Carnet n°239 Notes journalières
Tout est (presque) mort – en nous – sauf cette séparation monstrueusement vivante ; la puissance destructrice de l’homme – libre – libérée – partout à l’œuvre…
Tout semble plus fort que l’oubli – sauf à la fin – où tout reprend sa place ; mille tas de cendre et de poussière dans le néant – et cette lumière, au fond, qui éclaire l’espace vide…
Des pierres – autour de nous – qui tournent autour du centre – le cœur vivant du monde qui déplace de la pierraille – mille choses – des êtres et des visages – à seule fin de les convertir à la beauté – à la poésie – au silence…
Sur le fil qui traverse les ombres – des pas qui, à mesure de la marche, dissolvent le désir – l’espoir – la tristesse ; de plus en plus libre – de plus en plus démuni – peu à peu affranchi des rêves des hommes – des plus viles ambitions – de ce qui emprisonne l’Amour et la poésie – le plus précieux du monde et du langage – ce qui permettra, peut-être, à la lumière de devenir réellement vivante…
Entre nous – le sable des rêves – trop d’images – de cartes – de lois – ; le tracé trop noir – trop épais – presque indélébile – des frontières que nous avons fabriquées pour nous séparer du reste – nous octroyer les meilleures parcelles du monde – et bâtir, en fin de compte, le pire des royaumes – ce carré de terre que notre ignorance et nos ambitions ont, peu à peu, transformé en tragique (et pitoyable) mausolée…
L’obscurité de l’esprit qui nous conduit à toutes les pertes…
De jour en jour – de proche en proche ; mille gestes – mille coups de grâce successifs – comme une lente déperdition – jusqu’à la noyade (solitaire) au milieu de l’océan…
A demi-mot – le temps du rêve – le temps que le monde disparaisse derrière le réel et la lumière. Puis – lorsque tout sera fini et pourra recommencer (ou continuer) – nous serons capables de vivre – silencieux…
Lentement – au fil des ombres – grossissantes – le dos au mur – avec trop de pierres dans les poches – trop d’images dans la tête – l’âme encore pleine de désirs inassouvis – les yeux rivés sur l’horizon des promesses – jusqu’au dernier jour – jusqu’au dernier souffle – jusqu’à ce que l’on nous ferme les paupières…
Que restera-t-il demain – plus tard – de cet espace – de ce sourire éternel – si nous n’avons su les découvrir – comme un temps perdu – inutile – une absence (la nôtre) au cœur de la réalité…
La même chose – quels que soient les siècles et les millénaires ; ce qui demeure – sous les ruines et la poussière – sous les tours et les tas d’immondices – ce qui demeure même au milieu du néant…
Rien sur nos pages – moins (bien moins) que dans un seul geste…
Le nécessaire vivant – sans âge – comme le souffle vital – les battements du cœur – la seule empreinte humaine indispensable…
Le sommeil a beau fleurir – il n’y pousse que des roses noires – des crânes sans chair – des corps sans âme – un amas d’idées trop (bien trop) humaines…
Pas l’ombre d’une pierre heureuse – pas l’ombre d’un cœur joyeux – de la mort vivante – sans étreinte – sans poésie…
Pas même un regard sur la faim – sur les ventres et le temps…
Nous-même(s) perdu(s) en nous-même(s) – sans dedans – sans dehors ; l’apparence du monde et l’illusion du devenir – seulement…
Tout – toutes nos chimères – comme un peu de sable amassé – remué – transporté ici et là ; et, dans nos oreilles – comme un murmure – une moquerie – le rire du vent…
Monde incendiaire – et, sur nos lèvres, la même lumière…
Le silence dans nos paroles – tremblant sur le seuil – l’air frémissant…
Et le territoire de l’ignorance traversé – pas à pas…
Du vent sur les pierres – et, au-dedans, le souffle des âmes…
Des gués et des crêtes à franchir – des hauteurs et des envergures à apprivoiser…
