Juillet 2023
Note : tous les haïkus sont extraits de l'ouvrage d'Hervé Collet « dieu et moi » et ont été écrits par divers poètes chinois et japonais, parmi lesquels Han Shan, Li Po, Tu Fu, Ryokan, Issa, Bashô, Buson, Hosai
Depuis près de 5 ans, on vit sur les routes et les chemins(1) ; on habite une roulotte motorisée (un camping-car de taille modeste(2) – acheté d'occasion). On y travaille, on y mange, on y dort, on y prépare les repas, on s'y repose, on s'y lave ; bref, on y passe l'essentiel de nos journées.
On ne voyage pas, on arpente les forêts et les hameaux en quête de lieux déserts(3) et silencieux ; de lieux sauvages et peu fréquentés ; des clairières, des sous-bois, des friches, des collines, des bords de routes peu passagères, des accotements improbables, des impasses, des chemins de terre, des pistes forestières, de minuscules parkings, des cimetières, des places de villages reculés, des parvis d'églises isolées, des aires un peu à l'écart où l'on recycle le verre et les déchets plastiques et où l'on pose, parfois, ces énormes poubelles grises destinées aux ordures ménagères (et dont personne n'a l'usage durant la nuit) ; tous les lieux à la marge, tous les lieux peu fréquentés, délaissés ou abandonnés par les hommes...
(1) avec Bhagawan, un petit chien croisé Jack Russell, compagnon de vie depuis plus de 12 ans ; Shin'ya, notre vieille chienne, est morte durant le voyage – après 2 ans de périple
(2) un peu plus de 5 mètres 50 de longueur
(3) ou très peu peuplés
On est ce que l'on pourrait appeler un ermite séculier ou sauvage – lié à aucune religion particulière, ni à aucun dogme mais engagé, depuis de nombreuses années, dans une perspective spirituelle impersonnelle* qui s'est, peu à peu, déployée dans notre existence au point de devenir un axe central de notre quotidien.
* spiritualité non dogmatique qui invite à découvrir les dimensions non personnelles de l'être (voir la rubrique « la présence en soi ») que les traditions religieuses appellent de différentes façons ; Dieu, la Vie, le Soi, la Conscience, la nature de l'Esprit etc etc
Depuis le plus jeune âge, on s'est toujours (plus ou moins) senti en décalage avec les hommes et le monde humain ; et après une existence sédentaire (passablement instable), les circonstances nous ont conduit vers ce mode de vie qui s'est imposé, malgré nous, comme la manière la plus appropriée de vivre ce qui nous semble essentiel ; dans cet écart avec les hommes – dans cet éloignement de la société humaine*.
* même si subsistent de nombreux liens...
Une vie à la dérobée
Une vie discrète et anonyme ; presque clandestine tant on s'évertue à éviter la présence des hommes, à raser les murs du monde (humain), à vivre à l'écart ; tant on essaie de se fondre dans les paysages, de disparaître, de nous effacer, de devenir aussi invisible que possible...
A la manière des bêtes sauvages...
Journal poétique (extrait)
Plus vieux que le sang et l'indifférence
Qu'importe les hommes et la mort
Au milieu des simples ; au fond des bois
Dans cette solitude sans égale ; dans cette joie que l'on partage avec les nôtres – le ciel ; la vie et le merveilleux qui nous entourent
Un rapide portrait
Petit, râblé. Silhouette massive et musclée. Épaules larges et jambes bien campées. Cheveux ras, barbe de plusieurs jours (très souvent) et petites lunettes rondes.
Simple, franc, authentique, solitaire, solidaire, loyal, fidèle, fiable, intransigeant, discret et respectueux.
Voilà pour le portrait. Caractéristiques principales du bonhomme. Sans grand intérêt...
Journal poétique (extrait)
Sous l'aube éblouissante
La paix étreinte
Le cœur désenclavé ; affranchi du glaive
L'avènement du langage ; la bouche silencieuse ; la parole nue
Quelque chose (bien sûr) de la lumière
Journal poétique (extrait)
Visages cherchés ; à demeure
Jusqu'à la plus haute intimité
Attaché (très attaché) à l'écart – pourtant
Attendant on ne sait quoi
L'hiver et la mort – peut-être
L'inévitable désapprentissage du monde – de soi
Et tous ces restes de mémoire
Emploi du temps journalier
8h45 : lever
9h15 : petit déjeuner
9h45 : sur la route – prospection d'un nouveau lieu pour la journée(1)
10h15 – 10h30 : écriture (correction)
12h30 : déjeuner
13h : écriture
13h30 : espace récréatif (lecture et sieste)
15h : marche en forêt
18h : écriture (retranscription des notes de la veille)
18h45 : exercices physiques (entretien musculaire)
19h – 19h30 : préparation du repas(2)
20h : dîner
20h30 : vaisselle
21h : écriture
21h45 : espace récréatif (radio – podcast – film documentaire)
23h : ablutions quotidiennes
23h45 – 00h15 : coucher
(1) distant de quelques kilomètres (en général)
(2) en particulier celui de Bhagawan avec des rations ménagères adaptées à ses problématiques de santé
Cet emploi du temps peut, bien sûr, varier selon les jours ou les saisons ; lorsqu'il nous faut, par exemple, trouver un lieu de bivouac en fin d'après-midi* ou lorsque l'on doit renouveler ses provisions alimentaires ou lorsque les jours raccourcissent en hiver etc etc.
* différent de celui où l'on a passé la journée ; ce qui arrive très fréquemment en été...
Disons qu'il constitue le socle sur lequel s'organisent nos activités quotidiennes...
Haïku
« Toute la journée
le cœur libre
à l'aise »
Journal poétique (extrait)
Le front accolé au sol et au temps
Nous réchauffant au soleil de l'exil
Ermite (à part entière) désormais ; nomade du fond des bois
L'âme proche des arbres et des bêtes
Mille visages au gré des chemins
Et la vie éternelle – fraternelle ; au-dedans
N'ayant plus rien à partager avec les hommes
Célébrant la joie et le silence auprès des siens (sans même le besoin d'en témoigner)
8h40 L'alarme du réveil retentit. On s'étire, on sort la tête de la couette, on regarde la lumière – quelques rayons de soleil timides percent à travers les stores. On baille et s’octroie quelques instants supplémentaires pour achever de se réveiller (en douceur).
On ôte les bouchons de protection auditive pour écouter les bruits matinaux de la forêt, le chant des oiseaux, quelques voitures qui passent sur la petite route située, non loin de là, derrière les grands arbres qui nous abritent des regards.
On sort enfin du lit (en prenant appui sur l'étroit plan de travail de la cuisine), selon la saison, on éteint le chauffage ou l'on ouvre toutes les baies vitrées, on tire les rideaux, on replie les stores, on jette un œil au-dehors, on plie sa couette, on remonte le lit(1), verrouille le dispositif, on embrasse Bhagawan(2) qui dort encore sur son coussin(3) posé sur le canapé du coin salon. On enfile, selon la saison, un caleçon ou un vieux jogging, un pull ou un t-shirt, on ouvre le réfrigérateur, sort la gamelle de Bhagawan, la margarine et la confiture, on prend une tasse et une casserole dans le placard. On prépare le petit déjeuner. La journée commence...
(1) lit pavillon mobile actionné par un moteur électrique – que l'on fixe au plafond au cours de la journée et que l'on descend pour la nuit
(2) enveloppé, pendant l'hiver, dans une épaisse couverture de laine
(3) un coussin moelleux recouvert de longs poils synthétiques et bordé de mousse
Journal poétique (extrait)
Sans étonnement ; la lumière
Le lieu désert ; et l'infinité des liens
Le retentissement des sons
Au milieu des bêtes et des bois
Témoin(s) de l'aube qui s'étire ; et que le jour absorbe
Mille choses transparentes ; au lieu de la fumée du monde
Ni vacances, ni jour de repos
Depuis de nombreuses années*, on ne s'octroie ni vacances ni jour de repos (on n'en a jamais éprouvé le besoin) ; comme les arbres, les bêtes et les moines. Comme tous ceux pour qui vivre (chaque journée) est nécessité et vocation...
* depuis la fin de l'adolescence
Il faut sans doute que le quotidien nous comble et nous offre le plaisir et la joie indispensables pour nous y consacrer sans relâche – sans changement (majeur), jour après jour, année après année...
Chaque journée nous procure ce qui nous est nécessaire ; la solitude, le silence, le contact avec le monde naturel, les arbres et du temps consacré à ce qui nous semble essentiel...
Journal poétique (extrait)
A la source du voir
Aux confins des forêts
L'âme et la lumière
Ce pour quoi nous sommes né(s) – sans doute
Activités essentielles et (principaux) centres d’intérêt
-
La quotidienneté
-
La spiritualité
-
L'écriture et la poésie
-
La nature et les arbres
-
La marche
-
Les savoirs
-
La martialité
-
La vie sauvage et autonome (autarcique – autant que possible)
-
Des exercices corporels et énergétiques
-
Et tous les types de rencontre sensible et authentique (avec les pierres, les plantes, les arbres, à travers les livres, la radio et les podcasts, avec les bêtes et les hommes rencontrés, avec l'espace que l'on porte en soi*)
* que chacun porte en lui (voir la rubrique « la présence en soi »)
Journal poétique (extrait)
Deux rêves ; à contretemps
L'oubli ; à la place du sablier
Le chemin qui se devine – qui se profile – qui s'invite
Un voyage sans trace – sans rumeur – sans personne
La joie accolée au souffle ; tandis que la douleur se défait
Moins de nœuds ; à moins farfouiller en soi
Vers le Nord ; comme en témoigne le climat
Et le cœur plus vif – plus prompt – plus ardent ; à mesure que l'ascension se précise
9h – 9h15 petit déjeuner
Menu matinal
Un thé et 5 biscottes beurrées* avec de la confiture de prune
* margarine
Une existence comme les autres
Ni modèle, ni exemple. Un simple témoignage. Un portrait peut-être...
Siddharta Gautama
« Ne place aucune tête au-dessus de la tienne. »
Journal poétique (extrait)
Le cœur ; prêté (pour quelques instants) pour s'essayer au chemin
Aux côtés du monde ; et du silence
Et la couleur du destin qui, peu à peu, apparaît – se dessine
A portée (toujours à portée) de lumière ; en dépit du sombre que l'on côtoie
Comme le vent dont le chant se renouvelle ; et s'éternise
Comme un clin d’œil au temps qui a prolongé l'origine
Pourquoi vivre à l'écart des hommes* ?
Parce que le comportement des hommes (trop souvent) nous blesse ou nous ennuie ;
Parce que les hommes se montrent (en général) peu intéressants, peu ouverts et peu sensibles ;
Parce que les hommes semblent apprécier (à peu près) tout ce que l'on déteste et parce qu'ils semblent détester (à peu près) tout ce que l'on apprécie ; parce que nous avons peu de centres d'intérêt en commun et peu de choses à partager ;
Parce que nous ne nous reconnaissons pas dans la plupart des rituels humains (individuels et collectifs)
Parce que l'humanité se comporte comme un peuple dominateur qui colonise, s'approprie, instrumentalise, réifie, exploite et extermine de manière éhontée ;
Parce que l'essentiel des hommes vit et agit (presque toujours) de manière autocentrée et mécanique ;
Parce que les hommes semblent absents au monde et à eux-mêmes. Parce qu'ils suivent aveuglément leur(s) mouvement(s) sans prendre en considération celui (ou ceux) des autres. Parce qu'ils sont (souvent) très peu enclins à se remettre en cause ;
Parce que nous* ne portons (presque) aucun intérêt à ce que l'on pourrait s'offrir mutuellement...
* nous et le monde
Parce que notre existence nous a permis de fréquenter une multitude d'individus (dans des milieux très divers), de vivre quantité d'expériences, avec et auprès de nos congénères, dans tous les domaines possibles et imaginables (amical, amoureux, affectif, sexuel, familial, social, professionnel, spirituel etc etc), et qu'en définitive, il nous semble qu'il y a plus (beaucoup plus) d'inconvénients que d'agréments à vivre en leur compagnie ;
Parce que l'on est de nature solitaire (et plutôt individualiste)...
Parce qu'il y a un temps pour tout ; et que semble venu, depuis quelques années, le temps de l'érémitisme...
* hommes et femmes, bien sûr...
Notes de la forêt
Ici ; au détriment des hommes – peut-être. Mais nous l'avons tant de fois vécu ; nul ne peut rien pour personne. Il faut savoir rester seul ; et se garder de regretter une fréquentation – et une proximité – (presque) impossibles.
Journal poétique (extrait)
Au gré des couronnes ; et des coins découverts ; et des coins détestés
Ce que l'on rencontre ; de la glaise qui baille et qui gueule
Un monde de fables et de surgissements
Au milieu de la chair affamée de chair ; digérant la chair ; ne cessant de se transformer en mille choses surprenantes
Journal poétique (extrait)
A s'étioler dans la (triste) compagnie de ses semblables
Contraint d'assister aux bavardages et aux agissements les plus stupides – les plus futiles
Et rien pour apaiser nos cris – et notre rage – séculaires ; hérités de ce séjour incompréhensible sous les étoiles
Aux prises avec toutes sortes d'hostilités
Et caché – avec le secret – au fond de soi ; le seul abri que nous continuons d'ignorer – ou de négliger (dans le meilleur des cas)
Invalides et insatisfaits tant que nous refuserons le face à face avec ce que nous portons ; avec cet infini de lumière et de tendresse
Journal poétique (extrait)
Le sommeil comme ensemencé
Et l'invisible ; et l'horizon ; des perspectives oubliées
Juste quelques pas avant de mourir
Le cœur insensible
Alors que d'autres (plus rares) tâtonnent ; avancent – reculent – s'égarent – emportés par le tournis de l'âme qui explore
L'homme tentant de se dépêtrer ; obéissant aux nécessités du voyage
Essayant d'échapper aux légendes millénaires dans lesquelles s'inscrivent toutes (à peu près toutes) les histoires humaines
Habiter le monde au moindre coût
Vivre en roulotte motorisée constitue, sans doute, l'un des modes de vie les moins coûteux* sous nos latitudes. Ni loyer, ni impôts locaux, ni facture d'eau, ni facture d'électricité.
* hormis l'entretien et les réparations mécaniques qui peuvent occasionner des dépenses assez conséquentes...
Le prix du carburant* est le prix de la liberté ; celle de pouvoir s'installer ici et là – sur un petit chemin de terre – sur les hauteurs peu fréquentées d'une colline – dans une clairière cachée au fond des bois accessible par une étroite piste forestière – au bord d'une rivière ou d'un ruisseau – à l'abri du bruit et du regard des hommes...
