Carnet n°228 Notes journalières
Chaque chemin – comme un rayon vers le centre – rien – presque rien – un trait à peine esquissé sur le sable…
La nécessité de la violence – si souvent – et la possibilité de l’Amour – plus rarement exercée…
Des berges où viennent s’entasser les rêves et les naufragés. Quelques lumières sous la voûte. Des cibles – des clochers – de l’orgueil (exagérément). Beaucoup trop de fébrilité et d’atermoiements pour que les mains et les ventres – les épaules et les fronts – parviennent à se délester de leur embarras – pour que l’âme puisse s’émanciper – pour que nous réussissions à nous libérer des soucis du monde…
Le rôle premier du jour – la lumière et la joie – la main qui se tend – le seul souci de la nécessité. l’œil et la posture affranchis de l’or – des siècles – de la gloire…
La fortune – comme le vol de l’oiseau dans le ciel – comme ses danses et son chant dans le vent…
Des cris fébriles – autant que les gestes. Des bagages inutiles – comme des charges récurrentes…
Le parvis et les chemins déserts – sans rencontre possible. Des croisements âpres et difficiles – seulement…
De la pierre aux hommes – et des arbres aux bêtes – les mêmes luttes – les mêmes postures. Le territoire – le sommeil – et toutes leurs nuisances…
Le signe que la parole et le poème s’avèrent (toujours) essentiels – et insuffisants. Des lieux, peut-être, parmi les plus sacrés – un espace qui compte autant que le soleil et le silence. Une (réelle) présence – le baume des âmes impotentes et affamées. Les premiers pas – (très) maladroits, bien sûr – vers la possibilité d’un autre monde…
L’âme penchée sur l’essentiel – le vide des dépossédés – les cœurs joyeux et naïfs – forte de cette innocence mature qui ne s’acquiert qu’au fil d’un long et rude labeur de dépouillement…
L’extrême simplicité – résultante d’un processus complexe ; l’âpre besogne de l’invisible sur les apparences…
Le goût de la joie et du silence au fond de la poitrine ; le privilège ni des hommes – ni des Dieux – celui des sages – peut-être…
De l’eau – et des noyés trop dociles. Un aquarium de ruelles – des murs qui, en leur centre, recèlent d’étranges rumeurs. Et, plus loin, le silence…
Le monde – le néant et la faim – quelque chose entre la torpeur et l’insomnie…
Des jeux et des étreintes – des luttes – des résistances et de l’inertie – des geôles occupées – renforcées par l’organisation de l’espace et la perspective (très) territoriale de l’esprit. Les frontières qui se dessinent au feutre noir…
De la raison (apparente). Rien du ressenti – des noms – des valeurs – la hiérarchie des représentations. Le centre – le ban et les récusés – les hors-cercles contraints d’habiter aux marges – à la périphérie – dans les forêts abandonnées – d’ouvrir leur âme au plus sauvage – de tourner leur cœur vers une source moins corrompue – plus abondante – réconciliatrice…
Dans la jubilation d’une lumière sans rançon – sans récompense – qui s’offre gracieusement à ce qui se dénude – à ceux qui avancent – naturellement – malgré eux – sur le chemin des soustractions…
Des haltes sur des îles émergeantes – nouvelles – provisoires – qui jaillissent au fil des pas qui savent se réinventer. L’océan en tête et ce bleu au fond de l’âme. Des empreintes sur le sable noir – des oiseaux plein les poches et des surprises au bout des doigts…
Mieux qu’un rêve – mieux que le sommeil – le réel non revisité – à l’état brut – sans écran – sans filet – sans la moindre géographie. L’immensité du dedans qui redéfinit l’apparence des frontières – qui élargit l’espace – et donne au monde des airs incroyablement familiers…
La conscience qui se rejoint – qui retrouve, en quelque sorte, sa place au cœur des choses – le silence et l’infini – enfin rassemblés dans la matière. La pleine liberté de l’être triomphant…
Seul sur les pierres – sans histoire – sans légende – avec encore trop de bruits anciens dans la tête – la mémoire pleine – au bout d’un voyage inachevé…
L’âme déjà couchée – presque dans la tombe. Le jour déclinant – l’obscurité galopante – la nuit – le noir – bientôt…
