Carnet n°235 Notes journalières
Des jardins perdus – presque oubliés – au bras de l’aube et des saisons – d’un pas tranquille – à arpenter tous les recoins de l’espace – de la mémoire – à vivre – à écrire – à penser quelques fois – comme si nous n’étions plus concerné par la folie de ce monde…
Un oiseau volage au fond de la poitrine – comme dans un nid étrange fait de souffle et de nuit – avec un restant de chaleur pour exister (un peu) et rendre l’absence moins douloureuse – avec le poids du regard au fond des yeux…
La vie – sans parure – sans correction – sans même l’Autre et la mort pour nous contredire…
Ni sang – ni rêve – ni soif – les lèvres muettes baignées de lumière – l’âme si joyeuse – de manière presque indécente…
Et dans la main – le vent – une caresse – la nuit qui plonge dans l’aube – l’aurore délicate – le soleil sous la peau – la chair et le ciel dans le cœur – mélangés…
Quelque chose de l’abîme et de la flamme…
Dieu et le hasard, peut-être, jouant ensemble dans nos cheveux défaits…
Contre nous – le froid – l’inexistence – le monde – et cette colère noire – qui trône au centre du silence – comme un éclat – une larme – une sorte de folie contenue – au cœur de la tendresse…
Des chants – comme une longue caresse – une main tendre sur notre joue – la chaleur d’un Amour (universel et particulier) au creux du cou – une danse sous les paupières – quelque chose du réconfort et de la réconciliation…
Une flèche dans le cœur du monde – du bleu à toutes les fenêtres – le bonheur de tous ceux qui vivent derrière leur vitre…
Là où la beauté se manifeste – et là où elle nous envoie…
Déterminés – en désordre – le monde et la raison…
L’ombre et le sommeil sous toutes les lampes…
Cette lumière glacée qui jamais n’apaise la soif – qui n’éclaire que ce qui est proche du sang – les apparences – jamais l’invisible – jamais le silence – nécessaires (pourtant) au dévoilement de la vérité…
Dans l’encerclement – notre chance – comme un soleil enserré qui attend notre âme – notre main – son envol – sa liberté…
Notre plongeon au cœur de la source – au milieu de la nuit…
En nous – cette faim haletante – épuisée – lasse de nous faire tourner avec les Autres – au cœur de ce grand cirque – au cœur de cette tragédie – à la recherche d’un peu de matière – de quelques objets – de quelques rêves – d’un peu de vérité – pour soulager notre manque et soigner notre incomplétude obstinée…
Nous – titubant – entre la joie et les Autres – le long de cette rive étroite où l’on peut voir l’âme se promener – sereine – sous le ciel – sans visage – sans sommeil – seule – comme il se doit – au-dessus de toutes les têtes…
Comme des graines jetées au visage de l’Amour – ces paroles pour rien (ou si peu) – comme une claque – une offense – une chose (presque) totalement inutile – un peu de terre lancée dans le vent – dans le vide – quelque part…
La solitude – autour de nous…
Des ailes (bien) moins persévérantes que le langage…
Le jour – et des vagues contre les falaises…
Notre visage dans la tempête…
Des tonnes de sable au fond de la gorge…
Et nous – ici – essayant de respirer…
Du miroir à la mort – sans avoir (jamais) rencontré le silence…
Le peuple du rêve et de la souffrance – le peuple de la cécité et de la fuite – à genoux parmi trop de merveilles invisibles…
Parfois – l’heure s’étire en un seul voyage…
Une joie plus que solitaire…
Dieu dans notre silence…
Et le jeu des Autres qui continue…
Des chaînes – du temps à tuer…
Des mentons qui se redressent…
Des histoires – des rires – des mots et des morts…
L’existence – et les pas lourds (et tristes*) des vivants…
* si tristes...