* gazole
Journal poétique (extrait)
Le cœur sans séquelle ; en dépit des épreuves
Plus libre qu'autrefois ; et sachant mieux accueillir ce que déteste la tête ; et sachant, à présent, mêler les pas et les paroles aux prières et aux étoiles
Le verbe bleu ; comme des bouts de ciel ensemencés ; (très) discrètement souriant
Moins de mots ; et moins du nom ; davantage du chant anonyme
Ce qu'offrent les lèvres ; ce que la source déverse
La mort livrée à l'immortel
Ce qui se dit offert à l'indicible
Moins (beaucoup moins) sérieusement humain
Avec cette tendresse qui affleure
Une plus juste manière de vivre – sans doute ; d'être vivant
Quelque chose de l'arbre et de la pierre – de la rosée et du vent
Pas exactement le même homme ; la gravité moins sévère ; réjouie – ravie – joyeuse
La roulotte
La roulotte motorisée mesure environ 5 mètres 60 de longueur sur 2 mètres 10 de largeur. Elle est composée (selon les termes en usage) d'une cellule* (la partie habitable) et d'une cabine* (la partie réservée à la conduite). L'espace habitable mesure environ 6m2 – espace tout confort ; salon-salle à manger-bureau – chambre – cuisine – salle d'eau – toilettes (sèches)
* La cellule évoque, bien sûr, la pièce où vivent le moine et le prisonnier (celui qui est détenu en prison) – immobilité volontaire et involontaire – et la cabine évoque, bien sûr, le voyage (le voyage au long cours en camion ou en bateau). Le voyage et l'immobilité – simultanément ; casanier mobile – casanier itinérant. On passe, en effet, l'essentiel de nos journées dans la cellule (porte et fenêtres ouvertes une bonne partie de l'année – y compris en hiver).
Journal poétique (extrait)
La vie simple ; (éternellement) voyageuse
Invariablement ; entre ciel et terre
Sans rien chercher ; la route – ce qui apparaît
Ni doute – ni pensée ; la main tendue
Et ce que l'on traîne ; dans notre sillage ; la parole qui s'offre sans attente
Comme de petites pierres – au milieu des rêves ; un peu d'infini au cœur de l'infime ; sous des yeux (presque) toujours trop lointains
Journal poétique (extrait)
Ce qu'il faut inventer de parole – de chambre – de monde
En plus du temps – du chemin – de la lumière
Un univers entier à l'intérieur de l'autre ; et mille possibles ; et mille passerelles – pour ne jamais entraver la liberté de se mouvoir ; d'aller à la manière du vent
L'espace de vie : un volume – plusieurs plans
La configuration intérieure de la roulotte (avec un lit pavillon qui constitue une sorte de mezzanine amovible) offre un volume que l'on peut séparer en 3 plans superposés distincts :
l. du sol à la table : l'espace dédié aux exercices corporels quotidiens(1) et à la méditation(2)
2. de la table au lit (lorsque ce dernier est en position haute – remonté jusqu'au plafond) : l'espace de vie où l'on travaille, où l'on mange et où l'on demeure une bonne partie de la journée
3. du lit au plafond (lorsque le lit est abaissé) : l'espace dévolu à la nuit et au sommeil.
Un espace de vie fonctionnel, pratique, modulable, polyvalent ! Que demander de plus à une maison – à un abri ?
(1) entretien musculaire élémentaire effectué par terre en position couchée
(2) méditation formelle assise occasionnelle – lorsque le temps ne se prête pas à une séance à l'extérieur
Journal poétique (extrait)
Miroir encore ; au fond du noir
Étendue infinie ou chambre close ; le même ciel ; et l'âme (toujours) enchevêtrée au reste ; (parfaitement) engagée dans le geste
Qu'importe la pierre ; qu'importe la neige ; lorsque le jour a tout recouvert
Nul autre ; et mille fenêtres
Au bout du monde ; au bout des doigts ; partout – son propre visage
A présent ; simplement ici ; en sa présence
Une fabrication sur mesure
Plusieurs éléments du mobilier de la cellule, des housses de coussins, des rideaux (etc etc) ont été fabriqués ou réalisés afin de répondre, de manière adaptée, aux besoins éprouvés.
- Un coffre en bois (large et profond) surmonté d'un coussin placé entre les deux sièges de la cabine
- Une sorte d'escalier (constitué de 2 coffres de bois amovibles de hauteur différente fabriqués « maison ») à l'avant et à l'arrière pour que Bhagawan (9 kg) (et Shin'ya – 45 kg – lorsqu'elle était encore avec nous) puisse(nt) grimper librement sur les banquettes arrière de la cellule et les sièges de la cabine.
- Un tabouret-placard-escabeau dont les 3 fonctions servent quotidiennement
- Un meuble fixé à la paroi pour y placer le filtre à eau
- Un socle mobile attaché au plancher pour y fixer les 5 bidons d'eau de 20 litres
etc etc
Les objets, le mobilier et le bonhomme se doivent d'être aussi polyvalents que possible ; dans un espace si restreint, tout doit pouvoir servir à plusieurs choses (ou activités)...
Journal poétique (extrait)
Penché sur la pierre
Le souffle lumineux
Auprès de ce qui brille davantage que les étoiles
Contre les murs ; des miroirs
Et des reflets rouges qui franchissent toutes les enceintes
L'immensité déjà ; malgré le sang et les instincts
Habiter un espace exigu
Habiter un espace réduit (et qui plus est mobile) nécessite une organisation particulière ; chaque objet doit trouver une place appropriée à l'intérieur – on ne peut, bien sûr, rien stocker au-dehors. Les placards doivent pouvoir accueillir les vêtements et les équipements d'hiver et d'été. Et l'on doit être en mesure, pendant la journée, de circuler sans encombre.
La décoration (si tant est que l'on éprouve le besoin d'apporter une touche personnelle à l'endroit où l'on vit) doit être fixée de manière à ce qu'elle ne se déplace pas (ou ne tombe pas) lorsque le véhicule est en mouvement.
Mais il y a une joie (une joie véritable) à habiter dans un espace si restreint ; de pouvoir réaliser l'ensemble des actes de la vie quotidienne (et toutes les activités que nécessite la vie) dans quelques mètres carrés ; travailler là où l'on mange, dormir là où l'on se lave, se reposer là où l'on médite, préparer à manger là où l'on défèque, remplir ses bouteilles d'eau potable là où l'on urine etc etc.
Et être capable de rester dans cette minuscule pièce à vivre pendant de longues heures chaque jour, et pendant plusieurs jours (quasiment sans sortir) lorsqu'il pleut (ou lorsqu'il neige). L’œil posé à la fois sur son univers familier et sur l'environnement extérieur (sur les arbres et l'horizon) grâce à la grande baie amovible et à la porte munie d'une ouverture vitrée situées devant la planche sur laquelle on écrit et l'on prend ses repas.
Haïku
« Une petite chambre
une fenêtre basse
un poêle en terre profond »
K'ieou Wey (cherchant en vain l'ermite de la colline de l'Ouest)
« Au sommet de la colline, il y a une cabane, un sentier de trente li y mène tout droit. Je frappe à la porte, personne ne répond. Je regarde à l'intérieur, il n'y a qu'une table et un banc. »
Journal poétique (extrait)
Le cœur aussi bleu que la neige
Et le ciel en contrebas
Jardin d'autrefois peut-être où les Dieux étaient vivants
Monde simple affranchi des hommes – affranchi du temps
Baigné de lumière et de tendresse
Au-dedans et au-dehors
Le tabouret de bois et la table sont positionnés de manière à ce que le regard se porte sur l'extérieur ; ce qui donne l'heureuse sensation d'être à la fois au-dehors et au-dedans, dans cet entre-deux singulier – à l'intersection des frontières. Ainsi a-t-on l'impression de se tenir pour tous les actes de la vie quotidienne (et, en particulier, lors des repas et des séances d’écriture) à la fois chez soi et au milieu du monde – au milieu des arbres...
Haïku
« A l'intérieur, à l'extérieur
c'est clair, net
sans obstacle »
Journal poétique (extrait)
Dans les herbes hautes de la terre
Auprès du mystère ; des adieux incessants
Le visage face à la vérité
Le pressentiment de l'abordable
Sans doute (sans aucun doute) sur les chimères qui rassurent les hommes
L'ardeur de l'âme au contact du réel
Et l'inconnu qui chasse toutes les croyances – toutes les certitudes – toutes les illusions
La grâce et la lumière ; dans l'instant (pleinement) vécu
Et le vent qui cingle (qui continue de cingler) la chair du monde
Habiter un espace exigu (suite)
Se réjouir de pouvoir, en hiver, réchauffer cet espace minuscule en quelques minutes et de maintenir une température acceptable (entre 10 et 18 degrés Celsius) avec une consommation énergétique relativement modérée*...
* le chauffage est branché sur le réservoir de gazole avec un thermostat réglable.
Il y a du merveilleux dans cette polyvalence et cette fonctionnalité de l'espace. Un petit coin intérieur au contact direct avec le monde et pleinement ouvert sur les vastes étendues forestières environnantes. On est à la frontière (et à l'interface) entre l'intérieur et l'extérieur qui se mêlent et se transforment – sans cesse ; on ressent ainsi une profonde intimité avec le proche et le lointain...
En outre, (presque) chaque jour, le paysage change. Ainsi, en regardant par la fenêtre, a-t-on l'étrange (et savoureux) sentiment d'avoir changé de place sans nous être déplacé...
Haïku
« Loin du rempart
de la ville
une véranda spacieuse »
Journal poétique (extrait)
Dans la vibration du monde ; le bleu
Qu'importe la rive ; qu'importe le chemin
Sous le sol ; dans l'âme – disparaissant
La peau et le ciel ; frémissants
En ce lieu présent en tous les lieux
Comme une lumière sur la carte et la terre ; précieuse – abondante – inestimable
Conversation impromptue
Un minuscule moineau s'est posé devant la fenêtre ; nous avons échangé pendant deux longues minutes. Notre bavardage* terminé, il s'est envolé sur la branche d'un jeune chêne à la lisière de la forêt.
* A chaque rencontre (animalière), on se montre (en général) trop bavard ; porteur de cette inclinaison (très) humaine...
Journal poétique (extrait)
Un peu de lune sur la langue
Le miracle au-dessus du bavardage
Au-delà de la bouche et du mot ; au-delà même des lèvres talentueuses ; des lèvres amoureuses
Comme un tourbillon de liberté ; un imprévu dans le trop habituel humain
Un saut du temps ; une faille ; une (véritable) surprise
Et l'âme – bien sûr – qui se fait hospitalière ; contrairement au monde – à l'Autre – déjà recouverts d'un épais sommeil – d'une indifférence à toute épreuve
9h45 avant de prendre la route
On pose notre bol dans l'évier, on essuie le plateau du petit déjeuner, on range la casserole, on ferme les placards et les baies, on vérifie que tous les objets sont soigneusement arrimés. Puis, on ferme la porte de la cellule, on fait le tour du camion (en enlevant les cales* – si nécessaire), on s'installe sur le siège de la cabine, on tourne la clé de contact et on prend la route.
* voir la rubrique « un lieu et des cales »
Plusieurs modes : nomade et sédentaire – diurne et nocturne
La vie nomade en roulotte nécessite un constant passage du mode mobile (on roule) au mode immobile(1) (on est stationné(2)) et du mode diurne au mode nocturne(1) (table ou lit qui se range selon les heures).
(1) et inversement (bien sûr)
(2) pour quelques instants ou pour quelques heures – et, plus rarement, pour quelques jours
Tout doit être également soigneusement fermé, attaché ou arrimé (portes de placard, bidons, ustensiles, bocaux etc) afin d'éviter que les tiroirs s'ouvrent, que les objets tombent et que les récipients se renversent (ce qui est déjà arrivé, bien sûr) ; chutes qui occasionnent, en général, quelques dégâts (plus ou moins préjudiciables)...
2-3 ou 4 fois par jour, installer et désinstaller la table(1), descendre ou remonter le lit, remettre les ustensiles de cuisine à leur place ou les laisser sur le (minuscule) plan de travail (situé entre l'évier et les feux de la gazinière), abandonner la tasse de thé sur la table ou la ranger dans le placard, laisser traîner l'ordinateur sur la banquette ou le glisser dans son sac de protection, ouvrir ou fermer les portes coulissantes de la petite bibliothèque(2) etc etc.
(1) qui se fixe sur un socle aimanté – et bricolée par nos soins
(2) qui contient approximativement une soixantaine d'ouvrages
Journal poétique (extrait)
Les yeux peints (et repeints) aux couleurs de l'espérance
Presque clos sur le souvenir et le rêve
Le devenir par-dessus l'image ; et cette (inébranlable) croyance aux miracles
Du feu sur notre infortune
Et la route à reprendre
Journal poétique (extrait)
En partance déjà ; en dépit de l'Amour
La ronde des adieux
Au bord du gouffre ; à bout de souffle – face à l'immensité
En ce lieu hors du monde ; en ce temps hors du temps
Comme une pause fantôme
Dans la poussière infime ; personne excepté l'impalpable – l'invisible présent
Jour de neige
Les jours de neige, on évite (en général) de prendre la route. On ne s'y résout* qu'à de très rares occasions – lorsqu'il faut, par exemple, se ravitailler en eau, en gaz ou en provisions alimentaires.
* Après avoir fixé les chaînes (sur les 4 roues), on peut s'élancer (avec prudence) sur les pistes enneigées.
Cet « arrêt forcé » nous laisse tout le loisir de contempler la beauté des paysages ; les arbres, les collines, les routes et les chemins recouverts de ce manteau poudreux. La beauté des flocons que le vent fait virevolter. La beauté des arbres habillés de blanc. Et en admirant la féerie des paysages, nous avons presque aussitôt une pensée pour les bêtes des prés et de la forêt – oiseaux, vaches, biches, chevreuils, sangliers – qui n'ont ni abri – ni chauffage (bien sûr)...
L'après-midi, on se risque à une courte promenade. On enfile un vieux pull de laine* et l'on se glisse au-dehors pour s'immerger dans la splendeur – et la poésie – du monde hivernal.
* Bhagawan blotti dans son sac – et emmitouflé dans son manteau et une couverture polaire
Journal poétique (extrait)
Dans les bras de l'hiver ; ce qui est délaissé – inentendu – balayé
Le jour ; à la pointe de la veille
Et le courage du solitaire
Le cœur à la renverse ; dénudé sans indulgence – sans la moindre pitié
Les lèvres joyeuses – pourtant – porteuses de la parole que le ciel a initiée
De la couleur de la pierre ; et destinée à fendre l'épaisseur
Homme aux pieds libres – sans âge – rompu à toutes les pertes ; œuvrant, à présent, sans sacrifice
Journal poétique (extrait)
Des pas dans la nuit ; dans la neige
Sans se hâter ; la chair et le temps (minutieusement) programmés
Derrière les rideaux du monde ; ce que l'on imagine ; sur cette terre – cet espace inventé – sous un ciel trop haut – inaccessible – impénétrable
Vers 10 h sur la route
On roule à allure modérée, un œil posé sur le bitume et l'autre sur les paysages.
Chaque jour, de nouvelles perspectives
On aime (particulièrement) découvrir de nouveaux lieux, explorer de nouveaux territoires, parcourir de nouvelles collines, arpenter de nouvelles pistes, apprécier de nouvelles configurations géographiques (et géologiques). Et la vie nomade se prête, d'une merveilleuse façon, à ce goût pour la nouveauté.
