Carnet n°222 Notes sans titre
Sur nos lèvres – le cri. Dans notre âme – l’envie de lutter – de résister à la barbarie et à la bêtise ambiantes. Les forces vives de la lumière, peut-être, contre l’obscurité établie – ancestrale…
Ce que l’on imagine à tort – sans doute…
Du vent pour fracasser les murs – ouvrir les crânes – et percer quelques fenêtres dans l’âme – pour découvrir l’immense étendue blanche…
Le monde comme oubli – la meilleure façon de purifier l’âme – le sang – et la main dans son désir de geste…
Le temps particulier de la chute – l’instant où la tête touche le sol – et se réclame de lui. Dans cette alliance étrange qui ouvre le regard – comme un brusque dévoilement…
Pas de lutte (véritable) – la soumission aux forces en présence – l’obéissance inconditionnelle consentie. Comme pris par un courant ascendant – tourbillonnant – dévastateur. L’âme – la main – le sang – gorgés d’ardeur…
Vivre – comme un seul air de fête – une (pauvre) litanie – le petit refrain triste des jours – la monotonie des heures – l’ignorance – l’attente et les malheurs – ce à quoi ne peuvent échapper les vivants…
Nous attendons tous la mort – immobiles – et depuis si longtemps que du lierre grimpe sur notre visage – impassible…
La tête absente – à scruter – infailliblement – ce qui adviendra plus tard – après le règne du monde – sans doute, les forces du pire…
Dire encore – penser moins – être davantage – à la lisière du monde – au-dessus des visages que nous avons oubliés – l’âme et la main fidèles – solides – qui confient la barre au vent – qui s’abandonnent à la dérive et à l’errance – à l’itinéraire que choisiront les Dieux…
De la stupeur devant ces mondes particuliers – plus de vent que de mémoire. Du feu – partout – sur la terre quadrillée par les murs et les territoires…
L’œil – l’angle – qui s’élargit – et l’infime recoin où nous vivons – où nous mourrons – où nous serons, sans doute, enterré – et, avec un peu de chance, dispersé un peu partout pour nourrir les forces nouvelles – les forces naturelles d’un monde nouveau – peut-être…
Debout – comme le réveil du souffle – le vent dans la montagne – la mort sortant de son long sommeil – les vivants en ordre de marche – prêts (enfin) à vivre sans peur – dignement…
Ce qui porte – à travers les âges – la braise et le silence – la seule manière, peut-être, de garder les yeux – l’âme et les bras – ouverts…
La tête trop lourde d’idées – et les pages qui s’affolent – l’encre projetant la boue – quelques taches sur la feuille sacrifiée. La pluie de l’âme, peut-être, qui se déverse – et se répand. Une manière, sans doute, de blanchir le dedans…
Le noir – plus appréciable à mesure que l’on s’enfonce. Gestes de plus en plus lents – ressentis de l’intérieur – cantonnés à l’instant – à son envergure – à sa richesse – à tous ses possibles déployés…
La vie intense – souterraine – qui bat entre les tempes – comme un appel – une fenêtre dans l’épaisseur – un tunnel entre l’ombre et le centre – l’infini…
Tant que le désir de vivre battra en nous – tant que le souffle sera rauque (et extérieur) et le sang insuffisamment intrépide – tant que les yeux n’inverseront pas la perspective – l’intérieur demeurera inconnu – et le temps ne cessera de dessiner la mort sur notre visage…
Sur la même piste – celle qui s’enfonce – vers ce lieu dont on ne revient pas…
L’échelle décroissante des ombres – avec la lumière – au fil des pas – qui se rapproche…
Le monde qui cesse d’être un festin pour devenir une fête – puis, peu à peu, autre chose – le début du silence, peut-être…
Aux confins de la lutte et du silence – au carrefour de l’âme et des choses – là où la rouille et la fatigue n’ont plus d’importance…
Comme une onde – de l’étendue vers soi – au-dedans – de l’immensité vers le centre apparent – l’incarnation de l’infini – l’espace respirant…
De la chair grise – devenue transparente – au faîte du corps – l’humus transcendé – le monde qui se rapproche, peu à peu, du silence – de la vérité…
Ce que le jour – progressivement – éclaire – et qui s’avère vide – de l’invisible recouvert d’un peu de terre…
