Carnet n°244 Notes journalières
Le jeu des Autres qui – derrière nos cris – à travers notre joie – se dissimule…
Nous ne sommes qu’en apparence ; dans les profondeurs – au centre – l’espace et le monde nous habitent…
Derrière le rire – le soleil invisible…
L’espace pénétrant la tête – pénétrant la chair…
La beauté – la vérité – de l’instant – perdant toute retenue – toute pudeur…
Le grand jour qui se répand sans le moindre état d’âme…
Le silence qui danse – la tête jamais taciturne – les mains sur les hanches – vers le ciel – comme un oiseau – quelques feuilles – quelques plumes – dans le vent – à la merci des orages et des tempêtes – jouant sous la pluie – dans les bourrasques – complice de toutes les pertes – de tous les obstacles – n’ignorant jamais qu’il est seul au milieu de la multitude apparente…
Vif – comme le feu – venu nous consulter – venu nous envahir – venu nous reconnaître…
Sur le bûcher – toutes nos ombres et tous nos fantômes – tous les noms et toutes les vérités gravées dans les livres – au fond des têtes – le crépitement des mythes jetés dans les flammes et le frémissement de nos terres les plus lointaines – les plus étrangères…
Un immense brasier où, par-dessus les larmes, la joie s’est invitée…
Des notes sur le chemin que piétinent les hommes – qui se mélangent à la poussière – à la terre noire – à la nuit…
Ce qui indiffère – ou, pire, ce que dénigrent l’ignorance et la torpeur des têtes affairées…
Le monde – des remous – du désir – de la nostalgie – de l’amour tissé dans l’ombre – l’apparence d’un voyage – le visage de la multitude – ce à quoi nous condamnent les limites…
Le long apprentissage du rire et du soleil – l’intimité avec l’invisible – malgré la bêtise et la peur…
La naissance (souvent laborieuse) des ailes pour échapper à la gravité…
Sur la route – écartelé entre l’apparence d’un début et l’illusion d’une fin – condamné, en quelque sorte, à un intervalle restreint – privé de liberté – obligé, en définitive, de découvrir au-dedans le lieu de la verticalité – un espace – une étendue – vers le ciel – l’univers – l’infini ; une manière de vivre le corps sur terre – au milieu des Autres – et l’âme au-dessus des têtes – au-dessus du monde – de rendre l’existence (passablement) vivable…
Des fleurs au milieu du rêve – comme une lampe pour les naïfs – un semblant de lumière pour donner l’illusion d’un voyage – l’illusion d’un spectacle – une parenthèse dans la nuit sombre et sans fin…
La moitié du visage emportée par la colère. Et l’autre – déjà folle – soumise aux exigences de la tête…
L’âme et la main – dociles – prêtes à briser le sol – à jeter le venin accumulé – à anéantir la moindre tentative de résistance…
Comme un orage né du mariage étrange (et presque contre nature) entre les hauteurs et les abîmes – véhiculé par obéissance au règne de la noirceur et l’agilité des transmissions entre les cercles…
Notre prédilection pour le rouge écarlate – coups de sang et coups de cœur – comme pour mieux souligner notre impuissance face aux forces terrestres – face aux incroyables passions qui gouvernent le monde…
Dans le regard – le monde entier – les conditions même du geste juste – ce vers quoi tendent toutes les formes de vie…
Rien que des ailes dans le vent – dans le ciel – et le sourire, en contrebas, des grands arbres fidèles – émerveillés par les danses qui les surplombent…
La sagesse de notre monde – l’âme dans sa pleine envergure – en tous lieux habitables – en tous lieux possibles – là où tout existe – et est orchestré pour se résoudre – pour se révéler…
Des pierres – des larmes – des refus – l’âme penchée – vacillante – autant que nos certitudes – autant que les restes, peu vaillants, de notre volonté ; ce que l’on brûle et ce que l’on lèche – indifféremment – comme si la nuit et le soleil étaient des atomes insignifiants – une part infime de ce que nous sommes – dans notre (involontaire) rayonnement…
Le silence – à l’abri des bruits – à l’abri des vents – à l’abri des Dieux… inaccessible par les choses du monde – sauf à creuser en elles…
L’attention-mère – originelle – la matrice première des mondes successifs…
Toutes les formes et toutes les possibilités – en nous – prêtes à surgir et à se déployer…
