Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

LES CARNETS METAPHYSIQUES & SPIRITUELS

A propos

La quête de sens
Le passage vers l’impersonnel
L’exploration de l’être

L’intégration à la présence


Carnet n°1
L’innocence bafouée

Récit / 1997 / La quête de sens

Carnet n°2
Le naïf

Fiction / 1998 / La quête de sens

Carnet n°3
Une traversée du monde

Journal / 1999 / La quête de sens

Carnet n°4
Le marionnettiste

Fiction / 2000 / La quête de sens

Carnet n°5
Un Robinson moderne

Récit / 2001 / La quête de sens

Carnet n°6
Une chienne de vie

Fiction jeunesse / 2002/ Hors catégorie

Carnet n°7
Pensées vagabondes

Recueil / 2003 / La quête de sens

Carnet n°8
Le voyage clandestin

Récit jeunesse / 2004 / Hors catégorie

Carnet n°9
Le petit chercheur Livre 1

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°10
Le petit chercheur Livre 2

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°11 
Le petit chercheur Livre 3

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°12
Autoportrait aux visages

Récit / 2005 / La quête de sens

Carnet n°13
Quêteur de sens

Recueil / 2005 / La quête de sens

Carnet n°14
Enchaînements

Récit / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°15
Regards croisés

Pensées et photographies / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°16
Traversée commune Intro

Livre expérimental / 2007 / La quête de sens

Carnet n°17
Traversée commune Livre 1

Récit / 2007 / La quête de sens

Carnet n°18
Traversée commune Livre 2

Fiction / 2007/ La quête de sens

Carnet n°19
Traversée commune Livre 3

Récit & fiction / 2007 / La quête de sens

Carnet n°20
Traversée commune Livre 4

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°21
Traversée commune Livre 5

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°22
Traversée commune Livre 6

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°23
Traversée commune Livre 7

Poésie / 2007 / La quête de sens

Carnet n°24
Traversée commune Livre 8

Pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°25
Traversée commune Livre 9

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°26
Traversée commune Livre 10

Guides & synthèse / 2007 / La quête de sens

Carnet n°27
Au seuil de la mi-saison

Journal / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°28
L'Homme-pagaille

Récit / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°29
Saisons souterraines

Journal poétique / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°30
Au terme de l'exil provisoire

Journal / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°31
Fouille hagarde

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°32
A la croisée des nuits

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°33
Les ailes du monde si lourdes

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°34
Pilori

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°35
Ecorce blanche

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°36
Ascèse du vide

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°37
Journal de rupture

Journal / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°38
Elle et moi – poésies pour elle

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°39
Préliminaires et prémices

Journal / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°40
Sous la cognée du vent

Journal poétique / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°41
Empreintes – corps écrits

Poésie et peintures / 2010 / Hors catégorie

Carnet n°42
Entre la lumière

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°43
Au seuil de l'azur

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°44
Une parole brute

Journal poétique / 2012 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°45
Chemin(s)

Recueil / 2013 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°46
L'être et le rien

Journal / 2013 / L’exploration de l’être

Carnet n°47
Simplement

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°48
Notes du haut et du bas

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°49
Un homme simple et sage

Récit / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°50
Quelques mots

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°51
Journal fragmenté

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°52
Réflexions et confidences

Journal / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°53
Le grand saladier

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°54
Ô mon âme

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°55
Le ciel nu

Recueil / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°56
L'infini en soi 

Recueil / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°57
L'office naturel

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°58
Le nuage, l’arbre et le silence

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°59
Entre nous

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°60
La conscience et l'Existant

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°61
La conscience et l'Existant Intro

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°62
La conscience et l'Existant 1 à 5

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°63
La conscience et l'Existant 6

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°64
La conscience et l'Existant 6 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°65
La conscience et l'Existant 6 (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°66
La conscience et l'Existant 7

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°67
La conscience et l'Existant 7 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°68
La conscience et l'Existant 8 et 9

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°69
La conscience et l'Existant (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°70
Notes sensibles

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°71
Notes du ciel et de la terre

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°72
Fulminations et anecdotes...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°73
L'azur et l'horizon

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°74
Paroles pour soi

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°75
Pensées sur soi, le regard...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°76
Hommes, anges et démons

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°77
La sente étroite...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°78
Le fou des collines...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°79
Intimités et réflexions...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°80
Le gris de l'âme derrière la joie

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°81
Pensées et réflexions pour soi

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°82
La peur du silence

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°83
Des bruits aux oreilles sages

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°84
Un timide retour au monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°85
Passagers du monde...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°86
Au plus proche du silence

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°87
Être en ce monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°88
L'homme-regard

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°89
Passant éphémère

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°90
Sur le chemin des jours

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°91
Dans le sillon des feuilles mortes

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°92
La joie et la lumière

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°93
Inclinaisons et épanchements...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°94
Bribes de portrait(s)...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°95
Petites choses

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°96
La lumière, l’infini, le silence...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°97
Penchants et résidus naturels...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°98
La poésie, la joie, la tristesse...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°99
Le soleil se moque bien...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°100
Si proche du paradis

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°101
Il n’y a de hasardeux chemin

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°102
La fragilité des fleurs

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°103
Visage(s)

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°104
Le monde, le poète et l’animal

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°105
Petit état des lieux de l’être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°106
Lumière, visages et tressaillements

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°107
La lumière encore...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°108
Sur la terre, le soleil déjà

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°109
Et la parole, aussi, est douce...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°110
Une parole, un silence...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°111
Le silence, la parole...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°112
Une vérité, un songe peut-être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°113
Silence et causeries

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°114
Un peu de vie, un peu de monde...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°115
Encore un peu de désespérance

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°116
La tâche du monde, du sage...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°117
Dire ce que nous sommes...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°118
Ce que nous sommes – encore...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°119
Entre les étoiles et la lumière

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°120
Joies et tristesses verticales

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°121
Du bruit, des âmes et du silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°122
Encore un peu de tout...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°123
L’amour et les ténèbres

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°124
Le feu, la cendre et l’infortune

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°125
Le tragique des jours et le silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°126
Mille fois déjà peut-être...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°127
L’âme, les pierres, la chair...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°128
De l’or dans la boue

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°129
Quelques jours et l’éternité

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°130
Vivant comme si...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°131
La tristesse et la mort

Récit / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°132
Ce feu au fond de l’âme

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°133
Visage(s) commun(s)

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°134
Au bord de l'impersonnel

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°135
Aux portes de la nuit et du silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°136
Entre le rêve et l'absence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°137
Nous autres, hier et aujourd'hui

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°138
Parenthèse, le temps d'un retour...

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°139 
Au loin, je vois les hommes...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°140
L'étrange labeur de l'âme

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°141
Aux fenêtres de l'âme

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°142
L'âme du monde

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°143
Le temps, le monde, le silence...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°144
Obstination(s)

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°145
L'âme, la prière et le silence

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°146
Envolées

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°147
Au fond

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°148
Le réel et l'éphémère

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°149
Destin et illusion

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°150
L'époque, les siècles et l'atemporel

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°151
En somme...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°152
Passage(s)

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°153
Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°154
A quoi bon...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°155
Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°156
L'autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°157
La beauté, le silence, le plus simple...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°158
Et, aujourd'hui, tout revient encore...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°159
Tout - de l'autre côté

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°160
Au milieu du monde...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°161
Sourire en silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°162
Nous et les autres - encore

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°163
L'illusion, l'invisible et l'infranchissable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°164
Le monde et le poète - peut-être...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°165
Rejoindre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°166
A regarder le monde

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°167
Alternance et continuité

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°168
Fragments ordinaires

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°169
Reliquats et éclaboussures

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°170
Sur le plus lointain versant...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°171
Au-dehors comme au-dedans

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°172
Matière d'éveil - matière du monde

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°173
Lignes de démarcation

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°174
Jeux d'incomplétude

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°175
Exprimer l'impossible

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°176
De larmes, d'enfance et de fleurs

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°177
Coeur blessé, coeur ouvert, coeur vivant

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°178
Cercles superposés

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°179
Tournants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°180
Le jeu des Dieux et des vivants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°181
Routes, élans et pénétrations

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°182
Elans et miracle

Journal poétique / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°183
D'un temps à l'autre

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°184
Quelque part au-dessus du néant...

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°185
Toujours - quelque chose du monde

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°186
Aube et horizon

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°187
L'épaisseur de la trame

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°188
Dans le même creuset

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°189
Notes journalières

Carnet n°190
Notes de la vacuité

Carnet n°191
Notes journalières

Carnet n°192
Notes de la vacuité

Carnet n°193
Notes journalières

Carnet n°194
Notes de la vacuité

Carnet n°195
Notes journalières

Carnet n°196
Notes de la vacuité

Carnet n°197
Notes journalières

Carnet n°198
Notes de la vacuité

Carnet n°199
Notes journalières

Carnet n°200
Notes de la vacuité

Carnet n°201
Notes journalières

Carnet n°202
Notes de la route

Carnet n°203
Notes journalières

Carnet n°204
Notes de voyage

Carnet n°205
Notes journalières

Carnet n°206
Notes du monde

Carnet n°207
Notes journalières

Carnet n°208
Notes sans titre

Carnet n°209
Notes journalières

Carnet n°210
Notes sans titre

Carnet n°211
Notes journalières

Carnet n°212
Notes sans titre

Carnet n°213
Notes journalières

Carnet n°214
Notes sans titre

Carnet n°215
Notes journalières

Carnet n°216
Notes sans titre

Carnet n°217
Notes journalières

Carnet n°218
Notes sans titre

Carnet n°219
Notes journalières

Carnet n°220
Notes sans titre

Carnet n°221
Notes journalières

Carnet n°222
Notes sans titre

Carnet n°223
Notes journalières

Carnet n°224
Notes sans titre

Carnet n°225

Carnet n°226

Carnet n°227

Carnet n°228

Carnet n°229

Carnet n°230

Carnet n°231

Carnet n°232

Carnet n°233

Carnet n°234

Carnet n°235

Carnet n°236

Carnet n°237

Carnet n°238

Carnet n°239

Carnet n°240

Carnet n°241

Carnet n°242

Carnet n°243

Carnet n°244

Carnet n°245

Carnet n°246

Carnet n°247

Carnet n°248

Carnet n°249

Carnet n°250

Carnet n°251

Carnet n°252

Carnet n°253

Carnet n°254

Carnet n°255

Carnet n°256

Carnet n°257

Carnet n°258

Carnet n°259

Carnet n°260

Carnet n°261

Carnet n°262

Carnet n°263
Au jour le jour

Octobre 2020

Carnet n°264
Au jour le jour

Novembre 2020

Carnet n°265
Au jour le jour

Décembre 2020

Carnet n°266
Au jour le jour

Janvier 2021

Carnet n°267
Au jour le jour

Février 2021

Carnet n°268
Au jour le jour

Mars 2021

Carnet n°269
Au jour le jour

Avril 2021

Carnet n°270
Au jour le jour

Mai 2021

Carnet n°271
Au jour le jour

Juin 2021

Carnet n°272
Au jour le jour

Juillet 2021

Carnet n°273
Au jour le jour

Août 2021

Carnet n°274
Au jour le jour

Septembre 2021

Carnet n°275
Au jour le jour

Octobre 2021

Carnet n°276
Au jour le jour

Novembre 2021

Carnet n°277
Au jour le jour

Décembre 2021

Carnet n°278
Au jour le jour

Janvier 2022

Carnet n°279
Au jour le jour

Février 2022

Carnet n°280
Au jour le jour

Mars 2022

Carnet n°281
Au jour le jour

Avril 2022

Carnet n°282
Au jour le jour

Mai 2022

Carnet n°283
Au jour le jour

Juin 2022

Carnet n°284
Au jour le jour

Juillet 2022

Carnet n°285
Au jour le jour

Août 2022

Carnet n°286
Au jour le jour

Septembre 2022

Carnet n°287
Au jour le jour

Octobre 2022

Carnet n°288
Au jour le jour

Novembre 2022

Carnet n°289
Au jour le jour

Décembre 2022

Carnet n°290
Au jour le jour

Février 2023

Carnet n°291
Au jour le jour

Mars 2023

Carnet n°292
Au jour le jour

Avril 2023

Carnet n°293
Au jour le jour

Mai 2023

Carnet n°294
Au jour le jour

Juin 2023

Carnet n°295
Nomade des bois (part 1)

Juillet 2023

Carnet n°296
Nomade des bois (part 2)

Juillet 2023

Carnet n°297
Au jour le jour

Juillet 2023

Carnet n°298
Au jour le jour

Août 2023

Carnet n°299
Au jour le jour

Septembre 2023

Carnet n°300
Au jour le jour

Octobre 2023

Carnet n°301
Au jour le jour

Novembre 2023

Carnet n°302
Au jour le jour

Décembre 2023

Carnet n°303
Au jour le jour

Janvier 2024


Carnet n°304
Au jour le jour

Février 2024


Carnet n°305
Au jour le jour

Mars 2024


Epigraphes associées aux carnets
 

© Les carnets métaphysiques & spirituels

Publicité
24 septembre 2019

Carnet n°205 Notes journalières

Une manière d’être présent au-dedans de soi – un abri – une forteresse – quelque chose d’involontaire – le plus grand soin à vivre…

 

 

Rien de construit – rien d’érigé – ce qui enveloppe la force – les yeux – le monde – tout ce qui vit penché – incomplet – maladroit – tout ce qui a été engendré…

 

 

Nous – autour – dans ce qui s’éteint – dans ce qui s’efface – près du ciel – au-dedans de la terre – et dans ce qui bat aussi – quelque chose qui ressemble à un cœur mais plus vaste – plus lumineux – indestructible et silencieux – livrant, à chaque seconde, une autre manière de vivre le temps – une autre forme d’éternité peut-être…

 

 

Hors de tout – et l’on serait encore au-dedans – au cœur même de l’esprit – dans la poitrine vivante du monde…

 

 

Des yeux attentifs – des mains sans mémoire – une tête lisse – presque transparente – où le vide se lit sur le visage. Quelque chose qui tremble encore devant les malheurs – enveloppé par cette boue épaisse que les années ont déposée sur la peau – sur l’âme – et qui s’est infiltrée partout à l’intérieur…

 

 

Un corps nu encerclé par de hauts murs – ce qu’il faut de folie pour être au monde et essayer de sourire devant les malheurs. Un labyrinthe de chair, de mots et de béton. La violence des Autres ajoutée à la sienne. Le vent et l’intensité de l’instant. L’œil qui abolit la séparation – les frontières – ce qui entravait l’ensemble du territoire et la libre circulation. Le désavantage des vivants sur les pierres face à la nécessité du silence…

 

 

Tout est là – puis, tout disparaît – s’enterre – quelque part au fond de l’esprit – l’individualité – la peur – ce qui tremble face au monde – ce qui crie et désespère face à la mort – ce qui n’accepte rien – ce qui erre depuis le début du monde malgré l’invention des Dieux, des temples et des prières. Et ça ressurgit comme ça – à l’occasion d’un souvenir qui remonte – et avec lui – tous les objets – tous les visages – enfouis en dessous…

Sinon – rien – la vacuité et le silence – réels – profonds – au même titre que ce qui reste dans la mémoire ; le temps – la vie – la mort – la tristesse – le chagrin – le désespoir – aussi vivants – aussi palpables – que la joie – le vide – le plus rien – le regard sans épaisseur – sans aspérité – sensible – touché, à chaque fois, au cœur…

 

 

Il n’y a d’ailleurs – ni d’autrement – seulement ce qui est là. Le reste n’est que fantasme – imaginaire – délire – mondes parallèles…

 

 

Malgré l’immobilité apparente – ça remue à l’intérieur – ça vibre – ça saute – ça court dans tous les sens tant l’inconfort est grand ; ça cherche – seulement – un peu de paix…

Une tension maladroite – involontaire – que chacun refuse – et qui, elle aussi, cherche un abri – un accueil – un peu d’Amour et d’attention…

Veiller à ce que rien – en soi – ne se sente étranger – rejeté – mal accueilli. Puis, de soi au monde – il n’y a qu’un pas – qu’une perspective – une simple question d’envergure…

 

 

Il y a, parfois, cette violence dans l’âme que l’œil, la main et les lèvres reflètent involontairement…

 

 

Une continuité de la tension – qui, comme chaque chose de ce monde, cherche à s’étendre – à se répandre – à s’imposer face au reste…

 

 

Tout se déverse comme si nous étions une outre. Tout se répand comme si nous étions un espace immense – un désert…

 

 

Tout est – et personne pour le voir…

Il y a – en nous – trop d’absence – de prétention – et mille caisses de représentations inutiles…

 

 

Un feu – de part en part – et qui brûle jusqu’aux pierres – jusqu’à notre air affairé. La grande liberté du vent qui s’engouffre et cisaille – comme une main habile qui racle le fond – écorche les parois – et déblaye jusqu’aux plus tenaces imprégnations…

Un brasier de lumière – du sol jusqu’au fond de la poitrine…

 

 

Accueillir jusqu’à l’insuffisance du jour – et nos refus coutumiers. Être cette blancheur que l’on voit dans l’air certains matins d’hiver – cette main lisse qui s’offre à ce qui s’avance. Notre plus précieux labeur…

 

 

Tout nous envahit pour peu que nous laissions faire – la vie – le monde – les Autres – le corps – la psyché. Et tout même s’enhardit lorsque notre attention manque d’ardeur. Il faut se tenir débout – et vigilant – jusque dans le sommeil ; ne jamais laisser – la vie – le monde – les Autres – le corps – la psyché – manger sur notre tête. Aimable, oui – accueillant, bien sûr – jusqu’à l’impitoyable coup de balai…

 

 

Ce qui se ramasse – parfois – dans le prolongement de la chute ; quelques restes de soi – et quelques restes des Autres passés avant nous…

 

 

Ce qui prend possession de la tête – puis, de l’âme – puis, du corps – ce qui se retourne sans effort – identique quelle que soit la face exposée…

 

 

On s’abandonne aux remous internes – aux orbites coutumières – aux sens donnés par les yeux. On tourne en rond – de travers – mais le regard est fixe – non concerné par les mouvements ; ça s’agite – comme à l’accoutumée – mais on reste – quelque chose en nous reste – tranquille…

 

 

Ce que nous sommes – ce qu’il reste de l’âme – un jour sans soleil – mille saisons sans un seul sourire…

Et l’on pourrait dériver – ainsi – pour l’éternité – soumis à tous les possibles – nous serions encore à l’abri au-dedans…

 

 

Ce qui passe – le regard le déchire…

Il n’existe aucun lieu pour l’abondance et la certitude…

Tout ce qui arrive est embrassé et, aussitôt, évacué… Ne subsiste pas même une odeur – pas même un parfum…

Tout s’enfonce au-dedans – et tombe par petits bouts – par lambeaux – au fond de l’esprit – absorbé par le tourbillon de l’immensité qui projette, ici et là, sur les vivants – sur le monde – sur ce qui reste – des fragments de choses et de visages – des bribes d’images et de pensées…

 

 

Les mots coulent – s’écoulent – tirent leur source de la même origine que le monde – que les ombres – que tout ce qui existe sous la lumière…

 

 

Des routes par lesquelles viennent le jour – le souffle – le soleil. La fraîcheur qui inonde le front – la lumière qui envahit l’esprit ; ce que l’espérance et la prière ne pourront jamais offrir…

 

 

Une forme d’exil – du dedans. Et le peu qu’il reste pour surprendre les yeux étrangers – indifférents. A peine une existence – une tentative perpétuelle de séduction – une manière maladroite de combler ce qui manque par l’intermédiaire des Autres…

Tous à mendier le même Amour en jouant, un à un (et parfois ensemble), ses meilleurs atouts…

 

 

L’esprit et l’énergie emmêlés – sans temps mort. De la violence et de la tendresse…

Et l’œil comme une lisière – incapable de percevoir l’infini…

Tout – pourtant – va – et vient de – plus loin – bien au-delà des frontières imposées par les sens et la psyché. Et c’est dans ce lointain que se nouent les plus invraisemblables – les plus merveilleuses –les plus fidèles – alliances…

 

 

Tout demeure vivant – ainsi – soutenu depuis les hauteurs – autant, sans doute, que depuis l’intérieur ; la même cohérence – la même nécessité – qui, comme une pince, maintient les formes et leur trajectoire – par le haut et le dedans…

 

 

Tout prend la route – tout finit, un jour, par prendre la route…

Pourtant – nul ne part – et rien ne disparaît – seul le souffle s’éteint. Et cette interruption nous terrifie ; le sol attaché à l’air – puis arraché à l’air – dépendant et fragile. Et sous le front – cette crainte de l’étouffement…

Et autour – tout ce qui concourt à l’asphyxie…

 

 

Le vent – ce qui maintient l’espoir d’une autre vie – d’une renaissance possible – comme une graine emportée ailleurs. L’élan d’après la mort…

 

 

Ce qui se joue – pour chacun – à chaque instant – dans cet intervalle entre l’expir et l’inspir – une parenthèse hors de la respiration – quelque chose qui n’appartient ni à l’air, ni à la terre – une autre matière – autrement – ailleurs – divin peut-être – céleste sûrement. L’être possible dans la non-vie – hors du vivant – sans l’air, ni le souffle…

 

 

A hauteur de soleil – la mort – le vent dans notre poitrine – le souffle des Dieux – tout ce qui touche, de près ou de loin, à l’infini…

Toute chose, en définitive…

 

 

Tout – dans cette couleur semblable au miroir – rouge – bariolé – et ce reflet métallique – comme une lame furtive tenue par une main agile. Et ce trou au-dedans de chaque chose où perce – presque toujours – le bleu…

 

 

Visage sans pourtour – la chair sans âme – des mains portées plus loin – devant soi. La voix d’hier – la vallée triste des souvenirs…

Tout qui s’entremêle – qui colle à l’esprit et aux lignes…

La brusquerie des orages. Le froid qui se propage – qui nous entoure – qui nous encercle – qui nous pénètre. Et ce corps – et cette âme – dans la neige – immobiles – qui auront vécu le possible – à peine – sur le bout des lèvres…

 

 

Rien ne peut nous arriver – tout peut nous arriver. En vérité – nous sommes déjà perdus – presque morts – et, sans doute (depuis toujours), éternels…

 

 

Où que l’on soit – à demeure…

Quoi que l’on fasse – au centre…

Ni espoir, ni imaginaire…

A la même place quels que soient le voyage et la destination…

 

 

La parole pour seul convoi…

Et un seul trajet – vers le jour et la beauté…

Une voie ouverte, bien sûr, par tant d’autres avant nous…

 

 

Tout s’oublie – mais – rien – jamais – ne se perd. Au fond de l’esprit – le gouffre des Dieux – où sont jetées toutes les épaisseurs – les lieux – les liens – les corps – les routes – les visages et les aventures – le détail de toutes les expériences – la beauté des âmes – les déserts – les larmes et les jours de joie…

 

 

Le souffle comme l’avant-ciel du monde…

Des déchirures, puis, la même faille qui, peu à peu, s’élargit. Le cœur tailladé – secoué – malmené. Et la turbulence des jours avec leur poids de malheurs…

Parfois – tout blesse ce qui – en nous – veille – et attend la blancheur…

 

 

Ce que la terre nous offre – ce que la route nous soustrait – et ce qu’il nous reste pour accueillir le ciel…

 

 

Rien qu’un peu de silence – et le soir couchant. Dans la proximité des feuilles – l’instant sans lendemain…

Le jour qui, peu à peu, se retire. Le vent sur le visage – et le corps nu – comme un ami…

 

 

Dans les bras d’une nuit moins sombre – qui n’a, peut-être, plus grand chose à nous prendre ; nous qui lui avons tant donné autrefois…

 

 

On ne surveille rien – on contemple. On ne contemple pas – on est – du moins est-ce notre sentiment…

 

 

On se perd encore parfois – les pas sur la route – les mains devant soi – comme si nous cherchions notre chemin – mais nous savons, à présent, que l’existence est un voyage sans destination – un jeu de piste où le seul lieu (habitable) se trouve au-dedans…

 

 

Dans les hauteurs du plus lointain désert – là où ne règnent que la solitude et le silence – là où tout est nôtre – jusqu’aux pierres – jusqu’à la blancheur des âmes – jusqu’à nos pauvres balbutiements. Rien d’étranger – tout a le goût de l’infini et le parfum de la lumière…

 

 

Ce qui s’avance sur la page en trébuchant – le jour – l’ombre – l’incertitude. Rien sur quoi l’on puisse s’appuyer…

Tout – en nous – à la même enseigne…

 

 

Tout semble si haut que nous nous imaginons minuscules…

Tout semble si bas que nous pensons être des géants…

Et ce qui sort de notre bouche – tantôt vérité – tantôt mensonge…

Seul avec les Autres – et ensemble dans la solitude…

On ne peut – décidément – être sûr de rien…

 

 

Nous – toujours – entre la montagne et ce haut mur de pierre…

Que la nuit s’efface – que la route nous perde – que le jour devienne la seule patrie – n’y changerait rien ; il y aura toujours une liberté et un chemin qui se dessineront – et mille choses qui nous resteront inconnues…

 

 

L’orage – parfois – détruit en un instant ce qui a été patiemment édifié pendant des millénaires. Comme un trou dans le sommeil qui bordait les murs. La nuit alors s’abat pour fendre le rêve – et voilà mille années anéanties en une fraction de seconde…

Et malheureusement nous reconstruisons presque aussitôt ce qui a été jeté à terre – comme si nous ne pouvions vivre qu’entourés de briques et d’illusions…

Après la pluie viendra – peut-être – l’impossible ; en tout cas – l’esprit y veille – et les larmes y contribuent…

 

 

Personne d’autre que nous-même(s) – devant – autour – au-dessus – au-dedans…

Celui qui a peur et celui qui a affronté toutes ses peurs…

Le plus profond et la surface des pierres – le ciel et toutes les routes…

Celui qui veille quelles que soient les circonstances…

Celui qui a déjà tout franchi – et qui franchira tout encore – sans qu’il ne nous autorise jamais à le rejoindre…

 

 

Ça s’enfonce – en nous – avec les mêmes yeux qui tâtonnent – avec les mêmes mains collées aux parois – avec la même âme et le même air affolés – et avec cette vieille lampe qui a déjà servi à tant de découvertes…

L’attente – le noir – le ciel – quelque chose qui, peu à peu, se révèle…

 

 

Nous restons là – quelque part – avec nos courbes et nos sacs de sable noir – et avec cette espérance de voir le temps transformer nos peines et nos tentatives. Mais c’est un mur – en réalité – que nous construisons – haut – épais – de plus en plus infranchissable. On a beau le savoir, nos mains continuent d’œuvrer à l’édifice…

Plus tard – nous aurons la poitrine ouverte – suffisamment pour accueillir nos déboires et anéantir ce que nous aurons bâti…

Il sera temps alors – notre labeur achevé – de franchir les ultimes frontières…

 

 

Ce que le front retranche – ce qu’il soustrait à l’illusion – à la prétention – est un présent inestimable qu’il offre à l’âme – au monde – à l’âme de tous les Autres…

 

 

Entre l’attente et la veille – quelque chose s’élargit – un interstice – un intervalle – une faille que le silence remplit d’air pur – une forme de souffle nouveau – un élan de plus en plus apte à vivre l’inconnu et l’incertitude – et la joie de ne plus rien savoir…

 

 

Etrangers – inconnus – nous-mêmes comme ces autres que nous ignorons…

 

 

Tout – dans la lumière – en désordre – et nous aussi – quelque part…

Aussi vivant que possible…

 

 

La vie n’est qu’une pente – un circuit…

Être est autre chose – l’infini sensible – immobile – à la fois dans – et hors de – l’itinéraire – ces folles trajectoires empruntées par les vivants…

 

 

La pierre où nous aurons vécu sera celle où le corps – à sa mort – sera déposé…

Du vide – de l’air – de la terre – à peu près la même chose qu’en vivant – le feu en moins, bien sûr (ou alors différemment)…

Et personne – ni avant – ni après – exactement la même solitude…

 

 

La densité de l’expérience écrasée par l’indifférence du regard à l’égard du vécu – des états ; simples contenus – simples colorations – du vide…

Comme une main qui balaierait, d’un seul geste, tous ces remplissages – tous ces coloriages…

 

 

Chaque jour – un autre lieu – le même destin – éparpillé – qui se resserre et se dilate au-dedans – qui effleure le monde et emplit la main qui en dépose quelques grains (une infime partie) sur la page…

 

 

De temps à autre – un rire – presque chaque soir à se parler – l’homme et ses visages – l’infini et ses fenêtres – et ce que la mémoire porte en elle de nostalgie (inutile). Une âme sans tête serait plus confortable. Un esprit sans corps – puis, plus même la moindre entité – le vide intégral…

 

 

Ah ! Que nous nous agitons pour tenter d’apaiser – en nous – ce feu qui brûle ; de l’air brassé qui l’alimente davantage alors qu’il suffirait d’un couvercle – et d’une main ferme – pour étouffer les flammes…

Mais – en vérité – l’éradiquer serait impossible – une entreprise totalement vaine – et un geste malsain car voilà la seule chose que nous ayons – ce grand feu dans l’âme…

Un regard et de hautes flammes au-dedans…

Une présence et une chaleur…

Comme un soleil intérieur qui éclaire et réchauffe – et qui impose que l’on y plonge – tout entier – pour qu’il puisse nous habiter pleinement…

 

 

Parfois le dédale – d’autres fois, l’horizon – en réalité – le même espace qu’habille la psyché…

 

 

Le vent – la pierre – le visage. Ce que nous offre la terre. Et ce que nous lui dérobons. Et – en soi – le vide et le feu – ce avec quoi le monde s’est construit…

 

 

Il y a ce mur – et cette main tendue par-dessus. On ne sait si elle le bâtit ou le détruit – sans doute, un peu les deux…

Nous n’avons d’autre manière d’être vivant…

 

 

Ce qui dure – ce qui s’efface – le mouvement et l’immobilité – d’une façon ou d’une autre, on s’y heurte…

Nous sommes parés de trop de masques – pour voir – comprendre – et passer sans heurt. C’est à ces filtres-armures que nous nous cognons…

Le réel est beaucoup plus simple – et bien moins délétère – que nous ne l’imaginons…

 

 

On jaillit d’un mystère, puis on y retourne. Entre les deux, on sème un peu de pagaille et quelques malheurs…

Beaucoup de trivialité(s) et d’évidence(s) vécues et exprimées…

 

 

Mille fois nous nous éteindrons avant de pouvoir réhabiter le soleil…

 

 

Quelque chose boite – en nous – qui fait un drôle de bruit ; à chaque pas – le grelot du doute et de l’ignorance…

 

 

Tout en éclats – parfois – comme sous le coup de la colère – un miroir brisé – le réel en fragments…

 

 

Toutes ces ombres sur la route devant nous – sont-elles les nôtres ou celles de nos prédécesseurs qui traînent un peu…

 

 

Tout nous entoure – la sécheresse et le flamboiement…

Et tout – dans un instant – s’effacera…

 

 

Le temps et la mort sont des angles trompeurs ; ils nous voilent le plus simple – l’évidence…

 

 

L’Autre n’existe pas – il n’y a que des ombres et un peu de lumière…

 

 

De longues années à ne rencontrer personne – des corps – de la matière où étouffe l’esprit…

De grands arbres à qui nous avons confié nos espérances, puis, notre désarroi…

Et quelques pages pour détailler nos impressions…

Rien d’important – en somme ; quelques niaiseries qui – comme le reste – rejoindront bientôt la poussière…

 

 

Tout n’est que route et chute – extinction et blancheur – renouveau et blancheur. Partout – le soleil et le passage du vent – l’âme atone et le ciel qui la devance…

 

 

Il y a nous tous au fond de l’air – et le même air au fond de chacun – et le même ciel pour chacun – et autant de chemins et d’horizons que de visages…

 

 

Une pente – et rien que des mains tendues vers nous – une farandole de sourires du bas jusqu’au sommet – et le feu qui brûle dans l’âme qui nous donne l’allant nécessaire pour l’ascension et la chute…

 

 

Malgré la pluralité des mondes, il n’y a d’autre terre que celle que foulent nos pieds…

Des figures de glaise – silhouettes furtives qui longent l’ombre des murs…

 

 

Parfois – le feu nous fait chuter – non – pas le feu – la précipitation née d’un excès de feu…

 

 

Des heures – des jours – des mois – comme du sable qui file entre les doigts. Et cet instant comme une main ouverte – une paume offerte – un baiser furtif – la persistance de l’éternité…

Poussière que la terre amasse – que la terre balaye – que la terre remplace…

 

 

Il y a des âmes plus épaisses que le monde – des esprits saturés de mots et d’idées – des corps alourdis par la chair – de la matière comme des tas de débris assemblés – et, plus loin, le gris du monde – et plus haut, tout ce bleu qui n’en finira jamais…

 

 

Chaque mot est vide – et, pourtant, il y a le monde entier au-dedans. De la poussière et de l’infini – comme nous tous qui ne sommes (presque) rien…

 

 

Le souffle – l’eau – la terre. Ce qui surgit des profondeurs. Le monde non comme un champ mais comme une aile née des temps anciens où nous n’étions que feu et boue – bouche éructante – faille déchirée – d’un autre registre qu’aujourd’hui…

De ce monde dont il ne reste rien – pas grand-chose – un mythe – un œil inconnu – un horizon lointain – une crête que quelques-uns effleurent parfois – et un chapelet de paroles qui nous invitent à chercher le chemin de l’origine…

 

 

Une profondeur noirâtre – le territoire des hommes – verticale des abysses sous l’apparence d’une stricte horizontalité…

Des terres brûlées – de la matière froide – des amas de chair putréfiée…

Voyage dans les eaux brunes – fange – boue – marécage ; la main qui plonge dans le bas-ventre du monde…

 

 

La lumière blafarde d’une chambre d’aliéné – les murs blancs maculés d’excréments et de graffitis. Ce qui sort du ventre et de l’esprit sauvages. La main chapardeuse – le cœur aride – et ce corps lourd attaché à la terre – l’âme moribonde – inapte à vivre en terre hostile…

L’humanité triste et étriquée. Tous les rêves d’immensité piétinés. Rien qui ne soit à notre portée. L’enlisement – seulement – dans la nuit noire et froide du monde…

 

 

Rien qui ne soit attaché au regard – la même absence – ce qu’offre – seulement – la solitude…

Le silence sans mémoire…

Un monde sans rêve peuplé d’arbres et de pierres…

 

 

Ce qui se tient debout dans l’âme – dans la joie – là où puisent les sentiments – là où s’enracinent toutes les histoires du monde…

La partie la moins étroite du cœur – ce qui vibre avec ce qui le touche – la seule espérance de l’homme…

 

 

Ce qui se tient au plus près de soi – au-dedans même du souffle – au-dedans même du plus grand silence. Ce qui prouve que nous sommes autre chose – bien davantage – que du vivant ; plus vaste – plus apaisé – plus lumineux…

 

 

Et ces mots – comme de la neige sur la page – invisibles – imperceptibles. Rien qu’une couleur sous la lampe – des miettes incolores d’infini – du silence vivant – de la vérité vécue à voix haute…

 

 

Rien qu’un œil parfois pour décrire ce qui s’approche – le vivant qui surgit dans l’âme – sur le chemin – sur la page – quelque chose d’insensé – comme une fragilité acharnée qui résiste – vaille que vaille – aux forces destructrices…

 

 

Ce qui s’ajoute aux ténèbres – la cruauté de la main avide – dernier maillon saisissant de la faim…

 

 

L’errance à travers le chemin du jour…

Le lointain – mille ruptures – l’étendue – la proximité variable – le centre et la périphérie…

Notre visage – sans cesse – contre le mur – la paroi – le sol – happé par le souffle récurrent – le va-et-vient du vent dans la tête étourdie…

A l’autre extrémité de la nuit…

 

 

Ce qui se déchire dans la proximité de la lumière – ce qui résiste – et ce qui reste. Comme une ombre froide – une pierre impossible à déplacer – le visage aveuglé – l’absence en nous, peu à peu, transformée en immensité. Figure de terre couronnée par la solitude…

 

 

Rien n’arrive – rien ne disparaît – réellement. Le mur suivant semble – seulement – se rapprocher…

 

 

Il y a tout dans le souffle – tout – jusqu’au bout de la route – la fin de l’histoire. Et entre le début du voyage et son terme – nous n’aurons, sans doute, pas bougé d’un pouce…

 

 

Dans mille siècles – les lieux n’auront pas changé ; les bruits seront encore là – et notre besoin de silence aussi. Il y aura encore des âmes et quelques sourires. Il y aura encore du brouillard et des bêtes affamées. Et il y aura encore tout ce bleu dont la présence et l’usage resteront toujours aussi mystérieux…

 

 

La foule et le besoin de l’Autre se sont taris avec l’inusage et les années – la bêtise ambiante et la grande exigence qui nous habite…

Plus personne comme le couronnement de notre solitude…

 

Publicité
Publicité
24 septembre 2019

Carnet n°204 Notes de voyage

Emotion fracassante – parfois – littéralement. Poussée jaillissante désinhibée – incontrôlable. Véhémence insensée – presque maléfique. Oui – au fond – quelque chose de démoniaque – comme une force noire émergeant des profondeurs – des plus lointaines origines…

Sorte de magma du centre premier – du noyau ancestral – expulsé – et qui déferle comme si nous étions un cratère et ce qui nous entoure quelques coteaux à plaindre – et bientôt dévastés…

La terre et le feu entremêlés – fusionnels – éruptifs – intensément destructeurs…

 

 

Ce qui apparaît comme une étrangeté – et qui est là, pourtant, enfoui depuis le commencement – avant même la naissance du monde…

Au-dedans d’une aire qui ressemble – à s’y méprendre – à l’enfer…

 

 

Comme un sac – une manière de voir le jour – de remplir ce qui ne ressemble à rien – pour lui donner une forme présentable – présumée présentable – mais qui, en vérité, le corrompt et l’enlaidit…

 

 

Tout ce qui habille – orne – décore – n’est que voile supplémentaire…

Tout ce qui traverse finit par ressortir – aussi sûrement que finit par être expulsé ce qui a été ingurgité…

Tant et si bien qu’à la fin – il ne reste plus rien… Mais avant la fin – nous ne savons vivre ainsi – dans le dépouillement – comme espace vide – comme une aire d’accueil et de déblaiement permanents…

 

 

Une autre forme de vieillissement – comme des rides à l’intérieur et des lambeaux de chair qui pendent – au-dedans de l’enveloppe dont nous avons pris soin – un assèchement aussi – comme un vieux cuir râpé…

Une indigence – un malaise – une détresse – que l’on se garde bien d’exposer…

Et nous mourrons ainsi – dépecé de l’intérieur – exsangue – sec – aride – comme un vieux sac vide et retourné – inapte au renouvellement… Tout juste bon à nourrir les vers et à occuper la tombe qu’on lui a réservée…

 

 

Triangle de pierres pointant vers le lointain – l’horizon invisible – une autre terre – un autre monde – à l’autre extrémité de soi…

 

 

Plus l’on creuse en soi, plus la solitude semble épaisse – centrale – première – incontournable ; le seul mode possible de l’être – libre et intensément jubilatoire…

 

 

Le bleu comme une pointe vers ce qui n’apparaît pas – invisible pour l’œil – cet espace où se rejoignent toutes les frontières…

 

 

Des mots comme des pierres – des visages comme le silence – rien n’est ce qu’il a l’air d’être. Tout est beaucoup plus vaste. Et notre manière de tout réduire – de tout simplifier – complique (grandement) la tâche de l’œil et de l’esprit…

 

 

Des routes comme des précipices vers lesquels chacun glisse inexorablement…

 

 

Des visages ni sympathiques – ni antipathiques – ni amis – ni ennemis. Des visages simplement – qui nous jaugent – qui nous toisent – comme ils jaugent et toisent le monde – à leur manière – qui n’a, bien sûr, rien à voir avec nous – avec ce que nous sommes – seulement avec ce dont nous avons l’air – c’est seulement cela qu’ils remarquent – et c’est à cela qu’ils se réfèrent pour nous regarder…

Il ne faut en avoir cure – vivre comme si ces visages qui nous lorgnent n’étaient que des personnages fictifs – ensommeillés – d’infimes cyclopes à la vue défaillante puisant seulement dans leur mémoire – rien de réel, en somme…

 

 

Des routes qui se croisent – des routes qui divergent – ainsi sommes-nous fixés sur ce que deviendront nos voyages – les aventures d’un soir – d’un instant – d’une vie – matière à s’écarter – à s’éloigner – à disparaître derrière le premier horizon…

 

 

L’approfondissement de la solitude – creuser – creuser – en soi – comme impératif et jubilation…

Seule perspective possible…

Unique voie de connaissance. Et la jouissance de l’être à perfectionner – à affiner – à enrichir – cette relation à soi qui est, en définitive, une relation à tout…

 

 

Arbres – rivières – vent – roches – collines – solitude et silence – étreinte du dedans et du dehors – l’âme intensément vive et sereine. Toute l’énergie du monde qui nous traverse…

Puissance et douceur sans usage…

Juste être – goûter – le souffle – et les gestes nécessaires…

 

 

Tout le monde résumé dans cette manière d’être…

Ainsi tout devient le lieu de la rencontre et de l’unité…

 

 

Parcelles de terre – bouts de ciel – l’âme légère et dense – le cœur qui s’ouvre – partout le foyer tendre et indéfiniment éphémère – à chaque instant surgissant. Le temps aboli. L’être jouissant dans le cours des choses. L’éradication des frontières…

Le Je suis sans commentaire, peut-être… Immuable – présent – à l’accès fragile et incertain – le vide nécessaire – le vide absolu indispensable pour être…

 

 

Le goût de soi – le goût du monde – au-dedans – sans séparation…

Et sur les joues, des larmes de gratitude – l’individualité reconnaissante – cette part de soi infime – accueillie dans l’unité et la profondeur de l’être – vide – serein – sensible – inaltérable – désengagé…

Le monde enfin parfait – comme si tout était impeccablement orchestré et agencé – beauté fugace – presque sans importance tant l’essentiel appartient au regard – à la vacuité permanente…

 

 

Bouts de soi – partout – réunifiés au centre…

Tout dans le grand Tout – en soi – en quelque sorte…

Presque indicible, en somme…

 

 

Moins éclatant que le rêve – entre le blanc et la transparence…

 

 

Assujettis autant à nos viscères qu’à notre âme…

Instincts, inclinations et sensibilité…

 

 

Des cités – des champs – des routes – du bruit – des hommes ; la grande civilisation de la laideur…

 

 

Ce que nous avons créé ; du confort et de l’absurdité – une direction inscrite dans nos gènes. Un allant commun – profond – contre lequel rien ni personne ne peut résister…

Une marche aveugle et forcenée dirigée de manière souterraine. Dans une mécanique limpide – et, sans doute, extrêmement lucide – une forme de clarté qui doit composer avec l’aveuglement et les instincts terrestres – le sol de la surface…

Un aller direct – un voyage sans retour possible. Ligne droite avec des accélérations et des ralentissements – mais l’allure appropriée – toujours adaptée aux possibilités et aux résistances…

Nous sommes – littéralement – actionnés. Chacun ainsi est gouverné avec, très souvent, l’illusion de ne pas l’être – de se considérer comme le seul maître d’œuvre du trajet, du rythme et de la destination…

Sublime stratagème de l’esprit qui a distillé et répandu, avec une folle intelligence, cette incroyable illusion dans chaque psyché…

 

 

La nuit – le jour – le même sommeil…

 

 

Des instances de partage – la tête déchirée – une route aussi longue qu’infréquentée – l’engagement magistral de l’âme – un désir brûlant (et continu) d’Absolu – un rêve exagérément lumineux – une manière, peut-être, d’apprendre à vivre au-dessus de soi…

Une réalité partielle – partiale – dégradée. Des yeux sans exigence – presque aveugles. Des bouts de mensonges collés les uns aux autres qui ressemblent, à s’y méprendre, à un collier de vérités – une manière, peut-être, de vivre sans être présent ni à soi, ni au monde – ni en soi, ni à ses côtés – en-dessous du seuil de l’esprit – en deçà de la frontière qui sépare l’absence de la conscience élémentaire…

 

 

L’homme a une formidable (et ingénieuse) aptitude à transformer le beau, le vaste et le rude (la Nature) en espace étroit, laid et confortable (la société humaine)…

 

 

Rien de plus épouvantable que la masse – le nombre – la production industrielle…

La quantité – presque toujours – l’ennemie du Beau et du Bien…

 

 

L’humanité – du bruit – le plus puéril et des instincts – des jeux et une gaieté d’apparat…

Des dérivatifs à l’ennui – le plus commun – ce refus, si répandu, du tête-à-tête solitaire et non distractif…

 

 

L’homme et l’art de répandre la laideur…

 

 

Je suis comme les bêtes patientes qui attendent le départ des hommes – le retour du silence…

 

 

L’errance et le cheminement – la profondeur et l’austérité – la solitude et la joie – le silence – manière de vivre ce que l’on porte ; une certaine forme d’atypicité…

Une certaine radicalité métaphysique – intransigeante avec la frivolité existentielle qui n’est pas, bien sûr, la légèreté de l’être…

 

 

Pour vivre – et nous sentir à notre aise – nous devons vivre à distance de l’humanité – au sein d’une zone de confort dans laquelle nous ne puissions ni voir, ni entendre la moindre manifestation – la moindre activité – la moindre présence – humaines…

Autant dire – vivre loin de tout – ou, à défaut, vivre (plus ou moins) inconfortablement…

 

 

Barrières – clôtures – frontières – délimitations et obstacles – partout. Fractionnement de l’espace et du temps – séparation et appropriation – dichotomie entre moi, nous et le reste du monde…

 

 

Le monde – son organisation – son fonctionnement – tous les systèmes mis en place – sont toujours (quelles que soient les époques) l’exact reflet de ce que nous sommes – de ce que chacun est – à l’intérieur*…

Ce qui se passe entre nous – existe d’abord en chacun de nous…

* La guerre, le commerce et le capitalisme qui organisent le monde aujourd’hui sont ainsi de parfaits reflets de notre intériorité actuelle…

 

 

D’autres chemins que ceux du monde…

 

 

Là où la pierre devient la flèche – ce qui pointe vers le plus désirable…

 

 

L’espace – le bleu – l’immensité. Et tout qui se rapproche sans cesse…

 

 

Le coup de génie de l’esprit qui a oublié son envergure dans la contraction – en faisant croire à ce qui est contracté (chaque chose – chaque visage – chaque forme de l’Existant) qu’il est le seul – le centre – et en le faisant pointer irrésistiblement vers l’infini – définissant son envergure comme la seule destination à atteindre (par chacun)…

Quel incroyable stratagème… expliquant bien des choses en ce monde – à peu près tout, je crois…

 

 

De l’ombre – sur les bords – au fond – du regard. Une épaisseur d’autrefois – plus résistante que les autres – nourrie depuis des siècles – et qui s’arc-boute de toutes ses forces pour échapper au grand déblaiement…

 

 

Tout est là – plus ou moins rangé dans la mémoire – comme une boîte qui s’ouvre par intermittence malgré la vacuité. Parfois un rien suffit – et le souvenir jaillit tel un mauvais génie – tel un ressort… Aussi convient-il de rester alerte et vigilant pour rompre sur-le-champ tous les fils naissants…

 

 

Le labeur des hommes – chacun occupé à sa tâche – l’essentiel du temps. Mais, au fond, quel est le véritable travail de l’homme ? Est-ce seulement de contribuer à faire tourner le monde – à faire fonctionner (entretenir – améliorer – etc etc) le système collectif…

Dans ce qui occupe l’essentiel de nos journées – être – marcher – écrire – il n’y a d’activité agissante et productive – ni d’activité d’exploitation et d’instrumentalisation du vivant ou de notre environnement…

Ces activités quotidiennes ne soustraient rien au monde – elles n’y ajoutent rien non plus (un livre de temps à autre – mais qu’est-ce qu’un livre ? – à peu près rien – ça ne compte pas…). Elles semblent se situer, à la fois, en deçà – au cœur – et au-delà des nécessités organiques et psychiques – et n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec une quelconque forme de consommation (nous n’écrivons pas des livres de divertissement)…

Être est, bien sûr, une non-activité – une façon d’être présent au monde et à soi-même – une manière d’être conscient – une forme de présence habitée de façon, plus ou moins, permanente… Ecrire relève de l’esprit – de l’esprit de l’être qui célèbre, joue et danse avec les formes (les mots et les sens en l’occurrence dans ce cas précis) – mais aussi de l’esprit-témoin et de l’esprit d’exploration qui cherche et débroussaille… Quant à la marche, elle relève, évidemment, du corps – de ce fragment de matière (et d’énergie) qui est – et a besoin de – mouvement – mais aussi de contacts et d’échanges avec les autres fragments de matière (et d’énergie) – sol, roches, arbres, air, eau…

En définitive, rien que de très naturel…

Être – marcher – écrire – comme manière de vivre simplement – le plus simple – avec simplicité – notre humanité (et ce qu’elle porte)…

 

 

Une communauté mensongère – un simple rassemblement de visages nécessiteux – des âmes apeurées et mendiantes qui quémandent à l’Autre – aux autres – assurance, sécurité et agrément. Et rien de plus – malgré quelques amitiés circonstancielles (apparentes) et quelques affinités électives (provisoires)…

 

 

A la source de tous les visages – et ce que l’on voit – des bêtes conditionnées et télécommandées (de l’intérieur) par leurs instincts…

 

 

Des formes agencées – enlacées. L’harmonie architecturale du réel – l’harmonie des mouvements. Le monde comme une interminable arabesque – des lignes – des courbes – organisées de façon antagoniste et complémentaire. La structure de l’ensemble – et la structure de chaque élément…

 

 

Ce qui est là – une aventure quotidienne – inégale – disparate – surprenante…

Le jeu des jours…

 

 

Ce que nous avons fait n’existe pas. Tout, à chaque instant, recommence – et est, à l’instant suivant, à recommencer ; le neuf – la nouveauté – sans la moindre référence passée…

 

 

Haute flèche sur l’horizon. Et toutes ces têtes alignées. Dieu et son bétail – l’Un – le remarquable – et l’indistinct – la multitude…

 

 

Il est un autre lieu que le monde – et un autre temps que celui des horloges et des saisons. Des instants remarquables et un silence qui invitent à la solitude et à l’intériorité – une manière de vivre sans la présence – ni l’espérance – des Autres…

 

 

L’Autre existe-t-il seulement ? Ou n’est-il, à l’instar du monde (qui n’est qu’un collectif d’Autres), qu’une incertitude inconnaissable – entre chimère et consolation – entre compromission et nécessité…

 

 

Une fenêtre – le ciel – un jour comme un autre. Et quelque chose qui se dissimule au fond de l’âme…

Des instants de liesse et d’incompréhension…

Le goût du monde sous la langue…

Et des mots d’une grande trivialité…

 

 

L’air bleu qui, parfois, nous surprend au réveil…

Des pas – des heures – quelque chose comme une attente – on ne sait pas bien ce que nous attendons – ce que nous espérons peut-être – la tête est confuse – dépeuplée – presque en mode automatique – des images qui défilent – des idées aussi – qui ne sont pas les nôtres – tout un cortège de poncifs et d’imbécilités qui collent si bien à notre vie que nous les imaginons singuliers – réels – adaptés – comme des aspirations profondes – presque des nécessités…

Mais il n’en est rien, bien sûr…

Des inepties nées de la machine à rêve – rien de plus – des choses tout juste bonnes à jeter avec le reste…

Rouvrir la faille – redevenir le vide – et laisser tout glisser – tout engloutir…

Le neuf et le néant – ce regard si simple sur le monde – sur ce qui arrive – sur ce qui a lieu – sans s’attarder jamais sur ce qui n’est pas – sur ce qui n’est plus…

 

 

Le jeu, l’ivresse et la récompense – ce qui rend la psyché addicte et docile – et incroyablement prévisible – comme actionnée par ses propres circuits internes – pas si éloignée d’une certaine forme de folie…

Et à l’opposé – presque à l’opposé – l’envergure de l’esprit – dégagé et désengagé – libre – autonome – sans besoin – non agissant – pas si éloigné d’une certaine forme de sagesse…

Et l’on glisse – ainsi – d’un mode à l’autre – d’un monde à l’autre – d’une perspective à l’autre – entre le réel et l’imaginaire en passant par mille autres mondes parallèles – entre le conditionnement et la liberté – entre l’automatisme et l’indépendance…

Du relatif à l’Absolu – dans un basculement plus ou moins volontaire – plus ou moins permanent…

Simple étape – humaine – existentielle – encéphalique – dans le cheminement vers l’infini – le non-né – l’origine – l’incréé…

 

 

Ce que nous nous échinons en vain à retracer…

 

 

D’une solitude à l’autre – ainsi plongeons-nous au cœur de notre destin…

 

 

Le sommeil – comme une couleur – une patrie – les seules, sans doute, qui soient…

 

 

On perce, parfois, le plus épais – avec un peu de patience…

 

 

Tout semble à la fois étranger et possible. Rien – pourtant – qui ne déroute…

A travers mille pluies – d’un soleil à l’autre…

 

 

Des ombres mobiles – par milliers – autour de soi. Silhouettes furtives de la forêt alors que les hommes sommeillent loin des arbres – œuvrant à leurs pauvres récoltes…

 

 

Qui donc est présent à nos côtés… Qui donc nous accompagne lorsque nos pas sillonnent ces terres sylvestres…

 

 

De moins en moins humain – de plus en plus vivant et minéral – pierre sensible peut-être…

 

 

Je passe – nous passons – dans notre propre regard. Défilé incessant dans la perception immobile…

 

 

Moins du côté de ceux qui œuvrent que du côté de ceux qui contemplent…

Pas l’âme d’un créateur, ni celle d’un bâtisseur…

Plus proche de la roche que de l’étoile filante…

Plus près de celui qui observe en surplomb que de celui qui invective et ferraille dans la foule…

Plus près de celui qui sue seul et en silence à sa tâche que de celui qui baguenaude et se pavane dans le monde…

 

 

Il n’y a de monde – et, pourtant, presque tous feignent d’y appartenir…

 

 

Je suis comme l’arbre et la bête – en retrait – circonspect face aux histoires – aux chimères – humaines. Sans doute sommes-nous trop différents des hommes pour être en accord avec leurs jeux et leurs lois – et ressentir le moindre sentiment d’appartenance à leur communauté…

 

 

La destruction des mythes – et cette violence inhérente. Comme la volonté d’anéantir le monde. Les heures sans grâce – terribles – de l’éructation…

Le visage du tyran investi – rehaussé – hégémonique – dévastateur…

Le débordement des énergies – la moindre aspérité sur la ligne vécue comme une contrariété – et, aussitôt, l’explosion de la colère – le déchaînement des forces intérieures – la véhémence éruptive…

Sujet au cœur de ce qui ressemble à une abomination…

Le versant sombre – noir – hitlérien – de l’âme. Ce dont nul ne se vante – ce dont nul ne se glorifie – bien sûr – mais qui existe – qui peut advenir – et qui advient contre notre gré – dans une pulsion instinctive – profonde – lointaine – irrépressible…

On frappe – on casse – on brise – on balance – on défenestre – on assassinerait pour un regard – pour un soupir – pour une parole – pour un silence ; tout serait prétexte à anéantir…

 

 

Un grand bruit cannibale au-dedans – une faim exagérée – et des pieux plein les poches – plein les mains – et dans le sac une cargaison de flèches empoisonnées ; et ça lance – et ça balance – et ça décoche – à tout va – jusqu’à l’extinction du souffle colérique – jusqu’à l’effondrement du monde peut-être…

 

 

La matière – et la manière – la plus noire d’exister. Et c’est là – en nous – à l’affût – prêt à bondir sur la moindre tête ; et ça s’élance sans la moindre inhibition…

 

 

Des heures particulières où les Dieux noirs – en nous – exultent et gouvernent . Les grandes liesses de la nuit. L’abdication de l’esprit au profit de la violence pure – la concentration, peut-être, des forces démoniaques. Et le malheur ou la fuite pour ce qui nous entoure – exutoire, si souvent, à cette folie passagère – à cette folie ancestrale – à cette folie irrépressible…

 

 

Un toit – une croix – le nécessaire et la croyance. L’espérance de pouvoir échapper, un jour, aux contingences du monde – à la vie matérielle – à l’existence terrestre – dont on se doute bien, sans même être un grand esprit, qu’elle n’est la panacée – un médiocre purgatoire tout au plus…

Et notre labeur est d’y vivre sans (trop) rechigner…

 

 

Une manière authentique d’approcher la vérité – pour qu’elle se transforme, à chaque instant, en évidence vécue – jamais en concept – ni en objet d’étude…

 

 

Ça roule – ça s’entrechoque – on ne peut se fier à ce qui passe – à ce qui gesticule…

La route encore – qui serpente – qui s’étire – sur laquelle on frôle d’autres destins – des visages étrangers – inconnus – qui passent à vive allure…

 

 

Rien ne peut s’ébruiter dans le jour – sous le règne du jour. Le silence est la seule matière – la seule présence possible. Le reste – tout le reste – est trop fugace pour émettre le moindre son – inventer un langage audible. Et si d’aventure, on réussissait – par je ne sais quel miracle – à faire du tapage, l’épaisseur du silence étoufferait aussitôt la diffusion du bruit…

 

 

Il y a – au fond de soi – des terres inabordables – des rives noires – des régions infréquentables – et derrière, une immensité abandonnée parfois à Dieu, parfois au Diable…

Une manière de vivre – toujours – en deçà des possibles – quelque chose d’étriqué – une bande étroite sans retournement – sans virage – sans tournant – sans dérapage – possibles ; la voie la plus plate qui soit où la destination – ce qui est vécu et expérimenté – est parfaitement prévisible – où ne peuvent se dessiner que des existences tristes à pleurer – des vies bancales – minimales – intensément organiques et instinctuelles – sous le joug d’un psychisme éminemment grossier – presque animal…

 

 

Le plus fragile de soi – exposé aux quatre vents. La marque et la signature de l’individualité – presque une incapacité à être au monde…

 

 

L’eau qui coule – les demi-saisons de l’âme. Tout passe – d’une rive à l’autre – tout se précipite jusqu’aux chutes du temps. Le visage plongé – le visage émergeant – au gré des heures – au fil de la course noire…

 

 

Ce qui se creuse – en nous – en notre absence…

 

 

A l’altitude adéquate malgré l’étouffement progressif des désirs. Ce qui compte davantage que l’ambition. Plus haut – il y a l’impossible. Et plus bas, les enfers…

 

 

L’extase presque machinale à force de rêveries. Des images douces et tendres – enveloppantes – qui viennent combler les manques de l’esprit. Une manière comme une autre d’essayer d’approcher la joie…

 

 

Le dédale des heures collectives – une immense esplanade déserte – et des yeux apeurés qui regardent partout – des souliers qui courent dans tous les sens à la recherche de quelques visages. Des murs aplatis que forment les conventions et les interdits intégrés par la psyché. De longs couloirs invisibles où il faut avancer avec prudence – avec précaution. Des obstacles – et l’allure naturelle – et la foulée libre – qui jamais ne se soucient des lois du monde…

 

 

Feuilles en guise d’instinct – de survie – d’offrande ; l’arbre et le poète – et la lumière comme seule nécessité…

 

 

La pierre noire – des cités sombres – la même source – et, parfois, le même échéancier – ce que la lumière apprend à polir ou à contourner. L’impossible qui nous surprend toujours. Et certains jours – à deux doigts d’y parvenir…

 

 

Les heures réfractaires – les heures marécageuses – les heures à n’en plus finir. Le jour comme seul appui – comme seule raison de vivre. Et l’immensité à nos pieds – quelque chose de fragile – de provisoire. Comme le regard – jamais acquis…

 

 

La hauteur – comme manière de vivre au milieu du monde – retiré mais non inaccessible – accueillant à ses heures ceux qui ont fait le chemin

 

 

Un espace au milieu du monde – dans le retrait d’un tertre encerclé par les collines – lieu naturel exposé aux vents et abrité des yeux trop curieux…

 

 

Posé un instant – un jour – une saison – une vie entière. De passage – toujours – quel que soit le sol – le territoire…

 

 

Des yeux sans mémoire – une tête sans discours – le seul langage des gestes qui en disent aussi long que nos silences…

 

 

La seule amplitude est au-dedans – le jeu de la distance avec le monde et les visages – avec les ombres et les choses…

 

 

Ce qui nous maintient vivant – ce qu’il nous reste à faire – à réaliser – pour nous rencontrer. Il n’y a d’autre nécessité ; la joie – la grâce – ne sont offertes que par surcroît…

 

 

Il n’y a jamais d’erreur – seulement des détours incontournables…

 

 

Des monts – des merveilles – et quelques mots qui, par leur célébration, corrompent et ternissent – et qui ne parviennent, au mieux, qu’à évoquer – ou à raviver, peut-être, le souvenir. A celui qui lit d’œuvrer au labeur complémentaire pour retrouver la beauté du réel…

 

 

Nul intermédiaire – le face-à-face direct – le ressenti sans filtre – le réel sans adjuvant ; l’âme et les choses du monde – le regard – la sensibilité – l’univers et les réalités parallèles. Ce que l’on vit – ce qui nous est offert – sans aucune autre possibilité…

 

24 septembre 2019

Carnet n°203 Notes journalières

Ce que nous réclamons parfois au détriment du soleil. Chaque matin, la promesse d’un nouvel horizon – la clarté d’un sol neuf…

Le regard tout au long du jour – le silence – ce qui favorise l’Amour…

Et lorsque nous en sommes capables – le plus lourd – le plus difficile à porter pour le monde – que nous nous empressons de hisser sur nos épaules…

 

 

Une poutre contre un peu de lumière. Une manière de se rejoindre avant le bleu…

 

 

L’éclat d’un Autre – en nous – qui réfléchit. Le souffle qui court – l’air irrespirable – l’âme qui tremble et cherche un coupable. Le monde tel qu’il est…

 

 

Tout ce blanc que nul ne découvre ; personne au-dedans – personne le long du mur – personne nulle part…

 

 

Ça se déchire – presque toujours – entre le soleil et nous – comme si l’âme s’interposait – et se mêlait de ce qui ne la regarde pas…

 

 

Ces vieilles déchirures que l’on rafistole avec un peu de colle – et un peu de salive par-dessus – histoire de prouver sa bravoure…

 

 

Qui s’étonne de ce monde – d’être en vie – de ces heures qui semblent filer – de ces années de labeur insensé – de cette existence qui finira bientôt…

 

 

On aimerait toucher les choses – les visages – le monde – comme pour la première fois – avec cette curiosité – cet étonnement – mais nos yeux sont trop usés par l’habitude ; il n’y a plus que cette lassitude à vivre – à voir – à faire – presque sans y penser – presque par défaut – comme si nous étions mus par une forme d’inertie poisseuse – avec trop de passifs et de souvenirs au fond de la tête…

 

 

Jeux de rencontre et de coïncidence – sous un vernis d’attrait – subterfuge à peine conscient – pour faire naître ce qui doit arriver – les conditions de l’éclosion – de l’émergence – puis, l’élan donné, la fidélité du mouvement qui suit sa trajectoire jusqu’à la fin ; parfois rupture – parfois choc – parfois long et irrémédiable déclin…

 

 

Lointain – souterrain – ce bleu-soleil – cette utopie – ce à quoi nous ne pouvons croire depuis cette monotonie – depuis ces matins qui ont l’air de ne plus croire en rien…

 

 

Ce que le jour pourrait nous confier si nous étions capable(s) de lui faire face ; inutile d’y songer – nous avons mieux à faire ; initier la confrontation – et la transformer, peu à peu, en tête-à-tête – puis, en complicité, puis en rapprochement, puis en alliance, puis, peut-être enfin, en unité…

 

 

Il y a toujours quelqu’un aux grandes heures du monde pour saper la célébration. Et il faut toujours l’accueillir avec les honneurs pour le remercier de nous rappeler deux choses essentielles :

1. rien ne peut se décider avant son terme

2. rien n’appartient à personne…

 

 

Un peu de temps – et des corps qui bougent. Rien que des corps – des fragments de terre sans visage dont le nom n’est qu’une façon de les différencier du reste – pas davantage ; simple patronyme à usage fonctionnel. Un enchevêtrement de chair – des maillons assemblés de mille manières qui avancent – se contorsionnent – rampent parfois – cheminent ensemble pour un autre lieu – ni moins bon, ni meilleur que celui-ci – simplement différent – parce que leurs gènes – et les instincts dans leurs gènes – l’ordonnent…

Tout se meut ainsi – sans savoir – enchaîné aux Autres – enchaîné au reste – dans une danse étrange – comique – tragique – funeste – inévitable…

L’essentiel – toujours – se déroule ailleurs – au-dedans – dans notre façon de regarder la danse – ce qui tourne avec elle – dans notre manière de l’accueillir sans se laisser entraîner – sans chercher à diriger les pas de ce qui est pris dans la ronde – sans vouloir initier un chemin ou une direction particulière. Être là – simplement – à regarder sans fléchir ce qui ne peut s’empêcher de bouger…

 

 

Du dehors – qu’un amas de rien. Du dedans – on ne sait pas – on sent davantage que l’on ne sait – le plus précieux sans doute – comme un présent…

 

 

Un mot par chose – et pas davantage…

Pas de qualificatif – pas de complication…

Nommer la chose – dire ce qu’elle est essentiellement…

Et ne rien dire si possible – lorsque l’âme peut se passer de langage. Le silence seulement – comme lieu remarquable qui accueille dans l’indifférence du nom…

 

 

Les mots sont le signe d’une infirmité. On les vénère par défaillance. Le silence suffit à ceux qui sont

 

 

Il y a tout dans tout – bien sûr – alors à quoi bon distinguer – tirer les fils pour souligner les différences, comprendre les influences, déterminer les parts nées de ceci et de cela…

L’amalgame et le silence – qu’importe ce qui passe – à quoi ça ressemble. Être là et accueillir ce qui arrive – morceau de l’ensemble – bout du tout – ce qui bouge là où l’on reste – là où l’on se tient immobile…

 

 

Aujourd’hui – tout coule avec impatience – avec de moins en moins de lenteur. Autrefois – le rythme avait la couleur des pas – nous étions notre allure ; et nous allions sans précipitation – la foulée était la seule mesure…

 

 

Ce qui n’est pas vu n’existe pas – et dire que nous vivons avec les yeux (presque) fermés…

 

 

Des terres – des fleuves – des peuples – nous traversent. Nous ne sommes jamais seul(s) au milieu de la solitude. Il faudrait, sans doute, s’exiler un peu de soi pour commencer à être…

 

 

Nous ne sommes constitués que des bouts des Autres – d’abord de ce que deux d’entre eux ont expulsé et mélangé – puis, de tout ce que l’on nous a fait ingurgiter par tous les trous possibles…

Et cet amas de choses – unique certes – se prend pour une singularité originale – le centre même – mais nous sommes tous un centre singulier – voilà qui devrait nous mettre d’accord – mais non – c’est sans compter les luttes et les débats (incessants) pour savoir s’il n’existerait pas des centres plus centraux – des centres principaux – des centres vraiment centres – des singularités plus singulières – des singularités vraiment singulières – des uniques plus uniques que les autres… et si nous n’en ferions pas partie par hasard…. Bref, de quoi alimenter des guerres et des palabres insensés pendant des milliards d’années…

 

 

Un carré d’herbe – un coin de ciel – du vert et du bleu – et ce fond de larmes à verser, soudain, transformé en joie…

Comme si l’oiseau du dedans – en ouvrant sa cage – avait découvert l’océan…

Un restant de bonheur sous ce vieux fond de larmes…

 

 

Tout passe – se déchire – s’enfuit. Et l’œil – et l’esprit – parfaitement immobiles – si peu concernés par le cours des choses – par l’effervescence du monde…

 

 

De la boue – parfois – à la place du jour. Comme une invitation au retrait – à la vie souterraine – immobile…

Voir ce qui se passe sous le vent – en-dessous du monde – là où les pierres abandonnent le chemin…

 

 

Un souffle – du froid – ce qui pourrait réfréner la foulée – la nécessité du feu – ce que l’on étreint dans la foulée – l’air – le sol – les nuées. Tout le monde – au-dedans – qui nous revient…

Manière, peut-être, de clore le rêve…

 

 

Parfois – ce qui vient n’étreint pas – ça a des gestes brusques – un visage à faire peur – ça prend des airs de tempête – ça griffe – ça mord – ça insulte – une sorte de foudre – de bête sauvage lâchée dans l’esprit…

 

 

On se dit, parfois, qu’il faudrait ne pas laisser de traces – effacer consciencieusement toutes nos empreintes. Partir comme l’on est venu – et vivre de la même manière – discrètement – anonymement – silencieusement. A bonne distance du rêve et des visages – le cœur déjà pris par l’Amour et la solitude…

 

 

Debout – posé sur le même souffle qu’autrefois – mais la langue plus libre – plus proche du ciel – qui s’invite, à présent, en voisin assidu – en ami – en compagnon du silence – dont l’immensité et le bleu intense n’effraient plus…

 

 

Rien ne s’interrompt plus jamais – tout à la suite – une chose après l’autre. Et pareil pour les états. Ça arrive – c’est vu – c’est accueilli – ça fait ce que ça doit faire – ça reste un peu ou ça s’en va – parfois ça insiste davantage – on acquiesce à tout – avec ou sans vibrations – avec ou sans rayonnements – avec ou sans conséquences – puis, c’est balayé – et l’instant d’après, ça recommence…

 

 

Rien n’arrive – en vérité – ça a lieu simplement. La nuance est de taille…

 

 

L’œil devient habité – comme un espace sans couleur – un lieu d’écoute – un lieu d’accueil – le foyer du regard – une aire d’absolue non-exigence…

 

 

De moins en moins de traces – on passe – anonyme. Quelques notes pour soi – des pages où le blanc domine…

 

 

Des gestes – pas de souvenirs. Quelque chose encore entre l’œil et le monde. Quelque chose qui stagne – comme une épaisseur – un sas inutile – une distance superflue…

 

 

Ce feu – en nous – qui pousse – où que nous allions – c’est lui qui donne la direction…

 

 

Rien d’une vie rangée – quelque chose entre le monastère et l’anarchie – une manière d’être au plus près de soi – entre le silence et la liberté – entre l’Absolu et la nécessité…

 

 

Un chemin d’exigences moins communes…

 

 

Là où l’on est – comme un foyer de braises sans fumée – la terre – ce qui nous est le moins étranger – cette roche (granitique) et ces forêts – le cœur même du regard…

 

 

Un coin d’azur au bord du monde – loin des murs et des routes. Derrière ce que l’on entasse sans même y penser. Le pays au-delà des rêves – là où la raison ne sert plus à expliquer…

 

 

Rien n’avance – ça bouge – ça change – mais ça n’a aucune importance. Tout est là – dans le creux du regard – du cœur et de la clarté – indépendamment de ce qu’offre le monde. Pas même le temps ne pourrait nous défaire…

 

 

En soi – seul cela compte…

Ce qui est devant – ce qui est derrière – ce qui est à côté – ce qui est autour – simples circonstances – changements incessants – ce qui nécessite des gestes – et, parfois, quelques paroles – une manière d’éclaircir certaines zones d’ombre – sans la moindre pédagogie (nous ne sommes pas professeur…) – simplement une façon de fluidifier de trop persistantes entraves – de redonner la primauté à la vie présente…

 

 

On est plein – on est vide – on est tout – on n’est rien – toujours indissociables – une seule tête – deux visages – et, selon les circonstances, l’un ou l’autre qui s’invite – qui s’impose…

 

 

A vrai dire – rien ne mérite d’être écrit. Ecrire est une tâche (absolument) inutile – une manière comme une autre de célébrer l’instant et ses contenus provisoires. Activité indispensable à personne ; être et vivre devraient amplement suffire…

En vérité – on n’écrit jamais que pour soi. Et écrire pour les autres n’est qu’une forme d’ambition puérile – une sorte d’illusion – le signe d’une déraison ou d’une immaturité…

Et je crois – et je crains – qu’il en est de vivre comme d’écrire…

 

 

Suite de mots – suite d’instants – suite de circonstances. Et suite de souffles à chaque fois…

 

 

Peu de passage – presque jamais de rencontre. Chacun dans son cercle – sur son petit carré de terre. Le soleil commun. La roue qui tourne – le cadran – le temps paraît-il – les rides – les ombres – les saisons – la mort qui emporte – une manière de vivre, peut-être, ma foi – qui peut savoir…

 

 

La corde au pied – et, parfois, le pied sur la corde – deux façons de marcher – deux élans différents mais la même impasse. La liberté – jamais – ne se conquiert ainsi…

 

 

On s’étreint sans la nécessité des bras. De l’intérieur – comme une route et un soleil réunis – un fil – un feu – une manière d’être présent au fond de l’âme – et de veiller sur ce qui vient…

 

 

A vivre, chaque jour, sans autre témoin que soi-même. Pas de tricherie – pas de porte-à-porte. Le plus simple – ce qui vient naturellement…

 

 

De la boue, parfois, dans la tête qu’il faut évacuer à sa manière. Pas de honte, ni de mauvaise pente. Ce qui est là – bien plus important que les livres et les yeux des Autres…

Tout s’en va – revient – repart – cherche une place introuvable – illusoire – l’illusion permanente – ici à cet instant – ailleurs l’instant d’après – qui peut savoir… Personne ne sait – même la terre labourée – même la terre retournée par la lumière – ignore…

 

 

Du ciel – du jour – pas la moindre plainte…

Le souffle – l’air – la puissance – quelque chose d’irrévocable – une présence d’où rien ne suinte…

 

 

Tas de tout – de chair – d’idées – de désirs. Ce que le soleil peine à éclairer – à satisfaire. Tremblements du monde – de la terre – pour secouer ces couches de boue – épaisses…

 

 

Un autre jour que le nôtre – et une danse aussi. Mille choses aux allures triviales. Rien que de très commun – de très banal…

L’ordinaire du monde avec sa langue simple, sa pente et ses routes toutes tracées…

 

 

Cette manière de se précipiter sur tout ce qui fait envie – et de ralentir le temps pour prolonger la jouissance…

 

 

Sans proie – sans terre – sans précédent. Nous sommes le fond de l’écoute…

 

 

On ne s’interroge plus – on ne pense plus – on est – et cela suffit…

Le corps et la psyché suivent leurs mouvements – on ne les entrave pas. On les laisse aller leur chemin – parfois la lumière est là – parfois l’obscurité aussi – parfois la nudité – d’autres fois, l’encombrement. Rien n’est empêché – rien n’est encouragé. Les fils sont tenus jusqu’à leur extrémité. L’esprit est simple – et simplement présent…

Ni ciel, ni refuge – la vacuité et le déblaiement. Le feu et la sensibilité – qu’importe la lourdeur de la tête et des pas…

 

 

De jour en jour – de main en main – ainsi s’imagine-t-on façonné sans voir la part (conséquente) du silence…

 

 

Et quelques mots, parfois, pour égayer l’âme avec un peu de poésie – manière d’accentuer le froid du monde et de raviver la nécessité de la solitude…

Petite lampe au-dessus de la tête pour ne pas trop désespérer de la banalité des paroles des hommes…

 

 

Une marche au cours de laquelle tout se déchire – se disperse – s’éloigne – s’efface – s’absente – pour que ne reste, peu à peu, que le plus simple de nous-mêmes – l’inévitable – l’irréductible – le strict nécessaire…

Ce qui s’impose – le socle, peut-être, de la plus belle humanité…

 

 

Au fond – rien n’est plus acharné que le vivant…

 

 

Ce que d’autres s’arrachent – emportent avec eux – cela nous le refusons…

Le face-à-face permanent qui vire, parfois, à l’affrontement…

Peu de gratifications pour l’individualité. Presque aucune – en réalité…

Rien que la simplicité – et ce qui est…

Tantôt la pluie, tantôt le soleil. Et lorsque le froid s’en mêle – et s’ajoute à la nuit – l’individualité se rétracte – s’effarouche – se crispe – elle n’en mène pas large, en vérité. Et on la surprend même à rêver d’ailleurs – d’autrefois – de plus loin – ça dure un instant – parfois davantage – c’est le manque (le manque de quoi ?) qui suinte – qui réclame – qui se propage. La vieille humanité qui se rebiffe et résiste…

 

 

Du côté de soi plutôt que du côté de l’Autre…

Une perspective qui s’est aggravée au fil du temps…

Trop de déceptions, de désillusions et d’inconnaissable sans doute…

Est-ce juste – je l’ignore – comme j’ignore toute chose – je n’obéis qu’à ce qui s’impose…

 

 

Depuis bien longtemps, il n’y a plus le sentiment d’être maître de quoi que ce soit. Pas de volonté – pas de désir – pas de projet – pas de perspective – ce qui vient seulement – on s’offre à cela – pleinement – de tout son cœur – de tout son poids – avec passion et acharnement – sans savoir où cela nous conduira…

Véritable confiance – véritable aventure s’il en est (pour la psyché et l’individualité) – ainsi on traverserait les enfers (comme nous les avons déjà traversés – à plusieurs reprises). On ne peut plus se fier aux sentiments superficiels tant la chose cherchée (si l’on peut dire) se situe à la fois en deçà et au-delà de l’individualité et de ses états d’âme provisoires – circonstanciels – apparents – mensongers parfois…

Pas de repère – on se laisse aller – traverser – déchirer – recouvrir – les yeux fermés. On s’enfonce et se laisse creuser – de bout en bout – sans savoir – dans l’ignorance absolue de tout…

 

 

L’Autre – cet inconnu. Que nous reste-t-il alors…

Face à l’impossibilité et à l’inconnaissable – soi demeure l’unique option…

 

 

De l’épaisseur – parfois – naît une parole – un silence – qui traverse l’âme – le cœur – sans rien briser…

 

 

C’est un lieu étrange – un espace plutôt – une présence en fait – que rien ne délimite – déserte ou habitée – qu’on ne peut ni saisir, ni définir…

Pas une expérience – quelque chose, au fond, qui se vit de l’intérieur – une manière de vivre toutes les expériences…

 

 

Rien ne peut être arrêté – parfois, on se rejoint simplement…

Comme un jardin en hiver – un sol granitique qui s’offre aux pas…

 

 

On est là sans y être – comme tous les vivants – puis, on essaye d’être sans être là – comme une manière, peut-être, d’apprendre à devenir (un peu) plus sage…

 

 

Être ceci plutôt que cela – ça ne tient à rien – un souffle de plus ou de moins – et nous voilà différents – méconnaissables – l’épaisseur d’un cheveu…

 

 

Le sol et les mots. Et un peu de lumière par-dessus pour que tout ait la même couleur…

 

 

La langue – la chair – la terre – ce avec quoi on crée les murs – ce avec quoi on peut aussi tout défaire pour devenir libre et indifférent aux formes ; une sorte d’espace avec une immense oreille et des mains tendres – une chose très proche de l’Amour – comme une manière d’abolir toutes les frontières…

 

 

De la couleur des jeux de l’enfance avec ces rires qui n’en finissent pas – lorsque rien ne nous retient – lorsque rien ne nous écrase – il n’y a alors que la légèreté et la joie – la liberté de tout essayer – de tout devenir – sans le moindre sérieux…

 

 

Ce que nous sommes – au fond – peut-être – un peu de sable… Et un sol où tout peut arriver… Les deux à la fois. Et nous dérapons – et ça dérape toujours – lorsque le sable se prend pour le sol – s’essaye à une fausse existence de sol – imagine être un sol grandiose…

 

 

Ça s’incline face aux murs – face aux obstacles – face à la langue qui ne veut plus rien dire – face à la langue que l’on écrase. Comme de la boue qui penche – et qui finit par déverser son surplus d’eau et de terre…

 

 

Du silence. Le silence – un soir tranquille – dans la forêt bleue. Le monde derrière la haie – très loin derrière le fouillis des arbres. L’oreille attentive – près du sol – près du ciel. Le vol crépusculaire de quelques insectes – de quelques oiseaux. La langue qui se déroule. La main et le feutre prêts à l’usage. Les muscles du corps détendus. L’air presque frais. L’assaut du même souvenir – à plusieurs reprises. La tête silencieuse et les lèvres peu bavardes. Le flux du monde en soi – la vie qui s’apaise autant que l’âme. La sereine patience de l’esprit…

Comme si toutes les expériences – toutes les rencontres – étaient (encore) possibles – imaginables…

 

 

Des éboulis et du brouillard – quelque chose comme une impossibilité – une défaite – un aveuglement. Une façon de marcher ventre à terre – une manière de vivre sans encombre. Et une voie des retrouvailles aussi…

 

 

Ne jamais écouter les hommes – ce qu’ils disent ne vient, souvent, que de l’ignorance et de la peur…

 

 

On respire jusqu’à l’étouffement – jusqu’à la fin du dernier souffle. Puis on est repris par le premier élan – celui qui nous fait revenir et respirer – à chaque fois…

 

 

Tout se poursuit et se répand – aussi doit-on toujours déblayer et oublier pour pouvoir continuer à accueillir. Le monde et l’esprit dans leur jeu complémentaire…

 

 

On ne se résout que par la soustraction…

 

 

Trancher net – et être ce qui reste – et accueillir ce qui vient – puis recommencer – à chaque instant – recommencer – autant de fois que nécessaire…

 

 

Tout est – rien ne dure – juste un instant. Le bout de la terre – l’âme en désordre – le cœur timide – la tête pleine. Le monde sans vraiment y croire. L’épaisseur des mots dans le feu – sur les pierres. Au fond, rien de très important…

 

 

La vie – le monde – la joie. Rien n’existe véritablement. Tout se fige trop vite dans l’œil – avec les mots – avec les images – dans la psyché…

On devrait tout laisser dériver jusqu’à ses propres précipices – l’antre – les pôles – simple manière de parler de la commune destination des choses…

 

 

Tout s’éclipse derrière la lumière. Tout comme une farce – une devinette – un jeu – où il faudrait s’immobiliser pour dessiner sur tous les mythes la réalité du monde – puis disperser le sable d’un geste amoureux…

 

 

Rien que des dunes alors qu’il faudrait tout réduire à un seul grain de sable…

 

 

Des berges et des débris – et, parfois, dans la voix quelques démons – et dans les gestes aussi – vivant, sans doute, à l’ombre dans la poitrine. Quelque chose de lourd – de noir – qui n’a l’air d’appartenir à personne…

 

 

Des lieux sans enfance – où le temps a été aboli…

Des lieux de liberté et d’impertinence…

Mille chemins sans rien ni personne – sans même une tombe pour nous rappeler que nous sommes mortels…

 

 

Tout a disparu – même pas sûr qu’il reste le regard…

 

 

De l’invisible à la roche – de la roche à la bête – de la bête à l’homme – puis, de l’homme à ce qui ne se voit pas…

 

 

Plus qu’une parole – un souffle. Plus qu’un souffle – un élan – une manière de se tenir debout au milieu du monde – une manière de défier tous les regards – toutes les conventions – et de danser nu au cœur des flammes…

 

 

Tout – à présent – tient dans la main – le peu qu’il nous reste. Et le dedans s’est, lui aussi, vidé peu à peu… Un peu de sable et quelques cicatrices. Le plus grossier a été balayé – et pour y parvenir, il nous aura fallu quelques secondes – et tous les millénaires qui les auront précédées…

 

 

De jour – ce qui tombe avec la pluie – ce qui annonce les ruines de l’âme – la fin du monde. Le grandiose spectacle de la folie. Des lambeaux d’esprit tombés dans le sommeil. Des plaies. Et le soleil de moins en moins présent…

 

 

Parfois – les objets plantés sur l’horizon se déplacent – comme une course entre la falaise et la mort…

Un peu plus loin – les grandes heures du jour. Comme un bleu délavé sur les cailloux…

Et autour de nous – ce sable – le même que celui que nous avons ingurgité – le même que celui dont nous sommes composés…

Du sable – des pierres – et les mêmes débris d’horizon qui blessent les visages…

 

 

L’essentiel – toujours – au milieu de l’épaisseur – sorte de carapace inutile. A tout protéger comme si nous craignions de perdre le plus précieux – comme si nous ignorions où il se trouvait…

 

 

Un pays d’âmes sans âge et sans mémoire – où ce qui bouge ne sert qu’à redresser ce que la vie – et les vents du monde – ont trop penché. Le ciel comme une peau contre le froid et la nuit. Une manière de terrasser tous les monstres…

 

 

De l’herbe – de la lumière – les rives de l’espérance qui s’étirent à travers les jours. Le tassement de la misère. De trop maigres conquêtes qui apaisèrent à peine la faim. Du froid – de l’air – des fleurs. L’idée d’un paradis – une contrée de ciel et de soleil où tout commencerait (enfin) avec l’abolition de la tête…

 

 

Là où tout s’use et s’emmêle – là où toutes les choses portent le même nom – celui de la lumière. Pays de ceux qui n’ont plus rien à traverser…

 

 

Denses – le corps – l’âme – l’esprit – quelque chose de la matière – des restes d’étoiles agglomérés. Et puis, un jour, ça explose – ça explose à nouveau ; ça perd sa lourdeur – sa pesanteur – sa gravité. Et tout redevient comme l’air – le vent – l’espace – le silence. On devine à peine leur présence. Et l’on ne se rend compte de leur importance que lorsqu’ils ne sont plus là…

 

 

A présent – tout est là – posé à même le sol – tout sans la moindre exception…

A travers la fenêtre – la lampe s’est allumée pour éclairer la petite table où reposent la feuille, le feutre et la main. L’écriture – on le sait – durera encore…

 

5 septembre 2019

Carnet n°202 Notes de la route

Qu’un regard à travers le moins nécessaire…

 

 

Des pierres et des souliers le long de la rivière. Chemin qui serpente. Et l’âme docile qui suit…

 

 

Des arbres – des noms – des villages…

Tout s’offre sans que rien ne soit saisi. Aussitôt passé – aussitôt oublié…

Partout – les mêmes choses – les mêmes bruits – les mêmes visages. Tapage et affairement paisibles ou effervescents. Ce qui est fui dans l’instant…

La colonisation monstrueuse – dévastatrice – de l’homme…

 

 

Décrire le monde est inutile – chacun sait – imagine savoir – ce qu’est le monde – sa manière de s’y tenir – et de s’en servir…

Le monde non tel qu’il est mais tel qu’on le voit – et, peut-être aussi, tel que l’on aimerait qu’il soit…

 

 

Roulotte motorisée (notre nouvel habitat permanent depuis quelques mois) qui sillonne les territoires humains, naturels et sauvages. Pas d’itinéraire – pas de destination – pas de domicile – ni de camp de base. Nomadisme total…

Au gré de ce qui pousse et de ce qui invite…

Au gré du besoin de solitude et de silence… Très peu de villes…

 

 

Mode de vie né d’une rupture et d’une nécessité d’habiter le monde à moindre frais…

Sans métier – écrire est-ce un métier ? – sans famille – sans attache – sans la moindre responsabilité professionnelle ou sociale. Pas le moindre ami. Deux chiens – Bhag et Shin – Bhagawan et Shin’ya – deux corniauds trouvés sur la route – il y a longtemps – 8 ans et 11 ans – déjà vieux (et Shin presque dans le grand âge)…

 

 

Nous ne fréquentons personne. Nous vivons à l’écart – en retrait – entre contingences quotidiennes, écriture, route, repos, ravitaillement et balades – presque un art de vivre – une manière d’exister…

 

 

Existence frugale et minimaliste. Vie vagabonde et solitaire – sans étiquette – sans marque ostensible d’appartenance – nous n’appartenons à rien (excepté à la vie, bien sûr)…

Nous cheminons (presque) au hasard – et ne sommes attendus nulle part. Nous allons – simplement – ici et là. Nous ne restons jamais plus deux jours au même endroit…

 

 

Les souliers et le bâton – les fleurs et les étoiles – là où la solitude est possible. Ce qu’il faut de sauvagerie et d’envergure. De la roche et des arbres. Et des clairières pour s’allonger…

 

 

Aucun inventaire du réel – ce qui est sous les yeux – ce qui offre la joie ou ce qui aiguise la sensibilité de l’âme…

 

 

Du linge qui pend à l’intérieur. Un espace à vivre. Un lieu où se retrouver – où se rencontrer. Un moyen de se déplacer. 5 mètres 50 sur 2 mètres 30 – quatre roues – un lit – des banquettes – des livres – une cuisine – une table – une salle d’eau – des toilettes (sèches) – de quoi manger – de quoi travailler – de quoi se laver – tout est là – le juste nécessaire pour vivre et voyager…

 

 

Des lieux qui se succèdent – parfois plusieurs dans la journée – pour trouver, selon la saison, de l’ombre – de la lumière – pour être tranquille – pour écrire – pour arpenter à pied les chemins alentour – pour se ravitailler (en eau – en nourriture – en carburant) – pour passer la nuit…

 

 

Rarement des lieux touristiques – des lieux à visiter – jamais (ou alors par mégarde – par ignorance). Plutôt des lieux quelconques – sans attrait – sans intérêt ni pour les touristes, ni pour les autochtones. Des lieux déserts – et sauvages si possible ; de petits chemins forestiers – de petites routes étroites – des berges infréquentées – des collines insignifiantes…

 

 

Chaque jour – tout change – rien ne change. Le décor défile – une succession d’images – ça se déroule ; du vert – du bleu – du gris – du vert – du bleu – du gris – en proportions variables – aperçus depuis le siège où l’on conduit – depuis le siège où l’on écrit – depuis le chemin que l’on arpente à pied…

 

 

Pas d’échange – pas de parole – parfois, quelques mots – triviaux – sans intérêt. Quelques croisements – presque jamais de rencontre – et moins encore d’intimité partagée ; un rapide aperçu des représentations, des idées et de la perspective de l’Autre – dans le meilleur des cas…

 

 

L’été – saison des entassements et des emmerdements – la période de toutes les migrations de masse…

Des mouches et des hommes – bruyants – envahissants – agaçants – insupportables…

 

 

Rien ne se lit sur les visages excepté le désœuvrement et la frivolité – cette forme d’insouciance qui ne dissimule qu’un grand vide – pas même honteux – pas même coupable – mais très loin, tout de même, de la gaieté apparente…

Il y a des instincts difficilement supportables…

 

 

La solitude et le silence sont des nécessités exigeantes – incompatibles, bien sûr, avec la fréquentation (même lointaine) du monde…

 

 

Les hommes – une proximité trop bruyante – trop pénible – trop prévisible…

 

 

Préférence marquée pour la nuit – la pluie – tout ce qui condamne les hommes à rester chez eux – à laisser l’espace libre – vaquant – à laisser les forêts et les chemins à la vie sauvage et à quelques solitaires endurcis…

 

 

La campagne – si répandue – est sans charme. La main de l’homme y est trop présente – trop lourde – trop invasive. Exploitation – rationalisation – uniformisation. La misère animale est généralisée – une abomination. Tout est sous le joug humain – et voué à l’usage de l’homme. L’horreur de la campagne où les plantes et les bêtes ne sont que des matières – des produits pré-manufacturés…

Aujourd’hui – même les forêts sont industrielles…

On aurait envie de libérer les destins asservis – d’ouvrir les cages – d’abattre les clôtures – de laisser la nature réinvestir les lieux…

 

 

 

Où que l’on aille – l’homme me paraît odieux – infréquentable. Partout – notre sensibilité est éprouvée (et, souvent, au plus haut degré) – l’usage utilitariste et irrespectueux est la norme – la règle commune. Rien de choquant – pourtant – aux yeux du monde…

Où que notre tête se tourne – des larmes coulent sur nos joues et un cri – au fond de notre poitrine – voudrait hurler – et une main voudrait tendre aux hommes un miroir pour leur montrer leur atrocité…

Mais il n’y a personne autour de moi – et si d’aventure quelques visages m’entouraient, nul ne m’écouterait – et tous seraient même surpris – désappointés – voire outrés par mon indignation et ma révolte – et moqueurs devant mon incapacité à accepter la belle réalité du monde humain…

 

 

Le monde sans visage qui défile…

Tout d’un seul tenant – le long de la route…

Longue chaîne de maillons indistincts – identiques…

 

 

Ça bouge – ça respire – ça parle – ça rit – ça crie. Ça ressemble tantôt à ceci, tantôt à cela. Ça a l’air d’exister mais, au fond, tout le monde s’en fiche. Ça n’a aucune importance. C’est là – simplement – et il convient – seulement – de composer avec – et pas davantage…

 

 

Des lieux magnifiques – parfois – mais presque toujours enlaidis par la présence humaine – d’autant plus massive que l’endroit est réputé spectaculaire…

L’homme est une espèce envahissante – dévastatrice – enlaidissante… Où qu’il passe, il ne laisse derrière lui que la désolation…

 

 

Ça veut être là où il faut être – ça veut ce que tout le monde veut – ça ne comprend rien mais ça croit savoir. Ça veut voir – et avoir – ce qu’il y a de plus beau – de plus grand – de meilleur…

Ça n’est rien qu’une infime petite chose chargée de mille exigences – ça tient debout par la volonté des Dieux – et ça s’imagine libre – intelligent – autonome…

 

 

Là où les autres voient matière à réjouissance, je ne vois que tristesse et désespérance…

Une manière de se tenir à l’écart pour ne pas finir fou ou écrasé – étouffé par la bêtise et la foule – par ces mille visages qui aiment se fréquenter – se concentrer – s’entasser les uns sur les autres – comme une masse sans visage ni cervelle…

 

 

L’impossible proximité avec le monde ; trop de bruits, de grossièreté et d’irrespect…

Une insouciance qui confine à l’inconscience. Une sorte d’inconsistance congénitale…

Rien que des occupations et des manies pour combler le désœuvrement…

Et malgré les rires et la gaieté apparente, on entend les cris et les larmes derrière les visages – comme de petits enfants qui auraient revêtu maladroitement le masque si mensonger des adultes…

 

 

Chacun – comme un rocher dévalant – simplement – sa pente…

 

 

On voit – partout – des groupes – et l’on sent aussitôt leur manière de tromper la solitude – d’occuper le temps – de fuir obstinément (presque avec acharnement) leur face-à-face…

L’entre-soi plutôt que le tête-à-tête – le jeu et la distraction plutôt que l’épreuve, la fouille et l’étreinte lucides et solitaires…

Des armées d’ombres – ainsi – que l’on croise chaque jour – malgré nous – à nos dépens…

 

 

Il y a toujours cette chimère du groupe – de l’affiliation – du sentiment d’appartenance. Si l’on est – un tant soit peu – lucide – on ne peut y succomber…

Manière seulement de s’illusionner – de s’imaginer vivant – plutôt que de sentir ce vide en soi qui semble, aux yeux des hommes, si insupportable – si insensé…

 

 

Le besoin de confort (psychique) – ce qui dirige le cerveau et le monde – tout est mû par cette nécessité impérative et absolue…

 

 

L’inconscience et la puérilité – presque incurables – du monde…

 

 

La solitude semble triste – elle est gaie ; la foule semble gaie – elle est triste…

En ce monde – ce que nous percevons s’oppose – presque toujours – à ce que l’on nous présente communément. Représentations collectives versus réalité. Mensonges collectifs nés de tous les mensonges individuels pour se persuader – individuellement et collectivement – de mener une existence juste et parfaite. Système voué à la validation de toutes les illusions – de toutes les histoires que l’on se raconte sur soi – le monde – les Autres…

Ainsi les hommes peuvent continuer à dormir tranquille ; rien ne saurait les sortir de leur sommeil…

 

 

Comme un exil permanent – ni enracinement, ni déracinement – partout étranger…

 

 

Partout l’humain – et (presque) la même manière de vivre – la même perspective – la même perception du monde…

Encerclé par le pathétique et la tragédie…

 

 

Nulle part – un lieu béni où la sensibilité et la tendresse seraient les lois communes – les valeurs centrales des usages quotidiens…

 

 

Ai parfois le sentiment (fallacieux) d’être un moine-ermite sans robe, ni monastère – sans le moindre signe distinctif – contraint de sillonner le monde – les déserts – les lieux sauvages et retirés – mais aussi (malheureusement) la foule humaine – de manière totalement anonyme – avec le même visage que les autres – mais presque sans aucun de leurs attributs… Ce que l’on appelait autrefois un gyrovague…

Mais rien – sans doute – n’est plus faux. Je suis seulement un apatride – un sans communauté – un exilé solitaire – un sans frère humain…

 

 

Partout – cette manière de se servir – de tirer profit – d’exploiter – d’utiliser à ses propres fins…

Très peu d’accueil – d’ouverture – de sensibilité…

Des bêtes instinctives. Et presque rien d’autre. Si – la ruse séductrice en plus. Rien qui ne ressemble – ni de près, ni de loin – à une fraternité d’âme*…

* Mon individualité est encore trop ambitieuse (et idéaliste) en matière existentielle et relationnelle. Elle voudrait, à chaque instant, des rencontres profondes et fraternelles. Et comme elle n’en fait que très rarement l’expérience, elle préfère demeurer seule. Quelque chose, je le sais, doit d’abord être vécu entre soi (en tant que présence impersonnelle) et sa propre individualité pour que celle-ci perde une grande part de ses exigences à l’égard de l’Autre… Mais en dépit de ces expériences d’impersonnalité, mon individualité rechigne à revoir à la baisse ses ambitions…

Figé dans cette posture de l’acquis et de la certitude – de l’habitude et des représentations – qui ont fini par édifier de hauts murs d’enceinte – à la fois rempart et prison – périmètre circonscrit et imperméable où rien ne peut passer sans le consentement timide de l’âme ou le besoin passager d’un désenclavement de la vie quotidienne…

Et lorsque l’autorisation est accordée – elle ne laisse presque aucune marge de liberté ; effleurement et cohabitation provisoire et superficielle – rien ne peut véritablement pénétrer – ni en surface, ni en profondeur – ni d’un côté, ni de l’autre. Simple promenade oxygénante sur son chemin de ronde – sur ses murailles. Salutations et simple bavardage entre voisins d’un instant…

Trivial et pathétique – autant que ma naïveté d’idéaliste qui n’aimerait vivre que des rencontres fortes et déterminantes sur le plan humain – existentiel – métaphysique – spirituel…

Chacun enferré dans une solitude impénétrable…

 

 

Le moment silencieux – il y a, à tout instant du jour, une trappe magique que l’esprit peut ouvrir – et par laquelle il lui est possible de tout jeter…

Vide et légèreté – les clés des retrouvailles avec notre (véritable) nature…

 

 

Un jour – le monde – au loin – les pas – le désert – et la mesure du temps que la mort voudrait sceller…

 

 

Rien de central – ni de fondamental – chez l’homme (ordinaire). Rien de profond sinon, peut-être, le rêve. Partout – le règne (et la loi) des périphéries – l’effleurement – comme mode d’existence et manière de vivre…

Le jeu superficiel des peaux et des masques. Et les danses chaotiques sous le joug (puissant et dictatorial) de la psyché…

 

 

Des milliards de visages – comme une montagne de chair horizontale – comme une longue chaîne de peau, de faim et d’excréments que l’on voit vivre – que l’on entend brailler – sur toute la surface du globe…

Des mains qui se tiennent non pour se soutenir – non par amitié – mais pour ne pas tomber – ne pas être éjecté hors de la ronde…

 

 

Des siècles de tentatives – entre grandeur et décadence – ce vieux rêve de l’homme de réunir l’esprit et la matière – aujourd’hui (quasiment) disparu…

L’époque n’est plus à la réflexion, ni à la quête – elle est (presque) entièrement dévolue à la distraction, à la fuite de l’inconfort et à la jouissance immédiate. La très grande majorité des élans s’inscrivent dans cette perspective…

 

 

D’autres jeux que ceux du monde – plus souterrains – plus invisibles – plus puissants. Ceux auxquels jouent les Dieux, les souffles et les forces en présence – multiples…

 

 

Quelques incidents, de temps à autre, dans la torpeur indifférente qui préside à la trivialité des mouvements mécaniques et quotidiens. Variations infimes dans les élans qui oscillent entre la nécessité contingente et le remplissage (paresseux ou frénétique) de l’existence et de l’esprit – la tentative de vivre mieux et de combler autant que possible ce vide – ce temps à occuper… Bref – l’indigence ordinaire de l’homme…

 

 

Eloignement des références et des accointances humaines…

Au fil des jours – du voyage – se restreint drastiquement notre fréquentation du genre humain…

 

 

Comme une âme – au milieu – et loin – de la foule – anonyme – de plus en plus invisible…

 

 

Chimères et fantômes continuent, pourtant, de nous hanter – un peu ; ceux que nous avons aimés – ceux qui nous ont quittés – ce qui semblait si vrai – si réel – tout cela a été balayé par vagues successives. Et ce qui s’acharne à demeurer s’agrippe avec force – comme, peut-être, les derniers souvenirs qui prouvent que nous avons été humain…

Et pour s’en défaire – il faudrait cureter tous les replis de toutes les parois – dans une exérèse longue et douloureuse ou avoir recours – préférablement – au scalpel puissant de l’esprit pour ôter avec aisance – et d’un seul geste – ces protubérances – ces excroissances de chair et d’images…

 

 

Des jours comme des arbres – hauts et discrets – anonymes au milieu de leurs congénères – œuvrant en silence – et avec assiduité…

 

 

Affilié – seulement – au silence et au vide – aux sources premières – et invisibles – du monde. Seul point d’ancrage – en vérité – pour ne pas errer indéfiniment dans l’espace et le temps…

Pas de visage – ni d’épaule – amis. Pas de témoin – ni de compromis. L’authenticité de la solitude et du face-à-face permanent…

Sans autre chaîne que celles que l’on porte en soi. Sans autre garant que celui qui veille en nous…

Existence quasi anomique – où seuls les circonstances et les penchants de l’âme – et ses inclinations provisoires – fixent le cadre éphémère du geste à accomplir…

Aucun échange, ni aucune parole prononcée – excepté sur nos pages et avec nos visages à l’intérieur – ces parts de soi qui nécessitent et réclament (à juste titre) notre présence – notre attention – notre écoute – notre tendresse – et notre aptitude à ne jamais nous laisser envahir par ce qui est inutile…

 

 

Parfois – la magie d’un lieu – quelque chose de l’ordre du rayonnement ; parfois l’espace – parfois la topographie – parfois l’agencement architectural – parfois (trop rarement) l’harmonieux mariage entre la nature et la main de l’homme – parfois le champ d’énergie entre les formes – parfois l’harmonie des couleurs – mille choses différentes qui peuvent frapper l’œil – et pénétrer l’innocence du regard ; l’âme alors devient sensible à ce qui est là – à ce qui s’expose – à ce qui s’offre…

De l’énergie métamorphosée en joie et en silence – une sorte d’alchimie intérieure…

 

 

Le jour à l’orée du monde. Comme une manière d’être présent au milieu des ombres. Un chemin au-dedans de la prière…

 

 

Partout la beauté souveraine – l’ouverture du cœur. Tout ce qui favorise l’humilité naturelle de l’âme…

 

 

Un bout de ciel – un toit d’église – des murs de pierre – des chemins – des forêts et des prés – le début d’une aventure ; la poursuite d’une errance qui s’affine – qui se précise…

 

 

Pas assez vide, parfois, pour se laisser toucher et s’émerveiller…

Accueillir aussi cette inaptitude – ce manque de grâce. En cela – déjà – nous participons à l’accueil – au grand accueil – à l’émergence et au règne du lieu – en nous – capable de recevoir (et de vivre) tous les états…

 

 

La route finit toujours par devenir voyage – aussi sûrement que les jours (successifs) finissent par faire une vie…

Chemin vers soi – toujours – quel que soit l’itinéraire…

 

 

Beauté – toujours – malgré la laideur. Lumière – toujours – malgré la nuit. Amour – toujours – malgré la violence. Quelque chose d’inespéré dans le malheur…

Rien qui ne puisse nous attrister malgré le sentiment (parfois) d’une malédiction tenace…

 

 

D’un lieu à l’autre – avec le ciel pour seul témoin…

 

 

Adepte – presque exclusivement – de ce dont le mental n’a besoin – de ce qu’il exècre même – tant cela le condamnerait à l’inconfort – à l’inutilité – puis, à la disparition si cette manière de vivre advenait de façon permanente…

 

 

Le sol – le ciel – la pensée de plus en plus aride…

La solitude de plus en plus vive et nécessaire…

La marginalité qui se radicalise…

L’intransigeance accrue à l’égard de ce qui ne montre ni respect, ni sensibilité, ni effacement…

 

 

De moins en moins à dire et à partager…

 

 

Une solitude tournée vers elle-même – et vers ce que porte le fond de l’individualité. L’intériorité comme exigence et critère central. La presque disparition du monde – et l’évitement de ses traits les plus vulgaires et de ses excès les plus communs…

 

 

Il faudrait inventer un pays de solitaires sensibles – ou créer, en ce monde, des zones interdites aux couples – aux familles – aux foules – aux masses. Des lieux de marginalité libertaire où les groupes et les trop-normaux seraient refoulés…

 

 

Chaque jour – des souliers en attente – et le choix d’une sente nouvelle…

 

 

Partout où s’établissent les hommes règnent le plus commun – le plus laid – le plus sordide…

Le royaume de l’indigence et de la bêtise…

Ce qui nous pousse sur tous les chemins où la solitude est (encore) possible…

 

 

Il faudrait une autre terre pour les hommes qui ne se sentent plus humains – ou qui aspirent à devenir réellement humains…

Il faudrait créer des régions nouvelles – ou réserver des zones aux âmes humbles, sensibles et silencieuses – comme des îlots bénéfiques et salvateurs en ces trop nombreuses contrées où ne règnent que l’indifférence, le tapage et la prétention…

 

 

J’attends l’hiver avec une (très) vive impatience – son climat, son silence et sa solitude ; toutes les conditions (enfin) réunies pour que les hommes restent chez eux* – et abandonnent le monde à ce qui n’est pas humain…

* excepté les chasseurs malheureusement – la pire, peut-être, des engeances humaines…

 

 

L’impromptu à chaque virage – souvent plus délétère que réjouissant…

 

 

Ce à quoi l’on est condamné : la proximité du monde – présence et bruits insupportables…

 

 

Et tout ce bleu dont personne ne sait que faire…

 

 

Ce souci permanent d’échapper à toute présence humaine – comme ces bêtes sauvages qui ne vivent – et ne respirent – qu’en l’absence des hommes…

 

 

Moins homme que bête – mais plus ange qu’humain…

 

 

Parfois le dédale se densifie – les murs s’épaississent – se rehaussent. Le ciel descend – s’opacifie. Le labyrinthe prend des allures insupportables de détention. Tout devient irrespirable ; on étouffe – littéralement…

Il n’y a plus que des murs – pas la moindre fenêtre – pas la moindre ouverture. Rien que des ombres qui glissent dans le noir – dans cette atmosphère poisseuse – accablante – de fin du monde. Comme si un couvercle se refermait sur nos vies devenues, peu à peu, des cercueils – et nous au-dedans avec de moins en moins d’air…

 

 

Le plus insupportable – en voyage – dans l’existence – et qui peut, parfois (rarement, il est vrai), se transformer en joie – en grâce – lorsque l’âme et l’esprit sont vides et attentifs – serviables et patients – inoccupés ; être sans cesse soumis à la volonté des Autres – tous ces autres qui se succèdent à côté de nous – et qui enchaînent les activités – avec leurs bruits, leurs mouvements, leurs bavardages – vivant comme s’ils étaient seuls au monde – comme s’il n’y avait pas d’autres…

Présence polluante – délétère – mortifère – qui engendre l’exaspération et la colère – et qui confine soit à l’agressivité – à la frontalité – au rééquilibrage des forces – soit à la fuite et à la quête d’un lieu plus isolé – moins peuplé – désert si possible – oui, désert (par pitié)…

 

 

Je crois que je fuis les hommes avec autant de ténacité que la plupart aiment se rassembler – se réunir – s’agglutiner – s’entasser les uns sur les autres…

 

 

Pas à pas – comme tout ce qui est né. D’ici à un peu plus loin – de la même manière que nous sommes arrivés depuis l’origine jusqu’ici…

Des milliards de fois vécus comme des milliards d’autres…

A vivre sans vraiment savoir – sans vraiment comprendre – sans même vraiment y penser…

Petite chose écrasée par l’ignorance – les instincts – les conditionnements – vouée – seulement – à tourner en rond dans son coin – sur son petit lopin de terre – dans le cercle minuscule de son existence…

 

 

Nous allons comme ces arbres qui poussent – en élément infime – dans l’immense mécanique du monde…

Mais rien de ce que nous faisons – de ce que nous semblons faire à l’extérieur – ne compte vraiment – c’est ce qui s’éprouve – ce qui se vit au-dedans – qui détermine la véritable valeur du voyage apparent…

 

 

L’envergure et la liberté n’existent qu’à l’intérieur. Ce qui se voit n’est que limitation – nécessités – conditionnements – rien qui ne puisse être évité – rien qui ne mérite que l’on s’y attarde excepté lorsque ces belles et précieuses servitudes sont pleinement consenties – une beauté et une grâce alors se dégagent des gestes et de l’individualité – l’acte et le visage singuliers deviennent, à cet instant, le reflet de l’envergure et de la liberté intérieures…

 

 

Qu’importe les combinaisons d’énergie – les convergences – les divergences – les rassemblements – les séparations – les attractions – les répulsions – les ruptures – les créations – les transformations – la continuité – seuls comptent le regard au-dedans et la manière dont jaillissent les élans du centre vers l’apparente périphérie – de l’invisible vers ce qui peut être perçu par les sens…

La grandeur – la joie – tout est consubstantiel à cet espace de réception-création…

Rien – jamais – ne s’écarte du monde adjacent – déterminant principal du cours des choses…

La force agissante de l’invisible…

 

 

Tout au détriment de la vraie vie ; et la vraie vie au détriment de rien – si – peut-être – au détriment de l’inutile à vivre…

 

5 septembre 2019

Carnet n°201 Notes journalières

Du vide naît ce qui étreint – l’innocence et le plus radieux…

 

 

Des traces de moins en moins nécessaires. Juste le regard et ce qui se présente…

 

 

Silence et solitude au cœur de la nature sauvage. Sans doute – les seuls lieux où nous pouvons vivre…

 

 

Rien n’écorche dans l’immobilité – tout glisse sur la transparence. Et les vents débarrassent du reste…

 

 

La solitude ne se conquiert qu’au-dedans de la solitude. Et tout invite à habiter ce faîte…

 

 

Plus serré parmi les visages que seul sur la route où tout s’écarte…

 

 

De tous les côtés – les flammes – ce qui nous entoure – le monde et la nuit froide – le ventre à terre pour essayer de se faufiler sous les branches – dans l’air bleui par le ciel – à rouler sans bruit dans le passage…

 

 

Ce qui tombe – ce qui revient ; les mêmes jeux sans malice – sans mystère – et le visage des hommes moins hospitalier que celui des fleurs…

 

 

Paroles pour dire la nuit – autrefois – et cernées, à présent, par le véritable commencement du silence…

Tout – maintenant – aspire à disparaître – à être précipité dans le vide avec les images et la pensée – les souvenirs en tête – et les croyances et l’espoir à leur suite…

L’arrachement salvateur des certitudes…

Regard et monde vierges et neufs…

Le blanc a tout recouvert – tout envahi – a retrouvé sa place…

Et les formes et les couleurs – provisoires – qui passent…

 

 

L’éblouissement d’un autre jour que celui des hommes…

Une terre parachevée peut-être…

 

 

La fatigue des noms et des histoires…

Le retour au plus simple – à l’essentiel – à l’originel…

Tout – en poussières délicates – en écume raffinée… 

 

 

Des pierres – des corps – des chemins – et autant de blessures et de foyers – mille mondes possibles. Et le silence au-dedans que le dehors, parfois, rend fébrile. Et notre épuisement devant ce qui résiste ; les obstacles – l’inertie et l’inaction – l’effervescence et les jeux des hommes….

 

 

Rien que soi – la lumière et le monde à l’intérieur. Le souffle et le vide qui éventre la mémoire…

 

 

Être – il n’y a – et nous n’avons – que cela – en vérité. Le reste est trop provisoire – trop aléatoire – trop inconsistant. Sauce superflue – vaguement parfumée et goûteuse – qui ne sert qu’à agrémenter l’essentiel – jeux et colorations sur l’irréductible – mousses et lichens sur la roche originelle…

 

 

La parole – comme tout le reste – ne sert, en définitive, qu’à libérer le silence…

 

 

Comme des bêtes surprises – et enveloppées – par la nuit – puis, soudain, le jour. Et tout, aussitôt, vole en éclats ; l’obscurité – le monde – les visages…

 

 

Ce que l’on porte et ce dont on a l’air – un gouffre infranchissable semble les séparer…

Qui pourrait imaginer qu’en de telles limitations loge l’infini…

 

 

Quelques jours d’existence – à peine – pour chercher et découvrir – juste le temps de voir défiler quelques nuages – quelques visages…

Ce qui n’empêche nullement des siècles et des millénaires d’enlisement…

 

 

Tout a l’air si vrai – alors, qu’en vérité, on n’est sûr de rien. Tout se déroule dans la tête – si étroite – petite boîte dans un coin infime de l’esprit à l’envergure si vaste…

Et ce vide qui efface – et la précision du ressenti. Tout va si vite – tout – en un instant – se manifeste – puis disparaît…

Que reste-t-il sinon le vide et la nécessité de l’oubli…

 

 

Rien d’horizontal, ni de vertical – les dimensions explosées – anéanties. Seuls règnent l’instant et le vide – ni monde, ni visages – ou alors de manière circonstancielle – uniquement…

Et, pourtant, nous vivons avec les mains enfouies dans les poches – à serrer je ne sais quel trésor – papiers – objets – figures – souvenirs – affrontant le froid de la chair – l’indigence des âmes – les malheurs des existences – le désert et la mort – comme si tout ce qui était devant nous – comme si tout ce qui nous traversait – étaient réels sans voir que tout est toujours trop loin – hors de portée – mais qui s’en rend compte…

Nous croyons vivre mais, en vérité, nous butons sur tous les obstacles – nous croyons marcher mais, en vérité, nous ne franchissons aucune barrière – nous croyons vivre heureux mais, en vérité, nous croulons sous le poids de la neige et la boue des autres – nous croyons vivre l’amour mais, en vérité, nous mourrons de froid et de solitude au fond du jardin – devant la porte fermée du seul abri…

 

 

L’incarcération au-dedans – et les barreaux intérieurs – bien sûr. Et pareil pour la liberté. L’une et l’autre ne se voient sur le visage ; elles ne se révèlent que dans le geste et la parole – dans la posture de l’âme face aux circonstances…

Des barrières – des inhibitions – et des franchissements…

Des fossés – des murs de pierre – et des fleurs sauvages…

Un penchant naturel. Des inclinations. Et les préférences de l’âme…

 

 

L’hiver à demi effacé – et la lumière trop timide pour faire naître la pleine clarté. Légère pénombre et soleil pâle…

La peau – la terre – le mouvement entre le froid – persistant – et la chaleur qui monte paresseusement…

L’âme condamnée à une ardeur défaillante. Des élans qui manquent de tenue et de franchise…

 

 

Ce que l’on voit s’écrit – ce qui s’entend s’écrit – yeux et oreilles du dehors et du dedans qui fauchent leur récolte à mesure qu’apparaissent les tiges à couper…

 

 

C’était déjà là – avant de vivre – avant de naître. Ça n’attendait que les conditions pour émerger – grandir – devenir – ce qui avait besoin d’éclore…

Tout pourrait faire obstacle – tout serait bousculé – renversé…

C’est patient – ça attend son heure et les conditions requises – comme l’herbe qui fend le béton des trottoirs – c’est mû par une force titanesque – ça n’a l’air de rien mais, au fond, c’est redoutable – ça n’obéit (comme toute chose) qu’à son propre élan – qu’à sa propre nécessité. Et quels que soient le temps et les empêchements, ça finit – toujours – par advenir…

Voilà de quoi nous sommes constitués – notre noyau dur – le soubassement de nos vies apparentes – matériau sans intérêt excepté celui d’être le terreau le plus favorable à ce qui doit émerger – pousser – croître – s’imposer ; c’est au fond de l’âme – et au fond des tripes – et ça s’infiltre par tous les trous – par tous les canaux – par tous les passages – possibles…

Beauté monstrueuse du vivant et de l’énergie…

 

 

En nous – plus loin que l’embrasure – plus loin que le lieu où tout se retire. Ici même – là où le soleil n’est ni devant, ni derrière nous – au centre – ce que la parole ne peut saisir – ce que le souffle ne peut arracher – en chacun – chaque jour – à chaque instant…

 

 

Trop d’humains – partout – et, en moi aussi (bien sûr), trop d’humain…

 

 

J’attends l’hiver et la caresse des mots qui nous réchauffera. La franche solitude qui – jamais – ne s’encombre de visages et de souvenirs. Le désert retrouvé – estimable…

 

 

Tous les yeux tournés vers la même terre – vers la même perspective. Comme des têtes usinées dans le même moule ; la reproduction du pire qui s’aggrave – de plus en plus funeste – au fil des générations…

 

 

Il y a – en moi – cette nature sauvage qui me fait ressentir avec force ce que les bêtes éprouvent face à l’invasion humaine – face à l’hégémonie des hommes – face à leur omnipotence – à leur omniprésence – à travers leurs mille activités exploiteuses et irrespectueuses…

Et comme elles, je ne peux rien faire ; ni crier, ni mordre ne suffiraient – nous sommes condamnés à l’évitement et à la fuite…

L’impuissance et la rage au cœur…

Peut-être ai-je, en plus, les mots pour dire notre dénuement et notre désespérance devant tant de bêtise et de barbarie. Et quand bien même – exprimer ne fait guère la différence – nous sommes si peu, aujourd’hui, à reconnaître cette infamie… Et rares sont les hommes prêts à entendre cette vérité…

C’est enfoui au-dedans de nous – cette boue – cette bave – cette ruse – cette monstruosité – inscrit dans nos gènes. C’est enterré – et par-dessus – on a mis des fleurs – quelques aménités – un soupçon poisseux d’intelligence – pour faire croire à une possible humanité – digne de ce nom – imposture, bien sûr – vaste supercherie – ça circule encore dans nos veines – dans notre sang – dans toute la tuyauterie de notre cerveau…

Il n’y a de pire engeance que celle qui prétend ne plus être régie par les instincts – enfouis si loin – si profondément – et si mal qu’on les entend bruisser dans chacun de leurs souffles – dans chacun de leurs pas – dans chacune de leurs pensées. Ceux qui s’affichent et s’enorgueillissent ainsi ne sont presque qu’instincts – en vérité…

Pour vouloir paraître autrement – davantage – pour avoir l’air de ce qu’ils ne sont pas en réalité, ils sont prêts à récuser jusqu’à la mort ce dont ils sont tout bouffis et à cracher leur haine, leur mépris et leur prétendue supériorité sur tous ceux qui affichent avec plus de naïveté les traits dont ils estiment être affranchis…

 

 

Ça dérape souvent cette manière de nourrir l’illusion – au point de ne plus rien voir – de ne plus être capable de percevoir ce qui existe vraiment…

 

 

Le souffle – le sol – la même aspérité – parois collées. Et entre les pas – entre l’inspir et l’expir – le silence – cet intervalle hors du temps – voie par laquelle le silence se laisse rejoindre plus aisément…

 

 

De la lumière – parfois – entre deux rectangles gris – recouverts par le haut d’un bleu étrange – comme un œil sur la souillure du monde qui fouille et désosse les apparences pour révéler ce qu’elle dissimule – et ce qu’elle ignore elle-même ; la graine de beauté – l’élan possible vers le devenir – le jeu profond et permanent de l’évolution et de la métamorphose…

 

 

Rien n’est vu – à proprement parler – on devine davantage que l’on ne perçoit – et par-dessus – on invente. Et on imagine ainsi décrire le monde avec objectivité. Il faudrait traverser les peurs – et l’épaisseur de l’âme – creuser sous les images – faire exploser le sommeil et les apparences pour commencer à voir la réalité sous nos yeux…

 

 

De la poussière dans la bouche – descendu en soi – comme l’effluve du jour – ce que les vents ont livré à nos pas – ce que la main a saisi près du sol pour satisfaire la faim. Le ventre et l’âme – à l’abri des déboires et de la lumière – dans cet interstice où l’on ne se nourrit que de débris – des restes organiques et célestes…

Tout – ainsi – entre au-dedans – devient la jonction avec ce qui semble extérieur…

Des souffles et de la neige – tout ce que l’on saupoudre sur nos têtes…

 

 

Rien que de la vase – lorsque l’on fouille dans l’esprit – la mémoire. Ça a l’air clair – limpide – tout semble se détacher de manière nette et précise – avec facilité – mais tout, en réalité, a une odeur et un goût de marécage – d’eau stagnante…

Et tout – aussitôt remonté – se délabre – se liquéfie – retombe en informes pâtés dans la mélasse brunâtre et nauséabonde…

On voudrait que cela ait des airs de liqueur – de parfum d’enfance et de bonheur perdu – mais ce sont les égouts et leurs effluves pestilentiels…

On peut enjoliver les images – leur donner un air de propreté – et abuser l’esprit en ne lui présentant que des fragments isolés du reste – mais si l’on est honnête – et un tant soit peu lucide – on ne peut ignorer ce lieu étrange d’où émergent les images – et on a vite fait de comprendre qu’il est plus sage de tout remettre à sa place – de tout jeter en contrebas – et d’ouvrir les vannes pour que le marigot se déverse – s’évacue – disparaisse…

 

 

Histoire d’intériorité et de propreté – l’esprit comme une ménagère exigeante – presque caricaturale – le balai à la main – soucieuse jusqu’à la maniaquerie de l’hygiène de son foyer ; une grande pièce aux murs blancs et au mobilier rudimentaire – éminemment fonctionnel – voué uniquement aux usages quotidiens nécessaires…

 

 

Des mots – des souffles – et par-dessus – et par-dessous – une lame effilée. Et tout – coupé – haché menu – et réduit en poussière – puis consciencieusement balayé…

Déblaiement incessant pour accueillir de manière toujours aussi neuve la vie incessante et nouvelle…

Dans l’esprit – le dispositif inverse de celui que la vie et le monde ont naturellement mis en place – qui soustrait ce que ces derniers ne cessent de répandre – d’amasser – d’entasser ; le vide – le moins – pas contre mais pour accueillir le plein – le plus – et leur offrir le terrain le plus propice – vierge – libre – sans embarras…

 

 

Ne pas se laisser impressionner – ni attendrir – ni même bluffer – par le jeu du monde, des visages et de la psyché – chargés de désirs – de revendications – de règles à respecter – d’une longue liste d’exigences…

Couper – trancher – et se débarrasser de cette poudre aux yeux – de ces simagrées – de toutes ces niaiseries du monde, des visages et de la psyché qui ne manquent jamais une occasion pour nous faire passer pour des bourreaux sans âme – des bourreaux sans cœur – si nous avons le malheur de ne pas nous conformer à leurs caprices – de ne pas satisfaire leurs incessantes volontés…

Soleil qui rase et défait pour rayonner sans rival sur le monde des objets…

 

 

Rien ne soumet – mais nous avons l’âme docile – obéissante – réglée sur de vieilles obligations – des choses si profondément ancrées que nous les réalisons sans même savoir qu’elles existent…

Entre peurs, plaisirs et espérance – la psyché s’agite – cette cervelle au cortex trop lent – et trop timide…

 

 

Tout finit par prendre la couleur de l’hiver. Il suffit d’être patient…

 

 

Tout est là – en deçà de cette agitation – de cette effervescence mentale – et au-delà de la quiétude – de cette paix à ciel découvert…

 

 

Rien – l’absence encore – le manque qui traîne la patte – qui résiste au grand déblaiement – qui s’accroche en vrillant le cerveau au point de créer une tension de plus en plus insupportable – passagère mais de plus en plus insupportable – illusoire mais de plus en plus insupportable – fiction et mensonge de la tête – simple jeu d’amplification électrique – hormonale – neuronale – encéphalique…

Dans l’attente d’un retrait – d’une suspension – jusqu’à la disparition définitive…

 

 

C’est souvent ainsi que l’on marche – la tempête à l’intérieur – avec cette fièvre diabolique – ces luttes fratricides – cette effervescence chaotique – et avec cette tête qui semble si froide à l’extérieur…

 

 

D’une seule couleur – celle qui nous attend. Des cloches et de la lumière. Des voix qui portent malgré les bruits du monde. Une sagesse inhabituelle. L’au-delà qui se rapproche. La vie et les Autres en nous…

Quelque chose devient le rythme – le pas – la pensée – les contenus de l’esprit – puis ses parois – puis, l’esprit lui-même dans toute sa démesure – comme si la folie s’insinuait à travers tous les passages possibles – le dehors devenant le dedans – et le dedans s’élargissant jusqu’à tout contenir – tel qu’au premier jour du monde – m ais à l’envers…

 

 

Les mots ne servent qu’à ramasser les restes – à témoigner de quelques broutilles – mille choses sans importance. Toujours – ils manquent l’essentiel – le retour et le vertige – le devenir du gris – cette refonte profonde (et miraculeuse) dans le bleu. La vie comme un fil – les destins comme des voiles – de la haute voltige – et de nobles aventures – sur nos eaux sans remous – et dans notre esprit toujours aussi tumultueux…

 

 

Rien que des mots parfois – mais qui ne suffisent à vivre. Il faut aussi des gestes – du silence – de la solitude et des pas – et quelques arbres à saluer – pour nous réjouir pleinement du jour…

 

 

De la terre et du feu – ce qui nous redresse malgré le vent – malgré le monde – malgré les hommes…

Tout se retire pour que nous puissions faire face au ciel et à la lumière avec poésie et efficacité – de manière intense et pragmatique…

Une suite de vertiges, de pertes et de chutes préalables pour que nous puissions nous présenter aussi nu(s) et humble(s) que possible…

 

 

Tout se percute et s’emboîte pour que nous avancions – et que se rapproche l’évidence…

Pour que la rencontre ait lieu – il faut que ça émerge des profondeurs – que ça monte et que ça descende – que ça s’inverse et que ça explose – alors peut-être – le regard – la lumière – le silence – l’évidence – réussiront-ils à se rencontrer – à ne former qu’un seul trait dans l’âme – sur le visage – sur la page…

Rien de mécanique dans ce processus – cette rencontre ; quelque chose plutôt entre la magie et la poésie – et comme une fulgurance éminemment pragmatique aussi – un événement étrange à vrai dire – absolument trivial et sans pareil – indéfinissable…

 

 

Du rouge au gris – puis, un long intervalle dans le noir – puis, un agrandissement jusqu’au blanc – un saut vers le jour – puis, le soleil rayonnant jusqu’au bleu – impérial…

Mais qui sait si nous ne pourrions encore être la proie d’un glissement impromptu – sournois ou radical – vers le froid…

Une chute vers la vacance sombre de l’âme…

 

 

La nuit – en réalité – n’est jamais à l’extérieur – dehors n’existe pas – ce n’est qu’un rêve – un mythe – un mensonge pour les âmes étriquées. Dieu – déjà – présent – partout – avant même la première naissance…

Ensuite – on compte les morts et le nombre de vies nécessaires pour refaire surface au cœur du réel – puis le nombre de pas qu’il manque pour transformer le réel en vérité…

Après, on ne sait pas – peut-être n’y a-t-il pas d’après…

 

 

On laisse faire – de plus en plus ; et il y a de la tristesse au fond de l’individualité – comme une couche épaisse de mélancolie…

A chaque fois, on imagine que ce sont les ultimes soubresauts de l’individualité – et puis ça revient – ça finit par revenir comme si cette désespérance était sans fin – intarissable – littéralement… Et sans doute est-elle intarissable car le monde, sans cesse, la nourrit – et dans le monde – et au contact du monde – l’individualité n’a d’autre choix que celui de la tristesse ; elle ne peut prétendre à autre chose – elle ne peut nier son inclination profonde – presque sa nature – et elle ne peut disparaître…

L’esprit, lui, sait échapper à l’individualité – à la tristesse – au monde – à toutes ces niaiseries qui nous condamnent à la désespérance… Mais notre manière d’y être – de l’habiter – n’est pas assidue – n’est pas assez régulière – malgré nos efforts – elle demeure erratique – trop encombrée encore par ce qui entrave le passage – par ce qui s’accroche – par ce qui s’agrippe désespérément par peur d’être balayé et jeté définitivement dans le vide…

 

 

Tout est posé contre nous – voilà pourquoi nous étouffons parfois – voilà pourquoi nous étouffons souvent – presque toujours. Il n’y a pas assez de distance – et nous avons perdu la hauteur – et l’envergure – nécessaires pour demeurer en surplomb – là où le magma, l’entassement et les blessures prennent des airs de danse – ressemblent aux traits d’une arabesque sans douleur – comme une succession de mouvements dessinés dans l’air…

 

 

Quand tout devient rien – la gravité disparaît. Le rire revient – et révèle notre nature – le seul visage de l’âme. L’air retrouve sa légèreté. Et vivre n’est plus qu’ivresse – vertige – joie intense…

Quand tout reste tout – ça fait comme un poids insoutenable ; soi – l’âme – le monde – toutes les choses – tous les visages – pèsent – pèsent sur nos pauvres épaules. Les jambes fléchissent – le corps vacille – le cœur s’épuise – il n’y a plus que lourdeur et tristesse – noirceur et impossibilité…

Et, à chaque fois, la fin du monde est proche – presque inévitable ; le grand œuvre de la désespérance…

 

 

La défaite écrasante nous plonge dans une forme d’impuissance paroxystique. L’anéantissement de la volonté – la capitulation complète de l’individualité – l’annihilation de ce que l’on appelle couramment le destin personnel. Le contraire (absolu) du succès et de la liberté individuelle – de la réussite et de l’indépendance dont on nous fait croire qu’ils existent – qu’ils se méritent – qu’ils se conquièrent – mythes et mensonges ancestraux dont les hommes et la psyché ne peuvent se passer…

L’effacement et la soumission totale à ce qui est ; Dieu, l’esprit et le monde plus puissants que les désirs et les illusions humaines…

 

 

Des jours entiers sans visage – avec soi – l’herbe – les ombres. Des milliers d’instants au cœur de ce face-à-face – Dieu et la psyché – ce que l’on porte – le regard et l’individualité – distance et tension – accueil et résistance – entente parfois jusqu’à l’union – jusqu’à la désintégration des noms et des frontières…

 

 

Au fond de l’air – il y a un tombeau – un trou – un front – un peu de terre – un peu de bleu – le lieu de la lumière – la tristesse – le chant un peu triste qui accompagne ceux qui partent – le supplice et l’extase de chaque instant – indissociables. Et c’est cela que, chaque jour, nous respirons – l’inlassable continuité du monde…

 

 

Ce qui blanchit nos cheveux – et ce qui blanchit nos âmes ; rarement la même chose…

 

 

Des années à écrire – le même chemin de sable et de poussière. Des mots sans couleur – un œil sans âme – juste assez pour vivre – et revenir le lendemain…

Et de cette vie – bientôt – il ne restera plus rien – fort heureusement…

 

 

Lumière sombre posée sur quelques âmes. Une route – au loin – qui ressemble à un labyrinthe. Pas d’existence franche – réelle – quelque chose comme une impasse et un ajournement. Une manière, sans doute, de revenir – et de repartir du même lieu ; celui qui a pour origine le voyage…

 

 

Des lignes qui, parfois, tendent vers un horizon impossible. Il faudrait plus d’errance et de magie dans la main – quelque chose comme une âme plus vivante – plus vibrante. Une sorte de joie face à l’inconnu. Et, peut-être, moins d’idées et une manière d’être au monde moins rigide – moins codifiée…

Vivre avec l’émotion vive – sincèrement triste (presque douloureuse) – que l’on éprouve face à une tombe sans ornement – sans artifice – un peu de terre seulement avec un nom et deux dates. Et rien de plus. Si – parfois – une inscription – une seule – ou une photo. La poussière retrouvant humblement – sans emphase – sans afféterie – la poussière…

 

 

Il y a – toujours – une émotion vivante – une tristesse joyeuse – à voir une franche humilité – une beauté – une grâce – un émerveillement – la possibilité du Divin dans le plus pauvre et le plus simple…

 

 

Chez les vivants, j’aime aussi cette solitude et cette humilité – chez tous ceux que la vie a suffisamment contrariés – déçus peut-être – pour qu’ils n’aient plus d’exigence – et parfois – même plus d’espérance – mais sans rancœur – sans tristesse – sans aigreur – devenus assez sages, peut-être, pour s’en remettre à la providence et à ce que leur offrent les circonstances…

 

 

Des jours ternes – parfois – comme un regard éteint – un excès de sommeil – quelque chose que nous n’avons pas su offrir ou révéler – une âme trop distraite peut-être…

 

 

Rien ne s’impose – pas même la pluie – ça s’offre. Et dans ce don – il y a toute la lumière et l’Amour que l’on prête, parfois, à Dieu. C’est un regard qui vibre – une tête sans ombre – une manière de tenir la nuit à distance – d’éviter la contagion – de réduire la peur et la médisance…

 

 

Rien que la mort parfois – et cette façon de se coucher sous la tristesse. Trop de fatigue – et pas assez de ciel peut-être…

 

 

Le coin de la bêtise avec ses angles trop droits où tout vient se cogner…

 

 

Ça écrit encore – on ignore pourquoi – on ignore pour qui. Une manière, peut-être, de se faufiler entre les vivants – de façonner un désert autour de soi – d’être fidèle à sa singularité – de se rappeler qu’une dimension – une perspective – une vérité – existent au-dedans bien plus essentielles que tout le cirque du dehors…

Et comme manière de vivre, peut-être, toutes ces belles choses au quotidien…

 

 

Parfois – tout se retire – sauf l’ombre persistante…

Rien ne glisse sur le gris du monde…

Tout s’accroche aux visages – comme si le provisoire cherchait l’éternel…

 

 

Quelque part – dans le désœuvrement du monde – un peu à l’écart – à entendre ce qui ne peut s’éteindre ; ce feu – cette agitation – ce brouhaha – inévitables…

 

 

Les malheurs des vivants au pied de la lumière…

Le tour de force des ornières pour dissoudre tout ce blanc – toutes les promesses de la beauté…

 

 

Pour aimer – la rareté doit être manifeste – ce que le ciel tient, bien sûr, pour une évidence. C’est toujours vers l’unique que nous nous tournons…

La multitude est une forme de malédiction – d’infirmité – où rien ne se distingue ; une suite de visages – de noms – de reliefs – aussitôt vus – aussitôt oubliés – un long ruban de chair sans existence – sans conséquence…

Il n’y a que soi, bien sûr, que l’on différencie de la masse. Chacun – ainsi – se rassure – dans cette évidente distinction…

 

 

On fait – souvent – durer plus que de raison – histoire de gagner du temps sur le rien – et, peut-être, sur le néant ; le vide – la solitude – la mort – toutes ces choses un peu lointaines – un peu abstraites – mais dont l’ombre et l’apparence – et rien que le nom – nous terrifient…

 

 

Devenir ne suffit pas. La promesse non plus…

Et lorsque l’être se réalise – et que le temps disparaît – devenir et la promesse perdent toute leur valeur – tout leur attrait…

 

 

Un peu de bêtise et de sommeil – ce que les hommes partagent le plus communément – le plus souvent – et de bon cœur qui plus est…

 

 

Rien que le silence – et tous les paysages à l’intérieur…

 

 

Au-dedans – et plus jamais à côté…

 

 

Une seule présence – parfois – à la place de ce que nous avons (vainement) accumulé ; des livres – des fleurs – des enfants – des images – des conquêtes – mille choses – mille souvenirs – inutiles…

Une issue à tout – pour peu que l’on se sente prisonnier – abandonné – incomplet…

Comme une main – une lumière – qui, soudain, effacerait l’accablement…

 

 

Cloué à ce qu’il nous reste alors qu’il nous faudrait être nu – sans fardeau – sans douleur…

L’air et la peau déchirés – ce que l’on s’arrache encore pour que le rien – le plus rien – illumine…

 

 

De la poussière – une lampe – et soudain mille montagnes – et la route longue – longue et sinueuse – si longue et si sinueuse que d’ici on ne peut rien voir – ni même deviner la fin – seulement l’imaginer…

 

 

Une manière de s’absenter – de renoncer à l’inutile…

Une manière non d’arriver quelque part – mais d’être présent là où nous nous trouvons. Et qu’importe le contexte, les visages, les possibles – qu’importe le devenir – ils comptent pour presque rien – offrent (seulement) une vague coloration…

 

 

Comme un lourd rideau que l’on tirerait derrière soi. Et devant, l’horizon clair – et au-dedans, le seul soleil…

Comme un étrange désir que personne ne touche plus à rien – ou que si tout se transforme encore – le changement nous soit bien égal…

 

 

Fermer les yeux – et tenir le regard debout – dressé non dans l’attente mais dans l’attention. C’est ce qu’il nous faudrait avant que l’on ne nous enterre – avant que l’on ne referme notre tombeau – juste avant notre dernier souffle…

 

Publicité
Publicité
5 septembre 2019

Carnet n°200 Notes de la vacuité

Oscillations précises – d’un jour à l’autre – d’un instant à l’autre. Forme élémentaire d’apparition – de changement – d’échange…

Naissances conditionnées – mystérieuses – cycliques…

 

 

Pas – bruits – mouvements – à la suite. Et des intervalles d’absence. Le lot commun – ce qui traverse l’esprit…

Des injonctions parfois – des retours souvent. Et les mille évacuations quotidiennes indispensables à la vacuité…

 

 

La persistance du jour. Et des éclats de nuit encore. Ombres nocturnes et fantômes plutôt qu’entités vivantes…

Davantage soi qu’un Autre – davantage rien que visage…

Le rôle du vent plus essentiel que le monde des idées…

Le réel au détriment du rêve. Le vide intense – profond. Et le silence plutôt que le tapage et la vie accumulative…

 

 

Ce qui est – sans construction – sans distinction – sans commentaire…

L’œil tranchant – lucide peut-être – plutôt que l’analyse. La précision plutôt que les méandres tortueux…

 

 

Aucune trace sinon celles du feutre qui accompagnent les mouvements – qui ne les commentent pas – qui ne les dissèquent pas. Simple corollaire de ce qui est – légère extension peut-être – léger pas de côté – rien d’additionnel – une sorte de distance et de retrait consubstantiels…

 

 

Quelque chose – en soi – qui s’apparente, peut-être, à Dieu – à une présence informelle sensible – sans la moindre assise en ce monde. Un œil innocent et désengagé – vide et neuf – à chaque instant…

 

 

Le chapitre en partie clos des tentations. Le monde sans objet de désir – simple décor – fugace et inévitable. Rien de plus…

L’essentiel au-dedans – monde, choses et visages inclus…

Ce qui passe et résonne à l’intérieur – les mille aspects de ce qui semble se produire sous les yeux…

 

 

Simple récit d’une expérience – l’inéluctable qui traverse l’esprit – les contenus provisoires de la vacuité…

Buée et traces de doigts sur la vitre silencieuse – nuages passagers dans le ciel aux couleurs et aux rythmes changeants. Rien qui ne vaille une description – un commentaire – détaillés…

La beauté de l’évanescent au contenu presque sans importance…

L’incarnation, peut-être, de l’invisible – l’un de ses visages singuliers…

 

 

Un regard – ce qui est – un ressenti fugace ; une pensée – une image – une émotion, parfois – nées d’un ailleurs mystérieux – introuvable – inconnaissable peut-être…

Question de l’origine, sans doute, insoluble et sans intérêt…

Abandon des constructions et de la conceptualisation pour la vie pratique et l’évidence…

 

 

Des instincts de nuisance – des calamités – une manière d’être inconsciemment vivant…

 

 

Le ciel – haut – très bas – et cette ligne d’horizon comme une étrange frontière illusoire…

Les yeux mentent autant que les émotions qu’ils soulèvent…

Rien de précis – simple question de perspective – de focus – de regard – où la distance demeure le point central – l’axe à partir duquel prend forme – et se matérialise – la réalité perçue…

Ce que l’on imagine réel n’est qu’une recréation du monde – sa représentation dans l’esprit. Etrange et mystérieux processus qui devrait nous faire comprendre que tout – en réalité – se déroule au-dedans…

L’extérieur est soit inexistant, soit insaisissable…

Mais nous nous obstinons, pourtant, à lui accorder une existence propre – une réalité indépendante…

 

 

Monde de croisements et d’entrecroisements – de lignes et de courbes distinctes et entremêlées – tantôt convergentes, tantôt divergentes…

Parfois – ensemble de points. D’autres fois – écheveau de fils. D’autres fois encore – des formes séparées par le vide – l’espace qui s’emplit de mille contenus reliés et disparates – nécessaires, la plupart du temps, à l’existence de l’ensemble (ou à l’existence d’une partie de l’ensemble)…

 

 

Des instances d’acharnement – des rondes cycliques – des pas récurrents. Le même itinéraire à quelques nuances et variations près. L’inlassable répétition du monde. Le retour infatigable des choses…

 

 

Des mouvements bruts – des gestes d’emprunt – conditionnés – nés des profondeurs inconscientes – non perçues – non habitées – presque jamais issus de l’attention – de la présence vierge et sans intention…

Et, pourtant, réside là une forme de justesse involontaire – dont les conséquences – tantôt plaisantes, tantôt délétères – agissent sur l’ensemble des intervenants (directs et indirects) des circonstances – dans un enchaînement implacable d’élans et d’effets …

 

 

Mille choses qui rendent la compréhension du réel – du monde – de soi – peu aisée – presque impossible ; trop de paramètres et de points de vue envisageables pour espérer un aperçu d’ensemble et une perception fine et profonde des mécanismes, des fonctionnements et des enjeux à l’œuvre…

 

 

Privilèges révocables – secrets périssables – retrait, puis disparition probable de tous les acquis. Une virginité à renouveler à chaque instant…

 

 

Ce que l’on construit – un surplus de chaînes – un rehaussement des grilles – une fortification de la détention…

Mieux vaut aller nu-tête – nu-pieds – et se laisser porter par les vents provisoires…

 

 

De l’espace vacant – la seule demeure où résider – le seul lieu où il nous est possible de vivre – à présent….

Le monde est trop encombré – trop bruyant – pour s’y établir de façon sérieuse…

Le dedans n’a pas son pareil pour nous libérer…

Manière d’appréhender plutôt que mode de vie apparent…

Manière d’être plutôt que perspective dogmatique…

 

 

Réductions extérieures bénéfiques – mais insuffisantes à la virginisation intérieure et à l’élargissement de l’envergure interne… 

 

 

L’écart grandissant avec le monde, la normalité et les conventions humaines. Quelque chose de l’ordre de la liberté et de l’affranchissement…

Nulle autre loi que celles qui régissent le renouvellement du vide et la sensibilité présente…

Au-dehors – trop de bavardages et de vaine effervescence. Trop de tête et de traits d’esprit – et beaucoup trop de visages. Manquent le silence, l’Amour et la clarté nécessaire pour que les âmes se rencontrent – véritablement…

 

 

Les arbres et les pierres sont des êtres d’excellente compagnie – des frères de silence et d’acquiescement. Des maîtres de la liberté dont la fréquentation encourage la nôtre…

 

 

Rien de plus précieux que notre alliance intérieure – celle qui redonne au regard, son envergure – à l’âme, sa sensibilité – et aux gestes, leur justesse…

Manière autonome de vivre ses inévitables dépendances …

L’être qui redonne aux instincts leur place naturelle – sans les pervertir, ni les voiler par une sophistication apparente et inutile…

Rien de vraiment perceptible de l’extérieur. Rien qui ne ressemble à une révolution. Rien de vraiment frappant. Rien de changé en apparence si ce n’est, peut-être, une attention naturelle accrue – une manière silencieuse et affranchie d’être au monde – et une joie vivante – vibrante – au cœur de la solitude…

Plus ni prière, ni mendicité. Nul besoin de consolation – de distraction – de compensation. La complétude qui, peu à peu, retrouve sa place et ses droits – et occupe l’essentiel de l’espace vide – avec, de temps à autre, quelques retours (inévitables) de l’individualité avec ses manques, ses doléances et ses effrois – temporaires – plus vite balayés qu’autrefois – et entendus et accueillis lorsque s’imposent la nécessité et la primauté de l’Amour sur la vacuité…

 

 

Là où la densité métaphysique et l’envergure de l’Absolu doivent se transformer en légèreté – en pragmatisme fonctionnel – en actes simples, justes et précis…

Là où le fond – pensées, savoirs et mémoire – doivent s’effacer au profit du regard vierge et du silence – présence pleine et discrète – invisible sur le visage qui, aux yeux du monde et des autres, revêt encore – et seulement – les attributs humains les plus ordinaires…

 

 

Le vide tranchant et accueillant – cette aire-réceptacle – l’aptitude infatigable (et impitoyable) à déblayer ce qui s’invite – et le ressenti de l’instant – énergétique, intuitif et émotionnel ; nous n’avons rien d’autre…

Dieu – l’âme – le monde – inclus dans cette mystérieuse trinité…

 

 

Ardente simplification – le réel est ce qui est dans l’instant…

Ni avant – ni après – ni a priori – ni élucubration…

Instant après instant dans le regard réparé – restauré…

Une autre manière d’être à soi et d’être au monde…

Nul besoin d’amitié – d’alliance – de connivence – de distraction ; rêve et signes d’incomplétude seulement. Indices d’une intériorité déficiente – lacunaire – infirme – compensée par la nécessité du monde et de l’Autre qui font office de béquilles artificielles indispensables. Marques seulement d’une âme bancale – dépendante – non autonome…

Eléments communs de l’homme et de l’humanité ordinaires pour lesquels le monde est le monde – la vie est la vie – et qui le resteront, sans doute, pour l’éternité – sans que rien jamais ne puisse changer – sans que jamais ne puisse s’opérer la moindre transformation de la perception et de la perspective…

Données incomprises et invariantes – auxquelles on se résigne tant bien que mal – sans creuser – sans explorer – ni rien comprendre à ce qui nous constitue et à ce que sont, en réalité, l’homme, l’Autre, le monde, la vie et l’esprit…

Des existences d’insuffisance et d’incomplétude qui s’imaginent – présomptueusement – autonomes et indépendantes – et normalement humaines…

Ainsi trouve-t-on dans l’indigence et l’incompréhension communes prétexte à sa propre ignorance – à sa propre paresse – à sa propre incuriosité – sur lesquelles on s’empresse de poser le masque mensonger de la vertu, de l’intelligence et de la raison humaine…

Le déni, l’auto-illusion et la prétention – les pires armes de la psyché retournées contre elle-même…

 

 

D’un monde à l’autre – sans l’aval des anciens préjugés…

Oscillation entre l’habitude – l’âme surchargée – et la nouvelle perspective – le regard vide et vierge…

 

 

Soleil d’un horizon parfaitement blanc – sans promesse – et, au fond de soi, le retour encore possible des pluies ininterrompues – envahissantes – diluviennes – dévastatrices…

 

 

A mi-chemin – toujours – entre l’origine – l’envergure initiale – et les allées du dédale – les forêts sombres de l’âme…

Rien d’acquis – rien de définitif. La tête, à chaque instant, sur le billot…

Entre la foule – les amas – et l’oubli – la lame effilée…

 

 

La perspective d’un seul pas – comme suspendu. Rien avant – rien après – le décor et les bagages de l’instant…

 

 

Des larmes – encore parfois – tantôt comme sensibilité spontanée – belle et légère – tantôt comme résistance et résidu de l’individualité – appesantissement grossier d’un souvenir qui refuse l’abîme…

 

 

Souliers de glace – souliers de boue – souliers d’oiseau – sur leur territoire de prédilection – tantôt terre, tantôt ciel. Et le regard qui, jamais, ne s’attarde – qui, jamais, ne s’enlise. Présent à tous les croisements – à toutes les frontières…

 

 

Une autre mesure du temps – une autre envergure du monde. Et le seul pas présent…

 

 

Ni hasard, ni chance, ni infortune. Le plus réel à vivre – ce qui se reçoit et qui, aussitôt, s’oublie…

Ainsi tout se perd – jusqu’à ces grands airs que l’on prenait, parfois, lorsque l’on sentait sur soi un regard attentif ou (vaguement) séduit…

 

 

D’autres jeux à inventer – et qui s’inventeront sans effort – dans le rythme des circonstances…

Rien de défini – rien d’établi. Quelque chose de spontané – d’irréfléchi – enfanté par l’allure d’une danse naturelle et collective qui n’a nul besoin de visages et de noms ; ronde d’arbres – marelle de pierres – course de nuages – manège d’oiseaux…

 

 

Tout – englouti – dans le silence et l’oubli. L’envergure de la première heure. L’innocence retrouvée du monde. La liberté de l’âme. L’ivresse lucide du geste. L’intensité et le vertige du regard. La vraie vie, peut-être…

 

 

D’une autre teneur que l’alliance et le ralliement – quelque chose d’antérieur à la séparation. Un lien profond – souterrain – indéfectible…

 

 

Ce que la tête et les malheurs savent réinventer pour nous soumettre – encore et encore – aux chaînes qu’il ne faut jamais cesser de briser – et de jeter par-dessus son épaule…

 

 

De la roche – des arbres – le ciel – compagnons fidèles de notre voyage…

Errance et dérive plutôt qu’itinéraire…

Chemins de circonstances et de rencontres au-dedans qui tiennent autant au hasard qu’à la nécessité…

 

 

Des pas encore – et des gestes – quotidiens. Et la parole comme prolongement de ce qui se vit plutôt que de ce qui a été vécu. Quasi simultanéité entre ce qui s’expérimente et ce qui s’écrit. Pas de recherche – pas de fouille – très peu d’intellectualisation – très peu de souvenirs – ce qui résonne dans l’âme et jaillit à travers la main qui court sur la page. Pas d’intention – ni de message – et aucune nécessité de lecteur. Dialogue entre soi et soi, en quelques sorte – entre l’âme et le monde – entre le silence et ce qu’il contient à l’instant où le feutre se tient au-dessus de la feuille blanche…

Des traits qui s’impriment comme les bruits du monde dans l’espace…

Une manière d’être alerte – une veille attentive et sans autre ambition que celle d’être là – présent – à ce qui passe…

Sorte de mandala de l’oreille qui entend, de l’œil qui voit, de l’âme qui perçoit et de la main qui note ; ça arrive – ça se réalise et, aussitôt, ça s’efface…

Témoignage aussi peut-être, malgré soi, de la texture de l’intériorité. Vague descriptif de cette étrange envergure intérieure. Tentative sans volonté de décrire l’invisible – l’ineffable…

En cela, peut-être, ces lignes ressemblent à un récit de voyage…

Les routes et les visages du monde demeurent, pourtant, accessoires. Ils n’existent (presque) que comme décor – et déclencheurs – ou initiateurs parfois – des élans qui nous traversent…

La vie et le monde – en soi – et leurs danses étranges et mystérieuses dans l’âme… Et autant de contrées – et de dimensions – découvertes…

En cela, peut-être, sommes-nous (un peu) explorateur…

 

 

Lieu éphémère – lieu magistral – lieu éternel. Et le monde qui passe – visages et choses infiniment provisoires…

 

 

Tout – intriqué – au-dedans – si intriqué que le mystère demeure – pour la plupart – impénétrable…

Organisation et fonctionnement prodigieux – incessamment évolutifs – inégalés (et inégalables sûrement). Architecture mouvante – complexe – à l’ossature, pourtant, éminemment élémentaire – que nous découvrons peu à peu…

 

 

Le vide se creusant lui-même – s’emplissant lui-même – se vidant lui-même. Et les contenus à l’intelligence et à la mécanique presque autonomes – passant et repassant – sans cesse – émergeant – s’entretenant – se développant – et disparaissant – au cœur de l’espace éternel. Le multiple jouant – se déployant – et se rétractant – au sein de la présence sensible – devant l’œil témoin unique et démultiplié…

 

 

Lumière étonnante obscurcie par tant d’élans, de misères et d’allégresse – indescriptibles – absolument miraculeux…

Sophistication et complexification d’un système – façonnage permanent d’une matière initialement basique…

Merveilles – littéralement – engendrant tous les possibles – faisant apparaître l’infinité des combinaisons imaginables – jusqu’à l’extinction…

 

 

Voir l’Existant ainsi – à la fois – émerveille et désappointe ; être cela – tout cela – les milliards de cycles prévisibles et la nouveauté – cette clarté – cette vastitude – cette richesse – les clés de tous les passages – et cette cécité – cet aveuglement – cette ignorance – cette indigence – cette étroitesse – ces limitations atroces – tous ces instincts élevés au rang de lois (presque) indétrônables. Comment ne pas se sentir partagé – déchiré – inquiet – impatient – et étrangement serein et détaché face à toutes les situations offertes – face à tous les devenirs possibles…

Il y a tant d’intelligence et de folie dans ces créations – dans ces transformations incessantes – dans ce que nous sommes…

Incroyable et étonnante aventure de l’esprit et de la matière – très souvent – indissociables…

Bout de tout et globalité de l’ensemble – simultanément – et entremêlés…

Démesure et déraison que la psyché peine à imaginer – et auxquelles elle ne peut accéder – trop vaste (pour elle) sans élargir la perspective et devenir le regard infini – opérer le renversement nécessaire – inaccessible encore à la plupart des yeux terrestres…

 

 

Mille visages – mille routes – mille existences – qui ne disent, très souvent, que le mouvement – les forces mobiles irrépressibles. Et à peu près rien d’autre. Si – l’effleurement tragique de l’esprit peut-être…

 

 

Auprès de visages respectueux et innocents – à peu près tout est supportable…

Et cette compagnie – seule – semble possible…

 

 

Un creux – un trou – une béance – derrière les yeux – pas encore vide – une sorte de néant…

Le néant est une vacuité dépeuplée – désertée – abandonnée. Et le vide, une vacuité pleine et habitée. C’est la conscience qui donne à ce lieu son orientation – sa valeur – ses caractéristiques…

Sans conscience – il n’y a rien – il n’y a que motricité mécanique – objets en mouvement portés par leur propre élan (et celui des autres) – freinés par leur propre inertie (et celle des autres). Une sorte de monde magmatique déterminé et conditionné ; les danses tristes de l’ardeur, de l’absence et de l’agonie, en quelque sorte…

 

 

Soleil d’un autre jour – d’un autre monde – pas si différents, pourtant, de ceux où ont l’air de vivre les hommes…

 

 

Mots de (presque) rien – livres de sable. Inaptes, le plus souvent, à inverser les yeux – à désencombrer l’esprit – au mieux un encouragement à fouiller en soi – par soi-même…

Sinon vaines histoires – inutiles amassements – empilement tragique des savoirs – solidification des mythes, des certitudes, des frontières et de l’illusion – obstacles et épaississement des murs – élargissement et complexification du labyrinthe – accroissement inéluctable de la distance avec le centre…

Perte de temps, en somme…

 

 

Ici – à l’instant même – demeure le silence – le centre – le cœur de l’attention et du monde – l’axe central autour duquel gravitent tous les objets sur leur orbite singulière qui se croisent – s’entrechoquent – se mêlent – fusionnent – éclatent – enfantent – et se dispersent – engendrant, par leurs mille mouvements, d’autres objets et d’autres orbites – et ainsi de suite indéfiniment jusqu’au dernier souffle de l’ultime élan…

Puis, lorsque toutes les danses initiées par le dernier souffle s’achèveront, tout se resserrera – se recentrera – les orbites fléchiront – les objets s’interpénétreront – entreront les uns dans les autres – se rétracteront pour ne former qu’un seul noyau – dense et infime – immobile au cœur de l’axe central – au cœur du silence – jusqu’au prochain (et énigmatique) excès de jubilation ou de tristesse qui enfantera un nouveau souffle qui donnera naissance à de nouveaux objets et à de nouvelles orbites qui obéiront aux nouvelles lois de cette ère de multitude, de dispersion et de mobilité…

Et ainsi de suite – dans un cycle éternel – sans commencement ni fin…

Vertigineux – ce monde – cette existence – ces visages – ces pierres – cet instant…

 

 

Au cœur du plus impérieux, rien n’éclot parfois…

Vide sans contenu…

 

 

Brume à se morfondre…

 

 

Envahissement cérébral. Tout – au-dedans comme au-dehors – semble opaque. Formes spectrales. Tout glisse sans être vu – fantômes furtifs et silencieux…

 

 

La pierre – l’arbre – le vent – indistincts – confondus…

L’obscurité – et ce visage étrange et souriant. Rien d’atroce, ni d’effrayant…

Le même monde mais comme suspendu – au rythme ralenti – aux airs lointains – presque inaccessibles…

Dans un instant – demain – tout aura disparu…

 

 

Le noir – la lumière – l’oubli. Tout se manifeste ainsi – dans cet ordre irrévocable…

 

 

Depuis trop longtemps éloigné du monde humain pour y trouver la moindre chose sympathique – des objets utiles – certes – nécessaires à notre existence quotidienne…

Trop de jeux – de bavardages – de rires – trop bruyant – trop de choses et de mouvements inutiles – qui ravivent, aussitôt, notre fuite…

 

 

La nécessité – permanente – de l’éloignement et de l’exil…

 

 

Rien ne peut être arraché sans le consentement de l’âme ; tout s’impose dans la nécessité – le changement comme le reste…

 

 

Premiers pas – souvent – âpres – rudes – difficiles. Un élan soutenu, parfois, par l’effort – puis, la première ligne du sillon tracée – les pas avancent mécaniquement avec l’assentiment tacite de l’esprit. Et, au fil des jours, la nouvelle direction devient automatique – et, bientôt, routine et schéma d’habitude – évidence et voie incontournable….

