères.
La vérité a une épaisseur. Elle seule rend l’être consistant. Le reste est (au mieux) illusoire remplissage du vide. Et (au pire) camouflage ou habillage du creux…
L’heure écarlate s’émancipe du jour. Et la nuit a déjà révélé sa paix. Transparence des heures dénudées. La pointe fine du temps dissolu.
Là où le temps s’étire jusqu’à la rupture, l’abysse de l’Absolu. En surplomb du temps. Et des heures.
L’explosion de toutes métamorphoses. Jusqu’à l’anéantissement de la matière. Et l’éclosion du rien. Célébrant l’éphémère et le mouvement.
Le ressac du temps. Comme une gifle à l’instant - à la plénitude de l’instant. Qui laisse meurtri sur la rive des heures.
Immobilité. Un grand pas dans le silence. Habitant la demeure en paix.
Que veux-tu extraire de toi-même pour que le suc de l’essentiel (te) soit offert ?
La seule descendance : le rien. On laisse l’héritage du manque à ceux qui n’ont pas éprouvé la plénitude et la paix.
Le besoin d’amour n’est pas sans conséquence sur la naissance de la haine.
Au cœur des choses, nul mystère. Mais l’espace peut le découvrir. Et (te) révéler le centre de la demeure.
L’être, le rien, l’espace, le monde et le personnage. Un (seul et) même Tout.
Pierre taillée d’être
Sans gloire ni fortune
Debout sans aucun mur
Dans la forêt, une grimace
Et des masques de plomb
Le sourire vainqueur sur les lèvres
Des pierres taillées
Sur l’horizon de dunes
Toujours libre le chemin
La compréhension
Au sommet d’un cactus
Dans la dernière fleur
Eclose au soleil
Le monde est notre aire de jeu. Tantôt jardin. Tantôt décharge à ordures. Tantôt champ de bataille. Tantôt socle d’édification vers le ciel. Mais l’essentiel est ailleurs. A l’intérieur. Dans la maison de l’être. A la fois caverne et flamme vive. Sphère transparente qui accueille le monde. Et lumière qui l’éclaire.
Les marges (en particulier les marginaux de tous bords ou ceux que l’on présente comme tels) rappellent à la norme ses limites. Toujours dépassables. Et rarement dépassées.
On se consacre à l’être (tant que nous ne l’avons pas goûté) jusqu’à ce que l’être, un jour, nous consacre.
Certains jours, je n’ai goût que pour le silence. Un silence profond. Si vaste. Infini. Le reste ne me semble que farces et commerces. Et je répugne à m’y livrer.
Tout est silence. Silence - notre seule demeure. Notre seule identité. Qui se ressent. Et s’habite.
Il n’y a rien à partager. Hormis ce silence. Quant aux farces et aux commerces, ils sont la manifestation de ce silence. A la façon dont il s’habille d’énergie pour devenir perceptible et palpable à ceux à qui ne peuvent encore le voir et le sentir véritablement. On ne peut certes pas échapper à cette énergie. Je respecte les façons dont elle se manifeste bien que ces agitations énergétiques me semblent inutiles et vaines. Je ne m’y soumets que contraint, laissant ce que l’on nomme le corps, le mental et le monde suivre leur cours - leur marche futile et inepte. Je n’aspire, en vérité, qu’à ce silence. Qu’à entrer et me fondre en lui car il est - je le sais - notre seule réalité. Bien sûr, le mental ne peut comprendre la force irrésistible de cet appel et de cette réalité qu’il considère sans doute comme une folie. Mais la seule folie serait de ne pas s’y abandonner. Le reste – tout le reste – voilà la seule folie ! Le monde a perdu presque tous ses attraits. Le corps et le mental auxquels je m’identifiais tendent à les perdre aussi. Comme les images et les représentations auxquelles nous sommes, en général, attachés. Il ne reste presque rien. Et ce grand vide que d’aucuns appelleraient néant se remplit à présent de présence. Et de plénitude. Le désencombrement, à l’œuvre depuis des années, touche sans doute à sa fin. Mais rien n’est jamais définitif évidemment. Cela s’habite instant après instant. Et cela disparaît aussitôt. Remplissage et évidement quasi simultanés pour que le vide se maintienne offrant ainsi à l’espace d’accueil une ouverture permanente. Cela est vécu. Le ressenti se découvre pas à pas. Et l’exploration, si elle a lieu, se réalise à chaque foulée sans la moindre possibilité (ni la moindre envie) de savoir ce qui va surgir à l’instant suivant. Le territoire vierge semble se révéler ainsi. Toujours inconnu à chaque pas. Pas la moindre indication. Pas la moindre certitude. Aussitôt foulé, aussitôt disparu. Vécu habité de chaque instant. Impossible à fixer.