Le même monde de part et d’autre de la vitre. Et cette immense fenêtre à ouvrir…
Ce que nous quittons pour une solitude en jachère – un carré de terre stérile – une neige parfaite – vierge de traces et de tentatives…
Et notre âme – après avoir tant tâtonné – immobile à présent…
Des mots – comme un goutte-à-goutte – une perfusion d’énergie et de lumière – pour l’esprit – la chair – le monde – endormis – enténébrés…
Une issue possible (peut-être) comme un peu d’eau jetée sur un visage aux portes du sommeil – aux portes de la mort ; une manière de tendre la main vers ce qui pourrait être sauvé – de s’affranchir de la nuit – et d’accompagner quelques âmes en sursis – gesticulantes – prisonnières de leurs propres territoires – de leurs propres frontières – de leurs propres sables mouvants…
Le temps d’une vie – quelques jours de frémissement – de froid – de peur – de joie – avec, parfois, un peu d’émerveillement…
Un élan entre présence et absence – providence et volonté. Des courants et, à la fin, une vague submergeante – comme un naufrage pour rejoindre l’inconnu – les profondeurs…
La matrice mystérieuse qui crache les vies pour les jeter sur le rivage…
Un jour – mille saisons – et ce que nous découvrons peu à peu…
Un monde rouge – avare de sentiments – distribuant la joie et le mérite – laissant dériver le silence au-delà de toute raison – nous faisant croire que les plus obéissants pourront, un jour, marcher sur l’eau – réaliser quelques miracles – transformer la terre en paradis – que le vide pourrait être peuplé de visages heureux et souriants – que le temps gagnerait à s’arrêter – que nous n’en sommes qu’au début du sacrifice – et qu’il nous faudra bien du courage pour achever cet étrange voyage…
Comme si nous avions – et comme si ce périple avait – une fin…
Nous et le monde – dans cette intimité sans partage – seul(s) en quelque sorte – dans cette douleur originelle – avec ses prolongements et ses ramifications ; des voix qui se croisent – comme les corps et les visages – à peine entrevus – et qui s’éloignent déjà – sans même se souvenir – comme si, en définitive, rien ne comptait…
Toujours le même silence – derrière chaque cri – derrière chaque plainte – derrière chaque prière – celui qui existait avant les déchirures et les manques…
Le vide et l’étreinte – au fond des yeux…
Des soubresauts dans la voix – les mêmes que sur les pages et les chemins – des lignes et des pas au-dessus de leur support – par à-coups – comme une discontinuité d’envols et de chutes – des secousses – des vibrations – une succession désordonnée – presque chaotique – de regards et d’aveuglements…
Dans le même silence – le hasard – les naissances – les adieux – ce que la vie restreint et ce qu’offre la mort – tous nos rêves et toutes nos expériences. Et ce fil qui serpente entre tout comme un chemin…
Trop d’absence – entre les gestes et les mots – quelque chose qui ressemblerait à la vie – un voyage chargé de mort et d’oubli…
Du bleu – dans l’âme et sur les pages – peu à peu apprivoisé…
Entre le rêve et la nudité – sans autre souci que l’extinction (naturelle) de la nuit…
La croyance en un seul voyage…
Le poème apaisé – autant que demeure la noirceur de la fièvre et du vent…
Avec des fleurs en contrebas – sensibles à toutes nos folies – à notre indigence et à nos murmures – signes que l’invisible nous est promis…
Ici et ailleurs – cahin-caha – comme la trajectoire des nuages…
Et, un peu partout, les promesses du ciel chargé de couleurs et de magie…
Une main qui caresse l’eau de la rivière – qui laisse la peau se transformer en écailles ; une âme qui ne saisirait plus – qui se laisserait aller à la liberté des courants – au hasard des itinéraires…
Comme le jour offrant sa couleur à ce qui est vivant…
