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LES CARNETS METAPHYSIQUES & SPIRITUELS

A propos

La quête de sens
Le passage vers l’impersonnel
L’exploration de l’être

L’intégration à la présence


Carnet n°1
L’innocence bafouée

Récit / 1997 / La quête de sens

Carnet n°2
Le naïf

Fiction / 1998 / La quête de sens

Carnet n°3
Une traversée du monde

Journal / 1999 / La quête de sens

Carnet n°4
Le marionnettiste

Fiction / 2000 / La quête de sens

Carnet n°5
Un Robinson moderne

Récit / 2001 / La quête de sens

Carnet n°6
Une chienne de vie

Fiction jeunesse / 2002/ Hors catégorie

Carnet n°7
Pensées vagabondes

Recueil / 2003 / La quête de sens

Carnet n°8
Le voyage clandestin

Récit jeunesse / 2004 / Hors catégorie

Carnet n°9
Le petit chercheur Livre 1

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°10
Le petit chercheur Livre 2

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°11 
Le petit chercheur Livre 3

Conte / 2004 / La quête de sens

Carnet n°12
Autoportrait aux visages

Récit / 2005 / La quête de sens

Carnet n°13
Quêteur de sens

Recueil / 2005 / La quête de sens

Carnet n°14
Enchaînements

Récit / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°15
Regards croisés

Pensées et photographies / 2006 / Hors catégorie

Carnet n°16
Traversée commune Intro

Livre expérimental / 2007 / La quête de sens

Carnet n°17
Traversée commune Livre 1

Récit / 2007 / La quête de sens

Carnet n°18
Traversée commune Livre 2

Fiction / 2007/ La quête de sens

Carnet n°19
Traversée commune Livre 3

Récit & fiction / 2007 / La quête de sens

Carnet n°20
Traversée commune Livre 4

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°21
Traversée commune Livre 5

Récit & pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°22
Traversée commune Livre 6

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°23
Traversée commune Livre 7

Poésie / 2007 / La quête de sens

Carnet n°24
Traversée commune Livre 8

Pensées / 2007 / La quête de sens

Carnet n°25
Traversée commune Livre 9

Journal / 2007 / La quête de sens

Carnet n°26
Traversée commune Livre 10

Guides & synthèse / 2007 / La quête de sens

Carnet n°27
Au seuil de la mi-saison

Journal / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°28
L'Homme-pagaille

Récit / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°29
Saisons souterraines

Journal poétique / 2008 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°30
Au terme de l'exil provisoire

Journal / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°31
Fouille hagarde

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°32
A la croisée des nuits

Journal poétique / 2009 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°33
Les ailes du monde si lourdes

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°34
Pilori

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°35
Ecorce blanche

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°36
Ascèse du vide

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°37
Journal de rupture

Journal / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°38
Elle et moi – poésies pour elle

Poésie / 2009 / Hors catégorie

Carnet n°39
Préliminaires et prémices

Journal / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°40
Sous la cognée du vent

Journal poétique / 2010 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°41
Empreintes – corps écrits

Poésie et peintures / 2010 / Hors catégorie

Carnet n°42
Entre la lumière

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°43
Au seuil de l'azur

Journal poétique / 2011 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°44
Une parole brute

Journal poétique / 2012 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°45
Chemin(s)

Recueil / 2013 / Le passage vers l’impersonnel

Carnet n°46
L'être et le rien

Journal / 2013 / L’exploration de l’être

Carnet n°47
Simplement

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°48
Notes du haut et du bas

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°49
Un homme simple et sage

Récit / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°50
Quelques mots

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°51
Journal fragmenté

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°52
Réflexions et confidences

Journal / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°53
Le grand saladier

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°54
Ô mon âme

Journal poétique / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°55
Le ciel nu

Recueil / 2014 / L’exploration de l’être

Carnet n°56
L'infini en soi 

Recueil / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°57
L'office naturel

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°58
Le nuage, l’arbre et le silence

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°59
Entre nous

Journal / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°60
La conscience et l'Existant

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°61
La conscience et l'Existant Intro

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°62
La conscience et l'Existant 1 à 5

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°63
La conscience et l'Existant 6

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°64
La conscience et l'Existant 6 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°65
La conscience et l'Existant 6 (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°66
La conscience et l'Existant 7

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°67
La conscience et l'Existant 7 (suite)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°68
La conscience et l'Existant 8 et 9

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°69
La conscience et l'Existant (fin)

Essai / 2015 / L’exploration de l’être

Carnet n°70
Notes sensibles

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°71
Notes du ciel et de la terre

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°72
Fulminations et anecdotes...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°73
L'azur et l'horizon

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°74
Paroles pour soi

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°75
Pensées sur soi, le regard...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°76
Hommes, anges et démons

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°77
La sente étroite...

Journal / 2016 / L’exploration de l'être

Carnet n°78
Le fou des collines...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°79
Intimités et réflexions...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°80
Le gris de l'âme derrière la joie

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°81
Pensées et réflexions pour soi

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°82
La peur du silence

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°83
Des bruits aux oreilles sages

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°84
Un timide retour au monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°85
Passagers du monde...

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°86
Au plus proche du silence

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°87
Être en ce monde

Journal / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°88
L'homme-regard

Récit / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°89
Passant éphémère

Journal poétique / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°90
Sur le chemin des jours

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°91
Dans le sillon des feuilles mortes

Recueil / 2016 / L’intégration à la présence

Carnet n°92
La joie et la lumière

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°93
Inclinaisons et épanchements...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°94
Bribes de portrait(s)...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°95
Petites choses

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°96
La lumière, l’infini, le silence...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°97
Penchants et résidus naturels...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°98
La poésie, la joie, la tristesse...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°99
Le soleil se moque bien...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°100
Si proche du paradis

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°101
Il n’y a de hasardeux chemin

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°102
La fragilité des fleurs

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°103
Visage(s)

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°104
Le monde, le poète et l’animal

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°105
Petit état des lieux de l’être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°106
Lumière, visages et tressaillements

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°107
La lumière encore...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°108
Sur la terre, le soleil déjà

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°109
Et la parole, aussi, est douce...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°110
Une parole, un silence...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°111
Le silence, la parole...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°112
Une vérité, un songe peut-être

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°113
Silence et causeries

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°114
Un peu de vie, un peu de monde...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°115
Encore un peu de désespérance

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°116
La tâche du monde, du sage...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°117
Dire ce que nous sommes...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°118
Ce que nous sommes – encore...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°119
Entre les étoiles et la lumière

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°120
Joies et tristesses verticales

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°121
Du bruit, des âmes et du silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°122
Encore un peu de tout...

Journal poétique / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°123
L’amour et les ténèbres

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°124
Le feu, la cendre et l’infortune

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°125
Le tragique des jours et le silence

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°126
Mille fois déjà peut-être...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°127
L’âme, les pierres, la chair...

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°128
De l’or dans la boue

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°129
Quelques jours et l’éternité

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°130
Vivant comme si...

Journal / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°131
La tristesse et la mort

Récit / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°132
Ce feu au fond de l’âme

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°133
Visage(s) commun(s)

Recueil / 2017 / L’intégration à la présence

Carnet n°134
Au bord de l'impersonnel

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°135
Aux portes de la nuit et du silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°136
Entre le rêve et l'absence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°137
Nous autres, hier et aujourd'hui

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°138
Parenthèse, le temps d'un retour...

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°139 
Au loin, je vois les hommes...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°140
L'étrange labeur de l'âme

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°141
Aux fenêtres de l'âme

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°142
L'âme du monde

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°143
Le temps, le monde, le silence...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°144
Obstination(s)

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°145
L'âme, la prière et le silence

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°146
Envolées

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°147
Au fond

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°148
Le réel et l'éphémère

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°149
Destin et illusion

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°150
L'époque, les siècles et l'atemporel

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°151
En somme...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°152
Passage(s)

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°153
Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°154
A quoi bon...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°155
Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°156
L'autre vie, en nous, si fragile

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°157
La beauté, le silence, le plus simple...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°158
Et, aujourd'hui, tout revient encore...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°159
Tout - de l'autre côté

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°160
Au milieu du monde...

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°161
Sourire en silence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°162
Nous et les autres - encore

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°163
L'illusion, l'invisible et l'infranchissable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°164
Le monde et le poète - peut-être...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°165
Rejoindre

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°166
A regarder le monde

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°167
Alternance et continuité

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°168
Fragments ordinaires

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°169
Reliquats et éclaboussures

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°170
Sur le plus lointain versant...

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°171
Au-dehors comme au-dedans

Paroles confluentes / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°172
Matière d'éveil - matière du monde

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°173
Lignes de démarcation

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°174
Jeux d'incomplétude

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°175
Exprimer l'impossible

Regard / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°176
De larmes, d'enfance et de fleurs

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°177
Coeur blessé, coeur ouvert, coeur vivant

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°178
Cercles superposés

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Carnet n°179
Tournants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°180
Le jeu des Dieux et des vivants

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°181
Routes, élans et pénétrations

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°182
Elans et miracle

Journal poétique / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°183
D'un temps à l'autre

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°184
Quelque part au-dessus du néant...

Recueil / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°185
Toujours - quelque chose du monde

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°186
Aube et horizon

Journal / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°187
L'épaisseur de la trame

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°188
Dans le même creuset

Regard / 2019 / L'intégration à la présence

Carnet n°189
Notes journalières

Carnet n°190
Notes de la vacuité

Carnet n°191
Notes journalières

Carnet n°192
Notes de la vacuité

Carnet n°193
Notes journalières

Carnet n°194
Notes de la vacuité

Carnet n°195
Notes journalières

Carnet n°196
Notes de la vacuité

Carnet n°197
Notes journalières

Carnet n°198
Notes de la vacuité

Carnet n°199
Notes journalières

Carnet n°200
Notes de la vacuité

Carnet n°201
Notes journalières

Carnet n°202
Notes de la route

Carnet n°203
Notes journalières

Carnet n°204
Notes de voyage

Carnet n°205
Notes journalières

Carnet n°206
Notes du monde

Carnet n°207
Notes journalières

Carnet n°208
Notes sans titre

Carnet n°209
Notes journalières

Carnet n°210
Notes sans titre

Carnet n°211
Notes journalières

Carnet n°212
Notes sans titre

Carnet n°213
Notes journalières

Carnet n°214
Notes sans titre

Carnet n°215
Notes journalières

Carnet n°216
Notes sans titre

Carnet n°217
Notes journalières

Carnet n°218
Notes sans titre

Carnet n°219
Notes journalières

Carnet n°220
Notes sans titre

Carnet n°221
Notes journalières

Carnet n°222
Notes sans titre

Carnet n°223
Notes journalières

Carnet n°224
Notes sans titre

Carnet n°225

Carnet n°226

Carnet n°227

Carnet n°228

Carnet n°229

Carnet n°230

Carnet n°231

Carnet n°232

Carnet n°233

Carnet n°234

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Au jour le jour

Octobre 2020

Carnet n°264
Au jour le jour

Novembre 2020

Carnet n°265
Au jour le jour

Décembre 2020

Carnet n°266
Au jour le jour

Janvier 2021

Carnet n°267
Au jour le jour

Février 2021

Carnet n°268
Au jour le jour

Mars 2021

Carnet n°269
Au jour le jour

Avril 2021

Carnet n°270
Au jour le jour

Mai 2021

Carnet n°271
Au jour le jour

Juin 2021

Carnet n°272
Au jour le jour

Juillet 2021

Carnet n°273
Au jour le jour

Août 2021

Carnet n°274
Au jour le jour

Septembre 2021

Carnet n°275
Au jour le jour

Octobre 2021

Carnet n°276
Au jour le jour

Novembre 2021

Carnet n°277
Au jour le jour

Décembre 2021

Carnet n°278
Au jour le jour

Janvier 2022

Carnet n°279
Au jour le jour

Février 2022

Carnet n°280
Au jour le jour

Mars 2022

Carnet n°281
Au jour le jour

Avril 2022

Carnet n°282
Au jour le jour

Mai 2022

Carnet n°283
Au jour le jour

Juin 2022

Carnet n°284
Au jour le jour

Juillet 2022

Carnet n°285
Au jour le jour

Août 2022

Carnet n°286
Au jour le jour

Septembre 2022

Carnet n°287
Au jour le jour

Octobre 2022

Carnet n°288
Au jour le jour

Novembre 2022

Carnet n°289
Au jour le jour

Décembre 2022

Carnet n°290
Au jour le jour

Février 2023

Carnet n°291
Au jour le jour

Mars 2023

Carnet n°292
Au jour le jour

Avril 2023

Carnet n°293
Au jour le jour

Mai 2023

Carnet n°294
Au jour le jour

Juin 2023

Carnet n°295
Nomade des bois (part 1)

Juillet 2023

Carnet n°296
Nomade des bois (part 2)

Juillet 2023

Carnet n°297
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17 juillet 2018

Carnet n°155 Ce qui demeure dans le pas

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Du temps, des ravins, des dépouilles. L’or et la question de vivre. La saveur, l’infini et la mort. Et mille fleurs déjà sur nos pages – à notre porte…

A l’écart du sommeil – libre des jeux du monde – au-delà des cendres et du scintillement – là où la parole s’écrit d’un seul trait de lumière…

Une vie, un silence. Comme un poème pour affronter l’impossible…

 

 

Un autre feu sous les pierres brûle quelques reliquats de rêve. Et une fenêtre pour regarder, avec émotion, le monde et les hommes – leur chute inévitable – l’effacement annoncé – et l’arrachement (violent sans doute) du peu qu’il restera après la mort…

 

 

Tout s’estompe à présent. Les voix geignardes, le tumulte et les caprices. Tout ce qui palpite – les monstres et les erreurs. Et ces visages enfantins qui se séduisent pour conjurer la solitude. Ne reste qu’un lieu indéfinissable – et ce regard – et cette main qui, parfois, se tend pour secourir le possible – et révéler l’évidence dissimulée au cœur de la faim et du sommeil…

 

 

Subsiste un souffle mystérieux dans cette glaise suante – dans cet amas de poussière et de souvenirs – de désirs et de prières. Quelque chose – presque rien – né des semences du monde – de ce (fabuleux) mariage entre le ciel et les abîmes – qui s’attarde encore un peu sous le soleil pour assister à la saison des récoltes. Comme un morceau de terre anodin – insignifiant presque – qui joue avec les vents avant d’être livré à la mort…

 

 

Être et langage. Silence et poème. Un retrait, puis un écart pour échapper au monde et à sa folie. Seul dans l’herbe – en haut de la pente – à contempler et à rire – et à offrir quelques lignes – une parole – une joie et une nudité solitaires – à tous les découragements à vivre

 

 

Muet – seul – déjà ailleurs – avec devant soi toute une vie à inaccomplir

 

 

L’un d’eux – avec des ombres – une peau – un visage mille fois balafré – et une chair mille fois estropiée. Mains ouvertes – mains en prière – dans le noir – qui offrent au monde, comme les fleurs, leurs secrets…

 

 

Aimer l’obole et la nécessité – l’Amour et la furie qui n’épargnent personne. La désolation et le baiser si tendre sur le front de ceux qui s’acharnent encore…

 

 

Entre le vol et l’absence – entre la chute et ce qui demeure – la joie à notre portée…

 

 

Ce qui se résout d’un air si grave – soleil dans l’âme – et la larme à l’œil. Indécis. Timide. Vaillant. Si humain, en somme…

 

 

Un corps – ce qui reste de l’homme. Et ce regard sans assise – cette présence sans appui. Et un peu de tristesse encore sur ce versant de la terre…

 

 

Penché sur le monde et le défilement des jours qui donnent aux hommes leurs rides et leurs soucis – et quelques caresses parfois. Avec cette stupeur devant les visages et la mort…

 

 

Une aire, des rêves, des jeux. Un peu de sang et de souffle pour se croire vivants et s’adonner aux vieilles traditions de l’homme. Splendides et féroces – et presque sans tête. Debout et endormis – sous l’emprise des jours – et d’un soleil trop lointain. Sacrifiés pour l’éternité qui durera jusqu’à la mort…

 

 

Un visage peut-être – mais sans épaisseur. Vivant comme la brume et l’arc-en-ciel. Distrait à côté du monde. En surplomb peut-être. Hagard – hébété – dans les bras d’un autre Amour…

 

 

Une parole – mille paroles – pour défaire l’impossible et inviter l’impensable. Aussi vaine(s) que la danse – que toutes les danses – du monde. Notre dernière solitude, peut-être, entre les hommes et l’innocence…

 

 

Troublante la vérité qui ne (nous) laisse rien – ni signe, ni message – pas le moindre appui…

Et nos vies, comme du lierre, qui s’agrippent aux murs invisibles – inexistants – à peine rêvés peut-être. Et ces jours qui passent pourtant. Des années – des siècles – et toute l’histoire du monde – balayés d’un seul geste lorsque se précise l’instant – l’éternité sans doute – entre l’angoisse et la joie – entre l’effroi et le silence. Immobiles – immobilisés en quelque sorte – dans ce qui demeure aux racines des existences…

 

 

Nous, aujourd’hui. Et demain, quelques autres. Les mêmes danses. Le même spectacle…

 

*

 

Ah ! Mon Dieu ! Tant de livres et de tablettes depuis l’origine du langage qui engrangent les concepts, les images, les commentaires, les vérités ! Pour comprendre le monde et découvrir ce que l’on est, comment faut-il s’y prendre ? A quelles lignes peut-on se fier ? De toute évidence, n’accorder du crédit qu’à celles qui furent enfantées dans la joie et le silence entremêlés

 

*

 

Au bord du monde – aux marges du temps. Saisons en prime – et le rêve rompu. Debout – la tête humble – à apprivoiser l’incertain…

 

 

Sans nous – sans propos – au-delà même des labours profonds, le silence et la blancheur de la voix dans leurs vaines tentatives poétiques…

 

 

L’enfouissement et le mystère. Et tous les savoirs sabotés – pour lire sur les lèvres rouges – à peine perceptible – le silence. La terre, les bêtes, les hommes – le calme et la joie dévastés – suspendus par grappes entières dans cet oubli du monde. Et l’ombre en écho offerte à ceux dont la main cherche l’Absolu – et qui doivent recommencer mille fois leur voyage pour se perdre dans la durée. Indécis et opiniâtres comme les jours – relégués (presque toujours) à l’infime et à la fouille au milieu du temps…

 

 

On abandonne les pistes – tous les assemblages. Ce que nous avions engrangé à tous les âges dans la prévision d’une aventure – d’un cataclysme. On se défait – et on se désengage. Et sur la route subsistent un sourire – une danse – le réel d’avant les naissances…

 

 

Noyés de vie – noyés de tombes – comme des enfants perdus dans la nuit – apeurés face aux visages – livrés aux tentations et à la gouvernance de ce qui s’épuise. Seuls, en somme, pour échapper au monde et retrouver l’aube qui persiste au fond des cachots – partout présente – jusqu’aux fenêtres de l’hiver…

 

 

Rien – une simple joie au milieu de ce qui s’attriste. Un soleil ardent – vivace – dans le noir et la jungle où survivent (à peine) les bêtes du monde. Des destins croisés avec la constance des saisons. La fabrique du temps et tous les Dieux imaginés par les hommes…

Une distance avec les cartes, les signes et les paroles ivres de ce qu’elles encensent. Une défaite magistrale – comme le sacre de tout voyage. L’allure et la tête détournées de leur emploi. Au-delà de toute pensée – au-delà de toute promesse. Guidé par ce qui demeure et ce qui passe. Au milieu des eaux – sur cette île oubliée que font grandir les pas – les passages et l’innocence…

Un climat, peut-être, hors de l’étourdissement et de la distraction. Un sourire et un étonnement à l’égard des attentes anciennes – à l’égard de ce qui vient – à l’égard de ce qui monte et de ce qui descend en empruntant mille voies – mille escaliers – mille routes qui serpentent entre le ciel, la terre et les abîmes…

Un socle posé au milieu des vents et des rires – des grimaces et des infortunes. Un regard sur les dalles, les tombes et les visages qui gesticulent dans les allées – dans toutes les impasses. Une présence au cœur des carnavals où la chair et la sueur s’emmêlent – et s’épuisent en gestes inutiles – en tentatives ridicules…

Une aire – une fenêtre – où tout vient parader, se distraire et mourir. Le sol qui recueille le sang, la pluie et les larmes de quelques âmes. Et cette main qui, parfois, se pose sur les lèvres pour que cessent tous ces tourbillons illusoires…

 

 

Visite au loin – au-delà des yeux et des portes fermés. Et, pourtant, tout demeure à l’identique – ici – ailleurs – partout ; les arbres, les visages, les jardins – le sort, la faim et le sommeil de ceux qui s’échinent à résister. Le monde, les siècles et le temps. La terre aux paysages si changeants. La ronde, un peu triste, des âmes qui s’inclinent à tous les passages. La bêtise et l’ignorance des hommes. Toutes les tragédies du vivant…

 

 

Un imaginaire débraillé – ouvert devant soi comme la carte d’un trésor. Des pages – des livres – par milliers comme autant d’ailes et d’étoiles – poussives et fécondes – qui exaltent le sens et invitent à mille vagabondages. Des signes comme des boussoles pour se frayer un chemin – et mille passages – dans l’obscurité des plans – horizontaux presque toujours. Des cris, des larmes et quelques rires – un peu de chair et de sang parfois – et un peu d’âme aussi (plus rarement) – comme pour offrir aux yeux, aux visages et aux existences, une porte sur l’oubli et une sente fragile vers l’aube promise par tous les sages…

 

*

 

Il y a le cœur perceptible du vivant. Et celui – plus invisible – qui bat en chaque chose. Et c’est dans l’écoute de ce double rythme que l’on peut entendre les souffles conjugués du monde et du silence – et (accessoirement) s’y accorder…

 

*

 

Invisible – dense – légère – omniprésente – verticale – cette présence – si proche de l’esprit – et si éloignée, pourtant, de l’expérience humaine commune…

 

 

Vie, prières, souffrances et extases vécues à même la chair du monde – au cœur du souffle et du regard plus divins que terrestres…

 

 

Entre deux rives, le passage. L’expérience combinée du monde et du ciel…

 

 

Là où s’achève l’homme, commence le Divin. Et là où meurt le Divin, naît la barbarie…

Et nous autres, au milieu du gué – lançant quelques gestes et quelques paroles pour survivre à cet écartèlement – à cet inachèvement – et inviter le monde à vivre sa dernière heure

 

 

Cette voix au fond de nous – au cœur d’un ciel – d’une présence – ligotés par tant de rêves et de désirs – par tant d’ignorance. Comme une perte vertigineuse – presque inimaginable – dans le temps – et un sursaut – un regain d’ardeur – pour briser les murs – et le labyrinthe où les hommes et les bêtes vivent coincés depuis le début du monde…

 

 

Une descente – longue – âpre – qu’il faut emprunter après l’assouvissement du désir de l’or – l’extinction de la faim et l’effacement des chimères et des miracles. Le rapprochement des pas et de l’âme vers le mystère…

 

 

Un jour, l’horizon s’éteindra comme la course des pas – comme tous les voyages…

 

 

Un fardeau, un renoncement. Rien – ni au-dehors, ni au-dedans. Un murmure – un cri à peine perceptible. Les errances d’un autre voyage. Des tombes, des terrains vagues et l’obstination des pas. Partout, le grand calme des solitudes. Et ce vent qui veille dans l’acharnement des foulées. Et le silence encore que nous n’avons su retrouver…

 

 

Nous avons couru tantôt à grands pas, tantôt à foulées feutrées. Nous avons vécu – nous avons fouillé – et découvert toutes les ombres du monde. Nous avons cheminé plus que de raison – emprunté mille chemins – traversé mille contrées – et déblayé mille impasses. Et nous voilà, à présent, en haut – sur cet escalier sans fin – au-dedans d’un rêve ininterrompu peut-être – avec le même sommeil et la même solitude – le ciel toujours aussi lointain et la souffrance un peu moins douloureuse – en partie apprivoisée – à nous demander encore pourquoi Dieu a créé le vivre et l’espoir du jour – et cet allant inépuisable à vouloir percer tous les mystères…

 

 

La parole aura beau dire encore et encore, le silence aura toujours le dernier mot…

 

 

Nuit, motifs, espace, signes, ondes, nouvelles, foudre, rivières, foulées. Un arbre, un visage et le ciel alignés – libres – dans le mensonge comme dans la droiture d’une parole authentique…

 

 

La source, le sang et le miroir. Eléments du voyage et de la mémoire – nécessaires à la découverte de notre identité…

 

 

Une mémoire s’avance – nous revient à pas menus sur le fil du temps – gonfle – traverse la tête – se pose en arrière du front – nous invite à la marche à rebours pour retrouver l’origine – la racine première des allants et des découvertes…

 

 

Après le pas, l’éloignement et la lente dissolution du point d’interrogation magistral gravé à l’arrière des crânes. L’ombre circonscrite, les murs vacillants, et bientôt délabrés. Et cette lumière qui se hisse au-delà de la dernière étoile. La fin du trajet. Et le surgissement du silence scellé dans l’envers du décor. Le déchirement de la détention et du visage criblé de flèches et de plaies. La traque incessante et le manque désagrégés. La vie et la souffrance transpercées. L’origine du monde et la chambre – ce lieu de tous les supplices – réunies – enfin rassemblées. Le souffle qui se dresse au-dessus du noir. La sagesse et le sillage réconciliés. La fin de l’aveuglement. Et la vie – la vraie vie – qui peut enfin commencer…

 

 

L’écriture, sous la dictée du ciel, se fait plus docile – plus précise. Mots de nulle part – affranchis des ambitions humaines – pour offrir à l’infime une fenêtre – la seule possibilité de délivrance peut-être…

 

 

On écrit à présent comme roulent les pierres. Dans la nécessité des instincts – gouverné par la pesanteur du monde – vers un vide où convergent toutes les choses et tous les visages…

Des poèmes, comme la roche, arrachés à notre poitrine. Un pont entre le ciel et l’océan. Un peu de magie pour la traversée et le franchissement (si douloureux) de l’écume…

 

 

Mille mots – une parole sans cesse répétée – pour dire ce qui ne peut être dit – pour essayer de nommer ce qui ne peut se révéler – et être goûté – que dans l’écoute, l’attention et le silence – dégagés des noms et des visages – libres de tous les qualificatifs…

 

 

Quelques lignes – une pensée – comme un recours – un refuge précaire – face aux tourbillons du monde. Une fenêtre dans la superficialité ambiante sur ce qui, en nous, s’interroge et aspire aux profondeurs pour découvrir le secret des danses – le secret de toutes les existences…

 

 

Dire le peu – le plus simple – la joie d’exister. Le souffle et le silence – et ce qui nous déchire. Les gorges muettes – l’obscurité qui, partout, règne en maître. Le manque, l’envie et les traversées. Ce qui nous guette au-dessus des bruits et de l’effroi. Les hommes, les bêtes et la mort. Les berges où tout s’égare. Les souvenirs inutiles – et les obstacles que l’on ne parvient parfois à enjamber. Notre maladresse, la lueur – et la tristesse – dans les yeux de ceux qui s’en vont. La terre et les âmes tremblantes. Le poème, l’abîme et le néant. Tout ce que nous avons essayé pour être des hommes – et naître au ciel. A peu près tout. Si peu de choses, en somme…

 

 

Tout arrive – et se livre à notre front boudeur. Les tremblements et l’immensité. Les malheurs, les étoiles et la douleur. Le sang et ce regain d’âme qui manquait à notre vie. La solitude, les poches percées et ces mains pleines de cet or offert aux presque rien – à tous ces êtres de passage qui s’interrogent et que l’on dévisage – toujours inquiets – jamais satisfaits par la réponse des hommes…

 

 

Des lampes, des cœurs et mille mains tendues – et le monde – cette pieuvre – qui rétrécit les rives et les rêves en exaltant les désirs d’un après – d’un ailleurs – plus confortables…

Comment vivre parmi les hommes sinon en restant à l’écart – loin des crachats et des cachots – loin des masques et de ces eaux (trop) tourbillonnantes où tout a l’odeur de la hâte et de la conquête. S’exiler, en somme, en ce lieu posé en amont du théâtre – à l’abri du sang qui coule pour rassasier la faim…

 

 

Une pierre, l’instant de vivre pour répondre au seul appel vital – dans cette forêt – au milieu des bêtes au regard si doux – si clair – et bien plus lucide que nous ne l’imaginons. Seul avec la nuit et la folie en partage. Debout dans l’hiver. Immobile – stoïque sous notre charge – allant à travers le monde sur les chemins des collines comme sur les pages – à contre-sens de la déraison commune…

 

 

Rien – sur la plus haute marche de l’homme peut-être. Ni lampe, ni neige, ni étoile. Ni ange, ni visage. Pas même un bruit. Pas même un songe. La leçon du sang apprise jusqu’au fond des veines. Oubliés, à présent, les délires, la douleur et l’huile sur le feu qui ont exalté la décadence du vivre ensemble. Le vide – simplement – le vide. Le silence et la blancheur. Et cette nécessité de la parole pour s’assurer d’un témoignage – d’une preuve, peut-être – pour avoir l’air un peu moins fou que ces pauvres hommes en contre-bas qui s’échinent encore à la besogne dans l’espoir d’accéder, un jour, à quelque hauteur…

 

 

Nous veillons sur cette vieille plainte qui monte du ventre du monde. Les bras ballants et les mains vides – sans rien à offrir sinon notre regard – et cette présence infime – anodine – presque invisible pour ceux qui ne savent voir encore. La vie, la terre et une partie des vivants à nos côtés sur ce versant fragile – blanc – intact – où viennent mourir tous les reflets sombres – calcinés – de l’autre monde…

Debout encore – dans cette vaine attente – sur ce seuil qu’ignorera toujours le commun…

 

 

Les bruits des hommes – âpres – visqueux – pénétrants – disharmonieux. Et ceux de la terre – vol et chant des oiseaux – vent dans les feuillages – course intrépide et tranquille de la pluie et des rivières – comme les notes d’une symphonie orchestrée par le silence et la lumière où le monde et la nature, malgré leur rudesse, résonnent dans la joie et l’harmonie…

 

 

Ephémères toujours – qu’importe les destinées…

 

 

Humble dans la proximité – et l’énumération – des choses, des visages et des sentiments qui peuplent le monde…

 

 

Tout se compose – se décompose et se recompose – de mille manières – en mille matières – en mille souffles – en mille agissements. Et rien ne nous émeut davantage que la proximité d’un seul visage qui ravive le sentiment d’unité sous-jacent à toutes les figures du monde…

Toute part porte – et est – le cœur de l’Absolu…

 

 

A ceux qui s’extasient devant la splendeur de la vie – et, parfois, devant la justesse de nos lignes (bien plus rarement, il est vrai), nous répondons que la vie et la poésie ne sont pas grand-chose ; un peu de rien dans l’infini – quelques taches sur la page – et que seuls le silence – le blanc – et la lumière – donnent au noir (toute) sa beauté…

 

 

Un peu d’azur – un peu de sang – dans tous les domaines. La nuit aux prises avec le jour. Et le jour aux prises avec les parois sans prise de l’autre rive. La faim et les chemins éternels. Le silence emmêlé aux chevelures. Un peu de joie – ce qui se dérobe – les risques encourus et toutes les pertes à venir…

 

 

Une main, une parcelle et le vaste monde où tout s’empile – s’engrange – s’efface et revient. Et une présence au cœur de ce qui demeure, si souvent, impénétrable…

 

 

Cœur et raison de l’innombrable à califourchon sur l’immesurable. Si près de ces mains et de ces âmes qui tiennent le jour comme un enjeu – et n’y voient que quelques mesures à prendre…

 

 

Lieu où l’obscur livré à l’au-delà devient éclat – blancheur consumée. Transparence et déchirement. Quelque chose d’inouï comme un silence au cœur de ce qui bouge et s’émeut. La dimension de l’homme, peut-être, affranchi des règles et de la volonté. Les restes, sans doute, d’une innocence incomparable…

 

 

Appuis, enclos, domaines. Et ces os entassés en amas sous la terre qui livrent aux hommes un secret encore incompréhensible. La vanité des élans, de l’agir, des tentatives borgnes et des croyances qui laissent espérer une issue possible…

 

 

Personne – une pièce vide – et une fenêtre qui laisse passer un peu de lumière pour éclairer les ombres qui s’agitent les mains tendues vers elle – si désespérément…

 

 

Chemins encore parmi les crêtes et les constellations étrangères – inapprivoisables. A la rencontre des limites de l’homme…

Des élans et des sauts depuis le premier soleil – le primitif endroit où naquirent tous les visages et toutes les étoiles. Sommets d’un sous-sol peut-être où ce qui s’élance a la couleur de l’or et l’ardeur des apprentis – des inexpérimentés.

Fruits des flammes et de l’invisible. Source des danses, des arabesques et du fumier – et de tous les charniers sans doute. Graines d’un seul jour et des mille répliques sur l’asphalte du monde…

 

 

Entre le rêve et la souffrance, l’infini. Et la longue désespérance – et la chute, lente et inévitable, de la chair prise en étau entre la gueule des loups et le ciel – entre l’expérience encore immature des malheurs et la joie possible – toujours recouverte par ce qui rend presque indestructible la pensée.

Un goût d’autrefois et de silence au fond des visages atterrés…

 

 

Le déplacement du regard d’un point à un autre – du plus familier à ce qui demeure inconnu. De dislocations en partage – de fragmentation en ellipses. Du plus certain à ce qui est offert à l’impuissance et à l’abandon…

 

 

Une vie, un silence. Comme un poème pour affronter l’impossible…

 

 

Ce qui est pris est redonné – et rendu au centuple dans cet art, apparemment cruel, du passage. De semailles en renversement. De l’agitation à l’innocence contemplative. De l’obstination à l’effacement. Le gage que quelque chose, en nous, est peut-être plus vivant que notre âme…

 

 

A la fin du voyage, la résolution du mystère. Et l’invitation du poème comme hommage inapproprié presque toujours – pour remercier l’abondance des obstacles qui nous firent prendre d’autres routes – et nous abandonner, en fin de compte, au glissement violent vers le bord – vers le fond – le lieu des limites et de la dérobade apparentes – transcendables et transcendées par ce qui nous hante – et l’œil serein qui accompagne, depuis toujours, nos dérives et nos défaillances…

 

 

Remparts – rouges et blancs – où tout affrontement s’annule au contact de son autre versant – excluant l’infaillible et les dérapages…

Un chemin d’équilibre et de renaissance. Une trajectoire indéfinissable qui mène de l’abstraction au corps – et de l’illusion au centre de tout ; monde, langue, visages et choses pulvérisés au cours de cette lente ascension vers l’apesanteur…

 

 

L’âme, les mots et la tête expulsés de leur territoire. La destruction de toute étincelle. Et le silence, partout – à perte de vue – dans le noir, la peur, la folie et les abîmes. Et l’encre et la lumière – à peine naissantes – d’un autre jour…

 

 

A l’écart du sommeil – libre des jeux du monde – au-delà des cendres et du scintillement – là où la parole s’écrit d’un seul trait de lumière…

 

 

Des générations pour que se perpétuent la fureur, la barbarie et le mensonge – la peur et l’illusion…

 

*

 

Venus de nulle part, nous ne sommes rien. Ne faisons rien – ne nous déplaçons jamais. Nous sommes – à peine – un rêve peut-être…

 

*

 

Du temps, des ravins, des dépouilles. L’or et la question de vivre. La saveur, l’infini et la mort. Et mille fleurs déjà sur nos pages – à notre porte…

 

 

Un soupir encore – venu de cette ère d’autrefois où nous devinions, entre la perte et le souvenir, l’ampleur du désastre soulevé par l’amour.

Le bleu – la beauté d’un regard aussi précieux que le partage et le feu combiné des élans. La saveur de l’étreinte avant le retour – inévitable – de la solitude et des sanglots – vieux, sans doute, comme la première histoire du monde…

 

 

Un désir – une allégresse. Quelque chose comme un silence né au cœur de la matière – entre l’âme et la main. Quelque chose comme un peu d’encre jetée presque sans raison sur la page pour conjurer la mort et les malheurs – rendre l’exil moins triste – la solitude plus supportable – et survivre, peut-être, à l’absence de tout partage…

 

 

Déjoués les tours et la magie-simulacre. Défaites les mains – et vide, à présent, l’horizon parcouru. A portée d’accroche – à portée du temps. Rien qu’un fil – rien qu’un rêve peut-être – au milieu de ce qui se détourne à notre passage…

 

 

Un rivage de faux-semblants où le regard n’est qu’une parure – une demande – une mendicité. Et qu’importe que les yeux y répondent – que les mains se tiennent – et que les corps s’abandonnent, l’âme restera seule…

 

 

On entend parfois gronder la révolte dans les pires résignations – l’être debout – submergé par la trame – asphyxié par les nœuds – qui redresse la tête pour résister au sang et à l’infamie – et survivre à cette part du monde invivable qui l’enserre et le blesse…

 

 

Ardentes la force de vivre au-delà du délire et des apparences – et la force d’aimer au-delà des visages et du connu

 

 

Rien – un regard sur les eaux mortes, les habitudes et les danses – et la sauvagerie qui guette sur tous les chemins…

 

 

Authentique cette humilité en surplomb de l’orgueil et de la matière agissante. Aussi belle et secourable que l’infini posé sur les pierres où gesticule et s’impatiente le monde…

L’œil vif sur toutes les routes, les églises et la clameur des jours…

 

 

Pluie, orage et soleil dans le ciel sans témoin – au-dessus des rives où les allures sont folles et les chemins vertigineux…

 

 

Désengagé des siècles où tout s’apparente à la faim – où la marche ressemble à une course folle – où la raison (trop de raison) a mené à suspendre partout des étoiles, des gages, des pièges et des récompenses – où la vie ne livre qu’aux épreuves et à l’exercice de la mort – où la liberté est devenue détention – et où Dieu s’est, peu à peu, transformé en image – en promesse – en mensonge – jamais en expérience…

Libre des parcours, des frontières et des franchissements, la parole du poète – qui apaise sa faim en d’autres lieux – sur les rivages d’un autre monde – sur une terre de plein midi où les figures et les fleurs sont familières de tous les soleils – où la langue fréquente les bêtes et les arbres autant que le ciel et les vagabonds – où la route est une poitrine ouverte – une main qui donne et caresse – où l’âme sait se libérer du vertige et du passé – et où le vivant est un frère à secourir et à aimer…

Libre la parole du poète – qui, les deux pieds dans le sang et la chevelure hors d’atteinte, fait de ses gestes et de sa parole un pont vers le silence et le réenchantement…

 

 

Des sentiers, un chemin. Prisonnier toujours du même destin. Et à portée d’âme – à portée de main – offerte toujours la même chance d’affranchissement…

La terre, le ciel. Quelques pas dérisoires – presque sans épaisseur. Et la liberté du langage qui nous sauve de toute forme de détention…

 

 

Toute trace – à jamais sortie des entrailles – comme un rêve de jour – un rêve de splendeur – aussitôt effacée par le monde – et portée à une dérive interminable…

 

 

Quelque chose nous emporte – presque rien – en deçà des vagues. Une part de vie – une part de sang – un peu d’âme, peut-être, sauvée de l’horizon. Le goût d’un monde aux marges du noir. Cette folle envie de lumière. Et l’ardeur – et la ténacité – de ce que les chemins et les visages ont blessé – presque à mort…

 

 

Tout est sombre et sévère dans notre vie – et jusqu’à ce rire qui ne peut éclore qu’au milieu de la nuit…

 

 

Parti – et revenu – mille fois. Un œil sur les pas et l’autre sur les affaires du monde. Une plaie, un écart, une modestie – au-delà du jour et des étoiles. Et ce feu qui donne aux allants leur si belle ardeur…

 

 

Imbibé de vie et de monde – en suspens – ce regard impuissant qui ne sait plus vers qui se tourner – ni à quel saint se vouer. Témoin du délabrement de l’enfance contrainte de dévaler mille pentes vers une vieillesse inévitable…

Des rires, des saisons et de la cendre rencontrés partout – au loin – si près de notre incapacité à vivre.

Voyageur sans ferveur – pleurnichant souvent – butant et butinant ici et là – au gré des occasions. Pusillanime et facétieux, malgré lui, devant les faces noires et les âmes barricadées – aux portes du monde peut-être…

Imbécile(s) que nous sommes…

 

 

Celui qui nous aime n’a aucun nom. Mais il a nos mains et notre visage – enroulés autour de nous-mêmes. Indécelable, bien sûr, avant d’avoir connu la grande tristesse

 

 

Nous avons erré partout ; et nous n’avons rencontré personne. Peut-être n’avons-nous su voir… Peut-être n’avons-nous su voyager… Peut-être étions-nous trop aveugles (et trop fiers) pour nous pencher sur le plus simple et la tristesse…

 

 

Pauvres hommes, en réalité, qui frappent aux mêmes portes depuis toujours sans réaliser que le lieu – et le visage – qu’ils cherchent se tiennent, depuis le commencement du voyage, au cœur de ce qu’ils portent comme un secret – au milieu du regard – perceptible partout – et par tous – dès que les yeux réussissent à s’ouvrir – et à s’inverser…

 

 

Nous avons voyagé – et n’avons vu que la peur dans le monde et les yeux. Presque personne. Des fantômes – quelques silhouettes – fourbus à force d’instincts et de rêves. L’insatisfaction des regards et la détermination des pas à aller plus loin – et à fuir plus encore…

 

 

L’âme si frémissante à regarder tout ce qui se pose devant elle. Pierres, arbres, bêtes et rivières qui mènent à la seule voie possible – à ce réel perché au-dessus du monde – au-dessus des rêves…

 

 

Des gestes qui ont l’élégance de la patience. Mus par l’innocence et la persistance du renouveau. Sages, en somme, parmi les outrages et les mensonges – parmi la frénésie, la malhonnêteté et les habitudes du monde…

 

 

Un peu perdu(s) – et si seul(s) – parmi ces visages qui ne nouent entre eux qu’une quotidienneté extérieure – et que contente tout partage apparent. Exilé(s), malgré soi, en ces terres de solitude et de profondeur qui ne semblent être, nulle part, l’objet d’aucun désir…

 

 

De la neige et de la cendre sur l’âme. Comme le privilège, peut-être, des solitaires au cœur insatisfait…

 

 

Des haltes et des éloignements. Et nul port d’attache pour ceux qui errent – et qui, si souvent, s’égarent en ces lieux où l’immonde cherche dans la chance la seule issue pour échapper à son visage…

 

 

Seul(s) à s’y morfondre – et jusqu’à s’en réjouir. En bas – en haut – au cœur des jeux et des complots – sans prêter ni l’âme, ni le flanc aux flammes et aux jugements – à cette pagaille insensée où s’enlise le monde…

 

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11 juillet 2018

Carnet n°154 A quoi bon – la vocation du monde et des hommes peut-être…

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Rien. Une nuit, du sommeil, un silence. La pluie. L’épreuve de la solitude et de l’absence. Un désert, un abîme, quelques larmes. Et le monde – et la mort – inventés avec le premier élan – et le premier espoir – pour survivre à tant de néant…

Un corps, une lisière, une langue. Comme les seuls instruments – nécessaires à la poursuite du voyage – à ces foulées, parfois si réticentes, sur l’herbe rouge – sur ce pauvre sol de la terre…

Et l’attente encore face aux heures – face aux rêves et aux miroirs. Quelque chose d’infime dans cette nuit indéchiffrable. Un peu de chair, un peu de sable, à peine l’apparence d’un visage. Quelques bruissements, un geste parfois, la caresse de l’inconnu dans l’ombre de cette parole si étrangère…

 

 

Un Amour timide – effarouché par l’illusion et la brièveté du temps – l’insensibilité des âmes – la faim et l’inertie du monde. Confronté aux menaces et aux périls permanents qui, partout, exaltent le crime et la mémoire – sans doute, les plus vieilles traditions de la terre…

 

 

Choses encore – partout – et ces mains qui se lèvent – et s’étirent – pour saisir l’inutile – amasser le superflu – et l’entasser sur des morceaux de monde qui forment déjà des amas gigantesques – et d’illusoires remparts – qui jamais ne pourront nous délivrer du vide…

 

 

Tout arrive – s’élève – s’effondre – et se désagrège déjà. Jusqu’aux traces de vie – jusqu’à la parole des poètes. Comme un vent permanent qui efface tous les dessins du monde esquissés sur le sable. Comme une main sur nos épaules nues – fragiles. Comme une caresse – mille caresses – et quelques secousses peut-être – sur l’œil crotté – souillé de voiles et de choses – de monde et de souvenirs – incapable encore de déceler dans le sommeil la lumière pauvre et pacifique

 

 

Rien. Une nuit, du sommeil, un silence. La pluie. L’épreuve de la solitude et de l’absence. Un désert, un abîme, quelques larmes. Et le monde – et la mort – inventés avec le premier élan – et le premier espoir – pour survivre à tant de néant…

 

 

Du temps, des vœux, des désirs. Des voix dans l’ignorance creusée à même le passage – à même le parcours – qui serpente entre les âmes – entre les rêves – au milieu de l’intelligence et de l’espace.

Et l’infini si semblable à notre écho. Et cette liberté promise à la faim immodérée de soi – et de l’Autre – réunis – comme un ruisselet soucieux de sa source – et l’absence vouée à sa propre fin.

L’attention retrouvée entre deux notes – entre deux paroles – entre deux pensées.

Un peu de sable sur l’œuvre en cours. Le recueil du temps et du poème. L’humble livre des jours. Le plus simple à l’épreuve des visages et des saisons. Et ce grand silence à la place du monde…

 

 

Quelque chose – un instant – une hypothèse. Les remous d’une idée – d’un mirage peut-être – portés par le destin (éphémère toujours) d’une parole – de quelques syllabes tracées à la hâte comme l’on défriche un chemin au milieu des feuillages. Un cri craintif – une plainte contenue. Dans la parfaite ressemblance avec quelques hommes – avec quelques sages peut-être – d’autrefois où la vie se tissait sans drame des origines à la fin – avec des bruits de chaînes pendues aux souliers usés par tant de marche – par tant de pas. Et l’ombre minuscule et le souffle inspirant pour trouver quelque part la clé des secrets…

 

 

Un corps, une lisière, une langue. Comme les seuls instruments – nécessaires à la poursuite du voyage – à ces foulées, parfois si réticentes, sur l’herbe rouge – sur ce pauvre sol de la terre…

 

 

A l’épreuve d’un temps éprouvé – trop affirmatif dans la bouche de quelques âmes – en fuite comme toutes les autres – dans le refus du répit – le refus de la source qui enfanta l’ombre avec le grain – et les barreaux avec la condamnation à chercher sans fin ce qui circule avec le sang – de part en part – sur les chemins – de vie en vie – dans l’effroi – à la porte, toujours close, du mystère…

 

 

Et l’attente encore face aux heures – face aux rêves et aux miroirs. Quelque chose d’infime dans cette nuit indéchiffrable. Un peu de chair, un peu de sable, à peine l’apparence d’un visage. Quelques bruissements, un geste parfois, la caresse de l’inconnu dans l’ombre de cette parole si étrangère…

 

 

Le désir d’une confiance insubordonnée – affranchie des clameurs et des promesses. Comme une bouée – comme un phare – sur ces eaux sombres – sur ces eaux si éphémères…

 

 

Des grilles encore. Et derrière, l’énigme à résoudre. Le visage de l’effondrement. Le rire – et la pierre où s’élève l’angoisse. Les jeux et le temps fertile. La chair féconde, les briques, les murs et quelques rêves étranges. Avec au-delà – le bleu grandiose du ciel d’avant – immobile – sans limite – impérissable…

 

 

Une vitre, une bouche. Et la buée fragile entre le désir et l’horizon…

 

 

Et la mort comme la frontière qui sépare ceux qui rêvent de ceux qui ont rêvé. Les vivants – orgueilleux presque toujours – et les morts – plus humbles et moins naïfs dans leur sommeil…

 

 

Sans âge – sans chemin – à peine une ébauche de visage – un œil – une oreille – posés parmi les pierres. La chevelure défaite par les vents. Un regard sur les étreintes. Et la main, comme les fleurs, plongée dans le poème – cet art si précieux de vivre en déséquilibre entre ce qui est et ce qui vient. La vie en itinéraire – et la mort comme le ciment des adieux perpétuels à ce qui passe – et s’efface l’instant d’après…

 

*

 

Très touttrès rien. Et ce vague à l’âme. Et cette fragilité hors de propos…

 

 

Les soubresauts du vivre individuel à l’épreuve du monde, des émotions et des circonstances – qui résiste presque toujours – et, parfois, de façon si vive – à l’effacement…

 

 

Et ce si rien – ce presque rien – qui s’imagine (si souvent) être autre chose…

Toujours à geindre, à résister, à bâtir, à revendiquer – à enchaîner les rires, les larmes et les commentaires – sans cesse soumis aux exigences et aux gesticulations du vivre. A la prétention d’être un visage – d’être quelqu’un…

 

*

 

Chacun, en ce monde, prend et donne. Mais il est rare, au quotidien, que ces mouvements se fassent parfaitement et naturellement synchrones avec le (ou les) mouvement(s) (complémentaire(s) ou opposé(s)) d’une autre (ou de quelques autres) entité(s) individuelle(s). Comme si chacun prenait et donnait à son rythme propre – et en des espaces et des temps spécifiques – qui coïncident rarement à ceux des autres. D’où, peut-être, l’attrait et la magie des respirations communes et collectives – si recherchées par les hommes…

 

*

 

Confronté(s) toujours aux vieilles lunes de l’ignorance qui font office de lampe – de médiocre lumière – pour éclairer les pauvres rêves et les pauvres gestes des hommes – presque entièrement responsables de l’infortune du monde…

 

 

L’aveu d’un possible au bout d’un bras lourd de tous les présages anciens – totalement inutiles aujourd’hui…

 

*

 

Une peine – un appel – posés au cœur du silence. Et cet écho très haut – très loin – dans l’âme frémissante. Comme un chant au milieu du noir et des visages. Et, soudain, quelque chose chute dans la stupeur – comme une évidence. Et les mains délaissent (presque aussitôt) toutes les décevantes trouvailles engrangées dans les besaces pour laisser les yeux contempler la beauté du jour qui se lève dans les cœurs et les paysages. Comme un peu de répit dans le cours, si souvent mouvementé, du voyage…

 

 

Une blancheur au milieu de la nuit. Quelques silhouettes qui arpentent les collines. Un feu et un ennui derrière les volets clos des chambres communes. Et l’esprit libre – nomade – qui saute par-dessus les habitudes et le temps pour aller s’asseoir là où personne ne l’attend – au-dessus de l’abîme – sur quelques pierres qui font face aux falaises. Porté par cette main – si haute – qui le pousse à l’aventure, à la solitude et à l’errance – et, peut-être, vers ces retrouvailles tant espérées…

 

 

Délires et songes d’une âme à moitié nue qui se repose de ses mille tentatives d’envol – et de tous ces carnages accomplis dans le rire et l’indifférence. Blessée encore par la faim et le feu – et espérant toujours trouver un lieu plus propice à l’intelligence et à l’Amour. Rêveuse d’une ère de fin des temps où l’être saurait remplacer la souffrance et la certitude par l’étonnement et l’innocence – et où vivre aurait (enfin) le goût de l’enfance et du sourire…

 

 

Un vent brut – sauvage – dépouillé de toute ambition et de toute mémoire – affranchi du rêve et du désir – nu en quelque sorte – qui gifle le monde et les visages – et secoue les âmes – pour leur révéler ce qui se cache derrière le pire, les masques et les mensonges ; ce plus précieux – toujours – à notre portée…

 

 

Ciel, monde et mort. Et toutes ces naissances soumises à la marche et à la pesanteur. Et ce gris dans l’œil confiné à l’attente. Bouches frémissantes dans les rumeurs du temps et la légende des Dieux. Mains ouvertes à ce qui roule et s’avance – aux destins et aux âmes qui frissonnent dans la nuit – à cet étonnement dans l’haleine des hommes éclairés par le souffle, si faible, des étoiles. A quelques encablures seulement de ces profondeurs incertaines – de ce lieu si vague – si imprécis – où le monde, le ciel et la mort s’unissent en un seul visage qui nous est plus familier que le nôtre – si apparent et trompeur…

 

 

La boue, les cimes, l’immensité. Un monde, des abîmes. Et le silence où tout vacille – jusqu’à la peur – jusqu’à la souffrance – jusqu’à notre désir de délivrance…

 

 

Aux sources de l’attente – aux sources des élans – aux sources de tous les souffles créés par le monde – cette combinaison de matière et de ciel – demeure une arche haute – immense – indicible – aux portes de chaque visage. Dans l’âme des êtres et des choses. Au croisement de tous les chemins empruntés par tous les croyants et les indécis – par tous les sages et les imbéciles…

 

 

Une route – et mille chemins. Et ces chants pour atténuer l’attente – raviver l’espoir de rencontres nouvelles – agrémenter la routine et bouleverser les habitudes – et défier, peut-être, la certitude de nos vies plus ou moins errantes – plus ou moins ferventes – souffrantes au milieu des mirages et des promesses – impatientes de voir s’approcher un ciel tardif et lointain – et, sans doute, inéluctable…

 

*

 

La beauté – et la préciosité – du monde et des initiatives humaines – antagonistes si souvent – qui forgent, malgré elles, l’avenir de tous. Comme une immense chorégraphie où chaque danseur contribue à l’équilibre – fragile toujours – de l’ensemble en mouvement…

 

*

 

Jaillissements, grincements et effacements sur les graviers. Plongeons dans le noir des abîmes. Et, en attente, ces vies à cloche-pied sur ce qu’il reste de désir et de sang…

 

 

Une pierre, un arbre, un visage – et cet élan trop timide pour oser pénétrer le sol jusqu’aux racines où se terre l’origine du monde…

 

 

Nous-mêmes dans le progrès – maltraitants et maltraités avec les outils façonnés par nos propres mains – agissantes – et dociles aux injonctions du monde – soumises à son ambition – et à sa puissance incontrôlable. Esclaves, en somme, d’une inévitable atrocité…

 

 

Nous travaillons – la tête baissée – dans l’habitude d’un même désir – inchangé – et indétrônable sans doute ; celui que l’on espère voir se réaliser – les mains plongées dans le labeur – et qui, pourtant, ne s’accomplira ni par l’effort, ni par la volonté…

 

 

A mi-parcours toujours entre ce qui vient et ce qui a été abandonné – sans même jouir de l’instant qui s’achève…

 

 

Dérives altières – caresses perdues. Et cet Amour amputé par le désir – encerclé par nos bras trop proches du reflet des étoiles – pour briller sur la terre…

 

 

A quand la beauté et la lumière… A quand la fin du mystère – et le silence dans la continuité des élans…

 

 

Un dedans orageux – un chemin incertain – et des vies multiples – autant que nos visages. Pris par le rythme fou des tambours percutés par les mains – par les pieds – qui cherchent une issue ordinaire. Et immobiles plus que tout dans la vérité changeante – insaisissable – crucifiée au milieu des fronts – entre les tempes – partout où les rêves demeurent vivaces…

 

 

Terre, pluie, prières. Et le même chant dédié aux Dieux et aux étoiles pour susciter la certitude et l’abondance…

 

 

Partout, la prétention – et la perpétuation, si tenace, des mensonges. Le regain des jours et du désir. La parole affranchie de toute volonté – de toute expertise. Et ce dédain à l’égard de l’Amour, de l’histoire et de la mort. La vie, les choses et le monde sans cesse réinventés…

 

 

Merveilles en lambeaux – espoir réaffermi dans son illusion. Perte encore. Chemin et effacement toujours. La marche et les croyances tenaces. Et un rire immense – presque saugrenu – derrière les miroirs et les reflets. Et la vérité – éclatante – au-dedans d’un monde malade – voué à l’habitude et aux répétitions – inguérissable sans doute…

 

 

Un espace, un cri, une vérité peut-être – inaudible depuis ces rives trop bruyantes…

 

 

Un baiser – une caresse – offerts à la somnolence. Un silence – l’éternité – invisibles dans ces milliards de gestes trop adorateurs du monde…

 

 

Absence et froid au cœur des foyers. Illusion et danses autour d’un feu qui, peut-être, abrite la vérité. Cercles concentriques au noyau inaccessible. Doutes, peurs et chemins jusqu’au seuil où s’élève le plus déroutant. La magie des pierres et les reflets du temps. Une pause et un poème – un peu de répit pour l’immonde – l’atroce – qui arpente nos profondeurs – et invite nos mains (consentantes) à arracher les viscères pour les porter à la bouche des victimes et des bourreaux. Le voyage et la mort en signes – et en évidence – récurrents comme les siècles dans lesquels s’attardent (trop longuement) les hommes…

 

 

Quelque chose – comme une légèreté – se tient dans notre obstination. Un regard – toujours entre deux âges – entre le rire et la maladresse. Une peau, peut-être, que l’on porterait à l’envers de notre misère – à l’envers de notre destin…

 

 

Abandonné par les arbres, les visages et le silence – quelque chose – une relique sans doute – s’offre à la solitude ; l’eau acrobate et l’urne des secrets peut-être…

 

 

Le visage prosterné qui, autrefois, rêvait d’apprivoiser tous les soleils cachés au fond du sommeil – cette forme de réel atrophié – amputé par l’attente et le désir…

Accroupi, à présent, pour recevoir l’obole – la paix promise – le cœur de toutes les époques – la clé de tous les déguisements – ce que nous cherchions vainement dans les eaux troubles du monde…

Un mélange de grâce et d’incertitude. Comme un manteau de joie et de silence par-dessus nos guenilles…

 

 

L’allégresse de la solitude affranchie des blessures et de l’exil. Comme un chemin – un écart peut-être – entre le rêve et l’angoisse…

La distance nécessaire avec l’ombre pour offrir à l’espace le peu qu’il nous reste – le peu qui a survécu aux grands chamboulements de la traversée. La soustraction de tous les possibles pour célébrer le réel – et lui restituer sa place – son envergure – et sa fonction au sein d’un monde que seuls les rêves et les mythes inspirent…

 

 

Impassible – immense – le regard sur les joutes, les jeux et les confidences. Sensible, pourtant, à l’impudeur des témoignages, aux épreuves et à l’ampleur de l’expérience. Acquiesçant à tous les rires et à toutes les sueurs. Et heureux de se voir, parfois, invité à la dernière heure…

 

 

L’incessant recommencement de toute chose – livrée aux menaces, aux périls, aux épreuves – hantée par ses rêves et sa (propre) fin. Idolâtre, malgré elle, d’une aube mystérieuse – inconnue – flottante, peut-être, au milieu du monde et des pas – sur tous les visages – et dans le sable même sur lequel tout se bâtit…

 

 

Dans l’ombre d’un rien – silencieusement – tout s’écoule…

 

 

Et ces hommes qui, comme les poètes, cherchent leur destin dans le silence de l’âme et des pages. Titubant – ivres du même sommeil – ivres du même soleil. Epuisés par les rêves et les rumeurs d’un monde trop prévisible. Marchant inlassablement vers ce lieu – vers cet ailleurs – en eux-mêmes. Défiant le temps, les mirages et l’illusion – entre délires parfois et insomnie. Obsédés par la même quête – fascinés par la même lumière – cheminant vers l’abandon et l’effacement – pour découvrir, un jour peut-être, la beauté de l’éphémère – et la grâce de l’éternité – dissimulé(e)s au cœur de l’innocence…

 

 

L’humilité et l’innocence aujourd’hui. Et demain qu’adviendra-t-il ? Aurons-nous la sagesse de nous effacer plus encore…

 

 

Souffle, vécu, expérience. Le même rêve qui – lentement – nous emporte vers la mort…

 

 

Une larme, parfois encore, coule sur notre joue – et se glisse entre les lignes pour dire la beauté de tout apprivoisement – et la beauté de toute liberté – réunis, après mille danses, en un seul mot – en un seul silence…

 

*

 

La parole et l’esprit trop doux – et trop fiers – ne peuvent dire l’orage des vies – ni résoudre le mystère. Pas davantage qu’ils ne peuvent révéler le secret qui se cache au fond de chaque goutte de pluie…

 

*

 

Dans la houle permanente du renouveau, du prolongement et de la finitude. Le couperet, bien en évidence, au-dessus des têtes. Voués à la vague autant qu’à la grève. L’écume, l’horizon et l’océan comme seuls appuis – et seuls refuges. Et le silence où viennent mourir tous les cris et les échos…

La goutte et l’infini, en somme, réunis pour le même voyage…

 

 

Ailes, caresses, arrachements. Livrés au sang et à la faim – à ce qui respire autant qu’à ce qui s’élève au-dessus du monde – au-delà des étoiles et des horizons – parmi les reflets si changeants des siècles. Comme des destins d’occasion – recyclés mille fois déjà – qui serpentent entre les rives et les rêves pour parfaire les gestes et parvenir au bout de chaque traversée…

 

 

Epaules et têtes nues – chair décharnée – criblées de flèches et de souvenirs – au ras d’un sol déjà mille fois parcouru – à l’itinéraire invalidé par mille exploits et mille dérisions. Inaptes au franchissement des siècles et du temps. Sacrifiés, en somme, sur l’autel des vivants…

 

*

 

A quoi rêvent les fleurs ? Et à quels désirs se soumettent les pierres ? A-t-on déjà vu l’Amour transcender les hommes – et la haine semer l’innocence sur les chemins ? Serions-nous donc coincés entre l’illusion et la raison pour ignorer ces questions – et ne pouvoir y répondre…

 

*

 

La vie évoque les saisons et la multitude. Et la solitude, la mort et le désert. Et, pourtant, les hommes et les fleurs se glissent partout – dans toutes les danses du monde – et sous tous les soleils de la terre…

 

 

Mille mains – mille gestes – mille bouches – mille mots. Et un seul visage – un seul regard pour tout contempler…

 

 

Tout brûle – et s’évapore – en ce monde. Les souffles et les rumeurs – les jeux et les supplices – le sable et les horizons – les existences et les légendes – et jusqu’à la promesse de tous les Dieux…

 

 

Un puits où jeter les rêves, les offrandes et les ancêtres. Un trou où enterrer les vivants, les souvenirs et quelques cris encore tenaces. Un fil sur lequel danser pour échapper à la mort assise de tous les côtés – et s’avancer, l’âme innocente, dans la gueule du monde – dans la gueule des siècles – dans la gueule du temps – dévoués enfin (presque tout entiers) à la vocation de l’homme…

 

 

Loin – asphyxiée – cette obole d’autrefois – offerte par des mains tremblantes – trop suppliantes, peut-être, pour s’affranchir de la peur et des promesses lancées par un Dieu inventé par les hommes…

A présent, nous demeurons silencieux – mains jointes, parfois, devant la grâce et la rudesse. Nuit tournée dans tous les sens, puis inversée – et qui laissa, un jour, jaillir la lumière. La passion rongée, peu à peu, par l’errance. La faim convertie en solitude. Le monde défait comme un continent inutile. Acquiesçant à toutes les tournures et à toutes les chutes. Seul et vivant dans le presque mourir, dans l’incertitude et le plus sacré du vivre. Au bout d’un chemin peut-être – au croisement de la fleur et du poème – entre quelques flammes et quelques blessures anciennes – dans le vertige et la célébration de ce qui respire. Né peut-être enfin à nous-même…

 

 

Choses vues à travers l’alphabet – et quelques expériences aussi rebutantes que déroutantes. Des visages et des défilés. La profusion de la chair dans l’intimité du secret. La confusion et l’arrogance. La bêtise, les ombres et la guerre – prétextes à tous les acharnements. Le monde et les chemins. La vie qui va, la vie qui vient. Des fenêtres ouvertes sur la mort. Et le désir de l’au-delà dans tous les recoins de l’âme. La visite des Dieux. Mille livres et mille poèmes. Le ciel sans voix devant l’ignorance. Et l’infime sans éclat devant l’infini et le silence. Ce qui arrive – ce qui passe – et ce qui s’efface. La poursuite des jours, la nuit et la lumière. Et cette peur si animale – et cet espoir si humain. Les os que l’on enterre et qu’on laisse pourrir dans tous les charniers. Des caresses, des symboles et des mensonges. Bref, tout l’attirail des hommes face à l’angoisse et à l’indéchiffrable…

 

 

Dans ce pays de silence où tout s’accueille…

Et cette voix truculente qui cherche sa sente dans l’économie du langage…

 

*

 

Ce fut la lutte – puis l’exacte place des bras. Ce fut la langue – mille mots de braise – mille mots d’éclat – puis le silence. Ce fut l’enfance – longue – interminable – puis la sagesse de tout quitter. Ce fut la bête avant de devenir l’homme…

Ce fut le vent – et ce fut la faim – puis, au bout du siècle, la fouille et le chagrin. Ce fut la marche – la fuite – puis l’assise, toujours incertaine, sur le bleu si imprévisible du ciel. Ce fut la vie (notre vie) – puis la fin du souffle. Ce fut notre voyage vers l’infini…

Bien peu de chose(s), en somme…

 

*

 

Que connaissons-nous du monde ? Que connaissons-nous des foules ? Et que connaissons-nous du désir et de l’importance d’être un homme ?

 

 

Quelques confidences en guise d’aveu. Quelques mots – quelques lignes peut-être – sans réelle envergure. Le témoignage d’un emploi – et d’une place – peut-être sans équivalent. L’honnêteté et la franchise d’une fouille et d’un chemin – confrontés aux petits aléas de l’existence. Ni plus ni moins la vie de n’importe quel homme…

 

 

Le simple – le plus simple – à la lisière du dicible – présent, en nous, comme le seul désir – comme la seule promesse – sans autre raison que d’être là – existant au fond de la complexité et des complications – apparentes…

 

 

Enfant, nous étions là déjà – la bouche hébétée et le cœur chagrin – chaviré par tant de danses. Assis dans cette torpeur – et cette incompréhension du monde et du voyage. Inconsolable à jamais – sans doute…

 

 

L’usure du monde et l’utile des choses. Tant de nécessités façonnent la terre, les hommes et les siècles. A parts égales, peut-être, avec le mystère…

 

 

Un peu de brume sur l’écume. L’aveuglement sur le presque rien des vies – dans le presque rien des têtes – plongées au milieu du feu et de l’océan – où le vent n’est qu’un rêve pour rejoindre l’autre versant du monde – l’autre versant du temps…

 

 

Quelques feuilles – quelques poèmes – posés là sur les pierres – insensibles au langage – destiné(e)s aux édifices de l’homme…

Des chantiers partout sur la terre – comme un jeu – le simulacre d’une grandeur – le symbole d’un peuple érigeant sa gloire et sa légende. L’envahissement et la colonisation portés par les rêves – et l’ambition de l’or. Le mythe de la liberté. L’œuvre de la déraison et de milliards de fantômes trop fertiles – et trop peu sages – pour savoir associer l’être, l’existence et le devenir. Le prolongement du labeur des anciens. La continuité de l’histoire. Quelques chimères pour défier la mort. La construction des ruines prochaines – et l’émergence, bientôt, d’une nouvelle apocalypse – dans le cycle sans fin des recombinaisons…

 

 

Des chemins, des larmes, des abandons. Les hauts lieux du rêve et de la misère. Et quelques têtes dressées au-dessus des mirages pour contempler le désastre et révéler l’inutilité des luttes et des résistances – passives, en somme, au milieu des combats – comme figées par la puissance et la vanité de tous les élans…

 

 

Profil bas devant les pentes où roulent les pierres, les crânes et la folie – le sang, les ombres et les poèmes. Muet face au labeur des hommes et des astres où le hasard a, peu à peu, été refoulé. Désengagé de l’œuvre en cours, tête et mains, pourtant posées entre les enclumes et les marteaux. L’âme rétive et l’esprit forcé à l’acquiescement. Ici – et, sans doute, déjà ailleurs – en surplomb du monde qui, depuis toujours, tourne en rond…

 

 

Errances – partout – et tentatives. Sous l’emprise des rêves et des désirs. Au fond d’un sommeil. Au fond d’un trou. Sur une corde où dansent mille silhouettes et mille fantômes. Sous les étoiles – immergés – dans le règne des créances et des dettes – avec l’abondance et le progrès que l’on agite sous le nez des peuples à peine sortis des cavernes – à peine sortis de l’enfance – dont les bras bêchent encore la terre et dont les yeux, parfois, se penchent sur quelques livres mais dont les pieds avancent toujours avec maladresse sur tous les chemins de l’infortune

Et, pourtant, comme chacun, nous vivons et agissons – happés par les inéluctables nécessités du vivre. Et, comme tous les autres, nous participons à la marche inexorable du monde – dans la croyance, parfois, d’une vague utilité – et sans même pouvoir échapper à quelques illusions et à un peu d’arrogance et de vanité. Fidèle, en somme, à la condition de l’homme – et loyal envers ce qui, dans notre vie, œuvre à notre insu…

 

 

Incapable de vivre sans livre, sans arbre, sans poésie – sans chien(s), sans écrire ni marcher quotidiennement dans les collines. Incapable de vivre sans le sacre journalier (presque permanent) de l’ordinaire. Et incapable, bien sûr, de vivre au milieu du monde, des hommes et du plus commun…

 

 

Un cœur – une sensibilité pure – en résonance avec tout ce qui bouge et respire – et crucifié(e) encore si souvent…

 

 

Pourrissant déjà, tout élan – vers l’or – vers le mystère – essoufflé avant d’atteindre sa destination. Il faudrait renoncer au but – et s’appliquer davantage à fouiller le pas – chacun des pas – qui abrite ce que nous cherchons ; le silence, la paix et la joie – hors du monde – hors du temps…

 

 

Hymne à l’errance, à l’ardeur, aux cibles et aux flèches – aux mensonges – aux chiens fous de l’ignorance – bave aux lèvres et babines retroussées – prêts à mordre pour protéger quelques chimères. Hymne aux mains plongées dans les gueules – dans le feu – parées aux attaques. Et à tous ces yeux qui répandent la haine. Et à l’apesanteur (si souveraine) de l’immobilité qui règne au-dessus des atrocités – et au-dedans de chacune d’elle (pour celui qui sait voir)…

 

 

Des hauts, des bas et des travers. Et ces horloges dans les têtes qui précipitent le temps. Les circuits et les parcours – tous les cycles, tantôt longs, tantôt courts. La faim – toutes les faims – qui traversent les jours et enjambent les rivières gorgées toujours de pluie, de sang et de larmes. La marche des mondes – la démarche des fous. Et ce poids insensé sur les épaules. Le sommeil, les croix et la vérité. Dieu, les hommes et les arbres. Les bêtes – tout le bétail – les peuples – tous ces troupeaux que l’on mène vers la mort…

 

 

Enchevêtrées de rêves et d’éclats, ces âmes frondeuses qui parcourent la terre en prêtant le flanc à tous les combats – et qui dressent la tête dans toutes les épreuves – cherchant le pain, la lune et la paix sur tous les chemins – et au cœur déjà mille fois brisé par l’horizon…

 

 

Un souffle encore – et mille choses à goûter, à défendre, à répandre pour se donner l’illusion d’exister…

Ce qui bouge – serpente et gesticule – au milieu des eaux…

 

 

Un goût d’ailleurs – un précipice. Le temps, en nous, célébré comme l’or du monde. Le sommeil, la blancheur des âmes et la mort ; ce que nous révélera, plus tard, la vérité – entre rires et sanglots…

 

 

Marche encore – vertige entre l’écume et la braise – poussés par le vent, le désir et le rêve. Inconscients des ombres à nos côtés. Offrant un peu de folie à l’habitude – à la routine. Ligotés à tous les possibles et à toutes les infortunes. Encore vivants – à genoux – debout parfois – entre ces murs – en ce lieu où nous ne sommes personne…

 

 

Un jeu, un songe. Et entre les lignes, un instant de clarté. Et un rire pour ne pas trop désespérer du déséquilibre – et de la chute prochaine – inévitables…

 

 

On peut tout redouter sans voir, en nous, le seul péril. On peut chanter à s’en arracher la gorge sans découvrir – partout – la justesse du silence – et l’exactitude de la faim promise à l’assouvissement. La clé perdue au milieu des épines, de la fièvre et des disgrâces – et la mort de tous ceux qui auront essayé…

 

 

Le sommeil, la terre et la faiblesse des cris. L’ardeur des poings fermés, l’écrasement de la terre et la révolte vaine des peuples soumis. Un ciel, des souffrances. Et le témoin – sans charge – des morts et des survivants qui peinent depuis toujours sous la pluie – au milieu des chants – dans la douleur d’exister…

 

 

Devenir simple regard – simple présence – parmi les herbes et les civilisations grandissantes et déclinantes – la source de tous les courants où glissent le monde et les pas. Le silence qui accueille les cris et les chants. L’origine – et le plus humble sur lequel pousse l’abondance. Quelque chose comme une joie – pour vivre au milieu de la tristesse et des vivants…

 

3 juillet 2018

Carnet n°153 Ici, ailleurs, partout

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Quelques masques – un peu de nuit – sur le visage – et sur beaucoup d’autres serrés dans le retrait – le long des routes. Seuls avec leurs mensonges. Le froid recroquevillé au fond de la gorge – sous les aisselles. Le prix de la fatigue. Le désir d’un autre jour – et l’espérance d’une autre couleur. Et la vérité enfermée au milieu des têtes – au milieu des rêves – portée comme une chimère…

Rien de nouveau. Le vent, la pluie, le soleil. Le froid et la solitude des âmes. Et ces visages – entre chair et cœur – enfoncés dans la nuit. Le temps qui s’écoule comme l’eau des rivières sur ces rives endormies. Les hommes, les bêtes et la terre serrés – ensemble – si indissociables dans l’infortune grandissante du monde. Et cette présence parmi eux – parmi nous – comme une main secourable et bienfaitrice tendue vers la tristesse – et toutes les existences tremblantes et apeurées…

 

 

Quelque chose se penche – et résiste à la multitude, aux haleines désespérées et au froid qui se glisse entre les murs. Quelque chose s’approche – et circule – qui a la valeur de l’intime et la voix plus chaude que celle de nos invectives. Quelque chose tremble – et s’agite – face aux déconvenues.

Et au cœur de notre vie – un monde – un regard sans doute – finit toujours par s’accrocher à nos grands yeux tristes – la vision d’une autre terre – d’un Dieu – à l’innocence éprouvée – un monstre terrifiant et pacifique venu, peut-être, engloutir nos rêves…

 

 

Nous avons l’impudence de ronronner dans le silence – offerts tout entiers au sommeil et à l’abondance. Fidèles aux murs, à la lune et aux étoiles – à cette tradition millénaire du rêve alors que le jour tend, depuis toujours, la main à notre tristesse…

 

 

Et, soudain, cette envie d’hiver sous la cendre comme la promesse d’un silence – d’une enfance – d’un peu de neige sur les restes de ce feu qui a tout consumé – le monde – la vie – et jusqu’à notre présence, si incertaine, parmi les vivants – parmi les morts et ceux qui espèrent encore…

 

 

Des guerres et des orages traversés, nous ne revenons jamais indemnes. Mille jours et toute l’histoire du monde dans un poème. Et plus loin – et partout – jusqu’entre nos lignes peut-être – le sang et le silence retrouvé. Ce goût de vivre – et cette joie – au milieu de l’ombre et de la chair…

 

 

Debout – près de la source – parmi ces rêves – à regarder l’eau des rivières et la boue des flaques converger vers le même avenir…

 

 

Quelque part, en nous, résonnent ces jours de fête d’autrefois où les voix et le silence régnaient en maîtres sur les figures. Où les bruits et les pages soulignaient la même énigme. Où la mémoire était l’enfance du feu – les prémices de l’élan nécessaire pour vaincre le doute et la peur. L’arrière-pays du plus simple caché au fond de nos visages épouvantés…

 

 

Mort – et ces ruines abandonnées au fond de la chambre. Délaissées sur le froid des pierres noires – polies par la pluie et le temps. Et, en nous, sur un seuil mille fois franchi, la couronne de l’Amour – la couronne de l’innocence – enchevêtrée au plus clair silence. Le goût de l’Autre peut-être – porté par une main levée au milieu de notre chant – et ce qu’il faut d’astreinte et de désir pour voir l’obscurité disparaître…

 

 

Terres noires dans ces restes de lumière. Et l’ébauche d’un trait – d’une parole peut-être – pour revendiquer l’Amour et la justesse des larmes dans ce monde si hivernal où les têtes s’affaissent dans la poussière et la boue au lieu de se redresser vers le seul pays natal

 

 

Brûlant seuls – toujours – au milieu de l’effroi – parmi ces chants inaudibles – immortels – que seules les âmes innocentes peuvent libérer. Libres sur ces sentiers délaissés. Silencieux au milieu des visages effrayés par tant d’exil – le poème et le poète anonymes…

 

 

Une berge, des fantômes, quelques pas. Et ces chemins méprisés par les foules en quête d’un autre jour – d’un peu de lumière dans l’abîme. Le visage de l’absence. Nous-mêmes, peut-être, depuis toujours…

 

*

 

Ce que la vie et le monde – à travers les circonstances, les rencontres et les visages – nous font (vainement) gagner en connivences fragiles et en fausses certitudes, nous le perdons – presque aussitôt – en solitude et en sensibilité. Comme si le sentiment de confort et de sécurité (illusoire, bien sûr) entamait systématiquement notre capacité à vivre en conscience vivante – ouverte sur l’incertain – et réceptive au merveilleux et à l’atrocité de ce qui s’avance vers nous…

 

*

 

Vers quelles terres s’enfuient les conquêtes du jour ? Serait-ce dans l’imaginaire et la folie que s’éloigne ce qui se tient, tremblant, entre nos mains ?

 

 

Le monde, la folie et le poème. Tout végète – et se meurt – sous l’égide des maîtres. Mieux vaut le cri et la révolte – et plus encore le silence – que la soumission et les ruines des siècles…

 

 

Des larmes encore sur les bûchers fumants. Et ce rire comme une halte à peine visible entre la souffrance et la mort. Une joie dans les restes de ce qui respire…

 

 

Quelques masques – un peu de nuit – sur le visage – et sur beaucoup d’autres serrés dans le retrait – le long des routes. Seuls avec leurs mensonges. Le froid recroquevillé au fond de la gorge – sous les aisselles. Le prix de la fatigue. Le désir d’un autre jour – et l’espérance d’une autre couleur. Et la vérité enfermée au milieu des têtes – au milieu des rêves – portée comme une chimère…

 

 

Un langage nouveau comme une terre à déchiffrer – offre aux yeux des visages inconnus – des paysages insoupçonnés – le poids d’une autre mesure – et la perspective des Dieux éclairée peut-être…

 

 

Le sol, les danses et la mort. Et cette grimace – comme un sourire – comme une trace, à peine visible, au fond de l’humilité. La présence des Dieux sur la blancheur et la nuit éventrée. Quelque chose à la saveur incertaine – au visage méconnu – au-dedans de ce qui est né – au-dedans de ce qui gesticule sur la terre et agonise sur les chemins – et que jamais le hasard ne pourra délivrer…

 

 

Un monde de roche, de vigueur et de lacune où le combat et l’ignorance sont devenus les aires du sacrifice. Avec le chant et le sang qui montent du ventre du monde à travers mille siècles sans surprise. La mission première, sans doute, de la terre féconde. L’honneur et l’absence de l’homme. Et l’âme de l’ombre – promise au jour – qui s’enfonce lentement dans les ténèbres…

 

 

Quel sera le cri – la parole peut-être – de ce jour nouveau au souffle si ardent ? Et que nous dira-t-il du naufrage et des survivants – et de cette vie morte avec la fin du temps ?

 

 

Trébuchements et déroutes sous l’attention d’un seul regard. Le rouge et le noir – l’âme et le sang – écoutés d’une même oreille pour immobiliser le voyage – défaire le secret qui se tient dans les veines – et révéler la réponse à tous les mystères…

 

 

Une saison – un parfum – une couleur – lissés à l’automne sur la même feuille. Puis, la descente progressive vers le sol. Et l’hiver bientôt – magnifié par la neige. La peau neuve d’un temps fatigué.

Effacé(s) par le mystère – emporté(s) par l’innocence nouvelle. Et la guérison de l’âme avec le froid survenu dans cet immense désert…

 

 

Extases et fureurs sous la même lumière. Esclaves d’un bonheur né de victoires passagères. Choses vues et entendues – à peine comprises sans doute. Danses rayonnantes – et bientôt épuisées – au milieu des pierres et des visages où se mêlent la mort et ce reste de superbe porté par nos yeux si flamboyants au cœur de la misère…

 

 

Soupirs immortels au milieu de l’Amour. Règne de l’attention et du partage dans cette ivresse à ne rien dire – à laisser les âmes s’épuiser – et se guérir – dans la proximité de quelques poèmes lancés comme des mains dans la nuit – comme un secours dans la détresse – le seul recours, peut-être, pour l’esprit des hommes endormis…

 

 

Un destin vertigineux – des mains tristes – et, au fond de l’âme, ce soleil exsangue – moribond – exténué par trop d’assauts et de sang versé…

Un néant – et quelques doutes aussi noirs que les règnes d’antan – que le sacre des siècles barbares. La misère du regard si familier des discordances – et de cette différence affichée comme un étendard. L’infime à bout de souffle devant l’absurde envergure du monde – face à la souveraineté de la déraison – presque joyeux – et agenouillé – en ce lieu où semble renaître la possibilité de l’Absolu…

 

 

La nudité du regard et du silence – la nudité des visages et des yeux plongés au-dedans du monde. L’approfondissement d’un secret au milieu des fronts trop douloureux pour révéler ce que l’âme dissimule depuis la nuit des temps…

La blancheur des lignes, le mouvement des astres et l’éphémère des corps – puisés dans l’infini…

 

 

Un pilier – mille piliers – un palier – mille paliers – pour l’homme indécent dénué d’esprit et de grâce qui s’échine à toutes les ascensions – si peu soucieux de la découverte de l’âme dans le monde – et du monde dans l’âme – et si insensible à cette beauté obstinée qui se cache derrière le désespoir de chaque visage – et l’ampleur de notre fascination pour le jour suivant…

 

 

Une déchirure, un poème. Et mille jours de silence pour effacer la douleur – les traumatismes d’une vie insecourable…

 

 

L’oubli, la mort et le froid. Et tant d’années passées à s’éloigner de l’inexorable…

 

 

Lointain le vertige d’autrefois où la complainte et la complaisance s’exerçaient sans risque – dans la certitude d’un avenir – la promesse d’une caresse…

A présent, la voix est muette – et la main sincère dans son geste – juste pour tout dire – dans la proximité d’une nuit et d’une terreur qui n’effrayent plus…

 

 

On survit simplement – au ras des jours – au ras des choses – terrés comme des bêtes dans le noir et l’incertitude – souriant bêtement devant des visages sans importance. Heureux des rêves inventés par le monde pour nous soumettre à l’épreuve – avec pourtant, au fond de l’âme, l’espérance d’une défaite. Adulte, en somme – si atrocement adulte et résigné – dans cette intimité de la misère…

 

 

Parmi nous, la mort ressuscitée à chaque instant du jour dans le corps et dans l’âme – et sur le visage de tous les survivants en sursis…

 

 

Une lampe gît quelque part en nous – éclaire un peu cet archipel où sont entassés les vivants. L’homme, les plaines et les montagnes. Et quelques bêtes et plantes en partage – sacrifiées. Avec autour des spectacles – des spectacles permanents – l’eau, le vent et l’incertitude. Et au cœur de la terre, la clé de tous les voyages – et celle de tous les séjours sédentaires – pour apprivoiser la douleur et les visages – la solitude, la promiscuité et la mort…

 

 

Le commerce des vivants – un péril pour le monde – un peu de gloire pour les hommes (quelques hommes) – et la grande misère pour tous les autres…

 

 

Un vide si radical au milieu de l’inhospitalité. L’écoulement fade – morose – des jours qui s’enchaînent sans fin. Le défaut du regard posé sur le plus simple des choses – le plus simple du monde. Puis, un jour, la solitude qui détrône l’orgueil des poses. La vérité qui brûle le simulacre. Et le silence qui emplit la part manquante – cet abîme et ce doute où nous nous tenions atterrés…

 

 

Paroles chantantes – bruissantes d’un autre jour – pénétrantes peut-être – dans le vide et le silence. Avec l’étrangeté de ce langage né d’un ailleurs rehaussé en soi – et célébré comme le seul ciel – le seul horizon possible dans la décadence des siècles…

 

 

Oiseaux d’une aube ensemencée par le jour et nos mains laborieuses. Graines lancées dans le tintamarre des plaintes et les voix fortes – immatérielles – des vents. Et en suspens, notre âme – entre l’Amour – cet Amour tant espéré – et le monde – ce monde de mirages et de convoitises. Rassemblant l’œil et la course – la furie et les délices – l’immobilité et la danse – la sauvagerie des gestes et l’infini. Mariages – fusions – et réunifications des contraires. Effacement des effusions et des arrogances pour une humilité portée (vaillamment) par le silence – et la certitude du jour au milieu de la nuit et des errances…

 

 

La continuité d’un destin et des malheurs affranchis de l’espérance. La vie d’un homme et cet écoulement inexorable vers le plus simple. L’épopée d’un monde – de mille mondes – d’un visage – de mille visages – voués à la lumière et à la perte. Au franchissement du plus haut seuil : l’effacement.

L’aurore d’une parole dont le silence est aussi essentiel que l’écoute et les gestes – et les vocations peut-être – qu’elle fait naître…

 

*

 

Le regard de l’Autre* invite presque systématiquement au masque – masque qui offre, le plus souvent, un aspect lisse, agréable et harmonieux – attractif pour tout dire – comme un air de bonheur tranquille qui donne le sentiment d’une existence sereine et sage – imperturbable. Bref l’image d’une présence au monde épanouie et équilibrée – enviable et exemplaire – parfaite en quelque sorte…

* sa présence ou sa fréquentation…

Mais comme l’on se fourvoie, bien sûr, devant ce voile trompeur. Sous l’apparence et le vernis, on trouve partout la même figure – celle de l’homme assoupi, empli de rêves et de désirs – dévasté par l’ignorance, la solitude et la frustration – englué dans la paresse et la couardise – perdu et malheureux – seul et misérable en somme…

 

 

Le monde s’empare de ce dont il a besoin. Et il se sert ainsi chez chacun. Quant au reste, il nous laisse nous débattre avec ce qui, en général, nous échappe. Et nous travaillons ainsi sans répit, notre vie durant, à prendre et à donner mille choses qui n’appartiennent à personne

 

*

 

La poésie est un état d’ouverture et de rencontre avec le silence et l’incertain – avec le plus vil et le plus merveilleux que nous portons comme le monde – comme chacun…

 

*

 

Rien de nouveau. Le vent, la pluie, le soleil. Le froid et la solitude des âmes. Et ces visages – entre chair et cœur – enfoncés dans la nuit. Le temps qui s’écoule comme l’eau des rivières sur ces rives endormies. Les hommes, les bêtes et la terre serrés – ensemble – si indissociables dans l’infortune grandissante du monde. Et cette présence parmi eux – parmi nous – comme une main secourable et bienfaitrice tendue vers la tristesse – et toutes les existences tremblantes et apeurées…

 

 

Rien qu’un cœur – une âme peut-être – pour échapper aux bruits et à la brume du monde. A ce vacarme – à cette pagaille – comme quelques flammes – un feu allumé – à la périphérie de cet immense cercle de glace…

 

 

Un grain dans l’espace. Et quelques paroles brûlantes – rouges – incandescentes – au milieu du silence. Lancées sur les terrasses du monde – dévasté par l’ambition et la gloire de quelques fronts – insensibles à la folle ressemblance des âmes…

 

 

Le langage comme le jour d’après le jour. Un silence à même l’écho d’une parole. Nuit et feuillage au milieu des dissemblances. Pages et édifices bâtis sur les paumes de la désespérance. Un peu de vent pour faire éclore les graines depuis trop longtemps abandonnées au fond des esprits paralysés par la peur et la paresse…

 

 

Feu défait – serrures déverrouillées. Injustice et temps enjambés d’un seul saut. Intérêts nuls. Comme une perte infime – négligeable – dans l’immensité des siècles – d’une seule époque peut-être. Ciel et oiseaux de passage. Foulées lentes entre quelques arbres millénaires. Mille bouches, mille bêtes, mille glaives. Et l’innocence toujours invaincue…

 

 

Debout – haut dans la douleur – ce regard où convergent le langage et l’infini – le poète, les bêtes et les hommes. Le soleil et l’abandon. Toutes les respirations du monde…

 

 

Au fond du jour – distrait par la mort des choses et la fuite du temps – cette fragilité qui émerge à l’issue de tous les combats – ce visage si beau sur la peau des vivants à l’âme féroce – reclus dans leur désenchantement. Le goût d’une ère nouvelle dans le voisinage des pierres, des rires et des étoiles après tant d’années à livrer le pire aux anonymes – la bouche tordue – et l’esprit si vague – comme endormi…

Loin, à présent, de ces traditions pesantes – rigides – si promptes à égorger au nom d’un Dieu – d’une vérité mensongère. Et, entre nous, ce visage apaisé – comme le signe d’un rêve ancien accompli – la mission de l’homme peut-être…

 

 

Des batailles, des tombes. Quelques fleurs – et quelques larmes – pour honorer les morts. La jeunesse d’une nuit galvanisée par la promesse d’un honneur et la récolte d’un gain – d’une trêve, peut-être, dans cette lutte sans fin…

 

 

Les choses – comme les visages – voyagent. Dérivent de port en port. Se perdent – découvrent des îles – découvrent des cages – et finissent par s’égarer dans leur quête de plus paisibles rivages…

 

 

La joie et la tristesse invitent à la même racine ; celle d’une douceur à découvrir – d’un silence entre l’ombre et le souffle – l’envergure d’une dynastie sans roi ni bataille – sans refus ni rejet – dont nous sommes (tous), bien sûr, les sujets pacifiques et sans arme…

 

 

Au plus près de la mort – cette perte – cette évasion – qui offre aux limites et aux frontières une autre couleur – et aux adieux un autre nom. Au bord d’une espérance que jamais les larmes ne pourront ternir. Le parfum d’un autre désert – moins sauvage – et plus printanier sans doute – avec des jardins comme des murmures pour dire aux hommes les merveilles du monde, de l’inintelligible et du langage. La vie et les vivants célébrés comme le signe – la trace et la promesse – d’un seul Amour – à partager avec l’innocence et ce qu’il nous reste d’ardeur…

 

 

Terre, visages, enfance – recueillis par les lèvres d’un Amour plus grand. Le monde morcelé au creux de la main. L’esquisse d’un sourire. Et à la fenêtre, la lumière feutrée – discrète – du jour – la naissance d’une aube plus innocente…

 

 

Précieux l’intervalle, au quotidien, entre le regard et le souffle des nécessités. Entre le silence et l’élan. La source de chaque geste – de chaque pas – sur les chemins et le petit carré blanc de la page…

 

 

Le chant imparfait des départs – et des retours – inapte à égayer ce qui vit – ce qui survit sans doute à peine – à l’absence – au fond de l’âme…

 

 

Herbe, sang, pensées. Et ce grand suaire étendu sur les corps et les âmes dans ce monde de roulis et de chaos – enfantés par les caprices d’une terre élémentaire – trop primitive sans doute – et le désir un peu hasardeux – et trop mécanique peut-être – d’un ciel cherchant partout un appui à ses dérives…

Sable, feu et monde chevauchés par le vent sauvage – né du souffle prodigieux des origines. Et ces visages tournés vers l’innocence – brûlés avant l’heure de la reconnaissance. Sacrifiés, en somme, par cette tradition humaine ancestrale ; la promesse faite aux vivants d’un autre lieu accessible seulement après la mort – ou à la fin des temps…

 

 

L’usage des heures à d’autres fins que celles de la guerre et de la mort – à d’autres fins que celles de l’assouvissement des désirs et de la faim.

Un vide, un silence, un pas, une page – chaque jour – pour vivre loin des hommes – loin des siècles et de l’époque – auprès des vents et de l’enfance qui dénigre toujours les masques et les postures – et au plus près de la joie et de la vérité affranchies des Dieux et des dogmes – dans le plus simple et le plus humble qui nous est proposé – dans les prémices d’un effacement, sans doute, inexorable…

 

 

Un chant suave – secourable – s’élève au milieu des peurs, des frontières et des barbelés – traverse cette nuit si pleine de lunes et d’étoiles – grandit sous la pression des rêves et du sang dans les veines – s’écarte des barricades et des ornières – s’étale plus loin encore jusqu’au dernier horizon. Arrive enfin au cœur de l’inattendu pour percer la trop grande certitude des hommes…

 

 

Murs, fenêtres. Et cette chambre où convergent tous les malheurs – et tous les remous du monde. Seuils, frontières et escarcelle où s’invitent tous les désirs – et la plume (ambitieuse) qui rêve de poser le ciel au milieu de ses pages – et au milieu des feux allumés par les hommes…

 

 

Parmi ces pierres étranges – silencieuses – mille dormeurs perdus dans la contemplation des rêves. Une main dans l’herbe et le sang – et l’autre (alternativement) sous la tête et sur les yeux. Pinces, tenailles et poignards rangés dans leur fourreau – prêts à l’usage et aux rencontres futures…

 

 

Cages posées entre l’homme et ce que fut l’enfance. Grilles et fenêtres peintes (et mille fois repeintes) aux couleurs et au parfum – d’un ailleurs – d’une cime rêvée – et introuvable bien sûr. Murs et horizons confondus pour le plus grand malheur de ceux qui y vivent – enfermés. La fumée d’un mythe – d’une légende – vissé(e) au milieu du front. Et la mort, bientôt, aussi inapte que la vie à offrir l’élan – et le pas – nécessaires pour s’affranchir des lieux et du mensonge…

 

 

La nuit – partout – sur ces cendres encore fumantes. Et quelques fleurs – chichement dénichées au hasard des chemins – au hasard des rencontres. Mains, âme et visages griffés. Destins gris et blessés aux rêves poussifs – au souffle trop rare pour résister aux invectives de la paresse et de l’inertie – et trop faible pour sauter par-dessus la nuit, les cendres et les fleurs…

 

 

Un voyage – mille voyages – au cœur d’une étroite cellule. Des pas qui tournent en rond. Et des ongles sales – noirs – à vif – esquintés – qui creusent et griffent la poussière et les visages pour trouver une improbable issue…

 

 

Une parole inépuisable qui s’ébroue – et s’échoue dans l’indifférence – en livrant au monde – aux hommes – les contours – et la substance peut-être – du silence – le message, si souvent inaudible et incompris, des Dieux, des bêtes, des arbres et des pierres – de tous ceux que l’on condamne (faute de sensibilité et d’intelligence) au mutisme – à l’exil du langage…

 

 

Nous cessons de voir, de peser, d’incriminer pour comprendre – pour être – et offrir l’Amour à ce qui semble impardonnable…

 

 

On invente une neige – un autrefois – un avenir plus salutaire – un poème – tout un monde peut-être – pour défier le temps et raffermir nos mains accrochées à la moindre espérance – pour trouver la force de croire encore à la venue d’une aube incertaine – à la présence d’un regard moins lointain – comme une fenêtre au milieu du sang et des habitudes qui ouvrirait un lieu dans notre enclos pour donner plus belle allure – et une envergure suffisante – à notre attente…

 

 

Quelques mots – un peu d’air – pour rendre plus respirables les saisons – et plus dignes peut-être – plus aimables sûrement – les visages – tous les visages – qui se tiennent devant nous…

 

 

Nous consentons aux bruits et à la furie des vagues qui bercent toutes les enfances. Nous crions au milieu des arbres devant le silence des morts. Nous avançons, tête lasse, dans le pressentiment de notre chute – incapables encore d’aimer et de regarder le monde dans les yeux – la bouche peut-être trop fière – et trop muette – pour goûter le plus humble de la solitude et le plus sombre de la vérité…

A la lisière de la mort et de ce qui demeure après elle. Aux frontières de l’éternité, nous vivons au cœur de cet espace abandonné…

 

 

Encore un matin de cri et de sursaut. Encore un jour sans étonnement. Un lieu d’habitude et de pensée. Entre le souvenir et les heures prochaines. Et le labeur de l’encre révoltée – jetée sur les pages comme une manière de faire avancer le langage, à défaut des pas, vers la vérité – et faire naître dans la parole une liberté qui se refuse à nos gestes…

 

 

Une terre lourde – et des yeux noirs – complices des jeux, des interdits et des guerres accomplies pour résister au réel et donner plus d’ampleur à nos rêves un peu fous…

 

 

Sur un coin de crête, l’attente (encore trop impatiente) des hommes – de la montée longue et difficile des âmes jusqu’à cet abri si précaire où l’innocence est la seule exigence – la seule loi…

 

 

Nous contemplons la terre – les rues étroites et les visages hagards – les errances – les dérives – les passants – les voyages furtifs – la plèbe et les montagnes – et cet Amour caché au fond de chaque heure qui, comme nous, constate partout son absence…

 

 

Une grandeur à peine. Des ailes dans la véhémence des vents sans trêve. Des yeux, des âmes, une trajectoire. Et le parcours des jours. Un petit rien qui se dresse – et s’élève – au-dedans de ce que nous avons cru perdu – inutile. Un regard peut-être sur ce qui se défait – sur la chute et la persistance des miracles. Une joie simple dans le sillon quotidien. L’effacement des repères et des visages. Le goût – et le parfum peut-être – du ciel descendu – enfin accessible. L’humilité de n’être plus personne…

 

 

Nous livrons un passage à ceux qui s’étonnent encore…

Des lignes – des livres – un murmure – un balbutiement peut-être – pour dire ce qui nous habite – ce qui nous hante – et cette joie toujours – insaisissable – qui nous effleure…

 

 

Partout – la pesanteur et le sens du mystère – le sentiment secret de l’appartenance. L’inconnu et l’hébétude. La tristesse, l’ignorance et la plénitude (parfois). La fougue, l’impatience et les briques qui s’empilent. Le rêve – l’éternité. La peur et l’effritement des édifices. Les échanges, les jours – le temps qui s’étire – qui se rétracte – et la chute. Les danses – la défaite permanente des élans et des tentatives. Le regard prodigieux vers lequel tout converge – les échanges et les rencontres – toutes les attentes. L’infinie possibilité des combinaisons – le silence. Et l’immobilité toujours souveraine…

 

 

Donner aux fronts anonymes – et aux âmes recluses dans leur chambre – la flamme féconde et le regard nécessaire à tous les souffles…

 

 

Les naissances, l’agonie et la mort. Toute la continuité du monde…

 

 

Cœur nomade enclavé entre le souffle et l’inertie – entre la violence et le désir d’aimer. La misère et le cri étouffé au fond de la gorge – et cette ardeur à vivre soumise à la mémoire qui – comme une gueule – comme une main – avale, frappe et caresse tous les visages du monde…

 

 

Poète d’un autre jour – d’un autre chant – d’une autre terre où la faim a été rompue – vivant à l’envers des hommes – à contre-courant des rêves et des désirs communs. Seul, en somme, au milieu de toutes les solitudes – avec le silence et la nuit posés discrètement sur un coin de la table…

 

 

Chiens, abîmes, ascendance imparfaite – disgracieuse. Incidents de parcours. Et le souvenir des temps anciens où nous rêvions de faire table rase du monde – un pied dans la révolte, l’autre dans la nonchalance. Jeune, fécond, fébrile. Affamé bien davantage que chercheur d’or. Depuis toujours au bord d’un automne qui précisera, plus tard, l’itinéraire – la suite des pas – le périple à travers les peurs – à travers la terre. Le déclin (progressif) du mépris et de l’angoisse jusqu’à la découverte de cette chose en soi – cette présence rigoureuse et exigeante qui invita, un jour, les foulées à se perdre – et les yeux à regarder l’autre versant de l’inquiétude : la joie et l’Amour inscrits en lettres d’or au cœur du silence – et à aimer cette solitude comme le seuil de tous les passages pour que cessent enfin la fouille et le voyage…

 

 

Nous nous hâtions autrefois – de désirs en astres retrouvés – dans l’ombre si noire des bonheurs nocturnes. Anxieux des regards – des yeux alentour – oubliant l’Amour pour nous attarder (plus que de raison) dans des ports lugubres et passagers – effleurant les secrets d’une résurgence possible – mais bien trop prématurée, sans doute, pour notre cœur d’alors – si vacillant – si docile et réceptif aux instincts premiers – et inguérissables – du monde…

Modeste, à présent, surnageant sans crainte à travers l’ardeur pathologique des siècles. Effacé – et effaçant tout ce que nous imaginions certain – nous-mêmes au milieu des vagues – devenues aujourd’hui le seul courant vivable – et la seule condition pour se fondre dans l’océan…

 

 

Un voyage – une courte voilure – affranchie de l’ancien temps – navigue – navigue – en se traînant parfois sur quelques vieux rêves oubliés – en s’extasiant encore des ports, des grèves et des vagues. A appris, peu à peu, à devenir la carte, la mer et la boussole – la course un peu folle de tous les voyageurs en partance vers les rives les plus proches – et plus lointaines, pourtant, que tous les bouts du monde. S’est progressivement transformée en point de passage – en contrées vers lesquelles convergent tous les rêves et tous les drames…

 

 

Une autre écume sur le cœur battant. Un autre jour pour éclairer la solitude – et sa nécessité. Et le refus des âmes trop penchées sur les rêves et leurs eaux dormantes…

 

 

L’hiver remplace l’étoile. Et le bruit du vent dans les feuillages, les visages. Avec l’univers entier dans le brin d’herbe contre lequel s’est appuyée notre joue. Tout un monde de bêtes, de bruits et de fantômes…

Et le silence comme une délivrance. Et la mort comme une merveille. Le feu au détriment des passions tristes. L’instant et le renouveau qui remplacent le temps. Et la pluie – comme les larmes – qui révèlent la beauté du monde et du regard. L’immobilité qui redresse l’innocence abandonnée depuis des siècles pour contempler, sans exigence, tous les pas vagabonds – les traces éphémères dessinées sur le sable qu’effacera chaque nouvelle marée – chaque nouvelle respiration…

 

 

Un souffle, un fossé, des cendres. A hauteur de nuit. Et dans la brume et le crépitement de quelques songes, une main – et une parole – discrètes qui portent le monde et le langage aux lisières du silence…

 

 

Une chute. Un temps-catastrophe où tout s’opère et s’engage sans notre volonté. Et parmi les menaces, le défi d’un équilibre à trouver. L’alternance de la vie et du poème – puis leur timide communion dans la fraîcheur d’un retrait – d’un effacement…

 

 

Le monde – et le poids des cendres dans le souvenir. Et les pas, à présent, si lourds – si pesants devant la nuit qui, comme un vitrail, s’est invitée dans nos cathédrales – offrant son ombre aux silhouettes à genoux qui prient sur les parvis…

 

 

Une main froide – et généreuse pourtant – s’élève au-dessus du monde pour désigner le ciel d’un geste – et d’un silence – qui semblent trop lugubres (bien trop lugubres) pour les foules – incapables d’en saisir le message, la valeur et le merveilleux…

 

 

Nous dirons aux enfants de l’indigence que les routes et les âmes étaient trop sombres – les pas trop timides – et le soleil inflexible. Nous leur dirons la vanité des tambours et des cercles de feu. L’absurdité de l’encens et des prières lancées vers les Dieux. Nous leur dirons la peur et la paresse des peuples. Et tous les yeux tendus vers les chimères et les étoiles. Nous leur dirons le temps et notre joie à vivre malgré la mort et la terreur. Nous leur dirons notre courage et notre incompréhension – notre folie et nos erreurs. Nous leur dirons notre désir d’être quelqu’un – et notre ambition de bâtir sur les sables de la terre. Et nous leur dirons enfin l’évidence de n’être personne – d’être passé en coup de vent – et d’avoir vécu pour presque rien

 

 

Nous avons inventé la soif, les tremblements et la parole pour avoir l’air davantage que ce que nous sommes. Un tumulte né de la source. Une onde accrochée au gain et au grain. Un espoir – une esquisse à peine – de présence au milieu de la solitude et du monde…

 

 

Quelque chose glisse en nous – chute – comme le plus essentiel – au fond de ce qui demeure. Un temps, un chant, un songe – quelques pas tremblants. Le rêve, sans doute, de tout voyageur…

 

 

Une vision – un semblant de vie. Des orages – un éclair – et la lumière plus loin. Une enfance peut-être mêlée à la crainte de vivre. Des heures, des jours – quelques siècles à patienter – à dériver au milieu de n’importe quoi – dans le vent – vers la source de tout désir. Et le brouillard et l’absence partout – le rire un peu rêche des lèvres – et leurs grimaces – qui donnent aux hommes et aux âmes cette laideur si atroce…

 

 

Des foulées, des chemins – et mille boues supplémentaires pour dissiper le jour – et entamer la confiance. Une crainte à la mesure des destins. Ni début, ni fin. L’enclave et l’impasse – et le déclin de tout voyage. La marche qui dure – et ne finira jamais. Comme une existence – mille existences – vécues – envolées – disparues – anéanties – condamnées à errer autour du même centre aux lisières du premier mystère…

 

23 juin 2018

Carnet n°152 Passage(s)

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Des tempêtes, des virages. Le signe des chemins – le signe du voyage – entre mille débuts et leur impossible fin…

Des fables et de l’arrogance. Le jour et le vide. Et plus bas, suspendue à la surenchère, la pendaison des croyances. La victoire du simple sur l’inutile…

Quelques torches – quelques flammèches – offertes aux dormeurs pour faire naître à hauteur d’homme le privilège des Dieux…

Vivant élémentaire voué au plus simple exercice : celui de l’homme et de l’âme en accueil qui décèle dans toute expérience la part magique – la part divine – au-delà du vivre humain…

 

 

Un jour nouveau. Comme le parfum retrouvé d’une aurore lointaine. Le sang et le silence entre la chair et ses blessures. La fin de tout rituel – de tout refus. L’Amour qui s’offre ; le don perpétuel du regard et du renouveau…

 

 

Deux âmes endormies sous la peau. La langue rêche et la gorge sublime – façonnées par la même main qui refuse le sommeil et la finitude – et l’étroitesse des frontières et des drapeaux. Nue dans son désir de contraires et de multitude. Dessinant partout le silence et l’entrelacement…

 

 

Partout où l’on rêve – et où l’on s’en remet au sommeil – renaît la douleur. La main qui décapite la vie – le monde – le poème – et les appels, pourtant si tenaces, du silence…

 

 

Désastres et chaînes de la destruction toujours. Visage caché au fond de l’âme. L’innocence émiettée – éparse à présent – inapte à restaurer l’écoute nécessaire. Fibres mêlées où s’accrochent l’espoir et la déraison – la damnation et la mémoire d’un jour ancien – d’un souffle premier…

Lames vives – familières des supplices. Insensibles au plus humble – et aux restes d’humanité qui pleurent au milieu de l’effroi et du sang…

 

 

Nous espérions tremper notre plume dans une encre moins noire – moins épaisse et moins cruelle. Mais le monde, à notre grand désespoir, a continué à laisser ses gestes se fixer à la mort…

 

 

Rien. Un peu de vent et de soleil sur le sommeil immense des hommes. Et une parole claire – taillée à la serpe parfois – dans la continuité du silence pour inviter à sortir du rêve et de cette nuit insensée – et franchir les hauts murs (illusoires, bien sûr) derrière lesquels végète le monde…

 

 

Un espace, un songe et l’ardeur des pas pour retrouver l’essentiel – le lieu de l’âme et celui de toutes les naissances. Un trajet – souvent long et difficile – pour apprendre à vivre et à être un homme

 

 

Tout s’approche – le soir et la mort – la mémoire et l’avenir – la tristesse et la nuit – sur le fil où nous nous tenons – bancals et ignorants. Apeurés par les vents et l’abîme – et tous ces visages indifférents suspendus à ce bleu si lointain…

Et tout s’agite dans notre attente. Dans ce désir inassouvi d’un autre lieu – d’un autre ciel – d’un autre jour…

 

 

Le blanc comme la promesse d’une lumière délivrée de la parole et du poème. La possibilité d’un silence majestueux – ininterrompu – souverain…

 

 

Quelques incidences sur le jour. La chair rouge – violacée – à force de coups – à force d’espoir et de volonté. Puis, le temps passe (finit par passer) – et ressurgit l’abandon – cette lumière que l’on croyait partie – perdue – annihilée…

 

 

Sages l’azur et la fièvre des premiers jours. Rebelles aux lois, aux épouvantes et aux combats des mains belliqueuses et suppliantes. Dressés comme des christs – comme des totems – dans le feu et l’hiver. Offrant l’Amour, le silence et le mysticisme – toute la vocation de l’homme. L’issue finale à un monde dénaturé par le rêve des puissants, la gloire des seigneurs et la terreur – si docile et effrayante – des peuples…

 

 

Ce qui demeure dans la cendre et le chant des oiseaux à l’aube. Ce qui surgit du silence et de l’horizon, mille fois, dévasté. Ce qui se retient avant de dévaler les pentes les moins tangibles du monde. Les fleurs, la douceur et les rires, si naïfs, de l’enfance…

 

 

Le vertige le plus fondamental. L’œuvre du silence et des vents. La pierre, la fleur et la passerelle précaire où nos pas en déséquilibre jouent les funambules entre la naissance et la mort sur le fil des incertitudes…

 

 

Sur nos épaules, l’âme se grise des vents et des horizons – de cette furtive promenade parmi les visages – dans ce décor provisoirement planté dans le sable…

 

 

Et cette lumière faible – innocente – empêtrée dans cette obscénité du vivre – si triviale et merveilleuse – unique viatique des vivants à la course fébrile et hésitante – à l’affût de tout espoir – de toute issue – en quête de ce qui les fit naître…

 

 

L’errance des esprits trop sédentaires pour voyager hors des frontières – hors des repères édifiés par la pensée. Inquiets des chemins – prisonniers de l’épaisseur de cette terre – comme la certitude la plus réelle peut-être…

 

 

Un sentier, une courbe et l’allant de tous les départs. Et l’ardeur des foulées pour rejoindre l’ailleurs – la promesse d’un autre jour – d’une autre terre où la liberté rimerait avec l’Amour…

 

 

Vivant du peu au fond de nos fibres. Cette énergie amassée depuis la naissance du monde. Tête légère – appuyée sur le rêve d’un séjour au milieu du ciel et du silence – loin de cette nuit imparfaite – et de ses sphères et de ses chants qui ensorcellent les hommes…

 

 

Un refus, un doute, une résistance. L’aptitude du rêve à éloigner du réel. Le regard plongé au cœur de ce qui soulève du monde…

 

 

L’interdit et la foi. Le jour pris comme cible – et comme promesse – pour se détourner du plus vrai à notre portée. L’insuffisance et la cicatrice des premiers pas posés dans le mensonge – ajournant la délivrance – presque impossible – des hommes. Ainsi la vie passe et s’enracine la nuit…

 

 

Un précipice au bord du doute. Et si peu de foulées convaincues de la nécessité d’avancer – d’inventer la passerelle ou l’envol. Préférant regarder du haut des falaises la chute du monde et la mort s’avancer…

 

 

Quelque chose se précise de notre vivant – et enfonce le clou sur notre tombe. Le goût – et la possibilité – d’un ailleurs plus incertain que le monde et la terre sous nos pieds…

Mains liées au rêve et au marbre des stèles. Pieds esclaves d’un désir impossible de liberté. Le parcours des hommes – presque immobile – et celui des âmes sautant à pieds joints de l’autre côté du monde…

 

 

La passage des siècles et l’immobilité. Le savoir et la connaissance. L’Amour et la sagesse comme l’esprit et le cœur de toute aventure. Et ces pas qui roulent sur les pierres. Et ces visages tout étonnés de ne voir que la lune briller au milieu de la nuit…

 

 

Miracle du silence comme une lueur – une main tendue – dans l’asphyxie du monde…

 

 

L’accoutumance de la pensée et du corps à la danse asymétrique – étroite – qui prive de l’envergure et du miracle de vivre – seul – ici – ailleurs – partout – parmi la foule ou quelques visages – sur la terre – au milieu du ciel – ivre – vivant et agenouillé devant la beauté du jour – au cœur de la pluie et de l’hiver – l’âme acquiesçante au voyage, au silence, au piétinement – à la découverte de contrées plus réelles et moins sauvages – et à l’Amour qui s’avance et se partage avec ce qui tremble et va mourir…

 

 

La poésie du ciel si riche – si féconde – incomprise sur cette terre si prosaïque – si indigente – si limitée…

 

 

Des tempêtes, des virages. Le signe des chemins – le signe du voyage – entre mille débuts et leur impossible fin…

 

 

Nous passons sous silence ce qui, un jour, prendra fin. Quelque chose, l’absence et les mensonges du temps. Les vies brèves, l’enfermement et la nuit entière livrée au hasard. Le sourire et les départs. La joie et la tristesse de n’être personne…

 

 

Les jours – comme les rêves – se succèdent – et s’impatientent du passage, de la fin et de l’aveu (toujours possible) des anges cachés au fond de l’oubli – dans cette mémoire première enfouie dans l’esprit du monde…

 

 

La chute des siècles – terrassés – terrorisés par l’appétit du monde. Et l’envergure incomprise des abîmes et du silence. Et plus loin – là-haut – quelque part – la continuité des vents et le sourire éternel des Dieux survivants…

 

 

Nous devenons un autre – nous-mêmes – sous les cendres. La lueur d’une flamme plus ancienne. La nuit parfaite et le jour retrouvé. Le temps d’un passage – de quelques saisons. La chute du temps dans l’immensité…

 

 

Briques, gestes, figures. L’arsenal du monde pour célébrer le prolongement du printemps, des naissances et du silence…

Le chemin d’une innocence à venir…

 

 

D’autres noces nous feront revenir. Celles de l’intime et de l’immense dans un regard mêlé de rien et de lumière…

 

 

Ces pas sont les nôtres. Et la trame où tout a commencé. Le cercle, la vie, le monde. La fougue et la fuite du temps. Le miracle de toute naissance. Le prolongement du merveilleux et du silence livrés à l’envers de l’âme et aux appétits…

 

 

Sur la table, mille ruisseaux se creusent au fil du temps. Mille ciels et mille chemins sur la page où nos yeux se promènent. Comme un défi hasardeux à la mort. L’invitation à goûter ce qui vient – le dedans de l’âme coutumière du plein silence…

 

 

L’apaisement comme un ciel au-dedans de la misère – parmi ces voix entaillées jusqu’aux viscères – livrées aux rêves et aux prières – marchant, hagardes, au milieu des pierres et du vent…

 

 

Le peu – le presque rien – aux frontières de ce qui est présent – toujours – et qui ne laisse aucune trace de son passage…

 

 

Le simple – l’éphémère – trône ici comme un geste inutile – une vague à peine qui s’efface sur la berge. Une parole lancée à la mer. Un pas à mi-hauteur du langage…

Et nos vies muettes à l’écart du sacrifice – authentiques jusque dans leur goût pour ce qui manque à leur défaite…

 

 

Des fables et de l’arrogance. Le jour et le vide. Et plus bas, suspendue à la surenchère, la pendaison des croyances. La victoire du simple sur l’inutile…

 

 

Quelques torches – quelques flammèches – offertes aux dormeurs pour faire naître à hauteur d’homme le privilège des Dieux…

 

 

Vivant élémentaire voué au plus simple exercice : celui de l’homme et de l’âme en accueil qui décèle dans toute expérience la part magique – la part divine – au-delà du vivre humain…

 

 

Gifles, flocons, silence. Et ces petites sentes d’infortune qui égarent et blessent davantage qu’elles ne prouvent notre vaillance. A deux doigts d’un appel – d’une fulgurance ; l’effacement et l’immobilité du voyage. La crête dans le rêve et le songe au sommet des cimes. La poussière et le plus bref à disparaître. La boue et l’ignorance. Et la sagesse d’une âme à la main blanche comme la neige…

 

 

Des poèmes comme des passages – des traces éphémères dans le silence – pour exalter la joie et le goût du vivant au milieu des peines et de la mort…

 

 

Tout se pare d’immensité avec la fin de l’accessoire. Comme le retour (célébré) à l’espace et au temps illimités…

 

 

Caducs et inutiles – tout édifice – toute construction. Le moindre trait – le moindre amas – est un rêve – une illusion. Gesticulations insensées et folles tentatives de ceux qui s’échinent, à travers leur vie et leur œuvre, à défier le silence – l’infini du seul visage – le palimpseste à jamais vierge où naissent et meurent tous les mondes…

 

*

 

Monde en marche – à la dérive peut-être – qui impose ses lois, son mouvement – une direction. Monstre colossal – pesant – massif – mu par une force instinctive – une puissance originelle (presque) inépuisable – roulant cahin-caha des ténèbres vers la lumière – anéantissant les impasses – toutes les impasses – creusant son sillon à même les corps et les existences – amassant et écrasant tout sur son passage. Se nourrissant de toutes les tentatives et de toutes les expériences – implacablement lancé vers son but ultime…

 

 

Et dans ce monde à la mécanique un peu folle, quel chemin pour la soif, la sensibilité, l’intelligence et le serment des retrouvailles – et le silence et le soleil nécessaires à l’immobilité des pas et au rassemblement des visages…

Et quelle place pour la vérité et la parole des poètes qui rivalisent avec l’ardeur des foules – enivrées par le progrès – dopées par l’angoisse de vivre – et pas même conscientes de marcher vers leur perte – de sacrifier la vie, leur vie – toutes les vies – pour une gloire absurde et stérile – et la réussite d’un monde qui marche le cul par-dessus la tête…

Rien ni personne – pas même la parole des poètes ni l’expérience de quelques sages – ne pourra réfréner cet engouement – cette course folle…

« En vain » sera peut-être le dernier mot…

 

 

Il y a – et il y aura toujours – mille rêves et mille vies brisés que rien ne pourra sauver du désarroi et de la mort…

 

 

Folie destructrice qui enchaîne davantage qu’elle ne libère. Hommes en fuite. Pensée uniforme. Bien-pensance. Et la nuit qui commence à peine…

Et l’intuition d’une tristesse qui pourrait durer jusqu’à la fin des siècles…

 

 

Une longue marche consacrée au plus facile et à l’espérance au détriment de l’essentiel ; cette soif de silence…

 

 

Des images et des mots parvenus jusqu’à nous. Le renforcement des mythes. La continuité des fables et des mensonges. Et l’Absolu en toile de fond de cette nuit et de ces délires qu’engraissent notre paresse et notre lâcheté…

 

 

Au-delà du possible règne l’extinction des jours qui se succèdent – soutenue par quelques âmes inquiètes et téméraires au regard lucide – prêtes à esquisser quelques pas – et quelques lignes – dans les rêves et l’indifférence du monde – prêtes à placer l’envol au cœur du sommeil et des impasses – au cœur de l’impossible…

 

 

Devant nous résonnent – et pérorent – le plus tangible – toutes les voix du monde galvanisées par l’aveuglement et la chute des empires – le passage du temps sur la terre si proche du rêve – la fin des siècles – l’effacement de l’histoire – les gémissements des hommes et des bêtes. Et le silence foudroyé par tant de certitudes…

 

 

Incantations vaines dans le silence. Spectateur impuissant du combat asymétrique entre l’ombre et l’invisible – entre le temps et l’éternité…

 

 

Nous survivons à peine aux règles édictées par la folie de ce monde. Nous marchons – et marcherons encore – à contre-sens – dans la déroute des repères et des saisons. Le rêve pointé en chaque foulée vers un ailleurs possible – et la raison (et le privilège humain) crucifiés au milieu du front…

 

*

  

La mort jamais fortuite des rêves. Un pied dans le poème et l’autre dans le silence. A mi-chemin entre l’abîme – le ciel inventé – et le réel.

Au cœur du plus long passage entre l’homme et l’infini qui le porte…

 

 

Rien de moins que l’intime et l’immense. Le regard et l’atemporel au cœur du rien. Et quelques pas – quelques traces peut-être – dans la parole affranchie du langage (et de ses si prosaïques usages)…

 

 

La trame où tout a commencé. Le monde, les naissances et les mille vitrines pour exposer son visage – ses drames – ses expériences – ses aventures. La petite ronde des hommes, en somme, au milieu des rires et de la mort…

 

 

L’infortune et la disgrâce de toute manœuvre pour faire coïncider le rêve et le réel. Le chemin de mille désastres. Le voyage – le passage – et ces milliers de jours d’attente et de vaine espérance…

 

 

Quelque chose de plus confus que nos traces dans la neige. Comme un amalgame de poussière et de lumière à l’envergure insaisissable – tantôt infime et dérisoire, tantôt infinie et majestueuse – souveraine toujours dans la proximité du pire et à l’approche de la mort. Geignarde et géniale sur son parcours – sur ce chemin abscons – obscur – comme une main tendue sur le fil des rêves. Tantôt souriante, tantôt pétrifiée devant les visages, les mensonges et les frontières du monde. Anodine et légendaire au milieu des grimaces et des fantômes. Et, plus que tout, familière d’une permanente défaite…

 

 

Quelque part, un enfant au rêve incertain – accroupi parmi les destins – végète dans la main d’un plus grand que lui – près d’une fenêtre (presque) insoupçonnable sur le ciel et le chant des oiseaux. Il vit là, inquiet, en se balançant au rythme des vents et des injonctions humaines – au rythme des ordres mécaniques scandés par la bouche noire de quelques seigneurs (élus par le peuple) – posés un peu plus haut – au-dessus de cette grisaille obscure et maléfique – où glissent tous les visages et tous les gestes – tous les baisers lancés à l’espace et à cette force que nous ignorons…

 

 

Magie des mains tremblantes – respectueuses et ivres du même désir. Le rien et l’impossible rêvés d’une vive ardeur. Et le silence en point de mire…

 

 

Sur les rives rouges du passage, un incident, parfois, nous retarde. La grâce d’un décalage. L’exactitude d’un contrepoint. Quelques embardées – des virages – qui prennent souvent des allures d’errance et d’incartade – et qui, un jour, feront office de délivrance…

 

 

Nous n’avons rien sinon, peut-être, un bout de terre et un étrange vague à l’âme pour s’affranchir du rêve et s’éloigner du monde. Un goût pour l’ailleurs que le voyage, peu à peu, transforme en inconnu. Et le silence des jours – et la lumière de notre solitude – pour aller courir sur d’autres rivages…

 

 

Quelque part encore – un autre jour – une douce lumière – l’incertitude des visages. Le silence d’un ailleurs retrouvé…

 

 

Le cri, le chant ; la même rengaine au fond de ce qui brûle et se cherche. La vérité au fond de la gorge oscillant entre les étoiles et les fous – ces hommes – ces vaisseaux embarqués sur des eaux trop sombres (et trop tumultueuses) pour guérir du sommeil et s’affranchir du monde et des ignorants. Un seul guide, la plaie et la chair déjà gorgées de joie…

 

 

Langue morte autant que les eaux noires venues engloutir le monde – les songes – toute vérité. Le délaissement et les tyrans. Et ce bon peuple à la parole facile – aux visages tirés par des siècles de rondes et de mirages et les mille légendes des tribus d’autrefois. Et, à présent, l’attente du chant et du silence véhiculés par le plus simple…

 

 

Comme un dragon aux ailes délicates – le jour – et sa langue furieuse – incomprise…

 

 

Tant de traces sur l’écume qui ne connaîtront que le blanc des abîmes – et cette peur de venir s’échouer parmi d’autres drames sur la couleur des océans…

 

 

Quelque chose nous attend – plus vif que le soleil noir de la pensée – plus austère que tous les rêves mis bout à bout – plus simple que la complexité du langage – et moins oisif que nos vains voyages. Une présence au milieu de l’ombre et de la stupeur. L’éternité comme défi à la mort et aux vivants. Une envergure plus apte que le feu à éclairer l’ignorance et le monde – et cette pluie si familière qui donne à nos jours cet air de désenchantement…

 

 

Un soupçon d’Amour encore pour offrir à l’existence et aux vivants l’amplitude nécessaire pour accueillir la grâce, le miracle et la lumière…

 

 

Est-ce le jour ? Est-ce la nuit ? Que pourrait bien nous dire l’âme endormie…

 

 

Un précipice, un voyage. L’aventure sur les rives – et les eaux – les plus sauvages. Les parois et l’hésitation à l’approche du ciel – ensablé entre l’écart et la roche. La magie, le merveilleux et le vivre, parfois trop téméraire, enjambés d’un seul saut…

 

 

Vivre sous le regard pacifique des grands chiens – libre de jouer entre les tombes – au milieu des rêves et des étoiles – affranchi des danses de la terre. Au cœur d’un jeu – d’une existence – d’un Amour – écrits en lettres d’or et de sable par des Dieux malicieux et cajoleurs…

 

 

L’aube encore à tous les seuils – et jusque dans le sommeil des impunis…

 

 

Regard plongé au fond des lignes – au fond de l’infini. Joueur de flûte et de silence entre la terre – ses serpents vifs – et si hideux parfois – et le ciel dégagé – parmi les traditions et les rêveurs – les hommes – les mains sur l’archipel des hauteurs. Porté par presque rien, en somme. Les cheveux remués par les vents et les courants d’un autre monde – d’un ailleurs plus espiègle et éternel que la terre si triste (et provisoire) des vivants…

 

 

Le vertige de l’errance – là où le regard quitte les pieds – la tête – et ces lignes dessinées pour vaincre la mort…

 

 

En l’homme, peut-être deux ciels – celui du haut – du rêve – et celui du bas – de l’enfer promis à la déroute et à la défaite. Et entre les deux, une corde où dansent les pas – et mille soleils déposés par le hasard

 

 

Voix, chaînes, chemins. A la lisière de toutes les épreuves. Et le destin soumis à la violence et à la sauvagerie des instincts. Foulées brèves – hésitantes – au milieu des chants et de ce qui tremble…

La main appuyée sur la pelle qui aura servi partout à élargir l’infâme et le trou où nous serons enterrés. Et le jour d’après où l’Autre marchera pour assouvir sa faim…

 

 

Un angle, des rives et les paupières closes toujours qu’embrassent l’ombre et la mort. Et ce bleu au fond du jour – au centre du regard défait des livres et des horizons. Silencieux – en attente – au milieu des pierres et des étoiles – guettant l’aurore dans les yeux et les foulées de l’homme…

 

 

Siècles, sève, intervalles. Et cette transparence sans rive entre les murs et le froid. Et le soleil né des désastres qui – lentement – vers nous s’avance – et qui – lentement – en nous se redresse – pour célébrer l’ivresse et la joie sur les tombes – au cœur des saisons qui passent…

 

 

Du soleil, des étoiles, des parures. Et cette parole comme un rituel exauçant tous les rêves du langage pour dire la vanité de l’abondance, l’illusion des cérémonies et le règne indiscutable du silence parmi nous…

 

 

Quelque chose s’approche – des rires et des traits singuliers. L’inattendu dans l’élan le plus familier. Le jeu de la mort sur nos visages fatigués. La danse du silence, peut-être, sur la ronde des condamnés. La joie à travers la porte qui ouvre sur la grande salle où agonisent les suppliciés. L’enfer du songe où se noient tous les désirs. La trame où se terrent toutes les âmes. Le mystère des Dieux qui se déchaînent sur notre voyage…

La ligne où tout meurt et s’écartèle pour offrir un plus paisible destin. L’abandon au vide et à ce qui nous rassemble. L’espérance des retrouvailles…

 

 

Assis en silence au milieu du pardon. La tête sur les genoux. Et les mains vides qui accueillent le monde et les visages. La couronne de la différence reconquise. Et la soif mêlée à l’eau – abandonnées sur le sable. Le simple et la joie promise au bout des doigts. Et la douceur d’une présence. L’invisible et l’ombre réunis. Une certaine grâce de vivre, en somme…

 

 

Le quotidien, voilà l’essentiel de l’homme. Et le silence, un jour, qui tiendra lieu de langage…

 

 

Un nom. Et mille jours à endurer pour que brille l’impossible. Et un jour sans nom pour voir jaillir l’impensable…

 

 

Tout est dit – et révélé – en un seul geste – en un seul mot. Toute la posture de l’homme dévoilée…

 

 

Seul dans cette nuit parmi ces corps grelottants. Seul dans le froid sur ces routes épiques. Seul avec l’âme – cet autre en soi – venue réchauffer notre désert – notre passage…

 

 

Silence (parfois déconcerté) devant le salut espiègle des masques – d’un monde mort – inanimé – sous l’apparence du mouvement – pris dans une danse à l’allure aimable – presque souriante – assise au milieu des déboires et des circonstances – mue par l’habitude et l’inconscience…

 

 

L’enfance d’une autre parole – née d’un trébuchement – d’une chute presque silencieuse – passée inaperçue au milieu de l’absence – de tant d’absence – sous le regard attentif venu détrôner le hasard, la quête et l’ignorance…

 

 

Exposés, à présent, au rang de la terre, cette innocence et ce ventre, autrefois, gonflé de faim. A même l’herbe, les oracles et les armures – à même les signes de l’homme. Et l’arrivée discrète du silence après un long périple à travers le temps – mille siècles de fouille et d’épuisement…

 

 

Vive est l’invitation au voyage. Et permanente la résistance au changement. Tout est en ordre et la beauté peut bien attendre. Les rêves multiples – inassouvis – ordonnent une trêve – une parenthèse dans la traversée – et ajournent la suite des pas. La vérité et le bout du monde devront encore patienter…

 

 

Au bord du temps – au bord du monde – ce que l’on tient pour un silence souverain – le royaume des sages – et l’ordinaire des éveillés peut-être – a parfois des airs de tromperie – de fausse évidence. Restent un feu et un abîme – et le son de quelques cloches encore disharmonieux. Restent l’esprit et sa fange de désirs, une mémoire au fond de l’oubli et des absences au cœur de ce qui vient. Un regard et une présence aussi – constellés d’un peu d’ombre et de nuit. Des intervalles et quelques ornières. Et des murs (infranchissables parfois) sur les pierres affranchies. Des pelletées de violence dans l’âme. Et des idées sur le blanc des pages. Une lumière et un peu de noir au cœur de l’éternel et du voyage…

 

 

Ce qui vient glisse entre nos mains. Et, pourtant, tout s’acharne à revenir… Mais nous n’avons plus la force d’attraper les choses – ni la force de nous accrocher au destin. Et pas même celle de nous abandonner…

Aussi défaits, impuissants et végétatifs que le monde, en somme…

 

 

Vertige du vide et des abîmes. Vertige du monde et du silence. Deux versants d’un même faîte – et cette crête où s’enlisent les pas…

 

 

Rien ne guérit de l’espoir autant que les malheurs. Rien ne s’achève et, pourtant, que les murmures du silence, parfois, nous semblent lointains…

 

 

Nous allons là où les mains façonnent notre destin – et nous offrent une ligne de fuite – un espace de prolongement. Et nous avançons ainsi avec le ciment des ancêtres sur nos certitudes – et l’orgueil du visage – vers un horizon impossible à réenchanter…

 

 

Tout passe – captif de sa fin. Et tout recommence avec l’oubli du ré-enfantement. Et tout nous arrive de cet effort à revenir…

 

 

Insensibles aussi longtemps que l’âme sera gorgée d’images. A peine vivants tant que le monde sera perçu depuis la discorde et l’habitude. Si loin encore des promesses de l’homme

 

 

Humble et renversé – comme un regard innocent sur le monde…

 

 

Entre l’orgueil et l’ingratitude, l’homme au service du plus servile. L’oubli et l’indifférence dans leur combat contre l’authentique. Le déchirement du souvenir et des âmes. Et le blanc et le noir de la vérité, bientôt, mélangés en incertitude…

 

17 juin 2018

Carnet n°151 En somme...

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Monde – à la fois ténèbres et lieu fécond de l’éveil. Un refuge et un naufrage. Et la magie de l’incertain. La voix – et le souffle – du plus proche. Le ciel et les grilles qui condamnent et découragent toutes les tentatives et tous les passages. La boussole du sorcier et les hanches de la nuit. Le frisson des hommes qui grelottent au cœur du noir. Et le nom imprononçable du silence. Les Dieux du vent et de la tendresse – inaccessibles. Le temps maussade et l’œil blessé. Et les pierres au centre desquelles convergent tous les regards…

Un temps et des mains pareils au naufrage. La soif et la nuit, partout, qui offrent leurs bras et leur sommeil. Le sel, les pierres et le monde. Et nul endroit où se réfugier – nul endroit où s’enfuir…

Des nuits, des peines. Et le monde et le réel – bâtis à coup de pelles, de pioches et de chimères dans l’attente d’une issue – l’espoir d’une évasion…

Tout vacille et se redresse – pose un genou à terre puis s’élance à nouveau vers la vie et le désir – le sens et le langage. Pas, gestes, lèvres et paroles dans le rythme exercé par le vent. L’écoute, l’écart et ces forces triviales qui édifient l’homme et le voyage. La paresse, l’écho et le passage. Et le doute vertigineux de n’être personne…

 

 

Tout s’ébat – et glisse sans bruit vers sa fin. Rumeurs, visages et fureur du monde. Danses silencieuses dans le regard attentif.

Cascades et cavalcades dans l’ingénuité d’une présence – jamais surprise par l’angoisse et la violence – les heurts et les obsessions – l’aveuglement des peuples, les remèdes et les contritions.

Sereine toujours parmi les reflets qui viennent l’effleurer. Entre calme et effacement – invisible pour la plupart – se moquant des joutes juvéniles, des couronnes et des mensonges. Source et spectatrice acquiesçantes à tout ce qui s’échafaude. Mère et destination de tous les voyages – et de tous les supplices.

Comme un silence posé derrière tous les yeux qui s’abîment au fond des gouffres…

 

 

Tout s’efface sur l’asphalte et le parvis des terres blanches. Tout disparaît au centre de tous les cercles. Murs et jardins. Plongées dans toutes les sphères et tous les mystères. Fenêtre où palpitent le vivant et ses tremblements – ses tentatives et ses campagnes – ses jugements, ses églises et ses persuasions. La vieillesse comme la précocité (parfois si grande) de certaines âmes. Tous les chemins du monde, le crépuscule et les silhouettes perdues au fond de leur nuit. L’homme, l’espoir, l’arbre et la bête. La pierre et le sable. Et la lumière enfin retrouvée. Ce qui s’agite – et se cherche – au cœur de cette éternelle immobilité…

 

 

L’intime misérable et dépoussiéré reconnaissant (enfin) son envergure et sa grâce…

 

 

Des traces, des signes, quelques privilèges. Des siècles étrangers à toute aumône. La nécessité d’un tout ajournée par la fièvre des hommes, la quête d’abondance, les tours et les frontières de l’obscurité. La boue grasse qui donne aux foulées leur allure si lente. Le délabrement de toute croyance. L’expérience assassine qui offre à toutes les morts leur innocence – et leur printemps. La région la plus ensoleillée du monde. Le cœur pétri d’une tendresse inépuisable. La fin (toujours provisoire) du malheur et de la souffrance…

 

 

L’alignement des perspectives dépouillées. Les crêtes, la lumière et le silence jusqu’au cœur du plus humble. Le vivant agenouillé. Et l’extinction de la dernière étoile. Le chant, sans cesse renouvelé, du renouveau. Une enfance immobile et sereine – mature et sage – souveraine, en somme, au milieu de l’effervescence et des cris – au milieu de l’agitation puérile et instinctive des corps et des visages qui ignorent leur envergure – et le rôle du silence et de l’acquiescement – la grande liberté dans cet univers de contraintes, de refus et d’interdits…

 

 

L’attention et le regard sur les danses et la course – hagarde et (presque) mécanique – de l’impersonnel – le monde des choses et des visages. Les cris et les chants dans le silence.

La joie, l’être et le miracle – si proches et si lointains – posés hors des batailles et enfouis au cœur de la fureur, des révoltes et des agissements. Dieu, en somme, à la fois monde et hors du monde. Le vide lumineux que l’on est – et que l’on attend. L’étonnement et la routine au milieu de ce que nous sommes et faisons…

 

 

Quelque chose, en nous, crie encore parfois – et se désespère – de n’être rien. Un peu de terre, un peu de boue, un peu de poussière au milieu du monde et des étoiles – pas même un visage – ni même une possibilité de tendresse pour d’autres malheurs, d’autres demandes, d’autres désespérances.

Une simple présence – anonyme – sans nom et sans contour. Tout dans l’instant de l’accueil et du geste – l’être qui offre et (se) partage – et, presque rien, l’instant suivant. Une figure défaite et infinie – si pleine – si totale – et, pourtant, si invisible et inexistante – plongée dans le vide et l’attente sans attente de l’instant suivant, des circonstances suivantes – et du jour prochain peut-être…

Assise et incertaine au cœur des vents. Magistrale, éblouissante et fantomatique, en somme…

 

 

Un Amour et une indifférence sur – et au milieu de – ce qui court. Un regard – une présence hors et au cœur du monde. Et l’envergure du même infini au-dedans des choses et des visages…

 

 

Chaque jour, la même rengaine – cette obsession qui pousse les yeux à s’ouvrir, le corps à se nourrir et à se laver et la main à poursuivre son élan sur le blanc (si pur) de la page. Œuvre permanente de l’âme soumise à cette folle énergie du nécessaire…

 

 

La nuit semble si bleue dans le miroitement du poème. Et l’infini à notre porte…

 

 

L’Amour et l’âme penchée sur l’éphémère et l’essentiel. La vocation de l’homme peut-être…

 

 

La vie, la mort, l’Amour et l’Absolu au cœur des mille circonstances quotidiennes…

 

 

Un ciel, une terre et des corps usés par le labeur. Mille siècles et autant de larmes sur la beauté introuvable – l’autre versant de la nuit – aussi clair qu’est noire la face que nous connaissons…

 

 

Dans le jour – au milieu du monde – un visage – et une âme défaite et immobile. Silencieuse. Et quelques signes sur la page. Le rêve d’un homme réconcilié avec la bêtise et les instincts – la force de toutes les nécessités…

 

 

Le monde en place depuis toujours dans la croyance des yeux trop crédules n’est, en vérité, qu’une soif – un désir de retrouvailles avec ce qui l’a créé. Un regard – une indifférence généreuse et sereine qui apaise tous les manques…

 

 

Quelque chose, en nous, devine l’inutilité des démarches et des élans. L’illusion du temps et l’absurdité des inquiétudes à l’égard de l’avenir. Les tentatives et les triomphes. Ce qui exulte et ce qui se déchire. L’espoir derrière la vitre. L’horizon fuyant et la place des rêves. Ce que, sans cesse, nous dessinons sur l’éternel palimpseste. Les traits au milieu des circonstances. Ces mille petites choses qui glissent au cœur de l’invisible : tous ces riens – et ces nulle part – au sein de la même présence…

 

 

Le sommeil dans la courbure des heures. La pierre et la langue gémissante. L’eau et le rêve. Les rivières et la lumière. Le vent épinglé aux âmes qui tournent et désespèrent. Le silence et l’épure. La joie de n’être personne. En marge – et au cœur – du plus grand vide…

 

 

La routine et la transformation. Les mille jeux et les mille prouesses. Le sacré et la somnolence. L’abandon et le goût de l’effort. Marionnettes du même spectacle. Histoires d’une seule immobilité qui perce – et sourd entre – tous les élans. Le silence, les grimaces et les sourires d’un même visage…

 

 

Un chant, soudain, dans la nuit du monde pour annoncer la fin des oracles et des chimères. L’effacement du temps et des discordes. Le passé rejoignant l’avant-garde. La lumière sur les atrocités et les incendies d’autrefois. Le renouveau d’une continuité que l’on croyait stérile, et trop faible, pour franchir la frontière – les seuls obstacles – qui nous séparaient de l’invisible et de la conscience…

 

 

Le vide et l’absence au cœur de la mort et du chaos. Et la futilité des sourires et des grimaces – des élans et des refus. Un peu d’ombre – un peu de boue – sur le plus vaste – éternellement scintillant. Le réel inaccessible par Dieu, la croyance et la pensée. Léger – abrupt – aux marges du rêve. Au cœur du plus présent façonné à coup de soustractions. L’innocence et le plus sacré, en somme…

 

 

Quelque chose nous regarde qui a la couleur de la mort – et le parfum (oublié) de l’enfance éternelle. Une lumière – une présence – accessible seulement dans l’effacement…

 

 

Blancheur plus réelle que nos existences – intervalles entre deux parenthèses où le vivant s’exerce à la parodie, au défilé et à la certitude au lieu de fouiller l’illusion…

 

 

Âme et yeux ouverts découvrant l’impossibilité du retour, l’espérance sans emprise sur le temps et l’improbable venue des beaux jours. Attendant (sans impatience) les circonstances et la mort. Vivant de peu – du plus simple sans doute. Puisant leur foi dans la confiance – et naviguant, incertains, au cœur de l’incertitude. Posant un pas après l’autre dans le vertige de l’existence…

 

 

Un monde, un regard soudain soulevés par le scintillement de l’invisible…

 

 

Nous inventons des jeux pour oublier la mort et l’âpreté de vivre. Et l’indifférence en lieu et place de l’Amour. Les carnages de la cécité et les lois édictées par les instincts en ce monde soumis au hasard des constellations imaginées pour se prémunir du pire…

 

 

Nous sommes les bourreaux et la condamnation – et la peur dans les yeux de ceux que l’on emprisonne et que l’on mène vers le supplice et le tombeau. Nous sommes le sang, la tristesse et l’effroi de ceux que l’on assassine. Et la parole exsangue – exténuée – qui se traîne et serpente entre les tombes et les visages en larmes. Et ces fleurs que l’on pose en hommage sur les sépultures.

Et nous sommes la faim qui pousse nos pas à l’exil – dans cette quête un peu folle pour trouver le remède à l’absurdité de ce qui s’expose – et se propage – sous nos yeux…

 

 

Un reflux du silence. Et quelques lueurs dans les replis du monde où le poète vit et s’invente sans répit pour rassembler ce que les hommes, sans cesse, déchirent. Dans le règne du mystère et les lois du partage en deçà des enseignements à vivre. Avec ce goût, si prononcé, pour l’innocence et la vérité…

 

 

Un plan – mille plans – pour se défaire de l’infortune. Une pierre, un chemin et la sente tortueuse des rêves pour asseoir sur la terre la force miraculeuse d’exister…

 

 

Le sable, le vent et la poussière. Et ces silhouettes informes à l’assaut du moindre sommet. Et cette figure en amont de tous les privilèges. Les mérites de ce qui s’offre à la quête ultime. Et la découverte du vide dans nos tréfonds…

 

 

Livré au mutisme de l’espace – au-dessus des bouches suppliantes et des étoiles trop lentes pour soulever les rêves – et les rendre aussi vivants que le réel. Un détour, une torpeur, une fièvre. Le désert et ces veilleurs attablés à l’écart du monde qui guettent le moindre souffle – la moindre lumière…

 

 

Du sommeil au cœur de ce qui tremble. Un pas, un puits, du sable. Le fond de l’abîme et l’arrivée progressive du plein jour. Et devant nous, le silence et l’infranchissable qui soutiennent notre foulée indécise…

 

 

Monde – à la fois ténèbres et lieu fécond de l’éveil. Un refuge et un naufrage. Et la magie de l’incertain. La voix – et le souffle – du plus proche. Le ciel et les grilles qui condamnent et découragent toutes les tentatives et tous les passages. La boussole du sorcier et les hanches de la nuit. Le frisson des hommes qui grelottent au cœur du noir. Et le nom imprononçable du silence. Les Dieux du vent et de la tendresse – inaccessibles. Le temps maussade et l’œil blessé. Et les pierres au centre desquelles convergent tous les regards…

 

 

Monde d’enfouissements et d’expositions où tout jaillit puis se terre – où lorsque les uns apparaissent, d’autres s’effacent – où tout tournoie dans une ronde perpétuelle – et où les tensions et les accords ne sont que les éléments de l’équilibre général.

Monde d’éloignements et de rapprochements où tout s’avance et recule autour du même centre, tantôt collé et réuni, tantôt séparé et écarté.

Comme si les choses et les visages naissaient des conditions propices, se rapprochaient, puis s’éloignaient et disparaissaient le moment venu pour laisser apparaître et s’assembler d’autres choses et d’autres visages.

Comme les jouets des cycles sans fin de l’émergence, des associations, des ruptures et de la mort…

 

 

Sous le présage du jour, le croisement des voix et des âmes à l’innocence nue. Le baiser qui attise le feu et les caresses. Le cœur exalté au fond de l’être – vibrant de terre et d’énergie au milieu du noir – ouvrant le seuil magique d’une autre réalité…

 

 

Des signes, des fleurs. Et le visage – innocent – frappé de plein fouet par la douleur d’abord – la solitude d’exister – et la joie ensuite comme une grâce s’offrant aux plus méritants qui ont su se plier aux exigences du destin et du silence…

 

 

Un gémissement entre les cris. Comme un murmure – celui de l’aube peut-être – au milieu de la fureur et de la nuit imparfaite qui nous entoure. Et la main magicienne du jour plus proche de l’âme que nos rêves hasardeux…

 

 

Parmi les pierres, quelques vivants à l’âme enserrée – blafarde presque – dans l’absence de toute lumière. Quelques tombes, quelques larmes en guise de décor et d’introduction. Des jours, des pensées et des gestes machinaux. Des chemins où poussent toutes les douleurs du monde. Le souffle difficile – agonisant – au fond de la gorge. Des paysages et une marche incertaine – indécise au milieu d’autres visages – lointains – presque sans âme – où le rire n’est que la marque d’une absence – le signe d’un éclat incompris. Quelque chose comme une peur et une ignorance au fond des yeux, sous les draps, dans les pas – partout où le sentiment est un piège – un appât – partout où la langue gît, inachevée, comme un instrument de persuasion…

L’humanité entière sans doute – avant la conversion des ellipses et des saccages en prières – avant la pleine adhésion de l’esprit au silence…

 

 

Une force résiste – et se heurte à tous les destins façonnés par le désir – l’inertie, le jugement et la haine. Les arabesques de l’innocence peut-être… Le silence et la joie dont chacun rêve en secret…

 

 

Noces du monde et du destin – dard et tranchant de l’épée parfaits pour cisailler et pénétrer notre démesure – l’illusion du choix, les larmes, l’espoir – toutes nos chimères. Comme une besace à l’envergure du vide, portée dans le sommeil – sous le soleil. Et les poches percées par tant d’absence – et l’Amour parti – introuvable – en exil, peut-être, sur des horizons moins tristes – et plus réconfortants…

 

 

Des vies comme du lierre qui s’agrippent aux murs – et poussent, à travers l’herbe et les ronces, sur toutes les ruines du passé. Et qui recouvrent le gris d’une verdure légèrement trompeuse – en s’établissant sur terre avec le bleu du ciel lointain – inaccessible – comme seule promesse – comme seule récompense. Condamnées à parcourir l’infortune, à cacher le secret de leur course et à encercler le jour jusqu’à la mort…

 

 

Plus loin que la colère, le jour naissant. Et le silence d’avant le noir. Les ombres et l’étrangeté de vivre au milieu de tous ces regards – fantômes, peut-être, maudits par la nuit – et déchiffrant, avec tant de maladresse, les signes précurseurs de la lumière…

 

 

En fin de compte, l’unique question sera toujours : qui suis-je ? Qui suis-je au milieu du monde et des visages ? Qui suis-je face à l’Autre et à la mort ? Et, accessoirement, comment être (et vivre) parmi, avec et devant eux ?

 

 

Yeux cherchant partout – dans tous les mondes visités – des refuges, des alliances et des alliés – jusqu’à la découverte du silence et du vide – cette présence rayonnante au-dedans de l’âme – derrière le regard – partout – qui se déploie à travers les mille visages et les mille choses des mille univers existants

 

 

Cette gloire invisible – innocente – un peu folle – de n’être personne. L’eau et le chant des rivières. Le temps et les jours qui passent. Une parole dans le silence. Une caresse sous la pluie – et sur la peau brunie – brûlée peut-être – par le monde. Un secours dans l’indifférence. Un sourire – une épaule – un secret – dans la nuit et l’infortune des hommes…

 

 

Une terre, des mots enracinés dans la violence du désir et la lumière – au creux de cette aube porteuse de tant d’évidences…

 

 

Nous ne faisons que passer – remuer les eaux du changement – et nous prélasser au milieu du temps et de la mémoire. Vivre, à vrai dire, à l’ombre de notre éclat – entre la source et l’océan…

 

 

Où la mémoire nous mène-t-elle ? Et où le temps nous mène-t-il ? Saurons-nous seulement voir, un jour, le feu grandissant derrière les yeux – et l’espace clair et immobile – inaltérable – au fond du regard…

 

 

Au bord d’un cri, les plus hautes vertus. Et au-dedans de la gorge – inutilisables – le breuvage des années et l’illusion de l’expérience…

La lumière et l’innocence – prisonnières de ces étranges silhouettes que le rêve rend si malhabiles – et si fécondes…

 

 

Chemins gravis. Luttes intestines. Destins taillés à la serpe. Au-dedans d’un souffle labyrinthique. Juchés sur des élans et des fausses certitudes. Et ce rire – incommunicable – caché dans les derniers soubresauts de notre chute. La mort et les vivants dressés au combat. Anéantis par la force – presque magique – de cette présence – de ce visage premier – originel – agenouillé au milieu de l’impossible…

 

 

L’ombre puissante, le prolongement d’un geste, le souvenir d’une terreur. Les injonctions du vent. Une pierre – mille pierres – ajoutée(s) aux chemins et aux édifices. Babel horizontale sur le sable des rivages. Et l’appel déchirant d’un visage – nez dans la poussière – guidé par l’espoir, les erreurs et les incompréhensions. La disgrâce, en somme, de l’homme condamné aux blessures et à la chute…

 

 

Rideau de pierres – et rideau de fleurs – qui recouvrent les fenêtres de l’espoir. L’agitation détestable des vaincus et les outrances de la victoire. La parabole du sommeil. Et ces hésitations sur les remparts et au fond des cachots. Les élans et les oublis. Les condamnations sur les chemins et la chair à vif. Les sauts, les incartades et l’impossibilité du secret. Les mains qui amassent. Les peurs calfeutrées au milieu du front. Et ce cœur, si vivant, qui palpite encore…

 

 

Quelque part gît, en nous, sous le cri et le sang aveugle – derrière l’espérance et le désespoir – cachée par notre soif – une beauté sans visage et sans promesse. L’être face au monde et aux marées grouillants de périls et d’incertitudes. La fontaine de toute jouissance…

 

 

L’absence – multiple – dévastatrice – chargée de l’exercice de vivre et des mille complots fomentés par l’ignorance. Dépouillant chaque visage de toute possibilité de rencontre – posant aux marges de l’esprit les erreurs et les rectifications hasardeuses des gestes. Et mille baisers dans la poussière. Un destin converti en actes et en intentions. Les initiales de l’obstination bornée qui exalte l’aveuglement des foules – l’aveuglement du monde. Le registre du plus commun. Le sort de tous les mortels voués à l’inconscience et à l’insouciance face à la mort et aux malheurs…

 

 

Dans le feuillage de l’aurore, la brume et la perle suspendue à notre œil et à notre peau suturée – cousue et recousue après tant de déchirures laissées par le monde, la ronde des désirs et la puissance de la faim. La chair abandonnée aux convoitises et aux appétits parcourant les veines et déversant le sang dans les têtes et les membres – sur tous les chemins. Poussière et ombre gesticulant sous l’attention d’un soleil irréprochable dont le surplomb, peut-être, est le plus sage enseignement. L’angle infini sur le cortège des nuages, des traces et du courage…

 

 

Réhabiliter le nom des inconnus – des anonymes – herbes, arbres, bêtes, pierres et poètes – pour leur dire notre gratitude – et laisser leurs œuvres submerger nos sommets et emplir nos recoins. Les affranchir de la mort et de l’oubli. Et les faire nôtres – éléments essentiels de nous-mêmes jusque dans nos gestes et notre sang – pour rompre la distinction et la multitude (illusoire) des visages – et nous réunir en une seule figure – en une seule condition – celles d’un seul regard sur ce qui (nous) semble si différent et désuni…

 

 

Très haut, soudain, l’herbe envolée – enveloppée dans son dérisoire destin – à hauteur de solitude. Tête émondée de tout espoir. Glissant un peu de tendresse entre nos pas isolés…

 

 

Aucune trace sinon celle de l’envol et de la solitude grandissante. Le geste clair et serein détrônant l’angoisse et l’hésitation passées. Le ciel et la terre comme seuls guides – et seuls horizons. L’effacement et le couronnement de l’humilité…

 

 

Nous avons cherché sous le sable – parmi les galets et les gelées – la route et l’innocence des peuples. Nous avons essayé d’étancher notre soif aux sources des rivages barbares. Nous avons teinté le ciel de nos couleurs imprécises et inutiles. Nous avons sauté par-dessus les fossés de la misère. Notre vie durant, nous aurons tenté (en vain) de nous éloigner de l’abîme et de l’hiver…

 

 

Nous dirons jusqu’à l’épuisement du langage. Et nous dirons encore après la mort et le silence…

 

 

Messager autrefois d’une douleur – reconvertie, un peu plus tard, en attente. Un cil affolé et un ciel abaissé nécessaires à la fouille du langage, au destin consenti et aux mains éternellement ouvertes…

 

 

Etreinte et lumière sur cette terre trop noire et indéfiniment silencieuse. Le contentement et la splendeur. Et ces petits gestes francs – humbles – offerts à ce qui s’avance vers nous…

 

 

L’isolement, la cendre et l’infortune – réchauffés, à présent, par une neige venue recouvrir nos têtes et nos épaules. Venue étreindre le moins inavouable des désirs – la promesse d’un règne et d’un partage…

 

 

Une douceur – un rayonnement – au cœur de l’innocence retrouvée – du simple le plus intègre. L’honnêteté d’une existence vouée à la conversion du malheur et du souvenir en choses humbles, en accord et en aire d’accueil. Reléguant la réserve et la pénitence au fond de l’abîme – au fond de l’oubli – au profit de gestes vides et solitaires – joyeux – au milieu des peines et des étoiles qui brillent encore au fond des yeux des hommes…

 

 

Le crépuscule, le noir, la lune. Les saisons mornes et la tristesse des jours et du temps qui passe derrière la vitre qui filtre la lumière offerte par des Dieux trop lointains…

 

 

Les bras avancés – tendus vers l’aurore et le chant de la lumière. La bouche tordue par les grimaces sur les pierres – la rocaille des chemins. La naissance de l’Amour dans les yeux enfin ouverts de l’âme. Et le sang transfusé où s’infiltrent, à présent, la tendresse, la douceur et l’abandon. Le destin si fragile de ceux qui se tiennent debout – aussi simples que l’aube et le jour naissant – reptiles apprivoisés au fond des têtes – front et buste moins orgueilleux qu’autrefois. Le silence et l’univers dans la main. Vivants voués au plus éternel…

 

 

Des mythes, des périples, des tragédies. L’angoisse et la peur. La chute et le reniement de vivre. Le songe, le sang et le voyage. Les épreuves et la témérité. Et cette marche insensée – presque impossible – vers l’autre rive où règnent le réel, l’Amour, un seul visage – la joie, la quiétude – la grâce et la légèreté. Le goût du partage. Et la plus parfaite immobilité…

 

 

L’absence est un destin – le viatique de tout voyage. Et le silence, la voûte où tout s’enfuit, s’égare et est remplacé…

 

 

A petits pas jusqu’au bout de cette soif…

 

 

Cercle de la marche, de l’écoute et de l’attention. Dans les contours d’un centre et d’une présence. Seul – tantôt debout, tantôt en prière – au milieude n’importe quoi pour dessiner, d’un peu d’encre, quelques traits de lumière – le jour – la tête penchée sur ses pages…

 

 

Le vent, la mort, la langue. Et le ciel et les arbres comme seuls amis…

 

 

Nous ne mourons au monde que pour une autre joie – plus belle – plus grande – plus féconde…

 

 

Un feu, des mains et l’horizon qui brûle encore…

Incendiaires des portes et du plus vaste pour tenter d’apprivoiser la mort et la faim. Tous les délires de l’homme assiégeant la terre devenue territoires où flottent mille drapeaux – parcelles de mille banquets – encerclé(e)s de barbelés où s’amoncellent les victoires et les victuailles – l’arrogance et l’abondance des vainqueurs…

 

 

Trace d’une brise – trame du vent – dans ces ailes massives qui s’éreintent à l’envol – fabriquées patiemment par cette folle envie d’ailleurs. Et pas fermes sur le fil déroulé par la main habile d’un autre ciel…

 

 

Le sable, la cime et le ciment tenace où s’engluent le désir, l’obéissance et le souffle – la respiration difficile – malgré l’ardeur intacte et la force du langage. Le rêve d’une autre parole. Et cette chair, si ardente, posée sur ces pierres glacées sans autre issue que le monde…

 

 

Tout se courbe après la rencontre. Âme, corps, terre – unis soudain aux rythmes et aux exigences du silence. La vague, la mer et le rayonnement de la mort. La joie âpre au milieu des tombes. Et l’ombre tremblante, toute proche, qui va renaître encore…

 

 

Tout vacille et se redresse – pose un genou à terre puis s’élance à nouveau vers la vie et le désir – le sens et le langage. Pas, gestes, lèvres et paroles dans le rythme exercé par le vent. L’écoute, l’écart et ces forces triviales qui édifient l’homme et le voyage. La paresse, l’écho et le passage. Et le doute vertigineux de n’être personne…

 

 

Des nuits, des peines. Et le monde et le réel – bâtis à coup de pelles, de pioches et de chimères dans l’attente d’une issue – l’espoir d’une évasion…

 

 

Un temps et des mains pareils au naufrage. La soif et la nuit, partout, qui offrent leurs bras et leur sommeil. Le sel, les pierres et le monde. Et nul endroit où se réfugier – nul endroit où s’enfuir…

 

 

Le sourire d’une enfance transparente – si innocente dans les bras du sublime. Et l’Amour qui se porte au milieu de la foule et de la mort. L’incarnation d’un seul voyage. Figure et flèche d’une seule blessure – d’une seule perte. Et le besoin du langage pour inscrire la différence sur le sable d’une vieillesse plus sage et méritante…

 

 

L’exil et le silence d’un Dieu corrompu – avili par les dogmes et la croyance des hommes. Maltraité, en somme, pour exalter la promesse d’un ciel inventé…

 

 

L’incertitude et l’inaccompli ; les mystères, peut-être, les plus tenaces du temps…

 

 

Être dans ce souffle qui porte, en lui, l’infime et l’infini – le monde et le silence – le réel et le langage – le sublime et le commun – la paix et la danse – la ronde immense des violences et des visages…

 

 

Un visage, un horizon. Et entre les deux, une fenêtre et l’univers entier…

 

 

L’esprit (l’état d’esprit*) sera toujours plus important (plus décisif et déterminant) que les lieux, les êtres et les rencontres – et plus essentiel que les circonstances et les possibilités…

* en des termes plus communs et légèrement trompeurs ; il ne s’agit nullement de stratégies psychiques, ni, bien sûr, de positiver, de relativiser ou de se plier à une quelconque méthode pour faire face à la vie et aux situations existentielles ; il s’agit plutôt d’innocence, d’écoute et d’attention ouverte, non centrées et non intentionnelles…

 

 

Une douleur et une flamme devant l’immensité promise. Racines, tiges, chemins et tombes. Quelque chose entre la terre et le silence. La présence à l’origine du monde…

 

 

Bleu sur les visages, dans l’eau des rivières et jusque sur les feuilles des arbres en prière – bras lancés vers le ciel. Et rouge aussi comme le sang et l’enfer – et les flammes dans les yeux de ceux qui désirent et s’interrogent. Jaune enfin comme les blés et le soleil – et le rire des hommes portés par l’envergure métaphysique de leurs questions…

 

 

Faces tristes derrière les fenêtres. Chemins venteux et la main de l’ordre – la main du monde – ferme et obstinée – comme un étau sur les rêves les plus tenaces…

 

 

Les arbres, le sable. Et nos adieux au long fleuve déchiré qui s’évertue à narguer les vents, les étoiles et le sang dans les veines qui pousse au crime. Quelques mots encore au cœur de l’automne…

 

 

De la nature et le goût du silence. Un peu de chair et d’absence. Le poids du monde et du ciel sur nos épaules fatiguées – hésitantes. Le rêve d’un ailleurs – d’un autrement peut-être – enfoui au fond du sommeil. La vie sans voile et l’infortune. L’éclair, la nuit et ses mille délices – et ses mille farces sournoises. Et une façon d’écrire quelques lignes – quelques livres – où se mêlent le désir et l’indifférence – la vérité et le mensonge. Comme une larme infime au fond de l’océan…

 

 

De modestes jours et de vains combats. Et ces fleurs, un jour, posées sur la tombe. Comme le bouquet final – un peu ironique – pour célébrer le provisoire et le trivial…

 

 

Le passage – le glissement du songe à la rive – tous feux éteints. Sans yeux ni visage. Et sans même une étoile où poser son rêve ultime. Bandeau arraché par la fureur des vents. Et la vérité, soudain, aveuglante – blanche – éclatante – sur ce que nous avions pris pour le monde et la nuit…

 

 

Du rêve encore sur la langue. Et ailleurs – partout ailleurs – le vide et le silence. Le règne de l’Amour et toute la boue de l’univers…

 

 

Quelques instants arrachés à la torpeur et au sommeil pour se laisser débusquer par la lumière – le frôlement presque indécent du jour…

 

 

Seul au milieu de la crasse et des carapaces sauvages – brutales – presque analphabètes – qui sèment la terreur et la détresse. Qui exaltent la danse et la mort. Et qui jouent avec le feu, les mensonges et les vivants. En instruments dociles des instincts. Comme les petites mains de l’absence allant, avec rudesse et brusquerie, à contre-courant de la possibilité et de l’évidence…

 

 

Quelque chose étouffe dans les empires apparents – au verbe haut et à la gloire si magistrale – bâtis comme de pitoyables châteaux de cartes – de provisoires châteaux de sable. Avec le souffle premier tenu en laisse peut-être – qui rêve de liberté – d’une existence affranchie des parures, des postures et des mensonges. Et qui exalte la solitude joyeuse éloignée du succès et des étoiles – de toute reconnaissance – excepté celle du regard posé au fond des yeux et de la douleur ; l’étincelle brûlante – le seul désir sans doute – cette folle envie de vérité que ni le monde, ni le temps, ni la mort ne peuvent entamer…

 

 

Quelques plis, un fouillis, un rire, quelques grimaces. La solitude et l’infortune. La torture des âmes, la nuit et le regard inscrit déjà – plus bas et plus loin – dans l’aube…

 

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10 juin 2018

Carnet n°150 L’époque, les siècles et l’atemporel

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Un jour, un rêve et l’immensité de la plaine à explorer. Le ciel, les arbres et toutes les figures de la solitude. Quelques livres – quelques lèvres – où puiser la force d’aller – et de poursuivre la marche sans s’effaroucher des malheurs. La nuit, le jour et l’âme terrée dans son abri – quelques branches recouvertes de lumière. Le chemin, quelques heures – quelques décades peut-être – pour jouir de son sommeil ou s’en extirper…

A corps – et à cœur – perdus au milieu de ce qui dure…

Une blessure, un chemin. Et l’ombre d’une rivière qui monte en silence vers la ligne où nous nous tenons. Sur la frontière où se rejoignent le monde et l’infini – la poussière et le soleil…

 

 

La terre et le ciel – limpides. Et le vide pour horizon. Ainsi se tient l’œil sensible au regard qui (en lui) efface les offenses et les ténèbres – le monde – le souvenir et la peur…

 

 

Un sursaut dans la lumière – comme un fouet sur l’âme – un incendie de papiers froissés – pour faire naître l’essence d’un langage voué à l’émerveillement…

 

 

Comme l’eau d’une rivière où s’écoulerait nos rires et nos larmes jusqu’à l’océan – jusqu’aux sources premières de la goutte. Emportant, avec eux, les obstacles, les murs et les tentations – l’arsenal des poètes et tout l’attirail des hommes…

 

 

Un trou, un trottoir, un bruit. Et le pas si pressé des hommes qui creusent leur tombe et étendent les bras avant même d’avoir entrevu la lumière…

 

 

Un rêve, une parole, un soleil. Et ce froid si vif – si brûlant – qui nous empêche de voir, de croire et de voyager au-delà du connu…

 

 

La tristesse comme un cadenas accroché à nos grilles – à nos lèvres – trop hautes – trop muettes – pour attendre la fin de l’automne enceinte déjà par quelques monstres féroces…

 

 

Paix au milieu des anonymes – de ceux que nul ne voit – et que nul ne connaît – et dont chacun, pourtant, se sert comme d’un décor…

 

 

Herbes et vents constellés de rêves étrangers sur lesquels on pose des chaînes et un peu de lumière pour attirer et piéger les yeux…

 

 

Un cercle que vient lécher le ciel – gardien d’un secret amoncelé dans les entrailles qui suscite tant de convoitise chez les hommes…

 

 

Vague tribu – et cette agitation des esprits en sommeil qui croient marcher et emprunter des chemins alors qu’ils rêvent – et ne s’excitent que dans un songe – téméraires par procuration dans un monde de fantômes et de silhouettes – ombres, tout au plus, levant les pieds, les bras et les poings dans la brume et la nuit…

 

 

Une parole brève – une lune suspendue – et les lignes de vie attentives aux larmes et aux printemps – à la figure triste des âmes, des bêtes et des hommes qui se balancent entre les feuillages caduques des grands arbres de l’été – et aux paumes de l’hiver tendues vers nous et nous suppliant de brûler les restes de notre effroi…

Rumeurs d’un monde – rumeurs d’un songe – plus vieilles que le temps…

 

 

La nuit veille sous nos masques – s’éreinte à déchirer le peu d’espoir sous la croûte épaisse de la désespérance en calfeutrant la fenêtre à travers laquelle le jour se lève et grandit…

 

 

Sur notre peau, ce grain de lumière à peine décelable que l’homme entaille avec approximation pour y dégoter un silence impossible…

 

 

Les routes s’élargissent et se perdent – dessinent une sorte de carrefour – un centre où tout arrive – où l’on tourne en rond comme les bêtes d’autrefois sur le grain ou autour d’un puits pour offrir aux hommes un peu d’eau ou matière à leur pitance…

 

 

Mille bouches – mille victuailles. Et l’appétit rassasié qui fait naître le regain du ventre – le désir d’une autre faim – celle de s’étendre et de se répandre sur les rives et les mers du monde. L’enfantement et le recommencement de la descendance. Mille bouches supplémentaires qui se rassasieront de victuailles et enfanteront, à leur tour, mille générations nouvelles…

 

 

Tout n’est qu’expression – expression du silence ; unique créateur, unique spectateur et unique toile de fond du manifesté – de l’ensemble des phénomènes…

 

 

Une présence intouchable ; la sagesse. Et un regard sensible à tout ce qu’il pénètre ou effleure ; l’Amour…

 

 

Pêcheurs, flâneurs, laboureurs, chasseurs, travailleurs, voyageurs. Une foule de visages, assoiffés de bonheur et de sang, qui recouvrent et saccagent la terre…

 

 

Silencieux – immobile – on attend la métamorphose. La conversion de la férocité en poème. Le jour et ses percées franches dans la nuit. Et dans le ciel – et sur la terre – la constellation de l’innocence. La sérénité et l’ampleur de la sève incandescente. Le souffle du Divin sur nos vies. La vision parfaite, en quelque sorte, sur l’effondrement des siècles et nos visages étonnés…

 

 

Tout se précise dans le renversement de la folie ; la terre, le monde, la vie, la mort, les visages – et l’humilité nécessaire à l’effacement de toute emprise. Les jeux inévitables et l’innocence retrouvée au fond des yeux…

 

 

La nuit comme miroir. Reflet d’un sommeil fécond. Le lieu de l’ignorance et des catastrophes. Et la possibilité du jour timide qui s’annonce…

 

 

L’effroi dessiné sur nos visages plongés, tels des insectes, au cœur de la grande toile – vie et monde – secoués par les vents furieux – enfantés par un souffle inconnu. Fils, liens mystérieux et destins tragiques…

 

 

Fleurs, mémoire, griffes, bouches et crocs plantés dans la chair – douloureuse – gesticulante – offerte – prêtée peut-être – aux uns et aux autres. Yeux fermés posés contre les murs – défaits par l’horizon. Quelques signes – et quelques grimaces – façonnés par la stupeur et l’interrogation. Le ciel et le silence. Et Dieu introuvable jusqu’au cœur de la tombe. La vie, la mort et le prolongement de tout. Le recommencement permanent du même destin livré aux supplices et à l’incompréhension…

 

 

Potences triomphantes partout. Du sang, des agonies et quelques bougies allumées dans la nuit pour mendier au monde – aux hommes – au ciel – une explication – un sens – une réponse moins âpre et moins rêche que le silence…

 

 

Ce qui bouge à travers nous n’a la couleur de nos ratures – et pas davantage l’odeur de notre corps. L’élan peut-être du silence qui cherche à nous exposer l’origine du bruit et la nécessité des danses. Comme une pierre aussi légère que l’air – posée un peu partout – et traversant le ciel pour nous montrer la voie…

 

 

L’hallucination et le délire comme unique spectacle. La croyance mastiquée jusqu’à l’usure. Et le froid vif arrachant au cœur le droit de vivre et le feu nécessaire à la découverte – et à la traversée – d’un monde infini replié dans celui-ci plus terne, plus triste et moins définitif…

 

 

Un secret au fond d’un seau que chacun porte comme une charge – comme une douleur…

 

 

Tout s’enchaîne et se débat dans un puits qui peut-être – qui sans doute – n’existe pas. Une sorte de gouffre dessiné par l’ignorance – aux parois rouges et grises recouvertes de boue et de sang – au centre duquel patiente le ciel – le plus vrai du monde – l’être libéré des chimères – celui qui vit au milieu des visages – au milieu des destins – qui est tout et personne. Cette présence au parfum de joie au cœur de toutes les vies – au cœur de toutes les tristesses…

 

 

Un peu d’innocence à naître sur la neige qui s’est substituée au sable et à l’attente…

 

 

Une voix, des graines à foison. Chaque jour, le même élan – le même tourbillon – du langage qui cherche un chemin sur la page – et à faire revenir (ou, à faire naître, parfois) sur les visages le même silence…

Le miroir du monde – le miroir de toutes choses – jusqu’à l’effacement des noms sur les destins…

Quelques gribouillis sur les eaux boueuses du temps…

 

 

Assoiffé de cette ampleur véhiculée par le monde – de cet infini suspendu au visage de l’éphémère…

 

 

Une fenêtre, un paysage. La tête et ses numéros – la tête et ses spectacles qui font tourner les pas et les âmes au milieu de leurs combats. Et un rire, soudain, qui surprend les ombres qui passent – et les larmes abondantes qui coulent sur les joues. Un air de tristesse et d’incompréhension retenu au fond de la gorge. Quelque chose aux allures de menace – une prière, peut-être, au fond de la peur. Le triomphe du silence sur le désarroi – et ses filles de misère qui ligotent toutes les mains tendues vers n’importe quoi

 

 

Un long chemin à suivre – pas à pas – au milieu des visages et de la mort – au milieu des mains qui martèlent leurs rêves sur l’asphalte et le béton fabriqués par les hommes. La main tremblante et la nuit parcourue – et retournée dans tous les sens parmi les rires et les larmes de ceux qui vivent et espèrent encore…

 

 

Tout s’enfuit – tout s’en va au fond d’un long couloir sombre – aux rideaux opaques – aux murs hauts et sans fenêtre. Tout s’éclipse le moment venu – disparaît et s’efface avant de revenir habiter la mémoire et le monde d’après sous d’autres traits – et avec la même ambition – et le même appétit de découvrir le secret de tous les passages…

 

 

Tout se trouble à notre arrivée. Tout s’éloigne durant la traversée. Le sommeil succède au temps. Et l’espoir aux souvenirs…

Rien ne dure – pas même les ombres qui en nous – devant nous – partout – s’agitent. La vie passe. Et le soir arrive déjà. Et avec lui surgit l’hiver…

La solitude, si riche autrefois, se dépeuple. Elle devient rude – aride – puis se dessèche. Les yeux alors voient la mort s’approcher – et lui font face. La terreur incise notre faim et notre angoisse.

Peut-être ne nous réveillerons-nous plus…

 

 

Poussière, nuit, silence. La trajectoire de l’infime vers l’infini. Et ses mille points de passage où il faut (toujours davantage) se dépecer – et s’effacer jusqu’à l’anéantissement final – jusqu’à la dissolution de tous les restes du destin

 

 

Lumière, porte, chemin. Lignes d’un seul jour – d’une seule vie. Traits informes – malhabiles – qui, peu à peu, dessinent notre vrai visage – et la nuit – et le jour alentour – au-dedans – partout où l’âme s’immisce…

 

 

Le même silence qui, autrefois, s’impatientait en langage – en mots foisonnants jetés sur n’importe quoi – contre n’importe qui

 

 

Tout s’éreinte, s’abîme et se casse – jusqu’au plus sombre des rêves – jusqu’au ciel – jusqu’au silence infranchissable…

 

 

Les frontières comme un vertige étagé – des tronçons de terre lacérés par la faim et le manque – et le désir de possession à l’épreuve de l’invisible qui veille et guette nos défaillances…

 

 

Prisonniers d’un monde – de chaînes – d’une folie à hurler. A la recherche d’un rêve, d’un point, d’un coin d’herbe verte pour échapper à l’affrontement. Acquiescer à tous les délires pourvu qu’ils nous délivrent de l’amer – de l’étrangeté de vivre en exil au cœur d’un monde voué à la désespérance…

Le ciel d’une nuit parfaite – et si déplaisante, pourtant, pour les yeux inaptes au consentement…

 

 

L’âme agenouillée au milieu des débris, des gravats, des éclats – soudée à tous les recoins du monde qui protègent de la violence. Le sommeil et la mort plutôt que la lumière – si vive – si aveuglante – et le clignotement de quelques étoiles en guise de paix et de silence…

 

 

Un front, une porte, un ciel. Et tous les orages – et les vents qui s’abattent et dévastent les yeux englués dans la brume – sur les horizons. Quelque chose, pourtant, se détache – et glisse, peu à peu, du rêve vers le réel. Quelque chose – un infini peut-être – comme le revers de tout destin qui se cache au cœur de l’effacement. A l’envers du temps et des visages rompus par nos pas qui s’avancent – au-delà des barrières qui encerclent la mort…

 

 

A corps – et à cœur – perdus au milieu de ce qui dure…

 

 

Une blessure, un chemin. Et l’ombre d’une rivière qui monte en silence vers la ligne où nous nous tenons. Sur la frontière où se rejoignent le monde et l’infini – la poussière et le soleil…

 

 

Boîtes, angles, ponts, boussoles. L’attirail des hommes sous les nuages qui voyagent sans carte ni précipitation – attentifs au ciel – naviguant sans crainte au milieu des étoiles – libres, en somme, au cœur de leur destin…

 

 

Source du feu et des malheurs jetés – presque au hasard – sur la paresse des visages. Le sort des voyageurs. Les vagues qui chantent. Les flammes, la glace et la mort. Les vents qui hurlent – et que croise, parfois, le regard. L’œil, la route et le destin des noms qui se querellent et se dévisagent. Un peu d’écume dans le silence. Les plis d’un monde ignorant – et ignoré du plus sublime – qui abhorre l’incertitude…

 

 

Un reflet, une ville endormie. Et au milieu du sommeil, le regard de l’homme posé au-dessus du monde – appuyé au jour et au silence – qui contemple les bêtes et la peur – les visages griffés et le bruit des bottes par milliers – par millions peut-être – fiévreuses sur les routes qui serpentent autour de la même prière…

 

 

Un jour, un rêve et l’immensité de la plaine à explorer. Le ciel, les arbres et toutes les figures de la solitude. Quelques livres – quelques lèvres – où puiser la force d’aller – et de poursuivre la marche sans s’effaroucher des malheurs. La nuit, le jour et l’âme terrée dans son abri – quelques branches recouvertes de lumière. Le chemin, quelques heures – quelques décades peut-être – pour jouir de son sommeil ou s’en extirper…

 

 

Visages anonymes – passés inaperçus – sur ces routes où défilent le hasard et le moins célébré. Des yeux, des mains et des grimaces au bord des chemins – avachis – exténués – enfermés dans l’espoir d’un espace moins exigu que le monde.

Les portes qui se referment. Le vent qui cingle et ravive le désir de voyage. La mer, le temps et les voilures toujours amarrées aux quais. La caresse rêvée d’un ailleurs. La prudence de toute avancée. Les ruines, la fuite et l’imaginaire. Quelques départs et la mort qui s’avance – qui s’approche. La fougue, la grève et les tournants à chaque ligne nouvelle. Le recommencement, en somme, du même horizon – du même pas – du même destin – plantés entre le réveil, les mirages et cette douloureuse sensation d’exister…

 

 

Nous marchons avec, au front, cette ardeur des exilés qui savent que toute vie est un voyage – un mensonge – un retour (presque) impossible vers la seule patrie acceptable – ce lieu caché en chaque lieu – cet air de fête et ce rire jetés en contrebas de la tristesse. L’angle sous les larmes et la désinvolture des pas. La lumière au milieu de la fenêtre. L’âme adossée au mur affrontant ses démons et les épreuves du temps. Le visage de l’horizon enfoui sous les couleurs de l’immobilité et de l’évidence. La joie à naître au fond de l’incertitude…

 

 

La main d’une étoile posée sur le ciel ouvert – défait des ombres et des cris étouffés au fond de la gorge. La lumière triomphante qui a précédé cette nuit glaciale – interminable…

 

 

Lèvres et visages tissés de soleil et de certitudes. Allumés par la main indécise – délicate – magistrale – de l’aurore – inquiète de nous voir batifoler sans conscience au milieu du doute et de la rosée…

 

 

Un jour, une lampe. Et l’évidence d’un Amour plus vaste que la peau – et plus clair que le sang – qui s’offre à nos poitrines rampantes au milieu de l’effroi et des simagrées – parmi les visages et les épines du monde…

 

 

Place vide. Et l’ombre qui nous retient comme des doigts agrippés à notre veste. Murs pareils aux autres. Choses entendues et secrets révélés. Et la langue qui profane l’univers, le ciel et le silence – et la joie grave (et si discrète) de ceux qui savent

 

 

Le frémissement de la chair le long du poème. Et l’âme tout émue par le silence posé sur la table – entre les lignes. L’invisible en marche – en avance sur nos pas. Une bougie, le mystère et la mort qui frappe encore après la fin de l’espérance. Le vent, la nuit et le noir. Et ces peurs insurmontables. Le réel plus large – et plus intrépide – que nos chuchotements. Une présence délicate que nul jamais n’a su voir. Ce qui remue au fond de la gorge. Le monde en mouvement et la joie de tout accord…

 

 

Absence, manque, trous recouverts d’angoisse, de tentatives et d’attente. Le moins réel de notre vie. Quelque chose entre le désespoir et l’envie sur fond de solitude – (presque) inavouable…

 

 

Quelques mots – quelques lignes – en marge de la lutte et de l’attente. Et tapies sous l’angoisse, quelques déchirures. Et derrière elles, la magie du plus quotidien et le ciel (devenu) accessible. Le mystère (enfin) révélé des drames et des naissances. Un souffle lucide entre le silence et la faim de l’homme. Le seul voyage possible à travers le monde et les destins…

 

 

Chants, prières. Et ce qui s’élève vers le plus vivant du mystère. Une voix, quelques bruits, quelques pas – un geste au-dedans de ce qui cherche pour renverser les yeux vers le seul univers possible – vers le seul univers existant – suspendu au souffle et à l’attente de jours plus tendres…

 

 

La nuit, le jour – et partout, l’incendie de se résoudre. Les fenêtres et le silence. La joie, la voix et le mystère. La quête enfantée avant le renouveau – avant chaque renouveau. La fibre de l’homme, en somme. Le rêve de chacun avant que ne nous fourvoie – et ne nous attriste – le monde…

 

 

Tout se déchire – et devient incertain – en particulier au cœur des drames qui donnent à notre visage cette tristesse insondable – et l’élan nécessaire, peut-être, pour déterrer ce qui dure – et ce que nul ne peut entamer, dérober ni corrompre. Cette joie – cette lumière – ce soleil – au milieu de tout ce qui crie – au milieu de tout ce qui geint et se répand en prières inutiles…

 

 

Chemin faisant, la poussière s’accumule – s’agglomère sous les souliers du vent – sous les semelles du temps. Dans cette mémoire engrangée sur les sentiers du monde. Les désastres, le feu et les déserts. Et la cendre sur nos yeux souillés de larmes. Les pieds nus dans les drames, la rosée et le sang…

L’âpre métier de l’homme livré aux malheurs et à l’espoir – condamné à renouveler son destin pour aller moins triste – et plus sage – parmi les têtes si lasses de tourner en rond – parmi ces visages sans âme – au cœur des jours – au cœur de ces fêtes absurdes et sans importance…

 

*

 

Chacun – tout au long de sa vie – sur son petit coin de terre (ou son petit carré de page) – offre son plus précieux*. Dispense, malgré lui, aux uns et aux autres les dons singuliers* qui lui ont été accordés.

* d’apparence positive ou négative – voué(s) à créer, à protéger ou à détruire – qu’importe !

Et chacun vit – et agit – ainsi en infime et anodin maillon – essentiel – et pourtant remplaçable – apportant sa pierre à l’édifice commun – et contribuant à l’interminable construction de la demeure partagée – cette monstrueuse et incontournable entité en perpétuelle évolution que nous appelons le monde…

 

*

 

Au fond de l’inachevé, cette terre haute et cet œil unique – indéfinissables – que nul ne regarde – et dont tous les jeux nous distraient et nous éloignent…

 

 

Un cœur, un poêle, un plafond. Et la mémoire qui empile les peines – et les couvertures sur ses blessures. Et que nul jamais ne prend la peine d’embrasser. Une solitude enfouie au fond du sourire – entourée de hauts murs blancs et de cette joie d’aller plus libre au milieu du monde et des visages…

 

 

Des boîtes, des bains et mille pétales jetés au milieu de la nuit. Un regard, quelques signes et les étoiles infiniment brillantes qui persistent au-dessus des toits…

 

 

Aucun rêve – des myriades d’étoiles et de légendes. Le mythe des vivants et de la mort. L’élan nouveau vers une terre plus aimante. Le vertige du savoir couronné par le néant et la certitude d’une sagesse analphabète…

 

 

Des tirades – quelques signes reconnaissables sur la page. Le destin d’une œuvre aux frontières de l’ineffable – incomprise – trop écorchante – trop chavirante pour les âmes accrochées aux plaisirs et au hasard des rives où l’arrogance est devenue le masque de l’ignorance et de la bêtise (presque entièrement) assumées…

 

 

Gouttes, larmes, joyaux. La soif de tous les départs. Et l’amorce d’un appétit intarissable – cette part de rêve en nous repliée sous le désir et l’ambition…

 

 

La fougue du plus sauvage luttant à mains inégales contre le sérieux du savoir et du langage. La folie de la parole face à l’écoute patiente – presque sensuelle – quasiment charnelle – des mondes et des récits de voyage. Cette sagesse cachée sous les instincts. L’écho d’un délire – de mille délires – et d’une absence. La preuve (un peu vague sans doute) de l’Amour qui se cherche sur les visages…

 

 

Une vallée, des yeux, des jalons. Et les chemins comme les fleuves transportant l’eau et les larmes – et les âmes happées par les courants puissants et dévastateurs – fuyant le destin et les noyades inévitables – allant, de détour en méandre, vers l’infini des océans.

Et ces visages tristes – recroquevillés sur le sable des rivages – abandonnés là par la danse furieuse et incertaine des flots…

 

 

Festins (à peine) interrompus par les doléances (ou les louanges plus rares) de ceux que l’on écarte des banquets – envieux parfois mais, le plus souvent, trop révoltés et réprobateurs pour être écoutés – et reconnus comme les porte-drapeaux d’une vérité plus belle (et plus vraisemblable) que celle imposée par le monde et ses visages orgiaques et indifférents – trop insensibles et arc-boutés sur leurs privilèges pour accepter la différence…

 

 

Mains, flaques, mépris. Et cette invitation à croire en la valeur de l’arrogance – ce vernis de certitude sur le sable de l’ignorance…

Statues incompréhensibles – immobiles – rafistolées par la colle de quelques idées – de quelques dogmes et idéologies – pour se convaincre d’être nés du bon côté de la frontière – séparant d’un grillage (et de mille barbelés parfois) la barbarie – le sauvage proclamé – et la bien-pensance – la raison et le plus sage…

 

 

Nous dessinons en gestes imprécis ce que le silence s’acharne à nous révéler ; l’inutilité des images, l’étrangeté (ou l’absurdité) de la parole et la vérité apophatique de notre présence – si indiscutable…

 

 

Une danse au cœur de mille danses. Un chant au milieu de la parole et du silence. Un cœur parmi les mains tendues – suppliantes. Une présence face à la mendicité des âmes et du monde. Notre vrai visage enfin révélé derrière le miroir, les reflets et les apparences…

 

*

 

Conscience et vie terrestre. Un seul regard – sensible et invisible – posé hors du magma (énergétique) et immergé au cœur du mélange, de la diversité et de la récurrence – de cette entité évolutive et intra-active…

 

 

Epoque et monde (triste monde et triste époque) de l’individualité, de la réussite et du spectacle qui imposent leurs valeurs et leurs paradigmes – et n’offrent aucune alternative à ceux qui y vivent ou fréquentent les hommes ; narcissisme, marchandisation (à outrance) et représentation (show permanent) saupoudrés d’humour, de sensationnalisme et de fausse décontraction où l’apparence et la promesse trop facile (de bonheur) prévalent sur la profondeur et le réel – et sur la lucidité nécessaire pour faire face aux circonstances et à la complexité d’être au monde

 

*

 

Dire encore ce que les mots ne peuvent révéler. Le refus – et l’absurdité des principes et des idoles. La vacuité de la parole et de la pensée. L’indigence de toute forme d’expression. L’impossibilité de vivre. Le silence – et les bruits de l’Absolu et du monde réunis. Le fil des jours et l’éternité. Le rêve plongé au cœur de l’homme. Ce qui traverse le ciel, la mort, les peines et les prières. Le bonheur – que dis-je ? – la joie d’être et du plus simple. L’effacement – et le bannissement du mensonge – au profit de l’incertitude et de la vérité. La perte – et la disparition des noms et des visages. L’insaisissabilité de toute existence…

 

 

L’aube entre quatre murs – prisonnière – aperçue par la fenêtre de la nuit – délivrée du pire…

 

 

La naissance du jour au fond de l’œil survivant – désobstrué…

 

 

La vie offre l’ivresse des départs et de la continuité – et assez de force et de courage pour la traverser (de bout en bout) et affronter les tempêtes et les orages – les épreuves du monde, du vent et des visages – mains posées sur la terre – yeux et bras levés vers le ciel silencieux – et l’âme chavirée par les élans – poussée à hue et à dia vers la mer et tous les recommencements…

 

 

L’aumône dressée dans la pénombre. Le jour déraciné. La poitrine lancée comme un soleil vers ce qu’arrache la mort. Lumière et soif. Le cœur fragile – pétri par les eaux dormantes qui s’écoulent – lentement – entre les rives où sommeillent les hommes. Le vent et le corps surpris par les rires et les larmes. Le destin d’un peuple livré aux périls et aux mensonges. L’aventure de toute existence, en somme…

 

 

Peuple du bord du monde – initié au très-bas et à l’enfance – l’innocence rare – pleine presque toujours – au cœur de l’âme – qui inscrit ses pas dans l’ordre des jours – et obéit aux marées et aux vents qui poussent les visages vers des lieux déjà mille fois traversés…

 

 

Un hivernage solitaire sur le versant d’un vide moins cruel qu’on ne l’imagine. Un ciel, un souffle, un rivage. Une fenêtre sur les étoiles d’autrefois – si lointaines à présent. La courbure d’un rêve au milieu d’un désir – presque éteint. La joie d’un destin scellé dans l’incompréhension et le silence…

 

 

Simple – à genoux devant tant de siècles incompris – incompréhensibles – avec cette foi des innocents revenus du monde et de la mort – et avec, sur les lèvres, ce sourire incorruptible…

 

 

Tout prend place, à présent, au centre de nous-mêmes ; le blanc, la nuit, le vent – l’encre, la pluie, les larmes et les visages. Et ces chants terribles au milieu des carnages…

Le bonheur discret et énigmatique, en somme, de ceux qui ont choisi le silence

 

 

Une pensée lointaine – exercée hors du langage. Quelque chose comme une avancée dans la fuite – un retour vers l’essentiel et le plus urgent. Un silence – une innocence aux pieds nus offerte à la main du poète qui retranscrit sur ses pages le baiser joyeux (et impérissable) d’une aurore jamais compromise…

 

 

A l’écart du plus inavouable – ce désespoir et cette incompréhension des foules et des têtes enfouies dans la misère. La dévastation née du temps – aggravée par le monde et la présence des hommes. Ce lieu de la tristesse où tout revient mille fois, agonise et recommence…

 

 

Le seul voyage possible entre le jour et ce qui s’efface – entre la terre et l’infini. L’éternité à portée de l’éphémère…

 

 

L’enfance d’un ailleurs aux murs blancs – et défraîchis par des siècles de solitude – abandonné(e) au ciel, à la lumière et au silence d’un temps toujours neuf depuis l’origine du monde…

 

 

Nous regardons la fin du temps, l’horizon au loin et ces vies rompues – défaites d’avance par cette langueur – cette tristesse à vivre en deçà du seuil vivable – loin – si loin – de la joie – inaccessible depuis ces rives où la cendre n’engendre que l’espérance d’un possible et d’un ailleurs – jamais leur franchissement…

 

 

Et cette angoisse à vivre entre la terre et le ciel – dans l’indifférence juvénile des peuples. Couronne de la différence posée sur la tête…

Avec un Dieu immobile terrassant les fronts obstinés dans leur sillon. Le miroir de la mort face aux yeux baissés – terrorisés à l’idée de devenir et de s’écarter du chemin tracé par leurs aînés. Puis, le désert et le souffle naissant – et cette aurore jaillissante au milieu de la violence et de l’effroi. La naissance, en quelque sorte, du privilège atemporel pour ceux qui ont su traverser la misère des siècles – et l’indigence de leur époque…

 

 

Rien. Un peu de temps qui s’écaille sur nos jours trop rêches. Et l’évidence d’une perte inconsolable. Dieu en nos murs – au cœur de nos jardins – inaccessible sans la fébrilité d’un élan…

 

 

Tout se rue – tout accourt vers la lumière. Les rêves et les yeux posés sur l’asphalte sans promesse. Les vœux et la chair partagée qui s’essouffle sous les coups. L’esprit abandonné à ses délires. Nos mains pressées les unes contre les autres. Les siècles arrogants et les époques sans éclat. Les vieux, l’enfance et tout ce qui se sent étranger au bonheur célébré par le monde…

 

 

Les juxtapositions s’enchaînent avec malice. Rampent – pénètrent et salissent le monde et la langue. Déblaient les fausses évidences et les tournures lumineuses. Les convertissent en obscurité et en non-sens.

Juxtapositions joyeuses et incertaines. Un peu folles pour tout dire et épuiser l’esprit – et apprivoiser ce qui se tient au-delà de la raison – au-delà de la pensée – ce soleil – ce silence – soulignant la valeur inouïe – presque insensée – de toute existence libérée des lois, du vent et de la nuit – libre d’aller où bon lui semble – réconciliée avec l’envergure d’avant le monde et la parole…

 

 

Foules et feuilles toujours silencieuses. Au fond des draps et de la détresse. Tremblantes au cœur d’un bonheur mâché jusqu’à l’os – et (pourtant) à peine susurré. Feignant le rire là où il faudrait pleurer. Appuyées sur tant de fausses certitudes. Arrogantes et attendant, malgré elles, le pardon. Inconscientes, confiantes et tristes face à leur dispersion et leur émiettement à venir. Avec cette passion muette au lieu d’être chantante – et le désir trop puissant de la terre – et la nuit si encombrante pour espérer la moindre percée – la moindre accalmie. Les yeux trop lourds – trop chargés sans doute – pour voir au-dedans – au loin – partout – arriver, avec l’aurore, l’achèvement d’une époque, la fin des siècles et l’ère nouvelle – et toujours fraîche – de l’atemporel et du recommencement…

 

3 juin 2018

Carnet n°149 Destin et illusion

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Néant, cachot. Habitudes de la première heure. Pas trop pressés. Fossés, dérives et l’horizon comme détention – le lieu irrévocable de toutes les foulées – de tous les destins…

Des lèvres, des chemins, un peu de chance au milieu de la nuit. Et la suite (à venir) chahutée déjà par le monde et les Dieux cachés au fond de nos instincts…

Vide, silence – un rien pour s’émerveiller de ces choses et de ces visages qui, dans leur chute, cherchent un appui – un horizon – un moyen d’éviter l’effroi et la mort – quelque chose qui n’existe pas…

 

 

L’éphémère du monde – de toute existence. Le provisoire de toute chose – de tout visage. Martelés par le temps qui passe. Etrangers – inexistants – pourtant au regard de l’instant – cette présence immobile – inchangée – inchangeable…

Ce qui demeure (à notre grand étonnement) neuf – sans mémoire ni attente – porteur toujours d’innocence et d’émerveillement – de cette curiosité et de cette gratitude de toutes les premières fois

 

*

 

[Préambule pluriel]

 

Nous sommes moins la main de notre destin que celle du destin des autres.

