Carnet n°215 Notes journalières
Rien à offrir – un peu de blancheur, peut-être, sur un (très) provisoire carré de terre – l’espace de quelques jours – l’espace de quelques nuits – un peu d’eau – et le ciel en cercle autour de nous…
L’infini – ici – et qui nous portera à l’autre bout de lui-même – quelque part – sous une latitude inconnue – à une altitude imprécise – sans doute à la même hauteur que ce qui ne peut être soustrait…
Le corps sans la soif – l’esprit sans la langue…
Le bleu comme voie directe…
Le ciel – à nouveau…
La disparition et le manque – en chacun – comblés par l’absence…
Et le tout mélangé – provisoire – à demeure…
Le réel avec ses mille masques étranges et changeants…
Le contentement – comme un pli – comme un sillon, peu à peu, creusé – un état davantage qu’un effort ou une chance. L’impression d’entrer dans une zone sans inconfort…
Une manière, peut-être, de compenser le jeu de l’âme lancée dans le grand cirque du dehors…
De tous côtés – le centre – comme un travail – un acharnement – malgré la fatigue – ce qui se poursuit avec les forces qui naissent lorsque le courage commence à manquer – un automatisme de survie, peut-être… Une manière de redresser l’âme bancale – de faire revenir le jour dans nos vies trop sombres – sur cette terre misérable et malheureuse…
Ce qui est inscrit dans la langue – au cœur même de l’opacité – cette blancheur – cette transparence – ce silence de la voix – comme rassasiée…
Comme une suspension au-dedans de la parole – sans interrogation – sans le jeu incessant de la tête qui se questionne…
On ne peut nier ce qui, sans cesse, s’approche. Tôt ou tard – il faut tendre la main – allumer une lampe en guise de phare – en guise d’accueil – sortir de son sommeil – pour voir ce qui arrive – pour voir ce qui se présente – pour voir ce qui est là – tout près – et qui ne pourra résister très longtemps au désir de nous rencontrer – de nous découvrir – de nous connaître…
Les choses passent – et l’esprit lâche ses monstres pour remettre en ordre ce qu’il apparente à un chaos. Tout est chamboulé ; à chaque instant – le même défi – le même enjeu – et la même crispation sur ses règles dérisoires. Comme un malaise permanent…
Pas encore assez fort pour tout abandonner – et s’en remettre aux lois inconnues – et toujours surprenantes – de la providence…
La terre entière – parfois – sur la feuille – qui pèse de tout son poids – comme si nous portions le monde – ses malheurs et ses petites aventures – sur nos épaules – dans notre tête…
A jouir d’un temps sans égal lorsque l’horloge se brise et que la mémoire éclate – plus ni d’avant – ni d’après – que l’instant qui se répète (et jamais à l’identique) – du noir devant – du noir derrière – et entre, cet éclat – ce blanc – comme une parenthèse lumineuse – un intervalle dans le néant – dans les abysses cosmiques où la terre et l’esprit sont (habituellement) plongés…
Tout prend feu et se disloque – comme l’étoile filante – des vies et des spectacles – à très courte durée – aussi brefs que l’éclair…
Peut-être y a-t-il la plus grande bonté dans l’apparente indifférence des pierres – à l’égal du silence qui n’est qu’accueil – Amour – acquiescement. La chose la plus aimable – la chose la moins hostile – du monde – en vérité…
Dieu – blotti contre notre chair – lorsque le monde et les visages ne pèsent (presque) plus rien dans notre vie. C’est au cœur de cette absence qu’il s’approche – qu’il nous investit – qu’il occupe la place que nous avions toujours offerte aux Autres avec trop d’espérance et de naïveté…
Debout – sans retenue – sans loi – sans ossature – sans défi à relever – sans visage devant soi – debout simplement – comme le reflet d’une assise qui a trouvé sa verticalité intérieure…
La juste place de l’homme peut-être…
