Carnet n°205 Notes journalières
Une manière d’être présent au-dedans de soi – un abri – une forteresse – quelque chose d’involontaire – le plus grand soin à vivre…
Rien de construit – rien d’érigé – ce qui enveloppe la force – les yeux – le monde – tout ce qui vit penché – incomplet – maladroit – tout ce qui a été engendré…
Nous – autour – dans ce qui s’éteint – dans ce qui s’efface – près du ciel – au-dedans de la terre – et dans ce qui bat aussi – quelque chose qui ressemble à un cœur mais plus vaste – plus lumineux – indestructible et silencieux – livrant, à chaque seconde, une autre manière de vivre le temps – une autre forme d’éternité peut-être…
Hors de tout – et l’on serait encore au-dedans – au cœur même de l’esprit – dans la poitrine vivante du monde…
Des yeux attentifs – des mains sans mémoire – une tête lisse – presque transparente – où le vide se lit sur le visage. Quelque chose qui tremble encore devant les malheurs – enveloppé par cette boue épaisse que les années ont déposée sur la peau – sur l’âme – et qui s’est infiltrée partout à l’intérieur…
Un corps nu encerclé par de hauts murs – ce qu’il faut de folie pour être au monde et essayer de sourire devant les malheurs. Un labyrinthe de chair, de mots et de béton. La violence des Autres ajoutée à la sienne. Le vent et l’intensité de l’instant. L’œil qui abolit la séparation – les frontières – ce qui entravait l’ensemble du territoire et la libre circulation. Le désavantage des vivants sur les pierres face à la nécessité du silence…
Tout est là – puis, tout disparaît – s’enterre – quelque part au fond de l’esprit – l’individualité – la peur – ce qui tremble face au monde – ce qui crie et désespère face à la mort – ce qui n’accepte rien – ce qui erre depuis le début du monde malgré l’invention des Dieux, des temples et des prières. Et ça ressurgit comme ça – à l’occasion d’un souvenir qui remonte – et avec lui – tous les objets – tous les visages – enfouis en dessous…
Sinon – rien – la vacuité et le silence – réels – profonds – au même titre que ce qui reste dans la mémoire ; le temps – la vie – la mort – la tristesse – le chagrin – le désespoir – aussi vivants – aussi palpables – que la joie – le vide – le plus rien – le regard sans épaisseur – sans aspérité – sensible – touché, à chaque fois, au cœur…
Il n’y a d’ailleurs – ni d’autrement – seulement ce qui est là. Le reste n’est que fantasme – imaginaire – délire – mondes parallèles…
Malgré l’immobilité apparente – ça remue à l’intérieur – ça vibre – ça saute – ça court dans tous les sens tant l’inconfort est grand ; ça cherche – seulement – un peu de paix…
Une tension maladroite – involontaire – que chacun refuse – et qui, elle aussi, cherche un abri – un accueil – un peu d’Amour et d’attention…
Veiller à ce que rien – en soi – ne se sente étranger – rejeté – mal accueilli. Puis, de soi au monde – il n’y a qu’un pas – qu’une perspective – une simple question d’envergure…
Il y a, parfois, cette violence dans l’âme que l’œil, la main et les lèvres reflètent involontairement…
Une continuité de la tension – qui, comme chaque chose de ce monde, cherche à s’étendre – à se répandre – à s’imposer face au reste…
Tout se déverse comme si nous étions une outre. Tout se répand comme si nous étions un espace immense – un désert…
Tout est – et personne pour le voir…
Il y a – en nous – trop d’absence – de prétention – et mille caisses de représentations inutiles…
Un feu – de part en part – et qui brûle jusqu’aux pierres – jusqu’à notre air affairé. La grande liberté du vent qui s’engouffre et cisaille – comme une main habile qui racle le fond – écorche les parois – et déblaye jusqu’aux plus tenaces imprégnations…
Un brasier de lumière – du sol jusqu’au fond de la poitrine…