 

 

Le monde – devant soi – sans autre solution que nous-même(s) – au fond de soi…

 

 

Ni proximité – ni intimité – coexistence tous azimuts – inévitable. Seule manière de vivre ensemble – les uns à côté des autres – avec la distance nécessaire à chacun…

 

 

Ça tourne en rond – et, parfois, à vide…

Machinerie aux élans mécaniques – sans conscience – sans esprit. Forces d’inertie seulement…

Le silence – alors – est toujours préférable aux frémissements de la structure…

 

12 août 2019

Carnet n°199 Notes journalières

A Gagy…

 

 Rien – nous ne sommes – rien – qu’un peu de chair et des émotions – impuissantes…

Foutaise la raison – face à la mort – aux épreuves essentielles…

De la tristesse – des larmes – une âme désespérée. Et rien d’autre…

 

 

Ce qui nous empêche d’être – et de vivre – de façon pleine et présente, c’est la manière dont nous donnons de l’épaisseur – une si vive réalité – aux contenus psychiques (pensées et émotions en particulier) – c’est la manière dont nous les laissons revenir encore et encore – la manière dont nous les laissons envahir la psyché – c’est notre incapacité (naturelle) à retrouver l’esprit vierge – et à laisser ces amas psychiques libres d’aller et venir – et de s’attarder parfois…

Ciel et nuages – ciel et orage – ciel et vents – ciel et soleil – images mille fois empruntées mais Ô combien vraies…

Qu’importe ce qui le traverse, le ciel reste le ciel – vierge et libre de ce qui le parcourt (de ce qui semble l’encombrer) ; il peut bien avoir l’air nuageux – orageux – venteux – ensoleillé – sa nature, son envergure et sa transparence demeurent intactes…

Espace – toile de fond – jamais entaché comme l’imaginent, trop souvent, les yeux ignorants qui confondent le ciel et son apparence…

 

 

Des hauteurs qui nous éloignent – des souffles – des larmes – l’engagement de l’âme. Et le ciel qui s’ouvre, peut-être, plus largement…

 

 

Le monde – en nous – à genoux – suppliant – pour que la mort épargne celui qui part comme ceux qui restent de la douleur et du chagrin…

 

 

C’est nous – au-dedans de tout – qui fuyons et aspirons à la grâce…

 

 

Ce que nous soulevons – de minuscules graviers et du vent. Et pas davantage…

 

 

La route grise – l’horizon bleu – et la mort qui rompt la routine – le soleil – la beauté. Le noir qui déborde – et envahit tout…

 

 

Nous vivons sans rien oublier – voilà notre malheur. Double peine – l’incarcération et la tristesse. Et pour peu que l’âme soit sensible – et nous voilà en enfer…

 

 

Des routes marécageuses – barrées – partout où se posent les yeux…

 

 

Une vie d’inagrément où le nécessaire devient faix – et l’essentiel, une lourdeur – perspective pas même salvifique…

 

 

Des traces aux poignets – comme l’empreinte de liens serrés – et aux chevilles – la marque des fers. Nous agissons – et marchons – ainsi – entravés par les souvenirs – toutes les ombres de l’esprit – allant d’une circonstance à l’autre en grossissant le poids de toutes ces chaînes inutiles – inutiles et illusoires…

 

 

A l’instant où l’on respire – d’autres poussent leur dernier soupir. Et lorsque nous expirerons – d’autres respireront encore (un peu). Et cette pensée, cette impuissance et cette continuité nous terrifient…

La solitude et la carence du vivant face à l’Autre – face au monde – face à la mort…

 

 

Il y a une réalité propre à la tête sans commune mesure avec la réalité du monde. Et c’est dans la première (essentiellement) que nous vivons – et presque jamais dans la seconde. Et tout semble les opposer ; alors que la première se montre lourde – dense – étroite – entremêlée – complexe – triste et ressassante – l’autre s’avère fugace – légère – précise – simple – inventive et joyeuse…

Passer de la première à la seconde nécessite – presque toujours – un long processus que l’on pourrait résumer ainsi : faire descendre la tête dans le corps – jusqu’aux talons – ressentir sans penser – être présent, à chaque instant, à ce qui est en soi – et devant soi – et rien d’autre – balayer la moindre idée – la couper à l’instant où elle apparaît (et, si possible, à l’instant où elle naît) – vider – vider – vider encore – vider toujours – pour que ne subsiste que ce qui est…

Être, vivre et agir deviennent – ainsi – éminemment simples – aisés – justes…

Regard dépouillé – gestes honnêtes et francs – strictement nécessaires…

 

 

Chaque souffle – chaque geste – porte en lui sa propre tendresse – caresses enveloppantes comme mille mains chaleureuses au-dedans et au-dehors qui vous parcourent avec délicatesse ; sensation sur les faces internes et externes de la peau – de la chair – dans les profondeurs du corps…

Ressentir – à travers les liens innombrables et miraculeux que chaque chose noue avec ce qui l’entoure – mais aussi, bien sûr, avec tout le reste mis côte à côte jusqu’à la totalité – l’infinité de l’ensemble – que l’on est toujours à l’intérieur de ce mouvement – de ces milles mouvements ondulatoires…

 

 

Un autre temps au-dedans du premier – comme ralenti – presque suspendu – où chaque ressenti (le moindre ressenti) est jouissance infiniment douce – sensuelle – langoureuse. Des doigts de fée – partout – à chaque instant…

Micro-expériences d’éveil peut-être – comme d’infimes lambeaux de réel – momentanément éprouvés – momentanément apprivoisés…

Minuscules failles – lézardement progressif des carapaces qui recouvrent la tête et l’âme…

Résultante, sans doute, du long labeur de la déconstruction…

 

 

C’est là – comme une force de vie – indomptable. Ça traverse le corps – et ça rejoint immanquablement la tête. L’homme est ainsi fait ; il ne peut abandonner les ressentis – la souffrance ou la jouissance des ressentis – au corps. Quelque chose d’irrépressible l’enjoint de tout faire transiter par la tête – qui accumule – traite ce qu’elle reçoit – trie – classe – range – accumule encore – entasse jusqu’à la saturation – jusqu’aux débordements – inévitables…

 

 

La route – l’asphalte – la terre – ce qu’offrent le soleil et les forêts – le jour et le feu. La distance quotidienne parcourue à petits pas…

 

 

Une autre vie au-dedans de celle qui a l’air de se vivre – tout un monde au-dedans du regard qui, peu à peu, se simplifie – s’épure – se retire – pour un espace – une étendue tendre – neutre – sans épaisseur – qui n’a aucune fonction – ni en ce monde, ni dans l’Absolu. Elle est – simplement – voit – reçoit – et laisse passer ce qui arrive – n’aspire à rien – ne désire rien – ne refuse rien…

Silence avisé – bienveillant – désengagé…

En sa présence – tout nous quitte…

Comme un soleil – un jour sans fin – au sein duquel tout revient – puis s’oublie – revient encore – et s’oublie encore – dans un recommencement perpétuel où chaque réapparition ressemble à la première fois…

 

 

Ça bouge – ça respire – ça pleure – ça crie – ça exulte – ça éprouve – ça s’éloigne – puis, ça disparaît. Et ça recommence – sans nous inquiéter – sans nous chagriner – sans nous réjouir…

Ça défile – simplement. Et ça assiste au déroulement – séquence après séquence – vue et aussitôt oubliée…

Spectacle sans fin devant un témoin impassible et sans mémoire…

 

 

Perspective – et manière de déconstruire ce qui a été bâti et d’empêcher toutes les tentatives d’édification – tous les processus d’amassement et de création – les jugements – les commentaires – les souvenirs – les images – les pensées…

Simplement le ressenti et ce qui est là…

La nudité la plus simple – inlassable spectatrice des spectacles…

 

 

Le chant du monde – dans le corps – de la tête aux talons – muets…

Quelque chose qui traverse sans s’arrêter – sans laisser la moindre trace. Tunnel organique – en soi. Présence vivante – inerte – pure attention peut-être…

Comme un espace pré-existant – d’avant la naissance du monde – d’avant la naissance de tous les mondes qui ont défilé – qui se sont laborieusement succédé – les uns après les autres…

 

 

Plus de charge – le son pur. Le vide, peut-être, habité. La sensation du monde – en soi…

Tout au-dedans qui passe furtivement – en un éclair – et qui disparaît – ne laissant rien derrière lui – la surface aussi nette – aussi propre – qu’avant son passage…

 

 

Pas un état – peut-être ce qui accueille les états – les contenus – le monde et ses charrettes de phénomènes qui défilent sans discontinuer…

 

 

Déblayer les amas – les agrégats. Ne demeure que le fonctionnel – la mémoire des usages pour les gestes quotidiens et les contingences journalières…

Profondeurs creusées du dedans – abîme sans fond qui a englouti des pans entiers de savoirs inutiles – emportant avec eux tous les questionnements métaphysiques – laissant la densité de l’être – seule et légère – joyeuse et chantante…

Célébration silencieuse – bien sûr. Rien de décelable par les sens…

 

 

Une pensée – de temps à autre – une émotion qui passe – et disparaît comme un rêve – comme un tourbillon d’air au-dedans de l’air – comme une arabesque du vide au-dedans du vide. Rien, en somme. Des mouvements fugaces et sans poids – sans conséquence – ce qui surgit depuis la naissance du monde – la naissance des mondes – il ne peut en être autrement – l’énergie est création incessante et mobile – ça doit surgir – ça doit s’élancer – ça doit traverser, puis disparaître – et être, presque aussitôt, remplacé par ce qui suit…

 

 

Une sorte de concrétude profonde – légère et savoureuse. Des ressentis vifs – doux – enveloppants – sans poids eux aussi…

Une attention libre et profonde – aérienne – poreuse – à laquelle rien ne s’accroche…

Pure présence, peut-être, où tout se mélange et où rien n’est mélangé – une chose après l’autre – toujours – série interminable ponctuée par quelques absences – quelques instants de répit – quelques silences…

Familiarisation avec l’espace et la vacuité, peut-être…

 

 

Réceptacle sans poids – sans gravité – accueillant le défilé inévitable des sensations – des pensées – des images – des émotions – rien de très sérieux – ni de très réel sans doute…

La matrice-regard – la matrice-témoin – la matrice-accueil – contemplant ce que la machine à créer déverse sans interruption ; tous les souffles – tous les élans – toutes les matérialisations des forces nées de la matrice-silence – elle-même se regardant créer et accueillir – elle-même se regardant passer et accueillir – elle-même se regardant disparaître et accueillir…

 

 

La terre – à cet instant – comme un désastre manifeste – l’expression d’une impasse – un avenir plus que compromis – une impossibilité…

 

 

La pierre chaude d’un rêve de soleil – froide et grise en vérité – anéantie par l’inconscience insouciante – la quotidienneté inerte des hommes qui tourbillonnent entre leurs tristes murs…

 

 

Entre deux soleils noirs – le déclin – la décadence – et la chute, bientôt, d’un règne dont l’écrasante hégémonie (en dépit de sa brièveté) aura trop duré…

 

 

Vivant – ça veut dire le cœur battant – le cœur sensible – un peu de peau qui recouvre le sang ou la sève…

Et au-dedans – une âme trop souvent prisonnière qui ne comprend rien à cette restriction – à cette contraction de l’infini – à ce rétrécissement des possibles – dans l’interrogation permanente des limites et des frontières – et la nécessité de les franchir – courageusement – une à une…

 

 

Ça devient ce que nous voulons – un rêve – Dieu – la réalité – une illusion – ce qui nous invite à creuser davantage – à revisiter les hypothèses et les évidences – et, éventuellement, à inverser les paramètres et à rectifier les paradigmes – à faire le tour du monde et de la tête – les mains contre la paroi en avançant à tâtons dans notre dérisoire labyrinthe…

 

 

Ce qui s’échappe – la terre occupée – le besoin d’un autre monde – une résistance au règne de la laideur…

Tout glisse – à présent – le vide comme le seul lieu possible – le seul lieu essentiel – vital – qu’importe les danses et les voix – le décor de toutes les tragédies…

 

 

Sous nos pas – la boue – et au-dessus – la désespérance. Partout – la vie brunâtre – l’enlisement – les résidus du jeu des Dieux – le revers de l’Olympe, peut-être, avec ses figures tristes et ses âmes ignares…

Ce que nous avons fait du monde – toutes nos tentatives – cet effroyable gâchis de matière et d’esprit…

Comme un trou dans le soleil – les bruits du monde qui résonnent et se résument à (presque) rien – l’esprit qui rumine – la parole qui se répète – le vertige d’un Autre que nous – ce que la terre a enfanté – ce que les Dieux n’avaient pas prévu… Et les hommes – au loin – penchés sur le sol – à l’affût de l’or – ramassant leur récolte – comme de petites mains insensées…

Et le regard dans l’épaisseur des souffles – des pas ininterrompus. Quelque chose comme une folle espérance…

Et la mort usinant à la chaîne – attelée à sa nécessaire besogne – avec le sourire sur les visages qui dissimule mal le cœur souffrant – le cœur qui pleure – le cœur qui saigne…

Rien de délectable – au fond – si, peut-être, le silence…

 

 

Ça vieillit doucement – sans en avoir l’air…

 

 

Il y a de l’homme en nous – encore – qui s’apitoie et se complaît (trop souvent) dans la tristesse – ce qui nous rend plus enfant qu’humain. Une manière d’être – à peu près – comme les autres…

Machine à images – à projets – à souvenirs – qui s’imagine sensible mais qui vit dans la tête – qui ne vit pas réellement – qui pense l’existence – le monde – soi – les Autres – plus qu’il ne les ressent – quelque chose comme une obsession qui envahit l’esprit. Un monde juste à côté – parallèle au réel, en quelque sorte – ou au-dedans de lui, peut-être…

 

 

Un rêve – plus haut – qui redonnerait au réel sa tendresse initiale – un parfum de fleur dans le froid – un baiser dans les eaux prisonnières – un peu de liesse dans l’absence et les disparitions. Quelques brèches sur les façades de pierres – un peu d’Amour dans les fentes saturées…

Et, à défaut, on pourrait réinventer le monde…

 

 

Trop de noir sous la douleur – et par-dessus – pour espérer la guérison…

 

 

Le baume patient de la lumière sur les blessures de l’homme – grattées, chaque jour, au couteau…

 

 

Entre – toujours. Sera-t-on, un jour, rejoignable… Et ce ciel – devant soi – deviendra-t-il, un jour, accessible…

 

 

L’inconfort de la pensée – la consolation du rêve – exclus l’un et l’autre. Plus rien d’admissible – pourtant, tout est permis l’espace d’un instant – puis, c’est balayé. Et la clarté précise revient – prend la place qu’occupaient les amas. Puis, autre chose passe – c’est vu – accueilli – rien de neuf – la même litanie des images. Balayette dans la main implacable du regard. L’Amour et la poussière – rien qu’un seul geste – invisible – et tout redevient vierge – et tout revient aussitôt…

Être et labeur interminable dans cette folle perspective de la durée – mieux vaut celle de l’instant que celle – déformée – illusoire – irréelle – de la continuité du temps qui scande les secondes, les minutes, les heures, les jours, les semaines, les années, les siècles, les millénaires – en vain…

L’éternité n’est qu’un moment – que le suivant crucifie pour offrir une autre éternité – et ainsi de suite – ad vitam æternam…

 

 

La malice des Dieux qui ont inventé le temps pour nous faire patienter – et que nous avons – par impatience – par ennui – par incapacité – transformé en espérance – le plus grand mal de l’homme avec le rêve. Et c’est dans cette faille qu’il faut apprendre à ouvrir les yeux…

Etrange mission offerte aux hommes – douloureuse – presque inhumaine – seule issue, pourtant, pour échapper au sommeil et devenir pleinement vivant…

 

 

Rien que des bras – prolongement du regard – et une pauvre chair à étreindre – à embrasser…

Rien qu’une joie – une tendresse – un jeu – un Amour – entre soi et soi…

Hôte de chacun – en son cœur…

 

 

Mangeur de mythes et balayeur du reste…

 

 

Au corps-à-corps – le vide et le monde – le contenant et le contenu – œuvrant en sens inverse – dans un jeu sans fin – l’un balayant ce que l’autre répand. A chaque instant – le même défi et le même enjeu ; le respect de la nature de chacun…

 

 

Itinéraire entre les nuages – du sol au ciel d’un seul trait. L’aisance du retour et les simagrées de l’ombre que l’on a répudiée…

 

 

Des murs – encore parfois – blancs initialement que l’on tache et colore de nos contenus plus qu’ahurissants…

 

 

Nouveauté première et récurrente – comme une aube naissante – un soleil neuf – à chaque instant qui éclipsent les bataillons acharnés de l’immense armée grise…

 

 

A mesure que l’on s’éloigne du monde – l’au-delà de l’homme se précise…

On apprivoise, peu à peu, ce qui nous semblait impossible…

 

 

Lèvres devenues silencieuses par cessation du bavardage intérieur. Mains ouvertes par cessation des embarras du cœur. L’âme presque vivante – à présent…

 

 

On ne sait plus ce qu’humain veut dire – préalable nécessaire, peut-être – base élémentaire aux éléments grossiers mais requis qu’il faut ensuite – mille fois – des milliards de fois – dégrossir – raboter – défaire – jusqu’à tout supprimer et obtenir une surface parfaitement lisse et transparente – sans bord ni aspérité – la perfection d’un miroir aimant…

 

 

L’effacement et la nouveauté – l’innocence du regard et les flots incessants du monde et de la psyché…

Tout se perd parce que, peut-être, tout est déjà perdu…

Vivant seulement l’espace d’un instant…

L’Amour et l’oubli – seule manière d’accueillir les phénomènes – de plus en plus brefs et vaporeux – presque inconsistants…

 

 

Comme des pans de nuit qui ruissellent…

Le monde, parfois, inabordable – comme une impossibilité vivante…

 

 

Certains jours, tout ce qui est entrepris – investi – emprunté – prend des allures d’impasse. Des heures de tentatives et d’avortement…

Le bleu – pourtant – traîne encore dans le pas – derrière la face tendue ou triste qui a vu tant de portes se refermer ou s’avérer être, en définitive, de fausses perspectives…

 

 

Rien ne s’invite davantage que l’odeur de la mort – et, à sa suite, le parfum de la tristesse. Rien n’exige, pourtant, que nous reniflions ces fragrances froides et que nous revêtions la panoplie complète du désespoir. Un regard – en nous – veille – impose le retrait des choses de l’esprit, puis la grande évacuation – l’ouverture complète des fenêtres et le passage du vent – le grand vent qui s’engouffre. Et, en un instant, tout est balayé…

 

 

L’autre âge de l’automne – cette perspective sans lien avec les rides et l’expérience. Ce que nous avons cherché avec obstination depuis l’enfance – offert, soudain, à nos pas harassés – à notre âme titubante – capitulante – à notre existence qui, depuis longtemps, ne ressemble plus à rien aux yeux des hommes…

 

 

Un peu de tranquillité – moins provisoire et hasardeuse qu’autrefois…

Une manière plus souveraine d’exister et de resplendir dans la solitude…

 

 

Ce qui – à présent – machinalement se défait ; l’existence des œillères et la visière des espérances…

Le passage éminemment provisoire des circonstances – le sourire sans la coiffe ridicule de ceux qui croient – et le savoir, envolé lui aussi, pour un œil neuf et étonné…

 

 

Et cette veille – presque permanente – au seuil du grand précipice. Et cette longue lame tranchante au bout de l’âme aimante qui, selon ce qui vient, embrasse ou décapite – réconforte ou crucifie – puis précipite le tout dans le vide…

 

 

Ce qu’offre l’instant – l’heure – le jour…

Le jeu des visages – des circonstances – des rencontres…

Ce que le regard réceptionne et défait…

La vie triviale, en somme – mais abordée avec nouveauté

 

 

Tranquillité sans extase, ni vertige…

Du silence – des gestes – des choses – des mots…

Rien que de très banal – un objet après l’autre – sans précipitation – accueilli avec la même attention – le même intérêt – le même engagement – puis délaissé – abandonné à l’extinction naturel de son élan…

 

 

Rien qui ne remue plus que nécessaire…

Rien qui ne s’attarde plus que de raison…

Tout – ainsi – se défait – jusqu’à l’attente même de l’objet suivant…

Tout passe sans heurt – sans effort – traverse – puis disparaît de façon aussi inopinée et mystérieuse qu’il est apparu…

 

 

Tout est là – offert – et sans autre maître que lui-même malgré les liens qui pèsent parfois comme des chaînes…

Ça s’impose – comme un jeu sans conséquence ; l’inévitabilité du monde – variations énigmatiques – glissements – répétitions des formes et des figures…

Tout se succède – se transforme – s’échappe – puis s’éclipse comme une ombre soudain rayée de la danse des silhouettes sur le mur…

Ça défile dans l’œil, puis c’est englouti – gouttes de pluie qui glissent le long de la vitre – et le doigt qui, parfois, dessine quelques traits dans la buée – la main appliquée à sa tâche – la tête attentive – et, parfois même, concentrée…

Jeux et gestes qui prennent le temps nécessaire – rien de hâtif – l’allure naturelle – appropriée malgré le rythme, parfois, inégal – tantôt ralenti – tantôt précipité. Qu’importe le tempo de la paume sur le tambour et le nombre de tours exécutés par les aiguilles de l’horloge – rien ne dure – en vérité…

La durée n’est, bien sûr, qu’une illusion – qu’une manière de parler – et, peut-être, de se faire comprendre (un peu). Et rien de plus…

Puis reviennent le sourire et la contemplation – le rien – le plus rien – l’absence d’élan – le jardin de la lumière – le mur blanc avant l’arrivée des ombres suivantes…

 

 

L’individualité se rebiffe – résiste – refuse d’être restreinte – éconduite – presque annulée. Comment pourrait-elle faire le deuil d’elle-même… C’est impossible – alors on l’accueille, elle aussi, avec ses élans – ses chagrins – sa tristesse – ses doléances – petite chose effrayée – inquiète – angoissée à l’idée que cette perspective s’impose…

 

 

Le visage de personne – la voix – la seule voix du jour – celle qui s’invite sur la page…

Cette étrange impression des confins – marge du bout du monde. La solitude et l’exil permanents…

 

 

Soi avec soi – le face-à-face perpétuel qui tourne parfois à l’affrontement – guerre et récrimination – désolation et désespoir – lorsque le vide est oublié – lorsque le vide sournoisement se laisse remplir par la pensée du seul condamné à sa triste compagnie…

Pas si triste – pas si pauvre – en réalité – moins misérable, sans doute, que ceux qu’il n’a cessé de fuir…

Mais dans ce tête-à-tête soutenu – de longue haleine – le silence, parfois, se dérobe et laisse l’individualité envahir l’espace – emplir le lieu de sa fragilité…

 

 

De jour en jour – la longue bataille – les coups du sort – les coups de tête – les coups de sang. Le besoin de l’Autre – d’un Autre – du monde. L’insuffisance incarnée – la petitesse et le rétrécissement. Et d’autres fois – la joie – la grâce – l’envergure retrouvée – la présence vivante – imperturbable…

 

 

Tout se mélange – se chevauche – s’affronte ; la durée et l’inexistence du temps – le silence et la folie de la tête et du monde – le désir et la complétude…

Nous sommes le lieu d’une guerre permanente et d’une paix possible – le lieu d’un enjeu sans cesse remis à l’ordre – et au goût – du jour – le lieu de l’absence et du jamais acquis autant que celui de la surabondance et de la certitude…

 

 

Tant de luttes – en soi – et d’amitié – sur fond d’Amour et de silence – rarement compris – rarement entendus…

Un fouillis à l’abri de rien…

 

 

Un jardin – une franchise – un peu de lumière pour déceler les taches qui ornent le mur – la blancheur un peu mate du mur. Des bruits – des mots. Tout ça se percute. L’hiver qui n’en finit plus d’étendre ce désert – et nos pas comme des ombres qui allongent cette nuit illusoire – mais qui a l’air si vraie lorsque nos larmes coulent et que la solitude a pris chair dans nos bras…

On est au-dedans de cet éclat enfanté – de cet élan fou vers le regard – le haut du mur – le foyer – l’abolition des frontières. Cette force et ces résistances – rien qui ne puisse survivre à nos assauts. Et le soleil – toujours – au centre…

 

 

Ce que la lutte et la tension nous ôtent d’énergie et de courage – de forces vitales – pour vivre le plus essentiel…

 

 

Bouts de terre – fragments de visages – éclats d’existences – mal vus – mal aimés – insuffisamment – dans la précipitation – le règne de la vitesse. Il faut ralentir et s’attarder – demeurer au plus près – voir – sentir – goûter – contempler et rester silencieux des jours entiers – et pendant des siècles si possible – pour commencer à voir et à aimer…

 

 

Tout bouge – mais c’est dans l’œil que les choses arrivent – c’est dans l’œil que le monde existe – c’est dans l’œil que le chemin se réalise… Aussi n’y a-t-il qu’un lieu où aller – le seul où le possible peut advenir…

 

 

L’œil aux aguets ne devrait l’être que du dedans…

 

 

Un chemin – un jardin – des fleurs. Le regard qui contemple – qui s’attarde. Et c’est là – tout entier – le monde peut-être – qui recouvre le blanc…

L’habitude qui envahit la fenêtre. Le jour qui décline – la nuit qui arrive. L’œil et les mots qui chantent sur la page – les traits qui se couchent et se redressent. L’élan de l’âme et celui du monde qui se chevauchent. Le blanc et l’obscurité…

Rien que nous dans cette solitude habitée – de moins en moins peuplée de fantômes. Le réel de plus en plus. L’arbre – le ciel – les bruits des hommes dans le lointain. Le vent dans les feuillages – le chant du merle. Tout redevient innocent – l’œil sans la distance et le regard au-dessus…

Plus rien ne se distingue – tout a la même texture – la même envergure – exactement la même épaisseur que celle de l’âme…

L’effacement a ravivé la joie et la beauté du monde…

 

 

Le bleu – de la même couleur que tous les mirages. Le provisoire et l’éternel confondus – non – pas confondus – unifiés – agglomérés ensemble…

 

 

Ce qui effraye ne vient que de la tête – le monde n’est peuplé que de circonstances et de quelques âmes fâcheuses – obstinées – plongées dans une folle ignorance…

Nous seul(s) et la présence des arbres – cet immense jardin où jouent et se poursuivent les bêtes – la faim dans le ventre…

Des murs parfois – et quelques tombes – histoire de rappeler la résistance des frontières et le règne du provisoire…

Rien qui n’attriste – rien qui n’essouffle…

Le dénouement heureux de chaque instant – le silence jamais rompu – la beauté et la démesure de chaque existence…

 

12 août 2019

Carnet n°198 Notes de la vacuité

L’idée de l’Autre et du monde – plus lourde et encombrante qu’ils ne le sont – en réalité…

 

 

Les représentations se sont substituées au réel de façon si massive et sournoise que nous tenons pour vrai ce qui n’est qu’une forme d’imaginaire – et que nous ne savons plus différencier ce qui existe de ce que nous lui avons superposé…

 

 

Partout – au-dehors – les mêmes pierres – les mêmes chemins – les mêmes visages – le même décor – fragiles et provisoires invariants du monde phénoménal…

Et au-dedans – les mêmes émotions qui se bousculent et se succèdent – fragiles et provisoires invariants du monde psychique…

Espaces de mille chimères que nous confondons avec la réalité…

 

 

Au fond, parfois, une noirceur – épaisse – récurrente – qui donne au regard une profonde mélancolie et aux choses du monde une couleur triste – amère…

On ne sait comment elle s’est installée – ni de quelle manière elle est arrivée ; elle est là – simplement – et s’est imposée comme paramètre incontournable – hégémonique – qui fait régner sa loi…

Centre obscur qui rayonne – qui envahit l’âme et le monde – qui traverse les frontières si poreuses des choses – inondant tout ce qu’il pénètre. Mélasse dont on ne peut se défaire ; on vit avec – tant bien que mal – sans pouvoir lui échapper – sans réussir à l’apprivoiser – bête monstrueuse qui – en soi – a creusé sa tanière…

Ce qui pourrait nous en prémunir – réduire ses trop cycliques éruptions – atténuer sa présence mortifère ; les vertus de l’aube – peut-être…

 

 

Ça s’agite – ça s’affaire – seulement – pour faire usage des choses – exploiter ou tirer profit. Presque jamais d’innocence et de geste gratuit réalisé pour la joie et la beauté en ce monde d’utilité, d’appropriation et de nécessités contingentes…

 

 

Lignes errantes – sans joie – immodestes et méprisantes. Dans l’attente de semences moins tristes…

Paroles dégoulinantes – emmaillotées – trempées trop longtemps, sans doute, dans la torpeur mélancolique du dedans – enrobées et gangrenées jusque dans leur essence par la sauce putride de trop noirs sentiments…

 

 

A attendre un ami – au-dedans – qui pourrait nous tendre la main – et nous extirper de ce bourbier. Mais non – absent lui aussi – contaminé peut-être – ou trop faible pour s’approcher et nous délivrer (provisoirement) de ce mal sans remède – de ce mal presque incurable…

 

 

Le regard – le ressenti – le geste. Et rien d’autre…

Seuls appuis – seules références – seule vérité – à chaque instant…

Unique présence à soi – au monde…

 

 

Lieu paisible – lieu ouvert – sans autre exigence que le respect, l’honnêteté et le silence…

 

 

Dresser – en soi – une main accueillante et un mur de vigilance intraitable. D’un côté, le versant de la tendresse – de la sensibilité vivante – en actes – et, de l’autre, le versant de la sévérité – gardien intransigeant du temple – du lieu le plus sacré – que rien ne peut ternir, certes, mais que l’esprit débutant – peu familiarisé avec la perspective du vide – embarrasse par ces incessants amassements – bribes de monde – référentiels – résidus d’émotion – reliquats de désir – souvenirs – rêves et imaginaire – ressassements – ratiocinations – qui entravent le rayonnement de l’Amour et limitent (parfois complètement) la fonction réceptacle de l’autre versant…

Murs d’enceinte fort différents des murs indigènes – de ces frontières érigées qui consolident toutes les formes de séparation…

Mesure non de principe mais de survie – pour maintenir vivant le plus précieux – avant d’être capable, un jour peut-être, de laisser le monde, les phénomènes – les mécanismes et les contenus psychiques (pensées, émotions et sentiments) traverser cet espace sans retenue – sans la moindre restriction – dans un passage franc – sans perte – sans écoulement – sans récupération – laissant l’espace et les canaux vides de manière permanente…

Forme de sagesse sans pareille – affranchie de l’univers relatif – de la matière autant que de la psyché. Seul gage d’Amour, de joie et de paix sans condition…

 

 

Comme un seau que l’on aurait rempli de glace et de verre – avec, fixés sur les parois, des milliards de crochets minuscules – l’esprit de l’homme emmagasinant le monde – par fragments – le froid – le feu – le désir – la colère – la frustration – et tous les coups du sort – inévitables…

Espace à vivre et infime couloir sur le monde – vite saturés – vite débordants – vite mortifères…

Deux solutions – inégales – à envisager ; la première, éminemment didactique, consisterait à vider le seau à chaque instant et à créer des parois aussi imperméables que possible malgré un degré de porosité minimal inévitable. Et la seconde serait de percer définitivement le fond du seau et de lui ôter ses parois – détruire le seau, en somme – manière, sans doute, pour que le créé retrouve l’incréé ; le vide dans le vide retrouvant sa nature vide – la vacuité totale et l’absence (permanente) de séparation. Et le seau ainsi disparu redeviendrait l’espace – l’envergure de l’espace infini – l’esprit sans limite…

 

 

Tas de pierres – panneaux – vestiges. Traces d’un passé ni (franchement) glorieux, ni (vraiment) épique – transformées, pourtant, en mythes – en icônes de l’histoire dont les hommes sont si friands…

 

 

Têtes dressées – gestes à l’œuvre – corps tendus – sueur au front – mains, parfois, ensanglantées. Colonnes de visages supportant, comme un seul homme, les fables du monde – la grande épopée de l’humanité…

 

 

Le ciel – les arbres – les pierres – les chemins – le regard – le silence – quelques bruits du monde – inévitables. Le seul décor – à chaque étape du voyage…

 

 

L’exercice quotidien du vide – le déblaiement de l’esprit – pour aller, avec étonnement, sur toutes les routes du monde – et offrir un peu de blancheur et de silence à la page noircie par les mots et les images…

 

 

A perte de vue – partout – des troncs d’arbres horizontaux – couchés par la main funeste de l’homme…

 

 

Corps et âmes s’éreintant à leur tâche. Visages crispés par l’effort – la charge inerte inhérente à la matière et au labeur – pesant de tout son poids sur les épaules et les existences – suçant l’énergie – éprouvant la chair – épuisant l’esprit…

La fatigue et l’habitude anesthésiant la sensibilité et l’étonnement – ôtant la possibilité de vivre, en homme, le miracle…

 

 

Energie effervescente qui bâtit – construit – détruit – anéantit – se déverse partout. Irrépressibles – irréductibles – mouvements. La matière du monde transformant sans cesse son apparence, sa texture, ses reliefs. Rien qui ne puisse lui ôter sa force et son ardeur…

Programmée pour se mouvoir – agir et faire – inlassablement…

 

 

Ça bouge – ça remue – ça s’agite – ça gesticule – sans fin. Ça tourne en rond au-dedans de sa boucle. Ça s’épuise – ça se pose quelques instants – ça se régénère – très vite – puis, ça reprend son mouvement…

L’intranquillité même – perpétuelle…

Et le regard immobile qui contemple l’emprisonnement de l’esprit qui, si souvent, tourne avec…

 

 

Le monde comme convergence – comme lieu hostile – comme lieu de jouissance ou de souffrance. Le monde comme distraction – comme illusion – comme pointeur vers le regard. Tant de perspectives possibles investies selon sa sensibilité et ses prédispositions…

 

 

Achevé – ce que nous fûmes. Pourtant – la tête vibre encore de ce passé – comme si quelque chose, en elle, demeurait vivant – enfoui plus profondément que le souvenir – en deçà de la mémoire – une faculté consubstantielle à l’esprit – une sorte de crispation saisissante – un besoin d’amasser les fragments du monde et de l’expérience – la nécessité de bâtir un récit et d’inscrire ce que l’on croit être – une individualité – dans une histoire plus vaste et moins insignifiante que ce que nous avons vécu…

 

 

Une parole dévoyée – simple outil d’information, de distraction, de valorisation, de propagande, d’instrumentalisation et de mensonge…

 

 

Je vis les oreilles bouchées – presque hermétiques aux bruits du monde – mais la tête est encore toute frémissante d’histoires sans importance – de récits – de misérables épopées – de toutes ces minuscules péripéties de l’homme…

 

 

Comme un écart sans cesse éprouvé – sans cesse agrandi – entre le réel et sa représentation – entre ce qui est et le récit qu’on lui superpose…

 

 

Rien – rien – rien – telle devrait être notre unique certitude – et notre seule devise…

On ne sait rien – on ne comprend rien. On est présent – on assiste – simplement – au cours des choses – au déroulement des phénomènes – au spectacle du monde – et on agit lorsque les circonstances l’exigent…

Nudité innocente – et agissante si nécessaire…

Rien de plus – rien de moins. L’envergure du regard et la justesse du geste…

 

 

Des visages – des choses – des livres – comme des piliers – des amis – des outils – des consolations – qu’il faut, un jour, abandonner…

 

 

Solitude insatisfaite – puis, de plus en plus satisfaisante…

 

 

Le sommeil et le bavardage me sont devenus insupportables. Tant de bruits et d’illusions, déjà, dans la solitude – inutile d’en ajouter en fréquentant les hommes…

 

 

Des retrouvailles – en soi – avec soi – pour vivre cette part inaliénable de nous-mêmes(s). Rien d’autre. On pourrait vivre ainsi pendant des siècles – et pour l’éternité sans doute…

 

 

Des repas – du sommeil – du repos – des contingences – des obligations – du labeur – du temps oisif – quelques plaisirs paresseux. Que de torpeur dans l’existence des hommes…

Presque jamais rien d’essentiel. Gaieté d’apparat – simplement – jamais de joie profonde…

Pauvres humains plus à plaindre (en dépit des apparences) que le solitaire mélancolique et taciturne qui s’essaye au labeur de l’âme – à approcher, vaille que vaille, le royaume de l’Absolu…

 

 

L’incertitude plutôt que l’habitude…

L’inconnu plutôt que la sécurité…

La joie plutôt que la gaieté…

La connaissance plutôt que le savoir encyclopédique…

Le réel plutôt que les croyances, les rêves et l’imaginaire…

L’Absolu plutôt que la platitude (et les limitations) d’un bonheur individuel (éminemment relatif)…

La solitude plutôt que la compagnie (presque toujours indigente)…

La veille plutôt que le sommeil…

L’intensité plutôt que la tiédeur…

L’effort plutôt que la paresse…

Le tranchant plutôt que la torpeur…

La sensibilité plutôt que l’indifférence…

La discrétion plutôt que l’ostentation…

L’anonymat plutôt que la gloire…

La défaite plutôt le succès…

Le silence plutôt que le tapage…

La précarité plutôt que le confort…

Le simple plutôt que le raffinement et la sophistication…

Le respect plutôt que l’instrumentalisation et l’exploitation…

La frugalité plutôt que les excès et l’abondance…

La profondeur et la densité plutôt que la superficialité frivole…

La nécessité plutôt que le temps oisif…

La vocation plutôt que l’obligation du labeur…

Les servitudes consenties plutôt que l’esclavage subi…

L’ineffable plutôt que l’histoire…

La nouveauté ordinaire et quotidienne plutôt que le voyage et le sensationnalisme…

Rien plutôt que la longue liste des consolations…

Et même la tristesse plutôt que toutes ces (misérables) compensations…

En retrait – en apprentissage – plutôt que faussement vivant…

L’âme et la conscience plutôt que l’homme…

Et les trois – ensemble – si cela nous est offert…

 

 

Le plus insidieux partage entre soi et l’Autre – apparemment contaminé à la source – mais souterrainement juste – le plus approprié qui soit…

 

 

Nous allons comme le jour – de façon aussi régulière. Etape après étape – sur le dérisoire cadran du temps – dans cette marche infaillible…

 

 

Des visages étrangers à toute connivence excédant leur cercle. Murs et façades d’hostilité – un mince sourire, parfois, de circonstance – de convention – décoché depuis leur plus haute meurtrière…

Une existence d’enceinte et de fortification – inattaquable – inaccessible – au-dedans d’un périmètre circonscrit ; un territoire restreint – un dérisoire donjon – un royaume fermé – sur lesquels ils ont l’illusion de régner…

Avec seulement des alliances de nécessité et d’agrément pour ne pas trop s’ennuyer – ne pas trop étouffer – ne pas trop dépérir – au milieu de leur fortin…

 

 

En quête de la phrase définitive (pour clore l’exercice) – et qui, bien sûr, n’arrive jamais ; l’assertion – l’aphorisme – qui résumerait tout – qui permettrait, en quelques mots, de tout comprendre – après lequel vivre suffirait…

Dans cette illusion puérile – dans cette folle ambition – de vouloir fixer définitivement le mouvement du monde et de la vie – d’immobiliser ce qui ne peut être arrêté…

Dans cette croyance imbécile (et enfantine) d’enfermer le vivant – ses lois et son envergure – dans quelques pauvres traits…

 

 

Comme la vie – l’écriture se poursuit. Comme les jours – les phrases se succèdent et se répètent – s’inscrivent, à chaque fois comme pour la première fois, sur le blanc de la page…

Rien de ce qui a été vécu – rien de ce qui a été écrit – ne compte véritablement. Tout – chaque jour – à chaque instant – doit être réinventé – vécu et écrit à nouveau – comme les seules choses réelles – les seules choses valides – de ce monde…

Sans passé – sans pages ni livres précédents – sans avenir – sans lignes à écrire demain ou dans mille ans…

Des bouts d’existence et de langage comme les parfaits reflets de ce qui arrive aujourd’hui – à l’instant où les circonstances et l’écriture se déroulent…

Le fragment comme seule possibilité…

Et la parole aussi libre que les événements…

 

 

Quelque chose d’autre que le monde – plus tendre – moins envahissant…

Une autre manière d’exister…

 

 

Des heures – des vagues – la chaleur diffuse – les bruits du monde de plus en plus insupportables – la proximité des visages – le manque d’air – l’étouffement de plus en plus manifeste…

La triste trivialité du monde devant soi. Et l’impossibilité de vivre dans cette promiscuité…

 

 

La normalité des gens ; la famille – les sorties – les loisirs – le désœuvrement. Je ne parviens pas même à me faire l’entomologiste de cette inintéressante société…

Nul secret sous-jacent à cette misère – à cette indigente banalité…

 

 

Qu’y a-t-il donc – en nous – pour éprouver tant d’inconfort et de mépris à la vue de ce spectacle…

Des fantômes grégaires – jouisseurs et indolents – la paresse et le sommeil – partout le règne de l’animalité humaine…

Incompatible avec cette sensibilité – en moi – qui n’apprécie que la compagnie des solitaires attentifs et respectueux – les veilleurs, peut-être, d’un autre monde – moins grossier – moins trivial – moins instinctif – l’autre part de l’humanité – celle que l’on ne voit presque jamais…

Rêve – simplement – d’horizons moins vulgaires – plus conscients – plus métaphysiques…

Un monde qui célébrerait l’Amour, le silence et la beauté – à l’inverse de cette terre qui ne glorifie que la ruse, le tapage et la laideur…

 

 

L’édulcoration des extrêmes – l’effacement des singularités – l’aplanissement des reliefs – dans le regard opaque – quelque chose comme une indifférence – une insensibilité ; le règne de la normalité et de la tiédeur…

 

 

Les groupes – petits et grands – où ne suinte que ce qui nous révulse. Voilà, sans doute, pourquoi l’on ne peut rencontrer l’Autre qu’à travers son espace le plus solitaire – le moins contaminé par le monde – cette part de l’âme démunie et curieuse qui s’interroge – le reliquat du premier homme – loin des foules et des tribus – exonéré du couple et de la famille – et, en partie, indemne de leurs (inévitables) corruptions…

 

*

 

On n’en finit donc jamais avec la vie – avec la mort – avec la joie d’être et la douleur d’exister – et le chagrin des disparitions successives…

La même tristesse – le même dénuement – la même impuissance – à chaque fois – malgré les années et l’expérience (grandissante) des funérailles…

 

 

Difficile métier que celui de faire face à ce qui est – avec une psyché si fragile – une sensibilité si vive – et l’impérieuse nécessité de ne jamais détourner ni les yeux – ni l’esprit – de ce qui est en soi et devant soi…

Perspective presque inhumaine…

 

 

La vie comme une longue succession de blessures et de traumatismes. Et, chaque jour, mille occasions de coup, d’arrachement et de défaite…

 

 

L’esprit note – regarde – presque détaché – la tragédie en cours – et la déliquescence (littéralement) de la psyché…

Le triste sort de la vie terrestre…

Et tous les « ah quoi bon » rehaussés jusqu’à la folie – jusqu’aux ultimes frontières de la désespérance…

 

 

Partagé entre la faculté naturelle de l’esprit à trancher – à se détacher des aléas phénoménaux – et le fonctionnement de la psyché humaine…

Sorte de conflit de loyauté – comme déchiré entre la certitude (insuffisamment prégnante encore) du dérisoire de nos vies et les soubresauts de notre individualité qui refuse, malgré elle, d’échapper à la peine et à la tristesse de la mort – de l’absence…

 

 

Nous – entre le rasoir et l’éponge – entre le regard vierge et la rétention (qui peut parfois se transformer en rumination émotionnelle)…

La conscience clivée – dissociée – qui, à la fois, éprouve la souffrance et est attirée par sa possible cessation – avec un simple ajustement du regard – soit plongeant dans les eaux de la tristesse, soit surplombant le monde des phénomènes…

Mille incitations d’un côté et mille résistances de l’autre qui annihilent tout mouvement – on demeure alors immobile – dans cette fracture – dans cette indécision – dans cet inconfort – qui peut, parfois, virer au supplice…

 

 

Se laisser entièrement traverser – sans rien refuser – sans rien agripper – pas même notre incapacité à accueillir – pas même notre inclination acharnée à la saisie – devenir cette immensité où tout disparaît – où tout réapparaît – élans déclinants et élans naissants. Rien d’autre qu’une vaste étendue – un immense réceptacle sans crochet – sans filet – une aire totalement poreuse et transparente – sans autre épaisseur – ni d’autre visage que ceux de l’Amour – lucide – qui voit – et sensible – qui apaise et offre, peut-être, sa guérison…

 

 

Nous sommes – un étrange mirage – entre rêve et réel – entre buée et densité. Quelques milliers de jours au parfum volatil d’éternité…

 

 

Jours et saisons mille fois recommencés – la continuité et – toujours – la même candeur à vivre…

 

 

Instance noire au cœur de la chair – comme un puits – un abîme – sous les muscles – sous les nerfs – dans les os – dans le sang. Zone imprécise et monstrueuse – qui se déploie – vite – et grossit en retenant le moindre objet – le moindre phénomène – dans ses filets…

 

 

L’humanité des arbres et la barbarie des hommes. A voir le monde – en actes – tout sauf de vains mots…

Et à côté – et sous les apparences – le réel brut et sans histoire – rude souvent – doux ou tranchant selon les circonstances – mais implacable toujours…

 

 

A genoux sur notre pente inéluctable…

 

 

Un besoin de fraternité au fond du cœur – rarement satisfait par les figures du monde…

Il faut chercher ailleurs – fouiller en soi – pour dégoter quelques visages aimables – et apprendre à bercer leur âme tendrement dans nos bras – être la mère que tous réclament – et la solitude – et la misère – et la détresse – de chacun recevant cette attention – cette écoute – cette affection…

 

 

Volonté d’un Autre – toujours – au-dessus – par derrière – au-dedans. Jouet de mille désirs sous-jacents – pantin de l’invisible soumis au silence et aux forces qui animent le monde…

 

 

Départ d’ici pour ailleurs – de ce monde pour un autre monde. Tranches diverses du même pan de réalité cloisonnées presque hermétiquement par le sas de la mort – mille fois vécue – mille fois traversée – où l’esprit conserve ses caractéristiques principales et oublie le reste – tous les souvenirs inutiles. Resserrement sur l’essentiel – densification du noyau – affranchissement du superflu – ce labeur fondamental que nous délaissons – presque toujours – de notre vivant – par paresse – par désintérêt – par crainte – par impossibilité – pour mille raisons irrecevables…

 

 

Les circonstances sont – presque toujours – d’une grande brièveté – succession de « cela arrive » – puis, autre chose – puis, encore autre chose – ponctuée d’intervalles plus ou moins long d’absence d’événements significatifs (ou déterminants) pour l’esprit… même si, bien sûr, se déroulent, à chaque instant, une infinité de « micro-événements »…

C’est toujours la psyché – à travers la mémoire – qui allonge (d’une manière naturelle et involontaire) la durée, l’existence et les conséquences – de ces événements marquants – comme de longues – de très longues – extensions – d’interminables et inutiles prolongations…

 

 

Tout n’est que jeu de la matière – visible et invisible – et conscience – regard ; rien d’autre n’existe, en vérité…

 

 

Fragile espace du monde – le regard sensible à toute forme de précarité…

 

 

Tout surgit – et est enfanté par le même jeu – la même nécessité à être – mille élans-frères et autant de visages qui ne se reconnaissent plus…

Etrange fratrie de l’oubli et de la guerre…

 

 

Un sursaut de virginité pour mille résistances de la psyché qui refuse d’être reléguée au second plan – de devenir l’objet d’une observation assidue – d’en être réduite à tourner à vide – à retrouver sa condition d’élément phénoménal commun – égal à tous les autres – sans consistance – sans épaisseur – sans conséquence majeure. Simples mouvements – irrépressibles – qui se réalisent. Pas davantage que le rêve du monde. Ondulations ordinaires – simple déroulement – infime fragment dans le cours naturel des choses…

 

 

A marche lente – d’un point à un autre – sans itinéraire précis. Errance et déambulation davantage que voyage. Haltes nombreuses comme pour souligner l’inimportance des lieux…

Le goût du monde et la beauté des paysages – en soi – autant que le parfum et la sueur des mille chemins parcourus…

 

 

L’ordre du jour et le spectacle – au-dedans de l’esprit – du regard – de la conscience…

 

 

Monde d’yeux et d’instincts – de labeur et de contingences – d’habitudes et de flâneries – de gestes mécaniques et de sillons creusés…

Danses à la surface de tout – vie, monde et soi – à peine aperçus – à peine effleurés – sans la moindre plongée dans les profondeurs…

Vie étrange de lassitude et d’éternité – où tout semble aller de soi – sans aucune prégnance quotidienne de la mort – de l’essentiel – sans la moindre curiosité – sans le moindre étonnement devant ce qui ressemble pourtant, à chaque instant, à un miracle…

Des mouvements – des images qui défilent – des représentations et une conceptualisation (plus ou moins grossière – plus ou moins sophistiquée) à travers la pensée et le langage…

 

 

Tout arrive – passe ainsi – et s’éclipse – devient néant. Jamais rien d’immobile…

Et toute tentative pour figer le réel – quelques éléments du réel – en le(s) fixant avec des mots ou des images – est caduque et inutile ; inapte à restituer la dimension vivante de ce qui était – capable seulement de rendre compte de ce qui n’est plus…

Une sorte de vague évocation qui ravive, bien sûr, dans la psyché ce qui a été vécu et emmagasiné – mais rien de réel – simple outil de réminiscence qui donne l’illusion d’une épaisseur et d’une réalité – totalement inexistantes – présentes seulement dans la tête. Mécanisme basique de la vie psychique qui rassure autant qu’il éloigne du réel du monde…

 

 

Nous vivons par inadvertance – avec ce qu’il faut d’infortune et de déraison pour être au monde de manière si absente…

 

 

Tout se répète sans étonnement – comme s’il allait de soi de recommencer chaque jour – mille tâches – mille gestes – incontournables…

 

 

La roue du temps et du supplice. Tout est cercle – marche répétitive – déclin, renouvellement et continuité…

 

 

Saisons et arbres millénaires – et les petits soubresauts de l’homme…

 

 

Le monde comme obstacle – comme oracle – comme fortune. Le seul lieu, peut-être, accessible à l’absence et à l’infirmité…

 

 

A chaque instant – à la jonction de toutes les choses du monde – au centre du réel – là où rayonne l’infini sans le moindre contour – et ainsi pour chacun – pour chaque forme du monde…

 

 

L’étrange mystère qui, peu à peu, s’éclaircit. Des pans entiers de vérité vécus – sans témoin – sans référence possible – sans la moindre validation…

Désépaississement, peut-être, du filtre psychique…

 

 

Ça surgit – ça se forme – ça s’emplit – puis ça déborde. Ainsi – toute chose – jusqu’aux ruissellements – jusqu’à la liquéfaction…

Nature aqueuse et océanique du monde…

 

 

L’eau – l’herbe – l’arbre – la roche – la chair miraculeuse du monde. La vie et le vivant qui s’invitent et colonisent – peuple de la propagation qui se répand sur tous les territoires…

Monstrueuse expansion naturelle…

L’impérieuse nécessité d’envahir – de progresser – de se multiplier. Développement à marche lente – à marche forcée – comme volonté (inconsciente), peut-être, de matérialiser l’infini…

Perspective instinctive inscrite dans les gènes du monde…

Foisonnement et efflorescence se propageant avec une indécente obstination…

D’un côté, cette addition – cette accumulation – perpétuelles – et de l’autre, rien – l’espace vide – la conscience – la lumière immobile – le regard silencieux, neutre et oublieux – la vacuité sans visage – l’Un laissant faire – et laissant jouer – la multitude…

Et, en chacun, ces deux dimensions qui enfantent leurs élans – la matérialité visible et invisible sur le mode de l’expansion et la perspective soustractive – l’effacement jusqu’aux sources premières du rien – le long et âpre périple jusqu’au vide – jusqu’à la pleine vacuité…

 

 

Jeu du monde – et jeu en soi – sans autre raison que celle d’être né – et inévitables à présent – jusqu’à la fin du cycle – jusqu’à l’extinction de tous les souffles engendrés par l’élan premier de la matrice en cette ère actuelle*…

* ère qui succède aux mille ères précédentes – et qui précède les mille ères suivantes…

 

 

Ça s’infiltre – ça imbibe, peu à peu, l’esprit – cette perspective du vide permanent. Familiarisation journalière – distillation presque au goutte-à-goutte…

 

 

Ça séjourne – en soi – avec moins de persistance…

Et ce qui insiste réclame – on le sait à présent – une attention accrue – un espace d’accueil sans jugement – sans intransigeance – un refuge total – des bras protecteurs – un abri – une écoute et une tendresse réelles et profondes – absolues – un lieu où tout ce qui s’invite peut être pleinement lui-même et s’abandonner sans restriction – sans le moindre risque de rejet…

Voilà ce que nous pouvons offrir à ce qui frappe avec insistance à notre porte – à ce qui nous pénètre avec force et désespérance – à tout ce qui s’acharne à nous envahir…

Une manière d’être – et d’accueillir…

Une manière de vivre dans le rayonnement libre de l’Amour…

Tendre et tranchant – vide et conciliant – attention et lucidité précises – aptes à reconnaître les besoins de ce qui est là – à faire la distinction entre ce qui mérite d’être coupé et balayé sans ménagement et ce qui réclame, avec pertinence, la plus grande douceur…

Aire ancillaire permanente – en quelque sorte – au service de ce qui vient – sans exception…

Perspective éminemment fonctionnelle et pragmatique autant qu’infinie et absolue – vouée au respect de la nature du regard – le vide – et de celle des choses du monde visible et invisible – la nécessité – la réclamation (souvent) et l’inévitabilité…

L’être en actes – à la fois œil contemplatif et discriminant – et sensibilité juste – précise – intensément vivante…

Le Divin modestement incarné peut-être…

 

12 août 2019

Carnet n°197 Notes journalières

Le ciel – parfois – le ciel – toujours – bout de ciel plutôt qui se laisse voir – qui, quelques fois, se devine seulement comme une promesse pour l’âme droite – honnête – clarifiée…

 

 

Errance souvent pour retrouver la route – sentir, en soi, le vide s’enfoncer. Ecarter ce qui reste – l’engloutir. Le monde séparé – hors de nous – comme un fantôme qui nous hante depuis trop longtemps…

 

 

La rencontre dans l’âme d’abord – sur la page ensuite – bouts de silence dans l’ombre des visages. Lumière volée, peut-être, pour dire la proximité de tout…

 

 

Tout se cache – se dissimule sous la plainte – comme si la réalité – la vérité peut-être – se positionnait toujours – à dessein – derrière le cri – au fond des apparences – pour ne jamais oublier – ne jamais rejeter – la souffrance maladroite et bruyante des traits dans notre quête acharnée d’essentiel et de silence…

 

 

Tout dans le prolongement de soi – puis, dans celui du centre. Du fragment à l’unité…

 

 

Bruits du monde qui ne sont que les cris de la faim inapaisée – et ce surplus d’énergie dans les gestes tourbillonnants – quelque chose que l’on ne peut réfréner – quelque chose de ludique, au fond, malgré le sérieux apparent des actes et la gravité des visages…

 

 

Vivant comme ce vieil arbre croulant sous ses fruits. Affranchi de l’orgueil au fil des saisons. Occupé à sa tâche naturelle. Seul jusqu’à la mort – et qui n’a besoin de témoin pour œuvrer, chaque jour, à son labeur…

 

 

Immobiles comme ces pierres sommeillantes qui paressent au soleil – insensibles au passage des saisons. Dures – intransigeantes – la tête froide en toutes circonstances…

Et hostiles – comme la mort – imperméables au silence et à la main tendue…

 

 

Tout se dissipe – s’éteint – s’affaiblit. Même le sommeil perd de ses forces. Tout devient égal devant ce sourire inexplicable…

 

 

Nul ne sait – nul n’a vu ni le visage – ni le reflet – ni le miroir. On a erré dans la même pièce – des siècles durant. On a tourné en rond entre quatre murs étranges. On a joué avec les ombres et les choses. On a marché sans prêter attention à cette lumière (minuscule) qui éclairait le monde – nos pas – nos petites œuvres – le chemin sans fin. Et aujourd’hui, la mort arrive – la mort est proche – et quelque chose – en nous – se souvient…

 

 

L’homme soucieux – penché sur ses reflets – les portraits sans contour de lui-même. Des millénaires de narcissisme avant de commencer à lever les yeux sur ce qu’il n’a jamais vu – sur ce qu’il n’a jamais pris la peine de voir ; le reste du monde qui lui a toujours semblé si hostile – si étranger…

 

 

Comme une pluie qui se dissipe – un peu de lumière au bord de la blessure. L’ombre qui recule peut-être…

Le sentiment d’une terre où tout pourrait commencer…

 

 

Sisyphe immobilisant sa pierre – grimpant sur elle – et découvrant une autre manière de marcher – apprenant, peu à peu – et presque par hasard – à danser et à jouer avec les servitudes – trouvant une autre perspective et d’autres points d’équilibre…

 

 

De l’ombre encore – partout – et qui pèse sur les épaules…

On marche avec cette fatigue – le feu, en soi, lancé contre le froid – le sourire comme piètre étendard dans le désert. La joie plus vive que le pas. A battre la campagne – à embrasser – en pensée – ceux qui nous ont tourné le dos. Seul avec cette déchirure qui a, peut-être, agrandi l’âme…

 

 

On ne voit rien – on avance – la cécité en tête. On se précipite là où l’on devine une chaleur – là où la clarté embrase l’air – l’ombre – l’infirmité – là où il nous est possible de vivre…

 

 

Rien de massif – quelque chose comme une pierre minuscule – fine – légère – guidée par les murmures du vent, l’encouragement des arbres et la délicatesse des fleurs…

 

 

L’Autre est d’un ressort inconnu. Des lèvres ouvertes à l’imaginaire. Un vent qui se dérobe. Une nuit moins franche qu’une main tournée vers le soleil. Un feu souterrain. Des pas – une âme qui déambule – qui s’aventure, peut-être, là où elle sera aimée. Des questions – un mystère, peut-être, insoluble…

 

 

Nous occupons la terre – l’espace – comme s’ils nous appartenaient. Nous sommes la main cruelle de l’ignorance. Nous n’avançons pas – nous piétinons…

 

 

Un jour ordinaire – la marque d’un talon imprimée sur le visage sans savoir à qui appartient le pied fautif…

 

 

Dans la chaleur dérivante d’un abri – une forêt – une chambre – qui sait où l’âme a pu trouver son rocher…

 

 

L’innocence – en nous – le lieu le plus précis de la fortune…

 

 

Des jours – comme de pauvres sacs à remplir. Qu’importe ce que l’on y met ; tout est bon – déchets et gravats y sont même les bienvenus – pourvu qu’on ait le sentiment d’avoir à porter quelque chose…

 

 

Le chemin d’un Autre que l’on poursuit. Et les chemins des Autres qui ont été nôtres…

Rien ne commence – en vérité – on poursuit le même labeur depuis des siècles – depuis des millénaires – depuis le premier jour du monde…

 

 

Une pierre – un visage – un chemin. Et tout recommence. Le même feu au fond de soi – le même ciel au-dessus de la tête. Le même voyage vers le plus simple – jusqu’au plus intangible – jusqu’à l’irréductible…

 

 

Des murs et des haleines – les cris hystériques d’une foule sans visage – sans âme ; l’humanité livrée à elle-même et au pire qui l’habite…

 

 

Le scintillement d’une clarté inconnue – reflet d’un ciel au-dessus des nuages – au-dessus des orages – et traversant, parfois, l’épaisseur de quelques âmes…

 

 

Enserrés dans la main d’une étrange providence…

Une route qui nous précède – un feu près d’un talus. Des marches – une esplanade – une large étendue où la nuit est souveraine…

Tout est froid – au-dehors. Et l’âme ne peut compter que sur ses propres forces…

Ainsi devrons-nous, seuls, réparer les déchirures – affronter le plus lointain – apprivoiser le plus proche – essayer de devenir des hommes…

 

 

De jour en jour – c’est la même mort qui nous sourit – de plus en plus proche – jusqu’au dernier instant où nous serons engloutis…

 

 

Des pierres – des fronts courbés sous la chaleur. L’obscurité des visages – la peine et le froid à l’intérieur. Silhouettes titubantes vers tous les horizons – incapables de se hisser – en s’abandonnant – sur le seul qui compte…

 

 

Tout finira par s’assécher avant de découvrir le moindre soleil…

 

 

A côté de soi – toujours – à côté de celui qui croit vivre – à côté de celui qui pense bien plus qu’il n’éprouve…

Le sommeil serré contre soi – au plus près du front – pour qu’il s’endorme lui aussi…

 

 

Trop de distance – entre nous – pour que les souffles s’alignent – se superposent – deviennent une seule respiration…

 

 

Monceaux de chair – d’idées – de visages. Ça s’élance – ça gesticule – ça cherche à s’imposer. Batailles inégales – souvent – et dérisoires – toujours…

L’essentiel assagi – ni au-dessus – ni en-dessous – hors de toutes les mêlées – sagement silencieux…

 

 

Des gestes – rien que des gestes. Et du silence. Et la parole – parfois – comme dialogue nécessaire avec soi – ou éclaircissement avec l’Autre…

 

 

Des pas – des lignes – notre quota quotidien – comme exercices d’hygiène ; libérer les énergies du corps et de la tête pour accéder au silence de l’âme…

 

 

Des murs – peut-être – mais que nous avons bâtis seuls – pour la plupart. Hauts – longs – massifs – imposants – infranchissables. Les autres ne sont que de minuscules murets de pierre édifiés par quelques circonstances provisoires – rien de définitif – ni d’insurmontable…

 

 

Le silence hissé au cœur du front – là où la terre est devenue soleil…

 

 

L’eau vive et la rive immobile…

Quelque chose – un souffle entre l’infime et l’infini…

Un feu – la moitié d’un Dieu – ce que la raison peine (toujours) à expliquer…

 

 

Un feu commun – immense. Et des milliards de flammèches minuscules…

 

 

Sur le seuil d’une autre saison – d’une autre lumière – où les noms et les conventions ne sont plus nécessaires – ou seulement, de temps à autre, lorsque le monde nous sollicite…

 

 

Le présent et l’apparente continuité du temps…

La malédiction de la matière prise dans ses propres sables – si friande de changements et de transformations – si irrésistiblement mobile – infixable en quelque sorte – et que l’esprit, à tort, cristallise en créant un univers parallèle au réel qui l’égare et l’éloigne de toute réalité…

Et autant d’univers que d’individualités – d’où les conflits et l’incommunicabilité – l’impossibilité de s’entendre en deçà du silence pleinement acquiesçant et consenti…

 

 

Monstres, créatures et monde – plus fragiles que l’âme – ce fantôme – cette silhouette aux allures frêles et fragiles ancrée dans le roc le plus indestructible ; le silence…

 

 

Prendre appui sur une autre assise que la nôtre pour devenir plus vivant que l’apparence du monde – plus vivant que l’apparence des Autres…

 

 

Rien n’existe davantage que les idées – ce monde superposé au monde…

Farce et illusion de tout raisonnement qui ne tient qu’à la logique – châteaux de cartes – monstrueux ou raffinés – construits sur le sable et le vent – et qui, d’un seul souffle, s’écroulent – s’écroulent bienheureusement…

 

 

Rencontre directe – incertaine – comme deux mains tendres et chaudes posées sur ses flancs – dans une prise à la fois ferme et enveloppante – où l’on ne sent plus où s’achève sa chair et où commence celle de l’Autre…

Un pont – une continuité – la peau commune qui nous relie – et plus profondément encore – les muscles – les nerfs – les os – les énergies – indissociables…

L’unité provisoire – deux visages – un seul monde…

 

 

Terreur au-dedans. L’horizon et la chambre d’accueil – la pièce nue et ce qu’offre le monde… Qu’importe la main qui dépose les présents – et qu’importe les circonstances – pourvu que l’air où l’on se trouve soit neuf – oxygéné ; l’air du jour…

 

 

Qu’importe les pas et les routes – c’est au-dedans que nous cheminons – là où ni l’extérieur, ni les foulées n’ont d’importance – là où la distance qui nous sépare du centre se franchit d’un seul regard ; là où le recul n’est qu’un intervalle nécessaire – là où il n’y a ni lieu, ni liste, ni règle, ni tendance agonistique – là où le possible ne se conjugue qu’au présent…

 

 

Le monde revigore autant que peut épuiser – et meurtrir – l’idée du monde…

 

 

L’Autre sans masque – sans visage – le reflet du plus proche – ce que nos yeux ne peuvent saisir ; l’insaisissable – le jour – le plus vivant – malgré ces restes de terres froides, la brume encore persistante et ce parfum de tristesse…

 

 

Geste lent sur toute l’étendue – comme une étreinte – un baiser sur le jour – la fin de l’usure liée à l’usage quotidien des choses…

 

 

Bruits intérieurs contre les parois du crâne – frères de sang et continuité du tapage extérieur – ces sons du monde qui pénètrent et saturent les têtes…

Âme et l’Autre d’un seul tenant – passerelle où défilent la nuit et l’anéantissement…

 

 

En ce lieu qui n’est pas un lieu – ni un refuge ; un suspens – un surplomb engagé dans le centre – jusqu’au cœur des choses du monde – dans chaque visage hilare ou souffrant. Une présence vivante – un regard sensible. Dieu nous regardant le regarder – séparé de tout – abandonné là où la nuit est la plus terrifiante – là où la mort roule et écrase ceux qui la défient comme ceux qui la craignent – ceux qu’elle indiffère comme ceux qui la vénèrent – faisant de tous les visages une seule figure – celle de l’espace – infini – invisible – s’aimant à travers tous ses traits…

 

 

Du dehors ingurgité – digéré – ne coulent qu’une mélasse noire et quelques scories…

 

 

Lieu piétiné par les Dieux – le froid dans le foyer – quelque chose comme un soleil déclinant – une tête inclinée – le revers de tout destin – l’autre versant du jour…

 

 

Un quiproquo absurde devenu mythe – illusion – auxquels nul n’a su résister…

Excès de faiblesse et absence de forces élémentaires pour pouvoir être dissipés – balayés – exorcisés…

Le cadre du monde auquel nul ne peut échapper…

L’évidence d’un feu qui brûle sans nous…

 

 

Une traversée de portes déjà ouvertes – et qui, de loin, semblaient fermées – épaisses – hermétiques – presque infranchissables…

 

 

Parfois dans le rêve d’un autre ciel – et d’autres fois, dans sa chaleur vivante – palpable – éminemment tangible et guérissante…

 

 

Nous, les éclats – les Autres, on ne sait pas. Des têtes autrefois maudites – aujourd’hui si faibles – agonisantes – à moitié abandonnées déjà…

 

 

Front traversé par le plus mince – le presque inexistant. L’idée du monde en tête avec ses faces hideuses – inconnaissables – qui rôdent comme si nous étions une chambre hantée – la geôle souterraine d’une vieille forteresse abandonnée…

 

 

Des murs – de l’air – l’immobilité…

Vivant dans le plus lointain monde possible…

 

 

L’impérieuse nécessité du jour et de la blancheur contre ce qui nous sépare – nous altère – nous crucifie…

 

 

Le geste lent de la main qui se redresse – et qui, se redressant, pousse l’âme vers ses plus folles dérives. De jour en jour – de plus en plus lointain – comme mille rives successives foulées d’un seul regard – dans le même vertige…

 

 

Là-haut – sur cette route où se déposent toutes les espérances – le vent, en soi, et le ciel plus vaste que l’imaginaire mal inspiré. L’étendue et le sommeil couchés ensemble dans la même paume – immense – qui s’offre à tous. Les larmes et la rosée – le souffle du premier matin du monde. L’infini imprégnant le sol – se mélangeant à lui – le devenant pour que la marche trouve enfin son envergure – et les passagers leur plus beau voyage…

 

 

Etendu là où le jour nous éventre – nous fouille – nous dissèque – nous arrache ce qui nous semblait le plus précieux – pacotilles bien sûr ; nous respirons encore – nous voyons – nous sentons – nous sommes – toujours – au milieu du monde – dans ce souffle plus haut que les hommes, un jour, ont perdu. Dispersé par le froid – dans le seul lieu habité. Au commencement de tout peut-être… Pas même effrayé – pas même ébloui – par le visage qui s’avance…

 

 

Tous les indices – toutes les preuves – convergent vers soi…

 

 

Silence vivant là où le ciel est descendu. Ailleurs – du bruit – de la terre – des grimaces…

 

 

Plus bas – plus haut peut-être – on ne sait pas – affranchi, sans doute, d’une forme élémentaire d’humanité – laquelle reste (pourtant) mystérieuse malgré la paresse – le mimétisme – toutes les singeries…

 

 

Tout lieu – même désert – est habité ; il suffit d’un regard…

Une présence discrète et silencieuse – et non une absence – mille absences – bruyantes et tapageuses…

 

 

Offert – comme le sol aux pas – l’esprit aux idées – comme une main qui réconforte la tristesse d’un visage…

 

 

On peut bien rêver mille ans – le monde restera le monde… On peut bien inviter le jour – il est probable que la nuit demeure glaciale…

 

 

Le début d’un monde où le souffle remplace les vents – où l’Amour devient le creuset des âmes – un lieu éblouissant pour les pas infirmes et les visages hésitants…

 

 

Le jour est là – toujours – malgré l’absence et les yeux fermés – malgré les âmes mimétiques et les esprits encombrés…

 

 

Tout doit se rompre sur la lame effilée ; tranché net – décapité – coupé à la racine…

Bouts du monde stoppés dans leur élan colonisateur…

L’esprit nu – l’esprit blanc – et qui doit le rester…

 

 

Un souffle fait bouger nos lèvres – anime notre main – fait courir nos jambes de par le monde et le feutre sur la page. Mouvements mystérieux – récurrents – circulaires – nés de la matrice qui enfanta l’univers, la vie et le temps…

Et mille manières de revenir dans son giron – de vivre à ses côtés – en son cœur – et de laisser son silence et sa joie nous envahir de la tête aux pieds…

 

 

Sans cesse nous nous heurtons aux mêmes parois – érigées par nos habitudes – nos certitudes – agglomérées par le mauvais ciment des idées ; monde perdu – qui s’éloigne à mesure que les parois s’élèvent – s’épaississent – deviennent une enceinte infranchissable – et poreuse seulement du dehors vers le dedans…

 

 

Vase vide qui doit rogner ses bords – creuser son fond – retrouver – redevenir – la pleine vacuité de l’espace – l’envergure sans limite…

Mais le souvenir du vase – des bords – du fond – est tenace. Et la peur de perdre définitivement sa forme – le contenant et le contenu – est vive – profonde – presque indéracinable…

Partagé – déchiré – toujours – entre l’infime et le plus vaste – entre l’identité restreinte et (rassurante) et le sans nom – l’infini et l’incertitude…

 

 

L’esprit enfermé dans la matière – dans sa forme matérielle apparente – et apparemment séparée…

Nœud complexe de l’identification – de la crispation – de la rétractation. Difficile chemin vers l’élargissement et l’envergure première – l’absence de frontières…

L’éternel défi – l’éternel dilemme – de l’homme – au croisement de ces deux dimensions – de ces deux perspectives – si difficilement conciliables dans l’expérience du monde et le vécu quotidien…

 

 

De l’autre côté du monde – à moitié abandonné déjà – sur ces terres – ces rives – ces fleuves – que l’âme doit encore traverser. Là où tout se dénude et se dissipe…

 

 

Seul et immobile dans ce bleu comme unique ivresse à vivre…

 

 

Le front – le souffle – le feu – quelque chose qui s’anime derrière la façade opaque des secrets…

 

 

Au pied d’un autre jour – déjà – où tout sera effacé…

 

 

L’étrange trivialité des jours – du monde – des existences – comme un poids – une inertie – qui nous voilerait l’extraordinaire…

 

 

Le regard, le souffle et le talon. Et le geste, parfois, qui s’impose…

 

 

Lignes sensibles et hâtives – entre foisonnement et silence. Comme un impératif de désengagement – une distance nécessaire avec le monde – les visages – le vécu – le ressenti – une manière, peut-être, de s’affranchir des aléas de l’existence…

Plonger dans l’âme et le monde – avec une sensibilité directe – sans écran – sans filet. Sauter à pieds joints dans l’inconnu – l’incertain – l’insaisissable – sans savoir si l’on en réchappera…

Manière de vivre hors du temps – sans même imaginer la route à venir. Mourir ici – demain – dans mille siècles – quelle importance au fond – qu’avons-nous donc à vivre de plus important qu’à cet instant…

 

 

Tout arrive – rien n’arrive – tout pourrait (même) nous arriver – qui, mieux que la vie, sait ce que nous devons traverser…

Vécu impitoyable mais nécessaire…

Ni aubaine, ni échappatoire – le destin – simplement – où la nécessité s’impose pour s’affranchir du sommeil…

 

 

Ce qui déborde est promis à la destruction – comme tout le reste, bien sûr…

 

 

C’est la plaie et le besoin de remède qui font tourner le monde – lui donnent son allure et sa frénésie. Des reculs et des avancées – des cris de douleur et de joie – rien que des minuscules histoires…

 

 

Tout – en soi – comme ce qui traverse le cœur – rehaussé ou crucifié – c’est toujours lui qui bat dans notre poitrine – c’est toujours lui que l’on entend et que l’on touche – de mille manières…

 

 

Ce que nous n’habitons pas est mort – n’existe pas. Graine et devenir possibles – seulement…

 

 

Un intervalle où tout peut basculer – se rencontrer – grandir ensemble – et exploser ; la terre – le froid – le soleil. Et ce feu – au-dedans – qui nous pousse à explorer le monde – à trouver le lieu de la fortune – la seule demeure naturellement…

 

 

Pas tendus vers le seul abri qui est aussi une exposition totale – la fragilité la plus haute – que rien, pourtant, ne peut anéantir…

Le dénuement – le détachement – le lieu étrange – unique – où mènent toutes les voies soustractives – tous les chemins vers la nudité…

 

 

Tout semble défiler – mais, en vérité, tout – dans l’instant – est immobile. Rien n’arrive – rien ne passe – tout est exactement comme il est…

 

 

Ça respire – en soi – avec une autre envergure. Quelque chose comme un nœud – un paquet de nœuds – défaits – devenus ficelles légères qui s’envolent comme les aigrettes du pissenlit…

 

 

Nous cherchons à arriver là où nous sommes déjà. Tant de pas et de sols foulés – retournés – pour, un jour, pousser la porte du regard – inverser les yeux – et voir le monde entier au-dedans…

 

 

Homme penché – au croisement des destins – sur ce fil étrange – multiple – tendu entre la terre et le vent – attaché nulle part – si, peut-être, à l’imaginaire – dans un rêve de monde et de Dieux…

 

 

Visage à retourner – figure face à l’océan mêlé à l’air et à l’écume – arrachée au sol et à la gravité. Plume d’oiseau emportée vers le jour…

 

 

Nous cherchons – et explorons – partout – excepté le regard. Puis, une fois le regard découvert – et habité – la quête s’efface – tout s’efface ; l’extérieur disparaît ; le monde – les routes – l’Autre – les visages – n’existent plus qu’au-dedans – comme si l’impossible se réalisait malgré tous les rêves qui emplissaient nos têtes…

 

 

Chaque jour – la même eau noire – qu’il faut laver. Pluies et larmes sèches – débris d’autrefois – fragments de monde – amassés au fond des têtes – au fond des âmes…

Et au fond de l’eau – de petites pierres blanches – des foulées lointaines vers le plus proche – le feu revisité – l’âme droite – les gestes précis – tout en suspens..

Bien plus vivant qu’hier – sans doute…

 

 

Le chant de la forêt – la beauté des fleurs – la fraternité des arbres – l’espièglerie des insectes. Tout est là – identique – presque comme au premier matin du monde…

Le plus naturel – le plus simple – rien de superflu – rien de surfait – pas de tapage – pas de pollution – la belle et saine sauvagerie du monde…

 

 

Grandeur du jour – course du vent – et le rythme lent de ceux qui s’animent…

Tant de beauté saccagée et corrompue par les hommes…

La douce (et parfois rude) félicité du monde remplacée par cette folie et ce sommeil terrifiants…

 

 

Le jour moins lointain que le monde. Ici – les visages nous sourient – nous saluent – nous convient à leur danse – à leur silence – à leur beauté. Hôte de tous – comme un retour au pays natal – parmi nos frères – habitants des forêts…

J’appartiens à la tribu des bêtes – à la confrérie des arbres et des pierres – à la communauté végétale. Je suis un des leurs…

Et c’est auprès d’eux que je vis – et dans leur sillage que je mets mes pas. Ma seule famille peut-être – celle à laquelle je resterai fidèle jusqu’à la mort – quoi qu’il arrive…

 

 

Cellule nomade au cœur du monde naturel. Le silence et la joie. L’apaisement – en soi…

 

 

Il n’y a d’inquiétude chez les arbres – seulement le souci d’être…

Il n’y a de choses inutiles – seulement le nécessaire…

Il n’y a d’ostentation – seulement des actes justes…

L’essence, l’existence et le miracle de vivre – la tranquillité et la liberté de croître. Et rien de plus – sous le jeu de la lumière…

 

 

Des arbres – des bêtes – des pierres – des livres – le silence ; conditions d’un bonheur simple – d’une présence habitée – d’une joie intense – d’une existence naturelle en accord avec les valeurs qui me semblent les plus hautes – les plus vraies – les plus saines – les plus propices à l’épanouissement de l’âme et du cœur humain…

 

27 juillet 2019

Carnet n°196 Notes de la vacuité

L’arbre et l’horizon. Du vert jusqu’au bleu. Âme et reflets – corps dansant. Dieu – en soi – sans promesse. De la bête à l’homme. De l’homme à ce qui ne s’explique pas…

 

 

Langage, si souvent, détourné de sa vocation première ; chercher et dire la lumière – les hommes en usent pour leurs mille affaires séculières – triviales – lointains reflets d’une clarté (encore) étrangère…

 

 

Mur épais – encore tangible – qui rend toujours mystérieux l’autre versant du monde…

 

 

Peurs et joie qui déferlent – entremêlées – sans explication…

 

 

Un front – une boîte – où sont rangés tous les outils nécessaires…

 

 

De rêve en rafistolage – de réparation en guérison imaginaire. Et la rémission dans l’intervalle précis entre le vide et l’absence. Et partout ailleurs – l’efflorescence du mal et des malheurs…

 

 

Blanc à perte de vue – et plantés, au milieu, des poteaux noirs – étranges – incongrus. Rêve d’infini piqué de pensées sombres…

 

 

Récurrence du même cauchemar qui tente d’emplir l’esprit – de lui imposer sa couleur. Mirage autant que l’idée du monde et d’un salut possible…

Revenir au pas – aux talons qui pensent – au lieu précis que nous foulons…

 

 

Vider la tête – et la creuser jusqu’à faire disparaître l’incessante récurrence des points d’interrogation…

 

 

Ni rêve, ni réalité – l’entre-deux investi par la nuit et la peur…

 

 

Immobile – comme une bête assoupie dans son dédale – face aux monstres et aux mythes du labyrinthe…

 

 

Ornières – fosses – ravins – et le doigt d’un Autre pointé au-delà – nulle part – vers le centre unique – multiple – démultiplié – ni réel, ni chimérique – et que l’on atteint sans le moindre geste – avec le regard simplement soustrayant…

 

 

Accord de principe qu’il faut – à présent – convertir en actes – en gestes vivants…

 

 

L’âme éventrée par le tranchant des yeux et des saisons – laissant apparaître l’arrière-pays du rêve et les entrailles de l’antre – la grotte noire…

 

 

Plus étranger au jour qu’à la mort – victime, sans doute, du labeur acharné de la tristesse…

 

 

Une âme encore trop tapissée de craintes et d’espérance – les communes valeurs de l’homme…

 

 

De la paresse et de la fébrilité – et, en dépit des apparences, la même résultante ; de l’air immobile et de l’air brassé ne débouchant sur rien d’essentiel ; rien qui ne puisse intensifier le regard – rien qui ne puisse célébrer la vie…

 

 

Des actes et du repos – un mode d’existence qui donne l’illusion d’appartenir – et de contribuer – au monde…

 

 

Laisser émerger – en soi – le plus naturel ; l’élan sans appui – sans contribution – le mouvement né de l’œil, du souffle et du bras des profondeurs – le vide agissant…

 

 

Gestes et langage – pas et silence. De l’esprit – du corps – de l’âme. L’essentiel du monde et du regard. L’ossature de l’homme…

 

 

Du feu – des incendies – quelques autodafés – des cendres. Et un peu de vent. Et, bientôt, un espace de désolation sur lequel peine à s’installer la joie…

Vide noir et désert – terrain des humeurs mélancoliques plutôt qu’esplanade de liberté et aire de jeux – joyeusement fantaisistes…

 

 

Trop d’attentes encore – trop recroquevillé, peut-être, sur ces restes de douleur – et toutes ces pertes, sans doute, pas encore entièrement consenties…

 

 

Des pas mal alignés que l’inhibition rend stériles. Des volutes de fumée qui se dispersent – résultante de gestes trop sérieux – trop soucieux de bâtir – comme si l’âme s’imaginait encore capable de construire le vide…

Déblayer – déblayer toujours – ces reliquats d’images et d’espérance…

 

 

Ecouter cette voix et cette force – en nous – qui, au milieu du vide, initient l’impulsion – balayent l’espoir et la crainte – et nous débarrassent du monde et du temps – œuvrant, sans rien édifier, à leur propre joie – à leur propre chant – à leur propre beauté – sans la moindre considération pour ce qu’insinuent les yeux des Autres…

 

 

Rien d’étranger au regard – fragments et reflets de lui-même – bien plus que familiers…

 

 

Un réel sans restriction plutôt qu’un imaginaire fertile…

 

 

Au cœur plutôt que hors de soi…

 

 

Quoi que nous fassions, nous ne pouvons échapper au centre. Tout acte est au-dedans – inclus…

Rien en dehors de ce cercle sans frontière…

Nulle issue – nul exil – possibles. Tout se déroule en lui. Impossibilité absolue du hors cadre…

Où que nous soyons – où que nous allions – au plus près toujours…

 

 

On ne peut s’affranchir de soi-même…

Invariant total malgré l’infinité des possibles…

D’un domaine à l’autre – d’une perspective à l’autre – sans jamais se trahir – se corrompre – abandonner l’essentiel – le plus exact…

Miracle – vertige – les mots nous manquent pour décrire cette envergure du réel…

 

 

Le quotidien revisité à l’aune de cette perspective donne au moindre geste une dimension infinie – et renoue avec le plus sacré – nous offre l’opportunité de rejoindre le jeu et la liberté joyeuse des Dieux…

Nulle règle – nulle loi. L’élan le plus naturel – le plus spontané – qu’importe les conventions, les interdits et les yeux du monde…

L’acte pur et la joie…

Le grand rire et la jouissance de l’être…

L’éradication de toute forme de tristesse et d’inhibition…

Goûter cela (même provisoirement) balaye maux et malheurs…

 

 

Le pas – sans destination précise…

Le geste – sans intention…

La parole comme un chant…

L’être goûtant sa liberté – jouissant du monde et du miracle d’exister…

 

 

Ni âme, ni anges, ni Dieu – simples intermédiaires indispensables aux cheminants – à l’espérance de ceux qui œuvrent (encore) avec peine au rude labeur de la soustraction…

Manière, parfois nécessaire, d’encourager l’allant vers la nudité – prémices du cœur – prémices du centre sans nom – sans visage – sans autre appui – sans autre compagnie – que lui-même…

 

 

Magma de matière agglomérée et séparée – indissociablement – sans autre espace que ce qui l’accueille…

Distance zéro et infini – mesures différentes de la même unité – présence et absence incluses…

Rapprochement et éloignement au sein du regard enchevêtré à la matière enchevêtrée

Seule liberté – la focale. Le reste n’est qu’un amas de gestes et de mouvements conditionnés…

 

 

Tout est mû – s’écoule – avec ou sans l’adhésion du regard. La fiction se déroule avec ou sans spectateur. La danse des choses dont l’esprit seul peut témoigner…

 

 

A grandes enjambées sur le même pont – d’une rive à l’autre – sans jamais fléchir…

 

 

Heurts et litiges qui exaltent l’identification – le rêve – la torpeur. Ce que nous prenons pour la vie – le réel – la mélasse où nous sommes englués. Presque rien, en somme… Les irrépressibles mouvements du monde auxquels nous croyons devoir répondre…

Elans fantômes à la nature onirique – quasi fictive. Caresses – effleurements – gestes vides de sens – à la destinée dérisoire – sans conséquence réelle sur le monde. Simples effets (en cascade parfois) dans l’écheveau de fils enchevêtrés où tout se reconstitue à la moindre rupture – d’une autre manière – sans jamais transformer radicalement la structure. Seule l’apparence change selon les fluctuations et les points d’équilibre…

Ainsi nous apparaît l’étrange ossature du réel…

 

 

Enorme masse en mouvement où cohabitent tous les extrêmes ; inertie – tiédeur – radicalité – où tout acte – tout geste – même le plus spectaculaire – ne constitue qu’un micro-événement qui n’engendre que d’infimes et dérisoires modifications… Rien qui ne puisse entamer la charpente de l’édifice – inchangée – inchangeable – et dont l’évolution et les révolutions n’affectent que la surface – les éléments directement observables…

 

 

Briques grises – partout – assemblées pour mille usages ; murs – abris – maisons – routes – ponts – carrefours – cathédrales – esplanades…

Cette manière qu’a l’homme d’habiller la terre et de la soumettre à ses exigences…

Territoire conquis – foulé – envahi – dominé – et surchargé, aujourd’hui, par mille autres édifices – par mille autres réseaux…

Boulimie colonisatrice insensée – sans limite – et sans le moindre respect, bien sûr, pour le monde naturel et les autres espèces…

 

 

Une porte – en soi – n’a pas été ouverte. Un monde inconnu qui nous restera étranger…

 

 

La vie semble avoir investi en l’homme et en son hégémonie dévastatrice pour écrire l’histoire contemporaine du monde. Erreur de programmation… Stratégie darwinienne… Manière de contraindre l’homme à un sursaut de conscience… Qui peut savoir…

 

 

Escale – comme un flottement entre la terre et le ciel. Un goût du monde – en soi – prononcé. La conscience d’écrire un voyage – une étape – une page – inconnus. Et l’exigence d’une parfaite honnêteté dans le témoignage…

 

 

Lignes sans autre objet que la description de la vacuité et des charrettes de phénomènes (hétéroclites) qui la traversent…

Ici et là – à l’instant où cela se déroule. Qu’importe ce qui vient – seule compte la manière de l’accueillir – aussi dépouillée que possible…

 

 

L’écrasant magma et la grâce…

La prolifération et l’épure – à parts égales – sur la page…

 

 

L’histoire comme une myriade de récits dérisoires – de destins individuels entrecroisés et englués dans la trame collective – que l’on a vite fait de transformer en mythes collectifs que chacun (en général) s’approprie – auxquels chacun (en général) s’identifie – en fonction desquels chacun (en général) se positionne – œuvrant ainsi à édifier et à inventer, à son tour, sa propre route – sa propre histoire – son propre récit – qui viendront s’ajouter aux mille autres et à la grande histoire du monde…

Processus écrasant et inévitable auquel nous préférons le pas de côté – l’absence de destin – eux-mêmes marges des histoires – marges de la grande histoire…

Quoi que l’on fasse, on ne peut y échapper…

 

 

Herbes folles – danse frénétique sur le trajet du vent – capricieux – erratique. Monde sous le joug des saisons. Souffles et temps qui donnent aux choses leur forme – leur allure – leur rythme…

 

 

Eaux qui coulent – long cortège immobile – égal – différent. Eaux qui dévalent – qui serpentent et se précipitent. Long périple avant d’arriver jusqu’à l’océan…

Et noyées dans la grande étendue, le voyage se poursuit ; immersion – tangage – roulis – errance dans l’immensité – happées par les courants et les abysses – par le labyrinthe des profondeurs – par les soubresauts de la surface – évaporation – lévitation – élévation – nuages – vents encore – pluies et averses – chute implacable vers le sol. Eaux qui ruissellent et s’accumulent en flaques – en ruisseaux – en rivières. Eaux qui coulent encore – eaux qui coulent à nouveau…

 

 

Ombres – extases – confins – nature de l’homme dévoilée…

 

 

Mille visages tendrement enlacés qui virevoltent ensemble – à force de désir. Dansant jusqu’à la folie – jusqu’à l’épuisement – jusqu’à la mort…

Réalité apparente – ce que nous voyons…

Existence vécue dans l’effleurement des choses…

Et un monde souterrain – invisible – éminemment plus puissant – et moins énigmatique qu’il n’en a l’air…

 

 

Etincelle – feu – brasier. Le monde soumis à la brûlure et à la lumière. Matière consumée. Fumée – passage par l’air – passage vers la légèreté. Vents qui emportent un peu plus loin. Poussières qui chutent et s’écrasent sur le sol – qui s’entassent et se mêlent à la terre. Qui deviennent terreau d’une matière nouvelle – d’un monde à venir – d’un univers à réinventer…

 

 

Souliers qui peinent dans la montée fatidique. Foulée – puis enjambée – la boue. Traversés les fleuves et les déserts. Le souffle et l’allure. La monotonie des pas. Les yeux qui interrogent. Le cœur qui se serre. L’âme et le regard intacts – identiques tout au long du voyage…

 

 

Ce que nous avons appris – ce que nous avons découvert – ce que nous avons goûté – ce que nous avons aimé – ce que nous avons vécu – presque rien…

La surface d’un monde et d’une vie – inconnus…

Et quand bien même aurions-nous tout vécu – tout aimé – tout découvert – tout compris – il nous faudrait revenir – et continuer l’aventure…

Privilège et malédiction de tous les cycles. L’éternel retour de la matière. Un monde après l’autre – un univers après l’autre…

Le regard – grand ordonnateur des élans – enfantant ses éclats – ses rêves…

Chimères qui nous hantent…

 

 

Fenêtre d’un monde englouti – souvenirs au-delà de toute illusion – immense cimetière aux allures de dédale où l’esprit exhume, une à une, toutes les dépouilles…

Et c’est là – encore – qui devient plus intransigeant que le vide – l’esprit qui s’accroche – qui s’agrippe – à la moindre aspérité au cours de cette longue dégringolade le long des parois de l’abîme…

 

 

Arbres à perte de vue – souliers remisés au fond de la grotte. Poitrine allongée sur le sol. L’âme flottant au-dessus du décor. L’esprit clivé – une partie ici – présente – l’autre ailleurs – on ne sait où – partie explorer – en pensée – en rêverie – les pentes à venir – les cols à franchir – la route à tracer – longue – longue encore…

 

 

Rien en deçà de la prière – rien au-delà du silence. Et l’homme tantôt en-dessous des frontières – tantôt égaré entre ces deux limites. Territoire mouvant – pas erratique – jamais sûr du sol que nous foulons… 

Pas que tout habite – où tout peut s’inviter ; la chute – l’abîme – l’ascension – l’envol – l’enlisement – l’écrasement – la lévitation – l’infini – l’élan sans retour – et la marche encore – cyclique toujours – une fois toutes les étapes franchies – une fois le tour entier réalisé…

 

 

Fuite pas même exploratoire – simple distraction à visée anesthésique…

 

 

Dans un coin – l’âme tranquille – le visage en retrait – invisible depuis la route. A entendre le défilé incessant du monde – les marches en minuscules cortèges. Peu de solitaires. Peu d’âmes affranchies. La trivialité ronronnante des existences…

 

 

Trop de visages encore. Sur la route, rien – c’est la tête qui est peuplée…

Le monde comme un désert – comme une chimère. Tout se dérobe. Et la tête devient le jouet de ce qui la hante…

Ça se déverse trop lentement – et ça revient mystérieusement nous envahir…

Trop plein – partout – plus de place pour s’écouler. Plus de place pour accueillir. L’engorgement de toutes les voies. Et la submersion – bientôt – qui, peut-être, sera fatale…

 

 

Ce que – au fond – nul ne sait – le mystère du souffle – de l’incarnation – de l’esprit. La texture métaphysique du monde – au-delà de tout décorum…

 

 

Quelque chose de vivant – et qui peut se vivre avec intensité…

Pas d’affairement autour des contingences. Des choses à faire – oui – réalisées avec simplicité – des gestes précis. Pas d’ornementation ni d’esprit de fioriture…

Une vie fonctionnelle – au dedans sans débordement – aussi vide que possible…

Pas d’intériorité (comme on l’entend habituellement) ; aucune introspection analytique – aucune plongée dans les méandres de la psyché – aucun dialogue intérieur…

Une intense présence seulement – légère – légère – dense et dépouillée. Un regard pur – attentif – à la fois pleinement engagé dans les circonstances et totalement distant – étranger…

 

 

Désert de poutres verticales plantées là sans raison – servant à tous les usages ; tantôt clôtures – tantôt charpentes – tantôt ossatures d’édifices – tantôt piloris…

 

 

Ciel lointain – décharné – qui rêve, parfois, de corps vivants – ardents – vibrants – dans lesquels il pourrait émerger – se déployer – s’étoffer – prendre des forces – et rayonner enfin au cœur de la chair pour célébrer le monde et l’infini…

 

 

Ce qui est là – rien d’autre – ni rêve, ni fantasme. Parfois clarté, parfois confusion. Parfois simplicité, parfois complexification. Tout égal – sans hiérarchie – sans référence – sans comparatif…

 

 

Nous ne séjournons qu’un temps – et de temps à autre – au pays des Dieux. L’essentiel des jours, nous les vivons sur la terre – parmi les hommes – à nous occuper des affaires communes – courantes – triviales – éminemment quotidiennes…

Pas d’extase journalière – le regard présent posé sur la main appliquée à sa tâche. Et les contingences achevées – précieuses et achevées – tourné pour moitié au-dedans, pour moitié sur le monde devant lui…

Pas de discours – peu de paroles – aucun monologue intérieur…

Pas d’afféterie, ni d’ostentation dans les gestes…

Le silence profond – et enveloppant. Le centre parfait de l’attention – et la focale nécessaire selon les circonstances…

 

 

Chants d’oiseaux – pollen migrant – fossés saturés d’herbe – nuées d’hommes et d’insectes. Les grandes invasions sur les routes de la belle saison. Temps de retrait et de cachette (pour nous) sur des chemins de moins en moins solitaires. Lieux triviaux – sans éclat – endroits délaissés – qu’il nous faut trouver – presque chaque jour – pour échapper à la foule colonisatrice – à la horde des visages en villégiature…

 

 

Vide et solitude, peu à peu, apprivoisés – devenus presque des exigences – les conditions nécessaires à notre joie…

 

 

Goûter la joie – et l’intensité de vivre – hors du monde – sur ces sentes guère fréquentées par les hommes…

 

 

Posé là – entre cette parcelle de terre et ce carré de ciel – le long des grands arbres qui bordent la rivière qui offre – malheureusement – une frontière trop perméable…

 

 

Sentir le sol de ses pieds vivants – et dans l’air le souffle des Dieux. La grande joie de l’âme aux confins des mondes – l’universel terreau – le nécessaire parfum – de la solitude…

 

 

Vibrations – frémissements métaphysiques – de l’être – goûtant sa diversité naturelle – sans autre cri que celui des oiseaux et le vent dans les feuillages. Heures propices à toutes les joies…

 

 

Le vide – habité – qui se révèle. La guérison momentanée de tous les maux de l’âme…

 

 

La vie grandiose qui s’éveille dans les yeux devenus regard. L’illusion du monde provisoirement affaiblie – presque éteinte…

 

 

Règne d’une perspective où tout est poreux – où tout se partage – où les restrictions et les frontières ont abdiqué…

Présence et choses vivantes…

 

 

 

Nulle matière à penser – nulle rêverie possible…

Le réel et cette souveraine réceptivité…

La beauté et le sensible…

 

 

Nul mot – nulle image – nécessaires. Ce qui est là – et ce qui perçoit – dans leur admirable nudité…

Le reste du temps n’est qu’une parenthèse – un intervalle peut-être – où le monde, les bruits et les mots retrouvent leur triste primauté – et l’âme ses lourds (et inutiles) encombrements…

 

 

Le cercle des assaillants repoussé jusqu’aux ultimes frontières – celles à partir desquelles tout vacille…

 

 

Bord du monde qui nous engloutit…

Marges extrêmes de l’homme – à la limite de l’inhumain…

 

 

Sous les masques de la peur – au plus près de la chair – le regard – la vie qui va – la vie qui vient – toujours incertaine – toujours surprenante…

 

 

Nulle assise – pas même une pierre où se poser…

Le fil des circonstances – le cours des choses – dans leur déroulement sans fin…

 

 

L’ancrage de l’être – au fond de la poitrine peut-être – en amont de la matrice qui enfante les souffles, le monde et les idées. En ce lieu aussi tendre que des bras accueillants – et aussi tranchant qu’une lame effilée…

 

 

A creuser – à se débarrasser de ce qui entrave le vide et son rayonnement – avec l’âme et les mots – au fond de l’esprit – sur la page…

 

 

Accueillir et balayer – laisser, à chaque instant, l’espace net – propre – immaculé – sans amas – sans surplus – sans tache – aussi irréprochable qu’au premier jour du monde…

 

 

Ça passe – ça repasse – ça tente de s’attarder – de colorer les parois – le fond – les bords – tout ce qui peut devenir appui et support – lieux de dépôt et d’accumulation. Ça tente de soumettre – ça fait sa réclame et sa promotion – ça diffuse sa propagande – ça œuvre au rassemblement derrière soi – ses idées – sa texture – ça impose son existence et sa vérité (si partielle – si mensongère) comme un dogme – comme un paradigme incontournable…

Tout s’acharne ainsi – en soi – pour devenir le premier sur la liste des noms – le premier sur la liste des choses. Et c’est à cela qu’il faut acquiescer – et dont il faut, aussitôt, se défaire…

Demeurer vierge malgré les flux incessants, les assauts et les tentatives d’invasion (presque réussies parfois)…

 

 

Au-dedans de l’esprit – le monde et la psyché – le premier essayant d’entrer dans la seconde par tous les moyens possibles – par la force – par la ruse – par la connivence – par l’amitié – de mille manières – pour envahir et submerger – et la seconde avec ses mille mains et ses millions de doigts recroquevillés comme des crochets – prêts à tout agripper – à tout saisir – à tout amasser – à entasser des milliards de choses – des milliards d’idées – comme de minuscules trésors inutiles…

Mécanismes naturels auxquels il faut consentir sans jamais se laisser envahir (sans jamais laisser l’esprit être envahi) par la moindre poussière – par le moindre reliquat du monde déposé – et redéposé – indéfiniment – en soi…

Présence neuve portant – toujours – avec elle un balai aux brins tendres – mais intraitables en matière d’hygiène et de propreté

 

 

Ce qui jaillit – ce qui nous pénètre – ne doit être ni entravé – ni manipulé – ni augmenté – ni diminué – ni agrémenté d’imaginaire. Traversée franche et sans résidu…

D’une chose à l’autre – puisqu’il ne peut en être autrement – sans regret – sans nostalgie…

Aucune boursouflure de l’âme ne peut ainsi nous affecter ; idée, pensée, émotion, sentiment – aussitôt perçus – aussitôt accueillis – aussitôt balayés – d’un geste vif et sans équivoque – d’un geste éminemment réparateur – du regard…

Et ce qui s’obstine – et ce qui s’acharne parfois – à demeurer ; le même traitement – intense – récurrent – autant de fois que nécessaire…

Refus et reflux permanent de l’amassement – refus et reflux permanent de l’encombrement…

Aussitôt arrivé – aussitôt accepté – aussitôt dégagé…

Ni marotte, ni manie – la plus juste et la plus efficace manière de demeurer neuf – vierge – totalement innocent – curieux – émerveillé – accueillant – intensément vivant – hors des schémas d’habitude et de répétition qui sont, comme chacun le sait (pour l’avoir mille fois expérimenté), le terrain propice à l’ennui, à la torpeur et au sommeil…

 

 

Ne rien conserver – certes – mais ne rien bâtir non plus sur ce socle de nudité ; ne pas comparer – ne pas prévoir – ne pas anticiper – ne pas théoriser…

Les circonstances – les rencontres – les virages – tels qu’ils se présentent…

 

 

Regard le plus simple – le plus nu – qui décomplexifie aussitôt le monde – et lui ôte tous ses attributs imaginaires – monde qui, d’ailleurs, n’est plus le monde tel qu’on nous le présente communément – monde qui se limite à ce qui est devant soi – et jamais davantage…

Nulle place pour l’intellectualisation ou la conceptualisation…

Le pragmatisme lucide – hautement intelligent – qui ne s’embarrasse jamais ni de souvenirs, ni de références…

 

 

Innocente et tranchante tendresse serait, peut-être, le terme le plus approprié – l’accueil pleinement acquiesçant et, presque aussitôt l’éviction hors de l’esprit avant de parvenir, un jour peut-être, à être traversé sans que ne subsiste la moindre résistance – ni le moindre résidu…

Mécanisme d’apparence inhumaine – mais qui, pourtant, nous rapproche de la plus belle manière d’être un homme…

 

 

Conscience sensible à ce qui se présente (sans le moindre refoulement a priori) – mais qui doit pour demeurer vide et vierge – demeurer une lumière attentive et une lucidité bienveillante à l’égard du monde et de l’Existant – se débarrasser de leurs fragments à l’instant où ils ont été accueillis…

Si ce mécanisme n’est pas initié, ces derniers s’incrustent dans l’esprit qui va, malgré lui, les corrompre – les déformer – leur donner une couleur réductrice. Corruption, déformation et réduction qui les transformeront, en moins de temps qu’il ne faut pour s’en apercevoir, en une mélasse boueuse et mortifère (de plus en plus massive et monstrueuse) qui créera une représentation du réel – un filtre éminemment trompeur – qui, non seulement, altérera notre nature vide – cette vacuité sensitive et incarnée que nous sommes – en réalité – mais nous fera également appréhender le monde et l’Existant – ce qui est devant soi – d’une manière hautement (et tristement) fallacieuse…

 

27 juillet 2019

Carnet n°195 Notes journalières

Qu’un regard – un geste – mille gestes quotidiens – nécessaires. Rien d’autre. Si – l’instant où cela se passe. Le reste n’existe pas…

 

 

Retirer, une à une, les couches – les pelures…

Brûler les amas – les embarras…

Arracher les noms – les masques…

Ôter les souvenirs – les identités…

Se défaire – simplifier – devenir – seulement – le regard et le geste…

Et mourir – et renaître – l’instant suivant – aussi innocent que le nouveau-né…

 

 

Ni hier – ni ailleurs – ni demain – et moins encore la vie autonome de la tête – et l’âme volage – l’âme-girouette. Et moins encore dans les yeux de l’Autre…

Oublier les mensonges – l’illusion – ce que l’on croit être…

Ce qui se joue ici – maintenant – le réel qui nécessite notre présence

 

 

Qu’importe ce qui surgit – qu’importe les possibles…

Le plus simple – toujours – ce qui vient naturellement du centre vers l’apparente périphérie…

 

 

Ne pas effleurer – ne pas atermoyer – être la fulgurance évidente – inébranlable – indiscutable…

Le plein engagement dans l’acte surgissant. Corps, tête et âme d’un seul tenant livrant leur réponse…

 

 

Être tout – sans doute – mais aussi (et surtout peut-être) le geste singulier qu’impose la configuration présente – au croisement précis du dehors (les circonstances) et du dedans (l’attention vivante) – centre de l’impulsion…

Ni obligation, ni assurance – la flèche décochée – simplement – naturellement…

 

 

Être aussi léger que le vide – aussi vaste – aussi inexistant – L’intense et l’invisible présence…

Aucun poids inutile – aucune restriction nécessaire – aucune identité superflue. Le geste et la parole directs – sans détour…

Franc et sans embarras…

 

 

Lorsqu’il y a rire, il y a rire…

Lorsqu’il y a tristesse, il y a tristesse…

Lorsqu’il y a confusion, il y a confusion…

Lorsqu’il y a peur, il y a peur…

Lorsqu’il y a joie, il y a joie…

Lorsqu’il y a manque, il y a manque…

Lorsqu’il y a complétude, il y a complétude…

Lorsqu’il y méprise, il y a méprise…

Lorsqu’il y a tout, il y a tout…

Lorsqu’il n’y a rien, il n’y a rien…

La réponse est toujours là – directe et franche – pénétrante…

 

 

Ni ordre, ni désordre – ni règle, ni loi. Le geste pur – la parole pure – vides – désencombrés de toute rêverie – de tout sommeil – percutants…

 

 

Vigilance de chaque instant – veille nécessaire pour demeurer vide – vierge – innocent – et trancher net toutes les tentatives de saisie – d’amassement – de fuite – d’évitement – de construction – de certitude…

 

 

Être – ce rien – ce vide – le centre de l’acte – le centre de la parole – le regard et le non-savoir agissant…

 

 

La beauté ignorée – et recouverte par la laideur des hommes. Imposante – dominatrice – envahissante – insensée…

Et le même désordre à l’intérieur…

 

 

Ce qui s’insinue dans le jour – ce qui ne nous ressemble pas. Et la suite toujours invisible que l’imaginaire tente de deviner…

 

 

La même terreur qu’au soir couchant lorsque les démons ressuscitent – se redressent – se dispersent – tout alors s’effondre – se délite – devient inerte. Sable qui s’écoule de l’âme pour pétrifier la chair…

 

 

Dédale de mots alignés comme des douleurs…

Des phrases que l’on épingle pour tenter d’effacer ce qui oppresse…

L’âme confinée dans son antre irrespirable…

 

 

Masse grise suffoquant dans son propre oxygène…

Sommeil et terreur obstruant – excluant toute possibilité de passage…

 

 

Mise à l’écart du reste tant que tombera la pluie…

 

 

Le souffle plus large – comme manière de repousser les limites – et de retarder le retour – cette implacable condamnation au retour…

Une vieille aspiration à la liberté – momentanément récompensée…

 

 

Tout devient tête – le désir – le rêve – l’espoir. Le corps – l’âme – l’Autre. Dieu même y trouve une place. Tout s’emprisonne ainsi – et nous condamne…

La mémoire comme vague irrépressible – submergeante…

Tout – en elle – s’accumule – s’entasse – puis se répand en ondes sournoises – dévastatrices…

Et tout, alors, nous semble plus lourd que le monde…

 

 

Tout s’élève – se dresse – puis, très vite, retombe – se défait – s’éventre. Agglomérat de poussières qui se dispersent après la chute…

Le même cycle répété à l’infini – comme une obsession – presque un acharnement…

 

 

Tout continue au-dehors – comme si de rien n’était…

Ça se court après – ça se chevauche – ça s’emboîte – ça se querelle – puis ça se sépare – et ça poursuit sa course ailleurs…

Dans cette proximité qui n’est qu’une forme triviale de cohabitation – jamais une intimité – cette noble amitié des profondeurs – qui ne s’éprouve qu’au fond de soi dans un contact sans séparation…

 

 

Tout comme nous – la mer, aussi, ressasse…

 

 

Tout part – revient – repart encore…

Vieille orbite – vieille obsession du retour. Partout le cycle – excepté le regard…

La récurrence et l’immobilité…

 

 

Du monde – il faudrait qu’il n’en soit plus question… Mais comment vivre sans le monde… Comment écrire sans les mots… comment donner à voir sans les images… Il faudrait inventer (découvrir plus exactement) d’autres perspectives – d’autres langages – pour exprimer le réel…

Mais nous sommes si benêts avec nos petits élans – avec nos petites histoires – qu’il est probable que nous restions plongés dans le passé et les conventions…

 

 

Se libérer de ce qui corsète – de ce qui inhibe – de ce qui afflige. Outrepasser les limites – écarter, d’un geste vif, les frontières. Passer là où le vent, mille fois, est déjà passé…

Suivre ni le geste, ni l’étoile. Inventer le pas nouveau…

 

 

Les mots – à l’instant où ils se livrent – offrent leur lumière… Ensuite, ils replongent dans le noir…

 

 

Dans l’âme s’accumulent – toujours – trop de choses. Il faudrait vivre avec une clarté tranchante – un regard direct et sans nostalgie…

 

 

Des histoires – des récits – des mythes. Nous ne sommes, peut-être, bons qu’à vivre dans la fable et le rêve – comme si cela pouvait nous rendre vivants…

Juste décalés – à côté – avec un abîme entre le réel et nous…

 

 

Dire – médire – commenter. Paroles dérisoires. Esprit qui prolonge le mensonge…

Le silence devrait nous en affranchir…

 

 

Egaux devant le dernier souffle et la mort. Ensuite – l’iniquité apparente recommence…

 

 

Si maladroits – si absents – dans l’inintimité des choses. Vies et gestes hors sujet. Et paroles hors de propos…

 

 

Voix peuplée d’ailleurs et d’enfance – de rêves trop lointains – trop anciens – irréalisables. D’où, peut-être, la mélancolie de l’âme et la tristesse des mots. Quelque chose comme une déchirure irréparable…

 

 

Tâchons de rester modeste – attentif à ce qui peut se réconcilier. Ne plus soustraire peut-être – mais commencer à accepter ce qui reste – ce qui, sans doute, ne peut se défaire – ce surplus – cet étrange amas qui fait un visage humain – avec ses singularités, ni belles, ni laides, incontournables seulement – ce qui donne une couleur et une épaisseur particulières à cette pâte humaine…

 

 

Drastiquement atypique – et enfantin – avec cette naïveté des idéalistes que rudoie l’âpreté du réel – que violente la ruse des sournois – et que le prosaïsme des pragmatiques insupporte…

 

 

La page comme confidente et révélateur de ce que l’on porte au fond de la joie – au fond de la tristesse – au fond de la honte aussi parfois. Instantané de l’âme sans censure. Reflet et excavation – outil précieux de la connaissance de soi…

 

 

Feuille rehaussant le jour – baume invisible de l’âme. Manière de s’asseoir avec plus de tendresse à la table sans hôte – sans rougir de ses manquements – de ses tentatives. Manière aussi, peut-être, d’apprendre à se regarder – et à vivre en sa compagnie – sans orgueil ni vergogne…

 

 

Nous sommes – un puits sans fond. Mille surprises – mille nouveautés insoupçonnables à mesure que l’on tire son eau. Il y a toujours dessous une autre couche – un autre amas – une autre profondeur – sous ceux que nous avons mis au jour…

Des caisses pleines de beautés et de sortilèges – des piles d’or et des pelletées de boue qui nous enserrent le cœur…

Jamais rien d’achevé – c’est là qui se remplit chaque jour. Et ce que l’on vide se déverse ailleurs – et revient vers nous à travers un mystérieux réseau souterrain…

 

 

L’âme déréglée – fêlée de part en part. La coquille prête à éclater – et nous, à nous morfondre. Existence ténue – et (presque) toujours bouleversante…

 

 

Un nom – et mille choses en-dessous – comme un malaise que le langage peine à définir…

Nous sommes – peut-être – sans issue. Et sans rien à résoudre non plus…

 

 

Un souffle – mille souffles. Une saison – mille saisons. Et nulle autre chose à faire, peut-être, que d’accueillir et d’aimer…

Et tant pis si d’autres sont plus doués que nous…

 

 

Les mots sortent noirs – comme s’ils jaillissaient directement de la mélancolie – court-circuitant l’âme ni vraiment triste, ni vraiment joyeuse – engluée dans une sorte d’absence – une forme d’anesthésie – face à la perte – face au manque – contrebalancée par l’impératif de lucidité et l’exigence de faire face – quoi qu’il arrive…

 

 

Dévidoir où tout s’écoule – la peine et les humeurs noires. Pourtant, au fond, on sent la joie proche – affleurant sous le labeur glauque et répétitif (quasi obsessionnel) de la mémoire…

 

 

Rien ne se dissipe – tout reste là – entre deux eaux…

Exposé à la tenaille de la douleur et aux frémissements d’un soleil trop timide pour percer avec franchise…

Partagé entre la récurrence et le prolongement de la nouveauté…

 

 

Indécis – l’âme trop lourde pour faire un pas. Immobilité, sans doute, nécessaire…

Entre rechute et guérison…

 

 

Une vie illisible malgré l’écriture…

Quelque chose comme une pâte enfermant l’oxygène…

 

 

Plus dense qu’effervescente – notre vie. Et moins pathétique qu’elle n’en a l’air…

En dépit des apparences, la référence à l’Autre nous serait, sans doute, favorable ; essence plutôt que danse du ventre – silence plutôt que tapage – contemplation plutôt que compensation – lucidité (autant que possible) plutôt que rêve…

 

 

Au centre, un jeu innocent sans commune mesure avec les gesticulations intempestives et consolatrices de la périphérie. Et, entre les deux, ce no man’s land – cette aire étrange et imprécise où la tristesse et l’errance détrônent la fausse gaieté et la certitude mensongère de ceux qui craignent de creuser et d’approfondir…

 

 

Dire le réel du monde – de l’âme – de la pensée – revient, bien sûr, à prolonger le rêve et le mensonge. Il n’y a de vérité ; il n’y a que cet espace – cette présence – tantôt libre, tantôt empêtrée – et ce qui la traverse – à chaque instant – différents…

Rien de figé – rien, jamais, de définitif…

Le provisoire, l’inachèvement et l’incertitude sont la règle – les seules lois terrestres réellement significatives peut-être…

Ni carte, ni territoire – quelque chose qui passe – et qu’on laisse passer ou que l’on entasse (involontairement ou non) en soi – chez soi – qu’importe… Et à force d’entassement, l’espace, la vie et la vue s’engorgent ; tout devient noir – épais – prend une consistance trompeuse que le regard peut, pourtant, dissoudre en une fraction de seconde…

Tout se tient là – le plus essentiel – dans ce regard – et ce mécanisme de soustraction – d’abattage – de déblaiement…

 

 

Maîtres-mots – ce que rien ne peut dissiper…

Hors du monde et du temps…

 

 

Le plus précieux – l’invisible – l’insaisissable – ce que la plupart des hommes ne parviennent à appréhender – pour leur plus grand malheur et celui du monde…

 

 

La vie exposée – éventrée – les entrailles à l’air. L’âme dénudée – le cœur dévêtu. Et, pourtant, quelque chose, au-dedans, vibre encore…

 

 

Ce qui se débat – en croyant nous prolonger – précipite notre agonie…

Qu’un amas instinctif de pulsions – voué(es) à la survie…

 

 

Jamais plus présent qu’en l’absence de soi…

Regard et gestes purs sans nom, ni visage…

La main singulière des Dieux…

 

 

Tout nous arrive comme si un Autre avait tout organisé et vivait à notre place. Qu’un regard sur les joies et les malheurs – sur la tristesse et les circonstances (apparemment) favorables. Témoin d’élans et de gestes surprenants – impulsés par des forces lointaines – profondes – souterraines…

Comme étranger(s) à nous-même(s) – étranger(s) à cette existence – qui semble, pourtant, si familière à nos yeux…

 

 

Les crises et les ruptures (ce que nous considérons comme telles) sont les premiers pas d’un autrement ; une aubaine – une grâce – la main heureuse de la providence…

 

 

Des jours moins las que la routine d’autrefois ; les mêmes gestes et presque les mêmes circonstances pourtant – mais l’existence a gagné en incertitude et le regard en intensité – le geste et le pas sont célébrés – et la parole vient, à présent, couronner le temps passé à vivre…

 

 

Ne pas croire que le monde est le monde – et moins encore ce que l’on nous dit à son propos, ni la façon dont on nous le présente (un peu partout). Le vrai monde est ailleurs – hors des images censées le représenter – hors des mots qui tentent de le définir ; il est là – et existe même peut-être – sous le regard – au plus près du geste ; un chemin – un paysage – un visage – le réel sans filtre sous nos yeux – à portée de main – qui ne réclame rien – pas même d’être aimé ou compris – mais offert innocemment – miraculeusement – à notre présence…

 

 

On croit grandir – mûrir – appréhender le monde – la vie – les circonstances – avec plus de sagesse. Il n’en est rien ; on reste le même – avec les mêmes insuffisances. Seul le corps vieillit…

La seule différence, peut-être ; on est plus enclin, au fil du temps, à sourire devant l’impossibilité du changement…

 

 

Comme une errance perpétuelle autour d’un centre – dans une zone imprécise – inconfortable – fluctuante…

 

 

On croit vivre – et c’est quelque chose en nous qui vit. On croit souffrir – et c’est quelque chose en nous qui souffre. On croit être heureux – et c’est quelque chose en nous qui est heureux…

Nous – on constate – et on est bouleversé, à chaque seconde, par cette chose en nous qui subit tant d’avaries et de malheurs. Et l’on se sent encore plus désolé lorsque l’on se prend pour elle vivant notre vie…

Le dilemme de l’homme et du regard – de Dieu et de l’individualité…

 

 

Le monde n’est qu’une vaste usurpation d’identité où chacun qui est un Autre se prend pour un Autre plus différent encore…

 

 

On respire à côté de soi – d’un souffle qui n’est pas le nôtre. On se croit vivant. On vit la vie d’un Autre dont on ne soupçonne pas même l’existence…

Tragédie qui au lieu de nous faire fondre en larmes devrait nous faire éclater de rire. Mais même pas – la respiration – les circonstances – les pleurs – ont l’air si réels…

 

 

On s’agenouille, parfois, pour avoir l’air de prier – mais, au fond, ce que nous demandons, c’est l’Amour et la lumière – et, plus que tout, la tranquillité. Mais cela nous semble si exagéré – si inaccessible – que nous faisons l’aumône pour que le reste – si dérisoire – nous soit donné…

 

 

On s’égare – chacun, sans cesse, se perd…

Sans repère – et avec la prétention de savoir. Piètre manière de recouvrir – ou de contourner – l’illusion…

Nous sommes – si démunis…

 

 

Avaler des caisses de couleuvres – tout supporter – tout inventer jusqu’au délire… N’importe quoi pourvu que l’esprit nous laisse tranquilles…

 

 

Une parole libérée de tout esthétisme – le plus réel – le plus vrai – le plus simple. Mots directs – fragments sans fard. Mots-éclats – mots-poings – mots-choses – et toutes les émotions offertes par la vie…

 

 

Vivre – c’est faire face au réel – et à l’imaginaire que nous lui superposons…

Affronter les circonstances – ce qui vient – ce qui s’offre – ce qui disparaît…

Et c’est – souvent – consentir aux refus – les siens et ceux du monde…

Ainsi, peut-être, apprend-on à être à la fois homme et regard – individualité démunie et plein acquiescement. Réconciliation en soi…

 

 

Un feu – une attirance – quelque chose qui propulse – quelque chose qui aimante – comme la rencontre de deux images – celle du dedans et celle du dehors – dans une parfaite coïncidence — trop parfaite pour être réelle…

 

 

Cet élan vers l’Autre – quel manque – quelle insuffisance – cache-t-il… Les hommes ne se précipitent jamais vers leurs congénères par simple bonté d’âme…

On va toujours vers un visage pour quelque chose – pour une raison plus ou moins avouable… Il n’y a de rencontre gratuite – de pur geste de beauté. Il y a toujours une nécessité – peu enfouie (en général) – aisément repérable…

 

 

Une fois la rencontre consommée – établie – que se passe-t-il ?

Chacun vaque à ses occupations – on partage une couche – le pain – quelques paroles – quelques activités communes – ce que l’on nomme (un peu pompeusement) une intimité… On cohabite gentiment – on croit aimer – on croit savoir ce qu’est l’amour – sans compter les contingences et les corvées – les compromis – les négociations qui taisent leur nom – les demi-mesures – les frustrations – mille choses – mille ennuis – mille soucis – mille conflits – mille situations à régler – les non-dits – les complications – l’inauthenticité pour prolonger le mirage de la séduction – la crainte (et l’angoisse parfois) que l’Autre rencontre une individualité plus attrayante…

La plus ou moins rapide usure des yeux, des corps et des sentiments. La passion initiale qui, peu à peu, se transforme en habitude – en affection…

Et bientôt – très vite – la cohabitation de deux êtres – côte à côte – qui se supportent vaille que vaille. Et l’absence – en chacun – qui se creuse malgré l’entraide et les gestes de tendresse…

 

 

Des bouts d’images plein la tête – et qui tournent – et qui tournent – jusqu’à l’obsession…

Trancher net le déroulement du film – respirer – sentir vivre ses talons – le sol – l’ancrage au sol – le souffle qui entre et sort. Le vide qui, peu à peu, s’étend – réinvestit sa place. Le déblaiement – l’évaporation des contenus. Redécouvrir ce qui n’appartient à l’histoire – à aucune des histoires – ce qui était là lorsque l’on a commencé à vivre – le plus élémentaire – ce dont nous avons seulement besoin – rien d’autre – ni le rêve, ni la fiction – ni le fantasme, ni l’imaginaire. Le plus simple – en soi – devant nous – ce qui est là – le réel tout simplement…

 

 

Jusqu’où peut-on se rapprocher – de soi – d’un être – d’un visage – de l’être…

Qu’est-ce qu’être proche…

Qu’est-ce qu’une réelle proximité…

Et comment vivre cela avec l’Autre – un Autre du monde…

Vivre cette dimension – en soi – avec soi – pas si commun – pas si facile – déjà – mais le vivre avec un Autre – forcément séparé – forcément différent – de sa propre individualité…

Grand défi et insoluble mystère (à mes yeux) de l’horizontalité…

 

 

Ce que l’on exprime – au pied de la lettre – la voix vaguement traînante qui ralentit la scansion – la prononciation des syllabes – comme une langue amoureuse qui fait durer le plaisir. La joie de se dire – de s’exclamer parfois – cri murmuré du bout des lèvres. Le plaisir et la joie aussi de s’écouter – d’offrir l’espace nécessaire à la parole – à ce qu’elle porte avec elle d’inconnu – de mystère…

Dire et entendre – dans le même mouvement – et que la main, simultanément, retranscrit sur la page…

Rencontre – attendue – désirée – que l’on ne manquerait pour rien au monde…

 

 

Mille écritures différentes – celle du marcheur – celle du rêveur allongé dans sa chambre – celle du penseur – celle de celui qui n’a plus rien à dire et qui écoute – celle qui nargue et vilipende – celle qui invite – celle qui dénigre et traîne dans la boue – celle qui prie et vénère – celle qui célèbre – celle que l’on garde pour soi – celle qui s’expose avec timidité – celle qu’on offre au monde – celle qui ne se lit pas…

 

 

Mur ou horizon – le même dédale à traverser – monstres ou ombre de monstres – la nuance est de taille…

 

 

Seul au détriment du monde – monde au détriment de soi. Quelque chose – en nous – donne l’orientation – les nécessités d’une vie…

 

 

Nulle rencontre – des croisements – parfois – de temps à autre. Et pas davantage…

En soi sont les visages à rencontrer – l’Amour à découvrir – la vie à célébrer. Les Autres n’auront que les restes – les miettes d’un (trop) faible rayonnement…

 

 

Ça se pavane – ça rigole – mais, au fond, ça tremble…

Ça désire – ça essaye – mais, au fond, ça voudrait bien savoir…

Ça vit un peu – comme les Autres – mais, au fond, rien n’est jamais sûr…

On voudrait bien aimer – mais on ne sait comment s’y prendre…

Et Dieu est là – dans toutes ces tentatives – dans toutes ces maladresses…

Ça habite l’homme autant que la bête et la pierre…

 

 

Ça continue, malgré soi, de tourner. Ça se répète – en boucle – à l’infini – comme un bruit de fond – comme un bruit de chaîne qui nous donne des airs d’aliéné. Folie à vivre avec ça dans la tête – qui se répand partout – qui inonde l’âme – qui coule sur les gestes – qui colore la parole – et qui va jusqu’à dénaturer le désir de silence…

Il faudrait en finir – provisoirement – un sursaut du surplomb – un retrait dans les hauteurs – un regard aimant sans doute…

 

 

Une vie d’épuisement où ça danse – où tout danse – sans jamais s’arrêter. Si – pendant le sommeil – comme un intervalle régénérant ponctué de cauchemars où ça danse – où tout danse – encore. La nuit – le jour – sans jamais s’arrêter…

Le monde, nous dit-on, et ce que nous avons ingurgité…

 

 

Devenir encore – toujours plus loin – comme si le tour achevé, il fallait recommencer – recommencer encore – en se positionnant ailleurs – à quelques centimètres seulement parfois du lieu que nous venons de quitter – avec une autre tête – une existence légèrement différente – et des attributs presque identiques – avec une histoire pareille à toutes les autres – à quelques nuances près…

Et aller ainsi de place en place – de tête en tête – pour découvrir le monde de l’intérieur. Vivre tous les visages, un à un…

Enchaîner les déguisements – sentir la sueur de ceux qui ont porté les masques avant nous. Et laisser un peu de sueur à son tour…

Danse saccadée – chair titubante – tête étourdie…

Costumes des Autres – oripeaux – coiffes ridicules – airs maniérés – affectés – rustres le plus souvent…

Devenir toutes les âmes – toutes les poitrines – l’intériorité de tous les cœurs – les traits de toutes les figures – de toutes les formes…

 

 

Tourner – tourner encore – jusqu’à l’explosion des identités – jusqu’à la capitulation. Puis, un jour, le jeu s’éloigne – tout tourne et danse encore – mais le regard a pris un peu de hauteur – il découvre le jeu – la joie des pas dansants – la joie des rondes infinies. Il observe – goûte le spectacle – jouit de l’ardeur des danseurs – de leur folie – pleure de la même tristesse que celle des acteurs mais il a quitté la scène – a retrouvé le banc de l’arrière-salle que les souffles ne peuvent atteindre. A l’abri – quelque part – dans l’immobilité et le silence du centre – devenu, peut-être, l’œil du cyclone – l’œil du cyclope…

 

27 juillet 2019

Carnet n°194 Notes de la vacuité

Jours de pluie qui forcent à l’intériorité…

Ce que les circonstances nous font devenir…

 

 

Ni joie, ni tristesse, ni envergure supplémentaire. Le plus trivial – en soi – qui refuse la nécessité des miroirs…

 

 

Dans la compagnie des mots et des livres – qui accompagnent la solitude…

 

 

Une raison au-delà de la raison…

Une perspective au-delà des perspectives…

Quelque chose dont le sens échappe à l’esprit…

 

 

Tours et détours – simplement – chemin et cheminement sans autre raison qu’eux-mêmes – gratuité des gestes et des pas – d’un lieu à l’autre – d’un monde à l’autre – d’un état à l’autre – et qui se passent de toute explication…

Pris dans un cycle ni vertueux, ni infernal – qui existe simplement – comme tous les autres cycles…

Jouet(s) d’un élan né, peut-être, d’un excès de joie qui, soudain, s’est mis à danser – à tournoyer – et à emporter l’espace dans sa jubilation – faisant exploser le centre en mille périphéries – et enfantant mille mouvements dans l’immobilité…

Nous sommes cela ; cette joie, cet espace et cette matière virevoltante – pris dans le vertige de leur propre rythme – de leur propre réalité – amenés à tourner ensemble pendant des milliards d’années jusqu’à l’épuisement du souffle originel…

Et lorsque celui-ci s’éteindra (si puissant soit-il, un jour, il s’éteindra), nous retomberons et nous nous effacerons avec lui – nous enfonçant les uns dans les autres – nous réduisant en un point d’extrême densité – en restant là au cœur du centre – immobiles et silencieux jusqu’à ce qu’un autre élan naisse peut-être – et nous jette dans mille autres mondes – et nous fasse découvrir mille autres choses – et nous fasse vivre mille autres expériences – aussi surprenants (et peut-être même davantage) que ceux que nous aurons vécu en cette ère…

 

 

Jouer avec la matière visible et invisible – textures, gravité, forces, frottements, ruptures, emmêlements – tel est, sans doute, le (grand) défi du vivant terrestre…

 

 

Barreaux verticaux – détention peut-être – progressivement convertis en horizontalité – en échelle peut-être – comme un dispositif à moitié inversé – un changement de paradigme nécessaire pour transformer la perspective…

Peut-être est-ce là le premier pas vers l’issue que cherchent tant les hommes ; une presque inversion du regard qui ne fait disparaître ni le monde, ni les choses, ni les difficultés mais qui, en les percevant autrement, nous invite à les appréhender d’une manière différente – à abaisser ou à hisser les yeux sur ce qui, positionné initialement, constituait un obstacle infranchissable…

 

 

Monceaux de chair – victuailles à venir pour le festin de la terre…

 

 

Les pierres et les arbres parfaitement alignés – parallèles à l’horizon – comme les têtes humaines qui marchent d’un même élan – sans la moindre espérance ni de convergence, ni de rencontre…

 

 

Du vent sur des ailes déjà trop impatientes…

 

 

Quelle indigence abritons-nous pour être ainsi à l’affût du moindre frémissement de joie…

 

 

Silence équanime – seulement – dans les circonstances favorables. Cris, lamentations et tapage – le reste du temps…

 

 

Mouvements perpétuels qui ressemblent à des sursauts réactifs – impulsés davantage par le manque que par la joie…

 

 

Un pied dans l’illusion – et l’autre pas si éloigné de l’œil des Dieux. Entre terre et ciel – rêve et lucidité…

Excès de sérieux et de dérision. Dans l’entre-deux équivoque et inconfortable – éminemment relatif – de la condition humaine…

 

 

Des jeux moins sérieux qu’ils n’en ont l’air…

 

 

Souliers moins attachés à la sente qu’à la nécessité de la marche…

 

 

D’incident en incident jusqu’au coup d’éclat…

Gestes de nécessité sans témoin – comme pour obéir – et demeurer fidèle – à cette sincérité sans idéologie…

 

 

Entre le désert et la lutte incessante – nos pas ont fini par se résoudre à la solitude…

 

 

Des bornes et des barrières jusqu’au ciel – inutiles de bout en bout…

Limitations et frontières qui n’épargnent ni les chutes, ni les enlisements – si nécessaires au redressement du sol et à l’assisse terrestre de l’âme – pour apprendre à vivre dans une perspective moins horizontale…

 

 

Décuplement des forces vers une plus grande nudité de l’ossature…

 

 

Archipel des visages en jachère – comme manière d’éduquer au silence la foule manifeste de l’esprit dont les cris sont l’expression de la peur et de l’ignorance – de l’incapacité à voir au-delà du manque – des limitations – des apparences…

 

 

Gestuelle invisible pour que s’épuise le rêve. Danse de l’âme guidée par la flûte enchanteresse du silence. Serpents du dedans charmés par la mélodie quasi chamanique de celui qui chante – et qui se dressent, en longs mouvements ondulatoires, vers ce que le ciel porte avec grâce…

 

 

Ombres insensibles circulant sans rien voir – dans l’effleurement, à peine, de la surface du monde. Silhouettes et âmes fantomatiques glissant le long des murs – s’enfonçant dans la nuit profonde – inévitable…

 

 

Trop de carapaces – trop de peurs – trop de risque de larmes et de solitude. Sous le joug de cette crainte irrépressible de la douleur et de la souffrance…

L’anesthésie plutôt que le réel brut – abrupt – qui blesse, soustrait et arrache bien plus qu’il ne réconforte…

Rêve et sommeil plutôt que vie à vif – écorchée…

Insensibilité plutôt qu’émotion pure – envahissante – dévastatrice…

Somnambulisme plutôt que marche nue…

Habitudes plutôt qu’incertitude souveraine…

Demi-mesure plutôt que plongeon dans l’irréparable…

Confort, tiédeur et contrôle plutôt que feu et abandon – exploration des limites de l’homme – de l’âme – de l’esprit…

Chemin de refuges plutôt que voie de défrichement et de déblaiement…

Avide de ce qui protège – de ce qui habille – de ce qui console plutôt que de ce qui expose et dénude – de ce qui rapproche, peut-être, de la vérité vivante – d’une incarnation possible de notre envergure infinie – dépouillée – silencieuse – promise par la proximité (et les brûlures) de l’Absolu…

 

 

Partout – en exil – comme un étranger sans famille

 

 

Ni épaule, ni miroir – juste le noir de l’âme…

Ce visage – en soi – si pauvre – si seul – si démuni – si mal armé face au monde. Le plus sensible et le plus innocent des visages – comme un enfant – naïf – craintif – effrayé d’être livré à l’âpreté et à la rudesse du réel qui jamais ne s’embarrasse d’idéalisme et de bons sentiments…

 

 

Et se ravive cette grande tristesse d’avoir été jeté dans le monde – sans préavis – ni consentement préalable…

 

 

Faire face sans s’acharner, ni se complaire…

 

 

Me serais-je trop éloigné de l’homme pour ne trouver, en ce monde, le moindre visage ami…

 

 

Il y a toujours une émotion plus forte qui chasse la précédente…

Passage ininterrompu d’émotions qui se placent, toujours, au centre de l’âme – pour que nous nous sentions vivants peut-être…

 

 

Tout se vit à travers le même grillage…

 

 

Permanente oscillation de la distance avec le monde – entre l’abîme et le plus petit espace…

 

 

Se défaire de toutes les histoires – une à une. Se débarrasser de tous les mythes du monde – de l’homme – de soi…

 

 

Nous ne pouvons vivre que l’essentiel et le nécessaire – et ne pouvons offrir à l’Autre (aux Autres) que l’inconfort et l’incertitude – la soustraction et la remise en question permanente – le fil du rasoir quotidien – et un peu de tendresse lorsque le partage est consenti…

Voilà, sans doute, la raison pour laquelle le monde, si avide de superflu, de confort, de réconfort, de consolation, de distractions et d’habitudes, nous fuit comme la peste…

 

 

Ne rien refuser – jusqu’à ses dernières forces…

 

 

S’imaginer – naïvement – incontournable et irremplaçable. Et mettre des siècles à comprendre que le monde – très vite – ne cesse de vous contourner et de vous remplacer…

 

 

N’être qu’un maillon indigent – et la possibilité de l’absence…

L’équivoque de l’âme et du monde…

 

 

Réunir et réconcilier le fragment et la totalité – l’automatisme et la présence – la poussière et l’infini – le sommeil et la conscience – voilà, peut-être, le plus grand défi de l’homme…

 

 

Passage – ce qui passe – et, parfois, passeur…

 

 

On manœuvre dans l’indélicatesse du monde…

 

 

Heures de la grande désaventure où l’âme se recroqueville…

 

 

Stigmates d’un Autre que l’on porte tantôt comme une couronne, tantôt comme un lourd crucifix…

 

 

Chemins d’interstices et d’espace variable – petits pas de l’âme – petits pas de l’homme…

 

 

Cette rude pente sur laquelle les Dieux nous ont poussé(s) ; entre larmes et fureur – acquiescement et renonciation – le cœur balance – hésite – tergiverse – avant d’être emporté(s) par les vents fous du monde…

 

 

Le corps libère ce qui vit – en détention – dans la tête. Fixation en un point précis de la matière – de ce qui court – et tourne en rond – comme des fantômes dans l’esprit…

 

 

Cet amas de tristesse que l’on porte à genoux…

D’où vient donc cette douleur d’être au monde…

 

 

Nous avons balayé les distractions – les consolations – les compensations. Sans cesse, nous nous sommes dépouillés et avons fait face. Et, pourtant, c’est encore là qui vous ronge au-dedans. Ça vous grignote l’âme et la chair sans que rien ne puisse s’y opposer…

Vie d’arrachement et d’amputations…

Infirme – caché du regard des faux vivants – des faux bien-portants – qui vaquent à leurs distractions – qui s’affairent à leurs compensations – qui empilent toutes les consolations comme des remparts et des trophées…

Et ce spectacle est aussi navrant que notre agonie…

 

 

A devoir souscrire à des mirages auxquels nous n’avons jamais consenti…

 

 

Chemin de fouille et d’excavation. J’ai tant creusé que j’en ai les mains et l’âme rouges de sang…

Et pas encore déniché la moindre pépite au-dedans…

 

 

La vérité pénètre – traverse – arrache. Comme un scalpel sur le cœur incurable. Dans un geste ultime, peut-être, de guérison…

Il faudrait tout ôter ; réparer relèverait de l’impossible. Tout ôter – et repartir à neuf…

Qu’un grand vide à la place du cœur…

 

 

Qu’une blessure que l’on gratte encore et encore…

 

 

Témoin triste des appendices – monde – visages – fragments d’impasse – au détriment du regard et de la joie…

Jugements lancés depuis la même poutre qu’autrefois…

Inlassablement le mépris et les représailles…

La beauté – soudain – devenue inaccessible…

Devant soi – cet horizon de mélasse noire…

Rien que des passants et des yeux perdus…

 

 

Déferlement de l’angoisse – déchaînement de la colère. A défaillir comme si la vie se retirait – s’écoulait à travers tous nos orifices…

Punition – malédiction peut-être…

Réponse, sans doute, à cette ambition – trop grande – de fréquenter les Dieux et d’assister, en bonne place, à leur banquet…

 

 

Secousses interminables – éructation du trop-plein…

 

 

Cheminer sans précipitation – sans raccourci – sans franchissement partiel des obstacles. Demeurer là où ça bloque aussi longtemps que nécessaire ; se faire patient. Ôter les surplus – ce qui se désagrège. Nettoyer – balayer – libérer l’espace. Demeurer sincère – authentique – fidèle à ce que nous portons – à la pente naturelle que nous ont choisie les Dieux…

 

 

Retour au point zéro de l’être – le vide – le non-savoir – la non-espérance. Le socle à partir duquel tout se réalise ; les chutes – les ascensions – l’immobilité. Et cette dégringolade – inévitable – au fond de soi…

 

 

Arbres et ciel – la beauté vivante du monde – qui désarçonne l’obscénité de tout regard…

 

 

Pluies de mai aux airs insolents. Porte au fond du jardin. Le refuge de l’âme – l’élan de l’homme face au soleil trop timide…

 

 

Lampes – mille lampes – comme de minuscules étoiles sur le chemin des tentatives…

 

 

Vibrations – en soi – d’une cloche plus ancienne que le temps…

 

 

Sur la pierre où l’on demeure – sur les visages que nous rencontrons – je ne vois plus que la pluie – le noir – l’abandon – comme si la lumière n’avait été qu’un rêve – une parenthèse provisoire…

 

 

Rien qu’un peu de ciel pour croire encore à l’impossible…

 

 

Moyen-âge contemporain avec ses tours et ses donjons – ses remparts et ses églises – ses seigneurs et ses guerriers. Et le bon peuple – toujours – sous la botte – et la coupe – des puissants… Mille siècles de féodalité indétrônable…

 

 

Eloge de rien – quasi cécité – tant la nuit est sombre – tant l’âme semble se complaire dans son malheur…

Témoin impuissant de la dégradation…

 

 

Ça secoue comme si nous étions la secousse – la main qui agrippe l’étoffe – et la peau qui se déchire…

 

 

Fantômes qui nous hantent jusqu’au délire – jusqu’à l’hallucination qui, malheureusement, nous semble plus réelle que la réalité – comme une distorsion de l’esprit – une manière irrépressible de croire en l’illusion – de la consolider – et de la nourrir pour qu’elle croisse – et nous anéantisse plus encore…

Oui – nous sommes – cet incroyable bourreau…

 

 

Le centre névralgique du cœur anéanti par le prolongement du rêve qui nous rend, peu à peu, incapable de faire la différence entre le mythe et la réalité…

 

 

Du vent – mille mondes provisoires – ce qui existe ou feint d’y croire… Que sait-on exactement…

 

 

Bonimenteur – marchand de vent – fabricant de sa propre tragédie – qu’aucun miracle – qu’aucun mensonge – ne pourra sauver…

 

 

Faire face – enlacer ce qui tremble – ce qui a peur – ce qui est meurtri. Ne pas fuir – ne pas enfouir – ne pas mettre de côté. Devenir ce qui est effrayé et anéanti – ce qui terrorise et écrase – et le regard qui surplombe toutes les tentatives – tous les malheurs…

 

 

D’un jour à l’autre – sans que rien n’avance – sans que rien ne se décide…

Être là comme une jarre posée dans un coin – exposée au vent et à la pluie – presque morte – et qui, pourtant, espère encore…

Ah ! Cette maladie incurable de l’espérance enracinée jusqu’au fond de l’âme…

 

 

Vie sans tête – vie de présent et de joie – où le corps est le seul repère – et le ressenti, le seul canal entre l’âme, le monde et l’esprit…

 

 

Des souliers trop grands pour soi – des vêtements trop amples – des manières trop larges – une perspective trop vaste…

Sachons demeurer comme le ver et l’insecte – au cœur de l’infime et de la nudité – sans autre ambition que celle du jour…

 

 

L’âme qui tremble sous les vents du monde…

Noire – comme le manque et la terreur…

Et plus faible que le rêve de l’homme…

 

 

Terré comme un animal dans sa tanière – au fond de l’âme déchirée – privé de son seul refuge…

 

 

Nulle paix possible lorsque la bête qui vous traque habite vos profondeurs. Où que vous alliez – où que vous tourniez la tête – elle est là qui vous assaille…

 

 

Toute circonstance – toute expérience – toute rencontre – toute parole – est éminemment réelle lorsqu’elle est vécue – puis, aussitôt qu’elle s’achève (à l’instant suivant), elle perd toute réalité – devient vent – sable – poussière – à laquelle la mémoire tente de redonner une épaisseur – une consistance – pour la faire durer – durer – durer indéfiniment…

Erreur fatale, bien sûr…

Mais qu’il est difficile pour l’homme de ne pas céder à cette tentation naturelle – de ne pas être la proie de ce piège qui, une fois refermé, vous emprisonne dans le passé, l’illusion, la souffrance et le malheur…

 

 

D’une perspective à l’autre – être la créature infime et misérable – le tout – le jeu – la farce – le rire – la misère – l’illusion – la vérité – la nuit sans espérance – l’Amour et la lumière – tout ce qu’il est possible d’être – sans y croire le moins du monde…

La danse et les danseurs – les pas – les mouvements – la piste – la salle – la terre – ce qui regarde – ce qui s’ennuie – ce qui juge – ce qui exulte. Tout sans distinction au gré des pentes où glisse l’âme…

Être – et tout laisser être – sans la moindre certitude…

 

 

On ne sait vivre – et être avec l’Autre – sans s’engager corps et âme – sans se livrer jusqu’à la rupture ou à la mort…

 

 

L’argile du monde que l’imaginaire corrompt…

Boucle sans fin du langage…

Chimères qui, parfois, essoufflent l’âme…

 

 

Nudité admise – consentie – et pourtant, si souvent, recouverte par inadvertance…

 

 

Rien qu’une étendue lisse – sans bord – sans rive – sans profondeur…

 

 

Pensées d’un autre temps que celui du monde…

 

 

Gestes et visage plus guerriers que l’âme…

 

 

Entre deux démesures – celle de l’homme et celle de l’infini…

 

 

Le monde – reflet de notre propre perspective – de notre propre visage – de nos propres mains agissantes…

 

 

Course identique pour l’inerte et le cheminant. Immobilité ou sauts autour du même centre. Qu’importe le lieu et l’allure – la même distance à parcourir…

 

 

La déhiérarchisation des choses, des actes, des pensées et des circonstances offre au regard sa neutralité et son innocence originelles. Et le désencombrement de l’esprit et du monde, la vacuité nécessaire.

Et du vide et de la virginité naît la justesse du geste…

 

 

Rien ne peut être dit puisque le silence révèle déjà tout…

Rien ne peut être entrepris puisque tout existe – parfait tel qu’il est déjà…

La contemplation – seulement. Et le geste et la parole – rares – économes – parcimonieux – en cas de nécessité seulement…

 

 

Ces lignes – simple brouillon de soi – pour soi…

Habitude aussi de l’esprit explorant et de la main agissante…

Débroussaillage et déchiffrage (encore) indispensables…

Prémices du retour vers le centre – simple prélude au silence – au mutisme essentiel – nécessaire à l’être contemplatif – à l’être posé en actes…

 

 

Fenêtre – parfois – sur le jour. Intervalle de clarté – comme une ouverture au cœur de la géographie quotidienne…

 

 

Arbre dressé vers le plus favorable – légèrement supérieur à l’homme qui court – presque toujours – à l’horizontale pour satisfaire (de son mieux) ses nécessités…

 

 

Etendue herbeuse, eau et arbres. Et un peu plus loin, les collines. Et un peu plus haut, le ciel. Et ici – le regard absorbé par le vert et le bleu – partout. Le silence – le chant des oiseaux – le coassement des grenouilles. Les fleurs – pâquerettes et renoncules – comme de minuscules flocons et mille paillettes d’or éparpillés sur le sol…

L’espace vide – l’étrange (et savoureuse) absence des hommes. Le cœur en paix malgré l’obstination de quelques pensées – l’acharnement des souvenirs qui martèlent l’esprit ; rien – presque rien ; quelques images douloureuses – seulement – savamment (re)fabriquées – l’absurdité du passé qui cherche à revenir – à refaire l’histoire – et qui s’éreinte, en vain, à trouver une autre fin à l’aventure…

 

 

Demeurer là où tout s’efface – l’identité – le savoir – les souvenirs – au cœur de ce regard qui voit toujours comme pour la première fois…

 

 

Mille manières d’être seul – des plus noires aux plus extatiques – que nous expérimentons une à une – et presque sans broncher…

 

 

Monde d’actes et de mouvements où les individualités s’affairent. Et regard immobile – contemplatif seulement. Séparés le plus souvent – s’ignorant magistralement. Et, parfois, réunis pour le meilleur du geste et la plus grande joie de l’âme…

 

 

Ce que nous ignorons est, peut-être, le pire. Et dissimulé en son cœur – le versant de la délivrance – la seule perspective possible ; la fin des circonstances vécues comme des malheurs – comme une punition – comme une malédiction orchestrée par les Dieux…

 

 

Demeurer là dans l’examen dépassionné du monde – sans geste – sans jugement – sans éclat de l’esprit…

 

 

Homme discret et solitaire – étranger au récit collectif – exclu de toute histoire individuelle – n’appartenant à rien – ne faisant partie d’aucune communauté – d’aucune collectivité…

Liberté et son versant triste et pathétique (pour l’individualité) ; le sentiment permanent de l’exil…

Pas même rebut ; inexistant…

 

 

Existence droite – sans rature – étrangère aux gestes brouillons et aux excuses des Autres – à l’effervescence superflue – à l’exubérance de ce qui voudrait être regardé – à cette espérance d’Amour que nous promet le monde…

 

 

Chaque souffle – chaque pas – chaque geste – porté, entouré et enveloppé par le monde – comme la parole l’est par le silence…

Toujours seul – jamais seul – finalement…

 

 

A l’écart du monde parce que, sans doute, rien d’essentiel ne s’y joue…

Des histoires – rien que des histoires. Pas l’ombre d’une autre possibilité…

 

2 juillet 2019

Carnet n°193 Notes journalières

Ce qui est devant nous – un paysage – une promesse – un présage peut-être…

 

 

Se répétant – comme si le neuf pouvait naître de la litanie…

 

 

Tout s’arrache – ou finit par se retirer. Serait-ce – à la fin – la délicieuse solitude

 

 

Quel âge avons-nous ? Et en quoi cela bouleverserait-il l’éternité…

 

 

Ce que nous confions n’est, peut-être, qu’un rêve – qu’un désir d’exister – une manière autre de vivre…

 

 

Ce que nous avons mis des années – des siècles peut-être – à découvrir péniblement – soudain – c’est là tout entier – offert non comme une quelconque récompense mais comme une sorte d’encouragement à l’abandon…

 

 

Nous pactisons avec n’importe quoi pourvu que l’alliance nous permette d’échapper à ce que nous n’aimons pas – à tout ce que nous fuyons comme la peste…

 

 

Devenir, à la fin, à peine moins bête qu’à ses débuts – trop rarement. Plus aigri et plus ignorant – trop pétri de certitudes – plus sûrement…

 

 

Sur quel Dieu étrange chevauchons-nous pour aller ainsi sans rien voir – ni rien comprendre…

 

 

Que connaissons-nous de la terre – que connaissons-nous du ciel – et qu’avons-nous appris sur nous-mêmes… à peu près rien…

 

 

L’abîme du monde – du cosmos – n’a rien à envier à celui que nous portons. Mais, sans doute, est-ce le même qui, à nos yeux, présente deux visages…

 

 

Pas d’épaule amie sur laquelle on pourrait poser son œuvre et sa fatigue. Il faut tout porter seul jusqu’à la grâce…

 

 

Moins à comprendre qu’à sentir – moins à vivre qu’à goûter…

Savons-nous réellement faire usage du corps…

Pourrait-on, au moins un instant, éprouver la manière dont l’esprit s’est glissé dans la matière…

 

 

Et si la fin annonçait la réparation et la réconciliation avec le monde – l’extinction de cette peur et de cette rage que nous portons depuis si longtemps…

 

 

Devenir enfin ce dont nous avons toujours rêvé. Et le vivre pour la première fois – à la manière des simples…

 

 

Ce que nous rendons plus présent – presque rien – un regard – un geste – une manière d’être là – plus attentif…

 

 

Des nuages gris – un ciel venteux – des arbres au-dessus du toit de verre. Et le petit homme qui regarde – qui ne demande rien – ni au ciel – ni au monde – ni aux arbres – qui regarde seulement – comme si la contemplation suffisait…

 

 

L’Amour – simplement – comme un grand trait de lumière dans le vent – la nuit et le jour – comme des lèvres entrouvertes – un visage qui vous salue – une main qui vous retient – un air que l’on entonne pour soi – sans raison – une manière d’être seul sans jamais refuser d’être ensemble…

 

 

Nous ne possédons rien – pas même le jour – pas même l’orage. Un regard, peut-être, sur les choses et les visages – qui nous semblent de moins en moins étrangers…

 

 

Heureux comme un oiseau qui va de branche en branche – d’arbre en arbre – et dont le ciel est le seul refuge…

 

 

Vents et ruisseaux d’autrefois – derrière nous ; à suivre son chemin sans jamais se retourner. Hier s’en est allé. Demain ne sera un jour nouveau. A cet instant, une seule certitude ; nous respirons…

 

 

De passage – toujours – comme les mille autres atomes du monde. Ici par l’élan d’un Autre – les caprices d’un vent mystérieux – sans autre raison que la volonté du silence…

 

 

Nous pouvons bien parler – dire mille choses – dire n’importe quoi – ce qui nous passe par la tête – personne n’écoute notre chant – nos rengaines – la beauté du jour…

Sur le pas de la porte – le silence – seulement – attentif – s’écoutant à travers notre voix…

 

 

Marchepied d’un Autre pour que chacun puisse se hisser…

 

 

Tout dans l’apparence d’un destin – le souvenir – l’origine – le possible. Mais rien qui ne soit sans danger…

 

 

Nous témoignons – comme les fleurs – d’une fragilité mortelle…

 

 

Nous aimerions, parfois, des horizons moins pathétiques. Mais qui sommes-nous donc pour dénigrer les couleurs prises par l’innocence…

 

 

Fruits d’une alliance entre le sourire et le silence. La tête jamais haute – à humer, partout, l’essence du monde. Modeste privilège, peut-être, des pas métaphysiques…

 

 

Avec nous, la force et la fébrilité. Aux forêts, la patience des siècles. Nous ne les dominerons qu’un temps ; elles nous survivront bientôt…

 

 

Une allée où tout apparaît avec la lumière du jour – comme, peut-être, le lieu le plus central du monde…

 

 

Dans la forêt – nous vivons au cœur de la plus belle cathédrale dont les fidèles ne craignent jamais le ciel – qui les fréquente (d’ailleurs) toujours en ami – en compagnon soucieux de leurs besoins…

Nous rêverions d’être prêtre dans ce temple sacré. Pasteur des pierres et des bois. Et nous laisserions les oiseaux nous instruire de leur prêche – et le silence envahir les lieux pour que nos cœurs se dilatent et deviennent de hautes – de très hautes – colonnes de joie…

 

 

Nous ne voyons pas (nous n’avons jamais vu) la beauté du monde – nous ne voyons (nous n’avons toujours vu) que ses usages – comme de pauvres bêtes tributaires de leurs organiques nécessités…

 

 

Ce que nous sommes – en attendant la grâce – des ventres et des esprits à remplir – des êtres aliénés par la matière, les histoires et les images…

 

 

Pas de Graal sans solitude – et maintes querelles à vivre ensemble…

 

 

Relation vivante qui se passe de chair. Un regard – des mots – du silence. Et quelques gestes discrets et tendres…

 

 

A se détourner, sans cesse, d’un silence bienfaiteur – comme si les bruits, l’agitation et la foule donnaient aux hommes le sentiment d’être vivant – l’illusion d’appartenir au monde…

 

 

Tout entier avec ce qui nous unit…

 

 

A écrire comme si la joie pouvait déborder du feutre – couler sur la page – se répandre sur le monde – emplir le cœur de chacun…

Ah ! Si nous avions cette force de soustraire à la misère ; mais nous ne sommes qu’un vase aux bords étroits…

 

 

Nous vivons d’un peu d’eau – d’un peu d’herbe – et, plus essentiellement, de silence, de présence et de langage. Les ingrédients nécessaires à notre joie…

 

 

A la source, peut-être, des destins – cachés sous une pierre, le soleil et la vérité…

 

 

Un grand cri de l’âme pour remercier ce qu’aucun – heureusement – ne sait – ni ne peut – saisir…

Offrande au plus absent de nous-mêmes – au plus humble – en larmes – à genoux – fou de joie et de gratitude…

 

 

Ce que nous jugeons trop lointain n’est, peut-être, dû qu’à la paresse du cœur…

 

 

Nous aimerions, parfois, passer de la discrétion à l’exil pour ne plus être obligé de faire la grimace et de lever les yeux au ciel devant tous ces visages dont le comportement nous déplaît ou nous révulse…

Devenir un soleil caché – minuscule – rayonnant dans le silence et la solitude – pour lui-même – et quelques visages de passage – respectueux – humbles – fragiles – sincères…

Frère de l’Autre dans cette grande fratrie hétéroclite…

 

 

Notre bonté se rétracte à force d’intransigeance (celle du monde favorisant la nôtre – et inversement, bien sûr)…

 

 

Je ne parviens plus à voir en l’homme la moindre promesse d’humanité. Je ne perçois plus que la bêtise, l’avidité, l’étroitesse, la veulerie, la paresse et la ruse au service des instincts…

 

 

Mes congénères n’ont plus de visage – ils appartiennent à d’autres règnes…

Sable, roches, herbes, fleurs, arbres, nuages, forêts, prairies sauvages, bêtes de tout poil – dont la nature me rappelle celle du premier homme – humble – farouche – indocile – éminemment vierge – bien plus humaine que celle des hommes qui se prétendent civilisés…

 

 

L’horizon, au fil des pas, change de couleur. Nous marchons – et nous sommes déjà ailleurs – à porter l’habitude dans son allégresse – à vivre la joie et la tristesse au même instant…

 

 

Un monde dégradé et dégradant – voilà à quel triste spectacle nous assistons – impuissants…

 

 

Il faudrait être fou ou sage pour aimer les hommes. Et je ne suis, sans doute, ni assez fou, ni assez sage pour m’y résoudre…

Ma pente naturelle serait de m’éloigner – de trouver la distance (grande – très grande) qui me séparerait du monde pour pouvoir, à nouveau, aimer les hommes…

 

 

Un voyage – un chemin – aux allures d’exil – avec l’espérance de retrouvailles très lointaines…

 

 

Le fossé, au fil du temps, s’est tant creusé que je n’ai plus le sentiment d’être un homme, ni même d’appartenir à l’humanité…

Comme si nous n’habitions plus le même monde…

Comme si nous étions devenus des étrangers – presque des ennemis – contraints de cohabiter sur le même sol…

 

 

Je vis comme ces bêtes sauvages qui s’enfuient à l’approche du moindre visage pour échapper à la folie du monde bâti par les hommes – et ne pas finir serviles – attachées – aliénées – offertes à leurs jeux barbares…

 

 

Le regard profond d’un homme défiguré par la noirceur…

 

 

Sur la falaise des Dieux – hésitant encore à sauter…

Routes qui nous ont mené en ce lieu précis…

Etrange itinéraire qui a, peut-être, manqué de lumière…

Visage que l’Amour aura à peine effleuré…

Vaillant encore – malgré l’absence alentour – et qui a juré fidélité à toutes les nécessités du voyage…

 

 

Le silence aurait pu tout illuminer – au contraire, il a tout assombri…

Le silence aurait pu tout éliminer – au contraire, il a exalté le pire…

Et les murs – à présent – sont trop hauts – trop massifs – pour rejoindre le monde…

Aurions-nous franchi l’infranchissable…

Ne reste plus qu’à aller – l’âme digne – vers toutes les bouches qui nous dévoreront…

 

 

Théâtre des Autres de plus en plus étranger – et que je vois s’éloigner sans regret…

 

 

Où voudrait-on que l’on dirige nos pas…

Ce qui semblait une impasse nous invite encore – et semble avoir quelques surprises à nous réserver…

Peut-être marchons-nous à reculons… Peut-être allons-nous la tête à l’envers. Les miroirs ne suffisent plus à refléter la réalité défaite…

Les repères sont désorganisés…

Rien n’y fait ; on glisse sur sa pente…

Et qu’avons-nous à perdre ; nous ne sommes déjà plus rien…

 

 

Tout s’écarte – à présent – à notre passage. L’absence a débarrassé le monde – les yeux – l’Amour – les visages – le silence. Même la lumière s’est éloignée. Ne restent plus que ces deux pieds qui – lentement – s’enfoncent – qui, peu à peu, divergent – qui échappent, à présent, à tout tracé…

Seul avec la nuit – et cette mystérieuse obscurité au fond de l’âme…

 

 

Face à ce qui ne peut nous dévêtir davantage…

Si – il reste toujours quelque part des encombrements – des trésors inutiles…

 

 

On va – on se laisse aller – guider par ce qui nous pousse et nous invite…

L’inconnu nous convie – pourquoi aurions-nous peur ; le fond du gouffre a, sans doute, déjà été atteint…

Seules la voix – en nous – et l’écriture nous accompagnent. Courageuses complices sans lesquelles nous ne serions plus – parti depuis longtemps de l’autre côté – sur l’autre versant – en contre-bas du monde…

Ne crains rien – nous irons ensemble, me disent-elles, le temps est venu d’aller au-delà du monde – là où les yeux et les idées ne sont que des obstacles…

 

 

Se tenir devant le monde sans ciller – qu’y a-t-il de plus difficile… On a vite fait de vouloir tendre la main – faire une grimace – lancer un juron…

 

 

Des visages comme des ombres – presque comme des ombres – si l’on se souvient qu’ils sont l’œuvre du labeur patient de la lumière. En cas d’oubli, on ne voit que du noir – des habitudes – des instincts…

 

 

Je mourrais, je crois, si l’on me privait de feuilles et d’écriture – je gratterais le sol – je grifferais la terre – je griffonnerais sur le sable – j’enfoncerais mes doigts partout pour tracer quelques traits – de pauvres hiéroglyphes encore plus indéchiffrables qu’aujourd’hui…

On ne se libère de rien – et moins encore de ses nécessités…

 

 

Nous ne sommes, peut-être, que des murs qui respirent. Briques mal assemblées d’un grand labyrinthe illusoire que le regard et les vents traversent – franchissent – survolent – avec une aisance déconcertante – et qu’ils défont avec moins de force qu’il ne faudrait à Dieu pour nous jeter par terre…

Quelques chose suinte à travers nos fissures – un peu de salive impatiente…

 

 

Nous ne sommes qu’un chantier que nul ne peut achever – un projet tenace qui s’effondre – presque toujours – au même endroit – et que la providence rebâtit pierre après pierre…

Eboulis permanent – et indéfiniment reconstruit…

 

 

Avec un peu de temps – et de patience – peut-être parviendrons-nous à devenir le sol – la terre sur laquelle s’érigent tous les miracles…

Eclats d’une force – en nous – qui subsiste…

 

 

Plus que pierre – certains sont poutre – charpente – clé de voûte ; ils prennent appui sur les autres – et croient ainsi être au-dessus – et plus à même de s’élever – d’effleurer le ciel – l’inconnu – ce qui n’appartient à la terre. Mais ils se trompent, bien sûr…

Le ciel est aussi près de l’herbe que de l’arbre – question triviale de perspective…

La joie n’est accessible qu’au plus humble – en chacun – qui s’agenouille. Qu’importe la place et la hauteur ! L’humilité est la seule posture – le seul point d’accès…

 

 

L’esprit de la fausse virginité qui se souvient malgré lui – encombré encore d’amas hétéroclites – tas de ferraille – gestes tendres – paroles partagées – anciens festins – qui pèsent plus lourds que les pas et les circonstances présentes…

 

 

On n’en aura jamais fini d’apprendre à vivre – d’apprendre à être. Les circonstances y veillent – l’exigent – nous y soumettent…

 

 

On croit, parfois, se résoudre – s’alléger. On ne fait, en vérité, qu’alourdir et complexifier les nœuds…

Il faudrait tout abandonner – poser l’œuvre réalisée – l’œuvre en cours – l’œuvre à faire – et s’asseoir en silence – un peu à l’écart – s’étendre sur les pierres – regarder le ciel – attendre la mort – ne plus espérer ni l’Amour, ni la joie – ne plus s’éreinter à l’espérance – s’offrir au grand repos de l’âme…

 

 

On s’épuise à trop vouloir façonner la suite – à trop vouloir deviner l’allure du prochain virage…

Nous sommes en train de fuir – d’ignorer le présent – à force d’imaginaire…

Mais que sommes-nous à cet instant – qu’une âme qui s’expose – qu’un désir d’ailleurs – qu’une volonté d’échapper au pire…

 

 

La marche aussi lourde que le cœur – que l’esprit – que la terre sans visage…

Rêve d’un marécage où s’enlisent tous les voyages…

 

 

Souvent, l’étreinte et la distance ne suffisent à la guérison. Et l’on vit – et l’on meurt – avec ce mal incurable au fond de l’âme…

 

 

Comment oublier que vivre est d’abord une blessure – une blessure profonde – réelle – comme un refus inaugural – que l’on ne parvient que trop rarement à transformer en regard guérissant – et en joie indiscutable – souveraine – inconditionnelle…

 

 

Et ce silence – en nous – qui voit tout passer – le défilé incessant des états – la ronde permanente des phénomènes ; événements, émotions, pensées, sentiments – le grand cirque des joies et des peines…

Les hauts et les bas – simples dénivelés du destin…

Tout passe comme un rêve…

 

 

Quatre planches qui dérivent jusqu’aux eaux noires de la mort – avec posées dessus de petites figurines de glaise malmenées par les forces intérieures et les souffles du dehors. Mal en point – en déséquilibre toujours – sur ce grand fleuve sans soleil…

 

 

Rétrécissement de la lumière dans l’œil triste et fatigué. Sans la moindre perspective…

Il faudrait un rire salvateur – comme une tornade qui emporterait tout – et nous avec… Peut-être alors, reviendrait la lumière. Peut-être alors, le ciel s’éclaircirait. Et le regard pourrait répondre au rire en lançant quelques éclats de joie sur cette terre sans visage…

 

 

Un monde sans mirage – miraculeux seulement – sans personne pour se réjouir – sans personne pour s’attrister…

Des âmes et des mains – simplement – magnifiquement exultantes…

 

 

Dieu jouant avec nous comme deux mains battant les cartes – distribuant le hasard – les nécessités – l’infortune et la chance – à tous les joueurs présents autour de la table…

 

 

Les mille visages de la solitude ; et ses deux versants – celui de la joie qui donne le sentiment d’un privilège – d’une grâce – et celui de la désespérance qui donne le sentiment d’un exil – d’un abandon…

 

 

On a passé sa vie à soustraire ; et, à présent (à presque 50 ans), on accumule les « sans » ; sans logement – sans travail (au sens où ce terme est si étroitement utilisé de nos jours) – sans compagne – sans enfant – sans famille – sans ami – sans désir – sans projet – sans rien (ou si peu) ni personne…

A se demander si nous existons encore…

Et le rêve de l’Amour et de la lumière – brisé lui aussi…

Plus rien, vous dis-je. Pas même le néant…

 

 

Sans attente – et, pourtant, je sens encore au-dedans quelques espérances implorantes…

Homme encore un peu, sans doute…

 

 

Seul dans la nuit qui gronde et tourmente…

Seul au coude-à-coude avec les ténèbres – dans cette course vaine…

 

 

De projet en rupture – d’extase en désespoir – sur les petites montagnes russes de l’être…

Comme si vivre ou ne pas vivre revenait (exactement) au même…

Que me semble loin le temps du regard où mon âme et le monde s’y baignaient. Grande étendue de lumière sans remous où tout avait un goût de félicité…

 

 

Aujourd’hui, il n’y a plus ni alliance, ni consolation. On ne peut compter que sur son âme affaiblie et fatiguée. Et sur la page comme seule amie que, chaque soir, notre main retrouve…

Rien d’autre – comme si notre temps était passé – et, avec lui, notre chance…

 

 

Tout s’use – étoffe effilochée – déchirée en lambeaux qui pendent – pitoyables…

 

 

La lumière est devenue noire. Et le silence presque angoissant. Un Autre m’habite. Ce n’est pas moi qui note ces phrases – c’est celui qui souffre qui prend ma main – qui saisit le feutre pour tracer ces mots sur la page…

L’obstination – l’entêtement – ou l’habitude peut-être…

 

 

Riche – seulement – d’une œuvre sans lecteur – pathétique…

Sous le regard désolé de mes amis de papier…

Qu’importe – trop forte est la nécessité d’écrire – pas même le besoin de laisser quelques traces. Voir la tragédie se dérouler – simplement – avec cette distance, sans doute, indispensable – un exutoire pour l’âme triste ou joyeuse…

Des notes pour soi – comme des paroles que l’on s’adresserait à défaut d’autre visage…

Une compagnie salvatrice – comme une manière de se tenir la main – et de sentir, sur la page, un cœur vivant – un cœur qui bat encore…

 

 

Le pas et le cœur plus fermes – l’âme moins titubante – l’ascèse de la solitude – le privilège de l’exil. Le labeur du monde et de la sensibilité à l’intérieur…

 

 

Passant – comme un courant d’air – à proximité du point obscur – de ce centre approximatif entouré d’espérance…

 

 

Une marche – des forces qui s’épuisent et se régénèrent. La même énergie qui circule au-dedans et alentour. Dessus et dessous – à travers le souffle et les mouvements…

 

 

La gorge nouée au point de devoir respirer par l’Autre. Entremêlement pathologique – obscur – mortifère – qui confine à l’embarras – au manque lorsque l’absence se prolonge – et à la déchirure lorsque l’abandon devient définitif…

Comme une infirmité à vivre – étouffante…

 

 

Un peu d’air sur cet amas de peurs. Et, soudain, la déflagration – et des lambeaux d’angoisse qui retombent au fond de l’âme…

 

 

Zone délimitée autour du même point – qui se densifie sous le coup de l’éclatement. Comme une reconstitution – une resolidification – un élargissement – un approfondissement – de la blessure…

 

 

Des mots – des visages – un peu vagues – ordinaires – presque sans importance. Des figures que l’on rencontre – des paroles sans connivence – quelque chose de trivial – d’affreusement commun…

Et l’âme jamais écoutée – jamais assouvie – et que la nuit finit par ensorceler…

Un rire balaierait cette poussière…

Un coup de serpe sur le manque et la soif…

Et l’acharnement de la faux qui nous rendrait muet…

 

 

Injoignable tant l’affrontement est féroce – tant la survie est en jeu…

Une parole sensible pourrait tout faire chavirer…

 

 

On croit vieillir ; mais, en vérité, on attend…

On imagine – on élabore des plans – on s’éreinte – en pensée – en actes parfois – à trouver une issue. On brasse de l’air et des idées. On vit sans conséquence. Et puis, un jour, la mort nous fauche…

 

 

Nous avons – exactement – le même poids que le vide. Et, parfois (trop rarement), son envergure…

 

 

Tout se referme sur l’encre. Et la page suivante, peut-être, ne pourra jamais s’écrire…

 

 

Après les tentatives, la nuit – moins frêle qu’à l’accoutumée. Comme si nos forces diminuées lui avaient restitué son épaisseur…

 

 

Debout – à peine…

Une longue fatigue – puis le déséquilibre, puis le terrassement…

Ensuite, on l’ignore…

Rien, peut-être, qui ne vaille la peine…

 

 

Rivières – lacs – roches – herbes – arbres ; notre quotidien sauvage – notre refuge journalier en terre d’exil…

 

 

On aimerait parfois aller comme l’eau fraîche – infatigablement…

 

 

Temps d’averse sans refuge – nul abri – ni au-dehors, ni au-dedans. Où que l’on soit – des trombes d’eau qui déferlent – à chaque instant. Plus qu’une douche froide – une submersion – un plongeon au fond des abysses…

 

 

L’homme contemporain s’ennuie faute d’aventures et d’explorations nouvelles – plus de terra incognita pense-t-il… Aussi cherche-t-il le grand frisson à travers quelques indigents loisirs à sensation…

Qu’il plonge donc en lui-même et qu’il affronte ses pires démons – et il verra s’il n’y a pas là matière à frissonner – à vivre les plus grandes peurs – à côtoyer mille fois la mort et la folie – à devoir lutter sans cesse pour rester en vie…

Il n’y a, sans doute, de plus terrible épreuve – ni de plus belle aventure – pour l’homme…

 

 

Plongeon dans le noir – la terreur – l’inconnu…

A chaque instant – l’incertitude paroxystique – et la surprise de tous les revirements…

Mille Diables qui se déchaînent – mille bouches carnassières – mille couteaux acérés – prêts à vous déchirer – à vous lacérer – à vous dévorer… Et vous, nu et tremblant – entre coups et esquives – entre lutte et vaine négociation – l’âme vaillante et fragile qui s’incline et se redresse – qui s’incline encore – prête, elle aussi, à lutter jusqu’à la mort – jusqu’à la capitulation…

Pas d’allié, ni d’alliance possible. Seul contre tous – seul contre soi – le duel atemporel – le plus grand défi de l’homme…

 

*

 

Il ne faut rien croire – n’être certain de rien – ne se fier ni aux mots tendres, ni aux promesses. S’engager, donner et jouir dans l’instant du partage – puis, tout brûler – ne rien conserver – pas même le souvenir…

 

 

La beauté de la solitude qui, peu à peu, se retrouve. Cette force – cette joie – cette intensité – d’être avec soi – au cœur de l’essentiel – sans compromission – sans renonciation – l’être pour lui-même…

 

 

Il faut tout vivre – tout goûter – tout expérimenter – le pire et le meilleur – l’abominable – le plus terrifiant – le plus commun – le plus rare – le plus haut et le plus bas – pour commencer à savoir – un peu – ce qu’est vivre – ce qu’est l’homme – ce qu’est vivre en homme…

 

2 juillet 2019

Carnet n°192 Notes de la vacuité

Parchemins nouveaux – parchemins de joie…

Touches minimes – délicates – presque invisibles – du silence malgré la lourdeur du langage et la grossièreté des traits…

 

 

Ce que nous portons – le monde en fragments – le monde déchiré – des bribes de souvenir d’un monde disparu – et qui nous hantent, parfois, jusqu’à la mort…

Si étranger au regard neuf – attentif – intensément présent – sans mémoire excepté celle (éminemment fonctionnelle) exigée par les usages et les contingences…

 

 

Ermitage itinérant qui ne peut souffrir la moindre proximité humaine trop grossièrement irrespectueuse. Activités – bruits – visages – devenus presque insupportables…

A deux doigts, sans doute, de la misanthropie…

Mais cette humanité commune – triviale – prosaïque – instinctive – est-elle vraiment l’humanité… Ne constitue-t-elle pas plutôt le préalable, tristement nécessaire, à l’émergence de l’homme…

 

 

Martèlement immuable du monde – de la même parole – de la même tentative de vérité…

 

 

A gestes et à pas lents – discrets – silencieux – en retrait – pour ne rien blesser – ne rien meurtrir – comme unique manière d’être pleinement humain…

 

 

Porter – comme les bêtes – son miracle – son refuge – sa désespérance – et son seul remède…

 

 

Tout abandonner au hasard des chemins

 

 

Nos vies – fleurs et fruits de pugilats sans fin…

 

 

Tout s’effrite – s’effondre – devient miettes que les oiseaux picorent. Nous aurons, au moins, contribué au festin des volatiles…

 

 

Trop d’arènes et de jeux sanglants – partout – au-dehors et au-dedans…

Reflux de l’innocence devant tant de violence. Retrait réflexe – comme instinct de survie de ce qui ne cautionne que l’Amour – qui n’a, sans doute, besoin de chair dépecée…

Faudrait-il interdire les usages – transformer les âmes… ou serons-nous, un jour, capable d’acquiescer au réel sans nous résigner…

Tant de possibilités avec l’Amour dont nous n’avons exploré que les plus superficielles contrées – les plus tangibles – les plus accessibles – mais dont les profondeurs, lorsqu’elles sont comprises et habitées, permettent, sans doute, de voir le monde depuis un espace surplombant – impersonnel –totalement impartial – en mesure de percevoir toutes les nécessités et l’harmonie de toutes les danses – de tous les pas – et d’accueillir sans distinction la commune mesure, les marges, les extrêmes, les antagonismes, les contradictions apparentes et tout ce que nous considérons encore comme aberrant, inadmissible ou insupportable…

 

 

Ce que l’imminence de la mort enseigne – ce que l’esprit refuse d’entendre…

 

 

Entre servitudes et amusements – entre contingences et repos – l’essentiel de l’existence humaine. Comme si la réflexion, l’exploration et la recherche ne concernaient qu’une infime part de l’humanité – et, en chaque homme, un espace minuscule – voué presque exclusivement d’ailleurs au confort – au bien-être – au bonheur – personnels, familiaux ou tribaux…

 

 

Seuil de divergence franchi – frontière marquée – indélébile – et obstacle, sans doute rédhibitoire, à la rencontre et au partage avec d’autres visages humains…

 

 

Solitude et éloignement – inévitables…

 

 

La page comme espace de développement et de précisions – de mise au clair autant, sans doute, que de mise en évidence de l’incompréhension…

 

 

Liberté de la main et de l’esprit qui piochent – presque au hasard – dans le grand sac des idées et des ressentis…

 

 

Rires et postures de circonstance pour oublier la tragédie à l’œuvre – sournoise – souterraine – implacable…

 

 

Quotidien de l’homme au secours de rien

Heures qui passent – simplement…

D’un jour à l’autre – de corvée en repos nécessaire…

Semaines qui passent – simplement…

D’un mois à l’autre…

Années qui passent – simplement…

La vie et le temps qui filent – et nous défilent…

Ainsi vivent et meurent les hommes sur la terre…

 

 

Quantité négligeable – poussière – particule sans la moindre incidence (positive) sur le monde. Incapable de la moindre avancée (significative) vers la vérité…

Maladroite – et pitoyable – manière d’occuper l’esprit et d’oublier le vide – considéré à tort comme un néant…

 

 

Monde de vitesse et de faux tournants ponctués de dérapages infimes et effrayants…

 

 

Seul à naviguer sur ce long fleuve – à manœuvrer sans même la possibilité d’accoster. A voir, seulement, défiler les rives incertaines peuplées, peut-être, de créatures magiques. A croiser parfois d’autres barques – chargées de choses et de visages – mais presque vides en réalité…

Il fait si noir – il fait si froid – à aller ainsi sur ces quatre planches – sans lampe – sans visage à ses côtés – comme si la nuit et la glace avaient tout recouvert…

Et ce nœud au creux du ventre qui donne aux bras leur force – et à l’âme le désir de poursuivre ce voyage – absurde – aliénant – inévitablement solitaire…

 

 

Sacrifice morbide autant qu’est haut et digne le geste désintéressé…

 

 

L’existence de personne – voué ni au monde, ni à la vérité – jouet seulement des forces intangibles – qui invite au rire, ou, à défaut, aux dents qui grincent – à la pâleur du visage et à l’effroi de l’âme devant l’inéluctable…

 

 

Monde de fantômes et de gestes mécaniques où l’esprit doit trouver sa place – et son assise – dans les contrées les plus lointaines de la solitude – à l’écart de tout visage…

 

 

Existences et monde éminemment impersonnels – rencontres, blâmes, alliances, connivences et affrontements purement circonstanciels. Jamais rien de personnel ici-bas (et partout ailleurs aussi, sans doute). Noms, identités et titres de propriété totalement illusoires. Une sorte de crispation – de contraction – de l’infini. Des représentations et des instincts d’appropriation – seulement – qui prêtent, selon les jours, à rire ou à pleurer…

 

 

Monde devenu désert et foule sans âme – sans visage. Simple décor du voyage. Espace naturel dont on épouse les courbes et les reliefs pour trouver son chemin – et peuplé d’oasis où l’on fait halte pour se ravitailler…

 

 

Jour après jour – étape après étape – sans lieu d’ancrage – sans destination. Dans une forme d’errance terrestre sans lien avec la verticalité de la voie qui, peut-être, au-dedans se réalise…

 

 

Invraisemblable sentiment d’impersonnalité – présente, partout, en ce monde où les formes (êtres et choses) se croisent – échangent – et se rencontrent de manière strictement circonstancielle…

Croisements, échanges et rencontres engendrés par les nécessités et les représentations – guidés par l’attraction, la répulsion et l’indifférence que les formes éprouvent entre elles (et, en dépit des apparences, sans le moindre déterminant d’ordre personnel). Etrange et mystérieux ballet de corps, d’esprits et d’âmes qui s’assemblent, se séparent, nouent des alliances et se querellent selon ces indéfectibles (et, sans doute, universels) principes…

Et la solitude – la non affiliation – réelles et totales – offrent à l’âme de goûter cette évidence…

 

 

Pas le moindre écart de vérité…

Et cette densité métaphysique qu’il faut – à présent – convertir en légèreté…

 

 

Arbres fraternels dont la présence conforte – et réconforte parfois – notre solitude…

 

 

Long voyage sans autre rencontre que celles qu’offre le monde…

Comme si nous pouvions nous contenter des Autres…

 

 

Concilier le spectateur impartial et celui dont les gestes sont justes et naturels

Sorte de Tao quotidien et expérientiel – aisé et jouissif excepté lorsque les pensées – et quelques autres encombrements de l’esprit* – s’en mêlent…

* émotions, sentiments…

 

 

Homme de peu – homme de rien – homme de la grande solitude – dépourvu de tous les appuis, de toutes les consolations et de toutes les certitudes du monde…

Qu’un regard sensible – à travers les yeux et l’âme…

 

 

Ni cri, ni bruit, ni tapage. Sans estrade – sans promontoire. Sans témoin. Seul et nu comme (presque) tous les exilés authentiques. Sans autre consolation que soi, le ciel et le (misérable) chemin parcouru – si nécessaire(s), parfois, au chemin qu’il reste à parcourir…

 

 

Peau rougeoyante – écarlate – à force de coups et de soleil…

Silence et parole blanche sur la feuille – à l’écart – sur un tertre minuscule édifié en soi – monticule invisible depuis le monde – et que ne remarquent que les âmes attentives…

 

 

Ombres encore – s’amenuisant au fil des pas. D’un lieu à l’autre sans un regard sur les inepties communes – coutumières. Sans autre âme à aimer que la sienne – et tant pis si elle a l’air peu aimable…

 

 

Le monde – et ses assauts contre le seul élan nécessaire…

 

 

L’ignorance et la cécité comme le jeu de ce qui sait – en chacun – et contre lesquelles notre âme – si aveugle et ignorante elle aussi – lutte (encore) avec obstination…

Guerre – affrontement – frontalité – voilà, bien sûr, la voie de l’immaturité – de l’aveuglement – de la folie…

 

 

Et l’on voudrait se croire, en dépit de tant d’évidences puériles, proche de la complétude…

Que nenni ! Pas l’ombre d’une félicité – ni en surface, ni en profondeur…

Qu’une rage impuissante au fond des yeux…

 

 

Du réel et de la lumière – obscurcis, parfois, par les yeux et l’âme – si noirs encore…

 

 

Sagesse inégalée des heures immobiles – l’âme pas même à l’affût de la joie. Monde et visages égaux – sans attrait – étrangement neutres. Regard où tout se perd…

 

 

Echeveau de pierres et d’idées qui donne au monde cette allure de labyrinthe invisible et minéral…

 

 

Le mouvement et le regard – seulement – à la fois libres l’un de l’autre – et emmêlés de mille manières. Au-dedans et au-dehors – ici et ailleurs – partout. Etrange et mystérieuse entité bicéphale sans centre, ni contour – qui semble jouer (et jouir) autant dans son immobilité que dans ses multiples tourbillons…

 

 

Une vie vouée au parachèvement du silence…

 

 

Mouvements et espace – bruits et silence – temps et éternité – pris, ensemble, dans la ronde des jours – et dans l’étau du vide immobile…

 

 

D’autres yeux que ceux qui nous regardent. La présence déclinée de mille manières – dans la matière inerte et animée – dans le monde visible et invisible – dans le mouvement et l’immobilité. L’œil du cyclope sans frontière – attentif à tous ses élans. Rien en dehors de son regard…

Simples danses magmatiques initiées par le jeu de l’être et sa joie à créer – à donner forme – à donner vie – et capable de se multiplier à l’infini…

Ni sens, ni raison – l’élan originel et la faculté de l’unique engrenée dans le multiple…

Le regard et l’Existant – se goûtant l’un dans l’autre…

Les fragments, la totalité et la présence assemblés en toute chose – objets, organismes et tout le reste (perceptible et imperceptible par les sens humains)…

L’ineffable et l’ineffable – ce qui, bien sûr, rend vaine toute parole pour le décrire ou en témoigner…

 

 

La trop commune mesure du monde – manière, sans doute, de composer avec la stupidité des foules…

 

 

Ce qui nous attriste autant que d’être au monde ; notre incapacité à y vivre et notre impuissance à l’accueillir…

 

 

Stigmates de la différence aussitôt la première parole prononcée – simple prolongement du geste que nul ne voit – lui-même reflet d’un regard sur le monde – si peu partagé…

 

 

Vaine ardeur à vivre – élans, sauts, danses et cabrioles – dans l’oubli, réconfortant, de l’inéluctable….