Du sable dans la tête – que les tempêtes font virevolter…
En définitive – tout s’ouvre – ou s’écarte – pour laisser passer l’Amour…
La nudité de l’âme – du monde – comme les seuls rivages possibles. L’extension de l’origine. Les racines qui se propagent – qui deviennent troncs – branches – lianes – qui investissent les têtes – la terre. La plus vieille science de l’univers – l’alliance – presque secrète – du silence et de la matière…
Dans la convergence – se prolonge le feu – l’âme devient verticale – sous la voûte – la mort et le soleil – côte à côte – dans une lutte apparente – théâtrale – reléguant le hasard à une (pitoyable) invention – au même titre que le temps – fruits maudits de l’ignorance…
Juste des têtes qui roulent – du sang – de la neige sombre – souillée – et des bouches – grandes ouvertes – qui se pressent et réclament…
Le monde – les hommes et les bêtes qui pataugent ensemble – dans la boue – dans la terre devenue marécage – les échines collées – la chair indissociable – soumise à une forme terrifiante (et inévitable) de cannibalisme mystérieux – quasi cosmique…
Les lignes horizontales du monde croisant les traits verticaux de la mort. Et à l’intersection – les pierres et les vivants – la matière enchevêtrée…
La faune – la roche – la neige – tous les passagers terrestres – tous les corps – toutes les têtes – plongés dans le magma froid et l’ignorance – avec du feu à la place du sang…
Au-dedans de la première tête – celle qui est née avant les autres – du temps d’avant le temps – à l’époque des forêts primordiales où les bêtes et la terre se confondaient – où il n’y avait de visage – avant l’invention du froid et de la mort – à l’époque où les âmes avaient la primauté sur la matière – à l’époque où ne régnaient que les yeux – le regard – l’essentiel…
Présence pleine qui, au fil des siècles – des millénaires – s’est restreinte – et devenue aujourd’hui presque inexistante…
Le rire face à l’épreuve de la mort – de la perte – de l’absence. L’accueil des larmes – les frémissements de l’âme. L’autorisation de la tristesse. Le temps du deuil nécessaire. La possibilité du rite – du langage et du dialogue post-mortem. Exactement la même latitude que celle qui présidait à notre relation lorsque ceux que l’on aimait vivaient à nos côtés…
Des gestes – une parole – comme au premier jour du monde. Libre de ce prisonnier que nous fûmes autrefois (il y a longtemps) – en un instant – comme une flèche vive – décochée des plus lointaines retraites de l’âme – jaillissant du cœur vers les têtes alentour – les embrochant, une à une, dans un itinéraire précis – parfait…
La spontanéité à l’œuvre…
Effacé – au fil des passages – de moins en moins – sur le chemin – quelque chose entre le visage et l’absence – une forme à la fois de mort et de lumière. Le destin léger et dense de la matière habitée…
On se jette dans la vie comme dans la mort – l’âme et la tête en avant – sans filet – au-dessus du froid et de la faim – avec l’aval précieux du plus lointain silence – celui qui nous a façonné – depuis si longtemps – une intériorité irréprochable – affranchie du doute et de la peur…
La paume ouverte – l’âme prête à recevoir l’offrande d’un autre ciel…
Proche de la jetée qui surplombe l’abîme – encerclé par l’infini…
Comme un saut dans les flammes – au milieu de l’océan…
Ce qui meurt – ce que l’on oublie – ce que la nuit matérielle entasse et ensevelit – le silence – nos profondeurs inexplorées…
Le monde au-dedans de la conscience…
Quelques signes sur le sable – esquissés dans la joie – la seule chose qui compte face à la poussière – face au provisoire des choses…
Un monde sans autre souffle que celui de la nécessité – avec le rêve comme matière – comme perspective – indispensables…
De grands rites dans l’âme – sur la table – des croyances – des possessions – des stratagèmes…
La volonté apotropaïque – comme si nous pouvions échapper à nos démons…
Un sourire comme le prolongement de nos mains suppliantes…
Le jeu – parfois perfide – de l’âme face au monde…
L’enveloppe sombre – malgré la lumière (débutante) – le premier élan du soleil dans le gouffre – le feu et le regard nettoyé…
