Carnet n°192 Notes de la vacuité
Parchemins nouveaux – parchemins de joie…
Touches minimes – délicates – presque invisibles – du silence malgré la lourdeur du langage et la grossièreté des traits…
Ce que nous portons – le monde en fragments – le monde déchiré – des bribes de souvenir d’un monde disparu – et qui nous hantent, parfois, jusqu’à la mort…
Si étranger au regard neuf – attentif – intensément présent – sans mémoire excepté celle (éminemment fonctionnelle) exigée par les usages et les contingences…
Ermitage itinérant qui ne peut souffrir la moindre proximité humaine trop grossièrement irrespectueuse. Activités – bruits – visages – devenus presque insupportables…
A deux doigts, sans doute, de la misanthropie…
Mais cette humanité commune – triviale – prosaïque – instinctive – est-elle vraiment l’humanité… Ne constitue-t-elle pas plutôt le préalable, tristement nécessaire, à l’émergence de l’homme…
Martèlement immuable du monde – de la même parole – de la même tentative de vérité…
A gestes et à pas lents – discrets – silencieux – en retrait – pour ne rien blesser – ne rien meurtrir – comme unique manière d’être pleinement humain…
Porter – comme les bêtes – son miracle – son refuge – sa désespérance – et son seul remède…
Tout abandonner au hasard des chemins…
Nos vies – fleurs et fruits de pugilats sans fin…
Tout s’effrite – s’effondre – devient miettes que les oiseaux picorent. Nous aurons, au moins, contribué au festin des volatiles…
Trop d’arènes et de jeux sanglants – partout – au-dehors et au-dedans…
Reflux de l’innocence devant tant de violence. Retrait réflexe – comme instinct de survie de ce qui ne cautionne que l’Amour – qui n’a, sans doute, besoin de chair dépecée…
Faudrait-il interdire les usages – transformer les âmes… ou serons-nous, un jour, capable d’acquiescer au réel sans nous résigner…
Tant de possibilités avec l’Amour dont nous n’avons exploré que les plus superficielles contrées – les plus tangibles – les plus accessibles – mais dont les profondeurs, lorsqu’elles sont comprises et habitées, permettent, sans doute, de voir le monde depuis un espace surplombant – impersonnel –totalement impartial – en mesure de percevoir toutes les nécessités et l’harmonie de toutes les danses – de tous les pas – et d’accueillir sans distinction la commune mesure, les marges, les extrêmes, les antagonismes, les contradictions apparentes et tout ce que nous considérons encore comme aberrant, inadmissible ou insupportable…
Ce que l’imminence de la mort enseigne – ce que l’esprit refuse d’entendre…
Entre servitudes et amusements – entre contingences et repos – l’essentiel de l’existence humaine. Comme si la réflexion, l’exploration et la recherche ne concernaient qu’une infime part de l’humanité – et, en chaque homme, un espace minuscule – voué presque exclusivement d’ailleurs au confort – au bien-être – au bonheur – personnels, familiaux ou tribaux…
Seuil de divergence franchi – frontière marquée – indélébile – et obstacle, sans doute rédhibitoire, à la rencontre et au partage avec d’autres visages humains…
Solitude et éloignement – inévitables…
La page comme espace de développement et de précisions – de mise au clair autant, sans doute, que de mise en évidence de l’incompréhension…
Liberté de la main et de l’esprit qui piochent – presque au hasard – dans le grand sac des idées et des ressentis…
Rires et postures de circonstance pour oublier la tragédie à l’œuvre – sournoise – souterraine – implacable…
Quotidien de l’homme au secours de rien…
Heures qui passent – simplement…
D’un jour à l’autre – de corvée en repos nécessaire…
Semaines qui passent – simplement…
D’un mois à l’autre…
Années qui passent – simplement…
