Carnet n°255 Notes journalières
L’espace secouru – comme l’on viendrait en aide à un mourant – une manière de se faire présent et de s’effacer devant celui auquel on octroie (naturellement) la priorité – celui auquel on abandonne sa place sans embarras…
Nous – jouant – sans haine – sans usurpation – sans personne…
Seul(s) – dans nos épreuves et nos dialogues…
La terre – le ciel – qui s’ouvrent devant notre dénuement – notre obéissance involontaire aux circonstances…
Et, parfois, nos absences de vivant(s) qui rehaussent tous les murs construits par l’esprit ignorant – plus archaïque(s) qu’innocent(s)…
Des ombres trop lourdes pour nos peaux fragiles – trop larges pour nos âmes exiguës – comme si nous ne pouvions supporter un peu de lumière sur nos blessures…
Le vide – incroyable – qui, tantôt, nous nourrit – qui, tantôt, nous affame – nous qui nous prenons pour une singularité du réel – un tertre si souvent – une éminence parfois (pour les plus orgueilleux) ; un sillon étroit – une simple ligne, en vérité, dans le grand labour de l’univers – une griffure dérisoire – une légère crevasse dans la terre meuble et docile – pas même un éclat – rien de réellement perceptible lorsque l’on quitte l’échelle du bout de son nez…
Nous – nu(s) et tremblant(s) – face au vent – face au monde – face à la lumière…
Ce qui survole – si souvent – ce que nous considérons comme le hasard…
Notre trouble au pied de l’Absolu…
Ce qui se déchire avec l’avènement (progressif) du plus précieux…
Le monde sans heurt – les angles polis et rassemblés – toutes nos peurs réunies – comme une ligne verticale – soudain transformée en hache que l’on brandit contre les monstres du temps…
Le vent – le verbe – l’Amour – ce qui nous rend à l’étreinte…
L’âme au-dessus de l’eau – dans un parfait (et indolore) naufrage…
Les oscillations du monde et des étoiles…
L’odeur de la terre sur nos mains…
Le jour passé – la nuit venue…
La nuit disparue – le territoire qui s’ouvre enfin…
La fraîcheur des vents qui se mêlent au souffle quotidien…
Les battements réguliers du cœur – tous les signes de notre présence (temporelle)…
Sous les vieux arbres millénaires – le monde – la chair errante – les âmes qui rôdent – les chemins noirs sur lesquels traînent tous les pas – sur lesquels traînent toutes les vies…
Sous l’enveloppe – la nuit – le noir – notre territoire – la chair suffoquante – la chair liquéfiée – la chair agonisante – et, bien sûr, l’âme oubliée…
Les instincts – tout ce qui favorise la peur – le souffle ; le cycle de l’homme – incomplet…
Eternel(s) supplicié(s) de soi – enfoncé(s) dans notre absence – comme un corps – comme un cœur – étrangers – l’esprit ailleurs – empiété – fractionné – prisonnier de ses propres jeux – de ses propres frontières…
Le réel enfermant les mille combinaisons – et encerclé par les mille possibilités qu’elles ont créées…
Dans le geste – l’ombre nécessaire et la délivrance – les retrouvailles et l’égarement…
Ce qui crie et ce qui respire – comme au premier jour…
Sous la voûte – cette douleur permanente – ininterrompue…
La vie accablée – la vie accablante…
Nous – comme continuité de la (longue) chaîne…
Et les Autres – comme instruments – comme obstacles – comme pollution – chargés de résoudre nos insuffisances – l’inécessaire – de combler le manque et le désir, en nous, subordonnés au monde …
Le rôle façonné par l’étiquette et la vêture…
L’âme, peu à peu, encombrée et dégoulinante de souillures…
Notre existence – comme une terre imprévisible…
Un chant sous le soleil – entonné initialement comme un cri de souffrance – une manière d’atténuer la douleur – d’expulser notre blessure de vivant – de panser les plaies et les entailles nées du côtoiement du monde…
Le silence qui ondule et les résonances de l’invisible dans la chair – sur la pierre…
Le granite des cœurs et du sol – l’étreinte et la force féroce (presque magique) des reins…
Le livre ouvert – et déjà écrit – et déjà lu ; notre destin qui, en un éclair, se consume…