 

 

Une tristesse que rien ne saurait rompre – comme l’autre versant, peut-être, de la lucidité*…

* une certaine forme de lucidité…

 

 

Larmes plutôt que rire – tant les apparences du monde nous semblent tragiques et bouleversantes. Et plus profondément – la mélancolie. Et plus enfouie encore, la certitude du jeu et du dérisoire de toute existence – mais insuffisamment prégnante pour s’abandonner à la joie et à l’acquiescement véritable…

 

 

Il y a toujours un regard et une sensibilité derrière la manière de vivre. Un regard et une sensibilité qui teintent les yeux, les gestes et la parole – et qui s’impriment, sans doute, jusque dans les traits de notre visage…

 

 

Comment se prêter – vulgairement – au bonheur lorsque tant de misère et de malheurs persistent autour de soi…

Il y a, sans doute, une sagesse triste qui n’est ni complaisance, ni exagérément sentimentale. Comme une manière, peut-être trop sérieuse, de compatir et de faire corps, malgré soi, avec ce qui souffre…

Le rire, à cet égard, semble restreint et étriqué – excluant – trop oublieux du monde et des Autres. Quelque chose comme une contraction – entre l’aveuglement et l’égotisme. Une sorte de réjouissance du premier cercle frappé de cécité – indifférent à ce qui ne relève pas, en apparence, de son territoire ; une posture (presque abjecte) qui consiste à faire l’autruche au milieu de l’arène et des charniers…

 

 

Un autre jour que le sien – l’espace et la lumière, peut-être, des Dieux venus, un instant, nous réconforter…

 

 

A demi enseveli déjà par les ténèbres que l’âme se raidit – se cabre – et s’élance vers des frontières trop lointaines – inaccessibles – avant de se rendre à l’évidence après tant d’échecs et de défaites ; la nécessité de la capitulation…

Mille combats qui n’auront servi qu’à nourrir vainement l’espoir d’une issue…

 

 

Notre parole – miettes d’un ciel autrement plus railleur que nous – mais dont la voix est inhibée par l’impératif d’impartialité et la souveraineté du silence…

 

 

Mille lieux plutôt que le diktat du tambour…

Mille errances plutôt que la marche militaire…

L’appel du lointain moins fort que la nécessité de fuir…

 

 

Le désir si vif d’une histoire plutôt que le silence…

 

 

L’anonymat et la transparence comme autre manière d’exister…

 

 

Mots blancs qu’un long silence pourrait résumer…

 

 

Une déflagration de l’âme – et des ondes qui se propagent de lieu en lieu – favorisant toutes les grimaces…

 

 

De petites choses – rien que de petites choses. Le monde et l’âme en regorgent – et que nous montons en épingle pour donner (vainement) une consistance – un peu d’épaisseur – aux existences auxquelles nous feignons de croire…

 

 

Entre la mort, le néant et la folie serpentent – malaisés – la petite sente de l’espérance et tous les mensonges nécessaires pour continuer à vivre – continuer à croire que la vie et le monde sont autre chose qu’un rêve…

 

 

Entre coups et sourire, nous essayons de nous dresser – de parvenir à la hauteur de nos espérances – et de celles que nous devinons dans les yeux des Autres…

 

 

Vie discrète et solitaire comme les pierres que chacun foule sans voir…

 

 

Des visages – des existences – des maisons – des routes – des cités – des civilisations – mille choses pour croire en la réalité du monde…

 

 

De désert en lieu magique – le périple du solitaire. Ce long voyage où les escales ne sont nécessaires qu’au repos et au ravitaillement. Minuscule cortège sans autre bagage que le passéque l’on traîne, trop souvent, comme un boulet…

 

 

Paroles outrageusement mensongères – exagérées. Mais comment pourrait-on vivre autrement – et comment pourrait-on exposer – et revendiquer – sans honte – sans crainte – cet espace vide voué – uniquement – à béatitude et à la contemplation…

 

 

Regard et gestes – contemplation et contingences – spectateur joyeux des servitudes consenties…

 

 

Aliénation totale – monstrueuse – à laquelle n’échappe que le regard surplombant qui laisse les choses du monde dévaler leur pente – suivre leur destin…

 

 

Spectateur d’un monde dont la course n’a ni sens, ni raison. Des mouvements irrépressibles – seulement. Des pas, des danses, des rêves, du langage, des caresses, des coups. Le bon vouloir des Dieux et de la providence. Ce qui est – et ne peut ne pas être. Le possible – tous les possibles sur la palette de l’infini que nul n’est en mesure de connaître, ni d’apprivoiser…

Spectacle sans fin des mille voyages…

 

 

N’imaginons rien – soyons réels…

 

 

A ce qu’un Autre agrémenterait de raison, nous ôterions le contenu et l’inutile – et ajouterions la folie – histoire de voir plus loin que les yeux et l’esprit…

 

 

Terre en pente qui oblige à toutes les inclinaisons…

 

 

Fenêtres qu’un autre jour ne peut remplacer – et qui réapparaissent le temps de fermer les yeux…

 

 

Exploration obstinée – découvertes parcimonieuses – irrégulières – aléatoires – et avancées des plus ténues. L’allure (tragique) de l’homme…

 

 

Souvenir d’un autre partage – plus ancien – originel peut-être – où tous les visages étaient égaux et où les pyramides étaient des temples horizontaux…

 

 

Histoire déroulée jusqu’à la fin en dépit des aspérités. Heurts, accidents et revirements écrasés par le passage du temps…

 

 

Rien qu’un cri ininterrompu au fond de la poitrine – et que la gorge distille au fil des circonstances…

 

 

La poitrine – origine du monde – lieu premier et nourricier qui précéda la matrice des siècles. Temple d’avant la naissance du temps – dont nous avons oublié l’infinie tendresse…

 

 

A se rouler dans l’herbe sauvage dans le souvenir de notre premier abri. Enfant d’un monde sans machine – sans épreuve – sans défi – où rien n’existait en dehors du jeu…

Temps d’avant le désir et le rêve de l’homme…

 

 

Réel toujours ombragé par l’âme – et ces humeurs qui nous font tournoyer comme des toupies…

 

 

Ivre de bleu et de vert pour célébrer le naturel – le peu qui reste après le passage des hommes. Acte de résistance contre l’envahissement, partout, du rouge et du gris – contre le rythme effréné de la conquête et du progrès…

 

 

Voyageur et saltimbanque comme ces conteurs d’autrefois qui racontaient les mythes du monde – mais les pieds et la tête ancrés dans le silence et le réel le plus abrupt…

 

 

A dévisager le silence comme s’il nous était étranger…

 

 

A vivre loin des hommes (le plus loin possible) – dans cette marge, de plus en plus étroite, laissée à la vie sauvage. Le visage attendri par tout ce qui échappe (encore) à l’humain…

 

 

A défendre la beauté contre l’usage. A résister aux âmes jouissantes et exploiteuses. A honorer le silence contre la bêtise et la domination de l’homme…

Forme, peut-être, de sagesse contre tous les visages de la barbarie. Appel aussi au dépassement de la puérilité…

Dissidence et divergence du cœur que l’insensibilité révolte…

 

 

Une pensée métamorphosée en gestes…

Un silence incarné – que la parole, toujours, encombre…

La pente choisie, peut-être, par la sagesse…

 

 

On ne peut chambouler son destin. On le suit en traînant les pieds ou l’on s’y jette à corps perdu…

Ni écart, ni faux pas possibles…

 

 

J’envie parfois la solitude de l’aigle – son exil des hauteurs. La vie des falaises et la proximité du ciel. La quiétude d’un royaume au-dessus du monde…

 

 

Une âme et une perspective d’envergure – voilà, sans doute, ce qui fait le plus défaut aux hommes…

 

 

Des souliers trop étroits – trop vernis – trop colorés – mais qui suffisent au baguenaudage – aux excursions – aux abjects voyages des masses…

Les voyageurs, eux, sont d’une autre race – d’une autre trempe ; leur marche a une autre envergure…

 

 

Pierres des églises – des chemins – des châteaux-forts. Mille usages différents de la matière – comme le reflet de tous les horizons humains possibles…

 

 

L’éternité nous confisque (en idée) ce qu’un seul jour pourrait nous offrir. L’excès dilapide le plus précieux – atténue – et efface presque – le goût – la joie – l’intensité. Sous son joug, nous vivons comme des sacs avides et ingrats – impatients d’être remplis – vivant dans l’attente incessante de l’heure des repas – de la nourriture suivante…

 

 

Un autre jour – un autre pas – une autre page. Mille choses et mille gestes qui effacent les précédents…

Tout passe – rien ne subsiste. Et tout, sans cesse, recommence. Mais au lieu de vivre – heureux – au cœur de cette beauté – au cœur de ce miracle – nous nous lamentons sur la perte et la récurrence des corvées…

 

 

D’un ciel à l’autre – avec nos ailes nouvelles. Et quelques escales sur terre pour narguer les hommes…

 

 

Un autre paradigme du monde où les visages humains ne compteraient pas davantage que les pierres – où rien ne serait plus détestable que l’irrespect…

 

 

De moins en moins mimétiques – de plus en plus spéculaires – ainsi deviennent nos gestes et notre visage devant ce qui nous fait face…

 

 

Sans autre emprise que celles qui nous sont nécessaires…

Périple mû par l’esprit d’autonomie. Silence et solitude – et la quiétude des pierres (autant que possible)…

D’interstice en interstice. Et de la ruse et du brouhaha – pas même l’écho. Les rumeurs du monde de plus en plus lointaines…

 

 

Visage déshumanisé – offert sans certitude à l’au-delà de l’homme – plus vif – plus clair – plus vaste – et plus tranchant sans doute…

 

 

Exil et fuite – davantage que voyage…

Là où les nécessités nous appellent – là où l’autre visage se façonne…

 

 

Etrange périple dans l’âme et la poitrine du monde. Au plus près de ceux que la souffrance dévore…

 

2 juillet 2019

Carnet n°191 Notes journalières

Au bord du vide – à attendre la mort – et derrière nous, on sent les mains des hommes pousser – pousser. Et parmi eux, pourtant, aucun assassin…

 

 

Tout se mélange – la terre – le ciel – le silence – la tête – le devant et le derrière – les pitreries – la misère – les rires et les cris des mères qui enfantent…

Rien qui ne puisse rester debout. Tout virevolte et fait tournoyer les destins qui s’emmêlent – se chevauchent – se séparent – et que la mort, un jour, viendra chercher…

 

 

Un désert – et, au loin, l’horizon – et, au centre, les portes de l’âme. L’œil alors s’éclaire. Le cœur alors s’enflamme. Partout, la promesse de devenir vivant…

 

 

Le sol et les vagues – féroces – fragiles – qui avalent les têtes sans distinction. Les chutes, les larmes, les souvenirs. Les lois et les crimes – ensemble – réunis. Les lèvres muettes qui ont oublié la langue de leurs ancêtres. Les yeux qui questionnent. Les âmes et les mains qui tremblent. La mort – l’amour – tout ce qui nous rend tristes et fous (et, parfois fous de tristesse). Le cœur aussi aveugle que les yeux – qui implorent le monde – Dieu – les mères – les océans – impuissants devant la blancheur de leur sommeil et le poids de leurs vieux bagages…

La joie qu’en rêve…

 

 

Il se fait tard – à présent – des siècles ont passé – rien n’arrivera plus…

Il faut se résigner à vivre – et marcher encore – vaillants et dignes – jusqu’à l’aube – jusqu’à la tombe…

 

 

Dépossédé(s) – en déshérence – sans maître – sans filiation. Abandonné(s) en quelque sorte – sans une seule âme pour réclamer notre présence…

 

 

Tout un royaume – en nous – qui murmure – et dont nous feignons d’ignorer les larmes…

Ecume – vent – illusion – ce qu’il nous faudra encore affronter…

 

 

Adossés à nos fausses rectitudes alors que l’hiver et la fatigue ne vont plus tarder. Et la mort à leur suite…

 

 

Loi d’un Autre sur le bout des lèvres…

Espoir pas même éprouvé au fond des eaux noires…

Trou de misère. Gouffre d’indigence. Rives à gauche – soleil à droite. Et menaces – immenses – imminentes – partout…

A décliner ce que le fil du hasard nous réserve…

Titubant – et bientôt – et déjà – sous la terre…

 

 

Fous, princes et mendiants mourront tous. Mais qu’auront-ils vécu si leur âme était absente…

 

 

Dans notre chambre – l’errance encore…

Les jours pareils au reste – exigus…

 

 

Là où les Dieux nous poussent – là où les Dieux nous toisent – un pied sur chaque continent…

 

 

L’Amour qui se cache derrière les traits les plus arides…

 

 

Paroles d’explosion et de rupture là où le geste, peut-être, réconcilierait…

 

 

L’œil s’enlise là où le cœur pourrait éclaircir…

 

 

Soleil brouillon sur les oiseaux du malheur – les chutes – la nuit – l’infertilité du désir. Le feu et la tristesse sur les pierres. La vie qui serpente – et qui circule parfois – entre nous. Les plus beaux visages de la mort…

Partout – le sens de la plus haute tragédie…

Mille éclairages qui donnent le tournis – et leur ivresse aux hommes…

 

 

Nos gestes – reflet de notre âme si changeante…

 

 

Ciel abyssal sur la route grise. La fortune incertaine et le mépris – toujours possible – des Dieux…

Nudité permise – au-dessus de tout soupçon de péché…

Quelque chose comme un morceau d’infini – un bout d’éternité – un intervalle où tout pourrait arriver…

 

 

Agonie plus vivante que ceux qui ont assassiné. Eclat d’un autre monde – d’une perspective moins étriquée que celle qui a guidé la main cruelle…

Malheur à ceux qui dorment – immobiles. Ils périront à genoux – éplorés – implorant je ne sais quel Dieu inutile…

 

 

Aussi belles et tendres que l’herbe – l’âme et la main qui s’ouvrent et se tendent – embarrassées et tremblantes devant le malheur des autres…

 

 

L’amour horizontal avec ses misérables partages de pain, de couche et de substances…

 

 

Ce qui nous quitte – s’attarde avec délice – et nourrit le souvenir d’un jour moins triste. Mais nous serons seul(s), bien sûr, pour affronter la mort…

Ensemble – toujours – en dépit de la solitude et des retrouvailles…

 

 

Pays sans autres habitants que les voyageurs – les âmes sensibles – la neige – le silence. Rien qui ne blesse – rien qui ne meurtrisse…

Et en chemin – l’autre versant du monde ; des pierres – du brouillard – la fatigue – et le noir qui gagne les esprits…

 

 

Que l’âme est frêle devant Dieu – devant le monde…

 

 

Nous marchons sans remède – et nous allons sans même y penser. Mais que savons-nous réellement du voyage…

 

 

Nous désespérons parfois de ne trouver que des pierres…

 

 

Un sol tapissé de fleurs – et des bêtes qui se cachent au milieu des forêts. Des sentiers, parfois, où l’on devine la lumière…

Nous nous taisons. Nous écoutons le cœur qui sait

 

 

Âme trop penchée – en déséquilibre vers la mort…

 

 

Trop éphémères, sans doute, pour être autre chose que des passagers – des voyageurs dans le meilleur des cas…

 

 

A se cramponner là où il faudrait avoir les mains libres et ouvertes…

 

 

La grâce, peut-être, n’est qu’une affaire de solitude et de solitaire. On ne peut la partager – au mieux la laisser rayonner…

 

 

Nous allons – comme la vie et la mort – jusqu’au jour où nous embrasserons la terre…

 

 

Nous passons – discrets – anonymes – sans que nul ne nous connaisse – sans que nul ne nous salue. Vagabond de la dernière pluie – sans nom – sans visage – et qui ira seul pour l’éternité…

 

 

Les mains du silence nous hissent au faîte de la joie – le ciel parmi les pierres – qui donne à l’âme l’envie de rester encore un peu parmi les hommes…

 

 

Rien de grave au fond de l’âme. Quelque chose proche du rire – du jeu – de la farce – malgré la tendresse des mains et la profondeur (un peu triste) du regard…

De la douceur et de la dérision – une joie espiègle et un peu mélancolique…

Une alcôve aux dimensions infinies…

 

 

A demi éteint – comme couché sur la mort – avec la sensation de deux mains froides plaquées contre le dos…

 

 

Si loin du cercle des Dieux – des luttes vaillantes – du soleil enfourné dans la bouche – du monde – des hommes – de la poésie. A guetter les adieux – les derniers jours de connivence. La mort tapie déjà au fond du corps…

A pourrir comme un fruit trop mûr que l’on a jeté sur le fumier – et qui rêve de vent et de pluie pour disparaître plus vite…

 

 

Pollen dispersé dans l’espace – que les vents portent vers l’inconnu…

Légère poussière aux allures de soleil…

 

 

Ce que nous vivons avec tendresse – le cœur ouvert et l’âme tremblante ; instants où nous devenons la chair du monde, l’esprit des Dieux et le souffle des vivants. Toutes les larmes de la terre. Et la main lente qui se tend et apaise…

 

 

Circonstances aux allures de hache et de pointes acérées. Dents fines – aiguisées – carnassières – qui transpercent, pénètrent et arrachent la chair, le sang et l’âme jusqu’à nous rendre fous, désespérés ou implorants…

 

 

Rares sont ceux qui se libèrent de la fable du monde et des identités…

 

 

Toutes ces ombres qui cherchent un peu de lumière pour tenter d’échapper à leur histoire…

Haute voltige sur le fil de l’illusion…

Oiseaux de la folie – guetteurs de la mort – tous ces personnages de la commune déraison…

 

 

A vivre comme si la vie avait encore quelque importance. Tout sera bientôt fini – ne sentez-vous donc pas la mort qui, déjà, plane sur nous…

 

 

Des cris – des pierres – des tombes – un peu de terre – quelques prières. Funérailles de personne auxquelles n’assisteront que l’ombre et le vent…

La terre vide au-dessus et au-dedans…

 

 

Et si Dieu avait caché la joie au milieu des malheurs…

 

 

Loin des hommes – loin des routes – près du centre où l’ombre et la lumière ne forment qu’un seul visage…

Gestes fidèles au mouvement – gestes qui consolent d’un silence trop lointain…

On chemine ainsi sur la feuille et les chemins. On marche aveuglément – sans rien savoir du pas précédent – sans rien connaître du pas suivant…

 

 

Parmi ceux qui tremblent et trébuchent – nos souliers – nos lignes – notre âme…

 

 

Un pied parmi ceux qui s’acharnent – et l’autre parmi ceux qui s’abandonnent. Le cœur – toujours – au-dessus de l’abîme…

 

 

Nos lignes peuvent-elles consoler – peuvent-elles guérir – du poids de vivre…

 

 

A la rescousse de soi – en soi…

 

 

Espace de ronces, de pierres et de livres – où l’âme demeure – et peut enfin sourire du déclin – du destin en faillite – sans regret – sans amertume – la fleur aux lèvres…

 

 

Tout se tourmente sur la terre – s’emberlificote dans mille histoires – erre – fait les cent pas – autour du même mystère…

 

 

A demi-mot comme manière de vivre – et d’occuper le monde avec discrétion – de laisser l’espace vide – d’offrir au silence la place qui lui revient…

 

 

Persévérer sans s’acharner. Devenir le ciel et le soleil. Et si la mesure est trop haute, être la lampe qui éclaire et le doigt qui montre. Et si cela est encore trop ambitieux – s’abandonner avec humilité…

S’inspirer de la fleur – de son anonymat – de sa fragilité – car qui peut ignorer que l’insignifiance offre sagesse et beauté à celui qui la revêt – ce que nous nous éreintons à découvrir en essayant de devenir un Autre et de nous élever sur l’illusoire (et mensongère) échelle des hommes (ou des saints)…

 

 

Rien ne pèse plus – tout a le poids du jour…

 

 

Un silence au-dedans des choses – comme notre portrait le plus fidèle…

 

 

Dieu sous nos pas – piétiné – le plus souvent. Parfois sur notre épaule pour encourager – et, de ses murmures, orienter la marche. Et plus rarement sur nos lèvres – à rire avec nous – et à attendrir la dureté de nos paroles. Et plus exceptionnellement encore dans notre main qui, depuis toujours, cherche le geste juste…

 

 

Comment pourrions-nous porter le monde avec une âme si faible – et l’affronter avec tant de fragilité… Mais qui a dit – et nous a donc convaincu – qu’il fallait assister et combattre…

 

 

L’Absolu au bout des doigts comme un papillon insaisissable…

 

 

Pourrait-on devenir ce que nous ignorons encore…

 

 

Ressembler au soleil alors que dans l’âme ruissellent toutes les pluies du monde…

 

 

Un jour – des pas – des gestes – des lignes. Et pas davantage. Si, peut-être… la joie et le silence de l’âme…

 

 

A vivre comme si nous pouvions transformer la rage en grâce – la nuit en jour – les malheurs en sourire…

Prestidigitation d’un autre monde – où l’élan est sans intention…

 

 

Encerclé(s) par presque rien – nos propres visages en reflet – si ingrats – si sévères – si étrangers – qu’ils nous intimident et nous paralysent. Comme un affreux – et effrayant – prolongement de soi…

 

 

Je rêve du premier élan d’innocence de l’humanité. Mais, sans doute, serons-nous tous morts avant que naisse le geste inaugural…

 

 

Humilité – respect – silence – sobriété joyeuse. Combien de visages s’y livrent avec profondeur et sincérité – de toute leur âme…

Partout – on ne voit qu’accumulation – orgueil – déni de l’Autre – saccage du vivant – et tapage stérile…

 

 

Grands prêtres des idoles qui, sous le nez de la foule, agitent leurs images…

 

 

Du sang versé comme de l’or – et le cœur des hommes se réjouit. Ivresse, orgie et festin – comme de piètres consolations à vivre. Délices d’une humanité qui s’imagine raffinée – humaine. Pauvres diables velus et décérébrés – indignes de n’avoir que deux pattes…

 

 

Entre ailleurs et chimères – que l’Amour et le réel semblent lointains – à moins qu’ils ne se soient déguisés sous ces traits étranges et inattendus…

Quelle mouche les a donc piqués pour orienter ainsi leur jeu vers ce qui ressemble au pire…

 

 

Le monde a épuisé tous mes élans. A présent – je reste immobile – à l’écart. Ni sage, ni indifférent. Trop conscient seulement de notre impuissance…

Je contemple le désastre avec tristesse – en l’alimentant, malgré moi, à regret (et le moins possible, naturellement)…

 

 

Chaque geste compte – chaque geste est une aile – un souffle – un possible devenir – autant qu’il semble insignifiant – dérisoire – inutile…

Dilemme de chaque cellule du grand corps – dilemme de chaque rouage de la monstrueuse machine ; agir ou ne pas agir – en être ou ne pas en être…

Faire selon sa nature et ses inclinations – selon ses prédispositions et ses nécessités – ce à quoi, d’ailleurs, chacun se résout ou se résigne…

Et l’addition des gestes devra être conséquente tant l’inertie est grande ; il faudrait un sursaut collectif massif pour avancer d’un pas…

 

 

Nous sommes – personne…

 

 

En soi – ce que d’autres ont prescrit – bien davantage que ce que nous y mettons…

 

 

Porte au fond de l’âme – au fond du noir – qui ouvre sur la lumière et la fin des saisons – le ciel sans couleur…

Et derrière la fenêtre des grisailles – tous les orages qu’il nous faudra traverser encore…

 

 

Au loin – au plus proche – l’Amour. Et notre accablement – ce que nous traînons comme un poids ; tout ce que nous ne lui avons encore concédé…

 

 

De la fatigue encore – comme si la vie et le monde nous épuisaient…

 

 

Tant de choses – et si peu d’espace…

Tant d’espace – et si peu de chose(s)…

Comme un infini brouillon – envahi de matière virevoltante…

Comme un point infime concentrant le vide…

Rien de très clair, en somme, pour l’esprit commun – absent – inattentif…

Le foisonnement et la vacuité mélangés ensemble – et de mille manières – partout…

 

 

De quelle substance sommes-nous donc constitué(s) pour enfanter des mots-soleil – des mots-tristesse – mille paroles arc-en-ciel qui n’émerveillent pas même les yeux des enfants…

Que l’âme doit être seule, belle et misérable – pleinement humaine – pour transformer le sang, les larmes et la sueur en langage…

 

 

Un nom – rien qu’un nom – sur la longue liste des choses – parmi la vie, l’âme, le ciel, la mort – un infime visage…

 

 

De quoi sommes-nous composés ; un étrange assortiment de sang, de chair, d’images et d’idées – comme des vêtements qui recouvrent l’âme ; certains indispensables, bien sûr, à la survie de la forme et d’autres de simples ornements – lourds – superflus – inutiles – de simples illusions pour habiller cette nudité – ce vide – et ces quelques substances – indignes – si misérables à nos yeux – auxquels nous refusons d’être réduits…

Se réduire à l’élémentaire – au strict nécessaire – et ressentir la vastitude du regard et de l’espace que confère cette vacuité – cette absence d’embarras…

 

 

Rien n’abrite – ni n’expose – davantage que le silence…

 

 

Les forêts de l’âme sont denses – noires et profondes. Et nous avons oublié le chemin de la maison. Le retour sera, sans doute, long et périlleux. Il nous faudra visiter mille lieux – errer mille siècles – passer et repasser des milliards de fois devant le même espace – le même visage – et le traverser plus encore en croyant s’enfoncer dans une impasse pour découvrir ce que nous sommes ; la seule demeure pourtant…

 

 

Comme si un Autre – mille Autres – nous habitaient – vivaient à notre place – imposaient leurs désirs – leurs refus – leurs préférences – leurs choix – et expérimentaient à notre place ce que nous croyons vivre…

Et nous avons la folie de croire que notre existence est l’œuvre d’un seul homme…

Nous sommes – mille Autres – un peuple tout entier – personne…

Quelque chose d’inimaginable – littéralement…

 

 

Crépuscule d’une vie – crépuscule d’un monde. Rien sur les pages de l’histoire ; pas même un chapitre – pas même une ligne – ni l’ombre d’une épitaphe sur la tombe. Feuilles vierges et vents. Un infime tourbillon d’air évanoui…

 

 

Tant de questions dans la tête d’un homme dont l’âme se moque – et qui, à l’instar du monde, ne réclame qu’une présence et des gestes justes…

 

 

Mille jours en un seul – mille vies en une seule – pour comprendre, au dernier souffle, que nous n’avons (presque) rien vécu…

 

 

Monde – visages – identités – mirages – dont la réalité, pourtant, nous hante jusqu’à la mort…

 

 

Et ce regard mélancolique qui offre au monde sa grisaille, son manque d’espérance et sa lourdeur trop sérieuse. Emouvant, à certains égards, par sa sincérité et son authentique noirceur…

 

 

Que dire que nous n’avons jamais dit… Il faudrait faire exploser la tête pour trouver des mots nouveaux – un langage nouveau – une autre manière d’exprimer le silence…

 

 

Presque un vieil homme – à présent – dont les pauvres pas n’ont suivi que les vents. Et qui regarde toujours le monde de sa fenêtre. D’un néant à l’autre – après avoir exploré toute la palette de l’espérance…

 

 

A demeurer seul – de plus en plus seul – sans avoir rien vécu – sans avoir rien bâti – sans avoir rien compris. Mais, peut-être, l’essentiel était-il ailleurs…

Qui sait… Qui peut savoir…

 

 

Une âme au bord des larmes – près des ronces – à dormir presque dans les fossés – à boire presque l’eau des rivières. A parler seulement aux arbres et aux pierres – et, parfois, au ciel, lorsque l’envergure l’emporte…

 

 

A vivre si près des hommes – jusqu’à l’insupportable…

A vivre si loin du monde – jusqu’à la désespérance…

A vivre en sa compagnie – comme n’importe qui…

Et à vivre en soi – lorsque cela est possible…

 

 

Nous allons mourir. Et nous feignons de l’ignorer. Mais, en vérité, une chose – en nous – refuse cette évidence – cette effrayante fatalité. Au fond, nous nous croyons immortels. Mais l’éternité revêt, bien sûr, d’autres visages que celui que nous espérons. Nous sommes si crédules que nous imaginons pouvoir revivre indéfiniment – et presque à l’identique – le plus favorable de cette existence. Naïfs – comme ces enfants qui tiennent leurs jeux et leurs rêves pour plus vrais que la réalité…

Pour goûter l’éternité, il nous faudra tout vivre – tout expérimenter – tout revivre – et tout réexpérimenter – maintes et maintes fois – en boucle – jusqu’à l’écœurement – jusqu’à l’ultime chimère – jusqu’à l’ultime déchirure – devenir les mille visages du monde – les mille mondes possibles – jusqu’à comprendre que nous sommes tout – que nous ne sommes rien – la même chose – depuis toujours – au-delà des apparences et des identités…

 

 

Marcheur d’un autre âge – venu, malgré lui, d’une époque sans nom – sans visage – d’une ère hors du temps – et qui, jamais, n’appartiendra à l’histoire du monde et des hommes…

 

 

En fin de compte, nous aurons utilisé le monde autant que nous l’aurons servi – nous lui aurons pris autant que nous lui aurons offert. Bilan nul – équilibré – comme si nous n’avions jamais existé…

 

 

Le ciel paraît lointain mais, en vérité, il nous enveloppe déjà. Les yeux et le cœur ne savent voir ce qui est proche. Tout est là, pourtant, sous notre nez – au plus près de l’âme. Et étrangement, les étoiles les plus lointaines nous semblent plus réelles – plus accessibles – et plus faciles à apprivoiser…

 

 

Accueillir les circonstances et les visages comme ils viennent – sans savoir…

 

 

L’obscurité et la lumière semblent éternelles. Aussi, au jour dernier, nous ne mourrons qu’à moitié ; nous irons, sans doute, indéfiniment avec cet étrange mélange dans l’âme – dont seules les proportions varieront…

 

 

Qu’aurons-nous fait en cette vie sinon essayer de comprendre – et de vivre un peu – à l’inverse, sans doute, de la plupart des hommes…

 

 

Il fait si froid dans la nuit solitaire – ni main – ni âme – pour vous réchauffer. Seulement la petite lampe au-dessus des livres et du visage…

 

 

Un jour comme un rêve. Et mille siècles – pareil…

 

 

Qu’un grand couteau dans l’âme – et dans les mains – pour trancher d’un geste lent – interminable – ce qui fait mal – puis, ce qu’il reste… Et nous savons, pourtant, qu’une fois cette tâche accomplie, la douleur sera toujours aussi vive – plus forte même peut-être…

 

 

Qu’un Autre pour nous prendre dans ses bras – et nous consoler de n’avoir pas su…

Que deux yeux pour nous regarder et nous montrer ce qu’est l’Amour – le partage – le pardon – la douceur d’un chant qui monte entre les lèvres…

Que s’incline légèrement le soleil – et que l’on nous embrasse sans nous dévorer…

Un monde – un feu – rien que pour nous – rien qu’un instant…

 

 

Garant de rien ni de personne – la devise de chacun…

 

 

Des boucles d’or et de servitude – enchaînés aux pieds de l’Autre qui ne nous regarde plus…

 

 

Marcher encore comme ces mendiants de papier qui se dirigent vers le point final…

Un jeu – rien qu’un jeu – pour se croire vivant…

Des adieux – rien que des adieux – avant de se retrouver dans le grand ciel suivant…

 

10 juin 2019

Carnet n°190 Notes de la vacuité

Extinction du temps – extinction des vents.

Quelque chose à réinventer…

 

 

Le mât – le glas – la prière – la rumeur de l’infini – rejetés par nos âmes trop paresseuses – trop bavardes – trop maladroites…

 

 

Chambre – repos – couloir – quelque chose d’insoutenable – comme une absence d’ardeur. L’air plus qu’irrespirable. Le sommeil étouffant. Et nos rêves d’évasion qui s’étendent jusqu’au délire…

 

 

Un seul désir – celui de la lumière. Comme une ombre projetée sur l’infini. Et la délicate attention de la main posée en visière pour atténuer l’aveuglement…

 

 

Laisser le silence creuser les mots – ouvrir la parole à sa propre suspension. Attendre que tout arrive – que rien n’arrive – que tout passe – en sifflotant un air frivole…

Devenir moins que le plus indigent des rêves…

 

 

S’asseoir à la table des jours pour retarder le retour (inévitable) de l’attente. Un œil à la fenêtre et l’autre jaugeant le seuil où l’enfer sera atteint…

 

 

Dans l’immédiateté du monde et l’impossibilité de l’âme…

 

 

Entouré – beaucoup trop entouré…

Encombré – beaucoup trop encombré…

Et, déjà, au bord de la rupture…

Et bientôt – très vite – en ruine, puis en poussière – retrouvant ainsi le reste du monde qui, lui aussi, a tenté de survivre et d’exister…

 

 

Trésor des uns – déchet des autres. Et le silence irréconciliable entre tous…

 

 

Silence insoupçonné au fond de la poitrine. Creuset du ciel et des enfers réunis dans le même souffle…

 

 

Arbres – roches – routes – autant de lieux aux allures de possible où se dissimulent, pourtant, tous les guets-apens…

 

 

Marcher encore – marcher toujours – sans prêter attention aux miracles – ni même imaginer ce que pourrait être l’homme…

 

 

Un jour de clarté – modeste et sans éclat – où les identités chavirent…

 

 

Jarre emplie de toutes les substances du monde dont les parois s’épaississent en vivant – et que la mort libère en rendant à la terre sa matière…

 

 

Echapper (non sans mal parfois) à cette folie croissante du nom – partout glorifié – et aux infimes éclats – aux minuscules aventures – exposés, partout, en ce monde de vitrines surchargées – débordantes – médiocrement singulières…

 

 

Souliers d’or et de boue qu’aucun voyage n’effraye – qu’aucun chemin ne rebute…

 

 

Orgie de temps dont nous ne savons que faire. Hotte immense que nous emplissons avec tout ce qui peut apaiser – anesthésier – la solitude, la douleur de vivre et l’idée de la mort. Sac au contenu hétéroclite que nous traînons sur tous les chemins – et que nous érigeons en totem contre la folie et le néant…

 

 

Saccages et marasme – le grand élan des foules. La petite tragédie du monde. Aire sur laquelle se bâtissent tous les empires – toutes les décadences – notre chute inéluctable…

 

 

Une liberté sans voix – où chaque geste est un soleil – où chaque pas enfante un possible…

Etoile moins lointaine que celles adulées par les foules…

 

 

A demi-mot – pour ne pas effrayer le silence et recouvrir partiellement les horribles bruits du monde…

 

 

Seul au-dedans de ce grand jour – aussi seul ici qu’ailleurs – isolé des visages qui s’amusent ou s’affairent pour échapper à la solitude et à l’ennui…

 

 

Folie de cette parole lancée par-dessus la tête des hommes. Acte – presque – de désespérance…

 

 

Solitude qu’entame la foule – et que dépeuple l’espérance du moindre visage…

Dans cet étau entre le manque et l’excès…

A s’imaginer toujours plus clairvoyant et inventif que l’illusion…

 

 

Nuit bancale – nuit secrète – nuit extatique – sur cette roche au parfum de sommeil – aux couleurs de fatigue. A la merci du hasard et des rencontres…

 

 

Fleurs du doute – pareilles au funambule menacé par l’abîme…

Lente inclinaison qui, peu à peu, redresse la foi et la confiance en l’âme…

 

 

Au jour premier du sommeil – à l’heure précise où l’esprit s’est résolu à obéir – à creuser sa sente avec docilité – à se soumettre au mimétisme de tous les gestes…

Ainsi commencent les ennuis – les premiers rêves d’exil – et l’attente d’un ailleurs de moins en moins accessible…

 

 

Parcelle de terre – appauvrie – surchargée de têtes et de ventres – et qui, parfois, se rêve désert – immensité – fragment de silence – modeste monticule offert au monde et aux Dieux…

 

 

Le parti pris des hommes englués dans la matière – défrichant leur chemin à grands coups de serpe…

 

 

Richesses secrètes du plus humble – invisibles – si loin de toute forme d’ostentation…

 

 

Chemin vertical comme celui des vents et des oiseaux dont les yeux ne perçoivent que l’aisance apparente…

 

 

Entouré(s) de visages comme autant de chimères imprévisibles…

Trompé(s) par la folie mensongère des traits qui s’animent sous l’émotion – par les lèvres qui parlent et embrassent – par les yeux qui cherchent et implorent – par les mains qui se tendent pour saisir ou caresser…

Simple armée d’ombres aux mouvements illusoires – sans consistance – guidées seulement par la coïncidence du silence et des vents…

 

 

Aux dernières heures des adieux – les cris, la tristesse et la colère. Comme au jour premier de notre vie…

 

 

Et le temps fébrile qui enjoint aux pas d’accélérer – de poursuivre avec acharnement la course – et à la tête d’oublier les raisons du voyage…

Avancer – continuer coûte que coûte – allonger la foulée – au détriment du suspens – du retrait – de la contemplation silencieuse et du besoin de solitude pour commencer à rire du tapage et de ce périple insensé…

 

 

Mesure d’un autre temps où le jour est la seule unité possible…

 

 

Vert à perte de vue – sous un ciel sans nuage. Terrain de jeu de la liberté – capable de marier la magie du geste et l’étendue du regard…

 

 

Vide impérieux – sol d’entrave – et entre-deux nuancé aux couleurs grises qui tend tantôt vers le noir, tantôt vers la transparence…

 

 

Jamais affranchi du dédale aléatoire que bâtissent les circonstances et les rencontres. Tantôt précipice – tantôt impasse – tantôt aire de liberté. Tantôt grilles – tantôt barbelés – tantôt chemins ouverts…

A marcher sans préférence là où la solitude enseigne…

 

 

Dans le retrait – l’effacement – malgré la joie exaltante – débordante – extériorisée…

 

 

Eléments atemporels de tous les âges – de toutes les époques – ceux de l’âme nue confrontée au monde – au vide – au silence…

L’Autre et son propre visage…

 

 

Herbes sauvages et volets clos dans le petit jardin de l’espoir…

Cloître apparent – millénaire – qui invite et ravive (pourtant) tous les dangers du monde…

 

 

Fenêtres des hommes – fenêtres des Dieux – et nos yeux tiraillés entre les uns et les autres. L’âme à cheval sur deux mondes – entre le dehors et le dedans – entre le prolongement du rêve et l’aride réalité…

Indécis et partagés…

 

 

Mots sans queue ni tête – contrairement à l’apparence du monde plongé dans la perpétuation des espèces et une raison (presque) absurde…

Mille actes instinctifs et insensés malgré la validation du bon sens…

 

 

Retrait – écart – exil – aux confins de toutes les marges. Presque hors cadre à présent…

 

 

De l’or dans la boue – joyau d’un autre temps. Comme une peau nouvelle – sans âge – qui donne à celui qui la revêt une dimension plus humaine – une fraternité éminemment plus tangible…

 

 

Rondeur du jour sur la pierre angulaire des saisons. Beauté – blancheur – et déclin de l’œil assassin. Mains jointes en flèche silencieuse…

 

 

Au faîte de l’inconsidéré – de l’exil – du banni. Au seuil du ciel – au-dessus des gesticulations humaines et de l’indigence (terrestre) des vivants. Sommet invisible et accessible depuis la plus haute misère vécue et consentie…

 

 

Marge brute qui renâcle au partage et à l’évidence – presque indifférente aux autres périphéries perçues, elles aussi, comme le centre…

 

 

Mains ouvertes – âme dispersée qui s’offre et se partage à chaque rencontre – que nul ne peut entamer – que rien ne peut avilir…

Innocentes jusqu’à la moelle – jusqu’au fond du silence…

 

 

Défaite aux yeux des hommes – proche donc d’un faîte invisible – insensé – qui défie le bon sens et la raison…

 

 

Joie sans circonstance – sans condition – que les yeux ignorent…

Manifeste, pourtant, dans l’élargissement de l’espace – dans l’effacement des frontières – dans la respiration et l’envergure retrouvées…

 

 

Seul – entre le réel et le silence – à jubiler sans raison malgré les larmes, irrépressibles, face à l’étrange beauté et l’effroyable cruauté du monde…

 

 

Vide et confiant en son assise fragile et provisoire…

 

 

Sensible et tremblant autant que déterminé à poursuivre ce voyage – ce fol élan vers le silence…

 

 

Rien – de plus en plus – rien. L’espace au-dedans qui, peu à peu, grandit – avance – s’étend – se propage – s’extériorise – englobe le monde – tous les au-delàs – en flirtant, parfois, avec l’infini…

Tête réduite à l’explosion et au fleurissement de toutes les joies – celles infimes du monde et celles invisibles de l’être – grandioses – inconditionnelles – souveraines…

 

 

Des miroirs – partout – qui renvoient nos éclats – la lumière insoupçonnée des âmes. La plénitude sous les désirs – la complétude derrière le manque. Toutes les figures du monde. L’ignorance et l’innocence, parfois assumées, parfois oubliées…

Toutes choses – en vérité – depuis l’origine jusqu’à la fin des temps. Toutes les impasses – tous les chemins – toutes les issues ; toutes les voies apodiptiques….

 

 

La grâce de n’être plus rien – et de sentir, en soi, la présence infinie du monde, des choses, du cosmos – de la globalité…

 

 

Heures de grande liberté où rien n’assaille sinon, peut-être de temps à autre, la pensée…

Quelques hiéroglyphes du cœur – indéchiffrables…

 

 

Matière à vivre – seulement – que le silence rend plus légère et plus vivable…

 

 

L’œil des Dieux fixé sur nous – prêts à bondir au moindre écart – et qui nous ont, pourtant, laissés errer pendant des siècles dans la proximité du même mystère…

 

 

Murs de pierres jusqu’à l’horizon. Et frontières d’arbres bienveillants prêtant leur feuillage pour vivre caché des hommes…

 

 

Regard fixe – perdu dans le lointain – et subitement ramené au plus proche – au cœur de l’être qui veille – infiniment contemplatif…

 

 

La terre – le ciel – le vent – les arbres – les pierres. Seul – avec Dieu – qui nous invite à demeurer dans la proximité de son silence…

 

 

Seuil dépassé du silence et de la solitude – sur cette autre terre dissimulée au-dedans de celle où nous avons l’air de vivre…

 

 

A déployer – partout – le silence et l’incertitude – cet étrange terreau de la joie…

 

 

Debout – à chanter joyeusement ce qui traverse notre tête – ce que les vents nous offrent. Avec Dieu et l’âme se jetant, par-dessus notre épaule, des sourires complices…

 

 

Quelque chose d’Icare dans notre élan – dans notre pas – si lourds – si grossiers – pourtant…

 

 

Errer encore – errer toujours – autour du même visage – présent où que nous soyons – présent jusque dans nos absences…

 

 

A l’écoute d’un Autre – en nous – qui réclame la certitude du monde – friand toujours de mirages et d’illusions – et que le silence n’a encore convaincu…

 

 

D’un monde à l’autre – à travers la fenêtre – le défilé des siècles – leur inertie – leur transformation – leurs tragédies – leurs révolutions…

Ce qui se cherche ; la sensibilité et la lumière. Et leur étrange itinéraire au cœur du noir et de l’ignorance…

D’un bout à l’autre – les mêmes – tantôt feignant d’être cachées – éteintes – absentes – tantôt feignant de marcher à leur recherche – tantôt rayonnant sans malice – sans intention – sans même aucun besoin mimétique ou de ralliement…

 

 

Monde d’une autre ampleur – à la perspective éclairée – loin des usages et des servitudes exploitantes – loin des échanges et de la primauté de l’homme…

Forme d’éden horizontal – qui, à la fois, nécessite quelques linéaments de verticalité et favorise tous les élans vers elle…

Fraternité non de principe mais d’actes où chaque geste mesure ses conséquences sur l’ensemble et limite des désavantages de chacun – sans hiérarchiser les visages…

Gage et résultante (en partie) de toutes les réconciliations…

 

 

Simples notes d’instincts et d’exil (sans la moindre volonté démonstrative)…

Témoignage élémentaire (éminemment basique) d’un homme – de l’homme peut-être – confronté au monde – à la solitude – à ce qu’il porte ; la joie – les malheurs – les limites – les excès – tiraillé par les contingences et la nécessité de l’Absolu – ne cherchant rien – sinon, peut-être, l’acquiescement et la réconciliation totale…

 

 

Une terre – un pas – une tentative. Des élans nourriciers sans (véritable) conséquence. Le besoin – et la tournure peut-être – d’un Autre – en soi – qui invite à la convergence – au resserrement – au recentrage sur l’essentiel et le plus terrestrement vivable

 

 

Fenêtre – infime lucarne – derrière laquelle le monde passe aussi vite que le temps. Interstice – intervalle peut-être – qui autorise le retrait et la contemplation…

Gestes de présence – éloignés des intentions humaines et de l’ostentation. Prières en acte peut-être autant que manière de vivre l’exil…

 

 

Jours de studieuse villégiature où le voyage et la solitude ne sont que prétextes à la rencontre avec ces parts – en nous – encore inconnues…

 

 

Défaits – l’histoire – le passé – le besoin de l’Autre – les tentatives de partage – l’illusion d’un compagnonnage – la croyance d’un salut commun possible – l’espérance d’échapper à la solitude ; les mille consolations de vivre, en somme…

 

 

Regard vide – sans regret ni remords – l’âme et la main ouvertes – simplement – à ce qui passe…

 

 

Communion au cœur de soi plutôt qu’avec un Autre qui n’est jamais venu – ou, s’il s’est présenté, n’a jamais osé demeurer nu en notre (exigeante) compagnie…

 

 

Des pas – des ponts. Les petits sentiers de la solitude où les seuls visages rencontrés ont du lichen qui pousse sur la poitrine et de tremblants feuillages sur la tête…

 

 

Eloigné – simplement – des jeux et des affaires humaines…

Bruits de chaînes de plus en plus lointains…

 

 

A jouir au cœur d’un cercle qui ne peut souffrir les déguisements et les manipulations. Brut – sans fard – où l’on ne pénètre qu’avec une âme nue et innocente – infiniment humble. Adoubé par nul autre que cet espace – en soi – qui jauge la justesse de l’ultime intention…

 

 

Ni délice, ni refuge, ni prière – le lieu des premiers pas où l’âme ne peut s’enorgueillir après tant de défaites nécessaires au passage – après sa capitulation totale – complète – sans résistance – unique issue au milieu des impasses…

 

 

Homme sans volonté – abandonné au destin – au bon vouloir de la providence – aux exigences (implacables) du monde et des Dieux…

 

 

Grotte et sérail d’un autre monde où la richesse – toute la richesse – se tient dans l’âme – dans l’être – et dans les gestes (justes et simples) que réclament les circonstances…

 

 

Tournant que ne pourront prendre tous les hommes. Ni signe d’élection, ni élite – pourtant – en ce processus éminemment démocratique – éminemment accessible – mais qui requiert quelques conditions préalables ; une transformation du regard et de la perspective d’être au monde – le passage de l’animalité à une forme de conscience élémentaire où une part (non négligeable) des masques et des croyances, de l’identification égotique, de la faim, des instincts d’appropriation et d’instrumentalisation des Autres doivent être abandonnés au profit d’une authenticité, d’un affranchissement des représentations (les plus grossières), d’un élargissement de la perception, d’une vision holistique du monde, d’une sobriété dans les usages et d’un respect naturel et profond pour toutes les formes de l’Existant…

 

 

Mesures d’inversion et de chamboulement pour atténuer, puis effacer toutes les références – toutes les possibilités de repère…

 

 

La voûte et le Graal – quelque part – partout – sous nos pas – au-dessus de nos têtes – au-dedans du regard…

Centre sans contour – épars – à l’unité fragmentée. Invisible – anonyme – insaisissable…

 

 

Faces, parures et gestes apprêtés – mimétiques – soucieux des artifices et des détails d’ornementation érigés en canons de l’époque – sans poids devant la beauté naturelle – éclatante – atemporelle – sans rivale…

 

 

Le plus vaste – en soi – règne sur l’infime – le provisoire – le dépecé…

 

 

Quelques miettes du monde dans la poche – et les voilà à s’enorgueillir de leurs richesses – et à parader comme s’ils étaient des Dieux…

 

 

Hors du temps – voilà la seule voie – celle qui ouvre une dimension où le monde n’est plus le monde – où nous sommes à la fois Dieu, la pierre, l’arbre, l’homme et l’insecte…

 

 

Nu-pieds – partout où la grâce, déguisée parfois en malheurs et en désespoir, nous convie…

 

 

Ni voyage, ni chemin. Un pas après l’autre – fragile – provisoire – incertain. Loin des foules et des querelles. Loin des éclairages et des histoires. Dieu, en nous, présent – comme le premier homme – le seul regard…

 

 

Frère de tout ce qui tremble – de tout ce qui est bafoué – de tout ce qui est malmené par la violence, le pouvoir et la cruauté…

 

 

A vivre là où le ciel est central – la pierre nécessaire – et le geste déterminant…

Là où l’on aimerait, parfois, que le silence soit définitif…

 

 

Petites figurines de glaise que les vents font tournoyer…

Poussière livrée à la poussière – avec, pourtant, au fond de l’âme, tout le ciel déjà et ce que la mort ne peut soustraire…

 

 

Chemin d’orage et d’habitude qui donne aux gestes cette lourdeur fébrile – et qui fait perdre à l’âme son innocence et sa fraîcheur…

 

 

Des lieux comme des visages qui enchantent ou rebutent – qui donnent envie de fuir ou de les connaître davantage…

 

 

A louvoyer entre les mirages – comme si le miracle était une fable – un mythe – une histoire racontée aux âmes naïves – aux âmes crédules – aux âmes sans esprit…

 

 

Arbres et nuages – roche et rosée – aux forces vitales complémentaires…

 

 

Stigmates d’un Autre qui n’a survécu…

 

 

Foulées droites sans le moindre écart de sagesse…

 

 

L’innocence comme assise – et la justesse comme loi…

 

 

Retraite au fond des forêts de l’âme – là où Dieu est le seul regard – la seule compagnie…

 

 

Sans posture – sans parure – magnifiquement authentique…

Imperturbable face à la puissance tragique du monde…

Quelque chose d’indéracinable face au pire – face à l’insoutenable…

 

 

Le funeste remis sur ses rails. Et la mort comme un chant – vouée à la radicalité du changement…

 

 

Sans tête – nulle pensée – les malheurs jetés aux oubliettes. La marche faste et la foulée précise – avalant les épreuves qui deviennent de simples dénivelés sur la pente choisie par les Dieux…

Etrange mélange de vents et de silence – emmagasiné dans tous les souffles du monde – et qui enfante les circonstances – les carrefours – les rencontres – et tous les déserts nécessaires à l’ultime traversée – linéaments de toutes les naissances à venir et de la poursuite du voyage dans l’autre perspective

 

 

Monstres ni cachés – ni fantastiques – qui apprennent à manger dans la main de leur maître – de leur créateur. Comme nous autres – créatures d’un ailleurs enfin retrouvé…

 

 

Dans la confidence des fleurs qui nous enseignent l’infini…

 

 

La joie au cœur même de la précarité pour apprendre à vivre le continuum et la discontinuité – l’éternité indéracinable de l’instant malgré la mort et l’apparente course du temps…

 

 

Laisser la vie et le monde déterminer ce que nous sommes*

Expérimenter notre vrai visage à chaque circonstance…

S’abandonner à ce qui surgit (sans chercher à le manipuler) – et acquiescer…

Seule manière, sans doute, d’être libre…

* Ce que chacun se résout d’ailleurs à faire – sciemment ou non – en étant, malgré lui, le jouet de ses aptitudes, des nécessités, des rencontres et des souffles qui le traversent…

 

 

Sourire – sourire encore – sourire toujours…

Ne se fier ni à la roche, ni aux visages, ni au monde qui s’effritent en des temps différents…

Être à l’exacte place où nos souliers se trouvent…

Demeurer en silence – et l’âme attentive – comme plongé(s) en nous-même(s) – et alerte(s) à toutes les vibrations – à tous les frémissements – de la surface. Au-dedans et alentour – comme le gage (le seul possible, sans doute) d’une vie présente…

 

10 juin 2019

Carnet n°189 Notes journalières

Abandonné ce que nous avions si ardemment agrippé – retenu – conservé ; le feu toujours vif mais le désir éteint

 

 

Ici, un temple. Ailleurs, une prière. Partout – le silence. Et un peu plus loin – et au-dedans de nous, des cris qui n’ont encore été convertis…

 

 

Ni vent, ni combat. La peur abattue. Et l’or silencieux qui veille au fond du sommeil…

 

 

Un chemin de répit après cette marche obstinée. Des ronces encore – mais qui ne griffent que l’ombre des jambes. Le désert devenu jardin sans que l’esprit ne soit intervenu…

 

 

Des silences dérobés au milieu de la foule lorsque les visages feignent d’être vivants…

 

 

Des herbes, des arbres – des pierres sur lesquelles s’endormir. Le soleil en tête et l’Amour dans les bras. L’alliance à la place du rêve. Le refus des étoiles. Au plus près du centre – là où tout se tient près de soi…

Le même jour qui – plus jamais – ne nous séparera…

 

 

Le dernier, peut-être, des survivants qui a offert son feu aux cendres – son souffle aux vents – et ses ailes déployées au ciel sans mémoire…

 

 

Marche dans les eaux noires – immobiles – comme si la mort avait tout recouvert…

 

 

Le désordre à l’horizon – et la paix dans l’âme que l’Amour a initiée…

 

 

Un chant pour célébrer la terre – découvrir un chemin où s’égarer – quelques visages à porter loin des étoiles – des destins à enfoncer, peut-être, dans l’abîme – pour se rapprocher du silence…

 

 

Un jour, peut-être, la vérité détrônera le sang…

 

 

Seul – dans la nuit – sans ami – sans blessure – vivant malgré cette épée figée dans le cœur…

 

 

Chemins d’errance où nous nous imaginions perdu. Simple détour avant que le jour ne dévore la nuit et ne pose – délicatement – notre visage sur ses rives – au cœur de cette terre étrange dont nous n’habitions que la périphérie…

 

*

 

Qui que l’on soit – où que l’on soit – quoi que l’on fasse – on est toujours (et implacablement) ramené à soi – et amené à composer (avec ou sans exigence) avec les Autres…

Plongé, à chaque instant, dans la solitude commune et les modus vivendi – hors et au sein de toutes les collectivités…

Existence sans autre issue que le retournement de l’âme vers ce qu’elle porte – ce centre de soi et du monde – cet espace de respiration et de clarté – pour vivre avec plus d’ampleur, de liberté et de distance l’unité de l’être et les inévitables compromissions avec le monde relatif…

 

*

 

Et c’est là qui vient sans avoir été invité – un peu de joie – un peu de tristesse – trois fois rien – mais qui vous chavire l’âme jusqu’à tout renverser…

 

 

Tout creuse jusqu’à nous faire glisser au fond du trou…

 

 

Seul sur cette barque immobile – au milieu d’un fleuve sans eau – à regarder le jour – la nuit – l’implacable alternance – sans rien espérer ; ni la pluie, ni le vent – sans même, au fond du cœur, le moindre désir d’océan…

 

 

Vie sans rive – destin de tous les recommencements. Comme du sel incessamment jeté sur la plaie…

Nuit et blessure sans même un arbre – une lampe – un livre – pour se consoler de vivre – envelopper sa solitude – rassurer son âme dévorée par le manque – apaiser le sang qui tourne en rond dans nos veines…

Absent déjà – comme une bête morte et dépecée…

 

 

Oiseau du mensonge qui nous promet l’envol…

Sans aile, la volonté mimétique torture – et pousse, parfois, à se jeter du haut des falaises…

 

 

A force d’usures, nous vieillissons. Mais rien ne change ; ni la vie, ni l’âme, ni la mort…

Qu’un peu de misère ponctuée par quelques rires – pour oublier – se distraire – ou se souvenir, peut-être, avec plus de force et d’acuité, du dérisoire de nos rêves, de nos ardeurs, de nos exigences…

 

 

Vains – comme le sable, les tours et nos pas trébuchants. L’ombre et le soleil sur les ailes du rêve. La lumière et l’abîme sur le même versant. Et ce froid parmi les visages. Poussière au milieu des étoiles. Chemin de fuite sur ces lignes courbes – et divergentes presque toujours…

Déclin de toute aventure. Désastre où se mêlent l’orgueil et le renoncement…

Mûrir, peut-être, à force de chuter – mais, à la mort, ne régnera que l’absence ; l’âme et les mots ne seront plus là pour témoigner…

A vivre encore comme si l’allant pouvait nous affranchir de l’écume…

 

 

Si peu – trop peu – de silence pour que les hommes puissent échapper au sommeil. Si peu – trop peu – d’âmes aimantes. Si peu – trop peu – d’âmes à aimer. Si peu – et déjà trop – d’espérance pour le monde…

 

 

Côte à côte – sans rien dire. Pas même le silence à partager…

 

 

Debout – excentrique jusque dans ses vaines paroles…

Inutile – de bout en bout…

Sable – poussière – étoiles – noirs…

Lignes hâtives – de plus en plus denses – qui, peu à peu, glissent vers le silence…

 

 

Rives – tristesse – mirage – rien ne dure. Tout est englouti par la nuit – par nos ventres – par la domination de la faim et de la cécité…

 

 

Des signes – comme un soc éraflant les pierres – dessinant les blessures de l’homme – les blessures de la terre – le sol incurable où nous vivons…

 

 

Terré dans une aube plus grise que le crépuscule. Seul dans cette chambre froide alors que les Autres jouissent du monde – et font résonner leur chant au-delà des promontoires – jusqu’aux horizons convenus des hommes…

Ailes aussi tristes que les pas d’autrefois qui arpentaient la terre sans insouciance – sans légèreté…

A vivre sans rien distinguer – englué dans l’effrayante hiérarchie des horizontalités…

 

 

Feu qui nous hante autant que le monde et le jour…

Âme froide que les vents bousculent – et que la proximité des haleines terrifie…

Entre les pierres et les feuillages – sur ces eaux anciennes dont nul ne sait où elles mènent…

 

 

L’ivresse d’un autre jour où nous serons encore plus saouls qu’aujourd’hui…

 

 

Fosse où tout se dilate – le temps – les cris – la chute interminable. Tout s’étire sans interruption jusqu’à la mort – faille dans le devenir – parenthèse ouvrant, peut-être, sur l’impossible…

 

 

Un silence qui n’est, peut-être, que ténèbres et néant – vaine extension de l’espérance…

Solitude de tous les déserts. L’absence patente – l’attente patiente – de la lumière et des visages…

 

 

Joueur qui blâme. Joueur qui méprise et violente – tous les jeux – tous les jouets – tous les visages qui refusent de nourrir son amour – l’éclat de son propre reflet. Trop fortement marqué par l’épaisseur du monde pour entrevoir la possibilité du jour – de la lumière – de la transparence…

 

 

Bouche étrange – amère et enfantine – qui, à la fois, crache sur les armes et exulte sur les pires versants de l’ombre – jetant ses paroles couleur d’aube et flagellant, entre ses murailles, tous les détracteurs du silence. Partagée entre l’innocence et ces restes – trop épais – de jours gris…

 

 

Visage d’arbre – tronc blessé – incapable d’accueillir l’oiseau volage – l’écume des forêts – la terre des chemins. Cœur végétal sur le point de se fossiliser – de devenir pierre – marbre grossier peut-être – sur lequel couleront toutes les larmes…

 

 

Dans une eau où l’angoisse est insoluble. Couleur de pierre et de nuit – seule mémoire, peut-être, en dépit des nobles aspirations et des quelques pas réalisés hors du chagrin – dans l’effleurement de l’autre rive…

 

 

A rougir son âme jusqu’à la mutilation dans la proximité de ce feu invraisemblable – de ce feu d’un autre monde – littéralement…

 

 

De longs couloirs sombres – austères – un peu tristes peut-être – avec quelques interstices qui ressemblent à des jardins – à des prairies ensoleillées – sur lesquels coulent la joie et la lumière…

 

 

Veilleur de plein jour, de portes qui s’ouvrent et de proximité consentie…

 

 

Chants de l’ombre – paroles de la terre. Etrange passant des rives comptant ses pas jusqu’à la dérive. De larmes en amertume sans jamais accéder ni au vide, ni à l’extinction du temps…

 

 

Entre l’absence et un semblant d’existence – silhouette furtive qui se faufile entre les visages – entre les vivants…

 

 

A l’affût de la beauté – souvenir, peut-être, de la première traversée – celle où la joie était indissociable du temps – celle où les larmes mesuraient la hauteur des âmes – celle où la boue était de l’or – celle que les hommes ont oubliée depuis (trop) longtemps…

 

 

Comme un fleuve en crue – la grandeur à l’épreuve. Le débordement comme une arme déposée sur la pierre. Le sens où tout est dévoilé ; la nuit, le monde, le manque, le froid. Et l’espérance de ce qui tremble à l’idée de la mort…

 

 

Paroles grises – comme un peu de fumée échappée du silence…

Et ce qui coule – le même reflet – la même imperfection – mais honorés, à présent, comme un miracle…

 

 

La tête sous la lampe à brûler ces restes de nuit – comme s’il nous était impossible de vivre sans le jour – sans l’Amour – sans l’espérance d’une plus juste providence…

 

 

Fébrilité stoppée net par la mort – et l’aube précipitée dans le vide – dans le trou – avec la course du temps…

 

 

Seul dans cette chambre à attendre la joie et la mort – ce que l’inéluctable offrira ; le plus simple – la part manquante – ce qui jouxte l’anxiété – les plus lointains rivages – les bords de l’âme – ou l’achèvement, peut-être, des murs de notre détention…

Brûlant sans impatience – et, peut-être, en vain…

Geste d’effroi – de résistance – de salut…

Reflet d’une âme entre pierres et ciel – sous l’emprise de la crainte – à mi-chemin entre la terre et le royaume…

 

 

L’infime penché sur la cendre – fouillant de ses mains la braise rougeoyante pour apprivoiser le feu et la douleur. Sang retenu dans la poitrine pour empêcher le cri. Dents serrées – front fiévreux. Et, sortant de l’épreuve, l’âme pas le moins du monde purifiée…

 

 

Têtes étrangères passant et repassant derrière la vitre qui sépare deux déserts – celui qui s’habite et celui où l’on ne fait que naître, vivre et mourir…

 

 

Des yeux implorants tournés patiemment vers cette nuit qui n’est que silence. Attendant je ne sais quoi ; un signe peut-être – la preuve que l’espérance est encore possible…

 

 

Le feu plus grand que notre désert…

 

 

Une tête simple – vide – recommencée chaque matin – faite pour l’errance et la lumière – la solitude et l’exploration des petits chemins de l’âme…

 

 

Lieu de non mémoire dont les gardiens se sont fait la belle – jouant, à présent, avec le provisoire des circonstances…

Sans autre attache – fragile – que l’âme effleurant le ciel…

 

 

Quelques mots – un peu d’encre – jetés aux vivants et aux naufragés des rives – errant entre les pierres et les tristes arcanes du monde…

 

 

Dénudé jusqu’à l’obsession. Plus même un os à se mettre sous la dent…

Invisible face aux vivants. Insensible à la cruauté…

Âme évaporée devant tant de supplices et de beauté…

Autrefois si épais – avec cette allure lourde comme les pierres – dense comme la nuit. Et à chanter, à présent, comme l’oiseau à chaque matin triste…

 

 

Où allons-nous ainsi – vers quel lieu nous hâtons-nous encore – nous qui ne savons demeurer avec le plus simple – l’immobile – l’inchangé…

 

 

Une voix perdue dans les feuillages – jetant au ciel ses silences – et aux hommes toutes leurs illusions…

 

 

Mots plus réels que la croyance en l’amour perdu. Du haut de notre douleur – mille rivages – mille visages – nouveaux. La terre éclairée par nos gestes et nos lampes si anciennes. Et mille sentiers pour fuir le monde – tous les lieux où l’écume est (encore) trop abondante…

 

 

Gestes trop loin du cœur pour être honnêtes – et recevables. Indignes – inaptes à creuser l’âme – incapables de soulever les voiles qui obscurcissent la vérité (toujours possible)…

 

 

A demi-mot – presque en silence – la matière immergée dans la blessure – et les yeux au ciel à quémander la guérison…

 

 

Vivre ici – ailleurs – là où les arbres nous inspirent et nous protègent – là où les bêtes nous offrent leur courage – là où les pierres sont trop grises – ou trop dures – pour être foulées par les hommes – là où le jour et la nuit s’équilibrent dans l’âme – là où Dieu voudra – là où nous porteront les vents…

 

 

Titubant sur le parvis de l’espérance – mains tendues vers un peu de ciel – front incliné dans la poussière. Balbutiements de verticalité à l’épreuve du monde et de la matière…

 

 

Des cris et des oreilles fermées – ailleurs peut-être. Un monde de voix et de silence – où la seule pensée de l’Autre nous plonge, pourtant, dans l’espérance…

 

 

A genoux contre la vitre – les lèvres écrasées contre l’horizon – dans cette vaine attente d’une autre tête – plus belle et compréhensive que les précédentes…

Et ce cercle imaginaire tracé par l’âme indécise délimitant les frontières entre l’entre-soi et l’entre-nous…

Ensemble – dans la même solitude – vécue de mille manières…

 

 

Une voix s’élève – un nuage passe – un doigt pointe vers quelque chose – n’importe quoi ; une fleur – un visage – un horizon. Et toutes les têtes se tournent – et toutes les têtes se précipitent – vers cette nouveauté passagère. Puis reviennent le silence et l’ennui – les bras croisés – les regards à moitié vivants – et les nuages qui passent encore – et qui passeront toujours comme nos vies défaites et le souvenir funeste de nos passions – de toutes nos amours mortes…

Yeux perdus sur le cours immuable des choses…

 

 

Rien que des tombes et des noms oubliés. Ainsi sera bientôt la terre…

Avec nos œuvres – toutes nos œuvres – s’effritant pour rejoindre la poussière…

Aucun labeur pour la postérité (si étroite) des hommes – mais pour la simple beauté du geste – pour échapper à la folie de ceux qui attendent trop consciemment la mort – parce que cela seul nous est offert ; vivre sans savoir – vivre entre deux bornes mystérieuses que la plupart des hommes s’acharnent à oublier pour échapper à la mélancolie et au néant…

 

 

Place vide – et qui le restera – malgré les cris, l’effroi et l’air brassé…

 

 

Rien qu’un instant qui efface tous les autres…

Intervalle ni triste, ni joyeux – pas même salutaire…

Entre mirage et miracle – comme un clin d’œil (espiègle) des Dieux…

 

 

Ce qui se tisse loin des regards – entre soi et soi – ce qu’aucun visage ne peut offrir – ce qu’aucun livre ne peut décrire. L’ineffable rencontre…

 

 

Ne croire ni en la magie du monde – ni en la sagesse des hommes – ni même aux prophéties des sages. Chevaucher les rives et l’abîme pour accéder au silence du regard et à la justesse du geste – et non courir en vain après l’esprit chargé toujours de trop de rêves et d’idées…

 

 

Un pas incertain sur le pavé scintillant…

A l’angle où l’on se tient – là où le monde ne peut nous voir – là où le dehors entre dans le dedans et où le dedans déborde sur le dehors – là où il n’y a plus ni homme, ni Dieu – là où les murs s’effacent sous l’acharnement patient de la lumière…

A l’exacte place où nous sommes…

 

 

Ce qui court pour échapper – non sans mal – au monde alors qu’un pas de côté – en soi – en retrait – suffirait…

 

 

Et cette folie dans la voix pour rendre la vie plus intense – plus vivable que les mornes gestes qu’elle réclame…

 

 

Percer les murs – ou les abattre peut-être – et construire dans la faille ouverte – à travers la meurtrière creusée – ou sur leurs décombres – une terrasse de lumière pour éclairer et réchauffer les visages fâcheux – trop suspicieux pour vivre du côté du soleil

 

 

Piège de l’homme assoupi dans son fauteuil – la tête ailleurs – absente – comme ce corps épais et immobile à force de rêves – propices seulement au sommeil de l’âme…

 

 

Tout nous écarte de l’innocence. Et c’est elle, pourtant, qui nous appelle à travers toutes les choses du monde

Tapis mensongers qui dissimulent le vide…

 

 

Course jusqu’à l’horizon – seul signe d’espérance pour échapper aux gouffres qui nous entourent. Ombres projetées sur le mur blanc où les lignes dessinent la folle épopée du temps. Une tache – un trou – pour la mort qui creuse plus avant pour apparaître à tous les âges qui sonnent la fin de l’insouciance…

Martèlement qui marque obstinément les visages – et qui, peu à peu, les enlaidit – et qui, peu à peu, leur ôte leur souffle et leur éclat…

Fuites et sommeil dans l’ordre des choses…

Loi et ordonnancement du monde inscrits en lettres de sang au revers des destins…

 

 

Les mains et la poitrine toujours tremblantes à l’idée de la rencontre. L’âme toujours prête à s’offrir tant est intense et profond son désir d’intimité…

Rien de plus haut – ni de plus beau – pour elle – en ce monde…

 

 

Quelque chose d’inquiet dans le regard – comme un vent noir qui aurait entamé la confiance – et ouvert la porte aux plus sombres conjectures…

 

 

Oreilles sourdes à tous les cris – à tous les murmures – à ceux du vent – à ceux du monde – à ceux de l’âme et du silence – ce qui rend, bien sûr, impossible toute rencontre…

 

 

Des plis noirs – le bout d’un chemin – la tête effrayée – l’âme qui se perd – la marche à feu éteint. Le seul lieu, pourtant, où se cacher…

 

 

Des bras – des cris – des ventres affamés. Le prolongement d’un songe – d’une convoitise – d’un élan – qui exaltent l’ardeur de la course et l’espérance d’une satiété…

 

 

Le cercle des abstractions où chacun pioche selon ses envies – selon ses possibilités – et que l’on accroche comme des lampes pour guider les pas…

Nuit de pierres et de chahut où l’on trébuche – et où l’on s’affale – plus souvent que l’on ne trouve une issue…

 

 

Profil bas comme un oiseau sans aile – comme un souvenir étrange tiré par le hasard d’un fil. Comme un geste brusque – un revers de la main devant l’écorchure des destins – comme une fuite – une punition supplémentaire – presque une malédiction dont on aurait hérité…

 

 

Des drames – de la nuit – un espace. Et des âmes plus épaisses que la possibilité de la lumière…

De la pluie – des avalanches – et la force des vents contraires qui assignent à l’immobilité…

Et plus loin – un rire – du silence – un peu de couleur. Les mystérieux atours de l’éternité…

 

 

L’œil étranger – presque indifférent – au pire. En retrait – comme plongé au fond de l’hiver – alors que la tempête gronde sur le monde – que la terre est un feu – et que les vivants, partout, sont acculés à la désespérance…

 

 

A la source de l’or – couleur de la joie qui embrouille l’âme trop coutumière des anciennes palettes – encore étonnée, peut-être, d’avoir abandonné la grisaille des jours, la plèbe sombre des cités et les contrées saumâtres de la mélancolie…

Air vif – à présent – sur ces eaux neuves et lumineuses où le sens n’a nul besoin de mots pour éclater comme une évidence…

Comme si l’absence de rêves ravivait le désir et l’éclat du monde. Comme si notre poitrine oppressée pouvait enfin trouver un peu d’air. Comme si la détention prenait, soudain, des allures d’existence vivable…

 

 

Tout un monde – en nous – grandiose et ignoré – avec ses peuples et ses civilisations – avec ses tours et ses ruines – avec ses dictateurs et ses lois. Avec ses déserts et ses assassins. Avec ses cendres et ses secrets. Avec ses poètes et ses silences…

 

 

Dans la fente où Dieu nous a poussés – et que les vents ont transformée en enfer…

 

 

D’horizon exigu en tentative – le tête si proche de la mort que le voyage, à présent, nous semble pire qu’absurde…

 

 

Soif d’un autre espoir – moins triste que cette dilapidation…

 

 

De la pluie entre ces lignes si sombres – et si tristes – déjà. Comme si nous étions né(s) de l’autre côté du soleil…

 

 

Des pentes – des larmes – et quelques murmures que personne n’entend. Dieu et les hommes occupés ailleurs – à des affaires, sans doute, bien plus sérieuses…

 

 

L’incertitude libératrice des angoisses d’un monde trop pétri de certitudes…

 

 

Etonnement devant la parole qui avoue sa soif et son ignorance dans un monde où la nuit est égale au jour – où la poésie est égale au sang – pourvu que le ventre soit rassasié – et que la crainte soit apaisée par l’érection de hautes clôtures…

De la chair et des remparts suffisent à rendre identiques tous les jeux auxquels on s’adonne après s’être livré aux exigences du monde, aux contingences quotidiennes et au repos nécessaire…

Indifférence à l’égard du temps oisif pour les âmes assujetties aux asservissements de leur époque…

 

 

Seul et sensible – au cœur de l’humanité peut-être…

A cet endroit où la vie frappe plus fort – de manière plus nette – et avec plus d’insistance – certaine, peut-être, de notre réceptivité et de notre accueil…

 

 

Rien qu’un pauvre sourire en tête – mais inoubliable – et qui brille davantage que le soleil – davantage que toutes les étoiles réunies en image mythique. Aperçu un jour (il y a longtemps) entre deux pas tristes – adressé à personne – décoché, sans doute, sans raison – pour lui-même – et qui est toujours là pour réchauffer notre âme lorsque nous traversons, avec trop de désespérance, le désert du monde…

 

 

Des pierres – des arbres – des bêtes – un peu de ciel et de silence. Quelques pas au dehors – quelques pas en soi. Un jour ordinaire où nous n’avons souri à personne…

 

 

Nous avons tout perdu – et ce qui reste ne ressemble ni à une défaite, ni à une victoire. Ce qui reste a la délicatesse de l’âme et le mystère que nous prêtons habituellement à Dieu…

 

 

Rien qu’un gouffre qui a tout englouti – où tout s’est perdu – et qui réclame qu’on le nourrisse encore. Mais nous n’avons plus que l’innocence à offrir – et c’est à l’Amour qu’elle se donne – jamais au monde – jamais à l’esprit – jamais ni au rêve, ni au sommeil – qui sont les bouches les plus voraces de l’abîme…

 

 

Il n’y a pas assez de solitude en ce monde pour aimer les autres visages. Ni assez de tristesse pour transformer l’indifférence et le mépris…

Nous ne manquons pas assez pour prétendre à la joie…

 

 

Seule la distance semble rapprocher les âmes – le monde – tout ce qui nous manque – tout ce qui nous étouffe – tout ce qui nous sépare – dans la promiscuité…

 

 

Quelques traces du dedans sur le visage. Mais comment pourraient-elles lutter, à armes égales, avec le monde, l’indifférence et la tristesse…

 

 

On ne peut s’aimer qu’entre compagnons d’infortune. Les trop gais, eux, ne cherchent que des connivences. Quant aux plus malchanceux, ils ne jurent que par les alliances…

 

 

Rien à partager sinon cette solitude, cette tristesse et ce bout de pain. Et un sourire – un peu de tendresse – et quelques mots aussi – que l’on oubliera très vite…

 

 

Nous avons revêtu les plus beaux atours du dénuement – sans cri – sans faste – sans clameur – sans le moindre applaudissement. La tête et les mains dignes et défaites. L’âme sans parure – dans sa plus simple tenue ; un cœur pour aimer et remercier en silence…

 

10 juin 2019

Carnet n°188 Dans le même creuset

Regard* / 2019 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Rien – captif(s), peut-être, d’un voyage et d’un peuple auquel nul n’appartient – auquel nul ne peut appartenir. Tributaire(s) d’une alliance trop exigeante – nous obligeant à l’errance parmi les visages – ballotté(s) sur les méandres d’un fleuve trop puissant – sans rive – sans île – et apparemment inévitable…

 

 

Pays de masques et de prestige – prétentieux – obsolète – par temps d’innocence – éclairé d’une lumière trop artificielle – trop mensongère. Tours et cités construites avec la sueur des indigents – avec le sang des anonymes – édifiées grâce aux trafics en tous genres – peu embarrassés par la tête des autres…

 

 

Lumière creusée à mains nues – hors du troupeau des hommes. Sueur sous la lampe qui a guidé les pas. De seuil fatidique en seuil fatidique…

 

 

Entre deux failles – celle du temps et celle de la blessure – un fil tendu – fractionné en mesures précises – accroché à l’origine – et revenant vers elle après maints détours…

 

 

Rien que des querelles – et la complicité de toutes les mains – de tous les ventres. Pugilats de la faim, de la terre et de l’orgueil. Tête et contrées arrachées en même temps que les entrailles de l’Autre…

 

 

Errance du passant loin de la foule – égaré là où il ne s’y attendait pas…

 

 

A travers la vitre – le visage de l’Autre – seul miroir de nous-même(s)…

 

 

Rien que des cris dans l’herbe rouge – ceux de la barbarie et de la terreur. Et nous autres – alternant entre la main innocente et la main guerrière…

 

 

Pierre scellée au passage des vents. En équilibre sur la mort triomphante…

 

 

Ce qui circule entre les visages – ce regard que nul ne soupçonne – et qui éclaire, pourtant, tous nos secrets – tous nos mystères. Comme un soleil anonyme – un soleil immense – un soleil démesuré…

 

 

Ce qui creuse au détriment de la prière – du geste désintéressé. Ce que l’on trouve – et qui, jamais, n’apaise la faim – au détriment de la paix…

Le triomphe du manque et du désir sur la joie et la quiétude de l’âme…

 

 

Autour du même trou – tunnel vertical – entre les pierres et la lampe – sur cette terre sans secret…

 

 

La réjouissante jubilation du retour – pour clore, peut-être, la longue série d’errances – la longue succession d’impasses…

 

 

A courir partout où la joie est absente – comme si elle pouvait se trouver devant soi – en des lieux déterminés...

Marche obstinée qui exalte la fièvre des pas et la désespérance, si nécessaire, pour que l’âme puisse plonger dans la faille creusée par la déception de chaque foulée…

Voyage des périphéries vers le centre…

 

 

A petits pas – à l’ombre du monde – de chemin en rature sur la longue liste des désirs. De visage en rupture – d’impasse en déchirement. Mille lieux à parcourir – mille lieux visités – et la lumière jamais entrevue – jamais rencontrée. Toujours plus loin – et, parfois, à deux doigts de l’effleurer…

D’horizon gris en ciel médiocrement dégagé. Et le vent qui nous pousse encore au voyage…

 

 

Mains exultantes et corps extatique au rythme des tambours silencieux – aux bruits feutrés – intérieurs – lorsque la tête s’absente…

 

 

Endormie – cette vieille carcasse harassée – malmenée par la route – et qui tremble encore à l’idée de la joie – et qui tremble encore à l’idée de la mort – et qui continue de se traîner à travers les âges pour essayer d’épuiser l’espérance et la faim…

 

 

Gestes lents et jubilatoires du quotidien – au faîte du jour innocent. L’âme rayonnante qui a effacé les noms et les visages. Le monde enfin devenu royaume. Et les instincts portés par le feu de la première aurore. Célébrant, partout, le ciel et les choses…

 

 

Une chute silencieuse – anonyme – sans écho. Comme celle d’une feuille à l’automne…

 

 

L’âme acculée à la brume – et qui doit sauter aveuglément dans l’abîme…

Ni rive, ni falaise. Ni bord, ni fond…

Qu’un peu d’air tourbillonnant dans le vide…

 

 

Veilleur sur la roche noire – mains couvertes de lichen – au bord d’un silence qui tarde à venir…

 

 

La confusion de vivre parmi tant de pistes et d’étoiles. Ensablé dans la lutte et la survie. Souillé de sang et de nuit. Mille gestes entravés – contraints d’engendrer l’horreur et les cris. Et l’âme fourbue – incapable de se redresser pour résister à l’abjection…

 

 

La certitude de vivre le pire de l’horizontalité. Les voies souterraines du monde. Le versant commun de l’homme…

A demi enseveli par les chimères et le froid…

 

 

Profondeurs d’un Autre qui nous laisse – tout piteux – à la surface. Monde, choses et visages vus depuis le sable – sans mains pour offrir – sans âme pour aimer. L’Amour mort. Temps misérable – tragique – insupportable…

 

 

Entre l’insecte et la joie – ce combat à mains nues – perdu d’avance…

 

 

Et ces feuilles ineptes qui s’accumulent sous la lampe…

 

 

Intérieur lacéré par le manque et l’ineptie…

Caresses aux allures de lame acérée…

Piège et dépotoir – vague tumulus plutôt que porte blanche…

 

 

Musique horripilante de la main crispée sur son feutre. Inapte à contempler le silence – la nuit – le soir couchant – la terre endormie – le tapage des âmes qui se querellent et se multiplient…

Mots vides d’élan et de sens – bons qu’à noircir la page…

 

 

Et tant de voix – en nous – qui résonnent…

 

 

Partout – l’innocence à l’œuvre – y compris (bien sûr) derrière l’inconscience des gestes et des actes. Pantins orchestrés d’un ailleurs au-dedans – animés par mille forces obscures – invisibles – elles-mêmes impulsées par les souffles (toujours aussi mystérieux) du silence…

 

 

Profil bas là où les Autres se réjouissent – et exultent même parfois – comme si l’on pouvait se satisfaire de la fortune (toujours provisoire) et des circonstances (passagères par nature)…

Tout est si éphémère – si changeant – autant que semblent aléatoires les déconvenues et les agréments…

L’émotion vive – l’émotion vraie – s’expérimente, presque toujours, en silence – et, le plus souvent, dans la solitude. Tout témoin corrompt ce qui nous traverse – invitant tantôt à l’exagération, tantôt à l’inhibition. Qu’importe les yeux, ce qui s’expérimente intérieurement est aussitôt perverti…

L’authenticité et l’intensité du seul à seul…

 

 

Tête froide – âme fébrile – mains rudes et cœur sensible. Comme un automate étrangement agencé – constitué de bric et de broc. Être-monde – peuplé de multitude – qui porte, en lui, tout ce qui a existé depuis l’origine…

 

 

Acharnement du geste pour exprimer la liberté (totale) de l’âme – de l’être-monde…

Et sourire sur cette obstination…

 

 

On s’éreinte là où il n’y a que vents et poussière. On s’applique là où il n’y a que spontanéité et chaos. On tente de vivre là où n’existent que l’âme et la mort…

Ni Dieu, ni prière – le silence simplement…

Simagrées là où il ne devrait y avoir qu’acquiescement – justesse et vérité de l’acquiescement…

 

 

Tout diverge sous nos voûtes – sur nos pentes. Les vitrines et les piliers se disloquent. Les liens ne tiennent plus qu’à un fil. Tout menace de se rompre…

Et les vents de la mort balaieront – bientôt – toutes nos poussières…

 

 

Pas funestes – marche funèbre. Des fosses et des ravins. Des guirlandes de grimaces et de lumières – insignifiantes. Des forêts et des chemins de hasard. Partout – des étrangers – des visages pathétiques et inhospitaliers. Et la tête mille fois plongée dans l’eau froide…

 

 

Au ras du soleil – à la verticale de la mort. Quelque part sur la terre que les hommes ont trop foulée…

 

 

De miroirs en chandelles pauvrement allumées – médiocrement scintillantes dans la nuit – à peine éclairantes. A chercher à tâtons l’or sous la suie des visages – et ne découvrir que la rage et le froid – la triviale condition de l’homme – la ruse au service des instincts – l’ignorance brute de la pierre. Quelque chose d’inhumain…

 

 

Toute l’épaisseur du monde qu’une âme seule ne saurait percer…

 

 

Tête hors des sentiers battus – hors même des marges. Flèche vers le silence et sourire énigmatique. Liasses de gestes incarnés. Comme une manière atypique, sans doute, d’être au monde…

 

 

Rien que le silence et la lumière…

Et cette joie qui traverse le visage – comme si nous n’étions plus qu’une âme jubilante…

 

 

Point d’appui et de passage – ces chemins qui rebutent – ces lieux où ne règnent que la faim et le froid – le manque paroxystique – le silence et la solitude. Âpres terres – encerclées par le noir et la mort – par ce qui n’appartient qu’à la nuit… Qui oserait s’y aventurer…

 

 

L’austérité joyeuse de l’âme solitaire – tendre – sensible – un rien mélancolique – qui a jeté toutes ses parures – toutes ses ruses – toutes ses chimères – et qui marche, humble et digne, sans se préoccuper ni du monde, ni des visages, ni des histoires, ni du commerce, ni des affaires de séduction. Sûre de sa foulée silencieuse qui la plonge – intensément – au cœur de l’instant et de l’éternité…

 

 

Parole – infime lueur – brève étincelle – ensevelie sous la bêtise – confrontée à l’impossibilité de l’écho et au règne de l’ignorance qui révèle, sous des airs de raison, le pire de l’intelligence…

 

 

Sous le sable des apparences, l’or du monde et des visages. Derrière l’anxiété et la ruse, l’Amour déguisé qui se cache – et se contracte. Et nous voilà pris par l’effroyable jeu des masques sans voir ni le rire, ni le silence dissimulés derrière toutes les turpitudes…

 

 

A la verticale du sable – la lumière – unique témoin du passage vers l’océan…

 

 

Têtes perdues – têtes baissées – jetées dans la matière – et dans la mêlée – pour gagner le haut du panier – sans jamais s’interroger sur le lieu où est posé ledit panier (ni à quelle hauteur il se trouve)… Aux étages inférieurs des enfers – à en juger par la nature des comportements – au faîte des sous-sols, peut-être – recouvert de mille couches de terre impénétrables – opaques – hermétiques à toute lumière – dont nul ne peut s’échapper – excepté, peut-être, les fronts humbles et quelques âmes en prière qui se sont écartés des ruses et des pugilats…

 

 

Paroles jetées en l’air sans même une main pour les rattraper… Et je les vois – pauvresses – retomber lourdement sur le sol – et rouler dans la poussière qui finira par les recouvrir – et, un jour, par les enterrer…

Ne reste plus que l’espérance un peu folle – imprécise – insensée – qu’elles soient, un jour, découvertes par quelques mains fouineuses – curieuses – affamées – dans cent ans ou mille siècles peut-être… Alors elles pourront offrir ce qu’elles portent avec tant de rigueur et d’âpreté – ce silence et cet Amour venus d’avant le monde et le temps…

 

 

Chemin vertical qui emprunte tant d’impasses et de sous-sols – voie souterraine – elliptique – étrange – mystérieuse – où tout s’allège à force d’enlèvements et de soustractions…

 

 

Rocher dépassant, à peine, les sables du monde. Signe des temps – de cette époque maudite qui ne célèbre que la bassesse et la sournoiserie…

 

 

Dieu en chemin jetant vers nous ses bras immenses – invisibles. Et nous autres, pauvres hommes, immobiles – inattentifs – regardant ailleurs – attendant je ne sais quoi…

 

 

Mourir d’ivresse et d’amertume – manière de résister à la capitulation – manière d’oublier ce que fut l’enfer où nous avons vécu…

Bêtes à la faim immense que la chair – jamais – ne pourra contenter…

 

 

Le sourire – la joie simple – la main tendue. Ce que l’âme peut offrir. Et ce que la mort nous reprend…

Vie suppliante – à genoux – face éplorée contre le sol – bouche dans la poussière malgré tous les rêves de lumière…

Sombre destin au fond des abîmes terrestres – gouffres où nul ne peut survivre au manque et à la douleur – où rien n’arrive – malgré les élans et l’espérance…

 

 

Ce que fut notre vie – et l’oubli…

Ce que fut notre joie – et la mort…

Ce que furent nos danses – nos gestes – nos éclats. Et le dernier mot – toujours – qui revient au silence…

 

 

Le peu d’espace entre les hommes. Et tant d’ombre sur les visages…

 

 

Des murs – des oublis – un labyrinthe. Et mille substances sur les pierres…

Errance sans issue – impasse sans réconciliation possible…

Sang, sueur, sperme et larmes. Rien qu’une chair se nourrissant de chair et engendrant la chair – occupée à son besoin acharné de perpétuation – à sa volonté de retarder la putréfaction – à son désir d’échapper au néant…

 

 

A vivre comme si nous n’allions jamais mourir…

Obscurément vivant…

 

 

A jouer – et à tout perdre – jusqu’à l’idée de soi…

 

 

Ouvrir les bras là où les gestes sont vains – là où la parole ne suffit pas – là où l’Amour est le seul remède…

 

 

On n’invente rien – on creuse sa route jusqu’aux lisières de la mort…

 

 

Face collée aux arbres des forêts – humant l’odeur de mousse et de ciel – goûtant immodérément la verticale patience…

 

 

Et ces traces laissées pour les pas à venir…

 

 

Vie furtive – à la lisière de l’abandon – au milieu de l’automne (déjà) – mille fois ensevelie sous la neige – le cœur mille fois arraché par l’impossibilité de l’amour – mille fois à genoux – mille fois redressée – si proche, à présent, du seuil de l’autre rive…

 

 

Ni œuvre, ni prière, ni miracle. L’absence érodée à petits pas. La voix résonnante et l’écho stérile de la terre. Dans cette grotte – reflet de notre néant. A aimer, à travers les larmes, tant de beautés ignorées…

Pays de songe et d’orage. Mains et visage obscurs – sans autre liberté que celle du voyage…

 

 

Flamme précieuse – pour l’errance qui sera interminable…

 

 

A porter nos têtes comme si elles contenaient le monde…

 

 

Crêtes nocturnes où tout déraille – et confine à la chute…

 

 

L’oiseau vivant par-dessus l’épaule – entre sol et cimes – entre pierres et sommets – accroché aux branches de la nuit – rêvant d’horizon et de lumière – flirtant, parfois, avec la perspective des Dieux – s’imaginant seul et commun – n’étant lui-même qu’un Autre – avec des larmes plus épaisses que le sang…

 

 

Vivre toutes les expériences de l’homme. Eprouver toutes les dimensions de l’existence humaine – honnêtement – intensément – profondément – jusqu’à découvrir la texture de l’âme – la trame du monde – l’ossature du vide…

 

 

Le monde en soi – est-ce (de) la lumière…

En sa présence – comment le sang et les larmes pourraient-ils couler encore…

 

 

Cet étrange mariage avec les vents qui vous ébouriffent l’âme et la chair – qui lavent la bouche de tout verbe pompeux – qui persévèrent là où nous avons échoué – qui arrachent tout ce qui doit être ôté – qui recouvrent la nudité d’un voile de pudeur – en exaltant, partout, la rencontre et l’intimité…

Divin(s) peut-être…

 

 

Yeux hagards – en nous – retirés – qui ont trop interrogé le monde – qui ont trop désiré le comprendre et le rencontrer – et qui n’ont découvert que des figures et des mœurs légères et barbares…

Le feu de l’âme dressé contre le visage – presque soleil à présent…

 

 

Paroles résistant à l’absence. Gestes solitaires contre l’incurie du monde. Souffle et cri face au désert qui avance – face aux alliances délétères – face aux danses extravagantes – ces jeux auxquels nous n’avons jamais consenti…

 

 

Silhouette d’ambre incrustée de lumière – suffisamment translucide pour voir – à travers – le règne sombre du monde. Eclats de beauté et de silence…

Densité des signes au milieu des nuits successives qui s’empilent – avec, par-dessus, la liesse folle des désirs et la sauvagerie des mains…

 

 

Nous voici venus – chevelure éblouissante – être à toutes les tables – tête arrachée – lèvres écarlates – âme ouverte – et, en nous, ce feu qui brûle tous les doutes. Incarnation de la foudre sur les petits cheminsde la terre

Et soudain – le vide – et la nuit qui happe et reprend ce qu’elle avait abandonné un court instant. Malheurs des hommes au souffle trop erratique…

 

 

Âme d’aube et d’argile jetée dans la nuit – cherchant, sous la pluie, la terre la plus favorable. Venue d’un jour trop lointain pour trouver, avec aisance, la part manquante. Pas même affranchie des mots lancés comme des pierres pour ensevelir la vérité – toujours errante…

 

 

Chemins noirs comme la mort et le basalte – où rien ne peut être élucidé – ni le manque, ni les larmes. Encerclés par la souffrance qui veille sur la fatigue et les pas tremblants. Et les lèvres, engourdies par le froid, qui implorent Dieu en rêve. Destin triste – atroce – funeste – qu’aucune prière ne pourra libérer. Âme et yeux perdus jusque dans la tombe – et qui espèrent encore recouverts sous des tonnes de terre…

 

 

Au jour nouveau, la mémoire défaillante – stérile – sur laquelle rien ne peut être bâti…

Au cœur de l’aube naissante – tout un royaume – des visages et des danses échappés de la nuit. Le verdict qui a épargné la chair et le sang. La réconciliation des questions et des instincts jetés ensemble sur le bûcher. Nouvelle force sans orgueil – née des cendres et des ruines calcinées – de tous les anciens empires abandonnés…

 

 

Une voix sans souvenir qui ne sait plus ce qu’elle dit – qui ne sait plus même à qui elle s’adresse – ni ce qu’elle cherche dans cette nuit si longue – si haute ; une âme fraternelle peut-être – une âme fraternelle sans doute…

 

 

Au commencement fut la révolte contre le manque et le froid – et contre le monde qui les exaltait. Cercle sans étoile – sans visage – suffocant – épaississant le noir – et la nuit – dans le regard…

Contraint d’apaiser sa faim en creusant dans la houille…

Ténèbres et vents. Errance au milieu des flammes. Embourbement dans l’absence. Acharnement de la même parole – comme une prière lancée (presque) au hasard. Vie de surface et de supplice – sans autre couronnement que la mort…

 

 

Au seuil du poème – déjà – la découverte d’une autre voix – d’un espace moins commun que le monde. Deux ailes, peut-être, sur une page en forme d’oiseau – frappant à toutes les portes – tombant avec la neige – brûlant avec le bois jeté dans le feu de l’âme – cherchant un abri – un ailleurs – un autre monde – des visages moins inhospitaliers – des bras plus tendres – des gestes moins rudes – le Graal des cimes – ou peut-être, plus simplement, une torche pour éclairer les sous-sols d’une lumière différente…

 

 

Lampe auprès de nous sur ces pierres trop noires. Feu aussi pour lutter contre le froid. Maison où les morts se succèdent sans jamais atteindre l’autre rive…

Tout se referme sur la chair – et est englouti avec sa putréfaction…

Amère défaite de l’existence – malgré les sourires que nous avons esquissés en songeant à l’Amour…

 

 

Vieilles meurtrissures insensibles à notre présence…

Souvenir d’une nuit plus terrifiante que la mort où la lumière n’était que rafales cinglantes – averse sur les ruines du sommeil. Apocalypse inachevée qui reviendra encore frapper de son déluge…

 

 

Espace où le sang demeure étranger à l’embrasement – trop habitué à ses petits chemins d’infortune…

Au seuil du jour revenant…

 

 

La craie de la parole sur le marbre du vent – inscrite en évidence au-dessus de la tombe – comme une épitaphe rudimentaire. Mots nocturnes pour l’éternité – contre la persistance des identités sédimentaires et métamorphiques…

 

 

Le désert commun – entre le sol et la brume. Des arbres, des portes, des ravins. Des milliards de chemins – et si peu de passages où il nous faut serpenter entre les ruines et les visages d’un temps trop ancien…

 

 

Le monde qui s’étend en strates bruyantes – rouges et grises. Et ces feuilles lancées au milieu des cris – comme un geste incongru – un acte inconvenant…

A certains égards – l’insoutenable jeté dans le pire des lieux…

 

 

Quelques pierres pour s’abandonner à la lumière. Mains et pages posées comme des feuilles mortes. Bercé par le bruit du vent dans les feuillages de l’âme…

 

 

A cribler l’innocence de ces petits mots pathétiques

 

 

Dans le buisson caché – au sommet de l’être. Le nom aussi discret que l’âme – le visage aussi invisible que Dieu. Seul dans notre chambre naturelle à attendre l’aube et quelques restes d’étoiles – reliquats, peut-être, du monde d’autrefois…

Soleil – partout – jusqu’au fond du gouffre – jusqu’aux contours du dernier mirage – jusqu’au cœur de l’ultime désir de lumière…

L’ombre – partout – et derrière la vitre, ce que furent nos chemins…

Seul – à présent – parmi les oiseaux de l’autre monde – là où l’horreur n’est plus perceptible…

Aussi rayonnant que le silence – anonyme…

 

 

L’étreinte du regard – qui offre et qui happe – qui s’étend au-delà du rayonnement – et au fond duquel tout disparaît – jusqu’aux ombres – jusqu’aux identités…

Bouche monstrueuse munie de bras immenses qui fait sien tout ce qui existe – ciel, cruauté, roches, innocence, visages – irradiés et enfournés avec le même appétit…

 

 

Têtes éprises de temps à l’idée de demeurer après la mort – et qui se livrent à toutes les expériences – à toutes les aventures – pour défaire le silence et la nuit qui les entourent…

 

 

Une terre – trop d’oubli – et une lampe minuscule pour explorer le monde et l’amnésie…

 

 

Fable poursuivie par la pensée – et interrompue par le silence…

 

 

Une route vers l’aube encore lointaine…

Un soleil à partager. Quelques miettes de l’admirable contrée jetées en guise d’appât…

Et la chance, peut-être, pour nous sourire…

 

 

Larmes et refus – ce qui nous guette nous qui avons trop cru…

 

 

Comme des pantins tenus par des mains trop grandes – trop lointaines – rendues maladroites par le risque et le jeu de la mort. A nous faire gesticuler pendant des siècles autour du même mystère…

 

 

Offrir son feu et son ardeur pour une autre lumière

 

 

Lieu dévoilé par les chiens de l’ignorance – au flair plus efficace que nos instincts…

Ni sang, ni faim, ni agonie – l’autre face du monde – son versant le plus ensoleillé…

 

 

Privé de tout dans l’irradiation d’un Autre…

Ni nuit, ni lampe, ni froid. Personne. Le seuil à peine éclairé. L’angoisse et la fatigue défaites. Les mots devenus silencieux. La bouche en exil. Et le jour dans la nuit, soudain, entrevu…

 

 

A explorer tous les reliefs de la solitude – les traits encore inconnus de notre visage…

 

23 mai 2019

Carnet n°187 L’épaisseur de la trame

Regard* / 2019 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Incertitude – toujours – partout – jusqu’au fond de l’âme…

 

 

Embarqués dans la même cellule – bringuebalés au gré des exigences du voyage…

 

 

Existence solitaire et inclusive…

 

 

Plus léger – sans que l’écriture s’allège…

Ces lignes sont-elles réellement le reflet de mon âme ? Débarrassement du surplus ou exact miroir du foisonnement intérieur…

Quel que soit le cas de figure – prolifération de mots inutiles…

A quand donc la sobriété et le silence…

 

 

Trop bavard de soi – de ce peuple bigarré qui nous constitue – visages de la nuit qui luttent et débattent à toute heure du jour – infatigables et épuisants…

 

 

Si ces pages pouvaient – au moins – construire une échelle – on s’évaderait de cette effervescence – de ce tourbillonnement – de cet espace labyrinthique – pour plonger ou se hisser – qui peut savoir ? – au cœur du silence…

 

 

Tout – toujours – au bord de l’effondrement…

Ruines – bientôt – au fond de l’abîme. Et régénérescence et continuité aussi – sous d’autres traits…

Poursuite sans fin du cycle de la matière prise au piège…

 

 

Les rives – la lune – la nuit – au cœur de la vie sauvage…

 

 

Le ciel – en soi – qui a effacé la douleur – ou qui l’a peut-être – seulement – recouverte…

 

 

Vivre jusqu’à la perte – au-delà de la déchirure – au-delà de la possibilité de guérison. Vivre comme si le feu était une fraîcheur – comme si la nuit n’existait pas – comme si le monde n’était que deux mains ouvertes tendues vers nous…

 

 

A mastiquer les mots – comme s’ils abritaient la nuit et toutes les impossibilités du monde…

L’impuissance de vivre aussi forte, peut-être, que l’ardeur des traits sur la page…

 

 

Seul – en notre compagnie – à nous tendre la main – et à nous serrer l’un contre l’autre – comme si nous étions les plus vieux amis du monde…

 

 

Dans les carnets du ciel, il n’y a que le silence. Pas un seul mot qui anéantirait le mystère – et notre confiance en l’infinité des possibles…

 

 

Ces taches d’encre sur la page ne partagent – en vérité – que le secret commun

 

 

L’être derrière les traits et sous la langue. Le même visage que l’Autre – pour en finir avec toutes les inimitiés…

 

 

Fragilité du corps – sensibilité de l’âme – dureté des masques. A nous de démêler l’invisible dans l’épaisseur de la trame…

 

 

Tout a tourbillonné dans ce trou que nous sommes. Puis l’eau s’est retirée…

 

 

Trouée d’un Autre – en soi – que nous ignorons encore…

 

 

Une flamme vacillante dans l’âme malgré l’ardeur du corps – et la vigueur du sang qui monte jusqu’au visage…

 

 

Une infime parcelle de ciel sur un amoncellement de terre avec, à la place des yeux, deux étoiles qui donnent à l’esprit ce goût si fort pour le rêve et l’apparat…

 

 

D’heure en heure – jusqu’au grand jour…

 

 

L’âme de moins en moins humaine – et à laquelle nous ne saurions attribuer le moindre qualificatif… Plus simple peut-être – moins encombrée par les désirs et les exigences – par les images et les références terrestres. Mais pas encore totalement céleste, bien sûr…

 

 

D’une vague à l’autre – comme les tâches et les jours qui se succèdent…

 

 

Avons-nous encore une âme… Avons-nous encore figure humaine… Qui saurait dire…

 

 

Transformation lente – journalière – malgré quelques bagages anciens qui peinent à s’alléger…

Ni vraiment celui d’autrefois, ni vraiment un autre. Quelque chose de vague et d’indéterminé. Un mélange provisoire et inachevé – inachevable comme tout ce qui n’a de fin…

Forme apparente – seulement – porteuse d’un espace immuable – parfois habité – parfois déserté…

 

 

Libre autant que peuvent l’être l’âme et l’homme…

Plus acquiesçant, peut-être, aux incertitudes et aux circonstances. Et moins réfractaire, sans doute, à toutes les servitudes terrestres…

Jeu et magie du geste. Joie pure de l’acte sans intention – indifférent aux résultats et aux résultantes du faire…

Être – et vivre (plus que jamais) avec le regard et la main au cœur de l’essentiel…

 

 

Plus de vents – et moins de songes. Plus de silence et de solitude. Et moins de sommeil peut-être…

Rythme hors du monde et du temps – docile aux exigences de ce qui est – de ce qui surgit – de ce qui disparaît. Et l’âme muette – sans volonté – sans aspiration – sans désir ni de terre, ni de ciel – mais intransigeante (encore) sur les conditions requises pour goûter le silence et la solitude – l’intensité et la jubilation de vivre…

Eloigné, le plus souvent, du monde et des activités humaines…

 

 

Amas de chair et de pensées écrasé par le martèlement du temps. Irréconciliable avec cette béance qui confine à l’épuisement – à la poussière – puis, au silence…

 

 

Langage d’un Autre qui n’ose se montrer – et qui traverse, pourtant, tous les visages – tenus par les fils d’un écheveau invisible…

 

 

Nous croyons être ceci ou cela alors qu’en vérité nous sommes toujours autre chose – comme une manière commune (et fallacieuse) de ne voir – et de ne présenter au monde – qu’un seul visage – ou, au mieux, une figure à quelques facettes – alors que la réalité est toujours plus étrange – contradictoire – confondante – mystérieusement abyssale…

 

 

L’illusion – aussi – est une figure de la réalité. Comme le rêve et le sommeil – en bonne place sur la palette – du côté du plus sombre…

 

 

Sur ce fil tendu entre la sauvagerie et la promesse. Sous le ciel et au-dessus de l’abîme – parmi toutes ces têtes qui nous semblent si hostiles – si étrangères…

Comment vivre ne pourrait-il ne pas nous condamner à l’effroi – et l’effroi à la fuite ou à la tentative d’accéder à la promesse…

 

 

N’être – en définitive – que l’aire de tous les passages – invisible – éperdument anonyme – sans nom – presque sans réalité. Et, pourtant, essentiel – indispensable à tout ce qui existe – à tout ce qui nous traverse…

N’être que l’instrument des Autres – ce dont on fait usage sans même s’en rendre compte – sans même un geste ou une parole de gratitude. Voilà, peut-être, le plus haut degré sur l’échelle de l’humilité…

Rude élévation pour l’homme – et sa (maladive) prétention à vouloir être – et paraître – toujours davantage…

Et plus simple, peut-être, pour celui que la vie n’a cessé de défaire et d’effacer – pour celui qui a, peu à peu, appris à n’être personne…

 

 

Paroles de soif devenant – peu à peu – silence et apaisement…

 

 

Passager d’un voyage sans fin – comme un rêve vers l’inconnu – éternellement recommencé…

 

 

Vers le plus simple – comme l’eau qui coule sur la soif…

 

 

Ne se sentir attaché au monde que par la persistance – et la résistance – de quelques feuilles…

Faire halte et s’effacer. Habiter la marge sans même prêter attention à la manière dont le monde nous soustrait…

Devenir le dénominateur le plus proche de un…

L’infini exposé – et étendu à l’unité – comme un rééquilibrage nécessaire au fractionnement…

Puiser dans la densité et l’ampleur. Et se résoudre à l’étrange incongruité du monde…

 

 

Couché humblement sur ces feuilles alors qu’autrefois nous nous dressions – feutre à la main – pour crier au monde ce qu’il savait déjà – en se heurtant aux résistances de ce qui était déjà ouvert – en dépit des apparences…

 

 

Entre nous – un espace moins large qu’un trait esquissé sur la page…

 

 

Mots moins brûlants – plus habités – et, peut-être, plus silencieux – lorsque nous avons compris que rien ne pouvait changer sans le consentement de l’âme…

 

 

Une parole comme un ciel ouvert – sur un sol de pierres blanchies – comme si le vent avait érodé ces amas de terre noire – âpre – inhospitalière – et les avait remplacés par un peu de neige et de silence…

 

 

Effacement et disparition – ce qui n’ampute nullement l’âme – mais qui, au contraire, l’allège et lui offre les conditions de sa liberté…

 

 

Autrefois la parole et les murs. La frontalité. Ce qui vociférait et brûlait dans sa colère…

A présent – tout se murmure – à peine – l’âme assise négligemment sur un minuscule parapet…

 

 

Langue qui a – peu à peu – glissé vers le versant le moins sombre de l’âme…

 

 

Montagne, paroi et écho lointain – devenus creux, espace et silence de proximité…

 

 

L’absence et le provisoire – si angoissants autrefois – et si propices, à présent, à l’enchantement et à la jubilation – à la célébration de l’intense – de l’instant – de l’éternité…

 

 

Quelques traces du passé – viscéralement douloureux. Auto-thérapeutique de l’Amour, de l’écoute et des petits pas…

Être – accueillir – joie – faire face – et réconforter si nécessaire…

 

 

Atomisation – morcellement de l’unité. Cohabitation avec tous ces visages qui nous peuplent (et qui, parfois, nous hantent jusqu’à la malédiction) – chacun exigeant un geste, un peu d’attention ou quelques marques de faveur – et que cet espace – en nous – écoute avec tendresse et bienveillance – répondant avec patience à toutes les demandes – à toutes les interrogations – apaisant toutes les inquiétudes, toutes les frustrations, tous les désarrois en sachant se montrer strict lorsque la nécessité glisse subrepticement vers le caprice…

Etrange auto-éducation nulle part enseignée…

 

 

Un monde – en soi – à part entière – que chacun gouverne selon ses prédispositions et sa sensibilité…

Maître d’aucun jeu – en vérité…

 

 

Ah ! Cette quête âpre et éreintante de la proximité…

 

 

A demeure – la joie et le tragique…

 

 

Le ciel – partout – au-dessus comme au-dedans. Et cette langue qui arpente le monde – qui serpente entre les cimes et les sous-sols – cherchant un frère – une communauté – déchirante toujours dans son appel – lançant des mots tantôt comme des flèches – tantôt comme des bouteilles à la mer – pour ouvrir ou émouvoir les cœurs – sans se douter que la terre est dépeuplée – qu’elle n’est qu’un désert d’âmes et de sable sous lequel ont été enterrés tous les morts… Des vivants – nulle trace – sans doute se sont-ils exilés en des lieux moins désolants…

 

 

Entre soi et l’océan – cette glace que l’on édifie en vivant – et que renforce le monde qui, sans même le savoir, a toujours constitué un piège – une nasse – un aquarium…

L’appel pélagique réservé à ceux qui étouffent – aux intrépides et vaillants thuriféraires de la liberté. Mais rares sont ceux qui parviennent à gagner le grand large…

Tant de pertes – et plus encore de retours vers le bocal…

 

 

Pays natal – lieu premier de toutes les origines…

 

 

Pain et couche solitaires plutôt que demi-pains et demi-couches côte à côte – de moins en moins proches – de plus en plus étrangers…

L’éloignement comme support d’un autre jour. Le début du voyage. Et le choix nécessaire d’une autre foulée – plus rebelle et aventurière – celle qui cherche la route vers le pays originel…

 

 

Comme une brèche dans la terre – dans notre trou – qui déboucherait sur un ciel plus vaste – et moins étrange que l’idée que s’en font communément les hommes – bien plus ordinaire que tous les rêves farfelus initiés depuis le sommeil des rives d’en haut…

 

 

Excès d’air – dilatation de l’espace – et cette extériorisation du regard – comme une caresse sur le monde – l’élan d’une main ouverte et secourable – prête à guider et à soigner (si nécessaire)…

 

 

Le chemin du retour. De l’apparence à l’inhabité. De la certitude au plus vaste. De la peur au moins étranger. Choses et visages superposés comme la Babel la plus naturelle du monde. Et le souffle pour étendre l’espace – élargir l’envergure – et laisser s’effacer la crispation – cette respiration rétrécie. Sentir le chaud et le froid des âmes – et les secrets sous la langue. Devenir terre occupée – résistante – et ciel sans mystère. Presque humain peut-être…

 

 

La main aussi disponible que l’esprit – et l’esprit aussi disponible que l’âme. Temps obsolète et exigences révolues. Le neuf qui jamais ne se laisse étreindre mais qui régénère inlassablement le regard…

 

 

Entre ce qui se distingue et ce qui s’efface. Plus même certain d’exister. Qu’un nom sur une silhouette que nul ne voit – que nul n’appelle…

Le vide – peut-être – déjà en train de nous happer…

 

 

Entre passage et suspens – possible et servitude – liberté et autre monde. Ce que la langue rend visible et vivable – de jour en jour. Et ce qu’une autre perspective éclaire plus précisément…

 

 

L’entente et l’innommable – intervalle où tout devient égal – sensible – écrasant. L’inhumain brisé en deux – puis, cette fraîcheur qui élargit l’espace – et ôte les cloisons – pour offrir enfin l’air nécessaire pour vivre et respirer…

 

 

Ce qui monte – en soi – vient, peut-être, du ciel – de l’ouverture du chenal sur lequel veille l’âme. Tout alors surgit – et se déverse – pour que nous devenions le monde…

 

 

Les pierres, les arbres, les bêtes et les poètes sont nos amis les plus sûrs ; ensemble nous dialoguons sans fin. Et nos échanges ont l’allure – et le parfum – des jeux de l’enfance – bordés de rires et de joyeuses bousculades…

 

 

Ni signe, ni attente. Pas le moindre visage. Le silence désaisissant. L’austérité joyeuse du dénuement. La simplicité et le nécessaire. L’amitié offerte à ce qui est là. Et la joie que l’on porte…

 

 

Hors de prise – comme l’air insaisissable…

 

 

Ce morceau d’espace qui nous relie. Sans jointure – la terre étoilée. Les visages comme des routes. Les âmes comme des précipices. Le petit peuple du jour. Et le fond de tous les abîmes…

 

 

L’alliance secrète – et méconnue – des visages qui se déchirent. Entre distance et rupture – rapprochement et séparation. Chemin de quête et d’errance où ce qui se cherche éprouve et corrompt toute rencontre – toute forme de proximité – avec l’Autre…

 

 

Figures du rêve – en volutes grises – sans repos – sans explication – jusqu’à l’ultime soupir – comme le prolongement du songe et de l’anecdote…

 

 

Quelque chose s’est perdu que nous ne retrouvons pas – nulle part ; en réalité, il n’y avait que le manque – la perte était un fantasme – une illusion – comme une invitation à chercher autrement – à découvrir ce qui était inconnu – si proche et si familier – pourtant…

 

 

La grande cité est là – tout près – perdue dans le noir de nos idées – entre le silence et les bruits du monde – là où l’on ne s’attendrait qu’à trouver une forme de perte – et, à travers elle, un abandon total – le pire état pour l’homme, pense-t-on trop souvent – et qui se révèle, en vérité, l’unique passage…

 

 

L’homme seul – l’homme premier – l’homme face à l’immensité…

La solitude rehaussée jusqu’à la grâce…

 

 

Mots à leur place – à côté des pas – tout au long du chemin – comme halte et distance – mise en perspective – nécessaires. Sous le regard de la seule autorité admise ; le silence…

 

 

Ce qui sourd du visage humain – ce qui perce sous les carapaces de l’âme – la beauté de l’indicible. La vérité sans masque. Avec la même détermination à éclore chez chacun – en dépit des apparences…

 

 

La pierre et l’âme inerte que la terre emporte…

Les vents et la plainte – la même route à parcourir…

 

 

Aux confins d’un soleil pas encore totalement éteint. Tête et corps de passage. Des versants occupés. Des pentes à gravir. Et nul signe à la ronde – ni devant, ni derrière – ni en haut, ni en bas. L’effort puisant dans le courage – et le courage au fond de l’âme – l’âme portée brièvement par le rêve – quelques restes d’étoiles – simples astres de consolation lorsque le réel effraye davantage que l’étouffement…

 

 

Les circonstances – ce qui sculpte l’intérieur – jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien ; ni nom, ni visage, ni âme, ni croyance – Dieu – nu et seul – ne se cherchant plus ailleurs…

 

 

Le centre – invisible – mais attentif, toujours, à toutes les périphéries – et à toutes les turpitudes du voyage. Le seul habilité à jouer avec les interstices…

Vide – absence et présence – terrains de jeux de tous les états…

 

 

La page – le poème – pareils à un visage dont on aurait enlevé la peau. Sang et nerfs à vif. Et l’âme plus profondément encore. Et derrière l’âme, la solitude et la jubilation – expressions manifestes, et premières peut-être, du silence…

 

 

Ce qui nous traverse et éparpille les éclats. Un mot – une âme – une pierre. Front – à jamais – marqué par l’équivoque de toute solitude et l’apparente multitude du monde et des états…

 

 

D’un côté, monde détaché du regard. Et de l’autre, regard détaché du monde. Et, en nous, les deux réunis qui, le plus souvent, s’ignorent – et qui, parfois, s’enlacent avec une fraternité inespérée…

 

 

Seul – fragile – exposé à tous les vents. Sans abri – sans appui – sans fuite possible – mais intensément vivant…

 

 

L’homme des brèves rencontres – intenses et, parfois, déterminantes. Le passant modeste et magnifique – libre et sans exigence…

 

 

Ce qui se brise et ne peut se réparer – l’organe cœur – l’objet cœur – l’émotion cœur. Et de cette fracture renaître ailleurs – autrement – encore plus fragile – encore plus sensible à la violence du monde. Ainsi découvre-t-on ce qui nous habite – en faisant face à toutes les déchirures…

 

 

Mots-délice sur l’instant inachevé – l’enclave ouverte – l’éternité inaugurale…

 

 

De soi à l’Autre – sans le moindre intermédiaire. Comme une présence – une origine – à retrouver – et qui se conquiert à force de blessures et d’innocence…

 

 

Ce qui est étranger s’attarde dans la parole – comme s’il voulait défaire ce que l’on attribue communément au hasard. Parole – à ce point – qui signifie plus qu’elle ne veut dire – autre chose – plus loin – plus profondément enfouie – tapie peut-être – au fond du regard – et que la sensibilité reflète malgré la pudeur et les réticences à dévoiler davantage qu’un secret…

 

 

Comme un silence agenouillé sur les pierres blanches. Quelqu’un – quelque chose – presque rien – venu rompre la certitude – l’alignement des allées – le mirage du temps – l’amour qui soustrait et sépare. L’écriture interrompue par le bruit de l’âme qui s’enfuit. L’étrange sensation d’être un Autre – plus apte à vivre – moins sensible aux vicissitudes et aux aléas du destin – au provisoire – aux apparences – moins empêtré dans cette folie d’être au monde…

 

 

Eclairé par ce qui interrompt la nuit – et offre aux vivants une valeur plus haute que l’échange. Embrassé par ce qui élève et réunit – l’humilité en tête et le silence à sa suite…

La beauté des pierres, la magie des nuages, la lumière des forêts. Ce qui fend la matière pour qu’émerge, de sa gangue, la possibilité de vivre – le dehors et le dedans rassemblés – unifiés – confondus. La joie d’un Autre tourbillonnant à contre-sens des certitudes. La fête sur tous les visages – autrefois si grimaçants – si creusés par la crainte et la colère – comme une longue et douloureuse naissance à soi-même…

 

 

Tout se dérobe à notre main – à notre âme. Passant seulement – sans même un signe – sans même un adieu. Tout file au rythme des vents. Et lorsque tout a disparu, ne reste que l’absence…

 

 

Une attente vaine et ininterrompue que rien ne saurait rompre ; ni les lieux, ni les choses, ni les visages. Pas même un livre ou un poème. Ni même la foi ou la croyance en un Dieu (trop) lointain…

L’espérance d’une vie plus belle – plus profonde – plus intense ; plus vivante en somme – où la proximité serait aisée – accessible – naturelle. Un monde où l’âme aurait la primauté sur les instincts – où les liens seraient simples et authentiques – où les gestes seraient sensibles et respectueux. Un monde – une âme – une vie – à façonner en soi – et que rien, au-dehors, ne pourrait enlaidir, entacher ni corrompre. Une manière d’être – douce, ouverte et souveraine – indestructible…

 

 

Rupture et séparation – la solitude retrouvée. L’âme et la déraison torrentielle – presque la folie. L’inertie du monde et le poème – la parole pour soi murmurée, chaque soir, à l’oreille d’un Autre – en nous – en soi – amoureusement attentif – qui décèle sous les failles de la langue, les blessures de la traversée – les douleurs encore si vives de l’exil…

 

 

L’Amour – en soi – qu’il faut exhumer des décombres – de l’oubli. Excaver la matière – façonner des interstices – élargir les trouées existantes – et offrir ce labeur acharné sans même lever les yeux sur les visages près à saisir l’aubaine…

Présent anonyme – offrande de personne. Geste simple et naturel. Et gratitude envers les mains qui s’en emparent…

 

 

Ce qui insiste dans la foulée – parfois la douleur, d’autres fois la couleur. Ce que l’âme avait oublié en marchant…

 

 

Terre et figures explorées avec le même feu – le même souffle. L’âme fébrile et attentive au miracle de la proximité – à cette attirance des profondeurs – du commun espace habité par tous…

 

 

Paysages, visages et noms divers que le passant oublie. Ne restent, après quelques heures – quelques jours – quelques années – que l’émotion de la rencontre (si elle a eu lieu) et le parfum du voyage…

 

 

Que reste-t-il face à soi sinon le défi de se connaître – de s’approcher – et de reconnaître la proximité entre ces mille visages qui nous composent et l’espace vide – tendre et accueillant – entre ces figures de l’individualité et cette présence – cette manière d’être présent au monde et à soi-même qui, peu à peu, se confondent…

Le signe que nous sommes la route et l’origine – le voyage et la destination. Le centre immobile au-dedans de tout – épars et unifié – indécelable pour les yeux univoques – horizontaux – qui n’ont encore réussi à franchir les confins de la raison commune…

 

 

Il n’y a qu’un seul visage à rencontrer – ce que l’on oublie trop souvent dans notre fièvre de visages et de rencontres…

Miroirs qu’il faut briser jusqu’à la solitude première…

 

 

Qu’un peu d’encre – quelques signes – sur la page. Des pages et des livres qui voudraient dire le monde – et lui confier ce qu’il sait déjà…

 

 

Bruits prétentieux sur leur pente abrupte. Plus haut, le tonnerre et le ciel zébré – plus bas, l’eau et la terre. Et dans cet intervalle – notre voix sans visée – immergée dans le bleu et le noir – à peine décelable depuis les hauteurs – et totalement imperceptible pour ceux qui ne fréquentent que les pierres…

Infimes poussières que l’on oubliera…

 

 

Le langage tente, bien sûr, d’inventorier le réel – de représenter le monde – ce que nous sommes – et de mettre au jour cette richesse et cette complexité. La conjugaison, elle, ne fait que décliner toutes les manières possibles d’être ensemble

 

 

Chemin après chemin – voyage labyrinthique qui blanchit l’âme et les cheveux. Bornes au bord des routes. Errance métaphysique. L’œil dans la visée des Dieux. L’œil hagard – l’œil fragile. Mille étapes et mille cols à franchir – en roue libre. Comme l’eau fidèle à sa pente…

 

 

Qu’un grand mystère à la place du monde – des yeux – du visage – de l’âme – ce que les hommes prennent, trop souvent, pour une évidence…

 

 

Qu’un espace que tout traverse. Voilà ce que nous sommes – ce qui passe et ce qui permet le passage…

 

23 mai 2019

Carnet n°186 Aube et horizon

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Un front de chair – humble – affranchi de l’espérance – exilé de la multitude. Seul dans sa marche et son obstination. Digne – au-delà de toute fierté. Honnête face au monde – authentique avec les âmes. Aimable, en quelque sorte, malgré les restrictions – et l’insuffisance – des amours horizontales…

 

 

Un destin de nuage – aussi vaporeux – aussi libre – aussi jubilatoire – que le voyage défait et recompose à l’infini…

 

 

Jamais agenouillé devant – ni perché sur – la moindre idole. Et rechignant toujours à légitimer ses gestes par un dogme ou la pensée d’un Autre – par la moindre autorité. Actes et chants libres de toute appartenance – de toute filiation…

Ni meilleur – ni pire – qu’un autre. Singulièrement atypique peut-être… Une âme qui voue son amour aux pierres, aux arbres et aux bêtes – et à tous les visages humains que la vie et le monde ont rendus humbles et respectueux – pétris d’incertitude et de reconnaissance – suffisamment aimables pour que l’on ait envie de rencontrer leur âme – et (pourquoi pas ?) de jouir avec eux de cette commune nudité…

 

 

Délices de ces retrouvailles solitaires et silencieuses où l’âme est devenue main caressante – bouche qui ose (enfin) déclarer son amour…

Abandonnée cette mendicité sanglotante d’autrefois où l’on réclamait une chaleur – une étreinte – un baiser – et où l’on ne récoltait qu’une indifférence déchirante – insupportable…

Le foyer – à présent – est habité – dont nous sommes à la fois l’hôte et l’invité – la place vacante et le vagabond de passage…

Espace libre et ouvert…

 

 

Roche magmatique – terres en flammes – devenues presque solaires à force d’étreintes et de lumière…

L’Amour offert à lui-même – à travers mille gestes…

Et l’âme qui jubile au-dessus de soi…

 

 

Tout devient aussi réel que la mort – aussi concret qu’un corps inerte – qu’une âme sans vie…

Tout a été étranglé par l’incertitude…

Ne restent plus – à présent – que la joie et le vide – et la tentation d’exister pour presque rien

 

 

L’essence de l’infini où tout semble réalisable. Et vivre qui – à la fois – ouvre et limite le champ des possibles…

 

 

Ce que le monde malmène et répudie – voilà ce qui nous semble le plus aimable sur cette terre. Les autres – ceux qui exploitent – ceux qui tirent profit ou sommeillent – n’ont droit qu’à des grimaces et à des gestes spéculaires. Mais ce qui surgit, bien sûr, vient d’en deçà et d’au-delà de toute intention – guidé par les conditionnements du monde et une main inconnue ; la volonté d’un Autre et celle de tous les autres – réunies au fond d’une seule âme ; toutes les âmes en une seule – et cela pour chacun…

 

 

Posée au jour le plus à l’est du monde – avant même que naisse la première aurore. Là est la lumière. Et l’âme à l’autre extrémité – libre – aventurière – toujours aussi sauvage et indomptable…

Et nous – des deux côtés à la fois – réunis dans le regard, le geste et la parole…

 

 

La communauté vivante se tient – toujours – sur les pierres – au cœur des forêts – et, parfois, parmi les visages que nous croisons – et qui attendent – humblement – un regard – un geste – une parole – un peu de tendresse, peut-être – pour éveiller leur joie – apaiser leur peine – combler leur solitude – et approfondir, espérons-le, leur humanité…

 

 

Peut-être entend-on – ici et là – dans ces pages – le chant des rivières et le vent dans les feuillages… Peut-être aperçoit-on – entre les mots – au détour d’une phrase – quelques empreintes animales. A se demander si cette encre n’a pas été mélangée à un peu d’eau – à un peu d’air – à un peu de terre – et si ces feuilles ne sont pas, en vérité, quelques fragments volés aux collines…

 

 

Le non savoir offre une innocence au regard qui peut – ainsi – réenchanter le monde…

Beauté – partout – jusqu’à cette pluie diluvienne et à nos habits trempés qui sèchent dans la cellule – comme la marque de notre appartenance – comme le signe de notre allégeance – si vives – si intenses – à la terre…

 

 

Des yeux ronds comme des billes devant la beauté du monde et les mille horizons de la terre. Seul face à cette aube qui s’annonce – comme si les ténèbres d’autrefois allaient (enfin) être détrônées…

 

 

Brûlure ardente de la joie au faîte de la solitude. Solitude apparente, bien sûr, tant tout semble habiter – et résonner – en soi. L’ombre des choses et toute la création au-dedans de l’âme qui vibre à l’unisson du monde…

 

 

La beauté sans cesse renouvelée du jour – de la lumière et des étoiles. Ni sang, ni fatigue. Ni même lendemain prometteur… Des yeux émerveillés par cette grâce de vivre…

 

 

Marche sans chemin – sans même la sensation du sol. Balbutiements, peut-être, de lévitation…

 

 

Voyage où l’incertitude grandit jour après jour – devient prépondérante – centrale – et où l’angoisse s’amenuise – disparaît peu à peu – déchirée par la prégnance de l’instant et les infinies possibilités du chemin…

 

 

En vérité, nous n’avons jamais marché – c’est la lumière – en nous – qui s’est approchée…

Et dans les yeux, nulle étoile. Et dans l’âme, l’assise fragile de l’innocence qui a délaissé les chimères humaines pour plonger sans espérance – au cœur de la joie et de la beauté – au cœur de la réalité visible et invisible du monde…

 

 

Ici ou ailleurs – qu’importe les lieux et les chemins empruntés au cours de cette marche vers nous-même(s)…

 

 

Entre ombres et étoiles – là où le sang et la fatigue n’ont plus d’importance – à la source de tous les gisements – là où la liberté est un chant – un acquiescement joyeux à toutes les infortunes…

 

 

Demain sera une terre sans ténèbres – sans crainte – sans malédiction. Demain – sans doute – n’existera jamais…

C’est à présent – à cet instant même – qu’il nous faut apprendre à être libre – à jouer avec les incertitudes du voyage – et à célébrer la fervente dévotion de l’âme pour le silence et l’infini…

 

 

Temple du geste où les choses et le langage sont déposés au plus bas – pour répondre aux nécessités du corps et de l’esprit…

Rien qu’un chant – un voyage – une flèche vers le silence…

 

 

L’amitié du voyageur pour ce qui n’a de nom…

Paysages traversés – visages rencontrés – en silence – l’âme discrète et mains offertes en reflet…

 

 

Sécularisation du plus sacré. Extension de la verticalité à tous les horizons du monde. Perspective première – avec ou sans le consentement des hommes. La seule œuvre nécessaire peut-être…

 

 

La calligraphie des heures et les grandes arabesques du temps – dispersées sur la page. Comme un silence au milieu de la cendre – au milieu de la lumière – au cœur du jour nouveau – en attendant la naissance de l’aube. A se tenir là – innocent et émerveillé – au cœur de cette étrange beauté de vivre…

 

 

Un feu – une innocence – l’intuition d’une expérience inaugurale…

Ni folie, ni délire d’affamé. Caresses plutôt d’une éternité imminente…

Du sable dans la bouche peut-être… Une étendue fragmentée. Un reste inoffensif d’espérance. Quelque chose au goût de poussière. Des cendres et une seule présence – nulle part enracinée – mais qui a poussé sur le néant laissé par les incendies successifs – au cœur de la béance creusée par la traversée de l’abîme…

Là où la lutte et la peur ont été désossées – et remplacées par l’Amour qui se montre parfois tendre, parfois véhément – selon les visages et les circonstances. L’infini à travers le regard. L’infini à travers le geste ; d’âme à âme, en quelque sorte – qui – toutes – habitent l’espace commun…

 

 

Confiance dispersée en autant de visages rencontrés. Passage de l’attente – fébrile toujours – à l’éternité…

Pierre sous le soleil – sans tête – sans poids – qui se prête à tous les pas – à toutes les errances – à toutes les folies…

 

 

Ce qui a brûlé – ce que les vents ont emporté – ce que le monde a dévasté – terreau de l’inattendu – socle de l’inespéré. Perspective où l’invisible prend le pas sur l’explicable…

 

 

Un feu qui ne faiblit pas – malgré la fatigue et l’absence parfois…

 

 

Des pas d’encre sur la page et le chemin – entremêlés – confondus – superposés – où le monde et le silence tiennent le haut du pavé – règnent en maîtres si l’on peut dire…

 

 

Porteur d’abîmes et d’horizons. Marcheur qu’aucun sommet n’effraye. Arpenteur de passerelles. Passeur de gué. Foulées droites et chemins tortueux vers le même océan…

Ni sortilège, ni malédiction. Simple vocation qui impulse le rythme et la direction…

 

 

Pas d’exil et pages de joie. En commun – le chemin et la solitude – où ni l’encre, ni la sueur ne sont comptées…

 

 

Vie secrète entre deux soleils – sur ce fil étroit qui relie toutes les rives – celles de l’âme – celles de l’homme – celles du monde…

 

 

Célébration de l’effacement qui nous fait perdre une place quelconque – infime toujours – dans l’organisation hiérarchique des hommes – au profit d’un horizon infini et invisible. Comme une présence indispensable autant à l’âme qu’au monde…

 

 

Décadence – chute apparente – qui a effacé le superflu – ce qui gênait – ce qui encombrait. Amincissement de l’âme, en quelque sorte. Vie matérielle élémentaire – simple – sobre – presque sommaire – au profit d’une âme plus dense – plus profonde – plus légère. Etrange alliance avec l’Absolu. Et Dieu – en nous – qui peut (enfin) s’installer – occuper la place vacante – pour devenir, peut-être, le seul maître du jeu…

 

 

Là où la mort n’existe pas – ou alors n’est qu’un rite – un rire – une farce – un jeu – indévoilable aux yeux trop puérils des hommes qui, dans leur orgueil et leur mégalomanie, se prendraient pour des Dieux immortels…

Exercices et pratiques initiatiques de l’abandon, de la nudité et de la modestie – comme préalable nécessaire au dévoilement (progressif) de la vérité…

 

 

Archives des humeurs – peut-être – où l’essentiel, comme à l’accoutumée, se lit entre les lignes…

Usage plus modéré du verbe pour offrir une autre envergure au silence – colonne vertébrale – axe central – qui relie les fragments et offre, à travers leur foisonnement – leur luxuriance, un espace de respiration…

Un peu d’air, en somme, pour exister – malgré l’abondance des mots…

 

 

Homme simple – simplement – sans autre point de comparaison que lui-même. Sans frère véritable – sans autre communauté que sa propre compagnie – et qui porte sa solitude tantôt comme un abîme, tantôt comme une cape de joie…

Trop profondément blessé, sans doute, par l’inhumanité du monde…

 

 

A marcher là où les pierres lui offrent un passage. A rencontrer les arbres et les bêtes et à leur parler en frères. A dormir là où les herbes l’invitent à se coucher. A vivre (presque) comme si l’humanité n’existait pas…

Prisonnier – trop prisonnier, peut-être, de lui-même… Mais sur qui d’autre pourrait-il compter…

 

 

Pantin déguenillé – malmené – bancal – suspendu à un seul fil – fragile – prêt à se rompre…

 

 

Dans la gueule du loup – et à la place des dents – une joie. Une joie greffée sous la langue. Comme un phare – le seul possible, peut-être – dans cet océan de silence oppressant – sans gaieté – sans communion – où ne bruissent que les vents – les gémissements des vivants – l’effroyable tyrannie des souffles…

 

 

Joie pure de l’étincelle et du brasier. Et tristesse à la vue des cendres laissées par les incendies. L’homme partagé – dévoré par ses antagonismes et sa multitude – par l’armée de visages qui le gouvernent…

 

 

Fragments pour l’homme seul – exilé des rives communes – curieux – interrogatif – qui rêve de comprendre le monde, les Autres, lui-même – d’explorer leur profondeur – leur étendue – de percer tous leurs mystères – de découvrir la vérité sous les identités apparentes…

Fragments pour l’homme seul. Fragments pour (presque) personne, en vérité, en ce monde où la solitude est malvenue – bannie – exclue – quasiment interdite – et où l’usage des Autres n’est qu’une manière (commune et maladroite) d’échapper à son douloureux, instructif et bouleversant tête-à-tête…

 

 

Dialogue – chute – archipel. Tout un monde en soi – plus riche, peut-être, que celui de dehors. Avec moins de rêves et de miroirs…

 

 

Front qui a recouvert la blessure. Dans ce face-à-face où tout s’est résorbé. Les royaumes, la solitude, les tentations – jusqu’au monde que nous avons cru arpenter – jusqu’aux visages que nous avons cru rencontrer…

 

 

La magie et l’illusion dessinées par les yeux qui refusent de voir…

 

 

La terre sans profondeur – suffocante. Le ciel sans promesse – terrifiant. Plus âpres et désespérants que le rêve. Si invivables qu’on s’en remet à un Dieu étranger – à un Dieu inconnu – inventé – inconnaissable – au lieu de plonger dans la douleur pour découvrir, au fil de la traversée, ce Divin vivant – vibrant – intérieur et familier – qui, peu à peu, résorbe les frontières entre le monde et soi – entre le réel et l’invisible – entre le dehors et le dedans…

 

 

Âme migratrice – et silence sédentaire, présent déjà partout. Ainsi commencent – presque toujours – le conflit et l’errance – la quête irrépressible de l’Absolu – la tentative acharnée de combler cet écart ou de juxtaposer ces deux entités injuxtaposables

Et tout s’achève, bien sûr, avec la réconciliation, la réunification et le plein acquiescement à la différence – lorsque l’on abandonne ses rêves de superposition et de coïncidence parfaite…

 

 

Folie cheminante dans la poussière – cherchant son socle – son appartenance – son extinction…

 

 

Tout se jette dans nos yeux avides qui absorbent – qui absorbent jusqu’à la cécité…

 

 

Terre sans bannière où les visages sont anonymes – où les chemins sont ouverts – où l’or et la puissance ne valent pas davantage que l’errance et la poussière. Aire de présence immédiate – franchissable à chaque instant – pour que chacun puisse découvrir le seuil au-delà duquel tout s’inverse (lorsque l’âme, acculée, abandonne enfin ses vieilles références)…

 

 

Dieu dans chaque visage – au milieu des jours – dans la boue – dans l’herbe et les poèmes – dans les arbres et les mains couvertes de sang…

 

 

Vivre au rythme des arbres, des fleurs et des saisons – au rythme des astres et des bêtes – au rythme de l’herbe qui pousse et de la faux qui la coupe à maturité – au rythme des pas vagabonds qui arpentent la terre sans destination – libre du rythme du monde que les hommes ont rendu fou…

 

 

Ni parmi – ni avec – ni contre. A côté – le plus loin possible…

 

 

Rien à dire – rien à montrer – rien à défendre. Et rien à vendre, bien sûr… Dans l’attente d’une fraternité impossible (ou qui ne m’a pas été offerte)…

Chant solitaire donc pour résister au pire de l’homme…

A vivre, pourtant, comme si le monde était encore vivable – comme si la compagnie humaine était encore possible – comme si l’on pouvait encore espérer (un peu) de l’humanité…

 

 

Au service de ce qui est faible et de l’invisible. Inapte donc à vivre en ce monde où seules comptent la force et l’apparence…

Présence néanmoins indispensable – comme élan de résistance – comme force de rééquilibrage…

 

 

Qui sait ce qu’auront dessiné nos traits sur quelques âmes – et les incidences qu’ils auront eu sur le monde…

 

 

Ami des pierres et des arbres – des bêtes et du silence…

Une âme aux confins du monde humain…

Vagabond fuyant toutes les tribus (petites et grandes) – serpentant entre tous les campements sédentaires – entre tous les fiefs de l’entre-soi…

Fils d’une autre terre – enfant d’un autre ciel – vivant, pourtant, dans le même abîme que tous ses frères…

Ami des poètes, des penseurs et des sages. Ami des moines agenouillés dans leur cellule – de tous les ermites du monde – de toutes les âmes solitaires – désespérément ou joyeusement seules…

Dans sa roulotte déambulante qui arpente les routes et les chemins – et qui s’installe, pour quelque temps, dans tous les paysages désertiques et sauvages…

Va-nu-pieds de passage ignoré ou méprisé par les hommes – indigents jusque dans l’âme – qui crachent sur l’invisible et l’humilité – sur le dénuement et la précarité – les plus grandes beautés, peut-être, du vivant…

 

 

Sans socle – sans racine – mais le regard suspendu au plus précieux…

Sans rôle sur cette terre de murs et de masques – sur ces rives où les instincts, l’ignorance et la peur règnent en maîtres – et cimentent toutes les frontières – toutes les lois – tous les horizons…

 

 

A laisser le silence chanter sur ses pages – et la liberté courir dans ses veines – entre ses mots…

 

 

Seul comme si le monde n’était qu’une nuit – un rêve – un abîme – et toutes les existences (dont la sienne, bien sûr) un mirage provisoire…

Lui, si sensible, pourtant, à la beauté de cette terre et au miracle de vivre…

 

*

 

Avoir besoin des Autres (de quelque manière que ce soit) alors qu’ils nous insupportent – voilà, peut-être, résumé tout le dilemme de l’homme face à l’horizontalité du monde – face à la dimension relationnelle (si prépondérante) de l’existence terrestre…

Quant à la verticalité, elle n’est pas, non plus, vécue sans heurt, ni antagonisme. Comment, en effet, concilier le sentiment d’être pleinement soi-même (d’éprouver une forme d’accomplissement personnel respectueux de ses singularités et de son idiosyncrasie) et vivre, de manière pleine et réelle, l’effacement égotique ? Et comment gérer ces allers-retours permanents entre la personnalité – ses besoins – ses préférences – ses désirs et ses aspirations – et la présence impersonnelle – son équanimité – son acquiescement – son absence d’exigence et son silence ?

Dans la dimension horizontale comme dans la dimension verticale de la vie humaine, il semblerait qu’il faille allier naturel, spontanéité et abandon à ce qui est sans désirer expérimenter ce qui nous semble meilleur (ou plus favorable) – sans hiérarchiser les circonstances, les situations et les états intérieurs (émotions, sentiments…) – vivre sans rien désirer – vivre sans vouloir contrôler ou régenter ce qui jaillit – ce qui nous est offert (de façon si provisoire) – se laisser porter par les multiples courants qui nous animent – laisser son être pencher tantôt vers le centre, tantôt vers la périphérie – tantôt vers soi, tantôt vers l’Autre – en sachant (bien sûr) que le centre, la périphérie, soi et l’Autre ne sont, sur le plan visible, que différents aspects – différentes parts – du monde – et, sur un plan un peu moins tangible, différents fragments du même corps et de la même conscience – créés, fractionnés et unifiés par leur jeu permanent – aspects, parts et fragments qui nécessitent (simplement) plus ou moins d’attention, de présence et de considération selon les circonstances et la façon dont chacun vit et expérimente ce qui lui est donné à vivre…

 

 

Dévalons donc les pentes de l’enfer sans vouloir transformer tous les versants du monde en paradis – ni vouloir transformer la moindre pierre en élément d’un éden fictif – imaginaire – illusoire…

Que chacun se rue donc dans les ténèbres – et jouisse de tout ce noir qui irradie

Allons, camarades ! Avalons – et inhalons – la poussière des chemins – querelles – blessures – vengeances. Et vautrons-nous sur tous les territoires clôturés…

La terre – ainsi – ne sera jamais comprise – ni jamais respectée. Et la magie de l’Amour restera – pour toujours peut-être – un dogme – un masque pour des rituels mensongers – obsolètes – inutiles… Mais nous aurons vécu en homme – et honoré les traditions ancestrales du monde… L’honneur sera sauf – nous pourrons alors mourir sans regret…

 

 

Illusion de toute issue – de toute échappée. Nous demeurerons au fond du gouffre. L’unique perspective réside dans la lumière et la tendresse avec lesquelles nous éclairons et abordons ce que nous appelons la vie et le monde ; choses, visages et circonstances…

La matière restera matière – les gestes resteront gestes – les pensées resteront pensées. Mais les yeux pourront se transformer en regard…

Et, qu’importe que les âmes et les instincts continuent de jouer ensemble – ou de lutter au corps-à-corps – la marche du monde et du vivant se poursuivra quoi qu’il arrive – quoi que nous fassions…

 

 

L’intense proximité – voilà ce qui nous offre le plus de joie en ce monde. Qu’importe ce qui se trouve devant nous (ou au-dedans de nous) ; pierres, fleurs, arbres, bêtes, ciel, chemins, paysages, idées, sensations, émotions, sentiments et, parfois, il est vrai (trop rarement peut-être) quelques visages humains…

 

 

Donner et recevoir Amour et attention – tout, en vérité, tourne autour de cet axe central. Toutes nos vies – tous nos gestes – toutes nos paroles – n’en sont que des déclinaisons…

Variations infinies autour du même centre…

Et être ce lieu du partage – où l’on éprouve ce qui circule – ce qui est offert et ce qui est reçu – est, sans doute, la plus ardente aspiration de l’homme…

 

*

 

Que laisserons-nous dans notre sillage… Un peu d’écume qui – très vite – retournera à l’océan. Un peu de poussière qui – très vite – retournera à la terre. Un peu d’air qui – très vite – rejoindra les vents et, peut-être, le souffle de quelques vivants…

 

 

Etranges instants de vie – entre mille états et mille phénomènes – toujours – aussi sûrement que nous sommes traversés par mille émotions – et tiraillés par mille forces contraires…

Plongés au cœur des querelles inhérentes – consubstantielles – au monde relatif…

Ambivalent et équivoque destin que celui de l’homme…

 

 

Nos lignes – aussi tendres que l’âme et la chair – aussi dures que les pierres – aussi bavardes que les hommes – aussi hermétiques, peut-être, que le silence. Et foisonnantes – toujours – comme l’herbe et les fleurs au printemps…

 

 

Quelques paroles en héritage qui ne quitteront – sans doute jamais – les abîmes. Puissent-elles seulement offrir à quelques âmes un peu d’encouragement pour l’envol…

 

 

Peut-être est-il temps de creuser la terre – d’amonceler un peu de glaise pour édifier sa sépulture – d’offrir sa langue aux pierres et aux vents – et de parcourir le reste du chemin l’âme libre de toute exigence…

Laisser la proximité de la mort enterrer, une à une, toutes nos nécessités…

Disparaître le cœur léger…

 

 

Ni voix, ni sage, ni maître. Pas même un chapeau à se mettre sur la tête. La silhouette prisonnière de la danse des vents – de la folie du temps. Avec, sur le sol, d’infimes traces ; un peu de sueur – quelques larmes – et mille feuilles noircies de mots insensés…

Rien – à l’approche du silence…

 

 

Terre vêtue de forêts et de rivières – ciel en turban – sans limite. Et notre oreille collée contre sa poitrine pour entendre l’écho des profondeurs – la vie magmatique – les ondes lointaines du cri originel – avant la naissance du temps – avant la grande aventure des siècles – avant que l’homme impose son règne à ses rivages…

 

 

Paroles fidèles à l’âme – à ce qu’elle porte – à ce qui l’habite – aussi folles – aussi aventurières – aussi sérieuses et excentriques. Et aussi incompréhensibles sans doute…

 

 

Bras ouverts à ce qui tremble – l’âme comme un ciel – un horizon – une perspective. L’unique chemin, sans doute, pour échapper à l’indigence miraculeuse de vivre…

 

 

Le front trop humain encore pour s’affranchir de la fièvre et de l’errance…

Brûlant le peu qu’il nous reste pour arriver devant la mort aussi nu qu’à la naissance…

 

 

Sans appui – sans allié – aussi seul que l’âme – aussi insensé qu’un poème lancé par-dessus les murs du monde – comme un cri de joie et de révolte – comme un feu – un brasier – pour illuminer cette nuit – éclairer un peu les hommes (peut-être) – et répandre la lumière sur cette folie et ce sommeil…

Choisir la grâce plutôt que le rêve. Choisir la beauté et l’innocence plutôt la ruse et la violence…

 

 

Vivre en deçà de toutes les histoires – et ouvrir les yeux sur les visages et les choses du monde. Remercier pour la solitude et le silence. Offrir son chant pour honorer la perspective d’une terre sans drapeau – sans chimère. Puis, brouiller les pistes – inverser la parole – exalter la défaite pour voir plus loin – faire exploser les communes ambitions – décimer les royaumes – brûler les rêves et les restes des idoles. Rompre les murs du labyrinthe. Partager le secret dissimulé au fond de l’âme. Oser enfin être un homme. Oser enfin être soi-même et bien davantage – toutes les figures de la terre – ce que l’humanité apparente à Dieu – l’infini, l’éternité et l’Absolu amoureusement réunis. Tout être – et tout goûter. Savourer ces fragments – ces éclats – ces mille facettes de nous-mêmes – puis, tout jeter au loin – au feu – dans l’océan – et recommencer le jour suivant – un peu plus tard – ici et ailleurs – en effaçant, peu à peu, tous les délires de notre front…

 

 

Chaque soir – attendre la rencontre – en soi – et qui, parfois, n’a pas lieu. Trop opaque peut-être. Trop encombré de gestes et de visages. Seul alors face à la feuille blanche…

 

 

Aucun visage. Pas âme qui vive. Du silence et des forêts. Des chemins sous la pluie – sous ce ciel d’hiver – froid – blanc. Des pas et des pages. Le rythme journalier. Des choses et des chants. Quelques cimes, parfois, à gravir. Ni orgie, ni festin. Le quotidien élémentaire. Ni fête, ni alcool. Le royaume au-dedans. La clôture. Et le monde si lointain…

 

 

Ni triste, ni joyeux. A peine présent. Comme le signe d’une distance – d’une bataille inachevée au-dedans. Seul dans le labyrinthe – à remuer le secret caché au fond de l’âme pour s’assurer d’être encore vivant…

 

 

Excessif – tout ou rien – passant de l’un à l’autre pour ne rien manquer. Et la perte – ainsi – est fracassante. Où que nous allions – quoi que nous vivions – nous restons l’âme et les mains vides…

 

 

J’aimerais une âme – et des mots – durs comme le granite – à la surface légèrement friable – pour répandre autour de moi quelques éclats d’encre – quelques grains de sable. Le reflet d’un très ancien silence…

 

 

Peut-être n’y a-t-il plus rien à faire – plus rien à dire – plus rien à partager. Se laisser vivre – simplement – et attendre la mort avec indifférence. Aller ainsi – d’heure en heure – de jour en jour – sans intention – sans désir particulier – sans destination précise. Se laisser mener – se laisser porter – par les souffles du monde et les nécessités intérieures…

 

 

Pas certain que ces lignes prouvent que nous soyons vivant. Un Autre – en nous – a soutenu notre âme – et tenu notre main et notre plume – pour les écrire…

 

 

Sur cette aire où la terre n’offre pas la moindre promesse de retour. Une fable, peut-être, à laquelle nos lignes n’ont pas réussi à offrir davantage de réalité…

 

 

Vivant – à peine – comme si tout se détachait – la vie – le monde – les visages. Ne restent plus sous nos pieds qu’un peu de sable – et le ciel immense devant nos yeux sans exigence…

Etranger à tout autant qu’à nous-même…

Et nos lèvres, pourtant, qui cherchent leur souffle. Et notre âme, pourtant, si sensible au feu qui l’habite…

A marcher – sans fin – dans la poussière – au milieu des cris et des ruines...