La vie et le temps qui filent – et nous défilent…
Ainsi vivent et meurent les hommes sur la terre…
Quantité négligeable – poussière – particule sans la moindre incidence (positive) sur le monde. Incapable de la moindre avancée (significative) vers la vérité…
Maladroite – et pitoyable – manière d’occuper l’esprit et d’oublier le vide – considéré à tort comme un néant…
Monde de vitesse et de faux tournants ponctués de dérapages infimes et effrayants…
Seul à naviguer sur ce long fleuve – à manœuvrer sans même la possibilité d’accoster. A voir, seulement, défiler les rives incertaines peuplées, peut-être, de créatures magiques. A croiser parfois d’autres barques – chargées de choses et de visages – mais presque vides en réalité…
Il fait si noir – il fait si froid – à aller ainsi sur ces quatre planches – sans lampe – sans visage à ses côtés – comme si la nuit et la glace avaient tout recouvert…
Et ce nœud au creux du ventre qui donne aux bras leur force – et à l’âme le désir de poursuivre ce voyage – absurde – aliénant – inévitablement solitaire…
Sacrifice morbide autant qu’est haut et digne le geste désintéressé…
L’existence de personne – voué ni au monde, ni à la vérité – jouet seulement des forces intangibles – qui invite au rire, ou, à défaut, aux dents qui grincent – à la pâleur du visage et à l’effroi de l’âme devant l’inéluctable…
Monde de fantômes et de gestes mécaniques où l’esprit doit trouver sa place – et son assise – dans les contrées les plus lointaines de la solitude – à l’écart de tout visage…
Existences et monde éminemment impersonnels – rencontres, blâmes, alliances, connivences et affrontements purement circonstanciels. Jamais rien de personnel ici-bas (et partout ailleurs aussi, sans doute). Noms, identités et titres de propriété totalement illusoires. Une sorte de crispation – de contraction – de l’infini. Des représentations et des instincts d’appropriation – seulement – qui prêtent, selon les jours, à rire ou à pleurer…
Monde devenu désert et foule sans âme – sans visage. Simple décor du voyage. Espace naturel dont on épouse les courbes et les reliefs pour trouver son chemin – et peuplé d’oasis où l’on fait halte pour se ravitailler…
Jour après jour – étape après étape – sans lieu d’ancrage – sans destination. Dans une forme d’errance terrestre sans lien avec la verticalité de la voie qui, peut-être, au-dedans se réalise…
Invraisemblable sentiment d’impersonnalité – présente, partout, en ce monde où les formes (êtres et choses) se croisent – échangent – et se rencontrent de manière strictement circonstancielle…
Croisements, échanges et rencontres engendrés par les nécessités et les représentations – guidés par l’attraction, la répulsion et l’indifférence que les formes éprouvent entre elles (et, en dépit des apparences, sans le moindre déterminant d’ordre personnel). Etrange et mystérieux ballet de corps, d’esprits et d’âmes qui s’assemblent, se séparent, nouent des alliances et se querellent selon ces indéfectibles (et, sans doute, universels) principes…
Et la solitude – la non affiliation – réelles et totales – offrent à l’âme de goûter cette évidence…
Pas le moindre écart de vérité…
Et cette densité métaphysique qu’il faut – à présent – convertir en légèreté…
Arbres fraternels dont la présence conforte – et réconforte parfois – notre solitude…
Long voyage sans autre rencontre que celles qu’offre le monde…
Comme si nous pouvions nous contenter des Autres…
Concilier le spectateur impartial et celui dont les gestes sont justes et naturels…
Sorte de Tao quotidien et expérientiel – aisé et jouissif excepté lorsque les pensées – et quelques autres encombrements de l’esprit* – s’en mêlent…
