Carnet n°184 Quelque part au-dessus du néant…
Recueil / 2019 / L'intégration à la présence
Être et accueillir – comme manière de vivre – la plus belle que je connaisse – au-delà même de toute forme d’humanité…
Entre le sol et le ciel – aussi insaisissable que les nuages. A vivre – sans prise – sans emprise – toutes les transformations jusqu’à l’effacement. De déchirure en déchirure jusqu’au sacre du plus rien – jusqu’à la célébration du vide – jusqu’à l’apothéose de l’invisible…
Tout s’amoncelle – et, pourtant, l’eau passe à travers tous les reliefs. L’orage, la goutte et les rivières – comme tous les fronts humbles dont le nom ne fait trembler personne…
Qu’importe le froid, l’absence et la solitude – lorsque vivre vous caresse. Comme un peu d’air descendu du ciel qui enveloppe et traverse les restes de terre que nous sommes encore…
Un immense soleil sous l’identité – lorsque vivre, respirer et aimer deviennent l’âme, la chair et la peau – le plus noble, peut-être (et le plus délicieux sans doute), à ressentir…
Pas de vérité – mais l’intense certitude d’être – au-delà du monde – au-delà du visage – au-delà de la langue qui ne sert qu’à nommer…
L’Amour comme une étoile – la seule, peut-être, dans le ciel – soudain descendue jusqu’au fond des yeux…
Tout porte – s’emporte – nous emporte. Nous ne sommes que des sacs soulevés par les mains du feu qui nous jettent vers l’inconnu…
Haute voltige sur le fil de la terre – entre Dieu et l’abîme – entre l’horreur et la folie – cette silhouette que l’Amour a étreinte et pénétrée. Invisible – transparente – de la même couleur, à présent, que les paysages qu’elle traverse…
Une fenêtre que le vent déplace au gré des nécessités. Comme un voyage entre les visages dans cette nuit trop sombre – dans cette nuit trop ancienne…
D’un jour à l’autre sans que l’obscurité s’en mêle…
Entre les pas et les cimes – la même immobilité – indemne de toute érosion – de tout épuisement – et dont le souffle et les vents ne sont que les reflets fragiles et erratiques…
Les tourments émergent de la surface. Et l’acquiescement, du silence des profondeurs – de ce regard hors de portée pour les yeux – accessible seulement à travers la nudité de l’âme qui n’a plus rien à confesser excepté, peut-être, la discontinuité de son innocence…
La marche et les gestes somnambuliques des hommes à la surface de la terre qui imaginent Dieu et l’âme flottant au-dessus de leur tête – à quelques encablures – à quelques années-lumière – et dont l’or et la ruse sont les seules richesses – et qui piétinent en nombre – en masse – presque tous ensemble – pour effleurer, à peine, le miracle de vivre – l’étrange jubilation d’être au monde…
Des virages – des clins d’œil – jamais vraiment d’âmes, ni de véritables tournants. Quelque chose entre l’effleurement et la paresse – entre le sommeil et l’ennui…
Et des milliards d’existences bâties – et emplies – ainsi où la chair est mécanique et l’esprit un simple instrument au service de la survie…
Bêtes à peine plus rusées que les autres…
A se promener seulement. De flânerie inattentive en baguenaudage désœuvré – l’œil agrippé au visage – flirtant avec l’enveloppe du monde – les mille apparences de la multitude. Exilés en somme…
Avec quelques cassures parfois – histoire d’entrevoir l’étendue de la faille…
Bêtes comme les autres – à l’esprit presque aussi grossier que celui de leurs congénères à quatre pattes…
L’éclat d’un Autre dans ce vertige insensé de vivre…
Tout pénètre l’œil et l’âme – jusqu’à l’herbe tendre des fossés…
Entre ciel et arbres – terre et poèmes – pierres et silence. A honorer la route ouverte. A explorer les mille éclats du même visage…
Faces du même jour – fragments du même silence – recomposés à l’infini. La vie et la mort – à parts égales sur la page…
Pages et lèvres presque mutiques à force de mots lancés – à force d’appels sans écho – à force de silences pesants. Une âme légère – un peu lasse de l’indigence – pas si tragique – du monde – trop peuplé de visages et de gestes triviaux…
Gravillon – à peine – sous les pas d’un monde trop rageur et impatient – qui a élevé en règne l’absence et l’insensibilité…
Un cadre sur fond d’espace et de lune. Du bleu et du vert. Un peu de jaune – et ce gris et ce rouge épais – massifs – s’accumulant en strates successives – que les hommes répandent partout…
A la grandeur du jour – à la beauté du monde – nous ne répondons que par des grimaces et des postures – ou pire par des horreurs et du sang versé…