De moins en moins obstiné au fil des passages…
Ce qui apprend, peu à peu, à s’effacer – à devenir ce que l’on veut – qui obéit aux circonstances – sans souvenir – sans intention – sans confirmer le monde – sans l’infirmer – sans légitimer les postures de l’Autre ou ce qu’il imagine être son identité…
Nous – influençant ce que l’on touche – jusqu’à l’effacement (progressif) de tous les noms…
Parfois – l’espace – comme un monologue – une longue tirade qui aurait inventé le monde – les bruits – les chemins – la souffrance. Comme une étrange parenthèse dont la naissance aurait été oubliée (par les bêtes et les hommes)…
Le mythe – et le récit – d’une longue étreinte – et aujourd’hui, en nous, le contact devenu presque abstrait…
La terre comme un lieu de substitution – un écho lointain de l’invisible ; de la matière comme acte premier – le préalable à la compréhension qui couronnera le règne – et la fin – de l’énergie la plus grossière – inévitable en ces temps de tentatives et d’expérimentation…
Une seule voix – dans le tunnel – parvenue jusqu’à nos oreilles – la manière de rejoindre le silence…
L’horizontalité partout honorée comme l’incontournable prélude du vertical…
Le trop-plein – l’efflorescence – la multiplication – comme gestes d’incitation au vide…
Le mouvement – et ses excès – comme avant-goût de l’immobilité…
Nous – dans tout – cette antériorité nécessaire à l’actualisation de tous les potentiels – de tous les possibles…
Nous et la puissance – dansant et dessinant ensemble le reste de la carte – son incessant et indispensable prolongement…
Les débordements même de l’infini jouant avec ses (propres) créations…
Ce qui persiste – et nos résistances…
Ce qui demeure – ce qui s’effiloche et ce que nous saccageons…
Le sens mystérieux d’un monde particulier – d’une étape incontournable dans cette évolution sans fin…
Le feu et la langue – ce qui, en nous, s’accomplit – le fond et la forme – une sorte de mélange – de synthèse – d’apparition…
Ce qui se transforme et nous métamorphose – jusqu’au vide…
L’épiphanie – comme la seule évidence…
Ce qui nous inverse – comme le lieu du départ – l’origine – l’instant du premier pas – avant que l’envergure ne colore les choses…
Ce qui est dit – comme un pressentiment – l’un des rares endroits où le silence et la langue sont interchangeables…
L’état limite du précipice – ce qui persiste avec le feu – sans doute…
Nous tremblons tous devant le monde – l’utopie – l’inconnu – comme la feuille blanche sous la main de celui qui écrit – éveilleur de lumière ou noircisseur de lignes…
Que découvrirons-nous derrière la perspective – la folie d’un Dieu thaumaturge – le désespoir d’un pauvre Diable esseulé – la bouche béante d’un néant auquel on est livré sans boussole ; quelque chose de l’homme, peut-être – comme des battements de cœur – un frémissement de l’âme – une respiration – nous-mêmes – nous tous – privés de nos masques et de nos déguisements…
A quoi ressemblerons-nous lorsque nous nous serons affranchis des Autres et de notre visage…
Quelle perception aurons-nous du temps – du monde – de notre figure sans miroir…
Utiliserons-nous encore la langue pour nommer et souligner les différences…
Aurons-nous encore un front pour penser et des lèvres pour dire…
Ou ne serons-nous plus qu’un grand sourire silencieux – un regard à peine surpris de nous voir encore – agir et recommencer…
Nous vivons à la manière des lucarnes – dans la croyance un peu folle d’une clarté – d’une indépendance – comme de minuscules fenêtres qui ont oublié l’espace autour d’elles et les yeux postés dans leur dos – incapables de comprendre qu’on peut les ouvrir et les fermer à sa guise…