* émotions, sentiments…
Homme de peu – homme de rien – homme de la grande solitude – dépourvu de tous les appuis, de toutes les consolations et de toutes les certitudes du monde…
Qu’un regard sensible – à travers les yeux et l’âme…
Ni cri, ni bruit, ni tapage. Sans estrade – sans promontoire. Sans témoin. Seul et nu comme (presque) tous les exilés authentiques. Sans autre consolation que soi, le ciel et le (misérable) chemin parcouru – si nécessaire(s), parfois, au chemin qu’il reste à parcourir…
Peau rougeoyante – écarlate – à force de coups et de soleil…
Silence et parole blanche sur la feuille – à l’écart – sur un tertre minuscule édifié en soi – monticule invisible depuis le monde – et que ne remarquent que les âmes attentives…
Ombres encore – s’amenuisant au fil des pas. D’un lieu à l’autre sans un regard sur les inepties communes – coutumières. Sans autre âme à aimer que la sienne – et tant pis si elle a l’air peu aimable…
Le monde – et ses assauts contre le seul élan nécessaire…
L’ignorance et la cécité comme le jeu de ce qui sait – en chacun – et contre lesquelles notre âme – si aveugle et ignorante elle aussi – lutte (encore) avec obstination…
Guerre – affrontement – frontalité – voilà, bien sûr, la voie de l’immaturité – de l’aveuglement – de la folie…
Et l’on voudrait se croire, en dépit de tant d’évidences puériles, proche de la complétude…
Que nenni ! Pas l’ombre d’une félicité – ni en surface, ni en profondeur…
Qu’une rage impuissante au fond des yeux…
Du réel et de la lumière – obscurcis, parfois, par les yeux et l’âme – si noirs encore…
Sagesse inégalée des heures immobiles – l’âme pas même à l’affût de la joie. Monde et visages égaux – sans attrait – étrangement neutres. Regard où tout se perd…
Echeveau de pierres et d’idées qui donne au monde cette allure de labyrinthe invisible et minéral…
Le mouvement et le regard – seulement – à la fois libres l’un de l’autre – et emmêlés de mille manières. Au-dedans et au-dehors – ici et ailleurs – partout. Etrange et mystérieuse entité bicéphale sans centre, ni contour – qui semble jouer (et jouir) autant dans son immobilité que dans ses multiples tourbillons…
Une vie vouée au parachèvement du silence…
Mouvements et espace – bruits et silence – temps et éternité – pris, ensemble, dans la ronde des jours – et dans l’étau du vide immobile…
D’autres yeux que ceux qui nous regardent. La présence déclinée de mille manières – dans la matière inerte et animée – dans le monde visible et invisible – dans le mouvement et l’immobilité. L’œil du cyclope sans frontière – attentif à tous ses élans. Rien en dehors de son regard…
Simples danses magmatiques initiées par le jeu de l’être et sa joie à créer – à donner forme – à donner vie – et capable de se multiplier à l’infini…
Ni sens, ni raison – l’élan originel et la faculté de l’unique engrenée dans le multiple…
Le regard et l’Existant – se goûtant l’un dans l’autre…
Les fragments, la totalité et la présence assemblés en toute chose – objets, organismes et tout le reste (perceptible et imperceptible par les sens humains)…
L’ineffable et l’ineffable – ce qui, bien sûr, rend vaine toute parole pour le décrire ou en témoigner…
La trop commune mesure du monde – manière, sans doute, de composer avec la stupidité des foules…
Ce qui nous attriste autant que d’être au monde ; notre incapacité à y vivre et notre impuissance à l’accueillir…
Stigmates de la différence aussitôt la première parole prononcée – simple prolongement du geste que nul ne voit – lui-même reflet d’un regard sur le monde – si peu partagé…
Vaine ardeur à vivre – élans, sauts, danses et cabrioles – dans l’oubli, réconfortant, de l’inéluctable….