Accueillir jusqu’à l’insuffisance du jour – et nos refus coutumiers. Être cette blancheur que l’on voit dans l’air certains matins d’hiver – cette main lisse qui s’offre à ce qui s’avance. Notre plus précieux labeur…
Tout nous envahit pour peu que nous laissions faire – la vie – le monde – les Autres – le corps – la psyché. Et tout même s’enhardit lorsque notre attention manque d’ardeur. Il faut se tenir débout – et vigilant – jusque dans le sommeil ; ne jamais laisser – la vie – le monde – les Autres – le corps – la psyché – manger sur notre tête. Aimable, oui – accueillant, bien sûr – jusqu’à l’impitoyable coup de balai…
Ce qui se ramasse – parfois – dans le prolongement de la chute ; quelques restes de soi – et quelques restes des Autres passés avant nous…
Ce qui prend possession de la tête – puis, de l’âme – puis, du corps – ce qui se retourne sans effort – identique quelle que soit la face exposée…
On s’abandonne aux remous internes – aux orbites coutumières – aux sens donnés par les yeux. On tourne en rond – de travers – mais le regard est fixe – non concerné par les mouvements ; ça s’agite – comme à l’accoutumée – mais on reste – quelque chose en nous reste – tranquille…
Ce que nous sommes – ce qu’il reste de l’âme – un jour sans soleil – mille saisons sans un seul sourire…
Et l’on pourrait dériver – ainsi – pour l’éternité – soumis à tous les possibles – nous serions encore à l’abri au-dedans…
Ce qui passe – le regard le déchire…
Il n’existe aucun lieu pour l’abondance et la certitude…
Tout ce qui arrive est embrassé et, aussitôt, évacué… Ne subsiste pas même une odeur – pas même un parfum…
Tout s’enfonce au-dedans – et tombe par petits bouts – par lambeaux – au fond de l’esprit – absorbé par le tourbillon de l’immensité qui projette, ici et là, sur les vivants – sur le monde – sur ce qui reste – des fragments de choses et de visages – des bribes d’images et de pensées…
Les mots coulent – s’écoulent – tirent leur source de la même origine que le monde – que les ombres – que tout ce qui existe sous la lumière…
Des routes par lesquelles viennent le jour – le souffle – le soleil. La fraîcheur qui inonde le front – la lumière qui envahit l’esprit ; ce que l’espérance et la prière ne pourront jamais offrir…
Une forme d’exil – du dedans. Et le peu qu’il reste pour surprendre les yeux étrangers – indifférents. A peine une existence – une tentative perpétuelle de séduction – une manière maladroite de combler ce qui manque par l’intermédiaire des Autres…
Tous à mendier le même Amour en jouant, un à un (et parfois ensemble), ses meilleurs atouts…
L’esprit et l’énergie emmêlés – sans temps mort. De la violence et de la tendresse…
Et l’œil comme une lisière – incapable de percevoir l’infini…
Tout – pourtant – va – et vient de – plus loin – bien au-delà des frontières imposées par les sens et la psyché. Et c’est dans ce lointain que se nouent les plus invraisemblables – les plus merveilleuses –les plus fidèles – alliances…
Tout demeure vivant – ainsi – soutenu depuis les hauteurs – autant, sans doute, que depuis l’intérieur ; la même cohérence – la même nécessité – qui, comme une pince, maintient les formes et leur trajectoire – par le haut et le dedans…
Tout prend la route – tout finit, un jour, par prendre la route…
Pourtant – nul ne part – et rien ne disparaît – seul le souffle s’éteint. Et cette interruption nous terrifie ; le sol attaché à l’air – puis arraché à l’air – dépendant et fragile. Et sous le front – cette crainte de l’étouffement…
Et autour – tout ce qui concourt à l’asphyxie…
Le vent – ce qui maintient l’espoir d’une autre vie – d’une renaissance possible – comme une graine emportée ailleurs. L’élan d’après la mort…