Nous – immergé(s) – respirant(s) – devenant, peu à peu, ce à quoi l’on nous a réduit(s) – rien qu’un rêve – une image – né(e) dans l’esprit des Autres – de quelques Autres ; un moyen massif – un instrument affûté – condamné(s), en quelque sorte, à satisfaire les besoins – les désirs – les exigences de ceux qui nous entourent…
Sur la terre – déraciné – comme une pierre retournée depuis trop longtemps – posée sur la neige – brillante sous le soleil – luisante sous la pluie – sombre (presque invisible) dans l’obscurité ; simple reflet du monde et des circonstances…
Lumières enfantines – ignorées – massacrées – auréolées déjà d’invisible – d’un ciel trop discret pour être perçues par les sens humains…
Nos sons et nos syllabes – à l’orée de l’Amour – comme un feu qui progresse ligne après ligne – sur une vaste étendue – notre chemin dessiné à même la terre – sous la même voûte depuis le premier mot – depuis le premier pas…
Du sable – notre vie – la terre – le temps – ce que pourrait devenir le ciel sous nos coups de boutoir – notre manière si grossière (et si arrogante) d’être au monde…
Muet – à la manière du silence – dans le plein acquiescement…
La terre et le ciel devenus des parcelles – des territoires presque enfantins que se disputent les bêtes et les hommes ; de simples images – des zones infimes – des périmètres (étroitement) circonscrits – des aires artificiellement inventées qui donnent lieu à d’incroyables querelles – à d’effroyables batailles – sur lesquelles il faudrait poser un immense sourire – un œil bienveillant et fraternel – et que nous continuons de regarder avec mépris – avec colère et réprobation…
Nous – différent(s) – parfois le(s) même(s) – nous exprimant à la manière des hommes d’autrefois – entre silence et fidélité aux lois naturelles…
Seul(s) sur l’étendue – déclinant – dans le règne du silence et de la nécessité – dans le déploiement du jeu de l’invisible – l’invitant – de plus en plus insensible(s) à la terreur et à l’oppression des hommes des temps anciens…
Le ciel nu – en nous – qui se penche – qui regarde par-dessus notre épaule – pour faire signe à l’enfance oubliée – estropiée – assise non loin du soleil couchant – attendant sur son catafalque de granite la fin du sacrifice – la fin de sa longue (et atroce) agonie…
Nous – sur notre attelage cosmopolite – le vent de face – en pleine suffocation – dans l’attente d’une confrontation violente et durable – d’une chute – d’une capitulation…
Sur le seuil du temps – entre deux abîmes imaginaires – inventés par méprise – par arrogance, peut-être – par indifférence, sans doute, à l’égard de la vérité…
Le corps souffrant – la tête ailleurs – dans la clarté mensongère d’un chemin laborieusement dessiné – par goût de l’évasion – par incapacité à vivre pleinement ce qui est offert – plongé(s) dans cette affreuse inintimité avec les choses – comme si nous n’appartenions pas (réellement) au monde…
Sur un dôme d’indifférence – sans proximité – excepté avec les malheurs et la nuit…
L’infini – au-dedans – cherchant à exister au-dehors – au-delà de notre périmètre – au-delà de notre étouffement commun…
Dans le ciel souterrain de nos pas inappropriés – incertains – bien plus que mortels…
La nuit glissante au cœur de laquelle nous avons échoué – en toute inquiétude…
Le plongeon – l’immersion – puis la longue série de tourbillons successifs…
L’invisible – dans le désordre – présent à chaque noyade – à chaque remontée – à toutes nos retrouvailles…
D’autres blessures que celles infligées par la fatalité…
Le cœur bêtement amoureux de la course effrénée…
Le rythme excessif comme une manière (naïve et grossière) de combler notre impératif besoin d’intensité (ce désir permanent de joie et d’exaltation à vivre) que seuls peuvent (réellement) satisfaire l’immobilité joyeuse et acquiesçante – le vide vivant – le silence sensible – cette incomparable manière d’être (pleinement) présent…
Contre les parois du monde – notre route – cette voie singulière – qui se détache, peu à peu, de la roche – qui s’ancre de plus en plus aisément dans la certitude du ciel – les évidences de l’invisible – en surplomb de tout – au-dessus de toutes nos gesticulations…