Et toutes ces mains constituent (en s’assemblant les unes aux autres) la trame solide – féroce – implacable – de toute existence – les rails inamovibles, en quelque sorte, qui dessinent, à chaque instant, le chemin…

 

 

Le quotidien éternel et passager – incorruptible à travers les âges et les siècles. Et l’instant souverain. Révélateurs, en dépit des dérives et des rêves, de notre sagesse à vivre…

 

 

Tout revient comme l’eau du fleuve – à travers ses mille visages…

 

 

Donner la mort – et estropier la vie et le vivant – devraient exalter notre indignité à vivre…

 

 

L’attention est au commencement du plus sacré – à la source de la sensibilité et de la gratitude…

 

*

 

Gisent avec nous, en chaque heure, les ruines sans cesse recomposées d’un passé inutile – fait de rêves, de blessures et de refus – qui encombrent et rongent notre présence actuelle

 

 

Une eau nouvelle afflue – gorge nos bouches suspendues à la parole si ancienne des sages – délivre nos cœurs de leurs idoles – encourage la perte autant que notre angoisse à vivre sans certitude au milieu d’un monde inconnu – mystérieux – toujours aussi étranger…

 

 

Des larmes, du sang et de la honte – incrustés entre les tempes – jusqu’à celles des plus insensibles…

 

 

De la chair et des masques pour donner libre cours aux tortures. Et cet abandon à de vieux gestes coutumiers pour repousser la peur – et soumettre l’esprit à la torpeur – au refus d’assumer (trop consciemment) ses œuvres…

 

 

Miasmes, luttes, mensonges. L’enfer fabriqué de toutes pièces – et que l’on agite comme un épouvantail pour effrayer les âmes trop crédules…

 

 

Rires trompeurs face à la solitude et au marasme – face à ce monde aussi fou qu’indigent…

 

 

Au plus près d’une main – et d’un chemin – qui ne pourront jamais (nous) délivrer de la mort…

 

 

Le front rouge comme un éclat de sang qui se risque en pas timides vers la chute – vers la mort – et qui répand son parfum, sa peur, son angoisse sur ce qui ne viendra peut-être jamais assouvir son désir ; le rêve d’un ailleurs affranchi du déjà vu pour donner à l’inconnu toute sa fraîcheur…

 

 

Au milieu des affronts et des outrages – l’âme frêle – le front et les mains démunis – sans âge, sans Dieu, sans aile. Répétant à l’envi le nom imprononçable – et incompréhensible sans doute – de l’innocence aux hommes – fatigués – las de tout voyage – échaudés par mille Dieux et mille promesses non tenues (et intenables). Livrant un secret presque indicible à des bustes trop craintifs et à des épaules trop fragiles – trop fourbues – pour se redresser dans l’incertitude et aller, confiants, vers la seule sagesse possible

 

 

Néant, cachot. Habitudes de la première heure. Pas trop pressés. Fossés, dérives et l’horizon comme détention – le lieu irrévocable de toutes les foulées – de tous les destins…

 

 

Pluie, pensées, roseaux. Mains et sourcils levés. Un doigt sur les lèvres pour taire le cri et la stupeur. Un coin de terre – un bout de ciel – pour apprivoiser un visage et quelques lèvres peut-être. Et trouver le courage de vivre dans le désordre du monde et des âmes. Quelques pas – quelques bruits – dans le silence. La solitude et le désert inhabités. Une lampe – un peu de lumière – pour déchiffrer quelques signes sur les pages – dans des livres mille fois ouverts – parcourus dans la précipitation – avec l’ardeur de ceux qui cherchent… Et la mort, bientôt, qui déchirera notre destin pour nous pousser un peu plus loin sur le rivage…

 

 

Naître – se redresser – vivre debout. Puis, chanceler – et poursuivre à genoux parmi les vents fébriles et la poussière tenace…

Porter le mystère jusqu’au bout de l’allée – jusqu’au bout de cette nuit sans cesse renaissante. Et continuer à croire, à prier et à désirer ce jour – cette lumière – que notre âme n’aura, peut-être, qu’à peine effleuré(e). Et mourir allongé parmi les fleurs – sur le sable et les pierres qui nous auront vu naître et chercher partout sans comprendre l’envergure du ciel et du silence plongée au cœur de chacun de nos pas…

 

 

Toute vie est le recommencement du temps et du vide suspendu à l’espoir. La promesse des retrouvailles avec un monde perdu en nous-mêmes…

 

 

Maintenant n’est plus cette larme ni cet espoir livré(e) au pas suivant. Pas davantage que le souvenir d’un âge meilleur – d’un autrefois regretté. Il commence et s’achève ici même – à cet instant. Composé de tout – de presque rien – d’une innocence presque inavouable – presque incompréhensible pour les esprits trop temporels – et d’un silence qui dure – qui durera encore – qui durera toujours…

 

 

Tout passe, roule et se baigne quelques instants dans l’eau claire de la source avant de retrouver le monde et de regagner, un jour, les rives du silence. Ainsi tout s’efface, renaît et recommence…

 

 

On attend au creux de cette main magistrale la visite du vent et des fleuves, la fin des croisades et la caresse attentive de l’éternité – cet instant hors du monde – défait du souvenir et du temps…

 

 

L’inconnu arrive – se faufile entre nos tours et nos remparts – et gagne, peu à peu, le donjon où nous vivons perchés – en retrait – en surplomb des douves inutiles. Et voilà qu’il se met à tout chambouler – à semer la pagaille dans nos ordonnancements – et à plier, une à une, les armes amassées dans notre forteresse – inutilisables désormais pour se protéger des circonstances. Et nous voilà, bientôt, plongés dans le mystère et l’incertain avec ce regard craintif et émerveillé qui contemple ce qui va arriver – tous les visages, si terribles et sages, de l’inconnu qui s’avance

 

 

Quelque chose passe – halète – qui porte avec lui l’histoire du monde tombé dans la béance des insoumis. Quelque chose arrive sans ordre chronologique – qui donne et blesse dans un curieux mélange – en nous faisant oser un regain – une vie supplémentaire – un surcroît d’âme peut-être – pour accueillir les visages, les cris et l’Amour – les prières désenchantées, l’univers entier et le silence…

 

 

Une main, un sommeil, un soir. Quelques pas au milieu des alphabets pour dire ce que la tristesse ne peut emporter. Un rêve, l’infini, mille choses – le sang, l’instant et la mort. Quelque chose de moins insensé que les départs – les dérives – les naufrages – tous ces abîmes où finit par sombrer ce qui respire…

 

 

Traversée, contournée – la vie toujours passagère. Des instants collés comme des doigts sur la vitre derrière laquelle tout s’efface et s’enfuit…

 

 

Un chant, un feu, quelques mots pour apprendre à vivre hors des siècles – hors du temps. Un espace, un regard, une étincelle – aussi sereins qu’attentifs à ce qui s’invente derrière la tristesse et le refus…

 

 

Nue – intense – la parole derrière l’abondance des images, le foisonnement des idées et la truculence syntaxique…

 

 

Une nuit, une chair tremblante sous la voûte. Quelques rires, une parole entendue – à peine un murmure. Les yeux plongés dans le noir face à la solitude et au jour qui se lève, là-bas, au loin…

 

 

La pluie, le vent, la poussière. Quelque chose d’éternel dans le cri et la faim de l’homme …

 

 

Naissance, vacarme. Et, un jour, l’effondrement de la voûte. Et la porte qui s’ouvre sur l’inconnu que nous portions, sans le savoir, au fond des yeux – retournés, à présent, vers l’unique passage. La possibilité d’un infini enfin plus vaste que la douleur. L’équilibre (fragile) entre l’Amour, le tragique et le destin. L’âme et la chair estropiées. Entre l’instant, le rêve et la violence…

 

 

Un cœur, des ailes tendues vers l’apocalypse. Une poitrine souillée de glaise crucifiée sur l’impossible. Le sort de tout homme, en vérité…

 

 

Quelque chose se dérobe ; un instant, le ciel, les yeux. L’âme en déroute. Une lumière, des épaules, la cendre éparpillée au milieu des fleurs. Quelques larmes versées sur les bêtes et les hommes livrés aux malheurs. Notre seul point d’ancrage peut-être…

 

 

Solitude des hommes au milieu de leurs frères d’infortune. Surface, oubli, présence. La tendresse des gestes de secours. Quelques baisers volés aux instincts cadenassés sous la violence. Une nuit, un jour, une vie à attendre l’improbable – cernés par un réel acéré qui entaille, fait naître la peur et donne la mort comme un jeu cruel et, pourtant, nécessaire aux retrouvailles – aux fiançailles toujours aussi lointaines entre le ciel et les âmes…

 

 

Lumière et douleur sans obstacle. Infirmes encore – et si minuscules…

 

 

La constance des visages et des noms dissimule mal le désordre des âmes, la bataille permanente des astres, les saccages et la variabilité des humeurs. Les existences ressemblent à des intervalles sous lesquels grondent les tempêtes et les eaux sombres et taciturnes des abîmes. Le feu, le vent, les cris et la cendre sous l’apparence lisse (trop lisse) des traits et des lignes tracées sur les pages des livres…

 

 

Astres encore à intervalles réguliers du parcours. Et cette frénésie des pas à onduler au-dedans de l’ivresse. Comme le franchissement impossible du seuil de l’homme

 

 

Vertu aux mains jointes – patiente – si soucieuse et désireuse, pourtant, d’un autre monde…

 

 

Rivière inerte au fond des yeux. Muette et sans regret. Triomphale, en somme, après tant de pentes parcourues et de délires renversants. Et, plus haut, cette brûlure convertie à la mort. Et, plus loin encore, le silence incarné…

 

 

Tout part – et revient – dans la gratuité de l’expérience. Soleil, magie, destin. Et tout ressuscite après la mort…

 

 

Eaux dormantes sous la furie – au milieu du sommeil. Servantes dévouées, pourtant, de tout ce qui aspire à se redresser…

 

 

Blotti(e) contre les songes, cette eau noire – ce gel – qui condamne l’esprit à revenir et à parcourir les routes autour du même centre…

 

 

Jours et siècles d’une seule enfance qui s’éternise au cœur de chacun – au cœur du plus sensible – au cœur du moins pressé. Comme la bénédiction, peut-être, du plus grossier et du plus tangible. Et la condamnation de ce qui n’ose jamais s’affranchir de l’ampleur de l’ignorance et de la nuit…

 

 

Les portes claquent – s’ouvrent et se referment – devant l’œil inquiet – fébrile – insomniaque. Souvenirs plantés au fond du crâne. Bouche piteuse – presque honteuse de ses cris. Et cette main qui mendie ce qu’il faut pour vivre. L’âme fuyante – craintive – apeurée – magistralement soumise à son destin. Comme un long voyage – âpre – patient – et si furtif, pourtant, au milieu de la peur et de la mort…

 

 

Blessures, désespoir, torrents de boue, fureur écervelée – arrêtés net par la fraîcheur d’une poitrine posée au milieu des fleurs – au milieu du jardin – où sont refoulés tous les masques, toutes les peurs, tous les barbares…

Un bond, en quelque sorte, au-dessus de la fatigue – au-dessus des ennemis ancestraux qui bloquaient le passage vers notre visage sans nom…

 

 

Des lettres, une attente avant que ne surgisse la parole. Un angle façonné par le labeur de la voix et des mains nouées à l’impossibilité de dire et de partager la douleur. Mâchoire crispée devant le désespoir, un peu absurde, de vivre et l’incommunicabilité du sentiment…

Puis, le torrent – le flot inconsolable des mots – qui détruit les ponts, les passerelles et les barrages – qui se déverse en pagaille – avec une sauvagerie inouïe – un féroce appétit – et qui apprend, peu à peu, à accéder à cet autre nom de la folie – ce silence posé – enfoui peut-être – au milieu des bruits et des âmes…

 

 

Rencontres et confidences jetées sur l’herbe qui a vu naître tous les mariages et toutes les ruptures. Le passage des saisons et leur conversion en innocence et en incertitude – devant la cognée inexorable (et irréparable) du temps. Un parfum – un peu d’encre – pour ne jamais oublier le silence qui nous attend…

 

 

Un soleil, une mort. Et ce qui plonge les vivants dans l’attente – et l’oubli au fond des tombes. Et les prunelles à l’affût de l’impossible à vivre – cette espérance suspendue à l’âme qui se déploie dans les miroirs. Le rêve tenace d’une rencontre avec l’improbable…

 

 

Prisonnier de mille interrogations et d’une affirmation trop péremptoire pour s’abandonner à l’incertitude de tout savoir – seuil de l’Amour et d’une tendresse sans visage – l’évidence d’une présence en nous retrouvée…

 

 

Barrières, instincts, obstacles, violence. Comme les reflets d’une ignorance initiatique – l’autre versant, sans doute, du silence et de la sagesse. La pente, si souvent insurmontable, où glissent les pierres, les fleurs, les bêtes et les hommes. L’envers du sacre, en quelque sorte, où s’enlisent toutes les tentatives de l’Amour…

 

 

Saison de toutes les retrouvailles. Et cette pierre sur laquelle nous nous tenons avec quelques rêves cousus à notre solitude. Le regard au loin – perché sur le plus haut horizon – si proche de cette enfance oubliée où la vie n’était qu’un jeu – une expérience à découvrir – une innocence à travers le merveilleux…

 

 

Aussi vaste que l’univers – et, sans doute, bien plus grande encore – aux limites de l’infini, cette envergure cachée au fond des yeux – au fond de l’âme – repliée en un point incroyable de densité – qui laisse les chants célébrer la lumière – et les danses du monde la ternir et l’ignorer – impassible (presque toujours) devant les mille têtes et les mille mains de la terre qui se dressent sans jamais réussir à dépasser les herbes folles qui poussent dans les prairies sauvages…

 

 

Quelque part en nous – recouvert par les ronces – un terrain vague où s’est réfugié l’Amour. A l’abri des désirs et du sommeil parmi mille étoiles qui brillent encore…

 

 

Brume, passé. Quelques gestes – une attente longue – indéfinie – entre les tombes et les stèles de pierre pour se souvenir des noms oubliés – voir les morts ressusciter – et exalter la nostalgie d’autrefois où notre chevelure était caressée par une main tendre et attentive…

 

 

Personne, un rêve. Un ciel collé à nos baisers impuissants. Impénétrable. Lèvres gorgées de mots et de sang – incapables de partager la brûlure et le mystère. Obligeant la main à éructer quelques signes – quelques lignes – sur la page pour dire la solitude et la douleur…

 

 

Poitrine blessée, fleurs arrachées. L’aile et la mémoire meurtries. Le silence. Le retour – quelques détours – un long souvenir vers le visage aimé. Et la solitude encore – plus acérée que les images…

 

 

Pacifique – tempéré – ce passage entre les passants et le chaos. Au milieu d’un monde occupé à renaître toujours. Tête effacée – portée, à présent, par un courant puissant – un souffle immense – gigantesque – dessinant une route entre la peur et le silence. L’infini (enfin) regardant les marées effacer sur les rives les illusions tenaces…

 

 

Nuit, batailles, plaies. Une solitude éclatée en mille visages. Et la fenêtre par laquelle on voit s’éloigner ceux que nous avons aimés. L’hébétude plaquée contre les lèvres. La fin d’une histoire. L’émiettement d’un amour. Le pire proclamé comme l’ailleurs dans cette nuit – cet espace si sombre – abandonné des Dieux peut-être – où pleurent et glissent tous les hommes…

 

 

Labeur, corvées, contraintes. Mille contingences. Et cet ahurissement des visages tenaces – obstinés – qui cherchent à la dérobée – aux marges du jour – une liberté introuvable…

 

 

L’alliance – le chemin parcouru par la lumière pour nous retrouver – et rejoindre cette escale où les hommes, trop séparés, s’impatientent de l’océan. Tête plongée dans l’écume et le climat. Et couronne posée, un peu plus loin, sur les vagues d’un pays immense et sans frontière…

 

 

Un seul Amour au fond des âmes. Celui qui fait naître les fleurs – et favorise les instincts, la cendre et l’attente…

 

 

La lune, l’eau et l’innocence. Cet enchantement du plus simple accordé à la surprise et à ce qui s’efface. Le parfum d’un jour plus grand – et plus délicieux – que notre vie. L’horizon et la blessure. La blancheur des lèvres devant l’incertitude. Et cette joie identique quels que soient les visages. La grâce, en somme, de tous les départs et de toutes les existences…

 

 

Légères, légères, cette lampe allumée dans la nuit – et cette voix qui se précipite sur la page. Si légères qu’elles ne font aucun bruit en avançant leurs mains vers la lumière…

Et si seules aussi au milieu des visages…

 

 

Un visage, une neige, une pierre, un soulier. Et le silence assis sur nos genoux qui épie nos gestes, notre souffle et nos pas dans les paysages. Et les timides élans des uns vers les autres. Et la circulation de l’invisible – à peine perceptible – entre les âmes de passage…

 

 

A la lisière de la bouche, le silence nourrit notre faim. Une route – un chemin – quelques cailloux et un peu d’asphalte – pour inviter la peau à s’étirer au-delà du visage – et à s’étendre partout – pour rejoindre le ciel lointain (et indéfinissable)…

 

 

Quelques manœuvres au cours des saisons. Quelques tournures – quelques promesses. Quelques voyages, parfois, pour se distraire du pire – de ces pas trop quotidiens et de ces grimaces inévitables qui donnent à nos jours la saveur un peu amère d’un rêve au milieu des clous…

 

 

A mains nues – et le cri lancé à la cantonade – forcé de croire en son destin pour aller de jour en jour à travers ce siècle – et ce temps – poussifs et mensongers – illusoires…

 

 

Caché dans l’herbe, au seuil d’une grotte, à attendre ce qui ne viendra peut-être jamais…

 

 

Front, paumes, souffle. Face à la montagne, au ciel et aux visages au milieu d’un vent plus apte que le monde à nous faire franchir l’impossible et la solitude…

 

 

Pelles, champs, sillons. Le labeur ingrat de la fouille – nécessaire pour dénicher sa pitance. Le partage de la terre. Et chemin faisant – le front baissé sur le sol – l’éloignement de l’infini et le recroquevillement de l’Amour sous le bruit du soc et des pioches qui fendent le monde et le silence…

 

 

Rivages inachevés toujours. Terre de stagnation et d’enlisement. Et face aux périls et à l’incertitude, la foule qui emprunte d’étranges chemins – la peau recouverte de tissus et de poussière – en remuant le ciel et les sous-sols pour dégoter d’inutiles trésors et quelques idoles de pacotille…

 

 

Un nom sur la peau ne demande qu’à s’effacer. Patronyme au destin tragique – encensé par les hommes – qui se déroule comme un fil à travers la mort et le temps…

 

 

Un puits – quelques gouttes – enjambés. Pluie, fleuve, murs, mémoire. Le petit dédale du destin – prisonnier des poutres, des briques et des visages tenus en laisse par la crainte d’un Dieu inventé de toutes pièces. Et le rêve d’un monde où la chair ne serait que la cire d’une bougie à la flamme éternelle et intrépide…

 

 

La pluie, le temps. Et le cil battant à travers la nuit – le noir. Les bras ligotés au milieu de la mort et des sépultures. L’âme et les hanches inertes – immobiles. Et le regard à genoux devant le sang et la peur. L’échelle du rêve. L’échelle de l’homme. Le silence retenu au fond des yeux – au fond de la gorge. Un peu de lumière recouverte par la poussière au milieu des jouets brisés et éparpillés. Le funeste destin du monde, en somme…

 

 

Il faut arracher à ses rêves la herse trop acérée qui plonge au cœur de la terre – quémander l’aide du vent pour déguerpir – s’éloigner de la fatigue et de la lassitude – et abriter la vie derrière la simplicité, si sage, du réel. Le seul moyen d’atteindre le seuil enfoui au-dedans du regard posé aux confins du monde et de l’illusion…

 

 

Aucun bruit. Aucun cri. Plaintes et désirs effacés. Nom et visage remisés au fond du silence. Âme et mains libres – disponibles – offertes aux usages et aux circonstances.

L’humilité et la gratitude. La saveur et la joie. La solitude – et la grâce de l’effacement…

 

 

A la lisière d’un ailleurs – d’un dedans infini – où d’autres ont été engloutis – corps et âme…

 

 

Quelque chose au milieu des pierres ; comme un poids – une inertie – une pénombre peut-être – dont l’envergure rayonne jusqu’aux visages alentour…

 

 

Un ciel, une crainte, un mystère. Et le rôle de l’homme – polyvalent – paresseux et intrépide au milieu de l’abîme – jetant ses horloges, ses passions et ses passerelles au hasard des pentes sur des chemins plantés d’arbres, d’obstacles et de clochers…

Route sinueuse au fond du gouffre – serpentant entre les feuillages, les cris et la musique – chargée, depuis toujours sans doute, de chagrin et d’espérance…

 

 

Mains, rites, supplices. Et la même angoisse à vivre – et à recommencer le chemin sans cesse interrompu par la mort. Tronçon – étape – infime à chaque nouveau pas débuté à partir des ruines des foulées anciennes – avec ces vieux bagages que nous portons depuis le début du voyage comme une croix aux fausses allures de viatique…

 

 

Siècles – l’histoire interminable d’une innocence à parfaire – à achever…

 

 

Un regard sur les vitrines du monde derrière lesquelles les visages s’exposent, s’expriment – font couler le désir – et l’estime – sur leurs infortunes – leurs petites aventures de vivants…

Parades où brillent le désir d’approbation et la fierté – et une demande d’amour tantôt rieuse, tantôt plaintive pour combler la solitude et adoucir la tristesse – et offrir une forme d’exutoire (un palliatif peut-être) à l’indigence et à la monotonie des jours…

Fantômes, folie – cherchant le sel, le ciel – quelques étoiles grossières pour raviver la flamme, presque éteinte, de vivre…

 

 

Au bord du silence – de rien – de presque tout…

 

 

Décret de quelques visages souriant aux déboires et à la malédiction d’être né – balafrés par l’absurdité des actes du monde – s’éloignant des foules et du désordre pour vivre à l’écart des yeux qui jugent et des mains qui rudoient et applaudissent. Seuls entre le silence et la joie. Seuls avec cette flamme – ce feu – dans l’âme qui réchauffe – et console de toutes les tristesses…

 

 

Ne rien dire. Ne plus rien dire. Devenir l’écoute – l’entente – la blancheur de la page. S’effacer derrière les danses et les grimaces – à l’abri du monde. Se tenir comme la pierre – indifférente à ceux qui la ramassent comme un trésor ou la jettent comme un rebut. Être – et vivre dans la solitude et le silence – plus vivant que les hommes tordus ou enlacés qui se courbent à tous les passages…

 

 

Des sillons encore où s’épuisent les silhouettes. Des perspectives, un avenir, un sommeil – tous les délires en ces lieux où le silence est imperceptible et où les tremblements tiennent lieu de chant…

Qui sommes-nous sinon les adorateurs de cette nuit initiée par notre ignorance…

 

 

Une voûte, un chemin. Et mille étoiles qui se penchent pour éclairer nos pas indécis et dérisoires…

 

 

Des compagnies mendiantes qui réclament le pain et la consolation de vivre – la fin du vent et l’assouvissement de toutes les faims – toutes les joies du monde et l’effacement de la mort – un peu de courage pour rompre la solitude. Des yeux, des bouches, des mains pour apaiser le froid qui monte du fond de l’âme…

 

 

Il neige. Un parfum d’hiver sur les fleurs – et sur les visages qui regardent tristement tomber les flocons. Une écharpe, un cahier. Quelques feuilles volantes. Et mille poèmes qui se dessinent déjà dans l’âme trop sérieuse pour esquisser quelques pas dans le froid – et rejoindre les foules, lèvres rouges et criantes, qui déversent leur tiédeur dans quelques jeux d’enfance…

 

 

Un chant sur les pierres posées au cœur de la nuit – parmi les hommes qui chahutent et se réchauffent autour d’un feu et de quelques prières – les yeux tournés vers un ciel sombre – orageux – incertain…

 

 

Chevelure, ciel, espace, détention. La même prière – et la même peine – sur le chemin. La même illusion à vivre – et à traverser. Un destin – et la mort dont il faut s’affranchir…

 

 

Rudes et brillants le ciel et la terre aperçus à travers le verrou. Trame et songe plutôt que vérité monolithique. Poids du monde et des malheurs comme un sel sur nos blessures suintantes – comme perdues au milieu des étoiles – impuissantes toujours à nous faire porter plus haut le regard – et à nous aider à franchir cet horizon (apparemment) indépassable par les hommes…

 

 

Tombe, hiver, soleil, fente. L’absurdité d’une vie passée à se débattre pour quelques réconforts – quelques joies – et quelques privilèges – qu’anéantira (bientôt) la mort…

 

 

Souci, tiédeur, routine. La prudence et l’inquiétude de voir, soudain, jaillir le mystère au cœur de notre vie – et sa résolution possible qui se dresse, peu à peu, au fond de l’âme innocente…

 

 

Vanité et ignorance – voiles imbéciles derrière lesquels s’impatientent le vide et la tendresse – cette neige sur la route – et sur les pas qui tournent en rond – et trop fièrement peut-être – dans leur trou…

 

 

Lanternes, rêves, mirages – poignée d’étoiles jetées au fond des yeux…

 

 

Une échelle, un chemin lancés de l’inconnu dans la poussière et les chants – l’espérance et les cris du monde – la plainte des hommes – et qui se lèvent, soudain, au-dessus des visages, des merveilles et de la misère – si haut – si loin du sang et des tours de force qui agitent notre sommeil…

 

 

Voix plaintive au milieu des figures et des blessures laissées par les flèches du monde et du temps. Voix affûtée en deçà des tremblements et des mines défaites par les luttes et l’attente. Et notre visage enfin, initiateur de la nuit, brillant – triomphal – au milieu du jour – comme le socle de tous les commencements, de tous les voyages et de toutes les fins…

 

 

Nappes – strates de lumière sur les ténèbres où s’enfoncent nos doigts et nos âmes – recroquevillés par la peur – et les bruits de la mort qui s’avance vers nous…

 

 

Le chant du silence autour de nos plaies – et cette tendresse au bord des lèvres – au fond de chaque supplice. Comme une eau bienfaisante – réparatrice – sur le sable et le sang accumulés derrière les grilles de notre cachot…

 

 

Un frisson, un labyrinthe et quelques larmes avant que ne s’éteignent les lampes – avant de voir la terre recouvrir notre tombe. Les illusions tenaces d’un destin voué tantôt au sommeil, tantôt à la fouille. Foulées timides – impossibles – presque interdites – pour dénicher la vérité – et derrière le silence, non la face d’un Dieu inventé mais le regard appuyé sur le ciel et sur notre chair martyre – mutilée – agonisante…

 

 

Quelques ficelles, quelques regards échangés pour survivre à la brume et au sommeil – aux tempêtes – au froid des plaines et à la faim que notre âme, si seule – si démunie – ne peut assouvir sans la certitude d’une présence, en elle, si lointaine – et si étrangère à ses convictions…

 

 

Une ombre, un labeur, quelques saisons. Un peu de noir – et quelques rires – pour combler les interstices au fond desquels vivent nos peurs et notre âme aux aguets…

 

 

Des lèvres, des chemins, un peu de chance au milieu de la nuit. Et la suite (à venir) chahutée déjà par le monde et les Dieux cachés au fond de nos instincts…

 

 

Fenêtres et portes posées à tous les passages – sur notre visage – au fond des yeux dans l’attente d’un regard. Tête inclinée tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Prières montantes qui s’effilochent sur les aspérités trop saillantes d’un ciel inaccessible – situé en deçà de l’innocence – dans ce silence au milieu des tempes libérées de l’ivresse, du destin et du temps – affranchies du monde et des hommes – acquiesçantes et tendres à l’égard de tout ce qui tremble…

 

 

Vide, silence – un rien pour s’émerveiller de ces choses et de ces visages qui, dans leur chute, cherchent un appui – un horizon – un moyen d’éviter l’effroi et la mort – quelque chose qui n’existe pas…

 

25 mai 2018

Carnet n°148 Le réel et l’éphémère

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Nous ne comprenons ni le jour, ni la nuit. Ni le temps, ni la mort. Suspendus à trop de rêves pour n’appartenir qu’au réel – et insuffisamment lucides et clairs pour laisser s’approcher la vérité…

Ce que nous atteignons n’est, sans doute, qu’une secousse dans notre sommeil. Le rêve d’un autre rêve moins épais que les précédents…

Il y a des mendiants et des étoiles – et des sages venus rehausser l’éphémère et offrir à la nuit un jour – une lumière – un ciel moins étoilé…

 

 

Œuvre permanente – multiple – obscure – souterraine – offerte à tous – mais jamais soumise au regard de quiconque. Jamais confirmée. Jamais contestée. Jamais confortée ni désapprouvée. Ignorée des âmes. Alimentée seulement par le monde et son propre élan. Tâche anonyme entre toutes. Labeur secret et merveilleux de l’impersonnel, des sages et des poètes méconnus…

 

*

 

Un ciel bleu couronné de vertus. Et ces lèvres chaudes qui lancent leurs baisers comme une neige délicate sur tous les visages recroquevillés dans leur peine. Ni tristesse, ni dégoût. Une saveur. De longues heures – une vie entière peut-être – passée(s) sans astreinte à exister pour presque rien – et irremplaçable(s) pourtant…

 

 

A l’étroit – au loin – entre deux oiseaux blancs qui lancent leur chant comme un message vers ceux qui attendent – tristes et naïfs – parmi les pierres, le silence – comme une fleur plantée au milieu des dérives – au milieu des jardins – soucieuse de l’eau et de la sueur versées dans toutes les flaques du monde…

 

 

Herbes partout qui dansent au milieu des forêts – au milieu de l’enfance. Compagnes de toutes les mains et de toutes les sagesses – offertes au dédain des âmes éprises de puissance…

 

 

Regard plus sensible qu’humain sur un monde voué au désordre et aux secrets – aux petits mensonges édifiés pour paraître moins idiot que les questions que l’on tait…

 

 

Un son, un songe. Quelque chose de moins affûté que le réel. Et l’attention – le silence – lisse – lisse – autant que la parole compte d’aspérités…

 

 

Rivières, routes, montagnes, sources, visages. La même aubaine – le même secret. Merveilleux au fond de l’âme portée aux détails et au fond des choses. Et dangereux, parfois, pour les yeux si avides d’apparence qui se brûlent à leurs mirages…

 

 

Les battements du cœur moins vifs que l’Amour qui frappe à toutes les portes…

 

 

Lueurs toujours secrètes de la contemplation – cette incarnation, sans cesse recommencée, du regard au milieu de la chair si fragile – si éphémère…

 

 

Le plus humble du jour – comme un matin sans sommeil qui aurait redonné sa place au réel – et éloigné tous les rêves et les mensonges…

 

 

Voyageur au milieu de ses bagages – tête humble et droite – et souliers trompeurs – crottés d’une boue nécessaire à l’immobilité…

 

 

Temples construits sur le néant – la vacance d’une attention nécessaire – indispensable – vitale. Dieux et ancêtres honorés pour rompre (vainement) la peur et conjurer un destin voué au labeur, au rêve et à l’espoir. Et cette soif qui gronde – et se répand comme une fièvre sur les visages démunis – insatisfaits – à la recherche d’un autre jour…

 

 

Un feu mordant nous hante et dévaste l’oubli et l’arrogance pour surmonter les obstacles érigés à son passage. Une saine promenade, en somme, pour nous délivrer des rêves et des mensonges qui s’accumulent sous la glace – et les faire fondre à coup de vérité – cette volupté indécise et farouche qui, une fois libérée, ruisselle sur le monde et les visages…

 

 

Un sourire, un jour et mille saisons pour l’homme dont le front s’élève au-dessus des rêves – au-dessus des tours construites, peut-être, pour toucher le ciel et donner à la terre un air de conquête, des allures de fête et la certitude de l’apocalypse prochaine…

 

 

Caves, quais, escaliers. Des rêves, de l’ombre et de la pluie. Et autant de prétextes pour aller et venir entre le réel et l’illusion – entre le mensonge et la désespérance…

 

 

La foule, l’enfance, l’alcool. Le festin des entrailles. L’interrogation suspendue. Le foisonnement de tous les délires et de tous les caprices…

 

 

Une voix – autre part – nous appelle. Crie – encourage – admoneste – les pas apeurés sur les pierres et les pages, les yeux plongés dans l’encre et l’horizon et les bouches muettes à force de coups et de refus. Si proche des grilles contre lesquelles s’appuient tous les fronts rêveurs…

 

 

Combats, sang, civières – des lits d’infortune au milieu de la mort…

 

 

Chaleur défaite. Ambition perdue. Souliers mouillés par les larmes et la rosée du matin qui a vu mourir la nuit (la nôtre sûrement). Assis sagement, à présent, au pied d’une veille interminable au milieu des rires et des tombes – devant tout ce qui ressuscite après la mort…

Assis parmi tous ces songes qui agonisent…

 

 

Grisé par tous les élans, tous les parfums et tous les rêves qui chantent le printemps…

 

 

Visage à l’envergure d’exil. Oiseaux sommeillant dans l’étroitesse des branchages. Chemin s’élargissant au-dessus des cimes. Dans l’attente d’un envol – d’un passage à travers la mort…

 

 

Closes les saisons – recluse la mémoire – au fond de ce qui a peur. Prisonnière de ses tours, l’âme assise au milieu de ses peines. Aussi malheureuse qu’est libre la parole du poète…

 

 

L’étreinte – la moquerie – ce qui donnait autrefois à notre visage cet air insatisfait – défaits à présent. Ne restent plus qu’une caresse sur le dos de la nuit, un parfum de fête sur les doigts tachés d’encre et le secours d’une parole offerte au silence…

 

 

Paroles emphatiques et besogneuses – nées du premier envol – s’essayant désormais au silence. Célébrant la simplicité des jours, le quotidien sans orgueil et le visage effacé, peut-être, pour toujours…

 

 

Un rythme s’impose à la parole – à la voix qui se démène sur la page – qu’il ne faut confondre avec l’élan du désir et l’ambition du poète. Comme un soleil – ou une pluie parfois – se mêlant au chant tantôt triste, tantôt joyeux de celui qui écrit…

 

 

Tout s’élance – se jette – et se rattrape d’une main hésitante dans un temps que nul ne connaît – et que nul ne peut percer sans se voir aussitôt englouti – happé dans une sorte d’apesanteur et d’immobilité – où ce qui passe a l’allure du rêve ; un peu de matière – un peu de souffle – des ombres provisoires – incroyablement éphémères – au cœur du silence…

 

 

Avenir et souvenirs médiocres – inutiles à la ferveur du plus présent

 

 

Boucles, flots, torrents. Pagaille des mots déversés sur la page – cherchant la simplicité de l’eau et la transparence de la plus infime goutte – comme un nectar précieux – éternel – plongé au cœur de l’Unique – au cœur de chaque chose – au cœur de chaque parole – pris séparément…

Et derrière l’abondance, le foisonnement et la truculence du langage gît toujours, à l’état brut, un joyau – introuvable par celui qui survole les livres et les poèmes…

Il faut pour se donner la chance de goûter, comme lecteur, la saveur de la langue – et sa vérité – délaisser l’appétit et la profusion du poète – et se concentrer sur quelques lignes. Les isoler de tout contexte et les parcourir avec attention et lenteur pour y déceler, comme dans un miroir, son propre visage – et le silence et la simplicité de ce qui est éternel dans ce monde humain si sophistiqué, si bruyant, si provisoire…

 

 

Temps, morts, abandons. Le long chemin de l’épreuve. Le sentiment tenace de la peine. Et le cœur sombre prêt à tous les recommencements qui apprend, peu à peu, à se dégager des visages et des contextes – des saisons et des circonstances – pour découvrir – et vivre – le plus précieux ; le présent, la solitude et la vérité que dessine l’instant sur l’éphémère…

 

 

Rien devant les yeux – ni au-dedans du regard – sinon ce qui passe et s’attarde un peu…

 

 

Mate – brune – cette couleur du langage au centre du visage qui a défait l’horizon pour le silence – la lumière sortie triomphalement de son combat contre les lois brutales du sang et les instincts si obscurs des hommes…

 

 

Un doute, un temps, un chemin. Et le regard de la mort – presque goguenard sur tous les recommencements…

Une peine, un désir, une nostalgie. Quelques arpents – quelques instants – quelques visages – célébrés et (presque) aussitôt balayés par le temps et la mort…

La sang, la nuit, la solitude. Le revers de toute médaille. Les symptômes d’une vie passée sur la terre. Le destin des vivants agglutinés autour du feu et des étoiles…

 

 

Mille peut-être et mille pourquoi livrés non sans raison au silence. Et une seule réponse toujours au goût de tristesse avant d’en saisir (pleinement) la joie…

 

 

Rien ne nous enchante davantage que ce qui se tisse à l’envers de la vie – ce mystère né de ce que les hommes associent aux étoiles – vagues poussières célestes peut-être – et qui n’est compréhensible qu’en nous approchant des frontières qui nous séparent du plus sensible – de ce silence au parfum oublié…

 

 

Enclos au-dedans d’une vérité sans ciel – sans visage – sans Dieu – autant que sur la barque qui longe les rives de cette terre dépeuplée…

 

 

La parole endormie des psaumes ne profane jamais ni les rites, ni les croyances. Elle porte dans ses mains l’espérance d’une joie impossible – trop mensongère pour donner du poids à un ciel si lointain – et légitimer la force des malheurs. Et le cœur, un tant soit peu lucide, sait percer cette illusion pour emprunter la seule route possible – la seule route digne de la vérité – et entonner le chant du silence sans crainte, ni demi-mesure. Confiant dans l’espace qui le porte et le pose, si haut, dans la joie…

 

 

Seul – neuf – toujours dans les plus vives bourrasques. Envolé le poids de l’échelle d’autrefois que nous portions, comme un espoir – comme une croix – sur nos épaules fourbues…

Disparu l’homme épais aux pas pesants et à la parole vaine qui s’agitait dans son ombre autour de la lumière…

 

 

Une force en nous reste invaincue. Elle dort avec nous dans notre sommeil, lève les mains avec nous pour porter plus haut le message de l’innocence et s’agenouille, le visage livré à tous les périls, devant la magie à l’œuvre derrière les siècles – certaine de son équilibre et de son endurance pour affronter les tempêtes…

 

 

Seul face à ce qui arrive – et à ce qui emporte. Et si démuni lorsque tout s’effiloche…

 

 

Une épine dans le sommeil pique tous les séants non pour qu’ils se lèvent et poursuivent les rêves inventés par les têtes mais pour qu’ils se posent au-dessus des songes – et attendent la fin du monde – la fin des siècles – l’œil alerte et attentif à tout ce qui émerge au milieu des visages endormis…

 

 

Pluie, manteaux, éclairs. Et la hâte des têtes assoiffées de source qui pourchassent quelques folies passées par là – on ne sait pas bien quoi – un peu de poussière, sans doute, sous les bottes du vent…

 

 

Un miroir. Des visages et des corps qui ne sont que le reflet de ce qui s’élance vers tous les mirages – incertains de leur propre existence – nourris d’un peu de chair et d’espoir – et qui glissent, peu à peu, au bord du monde – aux marges du jour – pour découvrir – et contempler – ce qui demeure après tous les passages – lorsque arrive (enfin) la fin de l’illusion…

 

 

Tout se mêle au souffle et à la matière – soulevés par les courants. Tout se combine – et se recombine encore et encore – avec les vents, la boue et les étoiles – cherchant un destin parmi les fleurs, les visages et la glaise – cherchant un lieu – un ciel – plus sûrs et plus féconds que leur chute et leur (lent) délitement…

 

 

Un visage, une poursuite, quelques saisons. Et la même figure – le même éclat – partout de ce qui demeure une fois les frontières franchies – une fois tous les chemins parcourus…

 

 

Gisent à nos pieds des lambeaux de ce bleu infini – lacéré par les vents – déchiqueté par les hommes – tombé sans grâce sur les pierres que les pas piétinent sans un regard. Et ce sont nos yeux qui leur donnent le courage de persister malgré la pluie et l’indifférence. Et ce sont nos yeux qui leur restituent la couronne que les mains du monde, trop hâtives, ont jetée dans l’herbe et le sang. Et ce sont nos yeux qui sur eux s’éternisent pour ravauder leurs empreintes – et leur valeur – et reconstituer leur unité – leur beauté – leur silence…

 

 

Des milliers de pages pour célébrer ce qu’aucun mot jamais ne pourra offrir…

 

 

Seul au milieu du monde – seul au milieu du désert. Seul au milieu des visages – seul au milieu de personne. Quelle différence sinon l’apparence du décor…

 

 

La nécessité de l’essentiel sans laquelle la vie de l’homme toujours oscille entre le rêve et l’ennui…

 

 

C’est toujours au loin, pensent les hommes, que se vit l’aventure. Jamais dans le jour le plus quotidien arraché aux automatismes. Et, pourtant, seul ce périple – ce voyage – long, patient, solitaire mène au fond de soi et à la découverte de ce que nous portons tous comme un secret : l’infini, l’éternité et le silence – cette joie et cette folle liberté affranchies du monde et des circonstances…

 

 

Quel grand jour se cache au fond du silence…

Ni ciel, ni visage, ni secret. Quelque chose qui, en nous, veille depuis toujours sur nos pas, notre tristesse et notre espérance…

 

 

Un monde où tout s’absente – jusqu’à la lumière dans nos prunelles indécises – incertaines…

 

 

La vie passe comme la mort et les plus fous désirs – nés et engloutis dans la même trame…

 

 

Un œil, une main, un ciel. Tout apparaît, s’efface et recommence. Les murs et les vents qui bousculent l’éphémère des parades et des passages. Les maisons, les champs et les chambres où se terrent – et se penchent – les visages en attente d’un autre jour…

Tout est tissé ensemble sous un regard que rien ne meurtrit…

 

 

Un sens pour un autre. Un jour pour une nuit. Une attente convertie en violence. Et le repos en pagaille. Et persiste au fond de ces désordres – et de ces dérives – une chose inchangée – et, sans doute, inchangeable – qui monte et se révèle dans le plus infime répit – comme un suspens provisoire du temps qui, trop souvent, s’éternise dans les rêves – entre les tempes…

 

 

Nous respirons ce jour – et dans ce jour, l’éternité. Et dans l’éternité, le silence. Et dans le silence, tous les visages, tous les déserts, Dieu, les hommes, les bêtes et les fleurs – le monde entier…

 

 

Nous dormons du même sommeil que les morts – un peu plus léger peut-être – et plus sensible aux sourires et aux rouages du temps…

 

 

Une lumière, un chemin et le recommencement insensé de toutes les peines…

 

 

Une halte au milieu de la nuit. Un détour – une dérive – au-delà des yeux et des rêves. A l’extrémité d’une rive qui s’étire bien après la fin de l’horizon. L’âme lasse – exténuée – par tant de foulées et de tentatives. Et l’œil fragile – blessé mille fois par ces envies d’ailleurs et ces départs avortés – emmuré par ses désirs et ses peurs qui le condamnent à quelques tours sur lui-même…

 

 

Endormis – seuls – au milieu de tous – sans même une main – un espoir – pour délivrer du rêve…

 

 

La raison chavirée par ses propres frontières – et les obstacles posés au-dedans et aux alentours – finit, un jour, par laisser la corde abandonnée là depuis le début du voyage la porter plus haut – plus bas – la tirer à hue et à dia – vers ce qu’elle abritait au milieu de ses (minuscules) savoirs et de ses (insignifiantes) découvertes dans la douloureuse croyance d’être condamnée à ne jamais pouvoir sortir d’elle-même…

 

 

Désenchanté entre l’invisible et le passage – entre l’exil et le monde. Comme une main serrant sa joie au cœur d’une illusion perdue…

 

 

Lignes d’un fou peut-être délivré(es) par la vérité sous-jacente au monde et au temps – livré(es) au regard sans attache – sans destin. Comme un chant sous le sens des mots – une joie dans l’espace retrouvé – un regard guéri des flammes et des horizons calcinés…

 

 

Hiver, pluie, silence. Le dos au mur en quelque sorte – et le front tendu vers sa propre ivresse – hors du monde – hors du sommeil – cherchant la première marche d’un escalier ou le fil fragile – invisible – qui conduirait son pas loin des siècles et des hommes…

 

 

Un habit enfilé à la hâte pour se protéger de l’éclat – trop puissant – des yeux et de la lumière – et glisser avec les hommes dans une nuit où ne sombrent que les ombres et la mort…

Le retrait chancelant des silhouettes trop coutumières des malheurs pour croire en la possibilité du jour…

 

 

Félicité, porte, ferveur. Et cette fatigue – et cette amnésie – qui dessinent parfois un rire au fond de notre gorge…

 

 

Tout se mêle au vent – aux feuilles de l’hiver. Et ces manteaux – toutes ces étoffes – qui recouvrent nos plaies – nos blessures – et ces souvenirs d’autrefois où nous portions notre ardeur comme un halo de jeunesse – mangeant les yeux et les miroirs pour paraître moins seuls – et dissimuler notre visage plongé dans la solitude et les sanglots…

 

 

Vents, lacs, ombres, hiver. Et ce regard sans hâte qui se penche sur la soif – et les graines en attente du renouveau – ouvrant des portes insoupçonnées aux têtes fatiguées de tourner avec les saisons…

 

 

Le mutisme (mystérieux) des sages dont les gestes caressent les choses et les visages du monde – et dont le regard pénètre autant qu’il s’attendrit sur ce qui s’agite – et bouillonne – dans la fraîcheur de l’âge et l’immaturité de la vieillesse. Des yeux et des mains tournés vers la terre tremblante, fière et apeurée – ignorante de l’Amour perdu au milieu des cris et des flammes…

 

 

Sobres et sublimes, ces lignes sur la crête blanche qui décrivent les voyageurs et la voix étrange des chimères. Le vent noué à nos épaules. La moue des visages et ce bleu accoudé aux branches qui défie les pierres et les mains trop peu sages qui se balancent entre le souvenir et le silence…

 

 

Il y a des mendiants et des étoiles – et des sages venus rehausser l’éphémère et offrir à la nuit un jour – une lumière – un ciel moins étoilé…

 

 

Une flamme au fond des rêves moins cruelle que l’espoir – et moins fragile et mensongère que le temps – où fleurit ce que la mémoire – une chose au fond de la mémoire – ne peut célébrer. Un rien – presque rien – chaviré par nos pas et l’illusion. Un espace qui porte tous les noms. Un seuil où l’étonnement devient, peu à peu, la règle – et où l’incertitude tient lieu de regard. Comme une fleur – une innocence – qui pousse au fond de toutes les têtes…

 

 

Un cœur perverti par le temps qui consent enfin à la grâce…

 

 

Quelques graviers dans le sillon du silence creusé au fond de l’aube, à même nos pas, sur ces crêtes – et ces rivages – trop peuplés…

 

 

Une ombre, un ciel, un chant. Comme des adieux à ceux dont le visage s’est arrêté quelques instants pour regarder la lumière qui brillait au fond de nos yeux – et qui nous ont aimés avec maladresse en comptant leurs messages et leurs caresses – enfouis dans une nuit si dense qu’elle a su protéger leur sommeil de la magie du silence…

 

 

Nous ne comprenons ni le jour, ni la nuit. Ni le temps, ni la mort. Suspendus à trop de rêves pour n’appartenir qu’au réel – et insuffisamment lucides et clairs pour laisser s’approcher la vérité…

 

 

Ce que nous atteignons n’est, sans doute, qu’une secousse dans notre sommeil. Le rêve d’un autre rêve moins épais que les précédents…

 

 

Aux fenêtres, le jour. Et le silence un peu plus loin – derrière nos désirs – et cette volonté de tout saisir pour que dure le rêve…

 

 

Oubliée l’incertitude – les yeux au repos – fermés au silence. Aveugles à la lueur du jour nouveau…

 

 

Assise bleutée au-dessus des troupes – au-dessus des foules – au-dessus des tempes ignorantes et des mains sales qui lancent leurs rires et leurs peurs – comme un maigre espoir de vivre loin des insultes et des outrages – loin des horreurs et des liquéfactions successives endurées par les âmes…

 

 

Un silence – un ciel – partout déployés au-dedans de ce qui passe – et jusqu’au-dedans du temps et des chimères. Au milieu de chaque visage – au milieu de chaque histoire – dont l’apparence ne semble rivée qu’à son destin…

 

 

Partout, l’attention – démultipliée – comme les feuilles d’un arbre – le sang qui coule dans toutes les veines – et les mille paroles des poètes – qui traverse les existences et les âmes écartelées pour réchauffer à la source toutes les figures de passage…

 

 

Noués à quelques bouts d’étoiles lointaines, ces petits pas dans le grand vent – arrimés à leur voilure incertaine – et qui dansent – et qui dansent – emportés par les courants…

 

 

La chair de l’homme mordue par la nuit et les chiens – mi-âmes mi-loups – de la périphérie. Tête et buste portés au supplice – et bouche suppliante pour dire le peu amassé sous les habits – dans les taudis – maintenir ouvert le passage vers le jour suivant – prier Dieu, sans trop y croire, comme le seul espoir de se libérer des griffes et des emprises – et acquiescer au plus humble visage croisé parmi les rires, les menaces et les outrages rencontrés sur les chemins. L’enfer du monde, en quelque sorte, au centre duquel surnage la prière des hommes vaguement implorante – et rageusement lancée au milieu du chaos vers la moindre espérance

 

 

Mimant la blessure – et le murmure – d’un monde tragique aux plaies suintantes et aux plaintes démesurées. Annonçant le terme avant même la naissance. Joignant les mains pour mendier et prier en réclamant un sursis, un repos, une obole au premier visage rencontré. Accrochée au langage comme à une bouée de secours. Ballottée sans grâce par les océans de la terre – aux îles rares (trop rares) et aux vagues si furieuses. La voix de l’homme inquiète – absurde – hardie – livrant son destin et ses combats aux oreilles de passage trouvées au hasard des chemins…

 

 

Quelque chose se balance entre le silence et notre voix. Quelques éclats d’un ciel (presque) sans importance au milieu d’une parole trop sage – et trop lointaine peut-être – pour être entendue…

 

 

La solitude si visible au milieu du visage – dessinée par une main trop sensible pour nous exposer à la foule…

 

 

Hurlements et effroi de la bouche soulevée de la terre – et qui s’éloigne des vivants pour un espace – un coin de ciel – glissé entre les falaises et l’océan – là où les lèvres peuvent crier jusqu’à la folie du poème sans paraître idiotes – ni devancées par le rire un peu niais et désabusé des hommes dont le dédain n’a d’égal que l’indolence.

Effroi et hurlements, puis soudain, l’extase d’être né si différent. Et la joie de rejoindre le silence d’avant le monde – d’avant le cri – d’avant le poème. Et la certitude d’exister au-delà de notre visage…

 

 

Des heures – des siècles – d’ardeur et de folle passion qui se faufilent presque amoureusement entre les âmes vides – creusées par la faim – pour se poser sur la paume des poètes dont l’innocence triomphante hante jusqu’aux plus modestes pages…

 

 

Seul(s), on se tient par la main pour trouver le courage de vivre – et celui, plus âpre et plus exigeant, de traverser les épreuves et les rives qui confinent l’âme à l’emprisonnement…

 

 

Sable, berges, frontons. Et le vent et l’écume qui fouettent les visages. Et un peu d’encre arrachée à la folie – à la mémoire – pour fouler les terres d’un autre monde…

 

 

Fou – magistral – sans compromis comme l’attestent ses pages, le poète au pays du réel – traversé de mille imaginaires – offre une vision plus nette et plus forte que les mythes et les rêves. Toujours prêt à sacrifier les visages – son séjour – à parcourir mille terres et à traverser mille frontières – pour dire l’impossible – pour dire l’impensable – avec la modestie de ceux qui se savent mortels et remplaçables ; ce silence venu d’ailleurs – de ce lieu sans descendance où la peur n’existe pas, où les périls sont des passages et où la lumière brille jusque dans le noir pour éclairer ceux qui souffrent – ceux qui pleurent – ceux qui se plaignent et consentent – plongés (avec une vile résignation) dans un destin – une détention faite d’écorchures, de contraintes et d’espérance…

 

 

Un rite, un soleil et tous les orifices du monde ouverts. Et la chair habillée – et recouverte – de cette bave mêlée de sang et de semence sur laquelle s’acharnent les hommes dans leur souci (si tenace) de perpétuation…

 

 

Quelque chose guette avec nous sous le ciel – un peu d’être – un peu de chair – un peu de sang – pour donner à l’âme un semblant de droiture – et le droit – que dis-je ? le privilège – de nous horrifier des mains occupées à leurs sacrifices…

 

 

Voix étranges – multiples. Comme la découverte – la faillance – du mystère – ébréché volontairement – se découpant par lambeaux – et se livrant en autant de parts que nécessaire – pour résorber la déchirure – la fêlure première de toutes les figures nées du suintement originel…

 

 

Hagard, on se tient au milieu du monde. Pas certain d’avoir la force de s’y mouvoir. Et pas certain même de vouloir ravauder cette douleur primitive

Blessé, en quelque sorte, jusque dans notre présence et notre attente involontaires…

 

 

Cartes, visages. Solitude de tous les pays que l’imaginaire repeint de la couleur du rêve pour aller moins triste sur les chemins…

Géographie de la peur que les gestes et le langage dissimulent pour donner aux mains et à la parole une confiance sans appui – sans étai – sans envergure – recouverte simplement d’un vernis trompeur et inutile…

 

 

Devoirs, rage, beauté. Estuaire du plus sauvage qui repousse les eaux où s’ébat le plus quotidien. Comme une âme trop jeune – trop verte sans doute – pour fouler le chant qui monte sous nos ailes vers l’instant – vers la chute – cet envol qui patiente sous les masques de la plainte et de l’horreur…

 

 

Une présence sur la berge où le silence a rejoint tous les départs – tous les élans – pour que vivre devienne moins douloureux que la mort et cette, si hasardeuse, naissance au monde…

 

 

Un chemin, un chagrin. Et des foulées qui parcourent le monde à la recherche du premier souffle – du premier amour – de ce mariage, si ancien, entre l’innocence et la sagesse – en rêvant paresseusement d’éternité et de silence…

 

 

Ce qui demeure au-delà du passé – au-delà du souvenir – au-delà du temps et des pas si pressés. Au-delà de la mémoire et de l’avenir – et au-delà même de la mort. Un instant. Une présence plus tenace que les désirs et la souffrance – et que tous ces jours voués à la quête du silence…

La chance entre nos mains, en vérité, en cette heure qui s’éternise…

 

 

Un Autre, un pas, une grimace. Le miroir où se reflètent le désir et la souffrance – et cet air si triste à l’intérieur…

 

 

Faiblesse encore de l’esprit et de la chair face aux morsures – face au destin (si piquant parfois). Et notre désir, si ancien, de vivre sans blessure – sans peur ni angoisse – pour aller, libres et joyeux, au gré des marées barbares – rejoindre les courants qui font tourner – et chavirer – les âmes dans les tourmentes – et là-bas – plus loin – plus tard – retrouver cette grande étendue de sable – blanc – immaculé – que la mer caresse et embrasse en lissant les souvenirs, les pas et les empreintes du voyage – le passage, si furtif, des visages…

 

 

Dans le sillage du destin – dans l’obscur de cette nuit interminable – dans le rêve et la main – cette chose effroyable qui tente de (nous) percer les yeux…

 

 

Au-dessus du souffle – au-dessus des rêves – une douce volupté à l’allure – et à la saveur – austères. Insaisissable. Indéchiffrable. Comme un lieu au cœur de tous les lieux. Une présence au cœur de toutes les choses et de tous les visages. Une attention crucifiée par nos foulées – notre vie et notre quotidien – si automatiques. Le monde, en quelque sorte, replié au milieu de tous les mondes inventés par l’esprit…

 

 

Nous veillons sur le monde – et sur nous-mêmes – sans autre raison que l’attente d’un soleil plus clair…

 

 

Un jour, un lieu et un rêve de rencontre pour donner à la solitude la force d’espérer encore…

 

20 mai 2018

Carnet n°147 Au fond

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Nous sommes nus au-dedans d’un regard qui nous sauve de tout amassement…

Routes entre les étoiles promises et l’espérance d’un rêve – d’un ciel. Parcours au milieu des vagues et des tempêtes. Et, pourtant, n’existe qu’un seul chemin – qu’une seule lumière – au fond de ce qui nous engloutit déjà…

Il faut creuser sous la cendre – trouver dans les flammes matière à parfaire le regard posé sur le monde. Il faut du silence et un désir puissant de lumière pour porter la tête haute – humble et fière – et déterrer la grâce cachée derrière les charniers. Il faut être un homme sans illusion – debout au milieu des preuves – pour interpeller ce qui, en chaque homme, végète dans la barbarie…

 

 

Ce qui hante la pensée – tout élan. Ce qui surnage même emmuré dans le sommeil. Cette force qui emporte tout jusqu’à l’infini…

 

 

Nous sommes nus au-dedans d’un regard qui nous sauve de tout amassement…

 

 

Nous sommes l’homme. Nous sommes l’arbre et la terre – et la lampe allumée un peu plus loin. Et ce feu qui brille sous les étoiles. Nous sommes le goût, le doute et ce qui se laisse happer par la lumière. Ce reste d’âme au fond du monde. Et ce silence obstiné au fond de l’âme…

 

 

La pensée se dilate, puis éclate en minuscules étoiles pour déchirer la nuit qui la retenait prisonnière…

 

 

La tête vacillante entre ce qui vient et se retire – entre la nuit – profonde toujours – et l’aube naissante…

 

 

Le noir et le rouge, partout dominants – même après la lumière. Comme les couleurs, peut-être indélébiles, du monde et de la terre…

 

 

Dans la nuit, l’étincelle de l’impossible face à l’irréparable…

 

 

Un coin d’azur en plein hiver. Et ces larmes qui coulent devant tant de merveilles. Brume et brouillard dissipés à présent – laissant apparaître le rayonnement d’un soleil inimaginable…

Emporté loin du sommeil et de ces mille sentiers creusés par la peur d’aller seul dans les forêts du monde…

 

 

Sève, sentier, ciel. Qu’importe la route et les offenses pourvu que l’air soit respirable – et visibles les cimes…

 

 

On donne à voir (simplement) ce que révèle la Vision

 

 

Un cœur qui avance vers l’humanité entière – sensible au vivant dans toutes les veines – sensible au silence sur les épaules et aux voix qui interpellent l’impossible…

 

 

Frémissements à la portée de la moindre fouille patiente – assidue – tenace et téméraire…

 

 

Nous lançons des mots dont le sens échappe à la raison. Comme des feuilles mortes errant sur des allées – poussées par le vent vers un monde insensible à leurs attaches – et à cette ardeur née de l’origine…

 

 

Une voix, un visage. Et l’étranglement progressif de la gorge qui n’a osé vivre – et se défaire de ses ambitions – pour glisser dans le silence…

 

 

Une fierté traversée de soupirs et de larmes qui arrache l’herbe folle et se pend à quelques idoles pour donner un peu de sens à son existence – et paraître moins vide – et moins triste – qu’elle n’en a l’air…

 

 

A la lisière de tous les sentiers (nous) attend un silence – un parfum d’éternité qui attendrit la rage des pas et le besoin d’exister. Un univers mystérieux qui ne s’atteint qu’à genoux au milieu du désert et des amours fragiles traversées – l’aiguille de la souffrance pointée comme un dard – et la tête déchargée des rêves de rencontre. Seul(s), en somme, aux frontières de nous-mêmes…

 

 

Jeux encore après l’écartèlement. Jeux toujours – piochés dans l’escarcelle du temps…

 

 

Semences et récoltes de la zizanie pour les yeux aussi indifférents que les pierres – et toujours insensibles aux murmures et aux poèmes lancés par-dessus les murs…

 

 

L’usure du monde – l’usure du temps – ressassées par nos aïeux – balayées par la main tenace qui porte le regard au-dessus des visages et des années…

 

 

De la nuit, l’aube semble grise – irréelle. Elle n’est, pourtant, que l’autre versant de notre visage dégagé du rêve et de la pluie…

 

 

Le secret du temps et de la mort livré à ceux dont la faim s’est convertie en Amour – si proche des chemins où s’épuisent les désirs…

 

 

Exister – comme la fleur discrète – et innocente – au milieu du monde. Comme l’eau des rivières et l’herbe folle devant les yeux assoupis et indifférents. Libres des bouches qui y puisent leur substance et des foulées qui les traversent ou les piétinent. Ivres du même soleil qui porte l’Amour et l’effacement au-dessus des soupirs – au rang des plus hautes vertus du monde…

 

 

Crasse et lueur. Dans la tentation des yeux. Le rêve d’un seul chemin – d’une seule étoffe – qui se porterait comme le jour. A genoux, les yeux découverts et l’âme amoureuse embrassant jusqu’aux brumes noires qui flottent au-dessus du monde – et au-dedans des têtes recluses dans leur nuit…

 

 

La mort – la révélation d’un monde inapproché – traversé mille fois pourtant, les yeux fermés – aveugles encore à l’éblouissement de la lumière…

 

 

Le sacre du monde honoré par le chant de l’oiseau qui coule jusqu’à ces pierres noires contre lesquelles nous sommes adossés…

 

 

Un bruit, un poème. Un seuil pour faire éclore le désir le moins sauvage. L’enfance au milieu de l’aveuglement. Le silence parmi les bruits. L’éternité au-delà des siècles…

 

 

Un vent léger souffle encore sur le désordre et les désastres – et tourne les têtes vers ce dedans trop délicat pour les yeux barbares…

 

 

Une légende – un mirage souvent – entaille la volonté – l’ultime désir de se défaire. Comme si le mythe et l’illusion étaient plus tenaces que l’innocence qui attend (pourtant) sans impatience – et dans le silence – à proximité de nos bruits et de nos élans fatigués…

 

 

Des mots brûlés – déchirant d’aveux – écrits avec la plume – et le cœur – trempés dans l’encre du monde et de l’âme – essentiels peut-être – abscons sûrement – délivrant leur message dans l’urgence de l’inespéré. Incapables, pourtant, de faire frissonner les hommes qui rêvent au fond de leur cachot…

 

 

Quelque chose éclate pour nous sauver – et dégringole, comme une fuite du temps, pour nous faire franchir l’impensable…

 

 

Le recueil véritable est celui de la fragmentation rassemblée – le silence et le langage éparpillés comme les gouttes et l’écume qui retrouvent leur unité sur la page – au fond de l’océan. Immobiles et dessinant, d’un même élan, la figure de notre rêve – le visage parfait des retrouvailles…

 

 

Fulgurances, parfois, qui traversent l’opacité des yeux, du monde et de l’âme. Jaillissant au milieu de la cécité pour rompre – trop précocement sans doute – la certitude d’un visage – d’une vie – et ôter notre résistance à ne voir que la laideur sur ces rives un peu tristes où l’éblouissance et le merveilleux sont, trop souvent, dissimulés par le noir…

 

 

Le poème jette une lumière sur la multitude – et nous invite à plonger au cœur du même visage. La poésie est le monde surgissant entre les rêves. L’évidence de la beauté au milieu du sang que font jaillir les instincts…

 

 

Il faut creuser sous la cendre – trouver dans les flammes matière à parfaire le regard posé sur le monde. Il faut du silence et un désir puissant de lumière pour porter la tête haute – humble et fière – et déterrer la grâce cachée derrière les charniers. Il faut être un homme sans illusion – debout au milieu des preuves – pour interpeller ce qui, en chaque homme, végète dans la barbarie…

 

 

La poésie est un cri lancé vers le ciel – une force brute qui s’abat comme une sentence – un poing levé contre l’ignominie, la cécité et la couardise. Le poème est l’invitation – et le lieu – de l’envol. La réponse aux larmes et à la cendre laissées par les hommes à leur départ. C’est la métamorphose du rêve en réel – le rayonnement pur de la poussière que soulèvent nos pas.

La poésie, c’est l’incandescence portée jusqu’à la transparence. C’est le ciel descendu enfin jusqu’à nous – et une danse vers son ascension et son plus tangible rapprochement…

 

 

La vie et la mort des vivants – aussi grossières que le labeur terrestre. Armes et outils à la main. La soumission commune au monde et la liquéfaction, sans répit, des corps et des âmes…

 

 

Partout, la démence et ces pauvres mesures de démantèlement pour réorganiser – et reconstruire – le prolongement d’un monde déjà ancien – périmé…

 

 

La couleur et la neige. Et le frémissement du rocher sur lequel tout se bâtit…

 

 

Le monde comme un orchestre aux notes et aux visages dissonants – disharmonieux – incomplets pris séparément – par petits bouts – au-dessus de chaque parcelle – et étrangement beaux et équilibrés lorsque le regard est capable d’envol – et de voir le tout depuis les hauteurs – en surplomb de la terre…

 

 

Eveil encore au fond de ce qui s’élève. Le partage de la première heure et du soleil novice qui traversent les averses et les siècles de cette nuit pleine – entière – infranchissable…

 

 

Le printemps, les rêves et le hasard – tout un arsenal à la dérive. Le sang, les fleurs et les groseilles – le festin offert par la vie aux voyageurs qui titubent sur leur fil. Et l’hiver, la solitude et la mort – les fruits de l’achèvement de tout voyage avant le définitif effacement…

 

 

A quoi bon l’homme si la bulle se perce. A quoi bon le ciel si la nuit est impardonnable. Et à quand les rives lointaines sur ces crêtes chavirées d’ennui. Et à quand la vie plus libre que le jour… lorsque l’âme saura (enfin) se suspendre au silence et à ce qui reste lorsque tout a été perdu – et abandonné…

 

 

Aux pieds de quelques lignes, cette évidence de la vérité, entrée (presque) par effraction dans l’encre du poète – assis au milieu de ses pages et du silence venu ébranler quelques certitudes…

 

 

Epaules, joie et sanglots – et leur dénominateur commun : la solitude et le mystère – ce silence évidé de tout sens. L’être pur, en somme, qui se moque des siècles et des outrages – et qui n’attend personne pour vivre heureux – avec ou sans postulant. Le sacre de tous les sacres, en quelque sorte, qui efface les visages et les noms pour préparer, sans doute, le plus bel avenir de l’homme…

 

 

L’éternel visage de ce qui demeure à travers les siècles et les modes. L’atemporel du plus vif secret qui se dissimule sous maints simulacres et bagatelles…

 

 

Rien n’échappe à la convoitise – pas même la vérité. Et c’est un grand malheur que de se saisir de tous les « il y a » – sans comprendre la téméraire et discrète splendeur du regard – de ce qui voit sans rien s’approprier…

 

 

Enfants d’une terre au même visage – mordu(s) mille fois par la mort – et jeté(s) autant de fois dans la misère – à l’ombre de ce qui ne peut encore éclore…

 

 

Balayée la croyance d’un autrefois, d’un ailleurs, d’un plus tard. Balayés le temps, le monde et l’homme commun pour l’être le plus ordinaire – celui qui vit au milieu des clous parmi presque rien – et qui s’avance, pourtant, vers les malades – vers tous ceux qui errent au fond de leurs désirs – sans le moindre blâme. Celui qui a ressuscité les fleurs sous la cendre et la braise laissées par le grand feu des hommes. Assis sous le même arbre depuis mille ans – depuis le début du monde peut-être – laissant les pas aller dans la nécessité de ce que certains appellent le hasard. Ivre d’un ciel dont l’envergure l’étend jusque dans le silence et l’acquiescement – l’Amour comme une brindille dépassant de ses lèvres…

 

 

On s’endort parfois encore au milieu des rêves – dans la douce (et trompeuse) certitude d’exister et d’avoir un avenir à vivre, à bâtir, à défendre – dans cette folle ambition de vouloir étendre notre voix, notre main et notre sang au-delà du cercle fragile – et éphémère – au-delà de notre visage qui n’est qu’une goutte – qu’une vague peut-être – infiniment passagère dans l’océan…

 

 

Eclatés en un seul visage – fragments rudes – âpres – vertigineux – du même mystère – du même silence – nés de cet élan – de cette danse insatiable pour se désunir et se retrouver…

 

 

Loin devant les vivants, cet ici – préféré au ciel et aux mirages – cette présence plus vaste – et plus simple – que Dieu au visage et à l’envergure si énigmatiques – et si mensongers sûrement…

 

 

Assis près des Dieux, les hommes à la figure emblématique dont l’âme s’est dissipée – avalée, peut-être, par le brouillard. Et devant nous, ces yeux – cet espace – rejoint(s) par l’hiver et cet Amour blotti au milieu de toutes les tempes…

 

 

La langue se fait parfois âpre – effrayante – et éminemment dangereuse – lorsqu’elle pourfend les rêves – entaille ce contre quoi nous sommes blottis. Elle secoue – elle éveille – à travers quelques battements de cils et les volets clos – ce que nous avons gravé à l’envers de notre sommeil…

 

 

Plaines, visages et sourires défaits – annihilés dans leurs tentatives de soumettre les vivants à la mort. Parole brève – gestes concis – comme un chant – un chemin – une lumière – pour dire ce qui s’avance en nous – et lutte contre tout éloignement…

 

 

Profil bas – enivré de sang et de promesses – et de cette gloire offerte à l’innocence et à cet Amour (à peine) replié sur lui-même. Comme un temps divisé – une heure – une vie – au milieu desquelles gît l’instant – annonciateur d’un Dieu sans nouvelle – d’un Dieu sans représailles – pour ce qui s’approche lentement vers son centre…

 

 

Pieds nus au fond du plus sauvage. Tête accroupie sous le silence. Bras levés d’où s’envole, entre les rires et les tombes, le message de ceux qui ont vaincu leurs croyances…

 

 

N’importe quoi pourvu que le tunnel – le passage – soit franchi. N’importe quoi pourvu que dure l’incendie. Hommes et sages au corps à corps – dans une lutte insensée – visages grimaçants sous le poids de la volonté – et cette folle ambition de convertir tous les yeux – toutes les âmes – aux chimères de leur message. Et tous redoutant le poète dont les sandales dansent au milieu des vents – au milieu de tous les élans – un sourire nu sur les lèvres qu’aucun dogme ne peut pervertir…

 

 

Rêves, blés, désirs. Cette folie joyeuse des vivants à aller à contre-courant du sens – à se laisser porter par les instincts – ces élans si risibles – si naturels – et si pardonnables depuis l’indicible – depuis l’impénétrable…

 

 

Depuis le règne du sang jaillissent mille chimères – et l’œuvre des poètes pour enrichir l’espace voué aux histoires et aux mensonges – et dépouiller le regard – creuser l’intervalle nécessaire à la fouille et à la découverte de l’impensable…

 

 

Neige lancée comme le jour sur la terre – la brume – l’indésirable. Comme des crocs jetés presque au hasard parmi les rêves et les nuages pour dire – et redire encore – les privilèges de l’enfance sur la vieillesse – et tout ce qui s’égare au fond de la ligne du temps inventée pour survivre à la braise et à la glace où sont emmurés les vivants…

 

 

Un souffle sur l’indigence et la paresse. Un éclat – mille éclats peut-être – pour terrasser le sommeil et le malheur. Et affranchir le monde d’un destin suspendu à quelques lèvres et aux assauts mercantiles. Redressant un rivage – le seul possible pour que revivent en nous l’usage du réel et le sacre d’un Amour plus équitable qui partagerait sa tendresse avec tous les visages sensibles et disponibles…

 

 

Tables, couronnes, fruits – cette atroce passion des hommes pour l’amassement. Le rejet de tout voyage – de toute échappée. Le monde – et la terre – comme des voies navigables où chacun se faufile pour creuser à même le sol quelques pauvres chemins de richesse – quelques failles entre les rives incertaines de l’innocence…

Pauvres vivants, en vérité, livrés au sable et à la désespérance…

Terres étrangères au pays natal offertes à la houle des siècles sans même l’espoir d’un jour tranquille et d’une tendresse à partager…

 

*

 

Tout extérieur n’est que l’intérieur projeté. Nous vivons dans la représentation d’un monde qui nous ressemble…

 

 

La monde existe peut-être (qui peut savoir) sans le regard que nous posons sur lui. Mais c’est toujours avec la couleur de notre perception que nous habillons les formes qui le peuplent et les interactions qu’elles nouent entre elles…

 

 

Pour aimer le monde, il convient d’abord de s’en éloigner (de façon physique) avant de pouvoir vivre dans la distance intérieure nécessaire à la proximité des visages et des choses…

 

*

  

On ne fait – ni n’agit – plus pour obtenir quoi que ce soit – mais pour prolonger (ou répondre à) un élan naturel et spontané – né de la joie ou de la nécessité…

  

*

 

Lumière – lumière – première – neuve – élémentaire – qui serpente et s’immobilise entre les rives et les crêtes pour illuminer les incendies allumés par les hommes dont les visages, trop lointains, ne peuvent vivre au-delà des cendres…

 

 

Rocher, soir, étoiles. Quelques laisses – et un peu de sueur à nos attaches. Et ces vêtements lourds encrassés de sang. L’allure exemplaire des hommes qui arpentent la terre, la boue et la nuit – en quête d’une ligne au-dessus de l’horizon – d’un Amour moins fragile que leur chair – d’une aire de répit où ils pourraient (enfin) jeter leurs rêves et leur colère – à la recherche d’une bouche, en somme, qu’ils pourraient embrasser sans pudeur – et avec urgence et rudesse – pour conjurer leur peur et leur faim…

 

 

Epaules rudes descendant des montagnes. L’âme aiguisée au mystère – au silence – dont les yeux invitent à sauter par-dessus les carnages – et à danser parmi les larmes et les étoiles sur l’obscur planté si haut – planté si loin – partout où nous vivons…

 

 

Racines vendangées là où tout s’abreuve – là où tout s’égare et s’égaye. Bribes de personne au cœur d’un monde où les noms et les visages durent plus que de raison…

 

 

Flammes vivantes au milieu d’une parole qui désosse la mémoire. Mains brèves – furtives – entre le début et la fin des rêves. Quelques fluides : un peu de sang – un peu de sueur – et cette semence qui a la folie de se répandre parmi les désastres pour léguer son héritage…

 

 

Une langue qui claque comme une gifle sur la certitude et l’espérance. Pour éveiller – faire naître peut-être – la peau neuve du monde enroulé autour de lui-même – au centre de ces profondeurs qui donnent à nos yeux le goût du rêve…

 

 

Peines multiples – nous condamnant à défaire ce que nous avons bâti et érigé au nom du plus vivable. Nous condamnant à anéantir les constructions qui ont alimenté la haine et les frontières. A devenir ce que nous avons haï – et tant redouté. Ce plus nu – ce plus simple – sans visage porté par l’Amour et la candeur – cette sensibilité recouverte – soucieuse (depuis toujours) des monstres qui nous défigurent et entaillent notre véritable vocation

 

 

Tout est mort – ou destiné à mourir. Et tout se relève, pourtant, et recommence dans l’angoisse permanente de la chute et de l’effacement…

 

 

Espoir et désespérance lancés au jour. Jetés par-dessus les larmes et les désirs. Balayés d’un geste par l’envers du silence – cette face en nous persuadée de notre inimportance

 

 

Enfance, nuages, et mille inconnus au-dedans de cette nuit qui a pris des allures de fête pour oublier – et repousser – (si vainement) la mort…

 

 

Marcheurs courbés – tête lasse – occupés à des jeux sans importance – à des existences sans horizon – livrés à des soucis, à des savoirs et à un destin qui jamais ne pourront traverser la mort – ni s’en affranchir…

 

 

Routes entre les étoiles promises et l’espérance d’un rêve – d’un ciel. Parcours au milieu des vagues et des tempêtes. Et, pourtant, n’existe qu’un seul chemin – qu’une seule lumière – au fond de ce qui nous engloutit déjà…

 

 

Ce qui monte du jour a le parfum de l’hiver. Et ce qui tombe de la première étoile, l’odeur indéfinissable des saisons qui recommencent…

 

 

Un matin, un vertige. Et l’élan nécessaire à tout voyage. Et le goût du péril pour rejoindre ce qui vit – immobile – sous la chair – cette âme peut-être à l’envergure infinie – l’inimaginable caché au-dedans de ce qui s’écoule – et qui finit par s’éteindre et s’effacer…

 

 

La vie écartèle et rompt ce qui s’insinue sous les masques – dans les failles. Favorise le naufrage de tout ce qui avance – et précipite nos voilures vers le pays natal. Ouvre, en quelque sorte, les racines d’un chemin qui mène vers la seule étoile de l’homme : l’effacement et le recommencement du monde livré aux assauts permanents des mal-pensants – et trop assujetti au rêve et à la décadence pour embrasser les dérives et la tendresse qui surnage entre la semence et le sang…

 

 

Main tendue vers quelques étoiles – quelques nuages à demi morts. Un cercle au-dessus de la toile suspendue au milieu de la boue.

Songes, sang, ciel, terre. Quelques souffles – quelques idées entre les tempes – passagères. Un vent – un feu – venus se blottir contre notre paume…

 

 

Le destin d’un homme – bribes de lumière – à califourchon sur le pire et le rêve – entre la matière et l’invisible – réfutant Dieu pour le silence…

 

 

[Lointain hommage à René Depestre]

Noires, mortes, perdues. Une petite lampe sur la terre pour toutes les âmes vaincues par la poussière – tordues par le doute et les prières – marchant au milieu de leur douleur – d’un jour sans soleil – dans l’ombre grandissante de la nuit et du sommeil.

Une petite lampe sur la terre pour offrir un peu de courage – et un peu d’allant – à tous ceux qui errent au milieu de leur désir – au milieu de leur partage – pour dire le plus sacré et ce qui se mélange sans se perdre.

Une petite lampe sur la terre pour donner à voir ce qui enfante et prolonge le monde ; le silence de tous les débuts – et la force qui traverse le chagrin et la mort…

 

 

Ennemis, guerres et cet exil au fond des forêts parmi les vents rieurs – au-delà des hommes et des siècles pervertis – dans cet antre mystérieux où s’enfantent les poèmes…

 

 

Source de tous les périls et de tous les franchissements, cet âge d’or enveloppé de sommeil qui sait traverser les siècles et la mort – recouvert par tous les temps d’ardeurs contraires, de boue et de symboles. Bravant l’orgueil et la hargne des hommes pour défaire, peu à peu, leurs certitudes…

 

 

Trop de luxe, de drapeaux et de bonheur – trop de prétextes, de rage et de rancœur – pour traverser la blancheur du miroir – et laisser s’épanouir la rose première – le chant inimitable du silence parvenu au bord de l’âme, après un long voyage dans ses profondeurs – remontant, un à un, les courants des délices et des instincts pour rejoindre la source natale – la source originelle – qui enfanta le monde, les hommes, les arbres et les bêtes plongés dans le chagrin et la détresse…

 

 

Jeux et mensonges d’un sang sans maître ni bailleur – qui se répand avec panache pour une gloire infime et inutile…

 

 

Larmes incertaines. Quelques mots dans ces heures désœuvrées comme une fragile accalmie pour les mains en quête du jour – comme un destin creusé à même l’âme – à même la chair – pour étouffer le sang sacrilège – et abolir ses méandres et ses œuvres de basse noblesse – encensés pourtant par les hommes. Le début d’une ère nouvelle où apparaissent déjà, dans la brisure des signes et l’éloignement des pas, quelques merveilles anciennes – quelques axiomes premiers – la fantaisie, un peu hermétique, du silence et la parole innocente et émerveillée des poètes…

 

 

Un flot de lumière sur le visage de l’Autre lancé depuis nos décombres – et nos déchirures encore gisantes dans l’ombre…

 

 

Un tumulte, quelques ruines et maintes voix qui s’élèvent pour dézinguer la torpeur – cette brume épaisse – opaque – sur le bitume et dans les âmes – porteuses d’un secret qui ne s’offre qu’aux icônes – à ces visages privés de chair – et dont le destin, pourtant, ravive l’allant des hommes…

 

 

Ombres, partout – de tous côtés – glissant – et nous faisant glisser – vers cette nuit profonde – indomptée – infranchissable sûrement – dont la splendeur brille (déjà) au fond de nos âmes – irrésistiblement attirées vers elle comme vers un miroir aux reflets trompeurs et facétieux…

 

 

Carcasses dans la brume – poings et voix levés vers l’inconnu – cet étranger à l’imperceptible odeur – à la silhouette silencieuse – et à l’envergure insoupçonnée – presque invisible lorsqu’il s’avance vers nous pour détruire toutes les promesses du monde, anéantir l’espoir et nous plonger la tête au milieu de ce qui cisaille et déchire – au milieu de ce qui ouvre et dégorge l’inutile avant de jeter à terre nos costumes, nos masques et nos cottes de mailles qui ont relégué le rêve à cette folle tentative d’exister en bâtissant au-dedans, et aux alentours, d’imparfaites et risibles forteresses…

Place sauvage où tout est démonté – déconstruit – pour un avenir improbable – et un présent solide et ressuscité…

 

 

Homme sans idéologie qui plonge son encre dans le vent et la mort pour éloigner le monde de ses dogmes – et dont la voix si droite – si innocente dans le silence – n’est pas entendue…

 

 

Pas de rire ici – qu’un long passage – dense – obscur – où le pire arrive – et où les hommes s’enlisent, s’entre-tuent et s’enterrent dans un long gémissement qui recouvre le ciel et le chant un peu triste des âmes qui s’élève un peu plus haut…

 

 

Une porte dérobée au milieu des paysages dessiné(e)s à notre intention. Un jardin, quelques pelletées de charbon pour passer l’hiver et réchauffer ce grand frisson qui dure – presque permanent depuis que nous avons condamné notre enfance à vivre hors de sa patrie…

 

 

Une nuit sans pareille blottie contre notre sein – exaltant nos mains assassines – et cette flamme de détresse brûlant jusqu’à nos yeux…

 

 

Traître – et triste – cette couronne posée en équilibre sur nos têtes coutumières de la foudre et de l’orage – familières des rires lancés à l’infortune des rivages. Ingrate, en somme, à l’égard de ce qui se partage…

 

 

Une poigne – un choc brutal – nés de cet accident du réel survenu au milieu de la quête pour brûler l’espérance et l’illusion…

 

 

Et ça souffre de cette cruauté animale chez les hommes au regard plein de songes – plein de mirages. Et ça crie – ça couine – et ça râle – comme des appels – des cris – presque inaudibles – et que nul n’entend – ni les hommes, ni les Dieux. Las – bien trop las sans doute – d’attendre ce qui ne vient pas – ce qui ne viendra, peut-être, jamais…

L’Amour, la vie et la mort comme les jeux de l’impossible entente entre l’innocence et les fronts meurtris – comme le prolongement d’un secret qui se cache – insaisissable – entre la découverte et le néant – ce point de passage où se délite ce qui est conquis – et où s’ouvre l’inconnu – la présence d’un ailleurs ici même – à cet instant précis…

 

 

Une voûte plus haute que l’infini. Et un ciel plus vaste dans ce ciel trop étroit pour nos yeux brûlés par le sommeil qui rêvent d’une joie – et d’une tâche – incapables de s’imposer sur cette terre…

 

 

Sous les cendres, cette main si douce qui enveloppe les restes – ce peu de chair qui entoure encore les os – et qui les jette dans ce soleil étrange – lointain – qui n’aura su réchauffer ni les hommes ni les bêtes de leur vivant…

 

 

L’enfer et la mort. Que de paroles vaines pour dire ces lieux où nous sommes plongés – tête et âme. Dans ce bain de larmes – avec le poids du chagrin qui habite nos yeux – et notre front courbé sous la fatigue qui n’aura su trouver la paix parmi ces visages…

 

 

Personne. Comme un désert encerclé – et soulevé – par l’Amour. Des yeux seulement – et quelques âmes – portés par la mélancolie et l’ignorance – arrachant, dans leur attente, un peu de glaise pour dénicher la source…

 

 

Des pierres, des pensées, quelques rêves pour oublier cette faim au fond de l’âme qui s’épuise sur ces rives. Un miroir, un ciel, quelques attaches. Et le plus vieux désir du monde qui cherche son assise chez les hommes…

Paroles maintes fois reprises – répétées comme une vieille litanie – lancées sur les pages de livres que nul ne prend la peine d’ouvrir – et qui tombent, comme nos larmes, au milieu de la poussière et de la cendre laissées par tous les incendies…

 

 

Danses d’hier – pas d’aujourd’hui – deviendront chute et silence demain – lorsque l’enthousiasme se sera éteint – et que le monde s’en sera allé vers d’autres visages, d’autres rythmes, d’autres rengaines…

 

 

Qu’avons-nous donc pour survivre sinon ce fol espoir – sinon ces bras noués à nos propres retrouvailles. Et ce silence fier – mystérieux – qui accompagne chacune de nos foulées…

 

 

Il n’y a rien qui ne vaille nos combats, pensons-nous illusoirement. Terre, monde, visages, forêts, richesse, idées – loin du pays des choses – loin du silence. Mais, ici, tout s’embourbe et se perd. Tout se dégorge et s’achève. Tout meurt de notre propre main à vouloir trop montrer – trop reprendre – trop donner. Et l’Amour n’a nul besoin de soldat…

 

11 mai 2018

Carnet n°146 Envolées

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Nous sommes le jour qui vient – qui monte – de cette nuit première. Nous sommes la peur et la joie d’être plus vivants que les morts. Nous sommes ce qu’il faudra anéantir – et effacer – pour que demeure ce qui nous échappe – ce qui nous élève et nous rapproche de notre vrai visage. Nous sommes les fleuves, l’océan et le poème. Le vent qui cingle les visages et la pluie qui gorge les sols de la terre. Nous sommes la vie, le temps et les moissons abondantes. Nous sommes la faim – et le rien que dessine la main sur le sable et les destins. Nous sommes l’orage et le miracle. Nous sommes les larmes, les bêtes et les hommes. Nous sommes le rire et ces grands arbres que l’on abat pour passer l’hiver. Nous sommes les fleurs et le soleil posés au milieu de l’infortune. Nous sommes l’esprit, l’âme, les merveilles et la richesse – et la figure des mal-lotis. Nous sommes ce qu’un seul poème – et des milliers de livres – ne suffiraient à décrire. Nous sommes la langue et ce qu’elle cherche à travers ses dérives – ses excès – ses silences. Nous sommes Dieu – le monde – et tout ce qui les peuple et les entoure. Nous sommes le voyage, les voyageurs et tous les chemins – et la route que nous avons oubliée depuis trop longtemps pour nous reconnaître…

 

 

Cette fièvre dans le sang qui a anéanti tant de peuples et de merveilles – laissant la terre à demi morte – exsangue – et, sous la boue, cette vermine grouillante prête à ressurgir partout sur la terre et dans les veines…

 

 

A demi-mot, nous susurrons ce qui ne peut s’épanouir que dans le silence – dans notre absence…

 

 

On frissonne parfois dans cette nudité de l’éternel. Et nous n’avons que nos bras pour nous réchauffer – et cet Amour qui émerge là où tout est glacé – recouvert par nos yeux plongés dans le sommeil, le rêve et l’indifférence animale…

 

 

Un arbre, une maison, une colline. Et ce mariage insensé – et mystérieux – du ciel et des yeux qui se pose comme un miracle sur ces rivages tranquilles – presque banals. Et nos pas sur la neige qui a recouvert la boue des chemins. Et cet Amour qui perce comme un soleil venu réchauffer les âmes – notre âme – et exalter la joie des récoltes et des saisons. Lisses, à présent, au milieu du monde – au milieu du silence – cet arbre, cette maison, cette colline…

 

 

Nous sommes l’haleine de la terre – et ce qui rôde dans les parages. La vie, l’amour, la mort – et cette odeur – cette couleur – de déjà vu

 

 

S’abandonner au silence de ce qui s’est tapi dans le regard – posé au loin – posé au plus proche – et qui console ce qui vit au milieu des pierres – ce vivant à l’âme et à la chair si fragiles – et parfois trompeuses – si soucieuses de traverser les frontières…

 

 

Nous-mêmes pris entre les âmes – entre les choses – déposées là pour on ne sait quelle obscure raison. Nous-mêmes, plus tard, devancés par tout ce qui nous précède – et loin de tout ce que nous avons laissé derrière nous – ici même où s’est effacé le hasard – en ce lieu que les sages appellent de leurs vœux – et de leurs prières – à cet instant même où la foudre a frappé pour éloigner nos yeux de la prudence et du sommeil. Au milieu de ce qui nous sépare et de ce qui nous rejoint. Assis sur cet escalier hors du monde – hors du temps – pour contempler la solitude des hommes…

 

 

Nous sommes le jour qui vient – qui monte – de cette nuit première. Nous sommes la peur et la joie d’être plus vivants que les morts. Nous sommes ce qu’il faudra anéantir – et effacer – pour que demeure ce qui nous échappe – ce qui nous élève et nous rapproche de notre vrai visage. Nous sommes les fleuves, l’océan et le poème. Le vent qui cingle les visages et la pluie qui gorge les sols de la terre. Nous sommes la vie, le temps et les moissons abondantes. Nous sommes la faim – et le rien que dessine la main sur le sable et les destins. Nous sommes l’orage et le miracle. Nous sommes les larmes, les bêtes et les hommes. Nous sommes le rire et ces grands arbres que l’on abat pour passer l’hiver. Nous sommes les fleurs et le soleil posés au milieu de l’infortune. Nous sommes l’esprit, l’âme, les merveilles et la richesse – et la figure des mal-lotis. Nous sommes ce qu’un seul poème – et des milliers de livres – ne suffiraient à décrire. Nous sommes la langue et ce qu’elle cherche à travers ses dérives – ses excès – ses silences. Nous sommes Dieu – le monde – et tout ce qui les peuple et les entoure. Nous sommes le voyage, les voyageurs et tous les chemins – et la route que nous avons oubliée depuis trop longtemps pour nous reconnaître…

 

 

(Un) regard sur : ni journal, ni recueil, ni poésie. A la fois perception – vision – impersonnelle et instantané subjectif sur quelques bribes de cet étrange continuum qui nous traverse avant de rejoindre le silence…

 

 

Naufragé d’un rêve qui se serait éteint – d’une brume, aujourd’hui, disparue. Quelque chose qui aurait grandi à l’ombre du sommeil – devenu, à présent, le fruit de tous les passages – la fleur d’une aurore autrefois déjà présente…

 

 

Tout s’avance davantage dans le jour. Êtres et choses au bord du regard – happés par le silence – glissant vers cet instant – cette heure parfois – où la nuit s’est dissipée…

 

 

Tout s’émeut de notre présence. Même les pierres et les hommes, si indifférents autrefois, deviennent sensibles à notre partage

 

 

Seul(s) au milieu des merveilles qui dansent dans notre regard. Seul(s) au milieu de ce qui s’efface – et s’acharne à revenir…

 

 

Humble(s) et discret(s) – comme la parole du poète anonyme, nous allons pour nous seul(s) entre les lignes des siècles rejoindre ce qui ne nous cherche plus…

 

 

Le vent passe – s’égare (souvent) au milieu des visages dépourvus d’envergure. Il cherche à franchir l’affolante géographie des traits dont l’ombre, parfois, s’éclaire sous la lumière de quelques étoiles. Il cherche la lisière – la voie des oiseaux sauvages qui traversent le ciel bordé de nuages…

 

 

Dans l’empyrée d’un monde dont l’absurdité des rêves confine, peut-être, au sublime…

 

 

Tout langage est une chute – une dérive née d’une volonté d’ascension – enfanté par le mariage – l’union provisoire – du silence et du cri qui rêve de fixer ce qui passe – et d’atteindre ce qui n’est accessible qu’en deçà de la parole…

 

 

Tout est obscur à la fenêtre malgré le ciel. Tout a la couleur de l’encre et la nostalgie de la neige…

 

 

Nous luttons contre un sable insensible à la propagation du ciel – dans un temps impossible – et qui, pourtant, s’écoule. Nous luttons contre les vents – contre la glace – contre l’indifférence du monde – avec des mots volés à l’innocence…

Il faudrait peut-être, pour vivre mieux, casser nos jouets – taire la parole – et rester suspendus au silence. Ne pas même dire ce qui passe et ce qui demeure lorsque les jours ont délaissé leur bohème – leurs chimères – leur religion – toutes ces idéologies qui mènent les existences à la baguette. Il faudrait s’allonger en dessous du monde et laisser s’effacer les désirs et les saisons. Devenir aussi libres que les oiseaux de passage – et aussi beaux et fragiles que les fleurs. Se laisser mourir sans craindre ni les yeux, ni les visages qui s’avancent et se détournent. Se convertir à l’éternel…

 

 

Sensible à l’authentique. Yeux et mains nourris de l’essentiel – du plus sacré, sans doute. Joints, à présent, au silence…

 

 

Captif encore parfois de cet appel – lointain – premier – exigeant – qui réclame le témoignage de la traversée – et le prolongement du désert malgré les visages – la continuité du silence dans le monde…

 

 

Rôle singulier – initiatique – du monde qui dévoile (progressivement) ce dont il est privé. Sa fonction première peut-être – comme une cage à la porte ouverte – l’étroit passage qu’il faut franchir pour rejoindre, derrière les ailes du désir – derrière la misère des vivants – la vie pleine dégagée des drames – servante de tous et de cet ailleurs – si proche – enfoui en nous-mêmes…

 

 

Quelque chose, en nous, persiste qui ne condamne ni l’infini, ni le monde – ni même la parole. Quelque chose comme un silence et une fougue à vivre – et à dire – ce que nul ne veut découvrir – et n’est encore prêt à entendre. Comme une fleur qui se dresse dans l’hiver – et contre l’indifférence des hommes sans rien réclamer sinon le droit d’exister et d’aller jusqu’à la mort à contre-courant des saisons et du sens commun. Comme une eau entre des murs labyrinthiques qui s’écoulerait discrètement jusqu’à sa source…

 

 

Corps et têtes plongés dans les eaux du monde. Et l’esprit, telle une bulle, remontant (progressivement) à la surface – irrésistiblement attiré vers les hauteurs – et parvenant, parfois, à rejoindre l’espace en surplomb des vagues…

 

 

Rien ne nous arrêtera – pas même la mort, sans cesse, renaissante. Nous irons toujours sur ce fil tissé de nos blessures, à travers nos ruines, vers cet éternel enfantement

 

 

Face au jour, cette douleur. Et sur le front, quelques épines – abandonnées là par la couronne qu’auront emportée les vents…

 

 

Enfouis au fond d’une terre qui nous ignore – chavirés par ses eaux qui serpentent entre nos boussoles – cherchant le seul rivage où se perdre – où les vents nous déferont de ce qui, en nous, persiste – à mi-hauteur – entre le ciel et la boue…

 

 

La roche encore – rude – friable – qu’il nous faut abattre et escalader dans le dévouement au plus sacré. Et attendre l’homme à mi-parcours – toujours prisonnier des yeux, des failles, des cordes et des broussailles – pris entre le doute, les questions et la crainte de l’abîme…

Exister encore pour que s’effacent les interdits – que reculent les brimades et que s’assèche un peu le temps. Devenir le bégaiement tragique des hommes et leur plus haute étoile. Mendier d’une main l’abandon que l’autre façonne. Dire encore le menu du voyage, la disgrâce, l’effacement et le silence. Et mourir sous le labeur du jour, l’âme et la main attelées à leur tâche…

 

 

Deux pierres, un visage, quelques pas. Et cette échelle posée entre les horizons. Et le ciel si serré contre nos âmes. Et cette ardeur – cette fougue – qui donne l’élan et la force de supplier pour conjurer la malédiction du départ et les périls de la traversée…

 

 

La terre est noire. Autant que nos yeux posés sur la lave – et nos corps mélangés – englués – coincés dans le magma. Roche bouleversante, pourtant, où les pas étirent notre passion pour toucher – rejoindre – un soleil – une lumière – perdu(e) et inaccessible…

 

 

Poitrine serrée où la vie a reflué parmi les secrets et le silence étonné de l’âme. Un désir encore – celui d’entendre le monde supplier notre chant dans le crépitement des flammes où les suppliciés brûlent encore – brûlent toujours – comme à la première heure.

Siècles vains – désastreux – nourriciers, pourtant, de toutes les histoires aux allures de drame…

 

 

Arbres, livres, poème, silence. Un petit chemin où le cœur dessine un monde peuplé de bêtes et d’innocence. Voilà notre ivresse – et notre quotidien assouvi. Le ciel et la nuit dansant ensemble dans la confusion des sens, la tête tout étourdie de réel et de baisers…

 

 

Un destin anonyme d’envergure céleste où la chair serait un soleil au milieu de l’âme – sans honte pour les vivants – et sans fascination ni pour les fous, ni pour les hommes, ni pour les sages. Le pardon limpide – transparent – sous nos ailes besogneuses. Dieu et le poète ouvrant ensemble le passage où tout peut arriver ; l’envol, l’Amour et la mort – et cette lumière que nous nous échinons à faire éclore – et à traverser…

 

 

Le versant de l’aube le plus long – et le plus vivant peut-être – où l’étreinte se reflète dans tout ce qui se mêle et s’ignore – où la solitude a le goût des étoiles retrouvées – et où le chemin devient fenêtre sur le monde et l’invisible…

 

 

Seules demeureront, peut-être, quelques empreintes sur le sable. Le signe de l’effacement…

 

 

Le destin d’un Seul – clair – lumineux – définitif – éternel. Et le sort de la multitude – opaque – sombre – hésitant – provisoire – indéfiniment tant que n’aura pas été découvert – et ne sera pas habité – l’unique visage…

 

 

Les noces du désir et de la mort sur ces rivages où tout se distingue. Les larmes comme un vertige – l’abolition du monde – le rapprochement inexorable de l’Un...

 

 

Si las de ce monde ancien avec ses guerres et ses visages insensibles à toute autre promesse que celle de l’or – avec ses fronts querelleurs et ses mains obstinées qui creusent – et saccagent – la terre. Avec les butins de l’arrogance et de l’ignorance suspendus à toutes les poitrines comme d’horribles trophées…

 

 

Dieu est mort – la religion agonise – et la spiritualité titube sous le poids du consumérisme, du désir et de l’indécision ; cette tiédeur des âmes qui refusent tout engagement – tout risque – toute responsabilité – soucieuses seulement de leur développement – et de leur salut – terrestres. Et dans ce fatras (transitionnel) vers une nouvelle terre, nous avons toutes les peines du monde à voir émerger le nécessaire en l’homme…

Un adieu fécond, voilà, sans doute, ce qui nous sauverait de cette ronde absurde – de cette pagaille où l’on chante le silence sans se soumettre à ses exigences…

 

 

Des joutes, des râles. Et tout un arsenal qui prête à rire. Des rêves plein la tête – et la mémoire brisée – rompue – pour survivre à l’atrocité que nos mains ont façonnée dans l’insouciance…

 

 

Prêts de nous, ceux qui vivent avec plus d’instincts que les bêtes. Ceux qui dénaturent le rôle – et la portée – des étoiles. Ceux qui jurent, les deux mains plongées dans le sang. Ceux qui piétinent les poèmes. Ceux qui guettent la lumière penchés sur leurs livres. Ceux qui jouissent de leurs pauvres jouissances. Ceux qui se réjouissent de l’abondance – et de cet or amassé sur le dos des mal-lotis. Ceux qui font commerce de tout – et qui vendent jusqu’à leur âme pour quelques richesses supplémentaires…

N’est pas né le jour de l’Amour – le règne de l’humilité et de la tendresse. N’est pas née encore l’ère des retrouvailles

 

 

Ombre, poussière. Un peu d’encre sous le soleil pour célébrer l’humilité nécessaire. Quelques lignes encore pour chanter l’effacement indispensable…

 

 

Forces neuves sous le sérieux et l’austérité – pour explorer le vaste continent sous la langue – le silence – cet oubli du monde…

 

 

Tout est folie – démence – en ce monde – jusqu’à la joie des ébats. Tout s’approche et se guette. Tout s’avale et se gifle. Et, pourtant, tout toujours s’accompagne…

 

 

Qui écoute – qui est capable de se réjouir du silence – et de vivre à l’écart des fous… Qui sait vivre sans penser – et penser sans jugement… Qui sait être lui-même profondément – et intensément libre au milieu des visages et des fleurs…

Qui sait offrir à la solitude son lit de roses – et aux hommes l’espérance d’un effort – d’une montée étrange où l’abandon signe à la fois la chute et l’envol… Qui sait vivre – et être – le mystère vivant – et ressentir la complétude souveraine au milieu du chaos…

 

 

Au fond de la chambre, vaincue, cette âme éprise – le sommeil plongé dans le froid – apte, à présent, à vaincre la mort – à transcender la fin – pour une indéfinissable continuité – une étrange éternité…

 

 

La nuit comme une grève immense – un rivage accidenté – une falaise – un long mur qui soumet les cœurs à l’infirmité. Des yeux dans le noir – inquiets – angoissés à l’idée de vivre – et de mourir – sur ce versant où les chants ne sont que des larmes déguisées…

 

 

Amour, fenêtre, désespoir, incendie. Les traits d’un monde incompris – incompréhensible peut-être. Et cette dévotion pour le feu, et, un peu plus tard, pour la cendre. Et cette inclination à la rudesse – comme une tristesse versée dans la colère face à ce qui laissera toujours les mains vides…

La morsure et le baiser. Et les pieds dans la fange – sous la lumière d’un ciel hilare – et triste, aussi sans doute, de voir son génie contesté par les destins…

 

 

Voici revenus le temps de la mort – le soupir et le rire de l’invisible parmi nous célébrant le règne indiscutable du feu et de la poussière…

 

 

Aussi loin que pousse le regard – jusqu’au morcellement de l’atome et de l’horizon – recombinés – et reconstruits en infini perceptible…

 

 

Trop douce et trop mièvre est l’époque – derrière la violence à peine conjurée – entre ses parois de verre – ses lanternes et ses écrans. La grande célébration du numérique qui captive les esprits – et endosse le rôle du rêve et de la nuit. Jetant les ruines de l’histoire les unes sur les autres – sans ordre précis. Etalant la réclame – toutes les propagandes – parmi les savoirs vite consommés. Offrant aux visages la possibilité d’une notoriété passagère. Façonnant un monde de figures calfeutrées derrière les clics et les lumières clignotantes. Abêtissant les cerveaux – reléguant les âmes à la marchandisation – et nous éloignant du temps, à jamais révolu peut-être, des véritables prophètes…

 

 

Lanternes, tribus, collines. Et la route qui serpente entre tous les territoires. Un soleil assidu – et vagabond – cherchant dans la nuit un appui – une aide – pour redresser les âmes – célébrer le sol et la fin des horizons – et amorcer le début d’une nouvelle ère où les visages auraient l’humilité – et l’envergure – de la terre…

 

 

L’enfer n’a disparu. Les mêmes lames au croisement des chemins. La même pagaille née des désirs et des assauts. Le même désert où sont plongés les yeux. Et cette candeur des âmes égarées parmi les galaxies – trop lointaines pour voyager à l’abri des chimères. Et ces lèvres tournées vers n’importe quoi – vers n’importe qui – pourvu qu’on approuve leurs rêves – leurs espoirs – tous leurs délires…

 

 

L’écriture, sans doute, est trop grave – trop dense – et si vaine pour les hommes aux yeux clos – pour ces âmes (encore) gonflées de désirs – pour ce monde où les flammes ont dévasté la nécessité du questionnement et de la réflexion – et recouvert la lucidité et le goût de la vérité

L’encre lancée comme un pont entre l’ignorance et ce qui s’interroge n’aura, sans doute, été qu’une passerelle pour celui qui l’a jetée sur la page…

Notre visage s’était, pourtant, présenté comme le miroir d’un monde oublié – un phare dressé contre la bêtise et le sommeil – mais devant lui, tous les yeux se seront détournés…

 

 

Au côté du vent toujours, cette mémoire défaite. Ce goût (intense) pour le présent – ce qui surgit à l’instant où nous nous tenons – sans même l’appui du souvenir – ni même le désir d’un ailleurs ou d’un après…

 

 

Le ciel, le cœur et la forêt. Et ces pas, si légers, sur les pierres. Et ces notes, comme tombées d’un ailleurs – d’un soleil inexprimable. Et cette façon d’aller si libre – et si innocent – sur les pages et les chemins…

 

 

Pénétrer dans l’intime matière des choses – et le silence au milieu des visages. Effacer les ombres pour révéler ce que dissimulent les masques et la fatigue – cette lumière au cœur de tous les rêves…

 

 

Enfermés dans le cercle du temps – à compter les pas et les points de passage dans cette ronde sans fin… Pourtant, la liberté existe – en deçà des pas – au milieu du regard suspendu au-dessus du sommeil. Dans cette clarté qui veille au-dedans des yeux fermés qui ne rêvent que de s’ouvrir – et d’échapper aux danses du monde – pour visiter les surplombs et cet horizon que cachaient les murs…

 

 

Nous vivons face aux choses – face au monde – face aux êtres et aux circonstances – le nez plongé dans leur odeur – le regard collé à la surface – aux apparences – soumis au même noir que les enfants qui se cachent les yeux avec les mains…

Du ciel nous ne savons rien. De l’océan nous ne connaissons que ce que nous en disent les poissons attrapés dans nos filets. Et de la terre nous ne voyons que le rouge – et l’or – étalés devant nous…

La lumière, partout présente – et dominante partout – nous est – presque totalement – étrangère. La seule couleur du monde sera toujours celle où glissent notre sang et notre faim…

 

 

Nous vivons face à la nuit – au milieu de l’hiver – avec ce feu – et ces flammes – inventés par les hommes oublieux du secret du monde et des choses – reléguant la lumière aux seuls élans des fous et à la prière de quelques visages obstinés…

 

 

L’aube atteinte – l’aube réfléchie – l’aube saturée – n’est pas (et ne sera jamais) l’aube véritable. Elle n’est que le reflet de l’aube première – originelle. L’ersatz et le miroir aux alouettes, en quelque sorte, de la seule aurore possible…

 

 

Un coin sauvage au milieu de la terre – au milieu de l’azur. La fin de l’hiver – la fin de la nuit. Comme le vol des oies sauvages ouvrant la route vers le soleil – la seule voie possible vers l’impensable…

 

 

Que deviendra le jour – et que deviendra la nuit – sous cette lumière sans brouillard… Que deviendront les pas – et que deviendront les lignes sans même le désir d’un destin… Et où irons-nous dans l’absence d’étoiles… Serons-nous aussi vagabonds que la route – et aussi sages que les fleurs qui voient passer tous les convois…

 

 

Nous irons encore ceinturés par notre élan – au milieu des vents qui donneront un peu d’air à notre visage – au cœur d’un désert posé au croisement de tous les chemins – pour découvrir le centre du voyage – cette aire où l’âme peut enfin rejoindre notre foulée et le silence…

 

 

On nous a ensevelis sous les miroirs – et sous les prières. On nous a dit de voir – et de croire – de perpétuer la promesse d’un Dieu à notre image. On a jeté la vérité au milieu des flammes pour donner à nos gestes un semblant – un simulacre – de fraternité. On nous a dit de respecter les anciens – et la tradition millénaire des hommes. On nous a plongés dans l’ignorance pour donner souffle à l’espoir d’un ciel – d’un visage penché sur notre misère. Et on nous a menti. Et de ces mensonges, le premier homme n’en a que faire. Il voyage – continue de voyager – en se dressant comme un vaisseau au milieu du monde – en vénérant l’incertitude et le silence laissé à l’abandon. Il navigue sans trace, sans repère et sans boussole parmi les rires et les hommes. Et jette son encre dans quelques paroles pour dire l’évidence d’un Dieu véritable, caché partout, hurlant sa joie et sa douleur au milieu de ceux qui se mirent et prient encore…

 

 

Tout commence par la brume – la bouche pâteuse à notre réveil. Les yeux fermés sur l’intime. Et l’harmonie passagère des regards tournés vers nous. Puis, arrivent les premiers pas – les premières gloires – les premiers émois – avant que la langue ne découvre les premiers mensonges. La défaite et l’ignorance des hommes. Leur crainte de vivre et leur peur de la mort. L’arrogance partout qui rivalise avec l’effroi. Le sommeil où fleurissent les rêves et l’espoir. Et la découverte du sensible qui offre aux ombres un espace de répit. Puis, les dernières désillusions franchies, jaillissent le désir d’une autre vie – d’un autre monde – moins douloureux, la solitude et la fouille ardente. La traversée des brumes et du désert – animé de son seul visage. Le commencement de ce long voyage vers soi-même entre le doute et la certitude…

 

 

Etoiles, écharpes, volutes. Le ciment de tout désir. L’alcôve où se terre le monde. Et l’abri de toutes les infortunes…

 

 

Nous sommes l’autre face du jour – son versant de multitude et d’abondance avec ses pierres, ses fleurs et ses visages endormis à l’ombre du sommet – pétris de doutes et d’espoir d’atteindre, avant la mort, la crête où le soleil brille au milieu de la nuit…

 

 

Têtes renversées. Peurs disséminées partout. Voix et pas broussailleux – maladivement fiers – rêvant de favorable et de certitude en ces contrées construites à la hâte pour dissiper le doute – et vaincre le temps et la mort…

Voie ouverte contre le vent et le silence trônant plus loin – au-dessus des âmes dont les poches pleines d’or et de pierres ralentissent la marche…

 

 

Un souffle passe – plus ardent que la colère – ôte aux ramures leurs feuilles et aux hommes leurs rêves. Comme un trait au milieu de l’automne dessiné par la douleur…

Et la sève, refluant au centre du cœur, se dresse – résiste aux assauts du vent mêlé à la joie et au soleil qui regarde notre chute – notre effritement – nécessaires à l’invalidation des larmes – et à la venue, sans conteste, du royaume de l’hiver. La seule route possible – la seule route envisageable – vers le silence – cet espace divin qui loge au cœur du regard et qui, seul, peut transformer le monde, les yeux, les fleurs et les visages – toute cette peine entassée sur les pierres…

 

 

La vie – les hommes – devenus mémoire – s’abritent de l’ardeur nécessaire à la marche, à la fouille et à la découverte de l’innocence…

 

 

Le monde est un chant sous la terreur – sous l’effroi – que n’entendent que les arbres et les poètes. Inaudible par les hommes et les bêtes – trop occupés à se désaltérer aux eaux des fleuves et à récolter les fruits de leurs semailles…

 

 

Ce qui mendie ouvre l’espace – libère la terre de ses lois – celles qu’ont reprises les hommes pour gouverner le monde et ses créatures. Comme le pire outrage, peut-être, au Divin – à son exercice et à sa découverte…

 

 

Celui qui écoute lave les pieds de celui qui juge – et vitupère – coincé entre la colère et son besoin de visages. Celui qui écoute panse la douleur de celui qui est blessé. Celui qui écoute devient le centre du monde – l’espace nécessaire pour guérir ceux qui saignent – et libérer les hommes de leurs frontières. Il se fait Dieu à la modeste figure face à ceux qui souffrent et qui crient. Il est le premier pas vers la fin de l’enfer – le début du silence que réclament les âmes et les têtes plongées au milieu du désastre…

 

 

Nous chuchotons au monde une parole trop vive – une parole qu’il ne peut entendre – et qui propose, pourtant, une issue pour vivre heureux parmi les pierres, les visages et le silence – pour vivre sans inquiétude l’imminence de la catastrophe. Une voie pour transcender la mort et notre destin livré aux malheurs…

 

 

Des mots pleins – denses – presque reptiliens – mouillés d’une magie étrangère à ce monde – chargés d’un réel – d’une vérité peut-être – qui ont la beauté – et la modestie – de l’herbe – et la grâce de l’eau qui s’écoule et qui abreuve, sans même le vouloir, les terres qu’elle traverse…

 

 

Nous sommes le charme et les blessures. La chambre où s’empilent les restes de notre sommeil. Nous sommes le nom et les magiciens. Nous sommes les signes et la fumée. La peau qui éclate sous les coups et le baume qui sèche les larmes. Nous sommes ce qui tombe et se relève. Et le goutte-à-goutte qui s’écoule sur ceux qui se prosternent. Nous sommes le rêve et la nuit. Les noces du miroir et du feu. La tombe, la mort et le crépuscule. Nous sommes ce que les hommes appellent l’Amour. Et le silence qui traverse le temps. Nous sommes la lumière. Nous sommes l’infini – et toute la démesure de nos divagations…

 

 

Nous creusons un coin près de l’œil où tombe tout ce qui nous échoit ; visages et circonstances qui, peu à peu, se convertissent en mémoire – cette (douloureuse) expérience du temps qui nous maintient captifs d’un monde à l’apparence si vivace…

 

 

Nous veillons sur des continents aussi vastes qu’une feuille morte – près d’un puits à l’eau si pure – si claire – qui initie ceux qui s’abandonnent à la magie de l’infini et du présent – hors du monde – hors du temps…

 

 

Un bain – comme un répit peut-être – dans les cimes du langage en compagnie de notre (propre) écho – revenu des parois du monde qui l’amputèrent et le rendirent (presque) infirme. A quelques encablures de ce sommeil – et de ces angoisses – qui, autrefois, nous terrifiaient et gouvernaient notre fouille et notre parole…

 

 

Au cœur d’un retour – d’une grâce – où le fragile et l’éphémère émerveillent – et où le nom n’est qu’un son prononcé à l’intention des imbéciles. L’étonnement passe, puis déterre ce qui gisait là sous le sommeil. La mort devient belle – prend une allure vivante – moins triste – et se fait signe et passage des plus folles promesses. Le jour devient libre – et plus sage. Les visages perdent leur morgue. Tout s’accueille sans le poids de la mémoire. Nous devenons alors le chant – et ce qu’il tentait de toucher autrefois. Moins soucieux d’hier – et moins inquiets de ce qui se trame, en cachette, dans les malles du temps inventé par les hommes…

 

 

Nous portons le même souffle que la terre – et le même courage que les bêtes que l’on mène vers la mort. L’âme enfouie – et le visage recouvert seulement d’un peu de glaise. Bien au-dessus de la faim qui anime les bouches et les mains qui se mettent en quête de leur pitance. Aussi près du seul désir de l’homme qu’est loin la sagesse du monde – hors de lui sans doute…

 

 

Nous déclarons comme les idiots et les fous notre ignorance – la mort de Dieu – et close l’ancienne ère de l’espérance. Nous affirmons – et célébrons – la présence – l’instant – et la capitulation du temps. Le règne de l’infini au cœur de la plèbe et du mensonge. Et l’effacement des noms et des rivages. L’envergure du silence à portée de regard. Et le réenchantement du souffle après cette fin du monde…

 

 

Nous confions notre chant aux hommes – à ceux qui viendront exalter cette promesse. Et proclamons à leur intention l’extinction de la parole et la consécration du monde et du silence…

 

 

Fervent jusqu’à la mort – et au-delà – pour que jamais ne meurent la poésie et les poètes – les chants et le silence. Pour nous défaire des fanatiques et des partisans triomphants du néant et de l’apocalypse – éveiller ce qui gît au fond du sommeil – et que rayonnent de joie les visages affranchis des idéologies…

 

 

Libre – mystique – incompréhensible peut-être – cette parole. Sensuelle – réhabilitante – dans un monde voué à l’habitude, à la paresse et à la somnolence. Innocente – merveilleuse (si l’on peut dire) pour échapper à l’ignorance et à la brutalité des siècles. Verticale parmi toutes ces têtes si horizontales. Atemporelle, en somme, pour que durent l’extase et l’envol – au-delà de l’expérience. Et définitivement inachevée – et inachevable sans doute…

Pointe d’une vérité infinie perdue – cachée dans les méandres et la boue des têtes encore ignorantes. Un archipel – une issue – contre la barbarie, les saccages et l’incessante roue de l’infortune alimentée par les songes, le sommeil et les promesses…

Avec un élan – un goût – passionné pour la vie et pour l’Autre dénudé – affranchi de tous les masques…

 

 

Ni guide ni prophète – à peine un poète. Une plume, peut-être, trempée non dans le simulacre et les apparences mais dans le plus vieux rêve de l’homme. Dévoré par cette ardeur à faire éclater la vérité partout où elle est niée et rejetée au nom du conformisme et des traditions – partout où la torpeur et la certitude ont remplacé la curiosité et l’interrogation…

 

 

Homme vivant parmi les morts et les nouveaux visages. Paroles libres et profanes vouées à la désacralisation du mystère pour le rendre accessible à ceux qui demeurent étonnés…

 

 

Une parole – quelques lignes – comme le fer rouge sur la peau des suppliciés. Comme un vent ancien revenu vers nous avec l’annonce du printemps…

 

 

Vertige au-delà du rêve et du néant – mariant l’infime et l’immense – le monde et le silence – notre vrai visage libéré de l’horreur et du temps. L’espace où la pierre et la poussière deviennent les seules foulées du voyageur – et où les yeux et les noms s’estompent pour une folle liberté…

 

 

Nous marcherons encore au-delà de ce qui vient pour enflammer cette aire où le sang n’est plus le véhicule des chimères…

Figures autour d’une seule voix pour transformer l’horizon en leurre, puis en désert et en lumière afin d’ouvrir à l’Amour le chemin le plus direct et le plus sincère. L’authentique voie vers ce qui demeure au-delà de la mort – et au-delà de toute fin. L’impossible, l’infime et l’impensable réunis dans notre main – libre d’aller alors là où le monde et les circonstances l’appellent – vers des jours et des siècles plus visionnaires que nos anciens détours…

 

2 mai 2018

Carnet n°145 L’âme, la prière, le monde et le silence

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Une parole, comme une fenêtre, donne à voir le monde – et dans le monde, les pierres et les visages – et derrière, le plus vaste – l’infini qui se dérobe…

Quelque chose – quelqu’un peut-être – crie, murmure et danse au fond de notre absence. Un Dieu – un jour – plus vrais que notre vie – plus vrais que notre chair et notre visage. Le silence, peut-être, aussi pur que la neige…

Hors de la mémoire subsiste le rêve d’un franchissement – cet allant qui nous porte vers nous-mêmes. Avec, dans chaque main, une lune aussi ronde que le jour – aussi ronde que le temps – et ces barreaux qui emprisonnent nos têtes – éclairées déjà par cet inépuisable désir de lumière…

 

 

Pays de seuils, de deuils et de peu de scrupule où les visages ont les traits de la mort et de la lumière – et le voyage, des allures de tombeau (de triste sépulcre) – où l’effacement, pourtant, sonne la réconciliation du regard avec les ombres et les pierres – le franchissement des frontières qui nous séparent de ce qui dure – et l’émerveillement sur ce qui passe sur le fil du temps…

 

 

L’aube encore, partout – en éclairs qui s’offrent à travers les grilles de nos cages…

 

 

Des rivaux, mille limites au-dedans de tout ce qui s’émiette et s’évapore. Grains, flaques, buée. Comme la tentative discrète (et incomprise) de sonder les mystères du monde…

 

 

Toujours à distance de ce qui nous sépare – et dont le franchissement sonnerait, pourtant, le glas des frontières…

 

 

La poésie de l’Autre comme l’étincelle qui propage le feu de notre (propre) parole poétique – le prolongement d’un silence véhiculé par des lignées de voix à l’âme éprise – fascinées par ce qui les dépasse – le mystère de toute vie et de toute naissance – et la possibilité de vaincre la mort et l’apparence, parfois si atroce, de ce monde…

 

 

Nous marchons souvent comme les fous et les morts – dans cet outrage (permanent) à la vie et aux vivants – sans savoir que nos pas sont porteurs d’un mal incurable – multiple ; l’ignorance et la nécessité de la survie qui donnent à nos foulées des allures d’outil sacrilège dont chacun use et bénéficie autant qu’il en paye le prix…

 

 

Les poches pleines de cette joie qui tend la main – et offre à la vie ses mille bouquets – et le rien du partage – pour façonner un monde plus beau et plus vivant – et, sans doute, moins cruel – et donner aux murmures et à l’étonnement le goût du silence…

 

 

Nous pleurons comme les enfants dans les jupes de celui qui ne se laisse voir – et qui ne s’apprivoise que dans le silence – et les prières muettes – sans réclamation…

 

 

Quelque chose – quelqu’un peut-être – crie, murmure et danse au fond de notre absence. Un Dieu – un jour – plus vrais que notre vie – plus vrais que notre chair et notre visage. Le silence, peut-être, aussi pur que la neige…

 

 

La langue, la lumière et le monde. Assis si maladroitement en nous que leurs éclats écorchent davantage qu’ils ne guérissent le doute et les malheurs…

 

 

Supplique mécanique des voix qui, à l’approche du silence, trépignent davantage dans leurs prières. Comme si Dieu pouvait leur faire franchir, d’un seul saut, ce qu’elles ont amassé – et ce qui les encombre – depuis la naissance du monde…

 

 

Un oiseau silencieux patiente dans nos gestes fébriles – guette l’incandescence – ce pourquoi nous sommes nés…

 

 

A notre porte, les frontières du silence sur lesquelles traînent encore nos voix – tous les délires de l’âme épuisée par la prière…

 

 

Yeux percés par trop de savoirs – et trop de pouvoir – aveugles encore à ce qu’offrent la solitude et la candeur…

 

 

Le tumulte des oiseaux, le silence et l’envergure de la mort dans nos œuvres – nos ouvrages – qui défient les colonnes du temps. Appelant, au fond de la solitude, un espace d’émerveillement et de gratitude tourné vers le monde...

 

 

Terre, livres, pierres étalés dans un coin de la chambre ouverte sur le jour – ouverte sur le monde – près des pages sur lesquelles se consument le rêve et la mémoire – et où se clarifie (et se propage) le silence…

 

 

Un versant derrière l’inquiétude – une ombre étalée en signes déchiffrables. La nuit et le rire sur ce que dessinent le ciel et les hommes. Et quelques mirages tracés à la craie. Le froid des jours et le sommeil des visages. Quelques notes encore pour déterrer les racines qui enfantèrent le sang dans nos veines – et ces élans par-dessus les toits pour fréquenter les forêts et les oiseaux qui traversent l’hiver. Le bonheur tout naturel de vivre, en somme…

 

 

L’évidence encore sur ces pentes menacées par la certitude d’exister – et le roulis des pierres emportant les hommes dans leur chute. Une arène, quelques labours pour tacher la neige neuve qui a recouvert le sable. Des années perdues – gâchées peut-être – par l’attente (si vaine) des récoltes – avec, au loin, le chant des oiseaux – rescapés des hécatombes. Puis, de nouveau, le silence et la nuit. L’éternel retour des tristes saisons…

 

 

Que reste-t-il de la parole abandonnée sur le sable… A-t-elle réussi à se déposer, en petits éclats, derrière les fronts…

 

 

Une parole, comme une fenêtre, donne à voir le monde – et dans le monde, les pierres et les visages – et derrière, le plus vaste – l’infini qui se dérobe…

 

 

Ciel, partout, qui déborde – qui dévale et s’insinue là où l’on s’efface…

 

 

Et cette insoumission aux malheurs qui nous éloigne du plus juste. Comme un refus – une insubordination totale à ce qu’est la vie – et à ce que nous offre la moitié du monde…

 

 

Doués d’un vertige que nous ignorons. Comme des animaux blessés – traqués jusque dans leur chair – refusant le silence – la bonté du ciel qui s’offre à la plaie – qui, peu à peu, nous vide de notre sang…

 

 

Un monde où il nous faut composer avec la douleur de vivre – et le mystère de l’être. Un monde sans amitié où l’on révoque – et répudie – les fous, la pauvreté et l’admirable abandon à ce que nous ignorons. Un monde arrogant – et fier de ses conquêtes et de son actualité – qui méprise la mort et l’intelligence. Un monde aux gesticulations pathétiques dont il faut s’éloigner…

L’exil comme unique possibilité, peut-être, pour aimer les visages – chaque visage de ce monde…

 

 

On glisse, on tombe et on se relève – toujours plus léger. Comme si le destin nous façonnait à coup de chutes et de soustractions. Dessinant un chemin – un long chemin de supplices parfois – pour nous initier aux vertus de l’abandon et de l’effacement – à cette humilité docile – authentique – acquiesçante – sans nom ni visage. La seule gloire possible de l’homme, en vérité…

 

 

La lumière, le calme et la solitude. Cet espace plus ample que notre âme qui donne au silence et au jour cette envergure si radicale…

 

 

Quelques cimes encore par-dessus la neige. Dans cette ascension sans fin qui enchaîne les voyages – et les étapes – sous la lumière de ce qui demeure…

 

 

Pas encore si fébriles – soumis aux frémissements du temps et à ces embardées qui ressemblent à d’étranges dérives…

 

 

Nous ignorons le malheur penché sur nous. Comme un œil pris dans les bourrasques et les tourbillons – englué sur les chemins de pierres – au milieu des épaves qui jonchent les paysages du monde – sous la lumière de quelques étoiles qui éclairent (médiocrement) les pas…

 

 

Un nouveau jour – un nouveau printemps – se dessinent sous nos ailes laborieuses. Un visage sur le sable tracé par le chant de la lumière. Quelques pas encore dans la boue. Un éclaircissement de la voix. Le franchissement du seuil où les rêves se rompent pour un espace plus clair…

 

 

Qu’avons-nous (donc) à dire de plus fulgurant que le silence…

 

 

Hors de la mémoire subsiste le rêve d’un franchissement – cet allant qui nous porte vers nous-mêmes. Avec, dans chaque main, une lune aussi ronde que le jour – aussi ronde que le temps – et ces barreaux qui emprisonnent nos têtes – éclairées déjà par cet inépuisable désir de lumière…

 

 

Ici n’est comparable à aucun ailleurs – plus réel que tout autre lieu – toujours embelli par le rêve…

Nous sommes cet instant – et ces visages à portée de regard – à portée de main – qui dansent à la manière des astres autour de leur mort. Nous sommes le sable et la patience des pierres. Nous sommes le vent et le soleil qui griffent – et caressent – la peau. Et ce monde où s’entassent les carcasses. Nous sommes la mort qui suce la chair – et qui léchera les restes de nos os enfouis quelque part sous la terre…

 

 

Entre hier et aujourd’hui, nous avons désappris ce qu’aura inventé le monde pour nous distraire – et nous soumettre à l’obéissance.

Et nous aurons lancé plus d’un poème à la gloire de ce qui ne peut nous échapper. Nous aurons expérimenté l’angoisse, le désir et l’aurore – et cette folle possibilité d’un retour vers ce qui a précédé notre naissance…

 

 

Malgré les dérives de la chair entre la terre et l’horizon des astres, jamais la mort n’évincera cette fièvre d’infini qui dessine, déjà, la courbure du ciel au cœur des prémices du voyage…

 

 

Nous renaîtrons dans les débris du langage – paroles humbles, oubliées des civilisations anciennes, piétinées par les tourments et les égarements du monde. Nous reviendrons comme les visages et la tempête pour défiler le hasard et l’attente (absurde) des vies prochaines – et retrouver le sable, le sang et la terre. Nous deviendrons ce qui s’avance sans frémir – et sans brusquerie – et le moment décisif du passage. La vérité que ne peuvent enfermer – ni avilir – les noms et les désirs. L’aveu d’un possible. La victoire du réel et de l’éternité sur la mort et l’imaginaire…

 

 

Nous ne revendiquons ni la paix ni le recommencement. Ni la vie, ni la mort – ni même l’innocence du renouveau. Et moins encore les idées que nous échafaudons à leur sujet. Nous ne revendiquons ni la connaissance, ni la vérité – mais notre présence – et notre goût pour ce qui demeure au-dedans de ce qui s’efface…

 

 

Sans repère, sans refuge. Dans ce passage permanent du temps qui passe. Entre mille choses – mille êtres – mille visages. Au milieu de tous les gués. Au cœur du regard immobile sur l’incertain qui, en nous, creuse son chemin à travers nos pauvres certitudes…

 

 

Angles, pics, pentes, coteaux et recoins – les multiples visages du même désert. Arbres, pierres, herbes, bêtes et hommes – quelques figures embarrassées devant le même silence – ce mystère à l’œuvre bien avant la naissance du monde…

 

 

Ce que nous révèle le plus seul au milieu des ailleurs rassemblés – parmi tous ces visages éparpillés dont la gloire cessera avec la mort…

 

 

Au seuil de ce vrai nom qu’est l’exil où les errances ne sont plus que joie…

 

 

A chaque souffle recommence la passion – l’élan du verbe qui cherche, à travers ses tirades, son éclosion, son épanouissement et sa fin – jusqu’à l’épitaphe finale – jusqu’à l’effacement – le silence d’avant l’écriture – le silence d’avant le monde…

 

 

Demain sans moi sera la marque du jour – de la liberté née de l’effacement. Le signe que l’élan aura rejoint ce qui l’a précédé – l’origine première du monde, des êtres et des choses…

 

 

Un tremblement accompagne parfois nos lignes. L’indécision du geste et la timidité des mots. Tout autant que l’impudeur de révéler ce qui ne peut être atteint que sans témoin – dans la solitude totale de l’être exilé du monde – à l’écart des yeux dont l’emprise, parfois, peut rester (atrocement) vivace…

 

 

Il ne peut y avoir de croisade contre la bêtise. Le plus bel élan sera toujours celui de l’attente – de l’accueil des grimaces et des simagrées – et du retour à la solitude et au silence. L’exil, en somme. Le retrait nécessaire à la patience au cœur de cette sagesse qui laisse le monde s’extraire, à son rythme, du sommeil, de la prétention et de la faim…

 

 

Laissons nos chants d’adoration se résoudre au silence – et se résorber en acquiescement – en aire d’hospitalité pour accueillir ce qui surgit dans nos vies encore si rêveuses et sauvages…

 

 

L’éphémère n’est jamais le signe du tragique et du hasard. Mais celui de la beauté qui s’offre au plus provisoire. La marque de l’éternel qui nous guide jusqu’à lui à travers nos intervalles…

 

 

L’air, l’eau, le feu et la terre surgissent dans l’espace – et se convertissent en vibration – en souffle. Ils dessinent mille visages pour donner aux yeux l’illusion d’un monde – d’une apparence – pour soulager d’abord notre solitude, puis pour nous y plonger et l’explorer jusqu’à la folie à seule fin de nous transformer en regard – en Amour – en présence pureaffranchie des figures de la diversité…

 

 

A notre suite, la nuit et ses traînées de folies qui nous font nous déhancher pour maintenir une forme d’équilibre au milieu de ce qui tourne sur la neige comme des choses – comme des bêtes sauvages. La fin d’un chemin. Le seuil, peut-être, d’une ère nouvelle où les routes auront la couleur du silence – taché, sans doute encore, d’un peu de sang…

 

 

Notre main s’agite sous la dictée de l’incompréhensible. Elle court, elle court pour dire ce que les hommes apparentent à l’indicible – pour énoncer le moins sauvage du monde et la beauté des âmes abandonnées au cœur des rivages – livrées au froid des sépulcres qui ornent les chemins…

 

 

Nous passons mille jours – et mille nuits – sur terre sans voir ni l’effroi, ni le mystère de ce bref passage. Retenant notre souffle, dès la première heure, pour ne pas crier – et ne pas nous rompre – devant la fureur du monde. Les mots coincés au fond de la gorge laissant tout juste passer assez d’air – un mince filet seulement – pour survivre à l’atrocité de ce qui nous entoure…

 

 

Une route froide – interminable – au milieu de l’hiver. Comme un enfermement au-dehors qui confine l’âme à chercher son feu au-dedans – loin de la cendre et des visages offerts – et comme abandonnés – par le monde…

 

 

Nous nous heurtons à ce que nous avons bâti pour affirmer notre éclat – notre existence. Pourtant, un jour, il nous faudra tout détruire – et anéantir jusqu’au moindre amas – pour effleurer l’espace et la liberté que nous avons emprisonnés dans les tours, si souvent impénétrables, du désir…

 

 

Nous descendons vers un jour que nos lèvres, à force de paroles, ont fini par assécher. Une rosée plus libre – et plus belle – que le poème. Un silence moins fragile – et moins hésitant – que nos lignes. La consécration, en somme, de notre effacement…

 

 

L’espace entre nous – entre les mille choses du monde – en dira toujours davantage que nos vaines dissections et nos inutiles descriptions et analyses des visages et des objets. Le foisonnement et la diversité ne sont que l’apparence d’une unité jusqu’à présent invisible par l’homme. Le monde n’est qu’un corps – et plus exactement, qu’un infime élément d’un corps bien plus vaste – dont nous sommes, de toute évidence, les yeux uniques et éparpillés…

 

 

Un monde, un visage, une terre, une fleur, un arbre, un enfant que l’on rencontre – et que l’on découvre, chaque jour, comme les premiers – et non comme les chaînons d’une suite interminable…

L’espace et le silence au milieu de la solitude et de notre absence – aussi exigeants que leur ampleur. Et les seules conditions pour aimer ce qui vient vers nous…

 

 

Il n’y a d’heures plus belles que celles du plein jour lorsque l’Amour (nous) délivre de ce que l’on a toujours haï, renié, condamné – et que la vie et la mort révèlent la fragilité du plus précieux ; ce regard en amont du feu, des flammes et de la cendre qui livrent le monde et le temps à l’oubli et à la dévastation…

 

 

Pourrait-on seulement nous entendre dans ce silence incandescent – muet à force de coups et de réenchantements affranchis des vertus et des atrocités du monde…

 

 

L’âme, une fenêtre pour demain – ouverte sur l’impensable – l’impérissable. La clarté qui demeure au milieu du sommeil. La seule espérance, en vérité, pour échapper à la nuit de l’homme…

 

 

Prisonniers d’un monde dont les barreaux séduisent et rassurent. Comme du grain offert à la lutte et à l’apitoiement. Captifs d’un sommeil qui donne à la solitude un air de fête et de partage – et à nos ongles le courage nécessaire pour griffer les murs et fouiller la poussière de notre cellule…

 

 

Solitaire parmi la foule – et les souvenirs en pagaille qui rivalisent pour nous donner le sentiment d’avoir vécu une existence digne et appréciable entourée d’âmes aimables et charmantes…

 

 

Le cœur en silence – chargé de trop de poids – de trop d’idées et de trop d’images – pour accepter le vide qui l’étreint et le compose. Mains et âme portant le fardeau commun de l’homme sans oser rompre la malédiction du temps et de la mémoire…

 

 

Une main donne ; l’autre reçoit. Et une âme s’approche des visages qui marchent seuls – ou par deux parfois – ou en groupe, le plus souvent, pour donner du courage à leur solitude ou la tromper par des rires et des connivences fragiles et éphémères – sans même une main – sans même une âme – à laquelle offrir son trésor. Pleurant parfois entre deux élans, le front appuyé contre la vitre qui la sépare du monde…

 

 

Un bruit, une voix, une ardeur où glisse parfois la parole. Et le besoin d’un écho – même lointain – même étranger à notre langue – pour donner à nos lignes – anonymes – une raison d’être et de se faire entendre. A la recherche, peut-être, d’un visage derrière le silence…

 

 

Un monde, un jour, des lèvres. Et cette parole encore franchissant tous les abîmes – et tous les déserts – pour atteindre (et révéler) ce qui demeure au cœur de l’éphémère…

 

 

Quelque chose flotte au-dessus de la vérité. Un sourire – un secret peut-être – qui étonnerait bien des yeux penchés sur leurs livres...

 

 

Dieu lui-même, accroupi au milieu des jeux et des joueurs – agenouillé avec ceux dont les mains se sont jointes en prière – accolé à tous les visages que l’on frappe – retenant discrètement, sans doute, les mains sans pitié qui se jettent dans la bataille. Dieu partout – et plus qu’ailleurs peut-être, dans le silence de ceux qui regardent – conscients de leur impuissance à intervenir – laissant les farces et les farceurs à leurs joutes et à leurs ambitions…

 

 

Tout s’ouvre – et se livre – au feu permanent de la déperdition. Mains, langage, visages, prières. Ce qui s’étreint comme ce qui s’arrache. Ce qui s’avance comme ce qui s’efface. Ce qui passe toujours au milieu du silence

 

 

Nous implorons d’une main le pardon que l’autre piétine. Nous prions l’impossible – la cessation de cette lutte acharnée entre les forces du monde – et des âmes – en équilibre au milieu de ce qui les porte et de ce qui les foudroie…

Il faudrait nous arracher à cette terre qui se perpétue de ses massacres – où ce qui est donné est (presque) aussitôt repris – où tout se prolonge à travers ses crimes – et où les crimes ne sont que les possibilités du renouvellement de ce qui a été blessé – et qui ne peut durer dans la proximité de la violence…

Il faudrait devenir plus grands que les instincts – et plus forts que la peur qui nous incite à continuer – à répandre le pire dans la croyance de pouvoir y échapper. Il faudrait plonger au cœur du feu – et se laisser brûler par les flammes – pour devenir l’eau – et la chair – réparatrices – acquiesçantes – libres des jeux et des atrocités…

 

 

Il n’existe aucune appartenance totale sinon à l’être – à la conscience et à l’énergie entremêlées – unies – à travers la multiplicité de ses visages…

 

 

Comme un cri violent contre la peur. Comme une braise – un soleil – sur la peau que l’on assassine. Et, pourtant, on se tient debout – écorché vif peut-être – mais paré à toutes les sournoiseries – au plus près d’une mort qui nous ressemble…

 

 

Et ces os mal enterrés qui se disputent notre mémoire. Comme la promesse d’une identité qu’ils voudraient éternelle – et qui, pourtant, s’effacera avec l’amoncellement d’autres os, plus neufs, sur les anciens…

 

 

Un théâtre où la parole parodie le silence – où les danses ne sont que l’imitation d’une vie promise à la mort – où les personnages jouent les âmes candides – et où les masques nous font perdre la raison – et que l’on pourrait franchir d’un seul bras levé vers le ciel – au-dessus d’un mondé voué qu’à son propre mirage – qu’à sa propre légende…

 

 

Tout arrive – et s’efface sous la neige. Le silence d’un autre monde – inconnu – incompréhensible – par les hommes. Comme le ventre d’un ogre aussi vaste que le ciel et l’océan réunis. Et nous voilà happés par cette bouche à la langue plus puissante que les vagues. Et nous voilà, bientôt, hachés menu – et digérés – inexistants au milieu du sang et des larmes que l’on entend couler le long des parois…

 

 

Partis encore vers un autre âge – une autre légende – animés par cette foi d’arriver, un jour, quelque part – en des lieux moins tristes et moins noirs...

 

 

Une silhouette se dessine derrière la grâce. La main du vent, peut-être, qui fait défiler les visages pour les rassembler en une seule figure – en une seule voix – celle du silence qui pénètre déjà nos âmes si dociles et sauvages…

 

 

Mains levées contre l’imposture pour ressusciter l’épaisseur oubliée – massacrée – par nos frondes et nos conquêtes. Un pas seulement vers ce que nul ne peut étreindre ni oublier. Le juste endroit où nul jamais ne laissera la moindre trace…

 

 

Un souvenir – la volupté d’un songe – qui porterait l’avenir entre nos mains – et l’effacement au milieu du monde. Comme la seule échappée possible…

 

 

Une parole – quelques paroles – pour soi. Pour ne pas oublier le silence…

 

 

L’ivresse de notre pauvre mémoire tournée vers ce qu’elle ne peut réédifier – les miasmes des souvenirs qui nous font comme un bouclier contre ce qui s’approche – et réclame son dû : notre entière attention à ce qui existe aujourd’hui – à cet instant même…

 

 

Parcours sur des chemins encore trop pentus pour deviner l’horizon promis. Et ces pas dans le juste sillage du silence, porteurs à la fois de tout ce qui nous a précédés – de nos mille voyages antérieurs – et de tout ce qui est nécessaire pour s’affranchir du périple. Ce qui est là présent, simplement, au milieu de notre foulée et des visages à nos côtés – sur ces pierres qui ont déjà vu le monde mille fois tourner et se perdre…

 

 

Boire d’un seul trait à cette source du partage – et offrir aux rivières le déni de la boue et des caniveaux qui nous auront vu nous approcher de l’espace – et jeter nos rêves pour un réel – un monde – plus simple que nos choix – ces demi-mesures toujours vouées à la controverse…

 

 

Nous franchirons les frontières qui nous séparent du sol – du monde – et de cette porte au milieu de nulle part qui débouche sur cet intervalle hors du temps – où le jour embrasse la nuit (et lui pardonne) – où les visages perdent leur effroi pour la couleur de l’innocence – et où le cœur, enfin uni, devient plus grand que toutes les fresques du monde qui dépeignent un Dieu au visage si inaccessible et intransigeant…

 

 

Le poète penché sur ses pages, au milieu de l’automne, se moque du froid, des jours et de la solitude. Quelque chose avec lui s’est penché sur son souffle – sur sa main – pour trouer le ciel des hommes, inventé par la peur et le mensonge. Il dit tout – affirme l’essentiel – et décourage la mort d’arriver trop prématurément et la cendre de recouvrir tout ce que nous avons essayé pour être des hommes. Il sait qu’il ira seul vers ce que le monde ignore – et récuse de (presque) toutes ses forces. Il s’avance, au-delà des égarements de l’âme et du langage, vers le silence et l’effacement – la seule issue possible pour que sa parole devienne éternelle – et puisse (enfin) être comprise…

Un chant au milieu de l’incertitude – celui de l’évidence d’être – et de vivre au milieu du monde et des visages…

 

*

 

Une nuit sans visage. Puis, soudain, le surgissement d’une lumière qui réveille l’âme assoupie et tremblante…

 

 

Une pierre, un bout de terre. Et l’âme déjà plongée au cœur de l’infini. Voilà ce qui nous est offert pour le voyage avant que les visages ne viennent tout ternir et abîmer…

 

 

Un ciel, une ombre et la magie de la lumière qui sait si bien manœuvrer au milieu du noir – au milieu de la nuit…

 

 

Le jour, parfois, nous enchante. Et notre boiterie prend alors des allures d’envol…

 

 

Le chemin se dessine au milieu de tout. Monde ou désert – qu’importent les lieux pourvu que l’âme abandonne son poids et ses rêves…

Nulle part sera, bientôt, rejoint – aussi sûrement que le silence…

 

*

  

Le plus pur de l’âme est le silence – toujours sans patrie – et sans ascendance...

Et nous pouvons le rencontrer lorsque nous devenons le lieu de la prière – affranchi(e) du rêve et du désir. Notre esprit, notre existence et nos mains se transforment alors en aire d’accueil – et se mettent au service du plus sacré et de ce qui se présente devant nous…

 

 

Sois heureux avant que n’arrive la mort – et que l’avenir ne contamine ton sang. Sois heureux des jours – du quotidien – des visages – offerts – livrés à tes mains. Sois heureux de cette nuit où hurlent (encore) les chiens affamés. Ne te méprends pas sur les briques brunâtres empilées par les hommes. Ne te méprends pas sur les fleurs qui poussent le long des rivières. Ne te méprends pas sur le soleil entrevu par la fenêtre de la chambre. Ne te méprends pas sur la manière dont le monde occupe les existences. Sois le premier à la suite de ceux qui t’ont devancé sur le chemin. Sois le premier qui osera être véritablement vivant. Sois celui par qui seront annoncées la lumière et la tendresse. Et qui que tu sois – et où que tu ailles – n’oublie jamais l’infini qui te porte – et de vivre pleinement avant de mourir…

 

 

L’autre côté du monde – l’autre côté des choses – révèle le regard affranchi des griffes du désir et du devenir – soulevé par le silence et l’infini – porteur toujours de la plus grande innocence…

 

 

L’aube encore – souriant devant notre mutisme – devant ce silence qui en dit long sur la nuit, le froid et la pluie que nous avons dû traverser – et sur notre patience à guetter les premières lueurs du jour…

 

 

Une terre, un ciel, une tombe. Quelques sourires, quelques mains tendues, quelques poings levés – vite passés – et si lentement oubliés. Puis, quelques cierges pour accompagner notre dernier souffle – scellant la fin d’une traversée – et la poursuite, bien sûr, du voyage…

 

 

Cette parole (la nôtre) est le signe d’une folie à peine décelable qui se jette entre les tempes pour dire l’absurdité de l’espoir et du mensonge – et détrôner le hasard juché sur les pistes où le langage s’est dévoyé – et a corrompu sa mission d’innocence et de découverte pour devenir l’outil – l’instrument affûté – au service du rêve et de la bien-pensance…

 

 

La mainmise des siècles sur la terre – livré(e)s à mille équations insolubles. Tournant – et faisant tourner les têtes – au milieu d’un suicide programmé. Faces noires – rongées par leur incapacité à se résoudre – et à retrouver la pureté et l’innocence d’avant la naissance du monde et des hommes…

Quelque chose comme une reddition serait, sans doute, nécessaire. Une allégeance à ce qui tremble – à cette sensibilité en amont de l’esprit qui soupèse le pour et le contre et qui finit par détruire tout ce qui l’indiffère – et tout ce qu’il ne peut comprendre…

 

 

On écrit sous l’autorité – et la responsabilité – d’un ciel qui, peut-être, nous fait défaut. On écrit pour rompre l’indifférence et convertir la peur en silence acquiesçant. On écrit pour ceux qui tremblent dans l’arène et ceux qui désespèrent de leur destin. On écrit pour que se redresse ce qui nous sépare de la joie – et l’exposer, bien en évidence, à ceux qui douteraient encore de leurs entraves. On écrit pour rompre et traverser les frontières – et pour ceux dont l’âme est encore prisonnière. On écrit pour tous ceux qui rêvent d’une allégresse et d’une intelligence perdues – fourbues à force de guerres et de malheurs. On écrit à la limite du possible – à la limite de l’exprimable – pour que l’invisible soit vu – et célébré comme la seule loi. On écrit pour affirmer la présence de l’impossible au milieu du monde – et au cœur de chacun. On écrit pour que nous osions enfin être des hommes.

On écrit... et demain, sans doute, écrira-t-on encore…

 

 

L’Amour redonne à la vie et à la mort ce que nous leur avons emprunté. Il rehausse ce que nous avons piétiné – et oublié sous trop de désirs. Il fouille nos yeux à la recherche d’un espace vacant pour y déposer le baiser nécessaire à l’abandon – et scrute notre innocence pour réhabiliter l’écoulement naturel de sa source. Il œuvre ainsi avec patience, tout au long de notre vie, avec l’ardeur des naïfs et l’indulgence des sages – à seule fin de nous hisser jusqu’à ses hauteurs – et de nous voir briller – et rayonner – avec la même ampleur que l’élan qui a su traverser nos origines…

 

 

Ce qui s’ouvre demeure au-delà de la mort. Ainsi continuons-nous, de vie en vie, à rejoindre ce que nous sommes…

 

20 avril 2018

Carnet n°144 Obstination(s)

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence

Un univers encerclé par le silence. Des mains ouvertes, des battements de paupières. Et des gestes comme le premier rayon de lumière sur ce qui s’obstine dans sa nuit. Le recoin d’un exil pour vivre – et écrire des lignes – des livres – l’âme adossée au ciel en surplomb de l’ivresse encensée par les hommes. Visage – et voyage – libres – tendus vers un seul désir ; livrer les secrets d’une aube moins insaisissable que ne l’imagine le monde…

Un ciel, un livre, un poème – et le même point d’entrée dans le silence pour que durent les danses – et que soit percé le mystère de cette étrange origine. Mains, ventre et bouche amarrés à ce qui préserve notre nuit – jetés, soudain, dans le regard – droit – éclatant au milieu de l’écume – dans ces rêves aussi inconsistants que le monde…

Murmures, néant, soleil attablés ensemble sous les yeux des hommes à l’âme si exaltée et silencieuse – revenus des terres dont on ne revient jamais indemne…

 

 

Journal d’un monde où se retirerait, peu à peu, le rêve – où le réel occuperait l’essentiel de l’homme – où le jour – et les yeux ouverts – se substitueraient progressivement au sommeil et à la nuit. Le désir d’une autre terre – moins folle que ces rives massacrées par la fureur et l’ignorance…

 

 

Une vie, un chant, un monde éparpillés dans des yeux moins sombres qu’autrefois. Et quelques lignes d’un poème pour soigner le plus incurable de l’homme

 

 

Et nous sanglotons, à présent, dans un feu que nos mains ont allumé pour vaincre l’enfer où nous avons cru être jetés…

 

 

Un destin pour un autre – brusquement étouffé par ce que nous avons fui. Comme le juste retour d’une nuit inachevée – et, peut-être, inachevable…

 

 

Dans tous ces mondes – et ce jour oublié – une main, parfois, se pose sur nos lèvres pour inviter le silence à renaître entre nos lignes. Comme le point d’appui nécessaire à la parole qui célèbre – et se consacre au plus sacré…

 

 

Une terre, mille danses et un pas – le seul possible, en vérité – le seul nécessaire pour s’extraire du crépuscule où sont plongés les rondes et les visages…

 

 

Dire le monde et le soleil est – et sera toujours – insuffisant. Il faut y plonger l’âme et le pas – et se brûler à leur ardeur – pour donner quelque valeur – et une certitude – au ciel évoqué sur nos pages…

 

 

La neige comme le récit – et le motif récurrent – de la lumière sur cette terre où l’on étouffe – et où l’on meurt – dans la sueur, le noir et le sang…

 

 

Une lumière encore – et plus d’un silence – sur le visage de nos congénères au cœur perdu – et à l’âme égarée – qui s’impatientent dans les flammes d’un Dieu inventé par simple dépit

 

 

Nous sommes le fil de ce qui nous a égarés. Et cette encre au milieu du sang. Et ce rire parmi les larmes – toutes ces larmes qui coulent sur les visages. Nous sommes le sol, le seuil et le soleil de l’impossible – et par extension (ou, soustraction, le plus souvent) ceux de tous les possibles. Et ce geste vif et innocent dans la nuit – sur cette couleur et cette frontière qui nous séparent du silence et de la neige – d’un monde plus vivable…

 

 

Il y a, entre l’enfance et la présence, mille chemins – et autant de chiens de garde qui veillent sur le troupeau des malheurs – et davantage encore autour de la silhouette du monde qui s’affole devant l’étrangeté du silence…

 

 

L’incarnation étrangère à son mystère – à son origine – devient au fil des jours – au fil du temps – toujours plus douloureuse – aux frontières d’un absurde inévitable – qui cherche, dans sa foulée, son extinction ou son arrachement – impossible, bien sûr, sans le défrichement de ce qui entoure – et emprisonne – l’innocence de l’âme…

 

 

Dieu, jamais, ne s’invite sans raison. Présent toujours, partout, au milieu des êtres, des choses et du monde mais ne se dévoilant qu’au plus près de son franchissement – lorsque le silence devient le lieu de la prière – et que le langage transforme ses plaintes en émerveillement…

Le voyage – et le récit – possibles de tout homme, en vérité…

 

 

Un chant monte des étoiles à travers notre silence. Il cherche un passage au cœur de notre effacement pour que le soleil révoque – et répare – nos amputations – et nous familiarise avec un réel moins défaillant que les rêves...

Nous sommes – et serons toujours – le remède à toutes les croyances. Le désir, la promesse et l’évidence d’un autre monde sous l’apparence – d’un réel plus vrai – et plus vivant – que notre sommeil – cette léthargie aux faux élans prophétiques…

 

 

Un extrait de démesure pour vivre l’unicité de chaque instant. L’être, sans doute, affranchi de la mort et du temps…

 

 

On vit parmi les hommes comme on leur tend la main – à la dérobée – pour éviter les visages discourtois, les conversations insipides et le prosaïsme coutumier. On vit avec cette promesse faite au silence de le célébrer quoi qu’il arrive. Assis au cœur d’une solitude que rien ne peut entamer…

 

 

Nous ne livrerons aucune bataille pour le silence. Nous nous déferons simplement toujours davantage pour lui céder le pas…

 

 

Exilé d’un monde qui n’a rien à dire sinon parler de la variabilité du climat, des circonstances et des humeurs. Ce que les hommes prennent, sans doute, pour le plus réel – et qui n’est pourtant qu’un rêve accessoire – qu’une manière de traverser l’existence en s’imaginant semblables aux autres…

 

 

Nous évoluons dans un trou qui a l’apparence d’une vie – l’apparence d’un monde – et qui n’est, sans doute, qu’un coin des abîmes où nous ont plongés le rêve et la certitude d’exister. Plus haut, il y a un jour – et cette lumière au-dedans de nous – qui creusent leur passage dans notre désir de les retrouver…

 

 

Mots arrachés au néant – jetés au monde – et qui tombent dans un autre néant – plus douloureux que celui des origines…

 

 

Un peu d’éclat dans l’aveuglement, voilà ce que cherchent les hommes. Jamais la lumière qui bannirait toute cécité…

 

 

On se dresse contre un monde – et des visages – brutaux et taciturnes – indifférents à ce qui les entoure et les effleure – anxieux seulement à l’idée de devenir et de mourir – soucieux seulement d’agrémenter leur furtif passage par quelques plaisirs pour oublier leur misère et leur finitude…

 

 

Nous marchions autrefois sur des traces incertaines. Nous sautions par-dessus des pierres vieilles comme la terre – cherchant un lieu étranger au monde – inconnu des hommes – pour échapper aux rêves et satisfaire notre faim de vertige. Nous étions jeunes – au milieu de notre âge – au milieu de notre siècle – persuadés que l’improbable surgirait au détour d’un chemin – sur un visage – dans la rencontre d’un visage aux traits simples et gracieux – épargné par les épreuves et le temps – aussi léger que l’air. Et, pour le trouver, nous avons tourné – et tourné encore – fouillé – et fouillé encore – dans tous les recoins du monde – trop occupés à notre tâche pour voir, dans notre ivresse, le silence s’approcher et le sable dessiner la figure recherchée – trop plongés que nous étions dans notre si risible (et pathétique) quête…

Et nous rions, aujourd’hui, de ce long périple qui dura jusqu’au soir de l’automne – sereins, à présent, au milieu de nous-mêmes – sur ce sable où continuent de tourner et de fouiller les visages…

 

 

Une traversée longue – souvent interminable. Et cette rive à la distance infime – si proche lorsque l’innocence devient notre unique désir – notre seule ambition…

 

 

Une voix encore belliqueuse – prête à armer la main pour détruire toutes les ombres rebelles. Et, pourtant, en amont – à la source de tout surgissement – existe un seuil où tout est anéanti – et renversé. Un espace où le jour et la nuit se tiennent dans la même main – réunis – où le monde et le silence ne sont qu’un seul état – et où l’ombre n’est que le prolongement (provisoire) de la lumière…

 

 

Un nid de paille – amoureusement posé au milieu des pierres. Un coin de verdure et de ciel bleu. Un désir de progéniture et l’ambition d’un avenir plus confortable. Voilà le rêve de tout homme martelé depuis le début du monde. Comme le signe de l’infranchissabilité des limites animales. La poursuite d’un sommeil pour rendre l’espoir – et le songe – interminables…

Et, pourtant, une lumière plus belle que nos attentes gît au fond de notre mémoire…

 

 

Des signes sur la page – comme la marque d’un manque que les mots ne peuvent satisfaire – mais qui se laisseront peu à peu convaincre de leur beauté et de leur nécessité face au silence et à la folle indifférence du monde. L’œuvre d’un homme encore prisonnier des ronces – encore déchiré par son rêve, un peu fou, de lumière…

 

 

Quelques poussières encore dans le jour – inévitables comme l’ambition d’une autre vie – d’un autre monde – face à l’indifférence des hommes…

 

 

Nous sommes multiples – et la racine commune de ces formes insensées. Nous sommes le miroir et ses reflets – tous ses reflets. Et cette solitude qui se tient en amont de l’angoisse et de la diversité. Et le prolongement (timoré) d’un soleil encore trop timide pour naître au fond du sommeil – dans cette chair – et sur ces visages – si atrocement partagés – encore trop rebelles et querelleurs pour se réunir…

 

 

Au quotidien, l’homme sage est attentif autant à ce qui passe qu’à ce qui demeure. Il prend soin de ce qui s’effacera demain comme de ce qui durera toujours. Il sait vivre dans cette double perspective – être présent, à chaque instant, au cœur du monde et du silence…

 

 

Et ce blanc vertigineux sur la page qui invite au silence – bien davantage que sa célébration par quelques mots inutiles. Et, pourtant, persiste ce souffle qui tente, à travers la noirceur de l’encre, de révéler le plus transparent – l’inexprimable…

 

 

Devenir plus léger que le monde – et plus apte que lui à s’affranchir de la pesanteur par le fil de la poésie et du silence qu’il nous faut déployer jusque dans nos outrances…

 

 

Nos déchirures ne sont que les signes de notre fragmentation – et des mille luttes pour se tenir monolithiques, bancals et incomplets auprès de nous-mêmes…

 

 

Nous sommes l’illimité qui pardonne – qui encourage et transcende notre fin – les limites infranchissables de l’homme…

 

 

Il faut bien un œil – un regard – pour témoigner de l’indicible…

 

 

Toujours un peu plus loin – un peu plus haut – cette glace à briser – pour rompre la monotonie des jours – et la poursuite effrénée – effarée – incompréhensible – de quelques ombres…

 

 

Nous nous recomposerons du même froid que l’hiver – les yeux, peut-être, un peu moins ouverts que ceux de la neige tombée par mégarde sur nos pas sacrilèges

 

 

Seul face à l’océan qui a converti le vent en fuite du monde. Seul au milieu des vagues contre lesquelles se sont heurtés tant de désirs – aujourd’hui épaves échouées – abandonnées au fond de ce qu’ils n’ont su surmonter…

 

 

Nous quitterons sans une larme ce à quoi nous nous serons éreintés pour ce bleu au fond du jour qui offrira à notre solitude un souffle plus ardent – et un peu de courage à notre fatigue…

 

 

Le ciel toujours se précise dans les failles de la terre – moins vague – et plus prometteur – que celui que nous cherchions la tête plongée dans quelque rêve…

 

 

Nulle objurgation – et nulle menace – proférées. Une simple parole née du retrait – de cet exil du monde nécessaire pour trouver la force de l’aimer…

 

 

Questions aveuglantes toujours qui jamais ne révèlent l’origine de la curiosité chez celui qui s’interroge – et l’espace en lui qui se moque de toutes les réponses…

 

 

Pourquoi l’aube et la parole… Et pourquoi la faim emporte-t-elle la destination et la hauteur de notre langage…. Serions-nous donc ces yeux braqués sur l’impossible…

 

 

Nous proférons qu’un centre existe au-delà du possible – en deçà de ceux qui crient – et répandent leurs prières sur le front d’un Dieu inventé de toutes pièces…

 

 

Murs, partout. Au-dehors comme au-dedans. Longs, hauts, borgnes – infranchissables sûrement – contre lesquels s’impatientent toutes les foules aveugles…

 

 

Nous oublions ce qui dure pour quelques rêves enchanteurs. Nous vivons dans le déni du possible – et l’ingratitude des bourreaux pour les survivants…

 

 

Une parole passe – traverse la nuit et le sommeil des hommes. Et rebondit sur le néant pour nous revenir comme si la prononcer suffisait à réenchanter le regard posé sur le monde…

 

 

Et ces gestes – et ces pas – semblables à ceux qui anéantissent la terre, quel Dieu pourrait nous aider à nous en soustraire… Les aurions-nous lancés sans le consentement du silence… Comment une main – et une âme – portées par un tel élan ont-elles pu corrompre le grand Amour qu’elles ont effleuré – et qui les a accueillies pour couronner leur persévérance…

 

 

Aujourd’hui, le monde est désert. Bien davantage qu’autrefois. Ne règne plus qu’une solitude aux airs de couronnement…

Désert habité – comblé par le regard qui se pose partout – et se mêle au désordre des choses. Espace collé au froid, au sommeil et à l’ignorance – à tous ces élans maladroits qui se cognent aux âmes et aux visages terrassés par la peur, la faim et la mort…

 

 

Nous portons un livre – mille livres – une parole – dont l’incandescence contrarie le sommeil et l’ignorance – et la peur instinctive des visages à l’égard des vents qui flottent au milieu du monde – et qui s’engouffrent partout en déchirant les bannières et les certitudes…

 

 

Les mêmes vents et la même faux s’abattront sur le sage et l’ignorant. Mais dans le cœur de l’un, la joie sera ravivée alors que dans celui de l’autre, tout sera dévasté. Tous les deux continueront, bien sûr, le même voyage – le premier en effaçant (simplement) les pas du second pour que celui-ci puisse le rejoindre…

 

 

Dans l’attente effrayée d’une fin inévitable. Comme la seule condition nécessaire au franchissement du sommeil dont si peu d’hommes savent s’extirper…

 

 

Un incident – un rien – parfois nous bouscule – et ravive cette pesanteur d’autrefois que nous avions (presque) oubliée. Cette difficulté à être au monde et à vivre le plus quotidien. C’est là encore qui se traîne dans nos profondeurs – comme la maladie de l’homme – cette vénéneuse monotonie des jours qui, en nous, pèse de tout son poids – et qu’il faut traîner comme une lourde chaîne qui ôte toute grâce – toute légèreté – à nos vies – à nos âmes – à notre foulée…

 

 

Un peu d’air seulement nous maintient parfois en équilibre sur le fil fragile – tendu entre nos (mille) énigmes…

 

 

Un chemin à la démesure de l’âme – caché au fond du silence – déserté(s) par les hommes – et, pourtant, ouvert(s) à tous – ouvert(s) à chacun…

 

 

L’existence et le monde toujours s’enlisent dans nos conjectures – dans ce souci de devenir et d’être identique à soi – à cette idée que nous nous faisons de nous-mêmes. Barrage où flottent, avec quelques débris du passé, le souvenir et le désir de tout maintenir en ordre – et cet œil inquiet qui façonne cette mainmise (si risible) sur le prodigieux filet d’imprévus et d’incertitude qui s’écoule le long de nos vies…

 

 

Fissures d’un temps rêvé (seulement) où les histoires – toutes les histoires – migrent. Et dans lesquelles elles se déversent pour s’imaginer plus précieuses – et plus durables – que la rosée…

 

 

Nous tendons les mains vers des ailes qui se refusent – trop peu tentées par l’aventure que nous leur proposons. Trop différentes, sans doute, pour y consentir – nées dans un monde où l’inquiétude et le temps – le souci de la chair et la peur de la mort – ont été révoqués – balayés comme de vieux souvenirs – de vieilles nécessités inutiles…

 

 

La nuit sombre – noire jusque dans nos rêves de jour – s’évertue à nous prémunir contre toute attente – contre tout espoir de réponse à nos appels tremblants – à ces prières qui ressemblent davantage à un cri désespéré (pour sortir des ténèbres) qu’à un véritable désir de lumière…

 

 

On ne vit que dans l’idée de la vie. Et on ne s’imagine mourir que dans l’idée de la mort. Mais la vie et la mort sont tout autres – différentes de l’idée que nous nous en faisons – plus profondément scellées à ce que nous croyons être qu’à ce que nous sommes…

 

 

Quelque chose en nous bouge – et dégringole – alors que nous essayons de nous installer, à notre aise, dans la certitude. Et cette compagnie nous inquiète, nous qui tentons, sans cesse, de nous rehausser – et de (re)trouver l’appui nécessaire à notre tranquillité. Et, pourtant, malgré nos tentatives et notre acharnement, nous savons (quelque chose en nous sait) que nous serons, tôt ou tard, emportés dans sa chute…

 

 

Le temps est au bord de nous-mêmes. Toujours. Et, pourtant, nous l’imaginons soudé à nos profondeurs – vissé au fond de notre âme. Mais hier n’est pas un jour – et moins encore une certitude. Et demain, pas davantage. Et d’aujourd’hui, nous ne savons rien…

Le monde est au bord de nous-mêmes. Toujours. Et, pourtant, nous l’imaginons plus réel que nos rêves. Présent à chaque instant. Avant notre naissance et après notre mort. Et, pourtant, nous ne sommes pas certains de l’existence des pierres et des visages. Et nous doutons parfois même de leur consistance. Et de notre propre figure, nous ne savons rien…

 

 

L’être s’éternise au fond de nous-mêmes. Et nous n’avons d’yeux que pour sa périphérie – et parfois seulement pour le reflet des jeux qu’il invente pour se distraire et nous perdre davantage…

 

 

Nous ne sommes, bien souvent, que le reflet de la lumière qui cherche son visage parmi la multitude alors qu’il suffirait de tourner la tête – et de renverser les yeux – pour voir le miroir – et la source de clarté – au fond de notre regard…

 

 

Quelque chose nous étreint derrière la souffrance – cette souffrance perpétuelle – ce sentiment lancinant d’incomplétude. Ce qui manque, peut-être, aux jours – ce qui manque, peut-être, au monde – ce qui manque, peut-être, à chacun pour que l’on puisse se retrouver et aimer l’ensemble des fragments – et leur quête si douloureuse…

 

 

S’affranchir à jamais du pays où l’on dort… Avec ce pressentiment d’une brûlure sur la chair – d’une blessure à même le rêve – pour dissoudre dans nos veines ce sang qui dure – et ce sommeil où le monde pénètre sans même un soupçon de droiture…

 

 

Un univers encerclé par le silence. Des mains ouvertes, des battements de paupières. Et des gestes comme le premier rayon de lumière sur ce qui s’obstine dans sa nuit. Le recoin d’un exil pour vivre – et écrire des lignes – des livres – l’âme adossée au ciel en surplomb de l’ivresse encensée par les hommes. Visage – et voyage – libres – tendus vers un seul désir ; livrer les secrets d’une aube moins insaisissable que ne l’imagine le monde…

 

 

Un ciel, un livre, un poème – et le même point d’entrée dans le silence pour que durent les danses – et que soit percé le mystère de cette étrange origine. Mains, ventre et bouche amarrés à ce qui préserve notre nuit – jetés, soudain, dans le regard – droit – éclatant au milieu de l’écume – dans ces rêves aussi inconsistants que le monde…

 

 

Murmures, néant, soleil attablés ensemble sous les yeux des hommes à l’âme si exaltée et silencieuse – revenus des terres dont on ne revient jamais indemne…

 

 

Sans un mot – sans un cri – dans une présence qui s’affirme entre les yeux qui se balancent au milieu du monde – entre espoir et soupir – la colère retenue comme un péril – comme la face obscure d’une force (presque) indomptable…

 

 

Nous marchons sous une voûte – la tête enturbannée du rêve un peu mièvre – obsolète* – de nous voir atteindre les sommets – et, de là, étendre notre territoire pour asseoir notre pouvoir maléfique – et dévastateur – sur ce que le monde nous a offert avec tant d’ingénuité…

* d’une époque révolue…

 

 

Le chant à peine perceptible du silence – à travers le vent et les bruits, si hasardeux, du monde – s’élevant vers le ciel et ce qu’il reste d’innocence dans le cœur de l’homme…

 

 

Un cri – une angoisse – face à l’invisible. Et cette volonté de grandir pour remplir ce vide immense dont la persistance nous effraye – et nous condamne à en découvrir le règne et l’usage…

 

 

Il y a cette douleur au fond de l’âme – tapie à l’ombre des jours – qui donne à nos élans l’envergure des fous.

Il y a aussi dans notre langue des fenêtres sur le jour – quelques mouchoirs – et quelques chiffons – pour essuyer les larmes et le sang qui coulent sur les joues – et dans les veines – partout où le monde s’obstine à défaire ce que nous célébrons…

Et il y a ce mystère – et ce silence – enfouis en nous-mêmes que nous recouvrons de choses et de pertes…

 

 

Tête dans les mains – dans la pénombre – agenouillés devant ce qui s’use sans voir ni la source – ni les graines – à l’œuvre partout, du renouvellement…

 

 

Nous aimons, dans la finitude de nos visages, ce que la mort ne fait qu’emporter – mue par la juste reconquête de ce que nous lui avons si follement emprunté…

 

 

L’infini existe – autant que l’éternité. Et nous le savons lorsque s’approche la mort – et que recommence ce que nous avons fréquenté et utilisé sans conscience…

 

 

Nous œuvrons à une naissance incertaine dans un pays inconnu – sans nom – sans peuple ni territoire – invisible – et, pourtant, si présent déjà au milieu du monde…

 

 

La vie entière est poésie – derrière les gestes et la main si fâcheuse des hommes – derrière le cri des bêtes, l’ignorance et les fronts braqués qui dessinent leurs ambitions en livrant le monde à d’atroces supplices – derrière la misère et la faim – derrière les guerres et les querelles sans cesse renaissantes – interminables…

La vie entière est poésie pour celui qui sait voir au-delà de la mort et des apparences…

La vie n’est même que cela – cette permanente tentative de la vivre entière en éveillant le poète qui, en nous, veille dans l’ombre – et sans malice. La vie n’a d’autre ambition (pour nous) ; la découvrir, l’habiter et la célébrer pleinement depuis le regard le plus innocent – affranchi de ce à quoi nous nous obstinons pour le rendre impénétrable…

 

 

Etreint par une langue à la couleur de l’or qui convertit la maladresse en feu – et tous les désirs en silence…

 

 

Une nuit, placée haut dans les supplices, se glisse, comme la mort – et nous renverse pour déterrer l’avenir creusé sous nos paupières fermées – cousues par les rêves et les promesses d’un soleil improbable – vanté par un Dieu – inventé pour survivre aux malheurs. Une grâce, en somme, au milieu des larmes et de l’espoir…

 

 

La main de l’homme comme un soleil noir arrachant au ventre du monde quelques entrailles pour de grandioses (et provisoires) festins. Inapte encore à transformer l’âme et la faim pour bâtir une terre plus vivable…

 

 

La mort, le sang et le soleil. Et quelques âmes mues par l’urgence du changement – déchargées de la vie à hauteur d’homme qui donne aux élans ce goût si âcre de la peur…

 

 

Le rêve emmêlé aux chevelures trace sa route sous l’injonction d’un peuple dénué de perspective et de remords. Le temps est (donc) venu de s’écarter du tapage et des jeux englués dans le temps. Il est (enfin) l’heure de n’être personne – de se laisser mourir sans peur de devenir ce que nous sommes – de s’exclure des drames qui, sans cesse, font renaître le monde…

 

 

Un passage entre la pluie et la rivière – entre la goutte et l’océan – à cet instant où le temps s’ignore...

 

 

Aller sur cette échelle où tout se consume – aller au-delà de la crainte – et au-delà de l’aube – vers ce soir où l’enfance se renouvelle – loin des foules et des troupeaux qui végètent – et se multiplient – sans autre raison que celle de leur fragilité et de leur ignorance – voués à cet instinct si tenace de la perpétuation. S’écarter pour mieux voir – mieux vivre – et mieux être – par-delà ce qui s’étire – ce qui continue de s’étirer – en nous dans l’ombre et les tourments face à un soleil indéchiffrable et incompréhensible…

 

 

Une plainte toujours – un mal de vivre peut-être – là où le souvenir nous ramène à la vie de l’homme – si banale – si ordinaire – au milieu des supplices et des promesses – loin du regard soumis à aucune autre exigence que celle de foudroyer l’espace, le temps et les visages – et cette incorrigible obstination à n’exister qu’à travers le rêve, la mémoire et la mort…

 

 

Tout (re)commence avec nous. Et ne s’éteindra jamais…

 

 

Prison, miroir. Et l’exil d’une passion plus ardente que nos vies – en deçà de laquelle nous survivons à peine. Aussi demeurerons-nous ici – avec le silence – au milieu des bavardages. Inassouvis et intraitables…

 

 

Quelque chose se couche en nous qui ressemble à notre attente – assidu comme le soleil qui, chaque jour, recommence…

 

 

Ni quiétude, ni détresse. Une concordance entre le rêve et le rêveur. Dans cette faille où chaque mot se jette pour échapper à la torture de ceux qui ne regardent que leur visage flétrir. Peut-être un autre rêve que ne pourront, sans doute, pas même imaginer ceux qui dorment encore…

 

 

Nous irons, de notre pas chaste, au-delà des pages – et au-delà du silence – pour nous résoudre et nous effacer – en continuant de lancer quelques mots tremblants aux visages trop occupés à faire semblant dans des jeux aussi vains qu’est utile l’Amour…

 

 

Des jeux, des peurs, des tremblements. Et un envol soudain au-dessus des songes pour vaincre l’indifférence et bannir la haine et la mémoire (à tout jamais). Et cette complaisance des hommes à l’égard de leur histoire – ni belle, ni juste – mais simplement nécessaire pour briser leurs certitudes…

 

 

Un chagrin, un exil, un Amour. Voilà le chemin tracé par le poète pour les hommes. Comme une invitation au seul voyage possible…

 

 

Nous irons partout où nous serons appelés – jusqu’à la naissance du seul désir – jusqu’à l’oubli de tout ce qui nous aura précédés…

 

 

Nous tremblons dans cette nuit parfaite – éclairée déjà par l’enlisement de tous les destins – à l’ombre de ce qui grandit en nous…

Nous tremblons dans l’imaginaire du tremblement – comme des montagnes adossées à l’automne – livrées aux vents et aux fleurs qui persisteront jusqu’aux premières neiges…

Nous tremblons dans la vacance du furtif – et le vacarme des passages – désobstrués enfin de nos prières. Avides d’un seul ciel – d’une seule fin – la nôtre parmi les fruits et les hirondelles qui reviendront au printemps…

 

 

Nous avons soif d’un jour qui nous ressemble – d’un Amour sans écorce – et sans épine – qui convertirait le désir en blancheur – et nos défaillances en reflets dorés – en miroir – où s’effacerait notre nom…

 

 

Nous écrivons pour quitter la surface – et rejoindre les profondeurs. Nous écrivons pour que dure, à travers le rêve et l’infortune, ce désir de candeur – et que l’or s’efface dans nos mains affamées – suppliantes. Nous écrivons pour oublier l’absence – et affermir le rire qui éclate sur notre nonchalance. Nous écrivons pour affirmer toutes les possibilités de l’impossible derrière le sommeil et la raison. Nous écrivons comme d’autres rêvent ou s’acharnent pour retrouver ce qui leur manque. Nous écrivons à seule fin de vivre plus juste – et plus droit – et ravauder cette sensibilité des fous qui voient d’autres mondes et un seul visage dans les reflets de celui-ci – au milieu duquel nous nous tenons sans rien comprendre…

Et, pourtant, rien ne bouge sous la langue. Et tout s’essouffle dans les yeux. Comme si la soif de silence était insuffisante – et inutile même – pour effleurer l’évidence de l’autre rive – et y jeter nos âmes et nos caresses…

 

 

Partage encore, aujourd’hui comme hier, de cette chair volée au jour – et de nos âmes vouées à la solitude – courbées sous les malheurs enfantés par un Dieu aux multiples visages – aux multiples légendes…

Manquerions-nous de tout – et de l’essentiel plus sûrement encore – pour ne voir – ni n’aimer – ce qui, sans cesse, s’offre et se partage…

 

 

Âme éprise – engluée, pourtant, dans la nature des choses de ce monde porté par la nuit. Et ce sommeil lourd – profond – qui rétrécit la route vers la solitude aux mains tendues vers notre égarement…

S’amuser encore – et jouir de quelques richesses comme le privilège de ceux qui ignorent – et mendient, dans leur ignorance, quelques jeux supplémentaires…

Nul homme ne peut vivre ainsi – sans Amour – caché derrière ses masques et ses frontières…

 

 

Ici, au milieu de l’infâme, tout agonise jusqu’à la mort – jusqu’à la fin de tous les rêves – et se fait ivre déjà du renouveau qui s’annonce…

Mains pleines de terre encore qui se lèvent – presque au hasard – vers le seul visage possible pour désaltérer leur soif – cet instinct premier – au milieu des pierres, des tombes et des herbes folles…

Un destin accompli – malgré nous – dans l’attente – au seuil de cette absence – de cet oubli – inconsciemment désiré(e)…

 

8 avril 2018

Carnet n°143 Le temps, le monde, le silence et quelques exigences encore...

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Du silence, de la nature, une vie simple plongée au milieu des livres et des bêtes. A l’écart des hommes. Dans la permanente compagnie des arbres et du ciel. Sur les sentes des collines avec ce sourire né de l’Amour retrouvé…

Vivre entre l’air et l’instant. Serein et immobile sur la terre autant que l’âme est à l’affût et vagabonde. Au plus près du réel sans échappatoire – et non dans le rêve et le ciel rêvé – loin de toute certitude et de la sédentarité qui confine l’esprit de l’homme au sommeil…

Vif et sensible. Fragile au milieu des vents – au milieu de tous les gués. Et anonyme – le front posé sur l’herbe – et la joie discrète dans l’âme. Et humble, plus que tout, ayant oublié le nom des fleurs – et jusqu’à son propre nom – pour aller incertain – et innocent – parmi tous les visages du monde…

 

 

La magie du regard sur la cendre et la misère – sur ce réel estropié par le temps...

 

 

Au coude-à-coude avec le noir, l'incertitude d'exister – et ce rêve de figer la vie – d'arrêter le temps...

 

 

Nostalgie d'un soir – sans raison apparente – où le rêve se fait plus puissant que la mort – et le réel plus coupable que la faim d'un autre jour – d'une autre vie. Comme le jeu tragique du dédoublement dans le miroir – une ombre qui traverserait le reflet fragile de l’innocence...

 

 

Et accolé au silence, ce grand rire sur nous-mêmes...

 

 

Le monde tel qu'il se dessine dans nos rêves – plus beau et plus humble que dans nos inquiétudes...

 

 

L'histoire du monde comme exercice sur la page. Mille rêves écrasés par la force du réel – et la persistance d'un songe dans le noir qu'ont façonné les hommes...

 

 

Résister à l'écrasement du monde par un retrait – un écart – un exil. Par un silence – et une présence plus vive que ses choix morbides...

 

 

Et, sous toute détresse, l'harmonie à venir – et qui viendra, contre toute attente, à l'heure de sa convenance – lorsque les larmes auront asséché la faim et le désir de devenir – lorsque le temps aura été délivré de ses chimères – lorsque l'âme saura (enfin) se prêter à l'humilité nécessaire...

 

 

Sommes-nous encore vivants sous cette pluie – en ce monde où les morts regrettent le souffle – et où les hommes cherchent le leur pour freiner les dérives de la finitude...

 

 

Vieille humanité qui s'endort à l'ombre de ses rêves – si anciens – fossilisés dans la pierre sur laquelle les hommes continuent de bâtir comme des somnambules mécaniques...

 

 

Une seule perspective possible contre la mort et le malheur, le silence et la certitude de l'effacement. Une vieille image peut-être mais nécessaire à la délivrance du temps...

 

 

Depuis la nuit des temps, nous sommes arpentés par le silence. Un espace – quelques flocons – un peu de neige à apprivoiser – pour aller nus sur un temps indéfiniment suspendu. Une faille où glisser sa tristesse, les malheurs inévitables et la violence. Une tendresse sur la blancheur du jour. Une fenêtre à franchir une nouvelle fois. Des adieux au monde dont la hâte précipite les hommes vers la mort...

 

 

J'irai à la rencontre du monde – saluer les arbres et les pierres – offrir aux hommes le ciel bas – plongé au cœur des désastres – et habiter cet espace où le feu brûle encore...

 

 

La gestation d'une éternité aussi longue que dureront les rêves...

 

 

Le fond secret des choses dévoilé en un instant – sous le noir évidé de ses malheurs et de la désespérance qu'il dessine sur les visages. Dans ce silence – cette fulgurance indéfinie – pétrie par nos mains laborieuses...

 

 

Un retrait en amont de la cascade des heures – au fond de cette chute ascendante au milieu du silence – au cœur des origines du temps...

 

 

Notre place est ici – au milieu de l'inconsolable et de ces aveux de tristesse. Mains dans la boue, la cendre et le sang. Lèvres brûlantes dans l'effroi pour dire la possibilité de la joie – et offrir aux hommes, aux bêtes et au monde un regard et des gestes secourables...

 

 

Au-delà des frontières – au-delà des cris et des grondements du monde, une vie est possible – faite de sagesse, de joie et de chemins naturels – et de paroles alignées sur la page. Comme un espace – une lumière – un soleil – éloignés de la boue – une source au plus près du cœur des hommes. Les vestiges d'une origine lointaine – accessible à tous ceux qui s'impatientent de s'affranchir du rêve.

Notre maison natale en quelque sorte...

 

 

Nous avons bu aux sources de la nuit – et enfoui le jour sous un tas de rêves. Comment pourrions-nous à présent nous libérer du monde – et prétendre au silence sans répandre ses eaux – et effacer la boue et la buée sur cette vitre derrière laquelle nous grimaçons...

 

 

La poésie est un regard. Et lorsque les mots surgissent, ils n'en sont, bien sûr, que le prolongement...

 

 

Rien ne nous appartient sinon cette insécurité maladive – cet air inquiet – et ce souci du temps à venir...

 

 

Coulée de neige dans l'air pur. Comme la confidence inattendue des Dieux livrant leurs secrets. Une fleur sur la roche. Un rire sur la mort. Le vol d'un oiseau ouvrant un passage dans un ciel infranchissable...

 

 

Le temps passe en revue les différents âges du monde – l'écart entre l'avenir et les origines de l'homme. Ce fossé de l'histoire où se sont endormis les vivants...

 

 

Dans nos mains, le silence – à peine égratigné par le temps. Et au-dedans des âmes froissées par la mort...

 

 

Errant parfois au-delà des songes – sur cette voie où les fronts sont baissés – et où les titres et les noms perdent leur importance...

 

 

Venus d'un temps si ancien que nous en avons oublié notre visage...

 

 

Terre et siècles dévastés par ces désirs qui s'écoulent comme les rêves au milieu de n'importe quoi...

 

 

Notre parole se fait plus discrète que le déhanchement coutumier du langage. Elle tente modestement d'explorer – et d'élargir – la faille où nous sommes tombés. Retenue, sans doute, par le silence – et le jour qui a desserré notre étreinte sur ce qui sombrera avec nous dans la mort...

 

 

Entraves encore au-delà de l'ouverture. Jeux du désir qui s'éternisent entre les voiles où perce le chant de l'aurore...

 

 

Torches, haleines et consumation de l'extase dans cette attente sans fin. Et le silence qui s'invite au terme du voyage. Comme un soleil plus poétique que les affreuses lampes allumées pour vaincre le noir qui s'est immiscé juste au-dessus de la douleur...

 

 

Arpentés autant par la lumière que par le regain naturel de la souffrance qui donnent à notre marche cette allure, si humaine, de boiterie scintillante...

 

 

Le silence parfois plus lourd que le temps lorsque l'âme penche davantage vers le gris que vers le feu et l'émerveillement...

Et une douceur aux reflets blancs par la fenêtre où se glisse notre regard...

Et la violence des mots – traits aux airs, pourtant, si inoffensifs sur la page...

 

 

Quelques flocons sur la cendre. Et la douceur bientôt recouvrira tout ce qui s'est suspendu au langage. Cet espace – cet Amour – d'avant le temps où nous ne savions encore naître au monde...

 

 

Noir enseveli sous le feu. Au bord de la paume – au creux de cette main qui nourrit l'espace et les oiseaux. Au milieu de ces flammes qui brûlent les poèmes avant de les jeter aux hommes. Comme un coin de blancheur où l'âme sait se faire plus lisse – et plus tendre – qu'au cours de ses longues errances sur les chemins du monde...

 

 

Un rêve de pénétration et d'enfantement. Tel est, sans doute, le seul désir de la lumière...

 

 

Une âme ardente et généreuse comme le prolongement de cette terre qui l'a enfantée – et la continuité de ce ciel qui lui a offert sa semence...

 

 

Nous ne rencontrons que ce qui meurt. Et pour nous en réjouir, il faudrait parvenir à le regarder depuis ce qui demeure...

 

 

Œuvrer à la célébration de ce qui se perd et encourager, en chacun, le désir de ce qui dure, telle est, sans doute, la tâche du poète et du sage vivant parmi les hommes – avec cette proximité et cette distance nécessaires à l'effacement du nom et à la possibilité de la réconciliation et des retrouvailles...

 

 

La beauté du monde et les cris de l'enfance piétinée par ce qu'elle ne peut nommer dans sa terreur. Le poids, sans doute, de la parole des aînés – et cette violence inouïe, née des instincts, qui donne à la terre une allure dévastée et angoissante – parsemée pourtant de merveilles et d'espoirs...

 

 

Ensemble – dans cette solitude sans contrepartie comme les mille reflets éparpillés du même visage. Avec parfois, il est vrai, quelques gestes – un regard – une présence – pour dissiper provisoirement ce sentiment d'exil – cette douloureuse déréliction – et faire oublier momentanément l'hostilité et la méfiance – et ces sempiternelles chamailleries en vigueur dans un monde où persiste cette impression si tenace de se sentir désunis...

 

 

Nous survivons sur l’herbe d'un monde déjà perdu – dans l'attente d'une fin certaine au milieu du chaos...

 

 

Mille tombes encore au petit matin – alignées entre le réel et l'imaginaire – devant des yeux qui doutent même de leur propre existence...

 

 

Le plus humain de l'homme se trouve au cœur de la tendresse que chacun peut éprouver en regardant le monde ; pierres, montagnes, herbes, arbres, fleurs, bêtes et visages. Dans cette caresse délicate (et trop rare) des yeux en contemplation qui guident la main pour lui ôter l'envie de les saisir et d'en faire usage. Pour la simple joie d'être – et de vivre auprès d'eux – en conscience vivante et sensible...

 

 

Le temps trace sa route au-dedans des gouffres – creuse plus encore notre détresse à y vivre sans issue – ôtant jusqu'à l'espoir de toute échappée...

 

 

Mains plus errantes que tremblantes en ce monde où tout désespère et recommence. A peine un souffle – un soupir peut-être – pour s'abriter derrière notre ombre posée au milieu de la mort...

 

 

Vivre n'est que le regain du jour dans une nuit sans cesse renaissante...

 

 

Aucune leçon, aucun livre, aucun sage ne peut enseigner à vivre – ni offrir la vérité. Mais chaque pas, chaque geste, chaque chose offre la possibilité d'un regard porteur de joie et de liberté...

Pour les hommes, Dieu, l'Absolu, l'infini et l'émerveillement ne peuvent, sans doute, se trouver ni ailleurs ni autrement...

 

 

Paille toujours ce qui s’amoncelle. Et fumée et cendres un peu plus tard. Rien de funeste pourtant dans ces départs et ces transformations. Simples formes combinatoires aux rythmes conditionnés – jouets des cycles et du temps dans le jeu sans fin de l'énergie et du silence...

 

 

Failles et fouilles encore au fond de l'abîme mais qui ne creusent plus que notre joie d'y arpenter plus libre...

 

 

Une présence au monde sensible à l'infime et à l'ordinaire – au quotidien le plus banal – et à ce rayonnement incroyable – presque indécent – qui émane des êtres et des choses perçus par le regard aimant. Et si indifférente à l'esbroufe, à l’extraordinaire et au spectaculaire toujours éminemment partiels et mensongers dans leur trop vive ostentation

 

 

Les dérives du voyage mènent toujours, à travers ses détours et ses méandres, aux portes de l'inconnu – aux frontières de l'inespéré. Et il y a une grâce – presque une magie – dans cette marche guidée non par le hasard mais par la nécessité. Nécessité du monde, des choses et des retrouvailles qui façonne peu à peu l'essentiel – ou, plus exactement, qui rabote et efface l’inutile et le superflu qui encombrent cette innocence à voir et à marcher comme pour la première fois au milieu de tout et de nous-mêmes...

Voyage de tous les ailleurs, ici, à l'endroit même où nous nous tenons. Sempiternel périple autour du même centre – plus qu’éternel. Ce qui se meut – et ne peut s'empêcher de se mouvoir – dans la plus parfaite, et inviolable, immobilité...

 

 

Une grandeur se répand au-dessus du voyage – et au-dessus de la mort. La parfaite envergure du regard sur ce qui s'efface et revient toujours...

 

 

Il n'y a d'obstacle que dans l'encombrement du regard – dans l'encombrement de l'innocence. Sans embarras, il y a l'infini, la joie et la liberté. Et le silence qui invite à la contemplation et à l'émerveillement en laissant les pas s’éloigner ou participer aux mille danses du monde – au gré des affinités sensibles...

 

 

Du souci et de l'ombre, voilà la récolte du sommeil. Le ressassement du rêve et l'enlisement des pas. La vie de tout homme, en somme, avant de naître au jour...

 

 

Être sera toujours davantage que la vie. Et la vie toujours davantage que le monde. Il en est ainsi de leur éprouvation comme de leur connaissance...

 

 

Le suprême de l'homme serait, sans doute, de parvenir à l'impersonnalité de l'eau, de l'air, du feu et de la terre – à l’impersonnalité de la nature et des éléments naturels. De vivre dans la parfaite simplicité de l'être, conditionné en partie, bien sûr, par la forme, au service de ce qui est là – dans l'instant – et se laisser utiliser selon les mille usages nécessaires. Être, en quelque sorte, sans nom, sans exigence, sans plainte, sans réclamation, et sans même l'ambition d'être utile ou nécessaire – au service de ce que l'on appelle le monde...

Et nul ne pourrait contester (même si bien peu peuvent l'imaginer) le long cheminement* qu'il faut à un homme et le nombre d'épreuves et d'étapes* qu’il doit franchir pour se défaire de ce qui compose habituellement une individualité...

* A l'échelle humaine, bien sûr... Sur le plan cosmique, ces épreuves, ces étapes et ce cheminement ne sont rien. Ils n'ont pas la valeur d'un pet... Un peu de rien sur le rien, en vérité...

En définitive, toutes nos expériences, tous nos apprentissages et tous nos savoirs ne sont destinés – et ne servent – qu'à cet effacement total qui, une fois « atteint », s'offre au jeu des phénomènes pour que chacun puisse retrouver – et vivre – la conscience de son origine...

 

 

Le découragement, parfois, nous assaille lorsque se manifestent encore quelques reliquats d'individualité : plaintes, attentes, vagues désirs de reconnaissance... Nous ne savons pas toujours les accueillir pour ce qu'ils sont : les expressions naturelles de la forme de l'homme aux caractéristiques psychiques si tenaces – et si cycliquement résurgentes...

 

 

Nous titubons, la marche et la mort vissées – incrustées – en nous – les yeux dans le doute et la boue – et déjà percés par la lumière. Allant à reculons – malhabiles – vers la tombe et le silence...

 

 

Larmes encore parfois devant l'indicible improuvable...

 

 

La terre est une montagne où ceux qui se pavanent sur les sommets, en se prêtant au sourire de la suffisance, sont plus éloignés du gouffre (dans lequel il faut se jeter) que les plus humbles – et les plus déshérités – qui errent – et végètent parfois – exilés de toute ascension – à sa lisière – dans la plèbe sale et grise des vallées...

 

 

Le parfum de l'âme délicat en toutes circonstances. Au bord du rêve. Au milieu des saisons. Au fond du désespoir. Parmi les larmes et les soupirs. Au milieu des pierres, des prières et de la poussière. Au plus proche toujours d'une étoile perdue – si lointaine – et de ce rire inconnu des hommes. Au cœur déjà de cette lumière qu'effleurent nos plaintes et nos efforts...

 

 

Célébrer le rien dans la contemplation de tout. Cette sirène au-dessus des rêves et des eaux – proche de l'oiseau dont le vol traverse les heures, si graves, des hommes et le soleil de tous les Dieux...

 

 

Magie du regard qui enfante, au milieu des peurs, la grâce – et perce l'épaisseur des rêves pour rejoindre le plus réel du monde...

 

 

Un rien, parfois, s'agite et s'insinue au cœur du sable laissant sur le sol un peu de sang – et une douleur plus vive que la mort. Comme un rêve, peut-être, au milieu de la nuit lorsque le monde dort les yeux – et les volets – clos – et que la lumière brille au fond du sommeil sans personne pour en témoigner...

 

 

Sente toujours sinueuse entre les rêves et les visages. Avec une halte à chaque virage pour compter les pas qui nous séparent de ce que nous avons fui – et voir là-bas, au loin, cet horizon qui se dessine déjà dans notre foulée lente...

 

 

Une soif et une faim, parfois encore, nous assaillent comme si elles s'éternisaient – et dont la satisfaction n'importe plus guère. Nous avons longtemps vécu, il est vrai, pour en percer le secret – et les éradiquer… Mais, aujourd’hui, nous avons renoncé à leur effacement ; nous vivons simplement à l’ombre de leur souveraineté – tantôt au cœur, tantôt en amont de leurs élans – en laissant notre marche jouir (autant qu’elle en est capable) de cette paix et de cette liberté si nécessaires à l'âme et à l'innocence des pas...

 

 

Un rien à travers les heures. Un silence, une flamme. La certitude d'un réel plus joyeux que le monde. A mi-chemin où perce déjà la lumière...

 

 

Le monde, le silence et le temps. En avance sur l'automne. En avance sur le chant qui ravive l'éternité dans le sang des vivants – et qui donne à leurs jours cet air de fête oubliée...

 

 

Terre et cœur fêlés. Rafistolés à la hâte pour que le songe et le délire durent encore. Quelques pas supplémentaires dans l'ignorance – et le défi du temps – vers un Dieu qui ne tiendra jamais ses promesses...

 

 

A l'extrême du monde, il n'y a plus de monde. Une présence simplement dont on ne peut dire si elle est réelle et si elle nous appartient. Une lumière dont nous ne sommes peut-être que le reflet et le prolongement. Une brisure dans le sommeil et l'ombre dont l'envergure recouvre la terre...

 

 

A force d'être confronté au détestable (à ce qui nous semble détestable), nous avons parfois du mal à aimer. Comme pris au piège dans la persistance d'un défaut de perception et de compréhension du monde...

 

 

Il y a (toujours) une grande sagesse chez ce/ceux dont on ne remarque la présence – et dont on se sert sans même y penser – et sans même éprouver un quelconque sentiment de reconnaissance. Et lorsque nul n'est blâmé et que ne se manifeste aucune forme d'attente et de réclamation, on peut y voir, de toute évidence, le signe d'une parfaite impersonnalité...

 

 

Une grande solitude est nécessaire pour que naisse une véritable sensibilité au monde sinon on se soumet, malgré soi, aux jeux et à l'indifférence des foules – en croyant vivre au plus près du réel – alors que l'on repousse, sans même le savoir, le seul accès possible à la grâce, à l'être et à la vérité...

 

 

Difficile pour nous d'apprécier ce qui n'est ni nécessaire ni essentiel. Tout superflu nous rebute et nous laisse (encore) une espèce d’écœurement...

 

 

Livrés à toutes les incertitudes – et à cette confiance du regard que rien ni personne ne peut entamer...

 

 

Cette sensibilité au vrai qui partout résonne – et qui vibre au-dedans du regard posé sur – et parfois au cœur même de – chaque chose...

 

 

Et ces rives mouvantes et intranquilles entre lesquelles s'écoule la vie – grouillante de désirs et de peurs – grouillante d'elle-même – portée par je ne sais quelles forces vers je ne sais quel mystère...

 

 

Emportés par les eaux d'une figure légendaire. Noyés par les courants où se mêlent le rêve et la peur – incertains d'atteindre la rive – incertains même du voyage et de toute existence...

 

 

Vivre sans autres yeux – ni d’autres cieux – que les siens. Telle pourrait être la devise des mystiques solitaires – et de tous les êtres en quête d'un Absolu vivant...

 

 

L'absence (ou le défaut) de qualité relationnelle oblige à approfondir – et à affiner – un rapport à soi que les hommes grégaires et peu exigeants, en général, délaissent ou négligent...

Toujours s'offrir ce que l'on ne peut – ou ne veut – vous donner. Satisfaire toutes les exigences de l'individualité aux prises avec l'indifférence du monde...

 

 

L'horizon, bien sûr, est toujours ailleurs – comme ce rêve insensé de fin du voyage – contrairement à l'éden – cet espace de joie – présent toujours – ici même...

 

 

Pas encore prêt à faire de nos lignes – et de nos modestes poèmes – un mandala provisoire que l'on offrirait, aussitôt achevé, au silence en jetant nos feuilles au vent et en abandonnant nos mots à la pluie et à la poussière...

 

 

Et je regarde aujourd'hui avec amusement et bienveillance (sans pouvoir étouffer un rire ni retenir quelques larmes) ce petit être sensible et solitaire à l'incurable gravité métaphysique s'étonner encore du monde et refuser les danses qui lui sont offertes. Les jugeant, sans doute, trop légères – trop frivoles. Indignes de l'homme. Contraint à cet exil des âmes (trop) sérieuses et (souvent) incomprises dont la densité et la quête indiffèrent et rebutent les foules...

 

 

Seul, j’écoute le vent – et la mer – disperser mes rêves. Seul sous le ciel au milieu de la terre où les fantômes cachent leur visage, je console mes larmes de toute absence. Les beaux jours, sans doute, reviendront plus tard…

 

 

Tout se cabre sous l’effort. Résiste – et finit par s’insinuer ailleurs – en des pentes plus naturelles…

 

 

L’émiettement de toute rivalité. Laisser le songe s’effacer sur les pierres. Abandonner le pas à la route – et le regard à la poussière. Il ne peut y avoir d’autre soleil pour l’homme…

 

 

Emu jusqu’aux larmes par la fragilité du monde – et sa beauté aussi – autant que par ceux dont la solitude a exalté la sensibilité – assez proches du plus humble pour se laisser traverser par la moindre chose…

 

 

Au plus vif de l’émotion, la poussière a la couleur – et la valeur – de l’or. Et devient plus vraie – et plus précieuse – que toutes les fortunes et tous les soleils espérés…

 

 

Gouttières, caniveaux, canalisations, tout un écheveau de canaux où l’eau s’écoule pour rejoindre sa sente naturelle. Contrairement à l’homme emmuré dans son béton – entouré de ses gadgets et de ses écrans – qui oublie – et fuit – sa nature organique en s’enlisant toujours davantage dans les funestes méandres du psychisme où l’artificiel et le virtuel deviennent des obstacles, presque rédhibitoires, pour rejoindre son autre dimension : la conscience affranchie du corps et de la matière…

 

 

Du silence, de la nature, une vie simple plongée au milieu des livres et des bêtes. A l’écart des hommes. Dans la permanente compagnie des arbres et du ciel. Sur les sentes des collines avec ce sourire né de l’Amour retrouvé…

 

 

Vivre entre l’air et l’instant. Serein et immobile sur la terre autant que l’âme est à l’affût et vagabonde. Au plus près du réel sans échappatoire – et non dans le rêve et le ciel rêvé – loin de toute certitude et de la sédentarité qui confine l’esprit de l’homme au sommeil…

Vif et sensible. Fragile au milieu des vents – au milieu de tous les gués. Et anonyme – le front posé sur l’herbe – et la joie discrète dans l’âme. Et humble, plus que tout, ayant oublié le nom des fleurs – et jusqu’à son propre nom – pour aller incertain – et innocent – parmi tous les visages du monde…

 

 

Ce qui nous trouble cherche à vaincre nos résistances – à percer le voile – et les accumulations – qui dissimulent l’innocence du regard. La vie – toute vie – œuvre ainsi à nous révéler – et à rendre vivante la vocation de l’homme

 

 

L’usure nous vient du temps. Et on ne peut en dissimuler ni les plaies ni les rides. Mais nous avons la possibilité de nous en affranchir en habitant ce regard sur ce qui passe et est blessé – et en devenant ce regard sur ce que les années et les siècles finiront par effacer…

 

 

Des rivages, des amours, mille récoltes et mille sacrilèges dans une nuit qui dure. Et la mort qui, un jour, nous fera mordre la poussière. Et cette vie – ce feu – où tout est plongé – et qui se consume avant de renaître et de (tout) recommencer. Ni meilleur, ni pire qu’avant...

L’identique, sous d’autres traits, qui se répète encore et encore dans la proximité d’un visage qui en nous cherche à se dessiner…

 

 

Encore si intensément métaphysique en ces lieux si atrocement frivoles et prosaïques. Seul donc – bien plus, sans doute, que quiconque – dans ce retrait – cet exil – si nécessaires…

 

 

Nous croyons davantage à nos malheurs qu’à la possibilité d’un Dieu – davantage à nos chimères qu’à nous extirper de notre sommeil…

La nuit toujours nous rappelle à notre rêve comme si le jour ignorait notre faim de lumière…

 

 

Ah ! Que le monde réclame de caresses et de mots tendres ! Et nous n’avons, malheureusement, qu’une seule bouche et deux petites mains – à l’envergure si restreinte…

 

 

Entre l’absence et ce qui maintient vivante la flamme. Entre l’invisible et ce qui se donne à voir, l’éclat d’un manque qui cherche sa délivrance – la parfaite complétude de ce qui s’efface – et de ce qui dure…

 

 

L’horizon promis, sans cesse reculé, conduit le sang au bord des lèvres, soumet la tête à la colère (ou, parfois, au désespoir) et invite les bras à se tendre plus loin – plus haut peut-être. Et finit, après maints détours, par acculer les pas au retrait ; la seule issue possible à la fin du rêve et à l’effacement de l’horizon…

 

 

Ivre – et improbable – pas vers ce rire que ne peuvent imaginer les hommes…

 

 

Ardent passant – furtif – au cœur du miracle...

 

 

Et je pleure encore sur ces pierres qui ont vu le sang couler pour quelques arpents, un (pauvre) honneur bafoué, une certitude d’abondance. Inconsolable – et recroquevillé dans mon chagrin. Larmes impuissantes à endiguer la fureur des bourreaux – et à consoler l’innocence rabrouée au fond des yeux de chaque visage…

 

 

La terre, des tables, du pain. La misère prise en tenaille entre l’espoir et la faim sur ces rives où l’abondance et le sommeil ravivent la distance qui nous sépare de la grâce – de cette légèreté de vivre au milieu des cris, des rires et des tremblements. Insoucieux – indifférents à la lanterne des poètes qui éclaire la possibilité d’un autre chemin…

 

 

Nous honorons nos fureurs sous les lampes de la nuit en brandissant nos pioches, nos pelles et nos burins pour assouvir ce qui jamais n’aura de fin…

 

 

Un seuil guette, en nous, son franchissement. Cette ouverture des yeux peut-être – trop aveugles encore pour embrasser le regard – et accomplir ce que ni la main ni l’esprit de l’homme n’ont réussi à atteindre…

 

 

Jamais nous ne renoncerons à la beauté et à la lumière – à cette tendresse désencombrée de nos limites. D’être Un – et réunis – parmi les vivants que le sommeil porte toujours vers d’autres rêves…

 

 

Quelque chose en nous grandit que nous ne savons voir. Un miracle qui perce la brume et les mirages où les yeux sont emprisonnés…

 

 

Parfois nous habillons l’espoir d’un autre rêve – plus grand que ceux qui nous jettent dans la boue, la foudre et les danses du monde – plus beau que tous nos désirs qui débroussaillent les ronces de la terre où nous crevons de misère et d’ennui…

 

 

Un pas, une trace. Mille traces, peut-être, laissées par les poètes dans ce monde dépeuplé. Dans ce long cortège de visages vissés au labeur du jour – initié par un peuple privé de lumière qui s’agite derrière ses grilles – en secouant les choses – mille choses – pour essayer d’en faire tomber un bout de ciel – un peu de soleil dans la poussière…

 

3 avril 2018

Carnet n°142 L'âme du monde

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Les pierres et la poussière. Et ces vents qui déchirent la peau sans préserver l'âme de la violence. Et ces os sur l'herbe tachée de sang. Et ce cœur que la nuit fait tournoyer entre les tombes et le rire (si indifférent) des hommes. Comme si flottaient en nous, insaisissables, un souffle monstrueux et le miroitement de quelques étoiles lointaines...

Les lampes s'allument les unes après les autres puis s'éteignent – abandonnant l'âme et le monde à leur obscurité – et à leur solitude tâtonnante...

Et cette eau sur la chair, au milieu du jour, qui ruisselle avec quelques rêves inachevés vers l'incertitude – jusqu'au soleil où nous nous tenons cachés – tapis dans l'ombre de ce que nous ne pourrons, sans doute, jamais atteindre...

 

Le temps plongé dans la magie – qui s'étire au-delà de l'imaginable dans un réel plus solide que tous nos rêves...

Seuls et dépossédés au milieu de la perte...

 

 

Quelque chose gît en nous qui s'accommode mal de notre fausse droiture – de ce perpétuel redressement de la tête qui, en vérité, dodeline entre les rêves...

 

 

Une porte – mille portes – s'ouvrent, claquent et se referment, laissant l'âme et les pas tristes et seuls. Incompris. Voilà ce qu'est notre vie. Une tentative d'ouverture avortée...

 

 

Le temps d'un coup d’œil, et tout est fini. Tout s'efface déjà et se déverse dans un lendemain incertain et inconnu. Tout s'invite et se rétracte dans une sorte d'apesanteur et de temps figé...

 

 

Un dégoût des siècles plus décisif que le simulacre du progrès pour courir le monde et la vérité. Obéir à cette fouille de la solitude à l'écart de ceux qui fabriquent et festoient dans leur fatigue...

 

 

Déconcerté autant par l'espérance que par la neige – autant par les adieux impossibles que par l'éternel retour des choses du monde. Âme éprise – et engluée dans ce qu'elle évite et ne peut comprendre. Sur un pont interminable où les visages respirent et se perdent comme si le sentier et le brouillard étaient au-dedans – boueux et épais – impraticables – et si peu propices à la marche et à la fouille sans recourir à la faux, au bâton et à l'épée...

 

 

Un désordre encore dans notre nudité. Les yeux accrochés à la mémoire – au souvenir d'un temps révolu et à ces vents qui soufflent vers plus tard – en donnant aux pas cette allure bancale – hésitante – plongeant les mains au milieu des soupirs dans la rencontre de ces visages – et de ces paysages – ignorés et incompréhensibles – amputés de leur innocence à force d'attente, de jugements et de parti-pris...

 

 

Les pierres et la poussière. Et ces vents qui déchirent la peau sans préserver l'âme de la violence. Et ces os sur l'herbe tachée de sang. Et ce cœur que la nuit fait tournoyer entre les tombes et le rire (si indifférent) des hommes. Comme si flottaient en nous, insaisissables, un souffle monstrueux et le miroitement de quelques étoiles lointaines...

 

 

Les lampes s'allument les unes après les autres puis s'éteignent – abandonnant l'âme et le monde à leur obscurité – et à leur solitude tâtonnante...

 

 

Et cette eau sur la chair, au milieu du jour, qui ruisselle avec quelques rêves inachevés vers l'incertitude – jusqu'au soleil où nous nous tenons cachés – tapis dans l'ombre de ce que nous ne pourrons, sans doute, jamais atteindre...

 

 

Tout monte, descend – et se confond. Et nous autres, nous demeurons dans l'illusion et la vérité d'une immobilité distincte où les ténèbres sont aussi hautes que les promesses – et où le jour n'en finit jamais de disparaître dans une nuit profonde et inexplorable...

 

 

Infimes toujours ces trouvailles que l'on jette sur la page et les âmes comme si elles avaient le moindre goût de vérité. Mieux vaut taire la parole – le poème – et contenter le besoin du silence en restant au chevet du monde et à l'écoute de ce qui passe...

 

 

Entre l'infime et l'infini – le maladroit hommage des vivants. Le bruit et sa célébration comme l’unique possibilité à la continuité du silence...

 

 

Nous érigeons, en vérité, un horizon où la seule manière d'être – et la seule possibilité de vivre – de survivre – sont la méfiance et la lutte. Comme si l'Amour avait été abandonné en chemin – impossible, sans doute, à faire advenir dans la cécité et l'immaturité de ce monde...

 

 

Entre la pauvreté et l'émerveillement, ce regard de l'homme posé sur le monde – au cœur des choses – au milieu des cris qui exhortent à la richesse et à la ruse...

 

 

Que de choses brûlées – et bannies – dont nous ne connaîtrons jamais ni la fin ni le secret. Et cet air gauche de l'inabordable – comme une avancée dans le recul – qui donne aux innocents la pudeur de leur vanité – et le goût de l'auto-dérision sous le poids des titres et des fonctions. Un rien – quelques riens – qui passe(nt) sur pas grand chose...

 

 

Le royaume hivernal dans le balancement des foules et de la solitude. En équilibre entre l'interrogation et le tâtonnement. Entre le fouet, la guerre et la loyauté. Aux confins du même rivage – celui qui tantôt défait, tantôt emprisonne les yeux des hommes. Un peu de sable, un peu de rien. Quelques traces dans la neige du jour...

 

 

La pierre respire le même rêve que les hommes – un peu plus simple et immobile peut-être – avec l'attention séculaire de ceux qui savent attendre – et distinguer ce qui relève de la chimère pour séparer l'improbable de ce qui va arriver – et sans la peur ni l'espérance de se voir absorbés ou anéantis. Comme le fabuleux privilège de ceux qui sont déjà morts...

 

 

On imagine le soir immobile et imperturbable alors que ses yeux tremblent à nous voir si fébriles – si impatients. La nuit, comme toujours, arrivera à l'heure précise pour diluer nos rêves dans le noir – et leur offrir un peu d'espérance qui, au matin, nous donnera cette folle envie de vivre – cette folle envie de donner chair à tous nos désirs...

 

 

Que d'usages dans nos jachères. Et que d'espoir dans nos ornières. Sur le visage, un peu de boue et de lumière. Cette étincelle dans le sordide et la misère qui donne au regard – et à nos silhouettes laborieuses et penchées – cette allure si humaine...

 

 

Nous gisons près d'une fenêtre lointaine – allumée déjà par le désir de la traverser. Larmes et flamme au fond des yeux – si tristes des adieux – si tristes de quitter le monde – et heureux de la nécessité de s'en affranchir pour un pays dont les voix nous appellent depuis si longtemps...

 

 

Nous aurons à peine effleuré ce goût austère – et si risible – du Divin dont les idolâtres aiment s'emparer. Nous avons su le traverser sans nous en saisir ni en revêtir l'ostentation – ce masque de Dieu dont se parent les croyants et les bigots pour ébaubir les foules crédules et impressionnables.

Et nous sommes, à présent, plus nus que les mortels – et plus silencieux que les dévots. Nous marchons, anonyme et tranquille, au milieu de ceux que Dieu agace, exalte ou indiffère – et serein toujours au milieu du vacarme et du silence...

 

 

Encore ce désir d'être seul au milieu de l'océan auprès des grands oiseaux solitaires qui parcourent son envergure au-dessus de l'écume – et y plongent parfois pour donner à leur vol, tantôt aux confins, tantôt au cœur de l'éternité, un sens profond de l'humilité – et au plus sacré, une allure ordinaire – presque banale...

 

 

Tant que nous verserons le sang, nous serons tout juste dignes de vivre sur terre. Tant que nous mangerons de la chair, nous ne pourrons appartenir qu'au grossier peuple des vivants...

 

 

Il y a cette légère bizarrerie au fond de l'âme qui rêve d'éclore – de se montrer et d'éclater au monde – et qui, pourtant, n'ose sortir – effrayée par ses propres ombres – et celles de nos silhouettes penchées sur elle...

 

 

Quelque chose en nous se sépare – et nous brise dans cet élan – en détruisant ce désir incorruptible de nous retrouver – et de nous rassembler pour n'être qu'une seule figure...

 

 

L'abstrait, un jour, aura raison des images. Jamais du réel...

 

 

Nous n'échappons, dans nos fuites, qu'à nous-mêmes – à cet autre, en nous, inconnu qui détient (pourtant) les réponses à toutes les questions – et que nous osons à peine formuler tant elles nous semblent absurdes ou terrifiantes – presque insensées – dans ce monde où l'apparence de la certitude tient lieu de vérité...

 

 

La nuit en nous, partout, nous appelle – et nous presse de revenir – de la rejoindre. Et nous, tout tordus par le voyage – et exténués par le pays (et la traversée) des songes et des chimères, nous répondons à son désir. Lassés – trop lassés sans doute – par cette quête impossible de lumière – introuvable ni au-dehors ni au-dedans – que nous n'avons plus même la force de faire un seul pas... Défaits par le temps qui passe et repasse sur notre visage – creusant sans effort un chemin vers la nuit – vers le noir – que nous y sombrons sans même nous en apercevoir...

 

 

La bataille est ailleurs. Le monde n'est que notre miroir. Et les pas nous guident là où l'espérance nous porte à croire que la paix, en nous, peut jaillir...