Ce qui se joue – pour chacun – à chaque instant – dans cet intervalle entre l’expir et l’inspir – une parenthèse hors de la respiration – quelque chose qui n’appartient ni à l’air, ni à la terre – une autre matière – autrement – ailleurs – divin peut-être – céleste sûrement. L’être possible dans la non-vie – hors du vivant – sans l’air, ni le souffle…
A hauteur de soleil – la mort – le vent dans notre poitrine – le souffle des Dieux – tout ce qui touche, de près ou de loin, à l’infini…
Toute chose, en définitive…
Tout – dans cette couleur semblable au miroir – rouge – bariolé – et ce reflet métallique – comme une lame furtive tenue par une main agile. Et ce trou au-dedans de chaque chose où perce – presque toujours – le bleu…
Visage sans pourtour – la chair sans âme – des mains portées plus loin – devant soi. La voix d’hier – la vallée triste des souvenirs…
Tout qui s’entremêle – qui colle à l’esprit et aux lignes…
La brusquerie des orages. Le froid qui se propage – qui nous entoure – qui nous encercle – qui nous pénètre. Et ce corps – et cette âme – dans la neige – immobiles – qui auront vécu le possible – à peine – sur le bout des lèvres…
Rien ne peut nous arriver – tout peut nous arriver. En vérité – nous sommes déjà perdus – presque morts – et, sans doute (depuis toujours), éternels…
Où que l’on soit – à demeure…
Quoi que l’on fasse – au centre…
Ni espoir, ni imaginaire…
A la même place quels que soient le voyage et la destination…
La parole pour seul convoi…
Et un seul trajet – vers le jour et la beauté…
Une voie ouverte, bien sûr, par tant d’autres avant nous…
Tout s’oublie – mais – rien – jamais – ne se perd. Au fond de l’esprit – le gouffre des Dieux – où sont jetées toutes les épaisseurs – les lieux – les liens – les corps – les routes – les visages et les aventures – le détail de toutes les expériences – la beauté des âmes – les déserts – les larmes et les jours de joie…
Le souffle comme l’avant-ciel du monde…
Des déchirures, puis, la même faille qui, peu à peu, s’élargit. Le cœur tailladé – secoué – malmené. Et la turbulence des jours avec leur poids de malheurs…
Parfois – tout blesse ce qui – en nous – veille – et attend la blancheur…
Ce que la terre nous offre – ce que la route nous soustrait – et ce qu’il nous reste pour accueillir le ciel…
Rien qu’un peu de silence – et le soir couchant. Dans la proximité des feuilles – l’instant sans lendemain…
Le jour qui, peu à peu, se retire. Le vent sur le visage – et le corps nu – comme un ami…
Dans les bras d’une nuit moins sombre – qui n’a, peut-être, plus grand chose à nous prendre ; nous qui lui avons tant donné autrefois…
On ne surveille rien – on contemple. On ne contemple pas – on est – du moins est-ce notre sentiment…
On se perd encore parfois – les pas sur la route – les mains devant soi – comme si nous cherchions notre chemin – mais nous savons, à présent, que l’existence est un voyage sans destination – un jeu de piste où le seul lieu (habitable) se trouve au-dedans…
Dans les hauteurs du plus lointain désert – là où ne règnent que la solitude et le silence – là où tout est nôtre – jusqu’aux pierres – jusqu’à la blancheur des âmes – jusqu’à nos pauvres balbutiements. Rien d’étranger – tout a le goût de l’infini et le parfum de la lumière…
Ce qui s’avance sur la page en trébuchant – le jour – l’ombre – l’incertitude. Rien sur quoi l’on puisse s’appuyer…
Tout – en nous – à la même enseigne…
Tout semble si haut que nous nous imaginons minuscules…
Tout semble si bas que nous pensons être des géants…
Et ce qui sort de notre bouche – tantôt vérité – tantôt mensonge…
Seul avec les Autres – et ensemble dans la solitude…
On ne peut – décidément – être sûr de rien…
Nous – toujours – entre la montagne et ce haut mur de pierre…
Que la nuit s’efface – que la route nous perde – que le jour devienne la seule patrie – n’y changerait rien ; il y aura toujours une liberté et un chemin qui se dessineront – et mille choses qui nous resteront inconnues…