Journal poétique (extrait)
Les mains pleines de songes et d'étoiles ; jetés au hasard de la route – sur les uns et sur les autres
Bordé(e)(s) par la lumière et le sommeil
Sans discernement ; avec hésitation
D'une rive à l'autre ; comme autrefois – avant l'ère de la raison et des remontrances
Journal poétique (extrait)
Trop loin des morts ; et des eaux vives – les rives inertes
Entre le temps passé et le temps déposé
Par des routes trop rapides (pourtant) qui forment un entrelac de boucles
Sans aile – sans (véritable) destination – en vérité
L'ardeur errante déployée tous azimuts ; dans le (plus joyeux) désordre
Journal poétique (extrait)
L'aventure depuis si longtemps commencée
Oscillant entre la poussière et l'Absolu
Et, aujourd'hui, le cœur et l'absence de nom pour seules ambitions
A regarder – impassible – les alliances se nouer et se défaire ; le déferlement de l'affection et de la haine
Avec (toujours) cette tendresse (presque surnaturelle) au cœur de la violence déployée ; rayonnante – secrète – souveraine
Et le scintillement (si perceptible) de la vérité – à travers toutes les illusions ; Dieu – comme une évidence – à travers toutes les circonstances
Le voyage de plus en plus immobile ; à mesure que nous comprenons ; à mesure que l'âme reconnaît les lieux
Et la chair ; et l'esprit – libres d'aller sur leur chemin ; alors que les bras s'offrent au monde – à ce qui passe ; et que le silence souligne – confirme – son approbation
Exploration motorisée
On éprouve une joie réelle (et un peu coupable*) à rouler chaque jour (quelques kilomètres en général) sans jamais connaître le lieu où l'on passera la journée. Au gré des routes et des chemins, au gré des indications sur la carte, au gré de ce que l'on trouvera, au gré de ce que le cœur décidera, au gré de ce que la vie proposera...
* à cause, bien sûr, de la pollution occasionnée par la combustion du gazole...
Heureux de chaque découverte ; des topographies et des paysages nouveaux, des villages – des hameaux – des forêts et des collines nouvelles, des chemins ou des pistes forestières qui montent, qui descendent, qui serpentent, qui se perdent...
Journal poétique (extrait)
Dans l'attente ; les doigts impatients
Le jour rêvé
Sur ces rives arides ; un semblant de porte au milieu des interdits
La hâte au lieu de la sensibilité pour précipiter le voyage et échapper au froid
Un chemin (sans doute) à réinventer qui prendrait en compte les boucles et les retournements ; et l'impossibilité (bien sûr) d'arriver quelque part
Exploration des lieux et repérage
L'expérience de la route et des chemins nous a appris à explorer un territoire (un parc naturel régional, un massif montagneux et/ou forestier, une zone sylvestre) d'une manière (un peu) systématique comme si l'on cartographiait (réellement) l'espace – cheminant, chaque jour, de village en village, de hameau en hameau, localisant le moindre emplacement potentiel(1) (parking de salle polyvalente, cimetière, départ de randonnées, lieu à l'écart ou suffisamment éloigné de la route principale etc etc) et empruntant (presque) chaque chemin et chaque piste forestière dans les zones sans habitation, repérant ici et là, tous les lieux où l'on pourrait passer la journée et/ou la nuit(1)(2) ; accotements, impasses, clairières, parkings « sauvages »...
(1) L'expérience nous a appris qu'un lieu apparemment désert et/ou isolé peut être fréquenté, selon les jours et les heures de la journée, par « les gens du pays » sans même que l'endroit ne porte la trace de cette fréquentation ; empreintes de pneu, détritus divers, restes de feu de camp...
(2) Une bonne part des lieux pour passer la nuit (appelés couramment « spots nocturnes ») sont découverts lors de nos randonnées quotidiennes – au gré des sentes, des routes et des pistes forestières arpentées...
Journal poétique (extrait)
Autour du même cercle bleu ; de (minuscules) carrés amovibles et clôturés
La fumée des hommes ; (très) précisément mesurée
Leur territoire ; comme un monde pétrifié ; dont on hérite ; et que l'on s'évertue à agrandir
Le seul jeu (l'un des seuls jeux) qu'ils connaissent
Des murs et des temples que l'on édifie ; et qui, jamais, ne feront apparaître la lumière ; juste l'image d'un Dieu servile et emprisonné ; pâle (bien pâle) reflet du mystère qui plaît aux âmes grossières
Moins que l'herbe et la pierre qui s'abandonnent à la pluie ; moins que la terre naturelle sur laquelle nous vivons avec les bêtes
Modeste aventure motorisée
La semaine dernière, alors que l'on s'était engagé (avec le camion) sur une route forestière à la recherche d'un lieu pour passer la journée, on a dû rebrousser chemin – le levier de vitesse positionné sur la marche arrière* – pendant plusieurs centaines de mètres, roulant, à l'aide des rétroviseurs (et de la caméra de recul) sur cette piste de terre – étroite, pentue, sinueuse et cabossée.
* sans trouver un espace pour faire un demi-tour
Ce genre de mésaventure nous arrive assez régulièrement lors de nos explorations forestières motorisées. Et plus d'une fois, il nous a fallu rouler ainsi en marche arrière, parfois sur plusieurs kilomètres, pour nous extraire d'un sentier forestier délicat ou peu praticable* et inapproprié au bivouac.
Séquence aventure (modeste – très modeste – il va sans dire) !
* En sortant des sentiers battus, le risque d'embourbement augmente (assez substantiellement). A plusieurs reprises, les roues du camion sont restées bloquées dans une boue épaisse. Il nous faut alors placer les plaques de désembourbement (et, parfois, des pierres et des branches) sous les roues motrices pour nous extraire de ce mauvais pas – et, très souvent, de multiples tentatives sont nécessaires...).Il nous est même arrivé, une fois, de faire appel à une dépanneuse – après 3 heures d'âpre bataille, il a fallu se rendre à l'évidence, il était impossible de s'en sortir sans une aide mécanique extérieure...
Journal poétique (extrait)
Des lieux ; des épreuves
Rien auquel on ne puisse échapper
Des Autres – des pierres – des flaques de boue
La clarté fangeuse du monde ; et des angles où se cogner ; et des arrêtes où s'écorcher
Mille choses ; et autant d'obstacles que d'accablements
Ce qu'il (nous) faut nécessairement endurer
Journal poétique (extrait)
A nouveau l'errance
De la joie au fond des yeux
La suite du voyage ; aventureux (s'il en est)
L'oubli du nom – du monde et du temps
La liberté renaissante – peut-être
Ce qui se presse entre nos lèvres – sous nos pas ; ce qui anime nos gestes
Dieu sorti de l'imaginaire ; (très) spontanément
Une mécanique mise à rude épreuve
Liste (non exhaustive) des entretiens, avaries et problèmes rencontrés avec le camion :
- Remplacement des pneus avant (qui s'usent incroyablement vite – environ tous les 2 ans)
- Vidange (3 fois)
- Changement d'un soufflet de cardan (3 fois)
- Remplacement des 2 batteries auxiliaires (alimentées par les panneaux solaires)
- Remplacement d'une poignée-serrure qui permet d'ouvrir et de fermer la soute
- Remplacement de la courroie de distribution
- Remplacement de l'alternateur
- Changement de la pompe à eau (qui amène l'eau au robinet et au pommeau de douche) (2 fois)
- Changement des patins et des disques des 4 roues
- Renforcement du plancher de la cellule qui commençait (assez sérieusement) à se déformer
- Nettoyage des brûleurs du réfrigérateur
- Remplacement des bougies du moteur
- Remplacement des pneus arrière
- Rafistolage et renforcement de la porte de la cellule qui, un jour, s'est disloquée
- Pose de 2 poignées en bois pour remplacer la poignée en plastique de la porte de la cellule
- Réparation du store extérieur (mal installé) – indispensable sous le soleil estival et, parfois, lorsque la pluie tombe sans discontinuer pendant plusieurs jours ; ce qui offre un espace extérieur à l'abri, une manière d'agrandir (un peu) le volume habitable de la roulotte...
- Remplacement des joints des baies vitrées dont l'une commençait à fuir les jours de pluie
- Réparation et renforcement du plancher à l'arrière de la cellule qui commençait à pourrir avec les projections d'eau et de boue
Et on en passe...
Journal poétique (extrait)
L'usage et l'usure des choses ; au cœur du périmètre familier
De proche en proche ; à travers l'exactitude des calculs
Condamné à la rigueur (implacable) des chiffres et du déclin ; le monde
Bêtes et hommes ; arbres et pierres ; privés de beauté et de poésie ; privés de rire et de merveilleux
La fin (programmée) de l'éphémère et de l'à-peu-près – du joyeux désordre – des enchevêtrements en pagaille
Enfonçant l'invisible encore plus profondément dans le secret
La dépendance au monde humain – le paradoxe de l'ermite
Mille liens existent entre l'homme et le monde ; et chacun, bien sûr, est lié (et relié) aux autres de mille façons. Il serait fastidieux (et presque impossible) de tous les détailler. On n'évoquera donc ici que nos liens les plus tangibles – les plus évidents...
-
L'arrérage mensuel dont on bénéficie(1)
-
Les provisions alimentaires
-
Le gazole, l'entretien et les réparations du camion
-
Les médicaments(2)
-
L'ordinateur et le téléphone portable(3)
(1) une somme modique – (assez largement) inférieure au seuil légal de pauvreté en vigueur dans notre pays – mais qui permet de subvenir à une large part de nos dépenses mensuelles
(2) pour nos problèmes médicaux et ceux de Bhagawan
(3) ainsi que l'abonnement pour la connexion internet
Notre assuétude au monde humain est indéniable et s'avère irréductible à bien des égards. Étant peu bricoleur(1), étant peu disposé à occuper un emploi quelconque(2), étant soucieux (a minima(3)) de notre santé(4), étant peu enclin (jusqu'à présent) à nous alimenter uniquement grâce à la cueillette sauvage et à nous passer de la technologie numérique(5), on se sent, pour l'heure, peu disposé, à renoncer à cette dépendance.
(1) en particulier en matière de mécanique automobile ; ce qui constitue, pour l'ermite nomade à l'esprit autonome, non seulement un coût important mais aussi, sur le plan symbolique, une forme d'aberration – mais vivre sur la route avec un sac à dos nous semble un mode de vie peu adapté (trop radical – trop exigeant – trop inconfortable)...
(2) à l'instar de la grande majorité des êtres humains – et comme l'on y a été contraint pendant de nombreuses années – ce qui nous donnait la très fâcheuse impression que l'on nous dérobait le plus essentiel...
(3) vraiment a minima
(4) et de celle de Bhagawan
(5) qui constitue un outil de travail, de savoir et de partage avec le monde humain
Mais qui, sur cette terre, peut réellement échapper au monde – y compris parmi ceux qui optent pour des formes radicales d'autarcie ? Et est-ce vraiment nécessaire ? Aucune loi – aucune morale – n'interdit quiconque de bénéficier de ce qui existe pour peu que notre usage du monde se limite au nécessaire...
Journal poétique (extrait)
Les yeux levés ; sur le seuil – la lumière
Après cette longue nuit parcourue (et, en partie, traversée)
D'une étendue à l'autre ; comme si les rêves et les étoiles se touchaient
D'un bout à l'autre de ce qui nous porte ; le désir
Dans la chair ; le dédale (encore)
Et cette mémoire qui nous éloigne ; et l'autre – plus ancienne – qui nous exhorte au retour
Naissant – marchant – mourant ; d'un même souffle
Et ainsi jusqu'au plus éloigné de l'enfance
Et quelles contreparties à ces avantages (et bénéfices) octroyés par la société des hommes ?
* ridicule ou dérisoire – d'aucuns pourraient penser – peut-être... Il ne nous appartient pas d'en juger mais il nous a toujours paru évident d'offrir gratuitement le fruit de notre labeur et de nos expériences de vie...
-
Notre parcours – personnel et professionnel ; avant d'adopter ce mode de vie, nous avons travaillé, pendant de nombreuses années, dans le secteur médico-social et dans diverses associations caritatives en France et à l'étranger, à différents postes – comme bénévole ou salarié ;
-
Notre attitude (générale) à l'égard du monde et du vivant ; vivre de manière heureuse – vivre de manière sobre, respectueuse et bienveillante (même à l'endroit des humains – contrairement à ce que pourraient, peut-être, laisser penser ces pages) offre, par des mécanismes complexes et souvent invisibles, mille choses favorables au monde et à ceux qui le peuplent – sans être répertoriées ni monétisées (de manière comptable) par le système humain actuel ;
-
Ce mode de vie et ces « facilités » se sont offerts (ou imposés) à nous ; et les refuser nous apparaîtrait comme une aberration – une résistance à la vie – au destin – à ce qui est ;
-
Le monde (humain et non humain) ne constitue qu'un seul corps, et chacun en est un élément indissociable, offrant ce qu'il est – ce dont il dispose autant que ce qui est dans sa nature et en son pouvoir aux autres parties et à l'ensemble. Et nul ne peut échapper à cette appartenance et à cette fonction involontaire et ontologique*.
* inhérente simplement au fait d'être
Hormis cette dépendance (non négligeable) au monde humain, on est animé par un esprit d'autonomie. Et l'on essaie (en général) de se débrouiller seul et par nos propres moyens (autant qu'il nous est possible) selon nos goûts, nos capacités, nos prédispositions et notre sensibilité.
Jean Mabillon
« On perd toujours quelque chose auprès de Dieu lorsqu'on veut trop se justifier auprès des hommes. »
Journal poétique (extrait)
Rien ; depuis si longtemps
Plus même surpris par ces restes d'effacement (résidus de soi – sans doute)
Choses et visages ; dans la brume ; indistinctement ; qu'importe ce que désigne le doigt
La porte entrouverte du monde
De l'autre côté du rêve – de la trame – de l'esprit
A grands pas déjà ; vers le vide – le vent – l'autre extrémité de la perspective
Respecter sa nature
Il semble essentiel de respecter sa nature ; ce qui nous constitue, ce pour quoi l'on est « naturellement fait » – nos caractéristiques, nos goûts, nos prédispositions, notre sensibilité, nos aspirations profondes. Ainsi une girafe est naturellement constituée pour habiter la savane et manger des feuilles d'acacia ; et un pingouin est naturellement constitué pour habiter la banquise et manger du poisson. Il ne viendrait à personne l'idée de les contraindre à échanger leur nourriture et leur habitat (cela serait idiot, cruel et inopérant). Et ce qui est vrai pour la girafe et le pingouin l'est pour tous les êtres (plantes, arbres, bêtes et hommes).
Ne pas respecter sa nature (et celle des autres êtres) est une violence exercée contre le corps et l'esprit – contre la vie et contre l'espace qui nous habite(1)(2)(3).
Ainsi certains individus aiment la vie à la campagne, ont des prédispositions pour la musique et le chant et sont naturellement enclins à la solitude, il serait absurde (et regrettable) de les obliger à devenir mécanicien automobile et à habiter dans une colocation de 15 personnes située au cœur d'une grande agglomération...
