Carnet n°231 Notes journalières
Nu – comme la naissance du jour – l’authentique témoignage de l’enfance – nos mains dans la terre ; ce qui est affranchi de toute compromission – de toute alliance – le plus innocent – ce que nous serions sans la ronde des visages – des idées – des saisons. Dans cette justesse nécessaire au franchissement de tous les seuils…
Seul – frigorifié – comme toutes les bêtes dans la nuit – mais heureux de l’absence des hommes – allongé sur la pierre – dans l’intimité de l’herbe et des étoiles – la mort et la fête, tout près, qui rôdent ; le noir sans spectacle – sans simagrée. Notre front plissé par les soucis – l’inquiétude – la tournure (inévitablement) tragique du monde…
Le monde franchi – l’épreuve traversée – que reste-t-il de cette très ancienne fidélité…
L’Amour aussi clair – aussi vif – aussi innocent – que la lumière. Des rêves envolés – remplacés par des ailes d’oiseaux – grandes et généreuses – prêtes à redresser notre âme et à nous faire traverser, une à une, toutes les terres sans soleil…
Voyage hors de la pensée – plongé dans le plein silence – et la légèreté nécessaire…
L’inversion des choses du monde et de la matière – pierres au-dessus – ciel en-dessous – et l’âme flottante – volant, en quelque sorte, entre les paysages mobiles – effleurant toutes les merveilles…
Terres blanches – au-delà des yeux – la mort reléguée hors du tombeau – en plein visage – au cœur même de notre vie – sans fard – sans secours – plus lourde que tous nos rêves – ces milliers d’images inconsistantes et consolatrices – la tête éprise – basculée – plongée au milieu des os et de la chair – la bouche muette – l’âme effrayée – comme si l’existence n’était peuplée que d’absence…
Partout – la mort et le silence – et notre inquiète solitude…
L’intimité avec les choses du monde – comme une fleur invisible dont s’imprègne le souffle – de l’âme au geste – du geste à la bouche – la vie intense – enivrante – à chaque instant que le silence honore…
Jamais las du même néant qu’on leur propose – qu’on leur offre – les hommes et leur appétit – les hommes et leur crainte de la solitude et de l’ennui…
De désir en absence jusqu’à la fin des âges – jusqu’à la fin des temps…
Le monde – effacé en un seul adieu – long – (presque) interminable…
Seul – debout – sans se sentir inquiet – ni défiguré – d’un seul tenant – plus solide et sensible qu’autrefois…
Face au ciel – le front silencieux…
Et dans l’âme, mille chants d’oiseaux – et devant les yeux, le défilé des merveilles et des chagrins…
Tremblants devant le monde – les âmes – cette longue nuit – le ciel – cette faim – notre visage et nos mains – façonnés par le sang et le silence – à la fois familiers des choses et si étrangers aux enjeux (réels) de cette existence…
Le monde comme un questionnement – une épreuve – un exil – un refuge – une manière de parler d’une chose – comme toutes choses – que nul ne connaît vraiment…
Une sorte de savoir appris par ouï-dire – par approximation – imprécis – impressions vagues plutôt que certitudes – nécessaire pour alimenter les échanges – habiller le silence d’un peu de bruit – façon (évidente) de fuir l’incompréhension – la solitude – le vide et l’ennui – dans lesquels chacun se trouve empêtré – inconfortablement…
Le cœur en feu – manière de réchauffer l’atmosphère – le monde et les visages – plus que glacés – et de nous épargner une vaine attente – la résolution impossible d’un tracas par quelque entité extérieure – de privilégier le premier centre du cercle et le carburant le plus naturel…
Et nous – tremblants – devant tant d’histoires dérisoires…
Du brouillard – des prières – du silence – presque toujours les mêmes éléments du mystère – du massacre – de l’existence ordinaire…
Des murs à escalader – des rêves à réinventer – des chemins à découvrir ; l’errance de l’âme scellée dans la matière…
Un long voyage – plus ou moins définitif – à quelques jours près…