L’orage – parfois – détruit en un instant ce qui a été patiemment édifié pendant des millénaires. Comme un trou dans le sommeil qui bordait les murs. La nuit alors s’abat pour fendre le rêve – et voilà mille années anéanties en une fraction de seconde…
Et malheureusement nous reconstruisons presque aussitôt ce qui a été jeté à terre – comme si nous ne pouvions vivre qu’entourés de briques et d’illusions…
Après la pluie viendra – peut-être – l’impossible ; en tout cas – l’esprit y veille – et les larmes y contribuent…
Personne d’autre que nous-même(s) – devant – autour – au-dessus – au-dedans…
Celui qui a peur et celui qui a affronté toutes ses peurs…
Le plus profond et la surface des pierres – le ciel et toutes les routes…
Celui qui veille quelles que soient les circonstances…
Celui qui a déjà tout franchi – et qui franchira tout encore – sans qu’il ne nous autorise jamais à le rejoindre…
Ça s’enfonce – en nous – avec les mêmes yeux qui tâtonnent – avec les mêmes mains collées aux parois – avec la même âme et le même air affolés – et avec cette vieille lampe qui a déjà servi à tant de découvertes…
L’attente – le noir – le ciel – quelque chose qui, peu à peu, se révèle…
Nous restons là – quelque part – avec nos courbes et nos sacs de sable noir – et avec cette espérance de voir le temps transformer nos peines et nos tentatives. Mais c’est un mur – en réalité – que nous construisons – haut – épais – de plus en plus infranchissable. On a beau le savoir, nos mains continuent d’œuvrer à l’édifice…
Plus tard – nous aurons la poitrine ouverte – suffisamment pour accueillir nos déboires et anéantir ce que nous aurons bâti…
Il sera temps alors – notre labeur achevé – de franchir les ultimes frontières…
Ce que le front retranche – ce qu’il soustrait à l’illusion – à la prétention – est un présent inestimable qu’il offre à l’âme – au monde – à l’âme de tous les Autres…
Entre l’attente et la veille – quelque chose s’élargit – un interstice – un intervalle – une faille que le silence remplit d’air pur – une forme de souffle nouveau – un élan de plus en plus apte à vivre l’inconnu et l’incertitude – et la joie de ne plus rien savoir…
Etrangers – inconnus – nous-mêmes comme ces autres que nous ignorons…
Tout – dans la lumière – en désordre – et nous aussi – quelque part…
Aussi vivant que possible…
La vie n’est qu’une pente – un circuit…
Être est autre chose – l’infini sensible – immobile – à la fois dans – et hors de – l’itinéraire – ces folles trajectoires empruntées par les vivants…
La pierre où nous aurons vécu sera celle où le corps – à sa mort – sera déposé…
Du vide – de l’air – de la terre – à peu près la même chose qu’en vivant – le feu en moins, bien sûr (ou alors différemment)…
Et personne – ni avant – ni après – exactement la même solitude…
La densité de l’expérience écrasée par l’indifférence du regard à l’égard du vécu – des états ; simples contenus – simples colorations – du vide…
Comme une main qui balaierait, d’un seul geste, tous ces remplissages – tous ces coloriages…
Chaque jour – un autre lieu – le même destin – éparpillé – qui se resserre et se dilate au-dedans – qui effleure le monde et emplit la main qui en dépose quelques grains (une infime partie) sur la page…
De temps à autre – un rire – presque chaque soir à se parler – l’homme et ses visages – l’infini et ses fenêtres – et ce que la mémoire porte en elle de nostalgie (inutile). Une âme sans tête serait plus confortable. Un esprit sans corps – puis, plus même la moindre entité – le vide intégral…
Ah ! Que nous nous agitons pour tenter d’apaiser – en nous – ce feu qui brûle ; de l’air brassé qui l’alimente davantage alors qu’il suffirait d’un couvercle – et d’une main ferme – pour étouffer les flammes…