A contempler – sans tristesse – le déclin implacable des existences…

 

 

Pas à pas – de dérision en dérision. Comme si nos ailes étaient collées aux décombres – comme si la terre n’était que larmes – comme si nous étions seuls – et la vie pas même un passage. Un refus rédhibitoire clôturant toutes les issues possibles. La grande impasse dans laquelle nous nous sommes nous-même(s) jeté(s)…

 

23 mai 2019

Carnet n°185 Toujours – quelque chose du monde

Regard* / 2019 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Regard confiant au cœur de l’incertitude – comme si la vie était un chemin joyeux – un jeu – un exercice de découverte – une exploration du réel – un apprentissage de la joie et de la gratitude – et non une suite d’épreuves et de déconvenues – une longue série de peines et de malheurs…

 

 

Nécessités et jubilation silencieuse – sobre – éminemment solitaire – sans autre visage que celui des pierres, des arbres et des bêtes. Cellule au cœur de la forêt – entre terre et ciel – sans horizon ni regret…

 

 

A présent – l’espace et la lettre – et le rythme des pas. Sentier de cendres, peu à peu, transformé en or. Soleil journalier entre l’aube et la page. Le front ouvert au cœur du monde

 

 

Quelques foulées dans des lieux sans importance. L’âme habitée moins confusément. Un envol au-dessus des abîmes intérieurs – au-dessus d’un monde où sommeille encore la plèbe…

 

 

Le ciel recouvre la feuille – traits qui serpentent entre les pierres sur les plus hauts versants du monde. Roches et syllabes se chevauchant – et roulant ensemble sur la mousse – sur la page. Du soleil – de l’ombre – le juste équilibre de l’homme. Des gestes et des mots – soudés par la même substance. L’âme et le langage adossés au même silence. La joie incertaine – fragile peut-être – mais présente – loin des tribulations des siècles. Hors du temps – loin des hommes. Dans cet havre que les chemins ont, peu à peu, façonné…

 

 

Eloignement – à la suite du passé. Phrases et sentiers soutenus par la joie. L’encre et la sueur – issues du même creuset – coulant sur la même pente. Racines au ciel – là-haut – accessible à la verticale de tous les en-bas – après mille détours – mille impasses – mille bifurcations – où l’âme s’est cru perdue…

 

 

A contempler la vie dans le sillon des arbres – avec cette patience de la verticalité…

 

 

Entre le vide et les menaces – l’incertitude – une aubaine pour l’âme malgré l’œil fébrile – inquiet – et que rien n’apaise – pas même la continuité des jours…

 

 

A refaire le trajet à l’envers – jusqu’au puits où tout a commencé. Et sur le point, peut-être, de découvrir l’espace jubilatoire qui a enfanté l’abîme, le ciel et le voyage – cette terre qui nous a vu naître…

 

 

Nulle exigence – ni de solitude, ni de rencontre – ni de circonstances, ni d’extase. Seulement ce qu’offrent le jour et les provisoires penchants de l’âme…

Si loin de cette manière de vivre d’autrefois où chaque événement était un risque – une épreuve – un faix – un accablement…

 

 

Le tranchant du jour – à travers le visage – à travers la parole. La lumière comme un silex sur les masques du mensonge…

L’âpre sentier de la lucidité qui érafle – perce et pulvérise – qui déblaye l’espace nécessaire pour que s’établisse le moins pire de l’homme

 

 

Titubant au milieu de l’ombre – de gestes en syllabes maladroites – pour déterrer ce qui se cache derrière l’identité – sous les racines apparentes du monde – et découvrir la vie hors du temps et le premier visage qui enfanta les siècles…

 

 

Entre le vide et le monde – cette course inachevée…

 

 

Le vent, l’incertitude et la parole couchée sur ce blanc innocent et sans mémoire…

 

 

Pantin des forces noires qui nous gouvernent. D’impasse en bifurcation – de sol en ciel imaginé – vers ce langage sans verbe – vers ce geste au-delà de toute intention. Là où les mirages sont pulvérisés – là où l’illusion implose – abandonné à soi et à la possibilité de la rencontre. Murs qui se lézardent – qui s’effritent – qui s’effondrent sur toutes les ruines – et toutes les tombes – des siècles. Au commencement de tout, peut-être…

 

 

Entre les ombres et la transparence du noir. Architecture horizontale que viennent lécher les vagues et le brouhaha du monde avant de se fracasser contre les digues de l’âme…

Hauteur aux portes de la mort. Brasier où nous nous attardons, peut-être, trop longuement…

Nébuleuse asymétrie où se déversent la sueur et le sang de la désobéissance…

Un peu d’encre – quelques taches sur le lustre des lettres…

 

 

Mots emphatiques et inutiles – là où le moindre geste convoque – et réunit – tous les Dieux…

 

 

A vivre parmi les mythes et les reflets – cette ombre galopante qui traverse le monde – qui pénètre les esprits et s’entasse dans les têtes en strates de poussière légèrement argentée. Et la soif jamais tarie de l’âme qui cherche – accroupie – dans toutes les eaux stagnantes la source inaséchée…

Vertige de l’errance et de la dépossession…

 

 

L’ignorance pointée comme un tremplin – comme une possibilité de prolonger le rêve…

 

 

Chaque visage plongé dans les abîmes communs – dans le noir constitutif du monde – là où l’illusion tient lieu de repère – de loi – de vérité… Là où la certitude devient le seul étai pour échapper au néant…

 

 

La délicate attention de l’aube – agenouillée à nos côtés. L’œil au portique découvrant, à travers la fente, le terrifiant spectacle du monde…

 

 

A entendre partout le dedans appeler le dehors – et le dehors se perdre dans toutes les impasses du monde – et se cogner à la vitre du silence – toujours aussi ouvert – toujours aussi infranchissable – toujours aussi ignoré…

 

 

Une main et un front ouverts aux esprits qui cheminent – au silence tissé entre les mots – aux bêtes que la lumière réchauffe et rassure – à toutes les lueurs dans la nuit terrestre…

 

 

Alphabet de découverte pour percer le mystère dissimulé à l’origine du temps…

 

 

Le même monde – les mêmes choses – à l’envers – lorsque l’âme trouve son équilibre sur le fil tendu entre l’abîme et l’incertitude – lorsque l’âme se faufile entre les visages – lorsque l’âme plonge au cœur des circonstances…

 

 

Parler avec soi – et avec tous ceux qui sont vivants. Mais garder le silence face aux spectres mimétiques…

Cortèges inchangés de la répétition dont les pas et les heures pèsent aussi lourds que le plomb…

 

 

A tourner sur soi jusqu’à rompre le fil des incarnations. Métamorphoses jusqu’à la virginité de l’âme – à l’approche de la saison désertique où le ciel devient une perspective giratoire ouvrant sur des continents inconnus – invisibles – immatériels – au sein desquels la neige se transforme en flammes et le feu en océan de cimes déchaînées…

Bain de lumière au cœur de la nuit…

 

 

Dans l’intensité d’un regard soupesant la nécessité du monde. Dans cette faille qui annihile la mort et le temps…

 

 

Le dérisoire célébré pour échapper au néant qui – ainsi – gagne le monde avec plus d’ardeur…

 

 

Ce qui serpente entre les miracles – le doute irrévocable de l’exil. La crainte de vivre hors du cadre – hors du centre – trop loin du cercle des mystères et des résolutions…

 

 

Enfant parmi des visages masqués sur lesquels ont été gravées – à traits grossiers – des caricatures d’adulte – fat – indifférent – chargé de toutes les fausses prétentions du savoir…

 

 

Route où règnent les virages et l’incertain – et, de manière moins visible, le rapprochement inespéré de l’âme, du geste et du silence…

 

 

Existence sobre. Quotidien simple et joyeux – si amoureusement solitaire – où le langage importe autant que le silence – et le monde naturel autant que l’espace intérieur…

 

 

Visage de tous les vivants – rencontrés au hasard des chemins – celui des arbres, des pierres et des bêtes – et celui, plus rare, de quelques hommes…

 

 

Présence en soi d’un Autre qui contente l’âme – et offre au corps et à l’esprit le nécessaire. Le reste est glané dans le monde – ici ou là – au hasard des rencontres et des chemins…

 

 

Des rives solitaires où tout semble si étranger – les bruits, les rythmes, les visages – le sommeil des âmes qui rêvent, peut-être, d’éternité. L’automatisme des gestes, le prosaïsme des pensées. La pauvreté du langage et des rencontres. La violence qui répand l’opprobre et le sang. Les opinions et les jugements déguisés en fausse raison. L’ignorance et la barbarie qui – partout – piétinent l’innocence et la beauté. Et le mépris des marges où nous autres sommes exilés…

L’abstraction d’un monde où ne vivent que des inconnus…

 

 

Ouvrir à ce qui nous peuple l’espace nécessaire pour réclamer – être accueilli et honoré – et devenir davantage vivant que fantôme – davantage vivant que démon. Offrir à tous ces visages la tendresse et l’attention nécessaires sans leur imposer – par la ruse ou la force – le silence et la raison…

 

 

Nulle part est le seul lieu existant – le seul lieu où nous sommes – le seul lieu où demeurer. Les autres contrées sont trop certaines – trop circonscrites – trop étroitement liées à l’absence… On peut y vivre – s’y installer – et même y mourir – mais, où que nous soyons, nous sommes toujours un peu ailleurs – dans cet interstice variable sans coordonnées précises – là où nul ne sait s’il existe ou s’il n’est qu’un rêve…

 

 

Réduire l’abîme entre l’âme, la chair et l’esprit – devenir l’incarnation du verbe et du silence – pour que le geste devienne intelligence sensible – et que tout se réalise à partir du respect – et avec tendresse – même les plus virulentes réponses imposées par les circonstances et les inclinations du cœur…

 

 

Percées en soi du moins tangible – du plus éloigné du commun ; le plus simple et le plus ordinaire, en vérité, de l’existence et de l’homme…

 

 

Les yeux dans l’air invisible – à la source, peut-être, des choses – en deçà du sens commun (et du sens cherché) – au milieu des fantômes qui peuplent le monde…

 

 

Des âmes fascinantes derrière la faim tenace – féroce – récurrente – et le sommeil naturel. Lumière dissimulée – comme en retrait – entre deux bouchées – entre deux soupirs – entre deux bâillements – entre deux indigences, en somme…

 

 

Tissée d’ombre et de réponses – voix en fragments – entre le vide et l’œuvre inaccomplie – inachevable sans doute – mais cohérente de bout en bout – où s’esquisse, avec authenticité, le tracé d’une quête – d’un voyage…

 

 

Un jour comme un instant – une vie comme un jour. Et tous ces restes d’éternité abandonnés au temps et à l’oubli…

 

 

Jouer et mourir ensemble – de joute en combat – au cœur de l’âme. Forme de révolution sans empiétement, ni sang versé. Poussière, cris et nuages au-dedans, peu à peu, transformés en orage – en chute – puis, en silence…

Choses souffrantes et apparentes injustices délaissées pour une volonté plus grande – et sans intention – universelle peut-être – cosmique sans doute – sans verdict, ni châtiment – pour que l’épreuve imprègne l’âme, la poitrine et le visage – toutes les coulisses de nos histoires – tous les cercles de notre identité…

 

 

A la cime des jeux – au-dessus des enclos où croupissent toutes les créatures du monde – bouche et bras dressés les uns contre les autres – virulents – démunis – aveugles aux liens intangibles qui réunissent tous les fragments en un grand corps souffrant et jubilatoire – toujours innocent de nos mythes et de nos histoires…

 

 

Les pas les plus tendres de l’automne – entre écriture et soleil – sous la lumière qui a inspiré les vents. Assis sur les pierres où les rires – toujours – sont provisoires – près des grands arbres dont le faîte caresse la chevelure des Dieux. Pauvre et sans miroir – sans même un visage pour contempler son reflet. Fleurs et quiétude au soir couchant lorsque l’autre soleil détrône celui du jour. Le temps immobile – et qui, pourtant, semble s’écouler. Là où, sans doute, est notre demeure…

 

 

Pierre entre les murs mais la respiration ailleurs – au-delà du monde – au-delà des hommes et des Dieux – au-delà du temps…

 

 

L’écriture comme reflet d’un effacement progressif. L’âme de plus en plus vacante – et l’espace comme un soleil – une vaste prairie pour une seule fleur – à distance de ce qui passe – de ce qui crie et gesticule – loin de l’effervescence et de l’angoisse des vivants…

 

 

Les mots effacent peu à peu tous les noms – tous les traits – toutes les identités obsolètes. Langage de silence que tant associent aux forces destructrices qui, à leurs yeux, mènent toujours à la mort et au néant…

Simple déblaiement du superflu – des amas inutiles entassés là – partout – sur la terre et au fond des têtes – depuis des siècles…

 

 

Tout diverge – à présent. L’exil se précise – la solitude s’affine – le passage anonyme s’intensifie…

Un corps en mouvement – quelques gestes – et l’assise – toujours incertaine – ancrée au cœur de cette immobilité souveraine – avec, au fond de l’âme, le silence comme seule couronne…

 

 

Loin des hommes qui réfutent l’acquiescement permanent du Divin. Paupières fermées sur l’asymétrie grandissante. Mythes et sommeil – et mille routes dérisoires – extravagantes – et effrayantes à maints égards – qui éclipsent, de manière presque rédhibitoire, toute possibilité de clarté…

 

 

Monde et syllabes édifiés contre les vents – et sur le sable sous lequel sont enterrés tous les morts que la terre a connus. Poussières magnétiques qui, à travers nos gestes, existent et respirent encore…

 

 

Spirale invisible dans le poème – où les mots – tous les mots – somment de revenir au silence…

 

 

L’innommable aux mille noms rudimentaires – incomplets – balbutiants – que notre bavardage peine à reconstituer…

Pyramide aux visages et aux reflets changeants. Edifice d’ombre, de savoirs et de sable que les hommes et les vents bâtissent depuis des siècles – et qui, peu à peu, s’effrite – se désagrège – pour offrir l’espace et le silence nécessaires à la célébration de l’invisible – ce cœur magnétique et rayonnant – le seul centre de nos histoires – de toutes nos histoires – si partielles – si fragmentées – si dérisoires…

 

 

Sur le même versant que Dieu, les vents et la lumière obscurcie…

 

 

Entre parenthèses – nos vies en sursis. Entre des milliers de points de suspension. Et l’inconnu – le probable et l’évident – avant et après – et au milieu de ce que nous vivons et de ce que nous écrivons sur le dérisoire registre des vivants…

 

 

Des oiseaux au milieu des esprits – quelques idées aussi légères que l’air. Des bruits de feuillage et d’oies sauvages au-dessus de nos têtes. Les chants du monde épargnés par l’apocalypse – par la tragédie de la terre et la tyrannie humaine. Survivants provisoires – rescapés des canons qui prolongent les bras cruels des hommes…

Parmi les pierres – entre rire et soleil…

 

 

Rien ni personne derrière les noms – qu’un peu de terre – qu’un peu de vent. Et la présence espiègle et le silence anonyme qui supplantent l’identité et le langage…

 

 

Ni gouttière, ni escalier. Un toit de toile – une couverture pour la nuit. Et la terre pour royaume…

Ni faux, ni moisson. L’immensité pour seule récolte…

La solitude partout – au-dehors comme au-dedans. Et Dieu au milieu – entre dépit et extase – plongé dans la contemplation de ses mille visages…

 

 

L’ombre tournant autour d’elle-même à la vitesse de la lumière pour essayer de dépeupler l’obscurité…

 

 

Ivres de rêves et d’alcool – comme unique manière de décorer le néant – de donner un peu de couleur à l’obscurité de l’abîme. Fenêtre dans la grisaille – horizon dans la nuit – aussi tristes que tous ces visages titubants dans la poussière…

 

 

Seuls à veiller dans les ténèbres. Comme d’infimes lampes vivantes agrippées à toutes les possibilités du ciel. Temples précaires au sein desquels l’âme – attentive – guette la moindre opportunité – le moindre rai de lumière…

 

 

L’âme aimante – désengagée des turpitudes du monde – reflet d’un autre jour – simple – et moins fébrile qu’au commencement du voyage…

 

 

Suspendu au-dessus du paisible reflet…

Lumière et beauté en surplomb de la fange et de l’impatience – au-dessus de cette fébrilité sans poids et de cette angoisse marécageuse dans lesquelles sont plongés les hommes…

 

 

Yeux dessillés – heures de pleine présence – où le monde ressemble à un rêve – où les Autres ont la même consistance que les âmes – nuages – vapeur docile – tremblements parmi d’autres tremblements. Seule la respiration atteste notre existence. Le reste défaille aussi sûrement que la nuit paraît dense – épaisse – étrangement sombre…

 

 

Fleuve d’instants et de pierres – charriés comme du limon – où la clarté rehausse toute présence – où les heures sombrent faute d’intensité – où ce qui s’écoule – où ce qui s’étire – n’est ni le temps, ni les âmes – mais le reflet de nos yeux perdus cherchant Dieu parmi les algues et la boue des rivages…

 

 

Entre nous – cette absence qui maintient les âmes à distance – emmurées dans leurs plaintes et leurs tentatives…

 

 

Tragique – parfois – comme l’errance des esprits devenus fantômes cherchant un nom – un clan – une lignée – et une pierre où poser leur fatigue…

 

 

Des signes qu’aucun œil ne décryptera – appelés à danser furtivement dans l’âme de celui qui les a déposés sur la page – appelés à courir brièvement dans l’air parmi mille autres pensées – appelés, après quelques cabrioles, à retourner dans la faille – dans l’abîme murmurant tous les secrets du monde…

 

 

Vacillant dans la main des siècles. Noirci – presque consumé – par les feux du temps. Rien qu’une flèche décochée vers le moins pire – la seule possibilité…

 

 

Manteau d’écume sur le soir couchant. Lumière – comme un astre dans la main placée à hauteur de visage – paume ouverte sur la nuit – obscure – profonde – abyssale. Âme fraîche et palpitante – pétrie de rêves et de résurrection – planant comme un songe au-dessus des croix posées au carrefour des chemins…

 

 

De la boue, des fleuves – et cette rive mystérieuse – introuvable à partir des critères géographiques communs. Du silence – quelques signes pour guider la marche et orienter les pas – vers ce lieu où ne règnent que l’inconnu et l’incertain – là où les fronts se baissent et les lèvres s’embrassent – là où le feu devient ardeur sans intention – là où l’Amour se transforme en rayonnement discret et anonyme…

Dans les bras déjà de l’indestructible qui s’approche lentement…

 

 

A notre place – infime – dans cet immense inventaire où les noms ne sont que des flèches pointées vers le silence…

 

 

Les siècles – piliers des traditions labyrinthiques. Mille gestes – mille visages – identiques – célébrant les mêmes paupières closes. Eaux emportées par le même fleuve vers l’océan où les vents et la mort se côtoient – et conspirent ensemble contre l’acharnement des hommes – l’ignorance millénaire – la barbarie mise au faîte de toutes les pyramides…

 

 

Echo de la même vague qui caresse ces rives depuis des milliards d’années – qui sépare et disperse ce qui n’aspire qu’à se réunir…

 

 

Trésor brûlant du même jour qui s’éternise…

 

 

Quelque chose demeure – à chaque instant – que nous ne savons voir – nous qui passons toujours trop vite – d’une chose à l’autre – d’un visage à l’autre – d’un lieu à l’autre – d’espérance en promesse rarement tenue…

 

 

Heures lumineuses au soir couchant – entre le silence et le chant de la rivière. Le temps immobile – s’écoulant à peine – au milieu des arbres – sur ce sentier de terre fréquenté par les bêtes de la forêt. Quelques signes sur la page près de mes frères endormis. Quelques livres sur la table – une tasse de thé – un feutre. Et la joie de l’âme dans cette cellule dérivant sur les routes du monde – stable dans son assise – acquiesçante à ce qui vient – dispersant les restes du passé dans tous les fossés qui bordent les chemins…

Fidèle au voyage et à l’itinéraire intérieur…

 

 

Le monde se déplie comme un visage trop longtemps caché qui a enfoui son Amour comme un secret dans les replis de la terre. Place nue – âme noyée de larmes – bouche émue par ce qui s’enfante et les répudiations successives. L’exil des marges. La pauvreté du commun qui applaudit à chaque lynchage de la différence. Le front haut – immergé dans son délire – épaules voûtées par le poids du manque et les années ingrates – sans joie. Et ce rire qui résonne dans les tourmentes – dans les tempêtes – dans tous les déserts traversés. Ce qui vient de l’être et ce qui vient du ventre. La beauté et les discours inutiles. La vie, le soleil et la poésie. La présence lisible au creux de nos silences. Les étoiles et l’effacement de toutes nos histoires. Nos récits, nos batailles, nos résistances – toutes nos chimères – aussi minuscules qu’est grande et majestueuse la solitude. Et la mort qui vient clore nos dérisoires aventures. Jusqu’à la fin où, bien sûr, tout recommence…

 

 

Manteau d’hiver sur la plaine que le froid a recouvert. Seul(s) dans la forêt – loin de la ruche humaine – de ces cités couleur de soufre et de colère où les hommes étouffent et s’agglutinent…

Personne ici – qu’un soleil qui étreint l’âme. Et ce vent qui nous embrasse comme les héritiers du néant à la rage cannibale…

Rien que deux yeux ouverts sur cette faille immense dans le mur du monde. L’esprit qui chante pour la joie des pierres. Et ces grands arbres amoureux du silence. L’été au-dedans ne va, sans doute, plus tarder…

 

 

La langue et le pas oublieux des saisons – indifférents aux jours qui passent – griffonnant sur la page – sur le monde – leur humble arabesque – leur danse joyeuse…

Feutre à la bouche – fracassant toutes les portes – effaçant toutes les frontières – pour que la ronde dure encore – dure toujours…

 

 

Mouvement elliptique qui brise l’apparente linéarité de la marche du monde – de la course du temps – ouvrant l’âme au sang et au silence – brûlant la nuit et ses illusions – l’orgueil et ses prétentions – l’identité, les pierres et le soleil – allant là où tout se profane – où tout s’incendie dans la volonté joyeuse du silence pour que – partout – règne sa consécration anonyme – discrète – invisible…

 

 

Chemin de sueur et d’aube récurrente. Feu, poudre et lames métalliques ; terre profanée – plaines et forêts dévastées – collines défigurées – montagnes lézardées – par le sacre nocturne de l’homme – auréolé de sang et de béton…

Ne survivront, peut-être, que le silence et le lichen…

 

 

Petites choses dans les vents et l’infini. Des yeux – un cœur – un peu de chair – et cette âme tremblante qui rêve de jubilation…

 

 

Mains ouvrant toutes les portes – déchirant tous les voiles – éliminant toutes les limites – pour célébrer la nudité fragile de l’être, si souvent, happé par la force des éléments – dansant dans la tempête – au corps à corps avec le monde. L’âme prête à l’ultime sacrifice pour que la joie demeure – toujours – le plus haut de l’homme…

 

 

Le vent se lève – l’heure devient sombre. L’âme se redresse – parée contre tous les assauts. Les rivières débordent. La terre tremble. La pluie cingle. Tout s’agite – et se mêle à la beauté du monde. Les yeux regardent avec effroi la possibilité du sang et de la mort. Les fronts se font fébriles. Et quelque chose – en nous – veille à la justesse du geste et du langage. Les oiseaux et les hommes s’abritent. La fureur – bientôt – sera à son comble. Comme si les Dieux des torrents et de la fougue martyrisaient le petit peuple des vivants – prostrés – fragiles – effrayés par la force des éléments – retranchés dans leur impuissance et leur résignation…

Tous prient – sanglotent – remettent leur vie entre les mains d’un Autre – mystérieux – inconnu qu’ils perçoivent, sans doute, comme un patriarche bienveillant ou une madone angélique – comme une entité divine qui plongerait du ciel pour sauver les âmes du déluge…

 

 

Ce que le monde – et les paysages – nous disent du règne de l’homme – une seule bête – en un seul regard – nous résumerait toute la tragédie…

Sang au front – ensommeillé jusqu’à la mort. Un ventre – des bras – un sexe – d’instincts et de survie…

Une tête au ras du sol – analphabète – qui ne comprend ni le langage des pierres, ni le chant des rivières. Aveugle et insensible à la dignité des arbres, au courage des bêtes et à la beauté naturelle du monde – qui ne jure que par la facilité, le confort et le progrès – devenue plus sauvage et barbare que les dents de la faim…

 

 

Enlacé au jour et à la nuit. Pas tissés d’incertitude et d’inconnu qui abreuvent notre soif. Un jour, ici – un autre, là. Des lieux (presque) sans importance. Un périple où la manière de voyager importe davantage que l’itinéraire – que les paysages parcourus – que les visages rencontrés…

 

 

Récit d’une chute aux allures d’errance – longue – interminable – et qui ne s’achèvera, sans doute, qu’avec la fin de la nuit…

 

 

Terre incessante et ciel intermittent. Comme un œil affamé – fébrile – qu’apaiserait un battement de paupière – comme un intervalle – un repos – un sommeil – dans cette quête effrénée…

 

 

Divagation davantage que périple. De détour en détour jusqu’au centre…

 

 

Lignes boursouflées qui ne laissent que (trop) peu entrevoir la simplicité de vivre – l’effacement des exigences – la nudité de l’âme – la frugalité de l’être. Sans doute – pas assez innocentes encore…

 

 

Front d’écriture comme d’autres se portent volontaires dans les tranchées pour résister aux invasions barbares

Un peu d’encre à la place du sang. Et beaucoup moins de courage sans doute…

 

 

Journal du monde à venir – espérons-le…

Tout devient si tragique – à présent. Le moindre élan amplifie la guerre qui a trop duré… Il faut savoir battre en retraite et s’exiler – laisser les visages à la nuit qu’ils célèbrent – aux ombres qu’ils vénèrent…

Transformer l’ignorance et l’orgueil de l’homme – d’autres avant nous (et des biens plus doués) s’y sont cassé les dents…

 

 

La vie, l’amour, la mort. L’obscure évidence que l’homme et la nuit rendent si triste(s)…

 

25 avril 2019

Carnet n°184 Quelque part au-dessus du néant…

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Être et accueillir – comme manière de vivre – la plus belle que je connaisse – au-delà même de toute forme d’humanité…

 

 

Entre le sol et le ciel – aussi insaisissable que les nuages. A vivre – sans prise – sans emprise – toutes les transformations jusqu’à l’effacement. De déchirure en déchirure jusqu’au sacre du plus rien – jusqu’à la célébration du vide – jusqu’à l’apothéose de l’invisible…

 

 

Tout s’amoncelle – et, pourtant, l’eau passe à travers tous les reliefs. L’orage, la goutte et les rivières – comme tous les fronts humbles dont le nom ne fait trembler personne…

 

 

Qu’importe le froid, l’absence et la solitude – lorsque vivre vous caresse. Comme un peu d’air descendu du ciel qui enveloppe et traverse les restes de terre que nous sommes encore…

 

 

Un immense soleil sous l’identité – lorsque vivre, respirer et aimer deviennent l’âme, la chair et la peau – le plus noble, peut-être (et le plus délicieux sans doute), à ressentir…

 

 

Pas de vérité – mais l’intense certitude d’être – au-delà du monde – au-delà du visage – au-delà de la langue qui ne sert qu’à nommer…

 

 

L’Amour comme une étoile – la seule, peut-être, dans le ciel – soudain descendue jusqu’au fond des yeux…

 

 

Tout porte – s’emporte – nous emporte. Nous ne sommes que des sacs soulevés par les mains du feu qui nous jettent vers l’inconnu…

 

 

Haute voltige sur le fil de la terre – entre Dieu et l’abîme – entre l’horreur et la folie – cette silhouette que l’Amour a étreinte et pénétrée. Invisible – transparente – de la même couleur, à présent, que les paysages qu’elle traverse…

 

 

Une fenêtre que le vent déplace au gré des nécessités. Comme un voyage entre les visages dans cette nuit trop sombre – dans cette nuit trop ancienne…

D’un jour à l’autre sans que l’obscurité s’en mêle…

 

 

Entre les pas et les cimes – la même immobilité – indemne de toute érosion – de tout épuisement – et dont le souffle et les vents ne sont que les reflets fragiles et erratiques…

 

 

Les tourments émergent de la surface. Et l’acquiescement, du silence des profondeurs – de ce regard hors de portée pour les yeux – accessible seulement à travers la nudité de l’âme qui n’a plus rien à confesser excepté, peut-être, la discontinuité de son innocence…

 

 

La marche et les gestes somnambuliques des hommes à la surface de la terre qui imaginent Dieu et l’âme flottant au-dessus de leur tête – à quelques encablures – à quelques années-lumière – et dont l’or et la ruse sont les seules richesses – et qui piétinent en nombre – en masse – presque tous ensemble – pour effleurer, à peine, le miracle de vivre – l’étrange jubilation d’être au monde…

 

 

Des virages – des clins d’œil – jamais vraiment d’âmes, ni de véritables tournants. Quelque chose entre l’effleurement et la paresse – entre le sommeil et l’ennui…

Et des milliards d’existences bâties – et emplies – ainsi où la chair est mécanique et l’esprit un simple instrument au service de la survie…

Bêtes à peine plus rusées que les autres…

 

 

A se promener seulement. De flânerie inattentive en baguenaudage désœuvré – l’œil agrippé au visage – flirtant avec l’enveloppe du monde – les mille apparences de la multitude. Exilés en somme…

Avec quelques cassures parfois – histoire d’entrevoir l’étendue de la faille…

 

 

Bêtes comme les autres – à l’esprit presque aussi grossier que celui de leurs congénères à quatre pattes…

 

 

L’éclat d’un Autre dans ce vertige insensé de vivre…

 

 

Tout pénètre l’œil et l’âme – jusqu’à l’herbe tendre des fossés…

 

 

Entre ciel et arbres – terre et poèmes – pierres et silence. A honorer la route ouverte. A explorer les mille éclats du même visage…

 

 

Faces du même jour – fragments du même silence – recomposés à l’infini. La vie et la mort – à parts égales sur la page…

 

 

Pages et lèvres presque mutiques à force de mots lancés – à force d’appels sans écho – à force de silences pesants. Une âme légère – un peu lasse de l’indigence – pas si tragique – du monde – trop peuplé de visages et de gestes triviaux…

 

 

Gravillon – à peine – sous les pas d’un monde trop rageur et impatient – qui a élevé en règne l’absence et l’insensibilité…

 

 

Un cadre sur fond d’espace et de lune. Du bleu et du vert. Un peu de jaune – et ce gris et ce rouge épais – massifs – s’accumulant en strates successives – que les hommes répandent partout…

 

 

A la grandeur du jour – à la beauté du monde – nous ne répondons que par des grimaces et des postures – ou pire par des horreurs et du sang versé…

 

 

Des pierres côte à côte – les hommes sur leur long chemin d’épreuves. Durs – froids – immobiles – presque hermétiques aux aléas et aux beautés de l’univers…

Insensibles à tout ce qui ne vient pas les nourrir ou les réconforter – et qui, presque tous, se sentent appartenir au bon peuple des cailloux…

 

 

Interstices de silence qui, peu à peu, s’élargissent pour devenir des parenthèses, puis des intervalles, puis (enfin) l’espace tout entier – les choses, le monde, les visages. Tout – absolument tout – sans exception…

 

 

L’air et l’âme déchirés par les mêmes vibrations – sensibles au moindre bruissement – à la moindre résonance. Pièce sans mur – demeure ouverte – exposée à tous les souffles – à tous les vents…

 

 

Tous – reliés par le même fil invisible – fragmenté en mille filaments infimes…

 

 

Mille parchemins pour ne témoigner que de la beauté et du silence – et condamner – inutilement (bien sûr) – l’inertie et l’insensibilité (provisoires) des âmes…

 

 

Denses – les pas – les lignes – l’âme et le visage. Fragiles aussi. Et sensibles – toujours – au souffle qui attise les désirs – et au silence qui a engendré toutes les faims…

 

 

Cœur friable – ouvert – matrice des orages et du rire – du vent et des caresses sur l’âme…

 

 

Bleu comme le ciel et le sourire – comme la terre et les visages – vus depuis le jour. Les forces nuptiales tournées vers l’invisible – agglomérées par le même souffle qui s’étire à travers les siècles…

 

 

Dans la vaine attente de ce qui ne viendra qu’avec la cessation de l’attente. Le regard face au ciel devenant, peu à peu, l’infini…

 

 

D’une force à l’autre – jusqu’à la plus grande faiblesse…

 

 

Vêtements du cœur – trop amples – trop mensongers – pour tant d’étroitesse…

 

 

Au-delà du seuil – rien de précis. Une évidence indémontrable. L’infini en perspective. Le ciel de tous les côtés – au-dehors et au-dedans. Et l’explosion des frontières. Ni centre, ni bord, ni fond. Partout, la même lumière…

 

 

L’invisible qui relie ce qui semble si lointain – si séparé. Toutes les extrémités et tous les exils – rassemblés au fond de la même solitude – grandiose – magistrale – souveraine…

 

 

Eléments du même magma soumis à mille forces souterraines. Attraction – répulsion – création – destruction – dans le grand inventaire des combinaisons. L’infini jouant à se fragmenter…

 

 

Seul sur son fil à contempler le jour. A découvrir l’ailleurs au plus près – et les extrémités du temps. L’implacable rigueur des vents qui forcent au déséquilibre – à l’élan – et à la marche à petits pas…

 

 

Une tête à hauteur de sol composé de ciel, d’abîme et d’étoiles. Et des mains – deux mains minuscules – aussi belles et tendres que l’âme…

 

 

A genoux – de par le monde – comme si nous étions tous les visages – la terre entière – et l’au-delà du cosmos. Le point le plus dense de la création qui englobe l’infini – tous les horizons, tous les rires et toutes les larmes des vivants…

 

 

Le cœur comme une pierre – si froid que le sang gèle au-dedans – et si dur que l’innocence doit emprunter mille détours pour le pénétrer…

 

 

Ce qui nous éclaire comme un grand feu dans la nuit froide. Comme une boussole dans les dunes de l’âme – pour retrouver la candeur et la beauté des chemins – et vivre de mille autres manières dans ce monde qui a toujours ignoré l’innocence…

 

 

Au bord du monde – là où les vents déferlent et où les âmes sont invincibles…

 

 

Au plus bas – au sommet – sur l’axe médian – la même silhouette éclairée par des yeux différents – à inégale distance de la seule lumière…

 

 

Des sons – des signes – un peu de bruit pour donner un air de fête à la poussière – un peu de sens au néant. Comme une légère accolade offerte au monde par une main distante et amicale – intensément familière du vivant…

 

 

Hors du temps – ce qui fait scintiller tous les fragments…

 

 

Des traits qui – toujours – en diront moins long que le silence…

 

 

Figures tristes des hauteurs – emmurées dans leur tour de briques – engluées, en réalité, au fond de leur trou de glaise. Philistins prudhommesques – affreusement ridicules…

 

 

Blessures et morsures – âme et chair entaillées dans l’arène. Les mille spectacles du monde. Masques et costumes qui dissimulent les armes brandies et l’armure revêtue à chaque défi – à chaque épreuve – presque toujours déguisé(e) en rencontre…

 

 

A moins regarder les hommes que les grilles derrière lesquelles ils vivent enfermés (en croyant être libres)…

Vies et histoires sans intérêt alors qu’un royaume patiente derrière chaque visage…

Et ces lignes – et ces lèvres – trop impatientes de voir les illusions s’écrouler et les yeux (enfin) se dessiller…

A mépriser les jeux du monde comme si l’horizontalité était une ineptie – une aberration – au lieu d’y voir les admirables (et judicieux) détours du silence pour verticaliser les âmes…

 

 

Particule élémentaire qui s’imagine plus admirable que le sable et la poussière…

 

 

Immergé au-dedans – et le trait interrompu – comme pour réduire l’écart entre l’être et la page. Comme un détachement naturel du superflu – converti, trop artificiellement peut-être, en nécessité…

 

 

Serré contre la marge – à la frontière de l’inhumain – là où, partout, éclot – et éclate – le centre…

Et l’âme entamée jusque dans ses plus élémentaires aspirations…

Là – peut-être – où l’humanité perd sa couleur pour une folle – et discrète – transparence…

 

 

Seul – et sans allié – avec quelques soutiens passagers – quelques appuis circonstanciels…

 

 

Vide, lumière et silence – la trinité de l’inhumain – ce que nous sommes (tous) sous nos déguisements bruyants et bariolés…

 

 

Aux marges de la marge – là où tout devient centre – là où le centre – toujours – demeure – à l’exacte place où se tiennent les pieds, les yeux et l’âme. Le cœur insouciant et vagabond au milieu de nulle part…

 

 

Le dos calé entre l’abîme et l’incertitude – en ce lieu où Dieu est toujours présent…

Avec les pierres, les arbres et les bêtes des forêts – à se cacher dans cette frange délaissée par les hommes…

 

 

Traversé – en éclats – par le sol et la lumière – la joie et le silence visibles sur la figure. Debout sur cette crête ignorée du monde…

Engagé là où tout est découvert – loin du siècle – de cette époque opaque…

Au-dessus du sommeil du dedans – là où naissent l’ajour et la parole – et la blancheur du moindre silence…

 

 

Le pas et le mot resserrés – assemblés là où, autrefois, le monde les séparait…

 

 

Gestes de passage – sans intention – comme d’infimes soleils malgré l’obscurité apparente du regard. Comme un peu d’âme dans la main et sur les traits bruts du visage…

 

 

A goûter ce vent qui nous fermera les yeux à la dernière heure…

 

 

Le sable blanc de la page – et ce bleu modeste tracé au feutre – comme un infime trait de lumière – un peu de réconfort, peut-être, dans l’obscurité du monde – si peu propice aux marges, aux hauteurs et aux bas-fonds – à tous ces lieux où l’innocence et la beauté sont encore vivantes…

 

 

Emportés – comme si la nuit était partout – monstrueuse et dévorante – affamée d’ignorance, de rêves et d’illusions – atrocement séduisante – et qui envoûte les yeux – les âmes – et condamne toute question – toute curiosité – au mutisme – au silence – au néant…

 

 

Au gré des jours – au fil des pas et des pages – à petites foulées – entre terre et livres – entre monde et silence…

De la nuit jusqu’au plus simple. De la prétention à la liberté. Le plein acquiescement aux circonstances. Sans doute, le centre premier du monde

 

 

A hauteur de sol – là où Dieu est toujours présent – et donne aux pierres et aux fleurs leur éclat et leur beauté – et aux bêtes leur courage…

 

 

Densité et intensité du jour – où l’instant et le silence sont pleinement vécus – et célébrés comme les seules lois du monde…

 

 

Vivant comme s’il était trop tard – comme si nous ignorions que chaque seconde compte autant que l’éternité…

 

 

Ni inquiétude, ni angoisse. Ni visage, ni parole. L’homme abandonné au profit du monde. L’effacement au détriment de la séduction et de la gloire. Et la solitude comme seule manière de vivre…

 

 

A la marge – là où le centre demeure vivant…

 

 

Des gestes – des pas – des traits – qui suffisent au jour…

Loin des heures et des figures effervescentes…

La parole défaite au profit du silence…

 

 

Le sommeil – prémices et vestige de l’infini. Comme un intervalle entre deux silences – entre deux lumières où le pire – toujours – règne sur le monde…

 

 

Agitation et piétinement sans conséquence – malgré le sérieux des gestes, des titres et des visages. Quelques vibrations dans l’air de plus en plus suffoquant…

 

 

Enclave à la jonction des possibles où l’habitude et le sommeil dictent les pas. Alignement rectiligne – linéarité illusoire de l’itinéraire – reflet de la vision étrécie et du manque d’envergure de l’esprit – comme replié sur ses maigres certitudes…

 

 

Péripéties sans importance que nous transformons en histoire – en épopée. Chevalier couard et sans aventure. Voyage sans consistance. Et âme inerte – peut-être sans substance. Qu’une voix pour pérorer et célébrer l’anecdote, le dérisoire et le néant…

 

 

Le front, à présent, éclairé du plus transparent – à l’égal, peut-être, de l’âme. Demeurent, pourtant, la nuit et le rêve – l’opacité de la matière et l’obscurité du monde…

 

 

Des vies comme un rêve infime où l’infini, Dieu et l’Absolu ne constituent qu’une (trop) lointaine frontière…

 

 

Jour après jour – quelques pas plus lumineux que tous ceux réalisés au cours des nuits successives – et qui, comme toutes les foulées du monde, ne mèneront jamais ailleurs qu’en soi – là où, en apparence, tout a commencé – là où, en apparence, tout finira – en ce lieu dont le centre existe partout – et de toute éternité – quelles que soient l’opacité des âmes, la clarté des paysages et la grossièreté des gestes et des visages…

 

 

Un pur chemin d’innocence où – en fin de compte – seuls l’instant, l’Amour et le silence méritent d’être célébrés…

 

 

Des jours et des mots sans impératif – où la manière d’être au monde et la pleine adhésion aux circonstances et aux nécessités de l’âme comptent davantage que les événements et les rencontres…

 

 

Jusqu’où est-on capable de rencontrer l’Autre – l’Autre en soi et l’Autre dans le monde…

 

 

Partout – autour de moi – la vie tranquille – mais qui ne vaut que pour celui qui passe – et jamais pour celui qui s’y installe – qui la transforme, malgré lui – malgré elle – en sommeil effroyable…

 

 

L’âme nomade…

Le silence pour unique assise…

Et les pierres, les arbres et les bêtes comme seuls frères d’âme…

 

 

Ô combien aurais-je aimé que les hommes soient réellement des hommes…

 

 

Le monde au détriment d’un passage. Comme si on essayait de corrompre l’infini…

 

 

Au fil des pas, le monde s’appauvrit – devient terne – presque indigent – étrangement neutre. Et l’esprit se vide au profit d’un regard de plus en plus riche – de plus en plus sensible et autonome…

 

 

Qu’un temps provisoire – éternellement…

 

 

Il y a quelque chose d’infiniment frustrant à ne jamais pouvoir rencontrer ses semblables – ses pairs de chair et d’âme – ces visages si proches…

 

 

Plus essentiel que le monde, les rencontres et les visages – le regard porteur d’Amour, d’infini et de silence que les circonstances nous fassent demeurer dans notre chambre (ou dans notre cellule) – ou qu’elles nous fassent arpenter les chemins de la terre…

 

 

Cris, murmures, plaintes, gémissements, vociférations – voix minuscules – bruits inaudibles – vibrations infimes dans l’air – comme le rêve d’exister…

Et, pourtant, l’infini distingue – et éprouve – le moindre de ses visages – et, parfois, consent à répondre à ses appels – pour peu que l’âme soit suffisamment vide et sensible aux choses de l’invisible

 

 

Le silence – à travers le souffle – expectorant sa perfection

 

 

Le geste – reflet exact du relief intérieur et de la densité de l’âme. Quant à la parole, elle se fait, souvent, plus trompeuse – moins révélatrice de ce qui anime profondément les êtres tant elle est soumise à la séduction, au fantasme et à l’imaginaire – à toute forme d’illusion (et d’auto-illusion en particulier)…

 

 

Rien ne peut être refusé, ni banni. Tout est possible – et acceptable. Mais pour vivre cette liberté (la plus haute, sans doute, offerte à l’homme dans son horizontalité) il ne faut ni règle, ni loi – ni contrainte, ni restriction. L’âme peut alors pleinement acquiescer à tout ce qui survient …

 

 

Monde d’un instant – monde d’une éternité – où le provisoire – toujours – est de mise…

 

 

Figures et paroles pulvérisées par l’ardeur inflexible de la matière – si prompte à entrer en collision avec le monde – avec l’Existant – avec elle-même, en vérité…

 

 

A vivre comme si l’Autre (inaccessible, bien sûr, à tous les égards) était primordial – indispensable – irremplaçable. L’altérité et la relation à l’Autre présentées comme les caractéristiques les plus précieuses – les plus incontournables – de l’existence humaine – la pointe pyramidale de l’humanité – la panacée de l’homme, en quelque sorte – évinçant ainsi la solitude – la relation à soi – la découverte intérieure et l’amitié avec soi-même et la multitude des visages qui nous constituent – et écartant, par conséquent, la compréhension et l’acceptation acquiesçante de nos antagonismes – de nos ambivalences – de nos haines – de nos répulsions – de nos préférences – de toutes les luttes et de tous les conflits intérieurs (si souvent fratricides) auxquels nous nous livrons à chaque instant – n’y voyant là qu’une sorte de fantaisie sans intérêt – ou pire, une idiotie – sans comprendre que ces multiples aspects intérieurs sont la source même des batailles et des horreurs à l’œuvre dans ce monde où l’Autre est, presque toujours, bafoué, malmené, maltraité – nié – presque inexistant tant nos instincts naturels s’exercent dans l’irrespect et le déni de ce qui n’est pas nous (en dépit de la place accordée à l’Autre dans notre éducation)…

 

 

Fraction d’un tout à la chaleur stupéfiante. Le silence – indice erroné de l’indifférence…

 

 

Flot intarissable de mouvements – de sons – de pas – de gestes et de paroles – de désirs et d’échanges – de murmures et de cris – de coups et de morsures. Danse tragique et funeste – de la chair – blessée – balafrée – malmenée – jouissante – agonisante – jusqu’à la mort – et soumise à tous les recommencements à travers la régénérescence permanente de la matière…

 

 

Une expérience fusionnelle avec le monde où l’identité disparaît – où l’âme et Dieu ne sont plus nécessaires – où l’Absolu se manifeste dans notre relation aux choses et aux visages – dans notre regard et notre manière de nous laisser traverser par les rencontres et les circonstances – par les innombrables figures de la vie…

L’horizontalité de l’homme trouvant son assise – son intensité – sa saveur – sa beauté et sa grâce – dans le plus haut degré de la verticalité – au point le plus dense de l’effacement…

 

 

La tendresse de la feuille et la dureté de la pierre – à égales proportions dans l’âme – dont la main et les lèvres se font – presque toujours – l’exact reflet…

 

 

Le geste aussi spontané que l’eau qui jaillit de la source – et que le ruisselet qui serpente entre les pierres…

Le sillon n’est l’œuvre que de l’abondance et de la répétition – lorsque le naturel se laisse aller à l’habitude et à la facilité – à la voie instinctive du monde, peut-être…

Entre la goutte et l’océan – entre l’infime et la vastitude – autant que comme les fleuves et les rivières qui suivent leur pente…

 

 

Parole – presque toujours inadaptée. Comme une addition superflue au réel et aux gestes nécessaires…

Sorte de balbutiements – entre l’intuition et la pensée – à mi-chemin entre l’analyse et le commentaire (ou, pire, entre le jugement et l’opinion…) – à mi-chemin entre le mensonge et la vérité – jamais à la hauteur des circonstances

Traits fallacieux a posteriori qui tentent illusoirement de fixer le courant permanent – inarrêtable – de la vie – ce cours perpétuel des choses – pour donner à l’âme matière à comprendre ce qui lui a échappé en vivant ses expériences – et l’aider, peut-être, à se redresser dans la tourmente, à réduire son doute et son incompréhension – à apprendre à faire naître un peu plus de justesse – une plus juste coïncidence avec les circonstances – lors des prochains événements – bref, à se rapprocher, peu à peu, du vide nécessaire pour qu’émerge naturellement la spontanéité idoine (et irréprochable) du geste à toutes les situations offertes par l’existence…

Tracés noirs nécessaires donc tant que durera le besoin d’écrire et de perfectionner la justesse de l’âme…

 

 

Tout pourrait bien s’interrompre – mais en quoi le jour serait-il modifié…

 

 

A dire – sans doute – pour rien (presque rien). Qu’une parole pour soi. Petits cailloux inutiles laissés sur le chemin de l’effacement…

 

 

Que l’âme soit éclairée – et l’écriture cesserait sur-le-champ…

Mais comme, en ce monde, rien n’est définitif, tout – inlassablement – se répète… Peut-être est-ce là une ruse – une manœuvre – de l’éternité pour apparaître en ce monde de finitude…

 

 

La page – simple support de l’âme. Tuteur – étai éducatif, en quelque sorte – jusqu’au seuil où tout peut être abandonné – le monde, les livres et les visages – pour la plus belle (et délectable) incertitude où le monde, les livres et les visages peuvent (enfin) être accueillis sans l’ombre d’une ruse – sans l’ombre d’une intention – sans l’ombre d’une arrière-pensée – avec une innocence libérée de l’exercice, de l’épreuve et de l’exigence…

 

 

Cycles et variations autour du même centre. Cercle déformable au centre unique, en vérité. Respiration – souffle de la terre et des âmes. Secousses du ciel sur l’infime peau de l’homme – ressenties parfois comme une caresse, parfois comme une gifle cinglante. Contraction et dilatation de la poitrine du monde – cette périphérie de la sphère…

 

 

Opacité – porosité – la sensibilité variante de l’âme

 

 

Le silence acquiesçant à tous les souffles – à tous les vents…

 

17 avril 2019

Carnet n°183 D’un temps à l’autre

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Tout se délite – et s’effondre – les choses et la matière – et la substance même des visages. Sous le regard de ce qui n’appartient au monde – et qui contemple – presque ravi – l’inévitable accomplissement du désastre…

 

 

Rien n’intercède en notre faveur – pas même les Dieux. Mais, à l’origine, tout – avec le manque – nous a été offert…

 

 

Eclot ce qui a été englouti – oublié. Et s’inhume ce qui a été trop longtemps exposé. Ainsi tournent les mille choses du monde – et se poursuivent toutes les aventures…

 

 

La multitude des nuits démembrées – les choses réelles et les visages séduisants – si souvent – désincarnés. Le pays du silence – les rives et l’océan. Le soleil plus vaste que l’obscurité malgré la propension des foules à l’ignorance et à la trivialité – malgré l’engouement des hommes pour les jeux et l’agrément – cette forme de demi-sommeil où l’on plonge en apnée pendant des siècles…

 

 

De la cendre que le vent, un jour – très vite – disperse. Sable – plus loin – jusqu’au ciel. Et cette étrange échelle qui descend vers nos mystérieuses profondeurs. Quelques peines (suffisamment) – parfois, un pâle rayon de lune. Mille murs – et autant d’enceintes et de foyers. Des rêves à profusion – et plus encore de bavardages…

Un monde abandonné à l’enfance – à ce qu’elle a de plus puéril – de plus capricieux – de plus insupportable…

Des lampes, des livres et des paupières penchées sur des pages – trop sérieuses. Des nuits. Des nuits à la pelle. Un peu de tendresse et d’hospitalité offert, parfois, aux inconnus. Des genoux grossiers sur le sol aride. Du sang – mille mares de sang – sur les pierres et les morts. La routine du voyage, quelques souffles et un horizon terne – exigu. Des luttes, du temps et de la fatigue. Mille formes d’épuisement. De l’ignorance, des âmes en vrac. Des complicités et des malotrus à foison. Ce que peut nous révéler un seul instant de vie sur terre…

 

 

Le sommeil d’un monde en ruine – trop penché sur son reflet. Colonnes vivantes de couteaux – sosies des temps anciens – des époques barbares – arrachant tout sur leur passage ; le sol, les bêtes, les hommes – le droit de vivre, l’aspiration des âmes, la moindre espérance – exploitant – pillant – tout ce qui se vend ou s’échange contre un peu d’or…

Le vide, la beauté et l’invisible dévoyés pour raisons commerciales sans se soucier des débordements simoniaques. Le religieux et le sacré presque entièrement sécularisés – corrompus jusqu’aux dogmes pour de simples questions numéraires – la quantité des têtes à l’office – en prières trop ostensibles – accablantes. Partout – le règne des vitrines. Partout – l’apparence glorifiée. Et l’absence, l’obscur et le néant qui s’étendent – et se déploient derrière tous les sourires désolés – distraits – presque innocents…

 

*

 

Sur le plan relatif(1), tout est viscéralement – fondamentalement – ontologiquement – vibrations, mouvements, relations et échanges. Et sur le plan absolu(2), tout n’est que présence, silence, rayonnement et immobilité. Et entre les deux, nulle contradiction – peut-être, simplement, des âmes un peu déboussolées…

(1) sur le plan énergétique et phénoménal

(2) sur le plan nouménal

 

*

  

Rien de secret, ni d’impénétrable. Rien d’impossible – aux âmes sensibles…

La sensibilité – fourreau de toutes les vertus – terreau de toutes les découvertes…

 

 

L’hiver échangé contre le feu – l’agrément contre la passion – l’assurance et la routine contre l’incertitude. Toutes les distractions et les fausses évidences contre la vie intense

 

 

Tous les détails de la terre – et l’âme nue – plus seule encore qu’autrefois – mais étreinte – et embrassée – par les mille choses du monde – et le silence offert – à chaque instant…

Mille musiques – mille parfums – toutes les fantaisies du monde. Et le plus essentiel – toujours – dans l’âme vivante – respirante – à l’écoute…

 

 

Chants, légendes et continents. Tous les attraits d’une terre fertile où les possibles – tous les possibles – sont imaginables – imaginables seulement – pour notre plus grand malheur…

 

 

D’un temps à l’autre – sans la moindre passerelle entre les rives – où le passage à gué est impossible – interdit – où seul est autorisé le plongeon qui porte, en lui, la promesse de l’éternité…

 

 

Les hommes – la tête hors du monde – comme de petits seigneurs écervelés…

 

 

Au cœur du secret – là où, seule, règne la joie…

 

 

Rire au milieu de la chair – entre l’ombre et le silence – au cœur du sommeil et de la déraison…

 

 

Des bornes, une approche, des murailles. L’univers peuplé de possibles et d’interdits. Et l’âme perdue qui cherche – et s’égosille – en vain – au cœur de ce néant. Parabole de l’homme et du monde – parabole de tous les mythes terrestres…

 

 

Rareté des visages qui les rend précieux – et appréciables…

 

 

Echo d’un regard dans l’âme – lueur et attrait fantasmés – comme une part de l’Autre en soi rêvée, avant le retour au silence et à la solitude – au temps de l’écriture qui, parfois, se souvient…

 

 

Témoignage d’un Autre en soi qui a vécu et goûté ce que l’absence nous a empêché d’expérimenter – et dont la connaissance et la lucidité sont sans égales…

 

 

Tout s’accroche aux yeux amoureux. L’univers entier pourrait s’y attarder – et y batifoler – pendant des siècles – pendant des millénaires – pour l’éternité peut-être…

 

 

Rien n’est plus beau qu’une fleur – qu’une étoile – qu’un visage endormi. On y dépose quelques rêves – un désir – mille pensées – la réponse à toutes les énigmes – pour rendre l’âme heureuse – consoler nos frustrations – assouvir (illusoirement) tous nos fantasmes…

 

 

En marge d’une chaleur à naître – ce front retranché dans la fièvre…

 

 

Un peu de terre – et, au milieu, une âme perdue et innocente – apeurée et interrogative – encore tout étonnée de se retrouver là – au cœur de cette solitude et de ce chaos…

 

 

Un visage – quelques visages – quel poids ont-ils face à l’Absolu…

Bataille et rencontre inégales, bien sûr…

 

 

Plongé dans le vertige d’une blessure inguérissable…

 

 

L’ombre, la chair et le feu. Et mille gestes sournois – et mille gestes maladroits – entre les deux extrémités du monde et de l’existence. Des murailles, des sceaux et des lois. Et le petit peuple des âmes – dociles – obéissant à toutes les voix élues – à toutes les doctrines malfaisantes – à toutes les règles établies…

 

 

Visages disséminés autour du même mensonge – autour de la même ignorance – autour de la même illusion. Disciplinés – paresseux – incurieux du monde, des choses et des autres visages – trop faibles – trop veules, sans doute – pour embrasser le souffle de la résistance et chercher à tâtons la vérité…

 

 

Au fond de notre grotte aux parois de verre – à portée des rêves du monde – mais solidement arc-bouté contre la roche pour ne pas succomber aux tentations…

 

 

Au fond – le monde et soi ne sont pas si étrangers – pas si différents – de la même veine que le bois et les étoiles…

Un peu de vent, de poussière et de sable. Rien d’éternel. Quelques empreintes – vite effacées – sur la grève. Un peu de bruit dans le néant. Et, pourtant, que le vide, de ce côté du cœur, est lumineux – bienveillant – tendre et fraternel – autant que peuvent sembler glacées – hostiles – obscures et rudes – les âmes et les rives de la terre…

 

 

Nulle promesse sur l’échafaud – sur les rives de l’absence. Quelques secrets au cœur de la vie – au cœur de la mort. Quelques regrets aussi peut-être… Un désir de soleil et d’horizon. La maigre consolation d’un repas. Un peu de chaleur. Quelques caresses vite accordées – vite acceptées. Maladroites – absentes – sans âme – comme les mains qui les prodiguent et les visages qu’elles tentent de chérir. Un univers de silhouettes et de fantasmes. Des marionnettes mal ajustées qui se frottent sans parvenir à s’imbriquer – et moins encore à s’unir et à communier. Un univers de pâles partages et d’indigente tendresse. Morceaux de chair et de bois – fange et boue qui tentent de s’assembler en mariages pitoyables – en mariages impossibles – devant les yeux rieurs – et désolés – des âmes solitaires…

 

 

Des tourments et des couperets à chaque virage – jusqu’à l’ultime tournant qui angoisse davantage que le verdict du dernier coup de faux…

 

 

Enfant du ciel – fils du monde – et, pour l’essentiel, homme des ténèbres

 

 

Loin des abstractions humaines – mais empêtré encore dans celles que l’on a intériorisées – et fabriquées – à son insu…

De plus en plus intégré au cours naturel des choses – au déroulement inexorable des circonstances…

 

 

Le monde en soi – tel qu’il se présente…

 

 

A reculons – comme si nous marchions à l’envers…

Le sens apparent du progrès…

L’abîme où nous nous jetons. Et mille échelons supplémentaires à gravir…

 

 

Présent – là où nous sommes…

 

 

Le monde hors de la tête – ni à ses pieds – ni dans ses rêves. Un peu plus loin – là où nous sommes obligés de nous ignorer…

 

 

Sans témoin auquel quémander un regard – une approbation – un gage de complicité peut-être. Seul – sans visage – sans la nécessité de l’Autre…

 

 

Sans vitrine – transparent. Rien – à peu près rien. Qu’une apparence – où l’âme nous est étrangère – et où Dieu même n’a de place…

Du silence – de l’infini – et la liberté de la page. Un regard peut-être – pas même embarrassé par la chair qui l’entoure…

Une expérience hors du monde, des choses et des visages…

 

 

Tout se plie – se fond – s’empile – s’emmêle – sans exigence – au gré des nécessités et des circonstances…

Rive sans nom – histoire sans personnage – récit sans auteur. Au cœur du déroulement sans fin d’un fil infini créé par un Autre que nous. Une existence – des existences – sans motif – sans avenir – sans certitude…

Ce qui échappe, bien sûr, à la raison…

 

 

Un grand rire – la clarté de l’âme peut-être. Et le ciel qui n’en finit pas de nous absorber. Plongé, peut-être, dans une folie passagère ou dans une forme de sagesse qui ignore son nom…

 

 

Un monde sans parallèle – sans protocole – sans référence – où la liberté se cueille – s’offre sans doute – dans l’exactitude du geste – la sensibilité de l’âme – la concordance avec les circonstances – et le plein acquiescement à ce qui se déroule dans l’instant…

Une invitation – un hymne – peut-être – à la déraison universelle

 

 

Le plus haut degré de l’hiver – l’ultime barreau de l’échelle avant d’être happé par le silence – au cœur du vide. La dernière heure de l’homme, peut-être, avant ses mille renaissances…

 

 

Ces pages – un peu de poussière dans le chaos du monde – un peu de bruit dans la nuit des hommes – et qui rêvent, parfois, de devenir – de se faire (humblement) – lueur – brève étincelle dans le sommeil des âmes…

 

 

Revenir à la nature première de l’homme – de l’être – de l’esprit – divinement nus et joueurs – divinement innocents – et émerveillés par leur beauté virginale et la splendeur miraculeuse de leurs créations…

 

 

Exprimer l’indicible – dire la joie de l’âme par des mots compréhensibles par la tête. Voilà, bien sûr, tâche impossible…

 

 

Que tout semble, à la fois, vain et merveilleux – insipide et (potentiellement) intense et excitant. Partagé – écartelé – entre ce qui rend la vie simple et belle et ce qui la rend fade et triste. A quel changement de paradigme – à quel genre de perspective – faudrait-il s’ouvrir pour vivre (enfin) plus unifié…

 

 

Quelque chose – en moi – cherche à naître – à éclore – dont j’ignore la nature. Je pressens seulement que cette chose ne pourra émerger – et croître – qu’avec un changement de perspective – qu’avec une transformation radicale de la perception – un au-delà, peut-être, des références et du cadre humains…

 

 

Je sens, en moi, des forces puissantes – profondes – qui cherchent à percer la chair – à naître au monde. J’ai le sentiment d’être une terre – une croûte terrestre tiraillée par un magma invisible et indomptable. Comme une mère sur le point d’accoucher et qui ignore si l’événement sera heureux ou si elle enfantera une créature difforme et monstrueuse…

Une seule certitude : la délivrance se fera dans la solitude – sans anesthésie – et par voie naturelle – au rythme décidé par les Dieux et les circonstances…

 

 

Un cercle – et des paupières vertigineuses…

 

 

L’envol au-delà de l’épuisement – au-delà de la condamnation – au-delà de toute forme de convention. Quelque chose d’irrésistible et d’audacieux

 

 

Il y a dans l’esprit matière à parfaire le monde et à redonner aux hommes le goût de la lumière. Le travail des poètes et des sages peut-être – à travers la justesse de leurs mots – la justesse de leurs gestes…

 

 

Vivre pleinement – de toute son âme – avant la crucifixion. La résurrection, elle, s’offrira plus tard – et comme le reste – comme tout le reste – ne dépendra ni des prières, ni de la volonté – mais du bon vouloir des Dieux présents dans tous les fragments de l’esprit…

 

 

Je m’éloigne de l’homme – je le sais et le sens – mais j’ignore encore vers quelle contrée me mèneront les circonstances – vers quelle terre mon âme et mon existence seront conduites…

Le voyage – une fois de plus – s’entreprendra seul. Entre interrogation et excitation – je laisse les pas, la vie et le monde décider du rythme et de la direction. Et la traversée, bien sûr, se réalisera selon ma disposition à me laisser mener par les vents…

Pas d’île – ni d’épreuves. Une simple manière d’aller au-delà de l’homme – au-delà du connu – sans appui – sans référence – à travers l’incertitude ; le non savoir paroxystique, en quelque sorte…

Ni Dieu, ni âme – quelque chose d’indescriptible. Entre matière et esprit. Une manière, peut-être, de s’unifier. Un au-delà du silence – un au-delà de l’infini – rêvés. Hors du temps et du songe. Au cœur même du vivant – entre le tangible et l’invisible. Un saut en soi – un plongeon dans l’inexprimable – qu’aucun mot ne saurait décrire…

Ignorance totale – ignorance absolue – que ces lignes tentent d’appréhender (succinctement – et sans la moindre exigence de certitude) à travers quelques ressentis et intuitions – et le sentiment que quelque chose se joue – pousse – avance – se faufile – demande à naître – cherche un chemin à travers mon épaisseur – ma densité – mes encombrements…

Certitude que rien n’explosera mais qu’une faille va s’ouvrir – et devenir, peut-être, trouée – béance – vastitude…

Comme une naissance et un destin de jeunesse offerts aux heures automnales

 

 

Entre soi et soi – cette énigme à résoudre – et ces vieux chemins à abandonner. Et, déjà, ce goût d’unité et d’infini dans cette alliance secrète entre les mots, la matière et l’existence – entre l’âme et les circonstances – la vie pleine, peut-être, enfin vécue dans l’acquiescement…

 

 

Ni vraiment homme, ni vraiment Dieu. Le cœur divin de l’homme peut-être…

 

 

L’assentiment de l’âme – et sa pleine adhésion aux épreuves, aux visages et aux choses du monde…

 

 

Sans tabou – sans interdit. Sensible et authentiquement docile aux circonstances (malgré la persistance de quelques résistances parfois). Aussi libre, léger et puissant que les vents soumis aux conditions atmosphériques et aux reliefs de la terre…

 

 

Invisible et anonyme – comme, sans doute, le plus essentiel en ce monde. Rien qu’une apparence et un nom donné par les hommes. Presque rien, en somme…

 

 

Rien en dehors de soi – tantôt étriqué – tantôt proche du plus vaste – selon l’opacité de l’âme et l’amplitude de l’esprit…

 

 

L’écriture – simple sismographe des remous de l’âme – du mystérieux magma des profondeurs…

 

 

Le plus grand en soi – presque toujours détourné de son vrai visage – déguisé, le plus souvent, comme au carnaval…

 

 

La sensibilité presque aussi épaisse que le monde – quasiment impénétrable – peut-être trop ensommeillée…

 

 

Rien ne se froisse davantage que l’âme et la feuille – presque autant que les visages face à un embarras…

 

 

Un seul pas – un seul geste – à accomplir – mais de mille manières différentes…

Quelque chose, peut-être, qui ressemble au silence…

 

 

Murmure du jour derrière les visages taciturnes qui peine à percer l’épaisseur des âmes…

 

 

Devenir vivant – autant que le permettent l’âme et le mouvement…

 

 

Sous le chaos, l’ordre du silence et les nécessités du monde – bien davantage que la volonté des hommes…

 

 

Sur l’axe où la nuit a été posée – fixée sans doute – dans une sorte de quiproquo grotesque où seuls le noir et les apparences peuvent être perçus (par les yeux)…

 

 

Au-delà de la route et du sommeil – derrière le plus risible – et le plus tragique – du monde… Une forme de détour où le manque et la faim deviendront, peut-être, étrange soleil

 

 

Odyssée souterraine où le jour perce, déjà, à travers l’âme…

 

 

Des dessins au cœur du vide et du silence – voilà à quoi œuvrent les hommes. Des graffitis sur les murs de l’abîme. Quelques pigments – un peu de couleur – dans l’obscurité. Des arabesques – quelques pauvres gribouillis – qui ornent provisoirement le noir et le néant…

Mille expressions incapables de faire jaillir la lumière au-dedans…

 

 

L’espace vivant d’un Autre que nous continuons d’ignorer…

 

 

Un peu de sable et de poussière. Et mille vents – tantôt malicieux – tantôt rageurs – qui nous jettent parfois sur les pierres – parfois dans le sommeil…

 

 

Un peu d’âme et de poésie – et nous voilà heureux. Et pour peu que le jour nous offre un rien de proximité et de partage avec le monde – avec le moindre visage du monde – et notre joie est à son comble…

 

 

On ne choisit la solitude qu’après avoir fréquenté trop de visages sans âme – trop d’âmes sans sensibilité. On s’exile – on s’isole – alors pour échapper au plus tragique du monde…

 

 

Le poème contre la tragédie et l’indigence. L’Amour contre les instincts. Et l’esprit contre les mythes et les légendes. Non pour les combattre – non pour les condamner – mais pour offrir au monde et aux âmes un peu de lumière et de beauté. Comme une invitation à ouvrir les yeux sur ce qui semble si pauvre – si noir – et découvrir cette grâce plongée au cœur de la nuit…

 

 

Ce qui peuple le silence – la joie et la solitude. Ce surcroît d’âme et de beauté qui donne aux ténèbres des allures de royaume – et aux paupières un goût plus prononcé pour la vérité…

 

 

Tant de surprises derrière les limites – et sous les frontières. Et la lumière, déjà, à travers l’ombre déchirée…

 

 

Nul secret. Une simple manière de percer ce qui nous hante (presque) sans raison…

 

 

Une nuit pour chaque tabou. Un peu de sang à chaque déchirure. Et derrière les voiles – au cœur de l’obscurité – sous la glaise et les idées – au centre du monde éparpillé – débarrassé de ses images – de ses instincts – de ses secrets – le plus sensible ; le même visageun cœur immense et généreux – deux pupilles curieuses et émerveillées – deux mains gigantesques – une présence, en somme, infiniment douce et attentive…

 

 

Moins de chimères dans l’âme. Plus pauvre qu’autrefois – plus simple qu’au temps des grands édifices…

Un étrange mélange d’âme et de sueur. Mille finitudes au cœur du même infini…

 

 

A défaut d’ampleur – une vive ardeur horizontale…

 

 

Entre Dieu, la folie et la mort – la terre restreinte – l’angle étroit où survivre nécessite un peu d’or et de ruse…

 

 

Un grand pas de côté – là où la logique n’a plus de raison d’être…

 

 

Ce que nous devenons au risque de nous perdre. Mais l’errance nous mène-t-elle nécessairement à la perte ? Ne nous invite-t-elle pas plutôt à une forme d’égarement – à un détour indispensable pour que le monde et la vie ôtent nos surplus…

 

 

Un geste – un pas. Mille gestes – mille pas. Toute une vie à découvrir et à célébrer. Et mille paysages à parcourir. Et l’âme à dévêtir entièrement…

 

 

L’éternel secours du jour face aux dérives de l’âme et du temps – face à la mainmise et à l’épaisseur du sommeil – face à l’expansion, partout, de l’illusion…

 

 

Le dessein d’un Autre à travers nos vies – nos gestes – nos désirs. Et la nécessité sous-jacente aux instincts. Rien de personnel dans nos existences. Ni décision, ni liberté. Le déploiement du mystère à travers la souffrance et la joie…

 

 

La proximité des visages – l’entrelacement des corps – la rencontre des âmes – le simple déroulement des circonstances – comme si les histoires – toutes les histoires du monde – s’inscrivaient dans le cours naturel – dans le cours éternel – des choses

 

 

L’œil, la neige et la barbarie. Et, par-dessus, le ciel. Et, par-dessous, le langage qui tente d’inventorier le monde et de déchiffrer la multitude des liens…

 

 

Mots, gestes, quotidien et infini – inextricablement liés. Ce que réclame l’âme humaine – ce qu’offre le poète – et ce dont le monde a besoin pour s’affranchir de l’apparence du temps et des visages…

 

 

Le long de la nuit – nez sur l’horizon – paupières cousues à la route – comme si la seule perspective se trouvait devant soi…

 

 

A chercher partout le jour – et la lumière du monde – comme si, au-dedans, tout était triste et noir…

 

 

Chair fragile – mortelle – et l’âme absente. Le sang presque totalement instinctif. Et le ciel comme vague croyance…

A peine à la surface du monde. Entre rêve et sommeil…

 

 

A vivre comme si nous ne pouvions (tous) avoir le même visage…

 

 

Ce qui sépare le ciel du monde – l’homme de la bête – et Dieu de l’homme. Un interstice à peine plus large qu’un ongle où l’humanité a construit son royaume…

Et le même espace, bien sûr, entre la parole et la lumière…

 

 

Le temps sur le front creuse ses sillons. La chair flétrit. Et l’esprit dans sa veine innocente – puéril le plus souvent. Et Dieu et l’âme – toujours aussi étrangers – lointains – inaccessibles…

 

 

Monde de naufragés et de bouées lancées au hasard des dérives alors que la terre est là – à quelques encablures de l’âme. Archipel de silence – invisible depuis les rives et l’océan déchaîné…

Et l’espoir comme seul – et fragile – bastingage. Aveugles à cette lumière au fond des abîmes…

 

 

Sentiment océanique qui donne à l’âme cette irrépressible légèreté – cette noble insouciance…

Les circonstances, bien sûr, demeurent – et, parmi elles, surviennent, évidemment,quelques événements délétèresquelques situations inconfortables ou douloureuses – mais nul souci à vivre. Ni coïncidence parfaite, ni résistance systématique à ce qui est – la liberté de ce qui arrive – et la pleine obéissance – la pleine adhésion – à ce qui surgit dans l’âme – ce que certains, peut-être, appellent l’acquiescement…

 

 

Des miroirs et des visages, peu à peu, transformés en silence…

 

 

Un monde d’ombres, de lèvres et de silence où les gestes ont l’épaisseur de l’âme…

 

 

Les dérives – effrayantes – de la soif vers le sommeil…

 

 

Le monde itératif où mille choses inutiles sont réalisées – non pour la joie ni même pour la beauté du geste – mais pour emplir l’âme et contenter ses représentations et ses routines instinctives. Simples schémas comportementaux – impulsés par l’habitude – et, très largement, déconnectés du réel…

 

 

A espérer l’Amour là où il n’y a que le sang. A prévoir le pire là où il n’y a que l’infâme. A discerner le possible de la tragédie…

Les funestes enjambées de l’homme à travers les siècles…

 

 

Lignes nocturnes exemptes de larmes et de croyances. Ni détention, ni évasion. Une simple manière de relater ce que nul ne sait nommer…

 

 

Tout un monde jeté comme une plaie – une boursouflure brunâtre – une disgrâce – sans être, pour autant, une erreur – les prémices du possible – les chemins tortueux et mystérieux vers la délivrance où chacun serpente entre la faim, l’illusion et l’extinction du rêve…

 

 

Des poches et des pioches – à persévérer dans cette fouille ardente du monde. Richesses inutiles – inaptes à refermer la blessure du manque. Comme une manière fiévreuse et stérile de remplir ce que seul l’espace au fond de l’âme peut combler…

Comme deux ailes minuscules greffées sur un buste massif – un corps inerte. Comme une main essayant d’éteindre un incendie avec quelques brindilles – un peu de paille. Comme des ruines sur lesquelles on tenterait de bâtir un empire…

 

 

Des noms gravés sur le sable que balaiera la prochaine vague. Epitaphe, peut-être, du temps et de l’éternité dont l’homme ne vit – et ne perçoit – que l’échéance…

 

 

Pas d’ici, ni d’ailleurs. Ni au-delà – ni en deçà. Pas même entre les deux. Ni même en dehors de ce qui peut se nommer. Quelque part qui n’a pas de nom. Nulle part peut-être… Au fond – au bord – là où l’oubli et l’épuisement persistent. Là où les hommes n’ont plus de visage. Là où le monde n’est plus un sol à conquérir – plus une terre à féconder. Là où les Dieux ne sont plus nécessaires. Au cœur de tout – de chacun – là où l’invisible devient vivant – la seule réalité peut-être…

 

10 avril 2019

Carnet n°182 Élans et miracle

Journal poétique / 2019 / L'intégration à la présence

Rien qu’une joie – un effroi – un chant – un visage – une petite chose du monde – qui vous renverse l’âme…

 

 

L’âme – la vie – la terre – et le pouvoir d’aimer

 

 

Une discrète jouissance du monde…

 

 

Le cœur chapardé par la nuit. Et, à la place, un infime soleil

 

 

Ce qui nous somme de nous éveiller – voilà ce que mes lignes aimeraient faire éclore au fond de l’âme…

 

 

Poète du jour, peut-être, à travers quelques gestes. Voilà, sans doute, le plus beau métier du monde. Nul besoin de plume. Nul besoin de page. Il suffit d’être vivant – et pleinement présent à l’âme, au monde et au silence…

 

 

Visage en sursis – soif sans répit. Comment pourrions-nous être des hommes sans avoir au moins essayé d’apprivoiser le temps, le désir et la mort – ou mieux encore – en demeurant – aussi immobiles que possible – en leur cœur – à la source même de leur naissance…

 

 

Comment le plus grossier pourrait-il découvrir l’invisible – dire l’indicible – être effacement…

 

 

Nuit noire – complète – au fond du sable. A peine un trou par lequel respirer…

 

 

Vivant – un point c’est tout – avec cette sensibilité à fleur d’âme…

 

 

L’esprit – l’aventure et la mort. Et ces reliquats que nous traînons à travers les siècles…

 

 

A peine vivant – et miraculeux déjà. Comme les pierres, les arbres et les bêtes que nul ne voit en dehors de leur usage. Aussi précieux, pourtant, que les visages et les étoiles…

 

 

Noircir le monde et l’horizon de cette encre pâle. Arpenter inlassablement les labyrinthes du langage. Comment ce labeur pourrait-il enfanter dans le geste la moindre lumière…

 

 

Tout est prémices à la joie. Il manque seulement, parfois, le sourire – l’innocence nécessaire au sourire…

 

 

Toute existence est la matérialisation parfaite de l’infini. Et chaque instant, celle de l’éternité. Ainsi vivons-nous, en ce monde, le Divin – sans même nous en rendre compte…

 

 

Temps – mort – malheurs – quelque chose d’infiniment terrestre. Les grands fleuves, eux, ne connaissent que l’océan…

 

 

L’absence à convertir en plein silence. Et le monde à apprivoiser…

 

 

Une main – un signe – un adieu. Un peu de mort à chaque instant qui passe…

 

 

L’intensité de l’âme en disharmonie avec l’ardeur du vivant…

L’éternel conflit – l’éternel dilemme – de l’incarnation – coincée entre l’invisible – le silence – leur profondeur, leur densité, leur étendue – et l’irrépressible (et frivole) agitation des corps et des visages à la surface du monde…

 

 

Fuite et distraction autour du même centre – enfantant toutes les circonvolutions – toutes les absences – toutes les périphéries – toutes les turpitudes du voyage…

 

 

Et cette faim – chaque jour – qui traverse les banquets et les pénuries avec le même allant – la même ardeur – le même désir d’assouvissement – et découvrant – toujours – les limites de la satiété

Cycle sans fin né du manque – et du jeu d’incomplétude dans lequel nous a jetés ce qu’aucun ajout ne peut augmenter – ce qu’aucun retrait ne peut entamer…

 

 

Terrasse d’un jour nouveau – ni plus triste – ni moins beau – qu’un autre – celui qui arrive – succédant à tous les précédents – et précédant tous les suivants – aussi neutres les uns que les autres – toujours neufs – toujours égaux à eux-mêmes, en quelque sorte…

 

 

Pas et paroles inutiles. Chemin – à présent – obsolète. Un regard – simplement – et quelques gestes quotidiens…

 

 

A gravir – sans cesse – la même pente – interminable – qui – inlassablement – implacablement – nous refait glisser vers son extrémité la plus basse…

 

 

Gestes – encore – sans le moindre destin. Reflets miraculeux de la beauté d’être au monde – l’incarnation vivante, peut-être, du silence…

 

 

Des yeux à naître – et déjà apeurés. Et une bouche déjà affamée. Le règne – toujours – du manque et de la crainte…

 

 

Dans quelle étrange matière – et de quelle ingénieuse manière – le secret a-t-il été, en nous, façonné – et caché – pour demeurer si inaccessible – et continuer à être, à travers les siècles et les millénaires, la plus insoluble énigme du monde – l’éternel mystère…

 

 

Qu’éveille donc la vie, en nous, à chaque instant ? Et sommes-nous toujours réceptifs à ce qu’elle nous expose – toujours fidèles à ce qu’elle porte – toujours attentifs à ce qu’elle réussit à émouvoir et à ébranler…

 

 

Que cache donc cette fleur pour abriter en son cœur tant d’épines ? Un secret, sans doute, hors de prix – inaccessible à l’homme…

 

 

Un monde de chaînes et de rouages – une mécanique vivante – née de presque rien – d’un souffle peut-être…

 

 

Une rencontre avec soi – permanente – intense – profondément sensuelle et amoureuse. Le lieu, peut-être, où le Divin – inlassablement – s’enlace…

 

 

Temps apaisé – comme suspendu – malgré la danse infernale du monde et des aiguilles…

 

 

Comme délivré du superflu. Dégagé, en quelque sorte, des modus vivendi du monde et des compromissions communautaires et collectives. Plongé au cœur de l’intense et du geste prosaïque – éminemment précieux…

 

 

Vide habité – sans singer la moindre sagesse…

 

 

Plongé dans la mélasse fluide – dans la pâte sans malice – des choses – loin du mensonge des visages…

 

 

Des mots comme des caresses – sans message – sans intention. Comme une modeste contribution – un infime présent au monde. Et, peut-être, une humilité et un regard offerts aux hommes…

Nul récit – nulle histoire – pas même un témoignage. Quelque chose qui se donne pour (presque) rien ; un grand feu de joie au fond de l’âme…

 

 

Ni perte, ni naufrage, ni adieu. Une tendresse offerte. Un peu de compagnie. Une forme de présence au cœur du rêve. Pas même une résistance ou un geste de révolte. Les prémices, peut-être, de l’acquiescement. Les balbutiements d’une joie pure – sans raison…

 

 

Rivages – visages – chemins – peut-être le même mirage. Le reflet – le parfum – d’une aurore espiègle – d’un Dieu joyeux – d’un espace, en soi, sans masque – sans exigence – sans simagrée. L’incarnation mystérieuse de l’invisible…

 

 

De proche en proche – mille circonvolutions jusqu’au centre – là où le cœur et le silence se rejoignent – retrouvent leur place – la même joie qu’aux origines…

Comme si les fleurs avaient remplacé les pierres et le chagrin sur les chemins du monde. Comme si la vie et la mort s’offraient l’une à l’autre sans la moindre tragédie. Comme si Dieu insufflait aux hommes un peu d’âme. Comme si la terre n’avait jamais connu la haine…

 

 

Une étoile confondue avec le jour. Et mille traces de sang à la place du soleil. Quelque part, un monstre à l’âme corrompue – aux élans dévastateurs – piégé par son besoin, si maladroit, de tendresse. Et mille oiseaux qui s’envolent au loin – vers cet au-delà trop souvent rêvé peut-être… Le drame du monde – le drame des hommes – errant – malheureux – sur les mêmes pierres depuis la première nuit. Et Dieu introuvable, bien sûr, ici comme ailleurs…

 

 

Un lieu sous le ciel – un point sur la terre. Un homme peut-être…

 

 

Au-dedans du dehors – là où l’âme devient une aile – un élan – une étincelle – un reflet éblouissant de la lumière. Un modeste présent – une joie innocente offerte au monde…

 

 

Rien ne peut entraver le solitaire dans son exigence de solitude

 

 

La foule – la mort – et le silence à naître…

 

 

Loin des rois mendiants qui se pavanent dans l’herbe souillée – sur la terre saccagée par le règne des hommes. A même les pierres avec lesquelles se bâtissent les chemins. En compagnie des arbres, des bêtes et des étoiles. Dans la proximité des vents, du soleil et de l’innocence. Dans les bras de l’invisible qui nous a enfantés – appuyé sur cette tendre résistance à la barbarie…

 

 

Trop de sang dans ce royaume – trop de ventres et de mains – et si peu d’âmes pour réfréner les ardeurs dans l’arène…

 

 

Un chant – un matin malicieux. Et l’étonnement des fleurs face au soleil et aux gouttes de pluie. Ici – ailleurs – partout à l’œuvre – l’innocente tragédie du vivant…

 

 

L’âme nouée à mille soleils – et un sourire discret sur les défaillances, les manques et les déchirures. Prêt à aller plus tendrement sur les chemins qui traversent les rives rouges – trop violentes – du monde – où sommeillent encore trop de visages rêveurs…

 

 

Les abîmes et les versants du monde transfigurés – méconnaissables – comme s’ils n’avaient jamais été envahis – colonisés – dévastés. Partout des couleurs – des ailes – mille merveilles. Et l’infini enfin perceptible – presque tangible – dans les yeux et les gestes de ceux qui fréquentent les lieux. Et l’absence – surprenante – des spectres d’autrefois – de tous ces fantômes qui surgissaient sans fin – sans raison – au milieu des rêves – comme s’ils avaient été balayés par une vague mystérieuse…

Personne – mille âmes – et mille rencontres possibles. Des saluts – des passages – des accolades – une folle communion. Et, aux fenêtres, une myriade de signes et de sourires fraternels…

 

 

De la chair et des arbres sur les pierres grises. Et les âmes encore prisonnières de la nuit. Des bouches, des peines, des désirs. La rudesse du monde et des vivants. Et l’absence dans tous les yeux rageurs – dans tous les yeux indifférents. Mille soucis sur le front comme l’évidence d’un manque – d’un oubli. A peine un chemin – pas même un voyage. De la poussière, des vents, des cris. Des Dieux que l’on invoque et que l’on implore. Des prières et des murmures. Et ce grand silence inquiétant au-dessus du monde que ne parviendront jamais à déchiffrer les alphabets de la terre…

 

 

Rien qu’un nom pour distinguer les choses et les visages. Rien qu’un nom – et mille manières de nommer les âmes. Quelques lettres – simplement – pour honorer le silence – et son œuvre si bruyante – si tapageuse…

 

 

A feu et à sang – la terre – le monde – le cœur de l’homme. Tout ce qui est parvenu à corrompre la nudité des âmes. Et Dieu – entre désolation et hilarité – essayant, du fond de son silence, de nous faire quelques signes pour limiter le carnage…

 

 

A genoux contre les murs du temps – à prier en vain…

 

 

Rien – mille fois rien. Et vivre, pourtant, au cœur de ce néant que – seule – la sensibilité – peut rendre vivant et vivable…

 

 

Des hommes – des cités – vestiges décadents de la terre originelle où le silence était la seule loi – où l’Amour régnait en maître sur presque rien – les balbutiements d’un désir qui, peu à peu, créa le monde…

 

 

De rêve en délire – mains à l’épreuve. Et le monde – sans respect – sans raison particulière – alourdissant le pas – opacifiant les yeux – transformant toutes les merveilles en vaines trivialités. Des danses et un naufrage. Des existences et des visages à la dérive – avant le grand précipice…

 

 

La soif et la folie – les seuls jeux autorisés sous la pluie – sans l’Amour. La servitude et le néant. Et au cœur de l’absence – mille distractions pour tenter d’oublier…

 

 

Boue et crucifixion – dans les bras immenses de la nuit. Avec le soleil posé, peut-être, un peu trop haut – peut-être, un peu trop loin…

 

 

Et cette inertie de l’âme – comme si le cœur avait été amputé – comme si le souffle nous manquait pour suivre l’élan premier – retrouver le sourire originel – et faire écho au désir (au seul désir) de l’innocence…

 

 

Et ce cœur qui frappe à toutes les poitrines – pourquoi ne l’accueille-t-on pas avec plus de mansuétude et de tendresse…

 

 

L’invisible encore – toujours – seul amour du jour. Le plus grossier, lui, n’a d’yeux que pour l’obscurité – le rayonnement de la nuit…

 

 

Une sorte d’infortune où se mêlent les épreuves et la prouesse. La pente où nous nous tenons – pas même étonnés de nous trouver au bord – que dis-je ? – au cœur – du miracle…

 

 

Des élans – des remous – des souvenirs – un peu de nostalgie. Mille couches de mots – et un petit poignard que l’on porte à la ceinture. Pas même un sourire – ni même un peu d’espièglerie. Le refuge que nous avons créé – et que nous avons essayé de poser sous le soleil. Vents et poussière – et ce grand rire né du silence en voyant notre misère – notre désarroi – le tremblement de nos lèvres devant le moindre rayonnement de l’invisible…

 

 

Une pierre – une pente – un arbre. Et le souffle du temps qui amplifie le miracle. L’haleine au cœur du ciel comme si nous avions enjambé mille étoiles…

 

 

Le lieu des rencontres où la beauté des visages n’importe guère – où rien ne compte davantage que la clarté des âmes…

 

 

Simple – avec l’univers tantôt en pendentif, tantôt en bandoulière – mais, le plus souvent, jeté loin – très loin – derrière notre épaule…

 

 

Le feu – entre les tempes – au fond des tripes – délaissant la chair pour un peu de clarté – un peu de lumière – mille soleils en guise de festin…

 

 

Des yeux – mille paires d’yeux – inconscients de la terre – de sa beauté – de ses miracles. Des cris – des bourrasques – sans applaudissement. Mille coups – mille blessures – mille terreurs. Une immense colère sans visage. Une folle ardeur qui exploite, enlaidit et saccage…

Et, en soi, le rêve impuissant d’une rive plus singulière – moins marquée par la peur, le sang et les instincts…

 

 

Souffles épars – ficelles au bout des doigts tenues tantôt par l’orage, tantôt par la nuit – dessinant, malgré eux, un monde – un ciel – une âme indocile. Mille rêves, peut-être, cherchant derrière les rives l’océan…

 

 

Une main tendue – près du seuil – là où les âmes dérivent encore – d’une félicité à l’autre – entre pierres et ciel – de folie en déraison…

 

 

Les mendiants aux mains tendues vers le monde ne récolteront – au mieux – qu’un peu d’or – jamais ni la joie, ni la paix qui s’offrent à ceux – à tous ceux – qui s’abandonnent (corps et âme) à l’invisible et au silence…

 

 

Au carrefour de la hantise et de l’émerveillement – l’homme aux pas démesurés – celui que la marche obsède autant que le silence – celui qui ne peut choisir entre le monde et la joie…

 

 

Echelle – inespérée – au-delà du précipice…

 

 

Etendu – rassemblé – au centre de l’envol – là où l’air et la terre se rejoignent pour offrir leur chant au monde…

 

 

Un sourire – une étrange silhouette – l’âme aux confins du visage. Et le cœur obéissant – prêt à s’offrir à chaque rencontre…

 

 

Mur – étoile – influence – qu’importe ce qui vient… A chaque fois, le meilleur est proposé d’une main pleine et assurée…

 

 

Ce qu’un autre monde pourrait offrir – nous ne pouvons que l’imaginer. Et le rêve – bien sûr – n’assouvira jamais la faim…

 

 

De passage – les yeux levés vers cet ailleurs, en soi, promis par tous les prophètes. Poignard posé sur le sol – mains ouvertes – en offrande – l’âme docile – et le reste rassemblé en son giron. Prêt, en quelque sorte, pour le saut et le grand voyage – et à recevoir l’encouragement malicieux des anges qui offriront le poids de leur main pour amorcer le premier élan vers l’abîme…

 

 

Inutile d’en référer au monde ou aux étoiles – l’encre et la voix s’emmêlent dans la chevelure des Dieux – élargissent le passage à travers lequel, un jour, tout finira par glisser ; les choses, les âmes et les visages sans distinction…

 

 

Rien ne se réalise sans le tacite assentiment du silence ; les mondes, les meurtres, l’innocence, la beauté. Tout – avant de naître – doit recevoir le divin acquiescement

 

 

Je vois le bâton des sages danser et virevolter dans la nuit – sous le regard ébahi de l’herbe et des étoiles pendant que les hommes et les bêtes dorment (un peu trop) sagement dans leur tanière…

 

 

La beauté d’un chant lorsqu’il est offert au silence – et lorsque l’on sait qu’il sera le seul témoin de cette humble offrande…

Modeste élan qui côtoie Dieu pour un instant…

 

 

L’infini a déserté le monde. Voilà pourquoi j’aime les âmes humbles ; à travers elles, on perçoit le ciel…

 

 

Toujours moins d’épaisseur – toujours plus de transparence. Corps et âme (presque) exactement alignés – superposés. Comme si, d’un seul rai, l’invisible nous traversait…

 

 

L’âme, l’esprit et la main vides. Et cette encre – comme une forme grossière de sang céleste – qui vient rompre le silence – et tacher de quelques traits la blancheur de la page. Un acte de joie – un acte d’Amour – presque sacrilège – qui doit emprunter le canal commun – le pauvre et merveilleux langage des hommes – unique champ d’expression (potentiellement) compréhensible…

 

 

Tout en bas de l’échelle – trop hiérarchique – des hommes. Hors-champ – presque aux confins du monde. D’un âge sans âge – dans cet effleurement de l’éternel – hors-temps, bien sûr. Entre le plus vaste – l’inénarrable – et la poussière. Ce qu’il y a, peut-être, de plus beau – et de plus haut – en l’homme…

 

 

Dense – intense – transparent – extraordinairement vivant et sensible. L’émotion brute – l’émotion pure – de l’être et du vivant réunis – rassemblés. L’incarnation vibrante de l’espace infini…

Les mots nous manquent – trop pauvres – bien trop terrestres – pour exprimer l’inexprimable. Et la faculté même de dire – de tenter un imparfait partage pour décrire cette joie sans rivale – nous fait défaut…

Il faudrait être aussi silencieux que le silence pour témoigner de ce goût insensé d’infini. Il faudrait presque cesser d’être un homme. Un sourire vivant – à peine une âme – un acquiescement à tout – une proposition perpétuelle – un renouveau et une fraîcheur qui s’offriraient sans raison – au-delà de toute intention – au-delà de toute volonté de partage…

 

 

Au-delà du monde – le silence…

Au-delà de toute poésie – le même silence…

Le silence – partout – se goûtant (lui-même) à travers – et par-delà – les bruits du monde – à travers – et par-delà – toute forme de langage. Dieu, l’infini et l’éternité réunis, en quelque sorte – et qui, loin d’écraser l’homme et l’âme, les invitent à marcher vers leur incroyable réalité

 

 

Ni mot – ni langage – ni promesse. Et moins encore, bien sûr, prophétie. La réalité nue. Le cœur le plus élémentaire – au-delà des parures et des étaux – au-delà de toute exigence. L’élan et le désir purs – sans réserve – sans calcul – sans arrière-pensée. Le miracle du vivant lorsque l’incarnation retrouve – et reflète – sa matrice…

 

 

Trop intransigeamment tourné vers l’Absolu pour vivre auprès des hommes…

 

 

Jardin de présence et de solitude que viennent couronner la joie et le silence…

 

 

De plus en plus seul – de plus en plus nu – pris par cet allant inexorable vers l’origine – le silence – l’invisible…

Chemin d’épreuves et d’hécatombes au cours duquel l’homme et l’âme – inflexiblement – implacablement – s’allègent…

 

 

Intrinsèquement seul et vierge – au cœur de l’être – noyau de présence – espace de lumière – enveloppé seulement d’un peu de chair…

 

 

Des pierres – des désirs – des refus – partout – dans ce cercle où nous avons été jetés…

L’exil et l’abandon. Et l’étrange sentiment d’une chute – pas tout à fait innocente…

 

 

Il n’y a rien entre nous – seulement un peu d’incompréhension et de silence…

 

 

Mille sommeils et la solitude en commun – et surpris, de temps à autre, par le déferlement de la terre et du ciel…

 

 

Mille visages – du premier au dernier homme…

 

 

Du vent – des ondes – des vibrations – puis, le silence. Dieu et le soleil indifférents. Et la main de l’homme comme une patte sauvage – les restes de vieux instincts…

Tous les ventres égaux quel que soit le visage…

Partout – le tragique festin du monde…

 

 

L’absence célébrée – partout – comme la panacée de l’homme. L’innocence piétinée et traînée dans la boue…

Et ce rire au fond du regard comme s’il était impossible de nous tromper malgré la fange, les horreurs et la barbarie…

 

 

Et cette fièvre du lien – tendu comme un piège – nous plongeant dans l’impasse de la rencontre et de la parole…

Vanité des élans où la nuit est – toujours – trop présente – et où les masques sont – toujours – trop grossiers. Et le rire de l’Autre – le rire des Autres – pour exalter la blessure – et suspendre à notre cou le supplice de la séparation. Collier de cloches et de couteaux qui résonnent sur tous les chemins comme la crécelle des lépreux – peu à peu rongés et amputés par leurs tentatives maladroites d’Amour et de rapprochement…

Qu’y a-t-il entre nous sinon cette fièvre, ces cloches et ces couteaux que nous brandissons à la moindre peur – à la moindre joie – dès que nous pensons être plongés au cœur de l’Amour – dès que nous croyons en être exclus – rejetés hors de ses frontières – comme si l’Amour était soumis aux lois – si étroites – si invalidantes – des hommes…

 

 

La passion de l’Absolu – ce qui anime les âmes téméraires

 

 

Chair et âme – de tout son cœur – de tout son sang – à éprouver, peut-être, la grande vie de l’homme

 

 

Derrière les parures – quelques haillons. Derrière les haillons – la solitude. Et derrière la solitude – les mains du silence qui tiennent notre âme avec tendresse pour la porter au faîte de la joie…

 

 

Echeveau de ronces et de racines – de pétales et d’épines – qui invite aux compromissions – aux demi-mesures – aux voies inévitables de la tiédeur et de la tempérance…

Comment pourrions-nous naviguer autrement sur les eaux – si équivoques – si relatives – du monde…

 

 

Pas d’image – quelques mots – simplement – pour témoigner du ressenti – de l’émotion – de ce qui traverse l’âme – et de la joie et du silence qui nous submergent…

 

 

Avec la joie, tout devient si tendre – si aimable – si rieur

 

 

La sensation du vent dans l’esprit qui aurait préalablement jeté tous ses masques – tous ses encombrements. La vie vibrante – sans filet – sans précaution – brute et belle – incroyablement sauvage. Et l’incertitude venue, avec elle, enterrer tous les fantasmes…

 

 

Seul – comme si le monde n’était qu’un rêve – un songe resté réel bien trop longtemps…

 

 

L’âme libérée de ses verrous – libre enfin de communier avec les pierres, les arbres et les saisons – libre de communier avec les bêtes, le ciel et les visages. Avec les mille merveilles et les mille mirages de ce monde…

 

 

Les mains ouvertes sur la lumière et le printemps. Seul – mille – tous autant que nous sommes – dans la paume immense du même Amour

 

 

A tourner – toujours – à contre-sens des tourbillons humains – porté par les marées montantes et descendantes des saisons – guidé non par la raison – ni même par la prétendue intelligence de l’homme – mais par les courants les plus naturels…

 

 

Les mains tournées tantôt vers les hommes – tantôt vers le ciel – parfois en prière – parfois en désolation. Et d’autres fois – plus simplement – libres du monde et du silence – comme manière de vivre sans eux – à l’instar des bêtes sauvages – à l’instar des pierres et des étoiles – selon les seules exigences de l’âme…

 

 

A contre-jour – et mille rencontres possibles avec l’ombre et ses enseignements fertiles – nécessaires – toujours – pour distinguer les lampes de la lumière…

 

 

Errance de la route et du langage. Pages et paysages de la même envergure – celle qui – toujours – allie le rythme, le quotidien et l’infini – la seule capable de transformer le geste – tous les gestes – en émotion pure et en lumière…

 

 

Être Dieu pour soi-même – tout ce dont l’homme – tout ce dont le monde – a besoin…

 

 

Chaque ligne – chaque virage – parcourus avec la même ardeur – la même passion – avec cette fébrilité impérative qui nous fait, parfois, oublier la beauté de la page et du chemin – la beauté de l’écriture et du voyage – et l’infini posé – toujours – entre chaque lettre – entre chaque mètre – entre chaque souffle – sur toutes les routes empruntées…

 

 

Seul avec soi – avec Dieu – sans la nécessité du monde. Tête-à-tête au cœur du silence – là où l’âme – si elle s’y prête – peut embrasser l’infini et l’éternité – ce que les hommes, peut-être, appellent l’Absolu…

 

 

Le geste d’écrire plus essentiel que les mots. Et les traits esquissés sur la page, peut-être, plus importants que leur sens…

 

 

La paume toujours moite – et hésitante – comme si l’indécision et l’incertitude paralysaient (encore) la main…

 

 

La douce caresse des choses sur l’âme et la peau. Comme une étreinte permanente pour celui qui devient sensible au monde

 

 

[Modeste clin d’œil à Edmond Jabès]

La solitude des murs et de la poussière – du vent et des haleines – du phare et des algues – du rocher et de l’océan – de la fleur et de l’abeille – du fer et du forgeron – de l’arbre et du balai – de l’homme et de l’âme. Mille solitudes en une seule – et chacune embrassée par le même silence – seul, lui aussi, comme tous les autres…

 

 

Là où la terre fleurit comme le jour – dans ces pas qui, peu à peu, sont devenus nôtres. Dans ce sillage tracé malgré nous. Entre ambition et obéissance – entre nécessité et dérision – quelque chose comme une persévérance – un impératif – une exigence de vie pure et intense qu’aucune présence – qu’aucun visage – ne pourrait offrir…

 

 

Tout s’entrave – indéfiniment – et rue en vain pour échapper aux mille détentions terrestres. Pris jusqu’au cou – jusqu’au fond de l’âme – dans ce monstrueux magma de matière…

Tout se caresse – se frotte – se pique – se frappe – épaissit, en réalité, l’obscurité du labyrinthe – et prolonge les murs de sa geôle…

 

 

Assis depuis mille ans derrière la même vitre – tantôt à maudire le monde – tantôt à maudire le reflet de son visage – tantôt à contempler l’épaisseur de la nuit que les hommes ont répandue – partout – sur la terre – sans jamais s’interroger sur la versatilité du regard et le provisoire de tout ce qui nous entoure et nous traverse…

 

 

A recommencer, chaque jour, la même tâche – la même page – le même chemin – comme le soleil et ces rives où tout pourrait arriver…

Une nuit après l’autre – et, parfois, toutes ensemble réunies…

Couché dans le même sommeil – comme si le monde pouvait aller au diable – et, avec lui, toutes les promesses de jour. L’orgueil et l’ignorance en bandoulière pour affronter, avec courage – avec obstination – tous les avenirs et tous les destins possibles…

 

3 avril 2019

Carnet n°181 Routes, élans et pénétrations

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

A rebours de toute mesure – là où la faux devient le seul maître du temps…

 

 

De long en large – comme la seule traversée admise – comme si toute pénétration était impossible…

 

 

Une voie au milieu des larmes – au milieu de la pluie – dans le décor désenchanté du monde…

 

 

Une terre – un trou immense – où se déversent tous les corps – la chair pas même putréfiée…

 

 

Entre les plaines solitaires et l'épaisseur du ciel – là où les vivants sont confinés – contraints d’éprouver la misère du monde – quel que soit le chemin emprunté…

 

 

Un visage – un souffle – à la vie, à la mort. Comme une ardeur irrépressible et un besoin de sagesse à venir. Et entre les deux, mille jeux – mille efforts – mille souffrances ; mille détours inévitables, en somme…

 

 

Du bruit – des cris – des plaintes – un peu de gaieté et d'effroi. Des coups – quelques caresses parfois. La vie dans sa plus simple expression – brute – abrupte – triviale. Et rien de plus – le plus souvent…

 

 

Un homme – un visage – un sourire. Et l'âme indemne des transformations du monde et des siècles. Comme une montagne inaltérable – née du premier jour – et si familière, pourtant, de toutes les nuits successives…

 

 

Mille démons dans l'existence qui – parfois – se transmutent sur le papier. A quand la coïncidence parfaite entre la vie, l'âme, le visage et la page…

 

 

Rien que soi au milieu de tout. Et rien que le tout au-dedans de soi. Et, à chaque fois, la vie qui va avec…

 

 

A petits pas – toujours – d'une blancheur à l'autre – avec, parfois, un peu de neige entre les deux…

 

 

Entre cellule et cabine – et – toujours – mille voyages possibles…

 

 

Vie du plus proche et du plus lointain – réunis sur la route – et si irréconciliables dans la sédentarité. Trop plongé, peut-être, dans la somnolence et l'automatisme. Au cœur de l’inertie et de l’effervescence quotidiennes…

 

 

Une âme face à son destin. Entre regard et silence. Peut-être le plus admirable de l'homme

 

 

A demi-mot – à demi-pas – mais dans sa pleine mesure

 

 

Comme une frontière – une porte noire – que l'on aurait transformée en passage – puis, en aire de joie…

 

 

La pierre et la montagne. La vague et l'océan. Une fleur – un astre – parmi leurs congénères. Quelque chose entre Dieu et la matière…

 

 

La pierre a enseveli la langue. Et Dieu, à présent, contraint au silence – après avoir créé le Verbe – et tant espéré de lui…

 

 

Tant de certitudes chez l'homme. Et cette vérité incertaine – protéiforme – insaisissable – que quelques-uns cherchent à tâtons…

 

 

Tout se construit – et se réinvente – sur le socle des siècles. En notre ère – des milliers d'années d'histoire…

 

 

Tout s'oppose à tout comme rien ne s'oppose à rien. Le monde joue – simplement. Et à travers nos jeux, Dieu offre sa grâce, sa puissance et son Amour que nous ne pouvons nous empêcher de convertir (à notre insu, bien sûr) en laideur, en violence et en désir…

 

 

Intensité, densité et profondeur de l'instant vécu – avec un regard simple – une présence nue – une attention alerte et désintéressée – sur toutes les nuances – toutes les subtilités – offertes par les mille mouvements simultanés du monde et de la vie…

 

 

Visage penché vers on ne sait quoi – un silence indéfinissable (en soi) peut-être – un espace incertain – porteur d’une sensibilité plus vive – et plus pénétrante – que la torpeur d'autrefois…

 

 

A jouir d'une présence (presque) impénétrable qui irradie – depuis son centre – vers la périphérie de l'âme – transperçant simultanément toutes les dimensions du réel…

Et à travers ce prisme – à travers ces lignes – la solitude qui magnifie le monde – et laisse le silence tout embraser…

 

 

A creuser l'âme comme nous avons sillonné le monde. A demeurer là – immobile – comme nous avons arpenté la vie. Le silence éveillé – partout – au fond de l'esprit comme à la surface des pierres…

Le sacre, en quelque sorte, de l'invisible et de l'effacement…

 

 

Passage à gué sur l'autre rive posée au-dedans de celle où nous avons toujours vécu – éclairant d'une autre lumière toutes les perspectives…

 

 

Rêche – comme une peau endurcie par la route et les rencontres – par les mille chemins et les mille visages de la terre. Chair craquelée par tous les coups du sort. Mais l'âme tendre – si tendre au-dedans – amoureuse autant du monde que du silence…

 

 

Destin défait par les circonstances. L'air de rien – de moins que rien. L'allure d'un clochard – d'un vagabond aux ongles noirs et aux vêtements défraîchis. Mais le cœur ouvert – si ouvert que l'âme est visible du dehors…

 

 

La vie – le monde – et leurs ondulations magiques. Et cet élan de l'âme vers le tout – vers l’essentiel – ce presque rien au-dedans des choses et des visages…

 

 

Tout – très souvent – débute dans l'entrain et la joie. Et s'achève – presque toujours – dans la douleur et l'accablement. Le défi ne serait-il donc pas d'aller au-delà des humeurs et des circonstances…

 

 

Tournant d'un autre genre où le virage s'exécute au-dedans – et où la perspective jaillit de l'intérieur – pour éclairer toutes les routes (et tous les paysages) du monde…

 

 

Serrés les uns contre les autres – ces fragments de matière – ces combinaisons échangeantes – et incessamment transformées…

Rêve d'un seul corps unifié – protecteur – respectueux des mille vagues simultanées qui le traversent – des élans de beauté et d'harmonie comme des élans de destruction et de folie – enfantés – gouvernés et accueillis – par le même silence…

Et ces yeux – tous ces yeux – toujours aussi étonnés d'être jetés là – ensemble – pêle-mêle – dans cet effroyable (et douloureux) chaos…

 

 

Ordre et séparation – mille frontières – là où tout est mélange et entremêlement – juste et joyeux bordel. Voilà comment l'homme – et la raison humaine – s'opposent trivialement – et de mille manières – à la vie et au vivant…

 

 

D'où vient ce qui nous traverse – et ce que nous traversons… Quels liens invisibles n'avons-nous donc pas (encore) perçus pour – à ce point – ne rien comprendre à la structure (fondamentale) du réel

 

 

Lorsque l'élan naît de l'âme – le pas, le geste et la parole deviennent – profondément – et naturellement – justes…

 

 

Mille mouvements dans le vide. Le noir de tous les abîmes. Et le feu – et l'ardeur – de toutes les horizontalités…

Evanescences dans l'éternité. Crépitements dans le silence. Ondulations dérisoires dans l'immobilité…

 

 

Eclosion, expansion, mûrissement et disparition. Les grands cycles de l'Existant – que connaissent tous les élans – tous les phénomènes…

 

 

L'ombre toujours plus grande que notre silhouette et notre pas…

 

 

Ces élans du vivant que rien ne peut réprimer. Mouvements irrépressibles générés (presque) sans raison – comme mille jeux – mille instincts – mille désirs – mille appels – dans le silence – révélant simplement – la nature fondamentalement énergétique du monde…

 

 

Jeux de parure et de pouvoir. Postures sans conséquence verticale. Simples agissements de ceux qui donnent corps et substance à l'horizontalité des visages et des territoires…

Conduite inscrite dans les gènes – presque jusqu’au fond des âmes – perpétuée au nom des pères et des traditions – pour entretenir le grand cirque – le vaste drame – l’incroyable comédie – du monde – au fil des générations…

 

 

Plus qu'un livre – plus que des mots et des pages. Une âme offerte – un fragment de tout et de l'esprit – précieux par ce qu'il éveille en nous ; un écho – une résonance peut-être – dans l’espace vertical des profondeurs…

Un modeste et inestimable présent. Une forme de spicilège où l'âme humaine et le monde nous sont contés sans pudeur, ni faux-semblant…

 

 

Tout n'est que vide et route – désespérance de l'âme – jusqu'au soleil révélé qui s'étend depuis l'origine jusqu'aux extrémités de l'espace…

 

 

L'attente et la chute – des visages et des âmes – et mille manières de remplir le vide et le temps jusqu'au dernier jour. Les petites liesses du monde. Le bonheur des simples – entre sommeil et engourdissement…

 

 

La matière et la proximité des visages. Les mains et la tête plongées au cœur… Comme manière imposée de vivre ce que nous avons toujours obstinément refusé – évité – détesté…

 

 

Il n'y a plus que le geste pour vivre – et offrir à l'être toute son envergure. Le reste – tout le reste – n'est qu'habitudes et nécessités contingentes. Et qu'importe le prosaïsme imposé – pourvu que la vie – la vie entière – soit vécue sans la moindre exigence de l'âme – avec la nudité et l'innocence requises – l'existence – la globalité de l'existence – peut alors se résumer, elle aussi, au geste – à chaque geste – aux mille gestes extraordinaires que réclame le quotidien humain…

 

 

Aussi vides que le silence et l'espace…

Et, comme eux, nous pouvons prendre toutes les formes et toutes les couleurs du monde pour quelques instants avant de retrouver notre vacuité naturelle – jusqu'aux prochains déguisements – jusqu'aux prochaines transformations – jusqu'aux prochaines circonstances…

 

 

Nous sommes – en vérité – comme mille portes – usinées dans le même bois. Mille seuils ouverts dans l'espace – et reliés entre eux par l’invisible…

 

 

Tout se rencontre – se retire ou s'éternise – sans raison – animé simplement par des souffles invisibles par des nécessités sous-jacentes

 

 

Jamais de posture au détriment de l'être. Jamais de superflu au détriment du nécessaire. Jamais de ruse au détriment de l'Amour…

 

 

Sans doute sommes-nous ce désert transparent – auquel s'offrent, de manière si provisoire, les mille couleurs du monde…

 

 

Ce qui nous refoule – ce qui nous rejette – ce qui nous blâme – ce qui nous abandonne – ne sont que l'invitation du silence à un autrement

 

 

Nous – immobiles – voués aux déchaînements d'un Autre – moins étranger à Dieu qu'à nous-mêmes. Comme une autre manière de vivre les instincts – les forces submergeantes de la terre…

 

 

La vie nous pousse – et, parfois même, nous jette – là où l'équilibre devient (pour nous) possible – à l'exacte place où nous devons être – à l'instant précis où nous sommes. Le reste – tout le reste – n'est que conjectures et commentaires inutiles…

 

 

Il nous faut vivre tout ce qu'il y a à vivre. Il n'y a d'autre secret pour se rejoindre entièrement

 

 

Le jour – immuable – jusqu'à l'extinction du souffle…

 

 

Certains s'aventurent là où d'autres – la plupart – refusent de s'engager par crainte de s’égarer – de se brûler – de disparaître. Et parmi eux, quelques-uns réussissent à franchir le seuil de l’inconnu – à rejoindre l’espace au-delà de l'errance et de la perte…

 

 

Vivre – simultanément – Dieu et l'homme – le ciel, la terre et l'étoile – l'Amour, la montagne et la poussière – le provisoire et l'éternel – le destin de l'homme et l'au-delà de la matière…

 

 

Nous geignons – nous prions et quémandons – alors que tout nous a été offert – depuis le premier jour…

 

 

La furie du monde et des hommes – bras aveugle de l'Amour, en quelque sorte – funestement maladroit…

 

 

Nous croyons traverser la vie et le monde – mais ce sont eux, bien sûr, qui nous traversent. Nous ne sommes que l'aire de tous les passages

Ressentir cet écoulement – cette circulation – et y consentir (de toute son âme), c'est, en quelque sorte, revenir à son destin originel – c'est honorer son envergure véritable – c'est devenir (enfin) pleinement ce que nous sommes

 

 

Tout s'achève sans jamais connaître de fin. En vérité, tout se renouvelle – se réinvente – se perpétue – identique et différent – au-delà de toute apparence…

 

 

Le monde – un asile – un refuge obscur. Une terre froide. Une rive fertile – printanière – chauffée et éclairée par une étoile précieuse – indispensable – vitale. De la glaise et des visages. Mille absences – mille perspectives – où l'on devine – trop aisément – l'horizon et les temps à venir…

 

 

Respiration saccadée – sauvage. Poitrine entre ses grilles. Souffle blanc sous la lumière. Entre quatre murs de pierres protégeant – un peu – des vents du dehors et des masques alentour – venus d'un monde lointain – trop étranger(s) pour se montrer hospitalier…

 

 

Une chambre – simple – nue – dépouillée – et l'air alentour. Un peu de terre sous les pieds et sur les mains occupées à leur tâche. Avec le feu et l'envergure d'un Autre dans l'âme et les yeux. Et cette pluie noire qui s'éloigne. Comme si aujourd’hui commençait la grande aventure

 

 

Des mots lancés comme des cailloux – qui tantôt tombent dans la boue – loin de toute habitation – qui tantôt s'écrasent contre les murs et quelques visages – sans distinction – qui tantôt font exploser les petites fenêtres de l'âme…

Mais que sait la main des intentions sous-jacentes… Impuissante – toujours – à œuvrer dans la même direction. Soumise – comme le reste – aux vents (intérieurs) nés des contreforts des origines – et qui se jettent partout – au cœur de tous les possibles…

 

 

A voix haute – comme pour se persuader que la solitude est une illusion – un élan – un miracle – le seuil au-delà duquel l'âme n’est plus autorisée à mentir…

 

 

Des pages comme des miettes d'infini. Un fil de mots alignés sur l'invisible qui traverse le monde et les visages…

 

 

Un écheveau de fleurs et de mirages où l'Autre ne serait qu'un miroir – une âme – un visage à aimer…

 

 

Aller là où l'âme s'élance – là où le monde la convie… Aller là où l'âme répugne à s’aventurer – là où le monde l’accable – la violente – la répudie… Ne plus être maître – ne plus se croire maître – ni de sa marche, ni de ses pas…

 

 

Somnoler encore – somnoler parfois – comme une récréation joyeuse. S'octroyer le droit d'être un homme simple – ordinaire – tristement trivial. Et jouir – à la fois – de cette autorisation – de cette inconséquence – et de cette liberté consentie (et comprise). Ne plus décider. Se laisser mener – se laisser porter – par les forces multiples qui nous animent…

 

 

Artisan du gros œuvre de la verticalité – comme un ouvrier qui laisserait aux anges le soin du décor et des finitions…

 

 

Au rythme lent des eaux du jour – peu à peu déversées dans le silence – au cœur même du monde – au cœur même du chaos…

 

 

Comme un ciel – une averse – un sort jeté au trouble – un sourire – une caresse – une avalanche. Cela pourrait être n’importe quoi. Et c’est là qui vous assaille jusqu’à la reddition…

 

 

L’âme prise entre le ciel – l’envergure infinie du ciel – et la demi-mesure du monde, des choses et des visages – toujours limités – toujours indécis – toujours à moitié vides ou à moitié pleins…

 

 

Errances – toujours – autour du même lieu – ni proche – ni lointain – présent nulle part – présent partout…

 

 

Lavé par l’air aveuglant des jours. Au faîte de ce qui rebute. Et cette joie étonnamment grandissante qui l’accompagne…

 

 

Un peu d’air encore – le peu de souffle, peut-être, qu’il nous reste…

 

 

Comme une chapelle au dernier jour du monde. Ruine déjà – vestige peut-être – rescapée sans doute…

 

 

Notre mystère – plus dense que toutes les misérables énigmes du monde…

 

 

Debout – contre l’air ambiant et les farces qui ensorcellent l’esprit. Mais presque agenouillé au-dedans – non par soumission – mais par Amour de ce qui est. Comme ultime résistance à la bêtise et à la violence du monde…

 

 

Les extrémités ne sont que nos limites. Et même l’esprit errant – l’esprit libre – s’y cogne. Nous sommes – par nature – une œuvre restreinte créée par le plus vaste

Nulle issue – en ce monde – il nous faut vivre l’infini à travers la finitude et la restriction…

 

 

Le possible et l’irréalisable – voilà peut-être la plus emblématique devise de l’humanité. Le désir et la frustration – le lot commun (et inévitable) de l’homme – de l’esprit humain…

 

 

Tout s’ébruite. Et à ces pauvres révélations, le silence acquiesce – silencieusement

 

 

Tout semble s’éloigner. Mais, en vérité, tout se rapproche dans la distance. L’air devient plus dense – l’âme plus aiguisée – et la solitude plus propice à toute forme de rencontre…

 

 

Aujourd’hui – comme les autres jours – il ne s’est rien passé. Absolument rien. Mais, en définitive, tout est arrivé ; le plus proche nous a été offert. Et c’est avec lui, bien sûr, que toute perspective s’habite – et se réalise…

Seul le plus proche est capable de rapprocher le lointain – et de tout convertir en centre. L’esprit, la vie et le monde deviennent alors une expérience sans limite

 

 

Rien ne peut être foulé – la terre est un rêve. Et le silence la seule rive que peut effleurer le pas…

A demeure où que nous soyons…

 

 

A l’heure du plus simple – où tout est perçu pour ce qu’il est – ni plus – ni moins. L’Amour dans l’âme – l’Amour dans le regard. Et la main ouverte qui se tend ou se rétracte selon les visages et les circonstances…

 

 

Une fenêtre où tout peut basculer – le pire et le meilleur – appréhendés (presque) d’une égale manière…

Rien de décisif – le plus ordinaire. Et pourtant…

Toute l’épaisseur de la terre – soudain – transpercée. Et le ciel si vaste – infiniment ouvert…

 

 

Tout – très haut – comme si l’âme et les jambes avaient subitement grandi…

 

 

L’air et le souffle – ensemble – aussi inséparables que l’âme et l’espace – le monde et le silence. Seul(s) témoin(s) des circonstances…

 

 

Toute distance resserrée jusqu’au point le plus dense. L’univers et ses alentours réduits à une tête d’épingle…

L’éparpillement recentré – comme si les vents rejoignaient l’air – et les vagues l’océan…

Et le vivant chahuté – et chahutant – sur un fil tendu entre les deux extrémités de l’infini…

 

 

Le monde – vacarme vacant – bruit sans conséquence – onde, à peine, dans le silence…

 

 

Tout s’étend sur nous – âmes, choses et visages – tenus par la main d’un Dieu tendre et attentif…

 

 

Nu – à même les pierres – aux pieds de tous les hommes. Et ce regard si tendre sur les arbres et les bêtes. A genoux – les yeux baignés de larmes – face au ciel qui a anéanti tous les horizons…

Les murs remplacés par l’infini. Les instincts par l’âme. Et les yeux par le regard…

 

 

Tant d’angoisse et de déchirures. Tant de siècles et de chemins explorés – mille fois arpentés – pour parvenir à cette déconcertante simplicité

 

 

Tout commence par l’inachèvement. La suite est offerte en vivant… avec, parfois, l’offrande du plus précieux ; le goût de la complétude malgré l’impossibilité de la fin et la succession des nuits…

 

 

Une âme nue – une feuille blanche. L’infini et toutes les possibilités du monde. Comme une manière – presque inespérée – de renaître à la vie après ces longs siècles d’agonie…

 

 

A rayonner en silence – pour soi – et quelques yeux de passage. L’âme chaleureuse sur ces pierres froides…

 

 

La chaleur et le froid – du monde – de l’âme – de la main – qui tantôt s’agrippent – qui tantôt rejettent. L’essentiel sera toujours la distance – la juste distance à trouver – dans cet univers où tout est régi par la relation et l’échange…

 

 

Qui peut dire ce que nous sommes – d’où nous venons – où nous allons – fondamentalement… Peut-être n’y a-t-il, au fond, qu’à ressentir ce qu’il y a à faire – et laisser les gestes s’imposer…

Le geste est l’un des reflets essentiels du silence. Infiniment plus révélateur que la parole – magistralement supérieur au langage qui cherche toujours la vérité de manière illusoire…

 

 

A essayer de se hisser – partout – alors que tout est en bas – du côté du sol et dans les profondeurs de l’âme. Erreur humaine commune et naturelle – mais si risible lorsque l’on vit – et voit le monde – la tête à l’envers

 

 

Ce qui revient au monde n’est que la part sombre – opaque – boursouflée – de l’homme ; l’autre – la blanche – la simple – la lumineuse – n’a d’yeux que pour le ciel – et ne vit qu’à travers l’âme…

 

 

Nous n’aurons cessé de dire – et de quémander – avant d’être happé par cette étrange perspective silencieuse qui penche davantage du côté de ce qui s’offre que du côté de ce qui demande. Et lorsque l’on est contraint de faire appel à l’Autre, on s’y résout – à présent – de façon naturelle et spontanée – avec innocence et gratitude. Et cette manière de recevoir a, sans doute, autant de valeur que ce qui est reçu…

 

 

Moins à dire qu’à vivre. Plus de gestes que de mots à offrir – en fin de compte…

Une parole – de temps à autre – comme un baume passager sur l’âme – comme un acte – une caresse tissée maladroitement par le langage…

 

 

Murmures – à peine – à partager avec soi – seul dans sa chambre close – loin du monde et des visages – lorsque l’on se sent comme le premier homme

 

 

A marche lente – le feu contenu au fond de l’âme – pour le pas suivant – les prochaines circonstances – et toutes les rencontres possibles…

La terre, le ciel et le vent au fond des tripes – prêts à s’offrir au premier visage…

Comme une église – un clocher – dressés dans la nuit – qui percent la brume qui surplombe le monde…

 

 

Nous ne sommes qu’un lieu – un carrefour – un passage – où s’invitent tous les déguisements du monde – comme autant de reflets du silence qui, à travers ses jeux, ses travestissements et ses corruptions, dévoile tout son pouvoir – et toute sa magie

 

 

Tout se prête au jeu du monde. Mais à quelles forces obéissent donc les hommes pour le réinventer – et l’accélérer – sans cesse…

 

 

Tout prend place dans une forme d’entre-deux – entre l’en deçà et l’au-delà d’une chose – d’un monde – eux-mêmes parties dérisoires – infimes points – d’un cadre plus large. Et ainsi de suite à l’infini. C’est dire la relativité de la vie, de la mort et du monde – la relativité de toute choseen vérité…

 

 

On parle (souvent) de ce que l’on ne connaît pas – et que l’on croit, pourtant, connaître (un peu). Il vaudrait mieux se taire – et conserver intacts la curiosité et l’étonnement devant ce que l’on ignore….

 

 

Toute idée – toute pensée – est un obstacle à voir – à se laisser émouvoir – à vivre…

Rien ne vaut l’innocence et le silence. On conserve ainsi inaltérés le regard et le monde – la naïveté originelle et la beauté première des circonstances…

 

 

Souvent, le monde s’écarte à notre passage lorsque nous marchons la tête basse – avec un sourire discret sur les lèvres – et une lueur – presque invisible – de gratitude au fond des yeux. La plupart n’y voient qu’une forme de faiblesse – une forme de mièvrerie ou de timidité – et ils se détournent avec mépris (ou avec pitié parfois). D’autres – plus rares (et plus avisés) – y décèlent le reflet de l’humilité – de la grande innocence nécessaire pour traverser – avec justesse – la vie et le monde. Et ceux-là, en général, nous laissent passer avec révérence – et un peu d’admiration dans le regard…

 

 

Vacance et soleil silencieux. L’ombre au fond des têtes ou à mille pas derrière soi. Eclipse passagère. La nuit est encore là – partout où nous l’avons refusée – refoulée – oubliée – plus forte que jamais – prête à ressurgir, à chaque instant, de sa tanière nourricière…

 

 

Comment naît le désir ? Qu’est-ce que la pensée ? Comment l’émotion nous envahit-elle ? Comment s’élabore un sentiment ? Et – surtout – que sommes-nous face à cela – et quelle position adoptons-nous lorsque ces phénomènes nous traversent ?

N’est-ce pas là le genre d’interrogation que l’homme est amené à se poser lorsqu’il aspire – un tant soit peu – à découvrir son intimité – même s’il existe, bien sûr, mille autres questions sur la vie et le monde, mille autres sujets sur les choses et l’âme – mille thématiques à éclaircir pour comprendre notre nature fondamentalement silencieuse et relationnelle…

 

 

L’homme est un enfant curieux et angoissé – qui consacre son existence à survivre, à jouer et à explorer mais dont la quête effrénée de confort* a fini par étouffer – de manière tragique – son goût naturel pour la recherche, la découverte, la compréhension et la connaissance…

* née, bien sûr, de son besoin instinctif de survie…

 

 

Tout prend souffle – s’ouvre – se maintient en déséquilibre – et disparaît par lambeaux entiers. Tout se transforme – de dégrade – se régénère – et renaît. A l’image de la terre – de la matière – de l’énergie – qui se nourrissent – s’effacent – et se renouvellent – d’elles-mêmes– et dont chaque forme de l’Existant (terrestre) est, bien sûr, constituée…

 

 

Il y a moins à devenir qu’à s’abandonner – moins à vivre qu’à apprendre à disparaître

S’effacer – mourir un peu – à chaque respiration. Tendre vers cet espace – cet infini – cette éternité mystérieuse – au cœur du souffle…

 

 

Ne plus être qu’une main ouverte – qui offre – propose – soigne ou caresse. A peine un silence – pas même un visage. Une ombre aux reflets discrètement lumineux. Un petit rien – une sorte d’astre infime et dérisoire – presque invisible – au cœur de la matière. Bien davantage, de toute évidence, que le désir et la parole des hommes et des Dieux…

 

23 mars 2019

Carnet n°180 Le jeu des Dieux et des vivants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Il y avait – autrefois – mille pourquoi – mille rêves – mille préférences – mille choses insensées. Puis le monde et le temps les ont, peu à peu, effacés…

Aujourd’hui, je ne suis plus très sûr de ce qu’il reste…

 

 

Autour de moi – je ne vois que des gens qui dorment – un immense sommeil qui a gagné le monde.

Et j’ignore toujours de quel côté du rêve je suis en train de vivre – et d’écrire…

Le réel – bien sûr – n’est, sans doute, qu’une forme de songe. Mais deux ou trois questions alors se posent ; qui est le rêveur ? Où se cache-t-il ? Et qu’attendons-nous pour le réveiller ?

 

 

Les années passent. Et avec elles, l’espoir que tout pourrait être différent…

 

 

Tout se répète d’une incroyable façon comme si le temps était – à sa manière – un vieux disque rayé…

 

 

Rien ne pèse – en définitive. Pas même notre manière d’être vivant. Un peu de vent – un peu de glaise – et le temps a vite fait de tout réduire en poussière – presque en néant. Demeurent – peut-être – le regard et l’instant à vivre – et la certitude (évidente) que tout s’efface – les plus incroyables circonstances comme les souvenirs les plus tenaces…

 

 

Toute nouveauté n’est que l’autre visage du passé – et peut-être même (qui sait ?) celui du premier souvenir

 

 

Tant de gestes et de paroles – et si peu d’Amour en vérité. Comme si nous passions notre vie à fuir – et à courir après – des fantômes…

 

 

Tout se perd – se dilue – se mélange – jusqu’à se confondre…

Un monde où le piège, le chasseur et le gibier finissent par ne former qu’un seul visage…

Nous sommes tous une hache, une flèche, une main tremblante et du sang à offrir – à couler – à répandre…

Rien n’arrive – en vérité – sinon la perte et la mort…

 

 

Tout s’insère – puis martèle au monde sa présence – sans que rien ne soit jamais concédé. Ainsi s’enracinent la souffrance et la frustration – puis, très vite, le malheur et la résignation…

Le pauvre sel de l’existence – la folle espérance de l’homme…

 

 

Quelle route faut-il donc emprunter pour se rejoindre – retrouver son vrai visage – et sa pleine envergure – celle qui ne rechigne jamais à participer aux jeux de toutes les finitudes…

 

 

Que restera-t-il de nous – s’il reste quelque chose – après la fin des temps – lorsque toujours deviendra la seule conjugaison possible…

 

 

Au-delà de l’horizon – très vite – naît le besoin d’un autre voyage que le sien – celui qui sait traverser le temps et la mort – l’âge de l’innocence peut-être…

 

 

Disciple du temps et des circonstances – jamais maître de rien. Novice – sans doute – en sagesse. Et – peut-être même – premiers pas seulement…

 

 

Les infimes poussières de la parole qui – selon les jours – cinglent ou caressent les visages du monde…

 

 

Debout sur tous les promontoires pour goûter à l’extrême du plongeon dans les eaux chaudes ou froides – qu’importe ! Une fois le saut effectué – le fond des abysses demeure inatteignable…

 

 

Ni maître, ni muselière – un simple passant

 

 

Vivre comme si l’Amour était le seul élan…

 

 

L’encre serait-elle le sang de l’âme… Il me plairait alors d’écrire, avec cette précieuse substance, quelques pages inoubliables – plus belles que le monde – plus naturelles que ses artifices – et plus puissantes que notre folle inclination à l’oubli…

 

 

Une lampe au seuil de toutes les portes – voilà ma seule espérance pour les hommes. Moins qu’une espérance – en vérité – une vague aspiration…

 

 

Assis au fond des heures – au sein du réel – au cœur de ce monde parallèle à la pensée. A vivre autant l’âme que la chair – avec toute la force de l’innocence…

 

 

Ce qui nous peuple pourrait-il nous abandonner… Qui – que – rencontrerions-nous donc alors…

 

 

Monde d’un Autre en soi – plus grand(s) que nous…

 

 

A les entendre, les Autres excellent à toutes sortes de choses et d’activités. Moi, j’apprends et je me tais. J’écris – simplement – ce qui semble me traverser…

 

 

Mot à mot – pas à pas – tel est mon rythme. D’un chemin à l’autre – d’une page à l’autre – de rupture en continuation. Et au fil du parcours (s’il en est un…) je sens ma vie s’effacer – et s’ouvrir mon âme…

 

 

Poésie du plus simple. Parole du plus familier. Quelque chose – comme un chant, peut-être, que l’on fredonnerait pour soi-même…

 

 

A marcher – le souffle – sans doute – plus irrégulier que l’âme…

 

 

Une langue souterraine expulsée des entrailles de la terre – des catacombes peut-être – où, sous les débris, on entend encore appeler quelques voix anciennes…

 

 

Odyssée quotidienne sans sirène ni Pénélope. Une aventure – pourtant – étrangement tendre et sensuelle…

 

 

Soleil au bord des lèvres. Et ce restant de pluie que j’entends au fond de l’âme…

 

 

Et cette faim qui – depuis toujours – ignore le malheur du sang…

 

 

Aux extrêmes du monde – le même malheur – et la même joie – qu’entre les marges…

 

 

Accumulations automnales – comme si – avec l’âge – le temps s’accélérait – et se creusait – inutilement – la mémoire…

Et la mort – persistante – permanente – tout au long du voyage…

 

 

Entre la solitude et la mort – toujours – en dépit du monde et des vivants…

 

 

L’innocence – ce qu’auront – toujours – dénié les siècles…

 

 

A s’inventer une vie – comme si vivre ne suffisait pas…

 

 

A se demander encore si derrière chaque étoile se cache la lumière des Dieux…

 

 

Je me sens parfois plus lourd que le monde. Et, pourtant, nous sommes – tous deux – un rêve – l’un peut-être un peu plus dense que l’autre…

 

 

Quelque chose hors du temps – toujours – à chaque instant…

 

 

Terre et pages labourées par les mêmes rêves – pour apaiser deux faims, au fond, pas si différentes…

Il y a toujours eu – en nous – tant de manque et d’inconfort…

 

 

Du bruit et du temps – un peu d’illusion. Et la vie passe ainsi – sans en avoir l’air…

Mais que resterait-il si l’on enlevait le bruit, le temps et l’illusion ? La vie serait-elle toujours la même ? Et si l’on (nous) ôtait la vie, serions-nous (encore) capables d’être – et de dire – ce que nous sommes…

 

 

Vie et mort – le même cirque – indéfiniment prolongé sans doute – comme un cycle – le Cycle – infaillible – aux alternances si mesurées…

 

 

Ne rien dire – ne rien faire. Pas même inscrire sa vie sur les pierres. Devenir le monde et la chevauchée – le vent et le cavalier fou du temps…

 

 

Rien que des mots échafaudés pour apprivoiser la peur…

 

 

Instincts de survie et de rébellion – de soumission et de découverte. A chercher les racines de l’homme et la source du monde derrière les semences du rêve et la fertilité du désir…

 

 

Ce qui exalte les viscères et les désirs issus du ventre. Ni le monde, ni les mots. Les instincts les plus profonds – et l’élan sous-jacent qui les anime ; l’Amour – le silence – et le feu, bien sûr – autant que le goût de soi à travers le jeu de la multitude…

 

 

Ce qui a le monopole du sang – le vivant et la mort…

 

 

Vivant – comme le souffle – au moment précis du trépas de chaque instant

 

 

Ce qui veille sur le chemin – en attendant notre rencontre. Ni le monde, ni les Autres. Le silence…

 

 

Parvenu jusqu’à l’autre âge de la raison – qui semble, depuis tous les autres, une naïveté – une aberration…

 

 

Comme un soleil oublié – trop lointain – inaccessible – dont la simplicité porte à l’explosion et à l’errance – à l’éclatement des galaxies…

 

 

Les secrets trop pénétrables du monde. Et ce joyau – en nous – si mystérieusement délaissé…

 

 

Peines et prières plaintives – comme si la vie n’était qu’une succession d’attentes et de douleurs…

 

 

A vivre comme si le temps n’avait plus sur nous la moindre emprise. L’esprit libre de toute pensée – de toute inquiétude…

 

 

Espoir et solitude de mille années terrestres. Dans le prolongement de la même misère – au cœur du règne si obsédant – si pénétrant – si omniprésent – de la matière…

 

 

A dormir – sans doute – trop présomptueusement sur l’oreiller des Dieux. Mais à devenir moins leur âme que leur rêve…

 

 

L’homme – à s’étonner, sans doute, comme le font tous les crapauds des fables devant l’ampleur de la tâche à accomplir. Ebahi – sidéré peut-être – mais réduit (tout de même) à survivre en copulant dans la mare…

 

 

Comme un infime grain de sable sur la grève – abandonné – à gesticuler sans rien comprendre jusqu’à la dernière heure…

 

 

Paroles de pierre et de sang – comme un étrange (et lointain) écho du ciel chantant…

 

 

A ressasser l’Amour comme une rengaine ininterprétable…

 

 

Pages incendiaires et impétueuses – comme mille feux – mille déferlements – dérisoires – sur les cendres du monde…

 

 

Bêtes pensantes de la finitude – soumises aux instincts et aux impératifs mystérieux de l’infini…

 

 

L’Amour collé à l’envers des destins qu’il faudrait réussir à retourner pour vivre selon ses lois…

 

 

Identités et illusions d’appartenance. Rien n’existe en deçà de l’Amour. Quelques visages – seulement – qui n’appartiennent à personne…

 

 

A même les ombres – à travers nos gestes – l’infini en sommeil – l’Amour endolori – et l’éternité en friche. Toute la finitude à l’œuvre et le règne des instincts…

 

 

Des vies comme des succédanés de joie et d’Amour. Une forme – simplement – de gaieté inconsciente et d’appropriation…

 

 

Le monde – l’ineffable dans son silence. Et les choses et les visages – plaintifs – braillards – toujours surpris d’être jetés là – si seuls au milieu des Autres…

 

 

L’ombre secrète des choses et des visages – dissimulée comme un nez au milieu de la figure – comme une parole dans le silence – comme un peu de sang sur la neige…

 

 

Rien ni personne. Ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Quelques mots – simplement – sur la page. Une existence – presque – comme les autres…

Vie nomade d’incertitude et de silence…

 

 

Humble – comme ceux que nul ne remarque. Discret et silencieux – presque invisible – comme les pierres et les bêtes…

 

 

D’espoir en prière – une vie d’attente et de mendicité. A défaut de vivre – regarder plus loin et quémander…

 

 

Ces rumeurs du monde – ces bruits de la terre – dans quelles oreilles se perdent-ils avant de rejoindre le silence…

A quelle autre perspective pourrait-on confier ses pas et ses pensées…

 

 

Etabli là où perce le jour…

 

 

Sentiment de funambule sur le fil qu’est le sol – entre le ciel et le néant – entre l’abîme et l’infini…

 

 

Une terre brûlée – noircie par la répétition des pas et la récurrence (obstinée) de la marche…

 

 

Jour après jour – à marcher autant vers sa fin que vers l’infini – où demain sent déjà la mort…

 

 

Empreintes d’encre qui s’effaceront davantage qu’elles ne seront suivies…

 

 

Rester là où la fenêtre devient le seul horizon – là où l’horizon se confond avec les pas – puis avec la présence dont les confins ne seront jamais des frontières…

 

 

Cette solitude sans amant qui nous fait signe sur tous les rivages…

 

 

Le défi insensé de la mort qui – sans cesse – doit affronter les forces incroyables de la vie. Et inversement, bien sûr…

 

 

Là où la vitre cesse d’être une frontière – un reflet – un obstacle…

 

 

Tout finit par se taire – et pourrir. Et à ce terme inexorable, Dieu – au fond des âmes – au fond des tombes – acquiesce en silence…

 

 

A grandes enjambées vers le soir comme une manière illusoire d’échapper au temps. A grandes enjambées vers la nuit pour oublier les malheurs du jour. A grandes enjambées vers l’aube pour s’affranchir de la croyance d’exister

 

 

L’erreur serait de croire et d’imaginer – de vouer ses forces à l’espérance au lieu de vivre – et d’apprendre à mourir – l’âme tendre et acquiesçante…

 

 

Il n’y a rien entre l’homme et Dieu – ni abîme, ni ressemblance – moins qu’un pas – un infime espace à franchir – et une perspective infinie à apprivoiser peut-être…

 

 

L’identité d’un Autre qui nous vit – et nous a créés…

Aussi étranger(s) à tout – à tous qu’à soi-même…

 

 

Une seule route avec mille pas – mille marches – mille visages – identiques et différents…

 

 

A travers toute mort – le soleil – sur l’autre versant du monde…

 

 

Hostile par peur et aveuglement. A vivre dans cette crainte et cette ignorance permanentes de l’Autre et de soi-même…

 

 

Un cri – comme un autre nous-même(s) extériorisé…

 

 

Tout se poursuit sans même que nous y pensions – sans même que nous y participions…

 

 

La nécessité maintient le souffle du monde – le jeu des Dieux qui nous traverse…

 

 

Les lignes parallèles de l’esprit – issues du même centre – se rejoignent dans le silence. Identiques et unies de bout en bout en dépit des apparences…

 

 

Ce qui nous escorte – invisible – secret – mystérieux – a davantage de poids sur nos vies que le monde – que nous-mêmes…

 

 

Tout tourne sur le même axe que la mort – avec, parfois, le souffle et le langage en plus…

 

 

Aussi loin que nous pousseront les forces de vie – jusqu’à la bouche béante – attentive – affamée – de la mort. Passage des ténèbres vers d’autres ténèbres – toutes illuminées, bien sûr, par un feu – et, parfois, un soleil – intérieurs…

 

 

Celui qui ne vit qu’à travers ses pages n’expérimente – ni n’écrit – rien d’essentiel. Il faut pour bien écrire – c’est-à-dire pour témoigner avec justesse, profondeur et authenticité de l’existence – se pencher sur sa feuille avec ce qu’il y a de plus vivant en nous. Il faut mêler son sang, sa sueur et son encre – tremper son âme dans toutes les matières (et toutes les substances) du monde – et se frotter à toutes les aspérités des chemins et des rencontres qui nous sont offerts…

 

 

Chaque mot est une flamme – un silence – peut-être – trop longtemps contenu…

 

 

La tête posée à même le silence – là où le jour éclaire l’autre versant du monde – celui où les visages s’enflamment à force de s’embrasser – celui où la chair et la lumière ont la même couleur – celui où les âmes ne se lassent jamais d’être fraternelles…

 

 

Tout concourt à notre émergence – à notre (si dérisoire) existence – puis, une fois l’expression éclose, à notre disparition. Et les hommes s’en étonnent encore…

 

 

Entité d’instincts et de désirs. Créature de chair, de sueur et de semences – âme à peine balbutiante – si peu interrogative – si peu intéressée par le miracle de la matière et de l’existence – et moins encore par le mystère du souffle et de l’esprit – peut-être plus extraordinaires encore…

Combinaison d’atomes guère raisonnable…

 

 

De la première aurore à la mort – les mêmes ombres et le même crépuscule – jamais enflammés…

 

 

De miracle en miracle – et plongé, pourtant, dans la même misère. Entre Dieu et l’homme. Entre le monde et la solitude. Avec l’allant – et l’opiniâtreté – du pas et de la page…

 

 

La chair marquée par la terre – et enfoncée en elle. Et l’âme vouée – tout entière – au silence – à l’invisible – au mystère – qui, peu à peu, se dévoilent…

 

 

Seul face au pain et à la page. Seul comme nous l’imaginons trop confusément – à maudire une vérité si belle…

 

 

Seul avec un Autre qui est toujours davantage nous-même(s) – comme une autre manière de vivre avec soi – sans la nécessité du monde et des visages…

 

 

Sans le monde – sans les Autres – le manque se consume – la solitude devient incendie volontaire – feu de joie – espace (enfin) propice à l’Amour et à l’élan contributif…

 

 

Dans la compagnie d’un ciel hospitalier – en ce lieu où le silence s’offre – et accueille tous les élans…

 

 

Quelques souffles – quelques pas – puis, très vite, tout s’épuise et s’éteint…

 

 

Qu’un seul visage en héritage…

 

 

Un peu de bruit et – partout – le même silence…

 

 

Une épaisseur – une intensité – comme si la vie était miraculeuse et le quotidien un présent offert par le silence…

Proche des Dieux peut-être – mais avec humilité et gratitude – comme les seules couronnes autorisées par l’innocence…

 

 

Très haut perché – à quémander au ciel ce que seule la terre peut offrir…

Ciel encore – ciel toujours – dans la proximité des âmes aimantes…

 

 

Lieu infime au milieu du monde – fragment relié à tout (de mille manières) – et ouvert sur l’infini. Au fond, la seule véritable perspective de l’homme…

 

 

Gouttes de pluie et de sang – inextricablement liées – issues de la même source – et dont le ciel dirige le destin…

 

 

Orgie de mots sous la pudeur et le mutisme. Feu minuscule, en vérité, dans le silence et la nuit du monde…

 

 

Cris du premier homme pris en défaut d’incroyance…

 

 

A courir partout comme si nous avions la nuit à nos trousses. Et à tourner en rond comme si la vie était un abîme… C'est dire à quel point nous ignorons que le gouffre et l’obscurité sont au-dedans…

 

 

Dieu a pour nous tant d’Amour qu’il pardonne – non seulement – nos absences et nos infidélités – mais il y consent (si l’on peut dire) de toute son âme…

 

 

Tant de forces en soi qui nous font tourbillonner…

Vents, souffles et élans porteurs tantôt de création, tantôt de destruction – mais toujours humblement et admirablement contributifs…

Et cette intériorité immobile – inchangée – inaltérable – au milieu de toutes les tourmentes…

 

 

Le sauvage et l'apprivoisé – en nous – qui se disputent chaque événement – chaque circonstance – chaque destin. Et, à chaque instant, les mille traversées possibles…

 

 

A petits pas sur notre fil nocturne – si fragile(s) – sous la lumière de l'aube…

 

 

A tourner autour du même soleil en espérant pouvoir éclairer la nuit – comme s'il était impératif de changer le monde – et comme si l'homme était Dieu…

A se demander pourquoi la vie a été inventée…

 

 

Point infime dans l'univers à la rencontre de son Autre – de tous ses Autres – ces restes de nous-mêmes au-dehors et au-dedans…

 

 

D'où viennent donc les vents et la mort – et ce jeu – et ces drames – qu'ils offrent aux vivants…

 

 

Certains vivent sous la tutelle des Dieux – et, parfois, sous leurs bottes. D'autres se sont hissés sur leurs chevilles en arborant un sourire de fierté. Et d'autres encore – moins nombreux – jouent avec innocence dans leur chevelure…

 

 

C'est Dieu – en nous – qui frappe et caresse – apprivoise et rejette – honore et crucifie. Et nous avons la bêtise – le malheur et la prétention – de nous imaginer libres…

 

12 mars 2019

Carnet n°179 Tournants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Prologue (fin de cycle et de saison)

 

Ce qui demeure – ce qui s’en va. Et le reste, en nous, réuni. Sang et larmes – les évidences d’une vie – ni meilleure, ni moins belle qu’une autre. Une parmi – et rien de plus…

 

 

Rien que ces mots – et cette bouche aux lèvres serrées – qui reste close par peur de mordre comme elle a été mordue…

 

 

Le silence et la rage. La solitude et la crainte de vivre. Le mutisme abyssal – ni refuge, ni tremplin. Une parenthèse – simplement – un retrait provisoire qui durera, peut-être, jusqu’au dernier jour…

L’errance d’une âme au bord de toutes les infortunes…

 

 

Ni ciel, ni abri – une illusion – une forme de mensonge. Et cet étrange espace qui nous réunit…

A demeure – là où ne reste plus rien. Seulement un peu de tristesse et de mélancolie…

 

 

A ceux qui nous ont quitté(s) – à ceux qui nous ont blessé(s) – parfois meurtri(s) – et d’autres fois plus encore – à ceux-là nous pardonnons… Mais les gardiens des blessures, eux, se souviennent – et se souviendront encore demain – comme au premier jour de la plaie…

Et ils continueront de protéger – corps et âme – ces parts, en nous, qui saigneront jusqu’à la mort…

Si fragiles – si sensibles – que nous sommes…

 

 

On ne peut recoudre ce que l’âme ignore. Dieu, en nous, doit être présent – tout entier – pour transformer les entailles en cicatrice – et initier le temps de la guérison…

 

 

A découdre le monde et la solitude – là où l’Amour est de passage – puis, de plus en plus présent. Comme la seule marque de ceux que tout a abandonnés…

A l’extrême des chemins – aux confins de ce monde – dans le prolongement de tous les désamours…

 

 

Dernier regard sur la brèche. L’étendard – à présent – timide – comme rentré au-dedans – presque muet – presque défait – au fond de l’abîme devenu aire d’accueil – réceptacle – surface où peuvent s’abriter, pour quelque temps, toutes les jointures (si imparfaites) de ce monde…

 

 

Illettré – à présent – comme un nouveau-né au regard émerveillé. Curieux – étonné de tous les effleurements – de tout ce qui passe à proximité de son âme. Sans mémoire – sans désir particulier – sans connaître la moindre chose – ni, bien sûr, le moindre langage. Les yeux et le cœur unis à chaque instant – à chaque secousse – à chaque percée du monde en lui…

 

 

Un jour, tout nous quitte – jusqu’à la peur de la mort…

 

 

Veille étrange où la lueur et la lumière demeurent ensemble – parfois accolées – parfois entremêlées – quels que soient la densité de l’obscurité et le degré d’absence alentour…

 

 

A nous barrer la route – comme si nous étions notre pire ennemi. A revenir – encore et encore – là où il faudrait faire confiance à l’errance. A vivre avec certitude là où il faudrait s’abandonner…

 

 

Présence en soi du plus sublime et du plus émouvant. Une âme – une tête – toute une trame, en vérité, à découvrir au cœur des jeux et des drames…

 

 

Des mots – rien que des mots. Un pauvre inventaire du réel apparent – intérieur et extérieur. Rien de profond – rien de caché – rien d’invisible. Un simulacre d’invention

 

 

Demeurer là où tout s’écarte – épaules et visages – chemins et promesses. Sur ce sentier invisible où les ronces sont plus nombreuses que les pas…

 

 

Lumière sur mille pentes escarpées – enfouie – égale – au même titre que le bleu et la nuit. Présente partout le long de nos intentions – à même nos gestes – au fond de l’âme – que les mains et la tête ont bien du mal à dénicher…

 

 

Rien qu’une forêt où s’abriter – rien qu’une pierre où demeurer quelques instants – l’espace provisoire d’une existence. Rien qu’une terre qui ne serait bâtie pour les hommes – mais pour les âmes curieuses et sans assurance…

 

 

A marcher de haut en bas – dans le même silence. A voir derrière les yeux les questions frémir, puis s’effacer. A écrire comme d’autres amassent l’or et les choses en espérant un peu moins d’inconfort…

 

 

Sous l’averse – les pas écartés – l’âme en pagaille. En constellations intérieures. Sur cet étroit sentier bordé d’abîmes et d’incertitudes. A être là – les yeux clos et le cœur vivant – et jamais ailleurs où vivre serait plus confortable. Dos courbé par l’effort et la gravité du monde. Comme une manière d’éveiller l’homme en soi – d’effleurer le mystère – et de dissiper la brume alentour. La lumière et l’échine au bord du temps – prêts à danser avec ce qui peuple nos blessures…

 

 

A noter tant de secrets invisibles – incompréhensibles, sans doute, pour la plupart des hommes. Comme des pierres – mille pierres quotidiennes supplémentaires – dans notre nuit – sur ce chemin imprécis – sur cette terre particulière où l’encre, la sève et le sang ne forment qu’une seule substance – l’essence de l’âme peut-être…

 

 

Ni pas, ni sente, ni élan – véritables. Une échappée hors du sommeil. Un éloignement – inévitable – hors du monde. Une solitude de l’âme grandissante…

 

 

Le repli – le retrait. L’effacement de toute forme d’épaisseur pour gagner en légèreté – et, peut-être, en liberté – et ouvrir un passage au-delà des mots – au-delà des livres et de la parole. Un ajour – comme un champ de lumière dans l’âme et le silence…

 

 

Où habitons-nous – d’où vient l’encre – et où se tient la page…

Et vers quel cercle nous mène le silence…

 

 

Et cette encre chuchotante qui tente – maladroitement – d’extirper du sommeil – comme si l’absence était évitable…

 

 

Quelque part – ces bouts de nous-mêmes – noirs – incendiaires – flamboyants qui rêvent de ciel les pieds et l’âme plongés dans l’abîme – englués dans la fange…

 

 

Il n’y a rien en deçà de la lumière – qu’un monde misérable accroché à de folles espérances…

 

 

Rives où l’errance est (semble être) le seul voyage – la seule aventure – possible. Ruines et visages de l’absence – univers où tout s’étiole mécaniquement – méthodiquement – inexorablement…

 

 

Tout désarticulé – comme un pantin aux ficelles folles – malmené par les souffles de la scène – et abandonné là par le marionnettiste…

 

 

Si près du monde – et, pourtant, que l’âme des hommes me semble lointaine…

 

 

Ardeur, gestes et paroles – comme si nos actes pouvaient faire pencher la balance…

Mieux vaudrait se taire et rester en retrait. N’agir qu’en fonction de ce qui nous habite – et mettre son âme au service des circonstances…

 

 

Le monde n’est qu’une idée qui effraye – une sorte d’exigence (superflue) qui pousse au sacrifice et aux compromissions…

Notre contribution est ailleurs – au-delà des masques et des costumes – au-delà du monde visible…

 

 

Tout se balance avec indolence ou frénésie. L’encre et les visages dans la nuit – profonde – complète – ancestrale. Et l’immensité, si souvent, rêvée – jamais atteinte – et parfois (trop rarement) célébrée. Trop d’ombres peut-être – trop d’insensibilité et de tiédeur dans nos gestes et notre âme accablés…

 

 

Ce rien d’étrangeté qui, à la longue, devient profond mystère. Et cet émerveillement initial transformé, peu à peu, en accablement. Comment la vie peut-elle – à ce point – nous éloigner de son centre…

 

 

Debout – apparemment. Adulte et responsable. Mais si faible – si enfantin – et si démuni au-dedans. Innocent – puéril en vérité. Agenouillé – la face éplorée contre le sol…

Comme un oiseau aux ailes déchirées. Une feuille jaunie abandonnée par les saisons. Un peu de glaise – à peine – survivante…

Paré de ce grand mensonge dont seuls les hommes savent s’envelopper pour tenter de rendre plus belle – plus haute – moins tragique et plus supportable – leur insignifiance – et se sentir – ainsi – capables d’échapper à leur condition naturelle…

 

 

Dimension terrestre si vive – si marquée – presque omniprésente que l’on habille – avec maladresse – de quelques dorures – mais qui, en vérité, étouffent le plus essentiel

 

 

Ici – relié (autant que possible) à soi – à l’âme – au monde – aux Autres – à tout ce qui nous constitue…

 

 

Funambule gourmand – affamé – malhabile – taciturne – presque immobile malgré le temps – malgré le manque et la faim. Jouant – seul – sur son fil – devant l’indifférence des Autres. Blessé – toujours – blessé mille fois – dix mille fois – des milliards de fois – depuis le premier pas. Cherchant à vivre et à guérir – à connaître et à aimer – presque toujours, en vain…

 

 

Premier et dernier jour de la saison. Le cœur sensible – sans échappée – sans manipulation. A se demander où se dissimulent le mystère – la vie intense et l’Absolu. Serait-ce dans l’âme – ce fantôme – cette étrange chimère… Serait-ce au fond de soi – au cœur de cet espace si étranger… Ou serait-ce au-delà – sur ce versant invisible qui surplombe les illusions…

Comment savoir – comment le découvrir avec cette insensibilité pathologique

Un jour de plus à se morfondre et à s’interroger…

 

 

Le vent – plus efficace – que nos tentatives pour trouver l’équilibre sur sa poutre – sur son fil. Un pas devant soi – un pas après l’autre – puis, les suivants qui s’enchaînent – jusqu’à la chute – ou l’immobilité parfois – jusqu’à ce que le vent – tout entier – nous happe – nous encercle – nous pénètre – avant de pouvoir rejoindre un autre monde – une autre poutre – un autre fil – et de continuer à avancer contre mille autres vents nouveaux…

 

 

Sur la route – nouveau départ

 

Là – peut-être – au bout de soi – quelque chose d’insensé…

Un jour manifeste – une nuit sérieuse – tout – sans doute, n’importe quoi – une autre vie au-dedans de l’ancienne…

 

 

Un retour – un chemin – un horizon moins encombré. Un mariage peut-être – au fil des instants. Rien de provisoire – ni de définitif. Des noces discrètes entre l’incertitude et le rythme journalier…

La joie des retrouvailles au cœur de l’espace avec cette figure manquante que nous avons (outrageusement) oubliée…

 

 

De part en part – foudroyé par cette incroyable gravité…

A croire et à espérer – bien plus qu’à vivre. Ainsi – peut-être – comme s’y résignent – inconsciemment – tous les hommes…

 

 

Ce qui nous sépare de nous-mêmes – éparpillé(s) – haché(s) menu – à peine survivant(s) – dans la mélasse terrestre – le marécage des vivants – que les hommes, pourtant, tiennent en si haute estime…

 

 

A mes côtés – mes compagnons les plus fidèles – loyaux jusqu’à la mort. En face de moi – quelques livres – mes amis de papier – mes amis d’autrefois – et ceux d’aujourd’hui. Et, en moi, cette solitude sauvage – incorruptible – et cette tristesse glacée qui aurait aimé partager davantage…

 

 

Une âme déplacée – à l’orée de l’inconnu – sur cet horizon invisible que les hommes considèrent comme une incertitude (trop) inconfortable…

 

 

A hauteur de plèbe – au milieu des étoiles – sur cette fameuse terre des hommes

 

 

Un âge au cœur de celui que l’identité affiche – ancestral – ineffable – éternel. Une folie ou une incongruité pour ce monde. Comme un diadème invisible au milieu de la boue…

 

 

Séparé – autant que peut l’être l’homme. Mais l’âme – toujours – aussi exigeante – qui soumet le moindre visage aux impératifs de la rencontre

 

 

Au cœur du jour – dans cette nuit déjà si ancienne – à se demander (encore) si le plongeon sera fatal – et l’immersion complète exigée…

 

 

A grandes enjambées – là où la corde et le filet ont disparu – abandonnés quelques années plus tôt. Face à la montagne – à présent – devant ce visage inconnu en soi – immobile depuis des siècles – qui n’a jamais gravi le moindre sommet. Né bien avant nous – et, sans doute, présent depuis toujours…

 

 

Se résoudre à atteindre ce qui est infranchissable. Plus proche que ce souffle – cet espace que nous imaginons lointain – placé, pourtant, au cœur de l’âme…

 

 

Chaleur dédoublée – celle d’autrefois qui persiste – et celle du dedans – bien plus vive aujourd’hui…

 

 

Demain – comme une bouée lancée toujours trop loin. Jamais serait plus juste – et plus ouvert. Il suffirait de recentrer le geste – et la tête – sur ce qui est devant soi sans jamais laisser approcher les instants suivants…

 

 

Ce qui s’étiole – ce qui jaillit et se renouvelle. La même aubaine de vie – la même espérance – le même désastre…

Une froideur – un intervalle – et la mort prochaine. La continuité des épreuves…

Le reflux du monde. Et l’espace en soi – tantôt ouvert – infini – tantôt saturé – incomplet – si étroitement terrestre…

 

 

Ce qui vient avec les visages – et à travers le langage – la même surprise – le même émerveillement – puis, un peu plus tard, la même tristesse – la même désillusion…

Ce qui nous terrasse – le sol en moins – comme l’espérance des ailes – et l’envol fauché à la racine…

L’épaisseur surgissante jusqu’à fendre l’âme – et caresser le ciel le plus bas. Une route, en quelque sorte, vers le plus improbable…

 

 

Pied à pied avec l’épreuve et le destin. Le plus tragique et la possibilité de la grâce…

 

 

Le livre, la parole, le silence. Et l’étincelle du temps. A répondre aux oracles et à l’appel des Dieux. Comme si vivre était un chant – une vocation…

 

 

Le réel à pleine main – et au cœur de l’âme – non comme un supplice – non comme une épreuve – mais comme un impératif de rééquilibrage…

 

 

A veiller – entre l’obscur et la possibilité d’une route – entre hier et l’incertitude des chemins. Comme si la boue et l’asphalte constituaient l’essentiel de notre destin…

 

 

Appuyé, peut-être, sur l’une des extrémités du monde – là où si peu vont – là où l’Autre a un étrange visage – là où la nuit se confond avec l’espérance. Au bord de l’âme. Tout entier présent à ce qui jaillit du jour et des chemins…

 

 

L’attention parallèle à la somnolence – dans l’axe des jours qui, un à un, nous font face. Présence souple – fine et détachée – là où, autrefois, la fuite et la crispation étaient naturelles…

 

 

La main et l’âme au cœur de la matière – soumises aux exigences du temps. Là où il n’y avait que peines et caprices – pensée et imaginaire superflus…

D’un jour à l’autre – comme les tâches qui se succèdent…

Et ces Autres apparemment si lointains – que le sol rend proches. Pas, têtes et substances reliés – presque collés aux nôtres par l’espace qui semble – illusoirement – nous séparer…

 

 

Parole et lumière unies à travers les âges – de livre en prière – de bouche en âme – jusqu’au cœur du réceptacle…

 

 

La parole comme reflet de l’union entre le souffle, la matière et l’infini. Et demeurer là – tout entier – dans ce jaillissement…

 

 

Ni porte, ni traversée. Un seul chemin qui soumet et (parfois) domine l’âme. Comme un prélude à l’allure, si souvent, âpre et cruelle. Comme les balbutiements d’un retour vers ce qui, un jour, nous a enfanté(s) avec innocence et ferveur…

 

 

Bifurcation des jours. L’entrée en matière du plus dense et du plus léger. Comme une ronde où le vent et l’âme se tiendraient par la main…

 

 

Du bleu, du noir, du jour. L’aventure de l’homme. Et le sacré – en soi – dont nous ignorons la présence…

 

 

Rien ne nous aura davantage creusé que la lumière…

Et à notre hampe – pas même un éclat ; les viscères du monde sur lesquels on aurait greffé un peu de cervelle – un soupçon de perspicacité…

 

 

Inventer – à travers la langue – une autre langue comme on rêverait un autre monde – plus vivable que celui dans lequel on a été jeté…

 

 

Rien de l’agir. Ni rien de la pensée. Seul un souffle – parfois un reflux – un retour – un élan. Une simple manière de vivre

 

 

Une dimension – une perspective – l’au-delà de la volonté – l’allégeance au destin et aux circonstances. La plus juste façon d’exister – peut-être…

 

 

Le désarroi d’un Autre où l’âme aurait plongé. Et la venue progressive de l’émerveillement…

 

 

Immobile comme l’âme et la pierre. Dans le prolongement du souffle. Au cœur du même chaos. Au cœur de la même discontinuité…

 

 

Eau et montagne. La solitude des pierres mal arrimées à leur versant. Et la vie comme un voyage – comme un long effritement vers le néant…

La fluidité de la matière – comme la lente évaporation de la neige. Comme la buée laissée sur la vitre par notre respiration…

L’évanescence des jours et l’impuissance de l’âme face à l’ordre du monde – face au cours naturel des choses…

 

 

A hauteur de sable. Et, pourtant, issus de la matrice qui enfanta les Dieux et le temps. Aussi réels que les étoiles les plus lointaines. Visages et dimensions multiples de la même perspective…

 

 

Espace autour de soi – et mille univers au-dedans – reliés à l’invisible…

 

 

Ce qui s’arrache – ce qui se détache – ce que l’on perd – lorsque la vie tourbillonne. Et cet esprit accroché aux parois de tous les abîmes…

 

 

L’espace prétendu auxiliaire (et, pourtant, central) où l’enfance demeure éternelle – et l’invisible, notre seul visage – l’unique permanence à travers les âges…

 

 

Ces pas sont-ils les nôtres ? Où sont donc passés les chemins…

Du monde à soi. Du dedans vers l’extérieur. Et ce visage – et cette terre – d’autrefois dans quel pli ont-ils disparu…

Rien n’a changé – mais rien n’est plus reconnaissable. Comme si l’innocence – la clarté de l’enfance – avait balayé toutes les certitudes de l’âme…

 

 

Dans quel (nouveau) gouffre nous précipitera donc la mort…

 

 

D’une aube à l’autre sans voir ni le vieillissement du corps, ni l’inertie de l’âme…

A peine posé au-dedans de soi…

 

 

Destin nocturne. Aussi dense que le noir – aussi anonyme que l’étoile…

 

 

A observer les défilés – le prolongement hébété du monde – et le désarroi partout – au-dedans et au-dehors – et l’effarante transparence – l’effarante perméabilité – des frontières apparentes…

 

 

Un regard immobile – un souffle intermittent – et la vie jaillissante – primesautière – expansive – et bientôt moribonde – et bientôt renaissante…

 

 

Vertige d’un Autre en soi – infiniment plus vivant et déluré – infiniment plus explorateur et aventurier – plongé au fond de tous les abîmes et surplombant tous les drames – curieux et émerveillé (depuis toujours) de ce qui jaillit – de ce qui passe – de ce qui nous effleure et nous traverse…

 

 

Plongé dans cette parole – plus épaisse que la terre – plus fragile que la chair – et aussi libre, peut-être, que l’oiseau et les feuilles de l’automne…

Comme si les mots contenaient davantage que l’âme et le monde réunis – l’incroyable densité de l’invisible…

 

 

Poésie du silence – porteuse d’encre, de joie et d’effacement. Matrice de tous les possibles qui laisse la feuille blanche – vierge – saupoudrée (seulement) d’un peu de neige et d’invisible…

 

 

L’homme – si prompt à s’inventer – à tout inventer – jusqu’au délire – jusqu’au néant – jusqu’à l’apothéose de la catastrophe – et jusqu’au seuil, parfois, du possible et de la grâce – livrant tout à l’hypostase…

 

 

Libre d’imaginer – contraint de vivre. Entre le rêve et la contingence – la fuite et le destin…

 

 

Devant le vide – devant l’autel – devant le monde – la même ardeur et le même silence – la joie, la solitude et le dénuement…

 

 

Entre soi et le monde – cet espace que l’on emplit si vainement. Murs de gestes et de croyances. Forteresses d’objets. Remparts d’idées et de paroles…

Tours et trônes instinctifs – naturels – absurdes et inutiles…

 

 

Géographie solitaire – comme une épopée pour soi – entre merveilles et soleil – entre démons, brûlures et tristesse. Quelque chose d’infiniment tendre et sauvage – comme un impératif – le prélude essentiel au vrai vivre, peut-être…

 

 

Sans visage, ni horloge – sans autre prochain que soi-même. A essayer de deviner ce que seraient les heures avec d’Autres en des lieux différents…

 

 

Jour après jour – le même rythme – les mêmes circonstances – avec d’infimes variations au gré des chemins – et une joie plus grande que celle qui serait offerte par la proximité du monde et des visages…

 

 

Voyage dans un autre temps que celui du monde – où l’âme et les aiguilles tournent – presque immobiles…

 

 

L’art festif – au-dedans – à l’abri des petites liesses du monde. En retrait, en quelque sorte. Infiniment solitaire – infiniment silencieux – célébrant, avec tendresse, cette joie – ce miracle – d’être en vie…

 

 

La grande ronde dans le désert de l’âme – au rythme des vents – parmi les arbres et les bêtes qui précèdent mes pas…

Sans autre présence que celle de Dieu et de l’homme – en soi. Et dans la compagnie de ce qui les entoure…

 

 

Un peu de nuit encore – comme le prolongement timide de ce que nous fûmes – et de ce qui nous fit chuter…

A l’exacte place où tout a été inversé…

 

 

Une autre joie par dessus l’ancienne – indéfiniment…

 

 

Loin – si loin – des rencontres aux visages masqués. Dans l’entre-deux des mondes – celui qui élève et celui qui broie…

Tout – sous des allures merveilleuses – jusqu’au plus abominable visage…

 

 

Aimer le moins poétique du monde. Tous les cris et toutes les peines de la terre. L’étroitesse, le tragique et la faim implorante. Le soubassement des destins – le socle des âmes – pour que puisse fleurir l’au-delà de l’homme

 

 

Eclats d’ailleurs – éclats d’autrefois – éclats de demain peut-être – et des mille jours suivants. Sur toutes ces pages où rien – ni personne – n’est présent…

 

 

Mille mondes au cœur de ce monde – séparés par mille schémas aux contours trop précis – trop déterminés – trop rigides – pour se rencontrer…

 

 

Tout est à sa place – dans le désordre apparent du monde. Et nous nous acharnons, pourtant, à transformer ce prétendu chaos pour le rendre plus vivable sans même comprendre que nos agissements amplifient la tragédie…

 

 

Consentir encore à vivre malgré les extinctions. Ce qui fit jaillir le souffle et les tempêtes dans cet assoupissement…

Un privilège – l’ultime prétention à l’Amour, peut-être…

 

 

Entre les ombres et les vivants – entre la fatalité et l’indécision – dans les pas obscurs de ceux qui nous ont précédés. Avec – au loin – la lumière consentante…

Seul(s) – comme si le monde s’y prêtait – et ne consentait même qu’à la solitude…

 

 

Au cours de chaque voyage – de chaque étape – arrive toujours cet instant où la grâce et l’intensité cèdent le pas à la gravité et à l’automatisme. Comme le franchissement du même seuil où la vie cesse d’être une aventure – où chaque foulée se transforme – inexorablement – en routine et en sommeil…

 

 

Et si la nuit avait été inventée par des yeux trop longtemps fermés…

Rien que des ombres – et au loin – et au-dedans – un peu de lumière – inaccessible…

 

 

Misère et désastre – et caché tout au fond – le merveilleux – le plus inespéré. Dieu et le paradis au cœur de la fange et de la tragédie…

Là où le ciel tombe et l’âme se redresse – au croisement précis de la terre et de l’infini – sur cette brèche creusée par le cœur ouvert…

 

 

La vie qui – à travers nous – s’amuse avec elle-même. Tout geste – toute parole – tout élan – est elle – aussi sûrement qu’est dérisoire notre nom…

La vie qui se poignarde et la vie qui se console – à travers nos certitudes et nos prétentions. Toujours innocemment intentionnelle

 

 

Ce qu’il faut tuer pour survivre. Et ce qu’il faut aimer pour apprendre àvivre le cœur blessé – le cœur ouvert…

 

 

Tout est là – criant – suffocant – à travers le silence. Au cœur de ce manque douloureux – presque toujours plaintif – dans l’esprit et le corps affamés…

 

 

Ce qui manque à la terre, le ciel en déborde. Et inversement. Et le vivant – cette étrange jointure – penche tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre. Inégal et partagé en toutes choses…

 

 

Voir en chaque chose – en chaque visage – la figure même de la vie – tantôt blafarde – tantôt écarlate – tantôt bonhomme – tantôt violente – tantôt honnête – tantôt rusée – survivante – toujours – au milieu du chaos qu’elle a, elle-même, engendré…

 

 

Matière d’un seul tenant où tout se touche – se heurte – se frotte – s’enfante…

Ossature de papier où bruisse la chair du grand squelette…

De la même couleur que la terre – à quelques nuances près…

 

 

Bouts de terre et de ciel – agglutinés ensemble – les uns contre les autres. En attente de surprises et de nouveautés. Sur mille chemins balisés où chacun suit mécaniquement les pas précédents – les traces existantes – avec ce faux sentiment d’éternité inventé pour essayer d’échapper aux marges et au provisoire…

 

 

Rien qu’un songe – peut-être – comme demain l’était autrefois. Rien qu’un élan pour dissiper le pire et les malheurs d’aujourd’hui. Rien qu’un espoir d’embellie pour donner un peu de sens à la tragédie…

 

 

Avant le rêve – avant même le réel du monde – existait déjà l’autre dimension – celle qui a toujours su se passer des choses et des visages…

 

 

Ce que personne n’entend au fond – ce murmure – à peine – derrière les bruits du temps. Ce que personne ne voit au fond – cet invisible présent au milieu du monde – au cœur de chaque visage. Ce que personne ne vit en définitive – ce sacré dissimulé en chaque geste – au plus profond de l’âme…

 

 

Beauté et bonté manifestes de celui qui agit à partir du respect. Ce qu’il y a de plus sage en nous – cette innocence faite de tendresse et de lumière. Le plus noble du monde. Le plus haut de l’homme. Et le plus prometteur, sans doute, du vivant…

 

 

A imaginer ce qui pourrait être – à rêver de ce qui devrait être – au lieu de vivre – pleinement – ce qui est – là simplement…

L’esprit avec ses mille pensées – avec ses mille désirs et ses mille frustrations – nous emprisonne de telle manière qu’il lui est impossible de nous délivrer de la détention dans laquelle il nous a plongés…

 

 

En prise directe avec le monde et les choses – au cœur de cette matière qui s’insinue partout. Le corps et l’âme d’un seul tenant qui se frottent à tout. Fragiles – dépendants de mille manières – contraints d’offrir au séant ce que l’on offre habituellement à la tête – et inversement – livrés à tous – et réclamant, parfois, un peu d’aide à ceux qui passent et sont disposés à tendre la main…

 

 

L’âme errante – vêtue d’un long manteau sombre. Et le cœur si proche des mains à l’ouvrage – rougies par les sentiers nouveaux – rugueux – corrosifs – éminemment réels – si loin des gouffres imaginaires dans lesquels nous ne tombions – autrefois – qu’en rêve…

L’âme rougeoyante – réchauffée – et éclairée peut-être en partie – par les feux du monde – et ces faisceaux de lumière offerts par l’invisible…

L’âme comme un foyer – une chambre heureuse – une demeure infinie – où il fait bon vivre quels que soient les lieux et les circonstances…

 

 

Les chemins comme les jours – aussi nombreux que les rêves, les rives et les visages. La nature même du monde – la multitude de l’illusion…

 

28 février 2019

Carnet n°178 Cercles superposés

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Sur le mur – rien – le souvenir d’un sourire – à peine – quelques traces presque invisibles d’un temps révolu. Le silence et la nuit alentour. Quelques restes de sommeil. Et cet Amour en soi que personne n’a accueilli – et qui creuse, à présent, au fond de notre poitrine…

 

 

Des signes – une voix – quelque chose – une sente, peut-être, qui se dessine et s’emprunte – parallèle aux chemins et aux souffrances façonnées par le voyage et les rencontres…

Fenêtre à travers tous les murs qui nous encerclent. Meurtrière sous toutes les latitudes incarcérantes…

 

 

Longue énumération des visages et des tumultes – des rumeurs du monde – des ruses et des mensonges – de toutes les stratégies indigentes à l’usage des sans fièvre – des sans révolte – des sans poème – de tous ceux qui s’accommodent (tant bien que mal) des frontières et des saisons…

Puis se taire – et réduire ses pages au silence. Que pourrait, en effet, offrir au monde toute parole supplémentaire…

 

 

Porté par le voyage et la rébellion – par l’errance et la nécessité des mots. Et si peu de jours pour marcher et comprendre – et témoigner des affres, des surprises et des bienfaits de la route…

 

 

Adieu à (presque) personne – comme si nul n’était réellement vivant – ni digne de confiance. Traître et analphabète – sûrement. Et capable seulement d’instincts et de sommeil…

Mais où est donc passé l’homme… A-t-il seulement existé… Et en quel lieu se retirer pour le rencontrer…

 

 

Tout est rêve – histoire – sauvagerie – ruse et commerce – mensonge et faux-semblant. Et tout est si provisoire. Comme si nos traces sur le sable pouvaient (encore) avoir quelque importance…

 

 

Personne – comme le plus sûr lieu du rendez-vous…

 

 

Ce qui s’étreint, peut-être, le temps d’un baiser… Un instant où le possible peut enfin rencontrer sa réalisation. Une parenthèse provisoire dans cette longue (et douloureuse) errance…

 

 

Qu’y a-t-il donc à vivre… Faudrait-il donc s’inventer à chaque seconde – et, avec nous, le sang, la chair et l’âme – l’homme, la terre et le destin – ou tout est-il déjà trop corrompu pour espérer goûter l’impossible – l’être et la joie au-delà des rêves et des habitudes – l’existence (la vraie vie) au-delà des coutumes et des conventions…

 

 

Espérer et se souvenir – comme si la vie n’était qu’un songe…

 

 

A se débattre dans l’épaisseur du monde et l’inconsistance des sentiments. Vies graves – vies vaporeuses – à batailler contre la matière – au ras du sol – dans l’effleurement (à peine) des choses…

 

 

Rien ne meurt véritablement – tout s’éteint et se rallume sous d’autres traits – selon l’ordre des jours

 

 

A se cacher les yeux comme si l’on pouvait échapper au réel – et devenir en rêve le substrat du monde et des choses. L’unique marionnettiste des spectacles…

 

 

Que peut-on partager avec l’absence et les absents… Un peu d’espoir – sans doute – comme le double de la trahison…

 

 

Désormais rien ne s’octroie qui, en premier lieu, n’est pas…

Le présent face aux non-dits. Le silence face aux souvenirs et à l’espérance. La sagesse qui ne condamne ni la nuit, ni le sommeil. Ce qu’offre le jour à travers nos grilles…

 

 

A s’assoupir comme si le temps était le seul horizon terrestre. A rêver comme si l’avenir était la seule perspective – la seule pente possible…

Mort(s) – presque mort(s) – déjà – avant de vivre…

 

 

Le manque et la soif. Au cœur du monde et de la solitude – comme si l’un pouvait être vécu sans l’autre… Le rêve et la lumière. Le cri, la parole et le silence. Et cet étouffement au fond de l’âme. Au cœur de cette nuit qui fut notre seul décor – et notre seule trouvaille…

Le visage lacéré par le voyage et les chemins – par toutes les rencontres aussi tranchantes que les pierres…

 

 

A l’heure du miracle, que pourrait-on encore espérer…

Ni jour, ni nuit – le signe de la moindre exigence…

 

 

Les pieds et l’âme plongés dans la solitude et l’austérité. Le monde et les Autres en jachère – quelque part là où l’on mendie et accumule encore…

Ici – rien – ni au-dedans, ni aux alentours. Quelques fleurs – un peu d’innocence dans les mains et sur la pierre…

L’ardeur de la langue et le parfum du plus légitime. L’hymne et le printemps – comme si les hommes et le temps n’avaient plus d’importance…

 

 

Le souvenir d’un éboulis. Les obstacles infranchissables. Les rêves contenus. L’effondrement et le drame. Le sort de tout homme à l’approche de la mort…

Les désirs qui, un à un, s’effeuillent – s’égarent – s’allègent. Le poids infime de l’infini. Et entre nos oreilles – ce chant mystérieux, puis le silence. Et, peu à peu, ce grand sourire qui se dessine sur les pourtours de l’énigme…

 

 

La vie – la mort – comme abstractions et drames supposés. Les tourbillons du temps. L’âme blanche – et la figure nue – esseulées…

Ce qui s’incline et se caresse. Ce qui surgit comme un divin présent…

 

 

Feuilles sans relief où les gestes sont trop lointains – à peine visibles – presque indécelables. Une voix sombre et un peu d’encre jetées sur le monde comme une défaillance ou une impossibilité. Comme une âme privée de ciel et d’élan – contrainte d’ajourner son ascension…

Et, plus loin, un sentier sauvage où ne règnent que l’avidité et le commerce – le plus vil du partage…

 

 

Flammes et vent. Grand soleil. La vraie vie sans image – sans commentaire – où l’or – le brillant de l’or – n’est qu’une façon de voir – une manière de vivre au milieu du noir et des fleurs…

 

 

Amour défunt. Âme sans poids. A compter ce qu’il reste de joie à l’envers du monde et des chemins. Un peu de temps et de silence. Le mirage de vivre. Le miracle de la nudité. Et ces amas et ces bruits que l’on traîne – partout – derrière soi…

 

 

A tourner autour du moindre soleil comme si le monde pouvait réchauffer l’âme – comme si la nuit était franchissable…

 

 

Dans le regard – un peu de sang – quelques cendres – quelques flammes – les restes, peut-être, d’une flamboyance ancienne – et ces grands arbres au milieu des pierres. Le sol gelé et le désert grandissant. Et ce cœur disparu – anéanti peut-être. Et ces fleurs si belles plantées au milieu de la solitude et du néant…

 

 

Ce que nous avons effleuré n’a, peut-être, jamais existé. Un mirage – une utopie – une manière, sans doute, de combler le vide et la peur. Une manière de se résoudre (tant bien que mal) à n’être personne – deux mains – une bouche à peine – offertes aux voyageurs – à ceux qui rêvent – à ceux qui sommeillent – à tous ceux qui cherchent ce qui se cache derrière les masques et les visages…

 

*

 

Immersion terrestre – solitude absolue – ruses instinctives et incommunicabilité. Âpre leçon de vie après bientôt un demi-siècle de naïveté et d’espérance. Pauvre idiot que je suis…

Noyade – à présent – après avoir quitté l’archipel de l’illusion…

 

 

Murs partout – Amour et silence en soi – recouverts (encore) par trop de rêves et de blessures…

La joie comme seule nourriture à dénicher au fond de l’âme – au cœur de cet espace où l’Autre est subsidiaire – élément possible (seulement) pour vivre à l’horizontale nos quelques linéaments de verticalité…

 

 

Amour en soi – potentiellement partageable…

Langage et mots de solitude destinés à cet espace – en chacun – si souvent ignoré, dénié ou condamné…

Un arbre – une épaule – pour son propre secours dans cette forêt sombre de visages – dans ce grand désert – où nous ne survivons que par la ruse et le mensonge – ligotés, malgré nous, aux rêves et au temps…

 

 

Chair et âme assoiffées de l’Autre – inaccessible toujours – sauf pour assouvir (momentanément) ses désirs solitaires…

 

 

Monde et nuit rêches – sans espoir – où l’accueil et la chaleur ne sont qu’apparents – et provisoires…

Trop de différences nous animent. Tout est trop saillant – et les divergences inévitables…

Et ça s’imbrique (ça essaye de s’imbriquer) avec douceur – avec violence ! Et ça frotte ! Et ça racle ! Et ça coince ! Comme si l’horizontalité du puzzle était grippée – presque irréalisable…

Et après mille compromissions – mille tentatives d’emboîtement – et autant de manières de plonger dans le sommeil et l’aveuglement, la solitude – toujours – finit par reprendre ses droits pour que nous puissions retrouver la seule liberté terrestre possible…

Tout est condamné, un jour ou l’autre, à glisser jusqu’au dernier visage – jusqu’au dernier vitrail – jusqu’à l’ultime ouverture sur le monde. En soi – là où résident l’habité, la grande solitude, l’aube et l’insomnie – la seule délivrance véritable…

 

 

Un mot pour soi – et mille autres qui suivent – comme une consolation – les conditions nécessaires à la rencontre – en nous – entre soi et soi – ces deux parties mystérieuses – et si énigmatiquement intriquées – bien davantage que cohabitantes…

Tentative de toucher à la fois l’infini et la condition terrestre – de réunir les deux dans l’âme – et de les vivre ensemble sans peine – sans contrainte – sans déchirure – ni même nourrir l’espoir d’une visite étrangère – d’un rendez-vous (presque toujours manqué) avec le monde…

Ni désir, ni exercice. Simple évidence. Urgente et indispensable nécessité. Conviction du moins pire à vivre après trop d’aventures désastreuses…

 

 

En soi – selon ses appétits et sa propre cadence – et ses reliquats de rêve et de sommeil. Etrange et bienveillant ami – frère de nous-même(s) – à l’écoute – toujours – aisée, délicate et patiente – précieuse présence – la seule sans doute…

Frère d’armes et d’Amour – étrangement pacifique – à qui concéder le regard, l’infini, la vie et la posture du maître et du sage – à qui offrir ses peines et ses souffrances. Le seul, en vérité, à frissonner avec nous – à écarter nos peurs – à savourer notre joie – et à encourager nos foulées en deçà et au-delà des murs de notre détention…

 

 

Elève en nous – poseur d’encre et d’affranchissement pour se libérer (tenter de se libérer) de nos énigmes et de notre misère – dans une langue inventée – idiosyncrasique sans doute – mais si nécessaire – si généreuse – si émancipatrice…

 

 

Goûter à ce qui se cache derrière les larmes et la tristesse – cet espace infini – ce parfum de liberté – le plus haut – et le plus pur peut-être – de la solitude. Et aller ainsi là où la langue et les pas nous mènent – sans a priori, ni arrière-pensée – à la manière de ceux qui ont su enjamber l’espoir et l’impossibilité…

 

 

Au-delà de l’âme et de la mort – au-delà du souvenir et de la folie. Emporté sans concession vers ce pays sans terre – vers ce pays sans croix – vers ce pays sans bannière – par-delà la douleur et la souffrance – ou immergé en elles – là où la lumière et le silence – l’union et l’amitié – l’Amour en soi – deviennent une évidence – une nécessité de chaque instant…

 

 

Sur le mur – rien – le souvenir d’un sourire – à peine – quelques traces presque invisibles d’un temps révolu. Le silence et la nuit alentour. Quelques restes de sommeil. Et cet Amour en soi que personne n’a accueilli – et qui creuse, à présent, au fond de notre poitrine…

 

 

Chaleur saillante sur les pierres grises – âme trouée – vacillante – harassée – qui – pour survivre – doit s’adosser au ciel et aux vents – à la justesse toujours changeante des circonstances…

Ni leçon, ni enseignement. Les yeux fixés sur l’heure présente – sur l’instant vivant. A frissonner sous la caresse de nos propres doigts…

 

 

Monde et paroles – de part et d’autre du mur. Comme deux univers séparés – distants – irejoignables. D’un côté, la matière, la ruse et les instincts. De l’autre, l’Amour, l’infini et la poésie.