Et malgré les apparences – et toutes nos fallacieuses impressions – nul ne sait – nul ne peut savoir – que le monde demeurera – à jamais – un long mur orbe et blanc – une vitre immense et transparente – un hologramme habillé par les couleurs changeantes du vide – avec nous (avec nous tous sans exception) au-dehors et au-dedans – pris dans les mailles entremêlées de l’illusion et de la vérité…
De la lumière – comme une graine volée à l’ombre – le clin d’œil des Dieux face à notre inattention – ce qu’il suffirait d’être au lieu de se tenir à distance – au lieu de (tout) commenter…
Une manière de faire brûler de l’encens au milieu du sommeil…
Le soleil dans notre enclos – le réveil des fleurs sur la peau du monde qui nous sert de sentier…
Des mains crispées sur leur seau – remontant du puits – cette eau qui émerge des ténèbres – du fond de la terre qui nous a fait naître…
L’ombre tenant l’ombre – ignorant qu’elle abrite le ciel – la chaleur – la source de vie – le mystère qu’elle tente de résoudre depuis toutes les hauteurs…
Debout contre le paysage – les pieds dans les profondeurs – patient – obstiné – dans l’attente d’un silence alchimique…
Le sort du monde entre nos mains…
Le ciel tantôt clair – tantôt rougeoyant – parfait reflet de notre âme instable – changeante – avec toutes nos croyances (de moins en moins utiles) au fond des yeux…
Nous – devant le même gris journalier – la surface du monde et de la peau – d’un seul tenant – au teint pierreux…
Avec deux oiseaux – en nous – aux ailes ardentes – enflammées – si robustes qu’elles portent tous les habitants de la terre au-dessus des nuages – vers des contrées à l’air moins vicié – vers des rives où l’on respire sans menace – sans le décompte fatal du temps…
A notre aise – en somme – là où nous ne sommes pas (pas encore) – là où le corps n’est plus nécessaire…
En nous – à demeure – où que l’on soit…
Des Dieux – en nous – qui ont tout dévasté – comme le seul viatique possible – poussé jusqu’à l’excès – jusqu’au chaos – jusqu’à l’anéantissement ; seule manière de se libérer – seule manière de renaître – seule manière de vivre à la hauteur du Divin…
Ainsi seulement deviendrons-nous d’innocents messagers – adeptes non dogmatiques du vide – du silence – des circonstances ; véritables vivants du réel – peut-être…
Le jeu du monde – sans préférence – sans hésitation…
L’harmonie et le désordre dessinés par l’Amour et la violence…
La conscience en actes – en mouvements…
La courbe qui détermine la trajectoire des pierres – des visages – des étoiles…
L’espace dansant avec lui-même – sur lui-même – en lui-même – indifférent aux rondes internes et antérieures…
Des meurtres grandeur nature – à la dimension du monde – à la dimension de l’homme – esquissés à la craie et réalisés avec le sang des Autres – ceux qui ne comptent pas – ceux qui ne comptent plus – ceux qui n’ont, peut-être, jamais compté – et que l’on sacrifie au nom d’idées – pour défendre ce que l’on estime être son territoire – pour des sphères construites depuis des générations – depuis des millénaires – au détriment (presque) toujours du ciel – du vide – du soleil…
Et, à la fin, quelles que soient les batailles – la durée (et l’intensité) des massacres – la victoire irréfragable de l’invisible…
Nous – dans le noir et l’hiver – sous le ciel – à attendre désespérément quelque chose dont (en général) on ignore tout…
De plus loin que le jour – la même origine – le même sacrifice apparent – la même âme qui se désagrège – en même temps que le monde…
Dans la compagnie malicieuse de l’espace…
Dans la compagnie secrète du silence…
Nous autres – tête à terre – sur des chemins que nous aurions imaginés moins sauvages – moins buissonniers…