La vie en laisse – les bras ouverts aussitôt repliés. L’ordre établi autour de l’illusion – comme un axe central autour duquel l’existence tourne – à la manière d’une roue dans le vide – dans une succession (sans fin) de mensonges, de cris et de prières – et du sable partout – ce que l’on retient – ce que l’on retire – et ce que l’on économise – la pauvreté intérieure des ventres repus – des esprits à l’abri au milieu de leurs chimères – comme mille fausses évidences – mille fausses certitudes – érigées comme des remparts autour de soi…
Entre griffes – vautours et opium – la vie fallacieuse – faussement béate qui dissimule l’angoisse au cœur – exaltée…
Le jour errant – le voyage – ici et là – tantôt au-dedans – tantôt au-dehors. La lune en arrière-plan – permanente – dans cette nuit sans fin. Les pas multipliés – puis soustractifs – ramenant toutes les périphéries vers le centre – puis abandonnant le centre pour l’essentiel…
La tête humble et retranchée – l’humilité sans banderole – le ciel entre les mains et la poitrine offerte…
Vivant – comme l’oiseau dans le ciel dont chaque battement d’ailes pourrait soulever le monde…
De pas en pas – les heures qui se succèdent – qui avancent sur le cadran – dans la brume des jours – les piétinements joyeux – dans la cendre – dans l’inconscience totale de ce qui a brûlé…
Qu’importe pour les cœurs frivoles pourvu que la fête dure et soit grandiose…
Être là – présent – au milieu du monde – libre – contemplatif – circulant – sur des chemins sans destination – où les visages croisés comptent moins que les pierres où l’on a fait halte. L’âme dans son retrait – la voix dans son élan de joie – la main qui emprunte au ciel et aux alphabets pour esquisser quelques lignes sur la page blanche…
Rien du rêve – rien du temps – l’ancien langage des chimères remplacé par celui des Dieux – toujours frais – toujours neuf – sortant, à chaque instant, de leurs têtes innocentes…
Le silence infini qui plane au-dessus de la mort – au-dessus du monde – qui serpente entre les planètes – entre les galaxies – qui répand ses mystères dans tout le cosmos – dans tous les espaces inconnus…
En plein jour – le soleil…
Et le noir épais au fond du cœur…
Des âmes virevoltantes – dansant dans les airs – dansant sur le sable – de la chair grossière – malmenée – errant entre tous les débuts et toutes les fins – exultantes – agonisantes – selon les heures – ivres – prisonnières de leur propre piège – construisant de risibles empires et d’autres visages pour rendre plus tangibles leur puissance et leur immortalité…
Des sirènes allongées sur les rives – immobiles – des silhouettes fébriles et effervescentes – qui trépignent – tandis que la mort s’invite à toute heure – tandis que l’inconscience se confirme – se renforce – se propage…
Le jour qui s’émancipe – affranchi de nos espoirs – de notre impatience. En plein désert pendant mille ans – au milieu des Autres un court instant – allant là où l’attente a été bannie avec la fin du temps…
De surprise en surprise – d’émerveillement en émerveillement – les lèvres sèches – autrefois si assoiffées – posées, à présent, sur la coupe permanente – débordante de vérité…
Tout qui se colore en blanc – l’espace et le monde – arrosés eux aussi…
Du sable au ciel – la même teinte – docile – aisée – libérée du souvenir – de toute idée de décor et d’embellissement – reflet du plus juste et du plus vrai – simplement…
Âme minuscule – dans la trace immense qu’ont laissée les Dieux – comme une demeure – l’assise céleste sur le sable – pour la chair – l’aire d’envol – le lieu à partir duquel doivent être décochées toutes les flèches vers le monde et l’azur…
La parole comme un pont – l’un des rares liens – entre le jour et la quête – passerelle de feu et d’éclats – de neige et de braises – sur laquelle les hommes s’essayent à l’impossible…