Une tristesse que rien ne saurait rompre – comme l’autre versant, peut-être, de la lucidité*…
* une certaine forme de lucidité…
Larmes plutôt que rire – tant les apparences du monde nous semblent tragiques et bouleversantes. Et plus profondément – la mélancolie. Et plus enfouie encore, la certitude du jeu et du dérisoire de toute existence – mais insuffisamment prégnante pour s’abandonner à la joie et à l’acquiescement véritable…
Il y a toujours un regard et une sensibilité derrière la manière de vivre. Un regard et une sensibilité qui teintent les yeux, les gestes et la parole – et qui s’impriment, sans doute, jusque dans les traits de notre visage…
Comment se prêter – vulgairement – au bonheur lorsque tant de misère et de malheurs persistent autour de soi…
Il y a, sans doute, une sagesse triste qui n’est ni complaisance, ni exagérément sentimentale. Comme une manière, peut-être trop sérieuse, de compatir et de faire corps, malgré soi, avec ce qui souffre…
Le rire, à cet égard, semble restreint et étriqué – excluant – trop oublieux du monde et des Autres. Quelque chose comme une contraction – entre l’aveuglement et l’égotisme. Une sorte de réjouissance du premier cercle frappé de cécité – indifférent à ce qui ne relève pas, en apparence, de son territoire ; une posture (presque abjecte) qui consiste à faire l’autruche au milieu de l’arène et des charniers…
Un autre jour que le sien – l’espace et la lumière, peut-être, des Dieux venus, un instant, nous réconforter…
A demi enseveli déjà par les ténèbres que l’âme se raidit – se cabre – et s’élance vers des frontières trop lointaines – inaccessibles – avant de se rendre à l’évidence après tant d’échecs et de défaites ; la nécessité de la capitulation…
Mille combats qui n’auront servi qu’à nourrir vainement l’espoir d’une issue…
Notre parole – miettes d’un ciel autrement plus railleur que nous – mais dont la voix est inhibée par l’impératif d’impartialité et la souveraineté du silence…
Mille lieux plutôt que le diktat du tambour…
Mille errances plutôt que la marche militaire…
L’appel du lointain moins fort que la nécessité de fuir…
Le désir si vif d’une histoire plutôt que le silence…
L’anonymat et la transparence comme autre manière d’exister…
Mots blancs qu’un long silence pourrait résumer…
Une déflagration de l’âme – et des ondes qui se propagent de lieu en lieu – favorisant toutes les grimaces…
De petites choses – rien que de petites choses. Le monde et l’âme en regorgent – et que nous montons en épingle pour donner (vainement) une consistance – un peu d’épaisseur – aux existences auxquelles nous feignons de croire…
Entre la mort, le néant et la folie serpentent – malaisés – la petite sente de l’espérance et tous les mensonges nécessaires pour continuer à vivre – continuer à croire que la vie et le monde sont autre chose qu’un rêve…
Entre coups et sourire, nous essayons de nous dresser – de parvenir à la hauteur de nos espérances – et de celles que nous devinons dans les yeux des Autres…
Vie discrète et solitaire comme les pierres que chacun foule sans voir…
Des visages – des existences – des maisons – des routes – des cités – des civilisations – mille choses pour croire en la réalité du monde…
De désert en lieu magique – le périple du solitaire. Ce long voyage où les escales ne sont nécessaires qu’au repos et au ravitaillement. Minuscule cortège sans autre bagage que le passéque l’on traîne, trop souvent, comme un boulet…
Paroles outrageusement mensongères – exagérées. Mais comment pourrait-on vivre autrement – et comment pourrait-on exposer – et revendiquer – sans honte – sans crainte – cet espace vide voué – uniquement – à béatitude et à la contemplation…
Regard et gestes – contemplation et contingences – spectateur joyeux des servitudes consenties…
Aliénation totale – monstrueuse – à laquelle n’échappe que le regard surplombant qui laisse les choses du monde dévaler leur pente – suivre leur destin…
Spectateur d’un monde dont la course n’a ni sens, ni raison. Des mouvements irrépressibles – seulement. Des pas, des danses, des rêves, du langage, des caresses, des coups. Le bon vouloir des Dieux et de la providence. Ce qui est – et ne peut ne pas être. Le possible – tous les possibles sur la palette de l’infini que nul n’est en mesure de connaître, ni d’apprivoiser…
Spectacle sans fin des mille voyages…
N’imaginons rien – soyons réels…
A ce qu’un Autre agrémenterait de raison, nous ôterions le contenu et l’inutile – et ajouterions la folie – histoire de voir plus loin que les yeux et l’esprit…
Terre en pente qui oblige à toutes les inclinaisons…
