Carnet n°162 Nous et les autres - encore
Journal / 2018 / L'intégration à la présence
Vêtu du plus simple que le monde nous ait offert…
Nous dirons encore – nous dirons toujours – entre silence et nécessité – ce qu’est l’homme – ce qu’est le monde – et ce pour quoi nous sommes nés…
Du côté du simple, du discret et du silence – définitivement…
Ni bruit, ni arrogance – quelque chose comme une fragilité – un équilibre – entre l’innocence et la certitude de l’infini…
Un jour, peut-être, au fond de la voix – cette blancheur de l’âme – et ce cri comme un murmure pour dire (enfin) la venue du silence. Avec, dans le regard, cette bonté et cette malice des yeux qui savent…
Ni bruit, ni arrogance – quelque chose comme une fragilité – un équilibre – entre l’innocence et la certitude de l’infini…
Nous dirons encore – nous dirons toujours – entre silence et nécessité – ce qu’est l’homme – ce qu’est le monde – et ce pour quoi nous sommes nés…
Se souvenir ? Pourquoi faudrait-il serpenter entre les failles de la mémoire pour retrouver une chose – un visage – un monde – qui n’existe plus que dans notre tête ? Pourquoi refuser de vivre virginalement le présent – sur ce fil à la stabilité impossible – sans le fardeau du passé qui toujours encombre l’innocence du regard ?
Un peu d’épaisseur dans la transparence – comme les reliquats des bruits du monde et de l’âme qui, en nous, refusent l’abdication. Aussi solides qu’un restant d’orage dans le ciel – aussi persistants que le gris dans nos vies si peu joyeuses…
Des excès encore, parfois, dans l’absence – et des partages insuffisants. Des pauses et des postures dans la vie présente. Quelque chose au goût d’avant avec ses doutes, ses peines et ses élans. Le même cirque, en somme, à quelques nuances près, que le cœur des hommes – que la vie des Autres – inexorablement plongés dans le désir et la mémoire – posés en équilibre sur le fil de toutes les précarités…
La nuit – un peu partout – sur les murs – au fond des yeux – au milieu des rêves – derrière l’infortune. Au cœur de toutes les tentatives pour échapper au monde et rejoindre le meilleur – l’après – le plus enviable. Tout ce qui traîne dans la boîte humaine – ces peines et ces exigences que les sages ont abandonnées au gré des vents sans se soucier ni des lieux, ni des visages qui pourraient être contaminés…
Vêtu du plus simple que le monde nous ait offert…
L’esprit de l’homme se tient quelque part – entre l’aube et le sommeil premier (le sommeil originel). Dressé jusqu’aux vitraux des plus hautes cathédrales – jusqu’aux étoiles – il célèbre la nuit et l’abîme – si étranger(s) au jour – que nos yeux et notre âme, pourtant, appellent désespérément (depuis la naissance du monde) du fond de leur fossé…
Ce que nous érigeons, bien sûr, prête à sourire. Mais comment rester silencieux – et les bras ballants – lorsque le monde et ses danses promettent un peu de joie à ceux qui emboîtent le pas des foules – à tous ceux qui rejoignent la cadence de cette marche forcenée… Sans doute, faudrait-il être sage – mille fois plus sage que ce que les hommes attribuent communément à l’homme sage – pour laisser le monde et nos foulées nous immobiliser dans le plus fertile silence…
Celui que nul ne remarque – et qui tient dans une main quelques restes de l’ancien temps – quelques reliquats humains – et dans l’autre la corbeille du silence où viennent mourir tous les bruits – et toutes les tentatives – du monde…
*
Nous croyons que ce que nous possédons* (et ce qui nous accompagne) est précieux. Comme si nos bagages pouvaient nous sauver la vie – ou nous sauver la mise… Au mieux, bien sûr, ils nous aident à vivre plus confortablement…
Nous ne sommes ce que nous portons. Nous sommes bien davantage ; selon les postures et les circonstances – quelque chose entre presque rien et l’infini…
* Ce que nous croyons posséder…