La folie entre les tempes – entre les mains…
Le monde vieillissant – arraché à sa paresse – à ses promesses – précipité prématurément vers sa fin…
Des fleurs dans la tête – avec des épines et des pétales noirs…
Des choses – des visages – qui s’assemblent – qui s’unissent – qui s’amusent – et l’esprit qui additionne pour faire la somme des rencontres et des distractions – avant l’émergence de la seule perspective possible ; le face-à-face – la déchirure – la séparation – la solitude ; toutes ces choses qui font souffrir – qui mènent au bord de l’abîme – qui poussent à la chute et à l’effacement – le seul salut véritable…
Sous le joug du monde – notre fratrie – tels des rochers qui dévalent leur pente…
Du côté des pierres et des arbres – à jamais…
Homme – très (très) approximativement…
Plus proche de la bête et du sauvage…
Entre l’ermite et le nuage – l’âme silencieuse…
Des obstacles et des barrières à franchir pour rejoindre la cassure – restaurer ce qui a été brisé – soigner et consoler ce qui mérite de l’être…
En nous – trop souvent – des objets qui rivalisent avec l’éternité ; des protestations et des résistances naturelles…
L’existence et le quotidien sans les Autres – le monde d’après l’attente…
Et entre les deux – notre tête – notre impatience…
Un seul trait vers l’impossible – parmi mille lignes – dans un carnet dédié à la lumière…
Et des rives – (toujours) trop nombreuses…
Et l’âme, soudain, qui vacille…
D’étranges vibrations et des peurs immenses – dans l’idée de la mort ; l’absence imaginée – toute une traversée – et le possible qu’il nous faut accomplir…
Tout se poursuit – sans la moindre ressemblance avec ce qui fut – comme si tout se répétait différemment…
L’oreille collée à la porte du silence – le monde caché derrière – perceptible depuis le seuil – si fébrile – si bruyant – presque sans effet, pourtant, sur nos yeux taciturnes qui ne voient ni la terre – ni les fleurs – ni les hommes – qui les devinent seulement – à peine…
L’hiver et la nuit terrassés – au-dehors – mais si vivants dans notre poitrine. Comme deux fauves affamés – prêts à nous dévorer – de l’intérieur…
Ce qui nous sépare et nous attriste – le front trop fier – la posture altière – le sang mêlé à la terre – la fortune des oppresseurs – l’étroitesse et la grossièreté – ce que nous bâtissons sur les blessés et les morts ; l’ignorance et la monstruosité des hommes…
L’âme et le geste de plus en plus sauvages…
La fuite plus vive – plus prompte – lorsque les visages nous demandent de participer à leurs histoires – de légitimer leur posture – toutes ces chimères – routes et ruines – de bout en bout – et désastre (totalement) insignifiant – très bientôt…
Là – partout – à aiguiser leur couteau – alors que la tombe est toute proche – à quelques longueurs de bras (à peine)…
Le temps absurde de l’attente – sans acte…
Et la joie et le silence du retrait – comme une présence active – parfaitement attentive – pleinement immobile – incroyablement agissante – à travers l’invisible – l’essentiel…
Vies de songe et de folie – avec leur appareillage – leurs stocks d’images – de désirs – de repères – leur traîne envoûtante et leurs effets (hautement) délétères…
Du noir au néant – à travers l’absence et la mort – comme une ignorance cernée par de hauts murs – et une couche épaisse de boue en guise de toit…
En cage – sur cet infime carré de terre…
Vie d’oubli et d’invisibilité – comme un saut hors du monde et de la mémoire…
Entre les hommes et les Dieux – comme une traversée du vide – solitaire – infailliblement solitaire…
L’habitude – notre tâche – jusqu’à la mort…
Seul – dans les paysages – sur les chemins – entouré d’arbres et de silence – et de quelques visages (parfois) – presque rien sous le soleil fidèle et inaccessible – implacablement tourné vers la quête, puis vers l’absence – passé maître (si l’on peut dire…) dans l’art de la soustraction et du retranchement – avec, dans la poitrine, un cri et quelques regrets (souvent) exagérés…
Une sarabande de corps jetés les uns contre les autres – les uns sur les autres – les uns dans les autres – comme une immense orgie – avec des têtes – des bustes – des membres – entremêlés…
Des existences sans nom – sans épaisseur (véritable) – sans possesseur – mues seulement par le désir – le plaisir et l’extase – et le rêve trop ambitieux (et sans doute inatteignable) de la délivrance…
L’esprit dans la matière – et libéré (en partie) par elle – en quelque sorte…
La tête ronde – et sur l’autre versant du monde – infinie…
Une merveille au-dessus des eaux noires…
Le temps desséché – autant que le désir des Dieux…