Mais – en vérité – l’éradiquer serait impossible – une entreprise totalement vaine – et un geste malsain car voilà la seule chose que nous ayons – ce grand feu dans l’âme…
Un regard et de hautes flammes au-dedans…
Une présence et une chaleur…
Comme un soleil intérieur qui éclaire et réchauffe – et qui impose que l’on y plonge – tout entier – pour qu’il puisse nous habiter pleinement…
Parfois le dédale – d’autres fois, l’horizon – en réalité – le même espace qu’habille la psyché…
Le vent – la pierre – le visage. Ce que nous offre la terre. Et ce que nous lui dérobons. Et – en soi – le vide et le feu – ce avec quoi le monde s’est construit…
Il y a ce mur – et cette main tendue par-dessus. On ne sait si elle le bâtit ou le détruit – sans doute, un peu les deux…
Nous n’avons d’autre manière d’être vivant…
Ce qui dure – ce qui s’efface – le mouvement et l’immobilité – d’une façon ou d’une autre, on s’y heurte…
Nous sommes parés de trop de masques – pour voir – comprendre – et passer sans heurt. C’est à ces filtres-armures que nous nous cognons…
Le réel est beaucoup plus simple – et bien moins délétère – que nous ne l’imaginons…
On jaillit d’un mystère, puis on y retourne. Entre les deux, on sème un peu de pagaille et quelques malheurs…
Beaucoup de trivialité(s) et d’évidence(s) vécues et exprimées…
Mille fois nous nous éteindrons avant de pouvoir réhabiter le soleil…
Quelque chose boite – en nous – qui fait un drôle de bruit ; à chaque pas – le grelot du doute et de l’ignorance…
Tout en éclats – parfois – comme sous le coup de la colère – un miroir brisé – le réel en fragments…
Toutes ces ombres sur la route devant nous – sont-elles les nôtres ou celles de nos prédécesseurs qui traînent un peu…
Tout nous entoure – la sécheresse et le flamboiement…
Et tout – dans un instant – s’effacera…
Le temps et la mort sont des angles trompeurs ; ils nous voilent le plus simple – l’évidence…
L’Autre n’existe pas – il n’y a que des ombres et un peu de lumière…
De longues années à ne rencontrer personne – des corps – de la matière où étouffe l’esprit…
De grands arbres à qui nous avons confié nos espérances, puis, notre désarroi…
Et quelques pages pour détailler nos impressions…
Rien d’important – en somme ; quelques niaiseries qui – comme le reste – rejoindront bientôt la poussière…
Tout n’est que route et chute – extinction et blancheur – renouveau et blancheur. Partout – le soleil et le passage du vent – l’âme atone et le ciel qui la devance…
Il y a nous tous au fond de l’air – et le même air au fond de chacun – et le même ciel pour chacun – et autant de chemins et d’horizons que de visages…
Une pente – et rien que des mains tendues vers nous – une farandole de sourires du bas jusqu’au sommet – et le feu qui brûle dans l’âme qui nous donne l’allant nécessaire pour l’ascension et la chute…
Malgré la pluralité des mondes, il n’y a d’autre terre que celle que foulent nos pieds…
Des figures de glaise – silhouettes furtives qui longent l’ombre des murs…
Parfois – le feu nous fait chuter – non – pas le feu – la précipitation née d’un excès de feu…
Des heures – des jours – des mois – comme du sable qui file entre les doigts. Et cet instant comme une main ouverte – une paume offerte – un baiser furtif – la persistance de l’éternité…
Poussière que la terre amasse – que la terre balaye – que la terre remplace…
Il y a des âmes plus épaisses que le monde – des esprits saturés de mots et d’idées – des corps alourdis par la chair – de la matière comme des tas de débris assemblés – et, plus loin, le gris du monde – et plus haut, tout ce bleu qui n’en finira jamais…
Chaque mot est vide – et, pourtant, il y a le monde entier au-dedans. De la poussière et de l’infini – comme nous tous qui ne sommes (presque) rien…