Nous allons vers les hommes avec les mains sombres et l’âme lumineuse. Comme une terre timide – un amas de sable, peut-être, qui porterait en lui un soleil secret…
Tout s’inscrit à l’envers du silence – sur ce versant du monde que nous imaginons plus réel que les autres – là où la raison et le langage aident à la fouille et aux danses qui creusent leurs sillons à même l’expérience en célébrant la multitude et l’opportunité. Mais s’y engager corps et âme revient à oublier une dimension essentielle – une dimension fondamentale – de l’existence où le cœur est libre des rêves et des désirs – et où l’œil est seul – joyeusement solitaire – pour contempler ce qui passe – et qui croit, si souvent, briller sous la lumière (si factice) des étoiles…
Tout (nous) arrive – éminemment simple – et se complexifie en traversant notre chair et notre tête. Devient – presque toujours – grilles, souvenirs, maux et malheurs – survenance du pire, parfois – sacrifice et perte de toute forme de beauté…
Et dans cet entassement, l’âme est comme une fenêtre qui redonne – qui peut redonner – au visage et aux circonstances la simplicité du jour et la splendeur des origines autant que la possibilité d’un regard non corrompu sur ce qui passe – sous nos yeux et dans notre existence…
Tout s’inscrit – toujours – quelque part – sur le sable de quelques âmes – ou sur les pages de quelques livres. Mais le dedans – toujours – reste pauvre – noir – immense – insensible, au fond, à tout artifice. Et, pourtant, tout y sombre – jusqu’au moindre bagage – jusqu’à la folie du monde – jusqu’au sommeil le plus profond…
A travers tout – le rien indéchiffrable – et la main du monde si laborieuse – si appliquée – pour amasser et entasser les choses – pour décerner des titres et des médailles – et édifier mille pyramides à la base, presque toujours, méprisée. Et qui feint d’ignorer tous les crimes et tous les drames commis au nom de l’homme – au nom de la prospérité et du progrès…
Du côté du simple, du discret et du silence – définitivement…
On ne peut échapper à l’individualité et aux expressions singulières – ni s’en affranchir – excepté dans le silence et l’effacement qui laissent s’exprimer toutes les manifestations – tous les besoins, toutes les exigences et tous les commentaires du monde…
Entrer en soi consiste à s’abandonner à ce qui surgit naturellement – spontanément – circonstanciellement – et à s’élever (dans le même temps) en surplomb du monde, des êtres et des choses – bref à être, à vivre et à agir en maintenant son attention et sa présence au cœur du regard silencieux – profondément acquiesçant – et en laissant libres les gestes, les pas et les paroles quels que soient les situations, les événements et les circonstances…
Fermer la fenêtre du monde comme l’on clôturerait un champ immense de regards, de gestes et de paroles inutiles pour plonger dans le vide qui nous appelle (et nous attend) – au cœur de l’inconnu que nous sommes – comme le monde – tous autant que nous sommes…
Et si la vie – les gestes et les pas – l’histoire, les événements et les commentaires – de chacun ne révélaient, en réalité, que l’indigence de tous face au même mystère – et la tentative imparfaite – si souvent maladroite et infructueuse – de percer le secret commun…
Nous n’écrivons plus (comme autrefois) pour nous faire connaître – mais pour disparaître de façon toujours plus subtile et radicale…
Vivre avec évidence le moins vivable de l’Absolu – et avec le plus tangible – et le plus essentiel – de notre vie…
Les poètes – comme tous les hommes raisonnables – se moquent des foules, des clans, des familles, des couples – de tous les groupes constitués. Pour faire entendre (et faire résonner) leur parole, ils savent qu’ils doivent s’adresser à chacun – et faire vibrer ce qu’il y a à la fois de plus intime et de plus universel dans le cœur – et au fond de l’âme – de chaque homme…