Logique subtile du jeu et du dessein des Dieux – en nous – dans le désordre apparent de l’univers ; le reflet du vide dans la matière – quelque chose de courbe – entre violence et grandeur – entre feu et hésitation…
Le ciel et l’esprit à l’œuvre – parfois inertes et emmitouflés – parfois ardents et lumineux…
Nous nous querellons – nous nous attendons – nous nous enseignons – les hommes et les étoiles – les vivants et les morts ; tous – enfants de la lumière – fruits du monde et du rêve ; l’invisible incarné…
Nous – sur des chemins déserts et populeux – avec dans l’âme – sur le visage – imprimées toutes nos vies passées – l’histoire des siècles et, en filigrane, le mystère – l’élégance et la malice – du vide…
Une ouverture au-dedans – qui mène vers le ciel mystérieux – vers le ciel sans âge – par un escalier invisible de pierres anguleuses – tranchantes comme des lames – douces comme des mains de femme – sur lesquelles on trébuche à chaque pas – la tête – le corps – le cœur – entaillés – attendris – prêts à tout subir – à tout devenir – à s’effacer (sans la moindre hésitation)…
Ce que l’on vit – ce dont on rêve – à peu près la même chose…
Des percées dans la nuit – des trouées de lumière – notre (long) retour au pays natal – vers le centre de nous-même(s) – resté inconnu – resté grand ouvert – à retrouver – à redécouvrir – à réhabiter (pleinement)…
Amoureux du silence – au-dedans de ce regard impossible à saisir – impossible à entraîner hors de lui-même – qui nous laisse tantôt rêveur – tantôt interdit – sur cette mystérieuse passerelle immobile – sans autre ardeur que celle de vouloir vivre au cœur de la vérité – dans la justesse de la tête absente (devenue inutile) – l’âme sur le sol – totalement présente – dans chacun de nos gestes…
A genoux – dans la nuit – la tête sur tous les billots imaginaires – à vitupérer contre le monde – l’espace – toutes les impasses au fond desquelles on s’est acharné…
Découragé par le voyage – cette étrange aventure – angoissé au moindre virage – au moindre changement de visages ou d’horizon – les pieds plongés au cœur de l’incertitude et de la douleur – les bras qui gesticulent dans l’air – et la poitrine qui, à chaque instant, cherche son souffle…
Et l’âme – comme toujours – presque absente…
Rien qu’un mot pour dire si peu de chose(s) ; rien qu’un silence pour tout écouter…
L’acquiescement et le geste qui, peu à peu, remplacent la parole…
Le nécessaire davantage que l’inutile…
Et l’essentiel, bien sûr, en toutes circonstances…
Le sang du monde en toute question – et la réponse – comme une flèche qui transperce la chair – le corps – le cœur – en laissant la tête dans sa douloureuse interrogation…
Que pourrions-nous emprunter à l’Autre que nous n’ayons déjà…
Sur quelles autres traces que les nôtres pourrions-nous marcher…
Où pourrions-nous aller où nous ne sommes déjà…
Nul chemin – nulle parole – nul enseignement. Partout – toujours – le silence qui acquiesce – qui accueille ce qui vient – le soleil et l’obscurité – sans la moindre distinction – comme un Dieu sans exigence à la rigueur (pourtant) intraitable…
Orphelin perdu et criard – et parent de tout – et l’esprit qui se cherche encore – comme si Dieu pouvait se trouver hors de nous…
En soi – toutes les figures de l’être – le monde aux mille identités – l’origine aux mille têtes – ce qui nous encombre – ce qui nous fascine – ce qui nous encourage à chercher l’unité – l’au-delà des apparences – l’essence derrière le mirage et l’illusion…
Nous errons sur tous les chemins – à la recherche d’un chant – de lèvres – d’une herbe rare – d’un carré de tranquillité sous le soleil – le lieu exact où nous pourrions être – nous satisfaire d’être sans le moindre qualificatif – sans le moindre enjeu…
Ce qui nous attend – les armes déposées – le monde comme une botte de paille – quelque chose à effacer à l’intérieur…