 

 

Nous portons l'infini dans nos yeux clos. Et nous désertons la surface pour croire à la possibilité de le découvrir loin de notre sommeil. Mais le rêve est encore là, pugnace – invisible – présent au cœur même de nos élans et de nos fuites...

 

 

Nous exprimons – croyons exprimer – ce qui nous porte et nous anime. Mais, en vérité, nous n'exposons que le manque – cette part en nous qui cherche son introuvable moitié...

 

 

Nous nous apaisons de petits riens sur la nappe des rêves tandis que gronde en nous la peur – et que pousse au-dedans le grand cercle inconnu qui nous cherche comme un visage en quête d'or penché sur le sable...

 

 

Nous sommes au milieu des roulis – au-dedans d'un océan immobile. Nous croyons naviguer – chavirer et sombrer sous les eaux – alors que le regard se tient, depuis le début du voyage, au-dessus des vagues qui dessinent sur nos vies des destins, des dérives, des noyades...

 

 

La vie d'un autre – la vie de l'Autre – est celle que nous n'avons su rejoindre...

 

 

Ce qui monte accomplit son rêve – autant que ce qui s'étend. Mais celui qui descend et s'efface a compris le sens du rêve – et peut s'en affranchir pour vivre hors du songe – au-delà du désir et de la mort – immobile au milieu de ce qui bouge...

 

 

Nous avons ligoté notre audace pour filer doux et rejoindre le rang. Nous avons pendu notre flamme aux réverbères trop tranquilles des jours et des saisons. Et la vie a progressivement recouvert nos rêves – et dans nos rêves ont fini par se blottir, aux côtés de la peur, le désir et l'envergure de l'infini...

Nous avons cru vivre mais nous étions presque morts en vérité. Nous avons laissé les ombres terrasser l'Amour – et l'espoir remplacer le plus vrai du monde...

 

 

Dire l'homme encore et encore. Ce qui le brûle et l'effraye. Ce qu'il porte et assassine. Sa grâce et son innocence au milieu de la terreur. Ce joyau enfoui – perdu peut-être – dans le rêve et la boue. Cette lumière au fond de l'ignorance...

 

 

Nous sommes, avec le réel, ce que le monde ne peut refuser. Nous sommes son désir et sa nuit. Et le petit jour qui arrive entre ses rêves...

 

 

Nous sommes aussi vivants que les pierres – avec, peut-être, un surcroît d'âme et de faiblesse au cœur de ce qui s'arrache et s'éteint – cette chair blessée qui crie sa faim et cette mémoire surprise par tant de solitude...

 

 

L'éternité d'un soupir – aussi long que durera la traversée...

 

 

Seul dans cette chambre où tout s'abandonne. Au plus près de ce que le ciel ne peut étreindre – sa propre figure au cœur du monde et des choses. Cette présence – comme une caresse supplémentaire dans la main du vent...

 

 

Ce qui surgit a notre visage – et la même surprise à nous voir. Comme la part qui manquait à notre joie d'aller seul au milieu des ombres et des pierres...

 

 

Nous questionnons le réel et ses abîmes – cette part du monde où nous sommes enfouis sans jamais sentir sur nous la densité de l'invisible. Eminemment sensibles au tragique et à la mort sans voir – ni comprendre – le rôle si prépondérant du vide et du silence...

 

 

Il est des paroles aussi vives que le feu et la lumière – et d'autres plus sombres et plus tristes que la nuit. Et c'est pourtant la même source qui les enfante – appuyée tantôt sur l’émerveillement et le silence, tantôt sur la certitude trop grande de notre identité terrestre...

 

 

La pierre et le feu sur une terre gorgée d'eau et de rêves...

 

 

Être poète, c'est vivre dans la simplicité du monde – avec un regard qui préfère le silence à la tentation – et l'émerveillement à la convoitise. C'est vivre avec la certitude du seul dans l'évidence de la multiplicité. Être poète, c'est se faire main – geste d’accueil – plutôt que pas et gestes de conquête. C'est être pauvre et sensible à l'invisible – partout – au-dedans des pierres et des visages. C'est se montrer plus nu que les prophètes – et aussi innocent que les fleurs et les sages. C'est aller – et passer – sans bruit dans le tumulte du monde et des hommes. C'est avoir le courage des bêtes et la sagesse des imbéciles qui arpentent la terre avec l’honnêteté de ceux qui ne savent rien – et qui sont là simplement pour offrir et pour aimer...

 

 

Un monde offert selon notre mérite. Et la vie qui va avec...

 

 

Et bien que la terre ait tant à (nous) offrir, la mort sera toujours la plus haute convoitise car elle invite à demeurer dans le dépouillement et l’absence de tout désir – de tout espoir. Humbles et nus dans l'émerveillement, le miracle d'être et la contemplation de ce qui passe – assis au cœur de ce qui dure...

 

 

Nous sommes nés pour nous approcher du monde et de notre vrai visage. Nous sommes nés pour nous pencher sur eux – les regarder longuement et témoigner de leurs traits. Nous sommes nés pour les accueillir et les aimer. Et une fois notre tâche accomplie, les blessures se referment – et le silence peut déployer ses ailes. Et nous pouvons alors vivre dans cette joie indicible (littéralement), au plus près des arbres, des figures et des fleurs – en souriant avec tendresse – et en tendant la main à la tristesse et à la souffrance (presque inguérissables) des âmes pour les inviter à s'approcher du monde et de leur vrai visage – à se pencher sur eux et à les regarder longuement pour qu'elles puissent enfin les accueillir et les aimer...

 

 

Le froid et la pauvreté. Rien de tel pour l'âme – pour entourer et traverser sa solitude – et recueillir ce qu'il reste derrière sa tristesse. Le goût de l'être, sans doute, ne peut s'éprouver autrement...

 

 

Quelques mots tiennent du miracle lorsqu'ils savent se muer en sentiment, puis en regard et en gestes ; humilité, innocence, pauvreté, silence. L'Amour alors est capable de s’affranchir de nos refus et de nos résistances – de se déployer en nous librement – et de s'offrir sans exigence au gré des rencontres et des circonstances. La joie alors devient vive – durable – inépuisable. Le signe que Dieu, en nous, a été accueilli et apprivoisé. Et le gage que les figures – toutes les figures – et la chair du monde se sont rassemblées pour devenir nôtres...

 

 

On fuit sa vie pour ne pas avoir à se rencontrer. Découvrir – et habiter – après bien des épreuves et des tempêtes – après bien des douleurs et des désillusions, cette lumière insaisissable sous la boue. Cette joie profonde – réelle – à peine croyable – au milieu des malheurs et des vivants noyés dans l'apparence, le rêve, le sommeil et la souffrance...

 

 

L'essence du monde, à travers nous, s'exonère de ses manquements et de ses outrages. Se déresponsabilise, en quelque sorte, en diluant l'ampleur de ses exercices et de ses tentatives – et en éparpillant ses fautes et ses erreurs. Et c'est avec ce poids – et cet embarras – sur l'âme et les épaules que chacun vit, éprouve et agit. Mille pas, mille gestes et mille paroles enracinés dans l'inexactitude et les promesses, intenables, de la source – vacillant toujours entre le doute et l'évidence – la certitude de faire au mieux (ou de son mieux parfois) sans savoir si ce que nous faisons favorise le bien ou aggrave le mal...

 

 

La poésie doit être vivante – et se faire suffisamment fine, aiguisée – redoutable – pour traverser les peurs et le sommeil – et secouer les hommes et les âmes de leur torpeur...

Et pour qu'elle vive, on ne doit ni la vénérer ni la craindre – mais devenir le socle poreux – fragile et incorruptible – quotidien – de ses élans. Ainsi sera-t-elle utile – vitale – non plus seulement à quelques hommes mais au monde entier – à l'ensemble du peuple des vivants...

 

 

Le monde livré à lui-même geint, s'active, se perd en sommeil et en conjectures. Bâtit, détruit sans même savoir ce qui le porte et l'anime – ni même ce qu'il anéantit au nom d'un rêve qu'on lui a choisi – et qui s'est imposé à l'insu de tous – à l'insu de chacun. Système aveugle, en quelque sorte, dont tous les maillons ont les yeux clos...

 

 

Passions tristes des êtres mal-aimés – incompris car, sans doute, trop prévisibles dans leur étreinte...

 

 

Voix stridente – presque insoutenable – perchée sur toutes les hauteurs. Et l'âme fermée – cloîtrée au milieu des instincts – geignant et désirant – sélectionnant les visages et les circonstances – et rejetant le pire et l'intolérable selon une logique implacable (et mortifère) dont la cécité élimine l'invisible et le souhaitable cachés derrière les apparences...

 

 

Des rêves plus haut que les tours – et plus haut que les montagnes. Et qui n'accouchent que d'un sommeil plus lourd à porter – dont nous ne pourrons, peut-être, jamais nous défaire. Enfantant un monde où le néant a la valeur de l'intime. Un monde où l'on occulte ce qui dessert pour lutter illusoirement contre la peur et la mort. Un monde de fantômes moins vivants que ceux qui ont fui les foules et déserté la terre pour la certitude d'un ailleurs plus vivable...

 

 

Et nous cherchons encore du fond de notre sommeil le plus beau rêve qui nous portera à croire à la victoire définitive de la somnolence...

 

 

Nous ne pourrons sauver ce qui ne peut l'être. Un jour, il faudra nous dessaisir du superflu – et de ce que nous croyons encore nécessaire aujourd'hui. Ne restera plus alors que le silence – et notre voix comme un écho dans l'abîme solitaire – et une présence au milieu de la traversée. L'Absolu au cœur de tous les emprisonnements – cette liberté d'être parmi les grilles – et les fers qui pendront toujours à nos pieds...

 

 

Que la parole atteigne le silence au-dedans de l'âme, et le monde sera sauvé. Et nous pourrons alors oublier le temps pour vivre – et chanter – l'Amour...

 

 

L'homme, sans autre horizon que lui-même, a perdu ce qu'il a, en lui, de plus humain que le monde. Une bestialité poussée à l'extrême (jusqu'à ses dernières limites peut-être) qui s'appuie sur quelques balbutiements d'intelligence pour régner sans honte ni partage – et transformer l'Autre – les pierres, les arbres, les bêtes et les hommes – toutes les figures de la terre – en instruments (personnels) dociles et fiables – obéissants. L'apogée en quelque sorte de l'animalité. L’acmé d'une espèce – d'un système et d'un monde – voués à leur seule perpétuation – incapables d'offrir à la conscience l'élan – et le saut – qu'elle réclame pour assurer à l'homme et à la terre un avenir décent et prometteur – et qui annonce, sans doute, l'extinction du vivant et de l'histoire terrestre – la fin d'une merveilleuse aventure – d'une fabuleuse tentative...

Et nous mourrons tous dans cet achèvement...

 

 

Et cette horrible faim qui dévore le monde – et que seul l'Amour peut défaire...

 

 

La vie passe sans nous. Au milieu d'un regard qui indiffère le monde. Langues, rêves, désirs et visages balayés d'un trait de lumière. Folie, raison et prières livrées au même silence...

 

 

Fuite partout où le deuil exige autant que la mort – et où la vie désagrège davantage qu'elle n'exauce les rêves...

 

 

Et l'éternité encore au milieu des songes et des chemins. Et le long soupir de l'inattendu devant les plaintes et les errances...

De la vie, nous ne savons rien sinon cet incompréhensible exil...

Epaves solitaires au fond du désespoir qui a, pour les sages, l'allure – et l'envergure – de la grâce – et qui offre à l'homme la possibilité de la rédemption...

 

 

Une complainte encore au milieu du jour. La caricature de notre visage. Une vie qui crie et réclame ce qu'on lui a octroyé avant la naissance – introuvable sinon dans la fulgurance (immédiate) du plus vif silence...

 

 

Et cette comédie du néant sous les masques de la misère. Comme le (perpétuel) regain d'une nuit interminable qui donne, parfois, à nos larmes le goût du repentir...

 

 

Un ennui, un crachat. Et ces rêves – tous ces rêves – en attendant demain – en attendant la mort. Et cette terre lointaine qui s'avance au creux de notre destin – dans la pâte molle et grumeleuse du quotidien – parmi ces jours tristes à mourir qui s'éternisent...

 

 

Nous sommes nés du vent et de la pluie. D'un rêve destiné à prolonger le sommeil d'un Dieu trop seul pour vivre – et aimer – sa solitude. D'un désir de multiplicité pour rompre la terreur du noir...

Et malgré notre naissance, nous sommes la lumière – cette lumière dans la marche funèbre du monde. Et le silence au cœur du temps qui passe – et au milieu des pas qui piétinent dans leurs ténèbres. Cet œil caché au-dedans de l'illusion...

 

 

Nous gémissons et entonnons quelques adieux prometteurs dans cette douceâtre mélodie du bonheur. Assis au milieu des jours et de la pluie – dans ce froid qui monte à nos tempes. Os glacés sous cette chair pleine d'ennuis et d’espérance...

Nous n'emporterons rien sinon la certitude du néant – et, en son cœur, la joie d'être et de revivre l'incertain...

 

 

Nous avançons, chahutés par les vents – guidés aveuglément par les appels d'un Amour impossible. Feuilles mortes au milieu des allées poussées par la main de l'hiver...

 

 

Et cette solitude au milieu de la vie – au milieu de la mort. Et ces beaux jours – et cette lumière au fond de l'âme – emportés eux aussi, avec nous, dans l'abandon. Comme un soleil au cœur de la nuit. Le visage d'un Dieu recouvrant la honte, la perte et le destin de ceux qui s'en vont...

 

 

Vies cadenassées jusqu'au crépuscule – jusqu'à la mort. Douloureuses entre leurs murs et leurs barreaux – rêvant de liberté et d'un feu plus grand, et plus beau, que leurs brûlures. En attente d'un message du ciel enfin compréhensible...

Vies quelconques – solitaires – posées entre le rêve et le sommeil qui se réchauffent à leurs désirs sous une pluie interminable...

 

 

Il pleut encore sur nos âmes entaillées – défaites – trempées déjà par tous les déluges de la terre. Forêts, soleil et litières aménagés dans l'attente d'un secret – d'une promesse – pour adoucir nos frissons...

 

 

Sirènes des chemins – et rouille rongeant les roues de la fortune. La misère s'étale partout – ici et au loin. Les lampes s'éteignent les unes après les autres. Les portes se referment. Et nos souliers souillés de boue figent nos pas – et interdisent toute aventure – le franchissement de tous les passages. Nous resterons sous l'averse jusqu'à ce que la mort nous délivre – et nous emporte vers d'autres contrées – moins pluvieuses peut-être...

 

 

Il faut embrasser le monde – ses créatures et leurs souffrances – et porter haut dans le cœur les vertus de l'homme. Il n'y a d'autre manière d'être – et de vivre en conscience vivante...

 

 

Quelques paroles offertes à des visages – à des oreilles et à des mains – qui ne savent qu'en faire. Ni se laisser traverser, ni se laisser crucifier. Trop fermes et trop peu innocents sans doute. Incapables encore d'attendrir leur âme pour boire l'eau à sa source...

 

 

Chariots lancés à vive allure vers les portes de l'enfer. Ouvrant une voie magistrale au milieu du néant. Des flammes sur un feu où brûlent déjà l'âme et la peau du monde...

 

 

Les tortures du monde – comme un rêve sanglant dans notre sommeil. Vite oublié(es) lorsque l'aube se lève – et que nous endossons, sans même y penser, les habits du bourreau pour rejoindre notre place devant le billot des suppliciés...

 

 

Chambre, mots, fenêtre. Et cette eau qui coule contre la mort – sur ces rives lointaines où les hommes s'exercent à l'âpre métier de funambule – souliers souillés de sang à ressasser, sur le même fil, le plus vieux rêve du monde...

 

 

Attachés à une pierre, nos yeux sombrent dans ce vieil étang où les jours sont comptés – et où l'amour délasse des heures, du labeur et de l'ennui. Etreintes vives – et sournoises – qui jamais ne percent la surface – cette aire au-dessus du monde où la roche est aussi légère que l'air – et où le ciel n'est que la continuité de l'eau...

 

 

Morts jetés par-dessus le monde. Et les yeux des vieux – ces âmes en sursis – effrayés par les pelles et l'ambition de la jeunesse qui creuse, qui creuse – et qui court, qui court – pour échapper à la fin et enterrer le temps...

 

 

Et cette souffrance du peu – de l'infime – qui déroule ses désirs en rêvant d'infini – d'espace sans fin et de temps arrêté où les visages et les songes auraient la couleur d'un ciel plus vaste et d'une terre moins sauvage – la transparence d'un pays sans malheur...

 

 

Une lanterne à la main explore le plus noir – et le plus profond – du mystère. Comme un jeu au milieu des cordes et des pierres. Une manière de s'affranchir des frontières et du chemin (sans retour) vers la mort...

 

 

Des cœurs, des âmes et des désirs. Bêtes et hommes accoudés ensemble – s'affrontant en joutes imprécises et inégales – luttant contre les vents et le temps. Et s'abritant parfois, l'espace d'un instant, dans le lit d'un rêve pour échapper à ce qui blesse – et à ce qui sépare du plus réel. Et anéantis bientôt par la mort et la mélancolie. Noyés au cours de leur impossible traversée des frontières...

 

 

Privés de tout dans cette nuit où tout se replie, se répète et sanglote...

 

 

La vie et la joie nous viennent comme un poème. Aussi simples que les mots qui jaillissent des profondeurs pour glisser entre les rêves...

 

 

Rivage de la tristesse où l'on s'endort dans l'espérance d'un rire – d'une neige – pour offrir aux pierres et aux visages – et aux fleuves qui coulent sur eux – les couleurs de la première innocence...

 

 

Les sages savent se faire le parfait miroir des insensibles. Et le reflet – et les encouragements orientés – des élans du cœur – de toutes les velléités et tentatives d'Amour tantôt pur, tantôt chargé d'exigences (personnelles)...

 

 

Tout naît et s'écoule dans cette lumière profonde. Arbres, peurs, voûtes, visages, horizons – et jusqu'au ciel – tenus par la poigne solide du vide – cette présence aux vitraux de silence...

 

 

Fleurs aussi belles – et fragiles – que la parole du poète dont les mots ont revêtu le collier noir de la tristesse – et cet air de fête, si discret, qui donne aux larmes – et à la joie – la même envergure que le réel...

 

 

Présence encore au milieu des visages. Comme le seul horizon possible – comme le seul horizon imaginable – plus réel et plus profond que l'allure mensongèrement heureuse des absents...

 

 

Une présence, une joie et un langage enracinés dans le réel et le plus sensible du monde. Êtres et choses comme appuis – et alliés – de l'essentiel...

 

 

A nos côtés sur le chemin, entre ce qui s'ouvre et se referme – entre ce qui s'efface et recommence, la joie guide nos gestes et nos pas vers la justesse (notre justesse) – ce fragile équilibre qui va au milieu des soupirs et des tentations – dans cet écart entre l'Autre, le monde et ce que nous sommes. Au cœur de tous les parcours – au cœur de chaque instant...

 

 

Chutes et dérives entre la source et l'océan. L'eau mêlée au souffle – devient chair – puis âme charnelle à la parole rare – précieuse – pour fendre le rêve et dégoter au fond du désespoir – au fond des promesses – ce qui court sans se laisser saisir – et ce qui nous mène au milieu des pleurs vers cet Autre en nous déjà haut dans le ciel – et si modeste sur terre – humble devant tous les visages – allant discrètement, comme un vent léger entre les vivants et les morts – sur cette invisible frontière qui sépare Dieu et les hommes...

 

 

Et ce sang qui coule – et qui sèche – sur ces sacs emplis de rêves et d'étoiles. Bêtes et cris dans notre sillage – viscères et tristesse exposés – et dénudés jusqu'à l'os – suppliant les âmes de se défaire de leur faim – et de toute chair – pour aller moins tristes et plus libres dans ce monde où l'appétit des mains et des visages reste si atrocement féroce...

 

 

La nuit dans le déclin des heures. Une lueur – mille lueurs – et le jour, bientôt, qui va naître. Au seuil des visages, deux ailes vont pousser – oublieuses, peut-être, des jeux et des bains de sang. A la poursuite d'une volonté – d'un imaginaire – foudroyés par le réel – la présence d'une aurore retrouvée par les hommes...

 

 

L'affrontement des murmures. Le délicat frémissement des âmes. Et la découverte de l'affront – cet outrage permanent à toute forme d'innocence...

 

 

L'âme de l'homme à l'incomparable franchise est – et a toujours été – plus vaste que ses rêves et plus loyale que ses mensonges, aujourd'hui au bord du monde – au seuil de toutes les exigences, un jour, sombrera dans l'oubli et l'effacement – ce à quoi elle aura œuvré sa vie durant...

 

 

J'écris – nous écrivons – sans doute pour que dure le silence – et que le monde et les hommes y goûtent – et y plongent – avant leur mort. Comme de modestes totems pointés vers l’innocence promise – et cette joie dans les gestes de ceux qui y succombent...

 

 

La lumière insaisissable au-delà de l'ombre – au-delà même de toute bravoure. La reconnaissance de notre visage dans le blanc des arabesques qui, en vérité, noircissent le monde et les âmes – et nos vaines prières. Comme des traces obscures et sombres, encensées peut-être par les hommes, mais que le temps, un jour, effacera sans nostalgie pour que nous puissions rejoindre la danse qui se mêle aux étoiles lointaines et aux voix rauques – et heureuses – qui gisent déjà sous le sable – et qui nous attendent...

 

19 mars 2018

Carnet n°141 Aux fenêtres de l'âme – au milieu de tout

Regard* / 2018 / L'intégration à la présence

* Ni journal, ni recueil, ni poésie. Un curieux mélange. Comme une vision – une perception – impersonnelle, posée en amont de l’individualité subjective, qui relate quelques bribes de cette vie – de ce monde – de ces idées – de ce continuum qui nous traverse avant de s’effacer dans le silence…

Nous sommes la main qui cherche – et le visage en partance. L'âme froissée entre les doigts. La halte et le méconnu. Ce qui tremble sous la peur – et sous la joie. Et cette tristesse d'être incompris – mal-aimés toujours ou pour d'imparfaites raisons. Nous sommes ce qui passe et se cache sans savoir qu'on le cherche. Nous sommes la flamme et le feu endormis sous la cendre. Nous sommes ce qui brille et nous révèle la promesse du printemps au cœur de la nuit et de l'hiver. Nous sommes l'histoire, le doute, le rêve et les étoiles. Nous sommes la foudre et les larmes qui coulent sur ceux qui s'en vont. Nous sommes la barque, la porte, la chambre et l'océan. Nous sommes cette voix frêle qui sauve des naufrages. Et ces têtes pleines d'espérance. Nous sommes le bruit, le jour et le silence qui jamais ne finiront...

 

 

Lentement, l'être se rapproche sous les ruines. Comme un fil entre la route et le pèlerin – entre l'âme égarée et son mystère...

 

 

Pieds nus entre les mots, la langue se cabre – se tord – s'essaye à mille acrobaties inutiles alors que le silence est là, déjà, tout entier avant que naisse la parole – ce cri – ce besoin bredouillant de dire ce qui ne peut être atteint que dans le silence...

 

 

Quelque chose, en nous, monte et nous effraye. Un souvenir – une heure heureuse – un goût d'aventure qui, peut-être, nous mènera un peu plus loin...

 

 

Nous avons l'impudeur de voir mourir ce que nous ne pouvons saisir – et ce qui ne nous appartient pas. Et vaille que vaille, un sourire pour pleurer – et remercier à la fois – l'effacement. Et cette chance – incroyable – de demeurer en surplomb de toute assise pour voir tournoyer, avec la mort, les vivants...

 

 

Qui saurait nous dire à quelle époque nous sommes nés... Bien malin celui qui pourrait connaître notre ancien visage – notre visage premier – avant que le monde ne nous fasse naître...

 

 

Il nous faudra quitter le monde et les villes – toutes ces ombres – et ces communautés qui enfantent la mort pour aller seuls sur les chemins où ne règnent que la solitude et le noir – et défier l'horizon et ses tentations mensongères. Ainsi seulement pourrons-nous nous octroyer la possibilité d'un passage vers ce qui nous porte – et nous a précédés...

 

 

Le monde. Une prison – et mille chambres de torture où la chair est débitée – et où la sueur et le sang coulent sur les dalles grises piétinées depuis la nuit des temps... Et nous, fuyant la peur – fuyant la gêne, nous nous retirons de la conspiration pour résister, dans la solitude, à la faim qui s'étend – et se propage comme une ombre mortelle...

 

 

Il y a des pas trop abrupts – et trop purs – pour être heureux. Et des silences trop lourds à porter seul. Et il y a la neige aussi – et la beauté de chaque instant – qui illuminent le monde – cette farce obscure où nous sommes plongés – pour nous dire, et nous redire encore, la possibilité du passage. Et la lumière qui s'habite déjà au seuil de nos foulées tristes et intranquilles. Comme un crépuscule aux fenêtres ouvertes sur l’insaisissable...

 

 

Un Amour familier du langage – attentif aux bêtes et aux hommes – et dont les vêtements sont trop larges pour notre stature mais que l'âme à la folle envergure peut endosser – et porter aux plus hautes vertus du monde...

 

 

Vivant comme vous au milieu du monde et du silence. Déambulant sans raison au cœur des circonstances parmi ces mains et ces visages si âpres dont l'indifférence toise l'innocence qui se terre derrière la prétention et l'arrogance. Aussi seul que vous sous la pluie – et dans le froid – qui confinent notre solitude au mirage d'exister – et à cet espoir de vivre en des lieux moins funestes...

 

 

Plus haut que nos statues de cire, nos rêves. Et plus haut que nos rêves, notre ultime désir – celui qui aspire au réel et à la réconciliation des hommes et des Dieux – à ce mariage insensé entre le Divin et la terre – et au retour du plus sacré parmi tous les bruits du monde...

 

 

Nous vivons à une échelle trop humaine pour faire naître la lucidité. Nous n'avons d'yeux que pour ce qui tourne autour de notre visage, de notre terre, de notre soleil. Il faudrait s'éloigner de tout – et tout embrasser à la fois – pour faire émerger l'envergure nécessaire à la juste perception – et accéder, puis revêtir, le seul regard possible sur ce que l'on est – Un au cœur de tout – et multiple(s) en nous-mêmes...

 

 

Nous ne plierons que sous l'envergure – et la volonté – d'un Dieu intérieur. Et pourtant, une fois sortis du passage – et ancrés à l'humilité, nous continuerons à danser parmi les visages comme si le monde était la (simple) continuité du silence...

 

 

Nous finirons tous dans cette nuit si redoutée – et qui nous assaille dès les premiers instants du premier jour – sans voir la lumière qu'elle cache – cette clarté au-dedans du regard, libéré des beautés et des infamies de ce monde, qui offre sa joie et son silence à ceux qui la pénètrent – et la traversent...

 

 

L'homme. Le vivant. Comme une glaise entre la nuit et la lumière – posée au milieu des peurs et des merveilles...

 

 

Habiter sa propre absence – derrière le jugement et la mémoire – là où rôdent la mort et l'incertitude – sur ce chemin jamais achevé qui serpente entre les rêves et les désirs jusqu'à la liberté de vivre au milieu du monde et des circonstances dans la joie et l'infini sans exigence...

 

 

La braise, la trace et l'errance. Comme un temps dilapidé. Une danse aussi brève que l'étoile filante – et plus terne sans doute – qui finit sa course entre quelques os calcinés et la cendre. Au milieu des visages – de ces milliers de visages toujours inconnus – et de notre voix muette. Au cœur d'un silence posé sur mille pourquoi et un timide peut-être...

 

 

Nous allons comme la buée sur la vitre en glissant vers le bas et l'effacement. Guidés par le ciel, le soleil et la pesanteur. Dans un destin coincé entre deux néants. Et dans ce miracle de l'éphémère qui passe d'un état à l'autre. Dans un cycle éternel – dans un voyage infini où la goutte jamais ne cesse de circuler entre sa fin, sa source et son interminable recommencement...

 

 

Des vents encore. Et des chants qui jaillissent d'un souffle inépuisable pour dire – et célébrer – ce qui agonise et s'éteint – et préparer le grand feu de joie au milieu duquel nous danserons, un jour, tous ensemble...

 

 

Une lune, un linceul et cette brume passagère dans les yeux des hommes qui donne à leur vie – et à leur mort – des allures de nuit et d'hiver...

 

 

Et ce grand saut des yeux en aval des larmes pour conjurer un destin promis aux malheurs. Et cette averse de joie comme s'il pleuvait du silence sur les visages rompus (trop rompus) aux tristes circonstances et à la mort...

 

 

L'inconnu encercle ce qui glisse de nos lèvres – cette parole aux appuis fragiles qui rêve d'infini, de poésie et de silence – et qui s'ébroue parmi les bruits et les rires des hommes...

 

 

Quelque chose en nous se fige – se glace – comme une stupeur – balayée par l'émerveillement devant la fragilité – et l'innocence – de l'oiseau dont le bec fend la graine – et dont l'envol reflète ce que nous avons perdu depuis si longtemps ; ce goût de vivre sans craindre nos instincts ni se soucier de la mort qui guette, quelque part, cachée sur les branches supérieures...

 

 

Une pluie perdue au milieu du froid et du béton coule – coule le long du trottoir – dans le caniveau – pressée, sans doute, de rejoindre le cours des rivières et les flots impétueux des fleuves qui la mèneront vers l'océan. Comme si elle redoutait la ville – le monde et les hommes – et n'aspirait qu'à retrouver sa sente naturelle et le chemin de ses origines...

 

 

Inutile de se soumettre aux lois humaines lorsque la sensibilité du cœur, progressivement plus fine et plus impersonnelle, se fait éminemment plus juste que les pitoyables – et pourtant précieux – balbutiements d'Amour et d'équité mis en œuvre (si laborieusement) par la communauté des hommes...

 

 

Après le silence, le monde demeure l'unique matière à écrire. Et nous nous y employons sous l'autorité – et l'exigence – du jour... Et malgré notre esprit critique et notre goût pour le jugement, nous nous gardons bien d'en blâmer l'indigence, la médiocrité et la noirceur...

Sans le silence – et sans le monde – sans doute n'y aurait-il plus rien à dire – plus rien à écrire – sinon notre effacement total – et celui, tout aussi définitif, de tout élan...

 

 

Nous n'appartenons à la souffrance du monde. Et pas davantage à la souffrance des mots. Notre langage est celui des bêtes – au milieu de leurs instincts et de leur courage – qui se laissent mener sans résistance vers la mort...

Notre parole est un cri, tantôt de révolte, tantôt de joie. Comme un tocsin pour annoncer non à la foule – non au peuple – mais à chaque visage – à chaque âme penchée sur ses malheurs, interrogative – la possibilité du jour – et l'arrivée sans fanfare d'un silence plus prompt à éveiller qu'à enfoncer dans le rêve et le sommeil...

 

 

Murs nus. Sans livre et sans autre raison que celle d'abriter de la pluie et du froid. Dans cet espace plus extérieur qu'intérieur – ouvert par mille fenêtres sur le monde – celui des hommes, bien sûr, mais aussi, et de façon préférable, sur le ciel, les arbres et le silence – sur les pierres, les bêtes et l'herbe qui pousse sur les chemins...

 

 

Des oiseaux par milliers sur notre table – et sur nos bras tendus, haut vers le ciel. Et entre nos lignes trop denses où s'agglomère la boue du voyage...

 

 

Et cet effroi du cœur muet – coupé à la base par des mains trop pressées – et que l'on déchire à coup de murmures et de brouillard...

Une lanterne au bout des doigts comme un feu – fragile – pour éclairer le gravier où glissent les foulées de ceux que l'on égorge au nom de la raison la plus insensée...

 

 

Lettres mortes sous l'accablement. Et l'achèvement de toute parade. La solitude reprend ses droits – et ces mots qui effleurent plus qu'ils n'entaillent les âmes trop pressées d'arriver quelque part – et trop timides, sans doute, pour faire halte au bord d'un précipice oublié – et rejeté depuis trop longtemps. Et, pourtant, le feu commençait à prendre – à brûler quelques parcelles – de maigres interstices, en vérité, laissés en jachère – ouverts à tous les vents mais que les exigences du monde auront, trop tôt, recouverts d'efforts et de volonté...

 

 

Un cri de jeunesse – et une allure guidée par l'allant inexplicable de vivre – aujourd'hui au milieu de leur automne – attendant la neige et le froid au cœur de la solitude. Et songeant déjà à l'hiver et à la mort...

 

 

Nous nous en irons avec la même timidité qu'à notre naissance. Avec quelques rêves en moins. Comme la soustraction nécessaire à notre départ – et à notre délivrance...

 

 

Tout a été dit. Et ne reste plus que cette marche au milieu de la tristesse. Et ces gestes qui indiffèrent les hommes. Et cette solitude au fond de l'âme qui s'est résignée à aimer son propre visage. Et la rencontre, toujours possible, avec celui qui veille en nous, joyeux et serein, parmi les rêves et notre désir encore si vivace de rencontre. Et cet Amour qui dure malgré le temps...

Ô voyage éternel, ami du plus juste et de la beauté qui défait nos âmes tristes et insoumises...

 

 

Nous avons peur du silence – de ce silence à l'envergure plus vaste que celle du monde – et à la puissance plus vive (et redoutable) que celle des vents qui frappent les âmes et les arbres – et couchent nos yeux sous les rêves...

Nous sommes cette chambre secrète qui ne souffre aucun sommeil – aucun relâchement. Nous sommes cette fenêtre ouverte sur la nuit. Et ce jardin où la solitude défie les visages. Et cette eau qui s'écoule – et revient toujours...

 

 

Allons comme à une fête vers la nuit. Et sachons nous recueillir auprès de ce qui dort – auprès de ces choses et de ces visages plongés dans cet étrange sommeil qui jamais ne fera frémir le temps...

 

 

Cette blessure essentielle nous porte vers l'Autre, puis nous ramène vers le puits sans fond de nous-mêmes où, un jour, nous brisons (nous finissons par briser) tous les reflets pour nous agenouiller parmi les autres devant notre seul visage – cette commune absence où le monde devient la chair de tous...

 

 

A l'ombre du silence, l'éternité. Et cette innocence portée au cœur du monde – au cœur des choses – par des lignes oublieuses de l'histoire – et que finiront, sans doute, par oublier les hommes pour marcher ensemble sur le même chemin...

 

 

Nous sortons de l'aube à pas lents pour n'effrayer ni le jour, ni la nuit – ni même les âmes qui se reposent dans le grand jardin des chimères...

Nous sortons de l'enfance pour avancer, incertains, dans l'âge mature des prophètes qui ont converti le silence en éternité...

Nous sommes Un – mille – des milliards – ainsi – arrimés au temps – amoureux des aléas où glissent les destins – et silencieux toujours dans le chaos du monde et des choses...

 

 

Engloutis mille fois dans le sang et la lumière (si mensongère) des étoiles – et dans cette nuit qui dure au-dedans de l'âme. Engagés dans la résistance à travers nos fresques sans âge qui déroutent (ou indiffèrent) le monde et les hommes. En communion avec les cris et la souffrance sur ces rives qui n'épargnent personne...

 

 

Il n'y a souvent de plus grande détresse que celle de l'homme qui sort de son sommeil – et dont les fenêtres n'éclairent que l'exil – et l'affreuse tentation de rêver plus encore...

 

 

Tant de nuit(s) à cette fenêtre où les morts ravivent notre plaie – et où l'espoir ne tient qu'à un fil entre la désespérance et l'oubli...

 

 

Un temps sacrilège que le sacré pardonne – et dont se moquent les sages, revenus des ténèbres, pour dire – et redire encore – sa possible extinction – et sa possible conversion en silence – en un seul instant – exalté – dilaté et infiniment recommencé – au-delà de son illusoire (et apparente) continuité...

 

 

Vitre pâle – vitre sale – contre laquelle s'appuie la tristesse des visages devant la nuit qui s'avance – et qui s'étale au-dedans comme au-dehors. Comme un surcroît de désespérance au cœur de l'insulte et de l'outrage. Comme une noyade des corps et des âmes plongés au cœur de la source – et qui mourront avant même d'avoir pu étancher leur soif...

 

 

Dos tourné contre la nuit – visage appuyé sur le rebord, l'âme guette le dedans du monde et des choses à travers cette lucarne imprécise où l'eau des fleuves circule entre l'extérieur et le fond du regard – et où le passage – les mille passages peut-être – deviennent un pont entre la cécité, la discorde et la lumière – l'éclairage parfait où glissent – et s'effacent progressivement – les ombres et l'ignorance…

 

 

Seul(s) au milieu du monde – derrière un grillage qui offre aux visages et à la terre leurs zones de partage – mille barreaux et mille frontières – comme un immense quadrillage dessiné par la main de l'ombre – cette lumière qui, sans cesse, se heurte aux barbelés de la peur...

 

 

Nous aurons tout essayé sur l'escalier des mensonges. Et nous n'aurons vu que l'horizon se dérober – et mille discordes – dix mille peut-être – entre le tien et le mien – des joutes qui n'auront exalté que la différence entre les flammes de ce feu commun...

 

 

Aux mille bouches qui se taisent sur la pierre, offrons le temps et l'instant confondus – la flèche et la rose – et la brisure des miroirs aux reflets trop légers ou trop austères. Et entre nous, le froid et la mort pourront être rompus. Et nous saurons peut-être alors aller ensemble – au-delà des ruines de ce monde – vers une terre commune où les vents ne souffleront que des jeux et des mots aussi tendres que l'Amour...

 

 

Nous, partout, éparpillés en écume – assis (si) inconfortablement sur les vagues. Regardant avec envie l'horizon blanc – et ignorant toujours l'alliance secrète entre la goutte et l'océan – autant que leur envergure (respective) et le cycle inépuisable de l'eau...

 

 

Sur les craquelures de la page, les lignes inlassablement tentent de polir la lumière. Et les mots – appuyés sur leur besogne – s'élancent vers la halte promise au lecteur – ce suspens du temps – que fredonnent tous les poètes et tous les sages – assis tranquillement – et en silence – au milieu du monde et de la parole...

 

 

Tranquille – serein – entre la faim et l'étrangeté de vivre. Pas même surpris d'être ici – au milieu des visages qui regardent leurs ombres et le temps passer...

 

 

Nous ne nous abandonnons qu'aux interstices des heures sur le fil passager des saisons. Heures et années portées au milieu du front – et mille petits trésors noués à la mémoire. Foulées fragiles au milieu du gué – au milieu du pont – entre deux rives inconnues...

 

 

Nous dialoguons avec ce qui s'absente. Et la nuit nous parle des êtres et des choses – et nous confie ses secrets ; ses alliances avec les vents, la finitude du monde, la beauté des visages en elle enfouis qui la contemplent. Comme un interminable prélude avant le silence...

 

 

Un voyage aux mille détours entre le monde et le silence – présent déjà au fond des âmes – au fond de nous-mêmes...

Et cette attente interminable entre la soif et la source. Mille chemins et autant de larmes. Et ce regard qui se pose sur nos mains fatiguées. Et le jour qui décline. Et la nuit qui, sans cesse, revient recouvrir le silence...

 

 

Au milieu de tout ce qui s'agite – et de ces parades insolentes dont l'allure ne trompe que les insensibles et les imbéciles. Au milieu des ombres qui crient – et se débattent encore dans ce peu de lumière au fond des yeux... Mais Dieu soit loué, nous voilà tranquille. Et notre main aligne ces mots pour surprendre l'impossible suspendu au-dessus des têtes. Comme si nous étions plus vieux que la mort – et sage depuis bien longtemps...

 

 

Les cloches ont sonné. Les portes et les églises se sont refermées. Et, en ce jour de mort et d'effacement, nous voilà encore plongés dans cette ivresse – cette hébétude un peu niaise de l'ignorance. Regrettant la beauté du sable que nos pieds auront foulé – et que nos mains auront entassé dans la pauvre fiole du temps. Quelques lignes encore dans le juste alignement de la lumière. Comme un adieu au monde et aux vivants. Comme un dernier bruit – un dernier cri peut-être – celui de la solitude sans doute – avant de voir le long cortège des visages – et la petite procession d'inconnus – déambuler avec tristesse et nonchalance derrière la petite carriole qui nous mènera jusqu'au tombeau...

 

 

Un instinct nous guide au milieu de ce monde et de ses fantômes – au milieu des rêves et des mensonges. Il nous murmure la clarté de l'homme et les prières du silence – nos dernières volontés – le secours de l'âme – et la fin des guerres et de l'illusion. La réconciliation possible entre ce qui dort et ce qui refuse le sommeil. Le point d'entrée – et l'envergure – de la lumière plongée au cœur de l'ombre...

 

 

Il n'y a de (véritable) poésie que dans le regard et le geste silencieux. Celle qui s'invite sur la page n'est que l'acharnement maladroit des mots à vouloir prolonger ce que nous avons (trop précocement) rompu – et ce que nous avons, sans doute, à peine effleuré. Une vaine tentative – et les scories d'un vivre amputé de grâce et de légèreté...

 

 

Dire encore ce que le monde nous aura offert. La vie – ses merveilles, sa diversité – et cette intelligence qui, en nous, se cogne à nos frontières. Et le crier encore et encore – sans rage – avec la patience des fleurs en hiver qui attendent la nouvelle saison. Avec ce feu, âpre et insolent, au fond de la gorge qui aimerait convertir le sommeil et la somnolence en flammèches et en lueurs vives pour que ce regard – et cette grâce de vivre – d'être vivant – soient partagés. Et avec ce poing levé – sévère – intransigeant – contre l'ignorance, la bêtise et l'infamie...

 

 

Ivres de ces vieilles fêtes qui nous tournaient la tête. Assoupis – somnolents devant ces soleils de pacotille créés pour dissiper illusoirement la nuit...

 

 

Il faut du courage – et de la passion – au passeur de lumière pour qu'il sache s'affranchir des étoiles – errer au milieu de l'horreur – et débusquer la beauté au milieu de la laideur enfantée par la faim. Il faut de la vie, du feu et toute la solitude d'une âme incomprise pour percer le fond des rêves et des peurs – traverser les instincts les plus cruels et le néant – et délivrer le monde. Et il faut de la patience pour convertir les yeux en innocence et en émerveillement – seuls gages d'une réelle fraternité avec les vivants...

 

 

Le poète marche autour d'un centre qui s'avère, en vérité, le fond du monde – le fond des êtres et des choses. Un puits de lumière enfoui dans les ténèbres – dans cette nuit où passent, s'enlisent et se perdent, si souvent, les hommes...

 

 

Il faut embrasser la vie, la fuite et le néant. Embrasser tout jusqu'à la mort et jusqu'aux rires noirs et moqueurs plongés dans le sommeil. Il faut aimer la magie, la beauté – la cendre et la neige – et jusqu'à la fidélité des bêtes aux instincts. Il faut tout vivre – et mourir sans craindre les lunes que le monde nous a invités à regarder et à suivre – et se tenir à distance respectable des yeux qui convoitent – et des mains qui assassinent au nom de la science et du profit. Et il faut aller, l'âme dans sa besace, pieds et tête nus jusqu'au bout de la terre – franchir l'ultime frontière où les barbares – tous les barbares – seront refoulés – et traverser les limites de cette terre où vivre devient (enfin) sagesse. L'infini, sans doute, n'est pas ailleurs...

 

 

Une autre carte et un autre territoire sont possibles. Mais n'allez pas imaginer devoir quitter le monde pour les trouver. N'allez pas imaginer devoir convertir votre vie en ermitage. Vivez simplement ce qui vous échoie. Vivez au cœur des circonstances et des visages sans jamais trahir votre solitude – et ce silence, en vous, qui vous attend...

 

 

Le sacrifice des images nous oblige parfois à porter la tête haute devant la foule que toutes les histoires – et que tous les mensonges – exaltent. Un jour, pourtant, nous délaisserons ces terres pour un ailleurs, perdu au-dedans, bien plus vivable...

Ne devenons pas le simulacre et les boniments que le monde idolâtre. Soyons plus vrais que l'espoir et la certitude d'exister...

 

 

Quelque chose s'écoule de nous qui est plus beau que nos dérisoires trouvailles. Quelque chose s'écoule de nous qui est plus vrai que la certitude du monde. Quelque chose s'écoule de nous qui a le même parfum que la lumière et l'éternité...

 

 

Un monde de bâtons sculptés à la manière des barreaux – qui se convertissent en appuis et en frontières – pour donner au sentiment d'exister une vague impression d'appartenance – et définir des territoires où chaque zone – chaque parcelle – est guidée par la violence et la défense du provisoire et de la différence au détriment de l'unité et de ce qui demeure en deçà et au-delà de toute illusion de propriété...

 

 

Nous engloutissons le monde sans voir qu'il est comme un fruit véreux promis à la pourriture et à la désespérance – au lieu de danser avec ce qui le gangrène – d'offrir l'innocence à ceux qui s'en nourrissent – et d'inviter chacun à vivre dans la beauté du partage...

 

 

Modeste anonyme – cœur sensible et solitaire – amoureux des bêtes, des livres et des arbres – que la corruption des âmes et des visages dévaste – comme une permanente torture. Et dont le rêve est aussi simple que la lumière – et aussi vaste que l'Amour ; retrouver le silence et l’innocence d'avant la naissance du monde...

 

 

Oraisons, fugues et figures tenaces au milieu des pierres – près du cercle où patientent les âmes...

 

 

Nous irons sans bruit au détour de quelque chemin nous perdre dans la forêt pour revivre mille fois encore, l'âme ouverte comme une fenêtre, le renouveau du monde et le parcours de la pluie entre le ciel et la source...

 

 

Nous grandissons dans l'idée de la forteresse – piège aux tours immenses dont les murailles emprisonnent davantage qu'elles n'offrent de privilèges. Et, plus tard, nous bâtissons encore – plus haut – plus épais et plus solide – des donjons et des remparts du haut desquels nous dévisageons le monde sans être à l'abri de ses terreurs. Et à notre mort, on nous enterre en posant sur nos os une stèle sur laquelle quelques mots prouveront que nous aurons existé...

 

 

Un feu encore – comme un souvenir qui nous hante – l'engagement à cor et à cri de nos entrailles dans la lutte et le tumulte – et ce grand galop poétique à la recherche de l'horizon – de ce point d'entrée dans le silence...

 

 

Et cette main au fond de l'oubli – au fond de la terreur – qui nous retient – et nous rattrape – pour nous porter plus haut que les malheurs...

 

 

Nous creusons le quotidien – le fond des choses et des visages. Et derrière la lie – sous la boue des apparences et de la différence, portées comme une croix – se révèle ce qui demeure – cette joie tendre et cette lumière un peu terne et noircie par la tristesse et la cendre – la poussière et la mort. Comme une lampe qui hante les sous-sols à la recherche d'un peu d'air – et d'un grand sourire enroulé autour de lui-même qui n'ose encore éclore...

 

 

Nous ravaudons ce qui ne peut durer comme pour assouvir un besoin tenace de préservation et de perpétuation. Et pourtant, tout déjà se défait et s'efface – et s'enfuit là-bas en ce lieu de l'inachevé où la mort requinque et ravive ce qui peut se poursuivre. Dans cette quête un peu folle – presque insensée – de l'après où chaque nouveau maillon n'est que l'élément manquant d'une chaîne interminable...

 

 

Nous sommes la main qui cherche – et le visage en partance. L'âme froissée entre les doigts. La halte et le méconnu. Ce qui tremble sous la peur – et sous la joie. Et cette tristesse d'être incompris – mal-aimés toujours ou pour d'imparfaites raisons. Nous sommes ce qui passe et se cache sans savoir qu'on le cherche. Nous sommes la flamme et le feu endormis sous la cendre. Nous sommes ce qui brille et nous révèle la promesse du printemps au cœur de la nuit et de l'hiver. Nous sommes l'histoire, le doute, le rêve et les étoiles. Nous sommes la foudre et les larmes qui coulent sur ceux qui s'en vont. Nous sommes la barque, la porte, la chambre et l'océan. Nous sommes cette voix frêle qui sauve des naufrages. Et ces têtes pleines d'espérance. Nous sommes le bruit, le jour et le silence qui jamais ne finiront...

 

 

Un rêve d'immensité sous la contrainte. Et le silence au-dessus des drapeaux qui flottent sur les territoires. Et le craquement des pas sur les chemins qui nous mènent jusqu'au jour clandestin – là où le passage devient possible – là où le labeur s'abandonne à la tendresse et à la rugosité des pierres – là où la mort n'est plus une chose ancienne ou un songe lointain – là où l'on sent battre, entre les rêves, un peu de vérité...

 

 

Nés d'un désir et d'une nécessité amputée de sa complétude – entre la grâce et la malédiction – le merveilleux et le malheur. Le sort du vivant offrant aux créatures de cette terre l'ignorance et l'effroi – l'horreur et la possibilité de la délivrance ; la seule issue à tous les rêves...

 

 

Nous aurons manqué l'essentiel – le silence suspendu aux âmes – appuyé(es) sur nos pitoyables béquilles qui ne nous auront guère aidés à marcher sur le chemin de la vérité...

 

 

Nous dirons encore tendrement la fraternité du brouillard qui donne à la nuit (à notre nuit) une allure moins effrayante – moins épouvantable. Et nous maintiendrons encore captifs ces petits riens et cette évidence sur nos jours qui cogne à la vitre – et que nous abandonnons à la résignation...

Discrets et sages, en somme, au milieu de nous-mêmes...

 

 

Et ces larmes, comme une rosée discrète, qui ensorcellent les jours – et nous font craindre – et refuser – la voix pure du silence, la simplicité du soleil et la belle transparence des âmes qui, à l'aube, entonnent leurs prières...

 

 

Un jour, nous irons nus sur la vaste étendue avec cette ferveur un peu désuète des néophytes – avec le regard affranchi de la gêne – hors du temps – hors de l'histoire – hors du monde. Et nous nous étendrons comme une bouche immense – et souriante – appuyée contre l'azur pour livrer des paroles sensuelles que n'altérera aucun amour. Et la brûlure deviendra joie – et la nuit plus claire que nos plus fastes jours...

 

 

Un chemin de pierres et de douleurs où se consument tous les allants pour un autre plus vif – et moins noir – où l'effacement couronne tous les retraits et toutes les soustractions successives...

A marche perdue, en somme, vers ce lieu des nulle part...

 

 

[Modeste hommage à Catherine Pozzi]

L'âme divisée – le double exil – ni de terre ni de ciel. Dans cet entrelac du jouir et de la douleur. Entre la peur, la cendre et l'espérance d'un ailleurs. Corps chétif à l'assaut d'un monde impossible. Âme éprise du plus grand jour. Et dans la tombe, pourtant, quelqu'un est mort...

 

 

La sauvagerie et l'angoisse des jours incertains. Comme un amour donné puis repris. Comme un temps passé dans l'attente d'improbables délices. Et la mort qui fauche dans l'ultime élan – celui qui, peut-être, nous aura fait naître et mourir...

 

 

Un jour, un mot, une mémoire. Et cette langue qui s'insinue dans l'histoire pour crier à la foule nos rêves – et ce que nous croyions avoir atteint – et même possédé peut-être. Le délire d'une âme oublieuse de son sommeil – arrachée à son mirage – et qui s'écoule, à présent, jusqu'aux rives douloureuses de la mort...

 

 

Une fenêtre entrouverte que franchit le cœur – douloureux – brisé sans doute – et, à sa suite, ses copeaux et le sang de ses entailles. Un nouveau voyage vers la trame – l'origine peut-être – des drames. A la recherche d'un étrange inconnu – un mystérieux alter ego – dont le visage serait indemne des traces, des peines et des prières...

 

 

La dérive, la fuite et la survie. Et ce malheur du sang né de la finitude et dont l'envie n'est que l'infini – l'Absolu – qui dissipe la nuit, la tristesse et la mort...

 

 

Des siècles, du sable. Et cette désespérance. Cette folie à tourner inlassablement dans l'abîme en rêvant d'ailes et d'oiseaux aux plumages enfantins volant au-dessus des rives où tout est endormi. Bercés par le chant et la lumière des astres qui brillent au fond de notre sommeil...

Surpris toujours par ce qui ne peut périr – ni être conquis sans Amour...

Proie d'un séjour qui nous noie et nous fait mourir...

 

10 mars 2018

Carnet n°140 L'étrange labeur de l'âme

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Des vies jetées dans l'impossible où le courage sera toujours insuffisant pour surmonter les épreuves. Il faudrait une autre main – un autre appui – pour survivre à tant de rêves et de douleurs...

Des vies pauvres. La terre des gens dont la naissance n'aura rien épargné. Quelques gestes, un peu de tendresse et la rugosité des âmes et des visages. Et la callosité des mains qui auront remué la terre pour subsister. Et un peu de rêve aussi, sûrement, pour se réchauffer sous la pluie – et trouver la force d'espérer encore...

La route est noire. Et que restera-t-il après l'oubli... Quelques visages peut-être – rencontrés au milieu du gué. Et un parfum ancien au milieu des souvenirs qui résistera à l'usure du temps. Et un peu d'eau où rôde la mort – juste assez pour poursuivre – et épuiser – la marche. Et un rêve parfait pour désigner le jour affranchi du hasard et des secrets...

 

 

Ici, ravi du monde et des étoiles. De l'ombre, des fleurs et du désarroi. Des luttes et de nos pas nus sur la terre. Des rêves et des chevelures somnolentes. Heureux de tous les présages dans le sillage du silence...

 

 

Nous tremblons, légers, entre le doute et la grâce au milieu des forêts et des fleurs – offrant au cœur le sacre de ce qui l'a précédé – cet ailleurs perdu en nous-mêmes et qui perce déjà dans notre poitrine survivante...

 

 

Le cœur en haut – en tout – qui voltige dans la neige – au milieu des rêves – des revenus et des revenants – ces disparus oubliés des souvenirs – perçant l'or et la mémoire – cet ailleurs qui s'étale, à présent, parmi nous...

 

 

La chair assise en plein jour – là où la mort ne peut frapper – au centre de l'âme privée de faim...

 

 

Nous sommes pareils à des enfants qui rêvent de sucreries – longeant le monde – les murs du monde – et bousculant les visages pour défendre leur place dans la longue queue qui s'étire devant la porte d'une boulangerie imaginaire...

Rien ne nous effraye. Ni le temps, ni la mort, ni l'attente, ni la faim. Et nous traînons notre rêve sur le bitume des jours. Affamés de tout ce qui est loin de nous. Les yeux fermés dans l'ivresse de ce qui passe...

 

 

La mort, le sable et la peur. Et la visite impromptue des Dieux qui se prélassent d'ordinaire dans la grâce – hors des instincts. Nous ne parvenons à déchiffrer ni le passage ni l'éternité. Aveuglés, sans doute, par trop de sommeil. Nous vivons – et défilons le temps – sans entendre – ni attendre – les exigences de notre fin. Et, pourtant, le cœur reste vagabond – inapte encore à retenir ce qui passe...

 

 

Nous communiquons le rite, le rut et la nuit pour retenir la vie nomade – la vie qui passe. Nous célébrons, en gestes timides, le corps et les visages que le temps efface dans son implacable goutte à goutte. Nous sommes l'herbe, l'arbre et l'homme – et le démiurge insensé que l'âge et la mort finissent par épuiser. Nous vivons dans la proximité d'un vertige plus grand – et plus fou – que l'icône d'un Dieu adulé et accusateur qui condamne nos gestes avant même notre premier souffle. Et nous allons avec nos mains sales – et notre cœur encore innocent – jusqu'à l'heure des funérailles dans la négligence et l'abandon – et revenons à la fin de toute histoire, comme l'oiseau le plus sacré, pour revivre notre désir d'enfance – et épuiser notre faim de devenir dans l'oubli et l'ajournement de la mort...

 

 

Feuilles et voix tremblantes devant la mort – cette certitude improbable de la fin...

 

 

Aussi vivant – et amoureux – que le poème, cet art de pénétrer la vérité – ce cercle invisible – et de lui offrir ses lettres de noblesse. L'éclatante et magistrale vibration de l'être au milieu d'un monde où vivre est (trop souvent) l'égal de l'enfer et de la mort...

 

 

Désespéré, peut-être, jusqu'au dernier soir de crédulité – jusqu'à ce que le froid, si vif, du jour nous ordonne de vaincre notre condamnation – et d'être plus vivant que l'écriture qui émerge de l'hiver et de la solitude...

 

 

La passion pour le blanc – comme un éclair irrespirable dans la mainmise nauséeuse (et nauséabonde) des jours – dans cette vacance du monde qui dure – et s'étend – jusque dans la parole non poétique des hommes...

S'éloigner toujours – au cœur de cet exil si propice à l'Amour...

 

 

Qu'y a-t-il sous les paupières des hommes endormis... L'impuissance du départ – l'impossibilité de la métamorphose. Des rêves peut-être plus lourds que le plomb de leurs gestes – animés par le désir et la faim. Et ces instincts qui diffusent leur amplitude jusque dans leurs plus intimes (et mystérieux) silences...

 

 

Nous pensons en des gestes trop timides pour consacrer l'inattendu. Nous sommes la cachette d'un trésor inavouable – et la source du désordre du monde. Et le plus simple abandonné à la fatigue...

 

 

Nous tremblons entre les cauchemars et le miroir où nos visages se reflètent avec gravité. Nous négligeons la fin – et le travail de l'âme sur la portée des destins. Nous avons oublié l'art difficile de la mélancolie et les déambulations solitaires. Nous ne voyageons plus qu'à travers nos rêves – assassins du seul désir d'être nous-mêmes...

 

 

Un souffle, une caresse encore pour nous dire d'oser – et de délaisser les plaisirs de l'enfance pour une patrie affranchie des jeux qui chiffonnent l'âme sans parvenir à l'étendre au-delà des replis du monde...

 

 

L'apaisement ne viendra qu'avec notre défaite devant le vivant – qu'avec notre abandon à l'infortune d'être né...

 

 

La nuit sera solitaire encore – plus blanche que repoussante. Et, avec elle, nous irons – et sauterons par-dessus nos prétentions pour rejoindre la rive au milieu des rives qui nous attend...

 

 

Un virage encore – s'entassant sur d'autres virages plus anciens. Une dérive, en vérité, parmi les incendies et les noyades, si nombreuses, qui étranglèrent notre vie. Une retraite – un abandon à ce que nous avons toujours fui. Et ce regard déchiffrant la peur et la mort comme le signe d'une sagesse possible – accessible au cœur de toute traversée...

 

 

Et cette vieillesse naissante qui enchante davantage qu'elle n'accable. Et qui rejoint l'âme si désireuse d'oublier les chimères de la jeunesse – et ses ambitions comme autant de signes de crainte à l'égard d'un monde incompris. Et cet Amour, à présent, des visages qui porte à la joie – et décourage les allants qui, autrefois, défiguraient les rêves. Comment oublier ce que furent nos détours et nos percées dans la bouche immonde (et écœurante) des Dieux dont le rire et le silence découragèrent toutes nos tentatives d'immobilité...

Nous avons déambulé ainsi au milieu des joutes et des pensées, creusant les rives du monde jusqu'à en perdre la raison – au cœur d'un lieu perdu à nous-mêmes, et pourtant déjà conquis...

 

 

L'aridité du monde et des visages comme le reflet d'une insensibilité (quasi) génétique. Le signe d'un masque arrimé à notre destin pour nous empêcher de nous effondrer – et de sombrer au milieu de l'indifférence des pierres et des hommes...

 

 

Nous voyageons seuls au-dedans d'une ivresse qui jamais n'enseigne à nous jeter dans l'abîme – et à fendre de nos yeux la coquille posée entre le regard et les instincts. Ainsi demeurent imperceptibles la blessure et le mystère. Et les mains ont beau chercher partout – et retourner le hasard – la vie se confine à ce trouble qui aveugle l'âme dans son unique désir...

 

 

Assis – en éveil – à l'affût de ce que nous pourrons réinventer pour que s'effacent la peur et la mort. Au milieu d'un désir que nul jamais ne pourra corrompre...

 

 

Rien ne cesse de mourir. Voilà, peut-être, pourquoi nous tenons – et nous nous accrochons – tant à la vie – et que vivre nous inspire les plus fous délires d'éternité...

 

 

Un soupir au milieu des rêves. Un souffle dans nos ressemblances. Comme pour mieux survivre à nos différences...

 

 

Nous regardons plus loin – bien au-delà de la mer secrète – par-delà nos bras en prière qui mendient leur métamorphose...

 

 

Nous jouons avec les rêves et le vent comme si nous étions des enfants indociles – trop immatures et trop timides pour affermir – et nous appesantir sur – cette folle envie de réel qui crie au fond de notre âme – et clarifier ce qui se montre à demi-mot derrière le fantasme du langage...

 

 

Un souffle, une musique. Quelques notes légères sur la page blanche où notre âme a décidé de se confier...

 

 

Entre l'ordinaire et l'invisible, nous poussons nos débris – ces blessures de l'âme que ni la vie ni le monde ne peuvent soigner – et qu'aucun visage ne peut guérir. A demi-morts, nous allons ainsi – traversant les orages et la pluie – derrière nos efforts, en rangs serrés – pour rejoindre l'aire des métamorphoses...

 

 

Des vallées – hautes comme les arbres – avec leurs tours, leurs jouets – tous leurs délires qu'elles jettent plus loin – dans cet ailleurs introuvable par les âmes. Et leurs bruits – ce flot retentissant et ininterrompu de promesses qui jalonne les parcours, les rues et la tête des hommes. Et plus loin, là-bas, retranché au milieu des bois, ce petit homme – ce mélange de joie et de nudité – que nul n'a jamais pris la peine d'écouter – et dont nul n'a jamais soupçonné l'envergure – et qui, à présent, s'apprête à mourir au cœur d'un soleil qui l'aura vu grandir et s'élever au-dessus des horizons bâtis par les foules. Prêt à rejoindre cette douceur qui avait échappé, de son vivant, à son visage – et œuvrant de toutes ses forces aujourd’hui, sans employer la moindre ruse, pour se hisser au fond de l'abandon – avec cette solitude, si chère à son cœur et à sa voix, portée sur chacune de ses lignes – éclairée aux derniers instants par une lumière plus tendre et plus caressante que celle de l'espoir et des étoiles...

 

 

Le monde et ses fables tissés de nos seuls rêves. Comme l'écran entre nos fers, nos cordes et l'océan...

 

 

Nous cherchons ce qui monte en oubliant ce qu'assassine toute ascension. Nous cherchons ce qui brille pour repeindre d’un peu d’or – d'un peu de lumière – ce gris un peu maussade de l'ordinaire. Et cette négligence, si pardonnable, n'assure pourtant aucun passage vers ce que nous portons à l'envers du hasard – au milieu de nos pas – de chacun de nos pas – trop pressé(s) pour s'abandonner à la chute et au naufrage...

 

 

Le monde, le vent et la misère de ces visages déchus au cœur même de la grâce...

 

 

Nous sommes seuls sur cette échelle posée entre la nuit et le silence – au-dessus de ces abîmes inventés par la lumière...

 

 

Enfoncés dans cette odeur de terre aux relents de morts – chavirés par les rêves, l'orage et la pluie qui scintillent dans tous les yeux. Insensibles au chant de l'oiseau qui monte des entrailles de l'âme vers la gorge pour rejoindre l'infini – et s'y déployer comme dans l'air des origines...

 

 

Nous tâtonnons de la naissance jusqu'au linceul qui recouvrira, un jour, notre visage sans voir – ni même imaginer – la ronde d'autrefois – la danse première – cet élan fécond qui durera plus longtemps (bien plus longtemps) que nos mille morts successives. Ce puits – cet espace – au fond de l'âme qui fait battre notre cœur qui pulse le sang dans nos veines d'éternels survivants...

 

 

Nous allons sans savoir vers ce qui nous porte depuis la naissance du premier monde – vers ce qui échappe au temps – et que les circonstances et les saisons dévoilent lorsque notre visage sait être seul – et se faire attentif à ce qui le précède et le prolonge...

 

 

Au milieu du monde et du chaos, sous les gouttes d'une pluie interminable, sans même un visage pour nous sourire, une épaule pour nous réconforter et une main pour nous rattraper – et sans même un désir de lumière qui nous offrirait l'élan nécessaire pour rejoindre le silence oublié parmi les rêves...

 

 

Nous vivons dans l'élan – et la mémoire – d'aucune nécessité. Comme des bateaux ivres – et restés à quai – à l'ombre d'une immobilité sans enseignement. Nous voyageons au hasard – et le corps raidi – entre les abîmes et nos blessures – avec cette vie précaire et le reflet changeant des miroirs posés au milieu des peurs – sous le silence de l'imperceptible...

 

 

Nous nous troublons de toute velléité de réveil – lisses au milieu de la mort que nos farces n'ont jamais su réinventer. Nous nous accrochons à tout ce qui recommence sans savoir (ni même pouvoir) goûter à l'achèvement du moindre jour – et sans même sentir que notre âme est suspendue (depuis toujours) à l'éternité...

Nos mains, pourtant, pressentent ce feu oublié au fond des eaux. Mais nous n'avons (encore) ni la force ni le courage de rejoindre les confins du regard – l'ignorance, sans doute, trop vissée aux ténèbres et à ces rêves qui défilent parmi presque rien...

 

 

Nous nous approchons insidieusement d'un sommeil qui durera bien après la mort. Comme un point infime sur une carte sans frontière – sans limite. Comme une illusion supplémentaire née de notre imaginaire...

 

 

Le temps des navigateurs est, peut-être, à jamais révolu. La mer n'incite plus qu'à la fuite dans l'arrière-pays où se sont retranchées toutes les âmes sédentaires. Le vent n'est plus qu'une crainte. Et le voyage, un songe pour délasser de l'ordinaire...

 

 

Paupières closes aux choses du monde et de la nuit. A toute aventure. Volets fermés sur cette immense fatigue. Et partout – sur la chair, sous les couvertures, lourdes et matelassées, et dans l'âme – le trivial, les rêves, la somnolence et la cruauté sans passion...

Des cœurs sans suite et sans idée dont l'attente, si passive, écarte le jour et ne saura jamais percer leur mystère...

 

 

En d'autres temps, nous aurions envié la lune – et ses secrets – enfouis dans la lente retenue du soleil et des étoiles – à la lumière si ancienne. A présent, nous répétons que la fièvre montera plus tard lorsque les gestes sauront fouiller dans la langue – et que les mots grimperont dans la sève et le sang de cette âme trop paresseuse pour aller, seule et nue, vers ce mystère qui n'appartient à personne...

 

 

A présent, nous avançons masqués – la peau peinturlurée de signes étranges – camouflant notre visage et son ardeur – enfonçant le pire et le mensonge au fond de nos yeux et de nos rêves comme si la nudité nous effrayait davantage que l'absence et la mort...

Et nous nous agenouillons devant des lèvres plus rouges que le sang comme si la vérité pouvait naître de la parole. Comme si nous voulions rompre le silence – ce porteur d'éternel – pour le remplacer par quelques mots lénifiants – tout juste bons à encourager l'attente, l'impuissance et la paresse...

 

 

Et cette rouille accrochée à l'âme et au langage – qui ronge nos rêves d’échappée et l’ardeur de nos élans vers une issue – comme si nous abritions une tristesse incorruptible – indéboulonnable – au fond de notre espérance...

Emprisonnés au milieu de tous les impossibles (et de tous les interdits) pour que rien ne puisse éclore en deçà – ni au-delà – de la mort...

 

 

Aucun mot, ni aucune vérité ne peuvent éclore sur l'aridité des âmes. Et les rives sont trop insensibles au langage et au poème pour que naisse – et s'épanouisse – une poussée ardente et spontanée vers l'Absolu. Les masques et les rêves sont trop corrompus – trop encerclés – trop enfermés dans la fainéantise pour traverser notre épuisement et nos rivages...

 

 

Nous reléguons l'obsession (notre obsession) du silence à un songe lointain – invivable – inaccessible – préférant la nuit à la possibilité du jour...

 

 

Nous sommes devenus des monstres amorphes et pathétiques – grisés de rêves et d'alcool. Et les lois – toutes les lois – du monde nous font répéter à l'infini – jour après jour, vie après vie – notre impuissance et notre goût (si suspect) pour la torpeur. Elles essoufflent notre ardeur et notre allant au lieu d'exalter notre désir de foudroiement. Elles étendent nos corps sur le sol jonché d'or et de cadavres en jetant par-dessus les abîmes la seule issue pour endiguer les malheurs (les nôtres et ceux du monde, bien sûr) et résoudre notre mystère...

 

 

L'attraction permanente des abîmes et de la mort. Et le courage des créatures en suspens – de ces mille êtres plongés dans l'attente patiente de leur fin...

 

 

Et ce double en nous qui tutoie les étoiles et embrasse les mirages comme si les rêves étaient la seule matière du monde...

 

 

Nous aimerions vivre au-delà du connu. Mais sur nous pèsent les heures et les signes invisibles de la mémoire. Nous aimerions vivre dans la magie permanente du monde – hors du temps. Mais nous vacillons sous trop de poids – et trop de danses – pour exister avec légèreté et innocence...

 

 

Un instant en suspens – au bord d'un silence qui a vu naître notre premier visage – celui d'avant notre naissance – lorsque l'écoute, la pensée et le langage partageaient leurs lèvres et buvaient à la même coupe audacieuse – gigantesque – immense – posée à la source de toutes les sources – au milieu d'une lumière qui ressemblait, à s'y méprendre, à notre nuit...

 

 

Quelque chose vient que nous ne savons pas – et qui s'éloigne sans même que nous nous en apercevions. Un passage au cœur des heures – au cœur des jours. Présent dans cette absence chronique à nous-mêmes...

 

 

A l'envers du dicible – à l'envers de tout décor, le silence. Et à l'envers de l'envers, les mots et la parole qui se glissent dans la bouche et le poème pour honorer celui qui ne peut être célébré que dans ce qui précède la louange…

 

 

Ecrire serait-ce ravauder la blessure... Serait-ce le baume de toute vie – la réconciliation avec ce qui nous blesse – et ce que nous ignorons... Une manière, assez sage (ma foi), d'aller vers ce qui nous échappe – et nous échappera toujours... Une façon de vivre parmi les rêves et les mensonges... Une façon de vivre au milieu des ombres et de la nuit – et de trouver le courage d'y séjourner sans trop d'emprise...

 

 

Brume épaisse là où l'on devine la clarté. Et ce noir indéfinissable – permanent – au fond duquel brille la lumière. La cause, peut-être, du désespoir des hommes et des bêtes – abrités de leurs privilèges par le resserrement progressif des murs entre lesquels ils coulent des jours de plus en plus malheureux – entre lesquels ils subissent une infortune grandissante...

 

 

Des vies comme du bois mort sur la plaine – coupées depuis trop longtemps de leurs racines pour survivre à la pluie et au temps...

 

 

Il suffirait d'un seul jour – d’un seul instant – pour que la nuit se retire. Il suffirait d'un rêve plus haut que le monde pour que s'installe la beauté au seuil de toutes les chambres – et que ruisselle, chaque matin, la joie de revivre ce que l'on croit tenir et qui s'échappe...

 

 

Et ça rue, et ça couine, et ça geint. Mon Dieu ! Que de cris et de gesticulations avant de pouvoir vivre le renouveau sans un mot, sans un soupir, sans un regret...

 

 

Le tragique des jours et le tragique du monde. Et cette souffrance – et ce lent délitement – des corps jusqu'à l'effritement – la déchirure – la rupture avec le réel...

Et cette beauté secrète dans le regard de celui dont le corps – et la vie – ne peuvent s'en affranchir mais dont l'âme a su se livrer au silence et à l'abandon...

 

 

L'attente d'un silence – d'une réalité plus vraie que l'histoire du monde. L'attente non d'un Dieu – non des Dieux – mais des vents de la terre sur notre visage émerveillé...

 

 

Une voix encore nous appelle – et qui a pris appui sur la mort...

 

 

Notre âme s'est couchée dans son berceau d'épines. Et la lune, de son ombre, a recouvert notre sang. Au loin, le jour arrive – et dessine déjà le soleil dans notre nuit trop grise pour appeler, d'un poème, la vie ardente – ce feu qui sommeille dans nos eaux trop mortes et trop tumultueuses...

 

 

Un alphabet – hors du langage – nous guette en chaque poème. Il veille à surprendre la raison – et à la faire capituler devant l'ampleur des signes et de l'incompréhension. Et c'est à l'âme, bien sûr, qu'il s’adresse – à cet espace que le cœur protège de la folie pour survivre – et avoir l'air (avoir l'air seulement) moins insensé que l'Amour qui nous porte...

 

 

Des âmes sombres à l'ombre des grands arbres. Assises dans la grande nuit du monde et le noir des forêts. Et l'énumération des choses ne livrera aucun trésor. Et leur possession ne réussira qu'à exalter notre tristesse...

Nous sommes plus haut que nos rêves de gloire – et que nos rêves de fortune. Et plus bas que les vagabonds qui dorment dans l'herbe sauvage des fossés. Et là est notre chance – dans ce silence et cette innocence, délivrés de l'or et du hasard, qui serpentent entre l'Amour et nos déchirures parmi les plus ordinaires circonstances...

 

 

Comme le poème, nous allons entre les lignes qu'une main inconnue a dessinées...

Les murs ont la gravité de nos visages. Un cadre où se reflètent l'ordre, les désirs et le sommeil. Un repos irréparable qui jette les âmes entre l'or et la peur – dans une encre fragile – et inépuisable...

 

 

Ciel, bras et murs façonnent un horizon indomptable qui incite à – et refuse tout à la fois – la course et l'espoir. Offrant à nos pas le douloureux privilège du doute et de l'inconfort. Comme une invitation, peut-être, à l'abandon et à l'immobilité – au silence et à la mort...

 

 

Les gouffres de l'éphémère où l'éternité claironne au milieu des gestes et des voix. Et dans l'inquiétude la plus vive d'y sombrer, échelle par-dessus la tête. Dans cette crainte – dans cette angoisse – de tomber toujours plus bas – et toujours plus seul et plus humble – au milieu de nulle part...

 

 

Une vérité affleure derrière le langage – derrière toute chose et tout visage. Au cœur même des phénomènes pour ceux dont le regard a traversé les yeux – et les a retournés – pour se fixer, sans assise, en surplomb du monde et des circonstances – entre l'Amour et l'immobilité – dans cette sensibilité en aval du silence qui transforme chaque événement en grâce et en joie...

 

 

A l'intérieur (de nous-mêmes), ce chemin sans balise et sans repère qui serpente entre la peur, la folie et le temps. Cette voie singulière qu'il faut escalader à mains nues – et à l'envers – pour faire naître la confiance dans la plus vive insécurité – et pouvoir revenir au monde avec un sourire indélébile sur les lèvres – et aller sans exigence parmi les ombres et la pluie...

 

 

Sans trace. La vie même fuyant parmi nos pas et nos attentes. Au milieu des gués – là où se referment les blessures. Là où s'effacent les rêves et la vérité. Là où le monde peut enfin naître – et connaître la joie...

 

 

Les doigts s'accrochent en attendant la chute. Mais qui donc, en ce monde, sait que le vide porte davantage qu'il ne fait tomber – et que notre peur et notre fascination à son égard ne sont que le signe de notre commune appartenance – et la marque de notre parfaite, et surprenante, ressemblance malgré les traits si singuliers de notre visage...

 

 

Comme étranger au monde. Et surpris – incroyablement surpris – par cette étrange familiarité aux choses et aux visages. Témoin d'une vie qui, à force d'y être plongé, n'est plus la nôtre – et qui ne l'a peut-être jamais été...

Une existence – entre automatismes et simulacre – où nous jouons, malgré nous, à être nous-mêmes – ce personnage si proche et si inconnu...

 

 

Rien jamais ne s'achève en ces heures qui sommeillent – dans ce long soupir qui exaspère notre âme. Nous avançons – continuons inlassablement d’avancer – sans un regard sur l'ordinaire et l'humble des visages. Nous sommes si pétris de cette folle ardeur que nous marchons aveuglément – et fuyons ce qui se pose si discrètement, chaque jour, au cœur de notre vie, au fil de cette marche si déroutante ; ce tremblement fragile au-dedans des yeux posés sur un monde dont le merveilleux nous échappe...

 

 

L'ailleurs n'est qu'un leurre dont il faudra, un jour, se dessaisir – et qu'il faudra tuer comme l'après car tous deux nous enjoignent de continuer notre marche – de poursuivre indéfiniment cette longue – et si risible – errance...

 

 

Il y a l’urgence des mots – et celle du silence – rarement (ré)conciliables excepté peut-être dans l'attente sans attente, celle qui a su s'affranchir du temps – et dans le poème qui s'essaye au langage au-delà du langage – à la parole au-delà de toute raison et de toute pensée – pour dire ce qu’il ne peut atteindre qu'avant son élan...

 

 

Il n'y a de jour plus beau que le soleil – et plus vif que cette flamme qui brille au-dedans. Mais pour le découvrir et y planter son âme et sa sueur, il faut renoncer aux petites joies misérables de ce monde – et s'enfoncer aussi loin que nous le permettent nos forces et le courage dans ce qui recouvre la lumière...

 

 

La langue émerge du plus profond – illuminée d'un ciel que nul ne soupçonne – dans l'absence singulière de l'âme prompte à s'oublier comme elle oublie les atrocités du monde. Il n'y a d'autre espoir pour le poème – ni pour les hommes englués dans le malheur et les instincts qui pèsent sur leurs gestes et leur regard...

 

 

Et ces grands écorchés qui gisent défaits par ce que le monde supporte – et qui survivent à peine au milieu de leurs larmes. Et qui écrivent parfois pour tenter de dire ce qui nous emprisonne et nous ensorcelle. Comme un adieu, peut-être, irréparable...

 

 

Nous avançons à demi-mot – et à demi-nus – parmi les visages et les mains plongées dans le labeur et la terre – au milieu des âmes que l'abondance étouffe. Et nous sommes effrayés par tant de richesses – et cet aveuglement instinctif qui pousse les hommes à l’accumulation. Fragments de terre – fragments du monde – nécessaires, pensent-ils, pour combler l'incomplétude – cette part si infirme de nous-mêmes qui n'ose ni affronter – ni être – le rien qui la submerge – et, par là même, devenir le tout sans exigence – cet indicible que toute réclamation ampute...

 

 

Nous allons encore d'un pas trop vif vers ce qui nous porte. Dans cette folle envie – et cette folle urgence de découvrir – et d'habiter – ce qui ne nous appartient pas...

 

 

Nous avançons parmi la foule – et plus seul(s) en nous-mêmes que nous comptons de visages. Et nous écrivons depuis la plus haute solitude – dans cette frénésie qui traverse ceux qui se savent mortels – pour dire au monde ce que le voyage en nous aura façonné – cette flamme trop impétueuse qui consume le chemin qui mène au silence – et ce feu tranquille qui illumine le monde et les visages pris dans la glaise et la précipitation...

Et nous rêvons encore d'une aube impossible – improbable – trop prématurée, sans doute, pour cette terre où la mort rôde comme une hyène affamée dans le silence...

 

 

Nous ne cherchons plus. La mort est arrivée à l'heure juste de ceux qui n'ont plus sommeil – et dont les pas sont, à présent, aussi vifs que le regard – au-delà des rêves et des désirs d'extinction...

 

 

Nous avons l'authentique impudeur de ceux que la mort n'effraye plus. Et, en nous, le soleil est un visage immense – incontournable – diamétralement opposé au nôtre si fragile – si mortel – et si amoureusement plongé dans les circonstances et les infortunes...

 

 

Une petite voix nous rappelle que nous sommes nés de la foudre et du silence – et qu'il nous faut pour tenir debout et marcher parmi les rêves, un sens de l'équilibre entre ce qui nous précède et nous prolonge – entre le miracle de notre naissance et l'éternité de chacun de nos pas.

Et dans cette certitude – cette évidence – nos gestes, comme notre parole, peuvent (enfin) devenir le reflet de ce que nous cherchons – de cet espace hors du monde – hors du temps – et de cette étreinte sans fin – qui nous maintient vivants par-delà la mort et la persistance, si fragile, des siècles...

 

 

Un souffle nouveau (né d’une source lointaine – première sans doute...) nous guette à chaque instant – à chaque poème. Comme un livre déjà ouvert sur notre destin – et dont les vents, inlassablement, en tourneraient les pages...

 

 

Un grand froid, soudain, dans la poitrine. Le sentiment d'une marche – et d'une nuit – interminables. D'une longue – et incroyable – errance autour de nous-mêmes – du seul point tangible qui relie le monde et la solitude. L'unique destination de tout voyage...

Et ce qu'il nous reste de terreur face à l'infamie – et ce goût de la révolte, intact – et ce besoin si trépignant de justice pour transformer l'air en oxygène respirable...

 

 

Si loin, si haut. Partout. Et, pourtant, que le rêve est méprisable lorsqu'il renonce au plus proche – au quotidien sans trêve...

 

 

Il y a comme une fatigue dans nos gestes. Une lassitude effroyable qui ne rebute le monde que dans le ralentissement de sa cadence...

 

 

Mille convois au cœur de la langue. Et le silence qui surpasse tous les rythmes pour dire le peu nécessaire à la compréhension...

 

 

Des vies jetées dans l'impossible où le courage sera toujours insuffisant pour surmonter les épreuves. Il faudrait une autre main – un autre appui – pour survivre à tant de rêves et de douleurs...

 

 

Des vies pauvres. La terre des gens dont la naissance n'aura rien épargné. Quelques gestes, un peu de tendresse et la rugosité des âmes et des visages. Et la callosité des mains qui auront remué la terre pour subsister. Et un peu de rêve aussi, sûrement, pour se réchauffer sous la pluie – et trouver la force d'espérer encore...

 

 

On trace des mots comme des chemins à travers l'impossible pour désigner une terre infranchissable – ici – là-bas – partout – qui se creuse entre les lignes...

 

 

On n'échappe à rien. Et surtout pas à la vie. Et pas davantage à la mort – ni à ces petits riens qui nous font espérer en donnant à croire que la liberté a un prix. Mais nous avons beau chercher – et fouiller partout – lancer des mots et des invectives – et recevoir des coups, nous ne faisons que survivre au milieu du néant et de la désolation...

 

 

Nous marchons au milieu du temps et des cadavres dans le lent oubli de cet effroi pour survivre – et agoniser lentement – là où il serait naturel, et sans doute préférable, de s'effondrer...

 

 

La route est noire. Et que restera-t-il après l'oubli... Quelques visages peut-être – rencontrés au milieu du gué. Et un parfum ancien au milieu des souvenirs qui résistera à l'usure du temps. Et un peu d'eau où rôde la mort – juste assez pour poursuivre – et épuiser – la marche. Et un rêve parfait pour désigner le jour affranchi du hasard et des secrets...

 

 

On s'endort – et s'ensommeille – avec, au fond de soi, un désir de jour sans frontière. Mais on se garde bien d'y livrer sa sueur – et de s'ouvrir à l'ordinaire en attente du même rêve. Et, un jour, brutalement, la solitude arrive – et s'enfonce dans cette chair fragile et tremblante pour détacher la faim de la paresse. Et ce qui bouge ne fait plus grand bruit. Et l'on attend alors sans vraiment savoir ce que l'on attend. Mais le jour arrive (finit par arriver) et les frontières deviennent floues et mouvantes, puis s'effritent et s'effacent. Et nous voilà, soudain, au-dedans de ce rêve qui devient plus réel que le monde – plus réel que notre chair ; au cœur de ce grand silence fait d'Amour et de joie – au cœur de cette étrange présence où glisse notre sommeil...

Ne restent plus alors que le souffle – le signe des vivants – quelques livres – quelques poèmes peut-être, le courage des bêtes et la beauté des forêts. Et la course un peu folle des voix et des images qui s'estompent sous les secousses du vent – impérissable sans doute. Et cette rive au milieu de toutes les rives où le sol est moins présomptueux (et inaccessible) que nos rêves. La naissance d'un jour – d'un autre jour – plus franchissable pour les âmes. Le jour d'un autre jour plus grand – et plus vivant – que nos vies...

 

4 mars 2018

Carnet n°139 Au loin, je vois les hommes et, entre nous, ce silence incommunicable

Journal / 2018 / L'intégration à la présence

Et sous nos yeux – et dans notre regard – tout continue – et recommence...

Tous ces jours (accumulés) sous la mémoire – et qui s'étendent au-delà de la mort. Comme une ligne continue et mensongère – un fil tissé de rêves et de souvenirs sur lequel s'enlisent les vivants...

La nuit, le jour. Le sommeil et l'innocence. L'ignorance et le petit chemin qu'empruntent les âmes. Aussi simples qu'un sourire – et qu'une main modeste qui se tend vers ceux qui trébuchent...

 

 

Un recueil de mots et de souffrances. L'esprit agité – chahuté par l'espoir, le refus et la révolte. Et les plaies multiples – de toutes formes – et les visages complices de tous les désastres. Et pourtant... Nulle blessure dans le quotidien sans mémoire. Un regard neuf – toujours renouvelé – sur ce qui passe...

Loin du monde. Loin des hommes. Comme la distance – et la ressource – nécessaires peut-être à tout accueil...

 

 

On entend les hommes se plaindre de ce qui est offert. Mais savent-ils seulement ce qu'ils ont perdu – et ce que serait la vie sans le monde et ses figures légendaires... A voir leurs larmes et leur rage – et cet abattement presque permanent qui fait vaciller leur âme, je crains qu'ils aient oublié l'origine et la gratitude indispensable pour vivre parmi les pierres, les arbres, les bêtes et les visages...

 

 

Terre, ombres et soleil. Et cet espoir de se retrouver malgré la tristesse et la prégnance des masques et des mensonges parmi ces yeux qui n'ont jamais su voir – et ces visages qui n'ont jamais su aimer...

Et cet élan de la première neige. Comment aider – et appuyer – son goût pour les retrouvailles... Et son souffle malmené – abîmé – par tant de guerres saura-t-il trouver asile au fond des âmes...

 

 

Qui n'a jamais souhaité éteindre le monde pour s'avancer seul dans le silence – et embrasser les lèvres d'un Dieu sans exigence...

 

 

De l'autre côté du mur se défait cet absurde désir de durer. Les instincts n'ont plus cours. Ne subsistent que ce regard – et cette envergure de l'âme – pleinement comblés par ce qui passe...

 

 

Et à ce monde qui n'en finit jamais de frémir, de blêmir et de s'encanailler – et à ces visages pris dans les tourbillons des élans, des désirs et des pensées – comment leur dire qu'existe une autre vie plus belle et plus sereine au cœur de ce que nous avons toujours fui...

 

 

Attentes, machines, écrans. Partout des chaînes qui, en délivrant de quelques fers, enferment et emprisonnent davantage. Et cette peur du vide – et cette crainte du manque et des abîmes – qui ont façonné mille tours – et autant de sacs emplis à ras bord de victuailles et d'abondance. Célébrant un monde qui dresse les uns contre les autres – qui sépare "le bon grain" de l'ivraie – et les âmes oisives des mains docilement laborieuses – et qui alimente l'ignominie née du rejet du simple et du naturel. N'aspirant qu'à dépasser ses médiocres limites en reniant et en oubliant l'essentiel. Porté par une marche infatigable – et des visages qui ne voient guère plus loin que le bout de leur nez, encore rougis par les coups et les pleurs – et qui envahit l'espace et obscurcit les horizons. Dans cette folle espérance de voir, un jour, jaillir la lumière de cette fuite en avant et de ces excès pour atteindre (enfin) le rêve ultime de l'homme...

 

 

Sensible autant à ce qui passe et s'efface qu'à ce qui accueille et contemple en silence...

 

 

Et ce souffle qui n'aura épargné ni les âmes ni les visages pour déterrer – et vivre – le silence au milieu des bruits...

 

 

Vies, morts et souffrances. Et cette blancheur de l'innocence. Et cet Amour et ce silence au cœur du regard. Comme les seules rives possibles du monde pour ne pas (trop) désespérer de cette violence – et de cette ignorance – et des mille saccages exercés contre la terre et les vivants...

 

 

Et cette incompréhension de (presque) tous face aux circonstances – et à cette impérieuse nécessité de vivre – accordés, malgré eux, à un monde – à une perspective – qu'ils pensent surnaturel(le) et qui est peut-être, au fond, la seule présence à laquelle se fier...

 

 

Seul ce (lent) retournement du regard donne à l'âme cette distance et cette proximité – l'Amour et la sensibilité à l'égard de ce qui passe sous nos yeux, dans nos têtes et dans nos vies ; les cris, les plaintes et l'incompréhension comme le sourire que dessinent parfois nos lèvres devant les spectacles du monde...

 

 

Tout blesse – et est blessé – chez les bêtes, les arbres et les hommes. Tout se faufile au milieu de notre nuit – dans ce sommeil où le rêve et les images font office de monde. Et les yeux sont tristes – et un peu perdus – malgré les sourires et les postures d'insouciance. Tout est brutal – les coups et les caresses – les désirs et les jugements. Tout souffre et se plie aux exigences des destins. Et bien peu voient les promesses de cette traversée – et le sens de cette absurde révolte contre le silence. Bien peu délaissent leurs résistances qui aggravent les plaies. Et bien peu renoncent à desserrer leurs poings. Trop de hargne encore – et trop peu de certitudes pour aller aussi fragiles et démunis que le coquelicot vers leur fin – sans inquiétude – sans le souci du soleil et de la pluie – et sans la peur de mourir sous la cognée du temps et le regard indifférent de leurs frères...

 

 

Comment pourrions-nous convaincre les hommes qu'une autre vie – qu'un autre monde – est possible au cœur de cette vie – au cœur de ce monde – où tout se déchire... Comment leur dire cette beauté qui trône au milieu de la vulnérabilité et de la mort... Comment leur dire que jamais la joie ne naîtra des circonstances mais de la certitude de l'éternité et de la fin... Comment leur dire que nous sommes moins ce que nous croyons être que le reflet d'un Dieu sans malheur – et qu'en nous pousse, chaque jour, la fleur de l'innocence – belle et merveilleuse – promise au silence et au paradis au milieu des visages – au cœur de ces lieux que nous avons, malgré nous, transformés en enfer...

 

 

Au bord de tout ; des ravins et de la foudre, du ciel et de l'âme, des fleurs et des couteaux, des masques et de la vérité sans leurre ni mensonge. Et, pourtant, les nouvelles regorgent de malheurs – et donnent à espérer aux hommes mille choses inutiles et intenables – mille rêves qui exaltent les foules – leurs délires et leurs croyances – et leur folle envie d'espérance – pendant que l'on égorge les bêtes et bafoue, à chaque instant, la candeur des enfants...

Monde triste – et noir. Et, pourtant, tout est là – présent à nos côtés – au milieu de l'immonde et de l'ignominie ; cette joie et ce silence que rien jamais ne peut corrompre...

 

 

Et ces lentes déchirures du quotidien que nous rafistolons vaillamment avec quelques clous et un peu de colle pour avoir l'air moins tristes et moins sombres que nos âmes. Peine perdue, bien sûr, tant que l'impossible et l'impensable n'auront anéanti nos remparts et nos résistances...

 

 

Se cacher ? Mais contre quel triomphe ? Le plus grossier, bien sûr, qui ne brigue que l'éclat de quelques visages – et la présence de quelques yeux faussement (et illusoirement) admiratifs... Celui qui ne peut encore se défaire de cette frénésie de monde et de paroles outrageusement laudatives... Celui qui ne supporte ni les contempteurs ni les objurgations... Celui qui, en vérité, n'attend que sa défaite pour sourire à tous les néants – et transformer le rien et la tristesse en sépulcre sacré – en incertitude et en inachèvement dignes d'être aimés et célébrés sans un regard – sans le moindre témoin – dans la plus haute solitude et le plus beau (et émouvant) silence...

 

 

Vies plus tapageuses que l'orage – moins douces que l'océan et la peau de la terre – et plus tristes que la pluie qui cogne contre la vitre sur laquelle notre front est appuyé...

 

 

Mille rondes encore. Et autant de visages mouillés par l'averse qui durera bien au-delà des âges. Et entre les lignes, ce silence qu’attrapent les âmes sensibles au langage (poétique) des livres...

 

 

Le colosse et la prêtresse aux ailes fragiles. Le monde et l'âme rassemblés sur une même corde suspendue au-dessus des abîmes creusés par l'ignorance et l'obstination entre les rives (encore inconnues et incomprises) du silence...

 

 

Mille carapaces aux allures de caresse. Quelques visages amis et quelques larmes versées au milieu d'un oasis encerclé par le désert – ses dunes et ses mirages. Main appuyée sur la rampe de cet escalier aux airs de jetée – en surplomb de tout ce qui s'apparente au monde et à la souffrance...

Et ces lignes maudites par les hommes dont le chant s'élève pour éloigner la mort – et rejoindre, derrière les frontières du poème, ce visage-arc-en-ciel qui s'émerveille des élans – et sourit aux marcheurs infatigables en réconfortant leurs pas qui s'acharnent vers l'indicible...

 

 

Nous nous tenons au plus près de cette joie qui se donne – et se partage sans fléchir – et qui s’acquitte de sa dette envers ceux dont elle a subtilisé le mystère et toute possibilité de compréhension. Nous sommes ses yeux et l'envergure des âmes. Nous sommes ce que nous ne pouvons ni saisir, ni connaître – et les mille chemins qui serpentent au milieu de son souffle...

 

 

Les couleurs passent et nous traversent. Comme l'eau fatiguée d'un monde usé – ravagé par la perte. Et, un jour, le noir triomphe de nos abandons – de ces mille défaites et de ces mille élans relégués au repos. Nous devenons alors Un, puis plusieurs, puis plus rien. Des yeux fermés – effrayés par ce qui, autrefois, nous enchantait. Une bouche sans désir et sans amour. Une ombre pétrie dans la courbure de l'envol. Le chant du merle aux premières heures de l'aube. Et la lune lointaine dans son arc de lumière. Un nouveau visage terrassé par l'ancien – et ébloui encore par la nuit et ses étoiles trop scintillantes. Corps et esprit sans appui – dénudés – flagellés par les plus infimes circonstances. Et vibrant, pourtant, au jour qui s'approche. Pieds sur les plus hautes cimes et le front modeste – si humble – enseveli sous la neige qui a recouvert les plaines et les collines de la terre. Au bord de l'infini qui patientait dans nos profondeurs – à présent découvertes. Comme l’oiseau et le visage enfin réunis en un seul vol – comme une flèche ardente et infiniment printanière traversant les saisons et le soleil dans un voyage interminable...

 

 

Nous sommes le jeu que nous avons oublié au fond de nos désirs. Recouvert, à présent, de trop de peines et de poussière pour être déterré. Nous sommes ce qui s'élève et se déchire – tous les départs et tous les abandons. Nous sommes la terre et ses devises. Et nous sommes le ciel et ses lois. Nous sommes cette lumière que l'on perçoit dans toute pénombre. Ce que ni le vent, ni le feu, ni les cendres ne peuvent effacer. Nous sommes ce qui demeure après la fin du temps – cette bouche et cette âme éternellement ouvertes sur l'été...

 

 

S'émerveiller. Comme une nouvelle façon de demeurer – et d'accueillir ce qui nous traverse...

 

 

Par la fenêtre, ces âmes et ce ciel si changeants – repeints inlassablement par la couleur des circonstances et des saisons...

 

 

Toute vie est monumentale – mystérieuse – et inaugurale. Comme un principe premier cherchant dans ses élans la continuité – et le renouveau – d'une mémoire antérieure – plus vaste que celle de tous les destins réunis...

 

 

Tout s'effrite – s'écroule – et disparaît. Mais demeure ce sourire au milieu du désordre et du chaos (apparents). Le signe que le manque a transcendé le désir et la faim – et que la complétude s'éprouve (peut s'éprouver) au milieu de la perte et de la mort...

 

 

Mains ouvertes et paumes jointes mendient le même Amour – la même joie – la même réconciliation. Cette grâce qui ne s’accorde qu'à ceux qui n'espèrent plus – et qui ont su plonger au fond de la misère pour rejoindre – et devenir – ce que ni les prières ni les lamentations ne peuvent atteindre. Cette présence – cet espace inconnu – planté(e) au milieu des larmes – derrière l'apparence du monde et des visages...

 

 

Assoupis encore au milieu de leur labeur. Exténués par le rythme infernal d'un monde qui les soumet à l'épuisement et à l'extinction – voués (en quelque sorte) au jeu de leur propre perte. Ainsi vivent les hommes – agenouillés toute leur vie – et jusqu'à la mort – offrant, et sacrifiant même, ce qu'ils portent de plus précieux pour quelques pièces et quelques regards – quelques piètres consolations, en vérité, pour ressembler à ce qu'ils estiment être le portrait exigé par le monde...

Et je leur offre quelques baisers pour supporter l'ennui – et qu'ils retrouvent ce feu qu'ils ont recouvert – et étouffé – de leurs désirs trop mimétiques...

 

 

Des rives, des conquêtes. Et mille territoires où flottent mille drapeaux. Loin du rivage où les seules frontières naissent de notre impossibilité à embrasser pleinement l'espace – à vivre sans restriction l'unique liberté possible...

 

 

Des mots, des plaques, des clous. Des places, des objets, des étiquettes. Des cages, des grilles, des cadenas. Et autant de portes fermées. Mille histoires différentes. Mille récits d'aventure. L'ennui, l'ignorance et mille désastres toujours. Et cette incompréhension, ce refus et cette résistance à toute abdication. Comme le voile épais et commun derrière lequel se dissimule l'espérance d'une autre vie – l'espérance d'un autre monde – et qui obstrue le passage vers cette vie pleine et cette liberté sans restriction qui éradique les chaînes, l'étroitesse, les frontières et les impossibilités...

 

 

Mille pâles copies – fragmentées – de ce que nous sommes. Et si peu voient le piège du rétrécissement – et cet ensablement qui donne au monde des allures de trappe mouvante...

 

 

Mille jours et mille montagnes. Et ces petits pas fébriles – et fragiles – qui exténuent toute velléité d'ascension. Mains, visage et âme ligotés ensemble – glissant, au fil des jours, vers cet abandon nécessaire à l'accession des cimes...

 

 

Nous jouons à faire semblant devant des visages qui se prêtent au jeu – et qui complexifient les règles à l'envi pour échapper au plus simple ; cette nudité et cette innocence entre fleurs et ciel...

 

 

Nous aimons sans recourir à la moindre source. Et cet amour n'est qu'un désir que les circonstances, un jour, tariront – et transformeront (au mieux) en indifférence et (au pire) en détestation et en répugnance. Les étés passeront. Et, à la fin de l'automne, nous serons étonnés de nous retrouver seul(s) au milieu des rêves et de la pluie. Et l'hiver s'approchera – et nous verra mourir sans un seul visage pour nous réconforter. Et nous traverserons la mort sans un seul bagage – aussi pauvres – aussi nus et désorientés – qu'au jour de notre naissance...

 

 

Les cloches sonnent dans le jour. Retentissent-elles pour une naissance, un baptême, un mariage, une mort ? Qui peut savoir... Et voilà les badauds – toutes les foules du monde – qui accourent pour assister à ces risibles – et émouvantes – célébrations sans voir – ni honorer – le sacre du plus ordinaire...

 

 

Et dans le chaos des lignes se dessinent ces destins qui s'interpellent et se chevauchent. Et ces grands arbres, au loin, insensibles aux fêtes et aux fracas – et dont la cime plonge dans le silence. Et ces mille escaliers de pierres qui grimpent jusqu'aux terrasses de la terre pour que les hommes puissent contempler, là-bas, ces horizons souriants – aux dents trop blanches pour être honnêtes – et dont la bouche, un jour, les avalera pour les recracher un peu plus loin – et un peu plus haut, espèrent-ils – parmi des songes moins âpres et des visages à l'haleine moins rebutante...

 

 

Et sous nos yeux – et dans notre regard – tout continue – et recommence...

 

 

Tous ces jours (accumulés) sous la mémoire – et qui s'étendent au-delà de la mort. Comme une ligne continue et mensongère – un fil tissé de rêves et de souvenirs sur lequel s'enlisent les vivants...

 

 

La nuit, le jour. Le sommeil et l'innocence. L'ignorance et le petit chemin qu'empruntent les âmes. Aussi simples qu'un sourire – et qu'une main modeste qui se tend vers ceux qui trébuchent...

 

 

Et à ces hommes qui pleurent – et qui cherchent – pusillanimes dans leurs élans – comment leur dire le plus simple... Pourrait-on seulement les aider à s'agenouiller au milieu des catastrophes – et affermir leur âme au seul voyage possible...

Faudrait-il avoir la patience du silence qui veille sans exigence depuis les commencements du monde pour voir les premiers visages arriver à son seuil...

 

 

Ce vent, ce sable et ces doigts dans le frémissement des rivages qui adressent leurs baisers à l'ennui qui rôde autour des âmes. Assoupis malgré les mots – malgré la joie partout accessible – fouillant avec maladresse au milieu des rêves et des croyances. Et cette beauté partout présente jusqu'au cœur de l'ignorance – jusqu'au cœur de nos jeux atroces et sans pitié...

 

 

Nous voyons les rires et les menaces – les essais, les rites et la faim. Et cet Amour qui se cherche au milieu des doléances. Et nous ne pouvons rien faire – ni rien dire. Être là simplement – présent – pour encourager les demandes et les pas – et aider humblement à franchir quelques marches sur cet escalier sans fin...

 

 

Nous savons, dans cette ignorance, qu'une chose en nous survivra aux siècles et à la mort. Comme un jour infiniment doux au cœur de tous les passages...

 

 

L'herbe et les fleurs. Les livres et les mots. Les arbres et le vent. Les bêtes et la mort. Tout appelle – et confine – à la douleur. Et, pourtant, restera toujours la beauté des saisons – et le partage de notre destin commun. Et cette joie indemne des circonstances et des malheurs – aussi pleine qu'un soleil qui s'offre à ceux qui ont froid...

 

 

Derrière le jour, un autre jour. Et derrière la nuit, une autre nuit. Et leurs mille couleurs révélées par l'âme posée en équilibre sur le fil qui les relie...

 

 

On apprend de tout. Et du temps aussi qui s'immobilise...

 

 

Nous multiplions la puissance des désirs à force de ne plus rien vouloir. Et au milieu des bouquets, cette faim insatiable de connaître le premier élan – et de s'y glisser jusqu'à ce que l'on nous confonde avec l'aube rayonnante...

 

 

Tout est au centre – jusqu'à la périphérie et au-delà. Tout s'insère en lui-même comme les doigts dans une main – et la parole au milieu des lignes et au-dedans des voix...

 

 

La faim se retire lorsque l'âme s'avance – et se cache, discrète, dans les replis du silence. Le cœur alors rayonne avec suffisamment d'ardeur pour que le visage oublie son nom et ses pas. La poésie peut alors remplacer la mort. Et la joie, la tristesse des départs. La danse peut enfin devenir pleine et s'offrir à ce qui passe. L'attente recule – et se défait. Et Dieu s'approche pour effacer le reliquat de quelques ombres plus coriaces. La vie alors devient sacre – et le regard, le lieu de tous les passages – où chaque visiteur – chaque traversée fugace – est accueilli avec tendresse et émotion...

 

 

Tout, en ce monde, fléchit et s'émiette – ou est arraché par la violence des éléments et des circonstances. Excepté cette ardeur à se découvrir – et à se retrouver. Et, pourtant, nul ne voit jamais la fraîcheur de notre vrai visage et l'éternité du regard – de notre présence – parmi les soupirs, les plaintes, les désirs et les pâmoisons...

 

 

Nous connaissons les sentiers parmi les étoiles, le flamboiement de la lune sur les royaumes et les cordes où se pendent quelques têtes trop sensibles pour vivre sur une terre où la terreur et les guerres font loi. Et c'est à elles – et à quelques autres âmes terrées au fond des bois – que nous aimerions offrir ces lignes – quelques poèmes – pour qu'elles puissent échapper au repli et à la mort – et creuser leur chemin à même le rivage – au-dedans de cet abîme où patiente (et les attend) la lumière. Pour que le silence au-delà du poème transforme leurs larmes et leur solitude en danse et en joie – et leur offre la possibilité de vivre au milieu des ombres et de la sauvagerie...

 

 

Une voix, un geste. Et l'éclat d'un plus grand que nous au milieu des lèvres et de la main qui veille sur les naissances et l'ardeur du sang dans nos veines pour que l'attente s'étende – et s’éloigne des tempêtes – et pour que l’œil s'ouvre à l'infini qui brûle au fond du regard – et que la nuit devienne enfin la possibilité du passage...

 

 

Désirs, caresses. L'accomplissement de la continuité. Mains qui cherchent. Âme aux aguets pour que cet Autre en nous dévoile son jeu et nous désoriente de son sourire et de son visage planté dans le flottement des rêves – entre ciel et réalité...

 

 

Les poètes chantent la pluie, le monde, les visages – la perte et la mort – le désir et la fièvre – et le sommeil des âmes qui dorment encore (qui dorment toujours). Mais peu savent résister à la tentation de la parole et inscrire leurs lignes dans l'envergure, encore insoupçonnée, du silence...

 

 

Rêves, fièvre et caresses sous la pluie noire d'un monde incompréhensible – livré aux songes et aux désirs. Et sur l'autre rive, présente au cœur même de ce monde, patientent – et contemplent – les poètes et les sages dont le cœur s'est frotté aux maléfices de la terre – et a été emporté, après mille joutes et résistances, vers l'océan...

 

 

Et cette flamme au-dedans de l'âme qui explore notre fièvre et nos délires. Et chaque larme qui épuise notre tristesse et découvre la joie – cette joie plongée au cœur de l'impensable. Et nous autres, nous avons ordre de nous taire – et de laisser l'abandon surgir et triompher de toutes les histoires...

 

 

Un monde, parfois, surgit parmi les chuchotements. Des cités et des jardins promis à la civilisation de l'aurore. Un flottement entre deux eaux – là où les baisers et les cris s'arrondissent et perdent leur forme – et leur force – initiales. Là où le sang et la fièvre deviennent les véhicules du hasard. Là où le hasard perd sa certitude et ses aléas et se transforme en aire de passage – en canal approprié. Là où les étoiles se métamorphosent en pluie, puis en larmes. Là où il fait bon naître sans visage – et où les noms ne sont que des sons provisoires dont le sens se perd au fil du voyage...

 

 

Nous sommes le reflet – et les fragments – d'un miroir ininterrompu que les siècles et la mort ne peuvent briser. L'antre d'où s'élèvent les cris et les chants des arbres, des hommes et des bêtes. La première pierre où tout a commencé. Et ce visage dans le sillage de l'aurore – ce feu tendre et insensé – et sans ascendance – qui n'a su échapper à la tentation de l'enfantement...

 

 

Dans le jour, deux oiseaux ont posé leurs ailes. L'orage s'est retiré. Et la pluie tombe encore au fond du jardin. Et, pourtant, je vois par la fenêtre la nuit s'éloigner...

 

 

La rivière, la pluie et l'écume. Nous n'avons rien d'autre pour rejoindre l'océan – les marées et les vagues immenses qui dessinent les reliefs du monde...

 

 

Fragments côte à côte – posés selon l'ordre décidé par le silence – et dont les visages se font face pour découvrir les secrets qu'ils portent – et la mystérieuse énigme de leur unité...

 

 

Nous avons ouvert les fenêtres à tous les passages. Et tout s'est enfui – avalé sans soute, à parts égales, par le ciel et l'horizon. Et ne demeurent plus aujourd'hui que la solitude et les battements de notre cœur qui n'a jamais su quitter les yeux pour la fabuleuse envergure du regard. Plus seul(s) que jamais dans cette attente effroyable de la mort...

 

 

Nous prions – et espérons – sans recourir au silence – ni même au poème – qui ont su traverser les âges et anéantir le temps...

 

 

Des vies, des chemins et des déboires. Et ces cris et ces plaintes qui emplissent les bouches – et recouvrent tous les visages de la terre. Combien de fois avons-nous espéré – et combien de fois avons-nous prié pour que cesse l'incompréhension et que notre mystère devienne le lieu d'une éclaircie – d'une clarté – d'une compréhension... et toujours en vain, bien sûr... Et qu'avons-nous récolté ? Mille épaisseurs supplémentaires. Une ignorance – une obscurité – accrue par des siècles de stérile attente...

 

 

Une parole encore pour débusquer le silence – et le porter au faîte du poème – au milieu des bruits qui l'ont édifié – et sans même savoir si les hommes réussiront à s'en emparer...

 

 

Les livres moins utiles que les peines. Les mots moins nécessaires que les gestes. Et les gestes parfois aussi indispensables que notre présence au milieu des blessures et des mensonges. Ainsi vit-on aujourd'hui – dans l'ombre – et la courbure – de ces visages et de ces siècles qui s'interrogent encore...

 

 

Sans bruit, une ombre arrive. Et se marie au langage qui n'aspirait qu'à l'exaltation du silence. Et voilà, à présent, la parole alourdie – méconnaissable dans ses traits – elle qui n'avait pourtant qu'un seul désir : sa propre extinction...

 

 

Nous chantons les massacres et l'amour en déniant à la mort le droit d'apparaître dans nos louanges et notre espérance... Aveugles que nous sommes à sa présence – et à ses enseignements permanents...

 

 

Nous mimons la présence au milieu de la foule. Et nous singeons l'Amour et le silence au milieu de l'oubli et de l'absence comme si les yeux tournés vers nous avaient encore quelque importance. Comme si la solitude n'avait encore su nous délivrer des ombres – et de ce rêve un peu fou de rencontres...

 

 

Le soleil étranger à toute pudeur. Aux mains qui blessent comme à la chair rompue – étalée devant les bouches affamées. Et silencieux toujours devant les menaces et les massacres comme devant les plus vertueuses prières. Egal, somme toute, à lui-même. Insoucieux des exigences et des réclamations. Pas même contraint de rendre des comptes aux visages et aux âmes dont l’obscurcissement voile et atténue sa lumière. Libre toujours des reproches et des simulacres de ceux qui l'ont ignoré, rejeté ou qui ont renoncé à sa pleine pénétration. Le soleil – magistral toujours – s'étire, se rétracte et rayonne sans se soucier ni du monde ni des hommes...

 

 

La parole jaillit encore. Mais peut-être n'a-t-elle plus rien à dire... Elle a fait œuvre d'éclairer le monde et de célébrer le silence. Et, sans doute, s'est-elle perdue en chemin – tournant inlassablement autour de ce qu'elle a trop dénoncé et honoré – prise, en quelque sorte, dans les tourbillons de ses propres eaux – dans l'attente, sans cesse ajournée, du seul rivage possible ; le retour au silence premier – inexprimable – indiscutable...

 

 

Nous avons décrit l'os et la chair du monde, des arbres, des bêtes et des hommes. Nous avons cent fois évoqué – et appelé – l'âme – et dépeint ses errances et ses possibilités. Peut-être avons-nous parcouru tout ce qu'il est possible à un homme de parcourir. Et la langue, à présent, est lasse d'inviter et d'initier l'indifférence des visages à une perspective – et à une envergure – dont chacun se moque...

Peut-être prononçons-nous là nos dernières paroles... Les barricades et les tentations ont toujours été trop hautes et trop vives. Et les résistances impossibles à percer pour que le monde entende – et s'éveille. Les hommes recroquevillés dans leur refus ont découragé notre patience et notre espérance de les voir, un jour, émerger des ténèbres. Et, aujourd'hui, nous n'avons plus même la force de leur parler. Et, sans doute, ne leur livrerons-nous plus que quelques signes admis et consensuels – ou sans témoin – comme un encouragement adressé à nous-mêmes qui ne sommes plus même certains de vouloir prononcer ni entendre le moindre mot...

Je rêve parfois de n'adresser cette parole qu'au silence – aux arbres, aux herbes, aux bêtes et aux pierres dont l'écoute est instinctive. Et de la partager en autant de parts possibles – ou de la déposer sur les plus hautes collines de la terre pour ceux que le chemin n'a pas encore (trop) découragés...

A qui adresser cette parole sinon à ceux qui peuvent la comprendre, l'accueillir et la chérir comme si elle était née de leurs propres profondeurs. De cette part de l'âme (en chacun) qui sait – ou qui devine – sa vérité malgré l'ignorance et l'indifférence ambiantes. Mais personne sous mes yeux pour l'entendre et l'apprécier. Et mon pauvre cœur – et ma pauvre main – s'acharnent – continuent de s'acharner – (malgré tout) à dévoiler ce que nul n'est prêt à recevoir comme si l'un et l'autre œuvraient à une tâche aussi vaine qu'impossible...

Et cette écriture au bord de la désespérance aujourd'hui, pourquoi ne sait-elle encore s'abandonner sans remords ni regret – sans se soucier ni des yeux ni des pages tournées – à ce qu'elle n'a peut-être su pleinement rejoindre. Pourquoi – et pour qui – et à quelle(s) fin(s) travaille-t-elle encore... Ne chercherait-elle que son propre épuisement pour enfin se tarir – et se taire...

Déjoué – défait – notre vieux rêve, à présent, s'enlise. Et notre âme – et notre main – seront, nous le savons, notre seule délivrance. Mais nos feuillets trop lourds – et cette vieille habitude de passer, chaque jour, quelques heures dans la petite chambre d'écriture – encombrent toujours notre pleine aspiration au silence et à la solitude. Aussi continuons-nous cahin-caha à griffonner nos lignes pour aller avec elles au bout du chemin – toucher le fond du précipice où elles nous ont jetés – et y tourner en rond jusqu'à la mort... Et, aujourd'hui, nous n'attendons plus, je crois, que nous quittent nos dernières forces – et que s'éteigne naturellement le souffle – pour refermer à jamais le gros volume que nous avons initié...

 

 

La parole (la parole vraie) devient rare. Comme un bourgeon qui, à peine éclos, se fane – sans fleur ni espoir de survivre en ces lieux de gangrène où toute naissance se corrompt dans la proximité du monde et du temps...

 

 

Nous remuons quelques eaux dans le grand fleuve du monde. Apeurés, sans doute, d'être relégués au seul spectacle de ses farces sans pouvoir heurter nos épaules aux mille remous des autres – ni mêler notre voix aux cris que n'assèchent ni les rêves ni l'espoir. Les mains plongées dans la vase – enserrant de concert les corps et les cous dans ce grand tapage qui donne à nos vies des allures de sortilège – presque de malédiction. Paupières effrayées contre la vitre – voix et solitude gelées – et mal assorties. Penchés sur les routes et les visages qui s'avancent et s'éloignent – et qui disparaissent au loin – pris dans les brumes épaisses du monde. Et ce souffle chaud – brûlant – qui désespère de ne pouvoir rejoindre les quelques promesses d'une vie plus pleine – moins misérable – et cet horizon que martèle le sang dans nos veines. Et ce cœur battant – battu par les jours et le temps. Et l'immonde sur les visages qui durcit sous la crasse accumulée au cours du voyage. Englués dans les conséquences de l'origine sans parvenir à retrouver l'état antérieur à l'enfantement...

 

 

Nous avançons, du plus loin que l'on se souvienne, dans ces ravages nés avant nous. Les lèvres suçant le sang – et la bouche en cœur dissimulant l'ivresse du regard et la misère des yeux tremblants. Et posée contre nous, cette âme effrayée par le hasard et le destin – et par ces mains (toutes ces mains) qui l'écartèlent pour la vider de sa joie et de sa substance. Une vie d'homme, en somme, que nous n'avons su soustraire ni à la laideur ni à la faim...

 

 

Et ces grands oiseaux posés au milieu de nulle part – volant à tire-d'aile vers le plus pur horizon – loin de cette terre pourpre et de ces aires de massacre où l'on égorge et où l'on éventre pour apaiser (provisoirement) cet appétit tenace – insatiable...

 

 

Léger – léger le poème qui se jettera parmi les cris et la faim du monde – dans la douleur de ce qui s'use – pour rejoindre, à l'ombre des visages et des fleurs, l'unité déguisée en multitude qui se cache derrière les blés, les bouches et le pain...

 

 

Et nos pas nus sur la terre que ni les parures ni le désarroi ne pourront corrompre. L'aube, en nous, est déjà annoncée. Et nous avançons, à mi-chemin entre l'espoir et les souvenirs, vers ce qui s'est déjà mille fois dévoilé ; ce silence frôlé par nos mains et nos lèvres – et le sillage de cet Amour aussi gratuit que furent dévorantes toutes nos tentatives de soustraction...

 

 

Ensemble, dans ce tremblement de la chair qui vibre devant l'envergure du silence. Âme libre face à cette suspension du temps. Entre la grâce et le doute de vivre, l'évidence de cette certitude. Cœur ravi des gestes et des pas qui s'offrent à l'inconnu et aux visiteurs de passage. Avec le franchissement de toutes les portes – fermées autrefois – cadenassées par notre si longue absence – et par cet oubli de la première heure où nous étions tous réunis – et où nous ne formions qu'un seul visage hébété – et un peu triste d'être relégué à cette incompréhensible solitude. Disparus, à présent, les craintes, les abîmes et le néant. Ne demeurent plus que cet accueil immense – infini – et ces cris au milieu de l'espace qui tentent de repousser les frontières et les horizons pour nous rejoindre...

 

 

Nous disparaîtrons tous, bien sûr, autant que nous sommes. Mais l'empreinte du réel et du silence demeurera sur nos âmes. Et ce sont elles qui rejoindront, après la mort, une autre vie. Et, de vie en vie, continuera le monde qui pourra offrir au réel et au silence toujours plus d'espace. Ainsi se perpétuera l'Amour que nous avons, peut-être, manqué de notre vivant...

 

13 février 2018

Carnet n°138 Parenthèse – le temps d'un retour – d'un souvenir, entre nous, toujours présent

Journal poétique / 2018 / L'intégration à la présence 

Nous reviendrons, semblables à aujourd'hui, avec sur nos lèvres, le visage de Dieu. Et sur nos traits moins grossiers, le courage des bêtes. Et avec dans l'âme un peu plus de silence...

Et nous rejoindrons cette terre blanche où les hommes rêvent encore de l'aurore – et marient les jours à la sagesse. Et nous franchirons ensemble cette porte qui ouvre sur des forêts aussi belles – et aussi grandes – que l'océan. Et nous embrasserons le souffle des horizons, la graine et le grain, les récoltes et le vent pour ensemencer l'Amour dans nos veines. Et nous boirons aux torrents et y jetterons quelques vieilles chimères pour éclaircir ce ciel encore si atrocement sombre...

 

 

Une paume contre la mort – après avoir frappé tant de visages – s'en va. Et nous la laisserons seule à son cri – et à son appui sur le néant qu'elle a bâti. Semblable aux fenêtres du monde sur le temps – étroites et infranchissables. Seule – malgré la proximité de quelques âmes à son chevet – dans cette atroce attente du dernier souffle...

 

 

Nous reviendrons, semblables à aujourd'hui, avec sur nos lèvres, le visage de Dieu. Et sur nos traits moins grossiers, le courage des bêtes. Et avec dans l'âme un peu plus de silence...

Et nous rejoindrons cette terre blanche où les hommes rêvent encore de l'aurore – et marient les jours à la sagesse. Et nous franchirons ensemble cette porte qui ouvre sur des forêts aussi belles – et aussi grandes – que l'océan. Et nous embrasserons le souffle des horizons, la graine et le grain, les récoltes et le vent pour ensemencer l'Amour dans nos veines. Et nous boirons aux torrents et y jetterons quelques vieilles chimères pour éclaircir ce ciel encore si atrocement sombre...

 

 

Nous nous envolions autrefois en déployant nos ailes au milieu des rêves. Nous étions ivres de cette volonté d'être ailleurs. A l'abri – au plus près du secret des arbres et des oiseaux. Au faîte de la plus haute branche. Soulevés par la puissance de nos bras tenus par une main à la poigne solide – Dieu peut-être – Dieu imaginions-nous – vivant au-dessus du monde et des forêts – au-dessus de tous les songes...

 

 

J'aime cette petite lucarne sous les toits où viennent se poser le ciel, le vent et quelques oiseaux de passage. Et cette main sur la page qui court vers son destin en attrapant un peu de silence. Et la quiétude des jours perchée au sommet de ce qui décourage toute ascension. Et cette âme légère et fragile qui caresse l'herbe et les pierres restées dans la nuit en contrebas. Et ce soleil au milieu du front qui fait battre le cœur qui pulse sa joie – son or – à travers les veines. Et cette force – cette puissance – au milieu du ventre qui encercle la volonté – la soumet à ses perspectives – et la livre à mille projets inconnus. Et ces pieds qui battent la mesure – et qui s'élancent sur toutes les pistes du monde pour danser avec les visages perdus au milieu de leurs rêves. Et cette larme – immense – qui coule sur la joue appuyée contre la vitre au-dessus des abîmes. Et cette hauteur depuis laquelle regarder le monde suffit à l'enchanter – et avec au-delà de l'espace, ce rire que n'entendront peut-être jamais les hommes...

 

 

Et ce cri qui monte de nos entrailles – et qui parcourt tous les lieux pour trouver le silence, pourquoi nul ne l'entend... L'aurions-nous jeté si loin qu'il ne pourrait nous revenir qu'en écho déformé par le chant des pierres qui égaye et célèbre la nuit...

Et pourquoi sommes-nous si tristes d'offrir à Dieu nos poèmes. N'est-ce pas lui qui écoute à travers les yeux encore ensommeillés des hommes...

 

 

Rien n'invite davantage au voyage que le silence. Et tout voyage est une joie – et une curiosité qui cherche sa réponse. Le silence est présent à chaque étape de la traversée – tout au long de ce long périple. Le silence est accroché à tous les destins. Au début du monde, au cœur de toute épreuve et à l'achèvement de la pensée – lorsque le désir se mue en retrait et que le retrait devient le lieu de l'effacement...

 

 

Assis au milieu des peurs et de la nuit alors que dans l'âme bat l'éternité. Assis au milieu des chants auprès des âmes ivres d'Absolu...

 

 

Une voix, un regard parfois nous dissuadent de rectifier l'erreur – et de l'effacer pour une perfection plus lisse – infiniment plus belle sans doute – mais si peu vraie – si peu vivante. Nos ratures et nos gribouillis ne sont le brouillon de l'éternel. Ils sont la vie parfaite qui se cherche dans nos figures inachevées...

 

 

Notre soif nous creuse d'heure en heure. Et la source sera, sans doute, atteinte avant la fin des siècles...

 

 

Au bord d'un rire – comme dans un rêve moins brumeux que le monde. Et cet hiver qui jouit de sa neige. Comment les hommes peuvent-ils donc (à ce point) abandonner leur vie aux visages et aux saisons – et à leur désir d'une autre rive – inaccessible par le songe...

 

 

Rien entre ces murs sinon la possibilité d'un éveil. Et quelques pas pour que cessent la nuit et le sommeil – pour que nous puissions enfin goûter l'aurore...

 

 

Les visages sont plus importants que le jour – et plus prometteurs que leur nuit. C'est notre manière d'être présent auprès d'eux qui donne au monde sa beauté – et aux âmes le goût du Vrai – et la possibilité de la lumière...

 

 

Et ces jours qui se déroutent pour une plus sage accalmie. Comme un temps songé qui soudain s'affaisse – en livrant aux yeux tremblants l'éternité d'un regard – ici même où tout nous rassemble...

 

 

Comment avons-nous fait pour dénicher ce lieu hors du temps – et venir jusqu'à lui... Qui donc nous a hissé sur ses épaules pour que l'âme, à présent, s'agenouille en prière devant ce que ni le hasard ni la volonté ne peuvent découvrir...

 

 

Nous semblions vivre mais nous n'étions (pleinement) vivants. Nous avions la tête collée aux rêves – et le rêve d'en découdre avec la vie et le monde. Nous étions impatients d'arriver – de franchir ces quatre murs et ce plafond de verre si épais pour nous retrouver ailleurs – nulle part peut-être mais qui, à nos yeux, valait davantage qu'ici où la main et la voix étaient si tremblantes – et où les pas étaient trop fébriles pour songer à l'attente – et convertir l'attente en silence – et le silence en sagesse...

 

 

Des âmes trop paresseuses encore pour se hisser jusqu'au jour. Calfeutrées entre le plus haut et le plus bas – bancales dans leur certitude et leur pas – s'imaginant emprunter le plus juste chemin pour rejoindre, là-bas sur l'horizon, l'herbe piétinée et la poussière soulevée par leurs aïeux. Plus tard, disent-elles. Plus tard... mais la mort les frappera bien avant que n'éclate leur rire – et bien avant qu'elles ne retrouvent leur centre où Dieu les attend sans impatience...

 

 

La pierre, nous dit le vent, vaut mieux que les visages. Elle connaît la marche heureuse qui frappe l'air avant le sol. Elle connaît le chant de la lumière et le silence des crépuscules. Elle connaît la vie secrète des arbres et la douceur de la neige. Elle a sur la main – et le cœur – le privilège des immobiles – et sous les paupières, deux ailes blanches qui la portent vers le silence. Dépourvue d'humeur, elle sait entendre le rire – et les pleurs – des enfants – et s'émeut du baiser des heures sur l'âme des hommes. Elle a fait carrière au milieu des champs et sur les routes qu'empruntèrent toutes les histoires du monde. Elle connaît les intempéries et la rondeur – et les caprices – du soleil. Elle connaît la malédiction des ombres et le goût de la terre. Et elle ne désespère jamais dans son attente. Elle sait qu'un jour les visages la rejoindront – et qu'ensemble, ils finiront dans la main des Dieux – ou jetés par-dessus le monde par quelques gamins malicieux. Mais elle s'en moque. Elle vit sans larme – et demeure insoucieuse des circonstances et de la mort. Elle nage au milieu des eaux qui jamais ne l'emporteront...

 

 

Une nuit fatale où les âmes aiguisent leur sommeil à la désespérance. Et un peu d'être au milieu du jour pour que rien ne se dissipe avant le réveil des âmes. Et émerveillé, à présent, par tous ces bruits et ces éclats – et ce grand silence qui recouvre tout. Et c'est, pourtant, au cœur de l'abîme et de la somnolence que nous avons grandi – au milieu des rêves et des épines – à mâcher sans fin et sans joie quelques feuilles d'orties sous l’œil blasé des hommes et le regard indifférent du monde...

 

 

Ah ! Mon Dieu ! La sagesse des bêtes ! Si elles pouvaient parler, nous serions éblouis par tant d'intelligence ! Mais pourquoi sommes-nous donc si aveugles, à travers leur silence, à leur courage, à leur beauté et à leur innocence – et à cette joie d'aller avec naturel et candeur au milieu de leurs instincts...

 

 

Partout, ici et ailleurs, le même destin remisé à plus tard lorsque les heures seront creuses – et le goût du monde moins vaillant – lorsque la mort sonnera (enfin) l'heure de la fin...

 

 

L'espace jusqu'au bout de la nuit resserre sa présence sur nos âmes distraites et éparpillées. Mais il n'investira le jour – notre éblouissante obscurité – qu'à l'heure de la mort – lorsque s’assécheront les dernières gouttes de sang et que l'âme prisonnière s'envolera au milieu des rêves pour rejoindre son destin...

 

 

Le temps écoulé comme un déversement insensé – un flot permanent – qui encombre l'âme et la mémoire – et qui noie notre vie dans le souvenir et le regret...

 

 

Avec la nuit s'enfanta la blessure. Et s'enflammèrent les rêves de guérison et de retrouvailles. Et depuis nous errons au milieu du feu et de cette douleur plus vieille que notre naissance en cherchant par la moindre fenêtre une consolation à la souffrance...

 

 

Fenêtre, nuages, rêves. Et cette cloche qui sonne les heures pour nous rappeler à la prière. Et nos gestes trop las pour quitter le labeur où nous avons plongé notre vie pour ne pas avoir à affronter le temps qui passe et la mort...

 

 

Enfant à naître dans la main de Dieu. Blotti encore contre le sein de la terre...

 

 

Contre la gorge parfois, cette voix essoufflée – rauque à force de se taire – d'étouffer la parole dans son silence. Et qui, soudain, jaillit pour enfanter le plus beau et le plus vrai de la traversée – le souvenir de la traversée peut-être – et dire au monde que le désir est la porte de l'ailleurs – et que les jours dessinent une force – une vitalité – née bien avant les premières naissances – et que l'âme est le lieu de sa plénitude. Et qu'il nous faudra marcher jusqu'aux rives de la solitude et du silence pour rejoindre le lieu où tout a été créé...

 

 

Nous attendons le jour, l’œil triste et collé contre la vitre. Et nous définissons la volonté comme la source des élans... Mais, en vérité, l'incertitude nous effraye davantage que la nuit...

Le recroquevillement, la frilosité et la peur seront toujours les pièges de l'âme les plus ardents...

 

 

Nous nous envolons parfois au-dessus des villes et des forêts pour examiner le monde d'un peu plus haut. Comme l'oiseau qui abandonne son destin aux forces du vent. Comme la main d'un enfant qui, sur sa feuille, dessine un ciel et un soleil qu'il n'a entrevus qu'en rêve...

 

 

Nous aimerions vivre au-dessus des visages – parcourir leurs lignes – nous insinuer au milieu des âmes – et tendre les bras vers des ailes qui nous porteraient plus loin pour dépasser les étoiles et les rêves des hommes. Mais nous vivons au milieu du monde sans connaître personne – sans même un regard sur ce qui nous anime – et sur ce qui en nous monte et descend – et qui, à travers nos yeux et nos gestes, dévisage les figures et défigure la terre – en piétinant notre désir d'être ailleurs – au-dessus des visages pour parcourir leurs lignes, nous insinuer au milieu des âmes et tendre les bras vers des ailes qui nous porteraient plus loin pour dépasser les étoiles et les rêves des hommes...

 

 

Vivre – et mourir – entre deux âges. Comme la possibilité d'une fenêtre – d'une caresse. Et une gifle cinglante au milieu de notre élan...

 

 

Défaits par ce que nous cachions – et nous découvrant plus simples – et plus innocents – que nous ne l'imaginions. Et heureux à présent de nous balancer entre le ciel et les ombres de la terre – à l'abri des détours et des échos qui résonnent au milieu des résistances du monde...

 

 

Que pourrait prescrire le silence à nos mains trop timides – et à notre âme encore trop apeurée par l'innocence et la liberté offertes...

 

 

Nous suivons le lit d'une rivière sans fin – qui ignore ses méandres et ses détours – et qui se moque de ses confluences et de ses deltas. Et nous nageons dans cette eau qui s'est déjà versée mille fois dans l'océan sans craindre ni l'évaporation, ni le ciel – ni l'assèchement des fleuves et des ruisseaux – sûre de rejoindre mille fois encore la source de tous ses départs...

 

 

Nous nous affairons à quelques riens aux lisières des ombres et du silence. Nous engrangeons les choses – et déshabillons les visages pour en extraire la substance qui, croyons-nous, étanchera notre soif. Nous imaginons vivre – et être vivants – plus vivants que les morts. Mais, en vérité, nous dormons du même sommeil – étreints peut-être simplement par des rêves un peu plus vifs...

 

 

Nous étions si jeunes autrefois – avec cette figure fière et ignorante (si ignorante) de ses déboires futurs. Et les années passèrent ainsi – bousculant nos maigres certitudes – et dévastant la carrière où s'empilaient nos espoirs. Et, à présent, ne demeurent que le silence – et cette nudité de l'âme aux prises avec les circonstances...

 

 

Semeur parfois de graines d'un plus grand que nous qui aura offert à notre main son or – son silence et sa joie. Et nous voilà, à présent, à parcourir le monde de notre page – livrant au gré des mots – au gré des vents – quelques semences aux visages inconnus qui, peut-être, aideront à faire fleurir un monde nouveau où les fleurs pousseront sur l'Amour – et où l'Amour n'aura d'yeux que pour les figures encore dépourvues de sagesse. Un monde où l'innocence guidera les mains et les âmes jusqu'aux frontières de leur vrai visage...

 

 

Il est un temps moins glorieux que les mythes mais qui donne à voir le plus Vrai des jours – aussi simple qu'une main qui caresse la chevelure d'un enfant – qu'un front qui se baisse pour recevoir le baiser d'une femme ou d'un Dieu toujours prompts à pardonner...

 

 

Tiraillés encore par la clameur et l'absence qui sévissent au cœur de ce monde où la brume enveloppe les âmes et les yeux en les berçant sournoisement contre le mur des promesses...

 

 

Enfant de la solitude et du mystère qui, en sautant sur les pierres, découvre les visages et, mal cachés derrière les sourires, leurs secrets. Allant entre les arbres au cœur des plus sombres forêts pour rendre heureuse – et possible – la marche. S'arrêtant au milieu de chaque clairière pour parler aux herbes et aux bêtes – et leur demander de le guider jusqu'au lieu de son enfantement – là où la joie, le mystère et la solitude sont nés du plus vibrant – et émouvant – silence...

 

 

Avec les premiers mots jaillit la parole. Et avec la parole, les hommes nommèrent cette fièvre de l'or – cette soif incompréhensible – antérieure à leur naissance. Et ils purent ainsi ouvrir la marche au milieu des arbres et chercher dans tous les recoins ce qui se cachait parmi les ombres et la brume. Très vite, ils invoquèrent le ciel, la terre, les rivières et le soleil – tous les Dieux possibles du monde – pour les aider dans leur ingrate besogne. Et progressivement, on les vit transformer leur demande en mythes et en prières.

Au cours de leur périple, ils comprirent que la solitude accompagnait leur marche – et dans cette compagnie, trop indigne à leurs yeux, leurs pas se précipitèrent. Ils prirent alors mille raccourcis – et décidèrent de bâtir leurs propres sources et leurs propres cathédrales pour satisfaire leurs exigences – et tenter d'apaiser cette fièvre et cette soif intarissable. Mais celles-ci grandissaient aussi vite – et aussi haut – que leurs rêves et leurs édifices. Et très peu comprirent que leurs Dieux et leurs sources alimentaient leurs désirs et leurs élans à mesure de leur faim sans parvenir à en percer l'origine.

Quelques-uns, cependant, comprirent la ruse et la supercherie. Et on les vit s'éloigner des bourgs et des cités – et fuir les foules excitées et grandissantes. Beaucoup se retranchèrent en quelque lieu désert – et entreprirent de plonger dans la parole – et d'évincer les mots et les visages – les idées et les images. Et cette fouille – âpre et douloureuse – exalta leur désespérance. Et bientôt tout devint noir devant leurs yeux – et leur âme devint trop malheureuse pour poursuivre sa quête.

Mais parmi eux, quelques esprits tenaces continuèrent leurs recherches – et découvrirent au milieu de l'abandon le secret de toute parole – le secret de toute fouille – le secret de toute vie – le secret de toute marche et de tout élan ; le silence d'avant le monde – le silence d'avant les hommes – bien plus judicieux et protecteur que toutes les tentatives pour percer le mystère – tous les mystères – qui firent naître – et habitent encore aujourd'hui – le cœur du monde et des hommes.

 

 

La nuit comme un écho – l'écho lointain peut-être – d'un jour plus ancien qui aurait laissé le vent affoler notre timidité – cette folle pudeur sous-jacente à tous les détours qui retarde l'envol et le rétrécissement du temps...

 

 

Une voix, un regard. Et ces empreintes minuscules sur le sable des jours. Quelques traces pour enchanter le silence et les visages...

 

 

Quelques mots – quelques phrases peut-être – une parole née dans la pénombre de la chambre. Un souffle arraché au temps pour offrir un répit à la soif du monde – et un peu de neige sur l'aveuglement des hommes – éblouis par un soleil trop lointain – inaccessible pour les visages qui guettent, dans une espérance insensée, une lumière – une clarté illusoire et mensongère...

 

 

L'herbe, le monde et le ciel au-dedans des visages secoués par tant d'ignorance...

 

 

Par-dessus notre blessure, une mémoire ouverte sur les plaies et le mal de vivre. Et par-dessus la mémoire, un temps blessé qui se meurt sans un mot – sans un cri. Et au fond de notre blessure – apparemment originelle – pousse une fleur étrange – et presque inconnue – qui perce parfois l'obscurité pour éblouir provisoirement l'âme et les visages...

 

 

Au-dedans d'un jour – d'une vie – offerts à l'espérance, le silence et le refus de toute appartenance – toujours trop restreinte pour vivre avec la beauté de l'âme encore enfermée entre la peur et l'envergure du monde...

 

 

Sur cette route qui oscille entre les fossés et l'horizon – nu au milieu des danses. Le pas allègre comme la course des blés caressés par les vents. Le cœur planté dans la sève des arbres. Et l'âme haut perchée au milieu des houppiers pour sentir la bise et l'haleine du monde. Emporté par la douceur de l'air qui vacille entre les pas. Bras levés et la tête au milieu du cou qui battent la mesure au rythme d'un soleil tantôt ascendant, tantôt déclinant. Au cœur d'une ronde éparpillée en mille visages qui la reprennent – et l'étendent là où l'âme s'enlise et parfois se morfond. Dans la main tenace d'un Dieu sans regret...

 

 

Une fenêtre, un coin de ciel bleu et un bout de terre proche de l'horizon. Et le cœur fragile – perdu, peut-être, dans une contemplation infinie – sans limite. Et une âme sans volonté au service de ce que lui jette la main des circonstances...

 

 

Forêts, montagnes et rivières puisent leur puissance – leur vitalité – à la même source que les visages. Et soulèvent le monde aussi haut que nos bras portent les pierres. Forces tendues vers la célébration de l'assise entre deux abîmes – entre deux énigmes – illusoirement matérialisé(e)s par la naissance et la mort. Dans l'immobilité d'un seul regard – qui jamais ne se lasse...

 

 

Et cet Amour au-delà du monde. Et cette joie au milieu de l'ignorance. Et ce sourire parmi les visages. Serions-nous ce que nous avions pressenti autrefois – ce que notre âme avait deviné derrière les larmes et la prétention...

 

 

Sous la lente lisière des heures, l'enfant attend l'aube – la neige d'autrefois lorsque la tristesse n'était que le reflet d'une joie tourmentée par la crainte des jours prochains – reléguant la petite ritournelle des malheurs au coin le plus sombre du miroir – presque invisible – et impuissante à entamer le sourire et l'innocence du visage – et cette clarté (cette haute flamme) au fond des yeux...

 

 

Le monde au-delà de toute illusion – et au-delà de toute désespérance – va, contraint par la puissance de ses désirs, vers son renouvellement – guettant le silence derrière chacune de ses aspirations...

 

 

Le silence parfois s'émousse devant la parole abstraite (trop pugnace pour s'éteindre) – et devant les bruits d'un monde trop ordinaire pour chercher son faîte enfoui encore au-dedans des visages derrière les masques et les grimaces...

 

 

Il est des vertiges où s'amoncellent aux côtés du silence les plus ardents désirs de le pénétrer...

 

 

Si peu de temps – si peu de jours – pour défaire l'ineffable des nœuds inutiles et des enchevêtrements où nous l'avons empêtré – et pour pénétrer sans gêne ni fracas au cœur de la nudité – et fréquenter cette innocence inexprimable par les visages et les siècles...

 

 

Et ces jours – et ces mille lueurs inexprimées au-dedans des visages – entrecoupés par cette nuit interminable – infranchissable...

 

 

Si l'aube pouvait tenir dans notre main, nous écarterions les doigts pour offrir au monde sa lumière. Nous franchirions le temps, la haine et le noir des abîmes. Et nous danserions avec la mort et les Dieux. Nous traverserions la pluie et les yeux des hommes. Et enfanterions la braise au milieu des larmes pour que la terre devienne plus grande que les rêves – et plus belle que la peur. Et nous verrions à la place du cœur une source claire et intarissable se déverser sur les visages – et inonder les chemins pour que nos foulées deviennent plus sensibles à l'Amour qu'aux promesses. Et nous verrions l'histoire ancienne – toutes les histoires anciennes – se rétracter au fond de notre gorge – et la lumière briller au fond de toutes les âmes...

 

 

Vies, aires et chemins pluvieux. Comme l'insistance d'une tristesse plus grande que nos jours – et plus vive que la possibilité de voir et d'aimer....

 

 

A travers la vieillesse, les courbes du soir. Ses lenteurs – et son immobilité presque – face au soleil déclinant. L'oreille attentive au plus infime soupir. Les heures lasses – fatiguées, elles aussi, par la poursuite effrénée des jours. Leur épuisement et la chute prochaine – inexorable. Comme une fin du monde – une apocalypse aux accents personnels. L'essoufflement et la mort qui s'approche. Le dernier pas interminable – et si exsangue pourtant – trop affaibli pour atteindre la rive promise – la rive rêvée – ajournant le sacre à un au-delà incertain...

 

 

Dans la pénombre d'un chemin, parmi les herbes et les branches, la lune pourpre et les lumières de l'aube, l'ombre s'égare dans la neige. Les maisons et les fenêtres se couvrent de givre. Le vent souffle et s'étire. Et voilà nos vies défaites – en suspens peut-être... Couvertures remontées jusqu'aux yeux à éponger le sang des blessures anciennes. Couteau à la main pour cisailler quelques rêves tenaces. Le blanc alors s'engouffre et fait siennes nos couleurs. Et sur la terrasse, on voit les yeux s'enfuir – et à leur suite, les visages – et au loin, les oiseaux suspendre leur chant. Et le printemps, à peine surpris, attend son heure au milieu de l'hiver dont les bras ont entouré notre solitude. La lune patiente. Et le soleil veille à notre repos. Tout est en ordre... Le monde et les circonstances puisent leurs dernières forces dans les battements réguliers de notre cœur. La mort viendra peut-être avant le début du jour. Mais nous sommes prêts à rejoindre la terre – et à accompagner nos derniers pas sous la lumière de notre visage – la seule figure restante dans cette lente procession – avec le silence, tout guilleret, au fond de notre âme promise (enfin) à son destin...

 

 

Nous restera l'odeur de ce sang séché déjà depuis mille ans. Et la fureur de ces combats perdus depuis des siècles. Et ce sourire, bien sûr, jamais épuisé par les circonstances...

 

 

Gitane parfois aux yeux de braise, cette âme plus belle que la mort, plus vive que le vent et moins désespérée que nos larmes. Conquise déjà par les infortunes du monde et du temps. Docile à la main qui la porte et la hisse vers ses propres hauteurs. Fidèle aux élans qui la transportent sur les eaux d'un Dieu moins soucieux des dérives et des naufrages que du souffle nécessaire pour rejoindre ses rivages...

 

 

Toujours plus prêt d'une figure que nous ne connaissons qu'en rêve... et qui souffle sur nos vies l'oubli, la perte des refuges et des repères et l'effacement de notre propre visage...

 

 

Silhouette aux aguets – à l'affût de cette flamboyante consumation pour vaincre la menace, le désir et la mémoire, l'exigence d'une terre, l'appétence pour les boucles funestes et notre goût pour les consolations infinies...

Et ce rose, à présent, sur cette soif presque éteinte. Et ces souvenirs qui galopent derrière les paupières. Et ce chagrin – autrefois si inconsolable – amoindri par le passage. Et la joie sans exigence comme remède à tous les départs...

 

 

Des rêves, des chants et la certitude de l'ombre. Et cette neige plus belle – et plus incertaine – que le soleil et sa course inlassable entre les horizons. Et cette nuit où nous sommes – plongés en son cœur presque malgré nous. Comme le pays d'une enfance qui dure plus que de raison. Et ces étoiles par millions – par milliards – au nombre sans doute incalculable. Et ce sable partout où nos pieds s'enlisent et sur lequel glissent tous les rêves avant de s'y enfouir. Et cette grâce pourtant – née peut-être – née sans doute – des origines qui trace sa route sur nos visages – de la plus insensible absence au plus énigmatique sourire....

 

 

L'histoire du monde. Et l'histoire d'un homme. La même figure, différente pourtant selon les heures et la tournure des circonstances. Et cette verticale sur le temps – à chaque instant. Et ce silence qui perce nos voiles tendues par la puissance des désirs. Et ce goût pour le simple au milieu des enchevêtrements. Et cette joie inébranlable parmi les malheurs. Et ces réponses mille fois offertes que nous avons recouvertes dans notre aveuglement. Et ce rire au centre de toutes les questions. Comment pourrions-nous donc nous exclure de cette belle et grande figure que nous reflètent tous les miroirs...

 

 

Nos visages en contrebas du monde. Gisant avec le sang dans l'eau des rivières. S'écoulant – et s'épuisant – au fil du temps. S'accrochant pourtant à toutes les branches – et à toutes les dérives – dans la croyance (et l'espoir un peu vain) de faire émerger de leurs efforts et de leurs élans une issue, même provisoire, à la chute – une (improbable) échappatoire dans cette implacable précipitation vers la mort...

 

 

Cet or au bout des doigts. Et cette joie au-dedans de l'âme que caressent tous les présages. Comme un chemin parallèle à nos aventures. L'immuable au cœur des circonstances. L'issue à tous les pièges et à toutes les faims...

 

 

Et ce réel façonné par le rêve. Comme un purgatoire oublieux du silence qui, en forçant les portes, transforme le paradis en enfer. Et l'évidence en vertige incompréhensible et infranchissable. Et la joie – et la légèreté – en désir d'appropriation. Ne subsiste alors que l'Amour qui s'offre, au cœur de tous les préambules, à tous – autant à ceux qui cheminent qu'à ceux qui s'abandonnent à leur sommeil... Comme une offrande à lui-même – et une (élégante) façon de patienter avant les retrouvailles – avant que ne se rassemblent toutes les incomplétudes...

 

 

Un silence gorgé de lumière. Et quelques mots, loin de toute objurgation, pour rappeler aux bêtes et aux hommes – aux poètes et aux sages – leur nécessaire présence parmi les voix trop bruyantes et trop insensibles qui clament en ce monde leur refus – et leur résistance à ce qui ne peut être ni saisi ni instrumentalisé. Comme une bouche acquiesçante – accueillant l'harmonie comme le chaos. La seule manière de vivre avec justesse au milieu des cris et des mensonges – et d'aimer d'une égale façon la poussière, les chimères et la vérité...

 

 

Une ombre parfois s'approche – menaçante malgré ses mains vides et son air de ne plus y croire. Elle s'avance à petits pas pour plonger dans nos rêves et nos souliers. Et nous la laissons faire, curieux de voir où elle nous mènera – si la couleur des lacs, des routes, des montagnes et des forêts sera corrompue par ses dogmes et ses églises – curieux de voir son inquiétude devant son impuissance à investir et à contrôler notre âme. Et nous l'accueillons, bien sûr, à bras ouverts – et la recevons le cœur léger dans cet espace où le monde se reflète dans la beauté du miroir – au milieu d'un soleil qui transforme tous les visages et les paysages en Amour...

 

 

Un vent, la terre, des Dieux. Et quelques visages inattentifs – trop sensibles encore aux instincts et aux appétits pour se blottir au cœur du silence – au cœur de cet Amour qui pardonne l'ignorance, la ruse et la maladresse...

 

 

Une cloche sonne à chaque instant. L'appel du silence – la permanente invitation de l'émerveillement – au milieu de la grisaille et de la routine. Au cœur de ces viles habitudes qui rassurent et emprisonnent...

 

 

Au centre de l'âme – au centre du monde – toujours résonne le plus haut silence. Cet Amour blotti contre lui-même à force d'indifférence...

 

 

La chute offre le jour – cette nudité – cette innocence face aux visages et aux circonstances. Cet Amour sans église comme une évidence que ni le doute ni la raison ne peuvent corrompre ou anéantir...

 

 

On s'égare parfois dans l'imitation des plus sages. Pour se prémunir de tout mensonge, on devrait (plutôt) vivre au milieu des tombes et du désert. Être comme le premier homme. Et se fier à l'intelligence qui trace sa route parmi nos négligences. Nous n'en serions que plus vivants – et plus aptes à franchir les premières frontières de la réclusion pour emboîter le pas aux balbutiements de la lumière qui en nous cherche son destin...

 

 

La nuit a la couleur du jour – corrompue par la prégnance de notre visage – cette absence aux yeux étroits – et trop penchés sur ce que nous croyons être la seule réalité tangible et appréciable...

 

 

Dans les yeux des hommes, cette lumière – et ce grand voile qui obscurcit tout ce qu'ils effleurent et tentent de percer : le monde, la vie, la mort, le destin, les visages – et qui donne aux circonstances un air d'épreuve et de tristesse. Et, pourtant, derrière la peur et la méfiance – derrière l'ignorance, les encombrements et la pesanteur – le silence et l'Amour demeurent intacts – et à proximité – mais introuvables encore tant que les tentatives se détourneront de la seule issue possible ; le déchirement...

 

 

Rien de plus qu'un nouveau jour. Un chemin à l'heure précise. Quelques pas et quelques lignes offertes à l'infortune des hommes pour s'extraire du rêve et faire surgir un regard – et dans ce regard, la beauté qui, sans doute, manquait au monde...

 

 

Au dehors, quelques signes. Quelques traces indéchiffrables par la pensée. L'empreinte du courage des anciens. Leurs tentatives aujourd'hui transformées en ruines et en poussière. Leurs mille élans maladroits vers la lumière. Et les dés du hasard lancés contre la pluie qui ont roulé en contrebas du monde – et qui gisent à présent inertes et inutiles...

 

 

Et cette averse du fond des âges encore perceptible aujourd'hui. Quelques gouttes qui cinglent toujours l'âme et les visages à travers les efforts pour échapper aux orages des siècles et à la pluie des origines...

 

 

Un peu de sommeil dans le rêve. Et cette danse étrange au-dessus des terres familières. Sur cette herbe rase – anéantie par les pas – tous les pas – qui se hâtent vers les horizons. Comme un piège enserrant ses proies, hilares pourtant et si insouciantes au milieu du cortège...

 

 

Une clé, un ailleurs. Un tour – un simple tour – autour de soi-même. Autour de ce trésor encerclé – et défiguré – par le désir...

 

 

De l'autre côté toujours, croit-on, se tiennent la joie et le mystère de notre enfantement. Et nous vivons et cheminons ainsi en réduisant le silence à un ennemi féroce – coriace et incorruptible – tant il se présente à nous avant l'heure de la compréhension...

Et nous parcourons les villes, le monde, l'esprit, la beauté et l'étroitesse des figures à la recherche de cette part que nous imaginons manquante. Comme des fantômes inaptes à creuser leur propre visage...

Et notre vie durant, nous tremblons devant la précarité des corps et des destins – et la fragilité des syllabes que dessine notre voix suppliante. Comme si demain – comme si la fouille – étaient suffisants pour continuer la marche...

 

 

Nous revenons encore – nous revenons toujours – au cœur de ce qui ne nous appartient plus – de ce qui, en vérité, ne nous a jamais appartenu. En ce point de rupture où la vie et la mort s'entrecroisent et se confondent. En cette heure où le temps se désagrège et s'efface. Au milieu du monde. Au centre de toutes les solitudes – avec cet espoir de revenir encore pour dénicher la clé – n'importe laquelle pourvu qu'elle ouvre cette porte fermée depuis des siècles – fermée peut-être depuis toujours – et contre laquelle se cognent nos pas et nos poings serrés et tremblants...

Vient pourtant un jour où le retour devient impossible. Où l'âme, prise entre l'écorce du monde et le manche de la cognée, disparaît – sans trace. Et avec elle, la peur du piège et la crainte de l'étau. Nous devenons alors cet ailleurs tant rêvé – et cet ici si fructueux et indiscutable. A notre place. A l'exacte place de notre destin. Là où l'espoir et la désespérance perdent leur force et disparaissent. Là où la joie et l'instant remplacent le rêve et le désir. Arrivés en quelque sorte au lieu où le revenir devient ce qui demeure...

 

 

Blessures et défaites dans cet aveu des choses qui nous entourent. Dans cette attente des êtres et de cette âme portée au voyage. Paupières et volets clos. Cœur arc-bouté sur ses défenses. Au milieu de la peur. Et soudain, tout vole en éclats ; le monde, la vie et le silence. Et ne subsistent que cette joie au fond du regard – et quelques mots pour inviter les visages à nous rejoindre. Et notre pas ferme sur le chemin – escorté par sa propre délivrance...

 

 

Pierres encore tantôt lisses, tantôt rugueuses sur ce long chemin blanc que l'on balise avec maladresse de mille mots inutiles...

 

 

Le silence et la solitude – belle et joyeuse – partout. Au milieu de nulle part. Au cœur du monde. Et jusque dans les âmes les moins dévouées...

Ensemble nous avons gravi mille montagnes – avons traversé mille forêts – avons foulé la vie, le monde et la mort de nos pas tantôt hardis, tantôt hésitants. Et nous n'avons rien appris que nous ne savions déjà ; le règne du silence et la célébration de la solitude aux mille visages tantôt éparpillés, tantôt réunis. Cette évidence d'être nous-mêmes – ensemble et séparés – au milieu des tombes et de la lumière. Et en écho, quelques gestes pour rompre l'inattention et offrir l'Amour à tous ceux qui, à travers leurs foulées, ont toujours témoigné de son absence...

 

13 février 2018

Carnet n°137 Nous autres, hier et aujourd'hui

– Dans le passage qui s'éternise –

Récit / 2018 / L'intégration à la présence

Tout se quitte déjà avant de nous abandonner. Instants, visages, tendresse, amours, malheurs. Envolés. Comme un peu de sable dans notre désert – et quelques grains laissés par le vent dans nos souliers... 

Rien que pour nous, cette vie radieuse – dévoilée dans notre malheur. Retenant son poids pour se hisser sur nos épaules entre quelques rêves anciens et les heures infranchissables. Effaçant le temps et la certitude. Et les yeux pétillants – presque étincelants – ornés du plus grand silence. Comme un adieu au monde. Et cette brûlure sur l'âme pour la rendre plus vive et plus vivante. Ce pourquoi, en définitive, nous aurons vécu...

 

 

Souvenir d'un temps oublié où l'âme était l'axe du monde – où les poètes et les prophètes détenaient la parole – où la lumière régnait parmi les ombres – et où les fils de l'homme étaient dignes de leur père...

 

 

Nous nous sommes heurtés à tant de siècles – et à tant d'ignominie – que le silence partout s'est effacé – dans les âmes et dans les livres. Ne restent plus que l'absence et ce fol élan vers l'horizon...

 

 

Nous sommes nés des lèvres du désir. De cette parole enfantée par la volonté des Dieux. De cette matrice, à présent, recouverte de neige et de secrets...

 

 

Peut-être n'aurons-nous su dire que ce qui nous aura traversé... Jamais le regard. Et moins encore le silence...

 

 

Nous titubons sous les caresses – ce mince partage des vivants dont les mains n'effleurent que le désir. Gorge et âme repliées au-dedans – sournoisement tapies derrière l'avidité du geste...

 

 

La lumière rose déjà en deçà de la mort. Perçant tous les orifices comme si nos doigts errants – malhabiles – pouvaient toucher le jour – rompre la glace et les miroirs – et cette nuit aussi épaisse que le sang qui sèche, peu à peu, dans nos veines...

 

 

Nous écrivons à tous ces passants à l'âme perdue – égarée – trempée par les eaux de l'indifférence et de la peur...

 

 

Le pas triomphant au milieu du sang et du temps célébrés. Avec cette voix perchée au fond de la nuit qui cisaille les âmes de passage. Et cette bouche qui ensorcelle la mort et invite les paumes – et les cœurs – à s'ouvrir pour que le séjour devienne plus intense – et plus flamboyant – comme un chant – un hymne peut-être – nécessaire à la blancheur du partage...

 

 

Entre l'humus et le ciel, cette étrange échelle – démesurée – dont les barreaux (chaque barreau) invite(nt) au voyage – et dont l'envergure impressionne tant les âmes qu'elles ignorent s'il leur faut monter ou descendre – grimper ou se jeter dans le vide...

Et cette brume blanche qu'il nous faut traverser au milieu des peurs et des fantômes – et qui voile le haut et le bas – les cimes et les sous-sols. Comment aurions-nous pu deviner qu'il nous faudrait décrocher le ciel de ses hauteurs et lui faire retrouver la terre la plus humble – la plus abandonnée – et que de ce mariage, presque insensé, pourraient naître quelques fleurs et quelques visages secourables – et mille chants – et mille prières – pour transformer l'espoir et la désespérance en confiance – et la confiance en évidence – et l'évidence en silence...

Comme le franchissement ultime – et l'effacement de tout rêve – de toute montée. La dernière dégringolade, sans doute, joyeuse – et presque miraculeuse – avant que notre visage puisse rejoindre l'infini au-dedans du monde – et à l'écart du temps et des tentatives...

 

 

Malgré l'aurore – et sa lumière – nous sommes encore livrés au destin des pas – à cette incertitude cohérente (presque mécanique) qui fait que notre vie – et toute vie – ne ressemblent à aucune autre – et qu'elles doivent suivre leurs lignes singulières, explorer certains horizons, rencontrer certains visages et emprunter leurs propres chemins de découverte...

 

 

La terre, une fenêtre, du sable. L'oubli et le silence. L'effacement vers l'invisible – l'insaisissable. Comme un envol entre le plus proche et le lointain...

 

 

Comme une vibration à ce qui brûle en silence. Une chair, de l'humus, une parole. Un éblouissement de l'âme. Comme une fièvre – un feu – sous la neige...

 

 

Nous jouons – continuons à jouer – comme si la mort et le hasard n'avaient aucune importance. Comme s'il nous importait peu que chaque nouveau visage reflète le miroir précédent...

Monter, descendre, chanter – vivre et avancer encore... Ah ! Cette ivresse du destin plongé dans l'ignorance et le malheur...

 

 

Le monde en cris – en pleurs – en larmes. La mort et l'Amour battu par les vents. Et nos mouchoirs épongeant le sang des poitrines. Et quelques mots pour dire, malgré tout, la beauté du soir au jour dernier...

 

 

Archipels, collines, sentiers. Cette topographie du monde avec ses carrefours, ses avenues et ses chemins que l'on ne fréquente plus guère...

Ruines encore, plantées comme les arbres, à intervalles réguliers. Pathétiquement uniformes. Et ces foulées au milieu de la désolation – heureuses de tout – du vent, des larmes et des gémissements. Gravées dans la pierre. Trempées par la pluie. Joyeuses, en somme, malgré les déconvenues...

 

 

Ici, comme ailleurs, tout s'en va – se défait, se disjoint et s'efface. Et ici, comme ailleurs, tout revient. Se redresse, s'invite, s'insinue – et recommence...

 

 

Et voilà que nous approchons des mains lumineuses – éminemment fantasques sur le tragique des jours. Paumes ouvertes largement – doigts simples – éparpillés comme une rose blanche aux pétales tournés vers je ne sais quoi – un parfum lointain de la nuit peut-être – une folie versée dans la prière avec un petit quelque chose d'inquiétant...

 

 

Effarouché par la forme secrète des choses. Et le secret enfoui dans les visages. Comme un livre couvert de signes mystérieux – indéchiffrables – le monde – l'énigme du monde – insoucieux des inquiétudes de l'âme qui cherche à réunir la parole et le chant...

 

 

L’œil solitaire, revenu d'exil, veille à présent – découvre le monde – sourit à la foule – et contemple ce qui l’effrayait tant autrefois...

 

 

D'abîme en abîme, la splendeur du noir se dévoile. Bouche d'abord grimaçante qui, peu à peu, esquisse un sourire aussi large que le ciel – aussi large que nos rêves anciens. Et se terre – puis s'efface – l'angoisse du temps. Tout disparaît dans le silence ; visages, malheurs, beauté alors que le jour se lève et que le monde apparaît à la fenêtre...

 

 

En un éclair, le foudroiement. Le temps pulvérisé. La chair en cendres. Et le silence qui s'étire. L'oubli. L'instant perpétuel. La dilatation du corps et du souffle. L'intensité du jour. L'éternité qui s'accomplit...

 

 

Des eaux encore troublent le sommeil. Comme de la boue sur un miroir. Des mots et quelques rires dans le silence. Un totem dressé sur nos latitudes. Comme une griffe – un œil – une indifférence – qui lacère le poème...

Et un sourire nous revient. Celui de l'oiseau devant la face des Dieux – messagère autrefois des plus beaux présages...

 

 

Nous évoquions, t'en souviens-tu, la confiance et la malice dans nos regards tournés vers le monde – et chavirés, parfois, par les siècles. Et ce goût pour le silence dans nos étreintes. Et cette joie du partage que frôlaient nos rêves communs. Et cette écriture penchée sur la table parmi les livres. Et nos lèvres appliquées à l'Amour qui souriaient devant tant de solitude...

La terre alors n'était qu'un mythe dont nous dévorions les tranches et distribuions les miettes de nos mains jointes en prière. Et ce bleu, à présent, comme une trace laissée par notre ultime désir de vivre – ensemble – l'éternité...

Nous regardions, t'en souviens-tu, le blanc des arabesques, entendions des voix, jouions avec le vent et les souvenirs, bercions cette tendresse innée au milieu des jours, brisions nos vies contre l'immonde et l'incertitude – et dispersions nos larmes sur l'indifférence des pierres...

Nous étions si vivants – si fragiles – et si curieux face à tout ce qui nous échappait. Et Dieu sait que notre volonté était grande – immense – incommensurable presque – de défier le temps et la mort, d'exalter le passage furtif des saisons pour vivre un Amour – et un printemps – éternels... Et, à présent, nous voilà rassemblés pour quelques instants – pour quelques heures peut-être – sur cette page que nous aurons écrite ensemble – main dans la main – âme au plus proche de ce qui, autrefois, nous avait échappé. Comme un parfum de fête dans tout ce que nous aurons réussi à briser. Une joie dans la course – un soleil sur le monde. Et le silence au fond de nos âmes brisées par tant de solitude – posant, à présent, notre main sur tous les franchissements sans recourir à la nécessité des choses. Comme le présage d'une empreinte à venir – le sillage fragile de nos années – le souffle de l'infini sur nos horizons si dérisoires. Au plus près de la source et de la lumière...

 

 

N'imaginons rien qu'un voyage encombrant. Une maison à portée d'ailes. Quelques rêves. Quelques étoiles. Quelques rires et des pleines charrettes de malheurs. Et l'éternité quelque part qui veille entre la lune et le silence...

 

 

Nous aimerions encore laver les jours avec les eaux des promesses. Quitter ces rives éteintes – presque mortes – pour une région de cocagne. Et nous voilà, tout haletant, sur les chemins – allant plein d'espoir vers quelque terre lointaine. Soulevant les pierres et dévisageant la figure des inconnus – assemblant quelques planches pour nous construire un abri – déclarant notre flamme au premier visage rencontré – au premier rêve d'amour. Et nous voilà bientôt tout engoncés – pris au piège de notre propre songe – séparés de la mort par quelques souffles avec cet espoir qui chante encore dans l'âme... Incorrigibles que nous sommes...

 

 

Nous chantions autrefois accoudés à la balustrade des jours. Perdus dans quelques rêves. Assemblant quelques mots pour dire notre bonheur d'être ensemble. Nous prenions le temps d'aiguiser notre parole au silence. Ravis pourtant de cette solitude – et de ces fleurs sans volonté qui poussaient sans effort autour de la maison. Nous étions jeunes et pétris de désirs. La mort ne s'était encore invitée à notre table. Nous avions repoussé, d'un geste trop brusque, la possibilité de la souffrance pour chercher partout la moitié de notre visage – imaginant que nous pourrions la trouver parmi toutes ces âmes – guidés par l'instinct qui nous dictait la marche et le hasard des rencontres. Nous ne savions voir dans ce destin la nécessité du monde et la poursuite de cette fouille insensée pour se retrouver...

Nous avons menti mille fois pour sauver les apparences – et exposer la pertinence de notre profil. Nous avons embrassé tous les soleils – la lune et toutes les étoiles – pour continuer à croire. Nous avons amassé l'or et engrangé la lie pour séduire encore. Et nous nous sommes parés de paillettes et de sourires – et avons fui la poussière et le fumier en éparpillant la récolte de l'innocence...

Des années – des siècles – sont passés. Et, à présent, nous nous tenons à genoux, et en silence, sur la jetée qui fait face à la nuit. Et les larmes coulent – et les mains s’abandonnent à la prière. Le monde – cette marche – nous auront appris l'humilité et la gratitude. L'insignifiance de nos désirs – et la pépite qu'ils cherchaient avec trop de fougue ; ce regard immobile – gigantesque – posé au-dessus de nos yeux et de nos chants – accoudé(s) à toutes les balustrades du jour...

 

 

Et ce carré blanc au-dessus de la page. Comme un silence en surplomb des mots – en surplomb du monde – avec quelques étoiles lointaines pour nous dire l'impossible achèvement de l'espérance...

 

 

Plaquées contre le soleil, l'âme et la poussière. Et ce désir de lumière au milieu du cœur – au milieu des rêves – parmi toutes ces têtes nageant – surnageant – dans leur bourbier...

 

 

Nous cherchions l'extase et l'intensité de l'envol. Mais nous étions incapables encore d'abandonner notre vie aux arêtes trop vives des chemins. De confier notre âme aux noirceurs des étangs. De sombrer dans tous ces marécages où s'achèvent les plongeons – toutes nos vaines tentatives d'apesanteur...

 

 

L'âge n'est rien. Qu'un peu de temps sur le visage. Le sceau des heures et des siècles sur la peau. Quelques sillons et quelques frémissements sur l'âme. Un peu de vent et quelques secousses avant la mort.

Il faut être plus lisse – et plus acharné – que les années pour s'en remettre à l’innocence – pour s'abandonner à cette éternité présente au cœur de tous les âges...

 

 

Au milieu de tout ce qui s'en va, nous demeurons – immobiles et sages. Parmi les fleurs, les arbres et les visages. Avec, au loin, ce soleil qui n'aura réussi à réchauffer les âmes...

 

 

Rien jamais ne pourra finir. Ni la mémoire, ni les signes du temps. Pas même l'espoir, ni le passage – toujours furtif – des ombres. Ce grand manège qui nous fait tournoyer...

Mais nous resterons fidèles à ce qui s'approche, la paume légèrement ouverte à ce qui s'insinue sans bruit. Comme assignés par le silence à demeurer présents quoi qu'il arrive...

 

 

L'automne parfois persiste en coulisse. Entre le lointain et le plus proche – assis-là parmi nous sans rien voir de son rôle obscur – et sans même le désir d'un poème. Et nous demeurons étonnés – et presque abasourdis de cet accueil – avec ces traits tirés dans le miroir – prêts peut-être pour l'heure du grand départ...

 

 

Les choses et les noms comme un miroir. Comme une rive unique contre laquelle coule l'espérance – cette envie de savoir ce qu'ils portent – et ce qu'ils contiennent. Et toutes les voix et le silence... Et nos mains fragiles – courageuses – qui tiennent leur pelle – et leur flambeau – pour tenter d'ouvrir un passage impossible. Et pourtant que l'horizon semble réel entre le ciel et les yeux au-dedans de cette chambre où l'âme est encore enfermée...

 

 

Nous rêvons de beauté. Comme une vérité pour soi-même. Comme une évidence à la portée d'un enfant. Et nous nous dressons, la fierté dans l'âme, face au ciel en lui offrant notre courage – et la lie de nos années – nos mensonges et nos prières – sans rien comprendre de sa beauté et de son silence...

 

 

Tant de lumière entre les mains qui pourtant saisissent toutes les grappes du monde – et frappent jusqu'au sang pour que se réalisent leurs rêves. Terre portée distraitement vers un sable éminemment pardonnable...

 

 

Une malice nous surprend parfois au réveil. Et nous imaginons notre vie comme un chant – comme un soleil – alors que mille heures grises – et autant de soupirs – nous attendent... Comme un peu de bruit – un fourmillement de l'âme – une effervescence – dans le silence. Comme un oiseau sur sa branche retenu par la faim – un chagrin aussi vaste que le ciel – quelques pas dans le doute et la discorde – un interstice dans la clarté sereine du soir en attendant la nuit, la fin du rêve et l'aube prochaine...

 

 

Tout se quitte déjà avant de nous abandonner. Instants, visages, tendresse, amours, malheurs. Envolés. Comme un peu de sable dans notre désert – et quelques grains laissés par le vent dans nos souliers...

 

 

Rien que pour nous, cette vie radieuse – dévoilée dans notre malheur. Retenant son poids pour se hisser sur nos épaules entre quelques rêves anciens et les heures infranchissables. Effaçant le temps et la certitude. Et les yeux pétillants – presque étincelants – ornés du plus grand silence. Comme un adieu au monde. Et cette brûlure sur l'âme pour la rendre plus vive et plus vivante. Ce pourquoi, en définitive, nous aurons vécu...

 

 

Pour le monde et les visages, la porte est – et sera – toujours entrouverte. Mais l'effort de la pousser suffit parfois à décourager les plus hésitants...

 

 

Il faudrait dire – et chanter même – au printemps et à l'hiver leur victoire. Et embrasser les âmes à pleine bouche pour les prémunir contre leur crainte des saisons...

Nous n'appartenons ni au monde ni aux siècles. Nous ne sommes pas ces petits riens que l'on jette dans les fossés de l'histoire. Nous sommes cette lumière oubliée – inchangée – qui veille depuis toujours derrière la peur et l'espoir...

 

 

Un lointain chagrin ravive parfois notre foi en l'homme. Nous fait croire encore à la possibilité du monde. Le signe de l'être, peut-être, sur le possible – l'envisageable...

Nous aurons encore mille tentatives pour comprendre ce qui demeure lorsque l'oubli aura jeté en contrebas des heures ce à quoi nous aurons cru – ce que nous aurons tenu en si haute estime – ce à quoi nous aurons accordé tant de valeur...

Rien, pourtant, ne changera – mais tout sera transformé. La gratitude se substituera aux plaintes et à l'espoir. Le monde ira encore de son pas lent, féroce et incertain mais le regard saura accueillir son impatience et sa maladresse...

 

 

Algues, galets, océan. Vie et mort sous quelques étoiles – éclairées par la lune et son reflet sur la vaste étendue. Et ce sable que les mains creusent – et entassent – aveuglément. Et ce soleil – ce grand soleil – enfoui quelque part – et ignoré encore...

 

 

Nous avons empoigné la vie d'une main rude et sauvage. L'avons façonnée au milieu de nos rêves. Lui avons donné notre couleur. L'avons humiliée et emprisonnée de mille manières. Nous avons agi comme de grands fauves au cœur brut et solitaire – trop instinctifs sans doute pour sauver les proies de notre faim – et abandonner le monde à sa liberté et à sa candeur...

Nous pourchassions quelques rêves... Comment aurions-nous pu voir la fragilité – et la détresse – des oiseaux et des grandes créatures pacifiques couchées sur le flanc – prêtant leurs mamelles au destin du monde. Nous ne vîmes que la chair et cette soif de sang... Nous aurons sans doute manqué l'essentiel – le regard, l'Amour et l'innocence...

Et le monde, à présent, est trop rouge – et trop noir – pour pardonner notre ignorance. A moins peut-être de nous agenouiller devant lui – de lui offrir ce dont nous l'avons privé depuis sa naissance – et de maintenir cet accueil pendant des siècles avec la gratitude permanente d'un regard humble et caressant. En devenant moins insensibles que les pierres, peut-être pourrons-nous rejoindre sa fragilité, sa grâce et ses merveilles – et nous unir si intensément à lui – pour être enfin capables de nous faire le bras modeste de sa frugale (et fructueuse) prodigalité...

 

 

Entre la terre et le soleil, cet œil inquiet scrutant la frontière entre le ciel et les paysages – cet horizon – comme une ligne blanche tracée par le hasard des naissances. Et debout, appuyé contre nous, le silence qui guette notre faiblesse – la fin de la folie et des privilèges...

 

 

Nous ne punissons ni les ravages ni la sauvagerie des hommes. Nous avons emboîté leur pas pour remonter là où tout a commencé. Et nous découvrons, parmi les hautes herbes de cette originelle prairie, la faim et la peur exilées de leur Amour – un froid si vif et le tournis de la tête – et le bégaiement du cœur au milieu de tous les rêves...

 

 

Nous n'aurons pas chanté – ni dit de mensonges. Nous aurons fui comme l'eau qui court sur les toits, dans les fossés des chemins et le lit des rivières. Nous aurons vécu – prié peut-être – en mendiant un Amour impossible. Nous aurons fait nôtres le sable des allées, les pierres dressées et le sang de cette chair partagée. Nous aurons bu – et ri un peu – avec des visages au milieu d'une nuit sans fin – au milieu d'une nuit sans appel. Nous aurons effeuillé les jours aussi tristes que les cimetières, la mort, les églises et la figure des curés – rouge à force de sermons et de mensonges. Nous aurons mangé dans la main du diable – et nous nous serons suspendus à ses fourches secrètes. Nous aurons fait ce que font tous les hommes. Nous nous serons terrés dans l'espérance en attendant que Dieu fasse les premiers pas...

 

 

Nous avons souri à la face des sages sans comprendre nos désordres. Nous avons bu leurs paroles, assis aux portes de l'infranchissable en nous moquant de ceux dont les paupières étaient closes – et dont la cécité se dédoublait dans le miroir. Mais nos gestes étaient encore lourds de sommeil...

 

 

Autrefois, nous nous agenouillions auprès de nos tourments. Accrochions à nos élans cet espoir canaille que les vents repoussaient vers notre visage. Nous écrivions des poèmes assis au milieu de la nuit comme de petits cailloux – des voix mortes – lancés aux contrebandiers qui s'affairaient à leurs désirs. Mais sans doute étions-nous seulement en train de rêver...

 

 

Nous étions assis sur une étoile lointaine – et regardions le monde en pensée. Nous imaginions les rires et les cercueils. Nous imaginions les danses et les larmes. Mais nous étions morts, en vérité, depuis bien longtemps...

Désormais notre voix – et notre vie – sont notre regard. Nous ne dormons plus auprès des mains et des corps qui nous réchauffaient en nous consolant de la solitude. Nous avons traversé ce néant au milieu de la lumière. Et nous veillons, à présent, sur la poussière et tous les soleils ensevelis sous le silence. Aujourd'hui, nous sommes ivres de vide – au-dessus des malheurs. Et notre encre se fait plus simple pour éveiller les dormeurs – et les conduire là où ils mourront – sur cette page à la langue enfantine – loin du hasard et de la beauté espérée. Et sur eux, nos gestes ont la tendresse des baisers d'autrefois. Et nous pouvons, à présent, nous recueillir auprès de leurs peurs – et embrasser leurs lèvres inconnues au goût âcre et étranger, sans l'ancienne nostalgie du noir. Nous sommes à leurs côtés aujourd'hui – plus libres et moins fiers que de notre vivant. Partis et revenus avec cet Amour en bandoulière – avec cette éternité dans le sang...

 

 

La présence, le souffle et la sensibilité, voilà seulement ce dont nous disposons en cette vie... Et, plus tard, lorsque la sensibilité sera parfaite (à son comble), le corps ne sera plus nécessaire*...

* La sensibilité nerveuse et psychique est, sans doute, l'une des plus grossières. Mais, sans elle, notre immaturité enfanterait mille délires et mille monstruosités plus atroces encore que ceux que nous commettons dans la restriction (et l'inhibition) de la douleur et de la peine...

 

  

Nous n'avons que notre pas et notre visage tournés vers le silence. Et le regard – cette lumière – sur nos gestes et le monde. Et la vibrante réalité de l'âme – tantôt vivante, tantôt perdue – au milieu des choses...

 

 

Une vie profondément solitaire – presque exclusivement – quels que soient les contextes et les rencontres. Voilà, bien sûr, notre lot commun – et la condition nécessaire à la découverte de notre identité commune – couronnée, en son heure, par la lumière – l'unité lumineuse...

 

 

Seul au milieu du monde. Et l'âme caressée et caressante – vibrante – sensible à tout ce qui l'effleure et la pénètre...

 

 

Partout, le silence et la nuit. Et cette poésie où se loge parfois la mélancolie...

Sachons rester fidèles à ce qui nous est proche. Ainsi le lointain s'avancera vers nous avec plus de ferveur et de certitude...

 

 

Entre nos mains, le plus infime s'est réfugié. Il a vu notre cœur s'ouvrir à la désespérance – et la traverser – pour rejoindre ce lieu austère de l'accueil – jugé trop ingrat par le monde et les hommes. Il a vu sur notre âme son propre reflet réfléchi. Aussi n'a-t-il pas craint de se montrer fragile devant nous – confiant dans le silence de nos lèvres innocentes – et heureux de trouver dans notre compagnie la possibilité d'un répit...

 

 

Nous nous dressions autrefois pour tendre la main – et tourner vers nous tous les miroirs dans l'espoir d'un sourire – d'une attention – d'un écho à notre voix lancée à cœur perdu contre le monde – imaginant qu'une partie de la terre – et quelques foules haletantes – se précipiteraient à nos genoux pour caresser notre front, embrasser notre bouche fumante et boire nos paroles comme une eau rare sur le sable... Orgueilleux et immatures que nous étions...

Mais, un jour, deux mains vives – plus fraîches que l'aurore – et moins tristes que la pluie – nous enserrèrent. Secouèrent cette âme endormie depuis trop longtemps – en firent sortir quelques bruits – et quelques gémissements – qu’elles couchèrent dans le silence. Et nous fûmes soudain tout pétillants de cette évidence ; l'éveil n'est que la fin d'un seul sommeil. Et mille secousses – et mille réveils – sont nécessaires avant l'extinction de tous les rêves...

 

 

Un désordre s’immisce parfois encore dans nos lignes – dans notre droiture honnête et un peu austère. Comme un vent soudain qui propagerait un feu – un incendie – trop longtemps retardé... Comme une lueur infime sous les paupières comprenant enfin qu'elle a l'envergure de la lumière. Et voilà nos mots si sages – et si posés – brusquement tout chamboulés, ouvrant sur la page la possibilité d'une vérité encore trouble – trop chargée encore de qualificatifs pour être (pleinement) comprise – mais dont les promesses, assurément, ne décevront personne...

 

 

Parfois, pensons-nous, le plus clair s'évertue à nous voiler l'évidence. Mais nous avons tort. Toute mise à nu s'évertue à défricher nos élans, trop chargés encore, vers la lumière...

 

 

Paroles outrées – cloîtrées – apeurées par les yeux et les abîmes – et qui se déguisent parfois en silence pour paraître plus sages. Le poème, ainsi, n'est qu'une pierre parmi les pierres – qu'un caillou lancé dans une mare asséchée depuis bien longtemps – et qui n'éclaboussera personne...

 

 

Nous avons mille visages. Et le seul qui nous effraye est celui que nous ne pouvons corrompre...

 

 

Entre deux néants, nous avons essayé d'agir – de vivre un peu sous le joug des promesses – dans l'espoir de connaître, un jour, l'intensité – cette forme d'éternité aux accents fébriles et provisoires. Mais nous ne fréquentions encore le silence – et ne connaissions son étreinte sereine sur les jours tranquilles – et sa persistance immobile et puissante au cœur du chaos et des tourmentes. Le goût insurpassable de vivre qu'il offre malgré les recours, les attentes et le retrait des visages – malgré la froideur déconcertante de ce monde sans âme...

 

 

Nous rêverions de nous revoir, un jour, moins mortels qu'aujourd'hui, moins enjoués parmi les chimères et plus sereins de notre succession...

 

 

Le ciel semble aussi penché que nos âmes. A moins qu'il ne guette notre bascule – et notre retournement... Qui, en effet, peut connaître l'heure à laquelle s'achèveront nos cabrioles – et l'instant où de notre chute pourra naître la droiture...

 

 

Rien ne se précise. Ni le jour ni la nuit. Tout se chevauche et s'emmêle comme si quelqu'un – un Dieu malicieux sans doute – avait mélangé toutes les formes et toutes les couleurs – et repeint le monde et les visages en nuances communes (et imprécises) pour nous faire aimer, peut-être, l'ensemble du tableau et des personnages...

 

 

 

Le jour s'affaire encore à nous éveiller en dessinant quelques traits de lumière sur les ombres éparpillées. Comme de minuscules fenêtres dans la nuit. Comme le plus beau rêve peut-être dans notre sommeil...

 

 

Nous sourions encore aux déboires et à la joie. Comme des enfants jouant dans la forêt à un jeu trop terrible pour être vécu seul et dans le noir. Mais nous oublions trop vite le rôle de l'imprévu dans ces règles édictées qui ouvre la route vers l'impossible – en nous chaussant à l'envi de ces semelles de plomb qui donnent à nos foulées l'allure des pierres fixées à la pente. La soif (notre soif) a néanmoins toujours été tenace – et presque trop féroce – pour consentir aux malheurs et à la résignation...

 

 

Quelques chants – et quelques paroles – dans la chambre pour égayer l'âme et le jour – pour croire encore à notre chance...

 

 

C'est la tête basse – et inclinée – que nous pousserons la porte de la pénombre. Et avec la même allure que nous investirons chaque seuil – pénétré tantôt par le jour, tantôt par les étoiles. Comme le reflet peut-être de cette modestie si ancienne lorsque nous étions nus devant l'aurore – et que nous savions vivre cet inconfort...

 

 

Un glissement sous-entend le jour. Comme une entrée soudaine après des siècles d'enlisement. Un arrachement à cette manière de ramper dans la boue et le noir – et à ce désir inutile de redressement...

 

 

Les rivières, la terre et le ciel nous possédaient autrefois. Ils nous avaient dessiné deux ailes au milieu du dos – et quelques nageoires sur les flancs. Ils nous avaient armés pour toutes les conquêtes... Mais nous vivions sans doute trop près du gouffre. Aussi avons-nous fini par glisser dans le rêve avec deux petites mains accrochées à une branche au-dessus d'un abîme inventé par les Dieux – à proximité d'une source presque inaccessible – la source unique, pourtant, qui enfanta le monde, les rivières, la terre et le ciel mais dont la route avait été oubliée depuis trop longtemps...

 

 

Enchaînés à cette porte qu'enchante le jour. Sur ce sol où l'envol est imprévisible – et où les pas piétinent davantage qu'ils n'invitent au voyage. Comme un rêve au bord d'un lit blanchi par l'hiver et l'imperméabilité des songes. Et avec cette espérance des enfants qui s'imaginent que le cauchemar prendra fin avec les premières lueurs de l'aube...

 

 

Le monde est le miroir de l'âme. Et il est aussi celui de nos élans, de nos cris (presque toujours rageurs ou plaintifs) et de nos ailes obstinées – et abîmées par les ornières de l'espoir. Et pour embellir le reflet – et le visage des hommes, nous n'avons que nos poèmes – et notre présence (presque sereine) au milieu des pierres...

 

 

Assis au milieu des feuilles mortes, j'entends l'effroi de l'arbre et le rire du ciel dans l'attente de cimes moins tristes. Ni plainte, ni demande. Un simple regard sur l'âpreté des circonstances et la ronde du temps. Comme une lucidité honnête – et joyeuse – sur l'abstraction des saisons et des sentiments...

 

 

Nous recevons l'inconnu comme un étranger avec ce regard oblique et cette affreuse suspicion comme s'il allait nous dérober la certitude du monde et quelques trésors chichement amassés. Et pourtant, il vient toujours en ami – en frère – pour démêler le vrai du mensonge et de l'improbable, ôter l'espérance et le souvenir et arracher à nos yeux la consistance des visages et du temps pour nous offrir ce rire qui succède à tout – et qui, un jour, vaincra notre méfiance...

 

 

Le futur arrive déjà, comme les jours nouveaux, à notre porte – vieillissant, sans même s'en rendre compte, sur le seuil de tous les présents – chargeant la mémoire d'inutiles souvenirs – alourdissant cet étrange mélange de blessures et de nostalgie qui nous donne (illusoirement) le sentiment d'avoir vécu...

 

 

Nous découvrons sans fin ce pour quoi nous sommes nés. Mais nos détours sont si intenses – et nos exigences et nos bagages si pesants – que nous ne cessons d'évincer nos découvertes de notre plus quotidien à vivre...

 

 

Le ciel toujours nous oblige à la surprise – non que le monde soit si surprenant (quoique à certains égards, il le soit...) mais parce que les yeux, si prompts à s'y enliser et à n'y voir que l'abjection et le malheur, se surprennent parfois à découvrir, au milieu de l'horreur et de l'ignorance, matière à se réjouir et à espérer ; l'émergence d'un visage aux traits radieux et innocents qui se dessine lentement au cœur de l'abîme où nous l'avons abandonné...

 

 

Le jour, sans doute, est atteint. Mais que la nuit nous semble proche encore – et presque interminable – malgré les premières lueurs – les premières lumières de l'aurore...

 

 

Nous nous affairons avec entrain à ce qui se déploiera (toujours) sans notre volonté...

 

 

Au gré des instincts, des désirs et de la mort, nous abdiquons devant le plus simple et le plus proche. Refusant l'incertitude exigée par la présence de ce visage inconnu au-dedans de nous...

 

 

A vivre ainsi au plus bas, le ciel s'est étendu – et est venu effleurer – puis caresser et envahir notre foulée. Entre ce rêve (notre vieux rêve) d'Absolu et la lumière – au cœur de notre pas si hésitant – et pourtant éclatant déjà – baigné par cette joie d'aller sans savoir – et de découvrir sous ses semelles ce qu'il cherchait autrefois dans le ciel le plus haut et le plus lointain...

L'inaccessible toujours est sous le pied – et au-dedans de ce regard sans exigence...

 

 

Il n'y a qu'une seule souffrance – et il n'y a qu'une seule joie – aux multiples visages...

 

 

Il y a toujours mille raisons de s'inquiéter des jours – et qu'un seul regard pour s'en dispenser...

 

 

Vivre dans l'intensité de son propre rafraîchissement lorsque ne souffle sur les visages que le vent de l'aridité et de l'indifférence...

 

 

Ces hommes marqués par la méfiance et le secret – trop sombres pour laisser éclater un rire sur le hasard. Et rejetant ce qui cloche – et ce qui tremble – comme pour cacher leur pathétique ressemblance...

 

 

Nous semblons vivre au fond de chaque instant une déroute passagère. Mais nous la cachons pour nous redresser – et affronter les heures, les jours, les années et les siècles comme si la malhonnêteté et le mensonge étaient notre seule ossature...

 

 

Un songe encore à poser au milieu des étoiles – dans cet amas de rêves et de promesses éteintes...

 

 

Respirons encore un peu le peu d'air qu'il nous reste. Allons de notre pas tendu vers ce qui nous recevra à l'heure convenue par la configuration des naissances et des étoiles. Marchons la tête – et le front – inclinés mais l'âme droite dans sa justesse – l'âme éprise de tout ce qu'elle rencontre. Découvrons la vérité – quelque chose de plus grand que nos vies et nos foulées. Et regardons le monde et les visages fléchir devant le temps. Résistons à la torpeur et à la somnolence des vivants. Engageons-nous dans le tragique et dans la joie présente au-delà des épreuves. Ne craignons pas d'être des hommes...

 

 

Quelque chose en nous construit son ampleur – et dont la pleine envergure nous accomplit...

 

 

Ni vide, ni chaise. Ni ciel, ni collines. Un juste silence. Et ce regard au milieu du monde...

 

 

Nous ne sommes ni d'ici, ni d'ailleurs. De quelque part entre les deux – cette jointure (enveloppante) qui célèbre et cisaille ce qui n'est pas elle. Cette partie de soi (partiellement) enterrée dans la poussière – et ce regard sur ce qu'elle enfante – et les drames nés de ses ailes trop craintives...

 

 

Nous sommes allés partout – nous avons tout exploré mais nous n'avons vu (n'avons réussi à voir) ni le haut, ni le bas – ni le fond, ni le faîte – ni même l'envers et le travers. Nous nous sommes heurtés à toutes nos frontières (et Dieu sait qu'elles sont épaisses et nombreuses) sans découvrir l'espace qui s'étale au fond de nos larmes – et au fond de notre rire...

Nous nous sommes roulés dans l'herbe et la boue. Nous avons regardé le ciel à nous en user les yeux. Nous avons aimé quelques visages – et répandu notre haine sur d'autres (bien plus nombreux). Nous avons souri et nous avons pleuré. Nous avons vécu comme tous les hommes au milieu d'un monde ignoré...

Nous avons marché dans des pas trop fragiles et trop étroits en soulevant le rêve et la poussière. Nous avons emprunté mille chemins – dix mille peut-être – sans oser porter notre amour vers ce qui en nous cherchait la destination. Et notre âme est morte (presque morte) de cette pudeur et de cette hésitation – de cette manière d'aller vers les jours en remettant à plus tard la nécessité de la solitude...

 

 

Quelques mots encore sur la pierre. Entre le jour et le silence face à un monde perdu – égaré peut-être depuis trop longtemps. Et cette quiétude à présent au milieu d'anciens visages oubliés. Et cette marche heureuse dans la solitude qui aura rencontré sa faim – et épuisé son appétit en conversant avec les arbres et les fleurs – avec le ciel et le courage des bêtes – et qui aura réussi à grimper sur le faîte d'une herbe souriante et inclinée vers la lumière...

Aujourd'hui, l'horizon est loin – derrière nous. Et vivre n'aura plus la couleur des larmes. Nous continuerons de faire avancer cette main – et cette âme – vers le destin que nul ne peut choisir – en livrant notre Amour à ce qui se dressera devant nous. Et l'absence n'aura plus ce goût de sauvagerie – cette saveur bâclée offerte à la hâte par des visages et des pas trop pressés. Nous irons ensemble, main dans la main, pour découvrir les impossibles limites du silence – et rejoindre cette éternité – et cette joie – présentes au-delà des frontières et de la mort...   

 

25 janvier 2018

Carnet n°136 Entre le rêve et l'absence

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Une fenêtre au loin. Et un coin de ciel bleu où poser les yeux qui nous auront vu grandir – et nous redresser pour toucher l'infini du bout des doigts. Et ce tapis qui aura accueilli tant de pages – tant de larmes – et tant d'extases. Et ce regard ébloui – inchangé – qui aura effacé la nuit – et su rompre les jours et le temps. Et cette assise sereine du chant – cette autre musique du silence – qui aura réenchanté le gouffre où nous aurons essoufflé notre quête – et notre folle envie de rencontres et de visages. Nous aimerions dire, à présent, que tout est passé – que tout est fini. Mais cette parole-là est impossible. Tout s'ouvre toujours et se referme. Tout disparaît et revient nous habiter. Tout s'efface et réapparaît – et recommence sous d'autres traits – en d'autres lieux – ici, ailleurs, partout. Rien jamais ne s'achève. Tout toujours se poursuit – tombe et se relève – trébuche à nouveau et se redresse encore...

 

 

Ciel défait par trop d’attente – et le somptueux du monde et du temps. Vie quelconque entre l’absence et l’éloignement. Lieu où s’étire le regard – et où s’écrivent parfois quelques poèmes. Voyage d’habitude. Migration des promesses vers l’horizon...

L’encre comme un autre bruit du silence. L’infranchissable sans échappée célébrant cette aile qui, un jour, caressa notre visage...

 

 

Marche encore. Chemin jamais achevé d’une parole trop hésitante. Au-dessus des moissons pourtant. Ni vraiment écume ni vraiment poussière. Et ce balancement dans nos têtes entre la page et le silence. Cette odeur exacte d’autrefois lorsque le rire ignorait le malheur... lorsque la peau intacte n’en était réduite à trouver refuge au fond de l’âme... lorsque les coups étaient aussi improbables que l’ampleur du ciel gris...

 

 

Intime image de cette crue insensée – de cette pesanteur secrète cachée parmi les strates de la peur. Un jour encore – précipitant l’inconnu à nos fenêtres – l’exhibant à la présence du plus invisible en nous – arrimé à je ne sais quelle jetée surplombant les eaux sombres du monde...

 

 

Echappé de cette folle vitesse – et de ce retard perpétuel du voyageur dont la lassitude pèse sur la foulée, cet horizon découvert à reculons lorsque les heures s’absentent des visages... lorsque le lointain fait figure de rêve... lorsque la croyance dévoile sa nudité sans pudeur... Un peu plus loin – et en retrait de chaque pas...

 

 

L’horreur bue jusqu’à la lie. Et derrière le mal, le plus intime mis à nu – et l’ardeur des premières fois. Comme un dé jeté au sort. Une manière de rebrousser chemin et de compromettre tout voyage...

 

 

Et ce silence sur les pierres. Immobile contre la roche. Et ces âmes rétives qui se faufilent en déployant leur jeu à l’envers du sol comme si nous devions pencher notre regard pour les comprendre – basculer le séant par-dessus la tête – et nous essayer à la bascule peut-être (qui sait...) pour déchiffrer leur infortune...

 

 

Ni revers ni médaille. Un peu de rage et de somnolence. Cette folie de vivre sans savoir. Et devant soi, ni porte ni refuge. Pas même un escalier ni l’ombre d’un couloir. Un peu de silence au milieu de la poussière. Et les vents tenaces qui obligent à fermer les yeux...

 

 

Poursuite des rêves. Et cet étonnement des mains blanches – innocentes. Nez contre la vitre. Front rivé à la boussole. Buste droit. Et regard tourné vers son centre. Comme un soleil au-dessus du monde...

 

 

Et tous ces désastres au milieu de l’enfance. Comme le signe de notre impuissance. Le recours du destin qui mêle les visages et le hasard. La signature de l’ignorance et de la confusion...

Et cette écriture, captive de son histoire, qui émerge des décombres – et refuse la fatalité. Qui barbouille les pages de son cri – hurle sa solitude – et laisse quelques traces de son bref passage...

 

 

Comme un arrière-pays encore lointain – éloigné des yeux qui bravent la mort pour rejoindre l’horizon – la promesse d’un visage ou d’une vie affranchie du hasard à force de volonté. Comme une sève au-dedans du sang qui ignore les siècles et les saisons – et qui cherche une issue dans le sommeil des voyageurs...

 

 

Une peau éparpillée en incertitude. Une traversée – et une nage – au milieu des circonstances – à contre-courant du temps – entre la route et le hasard. Et cette somnolence sur les visages. Comme une absence aux élans trop rapides – et trop fugaces – pour entrevoir le désastre de tout appui...

 

 

Comme une façon d’être là – au plus proche du leurre – parmi les oscillations de l’âme – et ses balancements entre les horizons qui s’avancent et s’éloignent. Jamais raidie par la pesanteur du monde...

 

 

Fontaines, clochers, sources. Et ces places livrées aux armes. Et aux abords de toute contrée, ces fossés qui refusent l’absence du temps en essayant de rejoindre l’ailleurs. Comme une vague promesse d’avenir...

 

 

Et ces saisons plus passagères qu’autrefois qui mêlent la terre au regard – et les larmes au sang. Déployant leur ardeur pour que l’hiver soit reconnu comme le plus intime des passages – la porte du plus intense...

 

 

Une vie à l’envers. Détournée de ses lois pour dissoudre toute structure – toute idée – la mémoire et le hasard – et faire face à l’absence et à la poussière – et entrevoir par-dessous leurs voiles cette injonction de la lumière – cet appel incessant du silence...

 

 

Un sillon toujours entre l’aile et l’horizon qui dissipe les erreurs et le reflet des miroirs. Qui abandonne les visages et ce qui brille avec trop d’éclat – les fausses promesses et le revers de toute médaille. Guidant le sang à travers ses doutes. Serrant entre ses doigts la fin des jours. Semant des lunes plus vives que la vraie entre les fleurs et les bouches fanées. Et, au loin, l’aile qui jaillit – et émerge des profondeurs insoupçonnées de l’horizon comme une grâce au milieu des jeux et de la détention...

 

 

Chaque être, chaque chose, chaque visage, chaque note, chaque parole, chaque geste, chaque pas, chaque souffle, chaque instant – chaque élément de l’Existant (et même le moindre de ses fragments) est une once d’or. Et nous les traitons comme s’ils n’étaient que des maillons dérisoires – et sans importance – dans une longue suite d’insignifiances. Quantité négligeable – et sans attrait – dans l’amas de contraintes et de labeur qu’il nous faut abattre chaque jour...

 

 

Racines et sommets disparus. Brûlés par tous ces pas fébriles. Ainsi chemine-t-on vers la fin du voyage. Un regard. Quelques barrières – et quelques frontières – encore à franchir. Le soleil au bord de toutes les routes. Et la foulée imperturbable – inépuisable – comme une fenêtre ouverte sur le silence...

 

 

Une nuit de solitude où le feu brille. Et ces flammes que je vois sourire à l’aurore – fenêtre embrasée – brûlant les restes de ce sinistre séjour...

Et ceux qui s’avancent seront vus comme les premiers complices de notre départ – de notre réveil – de notre résistance au sommeil. Et nous aimerons ceux qui suivront nos pas autant que ceux qui se lamenteront encore – aveugles à la porte que nous aurons glissée au fond de leurs yeux – entre la lassitude et le silence...

 

 

Dieu, le sommeil et l’abandon sont les fils prodigues du silence. La perfection cerclée d’or et de noir qui danse sur la toile au fond du désordre et des couleurs traversés par nos troubles et notre incertitude...

 

 

La survivance des siècles. Cette résistance à l’oubli. Ce renoncement au silence et à la beauté. Comme un murmure – une vaine prière – lancé(e) du plus lointain – d’un port du bout du monde peut-être – où patientent quelques visages – des milliards sans doute – trop occupés à leur fouille et à leur désir d’or pour voir le grand incendie qui se propage et ruinera leur rêve de fortune...

 

 

Passé le temps de la nuit où nous rêvions d’amour et de visages. Les chevelures nous auront appris la méfiance et le désir de solitude...

 

 

Nous n’avons rien dit – et n’avons rien fait – pour lutter contre la mort et ses fruits lointains. Nous avons épousé les vagues – et, plus tard, l’océan. Ce grand bain d’infini qui fait chanter l’Amour – et berce les âmes un peu folles qui s’exercent au courage en attendant la plénitude...

 

 

Comme le premier oiseau sorti de l’ombre – des ténèbres – renonçant aux branches, aux pierres et aux étoiles pour un vent discret sur ses ailes. Comme un miroir caressé par la nuit qui soudain se brise en mille reflets involontaires. Comme une âme penchée sur la source et dont la soif a été oubliée. Comme le premier homme à la chevelure sombre, debout – ivre de joie – devant le silence. Comme une chair dressée contre la jambe du monde. Comme un souffle abandonné aux rumeurs des Dieux – un peu d’encre jetée pour que le troupeau rejoigne le gardien des collines. Comme un peu de sang qui bat dans la poitrine et une aube offerte au passeur de vie. Comme un avant-goût, peut-être, d’éternité...

 

 

L’ombre, les rumeurs, les ténèbres. Reflets du miroir posé face à la nuit. Dernier quartier où viennent boire les bêtes assoiffées. Ultimes souffles avant la montée de l’aube. Et quelques traces jetées dans l’encre qui recouvrira notre peau. Comme le témoignage de l’avant-ciel encore si peu affranchi des chimères...

 

 

Nous voyons le jour. Le ciel, le sable, la terre. Juchés au-dessus de l’abondance des siècles – le front arc-bouté contre le temps. La main prolongeant le cœur – et la parole, le silence – sensibles aux frémissements des berges et à cette eau qui coule parmi les élans et les rêves. Enchantés du noir au fond des écorces et de cette lumière suspendue à la mémoire...

 

 

Sans âge, couverts d’humus, de songes et de choses. Corps impudiques exhibant l’Amour. Et parmi les ronces, les griffes et les broussailles, cette odeur de soufre et de tempête. Et cette armée de lutteurs qui s’acharnent au-dessus de la mort...

 

 

Nous dansons à présent au bras de l’Amour et de la mort. Entre l’ombre et la douleur. Parmi les visages grimaçant aux limites de la supplication. Avec dans les yeux cette espièglerie de ceux qui savent vivre sans espérance. Soucieux de l’horreur mais impuissants – si impuissants – à égayer davantage que leurs jours...

 

 

En définitive, nous n’aurons gagné, après toutes ces luttes et ces épreuves, qu’une ampleur suffisante du regard pour vivre avec moins d’effroi et de désespérance dans cette tristesse commune...

 

 

J’aurai aimé passionnément les bêtes et les arbres. M’en serai fait le compagnon sensible et attentionné. Et c’est avec eux que j’aimerais préparer les noces nouvelles. Et à eux que j’aimerais offrir le signe – l’insigne peut-être – de la beauté et du courage...

 

 

La souffrance, la solitude et la tristesse n’auront pas été vaines. Grâce à elles, nous aurons touché du bout des doigts la frontière – cette ligne mystérieuse – qui sépare le sang de la joie...

 

 

Le silence encore comme seule vérité – unique réalité tangible dans ce monde apparent où le séjour des passagers est aussi bref (et aussi léger) que leur souffle. Et où les élans ne sont que des assauts contre l’impossible...

 

 

Nous allons sur la pointe des pieds, le désespoir enroulé à notre cou et la tristesse en bandoulière, vers cette joie – ambassadrice de la blancheur – cette couleur d’innocence qui teinte peu à peu les âmes et les pas...

 

 

Une nuit sans promesse, bien sûr, malgré les guirlandes et les lampions – et les éclats de rire qui résonnent au milieu de la tristesse. Faces souriantes – figures enjouées – jouant à la joie imparfaite d’exister. Avec cette substance qui s’intériorise pour avoir l’air d’aimer la fête et l’oubli. Comme une partition de bravoure malgré les secousses et les supplices retranchés au fond de l’âme – et qui rongent au-dedans comme une lèpre – comme une peau craquelée sous l’apparence de la joie – mais usée déjà par l’absence et le diktat des conventions...

 

 

Nous étions malades d’une autre vie – enfouie sous l’autre plus apparente. Et nous n’avons su résister à ses assauts. C’est elle qui nous fit naître parmi les hommes – au milieu des rêves, de la cendre et du sommeil...

 

 

Nous dormions autrefois blottis contre la terre et la douceur des jupes – effleurant la neige de nos doigts et le ciel de nos âmes. Mais la lumière ne sut percer la grisaille. Et tous les oiseaux s’envolèrent – laissant le passage froissé au milieu des pierres. Comme un aveu, sans doute, d’impuissance. Une impossibilité d’envol parmi les clochers noirs et leur flèche dressée vers le ciel. Et le gage, peut-être, d’une promesse faite aux hommes – de rester encore un peu parmi eux – à leurs côtés – pour que le bleu devienne possible entre les arbres et les rochers – et au-dedans des visages privés de silence...

 

 

Entre l’abîme et l’inespéré, le son des sabots sur les chemins. Et le tintement des cloches entendu au-delà de l’horizon. L’infime sous les lampes – penché au milieu de ses ombres – cherchant la neige et sa nudité – et le fleuve, le grand fleuve, qui émergera de la nuit...

 

 

Couché(s) au-dedans du silence, nous attendons le visage debout – indemne – parmi les violences. Et nous patientons, stoïques, parmi les étoiles blanches et lointaines la fin du temps, l’abandon des visages et l’achèvement du sommeil...