Et les plus obstinés – ou les plus fervents – invitent, dans leurs livres comme dans leur vie, leur entourage et leurs lecteurs à appréhender l’existence et le monde comme le premier homme…
Une fenêtre existe quelque part – où tout est donné – offert puis repris dans sa chute – où ce qui nous accompagne – et ce qui nous blesse – viennent faire ce pour quoi ils sont entrés dans notre vie – et enflammer l’âme, bien sûr, dans son besoin de franchissement…
Ciel, âme et destin – à mesure que nous passons – eux aussi s’effacent pour laisser place au grand vide – à l’impérieux silence – dans lequel tout naît et prend fin…
Des existences et des signes – infimes – dans cette misère et cette bonté. Quelque chose comme une porte dans la lumière et les remous. Un infini, peut-être, au milieu de l’âme – au cœur de toutes les vies – au fond de toutes les tombes. Et ce vent qui persiste au-delà des visages et de la mort…
Ni emprise, ni conquête, ni dégât. Un peu de rien – simplement – sur le sable. Quelques lambeaux de chair, un peu de sang et un souffle provisoire – un peu de poussière, en somme. Et la même réponse – ce qui demeure – toujours – à travers les âges – à travers les siècles. Un parfum – un goût, peut-être – d’indicible au cœur de ce qui (nous) semble si insupportable…
Rien – de la matière et du bruit. La construction de quelques tours et l’invention du langage. Mille projets, mille édifices et mille aventures pour tenter de surmonter notre incapacité naturelle à vivre et l’impossibilité de se faire entendre. Et ce que l’on espère encore atteindre du bout des doigts…
Brisés – comme l’apparence – cette faim et ce besoin, si ancien, de fortune. Vaincus ni par la force, ni par la foi – mais par la nécessité de devenir réellement un homme…
L’œil et le bois – la chair et la matière – comme l’or et le sable – habitent le fond des rivières et ces grands espaces surpeuplés où l’on pense, trop pesamment, à demain…
A s’égarer dans cette nuit née du jour le plus ancien où exister consistait ni à survivre, ni à chercher une issue (comme aujourd’hui) mais à tenir le plus vrai au milieu du sang – au cœur même des yeux grands ouverts sur la tristesse et l’inconnu…
Quelle option s’offre aux hommes sinon celle de l’écartèlement entre les remous, les élans, les mugissements et le sortilège…
Mille visages – mille rivages – mille rencontres nouvelles – jamais ne changeront la donne. Tout est né des désirs et du besoin de recommencement. Aucune arche ne sera jamais assez grande – ni assez belle – pour combler le manque de l’homme. Mais l’arrière des yeux – ce lieu où se loge le regard – peut transformer la faim et la nécessité en silence – et l’homme et le monde en espace d’acquiescement – en aire d’accueil et de liberté – pour que la joie, partout, remplace le malheur et la tristesse – pour que l’innocence, partout, remplace la ruse et le commerce – pour que la justesse, partout, remplace l’hésitation et la maladresse…
Nous sommes – bien sûr – ce que nous ne pourrons jamais ni trouver, ni inventer…
Entre voix, chaos et silence – ces pas feutrés et ces gestes discrets – et ce sourire que nul ne peut offenser…
Il n’y a nul endroit où vivre autrement. Nulle paix – et nul visage à rencontrer. Il y a le ciel, la lune et le lieu où nous vivons – il y a la fenêtre, quelques feuilles blanches et mille poèmes. Et le secret que distillent nos lèvres – et nos livres – à la moindre occasion. Et ce silence qui vaut tout l’or – et toutes les exaltations – du monde…
A découvrir ; ce qui chante au-dedans du sang – au cœur de la glaise – au-delà du monde. Et dans ce grand silence posé au fond de l’âme…
Tout arrive à celui qui sait vivre dans la boue – le sourire aux lèvres. Tout même pourrait lui arriver sans qu’il ne bouge un cil. Comme un grand soleil au milieu des vents – au milieu de la pluie – amoureux toujours de ce qui s’avance vers lui…