(1) voir la rubrique « la présence en nous »
(2) La vie nous confronte (assez régulièrement – et, parfois, de manière insistante) à une multitude d'événements âpres, difficiles, douloureux ; il ne s'agit pas, bien sûr, d'y résister – ni de refuser de les vivre ; cette confrontation à des circonstances indésirables participe, souvent, à l'actualisation de certaines dimensions intérieures nécessaires à une réelle transformation...
(3) Respecter sa nature ne signifie pas (bien sûr) qu'il faille demeurer, de manière permanente, dans sa « zone de confort »...
Journal poétique (extrait)
A se risquer jusqu'au grand large ; là où les vents saisissent les épaules – écartent les pas – font pousser des ailes aux âmes les plus craintives ; bousculent le sens et la destination du voyage
Nous retrouvant (parfois) à la cime des arbres ; sans réponse ; avec une joie sans explication
Auprès des nôtres ; sûrement
Dans les bras du secret ; et sans la moindre promesse
Au cœur du ciel ; immensément
Journal poétique (extrait)
Au commencement du rêve – du monde
L'anarchie des premiers instants ; ce qui précéda le givre et la danse (interminable) des pénitents
Être ermite sans que nul ne le sache
Vie des marges et des interstices. Vie invisible et secrète. Nul ne connaît – et ne pourrait deviner – en nous voyant passer sur la route, en nous voyant arriver en un lieu ou en nous voyant stationné en quelque endroit – notre mode de vie, notre manière d'arpenter les hameaux et les villages*, les collines et les forêts.
* à l'écart de toute zone urbaine d'attraction
Seulement un bonhomme dans un camping-car – peut-être un marginal impécunieux, peut-être un touriste, peut-être en vacances, en visite chez de la famille ou chez des amis ou en déplacement récréatif...
Haïku
« Qui devinerait
que je fais de ma vie
une longue ivresse ? »
Journal poétique (extrait)
Le chemin-mère ; le chemin bleu
Discret ; comme dissimulé sous les feuillages ; sur le sol persécuté
Entre désert et désir ; les signes – le soupir et la possibilité
La bouche toujours sèche ; parfois de trop de silence ; parfois de trop de mots
La voix – comme les pas – qui résonne
A se balancer entre le rire et le monde
Journal poétique (extrait)
La main en grâce ; et l'âme qui ne croit plus guère
A genoux ; au-dessus du vide
Sans la moindre renommée ; de plus en plus anonyme ; et invisible
Célébrant la danse – les étoiles – la nuit ; d'une égale manière à la lumière
Sans désir particulier ; pas même celui de changer la moindre chose en ce monde (si parfait)
Simplement présent
Dans le silence ; le cœur à son comble
Une vie « risquée »
Vivre sur la route – avec son véhicule-logement – n'est pas sans risque. En effet, en cas d'accident (accident de la circulation, chute d'arbre ou de branches, dégradation malveillante), l'ermite nomade peut brutalement se retrouver sans maison ni mode de déplacement.
Dans les cas les moins graves, le camion sera immobilisé pour une période plus ou moins longue (de quelques heures à quelques jours – et, parfois même, quelques semaines ou quelques mois(1)) – ce qui n'est pas sans conséquence puisqu'il faut trouver (à proximité et dans les plus brefs délais) un hébergement provisoire(2) (un camping, une location saisonnière, un hébergement chez des amis ou des parents).
Et dans les cas les plus graves, la mort peut surgir au détour d'un virage, d'un chemin, d'une clairière...
(1) selon les délais de prise en charge par les professionnels chargés des réparations.
(2) suite à une avarie (une fuite au niveau du toit), on a dû abandonner le camion chez un réparateur (après l'avoir entièrement vidé). Et on a dû louer un logement saisonnier pendant plus de 2 mois (ce qui a occasionné des dépenses non négligeables)...
Journal poétique (extrait)
Moins que soi ; et le reste
Tantôt surplus ; tantôt soustrait
Qu'importe le délire et la violence
L'instabilité de l'esprit et de la pierre ; et les instincts dans leur sac
A sa rencontre ; (très) secrètement
Journal poétique (extrait)
Là où l'ombre se reflète ; se régénère ; s'étale – s'amplifie – se déploie ; et qui se fracasse contre la plus infime part de solitude
Aussi proche que possible de soi – du ciel – de toute aventure
A voix haute – la parole ; et plus haut encore – le silence
L'ultime précision de l'être ; dans cette marche fluctuante aux faux airs hasardeux
L'âme et le corps ; comme un attelage asymétrique et bancal ; et dont la route paraît si tortueuse – presque aléatoire
En tous lieux du ciel – déjà ; pourtant
Sans le moindre orgueil ; et ici plutôt qu'ailleurs ; ce qui ressemble à nulle part
Entre d'étroits interstices et de larges bandes ; l'impuissance et la solitude ; ce qu'il nous faut (impérativement) découvrir
L'enfance prémonitoire ; dans le pressentiment de la fragilité du monde et de l'éphémère de nos vies si peu certaines
L'extinction progressive des peurs
L'homme est affublé de craintes. Faible et chétive créature face à la puissance (parfois hostile) du monde, face à l'immensité de l'univers, face aux mille menaces et aux mille dangers présents sur la terre, comment pourrait-il ne pas avoir peur ?
Lorsque l'on comprend que l'on est « habité » par « un plus grand que soi »*, que tout est « à l'intérieur »*, qu'il nous faut vivre exactement ce dont nous avons besoin pour nous découvrir et être pleinement ce que nous sommes*, alors les peurs s'estompent et disparaissent (en grande partie). Et l'on est heureux de vivre ce que la vie nous offre même si le corps, l'esprit et la sensibilité peuvent en souffrir (ou en pâtir) dans leurs dimensions terrestres et personnelles.
* voir les rubriques « la présence en soi » et « tout est à l'intérieur » qui abordent ces thématiques
Journal poétique (extrait)
La nuit allant ; comme les peurs
Et s'avançant aussi vers nous
A travers le nombre – la haine ; cet inévitable basculement dans la barbarie
Avec le même visage ; le Dieu de la douleur et du silence
Oblitérant la joie pour l'essentiel des mortels
Affronter ses peurs
Vivre – et voyager(1) – seul confronte nécessairement à des risques, à des menaces, à des dangers. Et l'ermite-nomade ne peut, très souvent, compter que sur ses propres ressources(2) (ressources matérielles, physiques, morales, intellectuelles). Et il y a – reconnaissons-le – une grande joie à n'avoir recours à un autre que soi...
(1) en particulier dans des lieux déserts ou peu fréquentés – dans des lieux isolés ou reculés
(2) en particulier, lorsque l'on est animé par un esprit d'autonomie ; on est, sans doute, moins enclin encore à faire appel aux autres (aux personnes ou aux institutions collectives)...
Confronté inévitablement(1) à des événements douloureux(2), à des instants (ou à des périodes) difficiles(3), à des individualités peu amènes (ou, disons, désagréables), on doit être capable de faire face ; et, en de telles circonstances, il nous faut, parfois, faire appel à « ce qui nous porte et ce que nous portons(4) »...
(1) comme chaque être vivant
(2) blessure, maladie, problématiques physiques diverses, décès d'un proche
(3) période de deuil, accablement, tristesse...
(4) voir la rubrique « La présence en soi »
Lorsque l'on affronte, seul et de manière autonome, les affres de l’existence (terrestre et humaine) et, l'adversité (parfois éprouvante) du monde, on se confronte, de manière assez régulière, à l'idée de la mort. Personne, bien sûr, n'est à l'abri d'un accident, d'une agression ou d'une maladie mais la vie nomade (en particulier lorsqu'elle est abordée – et vécue – avec un esprit d'autonomie*) oblige, peut-être, à davantage de courage (et de vaillance) que la vie sédentaire où l'on est, sans doute, plus enclin, au moindre problème – au moindre souci, à faire appel aux réseaux familial, amical ou institutionnel...
* c'est à dire sans avoir recours automatiquement à une aide extérieure
Et ce à quoi l'ermite-nomade est confronté peut, parfois, engager son existence d'une réelle façon. Il lui arrive donc, à ces occasions, d'envisager la mort – la possibilité de mourir* dans l'instant qui suit – seul et sans assistance – sans personne pour lui tenir la main pour le « grand départ ». Et regarder dans les yeux ce qui s'avance nous renseigne, d'une manière assez précise, sur notre disposition à quitter ce monde...
* chute, piqûre d'insectes (choc anaphylactique, œdème de Quincke), morsure de serpent, accidents divers, agression, malaise etc etc.
Pierre Charles Roy
« Glissez, mortels ! N'appuyez pas. »
Journal poétique (extrait)
De tous les miroirs et de toutes les filiations ; nos reflets et les yeux regardés
Déjà au-dedans des autres mondes
Sur cette voie qui échappe au temps
De mort en mort (de plus en plus somptueuses)
Devinant ce que nous serons à terme ; et après aussi (bien sûr)
Et sachant cela ; vivant de la plus intuitive des manières
Journal poétique (extrait)
La source – les cimes ; sans masque
Au fond de la plaie ; face à la mort
Que le monde nous rebute ou nous enchante
Et la neige ; et les paillettes d'or que l'on jette autour de soi ; et qui recouvrent le sol – l'issue – la moindre possibilité ; ce qui pourrait – pourtant – forcer la fortune ; nous aider à nous hisser jusqu'aux origines
En voyant passer les bétaillères
Et ces larmes qui coulent – et cette main qui se lève pour un dernier adieu – lorsque nos yeux croisent sur la route l'une de ces énormes bétaillères chargées de tous nos frères sacrifiés ; et qui ne seront plus dans quelques heures...
La part – en nous – la plus innocente qui se refuse à accepter la mort – et le monde – tels qu'ils sont... Et ces questions aussi qui restent sans réponse (jusqu'à aujourd'hui) ; qui – quels êtres d'hier – sont devenus les campagnols – les chevreuils – les vaches – les chiens – les sangliers – les hommes d'aujourd'hui ? Et qui – quels êtres d'aujourd'hui – deviendront – les chats – les renards – les brebis – les truites – les éperviers de demain ?
Notes de la forêt
Gorgé de tendresse pour ceux qui partent ; cahin-caha vers d'autres rives ; inconnues pour la plupart (diraient certains)...
Journal poétique (extrait)
La bouche tordue par l'âpreté – la haine – le mensonge
D'une douleur à l'autre ; sans étonnement
Le corps à peine vivant ; l'esprit absorbé ; l'âme se dégradant – s'étiolant peu à peu
Accompagnant (seulement) le nom – le legs – la filiation
Comme couché(s) au cœur de la plaie ; sous le règne du mythe et du manque ; au fond du gouffre surpeuplé
Journal poétique (extrait)
Au pays de la roche ; l'ardeur – la fatigue et la mort
Et des larmes (un ruissellement de larmes) dans la lie ; jusqu'à la noyade ; asphyxiés par la tristesse au fond des fondrières remplies par nos pleurs
Journal poétique (extrait)
Entrecroisés ; l’abîme et la chair
La matière-étendue
Oubliés à force d'histoires
Et des ponts à redécouvrir ; et à restaurer ; pour que le cri rencontre la soif ; et que la soif rencontre la source
Sur l'arche habitable ; sous la voûte recourbée
Avec patience ; jusqu'à la transformation de tous les hurlements
Une communauté fraternelle bien réelle
Chacun est porteur d'une personnalité composée d'une multitude de facettes – des parts intérieures en quelque sorte. Ainsi peut-on trouver, chez les uns et chez les autres, une part naïve, une part timide, une part combative, une part querelleuse, une part câline, une part aventureuse etc etc.
Chez l'homme, en général, ces différentes parts (ou aspects de la personnalité) ne communiquent pas (ou peu) entre elles ; elles s'ignorent et s'affrontent pour prendre la main sur les autres parts et gouverner l'individu – ce que l'on peut appeler sa personnalité. Ainsi les traits extérieurs apparents d'un individu ne sont, le plus souvent, que le reflet de son intériorité – c'est à dire de « la prise de pouvoir » de certaines parts qui ont écrasé, muselé ou rendu inactives leurs rivales ; toutes les parts qui aspiraient, elles aussi, à la gouvernance...
Les expériences de vie* et l'introspection permettent de se familiariser avec la grande majorité de ces parts. Autrement dit, on apprend, peu à peu, à se connaître. Au fil des années, peut alors émerger une part vouée à la médiation et à la communication qui permet à toutes les autres parts d'entrer en relation ; elles apprennent (progressivement) à dialoguer, à s'écouter, à prendre en considération les points de vue et les besoins des unes et des autres et à se respecter. Ainsi se façonnent une entente et une cohérence qui rassemblent et alignent, en quelque sorte, tous les aspects de la personnalité. Les querelles internes cessent (pour l'essentiel) et les parts s'organisent afin que toutes puissent s'exprimer, s'affirmer et exister (parfois simultanément – parfois successivement) afin qu'aucune ne se sente lésée.
* notamment lors de circonstances particulièrement heureuses ou malheureuses
Toutes ces parts représentent ce que l'on pourrait appeler une communauté intérieure – un cercle fraternel. Et lorsque la perspective s'affine et s'approfondit et/ou lorsque la part spirituelle devient prépondérante(1), on sent, avec évidence, qu'il existe des parts mûres, mâtures et avancées sur le plan spirituel – des parts réellement sages (à l'esprit sensible et aiguisé – si l'on peut dire) et d'autres encore très enfantines et immatures, des parts très naïves ou très rigides et même des parts qui ne pourront, sans doute, jamais se transformer (réellement). Et ainsi évolue, peu à peu, la communauté intérieure, les unes aidant, soutenant et encourageant les autres. Et lorsque survient (tôt ou tard) un événement difficile (ou douloureux), une circonstance particulièrement triste ou malheureuse, on peut ressentir(2), de manière réelle et organique, que toutes les parts se rassemblent, forment un cercle, comme si elles entrelaçaient leurs bras, autour des parts les plus affectées, les plus bouleversées, les enveloppant de leur présence, de leur tendresse, de leur amour, les consolant inlassablement, avec des gestes attentionnés et/ou des paroles réconfortantes, et demeurant à leurs côtés de manière indéfectible jusqu'à ce que le désespoir ou le chagrin se dissipe...
(1) endossant, en quelque sorte, le rôle d'un père abbé bienveillant dans un monastère
(2) et le solitaire, peut-être, mieux que quiconque puisqu'il ne peut compter sur la mansuétude de ses congénères
Journal poétique (extrait)
Partagé(s) ; à l'intérieur
Parfois arche ; parfois fenêtre ; mais grotte, le plus souvent, où l'on aime à se réfugier ; et au fond de laquelle sont nés tous les alphabets – toutes les légendes – toutes les insomnies
Plus proche(s) de la pierre que de la lumière ; comme le prolongement intermittent (et dispersé) de l'origine
Éternellement inscrit(s) au cœur de cette enfance naïve et illettrée
Journal poétique (extrait)
L’œuvre trop vivante du miroir
S'insinuant partout ; jusque dans les profondeurs les plus lointaines – les plus invraisemblables – les plus insoupçonnées
Et nous ; comme des îles ; comme des bouées surnageant au milieu des remous et des reflets
Au cœur des courants et du chatoiement ; comme pris au piège
Les yeux fatigués ; l'âme découragée ; le cœur (un peu) perdu ; comme enivré – déboussolé par cette hostilité ; et l'abondance des attractions et des scintillements
Si loin du bleu – des forêts ; et des couleurs franches du mystère
Une vie de solitude simple et singulière
De thébaïde en thébaïde (autant que possible)...