L’hiver – comme la seule saison…
Le désert – comme l’unique décor…
L’âme ici – et au loin – et au-dedans – cette étrange fumée grise…
Et cette marche dans la même ruelle étroite – avec cette charge – cette immense tristesse à porter chaque matin – comme un vêtement journalier…
L’épuisement quotidien face à l’éternité…
Nous ne survivons – nous n’avons survécu – nous ne survivrons – qu’à nous-même(s) – à ces milliards de dépouilles successives…
Immobile(s) – presque inchangé(s) – sans même nous en rendre compte…
Quelque chose – en chacun – du chaos. Du désordre et de la violence – en pensées – en actes – en mots – tous nos désirs et les outils pour les satisfaire – presque notre seule réalité…
Le silence – la joie – sont ailleurs – du côté de l’Absolu – sur le versant (toujours inconnu) du monde – là où l’infini et l’éternité peuvent déployer leur envergure sans restriction…
Trop de charge – d’idées – d’images – de mots et d’événements – pour être heureux…
De longues échardes de joie dans la chair…
Notre vie – notre souffrance…
Et ceux qui vivent indemnes marchent les yeux fermés – les mains sur les oreilles – avec mille couches de bruits sur la douleur ; une existence de cacophonie permanente – presque inconsciente…
Des fantômes mécaniques et anesthésiés – moins que vivants – en somme…
Nous – aimant l’infidélité – la liberté de trahir – mille tâches à faire – mille choses dans les mains – la crainte que nous inspirons et l’envie que nous suscitons…
Cette sinistre étoile que nous portons (tous) sur le front – les éclats d’une nuit folle et désespérante…
Rien qu’une fièvre et mille délires – nous autres et le monde – bêtes féroces – impuissantes à changer…
Devant les lèvres – cet autre silence – différent de celui du dedans – plus étranger – comme un assoupissement – une absence – de l’Autre – du monde – alors qu’à l’intérieur nous nous taisons en signe de remerciement – comme une gratitude – une forme de célébration – un hommage à la beauté de ce qui est devant nos yeux…
Un langage, parfois, comme une pierre – parfois, comme une fleur – nous n’avons le choix des mots – pas davantage que celui des outils et des usages…
La parole naît dans la bouche silencieuse des Dieux qui nous chuchotent à l’oreille quelques froissements d’air pour ne pas être entendus – ou qui lancent, parfois, sur la page de minuscules poignées de neige…
Nous sommes le ciel en retrait – invisible depuis les rives humaines. Nous sommes l’épaule contre laquelle nous appuyons, parfois, notre tristesse et le front qui lance au monde quelques idées – anciennes très souvent – nouvelles plus rarement. Nous sommes la nuit qui rêve – les mains qui frappent et qui caressent. Nous sommes un chant – la terre – et tous les martyrs inentendus. Nous sommes simples – incroyablement simples – et complexes – horriblement sophistiqués – quelque chose de combiné qui ressemblerait au monde – à un visage – à l’univers – à l’infini dans notre tête – à toutes les âmes effarouchées de vivre au milieu des Autres – quelque chose d’insaisissable et de trop incertain pour être attrapé par la pensée – avec un peu de langage – et être fixé avec quelques traits sur la page ou avec quelques sons nés de la bouche des hommes…
Contre le ciel – parfois – notre tête rêveuse – sans âge – sur des épaules lasses – fatiguées par la proximité du monde – hommes et bruits – et les pas – presque libres – quasi autonomes – se dirigeant (naturellement) vers la forêt – les grands arbres – la solitude et le silence – l’âme déjà loin devant – goûtant, un peu à l’écart, le plus simple du vivant – et le plus précieux – peut-être…
Le feu et la neige qui se disputent notre sommeil – les mains glacées et le front brûlant – l’ombre flottant dans l’eau – se laissant aller au rythme naturel des flots. Et sur les berges – des fleurs et des visages – éclaboussés par cet étrange combat…