Libre – comme une âme offerte – serviable – obéissante – comme deux mains tendues vers la soif – porteuses d’eau – d’ailes et d’envol…
Quelques plumes dans le vent – quelques plumes dans le ciel…
Mille siècles de croyances – sans Dieu – sans soleil – les deux mains jointes – comme une flèche patiente – immobile – les yeux fermés sur la terre – sur les morts – sur les démons qui nous habitent et nous entourent – espérant seulement que le ciel, un jour, puisse nous offrir un foyer – un refuge – un petit carré d’infini – une infime part d’éternité…
Matière à dire – autant qu’à se taire…
Vie de murmures – de surprises – de soubresauts…
Quelques gestes – nécessaires – histoire d’éviter la parole – de la contredire – de la transcender – d’échapper à toutes nos chimères…
Devenir celui qui est…
De grandes choses au dos des gestes – derrière l’apparence ordinaire du langage – comme une chair profonde et invisible – une âme plus précise et déterminée – une manière d’incarner la loi (véritable) – le silence – une chose si peu humaine…
Personne – direct – sans détour – comme une flèche fidèle à l’étendue – cible de la surface et des profondeurs – sans axe – sans centre – sans périphérie – la mère de tout – l’origine – la matrice première – l’être sans antériorité…
Tout – presque rien – en somme…
Le monde brûlé – en poussière…
Des états successifs…
L’infinité des combinaisons possibles…
L’être sans âge – à travers tous ses masques…
Les mille apparences prises – tous les déguisements…
Les yeux de tous – les mille couleurs ramenées au plus simple – à ce qui s’impose – à ce qui finit toujours par s’imposer – la seule nécessité…
Les errances et les divagations – le délire et la vérité – la poésie et tous les malheurs – toutes les malédictions – ce qui nous est le plus cher – ce que nous sommes malgré la parole – les mensonges et l’illusion…
Le plus juste sous l’ignorance et l’aveuglement…
La lumière – le silence – la sensibilité – derrière le bruit – le noir – l’indifférence…
Tous les noms et tous les visages de l’Amour…
Bain de lumière – chaleureux…
Et tout ce bleu – au-dessus – qui nous inonde…
Sur la surface – le scalpel des Dieux qui nous taille un visage – un bout de chair vivante – un souffle – une poitrine – histoire de renifler un peu le feu et les limites de l’infini – ce qui est offert à toutes les créatures terrestres…
Ce que l’on garde à l’abri du martèlement du temps – une sorte d’origine au-dedans – pas l’image d’un Dieu – la matrice de l’âme et du ciel – l’immobilité parfaite de l’esprit – sensible et lumineux – étranger à ce monde – à cette respiration de la matière…
Ce qui tremble – comme le jour arrivé à maturité…
Le monde devant soi – comme une pierre pardonnable – une main tendue au milieu de la nuit…
Toutes nos illusions démasquées ; le soleil au fond de l’âme – rayonnant comme à travers des grilles – comme une fenêtre ouverte, peut-être, pour la première fois…
Un chemin entre le ciel et nous…
Au fond du bleu – tous nos secrets…
L’image du monde – de Dieu – par terre – piétinées – inutiles – comme de simples idoles…
La fête en tête – couronnée par toutes ses blessures – devenues failles, puis ouvertures – prémices, sans doute, de l’infini…
Les identités défigurées – enchevêtrées – inextricables – et dans le miroir – le même visage aux reflets si nombreux – si changeants…
Nous-même(s) démasqué(s) – mis à nu…
Sombres – fous – de tout ce qui s’ajoute – de tout ce qui nous alourdit – comme une édification massive et dégoulinante – qui ne tiendra que quelques heures – quelques lunes peut-être – sous le poids du provisoire…
Le règne du mélange et de la nudité…
Le vide paré de tous ses déguisements…
Dans les bras d’une folie tombée parmi nous…
Soleil devant – l’âme déshabillée…
Sur ce chemin perdu – découpé en quartiers nocturnes…
La tête toute creusée par le vent…
A se demander jusqu’où nous mènera la roue de l’identité – sur quel petit carré de terre elle s’immobilisera la prochaine fois…
Le sommeil voilé par les yeux ouverts – l’impression d’une vie davantage que la croyance en un rêve – le front leurré comme tous les autres avant lui – comme tous les autres autour de lui…
Et dans le corps – le désert – la vérité – la sensibilité vivante – qu’aucune idéologie – qu’aucun mensonge – ne peut tromper…
Le monde – dans nos deux mains tendues – à découvert – comme une bête retranchée – la folie sous le front – au bout des doigts…
Les apparences renversées…
La rencontre de tous nos visages – tournés les uns vers les autres – encerclés – autour d’eux-mêmes…
Le sang des vivants – la foudre des Dieux – les forêts en feu et la terre aux abois…
Le noir qui envahit tout le cercle…
Notre figure ridée et vieillissante…