Des pierres côte à côte – les hommes sur leur long chemin d’épreuves. Durs – froids – immobiles – presque hermétiques aux aléas et aux beautés de l’univers…
Insensibles à tout ce qui ne vient pas les nourrir ou les réconforter – et qui, presque tous, se sentent appartenir au bon peuple des cailloux…
Interstices de silence qui, peu à peu, s’élargissent pour devenir des parenthèses, puis des intervalles, puis (enfin) l’espace tout entier – les choses, le monde, les visages. Tout – absolument tout – sans exception…
L’air et l’âme déchirés par les mêmes vibrations – sensibles au moindre bruissement – à la moindre résonance. Pièce sans mur – demeure ouverte – exposée à tous les souffles – à tous les vents…
Tous – reliés par le même fil invisible – fragmenté en mille filaments infimes…
Mille parchemins pour ne témoigner que de la beauté et du silence – et condamner – inutilement (bien sûr) – l’inertie et l’insensibilité (provisoires) des âmes…
Denses – les pas – les lignes – l’âme et le visage. Fragiles aussi. Et sensibles – toujours – au souffle qui attise les désirs – et au silence qui a engendré toutes les faims…
Cœur friable – ouvert – matrice des orages et du rire – du vent et des caresses sur l’âme…
Bleu comme le ciel et le sourire – comme la terre et les visages – vus depuis le jour. Les forces nuptiales tournées vers l’invisible – agglomérées par le même souffle qui s’étire à travers les siècles…
Dans la vaine attente de ce qui ne viendra qu’avec la cessation de l’attente. Le regard face au ciel devenant, peu à peu, l’infini…
D’une force à l’autre – jusqu’à la plus grande faiblesse…
Vêtements du cœur – trop amples – trop mensongers – pour tant d’étroitesse…
Au-delà du seuil – rien de précis. Une évidence indémontrable. L’infini en perspective. Le ciel de tous les côtés – au-dehors et au-dedans. Et l’explosion des frontières. Ni centre, ni bord, ni fond. Partout, la même lumière…
L’invisible qui relie ce qui semble si lointain – si séparé. Toutes les extrémités et tous les exils – rassemblés au fond de la même solitude – grandiose – magistrale – souveraine…
Eléments du même magma soumis à mille forces souterraines. Attraction – répulsion – création – destruction – dans le grand inventaire des combinaisons. L’infini jouant à se fragmenter…
Seul sur son fil à contempler le jour. A découvrir l’ailleurs au plus près – et les extrémités du temps. L’implacable rigueur des vents qui forcent au déséquilibre – à l’élan – et à la marche à petits pas…
Une tête à hauteur de sol composé de ciel, d’abîme et d’étoiles. Et des mains – deux mains minuscules – aussi belles et tendres que l’âme…
A genoux – de par le monde – comme si nous étions tous les visages – la terre entière – et l’au-delà du cosmos. Le point le plus dense de la création qui englobe l’infini – tous les horizons, tous les rires et toutes les larmes des vivants…
Le cœur comme une pierre – si froid que le sang gèle au-dedans – et si dur que l’innocence doit emprunter mille détours pour le pénétrer…
Ce qui nous éclaire comme un grand feu dans la nuit froide. Comme une boussole dans les dunes de l’âme – pour retrouver la candeur et la beauté des chemins – et vivre de mille autres manières dans ce monde qui a toujours ignoré l’innocence…
Au bord du monde – là où les vents déferlent et où les âmes sont invincibles…
Au plus bas – au sommet – sur l’axe médian – la même silhouette éclairée par des yeux différents – à inégale distance de la seule lumière…
Des sons – des signes – un peu de bruit pour donner un air de fête à la poussière – un peu de sens au néant. Comme une légère accolade offerte au monde par une main distante et amicale – intensément familière du vivant…
Hors du temps – ce qui fait scintiller tous les fragments…
Des traits qui – toujours – en diront moins long que le silence…
Figures tristes des hauteurs – emmurées dans leur tour de briques – engluées, en réalité, au fond de leur trou de glaise. Philistins prudhommesques – affreusement ridicules…
Blessures et morsures – âme et chair entaillées dans l’arène. Les mille spectacles du monde. Masques et costumes qui dissimulent les armes brandies et l’armure revêtue à chaque défi – à chaque épreuve – presque toujours déguisé(e) en rencontre…
A moins regarder les hommes que les grilles derrière lesquelles ils vivent enfermés (en croyant être libres)…
Vies et histoires sans intérêt alors qu’un royaume patiente derrière chaque visage…