 

 

Et tout ce bleu au-dedans du noir. Et ces mains crispées sur l’or. Comme une trahison envers la tendresse innée de l’homme et la poursuite stérile de tous les rêves de nos aïeux. Comme une bêtise au goût aventureux qui s’échinerait à façonner l’âme pour un monde invivable...

 

 

Au hasard, nous préférons le silence. Et à la lune, ce buste penché sur l’herbe et les fleurs. Assis sur une chaise invisible posée au milieu du monde. Avec l’âme humble et déférente en surplomb des visages. Abandonnant les mains et les pas aux circonstances. Accueillant les sanglots par cette immense fenêtre ouverte sur ce qui compte – et brûle – les jours. Appuyé en quelque sorte contre le promontoire de l’aube où les voix basses – criantes ou en prière – ne sont vouées qu’à l’attente, à la déception et au règne du pire. Et nous les regardons sans ciller s’enfoncer et émerger – tournoyer et se perdre – au milieu des débris que les vents pousseront vers l’hiver...

 

 

Et cette guigne collée aux basques des bêtes, comment croire qu’elle est née du hasard... Serions-nous cette part du destin qui les maltraite... Et ces arbres que l’on coupe à l’usage du feu – d’un peu de chaleur pour traverser l’hiver... Serions-nous cette main qui pille et transforme les forêts en désert... Comment imaginer que nous soyons toujours aux ordres du pire...

 

 

Visages de la terre hissés à bout de bras hors des frontières. Vent glissant sous les paupières pour dévoiler le bleu qui gît au fond des âmes. Dieu peut-être œuvrant dans notre halte – découvrant deux ou trois pans de l’aube pour nous initier à ce que nul ne peut meurtrir ni faire mourir. Comme un avant-goût de ce qu’achèveront la souffrance et la mort...

 

 

Dans l’entrebâillement de la pensée, le silence. Et cette joie à laquelle ne peut prétendre la raison...

 

 

Dans la traînée de l'hiver, les ombres s'étirent. Et quelques barreaux se dressent encore sur lesquels viennent se poser la rosée et les rayons paresseux d'un soleil inimaginable.

La rencontre des pierres et du silence. Avec sur les visages, le sourire d'un prophète lointain – ravi de cette fraîcheur nouvelle – et pas inquiet le moins du monde des résidus de poudre sur les âmes engrillagées au fond de leur cage posée quelque part sur l'infime promontoire des années...

 

 

Une couverture d'étoiles blanches avec, cachés dans ses plis, quelques oiseaux d'envergure et cette main crispée qui parfois s'abandonne...

 

 

Face au monde, quelques fleurs ouvertes – légères – discrètes – presque invisibles – mais dont la beauté est une caresse sur l'âme. Comme une prière – un chant – orchestré(e) par la lumière. Comme une grâce au milieu des ruines et des tombeaux...

 

 

L'hiver encore. L'hiver partout comme si le ciel soudain nous offrait sa blancheur – son innocence – et recouvrait l'horreur et la honte avec un peu de neige – un peu d'étincelance sur l'or – pour libérer les hommes de leur fouille et de leurs conquêtes...

 

 

Une chambre face à l'immensité. Et la joue de l'homme contre la vitre – avec quelques pensées collées à la chevelure des Dieux. Comme un instinct – une sauvagerie – qui refuserait l'incertitude du monde – et son inexistence peut-être...

 

 

Et cette douceur – cette délicatesse – au fond de l'âme – presque une tendresse – qui se redresse et efface imperceptiblement l'inhumain de l'homme pour donner un autre souffle à ses gestes – et une allure plus décente et moins sauvage sans doute. A l'image de cette présence qui ne montre sa pleine envergure que lorsque les yeux sont capables d'y renoncer...

 

 

Nous avons veillé. Nous avons guetté. Et rien n'est arrivé pour terrasser les malheurs et égayer l'âme taciturne qui accompagnait notre attente...

 

 

Alliée de la neige et des brûlures, cette âme solitaire qui, entre les rêves, a choisi le silence – et de rompre la monotonie des heures pour un feu – et un ciel – plus vivants que nos ombres...

Le songe d'un homme glissant peut-être vers ce qui l'a précédé...

 

 

Et debout, à présent, au bord d'un soleil immense – éblouissant – qui redonne aux aveugles la curiosité et le goût de voir – et à la laideur sa beauté. Et qui grimpe sans bruit sur les berges où s'entassent les peurs légendaires pour maintenir le mystère de sa présence – et déployer insidieusement l'hiver dans la solitude des hommes...

 

 

Neige qui brûle la peau. Silence encore incomplet. Pensées toujours aussi vivaces. N'est pas né le jour qui nous verra fleurir l’innocence...

Et cette folie sauvage qui obscurcit l'aurore. Et cet élan de joie à assécher la soif. Comme si la foudre était notre instinct. Comme si les yeux fermés abdiquaient devant le sang et la mort. Comme si les ténèbres, ce sable et ces mots n'étaient qu'un adieu provisoire aux vivants...

 

 

Gorges et envergure déployées à travers ce restant de vie. Et cette folle allure qui fait oublier la mort. Comme des œillères tournant aveuglément autour de leur trou – de leur tombe...

Glissement progressif du bruit vers le silence. Jour faisant face à la nuit. Et cette terreur dans les yeux qui ignorent l'ampleur de cet élan inconnu – de ce visage vers eux, immense, qui s'avance...

 

 

Un monde. Des hommes. Et plus d'un regard inquiet. Et plus d'une main nouant aux yeux un bandeau. Et plus d'une botte secrète au fond des besaces posées près des outils et des instruments d'éventration à l'usage des âmes et de la chair. Et tous ces secrets dissimulés derrière l'évidence. Comme si nous savions voir au fond des yeux des hommes...

 

 

Le mystère intact – inentamé – comme un enjeu peut-être trop ambitieux pour les hommes qui ne s'échinent, si souvent, qu'au labeur de l'abondance... Unique remède – unique salut – pensent-ils à leur destin...

 

 

Beauté indéchiffrable du monde. Et les hommes, pelles, pioches, marteaux et stylos à la main, essayant d'en extraire la substance pour en revêtir leurs jours et leur âme...

 

 

Regard sans équivoque sur le désir et l'indésirable. Sur ce feu qui anime la volonté de vivre – et de s'affranchir du triste et commun destin des hommes. Marche lente – progressive – vers cet espace sans couleur dont la tendresse n'a d'égal que l'éclat. Revigorant au milieu du doute et des soupçons accumulés au fil des siècles...

 

 

Il faudrait taire le monde et les hommes – et exclure tout commentaire – pour ne se consacrer qu'à la splendeur de notre présence et offrir au Beau et au Bien un espace – et rendre hommage à leur vérité dans cet univers de laideur et de mensonge...

 

 

Au creux du pire glissent parfois, au côté de l'inévitable, la surprise et le merveilleux – l'enchevêtrement du simple et du doute qui invitent à la transformation du regard – et le possible couronnement de la vérité...

 

 

Comment une parole – et une perspective – porteuses de haine ou blâmant simplement la laideur pourraient-elles inviter au silence et à la beauté en sachant que celles qui exposent l'Amour et la lumière demeurent, le plus souvent, sans effet – et parfois même exaltent le pire...

 

 

Dans cette latitude entre le geste et le silence – entre le crayon et la page blanche – naissent, en même temps que les arabesques, l'effacement et ce qui recommence. Comme la vie et la mort entremêlées dans leur étreinte...

Le reste n'est qu'un peu d'ombre dans le jardin du monde. Des voix mêlées de rires et de sanglots dans l'attente d'un chemin – dans l'espérance d'une fin plus heureuse...

 

 

Nous allons cahin-caha appuyés les uns contre les autres vers cette lueur qui monte du fond des âmes – vers cet après sans franchissement – vers cet infini des jours sans avenir – poussés par la course folle des vents – immobiles pourtant depuis toujours sur cette rive vouée aux départs, au partage et à tous les recommencements. Dans le sillage du même Amour...

 

 

Et ce rêve d'autrefois d'aller au faîte du songe – et d'en revenir couronné du laurier des dormeurs – qu'il est loin à présent. Ne restent plus que la solitude – et la joie d'aller seul – et sans sommeil – sans se laisser corrompre par la somnolence et la torpeur des foules...

Et cette danse parfaite, aujourd'hui, au milieu des visages. Pieds effleurant la terre autant que les étoiles anciennes. Sourire impérissable sur les lèvres. Et l'âme debout – ivre de sa propre lumière...

 

 

Autrefois nous interrogions l'espace, le monde et les visages. Quémandions quelques restes au destin. Ignorions autant les exigences de l'âme que celles du corps. Brûlions la vie autant que l'avancée inexorable de la mort. Sacrifions à nos nécessités celles des autres – ces inconnus au visage étranger – presque incompréhensible. N'avancions qu'à petits pas autour de notre figure secrète. Refusions l'évidence de la solitude. Craignant par-dessus tout le silence – cet aveu de joie et d'impuissance face à nous-mêmes. Et nous nous trompions sans même le savoir. Mais de cette erreur, nous apprîmes à nous connaître – et à refaire mille fois le chemin à l'envers – pour nous découvrir originellement intacts – et indemnes des histoires et des siècles – à la fois si proches du monde, des visages et de l'espace – si proches du destin – et toujours hors de portée...

 

 

Au gré de l'âme, nous nous balançons. Tantôt emportés, tantôt enfermés par les liens tissés. Et ainsi la liberté demeure introuvable...

 

 

Nous pensons sous des nuages plus pesants que le monde. Nous vivons sous un ciel plus épais que notre désir de vivre sans nuage et sans appui. Nous vénérons la terre – lui vouons un culte, compréhensible certes pour ses offrandes, mais où la commune mesure nous attache à l’abondance au lieu de consacrer le peule rien – que nous considérons comme des ombres mortifères. Comme si, à travers nous, trop denses sûrement, sans cesse se heurtait l'indicible...

 

 

Sous le jour, la pierre et le sang – ces alliés substantiels de l'âme. Et cette épaule rassurante – et réconfortante – pour traverser la vie et le monde – et affronter la froideur des visages. Comme une résistance à l'obéissance et à la soumission orchestrées par les hommes. Une manière d'écarter le joug et le temps dévoués à la puissance – et de franchir ce qui nous guide pour rejoindre notre rêve d'allégresse...

 

 

D'ombres et de flammes, le cœur de l'homme – muet jusque dans la solitude. Et cet écho impatient qui, de son poing, frappe à toutes les portes pour se faire entendre. Comme le rêve d'un Amour impossible...

 

 

Et ce supplément d'âme qui offre sa danse au silence – pour vivre debout au milieu des corps serviles agenouillés devant l'or et le pouvoir de la naissance. Nous aimerions oublier ses naufrages, ses frasques et ses turpitudes. Nous aimerions frissonner devant cet abandon pour quitter l'enfer des ombres et des flammes...

 

 

Echoués parfois encore sur cette rive où le geste et le soupir côtoient le désespoir – cette folle envie d'un autre monde, d'une autre terre, d'un autre soleil. Comme le désir d'un temps nouveau déchargé de l'ancien où les baisers avaient une odeur de défi – et où les enjeux étaient corrompus par l'attente et les exigences – et le refus de toute solitude...

Et nous voilà encore ligotés au fond du gouffre – avec ce rire (pourtant) qui ressemble à un chant de délivrance...

 

 

Le jour se lèvera demain. Et, comme aujourd'hui, le souffle se mariera au vent pour témoigner de l'indicible – et dire aux hommes, suspendus à toutes les lèvres, que le silence durera encore...

 

 

Esclaves de notre histoire – de toute histoire, nous aimerions croire au jour qui se lève, au cœur sans honte assis avec tristesse devant tant de morts. Nous aimerions vivre – moins lâches qu'autrefois – et un peu plus vivants peut-être – avant la fin du conte – avant que la mort ne tourne la page (notre page) – en retardant ce qui viendra, sans doute, nous arracher à l'espérance...

 

 

Larmes, fleurs, chemins. Mémoire chevauchée tantôt par le rire, tantôt par la terreur. Et ce doute, si précieux, sur l'attelage. Et ces jugements bruts – et sans racine – qui visaient à pourfendre le monde.

Corps en transit. Sang versé. Et ces doigts qui cherchent encore leur route à travers les cris et les fossés où l'on assassine. Comme si nous étions taillés pour le voyage, l'aventure, la découverte. Comme si nous étions les jouets d'un destin gouverné par la mort – et le fruit mendiant d'une grâce et d'une décomposition inévitable cherchant à genoux le courage d'aller vers sa délivrance...

 

 

Pierres aussi immortelles que les désirs et les cimetières. L'âme enfoncée en plein cœur – là où le sang jaillit comme une neige au visage masqué et funeste. Comme un homme sans mémoire dont la figure n'est que l'éclat d'une fureur arrachée à sa cime – et bientôt défaite par les saisons pour un printemps éternel – hors du temps...

 

 

Dans cette chambre indéfinissable aux fenêtres tournées vers les vents – ouvertes sur le monde et les visages – l'oubli se fane en silence. Entre la lune et le sable. Et derrière l'horizon, la solitude des pierres. Comme une absence portée très haut...

 

 

Et cette âme simple qui secoue la neige sur nos semelles. Et qui disparaît avant même d'être remerciée. Comme pour nous dire que le voyage sera long encore – et profondément solitaire – et qu'il nous faudra avoir la patience des saisons pour atteindre l'hiver...

 

 

N'être qu'un homme adossé au silence dont les mains caressent les visages – tous les visages – qui patientent au carrefour des jours prochains – entre hier et l'oubli. Le regard en surplomb de cette longue queue où se bousculent toutes les têtes pour voir l'horizon – et avaler la route qui mène nulle part – qui ne conduit que vers cet infranchissable infini...

 

 

Nous n'aurons rien dit – et n'aurons rien fait – nous autres qui attendons encore. Nous aurons frappé à toutes les portes, sans succès. Nous aurons laissé un peu de vent blanchir la nuit – et adoucir le jour. Nous n'aurons été qu'un silence incompris et incompréhensible – qu'une voix muette dans la solitude – parmi des milliers d'autres voix muettes – terrées, elles aussi, dans le noir – au cœur de cet isolement des yeux et de l'âme cherchant un secours – une issue – avant que le ciel ne leur tombe sur la tête...

 

 

Un baluchon, un livre – quelques livres peut-être – une boussole. Et des chemins à foison pour les âmes fiévreuses et hagardes. Le lot de l'homme juché sur sa douleur. Cet exil – cette errance – qui enlise les semelles dans la boue. En-dessous d'un ciel qui arrache tous les rêves...

 

 

Un ange dort au creux de notre sommeil. En vérité, il ne dort pas. Il veille, inquiet de notre somnolence. Et accompagne nos foulées rêveuses – rageuses parfois (si souvent même) – aussi loin que nous mène la marche. En vérité, il attend l'abandon de tout bagage – que s'use l'espoir d'une autre vie, d'une autre terre, d'un autre monde – et que le cœur se brise, et s'attendrisse, pour pénétrer (enfin) – retrouver, bien sûr – l'âme dont nous l'avons exilé...

 

 

Cartes, livres, visages. Et autant de passages vers le silence. Et cette ardeur des pas. Et cette recherche du grand frisson. Et cette crainte de l'errance alors que le ciel – et le soleil – ivres de leur lumière – ivres de leur Amour – fréquentent déjà tous les chemins du monde – et honorent (depuis toujours) la vie de leur présence. Mais où avions-nous donc posé les yeux – et notre âme – pour ne rien voir ni ne rien sentir...

 

 

Le sable et le temps. Mille ans de fouille dans l'urne sans fond du sommeil. Et mille visages rencontrés. Et au cours de ces conversations de l'absence, quelques âmes entendues, rares et d'autant plus précieuses, au faîte de leur quête – et au fond du trou – là où les mains et les cœurs se dérobent – là où la vie et le monde ne tiennent qu'à un fil – là où le néant devient silence – baume – frère – regard. Le seul espace capable de nous convaincre de capituler – et d'abandonner toute recherche. Le véritable lieu de la rencontre – de toute rencontre – avec la figure inespérée de l'âme, du monde et du ciel, que voilaient nos pelles. La découverte de notre mystère que la mort même ne saurait nous arracher...

 

 

Une voûte. Et une lumière encore incomprise. Trop subtile – impraticable – sans doute pour les âmes trop grossières – et ces yeux et ces doigts accrochés à l'apparence...

 

 

Jour de peine où la faim est encore jetée aux loups. Et cette joie (notre joie) arrachée à sa racine. Dessinant une ombre sous la parole. Comme un horizon – un seuil – dont nul ne pourrait se libérer. Comme une peur cognant encore contre nos remparts. Comme un bout d'aile naissant à la base de l'épaule coupé dans sa folle envie d'infini. Comme un ciel, à peine entrevu, qui retomberait sur le sol et que l'on recouvrirait de suie et de neige... Et bientôt, la glace et la cendre partout. Et nos pieds nus écorchés par la boue sèche des chemins – noirs au milieu de l’absence...

 

 

Une fenêtre au loin. Et un coin de ciel bleu où poser les yeux qui nous auront vu grandir – et nous redresser pour toucher l'infini du bout des doigts. Et ce tapis qui aura accueilli tant de pages – tant de larmes – et tant d'extases. Et ce regard ébloui – inchangé – qui aura effacé la nuit – et su rompre les jours et le temps. Et cette assise sereine du chant – cette autre musique du silence – qui aura réenchanté le gouffre où nous aurons essoufflé notre quête – et notre folle envie de rencontres et de visages. Nous aimerions dire, à présent, que tout est passé – que tout est fini. Mais cette parole-là est impossible. Tout s'ouvre toujours et se referme. Tout disparaît et revient nous habiter. Tout s'efface et réapparaît – et recommence sous d'autres traits – en d'autres lieux – ici, ailleurs, partout. Rien jamais ne s'achève. Tout toujours se poursuit – tombe et se relève – trébuche à nouveau et se redresse encore...

 

 

Nous nous balançons toujours (trop) ostensiblement entre ce qui nous blesse et nous délivre – entre ce qui embourbe et exalte notre sacrifice et ce rêve de fortune délivrée du hasard. Voilà peut-être pourquoi nous claudiquons sur tous les chemins... Comme la malice d'un destin voué au côtoiement des contraires et à l'entremêlement des extrêmes. Des vies tirées à hue et à dia – bancales – boîtantes – où le seul remède entrevu est la conquête des horizons – de tous les horizons – pour embrasser et concilier toutes les directions. Erreur monumentale, bien sûr, car nous voilà bientôt plus dispersés encore – plus éparpillés que jamais – contraints de suivre mille pistes qui achèveront de nous disloquer...

D'autres – plus sages, ayant sans doute su écouter leur désir le plus puissant – leur nécessité incontrariable – ont suivi le même sillon – le creusant encore et encore. Et au milieu de leur embourbement, ils surent – purent peut-être – atteindre le sous-sol – s'y allonger de tout leur long, corps et âme, et voir leur attente – leur enlisement – se transformer en abandon, et leur abandon en envol et leur envol en liberté affranchie de toutes les résistances et de toutes les contradictions – de tous ces élans antagonistes si grossièrement terrestres...

 

16 janvier 2018

Carnet n°135 Aux portes de la nuit et du silence

– Quelques reflets des vivants – 

Recueil / 2018 / L'intégration à la présence

Et ces visages – tous ces visages – en contrebas des falaises. Et ces murs – tous ces murs – encerclant les âmes. Comme une nuit dans la nuit que le jour, sans cesse, fait renaître...

Et ces sanglots puisant leur tristesse à toutes les sources comme si les larmes avaient le pouvoir rédempteur du feu. Pierres à mi-hauteur des fenêtres voilant le plus mystérieux à venir. Ce cœur émergeant des ténèbres – ce silence offrant à l’âme la possibilité de l’infranchissable...

Et ces moissons abandonnées à la joie. Et ce souffle qui se retire au plus près du sol. Comme une fleur éclose au milieu de la mort...

 

 

Sur les pas de l’hiver, notre orgueil. Et ces jours d’absence où l’Amour grandit malgré les heures et la misère qui encerclent les âmes encore maudites...

 

 

J’imagine qu’un jour nous nous attarderons davantage sur la couleur des mains et des visages – et leur cri d’angoisse devant tout ce qui nous déchire. Abandonnant les victimes et leurs bourreaux à leur rêve de gloire...

 

 

Quelques traits aussi simples que la neige sur ces rives où la parole semble, si souvent, ingrate et inutile...

 

 

L’incessant recommencement de cette terre si mortelle...

 

 

La faim, la soif et le feu – la cendre et la neige – où tant de délires sont permis – et où le cercle pourtant veille au cœur des âmes endormies...

Et les battements du cœur dans ce langage universel – promis à tous les silences...

Et ce jour jamais enfanté par les ombres. Comment pourrions-nous croire (encore) à la parole...

Et cette douleur toujours aussi vive – et jamais démentie – comme si les grilles étaient notre seul désir. Comme si la nuit avait été choisie...

 

 

Aussi vastes que l’immortalité, ces fruits si anciens qui jonchent encore les destins et les jardins. En attente de jachère – et d’un séjour plus inoffensif que l’apparence du silence...

 

 

Et ce monde où le chagrin est à son comble – à l’égal peut-être du désir et de la haine, ces fils de l’ignorance nourris par la peur et les instincts...

Et cette absence sur les visages – et cette finitude qui consume et terrifie les âmes. Comment pourrions-nous nous arracher aux gouffres qui s’étendent jusqu’à l’aube – et au-delà sans doute... Faudrait-il croire les quelques bouches qui portent à l’espérance – ou s’enfoncer jusqu’au fond de tous les abîmes... Mais aurons-nous seulement la sagesse de nous abandonner – et de nous laisser porter par ce qui nous appelle...

 

 

Les mots portent à croire. Quelques-uns à penser. Plus rares sont ceux qui invitent à l’oubli – et à se jeter au bas du monde. Ceux-là seuls pourtant sont nécessaires...

 

 

Nous aurons entamé plus d’une lumière – et autant d’obscurités. Nous aurons essayé mille chemins – et défiguré mille visages. Et nous en aurons aimé et refusé mille autres. Nous aurons saisi mille choses – et en aurons fait tantôt un piètre, tantôt un fructueux usage. Nous aurons pourchassé mille rêves – aurons revêtu mille costumes – en nous pavanant un peu partout. Nous aurons goûté mille saveurs. Nous aurons ri et nous aurons pleuré. Nous nous serons interrogés – et posé peut-être mille questions – en refusant d’admettre l’impossibilité de toute réponse. Nous aurons voyagé et participé à mille chantiers. Et nous aurons été seul(s) malgré la foule, quelques mains et quelques épaules réconfortantes. Nous aurons vécu. Nous aurons au moins, et malgré nous, essayé. Et la mort bientôt nous fauchera. Et, à présent, nous sommes terrifiés – et abasourdis par tant d’ignorance. Comme si nous avions dansé au milieu des tombes et parmi quelques figures souriantes sans rien savoir ni rien découvrir de notre destin...

Et ce rêve de jour, en nous, encore si vivace...

 

 

Qui êtes-vous donc, ombres sur nos jours... Ôtez-vous de nos yeux – et de nos chemins... Et laissez-nous vivre – et mourir – dans la lumière...

 

 

Et ces bruits – tous ces bruits – de rêve qui collent à la peau. Comme si seuls le feu et le silence pouvaient consumer notre vie – et la rendre plus belle et plus simple – plus libre et plus joyeuse...

 

 

Il nous faudrait l’éternité pour contempler un seul visage – et voir en lui émerger la possibilité de l’homme. Et un seul instant, sans doute, pour l’aimer...

 

 

Rejoindre le pari si ancien des étoiles – et ce rêve de lumière dissimulé jusque dans leur mort...

 

 

Et ces pierres comme le reflet d’autres rivages – enfouis dans la terre et l’eau des rivières – encore si frémissantes de leur présence...

 

 

Et ces mains d’infortune au faîte de tous les orages – courbées par la foudre sous les gémissements d’un ciel sans demande. Et nos larmes qui rejoignent le cours du monde bien avant que la mort ne nous arrache aux promesses du déluge. Et ce cri inépuisable au fond de l’absence. Comme si nous n’étions que des fantômes...

 

 

Heureux que nous sommes à l’ombre des pierres. Et ce peu de vie qu’il reste à notre départ. Un peu de sable – et le souvenir – qu’effacera le temps. Et cette joie d’aller partout sans se soucier des conditions et des contingences – et de se faufiler entre la lumière et les circonstances avec ce visage si sage sous le règne du jour...

 

 

Et l’ensablement des chemins où s’enlisent les troupeaux. Et ce seuil tant rêvé – et jamais franchi... Comment pourrions-nous attendre la mort sans impatience...

Et cette course du temps creusant la crête des âges qui crient leur éternité – et maudits pourtant par les saisons. Et cet homme, au loin, que l’on aperçoit, voilé d’un peu de brume, qui marche au cœur de ses blessures en levant les yeux vers sa délivrance impossible...

Qui sommes-nous donc parmi tous ces gestes... Et comment pourrait-on nous arracher cette modeste espérance...

 

 

Qui cédera à cette captivité... Et qui saura découdre ses ailes – et les remplacer par une interminable attente – éclairée par ce que ne peuvent offrir ni les livres ni les lampes – et moins encore les visages. Ce retour au plus simple – et cette tristesse de l’âme aux prises avec les chimères du monde. Et derrière, cette lumière encore invisible – et si terrifiante lorsqu’elle s’approche...

 

 

Nous n’aurons creusé qu’un peu de terre – et enseveli le plus précieux au fond des yeux – sans voir le triomphe possible de l’éternité – et la magie de la lumière investissant le monde et le temps...

 

 

Une œuvre encore parfois s’écarte des chemins – de ces traces encensées par les siècles mais dont la postérité ne dépassera (jamais) quelques jours. Des textes creusés dans l’expérience humaine la plus universelle dont chaque ligne embrasse l’atemporel – l’éternité de toute existence...

 

 

Nous creusons parfois à l’orée de toutes les frontières – cédant à tous les passages pour affirmer le triomphe de la mort – et l’éternité de l’Amour – sur l’évanescence des siècles...

 

 

Il existe, au fond de l’âme, un éclairage secret – invisible – qui offre aux lampes du monde la seule lumière raisonnable sur les sacrilèges du temps – l’attente des âmes – et les malheurs qui éventrent le monde...

 

 

Autrefois, nous croyions saigner pour quelques privilèges – une promesse à venir qui viendrait couronner nos efforts et notre patience – la jouissance du monde. Et, à présent, les vitres sont blanches. La terre est rouge et dépeuplée. Ne restent que cette tristesse – et cette espérance sur nos lèvres. Et quelques larmes sur les fleurs survivantes...

 

 

Plutôt mourir que d’aller dans le sillage des ombres – cet étroit passage où l’absence du moindre soleil présage le pire... Plutôt mourir que cette ivresse imparfaite à vivre...

 

 

Et nous exultions autrefois de nos pauvres savoirs – croyant fendre l’épaisseur du monde avec nos doigts agrippés à quelques livres. L’absence en tête. Feignant le jour au milieu de la nuit – participant malgré nous à tous les mensonges et à toutes les oraisons – et façonnant le désastre à venir, si nécessaire pourtant à ce retour sur soi – à cette lumière au cœur de l’ignorance qui, seule, pourra offrir à nos gestes la justesse des innocents...

 

 

Et cette stupeur encore à voir arriver la mort, si proche de notre visage. Les yeux cadenassés en-deçà de toute vérité... Comme si le monde nous avait fait oublier la magie, un peu funeste, des vents – et leurs grandes arabesques pointées vers le plus effroyable silence. Cette solitude aux marges des vivants...

 

 

La porte des âges. Cette aubaine du temps qui boursoufle l’espérance et les visages – et ce désir si ancien d’éternité...

 

 

Et la paresse des mains et des anges face à notre mendicité. Comme si le silence nous réservait d’autres royaumes. Des bras plus tendres que la neige – et plus brûlants que la braise. La mort et l’abandon à chaque instant. La perspective des Dieux. L’effacement du désir et de la colère. Le règne du plus complet. Ce qu’espérait, sans doute, l’âme à ses premiers pas, prise en étau, déjà, entre le désarroi et quelques restes d’innocence...

 

 

Nous pénétrons les grands chemins – cette terre étrangère au monde que nous appelons de nos vœux aux derniers instants du jour. Cette aube – cette aire de tous les recommencements. Et nous soulevons de notre silence toutes ces heures à vivre... Gestes lents au milieu du feu qui poussent la pluie, les larmes et la désespérance au cœur de ce qui fut autrefois notre seul abri...

 

 

Au-delà des mondes, le bras de l’ennui parfois pose notre tête contre la pluie – au seuil de tous les royaumes – au plus proche de cette mort – de cette inexistence – tant redoutée...

Et dans l’écho de cette chute, un murmure comme le signe d’une résistance au silence et à l’oubli. Et la preuve peut-être d’une blessure inguérissable. Comme un arrachement trop soudain au monde des ombres...

 

 

Un peu de sang – et quelques vivres – sur la piste. Et cette bouche souillée encore de tant de paroles – entre cri et torpeur – aux confins de tous les silences...

 

 

L’horreur serait peut-être de veiller sur un monde aussi ingrat qu’inexistant. Et passer sa vie à lui confier des secrets qu’il ne peut entendre. Reléguant ainsi l’existence – toute notre existence – à des gestes inutiles, à une attente interminable et à la quête de l’impossible...

 

 

L’incertain nous pénètre – et disloque toute certitude. Et nous voilà gémissant contre les ruines de notre vie ancienne – blâmant cet heureux désastre. Comme arrachés trop prématurément à la boue – et la regrettant déjà alors que la lumière a percé notre plafond de verre – cette opacité à la surface des yeux qui donne au monde et aux vivants cette allure, si réelle, de fantôme...

 

 

Fronts et âmes rouges à force de volonté – à force d’espoir – comme sculptés au couteau d’un geste trop rapide pour s’essayer à l’attente – à cette éternité au-dedans du silence...

 

 

Nous guettons encore dans le froid, comme des insectes mal éclairés, la torche lointaine – l’être sans visage qui porte cette flamme silencieuse. Tête et mains contre la vitre au cœur de cette attente. Et, sans doute, mourrons-nous encore au milieu de la neige, l’âme et les doigts gelés par les mille reflets de la lune...

 

 

Et ces bruissements de l’âme au-dedans de la chair. Et ces mille mains qui défont notre robe trop légère pour l’éternité...

 

 

Ecartelés par le doute et la certitude du savoir. Et nous voilà errant entre deux têtes singeant la sagesse. Voués aux pires tourments – à cette errance au milieu des rives où s’écoulent les reflets de la vérité...

 

 

Et nous voilà muant en une forme d’humus célébrant le renouveau – et lui offrant la promesse d’un nouvel essor. Poussière devenue le terreau des prochains jours...

 

 

Eclairés encore par ce que les yeux ne peuvent corrompre. Cet éclat de Dieu dans l’âme. Et cet éclat de l’âme dans la chair...

 

 

Et nous voilà encore repartis – rejoindre les mille chemins de l’enfance. Comme si l’âge n’était qu’un leurre – l’œuvre du temps sur la chair fragile. Comme si brillaient toujours au-dedans ce désir d’innocence – et ce goût pour l’éternité...

 

 

Visages perdus. Yeux hagards. Corrompus par le rêve. Errant – tournant inlassablement autour d’un centre ignoré où veille le silence...

 

 

Et des monstres encore – par milliers – qui se délectent de notre faim – et qui nous assaillent sans relâche en nous confinant au fond de la peur et de l’espoir – dans cet étroit réduit où étouffent les âmes...

 

 

Et tous ces profils disparus. Et cette herbe nue et silencieuse. Et cet éclat au fond des yeux qui bravent la peur. Et notre dernier sourire à l’heure de la mort – à l’heure de l’abandon. Comme si la vie – ces quelques dizaines d’années – s’étai(en)t effacée(s) pour se recentrer sur la promesse d’un seul regard...

 

 

Et nous jouerons encore avec nos têtes froides – et nos bouches grimaçantes – et l’affirmation de ces yeux qui en disent long (toujours trop long) sur nos déboires. Et un jour, bien sûr, la danse nous reprendra – et nous fera tournoyer parmi les rêves et les délires comme si l’âme n’était vouée qu’aux tournis et à l’espérance de la rencontre...

 

 

Le monde, le vent. Quelques pas dans la neige. Quelques traces qu’effacera le renouveau. Mille visages – et mille mouvements – cherchant l’immobilité toujours – cette sagesse du geste et l’imperturbabilité du regard au cœur de l’illusion et du mensonge...

 

 

Passagers du froid et de la mort sur une terre sans espoir. L’innocence enfermée dans les tréfonds – recouverte de rêves et d’instincts...

 

 

Et ces bouches aimantes qui nous auront précédés. Comme si le miracle avait été découvert mille fois – des milliards de fois peut-être – puis oublié. Offert aux vents et à la nuit où patientent les âmes encore trop frileuses – trop timides pour écarteler la mort – et découvrir, au fond de la solitude, ce grand cercle sans visage...

 

 

La solitude et le silence affermissent l’épaisseur du monde. Et la percent – et l’attendrissent – aussi. Comme s’ils savaient qu’un sourire pouvait émerger du pire – convoyeur de tous nos secrets. Et cet éclat du geste dans la rencontre – reléguant la mort à une liasse d’incompréhensions inutiles. Comme un prisonnier échappé de la nuit avec l’âme aux aguets, vigilante, devant la clarté promise...

 

 

Nous effacerons tous les passages – et les marques de séduction – pour aller nus au cœur de l’impossible. Impassibles devant les chemins, les sentes étroites, les montées et les ravins. Une lumière tantôt au creux des mains, tantôt juchée sur nos épaules. Et nous marcherons – et irons loin – jusqu’au seuil de l’attention – quelque part dans l’immobilité entre la joie et le silence – là où le dialogue (tout dialogue) s’interrompt – là où se jettent les prières, les excuses et l’austérité – là où commencent l’Amour et ses danses – pour apprivoiser la faim et les visages encore affamés.

Et nous pourrons alors nous effacer pour une plus digne envergure – et offrir une obole au monde – aux vivants et aux morts – plongés encore dans le froid et la nuit...

 

 

Pourrons-nous échapper à la laideur, à la lourdeur et à ce qui obscurcit... Pourrons-nous vivre – et mourir – sans déchirure... Pourrons-nous ouvrir les yeux sur l’origine de la nuit... Pourrons-nous enfin nous apaiser face aux circonstances et à la mort... Mais peut-être ne sommes-nous, au fond, qu’au seuil de l’apprentissage...

 

 

Aux frontières de l’inséparable. Âme et mains dans les flammes. Buste droit et chevelure livrés aux chemins et à l’eau des rivières. Et sous la lumière, cette ivresse des bêtes prises par la mort – et nos doigts encore cachés sous le sable...

 

 

Le sourire des arbres au seuil du gouffre. Et leurs mains suppliantes par-dessus nos têtes essayant de s’élever au-dessus de la joie – au-dessus des étoiles – comme un jeu – et un peu d’ombre dans la lumière...

 

 

Le flanc prêté à la mort parmi les convives aux airs de feinte indifférence – lèvres et regard placés au-dessus de l’enfer – aveugles encore à la stérilité des tentatives...

 

 

Encore un peu d’espace où s’élancer entre l’arbre et le seuil – entre l’attente et la plainte. Comme une ombre malheureuse espérant toujours au milieu du désert parmi les pierres brûlantes...

 

 

Un peu d’encre suffirait à abattre les murs. Et notre courage à traverser les ruines – à contourner les gouffres et à disparaître pour rejoindre cette immensité – cet humble et digne visage de la réconciliation...

 

 

Nous témoignerons encore de la route et du sang – versé partout – pour réinventer le silence, mort depuis trop longtemps. Aux lisières du sable et de l’air – si proche de cette terre revenue de l’abondance. Comme un peu de justice avant le grand froid de la mort...

 

 

Et si nous jouions passionnément au sommeil pour que le rêve contredise la mort – et la surpasse dans toutes nos tentatives pour vaincre l’effroi et la terreur qu’elle jette sur nos visages...

 

 

Et si nous n’étions qu’un feu dans l’obscurité – et l’obscurcissement – du monde. Quelques flammes vives – et chancelantes – au milieu de l’espoir. Le reflet encore ignorant de notre origine...

 

 

Tout se rapproche dans l’éloignement. La terre, les visages et la mort. Et cette vérité dissimulée par les apparences. Cet éclat furtif de vie lorsque gronde l’orage et que l’éclair s’abat sur les frondaisons. Cet oubli du néant. Ce regard porté par l’insaisissable lorsque arrive enfin l’hiver après le cycle des saisons....

 

 

Et nous fûmes aussi cette terre stérile – vidée de son abondance. Et ces mains – ces milliers de mains – creusant sans mémoire et sans pitié. Et ces bras – ces milliers de bras – bousculant les foules et écorchant les visages. Et ces yeux – par milliers – cherchant parmi la poussière, et quelques (vaines) étoiles, un peu de rêve et une lumière au cœur des chemins et des orages. Un reflet de liberté avant de mourir...

 

 

Et, peut-être, n’aurons-nous été qu’un peu de vent. Un désir de caresse parmi des millions de corps souffrants. Une joie dressée au-dessus des tristesses. Une crête inscrite au cœur de la nuit. Le seuil encore infranchissable du passage...

 

 

Nous aurons crié – et aurons pleuré – en essayant de vivre. Mais, au moins, aurons-nous tenté d’élargir notre intimité à l’espace. De nommer l’innommable. D’exclure l’abstrait et le mensonge pour toucher du bout des doigts un éclat de vérité – et éloigner ce grand froid qui monte des abîmes vers les âmes pour enserrer le monde de ses glaces...

 

 

Quelque part en nous, l’absence surgit. A proximité du souffle et des cris. Au-dessus de ce feu mêlé à la parole qui épelle en boucle le silence sans jamais y consentir. Comme un mensonge – une extravagance – pour offrir au monde une allure moins austère...

 

 

L’encre noire recule parfois devant la densité. Et pourtant, tous les poèmes tentent de chasser la nuit – et de sauver quelques âmes – ce qu’il reste des âmes... Mais, un jour, nous nous tairons pour rejoindre ce que nous avons arraché à la terre. Ces mille routes qui auront tenté de dire – ce vide – cet éveil qui s’étire bien après les premières heures de l’aube...

 

 

Nous aurons vécu avec quelques lames rompues à toutes les épreuves – au milieu du fer et du sang – avec les mains attachées – et souillées de substance – et les yeux perdus dans l’épaisseur de la nuit. Avec ce visage trempé par la pluie – et ces pleurs si vivants au fond de l’âme. Et c’est ainsi, sans doute, que nous affronterons la mort – et l’éternité du verbe posé entre le silence et la finitude...

 

 

L’indicible, matière de l’immense. Debout avec des chants plein la tête. Et ces mots rougeoyants qui soulèvent – tentent de soulever – le sens du froid et de la mort. Roulant la parole des crêtes vers l’oubli pour dire – et redire encore – la possibilité du silence...

 

 

Et cette solitude des âmes naufragées parmi les rêves, le sang et les questions des hommes qui piétinent la terre – et qui, à l’heure de la mort, patientent sur leur bûcher en flammes avec leur orgueil et leur désir de royaume. Comme si régnait partout, parmi les larmes et la dévastation, cette folle espérance au cœur des cendres futures – et stériles, bien sûr, jusqu’à l’aube prochaine...

 

 

La nuit – et les voiles – se rompent sous les yeux d’une lune dispensée de lumière. Ce qui nous porte jusqu’à l’égarement – jusqu’à l’embourbement de toutes les absences – et ce rétrécissement fatal de la parole. Puis reviendra le silence sur les ténèbres...

 

 

Nous fûmes sages – à notre place ordinaire avec ce regard étrange qui faisait face à la nuit. Et le jour vint ainsi – avec ce grand feu allumé (et éternel peut-être) sur les pierres parmi les lampes éclairant les livres – et au milieu des tombes entre lesquelles nous cheminions en larmes. Et le rire surgit ainsi – sans détail ni explication – à l’heure précise où les grands arbres incendiés dessinèrent de leurs branches une bouche immense illuminée comme un soleil – mille soleils – défaits de toute matière – et si proches du ciel que les âmes – toutes les âmes – se mirent à genoux pour prier parmi la cendre et les torches abandonnées...

 

 

Après le sommeil, le repos nous sera arraché. La nuit, sans doute, sera la même – presque identique – mais les yeux auront découvert la cathédrale qui s’élance depuis les cimes. Et la mort sera bannie. Dans l’envers du décor, nous verrons, comme aujourd’hui, s’éteindre le souffle et se décomposer la chair – mais les flammes deviendront le signe de la résurrection. Et sur les pierres, nos gestes deviendront clairs. Et les âmes (enfin) rencontreront leur destin. Et la présence et la joie seront les seuls compagnons de notre infortune...

 

 

Nous avons rêvé. Et d’autres lèvres – et d’autres visages – sont venus. Et ont hérité du sort réservé aux nouveaux arrivants. Nous aurions, bien sûr, espéré pour eux une autre terre – et un autre monde – plus vivables mais la vie avait déjà ordonnancé leur destin – et dessiné le contexte de leur naissance... Aussi avons-nous pu seulement éprouver leur souffrance – et goûter, avec eux, les drames irréparables des batailles livrées sur tous les fronts. Et pour les aguerrir (et les éveiller aux exigences du combat et au goût de la victoire), nous leur avons offert mille armes – et mille outils qu’ils intégrèrent. Et nous les avons vus (à la fois tristes et rassurés) poursuivre l’œuvre de leurs aînés – et continuer à façonner la terre et le monde pour le pire – bâtissant, malgré eux – et malgré nous (pétris que nous fûmes de bonnes intentions pour assurer la survie et l’émancipation de notre progéniture) l’héritage des lèvres – et des visages – suivants. Le legs atroce – et permanent – des hommes aux mille peuples et aux mille générations à venir...

 

 

Autrefois nous croyions sourire. Mais, en vérité, nous ne faisions que ravaler nos larmes – cette impuissance désespérée de vivre sans savoir – pour donner le change – faire bonne figure – et offrir le visage de la légèreté et de la désinvolture malgré ce terrain de mines – et de dévastation – intérieures...

 

 

Nous nous sommes approchés au plus près de l’incertitude – là où le savoir s’efface – et se mue en connaissance – ce vide creusé par la lumière. Et cette grâce – jamais acquise – nous offrit des ailes qui nous permirent de circuler plus libres dans nos ténèbres sans aggraver l’horreur de la fouille – et les rires condescendants derrière la vitre du pardon – en nous parant humblement de cet Amour affranchi du sang que la nuit n’a jamais pu meurtrir...

 

 

Nous étions au plus bas du monde lorsque les dalles tremblèrent – et s’effritèrent sous le poids de l’attente. Et au plus bas de l’espérance sans doute... Nous avions traversé mille contrées – aimé et détesté mille visages. Nous avions ancré en nous le sens inné de la marche et ce fol esprit de la découverte. Nous nous croyions invincibles et tenaces. Mais les circonstances nous dépecèrent peu à peu des parures, des faux sourires et de l’orgueil – et attendrirent cette part de l’âme si sensible et si fragile – nous préparant, en quelque sorte, à la nudité du monde et de la chair – dévoilant l’innocence (l’arrachant à notre prétention) – et transformant nos jours et notre âme en terreau propice à l’Amour, enfoui déjà à l’état de graine dans ce que nous portions de plus précieux...

 

 

Mains nues, regard épris. Visage dépeint – défunt – défait de toute étreinte. S’acharnant autrefois à la destruction du pire et du temps – et creusant, à présent, l’attente dans cette tête bientôt sans âge entre les rives que n’atteindront jamais ni les rêves ni les livres. Et ce resserrement des doigts sur l’histoire – puis sur l’oubli de l’histoire. Et cette extinction des lampes – de toute lueur en vérité – pour voir apparaître enfin, dans les plis de la nuit, le plus durable silence...

 

 

Ni route ni pays ne s’insinuent plus à présent dans la pensée. Seule, l’aube ininterrompue offre le plus haut soleil – et consent à pleurer parfois dans la proximité des âmes encore tristes et emmurées dans le refus...

Aussi comment pourrions-nous refuser d’entendre leurs chants – et de recueillir leurs eaux sombres dans nos mains inutiles... Et comment pourrions-nous nous contenter de nous tenir là, dressés à tous les vents, sans goûter les promesses et l’envergure de cette aire de partage... Faudrait-il pour y renoncer – et nous éloigner en courant – avoir le corps et le sang encore trop funestes – et l’esprit toujours endormi dans l’ombre – et la froideur – des pierres...

 

 

Sur le bord de cette route s’interrompt la pensée – cesse la fable – et s’ouvre l’espace – pour laisser le champ libre à l’âme qui s’avance – en retrait du monde. Et c’est son chant que l’on entend derrière les pleurs que partagent les hommes dans leur refus obstiné de la vérité...

 

 

Jusqu’à la mort, réunis. Puis, dispersés en des lieux non dévoilés. Abandonnés peut-être entre des mains moins rêveuses...

 

 

Et ce soleil si frugal au terme de toute agonie. Laissant les corps – et l’âme des vivants – dans une pénombre sans fenêtre. Faces ternes et tristes cachées derrière quelques rideaux – le voile irréductible du secret qu’emporteront les morts...

 

 

Parmi les pierres et l’effort, le rayonnement du silence aux premières heures de l’aube. Comme une lampe posée au milieu de nulle part alors que le sommeil dure encore sur les visages. Comme si la nuit aussi pouvait être le seuil de la lumière...

 

 

Et ces prières fatiguées – si faiblement espérantes – qu’aucun Dieu ni qu’aucun mot ne pourront guérir. Et que le silence, un jour, prendra par la main pour aller arpenter la maison de l’ombre – enterrée quelque part dans la nuit – et s’approcher du feu qui aura veillé sur tant de morts – et tant de bruits – et qui dure encore – au cœur de l’oubli...

 

 

Nous mourrons sur les dalles froides que le monde a initiées avant la fin du rêve – avant le lever du jour. Et nous serons tristes de partir – inconsolables sans doute – comme les visages démunis qui entoureront notre dépouille. La nuit n’aura été vaincue mais la source ne se sera tarie. L’aube se posera encore sur nos épaules déchirées et notre front aveuglé, si médiocrement aguerris à la survie et au combat. Et le sol se dérobera encore – et encore – au fil des effacements. Funérailles après funérailles. Et, un jour, mille cris perceront ce qui fut autrefois notre gloire – défaite à présent – et moins valide que l’encouragement d’une parole et le visage apaisant (et silencieux) des sages. Et nous nous redresserons alors pour sortir du songe – quitter ses eaux sombres et tumultueuses – et nous ouvrir à l’éternité de ce qui demeure...

 

 

Entre les fresques et le vrai chemin. Parmi les rires, les rêves et les pleurs. Au plus près de la source et de la mort qui agrandirent le ciel – et offrirent à la terre une raison d’espérer – et de découvrir, au terme de toutes les épreuves, la seule guérison possible. L’apaisement malgré les défaites et les mille circonstances désastreuses de ce monde...

 

 

Cette ombre contre laquelle se tient l’âme affolée par l’hiver des hommes – épaules nues appuyées sur tant de rêves inutiles, que cherche-t-elle auprès des vivants... Nous ne serions guère surpris si son visage était celui de la mort – ce silence paré d’os et de tristesse lançant sur nos têtes ses vents et ses dés d’infortune...

 

 

Face démunie contre le sol cherchant un appui là où le vent et la mort sont les seuls repères. Là où l’incertitude est le seul gage de joie. Là où l’eau, les bruits et les songes s’écoulent le long de nos vies – et de nos âmes – tendues vers l’espoir d’un refuge plus clément – et moins âpre et moins austère que cette affreuse ignorance...

 

 

Le bruissement fou des ombres dans l’âme endormie. Et leur persistance dans la lumière. Comme si rien ne pouvait être banni. Comme si le silence se moquait bien du cours du monde et de l’ampleur des songes. Comme si la grâce offrait à la nuit vaincue le privilège de la continuité...

 

 

Et ces visages – tous ces visages – en contrebas des falaises. Et ces murs – tous ces murs – encerclant les âmes. Comme une nuit dans la nuit que le jour, sans cesse, fait renaître...

Et ces sanglots puisant leur tristesse à toutes les sources comme si les larmes avaient le pouvoir rédempteur du feu. Pierres à mi-hauteur des fenêtres voilant le plus mystérieux à venir. Ce cœur émergeant des ténèbres – ce silence offrant à l’âme la possibilité de l’infranchissable...

Et ces moissons abandonnées à la joie. Et ce souffle qui se retire au plus près du sol. Comme une fleur éclose au milieu de la mort...

 

 

Le jour franchi, que deviendront les murailles... Et la célébration quotidienne de la nuit... Serons-nous encore (assez) vivants pour suivre toutes ces funérailles inutiles... Et dans quel gouffre déposerons-nous la tristesse de ces siècles fébriles – immobiles à force de trop de désirs... Saurons-nous nous faire suffisamment présents face à tous les périls...

 

 

Dressé contre la mort – et attaché à tout ce qui rue et résiste, le vivant mêle son sang à la vérité dans son combat inutile où la peur détruit davantage qu’elle n’édifie la possibilité d’une issue. Comme de l’huile, qui se prendrait pour du sable, jetée sur le feu. Et au-dehors, nulle parole pour délivrer du rêve – ce délire éveillé qui taraude les hommes et anéantit tous leurs rivages...

 

 

Ni songe, ni chemin, ni église. Qu’une porte à peine visible – et à moitié entrouverte sur un jardin sans mémoire – l’éden d’autrefois (celui des origines) recouvert encore par quelques ombres du passé – par ces siècles presque sans importance qui nous auront donné le goût du sang et de la souffrance – du sommeil et des désirs – et qui nous auront fait presque renoncer à ce lieu perdu au milieu de mille soleils dérisoires...

 

 

Nous avons creusé. Nous avons bâti. Et, pour consacrer nos rêves, épousé le plus long sommeil de l’histoire. Le visage appuyé sur la plus ancienne lumière – celle qui donna au monde le goût de la fouille et de la construction – et l’aveuglement le plus tenace...

 

 

Et nous sommes seuls à présent parmi la foule et les étoiles qui n’auront qu’ajourné l’ultime élan. Tout est là – inchangé mais moins sombre, et moins lourd, qu’autrefois. Le vent a chassé nos vieilles plaintes – cet effroi devant les cendres et la mort. Rien n’a disparu pourtant. Ni les ombres, ni les cris. Mais la surface semble plus lisse et plus blanche. Les cimes et l’horizon demeurent, eux aussi. Mais notre voix s’est dégagée des désordres. Et les reflets de la lune semblent moins vifs. Nous allons toujours parmi les heures, la tête et le buste peut-être un peu moins fiers – et le regard plus immobile et plus serein face aux circonstances, prêts à mourir sans doute ou à revivre encore mille fois toutes ces infortunes. Portés par le destin à tenir cette flamme dans tous les délabrements. Torche à la main dérivant comme toutes les autres âmes sur les eaux terrestres...

 

15 janvier 2018

Carnet n°134 Au bord de l'impersonnel

– Reflux, viatiques et notes sans archivage –

Journal / 2018 / L'intégration à la présence 

Le sang et le soleil nous font comme un manteau – un rêve de jour – un rêve vivant de lumière – qui s’accorde mal à nos visages terrorisés par les vents et la mort...

Et pourtant, un jour, nous voilà errant les épaules nues – dégagés de la peur et du courage – prêts à découvrir ce qui s’avance en nous – cet âge des profondeurs qui révélera nos origines – et celles de l’angoisse et du mensonge.

Et plus tard, l’hébétude passée, nous voilà plongés au cœur de l’innocence à contempler, derrière la dernière étoile, le silence du ciel et de l’âme – prêts à nous asseoir au milieu de nulle part et à nous transformer en flèche brillante pour percer l’épaisseur de cette nuit déjà si ancienne...

 

 

Au jour du départ viendra notre heure – la dernière, bien sûr. Et nous laisserons, sans doute, quelques notes – quelques poèmes – pour que quelques-uns puissent prolonger l’expérience du silence...

 

 

Où cheminer sinon sur cette ligne étroite posée entre le silence et la pensée – entre la joie et la tristesse de ce monde...

Nous y sommes depuis longtemps. Et, sans doute même, depuis toujours. Mais seul Dieu le savait. Et il nous aura fallu le rejoindre pour le comprendre (enfin)...

En attendant, nous allons partout entre tout – traversant les mille contrées du monde et rencontrant ses mille visages – en croyant errer alors que nous sommes déjà arrivés – et immobiles. Comme si la nuit avait obscurci le monde, l’espace sans frontière et jusqu’à nos yeux. Comme si le jour nous était encore invisible...

 

 

Comment échapper au temps et à l’espace – et éradiquer la distance qui nous sépare de tout – du monde et de nous-mêmes sinon en étant présent – au plus près – au cœur de soi... La sagesse ne saurait avoir d’autre visage ni d’autre envergure...

 

 

Ces existences affreuses. Presque odieuses. Comme des circonstances nées non du hasard (si improbable, bien sûr) mais du destin aux souffles nécessaires. Comme une foule d’incomplétudes éparpillées cherchant leur part manquante – cherchant partout avec obstination jusqu’au retournement du regard – cette présence en surplomb qui saura enfin agencer les pièces restantes...

 

 

Une vie. Des vies. Et mille labyrinthes solitaires où chaque pas – chaque souffle – chaque rencontre – est une brique supplémentaire posée sur les murs déjà agencés – déjà si hauts et si longs – au premier jour du voyage. Comme si en cherchant une issue, une main, un visage, quelques explications, un peu de réconfort, nous agrandissions et complexifions tous les dédales – le nôtre, bien sûr, mais aussi celui de quelques autres avec lesquels nous partageons quelques impasses – le même désert – la même désespérance – le même néant.

Et il faut du courage – et beaucoup de tristesse – à celui qui erre entre ses murs pour renoncer à ses pas – et s’adosser au premier parapet venu. Et un peu de patience et de sagacité aussi, offertes par la nécessité et la progressive maturation de l’âme, pour s’abandonner au labyrinthe (à tous les labyrinthes), trouver la force de tourner son regard au-dedans et apercevoir enfin qu’il est seul (et qu’il l’a toujours été) au milieu d’un espace silencieux sans mur ni visage. Comme un regard (insaisissable) baigné d’une lumière vivante qui éclaire ce qui est sous les yeux – et toutes les figures qui tournent inlassablement en rond dans ce qu’elles croient être un labyrinthe...

 

 

Le savoir et le langage ne sont – et ne seront jamais – la clé. Ils demeureront toujours l’antichambre où patientent – où s’enlisent et s’acharnent parfois – les visiteurs. Les quelques postulants à l’ultime liberté...

 

 

Il n’y a ni Dieu, ni sagesse, ni vérité. Il y a une perspective juste lorsque le regard s’emboîte naturellement à la présence – et que l’impersonnel s’habite sans effort. Tout alors est vu sans pensée ni jugement. Et tout est accueilli et aimé : phénomènes, mouvements, visages et circonstances – leurs mille interactions, leurs mille échanges et leurs mille résistances. Le ressenti et la spontanéité deviennent alors les outils du silence au service de ce qui est dans l’instant. Puis tout s’efface – réapparaît – et recommence peut-être...

 

 

Tout destin va – court – à sa perte. La chute et l’effritement, voilà les lois – les seules règles en vigueur en ce monde. Et l’abandon, voilà le miracle – et la seule issue possible...

Toute vie porte déjà en elle son envergure – celle des origines et celle de sa destination (absolument identiques). Et les circonstances nous sont simplement offertes pour qu’adviennent leurs retrouvailles – leur parfaite correspondance. Et en dépit du jeu interminable de la finitude – et de la souffrance qu’elle engendre si souvent, il y a une immense joie à parcourir ce processus sans fin – et infiniment renouvelé...

 

 

Dans la défaite – les mille défaites de l’existence – il nous est offert de nous rencontrer. Et de percevoir (de sentir et de comprendre) ce qu’il reste lorsque tout nous a été arraché – lorsque tout nous a abandonnés – et qui demeurait imperceptible – voilé par trop de certitudes lorsque la vie contentait (en partie) nos rêves et nos exigences. C’est toujours dans la perte que nous cheminons. Et c’est toujours dans l’abandon que nous nous réalisons parce que l’une et l’autre nous font parvenir à une forme (presque intégrale) de nudité et d’innocence nécessaire pour emboîter la perception au regard et au silence...

 

 

Une fièvre encore au-delà de la lumière pour que le silence devienne (enfin) vivant...

 

 

Et ces cordages qui enserrent – et affolent – la boussole. Et qui nous font perdre les pôles – et le nord. Comme si nous devions découvrir l’inutilité des cartes, des repères, des routes et des embarcations – et marcher sans guide ni chemin jusqu’aux extrémités du monde, explorer tous les recoins du globe, traverser toutes les frontières et nous défaire de tout voyage et de toute voilure – de toute idée, de tout principe et de toute certitude – pour être enfin capables d’effacer les étoiles (toutes les étoiles) et de nous asseoir – nus, humbles et sereins – en tous lieux décidés par le destin – ce hasard tenu par des mains inconnues...

 

 

On avance et on se penche. Ainsi vivons-nous... Nous avançons vers l’horizon – et nous nous penchons par-dessus pour voir ce qui s’y cache. Et rien ne nous étonne. Pas même d’apercevoir derrière l’horizon un autre horizon aussi insaisissable que le précédent. Et nous errons ainsi d’une ligne à l’autre, d’un rêve à l’autre, d’une espérance à l’autre sans rien voir ni rien comprendre du regard dissimulé au-dedans des yeux – en surplomb de l’ignorance et de la compréhension. Et de désillusion en désillusion – et de promesse non tenue en promesse non tenue – nous progressons inexorablement vers ce que nous portons depuis toujours...

 

 

Il y a dans l’âme le secret des choses – et celui du monde – que nous cherchons avec tant de maladresse (et tant d’ignorance) dans les livres, les trésors et les richesses de la terre, la beauté des visages et l’étreinte des corps. Et chaque rencontre nous laisse un goût amer – un goût d’inachevé en nous offrant une complétude provisoire qui, à peine touchée (à peine ressentie) s’efface...

Et ce manque – ce manque permanent – nous enjoint de poursuivre notre quête. Et il nous pousse à tourner – et à tourner encore – dans tous les recoins du monde et de la vie, à nous essayer (et à nous exercer) à mille activités, à rencontrer tous les corps et tous les visages possibles, à accumuler mille richesses et mille savoirs supplémentaires en nous faisant croire que nous pourrons ainsi atteindre l’apaisement...

Et il y a une grâce dans cette obstination – dans cette folle ténacité. Comme un long détour – et mille impasses – nécessaires pour ouvrir les portes de l’intériorité et avoir le courage de traverser mille contrées intérieures constituées d’images, de désirs et de peurs – et de découvrir, au milieu de l’embarras et des mille embarrassements accumulés, un étroit chemin – jamais achevé – qui se dessine et s’efface à chaque instant – et qui mène au cœur du vide et du silence – dans cet espace autrefois si terrifiant, et à présent si vivant et si vibrant, où l’Amour et la joie deviennent enfin sincères, authentiques et sans exigence. Au cœur de cette présence qui ne cherche ni ne demande plus rien. Ni au monde, ni aux hommes, ni à Dieu, ni aux circonstances...

 

 

Dans les livres, il y a cette encre qui nous encombre – et nous révèle. Comme si nous étions la page à écrire, à déchiffrer et à effacer... Comme s’il nous fallait en lisant devenir l’auteur de notre vie et de nos propres lignes – et laisser le destin effacer le langage et les images pour nous ouvrir – et nous offrir – au silence de l’âme et du monde...

 

 

L’effacement des jours, de la dernière heure et du dernier instant pour que les suivants deviennent innocents – et puissent s’offrir à la grâce de toute rencontre et accueillir la réalité du monde et des visages...

 

 

Je crois que je ne parviendrai jamais à concilier présence et présence au monde comme si la place qui m’était destinée – réservée peut-être – se trouvait à l’écart. Dans la solitude. Un peu en retrait. Dans les yeux du spectateur. En exil. Au ban – et au bord – du monde...

Et lorsque les circonstances me contraignent à aller au cœur du monde (parmi les hommes), quelque chose en moi étouffe, s’échauffe, rue, gesticule et se débat. Comme si je me retrouvais exilé de mon exil... Et ce sentiment de claustrophobie (insupportable) m’enjoint aussitôt d’essayer d’échapper au supplice de cette promiscuité des corps et des visages...

 

 

On peut regretter que le monde soit ce qu’il est. Mais quels que soient nos sentiments, il est ainsi. Et pour y vivre (à son aise) et l’aimer malgré sa violence et l’ignorance ambiante, il convient de l’accepter profondément...

Il n’y a d’autre voie – et il n’y a d’autre issue – pour toutes les créatures de ce monde. On peut, bien sûr, œuvrer à sa manière (et à son échelle) pour faire émerger davantage d’Amour et d’intelligence mais, quoi que l’on entreprenne, le socle de toute initiative demeurera cet espace d’accueil et d’acceptation. Et notons en substance qu’accepter le monde consiste aussi, bien évidemment, à s’accepter soi-même avec ses limitations égotiques auxquelles nul, quel que soit son degré de maturité et de compréhension, ne peut échapper...

 

 

Cœur nomade, âme sédentaire et regard immobile. Vivre ainsi l’innocence chevillée à l’être – et aller au gré des circonstances et des rencontres dans la liberté et l’envergure de l’instant – seconde après seconde, heure après heure, jour après jour – au cœur du silence et dans l’inconnu du monde...

 

 

Au bord de l’impersonnel. Puis, glissant inexorablement au cœur de l’individualité. Comme le nid douillet de nos vieux schémas mentaux, bien au chaud dans leur cocon étroit, vociférant à la ronde contre l’étroitesse du monde. Et blâmant à longueur de jour le règne de la bêtise ambiante...

 

 

Montagne de pierres à gravir au plafond d’étoiles, si souvent, infranchissable. Et derrière – et partout – pourtant le ciel et ce bleu infini de l’âme en prière qui mendie sa part...

Homme céleste aux mains si terrestres dont le cœur ignore autant son destin que son inestimable fortune...

 

 

Mille manières de vivre. Et mille manières de voir. Et mille chemins pour comprendre. Et une seule façon d’écouter – et d’être présent. Humble et innocent – parfaitement vierge – au cœur du silence...

 

 

Et ces défaillances salutaires qui nous font voir le monde, la vie – le réel – sous la lumière d’un autre jour – sans appui, sans corde ni repère. A l’égal, sans doute, du premier regard de l’homme – frais et toujours neuf – mêlé de curiosité et d’émerveillement...

 

 

D’un pas magistral toujours malgré les hésitations et l’ignorance. La tête haute, le dos droit et le buste altier bombant ses forces pour paraître davantage. Et à l’écart des hommes, le sage – pieds et tête nus – presque aux allures de clochard, humble et souple comme le roseau, allant avec toute l’innocence de son pas là où les circonstances exigent sa présence. Si grave malgré le sourire qui ne quitte jamais ses lèvres. Et cette joie au fond du cœur. Et cette lumière, douce et accueillante comme un écrin, dans le regard. Et toujours au bord du silence...

 

 

Des cercueils encore avec autour tous ces visages trempés – noyés de larmes. Et l’âme en chagrin. Triste toujours du sort réservé aux vivants. Puis, la tristesse passée, le deuil s’accomplit (jamais complètement, bien sûr) et la vie progressivement reprend ses droits (comme le dit l’adage coutumier) jusqu’au cercueil suivant. Comme une existence (des existences) inlassablement traversée(s) par la mort, émaillée(s) de mille peines, de mille drames et de mille épreuves – et avec cette étrange accoutumance à l’impuissance et au désarroi. Comme un avant-chemin – une préparation permanente à l’abandon...

 

 

Au fond de l’âme – et au fond des gorges – cette tristesse quotidienne. Comme un mal (de vivre) peut-être incurable. Cette sensibilité qui vibre à tous les départs, à tous les abandons, à tout ce que l’on nous arrache...

Et cette faim – et ces élans – qui durent encore. Comme si ce goût pour nous-mêmes ne pouvait nous être retiré. Et ces racines – et cette origine – que nous cherchons toujours. Comme si chaque pas (que l’on imagine parfois être le dernier) ouvrait de nouveaux espaces, de nouveaux horizons, de nouveaux précipices, de nouveaux abîmes et de nouveaux refuges qu’il nous faudra (encore) explorer et traverser...

Et ce défaut du regard qui confond les perspectives – et qui ne parvient à se hisser jusqu’à l’immobilité en surplomb – spectatrice de tous les départs, de tous les élans, de toutes les foulées et de tous les chemins – interminables... Comme si vivre impliquait tout sauf le retrait dans ces hauteurs...

Et cette flamme jamais éteinte malgré la somme des inconforts et des déconvenues...

 

 

Enfants, mères, aïeux. Tous étrangers qui se regardent (qui finissent par se regarder) avec cette manière si singulière des inconnus. Ignorés de tous et d’eux-mêmes oubliant la première fratrie – cette origine commune qui les dispersa dans le temps et l’espace comme des éléments solitaires – des parties marginales, avides d’unité mais si maladroites encore à la découvrir et à la rendre harmonieusement vivante. Comme des visages irréels se questionnant paresseusement sur l’apparence – et l’origine – du rêve et du rêveur...

 

 

Au bord de l’impersonnel. Comme un reflux. Un juste retour sur soi. Comme une exclusion temporaire nécessaire à la pleine intégration de l’individualité (et de ses composantes encore ignorées ou rejetées) à la présence, témoin impartial des réclamations permanentes des formes – de ces entités qui s’imaginent séparées – et qui, à chaque instant, exigent leur part et manifestent leur besoin de singularité et de reconnaissance – et cet accueil et cet Amour qui ne sont autres qu’elles-mêmes – c’est-à-dire nous tous dégagés de tout nom et de tout visage...

 

 

Et à cette eau qui coule parmi les pierres – et qui ignore son nom – et qui, en suivant sa pente, va jusqu’à l’océan, comment lui dire ma gratitude...

Et à ces bêtes, par millions, que la main de l’homme emporte – et qui vont, en attendant la mort, de leur pas tranquille, comment leur dire mon amour et mon respect – et le courage qu’elles me donnent à vivre...

Et à ces arbres, à ces fleurs, à ces herbes, à ces pierres et à ces collines insoucieux des déboires de l’homme – et de la folie de ce monde – comment leur dire qu’ils sont mon air, ma respiration, mon souffle... Et comment les remercier pour leur beauté, leur silence et leur sagesse. Et comment les aider – et les soutenir peut-être – dans leur résistance admirable, et si acquiesçante, à l’ignominie humaine...

Ah ! S’ils savaient comme je les aime – et comme j’apprécie leur compagnie – tous ces frères qui offrent au monde leur digne humilité et dont la présence réconcilie mon âme à la vie...

 

 

Et sous les paupières des hommes, ces yeux crevés d’ambitions – et mille paniers chargés de peurs et de désirs. Si près du rivage pourtant – perdus quelque part entre l’horizon et l’océan...

 

 

Et nous ferons encore chanter les rivières. Et nous nous allongerons encore sur les pierres chaudes de l’été pour que se dissipe la brume – et qu’apparaisse, au cœur des étoiles, ce silence sans paresse que les yeux cherchent de leur rive...

 

 

Nous vivons – et dormons – sur l’épaule d’un plus grand que nous. Et notre sommeil ignore encore son envergure. Voilà peut-être pourquoi nous nous sentons si seuls au cœur monde – au milieu du jour et de la nuit. Et malgré le soleil et les visages, nous sentons l’âme frémir – et derrière ses frémissements, sa faim de rencontre... Comme si elle avait deviné notre incapacité à découvrir le visage de celui que nous appelons Dieu (sans vraiment savoir ce qu’il est... sans doute une sorte d’entité vaguement nébuleuse et mythique)...

Et nous vivons – et continuerons à vivre – avec ces yeux tristes collés aux chemins sans voir âme qui vive. Et derrière les champs gris de l’hiver, parmi la terre brune et sombre, le repos des arbres et l’exubérance des saisons, nous devinons que la plus grande solitude est habitée – et qu’elle porte en elle une joie difficilement partageable – et qui se partage pourtant en autant d’âmes que possible. Et nous sentons alors Dieu présent à travers toutes les fenêtres ouvertes sur l’impossible. Comme une flamme invisible au milieu du monde...

 

 

Ce qui naîtra ne pourra nous blesser. La violence ne sera jamais ni dans la graine, ni dans le semeur ni dans le fossoyeur. Et nous irons sans fléchir par-dessus la tristesse et les rivières nous adosser à tous les arbres et embrasser les âmes insouciantes et imparfaites – et toutes celles en partance qui patientent dans le vacarme du monde. Et nous leur crierons notre Amour. Et il ne sera, sans doute, entendu. Mais entre nos mains pourra chanter le silence. Et nous irons, heureux, rejoindre la solitude – et, en son cœur, l’impensable. Et ce qui naîtra ne pourra nous attrister...

 

 

On ne peut tenir ses promesses de silence face à la violence et à l’ignorance du monde. Et l’on se tient debout, malgré nous, face aux tempêtes et à la débâcle avec ce langage – cette parole indigente – qui s’essaye à la neige en sachant que rien ne pourra réchauffer ni les âmes ni les hommes – et que les arbres et les bêtes sont déjà à l’agonie...

Et nous écrivons en espérant que chaque flocon ait l’envergure du regard. Et nous écrivons en espérant que le sommeil ne soit qu’une fatigue passagère. Comme si nous refusions l’évidence de notre impuissance – et de notre inexistence peut-être...

Et sur notre ouvrage pourtant se posent la poussière et l’espérance maladive de quelques hommes qui en tournent les pages avec la folle espérance de pouvoir, un jour, faire naître l’innocence de la cendre...

 

 

Et dire que nous sommes déjà au cœur de tout – et que nous vivons comme si l’âme du monde et des choses n’existait pas...

 

 

Tendre la main vers la lune – s’essayer à quelques pas vers elle et mourir. Voilà toute la misère de l’homme. Et les cris et les traces n’y changeront rien... Un peu d’écume dans le néant. Toujours aveugles à l’infini qui s’est glissé aux origines du temps...

 

 

Et les paupières se referment encore sur la neige mêlée de désespoir. Et nous nous éloignons – continuons de nous éloigner – à contre-courant du jour. Comme si un rêve criait dans notre sommeil...

 

 

Et quelqu’un veille encore sur ceux qui dorment. Comme si un œil suffisait pour éclairer la nuit – et dissiper tout malentendu...

 

 

Et ces bruits – tous ces bruits – qui ne feront jamais vaciller le silence...

 

 

Peut-être ne sommes-nous, au fond, que l’ombre des étoiles que nous avons créées. Et en y projetant notre (propre) lumière, nous les imaginons vivantes – et capables d’exaucer nos vœux...

 

 

Entre l’obscur et la haine, ce qui fait durer le sommeil. Mille ombres et autant de marécages où nous tentons de réconcilier le rêve et l’impossible – le monde et le silence. Comme le travers séculier des âmes – de toutes les âmes – insoucieuses des origines – et de ce qu’elles portent (en elles) comme le plus sacré...

 

 

On marche sur un chemin que l’on croit nôtre – avec un visage que l’on croit nôtre. Mais tout cela (et tout le reste, bien sûr) nous a été offert par une main inconnue...

 

 

Avec quelques lettres (quelques signes alphabétiques), nous pourrions tout dire – et tout décrire... Et y parviendrait-on, nous serions encore loin du compte...

Syllabes éparpillées par maladresse. Combinaisons impromptues. Quelques vivres pour le voyage. Une main tendue. Et nous voilà partis pour quelques malicieuses aventures – aux portes (toujours) du plus proche...

 

 

Quelques idées, encore illisibles, émergent du silence. Montent à l’oreille de ceux qui écoutent. Et glissent sur celle des autres. Comme si elles arrondissaient la terre vers son but en offrant, à travers leurs messages, la réponse à toute question...

 

 

Gouffre à la démarche incertaine – et aux allures de certitude, le monde griffonne son destin sur les lèvres et les fronts querelleurs – et les âmes obtuses à toute transmission. Comme si le langage pouvait nous sauver de l’abîme...

 

 

Autrefois nous ne savions écouter. Nous parlions avec verve et talent. Nous avions des croyances. Et nous pensions le monde. Et nous espérions tant de cette vie – de ce séjour si fugace – et de cette marche à pas comptés à travers les siècles.

A présent, nous nous taisons. Nous ne savons pas. Nous ne savons rien. Ni d’hier, ni d’aujourd’hui ni de demain. Ni des hommes, ni des bêtes, ni des visages de la terre. Et nous comprenons la beauté de cette ignorance – et son envergure qui nous offre d’être là, présent, au milieu du monde et du silence – émerveillé par ce qui arrive, nous frôle et nous traverse. Comme si les yeux – et l’âme – avaient décroché l’Amour de l’invisible pour le poser, bien en évidence, au centre du regard – et dans ce qui passe au cœur de ce que nous appelons notre vie...

 

 

Aux mains de la joie, l’étreinte et le silence de l’entente. Comme un don offert à tous les lieux où s’exercent encore l’ignorance, la violence et la mort...

 

 

A force d’être loin (absorbés, agités, absents...), nous ne savons plus nous rapprocher. Comme si nous avions oublié le silence – sa saveur – et la valeur du geste habité...

 

 

Le désespoir et le mal de vivre ne sont, sans doute, que les remous de l’âme inapte à l’absence – et aux violences des siècles – enfantées par l’ignorance. Et c’est une grande chance – et une excellente chose – que de désespérer du monde. L’envie de s’en extirper n’en sera que plus forte – et offrira au souffle la puissance nécessaire pour découvrir – et explorer – l’inconnu plongé au cœur des contrées intérieures...

 

 

Le silence ne sera jamais, au fond, que le seul voyage. Et tous nos pas n’auront été, en définitive, qu’une longue préparation à cette aventure...

 

 

Nos mondes féeriques ne sont que l’antichambre du réel – du monde dépouillé de nous-mêmes. Et nos cauchemars, la pointe d’une lame qui nous enjoint d’échapper aux rêves. Malheureusement nous nous empressons de leur substituer d’autres rêves un peu moins noirs – un peu moins sombres – un peu plus vivables...

 

 

La vie, le monde, la mort – et jusqu’à notre visage – resteront des mystères. Mais inutile de les comprendre, bien sûr, pour en faire un usage décent – porté par le souci de l’Autre ramené au même rang que la préoccupation de soi...

 

 

Le sang et le soleil nous font comme un manteau – un rêve de jour – un rêve vivant de lumière – qui s’accorde mal à nos visages terrorisés par les vents et la mort...

Et pourtant, un jour, nous voilà errant les épaules nues – dégagés de la peur et du courage – prêts à découvrir ce qui s’avance en nous – cet âge des profondeurs qui révélera nos origines – et celles de l’angoisse et du mensonge.

Et plus tard, l’hébétude passée, nous voilà plongés au cœur de l’innocence à contempler, derrière la dernière étoile, le silence du ciel et de l’âme – prêts à nous asseoir au milieu de nulle part et à nous transformer en flèche brillante pour percer l’épaisseur de cette nuit déjà si ancienne...

 

 

Nous pourrions nous taire en cette heure qui n’existe pas – face à ce monde et à ces visages dont l’existence est plus qu’incertaine. Ou, au contraire, nous pourrions nous lever – et dire quelques paroles – ou écrire quelques mots – pour annoncer l’improbable qui, peut-être (qui sans soute) ne viendra jamais... Comme une sagesse lancée du bout des lèvres – posée maladroitement sur un coin de feuille – récalcitrante à l’idée de tout dévoilement anticipé mais qui les inviterait (néanmoins) à se défaire de toute espérance – et à patienter le temps nécessaire à leur, sans doute lointaine, délivrance...

 

 

Scandalisé encore par la flèche et l’étoile – et les pétales fanés qui tombent, tout secs, sur le sol. Scandalisé encore par la pluie, les tempêtes et l’œuvre de la mort. Par les hommes et les âmes qu’aucune infamie ne terrifie. Scandalisé encore par l’indifférence et l’attrait, si vivace, pour l’or et les diamants. Par cette explosion d’ignorance qui transforme la terre en champ de ruines et en tombeau que l’on égaye de quelques guirlandes – et de quelques étoiles – pour vivre à l’abri de toute question – et se réjouir dans cette glaciale obscurité...

 

 

Les agissements et les incantations des hommes pour éloigner le mal – et l’éradiquer – et qui alimentent plus affreusement encore les horreurs et la monstruosité...

 

 

Nous respirons à demi-souffle, la bouche pleine de prières – écrasée contre la vitre du réel. Et sous nos masques, cette peau fragile – reliée (déjà) à tous les visages du monde – et dessinée par la lumière – qui s’essaye au silence malgré les cris, les plaintes, les chants et les murmures des bêtes et des hommes. En voie de transparence, sans doute, après l’œuvre de l’effacement...

 

 

Pour quel genre d’existence – et quel genre de renaissance – serions-nous prêts à nous renier... Et cette solitude aux allures d’exil, l’avons-nous méritée... Et pourquoi tous les visages nous semblent encore si endormis... Comme s’il n’y avait entre nous que la nuit, la neige et le sommeil...

 

 

Et si seulement nous pouvions découdre les paupières. Mais qui sommes-nous sinon un reflet de cette somnolence – un bout de ce rêve fragile posé au bord du jour. Avec cette nuit toujours qui s’enfonce dans l’âme. Comme si l’éternité n’était qu’une promesse de silence. Et où irions-nous ainsi, les yeux dessillés... Dans quel gouffre serions-nous encore prêts à nous jeter...

Il ne faudrait vivre au creux du sommeil. Et, pourtant, tous les visages s’y prélassent et tous les songes y éclosent – et jusqu’à notre faim de fortune. Et même du réveil, nous ne sommes pas certains... Quelle malice nous a donc pénétrés pour ne jamais savoir – et n’être sûrs de rien...

 

 

Nous n’aurons jamais mieux que plus tard – et ailleurs. Ainsi nous fait-on croire, avec une étrange perfidie, aux rêves des lendemains (proches et lointains). Et nous avons, bien sûr, la bêtise d’y croire – et de soumettre nos âmes à tous les songes et à tous les mensonges des hommes. Ainsi s’est bâti le monde. Et ainsi se sont construits les siècles. Et nous autres, à peine venus pour quelques jours sur cette terre (quelques milliers de jours tout au plus), nous passons notre bref séjour à nager dans l’hypocrisie. Et après quelques brasses – et quelques tasses largement bues, nous voilà à sombrer dans le désenchantement et la mélancolie – cette tristesse qui dépouille de tout superflu pour guider nos yeux perdus jusqu’au centre réel de l’histoire...

 

 

Le vertige de toute blessure. Comme la seule perspective du désastre et des cendres sous lesquels repose toujours le plus simple...

 

 

Des visages. Et autant de miroirs où se reflètent nos erreurs et nos défaillances. Et au cœur de nos bassesses, toutes nos défaites livrées en pâture aux lèvres et aux dents sournoises... Et un jour, comme par magie, toutes les glaces se brisent. Et nous nous retrouvons seuls dans l’abîme le plus solitaire – sans le moindre reflet ni le moindre visage. Livrés aux griffes inoffensives de l’abandon – dans un monde sans spectateur, sans main tendue, sans poigne glacée – sans regard admiratif ou accusateur, sans le moindre rêve ni la moindre lueur – sans rien auquel nous accrocher. Comme plongés au cœur d’un silence inconnu...

 

 

Nous avons goûté les lèvres, les livres, le sang et l’amour. Nous avons goûté – et caressé – la chair, la parole et le savoir – le monde et les circonstances. Nous avons embrassé la vie à pleine bouche. Nous l’avons parcourue – et admirée – sous toutes les coutures. Nous avons bu jusqu’à la lie l’extase et le sublime de toute rencontre et de toute étreinte. Nous nous sommes enivrés (plus que de raison). Et, à présent, nous sommes seuls et sans faim. Et nous attendons la mort. Et rien ne saurait nous consoler. Ni les fruits de la passion. Ni les ailes du désir. Ne subsiste plus, au côté de l’oubli, que cette fenêtre noire où glissent notre âge et notre vieillesse...

 

 

On ne peut rien offrir – ni au monde, ni aux âmes, ni aux visages – sinon peut-être une présence, quelques gestes et quelques paroles parfois. Un peu d’Amour et de silence – l’ultime volonté de chacun que voilent, si souvent encore, les espoirs et les ambitions...

 

 

Entre misère(s) et merveille(s). Parfois – trop souvent – notre seul horizon. Comme le signe de l’indigence et de l’infranchissabilité communes. Pathétique lorsque les yeux se crispent avec certitude sur le réel. Et ouvert (admirablement ouvert) à tous les possibles – et à l’impensable –lorsque nous savons regarder sans mémoire...

 

 

Être métaphysique et spirituel (autant que l’on puisse l’être) lorsque l’organique et le psychisme se cantonnent au (strict) nécessaire. L’existence de l’individualité (le corps/mental) se limite alors à la survie – et peut s’ouvrir à l’impersonnel – et en devenir (enfin) le centre (l’un des centres) – une des figures de l’être sans nom et sans visage – cette présence atemporelle et aspatiale dont nous sommes tous – et dont chacun est – à la fois le centre et la périphérie...

 

 

Entre deux lignées de raison et la truculence sans limite de l’imaginaire, le poème se faufile. Et le silence lui offre la place nécessaire – l’espace de la page pour se déployer – et ébaubir nos yeux incrédules. Et qu’importe la parole – et qu’importe la voix – pourvu que le sang sèche sur nos mains et que l’âme cède à l’impossible. La petite besogne du poète alors n’aura pas été (totalement) vaine...

 

 

Nous nous dressons parfois dans la nuit comme si nous étions une main – une étoile minuscule – trop soucieuse du monde et de l’infini pour attendre le silence – et trop affamée d’Absolu pour laisser les hommes se gaver d’horreurs et de mensonges. Comme le signe incorrigible d’un refus et d’une impatience...

 

 

Il y a parfois trop d’heures à célébrer – et à guérir. Trop de mains à servir – trop de bouches à nourrir – et trop d’âmes à convaincre des mérites de la solitude. Et face à ce labeur et à cet amas d’incomplétudes à satisfaire qui altèrent (si souvent) notre joie, nous délaissons parfois notre tâche pour nous agenouiller en silence parmi les pierres – et contempler là-bas, un peu plus loin, la bonhomie gracieuse des vaches qui tantôt paissent, tantôt ruminent dans cette tranquillité sans impatience. Et cette sagesse nous ravit – et nous délivre pour quelque temps de cette affreuse et interminable besogne...

 

 

Les hommes en prière – à genoux devant les arbres, les fleurs, l’herbe et la terre. Caressant le flanc des bêtes et leur tête au regard innocent. S’entraidant – et bâtissant ensemble un monde plus vivable où chacun – chaque visage de ce monde – serait accueilli et aimé sans la moindre intention ni la moindre arrière-pensée. Respectant la vie – et la célébrant avec la plus haute gratitude... Ah ! Comme je rêve de ce siècle impossible... Et comme j’enrage dans mon attente...

Mais comment pourrions-nous nous arracher à ces millénaires d’infamie creusée depuis les origines dans l’ignorance et les instincts les plus tenaces qui auront enkysté, jusque dans nos tréfonds, cet affreux réflexe de peur et de survie...

Chaque goutte de sang – chaque goutte de sève – chaque larme – versée est (pour moi) un supplice. Arbres, hommes, fleurs, herbes, bêtes dont on suce la substance – dont on vole la liberté – que l’on écorche – et que l’on égorge – au nom de l’insensé et du raisonnable (qui, si souvent, se confondent). Vivant, chaque heure de leur vie, sous un soleil noir sans même une espérance – sans même une promesse d’embellie – les yeux enfoncés dans l’âme à force de coups, de peurs et de brimades – et dont le sang, la chair, la sève et la sueur ne sont voués qu’à la construction du pire...

Nous avons bâti une civilisation de l’horreur et de l’absurde – plus barbare et intolérable que notre sauvagerie naturelle initiale. Et qui, sous prétexte de progrès et de confort (humains), saccage sans honte et (presque) sans remords, et en se voilant la face, notre héritage commun – l’œuvre offerte et façonnée depuis des millénaires – nécessaire à l’existence de tous...

 

 

On ne peut parler aux hommes. On ne peut, en vérité, parler à personne. On ne peut qu’attendre – et accueillir ce qui vient – et offrir ce que l’on nous réclame... Et, dans cet étroit passage, être sans se soucier de l’histoire et du devenir – ni même de l’état du monde, des âmes et des visages. Et rétablir (en nous) ce silence pour qu’il puisse (en son temps et à sa mesure) rayonner en ces lieux de perte et d’absence – et dans tous les cœurs suffisamment tristes pour s’ouvrir... L’ineffable, sans doute, n’a d’autre envergure pour l’homme. Un rien dans le néant – c’est-à-dire presque tout – le passage et l’ouverture de la lumière dans ce vide permanent et éternel...

 

 

Le carnet, le sac et le bâton nous auront, à dire vrai, presque toujours accompagnés au cours de nos pérégrinations quotidiennes – et tout au long de cette longue marche vers notre centre.

Et les mille visages des bêtes (et jusqu’aux plus minuscules) que nous aurons croisés... Et les mille nuages que nous aurons vu défiler... Et les mille arbres, les mille herbes et les mille fleurs qui nous auront attendris, étonnés, écoutés et secourus... Et les quelques figures humaines que nous aurons aimées... Et ces quelques milliers de pages que nous aurons griffonnées... Voilà à peu près tout ce qu’aura été notre vie...

Quant à ce qui nous a animé intérieurement, comment en parler de façon humble et décente... Des élans, des secousses et de la tristesse parfois. Et un sentiment progressif d’ouverture et de profondeur – comme une épaisseur, parfois mise à mal mais jamais démentie – qui nous aura offert d’explorer le pressentiment du silence et de la joie autant que celui de l’infini et de l’éternité...

Et marcher sous le ciel, au cœur de ces horizons – dans la plus haute solitude – fut toujours chargé d’émotions. Et cette marche – ce cheminement – dessinèrent au fil des années, une forme de gratitude, de reconnaissance et d’émerveillement de plus en plus manifestes et permanents. Et ces instants – et cet espace – furent l’occasion de découvrir tous les mondes possibles (ceux du dedans comme ceux du dehors) et de les relier autant que nous en fûmes capables. Et ce fut, je crois, pour nous la seule manière possible de participer à l’enchantement de l’être et de l’existence...

Vivre et exister sans écrire se seraient, sans doute, montrés insuffisants. Être aurait peut-être contenté notre âme mais l’écriture s’est (très vite) imposée comme un élan vital – une nécessité absolue presque plus précieuse qu’éprouver la vie et la saveur de l’impersonnel – et qui nous aura permis de satisfaire notre (si vif et tenace) besoin de témoigner, de partager et d’accompagner (autant que possible) ceux qui, comme nous, ont toujours cherché un peu de sens, une consistance – la vraie vie – cette forme de liberté et cette joie derrière les péripéties, la misère, l’indigence et les apparences du monde et de l’existence...

 

 

Et nous continuerons d’être seul(s) malgré la foule, la présence et l’amour de quelques visages. Et, sans doute, plus seul(s) que jamais...

 

31 décembre 2017

Carnet n°133 Visage(s) commun(s)

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Une main à l’horizon que le désarroi rattrapera un jour. Et ce soleil immense au milieu du regard. Et ces chemins – ces mille chemins – entrecroisés où les âmes se mêlent à l’automne, aux chants des pierres et à la ronde folle des feuilles qui ont parcouru l’Amour en une seule saison. Comme si chaque désir annonçait déjà le silence...

Et cette beauté sur chaque visage. Et cette lumière au cœur des circonstances. Comme si les soucis et la tristesse n’étaient que l’apparence du monde. Des guirlandes noires – un mince rideau d’infortune – qui voilent le miracle de vivre et le silence – et cette joie au milieu des visages et des circonstances...

 

 

Et cette couleur hivernale qui s’immisce dans les bruissements de la chair et les frémissements de l’âme. Comme si la blancheur était notre seule raison de vivre – et de croire (encore) au silence...

D’autres couleurs existent peut-être après la mort – que nous ne connaissons pas – et qui repeindront, à l’instant venu, ce qui remplacera le cœur – et ses battements anciens qui ensorcelèrent quelques visages et terrifièrent le monde – à juste raison...

Et bientôt, nous verrons, appuyés contre cet étrange regard, les âmes et les cœurs par millions chercher et se perdre dans la brume – allant, d’un pas hésitant, pour retrouver la beauté – et la certitude – de la neige...

 

 

Le blanc, le noir et le gris. Le rouge, la tristesse et la mort. Et cette invention de la terreur devant l’invisible. Et ces âmes – toutes ces âmes, si transparentes, étonnées de ne rien voir... Comment pourraient-elles deviner l’innocence du monde devant ces traces de vie si sanglantes – et ces songes macabres aux reflets dorés – qui cachaient, sans doute, des rêves moins funestes...

 

 

Personne à notre table. Quelques visages passagers – presque inconnus. Et leurs paroles – et leurs sourires – et leurs désirs – (presque) incompréhensibles. Et quelques rêves aussi pour supporter la solitude. Et cette présence parmi nous insoupçonnée par tous...

 

 

Fantômes vivaces au visage fugace et martial – et à l’âme si enfantine – cherchant leur destin parmi les pierres – entre les songes et les visages. Et le rêve d’un autre monde peut-être. Et celui de l’innocence aussi – enseveli au fond des ombres et de la peur – et qui sourit à ceux qui osent affronter tous les reflets du miroir...

 

 

Mains jointes ou bras en croix, agenouillés devant les visages – atroces et innocents. Gestes liés à tous les instincts. Armés d’outils piochés, presque au hasard, dans l’arsenal des fous. Balbutiant quelques paroles. Offrant quelques excuses (de vagues prétextes en vérité) aux mille victimes et aux mille bourreaux de l’assemblée. Murmurant une prière (quelques prières parfois) et se cachant derrière leurs doigts mutilés – recroquevillés sur leur maigre recours et leur pauvre assise. Cantonnés au plus haut degré de la solitude. Regardant partout sans rien voir. Ni les intentions ni les âmes. Refusant l’évidence – toute grâce – et les invitations du silence. Ne sachant ni vivre ni aimer. Ni mourir ni s’abandonner. Et vivant malgré tout – avec cette tristesse au fond de l’âme que rien – ni personne – ne pourra consoler...

 

 

Qui sait regarder les infinies couleurs du silence – et y plonger corps et âme...

 

 

Aux sombres mélanges de couleurs répond toujours l’éternelle transparence du silence. Comme le seul miroir du monde et des âmes. Comme l’unique possibilité d’accéder à la lumière au-delà des apparences...

 

 

Notre main partout qui s’empare, frappe et caresse. Les visages, les corps, les âmes. Le monde et la terre – leurs trésors et leurs merveilles (et leurs rebellions aussi parfois). L’or et les désirs plus que tout. Et jusqu’aux souvenirs cachés au grenier. Et jusqu’au silence même qui jamais ne se laisse attraper...

 

 

Un feu sur les pierres dont les flammes éclairent les visages. Et le doute qui creuse – qui s’approfondit et s’insinue plus loin – jusqu’au lieu de toutes les évidences qui nous fera aimer le feu, les pierres, les flammes et les visages – et jusqu’à leurs ombres qui nous ont toujours effrayés...

 

 

Un œil, un cœur et mille champs de bataille où faire frémir la peur, vaincre la violence et faire fleurir l’Amour...

 

 

La terre, mille choses. Et autant de ruines, souillées de rêves, promises au silence...

 

 

Là où danse et virevolte l’écume, au milieu du désir qui partout édifie ses cathédrales. Et jusqu’au cœur de la chambre où nous attendrons la mort avec les lèvres balbutiant encore leur soif. Comme si l’océan, toujours, était hors de portée...

 

 

Et nous circulons – avançons et reculons – montons et descendons – sans même savoir ce qui nous agite – et ce que nos mains et nos âmes, si affreusement gesticulantes, cherchent au-dedans de cette nuit posée entre les rives et le silence...

 

 

Et nous voilà (tout) fourbus au milieu de notre âge avec cette chair vieillissante – et si frémissante encore. Et ce regard frais et neuf – rieur toujours – si étonné de voir les prières non exaucées et cette décrépitude dans un coin du miroir. Et cette nuit sans cesse recommencée. Et cet invisible si prompt à se cacher toujours plus loin, fuyant cette main fatiguée qui se tend – à l’infini – pour le saisir. Et ce silence des jours sans visage. Et cet Amour – et cette éternité – que notre voix appelle encore...

 

 

Et le désir qui façonne le monde – et dont le chant pourtant, ne rêve que de silence. Comme si l’impossible ne pouvait arriver. Comme si nous nous heurtions toujours au mur de l’impensable...

 

 

On n’apprend – et n’enseigne – que ce qui voile la vérité. On ne peut atteindre la lumière et le silence que dans l’absence totale de savoir...

 

 

Une joie sensible dans l’évidence du jour. A la verticale du plus commun. Comme la mort permanente parmi nous qui frappe à toutes les portes...

 

 

Et ces longues journées qui s’étirent au-dedans de la nuit. Comme de la sueur au milieu du noir. Et au cœur du noir, cette flamme somnolente, presque éteinte, qui espère encore – et qui ne rêve que du plus haut soleil lorsque les âmes quitteront l’obscurité et les ténèbres – lorsque ces longues journées pourront enfin s’étirer au-delà de la nuit...

 

 

Les larmes – et la pluie noire de l’âme. Comme le signe évident d’une tristesse – et d’abysses peut-être infranchissables. Et la preuve, sans doute, d’une sensibilité vive qui s’étonne de ce monde invivable – et ne peut souffrir ses horreurs – ni l’absence que les hommes creusent de leurs mains ignares et laborieuses...

 

 

Et ce silence, si prometteur, qui s’invite dans l’exil du monde – la réclusion au-dehors de toute frontière – lorsque l’âme s’abandonne à l’impossibilité des vivants...

 

 

La joie, le silence et la folle espièglerie du sage. Comme une présence douée d’Amour et de vie. Vouée à toutes leurs couleurs, à toutes leurs exigences et à toutes leurs malices. Et libre de toute image et de toute pensée – de tout visage et de toute convention – allant, immobile, sur les chemins. Hors du monde et si présent au monde. Offrant, avec humilité et effacement, sa vie, son rire et ses larmes – et quelques paroles parfois – mais le plus souvent, un simple regard et la justesse de ses gestes – dans la pure gratuité de la rencontre... Comme un miroir nu – dépouillé – révélant exactement ce qu’il convient...

 

 

Et dans cette brume – cette mystérieuse brume terrestre – le jour apparaît déjà entre les barreaux des rêves et les visages impatients. Comme si les couleurs à l’intérieur (mille fois repeint déjà) indifféraient les âmes. Comme si, sans même le savoir, nous parlions depuis toujours au seul interlocuteur possible – à cette présence nécessaire pour traverser la solitude et l’interminable hiver du monde...

 

 

Et cette voix encore – si claire – dans le brouhaha. Comme une respiration – une vigie – dans notre poursuite acharnée des horizons. Comme une main tendue dans le noir. Un fil, incassable, nous reliant, par-delà les routes et les visages, à tous les silences présents depuis la première aube du monde...

 

 

L’ultime parfois tarde à venir comme si nos vies – comme si nos pas – n’en finissaient jamais de recommencer...

 

 

Nous pleurons – et mendions au souffle quelques instants supplémentaires au plus près de cette odeur de mort qui s’approche de notre visage. Et la vue de l’autre rive nous terrifie. Comment pourrions-nous nous satisfaire de ce bref séjour – et de cette attente d’un ailleurs impossible à comprendre depuis cette terre...

 

 

Serions-nous comme le poème abandonné sur la page – livrés à nous-mêmes et à l’absence de l’Autre... Comment pourrions-nous échapper à cette solitude – et la vaincre sans larmes et sans rage – et exister ainsi, sans rien savoir de notre si bref passage...

 

 

Et malgré la peur – la peur terrifiante – l’âme danse en équilibre sur le silence. Comme si le monde n’était qu’un rêve – et les visages qu’un miroir nécessaire...

Et dans cette ronde incessante des kermesses et des funérailles, on aperçoit des rires, haut dans la nuit, essayant de dissiper les peurs et les larmes. Et des pleurs juchés sur le sang et la mort. Et des hommes tristes oubliant le miracle de vivre, le buste penché sur leurs rêves – et tous les désastres de leur vie. Et des hommes joyeux, oubliant la permanence du funeste, attablés ensemble comme s’ils allaient échapper aux catastrophes et aux hécatombes. Et ce regard (enfin) qui se glisse partout sur les visages – au-dedans de la joie et de l’insouciance – au-dedans de l’espérance et de la mélancolie – pour nous inviter au silence au milieu de toutes ces danses un peu folles...

 

 

Debout parmi les fleurs. Tête offerte au ciel et au soleil. Et l’âme agenouillée dans la foule des humbles. Ainsi persiste en nous ce qui demeure – donnant à notre visage la couleur des circonstances...

 

 

Et cette parole qui perce ce que nous ne pouvons (encore) nommer – et qui surgit peut-être de ce silence ancestral (originel sans doute) pour dire notre joie d’être au monde et au cœur de la lumière sans rien comprendre – sans rien savoir ni de l’un ni de l’autre – et notre bonheur un peu hébété d’aller ainsi vers ce qui ne nous a jamais (vraiment) quittés et qui nous a (déjà) retrouvés. Comme si la naissance, l’existence et la mort n’étaient qu’un jeu pour les visages de l’infini – dont chacun ne serait qu’un reflet changeant voué à toutes les retrouvailles...

 

 

Et si la profondeur n’était que la surface du silence. Et s’il y avait d’autres mondes – d’autres âmes et d’autres terres – plongés sous l’écorce du temps et de l’éternité. Et qu’il nous faudrait les voir et les saluer – les rencontrer et les comprendre – pour percer toute l’épaisseur de notre visage commun – et pour nous rejoindre au point de tous les ralliements, en ce lieu qui, un jour, nous enfanta tous – et nous dispersa en nous enjoignant de nous retrouver pour la seule joie de nous chercher et de nous réunir – à la fois si identiques et si différents...

 

 

Nous vivons comme si nous étions un puzzle inachevé – et que tous nos visages en étaient les éléments – agencés patiemment (agencés inlassablement) par le silence qui, un jour, achèvera de les réunir pour que chacun puisse célébrer le Bien commun – cette joie éparpillée sur les lèvres de notre figure commune...

 

 

Notre marche, notre destin et notre visage semblent moins réels que le silence. Et c’est pourtant à partir – et au cœur – de cette forme d’irréalité qu’il nous faut rallier la vérité et l’inexplicable...

 

 

J’entends, au cœur des tombeaux, le chant un peu triste des âmes s’élever au-dessus des vivants. Perceptible jusqu’à la frontière de l’autre monde. Avant que le silence ne recouvre leurs plaintes – et les pleurs de ceux qui partiront un peu plus tard...

 

 

Que nous puissions tous regarder (regarder pleinement et profondément...) le monde et ce que chacun porte comme un éclat pour comprendre et remercier – et être capables d’aimer tous les visages qui viennent vers nous. Pour être capables de vivre, d’être et de participer de notre plein gré à l’ensemble que nous formons. Pour que nous n’ayons plus peur ni des jeux, ni des gestes – et que nous puissions apprivoiser tous les miroirs et tous les reflets afin de vivre ensemble et de célébrer, dans l’Amour et la joie, nos plus dignes (et permanentes) retrouvailles...

 

 

Qu’est-ce donc que cette chose qui persiste au fond de chaque visage – et au fond de chaque destin – par-delà les circonstances et la mort. Et qui demeure au cœur – et autour – du réel... Et si c’était cette puissance originelle, intacte toujours, unie secrètement au silence. Cette présence immobile – éternelle et lumineuse – que nous avons tant de mal à percevoir et à reconnaître. Et à laquelle nous ne pouvons encore nous abandonner pleinement...

 

 

Et ce monde qui n’est que l’excroissance de notre visage – et le reflet de notre âme. Comme si nous vivions, multiples, au-dedans de nous-mêmes. Prisonniers en quelque sorte du miroir et des apparences...

 

 

Des visages et des chants. Comme les éléments du même corps et de la même voix. Ceux de l’invisible et du silence, indemnes toujours du temps et de la marche du monde...

 

 

Il existe mille chemins – et mille manières de laisser le sublime nous pénétrer. Et qu’une façon de le rendre vivant : l’innocence et l’humilité de l’âme – ce lieu le plus tangible, et le plus palpitant, du silence...

 

 

Et l’ombre du monde qui nous pousse à la fuite ou au combat. Comme s’il n’y avait d’autres armes dans l’obscurité. Et cet instinct forcené qui nous fait entrer dans la danse – participer aux batailles funestes de cette terre – et nous adonner encore aux mille jeux de l’illusion...

 

 

Et, sans doute, devrons-nous marcher encore mille ans pour assécher notre soif – et dessiner les ailes de notre départ pour le cercle de l’invisible – ce lieu, en amont de toute racine, fréquenté par les innocents...

 

 

La terre. Et l’ordre (impitoyable) du monde. Et ces herbes – et ces arbres – et ces bêtes – indifférents au brouillard et à l’ignorance – et au destin que leur façonnent les hommes. Comme si, à leurs yeux, la vie et la mort n’avaient guère d'importance... Comme si être était bien suffisant pour supporter la violence et l’odeur de la charogne. Comme s’ils avaient su abandonner leur sort sans frémir (et sans fléchir) aux mains tenaces du hasard. Confiants en cette lumière – et en ce silence – qu’ils devinent, sans doute, derrière les sévices et l’extermination. Prêts à se livrer aux eaux tumultueuses de l’existence. Et à laisser l’Amour arriver à son rythme – qu’ils savent inféodé aux mille circonstances du monde et à leur lente pénétration des âmes...

 

 

L’âme et le monde comme une carte posée devant nos yeux. Et que nous déchiffrons avec peine comme si les apparences, toujours, nous voilaient le plus précieux...

 

 

Et les mille barrières – et les mille frontières – érigées par la violence et la peur ne pourront entraver notre désir d’innocence qui, un jour, les dissipera d’un seul regard. Et nous pourrons alors aller libres dans les mille restrictions de la terre – et ses mille interdits – parmi la foule aveugle et docile sans nous soucier des lois et de leurs chiens de garde intraitables...

 

 

Nous cherchons ce qui flotte dans les eaux profondes sans nous soucier de ce qui jamais ne pourra émerger à la surface. Comme si nous étions affublés d’une forme de cécité – d’un défaut (flagrant) de perspective...

 

 

Nous vivons dans les étroites limites de nos rêves. Dans les restrictions de notre aveuglement. Nous vivons entre des murs – et derrière des barreaux – sans voir (ni sentir) que l’infini partout en nous, révolté – surpuissant – au-dedans et au-dehors – n’aspire qu’à se débarrasser de toute frontière pour aller libre au-delà du connu – et rejoindre cette part en lui qui va depuis toujours, joyeuse et sans entrave, au cœur de tous les impossibles...

 

 

Des rêves fermés – sans écho – qui rebondissent dans le noir – et qui traversent nos têtes avant de se ficher dans le néant – rejoindre le silence dans ses profondeurs...

 

 

J’ignore peut-être ce que je sais – ce silence inscrit si profondément dans le silence... Comme une impossibilité à faire advenir le plus sacré à vivre. Comme une porte fermée au-dedans de nous – et que ni le hasard ni les vents ne réussiront à ouvrir...

 

 

Nous sommes inentendus. Et tous les visages se confondent. Comme si, en nous, la nuit faisait tournoyer les voix et les miroirs. Comme si nous ignorions que les ténèbres n’étaient que provisoires dans notre insatiable faim...

 

 

A la pointe des saisons, ce soleil à la verticale du regard – caressant les visages et dessinant sur les âmes le vol de l’oiseau. Comme un peu d’air pur dans l’atmosphère viciée du monde. Comme le seul refuge peut-être parmi tous ces rêves obscurs...

 

 

Les herbes fraîches du matin mélangées à la rosée et au brouillard. Et cette odeur de terre sortant des racines. Et ce ciel voilé par tant de rêves. Comme si nous imaginions la vie (et le monde) plutôt que les vivre...

 

 

Sans jour et sans lendemain. Abandonné au fond du puits – au fond des heures, interminables, qui passent et se ressemblent. Hésitant encore entre le rêve et la certitude. Comme si après ne pouvait attendre...

 

 

Nos vies comme un point abstrait dans l’irréalité du monde. Comme un vent léger au-dedans du souffle possible. Un soupir entre nos lèvres écarlates – bleuies à force d’attente. Comme un passage éclair dans la brume – entre l’herbe et le soleil. Et les funérailles bientôt qui scelleront le corps et la terre, le socle de marbre et la tombe et le retour implacable de l’âme et la nuit alentour – infranchissable...

 

 

Les yeux grands ouverts sur les abysses et les ténèbres. A contre-jour du ciel – de ce bleu infini qui transcende les limites – et perce l’épaisseur de notre soif. Comme si la nuit était notre mesure – et l’avidité notre seul obstacle...

 

 

Une promesse parmi les reflets – tous les reflets – du miroir. Comme une sphère de cristal (parfaite) qui obscurcirait davantage les ténèbres. Et mille esquives encore – et autant de rêves où l’ailleurs est préféré aux circonstances, si souvent dramatiques – et si souvent ennuyeuses. Comme une leçon jamais apprise – rabâchée pourtant depuis des siècles parmi les ombres, la cendre, les ruines et la mort. Assaillis – submergés – par cette ignorance magistrale où les apparences et les couleurs voilent toute possibilité de lumière. Ajournant ainsi la compréhension à des lendemains moins prometteurs...

 

 

Une main à l’horizon que le désarroi rattrapera un jour. Et ce soleil immense au milieu du regard. Et ces chemins – ces mille chemins – entrecroisés où les âmes se mêlent à l’automne, aux chants des pierres et à la ronde folle des feuilles qui ont parcouru l’Amour en une seule saison. Comme si chaque désir annonçait déjà le silence...

 

 

Et ces images – ces mille images – au-dedans qui frappent à la vitre pour revivre la rencontre – les mille rencontres de notre vie – et les quelques gestes d’Amour volés à l’indifférence. Comme si nous ne pouvions guérir de l’enfance. Comme si les visages – quelques visages – nous manquaient. Et leur regard – et leurs tendres accolades aussi...

 

 

A travers la fenêtre ouverte sur la nuit, nous regardons la danse étrange des ombres – cette curieuse procession avancer dans le noir, bras levés et têtes songeuses. Comme si le ciel – comme si le jour – n’existaient pas. Et au-dedans, nous entendons l’écho solitaire de notre parole. Comme une prière lancée au silence – un murmure adressé aux passions et à la plénitude – pour que nos gestes demeurent au plus près du regard – au cœur de cette solitude indifférente à la ronde des ombres...

 

 

Un chant, une rivière, un horizon. Et le bruissement des racines plongées au cœur de l’Amour. Comme un rêve – un désir tenace – dans notre nuit passagère...

 

 

Quel est le lieu le plus accueillant de l’étreinte... Serait-ce cet espace – ce silence – où viennent mourir tous les bruits et tous les gestes... Là où le désir d’être aimé se résorbe dans l’Amour... Là où les couleurs se perdent en transparence – et où les souffles prennent la figure du vent pour fouler des terres encore inconnues...

 

 

L’absence nous est étrangement sensuelle. Comme si les visages inconnus étaient dotés du pouvoir de nous aimer davantage... Mais nous rêvons, bien sûr, immergés dans le mensonge et l’illusion d’une promesse impossible – et pourtant déjà mille fois vécue. Comme si nous rechignions à grandir – et refusions de sceller nos jours (et notre destin) à la solitude...

 

 

Un océan inconnu entre nos rives – entre nos rêves et nos songes de papier. Au-dedans d’une brume qui voile l’horizon. Au cœur d’un vent porteur d’infortune. Et nous voilà le visage découvert – et infiniment triste – à l’image de cette marche épuisante qui ne nous aura livré aucun secret. Dos au mur – dos à tous les murs en quelque sorte. Prisonniers d’un désir de traversée – impossible à réaliser. Et nous voilà bientôt terrassés par un battement de paupière, un bruissement d’ailes et l’arrivée prochaine des déferlantes, rêvant de plage et d’écume blanche avant même la tempête. Comprenant soudain que l’île dessinée par nos yeux trop fébriles – et trop rêveurs – n’existe sur aucune carte – ni sur aucun chemin. Et que l’océan – notre désir d’océan – n’était que la condition de notre départ – de notre abandon aux marées qui se languissent (depuis toujours) de notre présence...

 

 

Et toutes ces infimes secousses de la terre. Et tous ces tremblements du ciel. A peine entrevus – à peine ressentis. Comme si nos yeux – et notre âme – ne pouvaient voir au-delà de la fenêtre – au-delà des collines – retranchés entre leurs murs – à l’abri des bourrasques et de toute possibilité d’envergure et d’embellies. Plongés au cœur de la nuit – à la lisière des possibles – où les fleurs remplacent le sang – là où les blessures ne sont jamais durables. Comme un instinct de préservation au milieu des siècles et de la mort. Comme la preuve que notre perpétuation compte davantage (à nos yeux) que le défi – et l’héritage – de la lumière...

 

 

Et si nous vivions enterrés là, sans le savoir, parmi les ombres et la mort – presque entièrement ensevelis par les rêves. Buvant, chantant et dansant pour oublier la funeste attente de la fin. Nous promenant – et nous pavanant – au hasard des rencontres. Jouant avec les visages et tous les reflets du miroir. Caressant quelques étoiles en rêvant d’or et d’abondance. Fouillant partout et édifiant de longs murs et d’étranges tours. Comme si nous creusions notre propre tombe (et celle du monde) sans pouvoir franchir la mince frontière entre les abîmes où nous sommes plongés et le seuil de toute lumière...

 

 

Et cette beauté sur chaque visage. Et cette lumière au cœur des circonstances. Comme si les soucis et la tristesse n’étaient que l’apparence du monde. Des guirlandes noires – un mince rideau d’infortune – qui voilent le miracle de vivre et le silence – et cette joie au milieu des visages et des circonstances...

 

 

Et ces dents blanches qui croquent la vie. Et ces mains qui frappent le bois pour imprimer la cadence à nos pas – à nos cris – à nos chants. Et nos voix qui reprennent en chœur, avec quelques notes légères – et mille sourires, la petite chanson du malheur...

 

 

Nous surgissons du néant – de cette matrice inconnue que nous prenons pour le néant. Et nous grandissons, devenons des ombres et avançons sous celles des autres en créant d’autres ombres sous lesquelles vivront – et marcheront – d’autres visages. Ainsi est née, se propagea et se prolongea la nuit. Du néant – supposé originel – qui enfanta les ombres – génitrices et pourvoyeuses d’autres ombres. Et dans cette obscure promiscuité, rares sont ceux qui eurent la force (et le courage) de quitter le funèbre cortège pour aller dans le noir vers l’âpre solitude afin de s’abandonner à l’incertitude et à la possibilité de la lumière...

 

 

Un jour, le grand vent tournera pour laisser jaillir l’Amour qui attendait dans la pénombre – reclus dans un coin du tableau. Invisible depuis le monde. Et, pourtant, à l’affût depuis toujours derrière les visages – mais ne se révélant qu’à ceux qui ont su s’effacer – et laisser la place vacante...

 

 

Un jour, nous pourrons refaire le monde. Et non, comme autrefois, le repeindre d’idéologies nouvelles et de couleurs inédites. Et nous pourrons nous y exercer (pleinement) lorsque nous saurons (enfin) lui redonner cette transparence des origines – cette blancheur diaphane – comme si l’histoire n’avait été qu’un prélude – une esquisse préparatoire – un brouillon maladroit taché de sang, d’erreurs et de ratures – les indécisions et l’ignorance de nos vies...

Et nous attendrons patiemment cette fresque-lumière où le soleil effacera les ombres, les mensonges et les tempêtes – les masques, le noir et la cécité – pour redonner le goût du possible, des merveilles et de l’enchantement. Et le silence alors dansera partout – au-dedans et au-dehors – avec l’innocence et les âmes défaites – enfin joyeuses – enfin dociles au Divin qui émergera avec la fin des rêves...

 

 

Nous rêvions déjà, enfants. Mais l’innocence s’en est allée. Et ne subsistent à présent que la peur et le réel – et le cauchemar de vivre parfois – que nous voilons d’un sourire pour tenter, maladroitement, de vaincre la désespérance et la mort – et offrir au monde un visage moins triste et moins rugueux...

 

 

L’ombre, l’arbre et le cœur. Une ligne commune. Un même horizon pointé vers le silence. Et un rêve de jour posé sur toutes les cimes du monde – caché entre l’aile et l’étoile. Fuyant à grandes enjambées tous les fracas de la terre...

 

 

Un peu de braise encore au fond de la nuit. Comme une lumière fragile affaiblie par les bruits et les mots – mais qui survivra à toutes les absences...

 

 

Nous n’irons, sans doute, jamais aussi loin que l’Amour. Mais peut-être devrions-nous (au moins) essayer... Et quelques-uns tenteraient sûrement leur chance s’ils savaient que quelque chose veille – et les attend – au seuil de ce rivage (apparemment) inaccessible – et qu’il pourra accueillir toutes leurs bassesses et leurs lâchetés – les rehausser et les célébrer – afin de les hisser jusqu’à lui...

 

 

A nouveau, la colère et l’espoir. Comme si nous n’en finissions jamais avec cette longue attente – cette immense fatigue des vivants. Comme si le refus et la violence pouvaient nous extirper hors de nous-mêmes...

Nous n’en finirons donc jamais de nous rejoindre. Et c’est au cœur de ce silence – de cette vibration invisible entre l’écoute et les bruits du monde – au cœur de cette présence posée au creux des gestes – et au cœur de cette joie imperceptible au fond de l’âme – que nous pourrons atteindre ce seuil, (apparemment) si infranchissable, de nous-mêmes...

 

 

Un discours, une discorde. Comme si nous ne pouvions prétendre qu’au refus et au commentaire. Comme si l’épaisseur du monde ne pouvait être percée ni contournée. Comme si notre faim ne savait (encore) trouver d’apaisement...

 

 

Sans doute aurions-nous dû commencer par la fin pour rejoindre l’origine. Mais qui aurait pu nous prévenir de l’inutilité des pas avant le commencement de la marche...

 

 

Et nous voilà à repeindre mille fois les contours de notre vie – à embellir la surface – les éléments du décor – comme si, au fond, le contenant avait plus d’importance que la substance. Comme si, au fond, le contenu nous était encore inaccessible...

 

 

Et l’absence des foules. Et la docilité des âmes. Comme si nul, en ce monde, n’était encore prêt à vivre la belle (et terrifiante) liberté – et à s’avancer sans peur et sans regret vers lui-même – pour revêtir (enfin) son vrai visage...

 

 

Nous croyons en des étoiles trop lointaines pour être présents à ce qui nous attend – et à ce qui passe devant nos yeux. Voilà, sans doute, pourquoi nous trébuchons sur la moindre pierre. Pour être plus attentif, il faudrait découvrir l’enchantement de chaque pas – et l’envergure du regard posé sur le plus simple...

 

 

Aux côtés du merveilleux – et des merveilles du monde, nous voilà sanglotant comme si quelque Diable nous avait ôté la vue – et, avec elle, la possibilité de l’émerveillement. Et c’est le drame – le drame inguérissable – que nous partageons avec tous les hommes...

 

 

Le plus laid souvent nous accuse alors que la beauté nous contemple en silence. Et irradie jusqu’à nos pauvres yeux. Et malgré sa grandeur – et sa simplicité – nous ne voyons que le malheur et le jugement – ce qui gratte et irrite dans notre aveuglement...

 

 

Il y a partout des royaumes. Et nous errons à travers tous les territoires en mendiant un peu d’attention à quelques mains et à quelques visages. Comme si nous vivions nus au milieu des plus belles étoffes. Comme si nous n’avions encore compris l’envergure de l’homme – et de son destin – presque magiques lorsqu’il sait s’asseoir, humble et enchanté, sur son trône de vent...

 

 

Ces nuits – toutes ces nuits – de folle aventure où le sommeil nous fait glisser dans le rêve. Pourquoi donc l’âme ne sait-elle transformer les jours en liberté et en merveilles. Pourquoi donc restons-nous encore assis, les yeux fermés, sur tant de possibles...

 

 

Du vide. Et des entraves. Nul autre bruit en ce monde. Le tintement de nos chaînes et nos larmes trop bruyantes sur tous ces chemins sans éclat...

 

 

Et dire que nous sommes suspendus au temps, aux lèvres, aux visages et aux mains – les nôtres sans doute qui se reflètent dans tous les miroirs – et qui n’ont rien à offrir sinon quelques peines, quelques drames et quelques supplices supplémentaires...

 

 

Nous sommes le plus miraculeux du monde – et de l’homme. Et nous vivons comme si nous ne le savions encore – ou pire, en feignant de ne plus nous en souvenir...

 

 

Tout au long de notre vie – et au fil du partage de notre cheminement intime, nous avons privilégié l’écriture dans un monde qui glorifie l’image. Nous avons privilégié le silence dans un monde qui célèbre le bruit et la fureur. Nous avons privilégié le quotidien et le commun – le plus ordinaire – dans un monde qui n’encense que l’esbroufe et le spectaculaire. Et nous avons privilégié la gratuité et l’innocence – l’authenticité et la recherche de lucidité – dans un monde qui ne jure que par l’apparence, le mensonge et la distraction – la ruse, le profit et le commerce. Voilà ce que fut notre perspective (la seule envisageable)... Et voilà comment nous avons modestement contribué (et de manière infime) à réenchanter la vie et le monde – et à leur redonner leur valeur originelle – hors mode et indépassable... Ce fut notre manière (la seule possible pour nous) d’affirmer – et de promouvoir – le règne de l’être et de l’âme sur l’esprit et la matière en cette ère matérialiste (si calamiteuse) où le rêve de notoriété et l’appât du gain ont évincé le goût (notre goût si naturel) pour l’humilité, le respect et le sacré, si nécessaires aux mille choses du monde et au vivre-ensemble – et où l’indigence séculière a fini par tout envahir – et prédominer partout – en excluant et en anéantissant tout ce qui ne participait à sa misérable gloire...

Peut-être sommes-nous nés pour d’autres siècles où l’intelligence et l’Amour n’auraient d’égal – plus aucun rival – où la vie et le réel ne nécessiteraient ni représentations, ni commentaires ni mensonges – et où tous les visages n’aspireraient qu’à être et à aimer – et à célébrer ensemble leur solitude et leur gratitude – et le miracle d’être nés...

 

 

Grandir encore – et s’effacer davantage – parmi les voix et les visages. Adresser encore quelques murmures. Et demeurer au plus près du silence. Comme un baume – le seul possible – sur notre espoir et notre désespérance...

 

 

Là-bas, caché encore parmi les songes et le sommeil, ce rêve de nulle part – en tous lieux du réel...

Et bientôt nous ferons face au jour comme si le soleil ne nous avait jamais quittés. Comme si la nuit n’avait été qu’un mauvais rêve – un simple désir de lumière...

 

 

Et cette intensité – et cette épaisseur – des jours que nous aurons à peine effleurées... Comme si nos lèvres – notre âme et notre vie – n’avaient eu suffisamment soif d Absolu. Noyées encore sous trop de désirs. Avec cet espoir d’être ailleurs – d’être un autre – et cette prétention, un jour, d’y parvenir...

 

 

Peut-être, après tout, n’aurons-nous guère réussi à émerger des racines – de ces instincts sombres de la terre – attisés par les vents de la faim. Une chose, pourtant, est sûre : il nous sera encore offert mille tentatives pour nous extirper du désastre – et embellir le destin de l’homme et du monde. Nous demeurerons en ces lieux, sous des allures différentes, tant que l’obscurité résistera à la beauté des fleurs et des visages – tant que l’ignorance entravera le passage de l’innocence – tant que l’invraisemblable ne pourra voir le jour...

 

 

Dieu jamais ne cédera à nos exigences. Il pardonnera tout – et pardonne déjà nos absences (toutes nos absences). Mais à la fin, il nous faudra prendre la relève – substituer à nos infamies le privilège du regard – celui que nous réservions à un Dieu étranger – au visage trop humain pour être réel... Et de visage en visage, nous irons vers l’invraisemblable – cette figure que nous avons façonnée comme un mythe offert aux naïfs et aux ignares.

Et nous sommes déjà au bord de l’incompréhensible. Et un seul pas suffirait à la transformation – à la métamorphose. Les masques alors seraient brûlés. Et apparaîtrait notre vrai visage – ce silence au goût d’éternité – cette poésie au goût d’innocence. L’art le plus sacré. L’esprit et la matière doués d’intelligence et d’Amour, voués à la célébration de la rencontre (de toute rencontre)...

Et entre la terre et la lumière émergent déjà les yeux sans nom – cette bouche et ces mains aimantes. Les arbres, le ciel et les oiseaux – et les plus humbles bêtes – le devinent à notre sourire. La vie transmutée en grâce. La fin du rêve. Le monde enfin voué à la joie et à l’oubli. Nos plus belles retrouvailles...

 

24 décembre 2017

Carnet n°132 Ce feu au fond de l'âme

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Nous porterons la nuit jusqu’à l’émergence du jour – et jusqu’au plus haut soleil. Et nous la porterons partout dans les rues et les âmes désertes, dans les cœurs qui pulsent et le sang qui circule sans fin. Et jusque devant les visages les plus distraits, en traversant toutes les morts et tous les destins...

Et dans le vent, la boue et la poussière, nous la soulèverons – et la redresserons comme un totem. Et autour de nous continueront de pousser l’herbe et les fleurs. Et les arbres de se courber à son passage. Et les hommes de sortir de leur désert pour écouter son chant appeler la lumière. Et aux derniers instants du crépuscule, tous les élans rouges tomberont en éclats. Et le jour – le soleil – pourront arriver – et se montrer. Les heures alors n’auront plus cours. La poussière deviendra une fête encensée par tous les pas. Et nos visages riront parmi les étoiles défaites. Le monde pourra enfin vivre – et se tenir debout...

 

 

Et aux pleurs se mêlera bientôt le rire. Comme l’évidence d’un ciel plus accueillant que notre tristesse...

 

 

Chantons plus fort – et plus anonymement – notre joie d’être parmi les morts et les vivants – parmi toutes ces âmes amères, si souvent, de vivre seules auprès des fleurs de ce grand désert...

 

 

Et ce feu balbutiant qui fait naître en nous cette parole. Comme si nos élans naissaient d’une terre antérieure au soleil. Comme si ni les larmes, ni les armes, ni les fêtes ne pouvaient ôter le sel de la poussière...

 

 

A tant veiller les morts, nous nous enivrons de cette espérance de vivre... de vivre encore – mieux et davantage...

 

 

Portons le monde et nos chevelures emmêlées, et ces fleurs, et ces pierres, et ces étoiles comme l’aveu de notre Amour – soulevé par les ailes du vent vers les terres de l’abandon. Et notre impuissance à épouser la terreur des regards pourra enfin célébrer notre chant. Et nous pourrons aller ensemble – entonner notre hymne à pleine voix – et nous embrasser parmi les rudes décors du monde avant que le silence ne nous foudroie. Et peut-être pourrons-nous dire alors que notre nuit n’aura pas été (totalement) vaine...

 

 

Une fleur en plein hiver. Et le monde encore au printemps de l’enfance. Turbulent, épuisant les jours, les fleurs, les pierres, les âmes et les étoiles. Balafrant la chair. Déniant l’Amour et la mort pour quelques jeux – et quelques regards – sans importance...

 

 

La vie – le monde – leurs rumeurs et leurs mensonges – nous ressemblent. Et ils s’éteindront au premier jour de l’hiver – lorsque après nous être défaits de l’orgueil, nous revêtirons la nudité du silence et que nous pourrons danser – et tourner – heureux et libres au milieu des visages et des saisons. Et nous prendrons alors la couleur – et la douceur un peu âpre – de la neige. Et nous aurons la gaieté de l’oiseau – et la candeur des blés. Et nous aimerons la vie – le monde – leurs rumeurs et leurs mensonges. Et nous traverserons avec eux tous les soleils pour nous enivrer du vent qui fait tournoyer les visages et les saisons...

 

 

Les siècles – et ce monde – sont perdus peut-être... Vaincus et anéantis par l’ignorance et la haine. Mais tant que brûlera ce feu au-dedans des âmes – au-dedans de l’origine des siècles et du monde, nul ne disparaîtra. Ni les visages, ni la foi. Et pas davantage les infinies possibilités du renouveau... Ainsi s’asséchera, de saison en saison, la haine – et s’amoindrira l’ignorance...

Les cris, les chants et les pierres sont parfois nécessaires à la délivrance – autant que les jeux et les impasses – pour débusquer, au fond de chaque destin, et tapi en tous lieux, ce qui ne peut ni décroître ni périr...

Et ainsi nous aimerons tous les visages, tristes et enchanteurs, de la lumière...

 

 

Quelques âmes poursuivent l’ascension de la lumière. Et je vois leur visage, rougi par les vents, qui se cramponne à cette lueur qui persiste dans l’absence – et se dresser pour voir ce qui se cache derrière le mur – et découvrir, d’un regard tourné en eux-mêmes, la fin des labyrinthes...

 

 

Nous sommes le nom peut-être qu’un autre épelle pour précipiter sa rencontre...

 

 

Nous ne sommes peut-être qu’une âme passagère en tous lieux parmi les autres. Et qui a pris figure en ce monde pour aimer – et nourrir – les visages de sa main – et verser sur leurs larmes, et leur si vaine espérance, quelques mots – quelques paroles. Comme une caresse pour dire les nécessités de la vie et les exigences du silence. Et pour dire aussi que nous n’avons pas été seuls – et qu’un Autre – mille Autres peut-être – étaient là aussi à creuser le passage...

 

 

Et toutes ces routes grises dans le noir du monde qui cherchent leur blancheur. Comme si la neige – comme si la mort – ne suffisaient pas...

 

 

Et ces larmes sur toutes les tombes – et ce sang qui ruisselle parmi nous – et ce regard au plus près de notre ombre charnelle... Qui donc est là – qui nous voit et nous entend – pour aller avec nous si fraternellement sur ces chemins privés d’Amour...

Et en pensée, nous étions avec toi. Et avec eux. Comme avec tous ceux qui le réclamaient en feignant l’indifférence...

Nous sommes nés ainsi – pour aimer et accompagner. Et nous qui avions cru que vivre était comprendre – mettre un mot – le doigt – au plus proche de la vérité, comme nous nous trompions...

Vivre n’aura été qu’un poing dressé contre le monde – et lancé sur tous les visages qui nous ont fait face alors qu’il aurait fallu peut-être – qu’il aurait fallu sans doute – s’attendrir et s’agenouiller, sourire souvent, pleurer parfois et disparaître – s’effacer en silence pour laisser la place vacante...

 

 

Dressés au fond de l’âme, cette lumière et ce silence que nos mains idiotes cherchent encore au-dehors en fouillant parmi les immondices et les visages – parmi toutes ces merveilles trempées de sueur et d’espoir – et qui, comme nous, cherchent l’Amour...

 

 

Nous pourrions vieillir, mourir et disparaître autant de fois que nécessaire, nous serons toujours, et à chaque instant, auprès du silence. Au cœur de cette lumière que nous avons tant cherchée...

 

 

Au rythme de la vie et du monde, nous allons – sans même le savoir – vers le silence et l’immobilité. Comme si nous étions emportés à notre insu vers ce que tantôt nous nions et tantôt nous désirons. Comme portés par une innocence encore inconnue malgré nos gestes pesants et nos paroles suppliantes qui rêvent toujours de ce qui brille loin de notre visage...

 

 

Et le destin reculera – et capitulera peut-être – lorsque nous saurons nous défaire de toute ambition. Le désir alors se transformera en silence. Et la nuit s’éclairera – et deviendra jour peut-être (avec un peu de chance). Et nous rirons de ce sort promis à toutes les exigences. Et nous y consentirons. Et nous pourrons (enfin) aller dans la vie – et vers la mort – sans craindre la souffrance des allées et venues, des chutes et des ascensions. Et droits et humbles – autant que nous en serons capables – dans cette honnêteté et cette innocence...

 

 

Que l’on nous aime – qu’on nous le montre et qu’on nous le dise – et nous voilà tout frémissant d’ardeur, de désir et d’espoir. Comme si la promesse d’un visage pouvait nous consoler du monde...

 

 

Seul devant la nuit avec cet étrange sourire. Comme si la lune pleurait avec tendresse sur notre incompréhension...

 

 

Et des cris et des aurores perdues en guise de mur devant lequel se dresse – et s’exalte – la paresse...

 

 

Et toutes ces âmes solitaires qui cherchent et pleurent assises au fond de leur chambre, éclairée peut-être d’une lumière, en parcourant le monde de leurs souvenirs et de leurs désirs à travers cette mince fenêtre qui dévoile l’intimité des autres. Et je les imagine belles et curieuses ces âmes – et assoiffées sans doute de rencontres, rêvant d’Amour et de soirs plus doux et caressants. Levant les yeux peut-être pour regarder la lune et les étoiles, là-bas au loin, qu’un autre sans doute regarde aussi, scellant ainsi une sorte d’union invisible – un mariage insensé – où la chair et l’âme pourraient s’aimer à distance, et sans se connaître, par le fil fou et fragile de l’intention et de la pensée...

 

 

Dans notre rire, les musiques d’autrefois et le silence d’avant notre naissance. Comme le jour et la nuit réunis sur nos lèvres (enfin) réconciliées. Et le premier chant de l’homme peut-être...

 

 

Entre la terre et l’aube, cette buée sur la vitre. Et nos yeux tristes qui questionnent encore la nuit...

 

 

L’ignorance, la magie et les pièges du monde. Et les âmes révoltées – et soumises à notre incompréhension. Comme si nous ne pouvions danser qu’autour de nous-mêmes – et vivre qu’en oubliant la mort...

 

 

L’herbe et la poussière – et les âmes misérables – inlassablement harcelées, chavirées et balayées par les vents. Et les vies à la dérive. Et les frémissements de la chair entre les promesses et le silence. Comme voués à la perpétuité de la soif et de la source...

 

 

Au bord du monde, le ciel gris et les chevelures ignorantes ruisselant de pluie et d’éclats – espérant le chant à venir et la fin des rêves pour que la terre devienne enfin réelle – et que les âmes puissent conduire les vies à la dérive vers un refuge – un lieu prémonitoire – où la terreur et la soif seraient bannies et pardonnées...

 

 

En croyant porter le jour, nous amenons la nuit. Et en croyant transmettre la lumière – quelques bribes de savoirs – nous offrons la cécité. Que faudrait-il donc faire pour ne plus leurrer les destins... Peut-être donner à entendre le silence aux visages pour qu’ils ne s’effraient plus ni de la vie ni de la mort – et qu’ils puissent affronter les circonstances sans soutien ni certitude, l’âme plongée au cœur de l’inconnu...

 

 

Les hommes entre la terre et le vent. Au cœur, pourtant, de tous les soleils. Et les âmes courageuses au fond du silence. Et les regards, enfoncés dans la solitude, qui s’interrogent... Comment pourrions-nous ne pas aimer le monde...

 

 

Les cris et les chants des hommes aux mains caressantes et hargneuses – ignorantes – qui creusent leur destin parmi la boue, la fureur et la poussière en levant un œil parfois sur ce qui les contemple...

 

 

Au cœur des visages mutiques – et de l’indifférence – à vivre pour rien, pourrait-on croire... Mais Dieu veille en nous, bien sûr – silencieux et sage – et si joyeux dans notre solitude...

 

 

Nous aurons vécu enclos dans la solitude – et tenté de déchiffrer la vie, le monde et la mort sans oser y poser nos lèvres, effrayés par la poussière (funeste) qu’auront soulevé nos pieds à l’approche des menaces et du danger...

 

 

L’enfance originelle du monde comme les feuilles mortes à l’automne cherchant un abri – un refuge contre le vent. Comme une façon peut-être d’asseoir leur éternité parmi nous...

 

 

Des fleurs, des pierres et des étoiles par millions – par milliards. Et autant de visages – et autant de morts – pour balbutier leur nom et noircir tous ces livres de millions de signes. Ecartelés, si souvent, entre le noir et la lumière – et accouchant parfois du plus beau silence...

 

 

Sans ombre et sans regret parmi les voix et les regards. Parmi les vents et les chants qu’auront lancés les hommes contre tous les visages de la terre. Aussi triste que la neige et la mort en hiver lorsque les oiseaux frémissent et que les rumeurs du monde, cinglantes si souvent, traversent nos pudeurs...

 

 

Les jours et les visages. Une présence claire entre l’oubli et l’absence. Et quelques ombres furtives le long des murs – et derrière les frontières – fragilisés par l’Amour...

 

 

Assis obscurément dans notre nuit, balbutiant et balafrant comme si vivre n’était miraculeux. Comme si le soleil allait assurément revenir demain. Comme si la mort était encore lointaine...

 

 

Ecoutons. Et apprenons du silence...

 

 

Ah ! Cette folle beauté des brasiers – et de tout ce qui consume nos vies, le monde, l’orgueil et les désirs, la prétention et l’ignorance ! Annonciatrice de tous les feux de joie...

 

 

Et partout ces danses et ces chants qui célèbrent la vie – la moitié de la vie – en oubliant la laideur, la tristesse et la mort. Et qui exaltent notre exil et notre solitude. Comme une façon maladroite peut-être de rendre grâce – et de remercier – le versant sombre des choses que nul ne veut voir – que nul ne veut connaître ni habiter...

 

 

Mille saisons au fond de sa masure ouverte sur le monde, le ciel et les Dieux. Auprès des plus humbles visages que compte la terre. Dans la compagnie du vent et du silence. A écrire, chaque jour, quelques lignes. Mille lignes peut-être... Comme un remerciement – une gratitude – à cette grâce de vivre la solitude au milieu des forêts et des collines – avec ces frères rencontrés au hasard des chemins, tachés parfois de mousse et de lichen, lançant parfois leurs bras noueux vers le soleil, montrant parfois leur museau en sortant des bois. Et ces mille pas, chaque jour, qui exercent leur ardeur – et leur joie – à gravir et à dévaler les pentes – au sommet de toute présence vécue dans la plus belle humilité...

 

 

Ici-bas, tant de songes et de cris. Et tant de mains et de bouches qui s’agitent. Et là-haut, tant de présence et de solitude. Comme si le monde n’était qu’un rêve...

 

 

Nous porterons la nuit jusqu’à l’émergence du jour – et jusqu’au plus haut soleil. Et nous la porterons partout dans les rues et les âmes désertes, dans les cœurs qui pulsent et le sang qui circule sans fin. Et jusque devant les visages les plus distraits, en traversant toutes les morts et tous les destins...

Et dans le vent, la boue et la poussière, nous la soulèverons – et la redresserons comme un totem. Et autour de nous continueront de pousser l’herbe et les fleurs. Et les arbres de se courber à son passage. Et les hommes de sortir de leur désert pour écouter son chant appeler la lumière. Et aux derniers instants du crépuscule, tous les élans rouges tomberont en éclats. Et le jour – le soleil – pourront arriver – et se montrer. Les heures alors n’auront plus cours. La poussière deviendra une fête encensée par tous les pas. Et nos visages riront parmi les étoiles défaites. Le monde pourra enfin vivre – et se tenir debout...

 

 

Un jour, viendra celui par qui les visages oublieront leur nom et pourront rassembler leur âme en une seule figure – éclatante d’Amour dans la nuit. Comme si le noir n’avait été qu’un balbutiement, presque innocent, de la lumière. Un préalable inévitable – et sans importance...

 

 

Les lois de l’âme ne sont celles du monde. On ne peut les inscrire ni dans les livres ni dans le marbre. Elles s’imposent aux gestes instinctifs et naturels devenus innocents et changent selon les circonstances et les visages. Et en dépit de leur impossible permanence, elles demeurent inféodées à l’Amour – et se déclinent en mille sensibilités – et en silence – au gré des paysages et des rencontres...

 

 

Vivons à pleine voix – et en plein regard – comme si le monde, la terre et les hommes étaient innocents. Comme s’il n’y avait ni ignorance ni impasse. Comme si la nuit était le miroir (le parfait miroir) du jour. Comme si nos balbutiements étaient la lumière. Comme si le silence était notre seule compagnie. Comme si nous avions (enfin) compris que vivre était un miracle – et une possibilité pour aimer...

 

 

Et si nous devions tous mourir mille fois – des millions de fois – des milliards de fois – avant de pouvoir renaître plus sages...

 

 

L’or n’est que l’ombre des arbres au crépuscule. La vie – la vie pleine et la joie – demeurent en amont de toute richesse et de toute saisie – en amont de tout rêve et de tout langage. Et nos poches – et nos âmes – seront toujours trop étroites pour les recevoir. Il faudrait un cœur – et une sensibilité plus haute et plus large que le ciel pour les accueillir – les vivre et les goûter comme notre seul miel...

Et c’est à cette unique ambition – et à cette unique tâche – que l’homme devrait se livrer. L’abandon de l’or en serait, sans doute, facilité – et (bien) plus supportable. Et chacun pourrait alors sérieusement envisager – et se résoudre à – cette nouvelle perspective...

 

 

Un jour, viendra le temps où l’oubli sera notre seule mémoire. Et nous pourrons aller sans souvenir – sans malice et sans espoir – vers ce qui nous attend. Au seuil du silence – au seuil de cette vie sage et immobile – qui accueille toutes les renaissances et toutes les résurgences du printemps. Comme des visages enfin sereins et grouillant d’ardeur – et des âmes éprises du soleil dans le vent et cette longue nuit – interminable peut-être...

 

 

Et ce feu si rouge – si vif – au milieu des braises et des flammes. Au-dedans de tout, en vérité : des pierres, des arbres, des âmes, des visages et des étoiles. Comme un lointain écho – et le prolongement peut-être – de ce brasier immense du fond de l’univers sorti des entrailles des origines...

 

 

Les mots. Comme une peinture, grasse, épaisse et subtile à la fois, colorée de mille teintes et de mille nuances. Et le poème comme un tableau – une fresque immense sur la terre minuscule. Et, chaque jour, nous plongeons nos doigts – nos mains – nos bras – notre âme et notre corps entier – dans la couleur et l’étalons à grands gestes – et en petites touches simples et délicates – pour dire le monde, la vie, le temps, la mort, le silence, l’infini et la vérité et dessiner un gigantesque espace de joie – et l’offrir (humblement) à la tristesse des âmes qui passent, indifférentes (par excès d’ignorance sans doute...) sans rien dire et sans rien aimer – et sans rien savoir de ce trésor inaccessible qu’elles portent (en elles) comme tous les cœurs sensibles de cette terre...

 

 

La fleur et la pierre sont souvent plus poétiques que les hommes dont l’âme est trop occupée à se façonner un destin, si risiblement glorieux. Leur instinct naturel les pousse à faire fleurir – et à chanter – ce qu’elles ont de plus précieux à offrir : leur essence brute et sans mensonge...

 

 

Quelque chose monte en nous que nous ne pouvons voir. Une innocence – un regard – un silence – qui brûle les songes et les fantômes. Comme une lumière – une intelligence – vouée à son propre règne qui construit et détruit tout sur son passage au gré de ses exigences à l’égard du monde et des visages...

 

 

Et les yeux de l’enfant solitaire qui caressent le ciel et le monde de ses prières. Cherchant peut-être – cherchant sans doute – un ami invisible pour échapper à la folie des regards et aux diableries des visages. Et comme une façon, peut-être, de tromper l’ennui et l’attente de la mort...

 

 

Au plus haut degré de l’absence, l’homme sans doute. A l’égal de la pierre. Comme une masse à la paresse immobile. Une inertie placide et sans attente. Et la furie gesticulante des siècles qui brassent les songes et le vent en rêvant à la gloire des horizons – et dont les pas, aveugles au ciel et au silence, prolongent la nuit...

 

 

J’aimerais une terre – une simple terrasse peut-être – oublieuse d’elle-même, sensible aux âmes, éveillant le désir à l’Amour – et qui dévoilerait aux visages ce lieu où le monde deviendrait beau et silencieux. Je fais parfois ce rêve, accoudé à la balustrade des jours, les yeux plongés dans la nuit et le chant qui reste au fond de ma gorge. Serais-je donc le seul, en ce monde, à rêver d’Amour...

 

 

Pris entre la neige et le feu – prisonnier de cette route trop longue où les hommes dévisagent les âmes comme si l’innocence n’existait pas, je regarde l’étoile lointaine. Et je cisaille la nuit de mes baisers trop voraces. Et ma voix s’élève pour célébrer le jour – et le peu de temps qu’il nous reste à vivre. Et j’ouvre la main à la sève rouge qui coule entre nos doigts. Et je porte mes lèvres au soleil – sans un mot – sans un cri – pour que le monde regarde plus haut que ses lois et ses interdits...

 

 

Le poème comme une résonance à ce qui ne peut se dire. A ce silence parmi nous qui pourtant blesse encore les âmes. Comme si seul le bruit avait quelque chose à nous apprendre...

 

 

Un peu de joie – un peu de paix et de sommeil – dans ce qui nous échoit, serait-ce donc là le seul rêve des hommes...

 

 

Au début du monde peut-être y avait-il l’enfer... Cette chaleur invivable dans laquelle seules les pierres, malheureuses combinaisons d’atomes, pouvaient fleurir. Puis, la fournaise a pris une improbable tournure. Et du brasier, devenu plus supportable, est née la chair, cette matière dotée de souffle... Et malgré l’hostilité du décor, l’enfer perdit de sa superbe. Et quelques millénaires passèrent... Et l’enfer, progressivement, se transforma de façon inattendue, presque inespérée, en paradis à la fois rude et merveilleux, chargé de fruits et d’abondances – et de mille créatures minuscules qui proliférèrent – offrant à la terre et à ses habitants un agréable et moelleux tapis – riche, mouvant et vivant. Et ces mille créatures bientôt se multiplièrent et se transformèrent, évoluant, pas à pas, vers les balbutiements d’une intelligence – d’une verticalité. Ainsi émergea l’homme aux derniers instants de cette longue histoire. Et quelques secondes – quelques siècles – suffirent pour qu’il saccage ces merveilles et transforme la terre en désert – en tristesse – en lui donnant l’un des visages de l’enfer dont nous sommes nés... Comme la récurrence – la résurgence cyclique – peut-être d’une forme de malédiction originelle...

 

 

Nous croyons bâtir un destin – et écrire une histoire. Et c’est pourtant à la fin du monde que commenceront les siècles. Lorsque la chair et l’âme auront découvert la plénitude d’une existence sans heure – affranchie des luttes, des horreurs et du temps. Nous retrouverons alors l’âge d’or d’avant la naissance du monde et de l’univers – d’avant la naissance des mondes et des univers – cette éternité où le sommeil et la somnolence sont bannis...

 

 

Si loin de tout, l’homme dans son sommeil, sa démesure et sa prétention. Et dans son atroce insensibilité au monde. Gesticulant comme un pantin affamé et indifférent...

Et il est rude – et insupportable parfois – de vivre parmi ces visages sans âme. Comme si nous étions seul(s) au monde – encore (un peu) vivant(s) parmi le sang, les fantômes et la mort...

Et cet Amour qu’il nous manque parfois pour aimer ces visages, ces mains sournoises qui blessent et entaillent et toutes ces lèvres qui, derrière leurs sourires, geignent, crient et sucent le sang des vivants et des morts...

 

 

Ces heures où le temps se resserre comme si nous allions mourir l’instant suivant. Comme si le monde (notre monde), les siècles et notre vie allaient s’effondrer. Et le souffle nous manque pour vivre – et respirer. Et chancelants, exsangues et défaits, nous appelons le sommeil et y sombrons pour quelques instants – pour quelques heures – comme un court et médiocre répit dans notre angoisse pour ajourner notre faiblesse et notre impuissance à affronter l’âpreté des circonstances...

 

 

La misère et le malheur ont mille visages. Et sur les lèvres, le même sourire indélicat comme un sel sur notre tristesse et nos blessures...

 

 

Et ces froissements de rêves qui n’accoucheront que du néant. Comme si nous pouvions croire encore aux histoires du monde et des hommes...

 

 

Et nous partirons, sans doute, sans un regard sur ce qui demeurera après notre mort. Comme si seule comptait la nouvelle saison, si terrifiante encore depuis ces rivages...

Et chaque pas célébrera l’entêtement de la vie et la permanence de la mort. Comme une âme enfin libre – et réduite à l’évidence du silence...

 

 

A l’affût – et à l’orée – de tout – de tout ce qui fut, est et sera. Comme un sang offert – livré à une perpétuelle rencontre amoureuse. Comme un sourire – une invitation – lancé(e) à tout ce qui hante le ciel, la terre et le poème. Pour offrir un voyage sans égal – et une (réelle) raison d’espérer aux siècles et aux visages...

 

 

Le monde et le temps sont plus vastes au-dedans. Et ceux du dehors ressemblent à des fables de haute trahison qui n’enchantent que ceux qui croient (encore) à leurs désirs et à leurs promesses. Des histoires que l’on raconte aux enfants pour qu’ils ferment les yeux et s’endorment. Et pour que le sommeil dure toute la nuit...

 

 

Et dans la cambrure de l’âme, je décèle une faiblesse – comme un creux – une déformation – le miroir de notre soif – l’envers du poème peut-être... Comme un silence qui sourd entre les lignes – et toutes les lèvres suppliantes – qui rêvent d’une autre nuit – aussi belle que le jour – aussi grande que le ciel – et moins triste que les destins abandonnés à leur sort...

 

 

Tant de visages en nous, nés de l’enfance, nous insufflent des rêves un peu fous de gloire et d’innocence. Comme si nous n’avions jamais quitté l’âge des jeux et des songes. Comme si la nuit du monde et des choses avait enfoncé en nous l’aveuglement... Et où comptons-nous ainsi marcher à présent – et poser notre voix et notre cri... Encore plus bas sans doute, là où le jour ne peut ni éclore ni se montrer...

 

 

L’encre en nous – sur nos pages – plus rouge que noire. Plus désespérée qu'espérante lorsque l’aube se rapproche, que les voix murmurent et les yeux se détournent. En surplomb des bruissements d’âme et de feuilles – au-dessus de toutes les crêtes et de tous les déserts de ce monde parmi le silence – et les visages, si naïfs parfois – dont nul ne peut épeler le nom...

 

 

L’ultime viendra comme une évidence couronner la sueur, l’exercice et les efforts inutiles. Comme une grâce se livrant – s’offrant – à l’âme et à la chair épuisées par tant de recherches et de foulées parmi le plus connu – et le plus familier – si étrangers pourtant à tous les Dieux d’Orient et d’Occident. Et les blessures alors se refermeront. Et la lune deviendra terne et grise – autant que les étoiles anciennes. Et nous scellerons l’éclat et la profondeur pour vivre parmi les vivants et les morts dans le plus simple degré de la jouissance – dans le silence clair et sans effroi qu’auront délaissé nos ascendants. Et le ciel alors deviendra brillant – comme la seule gloire possible, affranchie des rêves et des images. Et nous nous tiendrons debout avec l’ultime pour seule ossature, seul décor et seul visage. Et nous deviendrons – et nous réjouirons de – tout ce qu’il nous offrira...

 

 

Nos vies – nos recherches – ont des allures de monstre maniaque et impotent. Comme des amas de chair, d’os et de sang attachés à quelques livres, à quelques sourires et à quelques cendres – et qui ne découvriront, en fin de compte, que le néant. Et, pour les plus chanceux et les plus tenaces, sous le néant, le silence et le vide le plus joyeux...

Mais quelle tristesse, au fond, pour toutes ces âmes – et tous ces pas – si avides et si pressés...

Si nous avions su, nous aurions, dès le premier jour – au premier printemps raisonnable, plongé notre cœur dans le présent, libéré nos gestes du doute et du désir, et serions restés là à attendre, la tête bien sagement posée sur le séant, la fin des bourrasques, la fin des orages, la fin des larmes et du monde pour voir arriver cette éclaircie impromptue, venue sans préparation ni annonce, comme la seule possibilité de notre vie et le seul résultat envisageable de nos, si vaines et laborieuses, recherches...

Mais qui aurait pu savoir, avant de lancer son premier pas, que le sourire et la joie étaient déjà là (tout entiers) sur notre visage que la vie, le monde et la mort ont toujours effrayé... Il n’aurait fallu qu’un souffle – qu’un baiser peut-être – suffisamment puissant et confiant (en nous) pour se résoudre, dès les premiers instants, à quitter le rêve et le mensonge du temps et du labeur pour embrasser le silence, et la grâce, à pleine bouche...

 

 

Je veille. Nous veillons. Et pourtant personne sous notre regard. Comme si le monde n’était qu’un rêve. Comme si le monde n’existait pas. Comme si les silhouettes n’étaient que des fantômes. Et, sans doute, demeurerons-nous ainsi – seul(s) à jamais...

 

 

Regardez donc les feuilles des arbres mourir à l’automne ! Regardez donc comme elles vont dans l’allégresse, emportées, folles et légères, dans la danse du vent qui les mène, en de joyeux tourbillons, vers leur dernière terre. Regardez donc comme elles s’y posent, ivres et sereines, heureuses d’être réunies et éparpillées dans un merveilleux désordre sous celui qui les a fait naître – au cœur du vivant et parmi le terreau des heures et des saisons prochaines...

On ne peut, bien sûr, en dire autant des hommes qui s’en vont, malheureux (malheureux comme les pierres), rejoindre, dans une longue et triste procession, leur petit carré de terre bien aligné entre les murs d’un cimetière. Loin, si loin, de la vie. Et plus éloignés encore à cette heure qu’au cours de leur funeste séjour parmi les vivants...

 

 

Nous vivons comme si nous portions le monde et ses blessures. Le sang des morts et la peine des vivants. Plongés dans un gouffre au-delà de la folie sans voir – ni sentir – le visage et les bras qui nous soulèvent pour alléger – et guider – notre marche aveugle et triste...

 

 

Au plus nu du jour peut-être – lorsque nous dessaisissons la nuit de sa torpeur – et que nos lèvres frémissantes balbutient une prière... Comme si soudain, nous nous retrouvions hébétés – et incertains – en pleine lumière, doutant de la consistance du réel – propulsés en un lieu inconnu au milieu de nulle part – hors du monde et hors du temps. Et que nous regardions autour de nous avec la plus grande franchise sans rien voir d’autre que le silence et l’âpreté permanente de la mort...

 

 

Aux heures sombres du destin – au plus près peut-être de la mort qui guette – se délitent les jours. Et la nuit même, sans doute, se retire. Et nos yeux s’avancent dans le noir, suspendus à l’âme inquiète, au fond de leur orbite. Et ils se retournent – et voient cette flamme qui donne au cœur et au monde leurs élans et leur justesse. Et quelque chose en nous tombe à genoux – et attendrit la dureté de nos paupières et de nos mains. Comme si s’ouvrait une fenêtre sur le ciel et les abîmes – et que nous regardions à travers – et posions un pied sur le rebord sans craindre ni la chute ni l’envol...

 

 

Et cette présence – cette part – cet espace – en nous qui ignore, qui devine sans savoir, qui sait sans comprendre et comprend sans s’interroger en regardant la vie s’éteindre – et aller vers ce qu’elle ne pourra jamais atteindre...

 

 

Des ombres, des marches et de l’innocence encore malgré l’ignorance arrogante des âmes et la rudesse des visages. Et ces mains et ces dents si carnassières lors des étreintes. Et ces vivants aux allures de fantôme. Et ces morts au visage immobile – et au sourire énigmatique. Comment pourrions-nous ignorer encore ce qui nous habite de façon si résolue...

 

 

La résonance du rêve et des Dieux. Comme le seul obstacle, peut-être, au jour. Dans ce face-à-face – ce corps-à-corps – inégal entre le sommeil et l’oubli...

 

 

Cet antre – et cet Autre – qui nous séparent de nous-mêmes. Toujours. Comme si nous divisions – et nous nous partagions – indivisibles que nous sommes. Comme envoûtés par les bras de la paresse et les rites de la séduction. Comme si nous voulions désespérer la solitude. Comme si nous renâclions encore à réunir tous nos visages...

 

 

Et la nuit nous vint comme un songe. Et le sommeil nous prit – et fit de nous des alliés. Et, à présent, nos rêves ont un goût de larme et de tristesse. Comme si le jour n’existait pas. Comme si nous l’avions inventé en même temps que la peur et l’espoir...

 

 

Et ces rêves en escalier par milliers – par millions – qui nous font monter et descendre – sombrer au plus noir – et grimper aux rideaux du moindre jour. Nous assenant la peine et la joie comme si nous méritions d’espérer et de souffrir encore...

 

 

A l’exacte place où se tient le mystère, nous vivons. Et nous arpentons le monde comme s’il n’y avait aucune énigme – aucun trésor à découvrir – ni aucune joie (véritable) à ressentir – avant de quitter, un jour, les lieux – pour rejoindre d’autres terres, voilées par d’autres espoirs et d’autres chimères. Comme si nous n’avions encore compris après toutes ces errances, tous ces malheurs et toutes ces existences que nous portions la porte et la clé – la question et toutes les réponses...

 

 

Au-delà du jour se dessine le silence. Comme deux ailes supplémentaires – nécessaires à l’envol du monde. Comme une crête permanente au carrefour du crime et des promesses – et au cœur même des caresses et du fracas...

 

 

Sans doute ne retiendrons-nous que le bleu (infini) du regard parmi toutes les couleurs de la terre. Et son cadre d’or surplombant la cime des jours aux abords des paupières fermées – si coutumières de la grisaille et de la nuit...

 

 

Il y aura toujours une main – et des visages – au bord des routes et des chemins. Comme le miroir de notre solitude qui exige une réponse – un geste – une présence – une caresse – n’importe quoi pourvu qu’on la console du monde – et de ses malheurs...

 

 

Les jours-folie où les lignes deviennent courbes, traits hachés, taches presque invisibles. Où les visages rient et pleurent sans se douter de la lumière et de la mort qui approchent. Où les histoires, les territoires et les frontières perdent leur intérêt et leur sens. Où toutes les aventures – et jusqu’à l’ouverture sur l’ailleurs, l’impossible et l’impensable – savent s’extraire de l’emprise des songes.

Et ces jours-folie sont une bénédiction dans notre sortilège commun. Et ils nous rassurent – et nous offrent presque la certitude d’exister – sur cette terre incertaine où le noir perle – à chaque virage –et sur chaque courbure – et où le ciel s’essouffle devant la figure distraite et l’indifférence des hommes. Comme un baume (un peu de baume) sur le cœur pour traverser la monstruosité hallucinatoire du monde jusqu’à l’heure prochaine – jusqu’au prochain jour...

 

 

L’horizon n’est sensuel – et prometteur – que dans les rêves. Et sa réalité brute finit toujours par rattraper le retard des pas. Comme si le songe ne pouvait se résoudre à ses (misérables) ronds dans l’eau. A ses chimères, à ses fantasmes et à ses attentes. Comme si l’aube avait mandaté le monde pour nous extraire de ses leurres et de ses appâts...

 

 

Un monde, une chambre et mille questions. Et mille grimaces face au désert et à l’absence, si criante, de réponse. Et le courage d’aller encore malgré la peur, l’incertitude et l’ignorance...

 

 

Tant qu’il y aura des mots pour dire – et célébrer – le silence, la violence ne pourra terrasser l’Amour. Et lorsque le monde (enfin) délaissera la violence, le langage deviendra inutile. Les gestes puiseront leur nécessité – et leur justesse – dans l’innocence. Et la lumière sera notre seul visage.

Le gris alors se transformera en rose. Le rouge en vert. Et le bleu en infini et en transparence. Et la terre pourra tomber en cendres – et être délaissée pour des rivages sans couleur...

 

 

Quand saurons-nous donc lire les visages et les paysages de ce monde... Quand saurons-nous voir les courbes de l’horizon, les mille points de passage, les cercles de joie dissimulés au cœur des plus grands drames, la cime secrète au fond des impasses et la beauté cachée derrière les traits les plus vils et les plus grossiers... Quand saurons-nous acquiescer à l’aventure, à l’ordinaire, au commun et à l’inconnu – à toutes ces merveilles insoupçonnées...

Quand saurons-nous jeter nos chaussons trop confortables pour aller nu-pieds – et sauter à pieds joints dans l’existence... Quand oserons-nous vivre, être et aimer un peu... Et qu’attendons-nous pour y consentir – et nous offrir à ce qui passe – et célébrer toutes les présences au cœur du sacrilège et du mensonge...

Quand aurons-nous donc le courage de tordre le cou aux prétextes, aux illusions et aux masques étroits et mortifères... Quand saurons-nous devenir nous-mêmes (et bien davantage...) pour aller confiants et sereins sur les chemins – en traversant la vie, le monde et le temps avec pour seul appui notre unique ermitage : le silence, la joie et la lumière... Quand saurons-nous enfin devenir des hommes – des âmes douces et conscientes – attentives et respectueuses – et profondément aimantes – au-delà de la laideur et de la beauté apparentes – au-delà des images, des représentations et du jugement – innocents et libres parmi les circonstances, les âmes et les visages de ce monde...

 

22 décembre 2017

Carnet n°131 La tristesse et la mort – l’épreuve de la lumière

Récit / 2017 / L'intégration à la présence

Et ces vents – et ces souffles – sur l’horizon qui emportent tout : la vie, les rêves, le jour, la nuit et les visages, fiers ou geignards. Ne laissant sur les plaines que la mort et la poussière. Et ces cris – et cet effroi – sur les lèvres des vivants...

Et d’autres cauchemars nourriront notre nuit. Et nous chanterons encore entre nos rêves et le silence. Comme si le sommeil n’existait pas...

 

 

Un nom parmi tous les noms

Un visage parmi tous les visages

Un mort parmi tous les morts

Parti(s) rejoindre, à parts égales peut-être – qui sait...

Une autre terre – un autre monde

Et l’infini – cet espace sans nom et sans mort

Notre visage commun.

[En hommage à Solias – le 18 octobre 2017]

 

 

Que d’images encore qui nous hantent... Et la mort, partout, qui se déchaîne. Comme si vivre n’était qu’espérer – attendre l’improbable fin de la souffrance...

 

 

Le ciel et les jours gris. Les cours et les cœurs calcinés. Et partout les jardins à l’abandon. Serait-ce donc cela vivre parmi les hommes...

Qui pourrait bien nous faire quitter la solitude des collines...

 

 

Et ces piles d’images engrangées dans la mémoire... Et ces millions de signes – hiéroglyphes du passé – accumulés qui alourdissent le regard et le souvenir... Et cette ignorance encore si criante de tout... Comme si nous aspirions, malgré nous, à travers ces amas de représentations, à avaler le monde et la vie – pour mieux les comprendre à seule fin de mieux les goûter et d’en faire un plus profitable usage...

Mais qui sait, sur cette terre, que nous sommes déjà la vie et le monde – et peut-être tant d’autres aussi... – et qu’il nous faut les accueillir avec la plus grande nudité pour saisir leur vérité. Et que notre seul engagement n’est ni d’en user à notre convenance ni d’en jouir mais de les vivre et de les aimer sans rien choisir ni décider...

 

 

Reclus déjà en nous-mêmes, comment pourrions-nous échapper à la solitude...

 

 

Un destin, un voyage. Mille chemins et mille découvertes. Et autant de questionnements. Comme une boucle sans fin où la curiosité et l’interrogation ne cessent d’attiser cette faim insatiable de connaître...

 

 

Survivrons-nous à notre destin... Qui peut savoir...

Et qui peut connaître le poids de l’âme sur notre vie et notre chemin...

La vie, peut-être, n’est qu’une impasse qui ouvre sur le questionnement. Et le questionnement, la seule voie possible vers la délivrance. Ensuite, en ouvrant une autre perspective, le regard change de main... Et l’impasse disparaît. Les murs – tous les murs – s’effondrent. Et ne reste que l’espace qui se mêle, peu à peu, au regard. Et ensemble ils deviennent présence – celle qu’attendaient notre embarras et notre si dévorant besoin de liberté...

 

 

Serions-nous trop métaphysiquement austères et pesants pour nous livrer aux mille danses du monde ? Serait-ce cette conscience aiguë de la mort et cette sensibilité, si vive, aux mille misères des vivants qui refréneraient nos élans...

Peut-être, après tout, ne sommes-nous nés pour y participer mais pour nous en faire le témoin – en comprendre la trame, les jeux et les enjeux – et offrir notre témoignage et nos balbutiements de compréhension à ceux qui vivent et vouent leur vie et leur âme – toute leur vie et toute leur âme – aux mille danses, si joyeuses et si funestes, du monde...

 

 

Nous avons cherché en vain – tous autant que nous sommes. Et nous n’avons rien trouvé – quelques babioles – et quelques consolations peut-être – comme une maladroite façon de passer le temps et de traverser les jours... Mais rien ni personne n’a jamais su parfaitement refléter notre visage. Et, à présent, la solitude a tout envahi : la vie, le cœur, l’âme, la maison, le jardin et jusqu’à ces rues désertes et peuplées de fantômes... Et pourtant, quelque chose en nous espère encore la rencontre...

 

 

Et nous voilà de retour, mal fagotés – à la mode d’aucun temps – d’aucune époque – devant le monde qui nous dévisage comme si nous n’existions pas – comme si nous n’avions jamais existé... Le regard, la présence et l’Amour sont absents dans les yeux des hommes. Leur âme est trop sombre. Et si verte encore... Et voilà que cette indifférence nous rappelle à nous-mêmes. Nous enjoint de regarder – et de trouver en nous – ce qui regarde et ce qui attend. Et de les distinguer pour pouvoir répondre aux besoins de l’un et aux exigences de l’autre. Et de cette distinction pourront alors émerger progressivement le regard et la compréhension de notre mystère si profondément lié à celui du monde et de la vie...

 

 

Le temps aussi nous oubliera. Tout continuera. Sera comme avant et changera – se transformera et se renouvellera. Mais la chair aura disparu, prise par la mort – défaite et recomposée – et renaissante bientôt, ici ou ailleurs qu’importe... Et le regard demeurera. Seul et sans support peut-être – ou dans les yeux d’un autre, à peine frémissant – à peine balbutiant comme notre (pauvre) parole qui tente de dire ce qu’elle ne peut comprendre – et ce qu’elle effleure seulement peut-être...

Et, sans doute, regarderons-nous encore avec cet éclat et cet effroi au fond des yeux... Et, sans doute, continuerons-nous de rester silencieux – sans voix – face au silence et à toutes les énigmes du monde dans cette perpétuelle ignorance de nous-mêmes...

 

 

Et ces vents – et ces souffles – sur l’horizon qui emportent tout : la vie, les rêves, le jour, la nuit et les visages, fiers ou geignards. Ne laissant sur les plaines que la mort et la poussière. Et ces cris – et cet effroi – sur les lèvres des vivants...

 

 

Et d’autres cauchemars nourriront notre nuit. Et nous chanterons encore entre nos rêves et le silence. Comme si le sommeil n’existait pas...

 

 

Terrassés par les mouvements du monde et le silence. Dans cette incompréhension de tout. Et nous marchons – et marcherons encore – en claudiquant pour chercher un refuge – un lieu où l’on pourrait échapper aux tourments de vivre et à la mort. Et nous errons – et errerons encore – entre nos murs borgnes, sur nos terrasses et nos jardins en friche parmi toutes ces ombres que le soleil peine tant à pénétrer...

 

 

Le rideau noir est tombé. Demain n’existera pas. Demain n’existera jamais. Mais l’instant est encore trop cruel – trop pur sans doute – pour s’y abandonner. Un autre jour peut-être, nous irons sans carte ni certitude rejoindre l’éternité...

 

 

Ici, tout se déchire – et s’efface. Tout s’en va – emporté ailleurs – on ne sait où... dans la nuit qui s’étire toujours plus loin – jusqu’au bout de l’horizon sans doute – ou dans le jour – cette promesse de lumière qui aveugle encore nos yeux si lourds d’espoir – et si tristes de ce pauvre séjour – de cette malheureuse expédition – avec ses mille départs et ses mille abandons – et nos mille rêves de rencontre. Et nous voilà chavirés, sombrant dans la solitude et la désespérance... aussi seuls et désespérés qu’au jour de notre naissance...

Et de déchirement en déchirement, que restera-t-il de notre vie ? Que deviendrons-nous lorsque tous ces lambeaux nous auront été arrachés ? Le néant nous disent les hommes. La lumière – le regard et la présence – nous disent les sages. Et nous autres, ni vraiment hommes ni vraiment sages, nous continuons à regarder la vie et le monde – et les mille circonstances – nous déchirer sans même l’espoir d’une accalmie – sans même l’espoir d’une fin – allant toujours entre le néant et la lumière vers ce regard – vers cette présence...

 

 

Des rêves de chemins. Et des espoirs de montagne. Et cette glu qui nous cantonne dans la plaine parmi ces visages étrangers – presque abstraits. Alors nous faisons briller, au centre de la page, quelques taches noires pour ne pas désespérer davantage – et garder espoir d’ouvrir, un jour, les yeux sur l’aridité des ténèbres et sur le soleil déjà présent au-delà des horizons – au cœur même de notre tristesse...

 

 

Nous attendons le monde – et chaque matin – et chaque recommencement – en espérant davantage... Comme si nos larmes pouvaient être asséchées par les visages et le soleil qui, chaque jour, revient...

Que serions-nous sans les miroirs ? Et comment vivrait-on sans leurs mille reflets ? Avec, sans doute, un peu plus de noir au fond des yeux – avec un peu plus de noir aux fenêtres – et avec l’âme encore plus sombre, plus sombre que jamais, et aussi seule que nos joues humides et grises de cendres face aux ruines, si indécentes, de nos vies – ces constructions si dérisoires bâties pour échapper à la mort et, peut-être, à l’ennui... Aujourd’hui nous ne savons plus. Nous sommes las. Et la mort est déjà là qui nous emportera bientôt...

Et, pourtant, entre les ombres, les ruines et les cendres – et au cœur même des charniers – la lumière nous sourit déjà – présente partout jusque dans nos yeux incrédules et nos larmes. Et devant cette évidence, nous rions et nous pleurons sans même savoir si c’est la tristesse ou la joie qui nous traverse... Nous ne savons pas. Et nous ne sommes peut-être plus... A peine un regard – à peine une attente – à peine ce qui vient sans doute – cette offrande inespérée : ce grand soleil inconnu et incertain – plus fragile que nos jours – et plus fragile que nos vies...

 

 

L’or des chemins – et l’or des visages – ne soulèveront que quelques pierres – quelques collines ou quelques montagnes peut-être... Mais sur la balance, les frondaisons resteront immobiles. Le silence narquois. Et la lumière plus vive – et plus brillante – que d’habitude. Comme pour nous interdire d’y toucher – et de nous en servir pour agrémenter notre existence...

 

 

Ouvrir son âme à la vérité, au bleu du ciel, aux sourires des visages, à la lumière du jour et au silence, il n’y a, sans doute, pour l’homme, de plus belle espérance...

Et de cette ouverture – de ce passage de l’âme du néant et des ténèbres à l’évidence du jour – pourront naître le chant des bêtes et des pierres et les révérences gracieuses, et infiniment reconnaissantes, des arbres et des fleurs. Et tous comprendront que nous avons fini par rejoindre (par retrouver) notre destin après nous en être si atrocement écartés – et qu’il nous appartient désormais d’y plonger pour aller entre les nuages et les cimes – entre la brume et la nuit – en embrassant les circonstances offertes par les Dieux et les paysages de la terre...

 

 

La mort est toujours présente parmi nous. Au côté de la lumière. Et ce sont elles qui nous guident inlassablement sur les chemins. Comme une invitation à les rejoindre – et à les traverser – pour retrouver notre premier visage...

 

 

Comment rendre hommage aux morts sinon en vivant de la plus présente façon – et en se mettant au service de ce qui est et du silence – pour faire émerger (retrouver peut-être) cette joie qui nous faisait tant défaut à l’heure de leur départ...

 

 

D’autres passants nous appellent. Et nous voilà déjà à répondre à leurs demandes – et à leurs exigences. Comme si nous n’en finissions jamais de renaître et de servir...

Et, sans doute, ne sommes-nous nés que pour cela... La vie n’a d’autre mission – ni d’autre message – à nous offrir : aimer et aider jusqu’à nos dernières forces...

Mais qu’il est âpre – et parfois même difficile – de s’y livrer sans rechigner lorsque se dressent devant nous les visages si archaïques des hommes et la fureur, si féroce, des bêtes à dévorer la chair...

 

 

Le monde, sans doute, restera une fable où les masques et les mensonges continueront à prendre possession de tout. Dévoilant le strict nécessaire pour vivre, exister et briller encore – et briller davantage – et exploiter et se servir plus encore. Et voilant l’essentiel, le silence et la vérité – la misère et l’hébétude des visages – et la souffrance des âmes dont on nie le droit de savoir et le besoin de liberté...

Et les hommes continueront de marcher, effarouchés, sous le joug des promesses – et sous le joug de l’espoir – sans porter leurs yeux derrière les secrets que les puissants inventent – et que les masses – la foule et les peuples – reprennent en chœur...

Et il nous faudra, pourtant, un jour – chacun – vaincre le sacre de l’ignorance pour se libérer des faux présages – et découvrir ce que nous sommes. Le monde alors se transformera – pourra se transformer. Et l’essentiel, le silence et la vérité seront respectés – et encensés. Et les visages et les âmes pourront enfin connaître la joie...

 

 

Il n’y a rien dans la mémoire : des images et des idées – mille choses inutiles – fonctionnelles tout au plus... Le monde n’a besoin d’aucun souvenir. Il n’aspire – et nous n’aspirons – qu’à l’Amour. Et l’Amour ne se construit. Il se découvre dans la plus haute nudité de l’âme – et dans le plus grand dépouillement de l’esprit – lorsque tous deux savent entrer ensemble dans la prière et le silence... Le monde, les rondes et le regard alors se libèrent en laissant le passé en ruines – en cendres – inutile...

 

 

Combien de morts sacrifiés sur l’autel des désirs... Et combien de morts ensevelis dans les charniers du rêve et de la passion... Et combien de vivants, suffisamment sages, pour s’en éloigner – abandonner le monde à ses instincts – et laisser l’attente se transformer en silence...

 

 

Par la fenêtre, le jour est arrivé. Et dans le regard, cette beauté que seule l’âme innocente peut transmettre... Et les berges – tous les rivages – soudain s’éclairent. Le sable, les puits et la mer. Et sur les visages se dessine cette douce clarté de l’aurore. Et la maison entière s’illumine. Comme si la nuit – et les malheurs – n’avaient jamais existé...

 

 

Comme le bleu parfois nous trompe à l’heure de l’infini... Comme si émergeait entre les pierres un visage défiguré que l’on transformerait en idole aux allures de saint originel et immaculé... Et les lignes – noires toujours – pourraient encore se croiser devant nos yeux crédules – et nous pourrions voir, au loin, s’échapper une épaisse fumée, nous prendrions toujours la cendre pour des ailes et les cris pour un chant comme si tout était encore habillé de songes et de neige entre les ombres et les nuages – au plus près, pourtant, de l’envol et du silence. Comme s’il nous était impossible d’imaginer que les jours puissent être laids sous tout ce gris. Comme si nous espérions encore que la pluie puisse se transformer en soleil...

 

 

Le silence devient plus intense. Moins pollué, peut-être, par ces bruits et ces cris à l’intérieur qui ne peuvent toujours supporter la mort – et qui espèrent encore la rencontre et les gestes véridiques de l’Amour...

Et pourtant, au creux de toutes les âmes – tristes – défaites, j’entends ce rire immense qui perce sa route entre les étoiles – brillantes toujours dans les rêves des hommes. Et qui attend notre visage et notre silence...

 

 

Dans l’obscurité, il y a une inquiétude – celle de l’ignorance, de l’incertitude et de l’inconnu. Le noir est (toujours) parfait dans l’abîme. Et il conditionne notre vie : la grande cécité de l’âme qui devine pourtant à travers quelques rares rais de lumière qui lui parviennent de l’autre côté du monde – de son versant lumineux – que l’obscur n’est pas la règle – et que l’aveuglement n’est pas la loi – et qu’il existe des courbes, des allées, des étoiles, et même des mondes, aussi clairs que le jour et aussi blancs que l’innocence...

 

 

A qui resterons-nous fidèles sinon à notre visage (en devenir) – et à notre seul visage à venir. Les siècles – et la mort même – ne sauraient nous pousser ailleurs...

 

 

Humble dans le noir – après la fin de ce grand orage qui résonne encore, je regarde la nuit ici – là-bas – qui s’étire au loin – et que nous réussirons peut-être à franchir ensemble...

 

 

Le soleil terrestre à qui est-il destiné ? Aux corps ? Aux visages ? A la chair vivante ? Aux peaux qui se lézardent en attendant la mort ?

 

 

J’ai quelques lignes, quelques pages et, peut-être même, quelques livres à offrir. Mais je n’ai qu’une parole – celle qui nous fera entrer dans le silence...

 

 

Creusée à même la rive, cette lumière bleue – presque oisive – qui s’avance, à présent, sans bruit...

 

 

Qu’apprenons-nous dans notre chambre – et sous le ciel de cette terre ? Qu’apprenons-nous des oiseaux qui passent – et de leur chant à l’aube... Qu’apprenons-nous de nos espérances – et de ces mille mains qui réclament leur pain – et un peu de paix peut-être versée parmi les réjouissances... Qu’apprenons-nous des mots... Et que saurait nous dire encore la parole des poètes...

 

 

La beauté du monde et des visages. Comme une évidence. Et leur cinglante réalité aussi. Et que pouvons-nous espérer sinon qu’ils nous révèlent, avec leur vérité, notre vrai visage...

 

 

Et nous voilà soudain – et depuis toujours – aussi désarmés que l’agneau devant le couteau du boucher qui, à l’abattoir, ôte la vie pour offrir la pitance à quelques bouches affamées... Et nous voilà réduits à cette chair offerte en pâture à ceux qui ont faim...

 

 

Et si nous faisions tous semblant de ne pas savoir pour supporter l’insupportable de cette vie, le poids du monde et les crocs (tenaces) de la mort qui s’avance vers nous... Comme des enfants mimant la réalité pour survivre à ses jeux. Comme des bouches et des mains agrippées à la chair et au sang, mais qui attendraient, en vérité, qu’on leur ôte le voile qui les sépare de la lumière – de ce ciel bâti par les innocents pour leurs frères prisonniers des rêves de la terre...

 

 

Distraits par les récoltes des saisons, nous plongeons les mains dans le sable, encore humide de sang, en regardant vaguement les étoiles – et en nous disant que nous sommes encore là à ramasser quelques riens alors que peut-être, la vérité – quelque chose de plus grand – nous attend quelque part – en un lieu que personne ne connaît – et dont personne, sans doute, ne revient... Et nous songeons alors à notre solitude parmi tous ces visages familiers – mais si étrangers encore – comme si nous vivions depuis toujours sans connaître personne... Et nous avancerons – continuerons d’avancer – ainsi – inconnus de nous-mêmes – et inconnus parmi les inconnus – vers ce qui, comme nous l’espérions, nous sauvera peut-être...

 

 

A qui appartenons-nous ? A quels maîtres offrons-nous notre besogne de forçat... Et tous ces efforts à creuser, à fouiller et à amasser le sable à qui les destinons-nous... Avons-nous seulement une idée, même vague, de ce que nous sommes – et de ce que nous pourrions être, et faire, une fois libérés de notre joug...

 

 

Entre le ciel et la brume, cette chambre où nous faisons les cent pas – pas perdus, pas tristes et pas de fureur – en attendant je ne sais quoi... La mort peut-être...

 

 

Entre le rêve et l’attente, à quelques encablures du ciel. Et cet étonnement de l’enfant face à la main qui s’avance – face à la lumière. Et plus tard, cette voix presque silencieuse – et cette foulée innocente – comme si nous nous promenions nus dans le monde...

 

 

Rêver plus haut que la beauté pour offrir au monde un miroir où seraient reflétés, au côté de la laideur, un visage attentif et quelques mots bienfaisants. Un peu de lumière sur tant d’ombre et d’obscurité...

 

 

Nos traits plus assoupis que le soir vieillissant. Et ce cœur qui bat encore dans les épreuves. Comme une vie sans retour – à la progression méthodique – effarouchée à la moindre alerte – à la moindre menace. Et ce grand sommeil qui nous emportera. Et la mort qui arrachera leurs rêves à tous les somnambules...

 

 

Quand donc émergerons-nous, avec le réveil, de cette paillasse où la paille sert à tous les usages...

 

 

Qu’y a-t-il donc au bout de la mer ? Ainsi peut-être s’interrogent les vagues emmenées toujours plus loin entre les rives et l’écume – et qui, un jour, mourront sur le bord d’une plage. Et au cours de leur long voyage, quelques-unes peut-être découvriront la nature de l’eau pour aller, vivre et mourir, dans la joie d’un seul regard – celui qu’elles porteront sur elles et sur l’horizon au loin, là-bas, qui a déjà fraternisé avec le ciel...

 

 

Le froid arrive avec l’hiver – et la bise. Et nous voilà grelottant sur la jetée au bord de l’infini – aussi seuls et aussi humbles qu’au cours de la traversée brève des mondes. Et le pardon appuyé contre la joue, avec quelques larmes comme un remerciement silencieux à la terre qui nous a accueillis. Et nous rions et nous pleurons en laissant ivre, et perdu peut-être, le cœur de l’homme qui bat encore en nous. Et nous nous défaisons de tout son poids et de tout son embarras pour aller aussi nus que le souffle premier qui, un matin, au premier jour des saisons, nous enfanta...

 

 

Le cœur des pierres plus sage que celui des hommes. Plus léger et moins froid que nos passions qui ont délaissé le jour pour voler – et avaler – un peu de chair qui flottait à la dérive, sans doute, entre son port et ses attaches. Et entre nos doigts, encore un peu de sang. Et sur nos joues, ces larmes tièdes comme une offense à ce qui, un jour, nous chassa du ventre des rivières – des entrailles si réconfortantes de la terre... Notre seule faute aura peut-être été de prêter nos jours à la paresse – à cette somnolence. Comme des âmes si peu éprises de l’invisible – ce qui sous la chair, et derrière les larmes, nous hante depuis les premiers jours...

 

 

Et la mort – et la tristesse – frappent encore. Comme si nous n’avions pas d’âge. Comme si le temps et le silence nous filaient entre les doigts – et nous laissaient accroupis entre le désir de vivre (de vivre encore un peu) et l’oubli...

 

 

Le vent et la nuit auront usé nos mains et notre cœur. Et, pourtant, nous nous baignerons encore dans l’eau des rivières – et pleurerons toujours sous la pluie. Et, un jour peut-être, tremblerons-nous (un peu) moins en regardant les flots, les souffles et le noir emporter les âmes au-delà de la mort – en cette terre où l’Amour et le ciel accueillent tous les visages sans se soucier de ce qu’ils ont été – sans demander devant qui – ni devant quoi – ils ont souri et pleuré...

 

 

Aurons-nous réussi à effleurer la beauté malgré la laideur présente sur la terre – et au fond de nos âmes – entreposée là peut-être par quelques Dieux soucieux de mêler à notre destin quelques herbes maléfiques pour offrir au monde et à nos jardins des allures de purgatoire. Comme un juste retour du gris – d’une blancheur enlaidie de rayures noires – qui donnent à nos vies cet air de triste détention...

 

 

Où glisser la parole ? Entre l’âme et le silence. Et sous le sommeil des paupières. Dans les interstices qu’aucun monde – ni qu’aucun visage – ne saurait emplir et combler...

 

 

Et se dressera toujours en nous – et face à nos yeux étonnés – le silence. Ce grand silence du ciel incompris. Et sur le visage des plus chanceux – et des plus sagaces – couleront quelques larmes comme le signe d’une grâce, d’une compréhension et d’un remerciement...

 

 

Entre tous les néants, il y aura toujours le silence. Son accueil et son invisible Amour. Et quelques visages humbles et admirables pour nous inviter (et nous inciter parfois) à les rejoindre – à mettre nos pas dans ceux qui ont su leur dédier leurs jours...

 

 

Au-dedans des fleurs et au-dedans des gestes, et parfois au cœur des livres et des visages, se cachent, entre la pluie et le soleil des jours, en-deçà et au-delà de tous les ciels gris, une pépite – un trésor – le silence et la candeur de quelques âmes affranchies du monde, des instincts et des querelles. Et c’est à eux que nous devons la beauté des paysages et des existences encerclés depuis toujours par la laideur, l’indifférence, l’ignorance et la mort...

 

 

L’Amour, peut-être, sépare le soleil du sommeil. Une simple syllabe qui écarte les visages les uns des autres pour ne pas éveiller ceux qui dorment – et ne pas (trop) attrister ceux dont les yeux ont su regarder au-delà de la lune et des étoiles – tous ceux dont les rêves ne sont plus étrangers à cet étrange silence et à cette dévorante clarté, présents au cœur des exigences du monde et des circonstances...

 

 

Un jour, nous nous redéploierons en autant de visages nécessaires pour que nous soient arrachés nos masques et notre misère. Et pour que nous reprenions notre marche, et notre envol, au cœur même des imprévus sur les plaines tristes où les arbres et les figures ont été exilés de leur sol...

 

 

Un jour, nous serons démasqués par nos propres secrets. Et la nuit – et la mort – deviendront un grand fou rire. Un immense fou rire. Et les âmes se feront mille clins d’œil, s’embrasseront sans frémir et riront, elles aussi, d’avoir été trompées par quelques ombres et quelques illusions...

 

 

Et gonflés de lumière, nous irons encore au gré des vents. Nous continuerons nos rondes et nos retraits – nos replis et nos déploiements. Mais sur le visage, sur les noms, sur les lèvres et au-dedans des gestes, le soleil aura laissé son empreinte – quelques marques du silence que nous achèverons de transformer en beauté. Et la nuit – et la mort même – ne pourront plus nous attrister. Nous serons Un – réunis partout toujours – tous ensemble. Et à notre présence s’adossera le monde...

 

 

La patience de la terre et la précipitation du monde. Comme deux ailes mal unies – dissociées – incapables de faire naître le moindre envol...

 

 

Criblés de misère et d’espace – de morts et de silence, nous continuons à marcher – à poser un pied devant l’autre. Nous continuons à vivre – et à sourire au cœur des défaites et des simagrées. Allant en des lieux parmi des visages, tantôt réels tantôt imaginaires. Ôtant nos masques et nos espoirs – nous rapprochant inexorablement de ce que nous cherchons...

 

 

Entre les pierres, l’herbe, les arbres et les bêtes si familiers de la nuit – et si étrangers aux visages des hommes allant la faux à la main, la hache sur l’épaule et le fusil en bandoulière mettre à exécution leur faim et leurs ambitions – tous leurs délires. Marchant vaillants, et si conquérants, de leurs pas décidés – en maître – comme une autorité ignare et insensible qui parcourt le monde, les forêts et les prairies peuplés d’âmes sans un regard – sans Amour et sans poésie...

 

 

[Paroles de Solias]

Dans cette nuit, sois le visage du jour. Sois celui qui est – qui chante et sourit malgré la désespérance et la tristesse des âmes. Sois celui qui aime dans cette foule de figures indifférentes et haineuses. Sois celui qui aide – et accompagne – de ses mots, de ses gestes et de sa présence. Sois celui qui offre – et donne avec justesse à ceux, tous ceux, si nombreux, qui demandent et mendient...

Sois celui par qui arrivera le jour. L’un de ceux, innombrables, qui ont essayé d’apporter avec eux l’Amour et la lumière. Sois celui qui, ignorant, échappe à l’ignorance...

Et demeure humble – aussi humble que les plus humbles de ce monde (et davantage même si tu en es capable...) – pour que ta modeste existence offre aux plus orgueilleux, aux plus inattentifs et aux plus indifférents le miroir nécessaire – et ce que les bêtes et les hommes réclament à travers leurs plaintes et leurs cris...

 

 

Mille détours, et autant d’impasses parfois, pour finir par s’abandonner au silence – et se laisser cueillir par l’insaisissable. Nos errances – et celles du monde – comme le terreau – la préparation à la découverte de l’indicible...

 

 

Et ce mutisme face à la douleur. Et face à la souffrance. Comme une percée du silence dans le plus insupportable à vivre...

 

 

Dans notre tête, un monde où il ne ferait bon naître. Où vivre aurait des allures d’agonie plaintive. Et où la mort même pourrait être bannie... Insupportable...

Mieux vaut encore le bégaiement des âmes, les balbutiements des hommes et la certitude de la fin...

 

 

Dans les bouches noires, il y a des rires, quelques mots et des langues presque analphabètes qui cachent un effroi plus grand – et plus vif – que l’Amour promis à tous les âges...

 

 

Des phrases, des étoiles, un ciel. Et cette voix atone, et envoûtante, qui annonce la venue de l’innocence – et le sacre prochain de l’Amour et du silence. Et tous ces bruits – et tous ces rêves – qui s’impatientent avec ferveur. Comme si nous pouvions faire émerger quelques chose qui n’est jamais né...

 

 

Il y a plus d’un état derrière l’aveuglement – et dont l’ignorance toujours est le pilier. Et mille poèmes – et mille silences – ne sauraient faire éclore ce qui ne peut arriver avant l’heure...

 

 

Aurions-nous pu faire autrement nous qui n’avons su faire... Aurions-nous pu vivre autrement nous qui n’avons su vivre... Aurions-nous pu être autrement nous qui n’avons su accueillir ce qui nous a été offert...

 

 

La mort en hiver. Et cette joie pourtant qui demeure. Comme un vent – comme une rosée – sous un soleil noir. Et ce rire dans l’haleine des disparus qui accompagne nos larmes. Et cette lumière jusqu’au cœur du tombeau. Et cette flamme qui brûle la chair et les os – et les transforme en poussière. Et cette cendre qui appelle nos vies – et nos œuvres – à sourire devant la mort. Comme si le printemps allait revenir bientôt...

 

 

Nous vivons comme si Dieu n’existait pas dans la douleur. Ni dans la tristesse ni dans la mort. Comme si Dieu n’avait voulu – et espéré pour nous – que la joie et le bonheur. Mais comment pourrions-nous le rencontrer si la souffrance n’existait pas. Comment pourrions-nous ôter le superflu – ces couches impotentes qui voilent toute possibilité – si les circonstances ne répondaient qu’à notre désir d’être heureux. Nous serions comme les pierres – engluées dans l’indifférence – enfermées dans leur gangue de terre – sans la moindre peine ni la moindre question – insensibles sans cet effroi nécessaire à la compréhension...

 

 

Dans la proximité de la mort, la pluie sera toujours noire pour les yeux. Mais au cœur de chaque larme versée, l’âme saura reconnaître cette lumière promise aux innocents...

Il faut avoir beaucoup pleuré pour devenir sage – et qu’apparaisse le rire au milieu des vivants et des morts. Le silence sera notre seul appui. Et en son cœur, l’écoute saura déjouer les pièges des images et de la mémoire – et de cette fausse espérance d’un paradis. L’âme jamais n’aura d’autre allié pour se recueillir, joyeuse et sereine, parmi tous ces désastres...

 

 

Dévorant, puis dévoré par la vie, le désir, l’espoir, les souvenirs, les vivants et les morts. Ainsi vit-on, puis nous enterre-t-on dans la terre. Et ainsi persiste notre image dans la mémoire de quelques âmes...

Il faut beaucoup de silence – et une innocence d’envergure – pour échapper à tout appétit... Ce que l’on nomme la sagesse peut-être – lorsque l’on sait se tenir serein parmi les bouches et la faim – et sensible et accueillant auprès des mains qui saisissent, des dents qui déchirent la chair et des estomacs qui avalent, se nourrissent et recrachent les surplus...

 

 

Ce regard – et nos âmes – prisonniers de nos vies si passagères. Contraints de passer encore et encore d’un état à l’autre – d’une existence à l’autre – au gré des ignorances et des compréhensions. Comme condamnés à une étrange éternité où se côtoient tous les visages, toutes les malices, toutes les merveilles et toutes les abominations – déclinés en un arc-en-ciel changeant et bigarré comme les variations infinies d’un même paysage offert à une seule présence, éparpillée en mille yeux différents, et si maladroitement étrangers, sur mille chemins parallèles et entremêlés...

 

 

Nous pleurons comme si le monde pouvait nous consoler... Et comme si le silence et l’éternité attendaient nos larmes pour se montrer enfin...

 

 

Et cette voix qui nous parvient entre les lignes sombres de l’horizon – entre le silence, les bruits et les cris du monde. Comme un parfum discret, et tenace, au cœur du poème – au milieu des visages – parmi cette glaise encore suintante de sang...

 

 

Les insurmontables difficultés du monde. L’indécision et la paresse trop fervente des hommes. Et le labeur mécanique de leurs mains. Comme si nous ne pouvions échapper à ce que nous avons bâti... Et comme si subsistait l’espoir de vivre...

 

 

Jamais parti. Jamais revenu. Le lieu de la rencontre...

 

 

Nous avons ri et nous avons pleuré. Et il est temps à présent de regarder, de comprendre et d’aimer...

 

 

Jour après jour, le temps qui passe comme un éclair. Dans cette brume et sur ces peaux violacées à force de coups. Et si nous touchions la mort avant qu’elle ne se dérobe... Et si nous embrassions l’éternité avant de mourir... Et s’il nous prenait (enfin) l’envie de vivre comme des fous en attendant la sagesse...

 

 

Aux confins de l’esprit – de la mémoire peut-être – des voix m’appellent – et me chuchotent leurs secrets. Plus réelles, plus belles et plus sensées que celle des vivants. Et je dialogue avec elles. Et je les écoute me parler du silence et de l’éternité. Et je les questionne – et elles me répondent, le plus souvent, avec ma propre voix, étrangement calme et un peu déformée. Et je m’assois dans ce curieux soliloque où tous les visages sont égaux, et presque invisibles, et où seules comptent l’authenticité de la parole et l’honnêteté de l’âme. Et j’entends la vérité (partielle sans doute) se livrer par pans entiers sans savoir si elle émane de la plus grande folie ou de la plus haute sagesse. J’apprends ce qu’elle m’enseigne – et m’en remets au silence pour m’éclairer sur ces incroyables leçons de vie où les frontières, toutes les frontières, sont franchies ou effacées – où l’Autre n’est plus un visage étranger mais une part de soi méconnue et où le « je » n’a davantage de réalité que la brume qui se lève le matin pour célébrer l’ignorance et la lumière du monde...

 

 

La solitude a notre visage. Et il rend notre destin plus réel que nos songes – tous ces rêves communs où nous avons plongé nos têtes et le monde...

 

 

Quelque chose toujours disparaît ; un parfum, une respiration, un visage, un destin. Et de cet effacement, quelque chose (d’autre peut-être...) apparaît ; un destin, un visage, une respiration, un parfum. Et dans cette continuité, aux allures discontinues, demeure un regard en amont – en surplomb de toute présence. Comme l’évidence que l’éternité habite au-delà – et au cœur – de l’évanescence. Comme si le fugace était le prolongement de ce qui dure – et qu’en son centre, et partout alentour, demeurait ce qui ne peut mourir...

 

 

Peut-être n’aurons-nous été qu’un signe – qu’un visage – qu’une main tendue – dans un monde de fantômes...

Peut-être n’aurons-nous eu d’autre destin que celui d’apprendre à vivre et à aimer... Peut-être n’aurons-nous vécu que pour nous dévoiler et dire ce dévoilement... Peut-être n’aurons-nous découvert que la part de Dieu accessible à l’homme... Peut-être n’étions-nous destinés à d’autres usages – et que notre place était entre cette soif et cette lumière – dans cet imparfait visage...

Et peut-être irons-nous, à présent, dans la joie après avoir été rongés, et rompus, par la tristesse et la mort... Et peut-être serons-nous invités à y demeurer jusqu’à la fin du poème – jusqu’à la fin des jours – sans que nous épargnent, bien sûr, la traversée du monde et la continuité de la tristesse et de la mort...

Et peut-être serons-nous amenés comme chacun – chaque être, chaque homme, chaque bête, chaque plante, chaque pierre et chaque étoile – à poursuivre inlassablement notre route par-delà les circonstances...

 

18 décembre 2017

Carnet n°130 Vivant comme si...

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

A la frontière de mille mondes – à la frontière, peut-être, de tous les mondes – l’oubli est la seule droiture – la seule espérance. Entre ici et là-bas. Entre les jours et les instants qui passent. Entre la brume et l’horizon. Nous vivrons toujours au milieu de tous les gués. Entre l’herbe rase et la cime des plus hauts arbres avec partout autour de nous, les bruits – les mille bruits – de la terre et le silence – et cette prière que l’on n’entend que de l’intérieur lorsque s’éteint l’écho des horizons et que l’âme devient enfin mûre pour s’abandonner sans résistance – et retrouver son envergure ancienne. La main alors devient juste. Et, comme la parole, elle célèbre et sert ce qui se trouve devant elle...

 

 

A force de vivre, nous engorgeons la soif. Au lieu de dénicher le secret de tout désir...

 

 

A l’envers de tout, il y a cette cambrure de l’âme qui cherche sa verticalité. Et que nos pas piétinent – et que nos gestes tordent – au lieu de redresser...

 

 

Tous les départs laissent un goût de jour inachevé...

 

 

Au-delà du visible, il y a l’horizon. La perpétuelle nuit du monde. Et en-deçà, on ne sait pas... Le silence et la vérité peut-être... Ce que les hommes appellent Dieu – l’invisible – l’innommable...

 

 

Il nous manquera toujours un pas pour atteindre la vérité. Le dernier...

 

 

L’origine de l’apparition tient peut-être en quelques mots : le mystère, le silence, le désir et l’Amour. Ou, dit autrement : la lumière, l’ennui et le goût de l’Autre et de l’ailleurs...

 

 

[Lassitude – presque poésie*]

Je n’ai qu’une seule famille – et qu’une seule patrie : l’écriture. Et je m’y sens bien seul. Les autres ? Je ne sais pas ce qu’ils font – à quoi ils passent leur vie... Je n’ai connu – et ne connais – personne. J’ai vécu seul – et la solitude parmi les hommes. J’ignore à quoi se suspendent les autres visages. Je vois – et j’ai vu – leurs yeux quémander l’Amour – mendier n’importe quoi. Moi, je continue d’errer sur ma branche – sur ma feuille – à la recherche d’un regard – d’une présence – d’un oiseau qui s’envolera – et viendra peut-être se poser près de moi...

* En clin d’œil-hommage à Roberto Juarroz

 

 

Tout labyrinthe est chaotique. Et profondément intime. Et on ne s’y meut que pour y échapper – ou voir ses murs disparaître. Et si d’autres s’y promènent – ou y habitent quelques fois, ils ne sont jamais des alliés – mais des obstacles supplémentaires pour rendre plus âpre encore notre épreuve, excepté, bien sûr, le silence et l’invisible qui le parcourent avec nous (depuis toujours), juchés tantôt sur notre âme tantôt sur nos épaules. Discrets et légers en toutes circonstances mais perceptibles déjà avec les premières souffrances – avec les premières larmes...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

J’attends le soir. J’attends la rosée – le passage des oies sauvages – le sourire des pâquerettes à l’aube, encore toutes ensommeillées de la nuit. J’attends le jour. J’attends le chant du merle. J’attends que l’or émerge des visages. Et mon attente parfois est comblée. Et, un jour, la mort m’emportera...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

J’aimerais partir parfois. Et pourtant je reste là – presque immobile. Pendant des heures – pendant des jours. J’attends une chose qui ne vient pas...

 

*

 

Autrefois j’étais en colère que rien n’arrive. Aujourd’hui, je m’en amuse. La solitude aussi a ses joies...

 

 

Le désir de poursuivre toujours s’impose. L’après – et la suite impatiente des chemins, des jours, de la mort... Et pourtant, tout nous précède déjà. Avant même le premier pas, notre fin est scellée. Et pourtant, de toute évidence, cette fin ne finira jamais. Pas davantage que nous n’en finirons d’aller...

Toujours nous marcherons ainsi dans l’incertitude de cette fin interminable avec la compagnie permanente de l’éternité à nos côtés – posée là quelque part au-dessus de nos têtes – et cachée par notre désir fou d’aller un peu plus loin et un peu plus haut – vers cet après qui n’en finira jamais...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

Il y a peu de visages dans ma vie. Celui des chiens, celui de l'herbe et celui des arbres. Et celui du ciel qui, chaque jour, me rend visite. Souvent il s’arrête sur le seuil de la porte comme s’il hésitait à entrer dans la maison. Parfois il s’assoit à mes côtés. Et nous restons assis en silence pendant des heures – comme de vieux amis, l’un, sans doute, un peu plus sage que l’autre... La parole ne compte pas. Seule la présence – notre présence – est essentielle...

 

 

Au bout du compte – au bout des pas, nous nous soumettrons toujours à la cécité de cette marche avec l’invisible bénédiction de ce qui demeure...

 

*

 

Peut-être, et en fin de compte, serons-nous toujours ce pas et ce cri lancés au silence qui nous reviendront comme un écho déformé pour nous inviter à poursuivre... Le malheur serait d’y consentir avec la faim vissée au cœur... Et le bonheur, peut-être, de s’y soumettre sans appétit – et avec l’âme obéissante – et joyeuse d’offrir sa foulée...

Ainsi toujours nous roulerons des sommets jusqu’aux vallées – et remontrons péniblement vers les cimes pour retomber de nouveau avec l’acquiescement sage – et, sans doute, hilare – du silence.

Et de visage en visage s’approchera irrémédiablement le désert – la grande solitude du désert – où nous marcherons et crierons plus encore en alignant les errances comme autant de cris, de pas et d’incompréhensions. Comme livrés à notre insu à l’absurdité de cette marche – et à sa beauté, à ses jeux et à ses joies aussi – dans la plus grande proximité de la sagesse et avec son incompréhensible consentement...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite)]

J’aimerais être aussi présent que le ciel auprès des visages que je croise parfois. Mais il y a un silence trop pesant entre nous – avec trop de pensées et trop de gestes – et beaucoup trop de désirs encore – pour que notre présence et notre silence – plus légers – si légers – soient compris et entendus...

 

*

 

La plupart du temps, les visages m’ennuient ou me blessent. Je n’ai pas encore la sagesse du ciel. Devant eux, je ne sais rester indifférent...

 

 

[Lassitude – presque poésie (suite et fin)]

Il y a sur ma table quelques livres. Quelques feuilles blanches, un stylo à bille et un vieil ordinateur. Et j’écris, chaque jour, à la lumière du ciel. Et lorsque les jours se font trop sombres – ou trop gris, j’allume la petite lampe posée près de la fenêtre. Elle offre à mes lignes la lumière que je n’ai pas su capter du silence...

 

 

[Lassitude – presque raison*]

En définitive, la vie n’est sans doute qu’une longue suite de désappropriations – des plus extérieures aux plus intimes – des plus grossières aux plus subtiles... Et qu’une continuelle invitation à s’y livrer sans tristesse ni espoir de réappropriation – avec un esprit toujours plus vierge, libre et ouvert...

Et Dieu sait pourtant que nous résistons de toutes nos forces à cet appel incessant de l’innocence... Des années, des vies, des siècles – et des millénaires peut-être – sont nécessaires pour nous soumettre par la force des choses – et, en général, plus résignés que consentants – à ce processus et à cette perspective. Comme si nous étions contraints de passer de la croyance d’être maître de notre vie, de nos gestes et de notre destin et propriétaire de nos biens, de nos terres et de nos pensées à l’évidente certitude que nous ne sommes que de simples et provisoires passants – et de dérisoires instruments destinés à servir – et à être utilisés selon les exigences de la vie et du monde – selon les nécessités du réel dans le grand dessein de Dieu (pour parler un peu pompeusement)...

* En clin d’œil-hommage à Roberto Juarroz

 

 

[Lassitude – presque raison (suite)]

Lorsque nul ne vous offre rien – aucune main ni aucun visage – excepté, bien sûr, ceux de la vie à travers les incessantes offrandes du monde, il est parfois difficile de vivre – et d’offrir sa présence, son amour et sa générosité – sur cette terre peuplée de bouches affamées et plaintives – si féroces et réclamantes...

 

*

 

Et nous aussi qui nous plaignons (ne serait-ce que de cet état des choses...) et réclamons de temps à autre, nous devons recevoir. Et c’est à notre seule présence (à cette présence – à cette part mystérieuse en nous) qu’il revient d’écouter nos plaintes et d’offrir ce que nous demandons...

 

 

[Lassitude – presque raison (suite)]

S’accepter – soi, ses défaillances, ses bassesses, ses manquements et ses lâchetés – dans la difficulté, la misère et l’épreuve, il n’y a d’aide plus efficace, de meilleure thérapie et de plus juste accompagnement...

S’auto-aider (si l’on en est capable – et parfois, il est vrai, nous n’en avons ni la force ni le courage...) sera toujours la voie la plus directe et la plus efficiente pour nous extraire – et nous sauver provisoirement sans doute – des affres et des gémissements de l’individualité...

 

 

[Lassitude – presque raison (suite et fin)]

Être – et vivre – aussi nu et innocent que les bêtes, ces chers et si précieux amis, avec peut-être, en surcroît, cet affranchissement des instincts...

 

*

 

Que pourrions-nous faire – et que pourraient faire le corps et l’esprit – sinon se laisser porter (et mener) par les circonstances et les usages puisque toute résistance au cours des choses sera, tôt ou tard, balayée et anéantie...

 

 

Humble parmi les humbles avec encore, au fond de l’âme, un peu d’orgueil. Cette maladie, peut-être incurable, des hommes...

 

 

Et cette odeur de mort qui flotte un peu partout... Et cette main qui coupe les têtes – et aiguise sa faux sur tous les squelettes – en suivant à la lettre les consignes des Dieux. Et l’homme, blessé par tous les départs et tous les au-delà, qui s’échine à résister en s’arc-boutant de toutes ses forces contre cette main qui s’approche – et s’abattra bientôt...

 

 

Au premier son du langage, le silence tenait encore debout. Avec les alphabets, il commença à vaciller. Aujourd’hui – et depuis si longtemps déjà – les langues le piétinent – et l’oublient – pour inonder le monde d’informations et de nouvelles. Et lui qui, dès l’origine – dès les premiers borborygmes et les premiers dialectes – n’attendait qu’une parole pour le célébrer...