Les bras de l’Absolu
Caresses et brimades
En ton sein
Je nais et je meurs
J’aime tes odeurs de soufre
De quenelles et de mirabelles
D’égouts et de poubelles
Tes mousses, tes collines
Tes heures de paresse
Tes gares où l’on s’égare
Pour partir vers un ailleurs
Lointain et familier
Que l’on connaît par cœur
Jusqu’au dégoût
Et au désespoir
De ne pouvoir échapper
A cet inconnu
Que l’on ignore et piétine
Pauvre hère
Misérable et défait
J’aimerais t’habiter
Plus longuement
Plus pleinement
Comme un fou
Eperdu de lui-même
Comme un amoureux
Transi de froid et de misère
Et dans ton silence
Je me terre
A l’abri des bruits
Qui grondent ici-bas
Avec le vol des oiseaux
Et le bruissement des ailes de sauterelles
Je crépite du son du sol
Des entrailles de la mère qui nous a enfantés
Je me défais de l’ailleurs pour être là.
J’ai plongé dans le cauchemar
Qui m’encerclait autrefois
Lui ai fait face de toute mon âme
Et nous nous sommes
L’un et l’autre
Peu à peu délités.
Comme une fleur solitaire
Posée sur le bord du chemin
Indifférente aux passagers voyageant si loin
Simplement ouverte au ciel
Attendant sans attendre
D’être brûlée par le soleil
Sans ombre ni abri
Libre de toutes promesses
Laisse le vent
Défaire sa modeste parure
Seul(e) en ta compagnie, vois-tu qui tu es ? Demeure seul suffisamment longtemps. Et apprends à te connaître. Vois comment tu fonctionnes. Comment tu regardes, observes, apprends, raisonnes. Vois comment tu te parles. Vois ce qui t’attire, te révulse. Vois comment tu réagis. Observe ton propre univers. De quoi il se compose. Note ce qui t’est essentiel. Ce qui te semble superflu. Entreprends ce long voyage. Engage-toi. Et tu sauras qui tu es. La vérité se fera jour.
Ne cherche à comprendre par les mots et les images. Délaisse les concepts. N’engrange aucune connaissance indirecte (ou de seconde main). Découvre et apprends par toi-même. Défais-toi des maîtres et des enseignants. Sois le premier homme.
On ne fuit pas le monde humain (pas davantage qu’on le refuse). On s’éloigne (naturellement) des mirages qu’il offre et représente. Tout ce qu’il propose apparaît faux, illusoire, limité et inconséquent. Un monde de représentations inconsistantes. Et irréelles.
Ce qui est vrai est ce qui est ressenti. Rythmes, vibrations, résonances. Le reste est fiction. Imageries.
Pas de chemin. Pas de départ. Pas d’arrivée. Nulle part où aller. Nulle part où rester. La seule demeure est l’être.
Rien à chercher. Rien à trouver. Rien à apprendre. Mais un regard et une écoute impersonnels à ressentir. Et à habiter.
Pourquoi te caches-tu derrière le visage que tu crois avoir ? Débusque-toi. Et tu verras la supercherie.
Le jeûne du cœur honore et célèbre le rien.
Pleurs ou sourire
A la source du monde
Ton regard