Foule et bassesse dos à dos avec la solitude et l’envergure. Et nous autres, pris en étau – comme paralysés – comme écrasés par notre désir de réunification…

 

 

Moins de rêves dans l’encre. Moins d’affirmations. Une régression – un rapetissement, sans doute, de l’âme. Une plongée dans l’énigme et la chute. A deux doigts d’une terre et d’une langue nouvelles. A deux doigts d’un ciel enfin accessible…

Royaume, sans doute, ouvert à ceux qui ont tout perdu – à ceux qui ne sont plus personne – sinon deux mains tendues et un visage noyé par les larmes – hésitant entre la grâce et l’hébétude – entre le désarroi et la sidération. Devenus bien moins que des hommes ordinaires…

 

 

Traversé par les malheurs et l’interrogation – l’âme furieuse – la tristesse enracinée jusque dans nos plus énigmatiques profondeurs. Entre souvenirs et pensées – à tenter de se tenir vivant au milieu de la douleur et de l’incompréhension…

 

 

Mots concrets – non concertés – qui ne revendiquent rien – qui n’acclament personne – qui ne font l’éloge d’aucune idée – d’aucun dogme – qui cherchent – seulement – à franchir les frontières de l’homme – à réunir le dérisoire et l’Absolu – et à aller au-delà du rire et des larmes – dans le pressentiment d’un possible – d’un espace de réunification…

 

 

Rêvés – la vie, l’âme et le monde. Et l’invisible qui perce à travers tout. Ce que nous cherchons sans fin – nous autres que la moindre chose fait trembler…

 

 

Une âme soumise comme les bêtes – aussi farouche – aussi docile – aussi révoltée. A craindre la violence. Et à chercher la tendresse au cœur même de sa détention. Dans cette intelligence instinctive qu’ont oubliée les hommes à force de mensonge et d’illusion…

 

 

Tout se disloque – toujours – malgré nos édifices, nos résistances, nos rafistolages. Tout fait mine de se tenir debout mais sous les apparences, tout se défait – tout est déjà en ruine – proche de la désagrégation. Et lorsque tout s’effondre, ne reste que le néant – le visage trompeur du néant. Et en demeurant dans ce malaise – dans cet inconfort – dans cette terreur – le néant prend, peu à peu, des airs insoupçonnés – des allures de mort joyeuse – de liberté et d’infini décuplés – paroxystiques peut-être – comme un ciel enfin tombé sur la terre – au cœur de ce désert si douloureusement traversé…

 

 

Dans les replis du soir – la source et les noces foulées – la forêt gorgée de cris et de mystères. L’ombre et l’envol. La lumière timidement déployée. Le monde, l’invisible et le frisson. Quelque chose au goût de délivrance inachevée…

 

 

A notre réveil – la confusion de l’âme. Le bleu, la nuit, la voûte et la chair tendre – maladroite – encore trop insensible sans doute – mille fois meurtrie, pourtant, par cet étrange sommeil

L’encre écarlate – autrefois si grise – si sombre. Et ce grand ciel qui voit jaillir cette langue et cette parole – cette modeste liberté – si douloureusement gagnée – sur la pierre…

 

 

Dans le juste tressaillement de l’âme. Fragile – amoindri – le visage déformé par l’angoisse et la surprise. La gorge noire tournée vers sa propre intimité. Les rives sauvages. L’espace sans sève – sans élan. L’horizon griffé par mille crochets – toujours aussi féroces et affamés…

Dans ce creuset élargi par le sommeil où tout glisse et se raconte. Mille pages témoignantes. Encre éparse et régulière – à la manière des scribes d’autrefois – relatant mille expériences – mille aventures – mille chevauchées – où les héros ne fréquentaient que les épreuves et les Dieux – et après avoir affronté mille obstacles – mille démons – finissaient par apprivoiser l’Amour et la lumière…

 

 

Alliance entre soi et soi – au cœur de sa propre poitrine – sous les caresses de l’espace en nous ouvert – libéré. Fontaines et lacs approvisionnés – à présent – par la source…

Un Autre en notre âme est né peut-être – qui sait ? – à l’envers de la douleur initiale – ce grand monstre qui nous protège des dangers. La terre, les bêtes et les visages. Mille risques et mille chemins. Et cet hiver, en nous, qui dure encore…

Doigts recroquevillés sur l’espérance – comme si notre refus du monde et notre désir de joie suffisaient à rendre plus vivable notre condition…

 

 

Ni recul, ni avancée. Un tâtonnement presque immobile. Entre pièges et espace. Les mains plongées tantôt dans l’or, tantôt dans la fange. A parcourir l’âme et le monde en tous sens – en pensée. Entre absurdité, désirs, instincts, peurs et attention. A la manière si étrange des vagabonds et des hommes perdus…

 

 

Le monde et le jour entier tenus par le temps et l’attente – par cette faim naturelle irrépressible…

Entre joie et vertige – malgré les peines et les larmes – innombrables. Entre puits et ciel – au-dedans même de nos marécages. L’évidence et son mystère. Et ce fil suspendu au milieu de nulle part comme si le monde était peuplé d’anges et de pantins – glissés en chacun – au cœur de chaque homme…

 

 

Seuil apprivoisé – changeant – toujours plus lointain – sans doute infranchissable…

Si minuscule(s) face au monde et à l’addition monstrueuse des visages – face à la longueur et à l’âpreté des chemins…

Si minuscule(s) face à la lucidité en nous retrouvée – plus vaillante…

Et si seul(s) face à Dieu – et à l’évidence – si criante – partout de l’infini…

 

 

Âme dénudée par les larmes, les malheurs et le désert. Tête et mains dans leur sillon – plongées dans leurs tâches. Résistant – encore – aux songes et aux promesses. A la folie de ce monde englué (sans réticence) dans la certitude…

Seul aussi à cet instant – comme à tous ceux qui l’ont précédé. Eternel orphelin – entre le monde et l’espace. Incapable de choisir entre l’or des visages et celui – plus exigeant – de l’absence de consolation…

Sur cette pierre où l’âme et la langue constituent le seul recours – le seul secours – le seul signe tangible de notre existence

 

 

Entre l’abîme et l’horizon – à égale distance entre le monde et le ciel. Entre l’Amour et la barbarie – entre le partage et l’impossible…

Si humain, en somme…

 

 

Un pari sur soi – le monde – le ciel et l’Amour impossible. L’intention et la fin. La perspective et la déraison. L’univers d’un Seul – éparpillé en mille aires – en mille chemins – de partage…

 

 

A vivre – ensemble – sur la ligne de fuite du temps. Sans but (avouable) – sans hâte – guidés par l’habitude et le sens des flèches sur ces rives grises – désolées – désolantes – où tout déferle dans l’ordre et le chaos apparents…

Tout monte – l’ivresse en tête. Se dresse et ruisselle sur ces pentes si vaines…

 

 

Privés de sens (explicite) – le jeu et les danses. L’absurde manège des hommes. Fractions de temps – fragments de vie – éléments d’un chemin abscons – obscur – insensé…

Saccades étourdissantes à la mécanique fluide mais si souvent grippée. Âme et ventre à terre. Adossés au mur des possibles. Mais immobiles – sommeillant – malgré l’agitation et l’air brassé…

 

 

Au cœur de l’inconfort – à la lisière des mondes. Dans le repli de cette chose en soi – si farouche – si mystérieuse – si inconnue…

Tout est là – en pensée – en émotions brutes. Grossièreté et délicatesse entremêlées. A essayer de jouir dans les intervalles comme si le reste – tout le reste – n’était que malheurs et pierres froides…

 

 

Tout entier(s) – dans cet œil – cette tête – ce monde – qui contraignent et crucifient – et relèguent la tendresse à un vague (et trompeur) souvenir maternel…

Trop d’ombres – trop de mémoire. Insuffisamment secourable(s) pour nos jeux minables et notre indigence inaccomplie…

 

 

Des pas et des jours pesants. Peu d’espace et de possibilités. Des cercles, des murs et des encerclements. Des routes et des négligences toutes tracées. Et ce besoin de rêve – et ce besoin d’ailleurs – si peu convaincants…

 

 

Tout un peuple, en nous, déborde. Comme une coupe pleine de chants, de cris et de gaieté – aux bords lumineux – mais au fond obscur – gardée par les sentinelles du temps…

Tout craque – s’appesantit et se dévoile. Cherche le même réenchantement – presque toujours impossible…

 

 

Et ces parchemins perdus – témoins de nos tentatives – que deviendront-ils à notre mort ? Seront-ils assez agiles – assez puissants – pour traverser les âges et survivre à l’indifférence des meutes et des siècles ? Réussiront-ils à trouver refuge dans l’âme et la bouche de quelques-uns ?

 

 

Seul – bien sûr – qui peut y échapper… mais dans les bras secourables des pierres, des arbres et des chemins. Au plus près de l’âme des bêtes au destin si tragique…

Joueur de mots et inventeur de silence – pour retrouver le jour – la joie – et essayer de vivre le lendemain sans l’angoisse ni les peines d’aujourd’hui…

 

 

Ni mots, ni rencontre. La présence et le geste. Le silence – l’âme et les paumes ouvertes…

 

 

L’enfance – comme la joie – cachée entre l’ombre et la chair. Enfouie au fond de l’âme, peut-être, pour s’abriter du monde, de la folie et de la puissance – de cette démesure de l’homme – presque toujours infidèle aux ressorts premiers des jours – à ce qui a précédé les siècles et le temps…

 

 

De crise en crise – l’ombre se penche encore – sur ce versant à l’espérance piétinée…

 

 

Un espace en soi se cherche – s’intériorise plus encore – s’affine – malgré le bruissement du monde. Un regard – une lumière – au-dedans – comme seule présence possible parmi la cendre et les visages…

 

 

Contraint aux extrêmes par le mensonge – par faiblesse d’âme et de voix. Face à l’impossible affrontement avec le monde…

 

 

Bouquet de paroles et de regards – offrande et plongeon jusqu’à l’épuisement. A seule fin d’écoute et de franchissement des remous…

Epaules et nuit effondrées. Le recul du corps – le retrait de l’âme. Quelque chose d’inaudible à toutes les intersections. Comme un élan et un souvenir trop collés à la chair pour s’affranchir des affres et des péripéties du monde…

Entre brûlure et poussière – partout – sur la terre et dans les mains – au fond de l’âme et de la tête – là où le monde et les choses – toujours – remettent l’avenir en cause…

 

 

Le cœur battant appuyé contre la vitre pour saluer l’impossible rapprochement du monde – choses et visages de plus en plus lointains – inaccessibles. A frissonner comme si la nuit était déjà là – envoûtante – encerclante – fatale…

 

 

Seul(s) dans les conflits et les ébats – face repliée au-dedans – pour échapper aux amitiés impossibles et aux ruptures dévastatrices – pour échapper au monde inapte à toute forme de réciprocité et de rencontre…

 

 

L’Amour en soi – peiné – et, pourtant, presque à la verticale. Posé là depuis toujours. Et prêt – à présent – à investir l’obscurité et la puanteur – les dédales de l’âme – l’illusion du monde, des rencontres et de la solitude…

 

 

La servitude (mal assumée) des ténèbres. Chaque jour, à mordre davantage la poussière. Sans savoir – ni même pouvoir imaginer. A rêver – seulement – comme la seule possibilité offerte aux indigents. Obligés de se résigner à l’eau glacée qui coule entre l’âme et l’échine – à l’envers de l’attention…

Avec en soi – l’habit permanent – mortifère – du deuil et de l’exil…

 

 

Voûte et courbure arpentées – sol boueux et vague à l’âme – esprit torturé par la limite – les mille frontières humaines et la finitude terrestre. A l’embouchure du temps – là où l’instant n’a encore basculé dans l’abîme – le tourniquet des monotonies. Sur cette terre où l’herbe, les bêtes et les hommes suffoquent – là où les arbres se soumettent au seul voyage possible – pieds immobiles – sève intermittente – saccadée – en poussées verticales vers le ciel et la lumière…

Etrange route vers le bleu et la liberté – vers l’au-delà des horizons…

 

 

Nomade – de fossé en fossé – en marge des chemins qui parcourent le monde. L’allure erratique plus proche de l’errance que du voyage. Dans la compagnie des ombres et des bêtes. Dans la proximité des arbres et du silence. D’aubes en grands soirs – là où les hommes s’interdisent de marcher – par crainte – par couardise – par excès de rêverie – dans cette croyance un peu folle que l’ordre, le sommeil et les traditions constituent des limites infranchissables…

 

 

Si peu à vivre – si peu pour vivre – l’infini dans le limité. Le souffle court et l’âme fiévreuse – bondissante. Un peu de soi – partout – mais si étranger encore à la multitude des visages…

Temps et vents – massifs de figures et de bruits – lumière et menaces permanentes. Rien de précisément mesurable. Un regard – une caresse – une perspective face aux misérables défis de l’existence humaine…

 

 

La joue parfois au bord des chemins – parfois contre la vitre. L’âme et l’ombre libres de circuler partout – entre les jeux du monde et l’absence. De lutte en joie – avec les mots aussi craintifs et sauvages que les bêtes des forêts. A être là sans vraiment y penser – sans réellement savoir ce qu’est vivre et aimer…

 

 

Âge tardif – tempes grisonnantes – à s’interroger encore comme le premier homme. Dans ce bref passage où rien ne s’affirme – où rien ne peut être confirmé. Au centre des pôles changeants. Au gré des mots et des pas – de pages en chemins – inégal face au silence et à la joie. A bouder les hommes et les plaisirs des sens. A ignorer le plus vrai sans même un rêve en tête…

Abstrait mais vivant comme le poème. Humain dans les intervalles offerts – mais absent et lointain – presque inaccessible – le reste du temps…

 

 

Rien qu’un jour – un jour de plus – un autre jour – aussi décentré que les précédents. Aussi intrinsèquement rêche et inefficace – inconsistant. A s’enliser sur un versant approximatif. A creuser à même le geste, l’habitude et le désarroi. L’œil et l’âme plantés entre l’incertitude et la peur. A survivre sans grâce – sans espoir – sans lumière…

A fixer le noir des étoiles dans la vaine attente d’une embellie…

 

 

Marcher dans l’absence de traces – là où l’imaginaire s’est déguisé en infini (presque accessible). A jouer sous la voûte avec ce qu’offrent les mots…

 

 

S’éreinter à la tâche – à la légèreté promise – comme si nous ne pouvions nous hisser naturellement au-delà de la gravité terrestre – au-delà des rêves communs d’apesanteur…

 

 

Jours et nuits noirs. Regard faible – sans intensité. Chair et désir flasques. A peine une respiration – un souffle ténu – retenu, peut-être, au loin par cette folle aspiration à vivre au milieu des nuées d’étoiles à l’étincelance, pourtant, déclinante – mais qui semblent, depuis ces rives – depuis ce monde – si majestueuses et éternelles – infiniment plus vivables que la compagnie des visages – si sombres – si ternes – insupportables…

 

 

Homme sans naissance – sans rêve – sans destin. Corps et esprit nocturnes. Bouche expirante. Fente – à peine – inapte encore à capter la moindre lumière…

Espace d’autrefois – espace de plus tard – lorsque maintenant pourra être vécu…

Rien qu’une peau qui s’abîme – et une âme en attente. L’esprit qui s’étire jusqu’à l’effleurement – à peine – de ses dérisoires limites. Un bref espace où la langueur et l’élan s’opposent – où les mots ne sont qu’un appel – une tentative ridicule – une manière triviale de supporter l’indigence de vivre – l’indigence du monde – les malheurs et la pauvreté de l’homme…

Un désert où l’âme et les pas tournent en rond – comme une façon maladroite d’alléger la désespérance. La terre et l’œil écrasés par le poids du rêve et des illusions…

 

 

Vide – ce qui nous habite aujourd’hui – pas même un lieu – pas même initial. Une aire embrumée – une peau livide – une ardeur brisée. Une sorte d’agonie avant l’heure…

Sur le fer – à rebrousse-poil – le destin à vif et la chair endolorie – jusqu’au lendemain…

 

 

Un trajet isolé – un dédale horizontal. Rien que des secousses et des soubresauts. Et cet œil à la verticale qui s’amuse – et se moque tendrement – de notre crainte cheminante

Un pas – des pas – comme une présence – le reflet extérieur d’une immobilité. L’énergie de l’âme qui se déploie dans le monde…

 

 

Rien qu’un Autre – en soi – entièrement présent à nous-même(s) – pour nous-même(s). Fidèle, loyal, intime. Précieux. Bien plus que nécessaire – à chaque instant – vital. Comme notre seul – notre unique – compagnon de voyage…

 

 

Foulées noires – en chacun – comme le signe d’une ampleur ignorante – geignarde – pathologique. Marche sans fenêtre – dans l’aveuglement et l’angoisse. Chimère qui arpente les chemins comme si la nuit constituait le seul décor du monde – au-dedans de l’âme – entre les tempes – et jusqu’au gouffre où s’éternisent tous les rêves et tous les élans…

Jamais – ainsi – le rivage où nous vivons – le rivage que nous sommes déjà – ne sera atteint – et ne pourra nous bouleverser avec ses jeux et ses miracles…

 

 

Une vie à travers mille écrans – ceux que l’on crée en soi – et ceux dont on s’entoure pour regarder le monde…

L’angle mort – indécelable – en nous – comme si vivre consistait à naviguer – toujours – au-dehors et dans l’absorption – dans le grand exil de l’âme…

 

 

Un cœur souffrant – au bord de l’agonie – blessé par ses excès d’espérance à l’égard de la vie – du monde – et du limité (infranchissable) en l’homme…

 

 

Une simple visite. Et bientôt la porte qui claque. Les murs qui s’épaississent et se rehaussent. Un peu de salive par terre comme les seuls reliquats de notre parole…

Un silence de tombe ou de prophète serait, sans doute, plus aisé pour traverser la vie et habiter le monde…

 

 

Apprenti jusqu’au terme des jours. Et incompris, sans doute, pour l’éternité. Âme et lèvres blanches à force de mots livrés – à force d’espérance déçue et de rêves massacrés – à force d’actes corrompus par les gestes du monde et la main des Autres…

Et soi – et cet espace au fond de soi – à qui sont-ils destinés ? A ceux qui vivent sur la terre ou au Seul qui habite déjà dans le ciel commun – dans l’âme profonde de chacun…

 

 

Le seul alphabet de notre terre parmi la multitude des langages. Un doux baiser – une étreinte – sur toutes ces peaux arrachées et ces gestes aux lourdes conséquences…

 

 

Ce vieux rêve – en nous – impossible – nous ressemble. Trop haut pour être accroché – comme une guirlande ou une bannière – sur ces rives trop basses – affaissées par le poids des hommes et du monde – par la gravité et la violence de nos actes…

Peut-être faudrait-il se couper la tête pour pouvoir l’accueillir ici-bas… Et jeter son âme aussi loin que possible pour être capable d’acquiescer aux malheurs inévitables…

Peut-être devrait-on vivre comme si la terre était le ciel – et le ciel un poème à accrocher partout…

 

 

Nous veillons, malgré nous, sur ce qui n’appartient à personne ; une ombre, un feu, un murmure. Des mains attelées à leur tâche, une parole, un sourire, des lèvres innocentes. Une terre, un nom, une œuvre, un visage. Un silence – un peu de fumée dans l’âme. Ce qui nous rend la vie plus précieuse…

Davantage qu’un sillon – une perspective…

 

 

Lucidité noire qui laisse partout ses empreintes. Infimes taches de boue. Un peu de glaise – un peu de poussière – dans l’obscurité, déjà resplendissante, des chemins. Eléments supplémentaires qui viennent alimenter les mêmes amas inutiles…

Mieux vaudrait une petite procession de poèmes – à l’allure modeste – à la démarche hésitante – presque minables (et pourtant !) pour offrir aux hommes et à la terre un peu de lumière et de silence – les soubassements nécessaires à une possible réconciliation…

 

 

Bras, esprit et âme chargés de choses et d’idées – d’émotions et de sentiments – de mille édifices précaires – comme autant de barrages à la fluidité requise pour goûter le vide et le silence…

 

 

Des existences tricotées à la va-vite – usinées dans cette forme d’urgence à enfanter – et à respirer – comme si le miracle ne pouvait durer…

Et dans ce pli, voilà que les pas s’empressent – que les cœurs papillonnent – et que la vie, très vite, se précipite et s’éteint. Ni libre, ni silencieuse, ni admirable. Terrestre – tout au plus…

 

 

Le souffle par-dessus le sommeil – comme une manière de respirer au-delà de la nuit. Une âme immobile – comme une fenêtre – une lucarne dans la densité de l’espace emmuré. Comme une ouverture sur les mille expressions du monde qui – toutes – en mûrissant – cherchent cette chose mystérieuse – infime et gigantesque – au cœur de leur incarnation…

Comme une clairière verticale au milieu des pierres et des visages – un plateau qui surplombe toutes les errances…

 

 

L’âme malléable – bien davantage que le corps. Et l’esprit – mort mille fois déjà – accoudé à toutes les pluies nocturnes. Dans le festin de chaque naissance. Emerveillé à chaque recommencement – mais si triste des limites et des illusions…

 

 

Amas de chair et d’émotions – d’os et de sentiments – d’idées et d’ardeur. Quelque chose entre mille autres choses – un nœud (infime) dans la trame. Un fragment de vie (dérisoire). Quelques atomes au souffle accroché – éternellement provisoire – ludique et malicieux. Ce qui nous désespère si souvent, nous autres, qui ne comprenons rien…

 

 

Ici – ailleurs – celui-ci ou celui-là – quelle différence, au fond, pour l’âme…

Un de plus dans la lignée des Autres et des précédents…

La douceur – la pluie – la joie – le mal – et toutes leurs figures opposées…

 

 

Nous vivons comme si le ciel pouvait être enfanté. Enfants perdus – creusés par trop d’ardeur et d’impatience dont les mains tremblent au moindre bruissement…

Cri et labeur d’un même sillon d’actes et de pensées. Un geste – mille gestes – dont la folie ne peut qu’effleurer la lumière…

 

 

Hésitant – titubant – comme si nous étions ivres d’un Autre. A vivre et à marcher ici – ailleurs – partout – sans savoir – ni reconnaître celui qui, en nous, est vivant. La seule présence – la seule rencontre – le seul mariage – possibles – à travers les saisons et les siècles. Le seul visage à aimer pour que le monde puisse voir dans le nôtre une figure accueillante – sans le moindre reliquat de haine, d’impatience et de mépris…

 

 

En définitive, on ne décide, ni n’invente rien. On suit – simplement – les courants (successifs). Pas à pas – jour après jour – étape après étape – jusqu’au lieu final – jusqu’au lieu provisoirement final – jusqu’à l’instant fatidique de la chute…

Et, ainsi, de toute éternité – jusqu’au-delà de tous les au-delàs…

 

28 février 2019

Carnet n°177 Cœur blessé, cœur ouvert, cœur vivant

– la beauté de la tristesse, du tragique et du recommencement –

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

A genoux dans la neige – au cœur du désert – comme ces moines aux joues rouges, le front penché sur la terre – et ces mendiants qui tendent la main à l’inconnu – contraints de vivre au milieu du froid et de l’absence…

Couverts de pluie, de sable et de chants – l’âme et la peau encore si primitives. Emergeant – à peine – de la glaise. Et le pas toujours plongé dans la nuit…

Là où le jour et le noir se rencontrent. Là où vivre pénètre le souffle et la chair. Là où s’expérimente le cœur fragile – le cœur ouvert – le cœur vivant… 

 

 

Avec nous, peut-être, s’éteindra le reste – à moins, bien sûr, que nous ne soyons déjà mort…

 

 

Pétales disparates d’une même fleur aux allures changeantes et à l’âme profonde – constante – immuable – inimaginable…

 

 

L’origine – le principe premier – veille sur nos actes – leurs implications et leur écho – le juste retour à nos oreilles pour que l’âme comprenne et puisse tendre vers les vertus cardinales

 

 

Ce qui brûle – et se consume – n’a encore jamais vu – ni jamais rencontré (bien sûr) – le feu premier – la flamme originelle – inaltérable…

 

 

Ce qui s’engloutit – et se digère (imparfaitement, le plus souvent) – n’est ni l’ailleurs – ni le plus haut – ni le plus loin ; c’est l’ordinaire – le plus juste d’aujourd’hui – le vrai sans masque – l’impossible à réaliser…

 

 

Sans cesse, nous narguons ce qui nous effraye sans oser y plonger l’âme et la chair. Nous jouons ainsi les bravaches jusqu’à ce que la vie – dans son immense sagesse et pour satisfaire, sans doute, son goût pour la vérité – nous y jette tout entier(s) – l’esprit attaché à une grosse pierre…

 

 

Tout est trop faible, en nous, pour traverser la vie et le monde – pour traverser le désespoir et la mort. Tout nous semble si insupportable – et, pourtant, nous sommes encore vivants – et contraints de vivre le cœur plus ouvert – l’âme plus sensible – et la main toujours plus démunie…

Silhouette sombre et fragile – percluse et aveuglée – allant cahin-caha – au cœur – toujours – du plus incertain…

 

 

Derrière la jubilation, il y a le noir. Et derrière le noir, la jubilation. Entre l’apparence et la profondeur. Ce qui fait que le rire est possible dans la nuit – et la nuit possible dans le rire…

Autour – nous ne savons pas – un étrange mélange d’ombre et de gaieté sans doute…

 

 

Ce goût de soi – en l’Autre – perdu. L’odeur de la rupture. L’expression d’un manque et d’une fin inexorable…

 

 

L’enfant derrière l’homme. Et la vieillesse bientôt. Et la mort partout. Comme si le dedans et les alentours nous étaient (encore) interdits…

 

 

Angle mort – comme une vie éteinte. Comme une main qui se pose – presque par inadvertance – sur la flamme d’une bougie… A attendre que le désespoir et la douleur impriment leurs exigences. A attendre là où l’heure est un abîme – et le temps, une impasse. A attendre là où la seule consolation est de reconnaître sa méprise – son égarement – et où l’issue est de rester – indéfiniment peut-être – dans l’incertitude et l’inconfort…

 

 

Doigts noirs autour du cou comme si vivre consistait à respirer l’oppression – le manque – la lacune – la défaillance – le parfum inéluctable de la défaite…

 

 

Visage penché sur ce qui aurait pu être. Mains plongées dans l’encre pour offrir à l’âme un peu de consolation et de liberté – un espace d’éploration et d’exploration…

Plus tard – lorsque le feutre aura rejoint le silence (et la joie d’être au monde), nous pourrons alors, peut-être, tourner la page – tourner les pages – et écrire un nouveau livre où toutes les feuilles resteront – à jamais – vierges – blanches – inécrites – inécrivables…

 

 

Tout se penche – et notre main tremble vers l’inconnu (cet inconnu tant redouté). Lignes et voies illimitées pour que l’enfant puisse enfin fermer les yeux – et s’abandonner là où tout semble si paradoxal – presque posé à l’envers. Là où la peur est le seul obstacle pour vivre – et goûter, dans la menace et la contrainte, ce fond incroyable de vérité – ce fond incroyable de liberté…

 

 

L’âme – la vie. Et ce que nous acceptons de tristesse et de solitude pour vivre en paix – en soi – sans l’impérieuse nécessité de la rencontre…

 

 

Pointe de lumière – et cette pluie nocturne – épouvantable. Et l’âme au milieu des gouttes – au milieu des mythes – plongée, malgré elle, dans les larmes et la douleur…

 

 

Ce que nous deviendrons sera bafoué comme ce que nous sommes devenus. Il faudrait se désengager du temps et des exigences du monde ; être au-delà des yeux et des heures. Mourir, peut-être, avant de commencer à vivre (un peu)…

 

 

Ce qui s’empourprait – ce qui s’enflammait – a disparu. Ne restent plus – entre nous – que ces barbelés – et cette haute palissade derrière laquelle nous nous cachons avec nos blessures dans les bras…

 

 

Comme un réveil – une naissance – après un long sommeil…

Et ce sang – partout – sur la terre – est-ce (vraiment) le nôtre…

Et ce soleil dans nos veines qui nous donne cette impatience saura-t-il nous aider à apprivoiser ces restes de nuit – cette douleur si humaine d’être vivant

 

 

A quel ami pourrait-on confier cette douleur de l’âme… Qui serait assez fou – assez sage – pour porter avec nous ce funeste viatique…

 

 

Brisure au goût délicat. Et l’âme qui frissonne. Entre neige et glace – entre terre et magie – sur ces pierres où dansent ensemble l’innocence et la mort…

 

 

Ah ! Que nous aurons pleuré avant de pouvoir retrouver – et revivre – l’enfance

 

 

Derrière la vitre grise. Les petits pas familiers dans le jardin face à la maison. Le repli au-dedans de ce qui a façonné nos peurs et nos remparts…

Quelques siècles sur la même pierre – tantôt à lever la tête au-dessus de l’horizon, tantôt l’âme plongée dans le même désarroi – traître – hostile – inguérissable…

 

 

Ce qui nous aime, peut-être au fond, ne l’avons-nous jamais rencontré…

 

 

J’aimerais une feuille blanche où tout serait écrit – et qu’il faudrait laisser vierge – pleinement innocente – en vivant…

 

 

Temps d’effroi dans cet entre-deux de la douleur et de la joie. Comme si la nuit avait lancé sur nous quelques sortilèges atténués par la beauté du jour…

 

 

Tout est tombé – ne reste plus que ce vieux recours à soi-même – vide – farouche – ralenti par notre peine…

 

 

A la conquête d’un Autre en soi – parti – absent, peut-être, depuis toujours – ou qu’il va falloir extirper d’un long sommeil…

 

 

Nous reviendrons, un jour sans doute, à cette vieille ossature que nous avons – maladroitement – enveloppée de tissus et de croyances – pour lui redonner des traits simples et cette beauté que seule la nudité peut révéler…

 

 

Et cette énigme – partout – incrustée – et qui nous dévisage comme si nous étions le seul mystère à percer – le seul mystère à découvrir…

 

 

A parts égales – entre la mort et l’enfance – entre la folie et la sagesse. En vérité, le destin de tout homme…

 

 

De grands pas bruyants – des larmes et des rires (si dérisoires – si provisoires). Le temps d’ouvrir les yeux – et quelques fenêtres – et il fait déjà froid – et il fait déjà noir…

 

 

Vies et figures – tombes et étoiles – glaciales. Aires et marche au milieu desquelles nous ne prenons jamais le temps de découvrir ce qui nous anime. En lien – seulement – avec quelques souvenirs – l’endroit de la maison, sans doute, le plus éloigné du feu…

 

 

Toute une géographie intérieure à découvrir au fond de tous les drames – et avant si possible (pour les plus chanceux). Pour les autres, il va falloir s’armer de patience et de tendresse au cours de cette longue errance – survivre aux secousses et aux tourbillons – aux mille dévastations successives. Apprendre à devenir son propre explorateur – son propre compagnon de voyage – et, bien sûr, son meilleur ami…

 

 

A genoux dans la neige – au cœur du désert – comme ces moines aux joues rouges, le front penché sur la terre – et ces mendiants qui tendent la main à l’inconnu – contraints de vivre au milieu du froid et de l’absence…

 

 

A flirter partout – à flirter toujours – avec le sommeil, la folie et la mort que nous portons comme des secrets – au milieu de ce grand jardin avec ses arbres, ses pierres et ses visages baignés de mots, d’ivresse et de malheurs. Dans cette poussière et cette douleur de vivre – impartageable (et si partagée pourtant) – avec autant de tendresse que possible – au hasard des solitudes et des rencontres…

 

 

On se lève – comme un défi – une victoire, peut-être, sur la tristesse. L’âme détournée, pour un temps, de l’abîme. Bulle de silence dans le vacarme de la tête et du monde. Oubli des routes et des impératifs. Quelque chose proche de la tendresse – proche de la nature, en nous, redressée…

 

 

Un peu d’air pur hors du marécage. Une route – un arc-en-ciel – au-dessus du vertige – au-dessus des immondices…

La seule ressemblance avec ce que nous fûmes autrefois…

 

 

Un jour entier à découvrir. Un éclat – un écart – entre l’œil et la nuit. Et cette faim de ciel qui soulève les paupières…

 

 

Ce que nul ne remarque ; cet infini et cette meute – en soi – tiraillés. L’Autre sans visage – celui que nous appelons ainsi à défaut de lui attribuer la moindre substantialité. Lui – porteur, pourtant, de ce regard sans hésitation et de ce silence sans malice…

 

 

A bout de souffle – peut-être – comme ces traces sur la page. Ignorés – plongés en soi jusqu’à la suffocation – au cœur de la même confusion que celle qui a initié nos premières lignes – et les mille livres qui ont suivi – comme une longue série de méprises et quelques forfaits. Symptôme de la figure marquante et du manque. Symptôme de l’encombrement et des luttes intestines entre soi et un Autre encore plus mystérieux…

 

 

Peut-être se répète-t-on – en rafales – pour ne pas se destituer et former son propre engorgement. Comme une manière d’oublier et de passer en force…

 

 

Après tant d’images et de visages arrachés – que reste-t-il sous la plaie… Quel souffle nous pousse-t-il donc à de tels ravages…

Le vivant à l’âme nue – et aux nerfs à vif…

Ainsi (peut-être) croyons-nous être vivants…

 

 

Tout est fêlé – et les mots mâchés (et remâchés) peinent à recoller ces lambeaux pathétiques. Charpente et ossature (presque entièrement) fissurées…

 

 

Ni âme – ni veille – ni sentinelle. La boue et les lèvres blessées – autant que la bête, en soi, traquée jusque dans ses évidences…

Ni terre – ni figure – ni parole. Une voix solitaire et sans alliance – au seuil – au cœur peut-être – du silence – née de ce pacte mystérieux entre la marche et le désert…

 

 

Seul(s) – à vrai dire – face au monde et à ses mille légendes – devenues nôtres au fil des pas. D’erreur en erreur – d’impasse en impasse – comme si le brouillard, l’aube et la nuit n’étaient que des éléments de l’intériorité…

Un gouffre – un univers – une seule foulée peut-être – entre le sommeil et le jour…

 

 

Passages pour soi. Et un Autre, en nous, encore trop timide pour nous remplacer…

 

 

Nombreuses – comme au premier jour – ces parts d’enfance sans référence. Œuvre tribale – presque familiale – au cœur de notre plus intime humanité. Quelque chose d’inconnu et d’indéfendable qui s’octroie le plus terrible et l’au-delà des fosses communes…

 

 

La main sur la page – tremblante sous la lampe – qui n’ose encore donner au feutre sa pleine mesure – lui offrir une résidence certaine en déroulant un long tapis jusqu’à la jetée et l’océan…

 

 

Vivant – bien sûr – mais pas certain encore d’exister…

Comme le coffre – l’écrin peut-être – d’un Autre – plus vaste – et plus utile que nous-même(s)…

 

 

Danses et naufrages successifs de la multitude tiraillée – engoncée au milieu d’elle-même – où le singulier est confiné – encombré par la quantité et le rassemblement…

 

 

Gavés de temps et d’illusions. Seule manière, pensons-nous, de pouvoir échapper au vide et à la mort. A la souffrance qui – partout – nous encercle…

 

 

Couverts de pluie, de sable et de chants – l’âme et la peau encore si primitives. Emergeant – à peine – de la glaise. Et le pas toujours plongé dans la nuit…

Là où le jour et le noir se rencontrent. Là où vivre pénètre le souffle et la chair. Là où s’expérimente le cœur fragile – le cœur ouvert – le cœur vivant…

 

 

Elément – parcelle – au milieu des fragments du grand puzzle en mouvement – à la reconstitution à la fois impossible et immédiate – où tout s’agence et s’emboîte de la plus parfaite manière…

Matières, émotions, idées, sentiments, gestes, paroles – joints et assemblés en cet espace présent au cœur du monde – au cœur des choses – en surplomb de toutes les formes, de tous les échanges et de tous les mouvements…

 

 

Naître – et renaître sans doute – avec ce qui nous fait mal. Comme un plongeon sans maître dans l’abîme, le temps et le rassemblement des choses. Et la résonance (toujours plus forte) de l’âme dans ce vide sans direction…

 

 

Alphabets horizontaux dédiés à la guerre et au commerce. D’ici à plus tard – d’ici à plus loin – d’ici au meilleur. Avec la langue tournée dans tous les sens pour affiner – et améliorer – la ruse et la persuasion…

Et ce grand froid qui monte dans l’âme. Le vent et mille soleils verticaux au cœur de la plus tragique obscurité. Comme une manière de vivre dans cet espace en deçà – et au-delà – du langage – comme plongés dans ce silence sans nom qu’aucun qualificatif ne peut ni définir, ni révéler…

 

 

Elan vital de la page – réconfortante – réconciliante – profondément tournée vers la nécessité de la lumière…

 

 

En soi – cet Amour de la trace et de l’innocence – de l’expansion et de l’effacement. Et ce tiraillement perpétuel entre ce qui s’impose et ce qui libère…

 

 

Enumération inutile de l’inventaire humain, de l’attirail terrestre et des précarités du vivant…

Rien – en définitive – n’est durablement habitable sinon, peut-être, cet espace d’où tout émerge – et où tout replonge ; à la fois demeure des naissances et cimetière de toutes les choses du monde

 

 

Un peu de mort dans chaque chose pour offrir à ce qui vit – à ce qui existe – une dimension plus précieuse – un autre goût que celui de l’habitude et du rêve…

 

 

A l’envers du monde – et dans l’œil qui se retourne – cette enfance et cette clarté – pour que la main puisse se tendre vers le plus précieux de chaque visage…

 

 

Ce qui devient, sans doute, plus légitime que le monde – les nécessités qui s’imposent – l’élan vital vers ce qui nous anime – vers ce qui nous habite – vers ce que nous sommes

 

 

Ce que l’on devient – ce que l’on semble devenir. Ce qui nous rééduque là où la nuit s’amplifie. Exilé – orphelin depuis toujours – peu à peu perméable à ce qui est gravé secrètement à l’envers du souffle – dans ces profondeurs inexplorées – le mystère qui nous a devancé – le mystère à notre suite…

 

 

A l’écart des cris et des Autres – comme si l’être était un feu solitaire – un lieu secret – le rassemblement (inespéré) de toutes nos parts. Ce qu’il y a, en nous, de plus précieux – de plus secourable ; le silence, l’Amour et le partage…

 

 

Les ténèbres sous le règne des Autres – dans cette lumière contrainte par nos figures trop mimétiques – trop sombres – noircies, sans doute, par tous les défis terrestres…

 

 

A vivre entre la violence et la posture. Reflet d’un terme – d’une finitude sournoise. Destin grimaçant aux possibles obstrués – interdits. Avec ce souffle sans hauteur – où l’altitude ne se conquiert (trop souvent) que par le sang des Autres…

 

 

Nuit d’embrouilles et de faisceaux – sans preuve – et sans autre légitimité que celle de la tentative. Approche et éloignement – de balise en balise – entre le morcellement et la paupière intacte…

 

 

L’écoulement comme une perte – le ruissellement du gris. Jetés ensemble avec ces pierres qui roulent sur toutes les pentes – au milieu des alphabets inutiles. Monde, pièces et sursauts où tout se vit de manière si dense – de manière si mortelle…

 

 

Ce qui, en nous, se cache comme la première étoile – comme le premier signe qui nous édifia. Et les mille armures nécessaires pour protéger, avec nos secrets, le plus précieux qui nous tiraille. Espace d’espérance et d’humanité où la chaleur, la prière et le visage de l’Autre nous rappellent notre insuffisance – et nous condamnent (presque toujours) à l’étrangeté des lèvres et des mains…

 

 

Le cri et l’appel – aussi solitaires que l’âme…

 

 

Tout boite – tout s’ébruite…

Tout nous plonge dans la même plaie – cette vieille déchirure que ravive toute rencontre – toute espérance…

Et ce désir atroce cousu derrière le silence…

 

 

Et le temps qui nous débarque – nous dévore – et nous suit à la trace comme si nous étions une matière à éduquer…

Et cette offense – et ces dégâts – entre ce qui vient et ce qui se pense – entre ce qui se vit et ce qui s’écrit. Une conduite – une chevauchée où le gourdin tient (si souvent) lieu de caresse – où la hargne s’entend à des lieues à la ronde – et où le cœur de l’âme demeurera introuvable tant que l’absence régnera dans nos pas…

Le signe d’un décalage grandissant…

 

 

Murs de peurs et de hontes. Murs d’indélicatesse et de couardise – derrière lesquels s’exerce le plus effrayant sommeil. Comme si la vie jouait – à travers chaque visage – au bâtisseur et au somnambule…

Une marche que seule l’âme peut interrompre. Et mille lieux encore à découvrir – et mille lieux encore où se perdre…

 

 

On a cru aller – se trouver – se résoudre – et nous n’avons fait que nous enfouir plus profondément et ajourner le jour de notre rencontre.

A force de bouger, nous avions imaginé parcourir et traverser ; mais nous n’avons, en réalité, que renforcé l’attente…

 

 

Le morcellement – ce qui s’assombrit – comme si nous ne pouvions échapper à la fracture, au démembrement et à la nuit…

Pensées, poussière et feux de détresse ; les réponses récurrentes à toutes nos tentatives de percée vers le jour – à toutes nos tentatives de percée vers l’éternité…

 

 

Sur terre – encore peut-être – entre l’absence et la mort – au cœur de ces tranchées brunâtres – là où la lumière griffe l’œil et l’âme – et ce qui a survécu au monde, aux visages et aux bras brandis comme des crochets et des massues…

 

 

Au même âge qu’autrefois – étrangement vivant – comme si l’enfance, en nous, s’attardait en refaisant mille fois le tour du même visage pour s’assurer de la consistance du monde, de l’âme et du temps…

 

 

Sous le même ciel – sur la même terre – mais avec ce regard, à présent, chargé de tristesse et de silence – porteur de cette sensibilité des solitaires adossés au vide – au bord du monde – là où la distance entre autrefois et l’inconnu demeure identique et infranchissable…

 

 

Eternité d’une faille – d’un évanouissement où les mots remplacent (maladroitement)l’inattrait du monde – l’indigence des objets et des visages – trop usuels – trop communs – soumis à mille usages – à mille trivialités…

 

 

Vide et clignotement de quelques lueurs vacillantes – chancelantes. Comme un regard intermittent – incapable de déchirer nos vieux restes de monde

Et cette sensibilité comme seule particularité – et unique écho, peut-être, au vide et à la faim…

 

 

Ebloui par le reflet du temps sur l’âme – et cette indécision du vent sur les contreforts de l’automne. Ce que le monde, en nous, a toujours dispersé…

Ce qui demeure dans la composition de nos chimères – quelques taches, en somme, sur l’apparence des choses…

 

 

Tout se devine à notre manière d’inscrire nos gestes dans le monde – reflet d’un regard et d’une sensibilité sur ce qui mérite – toujours – Amour et attention – quels que soient les circonstances et les visages…

 

 

Dans la tension d’un Autre en nous. Au cœur de ce lieu où la flamme et la fratrie deviennent, peu à peu, les bras qui nous manquaient – la chaleur d’un baiser et d’une étreinte sur ce que nous avons enfoui et oublié…

Ce que nous sommes plus durablement que la terre. Ce lien – cet espace – où la désillusion et le désarroi nous offrent – peut-être – le seul privilège…

 

 

Tout nous poursuit jusqu’à l’absence – jusqu’à l’abandon – ce que nous n’avions pas même envisagé dans nos délires les plus extravagants…

Comme une ombre accrochée au dos de tous nos actes…

 

 

L’arrière du visage qui aborde la route à l’envers. Le vide sous le fil suspendu entre le temps et la lumière. L’espoir d’un Amour plus fécond. L’exigence d’un silence aussi blanc que le rêve et l’écume – innocent en quelque sorte – pour accueillir l’illusion du monde – le mensonge de toute histoire – autant que la beauté et l’âpreté des visages…

 

 

Terre d’un autre monde – d’une illusion plus supportable que la rudesse du réel – où l’insouciance peut (enfin) régner dans la proximité du feu – au cœur de la cendre et de la poussière – là où l’espace offre aux âmes et aux visages un intervalle hors du temps – affranchi du désir de l’Autre – un lieu dérisoire au milieu des immondices – coincé entre le silence et la beauté…

 

 

Penché sur cette terre où les yeux regorgent de sang, de chants et de brouillard – faussement lumineux (fallacieusement éclairés). La bouche tordue comme un fruit recouvert d’aube et de poussière…

Et nous voilà à creuser la terre – les mains et l’âme blessées – fragiles – figées dans la nécessité de réduire la distance entre le désir et les miroirs offerts par les yeux du monde. Les horizons, en nous, éparpillés comme si la route et l’errance étaient nos plus précieux atouts – notre seul voyage…

 

 

L’invention – peut-être – de la brûlure et du tremblement. Et cette présence douloureuse entre le soleil et le bord du monde – dans cette vie d’exil – sur ces terres de vents brutaux – insolents – si dévastateurs pour ce qui, en nous, ne cesse de s’agiter et de vouloir comprendre…

 

 

Agenouillés devant les étoiles et les exigences du monde sur ces pierres qui confinent les âmes à la gravité de la matière…

A vouloir repousser la douleur et l’agonie comme si nous étions les maîtres du monde et du temps…

Un cadre – une réalité – éloigné(e) de toute forme d’Amour et de légèreté…

 

 

Ce qui nous brûle et nous accueille – ce qui nous happe et nous rejette – à l’heure la moins favorable – au jour le moins propice – lorsque le froid de l’âme et l’aridité du monde deviennent la seule réalité. En cette saison où l’absence somme l’Amour de demeurer malgré le vide et les atermoiements…

 

 

Ne plus être là – refuser de vivre en ce lieu où l’on nous confine – dans cette promiscuité étouffante avec l’Autre – avec la foule – avec le monde entier – qui nous sourient (qui continuent de nous sourire) mais dont les yeux ne sont tournés que vers leur propre folie…

 

 

Réseaux d’ici – réseaux d’ailleurs – comme mille cercles concentriques qui relient tous les visages – tous les gestes – toutes les âmes – où chacun n’est qu’un dérisoire chaînon…

Nœuds complexes – entremêlés dans la trame – et reliés aux mille cordes des Autres…

 

 

Tout prend des airs atroces – parfaits – terrifiants – hautement mortifères. Entre l’abîme, les miroirs et la mort. Brûlés par les flammes du monde – par cette violence et cette indifférence que nul n’a jamais choisies…

 

 

Voyage entre dégoût et tristesse. Mouillé de pluie et de sang – plongé dans cet étrange délire aux airs de vision – aux airs de perspective – où les sens et la simplicité ont été (presque entièrement) perdus…

 

 

Seul(s) avec ses propres mains à la fois libres et prises en otage par la folie grandissante (et toujours plus complexe et monstrueuse) du monde…

Vie d’exil et d’éloignement où le plus terrible n’a (sans doute) encore été vécu…

 

 

Fils de rien – sans voix – brisé – mille fois vaincu par le hasard, les rencontres et le destin. Sur ce chemin d’obscurité – d’illusion en fausse lumière – de récit en témoignage – d’effarement en effarement – avec, au centre de l’âme, cette tristesse (inavouable) des solitaires et des incompris…

 

 

Errance – toujours – le cœur serré. Entre hier et peut-être – entre avant et la plus tangible incertitude. A marcher entre mille éclats, mille peurs et mille tentations. Entre chant et résistance – adossé au plus bas – et au plus triste peut-être – de la solitude…

Trépignant encore au milieu de quelques restes de rêve…

 

 

Au cœur de l’absence et de la tristesse – dans cet abandon des révoltés que le monde soumet, écrase ou ignore. A peine existant – seul avec cet écho qui nous plonge au fond de la terre…

 

 

A nos pieds – ce buste penché – couvert de bruits et de noir. Cœur vivant – défait – tremblant – comme si nos pas pouvaient déchirer l’impossibilité du ciel…

Un éclat d’obus au fond de la gorge comme si l’hiver avait tout recouvert – et submergé l’âme tout entière…

Yeux d’innocence malgré les haleines du monde – odieuses – fétides – indolentes – et les paupières serrées contre les joues…

 

 

Une terre – un vent – une onde. Quelques foulées timides. L’attente d’un chant – d’un lieu – d’une prière – pour aller moins triste au cœur de ces saisons sans miracle. Rythme lent – sans visage – sans appel – sans élan – comme si l’extase et la mort avaient, à nos yeux, le même attrait…

 

 

Vie sans récompense. Vie sans témoin du conflit qui nous hante. Dans la confusion du jour – à compter les marques dessinées par l’obscurité (toujours plus profonde et mystérieuse) des nuits successives…

Faiblesses mortelles devant l’immensité que nous avons cru effleurer…

Marche énigmatique, peu à peu, convertie en obéissance absolue où le trébuchement et le passage démentent et contrarient (presque toujours) les attentes et l’espérance…

 

 

L’absence – ce reflet du plus loin – de l’au-delà de l’abandon. Source du plus proche – du miracle, en nous, si vivant…

 

 

Joie et parfum nés d’une chute inéluctable – de cette décadence automnale où le rêve et le monde deviennent (infiniment) plus tragiques que la solitude…

 

 

Yeux imprégnés de rythme et de danses où se mêlent l’or et le froid – le fardeau et l’abandon. Jeûne, en quelque sorte, dans le prolongement des exigences extérieures…

 

 

Buste à flanc de falaise – âme close – réifiée – fragmentée. Pas tremblants – comme livrés en offrande – happés par l’ardeur des circonstances. Et ce sable jeté partout comme si le vent était l’allié du monde – jamais le nôtre – jamais celui des figures tristes et rampantes…

 

 

Abîmes partout – qui donnent au noir cette consistance. Et ce langage d’envol – de sursaut – de franchissement peut-être – pour échapper au sol et à la gravité…

 

 

L’obstination du mouvement au cœur du temple. L’immobilité (presque immuable) de l’aurore. Et l’acharnement dérisoire des foulées et des prières pour conjurer le mal, la peur et l’indécision grandissante des vivants. Reflet d’un temps révolu – obsolète – que l’accoutumance cristallise…

L’âme hébétée – trébuchante – inapte à initier le moindre renversement…

 

 

Le plus haut de l’homme à découvrir dans la fange que nous traînons avec nous – à chaque geste – à chaque pas – comme si l’âme conservait intact son mystère enfoui dans nos profondeurs…

 

 

Brûlé là où l’on devient silencieux – en cette heure de fin du monde exaltée par la solitude et l’isolement. Âpre et attentif – la tête posée contre le sol. Le cœur vivant – le sang intact et effervescent. Le souffle ardent comme si l’hospitalité du poème remplaçait l’indifférence du monde – l’absence indéfectible dans les yeux des Autres…

Pages à vif – comme la fraîcheur, en nous, du plus simple. L’âme déchirée entre la chair et l’abîme. Regard tourné vers le plus ample – caché derrière nos amas d’espoirs et de cendres…

A vivre comme si la vie était encore possible. Et à croire encore en la nécessité des destins…

 

 

Que sommes-nous sinon ce poids – cette force fragile – errante – mal agencée au reste – à toutes les vibrations du monde… Un peu d’âme, peut-être, tombée là où tout s’efface – où rien n’a d’importance – où tout tourne, malgré lui, dans le sens des choses, du temps et des étoiles…

 

 

Yeux sur un calvaire – un tertre – un amoncellement inévitable de désirs et de manques…

 

 

Boue, herbes et sang. Pierres mêlées à l’eau et aux pattes des bêtes. Archipel où le moindre vent soumet les gestes, les lèvres et les âmes…

Amoureux d’un en soi qui, trop souvent, prend les couleurs du jour et de la pluie…

 

 

Le temps – toujours – comme un grand tableau noir qui – par impatience – et par oubli des heures peut-être – transforme les désirs et les privilèges. Un souffle – une respiration – sur la sente où errent tous les pas. Une terre où l’arbre gagne toujours en force et en silence. Et un interstice que l’homme défigure (trop souvent) en règne. Le plus détestable à vivre – sans doute – pour les vivants. Au cœur de cette tragédie qui semble impérissable…

 

 

Ce qui germe – ce qui pousse – à l’envers de l’éternité – sur cette terre où règnent le désir et la mémoire…

Ce qui existe – ce qui s’étend – à travers les ronces et la pensée. Là où le vent ressuscite tous les morts…

 

 

Vivre en deçà de la clarté – au fond de l’ombre qui a envahi les yeux. Et cette voix qui résonne dans ces lignes. Temps futile – raison oubliée. Et cette réalité assommante qui soumet les âmes comme si l’enfance n’était qu’un lointain souvenir…

Mains sur les yeux pour cacher l’épaisseur du regard – la tension des gestes et les strates du monde déposées, au fil du temps, derrière les visages…

 

 

Un peu de bruit – quelques sauts – pour s’imaginer vivant – et offrir à l’âme un peu – un semblant – de consistance. Le silence et mille paroles (dérisoires, bien sûr) inscrites, chaque jour, sur la page. Comme une manière d’ajourner la mort – de retarder la conscience de l’agonie – et de fuir, peut-être, le seul lieu de la rencontre…

 

 

Vide – aussi vide – avec que sans – au milieu du monde comme au cœur de soi. Encore trop vert, sans doute, pour goûter le fond de l’âme – et vivre serein – dans la continuelle compagnie du silence…

 

 

Nous avons joué et nous avons ri. Nous avons essayé d’échapper à l’absence – de mille manières. Ici – ailleurs – aujourd’hui – autrefois. D’excès en absorption – de tentative en défaillance – comme un long défi inutile. Happé(s), sans cesse, par le tourbillon insensé des rives – fragiles – malmenées – et souveraines pourtant…

 

 

Des éclats – des partages. Quelques frontières effleurées (et, parfois, franchies). Des doubles qui ne purent s’empêcher de trahir. Des fausses certitudes et des évidences mensongères. Des doutes et des absences. Un amas d’incompréhension. Des impasses et des pentes où nous accompagnait – toujours – la plus grande espérance…

 

 

Nous avons cru percer les murs – élargir l’espace – interrompre la course folle du temps. Nous émerveiller des visages et des élans du monde. Nous satisfaire des failles et des défaillances – de la faim et de l’inassouvissement. Nous avons cru en l’homme et au règne (presque possible) de l’Amour. Nous avons essayé – nous avons prié et accompli (autant que nous en étions capables). En vain – sans doute. En vain – bien sûr. Le vide, la solitude et la mort n’ont jamais vacillé (pas une seule fois). Et notre parole – à présent, n’a plus la force de contredire le silence – ni de témoigner de cet étrange (et douloureux) voyage…

 

 

Désir et souffrance – partout – ceux de vivre et d’aimer – ceux de croire et de bâtir. Marionnettes empêtrées dans la trame des Autres – dans la trame du monde – où tous les fils s’emmêlent jusque dans les tréfonds de la plus parfaite nudité…

 

 

Soif d’éclore. Et ces étoiles abreuvantes. Et ces rêves caressants – presque accessibles. Comme si le monde était une image – un gouffre – une toupie lancée à vive allure sur la crête – entre les pierres et la pensée – entre le silence, le sommeil et l’insomnie…

 

 

Un temps – une issue – une chimère. Le seul terrain où nous puissions vivre en homme, en bête, en arbre – en pitoyable créature terrestre…

 

 

Mille choses et mille manières. Submergé(s) par l’intendance quotidienne – la faim, le désir et la peur – l’occupation de l’espace. Toute la calamité de vivre, en somme…

 

28 février 2019

Carnet n°176 De larmes, d’enfance et de fleurs

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Tout est bleu – étoile écorchée – nature morte – chair sanglotante – âme perdue. Et pas même une pierre sur le chemin où poser sa fatigue. Rien que le va-et-vient du cœur qui, avec ses dernières illusions (peut-être), a perdu son ardeur – son allant – le goût d’aller plus loin...

Aujourd'hui, tout est abîmé. L'âme s'essouffle. Le cœur halète. Le front est en sueur. Et la parole prend le pouls de la vie  de la terre  et du cosmos entier peut-être...

Portrait battu en brèche. Chair dépecée  en lambeaux. Et la peur envahissante  comme si elle était devenue la seule amie  le seul témoin de cette chute  de ce déclin

 

 

Ce que fut l’heure – ce que fut la grâce – ce que fut la mort. Un temps infini – un temps miraculé. Un temps poussé jusqu’à son extrémité. La dilatation, peut-être, d’un désir. La fulgurance d’un destin où l’éveil de l’âme ne fut qu’un fossé supplémentaire…

 

 

D’enfance et de fleurs – ce que nous n’osons encore déshabiller. Comme une matrice cherchant à tâtons le secret caché au milieu de ses enfantements – au cœur de sa progéniture…

 

 

Le rire et la couleur – comme une autre manière d’aller parmi les épines et les jurons. L’ultime chance, peut-être, d’incarner une humanité libre et repentie…

 

 

Tout monte – passe – se prête à tout – à tous – aux mille jeux et aux mille épreuves – comme si le soleil se tenait au bout des doigts…

 

 

Terre d’enfance et de labeur où l’existence consiste à enfanter – et à déployer – ce qui, en nous, s’abrite en rêve. La récurrence et l’expansion à l’œuvre partout…

 

 

Entre ciel et étoiles – tout pourrait refleurir – et recommencer à vivre – comme la graine et le pétale oubliés au fond du jardin. Humus d’un Autre. Réaffirmation du rêve et de la continuité du sang et du sol…

 

 

Abîmes – presque toujours – horizontaux – et pyramidaux – presque malgré eux – selon la manière dont s’exercent les têtes pour se combiner en couches successives et superposées. Côte à côte – et les unes sur les autres – avec suffisamment d’ombre entre elles pour qu’elles puissent s’imaginer seules et séparées…

Des murs énormes – colossaux. Et mille chemins étroits qui serpentent entre les briques et les barbelés. Des frontières, des barrières, des obstacles. Et ces cris qui montent du sol – et des sous-sols – envahis – piétinés – par des âmes trop frileuses pour affronter les pièges labyrinthiques…

La nuit plus grande – et plus féroce – que le désir de lumière. Détention encore – détention toujours – jusqu’à l’éclosion du soleil intérieur

 

 

Nous resterons quel que soit le temps – accrochés au souffle et à l’attente – morts déjà mille fois avant de revenir toujours. Comme la nuit et les cathédrales – à nous fondre dans le bruit des vagues…

 

 

Au creux des mots – de la main – au creux de l’âme – ce langage silencieux – enivré par sa propre voix – discret comme le vent et la rosée sur les chemins du monde. A dire mille choses – graves et légères – avec cette fébrilité des impatients – cet empressement des passionnés – qui rêvent de voir la lumière et l’ardeur envahir ces terres – et ces visages – trop sombres et endormis…

 

 

Rien qu’un nom supplémentaire dans la liste – presque exhaustive – des choses constituées. Rien qu’un visage – quelques traits à peine – une âme peut-être – dans la longue série des figures qui se sont succédé…

Vitrines où l’ombre et la lumière – où les fragments et les commentaires – n’ont jamais cessé de s’entremêler…

Agglomérat monstrueux où rien n’a de véritable valeur

Ah ! Que le retrait, la solitude et l’anonymat sont nécessaires pour toucher au silence – à la gloire méconnue – à l’essentiel…

 

*

 

[Reprise de la dérive ; rupture – tristesse – solitude et retour en soi]

 

Ne jamais considérer le monde et l’existence comme des terrains conquis – acquis – certains – au risque de devenir autoritaire et tyrannique – outrageusement exigeant…

 

 

Survivant(s) permanent(s) – sans cesse confronté(s) à l’épreuve – et se réassurant toujours…

S’encombrant de mille choses – de mille idées – et de quelques visages – pour tenter de donner sens et consistance au monde et à l’existence…

Un peu de poudre aux yeux – agglomérée et transformée en briques, en édifice, en forteresse bâtis sur la poussière, le manque et la peur…

Risible et tragique destin que celui de l’homme…

 

 

La vie – toujours – finit par rattraper les mots pour combler le fossé entre la parole et la réalité. Pour détruire ce qui doit l’être – et pouvoir ainsi avancer vers soi (à petits pas) – vers ce que l’on porte dans la plus haute nudité – et découvrirce qui reste lorsquene reste plus rien – pas même Dieu – pas même l’espoir d’une issue…

 

 

Tout est bleu – étoile écorchée – nature morte – chair sanglotante – âme perdue. Et pas même une pierre sur le chemin où poser sa fatigue. Rien que le va-et-vient du cœur qui, avec ses dernières illusions (peut-être), a perdu son ardeur – son allant – le goût d’aller plus loin…

 

 

Aujourd’hui, tout est abîmé. L’âme s’essouffle. Le cœur halète. Le front est en sueur. Et la parole prend le pouls de la vie – de la terre – et du cosmos entier peut-être…

Portrait battu en brèche. Chair dépecée – en lambeaux. Et la peur envahissante – comme si elle était devenue la seule amie – le seul témoin de cette chute – de ce déclin…

 

 

Un tour de clé – et, en un clin d’œil, les dés sont jetés – et le destin – presque aussitôt – s’effondre…

Et l’âme – dans sa crainte (terrifiante) de souffrir – plonge – tout entière – dans le sommeil – sans pouvoir goûter aux délices du rêve tant est grand – et puissant – le vertige de l’effondrement…

 

 

Mille joies – mille peines – mille espérances – mille désillusions. Ah ! Que le chemin vers le dénuement est âpre – rude – impossible presque – jamais acquis – à renouveler toujours – à chaque instant…

 

 

Que le sommeil soit ensemencé là où la souffrance nous épie – nous empale – nous écrase la joue contre le sol. Et, pourtant, nous avons veillé longtemps dans la chambre – seul face à soi – seul face aux circonstances. Et ce repli n’a suffi à atténuer la douleur…

 

 

Jamais l’on n’assassine l’Amour – on épingle seulement ses empêchements…

 

 

Souvenir d’une voix – d’une ville – d’un amour perdu – dans les traits que la main dessine. Mémoire à genoux – autant que l’âme est prête à s’enfouir quelque part sous la terre – dans un trou – un abîme – inconsolable…

 

 

L’enfant que nous sommes ne grandira jamais – malgré les années, l’introspection, le silence – malgré Dieu, en nous, parfois plus vivant que l’enfance…

 

 

A la lisière du jour, de la peur et du hasard – devenus nécessité – là où demeurent le sourire et la main effarés – et l’âme presque entièrement dissoute. Avec le cœur du monde en soi qui s’est, peut-être, arrêté…

 

 

La solitude à grands pas qui regagne la maisonnée – et la petite chambre où nous nous tenons – noir – anxieux – taciturne – la tête pleine de larmes et de bonheur fissuré…

 

 

Nous sommes ici – tout entiers – dans ce vieux mur qui nous sépare. L’âme encore vive – presque impatiente – qui cherche partout la source parmi les ruines que nos mains, malgré elles, ont façonnées en vivant…

 

 

Eclat d’un amour ancien dans la main posée entre hier et le néant – à la lisière de tous les mondes possibles…

Et cet étrange chemin de fleurs que fera naître ce déluge de larmes…

 

 

Portés mille fois – depuis toujours – et pour l’éternité sans doute – par des courants mystérieux – entre nécessité et épreuves – qui nous éprouvent – nous habillent – nous emplissent – et nous dénudent – pour nous découvrir peut-être…

 

 

Tous ces édifices – ces monuments et ces assemblages – dans nos têtes – qui nous structurent et nous entravent en nous donnant l’illusion d’une construction stable et consistante – libératrice – indestructible. Chimère tragique, bien sûr…

 

 

De tentatives et d’erreurs – cette carcasse sommaire – trop brute – trop grossière, sans doute – malgré la complexité de la tête

 

 

Pendant des siècles – le même visage et les mêmes larmes. Avec cette usure croissante à mesure des pas qui pénètrent l’immensité du désert – intérieur et extérieur – jusqu’à la rupture – jusqu’à l’évidence du désarroi et de la beauté – jusqu’à l’évidence de la solitude première…

 

 

Tremblements jusqu’à la dernière heure. Vibrations, frissons et sursauts de crainte jusqu’à la fin des jours – jusqu’à la fin des temps peut-être…

 

 

Le jour gagne – peu à peu – en grandeur et en beauté – comme si nos yeux s’ouvraient progressivement à la faille, au regard, à la sensibilité – avant de plonger dans l’inévitable (et terrifiante) permanence de l’incertitude…

 

 

A sortir – à devenir – à s’extérioriser – pour, peut-être (simplement), vérifier la présence – et la solidité – du monde – et chercher en lui une part – un élément – de sa propre résolution…

Et cet infini en soi – si dense – si mystérieux – toujours aussi inconnu – toujours aussi inexploré…

 

 

On découvre – toujours – la pierre, les visages, le manque, la faim, l’âme et la mort. Dans tous les ordres possibles. Et l’Amour – et le silence – bien plus rarement…

 

 

L’existence et la mémoire se déchirent et s’ouvrent. Le monde se retire. Le silence appelle et s’insinue. L’âme, peut-être, pourra bientôt exulter…

Qui sait ce que dessineront les jours…

 

 

Sombre – secret – nocturne – comme le sommeil, le monde et le temps. Et cette sensibilité posée à la pointe de la gravité – sur ce socle massif – indestructible peut-être – au fond duquel tout s’enfonce et disparaît – avalé par le noir et la densité…

 

 

Courbée sur le sol – parmi les visages et les pierres – l’âme cherchant sa part – son mystère – sa résolution – comme si la réponse pouvait émerger du monde et de la marche – de cette fouille frénétique hors de soi…

 

 

Socle inébranlable voué à la répétition – à la stabilité du monde et du foyer – de cet entourage de soi élargi – pendant que les Autres – tous les Autres – courent la vie et le monde – en quête de réponses. L’âme esclave peut-être – l’âme esclave sans doute – des élans inépuisables du corps, du cœur et de l’esprit – incertains du temps et des résolutions – incertains des yeux et de la fouille – arpentant fébrilement – désespérément – tous les chemins possibles jusqu’à la mort…

 

 

Ecrire – décrire peut-être – ce grand Amour qui ne nous aura (sans doute) qu’à peine effleuré…

 

 

Et tout ce blanc – à présent – à la place du mystère. Comme un drap sur trop de pertes et de tentations…

Forces et défaillances échangées contre un repli – un retrait – une légère absence…

Temps initiatique, peut-être, où la rencontre ne pourra plus se faire qu’avec soi…

 

 

Ni rênes, ni ambition – qu’un allant vers l’inconnu. Fidèle à ce qui nous porte et surgit. Sans arrière-pensée. A défiler ce que le temps ne pourra jamais transformer…

A cloche-pied parmi les malheurs et les circonstances. Poésie de petits pas où l’obscur, l’ordinaire et la grâce sont contés…

 

 

Au-dedans du dedans – au centre du plus profond – notre premier souvenir – avant même la naissance du souffle. Ce qui se reniflait déjà sur notre dernier cadavre – et tous les autres avant lui…

Cet élan – ce désir de vie, de multitude, de silence et d’unité. Ce qui concède – façonne – et reprend, un jour – d’une main tendre ou violente – ce qui a été enfanté…

 

 

L’effondrement – toujours proche – de la solitude insatisfaite

Là où la clarté des yeux – et la parole de l’Autre – cisaillent et déchiquettent…

Là où tout se réfugie dans le noir, le sommeil ou l’ardeur…

Là où vivre continue de faire mal – et d’éprouver les faiblesses de notre destin – de notre silence – de nos misérables tentatives…

 

 

Personne – entre nous et notre peine. Rien qu’un néant qui tangue et nous fait chavirer. Pas la moindre main – ni la moindre lueur d’un Autre…

Soi entre fatigue et silence – entre agonie et découragement – si peu présent à nous-même(s) – cachés peut-être, l’un et l’autre, là où le refuge et l’accueil sont impossibles…

Comme une absence aux lèvres muettes – aux gestes impuissants – témoin seulement du désastre à l’œuvre…

 

 

Nul vitrail à travers nos murs – gris – hauts – infranchissables. Tristes à pleurer. Seuls édifices dans le paysage. Et ce ciel sombre – noir – épais – opaque – partout où les yeux se posent…

Comme si la solitude était notre destin – et la tristesse, notre malédiction. Comme si l’érosion et l’effondrement étaient impossibles – et le passage obstrué – impraticable. Comme si notre visage était condamné à errer – toujours – sur le même versant de la désespérance…

 

 

Abandonné de tous – abandonné des Dieux – et de soi-même d’abord…

 

 

Et par dépit – par impuissance – on se livre à cette vieille habitude de répéter les mêmes gestes rassurants pour confectionner n’importe quoi – une écharpe ou une couverture de laine – pour recouvrir sa peine, sa peur, ses larmes et le délitement inexorable du miracle et du silence – pour se protéger de l’épuisement et de la lassitude – pour s’éloigner de ce qui gronde dans les profondeurs – pour oublier ce qui appelle et ce qui crie – pour ne pas répondre à ce qui réclame l’éclosion

 

 

Traits qui vont et viennent. Ombres et objets au coude-à-coude. Et le monde – âpre – rude – et l’âme meurtrie – depuis le premier jour – depuis toujours peut-être…

Comme un enlisement perpétuel. L’expression d’une déchirure permanente – inguérissable…

 

 

Tournants de pacotille – voyage de peu de joie. Lente dérive – seulement – vers les eaux ternes du sommeil. Ce que ni les traits, ni la voix ne peuvent ouvrir – et moins encore sauver du naufrage…

 

 

L’obscur entre le possible – insupportable – et l’impossible – inaccessible. Pris dans cet étau de songes qui se resserre sur la chair – sur les os – et sur l’âme – toute tremblante – atrocement effrayée et démunie…

 

 

Rien que l’âme, la peur et l’ardeur pour traverser la vie, le monde, soi, l’Autre et les saisons. Ce qui, en nous, est encore (si faiblement) vivant…

 

 

Combien de siècles devrais-je attendre avant que ma voix puisse (re)trouver le silence…

Isolé comme ces fontaines privées de leur source – et taries par la soif du monde. Moribondes – presque (entièrement) asséchées…

 

 

Son lot de mots, de jours et de possible. Comme une longue errance. Seul et apeuré dans cette grande forêt de visages…

Et le déferlement du monde en soi – tête en avant et l’âme sagement en retrait…

 

 

Tout tourne – toujours. Comme un immense tourbillon – bruyant et épais – qui se transforme – tantôt en pas, tantôt en pages…

Vies, visages et leçons jaunis par le temps – par ce défilé inepte de jours – comme si les saisons pouvaient nous restituer ce que l’esprit nous avait ôté – en réduisant la perspective à ses habitudes…

 

 

Pas d’ami – trop sombre – trop seul sans doute…

Trop profondément plongé dans cette (effrayante) solitude…

N’importe quoi pourrait nous arriver ; sans doute serions-nous seul à pouvoir en témoigner…

 

 

Qui pourrait donc voir (ou même deviner) ce que nous avons posé – si inintentionnellement – sous la langue – au milieu des mots – derrière ces cris et ce souffle parfois trop péremptoire ; un peu de silence sous les bruits – une profonde simplicité sous le verbiage et les circonvolutions langagières – l’Amour irréductible sous la colère (presque) permanente – mille vertus et mille respects, en somme, sous l’offense et la rudesse apparente…

Et, sans doute plus profondément encore, le fond même de notre vie – et toutes nos vaines exigences à l’égard de l’homme et du monde…

 

 

Survivance quotidienne – plongé(s) malgré soi dans les mille tracasseries et les mille contingences de l’existence terrestre où l’enfant et l’innocence cherchent – vainement – leur place. Trop tendres – et trop désarmés – sans doute – pour faire face à la ruse et à la faim…

 

 

Ce sont des larmes – et un peu de sang – que mon feutre trace sur la page. L’aveu d’un échec – l’aveu d’une impuissance – l’aveu d’une longue (et pitoyable) défaite. L’accouchement inexorable du destin de l’homme – voué (presque toujours) à mourir de son vivant

 

 

Sans foyer – sans sommeil. Cent jours – cent siècles – à jeter le même cri – à lancer la même encre – tantôt sur le monde, tantôt sur l’Autre – selon les connivences quotidiennes…

Comme un enfant-vieillard auquel on aurait (toujours) refusé l’âge adulte…

Comme une pierre – rude – noire – fragile – posée au milieu de nulle part – sous des étoiles et des yeux indifférents…

 

 

Un pays de désolation et de solitude – sans compromis – sans consolation. Souillé jusque dans ses profondeurs par cette incapacité à vivre, à accueillir et à s’émerveiller – et par cette inaptitude croissante à être au monde…

Mal – inadapté – partout. Inapte à presque tout, en quelque sorte…

 

 

Vie de supplices et de parenthèses. Vie intranquille et sans permission. Comme le prolongement d’une peur – la permanence d’un effroi au cœur du même abîme – parcouru de long en large…

 

 

Quatre murs – quatre points cardinaux – quatre horizons. Partout – les mêmes grilles et le même sortilège. Le rêve, le désir, le sommeil et l’illusion – mille obstacles, mille empêchements et mille restrictions plantés au fond des yeux…

 

 

Le même chant – le même désir – le même ennui – sous l’arbre, le soleil et la pluie.

Mille siècles de souffrance. L’envergure et les profondeurs (en partie) explorées sans que n’advienne, en vérité, le moindre retournement – la moindre certitude…

La même nuance – toujours – au fond des yeux (presque clos). A mâcher – et à remâcher – vainement la même parole fétide…

 

 

Lieu – passage sans doute – de l’émotion et de la pensée. Comme un orifice – une béance – dans le néant. Comme une lueur – un éclair provisoire – dans la pénombre. Comme une vie – une parenthèse récurrente (et, peut-être, éternelle) – dans l’obscurité – sans la moindre aumône – sans la moindre main tendue – au milieu de la peur et des menaces – au milieu de la ruse et de la barbarie – au milieu de la faim, du mensonge et de la tromperie – au milieu de l’illusion qui semble, en cet instant, si réelle…

Abandonné au vide – à soi – à ce que l’on croit être comme à ce que l’on est sans même le savoir…

 

 

Léger scintillement dans la main ouverte – qui laisse toutes les manifestations du monde libres d’aller et venir…

 

 

Cœur mouillé – détrempé – qui ne sait plus voir – qui ne sait plus écouter – qui ne sait plus ni donner, ni recevoir… Comme un enfant banni du monde – exclu de toute forme de communauté – rejeté derrière ses propres voiles – en cette terre où l’Amour semble perdu – introuvable…

Empêtré dans cette odeur de pluie qui le fera, peut-être, frissonner jusqu’à la mort…

 

 

Du côté de l’ombre – sans doute. Entre ce mur immense – ténébreux – infranchissable – et cette vague idée du ciel que l’âme aurait espéré plus clément ; et qui se montre – de ce côté du monde – de ce côté du cœur – profondément – trop profondément – silencieux ; un silence qui passe pour une indifférence – un manque d’Amour tant le retournement et l’acquiescement sont (devenus) impossibles…

Enfant inconsolé et inconsolable – tant que le cœur ne saura se retourner vers lui-même – vers cet espace, en lui, profondément aimant et lumineux…

Quelque chose d’inimaginable, bien sûr, en cet instant…

 

 

Existence simple et modeste – qui contemple le soleil – toujours trop lointain – voilé par toutes les exigences de l’âme…

 

 

Invité du monde. En ce lieu – à présent – à rogner la perspective idéale sans renoncer aux élans et aux impératifs singuliers – ni aux nécessités naturelles du corps, du cœur et de l’âme. Mais moins prompt, peut-être, à assassiner tous les obstacles – et toutes les causes apparentes de la frustration…

 

 

Âme – jamais – assez tendre – insatisfaite – toujours – du feu et de la cendre. De tout ce qui brûle – du monde sans yeux – du monde sans cœur – et de cette existence sans saveur. Plongée aveuglément au fond de cette impossible issue à son chagrin…

 

 

Chacun – comme tous – comme nous tous – identique(s) – dispersé(s) – à chercher ce qui pourrait nous satisfaire – nous sauver – et nous prolonger jusqu’à l’extase permanente…

Et tous tombés mort – mille fois déjà – avant de pouvoir réaliser le moindre pas…

 

 

Innocence dispersée – encore – entre le soleil et la cendre. Comme un enfant qui court la main ouverte pour attraper un peu de vent…

Mille étoiles sur l’asphalte noir. Mille allées interdites dans l’âme privée de monde et de chemin…

 

 

A goûter la moitié de la vie – la moitié du monde – la moitié de l’âme. Encore trop prisonnier du désir de grandir et d’aimer sans jamais haïr ni disparaître. A l’écoute de ce vivant en nous qui cherche à croître sans jamais accepter les empêchements de l’ombre – son autre part – qu’il a involontairement oubliée tant elle lui semble étrangère…

 

 

Invisible comme le silence – l’écoute – et l’ardeur manifestée (puis consumée). Cette vie portée par le regard. Comme une marche interminable autour – et au cœur – de soi – essayant de se goûter à travers tout ce qui l’effleure et la traverse…

 

 

Âme nue – dépouillée – tremblante – éplorée et implorante – à peine debout – sur toutes les rives où les vents et l’océan se reflètent et emportent ce que nous avons cru être – ce que nous avons cru construire – ce qui nous semblait le plus précieux – et qui, sans doute, nous rassurait seulement…

 

 

A veiller, peut-être, vainement. A attendre ce qui ne viendra, sans doute, jamais. Comme plongé dans une présence et un labeur inutiles – jusqu’à la dernière heure…

 

 

Nous avons retenu le possible jusqu’à nos dernières forces. Et ne reste plus – à présent – la moindre ardeur. A peine le courage de rester là dans la douleur, la tristesse et l’inconfort. En ce lieu qui, à cet instant, ressemble à l’enfer – au néant sans issue, sans appui, sans échappatoire…

 

 

Chemins partagés qui se séparent. Rupture de destins. Et cette main désespérée qui s’agite dans les vagues…

Bout de chair fracassé sur les rochers – âme engloutie au fond des abysses – emportée vers un lieu plus insupportable que la mort…

 

 

Comme un oiseau sans aile sous l’orage. Perdu en plein ciel. A la dérive. Ecrasé par l’Autre – par la vie, la mémoire, la peur et l’inconnu. Comme si les vents étaient un souffle inévitable – un souffle obstiné – jouant (et jouissant de son jeu) avec tous les visages du monde – les faisant tantôt monter et se rapprocher, tantôt chuter et s’éloigner…

Et dans la multitude de ces états, la poursuite, peut-être, de la même unité et du même partage…

La joie unifiée et sereine et la joie fragmentée et errante. L’unité et l’éclat se cherchant l’un dans l’autre…

 

 

Exilé de tout ce qui demeure accroché au loin. Exilé toujours – exilé sans cesse – de la communauté des hommes, de l’Autre, de soi. Ecrasé et soulevé par la puissance du désastre permanent. Seul au monde – et seul en soi – abandonné par le plus précieux que nous portons…

 

 

Jouet des tourmentes et du néant qui brisent et éparpillent l’âme en mille fragments tranchants – en mille fragments infimes – à peine visibles. Aspiré dans ce tourbillon féroce – vorace – où la nuit est présente partout – à toute heure – sur terre comme au fond de l’âme – au ciel comme au fond des yeux. Le noir brutal – affamé – acharné – dont on demeure – à jamais – la proie impuissante…

 

 

Vie et temps sans soleil – aux saisons éternellement tristes. Et cette prière, en nous, jamais entendue – jamais rejointe – irejoignable peut-être. Comme un cri permanent – comme un cri supplémentaire – lancé, à chaque instant, dans l’espace vide du monde et de l’âme…

 

 

De crise en crise – de rupture en rupture – d’effondrement en effondrement – à espérer encore… comme s’il pouvait rester quelque chose à la fin…

 

 

Une âme à terre – un cœur brisé – un semblant de vie – et cette tristesse insondable comme seule couronne…

 

 

Rester l’âme nue sous les pierres et sur la braise. Fragile comme un enfant – comme un nouveau-né – qui sent son cœur blessé – brisé – mutilé jusqu’au fond de sa chair – et ce besoin d’Amour – inassouvi – si puissant encore – prêt à rejoindre – et à embrasser – le premier visage – le premier soleil – à sa portée…

 

 

Si craintif – comme le sang dans nos veines et nos rêves de ciel…

 

 

Embuscades à chaque croisement où guette le néant. Peur au ventre. Avec ce goût amer dans la bouche comme si la mort était déjà, en nous, présente – et prête à nous livrer à l’inconnu. Porte, fente, défaillance. Et pas la moindre issue, en vérité – ni ici, ni ailleurs – et cet espace en soi toujours aussi introuvable…

 

 

Entre déviance et errance – entre déni et méfiance – la peur qui, en nous, fait obstacle – et qui creuse son fief pour interrompre la marche – rendre le chemin plus difficile encore – et l’issue hors d’elle introuvable…

Ainsi, peut-être, se perpétuent le monde, la quête et le désastre…

 

 

Un feu – et une âme, peut-être, brûlée pour rien. Cœur en chute – en cendres – porteur d’une nuit infiniment tragique. Entre délires trompeurs et délices mensongers. Comme le renforcement d’une illusion – d’un écran de fumée entre le réel et ce que nous sommes – entre le rêve et notre désir – intarissable – inguérissable – d’infini…

 

*

 

Devenir son propre Amour et sa propre lumière… Commencer par devenir son propre Amour et sa propre lumière… Puis, voir si l’on peut devenir un infime soleil pour l’Autre, pour les Autres, pour le monde et ce qui nous entoure. Et laisser enfin émerger, de façon naturelle, notre manière spécifique de contribuer à cet au-delà de soi…

Et à l’aune de cette perspective, voici ce qui nous apparaît (pour notre propre cas) : offrir sans attente – ni exigence d’écho – de façon gratuite, invisible et anonyme (lorsque cela nous est permis) – une présence, des gestes ou des paroles (aussi tendres et éclairants que possible) – selon la nécessité des circonstances – en parvenant à s’en réjouir pleinement – à la manière (peut-être) des ermites et des moines plongés dans la solitude et la réclusion – et protégeant leur âme derrière leur clôture – mais dont l’essentiel des prières et des actes – si discrets – si insaisissables – sont tendrement et profondément – tournés vers le monde…

 

 

L’éloignement et la distance sont parfois les plus justes garants de l’Amour vivant – de l’Amour humblement incarné…

 

 

La vie sans limite – et sans limitation possible. A être là – tout tremblant – ému jusqu’aux grandes eaux qui submergent. Dans l’ardeur et la tendresse entremêlées. Couché, en quelque sorte, dans la tristesse et la douceur du cœur ouvert et brisé…

A glisser sans cesse entre le Divin et l’humanité – et d’une extrémité à l’autre parfois – sur cette étrange échelle intérieure…

La vie humble. La vie simple. La vie pure. La vie la plus précieuse, sans doute…

 

 

Ouvert et limité. Offert et repris. Seul – éminemment seul – et complet. Boucle infime et infinie sur elle-même. Unifiée et démultipliée. Sans pareille…

Perdu et retrouvé. Fragmenté et indissocié…

Genèse d’une naissance. Testament d’un ravage et d’une dévastation…

Exil et retrouvailles. Voyage long et difficile – parfois tortueux – souvent douloureux – et évidence fulgurante – sans le moindre détour…

 

 

Tout s’effondre et bruisse de certitudes…

Bras ouverts à l’horizontale – presque en croix. Chevilles liées – engluées dans la matière. Tête attentive – peut-être ailleurs déjà (ou, du moins, en partie). Et l’âme presque à la verticale – vide – posée entre ces vieilles cendres, ces amas de pierres noires et la lumière – sous cette voûte sans témoin – sans horizon…

 

 

Présence patiente aux marges de la page – aux marges de l’écriture – dans la défection du poème – au seuil de cette vie invitante

 

 

Enfant de la nudité et de la désespérance. L’origine du masque et des danses. Le visage de Dieu et de la folie. Ce qui tourne encore – et s’avance, si vaillamment, dans l’immobilité. La joie et la part tremblante. Ce qui défie et ce qui acquiesce. Le monde et la solitude. Ce qui meurt en vivant – et ce qui est vivant au-delà de toute finitude. La vérité et le mensonge. La grâce et l’abandon. Et toutes ces peurs qui emprisonnent. Et l’âme glacée – grelottante – pétrie de froid et de solitude. La foule et la déraison. Le temps et l’instant. Le feu qui veille. Les saisons qui passent. Et la mort qui s’approche…

Tout est goûté – et vécu. Et, pourtant, rien n’est dit. Rien n’existe peut-être… Les mots sont – toujours – impuissants – à témoigner ; chiffon de soie parfumé, en quelque sorte, à glisser dans sa poche – et à sortir de temps à autre pour sentir – respirer – et éprouver peut-être – cette joie – cette tristesse – cette tendresse – et ce silence – inscrits entre les lignes – entre les mots – pour remplacer le bras tendre et aimant d’un-e ami-e – mais qu’il faut ensuite – aussitôt le parfum inhalé – laisser choir sur le sol – ou poser sur un banc – pour qu’un Autre, un jour, le ramasse à son tour et en fasse usage le moment venu…

 

15 février 2019

Carnet n°175 Exprimer l’impossible

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Ce qui s’en va – ce qui reste. Ce qui nous exhorte à l’évidence – le retrait, l’ordinaire et la poésie. Le ciel précaire et la parole hasardeuse qui chemine du plus sombre vers le jour – et du plus proche vers l’Autre – le plus lointain en apparence…

 

 

Là où la lumière se tient encore. Innocence dans l’ombre – silence dans la nuit. Au soir couchant – près de la fenêtre close – derrière la porte barricadée. En ce lieu – sur cette ligne – recouverts – encerclés – depuis toujours – par la possibilité de l’infini…

 

 

Une ombre dans le regard – comme une tache – un repli – une frayeur peut-être – un angle mort où le merveilleux ne peut être perçu – et qui nécessite un pas – une enjambée – un pont (démesuré(e) parfois) pour rejoindre l’autre rive – la terre et le ciel parfaitement unis et éclairés…

 

 

Dos au mur – ponts et nuages – et ce qui frémit sous les caresses du temps. Plaisant à l’œil – et agréable à l’âme. Le moins amer du vivant. La lumière, en nous, la plus discrète – celle qui nous empêche de plier sous le poids, toujours plus accablant, de la nuit…

 

 

Tout est calme au-dessus du sommeil pendant qu’en dessous grondent l’insoumission et la colère. Tout semble endormi mais, au plus bas, l’épuisement est à son comble – et se fomentent, en secret, les plus violentes révoltes…

Tout devra être percé – et traversé – la chair, l’âme et l’apparence du monde pour qu’une main puisse surgir du regard – et nous extirper de l’illusion…

Mille vérités à naître sous la glaise. Et mille feux à réinventer pour échapper aux couches toujours plus épaisses de rêves et d’étoiles façonnées par les hommes…

 

 

Tout existe au creux du monde – au fond de l’âme – réunis et confondus par ce qui ouvre le regard. La main qui s’avance. Les larmes qui coulent. L’horizon qui se rompt. L’ombre qui se détache. La nuit avalée. Le visage qui a dû affronter la peur et la perte. L’esprit qui a su s’abandonner au temps et à la mort…

La défaite comme le seul lieu possible de la conquête…

 

 

Ce qui s’en va – ce qui reste. Ce qui nous exhorte à l’évidence – le retrait, l’ordinaire et la poésie. Le ciel précaire et la parole hasardeuse qui chemine du plus sombre vers le jour – et du plus proche vers l’Autre – le plus lointain en apparence…

 

 

Tout danse à présent – au milieu des chants du monde. Le vent – le jour – les visages – la terre – l’œil et les noms…

Ce qui regarde est regardé. Ce qui vient est accueilli. Ce qui se montre est recouvert. Et ce qui se cache est exposé…

Tout se mélange. Et la voix reste claire pour dire ce qui se transforme – et ce qui demeure égal à lui-même – au fil des jours – au fil des siècles – de toute éternité…

 

 

Tout est là – à la fois exposé et immergé – emmêlé et éparpillé. Mille choses – mille reflets – entre illusion et vérité – entrecroisés dans le regard de chacun qui, en s’additionnant aux yeux des Autres, forment un labyrinthe de miroirs et de barbelés – mille territoires imbriqués et superposés qui complexifient, restreignent et opacifient le monde et la perception…

 

 

Immensité – à peine – là où tout s’invite – et où le vivant se tient encore plein de sommeil. Promesse – seulement – d’une plus large étendue…

 

 

Immobile et seul – là où le chemin se perd – devient passage – empreintes presque invisibles sur les pierres – marche sans effort dans la boue, les vents et la lumière. Là où le temps cesse d’être un piège et une promesse…

Tête et cœur battants comme deux ailes subitement greffées sur la poitrine – l’âme caressante – attentive – mais déjà ailleurs sans doute. Libre devant cette porte ouverte sur l’espace et la nuit…

Voûte et horizon confondus. Ardeur et silence réunis et assemblés. Prêt (enfin) à glisser son pas dans la faille – le monde devenu soleil…

L’Amour caché dans la doublure des yeux – entre ciel et paupière. Rêves en ruine. Bien décidé à vivre malgré le noir – malgré la terre – malgré les hommes…

 

 

Absence de lumière et trop-plein de sang. Et la mort comme seule ambition. L’homme à l’inverse du sage…

 

 

Entre mirage et matière – ce feu qui se propage au cœur de l’âme – au cœur du monde. Et cette lumière tendre au-delà des yeux…

 

 

La liberté des sables mouvants où nous sommes (tous) plongés…

 

 

Mille vies à chaque instant. Et plus d’avenir encore – la grande vie peut-être – à l’heure de la mort…

 

 

Terre et âme aussi blanches que cet espace, en soi, qui porte au silence…

 

 

De terre en terre – de mémoire en repos – de désir en désir – ainsi s’ensemencent l’ambition et la conquête journalière. Quelques pas sur les sentes du monde – main sur le visage posée en visière – l’œil fixé au loin – là où poussent nos élans – un jour, ventre au sol – et un autre, figé en posture altière – tantôt au creux, tantôt au faîte – à ramer avec force et courage – à traverser les plaines et les dangers – à déjouer les périls et la mort. Survivants et passagers – toujours – infiniment fragiles et provisoires…

 

 

Ce qui surgit prend – toujours – sa source dans les profondeurs – aux origines – au cœur du monde antérieur aux idées et à la matière…

 

 

Voyage – toujours – entre sourire et impatience – entre misère et possibilité de délivrance. Parabole du geste, de l’infime et du décalage. Trajectoire des corps, des cœurs et des âmes – enrôlés, à leur insu, dans la même chimère – entre espoir, aventure et illusion – sur ce fil à l’allure faussement temporelle…

 

 

Pays de faim et de souffrances – pays de perte et de mémoire – où la peur, le rêve et le désir règnent sans rivaux – et où le réel, l’illusion et la vérité s’emmêlent et se superposent d’une étrange (et mystérieuse) manière…

 

 

Papiers du jour – froissés comme le silence et la lumière. Eclairés faiblement par cette clarté crépusculaire coincée entre l’âme et la chair. L’œil et le corps las – prêts à se réfugier dans l’ombre pour sangloter…

 

 

Le monde est clos – enfermé – tourné implacablement vers lui-même. Et la voix se présente pour ouvrir une brèche – une faille mince et étroite – dans la fonte qui lui sert de bouclier…

 

 

Tout s’abrite derrière le langage par peur d’affronter le réel – le monde sans signe – sans aide – sans appui – la vie brute qui arrive – et se retire – l’existence infiniment passagère et mystérieuse des visages…

 

 

Bâillonnés par l’ignorance et l’incompréhension – debout pourtant – faces confrontées à la violence du monde. Et mains dociles la nourrissant. Allure droite et buste altier malgré la misère – malgré l’illusion – malgré l’impasse où se sont réfugiées les bêtes et les civilisations humaines…

 

 

A la mesure de tout – la vie et la mort – l’infini et le poème – posés partout pour échapper à l’illusion – et essayer de faire naître le rire sur tant de laideur et d’incompréhension…

 

 

Nous sommes là – près des lèvres – près des Dieux – à imaginer le possible – à revivre en rêve le passé – comme si la seule épreuve consistait à s’affranchir du temps et des illusions…

 

 

A s’engager là où la somnolence constitue un idéal – et où le passage (insidieux) vers le sommeil pourrait nous être – irréversiblement – fatal…

 

 

Tout semble désirable jusqu’à ce que les choses consommées nous ouvrent, peu à peu, les yeux sur la source – l'origine même du désir…

 

 

Entre révolte et fatalité – entre abandon et nécessité – quelque chose au goût étrange – fait de résignation et de volonté – et, sans cesse, ébranlé par le désir et la peur…

 

 

Tragique – jusqu’à la mort. Et ce rire – mystérieux – qui nous soulève pour nous emporter vers ce lieu étrange – posé au-dessus de l’ignorance et des malheurs – au milieu des cris et des plaintes – en cette aire méconnue – si proche du monde et des âmes…

 

 

Seul – plus seul encore – à présent. Sans désir – sans appui – sans visage allié. Illusions perdues – défenestrées du dernier étage. Hors du monde – mis au ban de la communauté. Exclu (volontaire) des enclos, des pyramides et des hiérarchies. Et la vie maintenue à flot malgré l’âge et les épreuves. Sur cette terre – sans larme – sans consolation. Bouts de soi aussi étrangers que les étoiles. Reclus, parfois encore, dans ce long sommeil. A vivre – apaisé – presque serein – malgré la grande nuit où sont plongés les hommes et les âmes…

 

 

A genoux – à consoler si tristement la terre – ces visages résignés – plongés, jour après jour, dans la même peur – les mêmes cris – la même misère…

 

 

Tout s’entaille – tout s’encaisse – le temps – le ciel – les malheurs et les rêves. Peut-être avons-nous réussi – en fin de compte – à grandir sous le soleil malgré notre étonnement permanent face à l’étendue de la terre – et face à l’ampleur du labeur qu’il nous reste à accomplir…

 

 

Devant le vent, le souffle, les vagues, la nuit et la lune douce et propice (toujours) à la lenteur des gestes. Devant les hommes, les pierres et les bêtes. Devant les arbres, les montagnes et les fleurs. A s’interroger – à s’inquiéter – à partager mille secrets, mille savoirs, mille découvertes. A regarder le monde et les visages comme pour la première fois…

A vivre et à aimer – de toutes ses forces – de toute son âme émerveillée – ensoleillée – avant de laisser la place à l’Autre, au mystère, à la mort…

 

 

Joie de l’être et du questionnement – de cette faim de soi jamais durablement assouvie – se cherchant, se trouvant, se perdant et recommençant mille fois encore – pris par cette ardeur inépuisable et ce goût insatiable pour le jeu et la transformation…

 

 

Dieu et la mort en contre-bas du monde. Patients et déterminés à nous revoir un jour – au plus près des promesses que nous n’avons réussi à tenir – oublieux de tout – sauf de ce vieux rêve de se réaliser – en soi – en silence – sans autre témoin que ce regard apaisé et acquiesçant sur les rondes et les danses qui nous jetteront encore – qui nous jetteront toujours – dans cette distance – dans cette faille – entre nous – à combler…

 

 

Monde d’âmes, de peines et de pierres – qui, entre elles, s’ignorent. Allant seules – ensemble – côte à côte – sans jamais se saluer – s’entraider – ni se secourir. Isolées et anonymes jusqu’à la mort…

 

 

Vie brute – multiple – à même les éléments – entre le ciel, la roche et les abysses – partout au cœur de ces trois lignes d’horizon. Et quelques visages – rares – surpris – à la verticale – presque invisibles dans la foule – parmi les figures agglutinées qui arpentent – presque d’un même pas – toutes les latitudes terrestres…

 

 

Voir – et nommer – le monde, la faim et les danses depuis le silence n’exempte ni les pas, ni la main, ni le ventre d’y participer…

 

 

Mots comme des ondes circulaires jetées dans le labyrinthe. Comme un étrange mélange de silence et d’intention adressé à ceux qui osent tourner le dos aux conventions – redresser la tête en transgressant les règles et l’ordre établi – et se plier aux seules exigences nécessaires – celles d’un territoire, en eux, inconnu et mystérieux – ignoré – et, le plus souvent, méprisé par les hommes sans âme, par les âmes sans profondeur et les destins (trop) prosaïques…

 

 

Forêts, rivières – et cette joie du bleu – partout – qui offre au monde sa lumière…

Pierres, oiseaux et soleil. Voix claire – étincelante – à force de mutisme – à force de regard silencieux…

 

 

Silencieux comme le jour – les lèvres cousues – arrachées peut-être. Feuilles et fêlures félines – dénudées par l’aube. Pointe du monde. Et ces vents qui ravivent le déracinement – l’ivresse – la pénombre. L’attente sans fin. Et ces mensonges qui glorifient l’orgueil, l’inessentiel et la nécessité des traces. Empreintes provisoires qu’effaceront le temps, les événements nouveaux et la récurrence (éternelle) des saisons…

 

 

Se faire témoin de la joie et du silence – des grandes turbulences, des tourmentes et du tracas (ordinaire) de vivre. Entre angoisse, crainte et sagesse – entre présence et visage humain. Sans accorder le moindre regard au passé, à l’enfance et à l’heure précédente. Sans se soucier du lendemain, des yeux des Autres et du qu’en-dira-t-on. A œuvrer, chaque jour, sur sa planche – âme et feutre à la main – silence au-dessus de l’âme – et monde autour de soi – au milieu des pierres, des arbres et de quelques bêtes – sans l’emprise du moindre regard humain…

A offrir au souffle récurrent – inépuisable – l’espace dont il a besoin – la rencontre quotidienne avec l’étendue, en soi, déployée – et ses mille eaux ruisselantes…

 

 

Tout – en ce monde – semble si cruel – si banal – sans grâce. La terre – le temps – les destins. Comme si tout – en vivant – défigurait l'élégance des Dieux – et enflammait l’œuvre du Diable cachée au-dedans – les deux versants de la même ignorance – du même désenchantement…

 

 

Chant solitaire sur les eaux discrètes de l’âme – sous la grande étendue bleue. Cœur et pieds nus – parfaitement innocents. Fidèle à son devoir sans exigence. Ciel et feuilles mêlés – inextricablement. Au-delà des temples et des prières – en deçà de l’indifférence commune – coutumière. Des poèmes comme des gouttes de rosée sur chaque brin d’herbe du jardin – et sur la végétation devenue humaine et les alentours transformés en monde entier. Univers de survivance et d’instincts – univers de grandes instances – que seuls les mots et la présence peuvent adoucir et réenchanter…

 

 

Avec tout l’or du monde – ainsi s’inventent – se réinventent – et se perpétuent – tous les mythes terrestres. Des rivages, des chemins, des risques et des chutes pour quelques onces précieuses de métal – capables de faire chavirer les hommes, d’assécher les âmes et d’éteindre la voix des poètes – capables, en somme, de transformer le monde en rêves et en galeries…

 

 

Rivages brumeux là où s’exerce l’étincelle. La nuit, le désir, la folie. La tentation des plus faibles. Le fond des regrets. La mort et les malheurs. Cette part commune à l’œuvre partout…

 

 

A vivre aussi timidement et vaillamment que la fleur – sous les yeux et les mains – presque toujours – tortionnaires…

 

 

Des cris en cortège dans la nudité des ténèbres. Prisonniers de grands frissons – là où tout se dérobe et devient noir…

 

 

Ce qui tient à l’envers de la paume sans autre colle que celle du destin – cette aile à venir dont chaque plume sera un rêve – un défi – une parole jetée par-dessus les murs du monde…

Les détails d’une géographie où tout serait décrit – où des milliards de vies apparaîtraient dissimulées sous chaque pierre…

La clarté et la confusion étrangement abandonnées à leurs danses furieuses – obstinées…

Un angle où s’écrirait la page. Au bord d’un ciel – toujours – imperceptible. Quelques notes pour prolonger le silence – engorgé – défaillant à force d’épreuves…

Une manière, en somme, d’exprimer l’impossible et le règne du partage…

 

 

Nous n’avons cessé de nous échouer parmi les vaines consolations. Des lignes mendiantes et des feuilles froissées – à revisiter la perte autant de fois que nécessaire pour rallier ce tronçon – ce passage peut-être – que la terre rend si désirable – et le ciel si mystérieux…

 

 

En peu de mots, dire l’impossible – affirmer l’essentiel. Dessiner, avec un peu d’encre, le silence d’avant le monde. Le rêve, l’apparition et le regard. Des trouées d’air pur dans l’ordinaire des jours et l’atrocité des bas-fonds…

 

 

Tout se dérobe – et s’affranchit. Disparaît au cœur de cette jointure entre le rêve et la réalité – sur cette frontière vague – flottante – invisible depuis ces rives – imperceptible par nos yeux si lourds – si opaques – si fermés…

 

 

Nos doigts se hâtent – se faufilent – s’entrecroisent. Lâchent du lest – se libèrent de ce qui les encombre. Aimeraient dessiner un visage – mille visages – avec quelques traits – quelques courbes – quelques lignes simples – illuminées comme les étoiles les plus brillantes. Ainsi rêvons-nous assis sur nos syllabes – dans l’écho d’un silence et d’une nuit plus qu’ancienne…

Eviction d’un trop-plein qui, en dépit des apparences, alourdit (considérablement) l’écriture et la marche – et le monde qui, peu à peu, se défait. Mains, endroit et accent – quelque part où l’erreur devient la seule conclusion possible. Plume et tâche là où se prolongent tous les points de suspension. Lieu étrange – honnête – profondément authentique et bariolé – de toutes les miscellanées…

Comme un grand corps de feuilles reliées – façonnées par nos questions, nos défaillances, nos maladresses. Quelque chose – un livre peut-être – sans véritable ambition – ou animé par la plus haute – celle de l’effacement – allié modeste et irremplaçable – pour rejoindre l’autre versant – l’autre côté du mur – le pays hors du monde – l’instant hors du temps – ce silence où tout s’efface, recommence et demeure indéfiniment…

 

 

Hommage à ce qui ressemble à la neige – et que nous continuons d’appeler ainsi pour ne pas avilir la beauté – la fragilité – la pureté – de ce qui – jamais – ne se laisse décrire…

 

 

De l’espace – encore – entre les murs pour que la nuit soit moins noire – et moins solitaire peut-être. Une manière d’être infiniment plus présent au silence – et à ce qui nous contemple sans rien dire. Une manière de respirer ensemble sans rien savoir de nos prisons et de nos libertés respectives. L’espace commun où les paroles et les actes perdent leur dimension sacrilège – et où ce qui se fait seul peut devenir le lieu des plus fabuleuses rencontres…

 

 

Nul regret – nul péché – dans la main vide. Seulement l’infini et la jubilation…

 

 

Nous n’aimerions dire que la lumière. Mais les ténèbres sont (encore) trop présentes – trop puissantes – pour occulter le noir – la nuit – le sommeil…

Ombres encore – ombres toujours – tantôt éclairées – tantôt miraculeusement éblouies – tantôt abandonnées – comme livrées à elles-mêmes…

 

 

La mort – toujours – semble avoir le dernier mot. Elle n’est, pourtant, que la possibilité du recommencement. Le seuil récurrent et nécessaire à la continuité… [une mésange vient de s’écraser contre la vitre. Son petit corps gît, à présent, immobile sur le toit de la maison. Et un élan – triste et naturel – me porte vers elle – à écrire ces mots – à imaginer ce que fut sa vie et ce qu’elle devra traverser – son parcours dans l’au-delà du monde avant son retour parmi les vivants…]

 

 

Que sommes-nous face à la vieillesse qui fane et affaiblit – et face à la mort qui nous emporte…

Un chant triste – peut-être – pour amadouer les Dieux – ceux du monde et ceux du ciel – ceux que l’on ne peut s’empêcher d’invoquer lorsque l’on vit (encore) dans l’ignorance…

 

 

Nous chantons pour nous-mêmes – et pour tous ceux qui ont réussi à nous émouvoir par leur présence – par leur beauté – par leur fragilité ou leur détresse. Chant d’espoir et de compassion invoquant l’Amour et la grâce d’un Dieu – sans doute trop silencieux en ces instants de malheurs et de tristesse – en ces instants de larmes et de prières – où chacun se tient encore plus seul et plus impuissant face au mystère…

 

 

La poésie comme repère intermédiaire – comme bouée indirecte à laquelle s’accrochent parfois quelques suppliciés au cœur de leur naufrage – lorsqu’ils sentent proches la noyade et l’heure de la fin…

Balise infime – dérisoire – inutile même – sauf pour consoler le cri et la détresse – et que certains parviennent à transformer en île – en archipel – en pays – capables d’offrir aux jours un peu de joie et de beauté malgré le déclin inexorable – malgré la mort inéluctable…

 

 

Prisonniers – toujours – ici et là – de soi ou d’un Autre – du temps qui n’approuve ni la jeunesse, ni la vieillesse. Prisonniers du monde, de la mort et des apparences. En sursis – jusqu’aux jours les plus inoubliables. A se demander (encore) pourquoi – à se demander (encore) comment – et s’il est bien raisonnable de continuer à vivre sans rien savoir – ni même pouvoir deviner un sens – une raison – une nécessité – plongés jusqu’au cou – plongés jusqu’au cœur – dans cette ignorance et cette impuissance profondément tragiques et douloureuses…

 

 

Et ça joue ! Et ça crie ! Et ça penche tantôt vers la tristesse, tantôt vers le rire !

Mais d’où vient donc ce désarroi au fond des yeux que ni le temps, ni l’Autre, ni l’amour ne parviennent à effacer…

 

 

Nous pouvons bien sourire et décréter – nous protéger ou devenir sages – rien ne nous sera épargné. Pain dans le ventre – hameçon dans la bouche – désirs en tête et l’âme mille fois chavirée par la vie, la mort et les malheurs. A renaître toujours dans cet étrange intervalle bordé (de tous les côtés) par l’éternité – et qui prend, selon l’œil, la naissance et les circonstances, des allures d’enfer ou de paradis…

 

 

Vieille résonance qui nous éveille à cette existence sans nom – à cette existence sans maître. Comme un voyage – une quête – âpres – rudes – au-delà des collines et du sommeil. L’hiver pour les plus téméraires. Et la somnolence (encore) pour les plus absents – ceux que la détention continue de rassurer…

Ni défaite, ni triomphe. La juste mesure, en vérité – et la continuité implacable des destins…

 

 

Au croisement du jour et du silence. A l’exact opposé du carrefour entre le monde et le sommeil…

 

 

Fermé – comme démissionnaire. Etalé là où le cri, en général, se retire. Dans ce souffle – ce feu sous la chair – qui implore les Dieux pour rejoindre l’horizon – et tous les rêves posés au-delà. Comme un monde partiel – une infime parcelle offerte à l’œil lacunaire – et structurellement déficitaire sans doute. Une fête, une ombre, une courbe à moitié empêchées. Ce qui rend le pas et le saut – profondément inefficaces – particulièrement inappropriés – pour clore l’exercice de vivre (ou s’en affranchir)…

 

 

S’épuiser jusqu’au sang – jusqu’à ce que l’ardeur nous quitte – jusqu’à ressembler à tous ces Autres envahis – morcelés – par la peur – incapables de vivre hors des cycles et des cercles traditionnels qui somment tous les hommes de vivre en deçà de leur nature – et de renoncer à leur (véritable) envergure…

Plongés, en somme, dans la mélasse noire des jours sans voir ni Dieu, ni l’infini – ni le silence – partout qui demandent (pourtant) à retrouver leur place dans nos vies…

 

 

Partout étranger(s) – jusqu’à rompre toutes les frontières – jusqu’à rejoindre le pays natal des âmes, du monde et des oiseaux – sans barrière – sans reclus – sans exil – où la source parvient à tarir l’origine du manque – et à clore le voyage du retour

Contrées sans ascendance où ne règnent que la marche et le désert – la foulée posée à même les rives – et le destin scellé dans la joie d’être et d’accueillir – à chaque instant…

 

 

Alphabets sans signification. Quelques paroles dans l’obscurité. Sans écho – sans auditeur. Prononcées, peut-être, pour soi-même – la main ouverte sur la nuit – et son envergure détaillée – presque éblouissante – à force de soleils prisonniers…

 

 

Route – et ce qui demeure ici à s’écouler dans cet inépuisable goutte-à-goutte. Choses et visages quelque part – perdus, peut-être, au fond d’un tunnel. A écouter tous les pas s’épuiser et mourir. La poussière et la cendre inlassablement piétinées. Ni ange, ni martyr. Ce qui glisse de nos doigts mal resserrés – et de nos âmes incomplètes – trop indécises sans doute…

Ce feu – ce souffle sans effort – qui dirigent nos têtes et nos pieds. Nos existences pas si intranquilles, en réalité…

 

 

Le signal ancien des heures qui nous exhorte au repli – à la fuite – à la paresse – pour distinguer ce qui meurt sans s’éteindre de ce qui s’éteint sans mourir – afin de vivre avec cette ardeur dans l’âme – avec cette jeunesse éternelle et inépuisable…

 

 

Ni guerre, ni paix. Ni labeur, ni épreuve. Ni sagesse, ni folie. Une innocence à retrouver – et à renouveler sans cesse…

Comme une manière de vivre l’Amour au cœur de l’immonde et de l’oubli. Comme une manière d’affirmer la joie et la possibilité de l’effacement au cœur de la tristesse et de la vanité…

 

 

Tout est centre – enfin – prospère et vagabond – comme les larmes, l’exil et l’humus. Comme tout ce qui passe – comme tout ce qui s’abrite, quelque temps, derrière l’âme, l’herbe, la folie et la gravité…

Nous ne dirons plus – à présent – que ce qui est nu – et qui a fait le deuil de ses vieux habits…

 

 

Tout se fissure – et frisonne – à présent – le proche, le lointain et l’étranger. Et l’inconnu même que nous avons fui. L’indifférence qui se dérobe sous l’émotion. La présence, la peau et les visages. Ce qui existe en deçà et au-delà du monde. La pente, les sentes et le secret. Tous les chemins parallèles – ces lentes et longues circonvolutions autour du cœur – sage – serein – silencieux…

 

 

Des soleils et des pluies sans nom – sans appartenance. Ni nôtres, ni vôtres. Enumérés seulement. Se posant sans préjugé – ici et là – dans la nécessité des têtes et des âmes. Un jour – un siècle – tantôt gris – tantôt jaunes – couleur d’or et de joie – entreposés dans le ventre des affamés…

Rumeurs et tournants décisifs. Dans les mains de la terre – dans les mains de la mort. Partout où nos doigts s’agrippent – se resserrent – et répètent leurs maladresses. De jour en jour – au même titre que le monde et la parole…

 

 

Tout se fracture – se resserre – encombre – se rejette. S’éparpille en vivant. Signe que la vie est changeante – imprévisible – indomptable. Mouvements multiples – austères – espiègles – extraordinairement sages et infantiles. Inénarrables, en somme…

 

 

Tout est sévère – artificiel – complémentaire – et presque toujours incompatible avec le reste. Inopérant dans ses avancées et ses reculs – et dans toutes ses tentatives d’emboîtement. Provisoire – et fragile de mille manières. Et bientôt écoulé – écroulé – anéanti – et renaissant déjà en deçà et au-delà de toutes les échéances…

 

 

Tout se propage – s’étend – se multiplie. Les épines, la boue, la faim. La nuit et les obstacles infranchissables. Le monde, les désirs et les enfantements. Et la place infime – minuscule – dérisoire – de chacun dans cet espace qui ressemble (tant) à un mystère infini…

 

 

Ligne après ligne – la même parole qui, peu à peu, s’allège…

 

 

Tout – chacun – est là, peut-être, presque moribond – et tend la main vers nous pour qu’on lui pardonne son ascension, ses manquements, ses défaillances, ses gestes noirs qui ont griffé la terre et assombri la possibilité du ciel…

Seul demeure ce qui compte – le reste n’est qu’une poignée de gestes, de visages et d’instants jetés aux lions, à l’appétit féroce du temps et à la mort qui, sans cesse, exalte l’oubli…

 

 

D’un instant à l’autre – et entre chaque instant qu’y a-t-il ? Peut-être – qui sait ? – mille siècles à franchir – à patienter – à oublier…

 

 

Rencontre avec le jour – les mille petits défis du jour. Prendre le temps. Œuvrer – à peine – à quelques soupirs – et à quelques lignes noires ou légères. Vivre et édifier son destin – son existence – son empire – sur ce sang jamais séché qui a envahi le corps, la poitrine, le cœur – jusqu’au centre du regard où tout est si dense que le monde pourrait se transformer en aile, en fleur, en baiser sur les lèvres de la mort…

 

 

Qu’abrite donc cette obscurité qui donne aux yeux cet éclat de crainte – et aux pas cette allure de fuite… Où habitons-nous donc pour ne jamais pouvoir refléter l’ampleur et la malice du grand soleil…

 

 

Toute blessure est miraculeuse ; elle offre à l’âme la possibilité de se déployer – et de toucher, par-delà la douleur et la souffrance, l’impérieux et discret silence qui nous habite – l’impérieux et discret silence que nous sommes…

 

 

A ce qui s’insinue – en boucle – dans l’âme. Comme une nécessité – une récurrence sur le sable et l’oubli. Un instant perdu – comme mille autres auparavant peut-être… La vie, le chant, le rêve. La terreur et le destin ininterprétés. Comme une vitesse caduque – un effroi – une inquiétude pour défier la vie et apprivoiser la mort. Et cette part inconnue qui s’approche (enfin) comme s’il nous avait fallu mille siècles pour oser tendre la main vers elle – et l’inviter timidement à nous rejoindre…

 

 

Une faim et une question brûlantes face au mystère. Et notre insoumission aux impératifs du monde et du temps. Ni ici, ni ailleurs – ni hier, ni demain – quelque part entre ces deux bornes (infimes) du monde et du temps – à se demander (encore) ce qu’est vivre – et ce qu’il nous manque pour y consentir…

 

 

Le temps comme une faille où glisse ce qui cherche et ce qui est cherché. Une fosse – un intervalle qui, en vérité, accroît toute forme de séparation…

 

 

Venu de soi – venu d’un autre – ce voyage que tout précède. Le destin et l’échine entaillés – la piste où s’élancent tous les talons. Les festins, les apprentissages et les tragédies. Le commencement et la fin dernière. Cette longue procession qui foule d’un pas tremblant la même poussière depuis des siècles…

La même marche et la même attente. La même joie et le même silence. Ce que nous finirons (tous) par oublier – ce que nous finirons (tous) par devenir – une fois la vie et la mort – une fois la nuit et la lumière – réunies et réconciliées…

 

15 février 2019

Carnet n°174 Jeux d’incomplétude

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Rien – ni monde, ni chemin – le silence peut-être – quelques heures, quelques pas, quelques mots – mille gestes dérisoires, en somme, pour se prouver que l’on est, malgré tout, provisoirement vivant…

 

 

Ce qui nous rend fou(s) ; le monde, l’aube absente, cette intelligence dévouée aux instincts premiers. Et cette incapacité à accueillir ce qui est – outrageusement – inévitable. Cette part féroce, en nous, qui refuse de s’abreuver aux eaux (trop) terrestres – aux eaux (trop) humaines…

 

 

Entre rite et rire – le supplice et les baisers trop nocturnes pour soulager nos peines…

 

 

L’angoisse de la frange – et cette ardente propension du monde – de l’Autre – de soi – à ostraciser ce qui semble différent – encore incompréhensible – peu souhaitable – et qui s’obstine, pourtant, dans sa nécessité…

 

 

La tournure du monde encouragée par la dilatation des têtes. Des vies infimes, en vérité, dévorées par l’ambition et la faim…

L’infini déformé – corrompu, en quelque sorte, par la perspective erronée du désir – presque entièrement extériorisé…

 

 

Suspect – de plus en plus – de jour en jour – comme marqué au fer rouge de la différence. Incompris – certes comme chacun – mais voué à une solitude presque inhumaine. Comme un exil permanent – adouci, il est vrai, par le rôle éminemment réconfortant et libérateur du silence…

 

 

La tête si profondément enfouie dans le royaume de la peur et du mensonge. Comment, dès lors, proposer une alternative qui n’apparaîtrait aux yeux (et à l’âme) comme une ruse supplémentaire…

 

 

Silence, murmures, paroles en rafale – comme un chant de délivrance (possible) offert à l’ivresse et à l’aveuglement des hommes…

 

 

Entre l’éternel et le plus simple – cette folie à dire – à poursuivre son œuvre de découverte – pour secouer les âmes et les hommes – et nous extraire de la colère persistante – et plus forte même – au fil des jours – au fil du temps passé à dire – à dire encore – à dire toujours – en vain (si souvent) – la même nécessité sous des traits différents – avec les pauvres mots qui nous tombent de la tête…

 

 

Regard permanent sur la même folie. Et silence aussi – devant la beauté du ciel et des feuillages – et devant celle de l’âme cachée au fond de l’homme – cachée au fond des êtres et des choses – et qui se dévoile, parfois, avec générosité et désintéressement – pour notre plus grande joie…

 

 

Tout brille – la cour, les étoiles, les haches qui décapitent dans les abattoirs et sur les champs de bataille. La terre, le ciel – toute la trame du monde. Et le silence – et la vérité – redoutables – qui se cachent au fond de l’âme – en chaque être – en chaque chose – véritables…

 

 

Seul(s) – comme au fond d’un tonneau ouvert sur le ciel et quelques étoiles lointaines. Le nez sur le ventre – et les yeux sur le monde – à regarder la faim nous ronger et nous envahir…

A découvrir le vrai, la nécessité et l’inéluctable – l’horizon – l’imperfection du monde et des âmes – et leur incomplétude…

Mille fragments apeurés qui cherchent leur part manquante dans tout ce qui ne peut ni s’offrir, ni se prendre – et qui attendent – sans même le savoir – le regard qui saura leur redonner leur beauté – la beauté de leur imperfection – en acceptant leurs manques, leurs désirs et leur faim…

Voilà, peut-être, ce que favorise la proximité de l’Absolu – la capacité d’habiter l’espace infini (et infiniment tendre) qui se cache en nous ; la seule possibilité, sans doute, d’offrir à ce qui nous entoure – êtres et choses du monde – une façon de se reconnaître – entiers et parfaits tels qu’ils sont – dans la laideur et la beauté, dans la joie et le chagrin, dans l’illusion et la vérité…

 

 

Besoins du monde – besoins des choses – besoins des hommes – besoins des âmes ; mille fragments – mille reflets – de la même faim d’Amour et de silence – du même espace d’unité voué – et jouant – au manque et à la complétude – et oscillant, sans cesse, entre l’éparpillement et le rassemblement…

 

 

Pieds nus face au monde. Vertige de la plus haute solitude. Terre et ciel pris dans la même trame. Quelque chose au goût de vérité – implacable…

Mort et malheur – joie et silence – mélangés d’une redoutable manière…

 

 

Rien qu’un vide et des visages. Le silence et une myriade d’yeux, de mains et de bouches prêts à vous empaler, à vous griffer et à vous mordre – à vous renvoyer à votre infortune – et à confiner votre âme au fond d’une tendresse impuissante – inexprimable – au milieu du monde – au milieu des hommes – comme abandonnée (à elle-même) au cœur de l’hiver et du chagrin…

 

 

Essaims, massacres et hécatombes. Le funeste chemin – et le triste destin – de ce qui respire sur terre – entre teigne et merveille – quelle que soit la résonance de l’âme aux alphabets du ciel…

 

 

Chants, étoiles et accroissements. Musique et flammes au croisement de la fuite et du sillon. Sommeil et accoutumance aux rêves pour apprivoiser la terreur et se familiariser avec le règne du sang…

 

 

En deçà de la voix, il y a la nuit – et au-delà, le silence – le signe que les flèches et les tremblements peuvent se convertir en chant – et en aire d’initiation – sur les pierres noires de la terre…

Langage des ténèbres transmutées – progressivement – en nappes de lumière toujours plus fines et légères – de plus en plus transparentes…

 

 

Pas et chemins poussiéreux – presque sans joie – à l’approche du jour. Oublié – ce que nous avons cueilli et ce petit frisson lorsque les visages nous souriaient – lorsque les lèvres nous embrassaient. Oubliés – la course et l’affût – l’attente et la lampe qui éclairait la route et nos yeux terrorisés par l’obscurité alentour…

Vide – à présent – comme doit l’être l’âme. Prêt à revêtir le seul regard possible – le seul regard nécessaire – pour accueillir le monde, la cendre et la poussière qui continueront de régner sur toutes les sentes – sur toutes les plaines – sur toutes les pierres – partout où nous continuerons à vivre – à bâtir – et à nous perdre encore…

 

 

A cheval sur la neige et la faim – sur la brume et le miracle. Engoncé encore dans le labeur et la solitude. Les yeux toujours baissés sur les drames – immenses – innombrables – au lieu de rehausser le regard – et l’âme – vers ce qui brille – serein – au-dessus du monde – à l’abri des lois qui gouvernent les hommes…

 

 

Une ombre – misérable – à demi morte – presque effacée – qui attend quelques malheurs pour se redresser…

 

 

A grands pas – comme les yeux du jour – et la folle sauvagerie du monde sur les pierres où l’ombre se fait – toujours plus – caressante…

 

 

D’un côté à l’autre – comme si le monde, l’âme et l’esprit étaient partagés. Comme si tout s’affrontait – dressé sur deux versants opposés…

 

 

Le jour – la nuit – et le ciel toujours aussi inconnu. Entre le pain et le chahut – entre le silence et la prière – quelques hommes – des milliards en vérité – qui ne sauront jamais devant quel visage s’agenouiller – et qui continueront à se montrer rudes – impitoyables – envers tout ce qui entravera leurs désirs et leurs besoins…

Rondeurs et aspérités intérieures. Quelque chose comme des yeux – une âme – un regard – frelatés par ce qui gouverne le monde, la faim et les instincts…

Le signe évident d’une totale incompréhension…

 

 

Les mains sournoises du temps qui nous font croire à l’ardeur (perdue) de la jeunesse – aux rides que creusent les saisons – et à la mort qui viendra, nous dit-on, cueillir notre âme de la plus juste manière…

 

 

Emportées – la faiblesse, les lampes et les infimes variations – à l’abri derrière le langage. La source, la lie et le regard – brisés par la déroute des âmes…

 

 

Posés ici – au pied d’un mur immense – au milieu de la boue et des larmes – en ce lieu qui ressemble à un marécage (mi-terrestre, mi-souterrain) – prisonniers des gestes et des bruits humains – atroces – terrifiants – détestables. Et la tête dressée au-dessus de la surface – au-dessus du silence qui surplombe le monde – notre détention…

 

 

Nous parlons seul(s) – face au jour vivant – face au soleil – que ne pourront jamais emporter ni les foules, ni la mort. Bras tenant la parole – parole arc-boutée contre l’âme. L’esprit à la pointe de l’édifice bâti à partir des dépouilles abandonnées aux rêves et à la faim du monde…

Au cœur de l’espace suspendu au-dessus de la trame – du tissu tissé de malheurs et d’espoirs – la terre des bêtes et des hommes…

 

 

Approximatif – indéterminé – incertain – éparpillé – et persuadé, pourtant, de son existence. Amas de chair et de rêves. Amas de désirs et de faim. Amas de peurs et d’instincts. Et cette boue dans les yeux qui entrave les retrouvailles avec l’envergure de l’homme…

Visage de poils et de glace. Simple élément du décor – simple élément du monde – quasi désertique…

 

 

Provision de forces pour s’établir au sommet de l’échelle – au faîte des plus – plus loin – plus haut – toujours plus haut – toujours plus loin – à délaisser – naïvement – la certitude des moins – et à retarder la dégringolade et la chute – inévitables pourtant – le socle incontournable de toute forme de balbutiement vers la lucidité…

 

 

Trop de hâte et d’embarras à vivre partout – à vivre toujours – comme s’il fallait continuellement vaincre, s'imposer, édifier et s'étendre – en oubliant le sort du monde – et le sort de chacun – voué(s), tôt ou tard, à la solitude, à la terreur et au dénuement face à la mort – présente partout – présente toujours – prête à s’abattre, à chaque instant, sur les uns et les autres …

 

 

Voyage interrompu et horizon banni – effacé – pour imiter le destin de la pierre – le destin de la fleur – le destin de la bête – cantonnées à leur fonction et à leur territoire – à vivre et à mourir au seul endroit autorisé par le monde et les Dieux. En ce lieu où l’on peut être pleinement soi-même. Humble élément du tout sans autre visée que ses nécessités naturelles…

 

 

Comme un équilibriste perché sur le fil qui traverse les saisons – converti, le plus souvent, en hamac. Quelques pas sans importance – sans impatience – entre le sommeil et les bords d’un bonheur étréci – réduit à l’engraissement du ventre, au rêve et à la léthargie…

Et là – tout près – depuis toujours – le même secret à découvrir – le même secret à partager…

 

 

A vivre sans cesse – à revivre toujours – le même délire jusqu’à la tombe. Mais pourquoi irions-nous nous perdre en des lieux sans rêve – en des lieux où seules les ailes du silence pourraient nous sauver de cet éternel fossé…

 

 

Attente, fièvre et bousculades devant la même lumière. Tempêtes obscures – nocturnes. Loterie de pierres et d’étoiles – de sillons et d’envols faussement salvifiques. Traversée de la même fosse – tantôt abîme, tantôt désert, tantôt ciel inversé…

Vivre – un jour – mille jours – jusqu’à l’ultime où il nous faudra mourir – bien sûr…

 

 

Apprendre, malgré soi, à devenir et à tomber. A mourir – l’âme frêle et sans recours…

 

 

Sentier de sommeil éclairé, parfois, par quelques rêves. Comme un intervalle enchanté dans la léthargie ordinaire – trop coutumière pour n’y voir qu’une effrayante paresse…

 

 

Yeux à demi ouverts – dans la clarté journalière. Mains sur la page – dans les tréfonds du ciel descendu. A contempler, par toutes les fenêtres, le monde et les âmes vaquer à leurs nécessités…

Captif ni de l’Amour, ni du silence. Et moins encore, sans doute, de la liberté acquise…

Une langue – une fleur – seulement – pour exprimer notre état – et s’affranchir de la tristesse alentour. Et aider, peut-être, à résoudre – qui sait ? – la question qui anime ceux que l’on voit s’affairer…

 

 

Visages humains. Passage permanent de la terre à l’infini – à travers les lieux déserts – abandonnés. Mille nulle part sans âme – sans clarté – sans chaleur – sans soleil. Le regard entravé par les lampes et les lunes pour échapper médiocrement à l’obscurité permanente – à l’obscurité excessive…

Entre silhouettes et mirages – entre nuit et fantômes – quelques miracles parfois pour raviver l’espoir et nous faire avancer. Comme si la marche était notre seule issue…

 

 

Si bleus – si vastes – ce ciel au-dedans et cet instant passé – entièrement – à le contempler. Ni homme – ni terre – le même regard expurgé de la mélasse du monde et du temps…

Ni mur, ni espace. Le même blanc – partout – là où tout menace de s’effondrer…

 

 

A rire encore un peu – avant la fin du spectacle. Fin de vie et fin du monde – identiques – pour celui qui pressent le pire…

 

 

Sincère – autant que peut l’être la voix. Ni magistrale, ni secrète. Amoureuse, peut-être, de sa parole – promue (et promise) à l’anonymat…

Chant parmi les labours et les récoltes de la terre. Nécessité parmi les nécessités – ce cri que le monde refuse d’entendre – affairé à ses gains − trop occupé à acheter et à vendre les mille choses du monde…

 

 

Dos au mur – corps encerclé – regard à travers les grilles qui nous font face et nous entourent. Pas de danse – mains sur les hanches d’un Autre. Bagnards reclus. A vivre – à respirer – à copuler et à mourir ainsi – ensemble – les uns contre les autres – les uns sur les autres – les uns au-dedans des autres – comme si la prison était partout – omniprésente – démultipliée – indestructible sauf à regarder ailleurs – à vivre par le rêve – et, plus judicieusement, en plongeant l’âme au cœur des barreaux et l’esprit partout à la fois – au-dehors et au-dedans – devant et derrière – au-dessus et en dessous – dissolvant ainsi l’apparente existence des murs, des cages et des visages pour accéder (illusoirement peut-être) à un en deçà et à un au-delà de la détention et de la liberté…

 

 

Vivre – simplement. Essayer – à peine – sans rien être – ni prétendre devenir – ou défendre – quoi que ce soit. Humble – discret – anonyme. Invisible – inexistant – aux yeux du monde – aux yeux des Autres. Entre rien et presque rien. Un mélange de poussière et d’infini – posé là – présent au cœur du manque, de l’abondance et du miracle…

Ni actif – ni contemplatif. Ni même étonné d’être ici plutôt qu’ailleurs – d’avoir cette apparence plutôt qu’une autre – d’être considéré comme ceci plutôt que comme cela. Pas même surpris de naître, de vieillir et de mourir – et de recommencer mille fois – éternellement peut-être – au bord de l’ignorance et de la vérité – à chercher partout – à chercher toujours – sans rien trouver d’autre que lui-même au cœur du vide et de la multitude…

 

 

Notre attente – si bruyante – du silence – comme si nous ne l’espérions qu’à moitié – craignant, sans doute – de devoir faire taire, en nous, cette âme si bavarde…

 

 

Ça secoue – ça déchire – ça s’effondre comme si l’ardeur et la mort étaient partout – dans le regard et la folie – d’âge en âge – à travers les siècles…

Vieillissements multiples. Et visages, sans cesse, trompés par la nuit et ses lumières mensongères…

Voix et tourbillons soumis au même sommeil – aux mêmes impératifs – aux mêmes catastrophes. Rumeurs lointaines de la moindre chose. Et rêves effrayants qui se ramassent à la pelle…

 

 

Tout frémissant – et les lèvres muettes à force d’attente – à force d’espérance. Le silence au-dedans, peu à peu, transformé, par mimétisme imbécile, en nécessité noire – funeste – inutile…

Il vaudrait mieux rire – et jouer sans fin avec le langage – fustiger les guerres et la nuit – et encenser l’impossible – plutôt que mimer sottement la sagesse…

 

 

Têtes et ongles au-dedans des murs – cherchant (et creusant) partout un espace – une meurtrière – pour poser un regard – un avenir peut-être – au-delà de la fosse et de la détention…

 

 

Lèvres et signes grimaçants – trop rares – devant les horreurs et les boucliers – comme s’il suffisait de fermer les yeux et de se barricader pour autoriser les pires abjections…

 

 

Une chair tenue à bout de bras par l’âme (de l’intérieur, bien sûr) – comme la terre portée par le ciel alentour – comme le monde soulevé ardemment par le silence – présent partout – et accolé, sans doute, à la plus vive ardeur qui compose – et anime – la chair, la terre et le monde…

 

 

Attachés autant (et, sans doute, même davantage) à l’hallucination qu’à l’infini et à la faim de vérité. Question d’évidence et d’apparence. Question de prosaïsme et d’utilité…

Il est – toujours – plus simple de vivre en rêve que de faire face au vrai visage de l’âme et du monde…

 

 

Ce qui s’apparente au mystère n’en a pas fini de nous refouler, de nous dévêtir, de nous malmener. Le secret, en nous, si bien gardé, devra subir mille secousses – mille torsions – mille séismes – pour émerger et devenir une évidence – l’unique perspective à vivre…

Et la seule issue, sans doute, à l’illusion…

 

 

A vieillir entre les rides et la douleur, l’homme, la bête et le monde – l’arbre, l’herbe et la terre. Tous ces messagers qui portent – si haut – la jeunesse et la mort…

 

 

La poésie chante là où le monde enterre ses morts – là où les hommes vivent en cachant leurs secrets – là où le silence devrait tous nous réunir…

Tout est bordé de fosses et d’espoirs – de rumeurs et de cris – d’illusions et d’évidences…

Un peu de vérité dissimulée partout où l’on croit avoir tort – partout où l’on croit avoir raison. Comme si le soleil rôdait au-dedans de l’ombre – au milieu de la nuit – en chaque âme espérante – en chaque âme désespérée – entre les murs – au fond de chaque appel – là où vivent, depuis toujours, les Dieux et les hommes…

 

 

Le monde cerné, peut-être, par mille fenêtres ouvertes – à travers lesquelles brille tantôt le jour, tantôt la nuit. Et derrière lesquelles s’impatientent toutes les âmes…

 

 

La nuit – partout – comme un décor – comme un oracle – comme la source, peut-être, qui enfanta le monde et la lumière. Le point le plus dense des origines qui engendra la peur et la multitude – et le désir d’y revenir par mille chemins anciens – par mille routes nouvelles – sans savoir qu’il nous faudra tout traverser – de long en large – tout amasser et tout disperser pour nous rejoindre – l’âme aussi fraîche et innocente qu’au premier jour…

 

 

Assis – comme ça – par terre – à écouter distraitement ce que dit le monde à propos des Autres, du silence et de la vérité. A glisser, parfois, un mot – en pensée – à celui qui parle sans toujours savoir ce qu’il raconte…

Comme un idiot – une âme simple – une fenêtre parfois – à travers laquelle passe un vent frais et nouveau – délicieusement roboratif ‒ qui n’a jamais l’air d'être ce qu'il est – ni la moindre prétention d’ailleurs – mais qui a suffisamment côtoyé les cris et la solitude pour apprivoiser, en lui – et partout – la part la plus malicieuse du monde…

 

 

On peut bien se persuader d’être ceci ou cela – et arborer ce que l’on aimerait paraître ou devenir – mais qui tromperions-nous à nous déguiser de la sorte…

 

 

Solitude d’un côté – gouffre et périls de l’autre. Ciel au-dessus et terre en dessous. Et grilles un peu partout – encerclés au-dehors comme au-dedans. Et pas un seul visage vivant ; ni le nôtre, ni celui des Autres. Quelque part – endormis – rampants – affairés à quelques rêves souterrains…

 

 

Le soleil – partout – au-dedans et autour du monde. Visage ouvert comme une fenêtre que la nuit n’a jamais effrayée…

Et ça crie ! Et ça geint ! Et ça prie !

Et ça s’affaisse ! Et ça se redresse ! Et ça s’effondre encore !

Et ça recommence, sans cesse, sans jamais trouver ni le rire, ni la vérité (le malentendu de la vérité) – ensevelis, trop profondément sans doute, sous mille couches de sommeils successifs…

 

 

Monde figé – temps arrêté – et l’horloge – imperturbable dans son tic-tac régulier – seule exception au silence retrouvé – au silence alentour – au silence expansif…

Comme une vieille immobilité renaissante – venue perturber l’affairement et l’effervescence naturels – le jeu des masques et des mains qui se cherchent en tâtonnant dans la boue et le noir…

 

 

Une âme pleine d’étrangers et de mondes inconnus…

Une âme fabriquée en série, en quelque sorte, qui ne peut ni s’exprimer, ni communiquer, ni communier – et qui doit se résoudre à la ferveur du monde (et, parfois, à la prière) pour espérer sortir de son trou illusoire…

Un espace – un trou noir, peut-être – gigantesque – muni de parois tantôt opaques, tantôt translucides, d’un fond de glace et d’un grillage par-dessus. Un lieu étrange où il nous est impossible de découvrir et de rencontrer – et si malaisé de vivre, de rire et d’aimer…

 

 

Quelque chose passe que nous ignorons. Et quelque chose demeure que nous ne connaissons pas. Et entre les deux, nous survivons. Une forme, à peine, d’existence…

 

 

Infime – perdu – à deux doigts d’apprivoiser le mystère. D’abandonner l’ignorance pour vivre l’inconnu…

Le destin de l’homme – presque – achevé – prêt pour aller parader du côté des Dieux ; l’homme sans cœur…

A s’agenouiller devant ce qui se tient nu et fragile. A tout recouvrir de silence – et jusqu’aux plus ferventes prières ; l’homme sans tête…

Et nous autres, l’âme toujours aussi implorante…

 

 

Trop enfoui, peut-être, le secret…

A se déplacer alors qu’il faudrait abandonner tout voyage. A amasser mille fragments du monde alors qu’il faudrait se tenir nu et sans possession…

Tout a l’air d’aller de travers – à rebours – à contre-courant du nécessaire. Et, pourtant, rien de détestable – rien d’important, ni même de rédhibitoire. Tout finit par se retrouver et s’assembler – tout finit par arriver de mille manières différentes – des plus convenues aux plus improbables…

L’inespéré – jamais – ne se soucie des chemins empruntés. Seule la main qui se tend – et qui s’offre à la rencontre – fait office de preuve. Qu’importe le lieu – et à qui (ou à quoi) elle est destinée ; la lumière et la nuit demeureront présentes – jumelles toujours – dans l’âme…

 

 

Manque et détresse – partout – mal cachés derrière les sourires et la jovialité – derrière les vies paisibles en apparence – derrière ce qui a l’air commun et partagé autant que derrière ce qui brille (et jusqu’aux plus incontestables réussites humaines)…

Et derrière le manque et la détresse, le soleil invisible – éternel – qui n’aspire qu’à remplacer la tristesse – et le désespoir (si souvent) – par l’ivresse de la grande liberté – et l’incompréhension par la joie de vivre sans rien savoir

 

 

Tout nous invite à sortir de notre chambre – et à guetter le rire – au loin – au plus profond – qui attend nos défaillances – notre abandon – notre acquiescement – pour s’extraire de sa tanière…

 

 

Tout est gris – noir – terne – triste même – et si désespérant parfois – jusqu’à nos consolations – jusqu’à l’arrière-cour de notre regard…

Feu et poussière – morts et chemins. Et cette âme et ce silence, en nous, encore si étrangers…

 

 

Immobile(s) tant que demeurera la nuit…

Et plus tard, peut-être, en plein soleil ; nous verrons alors où se poseront – naturellement – nos yeux…

 

 

Espace sans cadre – visage sans contour – corps sans frontière – avalant et recrachant sa propre chair. Et l’esprit (peut-être) à la fenêtre – hors-champ – ni vraiment proche – ni vraiment éloigné – à la juste distance – toujours – de ce qui a lieu ; des horreurs, des grincements de dents, des égratignures et des déchirures de l’âme, du monde en charpie et des gestes de beauté. Présent – quelque part – quelles que soient les histoires et les circonstances…

 

 

Une nuit – longue – sensible – interminable – où l’or s’écoule en secret – du fond des origines jusqu’à la porte où nous nous tenons – encore trop timides (sans doute) pour la pousser…

 

 

Au fond qu’attendons-nous sinon le silence – et son double extravagant – ce grand rire – né ni de la joie, ni de la désespérance – et moins encore de la nervosité face à l’incertain et à la tragédie de vivre – mais qui éclate – presque sans raison – pour nous signifier que quelque chose, en nous, est incroyablement vivant…

 

 

Tout est trouble – l’air, l’âme, la terre – la vie, la joie, le sommeil. Et rien ne peut tenir debout seul – sans lien – sans étai – sans racine. Tout – pour vivre – doit s’emmêler au reste, à l’espace et au silence…

 

 

Le bruit de l’attente – si longue – si impatiente – d’heure en heure – de jour en jour – de saison en saison. Décade après décade – siècle après siècle – pour réaliser, enfin, que l’éternité ne se trouve – ni ne se réalise – plus tard – à la fin des temps – mais dès à présent – dans l’instant affranchi de tous ceux qui le suivent et le précèdent…

Libre de dormir, de rêver, d’avancer et d’œuvrer à ce que nous estimons nécessaire – essentiel – fondamental. Libre de vivre et de mourir à sa guise. Libre d’aimer ce qui vient – ce qui se présente – sans interdit – sans limitation – le cœur – simplement – honnête et ouvert. Au plus proche de l’homme – et de cet espace, en nous, qui nous rend si humain et pas si éloigné, en vérité, de cet au-delà mystérieux de la conscience

 

 

Tout est noué au silence ; la nuit, l’âme, la tête, le savoir et l’ignorance. Mille blessures – et autant de joies innocentes, parfois, préférables aux affres initiatiques des retrouvailles. Le pire et le sommeil. Ce qui s’agite dans la mémoire. Le rêve, la solitude et le temps. Ce que nous devinons et ce qui s’éveille. Et ce qui restera, sans doute à jamais, introuvable – inguérissable – incompréhensible – autant que cette part, en nous, si profondément tragique et vivante…

 

 

Une ligne – un fil – qui court entre tous les visages – au bord des chemins – de l’ombre à l’infini qui se déploie partout – entre le silence et la lumière – entre la nuit et la poussière. Un œil qui s’ouvre – une main qui passe. Et le ciel, progressivement, moins noir – et la terre un peu plus fertile. Et des silhouettes moins ombragées – un peu moins égarées peut-être…

L’œuvre permanente, sans doute, des âmes et du feu…

 

 

De signes et d’étoiles – ces grandes lumières par-dessus les toits. Et quelque chose d’enfantin et d’animal chez les hommes – qui passent leur vie à jouer, à dire et à rêver par peur de vivre sans doute…

 

 

Comme un visage – un œil – invisible – fouetté par les vents jusqu’à la transparence – pour dévoiler ce reste d’innocence caché derrière la chair et le sang…

Comme un creux – un trou – une béance – dans l’espace où tout finit par être happé…

 

 

Front entre deux portes – entre deux ouvertures – entre deux lumières possibles. Et le vent qui pousse les souvenirs. Et l’esprit qui glisse le long de ses propres parois. Mémoire et monde sans barrière – indicibles – trop haut perchés, peut-être, pour appartenir au règne des nécessités…

 

 

Toujours avec nous – au plus près – ce qui relate et s’insurge – ce qui se révolte et accepte. Entre solitude et innocence – entre exil et presque naïveté – cet esprit fragile – modulable – violent parfois – qui s’échancre là où la douleur est la plus forte – à son comble. Mains et bouches plongées dans l’ordinaire pendant qu’au-dedans se jouent les plus décisives batailles et se réalisent les plus déterminantes rencontres…

Rien d’irréversible, bien sûr, dans cette expérience. Le goût d’un ailleurs, en soi, peut-être retrouvé – l’espace hors du temps – le réel au-delà du monde – et la vie en deçà de l’espérance. Quelque chose de précieux et d’admirable – et d’infiniment ordinaire…

 

 

Tout passe entre nous – comme si nos visages étaient des pylônes en flammes – presque consumés – presque invisibles. Sujets aux exigences du monde – aux caprices des vents – et aux injonctions des hommes – pris dans une danse extatique – d’une beauté redoutable – profondément attrayante (et d’autant plus dangereuse)…

 

 

Poutres, œil et talons – fixés ensemble dans le pas – sur le visage – dans l’espace expurgé de son rôle de décor. Vagues, cris et rumeurs – unifiés en un seul chant – dans la voix de tous les voyageurs…

Chair déroulée sur la liste des noms inscrits au sang sur le grand livre des âmes…

 

 

Quelque chose est là – enfoui – depuis si longtemps dans nos regards apeurés et incompris. Reflets du monde et de la nuit – reflets des fleurs et de l’enfance. En nous – partout – où l’esprit et la chair se rejoignent et plient sous la contrainte. Là où les bruits effrayent ce qui s’abrite au-dedans comme une bête traquée par les âmes…

Fenêtres de la maison tournées vers l’infini que nous n’implorons qu’en paroles et en prières – en vaines postures – et jamais ni en gestes, ni en actes – dans la réalité du vivre et de l’expérience…

 

 

Rien – poussière et images dans l’œil converties en film et en histoire. Récit mythique et mensonger nécessaire, sans doute, pour donner à l’esprit l’illusion d’échapper au néant…

Rêve préféré au vide. Et souffrance préférée à l’inexistence. Ainsi procède, en nous, ce qui tremble devant ce que nous ne savons (encore) nommer…

 

 

Tout est seul – et s’est réfugié derrière la peur. Comme si la vie était un froid à ressentir – un enfer à traverser – avec mille monstres – partout – au-dehors comme au-dedans…

Mille frontières pour délimiter et séparer ce qui semble s’opposer et se contredire. Mille barrières pour se protéger – en vain – de ce qui nous hante à l’intérieur. Possédés avant même que naisse l’élan d’amasser ce qui ne pourra jamais nous libérer. Prisonniers jusqu’au fond de l’abîme – jusqu’au fond de l’âme. Et si libres, pourtant, dans cet enfermement illusoire et apparent…

 

 

Rien – ni monde, ni chemin – le silence peut-être – quelques heures, quelques pas, quelques mots – mille gestes dérisoires, en somme, pour se prouver que l’on est, malgré tout, provisoirement vivant…

 

15 février 2019

Carnet n°173 Lignes de démarcation

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Cendres du monde. Visage d’homme. Douleur et cris de l’âme. Jeu, peut-être, dans la poitrine des Dieux – entre guerre et fardeau – avec ses mille cargaisons de souffrances et de morts inévitables…

Lèvres apaisées au milieu de l’automne. Ni soif, ni délire. Un peu d’asphalte encore à parcourir. Et des milliers de pages à écrire. Loin des troupeaux – et prêt à mourir. Allongé déjà au cœur de la solitude et du silence…

 

 

Bruits de chair mutilée – égorgée – arrachée. Œil solitaire jusqu’à l’explosion de l’espace. La pluie intérieure jusqu’au débordement des veines. Amas de lambeaux sur la terre. Et le silence au-dessus de la vie planétaire…

 

 

Voûte, vent et frissons. La simplicité du regard sur les combinaisons de matière. La grâce et l’ampleur, en somme, qui n’interdisent ni la violence, ni la passion…

 

 

Paroles libres. Poésie non poétique, en quelque sorte. Rude – abrupte – jusqu’à la sauvagerie parfois. Incohérente. Iconoclaste sans doute. Indélicate peut-être – qui allie la tendresse et la fureur – le mystère et le plus ordinaire…

 

 

Mille images fragmentées du même visage. Le silence – en lui-même – excavant toutes les anfractuosités de l’homme pour ne laisser, en définitive, qu’un rire sur à peu près rien – le vide – pas tout à fait néant – né d’un effacement progressif et d’une incertitude croissante en vivant de plus en plus éloigné (géographiquement) et de plus en plus proche (par l’âme) des êtres et des choses – que nous continuons d’appeler ainsi pour ne pas être (totalement) incompréhensible…

 

 

Dans nos histoires, au fond, qu’y a-t-il à comprendre sinon l’inexplicable – qu’y a-t-il à exprimer sinon l’indicible – et qu’y a-t-il à désirer sinon l’inespéré…

 

 

Mouvements multiples – entre frontières et infini – âmes et figures – semés partout – et plongés (malgré eux) dans l’ardeur, les cris, la peur, la colère et le refus – hantés (toujours) par le désir et l’ambition – et cherchant, à leur insu (et inconsciemment le plus souvent), dans cet infime repli de l’univers, leur identité – un peu de sens – ce que l’on pourrait appeler l’Absolu qui prend les traits, en ce monde, de l’Amour et du silence – comme les deux versants du même visage – le premier extraordinairement généreux – accueillant – hospitalier – et le second – froid – impassible – glacial – incroyablement détaché des choses du monde

 

 

La vie et le monde – violents – terribles – aux allures cruelles et sans pitié parfois – lorsque le visage, fragile et isolé, doit y faire face dans la solitude et la terreur… Et merveilleux – grandioses – incroyablement inventifs – si miraculeux – lorsque les yeux savent glisser vers le regard et que l’âme est capable de s’effacer – et de plonger sans exigence dans leurs profondeurs…

 

 

Nous ne possédons rien ; qu’un peu de sang et de rêve pour aller de par le monde. Et ces bagages s’avèrent, en définitive, les pires qui soient…

Mieux vaudrait aller nu(s) – et plus encore – se tenir immobile(s)etattendre que tout nous traverse et s’efface…

« Être traversé, bien sûr, mais comment pourrions-nous retenir le monde ? » s’interrogent les hommes…

« Erreur ! Erreur fondamentale ! » s’écrit le poète – l’homme sans visage. Pourquoi vouloir amasser les objets, les visages et les paroles… il faudrait – plutôt – inverser les yeux comme les sages retournent leur main – paume vers le ciel – en laissant les choses aller à leur guise, s’arrêter ici et là et poursuivre leur chemin…

 

 

Malgré la fin apparente, tout continue ; les flots, les flux, les vagues et le vacarme. Les malheurs, la tristesse, les déroutes – toutes les mésaventures. Le monde, la terre, le ciel, la vie et la mort. Bref, l’illusion – toutes les illusions – dans lesquelles sont plongées les têtes et les âmes…

 

 

Tout vacille – les jointures tremblent – les frontières se délitent – les territoires se superposent – et finissent par disparaître…

Fin des dogmes, des idées et des croyances. Fin des chimères et de l’illusion…

Et, pourtant, rien n’a changé – ni le monde, ni l’âme, ni le visage. La chambre étroite de l’esprit a – simplement – repoussé ses murs de quelques millimètres – et autorisé la lumière à ouvrir une brèche là où les briques étaient autrefois impénétrables…

 

 

Vents plus violents et plus féroces. Doutes et incertitudes exaltés. Comme le silence et la douleur d’être au monde. Quelque chose, de toute évidence, s’est rompu – même si – partout – demeurent la résistance et le refus…

 

 

Simples sifflements, sans doute, dans le grand corridor de l’espace…

Continents en déperdition. Territoires, en partie, désoccupés et anéantis. Sable arraché aux mains qui s’efforçaient instinctivement de construire des édifices magistraux – inutiles – inopérants pour survivre au désastre – à la catastrophe de l’explosion…

Pas même certain d’exister – à présent – en ce lieu qui n’est, sans doute, qu’un autre nulle part…

 

 

Sans aire – sans fondation – à errer plus encore sur cette terre déguisée en rêve…

 

 

Peau contre peau – comme si la solitude et la douleur pouvaient être atténuées par un semblant de proximité…

 

 

Porte fermée depuis trop longtemps pour espérer être sauvé par un air frais – par un air nouveau. Voué à un confinement qui finira par nous faire mourir avant d’être capable de découvrir l’ampleur de l’espace alentour…

Triste destinée, en somme, où le monde se réduit à un étroit labyrinthe de galeries souterraines…

 

 

Cris qui ressemblent à des murmures lancés dans la fureur apocalyptique du monde. Bruits – à peine – dans le tumulte et le tapage. Crissements et chuintements dans le chaos braillard…

 

 

A la recherche de tout – et, en particulier de réponses et de remèdes – de guidance et d’accompagnement – pour tenter d’échapper à la misère et à la solitude – à cet admirable inconfort du vivant – que les hommes, en général, imaginent indignes – incompatibles avec l’existence humaine – et qui constituent, pourtant, les fondements nécessaires à toute quête authentique…

 

 

Au seuil – bientôt (et, sans doute, depuis quelque temps déjà) d’une frontière qu’il nous faudra franchir – de manière individuelle et collective – pour aller au-delà de l’animalité humaine… Avec au fond de l’âme – au fond de chaque âme – l’avenir du monde en jeu…

Ligne de démarcation incontournable où se joue, dès à présent, le destin du vivant…

Ainsi – l’univers terrestre pourrait devenir incroyablement oppressif – mortifère – apocalyptique – invivable en somme (et d’une manière bien plus terrifiante qu’aujourd’hui) si nous ne parvenons à nous affranchir de nos impératifs instinctuels ;

En revanche, si nous réussissons progressivement à les transcender, pourront se dessiner, de façon presque certaine, une perspective et une organisation naturelles tournées vers le respect et la solidarité – vers la simplicité et le partage – vers la sensibilité et l’intelligence – et érigées dans la conviction commune et personnelle d’œuvrer pour le Bien de tous et de chacun…

Bref – toute une histoire à écrire (la suite, bien sûr, de ces milliers de siècles dérisoires et, si souvent, ignominieux – préparatoires en quelque sorte) pour que puissent enfin émerger – et régner – l’Amour et le silence malgré les impasses, les mauvais tournants, l’inertie du monde et l’indétermination des foules qui ont toujours entravé la grande aventure terrestre

Et l’écriture – nos pages – sont comme une brique infime – presque entièrement – dédiée à ce franchissement…

 

 

Moins de paroles – et plus de gestes et de sourires. A la fois torche et miroir qui déroberaient aux yeux leurs ombres…

Plus proche de l’arbre que du livre. Plus proche de la pierre que de l’idée du ciel. Plus proche de l’Autre que de l’image d’un Dieu inventé de toutes pièces…

Mains lentes – vouées à des activités simples et élémentaires – infiniment nécessaires. Et l’âme docile – joyeuse – consentante – pour offrir à la terre, aux bêtes, aux arbres et aux hommes la joie, le soleil et le silence qu’ils cherchent (et réclament) depuis la naissance du monde…

 

 

[Mécanique de la destruction et de l’effacement]

Eradication des frontières et des territoires. Et disparition – progressive – du visage au profit de l’espace et du silence – incarnés par une âme libre et consentante – aux lèvres et aux gestes sans maître – sans impératif – sans exigence…

Le cœur désossé – élargi – et transformé en aire d’accueil…

Ni terrestre – ni divin. Simple, infime et imperceptible élément de l’infini. Invisible, désintéressé et impersonnel comme tout ce qui, en ce monde, est – et sera toujours – essentiel…

 

 

Au bord de l’effondrement – toujours – jusqu’à ce que tout s’affaisse et nous abandonne…

La mort implacable, en quelque sorte, après le rêve…

 

 

Sans bruit – comme un passager discret que rien ne rebute. Ni le feu, ni le monde, ni les choses. Bien plus solide au fond de l’âme qu’en apparence. Prêt à supporter la nuit et toutes les épreuves du sommeil…

 

 

Espace et vents – légers et recouverts de matière lourde – obscure – qui donne aux silhouettes cette allure si lente – inerte – presque immobile – et dont tous les allants ne sont que des sursauts enfantés par la faim…

 

 

Existence et masque. Lumière sans obstacle en dépit de la densité et des profondeurs…

 

 

Un peu d’effort pour humaniser la difformité – la monstruosité qui sévit dans les tréfonds. Vernis qui se craquelle au moindre geste – terrifiant et soumis, lui-même, à la terreur…

Âmes et étoiles alignées sur le même mensonge – sur la même illusion…

 

 

A mi-chemin entre l’origine et la fin – les yeux fermés – dociles – pas même conscients de l’abstraction du temps…

 

 

Au fond, qu’offrent donc au monde un visage – une œuvre – un destin – anonymes…

Sans doute, le même service (et le même bénéfice) que la pierre, l’herbe, l’arbre et la bête ; cette grâce incomparable dans laquelle tiennent – tout entiers – la terre, le ciel, les Autres et le silence ; le charme irremplaçable de ce qui sait vivre dans la discrétion – en infime miroir de la plus haute lumière…

 

 

Comment refuser cette voix qui s’impose entre l’âme et le silence – portée sur la page par la main fidèle – loyale – docile. Feuilles et paroles sans nom – et sans visage – offertes comme la beauté des pierres et des fleurs – et comme la splendeur des arbres – plongés – tout entiers – dans leur labeur généreux et désintéressé. Discrets et sages – humbles et aisément remplaçables. Eléments essentiels dans le grand ordre du monde – et inscrits dans la seule perspective possible…

 

 

Constant comme le soleil qui illumine les parcelles du monde – à intervalles réguliers. Immuable à travers le temps – découpé en jours et en saisons. Présence perpétuelle pour éclairer la marche incessante des bêtes, des hommes, des âmes et des astres…

 

 

Souffle pressé – et oppressant – haletant – dévalant les pentes comme l’eau des torrents – à courir à perdre haleine là où il faudrait ralentir – arrêter sa course – et demeurer immobile – pour pouvoir goûter – pieds croisés et mains jointes devant soi – la grande sérénité – le grand silence – à l’arrière – et en surplomb – des passages…

 

 

Négligées la voûte et la courbure de la cavité où nous nous tenons. Surface plane – presque lisse – où chaque aspérité a été – soigneusement – rabotée – et où chaque anfractuosité a été méticuleusement – comblée par un faux silence – par une certitude bancale – apocryphe – ou par un fragment de monde qui ressemble – étrangement – à un ingrédient d’un bonheur – artificiellement – fabriqué…

 

 

Un visage, un jour, un instant, un nom – mis à nu. Elevés, rabaissés, puis rehaussés. Sans miroir, sans appui, sans reflet. Quelque chose qui ressemblerait à un envol et à un effondrement simultanés…

 

 

Une âme seule – délivrée des paroles et des promesses – libre des choses et du monde – prête enfin à devenir le reflet – presque parfait – de l’Amour et du silence…

 

 

Sans passé – sans futur. Ni trop tôt – ni trop tard. A présent – là où l’instant se substitue au temps…

 

 

Voix qui palpite. Paroles en guenilles. Dénudées par ce long chemin qui borde les murs du monde. En retrait – en exil – pas totalement fantômes. Fraîches encore et livrées par des paumes vivantes – incroyablement vivantes. Solitaires, bien sûr, comme l’exigent les circonstances. Entre peine et fatigue – et prêtes, pourtant, à s’exposer au monde – et à nager à contre-courant de la pensée imbue de certitudes…

 

 

Choses apparentes posées sur le seuil – en travers de la porte – comme pour obstruer le passage vers l’infini et les profondeurs. Reflets – simples reflets – d’un monde intérieur – faussement démultiplié par le prisme mensonger des yeux – et tous les miroirs que forment les visages du monde…

 

 

Versant sombre – et son opposé – toujours – vénéré dont l’accès, pourtant, traverse toutes les ténèbres…

 

 

Ce qui se différencie en apparence – se ressemble sur l’autel du silence – dans le tabernacle sans dogme

 

 

Mains et visages du même seuil – franchissable par l’enfance jointe à l’infini…

 

 

Existence sans l’ombre d’une promesse – sans désir – sans horizon. Pieds là où le monde s’est éloigné – légèrement au-dessus de l’affairement. Vie immense – sans frontière – et sans littoral – où chaque pas s’entreprend loin du rêve – quelque part – au-delà du franchissement. Au plus près, sans doute, de l’accueil – incarnant cette forme de virginité innocente que les hommes prêtent – confusément – à Dieu…

 

 

La parole – le poème – tels qu’ils se vivent au plus profond de l’âme – à l’égal de la vie apparente – qui ne représente qu’une part infime de l’infini éprouvé…

Le reste – ce qui ne s’écrit pas – s’apparente, bien sûr, au vécu indicible et impartageable…

 

 

Une embrasure au-dedans qui révèle la faille à convertir en espace – en ouverture – en expérience consciente…

 

 

Remuer l’obscur jusqu’à la transparence pour que le visage devienne une surface invisible – un sourire discret – prêt à embrasser l’inexistence du monde…

 

 

Tout creuse la blessure et le rêve pour ôter ce qui nous encombre. Il n’y a, sans doute, d’autre manière de s’effacer…

 

 

Des naissances et des morts qui, en vérité, dissimulent la continuité des choses – sans cesse assemblées et désassemblées – aux formes différentes en apparence mais à l’origine et à l’essence communes. Eléments du même mythe – du même rêve – de la même réalité – transformables à l’envi – à l’infini – selon les exigences téméraires – et encore si mystérieuses (parfois) – du silence…

 

 

Fidèles à nos pas – à notre âme – le jour et la nuit. La colère de l’enfant. Les desseins du ciel. Tout ce dont nous avons besoin pour être des hommes

 

 

Tout a l’air d’exister mais, au fond, que savons-nous du monde – des êtres et des choses – pour dire ce qui relève du mythe, du rêve ou de la réalité…

 

 

Aussi simples – vivants – réels – que la pierre sur laquelle nous nous tenons. Auréolés, comme elle, de ce mystère exalté par le silence et l’ignorance de notre condition…

Le visage blotti contre notre solitude pour avoir l’air moins seul(s) que notre âme…

 

 

Saisons tristes sur cette terre oblique – éclairée par un soleil trop lointain…

 

 

Mémoire trouée où se déposent – et se dispersent – le sable du monde et le temps. Où les souvenirs meurent comme se retrouve tout ce qui est né ; étoiles, honte, désastres – sang, visages, désirs – soulevés par les eaux – traversant toutes les frontières – vulnérables – miraculeux – à chaque instant sauvés par l’éternité…

 

 

Ces vieilles mains – fripées – miraculeusement survivantes – qui dessinent, à travers le jour, l’esquisse d’un monde nouveau sur les ruines de l’ancien – pas encore totalement disparu…

 

 

La soif, l’ombre, les murs, le bout de la rue. Quelque chose aux allures de statue – d’oiseau perdu – et de mains consentantes en quête d’approbation. Le jeu, au fond, dans lequel se perdent tous les hommes…

 

 

Une vie – comme une nuit entière à traverser – un voyage immobile – l’âme à l’arrêt devant le même passage – obstrué par le désir et la mémoire…

Et l’esprit frustré – rampant et se contorsionnant pour essayer de se faufiler dans la moindre brèche. Anfractuosités et impasses seulement…

 

 

Solitude de la chambre et du monde. Beauté de l’âme et du monde. Espace et passage de la lumière et du monde. Où que nous soyons, le monde est présent – tantôt en nous – tantôt devant nos yeux…

Et nulle part où s’enfuir…

 

 

Tout se détourne – les yeux – les visages – les âmes – le monde – sont ainsi faits ; ils piochent – usent et se retirent…

Et lorsque tout a déguerpi – lorsque tout a pris congé – ne demeurent que le silence et l’Amour…

 

 

Les contours – à présent – se confondent au reste. Les frontières migrent – se dispersent. Les territoires s’élargissent – se déforment – se transforment. Tout devient pierre, sable, temps, visage – monde, jour, ultime amalgame – amas d’âmes et de sentiments – mille usages de soi et des Autres – étoiles se hâtant et vents compromettants – terre et ciel déclarés – misère épaisse et mystère opaque. Rien d’autre, en somme, que ce que nous croyons être…

 

 

A vivre – concomitamment – la goutte et l’océan. La source et le torrent – la pluie – les marécages – et le sol craquelé dont la soif ne sera jamais assouvie…

 

 

Ni réel, ni monde. Des yeux sur ce qui ne peut être qu’un rêve étrange. Une construction incertaine – hésitante – édifiée par l’âme et la mémoire pour tenter d’échapper au vide et à la folie…

 

 

Nommer la nuit – le trouble. Voilà, peut-être, notre seule ressource. Une manière de ne plus souscrire – entièrement – à l’enfer du monde. De refuser d’en être la proie inconsciente ou la victime résignée…

 

 

La nuit – partout – aussi intranquille que le sommeil. Des pierres, des âmes – mille songes. Tête contre tête – dos contre dos – à prédire des temps impossibles – à construire des frontières et des murailles. Des yeux fermés – incapables de remettre en cause les fondations et les limites de leur univers. Trop timides – et trop lâches sans doute – pour sortir de leur chambre décorée par quelques étoiles posées ici et là – à la portée de toutes les mains…

 

 

Empreintes éparses – course immuable. Comme le soleil et la douleur des jours. Un voyage sans élan – vague – indéterminé – à la destination constante et au destin variable. Le monde devant soi – et notre envergure – à découvrir…

 

 

La beauté et l’humilité des anonymes – et de l’invisible – frères de pierre et de ciel – frères de terre et d’envol – qui, comme nous, voient dans l’herbe, l’arbre et la bête la preuve de Dieu et de notre – si évidente – parenté…

Quelque chose de silencieux dans le bavardage – quelque chose d’étrangement calme dans l’affairement – qui donnent à tous les champs de bataille cette allure si acceptable…

 

 

Cendres du monde. Visage d’homme. Douleur et cris de l’âme. Jeu, peut-être, dans la poitrine des Dieux – entre guerre et fardeau – avec ses mille cargaisons de souffrances et de morts inévitables…

 

 

Lèvres apaisées au milieu de l’automne. Ni soif, ni délire. Un peu d’asphalte encore à parcourir. Et des milliers de pages à écrire. Loin des troupeaux – et prêt à mourir. Allongé déjà au cœur de la solitude et du silence…

 

 

Feuilles – fragiles – noircies – sans maître. Entre larmes et soleil – entre terre et silence. Comme discret contre-poids au temps et à l’errance…

Farce espiègle devant l’affolement des visages. Un espace sous la lampe. Un abri pour les yeux affranchis du monde et des promesses…

Le seul horizon possible pour l’homme devenu (presque) poète malgré lui. Et source nourrissante et intarissable, peut-être, pour les exilés et les solitaires…

 

 

Gorge nouée devant la mort – devant la neige et la férocité de l’hiver. Mains, joues et âmes froides – manœuvrant avec peine sous la densité de la pluie et de la douleur – à creuser vaille que vaille la glace comme si les tréfonds du monde recelait un (incroyable) trésor…

 

 

A arracher à mains nues – en marge de l’horizon – ce que nous usions comme de vieilles pelures…

Découvert – à présent – ce que nous cachions si maladroitement…

 

 

Nul devant et nul derrière. Une vitrine transparente qui ne laisse voir que peu de choses – presque rien, en vérité ; la moitié d’un visage dévoré par le temps – un sourire discret – et un œil lucide au-dessus de ce qui tremble…

 

 

Mort éparse – autant que l’innocence. Vivantes – l’une et l’autre – sur la couche supérieure du monde – la plus visible – et dans ses plus lointains tréfonds – à l’abri des regards sans curiosité. Présentes aussi dans l’âme – partout – de haut en bas – pour remplacer la soif et le chagrin…

 

 

Le regard a remplacé le sommeil à la fenêtre. Dedans et dehors – devant et derrière – ont perdu leur consistance. Le vent a repoussé les frontières – les a usées jusqu’à les faire disparaître. Ne reste pas même un cri – pas même un étonnement. Rien qu’un grand ciel léger sur les cris qui montent des rives du monde. Rien qu’une main qui creuse – toujours – le même sillon. Et des lèvres pour enfanter mille paroles-soleil…

 

 

Le monde – traversé par mille chemins de pierre qui donnent à la terre cette couleur de poussière – et aux pas cet air si funeste. Horizon et silence – toujours – trop lointains. Et cette fatigue sur nos silhouettes harassées par le voyage et la proximité des visages. Bêtes de somme, en quelque sorte, frappées jusqu’au sang – et portant comme une croix – comme une malédiction – les triomphes et les conquêtes des siècles. La tête embrouillée – le corps maigre et l’âme servile. Tournant – tournant – et tournant encore – dans cette fosse sans espoir – abandonnée des Dieux – livrées à la soif et aux instincts – jusqu’à la mort (qui ne sera pas même vécue comme une délivrance)…

 

 

A devenir ce que l’esprit déplore – ce que nul œil ne peut voir – ce que nulle oreille ne peut entendre…

Egorgeur de temps et débâtisseur de murs. A tout convertir en silence – cierges, prières et sépultures – morts et vivants – gestes et paroles. Immobile sur le rebord du monde – tantôt à accueillir – tantôt à balayer – les larmes et la sueur (inutiles) des Autres. Mains sur la neige – mains sur les rêves – oublieuses de leurs anciens instruments de torture. Et l’œil comme une lucarne posée à la frontière des pierres et des nuées. A chanter l’Amour – à chanter la joie – et à transformer le langage en exercice d’éveil pour rétablir la présence en ces contrées où le sommeil – encensé partout – est la seule loi des âmes et des visages…

 

 

Notre visage suspendu au-dessus de toutes les tranchées comme si nous pouvions échapper aux retraits – et aux départs – de l’automne. Comme si nous pouvions retenir plus longtemps cette ardeur des premières fois – des premiers jours – des premières rencontres. Comme si nous pouvions – indéfiniment – puiser dans la glaise et la boue pour nourrir notre élan…

 

 

A contre-cœur – là encore – comme toujours – cerné par la beauté, le silence et ces bouches affamées – que ni le sang, ni la mort n’effraieront jamais. Seul – d’instant en instant – à fouiller dans la langue et le sable – sous toutes les pierres du monde – pour échapper aux lois des hommes…

 

 

Âme suspendue à une corde qui se balance – indéfiniment – entre les rives trop lointaines du monde et du silence. Condamnée à la patience – et, un jour, à tomber…

 

 

Paisible sur la roche grise – en surplomb des vies et des sourires. A contempler d’un œil malicieux – et avec l’âme encore triste parfois – le miracle et l’indifférence. Vie, paysages et silence – herbes, visages et bêtes – traversés par la soif. Les fugues, les passages et les dérives. Bref, les mille petites choses du monde

 

 

Tout est là – et, pourtant, tout semble nous manquer…

 

 

Comment être plus proche du monde sinon en le laissant entrer – pleinement – dans l’âme. Et vivre ainsi – au cœur de chaque chose – au cœur de chaque visage. Devenir la part qui manquait aux uns et aux autres pour que chacun puisse goûter la complétude…

 

 

Blessures – parfois guéries – miraculeusement sans doute – par le jour qui nous traverse…

Course achevée dans les bras – immenses – généreux – intensément réconciliateurs – du silence…

 

 

Tout nous frôle et s’éloigne. Ainsi passent la vie et le monde. Et nous autres, si occupés à assouvir notre faim – à avaler tout ce qui s’approche – que nous ne voyons jamais ni le miracle, ni la possibilité de la rencontre…

 

 

S’exercer à devenir le poids (infime) qui manquait au vide pour être vivant…

 

 

Tout se poursuit, bien sûr, sans jamais s’atteindre. Vents rageurs à nos pieds endurcis. Âme, voix, peau – vague mélodie – vagues pas dansants. Tout vient à nous – nous traverse subrepticement. Fantômes du réel inconnaissables sans la proximité et la rencontre nécessaires. Emotions fugaces – et frissons provisoires – seulement…

 

 

Sans doute, sommes-nous trop frêle(s) pour endosser le poids – et la voix – de l’ombre… Sans doute, refusons-nous – trop systématiquement – ce qui pourrait rompre notre intimité avec le silence… Peut-être ne sommes-nous plus totalement humain(s)…

Une tête parmi les autres – seulement – qui a l’air d’exister – et de ressembler à celles qui peuplent toutes les foules. Une âme parmi les autres qui n’a encore fait le tour de la question de vivre – et qui demeure – toujours aussi démunie – face au monde et à la solitude…

 

 

Sans voix, ni solution – devant l’imminence de la catastrophe qui menace – si intensément – la terre, le monde, le vivant et l’humanité – privés, depuis toujours, de paix, d’Amour et d’intelligence – de pardon, de réconciliation et de poésie…

 

 

Découvrir, derrière le drame, la trame univoque – et, derrière les noms, le même silence. Le secret des ombres et des danses. La nuit, la mort et l’enfance. L’innocence sous les couches les plus hideuses qui donnent à nos gestes et à nos visages des airs effroyables et monstrueux – épouvantablement inhumains…

 

 

Mille naissances pour que le cœur apprenne à se sentir moins seul – et puisse combler l’espace qui le sépare de la tête et du monde. Mille existences pour que s’opèrent toutes les transformations nécessaires à la naissance du rire et de l’homme. Et mille chaos et mille déchirures avant de pouvoir devenir (presque) pleinement ce que nous sommes ; un espace de silence, d’Amour et de contribution…

 

 

Nous sommes nés – mais que savons-nous du mystère, de l’origine, du voyage et des mille destinations possibles…

 

 

Passant – courant à perdre haleine – pour s’éprendre de mille choses et de quelques visages sans voir – en soi – l’abîme à combler par son propre Amour – parson propre regard

 

 

Amis du souvenir et du temps – toujours prompts à créer un avenir – mille chimères supplémentaires – qui ne connaîtront que la gloire (infiniment provisoire) des aiguilles – et la folie (permanente) des horloges – et qui, sans cesse, repousseront l’éternité à plus tard – et, sans doute même, à jamais…

 

 

Une main, un visage, un souffle, un soleil. Le seul matériau de la page – avec un peu d’encre et de sang séchés. Et ce grand sourire qui côtoie l’Amour et le silence…

 

 

Eprouver la crainte et le vertige des hauteurs. Le pas hésitant entre la joie, le ciel et l’abîme – sur le fil qui traverse le monde. Tête à proximité des étoiles et des cloches qui sonnent à la volée. Et l’âme entre la pierre et l’innocence…

Voyage d’une seule vie – d’un seul jour peut-être – qui doit pour nous faire découvrir l’essentiel ôter ce qui ne pourra jamais, avec nous, rejoindre la mort…

 

 

A la rencontre de tout – de soi – sur ces pages où l’âme et le silence sont les seuls interlocuteurs. Entre l’aube, le ciel et les visages – le monde intérieur – inconnu – inexploré – qui se révèle, chaque jour, par fragments. Bouts de roche – bouts d’âme – bouts d’esprit – bouts des Autres – qui en nous pèsent toujours trop lourds – et qui deviennent en se déversant sur la page des torches – d’infimes flambeaux peut-être – nécessaires pour éclairer les yeux et la route qu’il nous reste à parcourir…

 

 

A guetter la joie, le monde, l’Autre, l’amour et la mort comme si vivre consistait – essentiellement – à attendre…

 

 

Quelque chose, à chaque instant, s’enfuit. Et il nous faut ouvrir les yeux pour donner à la perte et à la tristesse leur contre-poids de joie…

Ainsi, un jour, tout pourra nous quitter ; l’espace et le silence, en nous, seront assez présents – et suffisamment puissants – pour transformer le vide et l’abandon apparent en plénitude…

 

 

A écrire, chaque jour, quelques mots – comme d’autres chantent sous la douche ou jouent avec leurs enfants. Ni vraiment loisir, ni vraiment labeur. Une manière d’être au monde – présent à l’autre et à soi-même…

A marcher pendant des heures parmi les grands arbres de la forêt. A offrir, à la moindre occasion, quelques paroles aux pierres, aux fleurs et aux bêtes auxquelles presque aucun homme ne prête attention…

Solitaire autant que peut l’être l’âme. Proche de ceux dont le langage n’est constitué de mots…

Humble auprès des humbles. Et infiniment spéculaire avec l’ignorance, la bêtise et la prétention. Fraternel – toujours – dans l’échange authentique – lorsque les masques et les mensonges ont été abandonnés…

A aller ainsi sur la page et les chemins de la terre – avec l’esprit plongé (autant que possible) dans le silence et l’Amour qui font, si souvent, défaut aux hommes…

 

19 décembre 2018

Carnet n°172 Matière d’éveil – matière du monde

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Ici et ailleurs – l’hiver et le silence. La parole bleue qui émerge au-dessus du monde et des siècles. La mémoire fendue – cisaillée. Les souvenirs éparpillés – à la dérive. Et l’esprit vide – vif – brûlant – aiguisé – autant que l’âme est prête à aimer ce qui lui est offert…

Tout se mêle aux feuilles et au silence. La terre, les arbres, les visages et la pluie. Les saisons et l’enfance. Le feu, les armes et les instincts. Les miroirs et la beauté. Ce qui fait de nous tantôt des bêtes, tantôt des hommes. Ce qui demeure au fond de l’âme – l’Amour et la liberté des premiers pas. L’origine du temps et des âges. Le ciel, les rives et le soleil. Tout ce qui vit à travers nos gestes et nos pages. Tout ce qui se tisse au milieu de soi et du monde…

 

 

A attendre ici que tout s’en aille – que tout se défasse. A veiller sur cette voix et ces jardins noirs au fond desquels les vents entassent les peines…

Que sommes-nous donc devenus… La moitié d’un visage sans doute – quelques larmes – un peu de tendresse – parmi tous ces bruits – encore tapis dans la nuit. Mille regrets peut-être – à fouler le désespoir. Mille gestes offerts à tous les passants – à toutes ces ombres bruyantes – et, si étonnamment, fraternelles face aux dangers du monde…

 

 

Tout se referme sur nos pas. Vents, clameurs, solitude. A marcher en silence parmi tous ces bruits. L’âme à l’affût – prêt à embrasser ce qui demeure derrière le monde et la tristesse…

 

 

Errer encore là où il faudrait se tenir immobile. Muet malgré le feu et la lumière lointaine. A hurler en silence sans savoir – ni même deviner – combien de temps durera l’attente – ni de quoi elle sera constituée…

 

 

Un départ – mille départs – pour ne croiser que des fantômes – et ne visiter que des lieux désolés…

 

 

Se sentir mort – bien avant la tombe. Inexistant en ce monde – aux yeux de tous les Autres qui n’ont su se résoudre à la défaite – ni au désastre annoncé partout…

 

 

Tout s’accumule jusqu’aux plus étranges maléfices à l’envers du cercle où nous nous tenons…

 

 

Peines, fardeaux – chagrins inconsolables. Illusion infatigablement présente – et éternellement recommencée. Portes et âmes qui s’ouvrent en grimaçant. Personne à la ronde. Un silence peut-être. Quelque chose comme une permanence – et les bruits du temps – le passé emporté par mille bourrasques. Les tourments plongés au fond des eaux – au cœur de l’ombre reflétée par les chemins. L’allure hors du monde – comme si nous étions le premier homme – le premier visage à se libérer du rêve…

 

 

Marginaux – comme les exilés et les poètes – ces vagabonds qui arpentent les grands espaces comme si la terre leur appartenait – comme s’ils pouvaient traverser – indemnes – tous les périls du monde – comme s’ils vivaient – éternellement – dans la faveur des Dieux…

 

 

Nous sommes tous porteurs des mêmes cicatrices. Boursouflures gonflées par l’existence et la fréquentation du monde. Victimes humiliées – exilées parmi la foule – qui n’auront su se présenter nues – viscères à la main – l’âme encore trop dépravée – trop corrompue sans doute – pour s’offrir sans retenue…

 

 

Ce que nous disons – ce que nous essayons de dire – n’est, sans doute, que la tragédie du monde – privé de sagesse et de silence…

 

 

Sève et sang. Eclaboussures de l’âme. Quelque chose aux relents d’hier lorsque la barbarie enfantait partout le malheur. Aujourd’hui, taris. La cruauté pénétrée par la beauté et la lumière. Comme le seul pari possible pour s’affranchir de l’ignorance et de la haine…

 

 

Obstination forcenée – malheureuse – à renaître, à revivre et à recommencer. Récurrence entêtée – acharnée – pour découvrir le silence et la beauté…

 

 

Moins d’allant que ceux qui parcourent la terre et le ciel en quête du jour – en quête de territoires plus hospitaliers. Un repos. Une tête assoupie – lasse du monde et des hommes – lasse de toutes ces voix qui s’interpellent en feignant le savoir et la connaissance. En attente, peut-être, d’un soleil moins factice – d’une sagesse plus réelle – d’un silence entièrement pénétrable…

A veiller depuis mille siècles sur la même rive sauvage – seul au milieu des broussailles – à contempler le vent et cette eau qui ruisselle sur les pierres chantantes…

 

 

A se taire – bien au-delà de la raison. En plein silence – où ce qui se sent étranger ne l’est que par son absence…

Quelque chose comme une lumière, un élan, une présence. Un paysage, une berge, un arbre, un visage. N’importe quoi pourvu que cela nous soit familier

 

 

A se jeter partout – dans la vie et le vide – d’une égale façon. A la manière des justes que rien n’effraye – ni la nuit, ni le froid, ni le temps. Comme une lampe posée sur les rives – le vertige – suspendue au ciel – en équilibre – allumée depuis l’origine – depuis toujours peut-être. A briser l’ombre et la glace – ces silhouettes de glaise gesticulantes – ouvrant tout comme une écale pour que les yeux puissent voir enfin…

 

 

Tout est apaisé – à présent. L’herbe, les arbres, les vents. Les bêtes et le soleil déclinant qui laisse les mains le caresser. Le ciel sans nuage. L’infini sans étoile. Et les collines ceinturées par le crépuscule et le silence.