 

 

Quand deviendrons-nous enfin las des kermesses et des foires d’empoigne ? Quand serons-nous enfin capables d’étendre notre pas jusqu’au silence pour que le désir et la violence éclatent en lumière – et que notre parole devienne l’un de ses éclats...

 

 

Il y avait – il y a – et il y aura toujours des morts. Des milliards de morts et quelques vivants à l’oreille sourde – et à l’œil ignorant – qui ne connaîtront peut-être jamais la beauté de la vie et de la mort – et la justesse des mille naissances et des mille effacements...

 

 

Nous survivons en haillons – et qu’importe les parures et les colliers... – sans savoir qu’il nous faut être nus pour vivre – et célébrer la mort et le vivant – et goûter la lumière – et ce peu de silence qu’il reste parmi tous ces bruits et les éclats, si ternes, de nos vêtures...

 

 

Au milieu de tout ce qui passe, s’enlace, se mord et s’efface. Et au milieu du silence et de la lumière malgré les bruits qui courent et la nuit qui s’avance – et qui dure encore – et qui durera peut-être toujours. Comme une éternité – une présence si belle et si vaillante – au milieu du noir. Au milieu des jours. Au cœur de chaque instant...

 

 

Visages, villes et cités bravant la poussière – cette fierté de l’homme à ajourner la cendre – eux aussi, un jour, mourront – balayés par les vents et ensevelis sous la terre...

 

 

C’est l’âme – et son secret – qui portent les bêtes et les hommes partout sur leurs citadelles et sur leurs routes – dans leurs jardins et dans leurs refuges. Au nom du silence – au nom d’un seul instant. Les laissant défier les visages, déjouer les pièges, braver les épreuves et avancer coûte que coûte, contre vents et marées, pour suivre leur sillage...

 

 

Et dans l’éclat de la nuit et les jardins à l’abandon – et parmi toutes les affres de la terre, le nom de l’homme. Et derrière, invisible encore, la malice des Dieux. Et enfouie plus loin encore, la souveraineté du silence. La seule – notre seule – raison de vivre...

 

 

Tant qu’un doigt montrera la lune au cœur de la nuit, les hommes croiront en la hauteur, en la grandeur et en l’inaccessibilité du ciel et de la lumière en s’imaginant devoir suivre un mouvement ascendant en empruntant je ne sais quel(le)s improbables échelles ou escaliers, seule issue possible, à leurs yeux, pour échapper à l’étroitesse et à la misère de leur existence... Ainsi la vie, le monde et l’infini demeureront imaginaires – de purs fantasmes. Pour y remédier, il conviendrait d’inverser la perspective – et de définir le réel, et, en son cœur, le silence, comme l’unique point d’entrée. Ainsi seulement l’homme pourra embrasser l’Absolu...

 

 

Les civilisations encore debout malgré l’heure tardive. Plus hautes et plus vaillantes qu’autrefois, s’imaginant approcher – et ouvrir peut-être – un ciel qui n’existe pas – et qui n’a, sans doute, jamais existé que dans leur imaginaire et leurs ambitions. Ignorant toujours avec détermination tous les en-bas salvateurs – oubliés et piétinés par la nuit et les mains et les prunelles toujours aussi avides d’en-haut, de promesses, d’espoir et d’ailleurs...

 

 

Grandeur et misère. En haut et en bas. L’indéchiffrable chemin de l’homme entre la chute et l’ascension. Les résistances et le délitement de l’orgueil. La progressive nudité. Le pas à pas laborieux vers l’innocence. Et la découverte inespérée du silence – et l’Amour et la lumière, ces compagnons (de toujours) cachés plus profondément encore...

 

 

Et cet hiver – et cette froideur – qui recouvrent tout. Terre, nature, villes, visages et jusqu’aux âmes grelottantes – comme trempés dans l’eau glacée. Comme si l’homme n’avait qu’un seul rêve : mieux-vivre – améliorer cette existence si étroite et dérisoire. Et qu’importe qu’il blesse, tue, exploite, assassine, envahisse, subtilise, arrache et anéantisse pourvu que ses (pauvres) rêves se réalisent...

 

 

Comment confier aux vivants l’étreinte de l’invisible – ses délices et ses promesses (véritables) – et les partager avec eux ? Impossible sans doute... sinon, peut-être, en incarnant, de la plus humble et silencieuse façon, son visage ...

 

 

A l’usage des hommes et des bêtes – des vivants et des morts – c’est ainsi que j’aimerais être lu – et que l’on parcourt mes livres. Pour sentir que le rêve d’une autre vie et d’un autre monde est possible. Et que nous avons tous notre place – et notre part et notre labeur à offrir pour qu’il se réalise...

Parvenir à cette libération des âmes, mon humble besogne n’a d’autre dessein – et je n’ai d’autre souhait pour la vie terrestre, le vivant, le monde et les hommes...

 

 

La fin de la terre apparaît déjà dans le feuillage du jour nouveau. Et bientôt, peut-être, pourrons-nous boire auprès des Dieux dans la fraîcheur de l’oubli et l’effacement de tous les sommeils...

 

 

Ce qui nous sépare reviendra, un jour, avec une envergure inimaginable – avec une envergure inestimable – reliant tout sur une même toile comme la trame unique du jour et de la nuit – comme la trame ancienne de toutes nos oppositions et de toutes nos contradictions. Et tout sera pris dans ses filets – jusqu’à nos pires rêves d’individualité...

 

 

L’ultime poème naîtra, sans doute, après la mort. Dans ce mélange des extrêmes. Cette union des regards. Comme mille caresses qui seront peut-être enfin comprises... Et de cette fin, une clarté pourra émerger. Un sourire. Une envie de soleil bien plus propice que les étoiles – et tous nos rêves de lumière. Les vivants alors pourront apprendre à rejoindre leur exacte place – auprès des Dieux fondateurs...

 

 

Mourir en lambeaux mais dans l’allégresse. Dans un chant qui durera par-delà les siècles – et par-delà les millénaires. Comme le don permanent du sacré scellant la fin du fracas, des crimes et des tourments. Comme la seule invitation possible : celle de l’innocence et de la lumière – et la célébration de ce grand Amour qui s’offre déjà à tous...

 

 

A combien d’hommes encore hésitants au carrefour des promesses, le sage devra-t-il répéter sa parole... Et combien de crimes et de caresses (idiotement mimétiques) devra-t-il pardonner – et oublier d’un geste, presque machinal, pour que les foules entendent raison et participent au grand chantier du silence... Et combien de siècles – ou de millénaires – devra-t-il encore attendre pour que tous soient capables de rejoindre ces lendemains qui chantent déjà derrière leurs paupières closes...

 

 

Un matin, hors des chambres secrètes, le regard pourra s’éveiller de sa torpeur – et l’horizon briller et tomber en cendres – devant la justesse d’une parole, l’ampleur du silence et la sagesse des poètes. Nous ne serons plus alors qu’à quelques encablures de la neige. Et un souffle puissant, presque originel, pourra nous défaire du noir et de la mort – et de tous ces liens funestes que nous avons cru nécessaires à notre survie...

 

 

Aucune fin, fût-elle rompue par la douleur, ne nous éloignera de notre destin – de notre seule raison de vivre : cet Amour et ce silence. Cette lumière déjà présente au cœur de nos mains suppliantes...

 

 

Le monde-folie qui brille dans nos rêves saugrenus – et que nous bâtissons de nos mains laborieuses – n’est qu’une ligne, à peine tremblante, sur le sable de la terre. Et qu’importe que nous le transformions en palais ou en mouroir... Et qu’importe nos chants de lumière et nos champs de bataille, un jour, les torrents balaieront ses terrasses, ses cités et ses jardins aux prises avec le souffle et les courbures du ciel – aux prises avec tous les Dieux...

Et nous serons là, témoins de toutes les magies, de toutes les forces et de toutes les écritures pour raviver ce feu qui nous emportera plus loin – vers cet ailleurs que l’homme a tant désiré en secret – et qu’il a déjà foulé maintes et maintes fois sans parvenir à la nudité nécessaire pour se hisser jusqu’à la promesse de toutes les pertes et réussir (enfin) à vivre de façon moins bestiale et pitoyable...

 

 

Et vivre avec (encore) un peu de sagesse – et en silence – anonyme et invisible entre tous – parmi toutes ces bêtes furieuses – au cœur de l’immonde qui s’étale et envahit jusqu’aux plus belles aspirations de l’âme, faudrait-il, pour accomplir une telle prouesse, ne plus s’appartenir...

 

 

A quelles impasses offrirons-nous encore nos jours... Comme si le chemin – et la vie qui passe – étaient (toujours) insuffisants à combler nos attentes...

 

 

A cheval entre le désir et l’oubli – la nostalgie et le silence – le jour et la nuit – la solitude et la neige du partage...

 

 

Face au ciel (définitivement) malgré les visages et les brûlures qui froissent la peau – et toutes les sources encore si frémissantes de la terre...

 

 

Au bord de l’Autre. Là où l’Amour sauve de tous les périls. Là où le silence répond à tous les rêves. Là où la lumière roule sous les paupières...

 

 

Au bord de l’estuaire, face à la mer. Au milieu des montagnes et au cœur des villes, face au ciel. Partout l’infini s’offre – et nous affronte. Et pourtant nous capitulons toujours devant notre ignorance de l’Absolu...

Et cette main, si impuissante, qui écrit ses poèmes comme si les mots pouvaient encore nous sauver...

 

 

Un cri émerge parfois entre les pierres. Comme si notre voix pouvait nous consoler de la solitude. Comme si notre résistance pouvait échapper à l’oubli...

Nous ne sommes, sans doute, que les restes d’un vieux rêve que nul n’entendra jamais – et que nul ne prendra jamais la peine de redresser pour que nous puissions voir, un jour, arriver la lumière...

 

 

Aujourd’hui, tout nous a quitté. Et, désormais, nous n’entendrons plus que le vent dans les ramures de l’âme, esseulée par tant de départs. Et nous irons seuls – plus seuls que jamais – parmi les herbes folles qui côtoient le soleil et la rosée. Nous irons là où les vents poussent le pollen – jusqu’au bout de la terre – en cette extrémité où les étoiles se pencheront peut-être vers nous pour nous dire que nous n’avons jamais été seuls – et que rien n’a disparu – et qu’un jour, bientôt sans doute, tout sera retrouvé – et que l’âme pourra respirer la même joie que toutes les fleurs du monde – et que l’innocence est le seul pays – et que le silence, un jour, rassemblera tous les visages dispersés... Alors peut-être serons-nous (enfin) capables de nous rejoindre...

 

 

Plus qu’une étoile, un sourire. Plus qu’un sourire, une parole. Plus qu’une parole, un geste. Et plus qu’un geste, une présence. Ainsi toujours peuplerons-nous la terre et le silence...

 

 

Nous n’avons soif que de nos envies. Et la source jamais ne se tarit. Et la source, pourtant, toujours nous abreuve de silence. Et partout, tout demeure déchiffrable qu’à travers le désir. Comme si nous ne comprenions ni notre nature ni notre destin...

 

 

Quelqu’un se lève dans la foule et parle en imaginant construire, à travers son discours, une idée, un édifice – un monde peut-être – ignorant que sa parole n’est qu’un souffle – qu’une onde infime – dans le silence. La vérité ne s’apprend. Pas davantage qu’elle ne se bâtit. Elle s’offre toujours au plus silencieux. La sagesse, sans doute, est à ce prix...

 

 

Il est possible que nous n’y entendions rien. Mais qui pourrait bien nous apprendre à écouter...

 

 

Et parmi cette soif, ces rêves et ces désirs, qui serait assez sage pour s’asseoir en silence – et laisser souffler et tourner les vents, paumes humbles et ouvertes au soleil... Et dans ces bruissements d’étoiles, qui serait assez sage pour percevoir, entre la mort et l’horizon, l’immobilité (tranquille) des pierres qui se réchauffent au milieu de la fureur et des cris... Et qui saurait plonger au cœur de toutes les détresses, entre les gorges et les poignards, pour voir s’avancer l’Amour...

 

 

Nous vivons entre les noms, les désirs et les titres de propriété. Entre les ambitions et les soucis. Et nous lançons nos rêves jusqu’aux cimes de l’automne, étonnés de voir arriver l’hiver – et de ne rien trouver dans nos poches – pas même le nécessaire pour affronter la mort...

 

 

Il est étonnant, presque frappant, de constater qu’à côté du monde naturel, existe un monde parallèle : le monde humain avec ses propres activités, ses propres lois, ses propres codes et ses propres mœurs. Un univers monstrueux et invasif – éminemment conquérant et agressif – qui s’étale et envahit l’espace (la totalité de l’espace) en détruisant le monde naturel – en le réduisant à l’adaptation permanente, à la fuite, à l’anéantissement et à la mort – et en le condamnant, tôt ou tard, à disparaître...

Et quelle étrange et affligeante merveille de voir les hommes, tels des insectes ou des brins d’herbe, penchés sur leur modeste besogne, participer à leur insu, au fonctionnement et au développement de ce grand monstre mortifère...

Et nous qui ne quittons presque jamais nos collines – ce petit coin de terre enclavé au milieu des forêts et des prés, nous sommes littéralement frappés par cet univers humain – par ces villes et ces réseaux tentaculaires – aux allures affreuses et dévorantes. Et nous ne pouvons nous empêcher de ressentir un immense malaise et une forme de tristesse à la vue de cette féroce monstruosité en marche...

Comment les hommes qui vivent en de tels lieux et qui participent aux mille activités de ce monde pourraient-ils ne pas se sentir prisonniers, esclaves et dépressifs ? Rien qu’à traverser ce genre de contrées bruyantes et surpeuplées, je me sens profondément oppressé et mélancolique...

Et ce qui me frappe aussi, ce sont ces pauvres lieux d’habitation, serrés les uns contre les autres ou à proximité des routes saturées par le trafic – et tous ces noms qui s’étalent partout dans les rues, sur les panneaux publicitaires, sur les murs des usines, sur les devantures des magasins et sur les véhicules professionnels (en tout genre) – et tous ces pauvres hommes à la figure triste et résignée – presque totalement éteinte – qui vaquent machinalement à leurs affaires comme si ces lieux et cette existence étaient les plus naturels du monde...

 

 

Vivre sans cette présence qui nous donna la vie – et sans ces couleurs qui l’égayèrent, comment pourrions-nous (encore) tenir debout – et nous faire vaillants dans les tempêtes... A demi-morts déjà avant l’heure de l’agonie...

 

 

Et les vents toujours tourneront en redressant nos courbures. Comme si nous étions nés le dos voûté – et l’âme trop penchée – presque invalides pour sentir – et marcher vers – le ciel. Et chaque pas nous défera de cet embonpoint de sédentaire, trop riche de certitudes pour aller sans parure – traverser la nuit – et venir se coucher en ce lieu où la nudité s’habille d’innocence...

 

 

Nous avons travaillé comme les bêtes – pire que les bêtes sans doute – pour n’effleurer que quelques étoiles – et pouvoir dormir au chaud et à l’abri après le souper. Et nous avons bâti une vie – et créé un monde – à l’image de nos peurs et de nos désirs. Et, à présent, nous y étouffons sans savoir où – ni vers qui – nous tourner... Comme si nous n’avions envisagé le pire avant de l’édifier... Et combien d’entre nous s’imaginent encore construire – contribuer à la construction – d’un monde merveilleux... Pauvres hommes façonnant leur propre désert. Et l’hiver comme l’unique saison des jours. Et nous aurons beau espérer encore, nous continuerons à trembler dans la sueur et le froid...

 

 

Nous nous sommes enfoncés dans un lointain sommeil. Et les plus sages se sont retirés – sont partis avant que les rêves n’envahissent leur âme... Et nous sommes seuls à présent – démunis face à l’invasion des songes. Et nous dormirons encore. Et la nuit sera plus profonde qu’autrefois. Et quelques étoiles continueront de briller. Et nous aurons la même vaillance – le même courage et la même idiotie – d’emboîter le pas à leur passage – et d’espérer voir leur brillance retomber sur nous en pétales. La torpeur n’en a pas fini avec nous. Et elle jubile déjà de cette ignorance qui, peut-être, durera toujours...

 

 

Le jour encore, si tenace, dans cette nuit interminable. Si proche que nos lèvres pourraient goûter son sel – et boire sa lumière. Mais nous préférons nous pencher sur notre inutile labeur – et aiguiser l’intelligence (ces balbutiements d’intelligence) – pour construire des lendemains moins éprouvants et plus enchanteurs – et nous protéger (vainement) des griffes du monde et du fiel des visages. Il suffirait pourtant de lever les yeux – de les poser un peu plus haut et un peu plus loin – pour voir les premières lueurs – les premiers signes du jour...

 

 

Un nouveau sursaut d’espérance, et nous voilà bientôt dégoulinant de ferveur. Et nous voilà, un peu plus tard, plus profondément enfouis dans le noir. Comme pris dans les sables mouvants de la terre. Comme un long chemin – un interminable enlisement qui enfonce inéluctablement notre visage et notre âme dans les profondeurs...

 

 

Pourquoi sommes-nous donc si peu entendus ? Peut-être n’avons-nous su dire ? Peut-être n’avions-nous pas les mots ? Peut-être l’indifférence était-elle trop forte ? Peut-être aurait-il fallu ajouter des gestes à la parole ? Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment présents ? Peut-être – qui peut savoir...

L’absence, sans doute, est le pire des maux. Et sous son règne, il est vain d’espérer sauver le monde et les hommes.

Mais qu’aurait donc offert notre présence ? Notre retrait – et notre silence – auraient-ils été davantage compris ? Auraient-ils enfanté un soleil plus lumineux et plus réconfortant ? Les hommes auraient-ils quitté, l’espace d’un instant, leur labeur et leurs rêves pour lever les yeux vers le ciel ? Et auraient-ils réussi à goûter la joie et l’infini ? Auraient-ils senti l’imminence de l’aurore ?

Qui peut savoir ce qu’aurait été notre vie – et ce qu’aurait été celle du monde – si nous avions vécu, et agi, autrement...

 

 

A quelle joie pourrions-nous prétendre nous qui ne savons pas ? Et où pourrions-nous aller pour échapper à la mort ? N’y aurait-il que le silence pour nous combler...

 

 

Et à l’aube de chaque jour, cette nuit qui n’en finit pas... Comme si nous naissions avec les yeux clos, vivions dans l’ombre et mourrions sans le moindre espoir de lumière...

 

 

Et entre les pierres sèches, ce sang qui coule encore comme si nos mains ne pouvaient deviner les drames – et l’imminence de la catastrophe – qu’elles ont aveuglément façonnés...

Et cette soif douloureuse qui assèche tout ce qu’elle fouille – et soulève : terre, corps, visages et jusqu’aux âmes les moins imparfaites...

Et ces tourbillons gigantesques où tout est englouti – jusqu’aux séjours les plus tranquilles – et jusqu’à la figure sereine des sages...

 

 

Le parfum et l’épaisseur des existences jamais découverts – jamais apprivoisés. Comme une promesse attachée à un fil accroché à un bâton que Dieu et les circonstances – et parfois même notre propre main – agitent devant nous et qui s’éloigne d’un rien à chaque pas supplémentaire...

Et cette odeur pestilentielle des horizons qui continue à nous séduire. Comme si sentir avec plus de subtilité était (toujours) hors de (notre) portée...

 

 

Et la vie comme au premier matin de l’hiver, rude et glaciale – presque invivable pour les vivants en dépit de quelques flammes, oubliées là peut-être par Dieu pour donner aux bêtes et aux hommes les nécessités – quelques réconforts et quelques joies – pour survivre à son absence...

 

 

Et cette chair dévorant la chair. Et ces âmes ignorant les âmes. Comme s’il (nous) était impossible d’échapper aux instincts...

 

 

Et tous ces visages – et toutes ces portes – austères – fermés à toute grâce – qui jalonnent les parcours. Et qui les attristent si souvent... Comme si nous ne pouvions vivre libres des impératifs du monde et des nécessités de la terre...

 

 

La neige pèse parfois plus lourd que la chair et la mort réunies. Et toutes ces querelles dans cette nuit unique. Et la démarche pesante des âmes. Comme si le soleil n’en finissait jamais de s’éloigner...

Une histoire parmi mille histoires. Ainsi croyons-nous en notre valeur – et en notre importance – allant d’une foulée boitante sans nous souvenir de notre première envergure parmi ces malheurs, par milliers, qui invitent au silence – et avec cet étonnement à vivre si proche de l’oubli...

 

 

Des ténèbres. Et mille mensonges. Et mille sommeils. Comme si nous étions des somnambules perchés haut sur le fil du ciel tendu entre les abîmes...

 

 

Dire la vie, la mort et l’infini est – et sera toujours – insuffisant. Il faut être ce que l’on écrit sinon le poème se fait trop léger, élégant peut-être, mais sans consistance – sans vérité. Il faut tremper sa plume dans la chair, le sang et le ciel pour prétendre à la poésie. Et les plus sages toujours demeureront silencieux – partageant l’invisible – l’innommable – avec leur âme si discrète et attentive...

 

 

Arbres et âmes dénudés – accablés pourtant par la légèreté des fleurs – et leurs danses gracieuses avec les vents. Le pesant toujours se dresse trop fier – et trop plein de désirs – face au ciel, attendant sans doute l’approbation de quelques visages sans jamais succomber aux charmes du dépouillement, de la simplicité et de l’anonymat...

 

 

Des morts encore. Quelques danses. Et un peu de poussière. Et nous croyons ainsi pouvoir échapper à la tristesse... Ne voyons-nous donc que nos heures – et sommes-nous si inattentifs – pour aller si gaiement... Sommes-nous donc à ce point insensibles au monde – à ses mille tourments et à ses mille tournures funestes et dramatiques...

Seuls les sages qui ont découvert les secrets de la mort – et qui en sont revenus – peuvent se réjouir – et sourire sans mélancolie face à l’insupportable misère des vivants...

 

 

Vêtus de terre au milieu d’un champ d’orties près duquel brûle, chaque matin, tout ce qui se dresse encore assoiffé de lumière. Et nos ruines – toutes nos ruines – en contrebas du monde...

 

 

Là, seul et étendu au milieu de son âge, vacillant d’espoir et de prières, ce crieur d’éternité. Cette sentinelle attendant la fin de la nuit – la fin de toutes les nuits – et guettant l’aurore en plein jour pour faire avancer la parole – sa parole peut-être – entre le silence, le ciel et la cacophonie du monde – dans cet interstice que voilent les étoiles, tenu(e)(s) par un Dieu à notre image, aussi rieur que taciturne...

 

 

La vie – et la mort – à la verticale du silence. Et adossé à son faîte, l’Amour – cette parabole de joie...

 

 

Nous vivons comme si la vie était donnée. Comme si vivre consistait à s’absenter. Comme si nous avions les mains liées par nos exigences et les nécessités du monde. Et pas à pas, nous nous rapprochons pourtant du mystère et du cimetière – et de toutes les morts qui jalonneront notre parcours – en avançant malgré nous, cahin-caha, sur ces étranges et sombres chemins vers l’unique lieu du silence – cette présence encore à peine entrevue...

 

 

Ne cherchons pas à expliquer. Trempons nos lèvres dans le calice. Et ouvrons nos veines au silence pour devenir plus sages – et aussi beaux et sauvages que le parfum de l’herbe coupée à la belle saison. La nuit alors sera stoppée – et dix mille feux pourront briller sur la terre nouvelle – auréolée et célébrée par nos œuvres silencieuses...

 

 

A la frontière de mille mondes – à la frontière, peut-être, de tous les mondes – l’oubli est la seule droiture – la seule espérance. Entre ici et là-bas. Entre les jours et les instants qui passent. Entre la brume et l’horizon. Nous vivrons toujours au milieu de tous les gués. Entre l’herbe rase et la cime des plus hauts arbres avec partout autour de nous, les bruits – les mille bruits – de la terre et le silence – et cette prière que l’on n’entend que de l’intérieur lorsque s’éteint l’écho des horizons et que l’âme devient enfin mûre pour s’abandonner sans résistance – et retrouver son envergure ancienne. La main alors devient juste. Et, comme la parole, elle célèbre et sert ce qui se trouve devant elle...

 

 

Une lumière devant nous, encore obscurcie par la promesse des horizons. Et le fleuve ultime. Et la dernière rive bientôt où le vent soufflera sur l’âme pour en extraire la substance terrestre – si instinctive – et lui (re)donner le goût de l’innocence – cette nudité nécessaire à l’accueil – et à la célébration – du silence...

 

 

Et la parole (poétique) n’en finira jamais de relier les mondes – tous les mondes si différents, si enchevêtrés et parallèles – et tout ce qui semble séparé sans l’être véritablement, bien sûr... Comme le seul trait d’union possible, avec le silence, entre le rêve et le réel – entre le jour et la nuit – tous aussi grandioses, nécessaires et prometteurs les uns que les autres. Et c’est ainsi seulement, dans cette réconciliation, que nous pourrons vivre...

Comme un chant dans l’épaisseur du temps offert à tous – pour combler chaque instant – et l’éternité à venir – et nous faire oublier peut-être ce passé si désastreux...

 

18 décembre 2017

Carnet n°129 Quelques jours et l'éternité

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Effacer le dehors. Et effacer le dedans. Pour faire éclore, jour après jour, ce rire sur le rien...

Apprendre de la pierre, aimer la terre et désapprendre le temps. Pour que demeurent l’écume et le vent. Et nos lèvres silencieuses ouvertes aux voix, au ciel et aux oiseaux – et à la candeur de tous les visages...

 

 

La vie, le monde et la mort n’auront épargné personne. Mais ils nous auront laissé cette soif et cette curiosité – ce goût ineffaçable pour l’inconnu et le silence...

 

 

Entre la pierre et l’écume nous naissons. Et agonisons sans fin. Aussi pour vivre un peu – vivre davantage – et découvrir notre éternité, il faudrait y déterrer le silence...

 

 

Ce que nous apprenons du sang sera, un jour, livré à la terre. Et ce que nous apprenons du ciel et de l’âme – du grand silence – traversera la mort et les siècles. Et c’est dans cette compagnie que nous vivrons – et apprendrons à aimer – bien plus longtemps que l’éternité...

 

 

Effacer le dehors. Et effacer le dedans. Pour faire éclore, jour après jour, ce rire sur le rien...

 

 

Apprendre de la pierre, aimer la terre et désapprendre le temps. Pour que demeurent l’écume et le vent. Et nos lèvres silencieuses ouvertes aux voix, au ciel et aux oiseaux – et à la candeur de tous les visages...

 

 

L’innocence sur nos visages – et dans nos rêves – plus forte – et plus dressée que jamais. Comme pour assaillir – et renverser – le cauchemar et les songes de notre vie...

 

 

Nos vies comme une enfance lancée au ciel qui retomberait sur terre avec fracas. D’où peut-être notre sentiment d’exil et notre désespérance...

 

 

Entre la vie et les mots (la parole poétique), le plus grand silence. Comme caché par nos bruits et nos chemins – notre fureur, nos élans et nos envies d’ailleurs – et les heures neuves partout qui brûlent l’horizon...

 

 

La poussière des chemins s’accumule au fond des yeux – et au fond de l’âme. Et alourdit jour après jour – siècle après siècle – notre silhouette et notre marche déjà si pesantes...

 

 

Et l’âme – cette éternelle exilée – bannie du monde et des siècles depuis toujours. Comme si les hommes devinaient – le danger qu’elle représente – et qu’elle porte en elle – et qui menacerait la marche insensée du monde et des siècles s’ils l’acceptaient – et la laissaient s’épanouir...

 

 

Empressons-nous de dire le silence – sa beauté – sa justesse et son amplitude – avant de nous y coucher...

 

 

Un peu de vent encore dans les arbres – et sur notre vie, si lasse, malgré l’immobilité et le silence qui ont gagné notre âme. Qui l’ont peu à peu emplie en la vidant de ses désirs et de ses élans. Et qui la réconfortent à présent d’une joie qui efface tous les espoirs et toutes les peines...

 

 

Quelqu’un pleure quelque part. J’entends sa tristesse – et sens ses larmes couler sur ma joue. Comme s’il n’y avait plus qu’un silence entre nous – un frisson – une sensibilité – un espace moins grand qu’un pétale... Et je découvre l’Amour qui s’approche – et qui comble les interstices laissés par la peur. Et je pleure de ces yeux inconnus entre nous qui nous rapprochent – et nous lient comme des frères en un seul visage. Et notre cœur s’est arrêté – dilaté à présent – effaçant les frontières. Et nous pourrons désormais nous attrister – et nous réjouir – d’aller ensemble dans la mort – et par-delà nos restrictions – vers notre seule envergure...

 

 

Une chair, un visage, un destin. Et la longue errance – et la lente progression sur l’échelle de l’absence ; du degré zéro à la plus éclatante présence...

 

 

Nous vieillirons peut-être ensemble avant d’être, un jour, (bien sûr) fauchés par la mort. Mais l’Amour demeurera – aussi vert qu’aujourd’hui...

 

 

Caché au-dedans, inaccessible encore, le silence... Une présence comme une lumière déjà éprise de l'âme qu’il suffirait d’arracher à la paresse. Et nous serions aussitôt engloutis dans une halte – et un recommencement – sans fin...

 

 

La souffrance, comme l’espoir, est une parure. Un voile léger – parfois épais – sur la lumière. Pour la voir, il convient de s’en dévêtir – et de la laisser tomber, encore orgueilleuse, à nos pieds...

 

 

Autour du sang, il y a la chair. Et autour de la chair, il y a l’âme. Et au-dedans de tout, la lumière...

 

 

On ne choisit rien. Ni de vivre ni de mourir – ni sa vie, ni sa mort – ni la souffrance, ni la joie, ni le silence, ni les visages, ni les circonstances. On se laisse saisir – et l’on se prête à l’usage...

 

 

Forêts, filles de l’enfance et de la neige. Le premier visage et la première fleur nés du printemps. Les signes que le silence et la lumière – et leur patiente attente – sont possibles...

 

 

Pourquoi faire naître, chaque matin, l’aurore alors qu’il nous est impossible de l’atteindre – et de la rejoindre. Comme si nous vivions sous un vieux drap sale et gris qui ne laissait passer le soleil – la lumière – qu’à travers ses trous – nos déchirures...

 

 

Nous n’avançons qu’à reculons vers notre tombe. Et la mort, un jour, nous attrapera par derrière. Et nos yeux – et notre front – trop penchés par la peur ne la verront arriver...

 

 

Nous nous enfonçons parfois dans une seule ombre que nous prenons pour un soleil. Et l’horizon, peu à peu, devient gris. Et la nuit, peu à peu, devient plus noire. Et le jour même s’assombrit...

 

 

Un rêve – des rêves – sans regard. Et un regard sans aucun rêve. Voilà deux perspectives – et deux univers – diamétralement opposés au sein d’un même monde. Et pour passer de l’un à l’autre (du premier au second), il suffit d’un instant qui se transforme, très souvent, chez les hommes, en années, en siècles, en millénaires...

 

 

La beauté des paysages et de la terre. La folie des pas, des mains et du monde. Et la vanité de tous nos gestes. Et cette cadence féroce et ce poids immense qu’il nous reste sur les bras. Et l’âme pudibonde, timide et fière qui n’aura jamais su s’y prendre – qui n’aura jamais su s’y faire... Pourrions-nous regretter, un jour, d’avoir été des hommes ?

 

 

Mille routes qui ne font, en vérité, qu’un seul chemin. Et mille figures qui ne feront, un jour, qu’un seul visage. Le seul monde qui pourra naître de notre enfance...

 

 

Il y a encore de la buée sur nos yeux ensevelis par l’ignorance. Un peu d’eau et quelques songes qu’asséchera, un jour, le soleil...

 

 

Livrés aux pièges communs plutôt qu’à la délivrance de l’inconnu. La certitude et le temps, voilà les erreurs monumentales de l’homme...

Il faudrait se livrer, corps et âme, à l’incertitude pour voir émerger les premières neiges – et la première magie – de l’aurore délivrée de l’ignorance et des secrets...

 

 

Rien à célébrer sinon la danse, l’ombre et le silence. Les mille danses, les ombres par milliards et le seul, et même, silence. Partout se livrant aux mêmes supplices et au même réenchantement...

 

 

A qui sont donc destiné(e)s ces pages – ces milliers de fragments – si seul le silence peut les entendre et les recevoir... Faudra-t-il attendre qu’il emplisse les esprits pour que les hommes daignent enfin y jeter un regard...

 

 

Il est des hommes aux tournures et aux tourments exagérés. Ils y plongent comme dans une cuirasse en se croyant importants et protégés... Mais, en vérité, ils y vivent à l’étroit sous le joug de la peur et des croyances. Et ils y meurent sans avoir vu – ni goûté – la joie et la lumière de la nudité cachées par le heaume de leur armure…

 

 

Un torrent, une lave, un ciel. Et tout nous emporte. Et tout sera emporté... Engloutis par les courants et les marées jusqu’à ce lieu où ne peut pénétrer que la poussière, laissant les rêves, les remparts et la sève au cœur des débâcles – au cœur des tourbillons enfantés par les vents complices du désordre...

 

 

L’on croit vivre là où il n’y a que peurs, doutes, déroutes et balbutiements. Et une soif encore incomprise...

 

 

Les visages ruisselants. Les barques à la dérive. Et les chants du premier matin du monde. Cette aube à l’heure imprécise avec ses souffles et ses avalanches de lumière qui bousculent – et recouvrent – tout à la ronde ; les peines, la faim, la terre, les terreurs, le monde et la mort pour faire émerger (enfin) le premier homme...

 

 

L’homme, en définitive, sera toujours plus mortel que vivant...

 

 

Nous vivons à l’ombre des morts. Et sous leur ciel gris. Et nous mourrons comme eux – et comme tous les anciens vivants – sans rien voir – ni rien comprendre – du jour et de la lumière. Dans une nuit sans remède – et sans guérison...

 

 

Le sang et la chasse. Aussi absurdes que notre torpeur et notre indignation. Comme un visage innocent offert aux griffes funestes (et inexcusables) du destin et de la mort...

 

 

Les jours des hommes aussi blêmes que leurs nuits. Nulle différence dans la boue. Cette fouille interminable soumise à l’ardeur des élans et à la mort. Bras levés parmi les chants, les cris, les balbutiements et la chair – si proches pourtant du feu, de la fleur et du désert...

 

 

Les (longues) heures de veille parmi la poussière – guettant, entre l’horreur et la mort, l’aurore promise par les sages. Voilà la rude tâche des innocents plongés au cœur du monde et des vivants...

 

 

Une clé, un passage – ceux de la liberté nous avait-on dit. Et nous voilà avançant – et chantonnant – parmi les ruines et les débris d’un monde que nous avons cru nôtre – et qui, sous prétexte des saisons et des mille printemps à venir, nous aura, peu à peu, assassinés. Laissant la chair ornée de balafres et de sortilèges. Aussi comment pourrions-nous échapper à ce désastre – à ce gâchis – sinon en déchirant l’aube, les regards, les rêves et les promesses – en nous défaisant de cette nuit et de notre visage ancien à l’ignorance si têtue...

 

 

Rien ne nous ressemble davantage que la joie, l’Amour et le silence. Cet œil, cet accueil et cette danse posés au cœur de tout – et au-dedans même de ce que nous avons cru sans importance...

 

 

Entre la neige et l’oiseau, il y a un arbre – et une branche – qui nous sauvent du désespoir. Et du froid si vivace des regards et des saisons. Et il y a ce feu au-dedans de l’âme – et au-dedans du cœur – qui abrite notre dernier espoir...

 

 

Les dessins de la terre montent jusqu’aux étoiles – à travers l’homme, ses rêves, ses bras. Et nul ne tient (ni ne détient) les fils du temps et la clé des songes. Qui s’est donc invité au seuil du regard et de la vie immobile ? Serait-ce Dieu, éminemment présent, en notre visage ? Serait-ce le hasard aux mains si discrètes et agiles ? Qui sommes-nous donc – et quand saurons-nous nous retrouver – perdus que nous sommes aujourd’hui avec ces yeux un peu à l’écart de la foule – qui essayent de dénicher quelque chose – un espoir – une croyance peut-être – qui délivrerait notre destin de ses attaches...

 

 

La vie, le monde, l’infini rêvés – fantasmés plus que tout sans doute. Et la vie, le monde et l’infini réels et réalisés. Et au croisement de ces trois routes, notre tâche. Et notre destin d’homme. Ceux auxquels nous rechignons encore...

 

 

Gorgés de plus d’un espoir – et de plus d’un soleil – nous nous abreuvons (nous croyons nous abreuver). Sans cesse nous étanchons notre soif d’histoires, de leurres et d’illusions. Mais, en vérité, nous nous assoiffons pour des siècles – et pour l’éternité peut-être – qui seront, sans doute, plus noirs que nos rêves...

 

 

Celui qui sait transformer les briques en brasier – et le brasier en cendres – sera sauvé des constructions – de l’enfer de toute construction. Et pourra aller libre dans la joie et la nudité – danser à loisir avec l’innocence et vivre, serein, dans l’étreinte du silence...

 

 

Ni rien voir, ni rien comprendre, ni rien aimer. Ainsi vivent les hommes, penchés sur leurs briques –les mains ardentes œuvrant à leur labeur interminable, voués jusqu’à la mort à leur espace étroit et calciné – sans rien sentir ni rien connaître. Ni la vie, ni la rosée, ni le sang, ni la joie, ni l’enfance, ni la mort, ni l’infini. Une vie en-dessous de toute vérité gouvernée par l’hallucination et le délire...

 

 

Des ratures plus belles que nos épreuves. Et cette vérité qui se cache derrière nos apparentes erreurs. Les tentatives de l’homme aussi belles que ses oublis. Comme l’imparfaite possibilité de la perfection... Ce destin en nous qui se cherche... Dieu en cette chair fébrile et frémissante profitant de nos doutes et de nos hésitations pour nous apparaître plus présent et plus vivant – plus sage et plus clément – que nous ne l’imaginions...

 

 

Et ce silence enfoui dans le terreau des siècles. Et cette lumière déjà présente sous le fumier des hommes. Comme s’il nous appartenait de découvrir peu à peu ce que cachent les apparentes immondices pour percer (enfin) tous les secrets...

 

 

Le haut des pas et le bas des rêves. Et entre les deux, la vérité qui se dessine déjà...

 

 

Nous vieillirons en reclus. Plus barricadés qu’autrefois derrière quelques souvenirs et quelques rêves encore tenaces. Et l’asphyxie sera le dernier élan. Comme le sacre de notre étroitesse...

Gageons que la mort invite les vents à déblayer l’espace de ses ombres originelles et légendaires – et qu’elle nous aide à sortir de ces lieux sordides où la mémoire emprisonne les désirs – et cantonne notre vie – nos années et nos siècles – à l’errance – à ce destin de fantôme prisonnier de ses propres retranchements...

Comme si le silence n’avait, en définitive, qu'effleuré nos âmes – aussi muettes aujourd’hui qu’autrefois...

 

 

En regardant le monde, on constate avec évidence que tous les êtres font et défont – se font et se défont – se montrent et se démontrent – montent et se démontent – bref essayent d’exister un peu... en attendant la fin – en attendant la chute... Et quelque chose en moi a toujours répugné* à participer à ce merveilleux et navrant spectacle. Je me suis toujours tenu à l’écart en regardant mi-navré mi-songeur – mi-affligé mi-narquois – le corps et l’esprit esquisser leurs pauvres et timides pas de danse – et se résoudre à leurs nécessaires et incontournables élans. Mais je n’ai jamais aspiré à prêter ma vie, mes actes et mon labeur à l’effervescence et au brouhaha, un peu vains, du monde et des hommes si soucieux d'aménager leurs vitrines... Et même l’écriture, la métaphysique et la poésie – si essentielles à mes yeux – je ne les ai toujours exercées que pour moi seul en offrant humblement ma modeste et solitaire besogne à travers une minuscule fenêtre (très peu fréquentée, bien entendu) sans volonté d’attirer la lumière des projecteurs...

* Bien qu’une part, de moins en moins enthousiaste au fil du temps, y ait toujours un peu aspiré aussi...

Tant de choses, de projets et d’activités existent déjà – et sont créés chaque jour. Et chacun d’eux cherche à exister – à se montrer et à s’exposer – dans le fatras ambiant surchargé – en aspirant à son quart d’heure de gloire – qu’il m’a toujours semblé vain d’y ajouter les pauvres fruits de mon labeur... Comme si le monde n’était qu’une accumulation perpétuelle, un peu inutile et puérile, de ces mille choses, de ces mille activités et de ces mille projets. Aussi ai-je toujours préféré vivre et travailler seul et dans mon coin, en parfaite autonomie – dans la discrétion et l’invisibilité...

Et je ne saurais, aujourd’hui encore, me prononcer sur « la valeur » de cette perspective et de ce travail solitaire. Et je serais toujours aussi en peine d’en connaître la justesse et l’utilité... Je me suis pourtant toujours adonné à la tâche avec passion et ferveur mais je préfère laisser à l’éternité le soin de sceller l’inimportance comme l’improbable « grandeur » de mon emploi... Ce que l’histoire humaine – la petite histoire des individualités et la grande histoire du monde – en retiendront m’a toujours peu importé...

 

 

Ne pas ajouter sa pelle aux pelles du monde. Ne pas ajouter son tas aux tas du monde. Et ne pas ajouter sa voix à celles du monde. Vivre dans la discrétion et la nudité en se consacrant à l’essentiel et aux inévitables nécessités terrestres, organiques et existentielles avec autant d’intelligence et de sensibilité que nous en sommes capables...

Epargnons le monde de nos indigences et de nos scories. Et gardons-nous de nous inquiéter au sujet de notre utilité (celle de notre existence comme celle de notre œuvre). Le monde bénéficiera, d’une façon ou d’une autre, du plus précieux de notre vie et de nos modestes offrandes et contributions...

Vivons et travaillons plutôt à notre tâche comme si nous réalisions un mandala de gestes et de paroles infiniment effaçable – et indéfiniment effacé – accompli simplement pour la joie d’être accompli – et pour célébrer l’évanescence, le silence et l’éternité...

 

 

Au-delà des commentaires, des analyses, des anecdotes et des billets d’humeur, l’essentiel de mon écriture – la plupart de mes fragments – ont toujours été des viatiques. Des bagages personnels pour emprunter des chemins et accomplir un voyage (qui ne le sont pas moins) mais dont le contenu est offert à ceux qui daignent (et daigneront) s’y pencher. Ils y trouveront sans doute là quelques affaires dont ils pourraient faire usage au cours de leurs (propres) pérégrinations...

 

 

A l’affût des rêves et des jeux encore... Comme si nous ne pouvions vivre sans nous distraire – ni fuir ce face-à-face (avec nous-mêmes) si nécessaire... Aussi comment pourrions-nous dénicher le trésor – tapi au fond de cette vie que nous avons transformée en sordide destin...

 

 

Les hommes vivent – et avancent – comme s’ils gravissaient un escalier sans fin. Et qu’importe ce qu’ils y trouvent – et ce qu’ils détruisent pour s’en emparer... Et qu’importe ce qui demeure pourvu que la marche suivante soit atteinte – et qu’elle offre un agrément et un espoir plus grands que ceux offerts par la marche précédente...

 

 

Tout glisse sur nos paumes – sur notre vie et sur notre âme. Et ce que la mémoire retient n’a (presque) aucune valeur. Sur son assise pourtant se construisent les existences et les destins – un semblant de joie et de certitude – sans comprendre que nous bâtissons sur du sable – et que nous sommes constamment cernés par la furie des vents – et que nos édifices, un jour, tôt ou tard, s’écrouleront – et disparaîtront engloutis par les vagues du temps...

 

 

On s’élève et l’on redescend avant de s’immobiliser définitivement. Sans même un souffle auquel s’accrocher. Sans même un visage ou une voix pour se souvenir – et se rappeler des jours et des siècles meilleurs, et plus enviables peut-être. Sans même un regard auquel s’identifier. Ainsi allons-nous vers le plus précieux – cette indicible présence au goût d'éternité...

 

 

Toujours l’Amour veille dans les parages. Et nous, nous préférons nous cacher dans tous les recoins de l’ombre. Comme si la nuit était inévitable. Comme si nous espérions que notre fuite perpétuelle, nos secrets et notre terreur parviennent, un jour, à l’éclairer...

 

 

Gains et grains enfouis dans la neige. Entreposés dans les greniers. Et, parfois, sous les matelas. Avec notre main recroquevillée sur ses privilèges. Comme pour protéger des trésors qui n’en sont pas – des trésors qui n’en ont jamais été – de simples outils, en vérité, pour notre survie et notre espoir de jours meilleurs...

Et ces voix sans mot – et ces chants sans grâce – et tous ces appels (toutes ces invitations) du ciel, interdit de séjour depuis toujours. Comme si les horizons – et le monde même – étaient maudits...

Et ce sable entre nos doigts qui s’écoule – et dont nous ne savons que faire. Et ce silence dans la nuit et sur ces visages menaçants, à l’affût de nos failles, prêts à bondir sur ce que notre main abandonnera...

Et tous ces jours qu’il reste à sauver de notre désarroi. Et cette malice entre les dents de la nuit, haletante, assoiffée toujours de notre sang...

Souvenez-vous donc des royaumes et des soleils d’autrefois... Souvenez-vous donc des rumeurs et des désaveux... Et n’oubliez pas que tout recommence toujours à la fin des mondes – et que nous ne pourrons y échapper – et qu’au dernier printemps, il nous faudra mourir aussi...

 

 

L’étoile est dans l’œil. Et le silence aussi... Et nous avons marché, aveugles, sans rien voir – et sans rien même deviner. Comme si la chair ne pouvait s’ouvrir – et s’offrir – qu’aux horizons. Comme si nous retenions l’âme prisonnière de nos rêves. Comme si l’infortune était notre perpétuel destin...

 

 

L’histoire n’est qu’un puits où l’on jette les morts. Et l’avenir qu’un songe que nous ne connaîtrons, sans doute, jamais – et où les nouveaux-nés mêmes pourraient ne pas voir le jour... Que nous reste-t-il alors ? Un peu d’espoir ? Que Dieu nous en préserve... Le présent où nous sommes – et qui nous effraye tant depuis que le monde l’a aboli – et s’en est affranchi – pour nous offrir ses lois tournées vers l’avenir et le passé ? Que nous reste-t-il donc ? A peu près rien... Et pourtant, dans ce néant – dans ce miracle proche de l’apocalypse – l’essentiel toujours est préservé...

 

 

Nous aurons essayé de nous élever – tous autant que nous sommes – hors du rang – au-dessus de tous les paniers de crabes nés des instincts impitoyables du monde. Et pourtant nous tomberons – et finirons à la renverse – entre quatre malheureuses planches de bois – ou en cendres, bien au chaud – et bien seuls – et dans le noir – au fond d’une urne que les vivants, un jour, finiront par oublier...

Et resteront un peu d’ombre – et un rêve de lumière peut-être... comme à chaque fois que l’un d’entre nous est emporté par la mort...

La vie, peut-être, n’a d’autre dessein – ni d’autre ambition – pour l’homme...

 

*

 

Nous avons cherché partout. Et nous voilà de retour après notre long voyage, l’âme et le visage tout froissés – les yeux et le cœur plus perdus que jamais, et moins vifs qu’autrefois – espérant toujours jusqu’au dernier soir de la vieillesse découvrir le secret que nous cache la mort...

 

*

 

Et au retour de la belle saison, nous voilà revenus, une nouvelle fois... émergeant de la terre ou des cendres au premier jour de notre premier printemps, ouvrant les yeux comme pour la première fois sur un monde – déjà mille fois visité – et sur des visages – déjà mille fois entrevus – après notre bref séjour au-delà de la mort...

Comme une vie entêtée – un souffle continuel – pour découvrir ce que nous portons en secret – et que nos yeux et notre âme n’ont su voir encore. Comme un éveil perpétuel – et infiniment recommencé – à nous-mêmes...

 

*

 

Et nous voilà bientôt debout – ivres de notre ivresse à vivre – et si aveugles encore à toutes les illusions, à tous les pièges et à tous les soudoiements. Et nous voilà encore à essayer de nous élever – hors du rang – au-dessus de tous les paniers de crabes nés des instincts impitoyables du monde jusqu’au jour, peut-être, de notre (définitive) disparition – de notre effacement inespéré dans le silence...

 

 

Et tout ce bleu déjà envahissant l’espace. Et la transparence du noir. Comment pouvons-nous ne pas voir le miracle ; la lumière et l’admirable mélange des couleurs qui s’imposent partout... sur les pierres, les arbres et les visages... au loin, dans le ciel et sur les horizons... et au-dedans, au cœur de l’âme et du regard... Pour ne rien voir – ni s’émerveiller – faut-il donc avoir les yeux – et le cœur – encore enfouis dans l’espérance d’une autre terre, au-delà de tous les cieux communs, et dans les promesses mensongères des théologies... Faut-il être idiot et avoir le nez encore planté dans la complexité des lignes et l’apparente diversité des visages et des barreaux... sinon pourquoi refuserions-nous de franchir cette frontière qui nous sépare...

 

 

Sans limite et sans âge autres que ceux que nous nous imposons...

 

 

Incarner avec justesse la danse des vivants – et l’innocence de la mort – avec cette passion miraculeuse pour le silence... Vivant, on ne pourrait rêver davantage... Et la solitude n’aura, sans doute, rien d’autre à nous offrir avant que nous soyons capables de rejoindre – et d’habiter – l’infini et l’éternité...

 

 

Au-dedans même du sortilège éclot – peut éclore – la plus fabuleuse promesse de lumière. La seule délivrance possible en vérité... La vie n’a rien d’autre à nous proposer, hormis peut-être quelques niaiseries et quelques bagatelles...

Mais plonger au cœur de la malédiction sera toujours le dernier geste de l’homme, une fois affranchi de toutes les billevesées...

 

 

Un conseil, d’une navrante évidence, aux vivants – et peut-être même aux morts – à tous ceux qui sont : faire, si tant est qu’il y ait à faire, ce qui leur semble juste et nécessaire... Et à ceux qui rechigneraient à tout mouvement, rappelons que les circonstances toujours amènent à répondre ou à nous soumettre à quelques élans...

 

 

Tant de choses entre nos mains – et dans nos têtes – errent à la recherche de leur appartenance. Et nous leur offrons notre poigne – et notre nom. Une vie de servage et de fers sans même comprendre que nous appartenons tous au silence...

 

 

Une encre plus rouge que noire dans laquelle coule encore le sang des vivants... Et ces lambeaux de chair que nous feignons de ne pas voir. Comme si la lumière pouvait éclore de cet oubli...

 

 

Pour être recevable, la parole ne devrait oublier personne – et se faire le porte-voix de ceux que l’on assassine en silence – de ceux qui ne savent pas ou qui n’ont plus la force de dire... Ainsi seulement leurs murmures et leur résignation – et toutes leurs douleurs – seront entendus par ceux que la souffrance et la mort n’effraient plus – et par ceux qui ont jeté leurs armes pour une écoute infinie.

Et ce sont leurs mots qui résonneront en ce monde – et que l’on entendra derrière les cris et l’indifférence des visages. Et ce sont eux qui finiront par rallier les masses aux causes perdues et aux enjeux infimes – et infinis – de ce monde. Aucune ère de joie – et aucun monde nouveau – ne pourront éclore sans ces porte-voix du silence qui jamais ne rechignent, à travers l’Amour qui les porte, à exposer aux yeux de tous les crimes et la possibilité de la lumière...

 

 

Encore des songes et des errances qui nourriront la faim et notre goût immodéré pour la poussière. Comme un excès d’ignorance livré aux instincts. Le pitoyable destin de l’homme...

 

 

L’inhumain inscrit dans l’épaisseur de la chair. Comme le pilier central, peut-être, de notre nuit qui offre à l’âme la cécité nécessaire pour vivre parmi les cris et la faim. Clouant ainsi le monde au pilori de l’abjection jusqu’aux premières ondes du silence – jusqu’aux premières trouées de lumière...

 

 

Un destin plus rauque – et plus atone – que notre voix. Un chemin parmi le simple des choses et la candeur éternelle du monde. Couchés là parmi les herbes dans quelque jardin familier au milieu des cris et des bêtes qui s’avancent vers nous par milliers – plus sauvages et indomptables que leur faim et leur malice provisoires – et qui nous pousseront un peu plus loin... jusqu’à la lisère peut-être du désert où les rêves et les espoirs ne seront plus d’aucun secours...

 

 

L’ultime jaillira – pourra jaillir – lorsque nous saurons froisser avec indifférence l’or de nos poches et de nos livres. Lorsque nous saurons renoncer au soleil – et à tous nos rêves de lumière – pour affronter le gris et la pluie, inévitables, des jours qui passent... Lorsque la profondeur et le silence seront préférés aux parures et au tapage. Lorsque l’éclat de l’âme aura sur nos vies plus d’incidence que l’infamie de nos ambitions. Alors peut-être saurons-nous oublier ce que nous fûmes et ce que nous serons pour plonger au cœur de ce que nous sommes depuis toujours...

 

 

Avant le sang, il y avait le silence dans nos veines. Et la joie d’aller – et de danser – parmi les fleurs et les arbres sur les ruines d’un monde ancien avec un souffle nouveau – presque enfantin et printanier. Puis le silence a été perdu – oublié peut-être – oublié sans doute. Et a jailli alors ce rouge, brûlant et fumant, dans nos artères. Et sous son autorité, le feu s’est propagé dans les corps, sur les visages, sur les routes et dans les rêves. Partout. Et le monde, peu à peu, s’est enflammé. Et sur la terre et dans les âmes, le feu a grossi – et s’est multiplié. Et les êtres et les choses – et la vie même – sont devenus un immense brasier. Et tous depuis cherchent le silence d’autrefois – le silence des premiers temps – le silence parfait d’avant le sang...

 

 

Nous veillons – et attendons – depuis toujours sans savoir ce qui va arriver – sans savoir ce que nous veillons – ni même ce que nous attendons... Et les jours passent. Et les visages passent. Et la vie passe. Et les siècles passent. Et la mort finit par tout emporter. Et nous demeurons ainsi à la même place, presque immobiles – et presque toujours aussi inattentifs – en jetant parfois un œil sur l’horizon en comprenant que rien n’arrivera jamais – que les circonstances et les saisons seront toujours les mêmes (à quelques variations près...)...

Et nous continuerons à veiller ainsi éternellement en regardant défiler, ni vraiment surpris ni vraiment rassurés, les jours, les visages, les saisons, la vie, le monde, les circonstances, les siècles et la mort sans savoir ce qui va s’approcher – sans vraiment savoir ce que nous veillons – ni même ce que nous attendons...

Et au plus nu du destin, peut-être serons-nous rappelés vers le plus originel silence. Et nous comprendrons alors le secret de cette longue veille – de cette interminable attente...

 

 

En nous traversant, la nuit fait plus de bruit (bien plus de bruit) que le jour qui arrive toujours en silence pour nous surprendre. Et tous nos cris jetés depuis des siècles contre les murs de cette obscurité (si angoissante et si envahissante) auront épuisé notre voix. Et lorsque le jour jaillira – pourra pleinement jaillir – nous resterons silencieux. Et nous le regarderons nous envahir sans un cri – sans un mot...

 

 

L’ordonnance du silence. La seule prescription peut-être... Et le grand remède, sans doute, à la maladie des vivants. Le seul, en tout cas, capable de nous offrir une pleine guérison...

 

 

Un jour, peut-être, dirons-nous en songeant à notre bref séjour terrestre : « Oh oui ! Que la terre est belle ! Et tant de choses merveilleuses existent en ce monde ! Mais la chair, les êtres et les hommes sont encore trop immatures pour y vivre sereins et à leur aise. Ce lieu est magnifique ! Et il recèle un potentiel fabuleux ! Mais les âmes, et en particulier les plus sensibles à la beauté et à l’innocence, ne peuvent y demeurer sans se blesser ou se corrompre... ».

 

 

Contre notre prunelle, le silence encore – immobile – impassible – sans désir. Ne réclamant pas même son dû. Nous regardant avec bonté. N’exigeant aucun pas – ni aucun geste – vers lui (ni même vers quiconque d’ailleurs...). Nous attendant simplement avec patience et sagesse...

Combien d’entre nous savent se faire aussi sages – aussi ouverts et patients – que le silence ? Combien d’entre nous savent être – et vivre – ainsi, sans attente ni réclamation, parmi les arbres, les bêtes et les hommes ?

 

 

Nous aurons porté notre destin – celui des hommes et celui du monde – sur toutes les routes. Et nous aurons traversé, avec ce poids sur l’épaule et sur l’âme, tant de pays et de frontières... Mais il nous faudra, un jour, les abandonner pour franchir l’ultime contrée – et les derniers confins. Nous devrons être aussi nus et légers que l’innocence pour rejoindre ce pays de l’enfance – ce lieu de toutes les origines...

 

 

Villes, monde et jardins repeints mille et mille fois selon nos exigences. Et bâtis, détruits et reconstruits autant de fois sans rien offrir de bien nouveau à la terre, aux bêtes, aux hommes et aux âmes. Comme si la couleur importait davantage que le regard. Comme si les quelques jours d’une vie importaient davantage que l’éternité. Comme si nous n’avions encore compris le secret qu’abritent tous les décors...

 

 

Des saisies et des étreintes. Quelques coups et quelques caresses. L’Autre et le monde à l’usage des vivants. Et cette incompréhension à vivre dans l’indifférence des mains et des visages. A ronger, si seul(s), sa solitude et sa misère. A vivre parmi tant d’espoirs et de promesses – et parmi tant de morts. Se prêter aux nécessités de la chair, des circonstances et du monde. Se soumettre à tous les rêves et à tous les désirs. Essayer d’exister un peu et de devenir. Oublier la parole des sages et des prophètes. Ignorer le silence et l’infini – l’éternité et la joie. Et oublier l’Amour et la lumière. Et ramper encore parmi les lèvres et les dents – parmi toutes ces lèvres et toutes ces dents – sans rien comprendre...

La vie, sans doute, n’aura été que cela pour les hommes – la plupart des hommes...

 

 

Et nous devrons vivre encore parmi tous ces visages si indifférents à la proximité des Dieux dans les bruits et les cris qui recouvrent tout – et que nous ne savons parfois plus même écouter – ni même accueillir – depuis le silence. Si démunis face à cette envahissante armée des ombres qui pullule et se propage comme du chiendent – et qui impose ses lois – ses pauvres lois – dans tous les recoins et tous les fossés du monde... Et rêver encore d’une terre plus juste et moins barbare – et d’un monde plus fraternel et moins calamiteux. Comme un sel permanent sur notre plaie de vivre...

Voilà pourquoi il est parfois préférable de s’exiler sur quelque colline épargnée par le monde et par les hommes – et y vivre à sa juste place dans l’attente, sans impatience, de l’éternité – avec tous les maux et la bonté à venir – et y mourir dans l’allégresse – pour savoir, et pouvoir enfin, accueillir tous ces lambeaux de vie – tous ces lambeaux de chair – magnifiés par la solitude et le silence...

 

 

Qu’aurons-nous donc appris des chemins et des carrefours – des visages et des pentes contre lesquels nous aurons adossé nos jours – et parfois notre âme... Qu’aurons-nous appris des saisons – et de cette nuit qui dure encore... Qu’aurons-nous appris du crime et des hommes qui végètent dans cette paresse – et cette indolence – (presque) insupportables... Qu’aurons-nous appris de la pluie, des cris et des larmes qui coulent sur les joues innocentes... Qu’aurons-nous appris des êtres, du monde et de la vie – entraperçus au cours de ce bref séjour... Qu’aurons-nous appris du soleil et des heures sereines... Qu’aurons-nous appris du silence et de la beauté – toujours fragiles – et toujours fugaces – entre nos mains si pesantes... Qu’aurons-nous appris de la lumière... Et combien de temps devrons-nous vivre encore ainsi dans l’ignorance – dans cette indigence de la compréhension... N’entendons-nous donc pas l’éternité derrière – et au cœur de – tous ces bruits et ce fatras réclamer notre entendement... Combien de déluges, de misères et de déserts devrons-nous encore traverser pour, un jour, entendre ses appels – et la rejoindre...

 

 

Jusqu’à nous, un jour, il faudra se hisser après avoir été avalés par l’abîme. Dans cet espace en surplomb des paupières. Dans cet espace qui a fait vœu de silence et d’éternité. Et un instant – un seul instant – ou quelques jours peut-être – nous en sépare(nt)...

 

18 décembre 2017

Carnet n°128 De l'or dans la boue

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Labour, vent, ciel en friche. Et le soleil caressant les étroites parcelles de la terre. Source et astres rôdant parmi les moissonneurs et les âmes vagabondes. Et le silence comme unique baiser sur les visages tristes et grimaçants...

Qu’est-ce qui en nous brûle encore – et est plus vivant que le monde – et plus durable que la vie... Qu’est-ce qui en nous ne s’éteindra jamais – et demeurera par-delà les siècles et la mort...

 

 

Qu’est-ce qui en nous brûle encore – et est plus vivant que le monde – et plus durable que la vie... Qu’est-ce qui en nous ne s’éteindra jamais – et demeurera par-delà les siècles et la mort...

 

 

Du noir au noir, la lumière chante encore...

Histoire après histoire – néant après néant – malgré les désirs et les désillusions accumulés, ces mêmes traces sur la neige et les visages. Le goût du tragique et l’éternité...

 

 

Des songes et des cicatrices encore. Comme le règne de l’illusoire sur nos vies défaites et espérantes...

 

 

Plus près du carrefour que nos rêves – et que la caresse et le crime appris pour survivre, les fracas de notre vie...

 

 

Et tout ce bleu qui suinte des horizons. Au bord du gouffre. Et derrière le ciel. Et le souffle et le sang qui se déploient dans nos veines. Qu’attendons-nous sinon la chute, l’asphyxie et l’annonce des plus grands désastres...

 

 

Marcher encore sur le fil jamais rompu du silence. Aiguisant chaque pas – et chaque prière – au bord du précipice. Affûtant la vie aux lames âpres de la mort. Conduisant le regard au plus près des paupières. Espérant la lumière plus inaccessible que l’or. Notre seule matière à vivre...

 

 

La réponse s’insinuera à l’écart des fosses animales. La paume tendue et la tempe battante. Les jouets éparpillés et les jardins à l’abandon – livrés aux herbes folles et aux bêtes sauvages...

 

 

La première aube repose au-dessus de nous. Et attend notre ultime soupir pour récompenser notre patience – cette longue veille parmi les fouilles – la fureur des fouilles – et leur maladresse – et les larmes et la mort. Et il nous suffira alors, au terme de tous les abandons, d’ouvrir les yeux...

 

 

Le silence est. Est là depuis toujours. Etait déjà là avant notre naissance. Et sera là après notre mort. Mais nous n’avons su l’entendre – et le célébrer – de notre vivant...

Et la rencontre n’aura lieu qu’à la fin de l’orage lorsque les mots et les visages – lorsque les rires, les jeux et le monde – ne seront plus d’aucun secours – et qu’à la consolation nous préférerons la vérité. Nous irons alors vers lui. Et le soleil – l’unique soleil – rayonnera au fond de notre âme admise et réconciliée...

 

 

Lire et dire le chemin. Lire et dire l’histoire. Lire et dire l’origine et la fin. Déchiffrer les signes, la vie, le rêve, la mort et le mystère. Côtoyer Dieu, le ciel, le silence et la joie. Devenir plus humain que les hommes – que toutes ces bêtes si peu affranchies des instincts...

 

 

Moribonds encore parmi les rêves et les peintures. Cherchant un peu de joie – un peu de souffle – pour prolonger l’agonie – et la rendre plus vivable – et plus désirable que la mort. Ainsi survivent les hommes si peu soucieux du monde et de la vie – et si peu enclins à plonger dans leur condition pour échapper aux malheurs – à cette misère d’être vivant...

 

 

Une main, une voix, des signes, le langage. Et de ces penchants ne naîtra qu’une circulation du monde et du temps. Quelques battements sur le tambour des saisons. A peine assez pour vivre – et apprendre à aimer. Incapables de nous faire franchir les murs de l’éternité – et nous faire rejoindre cet ailleurs – ce nulle part – où l’âge, la vie, la mort et la pensée se côtoient sans peur – en se mêlant en un seul visage – en un seul rêve peut-être – comme le gage (l’unique gage possible) pour (ré)concilier la rondeur du monde, la nudité de l’être et la sécheresse des lignes – et les transformer en une volupté perçante et incorruptible. La seule possibilité de rencontre en vérité...

 

 

A la source du repos, l’arbre et la neige retrouvés. La transformation de la peau en ciel – et des visages en acquiescement perpétuel. Le flamboiement des âmes à l’horizon. Au cœur du secret où les ombres s’habillent de lumière – et où le silence n’est qu’un chant pour lui-même...

 

 

Le retournement du rêve sur lui-même. La place vacante transmutée en désir d’abord, puis en silence. Et dans cet espace silencieux, la plus haute présence initiant l’œil – et les visages – à l’indéfinissable réalité du monde...

 

 

Labour, vent, ciel en friche. Et le soleil caressant les étroites parcelles de la terre. Source et astres rôdant parmi les moissonneurs et les âmes vagabondes. Et le silence comme unique baiser sur les visages tristes et grimaçants...

 

 

Et on voit les hommes et les âmes aller par deux, main dans la main, rejoindre la solitude et la mort en espérant encore un regard, une présence, une chaleur – un soleil peut-être – qui n’éclairera que leurs ombres – et les enfoncera davantage dans leur détention...

 

 

Et si, une fois de plus, il nous fallait dire, nous dirions le silence... Ce petit mot qui signifie – et décrit – ce si grand espace où nous savons si peu vivre. Et l’entendrions-nous penchés sur nos peines, capturés par nos rêves et nos écrans, graissant, en quelque sorte, la patte à la malice des siècles, je crains qu’il nous faille plus qu’un songe – et plus qu’un désir – pour l’écouter et nous y fondre...

 

 

Et ce cri du monde si puissant – et si inaudible pourtant aux oreilles de tous les visages qui s’avancent – passant du noir au gris, puis du gris au noir comme si quelque chose en nous n’y entendait rien... Comme un murmure – un clapotis familier – dans les bruits tenaces et arrogants des hommes. Comme un espoir peut-être (de libération qui sait ?) sur le sable et les pierres sombres et menaçantes des chemins où végète entre ses barreaux l’âme triste et solitaire...

 

 

Plus légères que le vent, nos âmes peut-être... Et le poids de la chair et du sang dans le destin – et le festin – du monde... Comme si pour vivre, il nous fallait oublier – ne pas se rappeler (surtout) l’incertitude du ciel et des saisons – et les amas d’os qui s’amoncellent sous la terre...

 

 

Nous avons vécu, inspirant et expirant, seconde après seconde, jour après jour, siècle après siècle. Et qu’avons-nous vu ? Qu’avons-nous appris ? Qu’avons-nous compris ? Et qu’avons-nous aimé ? A peu près rien ni personne... Qui se cachait donc au-dedans de nous pour donner à notre visage cet air d’incompréhension et d’insensibilité...

 

 

Et ils se jetteront sur notre dépouille comme ils se sont jetés sur notre corps vivant sans laisser la moindre chance à la fleur que nous abritons d’éclore et de s’épanouir... Sans laisser la moindre chance au silence de nous défaire... Affamés toujours de ce que nous pouvons – de ce que notre vie et notre mort peuvent – leur offrir. Gloutons terrestres. Chair de désirs et de rêves se nourrissant de chair, de rêves et de désirs... Ainsi tourne le monde autour de la lumière, s’emparant de tout – et suçant la substance de tout ce dont il s’empare...

 

 

Qui se souviendra de notre vie en regardant quelques photos, en lisant quelques lignes ou en écoutant le silence – oubliés depuis si longtemps ? Qui saura se souvenir de notre œuvre en parcourant les collines, en croisant les arbres, en conversant avec les bêtes ou en contemplant la beauté des fleurs et des pierres sur quelque chemin de campagne ? Qui se rappellera que quelqu’un déjà pensait à eux avant de mourir...

 

 

Là où nous pleurons, le cœur est plus vif. Et l’espace sans limite plus abordable. La lumière, souvent, n’attend que les larmes pour se montrer. Mais elle ne s’invite pleinement que lorsque nous avons asséché toute illusion et tout espoir de la voir arriver...

L’abandon demeurera toujours l’unique chemin de la délivrance...

 

 

L’homme face à la vie. L’homme face à la mort. La vie face à la vie. Et la mort face à la mort. Et réciproquement jusqu’au jour où l’on s’éveille vivant – plus vivant et plus réel – et plus lucide que jamais – parmi la vie et la mort – et parmi les morts et les vivants. Et profondément silencieux. Avec la certitude de l’éternité présente au-dedans de tout...

 

 

L’arbre, le souvenir, le soleil. Et cette main – et cette faim – qui auront caressé – et dépecé – la chair cachée entre les pierres. Et la pluie, la brume et la tristesse. Comment oublier cette existence vécue parmi les hommes et les vivants... parmi tous ces poignards sous la gorge au milieu des rires et des cris – parmi la foule et les yeux indifférents. Vivre n’aura donc été que cela...

Comment pourrions-nous nous en satisfaire... N’avons-nous donc pas vu les cimes, les feuilles à l’automne, les tombeaux et la chair rouge mutilée... Avons-nous vraiment cru, en vivant ainsi, œuvrer à notre destin d’homme... Dieu, le silence et la joie n’étaient-ils donc pas visibles depuis la terre qui nous a vu naître – qui nous a élevés et nourris – et qui a fini par nous recouvrir... N’étions-nous donc pas là – absents peut-être au monde et à la vie – absents à nous-mêmes – pour succomber à l’effroi et aux contingences de la survie sans pouvoir réaliser l’indigence de notre condition – essayer de nous en extraire – et faire quelques pas vers ce que nous sommes – et nous attend...

Le sommeil, fils de l’ignorance, n’aura, au fond, servi que notre dérisoire perpétuation...

 

 

L’homme – et la question de l’homme si peu vivante au cours des siècles. Comme si l’histoire humaine pouvait se résumer à la survie, aux luttes, à la conquête – et à la défense – de territoires, aux massacres, aux pillages et aux guerres fratricides... et à quelques mesures – quelques progrès – pour organiser le fonctionnement collectif, le quotidien et le bénéfice des tueries, perpétrées au nom du profit – cette sauvagerie qui a toujours tu son nom... 

 

 

Au fond, peut-être, ne vit-on, ne travaille-t-on et n’organise-t-on sa vie – et n’écrit-on allez savoir... – que pour tromper la mort et l’insupportable sentiment de vide et de solitude. Quelques gesticulations comme une médiocre tentative – et un dérisoire pied de nez – pour échapper au silence et à l’immobilité. L’infime essayant de s’extraire de l’infini – et de l’oublier... Elans, sursauts et essais voués au néant – et prêtant, sans doute, autant à rire qu’à pleurer...

 

 

Ces voix qui crient, se lamentent et implorent sont-elles les nôtres ? Et ces visages crasseux – balafrés de souffrance – et tous ces pleurs sont-ils les nôtres aussi ? Mais alors pourquoi ne nous en apercevons-nous pas ? Si nous osions les regarder – les regarder profondément – les regarder pleinement – nous le sentirions avec une telle évidence. Et les massacres, les peines et les plaintes – toute cette misère – cesseraient sur le champ...

 

 

Face aux questionnements existentiels – et à la question métaphysique, centrale et récurrente, de notre condition de vivant, comment osons-nous fuir ? Comment osons-nous les évincer – ou les corrompre – pour des interrogations contingentes qui relèguent l’existence à une histoire de survie et de rêves (médiocres) de mieux-vivre et de reconnaissance (très souvent) ? Ne sentons-nous donc pas nos tremblements à chaque pas ? Ne voyons-nous donc pas la fin annoncée – toute proche – l’arrivée éclatante de la mort, partout – à chaque instant ?

Faut-il donc pour ne rien voir – ni rien vouloir comprendre – avoir les yeux scellés à la plus profonde ignorance et éprouver une peur viscérale de ne pas être ce que nous imaginons – de ne pas être destinés à ce à quoi nous nous échinons jour après jour, siècle après siècle... ? Comme si nous n’étions encore prêts à admettre la vanité de nos existences et de nos constructions pour échapper à notre condition animale – à notre destin d’entités organiques saupoudrées de quelques prémices d’intelligence...

 

 

Vie, temps et énergie, voués à la seule question – et à la seule réponse – indispensables pour vivre sa condition d’homme alors que l’humanité (presque toute l’humanité) ne s’échine qu’aux contingences, éminemment prosaïques, de la survie et du mieux-vivre...

Où est l’homme ? demandait Diogène (en se moquant de Socrate). Je l’ignore. Une seule certitude peut-être : nous le cherchons encore aujourd’hui...

 

 

L’âme si lente – aux avancées si laborieuses. Comme étrangère à ces siècles de fureur et de vitesse... D’où peut-être son éviction du monde humain...

 

 

Tant de pertes et d’effroi – tant d’espoirs et de supplices – avant de pouvoir goûter l’innommable – l’inespéré...

 

 

Aurons-nous su dire avec notre vie – avec nos gestes et notre présence – ce que les mots – notre parole – auront peut-être réussi à atteindre ? Espérons seulement que notre existence aura su se livrer à cet exercice de lumière et de haute voltige...

 

 

La mort n’est, sans doute, terrible – et terrifiante – que pour les vivants. En effet, que savent les morts du passage dans l’au-delà (et de leur retour parmi nous)...

 

 

Impuissants face à la vie. Et impuissants face à la mort. Plongés (toujours) au cœur de cette invitation perpétuelle des circonstances à l’abandon...

 

 

La perte toujours jusqu’au plein désossement de ce que nous espérons et croyons être – jusqu’à la chute et l’envol simultanés accomplis sans appui ni filet...

 

 

Souvenez-vous de ce que nous aurons vécu – seuls et ensemble... Souvenez-vous de nos rires et de nos larmes... Souvenez-vous de nos vies et de tous nos espoirs livrés au monde et aux chemins – offerts à l’outre du temps... Souvenez-vous de cette malice au fond de nos yeux, aveuglés et percés mille fois par les circonstances... Souvenez-vous de ce si peu à vivre que nous aurons gaspillé à je ne sais quoi... Souvenez-vous des saisons et des visages – et de notre impuissance à les satisfaire (et plus encore à les combler)... Souvenez-vous de ces fêtes organisées en l’honneur de ceux qui nous auront entourés – et de ceux qui nous auront quittés – et qui ne sont plus depuis bien longtemps... Souvenez-vous de ces jours – et de tous ces siècles – passés à attendre Dieu sait quoi... Souvenez-vous de nos élans et de nos bâtisses, de nos bêtises et de nos bassesses, de nos œuvres et de nos territoires – et de tous ces chemins inexplorés et inconnus... Souvenez-vous – souvenez-vous de tout – et oubliez – oubliez tout – pour nous rejoindre dans ce silence où tout s’abîme et renaît ni meilleur ni moins bon qu’il ne l’était...

Et identiques – et un peu différents peut-être – nous irons encore – ensemble et aussi seuls que nous l’étions autrefois...

 

 

Autrefois, il y avait une route offerte à chaque instant que nous n’avons su voir – et que nous n’avons su emprunter. Et elle est là encore qui nous attend. Et elle sera toujours là demain. Plus tard. A jamais...

 

 

Un chant, un pardon, un regard, une présence toujours nous accompagnent où que nous soyons – qui que nous soyons – et quelle que soit notre existence. Notre vrai visage...

Penchez-vous donc un peu, inclinez-vous davantage, laissez-vous cueillir et sachez vous abandonner, et vous les apercevrez – aussi intacts qu’hier – aussi intacts qu’aux premiers jours. Demain peut-être les retrouverez-vous...

 

 

Le petit poète – moins que rien – moins que quiconque – le plus seul des hommes peut-être – et le plus humble sûrement – assis dans son pas, sa parole, ses lignes et sa marche solitaires. Loin de tout – loin de tous – offrant, dans ses gestes et ses pauvres poèmes, sa chair et son âme – le peu qu’il a découvert – ce chemin de l’ineffable. Les livrant à l’indifférence du monde et des hommes en ignorant toujours si son œuvre (misérable) et son destin (si dérisoire) auront quelques incidences... Soumis comme l’herbe, l’arbre et la fleur à l’humilité et à l’anonymat – au sort insignifiant des sans-grades dont l’existence et le labeur sont pourtant des chants célébrant la beauté et le silence – la solitude et la misère des vivants...

 

 

Au commencement, il n’y avait ni verbe ni visage. Rien qu’un grand silence. Et un ennui – et une solitude peut-être – inimaginables – qui donnèrent naissance à quelques pas de danse. Comme une ronde offerte à elle-même pour emplir un vide irremplissable... Et de cette danse – et de cette ronde – jaillirent le monde et la vie – les pierres, l’herbe, les fleurs, les arbres, les bêtes et les hommes. Et de cette fête insensée naquirent des générations, des mariages et des civilisations. Mille unions – mille luttes – et mille constructions – à la fois tristes et festives qui donnèrent à la vie et au monde leurs couleurs – et leurs rythmes à l’histoire de la terre et du vivant... Et nous n’en sommes, sans doute aujourd’hui, qu’aux prémices du spectacle...

 

 

Au commencement (de l’homme et du monde), un balbutiement – quelques balbutiements. Des velléités de langage pour répondre aux besoins de survie. Et, bientôt, l’accumulation et l’échange d’informations – puis de savoirs – pour satisfaire les nécessités et les désirs – combler les exigences de nos existences – et assurer notre perpétuation – qui se transformeront très vite en appétits, en impératifs et en caprices pour donner libre cours (et légitimer) nos exactions – exploitations, destructions, massacres et anéantissements – à seule fin de vivre mieux et plus longtemps. Puis apparurent l’usage tendancieux et l’asservissement progressif et insidieux du langage pour communiquer des événements et des nouvelles toujours plus insipides et anecdotiques, pour offrir davantage de distractions et de divertissements aux peuples et manipuler les foules, ignares et crédules, à l’intelligence toujours aussi balbutiante...

 

 

Des pierres sèches et brutes partout – puis polies à la main – puis usinées – pour l’habitat – et délimiter les frontières (et les fortifier) – et morceler cet espace originellement vierge de toute démarcation... Ainsi sont nés les territoires géographiques, et avec eux, une myriade d’autres territoires (psychiques, affectifs, intellectuels...) toujours plus personnels et étroits. Comme un démembrement continu et dévastateur de l’unité – de toutes les formes de l’unité originelle...

 

 

Une fenêtre, du sang, un destin. Et une kyrielle d’éclaboussures, de balafres et de cicatrices en attendant la mort. Vivants de chair à l’âme si exsangue. Moribonds jusqu’à l’heure du trépas...

 

 

Une terre, une vie. Et mille tourments encore... Et cette folle attente du printemps – d’un soleil – n’importe lequel pourvu qu’il réchauffe – et qu’importe qu’il n’éclaire que l’espoir et les horizons... Nous sommes si pauvres. Nous sommes si seuls. Nous sommes si démunis face à la vie, face au monde et à la mort – devant tous ces visages qui ne nous regardent pas... ou si peu... ou si mal...

Mais une autre terre – plus haute et plus basse à la fois – et un autre ciel – plus vaste et plus lumineux – nous attendent. Et nous sommes si peu à les voir...

 

 

Entre l’âme et la chair, ce doute qui envahit nos vies – et tout l’espace nécessaire à sa disparition. Comme une nuit qui nous promettrait la splendeur et ne nous offrirait que la peur et la détresse. Un destin de malheurs, si proche pourtant de la joie...

 

 

Je marche sans visage sur un chemin qui ne m’appartient pas. Et nous sommes des milliards à vivre ainsi. Inconnus – et perdus – à nous-mêmes. Comme empêtrés dans une longue errance entre le début et la fin – impossibles – du silence...

 

 

[Court hommage à Claude Esteban]

L’originelle ingénuité de l’être qui éprouve notre ardente patience...

 

 

Une terre, un ciel, un soleil, des nuages. Partout – où que nous soyons – et où que nous allions – ici et ailleurs – nous serons toujours le jouet de notre histoire – et celui de tous les visages présents. Malgré leur multitude, jamais il n’y aura d’autres terres, d’autres ciels, d’autres soleils et d’autres nuages que ceux qui sont là devant nous à l’instant où nous sommes...

 

 

La vie et le monde sont un mirage. Malheureux pour les uns (la plupart). Et incompris par tous (presque tous). Notre visage est ailleurs depuis toujours. Et cet oubli est la source de toutes nos peines et de tous nos tourments. Et nous vivons ainsi, depuis notre naissance – depuis des siècles – depuis notre origine – dans le leurre de notre propre histoire...

 

 

En ce monde – en cette vie, rien ne pèse en définitive sinon le désir et la mémoire. Comme une charge – un fardeau – inutiles dans nos existences, bien sûr – mais plus douloureusement encore dans la compréhension de notre vrai visage – si léger – si transparent – si invisible toujours...

 

 

Et nous reviendrons toujours aussi neufs qu’autrefois nous qui n’avons jamais cessé d’être pour chercher encore ce qui nous échappe sous l’apparente diversité des traits et des visages – et pour rencontrer celui (et tous ceux) qui se cachent quelque part, entre les pierres – et savoir s’ils nous ressemblent – et vivent comme nous – avec la même entaille dans la chair, et le même cri – et la même espérance – au fond de l’âme, avant la fin des jours – avant que nous soyons appelés en d’autres lieux pour poursuivre notre interminable fouille...

 

 

C’est parce que le jour se tient droit que la nuit peut basculer – et se coucher sous nos pas...

 

 

Inscrire sa vie – ses gestes, sa parole et son nom – (modestes entre tous) non dans la marche du monde et des siècles mais dans le silence le plus vivant – le lieu de tout véritable destin...

 

 

Entre l’immédiat et l’inaccessible, cette vérité insaisissable que sont la présence et la poésie – et la tâche (la mission peut-être...) essentielle de l’homme, mais fort oubliée(s) depuis toujours...

 

 

La vie appelant la vie – le jour appelant le jour – la nuit appelant la nuit – et la mort nous appelant tous – ainsi est (et évolua) le monde. Ni moins triste, ni moins joyeux, ni meilleur ni pire qu’autrefois. Le même sans doute malgré quelques différences (infimes) entre les époques, offrant toujours la (même) possibilité de se découvrir...

 

 

Présence – et présence au monde – plus invisibles que notre voix – et que notre nom – si ostensibles, et si vains, face au silence – et face à la vie qui va, qui vient, qui tourne, qui repart et s’efface... N’aurons-nous donc été que cela ; un orgueil, une arrogance et une (médiocre) tentative d’exister. Et quelques pas supplémentaires, sans doute, dans l’ignorance...

 

 

Quelques voix. Quelques cris. Quelques morceaux de ciel. Presque rien. Et le désir encore. Et pour les âmes, cette route blanche interminable...

Et la présence de la mort (et du silence) au-dedans des voix, au-dedans des cris, au-dedans des morceaux de ciel. Au-dedans de tout. Et au-dedans même des âmes et des désirs – et sur toutes les routes blanches, vertes, rouges et noires de l’univers...

 

 

Etrangers à nos propres rêves – et à notre propre lumière. Comme des ombres hagardes, errantes, assoiffées de n’importe quoi...

 

 

Une rive, des confins, un sommeil. Et un veilleur, entre regard et solitude, qui guette l’impossible...

 

 

Le vide, l’existence, le monde. Et notre désastreux désir de tout ordonnancer. Comme si nous pouvions ranger la vie, les êtres, les choses et la vérité dans des tiroirs – et les utiliser à notre convenance... Avons-nous donc oublié qu’ils ne sont qu’un entremêlement de tous les usages, de tous les commencements et de toutes les fins – la continuité du possible et de l’impossible – la persévérante poursuite du vent et de l’indicible à travers les pierres et les visages...

 

 

Nous sommes au centre du lieu qui n’en est pas un – hors de tout lieu – où les pierres et les visages ne sont que des passages – et des passagers – qui naissent, passent, tournent, s’enlisent parfois et meurent avant de revenir ou de partir pour d’autres terres...

Nous sommes le seuil – et la frontière – de toutes les apparitions...

 

 

Quand saurons-nous donc voir derrière les pierres et les visages la transparence – la seule certitude de notre existence. Cette présence invisible qui leur donne leurs airs et leur arrogance – et jusqu’à la fierté maladive de leur ignorance...

 

 

 

Tout recommence. Toujours. Le jour, la nuit, les étoiles, les pierres, les montagnes, les visages. Tout apparaît. Prend forme. Prend vie. Trace sa route. Se perd. Et s’efface jusqu’au prochain recommencement...

 

 

Une voix – quelques traits – à peine perceptibles dans le silence. Et qui se donnent pourtant des airs d’importance. Et qui se pavanent avec arrogance parmi le petit peuple des visages. N’ont-ils donc pas vu – ni mesuré – la distance qui les séparait de la plus lointaine étoile...

Foule infime d’une galaxie éphémère qui croit briller dans sa vitrine sans voir ni le fond – ni l’obscur – des abysses où le cosmos est plongé. Et qui n’a d’yeux que pour la lumière qu’elle a inventée sans même se douter du soleil magistral – souverain – qui l’habite, l’entoure et l’a créée...

 

 

Nous vivons – et crions notre envie de vivre (et d’exister) en oubliant que nous sommes une poussière sur un (malheureux) caillou perdu au milieu des étoiles. Et qu’un seul soleil mérite notre voix – et notre fierté – celui qui brille dans la nuit la plus obscure mais qui peine (rechigne sans doute) à se lever devant notre si arrogante (et aveuglante) ignorance...

 

 

Cette succession d’instants – vécus de la plus présente et immobile façon – constitue pourtant une vie (des vies peut-être...) perçue(s) dans la durée d’une manière si bêtement linéaire et continue. Révélant cet apparent paradoxe du temps : son inexistence évidente (et pourtant si peu comprise) et l’ipséité si répandue – cette illusion de la continuité...

 

 

Toutes ces heures où nous n’aurons su être – écouter et agir. Comme paralysés dans notre attente de ce qui n’est pas venu – et qui, peut-être, ne viendra jamais...

 

 

Ce silence partout. Comment faisons-nous pour ne pas l’entendre – et faire la sourde oreille à ses si sages consignes... Le monde nous aurait-il arraché l’âme – et le peu d’intelligence que nous aura offert la terre... Une voix pourtant nous parvient au-delà des brumes – au-delà des horizons. Comme une allégresse derrière – et au-dedans de – la mort...

 

 

La vie, le temps, la joie, l’Amour, Dieu et la mort. Le silence, l’infini et l’éternité. Ces grands mystères au fond de l’âme des hommes qui cherchent la clé – leur délivrance – au-dedans de ce qui ne peut éclore encore...

 

 

Rien n’existe en dehors des pierres et des visages. Et pourtant, quelque part, quelque chose nous attend que l’on ne trouve que (trop) rarement sur les figures qui nous font face. Mais en les retournant – ou en les fouillant – peut-être le découvrirait-on... Qui sait où Dieu a caché notre mystère...

 

 

Des vies, des soirs, des fables. Ces petites aventures qui font nos vies. Qui les agrémentent. Et les éloignent, si souvent, du plus présent...

 

 

L’oiseau nous promet son chant. Et le ciel, sa lumière. Mais que dirons-nous à l’enfant dont le visage ne côtoie que la faim et la poussière. Sera-t-il pris par la mort avant de les entendre et de les voir...

 

 

Un geste, une tendresse, un instant côte à côte devant le monde et la mort avant même que ne nous vienne l’idée du silence...

 

 

Pas un seul instant de cette vie consacré à l’étude – et au face-à-face avec la plus lancinante question. Comme si une main, un visage, un jardin et les promesses d’une aurore improbable (nous) suffisaient...

 

 

Il pleut encore. Et sur nos pages mouillées se dessine le visage de Dieu – hilare et trempé – comme ses lèvres qui parfois embrassent notre âme. Comme un silence perçant toutes les murailles – et pénétrant le fief triste où nous agonisons en espérant le réconfort d’un soleil improbable...

 

 

A peine levés – à peine debout – qu’il nous faut tendre la joue et nous agenouiller devant tous les pouvoirs – et devant tous les puissants qui se partagent la terre – et le monde – comme une miche de pain réservée à ceux qui mettent davantage en avant leurs dents (et leur appétit) que leur âme. Ah ! Innocents, pauvres foules et peuples malheureux que l’on évince de tous les festins...

 

 

J’ai crié ton nom puis je l’ai oublié – parti peut-être avec ce peu d’espérance qu’il me restait... Je t’ai appelée mille fois du fond de cet abîme. Je t’ai souhaitée belle et aimante. Et éminemment présente. Et tu ne m’as pas répondu. Peut-être ne te faisais-je pas encore suffisamment pitié... Peut-être – sans doute – n’étais-je pas encore digne de ta venue... Et tu m’as ainsi laissé dans le noir pendant mille siècles... Et un jour, au pire de l’attente – alors que je n’espérais plus rien, ni la mort ni même ton arrivée éclatante – tu es venue. Et je t’ai vue pour la première fois. Et j’ai su enfin qui tu étais...

 

 

Un monde, des couloirs, des portes. Tout un univers d’écriteaux, d’étiquettes et de visages. Et parmi eux, la mort qui nous absente – et le silence qui nous offre d’être plus vivant...

 

 

Nous sourcillons de petits riens. Et d’inquiétude en tourment, nous allons – nous nous enfonçons plus profondément – dans la contrariété. Cette forme d’inassouvissement du désir qui ne cesse de nous éloigner de ce rêve un peu fou de tranquillité...

 

 

Ce froid si sauvage de l’hiver au cœur des saisons – au cœur des visages. Au cœur de tout ce qui passe – et qui nous laisse et nous abandonne comme si nous n’existions pas. Comme si nous n’avions pas droit au chapitre – ni à la parole – pour dire cette effroyable solitude qui nous consume...

Et ce monde clos, aveugle depuis si longtemps, qui compte les jours. Et nos tâtonnements timides et voraces pour assouvir la bête qui, en nous, crie et s’avance...

 

 

Hier, aujourd’hui et demain. Cette éternelle rengaine des jours. La petite ritournelle de nos vies...

 

 

Un désir d’été, voilà ce qui nous traverse au cours de ce long hiver. Et un besoin – un rêve – affamé de soleil, voilà notre songe le plus tenace au cours de cette longue nuit...

 

 

Des hommes, des arbres et des âmes sont passés. Et nous n’aurons vu que les étoiles briller au fond de leurs yeux – et au fond de leurs rêves. Un peu de lumière dans l’obscurité...

 

 

Nous faisons tous fausse route sur l’horizon. Mais nous ne connaissons d’autres terres. Et le ciel en nous a perdu tout espoir de se retrouver...

 

 

Nous vivons – et œuvrons. Nous croyons vivre et œuvrer mais nous ne faisons, en vérité, qu’amasser de la poussière – ajouter de la poussière à la poussière. Et sans même le voir ou le comprendre, nous sommes fiers de ces amas. Comme si la poussière pouvait nous protéger – et nous aider à nous extraire de la misère et de la solitude. Comme si la poussière pouvait nous sauver de l’abandon et de la mort...

Et nous crions notre joie et notre colère. Et rien – ni personne – ne voit nos blessures. Et rien – ni personne – ne peut nous guérir. Nous portons tous sur nos épaules la vie, les mains, les visages, le monde – le poids éreintant de l’Autre, du temps et de la mémoire – des souvenirs et des rêves. Et nous croyons avancer mais nous ne faisons, en vérité, que tourner autour de nous-mêmes – autour de cette faille qui nous cisaille, qui nous éventre et nous soulève vers un silence que nous ignorons encore...

Et cette lumière – ce salut peut-être – cherchés partout – demeurent toujours au-dedans – au fond de la bête sauvage – au fond de cet espace inconnu et impartagé – que nous abritons depuis si longtemps – et ils n’appartiennent à personne – et moins encore à ceux qui croient les détenir et qui en usent à de si médiocres (et détestables) fins...

Et de fable en fable – de mensonge en mensonge – d’hypocrisie en hypocrisie – les mythes du monde et des hommes s’étalent – et s’étendent – recouvrent jusqu’à la plus fragile espérance – et jusqu’à la plus lointaine lumière...

Et le noir – épais – dense – indélébile – a fini par tout envahir pour devenir notre réalité – la seule vérité possible...

 

 

Nous œuvrons, comme les bêtes, à notre propre ignorance. Et à notre propre désespérance. Bouts de terre – bouts de chair – à peine pensant...

Et les étoiles – et le plus vif soleil – pourraient briller partout, au-dedans comme au-dehors, au fond des rêves et de la lumière – sur tous les horizons – nous ne verrions rien. De la poudre pour les yeux qui chercheraient de l’or – et fouilleraient dans la boue sans le voir...

 

 

Et tout sera fini – et tout même était déjà fini avant que nous ne naissions et ne commencions à marcher... Les naissances, les chemins et la marche ne sont que d’inutiles tentatives pour trouver ce qui a toujours été là – ce qui ne nous a, au fond, jamais quitté. Et que nous le découvrions – que nous finissions par le découvrir – n’a (et n’aura jamais) d’importance... La vie, le monde, les êtres ne sont qu’un jeu de dupe – un leurre pour les ignorants – une façon de plonger dans l’infortune, l’incertitude et la découverte en croyant y échapper...

 

 

Nous nous racontons – ne cessons de nous raconter – mille histoires pour croire à notre réalité – oublier et légitimer notre vaine – et merveilleuse – présence. Mais nous ignorons – continuons d’ignorer – ce que cachent le ciel et la terre – et cette lumière, toujours inaccessible, au fond de l’âme.

Nous sommes – et resterons toujours – des jouets – des pantins – sous le joug des nécessités et de la mort. Des marionnettes aux fils rompus livrées à elles-mêmes et à leur ignorance...

Face à l’Absolu et aux visages, nous n’aurons, en définitive, crier que notre faim et notre incompréhension. Et pourtant nulle trace d’humilité dans nos plaintes et notre effroi. N’y brille que cette arrogance des ignorants qui imaginent savoir...

 

18 décembre 2017

Carnet n°127 L'âme, les pierres, la chair et les visages

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Chevelures emmêlées à la suie, aux étoiles, à l’enfance, aux pierres, aux chemins, au printemps, à la boue et à la mort. Vies sans aveu qui passent... Jours sans regret qui s’éteignent en silence... Songes balafrés par les exigences de l’Amour... Âmes trop fragiles qui balbutient quelques mots au jour perdu – enfoui si profondément – dans la nuit. Chants – hymnes – obscurément – aveuglément – dédiés au regard...

L’obscure veille où poussent l’humus des siècles, les saisons, la haine et les hommes, les plaintes puériles et le vieillissant soumis à des lieux sans mémoire. Comme un trésor – une légende peut-être – enraciné(e) au creux du plus sordide...

 

 

L’aveuglement tenace de la pierre – et celui, plus atroce encore, de la chair – parmi les étoiles. Et ce soleil d’envergure si lumineux déjà...

 

 

Mille mondes et mille chemins. Et autant de destins portés par – et tendus vers – l’indicible. Le (seul) lieu de l’Unique. Notre socle commun originel. Et pourtant que de fardeaux et de noms voués à l’errance – insensibles au souffle premier – et à ses éclats qui se consument, sans impatience, au fond de l’âme...

 

 

Ce qui fut, bien sûr, sera encore. Et ce que nous sommes demeurera toujours...

 

 

Et cet éveil émergeant du sommeil. Et cette lumière naissant du plus obscur. Comme si le salut, enfoui au fond de l’âme, apprenait (progressivement) à enjamber le lointain (et ses promesses) pour se redécouvrir indemne – aussi intact qu’au premier jour des visages...

 

 

Des corps innombrables, des esprits et des cœurs retrouvant leur fratrie – leur printemps – leur visage unique et éternel...

 

 

Ce que nous fuyons finira par nous rattraper... Et, un jour, toutes les routes – et toutes les issues – seront bloquées pour qu’il pénètre le plus tendre de l’âme – le seuil de toutes les blessures – là où la chair est la plus fragile. Et de ce face-à-face, si souvent douloureux, nous ressortirons plus libres – peurs et entraves dégagées de leur suie, de leurs songes et de leurs monstres inoffensifs...

 

 

A nos côtés – au plus proche – au-dedans et partout alentour – penché sur nous, sur notre âme et notre visage si souvent, ce silence – ce soleil – ce feu – cette lumière. La face de Dieu, trempée de rires et de larmes – infiniment tendre – agenouillée à nos pieds – tenant notre main et enveloppant – et encourageant – chacun de nos pas...

 

 

La lumière précède le souffle dont les pierres, la chair et les visages ne sont que les éclats – et dont l’ultime aspiration est de retrouver leur origine. Dans une boucle sans fin d’oublis et de retrouvailles, d’allers et de retours, d’effacements et de recommencements – le seul jeu véritable au cœur de tous les jeux inventés par les pierres, la chair et les visages...

 

 

De rares rencontres avec les visages. Et de permanentes avec ce feu qui les anime – notre socle commun plus facile à repérer – à accueillir et à accepter – que l’apparente diversité des traits – que cette chair partagée en autant de figures nécessaires inaptes, le plus souvent, aux subtiles retrouvailles...

 

 

L’eau et l’argile. Le vent et la poussière. Et les âmes légères tournoyant dans la matière alourdie par les rêves et les désirs. Ronde fleurissante de silhouettes au bord de l’infini, tantôt frémissantes, tantôt agonisantes – jetées ici et là, partout. Enlaidissant et embellissant le monde au gré de leurs danses fébriles – presque frénétiques. Et cherchant partout leur ancrage – à retrouver la terre qui, au premier instant de la nuit, les a exilées...

 

 

Les chants du monde. Et toutes les rengaines – et les petites ritournelles – de l’être – et ses jeux – entre – et parmi – les pierres, la chair et les visages...

 

 

Prières blanches. Inutiles pour rendre grâce au ciel et aux siècles. Le silence toujours préférable. Cet acquiescement irréfutable aux circonstances...

Créatures d’hiver devenues Dieu à présent. Silhouettes, pensées et voyages partis en fumée. Et effacés les gouffres cachés parmi le gravier noir. L’accompagnement invisible du sans nom. Et cette présence plus précieuse que l’or, oubliée – et enfouie pourtant partout – au cœur de l’eau, de l’argile, du vent et de la poussière – et au-dedans des pierres, de la chair et des visages...

 

 

Les mots – la parole poétique. Du vent pour l’âme. Pour la secouer (la malmener parfois), la caresser et l’ouvrir. Et de ce passage – de ces mille passages peut-être – ne restera rien sinon cette ouverture – cette possibilité d’ouverture...

 

 

De la marche et de l’écriture ne restera aucun pas – aucune ligne. Quelques incidences sur l’âme peut-être... La seule chose essentielle sans doute – et qui saura traverser la mort...

 

 

Ombres aussi vivantes que la mort. Et l’aube – cette aube inconnue – qui pousse nos pas vers elle. Escaliers, escalades, pentes de tous les délires. Moins valides que l’immobilité...

 

 

Tours défaites à mi-hauteur. Et le temps du sablier qui s’écoule toujours entre deux rêves. Traversée à contretemps des heures vers la grande catastrophe – et ce qui nous délitera plus encore. Cette grande douleur de ne plus savoir – cette impuissance face aux circonstances – et nos résistances tenaces avant l’abandon, l’effacement et la transformation du néant en espace de joie...

Forces au même visage contre le temps, vouées à la pénétration de l’impénétrable...

 

 

Le plus vrai – comme le plus sensible – tremble au fond des visages. Serpente entre les pierres et au-dedans de la chair. Semence originelle, sûre de la continuité de sa source, qui cherche sa descendance. Le sacre de sa substance éparpillée au cœur de l’eau, des rivières, des fleuves et des océans...

 

 

Terrasser l’espoir et les dragons – ces chimères des jours heureux. Le dessein de la mort nous rappelle – et nous ramène – à l’inéluctable face-à-face avec notre condition et notre destin : le plus durable au cœur de l’éphémère – l’immuable, source de toutes les circonstances...

 

 

Visages fascinés par la chair encore endormis sur les pierres. Comme une grande arche vouée à la terre – et la célébrant d’un sommeil rêveur...

 

 

Plus haut que nous, les rêves. Et plus dangereux aussi. Regardez-les donc agiter nos mains – leur faire prendre la pelle et les armes... Regardez donc à quels desseins – et à quel destin – ils nous soumettent...

 

 

Nous sommes nés un jour. Une nuit peut-être... Nous avons vécu quelques heures. Quelques siècles peut-être... Avons agité nos mains. Et nos âmes peut-être... Avons fait couler quelques larmes. Et un peu de sang peut-être... Et nous sommes morts, aussi peu vivants que ce que nous aurons vécu – que ce que nous aurons réussi à vivre peut-être...

 

 

La nuit avale le peu de jour qu’il reste dans nos vies. Comme un ogre à l’appétit colossal, recrachant les os et quelques poils. Et ce cœur perdu au fond de l’âme que nous n’avons su ressusciter. Et c’est la mort qui nous arrachera ce qui reste...

Et cette inconscience de notre vie qui réclame encore notre présence...

 

 

Les merveilles innocentes – sans maître toujours. Et que nous nous approprions pour les transformer en gain, en grains, en armes – en substance maléfique. Comme si le pouvoir infime né de leur possession pouvait nous aider à lutter contre la mort...

 

 

Et dans cette ignorance du destin, nous allons aussi effrayés et criards qu’au jour de notre naissance. Et avec, au fil des chemins, toujours moins d’innocence. Perdus par la route – et l’espoir des routes – qu’arpentent les visages – tous les visages – mangés déjà par la cendre. Et la mort toute proche – si proche – qui nous appelle encore – et la lumière – cette lumière ignorée – qui implore une halte, un rapprochement et une nudité nécessaires à sa venue (plus qu’improbable)...

 

 

Décharnés par le monde et la lumière, nous réclamerions encore un peu de chair pour rassasier notre appétit – assouvir notre goût si prononcé pour la terre. Aveugles encore à la grâce du dénuement. Encore sourds à tous les silences...

 

 

La présence – la conscience – immobile et attentive comme l’araignée au centre de sa toile qui attend que les âmes soient prises au piège. Une seule différence pourtant (mais de taille) : nous sommes à la fois l’insecte, la toile et l’araignée – les trois facettes de notre vrai visage...

 

 

Apprendre l’effacement et l’anonymat. La gratuité sans visage. Le geste et la parole sans auteur. La grande humilité. Âpre exercice au délicieux parfum d’innocence...

 

 

Douce. Et invincible pourtant. Comme la première pierre. La roche originelle. La présence, unique soleil parmi tous les astres de chair. Le seul visage malgré la nuit, les vents et toutes les aurores perdues...

 

 

Le poids de nos bras, de notre cœur et de nos peines, disparu – effacé par la tendresse du regard – et sa puissance inoffensive. Et effacé le sommeil d’avant la naissance du monde. Ne reste plus, à présent, que la légèreté de l’âme ravie – radieuse – qui danse avec les ombres sur ses chemins blancs...

 

 

Et la chair rouge où naissait la tristesse, transparente à présent – et traversée par les rires. Envolée vers le fleuve où s’égaye la poussière. Mise à nu enfin. Délivrée du sang et des écorces. Offrant une ombre plus légère qu’autrefois...

 

 

Torrents, laves et vents lavant tous les secrets des hommes – et asséchant leur écume. Défaisant l’espoir de la terre et délivrant de la soif et de la terreur. Porteurs de la fin de toutes les nuits...

 

 

Soulevé le vent – et soulevée la foule qui cherchait de sa foulée haletante un rêve de chemin, des mains caressantes et des âmes soumises. Et plus qu’un visage – et plus qu’un destin – une promesse d’attention et une torpeur suffisante pour consoler de la tristesse...

 

 

Chants parmi la boue et la mort. Fleurs et vies épanouies au cœur de toutes les fêtes malgré le désert, les larmes et le sel sur les plaies – malgré l’indigence et la poussière...

 

 

Poètes et prophètes méconnus. Sages peut-être que la foule ignore. Et que le silence presse dans leurs œuvres pour qu’éclate la vérité sur les pierres et les étoiles – et qu’elle soit visible depuis la terre par quelques visages qui guettent la lumière...

 

 

Chevelures emmêlées à la suie, aux étoiles, à l’enfance, aux pierres, aux chemins, au printemps, à la boue et à la mort. Vies sans aveu qui passent... Jours sans regret qui s’éteignent en silence... Songes balafrés par les exigences de l’Amour... Âmes trop fragiles qui balbutient quelques mots au jour perdu – enfoui si profondément – dans la nuit. Chants – hymnes – obscurément – aveuglément – dédiés au regard...

 

 

Songe d’une vie immobile. Infiniment silencieuse. Vouée à la lumière et à l’Amour malgré l’insolence des mille printemps à naître, la brume si épaisse des yeux, le vent, les promesses et la mort à venir – plus fidèle au silence que tous les visages...

 

 

La chair et le cœur incompris dans leurs élans. Fouilles, déraison, liberté. Folles embrassades dans le brasier. Vies où perlent l’eau, le sperme et le sang sur les désirs et les visages...

L’obscure veille où poussent l’humus des siècles, les saisons, la haine et les hommes, les plaintes puériles et le vieillissant soumis à des lieux sans mémoire. Comme un trésor – une légende peut-être – enraciné(e) au creux du plus sordide...

 

 

Une parole – et une âme – toujours plus oscillantes que le silence...

 

 

Silence, chemins et anecdotes. Quelques rondes, quelques larmes et quelques pas de danse au cœur de l’indicible – de l’inavouable...

 

 

Cette foule de petits gestes quotidiens – perçus communément comme anodins, insignifiants ou rébarbatifs – et que l’on peut pourtant accomplir en présence, dans un esprit de (profond) respect et de (profonde) gratitude, pour célébrer la beauté du monde et le merveilleux de la vie – et honorer le silence...

 

 

Le premier visage – et l’ultime – au bord du sommeil – au bord de la nuit – et au bord de la chair et de la neige. Source des fleurs et des forêts. Source de toutes les aurores et de tous les mondes. Mais si timide encore parmi les cris, le sang et la paresse...

 

 

Un rire, une musique. La magie de la terre enfantée par la nuit...

 

 

La jeunesse du destin (de notre destin) et des continents. L’enfance du monde – et des créatures qui tètent encore le sein de leur mère. Et l’ombre – la nuit – plus denses que leurs silhouettes. Et plus épaisses que leur gerbe de sang...

 

 

Et cette vie secrète au-dedans de la chair – et au-dedans de l’âme. L’invisible en – et parmi – nous. L’amour serpentant entre nos gestes, nos prières et nos lamentations. Le ciel plus grand que tous nos cœurs désunis...

 

 

A tout réclamer sans cesse, nous ne savons plus vivre de rien... D’un peu de vent – et d’un peu de pluie – sur le visage. D’un peu de soleil et du simple spectacle des fleurs. Dans la compagnie des arbres, des bêtes et du silence. Nous avons presque oublié ce qu’est être vivant...

 

 

Vie immobile en quête d’un printemps interminable. De saison en saison – de haut en bas – et de bas en haut – à l’affût des découvertes, des opportunités et des réminiscences de la mémoire, nous cherchons partout les fantômes du mieux-vivre et de l’expansion dévastatrice. La paume caressant, écorchant et saisissant le peu offert par le destin. Ecrasés par le fardeau accumulé par les années et les siècles et le poids de la mort. Aux aguets d’un souffle, d’un trésor, d’un visage qui jamais ne tiendront leurs promesses – jamais à la hauteur de notre espérance, nous nous enfonçons dans les profondeurs d’une nuit sans fin...

 

 

Une nuit de silence plus sombre qu’ailleurs...

 

 

Sans voix, sans un mot, sans un souffle. Défaits par les rumeurs et l’horizon. Le plus désastreux de la chair et les promesses de royaumes et de soleil. Le sable et l’écume toujours entre les dents...

 

 

La main ouverte – presque autant que le cœur – et presque aussi large – offrant au monde son chant, ses feuillets – noircis de mille traits –, son désert et son silence. Un peu de lumière...

 

 

Un Amour mille fois meurtri par la terre et les hommes. Par la chair et l’histoire du monde. Par les mille naissances et les dix mille morts. Par le massacre et l’agonie de tous les peuples...

 

 

Ne cherchons plus ni l’Amour ni le secret des saisons. Creusons nos vies. Désenfouissons l’inutile. Erodons le superflu. Entendons la vie – son souffle, son désir et son allégresse. Soyons plus vivants que nos pas – et plus vifs que les morts et les vivants. Tâchons de percer notre ultime secret – et de découvrir notre ultime visage. Et sachons nous faire humbles devant les prophéties, inentendues, des poètes...

 

 

La nuit portée autant par les ombres que par les étincelles de la foule aveuglée par la folie et la faim – par les rêves, les rumeurs et les pas haletants – par les luttes, la torpeur et son impitoyable désir de destin...

 

 

Brume où suintent encore l’espoir, la désespérance, le désir et la mort. Et la haute fouille dans ce qui s’élèvera en nous...

 

 

Le cœur jamais épuisé des chemins. Et l’Amour encore si timide – presque hésitant – parmi les fresques de la terre et la tendresse de la chair – et des âmes – fragiles – balbutiant dans la nuit...

 

 

La neige aussi têtue que la mort, les rumeurs et les fêtes données en l’honneur de la gloire (du monde et des hommes) pour célébrer le printemps et la résistance provisoire des visages...

 

 

Le chemin des alliances possibles – aussi tristes que les têtes couronnées, et soudain décapitées dans leurs élans par la révolte des peuples. Et, sans doute, moins prometteuses aussi...

Seuls le feu – et ce bleu dans le regard – tapis au fond de tous les lieux, pourraient nous délivrer des mariages et des conquêtes – et nous faire abdiquer avant que nos âmes, prises dans le jeu des batailles, ne soient tranchées par le couperet des malheurs – et ne roulent dans les fossés de l’histoire et du temps...

 

 

Le même mystère sous la pluie et le soleil. La même énigme reliant – et réunissant – les âmes, les visages et les mains. Et cette indifférence face à la nuit – face au mirage et au bleu du ciel infini. Et ces errances – toutes ces errances – sur l’échelle de l’absence. Et ces chants qui veillent au moindre désir pour éveiller – susciter peut-être – l’Amour et le silence...

 

 

L’œil, le silence, le feu et la neige. Comme autant d’indices – et autant d’étoiles peut-être – pour délivrer de la nuit et de la sève rouge qui coule lorsque la mort nous appelle...

 

 

Chair aimée et chair aimante. Proies de tous les appétits – déchirées par le sommeil...

 

 

L’interminable agonie du monde et des siècles – des hommes et des bêtes. Le parachèvement de l’horreur. Et l’entêtement des jours, des souffles et des désirs face à la mort...

 

 

L’avenir fécondant la mort. La poursuite des siècles. Partout, la célébration de l’horreur. Et les âmes – toutes les âmes – où ne cesse de rejaillir l’origine. Et cette innocence encore parmi la peur...

Entre le merveilleux et l’effroi. Toujours...

 

 

Ô homme, dis-moi, où avais-tu donc posé les yeux en sautillant – mi-joyeux – mi-infirme – claudiquant peut-être – sur tes chemins de délices ? N’as-tu donc pas vu – et guetté sans doute – cette étrange clarté par la fenêtre au soir de ta vie ? N’as-tu donc pas entendu les chants du printemps au cœur du plus froid de l’hiver ? N’avais-tu donc pour seul espoir que la délivrance offerte par les foules et les peuples ?

Il n’y a de nuit plus longue que pour celui qui espère...

 

 

Et le Diable partout dont nous tenons toujours la queue... Comme le seul appui – le seul réconfort peut-être – après tant de siècles de malheurs. Comme si nous ne connaissions – ne pouvions encore connaître – l’origine du mal – cette chaleur des Enfers que nous prenons pour un paradis en nous réchauffant (maladroitement) dans la proximité des flammes – comme une mince consolation à la froideur, si saisissante, du monde...

 

 

Face aux maîtres du passé – savants philosophiques, métaphysiques, existentiels et spirituels – nous sommes sans voix. Mais nous avons peut-être sur eux un avantage : l’horreur des siècles qui nous séparent – comme un fouet (possible) pour rattraper, avec urgence, notre retard...

 

 

Lorsque la lumière vient contredire l’évidence – et la puissance – du chaos... Comme un baume – un apaisement définitif – sur notre misère de vivant. Avec cette clarté du visage, invincible face aux ombres et au plus obscur de la nuit...

 

 

Un espoir encore – plus que de résuscitation – de silence. Et une joie vivace pour l’âme malgré les périls, les défis, les enjeux et les invitations de la mort. La part en nous la moins funeste – la plus innocente. Et ce goût – notre goût – inaltérable pour la liberté et l’infini...

 

 

Le labour et les blés du monde. La récolte des damnés. Quelques terres émergeant des eaux noires. Et l’abondance du grain comme seule consolation à l’exil et à l’absence...

 

 

Mains tendues vers l’alphabet – hiéroglyphes du langage – incompréhensibles. Incapables de sceller ensemble l’Amour et les étoiles – l’innocence et le sommeil barbare des tribus et des peuples...

 

 

Le silence immobile – immuable – parti et revenu. Aussi intact que le bec de l’aigle planant au-dessus du monde. L’Amour et la mort poursuivant (inlassablement) leur combat...

 

 

Et ce frisson devant l’écuelle. Comme un chant célébrant sa détention. La chair nourrissant la chair. La mort servant la vie. Et la vie servant la mort. Et le verbe implorant l’aurore d’arriver. Permanents dialogues entre les ténèbres et la lumière – entre le sang et l’innocence. Et l’interrogation continuelle de l’homme...

 

 

Crâne à la main. Posé sur les genoux. Livres et bougie sur la table de travail. Plongé dans une (intense) réflexion sur la condition du vivant. L’éternel s’interrogeant au cœur de l’évanescence sur l’atemporel et la brièveté des jours...

 

 

Pulvérisée la passion devant la mort. Et, préalablement, par le temps qui passe – et qui s’évertue à déchirer – et à effacer – la vigueur du sang et l’ardeur de l’âme à s’initier au monde et aux siècles...

 

 

Qu’est-ce qui a pu donc nous trahir dans notre attente, interminable, de la joie... Est-ce le silence... Est-ce l’âme... Est-ce l’homme – et ses promesses... Est-ce le jour qui n’est parvenu à percer la nuit... Est-ce la nuit qui s’est refusée à tout assaut... Est-ce nous, trop simples – trop touffus – et trop pleins d’espérance... Est-ce le temps... Est-ce les siècles... Pourquoi notre attente n’a-t-elle su distinguer la lumière – et la rejoindre...

 

 

Le temps aussi vaste que nos murs. Aussi haut – et aussi épais. Infranchissable sans doute mais que l’on pourrait pourtant percer pour unifier les territoires – et découvrir, dans l’unité, l’espace commun affranchi des frontières et des séparations. L’unique lieu de la réconciliation (de toutes les réconciliations)...

 

 

Sous les saisons, ce feu – ce désert – ce silence habité par toutes les grâces – et dont la pluie, le soleil et les nuages ne sont que les passagers. Aussi provisoires que les visages...

 

 

Dans le chaos général, le foisonnement des labyrinthes intimes qui crient leur faim et leur effroi. Et cachés derrière, les tremblements des âmes vouées à la solitude et au froid...

 

 

Et cette foule et ces drames – joueurs invétérés du rêve qui continuent de hanter le monde – nos vies (toutes nos vies) – et nos âmes. Livrant au réel le plus âpre, et ardent, combat. Clouant les êtres et les choses à la nuit. Marchant aveuglément et dépeçant – et redépeçant encore bien au-delà de la mort. Susurrant la buée et le mensonge dont les vivants se parent pour aller arpenter, en claudiquant, tous les déserts à seule fin de fuir ce qui les appelle – et les étreint déjà...

 

 

L’interminable attente de toutes les fins. Avant tous les recommencements. Et le renouvellement perpétuel du monde, des âmes, des pierres et des visages. L’éternelle renaissance de la chair...

 

 

Rives brunes où les âmes suffoquent. Où l’eau a la couleur de la mort. Où les roseaux sont taillés pour assouvir la faim. Où les lames dépècent la chair et les âmes. Où les pas s’enlisent dans la recherche du même soleil. Où les bêtes et les hommes meurent – ne cessent de mourir – meurent encore et meurent toujours – au cours de leur fugace traversée – mille fois recommencée pourtant sous d’autres traits, sous d’autres auspices et en d’autres lieux. Comme une nuit sans fin cherchant sa délivrance – son salut – un peu de lumière...

 

 

Lumière encore. Lumière toujours. Jamais éteinte...

 

 

Et qui se tient donc dans la prunelle – et contre elle parfois – et derrière si souvent... Serait-ce notre chance – notre âme arrachée aux barricades et aux citadelles – le vide – le rien – le vrai nom de l’homme... Serait-ce ce qui échappe à la terre, aux saisons et aux asiles de la première heure – un doigt – une main peut-être – pointé(e) vers la lumière – quelques marches dont on ne sait si elles montent ou descendent – la sœur – la mère peut-être – la mère sans doute – de toutes les ombres – cette forme indicible que nous sommes – et qui ne se dévoile que dans notre parfaite étreinte...

 

 

Que pourrait-on offrir à l’usage des vivants ? Un baiser. Une attention. Un geste parfois. Un peu de silence sûrement...

 

 

Dieu parfois – si souvent – aussi racoleur que les rêves. Ainsi les hommes ont-ils bâti les religions pour faire croire – et espérer. Et détourner maladroitement des instincts...

 

 

Comme une barque promise à l’océan qui devrait (préalablement) suivre les rivières et les fleuves – toutes les rivières et tous les fleuves – et voguer sur tous les ruisselets et les marigots pestilentiels où croupissent les morts et les vivants – et où se sont échouées les barques de nos aïeux emplies encore de leurs os et de leurs rêves. Et atteindre tous les ports provisoires – et attendre la marée – et la lune qui brille dans le ciel sombre pour guider notre naufrage – avant de se laisser porter vers l’autre rive, inexistante peut-être – et invisible sûrement aux yeux encore trop frileux des flots...

 

 

Là où nous sommes tombés, nous retomberons encore. Jusqu’au fond de l’abîme. Jusqu’au néant. Jusqu’à l’enfouissement. Jusqu’à l’ensevelissement acquiesçant. Seul gage – et unique possibilité – de l’envol...

 

 

Lieu interdit à la paresse autant qu’à la volonté. Où profondeur et ouverture se côtoient – s’entraident et se complètent – pour accueillir – et rendre vivants – le silence et l’Amour...

 

 

L’obscurantisme de tout – de tous. Partout. Et cette lumière que l’on s’évertue à effacer – à oublier. Inattaquable. Inébranlable. Indemne toujours malgré toutes nos tentatives pour l’éradiquer...

 

 

L’ombre. Et ses mesures. Interminables. Cette folie si familière des hommes...

 

 

L’or, la cendre et la poussière. Le silence, la joie et la lumière. Comme les deux faces d’un même visage séparées par l’ignorance...

 

 

Absence et présence éparses. Eparpillées entre le silence et les visages – entre les yeux perdus et l’espérance...

 

 

Au bord du vertige toujours. Là où l’abîme et le silence sont inséparables...

 

 

Demain sera peut-être un autre jour à célébrer... Loin du culte que l’argile voue au ciel et à l’invisible détachés de la terre. Proche de – identique peut-être à – celui que l’argile voue au ciel et à l’invisible cachés au-dedans d’elle-même...

Il n’y a de Dieu absolu séparé du monde. Là où sont la chair et le sang – là où sont la fleur et la pierre – est le divin. Le seul divin possible pour les hommes...

 

 

Une blessure. Des blessures. Le plus exact reflet de l’âme. Une joie, un silence, une lumière, son plus loyal miroir...

 

 

Une rivière, des fleurs, des pierres. Un peu d’herbe, quelques arbres. Un coin de terre où construire un abri – une masure pour se protéger du froid et de la pluie. Pour vivre son exil un peu à l’écart des hommes. Au cœur du monde et du silence...

 

 

Nous avons connu le sang et l’amour – les forces et les faiblesses de la chair. Nous avons connu la gloire, la solitude et la misère. Nous avons vécu... Comment allons-nous mourir à présent... Saurons-nous traverser la frontière qui sépare ce que nous croyons être la mort de ce que nous croyons être la vie sans un cri – sans un seul cri – et sans effroi... Saurons-nous rejoindre la cendre et la poussière, le front brûlant de ferveur et d’amitié pour le sommeil et la torpeur autant que pour l’Amour et le silence... Irons-nous les bras ouverts – ou les bras en croix – vers cette joie et cette paix qui demeurent par-delà les siècles – par-delà les rêves et les désirs – par-delà le sang et les livres de sagesse... Saurons-nous supporter patiemment – et avec vaillance – cette insupportable éternité...

 

 

Le cœur plus épais que le sang. Et la lumière plus tenace que l’espoir...

 

 

Le temps arrêté enfin par les visages et le sombre de l’homme traversant les heures. Stoppé net dans son élan par le sourire impérissable – et le chant continu du monde – célébrant le passage et l’éternité...

 

 

Encore un baiser peut-être avant le silence – la fin inexorable des jours. Et encore quelques joies – et quelques douceurs – dans cette si grande peine à vivre. Comme un regard qui n’en finirait jamais de compter les années et les siècles qui passent sur les visages...

 

 

Demain sans doute serons-nous encore vivants... Et dans mille siècles continuerons-nous de voir ce qui vieillit autour – et au-dedans – du regard. Cette chair mille fois ressuscitée – et ce monde mille fois défait et reconstruit – impérissables.

Et une fois de plus – et comme toujours – nous irons à la fois curieux et inquiets vers l’après – tous les après – et vers l’impossible – le destin soumis à la terre et aux visages, l’âme éprise de ce qu’elle ignore et connaît déjà, l’allure vissée aux circonstances et aux rythmes naturels des pas et du monde et le regard voué (comme à son origine) au plus grand silence...

Et nous irons ainsi mille fois – dix mille fois – des milliards de fois encore – jusqu’à l’impossible fin des temps – par-delà les mondes engloutis et renaissants – dans l’inquiétude et la joie – rejoindre ce qui, un jour, nous enfanta. Jamais vraiment partis – ni jamais vraiment arrivés. Entre tous les gués. Recommençant toujours la foulée, la marche et le chemin comme au premier pas – avec peut-être toujours plus de ferveur et d’innocence dans cette attente interminable de ce qui est déjà là – et de ce qui jamais ne s’achèvera...

 

18 décembre 2017

Carnet n°126 Mille fois déjà peut-être. Et mille fois, sans doute, à recommencer

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Des rencontres. Mille rencontres. Et les éboulis du temps qui transforment les visages en ombres – les ombres en durée – et les durées en siècles – là où s’ébruitent, entre les heures, l’instant et l’éternité que les yeux – et les âmes – s’échinent encore à chercher ailleurs...

Des prières encore – mille prières – dans cette enfance du monde – et l’hiver de l’homme peut-être. Comme une fumée sortant des bouches et grimpant à travers le gravier et les haleines noires. Comme un rêve obscur – poussif – presque enfantin – jeté au ciel. Comme une danse offerte du fond des âmes à l’ineffable sans nom. A cette présence suspendue au fond – et autour – de tous les gouffres...

 

 

L’or des visages caché au fond de l’âme – au croisement exact entre les plis de la terre et le bleu du ciel – donne au monde cette couleur incomparable. Tantôt vert-pomme, tantôt vert-printemps, tantôt verdâtre selon la configuration des étoiles, des reliefs et du regard...

 

 

Nous, au commencement du monde (et de la vie), si seuls – si petits – si fragiles – si dérisoires – et comme jetés sur terre. Puis apprenant à nous retrouver – et à nous unir – lancés alors, presque rassemblés, dans l’infini – prêts (enfin) à rejoindre l’envergure du ciel et des océans...

 

 

Des rencontres. Mille rencontres. Et les éboulis du temps qui transforment les visages en ombres – les ombres en durée – et les durées en siècles – là où s’ébruitent, entre les heures, l’instant et l’éternité que les yeux – et les âmes – s’échinent encore à chercher ailleurs...

 

 

Nul ne périra jamais sous la foudre. L’orage et l’éclair ne sont que la promesse d’une fin – et d’un ailleurs. Le début peut-être d’une autre lumière...

 

 

L’épine et l’échine, singularités de l’homme et de la ronce. De la bête et de la rose. Comme le signe des ravages du temps sur nos patientes tentatives pour nous adapter à notre triste condition de mortels – de survivants. L’évidence des armes et de la servitude. Et ce goût pour le sang et les guerres et cet instinct de préservation malgré la beauté de toute faiblesse – ce dos voûté par le monde et les circonstances déplorables – et défavorables le plus souvent...

 

 

Tant de mystères irrésolus éclaircis. Vie, monde, bêtes et hommes, disettes, malheurs et prospérité. Seules inconnues encore : le destin, l’âme, le souffle et la possibilité du Divin. Thématiques sans doute d’un autre siècle que le nôtre...

 

 

Des prières encore – mille prières – dans cette enfance du monde – et l’hiver de l’homme peut-être. Comme une fumée sortant des bouches et grimpant à travers le gravier et les haleines noires. Comme un rêve obscur – poussif – presque enfantin – jeté au ciel. Comme une danse offerte du fond des âmes à l’ineffable sans nom. A cette présence suspendue au fond – et autour – de tous les gouffres...

 

 

Un peu de cendre – et un peu d’âme encore. Quelques restes – ultimes survivants peut-être – agglutinés au sang et à la mort. Comme un peu d’espérance née avec la nuit – presque recouverte aujourd’hui par l’ignorance – et ses ombres qui perdurent encore – et la violence de toutes nos conquêtes et de toutes nos batailles...

Et cet Amour à naître au-dedans de soi que nous a confié le silence au début des origines – avant la naissance des premiers visages...

 

 

Après mille chemins – dix mille chemins – parcourus, après mille œuvres – dix mille œuvres – édifiées, après mille visages – dix mille visages – rencontrés, après mille aventures – dix mille aventures peut-être – et autant d’acharnements, de désirs et de désillusions, le néant toujours. Et la possibilité du renoncement. L’invitation permanente de l’abandon et de l’effacement. Seul pas nécessaire – et seul territoire indispensable au franchissement de l’unique frontière. L’impénétrable est à ce prix...

 

 

Le bruit des livres à nos tempes ouvertes. Comme la possibilité du vrai, plus réel que nos vies et nos songes. Un peu de lumière versée dans le sang noir et la semence des jours futurs...

 

 

Plus rien ni personne après la mort. Le silence simplement. Le même silence qui nous aura fait naître, vivre, chanter, pleurer, espérer et mourir – et que nous n’aurons su voir – ni entendre – ni habiter – de notre vivant...

 

 

Tout homme porte en lui – et est peut-être – cette blessure inguérissable qui cherche sa guérison. Comme un manque – une incomplétude – à remplir – à combler – qui s’acharne sur mille choses avant de comprendre qu’il porte en lui – et est aussi – son propre remède : cet Amour – ce grand Amour – qui soigne et guérit toutes les plaies (passées, présentes, réelles, illusoires et imaginaires...).

 

 

La langue – la parole poétique – est comme un couteau entre la plaie et le silence. Parmi les vents au-dessus des abîmes où nous croyons – ou avons cru – être plongés. Une résistance à tous les sommeils pour clore cette conversation interminable entre la mort et l’infini...

Après l’anéantissement, les yeux grands ouverts enfin peut-être...

 

 

Une parole brûlante – fébrile – pour annoncer la fin des frontières entre l’étoile et la pierre et le tutoiement du soleil à venir. L’aube de toutes les innocences...

 

 

Et cette fouille automnale interrompue par l’hiver. Laissant les hommes à demi-morts – à demi-vivants – eux qui n’ont jamais su vivre (vivre véritablement) cherchant d’une main cette sagesse cadenassée – verrouillée – et refusée par l’autre. Usant leur rêve jusqu’à l’obsession sans trouver la moindre joie – ni la moindre lumière – en tamisant leur sable et leur limon...

Comme des anges – de pauvres diables en vérité – au destin maudit jusqu’à l’acharnement...

 

 

Comme un rêve où nous dormons (tous) encore. Et avec un rêveur qui nous enfoncera toujours davantage dans le sommeil. Et au cœur – et au fond sans doute – du cauchemar, cette minuscule fenêtre sur le monde – ce même monde – mais éclairé d’une autre lumière – plus vraie que celle qui brillait dans l’attente de notre réveil...

 

 

Qui donc, en nos yeux, pourrait-il voir la fin de la fable – les tout premiers pas du réel et de la vérité ?

En ce monde où l’aveuglement – et la plus haute cécité – sont célébrés autant que l’or – et où la fouille et la nudité sont reléguées aux marges et aux marginaux, nous ne pourrons (sans doute) compter que sur nous-mêmes...

 

 

Un élan, une paupière, un sommeil. Et la mort – et l’ignorance – qui partout s’avancent et avalent. Comme si le réel était interdit – nous était encore interdit... Comme si les hommes pensaient que seul le rêve pouvait enfanter – et faire fructifier – le monde...

 

 

Au carrefour de la mort et du silence, cette joie – cette liberté – toujours présentes – toujours offertes. Et dont les vivants, qui ne désespèrent jamais des promesses, ne sucent que l’espoir...

 

 

Moins de robes, de parures et d’apparat – moins d’orgueil, de titres et de médailles – sont nécessaires à la venue – et à la possibilité même – de la lumière. Sans cet (indispensable) élan de nudité, nous continuerons à boire le lait de la nuit – ce jus de sang et de souffrance. Cette liqueur abjecte née des guerres et des molosses sanguinaires qui se sont succédé sur la terre...

 

 

Une marche, des étoiles. A peine assez pour accomplir quelques pas de danse parmi les cris et les plaintes jetés par-dessus les toits vers l’inconnu...

 

 

Les poètes, seules fréquentations possibles avec les arbres, les pierres et les bêtes. Compagnons, si pleins de joie et de verve, dans notre silence...

 

 

Cette terre en nous si pugnace – et ses eaux noires, ses rêves et ses instincts si féroces – comme si rien – presque rien – en ce monde ne pouvait nous laisser penser que nous appartenons aussi – qu’une part en nous appartient aussi – à la lumière...

 

 

Mendiants immatures au corps repu et usé – et aux guenilles malodorantes à force de prières – à force de promesses (non tenues) – à force de sueur et de sang. Levant faiblement les yeux vers une absence – un Dieu inexistant – au lieu de creuser dans les profondeurs de l’âme pour pouvoir entonner leur chant de joie – et participer à l’offrande – et au secours de leurs frères gémissant – et agonisant parmi les tombes, les promesses et les prières...

 

 

Et l’eau du monde et nos larmes qui coulent encore – et qui creusent davantage nos tombes. Et nous, pauvres de nous, geignards et ruisselant de peines, qui n’avons plus même la force de résister aux massacres et à la tristesse...

 

 

La poésie ne peut se lire que poétiquement. Toute autre lecture (analytique, explicative, lexicographique...) n’en est pas vraiment une. La poésie n’a nul besoin d’explication et de commentaire. Elle ne réclame que le prolongement d’elle-même : la continuité de la poésie – et sa transposition à tous les espaces du monde et de la vie... Vivre poétiquement dans un monde poétique, voilà pourquoi l’on écrit – et on lit – la poésie...

 

 

En ville, trop (beaucoup trop) de bruit et d’agitation(1) et trop (beaucoup trop) de présence – et de proximité – humaines. A la campagne, trop (beaucoup trop) d’archaïsme(2) et d’exploitation animale. Aussi je ne me sens à mon aise que dans le silence et les espaces naturels et sauvages – là où les lois essentielles de la terre et du ciel sont respectées – et cohabitent en parfaite intelligence...

(1) Agitations de toutes sortes (psychiques, corporelles, sensorielles, émotionnelles...).

(2) Archaïsme perceptif et comportemental...

 

 

Plus de mots que de couleurs. Et plus de mots que de chaleur. Et cette fébrilité des lèvres à vouloir remplir le silence – et à nous éloigner, malgré elles, de la lumière. Comme si le langage – et les rencontres – toutes nos gesticulations pouvaient affaiblir notre solitude – et nous consoler de notre peine à vivre. Comme si notre volubilité, nos jeux, nos faux-semblants et notre apparente gaieté pouvaient nous faire oublier la mort...

 

 

Ce simulacre d’union entre les hommes – entre les hommes et les femmes – entre les hommes et Dieu. Alliances, circoncisions, baptêmes de l’apparence. Mensonges éhontés. Franche rigolade aux airs si solennels. Pas même les premiers pas – pas même les prémices – d’un véritable rapprochement. Au mieux quelques paresseuses velléités d’appartenance. De simples collusions pour échapper illusoirement à la solitude, à la fouille en soi du Divin et à la découverte de notre socle commun...

 

 

Les dépossédés sans manque aucun – ni d’envergure ni de joie. L’âme – et le visage – simples et nus se laissant déposséder – et creuser – par le monde et les circonstances – se laissant habiter par l’incertitude et l’inconnu – se laissant aller au plus naturel – et s’abandonnant à la lumière – à cet éclat du Divin enfoui en leurs profondeurs...

Perles humaines ignorées, le plus souvent, des foules et du commun – brillant pourtant de mille feux, humbles et incandescents, sous la houlette – et le sourire – d’un ciel ravi – et plus qu’acquiesçant... Et qui mourront comme elles ont vécu, anonymes et oubliées comme les parias d’une terre aveugle et ingrate – et plus qu’ignorante... Recluses sur la rive où ne passent – et ne fanfaronnent – que les joueurs et les rêveurs – le bon peuple des ensommeillés...

 

 

Les dés entre les mains des joueurs, parieurs invétérés – suppôts des intérêts et du malheur auxquels nous remettons nos vies. Le destin des bêtes et des hommes – ce peuple ignare qui ne cherche que la protection des puissants, quelques miettes, quelques gains (misérables et dérisoires) et la possibilité de rêver – et d’espérer plus encore...

 

 

Et cet entrelacement de l’âme et de la pierre – de l’innocence et des vents noirs – comment pourrions-nous nous fier à une seule boussole – à une seule sagesse – pour séparer l’ombre de la lumière – et nous extraire de cet amas... Plus sage – et plus simple – serait sans doute d’aimer (tout entier) ce joyau brut – ses mille reflets, ses mille failles et ses mille aspérités...

 

 

Ce qui restera à notre mort ? Rien – à peu près rien. De toute évidence, beaucoup moins que ce que nous pouvons (ou pourrions) vivre – sentir et célébrer – aujourd’hui...

 

 

Et ces corps qui se traînent sur leur rive. Et ces âmes assoupies – et ces esprits endormis à leur suite. Comme des ombres égarées d’un songe qui ignorent encore celui qui les rêve...

 

 

Un silence, une danse. Et soudain mille êtres – et mille voix – éparpillés dans la nuit. Et la naissance de tous les chemins pour retrouver la lumière – et la célébrer. Et, en attendant, la mort partout qui frappe – et efface les visages – mille visages aussitôt remplacés par d’autres – aussi fous, aussi aveugles, parfois un peu moins – essayant de déchiffrer, à travers quelques signes jetés sur la terre et le blanc des pages, les êtres, les voix, les danses et le silence. Edifiant des jeux et des routes – des horloges et des cathédrales – pour déchirer la nuit où ils croient avoir été engloutis...

Des cœurs chancelants – et des âmes tenant à peine debout, en vérité, mendiant la paume tendue quelques éclats de lune auprès des figures, des fleuves et de la terre – auprès du ciel et des étoiles – gorgés (toujours) de sang et de rêves. Refusant de mourir – et d’aller aveugles vers l’autre monde qui n’est qu’un recommencement – le prolongement de celui-ci, libéré pour un temps (quelques instants sûrement) de la chair et des saisons – un gouffre identique – le même qu’ici-bas – aux parois de moins en moins glissantes peut-être – au fond duquel s’élancent les mêmes voix et les mêmes danses – et où brillent la même lumière et le même silence. A la lisière de tous les possibles – à la lisière de tous les ailleurs...

 

 

Nous sommes. Et sommes entendus au-dedans de ce regard toute la nuit durant – Un et sans fin – accablés, sauvés et ressurgissant toujours entre les rives – entre l’ombre et la lumière – au milieu de tous les gués malgré la peur, les rêves et la faim – dans la joie et le silence, entrecoupés, si souvent, de larmes et de fureur...

 

 

Et cette écriture aussi jaillissante que la vie – la vie même, en vérité, transposée en signes. Quelques pas et quelques danses – infimes et infinis – merveilleux – aussi nécessaires qu’inutiles – aussi précieux que dérisoires – dans le silence pour le célébrer, avec faste et humilité, dans la joie et la tristesse. La nécessité du vivant à l’œuvre partout – et dans tous les sens – pour honorer sa présence – et son existence autant que son essence...

 

 

Se livrer à la rédaction (spontanée, bien sûr) de quelques lignes lors de nos promenades quotidiennes au cœur de la nature – au cours de nos longues marches contemplatives et méditatives au sein de la nature sauvage – ces espaces géographiques les plus désertés par les hommes – bref, au cœur du monde (non humain), il n’y a, je crois, de plus grande joie d’écrire... Notes à la profondeur, aux ressentis et au rythme incomparables...

 

 

Le corps est la terre – un infime fragment de la terre. Et pour vivre de la plus saine façon – et se ressourcer (si nécessaire), nous avons besoin d’un rapport – et d’un contact – directs et quotidiens avec la nature et ses énergies naturelles. L’esprit, lui, est la présence (la conscience). Et pour être (devenir peut-être...) sa plus parfaite incarnation – ou, du moins, son reflet le moins encombré, nous avons besoin, bien souvent, de silence et de nudité – de fréquenter autant qu’il nous est possible un espace suffisamment dépouillé et silencieux...

 

 

La vie aussi mystérieuse que la mort. Et, sans doute, plus secrète malgré son apparente exubérance. Corps épars – corps fragmentés en autant de lieux – et de visages – nécessaires...

 

 

Le dernier mot (et, peut-être, le meilleur) viendra après notre mort. Et gageons qu’il célèbre – et consacre (ne sait-on jamais...) – cette œuvre modeste...

« Rien... Pas davantage aujourd’hui qu’hier sans compter que demain n’existera jamais... Rien qu’une présence invisible peut-être... » pourrait être (pourquoi pas ?) notre plus belle épitaphe – inscrite en lettres de sable sur la terre qui recouvrira notre dépouille. Comme notre ultime message – offert aux morts et aux vivants...

 

 

Et après la mort, où irons-nous ? Vers quel lieu – vers quel silence – serons-nous conduits ?

 

 

Ce partage des eaux entre le silence et la terreur – la promesse et la vérité. Et nos frêles embarcations toujours portées à la dérive...

 

 

La houle des mots errants – emportés, eux aussi, au plus bas – là où luit la lune – dans ce sommeil rouge – cette marche somnolente dans la pluie et le froid. Là où les hommes raidissent leur pas...

 

 

De notre vie – de notre œuvre – ne restera qu’un invisible mausolée – et quelques mots peut-être pour les plus obstinés. Les autres passeront sans un regard – sans un mot – et poursuivront leur errance et leur sommeil en continuant à s’adonner à leurs misérables ébats sous la lumière d’étoiles toujours aussi lointaines...

 

 

Notre dernière sentence naîtra avec la lumière – au jour dernier de notre errance. A l’heure de la satiété – lorsque le silence aura détrôné la vigueur du sang. Et elle ira au gré des vents – et au gré des neiges – dans le jour finissant avant que n’éclose la première aube de l’homme...

 

 

Grain des abysses – grain de lumière. Le même fragment vu du dehors – et vu du dedans. La même étoile – la même poussière – parcourant le jour et la nuit. Tombant et se relevant. S’effondrant et se redressant encore parmi le désespoir et le néant – et parmi les sourires. Et tournoyant toujours au rythme des manèges. Avalée par les tourbillons dérisoires des mondes. Chevauchée fabuleuse et ridicule – bruissements inaudibles – dans l’œil impavide du silence. Comme un temps virevoltant entre les rives de l’immuable...

 

 

Drapeaux à la main – fièrement dressés devant eux – et des sacoches pleines de rêves et de désirs, d’idées, d’or et de sortilèges, avançant aveuglément – tournant en rond autour du mystère – de tous les mystères – sûrs de leur marche et de leur épopée... Ah ! Que les hommes me font rire...

Pour vivre, nous devrions plutôt nous inspirer de l’herbe et de la pierre – de l’arbre et de la fleur – des bêtes et des nuages, nos vies – et le monde – deviendraient alors bien plus vivables...

 

 

Un chemin, des chemins. Une pierre, des montagnes. Et cette marche inépuisable dans les ténèbres. Il suffirait pourtant de regarder l’eau – et la suivre jusqu’à l’océan. Et la voir renaître encore – et recommencer son périple jusqu’au fleuve du silence pour nous extraire de cette attente fébrile – nous épargner ces élans inquiets vers ce qui nous hante – et pouvoir (enfin) traverser cette indigne, et merveilleuse, cécité qui, sans cesse, pousse nos pas vers des rivages impossibles...

 

 

Egarés – et anéantis bien souvent – entre l’histoire et le silence par l’incessant renouvellement des jours et le mystère – la question irrésolue. Comme si nous étions un seul – mille fois disloqué et rassemblé – et des milliers – des milliards se succédant sans rien comprendre au voyage et aux voyageurs. Comme un silence inaudible – inaccessible – malgré la source intarissable des élans, des questions et des inquiétudes. Comme une folle nudité captive des songes dont nous la parons...

Et nous avançons – et avancerons peut-être – toujours ainsi – plus noirs que nus – portés davantage par la promesse que par le serment de voir le jour – et de comprendre l’origine du rêve, des pillages et de l’errance...

 

 

Nous bâtissons, nous nous bâtissons. Et tout sera emporté dans le lit de la misère : sable, briques, limon, pluie et poussière charriés par les eaux boueuses. Et la pendule – et l’étoile – au-dessus de toutes les têtes. Comme un orage interminable entre la terre et le ciel parmi quelques spectres (toujours aussi) impérissables...

 

 

Tout s’établit le temps d’un souffle. Et repart – et disparaît – le temps d’un soupir. Ne demeure que l’impérissable – la demeure des Dieux – cette présence – cette façon d’être là, intouchable, malgré la pesanteur et la beauté des visages...

 

 

L’air du temps jamais ne pourra affaiblir – affadir – ni meurtrir la vérité. Hors des siècles toujours. Hors des appétits et des lois du marché. Incorruptible à jamais...

 

 

Rebelles aux lois – rebelles aux vents. Au côté de la vie qui passe. Rendant grâce au temps perdu – au temps volé à l’espérance. Nous existons les épaules légères – et suspendu à notre cou, un chapelet de pardons offerts à tous les yeux ébahis dans le noir. Comme une parenthèse entre l’écume et le ciel – entre les pavés et ce qui sédimente l’essentiel. Moribonds déjà. Inexistants presque. Et pourtant si éternels...

 

 

Au creux du jour défait, emportée la promesse aux marges de l’errance vers ce large illimité où le silence rejoint la parole – cette neige qui mène au-delà des cimes – au-delà des croassements – au-delà de l’hiver et de la terreur. Et cette attente brûlée qui se consume à présent là où l’on demeure...

 

 

Blessés par le temps – blessés par les vents – nous désirons encore. Et l’on s’avance – rampant peut-être – entre les tombes et les chiens pour danser dans les bourrasques et les heures... Fidèles aux bruits – et aux habitudes – malgré les blessures et la béance toujours aussi vive. Et toujours aussi insoucieux du silence...

 

 

Serrés dans nos habits trop étroits – si étriqués pour notre envergure – nous saluons les têtes d’une main disgracieuse – et ébouriffons les cheveux des anges cachés parmi les serpents de l’éden. Comme un jeu – et un trou supplémentaire creusé dans l’abîme. Une façon de braver la nuit et la mort – de chanter quelques louanges à travers la fumée épaisse qui s’élève vers l’ailleurs. Et le jour – notre besoin de jour – plus fort que nos rêves...

 

 

Un fardeau aussi lourd que la douleur, allégé parfois par quelques mots. Une parole – une lumière – à la frontière de l’inexprimable...

 

 

Une vie, une chair et une âme peut-être, écrasées sur la pierre. Blessées. Et le sang qui coule aussi vif que l’eau des rivières vers l’autre rive caressée par la lumière...

 

 

Un pont – mille ponts – toujours nous sauveront de l’errance. Et rien jamais ne pourra défaire ce sourire accroché à nos lèvres tordues par la misère, la souffrance et l’incompréhension face à l’étrangeté de vivre – et malgré cet œil – notre œil – larmé devant les portes fermées et les clôtures de l’indicible...

 

 

Regard et espérance défaits par la lune et les pendules dont les heures et les rêves alourdissent la charge déjà si lourde – si épaisse – de nos vies. Une légèreté plus vive que la pesanteur de nos âmes. Comme la promesse d’un envol – d’un soulèvement – possible vers le plus intime...

De seuil en seuil, ainsi franchirons-nous les frontières de l’invisible nudité – de l’espace sans circonférence...

 

 

Aux mille yeux du souvenir, préférons l’oubli. Aux mille jeux à venir, préférons le silence présent aujourd’hui. Ainsi serons-nous – apprendrons-nous, peut-être, à devenir – plus sages et plus vivants...

 

 

Au faîte de l’âme, peut-être reviendrons-nous un jour... Lorsque l’abandon sera préféré aux promesses – et que l’effacement aura recouvert tous nos rêves, la nudité alors sera perçue comme le plus haut de l’âme – et la possibilité pour l’homme d’être aussi beau – aussi blanc et léger – que la neige. Mais il faudra (pour y parvenir) faire tous les deuils exigés par l’innocence avant que n’arrive le soir – et que nous efface la mort...

 

 

L’impossibilité du sommeil offerte par la lumière. Comme la garantie d’une attention permanente – d’une conscience et d’une responsabilité sans esquive ni échappatoire. Comme une veille continue parmi les dormeurs et la somnolence...

 

 

L’absence n’est, sans doute, qu’une parenthèse – un ajournement provisoire du soleil. Et, peut-être, aussi, une forme d’attente interminable au cœur de la nuit...

 

 

Notre voix – toutes nos voix – ne seraient-elles que l’écho d’un silence interminable... Plaintes, cris, murmures, gémissements, appels voués à l’impossibilité du rebond – à une réponse bien plus qu’improbable. Comme des paroles inaudibles agonisant dans l’infini...

Et partout, tous ces bruits à la charnière du vide et du silence...

 

 

L’Absolu inscrit dans la pierre. Et nos mains tremblantes. Et notre chair palpitante sous la pluie. Et notre âme toujours aussi percluse de terreur et de froid...

 

 

Par-delà les murs – et par-delà l’horizon – la même herbe, tantôt rase et brûlée, tantôt verte et pleine d’ardeur. Les mêmes hyènes. Les mêmes baisers. Les mêmes espoirs. Les mêmes eaux. Et la même nuit. Et plus loin, au-delà de la pluie – et au-delà de tous les soleils, le jour et l’océan. L’infini du regard où dansent toutes les silhouettes enfermées entre les murs et l’horizon...

 

 

Les ailes – et les alliés substantiels – du désir. Toute cette clique versée dans le devenir. Attelage trop fier – et trop aveuglé sans doute – pour faire halte – et quelques pas en arrière. Pour s’asseoir en silence et attendre que se défassent tous les territoires et toutes les gloires. Et au bout de toutes les défaites, voir arriver la folle humilité de l’innocence – et à sa suite, l’Amour et le silence. La seule présence affranchie du temps et de la faim...

 

 

Des bouts d’étoffe joints comme une peau – mille fois – des milliards de fois – décousue – déchirée – et patiemment raccommodée. Et nul – ou si peu – pour comprendre l’unité parfaite des corps. Des bouts d’idées et de rêves comme un espace – mille fois – des milliards de fois – fragmenté – et amoureusement recollé – et réuni. Et nul – ou si peu – pour comprendre l’unité parfaite des esprits. Des bouts d’émotions et de sentiments comme une seule sensibilité – mille fois – des milliards de fois – assemblée et désassemblée. Et nul – ou si peu – pour comprendre la parfaite unité du cœur... 

Combien de déchirures, de combinaisons et d’assemblages nous faudra-t-il expérimenter pour nous éveiller à notre vrai visage – à notre seule et commune figure...

 

 

Mille fois martyrisés – et meurtris – au cours des siècles, la chair et le vivant. Leur longue agonie. Et pourtant nulle égratignure sur l’âme lorsque arrive le silence...

 

 

Mille songes entreposés entre l’âme et le silence. Et ce bruit assourdissant et terrifiant qu’ils font à leur sortie – si fiers de leur entrée en scène. Comme des enfants se prenant pour des rois...

 

 

La mort et la solitude encore... Comme les deux axes essentiels – primordiaux – du silence. La disparition et l’effacement permanents des phénomènes (corps, monde, terre) et l’invitation continuelle à la présence unitaire de l’Un...

 

 

Paradis, déluges et prophéties d’un côté. Attente et sommeil de l’autre. L’homme enserré – comme pris en étau – entre la torpeur terrestre (et les quelques douceurs offertes par la terre) et sa funeste (et presque apocalyptique) condition de penseur métaphysique...

 

 

Tout au bout de la vieillesse, l’enfance de l’homme. Et l’innocence, peut-être, retrouvée. Ce visage sans âge. Cette figure éternelle. Et les mille faces du monde (enfin) réconciliées...

 

 

Toute individualité doit affronter le monde, ses éléments, ses phénomènes et ses circonstances alors que la présence – toute forme de présence – impersonnelle les accueille et s’en fait (simplement) le témoin.

 

 

[Modeste parenthèse d’épanchement individuel]

Après tant d’années de quête, de recherche, de fouille et de découvertes (infimes certes...), quelle surprise et quel accablement de constater que nous éprouvons toujours autant de peurs, de peines, d’attentes, de solitude et de résistances... Comme si nous ne pouvions guérir définitivement de notre condition d’homme – et voir s’effacer (de façon tout aussi définitive) notre propension à vivre les affres de l’individualité...

Un seul changement notoire – infiniment modeste sans doute, mais peut-être néanmoins décisif : nous accueillons – pouvons et savons accueillir – sans trop de craintes ni de blâmes ces manifestations apparemment inévitables...

 

 

Un peu d’attention – un peu d’Amour – et un peu de reconnaissance – n’est-ce pas ce que nous cherchons tous de façon si maladroite sans voir – sans comprendre ni sentir – que nous en sommes (potentiellement) les plus grands – et les plus sûrs – dépositaires...

 

 

L’écriture, les arbres, les collines et les chiens sont parfois les seuls compagnons de notre solitude...

Toujours aussi peu de visages dans notre existence. Et même, le plus souvent, aucun...

Comme un nomade qui traverserait les heures, la vie et le monde avec pour tout bagage une maigre besace, un bâton, un carnet et la présence, fidèle, de quelques comparses...

 

 

Il est parfois difficile d’être différent – atypique. Pour nous, la solitude est plus vaste – plus profonde – plus durable. Presque permanente...

 

 

Il est étonnant (mais sans doute pas autant que nous pourrions l’imaginer) qu’il faille pour vivre bien – pour vivre à son aise (à titre individuel) – concilier des choses – et des dimensions – si différentes – et presque antinomiques en apparence : être à la fois autonome et capable (si nécessaire) de faire appel aux autres, être à la fois humble et capable de puiser quelques ressources au fond de cette intelligence infinie et de cet Amour prodigieux qui animent les profondeurs de notre âme, savoir vivre pleinement – et autant – sa solitude que la compagnie du monde, faire preuve de point trop de crédulité et pouvoir s’abandonner sans crainte ni résistance aux circonstances, ne rien décider, être ouvert à toute situation et à toute rencontre sans rien attendre ni exiger et manifester une verticalité déterminée et sans faille, ne rien savoir (être totalement ignorant) et être (à peu près) certain de fréquenter une certaine forme de connaissance et de vérité...

 

 

Il n’y a pas d’homme en ce monde. Simplement peut-être, quelques silhouettes ignares et bruyantes – les facettes encore incomprises et mal-aimées de notre propre visage...

 

 

Et ces hommes – tous ces hommes –, partout, qui se croient maîtres et propriétaires. Rois de tous les peuples. Comme j’ai du mal à les aimer. Et ils sont pourtant comme des enfants sur leur parcelle de sable...

 

 

Fais face – accueille ta tristesse – réconforte ta solitude – et accompagne-toi. Voilà ce que me dirent deux arbres postés l’un à côté de l’autre alors que je déambulais sur un sentier en traînant ma mélancolie et en soliloquant à haute voix. Je n’ai, je crois, jamais entendu de plus judicieux conseil ni dans les livres, ni auprès des hommes, ni auprès des sages...

 

 

Ecriture, chiens, marche, nature et bâton. Poésie, métaphysique et présence. L’éternel chapelet de nos jours – et de notre solitude...

 

 

« Ignorance » est le premier mot – le premier substantif – la première instance. Et « aveuglement » les seconds. Et de cette inconnaissance – et de cette cécité – sont nées toutes les réalisations de la terre et de l’homme...

Et c’est avec ces deux caractéristiques fondamentales (de notre condition) qu’il nous a fallu composer tout au long de l’histoire terrestre et humaine. Et c’est avec elles que nous avons cheminé – et évolué... Et malgré les horreurs et les atrocités permanentes, nul ne peut contester les lents – mais indéniables – progrès* réalisés par le monde (aussi bien sur le plan individuel que collectif) depuis des siècles, des millénaires et des milliards d’années. Aussi comment imaginer que nous soyons capables de nous diriger vers la lumière – et accéder à l’Amour et à l’intelligence (tragiquement cachés dans le dernier lieu où nous aurions l’idée de les chercher) si nous n’en étions déjà pourvus avant notre naissance...

* En dépit des écueils, des excès, des errances, des corruptions...

En définitive, la vie – et le monde – ne sont – et ne seront sans doute jamais – qu’une lente – et longue – actualisation de ce potentiel glissé (en nous) par notre origine...

 

 

Une danse, un jeu – mille danses, mille jeux – entre la nécessité et l’actualisation de notre véritable nature...

 

 

Un œil (malicieux entre tous), un chemin – mille chemins – un ravin – mille ravins. Et une longue route sinueuse serpentant entre les âmes et les fossés, montant et descendant, creusant et contournant. Interminable même après que l’œil – et l’origine – aient été retrouvés...

 

 

Et nous vivons dans cette ignorance – et cette incertitude – de tout ; du commencement, de la fin, de la vie, du monde et de nous-mêmes. Ah ! Quel étrange périple – et quel horrible et fabuleux destin – offerts à l’homme et à la terre !

 

 

Le jour creuse en nous autant que la nuit. Et chacun cherche son expansion – son salut – son renouvellement. Nous ne sommes que le (modeste) théâtre où s’affrontent l’ombre et la lumière – où alternent la brume et le soleil – le ciel gris et le printemps. Condamnés pour toujours à la veille silencieuse et aux supplices de l’exil et de la déportation...

Et nous ne serons atteints qu’au cœur du plus fragile – là où l’âme est la plus tendre. Sur la passerelle entre les deux rives, infiniment réconciliatrice...

 

 

Ce qui expire ne mérite peut-être notre attention – cette attente de la certitude. Nous devrions plutôt embrasser ce qui nous manque pour convertir l’intime aveuglé en regard – notre désir en Amour – et le temps en silence. Peut-être alors serons-nous capables de vivre, d’échanger et de nous embrasser sans lamentation...

 

 

Entre les heures, impénétrables, qui se balancent au rythme du temps – au rythme des saisons qui passent – l’instant soulève notre bouche – et notre joie – couchées par la tristesse et le souvenir – l’enthousiasme et le lendemain – comme un pantin écartelé entre l’intime et l’habitude...

 

 

Une veillée ni vraiment funeste ni franchement gaie. Une attente provisoire parmi les bougies de la chambre – close depuis des siècles. Trop aveugle encore pour allumer les feux nouveaux qui éclaireraient les pas, le regard et la fumée qui s’élève depuis le faîtage de l’âme, si recroquevillée parmi toutes ces morts et ces annonces de fin et d’apocalypse...

 

17 décembre 2017

Carnet n°125 Le tragique des jours et le silence

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Nous avons l’âge de la terre. Celui des siècles puérils et sanglants. Mais nous avons aussi la fraîcheur intacte et éternelle du ciel – sa sagesse et son silence – pour panser les blessures du temps...

Un jour, une vie, mille siècles. Et cette longue nuit – inépuisable – du monde et des hommes où les bouches, trop pleines de rêves et de temps, n’ont jamais su épeler l’infini et l’éternité...

Ni poème ni hasard. Un peu d’encre – et un peu de sable – entre le sang et la mort parmi les saisons qui passent...

 

 

Et partout la mort virevoltante. Triomphante toujours des œuvres et des siècles. De tous les vivants... Et qu'il nous faudra apprivoiser pour aller pas à pas (avec elle) jusqu'au jour – jusqu'au lieu – où elle nous débarrassera de tout effroi...

 

 

La force vaine des messages, des cris et des poèmes. Plaintes inutiles à l’ombre de la mort. Comme une bouche – des bouches – si pleines de lune – et aveugles toujours au soleil si lointain...

Et tant d’espoirs encore au fond de l’absence. Comme des grilles parmi les branches et la roche voilant ce jour porteur d’éternel...

 

 

Nuit antique – originelle sans doute – enveloppée d’une grisaille que nous croyons divine – et qui n’est que le reflet dense – épais – de notre ignorance...

 

 

Et nous vieillirons sans doute parmi les feuillages au bord du soleil – de cette sagesse accessible seulement des profondeurs – parmi les vents, les songes et le lierre – loin – si loin encore de cette mystérieuse fontaine...

Et peut-être entreverrons-nous avant la mort par la fenêtre de notre chambre – infime débarras au sein de la maisonnée – au sein de l’univers – la lune et quelques rais de lumière. Et peut-être verrons-nous l’eau noire de la terre couler le long de nos rives obscures et s’effacer nos rêves et notre sommeil. Comme un long glissement, presque inespéré, vers le fleuve du silence...

 

 

Une voûte sombre – étoilée de quelques rêves et d’un peu d’espoir. Des yeux clos – voilés déjà – qui enfantent le bruit et mille rougeoiements – la terreur et la douleur. Comme si l’ombre, l’impossibilité et la mort étaient l’unique possibilité des siècles – notre seule éternité...

 

 

Il y a dans le cri de l’oiseau – le chant des jours – et le grognement des hommes – toute la sève du monde – et la peur et la solitude de l’âme promise à la chute parmi la lumière si pâle des lampes – impuissantes à éclairer nos rivages et leurs mystères...

 

 

Cascades de vie où la mort s’invite chaque jour. A chaque heure. A chaque instant du jour. Comme une implacable litanie parmi le bouillonnement des eaux, l’impatience des âmes et nos rêves de lumière et d’éternité. Comme une terre encore trop gorgée de craintes, d’espoir et d’angoisse malgré nos existences déjà si miraculeuses...

 

 

Et tant de sommeil encore parmi les étoffes rouges. Et ce sang qui ruisselle et offre à la terre cette odeur âcre de la mort. Et l’âme – nos âmes – si brûlantes encore...

 

 

Et où serons-nous lorsque arrivera le jour...

 

 

Quand saurons-nous enfin accueillir la mort comme l’un des plus bels horizons – et comme l’un des plus prometteurs aussi...

 

 

Assis tout le jour – de l’aurore au crépuscule. Plongés dans le sommeil en attendant la fin (improbable) de la nuit. Comme si la patience et l’espoir de la délivrance suffisaient. Comme si le silence et l’éternité pouvaient nous être offerts en récompense...

 

 

La vie, quelques traces de couleur dans la nuit immense qui nous habite – qui nous entoure et nous entrave. Et un peu de joie et mille malheurs. Et le corps – et le cœur – blessés – meurtris presque par chaque circonstance. Comme une longue agonie – un long délitement – jusqu’à la mort qui prolongera, sans doute, notre destin – notre infortune de vivant...

 

 

Le destin de l’homme entre le repos et le clocher – entre le manque et le cri – sur cette aire de brûlure et d’absence – de tristesse et de sommeil. Là où résonnent parfois les cloches de l’autre rive qui nous donnent à rêver – et à espérer plus encore...

 

 

Les mains peut-être encore trop pensives pour que mûrisse l’idée du jour et du désert. Et l’âme trop gorgée de rêves – et trop proche du sol – pour espérer les premiers pas de l’exil vers l’envol...

Plus simples pourtant que l’ombre et le sommeil. Et plus clairs que toutes les nuits où notre âme nous a consolés de nos interminables errances...

 

 

Au fond qu’aurons-nous fait ici, tous ensemble, sinon voiler davantage la nuit déjà si opaque...

Un peu de joie – quelques malheurs et quelques drames inévitables où nous aurons enfermé notre âme et fait couler un peu plus de sang, d’espoir et de désespérance sur les mains et les chemins déjà si tristes – et si noirs de promesses...

Quelques caresses – et quelques gifles – qui résonnent encore dans la mémoire. Un peu d’encre – et un peu de sable – pour participer aux édifices. Quelques pas – et des retours innombrables vers ce qui nous aura toujours éloignés du silence...

Quelques rivières – quelques jardins – et quelques routes – traversés à l’ombre des feuillages. Quelques visages que nous aurons aimés. Le froid et le trouble que nous aurons ensemencés au lieu de l’Amour. Et ce flanc – et ce front – offerts de façon si permanente à l’absence qui aura éloigné toute possibilité de chaleur et d’innocence...

Notre mort ne sera un sacrilège. Peut-être le simple prolongement de notre nuit portant en elle son secret – et notre seul salut ; cet exil de la terre...

Notre seul espoir peut-être : mourir au croisement de ces deux routes – l’une encore si trouble – et l’autre déjà si lumineuse... Et les réunir au fond de notre âme pour que s’amorce la réconciliation...

 

 

Aurons-nous suffisamment aimé sans mendier attention et caresses... Aurons-nous su être présents au cœur des ombres et de l’absence sans rien blâmer ni exiger... Aurons-nous su être seuls – et creuser la solitude jusqu'au rougeoiement de la lumière... Aurons-nous répondu d'une égale façon aux appels – à tous les appels – déchirants de la chair et aux attentes de l’âme... Aurons-nous été suffisamment humains... Et aurons-nous (surtout) réussi à être un peu plus que des hommes...

 

 

A notre mort, notre souvenir ne sera sans doute plus qu’un élan pour aller vers soi-même – et rejoindre ce que nous sommes. Quelques-uns auront lu nos pages – et peut-être même quelques-uns de nos livres – mais le silence demeurera le seul guide – l’unique direction – et le seul pays à célébrer...

 

 

En définitive, nous n’aurons édifié – et déconstruit – que ce qui existait déjà. Quelques pas en avant – et vers le haut – et quelques pas en arrière – et vers le bas – pour atteindre – et accéder enfin à – notre vrai visage ; à cette figure intime et éternelle – à cette figure si impersonnelle d’un Dieu auquel nous n’avons jamais cru...

 

 

Un souci de soi encore, comme une ombre nouvelle peut-être, mais si ancienne en vérité, faisant obstacle toujours au plus simple de nous-mêmes – à cette nudité de l’être – à cette humilité sans pareille – à ce regard si souverain qui perd le sens de toute individualité...

 

 

La lumière, sans doute, s’initie – et s’achève – dans l’ombre. Et c’est peut-être même au cœur de l’obscur que lui est offerte la possibilité d’être toujours plus elle-même...

 

 

Avant le feu de l’homme, celui des origines. Le même feu en vérité – éparpillé en autant d’étincelles et de figures nécessaires...

 

 

Presque oubliée déjà notre vie si ancienne – ces années d’orgueil et de paresse où nous nous pavanions avec cette insolente beauté et cette prétentieuse intelligence en croyant séduire un public indifférent...

A présent, ne reste que la solitude – la grande et merveilleuse solitude des collines – et celle du soir. Et le silence – immense – et si réparateur qui a effacé passé et souvenirs. Comme une terre vierge qu’il nous faudra renouveler jusqu’à la mort...

 

 

Le cœur vif – et si étincelant – des fleurs aux saisons du renouveau et de l’exubérance. Et tout recroquevillé à l’automne. Et absent – comme effacé – au milieu de l’hiver. Comme l’âme primesautière des hommes qui progressivement se fane...

 

 

Attentif toujours à l’éblouissement de l’âme au cœur de la présence – lorsque la peur du noir et le désir de lumière se sont éteints. Comme un Dieu humble – et presque incarné. Très proche en tout cas du pays de l’Un malgré la folie des visages imperturbables...

 

 

Ce qui déchire l’ombre et la nuit. Voilà peut-être, au fond, l’œuvre de la lumière. Son présent le plus inestimable...

 

 

Le temps simple des âmes – et des mains – sans tristesse. Voilà à quoi nous œuvrons, nous autres, à l’ombre du soleil...

 

 

Dans l’ombre opaque d’un Dieu inventé naissent – et grandissent – les âmes. Et elles doivent d’abord s’en libérer – et le détruire – pour pouvoir plonger dans leur obscurité. Et au cœur de cet abîme pourra alors éclore la seule lumière – le seul Dieu au visage de chair...

 

 

Ni désir ni pensée. Mais une présence à l’envergure infinie. Le privilège peut-être des âmes mûres rompues au silence et à la solitude...

 

 

D’indigestes paroles peut-être, inattrayantes sans doute, mais enfantées par la moins vile des intentions – et avec l’acquiescement du plus pur silence. Comme une modeste offrande aux plus déshérités des hommes – si proches de cette lumière qu’ils ont cherchée désespérément – et peut-être déjà à son seuil...

 

 

Corps passagers voyageurs – touristes presque seulement – soumis à l’esprit pourvu d’un goût fort prononcé pour l’ailleurs et la nouveauté. Et l’âme parfaitement immobile dont personne n’entend ni les cris ni les plaintes – et dont la stature ne peut encore recevoir le silence et la lumière. Voilà peut-être pourquoi les existences – tant d’existences – ont des allures d’errance. Comme une longue dérive sur un rivage immuable qui rapproche pourtant, quels que soient les voyages et les pas, de son centre – plus immuable encore...

 

 

Nous cherchons tous, et partout, avec fureur – et de façon si bruyante et fébrile – avant de découvrir la fouille au cœur du silence et de l’immobilité. La seule voie possible – le seul chemin valide – vers la fin des voyages et la célébration des pas...

 

 

Une faim, un chemin – mille chemins – et l’inépuisable continuité du destin. Comme un pas – mille pas peut-être – vers nous-mêmes dans cet inexorable rapprochement vers notre vrai visage...

 

 

Le langage plus proche de la mort que la parole assise dans le silence...

 

 

Et l’attente qui transforme parfois le destin en séjour. Comme un repos (sans doute nécessaire) dans la nuit. Comme une halte dans cette quête infatigable de nous-mêmes. A la fois si proches de l’inconnu et si loin encore du plus familier...

 

 

L’échange d’un désir contre une promesse. Et l’échange d’une promesse contre un désir. Et voilà l’homme enfermé – pris à son propre piège. Il suffirait pourtant de comprendre ce que cachent l’un et l’autre pour s’en affranchir – et transformer l’attente en silence et en liberté...

 

 

A nos lèvres – et à nos âmes – s’est suspendu peut-être le plus inutile. Gageons que le silence – et comment pourrions-nous en douter – y replace l’essentiel...

 

 

Le monde n’a le même éclat – ni la même saveur ni le même parfum – dans la solitude. Plus riches, plus intenses et plus profonds. Et plus propices, sans doute, au silence et à la joie. Que l’on y chemine ou que l’on s’y promène, on est loin (suffisamment loin) des visages et des distractions (du monde) pour s’y déplacer avec l’âme humble – presque en recueillement. Et on le (et s’y) découvre toujours comme pour la première fois – à chaque nouveau pas – comme le lieu de tous les possibles – et les mille reflets de soi-même – dans un sentiment d’unité presque inégalé...

 

 

Ne rien faire à moins de consentir au désastre... Et même si nous refusons de participer à la moindre activité, nous contribuerons à la débâcle... Que nous agissions ou demeurions à l’écart, tôt ou tard, le désastre adviendra...

 

 

Tant de saisons contraires où nous nous serons déchirés. Et c’est en lambeaux – et presque inexistants, mais enfin réconciliés – que nous laisserons s’approcher la lumière...

 

 

Nous n’accosterons qu’une fois franchis tous les fleuves – et achevés tous les chemins – qui se seront interposés entre le port – le nôtre – et l’océan, cette aire commune si infréquentée – ce désert – ce grand silence...

 

 

Et toutes ces transformations (odieuses) que nous imposons à la terre et à ses habitants. Présents empoisonnés de tous nos délires – et de toutes nos ambitions. Agissements parés des plus viles et absurdes intentions qui, si elles se réalisaient, réduiraient en cendres le peu qu’il reste de la terre, rongée déjà à petit feu par notre hégémonique colonisation...

 

 

Ce qui n’a de prix – et dont on ne peut faire commerce, voilà ce que nous devrions désirer... Le reste n’est qu’indigne réponse à notre survie – à notre pauvre subsistance. Avons-nous donc oublié que la vie – et ce que nous sommes – sont plus grands – bien plus grands – que le corps – et bien plus haut que les peurs et les caprices de l’esprit...

 

 

Ce que tu écris, on ne peut le lire que dans la solitude de la chambre – dans la lumière des collines et dans le gris de l’horizon. Lorsque l’âme crie son manque – et cherche une joie que ne peut lui offrir le monde...

 

 

Une joie de vivre plus souterraine et silencieuse que nos faces rouges à force de rire – à force de sang. Et plus inébranlable que notre mélancolie passagère...

 

 

Vivre jusqu’à la (dé)raison la plus sauvage. Ainsi les hommes ont-ils façonné le monde de leurs craintes – et de leur volonté d’échapper à leur animalité. Et qu’ils ont rendu plus barbare – bien plus barbare – que les pires élans destructifs naturels de la terre et de ses créatures...

 

 

Un ciel encore ombragé malgré les rires, les jeux et l’apparente joie de vivre. Trop immatures encore sans doute pour regarder le sombre – et l’obscur – y plonger tout entier – et laisser s’approcher le soleil...

Ainsi vivent les hommes gorgés de surface et d’espérance – d’orgueil et d’ignorance – loin, si loin encore, de la profondeur indispensable au dévoilement de la lumière...

 

 

Et ces eaux dormantes où s’écoulent les rêves et les jours. Comme si la nuit était infranchissable. Et les rives de la lumière (encore) inaccessibles. Et, un jour, nous verrons le monde emporté – et submergé – par les songes et le sommeil. Comme une barque à la dérive s’enfonçant dans la brume épaisse de l’océan au-dessus duquel brille pourtant le plus vif soleil...

 

 

Encore un lieu qui ne sera qu’un rêve – qu’une promesse – qu’un mensonge. Encore des visages – et mille rencontres. Et la pluie interminable...

 

 

Boue, poussière et torrents. Tous dévalant les pentes – leurs pentes – avec fureur et fracas pour se heurter au haut mur des étoiles avant de sombrer, peut-être, dans l’inconnu définitif – et salvateur – infiniment salvateur comme nous le disent les sages... Mais au fond peut-être, n’est-ce là qu’une nouvelle infortune – mais si prometteuse pourtant...

 

 

Si humble devant l’incertitude – le sentiment de n’être personne – et l’évidence de notre ignorance. Comment avons-nous pu autrefois nous montrer si orgueilleux et aller sur les chemins avec tant d’arrogance sinon pour dissimuler (au monde et à nous-mêmes) cette si grande faiblesse à exister...

 

 

Et cette lumière anuitée – prodigieuse dans le sommeil. Patiente au-delà du possible, enterrement après enterrement – funérailles après funérailles – jusqu’à l’effacement de la mort – l’effritement de notre dernière tombe, de notre dernier rêve et de notre ultime somnolence...

 

 

Du bruit – mille bruits – encore gonflés de sommeil. Et le monde qui va, comme un songe tenace, au-delà de lui-même – en aval de la nuit – malgré l’incandescence du soleil et la beauté intacte des étoiles...

 

 

A travers tout, nous irons. Comme un seul passage – et mille passagers. Comme une seule embarcation – et des milliers de barques – jetées contre les vagues à la boussole fixée sur l’infini...

Langue et mains barbares balancées par-dessus bord. Ambitions et songes sombrant au fond des eaux. Marins nus sur leur humble chaloupe naviguant sur l’océan...

 

 

Aux confins des mains, l’horizon et le silence. Et nos paumes qui agrippent déjà le sable. Dans un toucher et une appropriation presque fatals. Offrant une errance perpétuelle entre les rives du monde et celles de l’infini – dans un labyrinthe de corps et de désirs. Comme des vivants égarés – et sans urgence – lançant leurs messages inintelligibles vers un lieu silencieux – et toujours sans réponse. Comme un lierre foisonnant – et inépuisable – suspendu au-dessus du vide. Et c’est pourtant ainsi que nous vivons – et cherchons – encore étrangers au plus familier soleil...

 

 

Les hommes, vivants peut-être. Mais souvent (trop souvent) aussi éteints que la mort. Et au milieu des sourires (idiots et mensongers en général), des pleurs (factices et authentiques) et de l’incompréhension (totale et généralisée), cette lumière – comme une intelligence à naître – qui se cherche encore parmi les plis sombres et épais de l’ignorance. Dans un tourbillon de tentatives que nous célébrons – et qui nous font, malgré tout, aimer les hommes...

 

 

Dans le savant désordre du monde – ce chaos apparent – règnent l’exubérance, la nécessité et l’harmonie. Ce dont nous avons besoin (ce dont nous avons exactement besoin) pour nous extraire de la barbarie – et aimer ses figures et ses fruits dont les graines feront naître peut-être une beauté plus visible que celle du silence...

 

 

On ne célèbre jamais autant que dans l’humilité et le silence. Sans faste ni ostentation. Dans cette forme de gratitude et de prière invisibles...

 

 

Dans l’absence – notre absence – une main déjà nous porte – nous aime et nous guide vers son visage – cet éclat de beauté et de silence que nous sommes déjà (bien sûr) mais vers lequel elle nous pousse davantage pour que nous puissions le devenir, sans doute, de façon encore plus pleine et plus durable...

 

 

Par-delà nos murs – et par-delà nos nuits, le ciel et la mer – bleus – magnifiques – déjà unis – déjà réconciliés avec la terre, ses créatures et ses affres noires...

 

 

Hommes. Passagers si peu téméraires que leur ombre pourtant n’effraye pas...

 

 

Le silence. Comme un angle mort parmi les choses – et au-dedans du regard – qui ne se dévoile pas même lorsque l’on s’en approche. Il faut le devenir pour le découvrir – et qu’il nous apparaisse comme la seule réalité tangible de ce monde – le seul espace vivable dans cette odieuse tyrannie de la terre et des instincts – dans cette vie magnifique et merveilleuse, et pourtant si peu recommandable...

 

 

Douce peut-être sera la nuit jusqu’à la fin. Dans cette somnolence courbée par les bruits, les larmes et les circonstances. Mais elle demeurera toujours aussi sombre – aussi noire – aussi infranchissable – tant que ne nous aura pas été révélée sa lumière – cette étincelle embryonnaire lovée au cœur du regard, accessible à chacun, qui n’en est peut-être qu’un éclat – mais si magistral et si infini déjà...

 

 

La main mendiante – et pourtant si libératrice lorsqu’elle se fait humble – et qu’elle s’avance, sensible et tremblante, pour accueillir et caresser les visages et les circonstances...

 

 

Les peurs et les rêves de chacun (craintes, angoisses, désirs et ambitions de bonheur, de bien-être, de paix, de parentalité...) contribuent au cauchemar collectif (celui de la terre, du monde et de la société). Additionnés, ils forment, entretiennent et font prospérer notre commune tragédie – cette horreur à laquelle bon nombre d’entre nous rêvent d’échapper...

 

 

L’oreille contre la neige devient moins sensible aux bruits du monde et du temps. Comme si le vacarme et la masse sombre des heures – et leurs tintements – étaient amoindris par l’ouïe collée à la blancheur – à l’innocence – de l’écoute...

 

 

Qui peut savoir qui nous sommes – et (plus fondamentalement encore) ce que nous sommes. Un peu de chair, des émotions, des sentiments, des désirs tenaces – presque obstinés. Des liens, des liaisons, des échanges – innombrables. Des lieux, des pays, des mondes, des peuples. Tout un arsenal. Du sang et un peu d’âme. Et l’espoir jamais rassasié de nous découvrir – de savoir ce qu’il reste lorsque tout nous a été enlevé – et que nous avons tout abandonné...

A ce propos, rien de ce que l’on entend n’est ni totalement vrai – ni totalement faux. Nous sommes tout cela – et bien davantage encore. Ce qui semble évident – visible – et ce qui l’est un peu moins. Nous sommes tout – tout ce qui existe – et rien de cela. Nous sommes Dieu et ses anges – le Diable et ses démons. Nous ne sommes rien. Et ne pourrons le savoir qu’en nous approchant de – et en accueillant – (tout) ce qui nous traverse – et nous entoure – pour comprendre – voir et sentir – que la vie – notre vie – toutes les vies – et leurs mille combinaisons – et leurs mille liens – et leur infinité – se manifestent (et se manifesteront toujours) au-dedans de notre regard – de notre présence...

 

 

Il n’y a d’issue ni à la vie ni à la mort. Être encore un peu – être pour toujours au milieu de tous les gués...

 

 

Poésie de l’indicible. Philosophie de l’ineffable. Être plus simplement au cœur de ce qui voit – et de ce qui se vit. L’invisible éprouvation d’exister – d’être plutôt que rien. Il n’y a, sans doute, d’autre possibilité d’être vivant...

 

 

Nous avons l’âge de la terre. Celui des siècles puérils et sanglants. Mais nous avons aussi la fraîcheur intacte et éternelle du ciel – sa sagesse et son silence – pour panser les blessures du temps...

 

 

Nous sommes le vent et la poussière. Et la face espiègle d’un Dieu ensablé entre le cosmos et le néant. Nous sommes le jour et la nuit. Les saisons et les couleurs. Et le noir – l’immonde – et leurs blessures. Egarés quelque part – et à l’abri toujours – entre les rives (et les rêves) du monde et ceux de l’infini. Entre les mille fossés du temps et l’éternité du devenir...

Nous sommes le passé. Et nous sommes l’oubli. Le songe d’un Dieu rêveur. Et sa plus pénétrante réalité. Nous sommes ce qui a été conçu et l’inconcevable qui l’a créé...

Nous sommes ni tout à fait ceci – ni tout à fait cela. Et, plus que tout, bien davantage que nous ne pouvons l’imaginer...

 

 

Cette recherche de soi dans le monde. Et du monde en soi. Le plus sacré de cette quête qui nous anime malgré nous – et qui prend, si souvent, des allures d’enlisement pour les plus obstinés et des airs de séjour touristique pour les autres...

Mille façons de voyager à travers mille continents et mille époques – et à travers le monde et soi-même, bien sûr – vers un seul lieu possible : le lieu de l’Unique et de l’unité aux mille paysages et aux mille visages où nous accosterons, un jour, pour l’éternité...

 

 

Toutes ces craintes – toutes ces joies – toutes ces souffrances – toutes ces impasses – et tous ces bâillements – au cours de cette ineffable traversée. Ah ! Que nous rirons, un jour, de nos errances et de nos doutes – de nos drames et de nos larmes – lorsque nous toucherons (enfin) au but...

Et nous ne regretterons rien de ce que nous aurons vécu. Et nous aimerons plus que tout nos erreurs, nos bassesses et nos défaillances – et celles des autres qui cheminent encore...

 

 

Jusqu’où pourrions-nous étendre le soleil si nous connaissions l’horizon – et l’impossibilité des frontières...

 

 

Un nouveau chant – un nouveau passage. Et le silence déjà qui nous accueille. Comme un miroir souriant à nos déboires et à nos tentatives. Comme le reflet de notre (vrai) visage, fragmenté depuis l’origine – et rassemblé – réuni – enfin en lui faisant face – et en le retrouvant. En nous retrouvant face à lui – face à nous-mêmes – face à nous devenus si accueillants, si souriants, si inséparables...

 

 

Une œuvre plus tremblante que les mains – et plus troublante que les marais. Un rêve de progéniture pour donner, peut-être, un peu de sens à sa vie – et, sans doute, un fond d’utilité. Comme une façon de remettre à plus tard ce que l’on n’a pu mettre en œuvre soi-même. Comme une manière un peu grossière d’offrir à son existence quelques responsabilités et quelques joies – un peu de consistance et une raison de vivre presque animale – et la possibilité de survivre à la mort...

 

 

Une écriture pénétrante – élargissant les possibilités de l’horizon. Comme un avant-goût de l’infini – et, peut-être, une promesse de silence...

 

 

Rien ne peut s’accomplir que nous ne connaissons déjà. La nouveauté ne sera jamais qu’une combinaison du possible à partir d’éléments existants...

 

 

L’encre, un jour, s’effacera. Les pages se déliteront – et retrouveront la poussière. Les mots engrangés dans l’âme demeureront alors le seul véhicule de la lumière. Et les circonstances, comme toujours, joueront leur rôle pour que le silence devienne accessible – et soit, un jour, habité...

 

 

Ni poème ni hasard. Un peu d’encre – et un peu de sable – entre le sang et la mort parmi les saisons qui passent...

 

 

Le feu aussi obstiné que le vent. La lumière aussi tenace que l’ombre. Ainsi sommes-nous nés – et avons-nous survécu aux siècles, partagés entre le maléfice et la promesse – entre l’égarement et la possibilité d’un chemin...

 

 

Les yeux toujours posés contre la vitre malgré la lumière. Comme si la fenêtre ne pouvait se briser. Comme s’il nous était seulement possible d’élargir le regard – et lui faire traverser ces frontières infranchissables. Comme si nous devions faire muer – et transformer – la perception, l’identité et le sentiment d’appartenance – et leur offrir la possibilité d’un au-delà d’eux-mêmes ici, ailleurs, partout...

 

 

Un désert, cette terre peuplée d’ombres. Un grand rêve obscur. Et nous voilà déjà partis sur les chemins – plongés dans cette longue errance. La plus tragique peut-être de l’histoire du monde...

 

 

Face tournée contre la terre – et nuque sous l’orage. Ainsi attendons-nous l’éclaircie sans imaginer la possibilité d’une autre terre, d’un autre climat, d’un autre soleil...

 

 

Clandestins toujours en nos frontières. Comme esseulés par l’infranchissable. Et l’attente de cette crue qui nous ramènera, peut-être, vers le seul rivage commun...

 

 

L’audace de l’impossible. Si puissante – et si souveraine – face à l’étroitesse de nos désirs, leur couardise et leur manque d’envergure et de perspective...

 

 

Terriblement vivants encore malgré la pluie, les menaces et la mort. Empêtrés dans cette vie organique, si irréconciliable, qui enjoint à l’esprit – aux esprits – de lutter et de se battre. Et nous, pauvres de nous, qui continuons à nous vautrer dans cette indépassable dimension de la terre, voués aux combats sans merci – et sans gratitude jusqu’à la mort...

Et, sans doute, devrons-nous encore mourir mille fois – des milliards de fois peut-être – pour nous éveiller à l’autre versant de la vie ; le plus précieux toujours hors de portée pour les mains, les bras et les têtes – ce que l’âme seule peut découvrir au cœur – en-deçà et au-delà – de toutes les batailles...

 

 

Des clowns insatisfaits et entêtés – et plus qu’ignares. Voilà de quoi le monde est constitué. Et il n’y a, le plus souvent, ni raison ni matière à rire... Jonglages, astuces et fanfaronnades. Des jeux et des spectacles en attendant Dieu sait quoi...

 

 

Un sentier, une porte ouverte, une escale. Une parole parfois. Et quelques rares sourires parmi l’indifférence. Comme un feu immuable – et si fragile pourtant – qui cherche partout un discernement – un peu de discernement – pour faire naître l’Amour et le silence – cette joie de la fouille et de la découverte – cette joie du partage et d’être ensemble aussi différents que nous sommes Un seul...

 

 

L’obscur vertige des vivants entre la boue et la poussière. Sur les rives de l’improbable et de l’incertitude. A pas comptés sur le fil ténu – et fragile – de l’existence. Condition métaphysique et vérité humaine.

Et au-delà de toutes les solitudes, la lumière unifiée des vivants – et le courage des êtres qui transgressent les lois et les conventions – les perspectives et les religions – et qui sabotent toute velléité de repli sur soi pour la plus parfaite – et lumineuse – unité...

L’inévitable voyage de l’homme, son défrichement, son exil et son envol possible vers le silence – cet Amour acquiesçant qui ouvre les bras au monde, à sa lumière et à son potentiel comme à ses mains de glaise qui pillent et égorgent encore...

 

 

Entre poésie, philosophie et spiritualité. Simple témoignage de l’humain et de l’inhumain – cet en-deçà et cet au-delà de l’homme...

 

 

Voyageur humble et sans appui. Et regard immobile et acquiesçant. Il n’y a, sans doute, de plus belle façon d’être – et d’être au monde. Ni de plus juste ni de plus digne...

 

 

Les hommes. Quelques frissons d’absence dans l’écume. Et partout au-dedans – et aux alentours – et là-bas, au loin, l’océan (serein et immobile) à perte de vue...

 

 

Et cette interminable saison hivernale où les hommes frissonnent – et se réchauffent à grand-peine entre eux. Brûlant leur attente dans je ne sais quelles distractions. Une existence. Et mille billevesées qui détournent de la lumière – et de la promesse de toute chaleur...

 

 

Une tombe creusée parmi les danses et la mort. Âme et cheveux en bataille. Encore trop instinctifs sans doute pour se soumettre avec docilité au silence. A la ronde immobile du monde et du temps...

 

 

Du sable et des figures encore avant la mort. Mille tentatives tenaces d’exister. De braver cette funeste finitude – ou de la nier peut-être – pour se sentir vivant. Quelques cercles dans l’eau du monde, de la vie et des pages. La poursuite du naufrage – de tous les naufrages...

 

 

Les larmes, bien souvent, sont dans l’œil. Mais nul ne sait les voir (ou si peu) dans l’âme. Envahissantes. Submergeantes comme dans un puits sans fond – assoiffé de cette source qui échappe à la tristesse – située au-delà de toutes les mélancolies – dans l’abandon de tout espoir – au fond des yeux secs à force de désespérance...

 

 

Un jour, une vie, mille siècles. Et cette longue nuit – inépuisable – du monde et des hommes où les bouches, trop pleines de rêves et de temps, n’ont jamais su épeler l’infini et l’éternité...

 

 

Peut-être retrouverons-nous, un jour, le chemin – la maison – la lumière – au cœur de l’obscurité lorsque l’âme saura s’éloigner du lointain – et se rapprocher du plus familier, plongé – gisant – au cœur de nulle part – en ce lieu si invisible des horizons...

 

 

La prunelle et la paupière (des hommes) à moitié closes, rivées aux printemps, là où s’étire le ciel infranchissable – plus qu’inaccessible. Dans ce rêve de lumière et de candeur où ne fleurissent que les mythes, l’horreur et le mensonge. Dans ces crissements de songe qui blessent la terre et ne font qu’effleurer l’horizon...

Et, pourtant, je vois encore quelques scintillements dans la nuit – et dans les rêves. Ce feu, jamais éteint, qui attend un signe – notre venue – notre absence (délibérée) – pour embraser l’âme et le monde. La nécessité des vivants...

 

 

Comme un regard invisible – attentif et bienveillant – sur les êtres et le monde. L’hôte sensible et sans exigence...

 

 

Etrangers du plus commun espace. Fragments d’un seul tenant s’ignorant pour le pire sans voir – ni même deviner – l’unité sous-jacente – invisible – dont l’évidence ne frappe que les yeux unis – réunis – sensibles et réconciliés avec les jeux, les affres et les désastres de la fragmentation...

 

 

Le tragique des jours. Et le silence. Comme unique réponse – et seul baume pour panser – et guérir peut-être les peines, les saccages et les catastrophes du monde et de l’existence...

 

17 décembre 2017

Carnet n°124 Le feu, la cendre et l'infortune

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Et dans nos mains, d’autres mains qui ne nous appartiennent pas. Et dans notre âme, d’autres âmes plus belles et plus réconfortantes. Et en ce monde, d’autres mondes plus sensibles à la beauté. Comme si la vie – toutes nos vies – n’étaient qu’un mensonge – et une possibilité offerte pour qu’éclate la vérité – et se dévoile (enfin) l’infinie diversité dans le plus vaste, et le plus intime, des regards à l’envergure plus ample que les mains, les âmes et les mondes...

 

 

La marche des siècles (toujours plus hermétiques) de plus en plus déchiffrable. La pierre, l'horreur et le mal de vivre. Et cette dérive permanente de l'histoire. Comme un mythe aux relents de catastrophe touchant – presque – à son but...

 

 

Le bâton du pèlerin bientôt remplacé par le silence et l'immobilité du regard reliant tous les chemins à l'infini...

 

 

La mémoire de l'ombre (si vivace) refuse de sombrer dans l'oubli. Elle interroge toutes les âmes et assombrit la nuit (déjà si opaque). Comme si elle rechignait à capituler face à la puissance souveraine de la lumière et de l'effacement. Et, sans doute, est-ce cette résistance que l'on entend battre dans les veines du monde, les poings qui martèlent leur tyrannie et le sang qui coule encore sur la chair et les visages...

 

 

L'incertitude sereine n'explique ni la beauté ni les drames. Elle accueille simplement ses hôtes – tous ses hôtes – sans les trier. Comme la preuve possible – toujours possible – de l'épanouissement de tous les passages, de tous les élans et de toutes les déconvenues...

 

 

Le cri de l'âme devant la pensée qui se heurte à ses propres limites – parois infranchissables entre lesquelles elle s'effondrera, un jour, avant de se laisser glisser au fond de ce qui la fit naître...

 

 

Et ce vieux monde tout boursouflé – et tout essoufflé – qui mendie aux hommes sa perpétuation – et sa renaissance. Et qu'ils brûlent – et qu'ils balafrent – et qu'ils assassinent – comme si la beauté pouvait naître (ou renaître) du sang, des cendres et des cicatrices...

 

 

Un monde, des princes – quelques princes entourés de leur armée et de leur milice – et le peuple – le peuple immense composé de bras, de poings et de quelques têtes parfois – esclaves depuis toujours des lois et des autorités – dans l'attente d'être affranchis... Et dont la liberté ne naîtra ni de leur union ni de leurs forces mises en commun mais de l'effroi et de la lassitude nécessaires pour que chacun trouve le souffle suffisant pour s'extirper de ses propres chaînes...

 

 

Le bleu du ciel – et le bleu des rêves – toujours impuissants face aux forces noires du monde et des instincts. Il faut – et faudra toujours – l'élan d'une lumière intérieure doublé d'un souffle suffisant pour les affronter, et plus tard les dissoudre, afin de pouvoir transformer l'obscurité des abîmes...

 

 

Quelques terreurs encore lors de notre lente, et inattentive, déambulation entre les tombes. Comme l'écho peut-être de l'effroi des morts qui parcourt l'échine des vivants – ces oublieux de toutes les fins – et de l'inévitable et permanent processus de l'effacement...

 

 

Le monde comme un atlas ouvert sur la table – la petite table posée au milieu des gouffres cosmiques – où se battent quelques ombres – quelques soldats – et où se querellent toutes les âmes sans porter leur regard au loin – et au-dedans – où brille pourtant, à travers le noir et l'obscurité, la lumière ancienne et à venir...

 

 

La paix des jardins – et la joie des forêts et des collines – voilées par le bruit des bottes et des engins de construction – par tous ces élans dévastateurs lancés vers les impossibles retrouvailles avec l'horizon...

 

 

Les noces abjectes et dévastatrices entre les rois, les peuples et la terre. Et celles invisibles – et illisibles peut-être – entre les mendiants – les dépossédés – et la joie – porteuses toujours de silence et d'Amour – de cette lumière inespérée. Comme un miracle (un petit miracle) parmi la haine et les atrocités...

 

 

L'homme est l'enfant de la peur et des instincts. Et il vit ainsi jusqu'à la mort sans savoir que Dieu a déposé en ses profondeurs un éclat de son visage – une goutte d'éternité – qu'il s'acharne encore à découvrir à l'extérieur – en saccageant le monde de ses élans et de ses découvertes successives – toujours aussi pitoyables et inutiles...

 

 

Est-ce l'éternité qui rapproche de la mort ? Ou la mort qui rapproche de l'éternité ?

 

 

D'un pays à l'autre – d'un visage à l'autre – nous déambulons à la recherche d'un éclat – d'une intensité – d'une lumière – parmi les ombres. Comme étrangers encore à nous-mêmes...

 

 

Des ponts, un ciel et ces faces si noires nées d'un soleil ancien – demeuré au seuil de l'invisible. Ainsi vivons-nous avec cette blessure que nous prenons pour une eau pure. Et ainsi errons-nous jusqu'au seuil de tous les passages et de tous les abandons...

 

 

Des pages, des livres et des bibliothèques bâtis sur cette indigence – cette misère – qui cherche la lumière parmi les ombres, les orages et les outrages – parmi l'absence et les peines. Et qui se trouve déjà au fond des yeux si mal dessillés...

Des chants tristes, en vérité, en quête de joie et de beauté qui ne se révéleront (pourtant) qu'aux fenêtres des âmes solitaires pour clore leurs errances – et l'usage d'une parole inutile – désormais guidée(s) par le silence...

 

 

Un gris encore parfois – et une tristesse à sa suite – nous font mordre la poussière. Mais ce que nous prenions autrefois pour un désastre révèle, à présent, sa splendeur. Le plus humble – et le plus bas – enfin célébrés par l'âme qui a vu, derrière le sang et la chute, le plus digne à vivre – et le plus sacré peut-être du vivant. Ce silence – et cette beauté – au-delà du courage et de la volonté. Comme un retour inespéré vers soi-même...

 

 

A l'âge de la profondeur désirée, la bêtise – encore bien trop souvent – fait loi. L'indigence – et la misère – exacerbées – à leur faîte peut-être – devant le souvenir, les regrets et la mort (si près du visage) qui s'approche à grands pas...

 

 

Il faudrait ranger notre voix – et faire taire notre parole (ou la laisser lentement s'éteindre) pour que la sagesse se mêle – plus définitivement – à notre sang – et que la lumière balaye la main de la nuit – et l'horizon encore si sombre parfois. Le silence alors pourrait habiter nos lèvres, nos pas et notre âme pour guider le jour jusqu'à nos yeux – et investir notre peau et nos étoiles. Ainsi seulement serons-nous capables de revêtir son ineffable manteau jusque dans nos rires et dans nos larmes – et marcher moins tristes sur tous nos chemins de boue et de poussière...

 

 

Des chemins, des yeux et des poignards. Et ce qui naîtra plus tard de toutes ces errances et de toutes ces plaies. Comme une foudre à venir née des orages passés, innombrables bien souvent – et si salvateurs malgré les secousses et les cicatrices...

 

 

La rançon des siècles. Le silence et la joie. Toute cette beauté ignorée depuis nos premiers pas...

 

 

Célébrons – sachons célébrer – les funérailles permanentes. La mort. Les effacements. Les outrages et les abandons. Tout ce qui mène au seuil de la délivrance – et nous aide à franchir l'ultime frontière de nous-mêmes – cet infini si partagé...

 

 

Et ces démons – tous ces démons – partout (les nôtres sans doute) qui hurlent encore – et que le silence, à présent, recouvre de rires et de douceur – de cet Amour et de cette dérision si nécessaires pour vivre dans tous les recoins de ce monde peuplé de chemins et d'ombres – de chagrins et de chimères – et voués dès les premiers pas à l'infernale solitude...

 

 

En ce monde, il y a peut-être, en définitive, plus matière à rire qu'à pleurer...

 

 

L'émerveillement et la curiosité, aire, source et chemin de tous les silences et de toutes les joies...

 

 

Quelques blessures encore dans la joie. Comme les éclats d'une beauté supplémentaire...

 

 

Nourris de joie et de beauté par le silence, comment pourrions-nous nous soumettre encore à la parole si elle ne naissait de lui – et le célébrait – pour tenter d'offrir au monde – et à la ronde – davantage de joie et de beauté...

 

 

Les yeux devenus regard et le cœur devenu Amour sont la chair (la plus tangible) de l'âme – cet éclat de Dieu impérissable. La quête de toute existence et le commencement de tout renouveau. La digne continuité du monde et le sacre d'un ciel apprivoisé – enfin à notre portée. Une flamme – un feu – pour embraser le monde et transformer le vivant en lumière...

Comme un soleil dans le sommeil pour nous éveiller des ombres. En alternance avec la pluie – un peu de pluie – pour soutirer à nos larmes bien davantage qu'un désir d'éclaircie...

 

 

Comme une pluie parmi le plomb. Et un bouquet de joie dans la tristesse. Comme une nuit cerclée de diamants et de lumière. Et un feu sous l'averse. Pour que le silence – et ses caresses – se glissent au-dedans de la peur et puissent bruisser – tel un soleil blanc – au cœur de l'âme et de ses raidissements...

 

 

Ecrits confidentiels bien sûr et vaguement poétiques peut-être, nés dans la solitude et l'intimité du silence. Et lus par quelques âmes sans doute dans les mêmes conditions. Ils ne pourraient tolérer d'autre manière ni d'autre approche. Et cette exigence écarte toujours les yeux curieux sans faim de rencontre (décisive) et de lumière...

 

 

Un monde où ne pourraient vivre que les enfants et les poètes. Si lumineux qu'il écarterait naturellement l'obscurité – et si innocent qu'il brûlerait sur place tous les désirs et la tristesse – et bannirait à jamais le sérieux, la gravité et l'ambition pour décourager tous les postulants plongés encore dans la bassesse et l'ignominie...

 

 

Perdus encore toute moisson – et toute récolte – les fruits de ce rude labeur qu'est se chercher... Et à la place du grain – promesse d'agapes, de galettes et de vin, de nappes blanches posées sur les tables et de partage – l'enfouissement dans la partie la plus anguleuse – et la plus mystérieuse sans doute – de la solitude. Face à la vacance magistrale du rien, du désert et du sentiment de n'être personne. Cette part si insaisissable de nous-mêmes, la moins personnelle sans doute – et la plus douloureuse aussi – que jamais n'achèvera de révéler (et de laisser s'épanouir) notre misérable – et triste – individualité rompue pourtant à elle-même comme à toutes les débâcles et à tous les abandons. Mais sans doute – mais peut-être – encore insuffisamment...

 

 

Tous les passages et toutes les ignorances. Comme un soleil inespéré dont nous ne percevons que l'ombre, le feu et les vents...

 

 

La nuit encore malgré l'inquiétude première – et ses traînées de pas fébriles – cherchant la réponse à toutes les énigmes qui nous firent naître. Comme un cri – et une angoisse – discontinus dans le silence...

 

 

Une fleur – et peut-être encore un souvenir – pendus au fond de l'âme. Comme une espérance inguérissable de nous voir, un jour, franchir la mort sans encombre...

 

 

Une joie humble, éclose du plus proche – et du plus lointain – de cette lumière du rien – ce vide en nous – et que nous sommes – et qui était autrefois si encombré...

 

 

Derrière les désirs, l'attente de l'ultime éblouissement. La mort du temps. L'enchantement simple de ce qui passe. Le plus haut degré de l'humilité. Notre vrai visage enfin découvert...

 

 

Et tous ces bavardages qui cherchent encore le silence. Comme la plus grande ironie de ce monde peut-être. Dieu en nos visages ne reconnaissant plus sa (propre) figure...

 

 

Une gorgée de silence encore parmi les fleurs avant de retrouver l'effroyable vacarme des visages...

 

 

Un seul cri, un seul chant, un seul poème. Celui du silence qui ne rêve que de se rencontrer – et de se retrouver au milieu des rires et des larmes – au cœur du monde et de chacun...

 

 

Apprivoiser l'inconnu ? Jamais. Se laisser surprendre – et défaire – toujours par les mille étonnements qu'il nous offre. Par sa venue, si discrète, et pourtant permanente au cœur de nos vies, au cœur de nos craintes et de nos cris. Comme une façon d'inviter en nous le plus grand silence...

 

 

Le regard. Un espace, une envergure, une circonférence – et une présence de l'indicible où naissent et s'effacent toutes nos gesticulations. La figure de Dieu qui s'amuse de notre façon de le chercher avec nos têtes, nos idées et nos croyances – et qui aimerait peut-être – et qui aimerait sans doute – que nous nous lancions à sa poursuite d'une manière plus humble et plus joyeuse – et plus innocente, bien sûr – comme un jeu dans tous les jeux, comme un visage en tous les visages, comme un rire et des larmes parmi tous les rires et toutes les larmes. Comme le seul chemin caché au cœur de tous les chemins et les seules retrouvailles au cœur de toutes les retrouvailles. Comme une main présente déjà au creux de toutes les mains. Comme le pays de la joie au milieu de nos infortunes – et pour nous dire peut-être (aussi) l'impossibilité de l'ailleurs...

 

 

L'imperceptible pureté du pays infréquenté qui longe, de bout en bout, les contours de notre peur. Et dont la nef gît au-dedans de nos profondeurs. Seule région de cocagne dans ce monde dévasté – déserté – cet immense et minuscule désert peuplé d'ombres et de fantômes où seules fleurissent les mains implorantes et désolées...

 

 

Nous préférerions mourir plutôt que laisser s'effondrer nos édifices, s'éparpiller nos amassements (nos pauvres richesses) et voir s'effacer notre fortune. Si ignorants encore que nous sommes du fabuleux pouvoir de la défaite...

 

 

Derrière nos masques, la peau la plus fine – la plus transparente – et la plus fragile. Et derrière encore, lorsqu'elle se laisse transpercer, on devine toute proche la figure de Dieu – et son rire inépuisable à nous voir mendier partout sa présence. Comme un soleil ineffaçable sous nos paupières – et dans notre sommeil – qu'aucun rêve jamais ne pourra atteindre. Comme un exil en nous accessible seulement depuis l'immobilité la plus humble, une fois tous les chemins abandonnés...

 

 

L'herbe, la cendre. Et l'absence éparse déjà. Mille âmes rencontrées. Et le sang – et le silence encore si animal. Comme si nous étions – et errions – dans l'ombre d'un soleil limité – les yeux perdus déjà – et le cœur toujours chaviré par les étoiles, les étals et les promesses jamais tenues. En attente de la foudre – d'un feu – pour incendier nos états – tous nos états – et nous défaire en simple appareillage. Une nudité peut-être à la voilure minuscule – et puissante pourtant – tendue par les vents pour aller sur l'océan et découvrir le bord du ciel où nous sommes déjà présents. Comme le seul miroir de nos blessures laissées par le voyage – et leur effacement soudain pour nous rendre un peu plus sages – et, peut-être, un peu moins sauvages...