En peu de mots – dire le monde – les murs – les frontières – l’infamie – les possibilités d’une ascension – les envols (trop rares) ; nos ailes et notre cœur – les seuls outils indispensables – à déployer à travers toutes les fenêtres possibles – pour rejoindre l’immensité…
Le souffle voluptueux – dans le vent et l’aube réunis – les seuls liens – les seuls lieux – possibles – sauvages – sans risque de blessure – de brûlure – de torture – dans la transparence d’une lumière à notre mesure – dans la simplicité naturelle du surgissement…
Des montagnes de papier – pour indiquer la route vers l’espace – le silence – l’étendue déserte…
Des mots en amas monstrueux pour fendre tous les murs érigés par les hommes – franchir toutes les frontières construites autour des êtres – des choses – des têtes – anéantir tous les territoires d’appropriation…
Quelques traces – un peu d’encre – pour retrouver l’infini – notre nature originelle…
A bout de force – au seuil de la nudité – de la vérité peut-être – qui, peu à peu, s’éprouve – se vit – se perd – puis disparaît – et revient (parfois) vers ceux qui sont capables d’expérimenter le monde sans rien saisir – sans rien s’approprier…
Notre seul pays – le vide et l’absence de territoire…
A chaque instant – dans la nouveauté et la fraîcheur de ce qui surgit…
Les choses – les têtes – l’univers devant nos yeux – puis, les choses – les têtes – l’univers en soi – avant l’effacement et l’oubli…
Une parole aussi nue que la peau – aussi légère que l’âme – aussi innocente qu’un nouveau-né – dans l’intervalle de l’oubli où la présence porte en elle toutes nos absences – toutes nos histoires – passées – toutes les possibilités du monde et du ciel…
Nous – insensible(s) à l’absorption du temps – là où nous sommes – avec ou sans visage – avec ou sans étoile – avec ou sans lumière – dans la joie présente ou disparue – le cœur dans le souffle – porté(s) par chaque geste…
Terre de la nudité – de la non-alliance – de l’effacement…
Terre de lumière et de vent – qu’importe les intervalles et les saisons…
En retrait – l’imminence – les eaux vives du monde sous les yeux insensibles des hommes – notre indifférence et notre cécité légendaires…
La vie rudoyée – déformée – comme un songe martelé par les paumes du rêve – comme du granite rongé jusqu’à l’os ; ce qui saigne – ce qui pleure – sans la moindre plainte – sans la moindre certitude – comme une lame plongée dans la nuit – dans la chair – dans le sang ; un peu d’encre – quelques taches sur le blanc de la page…
Les possibles – la puissance – éperonnés – affaiblis – comme si l’on interdisait l’essentiel – l’incandescence – tous les chemins d’accès à la vérité…
Nous – comme séparé(s) du feu et de la nécessité ; l’Absolu hors d’atteinte…
L’envergure recluse – et notre déploiement ajourné – bien sûr – malheureusement…
Nous – dans un corps sans largeur – démuni – bâché – à la manière d’une barque arrimée – d’un bout de ciel ligoté – brinquebalé par la permanence des vagues – condamné au ressac à perpétuité…
Le cœur battant – les cris rabâchés – les confins et l’encerclement – les ombres et la nuit qui nous harcèlent – le souffle dans ses limites vivantes – pardonnables – imputables (en grande partie) à la matière – à la nature première du monde…
Le ciel restreint par la chair – l’étroitesse du périmètre – l’invention des frontières…
Nous – sans proximité – sans intimité – amputé(s) de toute possibilité de joie et d’intensité – livré(s) à nous-même(s) – à l’exil – abandonné(s), en quelque sorte, à la cruauté de l’éloignement…
Des vies sans couleur – sans latitude – sans potentiel…
La bouche – les hanches – les mains – recouvertes par tous nos excès…
De la chair souffrante – suffocante – disloquée…
Entre cimes et nasse – notre vie – nos désirs – nos âmes qui s’empoignent – nos excès qui nous enferrent – qui nous emmurent – nos souffles et nos paroles désarticulés – nos cris sur la pierre…
Les étoiles – trop lointaines – qui se tordent – et se distendent – à l’approche des mains – de la lumière…