Ce qui nous agite – ce qui nous éloigne – ce qui nous emporte – avec l’arrivée de l’hiver. La neige et le froid – ce qui nous manque – sans savoir s’en prémunir. Un peu de chaleur entre les lèvres – le souffle de l’Autre pour se sentir accompagné. Une parole que l’on couche à côté de ses sœurs – sur la grande feuille posée devant nous – celle qui appartient au grand livre de l’âme – là où le monde tient une part si manifeste – comme une manière de conforter notre solitude – de légitimer notre retrait – notre repli – notre isolement…
L’opacité d’un silence – l’éclat d’une parole. Et l’indigence que révèle toute demande…
Comment pourrait-on refuser d’offrir ce que le monde nous réclame…
Que pourrait-on ajouter au délire – à la folie – des hommes… Quel acte – quelle parole – pourrait donc faire obstacle à cette vague submergeante – dévastatrice – infiniment mortifère…
Usé – déçu – anéanti – par la prégnance des instincts – par l’aveuglement des actes – des élans – des initiatives – par la grossièreté des rêves – par l’opacité et le mimétisme des désirs – par l’étroitesse et la cécité à l’œuvre…
Des remparts et de l’immobilité. De l’expansion et de la domination. Et toutes les armes posées devant soi que l’on camoufle maladroitement…
Rien qu’un rythme quotidien qui transforme l’existence en périmètre restreint – compartimenté – où l’ordre des choses confine aux automatismes…
Il faudrait tout abolir – en soi – et laisser régner le naturel – le plus spontané – tous les possibles. Qu’importe la confusion et le désordre engendrés pourvu que l’honnêteté préside aux actes. La vie n’en serait que plus vive et plus joyeuse…
Plus de routine – plus de tristesse – ou alors comme simples éléments naturels – provisoires – absolument non systématiques…
Ce que l’on rencontre – la flèche et la main ouverte – la région de l’âme la plus tendre – l’apparente solidité du monde – et, plus que tout, le silence et l’Amour qui se renouvelle…
Sur une corde – à cheminer au-dedans du souffle – de l’Autre à soi – d’un pays (presque) de hasard à une région élargie – de la solidité apparente à l’inconsistance – de la fausse identité à l’authenticité du nuage…
Un instant – quelques mots – sous le ciel. Et toutes ces pierres à portée de main…
Un peu de bleu sur la langue pour que le dehors disparaisse – s’intériorise – devienne le centre – au même titre que ce qui a déjà l’air d’exister au-dedans…
Les choses ont l’air de passer – mais les yeux mentent. Ça a lieu sans le rythme – sans le temps. Tout se meut – et se mêle – dans la confusion – dans une forme (presque) de monstruosité – d’un état à l’autre – sans dérapage – dans une forme de pur désordre…
Comme un vent étrange qui nous offrirait une musique – un élan – une épaisseur – une chose qui ne pèserait (presque) rien – l’énergie et la confiance qui nous manquaient peut-être pour s’abandonner aux mouvements du monde – aux besoins de la psyché – aux nécessités de l’être – pour s’ouvrir aux profondeurs et à la sensibilité de l’esprit – à la justesse (implacable) de ce que nous vivons…
Dehors – encore – sans entêtement – le monde et les hommes comme un simple décor mobile – des pierres sur leur pente – et, parfois (trop rarement), un peu d’âme – un peu d’être – qui transparaissent – la possibilité (enfin) d’une rencontre qui nous redonne aussitôt figure humaine ; un visage, à nouveau, aimant – deux bras tendus – et l’âme offerte…
Tout le ciel dans un seul geste…
Tant de silence dans une seule parole…
L’Amour et l’infini au-dedans du même visage. Dieu en actes – pour l’éternité…
L’au-delà de l’homme incarné (réellement) par l’âme…
Ce qui tombe – et ne se relève pas – cela en moins à porter. Manière de s’alléger – et d’apprendre, peu à peu, à voyager dans la nudité sans attribut…
D’une chute à l’autre – ainsi se découvre-t-on – dans la soustraction et l’élimination progressive de toute mesure…