Le souffle – l’eau – la terre. Ce qui surgit des profondeurs. Le monde non comme un champ mais comme une aile née des temps anciens où nous n’étions que feu et boue – bouche éructante – faille déchirée – d’un autre registre qu’aujourd’hui…
De ce monde dont il ne reste rien – pas grand-chose – un mythe – un œil inconnu – un horizon lointain – une crête que quelques-uns effleurent parfois – et un chapelet de paroles qui nous invitent à chercher le chemin de l’origine…
Une profondeur noirâtre – le territoire des hommes – verticale des abysses sous l’apparence d’une stricte horizontalité…
Des terres brûlées – de la matière froide – des amas de chair putréfiée…
Voyage dans les eaux brunes – fange – boue – marécage ; la main qui plonge dans le bas-ventre du monde…
La lumière blafarde d’une chambre d’aliéné – les murs blancs maculés d’excréments et de graffitis. Ce qui sort du ventre et de l’esprit sauvages. La main chapardeuse – le cœur aride – et ce corps lourd attaché à la terre – l’âme moribonde – inapte à vivre en terre hostile…
L’humanité triste et étriquée. Tous les rêves d’immensité piétinés. Rien qui ne soit à notre portée. L’enlisement – seulement – dans la nuit noire et froide du monde…
Rien qui ne soit attaché au regard – la même absence – ce qu’offre – seulement – la solitude…
Le silence sans mémoire…
Un monde sans rêve peuplé d’arbres et de pierres…
Ce qui se tient debout dans l’âme – dans la joie – là où puisent les sentiments – là où s’enracinent toutes les histoires du monde…
La partie la moins étroite du cœur – ce qui vibre avec ce qui le touche – la seule espérance de l’homme…
Ce qui se tient au plus près de soi – au-dedans même du souffle – au-dedans même du plus grand silence. Ce qui prouve que nous sommes autre chose – bien davantage – que du vivant ; plus vaste – plus apaisé – plus lumineux…
Et ces mots – comme de la neige sur la page – invisibles – imperceptibles. Rien qu’une couleur sous la lampe – des miettes incolores d’infini – du silence vivant – de la vérité vécue à voix haute…
Rien qu’un œil parfois pour décrire ce qui s’approche – le vivant qui surgit dans l’âme – sur le chemin – sur la page – quelque chose d’insensé – comme une fragilité acharnée qui résiste – vaille que vaille – aux forces destructrices…
Ce qui s’ajoute aux ténèbres – la cruauté de la main avide – dernier maillon saisissant de la faim…
L’errance à travers le chemin du jour…
Le lointain – mille ruptures – l’étendue – la proximité variable – le centre et la périphérie…
Notre visage – sans cesse – contre le mur – la paroi – le sol – happé par le souffle récurrent – le va-et-vient du vent dans la tête étourdie…
A l’autre extrémité de la nuit…
Ce qui se déchire dans la proximité de la lumière – ce qui résiste – et ce qui reste. Comme une ombre froide – une pierre impossible à déplacer – le visage aveuglé – l’absence en nous, peu à peu, transformée en immensité. Figure de terre couronnée par la solitude…
Rien n’arrive – rien ne disparaît – réellement. Le mur suivant semble – seulement – se rapprocher…
Il y a tout dans le souffle – tout – jusqu’au bout de la route – la fin de l’histoire. Et entre le début du voyage et son terme – nous n’aurons, sans doute, pas bougé d’un pouce…
Dans mille siècles – les lieux n’auront pas changé ; les bruits seront encore là – et notre besoin de silence aussi. Il y aura encore des âmes et quelques sourires. Il y aura encore du brouillard et des bêtes affamées. Et il y aura encore tout ce bleu dont la présence et l’usage resteront toujours aussi mystérieux…
La foule et le besoin de l’Autre se sont taris avec l’inusage et les années – la bêtise ambiante et la grande exigence qui nous habite…
Plus personne comme le couronnement de notre solitude…