De la chair délivrée à l’envol – tout un périple périlleux – de l’arche à la pierre dressée – de la voûte sombre à l’âme érigée comme un socle – celui de l’élan propice au jaillissement du fauve – à son saut par-dessus le fleuve – d’une rive à l’autre – au milieu des eaux et des flammes…
De la terre aux sources de la lumière…
De la glaise au soleil…
Du provisoire jusqu’à l’origine éternelle…
Nous autres – à la fois fruits et matrice – créatures et enfantement – excroissances et béance première…
Des traces initiales à l’oubli – sans cesse recommencés…
Façonnée par le ciel et le relief aride du monde – l’âme – montagne déserte – enveloppée de nuages gris – passagers – voûte ouverte – des arbres – des forêts sans chemin – sans dédale – présente – rassemblée – libérée de ses chaînes – de nos chimères…
Les hommes et les rêves – derrière nous – de plus en plus loin à mesure que défilent les saisons…
Au cœur d’un royaume sans complice…
Fruits et racines sous les mêmes étoiles – nourris aux mêmes sources – dans la lumière du même soleil…
L’enfance retrouvée – face à elle-même…
La joie du bout du monde…
Les passants du songe sous la lumière – indifférents à la clarté – si endormis que leurs pas demeurent somnambuliques…
D’une nuit à l’autre – malgré le plein jour…
Fantômes aux yeux clos – élevés sans Amour – éduqués par le manque et la faim…
Le cœur sur la peau tremblante – hérissée, si souvent, de piquants…
L’enfer du monde – comme un gouffre au fond duquel on hurle et on se blesse – le nez contre la paroi – et les mains sanglantes à force de tentatives d’évasion…
La tête assagie – quittant son rôle de victime et ses attributs communs – immobile face aux cycles et aux mouvements – offrant, à chaque instant, une chance au regard pour qu’il se déploie dans cet entre-deux du naître et du mourir – la langue obéissante pour dire à l’Autre les risques à vivre à l’ombre de l’Amour – sur ce seuil imprécis – si difficile à franchir – où l’on s’attarde parfois indéfiniment…
Ce qui s’oppose – comme une résistance au plus naturel – ce qui se rappelle à nous – une chose impossible à oublier – le monde nocturne – l’enfer autour de nous – la brutalité des êtres – des choses – du temps – la vie en société – ce qui interdit la solitude – la liberté outrageusement surveillée – la bande étroite où l’on est (habituellement) autorisé à vivre…
Des églises et des armées de fidèles – inutiles – enveloppées (empêtrées) dans de faux airs de sainteté. Des espoirs plein les paupières – des gestes sans justesse – des paroles sans silence – des âmes sans vérité. La sagesse feinte – dont on se pare à des fins narcissiques et simoniaques – affligeantes…
Une mystique de décorum – de pacotille – pour avoir l’air de ce que l’on est (encore) incapable d’incarner…
Une tête – un regard – une manière de vivre – d’être au monde – de tenir la mort au-dessus de sa tête – présente – vivante – le cœur fragile – l’âme à l’écoute – le front humble et attentif – la langue trempée dans le plus tendre disponible – aux yeux des Autres – invisible – bien sûr…
Autour de soi – l’immobilité et la lenteur – les chemins de pierre qui mènent au-delà des apparences – au-delà de toute attente – là où le temps s’éteint – là où se tarit la soif – là où la lassitude et la tristesse se découragent devant l’ampleur du brasier – et parviennent, peu à peu, à se métamorphoser en incandescence – en ardeur – en intensité – en flammes vivantes – utiles autant à l’âme qu’au front – pour vivre parmi les arbres et la roche – dans des forêts profondes et mystérieuses qui condamnent à la solitude – et à nous élever au-dessus de notre condition trop strictement terrestre…
Une chance – un honneur – une perspective offerte – un présent sans enjeu que l’on reçoit avec courage et gratitude – une manière (la seule pour nous, sans doute) de s’affranchir du monde et du sommeil – de la plèbe et de la glaise…
De l’être aux yeux innocents – blessés par la violence du monde et l’âpreté des choses…
Sans le moindre ami en cette communauté terrestre…
Pensées qui pourchassent leurs proies jusqu’à la satiété de l’esprit – satisfaction (extrêmement) provisoire…