Ce qui respire en nous est bien davantage que le souffle – le silence de l’âme, peut-être, parmi les blés – parmi les visages – qui a su acquiescer aux exigences du ciel et à toutes les nécessités de la terre…
Pourquoi essayer encore de dire alors que les hommes ont dévoyé – et perdu peut-être – l’usage le plus noble du langage et l’écoute nécessaire ? Parce que le silence règne – et régnera – toujours parmi les lignes – dans les voix – et au fond des âmes courbées – penchées sur leur labeur et leurs mensonges…
Quelque chose d’incompréhensible – comme une voix dans la nuit – la persistance du silence dans les plaintes et les prières. La vie et l’espoir au cœur de la mort et de la misère. Cette faiblesse humaine – si belle et périlleuse – à vivre dans la proximité du monde et la compagnie des hommes…
Tout s’agenouille, à présent, devant nos blessures qui nous donnaient, autrefois, des airs de blessé – de mendiant – de naufragé existentiel. Aujourd’hui devenues source de toutes les promesses – comme de l’or – un peu d’or – découvert au cœur des veines – au milieu du sang…
A plat ventre dans ce bain de chair – entre l’attente et le silence – à offrir mille gestes – et mille paroles – similaires au fil des saisons. Avec l’âme – à genoux – à nos côtés – pour défaire notre chevelure et nos rêves encore trop serrés parfois – et portés comme un casque – et tombé (presque entièrement) aujourd’hui à nos pieds. Comme un pas – une danse – sur ces chemins où le souffle et les élans, autrefois, s’emmêlaient à la mélancolie et à la crainte de voir l’horizon se métamorphoser en sable – en trou – en puits – qui aurait immobiliser notre marche. Et vaincu, à présent, dans cette extase qui ressemble tant à la mort…
Ne plus chercher. Découvrir la profusion des demandes et des réponses. La vie au goût de récompense. Les délices de la marche. Et l’attention du silence…
Et fouler encore ces terres parmi ces visages si mortels. Sentir l’orgueil et tous les délires disparaître. Et humer dans l’air nouveau ce souffle puissant – cette impérieuse nécessité de l’effacement…
La solitude – comme l’exaltation d’un chant intérieur. Et le recours nécessaire au silence pour échapper à la folie ordinaire des hommes. La faim pour initier le voyage. Et l’Amour pour clore le chemin…
Moins qu’un visage – moins même qu’un nom – cette tendresse du regard qui décrypte la sagesse des mouvements et décèle partout la même nécessité : le pardon, l’Amour et le silence. Et la beauté du vivant qui s’acharne dans son exploration…
Un pays d’arbres et d’oiseaux – un pays de bêtes et de poèmes – un pays de livres et de silence. Et ce petit roi discret assis sur son trône de terre – si humble – sur cette pierre où il fait bon vivre loin du monde et des hommes – à chanter tout le jour – et à répandre le plus vrai (peut-être) – en veillant, sans rien exiger, au plus près du mystère – les gestes justes et la tête hors du mensonge…
Tout s’apparente à l’Amour. Mais la lumière nous semble si lointaine – si retranchée derrière les illusions – que nous avons posé quelques rêves au milieu des étoiles pour oublier notre parenté – et l’ascendance du monde…
*
Tout, sans cesse, s’efface ; histoires, titres, réalisations, succès, mérites, postures – balayés au profit de l’être – et de ce qui est (dans l’instant) – qui, eux aussi, bien sûr, disparaissent pour renaître l’instant suivant – chargés ou non de tout (ou d’une partie) de ce qui a composé le (ou les) instant(s) précédent(s). Comme si le seul règne – et les seules lois – étaient ceux du passage et de ce qui demeure infixable dans le déroulement apparent du temps…
On aimerait être – et vivre sans blesser quiconque – ni rien endommager. Mais voilà chose impossible, bien sûr, puisque le corps – et le psychisme associé – appartiennent à ce grand tout dont tous les éléments (sans exception) échangent, s’alimentent, se détruisent et se recombinent de façon permanente.