Des couleurs – des parfums – des lunes – des rires – des mondes – tapis dans l’ombre – dissimulés avec prudence – en désordre – dans l’attente d’un souffle – d’un élan – pour jaillir et naître au jour…
Des mains que l’on abandonne – comme un don supplémentaire – un surcroît d’offrande – une manière, peut-être, d’offrir à la prière un peu de densité – un peu de consistance – assez de chair pour devenir réelle…
Dans les filets d’une main qui nous soulève – l’œil aux aguets – là où les paupières sont encore closes…
Et au cou – ce lourd collier de chaînes…
Une douleur – à chaque carrefour – nous attend – une possibilité de délivrance – à chaque instant – l’envol ou la poursuite (laborieuse) du voyage…
La fièvre et l’abattement – d’un côté ; le chant – l’Amour et le silence – de l’autre…
Depuis toujours – la même alternative…
Nous – sans cesse – oscillant entre le réel et la croyance…
Nous – revêtus de noir et d’obéissance – de cet uniforme sans visage – sans influence – sans aspérité – les habits tristes de la séparation et du désenchantement – pris à tous les pièges du monde – prisonniers de la tête aux pieds…
Ce que nous subtilisons au soleil – l’âme et les yeux à la dérive – sur le dos, notre charge quotidienne – la perspective jamais au-delà de l’horizon – des murs d’écume devant nous – comme des obstacles – une forme grossière de détention…
Rien pour prier – remercier – se prosterner…
Rien qu’un désert – rien que des pierres aussi tranchantes que des lames – avec des grilles et des fleurs plein la tête – comme un rêve – une invitation au voyage – à s’enfuir aussi loin que possible – à rejoindre tous les ailleurs accessibles…
Un pied dans le ciel et l’océan – et l’autre immergé dans la terre – submergé par l’abondance et le sang…
Un fil – un passage – aux allures de croix – de sacrifice – de crucifix – avec du vent et des couronnes d’épines – avec des ombres (les nôtres et celles des Autres) et des révélations…
Notre nature au-delà du monde – au-delà des apparences ; nos retrouvailles tant espérées…
Une étoile ou un trou au centre – ce que l’on y met malgré nous – la façon dont nous habitons le monde – la façon dont nous habillons l’esprit – la façon dont nous nous tenons face aux Autres…
Paumes ouvertes – hors du désir des hommes – hors du désir du monde – épargné par le règne terrifiant de la folie – là où les ailes se déploient – deviennent le faîte de l’esprit hors de soupçon – l’envergure promise au-dessus des danses et du néant que l’on habille, trop souvent, de couleurs et de bruits – et que l’on agrémente – éhontément – d’une présence infiniment restrictive – incroyablement mensongère…
Une autre douleur que celle de la nuit – intérieure – profonde – inéluctable – sa continuité déployée, en quelque sorte ; l’illusion et l’escroquerie – comme un décor et un contenu que nous aurions inventés pour nous donner le sentiment de pouvoir échapper à la misère et aux (terrifiantes) limitations de l’existence terrestre…
Le sang des Autres sur notre plaie…
Le silence par-dessus la douleur et le courage – les mains tendues face aux interrogations – comme l’aveu d’une impuissance – un coup de poignard dans l’eau – un élan de résistance inutile – les yeux, sans doute, lavés par trop de larmes et de pluie – le monde devant nous – inerte et triste…
Le verbe et les étoiles – à demeure – dans le prolongement de notre stature – comme un axe – une colonne autour de laquelle graviteraient le silence et mille autres soleils…
Tous nos frères de naissance – la part promise à notre intimité…
Illusion(s) – comme le reste – bien sûr…
Des paroles autour de la faim – le monde à nos pieds – intacts – comme le plus familier – au bord et au centre – en surface et en profondeur – perceptibles – comme l’invisible – selon le degré d’inclinaison de l’esprit…
L’âme glissante – dans son échappée – sa fuite des dogmes – insaisissable – comme le monde et la vérité – comme tout, en réalité ; circonstantielle – de passage – simplement…
Dans le regard – ce qui est – provisoirement – ce qui se goûte…
Au cœur de l’antre des sages et des Dieux – sans désir – sans souci – dans cette luminosité dense et rayonnante…
La mort apprivoisée qui rejoint l’Amour – la terre accessible – le ciel désacralisé – comme si l’on avait (enfin) compris que la douleur – l’insupportable – ne se trouvaient que dans le refus…