Au point zéro – la maturité se révèle – et ce seuil franchi – commence le véritable voyage – dont toute volonté est exclue…
Le jour glacial – comme si, dans notre vie, l’hiver dominait…
Tout – le monde – le souffle – les pas – se présentent comme s’ils jaillissaient du sol et transperçaient la neige…
Être sans le récit de soi…
L’état brut – à chaque instant – cet étrange mariage de la matière et de l’esprit ; le corps – la psyché – et tout le reste – le plus essentiel – de toute évidence…
Trop de fatigue et de résidus – ce qui opacifie le regard – la sensibilité – ce qui recouvre ce qui pourrait nous révéler…
Rien à dire – parfois – comme si ce qui était à dire se trouvait – essentiellement – dans le geste…
Le regard et la main – ce qui reste à la fin – après toutes les soustractions nécessaires…
La faim, peu à peu, déplacée – jusqu’à la satiété – jusqu’au silence…
Demeurent la curiosité et l’étonnement – le goût de la découverte et de l’exploration – le jeu joyeux d’apprendre – sans attente – sans enjeu – la joie permanente des premières fois, en quelque sorte…
Rien – un trou – un gouffre peut-être – du noir – et quelque chose au milieu – quelque chose de mobile – on ne sait pas très bien quoi – un manque – un besoin de lumière – un appétit pour nous-même(s) sans doute…
Du silence – de la solitude – un carré de terre sauvage – un coin de ciel – et nulle autre exigence…
Du sable – presque toujours – ce qui (nous) sert de socle et de matériau. Aussi comment pourrait-on croire, un seul instant, au sérieux de nos édifices ; nous ne sommes que des enfants qui jouent avec leur pelle et leur seau et qui se prennent pour des Dieux – de grands bâtisseurs – les maîtres de la plage…
Des jeux – des broutilles – des enfantillages…
Il ne restera rien – à la fin – qu’un peu de vent déplacé…
Le même point obscur – et cette étrange lumière au milieu…
On écrit – peut-être – pour épuiser la parole – la faire tendre vers le silence – réduire l’épaisseur de l’âme – devenir la nudité – démêler ce que nous avons tressé pendant des siècles – puis, tout jeter au feu – sans pitié – sans la moindre nostalgie…
Un peu de souffle et de peur – le temps de vivre – à peine quelques instants – puis la mort qui emporte – et avec laquelle tout est enterré…
Arrivé à ce point où rien ne distingue la langue du monde – là où le mot devient l’égal du geste – mais est-ce seulement possible…
Une longue errance – mille dérives pour parvenir jusqu’à Dieu – sans un seul pas…
Des yeux au regard – tant de chemins – et tous les égarements possibles…
Ce qui sépare les choses – les mille choses du monde – ce qui les rapproche – ce qui les range – ce qui les classe et les catégorise – et ce qui les laisse s’organiser à leur guise – sans règle – sans loi – particulières – au fil des assemblages et des séparations naturels et spontanés…
Il y a – en nous – le jour – et toutes les nuits possibles – ce qui abrège et ce qui prolonge – mille échelles et aucune hauteur possible…
Le désordre et la cohérence – mais pas la moindre contradiction – des oppositions et des luttes naturelles…
Ce qui nous constitue – la manière dont notre chair a été façonnée – jour après jour – pendant des milliards d’années…
Voilà pour l’apparence – la surface – l’épaisseur…
L’essentiel, lui, est un puits de lumière intérieur – un tunnel vertical qui plonge jusqu’au centre de l’étendue – jusqu’au cœur de l’infini – connecté au reste par le souffle – toutes les respirations du monde – et mille autres canaux invisibles…
Une volée de moineaux sous mon front – quelque chose – mille élans – qui guident ma main – qui convient le monde à ma table – qui déploient leurs ailes sous mes pas…
Tout se referme avec la nuit – ce que le jour a glissé dans notre âme s’efface – et à la place – le visage triste devant le temps qui passe…