Des jours passagers – quelques dizaines de milliers ; chaque instant – effacé ainsi – sans épuisement – posé là – et poussé par les vents – inexorablement…
Au cœur du même voyage – éternellement…
Les apparences diverses – et l’âme dans sa continuité – peut-être…
Tout s’écoule ainsi – de l’origine à l’origine – à travers toutes les vies – à travers toutes les morts – sans cesse recommencées…
Seul – toujours – de plus en plus – dans tous les tourbillons – de cercle en cercle – de plus en plus large – sans doute – au cœur du même infini…
Aux sources de l’eau et de la lumière – nos visages et nos âmes – les uns défilant dans une ronde effrénée – les autres cherchant un chemin au milieu des danses – empruntant la même pente – de plus en plus déserte à mesure des pas…
Voyage d’une partie du ciel à une autre – dans l’illusoire sentiment de traverser mille univers différents…
Au fond, le même cœur – la même étendue – et des paysages aux formes et aux couleurs changeantes…
Dans le nom éprouvé de la rencontre – de l’amour – moins essentiel que le sang – une sorte de ciel – comme caché derrière les yeux – une sorte de réalité déguisée – presque un mensonge. La négligence et l’oubli – ce qui est volontairement dissimulé – comme une ruse – une manière atroce de s’illusionner et de leurrer les Autres – tout un monde sacrifié par une fausse vérité mise en avant…
Dans un monde de masques et d’instincts – inadapté – trop innocent – trop idéaliste – trop sauvage. Le front nu – sans rôle – sans grimace. Un sourire discret et silencieux – les yeux tournés vers un ciel plus haut – plus ancien – plus authentique – que celui que voient les hommes – le seul peut-être – le seul sans doute…
Tout s’assemble et se disloque – sans répit – tout s’enlace et se rompt – les pierres – les choses – les visages…
Et à terme – toutes les solitudes du monde se retrouvent…
Jusqu’au bord de la source – nous serons accompagnés – jusqu’au commencement du jour…
En tous lieux – les mêmes lois – les mêmes mots – le temps – trop de grimaces et de mensonges – trop d’inconscience et de cruauté…
Des rêves et des orages – et les grognements belliqueux ou plaintifs de la meute…
Et un peu plus loin – un peu à l’écart – notre sourire et notre visage – invisibles – et notre chant inentendu…
Et ce repli apparent vers l’enfance – et ce saut nécessaire au cœur du silence. Une vie hors des fables – sensible ; en larmes, presque chaque jour, devant la marche tragique de ceux qui passent…
Toi – devenant la frayeur que tu vois briller dans les yeux des Autres – la folie inguérissable du monde – la source de tout – et ce qui s’en amuse – bien sûr…
Ça se répand depuis l’origine – le premier jour du monde ; avant – on l’ignore – sans doute n’y avait-il qu’une vague intention qui a, peu à peu, gagné en ardeur et en puissance pour être capable d’éclater et de couler ainsi jusqu’à la fin du monde – jusqu’à la fin des temps…
Devenir pour que renaisse le souffle – pousser des portes – oublier – mêler son âme aux visages et aux rêves qui passent – lever les yeux – y être – se perdre – oublier encore – et recommencer…
Le jeu insensé du monde – pour rien – sans raison – comme ça – pas même pour le plaisir du jeu…
Une route accidentelle – peut-être…
Grimper à l’échelle tendue par un Autre – mille Autres – pour quelles (mauvaises) raisons faudrait-il s’y résoudre…
Une nuit sans à-coup – longue et glissante – pour que la chute soit continue – imperceptible et continue…
Le vent – plus léger – sur nos épaules abandonnées – ni rêve – ni tête – et des gestes plus justes et moins tremblants…
L’instant plus dense que la soif…
Des rangées d’arbres au fond de la poitrine – et un oiseau dans chaque main – aussi libres que dans le ciel…
Encore trop de sommeil sur le visage – les yeux clos et l’âme à l’horizontale…
La course et le déclin auront été (extrêmement) solitaires – autant que l’effacement – l’envol et la disparition…