La surface conserve sa teinte jusqu’à la dernière heure nocturne. Après – on ne sait pas – la tête est, sans doute, trop loin pour accorder la moindre importance aux couleurs. Le monde tel qu’il est – quelles que soient les apparences – les querelles et les figures présentes…
Le destin aussi malheureux que le monde – ni tête – ni âme – le cœur enfermé – et le corps en enfer. Pas l’ombre d’une lumière entre la terre et les étoiles – le noir qui persiste sur tous les seuils…
Les yeux clos ou bandés – les faces ternes – encerclées – des vies – à peine – encastrées – fébriles – réduites à s’apitoyer et à gesticuler entre leurs murs…
La tête impassible devant l’injustice – avec sur les mains quelques traces de sang (mal effacées) – le cœur placide – la figure rouge et silencieuse – à vivre sans la moindre culpabilité – les yeux presque rieurs…
Rien qu’un éclat – un bref regard sous l’orage – métallique d’abord – puis rubescent – jusqu’à l’incandescence. Le cœur en flammes – l’âme lumineuse – le corps comme du bois – comme les gestes – consumé. La braise impérissable au fond de la chair – cette matière tendre du monde qui, partout, cherche l’étreinte et le silence…
Une terre d’images et de paraître que le regard – en un instant – immole – désagrège – pour destituer l’ordre et le rêve et leur substituer la sauvagerie et le réel – la liberté naturelle du monde…
Quelques rives à franchir avant la mort pour découvrir son versant inconnu – ce visage que les hommes cherchent en explorant la terre – le monde – l’espace – la matière – tous ces lieux où la mort se présente sous ses masques les plus funestes – les plus trompeurs…
Des oiseaux plein la tête – des fleurs sous les bras – l’âme parfumée portée par des ailes jusqu’au faîte du monde – là où les cris ne sont plus que des chants – là où la joie enlace la souffrance – là où il n’y a plus ni homme – ni arbre – ni pierre – ni bête – que des visages – un long chapelet de visages – ravis d’être ensemble – reliés par l’invisible – heureux de leurs différences apparentes…
Dans les coulisses du temps – une mécanique artificielle à démonter. Hormis cette image – rien – une ossature de vent sur laquelle glissent toutes les paroles – toutes les tentatives d’explication…
Le souffle qui s’avance pour balayer l’étrangeté et l’extravagance – les ramener au seuil de la plus grande simplicité – quelques robes à déchirer – des masques et des parures à jeter au feu – une manière de se rapprocher de l’innocence – de la nudité – du vide le moins embarrassé…
Ce qui s’enflamme avec la voix qui s’élève – la parole – la lumière que les Dieux ont déposée sur notre langue – si loin des mots noirs – des mots rudes – d’autrefois – même si persiste une ardeur un peu sombre…
Des saisons – en nous – qui s’enfantent. Des signes délivrés – des nuits – par milliers – qui se chevauchent puis s’effacent. La densité et le recul – renouvelés. Comme un étrange chemin dans la chevelure des Dieux. Des gestes illuminés – libérés de la chair. L’effleurement des lois qui président à l’au-delà de l’incarnation. Le feu et la foudre – sans un cri. Sur les hauteurs de l’ancien monde – au seuil, peut-être, de l’ultime…
Et tout – soudain – qui redevient sable – sable et poussière – comme un rêve avorté d’exil et de libération…
La seule vérité de l’instant – sans doute…
L’âme et le monde – tels qu’ils sont…
L’éternelle rengaine – les mille élans et l’impossibilité du changement volontaire…
Ce que touchent nos mains – de la poussière et de la cendre – rien qui ne mérite d’être saisi. Mieux vaudrait garder les paumes vides – ouvertes – innocentes…
Rien qu’un récif contre tous les assauts – cette posture – ce langage – effrayants – vue de loin – entendu par mégarde – comme un front de feu qui veille sur les marges et les confins – les terres inexplorées – et que l’on voit enflammer l’horizon – et qui, sans en avoir l’air, trouble la torpeur des yeux et les âmes assoupis…
Des gestes de dernière instance – pas le moins du monde solennels – simples et naturels – totalement spontanés – comme initiateurs d’un passage – celui de la lumière – du dedans vers l’extérieur – annonciateurs du vide à venir…