La nuit ponctuelle – consciencieuse. Et le sommeil qui devient intervalle – repos nécessaire. Présence aux yeux provisoirement fermés…

Ressourcement du regard dans l’immobilité. Nécessité de l’âme éreintée par l’ardeur du monde qui gesticule et se déploie partout. Refuge partiel et récurrent pour s’éveiller, chaque matin, avec la lumière et l’incertitude…

 

 

Tout s’agrippe – et s’accroche. Atomes et mains invisibles de la matière…

Doigts et crochets de l’imperceptible – émotions, désirs, pensées…

Magma grouillant, brouillon et bouillonnant où ce qui se voit et ce qui se devine forment une créature étrange – une sorte de monstre à la forme changeante – incertaine – soumis à d’obscurs et lumineux mouvements. Bouche et bras tantôt hideux, tantôt amicaux. Gestes et pas guidés tantôt par les instincts, tantôt par la raison. Tour à tour – et parfois simultanément – abîme et tremplin…

Ce que nous sommes presque entièrement – mais ce à quoi nous ne pouvons être totalement réduits…

Plongés aussi dans le regard et le silence…

Notre double dimension – notre double envergure – en quelque sorte…

Combinaisons des éléments et espace – à la fois séparés et entremêlés…

Une drôle d’allure, en somme – et si mystérieuse encore dans ses apparences, son étendue et ses profondeurs…

 

 

Tout jaillit du même abandon – le gouffre et le ciel – le noir et la lumière. L’eau, la vie, la mort et le sommeil. Ce qui pousse comme l’herbe et le désir. L’instinct et la raison. Là où se cueillent la fleur et le silence – là où se rejoignent l’esprit, la terre et le temps…

 

 

La récurrence des saisons – mille siècles d’histoire – rompus par un seul instant – en suspens. Le lent déclin des heures au profit de ce qui ne peut s’écouler. Ce qui est – ce qui existe – sans durer. Ce qui demeure – l’unique permanence au sein de laquelle tout passe de manière si provisoire…

 

 

Mille briques dans l’espace – mille briques sur la neige – mille briques dans le silence – devenant, si l’on peut dire, toujours plus tranquilles et silencieuses à mesure que l’œil, la main et le vide se rapprochent…

Argile d’autrefois convertie, peu à peu, en lumière et en innocence. Pas même soucieuse d’éclairer les visages et les sols noirs de la terre…

Chambre sans mur – sans fenêtre – à l’envergue indéterminée – infinie sans doute – aux frontières matérialisées par ce que nous ignorons encore…

 

 

Brindilles – à peine – ballottées par les vents de la terre. Fragiles – éphémères – plongées dans la dureté du monde et l’attente de l’après. Seules parmi les visages – au cœur de la vie – et face à l’idée de la mort qui viendra, sans doute, donner un peu de poids – et un peu de sens – à tous ces jours de peine(s) et de labeur…

 

 

Une seule étreinte suffit, parfois, à rompre le temps et l’attente – le ciel tissé d’heures et de promesses…

 

 

La terre légère – exempte de terreurs et de peines. A vieillir sans même nous en rendre compte…

 

 

Le poids et le sens – trop lourds – presque débordants – du monde sur l’échine. A aller d’un jour à l’autre – si prudemment – sur la terre. A marcher partout comme poussent les fleurs au soleil…

Chambre et âme vides. Avec l’éternité au-delà des rêves – au terme du voyage…

 

 

Apparence et invisible entremêlés. Formes, œil et profondeur. Tout en intériorité…

Vérité insaisissable excepté par le cœur ouvert – et l’âme humblement acquiesçante…

 

 

Ombres, désir et fraîcheur. A la source du dehors – là où le vent des origines cède le pas à ce qui s’écrit dans le jour et sur la page…

 

 

L’obscurité du monde où vivent les hommes – emprisonnés derrière les grilles du temps…

 

 

Trace infime de la lumière sur le cœur saturé de nuit – saturé de bruits – suturé avec l’oubli qui sied davantage à la chair et à l’esprit qu’aux blessures laissées sur l’âme par la fréquentation du monde…

 

 

Mots, chemins, regard. Un seul fil – de l’apparence au plus profond. Du plus sombre à la lumière. De l’identité factice au vide. Du plus erroné au plus juste. Le lent périple de la vérité – du dehors jusqu’au dedans – et du centre le plus intime vers le plein rayonnement du silence…

Et le viatique nécessaire, sans doute, au commencement du jour…

 

 

La lente irrigation du monde – le remplacement du sang par la beauté – comme l’eau qui ruisselle des sommets – emportée vers les plaines – là où elle pourra (enfin) s’écouler plus libre – et plus sereine…

 

 

La vie originelle que le monde a oubliée – comme le silence et la mort permanente – relégués à des terres moins peuplées – moins aseptisées – habitées – seulement – par quelques visages qui ont su se libérer du désir, de la haine et de la confusion…

 

 

Nulle nostalgie dans le regard tourné vers autrefois – lorsque nous arpentions les chemins le cœur nomade – le cœur en quête – le cœur chagrin – le dos courbé par le désir – par la nuit et l’ardeur du sang – à rêver d’une autre terre et d’un silence trop précis – marchant avec nos excès et nos exigences – ravi d’apercevoir entre les danses et les étoiles la possibilité d’une ascension – la possibilité d’une découverte…

 

 

Et, soudain, tout ce vrai qui éclabousse ce que nous avons cru bâtir et comprendre – et qui emporte tout ce que nous avons accumulé en croyant, ainsi, pouvoir nous jucher sur la connaissance – et vivre à partir de sa source…

Ne reste plus rien – à présent. Un regard vide – et, si pleinement, joyeux – sur tant d’incertitudes. La gloire des sages et de quelques vagabonds, peut-être, qui ont appris à se tenir humbles et démunis – dépouillés de tout – face à l’inconnu – devant toutes ces choses que nous croyons connaître pour les avoir nommées ; la terre, le ciel, le monde, les pierres, les visages, Dieu, la vie, le silence et la mort…

Seul dans l’universelle mesure que l’on attribue parfois aux hommes, parfois à Dieu – et qui ne peut se révéler que dans le regard simple – vidé de toute mémoire…

 

 

Tout vient – s’apprend – se perd – s’endort – s’efface – disparaît et recommence. Les visages, les vagues, le feu – le monde – qui apparaît tantôt comme une prison, tantôt comme un contexte de liberté – et qui ne constitue, sans doute, que les murs et la fenêtre de la même illusion…

 

 

Tout brûle – et se consume – devient cendres et poussière. Fragments gris sur la pierre. Et nous n’y pouvons rien…

Et le même sort – bien sûr – attend le monde intérieur. Edifices, tissages et échafaudages anéantis – arrachés avec force et patience – par les pluies désenchantées – pour goûter à cette douceur du vide – à cette quiétude de l’exil hors du monde et du temps…

 

 

Lignes et paroles aussi denses que la pierre pour témoigner d’une simplicité et d’un silence si légers – si aériens – dépourvus de toute forme de pesanteur…

 

 

Feuilles émues – tremblantes – posées à même les rives du monde – entre le ciel, la finitude et le recommencement éternel des choses…

 

 

Plénitude de l’âme abandonnée à sa vocation. Entre regard, silence et poème. Entre bêtes, arbres et vérité…

Quelque chose au goût de plein – comme une éternité triomphale – possible – vécue à côté des hommes…

 

 

Ni peine, ni haine, ni chemin. Exil et solitude pleinement habités. A l’envers du rêve. Là où le monde cesse d’être une blessure et une promesse. A danser dans l’espace et sur la page parmi les fleurs et la parole – si précieuses…

 

 

Vivant là où la géographie n’est composée que d’infini et de lignes naturellement verticales. Bout du monde sans doute. Ultime barreau de l’illusion peut-être – avec au-delà le silence et la solitude comme uniques compagnons pour vivre au cœur des nécessités et de l’incertitude – et acquiescer à l’âpreté des circonstances…

 

 

Illusion et tristesse tissées à même la corde sur laquelle se tiennent – en déséquilibre (si souvent) – les morts et les vivants. Abîmes, brûlures et détention. Matières, peut-être, de tous les passages…

Terre de preuves et de raison où chaque perte est un défi – et une épreuve inhumaine. A l’exact endroit où se tient notre visage – là où la parole est un acte manqué…

Enclos sans ciel – et sans échappatoire possible…

 

 

Tout est endormi – et le poème inutile. Psaume insensé – tatouage invisible sur la peau du temps…

Fumée au-dessus des flammes – au-dessus des cendres. Bout de ciel inaccessible depuis l’horizon. Chant dispersé. Un peu de joie sous les étoiles. Comme un grand silence au cœur de la tristesse – sur la terre dévastée…

 

 

Colporteur d’une parole et d’un voyage vers un archipel – au retour, sans doute, impossible. Pas devant. Pensées derrière – de plus en plus lointaines. Gestes lents – mêlés à aucune tentative de fuite et de distraction. Nécessités élémentaires de l’homme…

Solitude et contrées sauvages – inhabitées – pacifiques. Plongé dans ce que seuls le silence et l’Amour peuvent exalter…

 

 

Des hommes épais – grossiers – à l’âme opaque et primitive. Avec, dans les gestes, le poids écrasant – démesuré – des siècles et des traditions. La faim et l’arrogance en tête – persuadés de la valeur de leurs impératifs et de leurs certitudes. Des pantins à hauteur d’herbe et de pierres – aux dents plus acérées que le cœur – étirés – jusqu’à la déformation – jusqu’à la monstruosité – par l’ampleur de leurs ambitions…

 

 

Une force – un silence – l’acquiescement, peut-être, des Dieux à nos dérives. Le sommeil – les périls rehaussés bien au-delà de leurs territoires habituels. Le poids des ambitions et des intérêts personnels – hissés au faîte des hiérarchies. Et l’insondable malheur où nous sommes plongés…

 

 

Nous sommes le silence sur l’ombre et la graine. La patience sur ces rives agitées. La source au cœur de la soif. L’humilité blessée par tant d’arrogance. Le rien au milieu des choses. Ce regard – cette lumière – sur ce qui, sans cesse, s’effiloche et s’assombrit. L’œil des Dieux sur les crêtes et les abîmes. La lucidité dans la mémoire pléthorique et l’esprit encombré – excessif. Le rire planté au cœur des malheurs. Le goût de soi partout – en l’Autre – jusque dans l’âme des plus absents. Le seul recours possible du monde. La seule issue à la déraison, à l’imprévoyance et à la tragédie…

 

 

Tout se mêle aux feuilles et au silence. La terre, les arbres, les visages et la pluie. Les saisons et l’enfance. Le feu, les armes et les instincts. Les miroirs et la beauté. Ce qui fait de nous tantôt des bêtes, tantôt des hommes. Ce qui demeure au fond de l’âme – l’Amour et la liberté des premiers pas. L’origine du temps et des âges. Le ciel, les rives et le soleil. Tout ce qui vit à travers nos gestes et nos pages. Tout ce qui se tisse au milieu de soi et du monde…

 

 

Ici et ailleurs – l’hiver et le silence. La parole bleue qui émerge au-dessus du monde et des siècles. La mémoire fendue – cisaillée. Les souvenirs éparpillés – à la dérive. Et l’esprit vide – vif – brûlant – aiguisé – autant que l’âme est prête à aimer ce qui lui est offert…

 

 

En ce lieu où les instincts et la malice du monde se confondent avec le souffle des âmes, le vent des circonstances et la nécessité des existences. Décor changeant – simplement – qui n’assouvira, bien sûr, jamais la soif…

Ainsi sommes-nous – progressivement – amenés à nous agenouiller devant une autre source – plus belle – plus puissante – et plus lointaine aussi – enfouie en cet endroit que nous sommes – exactement…

 

 

Aux marges du monde – allégeance faite au jour et au silence – sans blâmer (pour autant) les excès, les dérives et les fléchissements qui bousculent les hommes, les âmes et les ombres…

Retrait et crête. Flèches et portes. Et un reste de ferveur sous la fatigue. L’allant, peut-être, des miraculés

 

 

Portes battantes aux vents. Dans l’herbe grise et rouge – couverte de cendres et de sang. A arpenter le monde pour rejoindre les grands arbres – alignés par leur faîte – dans la pagaille des forêts – et se mêler aux dernières feuilles – soumises à l’exil et à la solitude – et aux premières gelées de l’hiver…

 

 

Saisons muettes. Failles du temps. Sourire sur les lèvres de glaise. Visage nu face aux miroirs que tiennent toutes les mains du monde. Cris, ondes et surface. Eaux mortes – parfois faiblement frémissantes – pour retrouver l’origine et l’ultime envergure du regard – celles que l’âme ne peut inventer – ni même imaginer – à travers les âges…

 

 

La terre et la page – les visages et la main – le regard et le monde – le silence et les danses – à distance – toujours – les uns des autres – pour contenter les exigences de l’homme et les nécessités de l’innocence…

Fragments, parcelles et lambeaux – réunis – et assemblés patiemment sur la pierre. La totalité des empreintes et des élans – et les mille tentatives – regroupées en une seule esquisse – brossée par l’œil et la main libres de toute requête – joyeux et dansant parmi les fleurs et l’illusion – sous l’égide des étoiles et du bleu infini…

Ainsi, le regard et le silence s’éternisent – autant que recommencent, sans cesse, le monde et l’éphémère – la nécessité d’écrire et les signes sur la page…

 

 

Un regard ému sur tous les mendiants du jour – l’œil et la main tendus vers le monde – et l’âme déjà ailleurs – plus haut, sans doute, que la plus lointaine étoile…

 

 

Songes, flammes et mort. La marelle des vivants. La terre noire et sauvage. La traversée et le voyage âpres et sans élégance. Et le ciel incertain – improbable même – tant que régneront la mémoire, le désir et l’absence…

 

 

Entre la condamnation et l’étonnement – la tête prête à examiner toutes les issues – et toutes les possibilités – que découvriront l’âme et le monde…

 

 

A coudre – presque aveuglément – tout ce qui s’offre à l’âme, à l’esprit, à la main. Rêves, choses et visages. Laideur et beauté. Composant une étoffe solide où tout s’affronte, s’emmêle et se superpose sans autre loi que celle de la nécessité – déguisée, parfois, sous les traits du hasard et de l’intimité…

 

 

Lieu où naît la secousse – où s’ouvre la faille – où disparaissent les choses et les visages. En ce point de densité où la danse est folle – presque incontrôlable – et le regard immobile – où l’intense et le silence ne forment plus qu’un seul chant – et une aire d’accueil pour tous les reliquats du monde plongés dans le refus, la révolte et la résistance…

 

 

Tant de visages ont traversé le monde – laissant leurs empreintes (insignifiantes le plus souvent) – et inscrivant, parfois, leur passage (aussi bien que leur souffle et leur essence) sur les pages de livres que nous avons (si goulûment) dévorés…

Les rives d’ici et les grèves d’ailleurs. Ports, criques et édifices provisoires plantés sur la côte – entre l’océan et l’arrière-pays…

Mains sombres et voix lumineuses parfois…

Pays de boue et d’hiver. Contrées de rêve et d’argile…

Mais combien ont su apprivoiser la douleur – et convertir la nôtre non en espérance mais en racloir nécessaire pour nous débarrasser de toute forme d’exigence – et permettre, ainsi, à l’âme d’accueillir – sans la moindre contre-partie – le monde et le silence…

 

 

Des voiles tissées à même les vagues – parcourant d’abord l’océan – puis, apprenant, peu à peu, au gré des vents furieux, à le devenir…

Cimetière de barques englouties. Nuit claire – sans étoile. Et cheveux gris – à présent. Tête devenue entièrement passagère parmi les grands oiseaux marins que les bourrasques, sans cesse, emportent vers le lointain – vers le grand large où règne – et brille – le jour…

 

 

Quelle voix nous remplacera lorsque nous ne serons plus… Quelle voix dira pour nous – dira à notre place…

D’autres gorges – au timbre presque similaire – viendront, bien sûr, offrir la même parole – diront encore le monde, la douleur et la bêtise – l’incertitude de tout et le silence. Ce que nous ne pourrons franchir que seul(s) pour rejoindre le regard et lensemble

 

 

Fêlures et soubresauts. Instincts dressés face à la douleur primitive – face à la faille première (originelle). Avec le monde et l’intérieur – progressivement – chamboulés par l’interrogation et la promesse mensongère des ignorants. Entre langage, exil et incompréhension. Debout – au-dessus de nous-mêmes – à chercher plus haut – toujours plus haut – l’impossible réponse à ce perpétuel désarroi…

 

 

Plaies et troubles de l’âme. A tenter de recouvrir la blessure. L’esprit rebelle. Les pas inquiets à fouler la cendre. Le murmure confiné aux signes esquissés sur la page. Seul – bien sûr – autant que peut l’être l’homme – autant que peut l’être l’âme. Entre plongeons, chutes et retrouvailles…

La joie – toute simple – d’être au monde – vivant – entre le mystère (incorruptible et, sans doute, insoluble) et la mort – au milieu des choses et de l’incertitude – sans s’attarder (trop pesamment) sur la laideur des actes et la beauté des visages alentour…

 

 

Dans la plus parfaite immobilité, le monde et la langue viennent à notre rencontre – non pour nous satisfaire ou contenter quelque désir – mais pour nous révéler la réalité sous-jacente aux mouvements : le silence – au ciel comme sur la pierre. Et la joie incomparable du cœur et des yeux qui savent regarder

 

 

Instincts, sensibilité et cris – tantôt de joie, tantôt de détresse. Comme la parfaite illustration de l’incompréhension universelle et de l’ambiguïté de l’esprit confronté au monde et à l’existence…

 

 

Vertige de l’âme face aux visages – face à l’immensité. Doigts et voix mêlés à l’ensemble comme si nous existions depuis toujours à la jointure de nos différences apparentes…

 

 

Hurlements tragiques – élans burlesques. A petits pas sur le bord de toutes les falaises. A parcourir plaines et glaciers – déserts et collines – sous le bleu, si effroyable parfois, du ciel. Bouche sèche et chair à vif durant toute l’ascension et à l’instant de la chute…

Se taire encore – et déposer un baiser discret sur les lèvres – si indifférentes – du silence…

 

 

Des vies entières jetées dans l’effroi. A glisser imperceptiblement vers le lieu où la chute sera inévitable…

 

 

Souffrance interrogative et silence. Voilà – à peu près tout – ce que nous savons. Le reste – tout le reste – tente – seulement – de meubler quelques failles secondaires et négligeables…

 

 

La force d’aller plus loin que ses certitudes ; voilà, peut-être, pour l’homme la plus juste manière d’exprimer son courage et sa nécessité…

 

 

Une existence entière parmi les pierres, les visages et les instincts – entre le sable, les vents et la faim – gouvernée par la peur – et qui s’achèvera – toujours – au fond d’un trou – avalée par la nuit – et portée, parfois, par la mémoire (éminemment provisoire) de quelques survivants…

 

 

Rien de singulier dans l’âme – le plus universel sans doute – et qui ne souffre aucun caprice – ni aucune exigence – personnels…

 

 

A se faufiler partout là où le confort est manifeste. Lieu-refuge, en quelque sorte, qui entrave tout élan – et tout voyage – infiniment nécessaires (pourtant) au dépassement des frontières…

 

 

La nuit – égale au jour – mais tenue par la main des ignorants

 

 

Silence et paroles – toujours – comme écartelé par la vérité – ce que nous sommes – et la nécessité d’en témoigner – d’en partager l’accès et la beauté…

 

 

Existence et paroles de liberté et de révolte – comme une manière singulière de résister, dans le retrait et la solitude, à l’emprise du monde et des siècles – presque toujours – abêtissants et mortifères – et au destin (si souvent) tragique des hommes…

 

 

A vivre en exil – l’âme et le front proches du feu – presque jamais contaminé(s) par les braises brunâtres et les cendres grises sur lesquelles dansent, si tristement, les hommes…

 

 

Forêt d’objets et de rêves – forêt d’yeux et d’avidité – immense labyrinthe où l’existence et le monde ne sont que des instruments du manque – de simples outils pour asservir davantage les masses – déjà esclaves des mille désirs de l’esprit et des mille choses existantes…

Lente contamination par imprégnation pour avilir les cœurs – et condamner les âmes à toujours plus d’obéissance et de servilité…

Terres de monstres et de pantins – rassemblés par le pire de l’homme

 

 

Tout tourne en rond – enrage – s’enflamme – et afflue – l’esprit à sa place – au-dessus du trou creusé pour tenir le monde à sa portée – et jouir de tous ses usages…

 

 

Arc-boutés sur le sol comme si le ciel ne tenait qu’à la force de nos reins…

 

 

Cadavres vivants – presque momifiés par la somme des désirs qui recouvrent les âmes. Comme des couches épaisses et successives de tissus. Emmitouflés – emmaillotés comme si l’existence consistait à se tenir éloigné du centre – de l’essence et des vertus de l’essentiel ; l’effacement, la nudité et le silence – de plus en plus inaccessibles à mesure des strates accumulées…

 

 

Ce qui demeure ; le vrai et l’introuvable. La quête, le voyage et le chemin. L’âme et les souliers qui, sur les pierres, soulèvent la boue et la poussière. Et cette main tendue vers le vide – vers le bleu – vers l’infini – qui œuvrent partout – sur les jours et sur les pages – présents à toutes les naissances – à toutes les funérailles – à toutes les retrouvailles – à tous les recommencements…

Témoin(s) de tous les excès, de tous les exils et de tous les dérapages jusqu’à ce que s’imposent l’abandon et le dénuement – la nécessité (progressive) de remplacer les traits de son visage par un silence – infiniment – spéculaire et hospitalier…

 

 

Abondance – et surabondance – d’idées, de choses, de visages et de paroles en ce monde qui a tant besoin de silence et de nudité…

 

 

Abandonné – ce que les visages ont habituellement tendance à chercher – l’abondance, le confort et la certitude – au profit de la frugalité, de la simplicité joyeuse et de l’absence de vérité…

 

 

A ne se réclamer de rien – et à n’appartenir à aucune chapelle…

Poussière – à peine – soulevée par les pas – et déposée là où les vents la poussent. Ni plus ni moins qu’une feuille – qu’une brindille – soumise au climat et aux saisons – aux circonstances et aux nécessités du monde…

Une simple fenêtre, peut-être, que vient, parfois, traverser le ciel…

Et un œil – et des mains – posés sur le rebord de tous les abîmes…

 

 

Paroles sans idéologie – et sans confesseur. Nées d’un souffle enfanté par l’innocence des profondeurs et l’impérieuse nécessité de l’homme à comprendre et à témoigner…

Journal, peut-être, où se mêlent la terre et le ciel, la poussière et l’infini, la raison et les instincts. Aussi précieux et dérisoire que le labeur quotidien de l’abeille et de la fleur…

Comme un voyage entre l’existence et l’être – entre la certitude d’être né et le vertige de la vérité – toujours incertaine…

 

 

A petits pas – à grandes foulées – dans la lenteur de la main impatiente qui trace sa route sur la page. A courir – toujours – sans jamais parvenir à rejoindre l’immobilité et le silence – souverains déjà au fond de l’âme…

 

 

Débris d’âme et fragments du monde patiemment rassemblés pour reconstituer notre (véritable) visage. Tout – rien – ce qui passe et demeure. Mille choses futiles – et mille manières précieuses…

Comme une caresse étrange sur une silhouette confiante – prête à se laisser toucher par l’innommable et les immondices…

 

 

A être là – sans attendre la moindre visite sinon celle de ce qui nous emportera plus loin – plus haut peut-être – au-delà de notre visage – au-delà même du monde et du ciel – dans ce qui restera lorsque les hommes auront épuisé toutes leurs tentatives…

 

 

Tout – à chaque instant – est possible (et imaginable) ; la grâce, le désespoir, la joie, la mort – et le malheur plus décisif encore. La chute, l’envol et le frémissement de l’âme. La parole, le silence et la vérité sans emprise. Rien que nous ne puissions refuser…

 

 

Tout se courbe – et s’assemble. Source, soucis et prières – peines et voyages – haltes et visages – pour compléter, peut-être, le monde esquissé d’un geste d’Amour et de silence un peu trop impatient – et tenter de rejoindre les origines – pieds nus – en marchant, avec lenteur et application, sur tous les chemins dessinés par les hommes…

 

 

A se tenir debout – les yeux fermés – pas même étonnés de nous retrouver plongés dans cette existence – au cœur de ce monde peuplé de bêtes et de visages – et bordé, nous a-t-on fait croire, par le ciel et le néant…

Inconnus à nous-mêmes. Aussi mystérieux que les figures qui nous font face…

Un fragment du mystère, peut-être, que nous sommes – toujours – bien en peine de déchiffrer…

 

 

Ce que – chaque jour – nous dessinons – et ce qu’exposent ces pages ; les rumeurs chantantes du silence, le murmure joyeux de la rivière pour elle-même, le souffle du vent qui se déploie sans exigence, les arbres et les visages pris par le cycle éternel des saisons…

Mille petites choses, en somme, que révèle amoureusement – et parfois avec colère et emphase – l’encre sur nos feuilles…

Un rythme à la mesure de l’instant qui se succède à lui-même. Porteur du jour et de la nuit – d’obéissance et de folle liberté…

 

13 décembre 2018

Carnet n°171 Au-dehors comme au-dedans

Paroles confluentes* / 2018 / L'intégration à la présence

* Fragments du dedans et du dehors – de l’homme et du silence – qui se combinent simultanément dans l’âme, sur le visage et la page…

Un grand voyage sur cette terre sans (véritable) promesse. Quelques pas – quelques chants – au milieu des pierres. Des souliers prêts à franchir le moindre seuil – à se glisser dans la moindre faille – à saisir la moindre opportunité…

Et, pourtant, ici – ailleurs – nulle différence entre les visages et les paysages. L’homme, le monde, les arbres et les bêtes. La même solitude. Le même désastre et le même désarroi malgré les alliances et les rassemblements…

Quelques bruits passagers dans ce qui disparaîtra bientôt…

 

 

Exister à l’envers des territoires – là où l’espace est si vaste qu’il autorise toute forme d’expression. Chemins et paroles façonnés de mille manières sans jamais importuner l’esprit, ni détériorer les formes alentour…

 

 

Tout – partout – se gonfle d’importance – là où ne restera bientôt ni stèle, ni souvenir. Un peu de sable – quelques graviers peut-être – qui se mélangeront – discrètement – à la cendre et à la poussière…

 

 

Un grand voyage sur cette terre sans (véritable) promesse. Quelques pas – quelques chants – au milieu des pierres. Des souliers prêts à franchir le moindre seuil – à se glisser dans la moindre faille – à saisir la moindre opportunité…

Et, pourtant, ici – ailleurs – nulle différence entre les visages et les paysages. L’homme, le monde, les arbres et les bêtes. La même solitude. Le même désastre et le même désarroi malgré les alliances et les rassemblements…

Quelques bruits passagers dans ce qui disparaîtra bientôt…

 

 

A rire et à pleurer au milieu de toutes les folies du monde…

 

 

Pour découvrir la joie, il convient d’aller au fond des choses – et commencer par scruter ce qui nous hante et nous habite

Dans cette perspective peut naître une proximité – capable de se convertir (progressivement) en silence et en effacement…

Tout alors pourrait (nous) arriver – chaque événement serait accueilli dans cet espace plus serein – dans cet espace moins engagé…

 

 

Le passé recouvert d’une seule pierre – si léger dans la mémoire. A prononcer quelques paroles qui semblent irréelles malgré le poids du langage que vient épaissir chaque syllabe…

A vivre seul(s) – et réuni(s) autour de soi – à marcher lentement jusqu’au dernier soleil de la terre…

Le rythme soigneux – coordonné – jusqu’à l’embrasure de la porte. Les pas caressant l’argile – et embrassant presque les visages – tandis qu’en bas – partout ailleurs précisément – se défont les gloires et s’engrangent les souvenirs et les malheurs…

 

 

A trop dire ce qu’il (nous) faudrait vivre, nous en oublions les mille usages possibles des chemins – tous égaux, bien sûr, en dépit des hiérarchies érigées par les hommes – et si nécessaires (pour mille raisons) au monde et à tous ceux qui s’y abandonnent – corps et âme…

 

 

Exister encore – moins dans le pas et le geste – moins sur la page – que dans l’effacement…

De plus en plus invisible, en vérité. Drapé – seulement – d’un discret silence…

 

 

A nos pieds – mille pierres – mille fleurs – mille bêtes – et au-dessus de notre tête, mille oiseaux. Et les siècles qui nous regardent comme si nous étions une parcelle invisible de l’espace – la continuité du monde. Quelque chose d’infime et d’immense – un fragment sans frontière – sans contour – assemblé au reste – suffisamment transparent pour que nos dernières aspérités n’apparaissent ni comme des obstacles – ni comme les reliquats (peu engageants) d’un visage humain…

 

 

A ce qui s’écarte du vide, le solide et la zizanie. Et à ce qui s’éloigne du vrai et du poème, l’illusion et les malheurs sur toutes les pierres (noires) du monde…

 

 

Tout est mot – mur – archipel – espace enclavé – effleurement du silence au fond de l’abîme. Rien, en définitive, qui n’invite à la liberté…

 

 

A vivre si loin – enfermés – où tout est soumis à la finitude et à la décadence – où rien ne peut s’échapper sans la proximité de l’Amour…

 

 

Absence, tristesse, brouillard et folie. Un visage – mille visages – quelque part – en ce monde. Et tous, sans doute, blottis dans la même main de l’espérance…

 

 

De la multitude, ne conserve que l’essence et l’ampleur. Oublie ses gestes et ses grimaces ; ne te fie – jamais – à ses enfantements. Nourris-toi – seulement – de son ardeur…

 

 

A contempler ce que d’autres – la plupart – dénient et assassinent. Prêt, sans doute, à mourir pour que l’aube demeure accessible. Idiot, fragile et malhabile parmi les visages. Mais humble – nécessaire – et même précieux – au milieu des arbres et des pierres. A poser sa bouche sur toutes les bêtes et toutes les fleurs pour dire son amour à ce qui respire…

Passeur de poèmes et de silence aux jours comptés par l’éternité qui nous attend. Seul, en vérité, sur tous les chemins où la solitude est célébrée…

 

 

Ce qui nous porte – seul(s) et ensemble – vers l’enfantement. Comme des notes éparses – décollées du silence – pour répondre à la nécessité du monde – et appelées, un jour, à rejoindre la partition que ni le vide ni les visages n’effrayent – cette pièce sans fin parmi les pierres et les vents…

 

 

Docile – contemplatif – soumis à l’angoisse et aux défaillances jusqu’à l’effondrement final…

 

 

Ce qui nous habite est, sans doute, plus essentiel – et plus impératif – que le monde et l’azur constellés de rêves, de frontières et d’interdits…

 

 

L’écuelle vide peut-être – et les traits de la pauvreté sur la silhouette et le visage – mais l’âme et la gorge gonflées de l’essentiel – ce qui fait de l’homme le lieu du passage – et de l’esprit et du monde les impératifs de la découverte – les plus urgentes nécessités de l’existence (et de l’exploration)…

 

 

A vivre dans le frisson croissant du verbe et du silence – affranchis de la faim et de l’espérance…

 

 

Aucun secours offert – mais la main tendue à travers (presque) chaque ligne – pour inviter à plonger dans la détention, le manque et l’indigence – et pouvoir, ainsi, échapper à l’errance et aux faux espoirs du voyage…

 

 

Nous aurons essayé de peser sur tout sans que rien – jamais – ne cède…

 

 

A l’instant du jaillissement – en amont du désir – là où l’innocence est inégalable – insurpassable – et capable de faire exploser toutes les certitudes, tout ce qui arrive – tout ce qui est vécu – prend place au-dedans – et devient précieux et magistral – parfait, en quelque sorte, jusque dans ses défaillances…

 

 

Briser les destins et les soumissions sans blesser quiconque, ni rien endommager – voilà, peut-être, le rôle premier du poème face au rêve – face à l’illusion et aux sortilèges qui asphyxient et gangrènent le monde…

 

 

A tout préférer sans rien cueillir. A instituer la présence comme le seul privilège – et tout le reste en nécessités, plus ou moins, vitales. A veiller là où la plupart sommeillent. A demeurer silencieux au milieu de tous les bavardages. A exceller davantage dans la chute que dans l’ascension. A tout soustraire pour aiguiser le regard. Et à se demander encore dans quelle matrice a pu être enfantée l’ignorance…

 

 

Le manque – sans cesse – nous condamne à la faim. Et soumet les âmes, le monde et les existences à un appétit toujours plus vorace – toujours plus féroce…

 

 

Union discrète – secrète – avec les choses et les bêtes – asservies par les hommes – converties, depuis toujours, en vils instruments pour assouvir leur faim et leurs ambitions…

 

 

Ce qui nous engage – du plus aisé au plus inaccessible – de l’obscurité à cette lumière traquée partout depuis les abîmes et les ténèbres. Espace où tout se poursuit – choses et visages égaux – presque sans importance pour transformer, peu à peu, le voyage en silence acquiesçant…

 

 

Tout détruire – jusqu’à la plus parfaite innocence – jusqu’à la plus parfaite fécondité. Illusions, rêves et certitudes à convertir en présence sans dogme

 

 

L’ombre et l’âme – vivantes en nous – prêtes à nous livrer aux malheurs et à l’inexprimable – à tout ce dont nous avons besoin pour vivre la vérité libérée des dogmes et des croyances

 

 

S’effacer encore. L’innocence comme le fruit le plus désirable du silence – infiniment partagé entre les visages défaits – affranchis du monde, des ténèbres et du poème…

 

 

Silence et regard – comme un orage intransigeant qui frappe tous ceux qui ont toujours été effrayés par le bruit et la lumière – et qui apaise tous ceux qui ont toujours espéré un peu de ciel et d’intensité dans leur nuit…

 

 

Quelque chose d’étrange et de bienheureux dans cette haute solitude et cette douleur pleinement habitée – qui accouchent, chaque jour, de mille fragments fiévreux – impatients – perfectibles dans leur révolte et leur insoumission aux règnes ordinaires…

 

 

Ce qu’il faut allumer de feu, en nous, pour faire reculer les ombres…

 

 

Creuser jusqu’à l’os pour découvrir le dedans et l’au-delà. Et creuser encore jusqu’à déboucher sur le vide, le silence et l’effacement, voilà peut-être, au fond, le véritable travail du poète. Le reste – tout le reste – n’est offert que pour apaiser (provisoirement) le manque et la souffrance – ce que tous les hommes réclament avant d’être capables de s’engager (pleinement) dans l’aventure intérieure

 

 

A mourir et à renaître encore – comme toutes les eaux souterraines…

 

 

Poète nocturne et du jour morcelé – à proclamer – et à célébrer, à la moindre occasion, ce qui nous détruit, ce qui nous susurre, ce qui nous décrypte. A tendre vers nous ses mains impétueuses – ses lignes orageuses – à lancer partout son cri et sa révolte – pour que s’estompe la discorde et offrir la lumière à tout ce qui tremble (encore) devant l’inconnu…

 

 

Nous avons initié ce qui préexistait depuis toujours. Aux hommes, à présent, de prendre la relève – d’écrire la suite – d’inscrire dans leur sang le règne de l’innocence et d’instaurer l’éternité au cœur de tous les royaumes éphémères…

 

 

Nous n’aurons fait que souligner (et dénoncer) la vanité des tentatives. Et promouvoir la nécessité de l’Amour et du silence…

Lignes usinées entre le feu, la pierre et la mort dont le sens importe peu pourvu qu’elles soient capables de révéler en nous le plus sage – le plus tendre – le meilleur

 

 

Le plus sacré au fond de la solitude qui a pris, au fil des siècles, des allures d’épave éventrée…

 

 

Un mystère. Et mille fureurs endiablées pour fouiller l’espace du monde et du cœur…

 

 

Tout était déjà là avant de naître…

L’existence ne peut constituer un jeu à somme nulle – elle est une manière (parmi mille autres) de retrouver ce que nous étions à l’origine – de creuser sous les couches et les masques pour dénicher au fond de ce que nous sommes devenus ce qui ne peut mourir – ce qui dure à travers toutes les morts – au-delà de toutes les pertes…

 

 

Une vie blanche – étincelante – en deçà et au-delà de ce gris puissant qui donne à nos vies cette apparence de cage et cet air de tristesse au fond desquels nos mains s’échinent – vainement – à rompre toutes les grilles qui les entourent…

 

 

Et si nous allions moins aveugle(s) vers le lointain – prêt(s) à transformer les heures quotidiennes en inconnu – et l’inconnu en visage familier…

 

 

Ce qui s’efface et s’oublie – les visages et les chemins. Tout ce qui s’écoule du haut vers le bas. Tout ce qui ruisselle et se précipite. Paroles et prières – plaintes et caresses. Le monde et le temps. Mille choses entre la pierre et la source. Ce qui tremble et s’étreint jusqu’aux dernières heures du souffle…

 

 

Tout est bleu – la terre – le monde – les vents. Tout a la même couleur que le rêve – les pierres, les visages, les prières – et la même allure que la mort au printemps. Aussi indécent, sans doute, que le langage qui s’essaye maladroitement au silence…

 

 

Tout va et vient – comme les ricochets dans un rêve dont les rives seraient jointes au milieu de l’écho. Tout arrive – et passe – de l’herbe au désert – du désert au sable – et du sable aux arbres qui retrouvent un regain d’ardeur au printemps. Tout a valeur d’exemple, de temps et d’étincelle – mais rien – jamais – ne parvient à traverser la mort suffisamment loin – ni suffisamment longtemps – pour que s’effacent le monde et le poème – et pour que le rire puisse remplacer radicalement la tristesse…

 

 

Des paupières, des pudeurs, des départs…

Ce qui manque à toutes les vies et à tous les destins pour que les danses, les fouilles et les fuites deviennent plus joyeuses – pour que les traversées et les exils se fassent plus intimes et magistraux – infiniment plus vivables – que ce qui demeure partout ; le rêve et les habitudes dont les frontières n’ont jamais été, comme nous l’ont fait croire les hommes, le réel et la mort…

 

 

Perdus – et éperdument ballottés – comme ces feuilles dans le vent dont nul ne prend la peine de déchiffrer les danses. Comme ces souffles qui passent de bouche en bouche – jamais certains d’appartenir à ceux que les apparences désignent comme les ascendants ou les géniteurs…

Nés et vivant comme ces nuages appelés, sans cesse, à se transformer selon les circonstances – devenant tantôt pluie, tantôt brouillard, tantôt rosée – parfois invisibles, parfois ravageurs. Jamais confinés au même destin – ni à la même étiquette…

 

 

Vies ensanglantées – âmes inexistantes – qu’aucune parole – jamais – ne pourra sauver…

 

 

Etoiles – très haut – dans le ciel. Et – sur terre – mille brins de paille aux yeux fermés. Appelés à se refléter sur toutes les eaux troubles du monde. Seule perspective convertie, presque toujours, en mode de vie. Comme un silence – presque impossible – dans nos bouches et nos existences si bavardes…

Ce que nous pourrons peut-être, un jour, transformer en larmes – puis, un peu plus tard, en soleil vivant…

 

 

Soupirs et respiration d’un Autre, en nous, agacé – impatient, sans doute, de nous voir nous émanciper…

 

 

Comme une mer dévorée par ses propres vagues – ni grandes, ni puissantes – mais suffisamment nombreuses pour se croire souveraines…

 

 

Qu’y a-t-il donc à choisir pour nous qui sommes coincés entre le crime et la mort… Existe-t-il une autre option que l’écriture et le silence… La page et le retrait seraient-ils donc les seules issues pour échapper à la folie de ce monde…

 

 

Des mots qui penchent pour faire, peut-être, contre-poids au monde et aux hommes qui se tiennent trop droits dans leurs bottes et leurs certitudes. Comme une manière de rééquilibrer la balance – pour qu’elle puisse s’incliner vers ce qui se fait humble – vers ce qui s’agenouille devant le silence…

Une forme de cri, au fond, contre les bruits qui saturent l’air, la terre et les esprits…

 

 

Tout a le cœur noir – fragile – enfoncé – et les mains blanches – et les lèvres légèrement souriantes pour nous faire croire à la réalité (et à la force) du mensonge. Mais, en vérité, nul ne sait. Et rien ne peut être prouvé…

Il n’y a, sans doute, ni monde, ni existence. Des formes, des bruits et des élans – seulement. Une sorte de mélasse monstrueuse en mouvement. Et un regard possible. Et une présence – presque toujours – incertaine…

 

 

Des murs, des portes, un espace – et une liberté à réinventer – sans cesse…

 

 

Tout s’en va – une nouvelle fois. Et le cœur, comme à l’ordinaire, se resserre – s’attriste de ces départs – de tous ces appétits pour l’ailleurs. Comme si nous avions un goût immodéré (presque irrépressible) pour l’intranquillité – et, au fond de l’âme, le pressentiment que rien n’existe là où nous ne sommes pas…

 

 

Toujours quelque part – sans réellement savoir où. Toujours quelque chose – sans réellement savoir quoi. Toujours vivant – toujours présent – là où se pose le regard. Et l’Amour – partout – qui s’offre lorsque les visages et les destins affichent leurs nécessités…

 

 

Tranquillement éternels – nous rappelle, parfois, cette voix en nous, si sage – et à qui nous demandons, sans cesse, mille preuves supplémentaires…

 

 

Elémentaire – comme débarrassée de ses couches d’étoiles – cette âme si ancienne dont le monde a mille fois brûlé le cuir. Vierge et seule, à présent, sur la roche – face à l’infini…

 

 

Jamais plus d’espace qu’au-dedans – là où l’envergure et la hauteur sont exemplaires – étirées de toute leur longueur – du haut vers le bas – et du bas vers le haut – de la gauche vers la droite – et de la droite vers la gauche – jointure, en quelque sorte, du zénith, du nadir et des quatre points cardinaux. Là où l’azur n’est plus qu’une terre – et où le sol n’est plus qu’un ciel – au-delà de toutes les frontières – au-delà des mains et des poitrines qui se heurtent à toutes les parois si hautes – à toutes les parois si nocturnes – du monde…

 

 

Composées de cette glaise et de ce souffle provisoirement unis – ces silhouettes de sang – enfantées, presque par mégarde, par le suintement du ciel. Visible(s) comme ces visages et ces lignes qui s’échinent à l’évidence…

 

 

A nos pieds, cette parole improbable qui dessine les contours de la soif – l’attirail des hommes sur leurs épaules fragiles et angoissées – et les obstacles érigés au-dedans – allant cahin-caha aussi loin que le permettent les yeux – aussi loin que le permettent l’âme et l’esprit…

 

 

Raideur à nous élever au-dessus des danses. A pleurnicher – toujours – engoncés dans l’obscurité – au milieu de la misère où l’esprit et le monde nous ont plongés…

 

 

Quelques détours dans la cendre – voilà résumé, en quelques mots, l’essentiel du voyage de l’homme…

 

 

Un monde et une âme – éclairés à la bougie – découverts par des visages de terre – aux yeux presque fermés – à la grammaire si frustre – subjugués par les apparences – ensevelis par mille croyances – et dont la prétention confine au sous-sol malgré les discours et les protestations…

 

 

L’illusion dans le sang – le mouvement des ténèbres – d’ici à ailleurs – de plus loin jusqu’au retour. Et cette boue dans les yeux – sur le visage – qui obstrue l’âme et encombre le souffle. Misère partout – au-dehors comme au-dedans. A se débattre dans le sable et la cendre. Perdus, en somme. Livrés à nous-mêmes et à quelques funestes instincts comme si le silence n’était qu’un mythe – une parole abstraite – un espace inaccessible destiné à ceux dont les croyances ont su inventer – et dessiner peut-être – la figure d’un Dieu improbable…

 

 

Souffrance entre les tempes – toujours – alors que le jour, le monde et l’existence ne sont que vide et silence…

D’où vient donc cet aveuglement sinon de la tête trop pleine d’idées, d’images, d’espoirs et de rêves…

Qu’ignorons-nous donc de la terre, des saisons et des visages pour n’y déceler que ruse, ignorance et impéritie…

 

 

Figures en devenir – amenées à franchir toutes les rives et tous les rêves posés en elles comme des obstacles…

 

 

Le silence – à proximité – depuis toujours. Partout – au-dedans comme au-dehors…

 

 

Flammes et miroir sur le visage – et au cœur de la parole – pour brûler et refléter (tout) ce qui doit l’être

 

 

Images de soi dans l’Autre qui nous semble si semblable et différent…

 

 

Tout mène au silence et à la découverte de notre visage. Seuls l’apparence et le rythme nous différencient. Le reste – tout le reste – n’est qu’Un à la figure immense et au souffle éparpillé…

 

 

Rien ne naît – ni ne meurt. Tout est expression provisoire. Instincts, nécessités et liberté vivante d’apparaître et de s’effacer. Sang, semence, figures et paroles. Profils multiples du même silence – d’un centre doué d’une incroyable ubiquité…

 

 

Ce qui est mort en nous – le goût du paraître et de la collection – remplacé par une maigre parcelle de terre pour répondre aux nécessités du ventre – et la joie innocente pour danser, libre et serein, au milieu des déserts et des visages…

 

 

Cent jours d’aventures pour renverser la révolte et la haine – et convertir nos terres à l’enfance et à la poésie. Le silence et le chant de l’âme, en quelque sorte, parmi tous les bruits du monde…

Un regain de tendresse pour faire face à l’inconscience et à la barbarie – et compenser la cupidité des hommes – partout à l’œuvre…

 

 

L’âme, l’écume et l’exil. Mille assauts contre la houle – anéantis par les siècles – la souveraineté des siècles – portés par chaque époque…

 

 

Sève encore – dans ce retrait – où les mains se dressent face au soleil – pour faire obstacle à la misère – à toutes les misères – propagées par le monde. Tendresse sans masque – sans ruse – plantée à chaque carrefour pour défendre l’enchantement face à la désillusion et à la désespérance des hommes…

 

 

Mille étoiles dessinées d’une main tremblante. Des voyages fébriles et des itinéraires aux allures d’incendie. Un monde de passions tristes et de bras funestes. Quelque chose qui semble si étranger à l’Amour – et dont les racines puisent dans la plus profonde ignorance…

La continuité, en quelque sorte, de l’aveuglement originel à travers mille siècles – mille millénaires peut-être – d’histoire…

 

 

A l’abri entre les lignes et le silence – entre les livres et les bêtes – quelque part au milieu d’une forêt de signes et de feuillages – au pied des mots et des troncs qui laissent filer la parole – très haut – au-dessus de tous les mythes inventés par les hommes…

 

 

Heures et saisons lucides parmi tant de rêves. Feu là où s’entasse le bois mort. Vents et rivière là où les visages s’arc-boutent sur leurs rives. Joie et poèmes là où tout est triste et démuni. Un peu de lumière dans la cendre et la poussière…

L’éveil discret – et magistral – de l’homme là où le sommeil fait office de loi…

 

 

Et cette terre – cette boue – dans chaque pas vers le pays natal. Comme un tronc à travers le chemin – mille obstacles qui empêchent l’eau de s’écouler naturellement sous les ponts – entre les rives si désolantes où survivent les hommes…

 

 

Le mystère accueilli – et désossé – dans l’âme qui a su rejoindre l’état antérieur au monde – le silence qui a précédé la naissance des souffles…

 

 

Quel monde se cache-t-il donc sous les paupières pour que celui qui existe sous nos yeux offre tant de peines et de malheurs… A quels miroirs sommes-nous donc attachés pour que – partout – les reflets soient si ternes – si tristes – si sombres…

 

 

Et cette indignation – et cette colère – à l’égard des figures et des drapeaux qui envahissent les routes – qui morcellent la terre en territoires et la recouvrent de sang et de bitume…

 

 

Tout nous pénètre jusqu’à l’os – et nous fait vaciller. Tout nous traverse et se glisse – partout – en cette aire où la blancheur devient transparence – où la transparence devient innocence – où l’innocence devient silence…

Monde et visages colorés – chatoyants – éminemment plus joyeux qu’autrefois…

 

 

Des yeux sur la pierre – et mille prisons sous les paupières – à défier le feu et le temps – à enfanter mille ravages pour tenter d’échapper aux malheurs, aux désastres et à la mort…

Le vain exercice des hommes – plus pressés que voyageurs – qui, pour la plupart, mourront sur la route avant de comprendre…

 

 

Toute ombre nous précède. Et la lumière – toujours – se dresse à la verticale derrière nous. Ainsi avançons-nous sur tous les chemins du monde. Noir en tête et clarté en fin de cortège. Véhicules banals, en somme, d’un périple débuté bien avant notre naissance. Piégés, en quelque sorte, de tous les côtés – en haut, en bas, à gauche, à droite, devant et derrière. Silhouettes lentes amenées à se déplacer – inlassablement – du jour vers la nuit – puis de la nuit vers le jour. Pantins d’un au-delà aux ficelles, toujours aussi, mystérieuses…

 

 

Troubles et tumultes. Eaux mortes et précipices. Profondeurs secrètes et dérives jusqu’à l’épuisement – jusqu’à l’étouffement. Et quelque chose aux abois qui se rompt – presque toujours – en chemin…

 

 

Propagandes placardées partout – et portées en évidence. Enseignes suspendues à tous les cous – et dressées au-dessus de toutes les têtes. Comme si le monde pouvait être sauvé par les idéologies qui gouvernent déjà tous les actes et tous les rêves…

 

 

L’idée d’un sommeil qui rêverait d’être réel – et qui offre, pourtant, au monde la certitude du mythe – la certitude d’une illusion – exaltés par des yeux – presque totalement – fermés…

 

 

Dédale et pentes. Murs ici et là. Quelques buissons et un maigre abri pour trouver refuge et se protéger du froid et des intempéries. Mille visages. Mille démons – au-dehors comme au-dedans. Et des chemins qui ressemblent à des tentatives. Un monde où tout s’édifie sous l’emprise du désir et des instincts. Un parc – un espace grillagé où tout ce qui s’élance et s’aventure vers son destin prépare, sans même le savoir, sa ruine et sa fin – l’effacement de toutes les frontières…

 

 

Le pensé, en définitive, angoisse et terrorise davantage que l’impensable

La source de la peur se tient – toujours – au fond de l’esprit qui s’essaye, par crainte (le plus souvent), à l’anticipation réflexive (et faussement rassurante)…

 

 

Tout est à la mesure de l’infini – cette envergure qui a revêtu, aux yeux des hommes, les habits de l’utopie, de la croyance ou de la mort. Quelque chose d’insensé – d’inimaginable – de trop lointain pour apparaître comme une vérité…

 

 

La vie et la mort s’invitent partout comme si nous ne pouvions rester seul(s) et immobile(s) – pleinement serein(s) – dans l’espace et le silence.

Et ça naît ! Et ça crie ! Et ça court ! Et ça gesticule en attendant la fin – et le retour éternel de toutes les choses du monde – sous d’autres traits…

 

 

Feuilles noires – parsemées, ici et là, d’espace et de silence – de cette lumière qui élève la parole non en promontoire mais en plongeon dans le plus ordinaire – dans le secret et l’infini qui se mêlent pour danser dans nos jours les plus quotidiens

 

 

Se résoudre au sang et à la ruine. Se résoudre au bruit et à la chair. Vivre librement – à genoux – téméraire(s) – en l’honneur de ce qui nous a façonné(s) de manière si humaine

 

 

Terre, eau, feu, vents et lumière. Et silence à la fin. Repris loyalement par la source dont le rôle est d’enfanter…

 

 

Détours et simagrées – encore – comme si la voie directe nous était impossible – interdite peut-être…

Le silence comme une couronne posée en déséquilibre sur ce à quoi nous ressemblons en apparence – un mélange d’ardeur et de faim…

Choc entre le rêve et la droiture – entre le désir et l’infini – entre le monde et l’impossibilité du silence…

En ce pays qui n’est pas – et que nous sommes pourtant…

 

 

A rire – à désirer – et à exaucer encore – le front meurtri – le front plissé – le front téméraire et querelleur. A vivre et à mourir comme s’il nous importait peu d’être – et de nous découvrir. Voyager – toujours – de récolte en couronne – de jour en jour – jusqu’à la nuit fatale où s’effacent (provisoirement) toutes les emprises. A frémir et à se courber. Occupés à repeindre inlassablement la voûte de mille idéologies, tantôt anciennes, tantôt nouvelles. Malades de toutes nos certitudes. A lever les bras vers ce qui nous a toujours aimés – en secret – et sans même que nous le sachions… Le silence caché au fond de l’âme – au fond des yeux – derrière toutes nos danses et nos pitreries…

 

 

Un regard permanent et silencieux. Et mille jeux mécaniques – bruyants et provisoires…

 

8 décembre 2018

Carnet n°170 Sur le plus lointain versant du monde

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Passagers – comme le monde – comme le temps. Prêts davantage à refuser qu’à consentir…

Accueillir sans jamais retenir. Être plutôt que devenir. Laisser la main vide et le geste se désapproprier. Rêver moins et vivre davantage. Aimer ce qui file entre les doigts – autant que la solitude et nos muselières. Être celui que rien ne retient…

 

 

Séparations, élans, fenêtres – ce qui fonde, peut-être, la tragédie humaine – et nous offre – simultanément – la possibilité de nous affranchir de la condition terrestre et de l’apparente existence du temps…

 

 

Il y a ce souffle – et sur ce souffle, un bâillon. Et en amont – et au-delà – le silence. Et ce qu’il nous faut de liberté, bien sûr, pour faire de notre respiration une passerelle – la jointure, en quelque sorte – entre le voyage, l’origine et la destination – le champ commun nécessaire pour vivre, à chaque instant, dans cette unité sans mémoire, sans élan, sans finalité…

 

 

Il y a ce qui est là – toujours précédant. Et ce qui demeure au-delà de ce qui s’en va. Le même espace, en somme – unique – tantôt vide, tantôt peuplé de choses et de visages – dont il faut s’affranchir pour goûter l’innocence originelle ; l’être, l’Amour et le silence – et faire éclore (en soi) la sagesse indispensable pour vivre – avec le cœur plus serein – au milieu de l’illusion…

 

 

Partout – le même sable et les mêmes grimaces. Sur toutes les routes du monde – la même allure et mille rythmes différents. Mille choses, en somme, qui portent tantôt au découragement et à la désespérance, tantôt à l’émerveillement – et qui constituent, peut-être, notre seul trésor pour débuter la marche – apprendre à inscrire nos pas dans une perspective plus innocente – et ouvrir notre existence à une envergure plus large que celle que nous proposent ordinairement les hommes…

 

 

Il nous faut plus que survivre pour contenter l’âme

Un peu de ciel dans notre quête pour donner aux foulées l’allant nécessaire auxretrouvailles. Et un souffle porteur d’infini et d’éternel pour être capable de vivre – le cœur plus libre – le cœur plus joyeux – le cœur plus serein – au milieu de la multitude et de la finitude qui composent (et façonnent) le monde…

 

 

Solitude poussée jusqu’au soleil. L’âme émue et le corps sollicité par mille défis – par mille contingences – par mille sortilèges…

L’esprit sorti du rêve – libéré (presque entièrement) de l’illusion…

La tête posée entre le ciel et la page – penchée sur la parole qui pourrait, un jour (sait-on jamais...), aider à tarir toutes les fictions – et toutes les larmes – du monde…

 

 

Trouble encore – le visage penché et souillé de rêves et de crachats – comme si vivre consistait à se balancer sur une corde au-dessus de l’abîme – à quelques centimètres à peine au-dessus du monde – entre les vents, les visages et les mensonges…

 

 

Rien ne brille au fond des yeux sinon cette tristesse et cette envie – ce que l’âme seule ne parviendra, sans doute jamais, à dissoudre…

 

 

Des fenêtres proches du ciel et des pierres – à égale distance, sans doute, entre la nuit – alentour – et la paresse – au-dedans…

 

 

Fixer l’homme et le monde d’un seul trait. Et dessiner – en esquisses légères – le franchissement du gué…

Abandonner derrière soi l’espoir et la foi – cette confiance que nous accordions au grouillement de la multitude, à ses balbutiements maladroits et à ses linéaments de routes et d’édifices bâtis pour découvrir la vérité…

Amputer les bruits – plonger au cœur des destins – et assouplir l’âme pour effacer ces restes de tristesse – le supplice récurrent des jours…

Devenir ce portrait où la vie, le monde et le silence pourraient (enfin) ôter leurs masques – et se rejoindre en un seul visage – celui du rire et de la sagesse – si nécessaire(s) pour vivre au milieu de l’hébétude et de l’ignorance – au milieu de l’effervescence et de l’illusion…

 

 

Vertige d’aujourd’hui sur les fêlures d’autrefois. Encre sur la page – page sur la table – et table posée à même la terre – en ce lieu où le monde ressemble à une forêt originelle – à un jardin immense ouvert sur le ciel premier – l’infini primordial – libre (depuis toujours) des masques et des mensonges…

 

 

Orages et sang en ces contrées où les visages exploitent la terre et mille autres visages pour se donner l’illusion d’être davantage que des bouts de chair impuissants et malmenés – relégués à la boue, à la plainte et à la mort. Des faces boursouflées par l’ambition et le désir de puissance qui tentent (maladroitement) de constituer un trésor – profondément funeste et tragique…

L’indigence affamée, en quelque sorte – engendrée par le manque (le sentiment du manque) – qui génère toujours plus de malheurs et de désolation…

 

 

A tous les départs, le partage des eaux – le limon amoncelé sur les rives – l’embarcation préparée – en partance. Les cris et l’excitation. Et la faim – magistrale – impérieuse – d’un ailleurs – d’un autrement – et, parfois, celle d’un autrefois où les voyages confinaient – l’avons-nous oublié ? – à la plus féconde immobilité…

 

 

Oubliés – aux premiers instants de la marche – cette stupeur et cet émerveillement devant tout ce qui nous semblait si neuf – si nouveau – presque féerique ; cette abondance et ces possibilités infinies de vivre tout – et partout à la fois…

L’œil innocent, en somme – cette enfance sans mémoire…

 

 

Le long des rives – ce grand soleil – et ces fenêtres qui ouvrent les yeux et font courir la main sur la page. Comme une marche – presque immobile – entre les rêves et cette aurore espérée…

 

 

A quel voyage sommes-nous destinés – nous qui n’avons le choix ni des lieux, ni des embarcations, ni des bagages…

 

 

Infimes l’œil, la peau et le labeur – autant que semblent infinis le regard, l’œuvre et l’envergure…

 

 

Bousculer et interrompre le monde – d’une parole – d’un seul trait esquissé sur la page – pour dire aux hommes de regarder et de s’interroger en se laissant guider et éblouir par ce qui viendra les effleurer…

 

 

Se libérer du monde – se croire libéré du monde – pour plonger les pieds joints dans un autre rêve – dans un autre mythe…

Captifs – toujours – de la même illusion…

 

 

Ni Amour, ni vérité. Ni même l’idée – et moins encore la croyance – d’un Dieu. Quelque chose sans état – quelque chose sans certitude – au-delà des états et de la certitude. Une question – une fleur – un coin de ciel peut-être – ou plutôt un regard – une présence – un silence vivant – sur mille questions – sur mille fleurs et mille coins de ciel – à notre portée. Ce que nul ne peut ni résoudre, ni habiter sans avoir plongé dans sa captivité et s’être suffisamment effacé… L’en deçà et l’au-delà des yeux de l’homme après que l’identité ait vacillé…

 

 

Au-delà des exigences de simplicité et de frugalité joyeuse. Au-delà de tout désir et de toute requête. Ce que nous offrent naturellement les circonstances. Ce qui se présente à nous spontanément…

Accueillir – simplement – ce qui est là – en soi – devant soi – si provisoirement…

 

 

Muselé(s) par le mystère, la question et la mémoire – autant que par l’incapacité (physique et psychique) à s’extraire de sa détention. Livré(s), en quelque sorte, à mille captivités qui restreignent l’existence – et confinent notre envergure à une foulée modestement humaine

 

 

Nous avalons chimères et cendres jusqu’à en mourir parfois. Ventres gorgés de désirs qui avancent leurs mains vers tous les fantômes du monde – sans jamais entrevoir l’illusion qui les maintient prisonniers…

 

 

Passagers – comme le monde – comme le temps. Prêts davantage à refuser qu’à consentir…

 

 

Accueillir sans jamais retenir. Être plutôt que devenir. Laisser la main vide et le geste se désapproprier. Rêver moins et vivre davantage. Aimer ce qui file entre les doigts – autant que la solitude et nos muselières. Être celui que rien ne retient

 

 

Très tôt – dans le passage – livré(s) à ce qui délivre de la détention – et qui dure jusqu’au ciel parfaitement ouvert…

 

 

Emporté(s) ailleurs – là où le jour se tient à toutes les lisières – celles du monde – celles de la nuit et de l’ignorance. Un pas – une aire – une origine – pour apprendre à se libérer de toutes les géographies…

 

 

Nous errons avec tant de soif au bord de toutes les rivières. Et nous nageons à même le sable comme si l’océan était lointain…

 

 

Il neige sous ces cieux trop vifs – trop brûlants. Et c’est l’âme – tout entière – portée par le vol qui brise – qui peut briser – la glace…

 

 

Le cœur posé sur la page – mille livres entre les mains – pour offrir au monde des rêves moins terrifiants – et une envergure plus fréquentable…

 

 

Tout vient du silence – passe et y replonge – sans nous déranger le moins du monde…

 

 

A vivre au milieu des mots – là où la parole n’a aucune importance…

 

 

Abris, luttes et sable. Quelque chose qui pourrait passer – à mieux y regarder – pour un étrange silence – là où demeurent, avec l’éternité, quelques traces majeures – l’empreinte des Dieux et celle, plus modeste sans doute, des hommes de bonne volonté

 

 

Sur le plus lointain versant du monde – à vivre libre – à vivre seul – au milieu des livres…

Mille jours parallèles – la tête attentive aux lignes écrites sur la page comme aux arbres et aux bêtes qui nous entourent. A fréquenter les Dieux de la solitude – si différents de ceux qui habitent les régions surpeuplées…

A être l’égal du jour – et à rire de tous les jeux inventés pour avoir l’air moins bête et plus fréquentable…

Errances, peut-être, entre la naissance et la mort – au milieu des vents qui s’acharnent – destructeurs pour les uns, réparateurs pour les autres. Défiant le temps et la bêtise des hommes…

Au bord du silence qui jouxte la joie et l’innocence. Arrivé peut-être – qui sait ? – en ces terres si convoitées

 

 

L’infini, bien sûr, est notre envergure (même si les destins semblent infiniment captifs et étrécis). Et malgré nos yeux et nos cages, tout jouit de cette ampleur…

 

 

Et tous ces morts – et tous ces feux – à nos fenêtres ! Comme si le monde était destiné à la brûlure et à l’effacement…

 

 

Tristesse – encore – des destins soumis à la ruine. Et le rire des Dieux devant la persistance et l’obstination des hommes…

 

 

Nous sommes ce qui demeure – ce qui persiste et s’efface. Nous sommes – au-delà de tous les contraires. Ce bleu et ces tiges nues qui se dressent sur le sol. L’eau et les destins qui s’écoulent. L’étoile lointaine – l’étoile chantante – et ces rives désolées – implorantes si souvent. Le jour et le labyrinthe. Les âmes suffoquées et suffocantes. Ce qui apparaît à la fenêtre au printemps. Ces plaines mornes – presque décourageantes – en hiver. Le fruit des saisons et du temps qui passe. La raison et la mort. Le silence et cette infernale obsession de vivre. La solitude et le regard si touchant de l’enfance sur ce qui n’a de nom. La folie et la promesse de tous les Dieux. Tout, à vrai dire – si peu de chose(s) – presque rien, en somme…

 

 

N’être personne – à peine un visage – à peine quelqu’un qui passe. Une forme d’abandon à ce qui demeure. Un sourire léger – presque imperceptible – sur les lèvres. Une silhouette furtive – discrète – anonyme – dans l’infini. Ce dont rêvent, peut-être, tous les sages…

 

 

A découvrir dans le plus tragique, notre vrai visage – celui qui se dresse face au néant de tous les mondes – souriant – pour lui-même – devant l’éternité…

 

 

A danser seul là où il n’y a que foule et ivresse…

 

 

Présence ici – là où n’existe aucun ailleurs. Et partage – partout – là où les hommes et les étoiles se laissent inspirer – et éduquer – par les fleurs…

 

 

A ce qui passe – et s’extasie des passages. Et à ce qui demeure au-delà du néant et des prières…

 

 

A vivre – peut-être – tout simplement. Et plus encore avec ce qui est – et ce qui existe en deçà des apparences. Le socle commun – la jointure de toutes les différences…

 

 

A nos fenêtres – l’ombre porteuse de lumière. Et ce qui se cache – plus discret encore – au cœur de tous les tapages. Ce presque rien – ce qui fait, peut-être, du silence l’espace du monde le plus précieux

 

 

Tremblant encore sans le refuge de l’idéologie. A vivre dans l’ignorance après toutes ces années d’existence – après toutes ces années de quête. Être toujours le jouet de ce qui vibre – au-dehors comme au-dedans. L’aire où se heurtent – et où se rassemblent parfois – l’émotion, les désirs, les rêves et les instincts. Et le seuil, peut-être, au-delà duquel tout devient silence et incertitude – beauté et innocence – clarté, sans doute, malgré l’absence d’éclat et les captivités successives…

 

 

Ce qui se goûte, chaque jour, loin du monde – loin des allants et des convictions – loin du labeur misérable des hommes. Un feu et une tendresse où le désir n’est plus – ou ce qui se désire est déjà là – avant même le geste ou la parole nécessaire pour satisfaire l’envie ou la faim…

 

 

Condamné(s) à vivre comme l’herbe et les bêtes vouées, tôt ou tard, à être dévorées. Mort(s) depuis longtemps, en quelque sorte – bien avant d’être livré(s) aux bouches du labyrinthe

 

 

Tout pourra venir – nous sommes déjà couchés dans le silence avec, sous notre front, tous les chants du monde…

 

 

Nu devant ce parterre de visages impassibles – devant cette foule impitoyable. Si nu que nous ressemblons aux arbres et aux bêtes qui n’existent (presque) pas aux yeux des hommes – et dont la chair ne sert qu’à assouvir la faim et les exigences du monde…

 

 

Une terre, des pas, des vents, des paroles. De maigres baisers offerts au monde, en vérité…

Le jour – moins âpre que ces graines infimes jetées par poignées entières à ceux qui sont rongés par la faim – à ceux que la faim dévore littéralement tant les désirs les emprisonnent et les privent d’innocence et de mains ouvertes…

 

 

Il y a une forme d’éblouissance au cœur de la noirceur. Et une lumière qui brûle au fond de chaque blessure. Comme une couronne par-dessus les épines – et un silence qui recouvre le temps…

Et l’infini et l’éternité à l’issue des chemins – la grande immobilité pour clore le voyage – comme l’ultime manière de mettre fin à toutes les tentatives…

 

 

Toute chose est la terre – notre âme – le chemin – la poésie de l’inclassable où tout penche vers le silence…

 

 

On n’ose ni la prouesse, ni l’excentricité avec ce trésor posé en équilibre sur l’âme (et sur les mille choses inutiles dans l’âme). On est – simplement – attentif à ce qui passe – patient dans les tourbillons et les malheurs passagers. En retrait dans les profondeurs de la solitude. Hardi et à moitié plongé dans le danger. Le regard en suspens – humble – confiant – pas si éloigné de l’autre versant de la désespérance…

 

 

Tout semble si près du cœur et de la colère. L’ivresse et le sang – les hommes et le rêve. La vie entière, en somme – et toutes les tentatives de fuite hors du monde…

 

 

Inexprimable – comme ce qui se cache sous ce long manteau de chair. Entre la pierre et l’ombre des vallées. Dans l’épaisseur d’une nuit chargée de l’odeur de la mort…

 

 

A se baigner si près de cette rive première où le soleil a corrompu l’œuvre – et l’empire – du Diable. Où l’Amour a épousé la souffrance pour inviter les hommes à transcender la prière et la mort…

 

 

Bercé(s) par le rire, les bruits du monde et les vaines paroles des hommes…

 

 

L’or et le vide soulèvent le même allant – et le même vertige de la possession – chez tous ceux qui se définissent – et construisent leur existence et leur chemin – à partir du manque…

 

 

Ni homme, ni voix. Le silence le plus anonyme

Celui qui – sans fléchir – regarde les jeux comme s’il s’agissait de danses tribales et de jets de pierre sans incidence sur ce qui se tient à l’écart – le rire – toujours – à portée des lèvres…

 

 

Tout s’écarte – tout s’éloigne – tout se brise. Et ne restent plus que cette solitude grandissante – la gravité au fond de l’âme – et ces paroles qui dansent sur la page…

Le destin brisé en bas de la pente – ce grand bain de vie où nous sommes plongés – et cet éclat de rire qui s’obstine malgré les malheurs…

 

 

La forme – l’apparence – le nombre – ce que les hommes imaginent réels. Ce qui nous a mille fois blessés – et qu’il nous faut quitter, à présent, pour approfondir l’espace et accroître la lumière. La seule option possible, en vérité, pour continuer à marcher dans la poussière – et à piétiner sur nos pages au seuil du silence – parmi les visages – au milieu du monde et de l’ignorance…

 

 

Vents, cris, fièvre, paresse – ce monde, au loin, qu’est-il donc pour que l’on ne voit que sa folie…

Et la solitude qui – à jamais – sera notre seul rempart…

 

 

Tantôt à rire, tantôt à pleurer sous l’œil – et la lampe – des Dieux. L’attention parfois distraite du gouffre par une lueur discrète – par une beauté d’âme peut-être – dans le regard. Comme si la solitude était la pointe de l’obscurité – le faîte du dédale où sont enfermés les hommes…

 

 

A genoux – sur cette terre où tout est inversé – où la nuit est prise pour le jour – et le rêve pris pour le monde – où les chaînes sont considérées comme les portes de la liberté – et la faim comme le seul destin possible pour l’homme…

A voyager aussi vite – et aussi loin – que les vents. A mendier – ou à voler – tout ce qui est permis. A vivre mille ans sans rien comprendre – ni rien aimer. Comme si l’humanité était une fatalité – une sorte de promontoire ultime pour les bêtes ayant appris à se dresser sur leurs pattes arrière…

 

 

Assis – seul – au milieu des larmes – entre le secret impossible à révéler et le destin triste de l’univers – sous le fléau porté haut – bien plus haut que la mort…

 

 

Là où se tient le mythe – la terre à creuser – le secret à faire émerger de son trou – pour que la violence des rives s’estompe à mesure que s’impose – et s’intensifie – la nécessité du silence…

 

 

Il y a mille façons de se tenir vivant – et de se maintenir debout – face aux malheurs. Mais il n’existe qu’une seule manière de transformer la misère et la tristesse de notre condition en matière céleste – en sereine solitude…

 

 

Plus humble que désespéré – à vrai dire – face au temps et au silence. Face à la folie du monde et à la colère qu’elle engendre parfois…

Résigné à vivre avec ce caillot de sang qui confine tantôt aux délires, tantôt à l’ivresse de croire encore possible une fin plus heureuse – une fin plus sereine…

Ecoutons ce que les malheurs ont à nous dire – et faisons la part belle au sourire de l’âme face à l’inexorable…

 

 

A genoux – en équilibre – sur cette ligne traversée par les eaux et les vents – réceptacle des ombres et tremplin vers la mort. Socle et frontière de tous les possibles où l’espérance – à jamais – restera vaine…

 

 

Silence et grandeur – toujours – derrière le moindre désir – malgré les excréments élevés au rang de seuil infranchissable des appétits…

 

 

Faim et souffrance à même ces rives bordées de lumière. Et là où nous traverserons – et sombrerons, un jour, avec la mort…

 

 

Ivresse encore – et dans cette ivresse – le vertige possible à l’approche du vide – du silence – cette chose sans nom que les hommes ont toujours essayé de remplir et de nommer pour lui donner un visage moins redoutable – une allure plus aimable et familière…

 

 

Tout est fuite et faim. Tentatives, un jour, livrées au silence – voué, à la fin du temps, à tout recouvrir ; le monde, les visages, le vertige et les chemins…

 

 

Ce qui monte de l’ardeur au sang – du sang au visage – du visage à la main – de la main à l’âme – de l’âme au chemin – et du chemin à l’infini – le même désir de silence et les mêmes obstacles déclinés de mille manières…

 

 

Sur terre – dans la chambre – sur les champs de bataille – au fond de l’âme et de la tombe – ailleurs – plus loin – jusqu’au ciel – jusqu’aux frontières impossibles de tous les au-delà – le même mystère et la même ardeur à essayer de le déchiffrer…

Ainsi pouvons-nous saluer ce qui cherche – ce qui creuse – et ce qui demeure impassible – à tous les degrés de l’échelle des découvertes

 

 

Ce qui nous envahit – corps et âme – a la même ampleur que ce que nous cherchons – et, sans doute, le même visage – caché – simplement – par quelques voiles épais – par quelques voiles tristes et inévitables…

 

 

Englués dans une paresse qui jamais ne transformera le monde, la vie et l’esprit – ni ne fera renaître les morts. Ensommeillés – couchés de mille manières – avachis en mille poses différentes – longues – langoureuses – apaisantes – et assez rassurantes, sans doute, pour nous faire oublier (provisoirement) les morsures et les blessures infligées par le monde, l’indigence des destins, la chute prochaine et la mort, un peu plus tard, inévitable…

Le grand génie humain de la somnolence où l’on ne sait si vivre consiste à rêver le monde et l’existence ou à leur échapper par le rêve…

 

 

Rien à orchestrer sinon l’accueil du jour – et les rapides préparatifs du départ – pour que tout continue une fois les funérailles achevées…

 

 

Sous la voûte, cette myriade d’atomes combinés – de formes codées – déchiffrables – prévisibles – qui s’enfantent – et se perpétuent – dans la misère et le miracle…

 

 

Cité lointaine encerclée de murs et de nuit où tout flotte – et se mélange à la mort – omniprésente…

Neige et boue – corps presque invisibles – dociles – toujours prêts à courber l’échine et à se plier aux règles et au pouvoir dominant…

Rives noires soumises aux rêves des Autres – façonnées par des millions de visages identiques…

Le nombre comme phare de la normalité – et cénotaphe érigé contre toute forme de révolte et de résistance. Fossoyeur de tous les élans singuliers et salvateurs…

 

 

Tout est chemin – monde – visage penché – main servile – défaut perceptif à force de maintenir les yeux baissés sur le mensonge…

Fantômes pas même surpris par la décadence – et l’impéritie du rêve…

 

 

Couchés – debout – agenouillés – le cycle récurrent des visages – de tous les visages du monde – pris successivement dans l’enfantement, les tentatives et la soumission…

 

 

Tout est monde – apparences vivantes. Et tout prendra fin dans la fosse commune

 

 

Histoire d’un jour – histoire d’un siècle – histoire éternelle de ce qui fait date et s’inscrit dans le temps…

 

 

Il n’y a nulle réponse sage à l’ignorance, à la brimade, à la folie. Il n’y a qu’un accueil possible, un consentement à l’inéluctable et une attente patiente – et peut-être inutile – pour que cessent, un jour, l’inconscience et la barbarie…

 

 

Les mots sont aussi inutiles que les plaintes et les larmes. Et, pourtant, nous n’avons rien d’autre à offrir. Le silence ne sait encore nous contenter…

Et l’encre dans son brouillard – mille fois jetée sur la page – pour exhorter l’âme et le monde à d’autres prouesses – moins futiles, sans doute…

 

 

Tout est nuit – et soleil timide – intermittent – encore trop vagabond, sans doute, pour s’imposer au monde – et le gouverner…

 

 

Voyages multiples dans les mille galaxies du monde – si lointaines. Départ et visite de toutes les âmes – et retrait parfois – tantôt pour amasser le monde et ses richesses (provisions, plus ou moins, prometteuses qui laissent espérer aux plus crédules un avenir meilleur), tantôt pour échapper aux foules, aux larmes et à l’enfer édifié par les hommes au nom du bonheur (fallacieux et mensonger, bien sûr) de quelques-uns…

Nœuds, routes, chemins et croisements au centre desquels traînent tous les pieds – se perdent tous les hommes – et s’étend le plus terrifiant désert…

 

 

Ni flamme, ni prophétie. Quelques mots – à peine – pour offrir à l’ignorance mille versants à explorer, le goût de soi et le souci de l’Autre comme viatique – et la nuit entière à éclairer…

 

 

Tout pourrait être volé – anéanti – en partance – demeureraient l’essentiel et le silence – cette innocence sans attache ouverte à toutes les circonstances – ouverte à tous les dénuements

Tout pourrait être joie ou douleur – rien ne remplacerait ni le regard, ni la solitude – nécessaires pour vivre au milieu de l’hiver – là où tout s’est enfui – poussé par le rêve et la faim…

Tout est perçu à partir du soleil et de la chute – inévitables. Et sous la tristesse apparente brille cette lumière joyeuse née de l’esprit acquiesçant – sans illusion ni sur l’œuvre possible des pages sur le monde et les âmes, ni sur ce qui pourrait advenir en ces lieux où l’absence est le socle de tous les élans, de toutes les lois, de tous les empires…

 

 

Ce qui nous hante – le sang, le rêve et la neige – le rouge, le noir et le blanc. L’exaltation et toutes les saisons déclinantes. Et le silence qui, un jour peut-être, parviendra à s’inscrire dans nos gestes et sur nos pages. L’innocence retrouvée des premières heures – la simplicité de l’enfance…

 

 

Ce qui est nu – et nous emporte bien plus loin que tous les voyages façonnés par le rêve

 

 

Mille regards en soi bouleversés par tant de sommeil. Profondeurs à peine éclairées par quelques lampes à la clarté trop raisonnable pour percer le secret que dissimulent tous les jeux…

Monde et esprit transformés en sentes étroites sur lesquelles on chemine entre mille périls – entre le rêve et la tragédie – entre l’abîme et la possibilité d’un ciel toujours aussi épais et énigmatique…

 

 

Qu’importe les rêves ! Et qu’importe l’ivresse ! Qu’importe le sommeil et les offenses pourvu que les ténèbres demeurent – suffisamment – confortables…

 

 

Tout – tantôt s’exalte – tantôt se cache – à notre passage selon le degré d’innocence du regard et celui de l’effacement dans nos gestes et nos pas…

 

 

A quand une lumière pleine, un rythme lent et un monde plus vivable…

 

 

Une perspective où tout se mêle – et où la lumière est – toujours – infidèle aux reflets des visages et des chemins…

Un quotidien minuscule – insignifiant – où tout est si tragiquement remplaçable et mortel…

Une chevauchée infime où tout dérape et se précipite vers le trou destiné à accueillir ce qui est bancal et ce qui flanche – tout ce qui n’a encore trouvé sa pleine mesure

 

 

Tout est fait pour laisser l’apparence diriger le monde alors qu’il faudrait creuser toutes les profondeurs pour que puissent émerger la blancheur et la transparence…

 

 

Habitudes et hasard au gré des jours…

Âmes dans leur coin – comme punies par le manque de persévérance des hommes…

Existences banales où s’ensocle – et s’enferre – l’humanité – à s’exercer à mille labeurs inutiles – à relever mille défis infantiles – à jouer des coudes – et à parfaire les murs – déjà hauts – et toutes les certitudes imbéciles – du monde…

 

 

Nul frémissement au lever du jour. Enfoncés – engloutis – pleinement dans l’illusion et la nuit triomphantes…

 

 

D’une feuille à l’autre – d’une existence à l’autre – à pousser le même visage vers ses frontières – vers cet étrange espace qui confine toutes les histoires à un passage – à une traversée infiniment nécessaire…

 

 

Un jardin – immense – de fleurs et de fruits. Mille pierres – mille couleurs – et autant d’herbes folles. Quelques visages. Quelques soupirs. Et la même ambition qui vient tout ternir et empoisonner…

 

 

Terre et visage d’un autre monde où toutes les pentes mènent – inéluctablement – au plus juste et au plus simple. Jamais ni au mensonge, ni à la corruption…

L’Amour et la présence d’un seul regard – en tous lieux…

 

20 novembre 2018

Carnet n°169 Reliquats et éclaboussures

Paroles confluentes* / 2018 / L'intégration à la présence

* Fragments du dedans et du dehors – de l’homme et du silence – qui se combinent simultanément dans l’âme, sur le visage et la page…

Engagé – simplement – dans ce qui arrive – et s’efface l’instant d’après…

A être – et à vivre – sans rien dire – ni rien bâtir – voué seulement à devenir le lieu de l’accueil et de la rencontre…

A veiller jusqu’au dernier jour de la tragédie – sur cette scène où le vide a, peu à peu, remplacé les visages…

 

 

Chemins de pierre où s’enlisent la chair et l’âme. Mille jours – mille tours – à découvrir. Mille jours – mille tours – à recommencer – jusqu’à ce que la mort, une nouvelle fois, nous avale…

 

 

Horizon blême – destin gris – parfois tortueux – sur cette surface labourée jusqu’au sang. Pourtant, tout est là déjà – le jour et la nuit dans la même main incertaine – brouillardeuse. Mille chants entre nos lèvres. Et mille soleils entre nos larmes…

Partout – toujours – la même rengaine du monde…

 

 

Feuille et âme blanches – espaces sans contour où tout est exposé – pêle-mêle – dans un désordre apparent – épais (et dont l’épaisseur confine à l’opacité). Aisés, pourtant, à creuser et à débarrasser de leur surplus – par le regard et la main affranchis des bruissements du monde et libérés de l’œuvre à accomplir – engagés à soustraire tout ce qui prolifère – tout ce qui s’accumule en couches successives et entremêlées…

 

 

Condamné(s) à la résonance et à la résolution. Il n’y a d’alternative pour embrasser la seule perspective en mesure d’éradiquer le règne omnipotent de l’homme – plongé dans cette odieuse fuite en avant vers la puissance génocidaire, la gloire destructrice et la solidification des fausses certitudes…

 

 

S’abstenir et s’effacer. Il n’y a d’autre issue pour échapper à la folie du monde – et réduire sa puissance et sa portée…

 

 

Être là où l’on nous demande de devenir. Se taire là où l’on nous invite à commenter. Se faire humble là où l’on nous incite à la fierté. Se soustraire là où l’on nous exhorte à nous étendre…

Demeurer – toujours – en deçà des exigences du monde. N’y tremper ni les doigts, ni les lèvres, ni l’âme, bien sûr. S’en remettre, à parts égales peut-être, à l’innocence et aux nécessités des circonstances…

Devenir – naturellement – modestement – l’au-delà de l’homme – entre poussière et infini…

 

 

Un arbre – une pierre – une feuille – au-dedans – près desquels on est assis. Entouré par quelques visages dociles et compréhensifs – libéré des épreuves – et affranchi du feu et des cendres alimentés par le bois destiné à réchauffer les hommes et leur foyer à la rude saison. Au milieu des bêtes qui ont revêtu leurs parures brumales et pris possession de leur quartier d’hiver…

 

 

Et cette parole qui nous porte malgré les lacunes – malgré les faiblesses et les défaillances. Les poings serrés au fond des poches – à la pointe de la matière (rouge et grise) sans doute – à livrer ces lignes sur la table rase du passé…

Paroles d’assaut et de réconciliation sans le soutien de la mémoire – à leur paroxysme peut-être – allez savoir ! – dans le plus haut vertige de la raison. A vivre – et à écrire – sans impératif ni muselière – dans la proximité d’un silence étonnant – prodigieux – intensément fécond et mystérieux…

 

 

Entre ciel et terre – à creuser dans les profondeurs de l’âme pour trouver ce qui existait autrefois – avant la naissance du monde. Les deux mains dans la nuit – occupées (tout entières) à la fouille – plongées dans ce qui précède le silence et l’Amour – dans le désir et la mémoire – pour dénicher une aire où l’on pourrait vivre au-delà de la faim – au-delà du destin – au-delà du soleil et des intempéries…

Marche entre errance, rêve et possible – une quête aux allures d’obsession ; comme une ardeur intense – passionnée – à la recherche d’un monde et d’un quotidien inégalés – et, sans doute, inégalables…

 

 

Chaque matin – à scier les mêmes barreaux de la chambre – pour apercevoir le reflet timide – presque amputé – du jour – lui-même, sans doute, reflet d’une lumière encore plus lointaine – comme posée – ou suspendue peut-être – à l’écart de toute forme d’emprisonnement…

 

 

L’ailleurs pointé par les mots n’est, en vérité, qu’un fragment de monde – ou une parcelle d’âme – qui cherche une attention – même parcellaire (même infime ou corrompue) pour échapper à l’obscurité et à l’inexistence de ce qui est dépourvu de nom et de lumière…

 

 

Paroles ordinaires – et, pourtant, hérétiques au regard de l’orthodoxie humaine selon laquelle la vie et la mort ne peuvent servir que les intérêts du ventre et la gloire – si odieuse – si terrifiante – des hommes…

Mais comment se résoudre à cette faim – et à ces nécessités illusoires – lorsque l’on devine ce qui nous constitue – et lorsque l’on effleure, du bout des doigts, une dimension de la vérité qui élargit, (presque) à notre insu, nos profondeurs, notre envergure et nos ambitions…

Et comment ne pas rappeler aux hommes l’urgence de découvrir le dedans et l’au-delà – l’infini qui compose le monde, les êtres et les choses…

 

 

Autant sur terre que sur la page – comme les seuls lieux où il nous est (encore) possible de vivre. Autant parmi les bêtes et le silence qu’éloigné du monde et des visages…

Solitude pleine et habitée – inscrite dans l’âme et le poème…

 

 

Mots et prières – inépuisables – et inlassablement répétés – comme le soleil qui, chaque jour, revient pour éclairer quelques visages – et quelques parcelles – de la terre…

 

 

Entre l’évidence du ciel et l’incertitude de la mort – à écrire encore – en volant un peu de lumière à l’âme et au silence – pour offrir à notre nuit – à notre peine – l’assurance d’une aube lointaine – l’assurance d’une aube certaine…

 

 

Il n’y aura de jour tant qu’existera demain…

Il faut rompre le temps pour que puisse se dessiner la fin de notre nuit

Le cheminement vers l’innocence sera toujours le prix à payer pour qu’advienne la lumière…

 

 

A tâtons entre le plus nu – le plus simple – et la démesure de l’homme. Ni ciel, ni terre – ni même horizon. Ni homme, ni enjeu – ni même sagesse. Quelques syllabes – quelques lignes peut-être (tout au plus) – offertes au monde, au vide et au silence…

 

 

L’esprit silencieux – entre le sable et les étoiles – à même la lumière qui surplombe le monde et le sommeil..

 

 

Nous ne renaîtrons qu’en deçà de nos prières. La poitrine (toujours) dévorée par le désir – les peines (toujours) infinies et l’ardeur trop fébrile pour accepter notre destin – et cette nuit dessinée sous la grande arche qui, de ses étoiles, éclaire les courbures de la terre et nos foulées sur les chemins. Dérives encore – dérives toujours – entre l’âme et la chair – livrées à la servitude du monde et à la récurrence des jours…

 

 

Pourquoi dire – essayer de dire – encore ce qui n’appartient qu’au silence…

Où – dans quel substrat – puise ce cri – cet impératif à dire…

Sans doute dans la même obsession que celle des jours qui s’échinent à revenir…

Et il y a de la beauté – et de la folie – et, peut-être même, un peu de désespérance – dans cette récurrence – dans cet élan inépuisable à recommencer…

Ce qui éclaire est différent – et semble (plutôt) appartenir au règne de ce qui demeure – immobile – inamovible – posé, de façon permanente, sur les mouvements – l’effacement et le renouveau. Comme un regard égal – serein – éternel – presque indifférent – sur toutes nos gesticulations…

 

 

Le printemps et l’hiver – aussi étrangers que bienvenus. Saisons égales – saisons passagères – intermédiaires en quelque sorte – à peine continuité des précédentes – à peine annonciatrices des suivantes…

La récurrence du renouveau et de l’effacement – ni méprisés, ni encensés. Ce qu’accomplissent la terre et le ciel – liés – encouragés, peut-être, par le baiser secret des Dieux…

 

 

Des murs – au loin – érigés par les hommes pour rapprocher l’horizon – et fragmenter la terre et l’espace en territoires – en parcelles étroites – indéfiniment appropriables – indéfiniment substituables…

Frontières qui exaltent le manque et le rêve – le désir d’ailleurs – la souffrance du limité – du restreint – du circonscrit…

Latitudes aménagées à la manière des rustres – si aisées à transformer en socle d’habitudes et de rencontres par tous les porteurs de ressemblances…

Monde divisé – morcelé – en autant de visages – en autant de vérités. L’abîme des apparences où sont plongées toutes les têtes – où sont plongées toutes les âmes…

 

 

Insuffisamment servile pour faire office d’accueil. Trop fier – et trop exigeant – encore pour vivre sans honneur et mourir sans raison – pour s’effacer derrière ce que bâtissent les lignes (et tous ces livres), pourtant, sans ambition…

 

 

L’horizon – à la différence de la lumière – est une ligne à intervalles multiples ; on peut s’y jeter – et s’y perdre – de mille manières…

 

 

Les prières, les temples et les Dieux ne sont nécessaires qu’aux insensibles – encore aveugles à la beauté, à l’Amour et à l’intelligence du monde et du silence – présents partout – jusque dans le moindre visage – jusque dans le moindre geste – jusque dans la moindre chose – au cœur du plus quotidien – au cœur du plus ordinaire – dans ce qui semble le plus éloigné des prières, des temples et des Dieux…

 

 

L’azur est le nom donné au ciel sur ces rivages insensibles à l’infini. Mais, en vérité, il se tient partout – au-dessus et en dessous – au-dehors et au-dedans – au plus près des yeux encore si avides de mirages et de miracles…

 

 

Le souffle encore – comme le signe d’une ardeur persistante – d’une ardeur transformée – issue peut-être, du mariage fabuleux – du mariage insensé – entre le silence et la matière…

 

 

Tout est tendu vers son dépouillement – ce qu’il reste lorsque tout a été confondu et dispersé. Le vide, l’espace et le silence – où tout s’efface et renaît à intervalles réguliers – au gré des nécessités (sous-jacentes) et des retraits et des poussées d’ardeur associés…

Des ondes et des vibrations qui tantôt édifient, tantôt anéantissent. Un jeu de forces et d’interstices, en quelque sorte, qui n’acclame les vainqueurs, ni ne condamne les vaincus. Un exercice où tout se mêle au-delà des parures, des postures et des stratégies. Une forme de bégaiement et de balbutiement perpétuels. Une suite d’impératifs destinés, sans doute, à s’affranchir de l’immobilité – ou à l’agrémenter – grâce à l’irrépressibilité et à la multiplicité apparente des mouvements…

 

 

Une nuit – mille siècles – sur terre – à se demander ce qu’est vivre – et ce que signifie respirer. A tout deviner derrière la raison – jusqu’à l’au-delà du monde et du vivre humain – quelque chose d’immense – quelque chose d’insensé – qui aurait nos yeux et nos mains – et, à la place du cœur, un espace infini – un Amour vivant – un Amour démesuré – si nécessaire en ces régions si hostiles – si féroces – si barbares…

 

 

Quelque part – enfermé – entre le silence et l’illusion…

Mille reflets nés du jour – à essayer d’étendre sa voix sur le même horizon – la tête posée sur le même billot avec ce goût de sang séché sur les lèvres…

A édifier la parole comme une vaine prière…

 

 

Etendue foulée – étendue déployée à même la pierre – à même l’âme – à même le poème. Comme pour célébrer l’étreinte et les retrouvailles – les défaillances et les épreuves. Quelque chose qui aurait la même valeur que la rosée au printemps et la neige en hiver…

 

 

Le temps rompu où rien ne peut naître – où rien ne peut grandir – où rien ne peut mourir. Où chaque instant est le nôtre – l’heure du baiser, de la bascule et de l’infini apprivoisé…

 

 

En avance – toujours – sur ces têtes et ces siècles si poussifs – où l’écoute est une épreuve entre les Autres et ses propres ambitions – où les rives s’entrecroisent sans jamais permettre l’exploration de l’arrière-pays – où tout naît, passe et disparaît sans un regard sur le monde alentour – ni sur le monde du dedans – où tout semble vivre à la surface des choses – à la surface du monde – sans jamais remettre en cause les croyances – indigentes pourtant – où ont été piégés, depuis les premiers pas de la matière, l’esprit et le temps…

 

 

Lignes et carnets – créateurs de souffle – celui qui manque (si souvent) aux élans libérateurs…

 

 

Des écarts et des intervalles à inventer pour se tenir au plus près de ce que l’on efface – au plus près de ce qui disparaît – sans laisser la moindre trace – et offrir ainsi à l’espace – à l’ensemble de l’espace – l’Amour et le silence – ce dont le monde a tant besoin…

 

 

J’écris – l’âme à bout de bras – pesant de tout son poids – sur ces terres sans yeux – sur ces terres sans témoin – privées de preuves et de témoignages…

 

 

Tout un monde – mille bibliothèques peut-être – dans une seule ligne – dans un seul mot. Et tout ce qui existe dans le silence. Et une passerelle – mille passerelles – à inventer pour que se rejoignent la parole et le secret – et favoriser ainsi le retour à la source…

 

 

Vie et mort – éveil et ignorance – la même expérience des profondeurs vécue sur deux versants opposés – joignables par le sommet, bien sûr – mais aussi par les mille passages existants à tous les degrés de l’ascension et de la chute…

 

 

A durer plus que nécessaire alors que l’étreinte – toujours – se fait furtive – et demeure hors du temps…

 

 

Terre tragique – terre éteinte – à la lisière du jour – aux frontières de la nuit – indissociable de ces doigts et de ces âmes qui se glissent partout pour découvrir le secret du feu et du regard – et sous la cendre – l’ardeur et le silence dans lesquels tout naît, plonge et disparaît…

 

 

A veiller jusqu’au dernier jour de la tragédie – sur cette scène où le vide a, peu à peu, remplacé les visages…

 

 

Engagé – simplement – dans ce qui arrive – et s’efface l’instant d’après…

A être – et à vivre – sans rien dire – ni rien bâtir – voué seulement à devenir le lieu de l’accueil et de la rencontre…

 

 

Qu’une main – autre que la nôtre – se saisisse de ce qui se trouve à notre portée – et nous voilà, aussitôt, plongés dans l’effroi, la colère et la frustration. A deux doigts de maudire tous les visages et notre naissance de ce côté, si désavantageux, du monde…

Fenêtre à demi close derrière laquelle persiste la malédiction…

 

 

Et demain, tout réapparaîtra sur le seuil – vêtu de la même tunique et du même appétit – rusé – agressif – armé – prêt à en découdre avec toute forme d’opposition et de résistance qui pourrait compromettre (ou même interrompre ou ajourner) les rêves, les désirs et les ambitions du jour…

 

 

Reclus dans la plus haute solitude – à se morfondre encore – et à blâmer la grossièreté des visages et l’indélicatesse des gestes au lieu de vouer son ardeur à l’accueil et à l’acquiescement…

Perte de temps et d’énergie à maudire le froid et l’âpreté du monde – à désirer que les êtres soient différents…

 

 

Vents et figures aveugles dans la nuit. Monde où tout se querelle et s’arrache. Les mains trop grossières pour effleurer ce qui vit – inconnu et anonyme – sous les chants et les prières qui ornent – inutilement – le vide et le silence…

 

 

L’inconnu porté comme un fardeau – une charge supplémentaire – presque comme une offense. Et jamais comme une chance – une grâce – le privilège des biens-nés

 

 

Le cœur immense et l’âme docile – entre besace (vide) et réclamation (souvent inepte) des foules – allant sur leur chemin sans destination. Marchant sans but – sans fin – allant là où les circonstances les appellent – là où les nécessités – toutes les nécessités – font loi…

 

 

De posture en destin – de volonté en silence – l’existence et la parole – comme un champ perpétuel de découverte – comme un terrain d’éveil permanent au monde et au langage – instruments essentiels pour rejoindre le cœur de l’homme – le cœur de l’âme – le cœur du temps – le cœur du jour (et, accessoirement, les décrire) – et franchir tous les au-delà (et, éventuellement, en témoigner)…

 

 

Tout flotte encore dans l’abîme – parmi les dépouilles et les fausses vérités bâties pour survivre aux supplices et à l’idée de la mort…

 

 

Issue à ce qui passe – là où demeure le secret à convertir en gestes…

 

 

Le monde – la terre – les bêtes – les hommes – instruments des vents – toupies que font tourner les Dieux. Graviers et brindilles sur les plaines et les chemins – fréquentés par trop de visages crédules – et saupoudrés de savoirs trop approximatifs – trop dérisoires – trop incomplets – pour être capables, un jour, de se hisser jusqu’au secret – jusqu’à l’origine des êtres et des choses…

 

 

Feu, souffle et porte. Nuit, ombre et fenêtre. Des issues – toujours – dans l’ardeur et le noir. A peine visibles malgré leur ampleur…

 

 

Il y a – et il y aura toujours – l’espace et le silence – et les mille choses dont nous les aurons peuplés ; pierres, arbres, visages, rêves, désirs – et autant de danses un peu désespérées de ne trouver que leurs reflets – et leur écho – dans cet infini inexploré…

 

 

Tout se tient là – debout – candide – presque immobile – dans le silence – excepté les hommes – la main droite plongée dans la sève du monde – dans l’ardeur du vivant – et la main gauche à la verticale du jour essayant de se hisser jusqu’à ce lieu où se rejoignent l’Amour et l’infini…

Passagers aux mille vies successives – œuvrant pendant mille jours – pendant mille siècles – pour creuser l’abîme – et au cœur de l’abîme, les sables mouvants où tout s’enlise – sans jamais découvrir – ni même imaginer – la seule issue possible – qui patiente au fond de l’esprit – disposé à s’abandonner à la réclusion – à vivre à perpétuité au fond de son trou…

 

 

Le monde – la même face obscure à découvrir, à accueillir et (accessoirement) à aimer – ici – au plus proche – et là-bas – à l’autre bout de la terre – au gré des pas – au gré des ombres – au gré des portes qui s’ouvrent et se referment sur les chemins et l’horizon…

 

 

Tous vivants – sous le même soleil.

Tous vivants – sur le même chemin.

Comme façonnés par le plus vieux rêve du monde – à chercher sa route entre l’herbe et les étoiles – à saupoudrer les ombres et les pas d’un peu de lumière – et à vouloir, parfois, échapper aux domaines circonscrits et aux traditions ancestrales pour bâtir une existence hors des dogmes et des croyances.

Immobiles (presque toujours) – à mi-chemin entre le réel et la vérité – la tête, sans doute, trop hantée encore par le songe et l’ambition pour s’affranchir d’un destin tout tracé…

Entre faille, bêtise et illusion – à piétiner là où, sans cesse, renaissent les ruines, la cendre et l’ardeur…

 

 

Tout tremble en traversant les yeux – et se repose au fond des têtes – trop stupides pour percer l’apparence et l’illusion…

Phénomènes et fragments – passages et perspectives – contraints de s’immiscer au fond de l’âme – au fond du cœur – pour espérer, un jour, pouvoir ressortir – et être vus – avec leur vrai visage – plus clair – presque entièrement dessiné – à peine existant…

Comme des vents dans le vide – de la poussière dans l’espace – appelés à voyager au cœur de ce qui demeure – immobile – inchangé – inchangeable…

 

 

Feu moins vif à l’automne – racines et couronnes derrière soi – plus nu qu’autrefois devant le monde et les visages – devant le temps, les siècles et le silence. Quelques traits esquissés d’une main moins tremblante – et plus solitaire aussi – pour dire ce qui nous attend – toutes les peines du monde – l’exigence des Dieux – et la nécessité du silence – pour que nous puissions (tous), un jour, retrouver la folie et la sagesse de l’enfance…

 

 

Entre deux fables – toujours – à réclamer aux visages et au ciel une explication (même partielle – même lacunaire). Comme happés par l’envergure du rêve et du sommeil…

Et les tremblements de la raison face à l’ampleur de la nuit. Quelque chose comme une inquiétude – et une forme d’échappatoire (et, parfois même, un recours à la folie) pour trouver la force de vivre au milieu de tant d’incertitude et d’absurdités…

 

 

Chaque jour, on se répète – comme l’invisible retrouve sa place, à chaque instant, parmi nous. Comme le regard – perpétuellement renaissant – sur le monde, les pierres et les visages – sur le Vrai, le Beau et le Bien – si souvent corrompus – si souvent mutilés – par le mensonge, la ruse et la laideur. Dans cette nécessité à dire encore – à dire toujours – ce qui n’a été compris – et qui, peut-être, ne peut ni se dire – ni se comprendre…

 

 

Tout s’enferme – ou est déjà enfermé – dans la peur et la violence. Gestes, mémoire, paroles, ancêtres, pays natal, tous les souffles, toutes les haleines du monde – derrière leurs grilles – derrière leurs murs – derrière leur porte – à protéger, bec et ongles, leur fortune et leurs territoires…

 

 

Quelques syllabes pour dénoncer les crimes et faire du jour notre seule ressemblance

 

 

Continent du désastre et de la discorde – peuplé de cadavres et de commentateurs – où les armes et les langues s’aiguisent en fréquentant la mort…

Une manière, sans doute (très) maladroite, d’échapper au pire…

 

 

Des masques – tant de masques – à porter avant que ne surgissent le jour – le soleil – la lumière – qui n’aveuglent que les âmes puériles – si peu enclines encore à affronter la nuit qu’elles portent – et la nuit alentour…

 

 

Danses funestes – fragiles – fabuleuses – admirables – aussi inconscientes que tragiques – moins nécessaires, sûrement, que l’œil contemplatif – mais complémentaires sans doute – indispensables, peut-être, à l’identité sous-jacente – et inévitables, bien sûr, en ce monde d’actes, de gestes et d’ardeur…

 

 

Théâtre de l’éphémère et de l’épouvante où les personnages envahissent la scène et encombrent les coulisses de leurs costumes et de leurs répliques sans jamais s’interroger sur l’œil unique – le seul témoin – le seul spectateur (sans doute) qui assiste aux mille représentations successives du monde…

La vie comme une suite d’actes et de tableaux (presque) sans importance où la fin de chaque pièce appelle déjà la suivante à investir les planches…

 

 

Tout se bouscule dans la pagaille et le mélange de couleurs – les cris qui montent mêlés aux prières – le sang, les corps, les âmes, l’esprit et le langage secoués – et tournés dans tous les sens…

Et ce qui surgit a – presque toujours – cette allure d’écorchure et de flamboyance – entre terre, misère et infortune – entre ciel, chance et opportunité…

Comme le furieux (et fabuleux) assemblage de tous les fragments du monde…

 

 

A scander la parole comme si le destin – et l’avenir – du monde en dépendaient…

A vivre davantage avec les bêtes et le langage que dans la proximité des hommes. A habiter le silence et la pierre plutôt que le rêve et le temps. A aimer la solitude et le poème autant que l’esprit des voyageurs…

Poète, peut-être, de l’universel et de l’atemporel – penché sur ses chants – œuvrant et célébrant l’infini, l’essentiel et l’éternité sur ces rives si futiles – si étrécies – qui n’honorent que l’anecdotique, le prosaïque et le limité…

 

 

Nous vivons sur la terre autant que dans le langage – usant davantage nos semelles que l’abondance (le trop-plein) de l’âme. Ventre à terre – repu – rempli presque toujours de victuailles – sur la neige et dans la boue des paysages…

Temps au-dedans – et au plus près de la tête. A ramper entre les failles au milieu des tourbillons continuels et des vagues éphémères. Cherchant sous la pluie – sous le soleil – sous tous les climats – à percer tous les secrets du monde…

Voyageurs et passants téméraires bravant la houle – et mille Bermudes – sur les eaux intranquilles de la terre où les mots et les pas font office d’embarcations fragiles…

 

 

A distance du monde – à distance des pierres – à distance de l’âme. Loin – toujours plus loin – du silence et d’eux-mêmes – ces hommes muselés par le désir, l’ambition et la mémoire…

A vivre – à survivre – sur les miasmes du désespoir et de l’espérance. A faire l’inventaire du monde et de toutes les ivresses possibles pour offrir à leur vie sommeillante quelques délices – quelques plaisirs – accessibles. A ouvrir leur chemin à tous les refus pour échapper à toutes les formes de contrainte et d’exigence – celles du haut et celles du bas – en ignorant qu’elles se rejoignent là où l’acquiescement est à son comble…

 

 

On se précipite dans l’hiver et la solitude pour échapper aux bruits – aux cris – à la présence infernale – partout – des hommes. Si étrangers à la beauté du silence – à la fragilité des âmes et des destins. Empêtrés dans un sommeil qui en dit long sur leurs rêves – sur leur manière de vivre et d’être au monde…

 

 

A vibrer sur les routes – dans la blancheur des pas. Sur cet espace bordé par la mort. A la terrasse, peut-être, du temps miraculeusement plongé dans l’abîme…

 

 

A convertir le désir en attente patiente – et les mots – la parole vaguement poétique – en silence (modestement) prophétique…

 

 

Humble parmi les humbles. Spéculaire – (presque) toujours – face à l’adversité. Rude et réactif – encore – face aux mensonges et à la ruse – face à l’ignorance et à l’arrogance des hommes et des certitudes. Effronté – insolent – intransigeant (et parfois même intraitable) – envers ceux qui dénient – et bafouent – les droits légitimes du reste du monde – de tout ce qui leur semble étranger…

 

 

Entre le blanc, la mort et l’étrange désir de continuer à vivre – ce silence – et ce regard aigu – parfois implorant – qui n’a que l’Amour à offrir…

 

 

A l’abri du monde – à l’abri des luttes – contraint, malgré soi, de regarder les hommes se dresser – et se battre – comme des coqs sur leur fumier – fiers de leurs délires et de leur sommeil – fiers de parader au milieu du sang – et d’infliger mille blessures et mille tortures – sans même y penser – sans même tressaillir. Comme des âmes épaisses – massives – et des bras lourds et aveugles qui déciment à la ronde par envie – par ambition – par ennui ou simple cruauté…

 

 

Toute la nuit encore – et tous nos refus à retrancher pour espérer, un jour, revoir la lumière…

 

 

Vides – limités – déraisonnables – tous ces jeux destinés à peupler (et à égayer) l’existence, l’esprit et la mémoire. Inaptes, bien sûr, à démanteler le temps – à enjamber ce qui nous entrave – et à convertir ce qu’il nous reste d’ardeur en silence…

 

 

Nous flottons sur toutes les surfaces – et laissons les murs asphyxier les racines du jour – l’origine du monde – la source de tous les traits…

 

 

Nous sommes ce que nous rejetons autant que ce que nous ingurgitons. Et nous volons – comme des enfants ivres et oublieux de leur propre chair – ce qui n’appartient à personne en croyant pouvoir le transformer – à notre convenance – en possession. Nous marchons – l’œil aux aguets et la main saisissante – en quête d’aisance et d’opportunités – au milieu du rêve – au milieu du sang et de la sueur – perdus depuis nos premiers pas – noyés déjà avant la traversée du moindre gué – et éloignés, depuis toujours, de ces rives blanches où patientent – et nous attendent – le jour et le silence…

 

 

Tant de beauté émerge, parfois, de ces champs ensanglantés par les hommes. La pointe de l’humanité – enfoncée, pour l’essentiel, dans la crasse et les instincts…

Vertus d’entraide, de francs partages et d’attention portée à l’Autre et aux plus vulnérables ; l’Amour, la sensibilité et le respect qui fondent la préciosité de notre genre – et l’avenir d’un monde qui pourrait devenir infiniment plus vivable…

 

 

Tout – bien sûr – est relié ; la vie, le monde, la lune, les pierres, les bêtes, les arbres, les hommes, le sang, l’Amour, la peur, la mort. La nuit et le silence. Et le jour qui pointe derrière cet amoncellement de rêves et de cadavres

 

 

Le désespoir face à ce qui nous manque – face à ce qui semble nous manquer. Et la joie retrouvée – intacte – indemne – une fois percée l’illusion de l’incomplétude – une fois notre vrai visage découvert…

 

 

Le même refrain dans toutes les bouches du monde. La même rengaine dans tous les gestes du jour. L’obsession de l’infini à travers toutes ses déclinaisons illusoires…

La même danse et la même chanson – toujours – dans nos ténèbres – face aux rayons clairs de la lune. Entre impasse, incertitude et inaptitude à la vérité – au milieu de toutes ces fausses issues au goût de sang – au goût de sueur – au goût de larmes. Le labeur incessant de l’homme pour échapper à cette nuit (trop) terrifiante – à cette nuit (trop) solitaire…

 

 

Une condition étroite – fragile – malmenée – dont on ne peut s’extraire ni par la force, ni par la raison, ni par la prière – mais dont on peut se libérer par une totale (et complète) immersion – l’abandon au sillon – au trou – au puits – nécessaire pour faire naître l’envergure cachée de l’existence – celle qui se fait infinie et éternelle sous les apparences…

 

 

Un coin du monde – un reflet de lune – les pieds parmi les fleurs sur ces parterres que l’on transforme tantôt en jardin, tantôt en champ de bataille. A rêver et à se souvenir – au lieu de faire face à l’inconnu qui se présente

 

 

Ce qui nous éclaire et délivre la chair impatiente, désireuse, flétrie – consumée à force d’ardeur et de frustrations…

 

 

Passionnément humain malgré les déceptions. Ce qui demeure à l’état de grâce – cette sensibilité recouverte de souffrances et de maladresses…

 

 

Ce qu’est la vie – en mots – en rêve – en images – à la manière dont elle est retranscrite par les hommes et les poètes – si différente de ce à quoi elle ressemble en vérité…

Et toujours plus belle lorsque nous sommes capables de l’habiter en silence – et de l’éprouver avec innocence et sensibilité…

 

 

Fosse, ciel, folie – pupilles rétrécies jusqu’à la cécité lorsque l’esprit se complaît dans les dogmes et les rituels – entre quelques cierges et un livre que l’on imagine sacré. Panoplie de la foi – inapte, si souvent, à dépasser l’image et la croyance…

 

 

Enfants du rêve et de la violence – à vivre entre paresse et aventure sous le régime de l’illusion. A l’exacte place – toujours – là où se tient le mystère qui refuse, autant que le silence, d’être percé par des yeux trop personnels – par des yeux trop ignorants…

Et la parole – entre simplicité et déchirement – écartelée toujours – au plus près comme au plus lointain de la vérité…

 

 

Paroles et existence – brindilles infimes – bien sûr – entre le feu et la cendre. Dignes et courageuses au milieu des arbres et des fagots qui serviront à nous réchauffer…

 

3 novembre 2018

Carnet n°168 Fragments ordinaires

Paroles confluentes* / 2018 / L'intégration à la présence

* Fragments du dedans et du dehors – de l’homme et du silence – qui se combinent simultanément dans l’âme, sur le visage et la page…

Il est un temps pour parcourir le monde et les saisons – les mille chemins exigés par les hommes. Et un autre pour se laisser traverser – presque immobile – par les heures et les visages (quelques visages). Et un autre encore – plus tardivement peut-être – pour rompre avec toute forme de présence et de temporalité…

Nu – sans même oser exprimer notre pudeur et notre joie à nous laisser dévêtir – à nous laisser dépouiller jusqu’au dernier souffle – jusqu’à la dernière pelure – jusqu’à l’ultime goutte de sang…

 

 

Ce que la main édifie – rangée après rangée – n’est que vent, poussière, illusion. Bruits arrachés à l’origine. Vibrations dans le silence. Peu de chose, en somme ; terre aride – inculte – d’où rien ne peut jaillir – ni le regard, ni l’élan nécessaire à la transformation…

La boue restera boue. Et l’or restera ce vieux rêve d’abondance – cette fausse promesse de fortune et de jouissance…

Chair et âme – toujours – enchaînées à cette nuit sans conscience…

 

 

Déracinés – et sans épaisseur. Yeux plongés au fond des ténèbres…

Et l’on voudrait nous faire croire que l’homme n’est pas soumis à la malédiction – et qu’il représente encore un possible – et même une issue – pour le monde…

Croyances aveuglées et aveuglantes. Postures et danses ridicules au milieu du bruit – au milieu des vents. Sillons dérisoires et mensongers dessinés sur le sable pour nous laisser espérer une histoire – et une fin – moins tragiques…

 

 

Il faudrait rejoindre le monde dans son impasse – et y vivre de toute son âme – pour se réjouir de l’activité des hommes…

 

 

Sur notre pierre – porte ouverte aux vents malicieux – à attendre une embellie – un présage – la simplicité d’un chemin – une main tendue vers le sommeil. Un regard immense au milieu des cris et des caprices. Le génie de l’Amour pour nous faire rejoindre ce que les Dieux (et les prophètes) nous répètent depuis des siècles ; le sacre du silence et l’avènement de l’innocence en nous…

 

 

Bout de ciel sur la page qui n’a plus rien à offrir sinon le silence – cette sagesse sans attente et sans espoir – qui se livre à ceux qui piétinent (encore) dans leurs marécages hivernaux – et toujours solitaires dans leur désarroi…

 

 

Creuser la profondeur – jusqu’à la béance – jusqu’au gouffre – jusqu’à la chute – jusqu’à la perte – pour découvrir l’unité et l’identité originelles – intactes – malgré la multitude et l’illusion édifiées par le monde – et élevées au rang de lois universelles…

 

 

Il faudrait – sans doute – transformer les édifices en espace – les tentatives en attente – et la parole en silence – pour commencer à découvrir ce que notre ardeur essayait vainement de dénicher dans sa conquête – intensément exploratoire et appropriatrice – du monde…

 

 

Dans la solitude se côtoient l’intime et l’infini – le monde et le silence. Et la seule gloire tient à l’humilité de l’être – et à la simplicité du vivre. Le reste est – simplement – offert à la main qui sait se tenir ouverte face à ce qui surgit…

L’intériorité et les territoires apprivoisés d’un geste – égal peut-être à celui des âmes défaites – piégées dans leurs efforts – et prêtes enfin au sacrifice et à la mort…

 

 

L’inexistence comme horizon. La faim retranchée du destin. A vivre et à mourir d’un seul tenant dans la solitude et le silence. La joie au cœur – et affranchi du manque – dans la fabuleuse plénitude de l’instant – au fil des jours – qui, mis bout à bout, forment un destin libre et sauvage – une existence simple – presque élémentaire – libérée du monde et de la folie des hommes…

 

 

Fausse altitude en ce monde qui célèbre les sommets. Fausse envergure en ce monde qui exalte l’expansion…

L’infini et les hauteurs se tiennent au-dedans – humbles – discrets – secrets – et ne s’offrent qu’aux innocents et aux âmes effacées qui ont su plonger au cœur de leur bassesse et de leurs restrictions

 

 

Mille manières de vivre – tremblants – dans l’inquiétude. Et une seule façon de rire au milieu de la misère – en regardant les jours et les visages défiler – sans pouvoir agir sur le moindre destin…

 

 

Nous ne sommes vivants – à peine survivants – sous les chants, les chapelets et les prières. Les yeux fermés sur les pierres, les sentiers et les dépouilles. A honorer ce coin d’ombre où la vie nous a poussés. A labourer le sol et à quémander au ciel et au reste du monde quelques privilèges – quelques compensations – avant d’être plongés dans la terre. Si terrestres – si humains – en somme – sur ces rivages peuplés de bêtes et d’instincts…

 

 

Tout est rire et illusion, en vérité, parmi la faim qui gronde et la mort qui rôde. Privilège des sages à l’écart des routes et des assemblées édifiées pour jouir d’une gloire grotesque et dérisoire…

 

 

Regard apprivoisé – serein – sur les jeux, les danses et les départs. Yeux en surplomb du monde, des rivages et des visages. Quelques mots pour se moquer des routes et des sillages tout tracés – et des voilures en partance amarrées aux grèves surpeuplées. Amour et lumière posés bien au-dessus des temples et des Dieux. Âme vide – harassée – presque moribonde – usée par tant de tentatives, d’espoirs et de recommencements. Mains ouvertes – à présent – et l’esprit enfin prêt à sortir de son affreux cachot pour vivre hors des grilles et apprécier l’envergure de la solitude et du silence…

 

 

Passions affaiblies à présent – avec, dans l’air, le parfum d’autrefois, quelques effluves d’ailleurs et de vilaines déchirures transformées en souffle. Et au-dedans, la porte ouverte. Ce qui se retranche à tous les ajouts. Ce qui sait se défaire de tous les amassements. L’oubli et l’essence du vivre. L’être et la respiration. Quelques pages encore à écrire. Un peu de joie et de silence. Et l’ardeur pour aller plus loin – ou pour tout recommencer peut-être…

 

 

Ce qui est unique – essentiel – fondamental – éternel. Et ce qui s’use et se défait jusqu’au plus complet dénuement…

 

 

Ardeur, poussière et vacance – voilà, peut-être, la plus simple manière de résumer le monde…

 

 

Séparés les uns des autres par l’oubli du plus commun. Fils distendus. Et les différences, si évidentes, des âmes et des visages. Tout en pagaille – en conflit – en aspérités – en interstices et en intervalles. Ce qui s’élève – et ce qui s’articule – dans l’opposition et l’emboîtement des ambitions. Et les désirs amassés qui ne forment, en vérité, qu’un seul espace où tout peut (enfin) jouir du rassemblement et du silence retrouvé…

 

 

Comme une voix qui s’assèche – comme une tenaille tenue par deux mains furieusement opposées – plongées (depuis toujours) dans le même affrontement. Ondes heurtant l’air. Innocence sur les foulées éblouies. Perdu – dispersé – et retrouvé enfin au plus bas du souffle – dans les profondeurs hivernales de l’âme – sur un peu de neige où la lumière a élu domicile. Le sol foulé – et l’étendue immobile enfin déplacée du dehors vers le dedans. Et le rire qui remplace la parole comme un pied de nez aux hommes et à la raison. La terre défracturée. Et le fond du jour qui, en nous, émerge pour saluer le monde à la dérive – et affermir les pas sur ce qui se décomposera toujours…

 

 

Ecrire comme le soleil qui, chaque jour, dévoile – à travers quelques traits de lumière – mille et un paysages. Des ombres dessinées avec un peu d’âme (etun peu d’encre aussi)…

 

 

Là où l’on se tient – dans la respiration la plus ordinaire…

Et cette porte derrière laquelle s’exténue l’éphémère – derrière laquelle s’acharne la raison – sans deviner l’espace que leur cachent leurs ambitions…

 

 

Quelque chose d’un peu sauvage – à l’abri sous la neige. Réfractaire au monde et aux visages agglutinés – trop paresseux et obstinés pour échapper au sommeil – en attente d’un souffle et d’un élan qui ne viendront – sans doute – jamais…

 

 

Âmes froides et visages sans grâce – trop éloignés du feu pour découvrir le ciel hors du rêve – hors de la pensée…

 

 

Heurtés par la descente du jour – les lèvres trop éblouies pour témoigner – et émettre même le moindre soupir…

 

 

Perdus – ici – ailleurs – comme sur cette étendue sans emprise – sans limite. Avec sur les joues, ces larmes qui ressemblent à la rosée. L’esprit absent – sans incidence ni sur le sol, ni sur les existences. A attendre le mûrissement de ce qui tremble (encore) sur la pierre…

 

 

Une traversée en boucle – de la source à l’achèvement – sous l’égide du temps et de l’éternité – pas encore réunis – ni dans l’âme, ni dans la main…

 

 

Le retranchement et la discrétion – l’effacement et la soustraction pour donner corps – et même chair – à cette âme sans illusion – à cette âme depuis trop longtemps en perdition…

 

 

Tout ce que l’on enlève – et que l’on doit encore ôter – pour que ne subsistent que l’Amour et le silence…

 

 

Chaque jour – à recommencer avec la même innocence – à écrire ce qui s’invite au-dedans pour rompre ou résoudre le rêve – et échapper (maladroitement) à cette terre humaine invivable – trop indolente – trop assoupie – pour défier l’horizon, les habitudes et le mystère…

 

 

Tout ce qui dure – et la joie de l’étreinte. A travers nos doigts – à travers notre âme – où tout glisse et s’enfuit…

 

 

Le cheminement – désordonné – elliptique – effarant – et effroyable si souvent – par-delà le souffle et les élans – pour nous mener là où l’innocence ruisselle comme l’eau des rivières – là où la terre n’a plus rien à réclamer (ni à envier ) au ciel – là où les vents font sonner les cloches des retrouvailles ; notre envergure et notre identité communes où se mêlent l’infini et tous les visages du monde…

 

 

A armes – et à distance – inégales face au mystère. A avancer tantôt vers le mythe, tantôt vers la vérité. Recouverts, peut-être, par trop de masques et de désirs – par trop de rêves et d’illusions – pour nous tenir, sans attente, près de la lampe sur ces rivages gorgés d’absence et d’espérance…

 

 

Trouées de vide, de blanc et de silence. A peine les vestiges de quelques mots – et la trace de quelques pas. Comme l’affirmation et l’infirmation de tout – et de son contraire. Comme un regard sur presque rien – sur si peu de chose(s), en somme ; nous, le monde et l’univers – vivants – au cœur de ce qui demeure imperceptible par les âmes (encore) si ingrates – (encore) si grossières…

 

 

Tout arrive – tout avance – jusqu’à son terme – sans que rien ne change – sans que l’immobilité ne soit jamais ni compromise ni corrompue…

 

 

Le vide comme espace tantôt glacé, tantôt brûlant – au gré des vents et des feux allumés aux fenêtres de l’âme…

 

 

Marche et regard – constants. Partout – la vacance et l’illusion du voyage…

 

 

Quelque chose au bord – prêt à tomber. Entre l’horizon et le silence. Et ces empreintes (maladroites) que le sable recouvrira bientôt. Vents encore. Et le ciel en face. Âpre – dénudée – cette figure à peine légitime – méticuleuse pourtant – au plus près de l’effacement – et sur les routes encore – fragmentée – écartelée par la certitude et l’incohérence – entre blancheur et découragement…

 

 

A bâtir – sans comprendre – dans le désir de jouir d’une envergure et d’une (fausse) liberté plutôt que laisser s’effilocher tous les gestes et toutes les œuvres inutiles…

 

 

L’illimité et l’hébétude des regards. L’infini en lui-même – effaré et perdu face à sa propre envergure…

 

 

Toutes ces terres – et ce souffle – et cette ardeur – utilisés pour le moins utile ; la satisfaction du ventre – et jamais celle de l’âme. Le front, sans doute, trop embarrassé pour s’engager dans une perspective plus large – qui s’avérerait, pourtant, infiniment plus salutaire…

 

 

Tout se fracture – et se dénude – et nous n’avons d’yeux que pour les parures et la chair corrompue…

 

 

Espace sans lumière – aux murs blêmes – au fond épais – opaque – couleur de bitume. Au pied des façades érigées pour tromper la soif et l’ambition. Les mains ligotées et la bouche muette à force de larmes. Le vent – encore – à travers les fenêtres entrouvertes – qui invite les âmes – et les fronts – à s’agenouiller et à embrasser la terre noire et la poussière pour honorer les actes et les cendres des ancêtres – toutes les traditions (mortifères) de la réclusion ordinaire et résignée…

 

 

A amasser plutôt qu’à soustraire – le geste et l’esprit enferrés dans le rêve et le désir d’abondance. Et l’âme docile – prête à froisser sa seule ambition

 

 

Sans pourtour – ni véritable limite – le silence retrouve enfin son espace – ses terres – le cadre antérieur à son rétrécissement historique. L’aire la plus vaste – le point le plus dense – que notre ardeur et notre sauvagerie firent – peu à peu – éclater en danses – en vagues – en foulées sautillantes. Autrefois désert – et aujourd’hui habité…

 

 

Plus rien – pas même un souvenir entre nos mains lasses. Ni même l’attente d’un visage ou d’un paradis. Et moins encore le désir d’un autre monde. A peine un regard sur la bestialité et la convoitise – inévitables…

Une âme silencieuse – enveloppée dans ses replis – sans contact avec le froid alentour…

 

 

La parole poétique est la seule à dire (ou à pouvoir dire) le silence – et à essayer de l’étoffer pour qu’il s’insinue au cœur du monde – au cœur du brouhaha ambiant – jusqu’au cœur du moindre bruit…

 

 

Ni consistance – ni destination. Un peu de rire – seulement – sur ce qui semble exister. Ni Dieu, ni raison – ni même vérité. Un regard et le silence. Un peu de neige – quelques traits de lumière – sur ce qui – inexorablement – s’enlise et disparaît…

A demeurer ainsi – dans cette blancheur sans contrariété. A aimer les cris, le ciel et la page. Ce qui respire – et ce qui s’offre, au même titre que l’Amour, à tout ce qui étouffe sous les plafonds du monde…

 

 

Tout n’est que phénomène et parenthèse – risibles – dérisoires – aussi précieux qu’inutiles…

 

 

Avec le vent – se renoueront, peut-être, la chevelure et la clé – la fontaine et ces terres brûlées (dérobées au silence) – le désert et le peu d’abondance nécessaire à la vie joyeuse – à l’existence sans impératif…

 

 

Avec le monde enfoui – recouvert à présent – réémergera, peut-être, le chant au-delà de l’homme – le silence gravé à l’envers de tout – présent partout – jusqu’au fond des âmes les plus absentes – jusqu’au fond des âmes les plus insensibles – jusqu’au fond des âmes les plus férues de savoirs et les plus gorgées de pourquoi…

 

 

Une lumière – pâle d’abord – presque tragique – inscrite au loin – derrière l’horizon – puis sur la page – prête à gravir, une nouvelle fois, toutes les pentes – à semer partout la déroute et la pagaille – et à offrir ce qu’elle a de plus mystérieux – de plus pur – de plus précieux ; le secret au fond duquel tout est né – le monde, les visages et les chemins – et la folle aventure des hommes…

 

 

Sans nom – à démonter (humblement) les mécanismes de la morale humaine pour faire émerger l’éthique la plus nue – la plus simple – et l’être au monde associé. Quelque chose de moins tragique – et de moins péremptoire – que les règles et les lois du monde…

 

 

Obéir au souffle indocile au sommeil – qui s’obstine jusqu’au seuil de l’Amour retrouvé – et qui laisse au-delà le silence régner sur le monde – et l’âme répondre aux nécessités des pas et des circonstances…

 

 

Quoi de neuf – quel substrat supplémentaire au fond de l’œil – dans l’antre du désir ?

Rien – la même chair à dépecer pour assouvir la faim – celle du ventre – et effacer tous les appétits – ceux de l’âme – pour tenter de se résoudre sans avoir à percer tous les mystères du monde

 

 

Qui s’intéresse donc à notre sort – sinon, en nous, cet espace nu – dépouillé – entouré par trop de bruits, par trop de nuit, par trop de visages…

 

 

Il faudrait vivre et témoigner comme si nous étions seul(s) à habiter ces rives. Et être – et agir – comme si tous les visages du monde étaient les nôtres…

 

 

Peut-on aller au-delà de l’innocence… Y a-t-il quelque chose derrière le silence… Qui sait ? Qui peut savoir ? Et comment poursuivre ce voyage pour apaiser (et, peut-être même pour guérir) l’âme et le monde – et être (enfin) capable d’acquiescer à toutes ces danses fébriles – inépuisables – désespérantes…

 

 

Des mots – comme des pierres jetées sur l’inutile…

Un besoin d’ancrage – simplement – pour échapper (provisoirement) à la folie du monde – et apaiser – adoucir peut-être – cette existence, parfois, un peu (trop) éprouvante…

 

 

Le tragique absolu de l’existence – aussi grotesque que dérisoire – aussi hilarante que ridicule. Ce que nous oublions (presque) tous – et (presque) toujours – en vivant…

 

 

A force de bégayer, peut-être parviendrons-nous, un jour, à nous taire – ou à faire de la parole le lieu du silence…

 

 

Du rêve au silence – de l’abstraction au silence – le chemin à parcourir pour les uns et les autres – selon l’attirance de l’esprit pour l’imaginaire ou la pensée…

 

 

Une parole dont il faudrait tarir la source. Une parole qui pourrait – peut-être (qui sait ?) – revenir à l’origine du silence

 

 

Avec le silence – avec la vérité – rien ne change ; ni le nom, ni le sang, ni l’ardeur, ni la faim, ni la mort. Mais tout se fait moins sombre – plus sobre et plus vivable. L’innocence devient, peu à peu, le centre de l’existence – le seul habit nécessaire, en quelque sorte – le seul lieu où il nous est possible d’écrire, de vivre et d’aimer…

 

 

D’un trait – d’un silence – à dire ce qui nous envahit – ce qui nous déborde – ce qui nous déchire – tout ce qui nous rend si fragiles – et si incohérents – face au monde. Désaccordés, en quelque sorte, à l’espace – à l’origine – et aux rythmes lents de l’âme. Au bord du gouffre et de la noyade – presque toujours…

 

 

Des paysages sans soleil – gorgés seulement d’espoir et d’absence. Des rives peuplées de ruses, de déchirures et de visages. Mains derrière le dos pour flâner les yeux en l’air – ou mains à la ceinture prêtes à saisir le poignard (et la faux du Diable) pour protéger leurs territoires – leurs récoltes – tous leurs maigres larcins…

 

 

Entre merveille et tragédie – à vouloir jouir du monde sans porter ni le poids, ni la responsabilité des drames. Plus lâches qu’innocents, sans doute. A mêler nos pas aux danses pour avoir l’air aussi humains – aussi inhumains – que les Autres…

 

 

Des jeux, des rires – des tombes, des larmes – presque toujours sans incidence sur le monde et les destins. Une manière, peut-être, de combler les heures – de passer le temps – avant d’être (à son tour) fauché par la mort…

 

 

Au cœur de l’enclos – avec, au centre, Dieu ou la mort – selon la sensibilité de l’âme. Quelque chose au goût d’ailleurs – presque toujours indétectable – et inaccessible – de son vivant…

 

 

L’anneau au doigt – l’anneau au cœur – pour sceller les alliances – et faire front ensemble face à l’adversité – face au hasard – face au destin…

Mains supplémentaires et Dieu – alliés de notre survie – alliés du partage et de la misère – alliés de notre fardeau – pour faire face au monde – pour faire face au ciel et à la solitude – pour faire face au silence et à la mort. Et mille rêves encore – et mille rêves toujours – dans le regard commun…

 

 

Un regard qui cherche entre la pierre et l’étoile – entre la nuit et la faim. Une âme plus seule – et plus égarée – que les autres. Un gué – un pont – un chemin à travers l’eau et les broussailles pour apaiser – et guérir peut-être – le cœur si rude – si aveugle – si incertain…

 

 

A la lisière – entre l’obscurité et la chair – à répéter ce que l’oreille distraite (presque toujours) a déjà entendu mille fois. Ce que nous sommes – ce que nous fûmes – et ce que nous serons – à jamais…

 

 

Immuable et instantané – ce que nous sommes – et ce que nous cherchons…

 

 

Champ où l’acte devient possible – espace et silence où tout naît, prend forme et s’enracine. Le provisoire au cœur de l’éternel – et le limité au cœur de l’infini…

Et ça s’emmêle – et ça se mélange – pour tout rendre opaque – jusqu’au monde – jusqu’aux âmes qui cherchent – jusqu’aux yeux qui regardent…

 

 

S’écarter suffisamment de soi – s’effacer – et demeurer – concomitamment – au centre – au cœur de l’attention – pour laisser la place au monde et au silence – à ce qui accueille et à ce qui surgit… Voilà, peut-être, le secret que cherchent, depuis toujours, à percer les hommes…

 

 

Quelques éclats d’écriture pour descendre le secret de ses escarpements – pour témoigner – humblement – de ce que l’on apparente communément à l’indicible – de la simplicité du plus complexe et de l’accessibilité de ce qui semble (presque toujours) incompréhensible et impénétrable par l’esprit humain…

L’infini et l’éternité à portée de regard – à portée de souffle – à portée de main – pour que le geste et la parole deviennent profondément justes et respectueux – pour que le monde s’affranchisse (enfin) de sa bestialité et de ses instincts…

Toute notre ardeur, en somme, vouée à établir les conditions propices au jaillissement de l’Amour…

 

 

Hors du regard, il n’y a ni monde, ni lumière ; il n’y a que la nuit et le néant – et l’impossibilité de la délivrance…

 

 

Tout flotte – à présent – anéanti et intact. Et par-devers soi, tous les territoires, toutes les frontières et tous les drapeaux détruits – effacés. L’espace seul – grandiose – infini. Le silence, le souffle et l’ardeur. Et la joie des retrouvailles…

Visage à peine humain où se mêlent quelques restes d’autrefois, mille déchirures (presque entièrement) cicatrisées, le feu – et l’ivresse d’être là – vivant et mortel – dérisoire et précieux – joyeux et pathétique – au milieu du monde – au milieu des Autres – au milieu de toutes ces figures qui, un jour, se rejoindront pour devenir les nôtres…

 

 

Le monde – l’ensemble du monde – enfourné dans la bouche – dans les yeux et la tête – pour nourrir le corps et l’âme – ces infimes fragments de matière et d’esprit. Bouts de soi nourrissant – et se nourrissant – d’autres parts d’eux-mêmes…

 

 

Rien autour – le noir et la nuit – seulement – éclairés par le centre et la lumière…

 

 

Il est un temps pour parcourir le monde et les saisons – les mille chemins exigés par les hommes. Et un autre pour se laisser traverser – presque immobile – par les heures et les visages (quelques visages). Et un autre encore – plus tardivement peut-être – pour rompre avec toute forme de présence et de temporalité…

 

 

Nu – sans même oser exprimer notre pudeur et notre joie à nous laisser dévêtir – à nous laisser dépouiller jusqu’au dernier souffle – jusqu’à la dernière pelure – jusqu’à l’ultime goutte de sang…

 

 

L’âme vierge dans sa coquille qui, peu à peu, se transforme en écrin. Et qui s’ouvre, progressivement, au monde – à la nuit – aux visages et aux chemins – sans rien cacher aux mille démons qui s’impatientent dans leur sommeil – derrière les figures alignées qui défilent sous nos yeux…

 

 

Du sable mouillé par l’océan et les larmes de ceux qui regardent – impuissants – l’étendue et l’horizon…

 

 

La terre mêlée au vent – l’eau et le feu des sous-sols – à parts égales sans doute, avec l’espace au-dedans. Ni vraiment homme, ni vraiment Dieu. Quelque chose à la lisière des mondes – aux confins des possibles. Un curieux mélange de chair, de souffle et d’infini – presque ridicule pour l’œil confiné aux apparences – mais inégalable pour les yeux transformés en regard…

 

 

Ni fracture, ni stabilité. Ni étendue, ni immobilité. Un seuil sous le front – entre les tempes – à la surface tantôt claire, tantôt bleue (teintée de nuit). Le portrait d’une faim et d’une récolte dessiné à la craie sur le bitume des jours. Mille printemps – mille siècles – et l’éternité au-dedans. Et cette sagesse à l’intérieur – emmurée par mille croyances, par mille désirs, par mille espoirs. Et ce qui se précise – toujours – cahin-caha – au fil du passage – au fil des traversées successives – au bout de la raison – au bout de tous les pourquoi…

 

 

Sans doute existe-t-il un versant plus ample de l’existence que cette fumée qui monte du monde et des destins qui – toujours – se consument en allant ici et là – et qui – toujours – brûlent en marchant à reculons – sans voir ni la suie, ni les cendres qui s’amoncellent au fil des pas…

 

 

Une page – un espace – une étendue – où le blanc remplace le sommeil et les tentatives – et où le silence fait naître le rire sur ce qui s’essaye encore à laisser quelques traces

 

 

Lignes et livres humbles – presque anonymes – sur ces terres en feu – sur ces terres brûlées où les paupières sont scellées dans la pierre – où les dérives naissent à même la rive – à même le cours du voyage – et où les vents sèment au milieu du désordre les graines de la révolte – les balbutiements de l’insoumission face au destin si tragique – si pitoyable – de la chair…

 

 

Terres singulières et l’apprentissage (parfois laborieux) du rire. Et la surprise sans cesse renaissante lorsque dans les veines, la joie et l’incertitude remplacent le sang et les habitudes…

 

 

Ni jour, ni secret. Le plus simple et l’évidence. Ni lampe, ni neige. Dieu écarté de son trône – et descendu parmi nous. L’enfance et la poésie. Le ciel, le regard et le silence. Et tant de pages à écrire encore…

 

 

Entre la pierre et la brique. Entre les lèvres et le monde. Entre le sable et la neige – ces lignes qui roulent comme l’eau des rivières le long de ces berges mornes…

 

 

Saisons au lieu du jour. Echafaudages sur la terre. Ardeur pour dessiner quelques tours, quelques bruits et quelques danses sur ce que ni l’âme, ni la main ne pourront effacer…

 

 

Aujourd’hui, le rire et l’évidence. Si différent des saisons passées dans le doute et la tristesse. Et demain ? Nous ne savons pas. Peut-être – sans doute – n’y aura-t-il plus jamais de lendemain…

 

 

Etrange sommeil sur ces pierres alors que dans le sang gronde tant d’ardeur…

 

 

Entre innocence et rudesse – cette parole adressée à personne sinon (peut-être) à ceux qui la laisseront entrer, avec les vents, dans leur âme si fébrilement interrogative

 

 

Lumière en eaux profondes. Bouée lancée dans la houle pour que toutes les frontières, un jour, puissent être franchies…

 

 

Faces aveugles à étancher leur soif plutôt qu’à se pencher sur les mille blessures laissées par les visages et les chemins…

 

 

Être – infini et éternel – sans nom – au-delà de tous les qualificatifs – ni ceci, ni cela – nulle part – et partout à la fois…

 

 

Ce qui va du dehors vers le dedans – du centre vers la périphérie – du fardeau vers la liberté – de la nuit vers la lumière – du mythe et de l’illusion vers l’innocence et la virginité. Et inversement – bien sûr…

Le seul chemin véritable. Le seul chemin nécessaire. Ce à quoi il nous faudra tous, un jour, nous résoudre…

 

 

Du livre aux lèvres – il y a un abîme – mille chemins – et mille frontières à traverser. Le même gouffre et la même marche qui existent entre la tête et la main…

Gestes et paroles des Autres – piochés ici et là dans le monde qu’il faut dénuder – dépouiller de toute forme de croyance et d’exigence – pour qu’ils puissent, un jour, devenir profondément nôtres – et jaillir naturellement (avec justesse et innocence) au gré des circonstances…

 

 

Chaque jour – pas à pas – syllabe après syllabe – dans le même désir de silence

Ainsi s’inventent – et s’exposent – l’existence et le langage qui coulent du regard vers le monde – vers la nuit…

Comme de jeunes pousses – un peu d’herbe – quelques fleurs – sous les étoiles – offertes à ceux qui les laisseront entrer dans leur âme…

 

 

Rien à déchiffrer – ni le temps, ni les livres, ni les cathédrales. Un peu de sang – quelques souffles. Et nos doigts et nos âmes si proches – toujours – de notre œuvre et de notre visage communs.