Ce que l’esprit ne pourra (jamais) transformer…
L’oiseau – en nous – qui feint le vol – le geste plein de promesses – la nuit imprévue – des grimaces par-dessus le rêve – comme si la voie était impraticable…
Le jour – comme le sol – craquelé – qui se fendille sous la force des mains saisissantes – sous la puissance des pas trop pesants…
Et nous – immobiles – dans le noir – encerclés par tous nos fantômes – brisés par toutes nos tentatives…
Devant nous – ce que l’on nous répète à l’envi – la nuit invisible – l’intelligence fulgurante de l’homme – l’absence et le geste paresseux – l’ignorance et le rêve – le souffle et la chair – l’aube sans la moindre promesse…
Un sourire et quelques cailloux…
Le plus familier face au plus lointain…
Nos mains rougies et nos ailes déployées – comme un peu de rosée (ou un peu de rêve peut-être) sur le sable…
Des yeux attristés par la chair – l’air étouffant – les pierres froides et tranchantes (si souvent) – et l’eau qui coule entre les corps – entre les âmes – qui abreuve (un peu) notre soif…
Ce que l’on nous offre – de porte en porte – pas la moindre attention – une forme d’absence – une sorte d’indifférence déguisée…
En vérité – rien n’émeut l’homme – le cœur – la psyché inattentive – qui n’ont d’yeux que pour leurs élans – ce qu’ils cherchent à assouvir (et les moyens d’y parvenir)…
Nous nous détournons – presque toujours – du moins détestable – de ce qui nous rapprocherait de l’homme – de ce qui nous donnerait envie de l’aimer davantage…
Presque toujours tremblant – devant notre histoire – des lèvres pour nous raconter – une tête pour imaginer – et la suite à vivre – à écrire – à partager ; le récit de notre insignifiance ordinaire – si commune – jour après jour – page après page…
Tout s’écrit avec le noir des jours – la lumière de l’éternité – tantôt gauche – tantôt avisé – la main tremblante – l’âme confiante – vacillante – brinquebalée (presque toujours) parmi les choses – avec, de temps en temps, une main heureuse – une main secourable – qui se tend vers nous…
La nuit exposée aux yeux de tous – la mémoire défaite – défaillante – la chair oublieuse – la lourdeur de la marche – la peur qui aveugle – à pousser sa charrette de malheurs…
A petits pas vers la chambre du cœur – vers la chambre des larmes – là où nos fantômes attendent leur repas…
Quelque chose comme un peu de neige sur les fleurs de la pensée – un oiseau posé sur notre épaule – un désir d’envol et de lenteur – une présence chaude – rassurante – pour apaiser notre crainte de la mort – cette terreur éprouvée face à l’absence…
Une pluie dans l’âme – comme une privation de lumière – une condamnation à vivre dans la proximité du noir…
Un jour – un avenir – un autre jour – un autre avenir ; des visages et des espérances qui se suivent sans discontinuer – de rêverie en impatience – dans le règne permanent – quasi dictatorial – de l’après – dans l’attente de ce qui pourrait arriver – de l’événement suivant – du déluge – de ce qui nous sera offert au jour de notre mort – comme enchaîné(s) à la suite perpétuelle du temps…
Mourir – si longuement – si promptement – entre deux naissances…
D’un rêve à l’autre – et entre chaque – un peu de lumière…
Des traces de vie – quelques empreintes sur le sol – quelques lignes – et un peu de feu qui brûle au fond de l’âme…
Nous inventons des mondes – des visages – toujours quelque chose – un peu de compagnie…
Les jours privés d’extase et d’invention – de poème et de fantaisie – la vie sous cloche – en deçà de tous les seuils – si restreinte – dans toutes les cases prévues (et appropriées) – pas si loin d’invivable…
Comme une aube rehaussée – délicate – hors du monde – hors du temps – à l’envers des visages et des saisons – au-dedans exposé – là où la chair et les bruits s’éclipsent au profit de l’être et du silence…
Ce que l’on nomme en dehors du langage – cette lumière invisible – ce bleu immense – cette présence si intense – comme une géographie de l’inabordable à la périphérie si chaotique…
Sur notre promontoire – au faîte de l’exil – à la marge invisible des jours – là où plus rien n’existe séparément – là où plus rien ne pèse (vraiment) – là où plus rien n’est impossible – là où le regard se fait cercle et pointe – flèche et envergure – là où la mort se résorbe dans l’Amour – comme toutes les choses du monde d’ailleurs…
Dans les battements secrets du cœur – derrière les sourires – ce que l’on affiche – parmi toutes ces choses que l’on garde pour soi – toutes ces confidences devant le miroir…
L’âme encore intacte – au milieu du monde – au milieu des adieux – au milieu des grimaces…