La vie devenue chemin où se succèdent les pas lents – presque immobiles – l’attente sur les pierres – interminable – la soif et le bûcher – au-dedans – insupportables – les jours qui se remplacent presque à l’identique pour le front – docile – fidèle – trop discipliné…
La main sur l’arbre – patiente – qui épouse la lenteur de la sève – la croissance verticale – l’âme inspirée par la danse (joyeuse) des feuilles dans le vent – et la justesse des mouvements et des couleurs sylvestres au fil des saisons ; efflorescence – maturité – déclin – effacement ; vert – jaune – orangé – noir…
Le naturel sans masque – sans mensonge – soumis aux lois – implacables – de la matière…
Le front audacieux penché à l’envers – du ciel au sol – nomade – incapable de rester à la même place – découragé par le manque d’envergure du monde – l’inertie des hommes et des âmes – peureux – pusillanimes…
Solitaire au milieu des arbres – racines et séant soudés le temps d’une halte – brève et amicale. L’âme et les troncs verticaux – dialoguant – partageant je ne sais quel secret – se prêtant à quelques entrelacements mystérieux…
Voyageur – comme ses frères à écorce – s’éloignant, peu à peu, de la terre noire pour un espace plus clair – moins étroit – plus propice à la lumière et à la liberté…
L’épanouissement sous la chevelure – sous la ramure – la densité du bois et de l’esprit – qui s’intensifie – au fil des pas – au fil des jours – la hauteur prise – croissante – au fur et à mesure du cheminement. Et le cœur comme un soleil perché au-dessus du faîte – au-dessus de la tête – la vie terrestre hissée jusqu’à la canopée du monde – en surplomb des cimes humaines – au pied des Dieux d’autrefois – des temps primitifs – dans le même mystère qu’en bas – qu’avant l’ascension…
Serait-ce alors une erreur – peine perdue – que de se livrer à un tel périple… Non – bien sûr – tant cette entreprise – cette folle aventure – s’entreprend naturellement – malgré soi – en dépit de toute volonté – et s’avère, en définitive, la continuité des pas précédents – la seule voie que nous puissions emprunter…
De l’écume plein la tête – bave aux lèvres – l’homme dans toute sa gloire – chantre (invétéré) du mensonge et de l’illusion – (grand) pourvoyeur de mort – au faîte, pense-t-il, de la création terrestre…
L’humanité qui s’invente mille choses ; un destin – une intelligence – une histoire – une éthique – qui entasse les mythes – les rêves – les mensonges – au point d’occulter toute lucidité – le besoin naturel de compréhension et de vérité…
Des rivages de briques et de sang – des terres sans profondeur – coupées de leur source – défigurées par la nécessité du confort et du superflu…
L’œil et l’âme plongés dans la laideur et l’artifice – le paraître et les apparences – aux mains du monde – comme des pantins sans cervelle…
Mille scènes quotidiennes ahurissantes – et répugnantes – où tout ce qui est touché est aussitôt corrompu. Les instincts et la cécité qui tiennent les rênes – hissés partout – inscrits sur les tables de la loi en lieu et place du Divin – de l’intelligence – de l’Amour – de la vérité. Un espace souterrain en plein air – l’odieux – l’affreux – spectacle que nous offrent, partout, les hommes…
Du monde – comme un obstacle – un amas d’erreurs – peu à peu accumulées. Et l’inquiétude croissante face à ceux qui décident – à ceux qui dominent – à ceux qui exploitent (les mêmes bien souvent)…
Le corps soumis – l’esprit pris au piège – l’âme à la merci de ce qui s’impose…
Et nous autres – et nous tous – muets – dociles – esclaves jusqu’à la moelle – que seuls l’exil et la solitude pourraient sauver…
Terre sans jachère – des rêves en actes – presque que cela – un monde d’agitation et d’abondance où le spectacle est continu…
Le souffle et la poitrine cloués à la route. Des pas qui s’éloignent des villes et du sommeil – de la ruse et du mensonge organisés – de tout ce qui légitime l’illusion – l’étroitesse – la domination…
La tête et la roche – l’âme et l’arbre – complices – dans cette secrète connivence avec l’invisible…
