Carnet n°242 Notes journalières
L’aube – la lampe – l’étreinte…
Ce qui nous conduit ici même – sans détour – sans trahison…
Au fil des naufrages – de plus en plus rien…
La tête inconnaissante – devenue presque superflue aujourd’hui – un peu de chair nécessaire au fonctionnement quotidien…
La danse – le chant – le rire – expressions des profondeurs – naturelles – sans volonté – comme un hymne permanent à l’Amour – au vivant – au silence…
Nous – sans arrière-pensée – sans apprentissage nécessaire…
Le ciel sur terre décadenassé…
Des jours et des mains – seuls outils pour venir à bout du labyrinthe – se rendre compte de l’illusion – devenir réellement vivant…
Des fenêtres à perte de vue – comme les seules frontières – ce qui tient le monde à distance…
Avec tous nos rêves derrière le mur – au loin…
Quelque chose d’impossible à franchir malgré l’apparente facilité du passage…
Nos paumes brûlantes – comme notre front – sur ces pierres mystérieuses et angoissantes…
Ce qui sonne – au fond de nous – comme un secret révélé – une onde de choc – le bleu retrouvé – notre seule envergure – sans doute…
La perte manifeste du monde au profit du jour – ce à quoi nous accédons en abandonnant ce qui semblait nous appartenir…
Des larmes à la place des cris – des rires au lieu de grimaces…
Le soleil – mûr à point pour apparaître au fond du noir – dans la pleine obscurité des yeux – derrière l’âme attentive et aguerrie qui se tient à la périphérie du monde – au bord du silence – aux confins de l’infini et de l’éternité…
Nous – nous retrouvant…
La terre ignorée – au bord d’un ciel désastreux – celui qu’elle a maladroitement inventé…
Quelque chose de la frustration – de l’attente – de l’espoir – pour essayer de vivre moins inconfortablement – pour essayer d’échapper à la tristesse – à l’absurdité et au néant apparents…
Toutes les portes fermées – autour de nous – comme l’écrin de la plus précieuse invitation…
De l’absence et du cri à la chute – en soi – comme la découverte d’un soleil au-dedans…
L’absence, peut-être, convertie en regard – bientôt…
Des rêves plus anciens que notre peau – plus anciens même que la surface du monde – mille univers en un seul ; des routes – des cieux – des océans – et des oiseaux plus courageux (et plus tenaces) que nos pas – recommençant inlassablement leur envol et leur voyage – de la terre vers la terre comme si l’azur et la légèreté n’étaient que des états – de (très) brefs passages…
Personne – aucun appui pour nous relever – aucune âme – aucune main – pour nous réconforter. Le monde disparu – le monde au-dedans – comme seul témoin – seule possibilité de tendresse ; la sagesse arrivera (peut-être) plus tard lorsque l’on se sera familiarisé avec la beauté – avec le silence et l’autonomie – lorsqu’il ne restera plus un seul visage vivant sur terre…
Tous nos complices se sont enfuis et toutes nos corruptions nous ont révélé(s) ; ne reste plus aujourd’hui que la possibilité de l’Amour…
Sur ce sol ancestral – au-dessus des yeux, ces étoiles – entre le ciel et le front – trop haut pour la main – et pas assez pour l’ambition…
Quelque chose – en nous – ne peut ignorer notre besoin (impératif) d’Absolu – la nécessité de tous les épuisements – ce que doit connaître l’âme avant le plongeon et l’envol – ce que nous deviendrons, peut-être, après notre acquiesçante capitulation…
Hors du sable – dans un nid d’étoiles tombées ici et là et rassemblées un peu au hasard pour permettre au rêve d’exister – de briller au-dessus de nos têtes comme une guirlande mensongère…
Une manière, sans doute, d’éloigner la tristesse et la mort…
En silence – comme l’arbre – debout et nu – majestueux et vulnérable – à la merci des hommes sans humanité…
Parmi nos frères – entrelacés – l’Amour sur toutes les lèvres – dans tous les cœurs – comme une respiration – naturelle – spontanée – au fond de l’âme…