De la faim – comme la terre – mais convertie en grâce – comme un cri qui prendrait des allures de chant – comme une bête avec l’infini au fond du regard – quelque chose d’indéfinissable – d’imprécis – de trop subjectif peut-être…
Le plus désirable du monde – sans doute – avec la main de l’aube sur l’épaule – en guise d’alliance – en guise d’amitié…
Du silence – au nom d’une blancheur trop secrète – invisible – indécelable tant que les yeux ne seront pas ouverts. Comme un antre mystérieux au cœur du monde – au milieu de la nuit…
Des jours de plus en plus favorables – un destin qui s’affine. L’éradication, peu à peu, de la peur et de la cécité. L’ignorance et le froid qui se consument à mesure qu’avance vers nous – en nous – la lumière…
Le monde devant nous – à geindre – à ramper dans la souillure – les mains en avant – en prière – mendiantes (presque toujours) – à patauger dans les larmes et la boue – à maudire le ciel – la terre – leurs mystères. Le verbe haut – tranchant – insuffisamment pour percer l’opacité des images – superposées en couches successives – et découvrir derrière la pluie – derrière la grisaille des jours – les chemins du vent vers l’invisible…
L’écume du monde – ses bulles de rien – dans la vie des hommes – sur leurs lèvres fébriles – impatientes de raconter leurs aventures dérisoires…
De l’air – partout – jusque dans le sang et la parole – jusque dans l’âme et la tête – si peu conscients d’exister – sans (véritable) gratitude – animés seulement par la faim et la volonté d’atténuer la peur – d’agrémenter la misère et l’indigence de vivre…
Face contre le vent – à affronter mille bourrasques alors qu’il suffirait de se retourner et de s’abandonner aux forces en présence – de laisser les courants invisibles guider nos pas – notre danse – le jeu léger de l’âme libre et vivante – heureuse des jours qui dessinent, avec justesse, l’itinéraire…
Des mots criants – parfois – à force de silence et d’incompréhension – qui pourraient renverser le sentiment de finitude – l’irrespect des visages pour l’Autre – pour le monde – pour la vie si ingrate à leurs yeux – dévoiler les arcanes de la matière – la profondeur possible du regard – l’immensité qui s’étend partout – l’absence de frontière entre les êtres et les choses – le feu indissociable du froid – la complémentarité de la nuit et de la lumière – ce que nous sommes – au-delà de la surface et des apparences – l’ardeur et le vide – de fond en comble – et éternellement (bien sûr)…
Yeux au front – dans le vent – à scruter la moindre bataille – la moindre querelle – la moindre souillure – de l’herbe au ciel – sur ce fil parallèle aux plus hautes crêtes du monde…
Debout – la tête appuyée sur l’invisible – entre deux fragments de matière – la bouche prête à s’ouvrir – la main prête à s’abattre – pour que règnent, partout, le plus naturel et la mort – dans la droite ligne des Dieux – sous les invectives grossières et l’incompréhension des hommes (ignorants)…
Comme une île au-dedans de soi – où l’âme s’est réfugiée – près du feu qui a enfanté le monde – et qui l’anime depuis toujours – tous les vents – tous les royaumes – les chemins de l’orgueil et de la cendre – et les forces invisibles qui, parfois, se transforment en gigantesque bûcher…
De la nuit – un peu de nuit – coincée au fond du cœur – dans les veines et le sang – ce que l’absence dispense et honore – le pire du vivant – la périphérie de l’enfer – dans ce cercle qui enserre et étouffe – et qui sème, partout, la mort – et le froid qui recouvre nos épaules…
La voix défaite face à l’orage – et le silence à la place – comme un brusque étourdissement de l’âme aux prises avec tant de luttes inutiles – l’embourbement et le ressassement de la même parole – de la même incompréhension – le couronnement de l’être au détriment de la mort – enfoncée – fatalement enfoncée – dans le quotidien le plus ordinaire et les gestes triviaux nécessaires à la survie (provisoire) du corps…