Nous – avec le monde – dans la poitrine d’un plus grand que nous – encore inconnue – inexplorée – douloureuse…
Le vent contre le sommeil et la roche blanche…
Des jardins – des arbres – des oiseaux – mille bruissements…
La petite musique du cœur – avec des passions qui se prolongent jusqu’au ravage – jusqu’au carnage – jusqu’à la catastrophe et l’anéantissement…
Et Dieu et sa tendresse pour compenser, peut-être, notre violence – nos maladresses – notre malédiction…
Notre vie sur l’enclume – des étincelles et l’écrasement progressif – le sang – le souffle, peu à peu, dégoulinants – poussés vers l’extérieur – en cascade – comme une fragilité (naturelle) – ce à quoi ne peuvent échapper les vivants…
Une vie – une œuvre ; une pente qui, peu à peu, nous fait glisser vers la mort et l’obscurité…
Notre malheur à tous – avec, en filigrane, expressifs – démesurés – le manque et la faim – ce qui anime (presque entièrement) notre âme – notre tête – notre ventre…
La tête – au-dehors – dans cette solitude méritante – mille fois éprouvée déjà – comme une force enroulée sur elle-même – les conditions du voyage – d’une errance fabuleuse – sans limite et sans fin – la découverte (progressive) de la plus vaste étendue terrestre où peuvent enfin jouer ensemble (et sans risque) l’eau, l’âme, le feu, le monde et les vents…
Nous – dans notre prison étanche – à double-fond – au cœur de laquelle le noir est le seul substrat – la seule matière – le seul parfum – comme une terre tenace – obstinée – que les Dieux nous ont choisie pour couronner nos faiblesses – nos mérites – toutes nos exigences de tyrans…
La tempête se donne – nous dévaste – sans précaution – comme la nuit – si noire – si authentiquement – si magistralement – noire – qu’elle en devient magique – presque lumineuse…
Ainsi la tempête nous anéantit – et ce faisant – nous sauve…
Et dans ces vents furieux et dévastateurs – de plus en plus sensible(s) – de plus en plus alerte(s) – de plus en plus vivant(s)…
Le désir tari jusqu’au démantèlement de tous nos arois…
Nous – comme la souche des arbres – enracinés – fragiles – que l’on ne peut extraire du sol – du monde – sans laisser mille fragments – mille éclats – dans la vie souterraine – dans la vie invisible – dans la vie des Autres…
Dans notre chute – nous approfondissant à la manière des somnambules – dans leur sommeil…
Ivre – sans paraître trop précocement futile – pareil aux particules – sensiblement instable – versatile – enclin à tous les excès – aux bouleversements – aux révolutions les plus imprévisibles…
Nous – à la manière des ogres – des monstres souterrains peut-être – affamés de chair et de sommeil – le cœur si facilement gagné par la nuit – le pays des ombres – rampant dans la bave – le sang – la fange – incapables de nous redresser – de connaître la moindre verticalité – pas même celle qui nous cantonnerait à une érection symbolique…
Le signe de notre appartenance reptilienne – de notre archaïsme ancestral – originel peut-être…
Viscéralement assassin et silencieux – de ce silence invisible – sans préparatif – sans prérogative – aussi éloigné de l’innocence que le règne passablement fissuré de l’homme…
La loi éternelle à laquelle nos gestes – notre âme – nos pages – nous soumettent…
La parfaite allégeance à ce qui, à la fois, nous surplombe et rehausse notre pâle (et vague) idée du Divin…
Debout – dans l’éternité – tantôt paumes jointes – tantôt mains ouvertes – sans désir – la plupart du temps – parfois – poing levé – poreux aux circonstances et aux intentions (si souvent) malicieuses des Dieux…
La figure métaphorique du destin – notre mort et toutes nos traces – les restes volatils de quelques substances passagères – l’infini qui s’invite dans notre effritement – le ciel ouvert – la vie des nuages et des visages provisoires – accueillis – et aimés jusqu’au cœur…
Zébrures – grisaille – rides et déchirures – ce qui creuse – et approfondit – l’extinction de notre soif – des malheurs – la disparition de notre figure – du rêve – l’effacement du moindre signe de notre histoire – de toutes nos illusions…