Avec toutes nos mains tendues vers le ciel – nos chants qui s’élèvent – comme une prière entendue par les Dieux – le bleu qui recouvre la soif – qui pénètre la peau – la chair – d’un bout à l’autre du corps – dans tous les recoins de l’âme – cherchant son assise permanente – celle qui saura résister à la mort – à la multitude des formes et des passages…
Nous – plus loin que le monde – plus loin que la faim – au seuil déjà du silence et du vide…
Où que l’on soit – quoi que l’on fasse – toujours au centre du périmètre – comme des rois au milieu de leur royaume – entourés par tous les soleils – la main chargée des larmes des Autres pour débarrasser les âmes de leur tristesse – l’esprit vide à l’envergure promise – l’esprit aussi dense et clair qu’une roche transparente – le miracle et la joie sans le poids de vivre…
Nos seuls habits sous le vieillissement…
Ce que la mort enseigne à la terre – les râles et la sueur de notre quête – le sang qui coule (encore) trop souvent. L’espoir qui nous crève les yeux ; en nous – tous les démons qui grondent…
Ce que nous avons de plus désespéré – peut-être…
Des larmes dans notre sourire – quelque chose du monde – comme une ambivalence – un surcroît de matière sur le bleu seigneurial – une forme d’enfermement au cœur de la liberté…
Ce que nous incarnons peut-être – malgré nous…
Un point fixe dans la nuit – jusqu’à mourir – cette immobilité – comme si quelque chose, en nous, nous perforait ; un clou ou un regard – qui peut savoir…
Du feu – au-dedans – au cœur de notre vie secrète…
Nous – debout – à genoux – sans que rien – jamais – ne nous arrête…
Des peines et des joies – dans la tête – la même chanson – si souvent – quelque chose de l’oiseau migrateur – infiniment passager – infiniment provisoire – comme tous les voyages – sans réel territoire ; lui-même – nous-même(s) – en plein vol – seulement…
De la chair – des émotions – des pensées – toutes nos existences…
Et le même cœur au fond des âmes – au fond des choses – invariant – à l’apparence si changeante – pourtant – comme la matière – comme ce qui nous traverse – la surface du monde…
La nuit et le monde – amoureusement – sauvagement – enlacés…
Comme nous et la mort – au-delà des apparences…
Ce que le vide nous enseigne ; ses parfaites épousailles avec la forme…
Des âmes comme des désirs – comme des crachats – plongées au cœur du même enfer…
Dans notre poitrine – notre souffle – notre âge – le monde soustrait – comme une obligation en moins – la terre libre – rendue au vent – à ses propres veines – à cette respiration monumentale que nous ont confiée les Dieux…
Nous autres – aux côtés de la faim – apprivoisée ; et le sommeil de moins en moins obéissant…
Mille visages sous la peau – mille éclats de ciel entre les doigts – quelque chose d’indescriptible…
La douleur – comme la joie – clouée provisoirement en nous – mais les ailes libres (déjà) – comme le souffle et le sang – malgré leur allure de prisonnier…
Tout est surpris dans les bras de l’Amour – même la haine – surtout la haine…
Nous – aussi proches de la terre que du mystère. Instables sur nos pieds d’argile – sur nos pieds de ciel – sur nos pieds de vent…
Toutes les ombres – toutes les bêtes – que nous avons pourchassées – que nous avons poursuivies jusqu’à l’encerclement – jusqu’à la mise à mort – et que le silence, si nous avions attendu – si nous avions eu la patience d’attendre, aurait transformées en oiseaux magnifiques – libres – provisoires – souverains…
Seuls la pensée et le souvenir nous dévorent – nous dérobent – la nuit tombée sur les pierres – les visages fatigués – ce que les Dieux – un jour – entre nous – ont déposé…
Et nos larmes – et notre tristesse que rien ne pourra apaiser…
Nous – dans notre propre rêve – ou celui des Dieux – le visage rouge à force de rire – à force de honte – à force de colère parfois – distraits par tous les miroirs tendus par les yeux des Autres – effleurant le monde – le secret – la vérité – comme s’il s’agissait de fleurs ordinaires – trop anodines – trop insignifiantes – pour notre stupide ambition – pour notre bêtise et notre aveuglement sans mesure…