 

 

Un désir de sommeil encore parfois nous étreint malgré le jour et la lumière. Comme le songe, le plus tenace peut-être, de l'homme. Ce goût pour les mythes et les histoires. Ce besoin si malicieux d'échapper au réel. Un oubli de ce qui est – et de l'essentiel – au profit de chimères. La préférence de l'individualité et de l'illusion au détriment de l'impersonnel et de la vérité. La prégnance, toujours aussi vive, de l'espoir et de l'avenir qui relègue l'instant et le présent aux fossés de l'impossible...

 

 

Quelques circonstances nous rappellent parfois le cri que nous poussions autrefois dans notre grotte, enclavée entre la peur et le désir. Dans l'attente d'un éblouissement impossible...

 

 

Quelques âmes – et quelques livres parfois – accompagnent notre destin. Cette longue glissade vers nous-mêmes. Cette chute inéluctable vers notre centre – ce lieu de toutes les présences – et de tous les envols possibles. Le cœur de l'être nu – défait de toutes les viles pelures que nous avons cru nécessaires à notre survie...

 

 

Les yeux, la bouche et l'âme couchés au-dedans de l'épave – et qui fut (pourtant) autrefois une fière chaloupe défiant les eaux furieuses du monde – et reléguée aujourd'hui au rêve. Comme un songe brumeux au-dessous des océans – avec notre morgue emportée au large par quelques courants salvateurs...

 

 

Le bleu d'une autre pierre – plus grande que celle où nous nous tenons – plus belle aussi – et plus prometteuse sans doute. Ainsi allons-nous sur les chemins – sautant d'une pierre à l'autre – jusqu'à ce que la poussière nous avale. Et ainsi se prolongent nos errances. Comme un vaisseau fantôme glissant sur les eaux sombres du monde...

 

 

Tant d'élans et de mouvements pour franchir l'immobilité – ce rivage – ce seuil de tous les voyages – cet horizon où rien ne peut finir...

 

 

La nuit plus soucieuse des étoiles que du jour à venir – et de ce soleil invisible depuis ses rives. Comme un désert. Comme un hiver interminable. Comme une bouche prête à accueillir – et à ensemencer – toutes les blessures – et toutes les brûlures – pour voir son rêve – tous ses rêves – s'accomplir. Comme une absence bercée par le climat – et le va-et-vient perpétuel des marées. L'avant-poste des saisons. Le chemin antérieur aux premiers pas...

 

 

Les fruits, l'écume et la mort. Seul décor – et seul spectacle – bien souvent pour les âmes raidies comme du bois mort. Comme une double peine dans cette nuit qui dure encore...

Du sang mêlé de sable noir et des bruissements de chair toujours aveugles au jour qui montera plus tard...

 

 

Sommeil et absence. Heures et jours qui s'étirent par-dessus l'aube manquée – manquée toujours. Comme si elle n'était que le prolongement de la nuit. Marquée au fer rouge des tremblements et des rameaux de buis qui flagellent notre espérance – et nos existences assoupies...

 

 

Le langage comme un tourbillon d'étoiles dans la nuit la plus égarée – plus proche du rêve et du souvenir que du jour encore impossible...

 

 

Nous vivons comme des astres encerclés par les hauts murs d'un jardin – l'éden peut-être – autrefois si innocent – et qu'une craie tremblante – et mal assurée – pourrait délivrer des songes – et de tous nos désirs de ciel moins noir. Comme une route dans l'obscur finissant sa course dans un fleuve sinueux – et parfois capricieux – dont les méandres nous jetteraient, après un long périple, dans l'océan – cette étendue de lumière si lointaine encore...

Le chant des naufragés, voilà notre seule espérance. Lui seul saura faire plier l'ombre et le rêve parmi l'argile, encore rouge, des visages sur des pentes inaccessibles aux mains et aux fronts déjà courbés devant la mort...

 

 

Une solitude – une lumière – à gravir par mille chemins. Et au bout de chaque sente, l'abandon nécessaire. L'humilité – la grande humilité – de l'âme. Les chagrins et les peines, innombrables, remisés dans l'oubli. Et l'innocence indispensable pour se laisser mener par l'ultime élan avant le saut – le grand saut – dans l'indicible et l'inconnu – ce mystère où se cache (sans doute) l'Absolu – le remède à tous les sommeils...

 

 

Encore quelques heures – quelques jours – ou quelques siècles peut-être – à attendre sous les arbres parmi les visages rudes – et abrupts – et les haleines froides – à s'effrayer des cris, des épaules et du sommeil – de toutes ces ombres ravagées par leur rêve de soleil parmi quelques prières maladroites jetées à un ciel aussi noir et ignorant que ses adorateurs et ses postulants...

 

 

Entre l'écume et le rocher toujours – sur l'assise précaire – et si mal assurée – avec ces vaines tentatives des mains à saisir et à prier – à quémander partout quelques indulgences pour excuser – et se faire pardonner peut-être pour – tant de désirs et de maladresse...

 

 

Une voix, un abîme, une prière. Voilà la pauvre litanie – et le triste chemin débroussaillé par l'âme des hommes. Et le silence du ciel toujours aussi inaccessible...

 

 

Risquer la mort pour un peu d'ombre. Manquer le silence pour quelques bruits plaisants – et le son de quelques cloches encourageantes. Tourner le dos à la lumière pour un regard et l'éclat de quelques prunelles en pâmoison – et vaguement admiratives peut-être...

Le monde ne mérite sans doute que notre âme s'y attarde – et s'essouffle plus que nécessaire en y cherchant ce qu'elle ne peut y trouver. L'Absolu – et l'infini – sont les seules contrées à explorer. Et une fois investies, notre présence au monde se transforme en une (simple) formalité guidée par l'Amour et les nécessités. On est présent parmi les créatures sans espoir ni exigence. Assujetti simplement à l'inévitable et aux circonstances...

 

 

Un Dieu encore si hésitant entre nos rives. Happé toujours au fond des gouffres mais que l'aube parachèvera, un jour, en Amour. Voilà, sans doute, la véritable besogne de l'homme. Faire éclore – et laisser s'épanouir – cette part divine enfouie en lui depuis les origines pour qu'elle grandisse – et se retrouve aussi intacte – et aussi parfaite – qu'avant tous les commencements. Ainsi seulement seront abolies toutes les frontières entre le dedans et le dehors. Et ainsi seulement Dieu pourra briller en tous lieux à travers notre visage...

 

 

Un gouffre, une nuit, un Amour pour que s'achève l'inachevé – et que perdure l'inachevable. Cette vérité dans l'ombre de tous les mythes et de tous les mensonges...

 

 

Des vallées, des chemins, des pierres. Le terreau de toutes les larmes. Et l'écume et le rêve encore pour affronter les vents et leurs affronts. Cette résistance de l'ombre avant la grande tristesse et l'abandon. Et le retour à des lumières moins mensongères. Comme une manière nouvelle – et toujours renouvelée – de se pencher vers le plus bas afin d'accueillir le ciel (tout entier) – et sa parfaite envergure pour embrasser la terre...

 

 

Tout naît – et peut éclore – de cette flamme enfouie en nos profondeurs – dont la naissance échappe aux siècles mais dont la lumière ne peut s'épanouir que dans l'inévitable besogne de l'homme. Cette quête obsédante et inépuisable d'identité, d'Amour et de vérité...

 

 

Des existences et des destins ensablés. Et au cœur de l'âme, ce jour infatigable qui n'attend aucune réponse mais la fin de tous les périples pour s'extraire des pierres – et rejoindre l'impartageable...

 

 

Une lampe entre les feuillages pour guider et accueillir les hôtes – tous les hôtes – de la nuit. Pour acheminer les barques – toutes les barques – au milieu de leur feu – de ce passage étroit entre nos voix si tremblantes – et si sensibles encore à cette si singulière obscurité de la terre...

 

 

Vents, fugues et gîtes. Abris précaires et provisoires dont il nous faudra sortir un jour pour défier la terre, les ombres et la haine. Echapper à cette mort que nous prenons pour une fin. Et transformer l'ignorance en compréhension afin de vivre l'infini dans l'intime (le plus intime) et le plus humble des jours...

 

 

L'espace, le monde et des déchirures encore malgré ce feu qui nous presse de comprendre. Comme la seule fouille nécessaire pour échapper à la nuit et à ses atrocités...

 

 

Ceux qui partent reviendront toujours. Tout voyage s'achève dans le retour. Il n'y a d'autre lieu pour se retrouver...

Soi-même, seule aire de tous les départs et de tous les chemins – de tous les périples et de toutes les destinations...

 

 

Le sang neuf de la mort. Et cette soif – et ce courage – de revenir encore. Comme pour achever ce que l'on a, souvent, à peine commencé. Comme si n'existait que ce qui passe – et repasse encore...

 

 

Une flèche, un visage, un butin, une étoile – un territoire peut-être. A chacun son rêve, son chemin et son désespoir jusqu'au jour où l'on quitte le troupeau pour chercher la foudre – et se mettre à chanter dans la solitude et la boue. Ainsi commence la fin de toutes les nuits...

 

 

Un cœur, des poignards, des plaies. Un désert, du sable, des pierres. Et la mort. Ainsi débutent – se poursuivent – se succèdent et s'achèvent les saisons. Dans le feu, le sang et les larmes. Et dans la solitude. Terreau rouge du soleil à venir où il nous faut d'abord apprendre à vivre avant de vouloir en émerger...

Comme une passerelle composée de mille barbelés suspendue au-dessus du vide sous la clarté d'un astre encore chancelant parmi tant de rêves et d'étoiles...

 

 

L'herbe et la cendre parmi la peur si animale. Comme des yeux familiers de la lumière – égarés sur la terre parmi le sang et l'odeur de la mort...

 

 

A nouveau les morsures de l'ombre comme si nous voulions avaler la moitié d'un soleil dévoué à l'inattendu – à ce qui s'approche sans jamais pouvoir arriver. Comme si les pierres et la mort n'avaient pu (encore) nous livrer tous leurs secrets...

 

 

Au bord du vertige sans doute – mais encore insuffisamment outillés pour affronter le feu. Et le miroir peut-être de nos blessures...

 

 

A la fenaison, nous préférons le cumul des terres et l'ivresse du grain. Et cette odeur d'incendie après nos maigres récoles pour revigorer la terre – et faire renaître plus tard l'abondance. Comme un long sommeil – une longue absence – dans nos rêves de fortune...

 

 

Aujourd'hui, la mort s'en est allée – et la vie se fait enfin vivante. Comme si rien en nous ne pouvait naître sinon l'Amour...

 

 

Transformer le sang en eau et en nuages. Et la chair en âme pour nous extraire de cette fascination inguérissable pour le corps – et alimenter les fleuves, les rivières et les puits afin de rejoindre notre désir d'océan...

 

 

Je parle à l'homme. Je parle aux bêtes. Je parle aux arbres. Je parle à l'herbe et aux pierres. Et seul le silence m'entend – si invisible encore parmi ses passagers...

 

 

Encore un peu de brume et déjà un soupçon d'innocence sur cette terre gorgée de sang et de soleil, vouée à l'impatience des hommes et à la crainte des bêtes, si impuissants face au mystère qui, au fil des siècles, s'est épaissi et a perdu son importance. Comme si l'Amour et l'éternité n'étaient destinés qu'aux âmes réconciliées avec les vents, le hasard (improbable) et le sourire timide des visages où percent encore l'envie, la peur et le désir de siècles meilleurs...

 

 

Un sourire parfois nous retient de pleurer devant cette barbarie et cette solitude. Face à ce monde insensible au voyage, à la beauté, au silence et à la grâce des âmes en attente...

Et pourtant parmi la disgrâce, nous tenons encore debout. Résistant aux outrages des hommes et aux affronts des siècles, le front à peine incliné devant les horreurs du temps et l'âme forte d'un autre appui... courant toujours parmi les bruits à la recherche de ce plein silence...

Et cette absence qui triomphera toujours avant de sombrer dans la foudroyance d'un soleil qui éclairera tous les horizons – et leurs mensonges...

 

 

Entre l'amour, la mort et le rêve toujours. Pris – et secoués – si souvent par la hargne des saisons avant de chuter – définitivement peut-être – dans le silence. Le plus haut – et le plus indicible – du silence...

 

 

Et cette odeur d'hiver et de désolation qui colle à nos souliers. Où pourrions-nous donc aller avec ces frusques aux couleurs de mort sinon essayer de traverser la chair et le sang qui abreuvent encore la terre... Où pourrions-nous donc nous réfugier sinon au-dedans de l'âme qui vibre partout – de l'intérieur aux périphéries – à cette lumière qui défait le rouge, le vide et le noir des existences...

 

 

Une vie. Et une terre et des visages toujours à l'abandon...

 

 

Derrière les rideaux veillent encore ce feu – et cette lumière. Par-dessus les toits – et l’horizon des collines – on les voit briller. Et au fond de l’âme, éclairer encore. Comme un phare, une bouée et les vagues qui nous emporteront vers le large – en ce lieu si proche de nous-mêmes – et au cœur, sans doute, de toute chose...

 

 

Des chemins et des morts – des mots et des vivants – que célèbre le poète. Et que méprisent les foules de peur, sans doute, de voir le confort et la futilité destitués par l’âpre labeur nécessaire à la lucidité. Comme si le monde – et la vie – ne voulaient goûter qu’une seule part d’eux-mêmes ; la plus apparente – et la plus mensongèrement lumineuse – pour s’affranchir (inutilement, bien sûr) des griffes et des aspérités du sombre sommeillant, et si vivace pourtant, en chaque chose – et en chacun...

 

 

Et cette pierre accablant la chair – et cette âme au visage vertical donnant la force de traverser les eaux ténébreuses du monde, fidèle peut-être qu’à son désir d’éternité...

 

 

La silencieuse assemblée des arbres accueillant avec dignité la foule des volatiles : rapaces, passereaux, oiseaux de bon et mauvais augures – et leur ouvrant les bras. Comme un refuge salutaire pour la vie sauvage en déperdition – vouée à l’extinction par le trop grand désir des hommes à se protéger de ce qui blesse encore – et qui, en l’éradiquant, nourrissent toujours davantage la violence et la mort...

 

 

Et dans nos mains, d’autres mains qui ne nous appartiennent pas. Et dans notre âme, d’autres âmes plus belles et plus réconfortantes. Et en ce monde, d’autres mondes plus sensibles à la beauté. Comme si la vie – toutes nos vies – n’étaient qu’un mensonge – et une possibilité offerte pour qu’éclate la vérité – et se dévoile (enfin) l’infinie diversité dans le plus vaste, et le plus intime, des regards à l’envergure plus ample que les mains, les âmes et les mondes...

 

 

Des portes noires – fermées. Et des bêtes qui hurlent dans la nuit. Et la peur des âmes, des cris et de la mort qui s’approche. Au plus dense – et au plus intense – de la terreur pour que la vie révèle toute sa beauté – et nous offre le droit – que dis-je ? le privilège – de vivre un peu plus vivant entre le début et la fin de tous les ouvrages qui naissent et s’effacent le temps d’un souffle...

 

 

Et ce feu ardent qui brûle sous la pluie. Comme un soleil misérable parmi les gouttes. Et ce nom – impossible à entendre – et ce silence partout délabré par la peur et les chants qui montent des entrailles pour envahir la nuit qui enterre encore ses morts...

 

 

Attendrons-nous le plein délabrement de nos vies pour nous abandonner au plus urgent – à cette immobilité qui demeure lorsque les élans n’ont plus d’autre volonté que le silence...

 

 

Et nous dormirons encore sur ce lit de glaise, voués à la peur et aux représailles en attendant la mort... Comme si nous ne pouvions mêler nos gestes et notre voix au silence – à cette part de la vie – et à cette part de l’âme – qui nous font oublier, par leur accueil, les craintes, les effritements et l’inévitable effacement du monde et des visages...

 

 

Qu’aurons-nous aimé au fond sinon ce désir de paix et de silence avec nos yeux encore trop attachés aux rives bruyantes (trop bruyantes) de ce monde...

 

 

Aujourd’hui comme le reflet d’hier – et plus que le socle – le miroir de tous les lendemains...

 

 

Un jour, une vie, une éternité à attendre ce qui ne viendra pas – ce qui ne viendra peut-être jamais. Des siècles d’impatience inutiles. Plus tard, sans doute, ferons-nous un feu où nous laisserons brûler nos désirs, les morts et les vivants et notre espoir de délivrance...

 

 

L’attente peut-être plus proche du regard que le geste qui essaye de rendre la vie et la mort plus supportables. L’attente comme le reflet du silence – et de l’immobilité – à venir...

 

 

Le cœur et la main encore à l’ouvrage comme un défi inutile au temps et à la mort. Comme si nous ignorions que le feu, la cendre et l’infortune régneront toujours...

 

17 décembre 2017

Carnet n°123 L' Amour et les ténèbres

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

L'impossible attachement – et l'impossible innocence – du cœur. Chaviré toujours entre les eaux et la neige qui surplombent nos terreurs. Entre les ombres, l'Amour attend. Et guette le dénuement nécessaire pour se montrer. Une fleur, un flocon, un nuage. Tant de présages de l'aurore – et, en son cœur, ce si merveilleux silence...

 

 

Un peu de noir encore – un peu de noir toujours – dans la lumière. Comme une fatigue – une lassitude – passagères dans l'Amour...

 

 

Du ciment et des drapeaux. Et toutes ces mains conquérantes et bâtisseuses qui s'affairent dans la sphère étroite du monde, posé au bord du vide – entre le temps compté (compté bien sûr...) et le silence. Comme une ceinture d'ombres enserrant les peuples – et (leur) voilant l'azur et le soleil – l'illusion de toute conquête – l'illusion de toute frontière...

 

 

Un murmure, une folie, un silence. Et soudain, la mort qui surgit – et nous convoque au bord de la solitude parmi ces ombres si peu vivantes. Et notre parole encore toute frémissante de mots et d'étoiles...

 

 

Et ces visites que nous faisions autrefois aux visages de la terre, au gré du hasard – au fil des plus humbles chemins. Et cette attente, si impatiente, jadis du soleil comme un songe lancé aux étoiles, si lointaines, par une fenêtre à peine entrouverte...

Et ces cieux à présent lisses de tout désir où la nuit – et le rêve – n'ont plus cours – où la lumière a remplacé l'horizon – où le silence, à hauteur d'âme enfin, n'est plus encerclé par les murs et la cendre – où la mort n'est plus un abîme – et où les adieux – tous les adieux – ont des allures de retrouvailles...

Comme un veilleur éveillé dont les yeux ne scrutent plus le lointain dans la nuit mais ce qui s'approche dans le jour...

Comme si le ciel avait insufflé à nos doigts – et à notre bouche – cette parole et cet Amour que nous espérions découvrir dans le monde et sur le visage des hommes...

Comme si le silence avait ensemencé l'âme, la terre, le ciel et les chemins – et éloigné le chant de la terreur en déterrant notre chevelure de ses eaux glacées – et en nous ouvrant à l'éblouissement – et à l'enchantement simple – de la lumière...

 

 

Un pays, un soleil. Et la craie, vigoureuse et encore si tremblante, qui dessine un nouveau monde sur l'ancien pour effacer la braise, les cendres et les larmes – et ces travées de visages tristes – et ces ombres errant sous la voûte à la recherche d'une nuit moins épaisse – d'un vent plus léger et d'une brûlure moins vive – d'un réconfort sans doute pour délivrer du malheur...

 

 

Comme un silence – une lumière – couchés sur les rives de l'âme, insoucieuse du gel et de la pluie – et de tous les désastres à venir...

 

 

La vie comme une pente où se coucher – et renaître – pour désosser le temps et les saisons – et faire glisser ce grand Amour au-dedans de soi – sur cette jetée où nous appelions au secours – et à la rescousse – tous ces visages noyés d'indifférence – et où nos rêves – tous nos rêves – élargissaient le sommeil et l'horizon...

Et debout à présent, la bouche murmurante – presque silencieuse – gorgée de soleil et défaite de toute mémoire devant le ciel, la neige et les étoiles – devant l'herbe, les ailes et les rivières – devant les fleurs, les hommes et la mort – devant toutes les beautés de la terre...

 

 

De l'abîme au silence. De l'ombre à la vérité. De la croyance à la lumière. Du désespoir à l'éternité. De l'ignorance à l'infini. Tel est – ou devrait être – le voyage de l'homme...

 

 

Entre les ombres, l'Amour attend. Et guette le dénuement nécessaire pour se montrer...

 

 

Et tant de cris encore dans l'horreur. Comme le signe de notre impuissance – et la preuve que l'aurore est toujours aussi lointaine...

 

 

Et les ombres toujours dans le soleil. Et cette longue nuit d'insomnies et de sommeil. Et cette ivresse. Et cette neige qui recouvre les cimes et les premières lueurs du jour. Et ce printemps – tous ces printemps – qui toujours s'achèvent dans l'hiver. Et ce silence – et cette solitude – encore entrelacés dans les ténèbres dont nul jamais n'a réussi à s'extraire. Comme des âmes – comme des cœurs – voués inlassablement aux larmes, à l'amoncellement et à la mort...

 

 

Un mot – une parole – comme un cri (unique) pour dire l'urgence de se délivrer des ombres – et des chaînes blanches qui emprisonnent encore nos printemps...

 

 

Un feu brûle pourtant à égale distance entre le ciel et notre chevelure. Comme un horizon lavé – et blanchi par le soleil et nos aveux. Comme un cœur solitaire et perdu qui cherche encore l'Amour – ce grand Amour – derrière chaque désir...

 

 

Comme une lumière – un Amour – un silence – qui s'approche avant que la mort ne frappe – et ne nous terrasse. Un juste abandon à la terre avant que les vivants n'entonnent leur chant funèbre – et que le ciel ne nous convoque – et ne nous reprenne...

 

 

Encore quelques larmes et un peu de poésie pour dire – et célébrer peut-être – la mémoire inépuisable de ce grand Amour qui ne pourra nous oublier. Et ces ténèbres si noires recouvertes d'innocence. Et quelques vérités peut-être avant de rejoindre la tombe – avant que la terre à jamais nous ensevelisse...

 

 

Une fleur, un flocon, un nuage. Tant de présages de l'aurore – et, en son cœur, ce si merveilleux silence...

 

 

Des champs de morts encore. Et cette semence vouant les visages à la puanteur. Et ces vies – toutes ces vies – comme des barques allant sur les eaux noires pour retrouver au fond des rêves un peu de joie – et ce soleil plus grand que l'espérance...

 

 

L'impossible attachement – et l'impossible innocence – du cœur. Chaviré toujours entre les eaux et la neige qui surplombent nos terreurs...

 

 

Un vide et un élan dessinent un visage – et un chemin – au-delà des limites et du vertige. Comme un univers porté par des bras – parfois gagnés par la lassitude...

 

 

Et cet attrait intense – inépuisable – pour l'immensité – et l'abîme en-dessous – et en surplomb parfois – que l'encre tente vainement de remplir alors qu'un peu de présence suffirait sans doute pour contenter l'espace, le monde, les hommes et l'âme. Comme un pont jeté entre ce que nous sommes et ce que nous fuyons – entre la vie et la mort – jamais rassasiées...

 

 

Nous sommes l'aube – et ce crépuscule finissant. Et cette âpreté et ce labeur à transfigurer l'espace et la matière pour offrir aux âmes ce bout d'aile qui leur manquait pour se définir – et se déjouer de toute pesanteur...

Comme une ombre enfin apprivoisée par la lumière qui soudain s'efface – et, avec elle, ses mille raisons d'être...

 

 

Nous sommes cette hauteur au-delà de la ligne de crête – et au-delà de tous les horizons. Et ce vent si gauche – et si furieux – qui éparpille notre visage – tous les visages – sur la roche fracturée par les séismes – tous nos séismes – et la dérive naturelle des continents...

 

 

Comme des bêtes errant entre les ombres – entre les tombes. Entre la tendresse et la cruauté. En équilibre mouvant – infiniment instable – sur le sable, vouées à la nuit et à l’anéantissement – et pourtant déjà éclairées par tant de soleils...

Comme un puits qui partout cherche son eau et sa lumière...

 

 

Libérée des souffles et des lendemains, l'âme au faîte du jour entre la brume (exquise) et ses anciennes douleurs. Ce qui migre de la fécondité (sauvage) vers le silence – la face sereine du Divin. Le sacre de tous les sacrés qui échappent autant à la terre et aux instincts qu'aux grains et au labeur des hommes...

 

 

Des chemins, des rails, des destins. Et des abattoirs. Cimetières de tous les visages – et de toutes les histoires racontées pour fuir et oublier la mort. Des vies et des cargaisons de tout ; de rêves, de désirs et de souvenirs perlés parfois d'oubli roulant vers leur tombeau après quelques moissons – quelques récoltes – quelques rires et des pleines charrettes de peines et de larmes...

 

 

Rien jamais ne sépare. Ni la vie, ni le monde, ni la mort. Unis si secrètement à l'invisible – et à l'éternel...

 

 

Chaviré encore par les eaux ténébreuses de l'hiver...

 

 

Un jour nouveau, porté non par la chance et le hasard mais par la nudité de l'être qui offre au visage – à tous les visages – cet air si radieux. Comme un soleil – une joie infiniment contagieuse...

 

 

Ecouter encore ce sang qui se répand – et ce cœur qui bat dans les veines – et les murmures émerveillés de l'âme – et le monde encore si empreint de haine...

Route étroite entre les ravins – avec au bout du silence, cette lumière plus douce que le jour – et cette vérité qui patiente au-delà des tombes parmi les visages et les étoiles...

 

 

Encore un désir entre les larmes. Et quelques oiseaux de mauvais augure posés sur l’épaule. Et des tas de gravats et d'aigreur. Et la lune – et l'aube – qui s'acharnent encore malgré nos lambeaux d'espérance. Entre l'innocence et les ténèbres toujours...

Avec encore quelques étoiles parmi les larmes...

 

 

Au son d'une autre cloche, nous verrions sans doute le sourire des anges derrière les lèvres et les gestes des hommes. Un peu d'innocence dans l'ivresse et l'ignorance. Un peu de grâce dans la maladresse. Un peu de lumière dans ce qui s'avance et s'apprête à mordre. Et un peu de silence peut-être dans l'âme défaite...

 

 

Encore un peu de sable dans la main – et cette rage murmurante au milieu du front. Comme un sommeil qui se prolonge encore...

 

 

Les hommes – les vivants – rassemblés autour d'un feu sous les étoiles. Parmi les fumées, les rêves et la cendre que disperse l’espièglerie des vents. Comme si les cris et les songes étaient insuffisants pour nous hisser jusqu'au silence – et décrocher les âmes de leur piquet...

Comme une ombre au milieu de la lumière. Comme un silence – un trésor – dissimulé encore parmi l'or et la poussière...

Comme un soleil lointain qui décline à l'horizon – et que nous ne verrons peut-être pas se lever demain...

 

 

Du temps, du labeur et des mains vides malgré les fronts – si chargés de rêves – baissés contre la terre – et les pelles qui s'acharnent encore à remplir quelques sacs de sable et de poussière...

 

 

Nous vivons dans une insulte permanente au sacré avec des ombres – et le diable peut-être, allez savoir... – plein les mains – et plein les poches. Égrenant les songes – et égrenant les pas – tout au long de l'enfance – de cette enfance qui n’en finira peut-être jamais...

 

 

Le cœur manque de tout. Et plus encore de silence...

L'âme crie sa faim et nous lui offrons l'indigence – le trésor et le sable des saisons, des moissons et de la chasse. Comme l'évidence des ténèbres – et notre aveu d'impuissance face à la folie – et face à l'absence. Et notre plainte – notre chant – n'atteindront peut-être jamais la grâce et le silence...

Nous pourrions renaître mille fois – des milliards de fois – toujours la misère nous écarterait de cette aurore qui tombe déjà ailleurs sur la neige d'un autre monde – d'une autre vie – en frôlant nos âmes si affamées – et recluses depuis toujours dans leur oubli et leur champ de fleurs et de peines...

Et nous sommes pourtant déjà portés à bout de bras par le silence – et lovés au creux de toutes les lumières. Mais l'innocence nous manque encore pour troquer nos songes et nos étoiles contre un peu de solitude...

 

 

Et ces pas si lourds. Et ces heures si sérieuses. Et ces livres si obscurs. Et ces gestes si pauvres que jamais nous ne pourrons atteindre la lumière – et remplacer nos rêves par le silence...

Il faudrait inverser les saisons – et nous offrir la démesure de l'hiver – extraire l'exubérance du printemps – la folie joyeuse de l'été – et nous en recouvrir – et écouter la sagesse de tous les automnes pour les retrouver...

 

 

Toutes ces possessions (le terme « appropriations » serait sans doute plus judicieux...) dont il faudra nous défaire... Et ce rien encore auquel il ne faudra nous attacher... L'innocence est à ce prix...

Et une fois notre dû payé, pourront s'offrir le silence et la lumière. Ce que nos pas trop pressés – et si couards – et nos gestes si vifs – et si affamés – ont cherché partout pendant des siècles – pendant des millénaires – en nous enfonçant (progressivement) dans un sommeil imperturbable...

Et des rêves et des poignards encore, il faudra nous arracher pour voir se déliter l'espoir du renouvellement de la chair, de la renaissance du corps et de la résurrection de l'âme, alors seulement s'ouvrira le désert – et s'inviteront l'instant et le soleil à toutes les fêtes qui célébreront, en silence, le vide et le rien – et les circonstances – toutes les circonstances, si fugaces, qui les traversent...

 

 

Ecrire. Ecrire encore. Ecrire toujours dans ce corps-à-corps entre le silence et la parole. Quelques pas entre la présence et le vide pour laisser ouvert et libre ce passage où pourra se glisser la lumière pour éclabousser d'un peu de blancheur et de joie toutes ces pages saturées d'encre, de mots et de bruits...

 

 

A deux pas de la joie – et assis au milieu des malheurs. Ainsi vivent – et meurent – les hommes...

 

 

Et dans la chute – et dans la fuite – le rêve encore. Comme la rengaine de l'illusion – de toutes les illusions. Et cette terre – et ce temps – creusés par la faim et l'avarice. Et l'éternel retour entre les songes et les chimères. Cette maladie de l'enfance de l'homme qui croit vrai ce qui ne l'est pas – et ignore toujours l'invisible – la trame de toute chose où il s'imagine prisonnier. Et pourtant, un chant et quelques prières s'élèvent encore parmi le néant, la faim et la poussière dans ce monde de malheurs, de misère et d'effroi...

 

 

Et nous parlerons encore – et nous parlerons toujours – à ce qui, en chacun, attend la lumière...

 

 

Et soudain un apaisement parmi les déchirures et les abandons – innombrables. La douceur d'être – et son silence – et sa virginité – au-delà – et au-dedans même – des malheurs, du bruit et de la ruse. Comme un aperçu peut-être de ce qui clôt tous les chemins – et toutes les errances...

 

 

Ni cercle ni poussière. Et la marche se poursuit encore. Comme une gloire – une lumière – au cœur de l'inconnu qui se dresse aujourd'hui – et apparaissait déjà autrefois dans chaque foulée. Comme le terme peut-être du voyage – de tous les voyages – malgré les pas qui foulent encore la terre et continuent de s'agiter – et de se presser – parfois devant les promesses de l'horizon...

 

 

Le parfum de l'immensité. Le goût du silence. La soif d'infini. Le chant de la lumière. L'immobilité enivrante du destin. Et cette promesse du regard – et des pas sereins parmi les visages et l'atrocité. Et cet Amour qui se dessine avec plus de vigueur dans l'âme autrefois si fébrile – si ravagée – et si vide – et si humble – aujourd'hui, prête à aller parmi les brûlures et la poussière sans blâmer les horreurs de ce monde – et de cette vie – et l'odieuse – l'atroce – complicité des hommes...

 

 

Comme un chagrin lointain emporté vers l'océan – vers l'infini. Comme une enfance – une innocence – si longtemps ignorée qui retrouve sa route et son pays. Ce que la nuit dissimulait – et ce que nos jours réalisaient en rêve. Cette indifférence aux gouffres. Et ce printemps né de notre obscurité...

 

 

Beauté, lumière et allégresse pour célébrer le chemin – tous les chemins – l'ombre et le néant – au-delà de l'ignorance, du mépris et de l'indifférence. Cet Amour – ce grand Amour – où peuvent fleurir à présent toutes les grâces malgré l'inhumanité de ce monde – et le sang qui coule encore...

Là où le rien et le néant rejoignent le sacré. Là où la lumière s'unit au silence. Là où nous attendait l'Amour qui peut à présent jaillir – et tout accueillir malgré la haine, la prétention et l'ignorance qui partout sévissent encore...

 

 

Derrière l'apparence, le mystère. Et après le devenir, le silence. Cet Amour – ce grand Amour – qu'ont cherché les hommes – et qui accueille à bras ouverts – et efface ce qu'on lui offre sans jamais blâmer – ni jamais meurtrir – les gestes, les âmes et les intentions...

 

 

Surpris encore parfois par la nuit. Comme si les ombres – et le noir – ne pouvaient nous quitter définitivement. Fidèles peut-être au puits que nous sommes – et que nous avons toujours été – posé entre le ciel et la terre – cherchant encore – cherchant toujours – son eau et sa lumière...

 

 

Une fenêtre sous les toits. Un arsenal contre le mur. Et l'ennui des hommes. Et leur guerre et leur sommeil malgré les gouttières gorgées – débordantes – de lumière...

Vivre avec ce grand mal – cet ennemi mortel – si vivace encore au fond de l'âme...

 

 

Chaque jour, contempler les naissances et les drames – l'eau qui coule – les égorgements et les larmes. L'incessant labeur des existences – entités condamnées et punitives peut-être – dont les bruits – et le vacarme – prêtent toujours autant à rire...

 

 

Les débris de notre château parmi les ruines (parmi nos ruines) résisteront longtemps encore au temps et à l'oubli. Comme si leur persistance – leur insistance – encourageait l'ajournement de notre plus grand désastre – et qui sera aussi, ne l'oublions pas, notre seule échappée possible...

 

 

A toute heure du jour, les bruits du monde, infernaux – les éclats de voix – les éclats de rire – comme des bouts d'étoiles enguenillées que dispersent les vents. Et que j'entends arriver – s'éloigner et disparaître – par la fenêtre entrouverte. Et que ma main recouvre de mots. Et que mon âme prend soin d'accueillir et d'entourer d'un peu de silence...

 

 

Peupler l'attente de rêves – et l'agrémenter d'espoir et de rires, les hommes ne savent vivre autrement. Et malgré leurs bruits, leur misère et leur violence, ils demeurent endormis – et s'enfoncent, avec toujours plus de mollesse, dans leur sommeil. Dans une sorte de ronronnement paresseux – et de vivre doucereux – si illusoires – et si tragiques...

Avec trop de discordes encore au fond de l'âme pour s'abandonner à l'étreinte et recevoir sans orgueil (ni malice) le plus précieux du silence... Un amas de songes, de bruits et d’indolence qui les conduira à nouveau vers la chute, inévitable, et l'absence. Comme les seules possibilités – les seules litanies peut-être – du monde et des siècles. Une approche – et une perspective – presque impardonnables...

 

 

Encore un peu de bleu pour dessiner le ciel et l'océan. Et donner quelques couleurs – et un peu de blanc – à la terre. Et souligner sa noirceur et lui offrir, plus tard sans doute, la lumière en attendant le délitement des promesses – de toutes les promesses – et l'effritement du soleil – de tous les soleils. Avec, espérons-le, encore un peu de joie autour du silence...

 

 

La mémoire désespérante du rêve qui maintient captive l'armée des ombres. Le sortilège sans doute le plus insensé de l'histoire du monde...

 

 

Une nuit, un geste et une passerelle jetée entre le passé et l'inconnu sur les eaux sombres qui coulent – et couleront encore...

 

 

Nous sommes les créateurs du monde et du langage, nés de ce silence que nous avons oublié...

 

 

Nous devrions apprendre à nous absenter jusqu'à ce que les noms perdent leur importance – jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul visage ; le nôtre, bien sûr, souriant en silence parmi tous les yeux encore affamés...

 

 

Y a-t-il encore un peu de place pour l'homme entre l’ennui et le silence – parmi ces choses, ces idées, ces sentiments et ces êtres – empilés à la diable dont il faudra, un jour, apprendre à nous défaire...

Entre la vie et la mort, entre l'or et la poussière, entre le souvenir et les heures prochaines, qu'y a-t-il donc que nous n'avons su voir...

 

 

Une parole encore – presque inaudible – dans le silence parmi la fureur des autres voix. Le cri d'un homme – arrivé peut-être au bord de la lumière – qui se jette dans le bruit des autres hommes peu soucieux de mélanger leurs pas au hasard – et croyant voir le jour là où il n'y a que le jeu et le sommeil – et parfois la pensée mortifère...

 

 

Et cet élan maladroit – et cette passion maladive – des hommes qui vouent leur existence entière à essayer d'effacer le silence en le remplissant, de bric et de broc, avec cet amas insensé d'êtres, de choses et d'activités. Comme si l'infini – l'illimité – et leurs mystères – leur semblaient trop vertigineux – impensables presque – pour y consentir – y consacrer leur vie et s'y abandonner. Comme si le monde, les hommes et les bêtes se heurtaient sans cesse à leurs limites – si franchissables pourtant... Et déniaient par leurs actes et leurs paroles – et par leur vie même, toute transcendance – toute possibilité de verticalité...

 

 

Et pourtant nous continuons à écrire – et continuerons sans doute demain à nous consacrer à cette humble tâche – comme si les mots nous avaient toujours précédé dans le silence. Comme s'ils en émergeaient depuis toujours – et y retournaient inlassablement – avant même que nous vienne l'idée de les écrire – et que nous soient offerts le désir (et la force) de les suivre. Comme les prémices – l'avant-goût peut-être – de cette rencontre inoubliable – de ces retrouvailles avec ce qui ne nous a jamais (vraiment) quitté – avec ce que nous avons oublié pour rejoindre le monde – et aller sur ses chemins – en croyant qu'ils nous livreraient ce que nous avons toujours cherché malgré nous...

Oui, sans doute écrirons-nous encore – mais plus silencieusement peut-être – pour célébrer la lumière qui nous a guidé jusqu'à elle en défaisant nos ailes et notre fièvre d'infini – en nous délivrant des peines et de cet élan, inépuisable, vers elle. Elle qui, un jour, nous terrassa, au faîte de cette quête, pour nous livrer au plus humble des jours – et à ce qui passe – et dure toujours sans même que nous nous en apercevions – ce trésor dans chaque grain de poussière – ce que nous n'osions à peine regarder autrefois de peur de salir notre rêve de joie – et de nous y enliser pour toujours : ce vide innocent plus frais et candide que la rosée des jours – que nos matins gris et brumeux et tous nos printemps à venir...

 

 

Fils du vent et de constellations lointaines – écartelé encore – écartelé toujours – entre les rives et les étoiles – entre la nuit et le silence. Comme une lumière possible. Comme une lumière à naître peut-être...

 

 

Un pas, un jeu, un oubli. Et le recommencement de toutes les naissances – et de toutes les vies – jusqu'à la frontière au-delà de la mort – au-delà de toutes les morts – pour devenir l’œil, l'eau, le vent, les marées, les rives et l'océan – cette aire d'innocence qui honore – et brûle – tout ce qui s'y jette. Heureux palimpseste toujours du monde, des circonstances et de la lumière...

 

 

Libéré de la pensée et de l'impensable. Libre du possible et de l'impossible pour se réduire – et s'étendre – enfin à l'infini et à l'invisible – et mettre (essayer de mettre) quelques mots sur l'indicible...

 

 

L'exil et l'expropriation du commun pour retrouver la solitude et les humbles – et joyeuses – terres de l'ordinaire et du quotidien...

 

 

D'une voix à l'autre notre oreille s'égare – et notre âme se perd peut-être. On ne peut résister aux bruits. Mais on peut demeurer fidèle au silence – et à la sagesse muette du ciel...

 

 

C'est encore tout souillés de rêves que nous avançons vers la lumière. Et c'est elle qui décide de l'heure de la grande nudité pour s'offrir. Nos prières toujours seront vaines. Aussi inutiles que nos cris. Seules les circonstances – et le sort qu'elles jettent à notre âme – dictent notre destin – son rapport et ses liens avec elle. Et elles seules peuvent offrir sa venue et son règne. Cette entrée discrète – presque secrète – dans la joie et le silence...

 

 

L'apparente exubérance de la terre saute aux yeux des naïfs. Mais s'ils voyaient – s'il leur était offert de voir – la folle témérité du silence – et les prodiges – les danses et les palettes de couleurs – innombrables – de la lumière, ils succomberaient aussitôt au tournis de l'ordinaire sur les visages...

 

 

Nous vivons comme des orphelins sous l'emprise du malheur – ignorant la matrice qui nous fit naître – et sa main, si tendre, qui toujours accompagne nos foulées si timides – et si timorées – vers elle. Nous croyons nous abandonner à la volonté, au destin ou au hasard alors que nous vivons déjà sous son règne depuis nos premiers pas...

 

 

Un chemin, une falaise et une mer à traverser. De la poussière, des promesses et des poignards – des vents, des griffes et des visages – que nous essayons de combattre et de séduire alors qu'il faudrait les apprivoiser – puis nous en défaire et leur abandonner ce que nous croyons être notre destin. Comme le gage de notre innocence – et la promesse certaine, mais lointaine encore peut-être, de la venue du silence et de la lumière...

 

 

Un coin de terre pour poser son visage. Et un coin de ciel pour y déposer son âme. Ensuite nous pourrons laisser les chemins décider de leur destin...

 

 

Et ce vide – et ce rien – qui viennent (et qui sont là, bien sûr, depuis toujours) – et qui rient – qui rient – de notre (apparente) infortune, de notre ignorance et de nos tentatives (si ridicules) pour les fuir, les remplir ou les saisir. Comme un beau visage si proche – et si lointain – riant toujours de bon cœur avec nous pour nous dire – nous apprendre peut-être – que rien, au fond, n'a d'importance. Que la lumière n'est pas si différente de l'ignorance et de la maladresse. Que le bruit n'est pas moins que le silence. Et que la nuit équivaut au jour... Que jamais nous ne pourrons nous défaire – ni nous emparer – du vent et du sable – de la joie et de la sagesse. Que jamais nous ne pourrons échapper au soleil et à la poussière. Et que la vie – et le monde – continueront encore et toujours d'aller à leur manière...

Comme une tendresse douce – et éclatante – qui ne peut nous quitter. Présente toujours dans le malheur comme dans le bonheur, si passagers – dans l'absence comme dans la présence – partout où nous allons – partout où nous sommes allés et partout où nous irons. Comme pour nous dire peut-être qu'il n'y a, au fond, jamais ni d'errance ni de perte...

 

 

Nos petits papiers, bien sûr, ne sont pas des trésors. Ils ne sont rien. Des soupirs parfois. Un cri étouffé dans l'atrocité. Une main – une pauvre main tendue – vers l'indigence pour dire au monde – et à ce silence enfoui encore en lui – de ne pas désespérer – et d'aller, s'ils en sont capables, au-delà de l'espoir et de la désespérance pour voir un jour – le jour le plus inattendu sans doute – au milieu des larmes et de la plus grande incertitude, arriver la lumière et le silence...

 

 

De la poussière, du feu et de la mort. Les hommes, décidément, n'auront rien compris – ni rien appris – de leur passage... Sans doute devront-ils revenir mille fois – des milliards de fois peut-être – pour apprendre à échanger leurs armes et leurs larmes contre quelques fleurs – et transformer la poussière, le feu et la mort en vent, en joie et en sourire pour que se dessinent sur leur visage fatigué – et sur leur âme heureuse de cette traversée (et heureuse de tous les passages) – une lumière et un silence...

 

 

Comment dire à un dormeur qui se croit éveillé qu'il rêve ? Voilà l'impossible enjeu – et le périlleux défi (dans le meilleur des cas) de toute communication... Deux options se présentent alors : entrer dans son rêve ou le réveiller. Et dans les deux cas, notre interlocuteur aura sans doute toutes les peines du monde à comprendre – et à admettre – qu'il était en train de dormir et/ou que le sommeil l'habite encore... Le plus sage serait peut-être d'abandonner cette piètre alternative – et de patienter : de le laisser s'extraire de ses songes – et de sa nuit – de le laisser s'éveiller à son propre rythme...

 

 

Et ce joyeux désespoir qui parfois encore nous étreint. Comme s'il fallait que l'âme se mêle à la neige – et que nos paupières conservent une trace de notre passage...

 

 

Et si nous attendions la fin du sommeil – et l'extinction des cris – à l'abri dans le silence de l'âme...

 

 

Et si le froid et la bestialité – et la cruauté parfois – ne nous avaient enjoint d'échapper à la nuit, où serions-nous à présent... sur quel chemin errerions-nous encore... Pleurerions-nous toujours au bord du sommeil...

 

 

Et si nous mourrions sans avoir (r)éveillé nos frères, dans quelle contrée renaîtrait-on ?

 

 

Et si la mort n'avait pas l'envergure qu'on lui prête. Et si elle n'était qu'une façon de se séparer – et de s'absenter – plus encore...

 

 

L'arbre met en lumière ce que souvent la parole obscurcit. Le monde naturel toujours plus proche de la vérité que tout discours – et que toute oreille savante et intellectualisante...

 

 

L'ombre entre l'obscur et la lumière est, bien sûr, une clarté potentielle – une nitescence en devenir qu'un refus des masques et une lucidité exigeante guideront jusqu'à l'étincelle, l'embrasement et le feu du plus lumineux qui sommeille (encore) en elle...

 

 

Une main dans le sommeil qui des ténèbres implore l'Amour. Et qui attend la réconciliation de nos mille visages et l'effacement de la jointure inutile et imparfaite – la ligne de démarcation – entre la terre et le ciel – cette frontière illusoire qui nous sépare du monde et de nous-mêmes...

 

 

Seul encore entre les affres et les passerelles. Comme si le monde était toujours aussi inhabitable. Comme si les yeux cherchaient encore la douceur assise au bord de l'âme – et à l'immuniser contre la violence – avant de l'autoriser à s'extraire de sa gangue et à poursuivre sa route parmi la haine, les âmes ignorantes et les instincts si assassins...

 

 

Et derrière l'horizon, entre le ciel et la terre, on voit déjà le jour se lever – et évincer la nuit et les étoiles – pour éclairer le monde et faire oublier ces siècles de terreur et d'effroi – ces ténèbres – qui maintiennent encore les hommes prisonniers de la barbarie...

 

 

Nous vivons encore (trop souvent) comme des aveugles brandissant leur sabre devant l'abîme. Comme des âmes tremblantes et terrorisées par la lumière avec quelques idées imprimées sur la chair et cette fièvre au fond des yeux que nous implorons pour nous délivrer de nous-mêmes...

Il suffirait pourtant d'un regard célébrant la fin des chemins – l'extinction des questions et des guerres – pour voir l'innocence remplacer l'ignorance. Et il suffirait peut-être d'un sourire, d'une parole, d'un poème ou de mille rencontres pour offrir à cette quête – et à cette angoisse – l'ivresse de l'Amour et du silence – le goût de l'Autre en soi – et le goût de soi partout ailleurs – pour délaisser les ténèbres où nous sommes plongés et ouvrir (enfin) les portes de l'Amour et de la félicité... Là maintenant, en cette heure, aujourd'hui ou dans mille ans peut-être. Aussi sûrement que nous ne formons qu'un seul visage, celui de l'Amour et du silence, malgré ce noir et ces siècles de terreur qui durent encore...

 

17 décembre 2017

Carnet n°122 Encore un peu de tout, d'incertitude et de silence

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Rien ne disparaît dans le silence. Ni l'herbe ni la beauté. Ni les arbres ni le désespoir. Ni les oiseaux ni la souffrance. Ni les pierres ni le bruit. Ni les hommes ni la mer. Mais leur visage – tous les visages – prennent la couleur du ciel et de la lune. Et toutes les paroles deviennent des caresses – et des fenêtres sur l'incertitude. Comme un faîte – une lumière – au fond des abysses – au cœur de la nuit...

 

 

Ces bruits et ces festins du jour que le silence – et les pas – déclassent. Et ces lois de la nuit qu'ils enfreignent. Comme une liberté – un grand feu de joie – dans la lumière...

 

 

Ni question ni hospitalité. Un seul silence sur nos dissemblances pour que s'épuisent les luttes et le doute...

 

 

Ce peu de mort que craignent les hommes. Et qui nous ravit – et nous réjouit (au plus haut point). Et qui nous donne à espérer presque autant que le silence. Discrète avant-porte de l'humilité et de l'innocence – ce qui manque si cruellement à ce monde englué dans l'orgueil, la prétention et le savoir – si risibles pourtant...

 

 

Cette folle passion de l'Absolu. Dévorante jusqu'à l'anéantissement de toute vigueur – de tout élan. Jusqu'au seuil de cette puissance insensée qui viendra revigorer notre âme si exsangue – et la faire renaître au centre même de l'énergie et de la lumière – après tant de luttes, de deuils, d'abandons et d'obscurité...

Là où nous abdiquerons naîtra cette intensité. Et là où mourra la volonté naîtra cette inépuisable ardeur...

 

 

[Modeste hommage à Edmond Jabès]

Marges, questions et ressemblances. Dialogue, partage et hospitalité. Et ces mots qui retracent l'écorce du monde au milieu de l'ombre. Comme une mémoire et une main faites pour effacer le parcours et le désir d'un commencement parmi les jours de pluie et de soleil. Le pacte de tous les printemps. La voix de l'encre. Le fond de l'eau. Et la clé de voûte où nous bâtirons, un jour, notre demeure...

 

 

Le simple déroulement du temps. Le cycle des jours. La ronde des saisons. Et la danse éphémère des visages. Ce presque rien dans le silence...

 

 

Les murs et ce froid glacial qui parcourt les échines et la terre. Et ces âmes trop en peine pour se redresser qui glissent sur la pente des malheurs. Comme si l'aube était trop haute... Et la lumière encore impénétrable depuis les fenêtres du crépuscule...

 

 

Comme si nous refusions d'embrasser la solitude – notre solitude – toutes les solitudes du monde. Comme si nous préférions rester muets devant tant de beautés – tant de promesses – devant ce corps-à-corps du poème et des saisons – devant cette étrange clarté qui brille au fond des âges et dans l'âme des bêtes humaines...

 

 

Entre la fatigue, l'or et le charbon, cette fièvre – ce volcan – prêts à s'éteindre pour un peu de sommeil – et un plus grand feu encore peut-être – aperçu en rêve. Et que l'on voudrait voir apparaître avant que nos cheveux blanchissent – avant les premières magies de la vieillesse qui nous feront aimer (et regretter moins sûrement) notre danse imperturbable parmi les voix abandonnées à leur sort – et les chemins qui s'apprêtaient à nous sourire enfin...

 

 

Le rien nous poussera encore jusqu'à la chute. Jusqu'à la fin des crépuscules – et jusqu'au début de l'aurore. L'incertitude ensuite prendra le relais. Elle s'invitera – et dessinera sur les jours ses imprévisibilités. Et nous danserons alors joyeux parmi les visages hébétés – et inquiets – dans les feux et la lumière de l'incertain. Et nous vivrons aussi vieux que les étoiles – et aussi frais que l'herbe coupée – à chaque instant de liberté offerte...

 

 

L'innocence à l'essor rudéral que l'on voit éclore et s'épanouir parmi nos ruines et nos désastres. Comme un avant-goût du silence et de la lumière. Et l'évidence de leur puissance et de leur capacité à se répandre – et à croître – dans tous les espaces laissés délibérément vacants...

 

 

Une fièvre – un feu – encore derrière le visage radieux – ouvert – qui a su abandonner aux vents ses blessures – rapiécées, à présent, par le silence...

 

 

Dormir encore au-dedans des pierres sur toutes ces routes frémissantes – et affamées de soleil. Aller partout où les étoiles et la gaieté nous appellent. Et mourir sans hâte de n'avoir su découvrir les promesses – le sortilège – ce qui hante notre âme depuis nos premiers pas – notre premier sommeil...

 

 

Des cercles, des triangles, un mystère. Des rectangles et des carrés horizontaux où se glisse secrètement l'énigme verticale couverte de songes, de buée et de cris – et dont le faîte effleure les nuages – et la rosée de tous les matins à venir...

 

 

Et le sable où sombrent nos rêves – tous nos rêves – et où se poseront, un jour, nos âmes redressées... Et ce souffle qu'emboîtera notre talon – comme le seul élan possible après le silence...

 

 

Quelques plumes encore sur la grande nappe blanche où se côtoyaient les hommes et les Dieux. Nos aveux et le renoncement. L'envol impossible. Icare – tous les Icare – livrés à la poussière. Abandonnés à la terre – au plus humble des jours...

 

 

Et ce soleil – ce grand soleil – qui n'en finira jamais d'inviter nos pas au silence... Comment ne pas rire aujourd'hui de toutes ces lettres, un peu ridicules, qui dansent sur la page. Posées là par quelque vent mystérieux, échappées peut-être de la bouche d'un Dieu moqueur – et hilare (sans doute) de voir notre obéissance – notre soumission si docile et hiératique à ses impératifs et à ses exigences. Et le monde – et le langage – si sérieux que l'on en oublie parfois le fou rire – originel – si indispensable (pourtant) pour alléger le poème et la parole – et la vie même – et leur offrir le privilège – que dis-je ? – la grâce – d'aller libres – et sans loi – vers ce que le monde ignore encore si obstinément...

 

 

Et ce courage d'aller seul – toujours seul – malgré la nuit, l'ivresse, l'ignorance et les tempêtes. Malgré les rires qui éventrent, les yeux qui dévisagent et foudroient, les épaules qui se haussent et les âmes qui se détournent à notre passage...

Ce courage des solitaires en dépit de tous les soleils à venir qu'ignore (encore) chacun de leurs pas... Comment ne pas leur tendre la main, ne pas les aider à effacer leur faim et à s’extirper de leurs rêves... Comment ne pas guider leur foulée jusqu'au dénuement pour qu'ils puissent traverser les orages et les contrées désertes – pour que leur âme découvre enfin ses racines – l'invisible que cherchait leur courage dans la nuit parmi l'indifférence, les moqueries et les yeux assassins...

 

 

Dans une fleur minuscule, le soleil présent déjà tout entier. La beauté et le silence malgré la bouche des ruminants, la main – et la faux – trop lestes, si souvent, des hommes. Comme si elle avait su apprivoiser la joie malgré la mort et le destin...

 

 

Et cette colère – et cette rage – qui nous auront fait détester les ombres pour un plus grand silence encore – ce lieu où se dissolvent l'ambition et la tristesse. La source de tous les (re)commencements...

 

 

Cette richesse du rien qui offre tout – tellement plus que ce que convoitait la faim – notre faim – et ce dont s'emparait la main – notre main – si avide...

 

 

Et ces lignes qui osent s'écrire – et s'inscrire – au seuil de toutes les joies – sans le moindre doute ni le moindre soupçon. Comme une urgente nécessité à percer la bêtise et à creuser le néant – à traquer avec courage et ténacité le miracle où nous vivons – cette présence qui sommeille encore derrière tant d’absence et de dérisions...

 

 

Des siècles de malheurs qui nous auront poussés et hâtés – effacés en un seul instant...

 

 

Une marche florissante qui, d'ombre en espérance, nous aura menés à l'effacement. Jusqu'aux portes du silence où la lumière brille plus vive que dans nos rêves – et plus vive que l'or que nos mains ont dû abandonner – et qu'auront, sans doute, ramassé quelques âmes et visages moins pressés...

 

 

Et cet abandon au fond de la tristesse qui libère des larmes – et offre de devenir ce que nous avons toujours délaissé avec obstination – par ignorance et excès d'orgueil – cramponnés à nos vies si blanches... Comme des oiseaux privés d'ailes se souvenant soudain qu'ils en sont pourvus – et qu'elles gisent là quelque part, inutilisées, parmi les plumes...

 

 

Meurtri par quelques souvenirs indélicats – et pourtant sans importance. Avec ce désir d'être ailleurs – d'être un autre. Comme un besoin forcené de se fuir encore malgré le silence et la lumière. Comme si nous ne pouvions échapper ni aux blessures ni à la guérison. Et moins encore à ce que nous sommes...

Comme une ligne permanente – un étroit sentier – entre le monde et le rêve – entre le réel et le fantasme. Comme une force irréductible qui nous pousse à ressasser – et à se resserrer plus encore... Comme un désir d'oubli auquel nous ne pouvons consentir. Comme un sommeil au bord de l'infini dont nous ne pouvons nous extirper...

 

 

Et cette solitude qui n'en finira jamais de nous sourire – et de nous éblouir. Comme des enfants immatures pris entre leur désir d'être seuls et leur besoin – leur attente – de caresses...

Et tous ces colliers de prières inutiles que jamais n'exaucera le destin. De l'espoir – et de la poudre aux yeux – seulement. Comme une maladroite façon de contenir ses larmes...

Et cette vie si prudente qui nous interdit l'aventure. Comme si nous avions passé l'âge des jeux et des délires – de ces histoires que nous aimions nous raconter autrefois pour avoir moins peur – et nous défaire de l'ennui – de cette attente de jours plus joyeux et de ciels plus bleus qui ne viendront peut-être jamais...

Et pourtant, au cœur même de cette tristesse, l'oubli et les vents nous gagnent – franchissent tous les obstacles que nous nous sommes évertués à empiler pour empêcher – ou retarder – leur passage. Comme si la lumière et le silence habitaient aussi la mélancolie...

Et aux abords de cette attente, l'infini aussi patiente...

 

 

Un océan de douleurs persiste encore – avec ses ombres – dans l'âme criante au cœur de sa nuit. Comme si la lumière ne pouvait se lever entière – pleine – lorsque les pas se font si tristes – et que les larmes se retiennent au bord des yeux...

 

 

Visage parmi les visages. Souffle parmi les souffles. Rire parmi les rires. Et quelques larmes parfois dans le silence...

Et cette lumière qui traverse la nuit – cette longue nuit presque sans étoile...

Comme un chemin gorgé d'eau et de larmes. Une pluie sombre – et dense – parmi les ombres. Peut-être encore un peu de désespérance – c’est-à-dire encore un peu d'espoir d'être ailleurs – un autre – d'être celui que l'on n'est pas encore – et que nous pourrions peut-être ne jamais devenir...

Comme si rien ne pouvait être saisi – décidé – arrêté – et que tout s'échappait encore ; la vie, le monde, le destin. Et que seul persistait le regard sur nos rires et nos pleurs – et sur notre visage défait par tant d'incertitude...

Comme un bruit – persistant – entre les étoiles. Sur les chemins et dans nos errances. Et au cœur même de la lumière. Comme le signe distinctif du vivant – et la présence en nous d'un monde peut-être inguérissable...

 

 

Ni voix rebelle ni outrage au sein de la lumière. La trace – la place – jamais défaite des réjouissances et du désastre. Et de la tristesse aussi. Ce que jamais nous devrions haïr ni blâmer – et moins encore refuser...

 

 

Un temps – une éternité peut-être – que l'on se fréquente – et ce monde et cet élan en nous qui débordent notre peau – et élargissent nos frontières jusqu'à rompre – et jusqu'à briser parfois – le cœur... Et qui rapprochent toujours l'âme de son souffle premier – et de cette présence en nous qu'elle ignore...

Comme si rien ne pouvait écorcher la surface de la mémoire. Comme si la pesanteur naturelle enfonçait lentement les eaux remuées du temps – et les convertissait en strates – en vents – en abîmes où se noieraient tous nos jours – passés, présents et à venir...

Et cette carte nouvelle que les jours auront dessinée – et que nous ne verrons peut-être pas. Trop pressés par les foules, le temps et nos fausses exigences d'oublier nos pas, les chemins et le ciel d'automne pour pousser la porte d'autres rêves – et d'autres rives – plus libres et plus grands que ceux auxquels nous autorisent à croire les hommes...

 

 

Un peu d'espace – un peu de lumière – encore où l'on pourrait se réfugier pour être un peu (ou, du moins, essayer...) au lieu de passer sa vie à dévisager la nuit – sans le moindre espoir de la voir, un jour, se dissiper...

 

 

Quelques objets – quelques souvenirs – un peu d'espérance et quelques désirs enfoncés dans l'abîme où vivent les hommes. Une existence entière à attendre la lumière dans le noir sans qu'un seul rai jamais n'effleure notre âme. Comme un grand manège – souterrain – qui tournoie – et fait tournoyer – sans être capable jamais d'extraire du néant...

 

 

Faire nôtre ce qui nous effraye, nous malmène et nous anéantit pour que dansent toujours en nous la vie, les objets, les hommes, les bêtes et la mort. Pour que jamais ne s'efface notre chant dans le silence – et sur les chemins où la lumière a été abandonnée – et où elle ne peut pénétrer encore...

 

 

Encore un exil au milieu de la nuit – et au milieu des visages inexpressifs – lointains depuis toujours...

 

 

Faire plier le rêve sous la langue pour libérer le réel, la lumière et la parole – et quelques autres trésors oubliés...

Comme une brèche où ne pourrait s'enfoncer qu'un seul monologue – celui du silence dont nous avons oublié les paroles...

 

 

Nous sommes le monde – le monde peuplé de tout ce que l'on ignore – des vivants, des morts – et de tous ceux qui ne sont pas nés encore. Comme un rêve éphémère fait de songes, de boue et de désirs. Comme un enchevêtrement d'absences – et une folle envie de vie et de présence. Et cette lumière, enfouie depuis toujours, que nous n'avons jamais su voir...

 

 

Pris déjà – depuis toujours sans doute – par cet élan qui ensorcelle la chair – et dénude l'âme de ses embarras. Porté déjà – depuis toujours – par cette lumière qui éventre les songes – et nous abandonne au bord du néant – et nous y plonge ensuite pour convertir nos rêves et nos peurs à l'évidence – à cette présence qui anime nos gestes et nos pas depuis la première nuit – depuis notre premier sommeil...

 

 

Des tombes et des vivants – toujours malgré la nuit. Malgré la vie. Malgré la mort. Malgré le silence et la lumière. Comme une présence – une ronde interminable – sources de tant de pleurs – et sources de tant de rires. Comme une pulsation qu'ignorent le sommeil et l'oubli...

 

 

Des roches, des murailles, des broussailles. Et le chemin invisible qui traverse la nuit – toutes les nuits. Et qui découd les étoiles du ciel. Et offre progressivement à chacun le goût de l'hiver et du silence – la solitude amoureuse de la terre, des ombres et des visages – et la certitude d'une lumière au fond de chaque ignorance...

 

 

Comme si le silence nous narguait encore parmi les bruits – parmi la colère et les éclats de voix. Comme s'il voulait être écouté encore et encore – et que nous lui rendions grâce au milieu du vacarme – au cœur de l'affreuse cacophonie du monde où les âmes maladroites cherchent toujours leur délivrance...

 

 

On écrit parfois ce que l'on cherche encore de façon si gauche – si malhabile. Comme si nos mains ne pouvaient saisir ni le vent ni la poussière. Comme si notre âme n'était pas même capable de saisir ce que cache si sournoisement l'horizon : cette lumière – ce silence – dont nous ne pourrons jamais ni nous défaire ni nous emparer...

 

 

Vivre encore – vivre toujours – entre l'absence et les cris – entre tout ce qui s'échappe – comme si le vide et la chute étaient inévitables. Et nous tomberons tôt ou tard – et frapperons, en vain, à toutes les portes. Et nous nous relèverons – et continuerons à aller seuls – sans aide et sans un regard – pour appuyer d'abord – et déposer ensuite – notre tristesse et notre détresse – quelque part – là où tout s'affaisse – là où rien ne peut être posé – là où rien ne peut être dissimulé : dans ce silence et dans ce monde où tout s'échappe et nous abandonne...

 

 

Une carte, un horizon. Et quelques désirs que les saisons feront agoniser. Et l'automne bientôt. Et l'hiver à sa suite avant que le silence ne recouvre tout : ce peu de cendres que nous laisserons à notre mort...

 

 

Le silence ne pliera sous aucun désir – sous aucun cri – sous aucune menace. Il effacera lentement ce que nous avons mis des siècles à bâtir. Et édifiera pour nous un chemin d'abandons : la seule voie – la seule délivrance – possibles...

 

 

Des poches pleines. Et des cloches qui sonnent. Et partout des mains qui aiguisent leur couteau – et comptent leurs pièces. De l'eau qui coule – qui coule un peu plus loin – qui coule sous les ponts. Et quelques siècles – et quelques tombes – plus tard, les poches seront toujours aussi pleines (et peut-être même davantage...). Les cloches sonneront encore au milieu du jour – au milieu de la nuit et des couteaux. Et les yeux se fatigueront toujours à compter l'or et les lingots. Et l'eau coulera encore – et continuera à déposer toutes ses chimères sur les rives où vivent les hommes...

 

 

Viendra le jour où nous nous abandonnerons à la mort et au silence... Et disparaîtra alors la nuit – et disparaîtront alors toutes les nuits...

 

 

Attendre le silence – et lui demander (oser lui demander) quand adviendra le jour des retrouvailles...

 

 

Un jour, la main saura se faire plus légère que la plume. Le regard plus vif que l'orage. Et le cœur aussi large peut-être que le ciel. L'âme alors ne sera plus de ce monde. Elle pourra y demeurer encore – y habiter quelque temps – mais ses gestes et son silence seront portés par un élan antérieur : la certitude de la lumière...

 

 

Une marche, un souffle, un silence. Et la mémoire qui s'efface – laissant soudain le champ libre à l'incertitude et à l'inconnu...

 

 

Un peu de joie sur les épaules pour absoudre la tête noire – la vider de son jus – et la faire disparaître pour que ne subsiste qu'une innocence sur un talon docile et vierge – prêt à toutes les ruades et à tous les silences...

 

 

Une bouche – un cri – qui cherchent leur silence. Et au cœur de celui-ci, un plus grand silence encore qui effacerait les lèvres et les plaintes – toutes les lèvres et toutes les plaintes – avec un goût de neuf peut-être sous la langue pour que la parole puisse enfin éclairer – et l'esprit oublier ses repères et ses chemins...

 

 

Un livre ouvert sur la lumière. Une parole dans le silence. Et les jours deviendront beaux – et vivables enfin. Et la vie alors pourra commencer...

 

 

Ici et là, peut-être, une réminiscence dans l'oubli – dans l'effacement magistral. Une ombre dans la transparence. Une opacité – un peu de noir – dans la lumière. Une profondeur dans les eaux bleues et claires. En ces lieux qui nous échappent encore. Comme une tristesse – un peu de boue – dans la joie. Et apprendre à tout effacer pour avoir enfin l'envergure de ses ailes...

 

 

Un peu de pluie, un peu d'écume, un peu de joie pour réunir toutes nos manœuvres – pour que la raison dérive jusqu'aux hauts-fonds de l'océan – pour retrouver la côte et le port, si lointains encore, où nous aimerons nous perdre plus intensément... Pour voguer plus haut – et voguer plus loin – sur la queue du vent – au creux des vagues – vers l'azur et le grand large – partout où l'eau devient la fille du rire et de l'incertitude – partout où l'innocence et la lumière se joignent au silence pour rejoindre la terre – ses rivages et ses visages encore hébétés par ce peu de pluie, ce peu d'écume et ce peu de joie...

 

 

Dans mille ans, nous vivrons peut-être encore sur le dos du monstre – en ignorant son autre face, si belle et lumineuse... Et nous serons (toujours) bien en peine d'imaginer le silence – la beauté du silence – à l'origine de tous les visages...

 

 

La terre, le monde, les hommes. La vie. Et l'apparence et les distractions qui dissimulent leur vrai visage – et la présence des mille réalités perceptibles depuis le silence...

 

 

Rires, aventures, bavardages. Et cette manie – et cette rengaine – de l'illusion qui nous fait croire que la terre – ce grand désert – est un monde peuplé de visages. Comme si le temps existait – et avait quelque importance. Comme si la terre n'était qu'un labyrinthe de murs et d'étoiles. Comme si la lumière pouvait être donnée – et éclairer les hommes...

 

 

Rien ne disparaît dans le silence. Ni l'herbe ni la beauté. Ni les arbres ni le désespoir. Ni les oiseaux ni la souffrance. Ni les pierres ni le bruit. Ni les hommes ni la mer. Mais leur visage – tous les visages – prennent la couleur du ciel et de la lune. Et toutes les paroles deviennent des caresses – et des fenêtres sur l'incertitude. Comme un faîte – une lumière – au fond des abysses – au cœur de la nuit...

 

 

Un feu qui cherche l'aurore. Ainsi naissent les voyages – tous les voyages – et se dessine progressivement la route...

 

 

Comme une fenêtre en plein ciel qui dissipe la foudre et la solitude – qui enflamme la mort, le sinistre et l'inutile – et convertit le monde et les visages en sourire – et notre absurde confiance en joyeuse incertitude pour que nous ne puissions plus jamais nous rendre complices des yeux ignorants et des mains assassines...

 

 

Sommeil, refus et ignorance. Toute la nuit nous aura été offerte ainsi. Trois mots qui auront soulevé le monde, déplacé les montagnes et emporté tous les visages. Trois mots qui auront fait tanguer notre folle embarcation vers des horizons impensables – secouée et ballottée par des vents emplis de songes et de douleurs. Comme une longue dérive – une lente débâcle – un long gémissement – parsemé(e) de quelques prières maladroitement psalmodiées – qui nous aura enfoncés dans le malheur – et éloignés, au fil du voyage, de la beauté, du silence et de la lumière que la terre, le monde, la vie et les hommes réclamaient depuis leur premiers pas dans le sommeil, leurs premiers pas dans le refus, leurs premiers pas dans l'ignorance...

 

 

Le bleu et le silence partout malgré le bruit et la grisaille. Malgré la faim – et les bouches si avides de ciel, les lèvres trop goulues et le gris si saillant de notre nuit. Comme un défi – presque surnaturel – à la pesanteur du monde et à la gravité, si tenace, des âmes...

 

 

A l'ultime question répondra le silence. Et à l'ultime désir, la lumière. Comme la fin du rêve – la fin de tous les rêves. La transmutation des pentes – et de l'horizon – en ciel implacable. L'effacement des différences et des distinctions – et leur conversion en humilité docile éparpillée en un seul visage...

 

 

Tout – toujours – commence dans l'effroi et la terreur. Se poursuit au gré de l'incompréhension, des trahisons et des abandons. Et s'achève dans le silence. Voyage de douleurs et de joies entre la périphérie – la surface – et le centre de toutes les profondeurs...

 

 

De drames en catastrophes, nous avançons irrémédiablement vers la lumière – ce centre de nous-mêmes si ignoré. Et cette réalité que nous imaginions réelle – si réelle – perd peu à peu sa consistance – sa vérité. Elle s'éparpille et s'efface. La vie, le monde et jusqu'à notre visage alors deviennent incertains – le versant fuyant de l'incertitude. Et ce qui arrive – défile et passe comme un courant d'air – frais toujours de notre innocence. Rivière d'une eau toujours inconnue. Grand corps mouvant sans frontière ni démarcation.

Ainsi devient-on silence et lumière sur les ombres – sur toutes nos ombres – si évanescentes. Reléguant l'angoisse et la hantise – le rêve et le devenir – à un souvenir qui s'oublie déjà. Comme un regard inamovible sur des pas et des passagers toujours plus provisoires...

 

 

Des tuiles, des feuillages, l'horizon. Chemins qui se faufilent entre les champs et les maisons. Au bord du ciel toujours, sur cette terre que jamais nous ne connaîtrons...

Des pierres, du vent, des visages. Quelques frissons. Comme des reflets incertains de nous-mêmes. Un songe né peut-être du silence...

 

 

Chant solitaire toujours parmi les voyageurs pour honorer les naufrages et l'océan. Et parfois aussi quelques étoiles qui brillent encore dans la mémoire. Comme un écho du silence célébrant le ciel et l'écume...

 

 

[Modeste hommage à Marie-Claire Bancquart]

Un matin, une famille, un travail, une patrie. Et un territoire – et quelques âmes – peut-être à défendre. Et alors que partout l'on égorge et l'on brûle, d'autres n'ont pas honte de s'adonner aux diversions du rêve – d'élever l'étendard de l'innocence hébétée – nourrie d'incompréhension – pour tenter d'exister à leur place de vivant – pour saluer les morts et tous les visages – et tenter de transformer les drames et les larmes en sourire – et en espoir de délivrance – et œuvrer ainsi au rassemblement de toutes les humbles figures de la terre...

 

 

Et ces pauvres jours encore qui n'apporteront que le gris et la tristesse. Comme l'inlassable rengaine du malheur...

 

 

Tant d'opportunités et de misères dans cette errance – dans cet exil – que ne connaîtront jamais les âmes sédentaires – et les esprits étroits (de fait) barricadés derrière leurs principes et leurs valeurs – derrière leurs murs et leurs barbelés – dont les yeux – et le sourire – ne peuvent se poser que sur leur maigre bande de terre – cette région d'inhospitalité où ne poussent, entre les habitudes et les parterres de fleurs bien alignées, que la lâcheté et la méfiance : toute l'indifférence et la désespérance du monde...

 

 

Le silence et la nuit. Inséparables peut-être comme le ciel et les étoiles. La parole et le poète. Le rire et la tristesse – la joie et les larmes sur chaque visage...

Et notre âme si crispée encore devant la lumière. Et l'espoir – cet espoir – si tenace que nos pas, un jour, puissent nous y mener...

 

 

Un passage toujours entre les passages – entre tous nos passages. Un peu de vent volé à l'enfance. Quelques silhouettes sur les talus aveugles au déroulement du temps, à l'odeur de la fête et à l'hiver qui grimpe aux barreaux de l'échelle. A cette vie qui passe entre l'horloge et le silence – entre nos peines, trop lourdes pour être hissées, et la lumière...

 

 

Nous aurons toujours un pas de retard sur le rêve, l'horizon et la lumière. Comme un refus opiniâtre de la belle saison. Une hésitation entre l'abîme et ce qui nous appelle un peu plus haut...

 

 

Comme une esquisse dans la nuit qui dessinerait dans le noir le plus haut soleil – cette lumière inchangée qui sommeille encore sous les paupières...

 

 

A la lisière de tout ce qui ne nous appartient pas. Au cœur de la bonne parole – de cette nuit qui déborde le hasard – et de ce carré blanc cousu de fils d'or où nous posons la tête, nos rêves, ce désir d'ailleurs – l'herbe, les figures de la terre, la solitude – et l'incertitude du ciel qui se reflète partout comme un soleil inimaginable...

 

 

Au bord de la mort toujours malgré l'éternité...

 

 

Comme deux visages, l'un inquiet et soumis aux aiguilles du monde et de l'horloge – et l'autre serein et joyeux – impavide – presque indifférent à tous les désastres...

 

 

Un mur – des murs peut-être – long(s) – tenace(s) – infranchissable(s). Des portes et des couloirs. Et l'horizon à perte de vue. Et le vent en nous insufflé comme un ventre qui respire – un amas d'os recouvert de chair qui désire, aime et se plaint. Comme une peur insurmontable scellée à l'âme qu'abrite la structure – le squelette animé. Et le chemin et la marche interminables... Mais qui sait seulement si nous avons commencé à mettre un pied devant l’autre – et où nous mèneraient nos pas si, par malheur, le destin nous faisait avancer...

 

 

La vie comme un malheur nécessaire peut-être pour aimer la chair, la célébrer, la laisser libre et l'abandonner à son destin de matière au hasard des chemins pour un espace – une envergure – invisibles – et plus grandioses encore – ce feu – cet infini – que l'on sent battre dans nos veines comme un cœur – comme un Amour inépuisable...

 

 

La couleur inévitable des âmes et des destins qui donne à nos vies ces teintes si insensées – ce bariolé inextricable comme une pluie et un soleil entremêlés de noir et de lumière...

 

 

Lorsque la nuit s'enfoncera – et s'effacera – dans l'océan, disparaîtront les horizons – et ce désir d'être ailleurs – d'être un autre. Nous aurons alors un goût de sel sur des lèvres sans nom et sans visage. Et nous deviendrons l'eau, l'écume et les marées où navigueront toutes les embarcations – et toutes les vagues et toutes les rives où elles viendront s'échouer...

 

 

L'ignorance comme une herbe nocturne qui épuise le vent. Comme un soleil noir en-dessous du ciel. Comme un désir jamais contenté. Comme un arbre mort qui attend la foudre pour s'embraser – devenir cendres – dissiper les ombres et voir arriver, au loin, la lumière – ce grand feu qui se dessine déjà dans tous les rêves...

 

 

La vie comme un précipice où nous sommes jetés. Comme une grande roue souterraine. Et parmi les morts, ce chant silencieux. Comme un aveu d'impuissance. Et le signe peut-être que la fin n'est qu'un recommencement plus sage – une possibilité pudique – et infiniment discrète (presque secrète) – de voir naître en nous ce grand Amour dont nous ont tant parlé les prophètes – et quelques éveillés sans chapelle – et qui sévit déjà partout au-dehors – dans cette vie – dans ce profond précipice – pour faire fleurir la chair – et ce dont elle a besoin pour éclore – croître – et grandir en sagesse : les prémices possibles d'un envol pour sortir de l'abîme et retrouver cet Amour – ce grand Amour, dépouillés (enfin) de toute prétention – avec l'humilité – la profonde humilité – de ne pas savoir et d'aller vers lui sans aile ni espoir...

 

 

A l'aube de tout voyage, cette terre ensorcelante. Et sur notre couche, l'étreinte des amants que le feu brûlera longtemps après leur mort. Comme le premier pas, maladroit bien sûr, vers l'éternité et le silence...

 

 

Aussi infidèles à l'habitude qu'à l'incertitude, la source des vents, la fleur étrangère à sa beauté et le visage défait – et familier de la sagesse – prêts à célébrer leur entrée, si discrète, dans le silence...

 

 

Des joues, des joutes et des larmes. Et un peu de poésie pour apaiser la faim, adoucir les mains – et les rondes – et offrir le silence à tant de maladresse...

 

 

Sur sa branche aussi patiente l'oiseau. Comme tous les fronts – et les visages – agenouillés sur la terre qui attendent la lumière...

 

 

Les eaux, les danses et les chemins secrets que parcourt l'innocence. Comme le plus discret – Dieu peut-être – Dieu sans doute – s'immisçant dans les circonstances, les fringales et les tournoiements d'un monde apparemment sans douceur et sans autre ambition que sa perpétuation...

 

 

Sans âge ni maître – cette puissance et cette envergure dans le défilé du monde – au-dedans des êtres et des choses – gouvernés par le hasard, les instincts et les nécessités – qui se faufilent entre les ronces – et dessinent leur chemin à travers les herbes et les rêves – si impatients de découvrir leur printemps au milieu des luttes et de la mort...

 

 

Un peu de vie – un peu de joie – avant la mort. Parmi la faim et le désir, la misère et l'ignorance. Et la grâce au cœur de la malédiction. Et le silence et la lumière à naître. Et quelques prières parfois au milieu des charniers...

 

 

Personne, nulle part, jamais ne nous attend. Et l'Amour pourtant jamais ne nous abandonne...

 

 

Aimons ceux dont la présence nous éclaire autant que ceux dont l'ignorance nous presse d'ouvrir les yeux. Ainsi tous seront aimés...

 

 

Tout sera dit avant d'entrer dans le silence. Ensuite la présence remplacera la parole. Et nos pas deviendront lumière – cette lumière qu'aura tant cherché le langage...

Et nous marcherons peut-être encore dans cette grande nuit parmi les voyageurs et les cris – dans la frivolité et la noirceur des survivants – tous, postulants à l'agonie – ces marcheurs du monde si désespérés...

 

 

L'automne – l'hiver – jamais ne quitteront la parole – notre parole. Saisons du dépouillement et du dénuement plus propices au silence – et à la lumière – que l'efflorescence et la frivolité de leurs sœurs plus précoces...

Et nous bavarderons peut-être encore aux abords de la source avec le silence et le printemps. Et nous épuiserons les livres et la parole pour avancer, nus et tremblants, vers la saison des origines – vers le seul astre restant – au cœur de la terre dépouillée de ses songes – de ses étoiles – une cape de joie sur notre nudité et une écharpe de silence nouée à notre visage...

Et nous verrons peut-être aussi les ombres nues aller – et se perdre – dans la neige épaisse qui aura recouvert les routes dénudées par l'hiver – parmi les pierres encore brûlantes de soleil...

 

 

Un visage, un ciel, une solitude. Comme un soleil noir défait par les vents, les rivières et la blancheur, éblouissante, de la terre. Et un peu de neige encore sur nos barques – toutes nos embarcations – pour qu'elles soient saisies par la lumière – et qu'elles émergent du fond de l'océan – et s'abandonnent aux rives du silence...

 

 

Une chaise, une lune, un monde. Quelques soupirs et quelques adieux avant que la terre ne tourne – ne s'enlise – et ne retrouve le soleil...

Comme un doigt pointé avec maladresse vers le moins tangible – et le plus invisible – de cette terre avant que l'hiver et la neige ne recouvrent encore les âmes et la chair – ce qui, en ce monde, cherche la lumière – et s'agenouille, se redresse et s'émerveille déjà dans son attente...

 

17 décembre 2017

Carnet n°121 Du bruit, des âmes et du silence

– Et si peu d'espérance pour le monde –

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Un cortège, des étoiles. Et ce silence qui crisse entre les pas. Et la paume ouverte des hommes en prière. Comme un frisson qui parcourt l'échine de toutes les âmes. Comme une terre entièrement apprivoisée...

Il reste tant à découvrir. Et tant à dire. Et pourtant tout existe déjà – et tout a déjà été dit. Et ce silence qui nous fait encore tressaillir...

 

 

Un soleil à venir peut-être. Et ce vent – et ces bruits – qui n'en finiront jamais. Et cette soupente où se cachent nos ombres – toutes nos ombres. Et ce lieu, en nous très retiré, qui ne connaît que le silence...

 

 

La naissance du plus précis – et de l'impossible réalisé. Et la langueur des âmes dans cette nuit interminable. Peut-être ne parviendrons-nous jamais à infléchir le temps...

 

 

Ces rumeurs – cet écho – du monde qui se faufilent entre les âmes. Et les abreuvent. Comme des mensonges hors de prix qui alimentent l'illusion – le désir – et le devenir – du monde. Comme le plus grand drame peut-être des vivants...

 

 

Et ces sauts exténués sur les pierres pour franchir l'horizon – l'impensable – que n'habite pourtant l'hôte que nous cherchons...

 

 

Ce cercle dont nous ne sortirons peut-être jamais malgré la présence, partout, de la lumière et du silence. Comme un destin voué aux pas que nul ne pourrait arracher aux routes et aux chemins...

 

 

Ce trop – ce surplus – de monde – posé là – qui se balance devant nous, attaché à une perche tenue par nos désirs – et que nous suivons pas à pas – comme un chien, fidèle à l'ombre de son maître – sans pouvoir, bien sûr, jamais nous en saisir – ni jamais nous en emparer, alors que le rien est là déjà, depuis toujours, présent partout à chaque instant de notre séjour et de nos errances. A chaque foulée de notre marche interminable...

 

 

Un secret, un voyage. Et cet écho qui n'en finit pas de nous perdre – d'égarer notre main – notre âme – et notre fouille jusqu'à la pointe du silence – et de ses aveux. Comme une confiance à aller – à marcher indéfiniment – et une évidence à dénicher, un jour, quelque part l'impossible. A le trouver au bout de tous les épuisements...

 

 

Et ce crépuscule – et cette nuit – aussi lumineux que l'aurore. Et ce puits – et cet immense labyrinthe des surfaces – qui nous enfoncent dans la lumière. Et ce silence – ce grand Amour – qu'offrent nos lèvres par-delà la joie et l'ivresse affranchie des désirs. Et cette puissance qui gît déjà sous les ornementations et la paresse – sous cette chair où s'exercent les apparences et la diversité. Et ce visage dévoré de beauté qui vient couronner toutes les laideurs, toutes les bassesses et les lâchetés. Comme le sacre de notre ignorance défaite enfin...

 

 

Des ailes, des voiles, des allées. Tant de simulacres à travers les siècles. Essais, tentatives, impasses. Diverses errances – presque anachroniques – qui se résolvent par les détours – et le retour progressif vers l'origine – ce qui a enfanté tous les visages, toutes les détresses et tous les désirs de se retrouver...

 

 

Des visages minuscules – et pourtant vertigineux. Cette lumière, impensable, derrière tant de mensonges et d'insignifiances. Comment aurions-nous pu imaginer aux premiers instants de la marche – aux premiers pas de la quête – la cachette incroyable de ce trésor (si rageusement convoité)... Comment aurions-nous pu imaginer que cette crasse et ces crépuscules le dissimulaient avec tant de vigueur et d’âpreté... Comment aurions-nous pu imaginer qu'il nous faudrait nous défaire – nous dépecer – de tout – de toutes ces couches et de tous ces embarrassements pour le dégoter – et qu'il nous serait offert, malgré nos efforts (si risibles), avec autant de naturel et de facilité. Comment aurions-nous pu imaginer que rien ni personne ne pourrait nous en détourner – qu'aucune instance ne saurait nous arracher à ce que nous sommes depuis toujours...

 

 

Cette chose en soi – maladive sans doute – pathologique peut-être – originelle sûrement – qui, quoi que nous fassions et vivions – doit être touchée – atteinte – trouvée. Un goût – une qualité – un seuil de profondeur et d'intensité en-deçà duquel la vie – et le monde – nous semblent presque indignes d'être vécus et expérimentés. Et qui impulse, encore aujourd'hui, à notre foulée un rythme puissant et forcené – presque inépuisable – et qui nous a toujours tenu éloigné de toute paresse – de toute forme d'avachissement de l'âme et de la chair. Comme une épectase jamais comblée – jamais rassasiée. Comme une extase – une ataraxie – fragile et éphémère à renouveler indéfiniment...

Autrefois, cette chose en soi animait intensément notre quête – et ses avancées. Et elle demeure aujourd'hui encore quotidiennement, presque à chaque instant, malgré notre familiarité avec le silence et la lumière. Comme si subsistait un reliquat de cette puissance – ou un mode de fonctionnement peut-être – un feu – une énergie infatigable – qui a toujours propulsé et accompagné nos pas – notre marche inlassable pour tendre vers – goûter – et ne jamais quitter – cet état d'exaltation – cette envergure de présence... Et qui nous confine aujourd'hui encore à une forme d'intranquillité (insupportable) dès que nous avons le malheur de nous en éloigner (ou de nous en croire éloigné) pour quelque obscure raison – et qui nous enjoint aussitôt de faire notre possible – tout notre possible – pour la retrouver. Comme si nous étions encore et toujours animé par les plus hautes – et mystérieuses – exigences de l'homme...

 

 

Un peu de bruit. Un peu d'agitation. Voilà ce que réclament les hommes. Et voilà ce qui les contente. Ravis toujours des spectacles qu'on leur offre – n'osant peut-être espérer davantage de la vie et du monde... Passer simplement d'agréables moments plongés dans quelques distractions pour échapper, un court instant, à l'indigence et aux servitudes quotidiennes. Avec de telles ambitions, on ne s'étonnera donc guère de voir si peu de nos congénères emprunter la voie du questionnement – et marcher d'un pas déterminé et résolu sur quelque chemin métaphysique et spirituel...

 

 

Le grain de sable pour le visible – et le quark peut-être pour l'invisible (à l’œil humain). Cette matière dont nous sommes faits. Amas et combinaisons éphémères voués aux mouvements et aux interactions – aux échanges et à l'effacement. Et aux renouvellements toujours. Et le mystère de ce souffle momentané et épuisable pénétrant la chair. Et cette présence infinie et éternelle au-dedans et au-dehors de tout...

Voilà les pièces de ce puzzle complet et mouvant – et jamais achevé – qui se fait et se défait – et qui compose et décompose les visages au gré des vents – à travers des siècles presque sans importance...

 

 

Il reste tant à découvrir. Et tant à dire. Et pourtant tout existe déjà – et tout a déjà été dit. Et ce silence qui nous fait encore tressaillir...

 

 

L'homme, cette horrible et terrible chose qui ignore encore. Et dont les peurs et les instincts dictent les actes. Si peu soucieux – et si peu concerné – par le mystère et les trésors qu'il abrite. Et qui demeure en somme – et jusqu'à présent – une indigne créature...

 

 

Une couche, un chemin. Quelques joies et quelques malheurs à glaner au fil des pas. Au cours de ce long sommeil...

 

 

Quelques instants de vie à l'image de cette eau glacée qui, un jour, s'évapore – et disparaît en ne laissant que quelques gouttes – un peu de buée – sur les vitres du temps...

 

 

Quelques gestes, un tombeau. Et la main avide qui en voulant s'emparer saisit la pelle avec laquelle elle creuse le trou où elle sera enterrée...

 

 

Après tant de malheurs et d'errances, il ne restera que la couleur de la neige, sans trace. Et cette enfance jamais atteinte – et couronnée pourtant de toutes les grâces. Et ce feu brûlant dans nos veines qui nous fera essayer encore...

 

 

Des rêves et des pas. Un peu de magie dans le noir. Et, parfois, la visite impromptue de l'oiseau qui veille au-dessus des merveilles. Ce songe d'un ailleurs que les hommes ont transformé en mythe – en promesse pour les jours – et les siècles – à venir. Et que les religions et les prières tentent de faire advenir à chaque nouveau trépas...

 

 

Fils du ciel et des instincts. Matière en marche immuable et recombinée des milliers, des millions, des milliards de fois, embarquée dans tous les voyages. Et ce souffle presque invisible au fond des haleines, surpris toujours de son sort – et du destin qu'on lui réserve. Et lui qui aimerait s'afficher sans patrie – et voir arrachés tous les noms sur les visages – continue cahin-caha à proposer, inflexiblement, l'ivresse et le grand départ – le seul voyage auquel il aspire...

 

 

Un chemin, une croix. Une longue marche, une colline et une crucifixion. Et la résurrection arrivera plus tard – et se déroulera sans témoin. Dans la solitude, le silence et l'humilité. Et les hommes auront beau prier, ils n'y assisteront qu’au-dedans de leurs propres pas – au sommet de leurs renoncements. L'innocence sera la première station. Et la joie et la liberté viendront couronner leur délivrance. Vie et mort alors perdront tout leur sens. Et l'éternité et le silence remplaceront toutes les ambitions...

 

 

Comme une joie infinie qui ne fait que passer sur les hommes mais qui, en réalité, traverse à chaque instant toutes les âmes...

 

 

Un soleil et du remue-ménage. Comme une folle tentative d'en saisir la chaleur – et d'en enfermer la saveur pour toujours...

 

 

Un cortège, des étoiles. Et ce silence qui crisse entre les pas. Et la paume ouverte des hommes en prière. Comme un frisson qui parcourt l'échine de toutes les âmes. Comme une terre entièrement apprivoisée...

 

 

Guerre, deuil et joie. Ainsi chemine-t-on jusqu'au chant le plus profond. Des plus viles besognes au silence. Du plus gauche – et du plus obscur – à la lumière suspendue, depuis toujours, à nos larmes...

 

 

D'heure en heure s'ouvriront peut-être tous les passages. Et palpitera enfin le cœur enfoui dans toutes les âmes recouvertes de chair...

 

 

A égale distance entre les anges et les ordures vivent les hommes, enfermés. Enfants sauvages apeurés derrière leurs vestiges et leurs lunes mortes, errant sur tous les terrains vagues – et confinant leur marche funèbre – et sans retour – jusqu'aux palais les plus sordides. Gaspillant – et sacrifiant – leurs heures à d'inutiles éblouissements...

La nuit, on les voit courir – rejoindre leur cercle – se répandre – et se suspendre – au-dessus des eaux muettes et glauques – aveugles à toute lumière – tournant inlassablement autour d'un phare secret et indéchiffrable...

Comme condamnés à l'errance à perpétuité... tantôt dans les bas-fonds sombres et immobiles tantôt au-delà du plus vif soleil...

 

 

Quelques songes tiennent encore en équilibre sur nos épaules. Et ils seront, peut-être, enterrés avec nous dans la tombe....

 

 

Seul se défait ce qui doit l'être pour que demeure l'irremplaçable. Ce goût – et ce bleu – du ciel dans notre regard...

 

 

Ne pas oublier – ne jamais oublier – la joie qui partout patiente – et s'exaspère (parfois) de nos maladresses...

Et ce grand hasard – ce grand Amour – qui, si souvent, nous oublie alors que notre bouche crie sa faim – et que notre main frappe ou caresse. Comme s'il voulait fouler aux pieds notre grande adoration – et notre grande dévastation – du monde...

 

 

De jeu en absence – d'absence en absorption – comment pourrions-nous rejoindre cette présence qui en nous travaille secrètement à se révéler... Et si loin de tout appui – et de la folie du monde – comment pourrions-nous lui échapper...

 

 

Beauté. Silence. Simplicité. Et cette joie offerte par la lumière. Comme le digne refuge des âmes autrefois errantes – et si aimantes aujourd'hui. Et le secret – si mystérieux – désossé à présent jusqu'à la moelle qui donne au regard cette incroyable transparence – et au cœur cette si fabuleuse innocence...

 

 

Le monde – sa beauté et sa violence – apprivoisés. L'effacement des rêves – de toute étoile. Et cette douceur au fond de l'âme qui offre ses baisers aux hommes. Horizons et ciel réconfortés par les anciens oracles devenus réalité aujourd'hui. Et toute la terre, à présent, pénétrée de silence...

 

 

Un jour manifeste parmi tant d'étoiles – et malgré les songes funestes – fébriles et tenaces – des hommes. Comme un pan de nuit qui s'affaisse sous la cognée délicate du jour. Et le plus anodin – et le plus futile – soudain transformés en beauté – et en silence sage et accessible. Comme un baume – un surcroît poétique – offerts aux blessures et aux violences – à l'obscurité, presque insoutenable, de ce monde...

 

 

Et notre vie – toutes les vies – qui sortent à présent des légendes pour lécher cet espace hors du temps – ce lieu affranchi du langage (de tous les langages). Comme un arbre enraciné à notre tombe – à toutes nos tombes – qui lance soudain ses branches vers le ciel – et s'élance vers la lumière. S'éloignant du noir – et des fosses communes – qui l'ont vu grandir...

 

 

Quelques chants et un peu de tristesse parfois nous détournent du silence. Comme un bruissement de l'âme secouée par quelques rires – quelques moqueries. Comme un reliquat imprécis du hasard peut-être qui ébroue ce reste de songe trop longtemps endormi – trop profondément enfoui peut-être – et qu'on laisse s'écouler, comme notre vieillesse en devenir, à l'orée de cette mort qui s'abattra le jour venu – et nous fera glisser sans trop de hâte au fond de tous les silences...

 

 

Une langue aimante parmi toutes ces bouches hostiles et ces dents sournoises qui traquent leurs proies et les dévorent avant même de s'en emparer...

 

 

Une œuvre de feu – une œuvre de joie peut-être – parmi la tristesse et les larmes. Et les poignards sortis de leur fourreau...

Et le silence sur toutes les crêtes abruptes et dans tous les paysages couverts de rage – et gorgés de sang. Comme deux ailes frémissantes emportant les cris et le langage – les peines et les angoisses dissimulées dans tous les intervalles de la nuit...

 

 

Ces bruits – tous ces bruits – au-dedans de l'âme et du silence...

 

 

Sur les pierres, le silence des retrouvailles malgré les gorges et les mains conspiratrices acharnées à détruire la terre – et à anéantir les arbres et les bêtes – pour quelques pièces supplémentaires...

 

 

Le silence sera notre ultime testament. Et le dernier legs – le dernier lys – de la terre...

 

 

Des étoiles et des alliances. Quelques menaces et quelques coups – à foison en vérité – qui offrent à la terre un destin insupportable. Du sang et cette danse tragique des ruminants – ces bêtes sorties des étables, des usines et des maisons. Et la mort plus funeste encore...

 

 

Au détriment du ciel, de la beauté et de l'innocence – de cette innocence si vive et nécessaire, les grimaces et les mensonges – l'avidité et l'ambition – et la vengeance parfois. Le pire de l'homme qui partout exacerbe la détresse...

 

 

La parole comme un miroir – et les mille reflets de notre visage. Tous les portraits du monde réunis en quelques signes...

 

 

Chimères, frénésie et stupeur. La terreur et la certitude du pire. Comme rempart – et défi – à la beauté – à toutes les beautés – que nous convoitons – et dont nous nous emparons de façon si déloyale et agressive...

 

 

Un chemin, mille perspectives pour une seule fin – toujours...

 

 

Attachés à ce destin sans vigueur, sans valeur, sans vigie où triomphent la fureur, la terreur et la mort, le cri et l'élan primitifs des bêtes qui rampent, à pas lents, vers le silence qu'aucune lumière n'est capable d'éclairer encore...

 

 

Des chemins et des passages parmi les dédales trop fréquentés où ne s'aventure jamais aucun visage. Et qu'empruntent pourtant les sages – et quelques poètes solitaires – dévisagés par les foules et défigurés par le monde qu'elles ont créé. La sagesse et la poésie comme deux ailes, fragiles, qui toujours éloignent des atrocités et des monstruosités nées de l'ignorance...

 

 

Mains rouges à force de coups et d'attente – fébriles – et rompues à tous les désastres. Et le cœur noir – immobile – somnolent dans toutes les impasses privées de lumière où l'espérance a remplacé l'Amour...

 

 

Inattentif au jour comme à la nuit. Les yeux rivés sur le lointain – la promesse. L'âme enfermée – attachée au plus obscur du monde. Livrée à ses instincts de bête enragée – et affamée de lumière – que l'on prive de toute pitance...

 

 

Un jour peut-être verrons-nous, parmi les ruines, les âmes s'agenouiller devant la lumière...

 

 

Rien ne demeure entre nos rêves. Pas même l'ombre d'une (quelconque) réalité. Pas même l'espoir d'une forme de lucidité pourtant si nécessaire...

 

 

Ce rouge primitif qui aura tout envahi – submergé les âmes et la terre – gorgé les sols – et éclaboussé jusqu'aux étoiles...

Et cette œuvre qui danse entre les rêves – et se fraie un passage parmi les âmes. Et ce bleu – ce silence – et cette lumière – qu'elle célèbre au-dedans même des veines – et au cœur de cette longue nuit que les hommes prennent pour un grand soleil...

Et cet exil et cette joie si proches qui confinent le sage – tous les sages – à une forme d'étrangeté et de familiarité inextricables – où le monde – et les hommes – deviennent simultanément des visages inconnus et des éléments de leur propre visage...

 

 

Un ciel, une terre, un océan. Et l'âme – échappée de son enfermement ancien – qui s'y glisse et frissonne...

 

 

D'un seuil à l'autre – d'un cri à l'autre – d'un deuil à l'autre – ainsi chemine-t-on vers l'immobilité et le silence...

 

 

Je n'existe que dans le regard de celui qui ne tue pas. Dans le regard de celui dont l'âme est défaite. Dans le regard de celui qui ne s’appartient plus. Je n'existe que dans cette main offerte qui panse et offre ce qu'elle reçoit – le plus précieux qu'ignorent les hommes...

 

 

Une langue. Quelques paroles. Cris d'abord – échos de la quête. Echelle ensuite vers l'inconnu – le plus vaste en nous infréquenté. Et silence enfin – et accueil de tous les rivages – et de tous les visages qui, de leur cachot, grimacent et crient. Et manière, peut-être, d'annoncer le chemin – et de baliser singulièrement chaque traversée pour que les chambres noires, un jour, s'éclairent – et que cessent tous les bégaiements...

 

 

Entre le dénuement et l'innocence se pose – et se posera toujours – le silence. Et son règne lumineux – sans crainte des bruits et des âmes...

 

 

Et ces larmes si fécondes – annonciatrices de toutes les joies...

 

 

Marchandises et machinations. Et la sordide réification de la chair et des âmes. Et partout le sang qui coule avec la pluie et les rivières. L’œuvre de nos odieuses – et pathétiques – civilisations humaines. Du bruit, des instincts et de la fureur. Cet appétit – et cette colère – indomptables – inconsolables peut-être – qui déchirent et éventrent la terre, les bêtes et les hommes. Et qu'aucun Dieu ne pourra apaiser. Mais qu'une longue agonie, peut-être, saura effacer jusqu'au plus âpre dénuement...

 

 

Entre déchirure et damnation, l'étroit chemin du langage et de la délivrance qui borde les charniers et les cimetières – le parvis des églises et le seuil des maisons où patientent les foules en larmes...

 

 

Et cette terre dévorée dont le souffle a été coupé – dérobé... encore capable, pourtant, de faire entendre son cri – ses gémissements. Une clameur sourde – presque inaudible – qui sort de la bouche et de l'effroi des arbres et des bêtes – et qui indiffère toujours les hommes, trop occupés à compter les bienfaits procurés par leur mise à sac sordide et leur sauvage exploitation...

 

 

Des bras, des fourches. Des seaux, des pioches. Et ces sourires si heureux de piller la terre – de mutiler ses membres pour apaiser leurs désirs, leur faim, leur appétit de confort et leur crainte de manquer. Et qui, du haut de leur règne – du haut de leur trône – ne savent plus distinguer, parmi les saccages et les carnages, le superflu du nécessaire – et confondent encore (et comme toujours) progrès et humanité – profit et animalité – en continuant à tout dévaster pour alimenter leurs effroyables chimères...

 

 

Des bruits encore parmi l'herbe et les lilas en fleurs. Parmi les roses et les fruits posés sur les tables – à l'abri d'aucune menace – d'aucun climat – où s'amoncellent les chagrins et les déchirures – et le besoin mortifère de se dresser plus orgueilleux encore malgré les larmes et les blessures...

 

 

Une nuit, des cicatrices. Signes de toutes les indifférences – et du combat inutile de l'homme pour vaincre – et corrompre peut-être – les horizons. Ce qu'attestent les sentiments – tous nos sentiments ; peurs, désirs, infamie. La banalité si commune des hommes que fustigerait toute sagesse...

 

 

Une lanterne, une pelle, une horloge. Les outils de toutes les balivernes pour éclairer peut-être la fouille et le temps. Les travaux des champs et la besogne des ouvriers et des usines. Toute l'indélicatesse des hommes. L'absurdité et le gâchis. La terre transformée en désert couvert de mines, de puits et de chemins – ceinturé de murs et de barrières. Les montagnes sculptées à la dynamite. L'or, les océans, l'air, l'eau et les grands espaces confinés – soumis à toutes les convoitises – transformés en instruments de règne et de pouvoir. Les premiers pas et les derniers soupirs de nos absurdes civilisations que fera peut-être éclater, un jour, l'arrivée impromptue (si dévastatrice et salvatrice) du silence...

 

 

Misère et tenailles apparemment invincibles. Souvenirs et tirades absurdes. Eglises et musiques enivrantes, si promptes à massacrer le silence. Et cette nuit magnifique – maléfique – idolâtrée dans la solitude des chambres – sur les murs des salons – et dans les rues et sur les esplanades des villes. Et ce grand embarras dont se chargent les âmes et les bras. Et les pistes de danse où tournoient inlassablement les têtes et les pas...

 

 

L'herbe et la danse silencieuse des étoiles. Et nos âmes assoupies qui sommeillent encore parmi les rêves...

 

 

Inquisitions, perquisitions, expulsions. Châtiments. Meurtres, massacres et tueries. Expropriations. Empreintes de haine et de domination. Le lot commun – et le sort – que nous réservons à ceux que l'on prive d'existence et de paroles – à ceux dont la place, le langage – et la dignité – n'ont pas été reconnus.

Quel étrange – et atroce – océan – et quels effroyables vents, vagues et marées avons-nous créés là avec cet Amour vaincu – pendant – invisible, à notre bandoulière. Inapte encore à estomper la rage et la faim – à apaiser les embarcations d'infortune plus soucieuses de croître – et de conquérir encore – que d'accoster en des terres inconnues – et si libératrices pourtant...

 

 

Des croyances, des épreuves, des examens si nécessaires à l'essor des contrées, au prestige des visages, à la gloire des noms et des conquêtes. Civilisations insensées et sans morale vouant un culte à la puissance et à l'aveuglement. Et tombeau de toutes les innocences – de la lumière et du silence. Reléguant l'Amour au désir, à l'attachement et aux fantasmes de la jouissance et de la propriété...

 

 

Le silence humble, et si admirable, des bêtes face au destin – aux épreuves et aux circonstances, si souvent façonnées (fomentées) par les hommes – qui relègue (confine) la parole humaine à d'indignes et puériles gesticulations de l'esprit face à la peur et à la souffrance...

 

 

Le mythe et les mensonges de la prospérance(1), voilà où (nous) mènent le progrès(2) et la croissance(3) – cette course folle et insensée vers le confort et l'abondance...

(1) Prospérance : espérance et errance de la prospérité...

(2) Le progrès technologique.

(3) La croissance économique.

 

 

Il faudrait s'écarter des digues et des cités – et aller à cloche-pied au hasard des chemins pour remonter à rebours ce que nous avons abandonné depuis si longtemps...

 

 

Des cordes et des glissements. L'infortune des experts – et de toute prédiction – pour s'extirper du hasard – mettre la pensée en congé – et se libérer de tant d'horreurs...

 

 

L'atrocité cessera avec l'innocence – présente déjà sous nos gestes – et à l'origine de la main et des premiers pas...

 

 

La vie, un chant. Quelques forces à réunir avant la lutte – le combat – pour adoucir les bouches et les mœurs – reléguer les chagrins au souvenir – et faire fleurir le miel sur les destins. Voilà l'âpre – et rude – besogne des poètes, des sages et des enfants...

 

 

L'automne, la foule et les pleurs inconsolables de la terre sur les dépouilles – les charognes rongées par le temps, l'inconscience et l'insouciance des hommes...

 

 

Nager toujours entre la lumière et les eaux sombres sans ménager ni les mirages, ni les bourgeois, ni l'inertie ni la bien-pensance des élites. S'éloigner du pouvoir et du règne de la domination. Se faire discrètement sauvage – et incivique – parmi les foules et les conventions meurtrières. Vivre en fantôme anonyme. Et œuvrer à sa tâche dans la solitude et le silence pour qu'adviennent, un jour, l'invisible et l'enchantement...

 

 

Assis au-delà des rivages – au-delà des époques – au-delà même du ciel visible parmi la mélancolie et la rage de voir la vie, la terre et le monde se transformer en lieux gauches, inutiles et assassins où la mort – sans promesse – devient le prolongement de tout – de chaque geste et de chaque parole. Où les cris et les pleurs deviennent la seule couleur de l'épouvante. Où le parfum d'après n'est qu'une ligne horizontale sur les tombes. Et où le rêve et le froid ont partout détrôné l'innocence et la joie – la promesse et la certitude des beaux jours...

 

 

Comme un cri au milieu de l'écho. Comme une pierre jetée au fond de l'océan. Comme le vent et les rivières prolongeant les destins. Comme l'illusion et les promesses de tous les rivages. Comme le sang qui coule en silence dans les veines – et qui tache les mains, la terre et le sort des bêtes et des hommes qu'aucun rêve ne pourra interrompre. Comme une marche lasse et pressée qui empile les barreaux sans être capable encore d'en percer les mystères – et d'en déchirer les secrets – pour qu'éclate, un jour, la vérité...

 

 

Un ciel bleu encore incompréhensible – insaisissable. Et des pèlerins par millions attachés aux graviers et aux bornes des chemins, amoureux des songes et des promesses – aveugles à la beauté – et à l'hurlante nécessité du silence – voués aux murmures et aux confidences des sages qui ont déjà foulé toutes les pierres – et apprivoisé le sable de tous les sentiers. Des foulées d'infortune en somme avec les yeux enfoncés dans les livres et les cailloux, refusant la grâce du vent et des arbres, déjà présents à la lumière...

 

 

Partisans de la lune et des ombres. Des étoiles et des passages ouverts par leurs aïeux. Insensibles aux vents et aux rivières qui parcourent la terre et le grand ciel – et réunis en un seul tenant – que les âmes, pourtant, distinguent encore – pour leur plus grand malheur...

 

 

Comme un feu qui ignore la flamme et le bois. Qui ignore le vent et la forêt – la cendre et l'étincelle qui l'a fait naître. Sensible qu'à la chaleur et aux yeux admiratifs qui le contemplent. Ivre de lui-même – fasciné simplement par sa folie et son étrange, et passagère, beauté...

 

 

Comme une arme agrippée par une main tardive qui galope à travers les siècles – qui saute par-dessus les destins – et bouscule les montagnes. Comme un sang inerte – asséché – qui rêve de sommeil et de jardins fleuris où pourraient pousser le songe et la sauge, l'eau et le pain bénis. L’élixir de jeunesse. Comme des cavaliers que n'emporterait jamais la mort. Comme un oiseau au vol frémissant parmi les feuillages de l'azur. Comme deux étrangers se retrouvant – et s'embrassant jusqu'à la mort – jusqu'au désir fou de s'unir malgré la terreur et les prières des âmes trop frileuses – si soucieuses que l'éternité dure encore un peu...

 

 

Ce qui fleurit dans le sang – ce que le ciel encourage – et que les signes ne peuvent dévaster. Ce qui libère des murs, des croyances et des carnages. Ce que les ailes portent malgré le poids des âmes et des chagrins. Ce qui se réjouit dans les limites et l'effacement. Ce que les frontières et la nuit interdisent. Ce germe en nous que nos poignards lacèrent. Comme si le meilleur, en nous si enfoui, dormait encore – et se délectait de tant d'ignorance...

 

 

Quelques mots pour enfoncer plus encore le secret. Comme si le cercle était impénétrable, les mains non traîtresses et les ventres non gorgés d’exigences. Comme si la marche ennoblissait les pas. Comme si le silence n'était pas terré derrière nos peurs. Comme si la terre se vouait déjà à la sagesse. Comme si l'antériorité du regard n'était qu'une fable. Comme si l'homme pouvait espérer encore...

 

 

La lumière, le sel du jour. Transformée en spirale – en labyrinthe peut-être – par nos yeux si noirs – si obscurs...

 

 

Avant l'oubli, il y a (il n'y a que) le malheur, la tristesse et la mort. Et après, la fin des abominations, la joie, le silence et la lumière. L'exil et la solitude – cet écart – cet éloignement – qui nous rapprochent du monde et des hommes. Cette distance – cette unité et cette réconciliation – qui nous rendent plus sages et plus vivants pour aller sereins – et sans inquiétude – parmi la foule, les malheurs, la tristesse et la mort...

 

 

Errance, exil et vide. Entre la nuit et le jour passent toutes les heures – et se dirigent les pas de tous les voyages – vers une seule direction...

 

 

Mille interstices où se faufiler entre le doute et l'interrogation – les savoirs et le mystère – l'incertitude et l'inconnu. Entre le silence et l'Amour...

 

 

Des pages et des miroirs. Des morceaux de nous-mêmes livrés en pâture à l'indifférence des foules, au silence et à l'incompréhension...

 

 

Ce silence obstiné dans l'écriture – et dans notre vie – qui donne à notre parole – et à nos gestes – cette incomparable blancheur. Comme le signe récurrent d'une transparence souveraine qui offre à nos livres – et à notre existence – des allures de fantôme...

 

 

Le destin – et ses ombres noires – qui se jettent sur notre vie. Comme précipitée vers la mort. Et cette déchirure qui persiste jusqu'au seuil du silence – la lumière...

 

 

Qui donc témoignera de ce passage... Si ce ne sont les noms, ce sera le silence. Le faîte de toute existence qui fut aussi son origine...

 

 

Le sang comme mesure de l'homme. Et le silence comme celle de l'infini. Et entre il y a le monde qu'il nous faut déconquérir – et les stigmates de la souffrance qu'il nous faut apprivoiser...

 

 

Le sable, le vent et la mort. Injonctions et impératifs du monde – et destin de l'homme. Soumis au désert et à la soif...

Labyrinthe illusoire – quasi fictif – où nous sommes retranchés – et qu'il nous faudra apprendre à effacer pour vivre dans la joie et le silence malgré la persistance du sable, du vent et de la mort qui n'auront plus alors qu'un goût de rêve, encore parfois – il est vrai – mêlé de sueur et de sang...

 

 

Au commencement est l'étranger. Puis viennent la peur et l'effroi avant que le silence nous convertisse en hospitalité...

 

 

Un chemin, un bâton, un viatique. Et le silence et la solitude du parcours. Du début à la fin. A chaque étape et bien longtemps après que ne s'achève le voyage. Et peut-être – et sans doute même – pour toujours...

 

 

Un chemin, une pierre. Des portes – innombrables – fermées. Et mille impasses. Le désert. Le néant et le désespoir. L'errance récurrente – quasi permanente – parmi l'impossible et l'impensable. Et le mystère irrésolu. Comme une énigme insoluble que nous portons à chaque pas – et au cours de tous les voyages. Et cette fenêtre accompagnante – invisible – enfouie dans un recoin de l'âme – où nous attendent la lumière et le silence...

Et cette hantise du sortilège où nous plonge notre ignorance. Comme si notre destin était de croire – et d'avancer sans savoir...

Et cette tyrannique paresse qui, sans cesse, nous soumet à la mendicité. A user de nos mains comme d'une tenaille pour arracher au monde notre pitance – et à en disposer comme d’un sac pour amasser – et nous emplir de ce qui nous manque. Clochards pas même célestes. Des doigts qui auront tout sacrifié : la terre, notre destin et jusqu'aux promesses du ciel – de ce ciel si incompréhensible – si insaisissable...

Et cette semence qui pousse dans nos larmes – entre le front et la main – sur ce sable que nous avons pris pour de l'or – parmi le sang et la mort. Et par-delà les siècles et les âges, le secret de cet Amour inchangé – de ce silence sur la page et les visages – de cette lumière encore voilée par trop de rêves et de sommeil...

 

 

De nulle part nous arrivons – nous surgissons. Et vers ce même lieu – inexistant – nous nous dirigeons – et en lui nous sommes immanquablement destinés à revenir. Avec tant de pertes en chemin. Mille deuils – mille abandons – nécessaires pour accoster sur ses rivages – ses mille rivages – qui scelleront notre destin au silence...

 

 

Du bruit partout. Des âmes encore. Et le silence toujours...

 

17 décembre 2017

Carnet n°120 Joies et tristesses verticales

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Qui sommes-nous sinon cette danse, ces cris et le silence... Qui sommes-nous sinon ce sang, ces souffles et cette furie, si violente et passionnée, des bouches et des mains... Qui sommes-nous sinon le désir et la fin de tous les règnes – et ce visage simple et indemne, épargné par les instincts...

Des toits, des montagnes, un ciel. Des arbres, des villes, la terre. Des hommes, des bêtes, des âmes. Et ce sang – et cette glaise – parcourus par les vents. Et derrière les rires et les pleurs de tous les visages, notre visage...

 

 

Une main blanche sur la roche dure et froide. La nuit et le sang gelés, charriés par les torrents. Dévalant les pentes et dévoilant la nudité parmi les couronnes neigeuses et les haleines encore haletantes...

 

 

Le reflet des paysages dans le miroir. Et nos baies vitrées éventrées par le présage des oracles. Offrant aux mains lestes une promesse de lune – et aux mains innocentes la clarté de l'Absolu...

 

 

Une averse sur notre solitude. Une fraîcheur dans l'obscurité. Comme une nuit – notre nuit – suspendue à la lumière. Et une ligne de crête où brillent encore quelques étoiles. La longue descente – notre longue descente – vers l'océan...

 

 

Entre le mirage et le miracle, la peau fine des espoirs. Le sacre maudit des promesses. Et les plus viles injures – et les pires menaces proférées contre le destin...

 

 

La présence poussée hors de nos frontières. Offrant le champ libre à l'absence la plus inintelligible et aux plus serviles soumissions...

 

 

La beauté éphémère du jour. Et le recommencement inespéré, chaque matin, du soleil. La survie poétique malgré l'âpreté des combats, la permanence du sang dans les veines – et sur les peaux balafrées – et la timidité des âmes rompues au sommeil...

 

 

Le parallèle des histoires au creux des destins – affranchi de tous les hasards...

 

 

La parole (poétique) comme seule réponse possible. Qui se glisse ouvertement entre le silence et la désespérance, si interrogative, des âmes...

 

 

L'ombre du cri et l'écho des pas. Ce que nous pardonne le soir. Cette fuite insensée. L'exil et le refus de la plus grande familiarité. Ce que nous ne pouvons vivre encore...

 

 

Ce qui soulève les montagnes – et agite les corps sous les draps matinaux. Ce que nous cherchons dans tous les creux et parmi les eaux les plus vives de la terre. Cette douceur qui bat aux tempes. La calèche des heures oisives – infiniment sereines. L'infini des océans qui accompagne nos pas – chacun de nos pas. Et cet espace entre les destins où sommeillent encore nos âmes...

 

 

Quelque chose nous attend – qui nous a été donné avant notre naissance. Et qui subsiste par-delà les existences. Et que notre ignorance a chassé d'une main trop leste. Et que nos pas et notre âme à présent s'évertuent à retrouver...

 

 

Un jour, la chair deviendra le lieu de toutes les promesses. Le terrain de l'envol. L'espace où se précipiteront les âmes pour rejoindre l'aurore...

 

 

Aujourd'hui, nous errons encore entre les montagnes et l'océan parmi les routes, les visages et les cités. Parmi les âmes en prière qui patientent dans le bruit des bottes – le vacarme et l'amoncellement des pas, ignorant l'usage des meurtrières où se terre pourtant (et depuis toujours) notre silence. Cette immobilité tant recherchée...

Et nous vivons comme des monstres aux mains vides tournoyant dans la nuit et les siècles. Enveloppés de vapeurs, de désirs et d'espoirs. Cherchant dans la parole et sur les visages une présence qui nous échappe encore...

 

 

Seuls dans l'immensité. Et nous respirons encore... Et nos pas cherchent les traces des plus sages expériences – en se recueillant (parfois) en d'étonnantes révérences devant les assemblées réunies à l'aube. Et nos bouches émettent – laissent jaillir – quelques paroles. Epellent – et égrainent – le nom des rivières et des montagnes. Dénoncent les guerres et l'infamie humaines. Et crient leur soif, contentée, de temps à autre, par le chant des ruisseaux et l'ascension des collines. La solitude dans l'immensité...

La peur alors se rétracte. Le désir de sagesse se fait plus vif – élargit jusqu'aux plus sombres horizons. Et éclaire les plus étroits passages vers l'autre rive. Le courage et la colère disparaissent. Et, soudain, nous y sommes (déjà) – avec sur nos épaules, et dans notre maigre besace, le cri et l'innocence des bêtes – et Dieu et son, si sage, silence. Et nous veillons – et veillerons encore – affublés de trop d'impatience et d'espérance, la venue, sans doute, trop tardive des hommes...

 

 

Comme l'innocence des premières fois – mais revisitée, indéfiniment revisitée, par la sagesse et le silence. La maturité de l'âme – et l'Amour dans la main sereine et immobile...

 

 

Les chagrins en jachère. La tristesse enfouie sous la terre où poussent désormais les fleurs. Avec sur chaque pétale, la marque de Dieu et du silence...

Après tant de chemins et d'errances – et de contrées parcourues – où nous avons enfoncé nos malheurs et nos désirs – et fait fleurir l'espoir d'autres régions – et d'autres rivages – nous avons appris l'immobilité qui ne nous avait pourtant jamais quittés – mais que nous avions oubliée... Et les volontés – et les exigences – se sont retirées. Et à présent ne demeurent plus que cette terre vierge, le sourire et la fêlure de l'argile – et ce long fleuve (éternel) où nos pas seront comptés...

 

 

Une heure. Une lumière où s'éloignent les désirs – et où s'estompent les songes. Comme une aurore. Le sillage d'un navire, imperturbable, qu'accompagne le cri des oiseaux. Une ligne furtive sur la mer – recouverte par les eaux...

 

 

Ceux qui nous habitent ne pourront mourir. Un jour, pourtant, nous les abandonnerons au silence – à cette lumière impénétrable depuis les rives. Et nous deviendrons leurs visages. Ce qui en nous traversera les jours et les siècles...

 

 

Des pas et des paroles chargés de silence. Et, au loin, le sourire inattendu de la lune. Et les mains qui applaudissent tous les astres qui louent notre humilité et notre dévouement pour la lumière...

 

 

Ce que nous avons construit – et construirons encore – s'effacera. Ne subsistera que cette demeure inhabitée, insoucieuse des voix et des directives qui poussent les hommes à bâtir – comme une malhabile façon de combler la solitude et le silence – et d'essayer de guérir l'âme froissée par tant d'insignifiances et d'impuissance...

 

 

Ici ou là-bas, qu'importe... Tous les échos, à présent, s'amenuisent – meurent déjà – happés par cette solitude silencieuse – effacés par cette lumière hors des siècles sur la jetée que prolonge l'infini...

 

 

Un plateau, des songes et des victuailles. Cette terre sans recours. Et nos yeux, si fatigués déjà qu'épuiseront plus encore l'espoir et les chemins. Nous ne parviendrons, sans doute, au bout de la route. L'exténuation nous terrassera bien avant le début du voyage...

 

 

Nous avons oublié les calculs des hommes et du soleil. Cette litanie des temps anciens récusant les Dieux et encensant Copernic et Galilée – et toute la clique des figures trop fièrement mathématiques et philosophiques, nourries d'équations, d'algèbre et de géométrie – et de phrases trop lourdes, trop longues et trop alambiquées – infréquentables – infranchissables... Nous avons préféré affronter les cauchemars de l'incompréhension et la désespérance – traverser les solitudes de part en part – et nous réfugier dans le ventre des rivières et du vent qui ont effacé les blessures et les éclats laissés par la foule – ces hordes de visages privés de tous les soleils – et de cette lumière inaccessible aux calculs...

 

 

Quelques efforts, un peu de volonté, jamais ne nous aideront à nous hisser jusqu'au soleil. Sans doute sauront-ils nous faire toucher le visage, un peu rugueux, de la lune – converser avec quelques étoiles lointaines – et visiter quelques planètes encore inconnues. Mais jamais ils ne parviendront à nous emplir – et à nous apaiser – de cette lumière qui s'offre spontanément – et si naturellement – à l'innocence – et à tous ceux qui ont su abandonner leur âme au silence...

 

 

Le silence comme une rengaine sans parole où nous serons jetés un jour. Et qui recommencera à chaque heure – à chaque instant – jusqu'à l'improbable fin des temps...

 

 

Une chambre, une nuit. Enfermées depuis toujours dans l'espace clos des désirs – entre les frontières de la haine, ces vies si minuscules où se glissent les cris et les gémissements comme des appels au secours – et des grimaces dans l'obscurité – lancés à la lumière pour qu'elle nous sauve de notre sommeil...

 

 

Un matin aussi sombre et hasardeux que la nuit. Des ombres, des voix, des cris. Le sommeil qui persiste jusqu'à midi – jusqu'aux heures les plus chaudes du jour. Et qui nous consumera jusqu'au soir. Semaine après semaine. Année après année. Ainsi, sans doute, traverserons-nous la vie, les siècles et tous les âges. Dans cette somnolence sournoise et diabolique. Comme de fragiles – et provisoires – survivants du temps...

 

 

Cet autre pas ravi du silence, des échos et des bruits qui s'avance sans un mot parmi les visages...

 

 

Un seul jour peut-être à travers les siècles où le silence saura nous apprivoiser...

 

 

Ce deuil de nous-mêmes que nous portons, sans même le savoir, à travers nos rires et nos angoisses – le tapage de nos vies confinées – la fierté et le luxe, si ostentatoires, de nos postures et de nos accoutrements. Et cette honte, si tenace, qui respire derrière nos éclats... alors qu'un peu de silence nous ouvrirait, sans doute, aux joies simples et discrètes de l'innocence – à une existence humble et authentique – à ce que nous sommes profondément – et qui nous manque si cruellement aujourd'hui...

 

 

Quelques paroles dessinées sur le sable, prêtes et ouvertes aux joies de l'effacement. Comme un murmure offert au silence qui sait déjà...

 

 

Le sang. Et le cœur encore avide de tortures, sous la tutelle de toutes les dominations – menaces, exactions, saccages, massacres, tueries – ne cessera son œuvre odieuse et terrifiante qu'avec l'extinction du délire et des fantasmes – la fin de l'usurpation – le retour à de plus saines et naturelles ambitions...

Et ces cris comme un aveu d'impuissance. La continuité de cette longue nuit d'épouvante. La face la plus sombre – et la plus rouge – du monde et des hommes, offerte à la terre déjà gorgée de mort et de dépouilles...

 

 

L'homme comme un animal réfractaire à l'éducation – aux mille éducations – nécessaire(s) à l'avènement d'une véritable civilisation – portée par l'Amour et la beauté – le silence et la lumière...

 

 

Qui sommes-nous sinon cette danse, ces cris et le silence... Qui sommes-nous sinon ce sang, ces souffles et cette furie, si violente et passionnée, des bouches et des mains... Qui sommes-nous sinon le désir et la fin de tous les règnes – et ce visage simple et indemne, épargné par les instincts...

 

 

Des toits, des montagnes, un ciel. Des arbres, des villes, la terre. Des hommes, des bêtes, des âmes. Et ce sang – et cette glaise – parcourus par les vents. Et derrière les rires et les pleurs de tous les visages, notre visage...

 

 

Une terre et un ciel sans broussaille ni nuage. Un océan sans rivage. Une plage déserte. Un monde, un feu, des cris. Une tristesse. Et derrière les larmes, cet énorme fou rire comme si seule la dévastation pouvait être consumée...

 

 

Et sous les abysses, cette étoile à naître que nos mains enfanteront à la fin de tous les désastres...

 

 

Un jour, un voyage. La fin annoncée des désirs – de tous les désirs. Un soupir et une colère suivis d'une interminable tristesse – réduite bientôt en cendres par la beauté émergeante, enfouie depuis toujours au fond de l'âme et des paysages. La lente avancée du silence – et le sacre prochain de l'innocence...

 

 

Un phare peut-être au milieu de la mer. Au milieu de nulle part. Une vigie inconnue au dedans de tout ; choses, bêtes et hommes. Tous les visages de la terre...

 

 

Une main levée qui frappe – qui se protège et implore. Une main avide et sournoise qui saisit et s'empare – qui vole, prête et caresse – et qui offre parfois, sans même le savoir – sans même le vouloir – ce qu'elle cherche à travers la multitude de ses gestes...

 

 

Le silence. L'autre versant du bruit et de la parole. L'autre versant du monde que nous ne savons voir encore...

 

 

Jamais nous ne viendrons à bout des vents. Jamais. Mais nous pourrions leur abandonner nos voilures. Nous y gagnerions, incontestablement, en simplicité et en innocence. Et nos chemins deviendraient enfin naturels, livrés non au hasard et aux instincts mais au destin et aux visages – aux virages et aux paysages (véritables) du voyage...

 

 

Des bruits et des blessures. L'humanité criante et implorante – immensément fragile, pugnace et déterminée – tantôt vive et ivre de désirs et de liberté tantôt agenouillée, famélique et pitoyable, défaite par ses propres instincts...

 

 

Cette lumière et ce silence qui frôlent les âmes – et la chair – sans jamais les atteindre. Comme si elles ne pouvaient être touchées – et meurtries – que par les coups et les cris. Les brimades et les caprices incessants du monde et des hommes...

 

 

Tout est là déjà qui s'enfuit. Les élans, les éléments et leurs conjurations. Le destin, les circonstances et ce qu'elles consacrent. La beauté et la mort. La grâce et les sortilèges. Les joies et les malheurs. La lumière et le silence. Les fondements – et la nature même – de notre identité. Tout ce qui accompagne nos dérisoires foulées sur les chemins...

 

 

Ce qui vient, s'éteint et va mourir. Et qui meurt déjà et s'efface malgré notre inquiétude et nos larmes. Cet essentiel si dérisoire devant la vie – devant la mort – si magistrales à leurs heures. Et si tragiques malgré nos rires. Ces torrents – ces avalanches – et ce mince filet d'eau tranquille qui s'écoule sans bruit – si anonyme – si impersonnel – parmi les visages que l'on devrait sans doute en sourire de notre vivant – et à notre mort – et peut-être bien plus longtemps après encore...

 

 

La longue déroute. La longue défaite de nos vies et de nos âmes. Les existences et les circonstances furtives qui nous laissent un goût amer mais qui nous frappent insuffisamment pour fracasser nos repères, nos croyances et nos certitudes – et nous ouvrir à une forme d'hébétude permanente, si nécessaire au sourire et à l'acquiescement joyeux que réclame notre si brève traversée des jours...

 

 

J'aime ces âmes rétives et tristes qui s'interrogent – et refusent les mensonges, les faux-semblants, les facilités et les jeux, si sanglants, du monde. Ces âmes terrées avec tant de hargne dans leur solitude qui regardent les hommes avec honnêteté sans jamais désespérer de voir, un jour, l'ignorance et la bêtise remplacées par l'innocence et la lumière...

 

 

Et ce rire parmi nos certitudes qui dévaste nos croyances et nos (si) risibles allégeances. Cette soumission au pire pour éviter l'effroyable que rien jamais ne pourra contenir sinon la lumière...

 

 

Aux premiers jours – aux premiers pas – apparaît déjà ce qui doit être enfanté et bâti... Et qui est né bien avant la première aurore...

 

 

En fin de compte, nous n'hériterons que du silence. Et de ce regard sans inquiétude sur la vie et le monde. Tout autre legs est – et sera toujours – partiel et apocryphe – qu'une aide à vivre plus doucereusement – qu'une manière plus aliénante encore de lier nos vies et nos mains aux compromissions – qu'un ajournement de la seule liberté possible – comme un détour inutile vers notre réelle figure...

 

 

Entre l'inspir et l'expir, le souffle et la parole, la parole et le silence – entre l'aube et la nuit – le jour et le crépuscule – cette lumière qui ne peut mourir. Des milliards de fois recommencée dans cet étroit passage hors du temps...

 

 

Tout n'est qu'abstraction et furtives traversées dans le silence. Brèves apparitions. Incertitudes et échos illusoires peut-être qui passent, le temps d'un souffle, dans le regard...

 

 

Après la fête, il ne restera sans doute que quelques tréteaux rongés par le temps et la pluie, oublieux des nappes et des victuailles – et de toutes les espérances qu'ils portaient... Et nous irons dès lors dénués de souvenirs et de désirs parmi les herbes folles des jardins abandonnés – laissés en friche – sur des sentiers invisibles qui se dessineront à notre passage et s'effaceront aussitôt – à l'instant même où notre pas foulera les herbes suivantes. Avec partout, autour de nous, la danse sereine des insectes, des bordées de chants presque inaudibles, des parterres de fleurs fragiles et éphémères, le silence des arbres et le ciel aussi vaste que notre oubli et notre lumière...

 

 

Tout s'efface – et est perdu déjà – avant même que nos mains ne s'en saisissent. Et pourtant rien jamais ne disparaît. Tout recommence toujours l'instant suivant pour que demeurent les chemins, les pas et le silence...

 

 

Le vertige de toute présence. Comme le reflet de la lumière – et le plus juste écho du silence. Comme un silence – des silences – dans le silence. Comme une lumière – des lumières – dans la lumière. Comme une présence – des présences – dans la présence. Comme une boucle immense portée – et nourrie – par tous les visages qui, à chaque instant, renaît et recommence...

 

 

[Modeste hommage à Alain Suied]

Nous sommes ce que jamais nous ne pourrons connaître... Le lieu de tous les passages. Ce visage au dedans de tous les visages. Ce rivage au cœur de tous les rivages. L'infini du ciel. Cette lumière qui éclaire le jour et la nuit – au fond de toutes les âmes et de tous les paysages. Cette trame tissée peut-être de rêves, de vérité et d'illusions...

Et une fois trouvée sans doute serons-nous enfin capables d'aller sereins parmi les songes et les foules, abrités des plus fabuleux déserts...

Comme un silence au milieu des rires. Et un rire au milieu du silence...

 

 

Comme un moine attaché à sa cellule et à son labeur, je traverse les jours, les joies et la solitude de l'âme...

 

 

L'âme vouée au triste – à cette sensibilité si vive. Comme une fumée blanche et fragile sur la chair que ni le monde ni la terre ne peuvent libérer. Et qui n'a qu'une espérance ; le ciel et son accueil. Comme une lumière dans ses tremblements qui la détacherait de ses ombres...

 

 

User l'os jusqu'à la rupture – jusqu'au parallaxe – pour découvrir la chair enfin nue, libérée de son support. Comme une âme défaite de son ciel – et de toute espérance. Un regard grandiose d'infinie simplicité. Ce vers quoi mènent tous nos élans. Et tous ces jours passés à s'extraire de sa gangue noire. Cette propre perte qui nous appelle au dedans de nous-mêmes. Cette apocalypse si proche...

 

 

La rencontre d'un poète – d'une sensibilité (proche de la sienne) est une joie – et une fête pour l'âme. Le pari qu'une autre vie – plus belle – et qu'un autre monde – plus vivable – sont (encore) possibles...

 

 

Cette chose en nous qui se débat entre le vide et le néant. Entre la joie et l'accablement – et qui jamais ne retombera sur ses pieds comme si le ciel – et les Dieux sans doute – avaient retiré tout appui et les tapis – tous les tapis – où elle aurait pu se tenir debout. Comme s'ils avaient pour elle d'autres projets – plus ambitieux ; l'incertitude et l'inconnu. Le sacre de l’incertain et du silence...

 

 

Le jaillissement de l'insoupçonné entre – et au dedans même de – nos certitudes. Comme le plus exact parmi toutes nos vaines croyances. Ce que rien ni personne – pas la moindre circonstance – ni même la mort – ne pourra nous arracher : cette vérité insaisissable de chaque instant...

 

 

Et ce rêve de vie – et ce rêve de mort – qui nous les insuffle ? Et devrait-on les refuser ? Le vide comme remède – et absolution – à toutes les promesses – à toutes les pensées.

 

 

Cette boue, ces cordes et ces peaux décharnées, agonisantes dans les eaux sombres. Et cette poussière qui n'en finira jamais de renaître... et de mourir encore. Et l'autre versant du monde – et de la vie – que nous ignorons toujours. Combien de siècles nous faudra-t-il traverser pour arracher à notre âme ce destin – et ces oripeaux ? Combien de vies – et de lits de mort – devra-t-on souiller avant de pouvoir parcourir l'espace sans y jeter nos rêves, nos ombres et nos terreurs ?

 

 

Et nous errons encore au milieu du désert – au milieu de nulle part – de tous ces lieux qui ressemblent à des cités – où les hommes ne sont que des ombres sur leur orbite – qui tournoient de façon si hasardeuse. Des cellules vides où ne règnent que la brûlure du manque et la solitude – toutes les absences. Où l'accueil se cantonne à recevoir – et à prendre si souvent – ce qui nous est nécessaire alors qu'il faudrait plonger au cœur de l’âme pour faire naître le seul Amour possible – la seule humanité nécessaire – pour créer un monde différent du monde – des lieux et des cités gorgés de présence afin de nous guérir, peut-être, de toutes les absences...

 

 

Seul. Et le néant encore malgré la lumière et le silence. Comme la marque la plus tangible – indélébile peut-être – de notre existence. Rien ni au dedans ni au dehors. Que des ombres et des mondes. Et rien que des peurs malgré la présence, partout, de l'invisible...

 

 

Que deviendrons-nous, nous autres qui n'avons jamais été... Demeurés sans doute – enfermés plus sûrement encore – et aveugles à toute évidence. Mais libres de devenir... Et nous finirons (probablement) comme un fruit pourrissant dans le silence. Détaché de l'arbre – et retrouvant sa source pour d'autres périples et d'autres voyages. Une intelligence à naître peut-être parmi la bêtise, les agonies et le secret des Dieux...

Et nous guetterons ainsi, à chaque nouveau printemps, les nouvelles pousses sous les arbres fruitiers parmi l'herbe et les chaises vides abandonnées là par le monde et les hommes...

 

 

Peut-être ne sommes-nous, après tout, que ces pages, cette main et ce labeur qui couchent les mots sans voir – ni comprendre – d'où ils viennent ni où ils vont... Comme un aveugle voué à sa tâche – et la preuve peut-être qu'une vie suffit à la vie – et qu'un homme se suffit à lui-même – et que le monde n'a besoin de personne – et qu'il nous faut aimer notre solitude et notre impuissance pour que notre labeur, notre main et nos pages demeurent dans la joie, le silence et le dénuement...

 

 

Le temps comme un tatouage peut-être qu'effaceront les siècles. Et qui meurt déjà au fond de chaque instant...

 

 

Les visages qui tournent en rond autour du même cercle : leur figure sans nom où viendront, un jour, se poser les âmes...

 

 

Quelques pas sur le tapis rouge qui serpente entre les arbres. Invité là par la forêt et quelques nymphes des collines peut-être. Convié à la cérémonie grandiose du silence à laquelle seule peut se rendre la solitude – notre solitude...

 

 

L'autre côté du monde où tout est oublié. Comme le reflet, le plus fidèle, de la nudité originelle – où les âmes passent à travers les siècles pour éclairer l'autre versant – le côté sombre où nous habitons...

Et au milieu des reflets, ces routes épaisses où s'agglomèrent (encore) le sang et la sueur – le fruit de nos rêves et de nos angoisses. Et ce soleil sur les pierres sèches et les âmes décharnées qui cherche à pénétrer ce qu'elles abritent derrière leur fierté maladive et leurs faiblesses – ce qu'elles ont, sans doute, de plus fragile et de plus précieux...

Et notre visage prisonnier de tous les miroirs – et des mille reflets trompeurs que lui renvoient le monde et ses figures légendaires... Comme des paysages infranchissables – une pente insensée – qui nous feraient glisser du côté de la nuit et des ombres. Comme voués à une éternelle bascule qui nous ferait tomber sur les pierres dures et froides derrière les murs et la vigie encore indistincte. Avec ce goût de sang et d'impuissance dans la bouche et au fond de nos âmes meurtries...

 

 

Les joies verticales au carrefour de toutes les horizontalités. La lumière qui court parmi les âmes et les visages. Et le silence où tout est ressenti ; formes, mouvements, mort, naissance, élans, essais, échancrures, nudité de l'ascendance, gravité de la chute. Infini et évanescence. Temps et éternité. Rêves, images et agissements parmi la roche et les feuillages. Vents et dialogues. Plaintes, murmures et gémissements. Et la voix même du silence derrière notre silence...

Comme le jeu, les jouets et le joueur réunis en une seule main dans la solitude de la chambre...

 

 

A hauteur de lumière – à hauteur de poussière – tout est vu. L'ombre et le soleil. Les corps, les âmes et leurs élans. Ce qui cherche le silence – et ne peut lui échapper...

 

 

Léger. Trop penché. Assis. Debout. Perché. Partout l'équilibre pourvu que nous résistions à la tentation du socle – à cet appui qui nous enlise – et nous fait chuter – quel que soit le mouvement...

 

 

Le dialogue ininterrompu entre l'âme et le silence malgré le vacarme et les cris – les assoupissements et les renoncements durables (bien que provisoires) à la lumière. Comme si le ciel savait déjà ce qu'ignore la terre – et lui en offrait le privilège malgré ses résistances, ses refus et son ignorance...

 

 

Aujourd'hui nous pouvons sourire de nos déboires – de cette défaite perpétuelle qui a parcouru (et qui parcourt encore) nos jours – du premier au dernier – de toutes ces pentes où nous avons glissé – avec notre âme derrière nous qui résistait (de toutes ses forces) à tant de facilité pour nous tirer vers la montée... De toutes ces sentes – et de toutes ces impasses – où nous ont poussés notre embarras et notre curiosité. De nos efforts pour échapper aux précipices et conduire nos foulées loin de l'abîme. De cette vie – ces petits riens – qui, au bout du compte, ne nous auront rien appris. Ni à vivre ni à aimer. De cette longue glissade vers le néant qui nous a éloignés de l'autre versant du monde et de la vie : le vide – et leur sommet commun, la lumière et le silence – accessibles de l'en-bas – par tous les en-bas – comme une verticale insensée où la chute et l'ascension se rejoignent...

Aujourd'hui nous pouvons aimer notre dénuement – cette dépossession de tout qui abrite – et offre – les plus grandes richesses, insaisissables par notre main – et plus encore, sans doute, par notre cœur... Cet hiver au creux – et au cœur – de toutes les saisons. Ce soleil, si fragile, à toute heure du jour et de la nuit. Ce silence obstiné que ne peuvent entamer ni les bruits ni le monde. Cette lumière indomptable qui éclaire les plus épais brouillards. Cette marche incessante parmi les foules et les visages – les cités et les déserts. Toutes ces merveilles qui se transforment sans jamais mourir...

 

 

Le sombre et lumineux poète des jours et du silence. Et des apparents paradoxes...

 

 

Délits et délires. Comme des embarcations de lumière pour les âmes en transit...

 

 

Une invitation à l'immobilité parmi les routes et les visages. Et une main ouverte et précise – sans volonté propre – respectueuse et soumise aux circonstances. Comme le signe – la preuve – irréfutable d'une compréhension – et le défi continuel de chaque instant...

 

 

Nous sommes toujours un peu moins que nos prétentions. Et tellement plus lorsque nous les abandonnons. Nous sommes alors – devenons enfin peut-être – le ciel et le soleil. La pluie et les visages. Les rires et les pleurs. Et toutes ces mains tendues – toutes ces mains levées qui s'accordent – et s'écartent – à notre passage. Les chemins et les fleurs. Les pierres et la tristesse. Et cette grande joie – un peu mélancolique – de l'âme. Ce qui est là devant nous, le regard et ce qui passe. Ce qui s'éloigne et est déjà loin. Ce qui n'arrive encore – et ne naîtra peut-être jamais. Tous les possibles. Les circonstances d'ici et d'ailleurs. Tout ce qui nous terrassera – et nous effraye tant déjà. Tous les désirs, tous les rêves et tous les destins. Ce qui ne nous fera jamais mourir. Ce visage indemne et tous ses tressaillements nés de notre rencontre avec le monde...

 

 

Autrefois, il y avait des idées et des édifices. Une longue liste d'espoirs et d'activités – de projets et de choses à faire... A présent il ne reste pas même quelques ruines – ni élan ni velléité. Qu'un vent et une poussière libres de leurs parcours – et de leurs détours. Et un sourire ineffaçable sur nos lèvres. Cette figure qu'aucune chair – qu'aucun visage – qu'aucune circonstance – ne pourrait corrompre ni ternir...

 

 

Quelques fantômes encore pour exalter la fièvre, la peur et l'anonymat, si singulier, des ombres. Hommes réfugiés hors des surfaces – hors de toute épaisseur – que l'on voit prier – mendier – réclamer le peu nécessaire pour vivre. Une main tendue vers le rêve et l'enfant qui cherche une caresse et une chevelure à aimer – un peu de courage, de réconfort et de légèreté pour affronter les jours et les malheurs...

 

 

Une soif si ancienne – ancestrale – tournée à présent vers la pluie. Comme le signe non d'une résignation mais d'une possible compréhension. Le gage que les malheurs – tous les malheurs – sont une source – une rivière – un fleuve – auxquels s'abreuver. Et la preuve que toute fontaine est le lieu où coule une eau apaisante capable de désaltérer l'âme et la chair assoiffées...

 

 

Aux âmes désarmées, tout sera offert. La mer, la fleur et la rosée. L'herbe et le plongeon. Le rire et l'abandon. Le printemps au cœur de l'hiver. Le soleil et la pluie. Le sourire venu d'ailleurs. Le sel sur les anciennes fadeurs. La grâce. Le sang dans les veines. Le bonheur et la félicité du poème. L'aveu et les rendez-vous. La fin de tous les sommeils...

 

 

A la verticale du monde, cet autre sommet – inconnu – incompris – délaissé – qui s'offre aux innocents – aux âmes que les couteaux n'effrayent plus – et aux hommes et aux bêtes sortis de leur torpeur...

 

 

Cette saison derrière toutes les saisons. Ce visage derrière tous les visages. Cette lumière au fond de toutes les nuits. Et ce silence reclus dans toutes les paroles. Offerts à tous sans exception...

 

 

Nous sommes plus grands que nos ombres. Plus clairs que ce que nous cachons. Plus vifs que la lumière. Plus intrépides que nos lâchetés et nos pas prudents dans le noir. Mais pour y prétendre, nous devons nous démunir – et fréquenter l'en-bas – et le plus humble – puis nous redresser – et aller dans cette verticalité offerte par l'abandon – et tremper nos pas – chacun de nos pas – dans l'innocence. Alors tout nous sera donné – et révélé. Ce visage sans borne que nous dissimulons derrière nos désirs et nos ambitions...

 

 

Sous le sable, ce savoir qui ne nous appartient pas. Cette puissance sans détenteur. Cette lumière et ce silence dont nous serons à jamais les locataires. Ce qu'il restera lorsque le sable aura glissé – et se sera écoulé – entre nos doigts si malhabiles...

 

 

La pluie et le soleil encore. Au fil des saisons qui passent. Et ces vents frondeurs entre nos âmes, qui s'abattent sur nos mains et nos fronts rageurs. Et la poussière fidèle. Et le monde. Toute notre vie. La vigueur des fouets et des désirs. Les peurs recroquevillées sous la chair. Le devenir et l'ambition de croître plus encore. Ces larmes sur les visages. Et ces nuages dans le ciel gris – défait. Comme un masque dont il faudrait nous affranchir...

 

 

Ce qui jamais ne nous appartiendra mais qui est nôtre depuis toujours. Le dedans et les alentours. Cet infini sans frontière. Ce lieu sans ombre ni limite. Ce silence – cet Amour – cette lumière. Le soleil et ses tremblements. Tous les plis et les interstices de l'espace. Notre seule mesure – celle que nous pouvons vivre sans rien perdre ni gagner entre la pluie, le vent et le soleil. Ce qui demeure derrière les amassements et les abandons. Ce qui se conserve, intact, sans s'engranger parmi les ombres et la brume. Ce ciel sans âge où les anges et les démons cohabitent et se querellent sans jamais blesser – ni meurtrir – la chair et les âmes malgré le sang et les larmes versés...

 

16 décembre 2017

Carnet n°119 Entre les étoiles et la lumière, ce grand soleil inespéré

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Les bourgeons et le printemps. Ce dont nous ne pouvons nous défaire. Cette attente sans fin des promesses...

L'ailleurs, accouché des désirs, que l'on voit naître ici, au plus proche de notre attente...

La nuit et le jour introuvables parmi les figures du temps. Le chant des fous. Les rumeurs du monde. Ce que nous avons oublié depuis trop longtemps...

Les messages et les secrets. Ce que chaque rencontre porte malgré elle. Le cri des Dieux et le silence. Le plus fraternel du jour...

Le plus puéril de l'homme et le plus mature de l'enfant. Ce qui nous précède – et arrive sans bruit derrière nous...

 

 

Comme un puits de lumière où nous serons jetés un jour quoi que nous fassions – et quoi qu'il arrive...

 

 

Le plus sensible de l'âme...

 

 

La mer et les rivages. La chambre de l'âme. Cet Amour privé de mains et d'étoiles qui attend en silence dans la poussière. Notre soif et notre haleine. Ce qui nous effraye et dont nous n'avons (pourtant) rien à craindre...

 

 

Ce qui frappe à la porte – et se cache derrière les rideaux. Cette fissure, si fraternelle, de l'âme. Les jeux et les plaisirs d'un Dieu sans malice...

 

 

Les bourgeons et le printemps. Ce dont nous ne pouvons nous défaire. Cette attente sans fin des promesses...

 

 

L'ailleurs, accouché des désirs, que l'on voit naître ici, au plus proche de notre attente...

 

 

La nuit et le jour introuvables parmi les figures du temps. Le chant des fous. Les rumeurs du monde. Ce que nous avons oublié depuis trop longtemps...

 

 

Les messages et les secrets. Ce que chaque rencontre porte malgré elle. Le cri des Dieux et le silence. Le plus fraternel du jour...

 

 

Le plus puéril de l'homme et le plus mature de l'enfant. Ce qui nous précède – et arrive sans bruit derrière nous...

 

 

Les couleurs et la blancheur fidèle des retrouvailles. L'angoisse et le mystère. Les erreurs et le remords. L'inexprimé de tout. Cette part (de soi) que l'on ne peut perdre – ni même retrouver peut-être...

 

 

L'honnêteté et la tristesse du cœur abandonné à ses élans. Ce que le silence ne peut encore, si souvent, ni réparer ni fournir. Cette lumière enfouie dans tous les replis...

 

 

L'infortune – et ce que nous cachons au grenier. Comme un fruit – à la saveur intacte – abandonné là depuis des siècles. Dans cette entaille où la foudre ne frappe que trop rarement...

 

 

Ce lieu où rampe – et s'agrippe – la vie. L'immobilité – et le socle de tous les mouvements. L'origine et la fin du langage. Les danses. Et le silence qui nous attend...

 

 

Ce que contemple l'oiseau sur sa branche. Ce qui brille, si terne, dans la poche des hommes. L'exil de Dieu. La promesse de tous les royaumes...

 

 

Ce qui s'écoule de la chair rompue par la force et les armes. Ce qui suinte de la douleur. Le vacarme du monde. La peine des âmes. Et les larmes qui tombent partout sur le sol et l'adversité. Cette incompréhension de nous-mêmes...

 

 

Ce que la parole ne peut délier. Ce qui s'inscrit dans le plus vif silence...

Ni au dedans ni au dehors. Ce qui en nous veille, immobile...

 

 

Ce que le monde dérobe – et ce dont la vie nous prive. L'insaisissable à notre portée...

 

 

Le front bas et l'âme brûlante. Ce qui jouxte l'enfer. Le nom, le sang et les poitrines décimées effacés par les mains de l'orgueil. L'interminable continuité des jours...

 

 

Le plus tendre dont on ne peut s'emparer – et qui ne peut s'offrir. Ce qui se creuse – et se découvre – à mains nues. Ce que côtoie, à chaque instant, l'innocence de l'âme...

 

 

Le plus familier de l'homme – et ce qui lui est le plus étranger. Ce dont le monde, parfois, ne peut même se douter. L'inimaginable...

 

 

Le plus vaste de l'aube – et le plus invisible aussi. Ce qui s'étend jusqu'au crépuscule et traverse toutes les nuits...

 

 

Ce que la nuit ne peut cacher au jour. Et ce que le jour a toujours su – et ce qu'il incarne et a pris soin de dissimuler un peu avant notre naissance. Le chemin, la patience et la folie nécessaires pour le retrouver. Chaque foulée. Une vie entière. Et des siècles parfois. Un seul instant pour découvrir cette lumière...

 

 

Ni langue ni combat. Pas même une promesse. Le plus désarmé de l'espoir. Le plus bel exil. La fin des dictatures. Ce que nous vivions, enfants, avant la malédiction de la terre. Le moins déplorable, peut-être, du destin...

 

 

Cette partie oubliée de l'exil où se dessine l'aube la plus inattendue. N'importe quel matin...

 

 

L'équilibre du présent. Ce qu'enterre la mémoire – et ne peuvent faire advenir ni le futur ni les heures prochaines. La fin de toutes les prophéties. Et le jour encore qui se lèvera demain...

 

 

Les couleurs du monde, du ciel et de la neige. L'esquisse de tous les visages abandonné au sable et aux marées. Le temps à rebours. Le passé décomposé. Ce qui germe – et se libère – dans le poème. Toute vocation à naître...

 

 

Le rêve, les fruits et les fleurs. La suspension du printemps. Les mille saisons réunies en une seule danse. La promesse vivante de tous les Dieux. Ce que nul ne peut manquer. L'épuisement – et l'abandon de tous les chemins...

 

 

L'or et le soleil de la parole. Ce qui fonde et balaye les empires. L'insistance des vents. Ce à quoi nous sommes tous condamnés. La danse éphémère des papillons...

 

 

Ni havre ni détour. La continuité des existences – et de toutes les errances peut-être...

 

 

La promesse des jours. Ce qui reste après avoir brûlé nos secrets. Cette matière noire, et périlleuse parfois, aux justes proportions du ciel. Nos racines les plus inattendues. Cette trame tissée d'Amour et de désirs. Le moins maléfique du silence...

 

 

Nous sommes peut-être des visages au milieu de nulle part. Le monde couché au dedans des rivières. Le plus authentique du vent et des déserts. L'homme debout juché sur l'âme de tous les Dieux...

Et nos vies comme du bois mort – des écorces flottantes errant dans le silence...

Nous oublierons nos anciennes naissances – et le reste de notre vie. Comme une maison sans mur – un bâton tournoyant dans le vent. Comme une chaise vide posée sur les dunes désertes – dans l'immensité. Comme un mirage pour tous les séants et tous les visages. Le plus inespéré, sans doute, de la soif...

 

 

Un lieu comme nul autre. Un lieu comme mille autres. Et l'ardeur de la faim qui inquiète les bouches – et noue les estomacs. Le souffle de l'aurore sur la misère et l'infamie des siècles – sur la misère et l'infamie de tous les siècles. Et le lieu-dit de la sagesse, peut-être...

 

 

Ce qui est fidèle – et ne peut se dompter. Le plus clair des visages enfouis encore dans la nuit. Ce qui brille dans le noir comme de l'or...

 

 

Ce qui se chante mais ne s'atteint pas. L'espérance de toutes les morts. Ce qui nous délivre de tous les tombeaux...

 

 

Une forêt, une musique. La symphonie des siècles et des âges. Et le silence des jours qui passent...

 

 

Ce qui danse dans l'abîme après notre mort. L'oraison et les prières du silence...

 

 

Un jour, nous oublierons qu'il y a des matins et des cris insoutenables dans le monde. Nous jetterons au feu notre espérance, vivrons de peu – et peut-être même de rien – pour aller ensemble vers le plus pur des chants – et délivrer les foules et les oiseaux de leur cage. Nous libérerons alors la parole et l'innocence – et les poserons sur toutes les épaules et toutes les âmes – pour que tous les matins deviennent un seul jour – et les cris, un seul (et même) silence...

 

 

Un jour, le vieil océan ne sera plus. Et défaites nos angoisses. Envolées – et balayées par les vents. Et fondront sur nous toutes les mains de l'aube. Comme des caresses sur l'âme. Et la résuscitation des presque-vivants... Et la vie, l'Amour et la mort ne formeront plus qu'un seul corps – qu'une seule bouche. Et l'impossible sur les lèvres resurgira comme la seule évidence...

 

 

Ce qu'ignorent les vivants et ne peuvent encore deviner les morts. La transparence du mystère – et sa résolution. L'extinction des questions et le couronnement de toutes les errances. Le plus lumineux du langage et du silence...

 

 

Ni haine ni révolte. Le plus joyeux de la soumission. Le plus humble de la joie. Le plus ancillaire des dévouements. Ce qui offre aux vivants la perspective de l'inanimé. Le plus juste destin des créatures. Notre seul visage...

 

 

Un jour, la nuit nous réunira pour éparpiller nos rêves – et ressusciter cette liberté que nous avons troquée contre la servitude...

 

 

Ni fouet ni pierre précieuse. La flèche – et la main – de l'archer guidées jusqu'au silence. Et qui se dressent soudain pour fendre la nuit – et toucher avec la plus belle assurance – et la plus grande certitude – le visage de l'Amour. La figure hébétée de tous les Dieux...

 

 

Ni union ni séparation. Les plus étranges entrelacements. La bouche dénudée du désir et de l'orgueil. L'empreinte de l'invisible sur la chair. Le mariage inattendu de la conscience et du monde. Tous les fruits – et tous les baisers raisonnables et sauvages – de cet Amour si ancien...

 

 

N'importe quoi, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment – avec n'importe qui... Ce qui naît, vit et meurt dans la douleur. Et les plus grandes joies. Tout ce qui ne nous appartient pas...

 

 

Ce qui reste après l'amour. Le visage de la tristesse. L'âme séparée de sa tutelle. La raison et le hasard. Les soupirs et la damnation. L'ange qui boîte – et traîne le pas. Les incendies et les révolutions. Ce qui nous écrase – et veille sous le poids des baisers. Le croisement de tous les chemins. Les mille carrefours de l'invisible et du vivant. Cette frontière que ne peuvent franchir ni les âmes ni les étoiles...

 

 

Les fardeaux, les nuages et les coupoles de tous les mondes. Le plus tendre qui habite sous notre toit. Ce qui se laisse effleurer par la pluie et les vents. L'homme aux abois. Tous les messages de la terre. Et la promesse de tous les Dieux. Ce que ne pourra nous dérober la mort...

 

 

Ni règne ni partage. Ce qui nous porte à l'affliction. Les couronnes d'épines. L'espace que parcourent les pieds sur la colline. La croix et les châtiments. Ce qu'honorent toutes les églises. Tous les prêches. Et les aubes trop précoces...

 

 

Ce qui ne peut déterrer l'ombre – et qui la libère pourtant. Les murmures et les présages. Le plus innocent au dedans de l'homme que piétinent – et ravivent à la fois – nos ambitions. Le plus doux qui s'avance vers nous – et que nous giflons de la plus cinglante façon. L'inusure devant laquelle capituleront le temps, les conquêtes et les humiliations...

 

 

Le plus rare et le plus commun. Ce que le temps dévoile sous les rides – et derrière les paupières. Cette lumière qui traverse les heures, les siècles et les fois les plus chancelantes...

 

 

Nous ravalerons notre destin à l'heure venue. A l'instant du trépas. Au jour de la fin des siècles – de la fin du temps – pour aligner le hasard et la lumière sur la même ligne d'horizon. Et nous verrons alors venir – et se célébrer – l'agonie des soldats et le règne flétrissant des guerres. Le renoncement de tous les combattants. La fin des privilèges et des candidats. L'émergence de tous les postulants à l'innocence...

 

 

Entre le silence et la main, nous glisserons un glaçon sur notre langue – comme un suspens momentané de la parole – pour que résonne au fond des gorges cette douce mélodie du temps privé d'avant et d'après... Comme un oiseau sans cage sur les branches du printemps. Une pierre jetée au fond d'un étang. Ce que désirent les sanglots – tous les sanglots. Ce nom oublié dont se souviennent pourtant nos rêves les plus intrépides...

 

 

Un nom dans la nuit qui retentit comme un éclat. Un morceau d'étoffe sur la rage des paupières – sur cette fougue animale aux allures de promesse. Comme un instinct voué à toutes les peurs – et au sacre flamboyant du jour...

 

 

Nous aimerions embrasser tous les visages pétris dans la honte et les malheurs. Et voir les lèvres s'extasier de l'Amour dans la nuit sombre. Et apercevoir là-bas, au loin, se balancer – et mourir – entre les lueurs allumées dans la pénombre ce désir infini de sommeil...

 

 

On ne se souvient de cette vieille nuit – et reclus dans ses replis, le jour venu. Comme si la lumière effaçait nos chemins – rêvés peut-être... Ce glissement de la torpeur vers le silence – cette vivacité, si sensible, qui en nous depuis si longtemps sommeillait...

 

 

Nulle fenêtre où l'on s'endort serein. Un peu de repos et quelques chandelles (tout au plus). Une maison et quelques amis de passage. Comme une étrange façon d'oublier l'obscurité et la solitude – et d'ajourner notre rêve, encore si hasardeux, de lumière...

 

 

Des étreintes et des passages par milliers – par millions peut-être. Et le seuil toujours infranchi du silence. L'ombre régnante toujours sur les corps et sur les âmes. Et cette lumière inatteignable parmi les mythes, les mensonges et les calomnies avec ses sentiers et ses forêts – et ses clairières cachées où nous pourrions faire halte avant d'étendre notre foulée vers l'inaccessible...

 

 

Ni feuille ni ardoise. Pas même une craie pour dessiner sur le tableau la route – et les contours de l'itinéraire. Quelques ponts – et quelques passerelles – vers ce que Dieu, et quelques hommes, tiennent pour le plus sacré et le plus éternel ; cet étrange pays, caché au dedans des âmes et des malles, que nous habitons déjà...

 

 

La foule et le silence. Ce que jamais ne pourront oublier nos pas...

 

 

Le plus fugace, sans doute, de l'éternel. Et le plus fragile. Ce qui, pourtant, jamais ne s'achève – et recommence indéfiniment. L'accès, peut-être, le plus précaire à l'infini...

 

 

Entre les étoiles et la lumière, ce grand soleil inespéré...

 

 

Ni alliance ni trahison. Ce qui fonde toutes les lois. Le plus sincère de la loyauté. Et le plus authentique. Ce que nul, ici-bas, ne peut corrompre...

 

 

Ni décès ni baptême. Ce qui dure au fond de l'âme – à travers les siècles...

 

 

Nous pourrions éteindre les heures – renoncer aux psaumes et aux miracles pour revêtir la foudre – l'éclat du tonnerre, la brillance du diamant et la douceur, un peu sauvage, du brocard. La foi de l'aile et de la paume...

 

 

Aux heures lasses où les foules – et les destins – se hasardent sur les trottoirs et où les vieux se réchauffent aux flammes des cheminées, nous pourrions passer des siècles – le reste de notre vie – attentifs au plus humble de la lumière. Entrelacer les paumes et nous ravir des troubles passagers. Recevoir le monde comme un mirage – et surprendre les hommes au cours de leur furtif passage...

 

 

Quelques mots murmurés dans la nuit aux mains jalouses de tous les soleils. Comme un bruissement de feuille. Le chant d'un oiseau qui monte dans la brume...

 

 

Comme l'aurore – et son épée tranchante – qui lacèrent les maigres espoirs du monde. La main tendue des hommes. La mendicité de la terre encore aveugle aux offrandes – et aux mille trésors offerts par l'inconnu et le silence...

 

 

La loi et l'innocence. Comme le corps et les vents sur l'âme. Ce que voile le sommeil. L'absence du plus sacré en nous. Comme une discorde et des dissemblances. Un poing qui s'abat sur la table. Le défi d'une vie sans grimace. Le soleil revenu après la pluie...

 

 

Sans un adieu à nos frères. Sans même une main levée en guise de salut. Un silence aux allures de remerciement. La poursuite des jours et de l'ineffable. Une porte ouverte sur les paysages – et les chemins sans fin. Comme un retour – comme un départ – dans l'étrange continuité – et la transformation incessante – de la terre et des visages. Et quelques détours, peut-être, nécessaires...

 

 

Un jour, nos cheveux deviendront gris – et les traits creusés – et obscurcis – par tant de printemps. Et nous oublierons les cimes et les bras tendus vers nous – les années et les ornières – les rues, les âmes et les mains – la langue même et le rouge des passions – pour nous allonger sur la neige des plus hauts ciels parmi les anges et les visages réconciliés...

 

 

Ni sort ni sortilège. Le plus vif de cette terre. Ce qui frôle nos mains et notre visage. La pelle et le pétale. Les rafales consolatrices du vent...

 

 

Un jour, nous deviendrons des géants aux ailes fragiles. Ce trésor enfoui dans les jardins. La couleur des saisons que nous ferons nôtres. Cet amour plus vieux que la terre. L'infinie sagesse parmi les pierres...

 

 

Ni récit ni anecdote. Pas même une lampe au dessus de la porte. Ce qui gît dans l'obscur de l'âme. La nuit changée en aurore. Ce qui se rebelle et fraternise avec l'ombre la plus réfractaire...

 

 

Ni royaume ni empire. Comme un champ de blé – une prairie sauvage – abandonné(e) aux appétits...

 

 

Ni avec ni sans nous. Parmi et au delà des foules. Sur chaque visage. Et au dedans de tout ce qui naît. Le ciel brûlant et cette paume, comme un poème, qui se laissent bénir – et éventrer par les yeux – et toutes les âmes encore si indociles et orgueilleuses...

 

 

Tout ce qui se donne – et ne peut s'offrir. La beauté des fleurs. La candeur des sourires. Et la tristesse des pèlerins. L'âme encore brouillonne qui aimerait s'emparer – et jouir – plutôt que s'abandonner au hasard et au destin...

 

 

Un jour, nous pourrons confier aux Dieux nos secrets et nos trouvailles. La violence des mains et des âmes – de nos mains et de notre âme. Leur silence et leur socle de joie. Nos refus et nos répudiations. La tristesse de l'exil. Notre soif si gorgée de désirs. Nos rêves et nos songes. Et le plus innocent, vivant encore – vivant toujours – dans cet horrible fatras...

L'improbable, l'impalpable. Le plus méconnu...

 

 

Ce à quoi ni la vie ni la mort ne peuvent accéder. Cette défloration de l'âme orchestrée par les événements. Notre présence au monde. Ce que nous portons comme un secret – et que nous révèlent les circonstances...

 

 

Ni recul ni sursaut. Le poids, si léger, de tous les silences. Cette présence sans usage...

 

 

Tant de rires et de pleurs que nous avons supportés. Et d'âme en âme, la paix s'est éloignée. Epargnons-nous à présent les rancœurs – cet amas de tristesse. Cherchons plutôt la lumière – cette joie cachée au dedans de l'âme – et dans les plus sombres, et humbles, recoins de la terre. Ce que jamais ni les jours ni les hommes ne pourront nous offrir...

 

 

A ceux qui passent, ignares, et parcourent le monde – et ses plaines – sans un sourire – sans un regard en arrachant à la terre quelques poignées d'or en échange de leur silence ou de leur labeur... A ceux qui gisent au fond de leur cachette en guettant Dieu du coin de l’œil... A ceux qui s'échinent à la rude besogne de la fouille en se cassant les ongles et les dents, la vie s'offre d'une égale manière, distribuant ses offrandes selon l'honnêteté du cœur et des pas – et au prorata de l'innocence éprouvée... Ainsi s'exercent (depuis toujours) les plus justes émoluments et la plus exacte prodigalité...

 

 

Ni temps ni chemin. Là où se retire la nuit au milieu des drames, des danses et des cris. Là où s'éveillent le jour et le regard des nouveaux-nés. Là où rayonnent le silence et le souffle de l'innocence...

 

 

Ni haine ni ami. Ce que draine le nécessaire. Ce qui se partage sans un bruit – sans un mot. Ce qui guérit les blessures, la mémoire et les sacrifices. Ce qui pardonne et annule la mainmise du temps. Le seuil, peut-être, de tous les miracles...

 

 

Un jour, le sablier nous consolera de ces heures perdues – cet amas de temps creusé dans les veines de l'éternité. Et seront oubliées les joies menues des jours qui passent. Les falaises, infranchissables, qui nous séparent de la mort. La chair cognée qui s'effrite – et se dilapide – sous la force des aiguilles – et le pouvoir de l'horloge. La fin inexorable des saisons...

 

 

Comme une caresse sur la poussière. Un souffle qui éparpille les craintes et les menaces. Le tic-tac incessant qui célèbre l'instant. La fin des pas et des traces. Le règne des chants inaudibles. La fulgurance (magnifique) du trait spontané. Le geste magistral – et définitif – indéfiniment recommencé...

 

 

Ni brume ni regard. Un peu d'asphalte où se perdre encore... Des étoffes et des replis. La craie des rêves qui continuera peut-être à dessiner sur la terre ces horribles horizons noirs. Les gouffres et l'abîme où nous serons jetés. Des liasses d'innocences perdues – éparpillées dans des mains qui ne sauront qu'en faire...

 

 

Un dé où sera jeté le hasard. Des aiguilles pour l'horloge. Des sentiments et des galaxies. Une présence encore sautillante dans les paysages. Des larmes et des angoisses. La défiance des renégats. L'insolence des solitaires. La fatalité peut-être. Ce que Dieu nous permettra encore...

 

 

Ce qui arrive – et se passe – au seuil – et au dedans même – de l'impossible. Cette impatience qui prend le large. Les jambes de la pensée. Les fantômes encore balbutiants de la terreur. L'ardeur, les chemins et les errances. L'indifférence des visages. La promotion du monde et de tous les délires. Et l'âme peut-être enfin agenouillée au cœur de notre destin...

 

 

Nous pourrions nous taire – et célébrer la parole dans le silence (le plus circonspect des silences). Mais la main, encore trop fébrile et trop sincère – et l'âme si soucieuse du monde (et de partage) s'emploient, malgré elles, à délivrer (avec la plus grande naïveté) tous les messages de la terre, du ciel et des Dieux encore si railleurs. Comme une promesse intenable – une incompréhension – offerte aux railleries, à l'ignorance et à la pédanterie des foules...

 

 

La condition silencieuse du labeur. Comme un poème étonné. Une caresse médusée. L’œuvre d'un autre peut-être...

 

 

Un jour, peut-être, nous pourrons nous atteler à la besogne. Et offrir un chant – quelques riens – aux plus rêveurs. Percer les poches et les emplir de quelques pierres lavées par la lumière. Tendre le visage à tous les coups – et le cou aux égorgeurs. Et ce jour-là, Dieu (sans doute) aura pris notre place – après nous avoir autorisé à quitter les lieux – et à errer dans une autre vie – et d'autres costumes – parmi d'autres visages et d'autres pleurs...

 

 

Ce qui défile sans disparaître. Ce qui brille sans se ternir. Derrière la pluie, l'étoile grossière. La hache et le sel. Les tonneaux remplis à ras bord. Les cadenas. La trame où se terre la vérité. Les plus redoutables circonstances. La mort et l'eau glacée. Ce que sèment les vents, les prières et les malheurs. Ce que le monde et les hommes s'acharnent depuis si longtemps à découvrir...

 

 

Ce qui dans le malheur nous défait – et nous recompose. L'inertie et l'impudence des années. La folie de tous les siècles. L'heure qui sonne en contrebas des églises. Cette eau qui ne peut s'évaporer même dans les plus brûlantes passions – et les plus torrides enfers...

 

 

La nuit assiégée par la douleur. Toutes ces larmes qui éventrent les âmes pour rejoindre les fleuves et le silence. Cette oppression des jours qui nous rabaissent et nous écrasent. Et cette pente impraticable, infranchissable peut-être, où jamais nous ne prendrons de la hauteur. La prison, l'exil et la faim. Et cette joie qui brûle au fond du cœur. L'union de la vie et de l'entendement. Le plus incroyable des paris...

 

 

Au pire de l'affolement – comme enfouie dans le doute – cette trace d'autrefois où le feu, le ciel et le poème étaient liés à la puissance et à la multitude des unions. Cet effroi sous la peau fatiguée qui enfonçait les événements et les hésitations – et la nuit même – au fond de notre silence. Cette hantise obstinée pour dénicher la vérité et percer – et mettre à jour – ses secrets...

 

 

Comme un hurlement devant le miroir. La désespérance des âmes face au sang versé par la mort et les intentions. La source, sans doute, la plus sordide de nos gestes...

 

 

Demain nous pourrons dire adieu à l'espoir – à l'esprit. Et parler à voix basse devant la lumière. Prescrire le jeu et la prière. Guérir les entorses et les gémissements. Prouver à tous que nous sommes vivants...

Et les morts se lèveront peut-être pour saluer notre franchise – et cette longue route d'abnégation. La fortune et les pistes désertes. Le feu des bibliothèques et ce chagrin enfoui sous la cendre. Et les étoiles, peut-être, s'agenouilleront à nos côtés pour célébrer les parjures, les sortilèges et la lumière – nos remblais et nos débarras. Et l'herbe rouge encore tremblante de nos fureurs...

Nous repousserons les limites de la vie et de la mort. Nous éloignerons les frontières qui parcourent les terres et les souvenirs – le temps et les océans. Nous détruirons tous les domaines et tous les édifices. Et les montagnes s'émerveilleront de la beauté des fleurs et des naissances. Des plus belles aspirations de la terre...

Et les hommes, peut-être, resteront bouche bée devant le grand incendie des mensonges et des interdits...

 

 

Aujourd'hui, nous admirons les paysages – et louons notre fascination, encore si vive, pour le ciel. Nous applaudissons – et donnons la main à ces étranges domaines et au silence derrière la parole – derrière le poème. Nous nous réjouissons de tout – sans blâmer ni les offenses, ni les outrages ni la mort. Nous allons parmi les ruines et les feuillages – parmi la peur et la haine des visages en souriant aux malheurs et aux tristes figures. Nous vivons du fond des âges – du fond des puits qui encerclent l'aurore. Notre exil est doux et patiente notre attente. Le jour viendra bientôt. Le jour est déjà là. Et nos yeux regardent sans sourciller ce qui s'approche, la main ouverte à l'inconnu...

A cette lumière qui parfois nous ignore, nous tendons la main. A la fureur des visages – et des bustes fiers penchés sur l'avenir, nous offrons un sourire. Aux mille danses du jour – et aux caprices des enfants, nous consentons. Nous dilapidons notre présence – et l'effeuillons à travers quelques lignes – quelques paroles. Nous buvons à la coupe le silence. La vie arrive – et passe. Et les jours s'en vont. Et règnent encore mille lumières dans l'obscurité. Et une étrange lueur dans l'incompréhension. Nous mourrons, nous le savons à présent, auréolé de la vérité – et nous nous retirerons humblement avant de revenir, sans doute, encore plus humble et célébrant...

 

 

Ce souffle entre le sommeil et le silence. Cette beauté venue repeindre le langage. Cette nuit transformée en royaume. Comme une lampe dans la brume – un flambeau parmi les visages. De quoi prémunir – et réveiller peut-être – les dormeurs...

 

 

Quelqu'un attend un silence – un sommeil qui ne vient pas... Un drap d'amertume et d'épines sur un matelas de fleurs. Et le somnambule, soudain, tend la main et découvre une lampe au milieu de la cave parmi les rêves et les gravats – le sombre halo des soleil noirs.

Il traverse la solitude. Annule le règne des finitudes qui blessent – et meurtrissent les corps. Hisse la nuit sur sa couche. La défait de ses parfums et de ses étoiles – et se demande où est la voûte. L'écho lui répond alors aux marges du regard. Et, soudain, l'oiseau noir – et le ciel sombre – deviennent pure éblouissance...

 

 

Gravée entre la chair et l'âme, cette lumière. Cet éden sans passé – sans mémoire. Au cœur de tous les parcours et de tous les songes impérissables...

 

 

L'exigence de vivre et la contemplation. Le nécessaire et l'essentiel qui s'étalent au dedans du regard et sous les yeux. La beauté et le silence. La vie sans impératif...

L'infini en un seul visage. La complétude et la réconciliation que nous avions tant espérées. Ce que nous auront fait découvrir les vents, les hommes, les fleurs et les montagnes. Le chant des oiseaux, les ravins et le sang versé. Les plus beaux sourires et la perfidie des jours. Le mariage des blessures et de la neige. Et nos plus illusoires idoles...

Comme la caresse d'une main qui ne nous aura jamais quittés...

 

16 décembre 2017

Carnet n°118 Ce que nous sommes – et ne pouvons être – encore

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Ni aube ni lumière. La fin de toutes les nuits. L'effacement des ombres. Le recommencement permanent de la première heure...

Ni alliance ni solitude. Le faîte magique où apparaissent – et se délitent – toutes les rencontres. Le lieu de l'Unique...

Le plus invisible, sans doute, du chemin...

Et la nuit, peut-être, la plus infranchissable...

 

 

Ni roc ni pente. Pas même un sacrifice. Le rêve de tout homme...

 

 

Ni sève ni fente. La plus permanente, et transparente, sexualité. L'Amour sincère le plus désintéressé, qui offre, à chaque instant, ses mille sensualités – et les plus grands délices à toutes les formes de nudité...

 

 

Ni feu ni trame. La pierre où nous avons gravé nos noms qui s'efface(nt)... Nos plus beaux jours. Comme une lumière promise – une lumière inachevée...

 

 

Ni neige ni voyage. Pas même une épreuve. Comme un jardin ininterrompu, dénué de rêves et de clôtures. La lampe de toutes les aurores...

 

 

Ni parole ni murmure. Pas même un poème. Un peu de vie. Un peu de mort. Le chant de l'oiseau. Et la fin des querelles. Comme un silence interminable. Une fontaine – et son eau rafraîchissante – offertes à tous les visages...

 

 

Ni insecte ni créature. Ni monstre ni terreur. Un cri qui s'efface – et meurt au fond des gorges. Un amas de poussière. Et le sacre des saisons et de la soif. Le mariage des heures. La conjugaison de l'hiver et du printemps. La mort tombée en oubli. Et la tendresse des lèvres muettes, insensibles aux songes et aux fantômes. Les plus beaux rivages de la joie...

 

 

Ni page ni dédicace. Pas même un honneur. Le plus nu des silences. Le plus humble de l'herbe. Le plus discret de l'âme...

 

 

Ni pas ni piétinement. Pas même une attente. Comme le glissement de la main qui efface la craie blanche sur le tableau des saisons. Comme un doigt levé dans le vent qui célèbre la pluie...

 

 

Ni don ni héritage. Pas même un testament. Le don permanent de la joie et du silence – qui s'offrent à tous les héritiers, dépositaires autrefois de la commune folie des hommes...

 

 

Ni élan ni lenteur. Le rythme du silence. Et la valse des jours inchangés...

 

 

Ni aube ni lumière. La fin de toutes les nuits. L'effacement des ombres. Le recommencement permanent de la première heure...

 

 

Ni caresse ni supplice. La fin de tous les adages – et de toutes les promesses. La joie comme recours à toutes les demandes et à toutes les questions. Et le silence comme unique réponse...

 

 

Ni flèche ni indication. Ni panneau ni direction. Le désert le plus simple ouvert à toute forme de solitude – même les moins méritoires. L'éviction progressive des eaux inutiles. Des bagages et des prouesses. Des passages mensongers et des océans prometteurs. Le glissement, implacable, des pas vers la seule possibilité – la seule voie restante : l'effacement. La disparition des surfaces et des profondeurs. La venue soudaine du point le plus dense des horizons, au croisement de toutes les verticalités. L'espace sans âge. L'infini inclôturé. L'immensité vierge et sans repère où viennent mourir tous les rires et tous les visages...

 

 

Ni orage ni blessure. Le plus doux du ciel. Comme une flèche – un couteau noir – aux ailes chantantes... Comme un vent furtif – le baiser fugace du destin. L'aventure la plus oubliée – et la plus décriée par les hommes...

 

 

Ni ordinaire ni inconnu. Et pas le moins du monde commun. Le plus sage des pas. Et le plus simple des jours. Comme la lumière du crépuscule qui donne à notre silhouette une allure de géant débonnaire dont l'envergure n'effraye que les enfants – et les âmes craintives des énigmes et des mystérieux desseins du ciel...

 

 

Une poignée de jours et quelques nuits pour effacer les heures – et oublier le temps. Pour manger dans la main de la seule promesse valide... Vivre le plus sacré de la lumière. Le plus furtif passage de l'éternité dans le silence. L'instant où le soleil ignore qu'il se trouve au plus haut du ciel – dans l'azur sans rayure – ni rature – aussi vierge d'espoirs que de nuages. L'instant – et ses mille frères – à jamais neufs – à jamais recommencés...

 

 

Comme des Tziganes, fous de joie et riches de toutes les tribus de la terre, dansant autour d'un feu. Comme une lumière si proche du ciel et des étoiles, happée par le mystère et la main naturelle de l'homme. Comme la célébration du plus vivant en nous délesté de ses exigences...

 

 

Comme une folie ancienne habillant toutes les danses. Une soudaine compréhension du silence laissant s'effacer toutes les ambitions et toutes les rancœurs...

 

 

Ni trouble ni écho. La connaissance la plus juste de l'ignorance – de toutes les ignorances – qui balaye les habitudes et les mœurs les plus rudes et les plus autoritaires. Un commencement d'intelligence. L'avenir possible du monde...

 

 

Ni sang ni défi. Le plus subtil de l'incarnation. L'éviction de l'espérance. Les linéaments d'un temps aboli – vaincu...

 

 

Comme l'arrivée d'un nouveau silence venu célébrer l'ancien – celui auquel nous sommes restés sourds et insensibles pendant des siècles – pendant des millénaires. Comme l'évidence d'un nouveau départ – la possibilité infinie d'une chance nouvelle...

 

 

Ni arme ni refuge trouvés au bord du chemin. Ce battement sourd aux tempes qui délivre des prières – et invite aux pas de côté – et qui s’offre à ceux qui délaissent la route – toutes les routes – pour le ciel du dedans – cet havre naturel, et éternel, qui nous attend...

 

 

Ni lueur ni veille au fond des impasses. La porte dérobée de l'infini. L'aire de tous les silences. Le seul salut de l'âme...

 

 

Ni épée ni solitude. Le murmure fantasque des vents. Le centre de tous les ralliements. Le cœur de toutes les absences. La tombe de tous nos oublis. Le socle du moindre désir. Et l'étrange réenchantement du monde...

 

 

Ni barque ni rive. Quelques provisoires banquises où patientent les rêves. Et les vents qui effacent les corps – et la profondeur des âmes. Le lieu où naissent les océans, les peuples oubliés et nos songes les plus lacustres. L'aire de toutes les dérives...

 

 

Ni alliance ni solitude. Le faîte magique où apparaissent – et se délitent – toutes les rencontres. Le lieu de l'Unique...

 

 

Comme une fleur qui attend l'aube – la venue imparfaite du soleil et de la rosée. L'espérance de la terre pour toutes les créatures qui la peuplent...

 

 

Ni plomb ni or. Le plus sûr des alliages. L'alliance de tous les visages. Le terreau de la joie. La réponse au mal des siècles. Le destin du monde et des âmes...

 

 

Le lieu où se défait l'âpreté de la terre. La dureté et l'orgueil des hommes. Et l'aveugle stupidité des bêtes. Là où naissent les étoiles, annonciatrices de la lumière ancienne – et continuellement originelle...

 

 

Ni espace ni douleur. Pas la moindre souffrance. L'unique possibilité de l'inerte et de l'animé – de tous les enchevêtrements. Là où se querellent le froid et la nuit. Là où l'on dévalise les heures pour en extraire le plus vif – et le plus précieux. Ce que l'âme et l'os portent caché en leurs profondeurs – jusqu'au plus secret de leur moelle...

 

 

Ni corps ni dimension. Une présence à l'incomparable envergure. La plus haute marche des sommets. Le plus étrange faîte du monde, ouvert – et accessible – à tous les escaliers des profondeurs – à toutes les routes serpentant sous les horizons – à toutes les impasses et à toutes les aires des pires, et plus dramatiques, en-bas...

 

 

La gloire de toutes les solitudes. La célébration du plus invisible caché au fond de la chair. La passerelle de toutes les âmes. Le secret passage du plus subtil qui sommeille derrière les désirs les plus grossiers...

 

 

Ni acte ni volonté. Pas même un rétrécissement du temps. Ce qu'abritent le plus simple du geste et la parole surgie du silence. Cette joie d'aller vers le plus nécessaire – l'inexorable...

 

 

Ni doute ni sursaut. Ni balancement ni hésitation. Le pur jaillissement. Comme une flèche de lumière décochée par l'innocence et la nécessité des circonstances...

 

 

Ni page ni poète. Une parole née des origines. Venue du plus loin de l'âme pour effleurer le moins frustre de l'homme – cette flamme qui brille au dedans de tout...

 

 

L'inaltérable. Comme la clarté à venir des eaux boueuses. La forme des vasques, des bouches et des amphores. Et jusqu'au plus nauséabond des marécages. La source, la pluie et la rosée. Et la forme prochaine des nuages. Et jusqu'à la dernière goutte des flaques asséchées. Le plus précieux de la vie qui nous anime – et que nous habitons...

 

 

Le plus impérissable des bagages. Ce que l'on ne peut ôter ni aux bêtes ni aux hommes. Leur vrai visage qui patiente au dedans de l'âme. Le ciel et les océans réunis. Ce qu'il reste lorsque tout a été perdu, jeté et abandonné aux ruisseaux que forme la pluie pendant l'orage...

 

 

Ni joie ni silence. Le plus haut degré de la lumière. L'étreinte la plus juste – et la plus déterminante. Ce qui sans cesse nous anime et nous traverse. Le plus brûlant du soleil qui s'approche à pas lents. La gloire et l'éphémère parvenus à leur faîte. La célébration de toutes les tempêtes. Le mariage insensé du vent, du ciel et de la chair. L'appel de toutes les voix. La clé éminemment précieuse de l'inhabitable...

 

 

Le plus secret de la lumière. Et le pire du monde que nous ne pourrons éviter peut-être...

 

 

Ni étoile ni sourire. Ni peine ni obscurité. L'authenticité comme seule exigence. Le moins précis du ciel. L'infini sans tourment...

 

 

Quelques larmes peut-être avant de mourir. Le signe d'un cœur transpercé – ému par ces retrouvailles. Comme le nom des morts inscrit sur la pierre blanche...

 

 

Comme un feu sur un visage endormi où butineraient quelques abeilles. Comme la fin du jour – et le crépuscule dédicaçant ses heures – et ses feuillets – à la lumière de la lune qui se reflète sur la table et le bord des horizons...

 

 

Ni tendresse ni dureté. Ce que nous portons comme un effroi – et qui s'avère pourtant le plus joyeux de l'impersonnel...

 

 

Ni soif ni insulte. Le plus beau du silence...

 

 

Comme un oiseau tombé du nid que les anges emportent au loin – là où ne brille qu'un seul soleil. Là où la nuit s'est dissipée – bien au delà des étoiles...

 

 

Comme une page muette – blanche – immaculée – et une neige sans trace. Plus haut que toutes les cimes – et plus prometteur que l'espoir. Notre bouche hurlant son silence. Comme une fenêtre éclairée par ce qui nous brûle le plus intensément...

 

 

Comme l'herbe piétinée par un colosse. Comme l'or offert par la rosée. Comme la grimace malicieuse des Dieux. Notre plus vieux testament...

 

 

La venue de toutes les aubes. Leur entrée fracassante dans notre âme si familière des plus sombres crépuscules. Comme une main arrachée à la piqûre de l'ortie – et à l'épine du plus ardent chardon – pour la délicatesse du coquelicot...

 

 

Un jour, un siècle. Un instant d'éternité à chaque heure abandonnée – livrée à elle-même et à la rectitude des horizons. La plus belle offrande du destin...

 

 

Comme une brèche dans l'horizon, ouverte par les vents. Et notre instinct muselé par la peur. Comme la crainte de la fascination qui peuple nos veines. Et le cœur sensible circulant sous notre incompréhension...

 

 

Comme le plus imprévisible du hasard jeté hors d'atteinte par la plus évidente certitude. Et le sort de la langue scellé par le silence. Le savoir le plus hébété...

 

 

Entre la paix et l'inquiétude peut-être... Comme un nid inachevé. Une compréhension récente. Et un cœur si malhabile encore...

 

 

Ce que l'on ramasse sur les chemins de pierres ; quelques peines, la solitude et le grand désarroi, l'absence bordée de malheurs, les pièges (inévitables) du monde, l'attente insensée de l'Autre. Les rêves comme défi à la gravité et l'usure du corps. Toutes nos défaillances...

 

 

Comme l'or de toutes les alliances et de la nudité. Le temps hors jeu. Le pillage des heures. Toutes les douleurs du monde. Et le fourvoiement des pas...

 

 

Comme un sursaut. Une chance offerte à l'immonde – à cette désolation qui enchaîne les os et ajourne les retrouvailles. Le plus périssable des gestes. Ce qui nous parcourt sans nous briser. Tout ce qui nous porte à la réconciliation...

 

 

Ni rite ni force. La plus fébrile des torpeurs. Comme une fièvre – un soleil – étreignant notre trajectoire. La pauvreté la plus enviable. Le terreau de l'impossible...

 

 

On cherche encore pour échapper peut-être à ce destin de roi. Pour nous complaire encore un peu dans le sortilège – la malédiction de l'âme. Pour réunir nos frayeurs et les offrir à la mendicité de l'Autre – à l'indigence, incurable, du monde. Comme un visage – un pauvre visage – dans la foule des visages. En attente d'un effondrement qui ne viendra pas, ou plus tard, lorsque la mort aura réuni les conditions du silence...

 

 

Au détour d'un regard, l'amenuisement des forces. Et l'anéantissement des rêves. L'abandon qui s'avance parmi tous les refus. La capitulation tant redoutée comme délivrance. La fin des guerres, des luttes et des batailles. La fin des affrontements et des confrontations. La lente – et irréversible – transformation du face-à-face en accueil. La puissance au bout de tous les élans et de toutes les ardeurs...

 

 

Ni ce qui meurt, ni ce qui s'attend. Le plus fragile parmi les peurs. Le plus indicible de la joie...

 

 

Seul encore face à la mer, au bout de cette jetée dont on ne revient pas. Comme un adieu, interminable, à ce qui nous aura éloigné de l'océan – cet autre Amour de la terre – cette couleur du monde à présent dégagée de toute tristesse...

Et ce silence derrière l'attente. L'infini du désir comme une digue parfois infranchissable. La beauté et l'effondrement...

 

 

Ni rideau ni lumière. La place nette, défaite de tous les rêves. Et la fraîche caresse du vent...

 

 

A vif et pour soi seul, quelques mots que l'on prononce pour l'enfant à naître – et le monde juché sur ses épaules...

Fragments contemplatifs sans exigence de loyauté...

 

 

Le plus invisible, sans doute, du chemin...

 

 

Un peu de sève. Un peu de rêve. Un peu de jour aux lèvres malgré le sang et le silence. Et cette voix qui serpente entre les âmes et les objets cherchant sans doute son socle – une invitation – pour échapper à la nuit...

 

 

Comme le tressaillement d'un visage qu'une main caresse. Comme la mort esquissée sur tous les destins. Comme l'eau, rompue à tous les paysages, qui coule et s'éloigne de sa source pour mieux la retrouver...

 

 

Au bout du doigt – au bout du jour, ce réveil que nous n'attendions plus. Cette aurore qui aura gagné toutes les rives. Cette lumière qui, à présent, éclabousse le monde...

 

 

Comme une pluie – comme un désastre – venu(e) ensemencer les pierres. Comme une larme de joie coulant sur la terre. Comme le dernier écho d'une parole. Le prix, peut-être, de l'inabordable...

 

 

Quelques syllabes pour rappeler au regard l'absence des visages. L'enfouissement des jours et de la parole. Le repos nécessaire du silence...

 

 

Indéfiniment la présence. Ce qui gît derrière la nuit et les images. Ce qui emplit l'âme et la tête – le corps et le cœur – l'abandon franchi. Le dedans et le dessous du monde et de toute chose. Ce qui ne peut disparaître. Ce qui ne peut mourir lorsque tout a disparu...

 

 

Ce qui nous entrave et ce qui nous libère. La continuité de tout mouvement. Le bout des pas. Le fond de toute brutalité. Le vent et le silence au delà des murs – et au delà des falaises. La surface qui creuse son sillon. Ce qui brûle encore après les cendres. Le recommencement de tous les printemps...

 

 

Comme une aile noire porteuse de lumière. Un cri inaudible dans le silence. Le plus tendre des jours. Le ravissement qui embrase l'âme. Le baiser des amants sur leurs draps de sable. Les pierres du chemin où dansent toutes les nuits. La promesse de l'oubli. Et l'envol enfin devenu possible...

 

 

Ni sol ni silence. Ce qui nous hante après la pluie. Ce qui guérit le sang et les blessures. La marche lente de l'âme affaiblie. Le feu caché derrière les rêves. Ce que nul ne peut meurtrir...

 

 

Ni route ni barrage. Le chemin, la chaise et la maison. Ce qui nous entoure et nous encombre. Ce que nous abandonnons au silence. La parole au fond de l'âme que Dieu seul entend. Toutes nos foulées et toutes nos expressions. Le plus doux de notre agonie...

 

 

Ce que nous ne pouvons serrer dans nos bras. Ce qui se tient au cœur de tout. Le lieu – le centre – de tous les nulle part. La clé suspendue au cou de toutes les âmes. Ce que nous piétinons sans cesse ni vergogne. Le défilé triste des jours. Et l'aube prochaine qui arrive...

 

 

Le plus amoureux du silence. Ce que ni nos yeux ni nos mains ne peuvent déterrer. Ce qui accompagne tous nos détours. Les plus belles floraisons du ciel...

Et la nuit, peut-être, la plus infranchissable...

 

 

Le jour encore qui s'étire pour que jamais n'arrive le soir. Pour que demeure, toujours, cette aurore éternelle...

 

 

Ni adieu ni mouchoir. Ni ailleurs ni plus loin. Le seuil de toutes les portes. Ce qui nous attend à chaque rencontre. Le secret des circonstances. Les plus doux visages du cortège. Ce qui nous éloigne de la procession des malheurs...

 

 

Ni terre ni glace. Ce que révèle la poussière. Ce que nous montre le doigt pointé vers la lune. La neige et le temps. La chambre de tous les délices. Ce que jamais ne parviendra à soulever notre cœur...

 

 

Ce que nous apercevons derrière les vitres de la nuit. Derrière le ciel noir et les étoiles qui embrument l'âme et les pas. Les vents libres des querelles, de l'espace et des reliefs. Et l'éclat rouge, si incandescent, du soleil...

 

 

Le chant de l'oiseau. Le murmure des saisons. La simplicité des jours. Et le cœur chaviré de silence. Comme les signes de notre présence sur terre. Le secret de tous les Dieux parmi les visages...

 

 

Ni souffrance ni humiliation. Le plus digne de l'humilité. La profondeur du regard sur l'infini. Et les merveilles du monde suffocant encore dans leur gangue de chair...

 

 

Ni dogme ni croyance. Ni livre ni parole. Le socle de toutes les libertés. Une présence sans bassesse ni arrière-pensée. La joie et la nécessité du geste. L'infini de la main sur l'horizon. Le plus rare des visages. La fine pointe de l'âme. L'offrande des sages parmi les hommes. Le présent le plus admirable offert à la terre. La grande espérance du monde. Et sa plus belle possibilité. Ce que nous aimerions tous être – et recevoir...

 

 

Ce que révèle le cœur de toute absence. L'inconnu des jours que nous cachaient nos habitudes...

 

 

Des pages blanches offertes aux Dieux qui y déposent quelques signes. L'évidence – et la preuve – de notre présence. Le mariage insensé, mais prometteur, de l'invisible et de la chair. Le plus favorable du destin...

 

 

Ni rôle ni posture. L'âme innocente ouverte aux circonstances. La bouche aimante, la main et le monde reliés – et réunis – par les fils presque magiques de ce qui ne peut être détruit... Le sang et les visages de la terre manœuvrés par l'ardeur – et la sagesse – du silence...

 

 

Et l'or des visages, peut-être, offert à notre curiosité...

 

 

Au dedans des yeux ouverts, l'intérieur du gouffre où sont arrachés les mensonges et l'illusion. Toutes nos complaisances. Là où tout est broyé ; souffrance et rejet. Là où la solitude perd son effroi...

 

 

Ni cécité ni aveuglement. Le plus nu de la lumière. Ce que les limbes – la clarté, si vive, des limbes – nous cachent encore...

 

 

Vivant parmi la cendre. Au cœur d'un feu sans fin...

Ni prière ni imploration. L'attente patiente de ce qui, peut-être, ne viendra jamais...

 

 

Ni eau ni soif. Ce qui arrive avec la première heure. Cette marge entre le désir et le souvenir. Ce qui mène à la lumière – et, parfois, à l'écriture...

 

 

Ni labeur ni besogne. La suite naturelle des pas. La fin de tout orgueil. Ce que dessine la lumière avec nos ombres. L'invisible du tableau. Le silence du poème. Ce dont nul ne peut être l'initiateur...

 

 

Au plus proche et au plus lointain. Ce que nous ignorons avec le plus de ferveur. Et ce que nous épions sur tous les visages. Un trait inoubliable d'intelligence. La parole vive d'un Amour. Une sensibilité sans exigence...

 

 

Ni baume ni déchirure. La plus parfaite complétude. L'Amour et la joie sans honte. Un sourire – et des lèvres – sans visage. Le plus accueillant de l'âme et de la main. Notre seul désir peut-être...

 

 

L'élucidation des mystères. La fin de toutes les questions. Le prix de l'innocence. Et tout ce que nous aura ôté notre quête. La destination de tout voyage. Et l'ultime étape infiniment recommencée...

 

 

Les promesses de toute fissure et de tout délabrement. Le fond de l'eau où nos barques – toutes nos barques – ont coulé. Notre origine la plus lacustre. Ce qui existe avant la naissance des larmes – et avant même la naissance de l'eau. Ce que nous ne pouvons imaginer. Toutes les embarcations des destins. La fin de toutes les errances et de toutes les expéditions...

 

 

Ni support ni possession. Ce que nous laisse la furie des vents. La plus haute nudité...

 

 

La route et le pont. Le plus beau rêve. La plage et l'océan. Tout ce qui invite au voyage. Le vent, les marées et les courants. Ce qui se cache derrière le miroir – et le reflet des visages. Ce que nous n'avons encore jamais osé traverser...

Un îlot – une lumière dans les eaux de la nuit...

 

 

Les lignes et les mains du poète. Celles qui éclairent et saluent. Celles qui étreignent – et invitent à l'écoute et aux caresses. Celles qui frappent les murs pour que résonne plus fort l'écho. Celles qui peut-être, ne sait-on jamais, pourraient sauver le monde en déblayant ses frontières pour offrir cette lumière dont nous avons tant besoin...

 

 

Ce qui demeure et ce qui surgit. Ce qui habite le fond de l'âme et des étoiles. Ce qui apparaît après avoir façonné les gangues de glaise – et ce qu'elles portent en leurs profondeurs. Ce dont ni les hommes ni le monde ne peuvent se passer...

 

 

Ce qui monte des pierres aux nuages. Ce qui dévale toutes les pentes. La cime des arbres et le faîte des montagnes. Ce que contiennent les rêves et la pluie. Le plus semblable à notre portée...

 

 

Ce qui passe – et ce qui traîne lorsque l'on se morfond sous les nuages. L'imprescriptible...

 

 

Ni plaine ni clôture. Ce qui pousse sur les plus humbles pâturages. La fenêtre où se dessinent tous les possibles. Ce que nous n'enfouissons jamais dans les tombes...

 

 

Comme un bouquet de rumeurs et d'innocences tombé par mégarde. Et qui patiente pendant des siècles en guettant l’arrivée des passants sans prétention qui le transformeront en silence avant de le jeter aux mains si fébriles des foules...

 

 

La mémoire et les paysages. Les songes et l'oubli. Ce que dissimule notre affairement. Nos mains cisaillées par l'infortune. La patience des pierres. La terre gavée de corps, morts au dedans et vivants à la surface. Ce que Dieu nous a chuchoté avant notre naissance – et que nous avons oublié, bien sûr... Et nos fouilles frénétiques et hasardeuses pour le dénicher parmi les malheurs et les débris...

 

 

Au plus bas de l'âme et au plus haut de ce que la main peut atteindre. Les boulets et les faïences. Notre âge le plus enfoui. Là où le regard s'abîme en attente. Là où finissent l'espace et la mémoire. Au creux du moindre désir. Parmi les traits du plus simple et les plus humbles visages...

 

 

L'être et l'ombre qui tournoient. Sur la terre où tout s'amoncelle et se soustrait. Les fables, les mythes et l'azur. Nos plus beaux renoncements...

 

 

Là où l'univers et les rythmes questionnent. Là où ils insinuent le doute. Au plus proche de nos lèvres. Ce que l'âme finira, un jour, par découvrir...

 

 

L'espace – et l'infini – dénués de rêves. Là où tout se dérobe. Là où s'affichent, concentrés, les âmes et le monde libérés de leur pesanteur. Au centre de tous les univers...

 

 

Quelques travaux sur la lumière pour dire le plus court chemin de l'âme vers la prière. Le pas qui offrirait à l'homme son salut – et toutes les grâces de sa naissance. Ce qui nous fait si cruellement défaut...

Comme un puits intarissable où toutes les âmes pourraient (enfin) venir s'abreuver...

Pour que le monde retrouve ce que nous avons de plus précieux. Notre plus commun visage – caché derrière les traits les plus grossiers et les plus vils – et serviles – sourires. Celui qui rêve d'être découvert – et libéré de cette tristesse – de tous les malheurs des hommes et de la terre...

 

16 décembre 2017

Carnet n°117 (Tenter de dire) ce que nous sommes – et ne pouvons être...

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

La beauté et la joie. L'émotion poignante – insurpassable – d'être un visage parmi les visages. Et un sourire unique et commun sur toutes les lèvres...

Ni mort ni vivant. Le balai des âmes prises dans la danse, les poussières du temps et le silence...

Ni perte ni abandon. Un juste recueillement. Notre état, sans doute, le plus naturel...

Ni preuve ni miracle. L'éloquence du plus grand silence. Comme l'évidence que Dieu et les hommes peuvent cohabiter sans que nul ne s'en aperçoive...

 

 

Un long chenal où se faufiler jusqu'à la mort. Et l'esprit indocile qui rêve encore de conquêtes et de traversées – de beaux et longs voyages sur d'impétueux océans...

 

 

Les arbres attendent – érodent notre impatience. Nous invitent à nous asseoir à leur côté pour regarder – contempler sans empressement – le monde et le silence.

 

 

Ni mort ni vivant. Le balai des âmes prises dans la danse, les poussières du temps et le silence...

 

 

Ni peuple ni voyage. Un inexplicable quiproquo qui offre à la parole d'éclairer – la possibilité de résoudre une évidence au visage d'énigme. Comme un leurre pour ensemencer – et légitimer – toutes les histoires du monde – ce à quoi est occupé l'essentiel des hommes...

 

 

Et cet espoir qui nous traque encore – et qui nous ensommeille de ses promesses comme si nous avions encore le temps d'espérer...

 

 

Au bout de la tristesse, la remontée d'un silence qui ne nous aura jamais quittés...

 

 

L'homme, collectionneur de peines et d'hystéries qu'il place haut dans son orgueil. Comme la légitimation de tous ses désordres...

 

 

Ni preuve ni miracle. L'éloquence du plus grand silence. Comme l'évidence que Dieu et les hommes peuvent cohabiter sans que nul ne s'en aperçoive...

 

 

La force des saisons. Et la persistance du silence. Comme une terre, encore tout étourdie de ses danses, sourde à l'évidence et aux invitations. Et cette beauté qui jamais ne s'éteindra comme un feu entêté – comme un feu obstiné sous la pluie...

 

 

Dans l'étoile, le rêve et la folie. Ces maladies incurables de l'homme – enraciné(es) à sa souche. Comme un éclat dans le noir pour affirmer son existence – et donner à son espoir quelques fragiles lueurs – et le soin de dessiner son destin – son improbable sortie des ténèbres... Comme un chant lointain, presque inaudible, jetant ses louanges sur l'espérance d'une aurore plus qu'incertaine...

 

 

Quelques bruits encore dans le silence que rien ne pourra entamer...