Route – puis chemin – chemin – puis sente – des pas de plus en plus discrets vers l’immobilité – le seuil où l’infini devient vivant – autant que le silence et l’absence de temps…
La seule perspective qui puisse échapper à l’étouffement – au déclin – au néant – aux mille catastrophes promises à tout ce qui inscrit ses foulées sur le versant opposé – le monde tel qu’il marche…
Les yeux clos – pleinement dédiés au rêve – fuyant toute lumière par crainte de regarder le réel – de l’affronter à mains nues – sans outil – sans alliance – seul – entièrement plongé dans la condition terrestre…
Autour du mystère – trop de bruits – de pas – d’aventures – de monde. Et pas assez de fleurs – d’âme – d’abandon…
Des rayonnements trompeurs pour attirer nos ailes sur la lame qui nous privera d’envol et de voyage – manière de plonger la foule dans l’obéissance et le désarroi – au cœur de la désespérance – déniant aux êtres le droit à la liberté – à l’autonomie – et les asservissant en leur faisant miroiter un paradis imaginaire pour récompenser leurs efforts et leur labeur (acharnés) – leur abnégation et leur attente – mille siècles de bêtise, de tristesse et d’aliénation…
En guerre – trop souvent – avec le monde et les hommes – leurs œuvres – leur labeur – leurs intérêts. Peine perdue – la beauté et l’Amour – le silence et la vérité – piétinés – rejetés au profit du confort – de la laideur – du vacarme – de l’illusion…
L’éloignement – l’exil et la solitude – la fuite comme seule issue pour ceux qui aspirent à vivre autrement…
L’impossibilité du monde – les armes remisées au fond du cœur – en un lieu secret – enfoui – souterrain – le sourire aux lèvres sur nos remparts lointains – le regard entre deux pôles – comme une vigie – les yeux braqués sur le seul passage édifié entre les terres humaines et les Dieux – cette longue route – déserte – l’essentiel du temps…
Rien entre l’étoile et la fleur – un sol noir – un espace de désolation – pas une seule âme qui vive – des restes de rêves et de sang. Et, au milieu, un mur de feu – épais – presque infranchissable – derrière lequel le ciel et la terre se rejoignent pour offrir aux lauréats dépouillés et ahuris un embrasement de joie et de beauté…
Des rives et des miroirs – et l’espérance d’autres sentiments – quelque chose aux allures moins tristes. Des fleurs sans nom qui grimpent vers l’azur – des arbres gigantesques – le désert à perte de vue – l’océan au-dessus du ciel. L’Amour au-delà du désir – des sourires derrière les masques jetés par terre. L’Autre sans le sommeil – une vie intense mesurée par notre présence et la tendresse éprouvée face au reste que l’on s’empresse d’appeler autrement. Une parole – un langage – silencieux – l’autre extrémité du monde – l’autre versant du jour – le vivant libéré qui s’abandonne à l’éternelle lumière – à cette figure de Dieu la moins étrangère…
Ce qui nous déchire jusqu’au fond de l’âme – l’Autre – inauthentique – qui trahit le pacte et la confiance – l’alliance tacite entre nos fraternités…
Des masques fleuris – parfumés – et derrière, un long coutelas acéré dont le manche et la lame dépassent de part et d’autre de la bouche – comme le prolongement d’un sourire qui feint la gentillesse – et que naïf – (bien) trop naïf – nous n’avons pas vu – nous n’avons pas voulu voir…
L’azur soudain changé en sabre – et l’amour autrefois si doux – si vraisemblable – transformé en mâchoire féroce – affamée – carnassière – qui vous arrache la chair et l’âme – qui vous dévore sans trembler…
Et vous voilà – presque aussitôt – amputé – invalide – confiné à la douleur – à la tristesse – à la désespérance…
Seul – sans sommeil – livré à un silence qui ne peut vous réconforter…
A cet instant – il faudrait mille mains tendres – caressantes – attentives – pleinement présentes – pour vous consoler de l’inconsolable – et panser patiemment – une à une – toutes vos blessures…