Mots sans âme – mots sans geste – comme amputés – sans portée – inconséquents – hors du cercle – inutiles – comme le prolongement de l’absence. Comme une flamme – creuse – terne – sans air – produite et entourée par un néant fatal…
Des oiseaux et de la neige dans notre folie. Des ailes et du blanc à cœur découvert. Rien face à la nuit – quelques âmes sur la pierre. Et nos yeux – à leur place coutumière – assis non loin des arbres – en retrait – au milieu de la solitude – ouverts – attentifs – hors de portée de la chair affamée et des têtes avides qui passent – en grognant – le poing levé – le bras prêt à s’abattre sur la première proie qui passe…
A la veille – toujours – de la plus belle aurore – comme si nous ne pouvions faire naître l’aube ici – à cet instant même…
Le même destin partagé – entre le feu et l’immobilité – entre la sagesse et la folie – l’ombre éventrée par la lumière – et la clarté dessinée par la pénombre. Une terre de sang et de secrets – des gestes et des lampes pour façonner mille agréments – formes à peine avouables de consolation face à la rudesse – face à la rugosité – de vivre – du monde…
La prétention et l’aveuglement lavés à grande eau. Les yeux et la psyché nettoyés – et irrigués, à présent, par du sang neuf – purifié – porteur de lumière et de vent – avec dans l’âme – l’humilité ultime – sans même un habit – sans même une bannière – perdue – anonyme – parmi la masse orgueilleuse…
Comme du feu revitalisé au-dedans d’une vieille souche – comme un regain – le sursaut postérieur à la mort (apparente)…
La manifestation évidente de l’invisible dans le monde des apparences – le mystère à l’œuvre au milieu des images – au milieu de l’illusion…
De la nuit – une masse informe sur notre visage – qui dégouline – et s’insère au-dedans. Le gris qui nous submerge – qui nous engloutit. Au bord de la noyade – l’âme et le feu malmenés – martyrisés – pris entre la volonté de résistance et la fuite…
Du vent – du sang – du ciel – et la lumière qui nous pénètre – qui retrouve la place que la tête occupait…
Des gestes – une présence – des pas légers – rien qui ne s’impose – rien qui ne piétine…
Rien qui ne puisse renverser la mort – interrompre son règne (si nécessaire) – mais une âme prête à naviguer sur des eaux inconnues – à aller au-delà des rives visibles. Mûre, sans doute, pour le voyage – et, peut-être, pour la sagesse…
Du bleu – comme au premier jour – après des siècles de terreur et d’embrasements inutiles – des seuils franchis en vain – du sang versé et du labeur acharné…
La terre la plus venteuse où les souffles, à chaque instant, chassent la nuit – ses velléités invasives – où la parole vive – brûlante – martelée – transforme le sable et la pierre en marbre – en socle propice – souriant – sur lequel peuvent (enfin) cohabiter les fleurs, les arbres et les visages – la terre, peut-être, d’un monde nouveau…
Le lieu de la parole et du désert – le sol chancelant et silencieux – plus réel que la pierre et le ciel abstrait – inventé – métaphorique – plus accessible que les portes allégoriques. Des nuages moins consistants que la brume épaisse au-dedans des têtes. La lumière promise sur le petit carré blanc de la page – comme un soleil vif sur l’âme et la chair – la possibilité d’une appartenance et d’une reconnaissance réciproque…
Du bruit – de l’air brassé – ce qui semble, sans cesse, se réinventer. Ce avec quoi on emplit son âme – sa vie – le monde…
Du décor et de la décoration – rien d’essentiel – rien de consistant…
De la nuit et du vent – la substance de l’esprit – de tant de contenus et d’échanges entre les vivants…
En ce lieu que le monde et les Dieux (nous) ont choisi – un pied au-dedans de la faille – un autre au-dessus de l’abîme. Le regard franc – droit – direct – et cet éclat singulier au fond des yeux. Un feu opiniâtre qui cherche l’Absolu…
L’âme qui se livre – la main en attente de gestes nécessaires. Tout qui s’interpénètre malgré la froideur du monde et des visages – comme dépossédés de leur centre…
Le silence – au sommet de nous-même – au-dessus du sang – au-dessus de la tête. Et les ombres alentour dévalant leur pente rocailleuse…