Han-Shan
« Je me laisse vivre dans les bois. Solitaire, je suis mon seul maître .»
Journal poétique (extrait)
Nourri de chant et du sauvage
A coups d'invisible
Au centre du cercle cerné d'or
Et le sommeil – en ce monde – qui navigue librement
Le ciel parfois couvert – parfois étoilé ; au-dessus de tous les fronts
Et cette écume nimbée de parole
Loin de l’œil ; loin de toute poésie ; alors que nous exultons au fond des bois – au seuil de tous les deuils ; avec la mort ; tout autour – et au-dedans
10h – 10h30 nouveau bivouac
Une large clairière au cœur de la forêt.
Exigences et orientation
Les lieux où l'on s'installe (pour la journée ou pour la nuit) ne doivent être ni trop bruyants, ni trop passagers, ni trop pentus. Autrement dit, ils doivent être silencieux, déserts et plats*...
* aussi silencieux, déserts et plats que possible
En hiver, on s'arrange pour placer le pare-brise du camion face au soleil pour réchauffer l'habitacle* et offrir aux panneaux solaires une exposition lumineuse suffisante...
* non chauffé durant la journée
Et en été, on essaie (autant que possible) de trouver une place à l'ombre – sous les frondaisons protectrices des grands arbres ou abrité derrière un mur ou un bâtiment*.
* durant les heures les plus chaudes de la journée
Haïku
« Un endroit magnifiquement simple
idéalement tranquille
d'où contempler le monde »
Notes de la forêt
Le regard par-dessus les cimes ; par-dessus les horizons trop humains. Parmi les nids et les terriers ; notre roulotte ; et nos pieds nus sur les épines de pins. Et notre cœur chantant ses louanges ; sa parole simple qui s'élève et porte (sans doute) au plus sacré...
Journal poétique (extrait)
Au bout de ce monde ; dans un retrait – une discrétion
Comme un éloignement du trop humain
Une hauteur – une suspension
Porté par les désirs du vent ; sa volonté ; obéissant
Comme un ressort dans la poussière
Le prolongement de l'alliance ; le trait d'union ; le prélude de l'effacement
Un lieu suffisamment plat et des cales
Lorsque le sol est incliné, on glisse des cales(1) sous les roues avant ou arrière(2) pour mettre le camion (à peu près) à niveau. Mais le dénivelé est, parfois, si important que l'on penche malgré tout d'une manière inconfortable : toutes nos tentatives de stationnement en de tels lieux, en particulier pour le bivouac, se sont avérées insatisfaisantes ; le sommeil est perturbé par d'incessantes glissades...
(1) et sous lesquelles on glisse des planches (épaisses de plusieurs centimètres) lorsque le terrain est très pentu...
(2) et, parfois, sous les roues avant et arrière droite, sous les roues avant et arrière gauche ou sous une seule roue – selon le relief du terrain
Journal poétique (extrait)
Aveuglément ; sans s'interroger
Nous consolant de l'infime et du dérisoire
Aplanissant les (minuscules) aspérités ; et remplissant les trous et les failles ; alentour – à notre portée
Insecte(s) en quelque sorte – rivalisant de ruses et de déguisements pour s'approprier une parcelle – se construire un abri ; les pieds et l'âme encore plongés dans la terre et l'insignifiance
Approvisionnement alimentaire
Tous les 15 à 20 jours(1), il nous faut reconstituer notre provende(2). On se voit donc contraint de reporter l'heure du bivouac en fin de matinée.
Le réapprovisionnement s'effectue dans une supérette de village ou un supermarché en ville. Et l'on s'irrite d'être obligé d'arpenter, de manière trop fréquente, ces affreuses zones commerciales qui entourent la plupart des agglomérations de taille moyenne. On se livre à cette tâche avec peu d’enthousiasme – et disons-le franchement – on ne s'y résout qu'à contre-cœur – passablement affligé (ou agacé – selon l'humeur) de devoir déambuler au milieu de nos congénères pressés ou nonchalants – assez insupportables à nos yeux (d'une manière ou d'une autre)...
(1) sauf pour les légumes frais (en été)
(2) Un réfrigérateur assez volumineux (doté d'un petit congélateur) nous permet de stocker les produits frais et/ou périssables
Journal poétique (extrait)
En ce pays de chair
L'âme sans audace ; façonnée par la (longue) liste des ambitions communes
Et la peur du scandale ; et la crainte de l'exil
Ce qui affleure ; (très) timidement ; (presque) sans poids face à ce qui enfonce
De la terre et du rêve ; et mille autres charges – sur les ailes (encore) repliées
Gisant ; parmi tous les yeux fermés – sous ce ciel (apparemment) impassible
Ni interlocuteur, ni bavardage
Il nous arrive de ne parler à personne* pendant plusieurs semaines (et, parfois même, pendant plusieurs mois). A peine un « bonjour » à la caissière lors de nos ravitaillements alimentaires bimensuels...
* pas même au téléphone...
Guillaume de Saint-Thierry
« Les ermites ne sont pas des isolés, mais une communauté de solitaires. »
Ermite
Ni compagne(1), ni famille, ni enfant, ni maison, ni emploi(2), ni collègue, ni ami.e, ni communauté. Aucune relation humaine intime. Ermite quoi !
Au ban du monde – seul(3) – avec les pierres, les arbres et les bêtes...
(1) ni compagnon
(2) au sens conventionnel du terme
(3) Et depuis la mort de G. – survenue il y a quelques années, pas même un.e alter ego à l'instar de Han Shan, poète ermite chinois du 8ème siècle qui vivait dans la montagne (dans le massif du Tiantai) et qui, de temps à autre, rencontrait Shi De et Feng Kan, deux amis et condisciples – ermites eux-aussi, pour deviser joyeusement...
Tchouang Tseu
« Qui sait se contenter de peu ne s’embarrasse pas de profit ; qui ne se préoccupe que de se trouver lui-même ne s'afflige d'aucune perte ; qui cherche sa perfection intérieure ne s'afflige pas d'être sans situation sociale. »
Notes de la forêt
La joie (merveilleuse – et toute simple) d'être là ; parmi les siens...
Journal poétique (extrait)
En silence ; recueilli ; les mains encielées (et sortant des ténèbres – pourtant)
L'âme à terre ; lumineuse malgré les cendres – malgré la grisaille du monde
Comme couronné ; sans le moindre quidam alentour ; ni la moindre trace à suivre
Journal poétique (extrait)
En harde solitaire ; nous éloignant pour des rendez-vous amoureux
Jour et nuit ; sur la rocaille ; le long des rivières ; au milieu des arbres ; derrière les broussailles
Comme une échappée vers l'enfance au visage tendre ; là où l'esprit se laisse porter par les forces qui le traversent
L'âme étreinte par l'innocence et la sauvagerie
Le monde dessiné
Au loin, les montagnes – comme une ligne d'horizon découpée à la serpe ; une longue ligne noire dentelée qui partage le ciel et la terre ; qui sépare le vert des arbres et le gris des nuages...
Au-dessus de nos têtes
Des buses tournent au-dessus des collines ; de longs et majestueux vols planés dans la lumière du jour. On les observe longtemps jusqu'à ce qu'elles disparaissent derrière la crête.
Séjour prolongé
Quelques fois, les lieux sont si paisibles, si déserts, si accueillants que l'on prolonge « notre séjour » d'une journée. Ce qui nous offre l'occasion de continuer à explorer les alentours pendant notre balade*
* en particulier, lorsque le hameau, la colline ou le massif forestier sont traversés par plusieurs sentiers pédestres.
Quelle joie de pouvoir ainsi adapter, au jour le jour, son existence – son périple – son emploi du temps ; de pouvoir aller et venir ici et là ; de pouvoir demeurer à un endroit ; de pouvoir prolonger sa halte (ou son bivouac) de quelques heures supplémentaires...
Kamo No Chômei
« Où faudrait-il s'installer, que faudrait-il faire, pour être un peu tranquille, et pour goûter, ne serait-ce qu'un instant, le contentement du cœur ? »
Laver son linge
Laver son linge(1) – lorsqu'il faut se rendre dans une laverie automatique(2) – ressemble fort à une corvée. On doit aller en ville(3), se garer sur un parking sans charme situé dans une zone périurbaine laide, populeuse et bruyante, disposer ses vêtements dans une machine à laver à la propreté parfois douteuse, puis (si le temps est froid, humide ou pluvieux) les placer dans le sèche-linge qui jouxte les machines à laver ; et attendre près de 2 heures dans un lieu peu avenant...
(1) environ tous les 2 mois – ce qui est très peu fréquent mais nous vivons presque nu – l'essentiel de l'année et en hiver, nous portons (sans vergogne) les mêmes vêtements pendant une semaine
(2) Ces dernières années, la plupart des grandes surfaces commerciales se sont dotées de laveries automatiques – placées, en général, sur le parking – entre les voitures stationnées et les caddies...
(3) On profite, en général, du réapprovisionnement alimentaire pour laver notre linge
Journal poétique (extrait)
Dans la tension du nombre
Trop solitaire(s) ; trop peu solidaire(s) – pour tendre les bras
A distance ; de plus en plus loin à mesure que le rêve se déploie
Des voix incomprises ; et (très largement) inentendues
Dans la cacophonie de la multitude ; chacun dans son coin
A l'ombre des Autres ; et le soleil trop bas (de biais) pour offrir sa chaleur et sa lumière
Comme enclos dans le périmètre (étroit) de l'obscurité et de la peur
Laver son linge (suite)
En revanche, lors de la période estivale, lorsque l'on se trouve près d'un cours d'eau* ou à proximité d'un robinet – et que l'endroit est désert et peu fréquenté, laver son linge devient une activité belle et poétique. On retrouve les gestes d'antan, on sort une cuvette, un bout de savon, on plonge les mains dans l'eau fraîche, on frotte, on retourne le linge, on ajoute un peu d'huile de coude – des gestes lents et répétés exécutés avec conscience, on ressort le linge, on le presse, on le tort et on recommence.
* on remplit sa bassine et on s'éloigne à une distance suffisante pour éviter toute pollution
Puis, vient le moment (si gratifiant) du séchage où l'on dispose ses vêtements sur une corde tendue entre l'avant et l'arrière de la roulotte et sur le vieux porte-vélo que l'on déplie pour l'occasion (et qui n'a, d'ailleurs, d'autre usage*) ; et l'on est saisi par la beauté de cette activité réalisée avec si peu de moyens ; un peu d'eau, du savon et du vent ! Merveilleuse quotidienneté...
* hormis celui de servir, parfois, de support pour accrocher le sac d'ordures – lorsqu'on ne trouve aucune poubelle dans les environs
On y passe, parfois, une bonne partie de la matinée, mais on a le sentiment d'avoir consacré quelques heures à une activité incontournable d'une belle (et très satisfaisante) manière...
Journal poétique (extrait)
Dévoilant l'invisible ; à travers le geste
La figure sensible
Malgré soi ; à la manière du soleil
Ici – à présent – le lieu de toute démonstration ; ni avant – ni après – ni préparation
L'âme qui frissonne face à la liberté ainsi exposée ; son potentiel – toutes ses possibilités
Le pas indéfini ; comme le trait – comme le voyage – comme le reste ; avec tous les méandres au-dedans
Au cours de cette sorte d'exil qui traverse le temps
L'adresse et le courrier du nomade
Comment obtenir une adresse et recevoir son courrier lorsque l'on ne possède ni maison ni boîte aux lettres ? Aujourd'hui, plusieurs possibilités s'offrent au nomade (domiciliation chez un parent, chez des amis ou auprès de différents organismes – courrier du voyageur etc etc). Pour notre part, nous avons opté pour une domiciliation dans une mairie – au sein d'une commune dans laquelle nous passons (au moins) deux fois par an et pour une dématérialisation de tous nos échanges administratifs (via les diverses applications du téléphone portable)...
Voilà ! Rien de très compliqué ! Ne nous attardons pas davantage ! Continuons le voyage vers des contrées moins bureaucratiques !
Journal poétique (extrait)
Du plus haut ; l'étreinte
Ce qui – dans le cœur – est atteint
A se découvrir ; et à disparaître
Avec ce qui reste ; le visage à l'horizontale
Visites et découvertes hors saison
En hiver, l'ermite itinérant peut se risquer à fréquenter des lieux (un peu plus) urbains – des villages (un peu plus) denses – et des sites (un peu plus) touristiques – sans grand risque de croiser la foule. Ses congénères sont, en général, peu enclins à sortir de chez eux ou préfèrent s'adonner à des activités qui se pratiquent à l'intérieur*. Ainsi peut-il profiter de la période hivernale pour visiter quelques sites archéologiques, des abbayes et des monastères, des grottes, des cascades, des points de vue panoramiques, des lacs et des étangs – tous les lieux qu'il prend soin d'éviter le reste de l'année.
* sauf les chasseurs qui fréquentent assidûment les forêts et les bois
Journal poétique (extrait)
La lumière affalée
Par le chemin le plus obscur ; souterrain ; aux lisières du visible
Les yeux creusés par le souvenir
La mémoire en galerie
Une manière (sans doute) de se tenir dans l'écume
Un voyage sans trace (durable)
A travers le silence millénaire
10h30 Une tasse de thé fumante posée sur le dessous de verre en bois. Le carnet d'écriture ouvert. L'ordinateur allumé devant les yeux.
La séance d'écriture (corrective) est ouverte !
Le labeur matinal
Ce travail de relecture (et de correction) s'avère (assez souvent) fastidieux(1) ; on l'effectue, néanmoins, sans déplaisir. Il s'agit de lire et de relire les textes non encore publiés sur le blog(2). Chaque opuscule mensuel est, en effet, lu de plusieurs manières ; une lecture où l'on s'attarde sur le rythme et la musicalité, une lecture où l'on s’intéresse davantage au sens des mots, à leur combinaison et à leur assemblage, une lecture qui se focalise sur les corrections orthographiques et grammaticales, une lecture d'ordre général (qui essaie de prendre en considération l'ensemble de ces aspects), une lecture à haute voix enregistrée (que l'on prend soin, bien sûr, d'écouter avec une oreille « aussi neuve » que possible) etc etc.
(1) Cette phase du travail d'écriture n'a pas notre préférence – loin s'en faut – mais un texte doit être corrigé (a minima) ; cet aspect un peu rébarbatif semble donc inévitable...
(2) Chaque année, nous élaborons également une maquette pour une publication en version papier des textes de l'année que l'on repartit, en général, en 2 volumes (environ 1000 pages par an) et qui constituent ce que l'on pourrait appeler notre journal poétique...