On a beau allumer quelques lampes – on ne retrouve rien – tout est sens dessus dessous – comme déplacé vers le bas – comme si tout s’était caché dans les recoins de l’esprit – et attendait notre sommeil pour s’aventurer au milieu de la pièce – repousser la joie – et occuper les lieux…
Des jours comme des ténèbres – nous reniflons les évidences – ce qui arrive maladroitement dissimulé derrière les apparences…
Tant d’hésitation et de dérives à l’envers de soi – cette face que nul ne voit – qui n’est exposée qu’aux yeux fouineurs – et qui ressemble à un dédale de murs blancs – très hauts – très longs – comme un abîme, parfois, déguisé en rempart…
Des voiles et de grandes cernes pour embrasser la nuit qui monte vers nous. Et ce cri – et ces craintes – dans la gorge – comme coincés par ce qui – en nous – manque de confiance – les idées des Autres – quelques apprentissages ridicules…
Tout un peuple de créatures sans âme – de fantômes qui nous hantent et nous assignent à résidence dans la pénombre…
L’obscurité – le noir intégral – jusqu’en plein jour…
Des colliers de mains déchaînées qui cherchent à égorger notre joie naissante. Le signe, peut-être, de notre immaturité – de notre trop conséquente fragilité…
Entre regard et transparence – l’enlacement de l’innocence – le secret le moins bien gardé du monde – de nouveau – entre nos mains. Comme un peu de soleil dans l’âme – sur le visage. La récompense, peut-être, après ces années trop souterraines…
Mille soleils devant soi…
Une terre vivante…
Et la douceur de l’âme qui respire – pas même troublée par le monde…
Le corps des Autres aux veines profondes – presque assoupis – plongés dans le rythme des heures – les mains pleines d’objets étranges – de choses qui brillent – les yeux opaques – presque clos – et ce rire collé sur les lèvres – abstrait – comme irréel…
Des existences trompeuses – presque sans vérité…
Les pierres – toujours de notre côté – comme les arbres – avec les plus humbles – avec ceux que l’on ne remarque pas – et qui ont, pourtant, les mains pleines de sagesse et la bouche silencieuse – la lumière comme seule ossature que l’humilité recouvre d’un peu de terre – d’un peu de chair – pour que l’apparence demeure modeste…
A portée de prières – le ciel comme une simple promesse – une destination lointaine – inatteignable – que l’on fait miroiter aux non-voyageurs – à ceux qui ne cherchent qu’un refuge – qu’une distraction – qu’un peu de sommeil…
Si aveugles qu’au-dessus de l’abîme – au cœur du miracle – ils n’éprouvent pas le moindre vertige…
Des profondeurs trop recouvertes – la surface – les apparences comme une opacité – un masque jeté sur le visage – un bandeau qui recouvre – plus que les yeux – le regard…
Il faudrait se pencher davantage en soi – pour éprouver cet étrange sentiment d’infini et de densité – l’intensité de l’être qui rayonne – qui libère – qui offre aux vivants leur justesse – leur beauté – et quelques frémissements face à la vérité…
Une parole à l’aune de l’éternité – invisible aujourd’hui – noyée par les petits soubresauts des jours et des siècles…
Rien – une lumière sur le visage – des racines plein les bras. L’âme qui porte des sacs d’étoiles. Des jardins – et, sous la terre, des amas de morts – et, au fond de l’abîme, cet incroyable soleil…
Le monde entier qui coule dans nos veines…
De la braise – comme un feu abstrait – incomplet – presque éteint – une chimère sous le sommeil ; rien qui ne brûle – rien qui n’écorche – rien qui ne pousse l’âme – les gestes – les pas – jusqu’à l’incandescence – jusqu’à la brûlure…
Tout juste de quoi aller jusqu’au lendemain – à peine…
Un peu de bleu sur nos blessures – une manière de retrouver le centre du cercle – et de s’y rendre par les voies les plus douloureuses – inévitables (le plus souvent) – la tête plongée dans les plus obscurs souterrains que le monde ait creusés (à l’intention des vivants)…