Ce qui passe – en rang – de l’ombre dans l’herbe – avec dans son sillage des traces de sang. L’âme impuissante – autant que la parole – à nous soustraire – à nous sauver – de l’infamie ; la scie qui entaille jusqu’à l’os – sans anesthésie – seul sur la table des supplices – dans la chambre des tortures capitonnée – îlot d’inhumanité au milieu du néant – à tenir d’une main l’instrument tranchant et de l’autre quelques bouts de chair et d’âme – sanguinolents – larmoyants – pitoyables…
Le démon – l’innocent et l’assassin – réunis dans la même pièce – ensemble – inséparables – dans le même esprit partagé en autant de parts nécessaires pour que l’œuvre se réalise et soit achevée…
Au cœur de notre nuit – de notre destin (fatal – sûrement) – vie d’ombre – d’échelles – et de vaines pensées – à pleurer sur le sol sombre de l’arène – une lame enfoncée en plein cœur…
Ce qui monte au front – comme une résistance – une ardeur – (presque) un coup de folie – face au néant né de l’horizon (de la prédominance horizontale) ; une terre libre – et vaste – sans cesse émergeante – face aux murs habituels et aux chemins trop fréquentés – face aux barreaux qui encerclent le monde – les bêtes – les hommes – toutes les existences…
Plutôt la solitude que les faux soleils inventés contre la terreur et le dénuement…
Plutôt la tristesse et le froid que la gaieté d’apparat et la fraternité fallacieuse…
Pèlerin d’un autre ciel – invisibles – des pas sans borne – sur des chemins sans pierre – le cœur amoureux des élans et des mille petites choses qui passent. Une prière – comme un long murmure – comme un silence converti en syllabes, parfois, nécessaires…
Rien – dans le temps infini de la rencontre…
La même ivresse qu’au premier jour de l’inconscience – mais lucide à présent – comme un regard et une envergure portés depuis l’intérieur…
Le jour du dedans qui se propage jusque dans le creux de la main qui s’ouvre – qui s’offre – au monde qui apparaît devant nous…
En soi – ce tintement de chaînes – tantôt léger – presque lointain – comme confiné dans les profondeurs – tantôt assourdissant – insupportable – comme cousu au revers des oreilles – comme une seconde peau – intérieure – la plus fidèle – celle qui a su résister à toutes les morts vécues…
L’ombre – en nous – qui respire – plus vivante que notre âme – plus vaillante que nos pas de fantôme…
Tout près de la fenêtre – le soupir des Dieux – invisibles depuis l’extérieur – inaudible depuis l’intérieur…
Nous autres – emprisonnés dans notre forteresse – avec quelques distractions pour oublier la détention – et toutes nos tentatives (défaillantes) pour chercher un chemin – une issue – la moindre faille dans la poussière – nos mille ruses pour échapper à ces longs murs gris…
Notre (triste) destin jusqu’au déclin – l’âme qui se délite à mesure que s’effritent les murs – tout pourrissant – et devenant peu à peu (et inévitablement) revers et ruines – disgrâce et chagrin…
L’étreinte de la pierre – plus perceptible que celle du ciel – dans l’âme – au fond des yeux. L’espoir – seulement – d’une légèreté – comme un rêve, sans doute, un peu vain…
L’esprit proche d’un vertige – plus puissant que le tournis coutumier – continuel – du monde – ces tourbillons quotidiens – incessants – sans épaisseur – sans conséquence. L’inconscience ordinaire – l’absence commune et habituelle – qui donnent à nos vies cette allure de danse fantomatique…
L’abandon délicat de l’Autre – comme une invitation non au repli – mais à l’envergure – à cette solitude des hauteurs – chaleureuse – ardente – peuplée – contributive – très étonnamment communautaire – en soi – entre soi – avec tous nos visages – rassemblés – sans la moindre exception – apprenant, peu à peu, à se fréquenter – apprivoisant, peu à peu, leurs différences et leur complémentarité autour d’un axe central – leur présence commune – cet espace vide et clair qui les réunit – comme une tendresse immense – attentive – chaleureuse et accueillante – qui les autorise à être pleinement eux-mêmes dans la compagnie des Autres et qui offre à chacun exactement ce dont il a besoin…