L’oiseau et l’infini dans le même ciel – dans le même chant – ceux qui naissent des âmes libres – affranchies des vieilles lunes du monde humain – des anciens cercles d’existence et de torture – réels, en somme, comme le plus immuable en nous – ce qui échappe à notre fièvre (féroce) et à nos désirs (si puérils) de blancheur…
Quelques mots – quelques lignes – comme des flèches décochées contre des murs d’écume – imposants – massifs – impénétrables…
Nul dans les gradins – nul aux fenêtres – rien qu’une foule curieuse des histoires – de la surface – l’horloge au poignet qui berce la torpeur de son bruit régulier et monotone – avant, un jour (très vite) de sonner le glas du monde, puis, bien plus tardivement, celui de l’illusion…
L’écrin de toutes nos mélancolies – de tous nos élans vers la bêtise et le crime…
Le désespoir des Dieux devant tous nos horizons obstrués…
Le long de nos esprits vides – des amas d’illusions inventées, puis rejetées – la crête sur laquelle piétinent toutes les âmes – les aiguilles mensongères du temps – la logique et la raison – ce qui s’éloigne sans inquiétude – les rêves et l’anxiété – tout ce qui semble nous composer – en somme…
Le monde, bientôt, au seuil de l’effondrement – sous le joug du règne soustractif…
A notre place – sous la neige – au cœur de l’hiver qui se prolonge et se perpétue – dans la blancheur du ciel déployé – loin des ombres et du noir au milieu desquels nous avons grandi – au milieu desquels se sont, peu à peu, fomentés toutes nos tentatives – tous nos élans vers un ailleurs plus vivable – moins prévisible – moins circonscrit…
Parallèle au périple – le seuil accessible – notre fortune…
L’émerveillement du regard affranchi du désir – toute la beauté du monde offerte…
La rosée du matin et les fleurs au crépuscule – l’arc-en-ciel au-dessus des dédales – notre égarement dans tous les labyrinthes improvisés…
Nos yeux anxieux qui scrutent le ciel sombre et menaçant – notre seule perspective…
Notre long témoignage sur ces pages – les confidences d’une âme chercheuse que la surface et les périphéries n’ont jamais su contenter…
La solitude errante – des origines – à l’œil curieux et sans viscère – démystifiée – exacerbée et célébrée par la proximité permanente de la mort – par la fréquentation continuelle de l’incertitude – par l’immersion quasi totale dans le vide – l’instant – notre présence sans identité (véritablement) reconnaissable…
Le signe, sans doute, que l’âme a remplacé la tête et que le front est devenu un passage – comme le corps – comme les mains – comme le cœur – ouverts à tout ce qui les traverse – à tout ce qui les entoure – à tout ce qui existe – libérés des frontières entre ce qui semble à l’intérieur et ce qui semble au-dehors – bien plus vivants (et bien plus rieurs) qu’autrefois…
Pourquoi pensons-nous que nous n’existons qu’à travers les signes et les représentations… Sommes-nous donc si peu réels pour n’accorder de crédit qu’aux images et aux symboles…
Incarner le sourire – le jeu – le chant – le silence – qui naissent de l’innocence…
Des colonnes d’invisible – le soleil en ruban dans nos cheveux libres – défaits…
Le monde redécouvert par le silence – à travers l’âme (presque) guérie – (presque) réconciliée – entière…
A la jointure du secret et de la lumière…
Sur la sente des noms inutiles – des choses et des pensées accumulées – sur le pont d’un navire au naufrage annoncé…
La fièvre qui guide les pas – les gestes et les paroles – fidèles à nos croyances – soumis à nos désirs – si pleins encore d’ardeur et d’idéaux…
A nous attarder paresseusement – indéfiniment – dans les coulisses de l’avant-voyage…
Au sol – dans l’air – et plus haut (bien plus haut) – les vibrations de la voix – la torche de la vérité rayonnante – lumineuse – éclairant l’Amour sur ses hautes échasses – le silence à proximité – à portée de l’enfance – et les cages aux grilles solides au fond desquelles nous nous tenons…
Au milieu du néant – au cœur de l’abîme – la monstruosité – infidèle à l’origine – soumise aux forces noires du monde…
La terre en tête – dans le sang qui circule – jusque dans l’âme contrariée – à peine consciente de son dévoiement…
Des cris – des mains rouges – de la chair blessée – en tous lieux – des taches et des ombres grandissantes – de plus en plus souveraines – des flèches et des étoiles – des amas de désirs et de dépouilles ; des créatures si impuissantes – si risibles – si ridicules face à la beauté et à l’immensité du jour…