Journal poétique (extrait)
Au pays de la parole sans lieu ; reliée, à son insu, à la source
Le poème – bribes de vent – abandonné à la transparence et au temps ; allant du bleu au monde et, quelques fois (plus rarement) du monde au bleu
Journal poétique (extrait)
Comme l'arbre ; sur la pente naturelle des choses
Aussi enchevêtré à l'infime qu'à l'infini
Dans cette relation (assez) asymétrique à l'immensité
Dénué (pourtant) de crainte et d'intention ; se laissant parfaitement guider
Étincelant ; en étrange miroir de ce qui ne peut se refléter ; de ce que le monde (en général) ne voit pas
Comme l'aube que nous attendons (tous) derrière la vitre ; porté(s) par cette espérance (assez) désespérée de l'inexplicable [auquel ne peut rendre grâce ni l'abondance de mots – ni la parole poétique (à laquelle l'homme est si peu sensible)]
On ne désire pas ; on ne souhaite rien
On n'aspire à rien de particulier. On n'a ni projet, ni orientation existentielle. Cette absence d'attente ne signifie pas que nous sommes dénué de préférences ; on continue (comme tout un chacun) à préférer certaines choses, certains états, certaines situations et certaines activités mais l'on appréhende l'existence sans a priori, prêt à vivre ce qu'offrent les circonstances. L'expérience nous a appris que les rêves et les fantasmes ne correspondent pas à la réalité et que l'existence est une alternance d'événements heureux et tristes et de situations plaisantes et déplaisantes (pour l'esprit humain)...
Lorsque l'on ne souhaite rien, l'existence se simplifie – la vie devient facile...
Journal poétique (extrait)
Plongée dans le naturel ; en soi – alentour ; le même environnement
(En partie) affranchi de l'homme et des artifices humains ; par-dessus le néant et la séparation – en quelque sorte ; avec des résidus (assez substantiels) de l'esprit étroit qui se favorise
Continuant à être ; à distiller le bleu qui, parfois, abonde ; et, d'autres fois, ce qu'il reste (de manière assez absurde)
L’œil en son royaume ; sans la moindre attente ; sans la moindre priorité
Journal poétique (extrait)
Dénué de rêves
Le ciel juste au-dessus des yeux
Sous le ruissellement sacré du jour – l'aube ; l'éclaircissement sans explication
Tout ; comme une évidence ; à travers la clarté
Des vagues de vent vers le large
L'esprit libre ; la matière célébrée
En passe de servir le monde comme l'air et l'eau – la terre et le feu
Une infime parcelle de l'espace ; dans l'étrange intimité de l'infini
Journal poétique (extrait)
Ici ; à travers l'exigence de la lumière
La source ; en suivant l'ombre à la trace
Sans renoncement – sans (le moindre) déchirement
Dans le sillage du vent qui tourbillonne
La nuit et les tempêtes incluses dans ce bleu qui s'avance (quasiment) démasqué
L'âme sans désir ; acquiesçante
Des mondes ; et l'entière étendue ; au pied du souffle ; comme si c'était là notre seule volonté
Prêt à vivre ce qui se présente
On n'entreprend plus les choses (la moindre chose) pour accéder à un état ou à une situation ou pour obtenir une récompense (ou une quelconque gratification*) mais parce que certains gestes et certaines activités doivent être réalisés, parce qu'un élan irrépressible nous anime et/ou pour la joie de les accomplir.
* On n'entreprend plus les choses pour obtenir quoi que ce soit...
Cette perspective se réalise (bien sûr) de manière progressive ; à mesure que l'on épuise ses désirs et ses rêves – jusqu'à être vide de volonté et de projet (personnels). Après un certain nombre d'expériences, on comprend que tous les états, toutes les activités, toutes les situations se valent (une chose n'est pas plus désirable qu'une autre*). Tout (presque tout) peut alors être vécu avec une certaine équanimité. On est prêt à vivre ce qui se présente...
* faire la vaisselle ou écrire de la poésie, vivre seul ou en couple, avoir des enfants ou ne pas en avoir, être riche ou pauvre, être malade ou bien portant, tout cela se vaut d'une parfaite manière – même si l'esprit, bien sûr, conserve ses préférences...
André Breton
« J'ai cessé de me désirer ailleurs. »
Journal poétique (extrait)
A attendre ; les mains ouvertes
Sans rien désirer ; sans rien saisir ; sans rien écarter
Si proche(s) de l'Absolu et de la mort ; de nous-même(s) ; de tous nos semblables
Le legs déchiré ; avec tout un chemin à réinventer ; et la tête – et la chair – à apprivoiser – à aimer – à célébrer – avec toutes leurs salissures et toutes leurs corruptions
Dans l'impossibilité de vivre autrement ; autre chose ; condamné(s) à obéir aux circonstances ; à la confluence des nécessités ; à expérimenter ce qui nous échoit sans jamais rien décider
Journal poétique (extrait)
Sur la pierre saillante ; l'âme silencieuse
Au-delà (bien au-delà) du ciel grillagé gardé par des yeux fous ; des esprits délirants
Au-delà des prières (hâtives) et de l'affairement (dévastateur) des foules
Au-delà des images et des mots ; de ce blanc cotonneux (vaguement) auréolé de lumière
L'esprit au cœur de l'étrangeté pour tout rendre (plus) familier
Ici-bas ; exactement
Journal poétique (extrait)
Le visage diurne ; (plutôt) emblématique
Familier du plus haut soleil
Le regard (franchement) lumineux
Capable d'embrasser l'ombre et les images ; et de vivre au milieu des arbres silencieux
Existant sans nom – sans ami – sans personne
Sans volonté – ni intention
Sans rien ressasser ; pas même l'indicible
Debout ; l'enfance amarrée à la nuit
Pris dans les fils d'un ciel à la manœuvre ; ne décidant de rien ; pas même du rythme – ni du sens de la roue
La vie ; comme un langage – un possible – une île – un chemin ; remontant le cours du temps jusqu'à l'origine du monde ; jusqu'à la source des existences
Journal poétique (extrait)
Rouillée la hache ; dans l'herbe mouillée
Rouge et rosée
Comme la parole et le visage ; parfois ruisselants – parfois abandonnés
Le prolongement (consenti) de l'origine
Jusqu'à la courbure – parfois dramatique – de la lumière
Nul gain – nulle perte ; ni vainqueur – ni vaincu – (pourtant) en ce monde
Le franchissement du miracle ; la seule possibilité
De moins en moins de croyances (et d'idées sur les choses, la vie, le monde, la mort)
La tête apprend, peu à peu, à se désencombrer. On cesse de penser et d'imaginer, on fait face à ce qui est – à ce qui advient.
Journal poétique (extrait)
En secret ; la vie – la perte
Ce que l'on désire ; ce qui nous attriste ; et ce que l'on pleure
Le sang sous la neige
Et cette douleur (terrible) de ne rien savoir ; et celle (tout aussi terrible) de s'imaginer savoir
Toujours à côté ; toujours séparé ; jamais juste ; toujours en peine
En vie sans (réellement) être vivant ; et ainsi tant que durera l'ivresse – la cécité – le refus de s'engager ; le cœur (parfaitement) piégé dans la nasse cherchant, dans son délire, une rive trop lointaine alors que tout est là – déjà ; à notre portée
12h15 – 12h30 préparation du repas (et gamelle de Bhagawan)
On range les feuilles dans la bibliothèque et l'ordinateur dans sa housse de protection, on débarrasse la table des quelques objets qui traînent. On saisit un plateau, on ouvre le réfrigérateur, on sort les ingrédients nécessaires à la préparation du repas. On coupe, on lave, on verse, on assaisonne puis on passe à table.
Variabilité quotidienne
Gestes quotidiens tantôt vifs – tantôt tendres – et parfois mécaniques (hélas!)...
Journal poétique (extrait)
Là où le ciel recueille ; et rassemble
Sans commentaire sur la danse et les reflets
Ni mot – ni image
Le cœur noir – pourtant ; nous enfouissant
Dans un enchevêtrement de gestes et de fatigue ; le poids de l'obscur – comme un écrasement
Se laisser traverser par (toutes) les énergies
Il convient (autant que possible) de respecter les énergies qui nous traversent* – tantôt vives et rapides, tantôt lentes et calmes, tantôt superficielles, tantôt profondes, elles animent le corps et l'esprit de différentes manières. Être à l'écoute de ces énergies – reconnaître leur nature – leur texture – suivre leurs mouvements – leur être obéissant – faire corps avec elles – est la meilleure façon de ne pas créer d'obstacles et de résistances qui engendreraient un décalage, un déséquilibre, une disharmonie entre, d'un côté, le corps et l'esprit et, de l'autre, ce qui les traverse. Il y a, en effet, des moments où l'esprit et/ou le corps s'anime(nt) naturellement avec vigueur et intensité, d'autres moments où ils deviennent lents, indolents, presque paresseux, et d'autres moments encore où ils sont parcourus par de puissants courants qui semblent émerger des profondeurs.
* celles de notre environnement et/ou celles que les circonstances font naître en nous
Ainsi, chaque jour, les tâches quotidiennes ne sont pas réalisées (intérieurement et extérieurement) de manière identique. Certains jours, on prépare le repas ou l'on fait la vaisselle avec entrain, d'autres fois, les gestes, au contraire, se font extrêmement lents (comme si les mains et les couverts se caressaient mutuellement avec suavité – presque avec sensualité) et le moindre contact devient intime, profond et savoureux ; d'autres fois, lorsque l'énergie se fait superficielle et/ou que la tête est préoccupée (emplie d'images, de pensées, d'émotions ou de sentiments), les gestes deviennent mécaniques. On est là sans être là, on fait les choses de façon machinale – sans conscience ni sensibilité...
On pourrait être enclin à hiérarchiser ces différents types d'énergie et ces différentes manières de réaliser les actes de la vie quotidienne, mais, avec un peu d'expérience*, on comprend qu'il n'existe aucune hiérarchie. Une manière de faire n'est pas meilleure qu'une autre... On obéit seulement à l'énergie qui est là – et qui nous traverse ; et on la goûte pleinement (qu'elle soit profonde ou superficielle, qu'elle soit lente ou rapide etc). Lorsqu'elle se fait vive et brusque, les gestes se font vifs et brusques ; lorsqu'elle se fait douce et langoureuse, les gestes se font doux et langoureux...
* avec un peu d'expérience et de maturité
Il n'y a aucune résistance. Il n'y a aucun effort à fournir ; seulement se laisser porter par les énergies en présence...
Journal poétique (extrait)
La vie (secrètement) enfoncée dans l'âme ; et (presque toujours) la méconnaissance de l'inverse
Si près du jour ; si près de la mort
A hauteur de tête ; à longueur de nuit
La somnolence ; et le grand sommeil
Ce qui remplace, peu à peu, le visage de l'homme
La route (cette longue route) qui zigzague sur l'horizon
Et ce gris qui alourdit la chair ; et qui attriste le cœur
A s'interroger (encore) ; sans (jamais) se laisser porter
Au déjeuner
Un bol de salade, 4 biscottes, un morceau de fromage, un yaourt au soja (avec un peu de confiture), 2 biscuits et 2 carrés de chocolat noir.
Journal poétique (extrait)
A la table de la bonne fortune ; discrète – invisible – anonyme
Sur l'âme brûlante de déraison ; la démesure qui a remplacé le chagrin
Comme allongé sur soi
Dieu dans le chant ; à travers notre voix
Et le bleu ; à travers le festin d'aujourd'hui et toutes les famines d'autrefois
Le pays d'où nous venons ; le pays où nous vivons ; le pays où nous allons ; comme un hymne (un hymne éternel) à l'immobilité
12h45 – 13h séance d'écriture
Un feutre. Quelques feuilles blanches. Un livre de poésie qui traîne sur la table. Le regard comme posé (à la fois) au-dedans et sur le paysage – sur cette parcelle du monde offerte (et changeante). Instant de vide nécessaire pour faire jaillir ce qui sourd à l'intérieur – au cœur de cet espace qui nous habite. Instant de rencontre et de dialogue avec l'invisible – l'insondable – le silence – le merveilleux...
L'âme à l'écoute qui laisse surgir les mots – la longue suite de mots – comme une musique – l'eau d'une rivière ; et la main – dans son rôle de scribe – parfaitement obéissante...
Et sur la page de petites figures noires (ou bleues) apparaissent – se dessinent ; au-delà du sens – mille combinaisons – le tableau de l'instant qui émerge de cette rencontre quotidienne entre l'attention ouverte et les profondeurs.
L'insoupçonné qui se révèle – un peu de lumière qui se dépose sur le minuscule carré blanc. Et nous assistons, émerveillé(1), à cet enfantement – devenant (tour à tour(2)) le témoin, l'accoucheur et le théâtre de cette mise au monde journalière(3)...
(1) émerveillé et concentré
(2) et, parfois, simultanément
(3) biquotidienne en réalité – en début d'après-midi et en fin de soirée
Notes de la forêt
Parallèles à la lumière – le trait – la ligne – la trace ; ce besoin de solitude et de partage.
Journal poétique (extrait)
L'ardeur intacte ; au-delà de toute intention ; de toute conviction
D'encre et de ciel ; cette parole qui serpente entre l'incertitude et l'inconnu
Dieu ; sur ces rivages – déguisé en un peu de lumière ; en un peu de poésie ; et que ces siècles méprisent ; comme si les cœurs – comme si les mains – comme si les bouches – avaient effacé jusqu'à la possibilité de la tendresse – de la mansuétude – du détachement
Journal poétique (extrait)
Toutes les couleurs ; à travers le bruissement du langage
De l'érection à l'effondrement
Par lambeaux ; par pans entiers de ciel
Ainsi (sans doute) jouit-on de la solitude ; ainsi (sans doute) s'expérimente toute poésie
La présence en soi ; l'espace vivant que l'on porte (à l'intérieur)
Ce que l'on porte – en son for intérieur – se découvre(1) lorsque l'on s'est (en partie) défait des éléments qui composent notre individualité(2). Lorsque l'essentiel des rêves et des désirs ont été réalisés et que les circonstances ont suffisamment éprouvé, ébranlé et malmené nos croyances, nos valeurs et nos certitudes, des pans entiers de notre identité(3) finissent alors par se détacher, par s'écrouler et disparaître. Et l'espace ainsi « libéré » devient suffisant pour qu'une présence vivante (qui nous habite, sans doute, depuis toujours) puisse être ressentie.
(1) peu à peu ou d'une manière soudaine
(2) un amas hétéroclite de penchants, d'habitudes, de valeurs, de croyances, d'idées, de certitudes, d'a priori, de rêves, de désirs, de fantasmes, de sentiments etc etc
(3) l'identité de « surface » que nous avons, peu à peu, construite...
Qu'importe la manière dont on appelle cette présence – Dieu – la Vie – l'Amour – le Soi – la Conscience – elle devient, peu à peu, une « évidence » – une réalité – ressentie de manière sensible et organique – qui accompagne l'individualité (ce que l'on croit être). A mesure que l'on se familiarise avec ce qui nous habite, on comprend (peu ou prou) que nous sommes, sans doute, à la fois cette présence impersonnelle (non personnelle) et cette personnalité (très provisoire) ; l'une et l'autre, parfois l'une davantage que l'autre, parfois (presque exclusivement) l'une ou l'autre, mais toujours les deux ensemble – à la fois le Père et le fils diraient, peut-être, les chrétiens...