La seule option consiste, évidemment, à habiter le regard en surplomb – la présence silencieuse – qui ne s’identifie ni aux êtres, ni aux choses, ni au monde – à aucune des formes de l’univers objectal amenées inexorablement à disparaître…
*
A deux doigts du miracle – ce visage et cet espace (enfin) prêts à se rencontrer…
Ce qui sied à notre âme ; ce silence et cet Amour qui apaisent – et recouvrent – nos plaies pour rendre notre visage aussi lisse qu’au commencement du monde – lorsque les hommes n’avaient encore inventé ni les rêves, ni les étoiles…
Du vide – du vent – des cris ; toute la genèse – et toute l’histoire – du monde…
Il n’y a de plus beaux rivages que ceux où l’on vit – et célèbre – en silence. L’Amour vissé au cœur – plongé dans l’âme – agenouillé, partout, devant ses infimes cathédrales…
Seul – encore – parmi toutes ces mains du monde un peu folles – occupées à jouir – et à se satisfaire – de quelques restes d’étoiles…
A demi-mot toujours – comme une parole timide qui n’ose encore s’estomper…
Tout devient givre – douleur – à distance de soi. Tout s’éparpille et se désosse – excepté l’illusion, le manque et la faim qui se renforcent et s’intensifient…
Tout s’écarte, à présent – jusqu’à la première ombre qui voila le mystère. En équilibre entre l’Amour et l’incertitude – sur ce fil qui traversa (non sans peine) le doute et le chagrin – et l’espoir de trouver une autre issue à l’inquiétude…
Nous tissons entre la page et le silence – quelques mots – quelques lignes – quelques copeaux de vérité pour tenter de dire l’indicible…
Tout passe dans nos vies mouvementées (et si immobiles pourtant) – accrochées à mille habitudes – à mille certitudes – épines recouvertes de velours pour atténuer les piqûres et les déchirures – et tenter d’offrir au voyage – aux passages – à l’éphémère – une douceur lénifiante et une forme illusoire d’éternité…
Comme des taches de doigts – une explosion – sur l’invisible. Mille mots – un cri solitaire – lancés contre la pluie – contre le temps et la mort – pour apaiser cette ivresse de vivre (presque) inconsolable. Comme un écart dans les tourbillons désespérés de l’âme. Un peu de poussière, en somme – comme tout le reste – dans le silence…
Tout nous trompe – mais les ténèbres – comme le ciel – sont là – intensément présentes. Et la vérité – toute nue – si fragile – si innocente – se tient partout derrière le rêve et le mensonge…
L’illusion – comme l’apparence – ne sera jamais qu’un décor – un couloir à traverser – une porte à pousser – un seuil à franchir – pour découvrir l’autre face du monde – notre vrai visage derrière celui – plus familier – que nous arborons, de façon si machinale, au quotidien…
Des rêves et des rivages par milliers – et autant de pas et de regards sur l’écume – l’apparence du monde. Et cet Amour et ce silence – invisibles – partout – dans tous ces lieux où nous nous échinons à marcher – à bâtir – à jouir et à exister un peu – pour tenter d’échapper au néant…
Nous ne sommes ni la pierre, ni le monde – mais la distance qui nous sépare de tous les visages – cet espace où tout se retrouve et se rassemble. Un regard – comme un abri non contre la douleur mais contre l’illusion et le mensonge de la séparation. Un ciel – un océan – où vivre peut (enfin) perdre ce goût de larme – et engendrer le sourire et le pardon – l’esquisse d’une sagesse, en quelque sorte, au milieu de tous les passages – au milieu de tous les naufrages…
Tout se crie ou se murmure. Mais rien – jamais – n’est entendu. Chacun n’écoute (bien sûr) que ses propres mouvements – que ses propres rengaines. Et nous passons ainsi notre vie à répéter – inlassablement – les mêmes gestes et les mêmes paroles…
Et l’on voudrait nous faire croire qu’il est essentiel de participer au monde (humain) – et de contribuer au vivre ensemble…
Ah ! Dieu ! Que non ! Qu’il est bon et sage – et même vertueux – de demeurer seul(s)…