Fenêtres qu’un autre jour ne peut remplacer – et qui réapparaissent le temps de fermer les yeux…
Exploration obstinée – découvertes parcimonieuses – irrégulières – aléatoires – et avancées des plus ténues. L’allure (tragique) de l’homme…
Souvenir d’un autre partage – plus ancien – originel peut-être – où tous les visages étaient égaux et où les pyramides étaient des temples horizontaux…
Histoire déroulée jusqu’à la fin en dépit des aspérités. Heurts, accidents et revirements écrasés par le passage du temps…
Rien qu’un cri ininterrompu au fond de la poitrine – et que la gorge distille au fil des circonstances…
La poitrine – origine du monde – lieu premier et nourricier qui précéda la matrice des siècles. Temple d’avant la naissance du temps – dont nous avons oublié l’infinie tendresse…
A se rouler dans l’herbe sauvage dans le souvenir de notre premier abri. Enfant d’un monde sans machine – sans épreuve – sans défi – où rien n’existait en dehors du jeu…
Temps d’avant le désir et le rêve de l’homme…
Réel toujours ombragé par l’âme – et ces humeurs qui nous font tournoyer comme des toupies…
Ivre de bleu et de vert pour célébrer le naturel – le peu qui reste après le passage des hommes. Acte de résistance contre l’envahissement, partout, du rouge et du gris – contre le rythme effréné de la conquête et du progrès…
Voyageur et saltimbanque comme ces conteurs d’autrefois qui racontaient les mythes du monde – mais les pieds et la tête ancrés dans le silence et le réel le plus abrupt…
A dévisager le silence comme s’il nous était étranger…
A vivre loin des hommes (le plus loin possible) – dans cette marge, de plus en plus étroite, laissée à la vie sauvage. Le visage attendri par tout ce qui échappe (encore) à l’humain…
A défendre la beauté contre l’usage. A résister aux âmes jouissantes et exploiteuses. A honorer le silence contre la bêtise et la domination de l’homme…
Forme, peut-être, de sagesse contre tous les visages de la barbarie. Appel aussi au dépassement de la puérilité…
Dissidence et divergence du cœur que l’insensibilité révolte…
Une pensée métamorphosée en gestes…
Un silence incarné – que la parole, toujours, encombre…
La pente choisie, peut-être, par la sagesse…
On ne peut chambouler son destin. On le suit en traînant les pieds ou l’on s’y jette à corps perdu…
Ni écart, ni faux pas possibles…
J’envie parfois la solitude de l’aigle – son exil des hauteurs. La vie des falaises et la proximité du ciel. La quiétude d’un royaume au-dessus du monde…
Une âme et une perspective d’envergure – voilà, sans doute, ce qui fait le plus défaut aux hommes…
Des souliers trop étroits – trop vernis – trop colorés – mais qui suffisent au baguenaudage – aux excursions – aux abjects voyages des masses…
Les voyageurs, eux, sont d’une autre race – d’une autre trempe ; leur marche a une autre envergure…
Pierres des églises – des chemins – des châteaux-forts. Mille usages différents de la matière – comme le reflet de tous les horizons humains possibles…
L’éternité nous confisque (en idée) ce qu’un seul jour pourrait nous offrir. L’excès dilapide le plus précieux – atténue – et efface presque – le goût – la joie – l’intensité. Sous son joug, nous vivons comme des sacs avides et ingrats – impatients d’être remplis – vivant dans l’attente incessante de l’heure des repas – de la nourriture suivante…
Un autre jour – un autre pas – une autre page. Mille choses et mille gestes qui effacent les précédents…
Tout passe – rien ne subsiste. Et tout, sans cesse, recommence. Mais au lieu de vivre – heureux – au cœur de cette beauté – au cœur de ce miracle – nous nous lamentons sur la perte et la récurrence des corvées…
D’un ciel à l’autre – avec nos ailes nouvelles. Et quelques escales sur terre pour narguer les hommes…
Un autre paradigme du monde où les visages humains ne compteraient pas davantage que les pierres – où rien ne serait plus détestable que l’irrespect…
De moins en moins mimétiques – de plus en plus spéculaires – ainsi deviennent nos gestes et notre visage devant ce qui nous fait face…
Sans autre emprise que celles qui nous sont nécessaires…
Périple mû par l’esprit d’autonomie. Silence et solitude – et la quiétude des pierres (autant que possible)…
D’interstice en interstice. Et de la ruse et du brouhaha – pas même l’écho. Les rumeurs du monde de plus en plus lointaines…
Visage déshumanisé – offert sans certitude à l’au-delà de l’homme – plus vif – plus clair – plus vaste – et plus tranchant sans doute…
Exil et fuite – davantage que voyage…
Là où les nécessités nous appellent – là où l’autre visage se façonne…
Etrange périple dans l’âme et la poitrine du monde. Au plus près de ceux que la souffrance dévore…