La différence autour de nous – comme un reflet – mille reflets…
L’espace et le feu – au plus proche comme au plus lointain…
La lourdeur du monde déposée – lancée par-dessus la psyché…
La légèreté stricte de l’esprit – vide – pourvoyeur d’aucun élan – réceptacle seulement…
Tout – découvert – comme une nouvelle assise – une assise très ancienne – originelle sans doute – retrouvée – réhabilitée – enfin à sa place – au cœur de notre âme – au cœur de notre vie – au cœur de tous nos gestes – comme le tout – la terre et le Divin – combinés (et incarnés) de la plus juste manière…
Derrière les murs – les hauteurs – l’hiver dans sa beauté primitive – calme et reposante – d’une blancheur sans éclat – sans artifice – parfaitement naturelle…
Au loin – le bleu infini du monde et de l’espace – les lumières de l’océan – et, par contraste, l’obscurité de notre voyage – la vanité de ceux qui imaginent cheminer – explorer – se défaire, peu à peu, de la sueur et du sang – balivernes, bien sûr…
Le rôle du silence – essentiel – prépondérant ; l’assise provisoire du sol – la terre non comme origine – non comme ultime mausolée – mais comme socle de toutes les circonstances – de toutes les recombinaisons…
Le ciel – dans nos bras – comme une fenêtre – le périmètre non délimité du vide – la périphérie de l’Amour. Et – partout – de manière invraisemblable – le centre (multiple) du cœur…
Des chants et des prières – inutiles pour accéder à la joie – et indispensables après – comme une nécessité – une célébration – une manière de saluer (et d’honorer) ce qui est – comme auxiliaires des gestes justes et jubilatoires – de cette présence joyeuse – sans ostentation – discrète – sans extravagance – presque secrète – comme le parfait reflet de l’alliance de l’être au-dedans avec toutes les choses du monde – cette matière pesante – insoutenable parfois – qui nous écrase, si souvent – avant le passage mystérieux au cœur du sacré – partout répandu – partout éparpillé – jusque dans les moindres recoins de cette terre aux allures sombres et labyrinthiques…
Nous tous – dans l’apparente solitude du voyage…
Des marches couvertes d’invisible…
Des hauteurs en tous lieux…
Ce que nous prenons pour des ailes – illusion…
Ce que l’on considère davantage que soi – très souvent, la juste direction…
Comme des enfants malhabiles et turbulents installés (selon leur degré de sensibilité et de compréhension) sur les mille versants de la même montagne…
Un parcours qui surplombe la direction – le trajet de l’enfance – haut en couleur – imprévisible – à la destination imprécise – incertaine – et, à la fois, comme la seule évidence possible…
Ce voyage vers nous-même(s) – et ce que nous devons abandonner pour accéder au seuil suivant…
A demeure – vers le grand Ouest – parallèle au monde – parallèle au temps – dans les replis secrets de l’espace – là où il n’est possible d’entrer que dévêtu – affranchi de toute certitude…
Dans la demeure des Dieux vivants – secrets – invisibles…
Au cœur même du mystère – peut-être…
En retard sur l’arc-en-ciel – sur cette terre où tout se frotte – où tout s’oppose – où tout finit, tôt ou tard, par être ingéré par un Autre – plus grand – plus fort – plus rusé…
Des silhouettes de chair au milieu du sang et de la poussière…
Des têtes chargées d’images et d’idées…
Des âmes aussi lourdes que des wagons…
Tous nos bagages sur nos frêles épaules…
A traverser des rivières et des déserts – à s’éloigner, peu à peu, de ce qui nous ressemble – pour se rapprocher du plus lointain et redevenir ce que nous étions avant le premier voyage…
A l’angle même du ciel et de la terre – sur cette étrange ligne régulière – en alerte – attentif comme si pouvaient surgir, à chaque instant, des inconnus prêts à nous arracher la tête…