Par endroits – la transparence – la profondeur des résonances ressenties – le jour qui se propage comme si rien ne pouvait lui faire obstacle…
L’intelligence louvoyant entre les aspérités – pénétrant les angles – épousant tous les recoins – la moindre anfractuosité – imprégnant les sols – l’air et l’eau – les étoiles – tout ce qui frémit et tout ce qui la réclame – sous le sommeil…
Nous – décochés comme des flèches dans la nuit – survolant le monde (une partie du monde) – transperçant quelques broutilles – errant au-dessus des têtes – de la raison – de la sagesse – avant de retomber dans le sable lointain – abandonnés à notre sort – au dessèchement – à la solitude – aux conditions nécessaires pour que se réalise le passage – cette traversée sombre et éprouvante du désert qui mène au ciel – au jour – au bleu indéfini et sans mystère…
Les mains jointes et noires – creusant, parfois, la terre – levées, parfois, vers l’infini comme une flèche immobile – saisissant le nécessaire – les quelques trésors posés devant elles – parant les coups – réparant, de temps à autre, les dégâts – devenant la preuve de tous les possibles – la cause du plus grand vertige dans nos combats – dans notre danse avec la matière – dans nos opiniâtres tentatives d’envol…
Le grand défi de l’homme face au mouvement – face au silence – face à la vérité…
Trop de fièvre encore dans la voix – dans les mains et les rêves – trop d’infidélité encore au silence et à l’immobilité – pour que nos ambitions coïncident avec les circonstances et reflètent, de manière parfaite, l’Amour et la justesse…
Des visages – une croix – contre notre joue…
Ce que les larmes nous révèlent…
Ce que nos mains ont tenté de bâtir – des enclos – des frontières – des remparts – un lieu où vivre à l’abri de la fureur du monde – incapable, bien sûr, de nous protéger des démons à l’intérieur…
Assis au milieu des herbes – loin du grand labyrinthe fait de briques et de visages – de peurs et d’ambitions – seul dans la multitude végétale – sur cette étendue verte épargnée par les édifices et les instruments humains – abandonnée aux habitants des marges auxquels nous appartenons…
Des feux – en cascade – jusqu’à l’aube…
Ni chemin – ni pèlerin – ni viatique…
La monnaie et le plus précieux à l’intérieur – le nécessaire pour l’échange – un peu d’embarras contre un coin de ciel bleu…
Mille ans de repos après tant de guerres – de sueur et d’efforts…
Le rire à la suite des larmes – comme une couronne (presque) invisible – offerte sans raison…
Le vide après la tristesse – après des siècles d’absence – d’abandon et d’infortune – puis, un jour, le silence et la complétude – ce que nous n’espérions plus…
Le terme (provisoire) de cette marche folle et obstinée…
Le monde à genoux – derrière l’oratoire – des prières plein les poches – des sermons plein la tête – mille conseils pour les âmes naïves et dociles – encore insensibles à ce qui les traverse – aux lois directes du ciel – à l’Amour sans intermédiaire – à la lumière non retranscrite par les scribes dans les livres – à l’immensité qui nous attend tous au-dedans – à la découverte et au déploiement de l’espace que notre orgueil – notre ignorance – notre ambition – dissimulent obstinément…
Un ruban d’ennui autour de la tête – nous passons – en désordre – déréglés – avec, sur le visage et au fond du cœur, cette passion obscène pour la matière – la faim des affamés ; des rires sous le jour – inconscients – comme si nous étions tombés là par hasard – comme si nous étions censés vivre ici pour l’éternité…
Un pays de pierres et de larmes – d’espoirs et d’instincts – peuplé d’infimes créatures aux yeux – et au cœur – fermés – dans le prolongement des premières cellules – des premières entités vivantes à l’évolution longue et laborieuse – pleine(s) de merveilles – de surprises et d’empêchements…
Les heures les plus familières pour apprivoiser le monde – sa sauvagerie et ses limitations – l’impossibilité immédiate du ciel…
Guidé(s) par la main impatiente des enfants – montrant ceci et cela – ici et ailleurs – là-bas et plus loin – trop rarement (presque jamais) le lieu originel – le lieu où toutes les histoires ont commencé…