Le désert et la solitude – au plus proche. L’être et l’aube – main dans la main – sur les plus hautes crêtes du monde. Les obstacles jetés au fond de l’abîme – les vitres pulvérisées – et les lèvres – et la joue – offertes – pour recevoir le premier baiser de l’innocence – les premières caresses du jour…
L’accueil et l’étreinte pour échapper à l’absence et à la mort – à l’idée (toujours séduisante) de l’Autre – de mille Autres. Plutôt le silence recueilli que la folle espérance d’un sourire – d’un partage – d’une caresse. Les deux pieds sur la pierre – face au monde – face au ciel et à l’océan – face à ce qui vient – à ce qui surgit en – et devant – soi plutôt que la certitude – plutôt que les petites lampes du monde – plutôt que la négligence et l’oubli…
A deux doigts de ce qui simplifie – de ce qui embellit – de plus en plus loin des rives habitées par les hommes…
Fardeau du ciel sur l’épaule – nous allons ainsi sous la lumière indifférente des étoiles – dans la poussière de trop étroits chemins…
A demi lâche – à demi-guerrier – selon les circonstances et les appuis – et, plus que tout, selon l’état de l’âme à l’instant du choix (de ce qui s’impose) entre la fuite et la saisie des armes…
De la sueur – la semence du labeur – sur le front – sur la peau – de l’homme qui s’épuise à la tâche. L’âme humiliée – asservie – les pieds et les poings liés aux nécessités de la subsistance – sous le règne écrasant de l’organique…
De la cendre sur le visage – comme un masque – celui des ténèbres sans espérance – sans guérison possible – l’ombre accrochée à toutes les faces – l’existence souterraine…
Ni vent – ni soleil. Le pas suivant – le jour suivant aux allures de nuit – comme seule issue – comme seule possibilité…
Le souffle trop faible pour pousser un cri – fomenter une révolte – juste de quoi respirer – et reprendre haleine pour poursuivre sa besogne – obstinément…
Bandeau sur les yeux – à mordre la lune pour se donner un peu de courage – assouplir les liens qui nous enserrent – qui nous attachent – qui nous emprisonnent – et la terre qui éponge la sueur que déversent nos efforts et nos pas…
Quelques mètres – à peine – qui nous séparent de la sortie des cavernes. Des rochers aux tours de béton – guère plus qu’une longue foulée – la même faim – la même chair – au fond du ventre – et les mêmes larmes – l’impuissance et l’incompréhension identiques – la vie et le monde – les mêmes énigmes – le même mystère véhiculé dans la langue (toujours inaccessible) des Dieux…
De l’or déposé en nous – enfoui – secrètement – on ne sait où…
Le voyage – toujours le même – à travers une infinité de chemins – pour dénicher le trésor – la marche sans pas – sans réel péril – mille manières de traverser la tentation des hauteurs – pour s’enfoncer au-dedans de la chair – pour découvrir l’insaisissable…
La fumée céleste sur les sommets – reflet de notre déracinement – de notre inconsistance. Les racines inversées – sans socle – sans attache – la liberté d’être – du voyage – entre terre et ciel – sur les eaux vives – chargées de tous les possibles…
Toute la terre que l’on charrie – que l’on amasse – pour se construire – et dont il faut, un jour, se débarrasser pour retrouver le ciel léger – notre identité sans poids – sans appartenance…
Rien qu’un trajet – un seul – jusqu’au centre – jusqu’au plus vivant…
Une surface lisse – blanche – sans dédale – aux profondeurs envoûtantes et lumineuses…
Au milieu du vent – sans le moindre signe de soumission – le sang comme la seule marque du vivant – la seule preuve de notre appartenance à la terre. Le regard clair – autant que l’âme enjouée – discrète. Et dans le cœur – retranché – secret – le mystère désossé – décortiqué – et la sensibilité vive – intense – (quasi) permanente…
Et l’eau qui ruisselle – et l’eau qui emporte. Rien qui ne reste – rien qui ne puisse rester…
Tout – nous – en nous – comme une outre ouverte – éventrée – à travers laquelle passe le monde – une flaque qui s’étend – puis, une étendue où se reflètent la lune mystérieuse – l’or des étoiles affranchies du rêve des hommes – les yeux du temps purifiés – libérés des siècles – la possibilité balbutiante d’une nouvelle civilisation – peut-être…