A tout parcourir de la terre aux étoiles – du sommeil au jour promis – l’ardeur scellée dans le pas où que l’on aille – partout où se pose le regard…

Ivre(s) de cette brûlure et de cet allant qui nous portent au-delà de l’homme – au-delà du souffle – au-delà de la mort – jusqu’au rassemblement de tous les lambeaux – jusqu’au rassemblement de toutes les parcelles du monde…

 

28 octobre 2018

Carnet n°167 Alternance et continuité – entre l’homme et le silence

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Poursuivre sa route jusqu’à ce que la mendicité et les prières nous quittent – jusqu’à ce que les Dieux nous abandonnent. Avancer jusqu’à ce que tout se referme – et que la nuit – soudain – se transforme…

Ne rien choisir. Ne rien décider. Aimer et accueillir ce qui vient – ce qui s’avance – tout ce qui frappe à notre porte…

 

 

A servir de seuil – de passage peut-être – à la verticale des dérives. Main tendue – solitaire – initiée par le regard – à distance du temps, des tentatives et des exercices vains de la mémoire…

 

 

Tout s’est effacé – fouille et chemin disparus. Regard et solitude praticables sans l’aide de quiconque. Comme un phare discret – invisible – anonyme – au milieu des vents qui continuent de faire tournoyer le monde et les âmes. Bouche au sec – à l’abri sur la page – pour décrire les mille aventures – les mille errances – les mille impasses – nécessaires à la cessation du voyage…

 

 

Le visage face au monde – et le poème jeté haut – par-dessus – pour apprendre à aimer la solitude et l’hiver – et tous les vents qui déferlent sur la terre – sur les bêtes et les hommes sans idéaux

A se demander encore ce qu’est la vie – et à qui sont destinées ces pages…

 

 

Dans l’anxiété de la langue, cette ressemblance avec le destin – ce qui court – ce qui part – ce qui reste. Et la soif inassouvie – et la fin jamais trouvée. A mendier au ciel ce qui se refuse à la main et à l’espoir…

 

 

Le temps – coûte que coûte – comme une rumeur presque indomptable – comme un passage creusé à même l’âme et la chair – censé nous mener jusqu’à la rive où les difficultés, les questions et les énigmes – et le mystère même peut-être – pourraient rencontrer leur résolution. Une chimère de plus, sans doute, pour tenter de naviguer entre les épaves du vivre et les hauts-fonds du monde…

L’espérance d’une passerelle qui, un jour, bien sûr, s’effondrera – comme tout le reste…

 

 

Tout s’use – et par-delà les contraires, les Dieux et les rêves s’invitent pour rendre la vie plus belle – et les fêtes (un peu) moins tristes…

 

 

Des nuits entières à s’exercer à l’attente et à la folie pour donner aux jours une allure moins terne – et aimer la chair, la solitude et l’inconnu. Et la marche triste des rêves qui – partout – s’introduisent avec constance…

 

 

A vivre pour rien – et à écrire (et à espérer) pour moins encore peut-être…

Comme une danse inutile parmi les vivants. Comme une manière – si peu coutumière – de transformer l’ardeur et la colère en exigences – en conditions propices au jaillissement de l’Amour…

Quelque chose, en somme, qui ressemblerait à un possible…

 

 

A nous serrer tous ensemble – les uns contre les autres – comme si la solitude n’existait pas. A mettre le nez dans les choses comme si le monde était une galerie marchande – un musée – un ensemble de collections (à s’approprier). A vivre pour durer – durer encore un peu – comme si le temps pouvait nous aider à apprivoiser l’idée (et l’imminence) de la mort. Et à mourir sans rien laisser en héritage sinon cette ignorance – et cette inclination à inscrire sa vie dans l’illusion et l’aveuglement…

 

 

Tout sera perdu à la fin ; les chemins, les choses, les visages, les prières. Tout ce que nous aurons accumulé en vain. Il serait plus sage de vivre aujourd’hui – maintenant – avant l’obsolescence du monde et des âmes qui viendra suffisamment tôt – dès que l’esprit – trop angoissé par l’incertitude du lendemain – substituera la durée à l’instant…

 

 

La nudité, l’innocence et l’infini n’ont rien à défendre – ni rien à demander. Ils s’offrent – simplement – à ceux qui ont quitté toute forme de croyance et d’exigence…

 

 

Regarder Dieu dans les yeux et toutes les faces noires qui nous toisent sans mesure – sans Amour – comme si nous étions un bout de chair à éliminer ou à dévorer…

 

 

Inutiles toutes les tentatives pour occuper les mains et l’esprit – et oublier la mort. C’est à l’âme qu’il faut se soumettre pour lui laisser l’envergure d’être et la possibilité d’agir conformément au silence et aux circonstances…

 

 

La réalité – avant d’être métaphysique – est intensément physique – corporelle – infiniment sensorielle – presque sensuelle. Mais l’esprit – dans son ignorance – prend (et fait) les choses à l’envers ; il élabore, conjecture et analyse au lieu de sentir – au lieu de laisser l’âme et l’intuition le guider vers ce que nous portons (tous) comme un secret ; l’invisible et le silence – l’infini et l’éternité…

 

 

Dans l’intimité des êtres et des choses – sans plus se soucier ni des apparences, ni des conquêtes. Au plus près du regard et de l’invisible qui habitent l’âme et le monde…

 

 

Suspendu(s) – depuis toujours – au milieu du monde et du temps – à cet espace que nous prenons tantôt pour le vide, tantôt pour le ciel. Au cœur même de l’être (et de l’âme) – entre la lumière et les murs érigés par les hommes. Sans mot dire. Sans la nécessité de la parole et de la persuasion. A contempler simplement – à contempler sereinement – ce qui parade et s’efface dans la crainte…

 

 

Et le monde tout emmêlé devant nos yeux et sous nos paupières – comme si les Dieux nous avaient offert un signe – la preuve que nous sommes – et regardons à la fois – cet étrange mélange plongé tantôt dans la joie et la lumière, tantôt dans l’ignorance et la misère – au gré des naissances et des fenêtres qui s’ouvrent et se referment…

 

 

Passager(s) aux mille rêves – aux mains jointes en prière pour réclamer protection et abondance alors qu’il suffirait de dénuder l’œil et la main pour offrir à l’âme le sentiment de complétude qu’elle espère depuis si longtemps…

 

 

A s’interroger sans cesse au lieu de s’émouvoir. A vouloir comprendre alors qu’il suffirait de regarder et de ressentir…

 

 

Vivre n’a, pour nous, d’autre dessein que le regard et le silence – l’acquiescement à ce qui arrive – et une main secourable – prête à aider ce qui lance vers nous des yeux implorants et désespérés…

 

 

Vivre à côté de soi – à espérer que rien ne nous blesse – à courir partout – et à chercher plus encore une issue – dans la poussière de notre chambre. Est-ce donc cela l’existence de l’homme…

 

 

Sans un mot – mais le regard clair, l’esprit attentif et la main fraternelle – toujours prêts à accompagner ce qui nécessite – provisoirement – soutien et assistance…

 

 

La nudité à l’intérieur de la tête – jusqu’au fond de l’âme – indemne – intacte. Dans le silence et la blancheur de l’espace qui acquiesce et ouvre les bras à ceux qui rêvent d’échapper – non sans peine – non sans effort – au sommeil…

 

 

Du silence – partout – comme l’écrin qui accueille tous les bruits

 

 

Courbe – humble – ensemencé – à présent – moins dispersé qu’autrefois lorsque la faim nous morcelait. Oubliée aussi cette douleur de la jeunesse lorsque les lendemains n’étaient bâtis qu’à force d’espérance…

 

 

Nuit fracassée – mer d’étoiles désinvoltes – étendues sur l’immensité – cet espace sans appétit à l’âme tendre et aux mains ouvertes…

 

 

Empalés les danses et les fronts bondissants – les rêves et les ritournelles – pour laisser la place aux déchirures et au silence qui s’infiltre entre les ombres…

 

 

Ni jeu, ni chant. Une flèche dans l’air vicié du monde. Une étape vers la plénitude. Une résonance au fond de l’âme. Ainsi s’enfante et s’expose le poème…

De l’honnêteté et de l’humilité. Ainsi s’arrachent les masques sur le visage – et le nom collé sur la couverture des livres…

 

 

D’âme en âme – sans l’intermédiaire des marchands du langage. De crépuscules en portes – de fenêtres en aubes sans tristesse. Du noir qui s’entrouvre pour laisser passer un peu de lumière à la raison la moins folle qui offre son éclairage et son silence à l’horizon, à l’infini – à tout ce qui angoisse et agonise la main tendue vers le ciel et la liberté…

 

 

Prières et neige soumises au même chemin. Etincelantes dans notre nuit et nos existences fantomatiques. Comme un ruban de soie et de lumière sur nos rives si primitives – et nos âmes si grossières…

 

 

Entre le pardon et la révolte – la liberté et la parole du poète – celui qui résiste avec sa voix et son âme aux abominations du monde. Le cœur rouge – le cœur intact – le cœur vivant – contre la violence et la barbarie – contre l’indifférence et l’impunité des assassins

 

 

Une question – en soi – devant soi – partout où l’âme regarde et s’interroge…

 

 

Une humanité près de soi – prête à conquérir et à meurtrir le monde pour quelques grammes d’or…

Poussière vive – vigoureuse – détachée de toute réalité – insensible à toute fraternité – vouée seulement à la fureur et à l’assouvissement de sa faim…

 

 

En rang – en file indienne – partout – ces visages sans âme – alignés en bataillons – qui marchent d’un même pas sur la terre – bien décidés à tout massacrer – à tout conquérir – à tout réquisitionner – pour satisfaire leur appétit et leurs ambitions – et faire valoir ce qu’ils imaginent être les privilèges de leur naissance…

Vains triomphes, orgueil et ignorance. Existences sans respect – sans tendresse – sans égard – livrées aux instincts et à l’inconscience – à l’aveuglement et à l’abomination…

 

 

Au monde qui persécute ceux qui vivent à la marge – les sans-voix – les sans-langage – les sans-résistance – et dont l’existence et les agissements sont – presque toujours – condamnés, j’offre ce qui, en nous, pourrait éveiller – et exalter – nos vieux restes d’humanité

 

 

Le chemin – parfois – nous mène là où tout est ouvert – dans ce fond d’humanité éventré – lacéré par tant d’horreurs et d’indifférence – en cet espace où la vie ressemble à la candeur de l’enfance – aux premiers jours du printemps…

 

 

Des yeux – à peine un visage – une vague silhouette dont l’âme n’a jamais su frémir au passage du jour…

Comme une sentinelle – un éclaireur parfois – posté(e) à peine plus loin que le bout de son nez – bien en deçà de l’infini – pas même à l’avant-garde de sa plus apparente identité

 

 

A trop vivre, on en oublie ce qui nous fit naître – ce qui nous donna le goût de vivre et d’aimer – et ce carrefour en soi – immense – invisible – au centre de toutes les routes…

 

 

A exalter toutes les blessures sans jamais y poser un œil – sans jamais y poser un peu d’âme ; dur(s) – intransigeant(s) – voué(s) seulement à l’expérience du manque et de la torture. Insensible(s) aux plaintes, aux courbes et aux gémissements – et à l’infime variation des habitudes dans le jour naissant…

 

 

Née du silence et du poème – cette parole inentendue…

 

 

Mille usages du monde sans jamais offrir ses mains aux nécessités du vivant – ni son âme aux exigences du silence et de la beauté…

Une manière triviale, en somme, de se tenir entre l’eau et le sable pour étancher sa soif et répondre à ses (misérables) ambitions de bâtisseur…

 

 

Des vibrations, une course – quelque chose qui s’avance pour traverser l’espoir et les malheurs – et répondre à cette irrésistible attirance pour le bleu, le silence et ce feu – si intense – au fond de l’âme…

 

 

D’âme et de pierres – cette chair haletante – vivante – toujours – dans l’ombre du silence…

 

 

Verticale révélée à l’ultime instant de l’attente – lorsque les rêves quittent l’âme et la main obéissante – lorsque l’abandon peut enfin célébrer l’abondance, la perte et l’impossible…

 

 

Poursuivre sa route jusqu’à ce que la mendicité et les prières nous quittent – jusqu’à ce que les Dieux nous abandonnent. Avancer jusqu’à ce que tout se referme – et que la nuit – soudain – se transforme…

Ne rien choisir. Ne rien décider. Aimer et accueillir ce qui vient – ce qui s’avance – tout ce qui frappe à notre porte…

 

 

Presque mort – avant l’apocalypse – à demi effacé déjà – voilà, peut-être, ce qui pourra nous sauver lorsque sonnera l’heure de la fin du monde…

 

 

Aux quatre coins de la nuit, n’entendez-vous donc pas la marche folle – lourde – effroyable – des hommes qui précipitent le monde vers le centre de l’obscurité…

A demander aux ténèbres un soleil qu’elles ne peuvent offrir. A rêver encore – à rêver toujours – comme si les rêves suffisaient à vivre – et à dormir – sans inquiétude. A désirer tout ce qui brille – tout ce qui a l’éclat de l’or et de la puissance. A s’assoupir au milieu du gué comme si le sommeil était un chemin de délivrance. A attendre (en vain) une lumière qui pourrait ne jamais venir…

 

 

A contempler – en silence – tous ces Sisyphe heureux de rejoindre leur destination – boule de glaise entre les mains – montant et descendant sans cesse – entre rêve et réalité – entre peine et espoir d’arriver, un jour, au lieu final…

 

 

Tout devient cru – à vif – après la métamorphose. Tout se transforme ; le vent, les danses, l’arche et le sommeil. Tout prend des airs d’aube grincheuse et mal réveillée. Tout s’étend et se déverse ; les sources, les rêves et les chagrins. Et le secret se retourne comme s’il nous fallait tout recommencer…

Le sommeil revient comme si nous n’avions rien vécu – jamais franchi le moindre passage. Comme un pays natal où s’achèveraient tous les voyages. Le retour en ce lieu où tout a commencé. Le sable et les funérailles permanentes – et l’opacité du mystère qui semble vouloir conserver son secret…

Mort et feu invisible. Âme et fables en pagaille. Visage en fuite – toujours en errance. Comme une présence hantée par le souvenir qui endosse le rôle de gardien du temple – et qui confine tout franchissement à une veille interminable. Comme s’il nous fallait encore danser et nous faufiler entre l’ombre et l’aube irréprochable…

 

 

On salue le jour – les mains dans les poches – comme si le silence s’avançait – intrépide – sans concession – pour célébrer les restes du monde – le visage encore baigné de larmes et de lumière – et la tête rehaussée pour prédire ce qui – sans doute – n’arrivera jamais…

 

 

Il n’y aura – bientôt – plus de récoltes – ni de saisons heureuses. Il n’y aura plus que la boue et la nuit – et ce sourire léger – presque enfantin – offert aux joues appuyées contre la vitre – à tous ces visages qui attendent – impatients – frémissants – et le sang déjà trempé dans la mort – les premiers signes de l’aube…

 

 

Le froid à notre porte – comme cet enfant abandonné de l’autre côté du monde. L’épée dans son fourreau – et l’écho si lointain du jour qui vint, un soir, frapper de son sceau notre âme nue et implorante…

 

 

Tout est verrouillé – à présent – et le sommeil est devenu trop lourd. Nous ne reviendrons pas en ces lieux où tout s’est abrité derrière le rêve et le mensonge. Le monde n’a su se réinventer ni à travers les livres, ni à travers les peines. Tout a glissé sans que rien ne mûrisse. Et la fin – et la mort – sont déjà là – prêtes à avaler les cris et les restes des survivants soumis au naufrage et à l’angoisse…

 

 

L’inquiétude et la solitude frapperont toujours à notre porte – comme la joie dans notre âme – et sur nos pages – essaiera toujours d’encourager les visages et les destins à se dévêtir – à se dépouiller jusqu’au plus complet dénuement…

 

 

Tout est centre ; sinon nous ne pourrions deviner – ni découvrir – le silence et le secret du passage – dissimulés partout où les cœurs s’invitent – s’enlacent et tournoient – trop rapidement…

 

 

Entre le tumulte et la mort – l’innocence et la solitude marchent côte à côte – main dans la main – au recommencement de tous les chemins…

 

 

Vivre l’innocence et la solitude au milieu du monde et des visages. Vivre la beauté et le silence au milieu de la laideur et du tumulte – le regard – quelque part – en retrait – en surplomb de cette terre sauvage et surpeuplée…

 

 

Il y a une grande innocence au cœur du secret – où ni la nuit, ni la terre ne sont tenues pour responsables de l’ignorance et de la barbarie – où tout est calme, silence et solitude – où la vie et la joie n’ont davantage de valeur que la mort et la tristesse – où tout est – et s’habite – à sa juste mesure

 

 

De rares baisers – une solitude (un peu) sauvage. La nuit effacée derrière les cils humbles et baissés. Ni piège, ni épreuve, ni récompense. Ni monde, ni folie. Le regard acquiesçant – hautement compréhensif (sans doute) – et les gestes (presque toujours) justes…

 

 

Ni monde, ni vent, ni visage. Un peu de lumière sur ces pierres où l’âme s’est réfugiée. Une forêt, une rivière. Quelques bêtes en guise d’amis. Le silence. Et des milliers de pages à écrire…

 

 

Soif éteinte – et le jour étalé – à présent – de tout son long – dans les yeux qui, à l’approche du silence, sont devenus plus ouverts – moins singuliers…

Sourire aux lèvres – à l’abri du tumulte et des regards – à jouir d’un ciel descendu dans l’âme et sur la page. Seul au milieu d’une lumière dessinée à la craie par la main des Dieux…

 

 

D’un jour à l’autre – et pas davantage. A vivre la source comme si elle était le seul lieu réel – le seul lieu vivant – le seul lieu (réellement) habitable…

 

 

Entre ciel et perte – l’enfance éternelle – à vivre sur ces pierres où persiste toute l’ardeur des vents…

 

 

Entre neige et livres – chiens et collines – là où chantent les oiseaux et l’eau des rivières – là où brillent les pierres et le silence – en cet espace où tout jouit du jour malgré la nuit ancienne – malgré la nuit alentour…

 

 

Simple – profond – sans vertu particulière. Intime – seulement – du silence et de l’Amour. Proche du secret et du vertige. Loin de l’ivresse et du mensonge. En ce lieu imprécis où les Dieux somment les poètes de décrire le réel et la vérité pour inviter les yeux et les âmes à franchir toutes les frontières – et à percer l’illusion du monde…

Ni propagandiste, ni passeur de rêve. Et moins encore idéologue. Voix et regard. Mains ouvertes et âme sans certitude. A peine un visage – avec, peut-être, un peu moins de masques et de secrets – et un peu plus de sensibilité – que les Autres…

 

 

Tout nous porte – non vers le ciel mais vers ce trou – au fond – au plus bas – qui s’ouvre sur la lumière du dedans – dont la clarté rappelle étrangement celle du soleil entouré par le noir du cosmos…

 

 

Terre et ciel d’une seule parole – d’un même silence – convertis – provisoirement – en mots – en ondes discrètes et lumineuses…

 

 

Intacts – l’orgueil et l’âpreté du monde comme l’innocence et la soumission de l’âme – parmi les foules et les profondeurs obscures…

Et ces lignes arrachées à l’oubli pour déjouer la colère et franchir les mille frontières qu’il (nous) faut traverser pour vivre au-delà de la honte – au-delà de la rage – au-delà de la peur – au-delà des mille limitations terrestres et humaines…

 

 

A ouvrir les paupières sur ce que les Autres enterrent. A délaisser ce que les Autres amassent. A célébrer ce que les Autres méprisent. A vivre – l’âme solitaire – dans la pauvreté et l’innocence sans prière…

 

 

On se recueille – une main sur le livre (une main sur la page) – et l’autre à demi ouverte sur le monde – (presque) entièrement attentive aux âmes, aux visages et aux chemins…

 

 

Tout naît d’un ailleurs, en soi, retrouvé – dans cette manière d’être au monde – hors du temps et du mensonge. L’âme étrangère au jour et à la nuit – l’âme familière de tous les visages et de tous les langages…

 

 

Tout s’interdit – et se dessèche – à ne plus être soi-même – le mensonge auréolé d’une gloire impossible…

Et quel désastre pour l’âme – pour l’homme et le monde – que tous ces masques trompeurs qui limitent – presque toujours – le destin et l’envergure…

 

 

Des chemins de méfiance et de plainte où la perte n’est qu’une sève déficiente – lacunaire – à récupérer – ou à régénérer – pour accroître ses forces – et tenter de vaincre le monde, le temps et la mort…

 

 

Dire – dire encore – dire toujours – avec l’impossible collé derrière les lèvres et l’ardeur de l’âme à vouloir témoigner. Pris en tenaille, en quelque sorte, entre deux utopies ; le silence et l’exhaustivité…

 

 

Cime de lumière et de neige – si majestueuse – si inaccessible – depuis ces rives où le regard est obscurci – et où les foulées s’exercent dans la crasse et la boue – presque toujours – infranchissables…

 

 

Debout – l’âme silencieuse – presque en prière – dissimulé derrière les monstres du monde et du dedans. Maintenu vivant par ce feu sans demande et cet espace mystérieux qui donnent aux gestes et au langage une justesse – une ardeur – et un goût de ciel infini…

 

 

Seul(s) – dans cette chambre – où nous avons vu éclore mille printemps. Tempe contre la fenêtre à espérer l’émergence de l’Amour et de l’innocence dans ce monde de chasseurs et de mendiants…

 

 

A franchir mille frontières dessinées sur le sable entre les rêves et la promesse de tous les Dieux. Souffrance écarlate. Veines gonflées par l’ardeur et la tentation du secret. Visage penché sur les liens et l’espace commun – invisibles par les yeux crédules et les âmes ordinaires…

A s’effacer sans vraiment respecter la primauté de l’Amour, ni les étapes (supposées) de la sagesse…

A pencher vers le rien plutôt que vers le tout. A fréquenter la folie et la solitude plutôt que la somnolence des foules et les figures provisoirement rassurées. A côtoyer l’obscur et le plus humble plutôt que les faux soleils du monde…

A vivre entre l’homme, Dieu et la pierre – entre l’herbe, les bêtes et le silence – sans rien imaginer – ni le pire, ni le meilleur – ni même autre chose que ce qui est donné à voir (et à découvrir). Regard tourné ni vers l’ailleurs, ni vers une quelconque étoile. Et la chevelure (presque) toujours sereine malgré la persistance des vents, des périls et des rencontres…

 

 

Une lueur de lune – mal accrochée au ciel. Un climat erratique qui souffle tantôt le chaud, tantôt le froid – à l’image, peut-être, de l’homme qui cherche l’Amour hors de lui-même – parfois découragé, parfois exalté – au seuil toujours du plus scandaleux à vivre

 

 

Celui qui vit le poème – celui qui œuvre en poésie – ne peut séparer la main de l’âme – ni la page des lois du monde. Il doit être tout entier dans ses lignes et son existence. Et familier – toujours – du plus grand silence…

 

 

Ni pente, ni sommet. Le chemin le plus ordinaire – le plus quotidien…

 

 

Inutile d’exalter l’ailleurs – la beauté – la mémoire. Inutile d’arpenter les terres de l’étrangeté. Inutile de se plier aux exigences des foules. Il suffit – simplement – d’être fidèle à ce qui nous porte et nous soulève…

 

 

Monstre asphyxiant – de la même matière que les étoiles – le souffle et l’allant peut-être un peu plus courts – à assouvir sa faim – à défendre son règne – comme tous les corps dénués des vertus de l’époque première – lorsque le silence était la seule loi – et le seul matériau – du monde…

 

 

Ce qui mène vers l’inconnu – l’impossible selon la raison. Et qui constitue, pourtant, ce que nous sommes – fondamentalement – une fois la chair et l’identité mêlées au ciel et au reste du monde – une fois le secret révélé à nos yeux trop timides – trop crédules – trop férus de savoirs – pour faire confiance à l’âme et aux intuitions…

 

 

Solitude encore – solitude toujours – face au monde et aux visages – face à la vie qui, en nous, peu à peu, se retire – et face à la mort à l’affût qui guette sous la chair…

 

 

Nous renaîtrons peut-être – à parts égales – entre le ciel et une autre terre – l’âme encore trop faible – et trop indécise – pour vivre sans espoir – pour vivre sans horizon…

 

 

Tout nous traverse – le sang, l’ardeur, les ancêtres – les luttes, les désirs, la mémoire – et l’avenir peut-être – éveillant à leur passage l’angoisse première – la peur la plus primitive…

Bout de chair fragile – morceau de monde soufflé par la nécessité des vents – impuissant – à la dérive – au buste penché sur le sable – et à l’œil perdu au milieu des foules et de l’immensité – à s’interroger sans cesse face au désastre prévisible – face aux visages et à la violence qui suinte à travers tous les gestes – à travers tous les pas…

 

 

Craintif – craintif encore – craintif toujours – malgré l’invention du monde et du langage…

Seul – seul encore – seul toujours – malgré la foule et les civilisations successives…

Ecrasé par le temps et les tentatives. Animal mortel à l’identité multiple – mystérieuse – à la recherche de l’origine et de l’appartenance fondatrices…

 

 

Hors de soi – au cœur même de l’existence. Ce que ni le monde, ni la raison n’ont encore découvert. Cet espace hors du temps – au cœur du silence – où le souffle n’est que prétexte au recommencement – et condition de la récurrence…

 

 

A tâtons entre les lignes et la possibilité de vivre. Entre silence et instants décisifs. A narguer le monde et la mort en prononçant leur nom – et en pointant leurs limites et leurs frontières. Libre déjà – sans même le savoir. A vivre en dehors de tout – sans repère – sans certitude – à attendre que tout recommence – avec l’ardeur (presque) entièrement dévouée au silence et à la contemplation…

 

 

Comme un diable à la bouche ouverte – au regard vitreux – et aux mains viles – couleur de nuit – qui sème mille cailloux entre le désir et la peur pour nous retrouver – et nous accompagner sur tous les chemins que nous empruntons (presque à notre insu) pour défier le temps et la mort…

 

 

Nous vivons comme si nous avions l’âme ensorcelée – et les deux mains coupées – à survivre à même le monde – à s’essouffler à même l’effort – comme si tous les gestes étaient vains face au vide et à la puissance des rêves…

 

 

De la même matière que l’Amour – cette terre si instinctive. De la même matière que les blés – cette parole ardente – vaillante – qui exalte le silence et la défaite – et l’ordinaire quotidien face aux forces mercantiles. De la même matière que les rêves – cette âme insensée qui s’égare, si souvent, sur tous les chemins qui longent les gouffres et le ciel…

Identiques à nous-mêmes, en somme, tant que nous vivrons entre le vide et la mémoire…

 

 

Composés du monde, des Autres, du ciel et de la terre – et de cet Amour prêt à affronter l’absence et le sommeil – tous les aléas et toutes les aventures offertes à ceux qui errent au milieu de l’infortune – entre la peur et l’innocence…

 

 

Pages et lumière noircies par trop de paroles. Terres de poésie – insubordonnées au monde et à l’ordre établi – rétives aux temples et aux vérités trop dogmatiques – trop religieuses. Voix pure – originale – étrangère aux chapelles, aux apprentissages et aux doctrines du passé. Libre dans ses convictions et sa folie. Et universelle dans son message. Affranchie du sceau des Dieux et des hommes. Humble et sage, peut-être. Empruntée à nul autre. Rude et solitaire. Farouche et intensément sauvage. Fidèle, en somme, au ciel et au silence…

 

 

Ni chant, ni singerie – ce qui surgit naturellement de la réalité de vivre – dans la proximité de l’ignorance et de la peur – au milieu de l’indifférence et du sommeil. Debout – agenouillé parfois – devant l’imminence (permanente) de la mort et la sauvagerie originelle (et constitutive) du monde…

 

 

Ni victoire, ni sagesse. Le plus simple à vivre face à l’angoisse et à l’inconnu. Ce qui ne s’apprend ni dans les livres, ni sur les bancs des églises. Ce qui s’arrache à toute forme de promesse. Ce qui se révèle en vivant au cœur du monde – au plus près des visages – dans l’intimité des choses. Le silence découvert au fond de l’âme – et (presque) apprivoisé à présent…

 

 

Solitude – encore – dans le mouvement du vivre et l’apparente immobilité de la mort. L’infini rencontré au-delà des idées et des prières. Dieu, peut-être, nous attendant au bas de l’escalier. Avec mille débris du langage amassés – inutilement – sur les pages. Avec l’âme (toujours) tourmentée par les parures, les postures et tous les signes de la civilisation. Et le corps marqué dans sa chair – jusqu’au sang parfois. Et l’esprit à se demander encore ce que signifie être un homme en ce monde…

 

 

Ce qui nous pousse dans le monde d’abord, puis dans le retrait et l’attente – pour tenter d’apaiser la folle ardeur du sang et confirmer ce qu’avait déjà découvert l’âme dans ses multiples tâtonnements…

 

 

Un espace, un trou, des possibles. Mille voyages. Et un seul passage – toujours – et une seule frontière à franchir – pour retrouver le monde et l’état antérieurs à toutes les naissances…

 

 

Ni libre(s), ni emprisonné(s). Bourreau(x) et victime(s) de la même illusion où la certitude fait loi. Entre mort et recommencement. Au cœur – déjà – depuis toujours – du même silence que rien – jamais – ne pourra ternir…

Ni parti(s), ni arrivé(s) – présent(s) éternellement – et continuellement de passage…

 

16 octobre 2018

Carnet n°166 A regarder le monde

Paroles confluentes* / 2018 / L'intégration à la présence

* Fragments du dedans et du dehors – de l’homme et du silence – qui se combinent simultanément dans l’âme, sur le visage et la page…

Au bord du vide – au bord du blanc – toujours…

Un œil – seul – au milieu de la neige…

Si distrait devant ce qui bouge – devant ce qui respire – comme si nous étions encore amputés de l’essentiel…

Ni pose, ni présage. Pas même un récit. Le plus nu. Et le plus essentiel. Le mystère et la fulgurance de ce qui se découvre et se révèle…

 

 

Tout s’apprivoise – jusqu’à la violence des plus absents…

 

 

Et ce vieux rêve de verticalité qui nous fait croire que le monde vit à l’horizontale et tourne en rond dans la fosse aux lions en s’enfonçant, toujours plus profondément, dans le néant…

Suspendu aux mêmes chimères que les yeux des Autres – à imaginer, à espérer, à commenter…

Ignorant parmi les ignorants – voilà la vérité – réduit à se représenter et à conjecturer pour défier la peur et l’incertitude…

 

 

Fragments de presque rien – d’un peu de vie – d’un peu de monde – d’un peu de ciel. Et l’Absolu, sans cesse, broyé entre nos mains. Et cette tendresse blottie – presque inrejoignable – sous le feu de l’âme qui donne à nos gestes et à nos pas cette ardeur si impatiente…

 

 

A se tenir prêt(s) – toujours – comme si la mort précédait la naissance – comme si le noir était le centre de la lumière – comme si la terre était le lieu de la fortune. A maintenir vivant le plus solitaire pour faire naître, sous la cendre et la tristesse, la possibilité du regard…

 

 

Plus haut que le pardon – et plus haut que la douleur – l’Amour – cette main, si frémissante, du silence…

 

 

Même terre – même temps – même silence. Et la mort – si vorace – insatiable – qui absorbe tout ; les corps, les âmes, l’espoir et la poussière – comme pour nous livrer à encore plus d’absence et de néant…

 

 

Tout est parti – à présent. Et demeure ce noir – tout ce noir – qui obstrue la source. Comme un sommeil épais que ne réussiront peut-être jamais à disperser les vents…

 

 

Un souffle – mille souffles. Un passage – mille passages. Une trace – mille traces. L’éphémère et le silence. Et ce regard immense – démesuré – si dense – sur ce qui n’a que peu de poids et d’envergure…

 

 

Arpenter l’esprit et la page comme les seuls lieux de la découverte pour offrir à l’âme, aux gestes et aux pas – plongés dans le manque et la privation – le dénuement nécessaire à la liberté…

 

 

A se tenir debout – plus nomade que sédentaire – face à l’indifférence et aux appels incessants du monde. Ne rien exiger. Se tenir sans possession au milieu des choses. Avec sur le visage, les traits du silence – et sur les lèvres, le chant de l’incertitude…

 

 

Au cœur de l’instant – surpris par le réenchantement et la transparence des visages posés au bord de l’impénétrable. A avancer les paumes vers la neige oubliée par les fronts penchés sur leur besogne – l’esprit (tout entier) occupé à essayer de percer le secret de la mort et à défroisser les destins pour qu’ils aient l’air moins graves – et moins engoncés dans leurs malheurs…

 

 

Les mots – la terre – le monde – ont la même joie et la même tristesse que le visage. Ce qui est vu et ce qui jaillit de l’âme ont – toujours – la même couleur que ce qui regarde

 

 

Le monde – le ciel – l’univers – aux allures immenses – aux airs si puissants – à la densité si palpable (et si évidente) – ne sont, pourtant, qu’un souffle – qu’un trait dans l’infini et l’éternité – presque rien, en somme…

Un peu d’énergie dans l’espace – un peu de bruit dans le silence – quelque chose d’infime – et d’infiniment passager…

 

 

Rien n’existe – peut-être – sinon ce qui regarde

 

 

Les noms ne donnent aux choses et aux visages qu’un poids incertain – immensément fragile. Un repère – mille repères – pour se donner l’illusion de se frayer un chemin à travers le monde – de construire un itinéraire – et de voyager d’un point à un autre. De vivre une existence, en somme, sans jamais rien remettre en question – ni explorer la possibilité de l’inexistence de tout

 

 

Entre le jour et la nuit – notre front, si peu sage, qui s’avance – apeuré – vers sa fin…

 

 

Tout s’enracine – vainement – dans nos vieilles sphères – capables seulement de nous faire tournoyer dans l’éphémère et l’illusion…

 

 

Et nous voilà – depuis toujours – congestionnés – les pieds lourds et l’âme fragile – si indécis – dans l’apparence du monde – dans cette forme de songe où la boue entrave (semble entraver) – et s’oppose (semble s’opposer) au ciel et à la légèreté…

Liberté incomprise sur cette terre incapable de métamorphose – où le dehors n’est que le prolongement du dedans – et où ce qui semble exister nous fait perdre haleine et patience jusqu’au dernier souffle…

 

 

Rien – moins que rien peut-être – un petit quelque chose dans la certitude du tout – et un fragment, si essentiel, du regard…

Elément du monde et du vide – à parts égales sans doute…

 

 

Un sentier – des signes – pour découvrir l’invisible et l’ineffable – et révéler, peut-être, le destin de l’homme – le destin du monde – et la présence du silence où tout s’enracine…

 

 

L’angle – le point de vue – n’est qu’une aire circonscrite de l’espace qui tente – en vain (bien sûr) – de percevoir le tout…

Il faudrait plutôt (et à la fois) – plonger et s’élever – devenir le réel et s’en extraire – pour être capable de voir pleinement…

 

 

Tout vient, à la fois, retarder le regard et lui offrir sa pleine mesure…

Ainsi avance l’homme de son pas pesant – et le poète à travers ses lignes si chargées – si inutiles – pour aborder le plus simple enfoui – depuis toujours – au-dedans…

 

 

Chants, temps, tombes – précipices, voyages et chimères – les mêmes ombres qui (nous) voilent l’envergure parfaite du bleu – de cet infini que nous croyons connaître et pouvoir approcher – et inapprochable, pourtant, tant que la distance avec le monde et notre visage n’aura été franchie…

 

 

Des survivants timides à l’ombre passagère qui piétinent – fidèles à leur inaptitude. Et qui tournent – et qui tournent – en imaginant pouvoir creuser un passage – une ouverture – un chemin – dans leur sillon. Voyage vers la mort – simplement – inexorable…

 

 

Pierres, tombes et champs du jour. Quelques pas – et quelques miettes – éparses – tombées après notre passage. Errances, gouffres et souffrances. Et la petite ritournelle des pas – et la petite ritournelle des mains – et l’espoir (si vain) de l’esprit – rampants – tremblants – au milieu des piétinements et des souffles qui ne font que froisser un peu d’air…

 

 

Comme un vol autour du jour – au-dessus des visages et des tombes couverts de ciel – les yeux ravis et l’âme silencieuse. Ainsi recommencent – chaque matin – la joie et l’incertitude…

 

 

Sous la lampe – cette soif angoissée qui se jette sur la page. Ecrire comme si l’on offrait sa vie au silence. A noter, chaque jour, mille fragments du monde – mille fragments du réel – mille fragments du voyage – qui traversent – en un éclair – nos gouffres intérieurs

 

 

Tout se déplace – se superpose et s’emmêle. Et nos jours – progressivement – ressemblent aux murs – à la nuit – à l’eau qui coule – à tous les visages – aux failles où se glissent (presque) toutes les âmes en attendant la fin des hostilités. Et à cette lumière à la verticale des carrefours qui illumine, peu à peu, nos pages…

 

 

Aux côtés du soleil – à l’ombre de l’expérience humaine – sous les passions et les étreintes frelatées – dénaturées par trop d’images – ce qui crisse sous les pas – les paumes écorchées par les chutes successives. Et l’Amour qui, un jour, offre aux âmes leur alphabet et un peu de silence pour transformer le désir en ardeur sans finalité

 

 

A courir – à monter – là où les yeux ne sont plus que larmes et rêves brisés. Là où la mort – toujours active – a amputé tout élan vers le moindre passage – vers le moindre salut. A vivre sans croire. A patauger dans la boue. A se laisser dévorer par ce qui, en nous, cherche à s’inscrire. Abandonné là par tous les hommes – abandonné là par tous les Dieux – comme si le silence suffisait à nous rejoindre…

 

 

Quelle est la source des rêves et des élans qui nous portent à vivre et à croire – à traverser les tourments du monde et les troubles de l’âme… Quel est le visage de cette aube qui nous offre le courage et l’obstination de persévérer malgré les tempêtes et les mutilations – malgré les déchirures et le poids des Autres qui confinent nos gestes au mimétisme et à la servitude…

 

 

Rien – que le prolongement de l’errance et de cette ardeur au milieu de tout – au milieu de ces amoncellements apparents – et si fantomatiques pourtant. Des âmes et des visages couchés sur le sable – tremblants – rampant au milieu d’un désert où le désir et le sang ne sont qu’un prétexte à la poursuite du voyage…

 

 

A devenir moins que la métamorphose – à peine un chemin – à peine un visage – un tournant – une infime inflexion dans le destin…

 

 

Ni plus haut, ni plus droit, ni meilleur. Une disparition sous l’aire de l’angoisse et de la soif…

 

 

Le noir – et une nostalgie – à convertir en parenthèse – en interruption peut-être…

Et au creux de l’écho – déjà – tout le silence à venir…

 

 

Tout s’épaissit sur la terre comme tout s’écoule au-dedans. Ne rien figer – laisser l’âme gémir et le silence arriver…

 

 

En écho – le chant à travers les vents, la source et le sommeil. Dans ce qui donne au sang son ardeur et au silence sa plénitude…

 

 

Tout se perd – et, néanmoins, tout demeure. Il suffit d’un regard attentif qui sache percer l’apparence des départs…

 

 

A prédire – parfois – le pire – pour laisser au meilleur une chance – infime – éventuelle – de se réaliser…

 

 

Ce fut la marche – puis l’abîme et l’hiver. Ce fut la faim et la soif – (médiocrement) assouvies par les mains et les yeux des hommes. Ce fut l’errance et la fouille obstinée. Ce fut la tristesse et le froid. La défaite et la solitude implacable. A endurer la nuit pendant mille jours – pendant mille siècles – avant de pouvoir goûter à l’avènement du jour – et au silence arraché à la mort et à l’infortune…

 

 

A rire – si souvent – des jeux et des songes – et de ce si grand sérieux des hommes à ignorer le plus essentiel…

 

 

Léger – immense et fulgurant – ce bleu – autant que fut pesante – longue et harassante – la marche…

 

 

A héberger depuis si longtemps ce que le cœur a toujours évincé… Mais pourquoi l’ombre nous semble-t-elle – aujourd’hui – plus réelle et plus vaste qu’autrefois…

 

 

Quelque chose bat encore dans notre poitrine en perdition. Est-ce de la rage, de l’impuissance ou de l’espoir ? Un parfum éternel peut-être… Une odeur de défaite aux relents d’autrefois… Un monde sans âme – sans nom – sans visage – où toutes les frontières demeureront – à jamais – ouvertes et franchissables…

 

 

A revenir – toujours – avec ce pas si maladroit – comme si l’oubli était la marque – et la première certitude – des revenants…

 

 

Tout vibre – quelques instants – lève les yeux au ciel ou scrute l’horizon – en traînant les pieds sur la terre. Et tout se courbe bientôt pour retomber dans le trou qui l’a vu naître. Ainsi passent les vies – ainsi passent les âmes – qui, parfois, parviennent à se retrouver – d’impasse en porte apparente – de perte en repos – jusqu’à tout arracher – jusqu’aux mille petits riens auxquels nous sommes (encore) attachés…

 

 

Vivre jusqu’à l’usure – et, parfois, jusqu’à l’effacement – au milieu de tous ces ravages – au milieu de tous ces désastres – qui peinent – presque toujours – l’âme – et immobilisent – si souvent – les pas. En nous confinant pendant mille ans – pendant mille siècles – à une attente vague – imprécise – indéterminée – où l’on ignore la suite offerte au destin – et s’il nous sera possible, un jour, de franchir ces frontières pour échapper à toutes ces abominations…

 

 

A défier le temps comme un soleil – comme une ligne de démarcation – inutiles. A saisir ce qui traverse cette faim si fébrile. Des bruits, des visages et des bouts de ciel. A amasser mille petites choses – si funestes – si futiles. A jouer et à chercher dans la poussière. A récolter – toujours – plus que nécessaire. A marcher ainsi – tout au long de son existence – ivre et hagard – la démarche si pesante et malhabile – vers la mort…

Une existence entière à brasser de l’air – à essayer de jouir de ce bref passage – et à faire durer ou revenir ce qui – toujours – ce qui – sans cesse – s’efface et recommence…

 

 

Une fenêtre dans la fenêtre pour découvrir ce qui se cache au cœur du réel – et cet infini derrière – imperceptible par les yeux…

 

 

A tourner – comme les bêtes – dans notre cercle de poussière – à attendre – à rêver – et à assouvir sa faim – sans jamais pouvoir déjouer – ni défaire – les fils (si emmêlés) des destins…

 

 

A s’endurcir – comme si les plaies pouvaient disparaître. Et tous ces bourrelets de chair – à présent – fortifiés – comme cuirassés – dont nous ne savons plus nous défaire…

 

 

L’heure semble si grave en ce dernier lieu – en ces terres de pauvre répit. A s’attarder (encore un peu) pour vérifier – de nos propres yeux – ce que l’âme avait deviné depuis si longtemps…

 

 

A s’enfoncer dans le doute – dans l’indécision et les conjectures. A gravir la pente, les pierres et les éboulis sur lesquels aucune trace ne peut subsister…

Ivre – agissant et achevé. Et cette zone à franchir où l’herbe et le ciel ne forment plus qu’une seule terre à arpenter – et où l’âme est la seule lumière pour échapper à la nuit…

 

 

A rire – si incertain – sur le sable où les visages se sont réunis pour oublier la mort – et résister à la solitude et à l’ennui…

 

 

Tant de chemins dont la fin – toujours – fait franchir le même abîme – pour découvrir – au-dedans – le seul lieu possible – le seul lieu habitable. Ce qui demeure – une fois percées l’illusion et toutes les chimères du voyage…

 

 

Pierres, rives et distance. Et le même élan – et la même hâte – à tout franchir pour rejoindre l’origine du monde et de la multitude – la source de tous les visages et de tous les destins – cette aire – si précieuse – où jaillit tout ce qui vibre et respire…

 

 

Fêtes journalières où la beauté est invitée – et où la liberté délivre nos mains ligotées – et nos âmes emmaillotées dans les jeux et la terreur…

Fêtes et adieux – fêtes et abandons. Ce qui s’entrouvre au-delà des limites humaines. Ce qui grandit quel que soit l’âge. A moitié enseveli encore sous les rêves. Tout ce qui résiste – tout ce qui s’acharne et s’obstine – malgré – partout – la prépondérance du sommeil…

 

 

Des cercles, des yeux, des ailes. A califourchon sur l’ivresse des vivants. Et la main haut – déjà – à la limite du ciel qui traverse le gué où les Autres s’attardent, sans doute, trop longtemps…

 

 

A veiller sans raison comme d’autres s’assoupissent en attendant la mort – les doigts et l’âme – nus – tendus vers le silence comme d’autres se recroquevillent sur les mille petits trésors volés au monde et à la terre…

 

 

A voir le jour là où la nuit est, peut-être, la plus profonde…

 

 

A graver, chaque jour, quelques signes dans la poussière pour inviter les pas à franchir le rêve où le monde est endormi…

 

 

Des pas, des pages et des chemins. Un peu de silence – un peu de jour et de lumière – pour ne pas (trop) désespérer de l’homme…

 

 

A contre-courant du mensonge – là où l’illusion n’est plus possible – ni vivable, ni recevable – sur cette rive que si peu parviennent à atteindre – faute de nécessité…

 

 

A vivre – et à rire – comme si la mort n’existait pas – comme si le questionnement et la gravité étaient réservés aux mal-lotis – aux âmes en déroute privées de circonstances heureuses…

 

 

Des êtres et des choses. Tout un monde de visages et de façades encerclés par les murs façonnés par le regard – prisonnier, lui-même, de son propre labyrinthe. A choisir le rêve, l’espoir, la magie et la prière pour trouver une issue au milieu de la chair, des ruines et des hostilités…

 

 

Une danse au milieu des étoiles pour rappeler à la lumière que nous avons besoin d’elle pour la rejoindre…

 

 

Ne pas imiter – respirer de son souffle singulier – en toute chose – à travers nos gestes – à travers notre parole – être celui que tout nous destine à être. Ni plus, ni moins qu’un autre – mais si juste – et toujours plus juste, en vérité – pourvu qu’on lui laisse assez d’air – et la liberté nécessaire – pour être (pleinement) lui-même face au monde, aux visages et aux circonstances…

 

 

Entre l’oubli et la métamorphose – au milieu de la poussière – cet enchaînement de gestes soumis au désir et à l’ambition. Insensibles au silence – insensibles au soleil. A l’égal de ces armées de visages sans âme qui marchent – impitoyablement – sur le monde…

 

 

Squelette déjà sous la peau bientôt pourrissante – aux gestes insensés – aux paroles inutiles – à l’attention restreinte – comme amputé par la faim – par cette avidité du vivant soumis à la chair – et presque entièrement orienté vers son assouvissement. Comme un monstre affamé – à l’insatiable appétit – mutilé et se mutilant sans cesse pour rassasier ses instincts de bête…

 

 

A passer la tête – le bras – toute son existence – dans le même trou. A tourner en rond dans la même anfractuosité par crainte de percer les murs – et de pousser l’investigation au-delà des limites et des interdits érigés par le monde…

 

 

Attente encore – attente toujours – comme si le temps avait vocation à nous libérer – et à nous aider à résoudre le mystère…

 

 

On écrit aisément dans la démesure – la parole (tout entière) vouée à l’illimité. A l’inverse de notre vie apparente – de notre espace quotidien et de nos gestes d’habitude – coincés, en quelque sorte, dans l’exiguïté et la récurrence…

Mais à y regarder de plus près, l’existence et l’écriture se ressemblent – et se rassemblent même – au cœur de ce feu et de ce silence – immenses – imperceptibles – incompris par la (très) grande majorité des yeux…

La page est l’espace où tout s’ouvre – à l’égal du silence dans notre vie – cette aire infinie où réside l’esprit en toutes circonstances…

 

 

Sans attente – sans servitude – et sans autre utilité que celle qui s’offre discrètement – circonstanciellement – presque en catimini – lorsque le regard et les gestes deviennent nécessaires à la survie de l’Autre – à la survie du monde…

 

 

Dans la rareté des rencontres – notre tête se redresse – s’embrase – s’affaisse – consent – malgré nos mains résolument instinctives – mêlées encore au sang, aux combats et aux épreuves – et malgré cet entrelacement du ciel et du feu au fond de notre âme – presque entièrement – consentante…

 

 

Ni fil, ni pont. La même rive où tombe la neige – où s’effacent les pas et les traces – et où l’encre n’est qu’une manière d’écarter – provisoirement – le temps et la mort – toute forme de menace…

 

 

Aucun artifice – aucune échappatoire possible – avec la vie – avec la mort – lorsque nous leur faisons face – avec honnêteté…

 

 

Tout change – les visages et les couleurs passent et se fanent. Et sous les traits demeurent la même espérance et la même âme apeurée…

Ni valise, ni récit. Le même voyage – presque toujours – initiatique…

 

 

A faire glisser mille mots sur la vie – sur le monde – et dans la tête des hommes peut-être – comme si le silence pouvait nous être ôté – comme si le silence ne pouvait tout résoudre – comme si le sentiment de complétude était perfectible…

 

 

Au bord du vide – au bord du blanc – toujours…

Un œil – seul – au milieu de la neige…

Si distrait devant ce qui bouge – devant ce qui respire – comme si nous étions encore amputés de l’essentiel…

 

 

Ni pose, ni présage. Pas même un récit. Le plus nu. Et le plus essentiel. Le mystère et la fulgurance de ce qui se découvre et se révèle…

 

 

Apparitions – incomplètes – imparfaites – croient-elles. A devenir – presque toujours – ce qu’offre (si chichement) le futur. Les années comme un passage où, un jour, tout s’arrête – où, un jour, tout prend fin au cœur de l’impasse. Un vol, un trait – mille traits – et une jonction pour imaginer possible l’extraction du trou. De l’ardeur et de la fureur – et toujours – ici et là – le déclin – l’état nécessaire au franchissement des frontières – au franchissement du limité. L’œuvre de l’Amour et de l’écartèlement qui s’achève avec les deux poings liés sur ce qui s’ouvre et s’efface. Et le silence à portée d’âme…

Et un jour – cette mince couche de neige qui recouvre le monde et les yeux…

 

 

On avance en dépit de tout ce qui s’annonce – en dépit de la boue – fermement attiré par ce bleu solitaire au centre de la violence – espérant toujours moins des mains et de la chance que du jour et du silence…

 

 

Attente et fatigue – et tout ce sable dans la main – et au fond de l’âme – dont il faut se défaire. Seau, pelle et doigts convoyeurs d’un autre âge – d’un autre temps – où l’immensité n’avait de rivale…

 

 

Tout s’empare, se défait et s’efface. Avec le rire et la joie rassemblés en ce lieu sans appui – sans dérive – où rien ne peut s’inventer – ni même jaillir – sans le consentement (total) du silence…

 

 

Il y a toujours une route plus proche ou plus éloignée que la nôtre qui mène vers ce lieu – quelque part – où l’indifférence et l’aveuglement sont sublimés pour un monde moins mensonger – et pour une fraternité plus vivante…

 

 

Tout est moite – et prêt à l’étreinte – jusqu’à la main du silence…

 

 

Au seuil du jour – le même appel et la même torture. Cette hésitation (permanente) entre le passé – cette forme de détention (douloureuse certes mais familière) – et l’incertitude et l’inconnu – les dimensions, sans doute, les plus effrayantes de notre existence

 

 

Un horizon replié entre le feu et l’infini. La démesure des vagues et l’étroitesse des destins qui filent à toute allure sur leur chemin de pierre – fragiles – si précaires – si dérisoires face à la puissance de la mort – face à l’envergure du monde et du silence…

 

 

Nu – à présent – comme l’était le corps à la naissance – et comme le sera l’âme à l’instant de la mort…

 

 

Des fragments de vies, de mains et de visages. L’être – dépossédé – dispersé en mille éclats – comme le regard, le rire et le langage – sur cette terre où tout se dissimule (et se dérobe) sous le noir et la confusion…

 

 

Tout – sans cesse – est remplacé. Et le jour viendra où nous serons nus – sans yeux – sans appui – sans témoin – au cœur de ce qui ne peut se substituer…

 

 

Un exil – certes – un exil peut-être – mais peuplé de livres, de bêtes, d’Amour et de silence. Et habité – comme il se doit – loin des foules, de l’ignorance et de l’hypocrisie. Laissant – toujours – l’ardeur des pas et de la parole s’exalter hors du mensonge…

 

 

A guetter – sans impatience – ce qui vient comme les larmes des hommes cernés par la misère et la multitude…

 

 

En définitive, rien n’est nécessaire dans ce grand cirque – dans ce fatras – au milieu de cet amas de chair et de paroles – excepté, peut-être, notre façon de nous y tenir ; présence – présence encore – présence toujours – partout – là où règnent le silence et les élans…

 

 

Tout – sans cesse – se balance au milieu de tout – au milieu de n’importe quoi. Et, au fil du temps, tout se cabre – s’étire – s’étend et s’efface à mesure des pas. Et ne restera bientôt que cet œil obstiné qu’il (nous) faudra transformer en perchoir – au-dessus des routes et des voyages – au-dessus des têtes et des déséquilibres apparents…

 

 

A vouer au sang et aux semences un culte millénaire – un culte imbécile – un culte inutile sauf pour survivre misérablement – sans se demander – jamais – où se dissimulent la vraie vie et l’esprit véritable – doués d’une ardeur et d’un silence incorruptibles – capables (simultanément) de célébrer et d’anéantir tout ce qui se fait, si naturellement, partiel, incomplet et provisoire…

 

 

Prison en tête – cette traversée triste des hémisphères – à se heurter – partout – aux vents comme si l’aube pouvait s’offrir à nos efforts et à nos résistances…

 

 

Le plus inassouvi de l’hiver. Ce qui reste là – sans bruit – au-dedans – comme une attente inexprimée – un repos – un retrait qui pourrait passer pour une somnolence mais qui est, en vérité, une attention assidue à tout ce qui respire et fleurit…

 

 

A trop vouloir dire, on en oublie la vie – et on en oublie l’être – ce qui compte infiniment plus que le langage, l’écriture et le poème…

 

 

Rien ne s’écarte véritablement. Tout nous revient – simplement – moins tremblant et plus assagi…

 

 

Un jour – peut-être – serons-nous cette lumière – écrite en lettres capitales – sur les vieux murs de l’âme. Le silence parfait au milieu du monde…

 

 

Tout ce qui nous arrive n’est que le signe des Dieux – de leur volonté posée entre le destin et l’imaginaire. Cette fureur insensée qui agrandit l’ombre autant que l’ouverture possible. L’inauguration du voyage. Les premiers pas, en quelque sorte, vers cet espace hors du monde et du temps – affranchi de toute splendeur et tout déclin – dont nos âmes sont les malhabiles balbutiements…

 

 

Tout a l’allure du passage. Entre soif et désarroi…

 

 

Cœur assoupi et âme sauvage que les miroirs encerclent et que l’indifférence écorche – pour révéler, au fond des blessures, l’Amour que rien ni personne ne peut entacher…

 

 

Ecriture de solitaire – qui prend sa source sous la surface du monde – au fond de l’âme peut-être – et qui cherche la lumière – la clarté qui illuminera les lignes, le monde et les visages…

 

 

Tout demeure – et reste indemne – la rive passée ; le souffle – la soif – l’âme blessée – la main des Autres – la solitude ; mais le désir et la mémoire se sont effacés – comme s’ils avaient perdu leur force et leur emprise. Ne reste plus que ce regard accompli par l’Amour – empli de joie et d’innocence…

 

 

Ce qui ronge au-dedans – comme une aire dévastée par le feu. Ce qui (nous) hante bien davantage que le monde et le temps – la présence, en nous, de l’invisible…

 

 

A trop devenir, on en oublie le silence et la cendre qui ont, peu à peu, recouvert le monde, les vivants et les restes des morts que nous avons enterrés. Les mains pleines de rêves – et l’âme encore si pleine d’espoir de retrouver les visages disparus – et cette contrée si libre – hors de toute convention – sous la langue – et cet Amour qui danse, en secret, dans tous nos pas fébriles…

 

 

Convoqué(s) par le monde sur ce rivage où le sommeil et la nuit seront – à jamais – les seuls hôtes – et les seuls invités. Bout(s) d’eux-mêmes – fragment(s) de cette obscurité – partout – prépondérante et triomphale…

 

 

L’intime vécu transposé, peu à peu, en expérience universelle. En lignes denses – nerveuses – chargées de matière et de silence – comme un cri tantôt de joie, tantôt de révolte contre ce qui nous a ensemencés – presque aveuglément – dans le noir…

Leurre et ligne de fuite pour qu’éclate, un jour, le dénuement le plus complet…

 

5 octobre 2018

Carnet n°165 Rejoindre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Le cœur décidé – et l’ardeur de l’âme sans visée – à essayer de réunir dans le même œil les ombres et le secret…

Tout est livre, ciel, essai – chant de l’âme dans les yeux libres. Et poésie sur les visages tremblants…

Vivre – partout – aussi obstinément que la clarté. Ici – près de la fenêtre – et là-bas – de l’autre côté du monde – à tourner les pages – en silence – au milieu du sable et des visages…

 

 

Des vents, des ravages – ce qui arrive – inexorablement – poussé par l’Amour…

D’une rive à l’autre – en ce lieu où tout recommence…

 

 

Mains chastes – herbes hautes – à laver le sang laissé par les épreuves. Les yeux défaits par ce petit bout de ciel retrouvé – à s’émerveiller des songes et des chants. Et la voix – presque muette – à présent – pas certaine de vouloir répéter les paroles d’autrefois…

 

 

L’eau, le feu, la terre, les vents. Ultimes compagnons des derniers jours – avant le grand saut dans l’inconnu…

 

 

Mille paroles – comme un miroir où, à travers le sommeil, se reflète la lumière. L’âme mise à nu – et les pierres rouges sur lesquelles traînent encore quelques rêves. Comme mille soleils au fond de l’abîme – au chevet des vivants à l’agonie…

 

 

Le réel et le langage – comme les deux faces abstraites – immatures – d’un même visage – d’un même silence – introuvables par les voies ordinaires. Accessibles – seulement – depuis la jetée – presque fantomatique – qui surplombe le monde et le plus simple…

 

 

Achevé – une fois pour toutes – pour remplacer l’encre par le recueillement – et donner vie à l’impossible prière. Illusion encore – de la même veine que tous les manques…

 

 

Défaillance – dans le noir – autant que dans la clarté nouvelle. Mais acceptée – aujourd’hui – comme toutes les faiblesses…

 

 

Des rêves de jour, d’intimité et de soleil sur fond d’ignorance. A chercher dans la prière et la candeur une sorte de nouvelle enfance. L’envergure d’une réponse prodigieuse – définitive – impossible, en somme, en ce monde imparfait…

Mieux vaudrait rire – rire et se retirer – se retirer et disparaître – pour laisser au vide une chance de se révéler…

 

 

L’aube et la solitude comme seules ambitions. La main et l’âme prêtes à accueillir ce que les chemins leur feront découvrir…

 

 

Poussé – encore – comme la fin de l’été dans les bras de la saison suivante – entre détours et ténèbres – le ciel dans la tête – et les pieds en équilibre sur le fil invisible qui relie le monde et les naissances – le jour et le néant – la nuit et la joie – en une seule traversée…

 

 

Tout naît – monte – se dresse – timide et malhabile – malgré l’issue devinée – certaine – inexorable. Comme une ardeur inépuisable – incontrôlable – déployée malgré les ombres – malgré la tombe et les futurs drapeaux en berne…

 

 

Tout en traces – tout en pas. Reflets et dispersions. Chambre et porte dans la pénombre. Pénétré par un souffle – un arrachement – des imprévus. Quelque chose d’infime – quelque chose d’immense – mystérieux comme un envol prématuré – inexplicable. Comme l’enchaînement inexorable des saisons…

 

 

Une source, une soif, un appel. Le commencement du voyage – au bord du rêve. Le long périple – la lente traversée d’un ciel à notre image – couleur de sang…

 

 

Habiter l’inexplicable plutôt que le monde. Devenir ce grand silence au cœur du geste – au cœur de la parole. La main – la voix – l’une des mains – l’une des voix – singulière(s) de l’impersonnel dans l’obscurité – encore – du passage…

 

 

Toujours errant – au milieu de l’appel et du néant – entier – en lambeaux – sur le sable – à marcher entre le ciel et le langage – parmi les bêtes et les cris – dans cette poussière à l’odeur de brûlé…

 

 

Des chemins et de la poussière – partout – toujours – ici – ailleurs – là-bas. Le même voyage – la même illusion du voyage – et les mêmes visages fébriles – ivres de rêves et d’aventures – qui croient avancer – poursuivre leur périple – et faire mille pas décisifs (ou salutaires) – pour découvrir ce qui ne se révèle que dans l’immobilité…

 

 

Rien ne traversera l’orage et les tempêtes – ni ne fera taire les croyances et l’espoir d’une issue. Mais qui sait que la mort est déjà là – à l’ombre de chaque prière – toutes griffes dehors et la chevelure menaçante…

Encerclés – les visages reclus entre leurs murs – et les âmes apeurées.

Et tout continuera – à jamais – à errer (et à tourner en rond) dans la même terreur et le même chaos…

 

 

Tout est aride – et hérissé de peur. Tout semble jaillir du premier élan – de l’avidité de la première bouche. Et, à présent, le vent se déverse – partout – recouvre les yeux de sable – et creuse le désert – toujours plus vif – et toujours plus large – des âmes…

Ainsi s’écoule le temps. Ainsi passe la vie – entre le chaos et la lumière – entre l’angoisse et la beauté des choses – au cœur de cet adieu perpétuel du monde…

 

 

A serrer si fort l’instant que nous en avons les mains pleines de silence…

Fleurs de la passion éteinte – fanées – dans notre sang. Veines propres – à présent. Au plus proche du moins scandaleux à vivre sur cette terre si affamée…

 

 

Envoûté par la beauté d’une langue inconnue – le poète – mi-homme, mi-sage – mi-bête, mi-dieu – délaisse le langage ordinaire, l’ambition et la nostalgie communes pour s’agenouiller parmi les fleurs – en silence – sans ardeur – défait par une main ivre de ses conquêtes – ivre de sa propre extase – amoureuse du blanc – et prête à le semer partout – sur toutes les paroles et tous les visages…

 

 

L’homme – au même titre que l’humus – peut devenir le gage du possible. En couches et en séjours successifs. La clarté à venir – peut-être. La main du monde délivrée des fantômes…

 

 

On rend grâce aux reflets – aux étages inférieurs – aux fenêtres – aux appels incessants de l’innocence. On se joue des haleines et des menaces. On s’enquiert très sérieusement auprès des Dieux. On s’abandonne – et se livre comme le ferait un enfant qui – lentement – glisse dans le sommeil. On chante après avoir tant ruminé. On est ivre de ce qui brûle et de ce qui s’efface. Et l’on attend – patiemment – que le jour se lève…

 

 

Mille tours – mille chants – au milieu des voix – au milieu des tombes – à danser et à tournoyer – sans que rien – jamais – ne tombe du ciel – sans que rien – jamais – ne soit donné. Un peu d’espoir, peut-être, comme le reliquat inutile des Dieux et de quelques croyances obsolètes. A humer par ici – à chercher par là – à tendre l’oreille à tout ce qui pourrait nous répondre – nous offrir un fragment de vérité. Mais rien…

Le temps passe. Les jours succèdent aux jours. Les années succèdent aux années. Les saisons viennent blanchir nos tempes. Et nous savons que nous mourrons sans rien découvrir. Passagers – toujours – plongés dans la même ignorance…

 

 

Tout vient nous dire la fin et la continuité – la permanence et l’éphémère – l’incertitude et la nécessité de l’effacement. Et le règne – partout – du silence malgré nos ambitions et notre affairement…

 

 

Tout mourra encore – bien sûr – tant que dureront la certitude du monde et l’ignorance – tant que demeureront l’espoir et la peur. Mais il est une lumière et un silence qui échapperont toujours au passage et aux ténèbres de la mort…

 

 

Devenir ce qui ne peut se dire. Oublier les oracles, le salut, les dérives et l’âme en déroute. S’éclipser – et se résoudre au noir et à l’œil lointain. Echapper au vivre et au monde malgré le sang dans nos veines – malgré ce cœur immense qui bat (encore) dans notre poitrine…

 

 

L’Amour à notre porte. L’Amour au creux des reins. L’Amour pour nous extraire du doute et du manque. L’Amour au détriment du désir – au détriment des étoiles. L’Amour au lieu de la mort. L’Amour pour mille raisons – et découvrir (enfin) ce que signifie être au monde

 

 

Effacer tout – tout effacer – jusqu’au moindre mirage pour qu’il ne reste rien – pas même une ombre – pas même une lumière – qu’un long baiser surces rives inexistantes– et qu’une main tendue vers la souffrance à transformer

 

 

Nous écrivons à ce qui – en chacun – ne sait lire et ignore le langage – non pour convaincre mais pour inviter – et offrir, au milieu des mots, le silence nécessaire au monde, à la joie et aux retrouvailles…

 

 

Le cœur décidé – et l’ardeur de l’âme sans visée – à essayer de réunir dans le même œil les ombres et le secret…

 

 

Tout est livre, ciel, essai – chant de l’âme dans les yeux libres. Et poésie sur les visages tremblants…

 

 

Vivre – partout – aussi obstinément que la clarté. Ici – près de la fenêtre – et là-bas – de l’autre côté du monde – à tourner les pages – en silence – au milieu du sable et des visages…

 

 

Ni charge – ni témoin. Ce que nous portons comme une croix – un bagage – un fardeau inutile – inutilisable face aux circonstances, sans cesse, changeantes.

Mieux vaudrait renoncer au voyage – à la traversée – aux découvertes – et plonger dans l’abîme et la réclusion. Resserrer la peau et le passage – réduire l’air et l’espace jusqu’à en étouffer. Devenir le sol et les grilles de notre cachot jusqu’à faire exploser les murs et l’horizon. Et laisser la lucarne se transformer, peu à peu, pour se voir inonder de lumière – et se convertir en regard…

 

 

Le vertige de l’inconnu sur la cendre. Et la joie de vivre dans l’incertitude. Comme un soleil dans le noir – un espace de clarté au milieu des rêves et des étoiles…

 

 

Entre le passage et la chute – à se demander encore comment s’achèvera cette histoire faite de rêves et de soif. A reconstruire – toujours – ce qui, un jour, inexorablement s’effondrera…

 

 

Comme un visage au milieu des visages – une âme dans la foule qui semble habiter loin de tout. A contourner la glace pour rejoindre partout – partout où l’on peut – ce modeste chemin de fleurs – et continuer à poser la tête hors des nuages – hors de la grisaille – hors du trouble et des promesses trop faibles pour nous extraire de ce trou…

 

 

Debout – ensemble – dans la peur – à écouter ces voix qui nous appellent pour nous rejoindre – et nous retrouver seul(s) de l’autre côté du monde – de l’autre côté du visage…

 

 

A dormir – partout – comme la neige du plein midi qui attend l’hiver – le retour du silence après ces trop exubérantes saisons…

 

 

En diagonale – à absorber ce qui flotte sur les eaux du jour. A décocher mille flèches – inutiles – sur ce qui s’avance et nous effraye. A grimper sur l’absence comme l’on se hisserait sur un phare ou une falaise pour échapper aux bourrasques et aux tempêtes qui menacent la côte…

 

 

Une âme, une forêt et une poitrine en flammes qui désire et frissonne au milieu du silence…

 

 

Toutes ces mains et tous ces visages – à chercher partout un peu de tout – à creuser n’importe où – n’importe quoi – pour déjouer la peur et la solitude – et découvrir quelque chose au milieu du néant…

 

 

Face au ciel – toujours – qui nous toise en silence…

 

 

San fin – bien sûr – autant qu’éphémère. Mais le rêve – et le désir – si vivaces encore…

 

 

A aimer ce qui vient – à la verticale – et ces murmures à l’horizon qui – jamais – ne nous sauveront du désastre…

 

 

Que tout recommence avant sa fin – et que tout continue – comme l’aube succède à la nuit – comme le crépuscule remplace le jour – pour que mourir devienne (déjà) un peu de ciel – et le renouveau futur en ce monde où la vie n’est que le rêve d’un ailleurs…

 

 

Quelques balbutiements supplémentaires dans la rumination. Des pieds, des têtes et des mains qui s’agitent vainement sur l’étendue – dans l’infini silence qui baigne le monde et tous les au-delà…

 

 

Des îlots à découvrir par grand froid – lorsque les vents auront fait fuir les oiseaux de passage – et qu’il ne restera que notre âme – seule et grelottante – dans le noir…

 

 

Devant l’aube – avec encore un peu d’impatience sur l’épaule – à parcourir – pieds nus – toutes les inventions du monde qui retiennent prisonniers les hommes…

 

 

Il ne faut – jamais – se presser ; ni pour vivre, ni pour exprimer l’inexprimable. Il faut se recueillir – patiemment – au fond des choses – et se prêter au (lent) labeur de l’âme pour espérer trouver le silence au milieu du rire comme au milieu de l’aridité et de la désespérance…

 

 

Tout se disloque – et s’éparpille – sans jamais s’interrompre – jusqu’au seuil où la poussière finit par devenir le socle de l’envol – l’aire (presque) inespérée de la conversion de l’espoir en lumière…

 

 

Isolé(s) jusqu’au supplice – malgré cette solitude lumineuse – au-dedans – que notre visage ne sait révéler – et que nos mains ne savent accueillir. Une existence – et mille peines (presque) perdues, en somme…

 

 

Tout est noir – le jour – l’espoir – et la réponse des hommes à tous les pourquoi…

Nul n’a appris à aimer – à fouiller derrière la buée – et à marcher au milieu des visages…

Tout est noir – et quelque chose, pourtant, au fond de notre gorge – appelle – et espère encore trouver le silence et la lumière…

 

 

A petits pas – du néant vers ce qui, en nous, tremble de joie. A petits pas vers ce qui se jette et que l’âme ne peut rattraper. A petits pas – comme une tristesse lasse de marcher obstinément vers l’Amour…

A petits pas jusqu’à l’effacement. A petits pas jusqu’aux confins du dernier silence…

 

 

Tout semble fermé – de prime abord. Tout semble étroit et incompréhensible. Puis, l’âme s’ouvre et les routes s’éclaircissent – et l’existence se fait plus belle. La douceur apparaît, peu à peu, dans la nécessité des actes. Tout frémit dans la continuité du silence. Tout s’émeut – et se partage. Vivre devient alors le lieu du secret et de la réponse. Et il nous est (enfin) possible de convertir notre grimace angoissée (et légèrement hautaine) en hospitalité…

 

 

Nous continuons – qui peut donc nous interrompre ? – malgré la fatigue – malgré l’effacement et le silence. Vivant – toujours – comme si exister nous importait encore. A être là – sans rien dire. A écouter le monde et les visages aller et venir. A nous emporter parfois face aux circonstances. A rester bouche bée devant le frôlement – presque imperceptible – du ciel. A contempler les danses derrière les barreaux de ces cages terrifiantes. A poursuivre notre tâche en griffonnant quelques signes sur la page dans cet écart – cet exil – cette douce solitude…

 

 

Tombé – à présent – au plus bas – là où la source s’offre à toutes les bouches tordues – rompues – abandonnées aux cris et à la douleur…

Et apaisé – à présent – au fond de cette somnolence déchirée. A consoler ce qui s’approche – si maladroitement – vers nous…

 

 

Ni dehors, ni dedans. Dans cet entre-deux aligné au monde et au silence. A regarder ce qui s’avance au cœur – et hors – de toute perspective. Comme le point d’appui, peut-être, de l’infini qui se cache partout – et qui se révèle à l’infime qui découvre ce qui l’habite…

 

 

La joie d’être là encore – à contempler la vie et le vivant – la pluie – les nuages et le cours des rivières. La bouche silencieuse – ravie de ce qui jaillit – et de ce qui passe, si souvent, comme un mirage – entre deux rêves – entre la certitude et la modestie de ne rien savoir. A s’aventurer jusqu’au coin de la fenêtre où le monde semble plus beau – et plus conciliant peut-être. A jouir – encore un peu – du silence et des spectacles avant de rejoindre la nuit…

 

 

Tout est achevé – à présent – et, pourtant, la nuit et le monde demeurent – comme notre surprise à être là encore – à contempler l’inépuisable labeur de l’inachevé…

 

 

Quelque chose, en soi, existe – profondément – qui vient relayer l’absence et la fragmentation – la lumière et l’innocence de l’esprit…

 

 

Tout le jour – dans un fragment de vie – dans les lignes d’un poème. Un chant – une parcelle d’âme – et l’esprit encore, si souvent, en déroute…

 

 

Rien ne s’effondre – rien ne s’efface. Tout disparaît – et se rassemble dans l’espace du tout appartenir

Ainsi le jour – et tout ce qui lui appartient – jamais – ne peuvent – mourir…

 

 

Comme une souffrance – impalpable – et une curiosité affamée – présentes – scellées dans la grandeur de l’homme – à l’arrière de tous les fronts – à découvrir – sans cesse – et à frémir – toujours – de leur partage…

 

 

Essentielle – la mort – comme la crainte de vivre – imputables aux rêves et aux excès du langage. Comme un corps retenu – trop longtemps – par l’horizon – condamné à construire une identité à fleur de mur – là où la faille est (encore) obturée…

 

 

Le lieu de la parole – toujours – s’atteint hors du langage. Comme un silence résolu – indemne des questionnements et de la pensée – au-delà du dialogue – au-delà même de la poésie. Là où règne la lenteur – au-dedans de cet espace posé au fond de l’esprit. Là où les jeux du monde résonnent sans bruit – et se perdent en écho. Dans l’extrême simplicité du regard – nu – presque enfantin – virginal – transparent malgré l’opacité des âmes et des visages…

 

 

A répéter – inlassablement – ce qui rassemble dans ce dépeuplement. Un peu de ciel – presque rien – dans cette solitude au cœur de laquelle chacun chemine…

 

 

D’une mort à l’autre – l’âme – toujours aussi vivante – cherche son assise dans ce qui demeure – au-delà des tombes et des étoiles…

 

 

A trop se courber – toujours – la lumière nous pénètre – et nous prend par la main – pour traverser l’âme – tout entière – de part en part – sans jamais nous faire la morale – ni nous reprocher notre frilosité et nos craintes. Elle s’agenouille à nos côtés – et nous emplit de ce dont nous avons toujours manqué…

 

 

Assise – dans la simplicité des mots – dans la nudité du jour – à griffonner la page comme on lancerait une pierre (minuscule) – quelques graviers peut-être – sur l’une des vitres du monde – pour essayer d’éveiller ce qui – à l’intérieur – est encore assoupi…

 

 

Tout vient du silence que nous avons – toujours – confondu avec le néant – avec le noir antérieur aux naissances. Ce que nous avons – toujours – considéré comme le sommeil et la mort – la grande nuit du monde – l’obscurité des ténèbres où sont plongées les âmes…

 

 

A parts égales entre ce qui reste et ce qui s’en va. Comme un cri – un murmure – posé entre la page et le silence. Le temps d’un livre – le temps d’un émoi – quelque chose comme une larme déguisée en rire – et un supplice – l’histoire d’une chute sur ces pierres noires où se succèdent toutes les générations du monde…

 

 

Comment renaître – remonter à la surface – revenir aux chemins qui ravivent – et traversent – les peines… Et comment imaginer l’Amour au milieu de la mort…

Se perdre encore – se perdre toujours – au-delà du monde et des promesses. Demeurer dans ce qui glace et répugne. Et franchir le gué pour rejoindre la rive où chaque souffle appartient au silence…

 

 

A dire – encore – ce qui se propage à travers la parole – à travers le silence. Les étoiles et les paupières au crépuscule enivrées par leur propre lumière. Et ce qui passe par la fenêtre entrebâillée – avec, partout, ce rire qui glisse au fond des âmes…

 

 

A courir aussi loin que nous le pouvons. A enjamber les lieux et les jours anciens – sans même un regard – ni même un geste – pour saluer les visages – pour rejoindre – au-delà des promesses d’abondance – quelque chose posé discrètement en nous – et à nos côtés ; l’esprit autonome, peut-être, loin des bannières et des dynasties, qui préside – appuyé contre l’autel des Dieux – une forme de cérémonie secrète sans rituel (ni participant) en récitant à notre intention quelques prières païennes et silencieuses pour nous plonger dans la solitude et l’humilité – et libérer le regard de tous les règnes du monde…

 

 

Ni adage, ni sagesse – à contre-courant du commun – le plus simplement du monde – à laisser mûrir les petites ritournelles et les pentes naturelles pour s’inscrire dans la perspective du sol et du ciel…

Ni crainte, ni terme – comme les adieux les plus fidèles au monde. Le repos assidu sans gouvernance locale. Les yeux au ciel et le dévouement de l’âme – prête à abandonner les offrandes et les peines transportées à dos d’homme. Comme le jour – comme une nuit claire sans le scintillement des étoiles – comme un baiser immense – intense – sans avoir recours ni aux gestes, ni à la parole…

 

 

A califourchon sur l’aire des contraires où tout s’accumule et s’oppose – la contrariété en tête – et ce désir de l’âme qui voudrait tout – et, pour commencer, se débarrasser de tout antagonisme. Comme une sorte de mirage inoffensif – candide – où le puzzle n’aurait qu’une seule face – ni envers, ni profondeur – ni même entre-monde ; une surface – simple – à deux plans – où chaque élément serait dépourvu d’abîme, d’ambivalence et de contraire. Une sorte d’image naïve qui ressemblerait (à s’y méprendre) à l’apparence du monde – et où vivre consisterait à rêver à la manière des simples

 

 

Tout bouillonne – s’empile et s’empale – dans l’esprit. Tout porte – et se déporte – comme si vivre consistait à dériver parmi les vagues, les cohortes et quelques récifs – et à tout franchir à la nage ou en sautillant d’île en île – de port en port – pour rejoindre la mer – lentement – en se laissant glisser vers le seul passage possible, tantôt le monde, tantôt la page…

Ainsi – sans doute – voyagent les hommes – et, peut-être, les poèmes…

 

 

Tout est naissance – monde jaillissant – et restes de ténèbres – dans ces âmes trop proches des rives humaines…

Il faudrait soutenir la courbure du bleu – cette voûte sous la voûte – qui offre aux étoiles leur lumière – et aux hommes ce regard plissé – presque effrayé – devant le jour…

Et rassembler nos bras tendus – des deux côtés – en une seule main toujours encline à offrir – et à partager…

L’Amour face au refus – face à la riposte – comme le seul geste nécessaire…

 

 

Une âme – un espace – où glisser le temps – quelques jamais et mille toujours. L’horizon et la lumière dans le même regard familier des yeux, du monde et de la terre. Amoureux, parfois, de ces rives sans raison où l’on allume mille rêves et mille soleils en guise de lampions…

 

 

Ni chant, ni cercueil – et avec toute l’éternité au-delà. Mille rêves – mille pourquoi – et ce lointain – déjà – qui s’approche pour convertir l’inconnu en regard et en gestes familiers. Et mille feux dans l’âme dévouée à son emprise – livrant sa joie à ce qui s’émeut de toute forme de rapprochement…

 

 

A trop devenir, nous en oublions de nous rejoindre…

 

 

Des visages, des choses, des miroirs. Un peu de ciel et d’espace où poser les yeux. Et le recul nécessaire pour donner à nos gestes la même candeur et la même ardeur que celles des vents…

 

 

A dormir dans la trop grande solidité des jours. A compter les saisons jusqu’à la dernière heure. A défier les vents, les Dieux et la mort. A s’empaler vivant – et l’âme si fébrile – sur ce qui nous écartèle – comme si vivre consistait à oublier l’essentiel et la nécessité du silence…

 

 

Oublié – l’essentiel – comme le plus nécessaire à vivre. Inscrits dans le monde célébré comme l’espace. A retarder la mort – à combler la faim – et à trop courber l’échine devant les visages et les habitudes. Le pas perdu et le sang qui pousse les pieds vers d’autres lieux – vers d’autres infortunes…

Comme un écho à tout ce qui nous fait – et nous fera toujours – renaître…

 

 

Qu’est donc vive la marche – aussi vive qu’est lent l’œil à se transformer. Et ça chante ! Et ça prie ! Partout – l’âme ensommeillée – comme si le miracle pouvait nous être donné – comme si le désert et la solitude pouvaient disparaître. Et dans tous les yeux – cette mélancolie pour exhorter l’Amour à revenir…

 

 

A la pointe de tout ce qui s’émerveille – à la lisière du jour – malgré mille terreurs encore – et, sans doute, autant d’espoirs à vivre…

 

 

A trop se désunir – à vivre dans cet excès et ce vertige – nous refusons le plus simple – la clarté qui court d’une âme à l’autre – l’enfance tombée en disgrâce dans nos aventures. Tous les soleils cachés – et le ciel avalé par toutes les bouches affamées. L’origine du monde – la source des pentes et des chemins – l’aire où l’espace se multiplie à l’envi – tous ces lieux où errent – sans retenue – toutes les foules ivres d’oisiveté et de folie…

 

 

De fausses identités – et cette (pauvre) croyance en l’éternité alors que tout est simple – unique – au cœur du monde – visité comme un rêve – comme un désir multiple censé nous faire survivre à tous les manques…

 

 

Nous voyageons – en figures hagardes – parmi les pierres, les arbres, les visages et le mystère – à la recherche de ce qui nous unit – dans le désir, un peu fou, de nous rejoindre…

 

 

Tout se tient, malgré lui, au centre de tous les cercles. Et nous autres – pauvres humains – pauvres imbéciles – si fiers de rester à la porte – sur le seuil – au cœur des rêves où nous imaginons tous les possibles – le recul du désert et la commodité des routes pour nous conduire de l’autre côté du monde – sur l’autre versant de la vie – en des lieux où tout pourrait jaillir avec aisance – la joie, l’éternité et le plus facile à vivre – dans cette croyance aveugle – et si désespérée – qu’un jour, tout pourrait être franchi – et réuni – d’un claquement de doigts…

 

 

D’un jour à l’autre – d’une saison à l’autre – à défigurer ces journées de paresse et de morne satisfaction – où sous les masques du sommeil suintent (encore) mille désirs et mille refus – et le plus grand désespoir – mille frustrations (résignées) à l’égard de cette existence si indigente – si famélique…

 

 

A ne reculer devant rien – et à s’effacer comme l’exigent – presque toujours – les circonstances. A être plutôt qu’à devenir. A contempler plutôt qu’à questionner le temps et à rafistoler les mille déchirures laissées par la fréquentation des visages. A offrir sans exigence ni prêter le flanc aux commentaires et aux désaccords…

 

 

Blanc comme la neige qui recouvre le monde en hiver. Bleu comme l’océan et le ciel immense dont on ignore l’envergure et les frontières. Rouge comme le sang, le désir qui monte du fond des veines et les feuilles des arbres à l’automne. Jaune comme l’or, la joie et le soleil. Gris comme la boue, la cendre et la tristesse des âmes. Noir comme la nuit et l’ignorance…

A deviner – partout – l’innocence – derrière toutes les couleurs – derrière toutes les figuresdu petit peuple du silence et de la terre

 

 

Dans le rêve du vivant – la plus infime trace de silence – et l’étreinte de l’entente qui, avec les Dieux, nous exhorte à nous rejoindre…

 

 

Ni gain, ni temps, ni poignée. Le plus sauvage – attaché (depuis toujours) au désert et à la solitude – et qu’il faut convertir en figure exigée – familière – naturelle, en somme – malgré les lois, les grimaces et les résistances. Se désinvestir entièrement des rêves – et s’éloigner du plus grisant pour laisser arriver l’inexorable. S’écarter des chemins tout tracés pour laisser s’approcher la lumière et s’édifier le rassemblement afin de devenir un homme au cœur libre, à la main pleine et à l’âme (joyeusement) soumise…

 

 

Déjouer les règles imposées par le monde – puis s’en défaire. Aller là où la pente s’incline – dans l’ordre naturel exigé par le silence. Ne résister ni à l’écrasement ni à la tentation de devenir davantage qu’une figure mendiante. S’exclamer en un murmure – et dire notre surprise (et notre joie) devant l’inéluctable. Faire pencher la balance – de l’autre côté de l’abondance – vers la simplicité joyeuse et les usages mesurés…

Ecrire encore quelques lignes – quelques poèmes – pour clore la quête, célébrer le règne de la vérité – et inviter les hommes à l’humilité – toujours plus juste et active que toutes les formes de contrainte et de conquête…

Sortir enfin de la rêverie – de cette folie aveugle et collective – pour faire émerger les conditions propices à la mutation nécessaire…

Ni dogme, ni fuite, ni cachot. L’exercice le plus salutaire pour ce qui n’a cessé de naviguer dans l’illusion et de fréquenter les pollutions les plus mortifères…

 

 

Plus déchirés que vivants – au cœur de ces tentatives et de ces errances. Chargés d’un temps et d’un gonflement identitaire poussés jusqu’à la dérive – jusqu’à l’impasse – jusqu’à la chute (inévitable) – hautement nécessaires, sans doute, pour transcender les conventions – et aller au-delà des certitudes et de l’idée (si ancienne) de finitude…

Ni destin, ni route nouvelle. Quelque chose à l’image de deux mains nues – tendues vers chaque visage – inoffensives – bienveillantes – silencieuses – à la fois au-dedans du monde et posées sur le rebord d’une fenêtre immense pour offrir à (tous) ceux qui se présentent la blancheur requise et la possibilité de la rencontre et du rassemblement…

 

2 octobre 2018

Carnet n°164 Le monde et le poète – peut-être…

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Tout nous est si familier ; la peau – le soleil – l’ombre et l’éclat – l’exubérance et la sagesse – la vie – la mort – et l’esprit écartelé entre ce qui reste et ce qui s’en va…

Tout nous est si familier ; les danses – l’orage – la vaillance et la volonté – l’abandon et la paresse – le désir et ce que l’on murmure dans les prières – Dieu – les arbres et le silence – l’attente des hommes et ce regard posé à la source – sur toutes les choses du monde…

 

Un lieu, un corps, une âme. La place où s’écrit le poème – où se dessine le voyage – et où demeure, en secret, le silence…

 

 

Ombres piétinées – et piétinantes – qui naviguent inlassablement sur les eaux de l’absence. Avec un peu de rêve – et un peu de nuit – au cœur de cette ivresse à vivre. Ce que les Dieux ont, sans doute, façonné avec ce qu’ils avaient sous la main ; une folle ardeur aux yeux fermés…

 

 

Nous défions le sommeil et la léthargie des voyageurs – ces vies soumises à la paresse et aux habitudes – ce qui s’accorde si bien à l’attente et au néant – pourvu qu’ils demeurent confortables…

 

 

Quelques notes sur un bout de papier – comme exigence et impératif quotidiens – comme habitude et antidote à la torpeur – pour témoigner de la rencontre avec l’essentiel – avec la présence – qui se porte discrètement – presque secrètement – au milieu de la foule. Ce que révèle l’œil solitaire dans la compagnie de tous les infinis. L’ordinaire et le plus simple – vissés au front – vissés à l’âme – affranchis de l’ostensible et de la prétention…

Ce qui fait, sans doute, du poète, un familier d’une sagesse et d’une folie – depuis trop longtemps oubliées par le monde…

 

 

Monde, visages et carnets. Ce qui est nécessaire – ni plus, ni moins – au poème – pour inviter l’homme – et les âmes – à découvrir, en eux, la lumière…

 

 

Si bavard est le voyageur – autant qu’est silencieux le sage – avec le manque foudroyé au fil des pas…

Au terme de la marche, ne subsistent que la lumière et l’invitation à dévaler toutes les pentes jusqu’à la confusion du monde et des visages – jusqu’au centre où tout se rassemble et s’efface – jusqu’à la disparition des noms et des Autres au profit d’un seul baiser – immense – permanent – et de l’émergence de nos deux mains indéfiniment ouvertes…

 

 

Aussi seul aujourd’hui qu’autrefois – mais le cœur éclairci et l’âme docile – infiniment plus flexible – devenu, en quelque sorte, l’instrument du silence et des circonstances…

 

 

Ici – sans limite. Et jamais ailleurs – qui n’est qu’un souvenir ou une attente…

 

 

Une rive – mille rives – et l’eau qui passe – en parole – en campement – jusqu’au bout de l’énigme. Seul – sans alliance ni compagnon – à faire émerger, en soi, la halte nécessaire à la fin de toute emprise…

 

 

Celui qui chante – celui qui danse – et se tient silencieux a, ne l’oublions pas, mille fois pleuré – et mille fois cherché – autrefois. D’excès en surprise – de rencontre en désillusion – en proie, depuis mille siècles, aux luttes, aux doutes et aux adieux – et au faîte, aujourd’hui, de ce qui ruisselle sans jamais s’attarder – sans jamais revenir. L’horizon, à présent, happé dans la distance la plus familière. Au centre des miroirs – en ce lieu qui semble (encore) si mystérieux pour les hommes…

 

 

Une enclume – et le matériau des alliages converti en plomb – en boue – pour transformer la poussière et l’existence – en or – en silence – en lumière – sous le marteau de l’acquiescement tenu par cette folle ardeur…

 

 

Un gisement, un feu et l’érosion progressive. L’exploration à la hache et la roche fendue à la hâte – sur ce versant du monde qui ressemble tant à la nuit. Mille fables – et autant de mythes – à polir sous la lampe des voyageurs – et à dépecer au milieu des braises – pour s’avouer – finalement – vaincu(s) au terme de l’exercice – et prêt(s) (enfin) à s’ouvrir à l’ultime élan qui porte vers le vide et le silence – et à la solitude qui redonne au monde et aux visages une allure plus réelle – une allure plus vivante…

 

 

Tout se délite et s’efface – et rien – jamais – n’apaise, ni ne console. Et il (nous) faut apprendre – continuellement – à vivre dans cet inconfortable entre-deux…

 

 

En définitive, nous ne cherchons que le silence – que les hommes nomment de mille manières différentes…

 

 

Nous n’avons que quelques jours pour creuser – pour découvrir et comprendre – et demeurer au centre de tous les imprévus – ce que les hommes appellent hasard – existence – destin – rencontre. Au cœur même du silence que tout traverse…

 

 

Un trou dans le monde pour percer tous les secrets…

 

 

Ce qui s’invite à l’échelle de l’homme n’est que la part perceptible d’une envergure démesurée – d’un infini – essentiellement – invisible…

 

 

Les jours passent – entouré(s) toujours des mêmes visages qui s’usent aussi lentement que notre ennui. A dire ceci – à faire cela – à commenter mille circonstances dérisoires. A aimer – et à haïr – alternativement (et parfois même simultanément) – le monde et tous les événements de notre vie…

 

 

L’humanité ne se distingue du monde. Comme lui, elle n’est mue que par les habitudes et la transmission de la mémoire – et est contrainte, face aux événements et à la souffrance, de s’adapter, d’inventer et d’explorer. Adepte, malgré elle, de la survie et de l’expansion. Et participant, à son insu, à l’illusion et au mensonge – quasi originel – de l’esprit…

 

 

Tout, en réalité, ressemble à l’aube – naît d’elle et la rejoint – après quelques tours inéluctables (et, si souvent, malheureux) parmi nous…

 

 

Discret – profond – les gestes justes et lents. Une vie et une parole libres – façonnées par un ailleurs – un espace intérieur mystérieux – l’infini peut-être. Et les pas nécessaires au quotidien. Une existence hors du monde et du sommeil. Plus proche du ciel et de la vérité que des sages et des essais savants. A l’égal, sans doute, des bêtes et des fleurs – des montagnes et des rivières – des herbes sauvages et des arbres. Anonyme – solitaire – intensément joyeux – au milieu de la tristesse et de la mort – au cœur de l’illusion – sous tous ces faux soleils imaginés par les hommes qui rêvent (depuis toujours) d’échapper à la solitude et au néant…

 

 

Les adieux comme les retrouvailles seront toujours – éternels…

 

 

Le chemin, souvent, précède les signes – puis, un jour, ils finissent par se rejoindre – et se confondre. Ensemble – ils peuvent alors explorer et relater le même espace – ce lieu au cœur – et en surplomb, du monde…

 

 

Ecrire – comme des doigts qui dessineraient dans l’air – sur le ciel invisible – vierge – sans trace – la nécessité d’un soleil pour offrir à la souffrance – à toute la souffrance du monde – un peu de chaleur et de lumière – pour rendre l’attente plus supportable – et réussir – pourquoi pas ? – un jour, à transformer l’existence en silence – en regard clair sur le manque et l’insuffisance…

 

 

La main – proche du jour – voisine du monde – et résidente du sang – sur la chair, sur la page et le ciel – livre son encre, sa semence et sa folie – comme une invitation – et une menace à l’ordre du monde. Et elle parvient, parfois, à plonger les visages et les âmes dans les flammes – au cœur d’un espace hors de contrôle – à ramener les dissemblances au dialogue et la solitude aux rencontres – et à devenir l’air, l’eau et le feu – toutes les circonstances – et non une forme d’éloquence sèche et hautaine – pour accompagner les destins (tous les destins) dans leur long voyage vers l’infini…

 

 

Tout apparaît – et s’insinue dans ce qui rythme la vie et la marche. Et tout glisse au fond du cœur pour rejoindre en amont le cri des âmes inquiètes face à la folie du monde – et faire naître des larmes dans les yeux lucides – encourager la main sur la page – et les pas dans le monde – et défier (enfin) la certitude et la mémoire – toutes ces traditions qui confinent à l’aveuglement et à la répétition…

 

 

Invisible – ce destin – comme la trame sous-jacente qui nous relie…

Espace où tout se rapproche et se rassemble – où tout s’unit en un seul visage – où la vie et la mort se tiennent par la main pour danser ensemble – et où le présent est la seule possibilité d’hier et de demain…

En ce lieu où nous pouvons (enfin) devenir ce que nous avons délaissé depuis si longtemps…

 

 

Encore un peu de suie et d’encre noire pour saturer l’air – et la page – trop tristes de voir, partout, la mort régner comme la seule loi du monde…

L’homme et l’innocence – la joie et les tourments – pour faire table rase du passé – libérer les âmes soumises à la mémoire et les têtes engorgées de temps – pour devenir la feuille blanche – l’esprit vierge – l’espace vide. Ce qui demeure après la chute, l’échec et la défaite – ce qui subsiste une fois le trop plein effacé…

 

 

Regard et chants – bruits et plaintes – ici et ailleurs – fruits du silence et du monde. Cadre de l’évidence et de la sauvagerie où règnent pêle-mêle (et sans partage) – l’ignorance, l’irrespect et l’incertitude – le sommeil profond (et si insensible) des âmes – l’intelligence et le silence – l’émotion, les destins et les gestes les plus justes…

 

 

Et tous ces mots gorgés d’ombre et de lumière pour essayer d’éveiller, en nous, le plus sensible

 

 

Une vie à l’ombre du monde – aux pentes abandonnées – où le rire coule comme l’eau des rivières en serpentant, avec aisance, entre les pierres lisses et noires…

 

 

Tout, à présent, devient silence – espace de mille effacements – ciel et page blanche – où tout vient se blottir – se plaindre et s’exercer aux mille usages du monde. Entre pluie, neige et soleil – entre désert, foule et solitude – parmi l’indifférence des visages et la surprise de quelques âmes émerveillées par la démesure de cet accueil…

 

 

L’existence – un fleuve – un bref passage – une fuite brutale – avec quelques souvenirs empilés – et affadis – par le temps – et un désir sans inflexion – pour poursuivre sa route entre les mille frontières qui séparent le monde de notre visage.

Passé le premier choc – passés le premier gouffre et le premier émoi – nous voilà contraints de vivre, tout au long de cette existence, au cœur de l’illusion – renforcée par cette hargne insensée de l’identité et de l’appartenance…

 

 

Du dehors au dedans – le temps d’une vie – de quelques années – et de mille pages griffonnées. Le temps de se débarrasser des signes et des privilèges de la naissance – et d’éliminer toute prétention et les trop grandes particularités du visage humain. Le temps, à peine, d’un soupir et d’écrire mille poèmes (de plus en plus anonymes). Le temps de découvrir le silence et de s’effacer…

 

 

Tout vacille – et est incertain. Tout semble noir et blanc – fier et recroquevillé – résistant et craquelé par la faiblesse et l’ardeur du sang. Tout s’invite – et se dessine ; le monde, l’âme et l’enfance dans les têtes et sur les chemins. Mille pages – mille paysages. Les noms gravés dans la poussière – et le sable des édifices érigés pour célébrer les victoires et les conquêtes. Le bois des cercueils et le marbre des tombes. Ce que nous entonnons au printemps et après la saison des récoltes. La nuit – le jour – et l’humanité implorante – ignorante toujours – incapable (encore) de comprendre le fondement des destins et de répondre, de manière juste et sensée, aux mille questions qui taraudent les hommes depuis leur naissance…

 

 

Des traces et des limites – à effacer et à franchir – pour rapprocher le sang et le langage – la vie et notre visage. Et offrir au monde le silence qu’il espère – et quelques gestes pour apaiser (provisoirement) le manque des hommes…

 

 

Il n’y a nul ailleurs – nul avant – nul après – nul toujours et nul jamais – mais l’impératif de l’abandon – et l’urgence de l’effacement – pour déjouer la gravité et les périls qui pèsent sur le jour et l’innocence…

 

 

Tout vient – et se déroule – le temps d’un soupir – le temps d’un baiser – le temps d’une larme – le temps d’un regret. Puis, tout nous abandonne. Et après mille passages, nous avons encore la faiblesse – ou la bêtise – d’espérer un retour – le recommencement ou le prolongement de la même histoire…

Le temps est l’aveu d’une impossible fixité – et le signe que quelque chose demeure en dépit de son écoulement apparent…

 

 

Le poids des pierres – le poids des livres – sur notre vie. Toute cette noirceur et cette gravité qui nous éloignent de l’innocence et de la blancheur du monde et du silence. A passer son existence à déchiffrer mille signes sur le sable alors que l’aube s’offre – presque sans raison – à ceux qui vivent, marchent et agissent virginalement après s’être posés mille – dix mille – questions peut-être – et qui ont, peu à peu, appris à transformer l’incertitude et l’effacement en alliés du regard. Et qui voyagent, à présent, en se laissant guider non, comme autrefois, par la chance et la volonté – mais par l’Amour, la clarté et les circonstances…

 

 

On a beau essayer de s’insensibiliser – d’offrir à l’indifférence une place de choix dans notre vie – de s’absorber dans mille pensées et mille activités – de feindre le désintérêt – subsisteront toujours en nous cette terreur et ce questionnement (si essentiel) face à la mort – et le besoin d’un sens – d’une explication – affranchis de toute forme de croyance…

 

 

Au bord de nous-mêmes – autant qu’au fond de l’abîme – ce précipice aggravé par le monde et les hommes au fil de l’histoire…

 

 

Nous marchons sur des traces déjà anciennes – explorons les interstices de la langue – et franchissons les limites imposées par le monde – pour goûter, à travers la précarité des existences, ce qui tremble et frémit sous les blessures laissées par les visages et les chemins…

 

 

L’écriture semble grave (si grave) dans cet air du temps si frivole – si léger. Comme un pieu – ou une épine – dans le cœur des hommes (selon les jours et la sensibilité de ceux qui la reçoivent). Comme une question lourde – austère – lancinante – immergée au fond des croyances et des vies désinvoltes – et le besoin, si récurrent, de l’âme dans ces siècles où seuls le corps et l’apparence de l’esprit son célébrés…

 

 

L’interrogation et le doute sont gravés à l’envers du silence. Et la mort règne toujours au dos de la lumière. Ni échelle, ni barrage – une simple question de perspective pour vivre soit comme les bêtes et les pierres, soit au plus proche de l’âme – au plus proche de l’homme…

 

 

Auprès de ceux qui ne savent ni vivre ni mourir – les deux poings serrés – tantôt dans la révolte, tantôt dans l’amertume. A l’ombre de cette indigence et de cette tristesse qui étouffent – si sournoisement – les hommes…

 

 

Être – être là – sans rien dire – sans rien faire. Présent – simplement – auprès de ceux qui souffrent et s’interrogent. A offrir ni croyance, ni promesse – et, bien davantage que le témoignage d’une traversée – une perspective et une manière de faire face aux circonstances autant qu’une façon d’écouter ce qui nous hante pour retrouver – ou raviver peut-être – un espace au fond de l’âme – cette capacité originelle de l’esprit à défier l’illusion – et à s’en défaire – et cette inclination à privilégier la sensibilité face à l’indifférence pour restituer un peu d’innocence et de beauté au milieu de la violence et de la barbarie…

 

 

Tout arrive – et s’inverse. Tout peut arriver – et s’inverser – d’un instant à l’autre – malgré la routine des jours, la torpeur de l’esprit et l’inquiétude de l’âme. Nous vivons – fragiles et instables – prémunis contre rien – protégés ni du meilleur, ni du pire – plongés dans cette oscillation permanente entre la douleur et l’agrément – entre la laideur et la beauté – entre le miracle et le malheur…

 

 

Tout fléchit sous l’ardeur du temps. Comme enfoncé(s) au fond de l’impossible – entre le triomphe – quelques victoires – et la débâcle – mille défaites inéluctables – sans jamais savoir sur quoi appuyer notre regard et notre pas…

 

 

Défaits par mille attentes – par mille fatigues – et l’implacable besogne de la lumière. Contraints d’accepter notre ignorance et notre impuissance – et de nous abandonner aux forces du monde et aux circonstances…

 

 

Nous vivons comme des sacs gorgés de peurs, de luttes et d’espoirs – à la merci du possible et du probable. Soumis à la nécessité (que certains préfèrent appeler hasard) et à l’acharnement de la lumière – si désireuse de nous faire émerger du sommeil. Voués, un jour, à exploser pour éliminer toutes les frontières qui nous séparent du reste du monde – de tout ce à quoi nous pensons être étrangers

 

 

Vivre simultanément la conscience éternelle et le corps en sursis – la permanence et l’éphémère de la forme – sans cesse en péril – sans cesse compromise – sans cesse recommencée. Voilà peut-être, entre mille autres choses, l’un des enjeux majeurs de l’existence humaine…

 

 

Bariolés – encore – cette étoffe et ces rires revêtus pour les circonstances. Ni vraiment clairs – ni franchement sombres – entre le jaune des étoiles et le gris du monde. Et qui s’endossent comme si la tristesse et la nudité pouvaient être recouvertes…

 

 

A découvert – vivant – comme le souffle sur ces pages. Mille fois ascendant – mille fois agrippé à la pente pour éviter la chute (inévitable pourtant) – et autant de fois recommencé. Comme une manière d’éradiquer cette terreur devant le vide et la folie du monde – et d’apaiser cette attente angoissée du point final. Comme une manière de troubler les sens et de surprendre l’âme dans sa tanière…

 

 

Nous semons – avec l’inconnu – l’innocence – la nécessité du recueillement – et l’aptitude à s’émerveiller devant ce qui passe – et devant ce qui s’aventure au-delà du connu – au-delà des frontières rassurantes…

Avec (encore) un peu de sang sur les mains et ce déploiement de la chevelure dans les flammes. Vivant (presque) à la manière des bêtes et de la lumière – ivre – libre – joyeux – mais jamais certain d’arriver sain et sauf jusqu’au soir…

 

 

A cueillir mille fleurs – et autant d’épines – dans le ciel à notre portée. Imaginant un monde – mille mondes – derrière l’horizon. A tordre le cou au désespoir pour survivre (de façon si malhabile) sur cette corde qui borde l’abîme. A prier – l’âme inquiète – sur le petit parapet de l’angoisse. A vivre, en somme, au milieu des reflets – avec le désir d’une lune moins sauvage – plus familière – plus encline à nous éloigner des malheurs…

 

 

Nous quittons le gouffre et les écritures maudites pour un lieu où le silence est la seule voix

 

 

A s’enquérir du monde pour honorer une vieille tradition. Enrôlés de force dans l’armée des ombres – en rêvant d’un ciel traversé de secrets faciles et de hasard conciliant et réparateur. Le destin adossé, en quelque sorte, au mur sans voir le crépuscule arriver. Riant aux éclats dans un silence toujours plus angoissant et mystérieux. Pleurant, chaque jour, au milieu des visages indifférents – avec le tragique galvanisé par les encouragements de mille têtes invisibles. A vivre – et à trembler – à genoux – parmi les tombes et les âmes en sursis – parmi les hommes et les existences sans espoir et sans profondeur…

 

 

Tout se dévoile au cœur du regard. Mille choses – mille visages – mille frontières. Et autant d’interdits et d’obstacles qui nous empêchaient de nous découvrir

 

 

Bercés par l’ombre des ressemblances et des ingratitudes. En déroute – comme le jour qui se lève au milieu de la brume. Âme et corps transis dans l’aube et la solitude – pourtant irréprochables…

 

 

Ici – ailleurs – partout – le même centre – ce lieu où nous demeurons – immobile(s) – sans espoir et sans emprise – présent(s) – au seuil des pas et des visages – à regarder et à sourire – et à aimer le voyage et les voyageurs – la poussière soulevée par les pas – toutes les errances, toutes les impasses et tous les dévoiements de l’Amour. Silencieux – aussi muet(s) dans l’herbe rouge que face au ciel – sur nos pages…

 

 

Nous sommes l’encre et le chemin emprunté – le rire et l’abandon – les jours mal célébrés – et la joie d’être et de courir partout…

Et, sans doute, devrons-nous suspendre ce voyage

A tire-d’aile – déjà – dans tous les passages ouverts – le monde recroquevillé – presque inexistant – au fond de la mémoire. Gonflé – tout entier – de lumière et de légèreté…

 

 

Patience et temps arrachés par les années – indemne – au milieu de la confusion – entre les graines, les tombes, les désirs et les ossements – à goûter à la rondeur des yeux et de l’âme parvenus au-delà de l’illusion – au seuil, peut-être, de ce bleu infini que nous imaginions si vide – et si effrayant – autrefois…

 

 

De l’ombre au silence – du bruit à l’effacement – voilà la seule trajectoire possible pour l’homme. Les autres voies ne sont qu’un prélude – un passage – le temps de l’enfance, en quelque sorte, passée devant un miroir et à fouiller le sable – pour y examiner son visage – et y dénicher quelques pièces d’or inutiles…

 

 

Déjà – une voix en nous – se rétracte. S’affaisse devant les couleurs de l’automne. Sur les pierres éraflées par tant de passages. Dans le vertige de l’absence et la clameur du temps…

L’hiver sera solitaire – joyeux, sans doute, malgré la pluie et les mille tombes qu’il nous faudra creuser pour y déposer la dépouille de ceux qui auront vécu parmi nous…

Vivre deviendra silence – présence – faîte de notre si longue (et si vieille) boiterie. Et nous ne pleurerons, sans doute, pas lorsque les cloches célébreront les morts…

 

 

A être – plus qu’à devenir – comme ces fleurs qui ne passeront pas l’hiver…

 

 

Visage sur lequel tout s’est effacé. Un reliquat de traits – encore vaguement humains – où l’on devine l’œuvre des jours – mille blessures aujourd’hui refermées – et le passage bouleversant de la lumière…

 

 

Tout se déverse dans l’obscurité fratricide. Et la mémoire ne parvient à compter ni les crimes ni les souffrances – ni même les faiblesses de l’âme – et moins encore les mille sommeils qu’il nous a fallu endurer pour traverser cette épreuve. Aujourd’hui, la torpeur s’est retirée. Restent cette main voluptueuse – rouge – lumineuse – secourable – et ce regard posé sur les êtres et les choses – réconcilié (en partie) avec le monde…

 

 

Braises et semences disparues – envolées sans doute. Debout – discret – devant le monde. Aux confins d’une éternité – immortalisée par quelques sages – à se demander encore d’où vient le poème – et à qui il est destiné…

 

 

Ni fuite, ni sommeil. Pas même un rêve – ni même une parole à offrir. Comme une fenêtre sur le monde – tantôt ouverte, tantôt barricadée – et comme un miroir abandonné à l’ignominie des hommes et à la laideur des usages – à travers lesquels surgit, de temps à autre, une paume tendue…

 

 

Ni mort à ensevelir, ni secret à révéler. Le plus simple. Et le plus tendre du langage. Comme un appui – une caresse – pour traverser les malheurs – et dessiner une porte discrète au fond des impasses…

 

 

Tout s’habite – jusqu’à l’éclatante droiture de l’âme – blessée, pourtant, mille fois par le monde et les mensonges…

 

 

Nous n’inventons rien – nous enfantons le possible – en instruments, si dissemblables, du même silence…

 

 

Tout nous porte à croire et à ruser – tout nous porte à lutter et à nous imposer – alors qu’il suffirait de s’effacer pour vivre (et agir) de manière juste – et être (véritablement) ce que nous sommes

 

 

Tout nous est si familier ; la peau – le soleil – l’ombre et l’éclat – l’exubérance et la sagesse – la vie – la mort – et l’esprit écartelé entre ce qui reste et ce qui s’en va…

Tout nous est si familier ; les danses – l’orage – la vaillance et la volonté – l’abandon et la paresse – le désir et ce que l’on murmure dans les prières – Dieu – les arbres et le silence – l’attente des hommes et ce regard posé à la source – sur toutes les choses du monde

 

 

Tout nous invite – et nous appelle. Tout nous caresse – et nous rejette. Tout arrive – et finit par se dérober. L’œil, les gestes et les foulées au milieu de l’espace…

Et, un jour, sans même nous en rendre compte, le monde et les visages s’effacent – et nous disparaissons – sans laisser la moindre trace…

 

 

Le corps – présent – tout entier – pour dire le monde. Et l’esprit pour révéler le secret de l’espace – l’étrange intimité du regard

 

 

Tant de vide et de chemins fréquentés. Tant de ciel et d’espoir. Tant de faiblesses et de beauté. Et cette infirmité exaltée par le désir, la volonté et nos mille tentatives maladroites. Un peu d’attente – et plus d’un voyage seront (sans doute) nécessaires pour nous mener au centre du regard – et être (enfin) capables de contempler, par la fenêtre entrouverte, la folle agitation du monde – et son rapprochement inéluctable…

 

 

Une fable, un délice, un Amour. Et la boucle est bouclée – presque achevée – jusqu’au retour suivant…

 

 

Plus rien ne nous étonne, à présent ; ni la mort, ni l’Amour, ni la précarité des destins. Pas même la résignation et la fausse importance que nous nous donnons pour défier – ou déjouer peut-être – les ténèbres sans espoir que nous fréquentons…

Le rire a remplacé la surprise. Et nous guettons – l’œil attentif – tous les signes silencieux de la seule révolution possible – de la seule révolution nécessaire ; le passage de la distraction au questionnement – puis la conversion du questionnement en silence – cette lente marche des esprits vers l’infini – à travers l’effacement* des singularités et des différences apparentes…

* l’effacement psychologique, bien sûr…

 

 

Aux nécessités du monde, nous répondons par un geste – par quelques gestes parfois – indispensables. Et, lorsque cela nous est possible, nous rétorquons par un sourire et un grand silence – qui ne sont, bien sûr, ni un acquiescement, ni un encouragement – mais une manière de ne pas alimenter la bête – de ne pas nourrir la bouche du monstre

 

 

Nous échouons tous – mais dans chaque geste demeure une grandeur – la possibilité d’une grandeur (si nécessaire face aux désastres du monde) – que quelques-uns (trop rares) parviennent à rendre vivante…

 

 

La poésie dure – et durera toujours. La parole gravée dans la roche – ou imprimée sur la page – restera vivante (quoi qu’il arrive) – disponible – et follement nécessaire – tant que le monde tournera autour du mystère – tant que vivre ne saura contenter les hommes – tant que subsistera la moindre question – tant que tous les secrets n’auront été percés – tant que le silence nous demeurera étranger…

La poésie est un instrument vital – essentiel pour le monde, l’être et les Dieux – sans lequel la vie se limiterait à une forme d’aliénation et à un jeu absurde (totalement insensé) que rien – ni le courage ni l’obstination – ne permettrait de transcender…

 

 

Tout – déjà – tient dans notre main – et dans l’âme suffisamment vide pour tout accueillir ; l’ombre, l’enfance, l’histoire – et jusqu’au silence gravé à l’envers des êtres et des choses…

 

 

Bleus – fragiles – ce lieu – cet espace – et ces chemins vers l’aube silencieuse. Routes, fils et passages. Vents et tourmentes. Silhouettes qui rôdent. Paroles graves. Etoiles, ciel et dérives en pagaille. Et l’âme si austère – et si sensible à la misère et au désarroi des bêtes et des hommes. Mains impuissantes et buste penché sur la page pour décrire le monde – et y revenir (un peu) peut-être…

A nous investir dans une affaire qui – sans doute – n’est pas la nôtre…

 

 

Faire entendre sa voix – une voix comme les autres – une voix parmi les autres – dans ce vacarme que chaque bruit supplémentaire amplifie et renforce. Parler – mais à quelle fin sinon celle de vouloir transformer sa parole en loi – en autorité… Toujours insuffisante, bien sûr – infirme – comme amputée – inappropriée – et paradoxale même – pour souligner la nécessité du silence…

Mieux vaudrait se taire – et attendre avec patience et courage. Apprendre à vivre à l’écart – loin des hommes – loin du cirque et des manèges – loin des promesses, des commentaires et des menaces. Et laisser mourir le brouhaha et les chants parallèles. Devenir l’espace – ce qui accueille – ce lieu que les hommes longent sans un regard – le cœur chagrin et l’âme si insatisfaite pourtant…

Se fondre, en somme, dans la matrice du monde – à l’abri des histoires, des passages et des discours. Là où l’être – le plus simple et le plus nu – ont élu domicile bien avant la naissance des spectacles…

 

 

Trop de tout – et pas assez de silence. Trop d’or – trop d’ardeur et d’attente. Et cette clarté qui fait défaut dans le regard. Trop d’étoiles – trop de gloire et de sommeil. Et cette brume qui a tout recouvert…

 

 

Distraits – comme tout ce qui s’avance – l’œil rivé au miroir – et, entre les mains, la faim, la demande et l’espoir. Le nom qui recouvre la tête – et une seule prière au fond de l’âme…

Et ça crie ! Et ça geint !

Et ça pleure ! Et ça rêve !

Et ça devient ce à quoi destine le désir – et ce dont le monde a (faussement) besoin !

Comme des enfants naïfs – si naïfs – qui tendent leurs mains vers les flammes – et les plongent (tout entières) dans le feu – pour essayer de saisir un peu de lumière…

 

 

A trop vivre sur terre – sous trop de poids – sous trop de peines – encerclés par trop d’images et de miroirs – l’œil est – irrésistiblement – attiré par la lucarne – à travers laquelle filtre un peu de lumière – à travers laquelle brillent – lointaines – la promesse d’un ciel infini et l’envergure d’une existence affranchie…

 

 

Tout s’en va – et, devant nous, ne restent que quelques cendres – et, en nous, cet immense chagrin…

 

 

Rien n’arrive vraiment – tout passe et se retire – presque aussitôt. La terre ne sera jamais le lieu de la découverte – le lieu de la traversée seulement. C’est dans l’âme que se trouve le plus vrai – l’espace de la rencontre – la demeure du plus durable – cette éternité sans raison

 

 

Seul(s) – bien sûr – autant que l’âme et le silence – autant que la lumière sur cette terre trop populeuse – si grouillante de voix et d’infimes différences…

Et nul chagrin dans le lointain – la même joie qu’au cœur du plus proche. L’inconnu familier – toujours – au plus près de soi…

 

 

Rien que pour nous – ces chants et ce silence qui n’inquiètent que le possible – l’envisageable – le « pensé » qui jamais ne demandent à s’approcher – ni à connaître le plus simple et le plus vrai. En concurrence, depuis le commencement du monde sans doute, avec l’impossible et l’impensable…

 

 

Il faudrait apprendre à devenir humble et silencieux face aux circonstances. L’histoire – toutes les histoires – perdraient alors leur importance – et n’auraient plus rien à (nous) révéler. Et nous pourrions alors demeurer ainsi – les yeux grands ouverts – et les lèvres muettes – à veiller sans fin au cœur de l’éternité…

 

 

Tout devient vague – creux – suspendu – malgré le poids du monde sur les destins – malgré la précision du temps et l’éternel mouvement des mains qui vaquent, de manière si automatique, à leurs affaires

 

 

Mille visages – et personne pourtant. Pas même un sourire – pas même une main – ni même un encouragement à vivre et à chercher. Et moins encore une approbation – un signe de tête – pour démêler le vrai du mensonge – et le meilleur du pire…

Quelque chose comme un désert – un lieu de profonde indifférence où l’aube n’est que le recommencement du jour précédent…

 

 

Ni rêve, ni orchestre. L’impression d’un nulle part – d’un déjà vu – où les masques ne servent qu’à feindre et à survivre au milieu du mensonge et de la sauvagerie – et où les visages n’ont besoin de personne – sauf, peut-être, pour rompre la solitude et agrémenter l’ennui…

Un monde de comédiens et de clins d’œil où les grimaces sont réservées aux tristes figures – aux pauvres âmes – qui cherchent la vérité – un peu de vérité – dans cette immense tragédie…

 

 

Tout – comme des vagues sur le sable – et comme une grève sur laquelle tout s’efface…

Et nous autres, tantôt goutte, tantôt grain, jetés ici et là – sans cesse ballottés entre ailleurs et un peu plus loin – entre le début et la fin – entre le haut et le bas – entre le possible et l’inimaginable – au milieu des tourmentes – au cœur du vertige – plongés dans cette envergure démesurée de la transformation et de la continuité…

D’une escale à l’autre – ainsi dérivons-nous sans nous arrêter jamais – oubliant l’île – oubliant l’âme – et cet espace – partout – au-dehors et au-dedans – où tous les voyages, un jour, prendront fin…

 

24 septembre 2018

Carnet n°163 L’illusion, l’invisible et l’infranchissable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Entre le temps, l’aurore et le chemin – à se bercer – encore – d’illusions sur ce que l’on appelle, à tort, la vérité…

Ni ensemble – ni séparés – dans cet entre-deux du monde et de la solitude. A œuvrer pour l’Amour malgré les résistances et les refus…

D’âme en âme – posé(s) au milieu de nulle part – à découvrir ce qu’aucun chemin ne peut révéler…

 

 

D’enfance et de sagesse – celui qui s’abreuve à la source – celui qui marche en silence au cœur du monde – celui qui jamais ne tourne le dos – celui qui frappe à toutes les portes – et que nul n’attend. L’âme, sans doute, trop humaine pour se résoudre à abandonner ses frères au milieu du désastre façonné de leurs propres mains

 

 

A l’écart – dans le plus simple – négligé par le monde. A mille lieues du grossier et du vulgaire – le plus ordinaire. La franchise exprimée – l’esprit de la sagesse, peut-être, infimement incarné. Entre la forme et l’infini. Entre le plus précieux et la nécessité. Debout au milieu de la chair. Quelque chose comme le seull’unique – dans ce qui nous semble si interchangeable – quelque chose comme l’éternitél’impérissable – dans ce qui nous semble si vulnérable et passager…

 

 

Une seule manière juste d’être au monde parmi des milliards – et toutes (pourtant) plus nécessaires les unes que les autres…

Humble, vierge et innocent dans l’incertitude et le non savoir…

 

 

Si souvent – à la même table – et pas même le pain – et pas même l’Amour – à partager. Une forme d’habitude – d’accoutumance peut-être – à cohabiter – à vivre ensemble – côte à côte…

La parole rare – et si prosaïque. La présence de l’Autre et son usage – nécessaire(s) pour assouvir ses désirs – ses fantasmes – conjurer ses peurs et échapper, peut-être, à la solitude. Simple accessoire d’une vie incomplète – essoufflée – asphyxiée et asphyxiante – presque invivable, en somme – et que vivent, pourtant, l’essentiel des hommes…

 

 

Jusqu’où faudrait-il écarter le langage pour dire l’inanité – et la supercherie – de toute parole…

Présence et gestes – attention et disponibilité – voilà, sans doute, comment se mesure (véritablement) l’Amour en ce monde…

 

 

Tout s’abandonne. Comme si nous étions seul(s) à espérer – et à essayer de comprendre – ce qui s’approche – ce qui vient à notre rencontre…

 

 

L’écart – et l’exil encore – jamais atteints – ni jamais interrompus. A contempler cette lumière qui brille sur tous les visages au nom inconnu – et sans importance…

 

 

Nous inventons des noms, des jeux et des histoires – mille noms, mille jeux et mille histoires – pour vivre moins seuls – et avoir l’air moins fous – moins perdus et ignorants – que nous le sommes (en réalité). Mais, en vérité, nous ne savons rien ; ni du monde, ni de l’âme, ni de nous-mêmes. Et nous ne sommes pas même certains d’exister…

Nous inventons mille choses – mille mondes – pour survivre à ce que nous prenons pour un néant – et qui, avec d’autres yeux – et un regard moins voilé (plus juste peut-être) – nous apparaîtrait comme un vide et une lumière – une présence attentive à toutes les inventions

 

 

Nul bagage, nulle douleur, nul exil n’est nécessaire. Tout s’aggrave dans notre refus et nos amassements. Le plus simple, en nous, existe déjà – qui que nous soyons – quoi que nous fassions – où que nous vivions. L’innocence du regard portée, depuis le commencement du premier monde, au fond de nos yeux – au fond de notre âme – par le ciel – l’invisible – et une myriade de Dieux malicieux…

 

 

L’Autre et le désert – en soi – suffisent. Le reste (tout le reste) n’est qu’agrément, plaisirs superflus (si souvent) et attelages encombrants que nous imaginons, en général, nécessaires à notre vie…

 

 

Tout nous porte – et nous convie. Et – au-dedans – tout existe déjà. La seule nécessité est celle de la convergence qui advient à mesure de la perte et de l’effacement – nécessaires pour faire vivre en soi l’ultime présence, le passage permanent, l’incertitude et l’abandon…

 

 

Comme une eau – le labeur imperceptible de l’âme, en nous, qui creuse nos rives – qui anéantit, peu à peu, nos échafaudages et nos constructions – qui assèche les idées, les images et toute forme d’espérance – et qui brûle, une à une, toutes nos certitudes – pour nous mener au centre d’elle-même – au centre de nous-mêmes – au centre de tout – muet(s) et innocent(s) – prêt(s) enfin à (tout) voir et à (tout) découvrir – à (tout) vivre et à (tout) aimer…

Cette longue et discrète tâche en soi œuvre pour vaincre toute forme de refus et d’adversité au profit de l’effacement, de l’acquiescement et de l’invisible. Et elle se montre bien plus réelle – et bien plus efficiente – que nos pauvres petits travaux extérieurs qui ne donnent que l’illusion d’une identité et d’une densité existentielles – et qui ne transforment que les apparences sans jamais réussir à métamorphoser radicalement – ni même profondément – le carcan du monde et de l’esprit où nous vivons – où nous croyons vivre – enfermés…

 

 

Tout s’éprend – saigne – puis se vide – pour atteindre le seuil possible du rassemblement – l’effacement nécessaire à l’accueil et à l’acquiescement des dérives, des excès et du silence…

 

 

Tout crépite entre les parois – immenses – de la nuit. Tout s’exacerbe – s’exaspère – et finit par périr dans les eaux tantôt dormantes, tantôt mouvementées du monde. Au pied de la même enfance introuvable…

 

 

Nous nous ouvrons la poitrine pour vivre cette brûlure permanente – et raviver la flamme du même désir. Et nous allons ainsi sur tous les chemins du monde – de pierre en pierre – de fontaine en fontaine – de feu en feu – jusqu’à la mort…

 

 

Comme un écho dans la marche – dans le pas. Une clarté déformée – trop piétinée, peut-être, pour nous apparaître plus réelle que le monde – et plus vivable que notre effroi, nos refuges et nos épouvantails…

 

 

Là – partout – à nos pieds – au-delà du regard – sur ces mille horizons pétrifiés – la folie et le silence. Et ces mains tendues vers la lumière – appuyées sur la misère, le mensonge et l’illusion…

 

 

Une terre d’oubli et de malversations – si rugueuse – presque infernale – où la mort est omniprésente – tutélaire, en quelque sorte, au milieu de l’Amour, de la beauté et du silence…

 

 

Séparés au cœur des bouleversements. Réunis après l’effacement – dans cette paix et cette intensité qui nous paraissaient si lointaines – si étrangères – de l’autre côté du monde – de l’autre côté des yeux…

 

 

Un visage – à moitié encore – presque enseveli – presque effacé – où brillent cette part du monde si dégradée – et ce ciel – mille fois célébré – que les hommes ont toujours confondu avec la promesse des Dieux. Avec une âme simple – pourtant – depuis le commencement du monde – depuis l’invention du poème – pour défier l’attente, l’illusion et la barbarie…

 

 

Ce qu’il reste du monde – et ce qu’il reste de l’homme. Et ces vents – et cette immensité – au-dedans qui nous invitent à chercher – et à creuser – partout – au-delà des perspectives humaines habituelles…

 

 

Entre le seuil, la fleur et l’innocence. Entre l’or, l’homme et le soleil. A s’offrir – et à se suspendre – au milieu des regards indifférents. A nager encore jusqu’aux rives premières – à contre-courant des rites et des rengaines – pour devenir l’ombre, la voix et la pente où tout glisse jusqu’à l’infini – jusqu’à l’effacement – inexorables…

 

 

La terre comme un ruban de supplices posé à même le ciel. Et le ciel comme une aire de partage. Et le monde – et l’homme – coincés quelque part – dans cet entre-deux où vivre consiste à enjamber la peur, le mensonge et l’illusion…

 

 

Notes graves – mots empesés – parfois sévères – parfois tragiques – qui dénoncent et murmurent. Mille poèmes en équilibre sur la laideur du monde et la paresse des visages. A petits pas – à la frontière du temps – entre le silence et la nécessité – à pointer derrière l’ignorance et les défaillances ce que nous avons de plus haut – de plus inespéré…

 

 

Obstacles à lever – champ immense à découvrir. Gestes et paroles à transformer en silence pour apaiser l’âme et sa quête harassante – et restituer ce que nous avons perdu en délaissant l’origine et la lumière…

 

 

Regard – encore – au-delà du temps. Mots – lettres – fragmentés dans l’attente d’un élan – d’un poème – du même silence – mille fois recommencé(s)…

 

 

Rencontres – toujours – au fil des pas – dans cette trame où se fourvoient – et se dérobent – l’Amour, l’enfance et les promesses. Nu – à présent – et le cœur délicat – l’âme affranchie des terreurs et de la matière noire. Libre des sortilèges humains – vivant avec plus d’audace qu’autrefois…

 

 

Un chant – et le même frisson – à vivre dans cet espace où l’homme – le presque homme – a disparu. Evincé du monde, des danses et de la barbarie. Posé, à présent, au cœur du silence – fragile et dérivant au milieu de ce qui résiste (encore) à l’apesanteur…

 

 

Avant de mourir qu’y a-t-il à vivre sinon l’effacement…

 

 

Entre le temps, l’aurore et le chemin – à se bercer – encore – d’illusions sur ce que l’on appelle, à tort, la vérité…

 

 

Mille – dix mille massacres – mille – dix mille offenses – mille – dix mille mains tendues – et plusieurs milliards peut-être – ne changeront (jamais) ni la vie – ni la mort. Toutes ces danses et ces simagrées n’exalteront que l’illusion – et la rage de s’y être égaré – et inviteront l’âme à la dérive à rechercher une autre terre – un autre lieu – qui reconnaîtrait l’Absolu – et lui ferait (enfin) la part belle…

 

*

 

Ce qui s’offre – et se distille peut-être – dans la poésie – au-delà de la justesse – au-delà de la beauté ou de la vérité (qui parfois, s’expose partiellement) – c’est une énergie propre à la pensée et au langage – fixée dans la matière – entre la page et le silence – capable de soulever toutes les montagnes du monde – avec mille autres sources et mille autres souffles – à travers les gestes de ceux qui la lisent ou l’entendent…

Au-delà de la clarté – de ce peu de clarté – que les poètes peuvent faire émerger – ou révéler – chez leurs lecteurs (et c’est déjà beaucoup…), voilà, peut-être, le rôle essentiel de ceux qui écrivent et travaillent « en poésie » ; donner la force nécessaire à ceux qui la lisent aujourd’hui – demain – plus tard – et, peut-être, pour l’éternité – de transformer le monde et le cœur humain – et d’accompagner, de façon singulière et indirecte, le vivant et l’œuvre commune dans leur marche vers l’Amour, la lumière et le silence…

Faire revenir chacun – et le monde – au pays natal – retrouver pleinement, en quelque sorte, l’origine – notre envergure vide et consciente – attentive…

Tâche noble et ambitieuse entre toutes – en dépit des apparences…

 

*

 

Entre faiblesse et incertitude – caché – enfoncé dans les replis de l’âme et les rides creusées par les soucis des jours – ce que les siècles – tous ces siècles ignobles – ont tenté d’anéantir…

 

 

Main digne – incomparable – qui laisse s’échapper, parmi les vents et les bruits du monde, des sons incompréhensibles et une myriade de couleurs – offerts à l’Amour et à la solitude de chacun…

 

 

Ni ensemble – ni séparés – dans cet entre-deux du monde et de la solitude. A œuvrer pour l’Amour malgré les résistances et les refus…

 

 

Ni hasard, ni exigence. Souple comme l’eau qui trace – implacablement – sa route vers l’océan – vers le ciel – vers la source – à travers toutes les rivières du monde…

 

 

D’âme en âme – posé(s) au milieu de nulle part – à découvrir ce qu’aucun chemin ne peut révéler…

 

 

Rien ne pèse – et tout est vain – bien sûr. Mais l’affliction et la résignation ne peuvent être ni l’issue, ni le refuge. La joie doit se porter – comme l’âme – haute et discrète – humble sous la couronne du silence et de la vérité…

 

 

Entre Dieu et la terre – cet interstice où tout sombre. Les pierres, les bêtes, les hommes. La vie, le temps, les chemins. L’illusion d’exister, les désirs et les voyages. Les noms et la mort. Et jusqu’à l’effroyable destin des âmes – prisonnières du monde et des contingences matérielles – et appelées, pourtant, à retrouver le vide – ce ciel moins terrestre – bien moins terrestre – que nous ne l’imaginons…

 

 

Une pierre, un cri, un éclat. Mille sanglots – et autant de pas infimes vers ce que nous ne pouvons rejoindre…

L’unique issue – toujours – viendra de l’abandon…

 

 

Le désert, le froid et la tendresse des paupières. Et cette porte ouverte sur la nuit, le feu et la vérité – au centre de tout – malgré l’aveuglement et cette passion si terrestre – si humaine – pour l’ombre et le sommeil…

 

 

Nous vivons – nous édifions – nous combattons – nous nous débattons et gesticulons, en somme – sans même nous rendre compte que nous glissons – subrepticement – vers le noir et le sommeil alors que la lumière – partout – se révèle aux âmes défaites et vaincues…

 

 

La pensée allonge – toujours – le chemin de la découverte. Plus on pense, plus il (nous) faudra marcher longtemps…

Il suffirait, pourtant, de tout suspendre ; les idées, les images, les représentations – pour voir le jour – et le laisser s’approcher…

 

 

Nous vivons le même rêve – les pieds englués dans l’illusion de la liberté. Mais rien n’est certain – rien n’a valeur de certitude – ni le monde, ni ce que nous appelons l’existence. Et pas même, bien sûr, ce vacarme et cette fébrilité terrestres autour du bonheur et de la quête de vérité…

Mieux vaudrait vivre – passer sa vie – assis près de la fenêtre à regarder aller et venir – le sourire aux lèvres – toutes les expériences – comme ces vaches placides dans leur pré qui regardent passer les trains. Se poser – l’âme sereine – pour attendre que tout, au-dedans, se vide et s’efface – et que la nuit et le sommeil se transforment, peu à peu, en présence et en lumière. Le jour alors pourrait resplendir partout – dans toutes les vanités – au milieu du monde et du noir – au milieu du bruit et de l’effervescence – et jusqu’au cœur de tous les élans et de toutes les tentatives…

 

 

A marcher – toujours – à tourner en rond – comme si l’on pouvait ainsi attraper le silence…

 

 

Le temps fini – imparti – qui se renouvelle pour que le voyage continue – et que recommence la traversée…

Qui sommes-nous sinon ces pas – et cet espace que, sans cesse, nous foulons…

Entre vie et mort – lumière et sommeil – noir et clarté – à jeter nos rêves devant nous – à convertir la vie en errance – et à s’acharner jusqu’à l’épuisement – pour effleurer, à peine, la paix et le silence…

 

 

Que faire aujourd’hui de tous ces mots – de tous ces livres – accumulés au fil des années ? Rien – un grand feu de joie peut-être – et repartir à neuf – repartir à zéro – au milieu des cendres pour convertir (enfin) la parole en présence et en gestes…

 

 

Ni rêve, ni corps. Pas même un étendard. Et moins encore une identité. Nu comme cet espace à travers lequel tout s’écoule…

 

 

Tout s’insère – tout s’accueille – dans les mains ouvertes

 

 

Des mots comme les jours – où tout s’enlise – où derrière l’apparence de l’ordre règnent l’effervescence et le chaos. Le feu du temps et de l’esprit attisé par mille pensées – par mille saisons – qui viennent, sans cesse, défier et contredire le silence…

 

 

Autant de rives – et autant de rêves – traversés par le même chemin. Des sourires et des disgrâces plein les poches. Et un peu de neige sur l’âme pour continuer à garder la tête froide

 

 

Un rire – immense – un trouble de l’âme. Un reflet de lune sur l’horizon noir et la chair grise. Un miroir comme une eau frémissante. Et des paupières encore envoûtées par la beauté de l’écume…

 

 

Une pierre, un oasis, un peu de chair pour résister à la tentation et à la prière. La gorge nouée et l’Amour déchiré sur nos lèvres – trop lourdes – trop chargées de rêves et de souvenirs. Et l’aube au fond des yeux qui n’attend que l’inversion des perspectives et le soulèvement du regard au-dessus du monde et des abîmes…

 

 

A nous courber trop volontairement, nous en devenons orgueilleux. Il serait plus sage de délaisser le désir et l’ambition de l’humilité – et être soi-même en se laissant griffer par le monde, la vie, les visages et les ornières des chemins afin d’apprendre, peu à peu, à s’effacer – à s’abandonner aveuglément à la virginité impersonnelle – et à se laisser aller aux miracles de la transformation – du passage de l’âme au silence – pour être capable(s), un jour, de maintenir ses deux mains ouvertes – fragiles – prêtes (enfin) à tout accueillir…

 

 

Tout – en définitive – converge vers le même visage – vers le même silence – celui qui donne sens – et profondeur – à notre si vive (et si vaillante) ardeur…

 

 

Rien n’existe – peut-être – sinon le sentiment de la douleur et l’illusion du manque et de l’incomplétude qui façonnent l’âme, le monde et le cœur et nous donnent l’allant indispensable pour retrouver ce que nous croyons avoir perdu…

Rien n’arrive sinon le jour – la persistance du jour – que nous imaginons impossible – trop lointain – ou trop intermittent peut-être…

Tout se révèle – ce qui n’a jamais disparu…

Et l’ardeur du sang n’est que le souffle nécessaire au voyage vers ces retrouvailles. Et le monde et les visages ne sont que des chaînes et des miroirs pour immobiliser le pas – inverser les yeux – et les retourner vers le dedans – vers ce qui demeure et ne peut disparaître…

Tous les chemins, en somme, n’ont d’autre fonction que celle de faire naître un regard suffisamment tranquille pour contempler, sans effort, tous les élans – toutes ces marches fébriles et inépuisables…

 

 

Entre l’homme, le monde et la solitude. Un visage à peine – pas même certain d’exister – ni même d’avoir besoin de vivre son humanité

 

 

Un cercle de feu – l’ultime recours de la nuit, peut-être, pour égayer ce restant de tristesse – incorruptible. Au milieu de mille étoiles déjà mortes – éteintes depuis si longtemps…

 

 

Un semblant d’Amour. Un Dieu minuscule. Quelques lois – comme des dogmes infranchissables. Le gris, le noir et la blessure. Et mille yeux fermés qui rêvent de ciel et de liberté. Rien qu’un corps – un peu de chair – pour défier les interdits et partir à l’aventure – avec l’âme qui nous rejoint en chemin pour découvrir mille plaines – mille pluies – mille soleils – et, un jour, ce silence tant espéré – ce silence si attendu…

 

 

Lignes encore – pour ne rien dire de plus qu’autrefois – sinon, peut-être, notre effroi grandissant face à tout ce qui nous arrache au silence – et l’évidence de la paix au milieu du monde et des tourbillons…

 

 

Nous nous penchons – à tous les départs – nous nous voûtons (toujours) davantage – comme écrasés par le poids d’un vide de plus en plus insupportable…

 

 

Autour de nous – l’Autre – le monde – l’ignorance – tout ce que nous n’avons encore su apprivoiser. Le regard en-dessous du seuil – à la frontière entre l’ombre et le silence…

 

 

On s’élève – et l’on devient – malgré soi – toujours plus divisé. Fragment perdu – fragment isolé – d’un corps – d’une rive sans limite – inconscient de l’unicité du regard et de l’envergure de l’ensemble…

 

*

 

Il y a toujours la vérité – un peu de vérité – au milieu des visages – sous la fatigue et la déchéance – au cœur de chaque défaite – au cœur de chaque destin. Le signe que l’Absolu se cache, depuis la naissance du monde, derrière tous les élans – derrière toutes les tentatives – derrière tous les désespoirs. En filigrane, en quelque sorte, de tout ce que nous faisons, inventons et croyons être…

 

 

Tout – à chaque instant – s’écroule. Mais nos têtes et nos mains s’acharnent tant à (tout) reconstruire que nous imaginons le monde réel et durable. L’illusion se tient au cœur même de l’esprit – dans cette impression de ne pouvoir survivre au vide et à la destruction. Le rêve, le récit et le mensonge plutôt que l’effondrement et l’apparence du néant. Ainsi se perpétuent la croyance et l’acharnement. Mille jours – mille siècles – et des millénaires peut-être – à édifier mille choses et mille mondes qui nous voilent, avec l’essentiel, la vérité…

 

*

 

Tendu – au-dehors – vers ce qui nous porte – et nous habite – au-dedans. Ainsi débute le voyage – que vient clore – après mille traversées – après mille impasses – la présence immobile qui, peu à peu, transforme la quête, les pas et les contingences du monde en gestes – en mains ouvertes aux nécessités du réel et à l’accompagnement (circonstanciel) des marches préliminaires

 

 

A vivre – et à devenir – dans l’éparpillement et le chaos. Fragmentés et incomplets jusqu’à la fin de l’illusion…

 

 

A œuvrer sur les hommes comme sur la pierre – jusqu’au fracassement – jusqu’à l’anéantissement – jusqu’à tout réduire en poussière – pour découvrir, derrière le voile et l’illusion, la blancheur du ciel – l’infini où les gestes et la voix se perdent sans miroir – sans écho…

 

 

Tout se craquelle – jusqu’aux idées (si épaisses) des hommes – jusqu’aux plus belles certitudes. Voilà comment prend forme le réel… Voilà comment le jour peut naître au monde – et le monde naître au jour…

 

 

Sentier de l’âme – sentier des astres – au cœur de chaque être – au cœur de chaque chose – si mal définis dans cette nuit où tout se transforme sous l’emprise du désir…

 

 

Au centre – multipliés – en avance sur le temps – en avance sur la fin du monde – le silence, les visages et le poème qui ont su affronter la souffrance – et se replier au cœur de l’âme – affranchis, à présent, de l’écume et des danses macabres – de cette folie qui emporte tout avec les hommes…

 

 

Dieu et le visage de l’inhumain – ni désirables, ni réfutés – présents partout – au cœur du monde – au cœur des veines – au cœur du temps. Côte à côte – au milieu des circonstances. Au corps-à-corps – dans une lutte perpétuelle. Provisoirement immobilisés par nos doutes et nos atermoiements. Attendant des hommes – un geste – un écart – un clin d’œil. Prêts à se livrer à ceux qui choisirontleur dévouement

 

 

Tout brille – brûle – et se referme – comme la fièvre qui porte nos pas vers le silence…

 

 

D’une terre à l’autre – sous un ciel planté au fond des yeux. A marcher – hagards – à errer au milieu des tempêtes et des étoiles. A se demander comment nous pourrions vivre – et échapper à la nuit qui rôde – infernale – dans nos gestes sans âme…

 

 

Libre sous le ciel – sans miroir – à regarder ce qui s’éparpille sans fin…

 

 

Un séjour – une fenêtre pour que se dessinent le ciel du dedans et l’allant nécessaire pour s’éloigner du monde. Une manière d’encourager l’émancipation de ce qui a toujours tremblé devant la domination du pire…

 

 

Tout bascule – toujours – fait pencher la balance des deux côtés – alourdit, en quelque sorte, la charge existante jusqu’à ce que le ciel et les circonstances rééquilibrent le monde et les existences en réduisant l’illusion et en donnant à l’esprit – et à nos vies – un peu plus de légèreté

 

 

Tout se gonfle – et feint l’importance – en attendant la débâcle…

 

 

Tout est l’expression du silence – bien sûr. Danses, paroles et défilés – brûlés jusqu’à l’incandescence – avant de rejoindre les vertus premières de toute existence…

L’effacement et le feu (éternellement) recommencés…

 

 

A se pencher si bas que tout est inversé ; l’enlisement dans la fange et la solitude des nuées. Mains jointes face aux siècles – face aux monstres – face au cœur – face aux hommes. Et la lumière et le silence – de passage – qui illuminent tout de leur présence…

 

 

Il n’est de geste – il n’est de mot – qui ne soient Amour – dissimulé parfois, il est vrai, sous les pires oripeaux et les masques les plus affreux…

 

 

Il faudrait se taire, à présent – et laisser le silence décider de l’ampleur du poème. Devenir l’âme et la main fidèles au seul langage…

 

 

Des murs – partout – et notre bredouillement permanent face à l’infranchissable…

 

 

Des livres – des silences – et mille acquiescements à tout ce qui s’invite. Réduit, en quelque sorte, à la lente inclinaison du front face aux circonstances – face à l’inexorable…

 

 

Existence droite et sauvage – marquée comme l’éclair par la persistance du feu – humble mais éblouissante. Hostile à toute forme d’obscurité. Rieuse dans le ciel autant qu’elle apparaît austère dans les livres. Légère – en équilibre – et dense (si dense – à en faire froncer les sourcils). Jamais avare d’un clin d’œil aux vents, aux tourbillons et à l’effacement. Docile face aux circonstances – mais jamais soumise. Libre et florissante sous les affronts et les pluies les plus terrifiantes. Elogieuse et rapprochante malgré sa hâte et son ardeur. Solitaire et joyeuse – plongée, sans cesse, au cœur de mille prouesses invisibles…

 

 

A vivre sans nom – à vivre cent jours – des années – immergé dans les feuillages et le silence – à fréquenter les arbres et les bêtes – à côtoyer les pierres et le ciel. Avec tous les soleils rassemblés sur l’épaule – et la main, à jamais trempée dans l’encre, qui jette, chaque jour, sur ses pages l’aveu et le secret…

 

 

Allongé – partout – là où il faudrait se redresser – et vivre. L’homme soumis au temps – soumis aux siècles – soumis au monde – et la révolte toujours brûlante – toujours frémissante – au bord de l’âme…

 

 

Et nous autres – persévérants – cherchant l’éternité au fond de l’éphémère – la beauté au milieu de la laideur – le cœur du monde et le cœur de l’âme dans les gestes de l’homme – la source et le silence dans nos mains défaites – et la certitude du bleu dans ce gris et cette nuit qui semblent impérissables…

 

 

Tout s’avance – tout se suit – et s’enchaîne – à l’ombre de notre attente. Tout envahit le monde – la terre – le sol – les bêtes et les fleurs – et jusqu’à la nuit qui s’enroule autour des hommes – autour de tout ce qui espère (encore) au milieu de la douleur et de la mort…

 

 

Tout est assoiffé du même désir – et le jouet (si crédule) de cette candeur à revenir. Mille fois contrarié, pourtant, par la faiblesse des destins…

 

 

Tout tremble – encore – sans oser défier le malheur – et les mille malédictions des naissances terrestres…

 

 

Ensemble – toujours – aujourd’hui comme hier – demain comme dans mille siècles – à tourner en rond au fond de la même solitude…

 

 

Et le manque – toujours – et le ciel librement consenti. En suspension. Dans le passage – à chaque nouvelle étape. Et le cœur qui cogne. Et l’âme qui résiste. Et le regard déjà ailleurs. Comme si l’Amour était déjà parti – envolé, peut-être, vers des terres moins folles – vers des terres moins pétries de doutes…

 

 

Captifs – au cœur du même voyage. Les joues rouges – en colère – et l’âme obstinée. A geindre – à crier – à se plaindre de l’éloignement du monde, du harcèlement initié par le désir et du manque éprouvé par les hommes. A vivre à l’ombre – toujours – d’une main gigantesque – inconnue – étrangère – indéchiffrable – qui s’aventure au milieu de toutes les circonstances et de tous les destins. A tourner dans la poussière au fond de cette nuit que l’on aimerait perfectible. A édifier – et à poursuivre l’œuvre de nos aînés. A mourir inlassablement à intervalles réguliers. A nous croire encore invincibles. A espérer – toujours – l’impossible…

 

 

Ailleurs – la même étoile – qui infatigablement se transforme – tantôt en jour, tantôt en nuit – au gré des rêves et des désirs. Entre brûlure et errance – et le même désarroi à vivre…

 

 

Tout existe déjà – en cachette – dans le voyage – comme au cœur du silence ; les eaux dormantes – les mêmes chemins – l’ombre et la peur – les grandes étendues de sable qui offrent cette ivresse – et tant d’espoir – à ceux qui s’imaginent bâtir des jours et des mondes nouveaux. Mille siècles – mille départs – mille adieux – et autant de recommencements – qui ne conduiront jamais à un autre lieu que celui où nous sommes déjà…

 

17 septembre 2018

Carnet n°162 Nous et les autres – encore

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Vêtu du plus simple que le monde nous ait offert…

Nous dirons encore – nous dirons toujours – entre silence et nécessité – ce qu’est l’homme – ce qu’est le monde – et ce pour quoi nous sommes nés…

Du côté du simple, du discret et du silence – définitivement…

Ni bruit, ni arrogance – quelque chose comme une fragilité – un équilibre – entre l’innocence et la certitude de l’infini…

 

 

Un jour, peut-être, au fond de la voix – cette blancheur de l’âme – et ce cri comme un murmure pour dire (enfin) la venue du silence. Avec, dans le regard, cette bonté et cette malice des yeux qui savent

 

 

Ni bruit, ni arrogance – quelque chose comme une fragilité – un équilibre – entre l’innocence et la certitude de l’infini…

 

 

Nous dirons encore – nous dirons toujours – entre silence et nécessité – ce qu’est l’homme – ce qu’est le monde – et ce pour quoi nous sommes nés…

 

 

Se souvenir ? Pourquoi faudrait-il serpenter entre les failles de la mémoire pour retrouver une chose – un visage – un monde – qui n’existe plus que dans notre tête ? Pourquoi refuser de vivre virginalement le présent – sur ce fil à la stabilité impossible – sans le fardeau du passé qui toujours encombre l’innocence du regard ?

 

 

Un peu d’épaisseur dans la transparence – comme les reliquats des bruits du monde et de l’âme qui, en nous, refusent l’abdication. Aussi solides qu’un restant d’orage dans le ciel – aussi persistants que le gris dans nos vies si peu joyeuses…

 

 

Des excès encore, parfois, dans l’absence – et des partages insuffisants. Des pauses et des postures dans la vie présente. Quelque chose au goût d’avant avec ses doutes, ses peines et ses élans. Le même cirque, en somme, à quelques nuances près, que le cœur des hommes – que la vie des Autres – inexorablement plongés dans le désir et la mémoire – posés en équilibre sur le fil de toutes les précarités

 

 

La nuit – un peu partout – sur les murs – au fond des yeux – au milieu des rêves – derrière l’infortune. Au cœur de toutes les tentatives pour échapper au monde et rejoindre le meilleur – l’après – le plus enviable. Tout ce qui traîne dans la boîte humaine – ces peines et ces exigences que les sages ont abandonnées au gré des vents sans se soucier ni des lieux, ni des visages qui pourraient être contaminés

 

 

Vêtu du plus simple que le monde nous ait offert…

 

 

L’esprit de l’homme se tient quelque part – entre l’aube et le sommeil premier (le sommeil originel). Dressé jusqu’aux vitraux des plus hautes cathédrales – jusqu’aux étoiles – il célèbre la nuit et l’abîme – si étranger(s) au jour – que nos yeux et notre âme, pourtant, appellent désespérément (depuis la naissance du monde) du fond de leur fossé…

 

 

Ce que nous érigeons, bien sûr, prête à sourire. Mais comment rester silencieux – et les bras ballants – lorsque le monde et ses danses promettent un peu de joie à ceux qui emboîtent le pas des foules – à tous ceux qui rejoignent la cadence de cette marche forcenée… Sans doute, faudrait-il être sage – mille fois plus sage que ce que les hommes attribuent communément à l’homme sage – pour laisser le monde et nos foulées nous immobiliser dans le plus fertile silence…

 

 

Celui que nul ne remarque – et qui tient dans une main quelques restes de l’ancien temps – quelques reliquats humains – et dans l’autre la corbeille du silence où viennent mourir tous les bruits – et toutes les tentatives – du monde…

 

*

 

Nous croyons que ce que nous possédons* (et ce qui nous accompagne) est précieux. Comme si nos bagages pouvaient nous sauver la vie – ou nous sauver la mise… Au mieux, bien sûr, ils nous aident à vivre plus confortablement…

Nous ne sommes ce que nous portons. Nous sommes bien davantage ; selon les postures et les circonstances – quelque chose entre presque rien et l’infini…

* Ce que nous croyons posséder…

 

 

Nous allons vers les hommes avec les mains sombres et l’âme lumineuse. Comme une terre timide – un amas de sable, peut-être, qui porterait en lui un soleil secret…

 

 

Tout s’inscrit à l’envers du silence – sur ce versant du monde que nous imaginons plus réel que les autres – là où la raison et le langage aident à la fouille et aux danses qui creusent leurs sillons à même l’expérience en célébrant la multitude et l’opportunité. Mais s’y engager corps et âme revient à oublier une dimension essentielle – une dimension fondamentale – de l’existence où le cœur est libre des rêves et des désirs – et où l’œil est seul – joyeusement solitaire – pour contempler ce qui passe – et qui croit, si souvent, briller sous la lumière (si factice) des étoiles…

 

 

Tout (nous) arrive – éminemment simple – et se complexifie en traversant notre chair et notre tête. Devient – presque toujours – grilles, souvenirs, maux et malheurs – survenance du pire, parfois – sacrifice et perte de toute forme de beauté…

Et dans cet entassement, l’âme est comme une fenêtre qui redonne – qui peut redonner – au visage et aux circonstances la simplicité du jour et la splendeur des origines autant que la possibilité d’un regard non corrompu sur ce qui passe – sous nos yeux et dans notre existence…

 

 

Tout s’inscrit – toujours – quelque part – sur le sable de quelques âmes – ou sur les pages de quelques livres. Mais le dedans – toujours – reste pauvre – noir – immense – insensible, au fond, à tout artifice. Et, pourtant, tout y sombre – jusqu’au moindre bagage – jusqu’à la folie du monde – jusqu’au sommeil le plus profond…

 

 

A travers tout – le rien indéchiffrable – et la main du monde si laborieuse – si appliquée – pour amasser et entasser les choses – pour décerner des titres et des médailles – et édifier mille pyramides à la base, presque toujours, méprisée. Et qui feint d’ignorer tous les crimes et tous les drames commis au nom de l’homme – au nom de la prospérité et du progrès…

 

 

Du côté du simple, du discret et du silence – définitivement

 

 

On ne peut échapper à l’individualité et aux expressions singulières – ni s’en affranchir – excepté dans le silence et l’effacement qui laissent s’exprimer toutes les manifestations – tous les besoins, toutes les exigences et tous les commentaires du monde…

 

 

Entrer en soi consiste à s’abandonner à ce qui surgit naturellement – spontanément – circonstanciellement – et à s’élever (dans le même temps) en surplomb du monde, des êtres et des choses – bref à être, à vivre et à agir en maintenant son attention et sa présence au cœur du regard silencieux – profondément acquiesçant – et en laissant libres les gestes, les pas et les paroles quels que soient les situations, les événements et les circonstances…

 

 

Fermer la fenêtre du monde comme l’on clôturerait un champ immense de regards, de gestes et de paroles inutiles pour plonger dans le vide qui nous appelle (et nous attend) – au cœur de l’inconnu que nous sommes – comme le monde – tous autant que nous sommes

 

 

Et si la vie – les gestes et les pas – l’histoire, les événements et les commentaires – de chacun ne révélaient, en réalité, que l’indigence de tous face au même mystère – et la tentative imparfaite – si souvent maladroite et infructueuse – de percer le secret commun

 

 

Nous n’écrivons plus (comme autrefois) pour nous faire connaître – mais pour disparaître de façon toujours plus subtile et radicale…

 

 

Vivre avec évidence le moins vivable de l’Absolu – et avec le plus tangible – et le plus essentiel – de notre vie

 

 

Les poètes – comme tous les hommes raisonnables – se moquent des foules, des clans, des familles, des couples – de tous les groupes constitués. Pour faire entendre (et faire résonner) leur parole, ils savent qu’ils doivent s’adresser à chacun – et faire vibrer ce qu’il y a à la fois de plus intime et de plus universel dans le cœur – et au fond de l’âme – de chaque homme…

Et les plus obstinés – ou les plus fervents – invitent, dans leurs livres comme dans leur vie, leur entourage et leurs lecteurs à appréhender l’existence et le monde comme le premier homme

 

 

Une fenêtre existe quelque part – où tout est donné – offert puis repris dans sa chute – où ce qui nous accompagne – et ce qui nous blesse – viennent faire ce pour quoi ils sont entrés dans notre vie – et enflammer l’âme, bien sûr, dans son besoin de franchissement

 

 

Ciel, âme et destin – à mesure que nous passons – eux aussi s’effacent pour laisser place au grand vide – à l’impérieux silence – dans lequel tout naît et prend fin…

 

 

Des existences et des signes – infimes – dans cette misère et cette bonté. Quelque chose comme une porte dans la lumière et les remous. Un infini, peut-être, au milieu de l’âme – au cœur de toutes les vies – au fond de toutes les tombes. Et ce vent qui persiste au-delà des visages et de la mort…

 

 

Ni emprise, ni conquête, ni dégât. Un peu de rien – simplement – sur le sable. Quelques lambeaux de chair, un peu de sang et un souffle provisoire – un peu de poussière, en somme. Et la même réponse – ce qui demeure – toujours – à travers les âges – à travers les siècles. Un parfum – un goût, peut-être – d’indicible au cœur de ce qui (nous) semble si insupportable

 

 

Rien – de la matière et du bruit. La construction de quelques tours et l’invention du langage. Mille projets, mille édifices et mille aventures pour tenter de surmonter notre incapacité naturelle à vivre et l’impossibilité de se faire entendre. Et ce que l’on espère encore atteindre du bout des doigts…

 

 

Brisés – comme l’apparence – cette faim et ce besoin, si ancien, de fortune. Vaincus ni par la force, ni par la foi – mais par la nécessité de devenir réellement un homme

 

 

L’œil et le bois – la chair et la matière – comme l’or et le sable – habitent le fond des rivières et ces grands espaces surpeuplés où l’on pense, trop pesamment, à demain…

 

 

A s’égarer dans cette nuit née du jour le plus ancien où exister consistait ni à survivre, ni à chercher une issue (comme aujourd’hui) mais à tenir le plus vrai au milieu du sang – au cœur même des yeux grands ouverts sur la tristesse et l’inconnu…

 

 

Quelle option s’offre aux hommes sinon celle de l’écartèlement entre les remous, les élans, les mugissements et le sortilège…

 

 

Mille visages – mille rivages – mille rencontres nouvelles – jamais ne changeront la donne. Tout est né des désirs et du besoin de recommencement. Aucune arche ne sera jamais assez grande – ni assez belle – pour combler le manque de l’homme. Mais l’arrière des yeux – ce lieu où se loge le regard – peut transformer la faim et la nécessité en silence – et l’homme et le monde en espace d’acquiescement – en aire d’accueil et de liberté – pour que la joie, partout, remplace le malheur et la tristesse – pour que l’innocence, partout, remplace la ruse et le commerce – pour que la justesse, partout, remplace l’hésitation et la maladresse…

 

 

Nous sommes – bien sûr – ce que nous ne pourrons jamais ni trouver, ni inventer…

 

 

Entre voix, chaos et silence – ces pas feutrés et ces gestes discrets – et ce sourire que nul ne peut offenser…

 

 

Il n’y a nul endroit où vivre autrement. Nulle paix – et nul visage à rencontrer. Il y a le ciel, la lune et le lieu où nous vivons – il y a la fenêtre, quelques feuilles blanches et mille poèmes. Et le secret que distillent nos lèvres – et nos livres – à la moindre occasion. Et ce silence qui vaut tout l’or – et toutes les exaltations – du monde…

 

 

A découvrir ; ce qui chante au-dedans du sang – au cœur de la glaise – au-delà du monde. Et dans ce grand silence posé au fond de l’âme…

 

 

Tout arrive à celui qui sait vivre dans la boue – le sourire aux lèvres. Tout même pourrait lui arriver sans qu’il ne bouge un cil. Comme un grand soleil au milieu des vents – au milieu de la pluie – amoureux toujours de ce qui s’avance vers lui…

 

 

Ce qui respire en nous est bien davantage que le souffle – le silence de l’âme, peut-être, parmi les blés – parmi les visages – qui a su acquiescer aux exigences du ciel et à toutes les nécessités de la terre…

 

 

Pourquoi essayer encore de dire alors que les hommes ont dévoyé – et perdu peut-être – l’usage le plus noble du langage et l’écoute nécessaire ? Parce que le silence règne – et régnera – toujours parmi les lignes – dans les voix – et au fond des âmes courbées – penchées sur leur labeur et leurs mensonges…

 

 

Quelque chose d’incompréhensible – comme une voix dans la nuit – la persistance du silence dans les plaintes et les prières. La vie et l’espoir au cœur de la mort et de la misère. Cette faiblesse humaine – si belle et périlleuse – à vivre dans la proximité du monde et la compagnie des hommes…

 

 

Tout s’agenouille, à présent, devant nos blessures qui nous donnaient, autrefois, des airs de blessé – de mendiant – de naufragé existentiel. Aujourd’hui devenues source de toutes les promesses – comme de l’or – un peu d’or – découvert au cœur des veines – au milieu du sang…

 

 

A plat ventre dans ce bain de chair – entre l’attente et le silence – à offrir mille gestes – et mille paroles – similaires au fil des saisons. Avec l’âme – à genoux – à nos côtés – pour défaire notre chevelure et nos rêves encore trop serrés parfois – et portés comme un casque – et tombé (presque entièrement) aujourd’hui à nos pieds. Comme un pas – une danse – sur ces chemins où le souffle et les élans, autrefois, s’emmêlaient à la mélancolie et à la crainte de voir l’horizon se métamorphoser en sable – en trou – en puits – qui aurait immobiliser notre marche. Et vaincu, à présent, dans cette extase qui ressemble tant à la mort…

 

 

Ne plus chercher. Découvrir la profusion des demandes et des réponses. La vie au goût de récompense. Les délices de la marche. Et l’attention du silence…

Et fouler encore ces terres parmi ces visages si mortels. Sentir l’orgueil et tous les délires disparaître. Et humer dans l’air nouveau ce souffle puissant – cette impérieuse nécessité de l’effacement…

 

 

La solitude – comme l’exaltation d’un chant intérieur. Et le recours nécessaire au silence pour échapper à la folie ordinaire des hommes. La faim pour initier le voyage. Et l’Amour pour clore le chemin…

 

 

Moins qu’un visage – moins même qu’un nom – cette tendresse du regard qui décrypte la sagesse des mouvements et décèle partout la même nécessité : le pardon, l’Amour et le silence. Et la beauté du vivant qui s’acharne dans son exploration…

 

 

Un pays d’arbres et d’oiseaux – un pays de bêtes et de poèmes – un pays de livres et de silence. Et ce petit roi discret assis sur son trône de terre – si humble – sur cette pierre où il fait bon vivre loin du monde et des hommes – à chanter tout le jour – et à répandre le plus vrai (peut-être) – en veillant, sans rien exiger, au plus près du mystère – les gestes justes et la tête hors du mensonge…

 

 

Tout s’apparente à l’Amour. Mais la lumière nous semble si lointaine – si retranchée derrière les illusions – que nous avons posé quelques rêves au milieu des étoiles pour oublier notre parenté – et l’ascendance du monde…

 

*

 

Tout, sans cesse, s’efface ; histoires, titres, réalisations, succès, mérites, postures – balayés au profit de l’être – et de ce qui est (dans l’instant) – qui, eux aussi, bien sûr, disparaissent pour renaître l’instant suivant – chargés ou non de tout (ou d’une partie) de ce qui a composé le (ou les) instant(s) précédent(s). Comme si le seul règne – et les seules lois – étaient ceux du passage et de ce qui demeure infixable dans le déroulement apparent du temps…

 

 

On aimerait être – et vivre sans blesser quiconque – ni rien endommager. Mais voilà chose impossible, bien sûr, puisque le corps – et le psychisme associé – appartiennent à ce grand tout dont tous les éléments (sans exception) échangent, s’alimentent, se détruisent et se recombinent de façon permanente.

La seule option consiste, évidemment, à habiter le regard en surplombla présence silencieuse – qui ne s’identifie ni aux êtres, ni aux choses, ni au monde – à aucune des formes de l’univers objectal amenées inexorablement à disparaître…

 

*

 

A deux doigts du miracle – ce visage et cet espace (enfin) prêts à se rencontrer…

 

 

Ce qui sied à notre âme ; ce silence et cet Amour qui apaisent – et recouvrent – nos plaies pour rendre notre visage aussi lisse qu’au commencement du monde – lorsque les hommes n’avaient encore inventé ni les rêves, ni les étoiles…

 

 

Du vide – du vent – des cris ; toute la genèse – et toute l’histoire – du monde…

 

 

Il n’y a de plus beaux rivages que ceux où l’on vit – et célèbre – en silence. L’Amour vissé au cœur – plongé dans l’âme – agenouillé, partout, devant ses infimes cathédrales…

 

 

Seul – encore – parmi toutes ces mains du monde un peu folles – occupées à jouir – et à se satisfaire – de quelques restes d’étoiles…

 

 

A demi-mot toujours – comme une parole timide qui n’ose encore s’estomper…

 

 

Tout devient givre – douleur – à distance de soi. Tout s’éparpille et se désosse – excepté l’illusion, le manque et la faim qui se renforcent et s’intensifient…

 

 

Tout s’écarte, à présent – jusqu’à la première ombre qui voila le mystère. En équilibre entre l’Amour et l’incertitude – sur ce fil qui traversa (non sans peine) le doute et le chagrin – et l’espoir de trouver une autre issue à l’inquiétude…

 

 

Nous tissons entre la page et le silence – quelques mots – quelques lignes – quelques copeaux de vérité pour tenter de dire l’indicible…

 

 

Tout passe dans nos vies mouvementées (et si immobiles pourtant) – accrochées à mille habitudes – à mille certitudes – épines recouvertes de velours pour atténuer les piqûres et les déchirures – et tenter d’offrir au voyage – aux passages – à l’éphémère – une douceur lénifiante et une forme illusoire d’éternité…

 

 

Comme des taches de doigts – une explosion – sur l’invisible. Mille mots – un cri solitaire – lancés contre la pluie – contre le temps et la mort – pour apaiser cette ivresse de vivre (presque) inconsolable. Comme un écart dans les tourbillons désespérés de l’âme. Un peu de poussière, en somme – comme tout le reste – dans le silence…

 

 

Tout nous trompe – mais les ténèbres – comme le ciel – sont là – intensément présentes. Et la vérité – toute nue – si fragile – si innocente – se tient partout derrière le rêve et le mensonge…

 

 

L’illusion – comme l’apparence – ne sera jamais qu’un décor – un couloir à traverser – une porte à pousser – un seuil à franchir – pour découvrir l’autre face du monde – notre vrai visage derrière celui – plus familier – que nous arborons, de façon si machinale, au quotidien…

 

 

Des rêves et des rivages par milliers – et autant de pas et de regards sur l’écume – l’apparence du monde. Et cet Amour et ce silence – invisibles – partout – dans tous ces lieux où nous nous échinons à marcher – à bâtir – à jouir et à exister un peu – pour tenter d’échapper au néant…

 

 

Nous ne sommes ni la pierre, ni le monde – mais la distance qui nous sépare de tous les visages – cet espace où tout se retrouve et se rassemble. Un regard – comme un abri non contre la douleur mais contre l’illusion et le mensonge de la séparation. Un ciel – un océan – où vivre peut (enfin) perdre ce goût de larme – et engendrer le sourire et le pardon – l’esquisse d’une sagesse, en quelque sorte, au milieu de tous les passages – au milieu de tous les naufrages…

 

 

Tout se crie ou se murmure. Mais rien – jamais – n’est entendu. Chacun n’écoute (bien sûr) que ses propres mouvements – que ses propres rengaines. Et nous passons ainsi notre vie à répéter – inlassablement – les mêmes gestes et les mêmes paroles…

Et l’on voudrait nous faire croire qu’il est essentiel de participer au monde (humain) – et de contribuer au vivre ensemble…

Ah ! Dieu ! Que non ! Qu’il est bon et sage – et même vertueux – de demeurer seul(s)…

 

 

Tout est endormi à présent. Ce que l’homme portait comme une ardeur est aujourd’hui (presque) entièrement dévolu au progrès et au confort – au grand sommeil du monde et des âmes

 

 

Rien que des luttes et des postures – pour ou contre – et mille commentaires inutiles – mille avis – mille jugements – mille « j’aime » et autant de « je déteste ». Mille gestes et mille paroles qui jamais ne sauveront le monde – ni n’effleureront la moindre vérité

 

 

Tout – presque tout – semble absurde ici-bas. Et, pourtant, derrière l’arrogance et la misère – derrière l’ignorance et l’adversité – derrière l’indifférence et la passivité – derrière la résignation, l’incompréhension et l’effroi – quelque chose – un peu de silence – un peu d’innocence et de beauté peut-être – tente de percer la bêtise et la maladresse pour naître au monde…

 

 

Nous ne serons – à jamais – que nos propres bourreaux

 

 

Terre et cœurs aussi froids que la neige – et aussi tristes que la nuit. Et cette merveille au-dedans de la chambre – au-dedans du regard – qui cherche entre les plaies et la douleur un peu de lumière…

 

 

Là-bas – au loin – au-delà des vieilles pierres – derrière le ciel noir et ces rives fiévreuses – nous avons découvert le silence, le chant et la prière – et le monde aussi beau et prometteur que cet espace aperçu, un jour, à travers la fenêtre de l’âme…

Et nous attendons aujourd’hui, sans trop d’impatience – mais le cœur (un peu) désespéré – leur point – leur champ – de convergence – le jour de leur possible coïncidence

 

 

Tout – au fil du temps – au fil des jours et des siècles – finit par devenir sinistre et douloureux. Et, pourtant, tout au long de notre vie, nous essayons de lutter contre cet écroulement progressif et cet effondrement final – inexorables, bien sûr – comme si nous ignorions que leur acceptation initierait notre marche vers l’innocence – nos premiers pas, en quelque sorte, vers le silence…

 

 

Absent(s) – d’un jour à l’autre – au cœur d’une nuit faite, sans doute, pour durer encore des milliers de siècles…

Et nous autres qui marchons sans vraiment savoir où poser le pas – ni quel chemin emprunter… Perdu(s), en somme, au milieu du noir – encerclé(s) par l’atroce indifférence des visages…

 

 

Tout ce qui vit – se perche – se penche – se glisse – et se débat – tente d’exister un peu – et de gagner sa place – son infime place au petit paradis de l’ignorance

 

 

Nous n’aurons vécu, à vrai dire, qu’au milieu du silence sans jamais savoir comment le rejoindre et l’habiter…

 

 

Il faudra, sans doute, attendre la tombe pour nous voir ressusciter – et devenir enfin vivants – plus présents – plus silencieux et solitaires – qu’au cours de cette existence où nous nous serons tenus l’âme et la main mendiantes – entre fierté et ignorance – au milieu de la peur et des visages – à fouiller partout – à vivre n’importe comment – à quémander n’importe quoi – et à fréquenter n’importe qui – pour tenter d’échapper (un peu) à la misère…

 

 

D’épreuve en épreuve – à tenter notre chance

 

 

Tout passe – s’agite – s’enfonce et reflue sans cesse. Comme un souffle – mille souffles. Toutes les respirations du monde – et la suffocation de chacun…

 

 

Demeurer nu(s) et silencieux parmi les bruits – tous ces bruits d’effondrement, de prestige et de volte-face. Juste(s) et sage(s) parmi toutes ces postures et ces tentatives…

A se consacrer au silence et à la vérité – nés de la chute et des éboulis – autant qu’à la nécessité de dire*. Vivre, en quelque sorte, dans le vide autant que le visage tourné vers le monde. Au centre de soi où tout est révélé et proposé – affranchi(s) de toute forme d’attente et d’exigence – pour demeurer attentif(s) à toutes les voix – et à toutes les possibilités – de l’innocence autour de soi…

* et de témoigner de la métamorphose des yeux en regard…

 

 

Tout se devine parfois – la substance, l’obstination et le silence en jachère. Ce qui s’enfouit comme ce qui s’évapore ou s’envole. Le joyau et cette nuit – immense – qui a tout recouvert…

 

 

C’est avec la même main – et la même âme – que nous guidons et flagellons le monde – que nous laissons le ciel se dessiner sur nos pages – et que nous implorons les hommes de mettre fin à leurs dérives et à leurs excès. Mais notre voix – comme celle du silence – n’est pas (encore) entendue…

 

 

Nos étreintes ressemblent à des mains fébriles – soumises au désir et au besoin frénétique de l’assouvissement – qui agrippent un peu d’eau et de sable. Et à l’heure de la séparation, il n’en reste pas la moindre trace. Quelques larmes – à peine – sur nos joues – où se mêlent la tristesse et la frustration. Et cette solitude – si nécessaire aux véritables rencontres

 

 

Tout se fend – et s’effrite – jusqu’au rêve – jusqu’à la chair – jusqu’aux frontières qui nous séparent

 

 

Tout s’emballe – se déballe – se remballe – le temps d’un soupir – le temps d’une vie – le temps d’une larme…

 

 

Plaines et collines désertes – dépeuplées – ces lieux d’autrefois où les pierres et les visages s’abreuvaient à la même source. Où l’origine était claire – posée à même le silence. Tout alors demeurait et surgissait. Tout alors avait cette couleur indéfinissable de l’enfance…

A présent, tout s’abîme – et s’essouffle – au milieu de nulle part…

 

 

Tout vient – tournoie – et se dérobe. Donne le sentiment de nous appartenir l’espace d’un instant – célèbre sa gloire (éphémère) puis repart – happé par la nuit et le néant – par le désir de toutes les foules…

 

 

Rien ne se laisse entendre. Tout a déjà été dit – épelé – défini – quantifié – définitivement. Comme si ce mot – tous ces mots – avaient quelque valeur. Comme si le vivant, depuis sa naissance, était privé de la possibilité d’ascension. Comme si nous refusions encore d’être le fruit des mille baisers – et des mille étreintes – de l’énergie et de la vacuité. Comme si nous étions seul(s), en fin de compte, à vouloir découvrir la vérité – ce qui compte peut-être – derrière la vitesse et le mouvement apparent…

 

 

L’être et la main – le monde et le regard – tournoient de fable en fable – d’histoire en histoire. Âme dans le jour – âme dans la nuit – précipitée tantôt sur la terre, tantôt dans le ciel – sans rien voir – ni rien comprendre aux peuples et aux étoiles. Au bord de toutes les haleines – et au cœur de ce souffle qui nous rend – si provisoirement – et si passionnément – vivants

 

 

Nous avons soif – nous avons faim – et à peine quelques décades à vivre pour comprendre – et retrouver la source de tous les désirs et de toutes les nécessités…

 

 

Se faire l’instrument honnête – fidèle – impersonnel – du mariage entre l’ardeur et l’invisible…

 

 

Une nuit – à peine – quelques heures peut-être – à récolter ce que les hommes délaissent – à rehausser ce qu’ils abaissent – à faire revivre ce qu’ils ont anéanti pour le plus grand malheur du monde…

 

 

Nous entendons les peuples – les rumeurs de la terre – la poussière et quelques étoiles rouler dans l’air – et la folie, comme l’eau des rivières, inonder tous les rivages dans sa course fébrile vers l’infini…

 

 

Tout se fissure – et nous n’avons qu’un seul point de passage à découvrir pour traverser tout ce néant…

 

 

Nous croyons vivre mais nous survivons en paradant les joues en larmes – et l’âme en feu – au milieu des désastres. Nous invoquons le ciel et remettons nos vies entre les mains des Dieux. Nous préférons nous plier au destin et au jeu des châtiments et des récompenses plutôt qu’aux nécessités de la source. Vivant encore comme des bêtes douées seulement d’un peu d’espoir, d’un peu de rire, d’un peu de raison…

Le monde, le jour et le visage – pendant bien longtemps – resteront introuvables. Comme une manière d’aiguiser sa faim et de faire naître le souffle – et la foi – nécessaires pour entreprendre l’ascension du mythe – et procéder à sa destruction…

 

6 septembre 2018

Carnet n°161 Sourire en silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence  

Là où l'on s'incline renaît le jour –  et survivent toutes les possibilités du monde...