Présence parfois imperceptible* (parce que l'individualité occupe l'ensemble de l'espace intérieur), parfois présence discrète* (lorsqu'il arrive que l'on ressente « quelque chose », en soi, « quelque chose » de vague et d'indéfini – à certains moments ou à certaines occasions particulières), parfois présence intermittente*, parfois présence permanente* (ou quasi permanente)...
* ou, du moins, ressentie comme telle par l'esprit humain
Lorsque cette présence devient une évidence intime et quotidienne, elle se montre, tour à tour, selon les besoins ressentis par la personnalité, compagne (ou compagnon) – partenaire indéfectible – ami(e) ou confidente – père et mère – frère ou sœur – prenant le visage dont l'individualité a besoin.
Elle peut se faire guide, conseiller de vie et maître spirituel, se montrer tendre et sensuelle (et offrir un festival de caresses reçues et perçues de l'intérieur – corps tremblant et frémissant). Elle peut se faire amicale, fraternelle et devenir celui ou celle qui nous est, momentanément, indispensable – au gré des circonstances – au gré de ce que nous traversons – au gré de ce qui apparaît nécessaire...
Paul Valéry
« Tout accomplissement est suppressif. »
Journal poétique (extrait)
Derrière la vitre ; la même buée
Comme si un visage – des lèvres – un souffle – existaient de l'autre côté du monde ; Dieu peut-être – Dieu sans doute ; préoccupé (apparemment) par notre figure et nos (fugaces) interrogations
Journal poétique (extrait)
A distance ; le temps – l'effondrement
Cette béance de sable ; qui s'écoule – qui s'écroule ; et au cœur de laquelle nous capitulons
Du bleu – partout – pourtant – dans nos mains qui creusent et reçoivent
Des ombres perdues ; sans lieu d'attache – soumises à l'errance (labyrinthique) du nom
Le jour ; à notre mesure ; et de temps à autre (rarement – très rarement) l'inverse
Et la terre qui s'enflamme
Devant un si grand nombre
Si proche(s) ; le souffle ; de la source et du silence
Journal poétique (extrait)
A (grands) coups de malheurs ; le désespoir des cœurs
La vérité sous le nez ; pourtant ; sans en avoir l'air (bien sûr)
Pour que l'âme apprenne à voir ; cet indispensable apprentissage du regard qui doit, en (tout) premier lieu, s'exercer à soustraire
Journal poétique (extrait)
Dans l'ombre du seul ; ce qui se vit ; ce qui s'écrit ; parfois absurde – parfois vertigineux ; toujours nécessaire
Mais las du monde depuis trop longtemps ; dans l'expectation (si impatiente) de l'aube et du vide triomphant
Puis, un jour, comme pénétré – de l'intérieur – par cette lumière inconnue
Le regard éclairé ; et la chair réchauffée ; comme un surcroît de tendresse et de lucidité ; un (large) pan de ciel qui s'est offert
Journal poétique (extrait)
Au cœur du jour ; dans l'âme
La peau tremblante ; sous la lumière
Comme hissé au-dessus du monde ; au-dessus de tous les yeux indifférents – de tous les lieux inhospitaliers
Comme si s'achevait là la traversée du plus âpre
Comme libéré des corvées les plus communes
Capable – à présent – de se consacrer à la découverte (rafraîchissante) des autres dimensions du monde
Ainsi émerge-t-on, peut-être, de l'écume – de l'épreuve (incontournable) de l'écume – pour s'approcher de soi – aller à sa rencontre ; sur la courbe ascendante de l'effacement ; l'oubli en tête
13h30 – 13h45 collation
Une infusion avec une friandise au caramel
Les surprises de la cueillette sauvage
Au printemps dernier, après avoir fait infuser quelques feuilles (séchées(1)) de mélitte à feuilles de mélisse récoltées quelques jours plus tôt, on a pu savourer son goût plaisant, subtil et délicat, mais l'on a été (assez rapidement) pris – et surpris – par un besoin incessant d'uriner(2) lorsque l'on s'est, soudain, souvenu des propriétés (assez fortement) diurétiques de la plante...
Malheur au botaniste en herbe !
(1) sur la petite claie suspendue au plafond (fabriquée avec un peu de ficelle, 4 bouts de bois et un morceau de moustiquaire rectangulaire)
(2) à peu près toutes les demi-heures – pendant près de 24 heures
Quelques plantes sauvages comestibles et/ou médicinales* hivernales et printanières
Ficaire, violette, primevère, fragon épineux, nombril de Vénus, pulmonaire, lamier pourpre, cerfeuil des bois, berce commune, lierre terrestre, plantain, pissenlit, cardamine, ortie, mouron des oiseaux, consoude, oseille, gaillet gratteron, alliaire, asphodèle, lunaire annuelle, bugle rampante, laitue des murailles, capselle, pâquerette, aubépine, cymbalaire des murs, marguerite, laiteron, vesce sauvage, épiaire, gesse des bois, lampsane...
* que l'on trouve en abondance sous nos latitudes
13h30 – 13h45 sieste, lecture et espace récréatif
Moment de détente
Sieste (appréciable) de la mi-journée. Après notre séance d'écriture, on s'allonge confortablement sur le canapé du coin salon. Les fenêtres ouvertes en été (avec le chant des oiseaux pour bercer nos rêveries) et avec une couverture en hiver*.
* Le chauffage – un chauffage Webasto que l'on trouve couramment dans les camping-cars – n'est allumé que pour les nuits les plus fraîches, autrement dit une bonne partie de la saison froide que l'on passe (en général) en altitude – dans l'un des massifs de moyenne montagne que compte notre aire d'exploration.
Haïku
« J'ouvre un livre
et me réjouis
devant la fenêtre lumineuse »
Haïku
« Mes mains lasses
laissent tomber le livre
long rêve de sieste »
Journal poétique (extrait)
Au fond du sommeil ; autre chose
Une fête ; une lumière – la possibilité d'un temps nouveau
Un monde – un univers peut-être – en germe ; impatient (très impatient) de se déployer
Journal poétique (extrait)
Vivant ; par-delà le miroir
Entre l'infini et les contours ; mille visages – mille aventures – mille possibles
Derrière l'image – terne ou scintillante
Parfois davantage silence que reflet ; et, d'autres fois, comme un chemin qui s'éloigne – qui égare ceux qui l'empruntent ; vers un ordre que seul l'esprit de l'homme a banni ; et que l'Amour revendique (bien sûr – comme toutes les choses) – parcelle reconnue (et accueillie) à l'égale de toutes les autres
Une vie au contact – une existence à la merci
Une vie au contact des éléments naturels* ; le soleil, la pluie, le vent, la chaleur et le froid, la grêle et la neige.
* ressentis (avec force) au fil des saisons...
Une existence à la merci du monde et des événements ; exposé aux rafales de vent (qui font tanguer la roulotte comme si l'on habitait sur un bateau(1)), exposé aux éventuelles chutes d'arbre et de branches qui pourraient s'abattre sur le toit(2), exposé à la grêle(3) (qui pourrait endommager les lanterneaux et les panneaux solaires), exposé à la bêtise ou à la malveillance du premier venu, pas toujours doté des meilleures intentions, qui pourrait nous importuner(4) ou vandaliser le camion...
(1) et il faut l'avouer, nous n'avons guère le pied marin !
(2) et causer des dommages sérieux ou même nous écraser...
(3) L'occasion nous a été donnée, à plusieurs reprises, de subir une pluie de grêlons. Et il est peu dire que sous ce déferlement de forces naturelles, on se sent absolument sans défense...
(4) ou même nous agresser
Une cloison d'à peine 2 ou 3cm d'épaisseur et des baies fragiles (que l'on pourrait briser d'un coup de poing) nous séparent du monde extérieur. Autrement dit, nous vivons dans une carapace de papier mâché qui nous abrite de la pluie et (un peu) du froid – sans nous protéger du reste...
A l'intérieur, on se sent fragile et vulnérable – à la merci du monde* – et (disons-le) assez impuissant face à ce qui se manifeste (ou devant l'éventualité de ce qui pourrait arriver) – contraint (en quelque sorte) de desserrer l'étau de l'inquiétude (ou de l'angoisse), de vivre sans s'inquiéter (outre mesure) des risques, des menaces et des dangers (réels ou potentiels), de renouveler notre confiance en la vie – en la Providence – en laissant advenir ce qui doit advenir, nous abandonnant à ce qui arrive et remettant, chaque jour, notre destin entre les mains d'un plus grand que nous...
* A la merci ; autrement dit à l'exacte place de l'homme ; plongé au cœur de sa condition de créature labile et passagère soumise à des forces qui lui échappent (littéralement). Et n'étant guère séparé de son environnement, contraint de faire corps (intimement) avec lui. Et, de ce fait, invité à faire confiance, à dire un grand « oui » à ce qui se manifeste...
Journal poétique (extrait)
Au pied de l'indicible ; celui qui n'a de nom ; qui se meut avec l'âme et le monde ; avec la respiration de l'homme et la course des bêtes ; celui qui s'éveille et s'endort avec l'esprit ; sans jamais deviner la nuit qu'il porte ; en dépit de son éternel sourire
Ce qu'il nous offre ; ce qu'il nous impose
Le bruit (au-delà de notre misophonie(1))
Habiter dans un camion revient (sur le plan auditif) à vivre quasiment dehors ; les cloisons sont minces et, en été, toutes les baies et tous les lanterneaux sont ouverts (jour et nuit). Et selon les lieux où l'on est stationné – dans une forêt, dans un village ou près d'une ville ou d'une route (plus ou moins) passagère, tous les bruits sont parfaitement perceptibles. Ainsi le nomade est, sans cesse, confronté aux bruits du monde ; le vent, la pluie, le chant des oiseaux, les passages d'animaux sauvages, les cloches d'église, les tracteurs et autres engins agricoles, les rires et les éclats de voix, la musique, les motos et les scooters, les moteurs de voiture à l'arrêt, les véhicules en tous genres qui passent (parfois à vive allure), les klaxons, les tronçonneuses, les débroussailleuses etc etc.
Pour remédier (avec plus ou moins de succès) à cet aspect assez déplaisant de la vie sur les routes et les chemins, deux accessoires s'avèrent (presque) incontournables : les bouchons d'oreilles(2) (en cire de préférence) et le casque de chantier(3) anti-bruit. Les deux combinés parviennent à neutraliser, de manière satisfaisante, la (grande) majorité des pollutions sonores.
(1) aversion intense et irrationnelle envers des sons ou des bruits spécifiques dont nous sommes (malheureusement) affecté ; intolérance aux bruits répétitifs, aux bruits de bouche et à une large part des bruits produits par les êtres humains – voix, musique, moteurs en tous genres...
(2) indispensables la nuit – en particulier lorsque l'on dort dans un village ou près d'une route passagère...
(3) les plus sensibles peuvent remplacer le casque de chantier par un casque électronique (beaucoup plus onéreux)
Journal poétique (extrait)
Le souci de l'herbe et de l'arbre arrachés
Et la réparation que les habitants de la terre réclament
Roulé contre les bêtes plutôt que contre les rêves ; plutôt que contre les hommes
Lovés ensemble (tous ensemble) dans un terrier ; au fond d'une large galerie creusée sous la terre
Au seuil du jour ; la lumière présente – diffuse ; à travers la transparence
Au seuil d'un plus grand que soi ; se manifestant à l'intérieur
Avec – partout – la même présence ; la même joie
Insectes et protection
A l'arrivée (massive et printanière) des insectes – mouches, moustiques, guêpes et frelons en particulier – revient « le temps des moustiquaires » qui ornent, par bonheur, toutes les ouvertures de la roulotte. Ces protections s'avèrent absolument indispensables pour éviter une invasion intérieure qui serait, assez rapidement, insupportable. N'ôtant jamais la vie intentionnellement à la moindre bête – au moindre moucheron – excepté s'ils nous harcèlent avec opiniâtreté (moustiques et stomoxes* essentiellement), la cellule serait vite peuplée d'une myriade d'insectes vibrionnants.
* mouche du charbon, silencieuse et très résistante
Certes, les frontières entre l'intérieur et l'extérieur peuvent s'interpénétrer, se distendre et même s'effacer, il arrive néanmoins qu'il faille, de nouveau, les rétablir, et parfois même, les renforcer pour se protéger (a minima) des êtres et des choses qui nous paraissent indésirables...
On est, néanmoins, bien moins enclin qu'autrefois à circonscrire l’espace et à délimiter les territoires. Ainsi un peu de terre, un peu de sable, un peu de boue, quelques cailloux et quelques insectes (en particulier les mouches, les punaises et les cassides en automne) peuvent s'inviter à l’intérieur et y demeurer sans nous importuner*... A l'image de la vie et de la forêt où rien n'est séparé, où rien n'est « rangé », où tout se côtoie et se mélange dans un joyeux (et vivant) désordre...
* bien que l'on se montre de nature plutôt rangée – voire maniaque...
Journal poétique (extrait)
Sur nous ; les ombres et les silhouettes
A travers le bruit ; le lieu de l'infime
Le corps qui renâcle à se désobscurcir
Passant et repassant ; dans un éloignement (très) progressif
Et comme (presque) toujours ; encore quelque chose de soi
Journal poétique (extrait)
En soi ; le souffle ; et le vent
La tête arrêtée
Le temps suspendu
A respirer encore au milieu des choses
Journal poétique (extrait)
Séparément ; de moins en moins
Au fond de l'interstice
Parvenu jusqu'à l'embrasure ; la (parfaite) résolution
Par-delà la substance ; le plus lointain
Cette sorte d'intimité avec l'espace et le feu ; avec le reste – tous les Autres – en quelque sorte
Descendu(s) en soi ; sans le moindre résidu laissé à la surface
Les pieds sur le sol élargi (d'une certaine manière) ; au-delà du corps et de la tête ; le cœur pénétré ; et consentant
Tout est à l'intérieur
A certaines occasions(1), il arrive que la perception change de dimension et de perspective. La conscience que l'on a tendance habituellement à situer dans le cerveau(2) semble se distendre au point d'occuper la totalité de l'espace ; et tout semble s'y mouvoir ; soi (en tant que personne), les autres, le monde, l'univers. Tout semble à l'intérieur... Expérience (bien sûr) impartageable – subjective diraient certains...
(1) au cours de certaines expériences quotidiennes ou spirituelles
(2) « quelque part » dans le cerveau
De manière moins ésotérique (et moins spectaculaire), chacun est à même de comprendre que ce qui est vécu* n'est appréhendé qu'intérieurement. Sans conscience, rien ne serait perçu ; il n'y aurait que des mouvements et des interactions sans témoin – sans personne pour percevoir les événements et ressentir leurs conséquences (innombrables) sur le corps et l'esprit...
* les circonstances, les sensations, les désirs, les émotions, les sentiments
De manière encore plus évidente, chacun est à même de constater que le plus essentiel, dans l'existence, n'est pas ce que l'on vit mais la manière dont on le vit qui dépend (très largement) de la façon dont l'esprit appréhende et expérimente les circonstances.