Le monde traversé en une seule glissade…
L’Amour au fond de nos poches secrètes – mystérieuses – si longtemps introuvables…
Des paroles comme une cascade continue. Le jour et la joie du poème – comme des lignes jetées de plus haut – de cet espace courbe qui épouse tous les gestes – tous les pas – les désirs les plus tenaces ; notre manière de lever les yeux vers l’inconnu et de nous offrir sans retenue à ce qui nous réclame…
Avec, bien sûr, l’infini – au fond de l’âme – déjà…
Quelque chose de venteux – comme un passage – des profondeurs fascinantes – une phrase – une vie – interrompues…
Le déclin de toutes les surfaces et la persistance du mystère – au-dedans…
Nous – dans le bleu – les yeux fermés – comme un indice – le seuil de la zone d’inconfort…
Parfois – du côté du monde – parfois – de l’autre – une manière d’y voir clair – de s’abandonner aux forces insoupçonnées du vent – de rejoindre l’indéfinissable – puis, de se laisser dévorer…
L’œil et la couverture transparente…
En toute chose – le même élan – la même semence – le même itinéraire – la même destination – et le même sempiternel recommencement…
Derrière les grilles – des boîtes – quelques paroles – quelques chants – la tristesse des visages – des rires pour ne pas trop désespérer ; le monde entier avec tous ses mythes – toutes ses fables – et assez de rêves et d’espérance pour ne pas succomber (trop facilement) aux attraits de l’ailleurs – aux attraits de la mort…
L’univers sur nos genoux – à travers l’esprit – devant nos yeux – variable comme ses reflets – comme ses couleurs – sans appartenance – qui s’offre à celui qui le désire – qui se lègue à tous ceux qui gravitent à l’intérieur…
Une manière – pour tous – d’exister (un peu)…
Chacun – sous quelques tuiles – à défricher avec peine sa partition – à s’interroger sur la place à occuper – sur le territoire à défendre – sur les contenus d’existence les plus judicieux…
La tendresse du jour attendu – dans un claquement de doigts – après les forces printanières – les yeux qui se fixent – les âmes qui s’entrouvrent – les peaux qui se touchent – lentement – dans un ravissement soudain – brusque – un peu sauvage…
Comme un long regard derrière la vitre qui, brusquement, l’explose et la traverse (littéralement)…
Nous vivons – ensemble – dans le prolongement des fleurs – seul(s) – en désordre – comme si rien ne pouvait être éprouvé – dit – sans aussitôt rendre tout caduque – nous contredire…
Simplement être – sans avoir l’impression d’expérimenter et de devoir témoigner…
Dans la spontanéité (naturelle) de la rencontre…
Comme si rien n’existait (vraiment) – comme si rien n’avait d’importance…
Nous autres – comme deux ailes fatiguées – dans la neige – qui cherchent celui à qui elles appartiennent – celui qui pourrait en faire (bon) usage – et devenir (ainsi) le maître des envols ultérieurs – successifs…
Le ciel – comme un rideau mal tiré – et qui laisse deviner la profondeur de l’immensité derrière le bleu apparent…
La terre – comme un sol gelé sur lequel meurent tous les pas – toutes les vies…
Rien qui ne soit infaillible sur tout ce blanc – dans cette transparence vers un ailleurs, si souvent, imperceptible – si souvent inaccessible…
Le monde et l’inespéré…
En définitive, pas grand-chose dans la lumière…
Un sourire – immense – existe derrière tous nos visages – qui cherche, bien sûr, à les remplacer – un par un – à révéler ce que l’on devine chez chacun – cet espace de joie que la plupart ignorent – ont quitté – ne soupçonnent pas même chez eux…
Un peu de gris – la bêtise qui s’obstine…
Et quelques lignes pour punaiser le vide sur les fronts…
Une besogne – un labeur – comme tous les autres – inutiles…