 

 

Au creux du même songe, éternel sans doute, le visage enfantin des hommes dont les rêves sont plus puissants que les jours. Mendiant à toute figure – et à la plus mystérieuse d'entre elles – ce peu d'espérance pour vivre (survivre) encore un peu... Comme des pantins ignorant le castelet, les autres personnages et le marionnettiste auxquels ils sont reliés par des fils invisibles et inconnus...

 

 

Encore une chimère qui ensevelira les vivants – et fera grossir l'amas de squelettes enfouis sous la terre. Ainsi se peuplent – et se perpétuent – les cimetières. Et grandissent, au fil des siècles, les cyprès impuissants – et insensibles aux massacres...

 

 

Un tournesol dans la lumière. Comme un soleil déjà éclos sur la terre. Comme un surplus de clarté sur l'horizon...

 

 

Debout, appuyée – presque chancelante – contre le silence, cette lumière d'autrefois sacrifiée par l'orgueil et ses parades. Et les ténèbres où se sont dangereusement penchés les hommes...

 

 

Passeur de rives peut-être mais dont le socle est l'immobilité. Ce silence, parfois si désespérant, de l'espace où s'entassent, se pressent et se cognent, si souvent, les vivants...

 

 

La capitulation du jour n'est pas la défaite des vivants. Ni la victoire de la nuit et du néant sur la lumière. Elle est la possibilité du suspens – la découverte de l'interstice où peut se glisser notre destin – la porte (éternelle) de l'instant où affleure le silence – ce pacifique, et innocent, combattant...

 

 

La parole peuplée de ciel, de fleurs et de langage. Bruit peut-être mais reflet, plus sûrement, du silence le plus incompris...

 

 

Le peu d'air qu'auront soulevé nos mains... Et le peu de chair qu'elles auront aimé... Nous aurait-il fallu un plus grand silence pour être vivant – et vivre davantage...

 

 

Contre la nuit qui s'étire – et s'étend –, nulle parole. Un long silence jusqu'à la naissance du jour. Et, sans doute, bien plus longtemps après encore...

 

 

Une tristesse – une amertume – naturelles sans l'ombre d'une gaieté – sans l'ombre d'une frivolité. Comme la beauté des pierres immobiles. Epaisses, noires et austères – incorruptibles...

 

 

La voix familière des vents, à présent, n'est plus que silence rejoignant le chant discret des rivières... Un hymne sans louange célébrant les beautés de la terre. Et la douceur de tous les visages enfouis encore dans leur gangue dure et noire...

 

 

Ni exil ni voyage. Un séjour, invisible peut-être, en ces terres dépeuplées où l'absence est la marque du vivant – la preuve de l'existence des foules – et des visages – endormis à l'ombre des promesses où l'obscurité, pourtant, côtoie la lumière et le silence. Comme une matière inerte, posée là, animée seulement par les mains aveugles du hasard...

 

 

Ni jour ni rencontre. Pas même un désenchantement de l'âme. Bien au contraire, une joie folle dans le silence. Et des pas dansants – et exubérants – emportés par le tourbillon des circonstances. Comme un ogre soumis à une triple identité : celle de l'enfant (l'enfant-roi, l'enfant-tyran, l'enfant-martyr), celle du jouet (bout d'étoffe, morceau de bois muni de roulettes) et celle de la chambre, ce lieu de tous les pouvoirs, de tous les jeux et de tous les interdits... Dans cette ombre de soi qui ravit les forêts et le silence – avec cette sauvagerie qui enchante la terre – et cette liberté, et cette sagesse, qui réjouissent le ciel...

 

 

Ni cercle ni bâton. Une ronde de feu à la fumée blanche où se consument nos terreurs. Un âtre où ne fleurissent les cendres. Un brasier de joie...

 

 

Ni sang ni chair. Un abîme où nous avons tant perdu. Un faîte où se reposer des heures. Le toit et la béance de tous les mondes. Ce lieu où nous pouvons être – et vivre – enfin...

 

 

Ni saison ni chemin. Un instant où glisser son âme – et son destin. Où l'on peut pavoiser humblement parmi les fleurs, le soleil et les étoiles. Un refuge contre la malice et l’orgueil. Un long silence où viennent mourir les ombres. Comme une eau sereine et fuyante où viennent se noyer les songes et la violence. Une place où la joie peut (enfin) exploser sans craindre les rires et les moqueries – le fiel des bouches encore affamées...

 

 

Une voix en exil peut-être parmi les hommes mais dont le silence est la terre chaleureuse et accueillante – cette étrange entité au sein de laquelle tout naît, passe et disparaît...

 

 

Ni terre ni ciel. Ni plaine ni océan. Un trou de lumière peut-être où tout – jusqu'au silence – est aspiré...

 

 

Avec des mains vides et tristes. Ainsi naissent, vivent et meurent les hommes. Passant de contrée en contrée, du rire aux pleurs, et de vie en vie peut-être – traversant les cités et les déserts, les malheurs et l'espérance sous le joug de la faim...

 

 

Des visages animés – et ébahis – par l'horizon mais si tristes lorsque arrive le crépuscule – et que le dernier élan les couche sur la terre...

 

 

Chair, sang et souffle dispersés – éparpillés dans les mille visages de la lumière. Et les mille paroles du même silence pour indiquer la route – et offrir à chaque fragment de rejoindre le lieu de tous les rassemblements – là où sont nés tous les désassemblages...

 

 

Le temps et le silence, ces deux grands mystères irrésolus, offerts à l'acuité, médiocre, des hommes. L'un livrant à l'espoir et menant à la nuit. Et l'autre ouvrant à l'instant et conduisant au jour... A quelle voie, pensez-vous, nous a livrés la stupide intelligence des hommes ?

 

 

Ni parcours ni trajet. Un instant d'écoute – aussi vive que la lumière. Et cette présence silencieuse, et sage, au fond de l'âme...

 

 

Les hommes englués dans cette furieuse folie du devenir avec ses espoirs, ses impasses et ses errances alors qu'être, sans doute, suffirait...

 

 

Un visage debout parmi les ombres. Et un sourire humble et compréhensif sur la foule des silhouettes couchées et rampantes...

 

 

Ni espace ni continent céleste. La présence simple de la terre. Et l'âme, si peu sournoise – presque trop naïve (pour ses jeux) – qui attend l'innocence. La fin de toutes les nuits. Et la venue, progressive, du jour silencieux...

 

 

Nous fleurissons les tombes de nos aïeux. Et de nos enfants quelques fois. Nous célébrons la richesse et la fortune. Les jours de victoire et de liesse. Mais qui prend soin de notre âme et fait fleurir sur nos carcasses et les rebords de nos fenêtres le besoin de silence... ?

 

 

Nuages, pesants et pressants, passant devant l'étoile obstruent tout ciel nouveau. Invitent les larmes et les fleurs à renaître parmi les couleurs et les désastres de la terre. Et soumettent les visages et les âmes à un destin d'éternel recommencement...

 

 

Ni arme ni tourment. Un ciel à paraître... Un destin de fleur et de lucarne pour tous les visages pris – et caressés – par la lumière. Comme l'aube – et l'éternel recommencement – de tous les silences...

 

 

Ni vent ni labour. Un champ infini de lumière. Et la naissance d'un soleil silencieux...

 

 

Abandonner sa main aux désirs éteints des larmes. Franchir le seuil de toutes les équivalences. Et boire à la coupe la joie dans la timide témérité des pas et du langage pour que se dessine encore et encore le jour – et qu'arrivent toujours le silence et la lumière. Pauvres âmes innocentes et dociles...

 

 

Dans les latrines du désir gisent l'étron de l'ambition et la pestilence des songes – balayés – évacués – par la chasse d'eau de l'innocence...

 

 

Les âmes oppressées, disent-elles, par le silence et la lumière. Effrayées par la figure d'un Dieu méconnu. Comme façonnées par l'ignorance et l'ingratitude des hommes. Soumises – et promises – comme toujours à tous les songes et les sortilèges...

 

 

Ces âmes défaites – et décrépites – au visage de fin du monde que la finitude effraye presque autant que l'immortalité...

 

 

La terre et le ciel ne sont, peut-être, qu'un songe qui condamne l'âme à l'espérance. Aussi mieux vaut être vivant qu'espérant (bien que l'un n'empêche nullement l'autre...). Et silencieux plutôt que bruissant de rêves et de désirs... L'innocence à saisir en toute occasion. Comme le gage d'un silence habité – vivant et éminemment joyeux...

 

 

Ni preuve ni garantie. Pas même la moindre certitude. Ainsi s'habite – et se vit – la vérité. Dans la plus grande solitude. Et le plus léger, et fragile, silence. Dans l'étrange évidence de retrouver son vrai visage – cette figure hors du temps échappant aux saisons, aux siècles et aux circonstances, totalement vierge et nue – et entièrement dépouillée de tout artifice et de tout support... Cette présence purement – et éternellement – originelle...

 

 

Les ombres du cœur malade qui ensemence l'horreur et désarme le silence. Et dont les battements – chaque battement – piétine(nt) les élans – et les velléités mêmes – d'innocence. Pourvoyeur d'effroi, de stupeur et de haine. Alimentant la mécanique des instincts et de la vengeance et propageant ainsi partout le règne de la violence...

 

 

Irradié par le silence. Comme un bouquet d'innocences offert aux visages et aux saisons. Et aux siècles, imperturbables, qui passent...

 

 

Encore des soirs et des images – les promesses d'une nuit sans fin, attisées par des désirs impossibles à satisfaire. Le goût de l'Autre dans la bouche et au fond des yeux comme le socle, toujours possible, de l'amour et des réjouissances, communes ou solitaires qu'importe... Ce rêve – ce mirage – d'exister – d'être vivant en ce monde parmi les bruits, les chants et les cris – parmi les murmures, les secrets et les mensonges – si près du gouffre et des tombeaux – et de tous les abîmes où nous jettent les hommes et toutes les mains du destin. Comme une lumière lointaine, à venir sans doute, sur les visages, tristes ou gais qu'importe..., scellés – scellés depuis toujours – au plus obscur et au plus grossier de la terre...

 

 

L'hébétude et l'abandon, les prémices des beaux jours malgré la persistance provisoire des songes, des désirs et des malheurs – toujours présents sur les visages... Et à paraître, plus tard, le silence. Et la joie – toutes les joies – dissimulée(s) dans ses replis...

 

 

Situations, événements et circonstances nous plongent au cœur de nous-mêmes. Eveillent notre nature profonde*. Et révèlent toujours le plus vrai visage de notre âme...

* Notre nature profonde de forme avec ses apprentissages et ses conditionnements...

 

 

Il n'y a plus d'espérance aujourd'hui. Peut-être simplement l'attente du grand silence qui recouvrira (bientôt) notre parole et nos élans pour que nous puissions goûter et célébrer ensemble – humblement et dignement – la plus belle (et permanente) innocence...

 

 

Ah ! Les corps et les êtres ! Ces petites choses balayées par les vents du monde et les implacables nécessités du vivant et de la matière...

 

 

Dans les charmes, autrefois, du silence, nous naissions sans peur. Vivions sans peine. Et mourions sans même nous en apercevoir. Avec les savoirs, dérisoires, sont nés les craintes, la conscience (grossière) de notre finitude et l'espoir d'une issue. Le rêve d'échapper aux circonstances – et de se libérer de ces tristes horizons... Et dans ce naturel, et légitime, voyage, nous n'en sommes aujourd'hui qu'aux premiers pas... Une longue – et peut-être interminable – marche nous attend...

Et il n'y a, sans doute, d'autre sens à attribuer à la présence de l'espèce humaine sur terre – ni d'autre voie pour s'extirper du genre humain, né de la plus grossière animalité, elle-même née du vivant le plus rustre et élémentaire, enfanté par de simples combinaisons de matière...

 

 

Quelques mots pour dire le plus funeste du monde ; l'ignorance, la bêtise et les instincts – sources de tous les maux – et le plus merveilleux de l'être ; cette innocence silencieuse et aimante qui accueille jusqu'à ses plus funèbres et terribles contempteurs... Et l'homme pris, dès ses premiers pas, dans cet obscur entre-deux...

 

 

Sur les plus terribles horizons, une lueur toujours offre l'espoir – cette odieuse chimère qui refuse le poids et la beauté des circonstances présentes – et qui nous condamne à l'attente d'un après plus vivable (très improbable)...

 

 

Tout passe – la vie, le temps, les circonstances, les êtres et le monde... – sans que nous sachions nous y plonger (tout entiers) ni nous extraire de la mélasse, si souvent infâme, du réel... Et moins encore nous réfugier – et nous adosser à ce regard en surplomb – à cette présence vivante (les nôtres depuis toujours évidemment), témoin – simple et souverain témoin – de tous les passages...

 

 

Ni feu ni lanterne. Un retrait. Un effacement qui se transforme bientôt en présence humble et souveraine. Salvatrice face à tous les maux – et à tous les malheurs des siècles, impitoyables, auxquels les hommes ont toujours rêvé d'échapper...

 

 

Ni tour ni chemin de ronde. Un dénuement total qui ouvre à – et offre – l'inimaginable puissance de l'être – cette présence fabuleuse que peinent tant à concevoir – à rejoindre et à vivre – les hommes...

 

 

Ni lutte ni admonestation. Et moins encore de jugement. Ce presque rien – qui est tout, en vérité – infiniment accueillant... Comme si la puissance – toute la puissance – des désirs s'était transmutée en regard – en accueil – en présence... Si proche qu'elle en devient invisible pour la plupart... Et si évidente et naturelle que l'on s'imagine devoir la conquérir – et l'acquérir – alors qu'il nous faut, au contraire, nous défaire toujours davantage... Et lorsque tout s'est effacé – et a disparu – c'est cela qu'il reste – cette présence indicible et inimaginable à laquelle ne peuvent prétendre ceux qui ne se sont encore dépouillés du faux, de l'inutile et du superflu...

 

 

Au fond peut-être du jour, ce silence qui nous échappe encore... Comme la vie – et le temps – qui s'enfuient devant la main trop saisissante – et trop avide de conquérir et de s'approprier – et les âmes en déficit d'humilité et d'innocence...

 

 

Ni succès ni gloire. Le grand effacement. La reddition de l'orgueil. L'anéantissement de l'après et de l'espoir. La capitulation du désir et du besoin de certitude. L'abandon, que l'on aimerait définitif, à l'instant – éternellement recommencé – dans l'innocent accueil de ce qui vient ; vents, tempêtes, visages, coups, circonstances, défaites, voix, cris, rumeurs, malheurs... qui nous apparaissent sous les traits du plus précieux – et de l'inévitable – où se marient, avec la plus grande sagesse, l'Amour, l'oubli, l'union et l'hospitalité...

 

 

Tenter de dire ce que nous sommes – et ne pouvons être...

Un oiseau infime posé sur une branche. Le vol majestueux de l'albatros au dessus de l'océan. Le sillage des navires. Le furtif passage des nuages. Le chant des rivières. L'arbre à la sève frémissante au printemps. Le visage décharné, et angoissé, des vieillards à l'approche de la mort. Les cris et le chahut des enfants. Toutes les expressions du monde. Et leurs infinies vibrations. Et les vents où tout tournoie... Et le rire de l'innocence qui à tout – et à tous – ouvre les bras. Et le silence que nul n'entend encore...

Les rivages où meurent les bêtes. Les eaux tumultueuses des fleuves. La parole des poètes. Tous les livres ouverts à la lumière. L'herbe et les frondaisons de la terre. Les larmes des mères sur la tombe de leur(s) enfant(s). L'air du large. La danse à l'automne des feuilles mortes. Les précipices et les chemins. Les fleurs et le goût des fruits mûrs. Les prières et les lamentations des prophètes. Les murmures et l'infini. Et l'Amour et la beauté. Et le silence, bien sûr...

 

 

Ni amour ni victoire. Un parfum de légèreté... Une présence. Un tourbillon de joie insensé. Le merveilleux du monde et le miracle de l'homme, cachés derrière l'atrocité des siècles. Et les mille visages de la terre qui ne forment, à présent, plus qu'un seul sourire...

 

 

La beauté et la joie. L'émotion poignante – insurpassable – d'être un visage parmi les visages. Et un sourire unique et commun sur toutes les lèvres...

 

 

Nous pourrions être surpris par la puissance et la magie de la poussière. Et son étonnante présence dans notre vie. Comme la marque, sans doute, la plus fidèle de notre appartenance. Comme un visage furtif dans la joie et le silence...

 

 

Tout être sans la moindre saisie ni la moindre volonté d'appartenance... Cette boue grise – et merveilleuse – qui se remodèle sans cesse en s'unissant parfois au souffle – et qui se décompose et se recompose encore... Et cette lumière, merveilleuse elle aussi, qui anime et contemple toutes les danses...

 

 

Aimer encore. Aimer toujours. Et s'y perdre jusqu'à l'effacement du temps et des visages – jusqu'à l'effacement de toute trace – de tout passé – de notre passé si orgueilleux et encombrant... Pourrait-on rêver de plus léger – et de plus merveilleux – destin... ? Et n'est-ce pas celui dont Dieu rêve pour les hommes – et toutes les figures présentes sur la terre – qui rechignent tant à l'obéissance et à la soumission (joyeuse) – à s'ouvrir à cette (possible) délivrance de l'âme, incarcérée depuis si longtemps dans son illusoire et fallacieuse identité...

 

 

Une route aussi blanche que l'innocence où s'éreinte, en vain, le réel qui serpente entre nos âmes. Et où s’enlisent les cœurs oppressés, et avides de nouvelles terres, qui exhortent à la conquête et refusent de s'abandonner – de se soumettre à toute forme de capitulation...

 

 

Ni perte ni abandon. Un juste recueillement. Notre état, sans doute, le plus naturel...

 

 

Ni sagesse ni folie. Pas même une volonté raisonnable. Le plus honnête chemin de l'âme. Notre présence – et notre appartenance – les plus familières...

 

 

Tout passe – s'anime et s'envenime un peu – avant de s'apaiser et de retrouver le silence... Tout l'éphémère l'atteste – et la présence, en lui, de l'éternité. Comme des sauts continus – et une ronde perpétuelle – voués à tous les recommencements... L'évanescence du monde bondissant au sein de la plus parfaite immobilité vivante – le sensible, son feu et ses cabrioles naissant et rejoignant toujours l'infinie et sereine immensité des origines...

 

 

Ni aubaine ni consolation. La voie implacable, et incontournable, de l'homme. Et le destin le plus raisonnable de la terre. Ce à quoi nous invite Dieu – et nous incitent, sans cesse, nos profondeurs. Ce à quoi nous conduiront tous nos exils et toutes nos errances... L'unique possibilité malgré l'épaisseur de la nuit et les griffes de l'ignorance... Cette lumière originelle à laquelle nous sommes attachés...

 

 

La fin des jours sonnera la mort, bien sûr. Mais avec elle aussi, la possibilité du retour.... Comme à tous les instants – comme à chaque instant – de cette vie avec un pas en surplomb vers cette lumière que nous sommes depuis toujours...

 

 

Et le noir – et la folle obscurité de l'ignorance et l'obstinément gris – rejoindront, eux aussi, les pentes enneigées – cette lumière blanche où tout se décompose pour renaître en soleil – où les souvenirs, et la mémoire même, s'effacent pour se métamorphoser en innocence...

 

 

Ni pluie ni fumée. Ni ciel ni désastre. L'éternel de notre visage... Et cette lumière éparpillée au fond de toutes les âmes...

 

 

Esprits et âmes inertes. Voués à la monotonie des heures et à la paresse ronronnante des jours. Pris comme la pierre dans l'immobilité des siècles. Comme des terres incultes, en friche, abandonnées au souffle hasardeux des vents où serpente, entre les ronces et les herbes folles, un mince filet de vie ; les nécessités et les contingences de la vie quotidienne ensommeillée dans le confort – et agrémentée par quelques plaisirs indigents...

 

 

Ni angle ni recoin. Une aire de pleine liberté. Ni cri ni tapage. Le seuil, indépassable, de l'écoute. Ni ombre ni murmure. Un espace de lumière. La terre d'accueil des âmes innocentes caressées par le silence...

Ni rire ni larme. L'attente, sans impatience, du plus clair – et du plus précieux – de l'existence. Comme une flamme, intacte, qui brûle les désirs. Cette présence souveraine qui règne sans partage. Les yeux de la lumière...

Ni eau ni pente. Un gouffre sans faille qui avale les doléances – et redonne à l'âme son équilibre. Le socle, éminemment fragile, de la justesse...

Ni cri ni tourment. La sereine quiétude de l'instant qui efface des siècles d'horreurs et de frustration. Et qui délivre du sentiment d'incomplétude et d'inachèvement...

 

 

Ni ciel ni haillon. Ni plume ni orage. Pas même une prière...

 

 

Ni dégoût ni mépris. Au cœur de la plus parfaite lumière. Nu comme le sont les bêtes mais avec l'âme si proche de Dieu. Notre visage le plus commun enveloppé – et débordant – d'Amour et de silence...

 

 

Ni ruine ni dédale. Ni voie ni édifice. Pas même une route – ni même un labyrinthe – où se perdre... Une eau tranquille. Le lit de toutes les rivières où viennent mourir nos vestiges et nos secrets. La voie magistrale du silence et de l'accueil sans omission où rien ni personne, jamais, ne se sent meurtri ou oublié...

 

 

Ni foule ni horde. Ni semonce ni bataille. La plus haute solitude. Et la plus vive paix de l'âme...

Ni halte ni chemin. Une aire continue de transparence, à la fois immobile et mouvante. Fugace et permanente. Insécable et éternelle...

 

 

Comme une trace de vie infime sur la corniche de l'éternité. Face à l'océan rieur – et parfois si mordant (presque sarcastique) à l'égard des hommes et des âmes recluses. De tous ces prisonniers, esprit et corps, enchaînés à leurs fers...

 

 

Comme des mains liées au néant qui plongeraient dans l'abîme qui n'est, en réalité, que la porte d'un autre ciel – plus vaste que celui dont nous sommes si familiers... Comme un saut, à la fois infime et magistral, au dedans – et hors – de soi, nécessaire à la cessation de la cécité et au silence...

 

 

[Lointain hommage à Claude Roy]

A la lisère des heures – à la lisière du temps –, une nuit plus claire. Et des millions d'étoiles. Et ce goût ineffable du présent... Un instant. Un instant seulement pour offrir nos mains et notre âme au silence et redonner au monde cette part de soi – cette lumière du ciel si longtemps oubliée...

 

 

Comme des fragments de lumière enfin réunis après avoir été, si atrocement, éparpillés... Comme la réunion de la terre et du ciel – de l'invisible et de la matière – des songes et du réel. Comme un jour de plein soleil constellé d'étoiles. Comme une chair et une main frémissantes sous les caresses du silence...

 

 

Un jour, sans doute, sonneront les cloches de l'éternité. L'instant et les mains alors deviendront si proches qu'ils dessineront ensemble la fin de l'obscurité. Et la lumière dansera partout avec le vent et les âmes pour annoncer – et célébrer à la ronde – une fête sans fin. La venue des délices et des réjouissances – ce paradis promis par les pasteurs et les prophètes des temps anciens. Et nous verrons alors le monde et l'invisible marcher main dans la main comme une procession sans âge avec, au creux de toutes les lèvres, le goût d'un infini et d'une promesse retrouvés. Comme le sacre triomphal et inespéré de tous les destins...

Et chanter – et annoncer – ce possible – et encourager les élans –, voilà peut-être la tâche secrète du poète. Et vivre cet inespéré, la besogne humble et quotidienne du sage. Quant à la vie, comme de coutume, elle se chargera du reste pour que la chance puisse sourire enfin, un jour, au monde et aux hommes...

 

 

[Modeste hommage à Cesare Pavese]

Comme une grâce amoureuse de sa propre ferveur malgré l'aube déserte. Comme un sourire chaste, une fraîche caresse – un frisson pénétrant au cœur de l'âme...

 

 

Un monde réconcilié avec le parfum des fleurs et le sourire des enfants. Avec ce que l'âme, sans doute, porte de plus précieux...

 

 

Comme une navigation diffuse au dedans de nos plus étranges méandres. Comme le goût du sel sur nos lèvres. Enfoui dans le plus nocturne des jours... Comme un fossile, intact, d'avant notre naissance, abandonné sur la grève par les marées et les promeneurs...

 

 

Ni cirque ni spectacle. Pas même un numéro de jonglage ou d'équilibriste. Le réveil de l'eau stagnante au cœur des marécages. L'intuition du ruisselet, curieux (enfin) de sa source, rejoignant, après tant d'impasses et de détours, l'océan...

 

 

Ni rivage ni forêt. Ni îlot ni désert. Pas même un décor. Le souffle nu – et invisible – du vent. Et le furtif passage des nuages. Comme une onde discrète encerclant et inondant toute possibilité. Les mille destins du monde et des âmes...

 

 

Ni masque ni parure. La plus simple – et discrète – vêture. Le goût de l'invisible comme suspendu à la chair. Et l'infime du langage pour en témoigner...

 

 

Ni foule ni sanglot. La langue brute des promesses – des mille promesses – à tenir. Et la certitude de la joie...

 

 

Ni lueur ni pénombre. La danse chavirante de la lumière. Et le gage, peut-être, d'un rire incompris – et incompréhensible. Tonitruant – et presque incongru – dans le silence et l'espérance, encore indécise, des foules. Inexplicable malgré les larmes et les malheurs. Et, bien sûr, infiniment salvateur et contagieux...

 

 

Ni chair ni peau. Pas même une ossature. Une main immense et invisible suspendue au dessus de tous les mondes. Et de tous les vides. Une extension, sensible, du ciel sans fil ni attache. La seule réalité tangible parmi les corps – et au dedans même de la matière. Une pluie ininterrompue de lumière. L’incompréhensible incarné – vivant et vibrant en toutes choses et serpentant entre elles à l'infini...

 

 

Ni fuite ni invasion. Le retour à la juste place de l'incompris. De l'oublié. De ce que nous avons tenté d'évincer pendant des siècles. L'hôte de tous les hôtes. Le tenancier de tous les pensionnaires. L'origine du monde et des saisons. Le maître de tous les lieux – celui par qui tout est arrivé...

 

 

Ni âme ni destin. Le sacre permanent de l'innommable. Comme un cœur ouvert sur toutes les lunes qui balaye le temps et le hasard... Et les premiers effrois de l'aurore lorsque meurt la nuit...

 

 

Ni brume ni brouillard. La fin des ombres et des promesses embrouillées – si intenables. Le règne d'un soleil sans rival. L'effacement des pas craintifs et dociles. Le recommencement d'une besogne inachevée. La condition naturelle du monde et des hommes. Le sort de toute existence. La prédiction de toutes les fois. Le gage – et le présage – de tous les Dieux. Le chant des origines et de toutes les sources. Notre divine réalité ; cet océan peuplé d'îles, de flots et de créatures où alternent les tempêtes et les eaux calmes par delà les rives et les mille embarcations de fortune...

 

 

L'abolition du temps et des seigneurs. Le sacre permanent de l'innocence...

 

 

Ni parole ni gémissement. Pas même un souci d'ailleurs. Le glissement implacable dans l'Un sans visage. Et le goût de soi éparpillé en autant de bouches que compte l'univers. Un ciel sans étoile qui apaise tous les désirs de fortune sans insulter ni la soif ni la gorge asséchée des hommes – et qui redonne aux arbres, aux herbes et aux bêtes l'espoir – et la saveur – des plus doux printemps. Les mille échos du silence...

 

16 décembre 2017

Carnet n°116 La tâche du monde, du sage et du poète

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Ni pluie ni soleil. Un temps, indéfiniment, incertain. Mais qui livre aux jours et aux âmes une fraîcheur inespérée. Ce que nous guettions autrefois, avec tant d'espoir, par la fenêtre derrière le ciel gris et nuageux...

Redire encore et encore ce que nous avons toujours été – et ce que nous avons toujours su – malgré l'ignorance et la haine. Comme une parole lointaine, infiniment répétée, pour s'assurer qu'elle soit entendue. Comme le silence chuchoté à sa propre oreille...

 

 

Passablement défaites par le temps, la couleur des pages et la voix du poète. De plus en plus blanches et silencieuses. Comme arrivées à l'extrême de leur possibilité... Au seuil, peut-être, de l'innocence. Au bord, sans doute, de la lumière...

Avec toujours moins à dire que le moins bavard des silences. A la frontière de la plus grande extase et du plus définitif effacement... Au cœur de cette joie, détachée du désir, que cherchent tous les hommes...

 

 

Sous la férule du silence, sans doute, les plus belles paroles. Celles qui se prononcent dans la plus parfaite innocence, sans même le souci d'être entendues...

 

 

Quelques mots que le poète adresse au silence. Comme une gratitude envers celui qui s'est partagé...

 

 

Ni paix ni violence. Ni grâce ni souffrance. L'instant seul malgré le défilé, improbable, des heures...

 

 

Le rien. L'incertitude totale du monde. Et la fenêtre des possibles, entrouverte, où viendront s'effacer tous les destins...

Ce qui s'approche, et que l'on voit arriver, ne viendra peut-être pas... Ou arrivera plus tard lorsque les circonstances l'exigeront...

Et ce qui doit nous rendre visite se montrera aussi sûrement que ce que nous ignorons. Avec autant de certitude qu'est grande notre ignorance de la vie et du monde...

Une existence – et un destin – livrés aux (seules) nécessités des jours et au silence...

 

 

Nos vies. Quelques anecdotes dans l'épais, et risible, récit du monde. Quelques gouttes dans l'une des minuscules rivières de l'univers, pas même conscientes de l'infini qui les a fait naître – qui les alimente de façon permanente – et dans lequel elles se jettent continuellement...

 

 

Ni mot, ni faim. Pas même un poème – ni même un morceau de pain – à offrir. Un regard posé là – et sans appétit – que jamais les circonstances ne viennent contredire... Comme une vacuité lisse – et pleinement acquiesçante à tous les désirs, à toutes les frénésies et à toutes les formes d'absence...

 

 

Le langage universel est le silence. Et il (nous) faudrait, sans doute, traduire tous les signes et toutes les langues du vivant, et jusqu'aux plus rares dialectes, en sabir – en socle unique de compréhension. Comme une tour de Babel inaudible, en quelque sorte, mais enfin efficiente...

 

 

Ni désir ni image. Le plus éternel. La fragile évidence d'être vivant. L'émotion pure d'exister... Et la certitude d'une présence éminemment lointaine, et si proche pourtant, accueillant ce qui passe : le monde, la terre, la vie, les bêtes et les hommes, l'illusion du temps et tous les visages de l'invisible. Ce que nous croyons savoir. Ce que nous croyons être et ce que nous sommes... Notre double identité : l'être et ce qui est, indivisibles – unis dans leur fabuleuse diversité de traits...

 

 

La souffrance n'est absurde. Et moins encore un sacrifice. Elle est le signe d'une possible transformation. Le gage d'une joie à venir. Un pas initiatique dans la découverte de ce que nous sommes. Une tentative de percer – et de mettre à jour – ce que nous croyons – et avons cru – être... Une opportunité de quitter la croyance et l'illusion. L'invitation perpétuelle de la lumière à l'innocence et à la vérité...

 

 

Entre terre et ciel, la promenade furtive de l'homme. Un bref et superficiel séjour voué au labeur et aux agréments (assez indigents) où la métaphysique et le spirituel – et tout questionnement d'ailleurs – sont bannis. Relégués (au mieux) à l'adolescence et (avec un peu d'espoir) à l'instant de la mort.

Pas de quoi amorcer la moindre fouille – ni creuser et suivre la moindre piste. Pas question donc d'approcher le réel et la vérité ni même de vérifier la longueur et la couleur de la barbe de Dieu...

 

 

Ni question ni réponse. Ni quête ni vérité. Juste un éloquent silence...

 

 

Une poésie – et même une écriture – non métaphysique est comme un rideau sans fenêtre. Une (simple) décoration sans perspective...

Dans la poésie métaphysique, la parole tient lieu de poignée pour ouvrir la lucarne, notre si minuscule lucarne, et voir – et sentir – le monde et l'horizon si vivants et s'avancer, au loin, le silence et la lumière qui les recouvriront bientôt... Voilà, sans doute, la plus noble vocation du poème...

 

 

Il n'y a rien à dire sur le monde. Et rien à lui réclamer. Simplement, peut-être, lui offrir le silence – ce grand monstre inquiétant et repoussant mais dont la présence assurément éclaircirait ses ambitions, refonderait ses projets et ses programmes, aiguiserait, sans doute, sa curiosité et ses interrogations et octroierait à son peuple, ne sait-on jamais, un goût plus prononcé pour la beauté et l'innocence – pour l'honnêteté et la vérité, si nécessaires pour transformer sa marche folle et insensée...

 

 

Un séjour, des espoirs, des démons. Et la naissance – la perpétuelle continuité – de la tristesse. Comme la seule possibilité de voir éclore, un jour – plus tard – beaucoup plus tard – la lumière et le silence...

 

 

Le secret des ombres ? Hormis notre ignorance, elles n'en ont guère... Un destin fait non de hasards mais de forces mécaniques peut-être...

 

 

Des siècles peu soucieux de silence et d'oubli où l'on expose, dans toutes les vitrines, ses bruits et son nom comme la seule gloire possible. Le sacre de la plus haute ambition de l'homme. Tristes millénaires...

 

 

Ni jeu ni pouvoir. Un goût de l'Autre, à jamais irréversible où le silence, seul, est célébré...

 

 

Parole après parole, on se défait du silence pour le rejoindre plus sûrement peut-être...

 

 

Une agonie, plus belle que nos vies, nous invitera, un jour, à une fête inoubliable organisée en notre honneur... Le temps de parvenir jusqu'à l'innocence...

 

 

Chercher l'invisible derrière la matière. Et la joie qui se cache dans les circonstances. Cette danse inévitable, partout, du silence...

 

 

Au fil des jours se dégagent, peut-être plus obstinément, la joie et la lumière que rien ne pourra déchirer – ni les ombres ni la nuit. Comme la plus lente – et la plus éclatante – victoire sur tant de siècles d'obscurité et de malheurs...

 

 

Ni pluie ni soleil. Un temps, indéfiniment, incertain. Mais qui livre aux jours et aux âmes une fraîcheur inespérée. Ce que nous guettions autrefois, avec tant d'espoir, par la fenêtre derrière le ciel gris et nuageux...

 

 

Homme de silence et de simplicité, juché sur la plus haute rosée de la terre. A califourchon entre le soleil et les étoiles... Evadé de la gangue noire des illusions où sont enfermés les hommes. Un pas de danse. Une parole claire. Et pas l'ombre d'un soupir. Un murmure, né de la lumière, adressé au vaillant, et malheureux, peuple de la terre...

 

 

Redire encore et encore ce que nous avons toujours été – et ce que nous avons toujours su – malgré l'ignorance et la haine. Comme une parole lointaine, infiniment répétée, pour s'assurer qu'elle soit entendue. Comme le silence chuchoté à sa propre oreille...

 

 

Ah ! S'il nous était possible de ne pas être mêlés aux complots de cette sordide réalité... Mais qui a dit que nous n'en sortirons pas indemnes...

 

 

Un matin de pluie et d'amertume ? Non, cette longue nuit où se sont enfoncés les hommes qui attriste (un peu) l'âme sage qui attend sans impatience le soleil de la mi-journée en espérant qu'il saura éveiller quelques visages, trop longtemps endormis peut-être... Mais comment pourrait-elle ignorer que le sommeil est, bien souvent, le prélude de tout réveil...

 

 

Le silence est un visage sans lèvres. Et la lumière un œil sans nom. Et nous sommes cette étrange figure que nul ne voit et qui effraye tant les hommes. Cette présence, invisible, qui embrasse le monde. Et dont les baisers, infiniment répétés, finissent par éveiller les âmes. Ce que les hommes, depuis les origines – dans leur crainte et leur ignorance – appellent Dieu...

 

 

Ni désir ni parole. Pas même un silence. La table – l'établi – du poète où se pose ce qui meurt – et où s'élance ce qui doit naître. Comme le signe peut-être que la lumière ne peut mourir... Qu'il existe une piste – et que des traces sont perceptibles – pour qu'advienne l'effacement, et, à sa suite, plus tard, peut-être le silence...

 

 

Entre le désir et le souvenir, l'homme saute à cloche-pied sur sa marelle en comptant les points – et les heures creuses où il s'enchaîne depuis des siècles... Et on le voit lancer son palet toujours un peu plus loin en croyant ainsi pouvoir atteindre le ciel, cet inconnu – cette infime possibilité de lumière...

Et après le ciel, qu'y a-t-il ? se demande-t-il parfois. Serons-nous enfin parvenus au paradis – à cet éden tant espéré ? Serons-nous arrivés à la fin du voyage ? Non, lui dit le sage. Nos yeux seront désormais ouverts mais il nous faudra encore reprendre le chemin – refaire le voyage maintes et maintes fois jusqu'à ce que les noms inscrits à la craie sur le bitume de la terre, et les frontières et les étapes, s'effacent. Disparaissent...

Et au jour du grand silence, nous comprendrons enfin le jeu du temps, des désirs et du souvenir... Et nous dessinerons alors une autre marelle, plus grande peut-être, différente sans doute, ou nous inventerons un autre jeu pour offrir à la lumière et au silence la joie d'être vivants – et de se perdre et de se retrouver encore et encore aussi beaux qu'aux premiers jours de tous les recommencements...

 

 

Des barreaux plus innocents que les mains qui jettent dans les cages... Qu'auront donc vu les hommes, victimes et bourreaux, de l'innocence ? Ils mourront, sans doute, comme ils sont nés avec cette infecte barbarie au fond de l'âme...

 

 

Au dedans, cette voix qu'ignorent les cris du dehors...

 

 

Dire la fraîcheur du matin. La mort qui guette partout. La beauté des arbres. La hache des bûcherons. L'infini des jours et la marche sans fin. La terreur et la misère des hommes. L'effroi et la solitude des bêtes. Dire la vie, le monde et la lumière. Tourner – tourner sans cesse – autour d'un silence inconnu... Et éveiller lentement notre visage à l'atroce beauté des saisons. S'établir au cœur des incertitudes. Et aimer – et contempler – encore ces amas de poussière qui tournoient dans les vents... Et cette âme, si belle au fond qui attend le silence – et la lumière qui saura l'éclairer sur l'abjection et l'infamie, l'éternelle traversée des heures, et l'instant, à peine né, qui s'efface déjà – et les circonstances que déploient l'univers et le cours des choses... Ce si peu d'existence qui nous est offert pour apprendre à vivre...

 

 

Tout dénouement annonce les prémices d'un nouveau recommencement. L'éternel retour des choses qui meurent – et renaissent encore... L'évanescence du passage. Et la certitude de l'effacement. Le fil rouge, en quelque sorte, de l'Existant...

 

 

Les vies. Comme de courtes vacations où chacun tient son rôle – et remplit sa mission.... Quelques traits dans le destin du monde – et dans le grand dessein de l'univers...

 

 

Tout a été dit déjà. Aussi que pourrions-nous dire qui n'a jamais été exposé ni annoncé ? Le silence réclamerait-t-il encore une parole ? Et laquelle ? A moins, bien sûr, que nous ayons encore mal entendu – et mal interprété ses consignes...

 

 

Encore une ligne – encore un chemin – où se perdront quelques mots – où se perdront quelques pas... Comme une danse – une ritournelle – irrésistibles du corps et du langage...

 

 

Et si le monde – l'histoire du monde – nous était conté(e) par les pierres, les arbres et le silence – saurions-nous entendre leurs murmures et leurs secrets ? Saurions-nous nous asseoir paisiblement à leur côté pour écouter le récit des siècles raconté par ceux que l'on croyait inaptes au langage – et qui ont pourtant tant de choses à nous dire – et tant de vérités à révéler à ceux qui se sont toujours imaginés les uniques dépositaires de la parole et de l'intelligence...

 

 

Y aurait-il une joie à partager dans le silence que nul ne ressent encore... Et un Amour – et une lumière – que nul ne pourrait corrompre ni assombrir... Comme les vestiges intacts, et toujours neufs, des origines que les hommes n'ont cessé de fuir pour se mettre en quête de bien pâles et indignes nouveautés...

 

 

Il y a peut-être un pas que jamais nous ne saurons accomplir... Celui qui se réalise sans raison. Pour la simple joie d'aller sans destination...

 

 

Nous allons sur les chemins de la terre parmi les catacombes comme si la mort n'existait pas. Comme si la mort n'était qu'un rêve – qu'une ligne d'horizon lointaine – alors qu'elle est là, éminemment présente, à chaque pas – à chaque souffle ; la mort des autres que nous feignons de ne pas connaître – et à laquelle nous nous pensons étrangers... et la nôtre dont chaque instant nous rapproche...

 

 

Une joie peut-être à dire ce que nous ne pouvons encore comprendre du silence...

 

 

A nouveau, quelques pas dans la brume. Comme prisonnier toujours des jours bas et des reliefs de la terre... Une inclination, peut-être, de l'âme, à se morfondre dans sa dimension la plus humaine – à prêter le flanc à la stupidité de l'attente – et à l'espoir de jours meilleurs où régnerait à jamais un temps clair et clément...

 

 

La grâce d'un instant de présence. Comme la preuve, possible, d'une éternité réellement vécue... Avec ce regard clair et confiant si caractéristique... Cette joie tranquille. Et cette âme qui n'attend ni n'espère (plus) rien... Simple témoin acquiesçant à ce qui passe et s'efface aussitôt... Comme un infini au dedans de la chair, spectateur désincarné, et sans exigence de certitude, d'un monde ni réel ni fantomatique – indéfinissable...

 

 

La compagnie d'un poète. Comme une main amicale et réconfortante sur l'âme solitaire – et un peu perdue – qui cherche désespérément sa propre confiance et son propre chemin parmi les vents et les visages, parfois si hostiles, de ce monde...

 

 

Un soir de lune blanche comme pour dire aux hommes et au ciel d'attendre le silence...

 

 

Vaine est la vérité que l'on crie aux hommes car l'on verrait aussitôt quelques-uns s'en emparer et en user comme d'une hache pour nous fendre le crâne et verser sur la terre un sang inutile...

 

 

Le silence sera toujours le plus utile – et le plus fidèle – allié de la vérité que l'on verserait (tout entière) dans chaque geste juste en oubliant, bien sûr, la renommée – ou la gloire, toujours possible – de son auteur...

 

 

Baignés encore de nuit, je vois les hommes déambuler au hasard sur les chemins de la terre, l'âme et la peau trempées d'espoirs et de terreur... Comme une armée d'intrépides aventuriers voués à la malédiction de l'incarnation. Vivants de chair promis à tous les sortilèges...

 

 

Ni vertige ni avancée. L'ombre mutilée, presque agonisante, qui s'éparpille en éclats. En poussière dans la lumière. Comme une trêve, une rémission peut-être, dans le provisoire des siècles...

Ni trappe ni fenêtre. Ni vent ni séjour. L'abandon d'un pas, autrefois si fier, aux portes du jour. Et le soleil derrière la vitre qui dessine un ciel sans étoile. Une clarté, encore imprécise, qui inonde tout ; abîmes et puits de lumière. Notre seule gloire peut-être...

Ni tombe ni regard. L'éternité qui se repose des siècles dans le plus éphémère...

L'âme et le ciel emportés dans le même trou de lumière...

Ni œil ni aile. Ni chemin ni ornière. Une présence à laquelle tout s'abandonne – et dans laquelle tout s'efface...

 

 

Nos vies, nos âmes submergées par ce lointain qui s'est approché – et que nous avons accueilli comme le plus familier... Ce visage – notre visage – que nous avons cru perdu – et que nous cherchions partout si désespérément – et qui est venu au terme de tous les abandons...

 

 

Ni voix ni oiseau. Ni chant ni parole. Pas même un murmure. Un grand silence où tout s'estompe – et que nos désirs dissimulaient, intact, au fond de l'âme...

Et nous sourions aujourd'hui de toutes ces murailles que nous érigions pour nous en défaire, ou le rendre plus vivable, et qui gisent à présent en contrebas parmi la poussière que les vents balaieront comme le reste – comme tout ce que nous avons abandonné dans le grand puits de l'oubli, là où la mémoire ne peut pénétrer – là où la mémoire même se défait...

 

 

Surgie de nulle part – et, peut-être, de partout – voilà la présence qui s'immisce, qui s'infiltre et se propage en tous lieux. Dans le regard d'abord, puis dans l'âme et le cœur et dans la vie et le monde enfin... En – et parmi – nous qui l'avions tant espérée – et qui n'avons jamais rechigné à nous dépecer jusqu'à effacer les noms sur la chair – et jusqu'à nos plus infimes désirs...

Et, à présent, partout des ombres, des cris, des chants et des cascades de lumière. Comme les reflets de notre vrai visage. De ce que nous n'avons jamais cessé d'être – et que nous serons encore jusqu'à la fin des siècles. Et, sans doute, bien plus longtemps encore... et que nous serons peut-être même pour toujours : cet étrange entremêlement de tout dans le silence...

 

 

Dans un silence, inaudible bien sûr, nous serons jetés un jour...

En attendant, gardons-nous de blesser la chair qui n'est, sans doute, que la périphérie de l'âme... La frontière mensongère qui, comme nous le croyons si naïvement, nous sépare du reste du monde mais qui n'en est, en réalité, que le prolongement...

Meurtrir et tuer sont des actes ordinaires, et habituels, en ce monde mais ils constituent, en vérité, une atroce auto-mutilation. Et nous le saurons tous, un jour, lorsque nous aurons rencontré notre vrai visage... Et les massacres et les tueries alors cesseront sur-le-champ... Et aimer et chérir – et prendre soin – deviendront aussi naturels, et nécessaires, que respirer... Les seuls actes et la seule perspective possibles...

Et au fil des siècles (et des transformations perceptives), nous serons toujours plus nombreux à offrir notre présence, de plus en plus légitime dans l'esprit des peuples, à ce monde gangrené par les pires maux de la terre – et exacerbés par le vivant, et l'homme à sa tête, encore si puéril et immature : l'absence, l'ignorance, la haine et la cruauté. Toute cette barbarie – et toute cette tyrannie – que nous croyons aujourd'hui encore indispensables à notre survie...

 

 

Peut-être aurons-nous tous, un jour, l'occasion de véhiculer cette parole qui encense et ensemence l'Amour... et la possibilité de le transposer en gestes... Et ce jour-là, nous nous réjouirons d'être des hommes. Et le vivant se réjouira d'être en vie. Et la terre se réjouira de notre présence... Comme une grande famille (enfin) réunie dans la joie, la lumière et le silence après tant de guerres atrocement fratricides... Que pourrions-nous espérer d'autre ? Ne serait-ce pas là le plus beau destin du monde...

Et la tâche la plus digne, et la plus urgente, du poète serait sans doute de livrer, dans ses dérisoires lambeaux d'écriture, ce goût pour un au-delà des horizons communs – et de s'approcher au plus près de cet Amour si maladroitement incompris, et voué jusqu'à aujourd'hui à l'indifférence du monde et des hommes...

 

 

L'arbre et le monde, comme la joie et la poésie, se déploient – et se déploieront toujours – dans le plus grand silence...

 

 

Soyons présents là où se glisse le vent. Là où le silence perce les ténèbres pour se faire joyeux... Il n'y a d'autre endroit pour vivre – pour aimer et comprendre un peu... Comme un étroit interstice dans lequel le monde – et les hommes – refusent de plonger et de disparaître... Là est cette vie pleine à laquelle nous aspirons...

 

 

Et le bleu, peut-être, nous dira le jour. Et le scintillement pâle des étoiles, la nuit. Et peut-être serons-nous (enfin) réveillés à l'heure de la grande éclipse... Présents de l'aube au crépuscule, témoin impartial de l'obscurité et de la lumière, insoucieux du sang versé par les vivants...

 

 

Un dernier soupir – un dernier sourire peut-être – nous fera frémir. Comment savoir le dernier accueil que nous réserverons au monde...

 

 

Danses, facéties, et même quelques rires, aperçus – et entendus – non loin du tombeau qui s'approche à grands pas. Comme une ombre immense sur tant de frivoles gaietés – sur ces infimes soleils que les hommes aiment tant coller sur les murs de leurs ténèbres pour essayer de repousser la mort – et l'oublier – comme s'ils ignoraient qu'elle finira, un jour, par tout emporter...

 

 

Une lumière imaginée, ou imaginaire peut-être – allez savoir... – vient s'immiscer au dedans de tout. Et au fond de l'âme d'abord qui en a tant besoin...

 

 

Marcher avec le temps collé aux basques – et avec ces souvenirs et ces mille projets gravés sur la peau – comment l'âme pourrait-elle connaître l'innocence...

 

 

Nous sommes nés loin des miracles. Comme les fruits, amers sans doute, d'un songe que nous n'avons choisi. Les acteurs d'un mythe voué(s) à la mort – et qu'aucune marche ne sauvera... Le centre de ténèbres infranchissables dont seul le regard pourrait nous délivrer... Mais comment pourrait-on y consentir en demeurant prisonnier de l'apparent paradoxe du vivant...

 

 

Ni gloire ni célébration. Ni yeux ni main pour encourager et applaudir... Une solitude monumentale, et merveilleuse, où se glisser. Y bâtir son nid (rugueux) et son aire d'envol... Et le courage qu'il nous manque parfois pour y poser notre âme... Mais le chant des oiseaux sera là encore, une nouvelle fois, pour nous exhorter à émerger de la paresse et des enlisements. Comme des anges venus, peut-être, guider notre chute. Comme une bénédiction offerte à tous les honnêtes aventuriers...

 

 

Des lambeaux d'écriture comme des fragments de prière inutiles. Déchirés par l'usure et la récurrence du langage. Posés là devant l'indifférence du monde et des hommes comme les vestiges d'une ère où l'écriture était libre et joyeuse et la parole des prophètes entendue...

 

 

Et toutes ces têtes attentives aux autres que nous ne connaîtrons jamais, ensevelies par les foules et l’insensibilité des siècles... Et qui nous auront pourtant jeté, parmi les cris et les bruits de ce monde infâme, quelques signes de joie, quelques larmes, le goût pour un au-delà des horizons et ce désir inespéré de silence... Comme la preuve – et un avant-goût peut-être – d'une lumière encore lointaine – encore si lointaine pour les hommes...

 

 

Ce dont s'honorent peut-être les pierres, le silence des âmes...

 

 

La bouche entrouverte dans le silence, muette devant la beauté, à peine entrevue, du monde qu'aucune parole ne pourrait satisfaire – mais qu'une présence saurait apaiser – et dont les gestes sauraient, sans doute, amoindrir les tourments, l’inquiétude et les interrogations...

 

 

L'homme poignardé, pense-t-il à la moindre occasion, par le silence et la solitude alors qu'en vérité, ils le soulèvent. Et l'invitent au plus haut faîte du monde...

 

 

Aucune menace ne pèse sur nous sinon peut-être l'ignorance – et ses cascades de malheurs qui (nous) enchaînent au pire de l'homme...

 

 

Nul calvaire pour les insoumis. Les promesses de la solitude. Et, plus tard, les joies du silence...

 

 

Enfoui dans cette crainte de nous-mêmes, le plus beau – et le plus pur – de notre visage. La réponse à toutes les énigmes. Le plus sûr allié du monde. Et la plus généreuse promesse, sans doute, de silence et de lumière, ensevelis aujourd'hui sous des couches d'espoirs et de mensonges, nos plus fourbes et illusoires atouts pour nous découvrir...

 

 

Le jour où nous saurons nous agenouiller – et nous livrer à une contemplation auréolée de cette gratitude de l'âme entrée en grâce, nous nous tiendrons plus debout que jamais... et serons plus vivants – et plus réels – qu'au cours de tous ces siècles où nous nous serons tenus le buste droit et fier face à la terre apprivoisée – et dominée à force d'exactions et d'anéantissements...

 

 

L'humanité. Une armée d'âmes défaites et fragiles. Une procession de fantômes, poings levés et mains saisissantes posés devant soi, qui avance sans rien voir, sans rien aimer ni comprendre. Et qui arrache à la terre, et à son peuple, leur liberté et le droit de choisir leur destin. Et qui anéantit et exploite, par delà ses mille querelles, toutes leurs parcelles – et jusqu'au plus sensible de l'Existant. Et par ses méfaits, épuise – ruine presque – toute possibilité de lumière en l'ajournant à un après, plus qu'improbable...

 

 

Et cet invisible – et ce minuscule – qui partout nous sauvent de l'infamie. De cette fatale stupidité qui emporte nos cœurs et nos âmes. Et qui agite nos gestes et nos pas dans un hasardeux et dévastateur aveuglement...

 

 

Après nos ripailles et nos gloires viendra le temps du tremblement... L'aube d'une ère magnifique qui encensera l'humilité, mère de l'innocence, qui, seule, pourra offrir à notre visage la nécessité du respect et de la gratitude (naturels) – et à notre âme la joie silencieuse et discrète de notre appartenance et de notre filiation... ce socle invisible sur lequel pourra naître – et croître (enfin) – l'Amour...

 

 

Nous sommes, sans doute, cette évidence de matière, de chair et de souffle entremêlés et de silence. Tout dans nos vies – dans nos âmes – et sur nos visages – l'atteste. Reflets limpides de notre apparente et secrète appartenance...

 

 

L'étrange appel du monde qui nous condamne avant même que nous ne surgissions... Comme l'évidente, et si compréhensible, malédiction du vivant... A peine nés que déjà coupables – et soumis à tous les sortilèges de l'incarnation...

 

 

La besogne, si nécessaire, de l'invisible et de quelques anonymes pour révéler le grand œuvre du silence... Cette joie fragile, insaisissable, en filigrane de nos vies – comme la promesse de notre labeur – à laquelle ne participeront jamais ni le peuple ni les puissants, et moins encore, sans doute, les célèbres et les nantis...

 

 

La certitude de l'incertain qui partout inscrit sa marque – et son sceau – presque invisibles aux yeux des hommes. Et qui engorge pourtant tous les recoins du monde et de notre vie – et investit tous les replis de l'âme et du cœur... Comme l’empreinte mystérieuse de notre indéfinissable identité...

 

 

Un éclat, une pureté, un éblouissement. Cet instant du jour où se rejoignent tous les possibles et l'acquiescement joyeux. Cette part de silence en nous, peut-être, oubliée... Comme le crochet invisible qui tisse la toile dont nous sommes faits... et qui compose ce que, dans notre ignorance, nous appelons le monde...

 

 

Traversé à l'improviste, parfois, par le silence. Cet hôte imposant, et si souvent embarrassant que nous ne savons que faire alors qu'il suffirait d'y glisser son âme – et de la laisser y vivre à son aise...

 

 

Tant de prophéties – et de paroles même – finiront en silence. Mais pourrait-on seulement rêver pour elles de plus beau destin...

 

 

Ce que nous aimons et appelons de nos vœux comme ce que nous rejetons et fuyons comme la peste ne finira jamais. Et nous serons toujours cette éternité qui accueille le temps et les mille choses qui passent... et qui reviennent sous d'autres traits – et d'autres visages – sans jamais pouvoir s'éteindre ni s'effacer. Condamnés, en quelque sorte, à cette étrange perpétuité...

 

 

L'immobilité et l'infini, seuls témoins du mouvement et de la finitude. La conscience silencieuse et éternelle comme l’unique présence en ce monde...

 

 

Des livres, des bâtons et des chiens. Il y en a, je crois, dans tous les recoins de la maison... Dieu sait que j'aime le dépouillement mais j'apprécie tant leur présence qu'ils m'accompagnent partout – et presque à toute heure du jour...

 

 

Cet Autre en nous qui ne se reconnaît dans notre visage si hostile – si fermé – et que désole chaque regard méfiant jeté à l'inconnu... Et qui appelle pourtant de ses vœux toutes les réconciliations...

 

 

Vivant, certes, dans la respiration du monde mais si peu attentif et sensible au souffle venu du ciel... Comme amputé... Incomplet. Inapte encore à trouver l'entendement. La voie de l'entremêlement et de l'union entre la matière et le silence... Notre si commune identité...

 

 

Nous mourrons avec nos mystères et nos secrets – et avec ceux du ciel – plus opaques et irrésolus que jamais... Et il nous faudra un cœur – un sang et un souffle – nouveaux pour émerger de notre long sommeil que ni le monde ni le poète ne pourront nous offrir...

 

 

Gorgés d'espoirs et de victuailles peut-être, mais l'âme, si exsangue, que toute marche devient impossible. Comme une boursouflure alimentée par les jours et la paresse. Comme le signe, atroce, d'une invalidité métaphysique...

 

 

Ni soleil ni linceul. Une eau limpide et sereine. Et des bras ouverts aux circonstances. Comme un oiseau – une rivière – à la gorge immense contemplant les feux de la terre et les miracles – tous les miracles – du ciel. Comme une bouche peut-être, à la fois béance et miroir de toutes les horreurs infligées et de toutes les merveilles offertes... Comme un appel, une invitation – un chant discret et continu parmi les bruits et le brouhaha des hommes...

Ni peine ni sang versé. Comme des lèvres sur lesquelles se serait effacée l'espérance – et où tout, à présent, pourrait se poser... Comme la marque, évidente, d'une innocence possible – d'une joie et d'une présence sans discontinuité. Comme un soleil privé d'ombre et sans déclin. La figure éternelle d'un Dieu sans malheur...

 

 

Un cri dans le chaos pour redonner illusoirement au monde un peu d'ordre. Quelques certitudes. Satisfaire peut-être un besoin d'espoir. Faire émerger une promesse (certaine). Que nenni... Une blessure supplémentaire... Une résistance plus vive encore à l'ordonnancement (furieux) du joyeux bordel qui nous anime – et qui nous compose et régit le monde. Cet étrange entrelacement des pôles et des extrêmes – et de leur infinie palette de teintes et de nuances où chaque mélange de couleurs obéit à ses nécessités et aux desseins de l'univers orchestré par un Dieu hilare mais confiant en notre clairvoyance pour résoudre ce mystère – et le laisser s'exercer sans que nous y jetions quelques troubles supplétifs inutiles qui complexifieraient un tableau déjà bien assez insaisissable et incompréhensible...

 

 

Au bord du dénuement, une étincelle. Les prémices d'une vérité incomplète – et infiniment renouvelable. Comme l'écho permanent d'un silence ininterrompu. La grâce et la lumière, encore si inaccessibles aux hommes. La besogne du poète. Et l’œuvre, si discrète, du sage...

Et nous irons ainsi enveloppés sur toutes les routes – et vers l'inconnu dont nous ne connaîtrons jamais le visage... Et, sans même le savoir, nous nous habillerons de ses yeux – et nous nous recouvrirons de ses rires, et de ses larmes parfois, avant qu'il nous soit offert, un jour, d'habiter son silence...

 

 

Ni trace ni larme. Pas même une empreinte. Ni soleil ni silence. Pas même un héritage. Simplement ce visage dont nous avons déjà tous les traits... Et qui s'en ira dans la nuit – et qui reviendra avec le jour. Et qui connaîtra encore l'abîme et la lumière – les malheurs et l’innocence – jusqu'à l'impossible effacement du monde. Jusqu'au bout, interminable, de tous les chemins...

 

16 décembre 2017

Carnet n°115 Encore un peu de désespérance

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

On ne nous dit rien du jour. Ni rien de la nuit. On nous empale avec des clous et des promesses. Des paroles et des mensonges insensés. On nous enjoint de vivre et de croire. D'essayer de survivre et d'espérer. On nous livre à nous-mêmes. Et cet abandon est notre chemin. Notre seul atout. L'unique salut possible...

Des cendres et de la poussière. Une chair exposée à toutes les brûlures et à toutes les indigences mais adossée, toujours, au soleil...

 

 

Peut-être le monde n'est-il, après tout, qu'un cri continuel dans le silence... Une sorte de grognement plaintif et curieux, né de l'hébétude et de la peur... Comme les sanglots d'un nouveau-né qui n'en finirait pas de hurler son incompréhension et sa douleur d'être vivant... Et que rien ne saurait consoler...

L'accouchement – la naissance – est une délivrance, avait-on dit à sa mère. Qui aurait donc pu lui avouer la vérité ? Qui aurait pu lui dire que la naissance est le commencement d'une longue agonie – d'une longue détention – d'une vie de peines et de misères qui ne peut se libérer qu'avec la vérité – avec la compréhension sensible de notre nature et de notre origine – avec la découverte de notre vrai visage ?

 

 

Le vent et la mort balaieront encore la terre comme au premier jour de la genèse... L'Amour, la lumière et le silence, eux, étaient là, déjà, depuis toujours. Et seront là encore lorsque tout aura été défait, effacé et enfoui dans les sables du temps...

 

 

Il y a mille absences et mille silences qui éloignent de la véritable absence – et du véritable silence : le plus vil et le plus ignorant qui écartent, toujours, le plus haut auquel nous pouvons prétendre...

 

 

Après la mort, les restes d'une vie distribués d'une égale façon entre le silence et les vivants... Pour l'un, la part la plus sage et pour les autres, ce qui leur revient : le plus partageable – quelques babioles dont ils feront un médiocre usage...

 

 

On aimerait parfois se glisser dans l'infini. Et s'effacer dans le silence. Comme une délivrance. Une façon de s'extirper de toutes ces chaînes. Un espoir de (pleine) vivance. Comme un défi lancé à notre douloureux visage dont le reflet envahit le miroir... et que le monde continue de frapper – et d'effacer à coups d'insolences, de brimades et d'indifférence... et que nul ne voit excepté celui qui sait faire face au miroir, au visage et à son reflet sans jamais s'exposer au regard... Ce silence en nous qui contemple le plus infime rêvant d'infini...

 

 

Le vertige est un abîme. Une chute dans l'inespéré. Un envol vers l'infini. Un saut du regard dans ce qui le contemple. Un retour ignoré vers ce qui sait – et ne peut trahir – et dans lequel tout finit par se noyer... Comme une réconciliation avec notre plus haute ignorance : l'innocence et l'oubli, les ailes de la vérité...

 

 

Un mur, une fenêtre et l'espoir à enterrer au dessous des peines et des soucis. Dans les profondeurs insoupçonnées de l'oubli. Comme l'appel (bienveillant) de l'infini et de sa sœur jumelle, l'éternité pour que les retrouve ce qui s'érige, ce qui sépare et s'efface... L'infime rappelé à l'innocence et à l'espace sans restriction...

 

 

Ni terre ni eau. Une lumière naissante qui efface la brume des âmes et le sang sur les visages. L'asphyxie des vies retirées – assombries par l'ombre puissante des rêves. Comme une invitation au plus simple pour redonner au monde le sacré, oublié et piétiné depuis les origines, par les siècles, l'instinct des bêtes et les songes des hommes...

 

 

Peut-être aurons-nous l'honneur de voir naître le jour – et s'effacer ces affreuses nuits de tempête et de silence...

 

 

Ne pas témoigner de l'indicible. Incarner son possible visage... Sans doute est-ce cela être sage... Vivre sur terre, humblement auréolé d'une lumière intacte, parmi les bêtes et les hommes...

 

 

Rien ne peut éclore sans le silence. Ni la pluie, ni les jours ni les pleurs. Pas même le chagrin de son absence...

 

 

Au dedans de nous, cette lumière – infirme – comme séparée, coupée de son fleuve, large et solide, où elle pourrait s'écouler libre et heureuse, remplacé par des ruisselets, étroits et sombres, de peurs et de longs canaux souterrains où se déversent les égouts : l'espoir et le souvenir...

 

 

Dans le brouillon de notre vie, que de ratures encore, de gribouillis d'encre noire et de paroles muettes à force de silence... Quelques feuillets emplis de traits dérisoires que personne n'a pris – ni ne prendra – la peine de lire. Indéchiffrables, impartageables, illisibles peut-être... Comme si nous étions les seuls, toujours, à pouvoir écrire – et tourner les pages de notre infime, et presque inutile, existence... Palimpseste ignoré où tout ce qui se note s'efface (presque) aussitôt... Comme une invitation permanente à l'innocence (la blancheur de la page) et à la lumière (l'accueil sans restriction des circonstances – du flot permanent de la vie et du vivant). L'infini du regard sur l'immaculé perpétuel de la feuille où ne cesse de s'inscrire et de disparaître une foule de signes et d'événements – tous plus insignifiants les uns que les autres...

 

 

Ce regard infiniment curieux et solitaire d'avant le langage qui confère aux yeux l'émerveillement silencieux – béat et reconnaissant – que la parole vient, si souvent, corrompre...

 

 

Quelques notes pour dire l'homme à l'homme. Les fondamentaux qui fondent et façonnent l'humanité. La traversée du monde et de l'inhumain pour éveiller à un au-delà de l'homme déjà présent en lui mais encore infécondé... Une façon peut-être de donner vie à cette part en nous qui sommeille...

 

 

Qu'offririez-vous à celui qui ne sait* donner un peu de lui-même ? Rien, ou à peu près rien, n'est-ce pas ? Aussi, voilà, sans doute, pourquoi le monde est toujours ce qu'il est...

* Qui ne peut ou, pire, qui ne veut pour mille mauvaises raisons...

 

 

Les loups sont derrière les visages. A peine dissimulés par nos yeux de chien docile. Les crocs – et la bave rageuse – cachés par les sourires de façade. Hobbes transposé en une perspective plus vaste : le monde est un loup pour le monde. Et la vie qu'une chair à écorcher. Une matière dont on se repaît...

Corps repus et âmes faméliques. Ainsi vivons-nous, nous autres, folles créatures de la terre. Chair massacreuse de la chair...

Et nul soleil à l'horizon. Le sombre régnera encore pendant des siècles avant que les visages et les âmes ne découvrent l'innocence...

 

 

L'inouï né du langage que la vie même a du mal à imaginer... Comme si cohabitaient en nous, et ici-bas, deux univers, le vivant et l'imaginaire, aux passerelles rares et délicates... Et je ne sais lequel est le plus fabuleux... Mais ce que l'on ne peut ignorer, en revanche, c'est que le poète est l'une de ces précieuses passerelles...

 

 

Et nous mènerait-on au plus proche du plus fabuleux – de la vérité, il nous faudrait (encore) effectuer les derniers pas. L'essentiel du voyage...

 

 

Le poème, né peut-être de l'oubli du langage. Et de son usage le plus courant. Comme l'évidence que la parole ne vient ni de la terre ni des hommes...

 

 

Le monde n'accorde aucune place au poète et au penseur à l'exception peut-être d'une fonction de décorum dans l'oisiveté des jours et d'un regard, presque accessoire, sur le monde. Voilà les seuls rôles qu'on leur attribue... Si le poète et le penseur – et bien davantage qu'eux-mêmes, leurs œuvres – aspirent à exister, ils doivent se faire – s'inventer – une place, invisible souvent depuis le monde, entre l'herbe et les nuages, au cœur des forêts et des collines (et des montagnes parfois)... plus rarement au cœur des cités – et se laisser guider par le ciel et le silence – et se montrer loyaux et fidèles à l'innocence pour qu'émerge une parole, inentendue peut-être, mais si belle et si sage qu'un jour, plus tard, dans quelques siècles, les peuples se réuniront pour l'écouter. Et s'inspirer de sa sagesse et de sa beauté...

 

 

Hommes et bêtes. Les cris d'une bouche affamée. Une dépouille que s'arrachent – et dont se repaissent – les vivants. Et un crâne désossé par le temps. Un bref passage. Un court séjour sans grande incidence...

Seul subsiste, peut-être, un regard sur les silhouettes qui passent. Et un silence sur des paroles prononcées à la hâte – et qui s'effacent. Et qui éloignent plus encore du monde – et de cette beauté que nous cherchons partout...

 

 

La terre offre – se donne presque entièrement. Et le monde s'empare, les hommes saisissent et amassent... Comme des bouts de chair – des organes – inconscients et insoucieux du corps auquel ils appartiennent... Et qui sucent les parcelles, les vident de leur sang et les abandonnent en espérant (naïvement) que la terre pourra les régénérer et les renouveler indéfiniment...

 

 

Le monde agenouillé. Agonisant presque. Enveloppé de son linceul noir. Et peut-être que la lumière – et l'enchantement – viendront de ses eaux claires qui coulent sans discontinuer sur les jours. Il n'y a d'autre espérance pour la terre. Et il n'y a d'autre espérance pour les hommes...

 

 

Il y a partout cette misère, ces malheurs et cette solitude que nul ne peut dire – et que nul ne veut entendre... Et puis, au dedans, au dessus, en dessous, partout, il y a la joie et le silence. Et la beauté des âmes qui patientent sans bruit dans la pénombre...

 

 

Le travail des astres sur les âmes. Le travail des âmes sur le monde. Le travail du monde sur les corps. Et l'esprit qui ne voit rien... Et l'esprit qui ne comprend rien... Comment pourrait-on vivre ainsi parmi les hommes...

Il nous faut une lucarne, une colline, un espace où respirer et laisser naître la joie. Vivre loin des hommes, au plus près du monde et des âmes. Sous les astres. A notre juste place sous les étoiles...

 

 

La lumière – le silence – sont une présence parmi les hommes. Et parmi les bêtes. Sur cette terre envahie par le noir et les larmes. En ce monde où l'obscur et l’absence dirigent les corps et les âmes... Et les recevoir – et les accueillir –, il ne peut y avoir de plus grande joie. Et de plus grand salut. N'est-ce pas ce que nous espérons tous... et ce à quoi aspire la tristesse de nos visages...

 

 

Elle est là, à présent. Et je n'aspire qu'à rester auprès d'elle, immobile et silencieux...

Beaucoup l'ont entrevue. Mais n'en comprenant ni l'envergure ni les exigences, l'ont abandonnée. L'ont livrée à elle-même en quelque sorte – et à son Amour, immense pour nous, mais si impuissant tant que nous ne savons le recevoir – et l'accueillir...

L'Amour ne peut se propager qu'ainsi – à travers nous qui l'accueillons et le faisons vivre...

 

 

Avant les mots, il y a la lumière. Le langage, lui, en voulant éclairer, obscurcit. Recouvre le monde de noir, d'espérance et de désespoir. D'incompréhension. De couches de plus en plus opaques. Et, très vite, infranchissables...

Et après les mots, il y a le silence. Et la parole qui accueille la lumière pour la restituer en petites notes gaies et colorées. Et la poésie, bien sûr, est l'un de ses visages...

 

 

L'encre est plus vagabonde que l'âme. Et la parole toujours moins lumineuse que le silence. Et le noir plus aisé, et envahissant, que la joie...

La présence s'offre à celui qui n'a pas – qui n'a jamais – rechigné au long labeur de l'âme. A son lent travail pour s'extraire des mots et des images. Pour se libérer de leur opacité. Et de leur indéracinable noirceur. L'innocence alors se faufile (peut se faufiler) dans l'espace laissé vacant. Et à sa suite viennent, sans effort, la lumière, la joie et le silence...

 

 

Cet ailleurs dont nous ne reviendrons pas. Comme un long voyage – une longue errance – qui nous éloignerait durablement (définitivement peut-être) de nous-mêmes... Ainsi cheminent les hommes, stupidement... Comme s'ils pensaient pouvoir échapper à ce que nous sommes... Ici, là-bas, partout présent où que nous soyons...

 

 

Ni aveuglement ni cécité. Une pleine ignorance qui rend inintelligible le silence... Et laisse la main d'une bestiale cruauté s'emparer du monde. Et exterminer ses peuples.

Une victoire ensanglantée qui ne cache sa joie – et savoure le progressif anéantissement du monde. Sa – presque totale – capitulation. L'homme dans tout son délire et sa splendeur...

 

 

Dans le secret du monde, une pudeur. Comme un instinct de survie. Qui ne se dévoile qu'au fil de la compréhension et de la sensibilité, les gages les plus sûrs du respect et de la gratitude nécessaires...

 

 

Peut-être le monde est-il dépeuplé – et nous seuls le savons... Mais à qui appartiennent donc tous ces visages s'ils ne sont les nôtres...

 

 

[Humble hommage au modeste Jean-François Mathé]

Surgi de ce monde, sous des dehors, le temps par moment s'efface sous le ciel passant. Comme sur la corde raide, au fil de l'eau. Une navigation plus difficile ou bien une absence, comme une contraction supplémentaire du cœur – des instants dévastés par l'inhabitant...

 

 

Il faudrait peut-être effacer le temps pour s'absoudre de ses cruautés. Devenir des âmes affranchies des heures. Libérées du souvenir et de l'espoir...

 

 

Quelle est la place du poète, du prophète et du mystique* dans ce monde aux goûts – et aux aspirations – si prosaïques et matériels... Seraient-ils nés pour d'autres siècles...

* Terme usité par des individus si peu, naturellement, sensibles au spirituel...

 

 

En épousant le temps, le monde, la vie, on célèbre l'éternel – cette blancheur invisible sur chaque visage. Cette joie qu'enserrent les âmes, encore si frileuses... La vocation de l'homme, du temps, du monde et de la vie. Les noces secrètes du sauvage et de l'innocence. Notre plus bel amour...

 

 

Vivre. Une manière peut-être d'éclore à la lumière parmi tant d'ombres et de larmes. A cette joie que l'âme devine au fond de sa tristesse...

 

 

Au détour d'une phrase, un visage. Au détour d'un visage, l'annonce parfois d'un autre chemin... Comme une farandole sans fin. Inexplicable... La mariage de la chair et du langage, de la vie imaginée et de l'imaginaire vécu. Comme la réconciliation peut-être de nos deux figures... Et le sacre de toute union. La célébration des voix et des routes nécessaires pour rejoindre cette unité si longtemps oubliée...

Comme un dialogue – une entrevue silencieuse – entre soi et soi où toutes ces parts oubliées de soi-même se retrouveraient – et se réuniraient – pour entonner un seul chant, prodigieux et magnifique – si précieux qu'aucune âme ne pourrait y résister...

 

 

Un silence, sans doute, nous est promis pour clore la quête si bruyante de l'âme. Une joie, sans doute, nous est promise pour effacer cette interminable tristesse. Et une lumière enfin, sans doute, nous est promise pour éclairer cette si longue et sombre errance...

 

 

Le poète écrit comme l'artiste peint, modèle et façonne. Comme le soleil brille et les vents soufflent et tournent. Sans raison et pour les plus hautes nécessités...

 

 

Le plus abominable et le plus fabuleux. Toujours côte à côte. Inséparables. Inextricablement liés. A jamais. Et en défaire les nœuds est la tâche du penseur. Et en célébrer le merveilleux, la tâche du poète. Et les accueillir (tous les deux), la tâche du sage... Et se livrer à cette triple besogne, le travail – la mission peut-être – de l'homme qui rêve de mettre l'Absolu à la portée de la terre et de l'humain – et qui aspire à célébrer son envergure au quotidien afin de se hisser jusqu'au regard d'un Dieu que nous avons cru si étranger et inaccessible...

 

 

Le cri n'appartient peut-être qu'à la nuit qui dort. La parole à l'aube naissante. Et le silence au soleil du plus haut jour... Les hommes avec leur langage, leurs plaintes et leur soif, n'en ont donc pas fini avec leurs rêves et leur sommeil. Et avec leur envie d'étoiles...

 

 

Le souffle du macabre sur nos âmes grises... Comme un funeste chemin, né de la terre, entre le corps et l'infime possibilité du ciel. Un pari à peine envisagé – et rarement tenu. Une défection sans choix du plus grossier vers l'invisible – l'impensable...

 

 

On ne nous dit rien du jour. Ni rien de la nuit. On nous empale avec des clous et des promesses. Des paroles et des mensonges insensés. On nous enjoint de vivre et de croire. D'essayer de survivre et d'espérer. On nous livre à nous-mêmes. Et cet abandon est notre chemin. Notre seul atout. L'unique salut possible...

 

 

Les peuples se taisent – et se sont toujours tus – pour écouter les programmes, les promesses et les mensonges des rois. Et ils meurent depuis toujours, décimés, bêtes et dociles, sur des champs où le labeur et les guerres flamboient. Comme des troupeaux stupides vouant une confiance aveugle (et puérile) à ceux qui les mènent vers l'épuisement et la mort.

Vivre à l'écart des peuples – à l'écart des foules – c'est commencer à s'extraire de l'imbécillité. Les premiers pas vers la douloureuse solitude nécessaire à la fouille et aux chemins de sa propre reconquête. Les premières foulées, en quelque sorte, aux avant-goûts de liberté...

Il faut être – et vivre – comme des enfants rebelles, le front posé contre la vitre – avec le regard fixé au loin sur l'inconnu du dehors, qui rêve d'une vie sans fers – et refuser les interdictions, les autorisations, les mises en garde et les remontrances de l'autorité (établie)...

La solitude des grands chemins, il n'y a d'abord d'autre liberté avant que n'éclose cet invisible sursaut du regard...

Plus qu'un éloignement du monde, un retrait – un désert nécessaire pour se dégager, aussi pleinement que possible, de l'humanité servile et malléable avant de succomber, un jour peut-être, aux dignes retrouvailles...

 

 

Il n'y a d'effluves plus joyeuses que celles de la grande solitude réconciliée où les visages, si éparpillés autrefois – et si solitaires malgré l'étouffant voisinage, se raccommodent (enfin) en une figure unique dont chacun prendrait les traits...

 

 

La perte toujours. Comme incessante invitation à l'abandon. Le plus sûr chemin de la délivrance – cette liberté d'être, à la fois uni et au dehors. Si extérieur(e) au fatras, si souvent égarant et inextricable, de l'intériorité que quelques mots résumeraient admirablement : le coeur-monde et le regard infini, si peu soucieux des élans et des aléas – des soubresauts et des volte-faces... Ce visage libre, et si oublié, que nous sommes depuis toujours...

 

 

Un surplus de monde comme un écœurement. A l'image de l'odieux gavage que l'on réserve, en certaines régions, à de malheureux palmipèdes...

 

 

Rassasiés de haine et de rancœur avec des peurs et des désirs en pagaille – et cette méfiance de l'Autre, comment pourrions-nous construire un autre monde... Voués, évidemment, à l'absurde et vain exercice tant que demeurera l'individualité...

 

 

Et cette ensorcelante lumière qui nous guide jusqu'à la pleine extraction de nos liens. Jusqu'à leur complète métamorphose en aire harmonieusement commune...

 

 

L'addition des absences ne forme qu'un vide. Une béance irremplissable... Il faut ôter l'inconscience et les automatismes de l'absence pour espérer les voir, un jour, se métamorphoser en présence...

 

 

Et ce désir d'écrire plus haut – et plus loin – dans l'infini. Dans cet élan de silence que tout contrarie... Invisible et inaudible, bien sûr, à force de volonté. Et qui traverse les hommes – leur absence, si évidente, et leur exil du monde à force d'y être trop présents... Comme un jet, livré à sa seule puissance, qui ne rebondit sur aucun espace. Abandonné, en quelque sorte, à la tyrannie espiègle du vide – et dont nul jamais ne se fera l'écho... Une parole (pourtant) joyeuse dans son retrait, et pas même mendiante, dite pour elle seule et que n'entendront, bien sûr, jamais ni les vivants ni les morts...

 

 

Peut-être n'y a-t-il, au fond, que des pas, du bruit et le silence... Et quelques plaintes pour dire l'effroi et l'incompréhension...

Ni maison ni main tendue. Une solitude immense qui ne sait cohabiter qu'avec elle-même...

Ni pente ni montée malgré l'illusion du temps et du mouvement. Mais une immobilité sereine, et sans doute hilare, ravie des jeux et des phénomènes malgré les larmes et le sang. Comme un avant-goût de ce que nous sommes. Cette chair et ce visage fragiles et éternels. Ce soleil adossé aux promesses et aux désastres...

 

 

Une parole, à nouveau, pour dire le silence. Et le silence pour seul écho de la parole. La plus parfaite et fabuleuse réponse à ce que nous ignorons encore. A cette orgie de questions insolubles...

 

 

Dieu si extérieur à soi lorsque l'on ne sait (encore) qu'il nous habite... Quelle est donc cette part de soi qui résiste – et refuse sa venue... ? Comme si nous ne pouvions nous empêcher de repousser ses avances et lutter contre son désir (légitime) de prendre notre place – cette place, en vérité, qui est la sienne et lui revient... Qui est donc l'usurpateur ? Et comment est née cette dimension sombre et ignorante qui s'y substitue en faisant feu de tout bois pour le détrôner et se propager partout – et que nos illusoires, mais si consistantes et pugnaces, individualités sans cesse alimentent... et qui, en la nourrissant, lui permettent de se répandre en tous lieux comme la peste. Comme une terrifiante et dévastatrice gangrène...

 

 

Quelle somme de souffrances nous faudra-t-il endurer pour nous extraire (pleinement) de nous-mêmes – et devenir ce visage infini, et si doux, que nous n'avons (pourtant) jamais cessé d'être... ?

 

 

Une inutile couleur demeure parfois sur la transparence. Celle de l'âme qui enveloppe les circonstances et teinte encore leur accueil...

 

 

Patienter jusqu'à la mort sans autre espoir que vivre (vivre encore un peu) et retarder l'heure du départ. Ainsi vit l'essentiel des hommes sans autre perspective que l'horizon et le tombeau...

 

 

Toute vie porte en elle son agonie. Et le regard que l'on porte sur elle, tous les deuils à venir...

 

 

Les hommes ne s'adressent qu'aux hommes. On les voit se parler, ou plutôt, déverser les uns sur les autres leurs peines et leurs espoirs. Et relater leurs infimes aventures. De pauvres histoires en vérité... Et qu'importe que nul ne les écoute – et que nul ne soit entendu... Presque personne n'écoute... Presque personne ne sait écouter...

Mais je n'ai jamais vu aucun homme, ou si rarement, même dans la plus grande intimité, s'adresser aux arbres, aux fleurs, aux bêtes, aux pierres et aux nuages. De temps en temps, on entend, il est vrai, une plainte, un murmure ou un cri, lancé(e) à Dieu – au ciel – à ces grands inconnus auxquels l'on confie (parfois) ses secrets mais sans jamais rien comprendre à ce grand silence...

 

 

Qu'importe que l'âme soit ouverte ou close, elle sera emportée un jour, tôt ou tard, vers le noir le plus dense – là où naît la lumière. Et c’est dans ses bras que s'achèveront toutes les danses...

Et nous n'avons rien d'autre, sans doute, que cette espérance...

 

 

Un jardin, un secret. Là où commencent toutes les aventures. Là où s'achèvent tous les chemins. Là où nous sommes déjà sans le savoir... Au centre – au point le plus dense – où rayonnent toutes les lumières sur les abîmes qui nous habitent – et nous entourent...

 

 

Peut-être que la prochaine parole – et que l'ultime parole – seront plus silencieuses... Voilà notre seule espérance, poète : renouer de notre vivant avec nos origines...

 

 

On blâme – et condamne – la bêtise des hommes tant que l’on espère encore (et davantage) de l'humanité... Tant que l'on ignore qu'elle est leur bruit naturel – leur sceau en quelque sorte, le chant inévitable de l'homme, ni plus laid ni moins gracieux, en définitive, que le pépiement et le gazouillis des oiseaux...

Et que pouvons-nous y faire si la bêtise est le bruit naturel de l’homme...

On peut, bien sûr, s'en protéger, ou du moins s'en prémunir (en l'évitant ou en s'éloignant), comme l'on fermerait la fenêtre face à une nuée de mouches et de moustiques pour s'épargner piqûres et agacements...

 

 

Ami et compagnon de personne. Porteur de rien. Ni de rêve, ni de désir, ni d'ambition. Et pas même d'espoir. Voyageur sans destination. Passager sans famille ni destin. Passant sans attache, rivé à aucun fief. Une solitude errante et immobile, livrée à elle-même et aux bonnes grâces du vent, où nulle part – et tous les lieux – prennent (finissent par prendre) des allures d'infini...

 

 

En bordure de ciel, des étoiles nous ont vu naître – et passer nos mille vies inutiles, parfois rieuses comme si être là parmi elles, et tous ces visages inconnus, était déjà bien suffisant...

 

 

Dans l'oubli du silence demeurera, à jamais, notre ultime souffrance... Et se cacher dans, ou parmi, les étoiles n'y changera rien... Les yeux enfouis dans les matins gris et brumeux seront peut-être notre seul jour...

 

 

Derrière le silence, il y a l'infini. Et derrière l'infini, la lumière. Et devant, la foule des visages qui patientent. Ne sachant trop ce qu'ils attendent...

Des simagrées, un peu de poésie peut-être... Des espoirs (à la pelle). Des larmes, inévitables bien sûr... Les saisons qui passent. La pluie, le soleil et le temps. Des envies d'ailleurs, très souvent... L'âme du monde. Ses secrets plus sûrement. Des passants. De nouveaux visages. La mort quelques fois – et qui vient toujours clore, bien sûr, la fin des jours... Des vies toutes simples. Le plus bête – et le plus humain – sans doute de l'existence...

Et nous pourrons dire au crépuscule de l'hiver que les hommes et les siècles seront passés aussi vite qu'un bref orage d'été...

 

 

Des cendres et de la poussière. Une chair exposée à toutes les brûlures et à toutes les indigences mais adossée, toujours, au soleil...

 

 

L'ombre plus épaisse que la lumière. Mais où la clarté transparaît dans les interstices, lui donnant cette texture bigarrée, et presque grise, qui offre à la terre et au monde cette allure si reconnaissable...

 

 

L'homme, si craintif, plongé dans cet effroi permanent de la mort. Comment peut-il, à ce point, ignorer que vivre est plus dangereux que mourir – et que la mort scellera toujours ce qui n'a pas été vécu pour l'emporter vers ce que nous devrons vivre encore...

 

 

Ce monde odieux où tout nous est refusé (la chair, l'attention, l'Amour et la joie...) – et où il nous faut, si souvent, nous battre et lutter (et ruser quelques fois) pour s'emparer et se servir afin de se voir très partiellement, et très médiocrement, satisfaits... Ou alors, patienter dans la solitude et le dénuement pour que grandissent, en nous, le silence, l'infini et la lumière afin de pouvoir (enfin) incarner ce qui nous manquait* si cruellement...

* Ce que nous croyions qui nous manquait...

Il n'y a, malheureusement, d'autre alternative pour l'homme...

Et dans notre impossibilité temporaire d'aller parfois vers l'un ou l'autre – dans cet abîme et cet effroi où la vie nous plonge de temps à autre, il nous faut peut-être, et comme toujours, tourner notre regard vers les bêtes, ces frères si précieux, qui mieux que quiconque (et mieux que nous autres en tout cas) savent demeurer si étrangement placides et sereins malgré les conditions inconfortables et les situations atroces, abominables et désespérées dans lesquelles les laissent ou les relèguent la vie et les hommes...

 

 

Toute forme naît d'un entremêlement* d'énergie...

* Mélange, entrechoquement, union, fusion, cassure, fission, ajout, retrait etc etc.

 

 

Être à la fois l'hôte et l'invité permanents sans jamais nier (ou rogner sur) ses nécessités et ses besoins fondamentaux. Ne jamais déroger à ce principe essentiel – à cette loi naturelle de l'innocence et de la présence... S'y conformer en tout lieu et face à toute forme (qu'elle soit minérale, végétale, animale ou humaine...) – et quel que soit l'environnement... Nous éviterons ainsi la facilité de la tyrannie – la pente naturelle de ceux qui dominent et s'approprient – l'habitude de ceux qui s'imaginent maîtres et propriétaires...

 

 

Une nuée d'hommes, comme des insectes qu'ils prétendent nuisibles, qui envahissent la terre – tous les territoires. Qui transforment les reliefs et les paysages selon leurs désirs et leurs appétits. Qui saccagent, exploitent et anéantissent pour asseoir leur domination sans l'once d'une hésitation. Sans l'once même d'un remord. Et qui, dans leur marche folle et insensée, si aveuglée, ne sont plus même capables (mais l'ont-ils déjà été...) de percevoir la dévastation, l'infamie et la désolation qu'ils ont instaurées partout – et dont souffrent le monde, tous les peuples et les vivants de cette terre en sursis...

 

 

Les oiseaux, installés en nous depuis l'aurore, nous invitent à fuir. A nous cacher de l'innommable dans le plus précieux. Le seul salut qu'il nous reste peut-être avant la grande dévastation...

Et les bêtes et les arbres qui meurent par millions l'ont compris bien avant nous. Il n'y a d'autre espoir que la mort pour que cessent le saccage et les désastres... Il n'y a d'autre espoir que de laisser les hommes à leur carnage, seuls avec les malheurs qu'ils ont, eux-mêmes, enfantés...

La terre est – et a toujours été – plus sage que l'humanité. Elle sait – et a toujours su – trouver la voie de sa préservation. Et livrer l'homme à lui-même, aujourd'hui, sans autre appui que sa bêtise et ses folles ambitions, est le signe de son intelligence...

L'extinction du monde et de l'homme est en marche. Et sur leurs cendres naîtra – pourra naître – un monde nouveau, moins impatient, plus clément et respectueux du Bien commun et des lois du vivant, plus soucieux du silence et de l'infini que de conquête, de pouvoir et de profit... Un monde plus juste et solidaire, pacifié et réconcilié avec toutes les parts, tous les visages et toutes les âmes qu'il porte en lui... Le reflet de cette intelligence et de cet Amour que n'auront réussi à trouver les hommes...

 

 

Et pendant que paressent les hommes, le poète, penché sur sa besogne, œuvre à son chant, inaudible – presque invisible – comme un soleil noir qui repeint les grandes lignes de la terre sacrifiée. Comme une lucarne, minuscule, pour dire – rappeler sans doute – que la lumière ne s'éteindra malgré l'inertie, l'obscurité et l'obscurantisme du monde. Comme un espoir lancé aux corbeaux funestes qui ravagent les plaines de leurs cris, de leurs rires et de leurs insatiables appétits...

 

 

Un infâme et perpétuel ronronnement... Serait-ce donc cela vivre pour les hommes...

Et l'homme qu'est-il donc ? Qu'un rire stupide et affamé dans le silence qui ne comprendra jamais sa terreur. Qu'un œil incapable encore de se voir disparaître – et renaître au gré des peurs et des désirs – dans cette lumière inconnue...

On pourrait sourire évidemment de ce carnage et de cette ignorance (qui jamais ne disent leur nom...) mais l'ampleur du désastre et des malheurs où l'humanité nous a plongés invite davantage au cri d'effroi et d'indignation – de vaine colère sans doute – avant de pouvoir succomber, un jour éventuellement, à l'appel généreux du réveil...

 

 

Une frugalité du langage nous inviterait sans doute au silence. Et la parole vaincue, harassée par tant d'espace, s'initierait alors à cette lumière qu'elle porte sans le savoir – sans qu'elle puisse même s'y installer ou s'en défaire. Comme ligotée en quelque sorte malgré les ténèbres qu'ont inventées les hommes...

 

 

Ni question ni réponse. Ni murmure ni plainte. Pas même un cri. Ni Dieu ni anges. Pas même la présence du monde et des hommes. Une défection totale. Un abandon. Comme un avant-goût du silence où nous serons bientôt plongés...

Et des fleurs par milliers sur les chemins. Et des arbres par milliers sur les collines. La terre et les forêts merveilleusement renaissantes... Et des âmes par milliers retrouvant (enfin) ce qu'elles n'ont jamais quitté – mais sidérées, à présent, par tant de lumière – et cette disparition, si inattendue, des ombres... Ce paradis si proche des êtres qu'ils demeurent, pour la plupart, incapables de voir...

 

 

Le langage sera toujours trop pauvre – et trop terne – pour décrire le silence – et dépeindre la lumière... Quant à s'y installer, inutile d'y penser... Mieux vaudrait arracher à la langue, ses pics et ses fourches, la soustraire à toute ambition, alors peut-être saura-t-elle s'y plonger – et s'en faire l'écho... Il n'y a d'autre espérance pour le poète (et pour les hommes) que cette parole née de tous les abandons...

 

 

Le monde, un oubli et le renouveau possible de toutes les sources. Le gage – la certitude – d'une continuité... Comme un trait – un mouvement – une histoire – ininterrompus – et interminables dont le retour à l'origine ne serait qu'un passage – qu'une étape dans la récurrence et l'infinitude du cycle...

Ni délire ni récit. Ni mythe ni mensonge. La seule vérité peut-être...

 

 

Fuir ce monde où le sourire n'est qu'un effort pour ne pas haïr ce qui nous est inconnu – et ce qui nous blessera tôt ou tard... Pour ne pas prêter le flanc à la désespérance et à la solitude qui se jetteront sur nous, quoi que nous fassions, au fil des circonstances... Et nous pardonner cette lâcheté...

Mieux vaut encore les larmes qui, de solitude en désespérance, nous ouvriront les portes incongruement joyeuses du silence. Cette aire de joie infinie dont la beauté nous échappe encore...

 

 

Encore un peu de désespérance. Comme un nuage – quelques nuages – sans importance – sans conséquence – passagers comme tout le reste, dans un ciel de bleu et de joie parfaitement immobile et dégagé malgré les ombres – toutes les ombres – dont nous ne pourrons peut-être jamais nous défaire...

 

16 décembre 2017

Carnet n°114 Un peu de vie, un peu de monde, un peu de joie

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Au bout du chemin, une étoile. Au bout de l'étoile, un rêve. Au bout du rêve, un autre chemin. Et un rêve, peut-être, de chemin interminable...

N'être, peut-être, plus rien sinon une présence – et une main – sans visage... Un réconfort passager, providentiel sans doute, pour l'âme et la chair... La réponse à tous les silences – et aux mille questions – recroquevillées derrière... Être, peut-être, celui que l'on n'attendait plus mais que l'on espérait encore en secret... Comme une eau pour la soif. Un soleil sur la tristesse. Un acquiescement aux circonstances. Un Amour parmi les cris et l'espérance...

 

 

Nous n'écrivons qu'à celui qui nous connaît – et que nous ignorons. Qui gît – se cache peut-être – derrière chaque figure. Nous n'écrivons qu'à celui qui offre la beauté et le silence. Et ce n'est qu'à lui que s'adressent nos lignes, nos carnets, nos ouvrages. Toutes nos œuvres. Les autres peut-être parfois les lisent. Y jettent un regard. Un rapide coup d’œil. Mais ce ne sont des lecteurs. De vrais lecteurs. Imposteurs peut-être d'eux-mêmes... C'est à celui qu'ils ignorent et qui les connaît pourtant que nous écrivons. C'est à lui – et à lui seul – que sont destinées ces pages...

 

 

Un corps brisé. Un cœur brisé. Et une âme qui a perdu de sa superbe. Et sa prétention. Au sein desquels l'orgueil et les regrets (et les remords peut-être) n'ont plus cours. Plus de place. Et trop peu de temps pour s'y attarder... Au sein desquels la prière est vaine. Autant que l'espérance... Au sein desquels on ne peut plus croire. Au sein desquels on ne peut voir – et sentir et vibrer – que ce qui est là devant soi – et qui dure quelques instants – suffisamment encore pour nous blesser. Et briser un peu plus le corps, le cœur et l'âme qui ne s'en remettront probablement pas... Et de ces blessures, de ces fêlures et de cette urgence (née du manque de temps) naîtra peut-être, espérons-le, notre plus précieux face-à-face...

 

 

Un soleil, sans doute, viendra demain. Aussi beau que celui d'aujourd'hui – mais que nous espérons, bien sûr, moins prometteur...

L'espérance – y compris celle de la joie – n'a aucune place en notre cœur...

 

 

Il y a peut-être, au fond de l'âme, une blessure sacrée (et secrète) à laquelle il ne faut toucher. Pas même tenter de guérir – ou de nous en délivrer... C'est elle qui nous offre – et offre conjointement au monde – cette force d'aller vers le plus précieux – et d'en recouvrir les chemins sur lesquels nous rêvons de ne plus errer...

 

 

Nous ne briserons jamais l'essentiel. Nous nous déferons simplement du moins précieux dont l'usage pourtant nous fait croire qu'il importe... Mais nous n'avons, en vérité, pas plus besoin de lui que de nos souvenirs – et que de cette vieille peau d'autrefois qui nous donnait des airs juvéniles et une faim insatiable pour les visages, la chair et le monde... Des coquetteries d'adolescence, caduques à présent, au crépuscule des jours, avec l'approche imminente de la mort – de l'inéluctable face-à-face avec la vérité...

 

 

Nous pourrions dire encore et encore ce dont nous avons besoin, les malheurs du monde et de l'âme, notre insatiable faim et les petites joies des hommes. Nous pourrions dire encore et encore ce qui nous manque, ce qui nous blesse et nous fait, cruellement, défaut..., il y aura toujours un pas supplémentaire – le pas suivant – à réaliser... Et ce long voyage qui attend chacun pour que la parole mue – et se transforme en réalité. En expérience directement vécue – et indicible sans doute...

 

 

Mille fois dire, sourire et pleurer. Mille fois prévenir, secourir et aider. Mille fois se livrer à ce que nous croyons de plus utile, et le plus précieux encore nous échappera à moins que nous sachions nous effacer devant la nécessité de dire, de sourire et de pleurer – la nécessité de prévenir, de secourir et d'aider... De nous livrer au plus utile sans une once d'orgueil et le visage défait de toute exigence... Il n'y aurait alors, sans doute, de plus grande beauté – et de plus grande joie – à vivre...

 

 

Il n'y a de plus haute réjouissance que celle d'être nu... Mais non comme l'imaginent, sans doute, les esprits concupiscents...

 

 

La parole sait se faire plus libre, exploratrice et inventive que le désir. Son univers si immatériel le lui permet alors que le désir, bien qu'il puise, lui aussi, ses racines dans l'immatérialité, ne s'inscrit – et ne trouve son assouvissement – bien souvent, que dans (et auprès de) la chair et la matière. Dans le palpable le plus grossier et limitatif...

 

 

En ce monde, tant de trésors inutiles que l'on vénère, que l'on encadre, que l'on protège dans une vitrine ou un coffre-fort, que l'on étale avec orgueil et ostentation et de façon parfois si vulgaire et dispendieuse comme l'expression, ignorée bien sûr, du plus sacré : le silence et la nudité dont nous sommes, déjà tous, pourvus – et que nous dissimulons, sans le savoir, sous des couches de parures (de toutes sortes) censées nous embellir mais qui, en vérité, nous enlaidissent et recouvrent la beauté naturelle que nous portons au cœur – et au plus vif – de notre innocence...

 

 

Le corps sur la terre. Comme de la matière s'enfonçant en elle-même. Et le regard si haut, au dessus – bien au dessus – de la plus lointaine étoile. Et l'homme – l'esprit de l'homme – comme une distraction insensée...

 

 

Récits et bavardages. Ainsi se confia le monde pendant des millénaires. Radotant des histoires mille fois vécues et qui le seront mille fois encore au cours des prochains millénaires. Des histoires éternelles. Immuables en quelque sorte, agrémentées d'infinies variations – et auxquelles viennent se greffer d'infimes nouveautés... La même histoire depuis les origines, étrangement accélérée depuis la naissance de l'homme dont l'esprit, malgré ses peurs et son fort besoin de routine, ne peut souffrir trop de rengaines à la fois – et qui n'aime rien tant que la répétition des mêmes légendes et des mêmes mythes qui se montrent avec un visage – et des couleurs – apparemment inédits...

 

 

Le silence qui nous aura tant fait souffrir – et que l'on aura tant blâmé, saurons-nous, un jour, être joyeux en sa présence – si joyeux et reconnaissant que nous ne nous lasserons plus jamais de le célébrer...

 

 

Un jour, un homme. Le monde, un cirque. Et les mille spectacles. Les mille jeux des arènes. Et les mille yeux spectateurs. Et les mains joueuses et sanglantes. Et les mains haineuses et applaudissantes. Jusqu'à la fin des jours. Jusqu'à la fin de l'homme. Jusqu'à la fin du monde. Le même cirque toujours...

 

 

Après tant de silence, je ne sais (plus) quoi dire... L'été approche. Les mains – et la chair – moites de la chaude saison. La neige – et la solitude – fondues avec le retour des beaux jours.

Saurais-je résister aux foules et à la vulgarité des rires, des barbecues et des loisirs... Saurais-je rester fidèle à ces pas venteux, fragiles et solitaires, qui m'ont conduit en ce lieu paradisiaque et inespéré qui donne à mon désert des airs de refuge et des allures joyeuses – une aire de franche et pure beauté où seul le silence est célébré...

 

 

Une ombre, parfois, vient chatouiller la lumière pour lui demander d'éclairer plus fort, de resplendir plus loin et d'approfondir son cercle et sa présence... Il en va, et elle le sait, de l'avenir des ténèbres, des âmes obscures et du noir qui borde – et encercle – les cœurs. L'ombre – cette ombre – aimerait tant voir les larmes se transformer en rires. Et la tristesse se métamorphoser en joie... Il n'y a, sans doute, pour elle rien de plus important... Et à sa requête, la lumière répond. Annonce qu'elle viendra lorsque l'ombre aura suffisamment creusé, fouillé, aplani et dénudé le terrain où elle pourra venir (enfin) se poser...

 

 

Pourquoi se refuser au plus proche qui est là, présent mais invisible, pour partir là-bas, au loin, à la recherche de ce que nous ne trouverons qu'ici, lorsque les yeux auront vu leur propre visage – et cette folie et cette sagesse si belles, enfouies derrière, à peine dissimulés par l'orgueil, si vif, du front et des prunelles...

 

 

Peut-être arriverons-nous plus tard à la fête – à cette fête grandiose née du silence... Nous avons pour cela tous les jours – et tous les siècles. Et l'éternité sans doute. Le temps nécessaire – le temps qu'il (nous) faudra – pour que les souvenirs et les rêves – et l'espoir – nous laissent enfin tranquilles – et que l'espace, laissé vacant, ouvre nos yeux sur ce qui n'a jamais cessé de nous appeler – et d'attirer notre regard...

 

 

Où sont donc passées les étoiles ? Le ciel est vide à présent. Sans doute se sont-elles toutes plantées au fond des yeux... Et je les vois briller dans les rêves des hommes, si perclus de noir et de douleurs...

 

 

Jour et nuit ont disparu. Ne reste plus que ce rire dans l'infini – et la lumière – des lèvres qui se moquent bien des yeux et de la chair. Et sur lesquelles le silence s'étend pour couronner davantage, sans doute, le mariage insensé des couleurs. Et la transparence qui a envahi les heures...

 

 

Présence noire, hautaine dans le souvenir qui vire, à présent, à l'éclat. Pourquoi donc nos yeux n'ont-ils pas su voir ce qui était déjà là...

 

 

Plus de mot. Et plus de langage. Une parole retenue trop longtemps peut-être... Et le silence. Rien qu'un long et grand silence pour contempler le jour...

 

 

La vanité de nos désirs, de nos rêves et de nos œuvres. Vains tourbillons édifiés par tant d'efforts inutiles. Du vent qu'emportera le vent... Et le silence encore... Ce silence que nous cherchons depuis des lustres pour apaiser – et guérir – notre désarroi – notre absurde et infructueuse besogne – et qui est là, présent toujours, serviable entre tous... A portée de plume, à portée de main et de regard, si proche que nos yeux, inféodés à nos folles et futiles distractions, sans cesse s'en détournent...

 

 

Le malheur tient, en définitive, à peu de choses (à si peu de choses) : l'inattention et l'ignorance. Et qu'une vie entière pourtant ne suffit pas, bien souvent, à effacer... Il faut des siècles parfois pour s'en défaire. Et voir arriver progressivement, au fur et à mesure de leur effacement, la joie née de la présence, cette absence si évidente de nous-mêmes...

 

 

Quelques mots pour résister à l'oubli de l'oubli. Et qui s'effaceront, eux aussi, un jour... Bientôt. Avant même, peut-être, qu'ils ne soient lus – et qu'ils n'aient creusé la nécessité de l'homme...

 

 

Quand donc te montreras-tu, humble et étincelant, au bras de l'innocence ? Réussiras-tu préalablement à étrangler passionnément – et amoureusement – cette rage et ce désarroi nés de la fréquentation des hommes ? Le monde mérite ce non sacrifice – l'effacement des dialectes et des rêves. Ce que tu peux modestement lui offrir, poète...

 

 

Si joyeusement, et furieusement, métaphysique. Et si tristement humain... Le poète n'en revient pas de cet écartèlement. De ce poids démesuré du questionnement, de la fouille et de ses infimes et infinies découvertes sur son existence. Et de cette indigence à vivre parmi les hommes. Et de l'inversion totale des masses – et des mesures – pour les foules humaines...

 

 

Il y a, au fond de notre âme, une porte (invisible par les yeux) et un désert qu'il nous faut franchir pour accéder à notre vrai visage. Et à la joie. Afin d'aller sur les chemins du monde et parmi la solitude et la folle exubérance des hommes sans le moindre blâme ni le moindre chagrin. S'y trouve non l'espérance mais l'Amour – l'Amour brut qui ne souffre aucune exigence... Et une vie parfois, trop souvent, ne suffit à pénétrer les lieux – et à en percer les mystères. Des siècles sont nécessaires... Voilà peut-être pourquoi l'homme a inventé le temps...

 

 

Et si nous remontions les jours – et errions sur les chemins en quête du premier visage aimé, oublié par tant de siècles macabres*...

* Et parricides sans aucun doute...

 

 

N'être, peut-être, plus rien sinon une présence – et une main – sans visage... Un réconfort passager, providentiel sans doute, pour l'âme et la chair... La réponse à tous les silences – et aux mille questions – recroquevillées derrière... Être, peut-être, celui que l'on n'attendait plus mais que l'on espérait encore en secret... Comme une eau pour la soif. Un soleil sur la tristesse. Un acquiescement aux circonstances. Un Amour parmi les cris et l'espérance...

 

 

Nous vivons peut-être parce que sans la chair, l'être ne pourrait s'incarner – être si vivant et rayonner en ce monde. Et il nous faut, à présent, faire avec ses peines et ses moiteurs, ses morsures et ses blessures pour retrouver (non sans mal parfois) les délices de la plus parfaite nudité...

 

 

Jouissance, si souvent grossière et écœurante, du tout. Et joie, frugale et rayonnante (infiniment rayonnante), du rien... Voilà ce qui différencie, principalement, l'homme du sage dont les âmes ne s'abreuvent à la même source...

 

 

Plus que le soupir et l'espoir, le silence... Et la beauté, infatigable, des âmes sur leurs noirs chemins...

 

 

Nos débuts d’après-midi sont des instants de rencontre. L'écriture n'est qu'un prétexte à retrouver la présence – et à se glisser plus profondément en elle. Dans ce vide éclatant où les poètes, bien des poètes, sont accueillis – et où l'on prend le temps de les recevoir aussi pleinement qu'il nous est possible... Et leur langage se mêle au nôtre... Et cette union accouche d'une parole, plus digne dans le silence et le brouhaha du monde. Une parole à laquelle les hommes n'ont accès... Un temps de cloître et de méditation poétiques où ne sont invitées que l'innocence et la beauté...

 

 

Une écriture peut-être plus vivante que la vie... Moins dévastatrice que ses ombres et ses élans... Et aussi belle, espérons-le, que le silence et la face d'un Dieu sans pénitence...

 

 

Par dessus le jour, le ciel s'en est allé... Plus loin que la plus lointaine étoile. Et plus proche (de nous) que notre dernier souffle... Invisible encore. Intarissable toujours. Et si peu soucieux de nos grimaces et de nos simagrées... Et notre sourire comme un léger tressaillement dans le silence...

 

 

Abandonnons-nous au silence comme l'été ouvre – et fend – la robe légère du printemps. Avec une étrange et délicieuse volupté...

Que le gouffre ne nous effraye pas... Du noir, une nuit, les abysses, un océan d'étoiles derrière lesquels patientent les fleurs et la lumière. Et ce visage que nous avons oublié depuis si longtemps...

 

 

L'accueil est l'extension du silence. Et l'Amour celle de l'ultime sensibilité. Comme la caresse d'une main invisible. Le baiser d'une présence infiniment réconfortante... Ce qui manque, sans doute, le plus au monde. Et ce qu'il réclame pourtant dans son étrange folie et avec ses manières rustres et grossières – et son habitude de piétiner, et de fracasser parfois, sans même le savoir les âmes et les destins...

 

 

Serions-nous surpris si à notre mort, la vie, une nouvelle fois, se présentait pour nous faire tourner encore et encore parmi tous les destins. Dans cette ronde infernale – et éternelle – des heures et des visages. Dans un temps soumis aux peines et à la décrépitude avant la survenue, infiniment recommencée, de l'instant. L'éternité. La fin et le commencement de toutes les danses...

 

 

D'un poète mort, apparemment mort, depuis hier, depuis quelques années ou quelques siècles – et quand bien même plusieurs millénaires nous sépareraient – si nous savons accueillir sa parole – et lui faire la place et le silence nécessaires – et si elle sait toucher notre âme et faire vibrer ses cordes sensibles –, la rencontre le ressuscitera – et fera de lui le plus vivant que nous connaissons. Le visage le plus familier. Et une amitié – un compagnonnage – naîtront dans un lieu d'éternité... Et pour peu que nous soyons nous-mêmes un peu poète, un lien mystérieux se tissera entre nos lignes. Et nous continuerons à rendre hommage à – et vivante – cette parole que nos pages prolongeront...

 

 

Le sacré de la terre – et de nos pas qui la foulent. Le sacré du regard qui contemple le monde. Et le sacré du silence et de la parole qui les célèbrent...

 

 

Au bout du chemin, une étoile. Au bout de l'étoile, un rêve. Au bout du rêve, un autre chemin. Et un rêve, peut-être, de chemin interminable...

 

 

Un sourire peut-être pour la fin des rêves. L'impossible miracle qui donne aux yeux des hommes cette couleur si triste...

 

 

L'urgence du silence pour égayer et adoucir – rendre plus vivables – nos siècles si bruyants...

 

 

Une chaise, une fenêtre, un arbre. Au carrefour de tous les chemins. Et à la verticale de toutes les horizontalités, la voie du silence. Et au bout, la présence partout – sur les chaises, les fenêtres, les arbres et les chemins – au cœur de toutes les horizontalités...

 

 

Et au bord du sommeil, le silence aussi... Plus vif que dans les rêves. Mais moins leste qu'au réveil...

 

 

Hors du temps, le sommeil le plus souvent. Et parfois la rêverie. Mais nul pour savourer l'instant – cette éternité au dedans des heures...

 

 

En ruines et poussière tomberont nos édifices. Mais qui pourrait bien arrêter les mains bâtisseuses...

 

 

Ni vitrine ni revendication. Pas même un espoir de liberté. Des lignes et des pas. Quelques embrassades – et des accolades plus rarement... Le vent rageur des horizons et le silence comme manteau, abri, porte-voix et échafaud... La chair enguenillée et l'âme aussi nue qu'un ciel sans nuage. Que le bleu d'un ciel immense. Irréprochable...

 

 

Ni homme ni visage. Pas même une figure familière. Un inconnu. Anonyme, toujours, dans la foule. Ni mendiant ni seigneur. Un œil et un sourire, une larme parfois, une rage le plus souvent, un peu à l'écart, qui marche loin du peuple, des élites et des prosateurs dans les forêts et les collines avec les chevreuils et les renards. Et sans même un ciel où poser la tête... Sans même un rêve à creuser... Seul avec son désir de silence et le chant des oiseaux qui accompagne ses pas...

 

 

Se retirer plus loin en soi. Plus loin encore que là où naissent les amours... Au cœur d'un silence impartageable. Là où s'est réfugiée la plus haute solitude. Là où ne règnent plus que l'Amour et l'innocence...

 

 

Un matin comme tous les autres matins. Un jour comme tous les autres jours. Une vie comme toutes les autres vies. Une mort comme toutes les autres morts. Mais où étais-tu donc, homme ? Je n'ai pas vu ton visage... N'ai pas senti le souffle léger, imperceptible presque, de tes pas si pressés... Comme si tu avais relégué l'essentiel aux orties – comme un rebut d'un temps affairé, occupé à l'inessentiel... Comme si tes pantoufles et tes foulées barbares avaient remplacé le sauvage si nécessaire... Inutile à présent de te lamenter, homme... Que tu apprennes seulement à tes larmes à préparer les graines de la récolte prochaine pour que le naturel et le primordial te deviennent indispensables...

 

 

De cette fidélité au silence, que pourrait-il naître ? Un pas de danse esquissé au bord du ciel peut-être... Une révérence devant les fleurs, la pluie et les visages... Un baiser à l'éternel – sur le front de l'éternel... Et une caresse sur la chair, douce (si douce), de l'infini... Un perpétuel retour au silence... Que pourrait-il donc bien naître de cette fidélité au silence...

 

 

Ni plainte ni brame. Immergé dans l'incertain sans un regard – ni même un cri – pour le mépris et le désamour. L'exil et la réclusion nécessaires. Le retrait comme seule possibilité parmi ses congénères – ses chers contemporains, bipèdes mous et taciturnes qui s'enveloppent d'ivresse et de mensongères gaietés... Une solitude d'omission qui soustrait, un à un, les mensonges et les thuriféraires de l'illusion... Une solitude qui n'aime rien tant que le silence et la pluie, la simplicité des jours, la compagnie des arbres et des bêtes et la présence, invraisemblable, de la plus belle innocence...

 

 

Un silence, une présence, un espace. Et une danse qui fait naître des tourbillons. Un univers. De la matière, un souffle. Et bientôt une espèce et un peuple naissent. Des civilisations et des nations prospèrent et déclinent, remplacées par d'autres. Puis un peuple et une espèce s'éteignent, remplacés par d'autres... Et depuis l'origine – et jusqu'à la fin – de la chaîne, sans doute interminable, le silence qui attend, toujours, d'être retrouvé...

 

 

Mes paroles et mes lignes ne sont destinées aux hommes. Je ne m'adresse à eux mais à ce qui, en eux, peut comprendre mais n'est pas né encore...

 

 

De cette profonde intensité du silence, nous ne reviendrons pas... Ne nous en remettrons pas... Et n'en sortirons pas indemnes... Marqués par cette lumière brûlante, si brûlante, qui découdra sur la chair et les mots l'indélébilité des ombres...

 

 

On lit la poésie sans rien vouloir comprendre. Pour voir peut-être la lumière et goûter le silence au bout de l'incompréhension, cachés entre les lignes – entre les mots. On ne lit la poésie pour rien d'autre... Pour retrouver peut-être ce goût de soi éparpillé dans la vie et sur le visage des Autres... Et se laisser gagner – et submerger parfois – par la douceur et la puissance du silence et de la lumière que nos jours ont délaissés...

 

 

Plus légère que la peur et l'effroi – et même que notre destin qui ne pèse pas bien lourd déjà, l'innocence...

 

 

Courir jusqu'à l'aurore à en perdre souffle... au point de ne plus savoir où se trouvent le jour et la nuit que nous n'avons pourtant jamais quittés – et que nous ne quitterons jamais malgré la lumière présente déjà, cachée dans les replis (les plus secrets) de l'âme, – et que nos pas cherchent encore dans le noir...

 

 

L'avenir n'est pas demain. Ni après. Ni dans mille ans. Et pas davantage dans dix mille siècles ou des milliards de millénaires. L'avenir n'est pas... Il est un songe. Un rêve peut-être... Une soif absurde de nouveautés et de visages inconnus. L'espérance insensée d'une lumière et d'une réconciliation, inévitables...

 

 

Aux sons des tambours ancestraux et des rumeurs, enflammées par les bouches et les vents racoleurs, l'homme cherche le frugal baiser des rois, la magie des figures et la gloire et les honneurs des champs de bataille... Oublie la honte, les regrets et les malheurs causés par son bras funeste... Condamne la perte et le sacrifice. Et s'immole en place publique sur l'autel de la plus haute trahison : l'ignorance de son propre visage...

 

 

Au cœur (de l'homme), l'élan macabre qui initie les danses – toutes les danses – les joyeuses et les funestes. Toutes les tragédies. Et derrière, l'ultime désir : la joie et la liberté. La réconciliation du sauvage et du secret. Son état le plus naturel...

 

 

La vie. Ni réconfort ni exil. Un tremplin vers soi-même où chaque pas initie un retour vers le plus proche. Et le plus impérissable. Cette figure si négligemment oubliée... Ce réel perdu à force d'inattention...

 

 

Ni renoncement ni espérance. Un sursaut salvifique du néant vers la lumière. Du dérisoire vers l'essentiel. De soi vers l'effacement... Un retour sur soi – et vers soi – permanent... Comme une boucle sans fin, de la plus terrifiante absence à la plus fabuleuse présence, infiniment renouvelée...

Ni ampleur ni amplitude. Un infini. Une résonance perpétuelle...

 

 

Penser serait-ce avilir le silence ? Serait-ce trahir la vérité – et déchirer la beauté et l'innocence ?Sans doute serait-il préférable de moins écrire – et de parler moins encore... De rester à cheval entre deux instants... dans un temps éternel, posé dans les interstices des heures – là où ne peuvent se faufiler ni la pensée ni la raison – trop grosses, trop grasses, trop grossières... et ne rien faire sinon contempler et aimer ce qui arrive dans nos vies (si) minuscules, et souvent trop minutées, ligotées par hier et par demain – par tous ces jours, ces matins, ces soirs et ces nuits où il nous faut faire quelque chose... et penser à la suite et à autrefois, se projeter et se souvenir, pour se croire vivant alors que la vie – la vraie vie – est ailleurs... dans le silence, la beauté et l'innocence – dans la vérité d'être et d'aimer. Dans la simplicité d'un geste. La nécessité d'une parole pour dire l'innocence, la beauté, le silence et la joie, toute simple, de vivre et d'aimer – et se rappeler peut-être leur présence...

 

 

Rejoindre plutôt que franchir. Rejoindre plutôt que se protéger. Ne pas interrompre la continuité du vent, des voix et du silence. Ouvrir les fenêtres plutôt qu'édifier des murs, des clôtures et des barricades... S'émerveiller du simple des jours – du plus simple de nos jours et du peu d'événements – bien suffisants déjà pour emplir un cœur – et une vie entière... Ne pas renoncer à l'Amour pour des lèvres et des corps passagers, éminemment futiles, envahissants parfois et toujours encombrants... Ne pas rompre le silence dans la nuit qui nous entoure. Ne pas jurer ni s'impatienter de voir la prochaine aurore, et le soleil, à nouveau, briller... Ne pas corrompre les étoiles et l'ultime des rêves où l'or ne trouve aucun refuge... Recevoir ce qui nous est donné... Ce qui vient – et ce qui nous échoit : des bruits, des mains et des visages, le rire, la joie, quelques malheurs et quelques larmes parfois... Et embrasser tendrement le monde aussi précieux que le visage de Dieu... les deux faces de cette figure que nous sommes...

 

 

Ce désir toujours du plus infini... et l'attente de cette éternité qui ne vient pas... Voilà peut-être pourquoi courent, et pleurent, encore les hommes. Jamais rassasiés. Toujours affamés...

 

 

Plus souverain que le monde, le silence... Ce ne sont ni les rois ni les peuples qui offrent les plus belles conquêtes... Ce ne sont les penseurs, ni même les poètes, qui offrent les plus belles paroles... Il n'y a qu'à se pencher devant soi, la tête légèrement inclinée, avec le cœur par dessus, pour s'émerveiller du monde et du silence... C'est ce qu'il y a de plus silencieux en nous qui donne à ce que nous regardons – et à ce que nous touchons – des allures de reine et des airs de fortune... Et les plus petits riens comme les plus admirables figures et les plus magistrales circonstances en sont parés d'une égale façon...

 

 

Des êtres de rêves et de chair. Des âmes un peu perdues, déboussolées peut-être... qui errent sur les chemins en quête de mille choses. Et ces acquisitions, elles le savent bien, ne freineront jamais leurs errances... Et elles continueront à s'y livrer inlassablement. Eternellement peut-être... Edifiant ainsi, par leur nombre – et leurs envies colossales, une ronde... une danse perpétuelle qui donne au monde sa texture et sa couleur... Comme un songe de rêves et de chair composé d'âmes un peu perdues qui ignorent qu'elles sont le fruit du rêve et de la chair... Et qui montrent bien peu d'empressement à rejoindre l'abîme où elles sont nées – cette lumière et ce silence qui les ont fait naître...

 

 

L'âge d'or, si ancien déjà, est né, bien sûr, avant ces siècles de soufre et de plomb. Et sans doute s'en sont-ils nourris – et quelque peu inspirés – pour que l'âcre et le noir – l'insupportable et l'étouffement ne recouvrent complètement les visages et les territoires... Et que la terre demeure suffisamment vivable pour que son peuple puisse encore espérer le revoir un jour...

Ah ! L'odieuse, et interminable, saison de la faim, de la terreur et de l'espérance...

 

 

Un rêve hardi de lumière dans le soir pesant – et sur les horizons sombres et poisseux où se déverse continuellement la substance de l'homme : sueur, sang, larmes, sperme, urine qui donnent à la terre sa puanteur – et sa malédiction peut-être...

Une lueur en nous, pourtant, ne s'éteindra jamais...

 

 

Ami des grottes et des libertés en cage, tueur, complice et comploteur, comment l'homme pourrait-il entendre les cris de la terre et réconforter les visages en quête de plus tendres rivages...

 

 

Ce monde atroce que le temps féconde. Où les corps s'entassent. Et qu'inondent les larmes... Mais nulle autre terre pour l'homme. Seules ces vallées sauvages où fleurissent le labeur et la guerre – où coulent la sueur et le sang – comme une contrée de misère, un champ de bataille et un tombeau permanents...

 

 

Un désert de bruits et de mensonges. Peut-être, après tout, n'est-ce que cela le monde...

La vie (pourtant) est plus puissante que la mort. Et plus tenace. Et plus atroce aussi peut-être... On s'y couche à la fois plus fragile et plus vaillant... On s'y étreint, s'y promène et s'y éteint avec l'espérance vissée au cœur... comme une malédiction... une volonté de braver la mort, de nous en défaire et d'émerger de ses linceuls trop blancs et trop étroits pour notre destin et notre envergure afin de retrouver l'innocence, les rires et l'insouciance de l'âge d'or, cet éden oublié – et saccagé par les siècles qui voudraient nous faire croire en l'éternité, à la beauté sans cesse renouvelée des saisons et des visages malgré les malheurs, les massacres et la terreur...

Ainsi perdurent l'illusion et l'espérance des hommes...

 

 

La poésie est une voix infime parmi les bruits de la terre pour nous amener (nous ramener sans doute...) au silence. Nous rappeler une fois de plus que la gloire de l'homme ne se trouve ni dans les honneurs ni dans les médailles (et moins encore dans les titres et les propriétés...). Que le plus précieux est toujours à portée de regard... Et que nous n'avons besoin (pour le rendre accessible et familier) que d'innocence et de simplicité – ce que les hommes (avec leur affreux vocabulaire) appellent fragilité, naïveté et pauvreté. Ainsi seulement saurons-nous retrouver cet éden, cet espace oublié, abandonné à la puissance, à la domination et à l'autorité des mensonges...

 

 

Il faudrait moins écrire – et parler moins encore... Être et aimer suffiraient sans doute... Mais comment se réduire au silence... Il faudrait comprendre toute son amplitude, sa justesse et sa générosité pour s'y abandonner avec confiance. Sans la moindre résistance. La main, le geste et la parole deviendraient alors utiles – et si secourables. Enfin essentiels en quelque sorte...

 

 

La vie, le monde et la parole sont des éclats. Des fragments incontestables d'un corps plus vaste – d'un plus grand qu'eux-mêmes. Et des bouts – des morceaux de lumière – d'un silence qui ne se suffit pas... et qui, pour mieux se retrouver – et se célébrer peut-être – semble avoir besoin de se morceler en bruits, en peurs, en désirs, en espoirs...

La vie, le monde, la parole ne sont que cela. Une possibilité de se retrouver – et de se réconcilier sans doute...

Et une traversée, longue parfois – éprouvante souvent – douloureuse toujours – de la vie, du monde et de la parole est proposée à l'homme. Et aux vivants. Comme une invitation à un retour possible. A un retour inévitable...

 

 

Un silence, une parole, un silence. Comme une nécessaire respiration... pour rendre vivant ce qui doit l'être : l'homme, le poète et le poème. L'essentiel du monde pour que soit préservé le plus précieux ; les rivières, les arbres et les bêtes. L'herbe, le chant des oiseaux, le bruit de l'eau qui court, la beauté des océans, des nuages et des visages, le rire des enfants, le soleil et les soirs d'été, la pluie et le vent... Toutes les merveilles de la terre. Les saisons. Et le ciel irréprochable...

 

 

Un peu de vie, un peu de monde, un peu de joie. Un peu de tout cela...

 

 

Au seuil de l'invisible, le monde (enfin) lumineux. La terre – et ses instincts si noirs – comme un joyau. Le reflet de la conscience. Le seul jamais que verra l'homme peut-être...

 

 

Ni crainte ni effroi. Une longue hébétude scellée par l'incompréhension et l'étonnement face à notre mystère irrésolu...

 

 

Les grands chemins par la fenêtre. Et la petite voix des songes comme boussole à chaque carrefour. Et le silence, toujours inentendu, qui invite à s'asseoir auprès des arbres. Et à attendre l'improbable fin des siècles... A demeurer auprès des étoiles et des chiens. Et à écouter le chant des rivières et le murmure des foules au loin qui jamais n’achèveront leur besogne... Impassible face à la fureur des rêves et à la violence (guerrière) des pas et des mains. Au plus proche de l'innocence et de la beauté pour ne jamais oublier l’œuvre – et la possibilité – de la lumière...

 

 

Les hommes. Telles des ronces mouvantes et sonores dont la parole et les gestes indigents enlacent – étranglent et lacèrent – la chair trop tendre et fragile de l'âme, inapte à la survie en ce monde où l'enserrement et le piquant font loi...

 

 

Ni cri ni murmure. Une parole et le silence. Ni saisie ni enlacement, un geste lent et accueillant. Ni furie ni indifférence, une présence qui réconforte notre besoin, si déchirant, d'Amour...

 

 

Rien jamais ne montera de la terre. Et rien jamais ne descendra du ciel. Mais un regard pourrait les unir – et leur offrir sa présence – son Amour – pour libérer leur puissance et décupler leurs élans... Ainsi la nuit pourra s'effacer. Et le jour pourra naître... Et les âmes tendres enfin se réunir en un seul visage apaisé et reconnaissant...

 

 

L'usage de la vérité ? Laissons donc cela à l'infini et au silence. Sachons simplement nous en faire l'hôte – l'humble dépositaire – et le fidèle laquais. Quant au reste, tâchons sagement de rester des hommes honnêtes et soucieux de ses lois...

 

 

Ni blessure ni couperet. L'éternelle innocence pour libérer le plus faible – et le plus précieux – des malheurs et du sang. Et du joug de la puissance et des plaintes. De l'odieux déferlement du pouvoir sur les sans-voix et le silence... Pour se réunir, tous ensemble, sous la férule de la plus délicate et parfaite virginité... Ainsi seulement pourront naître la joie et la liberté. La réalisation de cet Amour que nous avons cru impossible...

 

 

Ni colère ni tempête. Un silence olympien. Ni fièvre ni désert. Une accalmie sereine – et juste – face aux marées et aux déferlantes des peurs et des cris. Ni refuge ni échappatoire. Une aire infinie où les âmes et les visages (enfin) peuvent se réconcilier... Ce que nous réclamons depuis des siècles. Depuis le premier jour. Depuis le premier enfantement. Depuis la naissance du premier visage...

 

 

Ni bruit ni stupeur. Le plus beau – et le plus profond – du silence. Comme un écho apprivoisé où ne résonnerait que le plus familier – ce visage si longtemps oublié. Comme un présent pour clore des siècles de terreur...

 

 

Encore un peu de gris – et un peu de noir parfois – comme pour souligner la couleur. Et honorer la lumière... Et le monde sous sa coupe. Comme une fin jamais achevée. Comme un recommencement à renouveler toujours...

 

 

Un Amour. Comme le vertige d'une naissance... Comme une épave – un fantôme – sur le sable et le blanc imparfait des galets sur la grève... Comme une nuit de hasard juchée sur la plus belle étoile... Comme un vent qui emporterait tout – et nous laisserait l'essentiel – et le miracle, peut-être, d'être vivant...

 

15 décembre 2017

Carnet n°113 Silence et causeries

– Quelques vanités parmi l'essentiel –

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Un visage, une larme. Un geste, un sourire. Un oiseau dans le ciel. Et le silence. Et ses révérences toujours incomprises...

Ni effort ni labeur. Une évidence spontanée qui se glisse partout où la place sait se faire vacante. Après tant de peines et de siècles, le juste retour des choses qui offre au visage – et à toutes les figures du monde – une beauté, un sourire – un éclat d'éternité et la malice (joyeuse) des yeux qui savent...

 

 

Et toujours ce cri infini – interminable et démultiplié – avant que l'on nous couche dans le silence – ou que nous nous couchions, préférablement, en lui avant notre mort...

 

 

Et le silence, indemne encore, malgré nos mains rouges qui agrippent la chair pour la porter à notre bouche, qui avale – et se repaît – sans jamais tarir son insatiable appétit...

 

 

Et le silence toujours plus éloquent et nécessaire que la parole. Et toujours plus juste que toutes les tentatives du langage – que nos plus grossières et subtiles expressions...

 

 

Le silence. Comme ultime raison. Comme ultime explication et ultime espace. Bouclant ainsi le parcours – indéfiniment recommencé peut-être – de l'origine à la fin...

 

 

Comment l'homme, la parole et le monde pourraient-ils s'égarer en ces contrées où le silence est la seule origine, la seule orientation et la seule destination... Faudrait-il qu'ils soient bloqués – et empêtrés – dans leurs chantiers poussifs – et relégués à l'intervalle interminable situé aux prémices de la marche...

 

 

Le silence s'infiltre partout. Et recouvre tout. Comme l'unique présence – et si vivante lorsque l'être sait l'incarner...

 

 

Le silence, le cri, la plainte, la parole et le silence. Parcours – et étapes – universels de la forme et de la faim. Du manifesté soumis à la dimension presque totalement illusoire de l'individualité incarnée...

 

*

 

Jamais complètement guéri peut-être de nos anciennes frontières. Et de nos sortilèges passés... Comme un mal incurable, amoindri mais nécessaire, sans doute, pour rester un homme parmi les hommes – et demeurer sensible au sentiment individuel de l'incarnation... Et pour donner au visage lisse et infiniment aimant quelques traits et stigmates humains – quelques plaies et cicatrices inguérissables...

 

 

Le fantasme d'autres visages nous console parfois des jours. Et nous offre pour quelques instants – et, parfois, pour l'existence entière (chez certains) – la possibilité infime d'une autre vie...

Et tous ces visages que nous croyions effacés – et qui veillent secrètement au fond de l'âme – ressurgissent au moindre clin d’œil du destin...

Comme si nous ne pouvions nous satisfaire des figures et des paysages familiers et quotidiens. Et qu'il nous fallait sans cesse renouveler la nouveauté des visages (et ce qui traverse nos yeux)...

 

 

Il y a des errances en l'homme qui erre qui côtoient davantage le silence – et qui parfois même frôlent la vérité – que tous nos indignes chemins de raison...

 

 

Y a-t-il plus grande solitude que celle de l'homme seul ? Oui, sans doute, la question, en lui, irrésolue... Et le regard, cette chose en nous, qui en est à l'origine...

 

 

Et dans cette existence – ce bref passage – que pourrions-nous désirer d'autre que le silence... et forger le chemin qui y mène – l'accès permanent... Le destin – notre destin – en est à la fois la possibilité, la voie et la clé...

 

 

Une nuit. Et un matin plus inexorable que notre effroi. Et que nos cris sur la grève solitaire et silencieuse...

 

 

Le besoin d'Amour – et ses dérives – plus puissants que sa présence, évidente, cachée au dedans de nos désirs – et qui s'offre à tous. Et à chacun en particulier...

 

 

Un seul nuage parfois cache le ciel. Et son immensité. Donnant à la terre des allures de cellule, grise et recouverte. Des airs de tombeau éternel. Au fond duquel il (nous) est impossible de voir – ni même d'imaginer – le paradis...

 

 

L'illusion du cœur – renforcée et confortée par celle des yeux – est la geôle la plus infranchissable. On y naît, on y vit et l’on y meurt sans même deviner la dimension chimérique de sa détention...

 

 

La terre et la mort, invisible, des bêtes. L'agonie muette des forêts. Et un chemin qui serpente parmi les détresses. Du cœur au ciel, franchissant l'arrière du regard sans s'attarder sur les visages et les saisons. Une transparence qui s'étend peu à peu à tous les paysages du monde et aux cris mêmes des vivants...

 

 

Bénir la main et les yeux sages, invisibles dans la foule des poings et des paupières fermés...

 

 

Vivre, pour l'homme, ne serait-ce donc que cela... souffrir et espérer que cesse la souffrance...

 

 

Etrangers plus à nous-mêmes qu'au monde... Comment pourrions-nous dès lors nous montrer hospitaliers envers celui que nous ignorons... et dont dépend pourtant notre bienveillance à l'égard du monde...

 

 

Un rêve parfois peut suffire s'il contient l'ultime des désirs. Le chemin alors pourra – et saura – nous guider – et nous accompagner – au bout de nous-mêmes... Derrière où se cache ce que nous avons toujours, secrètement, le plus désiré...

 

 

Des bouches. Et une langue indigente, presque exsangue, mendiant ce qu'elle ne peut révéler... Ni silence, ni sagesse pour les hommes aux lèvres grossières – et à l'âme plus vulgaire encore...

 

 

J'imagine parfois ces fragments – ces milliers de fragments – mis bout à bout. Comme une question interminable posée au silence. Et le rire – le rire immense et tonitruant – qui ponctuerait sa fin comme un monumental point d'interrogation...

Quelques ondes – quelques vibrations – minuscules dans l'infini du monde et la foule des littératures. Comme un bruit dérisoire – presque imperceptible. Un souffle dans les vents. Un point – un trait peut-être – dans l'éternité. Rien de comparable à la beauté et à l'immensité du silence – et à sa folle continuité...

 

 

Un visage, une larme. Un geste, un sourire. Un oiseau dans le ciel. Et le silence. Et ses révérences toujours incomprises...

 

 

Les vaticinations du poète aussi peu utiles que les cris de la foule. Et moins bouleversantes, sans doute, que les soins – et les pleurs – de la mère auprès de son enfant malade...

 

 

La besogne de l'homme, du savant et du poète, elle aussi, moins utile que le silence. Et que son labeur invisible sur les âmes...

 

 

Aux cris, aux plaintes et aux pleurs, aux prières, aux paroles et aux vaines demandes d'explication répondra toujours le silence. Comme l'unique réponse sensée et recevable... Et comme la plus digne – et la plus vaste – à laquelle nous pourrions prétendre...

 

 

Jouissance n'est pas joie. L'une se répète (et doit inlassablement se répéter) alors que l'autre dure sans raison... L'une s'obtient et l'autre s'offre... Les hommes, en général, préfèrent la première à la seconde. Elle est moins difficile à acquérir et n'exige que peu de prélude...

 

 

Mieux vaut vaincre le sommeil que la mort. La sagesse est – et sera toujours – plus grande et plus utile que l'immortalité...

 

 

Seul dans la petite chambre d'écriture où l'infini se précipite – et où la foule des silences offre à la vie ses plus belles – et ses plus hautes – rencontres...

Vivre ainsi dans la compagnie des poètes et des sages – et avec quelques recueils de poésie, rien, en ce monde, ne saurait me combler davantage...

 

 

L'humble virginité qui accueille... Indemne des taches et des traces. Palimpseste vivant des phénomènes que ne pourront jamais ternir le monde – et les bouches et les mains de son peuple. Fragile, docile et soumise à tous les remous et à toutes les tempêtes. Et plus secourable que les églises. Plus lumineuse que le soleil. Plus nécessaire que tous les édifices. Et si modeste et invisible pourtant... Notre vrai visage si doux, si lucide et si vivant à l'abri des rêves et des illusions, de tout ce qui blesse et se flétrit, de tout ce qui s'efface et disparaît... Indicible et éternelle. Ce que nous devrions désirer le plus ardemment...

 

 

L'écriture, excessive si souvent (chez moi), est comme un tombeau que fréquente patiemment la lumière. Et comme un désert, banni par les foules, que côtoie amoureusement le silence...

 

 

Notes et personnalité. Simples, denses et un peu hermétiques. Si discrètes. Et, sans doute, inattrayantes et si peu compréhensibles par les hommes...

 

 

Sur les jours interminables, le silence. Et plus encore dessous. Et peut-être éternellement après...

La vie et la mort, non comme punition et/ou délivrance mais comme possibilité infinie de gagner l'autre rive où le silence est l'unique présence...

 

 

Le silence est notre visage. L'avant-poste et le dernier rempart contre la barbarie...

 

 

Et pourrions-nous dire le plus beau – et le plus vaste – et l'exprimer de notre voix la plus juste et la plus suave, nous serions encore loin (très loin) du plus pâle silence...

 

 

Pour dire le monde, il faudrait d'abord se taire. Et en avoir fait le tour – et l'avoir pénétré – pour que puissent jaillir, peut-être, quelques éclats de beauté – quelques fragments aussi justes que le silence...

 

 

Peut-être qu'un vertige, quelque part, nous attend... Dans un songe – un ciel d'autrefois. Un temps où il ferait bon naître – et être vivant. Un espace encore inexploré où viendraient s'éteindre les jours et les siècles. Dans le baiser d'un enfant ou les bras d'une femme peut-être...

Un vertige, quelque part, nous attend pour donner à notre vie lourde et grise – si pesante – un refuge – un espoir d’ailleurs, même vague et plus qu'incertain, que nous mâcherons, sans doute, jusqu'à la fin du jour – jusqu'à la fin des siècles – jusqu'à ce que le calendrier et les heures sur les aiguilles de l'horloge aient été consumés par nos élans d'espérance...

 

 

Le désamour – et ses suffocations – sont les préludes de l'Amour. Les prémices de l'extase. De cette joie que nous avons cherchée et espérée en embrassant celles et ceux qui passaient à notre portée en pensant qu'ils nous en feraient grâce – mais qui n'en étaient, bien sûr, que les illusoires dépositaires...

 

 

Le chien est plus fidèle et loyal que l'homme car, peut-être, moins soucieux de son amour...

 

 

Allongé sur le sol, et plus exactement sur le tapis, de la petite chambre d'écriture, j'attends la parole. Sa traversée fulgurante dans l'esprit nu et simple, démuni de tout désir. Je l'attends sans vraiment l'attendre. Je me fais réceptif à sa venue possible. Et dans cette attente, infiniment patiente, quelques livres – quelques recueils de poésies – m'accompagnent... Et une mince liasse de feuilles blanches, posée à mes côtés, espère l'acquiescement du ciel, ses échos et la danse, si printanière, de la main qui retranscrira ses murmures...

Et ces instants me sont presque plus savoureux que l'écriture, presque toujours soumise aux impératifs de la nécessité – et à la furie parfois de la retranscription...

Il est plus facile de se faire poète, et en particulier poète silencieux – et infiniment contemplatif – que scribe qui, même s'il se sent libre, n'en reste pas moins l'esclave des exigences de l’infini...

 

 

La métaphysique, si lourde – si épaisse – apprendra, au fil des chemins (et de la compréhension, bien sûr) à se faire infiniment plus légère. Presque invisible. Comme le cadre, imperceptible, dans lequel s'exécuteront les gestes, les pas et les paroles de plus en plus denses – mais dégagés de toute pesanteur. Dans une sorte de transfert progressif d'intensité de l'esprit – et de la pensée – vers l’attention et le mouvement...

 

 

Il faut du temps à un homme pour apprendre à être libre. Libre et joyeux. Et vivre une liberté et une joie nullement concernées par les circonstances. L'existence – toutes les existences – ne sont, en définitive, que cet apprentissage...

 

 

Celui qui écrit pour la gloire ne connaîtra, sans doute, la postérité. Celui qui écrit par nécessité la connaîtra peut-être si son œuvre contient l'essentiel de l'homme... Ces écrits-là constituent ce que nous avons à la fois de plus précieux et de plus tragique – le plus fragile et le plus éternel du visage humain...

 

 

Le poète écrit pour faire advenir le plus proche invisible en certitude. En réalité vivante... Et transformer le lointain en familier... Ainsi procède également le sage...

Sages et poètes, lorsqu'ils parviennent à exposer l'inconcevable et à réunir l’irréconciliable, devraient être célébrés davantage que les rois – et que l’œuvre, si banale, des peuples laborieux...

 

 

Le monde est un théâtre – un décor – dont les yeux ne peuvent pénétrer les coulisses. Il faut un regard pour accéder aux loges, comprendre le jeu des acteurs, les grossièretés et les subtilités de la mise en scène, percevoir l'inanité et la stupidité, si souvent, des répliques et mettre à jour (ou deviner) les intentions de l'auteur... L'éclairage et la compréhension sont à ce prix. Comme d'ailleurs le jeu juste de l'acteur – ce rôle auquel nul ne peut échapper en arrivant sur la scène du monde...

 

 

Apte ni à la grâce ni à la pesanteur. Ainsi sans doute est l'homme, si peu naturel, si peu métaphysique et si peu spirituel, vaquant au nécessaire (devoirs, fonctions, exigences quotidiennes...) et essayant, plus ou moins vainement, de convertir le reste (le reste infime si souvent) en plaisirs et en agréments... De triviales et grossières occupations en vérité...

 

 

Silence et causeries. Quelques vanités parmi l'essentiel...

 

 

Le poids du durable sur nos vies si évanescentes. Et celui du grave sur nos jours si légers...

 

 

Dans le plus précis des siècles et des jours. Dans le plus précis des heures, l'instant inquantifiable. Incommensurable...

 

 

Un passage incertain entre les étoiles. Comment résister à ce songe si plein de promesses : l'accès simple et aisé à la lumière... Comment s'y refuser ? Faudrait-il être stupide ? Et pourtant, le rêve et le désir toujours resteront rêve et désir... Et la lumière un fantasme dans l'obscur...

Des millénaires que l'homme s'y prête obstinément...

 

 

Horizon et ciel bleus, gris et noirs se succédant inlassablement. Des milliards de fois, ils l'auront été... Et des milliards de fois, ils le seront encore... Comme un cycle éternel... La ronde perpétuelle du monde et des couleurs...

 

 

Entre soi et soi, se terre sans doute la plus insoluble et mystérieuse énigme. Et la plus magistrale... Au regard de laquelle les autres ne font figure que d'indignes distractions...

 

 

Des monceaux de phrases. A la fois amas indigne et montagne sacrée dont nul jamais peut-être ne prendra la peine de retirer les scories ni de gravir les mille chemins... Tant pis...

 

 

La respiration permanente du monde et du vivant. Râle faible – et presque moribond – ou souffle puissant selon les cycles et leur vitalité, entrecoupé de provisoires instants de répit et de silence...

 

 

Toujours moins à dire que le silence. Mais un élan, irrépressible, pousse pourtant les mots sur la page. Comme ascèse et exercice quotidiens. Une façon de retrouver, avec délice, la présence – le vide accueillant – et voir ce qui s'y jettera... Curieux, sans doute, de découvrir ce que recèle encore le puits intarissable...

 

 

Ni joie ni souffrance. Un long engourdissement peut-être... L'implacable mécanique des instincts. Et du destin. L'actualisation de notre potentiel – et de notre vérité...

 

 

On écrit comme le soleil, sans doute, se lève chaque matin. Pris par les cycles inexorables et l'habitude, peut-être, de voir le jour...

 

 

Ni monde ni peine. Quelques larmes au milieu des rires pour se prouver peut-être que l'on est vivant. Et que l'homme en nous n'a pas entièrement disparu...

 

 

L'horizon et le ciel. Définitifs. Eternels sans doute. Et aucun ami parmi les hommes. Et aucun appui en ce monde. Aucun socle sur lequel bâtir une œuvre... Le moindre édifice abandonné sur le champ, voué dès l'instant suivant à l'oubli. Et l'absence des hommes et de l'âme... Vécu presque inhumain mais avec lequel on se trouve (bien) plus à son aise que parmi les visages, l'espoir et la bêtise...

Ni gloire, ni sagesse ni vérité. Mais la certitude de vivre la possibilité du presque inhumain – l'au-delà de l'homme peut-être... Comme un irrépressible appel – et une évidence à se laisser mener vers le ciel et cet horizon inconnus – et indéfiniment renouvelables...

Ni plainte ni partage. Quelques notes seulement pour témoigner de cette expérience, intensément réelle, d'intra et d'extra-réalité où ne règne qu'une présence – une infinie présence – sur l'ensemble des visages qui ne forment plus qu'une seule figure infiniment fragile et provisoire...

Ni pas ni danse, pas même un chemin. Une parfaite immobilité au bord du monde qui accueille – et avale – tout mouvement...

Ni hier ni demain. L'effacement total du temps. Ni ailleurs ni plus loin. Le ici permanent... à l'instant où nous sommes...

Ni voix ni livre. Et moins encore de savoir. L'ignorance absolue dans laquelle se révèle peut-être le plus haut – et le plus fin – de l'intelligence : l'Amour irréprochable – désincarné et impersonnel – qui reçoit sans condition – sans exigence ni impératif – ce qui vient – et arrive vers nous, nous qui ne sommes même plus sûrs d'exister – mais d'être, sans doute, au plus près (au plus proche) de l'être le plus parfaitement nu...

Ni poète ni penseur. Un cœur qui écrit... Une main sans auteur. Une parole née du silence qui court sans raison sur la page pour la joie d'être – et la joie d'écrire. Pour célébrer, dans la plus haute solitude, ce que l'homme peut atteindre...

Ni émotion ni sentiment. Une joie pure et sereine – incroyablement sereine. Ce qui se rapprocherait peut-être le plus d'une douce extase affranchie de la chair – admirablement intense et apaisée. Comme un abandon à ce que nous avons de plus sacré...

Ni noir ni couleur. Jour et nuit entremêlés. Ombres et lumière d'un seul tenant. Chair et silhouettes agglomérées...

Ni plainte ni explication. Le fait – la réalité brute et nue – relatés sans artifice par notre plus sûre identité... Le vrai sans exigence qui mêle, sans affect, la laideur et la beauté du monde...

Pas même un face-à-face avec Dieu – et avec la vérité. Pas même une oraison ou un désir à exprimer. L'unité incarnée peut-être avec ce qui se meut, se meurt et se plaint... L'éphémère éternel retrouvant son étrange et précaire éternité... L'indicible que l'on tente de dépeindre avec quelques pauvres signes – quelques mots dérisoires... L'accès au plus haut peut-être accessible à l'homme. Ou un songe... ou une errance peut-être... – qui peut savoir...

Une expérience qui rend la vie, les bêtes, le monde et les hommes étrangement lointains et familiers. Comme un fragment infime de ce que nous sommes – et que le silence renonce à expliquer...

 

 

Le silence est la seule prière. L'espace d'accueil réconfortant de tous les rêves, désirs et ambitions. La seule réponse possible à toute existence. Et la célébration même, fort encourageante, de tout ce qui existe – et qui est né de ses élans... Voila la seule gloire authentique à laquelle nous pouvons – à laquelle nous pourrions –, chacun, prétendre...

 

 

Quelques mots encore avant le silence peut-être... Non le définitif mais celui qui sait se taire et acquiescer aux circonstances. Celui qui aime de façon indifférenciée ce qui lui échoit et ce qui sur lui vient s'échouer. Celui qui consent sans rien omettre ni rien rejeter. Celui qui efface et oublie sans jamais meurtrir. Celui de notre vrai visage aux mains honnêtes et justes – et infiniment secourables. Celui que le monde – et tous les vivants du monde – réclament à cor et à cri, terré derrière leurs plus odieux désirs et leurs plus sécrètes ambitions. Celui qu'ils sont – et que nous sommes – lorsque nous saurons (enfin) nous réconcilier...

Et tant de cris sont parfois nécessaires pour le rejoindre – le retrouver...

 

 

L'Amour, seule loi qui pourra nous sauver de l'ignorance et de la haine. Et de leurs infinies déclinaisons : prétention, désirs, ambitions, convoitises, mépris, orgueil, arrogance...

 

 

L'homme n'est, bien sûr, ni le plus haut – ni même le plus précieux – du vivant comme il aime, si souvent, à le croire dans sa trop égocentrique stupidité. Il est une ébauche, encore mal dégrossie, – la continuité d'une tentative pour accéder au plus haut et au plus précieux de l'Existant. Et permettre à sa grossièreté, évolutive et merveilleuse déjà, de revêtir les caractéristiques fabuleuses de la conscience : l'Amour et la lumière inscrits dans le plus pur silence. Et l'homme n'est qu'une étape, modeste sans doute, dans ce projet insensé : mettre l'inouï à la portée du plus vulgaire...

 

 

Le poète, vigie de l'infini et de l'éternité. Gardien, sans accaparement, du sacré en attendant des jours meilleurs. Doigt pointé vers la vérité insaisissable. Fine pointe, peut-être, de l'homme. Inestimable secours dans l'égarement. Et promesse sans doute – et salut peut-être – pour toutes les errances...

Témoin – modeste témoin – du monde et de l'infini. Des siècles et du silence. Ne vouant un culte qu'au plus précieux atemporel...

 

 

Pour tout dire ; la misère et la volupté de vivre, le monde, ses égarements, les hommes, leurs errances, le désir, la volonté, la paresse et l'inertie... Pour tout dire de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous serons, peut-être faudrait-il d'abord se taire... Et faire du silence son interlocuteur, son ami, sa demeure... Et lorsque tout sera compris, et entrevu en un éclair, les mots alors pourront venir... Et ce qu'ils diront n'aura que peu d'importance pourvu qu'ils invitent au silence...

 

 

Qu'un prélude consacre nos funérailles ! Belles, joyeuses, grandioses. Et absolument silencieuses. Comme les prémices du retour à la mère nourricière, meurtrière et guérisseuse, qui aura tant fait pleurer les hommes...

 

 

Tant de paroles, de larmes et de feuillets noircis pour comprendre l'incompréhensible et saisir l'insaisissable... Une passion qui aura exténué les hommes... Mais qui s’avérera bien plus utile que nous le pensons. Au bout de l’épuisement, l’abandon – la seule clé nécessaire à la compréhension de l’indicible...

 

 

Le tutoiement du ciel. Plus délicieux que celui de la chair du monde que l'on ne côtoie, bien souvent, que pour se nourrir davantage – et, peut-être, parfois un peu mieux...

Le tutoiement du ciel est une grâce permise par l'âme plus vive que le corps. Par l'âme plus innocente que l'esprit. Qui offre la possibilité d'un retour vers la terre promise ici-bas au milieu des visages, des fleurs et des larmes. Parmi les bêtes et les hommes, ces créatures si orgueilleusement terrestres...

 

 

Habiter cet espace où nulle circonstance n'est invitée... Où les rires n'ont pas plus de sens que les larmes... Où le cœur est si proche du monde qu'on l'entend battre dans chaque poitrine... Et où le regard, posé au lointain, veille en silence sur le fracas des siècles qui s'effacent lentement...

 

 

Le monde n'est peut-être qu'une méprise. Un essai. Une tentative sans conséquence. Le pari, un peu fou, d'un Dieu assis au bord de l'ennui...

Il n'y a donc rien à craindre de sa disparition pour peu que nous sachions remonter l'origine, reconnaître ce que nous sommes – et vivre silencieux, et sans doute hilares, auprès de celui qui nous a enfantés...

L'histoire – l'histoire du monde – n'est qu'un trait infime serpentant entre le néant et le rire d'un Dieu fainéant... Pas de quoi soulever les cœurs et l'orgueil de notre condition. Il y aurait plutôt matière à se faire humble...

 

 

Le temps pourrait filer, les saisons se succéder dans une ronde imparfaite, les bêtes opérer leur mutation, si attendue, et les hommes s'enlacer enfin après tant de drames, de guerres et de larmes, nous n'aurons été, au fond, que nous-mêmes, créatures et destins liés, mollement ou furieusement évolutifs, voués, quels que soient les parcours et les itinéraires, au plus magistral silence... Et que nous le teignions de joie ou de sombre importe peu... Hier, aujourd'hui et demain n'auront été qu'une épreuve – l'exercice de notre propre fin...

 

 

Ni crainte, ni regret ni désastre. L'empreinte de Dieu dans les pas de l'homme. Et les foulées d'un monde sans importance... Une farce peut-être qui ne réclame que de grands éclats de rire...

Et nous mourrons ainsi... sans une once de compréhension. Et sans une once de vérité. En ayant tenu pour sage la plus grande folie – et pour folle la plus grande sagesse. Comme des cœurs inachevés – et des âmes à polir encore...

 

 

On croit écrire, malgré soi, de la poésie là où il n'y a, le plus souvent, que pensées grossières et épaisses laborieusement métaphoriques... Paroles sans intérêt ni importance... Une pseudo littérature de dénigrement et de complaisance pas même bonne à jeter aux pourceaux...

 

 

Le seul voyage nécessaire n'est peut-être que celui de notre désapprentissage. Le lent, et âpre, effacement de nous-mêmes...

 

 

L'homme exilé du monde est, bien souvent, le candidat idéal pour rejoindre les terres du ciel. L'habitant potentiellement le plus proche du paradis (à la fois) terrestre et céleste...

 

 

Ni désir ni traque. Pas la moindre envie. Une béance où l'on se glisse – et se laisse aller à l'oubli... Une remontée à rebours du temps pour qu'éclose, à travers les heures, l'instant... Pas même un passage. L'éternité peut-être à la portée des siècles où le labeur n'a jamais porté ses fruits – et où l'effort et l'espérance se sont montrés tout aussi vains... Un glissement spontané vers ce que nous n'avons jamais quitté... Un lieu de présence où égratignures du corps et plaies de l'âme n'affectent que l'espérance qui, en cette aire, n'existe plus...

 

 

L'Amour sans blâme ni dentelle que la chair ne corrompt plus. Mais qui la célèbre pourtant au plus haut point de la jouissance : la joie extatique de l'innocence qui est, sans doute, la volupté la plus secrètement convoitée...

 

 

Ni mot ni parole. Rien qu'un silence... Et plus qu'un silence, le silence... Comme le règne du plus durable parmi le provisoire. Du plus certain parmi l'incertitude et l'improbable. Et du plus lumineux parmi tant d'ombres. L'inéluctable couronnant l'imprévisibilité des chemins...

 

 

Ni ignorance ni compréhension. Ni savoir ni méconnaissance. Mais un intervalle (de lumière) où peut se glisser l'infini des possibilités... Et où n'advient qu'une seule circonstance à la fois, aussitôt effacée et remplacée par une autre. Indéfiniment jusqu'au règne du grand silence, et à sa suite, la récurrence des cycles du monde, de ses bruits et de ses circonstances, entrecoupés au terme de chaque évolution, et avant que naisse la suivante, par cet étrange espace silencieux...

 

 

Plutôt qu'offrir au doute – et à la plainte – le privilège du langage, se taire. Faire vœu de silence. Et offrir la parole...

 

 

Une pierre morte à la fin du jour. Et la convalescence lente, impossible peut-être, des arbres tristes...

 

 

Ni jour ni nuit. Le silence – et un soleil – interminables où se succèdent sans fin les circonstances implacablement entremêlées...

 

 

Une fraternité d'âme existe entre les cœurs insoumis – et rebelles à l'ordre établi et à l'autorité du monde. Comme une intuition – le pressentiment peut-être d'une joie, d'une fraternité et d'une unité que les hommes, et leur maladroite organisation, ont toujours été bien en peine de faire naître – et de révéler...

 

 

Ni espoir ni sagesse ancienne. Et pas même un orgueil. Une présence sans attribut. Libre de tout – et y compris d'elle-même... Un feu tranquille – une lumière auto-entretenue – qui n'exige rien ni du monde ni d'elle-même... Et qui ne se soucie pas même des ombres – ni de son jeu ni de son pouvoir sur elles...

Pas d'indifférence pour autant, mais un complet acquiescement qui abandonne tous les phénomènes (êtres, choses, formes, situations, circonstances...) à l'implacable – et juste – cours des choses en leur offrant la liberté d'agir selon leurs caractéristiques (conditionnements, apprentissages etc.)...

 

 

Ni homme ni femme. Un genre indéterminé. Inutile. Le plus inouï sans doute auquel l'homme peut prétendre. Et le plus sage. Au delà de tout ce que l'on peut imaginer et espérer... L'indicible au cœur de la chair et de la matière. L'ineffable au sein de l'incarné. L'invisible dans le manifesté le plus grossier...

 

 

Ni église, ni croix ni chapelle. Et aucune religiosité bien sûr. Pas le moindre signe extérieur d'une quelconque appartenance. Parmi les vêtures, nécessaires parfois, le plus simple toujours. Ce qu'il y a, au fond, de plus nu en chacun. Ce qu'il reste lorsque tout s'est effacé... Mais comment qualifier l'inqualifiable...

Des siècles de commentaires ne suffiraient à le définir. Mais après des milliards de pas – et des milliards de vies peut-être –, un seul instant pourrait nous le faire découvrir. Et nous offrirait alors, à l'effacement du temps, l'éternité pour le vivre...

Et de le savoir, nous voilà bien avancés... Oublions ces phrases. Et soyons plutôt attentifs au pas présent – et à ce qui surgit à l'instant où nous sommes...

 

 

Ni effort ni labeur. Une évidence spontanée qui se glisse partout où la place sait se faire vacante. Après tant de peines et de siècles, le juste retour des choses qui offre au visage – et à toutes les figures du monde – une beauté, un sourire – un éclat d'éternité et la malice (joyeuse) des yeux qui savent...

 

 

A toutes les morts s'ajoutera le silence... Beau pour les uns, solennel pour les autres. Incompréhensible pour la plupart, frustrés par cette trop subtile réponse...

 

 

Des millénaires de philosophie et de poésie bien en peine de guérir l'immaturité. L'ignorance, source (continuelle) de tous les maux – et des malheurs que nous avons nous-mêmes enfantés...

 

 

Ni abri ni refuge. Une présence simple où les circonstances font peut-être office d'école dans ce long – et douloureux – apprentissage de l'effacement. Et le monde comme miroir de nous-mêmes aux facettes si trompeuses. Le vide et l'incertitude comme seuls socles – et seuls maîtres...

 

 

Ni caresse ni déchirement. Un silence voluptueux. Et une absence qui se glisse dans l'effacement. La plus sûre demeure...

 

 

Et tous ces poètes qui n'auront crié que leur faim... sans parvenir ni à assouvir leur appétit ni à en découvrir l'origine rassasiante... Mais comment les blâmer... Au moins auront-ils essayé de laisser émerger en eux le plus grand qu'eux-mêmes alors que d'autres, la plupart des hommes, ne se seront contentés que de se repaître de chair et d'apaiser leurs instincts...

 

 

Ni souvenir ni espoir de jours meilleurs. Ce qui s'approche... Ce qui est là, maintenant... Et ce qui s'efface... et qui revient, paré d'autres vêtures, parmi les visages...

 

 

Ni peur ni mensonge. Pas même un instinct. Notre vrai visage libéré de tout stigmate... La face de Dieu auquel nous n'avons cru – et que nous sommes pourtant bien plus que toute autre chose...

Le plus haut de l'âme. Le plus profond du cœur. Et le plus vaste du regard. Le plus précieux dont nous n'aurons jamais à nous défaire...

 

 

Héraclite et Démocrite, les deux faces d'une même figure. Celle de l'homme. Ni totalement triste ni pleinement rieuse. Une farce peut-être, à la fois grise et lumineuse, dans la lumière. Et le soleil du monde que les hommes continuent à chercher – et à vouloir saisir – en dehors d'eux-mêmes... L'errance perpétuelle de l'humanité, encombrée d'inutile peut-être mais porteuse de la seule révolution possible, envisageable, pour retrouver notre vrai visage...

 

 

Ni yeux ni lèvres. Pas même un sourire. Une face rougie non de honte mais à force de lumière. Comme une chair – et une âme – incandescentes, éblouies par leur propre feu. Mais si humbles – et si discrètes – qu'elles peuvent marcher parmi la foule sans s'honorer de – ni revendiquer – l'origine du rayonnement. Comme une grâce purement – et strictement – impersonnelle... Le miracle que l'homme espérait depuis des siècles...

 

 

Ni force ni enjeu. Une puissance inoffensive qui jamais ne frappe au hasard. Qui ne s'abat que pour éclairer – et éclaircir. Et faire disparaître l'absurde et le superflu. Comme un poing, violent parfois et tenace, mais toujours secourable...

 

 

Et sans doute, est-il temps, à présent, de se taire. De laisser le silence à son œuvre pour que nos âmes soient plus vite éblouies par ses exploits, sa justesse et son amplitude...

 

15 décembre 2017

Carnet n°112 Une vérité, un songe peut-être

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Un jour, une vie, un siècle. Ou peut-être l'éternité pour comprendre. Et apprendre à aimer. Il n'y a d'autre rêve – ni d'autre ambition – pour l'homme, la terre et le monde. Ni d'autre possibilité... L'existence n'est – et ne sera toujours – qu'une longue découverte – et qu'un long apprentissage – de soi-même...

L'exercice des jours. Des pages et des pas quotidiens. Métaphysiques, philosophiques, poétiques et spirituels. Une marche et des notes – une simple marche et de simples notes – creusées dans l'expérience humaine...

 

 

Quelle sera la dernière révérence de la pâquerette ? Le dernier chant de la mésange ? Et la dernière parole du poète ? Et à qui seront-ils destinés ? Mais le monde s'en soucie-t-il seulement...

 

 

L'exercice des jours. Des pages et des pas quotidiens. Métaphysiques, philosophiques, poétiques et spirituels. Une marche et des notes – une simple marche et de simples notes – creusées dans l'expérience humaine...

 

 

Et dans le chaos du monde, peut-être un dernier espoir... Le regard – et la main – de Dieu agissant, de façon plus décisive, à travers les créatures... Mais encore faudrait-il qu'elles y soient réceptives... Pas d'autre espérance donc que la sensibilité de la terre au Divin...

 

 

De l'âme – et du visage – au plus près de la roche naît parfois le déclic – l'élan nécessaire – pour éradiquer l'orgueil. Eliminer la prétention. Effacer les désirs et les ambitions. Et voir enfin advenir l'innocence requise pour s'abandonner à la grande liberté des jours sur l'horizon...

 

 

Un jour, une vie, un siècle. Ou peut-être l'éternité pour comprendre. Et apprendre à aimer. Il n'y a d'autre rêve – ni d'autre ambition – pour l'homme, la terre et le monde. Ni d'autre possibilité... L'existence n'est – et ne sera toujours – qu'une longue découverte – et qu'un long apprentissage – de soi-même...

 

 

Et du soleil peut-être naîtra, un jour, le plus bel horizon...

 

 

Un cri infiniment prolongé. Et un cahier d'infortune pour consigner le ciel, les jours et le mal des siècles. Ses expériences. Son apprentissage du vrai. Son côtoiement, sa fréquentation et son plein dévoilement possible... Le miracle d'être. La joie d'aimer. Et les malheurs des hommes et du monde. Et toutes leurs peines inconsolables. L'humilité jamais acquise. L'éternel retour de la matière – et des choses de l'esprit. Le doute encore parfois... Les saisons si belles. La terre merveilleuse. La nature féconde. Irremplaçable. Le bonheur tout simple d'exister. La parole du poète. Le passage, toujours fugace, des nuages. Et le chant, si fragile, des oiseaux...

 

 

Un jour peut-être nous souviendrons-nous des orages – et des naufrages – de tous les naufrages où nous avons failli laisser notre peau... Et des bruits imperceptibles de l'âme, à la fois prisonnière et libératrice de notre destin. Du poids si vif du monde. Des charges indéfectibles de notre vie. Des devoirs. Et de l'exigence des circonstances. Des peurs. Des terreurs. Et de la frayeur d'être né, si vulnérable – si différent – parmi tous ces visages inconnus – et à reconnaître plus que tout comme les siens – malgré l'hostilité, l'indifférence et le goût du sang encore présents au fond de presque toutes les âmes... Alors peut-être serons-nous saisis – et comprendrons-nous le sens de cette marche interminable, de tous ces pas parmi la honte, les masques et les préjugés. Parmi tant d'ignorance et de haine. Parmi toutes ces mains qui se jettent encore sur nous malgré notre innocence – et le sourire si doux de nos lèvres qui éclaire le monde et notre visage... malgré le vent, les restes d'orgueil et la poussière qui collent encore à nos souliers...

Quelques pas de plus – quelques foulées supplémentaires – pour aller, fragile et serein, vers demain qui arrivera peut-être...

 

 

L'effacement et le silence sont – et seront toujours – les seules réponses au doute et à la cruauté. Aux mille questions lancées vers ce que nous ignorons...

 

 

Un écho, un rappel, une réponse peut-être à ce que nous avons oublié dans l'innocente beauté des jours qui s'avance vers nous. Pour donner à notre destin des instincts de lumière. Des pas sans promesse. Et la joie d'aller sans destination...

 

 

Comme une éclaircie parfois sur nos horizons noirs. Et nos rêves, si rouges, de lumière... L'innocence encore. L'innocence toujours plus belle que nos ambitions de mort... Que nos saccages pour agripper quelques poignées de terre... Et que l'or entassé dans nos poches... – et dont nous n'avons jamais su que faire...

 

 

S'abandonner (encore) pour offrir le plus fragile de nos mains à ceux qui saignent encore. A ceux qui massacrent encore. A ceux qui espèrent encore malgré la laideur qu'ils enfantent – et la misère qu'ils répandent sur la terre et les visages devenus, à force de coups et d'espoirs déçus, infertiles. Et inaptes peut-être à la joie...

 

 

Peut-être demain sera-t-il un jour plus clair... Peut-être demain aurons-nous oublié la misère d'aller si orgueilleux sur les chemins... De côtoyer la mort – et de la célébrer encore – de nos gestes trop sérieux – et de nos pas privés de lumière...

 

 

Se réduire à moins que rien. Moins qu'un désir. Et moins qu'un songe. Aussi beau que le chant du merle à l'aube. Que l'herbe et l'arbre sous la pluie. Que le soleil – sa lumière et sa chaleur – qui inondent notre vie. Moins que rien, c'est à dire presque tout – et plus encore peut-être que l'infini et l'éternité réunis... Notre vrai visage enfin ruisselant d'innocence et de joie... Le vrai destin de la terre – et celui des hommes – de tous les hommes – peut-être bientôt...

Le sage inlassablement y travaille – mêle son labeur à celui du ciel et des étoiles pour que règne le moins que rien – et ses traînées d'or et de poussière – enveloppés de silence...

 

 

Et sur la feuille blanche – et délavée, peut-être, par le temps –, les signes d'une présence. La beauté des cercles noirs, presque effacés, dans le silence... La certitude du vrai parmi tant de mensonges et de paroles égarantes – jamais navrées de l'indigence dont elles se nourrissent – et dont elles recouvrent les âmes... L'innocence enfin du poète livrant à la terre – et aux hommes – ses riches récoltes de riens. Petites herbes gaies dans la grande forêt sombre du monde et l'immense besogne – et l'infime labeur – des peuples et des rois...

 

 

L'exercice des jours dans le sacre permanent de la beauté et du silence...

 

 

Et dans le silence encore, les bourrasques pourront frapper. Et les promesses – et les mensonges – tenter d'en percer l'insaisissable épaisseur. Mais nul jamais ne pourra s'en prémunir – et nous empêcher de rejoindre cette présence qui a tout enfanté – y compris, bien sûr, les vaines tentatives pour l'abattre – et le réduire à néant...

Insubmersible silence toujours. Indestructible. A jamais. Au delà des guerres et des échecs, des victoires et des avertissements. Au delà même des siècles qui jamais ne pourront l'interrompre – et moins encore l'avilir – et corrompre sa présence...

 

 

Le silence des jours encore qui remplace nos cris. Et accompagne – et consacre – la longue agonie des hommes. Comme une promesse éternelle. La perpétuelle réponse à nos doutes et à nos questionnements...

 

 

D'heures noires et d'herbes rouges nous faisons parfois l'expérience. Jamais sans mal. Jamais sans cri. Et l'espoir d'autres spectacles. Et presque sans jamais comprendre que nous participons aux couleurs de la terre et du temps...

 

 

Les rêves obscurs – autant que les souvenirs – viendront encore faire ruisseler les eaux frémissantes. Et n'était-ce pas là, sur leur fier promontoire, que vivaient autrefois les hommes, à la fois témoins et acteurs des plus odieuses rivières...

 

 

Tous ces édifices, ces rêves et cette terre voués à l'oubli. Et cette histoire sans trêve effacée à chaque nouveau pas...

 

 

Il n'y a peut-être, en définitive, qu'une seule chose qui importe : la lumière, en nous, qui demande à éclore...

 

 

En l'homme, le même désir (depuis toujours). La même espérance. Et le même anéantissement. L'échec perpétuel. Et la fugacité des traces – et des visages – qui n'auront su se livrer à l'oubli et à l'abandon...

L'orgueil fou des origines encensé par les siècles. Et le malheur indéterminé à dates fixes. Et le destin brisé. La condition naturelle de l'homme...

 

 

Et si les vivants étaient déjà presque morts – peut-être simplement rattachés à la vie par un fil fragile – ténu – : l'espérance et le désir d'un vivre mieux... Les yeux barricadés derrière un ailleurs et un après indistincts. Impossibles à faire advenir... Vouant les pas à une marche sans fin – et le corps et l'âme à une fatigue interminable...

Et pourtant l'infini toujours nous attend. Et les dieux factices – et sans visage – toujours nous consolent. Reléguant le périple à une étrange éternité faite de hontes et de répétitions. Et où l'ignorance règne davantage que ne rayonne l'Amour qui nous cherche – et que nous cherchons – pourtant depuis toujours...

 

 

L'appel encore, exhumé des terreurs où siège dangereusement l'indicible. Où l'impossible se répand sur les chemins et les visages, plus égarés qu'autrefois. Un lieu qui n'échappera aux rêves. Et aux cris. A l'absence. Et à l'hébétude des âmes... Dieu toujours (aussi) incompris parmi les hommes...

 

 

Ce monde comme le reflet d'un autre monde. Plus intérieur. Et plus lumineux sans doute que nos rêves auraient terni...

 

 

Plus clair sans doute que le soleil, le rêve de la lumière auquel on aurait retiré les ombres du réel... Plus attrayant donc mais aussi, bien sûr, plus mensonger...

 

 

Le vrai lieu, toujours introuvable, conserve ses secrets – l'itinéraire des désastres où viennent se rencontrer le jour et les songes, la nuit et ses chimères – et la beauté des étoiles, des larmes et des visages... Un pas de plus vers l'abîme. Un pas de plus vers le soleil – à l'exact endroit où percent – et se croisent – le réel et le regard où agonisent les heures... Ici... à l'instant même où je vous parle...

 

 

Des pages. Encore des pages pour se sentir peut-être plus vivant. Assis, invulnérable, au plus haut de la solitude. Goûter indéfiniment à cet éclat de joie que ni les hommes ni la terre ne pourront nous arracher... Vivre cet espace. Pénétrer cette lumière. Et devenir, le temps de l'écriture, l'égal d'un Dieu moqueur. Côtoyer la sagesse hilare qui se joue de nos soucis et de nos batailles. Devenir pour un instant plus vaste que l'infini, plus durable que l'éternité et moins bavard que le silence. Laisser les mots décrocher la parole de ses limbes pour devenir le seul espace vivant sur cette terre de mort et de sommeil... Voilà peut-être pour quoi écrivent les poètes...

 

 

La poésie n'est qu'un signe de joie. Un éclat d'éternité. Une lueur – une flamme – mettant l'infini à la portée de l'homme. Une réponse à la soif. Le sacre de l'inutile et du rien. La plus haute richesse peut-être dans ce monde d'indigences...

 

 

Le cadavre des hommes – la dépouille des mortels. Et la danse des âmes partout – entre et au dedans... Pas tristes le moins du monde de toutes les fins et de tous les recommencements...

 

 

La poésie, le sucre et le tabac. Comme une joie peut-être à portée des lèvres... Drogues douces qui rendent l'âme prisonnière de son désir – et de sa patrie peut-être. Comme si le monde – et sa présence au monde – l'avaient exilée pour des seuils – et des horizons – plus âpres et inhospitaliers qui vouent le manque – le besoin déchirant – à nous rehausser – à revenir à des sommets plus vivables et satisfaisants...

 

 

L'envol simplifié ne garantit que des chutes. Inévitables... D'une fréquentation inassidue des faîtes que nous espérons – et que nous aurions espérés plus définitifs...

 

 

J'aime ces heures où convergent la présence et le naturel de l'âme... L'eau alors suit sa pente. Et se fait humble – et radieuse (si radieuse) – dans l'éternité... Cascade de joie où se glissent les larmes et les rires. Et la certitude d'un Dieu aimant, soucieux du fond de nos désirs...

 

 

Ne plus rien dire d'autre que le silence. La pensée effacée. L'émotion pure d'exister...

 

 

Plus le temps passe, et plus j'aime être – et écrire le plus simple. La quintessence peut-être qui constitue l'existence...

 

 

Le pas suivant, consolateur toujours du précédent lorsque l'âme quitte la présence – et s'égare pour quelque temps dans les affres illusoires de la solitude et l'espérance de l'Autre...

Je crois, en définitive, que la solitude, la marche et l'écriture m'auront appris l'essentiel. A vivre mieux en ma compagnie parmi les hommes ou en leur absence...

 

 

L'Autre essentiellement – presque toujours – considéré comme une gêne, un obstacle ou un moyen. Et les hommes voudraient nous faire croire en l'existence de la fraternité et à la possibilité du geste désintéressé... Quel orgueilleux mensonge... Peut-être assistons-nous aujourd'hui à quelques maladroites prémices... Tout au plus... Plus tard peut-être en serons-nous capables lorsque nul ne sera plus soumis aux exigences de l'individualité...

 

 

Les hommes me font rire – continuent de me faire rire – avec leurs mille activités. Qu'y a-t-il donc à faire, en ce monde – en cette vie – sinon être et aimer ?

Une présence, un regard et un geste parfois suffisent...

 

 

Nous aimons la solitude. La compagnie des arbres et des chiens. La proximité des pierres et de l'herbe. Les fleurs des chemins. Et lorsqu'il nous arrive de croiser une vache, un cheval ou un âne, c'est pour nous une fête... Nous nous empressons alors de le (ou de la) saluer, de lui donner quelques nouvelles du monde – et parfois quelques conseils (ma foi ! peut-être pas si utiles...) avant de rester là ensemble – silencieux pendant de longs instants. Puis nous quittons notre hôte, non jamais sans un regard – et parfois même un adieu, pour repartir sur nos chemins solitaires...

 

 

Une incidence parfois sur les jours. Comme une lumière qui tarde à venir... Trop soucieuse peut-être des incapacités humaines – et de la faiblesse des âmes, inaptes encore à la recevoir. Et qui, si elle se manifestait pleinement, les ferait éclater sans doute. Réduirait les esprits en cendres et les cœurs au néant. Détruirait le peu qui a été construit pour nous envahir totalement...

 

 

Quelque chose en nous cherche. Creuse. Et se faufile. Défait ce qui doit l'être. Efface. Et anéantit ce qui reste. Comme pour assembler ce qui doit être réuni. Et disperser ce qui nous égare – et nous dissocie afin d'ouvrir un chemin à ce qui doit arriver...

 

 

Une étrange étoile, parfois, brille au dessus – et au dedans – de ce qui nous relie. Comme un fragment de lumière pour encourager nos tentatives de réassociation...

 

 

Tout apparaît. Et s'efface déjà. Danse vive – et pas lents – de toute forme en ce monde. Traces fragiles – faillibles – évanescentes dans cette présence durable. Douce. Implacable...

 

 

La fragilité des siècles – et des âmes – face à l'éternité. Et leur ronde – presque anecdotique – qui s'efface, insignifiante – et de façon discrète – dans l'infini. Appels, plaintes et cris sans valeur. Sans effet. Paroles et efforts vains. Et le rire, seul peut-être, pour nous sauver du désespoir. Et acquiescer au jeu sans concession... Le rire comme prémices peut-être à toutes les joies. Et comme continuité de l'apaisement. L'unique voie à emprunter pour les siècles à venir. Chemin définitif serpentant jusqu'au fond du temps aboli, se succédant à lui-même au cours d'une éternité sans fin...

 

 

Un passage peut-être entre les éclipses qui effacent les frontières – et donnent au jour et à la nuit les mêmes couleurs mystérieuses. Comme la promesse d'une énigme enfin résolue. Un chemin où glisser son âme hésitante... Un espoir, pas si mensonger, de lumière et d'éternité... Le seul salut pour la terre, sans doute, et son peuple d'aveuglés...

 

 

Encore quelques pas sur la terre boueuse. Dans les songes marécageux. Sous des étoiles qui n'éclairent plus les âmes – et ne leur offrent plus cette folle – et si nécessaire – envie de lumière...

Quelques pas encore parmi les moribonds errant sous les lampadaires – et qui ne vouent un culte qu'au ronronnement triomphant... Et que les foules apaisent – et remercient pour avoir obéi aux injonctions des masses : oublier l'Absolu ou l'avilir sous des titres et des hiérarchies – et se faire dociles sous les brimades comme des esclaves consentant à des maîtres exigeant le plus vil et le plus absurde...

Encore quelques pas parmi la mort, les macchabées et les tueries sanglantes avant que n'adviennent (enfin) le silence et l'effacement...

 

 

Et dans ce sommeil, plus longue est la nuit. Etoilée peut-être de rêves – de songes interminables – mais privée, assurément, de jour et de lumière. Comme si l'espoir portait à la démesure du temps et à son infranchissable continuité...

 

 

Le monde – la pensée – ne pourront nous sauver des étoiles. De cette distraction du réel. Il nous faudrait une hache – une hache immense – ou un baiser peut-être... pour écarter les songes – et les dissiper. Nous extraire de cette nuit que nous prenons pour un jour de plein soleil...

Une aube peut-être viendra nous surprendre en plein rêve. Et nous saurons alors, peut-être, distinguer le songe du réel – et attendre, patiemment, l'heure du réveil...

 

 

Peut-être, un jour, mille obstacles nous feront abdiquer. Et barreront la route des promesses et des voluptés. Eradiqueront les désirs pour les enfouir dans leur origine. Et nous nous retournerons alors – et avec nous, nos yeux et notre âme, pour les confronter à la mère des enfantements, secrètement gardée – discrètement lovée – au fond du regard, détaché de toutes les scories. Oublieux de tous les espoirs. Nu jusqu'à l'ivresse de toutes les fins qui bordent les frontières de l'abondance où nous n'avons, malgré les disettes et les carences, jamais cessé de vivre – et de vouloir proliférer pour assurer la pitance – et le confort – à notre progéniture – à cette armée de descendants bercés de trop de caresses et d'aisance pour aspirer à s'extraire des délices mensongers – et rejoindre les vents violents des territoires mouvants aux mille éclats – et aux mille aspérités – qui porteront l'âme en ce lieu que nous sommes – et que nous n'avons, en vérité, jamais quitté – mais vers lequel il nous faut revenir – et où il nous faut habiter – pour vivre – et aller – libres parmi les obstacles, les désirs, les promesses et les voluptés...

 

 

La vie, comme le langage peut-être, est un flux incessant qui se renouvelle en se nourrissant de ses anciens chemins et de ses anciens territoires. Sentes creusées à même la roche – à même l'esprit – transformées bientôt en vastes – et profonds – sillons. Comme le large lit des flots à venir – des cycles permanents et des ritournelles du vivant et de la parole dont la source encore échappe, trop peu visible – enfouie peut-être derrière – et sous – l'origine apparente – pour être découverte – et tarir l'abondance afin de donner à la vie et au langage leur plus pure et quintessente dimension ; les traits les plus simples, les plus essentiels et nécessaires – reléguant le reste, les excès et les scories, aux poubelles du temps et de l'oubli...

 

 

Une étoile peut-être annoncera l'avenir. Et dissipera les songes et l'espérance. Fera de nous des vivants moins orgueilleux et plus sensibles. Des âmes enfin prêtes à vivre et à aimer. Des fragments de lumière plus sages et plus ouverts. Plus attentifs à l'Autre et plus secourables. Des cœurs et des visages moins assoupis. Des éclats de Dieu plus aimants. Une figure éternelle en nous retrouvée. Et des astres peut-être moins sombres...

 

 

Une étincelle suffirait à enflammer l'illusion. Et à réduire l'orgueil en cendres pour qu'apparaissent dans le regard, la réalité brute – le réel nu – et la beauté de la terre, de la pluie et des visages. Notre socle commun...

 

 

La poésie. De la lumière au milieu de l'encre noire. Et sur les pages couvertes de suie, le soleil et les horizons clairs promis à la figure attentive et sensible autant au jour qu'à l'obscur... Quelques raies – et quelques caresses – sur l'âme apeurée et fragile, plus soucieuse du vrai que de la beauté des pas et des empreintes sombres laissées par les hommes...

 

 

Une lueur toujours brille malgré l'invasion des territoires. Les figures ternes. Et les larmes sur les visages...

 

 

Dans le ventre du monde, immense, s'amoncellent les jours et les siècles. Les gloires passées et les rêves d'antan. Les guerres et les batailles. Les victoires et les défaites. Et les espoirs – tous les espoirs – si vains du lendemain... Comme un ogre à la bouche béante qui avale ce qu'on lui jette... Et qui se repaît des restes d'un festin que nous n'avons encore découvert... Et qui, en attendant, s'empiffre en languissant, sans doute, des banquets à venir où la lumière sera le seul mets – et le seul plat dont nous nous rassasierons indéfiniment...

 

 

Le silence aguerrit – et sauve de tous les espoirs. Et de toutes les solitudes. Remet, en quelque sorte, les pendules à l'heure en brisant les aiguilles qui enfonçaient dans notre chair nos désirs d'ailleurs et nos envies d'après... Comme s'il faisait place nette pour qu'advienne le réveil – et que soient reçus cette éternité que l'on n'attendait plus – et cet infini que nous croyions avoir perdu, égaré – enseveli sous des couches de chiches (et médiocres) ambitions...

 

 

Une porte, une clé, l'infini. Et le désert peut enfin s'étirer, recouvrir le monde et l'évincer de l'espace où tout s'est retiré pour que demeure l'éternelle vacance... L'abîme lumineux où viennent se jeter les phénomènes : désirs, formes, ambitions, êtres, choses, émotions... pour que règne le regard nu, lisse, immaculé. Et l'Amour qui s'offre, entier, en autant de fragments nécessaires...

 

 

Et le temps qui s'acharne sur les jours. Sur les hommes. Et sur le peuple des bêtes apeurées...

 

 

La lumière est la hantise de l'homme. Et l'épouvante sa loi. Une béance infranchissable pour transformer la terreur en joie...

 

 

Il n'y a peut-être qu'un seul soleil que nous ne connaîtrons pas. Et qui effacerait pourtant tous les malheurs. Et le gris, presque indélébile, dont nous avons recouvert la terre... L'herbe, l'arbre, la fleur, la bête et l'homme n'ont d'autre espoir pour s'extirper de cette longue nuit...

Et un sourire – et un baiser aussi peut-être – pourraient nous sauver de ces pleurs et de ces plaintes. De toute cette terreur accumulée depuis des siècles – et que nos pas fébriles, et si désespérés, ont pétrifiée...

 

 

Un pays, une route et un doute, enfin, qui allègent notre espérance. Qui ramènent – et fixent – la certitude de l'incertain. Et la font loi. Rendant le pas d'abord hésitant puis, au fil des chemins, plus libre et plus joyeux. Plus dense et plus léger au milieu des vagues et des tourbillons. Plus familier des eaux qui ruissellent partout sur nos vies. Moins exigeant à l’égard du ciel et des océans. Acquis enfin à la présence de l'unique paysage que foulent nos souliers...

 

 

Les grands vents de la terre cinglent – et giflent – les visages. Frappent les bêtes et les hommes. Font tournoyer les vies et les destins. Les anéantissent encore et encore. Et les font réapparaître ici et là, ailleurs parfois... et renaître toujours. N'obéissant qu'à leur puissance implacable, à la force éternelle des transformations et des renouvellements et aux souffles discrets d'un Dieu libre et adorateur – et infiniment juste – et, sans doute, un peu joueur aussi...

 

 

Partir encore. Et se retrouver partout projeté sur les horizons en mille fragments pourtant indissociables... terrifiés par l'éclatement de leur ossature. Comme un pantin à l'armature – et à l'âme – déstructurées. Déchirées par les mille tempêtes du destin et les vents cajoleurs parfois... Et pas même soucieux – ni capable – de se réunir. Se laissant docilement éparpiller. S'abandonnant à l'infaillible – et infatigable – volonté des Dieux et du réel. Mais réconforté – admirablement réconforté – par la certitude de l'âme qui relie les éclats – et les rassemble en une indicible unité...

 

 

Peu d'amis chez les hommes. Presque aucun... Et tant parmi les arbres et les bêtes...

 

 

Une parole encore indistincte peut-être. Mal ciselée. Chargée et parée de trop de mystères et de lourdeurs. Et si proche pourtant du plus simple, du silence et de la lumière...

 

 

L'invention du mal, de la solitude et des malheurs comme le reflet, peut-être, des origines. Et de la continuité des siècles...

 

 

Que pourrions-nous avoir de plus à dire que le silence...

 

 

Un corps – et un monde – pleinement habités. Voilà ce que nous pouvons espérer pour la terre... La plus bénéfique des possibilités. Et le gage (absolu) de notre familiarité avec la lumière...

 

 

L'espoir moins banni que le jour. Prolongeant ainsi l'exécrable continuité de la nuit...

 

 

Une semence peut-être moins hasardeuse que le destin. Et le goût âcre du sang dans la bouche. Comme le signe d'une possible punition des Dieux. Ainsi perçoit l'homme, dans son éloquente stupidité, la triste – et inévitable – continuité des jours, la poursuite ancestrale des guerres et des générations et la mesure d'une transcendance vindicative aux comptes vaguement apothicaires...

 

 

Un désert, une ombre et des monceaux de sable à récolter. Et dans les gestes – et l'informe amas – pas une once de lumière. Et pas même la promesse du silence. Sagesse remisée à plus tard... lorsque sous le sable sera déterrée la poussière. Et sous la poussière, le feu des origines... Dans quelques milliers d'années peut-être – au bord de la fin des siècles – si la terre existe encore et que les descendants de l'homme se montrent moins stupides que leurs aînés...

 

 

Tant de lubies et de manies ici-bas. Partout l'obsession. Qui du sexe ; qui de la propreté ; qui des nombres ; qui des images de soi, reflets fragiles et trompeurs – et infiniment périssables – dans les yeux de l'Autre – insoucieux toujours de ce qui n'est pas lui ; qui de la raison et de la pensée ; qui des jeux – des mille distractions inventées par l'homme pour jouer – et vivre la vie et le monde comme un amusement perpétuel qui n'a pourtant les traits que de la fuite et du mensonge ; qui, plus rare, du mystère de l'existence et de la métaphysique...

Un monde d'obsédés possédés par l'obsession de l'étrange – et énigmatique – sentiment d'exister... Un monde aux mille visages dépossédés pourtant de l'essentiel dont les lubies et les manies à la fois éloignent et rapprochent du grand mystère que chacun, à son insu et à sa façon, s'acharne à vouloir percer et découvrir...

 

 

Obsédé et possédé à la fois par la question ultime qui taraude l'homme – et fait naître tous ses élans, des plus infimes aux plus majeurs : le mystère de son existence. Et dans ce voyage – long et douloureux périple si souvent – apparaissent bientôt – et progressivement – tous les attributs manquants : le silence, l'infini, l'éternité, la lumière, l'Amour et la joie. Le propre – et l'essentiel – de toute délivrance. Et l'extinction définitive des questions, du mystère et des obsessions...

 

 

Peut-être n'avons-nous, en définitive, rien d'autre à faire que percer notre secret... Et pourtant que de chemins qui ressemblent à des dérives...

 

 

Peut-être avons-nous sur l'atome – et la matière – quelques avantages : le questionnement, le goût de la découverte et la capacité d'émerveillement... Mais nous nous dispersons – et nous nous égarons – trop souvent dans notre si dévorante passion pour les histoires – et notre amour inconsidéré pour les mythes, les légendes et les mensonges. Avec cette fâcheuse manie de nous y enfouir – et de nous y enterrer presque entièrement – comme l'atome et la matière se glissent, malgré eux, dans toutes les formes interagissantes et expansives de l'univers...

 

 

Peut-être n'y a-t-il jamais eu, au fond, de questions... Mais un questionneur unique se laissant déborder par ses éparpillements – et pris au jeu de son propre mystère, enfanté probablement par l'oubli... Ainsi sont nés, sans doute, nos interrogations – et les mille chemins, tordus et tortueux – à la fois inutiles et nécessaires – pour retrouver l'origine du seul mystère – de l'unique questionneur...

 

 

La vérité ne nous laissera indemnes. Avant même d'y prétendre, la vie nous aura défait de tout ce que nous aurons cru précieux... Et lorsqu'il ne restera rien – pas l'ombre d'un désir – pas l'ombre d'un mensonge – pas l'ombre d'un résidu de ce que nous avons cru être, de ce que nous avons espéré et de ce que nous avons rejeté, elle nous cueillera comme un fruit mûr qui tombe et que la bouche avale, sans mal (et sans effort)... Nous deviendrons alors la vérité insaisissable... Et nous la vivrons à chaque instant, nouvelle, sans le moindre doute ni le moindre appétit pour d'inédites acquisitions...

 

 

Et le silence encore pour réponse à toutes les oraisons. Effaçant le miel et le fiel qui coulent sur les bouches. Offrant un sourire éternel – et rendant inutile la parole et vaines les explications...

 

 

Le silence. L'éternité. Les prémices peut-être de notre vrai visage (retrouvé). L'Amour offert sans raison. A la merci de toutes les gloires. Et de toutes les joies. Mais humble – si admirablement humble – lorsqu'il se fait secourable...

 

 

Une place – et ce lieu si passionnément convoité – toujours seront ouverts à celui qui s'approche... Et bien qu'il ne les ait jamais quittés (même s'il en eut longtemps le sentiment), sa nudité – son entrée en nudité – lui en ouvrira pleinement les portes – et l'accès. Comme une maison – une demeure – l'espace entier de l'habitat – s'ouvre soudain à un visage reclus pendant des siècles dans un placard, sombre et étroit, au fond de la cave...

 

 

Et dans notre âme, ces bruits – et ces eaux – qui hurlent encore malgré le soleil – et les yeux éblouis sur la terrasse. Si proches d'un ciel réconciliateur. D'une lumière sereine et pacificatrice. Et qui s'effaceront peu à peu à chaque jour de la nouvelle aube...

 

 

La succession des nuits. De l'obscur au clair. Avant la première aurore. Et le jour immense. Et sur les lèvres, ce sourire inconnu, presque trop large pour notre visage...

 

 

Au bon plaisir peut-être des lettres – et des mots –, la parole saugrenue – primesautière – qui saute par dessus la portière pour aller seule – et enivrée – sur la route du silence... Pas même apeurée du défi – et de l'enjeu dans lequel elle se trouve, à son insu, impliquée...

 

 

Poète métaphysique peut-être, mais si peu doué pour les foules et le silence. Trop chargé encore, sans doute, d'un langage dont il ne peut se défaire... Avide d'une parole et d'une sagesse (silencieuses) qui tournent inlassablement autour de lui, insaisissables... Et auxquelles il ne parvient guère à s'abandonner...

 

 

La vie, la terre, le monde nous auront tant donné. Et les chemins offert, insidieusement, ce que nous avons cherché avec tant de rage et de maladresse... Et pourtant que de visages tristes et d'âmes inassouvies, insensibles à tant de présents... Aveugles au plus urgent comme au plus essentiel... Des ombres dans le sable gesticulant sur les plus prodigieux joyaux – et le plus fabuleux trésor – que nous mettrons, sans doute, des centaines de milliers d'années à découvrir. Comme le signe évident d'un oubli ancestral – à la fois originel et durable – du plus désirable et du plus précieux...

 

 

Le cœur plus vieux que le visage. Et l'esprit, pourtant, toujours neuf. Et les cris de l'âme qui ne comprend rien au temps... Réunir les trois, le cœur, l'esprit et l'âme, en un seul regard – en un seul regard atemporel – éternellement frais –, voilà la clé universelle de l'éternité – et de la compréhension, sans cesse renouvelée, de notre figure – et de notre nature – infinies...

 

 

La fleur, l'arbre et la bête possèdent du Divin que l'homme ignore... Et il y a chez eux plus de grâce que chez les hommes sourds à toute quête...

La fleur, l'arbre et la bête ne cherchent pas. Ils en sont, sans doute, incapables. Aussi acceptent-ils, contrairement aux hommes toujours plus ou moins geignards, leur destin. En toute ignorance peut-être mais de façon si pleine qu'ils ne peuvent s'en écarter...

L'homme qui cherche a passablement compris sa destinée... Il la pressent. Et devra parcourir le monde – et dénicher l'être au dedans, après un long voyage souvent, pour l'incarner avec plénitude et justesse. Le Divin de l'homme n'est pas ailleurs...

 

 

L'abscons – et le touffu – parfois nécessaires (chez moi) pour décrire le plus simple et le plus épuré : la grandeur et l'immensité, simplissimes, de la nudité et du rien... Un travers peut-être irréfutable de mon esprit tiraillé par son goût pour le foisonnement et l'exhaustivité... et qui, en souhaitant tout dire, ne dit, souvent, plus rien... Embrouille tout, complexifie et abîme le silence qu'il vénère pourtant... Et qu'il croit parfois, et toujours à tort, avoir fait sien...

 

 

Aucune règle à vivre ne tient face au silence. Aucune leçon. Ni aucun guide de sagesse. Sentences et aphorismes ne sont que des lois provisoires pour les esprits immatures, trop verts encore pour comprendre l'incompréhensible, toujours en recherche – et qui espèrent, stupidement, parvenir à quelques insaisissables vérités...

 

 

D'un bruit à l'autre. D'une parole à l'autre. D'un jour à l'autre. Et peut-être qu'entre – et au dedans – se faufile le silence. Ce silence dont nous avons, comme le monde, le temps et le langage, tant besoin...

 

 

Le cri, la plainte et la prière ne sont, en définitive, qu'un besoin de silence...

 

 

Serait-ce en poursuivant le nécessaire qu'advient l'essentiel... Comment en douter en parcourant l'histoire du monde...

Et même aujourd'hui, en cette ère si débilitante et si riche de promesses, où le superflu* semble pourtant tenir les rênes, le superfétatoire aurait-il le visage des nécessités de demain – et des essentialités plus lointaines encore...

* Distractions, narcissisme et virtualité à outrance...

 

 

Les vivants ensevelis sous l'inutile. Et à leur mort, sous la terre. Pas plus nécessaires souvent que leur vie... Les visages gagnés par l'incompréhension et une étrange hébétude, légèrement curieuse et inquiète. Comme les signes les plus marquants (et décisifs) de l'humanité, follement gesticulante et à peine pensante et expressive... Des bêtes douées d'un esprit et d'une parole, jusqu'à aujourd'hui, presque inutiles...

 

 

Ni route ni chemin. Pas même un décor. Un rêve peut-être tout au plus... Un songe geignard... brunâtre... sans consistance où s'élancent – et s'échouent – pourtant les ombres et les silhouettes de chair paraît-il, mais dont le sang n'est peut-être que d'encre et de papier – ou de brume et de rosée – comme des nuages munis de membres et d'une tête légèrement pensante... Pas même une parole. Ni le moindre discours nécessaire... Peut-être quelques gestes indispensables à la survie et à la perpétuation des espèces. De cette vie navrée, et navrante, mais si douce et si belle malgré les malheurs, la honte et les tentatives... Et que l'on ne peut défaire – et qui se défait pourtant... Et dont on ne peut s'extirper – et à laquelle nous n'avons, malgré les apparences, jamais vraiment été associés... Ni route ni chemin. Pas même un décor. Un rêve peut-être...

Et un matin, sur la grève brumeuse – et légèrement triste et pluvieuse –, le réveil que nous n'attendions plus – et que nous espérions, malgré tout, depuis les premières heures de la nuit...

 

 

Imaginons à présent la soif, l'eau et le puits... Et la bouche. Et les lèvres entrouvertes, avides de la source. Et dans l’œil caché derrière les rebords de l'infini, la naissance et l'assouvissement de tous les désirs. Et les mille instruments et récipients nécessaires à la cessation des besoins... Le ciel, le silence et la fin de tous les rêves... Ainsi peut-être pourrait s'achever notre songe...

 

15 décembre 2017

Carnet n°111 Le silence, la parole et le mal des siècles

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

Des visages, des ombres et du silence...

La marche insensée des siècles. Et le sommeil passager des hommes. Quelques ombres – quelques traces – dans l'éternité...

L'époque, comme tous les autres siècles, en est encore à la faim de soi. Et aux appétits du monde... Quand donc pourra régner la faim de l'Autre – et le sacre de tous les visages ?

 

 

Ne voyez-vous donc pas le manque sur notre visage ? Et derrière nos rires – presque insolents ? Et toutes ces larmes de terreur et d'incompréhension – et cette rage que nous retenons pour ne pas faire plier notre front sous la tristesse ? Combien d'entre nous, seraient-ils prêts à vendre leur âme pour un peu d'espoir, un peu de lumière, la promesse – même improbable – de jours meilleurs ?

 

 

L'aube pourrait revenir demain, nous mourrons les yeux grands ouverts sans avoir rien vu – sans avoir rien découvert : ni le jour, ni les matins clairs, ni le silence, ni la lumière sur les visages, ni le bleu qui attend dans le souffle des âmes déjà soumises – déjà conquises – et promises, pourtant, à la délivrance...

 

 

Quelques mots peut-être pour dire le silence. L'intégralité du tout... Et l'absence éclatante des yeux – et du cœur – trop tristes pour participer au bonheur – et célébrer ce que l'âme seule peut honorer de sa présence...

 

 

On imagine (toujours) l'âme voyageuse. Elle n'est pourtant qu'une passagère, presque immobile, dans l'éternité...

Nous ne traverserons jamais que des eaux sombres. Et des mares infimes – et infâmes – croupies par des siècles de piétinement...

 

 

Un nouveau soleil pourrait arriver – et remplacer l'ancien à la lumière – et aux couleurs – toujours aussi vives, on ne se douterait de rien... Nos yeux n'y verraient que du feu – un nouvel astre nécessaire à la vie et à la croissance du grain. Jamais une possibilité pour l'âme d'échapper aux ténèbres de nos mains – et à l'enfer noir – brûlant et dévastateur – où nos pas ont plongé la terre...

 

 

Un sang indigne de la lumière... Oui, peut-être...

Mais l'âme n'habite aucune chair. Les hommes l'ont-ils oublié ? Pourraient-ils seulement sentir, un jour, leur âme couler au fond de leurs veines ?

 

 

Peut-être n'y a-t-il rien d'autre à dire que le silence... Et rien d'autre à faire que le goûter – et l'honorer... Et aimer la terre, les bruits, les bêtes et les hommes – et la lumière qui brille derrière chaque visage...

 

 

Qui sait que le poète est à la frontière de tous les âges, de tous les temps, de l'éternité... Qu'il côtoie toutes les voix et emprunte tous les chemins... Qu'il glisse dans sa besace, sa plume et son carnet, le soleil et les ombres, les arbres, l'herbe et les visages, les nuages, les larmes et la joie – et parfois la tristesse et le désespoir du monde, des bêtes et des hommes... Qu'il murmure une parole née de tous les silences et du vacarme qui accompagne ses pas... Qu'il est soldat, prêtre et magicien...Qu'il soigne – et répare parfois – les corps, les cœurs et les âmes décousus et mal embrassés... Qu'il est celui par lequel passe la parole – et que sa présence est aussi belle – et nécessaire – que les fleurs sauvages, les montagnes, le blé des champs et la lumière sur notre désespérance... Qu'il est la question – et parfois, la réponse et le silence... Et qu'il livre la lumière – le peu dont nous avons besoin pour vivre et pour aimer... Qu'il n'est rien – ne fait pas grand chose souvent – sinon polir inlassablement ce qui brille en chacun – et en lui-même d'abord – comme un soleil encore noir attend la main de Dieu – et les vents tragiques du destin – pour s'extraire de sa gangue épaisse et sombre – et éclater dans la pluie et l'ignorance du monde et des hommes comme un bouquet de joie sans égal – à partager indéfiniment...

 

 

Le fracas du temps et des étoiles dans le silence imperturbable. Et triomphant toujours...

 

 

Danser jusqu'au vertige. Jusqu'à l'éclatement des repères. Jusqu'à la disparition du tourbillon. Jusqu'à la grande ivresse du regard...

Danser toujours. Jusqu'au seuil du silence avant que ne surgissent tous les effacements...

Ainsi seulement serons-nous vivants – et notre pas plus léger et lumineux que la terre. A l'égal peut-être des vents et du soleil. Lumière mouvante dans l'espace déserté par les dieux et les hommes...

 

 

Le plus grand danger serait peut-être de se taire... De rester silencieux face à la barbarie – et de refuser de mettre la parole au service de la beauté et du silence... De laisser la laideur et l'infamie envahir les siècles – et en triompher... D'abandonner la sagesse aux vautours et aux âmes guerrières et mercantiles...

 

 

Depuis toujours, le monde s'abandonne aux terreurs des siècles. Peurs, brimades, angoisses, tortures, exactions, esclavagismes contre lesquels s'insurgent – se sont toujours insurgés – les poètes, les sages et les philosophes : les hommes sensibles, animés d'une perspective salutaire pour le monde, qui n'usent jamais de l'histoire et du progrès à leurs propres fins mais pour que la sagesse et l'intelligence triomphent – et qu'elles soient partagées par le plus grand nombre...

Aujourd'hui, pourtant, dans le sens même de l'évolution, la déraison, le foisonnement des mots imbéciles et des expressions toutes faites, l'usure du langage, la dépréciation de la parole, leurs usages dépravés et avilissants – mortifères – voués à ensemencer le doute, le rêve et l'ambition – la folle envolée des désirs et des songes... Le plus vil de l'homme – l'animal en lui encore si frémissant – bondissant partout avec ses instincts en bandoulière, à la ceinture et sur son front si orgueilleux... Et tout ce fatras humain – êtres, ambitions, sentiments, actes, langage – voués au commerce et à la guerre... Et qui envahissent tous les territoires ; le monde, les bêtes, les arbres et la terre à seule fin de vaincre et de dominer – et d'avilir plus encore la beauté, l'innocence et la gratuité du geste – de reléguer le plus précieux aux marges, aux fossés et aux mains d'une poignée, de plus en plus esseulée, de dissidents qui luttent, impuissants si souvent, contre l'infamie généralisée pour éradiquer tous les désastres et toutes les perversions de ce monde...