Et l’existence frugale et forestière…
Et l’âme – incroyablement curieuse – comme une fenêtre ouverte sur l’invisible…
Rien qu’un regard pour habiter l’infini – le reste n’aura – bientôt – plus d’importance (si tant est qu’il en ait déjà eu)…
Entre la folie des bêtes et la folie des hommes sans tête – la sauvagerie de l’âme et l’œil lucide sur la ruse des marchands et la direction prise par les vents et la marche du monde – des ondes ressenties – des signes invisibles – la solitude hissée jusqu’au faîte pour que les chemins soient plus justes et se conforment au rythme (naturel) des saisons…
Des visages – de plus en plus lointains – de plus en plus étrangers – quelque chose comme une apparence – une façade creuse (très souvent) – sorte de carapace vide – sans âme – ou si éloignée qu’elle semble inexistante…
Dans la lumière discrète du jour – le monde à notre seuil – imaginé seulement – tout un cortège de visages curieux – embarrassés de se retrouver face à cette solitude silencieuse – cette part d’eux-mêmes inconnue – jugée (pour l’heure) dangereuse – presque détestable…
Des cierges plein les mains mais quelque chose de froid à la place du cœur – comme si les termes de l’équation avaient été inversés…
Les coudées franches mais l’âme cadenassée – le cœur dur – impénétrable – malgré la profusion des mots et des émotions – comme une infirmité de plus en plus invalidante – de plus en plus insupportable…
Et cette récurrence des seuils à franchir – d’exercices à réaliser – d’ombres à défaire – comme si l’existence était une course – une épreuve – un défi…
Rien de plus stupide – rien de plus aliénant…
Lorsque viendra l’ultime instant – ne restera que des larmes et des regrets…
En rang – disciplinés – nos rêves – plein d’espoir et de patience – et si ignorants de l’illusion du monde et de l’esprit…
Des remparts autour de nous – constitués de mots – de bruits – de choses – pour protéger nos trésors si laborieusement acquis – quelques objets – quelques titres – quelques visages – que nous croyons posséder…
Tant d’illusions devant et derrière les murs – et ces fenêtres percées qui n’ouvrent que sur d’autres chimères…
Certains jours – du silence – en rêve – seulement…
Du vent – de l’écume – des coups de semonce – au pied de l’innommable qui pénètre l’âme sans prévenir – sans même s’annoncer…
Des crocs – de la rage – et ces tristes restes d’enfance…
Notre vie rude (et inguérissable)…
L’aube – et sa présence dans l’âme – comme un espace épargné par le monde – silencieux – bénéfique à celui qui vit de lignes et de pas – à la lisière du périmètre commun…
Autour de soi – personne – aucun être qui donne – rien que des bouches qui réclament…
Pas une seule créature qui offre – présente et attentive – toutes qui exigent et s’approprient – absentes – assujetties à leurs propres mouvements – à leurs propres besoins…
Tantôt fleur – tantôt pierre – on erre (tous) sur des chemins impossibles – sous la pluie et une lumière, parfois, ruisselante…
Des pas qui s’éloignent de l’aube et du Divin…
Des seuils infranchissables…
Des apparences impénétrables…
Des vies apparemment construites sur d’étranges (et épaisses) illusions…
Rien qu’un grand désert – au-dehors comme au-dedans – avec du bruit et de grands cris – des milliards d’yeux et de ventres – la terre monstrueuse des vivants – le cœur arraché et le rire interdit. A respirer – à essayer de reprendre souffle devant la condamnation et le lynchage permanents des innocents…
Des plaintes et des pensées aussi inutiles que notre main tendue…
Un peu de soleil – et notre folle espérance de pouvoir, un jour, vivre ensemble…
Les yeux fermés sur la nuit qui dure – depuis trop longtemps – avec toutes les flèches du monde plantées dans la poitrine…
Ce qui danse dans la chute – le vent – quelques mots – quelques feuilles – notre manière d’apparaître et de résister – notre cœur et l’espace – si semblables – si interchangeables – le coin où nous sommes assis – là où notre roulotte est posée – les pierres et les visages alentour…