Nous – à la surface du monde – à la surface des choses – à la surface des eaux qui nous emportent – qui emportent tout – charrié(s) avec l’herbe – les cimes – les pierres – le chagrin – des monceaux de vie et de temps – l’ensemble des vivants et des morts – vers la seule réponse…
Le jour qui affleure – avec la vérité…
En nous – l’acquiescement – à l’heure précise – trop tardivement pour ce qui, au fond de l’âme, aspire encore (aspire toujours) à croître – cette forme incorrigible d’immaturité que nous traînons comme un souffle – un allant – une malédiction – un obstacle – quelque chose de très enfantin – d’indécrottablement séparé – comme une aile et un rempart – incompatibles – voués à nous précipiter à l’envi vers la chute – vers l’éloignement…
Et Dieu – de l’autre côté – qui nous attire et nous offre sa longue expérience des extrêmes et du silence – qui accueille, sur ses marges habitées, tous les soleils – toutes les joies – la longue file des figures impétrantes – tous les visages de l’innocence…
Et notre écriture – très imparfaite – qui tente maladroitement d’en témoigner…
Nous – dans l’infime intervalle de la fracture – rien au-dessus – rien en dessous – le vide devant – le vide derrière – nous au milieu de nous-même(s) – le vent en sa propre compagnie – l’espace et le silence déployés dans leurs moindres recoins – dans leurs moindres replis – ce que nous sommes – et ce qui nous insuffle ce goût incroyable – ce goût irrépressible – pour la vérité – et tous les élans nécessaires pour s’en approcher…
Les ronces et la rosée – dans notre âme et notre sang – cette disposition à la fraîcheur et à l’écorchure…
Une réalité à peine naissante – et aussitôt éraflée…
Quelque chose du rêve et des yeux grands ouverts…
Le monde pétrifié par la mémoire – le monde courant – virevoltant – pleinement vivant – dans l’absence de temps…
Une course à l’envers – jusqu’à notre ascendance originelle…
En nous – avec nous – notre expérience de l’abîme et des cimes réunis…
Cette atroce manière d’occuper les lieux…
L’hégémonisme spécifique – tribal – individuel…
L’orgueil et la tête boursouflés…
Le ventre et la faim – centraux – omniprésents – le prétexte majeur au mouvement – puis, une fois repu(s) – le jeu et la distraction – pour échapper à l’ennui – à cette peur et à cette incompréhension du vide ; l’éloignement furieux – et impératif – de notre insoupçonnable réalité…
Nous – abîmé(s) dans la rupture et la juxtaposition des vies – des cœurs – des visages – la conjugaison inutile de tous les sens – de tous les signes…
Des existences comme des cascades d’accidents jugés inappropriés – pour nous convaincre de traverser ce que l’on apparente (habituellement) à l’absurdité du monde – pour nous convaincre de transformer nos alliances – nos pactes les plus grossiers – avec les forces terrestres dominantes – pour nous convaincre d’approcher le retournement fondamental nécessaire au déploiement du regard – à la (re)découverte de l’envergure de notre présence – à la célébration incessante du geste et de la parole poétiques – afin de renouer avec notre vrai visage et de réenchanter ce que nous avons – depuis trop longtemps (presque depuis le premier jour) – condamné – altéré – corrompu…
Tout – dans notre perte – nous sera offert – nous sera redonné…
A travers la force et la violence inversées…
Les Autres – tous les Autres – nos chères retrouvailles…
L’espérance (et bien davantage – assurément) d’une terre plus habitable – d’un monde réellement humain…
Nous – retrouvant la route – retrouvant la voie – le passage vers les profondeurs – l’étendue – la magie que nous avions recouverte de gestes distraits – trop mécaniques ; l’inespéré affranchi du temps – des éclipses – de l’abîme – de l’absence…
La respiration du jour dans le corps – le cœur ; le souffle qui installe le rythme et la précision des gestes et des pas…
L’indigence – fécondée par le miracle – qui, peu à peu, se transforme – se rapproche de sa matrice…
Du sol – des trappes – le fonctionnement du vide…
De la chair en travers qu’il faut user jusqu’à la transparence…
Des os et des chaînes à ronger…