L’étrange (et surprenante) expérience d’une communauté hautement fraternelle – toutes nos figures réunies autour de celle qui réclame le plus d’attention (à un instant donné) – l’encourageant – la conseillant – la soutenant – lui apportant (indéfectiblement) leur appui, leur réconfort, leur affection…
Sans doute le plus précieux – le plus sacré – en nous – qui se dévoile – qui se dessine – qui se précise – et qui n’aspire qu’à s’intensifier et à se déployer ; l’être ouvert – l’être – l’existence et le monde – honorés et couronnés – de la plus simple et de la plus belle des manières…
Notre sourde inexistence – inconfortable – somnambulique – dans l’entre-sol du réel…
Entre rêve et absence – à parts égales…
Dans la main – quelques diamants inutiles qu’il faut abandonner. Et immerger l’âme dans un bain glacé où les lames et la solitude auraient remplacé l’eau – et laisser l’Amour croître dans son ventre – lentement – au rythme naturel de l’homme…
Rien qu’un défi entre le soleil et nous – perdu d’avance – bien sûr…
Des jours sans fin – comme le monde et les choses – sans cesse régénérés par le désir des Dieux – et leur goût (immodéré – incompréhensible) pour le jeu et le rêve…
Les astres en cercle autour de nous qui contemplent nos corps et nos gestes entremêlés – nos esprits asservis par la perspective du temps et la puissance des promesses – refusant l’évidence présente au profit d’un avenir sans réalité – nous regardant (inlassablement) patauger dans les mythes et la boue – s’attristant de l’emprise de l’illusion et de la force des rêves dans nos têtes…
Des traces dans les livres et sur les pierres – quelques empreintes sur le sable et la neige – monts et abîmes – merveilles et silence – inutiles pour ceux qui veulent s’aventurer plus loin – au plus près de ce qu’ils abritent…
Mieux vaudrait tout jeter – et abandonner le reste – pour aller sans bagage…
Sur la pierre des jours – la même depuis l’enfance – à chercher des yeux la moindre brèche – le moindre éclat – derrière le sommeil – l’espérance d’une issue (pour l’homme)…
Derrière les murailles – les forces vaines – en nous – qui tournent en rond – en longeant les murs pour jouir de la totalité de l’espace autorisé – cherchant l’aventure – des jeux – mille occupations – la moindre opportunité – n’importe quoi – pour s’épuiser et offrir à l’âme un peu de répit – un peu de repos – une accalmie nécessaire à la quiétude du cœur…
Tête nue – au bord de l’abîme – le pied attentif sur la corde mortelle suspendue très haut – à côté du monde…
L’âme de plus en plus légère – la foulée de plus en plus aérienne – à mesure de notre progression – ni harassante ascension – ni éprouvante traversée – ni hier – ni demain – l’assise entière sur le pas présent – entre vie et mort – à chaque instant – indéfiniment – pour que l’inespéré puisse apparaître et s’approcher – suffisamment pour imprégner le corps – l’esprit – le cœur – et colorer les gestes – la parole – les pas – quotidiens…
La solitude grandissante de l’homme dénudé – sans rôle – sans but – sans attribut – privé des raisons communes de vivre. Exclu de toute société et de toute compagnie – contraint à l’érémitisme au milieu de ses frères – au milieu de ses propres visages – appuyé tantôt sur sa fatigue – tantôt sur son élan – pour essayer de maintenir vivant l’espace (infime) qu’il habite face à l’immensité – dépouillée – dépeuplée – et jouant, elle aussi, avec l’ombre des vivants…
L’entêtement solitaire – la tristesse comme blessure non mortelle – qui ronge l’âme et la chair – et invalide l’existence – notre manière d’être au monde…
Il faudrait un refuge communautaire – une famille de visages joyeux – pour demeurer en bordure de l’abîme – en exil – loin des attractives (et pernicieuses) consolations du monde. La compagnie de tous nos frères – et cette présence – au centre – au cœur – attentive au juste déroulement des choses – des gestes – de toutes les histoires où nous sommes impliqué(s)…
Un lieu – un ciel – une balançoire. Et nous jouant et riant sans crainte au milieu des regards bienveillants…