Echappés des saisons – de notre peine – de cette irrépressible obstination à chercher – la lune – la mort – le dialogue sibyllin des âmes – des arbres – de la terre – le chant clair du jour – la fureur cacophonique des hommes et du vivant – la douce mélodie de l’absurde et du désespoir…
Toute la beauté du monde – dans nos larmes – dans notre rire…
Nous délaissons le visage de la vérité pour quelques reflets charmants – une épaule affectueuse et rassurante – des lèvres suaves et réconfortantes – des livres – des paroles – une communauté – inutiles – l’esprit en déséquilibre sur un tas de cendre ou de poussière au lieu d’embrasser la solitude – la nudité de l’âme – la beauté intacte du monde – les couleurs changeantes (et mensongères) des cieux ; l’apparent privilège des oisifs – des non-nécessiteux – peut-être – qui négligent le véritable voyage – qui renoncent au plongeon et à l’aventure dans la douleur et la laideur des choses – qui se privent des délices et des merveilles du chemin et des (possibles) retrouvailles…
D’une autre perfection que celle du monde – quelques étoiles et des béquilles en tête – comme pour poursuivre (un peu lourdement) le même idéal – un pas déjà dans la tombe et l’autre (encore) à piétiner inutilement le sol – avec un crayon dans l’âme et des feuilles, un jour, qui s’envoleront par milliers…
La lune – en nous – dans les mots que nous tenons trop près de notre bouche – en suspens dans l’air alentour – comme un voile épais et invisible – comme une folie supplémentaire dont nous n’avons pas même conscience…
Dans l’insomnie d’une nuit tragique – quelque chose du somnambule – poignard et regard de côté – posés de travers – pointés vers l’avant – dans une crainte démesurée de ce qui pourrait exister après les heures – à la fin de notre histoire – derrière ce noir que nous avons toujours connu…
Tout brûle – même les étoiles – les étoiles plus que tout, peut-être – la cruauté et nos fausses aventures – l’œil ébloui – fasciné – condescendant – nos artères trop encombrées – nos idéaux – ce que nous avons décidé d’achever – tous nos désirs – jusqu’au dernier – et cette folle – cette incroyable – ambition d’aurore permanente…
Nous – nu(s) – au milieu de la danse – convié(s) au partage – à la fête – à toutes les formes de reconnaissance…
Parmi les oiseaux de passage – notre Amour – irrésistible – aux gestes miraculeux – au-dessus de toutes les soifs – comme une source – les eaux originelles et notre premier breuvage – celui qui nous offrait la fraîcheur et la sauvagerie des Dieux – cet allant naturel et spontané aujourd’hui perdu – celui qui, dès la première gorgée, nous faisait fréquenter le monde – sans image – sans désir – avec légèreté – comme si nous habitions un pays lointain – une terre bien trop étrangère pour nous considérer à demeure ici-bas…
Au dernier jour du monde – un peu de tristesse – comme si, en définitive, nous nous étions habitués à la bêtise – à la douleur – à la mort ; à la merci des masses – de la violence – des limitations de la matière et de la psyché…
La chair en feu – puis, un jour, consumée – puis, un peu plus tard, en cendres – puis, plus rien avant le recommencement (très probable) du cycle…
Nous – devenant le temps – les saisons et la mort – voleurs de tout ce qu’offrent les lèvres – de tout ce que peuvent saisir les yeux – la tête – les mains – nous emplissant comme une outre – marchant là où tombe la pluie – là où le soleil peut remplacer la tristesse – partout où les jambes et l’âme peuvent aller et se sentir libres…
Le visage inquiet sur les fleurs fanées – comme un épais rideau sur notre joie – fragile – si dépendante des états et des circonstances. Le désespoir jamais très loin du rire – les rêves et les pensées enchâssés – notre fièvre et notre angoisse de ne plus exister…
Et cette espérance insensée de vouloir vivre encore – de vouloir vivre toujours – de prolonger nos limites et notre détention…