Et ces lignes – et ces lèvres – trop impatientes de voir les illusions s’écrouler et les yeux (enfin) se dessiller…
A mépriser les jeux du monde comme si l’horizontalité était une ineptie – une aberration – au lieu d’y voir les admirables (et judicieux) détours du silence pour verticaliser les âmes…
Particule élémentaire qui s’imagine plus admirable que le sable et la poussière…
Immergé au-dedans – et le trait interrompu – comme pour réduire l’écart entre l’être et la page. Comme un détachement naturel du superflu – converti, trop artificiellement peut-être, en nécessité…
Serré contre la marge – à la frontière de l’inhumain – là où, partout, éclot – et éclate – le centre…
Et l’âme entamée jusque dans ses plus élémentaires aspirations…
Là – peut-être – où l’humanité perd sa couleur pour une folle – et discrète – transparence…
Seul – et sans allié – avec quelques soutiens passagers – quelques appuis circonstanciels…
Vide, lumière et silence – la trinité de l’inhumain – ce que nous sommes (tous) sous nos déguisements bruyants et bariolés…
Aux marges de la marge – là où tout devient centre – là où le centre – toujours – demeure – à l’exacte place où se tiennent les pieds, les yeux et l’âme. Le cœur insouciant et vagabond au milieu de nulle part…
Le dos calé entre l’abîme et l’incertitude – en ce lieu où Dieu est toujours présent…
Avec les pierres, les arbres et les bêtes des forêts – à se cacher dans cette frange délaissée par les hommes…
Traversé – en éclats – par le sol et la lumière – la joie et le silence visibles sur la figure. Debout sur cette crête ignorée du monde…
Engagé là où tout est découvert – loin du siècle – de cette époque opaque…
Au-dessus du sommeil du dedans – là où naissent l’ajour et la parole – et la blancheur du moindre silence…
Le pas et le mot resserrés – assemblés là où, autrefois, le monde les séparait…
Gestes de passage – sans intention – comme d’infimes soleils malgré l’obscurité apparente du regard. Comme un peu d’âme dans la main et sur les traits bruts du visage…
A goûter ce vent qui nous fermera les yeux à la dernière heure…
Le sable blanc de la page – et ce bleu modeste tracé au feutre – comme un infime trait de lumière – un peu de réconfort, peut-être, dans l’obscurité du monde – si peu propice aux marges, aux hauteurs et aux bas-fonds – à tous ces lieux où l’innocence et la beauté sont encore vivantes…
Emportés – comme si la nuit était partout – monstrueuse et dévorante – affamée d’ignorance, de rêves et d’illusions – atrocement séduisante – et qui envoûte les yeux – les âmes – et condamne toute question – toute curiosité – au mutisme – au silence – au néant…
Au gré des jours – au fil des pas et des pages – à petites foulées – entre terre et livres – entre monde et silence…
De la nuit jusqu’au plus simple. De la prétention à la liberté. Le plein acquiescement aux circonstances. Sans doute, le centre premier du monde…
A hauteur de sol – là où Dieu est toujours présent – et donne aux pierres et aux fleurs leur éclat et leur beauté – et aux bêtes leur courage…
Densité et intensité du jour – où l’instant et le silence sont pleinement vécus – et célébrés comme les seules lois du monde…
Vivant comme s’il était trop tard – comme si nous ignorions que chaque seconde compte autant que l’éternité…
Ni inquiétude, ni angoisse. Ni visage, ni parole. L’homme abandonné au profit du monde. L’effacement au détriment de la séduction et de la gloire. Et la solitude comme seule manière de vivre…
A la marge – là où le centre demeure vivant…
Des gestes – des pas – des traits – qui suffisent au jour…
Loin des heures et des figures effervescentes…
La parole défaite au profit du silence…
Le sommeil – prémices et vestige de l’infini. Comme un intervalle entre deux silences – entre deux lumières où le pire – toujours – règne sur le monde…
Agitation et piétinement sans conséquence – malgré le sérieux des gestes, des titres et des visages. Quelques vibrations dans l’air de plus en plus suffoquant…
Enclave à la jonction des possibles où l’habitude et le sommeil dictent les pas. Alignement rectiligne – linéarité illusoire de l’itinéraire – reflet de la vision étrécie et du manque d’envergure de l’esprit – comme replié sur ses maigres certitudes…
Péripéties sans importance que nous transformons en histoire – en épopée. Chevalier couard et sans aventure. Voyage sans consistance. Et âme inerte – peut-être sans substance. Qu’une voix pour pérorer et célébrer l’anecdote, le dérisoire et le néant…