Un cri – en nous – brûle – flotte – cherche un peu d’encre – un coin de feuille – un peu de tendresse – deux bras tendus – l’Amour et la lumière qu’il espère (depuis toujours)…
Le rôle du temps et de l’oubli…
Des ruines entre nos tempes – la tête trop pleine – déjà ailleurs…
Dieu – partout – au-delà du désir – au-delà des images – qui n’appartient ni au monde – ni à la matière…
Ce qui se présente – entre nous – parmi nos dévastations – au cœur même de l’argile – entre nos larmes et cette étrange colonne de lumière au-dedans des yeux…
Dans le regard – deux ailes ouvertes et un ciel immense – l’innocence dans sa pleine liberté…
Et l’âme s’amusant à dessiner dans l’air de grands cercles mystérieux…
La peur et le vide – balayés d’une main leste…
De la chair tiraillée qui entoure le mystère – qui enrobe tous les secrets…
Ce que l’on érige d’une parole – d’un peu de poésie – pour fendre la pierre – s’élancer au-dessus des danses – devenir aussi indispensable et vertical que le silence et les aspirations de l’âme…
Parfois – la fraîcheur d’une langue nouvelle – construite à partir des ruines de mots trop volontaires – libre, à présent, de dire sans raconter – d’évoquer sans témoigner – de bâtir un étroit chemin entre les hommes et la lumière – comme une passerelle de signes au-dessus du monde et des idées – un escalier de verre et de vent vers les sphères invisibles du ciel – entre le soleil et le sang…
Nous-même(s) – autrefois – aujourd’hui – pour toujours – très ordinaires – insaisissables…
Toutes les choses communes aux morts et aux vivants…
Loin – immobiles – sous la terre – dans l’esprit – un peu de cendre et l’épaisseur de tous les livres…
Du bleu en direction des âmes…
Une manière d’indiquer au monde l’au-delà du feu…
Un grand silence au milieu de la pensée – derrière la figure du souvenir – cette béance dans laquelle tout finit par tomber à la renverse – les mots – les choses – les visages – la longue liste des rencontres et des événements – toutes les insignifiances de notre vie – ce qu’il convient d’abandonner à la terre – l’intransportable…
Le reste – le plus précieux – demeure – au fond de l’âme – à l’abri des fureurs du monde…
Derrière la ferveur de la vie passante – si provisoire – le reflet de la lune – et, enfouie plus profondément, la surface sur laquelle miroite la lumière – et en arrière-plan de tout – quelques pierres et un peu de sommeil…
Les restes de notre voyage qui dévalent leur pente depuis les plus hauts sommets…
Des yeux rougis par les initiales du feu…
Le soleil conçu comme un poème – un vertigineux délire – avec du vent – des mots – des draps – et quelques larmes au début et au terme de chaque histoire (toutes aussi communes les unes que les autres) ; l’amour manquant – l’amour retrouvé – l’amour déchirant – et nos cœurs arrachés – estropiés – et nos corps, si beaux autrefois, devenus simples bouts de chair – puis lambeaux – et les âmes – et nos âmes – n’espérant plus, à présent, qu’un coin de terre et de ciel anonyme – perdu au milieu des autres – un peu de quiétude – après tant d’aventures – de blessures – de tourments…
Dans l’ombre du sang – l’ardeur et la violence – ce que nous fréquentons en vivant – la chair et le vent – l’un dans le ciel et l’autre sur le bûcher – la poussière et la cendre – ensemble – emportées plus loin – ailleurs – qui ressemble à ici (à s’y méprendre)…
Toutes les couleurs du monde et toutes les finitudes du temps ; et nous – dans cette chair bariolée poussée au fond de toutes les impasses…
Un trou au terme de chaque chemin – et la même lune qui brille au-dessus de la terre amoncelée…
Des vies- et des morts-arc-en-ciel – sans la gaieté…
Trop haut – parmi le peuple des nuages – et la tête blanche aujourd’hui qui arpente le bleu immense – au-dessus des pierres grises – sans éclat – du tumulte du monde – la voix assise sur la marche la plus basse du ciel – la parole lancée vers la terre populeuse – ignare et populeuse – trop docile – sans curiosité…
Quelques poussières d’or jetées sur un lit de paille…
Quelques fleurs abandonnées dans la fange froide et insensible…
Nous avons tant aimé – nous avons cru tant aimer ; et, un jour (très vite), nous retrouvons la solitude (le temps, à peine, de tourner la tête, et l’Autre est déjà loin – déjà parti)…
Les épaules et l’âme nues – aussi seul qu’au début du voyage…
Des Autres – à peu près rien – quelques attentes – quelques cris – quelques plaintes – des masques et des mensonges – la liste des intérêts bien gardée…
Et notre enfance – et notre espoir – passablement perdus…
Et notre cœur comme une fenêtre – petite et étroite – posée au bas de l’édifice – comme une minuscule ouverture recouverte par un long et haut mur de chair encore désirante…