Des yeux à l’air libre et des âmes engoncées…
Des danses qui célèbrent – et prolongent – la nuit…
Des têtes aux songes créatifs – ce dont rêvent les esprits – ce que fabriquent les mains – mille inventions et quelques interrogations tenaces en arrière-plan – comme une métaphysique naturelle – nécessaire à notre manière de vivre – à notre manière d’appréhender l’histoire – à notre manière de conduire les destins…
Tous les noms inscrits sur la longue liste des choses du monde – tous les objets unis par la même chair – façonnés par le même regard – ensemble dans le même espace – fragments du seul existant…
Parfois, la nuit – comme une ombre sous les paupières – ce qui ravage la terre – un monde de soif – de manque – d’élans – où la satisfaction des désirs n’apaise que de manière (très) provisoire…
Immobiles – comme si les murs nous encerclaient – à la croisée de tous les prolongements…
Entre nos doigts – le monde – l’univers – le vide – et toutes leurs créatures difformes – boursouflées – que l’attrait des Autres dilate – enlaidit – plus encore…
Des verrous – de l’eau qui coule – des âmes à genoux – les semelles chargées de terre – la chambre et l’espace à explorer…
Sur le même fil – la même parcelle de boue – à rêver – à nous complaire…
Tout arrive à celui qui s’arpente – qui s’égrène – qui se désagrège…
L’infini à portée du souffle – du feu – du vent…
Sous le front – entre les tempes – la douleur qui s’estompe – notre fraternité recroquevillée…
Pieds nus dans les eaux du fleuve – comme envoûtés…
Les mains avides et gesticulantes – à la recherche d’un peu d’or – quelques misérables paillettes…
Entre nos doigts – du sable et d’infâmes restes à partager…
Toute la vie – dans nos yeux – dans nos veines…
La figure de l’Amour au pays des vivants – au pays de la mort…
Le chapelet dans notre main – s’égrainant – comme nous dans celle de Dieu – ici, la chambre – là, l’univers – ici, les saisons – là, la folle allure du temps…
Et partout – les mêmes âmes et les mêmes yeux épris d’Amour et de lumière – convertis déjà au silence malgré les apparences – malgré l’affairement et les bruits…
De pierre en pierre – les yeux ravagés par la soif et la folie – les mains fébriles – l’âme pleine de nœuds et de murmures – au pied d’un long mur – une enceinte interminable peut-être – comme des enfants qui attendent, impatients, leur mère – un peu d’eau et de sagesse – une (vague) espérance – la possibilité de contourner l’édifice – la forteresse – d’entrer de plain-pied dans l’existence vivante – dans l’existence réelle – dans l’existence vibrante – frémissante – amoureuse…
Au cœur de l’intimité de l’être…
Pas même le souvenir de la douleur – du manque acéré porté dans l’âme jusqu’à l’incandescence – l’impatience d’aller pieds et tête nus – en agitant les bracelets à nos bras – au milieu de la fête – au milieu de l’absence…
Nos danses sur les rives du grand fleuve chimérique…
Notre chevelure changeante – jusqu’au blanc du temps passé…
Nos chants – tous nos chants – pour apprendre à défier la nuit et la malchance…
Le poids des soucis dans le miroir – implacable – saisissant – qui creuse, chaque jour, notre visage ; qui forme les rides de l’accoutumance et de la résignation…
Rien qu’un peu de chair et d’espérance – en somme – qui finira ses pauvres jours – sa brève et misérable existence – en cendres – en poussière – entre quatre planches – pleuré par quelques-uns pendant quelques instants – poussé ailleurs – un peu plus loin – contraint très vite de revenir – de bâtir, à nouveau, quelques édifices avec un peu de sable et de vent – entre rires et grimaces – entre espoir et douleur – soumis (inexorablement) au lot commun (ordinaire)…
Dans les affres de l’ombre et de l’assise – le monde devant nous – sur le sable – des larmes sur la joue – un sourire discret aux coins des lèvres – des images et des pensées – une manière de tracer sa route – à mains nues – sans privilège – sans concession…
Toute la beauté de notre voyage – peut-être…
Nous respirons – comme si l’infini était derrière nous – au-dessus – en dessous – mais jamais au-dedans – jamais à proximité ; un souffle sans envergure – une dispersion des énergies et des ambitions – comme le plus vaste provisoirement contracté – provisoirement circonscrit…