Tout tourne – notre tête – ce monde – cette existence – tous les éléments de cet étrange voyage…
Rien – désormais – qui ne soit droit – pas la moindre chose qui nous appartienne – pas la moindre aspérité – pas la moindre ligne – à laquelle se raccrocher. Nous dévalons la pente et notre chute est verticale…
Et tout (bien sûr) restera inachevé…
La tête entre le marbre et le sommeil…
Et ces bruits – au-dedans – qui cognent…
Et le silence – plus haut – qui se moque de notre douleur – de notre effroi…
L’enfance dans le dos – et sur les épaules – cette tête trop lourde – et en-dessous – la poitrine – et plus bas – les pieds qui jouent du tambour sur le sol ; l’impatience de rejoindre l’origine – le premier jour de l’innocence…
Inconsolable – comme nous tous – devant la fureur du temps…
Il y a tant de choses étranges sous le ciel – des arabesques et des arcs-en-ciel – couleur de soir – couleur de mort – des danses et des tourbillons – et, au-dedans des âmes, une immense inertie recouverte par une (épaisse) chape de plomb…
Les mains encore trop écartées du cœur pour s’arracher du monde…
L’impossibilité du monde…
Rien qu’un trait…
De heurt en heurt – jusqu’à l’horizon où l’on imagine, parfois, la joie installée. Et la marche (bien sûr) nous rend inaccessibles l’un et l’autre. Et de ce découragement naît (peut naître) le regard sur le pas présent – les gestes quotidiens nécessaires – le carré de terre où l’on se tient – le carré de ciel au-dessus de notre tête – et le contentement – et la gratitude – d’y être – de s’y trouver (déjà)…
Nous n’avons rien d’autre – et où que l’on aille – nous n’aurons que cela ; le reste – tout le reste – n’est que fantasme – désir – mensonge et illusion…
En faisant face à ce qui est là – à ce qui se tient en – et devant – nous – sans aucune échappatoire – nous apprenons à vivre le réel avec une envergure grandissante – et avec une âme de plus en plus joyeuse et vivante…
Cette lente (et très ancienne) respiration de la terre – puis, l’apparition de l’homme – et, soudain, partout l’asphyxie…
En quelques instants – l’agonie et le règne de la mort…
Le rêve – l’attente et le tourment…
Nos vies en laisse…
Des choses dans les mains – offertes. Comme les idées – passagères. Et ce chant au bout des doigts – si léger – comme un jour découvert – comme le mot « silence » prononcé à voix basse – à peine murmuré…
L’étrange place où nous nous trouvons – là où la vie nous a posé(s) pour quelques jours – pour quelques instants…
Le voyage – jamais brisé – contrairement au cœur qui réclame – depuis si longtemps – un peu de répit – un peu de guérison…
Des feuilles – des poètes – des moines – des sages – des pierres – des arbres – des pas – quelques mots et le silence…
Notre vie de solitude…
Allongé sur la pierre – le monde, en soi, qui lentement s’éteint – l’âme tendre – aussi colorée que les fleurs – aussi joyeuse que les oiseaux – à l’écoute du chant de la rivière – le cœur encore ardent – presque impatient de retrouver l’océan – cet autre ciel du monde – caché dans les profondeurs invisibles de celui sous lequel nous avons l’air de vivre…
Nous – glissant le long du silence – à travers mille morts successives – de plus en plus bas – de plus en plus éloigné du monde et des étoiles – si bas que les jours semblent des siècles – si bas que l’on ne s’étonne guère, à mesure que l’on s’enfonce, de ne trouver personne – pas le moindre visage – pas la moindre chose – ni rêve – ni miroir – ni reflet – rien que cette longue glissade vers les bras d’un Dieu, peut-être, guérisseur…
Le ciel à l’envers – sans doute…
Notre âme – notre nourriture – le silence…
La mémoire brisée – le passé à la renverse avec, au centre, la douleur – et, sur les joues, encore quelques larmes…
Seul dans le vent – présent – l’oubli jeté dans l’abîme avec tous nos souvenirs…