Sous les yeux de ce qui nous a vu naître ; à la merci de ce qui nous emporte…
Des rites inutiles – la célébration de ce qui n’existe pas – des amours fragiles et bancales – des façons d’être ensemble comme des alliances (de toutes sortes) – de la douleur et quelques restes (un peu trop discrets) de silence et de blancheur…
La nuit terrible – qui se prolonge…
Nous tous – vaincus et prisonniers – en apparence…
Rien que du rêve et des rires – histoire de pavoiser dans notre néant – des corps que l’on piétine comme s’ils n’existaient pas…
Des monstres et des cœurs lacérés – déchirés – dépecés – comme si la faim était la seule loi des vivants…
De la douleur sous les étoiles – sur ce coin de terre livré à tous les désenchantements…
Trop de murs pour échapper au temps – au confinement de notre chambre…
L’ignorance qui nous ferme les yeux – le cœur trop usé de ne jamais servir…
Nos efforts – nos peines et nos prières – risibles (si risibles) face à l’incroyable défi qu’il faudrait relever pour découvrir – apprivoiser – et habiter l’espace que nous abritons – infime parcelle, en quelque sorte, de l’espace que nous sommes…
A force de désir – nous contrarions le destin des paresseux – des idiots et des sages – de tous ceux qui s’abandonnent (parfois – un peu trop) négligemment à la providence et à l’infortune…
Lasse – sans idée – sans la moindre philosophie – la tête – presque absente – involontairement d’abord – comme un état naturel – le prolongement du cerveau des pierres – puis délibérément – comme la résultante provisoire d’un long processus – sans l’accablement premier – dans une sorte d’indifférence apparente – joyeuse et sensible…
Avec, parfois, le baiser des Dieux sur notre front – sur notre émerveillement. Et l’âme qui s’ouvre, peu à peu, comme l’ultime porte sur le jour…
Habillé d’herbe et de lune – mâchant le temps – ressassant les jours et les saisons – comme si leur ingestion était possible – comme si l’on habitait la terre durablement – comme si l’on n’avait plus rien à perdre – comme si l’aurore n’était qu’un vieux rêve pour les fous…
Dans les yeux – une épaisseur sombre – la même que celle qu’abritent les âmes – comme une terre inculte où aucune fleur ne peut pousser…
Peut-être est-ce la nuit… peut-être est-ce le sang… ou, peut-être, est-ce seulement le visage des hommes…
La voie du monde – sans doute – celle qui, un jour, nous ouvrira à ce qui existe derrière la faim…
Les arbres et les troupeaux – au service de ce qui est utile…
La nudité du plus précieux ; des portes – une multitude de portes – qui dissimulent le froid et l’indigence des ambitions…
Toutes les rives du monde – où l’on s’excite – où l’on court dans tous les sens – à perdre haleine – sans (réellement) savoir ce que l’on cherche…
Le feu – le souffle et la faim…
Tous ensemble – anonymes – de plus en plus laids – de plus en plus loin de l’origine – comme si un retour – un regard au-dedans – vers l’arrière – vers ce qui regarde – étaient impensables – impossibles…
La nuit – transparente – comme tout le reste – en dépit de ce que l’on voit – en dépit de ce que l’on (nous) dit…
L’étoile et l’oiseau – au-dessus de nos têtes – et des rêves aussi…
Et sous nos pieds – ce sang rouge sur le sol ravagé – des corps – des morts – du sommeil…
Des grilles au fond des yeux – les mêmes que celles que l’on trouve autour de soi…
Des fleurs dans un coin et un peu de lucidité que nous saisirons plus tard – l’orage et le songe passés…
Sommes-nous nés pour survivre ou pour aimer…
Sommes-nous nés pour écouter ou éblouir…
Ou ne sommes-nous nés que pour apprendre – attendre et mourir…
Avec, peut-être, des milliards d’existences – pour (presque) rien…
Nos vies – comme un espace circulaire – minuscule – déformable. Un peu de soleil contre la joue – un peu de lumière et de chaleur dans un monde sombre et froid – caverneux…