A présent – tout s’avance – lentement – vers son geste. La roche, le chemin et l’ascension. Le pari des anges sur notre vie – et ce grand soleil timide qui n’ose encore éclater – de tout son or – sur le petit carré blanc de la page – noirci par tant de signes…

Tout s’éveille – tout s’en va. Demain ne sera le jour suivant. Comme pour la fleur – et comme pour l’étreinte – seul compte ce qui s’exerce aujourd’hui – à l’instant même où se rompt le temps…

 

 

Orgies de terre sous le ciel goguenard. Tours et totems aussi vains que le langage. Un festin d’étoiles offert aux hommes – ces idolâtres des miroirs – fronts pauvres – éclaboussés d’écume – coupés des grands espaces océaniques – voués aux automatismes et aux surenchères. Voyageurs ivres et affamés – à l’âme en dérive – au cœur chaviré – presque morts déjà – sans avoir accompli le moindre pas vers l’essentiel

 

 

Ici, sous ces restes de chair, s’est réfugiée la lumière que n’ont su découvrir les hommes – ces marcheurs fatigués – piétinant depuis des siècles dans la (même) poussière – allant de dérive en dérive – vers le (même) lieu de l’immobilité et du sommeil

 

 

Nous n’avons qu’une seule patrie ; la conscience – à travers la vie – ce grand voyage parmi les ruines – parmi les cris – parmi ces grains de poussière soulevés par les vents – dans ce beau regard en surplomb des mille chantiers qu’ont inventés les hommes pour tromper la mort et l’ennui…

 

 

Le ciel ne s’est courbé à notre naissance. Et il restera stoïque – comme un phare – à notre départ. Laissant les mains ensevelir les corps sous la terre noire et froide – parmi ces âmes – toutes ces âmes – de passage…

 

 

Tout s’enfile – et se défile – dans la même main du partage

 

 

Tout – dans le même mouvement – célèbre et offense – offre la vie autant que la mort. Nourrit et saccage ce que nous avons de plus précieux. Et le temps – à jamais – donne tort à notre obstination…

 

 

Le jour viendra où la main et le geste ne pourront plus trahir la terre – où l’homme quittera sa vieille peau – cet étrange mélange de souffle et de chair – pour devenir un serviteur du silence – soulevé par le désir – et la lumière – des Dieux – en surplomb du temps, du monde et des âmes – pour réinventer une réalité au-delà des larmes ; un paradis, peut-être, où il fera bon vivre (tous) ensemble…

 

 

L’Amour encore – au milieu des chants – au milieu des larmes – au milieu des peines – dans tout ce fatras qu’on appelle le monde…

 

 

Terre gorgée d’hommes, de plaintes et de supplices. Hommes gorgés d’instincts, d’ardeur et de semences. Le passé et tout le mal à venir. Comment vivre sans crier… Et comment espérer un viatique – une issue…

Il faudrait, peut-être, que le poète chante plus fort – et que le poème franchisse tous les murs érigés pour préserver le sommeil. Et pour l’heure, cette possibilité – ce dévouement – sont impossibles ; le monde a trop dérivé vers l’absence et la laideur…

 

 

Du fond du jour – du fond de la nuit – nous serons toujours homme et poète – petits pas de l’Amour – et note infime dans le chant que l’on entonne aux instants du recommencement…

 

 

Nous vivons à moitié sous l’eau et sur la roche – à moitié dans la nuit et le grand ciel rêveur – rêvés, peut-être, par des créatures antérieures au monde – goûtant l’espace d’un instant la misère et la joie – et ce qu’avaient deviné tous les poètes – et tous les prophètes – dans leurs murmures abandonnés aux hommes à travers les siècles…

 

 

Nous cheminons longtemps au bord de nous-mêmes – sur cette ligne étrange – cette jointure entre le souvenir et l’absence – les gestes et le visage automates – à participer, malgré nous, au monde et à mille activités étrangères – inutiles. Somnolents – presque morts, en somme – depuis le premier jour du voyage…

 

 

Tout est le visage de l’Autre – fermé – impossible à découvrir et à reconnaître tant qu’il n’est composé de notre propre peau – de nos propres entrailles. Et l’existence est ainsi faite ; elle se prête indéfiniment aux rencontres jusqu’à vivre la plus haute solitude – avec pour unique figure toutes les faces du monde

 

 

Un signe – une souffrance – mille chemins parallèles. Et une seule fenêtre – et un seul visage à reconnaître partout – pour vivre – et voyager – le cœur plus serein…

 

 

Toute une vie à faire n’importe quoi – à ressembler à n’importe qui – à vivre n’importe comment – et à mourir, un jour, (comme tout le monde) n’importe quand…

 

 

Aucune trace du labyrinthe, une fois le ciel découvert – qu’un long regard ému sur cet incroyable voyage

 

 

Pareilles au désert – nos latitudes où vivre ressemble à une escroquerie – et à un défi parmi ses congénères – au milieu de toutes ces figures étranges aux coordonnées inconnues. Décor au milieu duquel on avance – au milieu duquel on tourne en rond – sans pouvoir nous souvenir du début de la marche – et du temps des origines où rien n’était corrompu

 

 

Croyances et langage en ce lieu où la vérité est proscrite – en cette zone où le réel a la même figure que le rêve – et où la seule perspective est l’enfer – ce grand sommeil des âmes

 

 

Un peu de tumulte dans l’espace – ce que les hommes appellent vivre – quelques idées, quelques rêves, quelques initiatives pour – croit-on – éviter le pire – en attendant la mort…

 

 

La nuit finale où l’âme entrevoit sa fin – entre la nostalgie et le désir d’un autre lieu – une vie où la mort ne serait que le prolongement du voyage…

 

 

Nous remuons ciel et terre en répétant – à l’infini – les mêmes gestes – dans cette obsession de la liberté qui ne se conquiert ni par la force, ni par les équations – mais par l’abandon aux circonstances – lorsque les mains et les têtes capitulent et se plient aux exigences du monde…

 

 

On nous offre un mystère – une vie – et mille obstacles à franchir (ou à contourner) pour résoudre l’énigme ; et nous avons la candeur de penser que quelques décades suffisent pour percer le secret…

 

 

Tout passe sur le sable des années. Mille siècles ainsi se poursuivent. Et tout s’enlise dans les marécages de l’esprit. Ainsi perdurent les malheurs et la souffrance – de vie en vie…

 

 

Tout concourt à la joie. Et, pourtant, nous demeurons dans la tristesse. Désarroi où s’impriment toute l’impuissance – et toute l’espérance – de l’homme…

 

 

Homme – exclu du monde, des livres et de la poésie – que les grands arbres, les herbes et les bêtes des forêts, chaque jour, consolent…

 

 

Une vie de luttes, de parades et de faux-semblants à dénier la question et l’évidence – vécue, malgré nous, comme une expérience trompeuse – apparente – étrangère. Et si nécessaire, pourtant, au dévoilement du mystère…

 

 

J’écris à cet enfant – et à cet homme seul – en nous – en chacun – qui attendent une lumière incertaine – et qui ne peuvent se satisfaire du monde et des mensonges – trop dociles pour s’affranchir de tout ce qu’ils portent comme un mythe ou un fardeau – et trop crédules, sans doute, pour découvrir leur ampleur – l’envergure de notre visage commun…

 

 

Des barreaux à cisailler pour poser la tête là où elle n’est plus nécessaire – sur cette dune où tout se rapproche – s’éloigne – essaye encore et recommence – sur ce sable où la seule liberté est l’Amour – le centre du labyrinthe à découvrir – comme un faîte qui acquiesce à la multitude et aux illusions – aux désirs et aux séparations – à tout ce qui entrave nos retrouvailles

 

 

Là où l’on s’incline renaît le jour – et survivent toutes les possibilités du monde

 

 

A présent – tout s’avance – lentement – vers son geste. La roche, le chemin et l’ascension. Le pari des anges sur notre vie – et ce grand soleil timide qui n’ose encore éclater – de tout son or – sur le petit carré blanc de la page – noirci par tant de signes…

 

 

Tout s’éveille – tout s’en va. Demain ne sera le jour suivant. Comme pour la fleur – et comme pour l’étreinte – seul compte ce qui s’exerce aujourd’hui – à l’instant même où se rompt le temps…

 

 

Ce que nous habitons n’est, sans doute, ce que nous imaginons. Ni demeure, ni patrie, ni fratrie. Pas même la terre – ni même une ressemblance. Un reste d’ardeur et d’innocence. Et plus que tout, sans doute, cet espace que l’on ne peut nommer – ce que certains décrivent comme l’arrière-pays du silence

 

 

Nous vivons sous un manteau de peurs et de crasse – avec, pendu au cou, un chapelet d’obscurité. Et nous nous déplaçons d’un camp à l’autre – d’une pierre à l’autre – incertains des labours et des récoltes – morts déjà avant d’avoir tendu la main – et fait le moindre pas – vers notre visage en surplomb

 

 

L’aurore n’est ni un ailleurs, ni un après ; l’heure la plus légère depuis des siècles – le lieu inévitable de notre rencontre

 

 

Que l’âme nous accompagne, il n’y a plus à en douter. Qu’elle nous fourvoie, parfois, jusqu’au cœur des flammes, nous l’avons tous expérimenté. Mais il nous faut, à présent, aller au-delà – plus loin que le mythe – plus loin que l’idée d’un Dieu ou d’un ciel – revenir, en quelque sorte, au début du périple – à l’origine même du voyage – dans ce silence qui a précédé le feu et les pas – toutes les tentatives et tous les drames du monde…

Et y demeurer – sereins – inaccomplis – immobiles – malgré l’ardeur qui nous poussera encore à aller ici et là – à découvrir et à traverser mille contrées nouvelles…

 

 

Portés encore par ce foudroiement et cette eau naissante qui coule le long de ces berges fébriles. Le visage penché sur cette ombre – mouvante à mesure de nos pas. Quelque chose comme un aveu – un secret révélé – qui aurait le goût d’un Amour immense à partager…

 

 

Tout est sévère – incroyablement sauvage – et encombré de rêves et de jachères. Aussi noir que la suie – aussi gris que l’orage – aussi blanc que la neige…

Tout se poursuit – s’échappe – vient à notre rencontre sous un air de hasard qui cache sa nécessité. Tout s’engrange – se méprend – réclame son eau – sa source – sa part. Renaît sur le fil des idées en imaginaire compromis – et compromettant. Enchaîne les diableries et les corruptions. S’extasie de sa chance – et de sa valeur – et se maudit d’être né entre deux points – sur ce trajet – sur ce parcours – qui, à bien des égards, ressemble à une longue meurtrissure – à une chute permanente vers l’effacement et le silence – ce que l’on pourrait appeler la nécessité des Dieux en ce monde de vitrines et de visages – si grossièrement avides d’horizons et de chances nouvelles…

 

 

Tout s’inscrit sur la terre – s’enfonce jusqu’au cœur. Et tout passe dans le ciel – comme la trace impossible des hommes – comme la trace impossible du temps. Et dans cet entre-deux, l’âme – prisonnière tantôt du haut, tantôt du bas – parfois s’embellit, parfois s’enlaidit sans rien savoir de son partage…

 

 

Toute une enfance à garder en secret pour vivre dans la compagnie des hommes – au milieu de leurs postures et de leurs histoires – bien trop sérieuses pour avoir le moindre goût de vérité…

 

 

C’est un ciel – c’est une terre – plus proches des premières heures que de la tombe. Quelque chose comme un regard éloigné de l’hiver – un socle, peut-être, au parfum oublié – capable d’élargir les sous-sols et les feuillages – le rêve, le réel et l’impossible – et jusqu’à la grande arche sous laquelle luisent toutes les étoiles…

 

 

Tout est traversé de profondeur et de présence – de ce silence qui fit naître le monde et les choses au bord de tous les abîmes – entourés de ciel et de présages…

 

 

Tout s’affaisse – et se recueille – lorsque sonne la fin du voyage. Après mille routes parcourues – mille livres achevés – et mille visages aimés peut-être – tout pointe vers le silence – ce qui demeure au-delà du temps et de la traversée…

 

 

Une misère – mille misères – portées à bout de bras – le long de ces berges où tout passe avec sérieux – fébrilité – indifférence. Et cet Amour qui n’aura reçu que haine et mépris. Comme tous ces frères sur les chemins – au bord des routes – fleurs, herbes, pierres et poussière – arbres, bêtes et vagabonds – malmenés par tant de gestes saisissants – par tant de pieds piétinants – par tant de regards indolents – et jetés, un jour, comme le reste, dans tous les trous creusés pour assouvir la faim des hommes…

 

 

Tout reste au-delà de nous – malgré ce ciel que nous portons – comme tous les autres – à l’envers de notre vie – quelque part dans cette âme encore si vivante…

 

 

Quelque chose en nous, bien sûr, souffre des trafics et des marchands – qui s’échangent le monde – qui s’échangent les êtres et les choses – sans jamais voir les atrocités et les meurtres accomplis pour le commerce et la prospérité…

 

 

Une vie d’attente à s’absenter de tout – et plus encore de ce grand Amour – de ces reliquats d’Amour qui subsistent malgré les malheurs et l’ignorance – malgré la lourdeur des pas et des gestes qui n’ont su dénicher sur les chemins du monde les promesses du jour…

 

 

Tout se cache – et se trame – dans les bruits du vent et l’indifférence des foules. Visages et jours de neige. Nuit et saisons qui tournent au cœur des sortilèges…

Et comment pourraient se redresser les âmes qui ont refusé la défaite et exalté les excès de sang… Sans doute seront-elles condamnées, un jour, à voir le désastre – et le soleil dans le désastre…

Ainsi seulement le monde pourra être sauvé…

 

 

Tout s’enfuit si vite – et nous laisse (presque toujours) un goût de regret et d’inachevé – et, en particulier, la disparition de ceux que nous avons privés d’amour et de tendresse – la disparition de ceux que nous avons maltraités, exploités ou opprimés – la disparition de ceux auxquels nous avons dénié le droit de vivre et d’exister…

Malheur à nous qui n’avons rien dit – qui n’avons rien montré – qui n’avons pas réellement vécu en homme

 

 

D’une rive à l’autre – de malheur en douleur – comme vit, vole et picore l’oiseau – entre chant et rêve – neige, ciel et simagrées – avec encore dans l’âme quelque chose d’impétueux

 

 

Il s’agit toujours de demeurer immobile – et d’aller au-delà du monde – au-delà des choses – au-delà des mythes – pour dénicher, derrière la mémoire et la pensée, ce qui court et résiste au changement – ce qui s’étonne et s’interroge autant que ce qui contemple les rondes et les marches de ce qui ne peut rester tranquille…

 

 

Chacun est un monde – une lumière – un écho – que la nuit avale sans retenue. Chacun est une âme – un langage – brisés par le silence et la mort. Chacun est une terre – une espérance – un élan vers une autre façon d’être en vieune autre façon d’être au monde – et la faille où tout se fractionne avant de renaître plus assemblé au reste

 

 

Tout, bien sûr, est dans tout. Comme la clarté et l’incertitude mêlées – à jamais – à nos tentatives et à nos tourbillons. Comme la présence au cœur de l’absence – et l’absence au cœur du monde – au cœur des choses – au cœur de chacun…

La vraie vie, en somme, aperçue depuis l’autre côté de l’âme – du point de vue de Dieu ou du silence. La vérité – toutes les vérités – au milieu du mensonge – au milieu de tous les mensonges. Et l’évidence de la lumière au cœur de tous les sommeils…

 

 

Et cette enfance qui n’en finit pas – mille jours – mille siècles – supplémentaires. Et tous ces petits caprices des hommes qui dureront toujours…

 

 

Pas une âme qui vive dans cette gaieté de l’hiver. Le chant d’un oiseau, un arbre, une herbe, un fossé suffisent à notre enchantement…

 

 

A tâtons – au milieu du sommeil – cette âme qui cherche une issue parmi les rêves. Mille fleurs – mille parfums – mille couleurs – pour déjouer les épines du destin. Un Amour – un jardin pour vivre à l’abri des visages – et exposer au monde les mille petits secrets découverts au fil du voyage…

 

 

Mille soleils en un seul visage – le temps de passer de la moue à la colère – et de la colère à l’acquiescement. Le temps de passer de l’hébétude au vertige. Le temps de sortir d’un sommeil millénaire…

 

 

Tout glisse – et se transforme en beauté charnelle – en pétales délicats – dans cet Amour que nous prenons pour un abîme. Gravité, frivolités, baisers et sursauts – fin du monde – entraînés vers le même refuge…

Et ce crépuscule qui traverse les yeux comme si la lumière relevait de la magie…

Et ces tristes figures du monde sous quelques lampes que les hommes (bien des hommes) prennent pour le soleil en attendant la mort – avant de pouvoir, un jour peut-être, éclater de rire devant tant d’illusion…

 

 

Mille bornes – et autant de passagers – sur ces petits chemins de hasard aux ornières sournoises – et à la poussière tenace. Quelque chose comme le prolongement des murs. L’extension du labyrinthe avec quelques aménagements pour contempler, au loin, le monde – la vie – les Autres…

La nuit sera toujours féroce – autant que les mains – autant que les vents. Tout viendra se frotter à notre passage – et rire à notre mort. Et l’illusion – comme demain – reviendra encore…

 

 

Rien ne s’apaise au-dedans du corps. Tout est déréglé. La terre se penche à l’intérieur – et le ciel s’est assombri. La vigueur se fane – la lumière décline. Tout se vide comme si la mort était tapie au fond de l’âme. Et à vivre ainsi, il ne restera bientôt plus rien – à peine un peu d’ombre

 

 

Déjà ailleurs – et la porte franchie. Déjà demain – et ce goût pour les choses nouvelles. Renaître encore au destin – au refus – aux rencontres. Vivre encore dans le feu, la lâcheté et les tempêtes. Craindre mille brisures supplémentaires. Devenir l’homme et la chair – et l’âme survivante à tous les oublis. Ce presque rien déjà brûlé par l’absence et la volonté des Dieux. Encore un peu de rêve avant le silence…

 

 

Si nous pouvions voir ce grand ciel au-dedans de la tristesse, nous célébrerions nos larmes comme de l’or…

 

 

Mille rêves entre les tempes – au milieu du front. Et nous voilà ensorcelés – enclins à mille sacrifices – et condamnés à vivre l’illusion d’une quête – d’un voyage – au milieu du réel et de l’immobilité – dans ce silence que nous sommes déjà – à notre insu…

 

 

Nous avons mille fois parcouru les mêmes terres – avec les mêmes craintes et la même ardeur – aussi pauvres aujourd’hui qu’aux origines du monde. Et qu’avons-nous donc appris ? La ritournelle des gestes – la ritournelle des pas – dans cette grande nuit familière avec ses milliards d’étoiles. La beauté des rêves – et leur nécessité pour combler l’absence de lumière – l’absence de soleil. De tristes millénaires, en somme, à chercher partout le jour – en vain…

 

 

Des pierres, des grilles, des couleurs. Mille mondes – et autant de rêves et de regards pour donner à cette terre l’apparence d’un lieu vivable. Préférer la folie à l’enfance – et le goût du mensonge et du voyage à celui de la vérité – si redoutable – si effrayante – pour nos esprits si frileux – si butés…

 

 

Au bord du jour – au bord de la joie – toujours – malgré la présence (déplaisante) du monde – et l’acharnement des hommes à façonner – au fil des siècles – un paradis aux allures, de plus en plus évidentes, d’enfer…

 

 

Tout ose – et tout s’abstient – pour venir à notre rencontre. Nous-mêmes pris en étau – entre la peur et l’élan. Et la certitude du vide et du silence quel que soit le lieu…

 

 

Tout s’invite en rayons clairs – entre lumière et hypnose – entre clé et singeries – sur ce que nous prenons – à tort – pour un horizon. Tout veille à même la patience. Et le monde, bientôt, deviendra aussi beau que le silence des immortels

 

 

Là où se partagent résolument l’intrigue, le nécessaire et l’improbable. Là où nous habitons – dans cet exercice, si énigmatique, du vivre. A la manière des Autres qui ne nous ressemblent pas – plongés dans cette folie du sommeil qui écarte les ressemblances. A être – simplement humain

 

 

En toute absence, où trouver refuge sinon en ce lieu où les voix se mêlent au silence – en ce lieu où l’on sent battre, avec les bruits du monde, le fond de l’âme – en ce lieu où être quelqu’un se résume à devenir personne – moins que rien – la joie et l’accueil au cœur des crimes et des ratures – au cœur de la fatigue et des échos. Là où la nuit ressemble au jour et où le jour émerge du temps pour s’affranchir du rêve…

 

 

Nous évoquons le silence pour faire tomber les masques – et raviver la blessure à l’arrière des yeux – cette entaille porteuse d’Amour – et de mille soleils – reclus derrière notre sourire – cette apparence de visage corseté par le monde, les interdits et les conventions – et (toujours) dévoré par la faim…

 

 

Entre servitude, vacarme et crachats – quelque part – sur cette terre – sur ces routes – sur ce sable – en ces lieux où l’on danse jusqu’à l’épuisement pour célébrer tous les mythes de l’homme – tous les mythes du monde – mille étoiles lointaines – mensongères – inexistantes sans doute…

 

 

Au lendemain du plus lointain Amour, nous avons perdu l’équilibre – la force de vivre le jour entier. Autrefois, nous étions offrandes – cœur et lisières – ouvriers – petites mains du partage (joyeuses sans doute malgré la nudité). Nous regardions le sol et la chute des astres – la persistance du vertige dans l’absence et le miroitement des visages. Puis, nous sommes devenus quelque chose comme un amas de bruits et d’habitudes – une forme d’infini incomplet – inachevé – le lieu où se mêlent le rêve, le désir et la mort – penchés sur le mystère – sa découverte et sa résolution – dans cette malédiction des siècles – dans cet étrange sortilège du temps. Un seuil, en somme, au-delà duquel tout finit par se désagréger pour constituer la pièce centrale qui manquait à l’ensemble – la possibilité de devenir le tout – c’est à dire presque rien – ce qui compose le noyau de chaque destin – l’absence venue offrir (à tous) son envergure et sa présence – pour transformer les nécessités du monde et des hommes…

 

 

Meurtres et prières – souffle et fumée – versants différents du même mystère où vivre tient déjà du miracle…

 

 

Nous avons emprunté le même chemin – aux lisières de toutes les folies – pour nous rejoindre – tantôt à travers les pas – tantôt à travers les livres et les mots. Tremblant(s) à chaque étape du parcours – confiant(s) malgré les dérives et les errances. Marchant d’une foulée vacillante – incomplète. Traversant – au fil du voyage – mille territoires sans autre raison que celle d’acquiescer au silence et à l’Amour. Allant de pertes en sommets – et de sommets en retrouvailles – acceptant, avec toujours moins de volonté, cette longue et souveraine défaite ; ce que fut notre vie – des premiers pas jusqu’à l’infini où nous avons fini par glisser – de façon presque hasardeuse – entre magie, désir et nécessité…

 

 

Rien ne s’inscrit nulle part – du vent et du vide derrière les grilles de toutes les cages…

Le seul héritage sera – toujours – le silence…

 

 

Rien ne s’insère – et tout nous révèle – ravive ses pans de nous-mêmes oubliés…

 

 

Sur rien – et la table rase du passé – ainsi naît le recommencement perpétuel – la récurrence du renouveau. Le reste – tout le reste – n’est que la poursuite de schémas anciens – édifiés et façonnés depuis des milliers d’années – des millions de siècles peut-être – pour assurer la pérennité du monde – et rassurer l’esprit quant à l’invariabilité des cycles et des habitudes…

 

 

Tout – emporté vers nous comme l’eau des rivières s’écoule – inexorablement – vers l’océan – pour s’emplir du monde (de ses joies et de ses souffrances) jusqu’à devenir l’univers entier – et ce reste au-dedans – et au-delà – ce regard capable de tout accueillir…

 

 

Des bruits, des pas. Mille rires – mille pleurs – et autant de commentaires inutiles sur ce que nous expérimentons et les sentiments que font naître, en nous, le monde – l’existence – tous les passages. Mieux vaudrait se tenir en retrait – en exil – habiter le silence plutôt que les danses du monde. Ce regard au-dessus des heurts et des cris – au-dessus de toutes les simagrées. Et se faire tendre (et patient) à l’égard des tentatives et des défaillances…

 

 

Rien qu’un sourire pour attraper le dernier soleil du monde. Rien qu’un sourire et l’ultime baiser de l’humilité. Puis l’abandon prendra le pas sur le vent. Tout alors pourra nous arriver…

 

 

A s’émerveiller de presque rien alors qu’autrefois nous demandions l’impossible – l’intensité, la joie et la splendeur (presque) permanentes – vécues à partir de nos propres yeux et à travers notre propre histoire – corrompus jusqu’au sang par la folie ordinaire des hommes et l’absurdité de nos exigences personnelles…

 

 

Un dernier soupir abandonné à l’ignorance pour se satisfaire, à présent, de l’essentiel qui, autrefois, avait des airs de lacune – d’échec – de défaillance…

 

 

Tout est parure, mensonge et propagande – et commentaire inutile sur le pire, le meilleur et le plus commun. Fardeau habituel aux allures si humaines…

A genoux, à présent, non devant la dictature du monde et les diverses tyrannies des hommes mais face à la beauté et à l’innocence de nos tentatives – face aux danses, si souvent frénétiques et désespérées, des vivants sur cette terre…

 

 

Tant d’absence au milieu des vagues – au milieu des déserts – au milieu du monde et des visages. Presque rien, en somme. Un peu de vent – porté parfois très haut, parfois très bas – au-delà même de l’imaginable. Passant partout – et traversant toutes les têtes et toutes les fenêtres – soulevant le sable jusqu’au cœur des vies – jusqu’au cœur des rêves – devenant presque le symbole des vivants occupés à ramper dans la proximité de l’invisible…

 

 

Tout prend place, à présent, dans l’écoute ; l’envol, la gravité de l’air et l’absurdité des masques, le désir, la pâleur et la fièvre des visages, l’or, la froideur des âmes et la lune – tous les simulacres – toutes les simagrées…

A genoux, à présent, au cœur du silence – avec le visage (serein) de l’homme simple – réconcilié avec le monde et lui-même – curieux encore – mais affranchi des leçons et de la faim. Habitant la solitude comme l’aire des plus belles rencontres. Doux et reconnaissant à l’égard de ce qui nous porte – de ce qui nous distingue et nous rassemble. Sage peut-être, en somme – qui peut (réellement) savoir…

 

*

 

Se dessine – très largement – au fil des lignes – au fil du temps et des ouvrages – la nécessité (toujours plus criante) du silence et de l’effacement. Cette humble clarté de l’âme de plus en plus dépouillée du monde, des désirs et des mots malgré le foisonnement – et la truculence – toujours aussi vive (presque intacte) – du langage…

 

 

Vivre au cœur de l’être – dans la discrétion du nom – et la délicatesse du geste – sensible et attentif au moindre bruissement du monde – au moindre frémissement de l’âme – prêt à tout accueillir sans exigence – et à rester stoïque – aimablement ouvert – face à l’étroitesse des idées, des gestes et des visages – face à ce que l’on a coutume d’appeler l’ignorance du monde

 

*

 

La possibilité du monde, du souffle et du langage – comme un élan – un étai peut-être – entre le vide et la permission d’exister – et de bâtir – au milieu de mille raisons de désespérer – au fond de ce qui ressemble tant à un néant…

 

 

A ce sourire perdu – entamé par les chemins – et retrouvé avec l’aurore et la découverte de l’impensable…

 

 

Seul(s) encore – au milieu de tous les passages – de toutes les traversées – de tous les combats – sous le regard de ceux qui ont déserté la solitude pour conquérir le monde. A écrire quelques lignes – quelques poèmes parfois – pour ne pas (trop) désespérer de la compagnie des hommes…

 

 

En lambeaux entre le silence et la parole – sous toutes les latitudes – à inventer des totems pour donner au monde un air plus vivable – et une allure plus sacrée. Vaincre par le geste et l’amassement le vide et le néant. Réunir – assembler peut-être – tous les fragments d’une terre et d’un ciel – toujours déchirés – toujours séparés…

Réinventer sans cesse la magie de la danse – les arabesques – et faire entendre ces rires à la ronde pour donner raison à l’espérance…

 

 

Tout se regarde – jusqu’à la mort – jusqu’aux dépouilles pendues aux cordes et aux crochets des bourreaux…

Tout se méprend – et s’éparpille – dans cette trame aux nœuds si serrés – et aux carrefours trop passagers…

 

 

Qui se trompe – celui qui tend la main à l’inconnu ou celui qui plonge, corps et âme, dans l’infortune du monde ? Et qui se relève malgré le vent des abîmes ?

Ce voyage aux allures tantôt de course, tantôt d’errance aura-t-il une fin ? Qui peut deviner les issues qui s’offriront à nos foulées…

 

 

Berges, traces, caresses – et ces minuscules sillages qui se dessinent sur le sable. Le monde est-il autre chose que ces mille tentatives ?

 

 

Tout s’écoulera à jamais sur la terre – sous nos yeux – dans nos têtes. Rêves, désirs, choses et visages – et cette ardeur – et cette tristesse – au fond de l’âme…

 

 

Tout est si humain dans les têtes et dans les gestes. Comment pourrions-nous deviner notre réelle appartenance – et y souscrire avec la même certitude que celle avec laquelle nous acceptons notre apparente ascendance…

 

 

Pagaille et passages – les maîtres-mots de notre vie. Du mélange et des tentatives – des essais pour mieux vivre et apprivoiser la mort…

 

 

Tout revient – avec un goût moins âpre – au fond de notre solitude – au fond de notre cage – ouverte par mille poèmes sur un ciel jusqu’alors jamais entrevu…

 

 

Tout existe – peut-être – et tend – sans doute – vers le silence – cette aurore incomprise. De douleur en tristesse – de tristesse en douleur – nous sommes progressivement amenés à comprendre la nécessité des défaites – le voyage et la chute permanente – les travers du monde – ses exigences – et l’impérieux besoin de l’effacement…

 

 

Nous sommes seuls – comme ces pierres – posées là dans l’herbe – sous l’orage – à exister presque par hasard – dans l’apparente indifférence de l’invisible. Comme un jeu – une nécessité – pour le silence occupé à se distraire – à échapper au plus simple – et au plus élémentaire de son existence – à travers la multitude du monde et l’infinité de ses visages…

 

 

Être l’espace – le silence – l’accueil – sans attente – sans besoin – sans exigence – où tout prend place…

 

 

Mille lieux en un seul visage – et mille visages en un seul lieu. Dans l’alternance du passage et de l’éternité. Tantôt figure, tantôt espace. Mille fois altérés – mille fois étrécis – mille fois corrompus – mille fois renaissants. Identiques – toujours – à nous-mêmes – à cette trame changeante – infinie et singulière – que nous sommes…

 

 

Ca naît – et ça meurt. Et entre ces deux cris, beaucoup de bruits (inutiles) et d’attente – et mille enseignements – mille apprentissages (possibles) pour être, un jour, capable de sourire en silence…

 

30 août 2018

Carnet n°160 Au milieu du monde – au-delà des frontières

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Nous avançons – silencieux – la nuit attachée à nos paupières – à nos semelles – à notre sommeil – comme si exister consistait à marcher aveuglément – et à se répandre en rêves...

De l’ombre à la mort – semeurs et fossoyeurs. Quelques graines jetées sur la terre où l’espoir – comme l’infini – compte les jours qu’il nous reste…

Des doigts tristes – recroquevillés sur le néant – et ce reste d’espérance qui confine au désamour…

Passagers – autant que reviennent les saisons – autant que dure le mystère – cet éternel – cet infini – à peine découverts – à peine apprivoisés…

A peine susurré, ce vide où tout est semé – où tout danse – entre fièvre et fatigue – et où la neige, un jour, finit par tout recouvrir ; la poussière, la cendre et l’obsession…

 

 

Tout est prétexte à l’absence ; celle qui éloigne – et pousse l’indifférence au cœur du monde – au centre du règne. Et, ainsi, nulle rencontre n’est possible. Tout erre – et s’égare – avant l’abandon qui est – et demeurera à jamais – le seuil de la véritable absence – celle qui relie l’infime à l’infini – celle qui ouvre l’homme et l’horizon à l’ensemble des possibles…

 

 

Dans l’attente d’une déchirure – la bave aux lèvres – et la rage au fond des yeux – quelque part au milieu de cette nuit où l’on torture – et où l’on assassine pour quelques pièces supplémentaires. Entouré(s) par les hommes et l’odeur de la mort…

 

 

Nous remuons les choses – quelques idées peut-être – un mince filet de lumière – semblables à un bruit de clés jetées au loin – dans l’automne et la poussière. Une vie de chaînes et d’attente – confinés au fond d’un cachot entouré de grilles et d’espérance. Une vie de tentatives, en somme. L’existence de l’homme de A à Z…

 

 

Tout naît au jour – au milieu du sable et de l’attente. Quelqu’un – quelque part – avec tous ses pourquoi. Bien peu de chose(s), en vérité – et, peut-être, personne. L’ombre d’un regard – avec mille rêves – et mille désirs encore inassouvis…

 

 

Rien qu’une bouche, parfois, prise en flagrant délit de vérité – jetant ses mots à la foule qui n’admet que quelques usages du langage ; l’illusion, le mensonge et la propagande. Pauvre, en somme, dans son dédain d’un autre possible – presque toujours relégué au poème…

 

 

Le vent – l’aurore – et ce sable – tout ce sable – sur lequel on bâtit – et qu’il faut décharger à la pelle – et, parfois, à la plume trempée dans un peu d’encre – pour découvrir la vie – à peine survivante – sous l’herbe noire – derrière l’aveuglement…

 

 

Nous avançons – silencieux – la nuit attachée à nos paupières – à nos semelles – à notre sommeil – comme si exister consistait à marcher aveuglément – et à se répandre en rêves…

 

 

A jamais parti – à jamais revenu – à jamais pris – à jamais donné – ce chant isolé dans la misère. Comme l’eau d’une rivière transformée – tantôt par ses excès – tantôt par ses manques et ses lacunes – en mare – puis, en flaque. Comme le terreau, en quelque sorte, d’une boue future – convertie bientôt en terrain sec et infertile…

 

 

De l’ombre à la mort – semeurs et fossoyeurs. Quelques graines jetées sur la terre où l’espoir – comme l’infini – compte les jours qu’il nous reste…

 

 

Des doigts tristes – recroquevillés sur le néant – et ce reste d’espérance qui confine au désamour…

 

 

Nous pourrions nous taire, à présent – et regarder, avec indifférence, les mains et les âmes édifier leurs tours – leurs routes – et mille ouvrages supplémentaires – en se perdant encore (et comme toujours) – en restant assis derrière cette fenêtre posée au-dessus des songes et des chimères – à la frontière de ce ciel où rien n’arrive – où tout est silence – sagesse peut-être – et regard souriant…

 

 

Passagers – autant que reviennent les saisons – autant que dure le mystère – cet éternel – cet infini – à peine découverts – à peine apprivoisés…

 

 

A peine susurré, ce vide où tout est semé – où tout danse – entre fièvre et fatigue – et où la neige, un jour, finit par tout recouvrir ; la poussière, la cendre et l’obsession…

 

 

Nous sommes la lumière – autrement nous ne pourrions voir les fantômes – ni cette nuit qui a tout recouvert…

 

 

Tout est près de soi – autant que les ruines que nous avons tapissées de lumière – de soleil – de cette couleur capable de nous faire oublier la vie – les désastres – la faim – le sommeil et la mort…

 

 

Tout est silence – quiétude sans repère – grâce, en somme, au-dessus des tours et de la magie édifiées pour prolonger le rêve et le sommeil…

 

 

Tout se creuse – la peau – le monde – les siècles – pour dénicher la vérité cachée derrière l’apparence – les différences – comme le signe de notre commune appartenance…

 

 

Des murs, des pas. Quelques pierres où poser notre soif et notre difficulté à vivre. L’échelle des êtres où le pire est, si souvent, célébré…

Ni choix – ni maître – pour le poète – indigne – presque toujours – de son œuvre…

 

 

L’œil, parfois, s’exalte à la façon d’un enfant qui, partout, cherche des friandises et des consolations…

 

 

Nous nous déplaçons en pensée vers des lieux impossibles à rejoindre à pied – par des chemins naturels. Et nous réalisons que ces lieux sont des mondes – non pas seulement imaginaires – mais parallèles, en quelque sorte, à celui-ci (plus réel et plus terrestre) – et que tous sont porteurs d’une envergure (quasi) infinie où l’âme peut vagabonder et se réjouir – et même se perdre – mourir mille fois – et revenir encore – avec plus d’aisance et moins de peines – que dans cet endroit où nous avons eu le malheur de naître

 

 

Un jour, tout devient cri, chaîne, poussière. Tout se soulève comme si l’air se dispersait et les pieds nus se transformaient en bottes de sept lieues. Tout s’avance – et le vent dirige les foulées qui s’exercent à la marche sans appui. Le corps demeure terrestre mais l’âme se fait légère – apte à voler au-dessus du monde qui, à bien des égards, continue à ressembler aux ténèbres. Comme si nous restions parmi les hommes – mais que quelque chose en nous s’envolait et prenait des allures d’ange – ou de bête ailée – pour retrouver l’innocence et la gaieté des Dieux…

 

 

Nous sommes aussi farouches et sauvages que toute révélation. Nous ne nous livrons qu’aux défaites et aux visages mutilés – effacés à mesure que se dévoilent les secrets…

 

 

Tout n’est que singerie en ce monde – propagande et commerce – reflet noir, sans doute, d’un ailleurs où le pire a été évité…

 

 

En exil – à mille lieues des frivolités – quelque part entre la tête et le règne du mensonge…

 

 

Ni jeune – ni vieux – affranchi du temps. Ni pour – ni contre – au fond de l’acquiescement. A veiller comme d’autres dorment au milieu de cette effroyable pagaille où les âmes et les mots se mélangent aux plaisirs et aux désirs des Dieux – où les caprices repeignent le ciel à coup de trahison – et où l’Amour n’est plus qu’une croix – et sur cette croix – un corps crucifié…

 

 

Au-delà des querelles – au-delà des batailles – au-delà des clochers – libre des rêves, des temples et des chapelles – parmi les fleurs, les pierres et les poèmes – à côtoyer l’Amour autant que le pathétique…

 

 

Jour de liesse lorsque la tristesse sera tombée – à son comble – au-delà des idées – au-delà des images – lorsque les pleurs auront percé – et traversé – les mille frontières des hommes pour rejoindre la joie d’être – et de vivre – au milieu du bleu – au milieu de l’immensité – voilés par tant de pertes et de larmes…

 

 

Parfois, tout devient hermétique – obscur – comme si sur nos yeux – comme si sur notre âme – s’était collé un froid hivernal – terrible – qui assène un coup – presque fatal – au courage – à la marche – et à la poursuite des jours dans ce monde sans soleil…

 

 

Au-delà du sang – au-delà de l’âge – ce désir infini – mystérieux – d’échapper à la mort – comme si nous avions le pressentiment de notre envergure…

 

 

Tout s’échappe – et tout se chante – parmi les départs et ces foulées fuyantes – comme si la voix était notre seul atout face à la mort et à l’absence…

 

 

On se croit tout – et l’on s’imagine (plus ou moins) pareil aux autres – sans jamais se demander ce que sont (réellement) Dieu et l’âme…

 

 

Tout s’empourpre – et tout tressaille. Tout se désire – et tout se consomme. Tout se rejette – et tout s’indiffère. Puis, on pleure à toutes les funérailles en regrettant de ne pas avoir suffisamment aimé ceux qui s’en vont…

 

 

Un cœur bat entre nos rêves et demain – et qui ferme derrière lui toutes les portes pour s’enfuir n’importe où – n’importe comment – avec n’importe qui – sur tous les chemins imaginables…

 

 

Découverts par ce que nous recouvrons – mais si illisibles encore…

 

 

Avec le secret caché au fond de l’âme – comme l’unique parole d’un livre d’images dissimulée au milieu de quelques pages collées par le temps…

 

 

Comment pourrait s’évaporer le sommeil sous tant de masques et de mensonges… Couches de nuit entrelacées avec l’attente imparfaite – malheureuse – derrière lesquelles les hommes veillent d’un œil trop vague – trop hagard – pour vaincre la mort – percer son secret – échapper à l’exil – et découvrir la lueur du jour – cette vie dévouée au service, au silence et à l’éternité…

 

 

Et cette fumée qui monte comme un âge impossible – comme un âge indécent – à travers les siècles. Comme une dépouille – une odeur de charnier – sur l’herbe trop rouge du monde. Comme une nuit dans l’insolente beauté du jour. Comme un vertige – un mensonge – dans le rêve trop ambitieux des hommes. La persévérance de l’ombre et du noir, en quelque sorte, dans nos errances coutumières…

 

 

En vérité, nous ne connaissons que le pire et la mort – toutes les déclinaisons de l’ignorance – cette absence qui donne à nos vies cette allure de vertige – ce goût de trop peu. Comme des reflets, des blessures et cette (effroyable) offense à ce que nous portons d’infini…

 

 

Mille voies – mille chairs – pour une joie qui s’obstine malgré nos tentatives et nos défaillances…

 

 

Peut-être n’offrirons-nous plus, à présent, qu’un regard – un acquiescement à tout ce qui sort des têtes et des poitrines – à tout ce qui s’insère dans l’âme et la chair. Et notre dévouement à l’attente. Comme la preuve que la joie est possible – même dans ce qui semble si séparé – et si futile…

 

 

Nous aurons tout vécu – au bord de nous-mêmes – dans l’illusion – au seuil de cet Amour, pourtant, grandissant…

 

 

Tout brûle – et se meurt – jusqu’à l’ardeur – jusqu’à ces rêves – jusqu’à ces âmes si pleines de désirs – sur ces rives où l’ombre plonge l’esprit dans le sommeil – et efface le seul élan nécessaire au jaillissement de l’Amour…

 

 

La faim – notre faim – demeure plus vivante que la mort. La seule nécessité, peut-être, pour aller au-delà du nom et du destin – vers des rivages moins insensés – où l’Amour deviendrait (enfin) le seul désir – la seule réponse – la seule loi – le seul visage…

 

 

Tout s’acharne – s’écorche et se vénère – au milieu du rêve. Et tout arrive après l’Amour – et devance son retour (si lent et laborieux) après mille siècles d’exil et d’absence…

 

 

Nous aurons fauché – durant mille jours – durant mille siècles – ce qui n’aura jamais eu guère d’importance comme si l’essentiel – notre figure – l’éternité – pouvaient encore attendre un peu…

 

 

L’homme est comme le reste – en survivance dans les replis du vivre – dans les replis du monde. Un mythe – une épreuve – un rêve – un récit dans ce que nous croyons savoir – en deçà toujours du réel et de la vérité…

 

 

Tant de peines à vivre – et tant de peine à comprendre – pour si peu de chose(s) en somme…

 

 

Pourquoi accomplir quelques pas – achever la suite de l’itinéraire – plutôt que se laisser surprendre par l’étreinte et le baiser… Pourquoi cette ardeur plutôt qu’une attente sage et sereine… Pourquoi le glas et les clochers plutôt qu’une sagesse à vivre – plutôt que l’éternité…

 

 

Et si nous n’avions d’autre issue que l’impuissance – et l’innocence – de la fleur pour accéder à la joie, à la sagesse et à la beauté…

 

 

Par devers nous, mille rages – mille désirs – mille tempêtes. Et autant de larmes et d’insuccès. Et pas même le mystère de l’être hissé jusqu’à hauteur de tête. Prisonniers toujours de cette idée de la vie et de la mort. Un peu de sueur – seulement – ajouté au sang et à la tristesse…

 

 

Nous attendons sans entendre le moindre appel. Nous vivons en deçà de la mort – quelque part où le rêve et la tombe sont les seules libertés…

 

 

Tout est songe – jusqu’à nos mains pleines – jusqu’à nos mains vides. Peut-être ne sommes-nous que des fantômes… Peut-être n’existons-nous pas… Peut-être n’avons-nous que le poème pour nous mener jusqu’aux portes du silence – jusqu’aux portes de l’éternité…

 

 

La vérité – un mensonge comme tous les autres peut-être…

 

 

Tout s’emmêle – tout s’échange et se remplace. Et nous n’avons que nos yeux et notre âme pour habiter le monde et le poème – cesinfimes exercices de vérité – si pauvres à vrai dire – pour côtoyer le silence et le pays des Dieux…

 

 

La vie est une terre où fleurissent l’abondance et le crime – le doute et la vengeance – le malheur et la faim d’un ailleurs où la vie serait un ciel – une autre terre peut-être…

 

 

On épouse ce qui vient – ce qui s’avance vers nous – le temps d’une larme ou d’un baiser – comme les seules fiançailles possibles…

 

 

Le vide – le désert – existe – au-dedans et au-dehors – au milieu duquel on place mille choses ; des fleurs, des arbres, des visages – un peu de bruit, quelques désirs et un peu d’espoir – pour nous sentir moins seul(s). Mais, en vérité, le vide – le désert – avance – et se répand partout où on le rejette – partout où on le remplace par quelques illusions…

 

 

Un repos comme un répit dans la fouille et l’attente – au fond duquel se cache ce que nous sommes – un regard sans âge – serein – au milieu du feu et des cris – au milieu de l’espoir et de la mort. Ce qui demeure vivant au milieu de ce qui tremble – au milieu de ce qui chute – au milieu de ce qui surgit et s’efface…

 

 

Nous avons appris à nous taire – à fermer les yeux – à avancer aveuglément le long des murs de notre cachot. A tourner en rond – à nous fuir et à nous leurrer – quoi qu’il arrive – quoi que nous fassions – malgré notre arrogance et nos certitudes. Si pauvres et si démunis – si impuissants – en vérité – devant le grand défi de vivre…

 

 

Nous vivons des jours étranges – et des vies étranges – courbés sur notre labeur – notre tâche à accomplir – notre œuvre à réaliser – sans comprendre ni la réalité du monde, ni l’enjeu de l’existence. Obsédés seulement par l’image d’un bonheur inventée pour les foules – et les rendre plus dociles – et moins révoltées – devant l’infamie des hommes – et la folie (et l’impunité) de ceux qui les gouvernent

 

 

Nous vivons tout près d’ici – à peine en nous-mêmes – quelque part entre le rêve et la nuit – à peine étonnés par notre vie – par toutes ces vies – si étranges. Comme étrangers au destin des âmes – trop bêtes – et trop timides, sans doute – pour nous interroger – et tendre la main à l’inconnu et au silence…

 

 

Quelque chose s’épuise. Et ce qui demeure a – presque toujours – le goût de l’effroi…

 

 

Tout glisse sur les pierres. Les abîmes se creusent et les vents malmènent nos certitudes et notre arrogance. Tout est juste, en somme, pour nous mener au fond de nous-mêmes – jusqu’à la vérité…

 

 

Tout s’effondre – et ce qui subsiste n’est qu’un obstacle à la découverte de notre identité

 

 

L’effritement des forces – la loi de tous les passages – pour que le jour se préserve de la mémoire – de toute mémoire – et exalte les vents et la nudité du vide moins terrifiant – et moins dévastateur – que nous ne l’imaginons…

 

 

Ni espace – ni chemin – ni voyage. Pas même un séjour – pas même un raccourci. Rien qu’un regard – rien qu’un silence sur ce qui s’avance et que nous ne connaissons pas…

Pas même un corps – ni même une voix. La présence d’un poème sans langage. Dieu, peut-être – et toutes les couleurs de la joie…

 

 

Ce qui s’abrite – ce qui s’achève et se dilapide sans exigence. Ce qui suffit à notre silence – et à maintenir le monde dans cette posture – et ces désirs – sans nuance…

 

 

La quête et le passage. A l’envers des mirages – à l’envers du temps – aussi précieux que l’âme, la vie et l’extase. Entre l’urgence, le combat et la chute. Et qui s’aiguisent à la manière d’une lame sur ce qui s’impose à notre volonté. Comme la faim et le désir des Dieux. Et la coupelle des hommes tendue vers la main du monde pour recevoir toutes les offrandes – et la moindre obole des circonstances…

 

 

Tout devient plus clair au milieu de l’errance – au cœur de cette chute – au cœur de cette défaite – permanentes. La vie, le ciel et le sourire qui perce l’âme malgré les périls et le désastre…

 

 

Tout prend place dans l’oubli – et l’équilibre du monde se transforme. Le silence devient poème – et le poème devient silence. L’histoire se rompt – le récit s’assèche – l’Amour révoque les noms – et tient lieu d’évidence ; il devient les choses – le seul désir – et la force du regard pour contempler ce qui se retire – et s’efface…

 

 

La corruption se cache au fond de ce qui désire comme au fond de ce qui s’accumule. Et les privilèges émergent lorsque l’effort conduit à la soustraction, puis au retrait – avant que ne s’impose la nécessité de l’effacement…

 

 

Rien est notre plus sûr sillon – et personne, la vérité à naître au cœur de notre âme. Le reste – tout le reste – n’est que commerce, attente, propagande et illusion…

 

 

Nous contemplons les incendies – tous les incendies – du monde comme d’autres vivent, s’enlacent ou se suicident avec cet air d’éternels insatisfaits – sûrs de notre effort et de notre droit à nous aventurer sur ces chemins trop fréquentés – et que nous avions imaginés plus libres – et plus solitaires…

 

 

Orphelins de toute appartenance – parmi ces visages étrangers qui jamais ne comprendront notre débâcle – cette longue chute dans ce monde impossible – dans ce monde inconnu

 

 

Trop de routes – trop de visages – trop de gestes – trop de langage – trop de danses et de parures – trop de propagande et de commerce. Mille et une choses, en somme, auxquelles offrir un espace. Comme une vitrine – un exutoire peut-être – accordé(e) aux nécessités du sang et du rêve pour oublier ce rien – ce presque rien – aussi précieux et essentiel que l’éternité – ce lieu où tout prend place – et que l’on méprise comme le dernier endroit à connaître

 

 

L’ignorance vissée aux tempes – autant qu’à la jeunesse des siècles – mille fois plus immatures qu’innocentes. Aux prémices d’un voyage qui durera jusqu’à la pleine liberté – jusqu’au silence – jusqu’au signe de la véritable maturité – ce que les hommes appellent sagesse…

 

 

Encore un pas – encore un geste – encore un poème – aussi vains que les précédents. Inutiles, à vrai dire, pour arrêter – ou même interrompre – la folie, les saccages et les foulées de ce monde – incoercibles – inaltérables – impérissables sans doute…

 

 

Tout devient gris – terne – noir – lumineux – impossible – invivable. Une main – un poing – lancés contre la tristesse et l’inflexibilité du monde. Et les fleurs et la rosée comme les seuls signes de la beauté dans l’impuissance du jour…

 

 

Rien – aussi orgueilleux qu’accablés – l’homme – et ce qui résiste en lui – toutes ces colonnes dressées contre l’innocence et la virginité du regard. La nécessité des destins pour rompre les noms et l’identité. Dieu et le silence – pris en étau entre les prières et les clochers – entre les dogmes et tous les temples qui célèbrent la paresse et les (fausses) certitudes…

 

 

L’exercice vain des vies à côtoyer ce qui fait l’homme. Ronces, roses, sentes et voix. Un peu d’or. Quelques caresses. Et mille compensations pour oublier l’absence, la tristesse et la mort…

Un peu de sable sur le sable – au fond de l’océan. Rien qui ne vaille ni la peine ni l’effort…

Il serait, sans doute, plus sage de s’exiler du monde – pour vivre et attendre l’impossible…

 

 

La nuit est – et sera toujours – une chair à délivrer – une âme à découvrir – et un monde à réenchanter – avec le même silence

 

 

Le poète écrit. Mais c’est l’Amour qui s’offre. La page n’est qu’une larme qui coule – intrépide et impuissante – face au mystère et à l’atrocité du monde. Et la parole, ainsi, se dresse – modeste et innocente – comme une caresse sur l’attente – sur ces rives blessées – écorchées vives par la bêtise et l’ignorance…

 

 

Tout jaillit – tout s’affronte – et toutes les défaites sont décisives – essentielles, en quelque sorte, à l’avènement de la paix…

 

 

Rien n’existe – rien ne meurt – rien ne s’accomplit. C’est le même rêve qui avance – et se tient immobile – dans les mains du silence…

 

 

Nous ne nous livrons pas. Nous avançons les mains liées – et nous nous agenouillons – exténués – devant l’irréparable et l’impossible. Le reste – tout le reste – n’est que postures, ruses et malices pour donner le change – et prouver au monde que notre cœur est encore capable de battre un peu malgré les malheurs et la tristesse…

 

 

Mains laborieuses – mains studieuses – mains complices – mais l’âme pure et innocente – jamais leurrée par les farces et le spectacle – par ce grand cirque – ce grand théâtre – qu’est le monde…

 

 

Rien – il faut se taire – tout a déjà été dit. N’écrire que des poèmes qui sauront prolonger le silence, le regard et l’âme commune. Ni cri – ni parole – quelque chose de précieux et d’inaudible. Comme la main de la joie sur la tristesse et le manque…

 

 

Rien n’aura été plus maltraité, condamné et exterminé que les arbres, les bêtes, la métaphysique et le silence. Battus et abattus – toujours – depuis dix mille siècles peut-être. Et c’est à eux, pourtant, que je confie mes poèmes et ma confiance…

 

 

Torpeur, instincts, malheurs, détresse, (menus) plaisirs et impuissance. Guère enviable, à vrai dire, la vie terrestre…

 

 

A tâtons entre la terre et le poème – debout – le regard appuyé contre cette fenêtre à travers laquelle tout s’en va – à travers laquelle tout s’efface – le souffle enlacé aux choses. Légèreté – et masse ancienne – retranchées au fond de la solitude…

Qui peut savoir, en vérité, le rôle de l’Amour et du silence… Peut-être faudrait-il fermer les yeux – et se laisser découvrir par ce qui arrive… Se laisser étrangler par les images, les idées et les promesses – pour apprendre (enfin) à vivre libre au cœur des jeux – présent comme une main – comme une caresse – au milieu de l’hiver. Intensément vivant au milieu des visages et de l’absence…

 

*

 

Affrontements et refus ajournent continuellement le face-à-face pacifique – nécessaire à l’extinction des luttes…

 

*

 

Tout est trop sombre. Nous sommes comme les vents de l’hiver qui arrachent à la terre ses rangées d’espoir. Comme la furie des vagues qui fait chavirer les embarcations – et recouvre l’éphémère – toutes les traversées – tous les passages dessinés sur le sable. Comme la nuit qui enserre les rêves et exalte l’ivresse. Comme une poigne ferme qui se resserre sur l’offrande – l’étreinte des Dieux, peut-être, sur l’âme – si hagarde – si perdue – emportée par tous les courants du monde…

 

 

Nous ne combattons jamais que contre nous-mêmes – contre la beauté possible – envisageable – au fond de l’universel. La tragédie du monde – et la tragédie de tous les hommes peut-être – que nous auront épargné les bêtes avec leurs luttes si animales…

 

 

La voix est frêle peut-être – mais le souffle et la stature puisent leurs forces dans la certitude et le silence – dans le défi du vivant à se tenir moins paresseux – et moins malhabile – devant la question (l’unique question) posée par tous les Dieux du monde…

 

 

Inépuisables – éternels – nous sommes – comme cet espace fraternel que rejettent – et étouffent – tous ces visages – si humains – et toutes ces âmes – si bestiales. Comme le plus grand drame du monde peut-être…

 

 

Tout arrive – s’exalte et s’égare – comme la voix truculente du poète dont l’insuffisance – l’incapacité peut-être – à dire le silence est si flagrante. Poème-voix comme un cri – une incantation – dans les bruits des hommes et les vaines rumeurs du monde…

 

 

Le voyageur – aussi immobile que la pierre – mais moins rassuré quant à son destin – quant à la suite du chemin – quant à la fin du voyage…

 

 

Inlassablement – les lignes – le recommencement de la parole – et le renouveau du langage. Comme les vagues de l’océan – comme les vents – sur cette terre de sommeil et d’habitudes…

 

 

Tout se mêle – et s’enchaîne. Et la liberté – ce grand mythe – n’est le fruit ni de nos conquêtes – ni de l’imaginaire. Elle émerge du plus simple qu’habitent la fleur – chaque fleur – chaque parcelle de la terre – au cœur de son destin le plus élémentaire – et toutes les âmes affranchies des luttes et du sommeil – qui ont su plonger, à parts égales, dans le monde – si bruyant et si infirme – et dans le silence sans reliquat de désir et de langage…

 

 

Ni jour – ni nuit. Ni équilibre – ni chaos. Ce qui s’avance et le mystère. La grâce – le silence – et cet horizon sans hasard dessiné par le rêve et la misère. Cet espace sans certitude où nous nous tenons – sur ce fil inventé par l’esprit soumis aux croyances et à la nécessité d’avancer – de faire de notre vie, un voyage…

 

 

On ne célèbre rien – on s’avance. On imite – on croit imiter – les nuages au lieu de s’inspirer de l’herbe qui se tient – fragile – au cœur de l’orage – au cœur du temps et des saisons qui la malmènent…

 

 

Tout s’achève entre deux néants – mais le voyage se poursuit – nous fait traverser mille rives supplémentaires – mille rives nouvelles – jusqu’au silence de l’âme où tout est scellé – où tout se conclut et recommence – où tout devient poésie

 

 

Tout change – revient – et se découvre. Tout s’encycle à la rengaine – à la lumière et à l’obscurité – les passages de l’éphémère comme ce qui demeure au-delà de l’éternité…

 

21 août 2018

Carnet n°159 Tout – de l’autre côté

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Tout s’élargit de l’autre côté de la nuit. Le grain, le vent, la pensée, le rêve d’un autre jour. Tout prend place sur la neige accueillante – si blanche – si belle – dans la clarté du centre…

Veilleuse à peine au milieu de ce que l’on déporte – au milieu de ce qui s’estompe. Ce qui demeure – et le visage de l’attente…

Tout arrive sur le sable – jusqu’au trou dans lequel tout tombe – et disparaît…

 

 

Tout s’affaisse sous le jour. Vivre devient le seul vertige – et le visage, le seul miroir nécessaire au monde…

 

 

Tout s’interpénètre avec douceur – avec brutalité – qu’importe ! Les yeux sont éblouis par le merveilleux, la passion et l’ardeur de l’attention à tout restituer avec fidélité…

 

 

Tout prend place – se remplace – adopte la juste position dans la vision – l’enchantement comme l’angoisse – le malaise comme le pressentiment du pire. Quelque chose d’étrange ; le plus simple, sans doute – et le rôle primordial de l’homme au sein du monde…

 

 

Nous ne voyons pas. Nous ouvrons des portes – et dressons des portraits chargés de matière, de teintes et de fioritures. Nous accomplissons l’essentiel en restant fidèles au regard – et à la nécessité du trait qui élabore mille questions – et suggère le silence comme unique réponse – comme unique possibilité à l’énigme de vivre…

 

 

De l’autre côté du monde – l’aurore – la même lumière malgré les paupières closes…

 

 

Tout respire – jusqu’à l’œil fermé de ce côté du miroir – à l’envers de cet espace fait de bleu sans nuance…

 

 

La vie – la mort – si proches l’une de l’autre. Comme les deux faces d’un même visage à l’allure lointaine – légère – indevinable. Comme les profils incomplets de notre représentation du ciel – que nous avons imaginé si terrestre…

 

 

D’un livre à l’autre – dans le secret des yeux clos – cet espace où tout s’illumine…

 

 

Plus grand que le monde – plus grand que la peur – ce besoin infini d’aimer…

 

 

Tout s’écoute – et s’accueille – sans rien défigurer ; la parole – le désir – le sang qui circule – la peur des visages – la mort qui s’avance – la vie qui se retire – le besoin de temple et d’espérance. Et jusqu’au silence d’un Dieu – toujours introuvable…

 

 

Nous sommes ces inextricables tentatives composées de silence et de désirs. Une sorte d’entité (indéfinissable) où se mêlent l’innocence, les eaux sales du monde, les pages tournées et la faim des affamés…

 

 

Vie confuse entre le jour et les reliquats de notre histoire. Une sorte de fief criblé de douleurs et de mort qui, en rêve, contemple sa chute – et le silence à venir…

 

 

Quelle vie donner aux mots pour qu’ils échappent au monde et à l’oubli…

 

 

Rien ne s’écrit. En vérité, tout s’efface. Voilà le rôle – et le sens – du poème. Nous faire revenir à l’état primordial – à l’état originel. Nous faire plonger dans l’oubli et l’effacement – le silence d’avant le monde…

 

 

Tout vient se rompre sur le même mystère – irrésolu – et, sans doute même, insoluble…

 

 

De l’autre côté, le même chemin – avec le rire en plus – et la mort à soustraire. Quelque chose de terriblement vivant. Comme un sourire infatigable sur ce qui part – sur ce qui semble partir – mais qui, en vérité, jamais ne se perd – et qui est là – toujours – dans l’ardeur de toutes les tentatives…

 

 

Presque rien – une infime trace vivante sur tant de mort et de sommeil…

 

 

Que tout soit banni au-dehors pour faire naître les privilèges intérieurs – et l’accueil de ce qui subsistera…

 

 

Voyage sans élan où le lointain s’approche – sans poids – insensible à l’horizon mille fois réinventé pour donner l’illusion d’un chemin – où l’ancre est ici – dans cette façon, si fragile, de se tenir debout au milieu de tout ce qui s’en va…

 

 

De chair et d’infortune – ici – transformées en malheur – presque en malédiction. Et de l’autre côté – un peu plus loin – transmutées en éclats – en pointes affûtées pour éperonner ce qui mérite d’être pénétré – et parcourir le nécessaire pour vivre joyeux – et sans emprise – au cœur de la misère…

Terres absolument identiques – avec la différence qui se tient dans le pas – et dans le regard qui l’a initié…

 

 

Nous pourrions dire – partir – revenir sur nos pas – nous taire – rester en deçà du soupçon – élaborer encore – maltraiter les visages – le langage – crier – s’immoler – divaguer – et errer toujours. Mais que pourrions-nous faire pour vivre en homme – et devenir (un peu) plus sage…

 

 

Tout homme – toute place – est consensuel(le) – autant que rebelle. Exact(e) et hors de propos. En relation toujours avec le plus intime qui dicte la voix et les pas…

Et pour se conformer au plus juste, il convient (toujours) d’oublier sa fonction et ses attributs – de s’effacer, en quelque sorte, derrière ce qui nous porte…

 

 

Chapelet de choses et de visages – comme les grains minuscules d’un collier (infini) que Dieu enfile (presque) sans raison. Comme une façon, peut-être, de se souvenir du temps des origines – de ce silence sans chose ni visage – et d’offrir à ses gestes une occupation moins divine – plus triviale. Une sorte d’intervalle – une forme de parenthèse – comme un exercice – ou un jeu, peut-être – dans sa trop permanente présence…

 

 

Tout s’élargit de l’autre côté de la nuit. Le grain, le vent, la pensée, le rêve d’un autre jour. Tout prend place sur la neige accueillante – si blanche – si belle – dans la clarté du centre…

 

 

Veilleuse à peine au milieu de ce que l’on déporte – au milieu de ce qui s’estompe. Ce qui demeure – et le visage de l’attente…

 

 

Tout arrive sur le sable – jusqu’au trou dans lequel tout tombe – et disparaît…

 

 

Tout n’est pas aussi serré au-dedans. Quelque chose isole – offre la distance nécessaire à ces mille entassements (inutiles). La terre est éloignée des visages – éloignée des étoiles – et de ce qui monte du fond de l’âme. Et le ciel est plus lointain encore – au-delà des danses – au-delà des prières – sur ce seuil où tout devient possible – où tout est autorisé – jusqu’au recommencement du voyage qui vient rompre toutes les distances…

 

 

Tout se fige – et se raidit – à la mort. Jusqu’à la tristesse de ceux qui restent…

 

 

Tout arrive – tout s’avance. Et sur le seuil, les mots s’éloignent des étoiles – et de ces chemins où les âmes creusent ou vagabondent dans l’espoir d’une danse – d’un éclat – d’une rencontre – pour oublier la mort…

 

 

Tant de tombes dans les yeux – creusées par inadvertance – et dans lesquelles finissent par sombrer tous les rêves – tous les désirs – l’essentiel du monde fantasmagorique de l’homme, en somme – y compris les édifices et les chemins façonnés par ceux qui se livrent à quelques aventures – ou à quelques jeux – avant de mourir – pour de vrai – pour de bon…

 

 

Nous chantons si fort sur ce chemin sans âme que quelques yeux, parfois, de l’autre côté du monde, nous surprennent en flagrant délit de gaieté…

 

 

Ivre d’une autre terre – d’un autre ciel – quelque chose à l’envergure démesurée – aux allures d’illimité – entre la soif et le silence – comme une danse accomplie sans notre consentement – une sorte de vertige au goût de vérité – au-delà de toute raison…

 

 

Tout dérape – et se dégrade – dans notre (vaine) attente…

L’autre côté, jamais, ne se rejoint comme nous l’imaginons. Mille virages, mille pertes et mille aires de passage – avant de pouvoir réaliser la soustraction nécessaire au franchissement du seuil. Des dérives, des déroutes et des errances ; voilà le seul chemin vers la capitulation – avec l’âme de moins en moins fière – et de plus en plus tendre – et qui, un jour, finit par s’agenouiller…

 

 

Tout s’agite – tout s’encaisse – dans cette ivresse au goût de cendre et de ciel frelaté. Et ce bleu – si intense – qui manque à l’œil de passage. Une vie comme un tourbillon – un amas de rêves et de peines entre la pierre et la mort…

 

 

Rien n’émerge – rien ne filtre – des visages passés sur le versant opposé. Ni émeute – ni émule. Le reflet encore brûlant de la transformation, comme une vague fumée blanche, qui monte au-delà du faîte – à peine visible depuis ces rives plongées dans le crime et l’abomination…

 

 

Ni douleur – ni fardeau – un court poème pour souligner le vertige. Ce qui hante la joie davantage que l’ennui, le langage ou la terreur. Un fil, peut-être, lancé comme une bouée – comme un pont – comme un escalier fragile – entre deux rives incertaines…

 

 

Ce qui monte comme un trait de lumière entre la boue et l’espoir – dans cet étroit surplomb au-dessus des jetées souillées par la peur, la bave et le sang…

 

 

Taillé(s) davantage pour ces rives où les pierres sont noires que pour l’aurore fantasmée par ceux qui la réclament…

Comme un poids – comme un destin – voué au gris, à la tristesse et à l’impossible plutôt qu’à la métaphore de la lumière qui subjugue tous ces affamés d’Absolu (si immatures encore)…

 

 

Tout s’écoule de ce côté du songe. Et, ici, l’infini n’a davantage de valeur que la fouille et l’attente…

 

 

Sur le sable, tant d’impressions sont décrites. Et, ici, la pierre et l’âme ne forment qu’une seule langue – qu’un seul idiome – rare – précieux – qui s’offre à tous (avec parcimonie) pour dire le tout, l’apparence et la diversité avec un seul terme ; le silence – si riche – si secret – si fécond…

 

 

A travers nous, tout se tresse – l’eau – la terre – l’âme – le ciel – les quelques lignes d’un poème. Le désir d’un ailleurs – d’un franchissement – le passage d’un côté à l’autre – et leur (lent) resserrement en un seul rivage…

 

 

Ce vide accueillant – simplement – qui acquiesce à ce qui passe…

 

*

 

« Vivre est difficile – et mourir l’apogée de la tragédie » entend-on dire ici et là – un peu partout. Et, ainsi, voit-on les hommes s’accrocher à tout ce qui (leur) semble plaisant – à tout ce qui est porteur de la moindre souffrance – dans cet amas de peines et de douleurs que chacun a, plus ou moins, le sentiment de porter – et de devoir traverser – au cours de sa brève existence terrestre…

 

*

 

Que de semence, d’ardeur, de salive et d’encre pour faire, décrire et commenter le monde – presque rien, à vrai dire, sur si peu de choses – en somme

 

 

Tout est étranger à l’œil sans larme – jusqu’au sourire – jusqu’à l’enfance. Tourné seulement vers les spectres (illusoires) qui le hantent…

 

 

D’un rêve – d’un exil – d’un même espace posé au milieu de l’Amour et du temps – entre les pendules et cette grande main blanche qui s’abreuve au moins décourageant du ciel…

Ni loisir, ni performance. Un appui naturel sur ce bleu – si intense – si lointain…

 

 

Tout viendra effleurer ce qui respire – ce qui se flétrit – ce qui se soulève et s’enfonce. Ce qui s’échange contre un autre temps. Comme un jeu – un défi, peut-être, à l’aveuglement – à cette façon d’être si égal à soi-même à travers toutes les existences (parallèles et successives)…

 

 

Insuffisamment aveugles pour détourner les yeux de la misère – créée par le refus de notre destin…

Et cette issue qui se façonne à grand coup de souffle. Comme un réel immense posé devant chacun – au milieu du sommeil – au cœur de nos pas somnambuliques tirés vers l’après – vers le lointain – comme le prolongement du rêve…

 

 

Noire comme la perte – comme les paupières. Défaite – recluse – et hagarde au milieu du chemin – cette folle espérance d’une fratrie. Solitaire – autant que le regard sans doute – avec le silence à réinventer peut-être…

 

 

Debout dans un ciel à perte de vue – à écouter les larmes tomber sur ces pierres trop noires et le crissement du gravier entre le chemin et les semelles. Quelque chose comme un élan – un effort – une marche vers ce qui ne pourra jaillir qu’au milieu de l’œil sans espoir – revenu des soirs – de tous les soirs – et des lueurs nées de ces lectures crépusculaires où nous imaginions le soleil accessible d’un claquement de doigts…

 

 

Des yeux pour se rejoindre à la pointe de l’âme – là où l’obscur semblait si vivace et la peur, l’hôte principal. Crocs, à présent, refermés sur la chair. Au bord du précipice – devant l’inconnu des hauteurs et l’incertitude des rivages…

 

 

Les âmes – comme des créneaux étrangers – et d’étranges coffres-forts où s’entassent mille débris volés aux aboiements des Autres. Des anneaux, des bras et quelques victuailles pour les temps difficiles. Et cette nage burlesque sur ces pierres sans eau – évaporée, peut-être, depuis des siècles. L’homme, en somme, dans ses gestes mimétiques – et sa confusion imbécile. Avec ses rêves d’or si anciens. Comme un silence posé au milieu de l’absurdité – entre mille grilles – mille rangées de grilles – et toutes les infinités possibles…

 

 

Regard en surplomb – libre – vierge – acquiesçant – pleinement présent à ce qui passe. Et l’âme – le cœur – au-dedans – totalement engagés dans le pas, le geste et la parole. Ainsi est-on à la fois monde – et hors du monde

 

*

 

Où chercher – où fouiller – où s’enfuir – et comment vivre – lorsque la mort encercle tout – relègue la vie à une parenthèse absurde coincée entre deux néants – et confine l’horizon à une frontière (presque) infranchissable… Et comment trouver une forme de sagesse pour guider les pas et nous dire (simplement) où commencer judicieusement la marche…

 

*

 

Tout se détourne – tout se rejoint – malgré le sable et la décadence du monde. Mû par cette flamme qui demeure à travers tous les passages

 

 

L’obscurité n’est pas le sommeil ; le signe seulement que le noir nous a devancés – et qu’il faut à l’homme plus d’une foulée pour laisser son pas au centre du cercle – et un peu d’âme pour laisser son œil se transformer, peu à peu, en regard capable de surplomber toutes les marches du monde…

 

 

Nous différons sur mille points sans comprendre le cadre naissant – le cadre premier – unique – ni la similitude des visages derrière les apparences – ni la convergence des foulées aux rythmes et aux allures si dissemblables…

 

 

Nous écoutons comme d’autres éventrent, torturent ou massacrent sans sourciller. Animés étrangement par les élans d’un abîme, en eux, trop souverain pour se rappeler avec exactitude – et nostalgie – des prérogatives premières de toute naissance – de toute histoire – de toute existence ; l’attention, l’approbation et le silence…

 

 

Le plus connu n’est pas celui que l’on croit – mais le plus oublié, sans doute ; l’hôte premier – celui auquel nous n’avons plus le temps de penser – avides que nous sommes de toute nouveauté…

 

 

A côté du cercle s’éreintent quelques âmes – se lancent quelques pierres – et s’entendent quelques aboiements. Rien de nécessaire au jaillissement du centre au cœur du cercle. Des initiatives et des passe-temps, peut-être, qui se cantonnent aux périphéries…

 

 

Tout s’abandonne – végète – et tourne en rond – au milieu de la poussière et des crachats avant de rejoindre le seuil – l’espace de l’âme-lumière. Rame, en quelque sorte, de rive en rive – s’égare – s’éloigne et se rapproche, peu à peu, de cette morosité sans rêve nécessaire à l’ascension du gris – et à son franchissement…

 

 

Tout se découvre – et se devine – comme si nous étions nous-mêmes – comme si une part de nous était – caché(e)(s) de l’autre côté…

Entre terre et silence – si haut déjà – et si loin de ce ciel inventé – au plus près de ces têtes – et de ces bouches – qui s’agenouillent et embrassent le sol…

 

 

Ici – là-bas – rien que des édifices et des idéologies. Et de ce côté, rien – le plus vierge sans doute sur lequel aucun phénomène ne peut prendre appui – où aucune vie – ni aucun monde – ne peut se construire – et où tout vit, pourtant, pleinement sans l’ombre d’un souci – sans l’ombre d’une inquiétude – sans l’ombre d’une attente ou d’une saisie. A pleine existence, en somme – au cœur d’une présence naturelle faite de silence et d’acquiescement – sans mémoire ni oubli. Unique et durable dans cette étrange fragilité de l’éphémère…

 

 

La sensibilité et l’intelligence – les seules graines indispensables – et les seules conditions nécessaires – pour qu’éclose, fleurisse et se répande l’Amour dont le monde, la terre et la vie ont tant besoin…

L’unique issue, à vrai dire, à toutes les histoires – individuelles, communes et collectives…

 

 

Tout pousse autour de nous comme si nous avions les bras portés par le ciel. Mais nous ne sommes, pourtant, que des sangsues dévoreuses de chair – et ingrates, qui plus est, devant l’abondance et les privilèges de notre naissance…

 

 

Tout vient – s’échafaude – le temps d’un répit – comme un vide relégué aux bruits qui courent…

 

 

De l’autre côté du jour, il y a un repos qui ressemble à la nuit où tout s’immerge le temps d’un rêve…

 

 

Aux côtés de la mort, quelques âmes prudentes – oubliées des lendemains – qui jettent leurs bras aux survivants – aux passagers – à tous les passants de la nasse – emmaillotés sur les pierres – et ligotés déjà à ce bleu immense – à ce bleu intense – qui s’immisce à travers les grilles – à travers les mailles – pour répandre la liberté…

 

 

Nous sommes le dedans – et le dehors – tout proches. Le cœur du vivant – et cette lumière au fond de l’âme. L’apparence et l’essentiel (prisonniers – toujours – de notre émoi et de nos découragements). La neige et le silence. La crainte et la désespérance des foules perdues au milieu du désert. Le jour et la nuit – et tout ce qui s’agite à leurs frontières. Ce monde à l’allure de feu – et le front des bêtes livrées à la mort. Cet étrange mélange d’errance et d’incompréhension qui attend le pire et la fin des siècles en versant quelques larmes…

 

 

A l’ombre de tout – peut-être ailleurs (qui sait ?) – sous les éboulements – au fond des idées – quelque part où la nuit n’est que l’illusion d’une solitude. Parmi les herbes où les rencontres – toutes les rencontres – sont factices. Les reflets de notre seul visage…

 

 

Nous vivons – et périrons – avec les tentatives de la voix et du souffle à façonner – et à repousser – l’argile – celle des corps et des visages – celle des dunes qui nous entourent – et celle du trou où nous serons enterrés…

 

 

Poussière qui dure sous les pas du monde – jetée à la figure de ceux dont les vents ont défiguré le nom. Avec la couronne – survivante des ravages – au-delà de laquelle le ciel ne se tient ni au-dessus – ni en dessous – mais partout où l’épine tient lieu de guide sur le chemin…

 

 

Nous continuons d’être – là où le néant s’efface – là où la terre, trop longtemps endormie, s’éveille. Nous sommes ainsi – quoi que nous fassions – et définitivement passagers quelles que soient les aventures…

 

 

A l’autre bout du monde – le même désastre et la même espérance. Quelques signes – et quelques traits – dans ce gris interminable – sur cette étroite bande de terre où les hommes – et leurs usages – nous confinent…

 

 

De l’autre côté de la mort, le même voyage – pieds devant et tête à l’envers – avant que l’esprit ne nous retourne encore – et ne nous prépare au point d’entrée suivant…

Ainsi, de séjour en séjour, nous visitons nos propres différences – notre hauteur commune – et tous les recoins du monde – avant (peut-être) la délivrance…

 

 

Nous marchons – les pieds et la tête en feu – poussés par cette furie sur le gravier noir des chemins et du langage – en quête de cette folle ivresse au goût de rêve dénaturé – couchés, en vérité, au fond du même effroi depuis le premier pas – depuis le début du voyage…

 

 

A demi morts sans doute – autant que l’ardeur du sang est noire. A mi-chemin entre le ciel et les pierres – là où la nuit a traversé le regard. Aux premiers instants de l’âge – aux premiers instants de notre figure – là où le temps et les os ne formaient, dans notre rêve, qu’un seul visage…

 

 

Il y aura toujours moins à dire que le silence – et moins à haïr qu’à aimer. Et autant de joies que de peines à se résoudre à vivre…

 

 

Tout s’avance vers nous comme un monde sans main – et qu’il faut aider et satisfaire – au lieu de jouir de toutes choses – au lieu de savourer chaque instant de présence – au lieu de contempler toutes ces marches sans apaiser les peurs ni assouvir les désirs et la faim…

Tout est complice, en somme, de nos jeux et de notre ignorance. Et tout s’affronte pour nous rendre plus impuissant(s) – et plus coupable(s) encore…

 

*

 

Tout se conquiert – et, parfois, se partage – excepté ce qui compte (et qui est plus qu’essentiel). Cela seul s’offre – et qu’importe les noms pour le nommer ; être, Soi, Dieu, Amour. Lui seul se donne tout entier – et plus encore à ceux qui, en son absence, ont réussi à s’effacer…

 

*

 

Nous allons – comme les fleuves – comme les ombres – là où les pentes sont aisées à découvrir et les frontières aisées à franchir. Nous sommes pareils à cette nuit qui s’éternise au-dessus des astres et des visages. Nous cheminons en pure perte – sans rien comprendre aux enjeux de l’être et aux enjeux du vivre

 

 

Tout devient sans nom – et inaudible – au fond du silence. Tout devient rythme et joie – et comme l’Amour – prêt, enfin, à tout recevoir…

 

 

Tant de détours et de manœuvres pour les eaux du monde – pour les eaux du jour – avec mille galets, mille rives et cette nuit qui s’écoule à franchir. Avec quelques grimaces et le poids de l’âme. Avec mille rencontres fortuites et vagabondes. Et cette soif ardente qui – implacablement – remonte vers sa source…

 

 

Tout passe – repart – revient et recommence. Creuse sa blessure dans les mêmes gestes – les mêmes postures – les mêmes refrains. Seul dans son sillon – guidé, parfois, par le mouvement des astres et la main des étoiles – le rire ou la joie d’un enfant – la beauté ou la justesse d’un poème…

 

 

Tout se donne au détriment de l’effort qui use au lieu de découvrir. Ici – ailleurs – partout – le même rêve et les mêmes chemins. Ce qui frappe discrètement à notre porte. Le monde et la fausse réalité du langage qui crée mille chimères – et voile le réel qui, dès lors, s’imagine exclu – à l’écart – abandonné peut-être. Tout se limite – et s’emprisonne – derrière ces grilles qu’édifient les livres et la parole. Mais nous sommes encore là – patients et, sans doute, suffisamment téméraires pour attendre le choc et l’effondrement qui signeront l’arrivée du silence – l’entrée en présence

 

 

Nous sommes la moitié du monde. L’âme affranchie du langage – et le peu qu’il reste après notre passage. A la verticale du nom que nous avons placé sur toutes les choses. Fidèles, en somme, au quotidien et aux adieux impossibles offerts à ce qui s’enfuit – et nous échappe…

 

 

Tout est là – toujours – caché au-dedans de l’inimaginable – à l’ombre de cette lumière que nous avons cru arracher à un Dieu-mystère – puis, à un Dieu-machine – inventés pour rendre l’homme plus docile encore…

 

 

Nous avons créé mille frontières pour nous sentir vivants – et du bon côté de la barrière. Le rêve, l’effort et l’apprentissage pour découvrir – avoir l’illusion de découvrir – la loi et le mystère. Mille choses inutiles, en somme, pour être à la fois au-dedans et au-dehors – à l’intérieur et à l’extérieur du monde – au cœur et hors des êtres et des choses. Ce que nous sommes tous au fond malgré nos déconvenues et le manque de lumière…

 

 

Ni tien – ni mien – ce qui remplace le rêve et la parole – les postures et la vision restreinte. L’espace où tout défile et se remplace – la racine et la source du monde, des hommes et des bêtes. L’origine des arbres, des fleurs et des rivières. Tout ce qui s’épuise à défendre son territoire et ses maigres trésors

 

 

L’autre côté est une illusion. Il n’existe que ce tout – ce presque rien – que les hommes ont divisé mille fois – dix mille fois – des milliards de fois – pour asseoir leur territoire, leur pouvoir et leur envergure. Un seul espace où tout est accolé au même centre…

 

 

Tout s’enracine – au-delà du monde et de l’homme – au même vide – songe ou néant pour les uns – dogme ou vérité pour les autres. Indissociable(s) sur la même ligne où les notes, les mots et les visages semblent si dissemblables – mais qui portent en eux la même grâce et le même destin – entre fleurs et lumière – rêve et abîme – temps et souvenir – au milieu de ce que nous devons transmuter en présence…

 

*

 

Comment faire face à la douleur, au vide, à la souffrance, à la perte et à l’absence – et vivre (et se résoudre à) cette dimension mortifère et limitée de l’existence ? Voilà, sans doute, l’une des questions fondamentales – et l’une des thématiques centrales – auxquelles sont – et seront toujours – confrontés l’homme et le vivant au cours de leur (bref) passage terrestre

 

*

 

Ce qui remplace l’apprentissage – de l’extérieur vers l’intérieur. Et ce qui s’absente vers un Autre en soi – encore étranger…

 

 

Tout est simple – le silence – le monde – le vent – et les âmes à éduquer. L’immensité de la parole repliée au fond de la solitude – et le poème qui se prête davantage au jeu de la vérité qu’à celui de la rime. Le désir et tous les Dieux réunis. Toute la vie de l’homme, en somme…

 

 

Rien ne dure – pas même la lumière. Et ce qui demeure n’est, peut-être, que le doigt de la mort pointé sur ce qui bouge – le temps en suspens – entre la nuit et le souvenir…

Et ces fleurs – toutes ces fleurs – qu’il nous faudra, un jour, semer dans tous les interstices laissés par l’absence…

 

 

A distance toujours de ce qui étreint – au lieu de s’abandonner au vide…

 

 

Nous nous rétractons au lieu de nous enlacer. Nous pérorons au lieu de garder le silence. Nous haïssons au lieu de comprendre. Nous quémandons au lieu d’offrir et d’aimer. Nous saisissons au lieu de rester la main ouverte. En vérité, nous ne savons ni vivre – ni être des hommes…

 

 

C’est dans le vertige du vivre – puis de l’être – que l’homme se réalise. Et l’accomplissement toujours s’opère dans la perte, la chute et l’effacement…

 

 

Tout se rejoint – toujours – au-delà des refus, des singularités et des destinataires. Le seul besoin est celui du rapprochement, de l’étreinte et de la lumière…

 

 

L’aveu d’une vie – d’un combat – perdus d’avance. Le retrait – le recul – et l’avancée timide – presque à reculons – vers la seule source en mesure de nous retrouver

 

 

Tout est prétexte à soi – jusqu’à sa propre perte. Et tout s’avance ainsi à sa rencontre. Puis, tout s’absente à travers nous-mêmes – jusqu’au défilé du pire – et jusqu’à son franchissement. Alors tout devient – tout redevient – silence et poésie…

 

 

En matière de vivre – à propos de la vie – seul l’infini peut nous soumettre – nous accomplir – et nous délivrer. Le reste n’est que jeux, fièvre et purges nécessaires à sa propre découverte…

 

 

Et cette main tendue que nous négligeons pour la beauté d’un visage – la promesse d’un amour – l’espoir d’une gloire ou d’une richesse – tant de chimères et de choses corrompues déjà…

 

 

Tout accourt – et se jette de l’autre côté du monde…

 

 

Tout est feu – tout est sang – même au cœur du silence. Sur terre – dans l’air – dans l’eau – entre les lignes du poème. Fleurs et fils toujours plus distendus à mesure que l’on avance…

 

 

Invariables – la défaillance autant que l’Amour. Et ce doute creusé à même le pas au centre duquel tout, un jour, viendra s’effondrer…

 

 

Cercles et noms écrits avec le sang de chaque destin. Comme les misérables frontières du vivant. L’hérésie des hommes – et leur folie à tout nommer et à tout circonscrire – pour lutter vainement contre le chaos apparent du monde – et la douleur de vivre (et d’exister) si pauvres – et si seuls – au milieu des autres – face à la multitude et à l’immensité…

 

 

Tout s’inverse à l’envers de la mort. Le souffle et le temps s’infiltrent au lieu de passer – et s’amplifient jusqu’à l’engorgement. Et l’âme même n’est plus ce point – cet infime reflet du miroir ; elle rayonne d’une autre lumière qui lui donne la même couleur que le jour…

 

 

Tout s’agenouille devant cette faim qui préside à la course – et à l’attente d’un autre monde…

 

 

Un léger fléchissement dans l’âme pour dire notre (im)maturité – et offrir ce qui nous a été offert ; la douleur, le pire et le passage. Cette foi affranchie de toute espérance. Et cette joie qui dans les veines (et dans l’âme) remplace le sang…

 

 

Tout – de l’autre côté – aussi bien qu’ici où la vie et le monde ont la couleur du froid et de nos yeux fébriles – en attente d’une issue – en attente de l’impossible – pour échapper à l’enfer de notre détention…

 

 

A peine le jour – à peine la nuit – quelque chose comme un ailleurs au goût de soi enfoui quelque part entre le noir et la lumière que nous avons inventés…

 

11 août 2018

Carnet n°158 Et, aujourd'hui, tout revient encore…

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Tout se tient, malgré soi, devant nous – au détriment de la lumière...

Tout s’agrippe – et s’amourache – le temps d’un désir – le temps d’une pluie – le temps d’une danse entre l’escalier et la chambre. Puis, tout se repose dans l’indifférence et le sommeil – l’Amour encore intact au pied du lit – et sous les frusques revêtues à la hâte…

Tout nous arrive – par petits bouts – en morceaux d’étoffe minuscules. La parole, le sens et l’explication comme des fragments de vérité à recoller ensemble sur le puzzle de la page…

Tout s’abrite sous cette chair – et dans ce crâne – jusqu’à la douleur de ceux que l’on assassine – jusqu’aux souvenirs – jusqu’aux jeux – jusqu’à l’enfance – jusqu’au désir – jusqu’à l’Amour – jusqu’à l’innocence…

Tout, en somme…

 

 

Tout ce qui monte – immobile – nous le sommes encore. Et le temps aussi. Et ce qui guette dans l’attente – sous la cendre des alliances…

 

 

Espace – entailles – et ce feu au fond du sang. L’eau, la vie et le langage. Et cette montée du regard au-dessus de la rosée et des feuillages…

 

 

Le monde – vieux comme les siècles – à s’interroger encore sur le proche et le lointain – sur le haut et le bas – sur le vrai et le faux – au lieu de plonger dans sa réclusion…

 

 

Prières des hommes aux paumes d’enfant – si légers sous le fardeau du vivre. Lueurs à peine au fond de la nuit…

 

 

Ici – où s’attardent les peines – où veille l’Amour. Une grenade d’encre dans la main – et mille autres en bandoulière – pour faire exploser les noms et les destins – et aider à la naissance du jour…

 

 

Tout est chair – soleil – invisible – le nom donné à l’Amour. Le sable, la main, l’écume – et les gestes et les bouches si voraces encore…

 

*

 

« Que sommes-nous ? » sera toujours la question essentielle…

 

 

De chair en déchirure – de certitude en écartèlement – la douloureuse révélation de notre identité…

 

*

 

A ce qui s’éveille comme à ce qui périt – attentif toujours – quels que soient le destin et la durée…

 

 

En chacun de nos pas – dans l’entêtement et l’érosion du monde et des idées – ce souffle au-delà du sens et du mystère – au-delà du poème et de la mort. Comme un chant éternel à travers le temps – et la possibilité du passage offerte à l’éphémère…

 

 

Et sur la feuille abandonnée, les traces de l’invisible et l’apaisement du cœur malgré l’attente, si anxieuse encore, du silence et de la disparition…

 

 

Griffes et angoisse au cours de la traversée – inoffensive, pourtant, de bout en bout. Comme une marche, en somme, au milieu des démons inventés par l’esprit…

 

 

Déchiré et grave au centre du cercle – au milieu des éclats et des enfantements – nés du désir. Rien pourtant – qu’une ligne supplémentaire dans la trame du monde – dans la trame des vies…

 

 

Tête hors du monde – parmi les délices des sages illettrés – si loin, à présent, de ces alphabets que l’on malaxe pour créer des signes – et du sens – et remplir la page. Empreintes et ciel d’un autre monde. Enfance et Amour d’un seul tenant – occupant le centre de la parole jetée sans parti pris par-dessus les visages et les étoiles…

 

 

Dans leur cachot – l’écuelle débordante mais l’âme en ruine…

 

 

Derrière l’évidence de la souffrance – dans son alcôve secrète – la bienveillance veille pour réunir le poignard et la flamme – et les convertir au silence…

 

 

Miraculeux cette vie et ces visages passionnés – livrés à l’intensité de la fouille parmi tant d’étoiles et de figures endormies – et voués, tôt ou tard, à la conversion de la boue en or…

 

 

Entre soi et le mur, cet espace qui conduit tantôt à la fable, tantôt à la vérité. Les deux faces d’un même monde, en réalité, où l’exil et la solitude sont la somme des trouvailles pour maintenir l’Amour vivant…

 

 

L’échancrure du possible derrière laquelle nous nous cachons…

 

 

Le labyrinthe intime où tout devient chaos. Murs, vent et visages. Et à l’envers du visible – la soif intarissable du jour jusqu’au cœur de cette nuit inscrite dans la pierre…

 

 

Ce qui nous hante – et nous hantera jusqu’à la dernière parole…

 

 

Nous déchiffrons le désir au lieu de suivre ce qui s’impose. Episodes d’une vie mâchée sur les pages – exilée, en quelque sorte, du plus réel…

 

 

Le combat n’est qu’un leurre – une forme de marche aveugle – une épreuve inutile dans la nuit du monde et des visages. Le réceptacle tragique d’une rage jetée contre n’importe qui – jetée contre n’importe quoi – plutôt que l’écoute de cette voix au fond qui invite au désert et à l’entente…

 

 

Tout – au-delà – nous dépossède comme tout – en deçà – nous retient. Le versant du regard et des pas s’inverse. A l’image du miroir tenu à l’envers…

 

 

Rassemblés autour de ce qui veille avec les Dieux et la mort – au cœur de cette espérance si frémissante…

 

 

Au plus nu du mirage – tout vacille et se tait. La terre s’ouvre – et le monde apparaît comme l’autre versant du mensonge – l’autre face de la nuit. Et nous autres, encore si craintifs (et si émerveillés déjà), nous nous mettons à pleurer sur la crête – au milieu des cimes lumineuses qui émergent des abîmes où nous étions plongés – retenus prisonniers (depuis la naissance du monde) par l’illusion et la pensée…

 

 

Nous croyons traverser je ne sais quoi – mais, en vérité, nous nous traînons au milieu de ce que nous ignorons…

Entre le mythe, la violence et le mystère – présents déjà (d’une certaine façon) à cette absence que nous sommes

 

 

Tantôt arides, tantôt populeux – cette terre et ce temps maladifs où nous nous tenons. Loin de la veille nécessaire à la fin du sommeil – et à l’émergence du réel plongé encore au milieu des rêves…

 

 

Des marches, des mains, des asiles. Et le peu qu’il reste sous nos pas après tant de siècles de combats et de conquêtes. Un peu d’huile, peut-être, et quelques usages plaisants. Si ignorants – et si insensibles encore à cette folle étreinte qui nous attend…

 

 

Livre du premier jour à l’usage des hommes, des Dieux et des rêveurs pour que l’oubli ensoleille la honte et l’infortune – et nous plonge au cœur de ce qui meurt.

Le désir d’une étoffe qui se porterait nu parmi ceux que l’on aimerait voir vibrer au poème – et à ce grand silence posé entre les lignes…

 

 

Trop captifs des usages et des étreintes communes. Vivants au milieu des ombres – sur cette langue de terre érigée par les Dieux – à la frontière du jour et du rêve d’une autre nuit…

 

 

En soi, quelque chose comme une humanité réconciliée avec l’infime et l’infini – et avec les masques nécessaires pour affronter le monde et les circonstances – les mensonges et le refus des autres

 

 

Tout tient – la vie entière avec ses rêves, ses histoires et ses mondes – en quelques mots ; au cœur de la fosse – à l’écart – sur cette frontière, si vague, entre le silence et le plus intime…

 

 

Au cœur de ce lieu inattendu où la chambre et la réponse – le feu et la question – l’horizon et le poème – se conjuguent au même temps que les saisons – et où tout rime avec l’Amour – jusqu’à la mort – jusqu’à la peur – jusqu’au supplice des bêtes – jusqu’au buste trop fier et aux mains si sournoises des hommes…

 

 

Sur ces sentiers, tout n’est que rêve et solitude. Avec l’identité voilée par l’imaginaire quotidien. Et la réponse à tous les mystères couchée au milieu du silence…

 

 

La pluie et l’aube réenchantée se mêlent à tout ; aux routes, aux poèmes, aux mensonges, aux destins, à la grâce. Tout naît et s’enveloppe de leur désir et de leur chant – jusqu’au dernier jour de soleil sur cette terre à l’ombre démesurée…

 

 

Aux yeux des hommes, rien n’existe sans l’assise – le soutien et la circulation – du langage. Sans la propagation du mensonge – ni l’usage de tous ces substantifs censés qualifier l’infinité des fragments de ce que nous appelons le monde – le réel – la réalité.

Mais l’humanité se méprend sur la nécessité, la souveraineté et la puissance du savoir et de la parole. Simples instruments pour les esprits analphabètes – utiles seulement aux infirmes de l’être et aux invalides du silence – incapables encore de perception et de sensibilité…

 

 

Aux sources du renouveau qui se jette sur les visages – cette neige et ce silence tombés presque par hasard sur les hommes et les âmes qui, sans cesse, remettent en question l’urgence et la nécessité de l’Amour…

 

 

D’un bord à l’autre – indéfiniment – avec cette charge trop lourde sur l’âme et les épaules – à aller et venir comme si notre vie en dépendait…

Moins nécessaires, sans doute, que le pollen des fleurs – nos existences si minuscules…

 

 

Nos âmes dispersées dans l’espace – sans même quelqu’un pour s’en apercevoir…

Il n’y a plus d’yeux. Il n’y a que des larmes et des cœurs étouffés…

 

 

Tout ce qu’imagine le monde n’a davantage de réalité que les rêves – que nos vies et la mort. Une ombre – un peu de noir – qui tourne inlassablement en rond – comme un mirage – comme un vertige – dépourvu de centre, de matière et de destination…

Rien que des yeux qui bougent sur le presque rien créé par l’esprit et le désir…

 

*

 

Entre l’âme, le monde et celui qui fait (qui est condamné à faire), nous vivons. A l’égal de n’importe qui. A l’intersection des 3 sphères du vivant métaphysique : celle de l’être (l’impersonnel qui voit), celle du masque (imposé, malgré soi, par la présence de l’Autre) et celle de la nécessité (presque toujours contingente)…

 

 

La sagesse ne s’apprend. Pas davantage que la fleur ne peut faire l’apprentissage du parfum qu’elle exhale. Mais il est possible de se familiariser avec le regard – posé presque toujours sur nos âneries – ces actes au goût de peur et d’inconscience impulsés par les mécanismes du monde et l’automatisme des gestes et de la pensée…

 

 

Le plus vrai naît (presque) toujours de la douleur…

L’inconfort et l’asphyxie obligent à transcender l’obscur et les limites – à s’extirper du sommeil – à franchir les contours de son propre mirage

 

 

L’ombre ne sera jamais qu’en nous-mêmes. Et le monde, qu’une forme de miroir et de réceptacle à nos élans. Et l’invitation, bien sûr, à retourner le cri dans la gorge pour voir l’envergure de l’âme – et l’espace du dedans – et à retourner les yeux – puis à les renverser – pour découvrir en soi la possibilité de l’accueil et la vie affranchie de l’image et de la prépondérance de l’Autre*…

* Important mais pas comme nous l’imaginons…

 

 

L’âme se tait. Elle voit. Se fait le témoin impartial des élans, des agissements, des peurs et des menaces impulsés ou recensés par l’esprit. Elle ne juge pas – ne condamne rien ni personne. Elle accueille – et consent – en veillant à ce que ni la vie ni le monde n’empiètent (de façon trop envahissante) sur le silence et l’espace intérieur…

 

 

Tout vient nous dire l’impuissance du monde et du soleil – et l’inaptitude des visages – à offrir la moindre lumière – le moindre éclairage – que tout se réchauffe dans l’idée et le souvenir – mais que sur la pierre nous sommes seuls à vivre – avec nos cris, nos doutes et nos peurs – avec nos blessures et nos poignards…

 

*

 

Seul(s) au milieu de l’esprit, de l’âme et du monde. Quelque part sur la terre – entre l’ombre et la lumière…

 

 

Et qu’aurons-nous dit à ceux qui nous entourent – et à ceux qui ont tremblé avec nous au cœur de l’hiver ? Presque rien – n’importe quoi pour apaiser les peurs…

 

 

Où sommes-nous ? Introuvables en deçà de l’écartèlement. A peine existants dans ce qui tremble. Et tout entiers dans la beauté d’un geste – d’une parole – d’un poème – et dans l’humilité d’une main – ou l’abnégation d’une tête – qui offre sa présence (ou sa joie) malgré son hébétude et son incompréhension…

 

 

Immobiles – au milieu d’un reflet. Et le désir comme la mousse sur ces vieilles planches restées au dehors – sous la pluie. Perdus dans notre ignorance et notre fierté – dans ce que nous refusons de voir – et de renverser. A frissonner comme une main fébrile qui chercherait l’Amour là où nul ne peut le trouver – dans la grossièreté d’un geste – le mensonge d’une promesse. Seuls, en somme, dans cette chambre minuscule posée au cœur de l’immensité…

 

 

Si nous avions su, peut-être n’aurions-nous rien écrit. Vécu seulement à quelques encablures de la page. Avec un silence épais sur les lèvres – et l’humilité dans le moindre geste… Comme une manière de dire la possibilité du soleil parmi tant d’horreurs et d’absurdités…

 

 

Tout chante, à présent, là où nous n’avons fait que fuir. Là où la parole se donnait comme un cantique. Le silence, en quelque sorte, après le balbutiement des mots…

 

 

Pierres, pas et sang. Et ce qui, en nous, espère encore pouvoir échapper au malheur…

 

 

Peut-être aurait-il fallu épouser parfaitement le corps et tracer son histoire hors de la langue. Être présent – simplement – comme la pierre, le pollen et la rosée pour se défaire des tourbillons – exister à peine – et soutenir le ciel, le soleil et le silence dans leurs élans…

Peut-être aurait-il fallu inverser les priorités ; être avant de devenir – aimer au lieu de savoir – se poser, puis s’effacer en soi – et hors de soi – avec la même ferveur – et se faire infime pour vivre intensément – à folle envergure…

 

 

Tout blesse – et, pourtant, l’âme reste indemne. Tout s’enfuit – s’efface – et, pourtant, le plus précieux toujours demeure. Comme si nous n’avions encore compris l’essentiel – la joie possible au cœur de tous ces drames…

 

 

Mille combats, chaque jour : contre le monde, contre soi et les tentations d’être soi-même.

Ruines et clôtures. Et mille passages fermés. Et l’exigence de l’honnêteté remise à plus tard…

 

 

Un peu de profondeur au souffle – et de densité à la voix – pour accueillir la vérité dans le poème. Et se faire – essayer de se faire – le reflet de son intensité – et de sa présence légère – au cœur de notre vie…

 

 

Tout se tient, malgré soi, devant nous – au détriment de la lumière…

 

 

Tout s’agrippe – et s’amourache – le temps d’un désir – le temps d’une pluie – le temps d’une danse entre l’escalier et la chambre. Puis, tout se repose dans l’indifférence et le sommeil – l’Amour encore intact au pied du lit – et sous les frusques revêtues à la hâte…

 

 

Tout nous arrive – par petits bouts – en morceaux d’étoffe minuscules. La parole, le sens et l’explication comme des fragments de vérité à recoller ensemble sur le puzzle de la page…

 

 

Tout s’abrite sous cette chair – et dans ce crâne – jusqu’à la douleur de ceux que l’on assassine – jusqu’aux souvenirs – jusqu’aux jeux – jusqu’à l’enfance – jusqu’au désir – jusqu’à l’Amour – jusqu’à l’innocence…

Tout, en somme…

 

 

Ah ! Comme nous serions heureux si les mots pouvaient aider à vivre…

 

 

En pensée – en pagaille – tout ce qui nous sépare malgré l’espace – ou le pire parfois – qui nous unit. Cette douleur commune – et cette impossibilité à vivre en deçà – ni au-delà – du langage – dans cette infâme prison qui nous éloigne de nous-mêmes – et qui nous soustrait à toute forme de présence…

 

 

Etranger(s) aux confins, aux barbares et à la violence – et, pourtant, si embarrassé(s) face aux visages et aux mains qui ne sont les nôtres…

 

 

Il n’y a de plus belle perspective que celle qui a transcendé le combat, le refus et les exigences de l’individualité. Le défi de tout homme, peut-être, en attendant la victoire (définitive) du silence…

 

 

Entre la fleur et la tombe – ce qui survit mal à tous les départs et à toutes les naissances. Et qui pleure comme d’autres vivent sans désarroi au milieu de l’attente et de la mort…

 

 

Viendra le temps où il nous faudra ouvrir la main – sans se souvenir, sans vivre ni mourir – entre deux souffles – et demeurer immobile – impassible – au milieu des rires, du sommeil et de l’indifférence posthume…

 

 

Suivre les courants – le fil de l’eau entre la goutte et la mer. Et se laisser franchir par les vents comme le seuil de toute embellie – le seuil de toute vérité. La possibilité enfin vivante des Dieux parmi nous…

 

 

Ce qui passe sans même un regard – sans même un adieu. Ce qui gît ici au milieu des larmes et de l’ennui. Ce qui se perd à trop vouloir aimer. Et ce qui se dit dans la confidence. Comme le rythme – et la mesure – de l’éternité – malgré la vie – malgré la mort…

 

 

Derrière tout ce qui s’arrache, restent toujours la finitude – l’angoisse et la tristesse – et plus loin encore – plus enfouis peut-être – les reliquats de notre vieille éternité. Ce qui demeure au-delà de la mort – au-delà de notre légitime – et si provisoire – humanité…

 

 

Ce n’est pas nous qui respirons – mais le rêve d’une attente – le souvenir – les circonstances peut-être – et le mal que l’on se donne pour dénicher la beauté sur cette terre où tout s’enfuit – où tout périt au milieu d’une foule d’explications absurdes et inutiles…

 

 

Ramené au plus réel du vivant : le corps – et cette émotion brute – magistrale – souveraine – et sans raison. A la pointe du sommeil – et déjà ailleurs – en des circonstances (presque toujours) brutales – au milieu d’une langue muette – essayant de crier l’impossible devant un parterre de visages absents. Seul, en somme, au milieu de ce que les hommes appellent la vie…

 

 

Rien à conserver – sinon, peut-être, un peu de terre – deux ou trois sourires anciens – et cet exil sans prière d’avant le monde – d’avant les Dieux – où tout était réuni autour du feu – dans le ciel – sous la cendre – où les âmes étaient des astres – et où les hommes savaient assouvir leur faim sans mutiler les visages…

 

 

Nous avons cru vivre au fond de l’abîme. Et ce n’était, pourtant, qu’une rive sans soleil – qu’un tertre infime encerclé de noir où sur les pierres et les visages coulaient les mêmes larmes…

 

 

Quelle est cette voix qui dompte la soif – et qui se pavane – libre et belle – au milieu de la mort… Et qu’avons-nous donc abandonné pour qu’elle se refuse ainsi à notre bras…

 

 

Nous étions là où les yeux étaient plongés – quelque part – entre le ciel et le sable – parmi les vents, les visages et la mort. Cloués à cette terre autant que notre âme était loin déjà – sur ce chemin aux allures d’exil…

 

 

Ici rien ne change – entre le blanc, le souffle et le noir. Toujours la même soif – le mystère et cette candeur pour affronter les tempêtes et les incendies. Et l’herbe et les visages pris dans les mêmes tourments…

 

 

Que signifient ces signes et cet allant sur la page ? Que désirent-ils dans leur insistance ? Pourraient-ils seulement donner à voir l’inutilité du murmure – et la joie – et la lumière – qui s’offrent sans raison…

 

 

Tout a été dit déjà. Tout pourrait, néanmoins, être complété – commenté – ou achevé peut-être. Mais il se fait tard. Et le silence est déjà là – prêt à pardonner nos excès de parole – ce que nous n’avons, sans doute, qu’à peine effleuré – et évoqué sur nos pages. Notre incapacité à vivre et notre exil du monde. Nos élans absurdes. Et tous ces chants qui jamais ne connaîtront la gloire…

 

 

Ce que nous aimons n’a, peut-être, aucun nom. Une manière d’être plutôt qu’un style de vie. Une simplicité entre l’herbe, le ciel et la poésie. Quelque chose qui ne peut s’inventer…

 

 

Ce que nous n’oublierons jamais – et qui s’invitait autrefois entre les lignes du poème – entre le silence et la pauvre haie d’honneur érigée par nos mains solitaires…

Ce qui nous fuyait au-delà de l’ombre. Comme une rive – une étoile – devant des mains trop tremblantes – trop pressantes. Comme une gorge poursuivie par des bêtes immenses et des monstres hideux…

Un peu de sel, en vérité, sur le chemin enneigé. Et le rire contagieux devant les hyènes de l’infortune repoussées au-delà des murs…

Ce qui avait un visage – et que nous n’avons guère pris la peine de regarder…

 

 

Un soleil au centre duquel nous avons cru voir un miroir – une caresse – un appel. Une manière de vivre et de regarder ce qui, en ce monde, s’amoncelle. Un peu de répit au milieu des attachements, des brasiers et de la mort. Une façon de rejoindre, peut-être, ceux qui ont réussi à apprivoiser l’âme et le silence – cette dimension, si peu apparente, du ciel…

 

 

L’infructueux dialogue entre le poète et les hommes comme pour couronner l’impossibilité de dire et la folie de vouloir témoigner de l’indicible…

Il serait, sans doute, plus sage de se taire – de faire vœu de silence – pour amorcer les premiers balbutiements d’une vérité – d’une délivrance…

 

 

A la source de tout – et jusqu’à la multitude des passages où le gué restera – à jamais – infranchissable…

 

 

Tout s’endeuille de cette absence – et l’enjambement du sommeil vient, comme une sonnerie, nous rappeler la possibilité de l’homme – et raviver ces tentatives laborieuses pour y voir plus clair dans ces fossés trop sombres…

 

 

Tout a lieu d’être – jusqu’à ce qui ne peut se dire – ni même se révéler. Ce qui blesse comme ce qui s’écrit. Le savoir, les rassemblements et l’Absolu. Ce qu’il faut aller chercher derrière l’absence et les retrouvailles. Le plus simple du monde, en somme, qu’a toujours décrit le poème. La vie en sursis dans l’incertitude des heures prochaines…

 

 

Nous avons vécu – épuisé les réserves, les victuailles, la patience et l’horizon. Mains et fantômes d’un plus grand que nous à peine surpris par cet enfer – et tous ces crimes – dans lesquels nous avons plongé le monde…

 

 

Nous sommes devenus l’ignorance – et l’hébétude de ces enfants qui découvrent leurs mains, encore dégoulinantes de sang, plongées au cœur d’un amas de cadavres. Une douleur désarmée, en quelque sorte, face à tant de faiblesse et d’instincts…

 

 

Un jour, le rêve – la nuit et la mort. Ce qui se dilapide dans l’ennui et les excès. Des fresques, des lignes et des gestes. Et cette terre – tous ces continents – que s’approprient les hommes comme si seul comptait, avec la gloire, le regard de l’Autre…

 

 

Ce que nous ne sommes plus depuis trop longtemps. Et ce que nous n’avons, peut-être, jamais été. Dieu – personne – cette réalité décrite comme un mythe par tous les hommes…

 

 

Rien n’est autorisé sinon ce qui se renoue et pardonne. Le reste n’est que l’inutile qui recommence – attaché à l’espoir malgré mille déceptions et l’insuccès de toutes les sagesses…

 

 

Mortel comme l’homme, la matière, l’inconnu. L’incertain. Et l’éphémère qui gesticule dans la croyance d’une éternité…

 

 

Monde sans bord – sans repère – sans personne – sinon le séjour, la barque et la métaphore du voyage où tout devient tragédie – possibilité sans autre issue que l’expérience et le langage (progressivement) convertis en accueil et en silence – en perception sensible et acquiesçante…

 

 

Ce qui différencie l’oubli et l’infidélité ; les rites des existences livrés à l’indécision. Le doute comme seul étai – comme seul appui – à une forme d’Amour amoindri – frelaté en quelque sorte…

 

 

Tout se détache jusqu’à la peur de la mort – après tant de visages et de choses aimés – aujourd’hui disparus…

 

 

Nous n’irons plus sur la pierre où le chant n’était qu’un rêve à l’intention des fous et des âmes trop timides et hésitantes – qui n’oseront jamais s’aventurer au-delà des images et des histoires inventées par les prophètes pour effrayer les hommes…

 

 

Comment être, vivre, agir, penser et dire sans se sentir aussitôt écartelé par mille courants contraires – contradictoires – ambigus – entremêlés – sinon en se laissant aller à être ce que l’on est, à vivre ce que l’on vit et à faire ce que l’on fait – et à penser et à dire ce que l’on pense et ce que l’on dit – sans jugement ni attente – sans plier sous le poids d’un besoin de cohérence et d’unité (si souvent inepte et artificiel). Se conformer, en somme, à tout ce qui jaillit naturellement – à tout ce qui nous éparpille et nous désarçonne – et qui fonde, peut-être, notre si complexe (et si déroutante) humanité – cette forme de regard où s’emmêlent toutes les choses du monde

 

 

Tout cherche à se découvrir – et à se résoudre. Toute forme d’individualité. Et tant de réponses – et l’issue même sans doute – semblent toujours émaner de l’impersonnel – de la perspective impersonnelle que peuvent (pleinement) emboîter le regard (la perception), la présence (notre être au monde), le geste et la parole (tous nos agissements)…

 

 

Ne plus rien attendre au cœur de cette solitude et de cet effroi sinon le silence et la mort. Et la joie, peut-être, qui s’invitera après l’effacement…

 

 

Ni chair, ni sang, ni peur. Ni Dieu, ni destin. Le réel – cette puissance aux airs si graves et aux allures de blague (atroce et gigantesque)…

 

 

Rien. Un individu – mille individus – en attente de n’être personne. Un instant – un seul instant. Et le long – et incroyable – labeur qu’il (nous) faut, en général, accomplir pour le ressentir (véritablement)…

 

 

Nous aurons surgi des profondeurs avec la surface blanche – si lisse – du monde. Bêtes, hommes et choses à travers un destin trop singulier pour comprendre nos ressemblances et notre commune intimité – la source unique des différences…

 

 

Tout naît – et devient vent avant de mourir. Puis, après la cendre, le silence prend la relève – prend le pas, en quelque sorte, sur le souffle pour que se poursuive la danse – sans fin – face aux ombres – face à la lumière…

La grotte, le visage, l’eau et le soleil – ensemble – glissants – inadéquats – mais portés à durer et à coexister toujours. Pour l’éternité peut-être…

Tant pis – tant mieux. Nous ne serons, sans doute, jamais en mesure de percer ce mystère

 

 

Tout vient – très chaud – très froid. Comme un souffle – un murmure – chargé de rêves et d’élans. Les yeux prêts au combat – et les mains qui s’arment avec n’importe quoi. Des flots, des rochers, des préludes. Mille petits gestes sans importance. Quelques étincelles sur la pierre – dans l’esprit. Du courage – un peu de science pour rendre plus durable (et plus plaisant) l’exercice. Et la mort toujours pour couronner la fin des épreuves…

 

 

Tout s’avance – entre vie et mort – joie et silence – larmes et espoir – hébétude et incompréhension. Tout jaillit – mû par le besoin d’éclore et de grandir. Tout sert – et se voue à son usage – à son destin d’utilité – sans comprendre le sens du courage – ni découvrir la source des naissances et du réenchantement. Mort – et effacé bientôt – par la clameur et l’envergure d’un chant nouveau où tout s’avance encore – entre vie et mort – joie et silence – larmes et espoir – hébétude et incompréhension…

 

 

Un miroir – et des yeux pénétrants – voilà ce que nous sommes. A refléter l’horreur et la solitude – et la possibilité d’une issue hors des apparences – dans la profondeur insoupçonnée du regard et de l’esprit…

 

 

Nous sommes très souvent (trop souvent sans doute) comparables à ces crapauds près d’une mare – éblouis par le chant de quelques sirènes – de quelques chimères (des histoires de princesse et de prince charmant peut-être) inventées pour survivre à la solitude et au désespoir – et se donner l’illusion d’échapper à un destin à l’envergure de flaque – et qui poussent, leur vie durant, des coassements incompréhensibles (et inutiles) parmi les herbes – et sous un ciel – atrocement indifférents…

 

 

Nous regardons – toujours – trop haut ou trop bas – trop près ou trop loin. Jamais au bon endroit ni à la bonne distance. Les yeux trop étroits – trop fermés – trop affamés, sans doute, pour voir la justesse du monde et des destins…

 

 

Un visage pour un autre. Et mille figures encore de la même solitude. Et tant de choses à découvrir en soi pour ne plus se fourvoyer dans les apparences – et vivre l’Amour dans l’exil du monde – et parmi toutes ces têtes – toutes ces faces – ni bonnes ni mauvaises – absentes seulement – et, de toute évidence, insecourables

 

1 août 2018

Carnet n°157 La beauté, le silence, le plus simple et le lieu de la rencontre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Ce qui descend – de la gloire au sacrifice – de la rumeur au silence – de l'étoile au monde – pour confier ses rêves – et sa traque – à la route qui mène au centre de tous les lieux... 

Des lignes. Un poème. Comme un cri. Comme un chant offert au silence et à la beauté. Comme le prolongement du borborygme des illettrés…

 

 

Ce qui vient – ce qui va – le mirage de toute vie – de toute parole…

 

 

Tout en rafale – tout en chagrin – ce qui passe en éclair dans cette folie et ce sommeil…

 

 

Paroles encore – si dérisoires – dans les têtes – sur le monde et l’anathème…

 

 

La détresse à son comble. Et cette joie au milieu des éboulis…

 

 

Enracinés, malgré nous, à la même histoire – aussi vieille que les tribulations du monde…

Et l’aube, toujours balbutiante, sur ces pierres qui ont vu naître (et mourir) tant d’élans…

Et ce silence au milieu de notre boiterie, entre deux pas immuables – entre deux incendies…

 

 

Nous voyageons au cœur d’une démarche – inespérée à bien des égards. Foulées tendues vers le seul lieu vivant – perdu au milieu de l’absurde et du plus machinal…

 

 

Des sillons et un peu d’écume. Le poids du voyage et la trame du monde à traverser. Et l’âme escortant tous les convois qui s’égarent sur les routes…

 

 

Tout veille – et s’éveille au moindre désir. Les pas sont lancés vers l’horizon. Et les élans ravivent les prières et le feu. La marche devient fournaise. Et la fouille, le lieu de l’enivrement de ses propres conquêtes…

 

 

Des cérémonies et des accouplements pour que le monde poursuive sa danse…

Et nul endroit où poser l’interrogation et le mystère qui nous délivreraient (pourtant) de ces pas esquissés dans la nuit…

 

 

Des assauts – et des versants à gravir – sans connaître l’étendue sur laquelle tout s’écarte de son centre pour allumer aux frontières de petits feux sans envergure…

 

 

L’étouffement est le premier pas pour échapper à la certitude. Puis au doute se mêle le rêve de l’accomplissement. La disgrâce alors devient sensée – presque acceptable. La fouille et le voyage peuvent alors commencer…

 

 

L’émoi des premières fois – ressuscité par le rire et l’innocence – ces vertus si familières des sages…

 

 

Nous célébrons l’interrogation comme la seule promesse de délivrance – la seule nécessité pour s’affranchir du hasard et de cette brume où sont enfermés les yeux…

 

 

Un regard – un mystère à percer – pour découvrir le sens – et l’origine – du monde et du silence. Et l’Amour comme seule ligne de fuite à l’indifférence…

 

 

Longtemps l’imaginaire demeure – enserré par ses murailles. Comme un rempart à l’histoire qui se joue dans le monde et à l’intérieur. Une manière de vivre hors du plus simple – au milieu de cette jetée encerclée par la perte et la mort…

 

 

Un souffle – un éclat – un corps peut-être – à jeter dans la bataille pour remonter le fil de l’histoire – et apaiser l’ardeur du langage dans sa folie à tout nommer – à tout décrire…

 

 

Quelque chose – une entaille peut-être – comme l’inventaire des absences pour défaire le monde devenu spectacle – et étourdir ce déficit de lumière…

 

 

Eléments d’une description – de la mutation du temps. Le sable – le même soutien – dans la fausse résolution de l’illusoire. Et le théâtre de l’abandon où tout s’échine à revenir…

 

 

Le monde avec ses tours et ses crépuscules. Avec ses ombres et ses rochers. La terre des remparts et des soldats – avec leurs devoirs et leurs sacrifices. Et la mort en vagues successives qui frappe les jeux et les joueurs. La folie répugnante des préférences. Quelque chose au goût de suicide. Et le cœur si mal armé encore pour faire face aux assaillants intérieurs…

 

 

Solitaires les larmes – autant que le silence…

 

 

Présence éparse dans les rythmes du monde – et ce regard sur fond d’innocence qui, lentement, s’adapte à la folie – à l’enfer des cadences…

 

 

Dispersé autant que les danses – et ces âmes à la bouche sombre – le ciel qui nous fait croire à la multitude…

 

 

Un gouffre – une gloire – en alternance sous un ciel encore trop étoilé…

 

 

Et ces heures si noires qui abreuvent tant de soifs. Comment dire aux hommes à quel astre confier leur colère et leur effroi…

 

 

L’ombre – hospice d’une douleur aux yeux bandés où le crime et l’horreur deviennent le pouls et le pas nécessaires à la conquête…

Pauvres hommes, en vérité, qui prêtent le flanc à tous les contraires…

 

 

Emportée ici et là – soulevée quelques fois – cette tendresse écorchée par les mains des monstres retranchés derrière leur fausse identité…

 

 

Ni grève, ni sommeil. Les ténèbres de la terre. Et la pesanteur des cœurs trop révoltés. Le désir et la lassitude. Et ce qui se dérobe jusque dans la tombe…

 

 

A genoux – l’âme trop fidèle pour se rompre. Entre saut et douleur. Au côté de l’Amour…

 

 

Sang presque résigné à se répandre. Le visage penché – à flanc de colline – sur ces coteaux où vient se refléter la lune – avec le miroir des gémissements en guise de prière…

 

 

Tout est rouge dans les sanglots, les fuites et les pugilats. Et tout tient lieu de merveille tant que la misère nous est étrangère…

 

 

Sur un fil que le vent tend et balance. Et cet entrain à bâtir sur le sable et les cendres prochaines. Et ces pas qui se hâtent pour défier – et désavouer – le temps.

Bientôt l’hiver, bientôt l’été. Et les mêmes habitudes – et le même accablement à la fin des saisons. Dieu et la mort pesant de tout leur poids dans la balance…

 

 

Eraflés – à l’envers – cette racine – ce sourire – que nous n’attendons plus – devenus miettes de ciel au milieu des ombres et du sommeil…

 

 

La paix – l’invisible – la prière et le monde. Et ce jour brûlant, tel un feu – une sentinelle postée sur ces chemins que nul n’emprunte plus depuis bien longtemps – excepté quelques visages lassés par le règne de l’absence et la folie…

 

 

Portés comme la mort – comme l’enfance – ce besoin d’aveu et de confidences – et cette ardeur à résoudre le mystère. Ce que chacun respire au milieu des vivants – cette part d’éternité confiée au plus secret comme au plus infantile…

 

 

Pionniers de l’inexistence – d’un souffle que nul ne peut nommer. Un vent – une folie – sur l’herbe rouge où survivent les voyageurs – toutes ces folles équipées angoissées à l’idée de la tombe qui viendra clore toutes leurs tentatives…

 

 

Le cœur, la mort, l’Amour – et ces notes qui jubilent au moindre signe de reconnaissance. Comme le jour qui monte à la verticale du monde…

 

 

La vie – la mort – tournant à contre-sens des idées dans ces trous trop étroits pour les accueillir. Mains, têtes et ventres agrippés à la moindre aspérité – à la moindre explication. Tenus en laisse, en vérité, par le rêve et l’espoir – et le parfum si grisant de la nécessité…

 

 

Nous travaillons, comme la nuit, assis sur le plus éphémère – et la gorge criante au-dessus des ravins. Dans le désir d’une rencontre qui nous sauverait de l’obscurité…

 

 

Déchiré par tout ce qui aspire et délivre. Un pas ici depuis toujours et l’autre, quelque part – mal assuré – qui exalte la fièvre de l’ailleurs…

 

 

Nous attendons – sans écho – sans lumière – un passage vers l’autre rive. Pieds et traits dans la nuit – et l’aube déjà en bandoulière…

 

 

Ce qui respire – ce qui monte – un souvenir – une enfance – l’hiver peut-être – la ferveur d’un autre horizon – le souffle tendu vers le poème. Vivant, en somme, à l’égal de tous nos frères…

 

 

Ici, la rencontre avec l’assise incertaine. De déambulation en dérive – entre le rêve et l’épaisseur du temps – entre l’être et l’enfer. Dans le théâtre des illusions. Blessé – de flagellation en attente. Une fuite – une dérive peut-être – vers cet Amour recouvert de sommeil…

 

 

Des fleurs, un livre. Un ciel plus attendri. Un destin affranchi de la fouille. Quelque chose de plus ouvert – comme une permanence – une présence – qui demeure malgré le passage des jours et des saisons…

 

 

Devant nous, rien – peut-être les signes d’un monde ancien – l’hiver à notre porte. Le noir et l’enfer. Et le retour des vents légendaires. Mille petites choses, en somme, aux allures de fantôme…

 

 

Tout devient juste (si juste) derrière les images. La voix, comme la mémoire, est intacte – mais le temps a subi une légère inflexion – et révèle ce qui s’habite loin des mirages et du hasard. Comme une profondeur, peut-être, pour accentuer la solitude et l’innocence…

 

 

La sagesse – et le plus vaste du monde – cachés sous la rouille et le mensonge – au creux des gestes qui se livrent, d’une égale façon, à l’habitude et aux forces nouvelles – au cœur de cette perspective première dissimulée depuis toujours sous l’automatisme et la prière…

 

 

Nous aimons le bleu, les cendres et l’âme. Les pierres tachées de semence et de désir. La ronde des saisons et le centre du temps enfoui dans les profondeurs.

Nous aimons le silence, les visages, la pluie et les forêts – et ces chants, au loin, qui montent de la première aube. La langue poétique des livres posés à nos côtés. La vie simple, en somme – et la solitude nécessaire aux rencontres…

 

 

Nous comptons sur l’or autant que sur la chance offerte par les étoiles au détriment de l’étreinte qui nécessite un regard – une attention. Nous privilégions le murmure et la compagnie au détriment de l’espace et de l’accueil. Nous préférons l’écho et la musique au fond des poitrines qui, presque toujours, avilissent le silence et la beauté.

Nous sommes nés pour le feu plutôt que pour l’accord et l’entente…

 

 

Des passions – mille passions – et la répétition des gestes pour retenir ce léger bruissement des rêves à l’horizon…

 

 

Les fleurs encore invisibles de l’ Amour enraciné(es) au plus profond de cette terre – dont nous sommes à la fois composés et (presque entièrement) séparés

 

 

Donner sens – puis grâce – à ce profil couché sur le néant – au plus près de cet Absolu qui se courbe pour se laisser toucher…

 

 

Le centre unique du jour et du plus sombre. L’essentiel au-delà des murs qui empêchent le regard et la rencontre…

 

 

Nous franchissons avec trop d’allégresse – et de ferveur – ce qui nous maintient séparés – ce désir de lenteur entre les tempes. Quelque chose aux allures d’immensité…

 

 

Ballottés au cœur du monde – au cœur du poème – là où les vents dessinent une direction, mille chemins et mille précipices. Une forme de vide, en somme, que nous prenons pour un voyage…

 

 

L’écho – la lumière – quelque chose de plus tendre que ces abris de pierre. Un battement de paupières – l’envol de l’âme peut-être – qui sait ? – au milieu de la nuit et de cette écume trop blanche et trop amère…

 

 

Le regard, par degrés, dans l’épaisseur de l’esprit. Et le silence dans l’opacité du langage. Ce qui se dévoile à l’envers du temps – à rebours des siècles. Le mouvement du monde – le lieu de toute rencontre…

 

 

Nous célébrons la feuille autant que le chant, un peu fou, qui émerge de la nuit. La vie et notre manière – si inassouvie et si bancale – de nous y tenir. Le monde et la voie qui se révèle entre les lignes du poème…

 

 

La beauté de l’hiver – presque monstrueuse – au côté du silence – qui détonne si radicalement avec tous ces restes d’exubérance…

 

 

Les mots ne changent rien ; ils donnent à voir – et creusent dans les yeux le regard nécessaire au silence et à la beauté…

 

 

La joie n’est rien sans l’accueil et le partage de la douleur – sans l’étreinte des visages encore assoiffés…

 

 

Une esquisse abandonnée à la mémoire – au regard. Et quelques règles désapprouvées par le chaos. Un carnet où seul se perpétue ce qui jamais ne pourra se dire…

 

 

Douleur et silence – éternels. Et cette nuit qui gangrène autant qu’elle porte de fruits. Le sang, le bruit et la blessure sous l’immobilité et la cendre. Puis, vient l’embrasement de l’esprit – avec quelques fleurs survivantes – et un peu de charbon – dans nos mains incorrigibles – et notre ardeur inépuisable…

 

 

Sève, saison, semence. Puis, très vite, le sang, la buée et le songe. Et l’Amour – à jamais innocent – assassiné…

Comme un interminable prélude entre les larmes et le miroir…

 

 

Ce qui descend – de la gloire au sacrifice – de la rumeur au silence – de l’étoile au monde – pour confier ses rêves – et sa traque – à la route qui mène au centre de tous les lieux…

 

 

Tout jouit de notre éclat. Le feu, l’herbe, le verbe et la lumière. Ce qui se résout à vivre entre la présence et la pierre…

 

 

Des lignes. Un poème. Comme un cri. Comme un chant offert au silence et à la beauté. Comme le prolongement du borborygme des illettrés…

 

 

Partout – l’indéchiffrable et la faux – et mille signes – et autant de routes – à connaître et à apprivoiser. Et un écart à remplir entre le silence et la blessure…

 

 

Homme-oiseau – homme-Dieu – à l’âme sentinelle. Hors du creuset des habitudes et des épreuves coutumières qui obstruent le passage du possible…

 

 

Nous vivons entourés de mille frontières – repliés sur nous-mêmes. Allant d’alliance en rupture vers la source du feu – vers la source du temps – vers l’origine qui enfanta le sang, les moissons et le langage – et la nécessité du rassemblement…

 

 

Un jour, poussière – et un autre, destin. Et cette fatigue qui se prolonge sous les masques, le sommeil et la plainte. Et cette lune sur le seuil qui emplit l’espace de trop de rêves et d’espoir…

 

 

Quelque chose, parfois, se resserre. Tantôt l’appel des gouffres, tantôt la main géante d’une étoile. Prisonniers, en quelque sorte, de l’ombre – entre le noir et l’invisible…

 

 

Des rêves et des visages indifférents. Et tous ces livres – tous ces poèmes – qui tiennent lieu de promesse. Comme la main lointaine d’une aurore inabordable…

 

 

Une enfance – comme le reflet d’un ailleurs posé entre la nuit et le sommeil – au milieu des miroirs et du sang – et au cœur de cette semence qui jaillit comme un miracle…

 

 

Nous démêlons l’étreinte dans ce qui dort – le parfum du jour dans l’odeur, si âcre, de la mort – et l’innocence dans ce monde taché de trop de sang…

 

 

Une lampe – une lueur – une immobilité – une candeur – fragiles dans l’époque si sombre – si tourmentée – si féroce – où tout apparaît et se retire d’un claquement de doigts – et où les visages n’aiment que le jour artificiel et les faux soleils – toutes les splendeurs du néant…

 

 

Des saisons entre le jour et la nuit – dans ce gris qui ressemble tant à l’hiver et à la mort…

 

 

Ce qui donne naissance au sang et au soleil – cette ferveur triomphale – dont nous ne faisons usage qu’à des fins de domination sans compter ni les blessures, ni les souffrances…

 

 

Aire et chemin d’une seule joie – d’une seule lumière – où vient s’abreuver tout ce qui meurt – et tout ce qui respire encore…

 

 

Un peu de néant – porté aux nues – comme une torche grise sur les cendres – qui éclaire à peine les pas – et qui ne laisse que quelques empreintes sales sur cette terre noire – penchée – meurtrie – au bord de l’asphyxie…

 

 

Tout s’arrache comme les aveux de la dernière heure. Supplicié sur sa potence – nuque brisée et front en sueur. Et ces taches de sang dans la poussière. Et la promesse, autrefois, d’un accord – rompu par ceux qui livrent le monde au hasard – et les destins à l’impuissance et à la colère.

Tout s’irrite, pourtant, sous les blessures et l’air devenu irrespirable…

 

 

Nous offrons notre ivresse au monde qui récuse la liberté. Nous fécondons le désir de l’éphémère pour célébrer ce qui ne peut durer. Nous moissonnons l’impensable pour le livrer à ceux qui espèrent et se tordent sous leurs prières. Nous ouvrons les cages – et lançons mille paroles pour célébrer le possible et tous les recommencements…

Et les hommes, en guise de remerciement, nous jettent quelques pierres…

 

 

Exilés partout de leur propre chemin. Des pas et des dérives pour exhorter les Dieux à dessiner une issue – à combler le manque – et à relancer la question, mille fois posée, dans l’espoir de façonner un monde et une vie moins âpres…

 

 

Tristesse encore au-dessus des cortèges – comme un ange brunâtre qui survole les malheurs et le hasard – et tous ces fils de la douleur qui survivent à peine à toutes les pertes que leur infligent le monde et ses légendes…

 

 

Une poignée de jours encore pour reprendre le vieux refrain du monde – la folle litanie des hommes – avant de mourir avec, sur les lèvres, cette atroce grimace de l’incompréhension…

 

 

Nous ici – décrétant la fin des lois – le règne du vent et des chevelures entremêlées soucieuses d’ivresse et de fortune. Le monde aux morceaux recollés – réunis – et l’Amour retrouvé en nos mains agiles – en nos gestes justes – qui rehaussent ce qui a été mille fois brisé et éparpillé…

 

 

Le plus beau silence – et la plus haute joie – une fois tous les chemins parcourus et toutes les faims assouvies…

 

 

Toute la douleur des hommes dans ces pages. Et tout ce qui est permis – au-delà du tolérable. Et ce qui contemple le possible – l’absurdité, les délires et la joie. Toutes les extravagances – jusqu’aux moins autorisées. Et l’impensable aussi. Comme les marques de notre misère, de notre chance – et de notre rêve commun…

 

 

Assis – seul – dans le merveilleux des jours et l’enseignement du plus infime. A notre place – dans le monde et ce vide si méconnu…

 

 

Et ces armées de lettres – et ces assemblées de mots – muettes devant la profondeur et l’intrépidité du silence…

 

 

Nous abordons la vie avec ce chant qui côtoie la mort. Les pieds nus – la main ouverte – et l’innocence dans l’âme toujours en pagaille…

 

 

Lèvres muettes autant qu’est truculent le langage sur la page. Le sourire des affinités réservé à l’Absolu et à quelques visages. Et la dent toujours aussi dure avec l’infamie et la barbarie des usages…

 

 

Nous devinons ce qui se passe à l’envers des choses – à l’envers du monde. Tout – la trame entière – nous apparaît comme dans un livre ouvert.

Et l’on y apprend que rien ne peut combler le manque sinon le versant opposé du visible – toujours aussi imperceptible par les vivants ; l’Amour qui se donne comme l’air que nous respirons…

 

 

Ne jamais confondre l’issue et l’ivresse. Le lieu du voyage et l’exacte place du langage. L’œuvre et la vie fantasmée. Et se garder (toujours) de livrer des images pour dire ce que nous ignorons…

 

 

Une note – deux lignes – un poème – pour dire ce qui nous ampute et nous abrège – et ce que la mort ne peut emporter…

 

 

Echoué encore ce bel Amour au milieu de la nuit. Imité – vilipendé – mais toujours indemne de nos rumeurs et de nos actes…

Et si impatient dans la rondeur perfectible de l’œil aux aguets…

 

 

Un désert, un soupçon, une étreinte. Et la joie qui demeure malgré la solitude, le déni et le manque…

 

 

La persistance de la langue – l’obsession du pas et du poème – à jamais la marque de la misère sur l’irréversible – et quelques empreintes inutiles laissées en héritage…

La métamorphose du pire, en quelques sorte, dans l’antichambre de l’attente…

 

 

Rien jamais ne s’achèvera sinon l’écart entre le réel et l’imaginaire – entre le monde et le regard – entre le silence et le langage. Quant aux gestes, ils continueront – quoi qu’il arrive (quelles que soient les découvertes et les épreuves) – à faire ce qu’ils ont à faire

Le quotidien sera toujours ordinaire – mais, une fois l’écart comblé, il sera vécu dans la joie et le merveilleux des retrouvailles…

 

 

Tout est souillé déjà avant de naître. Et vivre ne consiste qu’à retrouver la grâce d’avant le monde – et à l’éprouver jusque dans la fange et l’abomination…

 

 

Entre ciel et gouffre, le tournis – le vertige – et l’habileté des pas sur leur fil…

Et au fond des fossés, la mort comme seule espérance…

 

 

En ce monde, tout s’apparente au sommeil et à la nuit. Et toutes ces âmes si proches, pourtant, du jour qui se lève…

Instruments équivoques de la torpeur et des incendies…

 

 

L’issue se trouve toujours au lieu exact de la rencontre – au cœur même de l’étreinte…

 

 

De la sueur, des petits riens. Son lot de peines et de débâcles. Et si vaillant, pourtant, à pousser sa charrette sur les chemins…

 

 

Nous sommes l’ivresse et la glaise. Le vent et le nom que l’on donne à l’Amour. Nés dans cette pauvreté du vivre – à l’égal des Dieux, du matin et de la poésie. Damnés, en apparence – mais voués, en réalité, au sortilège comme à la possibilité de la grâce…

 

 

L’évidence d’une vie pour un seul instant d’émotion – dense à tout renverser

 

 

Il faut céder ; sa place, sa tête, sa fortune – et baisser les yeux pour goûter à la nudité de la lumière – aux joies de la solitude – et au feu du dedans qui vagabonde, partout, dans le monde et le poème. Se faire vent – et devenir le geste – par lesquels tout arrive et s’enchaîne…

Le lieu, en somme, où tout s’éprend et se donne…

 

 

Le silence en lettres d’or sur l’invisible. Comme l’espace (enfin) rendu au monde…

 

 

Un désert, de l’écume et cette soif qu’aucune étreinte ne peut apaiser…

 

 

Il y a des rêves et du vent – et des siècles sans importance – de ce côté du mur. Et de l’autre, rien ; le silence et le vide – et l’incertitude du monde. La vie offerte et la lumière qu’aucune ombre ne peut ternir…

 

 

Il y a des vies (la plupart) qui ressemblent à des images. Et quelques-unes dont on devine la profondeur et la densité ; la marque du silence sur l’âme et les traits – si tranquilles – si apaisés – du visage…

 

 

Nous écoutons – impuissants – la vie plaintive sur tous les champs de bataille créés par le monde – et amplifiés par la sauvagerie des hommes qu’aucune main – qu’aucune larme – ne pourrait réconforter…

 

 

Tout frémit – jusqu’aux os – jusqu’au sang – jusqu’aux visages – jusque dans l’âme des plus absents

 

 

Un poème sans mémoire pour dire ce que ni le langage, ni l’imaginaire ne peuvent inventer – une innocence plus haute que les étoiles et la douleur. La seule consolation, peut-être, pour les hommes plongés dans l’immensité de leur nuit…

 

 

Tout est regard, en vérité. Le lieu de la rencontre où se sabordent le rêve et l’illusion pour une plus grande fraternité…

 

 

Et cette voix au-dedans du sang qui n’aspire qu’à l’Amour – et à le répandre sur les blessures et les blessés – sur toutes ces âmes arrachées à la lumière…

 

 

L’enfance nue se tient aux côtés de l’aurore. Dans cette joie timide du regard qui atteint l’Autre dans sa chair…

Comme le rêve d’un jour – et d’une réconciliation avec ce qui nous a enfoncés dans le sommeil…

 

 

Tout flotte comme par magie dans la buée – jusqu’à ces vies si soucieuses d’un autre monde – d’une autre terre…

 

 

Ce qui se dénude – et s’arrache – comme une ombre dans l’âme – inutile et porteuse de tant de misère…

 

 

Nous sommes. Ainsi passe la vie – à travers ses danses et le moins intense des continents. Ciel et poussière. Herbes et vent. Et la respiration compromise dans ces excès de temps…

 

 

Les rêves portent les fruits du malheur que sucent toutes les lèvres endormies. Et les dérives portent l’écume et le mirage si haut que nos mains cherchent dans les vents l’assise nécessaire à leur poursuite. Ainsi s’étoffent – et se précisent – la fin des siècles et toutes les peines de l’inassouvissement…

Homme et âme dissociés dans leurs tourmentes…

 

 

La lutte et l’enfermement pour que se dresse le plus inutile des passions. Le destin abandonné à la torpeur et au sommeil. Et le visage de l’Autre posé toujours comme un obstacle…

 

 

A vivre de rien – et à travailler à la fortune des fleurs. Larmes sur le long ruban rouge né de tous les crimes. Le poète – en son exil – sème le sel et le chant pour que vivre émerge de la boue et du sang – et sauver ceux qui s’abandonnent (encore) aux lames et aux faux soleils…

 

 

Au centre de tout ce que cache la poussière. Le meilleur du monde – et l’inespéré que voilent nos chimères. De victoire en défaite – et que ressusciteront tous nos défrichements. Comme une vie consacrée au labeur inégalable de l’effacement…

Ainsi l’enfance deviendra éternelle…

 

26 juillet 2018

Carnet n°156 L’autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Nuit, sang, étoiles. A jamais le décor – et le destin – de l’homme. Une existence entière vouée à l’espoir et aux tremblements…

Nous autres, en haillons, à regarder la mort tout saisir – et tout emporter – jusqu’à nos dernières guenilles – jusqu’à nos masques inaptes à nous protéger…

Mirage et miracle – ce jardin avec ses fleurs, ses privilèges et ses abris. Avec l’alliance – toujours aussi vivace – entre les ombres et l’absence. Et ce besoin d’Amour et de liberté si vif – si criant – au fond de la gorge…

 

 

Obstiné – silencieux – devant la fenêtre – plongé dans cette attente incrédule de tout ; de la fin du monde, de la fin du temps et du sang versé – et de l’innocence peut-être – à savourer (naïvement) ce mirage comme s’il était plus rassurant que le réel…

 

 

Assis en tailleur – avec, sur les lèvres, cette brûlure à la saveur indéfinissable – faite de manque et de sel. Comme un versant du monde entièrement occulté. Et de l’autre côté du mur, les effluves de la plus haute sensibilité. Et, ici, l’absence (presque impardonnable) – et ce besoin viscéral d’un Amour plus grand que la bassesse et le merveilleux qui nous entourent…

 

 

Absence encore – exil et recul parfois – devant tout ce qui ruisselle. Et la honte d’être un homme parmi les vivants qui submerge les veines – derrière la vitre qui nous sépare du monde – de sa fange et de ses malheurs…

 

 

Percé de part en part par la peur d’aller – et de vivre – dans cette nuit insensée – et, pourtant, célébrée par (presque) tous les hommes. Réduit à la posture de l’oiseau perché sur un fil – sur la branche la plus haute d’un arbre – dont le regard survole tous les jeux (si sordides) du monde…

 

 

Nuit, sang, étoiles. A jamais le décor – et le destin – de l’homme. Une existence entière vouée à l’espoir et aux tremblements…

 

 

Nous autres, en haillons, à regarder la mort tout saisir – et tout emporter – jusqu’à nos dernières guenilles – jusqu’à nos masques inaptes à nous protéger…

 

 

Mirage et miracle – ce jardin avec ses fleurs, ses privilèges et ses abris. Avec l’alliance – toujours aussi vivace – entre les ombres et l’absence. Et ce besoin d’Amour et de liberté si vif – si criant – au fond de la gorge…

 

 

Et cette clarté un peu folle que l’on voit rayonner derrière le gris du monde et des visages. Et ces arrière-cours en deuil – en larmes – devant la mort qui arrache, un à un, ceux que nous aimons.

Le destin des pas. La survivance malgré l’usure et la fatigue. Les défaites qui s’entassent dans les poches et les besaces vidées, peu à peu, de leur or. Le sommeil et l’obstination des voyageurs. Et la voix de cet enfant, en nous, qui appelle – qui crie peut-être – au milieu de l’hiver.

L’innocence bafouée. Et l’infortune des bêtes et des têtes que l’on sacrifie pour faire tourner le monde.

Ah ! Que notre peine est grande à vivre au milieu des vivants…

 

 

Le froid et le silence au terme de tous les voyages. Et ces existences – toutes ces existences – aux allures d’impasse. Comment ne pas être bouleversé par cette dimension si illusoire de la vie et de la mort…

 

 

Quelque part – en des lieux incertains (et, sans doute, moins cruels) – une chose nous attend – mille choses peut-être – l’Amour, l’enfance, un poème. Des siècles – un instant – de joie et des retrouvailles. L’innocence d’après la perte. Le jour qui se lève. La vie enfin libre – démaillotée – affranchie des tremblements et de la barbarie. Et une traversée sûrement plus sage (et plus sereine) des circonstances…

 

 

Quelque chose – à peine un murmure. Une ombre – un souvenir. L’attente d’un jour nouveau. Le reflet de la lune – d’une enfance lointaine. Un mot – un poème. Presque rien qui s’attarde au fond de nos têtes…

 

 

Sauvage encore au milieu des visages. Plus près du gris et du silence que du soleil et des rires qui naissent de la fréquentation des foules. Farouche – craintif – et moins seul parmi les arbres, les pierres et les bêtes. Amoureux de ces rencontres glanées au hasard des chemins buissonniers…

 

 

Petits pas légers – presque des sautillements – dans cette foulée lourde et grave. Poèmes et visage austères. Lignes et corps denses – telluriques – rocailleux. Et cette joie qui ne sait pas toujours où se poser…

 

 

L’invention d’un langage qui ne doit ses trouvailles qu’au silence…

 

 

Personne ne nous attend. La parole livrée au monde n’est offerte, en réalité, qu’à ce qui demeure muet et sans exigence au fond de l’âme…

La main court – les mots s’impriment – et se déversent parfois – sans l’appui d’un effort – sans l’ambition d’un regard.

Tout s’exacerbe hors du sommeil. Le temps se rétracte – se dilate et disparaît. L’autre versant du monde se découvre – et se rencontre. La solitude est habitée – autant que la joie. Les pages se tournent. Le poème s’écrit – le poète célèbre et destitue.

L’âme s’exerce à l’immobilité dans la course.

Tout s’exalte – puis retombe en jachère…

 

 

Vivants aux pieds de plomb et d’argile.

Fuites et voyages. Délices grossiers du corps et du langage. Et lèvres frémissantes – complices des épreuves.

Un peu de noir – un peu de nuit – dans l’exercice acrobate – sur ce fil suspendu entre l’herbe et le rire – entre la vie et ce que les hommes appellent l’infini.

Un peu d’ombre – un peu de sang – dans la lumière de la chambre – sur la page qui s’écrit à l’abri des hommes – à l’abri des jeux – à l’abri des Dieux.

Impersonnel(s), en somme, malgré toutes les dérives. Et si seul(s) au cœur de l’hiver – au plus près de cette source que fréquentait notre enfance…

 

 

Le temps et les couleurs donnent au monde, aux pierres et aux visages la souplesse d’un décor – et ce poids dans les têtes qui s’imaginent plus éclairées. Des mots, des lampes, des pas. Quelques sauts minuscules, en somme, pour tenter de vivre sur ce géant à l’envergure silencieuse

 

 

Un passage, un écran – mille écrans – et autant d’obstacles. Et quelques peines ajoutées à la débâcle. Et cette chair sans cesse violentée pour (nous) prouver que nos paumes – et que nos âmes – sont vivantes. Comme une marche – pieds nus – sur les braises d’un feu très ancien. L’illusion d’un spectacle et d’une traversée pour tenter d’offrir un peu d’épaisseur à notre vie – et la faire peser (de tout son poids) sur l’histoire en cours et le destin du monde…

 

 

Rien n’arrive, en vérité, sinon la déchéance et l’effacement. Le regain du recommencement et de la fin. La petite ritournelle des pas, des chants et des idées dans un monde sans surprise. Un peu de vie – et quelques riens – qui ne laisseront aucune trace sur ce qui ne peut être ni construit, ni démontré…

Et comme tous les hommes, nous aurons essayé. Et ce qu’il restera de nos œuvres – de nos tentatives – ne résistera pas à la première pluie…

Longue est la liste des morts qui ont voulu, agi et vécu comme veulent, agissent et vivent les vivants d’aujourd’hui. Et que reste-t-il de leur labeur – de leurs efforts – de leur furtive traversée ? Quelques briques provisoires et mal empilées (forcément provisoires et mal empilées), une ou deux lignes dans les manuels et les anthologies, quelques dates parfois mémorables (il est vrai) – quelques inventions primordiales pour les hommes – mais si anodines à travers les siècles et au regard de la grande histoire du monde – un simple décor, en somme, éminemment passager – comme le contexte toujours changeant, et sans cesse remplacé, des existences – que viendront parfaire, puis détruire toutes les générations suivantes…

Et, pourtant, une autre vie est possible – hors des arènes du monde – hors des arènes du temps – en ce lieu où les idées n’ont plus cours et où la magie s’est invitée – dans cette rencontre (encore improbable) entre la part la plus grossière et la part la plus invisible du réel…

 

 

Un pardon – et tout est envisageable. La vie, l’effacement et le songe. Le poème, la marche et l’enfance. La neige et le silence sous les paupières dessillées. La parole d’un autre temps. Le lieu de l’impossible qui rend si probable la réalisation de tous les possibles. Une lampe – une simple lampe – sur le sable noir où nous croupissons…

 

 

Nous avons soif d’un autre chant – et d’un peu de lumière – dans notre si vieux gémissement…

 

 

Tant de néant, de paresse et de désinvolture – et dans cet enchevêtrement, une promesse – une lumière qui nécessite un retrait – un exil – un écart où glisser le regard et le langage – le monde et le poème…

 

 

Un fragment de chemin – et un peu de lumière – offerts à la poussière – et à ce qui veille discrètement – presque secrètement – en son cœur…

 

 

Tant de traces aujourd’hui disparues. Comme des pas sur le sable. Comme tous ces jours vécus sous la tutelle du temps et le joug de l’horizon…

 

 

Humble – et l’âme portée à tous les voyages et à toutes les faims (et les plus nobles en particulier). Assis sous le regard des puissants et de ceux qui savent – qui prétendent savoir – avec la mine boudeuse – recluse dans sa honte et son ignorance – mais le cœur si vaillant encore face au défi de connaître…

 

 

Quelque chose encore – toujours – se révèle à travers nos dérives, nos voyages, notre faim. Comme un espace sous la peur. Une envergure dans le sang. Une folie à contre-jour du temps. Un peu de joie – une caresse – une attention – oubliées au milieu de nos aventures…

 

 

Nous avons l’âge du temps, du feu et des rencontres. Nous avons l’âge du ciel, des jeux et des rêves. Nous avons l’âge des Dieux, de l’oubli et de la première étreinte qui dure encore…

 

 

Aujourd’hui tout s’enfuit – jusqu’au rire – jusqu’à la mort qui patiente sous la chair – et jusqu’au présent, depuis trop longtemps, tombé dans l’oubli. Ne restent plus que quelques lignes – un poème – pour pardonner le monde – et apprendre à aimer…

 

 

Nous n’aurons emprunté, en fin de compte, qu’un modeste chemin – et prêté l’oreille qu’à une écoute déjà existante avant la naissance du monde. Nous n’aurons réalisé que quelques tours dans notre cage ouverte – dans la poussière de notre cachot – les yeux collés au monde comme à la solitude. De dérisoires foulées, en somme – presque endormies – au milieu du silence…

 

 

Nous sommes morts déjà mille fois – sautant de l’aube à la tombe – de la tombe au silence – puis du silence au renouveau – la tristesse serrée contre le corps – les rêves et la faim cousus au revers de l’âme. Comme des ombres au cœur du vide – allant d’étoile en étoile – poussées tantôt par les vents, tantôt par la beauté des visages. Yeux fermés et mains tendues vers le premier sourire rencontré…

 

 

Nous n’avons choisi ni la blessure, ni la tristesse, ni le silence. Et notre vie n’aura servi qu’à de vaines cérémonies – sous la contrainte de l’homme – sous la contrainte du monde. Berceau d’un chant qui n’aura su se défaire des yeux, des masques et des désobligeances. Des années – tant d’années – consacrées à l’entretien des jours – jamais à la découverte, ni à la réparation de l’essentiel. Comme un modeste passage – un immense gâchis. Une effroyable perte de temps, en somme…

 

 

Nous naissons au monde les yeux grands ouverts – parsemés d’étoiles étranges et de cette lumière ancienne qui n’aura su nous affranchir de ce retour…

Orphelins depuis toujours, nous cherchons à travers mille itinéraires, le regard du père et la tendresse de la mère que nous avions cru embrasser dans notre enfance. Et c’est cette faim – dessinée dans tous les livres et sur toutes les cartes du monde – qui nous pousse au voyage…

Et l’impossible est à la mesure de notre quête et de nos sanglots – et de cette peur de faillir encore – d’errer mille fois supplémentaires sans réussir à étendre la main sur cette aube si belle – si mystérieuse – si étrangère…

 

 

Ce que tu regardes et ressens, donne-en la substance – jamais l’interprétation…

 

 

On se bat – et se débat – sans jamais se livrer. Et on finit par étouffer sous mille couches de craintes et de sang. Comme des remparts contre le rire et l’enfance – contre l’abandon et l’innocence. Toute une vie, en somme, à œuvrer à cette mort à petit feu

On se bat contre le monde – contre le temps – on se débat avec le monde – avec le temps – contre et avec ce que l’esprit et la mort, un jour, finiront par effacer…

 

 

Rien ne laisse indemne – et, en particulier, cette soif d’une autre vie

 

 

On cueille le monde, les arbres, les fleurs – et jusqu’à la beauté des visages. On cueille la vie en blessant l’Autre – en réfutant sa douleur et son existence. Et chacun s’émerveille de ces mille petits trésors amassés à la pelle – et remisés au fond des tiroirs – en se croyant autorisé à jouir de ses acquisitions – de ses privilèges. Mais nous oublions l’essentiel ; le respect, la gratitude et la retenue nécessaires pour prélever – et faire usage de – ce qui ne nous appartient pas…

 

 

Né(s) pour entonner un chant – et offrir une lumière – restés coincés au fond de la gorge. Allant de piètre découverte en piètre amoncellement – dérivant, avec toujours moins de résistance, sur les eaux tristes du monde – dans cette brume qui nous cache la simplicité – et la beauté du silence…

 

 

A petits pas lents – à l’exact endroit où est née cette source qui enfanta le monde – qui, étrangement, nous en éloigna au fil de siècles de plus en plus inquiétants…

 

 

Nous avons lu mille livres – mille poèmes. Nous avons écouté la voix des lettrés, des savants et des sages. Et, pourtant, reste en nous cette soif – et cette intranquillité à vivre au milieu de tout ce qui change – et que nous ne comprenons pas. Avec cette oreille de plus en plus attentive à ce qui s’approche – et de plus en plus sensible aux murmures, si précieux, du silence qu’il nous faut apprivoiser plus encore…

 

 

Une ardeur persiste au milieu du monde – au milieu du temps. Au milieu des livres et des signes de sagesse. Une ardeur persiste en dépit du calme et de la solitude. Comme un allant à vivre encore au-delà du silence…

 

 

L’imperceptible toujours entre la nuit et ces traces qui s’évertuent à se frayer un chemin vers le jour…

 

 

Rien d’inquiétant en ce désert. Le murmure d’une autre langue et d’un autre ciel. Le silence dégagé des frontières de ce monde si paresseux et gesticulant…

 

 

Le feu, l’instant et la rencontre. Comme un éblouissement à travers ces livres – ces lignes – rassemblés en un seul geste pour devenir ce frôlement à l’envers du ciel – à l’envers de l’âme – à l’envers des choses. Cette joie enfin libre qui acquiesce à l’écume et à la mort – aux finitudes ignorantes – au monde et à la violence de ces mille petits riens qui blessent encore la chair et nous empêchent de rejoindre l’origine – l’aire commune de toutes les enfances

 

 

Une parole, un visage pour dire l’impensable – les privilèges de l’homme et l’abandon à toute forme d’étreinte. L’encre et le geste pour sceller la joie dans tous les cercles éphémères. Quelques feuilles – un silence – comme la preuve que la vie – l’autre vie – est possible dans cette existence où rien n’a d’envergure – où tout disparaît. Et un souffle encore après la mort pour réinventer la clarté nécessaire au salut de l’Autre – au salut du monde…

 

 

Avides de mots et de rencontres – avides d’un autre monde et d’une autre lumière – présents ici même où tout – chaque visage – chaque existence – se mêle au gris et à la poussière. Ombres à peine – brûlées par ce feu – par ces pas – que tout habite et qui ne laissent, pourtant, qu’un peu de cendre à leur départ. Scellées ensemble dans le souvenir de quelques survivants et dans l’âme de ceux qui poursuivent leur voyage après la mort…

 

 

L’autre vie au-dedans de celle-ci où tout ruse et s’épuise. Et cet Amour plus grand que notre faim pour que nous puissions rester ensemble – indemnes et invaincus par la violence et la maladresse – par les outrages, les circonstances et la mort – par toutes ces folles tentatives de séparation – inutiles – si inutiles – devant l’étendue du silence…

Un – multiple – changeants et inchangé – au-dedans du même visage…

 

 

Nous peinons à durer – à rester assis sur ces pierres froides – à contempler en silence l’aube qui vient – à se fondre avec modestie dans les paysages – à saluer le jour qui monte – la nuit interminable – à acquiescer aux jeux du monde – le cœur, peut-être, trop éloigné de l’âme pour remercier l’eau, le feu et le sable – et le bruissement des choses – venus, comme le langage, pour nous aider à vivre…

 

 

On reste, on se perd, on se retire avec ce léger tremblement dans la voix qui trahit notre crainte des adieux…

On cherche, on insiste, on s’obstine dans la croyance d’un lendemain – dans la possibilité d’une issue…

 

 

Sentier d’hier où l’on guettait un signe – la preuve d’une embellie – le règne de la splendeur sous les courants et l’attente. Un peu de joie, peut-être, dans cette façon de nous tenir inquiets devant ce qui recule – et se défait – malgré le labeur acharné de nos mains façonnantes et protectrices…

 

 

De l’écume – quelques traces du passage. Puis, le noir – le sable où tout s’enlise – où tout s’impatiente et agonise. Rien – le feu, l’éclair et l’instant n’auront, peut-être, été qu’un rêve…

 

 

Au-dedans, comme éteintes, ces voix qui, autrefois, nous appelaient pour nous inviter à choisir une pente – une sente. Muettes à présent. Défaites, peut-être, comme notre vocation à jeter un peu d’encre sur le monde. Le ciel et la braise trop proches, sans doute, pour offrir une parole…

 

 

D’ombre et d’étreinte – ce que nous sommes – au fond de notre cri. Et le silence après la honte et le pardon. Quelque chose comme un feu et un regard – un mélange – une sorte d’entre-deux au milieu de la peur et de l’absence – au milieu du jour et du sommeil…

 

 

Chaque jour – mille mots supplémentaires – riche(s) de rencontres et de signes de lumière et de partage. A dire l’invisible penché sur notre âme et notre labeur. A dessiner un chemin, une parole, un soleil – et mille silences encore incompréhensibles. Ce que nous attendons comme ce qu’attend le monde, peut-être ; le secret livré sur nos pages – une terre, un visage, un ciel – et ce que nous deviendrons après la mort…

 

 

Tout recommence sous le feu obscur des saisons. Le temps, la pierre, l’écorce. Le monde et les voyages. L’ivresse du jour attablé parmi nous – au cœur du silence…

 

 

Gestes et regard d’une seule présence – d’une seule immobilité. L’ombre – mille ombres peut-être – et toutes les déclinaisons du sommeil…

 

 

Demain – un autre jour possible sur l’échelle du temps. Fragment d’un voyage où les seuls mouvements sont celui de l’éternité qui dure – et celui de notre pas pour la rejoindre…

 

 

Invisible dans l’infinité des gestes – ce regard dans lequel tout s’emmêle.

Une manière de rire de ce qui s’effondre et se retire. Une manière de vivre au milieu de la mort.

Comme un éclat – une lumière – qui scintille dans le noir et le sommeil. Le seul soleil, peut-être, dans ce long hiver – dans cet étrange rêve qui dure… 

 

 

A côté de soi – peut-être pour toujours. Perdus – magnifiques, en somme, dans le vertige de vivre…

Submergés par tant de sensations et de sentiments qu’il nous est impossible de comprendre…

 

 

Sans cesse nous convoquons ce qui ne peut nous visiter. Comme une ombre qui appelle la lumière pour survivre encore un peu…

Nous épousons le nécessaire – le frémissement d’un désir – l’appel d’un visage – et de quelques lignes, peut-être, sur la page – pour aller moins seul(s) – et moins triste(s) – sur cette rive sans Amour…

Nous travaillons à l’infime pour que nous éclabousse l’infini. Ainsi rêve le presque rien pour que se révèle, à travers ses gestes et quelques paroles (longuement mûris – et jetés pourtant à la hâte sur les hommes) le plus invraisemblable…

Fidèle(s), en somme, à tout ce qui passe. Dans l’évidence d’une multitude sans visage – et dans la proximité de têtes trop fières, sans doute, pour être du moindre secours.

Seul(s) pour préserver ce qui peut l’être – et ce qui se porte comme un secret au fond du cœur. Marchant à même le sol – sans aile – sans Dieu – sans parure – nu(s) au milieu du monde à livrer ce qui ne peut encore être entendu…

 

 

Tout s’enfuit – ailes devant. La chair, le monde, la vie. Jusqu’à la mort. Jusqu’à la parole des poètes. Comme l’incidence du jour sur le feu et les tourments…

 

 

Nous sommes là encore – avec un sourire et une fenêtre à la place des étoiles. Et ce désir si étrange de vivre…

 

 

Nous avons chanté – et retenu la soif pour avoir l’air aussi nomade(s) que les voyageurs. Nous avons prié à l’ombre des grandes idoles et des plus hautes vertus. Et, pourtant, rien n’a changé ; ni l’ombre, ni le feu. Le désert et les flammes où se vivent toutes les aventures – toujours aussi vivaces…

 

 

Une fable – mille fables – et autant d’âmes perdues, de paupières fermées et d’objets à acquérir. Et édifiés au cœur de la maison, ce grand totem et cet épouvantail pour célébrer l’avenir de l’homme et l’effroyable pillage du monde…

 

 

Nous aimerions vivre au-delà de l’homme – au-delà du temps – loin des cages du monde – dans cet après respectueux et réparateur – affranchi des mélanges et de la mêlée…

 

 

Le vent dure autant que nos yeux, les blessures et les cérémonies. Et tout s’aggrave, pourtant, au cœur de ce monde rivé à la mémoire…

 

 

Un pays, un vent – ce qui se tient sous le pas. L’itinéraire d’une attente. La transformation des questions et de l’angoisse en quiétude perceptive. Le sort des visages. Le destin de toutes les fouilles. Et quelque part, la conviction d’un possible – d’une issue à toutes ces empoignades pour donner à nos vies un peu de repos – le répit nécessaire à l’expérience de l’Amour…

 

 

Nous osons vivre alors que tout est perdu d’avance. Nous allons – enjambons – et édifions malgré le règne implacable de la chute et de l’effacement. Et, malgré cette défaite permanente, nous désirons encore – comme pour survivre à l’impuissance et à la perte…

Vivants, malgré nous – et nous initiant à toutes sortes d’expériences. Comme une longue préparation – un apprentissage laborieux – nécessaires pour découvrir ce que nous devinons déjà, entre deux aventures, dans cette folie qui emporte tout…

 

 

Il n’y a rien de l’autre côté ; la même vacance – les mêmes voix – et la même douleur de ne pas savoir. Tout est inconnu – et se glisse dans le sommeil et le langage. Des jeux et des yeux qui nagent entre les eaux du monde et le silence. Quelques cris, quelques chants et de vagues prières pour destituer la nuit. Rien, en somme, qui ne vaille d’être vécu…

Ce que nous cherchons est à même le pas – à l’envers du regard – à cet instant privé d’après et d’autrefois. La vraie vie est au milieu du songe, des idées et des images. Et le présent et l’incertain au cœur des impasses et des impératifs de tout voyage…

 

 

Quelque chose en nous – un espace peut-être – accueille – et pardonne – l’absence et les excès – la rage et la tristesse – et jusqu’à notre incapacité (ou notre impossibilité) provisoire à le découvrir – et à nous y abandonner…

Rien, ni personne n’est nécessaire pour le trouver. Et chaque expérience fait grandir en nous le désir de le rejoindre…

 

 

Néant et abîme au-dedans et au-dehors – emplis de fables et d’efforts pour tenter de faire face au vertige – à cet infini, à peine, deviné…

 

 

Le silence et la tendresse n’ont besoin de notre vacarme – ni de nos désirs, ni de nos élans. Le monde même n’est nécessaire. Être (leur) est déjà bien suffisant…

 

 

Ces milliards de respirations et de rythmes simultanés – comme le souffle unique et le mouvement permanent de ce géant que nous sommes tous ensemble – tantôt merveilleux, tantôt monstrueux – et, si souvent, déchiré et écartelé – selon la direction et les pas – mais toujours lui-même – égal à ce qu’il est – devenant – tentant de devenir peut-être – ce que nous sommes nous-mêmes en nos regards additionnés

 

*

 

La poésie est l’intime porté à l’universel – l’infime porté à l’infini – et la boue et le mystère de vivre portés au sublime. Le plus exact endroit de la grâce, en somme…

Le regard poétique – lorsqu’il sait se montrer juste et sage – et presque entièrement impersonnel – est, sans doute, le lieu le plus proche de la vérité

 

*

 

Tant de vies et de visages – et pourtant, partout, l’évidence de la solitude et de la mort…

 

 

Tout est pris et assiégé – jusqu’aux plus humbles – jusqu’aux visages les plus effacés…

 

 

Tout se retire – et nous retourne – pour tenter de nous faire découvrir la couleur du jour gravée à l’envers du monde. La nuit première – lorsqu’elle était encore claire – éclairée peut-être – vierge de rêves et d’étoiles…

Mais la terre s’est emparée de la blessure, de l’espace et du souvenir. Et, aujourd’hui, il ne nous est (presque) plus possible de l’imaginer…

 

 

Nous vivons (croyons vivre) sur quelques pierres – polies avec patience – pour y déposer notre souffrance et notre infortune – et y bâtir quelques édifices pour conjurer le malheur. Mais les yeux ont tout dévisagé – et les mains tout défiguré. Et le désir d’un autre monde – d’un autre destin – a fini par se briser. Ne restent plus que le rêve et le souvenir – et cet espoir encore si vaillant d’une impossible aventure…

 

 

De pierres et de braises – cette ardeur mystérieuse au milieu des miroirs et de la poussière qui nous pousse à nous attarder (encore un peu) malgré la certitude de la fin…

Le piège et le chemin à découvrir. Des arbres et des voix qui nous interpellent. Le sommeil et ce désir, si puissant, d’échanger ce qui tremble contre un peu de rêve…

 

 

Le vide se révèle à l’issue du chemin – derrière le miroir brisé – sous le peu qu’il reste à nos pieds…

 

 

Nous ne connaissons que la solitude et le rêve d’un ailleurs – que nous espérons plus vivable. Et nous nous y accrochons, faute de mieux – la bouche tordue par la peur et la souffrance de cet entre-monde…

Nous naviguons – presque sans carte – au bord de l’innocence – aux frontières de cette enfance promise – sacrifiées pour une gloire inutile – désuète – meurtrière et sans valeur.

Nous aimons ce qui nous rassure – tous ces yeux, toutes ces mains et tous ces corps qui offrent leur réconfort. Nous vivons dans une forme de mendicité permanente. Et nous nous en remettons à la chance pour échapper à la violence et à la douleur. Infidèles, en somme, à ce qui nous constitue – si éloignés encore de l’espace, de l’Amour et de la lumière – et, pourtant, au cœur déjà de ce qui nous hante depuis le commencement du monde…

 

 

Sang et chemin sans rédemption. L’œil et le poème abandonnés à l’ardeur, au refus et à la révolte – livrés au désordre et au chaos. Désirs inassouvis – en larmes – entre la pierre et l’infini – aboyant comme de beaux diables sur tout ce qui traverse nos vies – sur tout ce qui traverse le ciel. Et le silence foudroyé – remisé au fond de l’âme – au fond de la parole – au fond de l’oubli…

 

 

De remparts et de brume, toutes ces créatures au cœur enfoui – indigent – si proches du mensonge et de l’illusion. Opaques jusque dans leurs tréfonds. Et à l’ignorance, pourtant, si pardonnable…

 

 

S’effacer encore – comme la page accueille l’encre et la parole – comme l’espace accueille le bruit, la neige et l’ignorance des visages…

 

 

Temps, rêve et absence inventés (peut-être) pour survivre à cet effroi d’exister…

 

 

Nous aurions aimé plus de rires et d’aventures – plus d’extases et de joie – dans notre vie – dans cette longue (et douloureuse) dérive…

Mais qui peut se targuer de pouvoir inventer son voyage…

 

 

Ecartelés – sans tête ni foi – entre la déchirure et le miracle…

 

 

Vivre n’aura donc été que cela ; un point de passage – un point de rupture – indéfini – inachevé – inachevable peut-être. Le règne du rêve et de la mémoire. Un espoir – une tentative – quelques vibrations – et un peu d’encre jetée sur la page…

 

 

Partout, il y a des ruines, des flammes et des cris. La vie et la mort. Et cette chute permanente malgré l’attirail du monde – malgré l’arsenal des hommes. Et quelques âmes pour s’en émouvoir et s’en effrayer – pour inviter et célébrer l’impossible – avec quelques rudiments sensibles et quelques fragments de ciel à explorer encore…

 

Publicité
Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 7 > >>
Publicité