Tout est endormi à présent. Ce que l’homme portait comme une ardeur est aujourd’hui (presque) entièrement dévolu au progrès et au confort – au grand sommeil du monde et des âmes…
Rien que des luttes et des postures – pour ou contre – et mille commentaires inutiles – mille avis – mille jugements – mille « j’aime » et autant de « je déteste ». Mille gestes et mille paroles qui jamais ne sauveront le monde – ni n’effleureront la moindre vérité…
Tout – presque tout – semble absurde ici-bas. Et, pourtant, derrière l’arrogance et la misère – derrière l’ignorance et l’adversité – derrière l’indifférence et la passivité – derrière la résignation, l’incompréhension et l’effroi – quelque chose – un peu de silence – un peu d’innocence et de beauté peut-être – tente de percer la bêtise et la maladresse pour naître au monde…
Nous ne serons – à jamais – que nos propres bourreaux…
Terre et cœurs aussi froids que la neige – et aussi tristes que la nuit. Et cette merveille au-dedans de la chambre – au-dedans du regard – qui cherche entre les plaies et la douleur un peu de lumière…
Là-bas – au loin – au-delà des vieilles pierres – derrière le ciel noir et ces rives fiévreuses – nous avons découvert le silence, le chant et la prière – et le monde aussi beau et prometteur que cet espace aperçu, un jour, à travers la fenêtre de l’âme…
Et nous attendons aujourd’hui, sans trop d’impatience – mais le cœur (un peu) désespéré – leur point – leur champ – de convergence – le jour de leur possible coïncidence…
Tout – au fil du temps – au fil des jours et des siècles – finit par devenir sinistre et douloureux. Et, pourtant, tout au long de notre vie, nous essayons de lutter contre cet écroulement progressif et cet effondrement final – inexorables, bien sûr – comme si nous ignorions que leur acceptation initierait notre marche vers l’innocence – nos premiers pas, en quelque sorte, vers le silence…
Absent(s) – d’un jour à l’autre – au cœur d’une nuit faite, sans doute, pour durer encore des milliers de siècles…
Et nous autres qui marchons sans vraiment savoir où poser le pas – ni quel chemin emprunter… Perdu(s), en somme, au milieu du noir – encerclé(s) par l’atroce indifférence des visages…
Tout ce qui vit – se perche – se penche – se glisse – et se débat – tente d’exister un peu – et de gagner sa place – son infime place au petit paradis de l’ignorance…
Nous n’aurons vécu, à vrai dire, qu’au milieu du silence sans jamais savoir comment le rejoindre et l’habiter…
Il faudra, sans doute, attendre la tombe pour nous voir ressusciter – et devenir enfin vivants – plus présents – plus silencieux et solitaires – qu’au cours de cette existence où nous nous serons tenus l’âme et la main mendiantes – entre fierté et ignorance – au milieu de la peur et des visages – à fouiller partout – à vivre n’importe comment – à quémander n’importe quoi – et à fréquenter n’importe qui – pour tenter d’échapper (un peu) à la misère…
D’épreuve en épreuve – à tenter notre chance…
Tout passe – s’agite – s’enfonce et reflue sans cesse. Comme un souffle – mille souffles. Toutes les respirations du monde – et la suffocation de chacun…
Demeurer nu(s) et silencieux parmi les bruits – tous ces bruits d’effondrement, de prestige et de volte-face. Juste(s) et sage(s) parmi toutes ces postures et ces tentatives…
A se consacrer au silence et à la vérité – nés de la chute et des éboulis – autant qu’à la nécessité de dire*. Vivre, en quelque sorte, dans le vide autant que le visage tourné vers le monde. Au centre de soi où tout est révélé et proposé – affranchi(s) de toute forme d’attente et d’exigence – pour demeurer attentif(s) à toutes les voix – et à toutes les possibilités – de l’innocence autour de soi…
* et de témoigner de la métamorphose des yeux en regard…