Le déferlement du monde sur la roche – le ressac – et le vent qui gronde au cœur des misérables corridors que nous avons investis en pensant (à tort) y dénicher un refuge…
Des vies et des genoux abîmés sur la pierre – soumis aux choses et aux forces de l’invisible…
Nous – personne – au milieu de nulle part – en somme…
L’espace – au-dedans – à nos côtés – comme un ciel plus tangible – plus vivant – plus fécond – accessible depuis la terre – la bêtise – l’enfermement…
L’Autre – en nous – ensommeillé ou les yeux ouverts – rencontré ou ignoré – aimé ou haï – au même titre qu’un fragment d’âme oublié – et qui, une fois retrouvé et assemblé au reste, reconstitue l’ensemble – la totalité du réel – ce visage étrange et familier – inentamé – impartageable – malgré la multitude – les excès et les débordements (de toutes sortes) – toutes nos vaines tentatives d’appropriation et d’anéantissement…
Ce qui s’engouffre – en nous – pour nous dénouer – défaire ce nœud qui obstrue le passage entre la tête et le ventre – entre le ventre et le monde – ce grand charivari – ce grand cirque tragique et clownesque – le déferlement ininterrompu des vagues – de la faim – de la conquête et du repli – nos supplications et nos incartades – et cette longue – ou brusque – agonie – à genoux – allongé(s) – sur le sol…
Le monde – l’espace – la présence – invisibles – et qui se manifestent, avec force, sous nos yeux – de la manière la plus tangible – tant leur règne gouverne le plus grossier – les apparences – la part du réel perceptible par les sens humains…
Le ciel soudain descendu sur la pierre – comme une ouverture dans notre enfermement…
L’étreinte du monde – toujours inachevée – et celle des Dieux – plus rare – sans doute…
L’apparence de l’Amour dont on s’éprend – qui attise notre désir – notre feu – comme un piège horizontal aux allures de long couloir – deux murs interminables – infranchissables – opaques et borgnes – au bout desquels se dissimule une trappe souterraine dont l’ouverture nous précipite dans nos propres abîmes – une terre silencieuse et dépeuplée – inhabitée depuis trop longtemps – adossée à une immense paroi verticale qu’il nous faut escalader à mains nues – seule issue pour rejoindre nos perpendicularités – l’espace qui nous semble au-dedans et celui qui nous semble au-dehors ; la seule manière d’être (pleinement) présent – le seul lieu où les masques – les murs – les trappes et les pièges – nous révèlent leur vrai visage – notre véritable nature – l’Amour intact qui, depuis le premier jour – qui, depuis le premier pas – nous appelle tantôt joyeusement – tantôt désespérément – jamais dupe (pourtant) des jeux dans lesquels il ne cesse de nous jeter – et qui, à nos yeux (trop humains sans doute) prennent encore, trop souvent, des allures d’épreuve (insurmontable)…
Dans le martèlement de l’habitude – la défaillance – ce qui ressasse – comme une éclipse…
L’esprit et la confusion tressés ensemble…
La nomenclature du quotidien – trop souvent…
En nous – des assauts persévérants – l’innommable à travers la catastrophe – une suite d’infimes malaises – comme la fortification du détachement – quelque chose d’insoutenable…
Et la persistance de la même chance tout au long de cette courte existence – au cours de laquelle on attend un renversement – le retournement du combat – du conflit – de l’ignorance – leur bouleversante conversion en lumière et en sensibilité…
Une manière paroxystique de vivre la tendresse – quels que soient les défis et l’adversité…
L’extinction de toutes les formes de condamnation – une respiration qui surplombe tous les résidus – toutes les résistances – labyrinthiques…
Nu – propice (à la fois) au sang et à l’égarement – sans repère – sans allié – sur la voie instinctive où le geste rompt avec toute forme de superflu…
L’engagement et le nécessaire – sans filet – sans neutralité possible – comme une absence de distance avec la mort…
Ce qui s’efforce à la noirceur – sous la lumière dégoulinante ; des vagues – le déferlement – comme des pierres et des bâtons jetés au visage…