Le front, à présent, éclairé du plus transparent – à l’égal, peut-être, de l’âme. Demeurent, pourtant, la nuit et le rêve – l’opacité de la matière et l’obscurité du monde…
Des vies comme un rêve infime où l’infini, Dieu et l’Absolu ne constituent qu’une (trop) lointaine frontière…
Jour après jour – quelques pas plus lumineux que tous ceux réalisés au cours des nuits successives – et qui, comme toutes les foulées du monde, ne mèneront jamais ailleurs qu’en soi – là où, en apparence, tout a commencé – là où, en apparence, tout finira – en ce lieu dont le centre existe partout – et de toute éternité – quelles que soient l’opacité des âmes, la clarté des paysages et la grossièreté des gestes et des visages…
Un pur chemin d’innocence où – en fin de compte – seuls l’instant, l’Amour et le silence méritent d’être célébrés…
Des jours et des mots sans impératif – où la manière d’être au monde et la pleine adhésion aux circonstances et aux nécessités de l’âme comptent davantage que les événements et les rencontres…
Jusqu’où est-on capable de rencontrer l’Autre – l’Autre en soi et l’Autre dans le monde…
Partout – autour de moi – la vie tranquille – mais qui ne vaut que pour celui qui passe – et jamais pour celui qui s’y installe – qui la transforme, malgré lui – malgré elle – en sommeil effroyable…
L’âme nomade…
Le silence pour unique assise…
Et les pierres, les arbres et les bêtes comme seuls frères d’âme…
Ô combien aurais-je aimé que les hommes soient réellement des hommes…
Le monde au détriment d’un passage. Comme si on essayait de corrompre l’infini…
Au fil des pas, le monde s’appauvrit – devient terne – presque indigent – étrangement neutre. Et l’esprit se vide au profit d’un regard de plus en plus riche – de plus en plus sensible et autonome…
Qu’un temps provisoire – éternellement…
Il y a quelque chose d’infiniment frustrant à ne jamais pouvoir rencontrer ses semblables – ses pairs de chair et d’âme – ces visages si proches…
Plus essentiel que le monde, les rencontres et les visages – le regard porteur d’Amour, d’infini et de silence que les circonstances nous fassent demeurer dans notre chambre (ou dans notre cellule) – ou qu’elles nous fassent arpenter les chemins de la terre…
Cris, murmures, plaintes, gémissements, vociférations – voix minuscules – bruits inaudibles – vibrations infimes dans l’air – comme le rêve d’exister…
Et, pourtant, l’infini distingue – et éprouve – le moindre de ses visages – et, parfois, consent à répondre à ses appels – pour peu que l’âme soit suffisamment vide et sensible aux choses de l’invisible…
Le silence – à travers le souffle – expectorant sa perfection…
Le geste – reflet exact du relief intérieur et de la densité de l’âme. Quant à la parole, elle se fait, souvent, plus trompeuse – moins révélatrice de ce qui anime profondément les êtres tant elle est soumise à la séduction, au fantasme et à l’imaginaire – à toute forme d’illusion (et d’auto-illusion en particulier)…
Rien ne peut être refusé, ni banni. Tout est possible – et acceptable. Mais pour vivre cette liberté (la plus haute, sans doute, offerte à l’homme dans son horizontalité) il ne faut ni règle, ni loi – ni contrainte, ni restriction. L’âme peut alors pleinement acquiescer à tout ce qui survient …
Monde d’un instant – monde d’une éternité – où le provisoire – toujours – est de mise…
Figures et paroles pulvérisées par l’ardeur inflexible de la matière – si prompte à entrer en collision avec le monde – avec l’Existant – avec elle-même, en vérité…
A vivre comme si l’Autre (inaccessible, bien sûr, à tous les égards) était primordial – indispensable – irremplaçable. L’altérité et la relation à l’Autre présentées comme les caractéristiques les plus précieuses – les plus incontournables – de l’existence humaine – la pointe pyramidale de l’humanité – la panacée de l’homme, en quelque sorte – évinçant ainsi la solitude – la relation à soi – la découverte intérieure et l’amitié avec soi-même et la multitude des visages qui nous constituent – et écartant, par conséquent, la compréhension et l’acceptation acquiesçante de nos antagonismes – de nos ambivalences – de nos haines – de nos répulsions – de nos préférences – de toutes les luttes et de tous les conflits intérieurs (si souvent fratricides) auxquels nous nous livrons à chaque instant – n’y voyant là qu’une sorte de fantaisie sans intérêt – ou pire, une idiotie – sans comprendre que ces multiples aspects intérieurs sont la source même des batailles et des horreurs à l’œuvre dans ce monde où l’Autre est, presque toujours, bafoué, malmené, maltraité – nié – presque inexistant tant nos instincts naturels s’exercent dans l’irrespect et le déni de ce qui n’est pas nous (en dépit de la place accordée à l’Autre dans notre éducation)…