Au commencement – rien qu’une pierre – une étoile – puis, la naissance du sang – de la chair – des visages – le point de non-retour ; la possibilité de l’infini matérialisé…
Puis, la course folle qui emporte le monde…
La pierre et le monde – nés du feu. Tout, bien sûr, naît du feu – et du silence consentant…
Et nous sommes cela à l’origine – au début de tous les commencements…
Un mélange d’or, de poussière et de sang…
De la glaise et des cris – du ciel et de la chair – et un restant de lumière…
Assis au milieu des Autres – dans cette étrange fratrie fratricide au sein de laquelle les derniers nés ont pris le pouvoir – terrorisent – martyrisent – exterminent – ceux dont l’intelligence est silencieuse – sans langage articulé…
Des songes et la lune – autour de nous. Comme un peu de joie – un peu de soyeux dans la nuit – un peu de chaleur sous le front – une manière de tromper le temps et la faim – d’éveiller le désir pour un ailleurs plus enviable – et de donner à ce qui nous entoure – à ce qui est là sous nos pieds – une apparence moins rude…
Une bouche sans syllabe – un temps suspendu – quelque chose qui s’affine – et se déploie peut-être – malgré la chair trop grossière…
Du silence et les vibrations du monde ressenties dans le sang – comme un cœur qui pulse – mais au-dehors…
Un tourbillon au fond duquel tout est aspiré…
Rien derrière le monde – les visages – que des façades avec un peu de vent et de ciel par-dessus. De la chair vivante – sans nom – indistincte – d’un seul tenant – une sorte de monstruosité informe – molle – qui se déplace en rampant – presque inerte malgré la vitesse des échanges entre ses éléments – et leur incessante transformation…
Comme un piège qui tourne en rond – sur lui-même – lent – immobile – au milieu de la nuit – quelque chose d’obscène et d’effrayant – avec, au-dedans, tous les visages de la mort…
Tout nous dévore – nous dissout – nous efface – de la matière à transformer…
Rien – jamais – de fixe. Rien – jamais – de définitif – bien sûr. Une permanente transformation des apparences – des formes et des couleurs – et derrière peut-être – et au fond peut-être – un peu de lumière…
Des horizons morcelés – ce qui se perpétue…
Une terre et des pensées – mille sommets et autant d’éboulis – le fatras des hommes et des bêtes – le fouillis des pierres et des plantes – dans tous les sens – mélangés – avec des ronces dans le sang et de la roche au fond des cœurs…
Ça s’agrippe – ça se déchire – ça s’envahit…
Le monde à genoux – qui se redresse – qui s’affaisse – qui n’est plus le monde – qui n’a, peut-être, jamais été le monde…
Ce qui est là – simplement – ce qui a l’air d’exister…
Ce qui semble mourir – se briser – disparaître – et renaître – perpétuellement – mais qui n’est qu’une danse, en vérité, sur les rives que les Dieux ont façonnées…
A chaque fois – dévoré par le même commencement – d’heure en heure – de jour en jour – jusqu’à la fin…
Sans savoir où nous sommes – sans savoir qui est qui – et s’il nous sera possible de vivre l’instant d’après…
De la stupeur et de lointaines rumeurs…
Un pont d’argile – une possible incarnation…
La faim et mille idées – mille poncifs – en vérité…
Quelque chose d’indécent…
Des Dieux à la mesure de notre attente. Des miracles lointains. Ce qui pourrait nous brûler – nous dit-on – si l’on s’approchait. Plus tard – ailleurs – lorsque les paupières seront closes – lorsque l’aube descendra sur le monde – un jour, peut-être…
Ce qui nous emporte – pas même les chemins – pas même le destin des Autres – pas même la tournure du monde – pas même ce que nous sommes – le (pauvre) reflet de notre visage dans les yeux de ceux que nous croisons…
Nous autres – sur les pierres – les mêmes depuis le début du monde – devant la lune – la même qu’au premier jour – à nous activer sans rien comprendre pour apaiser la faim au lieu de nous interroger…