Il n’y a rien à faire – rien à chercher ; la compréhension invite au chant et à la danse – les plus justes (et les plus belles) expressions du silence lorsque celui-ci est habité – l’individualité alors jouit et jubile – rien d’autre ne lui est nécessaire – rien d’autre ne l’intéresse…
L’espace seul – comme le lieu de la joie et de la jouissance – l’envergure incroyable et surprenante que nous habitons – que nous respirons – que nous sommes ; et cette frénésie de gestes – de pas et de paroles – tranquilles et silencieux…
Les mots qui glissent comme des pieds – une main – un modeste baiser – sur la glace – la feuille – la peau – des fleurs lancées sur les pierres – sur les têtes – dans les bras de ceux qui attendent avec impatience – un peu de vérité sur les brûlures – sur les désirs et l’espoir – un feu supplémentaire – des flammes hautes et dansantes dans la mémoire – au milieu des idées – un incendie réparateur qui détruit les amassements – l’inutile – et laisse la terre noire – le sol et notre visage – aussi lisses qu’un miroir…
Le terrain le plus propice au silence et au recueillement – les prémices de l’innocence et de la légèreté – l’antichambre de la tendresse – de la lumière – de la joie…
Notre plus fidèle portrait – en somme – de long en large – de bout en bout…
La terre – comme une main tendue – offerte ; et cette marche aveugle – inconnaissante – inattendue et impatiente…
Ce qui nous hante…
Nous – vers le feu – puis, au milieu du feu – puis, devenant le feu…
Le monde – les arbres et les oiseaux…
Le sol où tout, sans cesse, recommence…
Nous – vers la chute certaine – dans le piétinement jusqu’au trou…
Trop rarement – l’envol et la liberté…
Ce qui appartient encore aux yeux des hommes et au monde des Dieux…
La tête – dans ses filets d’illusions ; le regard trop enfoui – trop lointain – qu’un rien, pourtant, pourrait faire naître…
Nous – au milieu des Autres – à penser l’incertitude – à vivre au milieu des bruits – comme si nous étions là pour composer avec ce qui nous entoure – exhumer ce qui loge au fond de nos viscères – confirmer l’insignifiance et l’indigence de notre destin ; cette nuit longue et tragique – sans étoile…
Nous – à l’extrémité du monde – et les Autres, apparemment, de l’autre côté…
Au bord de la vérité – peut-être ; et les hommes si profondément dissimulés en elle qu’ils ne peuvent la découvrir – ni la faire jaillir – au-dehors – à travers leurs gestes et leurs paroles…
Le sang versé – pardonnable…
La souffrance infligée – utile peut-être…
L’âme – esseulée – sur son rocher noir – recluse sur son archipel des épouvantes – comme un passage nécessaire – le seul paysage qui, dans ses sous-sols, abrite le plus précieux – la sensibilité et l’acuité du regard – ce qui, peu à peu, donnera naissance à l’Amour et à la lumière…
Nous – longtemps après le lever du soleil et longtemps après son extinction – pour toujours – sur le sable – sans consolation – au milieu de la nuit – avec un immense sourire au fond de l’âme…
Qu’importe le contexte et les circonstances lorsque le cœur – les lèvres et les mains – sont réunis et alignés sur les exigences du monde et des Dieux…
Nous avons – trop longtemps – confondu le monde – la route et les noms – les visages – les choses et les fonctions – emmêlant tout – mettant tout cul par-dessus tête – nous laissant engloutir au-dedans des coups – des mains qui cognent et du sang – essayant de nous ranger toujours du côté des alliés et des vainqueurs – du côté de ceux qui gouvernent le monde – de ceux qui conduisent les destins – de ceux qui inventent ou rénovent le langage ; les pieds – l’âme – la tête – sur le versant du mensonge et de l’inutile…
Nous – seul(s) au monde – au seuil du réel – à proximité du lieu où veille l’Amour – aux avant-postes du silence – pas si loin, au fond, du sommeil des hommes…
Le souffle brut – sans trahison – au fond de l’âme et de la poitrine – naissant ailleurs – plus loin – plus profondément – dans cet espace de liberté et d’obéissance – au cœur de cette présence fidèle à toutes les lois et à tous les règnes du monde – dans le vide qui demeure au-delà des choses (construites et inventées) – au-delà des murs – au-delà des larmes et du langage…
Au fond de cette béance qui nous abrite – que nous abritons – que nous sommes, bien sûr, de toutes les manières possibles…