Notes de la forêt
Si haut ; depuis ce promontoire ; (enfin) la possibilité du ciel ; et des retrouvailles. Le cœur encore empêtré (pourtant) dans quelques circonstances (fâcheuses).
Journal poétique (extrait)
Tout au long du mélange ; le chaos et la perte ; comme un voyage au terme duquel s'offre un orage de baisers
Le territoire (substantiellement) agrandi ; proche de la plus large envergure
Dans la compagnie d'un Dieu surprenant ; ce qui prolonge la route et le défilé du temps
Le monde n'existe pas
Le monde est une abstraction. Il y a autant de mondes que d'individus pour le concevoir. L'ensemble des éléments qui composent le monde (les êtres, les objets, les idées, les émotions etc etc) ne sont que des concepts définis par le langage qui permettent à l'homme de se faire une représentation*. Ainsi l'esprit humain s'évertue-t-il à différencier un arbre d'un visage, à différencier un visage d'une pensée, à différencier une pensée d'une larme etc etc à seule fin de comprendre ce qui semble exister en lui et autour de lui et de pouvoir échanger avec ses congénères...
* mille et une représentations qui permettent, d'une certaine manière, de se faire une idée du monde...
Il n'y a de monde ; il y a ce qu'il y a – ce qui ressemble à un enchevêtrement (mouvant et changeant) de vide, d'énergie et de matière auquel nous appartenons et dont nous sommes le témoin.
Haïku
« Transcendant concept et parole
dans l'air flotte
un parfum extraordinaire »
Rien n'est séparé
Grâce au langage (lui-même lié à la perception), l'esprit (humain) classifie les êtres et les choses – le visible et l'invisible de ce monde – en estimant que toutes les entités repérées – et dotées d'une définition (consignée(s) dans tous les dictionnaires et toutes les encyclopédies) – sont séparées et autonomes alors qu'elles ne le sont que de manière apparente. Qui, en ce monde, peut, en effet, respirer sans air, vivre sans eau et sans les éléments apparemment extérieurs dont le corps se nourrit ? Le corps de chaque individu abrite des milliards d'êtres (cellules, bactéries, virus etc etc) et constitue un ensemble d'écosystèmes, eux-mêmes, reliés à tous les écosystèmes extérieurs au corps... Et l'on pourrait multiplier ainsi les exemples à l'infini pour montrer que rien n'est séparé...
Tout, en ce monde, est relié et intriqué – de mille manières – à l'image d'un vaste réseau – d'une trame gigantesque ; ce que les bouddhistes appellent l'interdépendance.
Journal poétique (extrait)
Les arbres étreints ; comme une route nouvelle
Un lieu étrange ; un royaume sans roi ; où chaque croyance est visible et déchiffrée ; où la nuit brille (avec évidence) dans la mémoire ; où l'on rechigne à fréquenter les chimères et les Dieux (toutes les inventions des hommes)
Un lieu étrange ; une terre sans limite ; où l'on est capable de vivre avec les Autres et de jouer avec le temps ; et où l'on embrasse tout ce qui est exclu – tout ce qui n'est consenti
Aux confins de l'esprit ; à la pointe du monde – en quelque sorte
Journal poétique (extrait)
Ce qui nous hante ; trop obstinément
Sous la férule du genre ; de la famille ; de la communauté
Condamné(s) à l'infâme tyrannie du personnel ; dont chacun (bien sûr) se réclame
Et le reste ; comme oublié – relégué aux plus inaccessibles profondeurs
A jongler avec les rêves et les territoires
Oubliant (de manière si tragique) que rien – ni le monde – ni l'espace – ni les visages – ni les choses – ne peut être détenu et clôturé
Et si étrange ; et si risible ; de nous voir essayer (nous autres pauvres créatures) de nous approprier des parcelles de vent ; quelques riens dont on se croit possesseur
Sous le règne (millénaire – et encore inchangé) de la séparation ; entre loi – croyance et chimère – le monde (toujours) en construction
Journal poétique (extrait)
A bras-le-corps ; la distance
Au cœur de cette (perpétuelle) oscillation entre l'Un et le reste (ses fragments – sa progéniture – son prolongement)
De la chambre à l'inquiétude ; et de l'inquiétude à la lumière
Et le recommencement du cycle ; sans fin – à travers la matrice qui enfante (sans jamais s'interrompre)
D'un corps à l'autre ; d'un univers à l'autre
Et l'aube – chaque jour – comme une nouvelle épiphanie ; qui s'élève entre les rêves et les étoiles ; au-dessus des figures émerveillées
Quelque chose, à chaque fois, de la naissance du monde
Aspirations universelles
Chaque homme – chaque être vivant – aspire à être en lien avec les Autres – avec ce qui l'environne et à vivre en paix – dans une forme (minimale) de tranquillité. Ces désirs s'inscrivent avec force dans nos profondeurs et nos existences ; peut-être le besoin d'être relié tient-il à la nature même du corps – cette matière inséparable du reste – des Autres et de l'environnement – et que l'esprit humain sépare artificiellement parce que la peau semble être une frontière et que le corps semble être une entité autonome.
Et peut-être que le désir (profond et impérieux) de tranquillité n'est-il que le reflet de la nature de l'esprit (ou de la conscience) qui baigne dans cette paix – cette quiétude – cette sérénité ; comme posé en lui-même et affranchi de l'écume – de cette (inévitable) agitation qui anime la surface du monde – des êtres et des choses...
Journal poétique (extrait)
A travers la roue qui tourne ; le ciel – la terre – les hommes – les arbres – les pierres et les étoiles
Le désir puis, le silence ; l'inquiétude puis, la joie ; les temps fougueux puis, les jours tranquilles
Et, un soir, entre ces îles étranges ; tous les seuils atteints (comme par miracle)
Parvenu (peut-être) à la lisière du visible – aux confins du plus grossier ; de l'autre côté du monde ; de l'esprit
Cette part de soi que l'on a (semble-t-il) rejoint ; comme rassemblé (à présent)
Sans ignorer (bien sûr) que lorsque le cycle s'achèvera, nous referons le chemin – à l'envers ; en repassant par cet âge initial qui succéda aux premiers temps de l'origine
La tranquillité et la joie sont des états naturels
La tranquillité et la joie sont les états naturels de l'être. L'esprit suffisamment vide de désirs, d'exigences et d'individualité est naturellement tranquille et joyeux. Dans « cet état naturel », l'être que nous sommes, l'être qui nous habite (l'être qui nous porte et que nous portons) se laisse moins piéger par les apparences et les illusions du monde, il sait que tout est changeant et provisoire, que tout passe « comme un rêve », aussi se montre-t-il plus enclin à rire et à jouer (d'une manière innocente(1)), à goûter et à expérimenter tous les états de la conscience et de la matière(2), tous les états de la vie et du vivant – des plus plaisants aux plus effroyables...
(1) de manière non instrumentalisante
(2) et l'on pourrait même dire tous les états de l'énergie...
Notes de la forêt
Le cœur tiraillé entre l'arbre et l'enfance de l'homme. A saute-mouton par-dessus les obstacles et les interdits pour retrouver le centre du cercle ; là où l'être est en joie malgré les malheurs – les tristesses – les chagrins ; là où tout peut se pardonner ; là où tout peut être consolé ; là où les possibles se choisissent – se dessinent – nous emmènent – nous emportent. A la force du cœur...
Journal poétique (extrait)
Tous les chagrins d'autrefois dilués dans la joie d'aujourd'hui
Les yeux – à présent – dessillés par le rire et le jeu ; la légèreté de l'air
Comme la somme de toutes les enfances ; auxquelles on aurait soustrait le hasard et les malheurs
Personne ; juste un peu de vent et de lumière
Journal poétique (extrait)
L'enfance sans distinction
Bleue et silencieuse
Vénérant les arbres et le monde ; et les fleurs ; et les bêtes
Chantant – dansant – au milieu des décombres et des voix
Rapprochant les cœurs ; éloignant les cris
Jouant le jeu de la bêtise et de l'aube – indifféremment
Profonde ; au cœur de l'essence ; sans rien exclure de l'écume pourtant
Comme un vent ; comme un feu – fugace – fugitif ; le temps d'un (bref) passage
Inconfort et solidarité
Durant l'été – par les jours de fortes chaleurs – il nous arrive de rester dans l'atmosphère étouffante de la roulotte ou, lors de nos randonnées, de continuer à marcher sur des chemins écrasés de soleil(1) (parfois, jusqu'à la limite du supportable) à seule fin d'être en communion – d'être solidaire – avec ceux (avec tous ceux) qui ne peuvent échapper à la fournaise – qui ne peuvent s'abriter sous les arbres – trouver un refuge à l'ombre d'un mur ou recourir à quelque moyen artificiel pour atténuer (un peu) leur inconfort ; arbres, herbes, plantes, insectes, vaches, chèvres, brebis, ânes et chevaux(2)(3) condamnés à supporter, sans broncher, la rudesse du climat estival.
(1) sans nous protéger – sans utiliser le ventilateur
(2) sans compter les mouches et les taons qui harcèlent, durant les mois les plus chauds, tous les mammifères qui vivent à l'extérieur. Pourrait-on, ne serait-ce qu'un instant, se mettre à la place de ceux qui sont condamnés à vivre sous les bourdonnements et les attaques incessantes de ces insectes, sans pouvoir ni s'en défendre ni s'en prémunir ?
(3) sans oublier les animaux des élevages hors-sol enfermés dans des bâtiments et condamnés à (sur)vivre en été dans une atmosphère étouffante et surchauffée...
Journal poétique (extrait)
Dans l'ombre éparse ; se regardant
Se détachant de tout triomphe
La lucidité vive et modeste
Le monde ; à travers l'éternité – transparent
Presque rien – en somme
Quelques soubresauts dans les bras du vide
Une manière de s'approfondir ; d'apprendre à s'effacer
Journal poétique (extrait)
Dans l’œil familier de ces bêtes – ces sœurs à cornes – le sauvage (en partie) apprivoisé ; et (très) largement emprisonné
Et cette force tranquille face à la poigne (barbare et intraitable) des hommes ; et cette joie placide ; et cette douce mélancolie – dans lesquelles nous puisons le courage – et l'ardeur – nécessaires pour résister à la mainmise de ceux qui pensent gouverner ce monde ; et qui ont la sottise de croire qu'il leur appartient
Journal poétique (extrait)
Des larmes ? Pour quoi – pour qui – donc cette tristesse ?
Ce qu'il (nous) faut expérimenter ; sûrement – un bref passage
La lumière ; absente puis, réconfortante
Et ce qu'elle éclaire ; comme une évidence, à présent, au milieu des croyances – au milieu des malheurs – au milieu des chimères
Et la lampe ; et le mot ; illusions aussi ; cousus dans la même trame mensongère
14h15 – 14h30 un fruit pour le désert
Souvent une orange, parfois un kiwi ou une pomme. On saisit le fruit dans le filet* fixé au plafond. On l'épluche, le coupe en quartiers et on le mange lentement – morceau après morceau – bouchée après bouchée – savourant avec délectation la chair juteuse qui se répand dans la bouche. Moment d'intimité gustative (si l'on peut dire)...
* filet, très couramment, utilisé sur les bateaux et par quelques nomades – ce mode de stockage évite aux fruits de s'entrechoquer ou d'être écrasés lorsque l'on est sur la route...
14h30 – 14h45 de ce qu'il advient des nutriments non assimilés
Un peu d'hygiène
On défèque dans un seau muni d'un sac poubelle. Et l'on recouvre ses déjections, comme certains animaux enterrent leurs crottes, avec un peu de sciure.
Un seau et des copeaux de bois
Assis sur « notre trône » face aux arbres – au milieu de la forêt – porte ouverte ou posé sur une pierre devant la roulotte ; l'une des plus belles manières, sans doute, de vivre cette (incontournable) part organique de l'homme – dans un lieu sauvage qui offre un panorama souvent inspirant et, il faut bien l'avouer, un plaisir peu banal que ne procurent jamais les lieux d'aisance habituels (souvent étroits et fermés).
A la selle face au ciel ; l'espace ouvert où se mêlent les matières et les fragrances ; faire ses besoins devient, sans conteste, un (vrai) moment de contemplation...
Notes de la forêt
Collines au loin – à perte de vue ; du vert – des arbres. Ligne de crête – ligne de démarcation entre la terre et le ciel – la frontière des apparences alors que tout se mêle – s'interpénètre – se confond – naturellement – dans l'invisible – dans cette sphère du réel si méconnue – si peu fréquentée.
Journal poétique (extrait)
Au seuil des fleurs et des choses écloses ; dans cette période qui succède à cette sorte de chaos du corps
Avec un parfum (encore plus prononcé) d'automne et d'absence
Et, en filigrane, les bruits du désert et de la nuit
Et – partout – l'odeur des bêtes qui rôdent
Dans l'éloge (plus qu'évident) de l'anonymat et de la figuration
Le front (encore) dans l'ombre
Et la lumière qui éclaire par-delà la chair et la mort ; offrant le seul chemin parmi tous les possibles
Journal poétique (extrait)
Changé(s) en pierre ; chaînes aux pieds
L'âme et la bouche enferrées dans l'épaisseur
Le cœur et la tête scellés dans la fiente
Ce qui a perdu (depuis très longtemps) son caractère d'étrangeté
Parmi nous – pourtant – (bien) plus que des traces de ciel
Un peu d'hygiène (suite)
Et que fait-on (que fait le nomade) une fois son sac rempli d'excréments(1) ? Rien de plus simple ! Si on a la chance d'être dans la forêt – en un lieu suffisamment isolé – on creuse, à l'aide d'une petite pelle (pliable), un trou suffisamment profond, on y verse le contenu du sac(2), puis on rebouche le trou avec de la terre que l'on prend soin de tasser et de recouvrir avec quelques feuilles, quelques pierres et quelques brindilles. Ainsi on ne laisse aucune trace visible et, comme le font tous les animaux sauvages (et moins sauvages), on nourrit la terre. Et si on a le malheur de se trouver dans un village (ou dans une ville), on dépose alors sa litière(3) dans une benne à ordures comme le font tous les citadins qui vivent avec un chat.
(1) Le sac se remplit en quelques jours (une petite semaine, si on va à la selle quotidiennement) et est stocké, après chaque utilisation, dans un bidon étancheutilisé lors des randonnées en canoë et en kayak – ce qui évite les effluves déplaisants...
(2) ou, si on utilise un sac biodégradable, on y dépose le paquet ficelé
(3) litière que l'on aura pris soin préalablement d'envelopper dans un autre sac poubelle pour éviter d'éventuelles fuites et d'incommoder les éboueurs par des odeurs (trop) désagréables
Journal poétique (extrait)
Comme une tristesse ; un reste de monde ; déposé(e) sur le bord de la route
Quelque chose (à la fois) de la crête et du dedans
Un bout d'abîme et un vieux résidu de nudité ; l'un en face de l'autre
Et nous ; submergé par ce tête à tête ; par le flux et les relents ; par l'embrasement (soudain) de ce qui se cherche et s'affronte
En haut du passage – peut-être ; en haut du passage – sûrement