Moins qu’un visage – une absence…
Plus qu’un geste – une présence…
Et entre les deux – l’homme – sans cesse oscillant…
Il y a du sable – du vent – du froid – la nuit partout – l’absence de soi et l’indifférence de l’Autre…
De l’écume blanche sur quelques cimes et de la fumée noire au fond des grottes…
Le monde encore empli de sommeil…
La fin d’une ligne – le début d’un autre monde où nous pourrions vivre d’encre et de pas – respirer à la manière des arbres et des nuages – tutoyer le ciel comme un (très) vieil ami – devenir sans hâte toute la lumière…
Du ciel noir, parfois, descend un oiseau aux ailes blanches – à la tête bleue – tout droit sorti de l’imaginaire (innocent) – pour affronter les temps crépusculaires – les heures sombres du désespoir…
Nous grandirons – plus tard – sans les mots – en franchissant la ligne blanche dessinée par la solitude et l’absence de l’Autre – ici même – à cet instant…
Ce qui nous porte n’a aucune prise – les mains glissent à chaque saisie – et l’âme doit se résoudre à se laisser mener – sans rien voir – sans rien savoir – confiante malgré les flots déchaînés…
Des adieux silencieux – au bout de la lumière – et au loin – à peine perceptible – ce chant qui s’élève en traversant la brume – une seule voix – belle et solitaire – tremblante d’angoisse et de désespoir – presque irréelle dans ces eaux claires qui nous conduisent au-delà des rives des vivants – dans la joie et la douleur de quitter le connu et, trop souvent, l’infâme – pour rejoindre, peut-être, ce que notre âme n’a cessé de réclamer…
Les gestes justes et ordinaires – le plein jour – le plein silence ; la face lumineuse – les cheveux défaits – l’âme fidèle et le pas attentif – ne cherchant rien à travers le monde – les Autres – les rêves – soudant la réalité – ce qui est – aux plus hautes cimes de l’Absolu…
Comme une tête volée à un autre monde – étrange – composée de pierres et de plumes – variable d’heure en heure – fidèle aux saisons et à l’absence de temps – flottant d’une rive à l’autre – d’un corps à l’autre – dans la nuit et sous le feu de ses propres projecteurs – porteuse d’innocence et d’un regard unique – comme une présence incroyablement claire…
Simple – sans image – comme l’oubli. Et l’existence joyeuse jusqu’au dernier jour…
Pourrait-on inventer d’autres rêves – moins triviaux – moins irréels – quelque chose de l’ordre de la haute mer et de la poésie écrite au milieu de l’écume – sur d’étroits blocs de vent…
Un monde d’encens et de gravats où l’on se méprend sur le rôle du feu et de la destruction…
Il faudrait gravir d’autres pentes – et ouvrir d’autres fenêtres – pour apprendre (un peu) ce qu’est la lucidité et la (pleine) liberté du regard…
Partout des pierres et des éclats de ciel – un monde de pas et de débris – vespéral. Quelque chose comme un dédale et une voûte – mal éclairés – où l’on se heurte à toutes les choses du monde…
Entre l’oubli et le rêve – un long chemin sombre – la tête étourdie – brinquebalante – hésitant, sans cesse, entre la droite et la gauche – entre le passé et le pas suivant – quelque chose qui, à force de doute, deviendrait une sorte de labyrinthe linéaire…
Parmi les vieux arbres aux branches noueuses et blessées – parfois arrachées – au pied d’une parole plus vieille que le silence – dans l’herbe – à côté de la rivière qui s’écoule vers la vallée – dans la solitude la plus pauvre – à genoux dans la lumière – le visage à peine éclairé par le soleil couchant…
Au cœur de notre besogne terrestre – au cœur de notre labeur humain…
La tête baissée pour franchir les portes de l’humilité – et dans l’âme – le souvenir de l’origine pour aller avec plus d’innocence et de simplicité…
Avant chaque aube – la marche de l’inutile – avec ses lourds bagages et son poids de tristesse. Et l’usure (très progressive) des pas et de la malédiction pour que le miracle apparaisse en même temps que la lumière…