La préhistoire de l’enfance de l’homme – dont nous ne sommes pas encore sortis (bien sûr)…
La convoitise – l’écuelle et le territoire…
La vie mélancolique – froide et mortelle…
L’esprit puéril et divisé – porteur de ses propres écueils…
Ce que l’on rencontre – ce qui nous actualise – ce qui nous délimite et nous déploie – ce qui, parfois, nous multiplie – et ce qui, d’autres fois – le plus souvent, nous transforme (très) modestement – comme si nous étions une page blanche – la possibilité d’une écriture – une œuvre à construire…
La solitude corrompue par l’échange et la multitude – et qui la renforcent aussi (bien sûr) – de plus en plus à mesure que l’âme s’éloigne de l’immaturité commune…
Quelques tourments – dans la chambre close – qui grandissent et s’aggravent – à mesure que les murs s’épaississent – deviennent hermétiques – à mesure que l’âme y voit un refuge de plus en plus solide ; l’abri le plus apparent – le plus instinctif – le plus archaïque – qui finit par nous enfermer – par nous étouffer – le lieu où l’on meurt asphyxié (en général) – et celui que l’on quitte parfois (trop rarement) lorsque arrive (à point nommé) la saison hivernale…
Après le tumulte et l’attente – l’oubli – le dernier maillon de la chaîne – celui après lequel se révèle la liberté – les pas affranchis dans l’immensité offerte – un escalier sans rampe – un ciel sans astre – le silence sans la moindre ruse – sans le moindre mensonge…
Le parfait reflet de ce que nous sommes – le versant qui nous manquait pour nous rejoindre – pour (enfin) nous retrouver…
La migration des mots et de l’âme – la seconde à la traîne – parfois très loin derrière les premiers – comme une distance indispensable à l’assimilation des expériences et des découvertes – à l’intégration de ce qui nous semblait si étranger – le temps de l’accueil et de l’incorporation – le temps des transformations – nécessaire à l’effacement des rugosités individuelles et au déploiement (simultané), en nous, de l’espace infini…
Nous – nous construisant peu à peu ; nous – édifiés ; puis nous – nous dissolvant progressivement pour retrouver l’étendue dont nous nous sentions séparés…
L’itinéraire de l’édification – puis, du délabrement – comme une allégeance progressive – une soumission involontaire – à la défaite – aux mille défaites successives – nécessaires pour que l’ombre et la souffrance prennent sens – comme un soleil érigé (mais incomplet) qui accepterait, de proche en proche, d’être dépecé – et que les vents finiraient par démembrer – par démanteler – entièrement…
La chute – l’effacement irrémédiable, puis, la disparition…
Quelques restes – infimes – dérisoires – dans la poussière – sur lesquels pourrait s’édifier une nouvelle hauteur que l’on arpenterait – sans le moindre risque – sans la moindre hésitation – sans la moindre pesanteur ; quelque chose qui n’appartiendrait ni à la pensée – ni à l’imaginaire – un socle et une ossature invisibles – à la texture lisse – douce comme du velours – une ligne dans la main de Dieu peut-être – qui nous mènerait vers l’espace – l’infini – l’Amour et le silence – la lumière et la tendresse…
Notre territoire – au-dessus des danses et des guerres – au-dessus de l’indigence et de l’infamie…
La source surplombant nos âmes et nos terres arides…
Le jour au coin des lèvres – l’Amour sous la peau – au fond du cœur…
La cruauté défaite – comme tous les instincts…
Les ruptures – les déchirures – la douleur – abrogées – comme interdites…
Le feu excessif – les dérives et les débordements – comme simples instruments de rééquilibrage – les outils les plus élémentaires de la nécessité…
Notre manière de renouer (joyeusement) avec le monde – non pour agrémenter notre solitude – mais pour l’offrir aux Autres – abandonner notre (modeste) présence à la respiration de l’univers…
Une traversée – un chant – une offrande – sans jamais entamer l’humilité requise – sans jamais décider de la puissance et du rayonnement…
Un jeu – un pacte ; Dieu présent au cœur de tous les cercles – à travers la multitude – composants et serviteurs du règne céleste…