La tête contre la porte du monde – au seuil de tous les sens possibles – comme un oiseau silencieux – déterminée malgré ses faiblesses et sa fragilité…
Une voix – comme une arme – celle de la résistance – celle de la révolte et de la liberté – celle qui annonce les révolutions silencieuses – nécessaires – solitaires – intérieures – celles qui mettent le feu aux idées et aux images du monde – celles qui, emplies de gratitude et de respect, prennent soin de ce qui existe – des pierres et des vivants – celles qui transforment nos attentes et notre tristesse en joie libérée des circonstances et du temps…
De quoi parle-t-on lorsque la parole perd son usage prosaïque – à qui s’adresse-t-on lorsque la périphérie s’est éloignée…
De l’aube à l’aube – le même silence – ce chant né des hauteurs du monde – au croisement de la terre et du ciel…
Dans la nature et le rythme de ce qui existe ; la foule – la multitude des naissances – les chemins – tous les horizons…
Le dehors et le dedans réunis par le vent – l’éclatement des frontières – dans nos gestes les plus quotidiens…
Nous – sans la mort – sans les monstres et les idées qui nous assaillent – sans question – au centre de l’arène – au cœur du royaume – au milieu de tous les déserts – de tous les espaces populeux – sans la nécessité des Autres – sans haine pour les limites de la chair et du souffle – acquiesçant à toutes les formes de resserrement et d’ignorance…
Des dépouilles en contrebas – et cette bouche – au centre – qui crie ; un hurlement terrible qui secoue les cendres – qui déplace les racines et coiffe le monde d’une peur gigantesque…
Nous parlons – sans jamais rendre compte du secret que chacun ignore (superbement) – une manière de remplir l’esprit – notre relation au monde et le silence – de nous précipiter dans l’espace avant le désespoir – de croire que nous conservons les yeux ouverts malgré la prégnance du sommeil épidémique – hautement contagieux…
Dans notre coffre – nos feuilles – nos (minuscules) trésors – nos carnets que quelques-uns liront, peut-être, un jour…
Quelques poignées de feu sur des fragments d’âme défigurée – des ailes attachées à la sensibilité – pour échapper à la monstruosité régnante…
Des rives – des miroirs – des rêves – tous les visages de l’abîme…
Personne – et, pourtant, tant de peines…
Des empires bâtis par le sang et la salive…
Prisonniers de tous les viscères et de tous les crachats des vivants – cette nuit du monde qui semble impérissable…
Une poignée de réfugiés sur quelques pierres fragiles – en surplomb de la bave et des charniers…
Le même mystère sur notre peau tatouée par la mort…
Une illusoire planche de salut – la sensation d’un voyage – une marche apparente – chimérique – autant que nous semblent réels les Autres – les rencontres – la moindre fenêtre sous nos yeux…
Des larmes sur nos joues – contre la vitre – derrière laquelle, un jour, tout disparaît…
Ce que nous nouons à l’ombre du soleil – mille choses – mille pensées – et toutes nos dépouilles successives…
Rien que nous jouant dans la cendre – dans la joie des âmes retrouvées – réunies – au centre de tous les ensembles – provisoirement convertis en communautés – en périphéries…
Le sang et nos (fausses) racines en turban – long – autour de la tête – couvrant les yeux – les chemins – le monde – l’inconnu – ce qui pourrait nous être révélé – la vérité…
Nous vivons comme des sentinelles au-dessus de l’abîme – scrutant la moindre chute – la moindre remontée – tous les monstres et toutes les ombres dévalant et escaladant à l’envi – au lieu de plonger notre âme dans nos plus immédiates profondeurs…
La nuit – nous-même(s) – nous lamentant – comme ces prisonniers aux mains attachées au-dessus desquels virevoltent des myriades d’oiseaux ; le monde d’en haut qui, vu d’en bas, semble narguer toutes les créatures trop trivialement terrestres…
L’infini jonglant avec lui-même – très haut au-dessus des têtes et du sommeil…