Fraction d’un tout à la chaleur stupéfiante. Le silence – indice erroné de l’indifférence…
Flot intarissable de mouvements – de sons – de pas – de gestes et de paroles – de désirs et d’échanges – de murmures et de cris – de coups et de morsures. Danse tragique et funeste – de la chair – blessée – balafrée – malmenée – jouissante – agonisante – jusqu’à la mort – et soumise à tous les recommencements à travers la régénérescence permanente de la matière…
Une expérience fusionnelle avec le monde où l’identité disparaît – où l’âme et Dieu ne sont plus nécessaires – où l’Absolu se manifeste dans notre relation aux choses et aux visages – dans notre regard et notre manière de nous laisser traverser par les rencontres et les circonstances – par les innombrables figures de la vie…
L’horizontalité de l’homme trouvant son assise – son intensité – sa saveur – sa beauté et sa grâce – dans le plus haut degré de la verticalité – au point le plus dense de l’effacement…
La tendresse de la feuille et la dureté de la pierre – à égales proportions dans l’âme – dont la main et les lèvres se font – presque toujours – l’exact reflet…
Le geste aussi spontané que l’eau qui jaillit de la source – et que le ruisselet qui serpente entre les pierres…
Le sillon n’est l’œuvre que de l’abondance et de la répétition – lorsque le naturel se laisse aller à l’habitude et à la facilité – à la voie instinctive du monde, peut-être…
Entre la goutte et l’océan – entre l’infime et la vastitude – autant que comme les fleuves et les rivières qui suivent leur pente…
Parole – presque toujours inadaptée. Comme une addition superflue au réel et aux gestes nécessaires…
Sorte de balbutiements – entre l’intuition et la pensée – à mi-chemin entre l’analyse et le commentaire (ou, pire, entre le jugement et l’opinion…) – à mi-chemin entre le mensonge et la vérité – jamais à la hauteur des circonstances…
Traits fallacieux a posteriori qui tentent illusoirement de fixer le courant permanent – inarrêtable – de la vie – ce cours perpétuel des choses – pour donner à l’âme matière à comprendre ce qui lui a échappé en vivant ses expériences – et l’aider, peut-être, à se redresser dans la tourmente, à réduire son doute et son incompréhension – à apprendre à faire naître un peu plus de justesse – une plus juste coïncidence avec les circonstances – lors des prochains événements – bref, à se rapprocher, peu à peu, du vide nécessaire pour qu’émerge naturellement la spontanéité idoine (et irréprochable) du geste à toutes les situations offertes par l’existence…
Tracés noirs nécessaires donc tant que durera le besoin d’écrire et de perfectionner la justesse de l’âme…
Tout pourrait bien s’interrompre – mais en quoi le jour serait-il modifié…
A dire – sans doute – pour rien (presque rien). Qu’une parole pour soi. Petits cailloux inutiles laissés sur le chemin de l’effacement…
Que l’âme soit éclairée – et l’écriture cesserait sur-le-champ…
Mais comme, en ce monde, rien n’est définitif, tout – inlassablement – se répète… Peut-être est-ce là une ruse – une manœuvre – de l’éternité pour apparaître en ce monde de finitude…
La page – simple support de l’âme. Tuteur – étai éducatif, en quelque sorte – jusqu’au seuil où tout peut être abandonné – le monde, les livres et les visages – pour la plus belle (et délectable) incertitude où le monde, les livres et les visages peuvent (enfin) être accueillis sans l’ombre d’une ruse – sans l’ombre d’une intention – sans l’ombre d’une arrière-pensée – avec une innocence libérée de l’exercice, de l’épreuve et de l’exigence…
Cycles et variations autour du même centre. Cercle déformable au centre unique, en vérité. Respiration – souffle de la terre et des âmes. Secousses du ciel sur l’infime peau de l’homme – ressenties parfois comme une caresse, parfois comme une gifle cinglante. Contraction et dilatation de la poitrine du monde – cette périphérie de la sphère…
Opacité – porosité – la sensibilité variante de l’âme…
Le silence acquiesçant à tous les souffles – à tous les vents…