Rassemblés sur un socle d’argile – devant des murs érigés par d’Autres – tous les Anciens et ceux qui, inlassablement, les remplacent – sur lesquels on a accroché quelques horloges – à intervalles réguliers – et de grandes flèches pour donner la direction – le sens de la marche…
Sur le versant d’un autre jour – comme dans un autre monde – comme dans une vie qui ne ressemble plus à ce qu’elle a l’air d’être…
Du vide à la place du front – de la joie à la place du cœur – et l’Amour, encore timide, qui se redresse, peu à peu, au fond de l’âme…
Rien que du vent sur nos épaules – ni l’Autre – ni le monde – ni la mémoire. Du vent – rien que du vent…
Et à nous voir marcher ainsi – le dos voûté – on pourrait croire que dans le vent il y a l’Autre – tous les Autres – le monde – tous les mondes – la mémoire et tous les souvenirs depuis la naissance du premier visage…
Du vent peuplé de fantômes…
Des chuchotements sous le front. Et des ombres larges et intenses qui se partagent notre âme…
Le pas silencieux – assidu – vers la lumière nomade. Un chemin d’écume et de nuages. Des murs franchis – des lieux traversés – nulle part où s’établir – sur la page – dans l’âme – pour un instant – là où les grilles ne sont que des reflets – là où le monde n’est qu’une image – là où l’Autre n’existe pas – ou, si cela était possible, un frère à aimer…
Sur ce fil invisible – qui se crée et se défait à chaque pas – entre précipice et vertige…
Seul – à chaque instant – à dévisager le soleil…
Rien que la solitude et la précarité du socle – l’étrangeté des signes qui jaillissent et la profusion des choses qui émergent de la source…
Ce qui nous accompagnera toujours…
Mille secrets à découvrir dans mille temples différents – invisibles – introuvables…
Ce qui nous fait tourner en rond depuis toujours…
Fi donc des secrets et des temples ; regardons – accueillons – devenons – la beauté et le sacré qui s’invitent à l’instant même…
Le prolongement tangible du silence – de l’ineffable…
Ce qui s’offre – ce qui nous traverse – ce qui tremble au-dedans ; ce qui est là – toujours innocent…
Le langage du feu et de l’abîme – celui qui brûle et rejette l’espoir – les images – les idoles – et qui pose l’instant et l’intensité sur l’autel du temps…
Des choses sans nom – sans famille attitrée – sans compagnie. Ce qui se passe des Autres et du langage…
Ce qui nous rapproche…
Dans une pierre – un arbre – dans les yeux des bêtes – il y a, à la fois, Dieu (tout entier) et l’insoutenable portrait du monde…
Entre les loups et les tambours – ce chemin qui serpente et qu’il faut emprunter…
Autour de nous – des pierres – des arbres – le chant énigmatique des oiseaux – le vent – ce qui détache notre nom au fil des passages…
Le sang et l’eau du fleuve qui se mélangent. La musique qui danse dans les veines. L’écume du monde sur la peau – balayée d’un geste vif – et jetée contre les rives…
Personne – nul ne marche…
Le centre – la destination – se tiennent au fond de l’âme – jamais au terme de l’itinéraire puisque le voyage n’a de fin…
D’un bout à l’autre du monde – de l’âme – les mêmes chemins – ceux qui sont visibles et ceux qui le sont moins. Et – toujours – en un seul voyage…
Des jours – des instants – comme des passerelles – une échelle au-dessus du temps – de la nuit perceptible entre les pierres – une barque qui dérive sur les eaux – entre les rives du monde – de plus en plus lointaines – comme un chemin qui s’élargit – comme une trajectoire ascendante – nous suivons les méandres – nous serpentons comme serpente le sentier – marchant aveuglément – confiant dans la main du vent qui nous guide – les yeux fermés sur la terre blanche – l’âme ouverte sur l’immensité qui s’annonce – sur l’immensité qui se dessine…
De bas en haut – puis, de haut en bas – du plus singulier – du plus pathétique – jusqu’à l’étendue – jusqu’au pays de la source…