 

 

Des années – et des existences – de paille. Vouées sans doute à l'étincelle qui mettra le feu à toutes les granges du monde... Et déjà l'éclat des flammes dans notre œil comme le reflet du délire et de la trahison... Et le goût amer des hommes entre nos lèvres entrouvertes, hébétées, inertes... incapables de résister à l'horreur – et de crier contre l'infamie, brûlées, elles aussi, par tous les désastres... Et l'âme, âtre silencieux et dévasté, où ne tourbillonneront bientôt que les cendres et les braises attisées par les vents et le souffle, triste et noir, d'un soleil finissant...

L'homme – et une civilisation – en perdition sombrant dans le plus vil qu'ils ont, l'un et l'autre, édifié... Un juste retour des choses sans doute avant la fin des temps... avant le renouveau improbable d'une ère plus joyeuse – et plus propice au silence et à la sagesse originelle des espèces...

 

 

Un soir, une étoile, la nuit. Et le jour éternel qui n'en finit pas... Qui n'en finira jamais... Le destin des ombres. Et l'obscur encore... Comme d'infimes taches dans la lumière. Et le bruit des siècles dans l'éternité. Et le silence toujours, si vivant...

 

 

Les yeux dorment encore dans le silence. Et les bouches parfois crient dans l'éternité. Mais quand donc apprendrons-nous à être sages... présents, silencieux et sans exigence... Indifféremment heureux malgré le monde et le temps...

 

 

Des hommes curieux des matins clairs. Et des âmes éprises d'Absolu et de lumière. Moins soucieux du destin du monde et des horizons que du silence – et du soleil – à l'orée de tous les cœurs – et de tous les pas.

 

 

Rien à chercher – plus jamais – pour celui qui s'est découvert – et retrouvé. Le silence durera jusqu'à la fin des siècles. Ensevelissant les morts et les vivants sans l'once d'une tristesse. Joyeux toujours des aléas et des circonstances...

 

 

En quel lieu pourrait être jetée la parole pour que le monde l'entende – et qu'elle trouve un écho secourable, vivifiant, pour que l'âme s'en saisisse – et s'abandonne aux exigences des heures...

Et nul doute – nulle peur – ne pourra jamais assaillir celui qui saura la recevoir...

 

 

Au commencement du monde, peut-être, le réel... Le fait pur – le geste clair – des origines. Sans peur ni reproche que le doute n'a encore étreint – et que les bêtes et les hommes ont corrompu à force d'hésitation – et que les pas incertains et les paroles mal assurées ont fini par obscurcir. D'où peut-être l'aveuglement vivace, les terreurs et la permanence du noir qui, depuis les premières naissances, repeint la terre et les élans de son peuple, trop infantile encore – trop infantile toujours – pour entrevoir derrière le voile, épaissi au fil des jours et des siècles, l'incroyable – et originelle – lumière...

 

 

La parole est impersonnelle. Et, comme le reste ; actes, gestes, pas, intentions, monde, terre et univers, dépourvue d'individualité malgré quelques traces – quelques signes discrets (ou parfois ostensibles) des apprentissages et des expériences au fond des têtes et au creux des mains. La continuité des origines malgré l'ignorance – et l'illusion où nous sommes – et où la terre a été plongée...

 

 

Un avant ? Un après ? Jamais... Des pas seulement. Et un chemin sans fin. Et un sourire béant – immense et tenace – au milieu du visage. Et le rire peut-être des étoiles au loin... Et le soleil – et le ciel – rieurs malgré les malheurs et les promesses d'éternité... Et le silence toujours des âmes incomprises et ignorantes... Et le silence encore lorsque s'efface l'illusion... Un pas, un chemin et la continuité implacable des jours...

 

 

Hanté par le plus simple jusqu'au néant. Et derrière le néant – cet immense obstacle –, le plus grand rien. La plus prestigieuse dépossession. L'indicible effacement qui éclaire toutes les âmes. Et offre au monde – à la vie et aux pas – une consistance et une épaisseur – inespérées. Et un goût inoxydable pour le silence et l'éternité. La découverte, presque irréelle, de notre incroyable identité...

 

 

Vivre non comme des survivants... des aveugles mendiant auprès du ciel, de la terre et des étoiles – et auprès des visages affables ou furieux mais si aveugles et ignorants – un soleil et une bonne fortune. Mais comme des âmes assurées et pleines malgré la prédominance partout de l'incertitude et des débâcles certaines... Avec au front – et au cœur – la grâce des humbles et l'accueil éternel des Dieux pour les malheurs. Avec les lèvres – et les mains – innocentes malgré les coups et les déconvenues. Malgré la peur et la violence qui séviront encore... Comme des êtres effacés – et sans nom – guidés par l'instant et la lumière. Et la force implacable des circonstances...

 

 

Vivre selon la volonté des jours et les facéties du destin. Parmi la douceur parfois des visages et des mains et l'hostilité, si fréquente, du monde et des foules. Sous la gouvernance du ciel guidant discrètement l'âme sur les chemins... en s'ouvrant à la fonction ancillaire des origines – et du soleil aujourd'hui si triomphant... La figure émerveillée non des trouvailles – non des richesses – non des découvertes – mais de la douce et folle docilité des gestes et des foulées, œuvrant humblement à leur besogne – et à leurs tâches – dictées – et exigées parfois – par les rencontres et les événements... 

 

 

Un jour, une étoile et un ciel si profond que l’œil – et l'âme – s'y sont égarés. Et s'y sont enfouis. Perdus à eux-mêmes peut-être... Mais si vastes à présent qu'ils peuvent goûter à l'unique appartenance des visages. Sûrs de la seule figure que rien, jamais, ne pourra effacer...

 

 

Rien de plus, peut-être, que l'éternité. Et l'infini qui s'invite – et sourit – sur les visages... Et un jour de plus, chaque matin, pour s'en persuader et l'annoncer au monde... Et un jour de plus, chaque matin, pour que les hommes puissent y goûter eux aussi...

Un jour de plus, infiniment recommencé chaque matin, parce que nous ne cessons d'oublier – et parce que les hommes, malgré notre parole et nos invitations, continuent de se livrer à leurs pitreries sans fin – et à leurs guerres impitoyables, mais provisoires sans doute..., avant de voir arriver peut-être, un jour – l'infini et l'éternité...

 

 

Sous la gouvernance du soleil et des étoiles, le ciel infiniment transparent. Et la terre encore chargée d'espoirs et de malheurs d'où s'élance le cri des hommes. Et le besoin de silence, si féroce, des âmes...

 

 

Plus juste et plus beau – plus grand et plus secourable – que le silence, vous ne trouverez pas... L'infini et l'éternité sans rivaux...

 

 

A travers les siècles, la rémission peut-être du langage. L'extinction progressive des mots, des bruits et des rumeurs. Au profit du silence. Et de son inévitable sacralisation...

 

 

Rien de ce qui est amassé – ou écrit – ne compte. Rien ne résistera aux siècles. Et à l’œuvre du temps. Seuls importent la parole et l'acte présents. Le silence. Et la certitude de l'effacement...

 

 

Un jour, un siècle, une épreuve. Et l’innocence à faire naître au fond de l'âme. Et la lumière, plus vive, aux portes du monde. La tâche infinie de l'homme...

 

 

Au souvenir immense – ineffaçable – des désastres anciens (et que l'on oublie pourtant si souvent...), l'homme ajoute l'indigence d'aujourd'hui et les malheurs contemporains. Et façonne, de ses mains noires et de ses folles ambitions, un avenir pitoyable et calamiteux – désastreux – perlé déjà d'infinis dégâts et de tristesse. Un monde de mollesse et d'images, de confort sirupeux et de néant qui emprisonnera les têtes et les cœurs au fond d'un cachot doré, séparé du réel par de grandes vitres inviolables – infranchissables – où les corps seront jetés en pâture à la fainéantise et à l'immobilité et où l'esprit et l'âme seront privés de la lumière qu'ils espèrent (pourtant) depuis des millénaires... Un monde de fin du monde. Et la poursuite de la débâcle et des holocaustes...

L'humanité n'aura peut-être été, en définitive, qu'une maladroite tentative... Trop d'instincts encore et si peu d'intelligence mise presque toujours au service de l'animalité...

Transformer l'inertie, le repli sur soi et la barbarie en pensées et gestes de lumière – et en pas éclairés – est une tâche immense – irréalisable peut-être – pour l'homme dont l'ambition n'a jamais été que de survivre – ou de vivre mieux... Terreau inapproprié – et bien trop peu propice au respect, au partage, à l'entraide, à la solidarité et à la création d'une communauté terrestre réconciliée qui permettraient à la grande famille de l'Existant de vivre de façon pacifique et harmonieuse...

 

 

L'homme, le monde et le combat infini – et à jamais recommencé – entre l'obscur – les instincts – et l'Amour, l'intelligence et la lumière...

 

 

L'homme, le monde. Des guerres sans merci. Et une lutte, peut-être, infranchissable... Prisonniers toujours de la faim et de la chair. Du corps à nourrir et à protéger. Et l'esprit, esclave et instrument de son règne peut-être insurpassable, façonnant un monde où la matière et les instincts resteront, sans doute, indétrônables...

 

 

Après la terreur (la terreur originelle), les instincts de survie, le combat, les batailles et les guerres jamais achevées. Puis, la paix fragile et provisoire des corps, le labeur incessant, les constructions tous azimuts, le commerce, la prospérité et l'abondance de vivres. L'expansion mutilante et dévastatrice. Et le repos des guerriers... Le confort moelleux et assoupissant. La jouissance du monde. Et les petits bouts – et les petits parcelles – chichement – et laborieusement – accumulés. Le sommeil et la paresse. La recherche du plus encore... Et la fuite du réel à travers les jeux et les distractions. Le labeur et les loisirs invasifs. Mortifères. Profondément inhibiteurs du plus vaste en l'homme. L'insolence des idéologies. La léthargie des peuples. L'embrigadement et l'emprisonnement des esprits. La poursuite de la décadence malgré l'apparence du progrès. Et le plus encore recherché, la pléonéxie et la protention au détriment de tout questionnement. La relégation de la métaphysique, de la philosophie et du spirituel aux confins du monde. Aux marges sociétales. Le plus encore comme seule perspective, dominante – écrasante. Et la fin annoncée – la fin toute proche – de la civilisation humaine, livrée à la bêtise des masses...

Comment quelques sages, quelques penseurs éclairés et quelques hommes de bonne volonté pourraient-ils avoir la force de résister à la déchéance progressive – à la déchéance sans cesse – et insidieusement – appuyée par les foules et « les élites » (par la folie furieuse et déraisonnable des foules et « des élites ») et inviter l'humanité à se ressaisir – et à transformer ses élans – pour offrir à tous – offrir à chacun – une terre plus vivable, un monde plus épanouissant et une existence plus riche de sens et de lumière... Trop peu nombreux sont-ils sans doute pour peser dans la balance qui penche, depuis toujours et si dangereusement, vers le néant dont nous n'avons, en définitive, jamais réussi à nous extraire...

 

 

Quelles activités, en ce monde, échappent-elles aux appétits de l'esprit et de la chair ? Très peu de toute évidence... Peut-être, la parole et l'acte gratuits. Le geste secourable et désintéressé...

 

 

Des hommes en miniature. Comme des jouets. De minuscules véhicules du destin aux mains des dieux terrestres dans le grand silence du cosmos...

 

 

Des querelles, fausses, de chiffonniers se disputant, pour de rire, les restes d'une caresse – d'une carcasse. Et qui sont, en réalité – et en espérant qu'ils s'en aperçoivent bientôt – les doigts d'une seule main – les cellules d'un même corps – voués à la joie et au partage...

 

 

Des cris, la mort et le silence. Aurions-nous décrit – et résumé – là, en trois mots, notre destin. Notre sort – bouclé – en tous lieux : des origines à ici-bas, de ce monde à l'au-delà et du visage – presque singulier – à la figure tutélaire des dieux...

 

 

Ni souffrance, ni cauchemar, ni absence. Des pas, une marche interminable et des larmes – et des rires – emportés par les vents rageurs qui sévissent partout – sur toutes les terres comme sur tous les océans...

 

 

Il n'y a pires blessures – et pires offenses – que celles que l'on ignore. Et que l'on enfouit en des lieux inconnus si densément recouverts par l'oubli. Plaies éternelles – impossibles à cicatriser – qui, à la moindre étincelle, au moindre changement de vent, au plus petit écart entre le cap et l'orientation des pas – et même du visage prenant le soleil – et la lumière – sous un angle différent, jailliront en vagues énormes, immenses – infranchissables – vouant notre vie – et notre destin – à une perpétuelle errance – aux tempêtes – et à une houle quotidienne ombragée – submergée de cris et de détresse – d'incompréhension et d'incapacité à panser – et incapables encore, bien sûr, de guérir les plaies du passé qui ont (ré)ouvert la béance d'aujourd'hui et qui l'élargiront pour la transformer en gouffre où nous tomberons plus tard. Demain peut-être. Bientôt assurément...

 

 

Pourrons-nous, un jour, rayonner dans la beauté – et l'extrême folie – du soleil – et vivre dans leur rayonnement permanent... Bouche muette – défaite –, cœur et âme chavirés, peau et chevelure flamboyantes – si rouges – au bord presque de la transparence, regard brûlant – et humble à la fois – prêts à livrer leur sort à l'innocence. Consumés dans le grand embrasement du silence. Délivrés enfin de nous-mêmes...

 

 

De grands oiseaux de passage – pas le moins du monde rapaces, évidemment... – effaceront tous les noms à notre mort. Celui des visages, celui des arbres et des poètes. Celui des amours et des prophètes pour s'établir en nos terres délaissées – abandonnées au désert et à l'innocence peut-être – et offrir au monde une langue silencieuse – des visages ineffrayés, des arbres majestueux et millénaires et l’œuvre de poètes inconnus. Des amours perdus et des prophètes sans bâton, sans message ni disciple – et sans errance pourtant – comme arrivés à bon port au lieu où les sacrifices et les espoirs sont vains – et les efforts inutiles – pour redonner au monde – et à la terre – la figure légendaire de leur origine...

 

 

Un espace, un silence, un sourire. Et une lueur – un lieu peut-être pour mourir. Et nettoyer le jour que nos désirs et nos terreurs ont ravagé pour partir le cœur moins tranchant – et l'âme plus belle peut-être...

En résonance avec le pardon et l'infini joyeux du rire pour naître enfin au jour. Et abandonner la nuit à ses ombres. Attacher la mort à son piquet. Et vivre encore un peu...

 

 

Dire serait-ce mourir un peu à chaque fois... Amoindrir les plaintes. Donner aux cris une plus juste assise. Une plus vaste écoute... Et se voir s'effacer peu à peu avant de pénétrer dans la bouche affamée du silence pour se taire, enfin, définitivement...

 

 

Des siècles d’amertume offerts aux dieux qui ont jeté sur nos vies toujours plus de désirs et de blâmes. Suffocant la chair de fantasmes et d'interdits. Ligotant la liberté et l'âme, menottes aux poignets, dégringolant, un à un, les barreaux de l'échelle des promesses...

Arriverons-nous, un jour, au lieu de tous les rassemblements où l'effacement présidera enfin aux destinées de tous les hommes – et de tous les vivants...

 

 

Arrivé peut-être à la destination précise où tout s'efface – et où rien n'a plus d'importance... Arrivé peut-être en ce lieu que nous n'avons jamais quitté – et qui attendait pourtant que nos pas nous y mènent – et y poussent notre regard... Ce lieu de tous les enfantements et de tous les silences... Ce lieu où tout éclot – et dont on ne peut partir... Ce lieu que nous sommes, bien sûr, depuis toujours...

 

 

Comment pourrions-nous écouter et comprendre avec ce si peu de silence – et vivre – vivre, être et aimer – dans cet espace de confinement envahi par le bruit si machinal des pas et du langage – de la parole usée et des gestes mécaniques qui s'enchaînent sans raison. Poussés seulement peut-être par l'habitude des jambes, des mains et des lèvres si peu vivantes...

 

 

Dire une parole qui ne sera pas – qui ne sera peut-être jamais – entendue... Et offrir dans ce geste – presque entièrement gratuit – presque totalement désintéressé – ses tripes, sa chair, sa peau et son âme. Comme un silence adressé à lui-même pour célébrer notre seule existence commune...

 

 

Cette terreur partout derrière les paupières closes qui ne devinent l'évidence de la lumière. Et la présence, si peu familière, du silence...

 

 

Ce vers quoi nous allons est-ce une rivière, une limite, un mur, une frontière, un océan ? Est-ce un jour toujours plus lointain ? Une source, un rideau de lumière où se cacheraient tous nos visages – et la figure même des dieux enfantés ? Est-ce un mirage, un désert, une langueur encore plus inhospitalière, un refuge peut-être pour les âmes éperdues – et éprises d'Absolu ? Un échafaud, un cimetière, un peu de cendre, un peu de terre ? Est-ce un champ de silence, une aire moribonde, un puits d'éternité ? Un coin de ciel sur le bitume ? Et qu'importe après tout... Saurons-nous seulement y accéder – et quitter la terre des presque vivants ? Combien de fois devrons-nous mourir pour y poser notre innocence – et faire de ce lieu – de ces lieux peut-être – l'exact contraire des promesses – et des contrées que nos pas et nos mains ont ensanglantées en les traversant...

 

 

Siècle après siècle, le même destin qui s'acharne... Les mêmes désirs, les mêmes désastres, les mêmes délices. Et les âmes, partout, en larmes sur le bas-côté des chemins. Horrifiées par la mort triomphante...

 

 

La terre, infime point dans l'espace. Et l'homme, infime poussière sur ce point. Nos âmes pourront-elles, un jour, se relever de leur effroi, de leur folie et de leur furieuse espérance... Et sauront-elles embrasser le silence – s'unir et fondre dans l'infini – pour arriver au lieu où l'enchantement détrône le malheur... Où l'horloge fige ses aiguilles... Où l'infime et le minuscule endossent leur envergure céleste, devenant alors le plus précieux du point – et de la poussière – et le plus vaste du cosmos. Englobant – et enveloppant – les choses et les existences – toutes les choses et toutes les existences – non pour en triompher mais pour leur révéler leur identité – et les porter au plus haut – et en tous lieux, unis et infiniment démultipliés, comme le rêvaient autrefois leurs folles ambitions – mais amputées, bien sûr, du sang, de la domination et de la mort...

 

 

Un monde. Et peut-être davantage. Une infinité sans doute... Ici, ailleurs, partout. Au dedans comme au dehors. Peuplés à l'identique et différemment. Entrecroisés en de multiples points. Reliés par d'invisibles passerelles. Et réunis pourtant en un seul espace. Et explorables du seul dedans, libéré des peurs, des désirs et des appartenances. Voilà le périple – et les découvertes – qui attendent l'âme voyageuse – curieuse des contrées – et soucieuse de les unifier... Avec l'Amour et le silence au bout du voyage – au bout de tous les voyages et de toutes nos foulées innocentes...

 

 

A la fin des siècles parsemés d'espoirs et de malheurs, un seul jour. Innocent. Définitivement... Et à sa suite, des cargaisons d'instants qui passeront, sans doute, les uns après les autres. Indéfiniment... Et qu'importe qu'ils soient tristes ou joyeux, porteurs encore d'infortune et de rires, s'ils sont vécus un à un, sans mémoire ni exigence avec un cœur vierge, une âme neuve et un regard ouvert, accueillant chaque circonstance comme un fragment – le fragment manquant – et l'éclat révélateur d'eux-mêmes. Comme une mère à la fois enfantant et composée de ses propres fils, désireuse de les voir revenir vers elle...

 

 

L'amour, la mort et la vérité. Comme des marques indélébiles sur notre vie. Et les désirs de l'âme d'en percer les mystères pour faire des jours – de chacun de nos jours – une fête. Le sacre de l'éternel. Et la célébration de la beauté en dépit de la damnation des siècles où nous avons toujours vécu – et dans laquelle nous vivrons encore...

 

 

Tout nous est si étranger... Pourquoi l'homme ne comprend-il donc pas que l'herbe, les étoiles, les bêtes, le ciel, les saisons et l'infini – et l'infime – du monde, de la terre, de l'univers et des visages ont leur place – et leur mot à dire – dans – et sur – notre vie... Et qu'il nous serait tellement bénéfique de les entendre – et de livrer leur parole à notre âme...

En les écoutant – et en leur octroyant la place qu'ils méritent – et qui leur appartient, ils nous offriraient la réconciliation, la joie, la sérénité et l'Amour que nous cherchons depuis toujours...

 

 

L'époque, comme tous les autres siècles, en est encore à la faim de soi. Et aux appétits du monde... Quand donc pourra régner la faim de l'Autre – et le sacre de tous les visages ?

 

 

Des visages, des ombres et du silence...

La marche insensée des siècles. Et le sommeil passager des hommes. Quelques ombres – quelques traces – dans l'éternité...

 

 

Le soleil d'autrefois – si vif encore – presque intact mais déjà si ancien – qui n'éclaire plus même les yeux – et à peine les chemins – mais auquel les âmes se sont habituées. Rendant difficile – peut-être impossible – le besoin – la nécessité – d'une autre lumière...

 

 

Les maladies de l'âme plus invisibles que celles du corps. Plus insidieuses. Et bien plus dévastatrices pourtant... Tant de dégâts et d'horreur déjà perpétrés. Irréversibles sans doute... Précipitant l'agonie du monde. Et la mort des siècles bientôt...

 

 

Les flots ardents des siècles et du langage, voués aux mouvements, aux cycles et aux bouches labiles – légèrement entrouvertes. Comme en attente d'un silence encore incapable de se faire entendre...

 

 

L'ombre peut-être se réjouit du soleil qui l'éclaire. Et qui lui prête vie un instant avant qu'elle ne retrouve les profondeurs – la nuit de l'abîme où ne résonnent que les cris et les pleurs – le silence de l'attente – et nos voix muettes, asphyxiées peut-être, qui réclament leur délivrance...

 

 

Mourir serait-ce se retrouver un peu – se défaire de la chair et des exigences qui nous séparent de nous-mêmes... L'abandon comme unique chemin livré non à la bonne fortune du hasard mais à la réalité tranchante – et décapante – qui ôte de notre âme – et de notre être – le peu – l'excès – de ce que nous avons amassé pour nous sentir plus vivants que les morts – mais qui nous a, pourtant, éloignés de la pleine vivance de n'être personne... Avec l'oubli pour nous empêcher de redevenir ce que nous avons toujours été – ce vers quoi nos ambitions nous poussaient – afin de retrouver celui que nous étions à l'origine...

 

 

La nuit – et ses anges (taciturnes) – nous auront peut-être éclairés de ce qu'il faut de lumière – clarté chiche et pauvre – pour nous rappeler notre destin – le sens et la destination de notre marche interminable... L'élan nécessaire vers une aspiration plus lumineuse – et la force indispensable pour nous extraire de l'obscurité où nous errons depuis des siècles...

Peut-être est-ce cela la lumière de la nuit... et le baiser des anges taciturnes sur nos lèvres – et nos âmes – endormies, guidées par le souffle clair du silence. Le rêve – et l'ambition – de Dieu pour un autre monde...

 

 

Rien de plus égal – et de plus constant – que le malheur... Et ses visées de lumière pour ceux qu'il frappe... Les condamnant toujours à une longue – et épuisante – traversée des siècles. A petits pas. Les yeux encrés de noir qui s'allègent au fil des chemins. Et l'âme plus franche – et plus nette aussi – évacuant ses peines et délaissant ses espoirs au profit d'abord de la terreur – de la saine terreur d'exister – et de l'effroi de la solitude avant de déterrer (progressivement) en son cœur – et au centre même du regard – l'innocence – la salvifique innocence – et ses traînées de rires et de joie. La certitude du silence. Avant de revêtir – et de se couvrir enfin de – la seule identité authentique : l'œil et la main infinis de l'éternel Amour nécessaires pour participer à l'unique vocation du malheur : la lumière ; faire advenir ici-bas le règne insurpassable de la lumière...

 

 

Du matin au soir, la présence. Jusque dans la nuit sans étoiles. Joyeux parmi les cris et l'absence. Au plus haut – et au plus beau – de la solitude. Un malgré la foule et les visages...

Un sourire, un pas et ce grand Amour à offrir... Comment pourrions-nous refuser cette authentique figure – et répugner à la revêtir pour aller ainsi parés humblement – nus – sur les chemins où le monde nous appelle – et la réclame...

 

 

Et pourquoi le soleil ne pourrait-il briller plus fort... L'âme serait-elle si fermée à la lumière pour ne pas voir le rayonnement insensé – l'éclatante clarté – le grand embrasement qui l'attend – et qui enflamme déjà le monde...

 

 

Des siècles sans retenue – aux ambitions convoiteuses – alors que règne déjà le silence. Et que partout brille la lumière. Et resplendit la beauté...

 

 

D'un lieu peut naître la magie qui s'est déjà glissée dans le regard. Et qui repeint le monde comme une toile blanche posée là par un Dieu malicieux...

 

 

L'heure est venue d'abolir le temps. La mémoire. Le passé. Le défilé des jours tristes. Et la promesse d'un ailleurs secourable. Le mensonge d'un après salvifique... De vivre à présent ce que la vie n'aura avalé – ce qu'il reste lorsque tout est parti – et s'est effacé – avant que demain n'arrive peut-être...

 

 

Je rêve de jours moins orgueilleux que nos batailles, moins mensongers que nos promesses, moins affamés que nos désirs. Je rêve de jours plus beaux – et plus clairs – que notre nuit – et plus valides que nos siècles infirmes. Je rêve qu'une lumière est possible dans le plus sombre de notre vie – et le plus obscur de notre âme. Et qu'un silence peut tout effacer – jusqu'à nos prétextes et nos fausses raisons. Jusqu'à notre goût pour la mort et les ténèbres. Que l'éternité peut remplacer les heures – et les aiguilles de l'horloge – et que l'infini saura triompher des songes et des frontières... Je rêve de jour dans l'obscur de l'abîme où les hommes nous ont plongés et dont les sombres ambitions sont venues creuser – et prolonger – le destin terrible, né peut-être, des noires profondeurs des origines...

 

 

Et seuls demeureront, sans doute, les innocents... Et la beauté de leur visage sans haine et sans espoir. Reléguant la fin des siècles à un nouveau promontoire, ouvert sur l'infini – et à une ère d'éternel recommencement où les sourires remplaceront les larmes. Et l'Amour et la présence, les armes et l'ignorance. Où tout sera vu pour ce qu'il est : le reflet radieux de notre visage malgré la pluie et la brume qui séviront encore...

 

 

Un siècle, un instant où s'effacera le goût du sang. Une époque nouvelle pour le sacre des innocents... Où l'humilité sera reine et l'Amour fera office de loi. Où les hommes et les bêtes iront ensemble comme une fratrie retrouvée – réconciliée... Un monde où il fera (enfin) bon d'être vivant...

 

 

Du sable, des songes et des merveilles. Et l’œil aveugle à l'inquiétude – et à l'abomination des frontières. A la malice du climat et des hémisphères qui mêlent les saisons à la terre, les pierres aux nuages et le feu des tempêtes aux visages... Aux instincts espiègles des destins dont la ronde endort les yeux et les âmes enfantines et ravit le monde et le regard des sages...

 

 

Sur les tempes, le vent agile. Et entre les jours, le destin se faufile... Visages toujours constellés de songes et d'espoirs. De murs et de rêves infranchissables. La vaine ambition de l'homme face aux forces de la terre et à la puissance d'un Dieu, peut-être infréquentable... Et les pas ensablés des foules qui piétinent avec, partout, le regard comme seul horizon – unique perspective de libération...

 

 

Des Dieux, du rêve et de la sagesse. Comme le lieu commun de tous les élans. De tous les espoirs. Et de toutes les tentatives. Fuites, envolées, renonciations. Débâcles, infortune et abandon. Le seuil de toute liberté...

 

 

L'horizon sanglant des siècles remisé. Banni enfin des arènes. Les cimetières gorgés d'os et de sang gommés d'un surplus d’innocence, envahissant toutes les âmes et tous les recoins du monde. Et les guerres transformées en batailles. Et les batailles transformées en jeux. Et les jeux transformés en vents balayant les restes, la poussière et les combattants. Et les armées anéanties, paralysées, suffocantes à présent de rires. Dansant d'allégresse devant le nouveau pouvoir – et la mort lente des anciens dictateurs – et le retrait des lois sanglantes et dominatrices. Partout l'effacement du monde, des foules et des visages pour un seul règne : la figure éternelle d'un Dieu enfin reconnu – enfin apprivoisé... Et la marche triste des silhouettes, devenue(s) hilare(s) à force de sagesse. Et les ombres poignardées reléguées à l'enfouissement définitif – rédhibitoire. Tous réunis – tous présents enfin – pour annoncer l'avènement des nouveaux siècles...

 

 

Un autre monde, bien sûr, est possible... Avec un peu de patience. Le silence. Et le sacre de l'innocence. Et il se construit déjà dans l'esprit du sage – et sur le visage commun de l'humanité défaite des rites, des savoirs et des ritournelles ancestrales... Et le monde ancien peut-être – qui sait ? –, un jour, le verra naître...

 

15 décembre 2017

Carnet n°110 Une parole, un silence et, derrière peut-être, une vérité

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

A travers les étoiles, une lumière déjà présente...

Marcher, sourire, vivre. Aller dans le calme des heures où les tempêtes n'ont plus prise ni sur les jours ni sur le cœur. Où l'âme, vive, ne s'inquiète pas même du lendemain...

Oublier. Courir dans le silence à gorge déployée. Et écrire un peu. Dire cette lumière qui jamais n'encombre l'âme...

 

 

A travers les étoiles, une lumière déjà présente...

 

 

Marcher, sourire, vivre. Aller dans le calme des heures où les tempêtes n'ont plus prise ni sur les jours ni sur le cœur. Où l'âme, vive, ne s'inquiète pas même du lendemain...

 

 

Oublier. Courir dans le silence à gorge déployée. Et écrire un peu. Dire cette lumière qui jamais n'encombre l'âme...

 

 

Du simple au double, il y a multiplication. Et addition des surplus jusqu'au bord, peut-être, de l'infini... Mais du simple au rien, il n'y a qu'un pas. Un retrait. Une étoile jetée au gouffre. Un charme ancien – originel sans doute – oublié... Un ciel, immense, agonisant sur la mer. Un soleil rouge et triomphant. Une extase de l'absence. Un nouveau départ dans la marche continuelle et le monde ininterrompu...

 

 

Nous pourrions mourir de ne pas savoir si la neige, demain, tombera. De ne pas voir une fois encore les oiseaux – et entendre leur chant à l'aube. D'imaginer, un instant seulement, le soleil dénigrer les horizons – et s'effacer pour toujours. De rêver de visages et d'absence... Et nous pourrions aussi mourir de ne pas avoir vécu – ou de n'avoir vécu (tout cela) qu'en songes...

 

 

Un rêve, un amour, une vague promesse. Et l'éternité d'un jour qui dure encore...

 

 

Oublieux des saisons, des moissons et de l'or même qui s'écoule des poches percées. Libre sans doute pour le restant des jours...

 

 

Un visage, un songe, un chemin. Et l'ignorance de ce qui nous sépare davantage de nous-mêmes. Notre propre perte sûrement nous apprendra à en sourire... Demain peut-être serons-nous nous mêmes, un visage, un songe, un chemin... avant que la mort ne vienne tout bazarder... et le silence, plus tard, effacer toutes les traces de notre si bref passage...

 

 

Parmi les bouches – et les souffles – amers – désespérants –, un désir, un silence, un oubli. Le recommencement peut-être des jours. L'absence et les égarements du lendemain. Et l'infini révélé dans un murmure comme l'ultime présent du vent dans la compagnie, triste, des ombres et de la mort...

 

 

Un toit, un arbre et le présage, immérité peut-être, de la lumière. Et l'avenir qui se dessine à grands traits. Et les aubes chantantes où perce déjà le silence...

 

 

Et si le monde pouvait encore nous donner... à nous qui n'avons plus rien à offrir sinon une main tendue – et l'espoir de voir le ciel nous rassasier, emplir nos poches de lumière – boire un peu de vin et mourir sans effroi les yeux rivés à la terre...

 

 

Perdu encore dans les eaux grises du jour. Sous le soleil lointain qui s'offre aux horizons. Trop fatigué peut-être – trop lucide sans doute – pour accomplir un seul pas supplémentaire... Nous agoniserons ici, à l'ombre de toutes les espérances, sous le ciel bas et opaque. Avec cette lumière qui, seule, pourra éclairer la nuit, repousser les ombres et l'espoir. Et nous initier à la mort perpétuelle. Seule voie possible vers la liberté – vers la délivrance posée en un lieu affranchi du jour et de la nuit – de la désespérance et de l'oubli – de l'effacement et de la vie, éternellement recommencés...

 

 

Et parmi ces yeux qui nous regardent, combien sont-ils attachés à la souffrance et au silence de la cécité ? Pourraient-ils rêver de voir qu'ils ne verraient rien... sinon peut-être la douleur de vivre et le noir, partout, envahissant jusqu'au renoncement sans doute de la clarté... Des yeux fermés que le chagrin et la mort même ne sauraient entrouvrir...

 

 

On entre en vie peut-être comme l'on entre en scène avec ses costumes et ses répliques apprises dans un décor presque inconnu sous des yeux inattentifs, assoupis sans doute, et parmi des mains qui applaudissent mécaniquement (ou par politesse) et des bouches qui lancent leurs sifflets. Comme si la vie était un théâtre de monologues et de silence, ânonnés ou proclamés avec force (ou talent – qu'importe...) devant une foule toujours lasse et indifférente...

 

 

Un jour, un sommeil et des songes toujours plus noirs qui ouvrent sur des matins de suie. Avec au centre du cercle, une lueur revêche – rétive à la saisie – sous un couvercle de verre. Et nos mains brûlantes encore d'un soleil ancien, comme amputées, incapables d'arracher la lumière à son (triste) destin et à ses remparts de glace. Vouées peut-être encore pour quelques siècles à tous les malheurs...

 

 

Des hommes. Et un cri unique lancé depuis les falaises de la peur au ciel éternellement moqueur...

Dans un silence que nous ne savons pas lire... Dans un langage pur – défait peut-être de toute grossièreté – que nous ne savons toujours pas traduire... Comme des analphabètes en nos propres terres. Comme des exilés de notre origine – enfantés sauvagement dans l'ignorance et l’incompréhension...

 

 

Rien ne tient entre nos mains. Tout s'affaisse dans le jour. Et la nuit avale ce qui reste... Ne demeurent, comme toujours, que le vent et la poussière. Et nos rêves d'innocence. Et notre envie si folle de lumière. Comme un trésor à portée d'âme. Le seul peut-être – le seul sans doute – de ce monde que la mort ne pourra nous arracher... Et qui brillera encore dans toutes les nuits... Et qui brillera toujours après la fin des siècles... Après la longue agonie de ce monde malade et la disparition de tous les espoirs...

 

 

Cette présence si discrète parmi nous. Dans les yeux et sur ce qu'ils effleurent. Et au plus profond même de ce qu'ils caressent et de ce qu'ils ignorent. Partout rayonnante – et si invisible pourtant...

 

 

Que guettes-tu, toi qui n'attends rien ? Le jour qui arrive. Et la nuit qui s'en va. Les lumières, les larmes et les cris à l'horizon. Le jour qui repart. Et la nuit qui s'avance. Le noir qui enfonce les yeux, la joie et les rires de l'âme au fond de la gorge. Les chants, les querelles et les appels dans les belles – et hautes – frondaisons. La peur, l'amour et la colère – et l'incompréhension toujours – sur les visages. Le sourire, léger – et un peu triste – des enfants et le silence, gêné – si malhabile – des vieillards. La mort qui se cache – et qui couche les corps dans la terre. Et le jour et la nuit qui reviennent toujours...

 

 

Partout la nuit. Et déjà le jour pourtant... Là depuis tous les commencements. Et bien avant même sans doute... Dans les yeux – le cœur – et sous le front bas des hommes qui ont su apprivoiser, dans le noir, l'innocence – et les visages – tous les visages – l'absence et l'orgueil inutile des noms et des titres – et le souffle des vents sous les épaulettes et les médailles accrochées sur les torses. Et qui ont tout embrassé – et qui ont tout effacé pour que demeure le jour...

 

 

La nuit encore – la nuit toujours – parmi les siècles et les visages devenus lacustres à force de pluie – à force de larmes. Et le soleil déjà haut dans le ciel – et si bas dans les âmes – si insaisissable par les mains noires qui se lèvent et implorent encore...

 

 

Ne pas réduire, jamais, la peur au silence. L'accueillir toujours. La laisser se déployer et pousser ses cris au centre – au cœur même – de l'écoute. L'envelopper de cette présence qu'elle réclame. La rassurer de la permanente certitude de l'Amour. Et l'en entourer. Ainsi seulement s'effaceront les peurs et le cri des âmes infantiles...

 

 

Au bord du jour, de l'autre côté de la lumière, les âmes demandent – réclament encore – la certitude du silence...

 

 

Une flaque, un jour et la nuit qui s'avance. Et le reflet de la lune dans le regard. Aussi intacte que le soleil prisonnier dans la vaste étendue du dehors...

 

 

Partout des mains plus soucieuses de saisir et de salir que de caresser. Que d'offrir au monde – et aux âmes – cette liberté qu'ils réclament depuis toujours – bien avant même leur naissance sans doute...

Ne pas leur donner l'espoir. Jamais. Ne pas les délivrer. Impossible. Les aider peut-être à trouver l'accès – le recours possible au secourable...

 

 

Un gris sur l'absence. Une fadeur – une routine – empalée. Un cri muet – frelaté de souffrance sans doute. Des gestes machinaux. Une parole qui ne sait plus dire (mais l'a-t-elle déjà su...). Des lèvres blanches, absentes elles aussi. Silencieuses. Une existence minuscule – minimale – pas même anecdotique, cloîtrée dans l'attente, aux horizons noirs – fermés. Et la mort enfin qui viendra clore les quelques pas et la faiblesse du souffle. Une vie parmi tant d'autres – aussi risible et aussi belle...

 

 

L'existence ? Ni défi, ni enjeu, ni épreuve. Un jeu pour les âmes – et les lèvres – discrètes. Un récital de cris et de murmures. Une scène d'absents et d'absence. Un peu de lumière dans le néant peut-être... mais si pâle – si peu joyeuse. Trop puérile encore pour s'émanciper – affirmer sa vraie nature – assumer son véritable destin. Un rêve dont il faudrait extirper les mensonges... Une averse pour les rires qui viendront plus tard peut-être...

 

 

Une clé, un champ, un songe. Et les pas envoûtés qui accourent, franchissent les monts et les obstacles. Sautent par dessus les rivières, les visages et les océans. Piétinent, tassent et massacrent la terre pour quelques rêves passagers – quelques chimères – quelques fantômes – fuyant dans les paysages. Impossible, bien sûr, à rattraper. Foulées lasses – et presque moribondes bientôt – qui laisseront les corps inertes, un jour – dans quelque temps – mourir dans un fossé sous des étoiles qui brilleront encore...

 

 

Et toute la beauté du monde est là pourtant... Partout où l'âme passe, si légère... Partout où sautille le regard, vidé de sa prétention personnelle à exister – et à devenir... Partout où la lumière a remplacé les larmes et la pluie...

Partout il y a cette lumière – et ce silence – qui ne fascinent – et n'effrayent – que les paupières lourdes d'orgueil et de chagrin – et que ne voient jamais les hommes, trop affairés encore à courir dans leur nuit mensongère...

 

 

Une route, un rêve et un éclat de lumière dans le regard, songeur, qui parcourt le monde à petits pas – ou à grandes foulées parfois... Yeux bandés à la route, tête déjà à l'horizon – ailleurs – posée au lendemain, incapable de s'asseoir et d'attendre sur le bord du chemin pour voir arriver le plus simple du destin. Et à sa suite, le cortège improbable de l'innocence escortée par la joie et la lumière. Et surprendre l'âme, heureuse enfin, rassasiée de tous les trésors, délaisser les sentiers, les visages et l'horizon pour s'avancer, immobile, aux portes – si longtemps interdites – de l'éternité où l'infini l'attend depuis des siècles...

 

 

Le poète, comme le marcheur et le vagabond, creuse l'espace – et la lumière – de son sillon. Et en éclabousse ses pas et ses pages. Minuscules perles – infimes poussières – lumineuses parmi les espoirs et la désespérance, si noirs, des hommes...

 

 

Laissons le destin nous offrir ses chemins – chemins non de hasard et de promesses mais de vérité. Et laissons-les nous ouvrir à l'innocence, puis à la lumière – à ce pour quoi nous sommes nés : une vie immense d'ivresse au regard lucide et serein – affranchi des désirs, des songes et du lointain. Immobile sans doute. Soucieux toujours de toute rencontre – du pas et du visage de son Prochain...

 

 

Un passage peut-être entre les eaux. Un gué entre le ciel et la terre parmi les cris et les bourrasques sordides. Parmi les hommes et le vent tiraillés – et soumis à la colère du soir. Aux promesses désenchantées du lendemain où les oiseaux se moqueront encore de leurs essais – de leurs vaines tentatives d'envol... Refusant – refusant depuis toujours – le pas naturel de la terre et la sagesse des océans. De devenir leur jointure – et l'élan de leur union...

 

 

Et ce cri qui jamais ne percera la clameur des foules et des océans. Et qui restera muet. Tapi au fond de la gorge, encore rieuse malgré les épreuves. Comme s'il attendait l'âme pour le transformer en silence...

 

 

Le silence cernera toujours notre visage – et notre âme comprenant (progressivement) sa chance... Et pourtant, le vent – et l'océan – se fracasseront encore contre la vitre. La fenêtre fermée – fermée depuis toujours...

 

 

Mi-bête mi-homme. A cheval entre l'humanité et la sauvagerie. En selle – au galop dans les plaines où les instincts font office de lances, d'épées et de boucliers contre une armée semblable de fantômes alourdis de chair et de sang. Brûlant l'innocence au fond de l'âme – et dont les fumées noires enlaidiront encore la terre...

 

 

Le monde. Un spectacle pour les yeux, peut-être trop assoupis – trop étrangers à la beauté sans doute – pour y déceler l'innocence des âmes – et l'invisible – et rude – besogne de Dieu parmi les bras, les mains et les yeux si avides de jeux et de sang...

 

 

Nous sommes devenus immobiles – et sans voix – comme si un arbre – l'ombre d'un arbre peut-être – avait poussé dans notre tête. L'avait envahie de ses feuillages. Et avait pris racine bien en deçà des épaules pour que nous puissions pousser – pousser aussi haut que possible, les cheveux en pagaille – ébouriffés par la brise du soir... et voir arriver derrière les nuages, un soleil – une lumière – qui ne viendra peut-être jamais...

 

 

On se tient seul dans cette déesse aux mille bras, aux mille bouches, aux mille infortunes... Et il nous faut pourtant la compagnie des visages. Et plus encore celle du silence pour durer un peu parmi ces mains et ces faces grouillantes – presque sans cœur – qui agrippent à peine un peu de lumière parmi les horizons noirs – et les rideaux sombres qui recouvrent la terre... Un peu de ciel au coin des yeux et l'espérance de la bonne fortune pour seuls repères. Le chemin – et le voyage – âpres – âpres toujours – pour les âmes peu soucieuses de revanches et de défis, plus sensibles au soleil qu'aux ombres – et qu'à la pluie interminable dans cette longue traversée des jours – cette longue nuit peut-être infranchissable...

 

 

Une ombre, un désir, un espoir. Et le faible tressaillement des eaux sombres... Et une lumière devinée malgré la pluie et les pleurs... Demain peut-être un autre horizon... Et, plus tard encore, l'innocence à retrouver, enfouie sans doute sous trop de malheurs...

 

 

La pluie a notre visage peut-être... Un peu d'innocence au fond du cœur. Le goût des autres. Et leur bonheur aussi – allez savoir... Et ce reflet, si fragile, dans la tristesse qui espère tant de sa besogne : le renouveau des choses – et la grandeur du monde. L'infinie beauté de la terre...

 

 

La pluie, une prière et une promesse peut-être d'embellie... avant de regagner les heures calmes – défaites – et l'âme morose, désabusée par tous les climats. Et le renouvellement si routinier des saisons...

 

 

Un peu de tranquillité ? Non, des eaux stagnantes simplement après la pluie, le vent et les bourrasques. Après les tempêtes, les averses, l'inquiétude et les malheurs. Un peu de répit seulement pour l'âme passagère – et triste – si triste de tous les paysages. Espérant un ciel qui ne vient pas – une lumière qui n'a peut-être jamais existé...

 

 

Et il y a aussi une joie – et une lumière – dans le silence, rebelles à toute rétractation qui, en accueillant l'ombre, l'effacent...

 

 

Sempiternelles variations autour de l'ombre et de la lumière. Comme pris dans la danse éternelle de la trame – et ses permanentes secousses. Jouet perpétuel des vents dans le soleil encore si intermittent...

 

 

Debout, d'abord médusé, face au silence. Fragilisé par les vents, les gorges moqueuses et la solitude des territoires. Avant de s'y coucher à son aise. Et de le transformer en maison d'hôtes accueillante – en refuge parfois contre le monde – en jardin d'éternité – pour offrir à l'infini son envergure quotidienne...

 

 

Un sourire, un jeu, un silence. Et la lumière qui embrasse le bout des lèvres, timorées autrefois jusqu'à en perdre souffle...

 

 

Un mystère rétréci jusqu'à son centre. Jusqu'à l'effacement de toute énigme. Libérant le silence de ses terreurs. Et l'infini de ses frontières. Et le regard enfin apaisé, affranchi des pesanteurs...

 

 

Un pas, un chemin et la beauté enfin révélée aux yeux autrefois si circonspects – et si railleurs...

 

 

Pas à pas vers les confins de l'origine. La matrice de la grâce et des siècles qui a enfanté tant d'incompréhension. Et l'incertitude comme seul repère – le socle de tous nos élans...

 

 

Une fleur, un visage et la voûte aux étoiles illuminée d'un sourire. La face de Dieu, béate, devant la fragilité du monde. Terre et hommes aimés d'une égale façon...

 

 

Un soupir, un geste, un désir. Et la peur de voir s'effacer la lumière dans le regard. Et le doute encore plus rude de la réalité...

Et si la grâce et la beauté disparaissaient, l'âme serait-elle corrompue – exilée de l'innocence peut-être... Pourrions-nous vivre de plus grand drame...

 

 

Un lit, une fenêtre et l'espoir de revoir le jour le lendemain. La misère enfanter le goût de la lumière. Les pleurs se transformer en fleurs. Et partout le rire conquérir les âmes...

 

 

L'instant, seul dissident du temps. Reléguant les heures, les jours et les siècles aux catacombes. Millénaires, éboulis dans l'éternité. Néant dans l'infini. Ah ! Invisible révolutionnaire...

 

 

Une table au coin du jour. Et l'âme qui se repose à la fenêtre du temps. Attendant peut-être l'aurore – ou la nuit – allez savoir... – hier ou demain. Plus tard qui ne viendra jamais. Et le visage des morts qui ne reviendront plus...

 

 

Les yeux, fenêtre de l'âme, dit-on où l'on ne voit que les craintes se succéder et les songes tressaillir dans le doute – et l'incertitude charnelle d'exister... Et l'angoisse, plus forte encore, de devenir – et d'essayer de percer son mystère. Et l'espoir – la lueur – chavirés par des siècles de tempête et la platitude de la lumière, inchangée, sur l'horizon...

 

 

Sur le cœur, parfois une éraflure s'ajoute aux vieilles cicatrices, mal refermées bien sûr, qui dessinent sur la chair rouge – tendre – l'image du malheur et des saisons mal vécues – et l'évidence du peu de temps qu'il reste pour vivre et aimer. Et apprendre à être un peu... Pour s'affranchir des vaines blessures, des craintes et des espoirs de l'âme... Se simplifier jusqu'au plus pur – jusqu'à l'Amour – jusqu'au grand Amour qui efface et pardonne en secouant le passé et l'avenir au dessus du puits de l'oubli. Pour apercevoir enfin la lumière comme après un long tunnel franchi...

 

 

Peut-être parce que le silence jamais ne s'efface, les bruits courent encore – courent toujours – à jamais – à sa surface...

 

 

Déniche donc le voile qui assombrit – et donne à tes jours une allure de mort. Fouille parmi les fleurs arrachées – et asséchées depuis longtemps – les rêves d'une autre vie plus légère – et plus lumineuse sûrement... Et cueille ce noir qui t'entoure. Et embrasse-le à pleine bouche. Laisse-toi avaler – et disparaître. Deviens l'obscurité – ce néant qui t'épouvante – et t'éventre si souvent... Laisse-toi enfin recueillir dans les bras, si vifs, de l'abandon. Sois ce qui t'effraye. Sois sans recourir aux rêves. Approche-toi du simple – du plus simple. Et deviens lumière...

 

 

La marque, d'abord fragile, du temps sur les visages avant qu'il ne passe son soc – et repassant chaque jour, n’y creuse de larges (et profonds) sillons. Comme l'empreinte épaisse – et définitive – de son sceau...

Le vivant vieillissant voué, bien sûr, à la mort. A l'effacement. Poussière aux mille visages – et aux mille masques de pierre sur une terre chargée de chagrins et de regrets...

 

 

Cette aura noire qui partout nous accompagne, auréolée pourtant de lumière – et dont le centre brille d'un éclat plus pâle – aussi gris et terne peut-être que le quotidien humain...

 

 

Le corps, la nature et les énergies terrestres. L'esprit, la conscience et l'infini. L'espace, le silence et le ciel immense. Nul besoin de fréquenter le monde des hommes gouverné par le psychisme, qui n'est qu'une forme restreinte et crispée – qu'une forme corrompue – de l'esprit. Vivons plutôt au milieu de la nature et des grands espaces. Ne quittons jamais la terre, les fleurs, l'herbe, les arbres et les bêtes. Allons toujours à pas lents, au rythme des jours et des saisons, sous le soleil et le vent, sous la pluie et les étoiles. Accomplissons de manière naturelle les tâches et les actes quotidiens. Demeurons au plus simple des choses. Au plus simple de la vie. Dans la plus grande simplicité de l'âme. Et vivons dans le plus vaste – et le plus ample – silence et l’acquiescement libre et bienheureux du cœur. Vivons toujours au plus proche de la terre et dans la présence (ou la proximité) permanente du ciel. Vivons en hommes sages...

 

 

Oublier les pas qu'un songe peut-être aura défaits pour se tenir là, présent au plus simple des jours dans la belle lumière de l'apprivoisé sans certitude...

 

 

La faim plus cruciale que le désir d'assouvissement. L'insatiable appétit pour ce qui ne peut se dévorer...

 

 

Dans le voisinage de la couleur, quelques bruits. Et à côté du silence, et à sa verticale, la lumière sur les ombres – et leurs mille visages épars – disjoints.

 

 

Sensible jusqu'à l'atome. Lumineux jusqu'au plus pur. Et envoûté plus encore par le silence. Rompu déjà. Effacé bientôt. Au plus près sans doute du merveilleux...

 

 

Un puits, un désert, un sermon. Et une délivrance promise possible – ou encore, peut-être, un mensonge...

 

 

Les murmures du temps encore si las d'arriver – et dont on n'entend que le silence à la surface des jours lisses – sans aspérité. Morts. Eteints avant même que naissent les voix qui nous les ont chuchotés. Paroles muettes, interdites, trop tranchantes et sentencieuses pour être écoutées.

Et à leur extinction, un début de lumière peut-être qui s'annonce...

 

 

Il n'y a peut-être – il n'y a sans doute – ni après, ni ailleurs. Mais un présent éternel à vivre ici. Là où se pose le regard pour un instant. Là où l'on est tout simplement présent...

Autre part – plus tard – ne sont qu'un songe. Un mensonge. Une résistance. Un refus insensé de ce qui nous arrive maintenant, aujourd'hui, là où nous sommes...

 

 

Dans nos yeux, une poussière blanche, agglomérée peut-être, qui crée un voile sombre – lourd – opaque – derrière lequel on voit danser le monde – la silhouette incroyablement frivole et virevoltante du monde...

 

 

Par dessus la terre, le ciel si visible depuis le monde. Et par dessous, les étoiles anciennes – mortes – enterrées là depuis les origines. Et l'homme partout au milieu des paysages, fouillant la terre et explorant le ciel. Si surpris de son existence – et de cette présence miraculeuse. Et l'oubliant dès le premier regard – dès les premiers pas... Voué peut-être jusqu'à la fin des temps à son destin de créature des cavernes découvrant progressivement la pierre, le feu, le livre, la lampe, l'informatique, les réseaux... Et de découverte en découverte, remontant peu à peu, et malgré lui, le fil des origines – la lumière jamais née – immuable – éternelle...

 

 

Le vent, un oiseau, un destin. Et, au loin, la lumière si belle sur les collines. La silhouette d'un chat glissant dans le jardin. Le cri des enfants. Le murmure d'une voix lointaine. Les nuages en cortège dans le soir tombant. Et quelques larmes sur le visage grave – et si angoissé – du vieil homme à l'approche de la mort. Avec des regrets en pagaille. Et le soulagement – et l'espérance sans doute – de l'au-delà. L'âme peut-être enfin libérée de la pesanteur. Affranchie du corps, de l'effritement permanent de la matière, de la volatilité des désirs et des sentiments. Et le calme, autrefois tant désiré, accessible peut-être... Le beau temps – et les jours solaires – après des années – après des siècles – de pluie, d'ennui et d'épouvante...

 

 

La pluie, les saisons et la fenêtre de l'atelier ouverte – toujours ouverte – sur l'horizon. Et la possibilité, toujours plus évidente – et presque palpable aujourd'hui – de la lumière...

 

 

Les chants anciens des troubadours et des nones veillant Dieu assises en prière dans leur cloître. Et le regard, un peu perdu mais confiant, de l'enfant qui attend sa mère. Et l’œil, terrifié, des bêtes que l'on mène à la mort. Comme autant d'offrandes de la terre, si bruyante, au silence. Et le sacrifice permanent des étoiles pour que le soleil brille dans le jour – et que sa lumière soit visible jusqu'au soir...

 

 

Un nouveau jour peut-être plus loin – demain sans doute – viendra nous rassurer. Effacer cette peur si insensée de l'improbable – l'incertitude des heures à venir – et la venue certaine de siècles plus obscurs que les millénaires anciens...

 

 

Parfois la neige nous révèle le plus sombre. La nuit – la mort – inévitables. Le deuil impossible de l'espérance. Et une lucarne au loin, plus haut dans l'innocence, l'étincelle et la présence au cœur de l'oubli. Lovées au creux de l'absence... Et par la fenêtre, la course, toujours incessante, des nuages filant ici et là, au gré des vents qui les font naître et les effacent... formes provisoires d'une matière unique – et changeante – toujours renouvelées par ses cycles...

 

 

Et peut-être n'y a-t-il, au fond, rien de plus que le silence... Un silence absolu – infranchissable – inaccessible – qu'aucun bruit, qu'aucun cri, qu'aucune parole ne peut atteindre – ne peut toucher et avilir. Inabordable. Inentachable... Et dans ce silence, une présence – une lumière – invisible et infinie. Imperceptible elle aussi qu'aucune ombre – et qu'aucune larme – ne peut ternir et abîmer... Comme le sacré ultime présent au cœur du sacré ordinaire – quotidien – que les hommes ont désacralisés – et illusoirement détrônés au profit d’idoles au corps d'images et d'argile – au profit de monstres de papier au visage sans épaisseur et aux lèvres – et au langage – mensongers...

 

 

Des rires aussi bénins que les jours sur lesquels rien ne peut être bâti. Et moins encore arriver le silence...

 

 

L'exil n'est – et ne sera jamais – à la portée du premier venu. On ne peut d'ailleurs y consentir. On y est poussé malgré soi, à l'insu de son désir insensé d'appartenance. L'exil exige beaucoup de l'âme – et un peu des circonstances. La première, il la souhaite sensible, triste et amère. Inconsolable. Et suffisamment faible – et sage – pour se laisser porter par les secondes.

L'exil est la plus sûre porte d'entrée vers la solitude qui est l'anti-chambre de la rencontre avec soi, qui annonce les prémices de la réconciliation et l'émergence des premières trouées dans l'infini...

 

 

D'un autre monde peut-être jaillit la lumière. Et si un jour elle venait à s'enflammer, nous n'aurons été que l'étincelle et le petit bois accumulé dans l'âtre...

La persistance de la flamme, invisible mais brûlante encore malgré la pluie – malgré le froid et les orages – malgré les vents si vifs – restera, quant à elle, toujours un mystère. Une présence peut-être sans cause – et sans origine. Et la clé sans doute du monde et de nos vies qui perdure malgré tous les néants où nous cessons de les jeter...

 

 

Peut-être mourrons-nous avant de voir le jour... et avant de voir s'effacer la peur... et disparaître le rêve et le mensonge... Peut-être même sommes-nous déjà morts... Et peut-être n'avons-nous pas même vécu... Et peut-être ne sommes-nous pas même nés... Mais alors qui parle – et cherche à comprendre... à percer la mystérieuse nuit où nous sommes plongés – à s'extirper de cette énigmatique obscurité qui nous habite et nous entoure... à espérer encore la lumière qui ne vient – et qui s'espère seulement peut-être... Serait-ce donc la lumière, s'étant oubliée – ayant oublié jusqu'à sa présence – jusqu'à son origine – toujours inconnue, sûrement improbable, qui cherche à se rejoindre – à se retrouver au plus haut – au plus clair d'elle-même – yeux et âme grands ouverts...

 

 

Toute promesse n'est qu'un oubli du présent. Et un mensonge sur ce qui n'existera peut-être pas. Et même sur ce qui, au fond, ne pourra jamais exister...

 

 

La lumière – le silence – sont comme des incongruités dans notre vie. Des passagers clandestins que nous trimballons, malgré nous, dans la boue et la poussière des chemins. Des étoiles incrustées dans notre chair alors que nous déambulons, hagards, au cœur du vacarme et de la nuit.

 

 

Prophète du simple et des jours tranquilles où le humble et le naturel s'affichent jusque dans les détails. Où la lumière et le silence président au milieu de l'ordinaire. Où les mains sont aussi proches de l'herbe que des étoiles. Où le cœur est plus secourable que les bouches et les pas téméraires qui ne rêvent que d'or et de puissance. Où le rien est plus honoré que la gloire. Où hier et demain s'abandonnent aux bras de l'instant – à la présence – à notre présence – si simple parmi les arbres et les hommes. Si vivant parmi les vivants de la terre...

 

 

Les lèvres toujours pâles dans le silence. Et l'âme toujours plus blanche – presque transparente – indifférente – inavide des couleurs et des rumeurs qui repeignent le monde. Présente ici parmi tous les visages alors que partout l'ailleurs est préféré...

 

 

Derrière nos fronts mortels se cache l'impénétrable – le non-né que nous cherchons sur tous les horizons... Et qui n'est assoiffé ni de rêves ni d'illusions – ni de gloire ni de puissance. Et qui n'a pour nous d'autre ambition que l'innocence et l'Amour...

 

 

Et pourquoi ne pourrions-nous sourire à la mort qui s'avance – et qui compte les pas et les jours avant de nous voir plonger en elle – et de se voir, elle, plonger en nous... nous encore si pleins de doutes et de peurs et, elle, si sereine devant l'inéluctable... et si soucieuse de notre destin... N'est-ce pas elle qui a essayé de nous familiariser, à chaque instant du jour, à ses infimes passages – et de nous convier, au fil des circonstances, à ses mille paysages...

 

 

Et si le silence, seul, pouvait éveiller la foule silencieuse si gorgée de cet autre silence – si lourd – si chargé de mensonges et de paroles non-dites – empêtré de tant d'épaisseurs – de toute la pesanteur stupide et hébétée des presque vivants...

Il n'y a peut-être – il n'y a sans doute – d'autre espoir pour émerger de tant d'absence...

Les bruits, les discours et tout ce que nous avons bâti – tout ce que nous bâtissons et tout ce que nous bâtirons – ne sont – et ne seront toujours – que le prolongement du même désir...

 

 

Le feu parfois nous délivre des épreuves. Et en crée de nouvelles. Comme l'air, l'eau et la terre... Mais saurons-nous seulement un jour oublier les éléments – les ôter de nos désirs et de notre âme – pour nous satisfaire du plus pur – de ce qu'il reste lorsque tout s'est effacé – lorsque les particules et les assemblages ont été consumés, dispersés dans les vents et les océans et enfouis dans toutes les profondeurs. Serons-nous capables, un jour, de rester là, présents face à tous les désastres – face à tous les désordres – face aux émiettements et à toutes les dispersions, immobiles malgré les désirs, les peurs et les résistances – et toujours impavides, généreux et accueillants à l'égard des reconstructions, des recombinaisons et de l'incessante transformation des appétits...

 

 

Ce goût en nous pour le plus juste. Pour cette intelligence libre des rêves et des tentatives. Pour cette générosité sans exigence. Pour ce que nous n'avons jamais cessé d'être malgré les siècles – et ce que nous n'avons jamais cessé de chercher malgré notre ignorance. Cette présence – cette lumière – au cœur de tout – entourant partout le monde, les êtres et les choses. L'inespéré, le mystère et le sacré. Le sacre du plus infime et de l'infini. Cette joie peut-être d'être enfin nous-mêmes...

 

 

J'aimerais parfois être bercé par un autre ciel. Un autre soleil. Et une autre terre déblayée des songes et des frayeurs. Et de l'espérance d'un ailleurs – et de la possibilité même de l'existence d'un autre ciel, d'un autre soleil et d'une autre terre... Un monde présent à lui-même. Un esprit présent autant au monde qu'à lui-même. Un cœur défait de tout espoir. Une présence implacable et souveraine qu'aucun rêve ne pourrait détruire...

 

 

Les larmes du poète sont le signe de son effroi – et de son espérance – pour le monde. La preuve fragile – mais tangible – que la sensibilité sait se montrer lucide... L'affirmation incontestable qu'une chose en nous est infiniment présente. Et qu'elle cherche la clé de sa délivrance – et aspire à l'offrir lorsqu'elle l'a trouvée...

 

 

Pourrions-nous vivre indéfiniment dans la joie et le silence, une chose en nous résisterait à la mort et au temps qui passe – et ferait fi de leur inexistence...

Une chose en nous pleurera toujours l'émiettement et l'effacement – la disparition et la progressive et permanente absence... Une chose en nous se recroquevillera toujours face à la violence derrière les mains – derrière les mots – pour gommer, à chaque fois que nécessaire, notre désoubli de la souffrance et sa rage folle devant la persistance de l'ignorance, si visible, sur les visages...

 

 

Le poète inconnu des songes et de la sagesse. Anonyme partout sur la terre – dont le visage aujourd'hui borde le ciel et le silence – et que la lumière a empalé un soir de disgrâce... Et qui n'a plus cessé dès lors de crier au monde et aux figures ensevelies sous l'ignorance – et encore si gorgées de haine, de paresse et d'absence – la nécessité de l'essentiel – l'Amour (son amour peut-être...) et sa folle ambition pour les âmes, les vies minuscules et le destin, si fragile, des vivants...

 

 

Goûter le silence peut-être une dernière fois – et y déposer son âme à jamais – pour affronter les siècles infréquentables, les malheurs et la pluie interminable sur les visages ignares et suppliants...

 

 

Rien, bien sûr, n'est parfait ici-bas. Ni le monde, ni la vie, ni les êtres. Mais tout est au mieux de ce qu'il peut être – au vu des conditions dans lesquelles s'actualisent les potentiels...

 

 

Le murmure des anges comme une promesse de silence peut-être...

 

 

Nous cherchons réponse à nos malheurs. Aux cris que nous font pousser la vie et la mort... A ce mystère que nous tenons caché entre l'âme et la chair... Une voie – un passage (même étroit) – vers cette lumière au fond de la nuit promise par tous les sages et les prophètes... Une explication aux mille questionnements de l'homme... Une consolation peut-être pour toutes ces larmes versées...

 

 

Il y a des heures plus heureuses que les passants de cette terre. Et plus sereines, bien sûr, que leurs pas angoissés...

 

 

Le silence ne peut consoler du pire. Mais offrir un éclairage sur tant de malheurs... Dans la lumière se dessineront toujours les prémices de la cessation. Sans elle, l'ignorance ne pourrait abdiquer...

 

 

Ne nous laissons jamais emmailloter par la torpeur – le ronronnement tranquille (et si aisé) des jours. Nous serions à demi vivants – et presque morts déjà. Et nous mourrions avant même les premiers pas de la délivrance... Refusons la paresse et le confort assoupissant. Restons vifs, alertes et aux aguets. Attentifs toujours. Et sensibles plus encore à chaque instant – à chaque nouvelle circonstance – au moindre événement...

 

 

Il n'y a peut-être rien de plus urgent que d'aimer en ce monde où les hommes préfèrent se laisser aller à l'indifférence et à la haine. Ni rien de plus précieux et insensé en cette terre où la vie et la mort ne sont qu'une pelote de sang, de poings et de chairs déchirées...

 

 

Un homme, un silence, une vérité. Et les bouches encore muettes, et les oreilles sourdes et les yeux toujours aveugles à la lumière...

Jamais pourtant nous ne regretterons la parole... D'avoir au moins essayé... Ni pour soi ni pour les autres qui ne formons, bien sûr, qu'un seul espace – qu'un seul regard – à éclairer...

Une parole, un silence et, derrière peut-être, une vérité...

 

 

Et sans doute serons-nous partis avant la fin du jour – avant que les visages ne reçoivent la paix qu'ils réclament depuis des siècles... Et peut-être que tout cela – la vie, le monde, les autres et soi-même – n'auront été qu'un rêve – qu'une folie passagère dans l'éternité – dans la nuit sans fin… Et qu'un espoir fragile dans notre furieuse déraison et cet appétit, si vorace, de lumière...

 

 

Plus tard encore viendra une autre nuit. Aussi longue – et aussi belle – que fut la nôtre... Et dans le jour suivant, peut-être enfin la lumière...

Et nous assisterons alors, pleinement innocents, à toutes les naissances – et à la course, toujours impitoyable, de la mort... Une grâce enfin réconciliée offrant à l'espace – à l'infime espace – caché entre l'âme et la chair, un merveilleux silence – la fin des questions et des appétits – le début, sans doute, d'une ère nouvelle...

 

 

Viendra peut-être après l'impossible conversion du cœur, l'intégration à la présence de toutes nos impossibilités : rêves, résidus de désirs, rebuts d'individualité... Et ce qui restera aura des allures de lumière... Une présence inféodée à aucun souci ni à aucune volonté... L'être dénudé de tout artifice... La joie pure et l'Amour qui s'offre sans effort ni restriction à travers toutes les circonstances...

 

15 décembre 2017

Carnet n°109 Et la parole, aussi, est douce dans le silence

Recueil / 2017 / L'intégration à la présence

A la fenêtre, le jour. Les ombres. Et le temps qui passe... Avec au dedans du regard, cette lumière inchangée...

Le jour se creuse. Et malgré la pluie, le chemin s'éclaire sur les visages endormis – et les âmes encore allongées dans la nuit. La lumière déjà – la lumière toujours – malgré les saisons qui n'en finissent jamais de nous défaire...

Les simples jours de l'homme. Jamais perdus. Jamais effacés malgré la démesure. Malgré la déraison...

 

 

Les simples jours de l'homme. Jamais perdus. Jamais effacés malgré la démesure. Malgré la déraison...

 

 

A la fenêtre, le jour. Les ombres. Et le temps qui passe... Avec au dedans du regard, cette lumière inchangée...

 

 

Le jour se creuse. Et malgré la pluie, le chemin s'éclaire sur les visages endormis – et les âmes encore allongées dans la nuit. La lumière déjà – la lumière toujours – malgré les saisons qui n'en finissent jamais de nous défaire...

 

 

Une attente encore. Un goût d'inachevé dans la bouche... Et le cri des lèvres muettes, inaudible bien sûr – qui attendent la lumière... Et l'espèrent, sans doute, plus encore... La devinant présente – toujours présente – à son odeur tenace malgré le gris des jours – et la persistance du noir...

 

 

Et sur l'horizon, le parcours du soleil. Et cette lumière encore au fond des yeux que nous n'avons su voir...

 

 

Être toujours. Encore plus simple qu'autrefois. Encore plus humble que l'herbe – le jour – et la vie défaite par l'inévitable. Et plus sagace que l’œil qui s'étire – et qui s'en va sur l'horizon mille fois parcouru...

 

 

L'absence de signe et la solitude sont la marque évidente – certaine – de la victoire du silence. La suprématie de la lumière sur le besoin – notre si maladif besoin – de côtoyer les silhouettes grises – noires parfois – de la terre. Et d'entendre leur voix frêle réclamer notre présence...

 

 

On n'échappe à l'éphémère. Mais en s'y jetant tout entier, éclot l'éternel. Et les eaux grises – ternes – s'illuminent. Et nos joues s'empourprent de honte. Si nous avions su... la solitude – et le silence – nous y auraient, sans doute, menés plus tôt...

 

 

L'inhabitable tient (tout entier) dans notre absence. Et c'est lui – et lui seul – qui rend le monde invivable. Et les hommes si peu fréquentables... Nous sommes les seuls responsables. Les autres – tous les autres – sont innocents...

 

 

Au bout de soi encore, l'ombre et la lumière. Leur affrontement farouche. Leur incessant combat. Leur résistance à la présence de l'autre... Et notre main – et nos lèvres – éventrées – déchirées toujours. Et plus haut, et plus loin encore, le regard – le soleil – qui réunit, panse et rafistole les plaies, les déchirures et les âmes soumises à l'éternel entre-deux...

 

 

Le silence – la beauté – partout chavirés par les siècles et la faim indigne des hommes qui déforme leur bouche en abîme – et où viennent se perdre toutes les volontés – et toutes les résistances à l'abomination...

 

 

Dire serait-il donc aussi vain que se taire ? Pourquoi alors ne pas succomber au silence...

 

 

D'une lucarne, un grand ciel apparaît... Et d'une bouche, assise dans le silence, toutes les vérités...

 

 

Ah ! Cette beauté – cette incroyable beauté – qui, à chaque instant, s'offre à l'innocence. A cette présence vierge – et libre du temps et de la mémoire. Et la joie insensée qu'elle fait naître malgré la rudesse – la dureté – des mains et des angles – malgré la fierté si vive sur le visage des hommes...

Se laisser ainsi bercer fidèlement – librement – sans crainte ni résistance – par les vents du jour – des années – des siècles. Libres – libérés – des courants et des flots. Laissant le destin – et les destins entremêlés – décider des lieux, des rencontres et des noms – des élans fragiles et incertains du corps et de l'esprit – des heurts et des effacements – qui les conduiront inéluctablement, à pas lents, au cours de leur fugace traversée du monde, vers l'anéantissement – le jour inespéré du départ – et le grand silence réparateur...

 

 

La lumière en soi, plus flamboyante que le jour. Comme l'écho d'un soleil plus grand encore...

 

 

La marche lente des ombres traversées par le silence – et la fulgurance de la lumière – pour éclairer l'apparence – et le plus obscur du dedans. Et les révéler au plein jour...

 

 

Qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'être humain ? demandent le penseur et le philosophe. Comment faire éclater cette lumière silencieuse que presque tous ignorent ? demandent le poète et le sage.

Et les hommes, ignares – insensibles à toute requête – iront encore sans tête – et sans cœur – porter des coups et ensevelir leurs morts. Boire le vin nouveau et s'enivrer de songes et d'étoiles. Faire fructifier le fruit de leur labeur et de leurs aînés. Perpétuer la tradition des rêves et des ancêtres. Recouvrir le ciel – la promesse de lumière – de leurs chimères... Tapis encore si misérablement dans leur imbécillité animale...

 

 

Vivre sans pareil. Inégaux jusqu'au fond de l'âme. Entre songe et lumière. Entre espoir et terreur. Au plus près de l'herbe et de la roche. Têtes ensevelies déjà...

 

 

Comment pourrions-nous être, vivre – et survivre même – à tant d'absence...

Des sacs gorgés de denrées et de victuailles pour les festins – les agapes à venir. De l'or sous les matelas. Des espoirs plein les poches. Des filiations possibles. De l'envie. Des désirs. De l'ambition. Des rêves de fortune et de prospérité sans doute... Des armes et des stratégies à foison...

Et pas un seul espace de silence – pas un seul espace de lumière – pour s'interroger – faire face au mystère – découvrir le destin de l'homme et de la matière... Et infléchir l'avenir, sombre sans doute, de la terre et de son peuple. La connaissance – et la vérité – ignorées. Piétinées à chaque foulée. Enfouies sous la crasse, les instincts, la bêtise et la colère...

Que faudrait-il donc faire pour effacer tant d'absence – et la convertir en regard – en yeux clairs ? Aller sans doute au bout des songes. Jusqu'au fond de chaque rêve. Pour découvrir le noir, et en son cœur, cette présence – cette lumière qui brille encore...

 

 

Le dilemme, comme toujours, est en l'homme. En l'esprit obscur. Opaque et indécis. Partagé. Coupé de sa plénitude. Arraché au réel – et au panorama complet de l'existence et de l'Existant – du magma énergétique. Et dans le cœur fissuré. Lézardé et hésitant. Inconscient de sa nature, de son territoire – et de ce qu'il abrite derrière la peur, les désirs, les ambitions personnelles et la vengeance...

 

 

Soigner la carence – l'incomplétude – consiste à se défaire, à se dessaisir et à s'ouvrir. A devenir plein – entier – vide et libéré de soi pour retrouver – et revêtir enfin – son vrai visage. Présence, infini et silence – lumière aux mains d'or parmi les ombres – et la suie de la terre...

 

 

Ecrire serait-ce s'accompagner jusqu'au plus proche de la lumière... Serait-ce inviter le grand silence à la table des heures pour respirer l'infini et conduire chacune de nos foulées là où ne règne que l'éternité...

Ecrire serait-ce se faire la main humble, modeste, minuscule de Dieu. Une petite voix, vive et insistante, dans le cœur taiseux – et taciturne – et le brouhaha. Dans l'absence et la cacophonie infernales de ce monde...

 

 

Se détourner de soi ? Comment pourrions-nous refuser notre visage – et échapper à celui de Dieu (dé)posé sur nos épaules vacantes – et notre tête abandonnée...

 

 

On rêve de jour – et de lumière encore – encerclés par la nuit interminable. Eventrés – et désossés – nous rêverions encore... Voués pour toujours peut-être à l'impossibilité et aux recommencements...

 

 

Point de halte. Et point de souffrance. Une lumière toujours vive – et toujours joyeuse – écrite – inscrite sans doute – sur la peau même du malheur. Dans l'obscur des heures douloureuses. Et des jours discontinus – et sans fin. Un havre dégagé des rêves et des folles ambitions du temps...

 

 

Une fois. Rien qu'une fois. Mourir – et laisser les heures effacer les ombres et le devenir pour rejoindre le silence. Le grand silence qui nous attend...

 

 

Cœur minéral devenu vivant. Chair sensible aux fantômes, aux murmures des foules et aux rumeurs du monde. Tremblant face aux menaces, aux tressaillements des silhouettes et aux lames dissimulées derrière les visages. Assoiffé de lumière pourtant mais noyé – submergé – dans les larmes et le sang... Incomplet encore... Et si naïf toujours devant le roc et les pierres – devant tous les rocs et toutes les pierres de la terre...

 

 

Quelques instants pour vivre. Et pour comprendre... Mille fois peut-être recommencés. Approfondis et affinés sans doute... pour vivre, un jour – un instant – l'éternel de l'Amour. Et pouvoir aimer sans fin...

 

 

La faim des siècles sera peut-être – sera sans doute – interminable tant que nous n'aurons assisté au complet désastre – à la débâcle définitive – du monde, agrippé par les cœurs – et les mains – si avides. Tant que nous n'aurons compris l'absurde vanité de nos pas. Tant que la lumière n'aura été vue, indemne toujours, de la folie... et goûtés son feu et son silence. Et que sa sagesse n'aura fleuri sur nos visages hébétés – aujourd'hui encore si affamés et grimaçants...

 

 

La pluie drue sur les paysages. Et par la fenêtre s'envolent les oiseaux – et le visage de Dieu rayonnant. Dansant dans les gouttes et la lumière sombre de la fin du jour. Insoucieux de la couleur du ciel. Présents – et infiniment joyeux toujours – parmi le soleil et les orages...

Et le courage, magnifique, des bêtes sous l'averse. Le corps trempé et battu par le vent. Mais l'âme si innocente s'abandonnant au déluge. Accueillant tous les désastres du monde et du temps...

 

 

Il n'y a aucune raison de s'éreinter au travail de la lumière. C'est à elle d’œuvrer sur notre âme – et de la débarrasser de ses superflus pour qu'elles sache s'en faire le miroir – et le reflet...

 

 

A la fenêtre des jours, l'âme condamnée à l'attente. A la pluie, au soleil et au temps qui passe... Plus juste serait de rejoindre l'infime lucarne de l'instant où tout – et jusqu'au devenir – s'efface...

 

 

Et le silence encore sur nos lèvres muettes et dans nos yeux ahuris par tant de présence – par tant de beauté – par cette lumière qui avance – et creuse en nous son puits mystérieux et infréquenté – pour que s'écoule la source entre nos rives d'ignorance...

 

 

A l'ombre du temps fleurissent les plus beaux jours. Et les plus belles rencontres...

 

 

Les schémas mentaux et de routine éloignent toujours de l'essentiel. Et les résidus d'orgueil, d'ambitions et de fatuité écartent toujours du plus simple.

Et cette odieuse façon de refuser – et d'évincer – la réalité de notre mort et la finitude du monde (de notre monde)... et cette manière maladive – presque indéracinable – de s'agripper à notre individualité et de résister à l'incertitude – à l'inconnu et à la nudité (perceptive) sans repère aggravent plus encore notre séparation avec le plus simple et le plus essentiel...

Quand donc pourrons-nous réellement devenir innocents ? Et quand l'être nu pourra-t-il être pleinement habité ?

 

 

Une voix. Un bâton. Et le silence pour guider dans la nuit. Sortir des forêts sombres. Et rejoindre à l'orée de tous les songes, la lumière. Les délices de la transparence et la nudité.

Vivre l'espace sans même l'espoir d'une revivance. Vivre le jour, les pieds déjà posés dans la nuit prochaine. Vivre encore un peu parmi les fleurs – parmi les siens et tous ces visages encore inconnus. Vivre sans que n'advienne jamais demain. Se perdre encore un peu. S'abandonner définitivement avant l'heure du grand départ. Et être – et survivre peut-être à l'abandon...

Et embrasser le corps, la dépouille et le squelette à venir. La peur de disparaître. Et l’absence criante de tout – de tous – et de nos propres enlacements... Se résoudre à la survivance de la peur et de nos résistances, à l'espoir même de l'Amour et à la présence affreuse – et jubilatoire – de l'inconnu...

Oublier le gain et la perte – et la possibilité même du souvenir. Se réduire au souffle qui reste. Et au visage sans nom. A la bouche muette. Aux lèvres silencieuses et pardonnées. Au regard encore clair malgré les danses – si vives – sur l'horizon. A la présence – à la seule présence – en nous si mystérieuse. Être encore un peu – et peut-être pour toujours...

 

 

Heurter l'impossible le jour du naufrage... Et pourtant, les vents continueront de souffler. Et les tempêtes de lézarder les eaux. Et les navires, les barques et les silhouettes de rejoindre les rivages. Seul toujours au milieu de l'océan...

 

 

Notre défaut d'innocence et d'humilité renaît de toutes les furies – et de tous les coups de grâce portés à son socle – et à son mât de cocagne fièrement planté sur l'horizon à la vue de tous les passants... Et nous oblige au mensonge... à la déraison... à l'odieuse exposition d'un visage insuffisamment nu pour accueillir – et mériter – les balafres merveilleusement salvifiques de la vérité...

 

 

Abandonner. S'abandonner pour s'approcher au plus près – au plus proche – de la nudité. De l'être nu. Et voir – et accueillir – enfin la lumière et la vérité. Les vivre – et peut-être même les refléter... Devenir enfin rien – tout – ce que nous n'avons jamais cessé d'être malgré nos refus et notre ignorance...

 

 

Chanter la vie, la mort et la joie – chanter la lumière et le silence – n'est rien. Entends-tu, poète ? Vis-les d'abord passionnément. Intensément. Sens-les. Eprouve-les jusqu'aux tréfonds de ta moelle. Jusqu'à en perdre raison. Jusqu'au bout de tous les silences... Alors naîtront peut-être tes plus beaux – et tes plus justes – chants que tu porteras ni pour la gloire ni pour la fortune mais pour honorer et célébrer en soi – et autour de soi – le cœur le plus vivant...

 

 

Sur le visage de l'Autre, un dessin que nous ne savons voir. Les traits de la lumière que nous ignorons... Et sur notre figure, la même esquisse : l'ébauche de la même perfection...

 

 

Embrasse la terre. Le plus humble visage des chemins. Regarde par dessus ton épaule l'horizon – et l'illusion – arriver. Et se défaire dans tes yeux clairs. Et l'innocence – et la vérité – se coller à tes paupières et à tes pas neufs toujours aussi dédaigneux des chimères...

 

 

Combien de jours – combien de siècles – réclameras-tu pour retrouver – et rejoindre – la lumière ? As-tu oublié sa présence, accessible toujours à chaque instant ? Qu'attends-tu pour regagner les terres de l'innocence où le soleil brille sur toutes les ombres – et où les yeux et les noms s'effacent sur tous les visages... Crois-tu réellement pouvoir vivre – et goûter – l'éternité et l'infini autrement...

 

 

Un homme qui s'interroge, qui explore et découvre (un peu)... Voilà sans doute seulement ce que j'aurai été... Un visage un peu solitaire – à l'écart des foules et du tumulte – livrant son modeste témoignage sur le peu que lui ont appris le monde, la vie, l'être – l'esprit, le cœur et la vérité...

 

 

Ecrire inlassablement. Comme si quelque chose cherchait (encore) à éclore... Une présence – une lumière – une liberté peut-être parmi tant de signes obscurs, d'absence et d'embarras...

 

 

De toutes les mains qui pèsent sur le tombeau, choisis la plus sage. Celle qui s'appuie sur le socle – notre socle – par nécessité. Et non pour satisfaire aux exigences des foules.... Celle-là seulement saura te montrer le ciel – et guider tes pas vers ta propre résurrection...

 

 

L'aube trop précoce porte en elle les relents de la nuit. Une lumière amoindrie, voilée de restes d'obscurité... Et elle offrira au jour, indéfiniment peut-être, des pelletées de nuits prochaines avant de voir éclore l'aurore véritable – et la fin, assurée, de tous les crépuscules....

 

 

Un pont. Un chant en guise de passage. Le silence de l'oiseau querelleur. Et au loin, là-bas, sur l'horizon, la lumière inaccessible encore...

Des pas qui défont le silence. Au lieu d'y inviter. Et d'aider l'âme et la main à s'en approcher...

 

 

Un souffle. Un silence. Quelques pas dans la neige. L'empreinte passagère de l'homme effacée par les jours et les Dieux moqueurs...

 

 

Le goût de l'Autre, encore amer, dans la bouche. Et le suintement de toutes les espérances. Et l'abjecte haleine des circonstances. Et plus loin – et plus haut – encore le parfum du silence... Et la beauté de la lumière dans la nuit environnante...

 

 

Et dans la plus profonde des nuits, nous attend aussi, quelque part, une fenêtre éclairée... Un visage. Un sourire. Une présence déjà amoureuse de nos lèvres et de nos gestes. Et qui ne rêve que d'horizon franchi pour coller à nos pas le plus merveilleux – et l'inespéré même – bien avant que ne soit atteint le seuil, si lointain, du silence...

 

 

La barbe – la longue barbe blanche – des vieillards n'est jamais une preuve de sagesse. Sur le visage, il faut voir un œil familier du regard. Et sur les lèvres, un cœur perceptible. Et si l'un et l'autre se montrent humbles et innocents – et incroyablement discrets – la sagesse alors peut s'y trouver...

 

 

Rien jamais n'avilira le silence. Pas même le vacarme des siècles...

 

 

Malgré tous les visages à nos côtés, la solitude toujours sera présente. Et victorieuse de tous nos liens. Elle nous enfoncera peu à peu en son cœur pour effacer nos heures d'attente fébrile suspendues aux lèvres muettes – aux mains inertes – aux âmes absentes. Et aux yeux déjà posés ailleurs. Et à l'espoir qui nous entoure – et qui nous condamne à l'enfermement en cadenassant la seule voie possible de la délivrance...

 

 

Tout nous sépare. Les rives, les rêves, les visages et les lèvres portées par des ambitions inconnues. Le temps, la mort, la terre et l'espoir. Tout nous sépare toujours jusqu'à ce que nous nous retrouvions ensemble, unis, partout dans le silence...

 

 

La présence d'autrefois – si pleine – si joyeuse et silencieuse – aujourd'hui presque effacée par la lassitude et le bruit. Par l'inattention de l'âme – sa contraction incompréhensible sur elle-même – et les élans du cœur porté à la fuite en avant. Par le visage étroit et imbécile. Et le retour inéluctable des sursauts de l'individualité...

Le réveil des songes, de l'après et de l'espérance est la marque d'une absence, passagère peut-être – et d'un silence et d'une innocence inhabités. De leur non intégration encore aux abîmes – aux fenêtres et aux délices – de l'instant. L'évidence de la fragilité de la présence, jamais définitive, et de la parfaite nudité de l'âme, du cœur et du regard – toujours préoccupés ou encombrés par quelques élans et quelques aspects du monde et de la chair...

 

 

La marche forcenée – et inéluctable – des jours, du monde et des choses dont les pas – inlassablement – piétinent les corps, les âmes et les destins...

 

 

Un souffle. Un soupir. Quelques pas. Et l'effroi de l'âme et des visages. Et quelques pas plus loin. Un silence. La joie et l'espoir de la lumière. Et la marche encore... La foulée rieuse – et espiègle – avant la rencontre irrévocable avec l'abîme aspirant le néant en son centre. Les faux sourires. Et la gaieté apparente. Et quelques pas encore, plus nets – et plus légers – vers le plus simple et le plus nu qui nous habite – qui nous a toujours habité... Puis, la joie rayonnante – plus vraie – plus pure – dans le grand silence des lèvres et de l'âme. Quelques larmes en guise d'offrande – de remerciement... Et l'éternité enfin peut-être...

 

 

L'éternité – toujours plus vieille que nos rides – que nos âges même ancestraux – et que nos siècles d'insolence – nous attendra encore au cours des mille prochains millénaires lorsque notre jeunesse aura fané – et que notre âme, enfin mûre, sera prête à embrasser le silence... et qu'il sera temps enfin d'offrir la lumière – et ses secrets – à la foule – à tous les peuples de la terre...

 

 

L'homme s'accroît, augmente, additionne les surplus. Et se réjouit de ses fausses routes. Oublie d'enlever, de ôter, de soustraire. De limer la graisse qui l'encombre... De râper jusqu'à l'os ses ambitions pour que rayonne ce qui reste – le plus simple – l'inamovible et l’irremplaçable : l'être dans sa nudité la plus éclatante.

 

 

La sagesse n'est que la peau retournée de l'homme. Le monde vu du dedans. L'âme blanche et silencieuse marchant sur la crête des âges entre le vide et le temps. Le recours systématique à la lumière. Et le silence enfin rayonnant...

 

 

Voix muette – et analphabète parfois. Et pas complice de l'indigne cruauté. Tous deux, à la botte de la loi...

L'ignorance et l'infamie, sœurs jumelles qui offrent au monde – et aux bouches affamées – leur rictus de colère et d'effroi – leur pain et leur cargaison de chair, encore sanguinolente, qu'aucun silence n'apaisera...

 

 

Au bord de l'oubli, un soupir que l'on avait négligé. Encore fébrile et affamé de silence que la lumière restitue au temps. Et au monde peut-être réconcilié...

 

 

L'étoffe des songes, impénétrable – imperméable aux cris qu'ils initient. Et au silence qu'ils ambitionnent en lançant leurs pas – et leurs bruits – dans la misérable chambre du monde, pièce infime et ridicule aux volets clos... Drame minuscule joué en intérieur avec ses poupées de cire aux bouches articulées mais au langage incompréhensible...

 

 

Monde de chair et de visages où les âmes, toutes froissées, végètent – s'abritent peut-être des violences sous les plis de la peau. Et dans les recoins, profonds et inaccessibles, du cœur. Où la lumière, interdite, n'est dessinée que par les intentions, encore obscures sans doute, des hommes et par le goût, presque inné, des poètes pour le silence et la beauté...

 

 

Un souffle. Une parole. Un mot lancé à la foule anonyme. Aveugle peut-être... Sourde en tout cas. Qui n'écoutera – ni ne recevra – le langage aussi infime et puissant que les montagnes. Aussi vif que l'eau claire qui se jette dans les rivières. Aussi vaste sans doute que l'océan. Et peut-être aussi ignoré que le ciel dont il chante les louanges...

 

 

Face au temps paradé qui s'étale comme la foule aux yeux sombres dans les rues des capitales – et sur les écrans – tous les écrans – sales d'une lumière mensongère et horizontale où la beauté cherche partout ses devantures – et ses étoiles – pour se nourrir de mains levées, pouce à la verticale, et d'applaudissements, le poète n'a à offrir que son silence... et les petits tintements des mots pour résonner dans l'âme... Un peu de misère, noble certes (mais misère tout de même), face aux marées submergeantes de l'indigence et la pauvre folie des hommes...

 

 

A mi-chemin peut-être, s'arrêter. Et lancer son silence aux étoiles pour revenir, plus défait encore – plus silencieux sans doute – devant le visage du monde...

 

 

L'aube au doux visage apparaît déjà à travers les étoiles et la longue nuit qui s'étire – et s'étend de tout son long sur nos âmes...

 

 

Faire face et s'abandonner. Attitudes incontournables. Et voie magistrale de l'apprentissage... Professeurs admirables – et maîtres incontestés – pour apprendre à vivre la condition terrestre et devenir un homme. Pour se familiariser avec notre dimension divine qui n'aspire qu'à être et à aimer...

 

 

La honte et l'ignominie peintes en rouge – et en lettres capitales – partout sur les chemins et les visages. Sur les devantures et la porte des âmes. Tatouées peut-être sur les bras – et les fronts orgueilleux et querelleurs pour rappeler aux hommes la fragilité du monde – et celle du cœur, fait lui aussi, de chair et de sang... et sa grande aspiration peut-être à se laisser mener par les vents vers son fol espace d'oxygénation : le grand Amour – et sa tendresse sur les âmes inconsolables – et sur les corps martyrisés et, peut-être, inguérissables...

 

 

Faudrait-il attendre le déferlement des cloches – leur furie sourde éclatant aux oreilles, la fin de la nuit et le réveil des âmes moribondes et assoupies – maltraitées peut-être depuis la nuit des temps – pour s'émerveiller du présent, encore intact, et se réjouir des promesses – même fumeuses – d'une aube plus lumineuse...

 

 

La vie toujours merveilleuse dans notre immobilité...

 

 

Pourquoi condamnerait-on le monde ? Pourquoi lui reprocherait-on son incapacité et son impuissance ? Serait-il donc le seul initiateur de l'espérance – et de la promesse de parvenir, un jour, à pousser les portes de l'horizon ? N'existerait-il pas un souffle sournois qui se serait glissé dans ses rêves – et dans ses pas – bien avant même sa naissance ? Qui serait donc le coupable originel ? Le saurons-nous un jour ? Et si le monde n'était responsable que d'une atroce – et inévitable – complicité ? Ne serait-il pas alors préférable, en attendant une impossible réponse, d'accueillir le monde dans ses bras – et de sourire ensemble devant la mort qui s'approche...

 

 

Le cœur nomade toujours, cherche, avec les yeux, l'étoile parmi les jours – parmi les nuits – et sur chaque visage malgré la pluie qui frappe aux fenêtres des âmes sédentaires... A pas gris, à pas joyeux – et le front déjà plissé sous la lumière – cherchant partout le soleil parmi les charrettes grises des hommes remplies d'or, de tristesse et de victuailles – inaccessible encore...

 

 

Et s'il n'y avait, en définitive, rien à chercher... Ni même rien à comprendre. Mais à poser simplement les yeux là – et le cœur par dessus – pour regarder – et aimer – ce qui vient – et arrive à tous...

 

 

Le malheur tient sans doute moins à nos excès et à nos dérives qu'aux clameurs des profondeurs et des horizons qui poussent nos pas sur les chemins – vers leur destin – et à notre main qui, en voulant caresser la lune, ne saisit que du sable – et d'autres songes encore qui la mèneront un peu plus loin...

 

 

Encore un peu d'azur – et de vaines promesses – pour l'âme confinée à l'obscur...

 

 

Poésie, philosophie et spiritualité. A égale distance entre la nuit et les premières lumières du jour...

Et le cœur toujours bohémien, indigent presque, malgré la lourdeur des feuillets. Et leur richesse encore obscure – encore invisible peut-être... qui confine le pas au nomadisme des couleurs – et l'âme à la beauté changeante du ciel et à la noirceur, encore si brûlante, de la terre...

 

 

Quel autre avenir que la mort... Et quel autre espoir que l'éternité... Voilà, sûrement, à quoi en sont réduits les vivants... Et à ceux qui seraient tentés d'oublier – de fuir ou de refuser – cette réalité, rappelons que nous serons tous contraints, un jour, d'y faire face – et de nous y abandonner...

 

 

L'endroit où nous vivons a des allures (permanentes) de chantier... Les choses sont entassées là à la diable. Prêtes à l'usage ou au départ... Comme si nous allions partir – reprendre la route ou mourir – le lendemain... Tels des passants perpétuels – des éternels passagers provisoires que le voyage fugace – ses départs, ses pas, ses retours et ses attentes parfois – n'effraient plus...

Quelques foulées seulement... Voilà à peu près tout ce que nous aurons réalisé en cette vie... Voilà peut-être, en définitive, ce qu'aura été l'essentiel de notre existence...

 

 

Ici même commence l'aventure – la fin des songes déraisonnables – la vraie vie que nous avions tant espérée... Et qui sera là encore, disponible – accessible – demain. Et dans mille ans – et jusqu'à la fin des siècles. Toujours secourable...

 

 

Si douce dans la nuit, la lumière présente déjà sur les visages...

 

 

Une parole libre. Certes un peu tremblante... Maladroite parfois. Trop souvent peut-être... Occupée encore à chercher partout la lumière sur la terre et parmi les siècles où les peines ne côtoient que la noirceur. Trop affairée sans doute à déblayer ces scories – les siennes et celles du monde – pour briller dans les yeux des hommes. Et pour paraître même sur les étagères des librairies...

Une parole libre offerte à travers une étroite – et imperceptible – fenêtre – l'infime lucarne des dépossédés de raison et d'ambitions qui ont, pourtant, tant à dire – et qui le disent avec cette fougue – ce feu – dans l'urgence de ceux qui se savent condamnés...

 

 

Là où commence la frontière, s'achève la joie. Se lézarde la lumière. Et meurt le silence... Les visages alors accourent, se battent et défendent leurs parcelles – indûment acquises. Et la fureur – et la misère – renaissent comme au premier jour du monde... Tristes, obscures, bruyantes, malheureuses...

 

 

Ah ! Tous ces textes plus furieux – et plus incandescents – que la lave et la boue brûlantes – et si vives – des volcans – ces entrailles du monde bouillonnantes, qui jaillissent des sous-sols pour épouvanter – et noircir – le monde d'abord avant d'accueillir les plus fertiles forêts – et les plus beaux paysages – des lieux si propices à l'homme et à la vie. Une sorte de paradis né des enfers souterrains bien antérieurs à tous les malheurs de la terre...

 

 

Il faut à l'homme des rêves et des icônes pour vivre – et survivre au réel. Sans eux, l'humanité espérerait moins – et agoniserait davantage. Clouée aux quatre coins de la toile posée sur la petite table du monde...

 

 

Qu'elles se montrent lourdes – et insistantes – ces fêtes présomptueuses du printemps*. La célébration du renouveau – de l'éternel retour plus exactement – par de vieilles têtes désabusées à la chevelure grise (ou même blanche très souvent) dont la jeunesse s'étire depuis des années – depuis des siècles peut-être – et qui n'honorent plus rien ni personne (excepté eux-mêmes, bien sûr) de leurs gestes et de leurs paroles fatigués...

* et parmi elles, celle du printemps des poètes...

 

 

Je vous écris du jour qui sommeille parmi toutes les nuits. Je vous écris du soleil qui ne fréquente ni la terre, ni les yeux ni le cœur des hommes. Je vous écris de ce pays inconnu dont ne rêvent que les illettrés. Et je vous souhaite toute la sagesse du monde depuis les rives que nul n'aperçoit – pas même en songe – et qui hantent pourtant tous vos souvenirs, oubliés sans doute aujourd'hui... Je vous aime – et vous salue – moi, le non apôtre de la charité – le chantre de l'Amour perdu qui, un jour peut-être, sera retrouvé... Et nous demande de prier ensemble, mes frères, pour qu'il le soit – et qu'il vous saisisse – et vous ravisse – là où vous habitez... Et espérons, ensemble aussi, qu'un jour, un enfant si neuf – si innocent – vous prenne la main pour vous montrer la lune, le ciel et le chemin de la sereine – et secrète – ivresse...

 

 

Qu'aucun jour ne soit effacé pour qu'apparaisse l'éternité...

 

 

On n'en finit jamais d' apprendre le provisoire et l'éternel. La roue sans fin dans l'immobilité...

 

 

Et cette errance perpétuelle des esprits et des corps qui arpentent inlassablement l'espace – le monde. En quête de paix...

Tant de foulées pour découvrir cette joyeuse – et sereine – tranquillité sur les visages et les chemins. Et que nous voudrions voir collée au fond de notre âme – pour que jamais elle ne se défasse ou nous soit retirée...

 

 

Il suffirait peut-être de regarder les hommes – et le monde – avec les mêmes yeux que ceux avec lesquels l'âme s'attendrit en voyant les petits des êtres de ce monde*...

* Nouveaux-nés, bébés animaux, enfants...

 

 

Un besoin, un appel, un désir, un sursaut. N'importe quoi pourvu que cela arrive... crie l'homme dans son ancestrale inaptitude au silence et à l'immobilité...

 

 

Jamais les mots ne pourront dire la vie. Peut-être la célébrer... Peut-être inviter la joie dans le vécu... Mais la comprendre sûrement jamais...

 

 

Qui est là lorsque nous y sommes à peine... Comme une présence – un léger tressaillement – sur les visages. Un sourire parmi tant d'absence...

 

 

Et dans le tumulte des eaux sauvages, une paix aussi nous attend...

 

 

Aucun doute que la parole, un jour, se tarira. Effacée sur les lèvres. Et effacée sur la page. Affranchie d'un destin bruyant de moins en moins nécessaire. Et déjà asservie au silence – et au cœur extatique dont la joie jamais ne se nourrit de langage...

 

 

Dans ces heures nocturnes, plus noires que l'encre, un silence – une lumière – nous attendent aussi... Fragiles sans doute. Et rendus plus vulnérables encore par notre bavardage. Et l'agitation des lèvres et de la main sur la page. Mais présents – indéniablement présents...

 

 

De chair et de sang. Voilà de quoi est fait l'homme jusqu'à présent...

Matière composée de sang, de chair et d'instincts. Et de chair et d'âme, je l'espère bientôt... De chair, d'âme et de lumière juste avant de voir le silence tout envahir...

 

 

A la boutique du temps, les vitrines sont bien garnies. Et la réclame édifie le souvenir en monument. Quant aux projets et aux promesses, ils y tiennent, bien sûr, bonne place. Et l'on voit les hommes – tous les hommes – se précipiter à la devanture. Patienter inlassablement dans l'interminable file d'attente en attendant leur concession au cimetière, égrenant les heures – et égrenant les jours – presque trop pressés de manquer le rendez-vous...

 

 

Là où bat notre désir, jaillissent aussi la joie et le silence. Et les mille chants de l'âme réconciliée...

 

 

Quel homme n'a-t-il jamais crié du fond de son silence – du fond de sa solitude ? Et qui a déjà entendu le cri d'un autre ? Et accueilli sa voix frêle ? Pourquoi est-ce donc toujours le silence qui nous écoute, nous ouvre les bras et reçoit ce qui a besoin d'être reçu – plaintes, colères, incompréhension, désespoir, amertume peut-être... ? N'aurions-nous pas encore compris que le silence – et les bruits mêmes de nos lèvres – paroles, grognements, gémissements, hurlements d'effroi... – toujours nous invitent au seul lieu possible de l'écoute ? Quand saurons-nous donc enfin habiter l'espace de tous les accueils... ?

 

 

La parole, cet autre versant du silence qu'il faudra gravir non par le sommet mais par le plus bas de l'entendement... jusqu'à ce que se tarisse le langage – et que l'oreille se dilate à tous les horizons, à la braise des bouches comme à la furie des lèvres jusqu'à l'extinction – jusqu'à l'absorption de tous les bruits et de tous les sons...

 

 

Un puits. Une saison. Un amour. Et l'espérance, encore vivace – presque avide – de la lumière qui nous cueillera, un jour, au bout de tous les silences. Alors le jour deviendra clair. Et au fond du puits, durant toute la saison, l'amour se convertira en soleil – et en visages millénaires – impérissables pour que le monde soit éternellement aimé...

 

 

Et la parole, aussi, est douce dans le silence...

 

15 décembre 2017

Carnet n°108 Sur la terre, le soleil déjà

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Comme la vie qui va – qui vient – et la mort qui nous enlace...

Et rien jamais ne dira plus le désarroi que le silence. Et la beauté – et la joie d'être (au monde) aussi...

Comme un livre ouvert, immense, sur l'infini... Comme une page sans fin où s'écrit notre histoire – toute notre histoire. Avec ses songes et ses gribouillis – et ses ratures si belles – qui font de nous des hommes...

Et rien, jamais, ne pourra naître après la pluie... sinon peut-être le chant des jours – et les murmures du soleil à nos oreilles attendries – encore si impatientes de la lumière – et le silence sur nos lèvres...

 

 

L'enfant, là-bas, assis sous l'étoile, a-t-il encore ton visage... Ou la vie l'a-t-elle déjà transformé en figure d'os et de mort...

 

 

Comme un jour accompli par le grand Amour...

 

 

Et sur ses lèvres tristes s'effondra l'ombre des mots. Et la parole alors put naître. Et avec elle, le grand silence...

 

 

Les cloches sonnent, assourdissantes, dans les têtes. Les assomment de leurs bruits – et de leur écho sans fin – alimentés par les résonances. Et les étourdissent jusqu'au silence... Et, là-bas, plus loin, au fond des peurs, caché derrière l'amoncellement, le cœur abandonné. Livré en pâture aux injonctions et aux paroles indigentes du monde...

 

 

Un livre que l'on ouvre – une parole que l'on boit – comme une lumière qui déchire la nuit...

 

 

Après l'hiver viendra la nuit. Puis une autre nuit encore... Interminable peut-être... Et les déserts s'empliront d'un plein silence à la fin des temps...

 

 

Comme la vie qui va – qui vient – et la mort qui nous enlace...

 

 

Et rien jamais ne dira plus le désarroi que le silence. Et la beauté – et la joie d'être (au monde) aussi...

Comme un livre ouvert, immense, sur l'infini... Comme une page sans fin où s'écrit notre histoire – toute notre histoire. Avec ses songes et ses gribouillis – et ses ratures si belles – qui font de nous des hommes...

 

 

Et rien, jamais, ne pourra naître après la pluie... sinon peut-être le chant des jours – et les murmures du soleil à nos oreilles attendries – encore si impatientes de la lumière – et le silence sur nos lèvres...

 

 

Et si le silence pouvait accueillir la parole si frêle des ombres errantes, le soleil sur nos pages serait-il condamné à l'exil ? Ou brillerait-il plus fort sur nos lèvres – et verrait-on sa lumière resplendir, plus vive, entre nos lignes ?

 

 

La pluie révèle l'âme de la forêt – autant peut-être que l'âme du monde – comme les larmes – et les rires – révèlent le plus vrai d'un visage... Elle nous dévoile le soleil caché – ignoré sans doute – qu'ils portent, l'un et l'autre, dans leurs plis, si savamment enroulés sur eux-mêmes, trop timides – trop effarouchés peut-être – pour s'exposer à la lumière du jour...

 

 

Une lumière sombre parfois m'enlace – et m'enserre – comme si elle jaillissait du plus profond, noir, obscur, abyssal... Née peut-être de la nuit première – originelle. Comme une ombre dans la clarté, elle s'étend – se répand – sur mes jours et mes pages malgré la lueur intacte du regard dans l'âme et sur le visage...

 

 

Les vivants piliers du langage anéantis par la parole (poétique) et le silence. Arrachés à leurs règles – à leurs conventions – pour libérer la page. Et laisser éclater le soleil...

 

 

J'écris couché dans l'herbe. Ou sur les chemins boueux des collines. Au plus proche toujours de la terre. Et pas si éloigné, pourtant, des étoiles – et du grand soleil. A égale distance peut-être entre la lune et les oies sauvages...

 

 

Un cri. Un pont. Et une jetée où viennent s'enlacer les hommes pour conjurer le sort – et se protéger peut-être du désert qui partout avance – et éclabousse les âmes de son sable...

 

 

Un poète. Une lumière. Et partout les ombres qui guettent – et attendent la chute inévitable... Et la joie danse pourtant parmi les pleurs... Et la grande roue tournoie malgré les larmes... Et le monde s'en va, aspiré par les grandes vagues de l'horizon... Et un oiseau – une tache – toujours sauront raviver – et égayer – la main libre – lumineuse – du poète...

 

 

Encore les couleurs. Les mille couleurs du temps. Et la vie bigarrée. Et le monde taché de brun. Et les mains – et les visages – couverts de sang. Et les sols gorgés de sombre et de rouge. Et l'encre noire – et l'âme presque blanche – du poète. Et les rêves diaphanes du monde – des hommes. Et la lumière partout qui se reflète dans la transparence des heures...

 

 

La part si vivante des choses que les yeux ignorent... que les pas piétinent... que les mains lacèrent... et que les cœurs obscurcis – insincères – assassinent. Reniant jusqu'à la possibilité même de son existence. Détruisant – anéantissant – le plus beau – et le plus fragile – sous prétexte d'utilité. Ah ! Âmes imbéciles...

 

 

L'herbe qui tremble toujours sous la pluie... Et l'appétit animal... Et les souliers du marcheur... Et les frayeurs de la nuit sans lune... Avant que ne reviennent le soleil et les beaux jours. Avant que ne reviennent le soc et le labeur – la faux – du paysan qui la tranchera nette...

 

 

Une lumière. Un regard clair dans lequel les ombres passent... et où tout s'efface – jusqu'à nos plus infimes terreurs...

 

 

Le monde – les hommes – aiment le pouvoir de l'or. Jamais sa lumière. Peut-être, au fond, la lumière n'intéresse-t-elle que les âmes ? Et voilà sans doute pourquoi le monde – les hommes – ont l'air si sombres – si pauvres – si affamés...

 

 

Et si la bouche, affamée encore peut-être..., avalait le pain, les mots, la chair et buvait l'eau, le sang, la pisse... Jamais rassasiée, hurlant partout ses appétits d'ogre avide – si friand de délices...

 

 

Et tournent les vents. Et s'abattent les foudres. Et dure l'éternité le temps d'un soupir...

 

 

Et vivrait-on mille ans, la paresse toujours nous fermerait les yeux... Et l'horizon toujours serait noir d'ambitions... Et la convoitise toujours entaillerait les visages... Et jamais nous ne serions vivants...

 

 

Le signe d'une présence à travers les lignes – à travers les mots. Une lumière sur la page parmi les griffures – et les petits cercles d'encre noirs. Un cœur qui bat dans la proximité des étoiles, sensible à l'herbe, aux bêtes des prés et des forêts, à l'infini dans leur œil – à leur cri horrible et à leur silence au jour du départ. Un sourire face aux visages – et aux jeux des enfants sages et turbulents. Une accolade sur les épaules lasses. De petits coups de butoir sur les carapaces – et les âmes trop frileuses – et les cœurs trop ambitieux. Une humilité et une sagesse. Un poing levé et une main proche de la caresse. Un reflet de l'éternité. Voilà ce que j'attends du poète...

 

 

Le temps est précieux car il nous offre de vivre – de vivre mille choses, mille rencontres, mille expériences – et de comprendre (de comprendre peut-être qu'il n'y a rien à comprendre...). Et l'instant l'est peut-être plus encore car il nous offre d'être et d'aimer ce que nous vivons et ne comprenons guère...

 

 

La poésie naît du silence. Et après elle revient le silence. Et une parole plus sage et silencieuse. Une lumière claire – et sans éclat – qui dissipe les malentendus du langage...

 

 

Notes, opuscules et carnets constituent – et offrent – une œuvre modeste. Une lumière peut-être... Une présence humble – précieuse – délicate et savoureuse pour leur auteur... Et peut-être aussi pour celui qui, en les parcourant, y découvre son propre visage*...

* Et qui, nous l'espérons, en fera usage...

 

 

Et si l’accolade n'était qu'un prélude – qu'un prétexte – à la voie des étoiles. Et le baiser, un murmure attendri de la lumière... Et pourtant, un jour, le silence balaiera toutes nos prétentions à l'Amour...

 

 

Du sang. De la glace. Et nos dérives prépubères... Rien, jamais, ne pourra naître sous les étoiles... sinon quelques songes. Un mythe. Une légende insecourable...

Et là-bas, incertain, l'appel discret des nuages. Et le goût de l'Autre en soi – et celui de soi en l'Autre –, amer. Perdu peut-être à tout désir... Et la pluie encore qui revient comme une triste litanie...

La vie hors d'atteinte. A moins que l'âme ne s'ouvre au plus bas. Au plus humble. A la candeur du jour. Et au chant de l'oiseau dans le lointain...

Et si le désenchantement n'était qu'un voile d'amertume déguisant la lumière... Une coulée grise sur l'émerveillement... Un oubli peut-être du silence...

Et si le cri n'avait pour écho – pour réponse – que la beauté du silence... Et qu'en lui, tout se comprenait : les larmes, la colère, les questions et la faim même de vérité...

Et parmi les frôlements infimes du monde, reconnaissons ceux auxquels notre âme a su s'ouvrir... Ceux qui ont creusé les belles excavations de leur suintement – évidé le cœur de ses attaches – recoloré le gris de leur présence... Puis, oublions-les. Et recommençons jusqu'à ce que toutes les silhouettes se confondent – et ne forment plus qu'un seul visage : le nôtre souriant dans la lumière...

 

 

Un repos. Un silence. Une solitude. Et la joie innocente des jours.

Les heures blanches où le soleil ne rougit plus... Où le vent sème les graines à tout va... Où le gris, la tristesse, la mort s'assèchent faute de postulants... Où la présence discrète – victorieuse – a décimé tous les combattants... Et où, partout, elle pousse et recouvre le jour d'un océan d'étoiles...

 

 

La vie comme une rivière de lumière sans île – sans rivage – où les hommes seraient l'eau et le vent. Et le limon emporté jusqu'à l'océan...

 

 

Pressons les jours d'ouvrir notre vie à la grandeur que nous avons tant espérée...

 

 

Un chemin. Un silence. Et la mort – pas même sournoise – à la fin des pas. A la fin du jour. Et les arbres et les visages rencontrés... Et les pierres sur lesquelles on s'est assis... Et le vent qui a tout emporté... Et les ombres qu'il nous reste jusqu'à notre dernière foulée...

 

 

L'horizon dégagé n'en est pas moins chargé de rêves qui alourdissent le pas – le chemin – et le voyage vers la lumière...

 

 

Vers qui les vents emporteront la parole... Dans quelle bouche la déposeront-ils... Et si l'âme pouvait l'entendre... Ah ! Que se réjouirait alors le poète de son obscure besogne...

 

 

A la tombée de la nuit poussent, parfois, les plus belles fleurs... que les mains délicates n'osent cueillir... Et qu'elles laisseront mourir aux premières lumières du jour...

 

 

Et ces rêves pugnaces malgré la lumière. Et ces ombres féroces toujours tapies derrière le silence. Saurons-nous donc, un jour, embrasser le grand soleil – et laisser les rêves et les ombres à leurs soupirs...

 

 

C'est en parcourant les étoiles que l'on voit le plus sombre de la nuit. Et là-bas, au loin, la lumière qui s'avance...

 

 

Des rêves de lumière à foison. Mais combien prennent-ils leur source – et s'enracinent – dans le plus obscur – le plus insensé – du monde... Et y trouvent leur élan – le souffle – le rebond peut-être – nécessaires pour s'en extraire – et convertir les songes en pas – et en chemin de clarté...

 

 

On croit trouver alors qu'il n'y a, le plus souvent, que découverte – voire même parfois, de toute évidence, simplement redecouverte...

L'être est un puits où tout miroite... Un ciel où tout est donné – et qu'il faut escalader à la courte échelle, barreau après barreau, suspendu au vide...

Et l'infime n'est qu'un pas dans cette ascension. Un aspect – une dimension – de l'infini qui s'est oublié – et qui doit – et qui est amené progressivement, au gré des pentes, à se reconnaître – à se retrouver aussi intact – aussi plein qu'à son origine – bien avant la naissance de tout ce fatras : l'infime, l'échelle, le chemin, la montée et les retrouvailles...

 

 

On peut résister à tout. A la paresse des pas dans la montée. Aux vents de l'hiver. Au soleil des jours nouveaux. Aux promesses. A la pluie. Aux cris – et aux mains – qui nous appellent. A l'insistance de l'amour dans nos veines. Aux périls. Aux malheurs. Au venin des paroles – des persiflages. A la beauté d'un visage. A la mort qui avale. Aux trésors de la terre... Mais on ne peut résister au poids de l'innocence dans nos pas – et à la joie sur le chemin de la lumière...

 

 

Le noir toujours nous retrouve sous le halo de la lune. Au fond des chimères. Sous le froid des paupières. Près du jour que nous avons cru levé. Dans l'herbe rousse, brûlée de trop de soleil. Et sur notre âme toute froissée...

 

 

Un jour, les circonstances n'émietteront plus notre âme, assise dans le silence...

 

 

La parole poétique s'offre à l'âme inéclose – en devenir. Chrysalide aux ailes futures dans le vent de l'innocence... Les chenilles, vers amorphes, elles n'en perçoivent l'utilité. Quant aux papillons, ils n'en ont plus guère l'usage... Ils vivent déjà libres – et poétiquement – au dessus des cocons et des charniers – loin de la pourriture indigeste dont se nourrissent les larves...

 

 

Assoiffé de désirs, mais à quelle fin si tu ignores la faim réelle qui t'habite...

 

 

L'heure creuse – creuse son antre – son trou – pour désosser la mémoire. Ouvrir les ailes de l'instant. Redonner aux jours leur lumière – et aux siècles peut-être leur éclat...

 

 

Les heures passent. Et la mort, déjà, s'enroule sur nos jours. Asphyxie l'âme à petit feu. Creuse les visages. Et réunit bientôt la foule autour du défunt. Nous n'aurons décidément pas vu le temps passer...

 

 

Défricher le silence à coups de pelle alors qu'un battement d'ailes, sans doute, suffirait...

 

 

Que pourrait nous dire – nous apprendre – la mort sinon l'effacement. L'éternel retour aux fenêtres du temps. La grâce offerte de l'instant. Et le champ de l'éternité ouvert à nos fronts bas et querelleurs encore si avides d'espérance...

 

 

Une extase comme un feu peut-être nous consume. Laissant quelques cendres déjà ailleurs, portées par le vent. Et ce regard si loin des braises malgré le cœur enflammé... ailleurs, lui aussi... non, peut-être partout... dans les flammes, la cendre, la poussière et l'océan...

 

 

Cette fracture en nous que la joie recolle – efface. Comme si la chair n'avait jamais existé. Comme si l'âme se portait seule – libre et légère. Comme si le monde n'était plus ce tas d'os et de sang mêlés de désirs et de méfiance. Comme si la mort n'était plus cette épreuve – l'ennemie à redouter – mais la tendre amie de l'innocence...

 

 

Que pourrait nous dire – nous apprendre – la mort sinon le désir infini – le désir insensé – de vivre. Et les malheurs – et la misère – que nous épinglerons sur nos blouses blanches... Pauvres médailles en vérité. Mais les seules, sans doute, que trouveront les vivants...

 

 

Ivres de vie et d'espérance dans l'infime piétinement – le grand massacre – du monde, de l'heure, de l'instant, des visages, nous effleurons la terre, les corps, les indices et le mystère même de notre existence, les yeux plongés dans la brume et l'évidence de l'horizon...

 

 

Au cœur de l'intime, il y a le cri – et la faim – universels. Et derrière leurs voiles, l'innocence et la lumière impersonnelles. La tâche du poète est de parcourir ce chemin – et de l'offrir à travers sa parole – sa présence...

 

 

Il faut savoir être seul, nu et sensible pour vivre – goûter et savourer – le plus intense – et le plus profond – de la vie, de la terre, du monde et des visages. Et pour ouvrir un livre de poésie – l'ouvrage d'un homme – et sentir battre son cœur si vivant en soi...

 

 

Et parmi ces bruits fugaces, tant de voix inentendues...

 

 

Pour n'avoir su dire les mots – écouter – et confier les secrets... Pour n'avoir été qu'absence, je nous pardonne...

 

 

Et si nous nous retrouvions derrière le haut mur du silence pour écouter les pierres, les vagues, les visages. Et acquiescer enfin à leur fièvre – à leur folie. Et nous coucher parmi la foule – ses murmures et ses plaintes. Humble et présent à tous les désastres...

Peut-être n'y a-t-il d'autre voie pour être un homme – une figure infime dans l'immensité – parmi l'ivresse dévastatrice des mains... Pas même inquiet des silhouettes grises qui s'approchent de l'horizon – et enserrent notre cou de leurs désirs et de leur fureur...

 

 

Et si jamais les événements n'assassinent, qu'est-ce donc que cette blessure inguérissable – ce malaise sourd qui s'étend – et s'ébruite parfois à travers une porte impudique laissée entrouverte peut-être malgré nous... Et d'où vient ce sang – tout ce sang – qui coule sur notre vie, sur nos jours – et nos mains lasses de panser et de porter leur lame...

 

 

La solitude isole – et libère – cette part en nous qui rêve de liberté – et qui n'aspire qu'à rejoindre le monde en restant intacte malgré ses coups... Et elle la fait grandir jusqu'à ce que nous en soyons capables...

Mais peut-être existe-t-il d'autres chemins – et d'autres folies – par lesquels nous aimerions nous faire dépecer pour qu'arrive plus vite l'innocence...

 

 

Habillés de peau et de barrières... Et si nous nous trompions de guerre, d'adversaire, de frontière...

 

 

L'infini toujours sera plus présent – et plus vif – dans la main qui protège que dans celle qui égorge... Et la lumière plus proche des yeux qui pleurent que des lèvres qui sourient – et applaudissent – aux massacres...

 

 

Une larme dormante sous les paupières... mais qui inonderait le monde – la terre – les visages – si amers – si désespérés – non de tristesse mais d'amour et de lumière...

 

 

La vie et l'Amour – leur puissance et leurs élans – si forts en nous sortent pourtant en petits jets dérisoires – infimes – si minuscules. Comme freinés par notre étroitesse et notre obscurcissement...

 

 

Un jeu. Une tourmente. Des tempêtes dans l'eau dormante des jours. Et le cœur – et la plume – chavirés du poète qui, malgré lui, ensanglantent la lumière. Et assassinent le silence. Et qui jamais ainsi ne délogeront la furie de l'innocence – et libéreront la grande nuit de ses étoiles...

 

 

Et cet appel incessant du silence et de la lumière qui monte des plus hautes profondeurs de l'âme. Et qui se couche – se répand partout – à travers les mille choses du monde – et les mille voix des poètes – pour crier leur détention – leur besoin d'être reconnus pour pouvoir (enfin) embrasser le cœur – et la main – de l'homme...

 

 

A mille ombres pareilles – si minusculement différentes – répond le soleil singulièrement – et toujours d'une unique façon...

 

 

Ah ! Toutes ces beautés si diverses du monde ! Et tous ces élans si singuliers vers la lumière ! Quelle joie ils nous offrent ! Comme s'ils redonnaient à la terre – et à son peuple – leur intelligence – et la promesse de la grâce et du silence – de l'infini et de l'éternité – peut-être (enfin) accessibles – à portée de regard...

 

 

Le vent immuable. Les vagues de la terre. Et l'ondulation – si archaïque – des destins parmi la mort et l'éphémère...

 

 

Et dans le silence aussi, bien sûr, il y a une solitude inconnue. Merveilleuse...

 

 

Ne pas prêter l'oreille – jamais – aux mensonges. A la calomnie des jours, des bouches, du temps qui passe – et à l'incertain qui n'est qu'effroi, terreur, espoir...

Se taire – toujours – devant les cortèges. Tous les cortèges. Et voir – et écouter – là-bas, au loin, arriver amoureusement le silence qui dessine déjà sur nos lèvres sa fièvre sereine – sa lumière...

 

 

Vivre un peu. Aimer du bout des lèvres. Dormir beaucoup. Passionnément. Jusqu'à la folie. Rêver. Se couvrir de songes. S'y convertir jusqu'à y enfouir son âme. Raviver – et aller naïf – si naïf – vers – l'espoir. Maudire. Emietter les liens. Les raccommoder parfois avec au front cette si faible lumière... Et disparaître, un jour, dans les replis de la nuit... Homme – ombre – qui passe – simplement...

 

 

Le vent – la pluie – offerts aux plus humbles jours. Et la moue sur notre visage, espérant un autre ciel – plus vaste – plus lumineux peut-être... – moins triste sûrement – comme pour égayer notre âme en attente – et lui donner à espérer plus encore... Comme une pauvre rengaine. Une malheureuse litanie que la mort même ne pourra effacer. Et qui durera encore et encore jusqu'aux dernières heures de la nuit...

 

 

Pour corrompre le jour, il faut des yeux mensongers – recouverts de tous les songes – enfoncés dans les rêves – la nuit. Qui n'effaceront pourtant jamais la grande ambition de la lumière. Son règne manifeste déjà... Et son arrivée, éclatante, sous les paupières enfouies encore dans tous les recoins sombres de l'ailleurs...

 

 

La vie. Un lit de lumière où s'écoulent aussi les ombres. L’infamie. Et la terreur née d'être vivant...

 

 

Faiblesses. Fragilités devenues orifice béant... Se laisser pénétrer – traverser – chambouler jusqu'au tréfonds. Jusqu'à mettre tout sans dessus dessous. Jusqu'à écraser – évincer – les repères – les pensées. Jusqu'au grand désordre – la grande pagaille. Jusqu'à l'ivresse du grand départ. Jusqu'à l'effacement des frontières – leur explosion peut-être... Jusqu'au plus bas – et jusqu'au plus haut – de la lumière... Puis, vivre l'accueil dans la transparence la plus insensée... Devenir ce qui nous pénètre – nous traverse – jusqu'à la célébration – jusqu'au sommet de la plus haute unité... Puis, enfin, le silence... et la joie – et la lumière – qui partout s'invitent – s'infiltrent – pour nous faire vivre – goûter – ce que nous attendions – ce que nous espérions – depuis des siècles pour que demeurent, à jamais, l'éternité et l'infini – la béance lumineuse de notre visage – et le monde – et les figures – noirs, encore tremblants de terreur, qui s'y engouffrent...

 

 

[Modeste hommage à Alexandre Hollan]

Et ces traits noirs – immenses – tremblants – qui peignent la lumière. Où nos âmes sont absorbées – fascinées par le vide, l'infini, le blanc et la transparence des couleurs... Et la beauté de l'arbre – chêne centenaire – millénaire peut-être – sur le jour ouvert... Arbre et poète célébrant le ciel de leurs feuillages dansant à chaque heure du jour, unis dans la belle – et envoûtante – solitude des collines...

 

 

De fable en fable se créent les mythes. Les légendes. Bien en peine, toujours, d'éclairer – et de percer – le mystère de notre naissance. Et la vérité brûlante sur nos lèvres qui cherche leur délivrance...

 

 

Lorsque le Bien commun et le sens de l'Autre auront définitivement pris le pas sur les instincts de conservation, l'homme aura enfin réalisé un pas immense. Et franchi peut-être le seuil le plus décisif de l'histoire de la terre – et du vivant. A l'origine, sans doute, du plus prometteur avenir...

 

 

Poésie et spiritualité. Portes infimes – minuscules fenêtres – ouvertes sur l'infini par lesquelles s'infiltre la lumière. Et qui finira, un jour, bien sûr par jaillir sur notre vie...

 

 

Présent. Accueillant ce qui vient... Et laissant même le rien – lorsqu'il s'invite – régner sur nos jours... Et terroriser parfois même notre crainte de le retrouver...

 

 

Et cet Autre en nous qui ignore que nous l'avons délaissé – abandonné à l'espoir dans les jeux sanglants, la peur et les ambitions. Et qui agonisera bientôt sur les pentes de l'horizon... Et qui se cachera peut-être avant que nous le retrouvions... Qu'il nous pardonne...

 

 

Et cette quête – et ce cri éperdu – de l'âme que nous ne pouvons secourir. Et qui deviendra lasse peut-être à force d'abandon. Et qu'une main, sans doute née du ciel, hissera, le jour venu, jusqu'au soleil...

 

 

Un jour. Un silence. Une joie. Et l'éternité pourtant durera toujours dans ces fleuves de douleur... Et les malheurs et la terreur... Où l'heure et le sang s'écoulent entre les rives, invisibles, du silence... Et les barques fragiles des hommes. Et leurs visages en pleurs – en sueur – aveugles aux rivages. Inconnaissants du ciel – et de l'océan à venir où les cueilleront pourtant, un jour, la joie et le silence...

 

 

Dans le silence, une présence. Et en cette présence, le silence où nous pourrions tout vivre – tout éprouver et accueillir – jusqu'à la mort. Jusqu'aux larmes des vivants. Jusqu'à l'effroi – et au cri – des visages égarés dans le malheur. Jusqu'aux plus sombres jours de terreur. Et jusqu'à la nuit même qui nous avale...

 

 

Un mur. Une fenêtre. Et derrière la baie vitrée, les jours qui passent. Egaux ni en joie ni en soleil. Où le monde roule comme les pierres sur le lit de toutes les misères... Et dont le bruit égare les âmes – et émeut le poète...

 

 

Saupoudrée encore de nuit et d'étoiles, l'âme crie sa faim... et son goût inassouvi pour la lumière. Et le silence partout qui s'avance pour allumer les lanternes – et éclairer les petits pas sombres dans le noir interminable...

 

 

L'obstination si pugnace du silence à révéler notre visage...

 

 

Nos vies. Entre terre et ciel. Des éboulis sur la pente du silence...

 

 

Ce sont les draps de la nuit qui nous emporteront... vers les marées, les étoiles, l'horizon. Assoupis toujours. La tête enfouie dans l'oreiller, emplie de songes, qui ne côtoie la lumière qu'en rêves. Mais le cauchemar peut-être, un jour, prendra fin... Et nous nous éveillerons, émerveillés, dans la lumière – dans le jour naissant – avant peut-être la fin des temps...

 

 

La terre sombre. Le ciel gris. Immense. Opaque. Et au loin, là-bas, l'espérance du soleil qui jamais n'illuminera les jours...

 

 

Les jours quotidiens. Simples. Humbles. Austères. Magnifiques. Offrant leur joyeuse frugalité... Savourés dans le silence et la solitude.

Si proches de l'homme et pourtant si merveilleusement familiers du Divin...

Peut-être est-ce cela être sage : figure ordinaire et silencieuse parmi la foule des visages, baignée d'une joie lumineuse et invisible...

 

 

On ne s’enquiert jamais du monde... Des nouveaux horizons... Des nouveaux visages... Que des circonstances qui éprouvent notre vie – la déchirent, l'éventrent et la foudroient... Que des anciennes figures défaites, mal en point, qui s'effacent – et disparaissent... Que des nouvelles singulières – anodines – quasi anecdotiques – qui emplissent l'âme d'assurance – de réconfort – et qui enflamment la joie des portefeuilles... Des événements infimes – et minuscules – pour des vies – et des cœurs – qui ne le sont pas moins... Des existences obscures faites de petits pas dans la poussière...

 

 

Vent, feu, flamme et poussière. Seul décor de la terre... Et lueur amorphe – jamais éteinte pourtant – dans la lumière infranchissable. Visage de l'homme cherchant sa délivrance à tâtons...

 

 

Sur la terre, le soleil déjà... Et les songes, les visages, les papillons. Et le ciel noir – et bas – qui obstinément s'obscurcit... Et la lumière immobile, passagère pourtant, qui se dessine par intermittence...

 

 

On aura beau crier tout le jour, jamais la nuit ne s'effacera. On aura beau percer le mystère, les étoiles lui resteront fidèles... On aura beau éreinter le courage, l'innocence brillera toujours au fond de notre âme tapie dans le noir.

 

 

A l'orée des heures – et à leur lumière aussi peut-être – le silence attend notre pas. La fin des songes. Le cœur et les bras ouverts à la pluie, au soleil, aux saisons qui passent. Et à l'éternel défilé des visages...

 

 

L'univers immense – infini peut-être – n'est pourtant qu'un point infime dans l'esprit. L'esprit contient l'univers qui contient l'homme qui peut s'ouvrir à l'infini qui l'entoure – et qu'il contient... L'infini créant ainsi l'infime pour se retrouver infiniment démultiplié au dedans de lui-même...

 

 

Les arbres. Le vent. Et les songes qui n'en finissent jamais de tournoyer. Et les visages, pris dans la danse, s'élevant dans la tourmente, décollés de l'horizon avant même qu'il ne soit atteint... soulevés comme de la poussière. Et la lune – et le soleil –, au loin, attentifs – impassibles pourtant – qui lancent leurs rais pour déchirer – et déchiffrer – leurs ombres. Comme les plus sûrs garants de la lumière – de cette lumière si incomprise...

 

 

Le silence. Toujours plus majestueux – et intrépide – que la parole... Toujours plus profond que le langage... Toujours plus rieur et savoureux que nos vains murmures... Indéfinissable – et mystérieux – et pourtant si indispensable au monde et au poète...

 

 

Ah ! Ces amis de papier – poètes des jours et de la mort – poètes des grandes batailles et des horizons quotidiens – dont je m'entoure – et me nourris... Et qui allument en moi – ravivent peut-être – non l'espérance mais le souffle même – ardent – de la vie – et la fréquentation du silence – et les accointances avec la lumière et l'infini – le cœur vivant – si vibrant – de l'homme...

 

 

Couvert de salive et d'horizons, voilà l'homme qui avance à contre-pas vers la lumière... Vouant un culte au désastre avant même sa première danse. Et voilà qu'il marche à présent à tâtons dans l'obscur, à la chandelle de ses ambitions, sur la crête insensée des peurs où le monde l'a plongé... Et qu'adviendra-t-il à la prochaine foulée ? Ténèbres, ciel gris ou soleil ?

 

 

Peut-être espérons-nous davantage de l'amour – de ses baisers volages, volés sans doute à l'éternité : une présence – un visage – inaltérables. Insoumis aux rondes de l'éphémère. Eternels peut-être... qui nous ôteraient les larmes et le poignard – l'espoir et la désespérance – parmi toutes ces têtes si aveuglément amoureuses...

 

 

On voudrait donner au monde, un sourire. Une joie peut-être. Une raison d'espérer le meilleur. La possibilité de la lumière... Et lui, trop aveugle – aveuglé sûrement – ne devine – ne voit peut-être – que les larmes sur les visages – et notre visage. Et cette noirceur au fond des yeux qui n'invite qu'à la désespérance – aux cris – aux gémissements – et à la volonté malhabile d'y échapper... Reléguant l'offrande à l'oubli. Et à des jours moins sombres peut-être...

 

 

C'est insulter la soif que d'oublier – de refuser – d'abreuver les lèvres... De ne pas offrir à la bouche ce qu'elle réclame... Et que demande-t-elle sinon la joie et le silence. La vérité neuve – intacte – lézardée jusqu'à présent au fond des gorges. Et la lumière enfin qui sommeille dans les yeux – et au fond de l'âme assoupie sur les pierres du temps...

 

 

L'exil toujours se profile pour celui qui ne sait s'habiter... La lumière est – et sera toujours – un pays sans frontière et sans chemin. Ouvert à celui qui marche – et qui va, d'un pas difficile – douloureux parfois – de l'exil jusqu'à son centre. Pour qu'à la fin du jour s'éteignent (enfin) la nuit, les songes, les horizons, le marcheur et l'émiettement du territoire. Ainsi se découvre la vérité – notre nature infiniment unitaire...

 

 

Et parmi les oiseaux, là-bas, et les fronts posés contre la neige, derrière les ailes et les yeux hagards, se dessine déjà le nouveau monde avec ses arbres gonflés de lumière, ses charrues – sans mule et sans bœuf – qui fleuriront la terre et ces visages – tous ces visages – cernés de silence et de beauté... 

 

14 décembre 2017

Carnet n°107 La lumière encore – encore un peu de lumière

Journal poétique / 2017 / L'intégration à la présence

Entre le sang et la neige, nos ombres maladives. Et notre âme apeurée... Et entre les tenailles grises des jours, la lumière éclatante. Magistrale...

Un cœur quelque part nous attend, immense et lumineux. Et viendra le jour où nous troquerons nos peurs et notre recroquevillement contre ce feu – cet Amour infini – qui brûle, sans impatience, depuis si longtemps...

L'homme-soleil. L'homme-lumière. Et sa peau écarlate – brûlante – dans le froid des plaines – et parmi la haine des hommes. Et cette fleur en nous qui s'assèche malgré les larmes – et la rosée fraîche – toujours fraîche – des heures...

 

 

Des rires d'enfants dans le jour. Aussi pâles et légers que les larmes sur nos joues. Une gaieté – une tristesse – éphémères dans la lumière. Et le monde poursuivant ses élans – et les vents hurlants dans le souffle de l'infini...

 

 

Monde d'absents – et d'absence – auquel offrir une présence. Et redonner aux yeux, une lueur – le goût de la vérité... Une clarté – née de la lumière, si vive, du regard. Une écoute attentive. Et une caresse parfois sur l'âme peureuse et endormie...

 

 

Le dimanche, jour des retrouvailles, des fêtes impromptues et des rencontres sur des nappes tachées de vin – et parcourues de rires. Où l'insouciance et la gaieté rivalisent pour dissiper la misère – et la solitude – des hommes.

Et les solitaires, vigies d'une présence incarnée dans ce monde d'ombres et de fantômes, hilares peut-être – joyeux sans doute – mais voués, derrière les apparences, aux plus grandes tristesses, oubliant – et piétinant – le cri et la faim de l'âme...

 

 

Et si la nuit avait été enfantée par le jour pour que nous puissions regarder les étoiles – et faire grandir (en nous) l'espérance – et la possibilité – de la lumière...

 

 

Un jour. Une nuit. Et si c'était la même lumière qui les éclairait... La même promesse et la même espérance d'apercevoir la clarté parmi les ombres qui nous hantent...

 

 

La couleur de l'âme si sombre. Et, pourtant, déjà si pleine de lumière...

 

 

Aux heures du jour plus blêmes que la neige, nous pourrions nous endormir, le cœur assoupi parmi les âmes ensommeillées au bras des plus belles nuits où les cauchemars auraient des allures de rêves...

 

 

Est-ce que les âmes, aussi, rêvent de lumière... N'avez-vous jamais surpris leur cri dans notre silence... Et leurs mains jointes, en prière, derrière les barreaux de notre absence... Et nos cœurs qui, pour elles, ont dessiné l'espoir – et la promesse lointaine – d'un envol possible – et sur lesquels coulent leurs larmes inconsolables...

 

 

Et si le silence avait des ailes sous lesquelles nous nous tenions, accroupis, pas même sensibles aux vents plaintifs du ciel...

 

 

Et si nous étions, en définitive, plus attachés à l'ombre, au destin, au hasard qu'à l'espoir et au soleil... Et si nous étions, en définitive, plus sensibles au noir, à l'obscur de la terre qu'au bleu et à la blancheur transparente du ciel...

 

 

La couleur dominante de l'âme – plus forte que les larmes – et plus forte que les rires. Et qui s'imposera à travers les circonstances pour nous forger un destin...

 

 

Et cette fêlure en soi que les années auront transformée en faille – et qui, à présent, s'emplit de lumière...

 

 

Un cœur quelque part nous attend, immense et lumineux. Et viendra le jour où nous troquerons nos peurs et notre recroquevillement contre ce feu – cet Amour infini – qui brûle, sans impatience, depuis si longtemps...

 

 

Entre le sang et la neige, nos ombres maladives. Et notre âme apeurée... Et entre les tenailles grises des jours, la lumière éclatante. Magistrale...

 

 

Pour voir l'infini se révéler dans notre vie – et nos infimes grains de poussière, il faut attendre la lumière – et qu'elle efface les soleils anciens qui les recouvraient – et leur donnaient cet air si sombre – si minuscule...

 

 

Une ombre tapie au fond de la chair. Et si c'était l'invitation du soleil à la lumière... L'appel du long – et grand – chemin que devra emprunter l'âme pour retrouver le jour...

 

 

La cloche sombre de la nuit. Epouvantable... Et si le noir et l'obscur, aussi, s'offraient à notre émerveillement...

 

 

On ne désespère jamais assez de soi, du monde et des hommes pour que se dessinent – et puissent éclater – un jour l'innocence et la lumière dans nos esprits ombrageux...

 

 

Se débarrasser des ombres. Les laisser s'effacer et disparaître pour que ne subsiste que l'essentiel : le regard-présence – l'être nu ouvert au monde et à l'infini...

 

 

Le trou, la faille, la béance – cette absence laissée par la présence d'autrefois, aujourd'hui disparue, qui creuse l'âme, au fond des entrailles, pour se redécouvrir – et se retrouver. Et aller sereine – et à petits pas tranquilles – dans la folle fureur des jours et les rumeurs, si inoffensives, du monde...

 

 

L'homme, la vie, le monde. Un (même) front ravagé par les désastres – et encerclé par la lumière...

 

 

L'homme-soleil. L'homme-lumière. Et sa peau écarlate – brûlante – dans le froid des plaines – et parmi la haine des hommes. Et cette fleur en nous qui s'assèche malgré les larmes – et la rosée fraîche – toujours fraîche – des heures...

 

 

Après le temps des frissons, la grande peur s'est installée. Lovée entre l'espoir et les jouissances d'autrefois. Invincible peut-être... Indéracinable sans doute... à moins que l'innocence la bouscule – et l'enlace de ses bras tendres – effaçant jusqu'à son origine...

 

 

Parmi le brouillard, l'aube promise qui, elle aussi, peut-être s'envolera... Et avec elle, la promesse d'un ici plus réconfortant...

 

 

Nos doigts – et nos cœurs – piqués de rouge ne sortiront indemnes des luttes – des batailles. Leurs cris – leur appel – persisteront longtemps après la défaite. Et une âme libre – une âme simple – les entendra peut-être un jour – les prendra sous son aile – et les accompagnera parmi la poussière et les étoiles jusqu'aux chemins de l'innocence où les couleurs – toutes les couleurs – du monde brilleront – et se mélangeront – dans la lumière...

 

 

Le silence du ciel éclairé de soleil et parsemé d'étoiles. Et sur la terre, toujours, le bavardage des hommes – qui se querellent à propos du sexe des anges...

 

 

La victoire de la lumière, à portée de regard. Et pourtant, partout le sombre cri des ombres qui envahissent les territoires...

 

 

Que pourraient donc faire le poète et l'homme sage ? Déshonorer les mensonges et l'indolence des élites ? Décapiter les ombres ? Ecouter les cris jetés depuis la fausse commune ? Mais pourraient-ils seulement se boucher les oreilles... Chanter les louanges d'un autre monde – d'un rivage plus vivable où nous pourrions vivre (ensemble) – et se serrer les uns contre les autres sans étouffer ? Attendre et patienter avec innocence dans le silence la fin des renégats ? Oui, peut-être...

 

 

Saurons-nous aller plus loin que nos ombres... Franchir ce seuil où les souvenirs s'effacent... Passer la porte où les lieux et les noms perdent leur importance... Habiter cet espace – ce petit coin de ciel que les anges nous ont réservé – où l'identité n'est que question de lumière... où les âmes s'unissent aux vents, aux herbes et aux nuages – au feu, à la glace et au sang – et à tous les visages – sans jamais les blâmer... où les rires et les larmes dansent dans les mêmes bras réconciliés... où les cris et les ombres ont perdu leur attrait... Et où Dieu, les bêtes et les hommes peuvent (enfin) se reposer après leur long voyage...

 

 

La grandeur impartiale du monde se dresse devant soi. Avec ses mille têtes tendancieuses qui protègent leur territoire... A qui pourrions-nous donc adresser nos prières pour voir les murs s'effondrer...

 

 

Les poètes disent la vie qui s'effile. Le défilé triste des jours. Leur amour perdu. Leur espoir de le retrouver. Leur inquiétude de l'existence. Leur quête parfois... La vie intime des doigts et des souliers dans les rues des villes – et sur les chemins boueux des campagnes éclairés par un pâle soleil. Les merveilles des jours simples. Le bonheur de lire. Celui, plus complexe, d'écrire... Le goût de l'herbe et celui des bêtes. L'absurdité du monde. Et la folie des hommes. Ils disent tout cela – et bien d'autres choses encore – puis, ils s'en vont, aussi anonymes et sensibles que leurs pages qui resteront peut-être encore un peu parmi nous...

 

 

Un poème né des ombres de la terre que le soleil et le vent effeuilleront comme la pâquerette...

 

 

Il n'y a peut-être aucun feu sous les étoiles pour les allumer – et les maintenir vivantes... Mais une lueur née du fond de la nuit qui côtoyait autrefois le premier soleil... Et c'est cette étincelle originelle que les hommes à la fois saccagent et recherchent de leurs pas usés – la main levée, implorante, devant les étoiles...

 

 

Dans la chaleur grise des corps – et la sueur qui perle sur la peau, rien de nouveau... Un peu d'écume autour du soleil. Et le front des bêtes baissé sur le sol... Un monde de chair, oublieux des premières lumières, voué (tout entier) au labeur et aux kermesses...

 

 

Une voix plaintive – implorante – presque imperceptible parmi les cris. Et l'homme qui se redresse, soulève sa main, lourde de sang, pour désigner la première étoile – mensongère, bien sûr – et qui s'affaisse bientôt pour nettoyer les larmes de ses joues. Seule promesse peut-être de lumière...

 

 

Il n'y aura d'autres adieux. Les morts s'en sont déjà allés – et ressusciteront, sans doute, en d'autres terres. Et nos mains – et nos lèvres – ne les toucheront plus... Un seul espoir peut-être demeure avant la fin du jour : se souvenir de leur amour...

 

 

L'homme, traversé par le malheur et l'interrogation qu'il néglige (pourtant) comme un ouvrier insoucieux de ses outils... A quoi donc ses mains – et son cœur – sont-ils occupés pour les ignorer – et refuser de voir la belle œuvre qu'il pourrait façonner...

 

 

Et parmi les jours peut-être, un seul jet de lumière. Mais si puissant – si décisif – qu'il éclairerait toutes les ombres passées – et celles qui se montreront demain, ignorant encore que la clarté les fera fuir – ou les réduira en cendres – en poussières étincelantes...

 

 

On vit, on rit, on pleure sans même savoir que nous portons cette fêlure (inguérissable peut-être...) – Et qu'elle est notre plus grand trésor bien avant que n'arrive la lumière...

 

 

Parmi les rochers et les silhouettes de la nuit se lève le jour. Et se dresse l'herbe drue des montagnes. Et s'envole l'oiseau. Et, au loin, là-bas, les hommes qui sommeillent encore...

 

 

Et la peau encore pleine de soleil glisse parmi les ombres de la nuit. Et se joue de toute froideur. Insensible au regard des hommes – si glacé. Dessinant aux contours de sa joie une si vive clarté qu'elle illumine jusqu'à la danse triste des âmes qui la frôlent...

 

 

La lumière encore qui partout s'infiltre – et se repaît de sa joie d'aller libre parmi les humeurs sombres et les âmes grises...

Et cette roche fragile – si fragile entre nos doigts – dont nous aimons tant emplir – et combler – notre vie et nous entourer – et qui se transformera, bien sûr, un jour en sable...

 

 

La vie, le monde et les hommes. Des vagues et du sable. Des songes. Des tempêtes et des eaux calmes. Bleus, rouges, jaunes, noirs comme pour conjurer le mythe – peut-être mensonger – de l'origine incertaine... Et cette faim insatiable de lumière pour offrir aux ombres cette joie si particulière...

 

 

Seule l'âme profonde reçoit – peut recevoir – avec sensibilité. Et accueille – peut accueillir – le monde sans sélectionner ses élans. Les autres dansent, picorent ou s’apitoient sur la crête des circonstances noires, grises et blanches... gaies parfois mais malheureuses, au fond, de ne pouvoir déchirer le voile de l'apparence, percer le mystère des couleurs et déchiffrer – et parcourir – l'échelle des profondeurs...

 

 

Et si le jour n'avait que la nuit pour se reposer des couleurs... et pouvoir déposer, pour quelques instants, ses malheurs...

 

 

Du plus charnel des magmas, nous ne tirerons rien. Ni l'exil, ni la descente vers l'abîme, ni la fréquentation des sommets... Un surplus de joie peut-être – et une incision dans la vérité – lorsque dans la chair, ouverte, vibrera l'appel de la lumière...

 

 

Un temps libre pour l'être – et la joie. Un temps hors du temps pour que Dieu nous ouvre les bras. Un instant égaré parmi les heures où nos foulées nous éloignent – et écartent l'éternité. Un instant volé à la folie et à la fureur pour laisser entre nos dents – et au fond de notre âme – un éclat. Et dans notre main son parfum – et la possibilité de la lumière...

 

 

Sentez-vous cette absence en nous, implorante, qui crie – qui ne cesse de crier – son besoin (infini) de présence et de lumière...

 

 

L'instant toujours offrira davantage que ce que la vie et la mort nous prennent... La lumière et l'éternité n'était-ce donc pas cela que nous espérions...

 

 

Et si seul notre silence savait nous rendre victorieux... Et si seule la lumière sur nos apparentes défaites savait nous rendre humbles et sensés. Et sensibles au chaos du monde et à la misère des combattants...

 

 

Un pas après l'autre vers la mort. Un battement d'aile après l'autre vers la vie. Instant après instant dans la lumière. L'immuable et la course infinie vers l'éternel...

 

 

Ô poète ! Infatigable apôtre de la parole. Et chantre éternel du silence...

 

 

Un esprit – et un mode de vie – disruptifs. Et une existence (entière) vouée à la protention. L'homme n'est décidément pas un animal comme les autres, porteur à la fois de tous les dangers et de toutes les promesses... Comment le monde pourrait-il l'ignorer...

 

 

Ah ! La longue et funeste liste des songes dont jamais le cœur ne viendra à bout...

 

 

Nous ne sommes qu'un souffle parmi la foule – les visages et les lèvres tristes. Et nous aurions pourtant tant à dire – et tant à offrir aux âmes grises : un peu de joie, une promesse de réconciliation et la possibilité de la lumière...

 

 

Du sang et de la fureur. Et des âmes suppliantes protégeant leur visage en lançant leurs poings à la ronde. Et l'appel déchirant de Dieu posté en leurs rivages lointains que les hommes continuent d'ignorer...

 

 

Je n'aurai jamais tant dit – et même chanté – la misère de l'homme, la noirceur du monde, les instincts de la terre... Et le merveilleux, déjà présent, qui pourrait surgir de cette fange – de ce néant rose recouvert de cris, de grimaces et de mains suppliantes... Et la lumière, partout, qui s'éreinte à percer les âmes...

Et nous aurait-on dit qu'un autre âge serait possible – et que les visages toujours s'agiteraient dans l'éphémère – et que le monde (entier) serrerait sa détresse comme un enfant béni par l'orage – et la foudre des prunelles – et que la convoitise serait la fille de l'ignorance... Et nous aurait-on dit mille choses supplémentaires... aurait-on eu le courage d'être plus vivant... aurait-on vécu avec une rage moins stérile... et aurait-on pu s'approcher avec plus d'innocence de la lumière...

Nos (propres) découvertes toujours seront les plus nécessaires compagnons de nos pas – de notre longue marche vers nous-mêmes – pour rejoindre, incrédules, la lumière que nous sommes...

 

 

Un soir, il posa sa joue contre la vitre, au plus près de la grandeur naturelle de l'été. Et son visage, offert avec tant d'innocence, s'illumina. Reflet encore timide de cette lumière qu'il avait cherchée pendant des siècles sous les étoiles muettes d'un ciel hermétique – impénétrable – mais attentif toujours à sa foulée – et à ses élans maladroits – soutenant toujours sa silhouette dans les vents hilares de la terre – pressant ses pas d'arriver, à contre courant des foules et des visages, au plus proche de son seuil et lui ouvrant l'accès à ses horizons cachés, comme pliés entre la vitre et son regard. Alors il vit l'ineffable. Et le ciel l'invita à y demeurer. Ses jours devinrent légers – aussi frêles et pâles que ses nuits. Mais rassuré par l'ogre pacifique – et sa voix transparente – qui autorisèrent sa main, son cœur et ses pages à se laisser éclabousser par leurs paroles – et leur silence – et à devenir parmi les hommes, les ombres et les bêtes, le doigt pointé vers le soleil...

 

 

D'un baiser à l'autre, d'un sol rugueux à l'autre, l'âme en exil se faufile entre les ombres noires... Crie, appelle en vain. Se rétracte. Se recroqueville. Et là, au cœur des eaux sombres, à l'instant fatidique du repli embryonnaire – régressif entre tous (quasi originel) – survient par dessus les larmes de honte, d'espoir et de crainte, l'inespéré sans peur ni vergogne... Et avec lui la joie douce et le tendre Amour. Et la lumière irrétractable...

 

 

Un monde – une solitude – à franchir en laissant l'âme chahutée – malmenée – chavirée mille fois dans les eaux dormantes du soir pour s'approcher à pas lents, presque par mégarde, du rivage lointain – incertain – à portée d'ailes pourtant dès la naissance des flots, des rivières et des âmes – accessible à tout instant de la traversée...

 

 

Loin des parures et des lumières, le plus simple toujours resplendit, anonyme et solitaire...

 

 

A présent que la lumière resplendit – et s'étend dans tous les recoins de l'âme – et jusque dans nos plus sombres jours –, les songes peut-être nous serviront de couverture. Comme un voile léger pour recouvrir l'étincelance de nos étoiles encore si vivantes – criant parfois leur désarroi devant la paresse de nos mains à les soulever – et la mollesse de nos bras à les porter plus haut dans le ciel...

 

 

Entre cris de guerre et chants d'amour, l'homme – et l'âme – partagés. Eternellement partagés. Et qu'importe nos dévotions et nos lamentations – et la proximité du ciel et des orages – la lumière toujours fera pencher notre main – et notre voix – du côté de la beauté et de la nécessité... et qu'importe ce que nous ferons – et ce que nous dirons – pourvu que la grâce habite nos lèvres et notre geste...

 

 

Entre monstres rebelles et ogres assoupis, le désir et la promesse toujours se faufilent. Et au bout de leurs chaînes pourtant chante l'oiseau – et la lumière attend la sagesse de nos derniers pas...

 

 

Malgré la pâleur des étoiles, l'homme espère encore. Jamais rassasié des horizons illusoires...

 

 

Souillés de désirs et d'interdits, comment pourrions-nous apercevoir – et nous ouvrir à – l'innocence... Il faut avoir sali tous les chemins de ses affronts, avoir bousculé tous les visages (et à commencer par le sien...), dépouillé le pur de ses dorures et de ses images, nous être vautrés dans la boue et les immondices – la plus vile fange de la terre – et en être revenus pour nous asseoir, nus, au bord de l'abandon... L'innocence alors nous cueillera comme la main (sage) cueille la fraise rouge, mûre à point pour se laisser croquer – et disparaître dans le gouffre d'une bouche sauvage – mais nécessaire – éminemment salvatrice – et se laisser dévorer par les sucs gastriques d'un estomac qui ne l'est pas moins... Et de cet engloutissement – de cette dévoration – et de cette disparition – naîtront le goût de l'innocence et le retour vers l'infini et la lumière... Ou leur initiation peut-être...

 

 

Il en est des cœurs comme des hommes. La plupart aiment décorer leurs contours d'une encre belle et effaçable... D'autres, moins nombreux, sont prêts à tatouer leur peau de symboles indélébiles... Mais rares, bien rares, sont ceux qui exigent d'être marqués au fer rouge des circonstances afin de vivre au plus près de leur exigence – de leur ambition – mûrs sans aucun doute, un peu fous peut-être..., pour quitter les songes, les parures et les décorums et s'initier à la vérité brute des chemins... Et à ceux-là seuls, la vie, la joie et l'Absolu, un jour, ouvriront les bras...

 

 

Es-tu prêt à t'écorcher – à te dépecer de tes songes – pour te présenter nu, le cœur à vif et tremblant et passer le front humble et bassous la grande arche des élus – pour que l'innocence te désigne comme l'un de ses serviteurs... Oui ? Alors tu es mûr pour l'âpre voyage – et la découverte du Divin... La grande et belle vie modeste des sages et des saints anonymes... Mais ne te méprends pas cependant... Le chemin sera long et éprouvant – obscur et solitaire... Mais pour peu que ton souffle soit puissant, que les épreuves ne t'effraient pas et que tu ne manques point de courage, un jour, tu verras arriver – et se dessiner – la lumière...

 

 

Un joyau – une parole simple – dans l'emphase. Voilà ce que j'attends du poète... Un silence dans l'abondance – et l'enthousiasme – de ses cris... Un suspens dans ses pauvres consignes et ses inutiles injonctions...

 

 

Qu'as-tu donc fait du vivant des naufragés ? Et que feras-tu à leur mort ? A quoi donc ta révolte – et ta haine des tempêtes, des navires et des marins – auront-elles servi ? N'aurait-il pas été plus sage de t'allonger nu – et serein – sur la grève – et de contempler les barges, au loin, s'éloigner des rivages et disparaître à l'horizon... Ne finirons-nous pas tous, un jour, par sombrer dans l'abîme qui jouxte l'infini...

 

 

Et si nous n'avions que nos ailes et nos mains, aidées par un cœur vaillant, pour ignorer les couleurs du monde, fendre son épaisseur et l'inviter à la transparence... Alors peut-être, à force de patience et d'obstination, la lumière finira par le transpercer de part en part... Et ses créatures par resplendir comme jamais sur les chemins de la terre...

Mais le plus souvent, devant l'ampleur de la tâche, nous préférons attendre, recroquevillés sur la plage déserte, la sagesse d'un ciel moins noir...

 

 

Le funèbre du temps – et ses joies minuscules – éclairés, à jamais, par la lumière...

 

 

Un coin d'herbe. Un bout de ciel. Les sautillements – et les soubresauts – du monde jouant à cache-cache – à chat perché peut-être – avec les remous sombres des vagues terrestres. Et Dieu – ce grand inconnu des jours – ne désespérant jamais de revoir les âmes s'impatienter de son absence...

 

 

Et si ce monde – cette grande joute étoilée – qui vénère tant le poing levé – et l'amassement du sable dans les travées, n'aspirait, en réalité, qu'au grand repos de l'âme – et à la main ouverte...

 

 

Et si les mots n'apparaissaient que par petits bouts colorés dans le grand noir du monde, lancés – jetés peut-être – par l'ambition du silence et la main si vive de la lumière... Et s'ils ricochaient sur les cœurs comme les vagues sur les falaises... et finissaient leur course sur le sable blanc de la page désertée par les estivants – abandonnés là comme des rebuts – les ordures peut-être de l'infini – que nul jamais n'a pris soin de ramasser...

 

 

Un pas. Un visage. Une parole. Un silence. Quelques pas. Quelques visages. Quelques paroles. Et quelques silences. Et si c'était là les seules choses – infimes – que nous aurions vues – vécues – et découvertes peut-être – durant notre séjour. Au cours de notre brève traversée...

Un chemin. Des fenêtres et des portes par milliers. Restées closes peut-être. Recouvertes d'ombres et d'horizons – qui nous auraient obturé la vue. Et voilé la lumière qui nous attendait – et que notre âme s'impatientait de retrouver...

 

 

Ah ! Comme il est étrange que les songes – tous les songes – aient ainsi façonné la terre. L'aient dilatée. Et lui aient offert une sente si étroite pour l'éclairer – et lui permettre d'accéder à la lumière... Comme si le cœur, les yeux et les mains s'étaient emparés du plus vil versant – et s'y accrochaient désespérément, suspendus à une corde se balançant dans le vide, éloignant l'espoir de toute ascension et renvoyant les sommets – le rêve de la lumière – au plus sombre de l'espérance. Et jusqu'à l'impossibilité même de se révéler...

 

 

Un jour. Un pas. Une parole. Une joie. Et un soleil sauvage pour éclairer leur destin...

 

 

Ecrire, souvent, pour célébrer la joie. Et honorer la vie – et l'être joyeux. Pour leur offrir – leur redonner – le privilège de battre à nouveau au côté du monde. Ecrire, parfois, pour raviver les jours. Accompagner la marche triste des heures. Et leur restituer cette lumière que notre cœur sombre éloigne...

 

 

Et si nous étions, en réalité, les seuls détenteurs de la lumière et de la parole... Et les seuls responsables de la noirceur de la terre – et du mutisme – et de la cécité – de son peuple, aveugle au jour et au soleil – voué à la frénésie et à l'obscurité depuis ses origines... Et qu'il nous appartenait de lui offrir le silence. Et, à travers lui, la guérison et la clarté de l'âme...

 

 

Aux sombres indices des heures ne répond que la clarté du jour. Et le soleil chantant sur les toits et les collines harassés de lumière...

 

 

Et si les matins cachaient une autre rive, plus proche du soleil...

 

 

L'homme perdu peut-être – égaré sans doute dans le dédale des songes et de la mémoire. Le grand labyrinthe des images, des titres et des ambitions. Voué, malgré lui, au culte du rêve, des morts et du mensonge. Occupé (tout entier) à sa faim et à ses cris. Oublieux – si oublieux – de son premier désir et de sa soif, si ardente, de lumière...

 

 

Les fenêtres du temps. Vitre claire et volets grands ouverts où perce l'éternité à chaque instant...

 

 

Des lèvres. Un sourire. Un visage. Un oiseau qui s'envole. Et un arbre dressé dans la lumière. Et rien de plus. La joie n'a nul besoin de circonstance pour rayonner...

 

 

[Hommage mimétique à Pascal Commère]

Piéton métaphysique à la mélancolie rieuse traînant son sillage dans le crépuscule.

Comme un chat lové contre la vitre et le soleil. Comme une ombre passagère sur le front plissé d'un visage. Comme un chien qui attend, fidèle, la main de son maître. Comme une herbe caressée par le vent au bord d'une route. Comme un enfant aux mille caprices. Comme un rocher recouvert de neige. Comme une âme en quête de plus loin. Comme un cri qui jouxte le silence..., l'homme, un jour, reniera son sort, succombera aux déchirements et s'effacera dans la main – pas même suppliante – du destin. Ainsi ira le monde – et plongerons-nous, les traits ivres et hagards, dans le dessin infini de la lumière...

 

 

Et tous ces enfants de la lumière, inondés de larmes et de peurs, attendant la débâcle de l'ombre, les yeux rivés sur l'éphémère...

 

 

Une fleur. Un élan vers le ciel. Une larme. Une rivière. Et l'âme, impatiente, déjà tournée vers le silence...

 

 

Et parmi tous les chants silencieux de la terre, la lumière s'élance comme un cri – se jette sur les âmes comme une pierre lancée dans une marre oubliée – et encore ravagée d'écume... Et les pend aux crochets du ciel comme d'étranges cerfs-volants – chahutés – malmenés par l'incroyable furie des vents...

 

 

Une extase. Un oubli. Et voilà soudain l'innocence reléguée à un vulgaire promontoire surplombant l'océan de chairs piquées de blâmes et de peines, inconsolables... Voué aux vaines expositions comme un roc inutile où le regard, balayé par la fureur des vagues, ne peut trouver assise – où rien ne peut être bâti – et où les larmes coulent sans espérance malgré la lumière, au loin, qui s'avance...

 

 

Et si la lumière œuvrait malgré la nuit et la cécité des âmes... Et si nous nous en emplissions de quelques gouttes à chaque vie malgré nos refus et nos résistances... Mais combien nous faudrait-il de siècles – de millénaires peut-être – pour voir la coupe – et nos cœurs – déborder ?

 

 

Quelque chose gît là, abandonné... Et qu'il suffirait pourtant de recueillir pour voir la lumière arriver...

 

 

Au dedans. Au bord. Au fond. Partout sur – et dessous – la surface. Devant et derrière l'abîme où nous croyons avoir été abandonnés – et jusqu'à travers les miasmes de l'espérance – la lumière nous attend. Et il arrive même que nos visages parviennent à la refléter...

 

 

Et si sous la surface du monde vivaient les profondeurs – et mille autres mondes – et l'âme enjouée de cette reconnaissance – et tout un peuple que nous ne connaîtrions qu'à travers les mythes et les rêves... et qui seraient pourtant tellement plus vrais – tellement plus réels – que les silhouettes fantomatiques qui errent sur la terre sans autre but que leur perpétuation...

 

 

L'interminable chemin des délices, prison dont les barreaux nous sont encore inconnus – et où nous nous réveillerons pourtant, un jour, si endoloris que nos pas franchiront les grilles d'un seul souffle...

 

 

Des morts au milieu des vivants. Et des vivants au milieu des morts. Et la ronde inlassable des âmes...

 

 

Entendrions-nous les plus sages paroles – et les plus inspirants silences, la vie – le monde – la terre – resteraient inchangés... Il nous faudrait boire – et nous noyer – indéfiniment à la source des heures – à l'origine du temps – pour voir surgir la lumière et la couleur – et découvrir la grâce des premiers pas dans le silence. Et, à travers la gorge silencieuse, goûter la beauté – l'ineffable beauté – de l'instant...

 

 

Et cette voix en nous qui crie son amour – sa haine – sa fatigue – qui l'entend ? Et le goût de l'errance – et le refus des chefs et des cadres – et la faim si vive de lumière, qui y voue ses heures – et son courage ?

 

 

Et si le monde n'était qu'un rêve – qu'un chant, presque inaudible, dans le silence où nous enfoncent les dieux, les prières mensongères et la volonté des titans...

Et comment pourrions-nous voir la beauté, la grâce et l'intelligence dans l'ignoble entassement de la chair – et des choses – et à travers l'opaque épaisseur des songes – des mensonges – et les mains lestes qui s'abattent sur les visages et qui amassent l'or et le sable de la terre... Comment pourrions-nous voir la paix et le silence... Il faudrait nous percer les yeux peut-être pour que Dieu se révèle dans cette laideur...

 

 

Une fenêtre ouverte sur l'espérance – et l'homme qui se tient derrière ses barreaux... volant, en rêve, jusqu'au lieu de tous les envols – aux confins de la terre que Dieu lui a réservée – mais privé d'ailes – et bavant – et éructant – dans sa détention. Loin, très loin, encore de pouvoir faire naître l'innocence – la clé de sa geôle – et ainsi faire éclater sa délivrance...

 

 

Une étoile. Comme un songe, une promesse, un espoir de voir, un jour, briller un ciel moins noir...

 

 

Comment pourrions-nous franchir les grilles de ce mur absent... Comment pourrions-nous échapper au territoire... – et fuir notre présence... Comment pourrions-nous renier ce que nous sommes... et nous en extraire... Tout à la fois aire, espace, frontière, détention, élans et désirs d'ailleurs, barreaux, geôlier, prisonnier et liberté... Voués à jamais à l'impossible tâche de se voir – et de se reconnaître dans l'unité – et de vivre les mille liens de la solitude et de l'abandon – pour se retrouver identiques – aussi semblables et divers qu'aux premiers instants des origines – mais libres de ce que nous avons cru être et de ce qui semblait nous entraver...

 

 

Le regard est l'espace où l'âme et le monde se rencontrent. Et le lieu où ils s'unissent dans le silence si l'innocence les précède... Et de cette union naît la joie – la plus haute réjouissance de l'être...

 

 

A l'origine qu'avions-nous en tête sinon le silence et l'Amour, entravés, au fil des pas, par tant de bruits, de haine et d'ignorance qu'effaceront, peu à peu, l'innocence et la lumière...

 

 

Le monde. Un mythe ? Un songe ? Et si nous faisions de lui un lieu de lumière... éclatant d'innocence et de beauté où l'on deviendrait le miroir et les visages – l'infini miroir, la figure entière de son peuple et son reflet...  

 

14 décembre 2017

Carnet n°106 Lumière, visages et tressaillements

Journal / 2017 / L'intégration à la présence

Des mains qui amassent. Et des vies qui s'encombrent d'un surplus de monde. Et un cœur qui efface pour que le rien devienne trésor... Un regard étincelant sur le brin d'herbe et l'oiseau. Et la beauté si saisissante du monde et des visages...

Et si nous pouvions nous surprendre cherchant à tâtons, au cœur du jour, la lumière... naîtrait sans doute (aussitôt) un grand rire... Et nous regarderions notre visage défiguré par la peur s’émerveiller soudain du grand soleil déjà présent à nos côtés – illuminant le fond de l'abîme où nous avons cru être jetés...

 

 

Il faut avoir traversé la nuit pour en témoigner. Et avoir laissé le vent balayer l'épais rideau des songes qui nous cachait le jour – la lumière...

 

 

La vie pleine n'est accessible qu'au regard vide, à l'âme innocente et au cœur sensible. Le premier si lointain et si vaste et les deux autres si proches – si unis aux tremblements du monde...

 

 

Tant de questions animent l'homme (l'homme véritable). Et aucune réponse n'est capable de le satisfaire. Et de combler son désir d'infini et d'Absolu. Seule la lumière saura éclairer ses interrogations et dissiper sa soif de réponse en lui révélant l'accès à sa nature intensément lumineuse...

 

 

Et si un seul homme se levait pour nous dire la vérité, l'entendrait-on ? Je crains que nous ne restions sourds à sa parole. Plus sage peut-être serait de laisser aux fleurs le soin de nous y ouvrir...

 

 

Le monde. Une ombre – quelques ombres – sur la jetée que nous croyons plus réelles que l'espace – l'espace lumineux – qui les accueille et les éclaire...

 

 

L'eau et la sauterelle, l'herbe et la rivière, plus vives et nécessaires que la parole désenchantée du monde – bien trop affairé avec ses rêves de gloire et ses parures enfantines perlées d'une gaieté insouciante – presque mensongère – pour s'occuper de métaphysique – et répondre aux questions les plus fondamentales. Les fadaises toujours plus séduisantes que la vérité...

 

 

Un sursaut d'espérance dans la nuit. Et l'homme qui croit ainsi avancer – et se rapprocher de la lumière... Mais ses pas seront toujours sous les étoiles. Et l'horizon inaccessible... C'est au dedans que l'homme doit s'ouvrir pour que la clarté s'embrase – et rayonne sur les chemins. Le monde alors se révélera avec le jour naissant – et la nitescence toujours plus vive du cœur. Comment pourrions-nous accéder autrement à la lumière – et la fréquenter...

 

 

Le malheur ne tient qu'à l'espérance d'un ailleurs et d'un plus loind'un meilleur et d'un autrement... Et l'apaisement – et la réconciliation – toujours naissent de l'instant nu, dépouillé de tout rêve et de tout propos, qui ouvre la vie aux heures blanches où le vent s'infiltre pour balayer tous les songes.

 

 

Des mains qui amassent. Et des vies qui s'encombrent d'un surplus de monde. Et un cœur qui efface pour que le rien devienne trésor... Un regard étincelant sur le brin d'herbe et l'oiseau. Et la beauté si saisissante du monde et des visages...

 

 

Les eaux grises du monde et ses berges marécageuses. Et au cœur de l'étendue, l'îlot lumineux sur son infime tertre, à proximité des nuages. Clarté franche – et innocente – parmi la noirceur des visages et les mains fuyantes qui n'agrippent que le sable et le limon des rives mortes – si peu vivantes – où la vie s'étale exsangue – et asphyxiée. Comme une trouée d'air pur dans l'odeur de mazout et les fragrances (nauséabondes) du labeur et de l'appropriation. Comme une aire de liberté parmi les bras prisonniers des saisies et de l'espérance...

 

 

L'immense puzzle mouvant de l'Existant. Le cœur si penché – si proche – comme immergé au dedans. Et l’œil si libre de la trame...

 

 

La présence ouvre à la rencontre. Temps – instants – de présence où tout devient rencontre... Où tout est vu, éclairé et accueilli – le moindre frémissement – le moindre tressaillement de l'âme et du monde. Joie et beauté indicibles de l'accueil et de la réunification...

 

 

Pourquoi s'élancer sur les routes alors que veille au dedans le seul trésor...

 

 

Et si nos blessures aussi n'étaient que des songes... Crispations glacées devant l'incertain...

 

 

Jamais les peurs ne pourront nous conduire jusqu'à l'aire des confiances où règnent la quiétude et le cœur serein...

 

 

L'innocence est le lieu de tous les désirs. La clé et le passage vers l'autre rive où patientent la lumière, l'infini et l'éternité. Et le véhicule pour nous y mener...

 

 

Et si tous les visages en lambeaux – défigurés et privés de lumière – étaient les nôtres. Et si nous les aidions à traverser les eaux noires du monde – et à accéder à l'autre rive, serions-nous enfin tous reconnus comme les enfants de la lumière...

 

 

Et si nous trempions nos mains et nos lèvres dans la candeur et l'innocence, notre geste et notre parole seraient-ils enfin justes et beaux – à l'égal des ambitions de Dieu pour le peuple infime de la terre...

 

 

Rien ne résiste à l'effacement. Ni les peurs, ni les désirs. Ni, bien sûr, les songes et les ambitions. Après l’effacement, rien ne demeure. Ne subsiste que le regard innocent...

 

 

L'être infini. Et nos visages dérisoires sur leur infime parcelle de terre. Dieu, selon notre posture, doit parfois en rire – et d'autres fois, en pleurer. Mais comment pourrait-il ne pas toujours s'en émerveiller ? Je devine – et vois parfois – derrière ses lèvres hilares ou ses (chaudes) larmes, l'éternel sourire de ses yeux tendres...

 

 

Comment pourrions-nous craindre Dieu et la vie en voyant le miracle de leur Amour derrière – et en dépit de – la noirceur de nos gestes infirmes ? Comment pourrions-nous rester aveugles à tant de merveilles ? Et à ceux qui ne savent voir, apprenons leur à mieux regarder...

 

 

Seule la lumière fera fondre nos banquises imparfaites. Et les réduira en résidus naturels. Et seule l'innocence saura les initier à leur sort – et à leur voyage – pour les mener à bon port...

 

 

Qu'importe notre visage et notre âme – et leur nature solaire ou ombrageuse... – pourvu que l'on acquiesce à leurs élans spontanés, ils trouveront leur place – et joueront leur rôle – en ce monde. Et découvriront, au fil de leur mission, la promesse d'un autre ciel – cette lumière si inespérée...

 

 

Ressentir tous les frémissements du monde et tous les tressaillements de l'âme – jusqu'aux plus infimes, serait-ce donc cela avoir un cœur ? Et s'ouvrir à ce regard – à cette présence en nous – qui les exacerbe – et être capable de les fréquenter – serait-ce donc là l'unique voie pour nous rapprocher de notre lumière...

 

 

Les malheurs, souvent, aggravent la cécité. Pour mille malheureux aux yeux borgnes – toujours plus borgnes –, un seul regard clair qui aura vu, derrière les malheurs, le sourire tendre de la lumière...

 

 

Un homme, une ombre. Un tapis, une terrasse. Une fête, un lieu charmant. Et le monde que l'on plie à la hâte dans quelques cartons d'invitation et de belles brochures au parfum de réclame. Et l'âme que l'on froisse sans même se douter qu'elle existe – et qu'elle a plus de poids que l'homme, l'ombre, le tapis, la terrasse et le monde additionnés dans un geste grossier et machinal...

 

 

Et ce rouge sombre qui sèche sur l'écrin blanc de la neige... Sur cette terre de massacres et de flocons où l'âme est maudite. Où les haches et le glaive fissurent la lumière promise – et la promesse même de toute lumière...

 

 

Attendons le jour où les vents ne pourront plus porter notre carcasse – et auront asséché nos désirs, alors peut-être l'âme s'éveillera de sa nuit, éventrera le coton des oreillers maculés de sang et de rêves pour se glisser dans les plis du soleil où elle reprendra quelques forces avant de monter à l'assaut de la lumière... Il n'y a d'autre espoir pour voir la terre – et son peuple – lavés de leurs batailles et de leurs poussières...

Et nous attendrons tous, la joue posée contre le jour, la fin de notre (longue) nuit...

 

 

Et si les vents n'étaient que le souffle de Dieu chargé de nous débarrasser de nos maigres et encombrants bagages... Et si l'innocence naissait de cet abandon... Et si la joie, la grâce et la beauté s'invitaient dans la pureté de ce geste de confiance... Les hommes alors, sans doute, seraient bien surpris d'apercevoir dans leur regard, dans le monde et dans leur vie ce Dieu auquel ils n'ont jamais cru – et qu'ils ont piétiné et délaissé pour des idoles monstrueuses...

 

 

Et si la neige sur l'aurore était plus blanche que nos pas dans la nuit... Et si Dieu avait raison d'insister – et d'écraser notre joue sur la vitre sale de la fenêtre par laquelle nous regardons le monde – et espérons tant de lui... Et s'il avait raison de frapper l'âme du bâton prometteur de la tristesse pour que nos larmes coulent – et que le sang cesse d'abreuver la terre – et de tacher nos poches si indigentes – et si garnies... Et si nous avions la sagesse d'écouter sa parole – et ses consignes – et de nous abandonner à son silence – et aux volontés si naturelles de la chair, alors la nuit, peut-être, prendrait fin – et se lèverait l'aurore sur l'horizon – sur tous les horizons de cette terre saturée de songes, de neige et de sang...

 

 

Dans sa petite chambre d'écriture, le poète – le penseur – écrit comme le jardinier cultive son jardin. Quotidiennement. Et à l'abri des regards – sans que nul ne sache ce qu'il a planté ni ce qu'il fait pousser... On aperçoit parfois le poète – le penseur – sortir de son atelier avec quelques feuillets à la main comme l'on voit, de temps à autre, le jardinier sortir de son potager avec un panier ou une caisse chargé(e) de provisions. Le premier offre ses lignes, ses notes et ses livres comme le second offre ses salades et ses légumes pour la soupe du soir et, parfois (lorsque leur âme est joyeuse) quelques fleurs pour égayer le cœur d'une femme – ou éveiller à la grâce le cœur du monde. Ainsi le poète – le penseur – et le jardinier livrent, presque chaque jour, les fruits de leur patient labeur : de belles et savoureuses réjouissances pour le corps et l'esprit. Des pleines brassées de fraîcheurs, parfois un peu étranges et biscornues, que l'on ne trouve ni sur les étals des marchés ni dans les rayonnages des librairies, mais qui, assurément, sont saines et naturelles – et qui font toujours les délices de l'âme...

 

 

Toi, lecteur, qui ouvres ce livre – et en parcours les pages – sens-tu l'âme de leur auteur ? Et ses infimes tressaillements ? Aperçois-tu ton visage à travers ces lignes ? Je te le souhaite... C'est pour toi – et toi seul – qu'elles ont été écrites. Et il convient de t'en saisir pour que te soit révélé(e) ta propre lumière – et le chemin qu'il te faudra emprunter pour t'en approcher et la fréquenter afin qu'elle puisse rayonner à travers ton être*...

* Afin que ton cœur, tes lèvres, ton visage et tes mains puissent en devenir l'exact reflet...

 

 

La lumière encore. La lumière toujours. Partout. Au dedans comme au dehors. Devant et derrière. Au dessus et en dessous. Et jusque dans tous les recoins – et les replis – de l'ombre...

 

 

De petit mot en petit mot. De petite note en petite note. Ainsi s'écrivent nos livres. Et se dessine humblement notre œuvre...

 

 

Notre petite chambre d'écriture. Le modeste atelier du poète où viennent se réfugier le cœur et le monde incompris. Le cœur et le monde endoloris par tant de coups et de paresse...

 

 

De l'homme au monde, pris (piégé souvent, du moins, le croit-il...) dans la trame des événements et des existences, à la conscience-monde (à l'être-présence), ainsi, je crois, se dessine la métamorphose universelle... La promesse offerte à chacun de réaliser – et de vivre – sa véritable nature. Et sa plus profonde identité...

 

 

Dans la foulée fraîche des heures, les hommes s'enlisent. Et dans leur miroir se reflète l'ombre de leur visage. Mille ans pourraient passer. Et rien ne changerait. Du sable et des rêves tachés de sang...

Et ce vent sur notre visage qui creuse son sillon de lumière...

 

 

Quand donc, Ô Dieu, effaceras-tu leur visage – et libéreras-tu la grève de leurs poussières...

 

 

Les hommes, le corps solide, ventru, énorme. Et l'âme si décharnée. Comme écrasée par la graisse du cœur, dégoulinante (si souvent) d'abjections...

 

 

Ah ! Si les pierres du monde pouvaient parler, nous connaîtrions enfin l'histoire de la terre. Et l'on devinerait le sort de nos pas – et la mort (infâme) qui nous est promise...

 

 

Mais quel est donc ce sang qui sort de la bouche des hommes ? Naîtrait-il des entrailles de la terre ? Et qu'est-ce donc que cette montagne de corps ruisselants ? Et tous ces visages – et tous ces chemins – tachés de rouge...

 

 

Et si derrière le haut mur dressé devant la vie, il n'y avait ni tombe ni cyprès – que l'on ne plante (sans doute) que pour les vivants et les rassurer de l'incertain voyage... Et si tout continuait – et recommençait différemment – avec peut-être simplement un nouveau visage...

 

 

Et si l'affreux béton gris dont nous recouvrons la terre était l’œuvre du Diable. Son appel insistant – son invitation perpétuelle à la mort – et dont nous serions les anges noirs... Le bras funeste et grossier dérobant au monde la beauté des forêts...

 

 

L'homme, le corps repu. Et l'âme, abandonnée, qui crie sa faim...

 

 

Et si la nuit – notre nuit – n'était pas le voile le plus sombre... Et si un démon plus obscur – et plus ténébreux encore – avait investi la place – l'antre vacant et inoccupé du cœur – pour plonger le monde dans la noirceur – et l'obliger à crier sa faim de lumière...

 

 

Et si la mort, blanche comme le jour, n'avait davantage de lumière à nous offrir... Et si les heures n'ouvraient ni à la montée ni à l'envol... Et s'il n'y avait que l'instant pour nous délivrer – et le ciel pour nous accueillir...

 

 

Alors que poussent sur la terre les murs et les barrières qui cherchent en vain à protéger – et à mettre à l'abri – nos poussières, et si l'espoir, en définitive, reposait (tout entier) sur le vent – et ses souffles libérateurs...

 

 

Du sable et des rêves tachés de sang. Voilà à quoi nous reléguons nos vies. Et voilà ce que nous offrons au monde et à la terre. Et pas une main levée pour dissiper les songes – et briser les épées. Et pas une seule âme dressée pour crier son innocence...

 

 

Le poète n'écrit rien. Ne produit rien. Il est le terrain de la parole. Le réceptacle sensible des tressaillements du ciel. Et la main de l'âme qui les restitue... C'est au lecteur toujours que revient le plus âpre labeur. Suivre la parole – et lui redonner un visage pour y voir le ciel dansant. Et que se dessine la lumière sur les pages pour éclairer son âme et son propre visage...

 

 

Si nous savions écouter la terre, elle aurait tant à nous dire... Les arbres et les rochers nous parleraient des nuages. Les rivières nous parleraient de la pluie, des falaises et de la rosée. Et notre visage saurait ce qu'il est, ravi de sa demeure – et heureux parmi ses frères sous un ciel enfin réconcilié...

 

 

Hymnes sauvages et chants naturels à la fois exacerbés et corrompus par la voix – et l'ambition – humaines, si grasses des plus vils et des plus nobles instincts de la terre (la survie et la persévérance dans son être) et encore si éloignées de la lumière...

 

 

Encore un songe qui n'aura ébloui que les yeux. Et piétiné l'innocence. Encore un songe qui en nous éloignant de la lumière nous en rapprochera...

 

 

Une voix discrète, à peine audible, s'élève dans la nuit. Celle du poète – son cri – indifférent à l'indifférence des hommes. Inentendu sur terre mais dont les vibrations déchirent le ciel – seul témoin à reconnaître la nécessité – et la sagesse – de sa parole...

 

 

Une nuit en plein jour où les hommes ne distinguent plus même les étoiles. Où la noirceur est si acclamée qu'elle devient lumière. Où les silhouettes – toutes les silhouettes – sont grises et les âmes obscurcies – et égarées – par tant d'errances. Où dans tous les panthéons, la figure du fou a remplacé celle du sage. Où les marchands sont adulés et les poètes méprisés. Où les foules ne se lassent jamais de vénérer et d’idolâtrer les ombres...

 

 

Être seul et contemplatif. Voilà, évidemment, de quoi réjouir l'âme. Assis dans l'herbe parmi les insectes et les nuages. En compagnie des arbres et du ciel. Voilà de quoi sentir le cœur du monde palpiter. Voilà de quoi être au plus proche de la vie pleine – sentir vibrer les sentiments les plus bruts et les plus naturels de l'homme – et laisser la main courir sur son carnet – se livrer à quelques notes et épanchements...

 

 

Tout ce qui est naît, pousse, grandit, évolue et disparaît dans la plus parfaite impersonnalité. Plongé tout entier dans son destin. Et l'homme, doté par la nature (et par Dieu sans doute) de quelques velléités d'intelligence n'échappe pas à cette loi bien qu'il s'imagine libre et doué de libre arbitre (quelle idiotie...) – et qu'il pense, dans sa grande et belle ignorance, pouvoir se façonner un destin. Mais son existence et son histoire (tout entières) sont pourtant, elles aussi, pleinement plongées dans les charmes et les mystères de l'impersonnel. Fruit à la fois des instincts de la terre et de la volonté énigmatique du ciel. Conscience et énergie liées d'une inséparable façon...

 

 

Ah ! Le beau regard du premier homme ! Si plein d'émerveillement pour les beautés de la terre, si curieux de son mystère et doté de cet insatiable appétit de comprendre. Et bientôt corrompu (corrompu malgré lui) par la violence des instincts et la force des désirs du monde. Et bientôt envahi par la peur et les doutes – par l'impératif de survie et le recroquevillement*...

* Recroquevillements perceptif et existentiel...

 

 

La nuit, le monde endormi. Et pas davantage éveillé durant le jour... Emporté par ses tourbillons ravageurs. Rabâchant ses songes. Les améliorant à l'occasion – à chaque nouvelle opportunité. Se rapprochant (continuellement) de ses fantasmes. Poursuivant inlassablement son sommeil...

 

 

Hommes et monde, pantins de la conscience, unique marionnettiste dont le jeu et les fils pénètrent si profondément – et si intelligemment – chaque fibre (et chaque cellule) de ses marionnettes qu'il leur fait croire qu'elles sont maîtres de leur destin... Quel merveilleux et diabolique stratagème pour que les hommes et le monde s'éveillent à eux-mêmes – et finissent, un jour, à force d'expériences et de compréhension, par se reconnaître pleinement en la conscience...

 

 

Les mots faibles – vacillants – qui s'entrechoquent au fond du crâne – et sortent des lèvres en logorrhée. Qui jaillissent et s'élancent à l'assaut du monde – à l'assaut des visages – pour les convaincre, les rallier, les corrompre. Et, au loin, l'homme sage assis en silence. Mastiquant sa parole inentendue. Belle pourtant de tant de vérités...

 

 

S'asseoir en silence. Et regarder les désastres et les merveilles du monde. La grâce et le saccage des vies...

 

 

Que l'homme est beau – et que son visage est doux et lucide (un peu effrayé peut-être parfois) lorsqu'il se retrouve seul et nu – sans accessoire ni outil. On aimerait alors embrasser sa tristesse, sa solitude et ses interrogations. Lui ouvrir grande la porte des retrouvailles. Et offrir à son âme le silence – le beau silence – qu'elle réclame...

 

 

Le silence, bien sûr, aura toujours plus à offrir que le langage. Et la parole – la parole simple et profonde – qui émane du silence (qui sait y trouver appui et s'y coucher avec modestie) est – et sera toujours – plus riche que les discours complexes et argumentatifs orchestrés par la raison...

 

 

Et si le silence avait raison de caresser notre visage... Et si seulement notre âme savait parfaitement s'y coucher, le monde alors deviendrait plus séduisant que les songes...

 

 

Sur notre visage – et dans nos pages, s'exprime toute la couleur de notre âme...

 

 

Il n'y a, je crois, de plus beau tressaillement que celui de la liberté innocente... Son ombre même semble portée par la grâce...

 

 

Et si l'ambition et la convoitise n'étaient que le désir d'une reconnaissance – d'une égalité – d'une extinction... Mais qui donc a décrété que nous n'étions pas égaux face au silence – si humbles – si blêmes – si innocents...

 

 

Lorsque la nuit aura la candeur du jour, aurore et crépuscule se confondront. Et les âmes iront, légères, dans les heures blanches...

 

 

Aucun œil penché sur nos pages. Pas même une ombre. Ni même une silhouette. Et le ciel, hilare, qui applaudit... Sachant, sans doute, que la renommée – et le vain prestige – entachent presque toujours l'innocence – arrachent l'âme à son humilité et la redressent... Et sans innocence – et sans humilité – comment pourrait naître la parole – la parole poétique – si nécessaire à la terre malgré le mépris et l'indifférence des hommes...

 

 

Et si tous les hommes mêlaient leurs larmes... et si tous les poètes unissaient leur cri, les étoiles sur la terre seraient-elles plus vives ? Scintilleraient-elles davantage ? Et le ciel devant nos yeux serait-il plus bleu ? Et l'avenir du monde moins sombre – et les êtres assurés d'aller plus libres et plus joyeux vers leur destin ?

 

 

Et si le monde, soudain, devenait plus doux que les songes, échapperions-nous aux rêves ? Et ces larmes – toutes ces larmes – sur notre visage triste se transformeraient-elles en confettis de lumière ?

 

 

L'âme triste, souvent, est la muse du poète. Mais ses larmes jamais n'effacent le sourire – et la tendresse – de son visage. Et sa main toujours continuera de courir sur l'innocence de la page. Et les jours gris – les heures noires – et le monde si plein de chaos et de beauté – et la joie – et la grâce des années – et l'infini rempliront toujours son silence...

 

 

Tant d'heures – et d'instants – étranges et différents dans une journée. Comme une vie entière qui défilerait en un seul jour...

 

 

Une vie entière parfois brisée – brisée à jamais – par un instant – un seul instant de malheur. Et qui invite la noirceur jusqu'à la fin des jours...

Et une vie entière parfois arrachée – arrachée à jamais – aux malheurs par un instant – un seul instant – de grâce et de présence. Et qui invite le cœur à s'évider – et l'innocence et l'éternité jusqu'à la fin des temps...

 

 

Et si les hommes se tenaient la main – et si les sages et les poètes versaient sur les lèvres leurs paroles, les larmes couleraient-elles devant tant de beauté – devant cette chaîne ininterrompue de chair et d'émotions ? L'innocence et la joie seraient-elles enfin accessibles ? Dieu n'a sans doute pour les hommes d'autre rêve... Et voilà peut-être pourquoi, il encourage le labeur des sages et des poètes...

 

 

La mauvaise foi du monde. Mal inguérissable sans doute tant que l'individualité et les représentations seront à la manœuvre dans l'esprit des hommes...

 

 

Les hommes toujours (en apparence) sûrs de leur posture et de leurs bons droits. Et les affichant avec assurance, fierté et ostentation malgré la déficience évidente de leur savoir, la faiblesse de leur argumentation et leur confiance (en eux) étroite, bancale et mal assurée... Comme des coqs et des grenouilles postés devant l'humble et sereine quiétude d'un bœuf sage...

 

 

J'abhorre la morgue crasse et prétentieuse de l'humanité. Ah ! Faites donc que Dieu m'entende – et qu'il leur fasse fermer leur clapet – et ravaler leur maladif orgueil !

 

 

Aujourd'hui, qui en ce monde (numérique) malade de réclame, de conquête et d'égotisme, ne dispose de sa vitrine pour afficher – et exposer à la terre entière (et peut-être bientôt à l'ensemble de l'univers...) sa misérable existence, ses dérisoires richesses, ses pauvres exploits et ses découvertes sans envergure ? Partout le foisonnement de l'indigence, du spectaculaire (mensonger) et de la médiocrité... Partout le triste spectacle de la bêtise offert à la stupidité des hommes...

 

 

Au fil de sa fréquentation du monde et de l'humanité, l'innocence originelle s'est corrompue. La force des instincts s'y est substituée. Et est devenue loi... Et l'homme sage doit y faire face. Et y répondre parfois (lorsqu'il y est acculé) de la même façon – à la manière des bêtes...

 

 

Ce monde a insidieusement aboli la curiosité et le questionnement naturels, le goût de l'effort, le geste désintéressé, l'innocence et la sagesse. A présent, les hommes ne jurent plus que par leurs contraires – et ne se gavent – et ne s'occupent plus – désormais que d'opinions, de jugements, d'idées faciles, de prêt-à-penser, de confort, de facilité, de commerce, de réclame, d'astuces, de stratégies, de jeux et de distraction. Voilà à quoi ressemblent aujourd'hui le monde et la vie des hommes sacrifiant sur l'autel de la bêtise et de l'ignorance les plus belles caractéristiques – et les plus beaux atouts – de l'humanité...

 

 

Un bureau à ciel ouvert. Un carré d'herbe. Un coin de ciel. Et le cœur – et la main – qui s'offrent à leur vocation. En de telles conditions comment pourrait-on ne pas aimer sa besogne ? En de telles conditions comment le travail (mais en est-ce vraiment un ?) pourrait-il ne pas être épanouissant ? N'offre-t-il pas un poste naturel et sur-mesure adapté à notre entière idiosyncrasie ? A mille lieues des emplois rébarbatifs, alimentaires et sans intérêt de notre époque...

 

 

L'écriture parfois se fait présence. Compagnie nécessaire à la solitude. Comme un surplus d'être à nos déficiences... Offrant peut-être aussi la certitude de la réalité (d'une certaine réalité) de l'existence – que quelque chose en nous vit – et éprouve – des événements pas tout à fait fictifs – des faits et des circonstances qui induisent des ressentis et des impressions qui peuvent être couchés sur le papier – des notes qui attestent que nous sommes vivants – que quelque chose en nous est présent au monde...

 

 

Aujourd'hui, de quels métiers une société – une communauté d'hommes – ne pourrait-elle se passer ? De paysans pour offrir à manger (et répondre aux besoins alimentaires), d'éducateurs pour inculquer les savoirs, d'artisans pour fabriquer les objets d'usage courant, de médecins (herboristes et guérisseurs) pour soigner les corps, de chercheurs pour continuer à répondre aux plus belles aspirations de l'homme, et de poètes – et de sages – pour dire l'indicible et l'invisible. Métiers auxquels on pourrait peut-être (éventuellement) ajouter quelques postes de techniciens pour faire fonctionner les appareils et les machines...

Et n'allez pas croire que cette courte liste et l'usage de termes un peu désuets fassent de moi le chantre d'un quelconque passéisme. Ils soulignent simplement que l'homme (l'homme naturel) a besoin, en définitive, de peu de choses pour vivre. Et que le monde actuel (et futur sans doute) avec ses millions d'emplois de toutes sortes (dans tous les domaines) et ses millions d'objets et de choses produites et consommées ne répond qu'aux exigences capricieuses de nos esprits immatures et ne fait, en vérité, qu'alimenter l'absurdité de nos existences...

 

 

En définitive, je suis comme les bêtes. Je ne peux vivre qu'à l'écart des hommes – dans les forêts et les collines. Et je ne peux me résoudre à les fréquenter pour mille raisons (et toujours pour mille justes et bonnes raisons). Et comme les bêtes, seule la compagnie du ciel et des arbres m'enchante...

 

 

Le regard lointain. Et le cœur proche. Au plus près du monde – uni aux gestes, aux situations et aux circonstances. Ainsi vit l'homme sage...

 

 

A l'échelle géologique, que représente, pour la roche et la couche terrestre, une civilisation avec ses routes, ses cités, ses monuments et ses bâtiments ? Que représente une ville avec ses rues, ses édifices et ses trottoirs ? Et que représente une simple habitation (si importante à nos yeux) avec ses murs, ses terrasses et ses jardins ? A peu près rien. Une mince couche de vernis que les vents, un jour, balaieront et effaceront pour laisser réapparaître la roche et la couche terrestre aussi neuves qu'au premier jour...

 

 

Depuis la naissance du monde, la même histoire, indéfiniment, se répète. A peine soucieuse de changer d'habits et de décors et pourtant, contrainte malgré elle, d'en endosser toujours de nouveaux...

 

 

Un homme face au ciel. Seul et interrogatif. Le regard irrésistiblement attiré par l'infini et la lumière. Qu'y a-t-il de plus émouvant en cette humanité...

 

 

La besogne obscure du poète. Et ses lignes claires sur le blanc de la page. Tentant d'arracher à la noirceur du monde – et de l'âme – un peu de lumière...

 

 

On pourrait pourchasser les ombres. Mais à quoi bon ? dit la lumière. Laissons-les s'effacer... Et nous en serons à jamais débarrassés. Mais avant qu'elles ne disparaissent, sachons nous montrer patients...

 

 

Au milieu des bêtes, le jour clair. La fête. Et la danse du vent. Les révérences de l'herbe. L'acquiescement silencieux des arbres. Et l'approbation du ciel et des nuages. La musique de l'eau sur les roches et les galets des rivières. Le consentement entier de l'univers.

Et au milieu des hommes, la nuit qui avale. Le froid et la peur qui gagnent le fond des âmes. Et le cœur asphyxié qui s'atrophie...

 

 

Et si, un jour, l'aube s'ouvrait définitivement... Mais n'est-elle pas déjà ouverte ? dit la lumière. Les portes du silence ne te sont-elles donc pas accessibles ? Où as-tu donc posé les yeux – et ton cœur – pour qu'elles te demeurent invisibles ?

 

 

L'angoissante approche du monde à notre fenêtre. Traversant portes closes et volets fermés. Pénétrant tout jusqu'à la moelle. Et l'extra sensible jamais ne pourra se barricader. Il se laissera dévorer jusqu'au dernier os...

 

 

L'homme, ce passant pressé aux folles idées. A l'existence plus stupide que celle du brin d'herbe, moins belle que celle de la fleur, moins vive que celle de la bête et moins vaste que celle de l'étoile. A l'esprit – et au regard – si borgnes – si éteints qu'il ne devine pas même l'infini et la lumière qui l’accueillent et l'éclairent...

 

 

Qui es-tu vraiment – et où es-tu donc –, présence, parmi les nuées d'hommes et d'insectes – et les grandes étendues d'herbe verte ? Moi qui t'apercevais – et te fréquentais – dans l'infini clair du ciel, pourquoi ai-je tant de mal à te voir – et à t'approcher – sur la terre noire et surpeuplée ?

 

 

Ah !Cette si parfaite normalité qui cache tant de déficiences : intellectuelle, sensible, émotionnelle, métaphysique, relationnelle, spirituelle, compréhensive, perceptive... Et dire que parmi les hommes, une belle moitié n'en a pas même conscience – et que l'autre dissimule sa différence (et ses particularités) pour ne pas se singulariser et sortir du rang... Quel égarement lorsque l'on sait la longue et rude besogne qui nous attend...

 

 

Lorsque je vois un être – un homme – faire son possible – faire de son mieux – en offrant toute son âme pour aider et accompagner d'autres êtres – d'autres hommes – (et qu'importe ce qu'ils sont...) sans fanfare ni trompette, animé par sa seule foi en la vie – par sa seule foi en le monde –, mon cœur s'émeut. Et les larmes coulent sans que je puisse les retenir. Et me vient l'envie – presque irrépressible – de l'embrasser et de le serrer contre moi...

 

 

Au lieu de célébrer l'Amour et la gratuité, l'homme vénère la valeur et la ruse... Et qui plus est, donne à tous les (faux) airs de partage et de fraternité les couleurs du désintéressement et de la générosité... Ah ! Mon Dieu ! Quel pitoyable animal...

 

 

Il y a souvent (en nous) une foule de souvenirs qui nous blessent (encore) et quelques images qui savent nous réconforter avant que l'innocence – le regard innocent – ne panse nos blessures et n'offre pleinement sa joie. Effaçant presque totalement* la fatalité des souvenirs douloureux et la nécessité d'images réconfortantes...

* Hormis peut-être dans nos jours et nos périodes les plus sombres où nous sommes (presque) incapables d'habiter l'innocence – le regard innocent... 

 

 

Philosophie, existence, poésie et spiritualité. Notes d'un homme sur l'Absolu, la vérité, l'infini, la vie, l'éternité, le monde, la nature, les hommes, les bêtes, le chemin, la présence et l'impersonnalité...

 

 

[Eléments de portait(s) (im)personnel(s) ?]

Qui suis-je ? Un auteur parfaitement inconnu. Un passant. Un passager provisoire. Un funambule aux semelles plantées dans le roc. Un visage anonyme. Un instant dans l'éternité. Un souffle rauque et léger dans l'infini. A peu près rien. Personne. Une ombre fragile dans la lumière. Un cri sans écho peut-être... Un gravillon sur le chemin – et dans la sandale du marcheur. Une lueur sur l'horizon. Une lanterne dans la nuit. Une question sans réponse. Pas même un message. Une incongruité peut-être... Une secousse. Un léger tressaillement dans l'air. Un parfum oublié. Une silhouette que l'on oubliera. Un labyrinthe. Un puzzle vertigineux. Un désastre. Une modeste hécatombe. Un prophète ignare et ignoré. Un jeu sans rôle ni drôle. Un rêve. Un cauchemar peut-être... Un oubli. Une erreur. Une plaisanterie de mauvais goût. Dieu. Un pantin. L'infini. Et le silence enfin retrouvant son origine...

 

 

L'univers d'un être se réduit, le plus souvent, à quelques visages... Homme ou bête, jeune ou vieux, riche ou pauvre, célèbre ou anonyme qu'importe... Le monde se réduit simplement à quelques visages. Et les autres – le reste du monde – ne sont qu'un décor (presque) sans importance...

 

 

En nous se cherche cette présence incomparable que les jours – et les siècles – nous révèlent...

 

 

Une voix qui s'éteint dans l'aurore. Et le soleil resplendissant – plus resplendissant encore peut-être de cette absence...

 

 

Et si nous portions l'eau du puits à nos lèvres, la pluie serait-elle moins noire ? Et la gorgée plus fraîche que nos lampées avides à nos mares – et à nos flaques – croupies et asséchées...

 

 

Et si le lointain n'était que le songe du plus proche... Le rêve de Dieu de nous voir parcourir le monde pour retrouver la source de toutes les existences... Pour que nous puissions nous y rafraîchir – et nous y abreuver...

 

 

Les oiseaux de passage s'effacent dans la couleur des saisons. Et des collines ils s'envolent vers des terres plus claires – plus transparentes peut-être – plus proches sans doute de la main de Dieu. Comment les oiseaux pourraient-ils ignorer que le ciel est leur destin ?

 

 

Et si la bouche – et si nos lèvres – n'étaient faites pour parler. Ni même pour manger. Mais pour sourire et embrasser...

 

 

Et si l'âme n'était que le visage singulier des profondeurs impersonnelles... Une facette – l'une des innombrables facettes – de sa figure infinie...

 

 

Et si nous pouvions nous surprendre cherchant à tâtons, au cœur du jour, la lumière... naîtrait sans doute (aussitôt) un grand rire... Et nous regarderions notre visage défiguré par la peur s’émerveiller soudain du grand soleil déjà présent à nos côtés – illuminant le fond de l'abîme où nous avons cru être jetés...

 

 

On ne vit jamais qu'une fois la vie – l'instant – tout au long de l'éternité... Et cela serait mal connaître les dieux, la terre passante et le ciel vaillant et indéchiffrable que d'oser vivre – et affirmer – le contraire. On vivrait alors, sans doute, bien bête et déprimé – et presque sans âme – jusqu'à la fin des temps...

 

 

Une averse drue dans la campagne. Une pluie fine au coin des yeux – et la chevelure dégoulinante. Et dans le ciel gris, les nuages espiègles qui se jouent des couleurs, repeignant les âmes, les visages et les paysages de leurs doigts lestes – étalant à grands seaux leur palette née des océans. Et sous leurs pinceaux toujours chanteront les rivières et les oiseaux...

 

 

Et si le silence de l'herbe était plus juste que la parole poétique. Et si le monde était plus vrai que ces lignes... Et si, malgré tout, nous avions raison de continuer à dire le monde – à nous ouvrir au silence de l'herbe – et à lire les livres des poètes...

 

 

Le feu et le froid des jours. En égale proportion sur nos vies. Et, plus tard, les cendres et la glace recouvrant – et encerclant – le monde. Et les corps ensevelis. Et les têtes – et les mains – surnageant dans la poussière glacée et brûlante, jetant leur cri au silence...

 

 

La vie toujours sera moins sourde au silence qu'à la parole...

 

 

Et si, pour une fois, nous préférerions le silence et la beauté aux fracas du monde et des armes...

 

 

Et si les mots n'étaient que le tricycle de la pensée. Et qu'il nous faudrait apprendre à vivre – et à pédaler – sur des machines moins puériles – puis à nous défaire des engins – pour aller seul – et sans appui – dans les bras de la nuit... Le jour – et nos vies – alors peut-être deviendraient plus clairs...

 

 

Et si nous étions tous, en réalité, la main de Dieu, tantôt sombre, tantôt lumineuse... Frappant parfois les têtes, éviscérant les corps et déchirant les cœurs de son épée. Et d'autres fois, les caressant, les soutenant et les réconfortant de son eau – ou de son huile. Mais guidant – et accompagnant – toujours les âmes sur leur chemin vers leur fief éternel...

 

 

Poète du feu clair. Et des jours sombres. Aux paroles sans malice et à la vérité brute offertes à l'éphémère... 

 

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