Personne contre notre peau – le bruit – la mort – et mille vagues successives – des milliards de circonstances – devant nos yeux – quelques désastres – une ou deux catastrophes – parmi une foule d’insignifiances précieuses – quotidiennes – faussement routinières…
La vie – les rencontres – et tous les passages possibles (dont le nôtre, bien sûr)…
Des spectres et de la salive – seulement…
Des gestes d’autorité et des postures – et ce qui doit, peu à peu, émerger de sa gangue de glaise – de cette terre de sommeil ; l’identité première encore enfouie en dessous des têtes – au cœur de la chair – au fond des âmes – intacte – pure – innocente – vierge à tout jamais – et libre (depuis toujours) du temps et des circonstances…
Du vent – autour de nous – et des bourrasques à l’intérieur…
Des précipices où rien ne subsiste – où rien ne végète…
Le monde à l’envers dans nos mains rocailleuses…
Notre sang qui circule dans toutes les veines…
L’harmonie des saisons dans notre parole – et dans notre silence…
La même posture – l’absence – face au temps et aux exigences (très grossières) des hommes…
Rien – pas la moindre épaule – pas la moindre présence…
Notre cœur hissé – déchiré – qui se propage – qui se déploie – devenant le monde – devenant l’espace ; tout ce qui existe comme avalé – apprivoisé – nôtre…
Rien que le jour – l’Amour – sans personne – sans la moindre possibilité de résistance…
Sur nos ombres – rien que des mots et des commentaires – d’inutiles gesticulations – sans incidence – une foule de choses qui ne renforcent – ni ne dissolvent – ce qui doit exister (très) provisoirement…
Dans l’antre secret des passages – un rire – ce qui ressemble à des monstres – à des serpents (chimériques) – des feuilles par milliers qui n’attendent que leur envol – leur éparpillement…
Mille raisons de demeurer vivant – et autant de vouloir quitter le monde – de retrouver une envergure perdue – plus large – plus folle – parfaitement appropriée aux sollicitations de la terre et aux retrouvailles (toujours possibles) avec le bleu profond et mystérieux…
Nous – sans attrait – comme des hommes de paille, en quelque sorte – des silhouettes sans intérêt – de simples apparences engendrées à des fins ludiques et impérieuses – à vivre ici et là – sans pudeur – sans (véritable) ambition – dans l’intention d’un plus grand que nous – sous le joug, sans doute, d’une volonté que l’on pourrait qualifier de divine…
De la page au geste où tout se mêle – l’Amour sans posture – sans costume – le vent dans tous les angles – dans tous les recoins…
Eparpillées – en nous – l’indiscipline et l’intensité de l’attention…
A nos côtés – sur la même rive – la mort – nos bouches muettes – sans espérance – la parole sans hantise – née du plus ancien silence…
Le monde et nos rires – ficelés – et jetés ensemble dans le même abîme – perdus au fond des eaux – comme un rêve étrange – fatal – parallèle au cours des choses – à toutes les dimensions du réel et de l’esprit…
Des trous et des cailloux – l’oubli – et des milliers de portes qui se referment – simultanément…
L’âme seule – embarrassée – au milieu de la route…
Des étoiles sous notre front brûlant – impatient de quitter la nuit – de retrouver sa sente – les rives inconnues d’une terre nouvelle…
De l’argile à l’océan – de la surface aux profondeurs insoupçonnées du ciel…
Tout un monde à escalader – dont il faut se défaire – qui attend notre venue – notre accueil – cet acquiescement involontaire – ce oui immense – sans réticence – au-dedans – qui n’est ni un mensonge, ni une stratégie – le seul passage, sans doute, entre ce dont nous avons l’air et ce que nous sommes…
Hormis quelques cris – quelques plaintes – et un peu d’espérance peut-être – rien au fond de l’âme – rien au fond de la poitrine ; des miroirs et les reflets de personne ; l’effigie du vide – et de sa multitude – de ses incarnations argileuses – ce que l’on découvre et ce que l’on reconnaît – en regardant en soi – autour de soi – le monde dont nous sommes, à la fois, le centre et la périphérie…