Tout se devine parfois – la substance, l’obstination et le silence en jachère. Ce qui s’enfouit comme ce qui s’évapore ou s’envole. Le joyau et cette nuit – immense – qui a tout recouvert…
C’est avec la même main – et la même âme – que nous guidons et flagellons le monde – que nous laissons le ciel se dessiner sur nos pages – et que nous implorons les hommes de mettre fin à leurs dérives et à leurs excès. Mais notre voix – comme celle du silence – n’est pas (encore) entendue…
Nos étreintes ressemblent à des mains fébriles – soumises au désir et au besoin frénétique de l’assouvissement – qui agrippent un peu d’eau et de sable. Et à l’heure de la séparation, il n’en reste pas la moindre trace. Quelques larmes – à peine – sur nos joues – où se mêlent la tristesse et la frustration. Et cette solitude – si nécessaire aux véritables rencontres…
Tout se fend – et s’effrite – jusqu’au rêve – jusqu’à la chair – jusqu’aux frontières qui nous séparent…
Tout s’emballe – se déballe – se remballe – le temps d’un soupir – le temps d’une vie – le temps d’une larme…
Plaines et collines désertes – dépeuplées – ces lieux d’autrefois où les pierres et les visages s’abreuvaient à la même source. Où l’origine était claire – posée à même le silence. Tout alors demeurait et surgissait. Tout alors avait cette couleur indéfinissable de l’enfance…
A présent, tout s’abîme – et s’essouffle – au milieu de nulle part…
Tout vient – tournoie – et se dérobe. Donne le sentiment de nous appartenir l’espace d’un instant – célèbre sa gloire (éphémère) puis repart – happé par la nuit et le néant – par le désir de toutes les foules…
Rien ne se laisse entendre. Tout a déjà été dit – épelé – défini – quantifié – définitivement. Comme si ce mot – tous ces mots – avaient quelque valeur. Comme si le vivant, depuis sa naissance, était privé de la possibilité d’ascension. Comme si nous refusions encore d’être le fruit des mille baisers – et des mille étreintes – de l’énergie et de la vacuité. Comme si nous étions seul(s), en fin de compte, à vouloir découvrir la vérité – ce qui compte peut-être – derrière la vitesse et le mouvement apparent…
L’être et la main – le monde et le regard – tournoient de fable en fable – d’histoire en histoire. Âme dans le jour – âme dans la nuit – précipitée tantôt sur la terre, tantôt dans le ciel – sans rien voir – ni rien comprendre aux peuples et aux étoiles. Au bord de toutes les haleines – et au cœur de ce souffle qui nous rend – si provisoirement – et si passionnément – vivants…
Nous avons soif – nous avons faim – et à peine quelques décades à vivre pour comprendre – et retrouver la source de tous les désirs et de toutes les nécessités…
Se faire l’instrument honnête – fidèle – impersonnel – du mariage entre l’ardeur et l’invisible…
Une nuit – à peine – quelques heures peut-être – à récolter ce que les hommes délaissent – à rehausser ce qu’ils abaissent – à faire revivre ce qu’ils ont anéanti pour le plus grand malheur du monde…
Nous entendons les peuples – les rumeurs de la terre – la poussière et quelques étoiles rouler dans l’air – et la folie, comme l’eau des rivières, inonder tous les rivages dans sa course fébrile vers l’infini…
Tout se fissure – et nous n’avons qu’un seul point de passage à découvrir pour traverser tout ce néant…
Nous croyons vivre mais nous survivons en paradant les joues en larmes – et l’âme en feu – au milieu des désastres. Nous invoquons le ciel et remettons nos vies entre les mains des Dieux. Nous préférons nous plier au destin et au jeu des châtiments et des récompenses plutôt qu’aux nécessités de la source. Vivant encore comme des bêtes douées seulement d’un peu d’espoir, d’un peu de rire, d’un peu de raison…
Le monde, le jour et le visage – pendant bien longtemps – resteront introuvables. Comme une manière d’aiguiser sa faim et de faire naître le souffle – et la foi – nécessaires pour entreprendre l’ascension du mythe – et procéder à sa destruction…